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fr
Bertrand Lambert

TF1,
une expérience
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Les éditions du 117, 2006
« Il arrive que de l’anecdotique émerge le fondamental. »
Edwy Plenel,
Un temps de chien

« Au cours de l’année 2000, le Conseil n’a pas eu à connaître


de cas de manquements aux dispositions à visée déontologique
sur l’antenne de TF1. »
Rapport annuel du CSA sur TF1
Roulette russe. Je n’avais jamais imaginé faire
un stage à TF1. Je n’avais d’ailleurs rien demandé. Mais lorsque
la directrice de formation de l’IPJ m’a proposé de mettre fin à ma
scolarité deux mois plus tôt que prévu, le diplôme de l’école en
poche, pour aller me confronter à la réalité du métier au sein de la
rédaction qui confectionne le JT le plus regardé de France, je n’ai
évidemment pas dis « non ». Ne soyons pas hypocrite, quels que
soient l’opinion ou les a priori que l’on peut avoir, et les étudiants
en école de journalisme ne sont pas les derniers à émettre des
doutes vis-à-vis de la première chaîne généraliste française, aucun
jeune journaliste, fraîchement diplômé mais aux épaules encore
frêles car toujours sans carte de presse et déjà à la recherche de
piges ou de CDD pour payer son loyer, ne peut refuser ce qui est
alors considéré par tous comme « une chance incroyable ». Au
mieux une passerelle royale vers le monde du travail, au pire une
expérience journalistique et humaine de premier ordre.

La désignation des deux heureux élus de la promo appelés à


côtoyer PPDA et consorts avait d’ailleurs fait beaucoup jazer. De
nombreux étudiants, mais aussi parfois les professeurs-
intervenants, se demandant ouvertement, et à juste titre, quels
avaient été les véritables critères de sélection. Un quasi-
psychodrame, preuve de l’intérêt porté par mes camarades pour
ces huit semaines en immersion dans la rédaction de TF1. La
directrice l’admit à demi-mot : j’avais été désigné parce que
j’étais le seul de la promo à être passé par la rue Saint-Guillaume,
autrement dit à pouvoir me prévaloir du diplôme de Sciences Po.
Pas sûr qu’elle vantait là l’esprit de synthèse ou la capacité à
mieux appréhender le monde, enseignés par le prestigieux corps
professoral de l’IEP, mais plutôt une ligne sur un CV appelé à
impressionner mes futurs interlocuteurs au sein de la chaîne. Je
n’avais donc pas véritablement été choisi pour mes qualités de
rédaction audiovisuelle, loin d’être si évidentes notamment par
rapport à certains de mes camarades. Mon cas n’était pourtant pas
le plus choquant, à en croire la vox populi. Celle qui allait
m’accompagner cristallisait clairement autour de son nom les
rancœurs de mes camarades. Dès le premier jour de scolarité,

7
cette étudiante s’était montrée littéralement obsédée par la télé en
général, et par TF1 en particulier : elle avait notamment fait des
pieds et des mains pour piger pour le site internet de TF1, dès la
fin 1999, une façon détournée de mettre un premier pied au cœur
de l’empire TF1. Elle souhaitait, et ne s’en cachait pas, devenir la
Claire Chazal du siècle qui allait bientôt s’ouvrir. Son principal
atout : une présentation impeccable, très chic, très bourgeoise,
assez proche du modèle bimbo des présentatrices « Barbie » de
LCI ou des Miss Météo de Canal +. Mais ses tailleurs Chanel et
sa silhouette avantageuse avaient du mal à cacher la platitude des
ses prestations, somme toute très ordinaires, lors des ateliers télé
du jeudi. Les protestations, parfois virulentes, notamment de la
part d’étudiantes à la plastique tout aussi redoutable, si ce n’est
plus encore, et à l’ego déjà très développé, fusèrent de toute part.
Sans succès. Faute d’explications rationnelles, les rumeurs les
plus folles circulèrent sur le compte de l’étudiante désignée :
pistonnage familial, filiation indirecte avec Etienne Mougeotte…
autant de on-dit que ma camarade entretenait plus ou moins en
laissant délibérément planer le doute, notamment sur cet éventuel
lien de parenté avec le numéro 2 de TF1.

Elle et moi irions donc à TF1, nos camarades de l’atelier


télévision devant se contenter de stages d’été dans les Bureaux
régionaux d’information (BRI) de France 3, à travers l’Hexagone,
ou sur LCI, alors encore situé au 78, rue Olivier de Serres dans le
15eme arrondissement de Paris1.

1
Le déménagement de LCI au pied de la tour TF1 (et le rapprochement qui
s’en suivit entre les rédactions des deux chaînes) eut lieu quelques semaines
plus tard, en septembre 2000.

8
Règles du jeu. A l’époque -depuis les règles du
jeu ont été sensiblement modifiées- chaque école de journalisme
reconnue par la convention collective des journalistes avait la
possibilité d’envoyer à TF1 deux de ses étudiants de deuxième
année (ou quatre si l’école dispensait une formation spécifique de
JRI2) dans le cadre de conventions de stage de durée variable, sur
lesquelles je reviendrai plus tard. Sélectionnés différemment
selon les cas, avec plus ou moins de transparence, une dizaine de
jeunes diplômés, a priori les meilleurs de leur promo, étaient donc
envoyés au 1, quai Point du Jour à Boulogne-Billancourt, dans
cette tour de verre se dressant fièrement face à la Seine, à
l’intérieur de laquelle l’entreprise TF1 mettait au point sa
stratégie industrielle et gérait, avec succès sur un plan financier et
de notoriété, le budget pour l’information le plus important de
France (700 MF en 2000, soit 14,4% du coût de la grille3). Une
tour d’ivoire inaccessible aux non-initiés dont Pierre Péan et
Christophe Nick avaient révélé trois ans plus tôt les rouages
intimes et l’incroyable mode de fonctionnement (nature
incestueuse des rapports entre la chaîne et les responsables
politiques, instrumentalisation de l’antenne au profit de Bouygues
etc…) dans TF1, un pouvoir, un pavé très documenté de
700 pages, publié chez Fayard, qui avait fait grand bruit.

La plupart des conventions de stage courraient du 1er mai au


30 juin. Les stagiaires avaient donc deux mois pour faire leurs
preuves, s’enrichir de l’expérience des glorieux confrères avec

2
Le JRI (Journaliste Reporteur d’Images), est un « journaliste spécialisé dans
la prise de vues d’images animées, apte à recueillir, à apprécier et à exploiter
des éléments d’information audiovisuelle. Il doit unir aux capacités techniques
de l’opérateur de prise de vues les qualités d’initiative et de jugement du
journaliste reporter. Il est responsable de la qualité technique de la prise de
vues et co-responsable avec le rédacteur reporter du contenu informatif des
images du sujet prêt à diffuser » (extrait de l’annexe 3 de la convention
collective nationale de travail des journalistes).
3
Le budget de l’information, en baisse de 50 MF par rapport à 1999,
représentait en 2000 le troisième poste de dépense de la chaîne après les
acquisitions programmes de fiction (1305 MF) et le sport (850 MF).
Source : Rapport annuel 2000 du CSA sur TF1.

9
lesquels ils allaient avoir la chance de travailler, avant de se
disputer lors de joutes journalistico-verbales les premières places
du fameux prix Francis Bouygues, celui que toutes les écoles de
journalisme s’enorgueillissent d’avoir décroché, ne serait-ce
qu’une fois. Dans sa plaquette de présentation, le Celsa4 n’hésite
pas, par exemple, à mettre en avant qu’un de ses anciens étudiants
a remporté en 1994 la bourse TF1… même phénomène sur le site
internet de l’Institut Pratique du Journalisme (IPJ), où sont
publiés les noms des anciens primés par la profession, un peu
comme un club de foot qui exhiberait ses trophées… Dans la
guéguerre que se livrent à fleuret plus ou moins moucheté les
différentes écoles de journalisme, tout est bon pour attirer les
meilleurs candidats possibles à leur concours d’entrée.

Chaque année, il faut le savoir, la profession organise des


concours ouverts aux élèves des écoles de journalisme ou aux
jeunes diplômés, destinés à susciter et favoriser des carrières de
journalistes spécialisés notamment dans l'écriture télévisuelle ou
radiophonique. Les lauréats bénéficient de bourses d’études, de
stages, de contrats… Ces distinctions restent des références
professionnelles pour le lauréat, et pour l’école qui l’a préparé. Le
prix Francis Bouygues du Reportage, créé par TF1 en 1991, est
considéré comme l’une des bourses les plus prestigieuses : c’est
le must des concours télés, bien loin devant la bourse Jean d’Arcy
attribuée depuis 1984 par France Télévision, l’équivalent des
bourses radios Francis Lauga (Europe 1) ou Jean-Baptiste Dumas
(RTL). Les lauréats, rédacteur et JRI, effectuent un stage
rémunéré d'un an au sein de la rédaction de TF1 avec la
perspective d'un recrutement éventuel. La mission des stagiaires-
candidats dont je faisais partie était donc double : faire honneur à
leur école et tenter de se faire une place au soleil de TF1. C’est
dire la responsabilité qui pesait sur nos frêles épaules.

Les stagiaires arrivèrent les uns après les autres, au compte-


gouttes. A quelques exceptions près, dont les dents acérées ne
4
Le Celsa est l’Institut des hautes études en sciences de l’information et de la
communication, basé à Paris : il dispense une formation en deux ans reconnue
par la convention collective des journalistes.

10
demandaient déjà qu’à rayer le parquet, tout ce petit monde arriva
sur la pointe des pieds, forcément impressionné par les lieux, par
le nombre de glorieux confrères rencontrés au détour des couloirs
de la cafétéria ou du jardin intérieur à ciel ouvert du troisième
étage5. Les stagiaires les moins bien lotis, venant généralement
des écoles de province, ne découvrirent TF1 que quelques jours
seulement avant les épreuves de la dite bourse, pour un stage
d’observation d’une semaine. L’iniquité était flagrante avec ceux
qui, comme moi, avaient eu huit semaines pour se familiariser
avec les lieux, les personnes et surtout les outils et les méthodes
de travail maison. L’un des stagiaires du CFJ (Centre de
Formation des Journalistes), aussi cuistre que persuadé d’être le
nouvel Albert Londres évoluait, lui, carrément depuis six mois au
sein de la rédaction (à l’heure de l’impression de ses lignes, il y
est toujours, preuve que l’ambition et l’allégeance paient : il est
désormais correspondant de TF1 dans une proche capitale
européenne). Plusieurs de ses reportages avaient été diffusés à
l’antenne, c’est dire l’avance qu’il avait prise sur les autres. Sans
surprise, personne ne s’offusqua de ces inégalités, pourtant
sujettes à fausser tout bonnement les épreuves. Pas question de se
faire mal voir, le jeu n’en valait pas la chandelle. L’essentiel était
ailleurs : la bourse en elle-même.

5
C’est sur cette terrasse paysagère, à flanc de la tour, que sont interviewés
chaque semaine, face caméra et sur un fond végétal, une fois que les salariés
ont terminé leur pause café, plusieurs interlocuteurs appelés à s’exprimer dans
les sujets diffusés dans les JT de la chaîne. France 2 et France 3 font la même
chose dans le vaste hall intérieur du siège de France Télévision.

11
12
Premiers pas. Pour mon premier jour à TF1, je
suis parti de bonne heure de chez moi. Pas question d’arriver en
retard. A l’entrée, dans cet immense hall où tout est fait pour en
mettre plein les yeux aux visiteurs (mur télé, déco végétale, on en
est presque ébloui tellement ça rutile de partout), une charmante
hôtesse me remet mon badge d’accès personnalisé, au liseré
rouge (celui des statutaires est bleu), pour me permettre de me
rendre au deuxième étage6. C’est Claude Carré, l’un des
nombreux directeurs adjoints de l’information de la chaîne, qui
m’accueille dans son bureau, à l’extrémité du plateau principal de
la rédaction. J’étais à la fois très excité, très intimidé et surtout
complètement crevé. La nuit avait été épouvantable. J’étais
persuadé que l’un des stagiaires, moi tant qu’à faire, allait hériter
d’un improbable cadeau de bienvenue, d’apparence anodine mais
incroyablement empoisonné : l’un des plus fameux marronniers
(terme employé pour désigner ces sujets qui reviennent
inévitablement chaque année à une époque donnée), la vente du
muguet du 1er mai. Un sujet a-priori enfantin à traiter
(interlocuteurs tout trouvés, pas besoin de croiser ses sources,
images assurées) mais qui se révèle être la plupart du temps un
véritable cauchemar. Difficile en effet, dans ce cas de figure,
d’être original ou encore d’échapper au micro-trottoir (en télé, le
micro-trottoir est un exercice beaucoup plus périlleux qu’il n’y
paraît : en presse écrite ou en radio, la réécriture et le montage
sont toujours possibles, ce qui n’est pas le cas en télé. De plus,
dans la rue, la simple présence d’une caméra est source d’une
effervescence plus ou moins facilement gérable selon les
quartiers, surtout lorsqu’il s’agit de recueillir l’avis de la
population. Une fois que vous avez trouvé un « client » ni

6
Cette carte magnétique nominative censée simplifier la vie aux salariés de la
société puisqu’elle permet d’activer les sas d’entrée et de sortie, de payer son
repas au restaurant d’entreprise, de s’acheter boissons ou friandises aux
distributeurs automatiques, de s’offrir un petit noir sur le zinc de la cafet’ etc…
permet surtout à la DRH (la direction des ressources humaines) de s’avoir
exactement qui boit quoi, qui va où, qui arrive en retard au boulot où qui a pris
la mauvaise habitude de quitter les lieux avant l’heure de fin de service…
« Big Brother » n’est pas loin…

13
effarouché ni surexcité, encore faut-il qu’il ait quelque chose de
pertinent à dire, dans un français audible et si possible en moins
de quinze secondes… si le casting est sans pitié, l’exercice, lui,
n’est jamais gagné d’avance). Bien évidemment, c’est à une
journaliste bien plus chevronnée que les stagiaires que nous
étions, à la plume léchée, Caroline Bayle, que la rédaction en chef
du 13 heures avait attribué le sujet « Muguet ». Ouf…

La discussion avec Claude Carré est cordiale mais brève.


L’homme est pressé. Je suis le bienvenu dans cette « grande
maison », je vais avoir « le temps de faire mes preuves », on va
me « donner du boulot » mais il faut que je fasse « preuve
d’initiatives pour avoir une chance d’intégrer cette belle
rédaction, composée de 220 journalistes, parmi les meilleurs de
France »… Le baratin classique, déjà répété mille fois.
J’apprends cependant que j’avais été affecté au service des
informations générales, là où sont essentiellement traités les faits
divers « nobles » ou de grande ampleur, mais certainement pas
les « chiens écrasés »7. Malheureusement pour moi, le chef de
service, Pierre Baretti, que je vais très vite apprécier pour sa
disponibilité et sa rigueur, est aux abonnés absents en ce 1er mai.
Comme la majorité des journalistes de l’étage en ce jour de la fête
du travail. L’endroit est presque désert, ce qui est paradoxalement
assez étrange : les journalistes, quel que soit leur médium, aiment
en effet travailler le 1er mai car c’est le seul jour de l’année qui
est, selon le code du travail, « chômé » et « férié ». Conséquence :
contrairement à ce qui se passe pour un 14 juillet, un 15 août ou
un 25 décembre qui sont des jours « fériés » mais pas « chômés »,
les journalistes à pied d’œuvre le jour de la fête du travail sont
payés double (les techniciens sur le plateau ou en régie sont eux,
carrément payés triple)… je ne m’attendais donc pas, ce lundi là,
à pareille « misère humaine » au sein de la rédaction. Mais il faut
croire que ceux qui n’étaient pas indispensables à la réalisation
des JT du jour avaient été instamment invités à passer la journée
en famille, dans le confort douillet de leur appartement, histoire

7
Expression habituellement usitée pour désigner les pages « faits divers » des
quotidiens régionaux.

14
pour la chaîne de faire quelques économies toujours bienvenues.
Si les abeilles se sont temporairement envolées, leurs « alvéoles »
et leurs « cubes » (pour reprendre la terminologie « Bouygues »),
comprenez les bureaux et les meubles à hauteur d’épaule qui
avaient tant fait tonner les journalistes lors de l’emménagement
de la rédaction dans la tour flambant neuve de Boulogne8, le
1er juin 1992, sont bien là : hormis les innombrables postes de
télévision, trois présentoirs sur lesquels sont disponibles
quotidiens et hebdos et quelques magnétoscopes SX (le format
vidéo utilisé alors à TF1) disséminés aux quatre coins du plateau,
rien ne distingue vraiment ce qui est le cœur de la rédaction, de ce
que pourrait être l’immense open space d’une entreprise lambda.
On pourrait très bien se croire dans les bureaux d’un cabinet de
courtage ou d’une grande banque. Après un rapide tour du
propriétaire, je prends place en face d’un journaliste un peu
rabougri, comme refermé sur lui-même, manifestement très
affairé. Axel Girard, journaliste spécialisé police-affaires (Corse,
terrorisme…) est au travail. Celui-là même qui avait réussi à
mettre la main, un an plus tôt, le samedi 22 mai 1999, sur Yvan
Colonna, le tueur présumé du Préfet Erignac, pour l’interviewer
quelques heures avant sa fuite. Et tout ça en toute tranquillité, à
Cargèse, le village natal de Colonna, alors même que ce dernier,
dont le nom venait d’apparaître pour la première fois dans
l’édition du Monde (datée du 23 mai 1999) parue le jour même à
13 heures à Paris, était censé être recherché par toutes les polices
8
Dans TF1, un pouvoir Pierre Péan et Christophe Nick racontent notamment
comment la structure de cet immense espace avait été pensé par « Bouygues »
pour reprendre en main, lors du déménagement de la rue Cognacq-Jay à
Boulogne, une rédaction jugée incontrôlable. « Les journalistes se sentaient
à l’aide dans le gentil bordel de Cognacq-Jay ; les voici jetés dans l’univers
clinique, silencieux, propre et réglementé d’un grand groupe industriel où
l’efficacité et la rentabilité sont érigées en vertus cardinales », écrivent-ils
page 495. L’organisation des lieux et le drastique règlement intérieur
donnèrent lieu à la première fronde spontanée de TF1 version Bouygues,
dix jours après le déménagement de la rédaction : les journalistes refusaient
l’interdiction qui leur était faite de bouger le moindre « cube », ou même de
personnaliser leur « alvéole ». Au printemps 2000, le règlement avait été dû
être modifié ou appliqué avec plus de mansuétude, plusieurs « alvéoles »
de la rédaction étant clairement personnalisées (par le biais de photos ou de
croquis apposés sur les « cubes »).

15
de France et de Navarre9. J’étais donc assis face à l’une des
dernières personnes à avoir officiellement vu Yvan Colonna
avant que celui-ci ne soit finalement interpellé, quatre ans plus
tard, au terme d’une interminable cavale10. Un journaliste qui a
forcément de sacrés contacts dans le milieu policier, des RG et de
la justice. Mais son allure et son attitude ne correspondent pas
vraiment au personnage. Mes tentatives de salutation, répétées, ne
reçoivent aucun écho. La méfiance évidente qu’il manifeste à
l’égard de la nouvelle tête que je suis l’emporte sur la courtoisie
la plus élémentaire. L’entendant discuter au téléphone, je lui pose
sans me décourager quelques questions sur les investigations
qu’il était en train de mener. Sans plus de succès. Etais-je à bord
du Nostromo, perdu dans l’espace, là où « personne ne vous
entend crier » ? Pas du tout, j’étais en plein milieu de ce grand
open space de la rédaction face à quelqu’un d’assez étrange… A
moins de n’être tombé dans la quatrième dimension, la dimension
TF1…

9
Dans le sujet diffusé le soir même dans le JT de 20 heures, le fils de Jean-
Hughes Colonna, ancien député PS de Nice, avait expliqué avec maîtrise et
sang-froid qu’il avait « peut-être le profil du tueur mais qu’il allait falloir
le prouver. » Une polémique naîtra d’ailleurs à propos de cette interview :
Gabriel Culioli, écrivain journaliste corse, prétendra dans un article publié
dans le mensuel Corsica, que Colonna avait été prévenu de l’intérêt de la
police à son égard par l’équipe de TF1, détentrice d'un fax de l’article du
Monde, sorti à la mi-journée à Paris mais encore indisponible en Corse
à l’heure de la rencontre entre l’assassin présumé du Préfet Erignac
et l’équipe de TF1.
10
L’assassin présumé du Préfet Claude Erignac a été arrêté, en douceur, le
vendredi 4 juillet 2003 peu avant 19h00 dans une bergerie, au lieu-dit
Margaritaghia, à Porto-Polo, près de Propriano, par les policiers du RAID.

16
JPP. Mon stage ne débuta véritablement que le lendemain.
Pierre Baretti, mon chef de service, me présente à l’ensemble de
ses confrères, aux autres collaborateurs (documentaliste,
assistante de rédaction…) présents avant de me conduire dans
l’un des saints des saints de la rédaction. Le bureau d’un ancien
de l’ESJ Lille (Ecole Supérieure de Journalisme), entré à TF1
l’année où je venais au monde, en 1975, aux manettes du
13 heures de la chaîne depuis le 22 février 1988, l’homme aux
51,4% de parts de marché le midi… j’ai nommé le très
régionaliste Jean-Pierre Pernaut. L’accueil est chaleureux. En
vingt-cinq ans de boutique, l’homme, également directeur adjoint
de l’information, a dû en voir passer des stagiaires. Il va droit à
l’essentiel. Sur son bureau, une feuille blanche sur laquelle je
distingue, à l’envers, une courbe de Gauss. « Tiens, regarde, c’est
la courbe d’audience, minute par minute, de mon canard d’hier,
en forme de bite », me dit-il textuellement, sans sourciller. Le
présentateur est sûr de lui. La comparaison, pourtant peu
appropriée, ni flatteuse pour le fruit d’un travail collectif où les
neurones sont a-priori plus sollicités que les organes génitaux, ne
prête apparemment pas à rire. « Tu vois, les gens quittent la 2 dès
qu’ils se mettent à parler d’international et nous rejoignent
lorsque débute notre partie magazine, le cœur du JT. C’est
mécanique. » Un authentique discours de la méthode. Effrayant.
« L’audimat, cette mesure du taux d’audience dont bénéficient les
différentes chaînes (...) est devenu le jugement dernier du
journaliste. On a donc une connaissance très précise de ce qui
passe ou qui ne passe pas. L’audimat est actuellement dans tous
les cerveaux. Il y a une mentalité audimat dans les salles de
rédaction », expliquait le sociologue Pierre Bourdieu, dans un
cours du Collège de France diffusé sur Paris Première en mai
199611, en faisant une généralité qui reste toutefois sujette à
caution. Pour TF1, cette « mentalité audimat » ne fait toutefois
aucun doute. On le savait déjà pour les émissions de variétés, les
séries US, les films… je découvre stupéfait, même si j’avais

11
L’intégralité de ce cours est disponible in Pierre Bourdieu, Sur la télévision
suivi de L'emprise du journalisme, Paris, Liber-Raisons d'agir, décembre 1996.

17
évidemment quelques doutes, que ce précepte vaut aussi, et dans
les mêmes proportions, pour l’information. La courbe que me
présente JPP est incroyablement précise : elle donne l’audience
minute par minute : dès lors, il est enfantin pour le présentateur et
son équipe rédactionnelle de connaître avec précision les thèmes
voire même les journalistes qui retiennent les téléspectateurs ou,
au contraire, les font fuir. Ce que mon interlocuteur oublie alors
de préciser, c’est que cette « bite » comme il l’appelle, bandait un
peu mou depuis quelque temps, même si l’édition de la mi-
journée de TF1 demeurait très largement en tête à 13 heures avec
plus de 7 millions de téléspectateurs en moyenne. En deux ans,
face au journal co-présenté par Rachid Arab et Carole Gaessler
sur France 2, le JT de TF1 avait tout de même perdu 5,8 points de
part de marché, soit près de 10% de son public…

Mais l’essentiel est ailleurs : transmettre la recette du succès.


« Par-dessus tout, ton sujet doit être compréhensible par la
grand-mère du Limousin, celle qui est perdue au fin fond de sa
campagne », me lance-t-il. Voilà donc le secret tant recherché par
la concurrence… « La Corrèze avant le Zambèze » écrivait en
mars 1964 le journaliste Raymond Cartier dans Paris-Match… on
n’en est pas loin. Jouer la proximité, d’abord donner au
téléspectateur ce qu’il attend, simplifier le message pour qu’il soit
reçu par tous (au risque évidemment d’être simpliste, de
multiplier les raccourcis, les lieux communs12 ou les amalgames
dangereux, sans d’ailleurs en avoir forcément d’intentions
malveillantes mais juste parce qu’il faut faire « simple »)… voilà

12
Comme l’a fort bien démontré Pierre Bourdieu dans Sur la télévision, les
lieux communs sont d’une redoutable efficacité en télé, dans le sens où ils
sont, de par leur banalité, instantanément compréhensibles, instantanément
perçus par le téléspectateur : « Quand vous émettez une idée reçue (…) la
communication est instantanée, parce que, en un sens, elle n’est pas (…)
A l’opposé, la pensée est, par définition, subversive : elle doit commencer par
démonter les idées reçues et elle doit ensuite démontrer (…) Il faut dérouler
une série de propositions enchaînées par des " donc", "en conséquence",
"cela dit", "entendu que"… Or ce déploiement de la pensée pensante est
intrinsèquement liée au temps ». Ce fameux temps qui manque cruellement en
télé : rappelons qu’un sujet de JT ne dure, en moyenne, qu’une minute et trente
secondes.

18
le secret de la réussite de JPP, le tour de main du chef Pernaut.
Celui que le site internet de TF1 présente comme « Picard,
amoureux de la cathédrale d’Amiens, il adore la campagne, les
fleurs et la tête de veau » a manifestement des relents de
populisme dans son discours, pour ne pas employer de termes
encore plus forts. « La proximité doit primer sur tout le reste : il
faut parler de ce qui concerne les gens, de leur voiture, de leurs
amours, de leurs vacances, de leur argent. Mais l'essentiel, c'est
que TF1 doit désormais apporter des solutions aux problèmes
que se posent les téléspectateurs, car personne ne le fait, surtout
pas les hommes politiques, l'élite si éloignée du peuple et du réel.
Ce discours aux relents pétainistes s'illustre déjà peu ou prou
dans le triomphe de Jean-Pierre Pernaut au 13 heures »,
écrivaient en 1997 Pierre Péan et Christophe Nick. Je venais d’en
avoir confirmation, en live et sans intermédiaire, de la bouche
même du principal intéressé. Le chroniqueur Guy Carlier, dans
ses lettres diffusées quotidiennement sur France Inter à l’heure où
JPP passe au maquillage, n’hésite pas, lui, à qualifier de
« poujadiste »13 ce grand journaliste qui se vante de ne jamais lire
Le Monde. Qu’il soit « pétainiste » ou « poujadiste », le
populisme de Pernaut se voit de toute façon au premier coup
d’œil14, malgré les dénégations répétées du principal intéressé15.

13
Entendre par exemple à ce propos l’excellente chronique diffusée le 20 mars
2003 dans le « Fou du Roi », quelques heures après les premiers
bombardements américains sur Bagdad. Voir également l’interview de Guy
Carlier par Marc-Olivier Fogiel dans « On ne peut pas plaire à tout le monde »,
diffusée le vendredi 11 octobre 2002 sur France 3.
14
Pour réaliser sa thèse universitaire consacrée à la France des régions de JPP,
Michel Le Guenic, a, lui, carrément passé vingt-six semaines, de juillet 2000 à
janvier 2001, à magnétoscoper et analyser quotidiennement la partie magazine
du 13 heures. Et pour cet étudiant breton en histoire, spécialisé dans la
Troisième République, il n’y a pas de doute à avoir : le JT de la mi-journée
« favorise incontestablement le discours conservateur. Pernaut sert plutôt les
mouvements d'une droite qu'on pourrait qualifier de nationale, conservatrice
et néolibérale ». En résumé, l’auteur affirme avoir décelé, dans les
soubassements idéologiques du JT de JPP, un zeste de Maurice Barrès, celui
qui se fit le porte-parole du renouveau nationaliste au début du XXème siècle
(importance des traditions, vénération de la terre), une pincée du Charles
Maurras, le doctrinaire anti-républicain et royaliste de l'Action française (idée
que la France, décadente, doit retrouver sa grandeur passée, sens de la famille,

19
Il suffit de jeter un œil à son JT ou même à « Combien ça
coûte ? », le magazine lancé le mardi 2 juillet 1991 en deuxième
partie de soirée en lieu et place de « Ciel, mon mardi » et que JPP
présente en prime time depuis une « Spécial Noël » diffusée en
décembre 199516. Dans CCC, les « bons contribuables mis à

du corporatisme) et une bonne dose Charles Brun, le fondateur du seul


mouvement régionaliste qui ait eu une audience nationale au début du siècle
dernier. Rien que ça… Gratifiée d’un honorable 18/20, cette thèse a été publiée
en novembre 2003 par France Europe Editions, sous le titre Nos régions selon
Jean-Pierre Pernaut, pétainisme ou pittoresque ?
15
Réagissant au travail de Michel Le Guenic, détaillé ci-dessus, Jean-Pierre
Pernaut expliquait, dans Télérama, le 29 janvier 2004, qu’il se sentait bien
dans sa peau de journaliste : « Cette thèse traitait essentiellement, je crois, de
la séquence culture et tradition régionale du JT : soit dix minutes sur quarante
- quand une actualité forte ne m'oblige pas à les supprimer. C'est peu pour
m'accuser globalement de pétainisme. Mais, depuis les Guignols de Canal, j'ai
l'habitude... Ça me semble pourtant un contre-sens : si j'étais vraiment de
droite, comme on le dit, donc partisan d'un Etat fort, je ne m'intéresserais pas
aux cultures régionales, ces contre-pouvoir. D'ailleurs, à l'heure des
régionales, on se rend compte que ces fameuses régions intéressent tous les
partis, de droite comme de gauche. Lorsque Jack Lang prône la défense des
langues régionales, pourquoi ne l'accuse-t-on pas, lui, de pétainisme ? En
plus, la France des régions est pour moi le fer de lance d'une France
européenne : Toulouse est plus proche de Barcelone que de Bordeaux. En
parler, c'est donc fabriquer l'avenir. Mais "Pernaut facho", c'est facile, ça
rime. »
16
L’émission a fêté sa cent-cinquantième le mercredi 17 mars 2004 et
a longtemps cartonné en terme d’audimat à chacune de ses diffusions
mensuelles, avec, en moyenne, entre 6 et 7 millions de téléspectateurs.
Le « magazine de l’argent dans tous ces états » a toutefois subi une certaine
érosion de son audience ces derniers mois et n’est plus aujourd’hui à l’abri de
la concurrence. L’émission du 26 mars 2003, avec Daniel Prévost et Evelyne
Dhéliat, marqua sans doute le début de la fin, ne réunissant que 4,9 millions de
personnes (soit 25% de parts de marché) alors que « L'instit » rassemblait, sur
France 2, 6 millions de téléspectateurs, soit 27% des individus de quatre ans et
plus devant leur télé. Même punition, trois mois plus tard, le 25 juin 2003,
toujours face à « L’instit » : la série avec Gérard Klein a attiré, ce soir-là,
6 millions de personnes (29,6% de PDM), contre seulement 4,8 millions pour
« Combien ça coûte » (soit 27% de PDM pour le trio Michèle Bernier, Bruno
Solo et Meïté). Malgré (ou à cause, c’est selon) l’arrivée d’Evelyne Thomas
pour épauler Jean-Pierre Pernaud, à la rentrée 2004, la chute s’est poursuivie,
quasi inexorablement : lors de la saison 2004-2005, le magazine n'a attiré en
moyenne que 5,7 millions de téléspectateurs sur les 9 premiers numéros soit
27% de part de marché. C'est 3,4 points de moins qu’en 2003-2004, 4,9 points

20
contribution » trouvent toujours les meilleures raisons du monde
de penser que le passe-temps favori des hommes politiques et des
fonctionnaires est de gaspiller l’argent public (stupéfait par ce
qu’il venait d’entendre dans l’émission CCC à laquelle il
participait, l’artiste Elie Semoun, pas plus engagé que ça bien
qu’il n’ait pas caché sa sympathie pour Lionel Jospin lors des
présidentielles 2002, s’était senti obligé, le 6 novembre 2002, de
prendre de lui-même la parole en direct pour « préciser que l’on
vit quand même dans un beau pays ». Ce à quoi Pernaut, surpris,
lui avait répondu, avec un sourire gêné, que « oui, on y est bien,
la preuve je suis entouré de vous et d’Elisa Tovati », une
chanteuse à la plastique impeccable, présente également sur le
plateau pour faire la promo de son dernier album. Pas vraiment de
rapport avec la remarque d’Elie Semoun. Pas vraiment non plus
de quoi élever le débat…). Au milieu de ce grand bureau, je
découvrais donc, de l’intérieur, le vrai visage de celui que les
sondages d’opinion consacrent régulièrement comme l’animateur
préféré des Français (remarquez là que JPP est censé être un
« journaliste », et non pas un « animateur »…), loin devant
Michel Drucker, Jean-Luc Delarue ou Jean-Pierre Foucault17.
Mais les masques n’étaient pas encore tous tombés. Loin de là.

Cherchant à me rendre utile comme me l’avait suggéré Claude


Carré, je scrute sans relâche les dépêches AFP, épluche la presse
à la recherche d’un sujet que je pourrais aller tourner. Pendant les
premiers jours, je suis abonné aux interviews de complément, je
sors dans les conditions d’un reportage avec une équipe complète
pour réaliser des interviews destinées à enrichir les sujets
concoctés par les statutaires. Ces derniers (et là je parle seulement

de moins que la saison 2002-2003, ou encore 8,4 points de moins que durant la
saison 2001-2002. En terme de téléspectateurs, cela représente une perte
moyenne de 500.000 téléspectateurs par rapport à la saison 2003-2004, de
600.000 par rapport à la saison 2002-2003, ou encore de 1,2 million de
téléspectateurs par rapport à la saison 2001-2002.
17
Exemple de sondage sur ce thème, l’enquête réalisée par l'IFOP auprès de
1.060 personnes âgées de 15 ans et plus, du 22 au 27 juillet 2002, et publiée
dans TV Magazine. Après JPP, Michel Drucker, Jean-Luc Delarue et Jean-
Pierre Foucault arrivaient ensuite, par ordre décroissant, Arthur, Christophe
Dechavanne, Evelyne Thomas, Vincent Lagaf, Nagui et Jean-Luc Reichmann.

21
de ceux basés à Paris, pas des correspondants de province),
hormis des trop rares authentiques « grands reporters »18,
semblent peu enclins à quitter, ne serait-ce que durant quelques
heures, le confort douillet de leur bureau et se confronter au
terrain. A TF1, comme d’ailleurs dans les autres rédactions dites
« nationales », le desk est roi (travail peu exaltant qui consiste à
assembler des éléments tournés par d’autres pour en faire un sujet
complet, en reprenant les informations des dépêches, des articles
publiés le matin. Informations que les journalistes les plus
consciencieux auront éventuellement cherché à vérifier ou à
compléter d’eux-mêmes, en passant un ou deux coups de fil).
Lorsque je déniche quelque chose qui a échappé à tout le monde
et qui semble relativement intéressant (une sacrée gageure !), je
vais m’en ouvrir aux chefs infos (un métier qui n’existe vraiment
qu’à TF1 et qui consiste, selon Anne de Coudenhove, elle-même
longtemps chef info19 avant de remplacer Catherine Nayl à la
rédaction en chef du 13 heures, à « récolter toutes les
propositions de sujets, il faut également en émettre; ensuite on
procède au casting, autrement dit les chefs d'info attribuent tel ou
tel reportage à tel ou tel journaliste. Il s'agit parfois d'une
mission délicate, qui demande du doigté, voire de la diplomatie.
Un journaliste n'a pas nécessairement envie de traiter certains
sujets. »20 Comprenez entre les lignes que nombre de journalistes
basés à Paris refusent, sauf cas de force majeure, de travailler
pour le 13 heures de Pernaut… la majorité des sujets diffusés à
midi sont concoctés par les équipes basées en région, en
partenariat avec la PQR21, la presse locale). Les chefs infos me
conseillent alors d’aller en parler avec la rédaction en chef de
telle ou telle édition. Ce matin là, je tombe sur une courte

18
Lire à ce titre le livre de Jean-Pierre About et Nahida Nakad, tous deux
authentiques grands reporters sur TF1, Un couple dans la guerre, publié en
mars 2004 aux éditions Calmann-Lévy.
19
C’était d’ailleurs encore le cas lors de mon passage à TF1, au printemps
2000.
20
Mémoire de fin d’étude de Julien Darras, écrit sous la direction d’Olivier
Bressy, réalisateur, intitulé Capter l'attention du téléspectateur dans les
Journaux Télévisés, juin 2000, disponible sur http://fais-
voir.com/telechargement/memoire.zip
21
Presse Quotidienne Régionale.

22
dépêche à propos d’une opération de sécurité routière en Seine-et-
Marne durant laquelle il sera proposé aux contrevenants
coupables de petits excès de vitesse (moins de 30km/h de plus
que la vitesse autorisée) de refaire un court crochet par une auto-
école plutôt que de payer une amende. Sur la recommandation
d’un chef info, je décide d’aller proposer le sujet à Catherine
Nayl, alors encore rédactrice en chef du 13 heures. Son bureau
jouxte celui de Jean-Pierre Pernaut et je comprends vite pourquoi.
Après lui avoir exposé mon idée, elle me prend la dépêche des
mains, se lève, se rend dans la pièce voisine, et en revient
quelques instants plus tard : « c’est d’accord, on diffusera ça
demain midi ». Je découvre alors, avec la naïveté du débutant,
que le véritable rédacteur en chef de l’édition de la mi-journée,
c’est JPP, et pas celle qui en a officiellement le titre. Cet aller-
retour vers le bureau de Pernaut se reproduira à de multiples
reprises, c’est-à-dire à chaque fois que je viendrai proposer un
reportage, durant mes deux mois de stage.

Pernaut est le seul maître de son journal : il commande les sujets


et les traite in fine. Son équipe (Catherine Nayl donc, rédactrice
en chef « fan de chocolat et de crêpes maison », Fabrice Decat,
rédacteur en chef adjoint dont « le seul vice sont les gaufres à la
cassonade », Alain Badia, qui « adore les bonnes bouffes entre
copains », Chantal Monteil, qui « adore la marche, la danse, le
bon vin et les fromages de sa région » ou encore Alain Baillon,
dont le « petit salé aux lentilles est la seule faiblesse » selon les
inénarrables pages du site internet de TF1 consacrées à l’équipe
du 13 heures22) est là pour l’assister dans sa tâche, pas pour

22
Les dites pages ont été mises en ligne en mai 2001 à destination des
téléspectateurs « qui aiment eux aussi découvrir la France telle qu’elle est,
avec ses cultures, ses traditions et les passions de gens simples qui préfèrent le
savoir-faire au faire-savoir » (selon l’édito signé JPP). Depuis, l’équipe en
charge du 13 heures de France 2 a répliqué et dispose, elle aussi, de ses propres
pages sur le site de la chaîne publique : on y apprend notamment que Marie-
Pierre Farkas, rédactrice en chef, « adore la mer, les enfants le biniou et le
violon tzigane » ou que Michel Perrot, rédacteur en chef adjoint, « fredonne
presque tous les opéras, connaît les meilleures tables de France et apprécie le
vin jaune »… Toute ressemblance avec le site internet d’une chaîne
concurrente serait purement fortuite, évidemment.

23
décider. Tout ce petit monde travaille d’ailleurs dans le même
open space qui jouxte le bureau, fermé celui-là, de JPP. Dans
toutes les autres rédactions où j’ai pu évoluer (Le Monde,
Le Télégramme de Brest, entre autres, pour la presse écrite ; TF1,
France 2, France 3 national et régional pour l’audiovisuel) les
décisions sont la plupart du temps collégiales, même si le ou les
rédacteurs en chef doivent parfois, et c’est leur rôle, trancher dans
le vif. En aucun cas, le contenu d’un journal ne dépend
entièrement d’un seul homme. Sur le service public, à France 2 et
France 3, le processus décisionnel est radicalement différent de ce
qui peut se passer quelques hectomètres en aval du pont de
Garibaldi23 : pour chaque édition, ils sont trois co-rédacteurs en
chef à co-diriger la conférence de rédaction. Sur France 2, le
présentateur (qu’il se nomme Daniel Bilalian, Christophe
Hondelatte, Benoît Duquesne, Elise Lucet24 pour le 13 heures ou
David Pujadas pour le 20 heures) fait partie intégrante de ce trio.
Il est d’ailleurs assis entre le rédacteur en chef en titre et son
adjoint, présidant en quelque sorte de par sa position la
conférence, intervenant sans hésiter mais sans jamais prendre seul
les décisions : elles sont, théoriquement, toujours collégiales.
Idem sur France 3, à la différence très nette que les présentateurs
y sont beaucoup plus effacés, plus en retrait, à l’image de leur
discrétion dans les Gala et autre Voici. A TF1, c’est tout le
contraire, que ce soit pour le 13 heures ou pour le 20 heures,
comme nous le verrons plus tard : les présentateurs maison sont
les seuls maîtres à bord. Et si Patrick Le Lay, le P-DG de la Une
(celui-là même qui avouait volontiers, lorsqu’il a débarqué à TF1,
le 17 avril 1987, en provenance directe du BTP, qu’il n’y

23
Le siège de France Télévision se situe rive gauche au 7, esplanade Henri de
France dans le 15eme arrondissement de Paris face au Pont Garibaldi… non loin
de TF1, installé un peu plus en aval sur la Seine, mais rive droite.
24
Christophe Hondelatte, transfuge de RTL, a présenté le 13 heures (new look)
de France 2 du 6 septembre 2004 au 27 janvier 2005 avant d’être écarté par
Arlette Chabot, directrice de l'information de la chaîne. Il avait remplacé à ce
poste Daniel Bilalian, qui avait assuré la présentation du JT de midi pendant
trois ans, parti diriger la rédaction des sports puis carrément le service des
sports du groupe France Télévisions. Depuis le départ de Christophe
Hondelatte, et après un intérim de Benoît Duquesne, c’est Elise Lucet,
transfuge du 19/20 de France 3 qui est en charge de l'édition de la mi-journée.

24
« connaissait rien à la télé » et qu’il avait embauché de vieux
briscards comme Etienne Mougeotte et Patrick Poivre d’Arvor
pour pallier ses insuffisances) et Etienne Mougeotte, le directeur
de l’antenne, laissent à ce point les coudées franches à JPP, c’est
pour plusieurs raisons. La première, c’est que son JT cartonne en
terme d’audience, et l’audimat, à TF1, c’est essentiel25. La
seconde, c’est qu’ils ont choisi JPP en connaissance de cause : la
carrière de Pernaut n’a vraiment décollé qu’en 1988 (juste après
la privatisation de TF1), alors qu'il avait été plus ou moins mis au
placard sous la gauche, à une époque où le pouvoir politique tirait
encore grossièrement les ficelles dans les rédactions télés. C’est
Jean-Claude Paris, un adjoint de Michèle Cotta alors directrice de
l'information, qui le choisit pour présenter le 13 heures et
succéder à Yves Mourousi, débarqué suite au changement de
direction et de propriétaire. Dans son hors-série d’octobre 2001,
intitulé « Télé, le Maillon fric », le Canard Enchaîné avance,
avec l’assurance qu’on lui connaît pour avoir puisé ses
renseignements à la meilleure source, que les dirigeants mis en
place par Bouygues recherchaient alors « un jeune journaliste
sérieux ayant le goût du contact avec la France profonde, et très
peu porté sur les débats internationaux et les grands
reportages ». Un profil qui aurait été défini à partir d'une étude
sur les attentes des téléspectateurs. La nouvelle direction de TF1

25
Qui dit audience en verve, dit rentrées publicitaires abondantes. Cette fichue
pub qui est la principale source de revenus des chaînes privées (99% du chiffre
d’affaires de TF1 en 2000). Sur TF1, la pub est reine : 1101 heures de pub
(émissions de téléachat incluses) ont été diffusées en 2000 sur la Une (par
comparaison, JT et météo confondus n’ont représenté sur cette même année
2000 que 943 heures de programmes, soit 167 heures de moins). Pour
l’anecdote, TF1 n’avait pas jugé nécessaire de renoncer à ses deux coupures
pub légales lors de la diffusion, dimanche 27 avril 1997, de « la liste de
Schindler », le chef d’œuvre de Spielberg sur la déportation : même au pays du
capitalisme roi, les chaînes américaines n’avaient pas osé saucissonner le film,
par « respect pour l’œuvre ». Pierre-Gilles de Gènes, prix Nobel de physique,
avait, lui aussi, dû s’incliner face à la pub : son interview par PPDA avait été
soudainement interrompue pour faire place aux écrans de pub avant la
diffusion d’un match de foot (dont le coup d’envoi ne pouvait évidemment pas
être reporté, même de quelques minutes).
A contrario, le mercredi 28 janvier 2004, TF1 a, pour une fois, fait le choix de
ne pas couper l’œuvre qu’elle diffusait à 20h50, Hitler : la naissance du mal.

25
savait précisément ce qu’elle voulait. Elle trouva en Pernaut
l’incarnation de l’information locale et populiste qu’elle
ambitionnait de proposer à ceux qui sont devant leur poste à la
mi-journée26, à savoir essentiellement des inactifs, des retraités,
des femmes au foyer et des salariés provinciaux qui rentrent
déjeuner chez eux à midi (8 millions des téléspectateurs réguliers
du 13 heures habitent des agglomérations de moins de
100.000 habitants, 43% sont des retraités et 6 millions ont plus de
59 ans27). Ce type d’information qui veut qu’une guerre civile
meurtrière aux antipodes pèse peu au regard du concours de
soupes du canton de Vaison-la-romaine28. Enfin, JPP bénéficie
d'une très bonne image publique29, notamment auprès de la
clientèle préférée de TF1, celle dont les publicitaires raffolent : la
ménagère de moins de 50 ans. Après 15 ans de présence
quotidienne par le biais de la petite lucarne, JPP fait désormais
26
Catherine Grandcoin, responsable du marketing à TF1 jusqu’en janvier
1997, interviewée par Pierre Péan et Christophe Nick, raconte dans TF1, un
pouvoir comment les présentateurs de la chaîne venaient la consulter :
« Je me souviens quand Pernaut et Paris sont venus me voir au début de leur
13 heures ; ils m’ont demandé : "il faut que tu nous dises qui est le public de
Jean-Pierre… - Tu vas parler pour des gens qui sont en province, qui rentrent
chez eux entre 12 et 14 heures, qui ont une profession intermédiaire, et qui,
quand ils retournent au boulot, veulent expliquer aux autres ce qu’ils ont
compris dans ton Journal…" Jean-Pierre a gardé ça dans sa tête. Dans un
monde aux informations très déstabilisantes, Pernaut fait un journal dont le
fond consiste à traiter de la vie quotidienne. Il choisit de répondre à ces
angoisses en disant : "Il y a du positif dans la vie". » (page 487)
27
Labourage et belles images, Thierry Leclère et Fabienne Pascaud, Télérama
du 29 janvier 2004.
28
Sujet authentique diffusé le jeudi 7 novembre 2002.
29
11% des personnes interrogées dans un récent sondage citent spontanément
Jean-Pierre Pernaut comme l’un des journalistes qui leur paraissent
« particulièrement indépendants ». JPP arrive en deuxième position derrière
Patrick Poivre D'Arvor (25%), à égalité avec Claire Chazal (11%), les trois
présentateurs de TF1 se retrouvant donc sur le podium (sondage CSA sur
l'image des journalistes et l'objectivité des médias, effectué entre les 26 et
27 février 2003, auprès d'un échantillon national représentatif de
1003 personnes de 18 ans et plus, suivant la méthode des quotas). Dans un
autre sondage sur les cent stars télé du siècle, Jean-Pierre Pernaut arrive en
huitième position des journalistes (étude publiée le 1er janvier 2000 dans Télé
Star et réalisée par l’Ifop du 4 au 9 novembre 1999 auprès d'un échantillon
national représentatif de 1096 individus âgés de 15 ans et plus).

26
presque partie des meubles, c'est l'intime qui met les pieds sous la
table à midi, l'invité permanent de la famille. Il incarne « l'ami
Ricoré » du déjeuner, celui qui montre un intérêt pour les
préoccupations quotidiennes de la « France d’en bas » (le
13 heures débute, par exemple, systématiquement par les
prévisions météorologiques du jour quelle que soit l’actualité
nationale ou internationale), toujours souriant et naturel à
l’antenne (effet renforcé par le fait que JPP est le seul
présentateur du PAF30 à ne pas utiliser de prompteur), bref un ami
qui nous veut du bien. Alors pourquoi ne pas continuer à lui faire
confiance ?

A notre arrivée au lieu de rendez-vous convenu avec les


responsables de l’opération près de Fontainebleau, au carrefour
dit du Grand-Veneur, le long de la Route Nationale 7 où allaient
avoir lieu les contrôles de vitesse un peu particuliers que nous
venions filmer, quelle n’est pas ma surprise de distinguer dans la
nuit un nombre incroyable de journalistes, caméras, perches… Le
tout formait une sorte de maul, pour reprendre un terme très
approprié de rugby, se déplaçant frénétiquement autour d’un
groupe de personnes que je ne parvenais pas alors à distinguer.
Certes, dans l’après-midi de ce jeudi 4 mai 2000, le ministre des
transports avait annoncé, lors d'une conférence de presse, une
« mobilisation exceptionnelle des forces de l'ordre à l'occasion
du week-end prolongé du 5 au 8 mai. Il ne doit pas y avoir de
troisième hécatombe », avait-il adjuré. Mais rien n’expliquait
alors cette mobilisation journalistique autour d’une opération de
sécurité routière qui n’avait fait l’objet, à ma connaissance, que
d’une minuscule dépêche AFP de 10 lignes. Toute l’équipe (le
JRI, le preneur de son et moi-même) se presse pour approcher ce
qui, de l’extérieur, ressemble plus à une meute qu’à un
regroupement de journalistes. Au centre, sous les projecteurs,
c’est Jean-Claude Gayssot. Le ministre de l'Equipement, des
Transports et du Logement du gouvernement Jospin avait décidé
sur un coup de tête de venir en personne faire la morale aux
chauffards interpellés. Personne à ma rédaction ne m’avait

30
Paysage Audiovisuel Français.

27
prévenu de sa venue. Lorsque j’avais eu les responsables de
l’opération, baptisée « conduite folle, retour à l’école », il m’avait
laissé entendre que nous serions la seule télé. Ma surprise est
totale. Subitement, les minettes (les petits projecteurs fixés sur les
caméras) s’éteignent, le ministre en a terminé avec la presse et
s’apprête à rejoindre sa voiture officielle. Je vais alors le voir
pour l’interviewer : il est manifestement fatigué et doit se
demander intérieurement quel petit journal local le gamin qu’il a
en face de lui doit bien pouvoir représenter. Il ne souhaite pas
répondre… jusqu’au moment où il comprend que je travaille avec
le JRI qui tient à la main une caméra siglée TF1. Impossible pour
lui de snober la Une et se priver de ses millions de
téléspectateurs. Il réajuste son costume et répond poliment à mes
questions. Par acquis de conscience, j’interroge face caméra les
différents responsables locaux, persuadé que le sujet tournera
plus autour du ministre, de sa venue, de son discours choc et des
échanges parfois vifs entre lui et les chauffards pincés ce soir-là.

Le lendemain matin, je fais part à Catherine Nayl de ce que j’ai


vu, des images que mon JRI a tournées, des différentes séquences
filmées, de la venue surprise de Jean-Claude Gayssot et de la
présence de multiples équipes de tournage. Je demande alors quel
angle souhaite mon interlocutrice pour le sujet que je m’apprête à
écrire et à monter. Je précise que la venue de Gayssot tombe à
pic, à quelques heures d’un grand week-end routier probablement
meurtrier. « Pas question d’entendre Gayssot dans le sujet », me
dit-elle très fermement mais de façon très naturelle. Comme si ça
coulait de source. « On ne veut même pas le voir à l’image »,
renchérit-elle. Etonné d’une telle directive, estomaqué par de tels
propos, je lui fais remarquer que je peux difficilement dire qu’il
n’était pas là, à moins de tronquer sciemment la réalité. Et je
suggère de le mettre en « off » dans le lancement ou dans le pied
du sujet pour au moins préciser aux téléspectateurs que
l’opération en question a été saluée, donc approuvée par un
ministre de la République. « Il n’y a pas d’institutionnel au
13 heures », tranche-t-elle définitivement, faisant preuve, dans ce
cas de figure, d’une insoupçonnable autonomie (pas besoin, cette
fois, d’aller demander des instructions à JPP).

28
Vendredi 5 mai 2000, 13h05. Troisième sujet du
JT.

Lancement de JPP : Et puis à propos de sécurité


routière, une opération assez originale hier soir en
Seine et Marne. Répression encore mais un choix
pour les automobilistes coupables de petits excès de
vitesse. PV ou un p’tit retour à l’auto-école. Près de
Fontainebleau, Bertrand Lambert et Damien
Blondeau.

Commentaire : 200 fonctionnaires mobilisés sur dix-


huit points de contrôle, six radars… il était difficile,
hier soir, d’échapper aux mailles du filet en Seine et
Marne. En quelques heures, plusieurs centaines
d’infractions sont constatées…Originalité de
l’opération, baptisée « conduite folle, retour à
l’école », une heureuse surprise attend les
automobilistes roulant moins de 30 km/h au-dessus
de la vitesse autorisée.

Discussion entre un fonctionnaire de police et un


contrevenant : Soit vous réglez directement l’amende
et on en parle plus. Le deuxième choix, c’est vous qui
le ferez, vous choisissez donc de suivre un cours au
sein d’une auto-école. Vous nous enverrez un
document permettant de justifier que vous êtes bien
passé devant l’auto-école. Celui-ci sera joint à votre
timbre-amende qui sera donc classé, vous ne paierez
pas l’amende.
Je vous remercie de vos explications. Mon choix est
fait, ça sera l’auto-école.

Commentaire : Fruit d’un partenariat entre la


sécurité publique et six auto-écoles cette initiative a
un objectif simple : faire comprendre aux

29
automobilistes, même expérimentés, qu’ils sont loin
d’être des as du volant.

Interview d’un contrevenant : Peut-être que


j’apprendrai autre chose… Est-ce que c’est cela qui
me fera rouler moins vite demain, je n’en sais rien
encore. J’aviserai et je prendrai une décision en mon
âme et conscience au moment d’avoir de nouveau à
affronter l’auto-école.

Interview de Jean-Pierre Lemonnier, Président de


l’Union départementale des enseignants de la
conduite : L’objectif, je répète, est principalement de
faire prendre conscience aux conducteurs, et dans
une ambiance très sympathique, que malgré des
années de conduite, même s’ils n’ont jamais eu
d’accident, que quelques comportement peuvent
engendrer des risques… et c’est de mettre le doigt
dessus.

Commentaire : Faire changer les mentalités n’est pas


chose aisée, si l’opération s’avère concluante,
d’autres pourraient voir le jour très prochainement.

Aucune trace de Jean-Claude Gayssot donc. Pas la moindre


image, pas même une ombre furtive sur le bitume, pas
d’intervention, pas d’interview, aucun élément ni information
dans le lancement du sujet quant à sa venue, son éventuel avis sur
l’opération ou ses mises en garde avant le grand week-end qui
s’annonce. Quand il s’agit de dénoncer les « incroyables
aberrations, lourdeurs ou bizarreries de l'administration » (pour
reprendre la page de présentation de CCC sur le site de Coyote, la
société de production de Christophe Dechavanne qui produit
CCC), pas de problème, y compris dans le JT31. Mais lorsqu’il
31
Voir à ce sujet, et ce n’est qu’un exemple, le reportage, diffusé le mardi 12
novembre 2002, consacré à un commissariat en construction qui, d’après le
journaliste, ne servira à rien, sous prétexte que les gendarmes vont remplacer
les policiers dans la ville en question, dans le cadre d’un projet de

30
s’agit de faire part du travail d’un ministre qui essaie de faire
évoluer les mentalités en matière de sécurité routière, c’est-à-dire
d’informer de façon positive et non plus négative, ça coince. A se
demander si la règle, plus inavouable celle-là, ne serait pas
plutôt : « le moins possible d’institutionnels au 13 heures, surtout
s’ils sont trop marqués à gauche ». Car, pour ne prendre qu’un
exemple, plus récent, quand Nicolas Sarkozy présente son projet
sur la sécurité intérieure, à la sortie du conseil des ministres, le
23 octobre 2002, ou se rend le lendemain, jeudi 24 octobre 2002,
au quartier de Hautepierre à Strasbourg pour annoncer le
déblocage de fonds d'urgence pour les victimes de violences
urbaines, l’équipe de JPP ne voit pas d’inconvénients à la
présence d’un « institutionnel » à l’antenne (dans les deux sujets,
le ministre passera longuement à l’image et sera interviewé).
Lorsqu’on décortique les JT présentés par Pernaut depuis trois
ans, on se rend compte que les ministres ou les maires y ont
rarement le droit à l’image, encore moins à la parole (exception
faite des maires des petites communes rurales, surtout lorsqu’il
s’agit de les encenser pour avoir supprimé les taxes et impôts
locaux32 ou pour les entendre dénoncer les lourdeurs de
l’administration33). Il n’est que rarement fait part des actions des
élus, des décisions qu’ils prennent, de leurs initiatives sans
lesquelles, évidemment, notre démocratie ne fonctionnerait pas,
n’en déplaise à JPP. Comme quoi Guy Carlier est sans doute dans
le vrai lorsqu’il qualifie Pernaut de « poujadiste ».

redéploiement des forces de l’ordre. Jacques Legros, journaliste-producteur-


animateur de « Plein les yeux » et qui remplace alors JPP, lance le sujet par ces
mots : « Nouvel exemple d’argent public gaspillé… »
32
Sujet « Coup de chapeau au maire de Belle Fontaine qui a supprimé les
taxes locales » diffusé en ouverture du JT du mercredi 30 octobre 2002, alors
même que 15.000 foyers étaient privés d'électricité dans le Pas-de-Calais et
que le monde venait d’apprendre que la prise d'otages de Moscou avait fait
119 morts dont 117 tués par les effets du gaz utilisé par les forces spéciales
pour neutraliser les preneurs d'otages Tchétchènes.
33
Sujet diffusé le 16 octobre 2002, à l’occasion de la présentation du projet
de loi de décentralisation au Conseil des Ministres, lancé ainsi par JPP :
« Aujourd’hui pour un élu local, il est bien difficile de savoir qui décide pour
quoi… En Haute-Loire, un exemple… »

31
Pour le téléspectateur qui regarde donc TF1 le 5 mai 2000, Jean-
Claude Gayssot est invisible, inexistant, impalpable, introuvable.
A moins d’avoir lu la presse34, ce téléspectateur est en droit de se
demander ce que fait le gouvernement pour créer un électrochoc
dans l’opinion et essayer de faire baisser le nombre de morts sur
les routes à l’approche du week-end du 8 mai, après deux week-
ends catastrophiques35. Si ce même téléspectateur avait plutôt
allumé son téléviseur sur, par exemple, France 2, il aurait eu une
vision tout autre de l’activité, donc de l’action, de ce même
ministre, celui-ci étant même l’objet de l’un des titres du journal
de Rachid Arab et Carole Gaessler. Ou comment tronquer
sciemment la réalité, en toute connaissance de cause… et en toute
impunité… Bien sûr, un journaliste n’est pas là pour « servir la
soupe » aux « institutionnels », surtout que ces derniers ont de
plus en plus tendance à multiplier les opérations de
communication à destination des télévisions. Il faut également
prendre garde à ne pas systématiquement donner la parole aux
« institutionnels » et savoir parfois privilégier les acteurs du
terrain. Mais dans ce cas précis en l’occurrence, il est
inacceptable de ne même pas dire un traître mot de la présence
d’un ministre de la République venu donner en personne la leçon
aux chauffards, et tenter ainsi de mettre fin à cette exception
culturelle qui veut que les routes françaises soient parmi les plus
meurtrières d’Europe. Surtout que nous étions sur place, que nous
avions les images et les « sonores » pour monter un sujet vivant,
sans langue de bois, avec des échanges assez vifs entre le ministre
et les contrevenants (l’un d’eux lui avait lancé : « Vous, vous
pouvez rouler à 200 km/h sans problème… arrêtez de me faire
des reproches ! »). Mais le plus dramatique dans cette histoire,
c’est que le téléspectateur n’avait quasiment aucune chance de
34
Quelques titres d’articles publiés le 6 mai 2000 (et non le 5 mai, pour des
questions d’heure limite de bouclage des différents journaux) : « Le ministre
fait la leçon » (Le Parisien), « M. Gayssot joue la peur du gendarme contre la
violence routière » (Le Monde), « Gayssot s’accroche à la répression »
(Le Figaro), « L’Etat ne freine pas l’hécatombe » (Libération), « Le coup de
colère de Jean-Claude Gayssot » (L’Humanité).
35
Lors des week-ends prolongés de Pâques et du 1er mai 2000, 188 personnes
avaient trouvé la mort sur les routes françaises, les accidents faisant également
4016 blessés.

32
s’apercevoir du subterfuge, à moins de regarder en même temps,
les éditions des différentes chaînes nationales. Un zapping
franchement pas aisé à une heure où les téléspectateurs, quels
qu’ils soient, sont plus occupés à donner des coups de fourchette
et de couteau qu’à appuyer frénétiquement sur une télécommande
insaisissable, planquée entre la baguette et le plat fumant sorti
tout droit du micro-ondes. Zapper ou déjeuner, il faut choisir…

33
34
Harry, un ami qui lave plus
blanc. Trois semaines plus tard, c’est une autre facette de
la « France vue par Pernaut » que j’allais découvrir. Cette fois,
c’est l’équipe du 13 heures, apparemment satisfaite de mon sujet
Gayssot light, qui m’avait passé commande d’un reportage. Je
devais m’intéresser à l’armée de terre, et plus spécifiquement au
recrutement des personnels voués à remplacer les appelés du
contingent avec la fin programmée du service militaire36.
Décision est prise d’aller tourner dans l’un des centres parisiens
de recrutement de la « grande Muette ». Mon idée est de suivre
un candidat tout au long de son parcours dans le centre. Cerner
ses motivations, assister aux différents entretiens, aux différentes
épreuves… A en croire le service de presse de l’armée, il y avait
alors treize fois plus de postulants que de postes ouverts à
recrutement. Nous nous attendions donc à trouver pléthore de
candidats. Mais une fois sur place, le centre est quasiment désert.
Il n’y a là qu’un mineur, accompagné de son père mais qui n’a
manifestement pas grand chose à dire, quelques candidates
venues finaliser ou prendre des nouvelles de leur dossier, et un
jeune d’origine africaine. Ce dernier attend patiemment que les
militaires viennent le chercher pour attaquer ses premiers
entretiens. Je discute avec lui. Il s’exprime bien. Son parcours est
digne d’intérêt. Et il est d’accord pour que nous le suivions toute
la journée. Je vais alors retrouver mon équipe, occupée à tourner
des images dans le hall, pour leur faire part de ma « trouvaille ».
A la fin de mon exposé, l’un d’eux m’interpelle, en prenant soin
de ne pas s’épandre dans tout le hall : « Tu as oublié pour qui on
travaille ? Si c’est lui que l’on suit, le sujet ne passera
jamais… ». Je ne comprends pas tout de suite. Et soudain, je
réalise. C’est la couleur de peau qui coince. Mes coéquipiers du
jour sont de vieux routiers de la Une. Sans être véritablement
explicites, ils me font un cours de « petit Pernaut illustré »,
s’appuyant sur leur expérience du 13 heures de TF1 version

36
Les incorporations en vue d'accomplir les obligations du service militaire
seront définitivement suspendues le 27 juin 2001, un an plus tard.

35
Bouygues. Ne me sentant ni les reins assez solides pour appeler
directement le présentateur vedette et lui poser crânement la
question, ni assez sûr de moi pour supporter un éventuel passage
à la trappe de mon sujet, je décide à contre-cœur de suivre les
recommandations de mon équipe. Le sujet sera plus classique,
moins personnalisé, moins anglé, faute de candidat approprié. Au
moment du montage, je réussirai quand même à glisser un plan
où figure le jeune black que je souhaitais suivre. La
consolation est bien maigre, mais preuve est faite que ce jeune
homme n’est pas une émanation de mon esprit. Le sujet sera
diffusé sans encombre le jeudi 1er juin 2000.

Suite à cet « incident », plusieurs journalistes, parmi les plus


critiques à l’égard de la ligne éditoriale du 13 heures, me
glisseront avoir entendu JPP affirmer ouvertement, sans gêne
apparente (sans doute persuadé que tout le monde à TF1 partage
ses idées) qu’il faisait un journal pour les « Français de
souche »… Je venais d’en avoir indirectement la confirmation.
En deux mois à TF1, j’aurai l’occasion de recevoir d’autres
confidences de la part de journalistes qui m’assureront avoir dû
remonter à la va-vite certains de leurs sujets jugés « trop
colorés ». Pour se convaincre de ces pratiques (sujets coupés
après montage ou sujets tournés en intégrant directement les
« contraintes » liées au 13 heures), il suffit de jeter un œil aux JT
de Pernaut, ne serait-ce que pendant une petite semaine :
n’importe quel téléspectateur un peu attentif y notera l’absence
flagrante et indiscutable de personnes de couleur dans les sujets
diffusés. Tout juste peut-on en apercevoir quelques-uns au détour
d’un ou plusieurs micro-trottoirs. Ils ne sont, en tout cas, jamais
au cœur d’un reportage, exception faite évidemment des très rares
sujets concernant l’Afrique ou le Maghreb diffusés à l’heure du
déjeuner (hors circonstances exceptionnelles comme la guerre en
Irak, la visite de Chirac en Algérie ou l’opération Turquoise au
Rwanda) ou de ceux traitant de l’insécurité (où là, forcément,
puisqu’il faut faire « simple », tout est de la faute aux
« sauvageons » des banlieues).

36
Pas d’institutionnels, pas d’intellos, pas de blacks, pas de beurs…
heureusement qu’il reste encore des mercières de campagne37, des
artistes dentellières38, des quincailliers d’arrière-pays39, des
artisans cordonniers travaillant à domicile40, des moines
fromagers41 ou des collectionneuses de pots de chambre42 pour
meubler l’antenne ! Mais attention, comme notre ami JPP ne
cesse de le déplorer, ces « beaux métiers » sont tous
d’authentiques espèces en voie de disparition. Alors question :
que verra-t-on aux 13 heures de TF1 une fois que tous ces
personnages et professions, sympathiques au demeurant mais qui
ne reflètent guère la réalité sociale et la mixité culturelle de la
France d’aujourd’hui, auront disparu ?

Sous ses airs de « Harry, un ami qui vous veut du bien », toujours
souriant (sans conteste, il a le plus beau sourire, au moment
d’ouvrir son JT, de tous les présentateurs télé de France) et
tellement proche des véritables préoccupations de la « France
d’en bas », JPP cache en fait une toute autre personnalité. Celui
qui fut sacré à trois reprises « meilleur présentateur de JT » lors
des cérémonies 1999, 2001 et 2003 des 7 d’or a, par exemple,
toujours refusé de communiquer sur ses revenus. Lorsque le
magazine spécialisé dans l’audiovisuel Ecran Total lui pose la
question, en février 2002, il se contente d’un laconique « je gagne
bien ma vie ». Pas facile en effet d’avouer publiquement un
salaire assurément supérieur à celui, déjà conséquent, de Claire
Chazal (150.000 F mensuels, soit 23.000 €, pour la présentation
du JT et la co-direction de l’information de la Une ; JPP fait de
même mais présente également « Combien, ça coûte ? » : il gagne
donc forcément plus que sa consœur) lorsque l’on prétend
défendre les « petites gens » de la France profonde. Ceux-là
même qui ne gagnent guère plus de 8.000 F (1.200 €) par mois…
Bien-sûr, chacun est libre de garder pour lui le montant de ses

37
Sujet diffusé le 10 mars 2003.
38
Sujet diffusé le 16 janvier 2003.
39
Sujet diffusé le 27 janvier 2003.
40
Sujet diffusé le 9 décembre 2002.
41
Sujet diffusé le 28 février 2003.
42
Sujet diffusé le 15 janvier 2003.

37
revenus. Mais dans le cas de quelqu’un qui se veut le défenseur
de la « France d’en bas », celle dont il cherche à montrer
quotidiennement à midi qu’il connaît parfaitement les tracas et les
tourments, c’est une simple question d’honnêteté intellectuelle et
de transparence. Deux principes fondamentaux dans notre
difficile métier de journaliste, mais dont Pernaut ne s’embarrasse
pas vraiment. Ce qui ne l’empêche pourtant pas de s’en prévaloir
lorsqu’il s’agit, dans « Combien ça coûte ? », de demander des
comptes « aux élus qui gaspillent l’argent public » ou d’interroger
tout naturellement les personnalités présentes en plateau sur leurs
cachets de stars.

Les apparences sont souvent trompeuses, surtout dans le monde


magique du petit écran. Toujours chaleureux et accueillant à
l’antenne (quel sourire quand même !), JPP peut se montrer assez
blessant, déplaisant, une fois les spot lights éteints. Un midi, j’ai
assisté à un incroyable dédoublement de personnalité. Enfermé
dans sa froide prison de verre et de lumière (il n’y fait jamais plus
de 17°C), bien protégé des intrus par les impressionnants vigiles
plantés devant la seule entrée du studio43, JPP, hyper décontracté
dès que la caméra le transportait au cœur du foyer de millions de
Français, se mit à vociférer très violemment, pendant la diffusion
de l’un des sujets, à l’encontre de son équipe, présente sur sa
gauche, à l’extérieur du studio. Il était tellement furieux qu’un
psychiatre aurait sans doute pu déceler en lui une démence
passagère. La scène, qui dura jusqu’à la fin du JT, était assez
cocasse. L’équipe de JPP, comme les stagiaires présents, voyaient
très distinctement leur mentor s’agiter en tout sens. Mais
personne ne comprenait vraiment pourquoi. Nous avions l’image,
mais pas le son, le studio étant évidemment complètement
insonorisé. Seule les personnes présentes en régie, dans le dos du

43
L’unique porte d’accès du studio, gardée par un vigile et/ou un pompier, est
verrouillée pendant le JT. Histoire d’éviter toute intrusion d’hurluberlus qui
ferait le bonheur du zapping de Canal +, mais serait évidemment très
préjudiciable à l’image de marque de la chaîne leader en France. Comme quoi
le sentiment d’insécurité cher à JPP parvient jusqu’au cœur même de l’ultra
sécurisée tour TF1, là où pourtant seuls les journalistes et les techniciens
maison ont accès. Y a comme qui dirait un brin de parano dans l’air…

38
présentateur, était en mesure de cerner les raisons de la colère
noire dans laquelle Pernaut était tombé. Une frénésie en
pointillés, comme si la rage de JPP était branchée sur du courant
alternatif, car rien ne transparaissait à l’antenne. Absolument rien.
Pas la moindre crispation. Une authentique performance d’acteur,
le visage de JPP exprimant des attitudes diamétralement opposées
selon qu’il était ou non à l’antenne. Un peu comme Jean-Pierre
Foucault lors de l’élection de Miss France 2003, à
Lyon (l’animateur vedette avait dû faire face à la fronde, aussi
bruyante que légitime, des 4.300 spectateurs scandalisés d’avoir
déboursé 55 € pour n’assister grosso modo qu’à une simple
projection de vidéos sur écran géant alors que les « gentils
organisateurs », comprenez Endemol, leur avaient promis moult
stars et Miss en chair et en os44).

Mais Pernaut peut aussi se montrer très cassant. Le jour de la


diffusion du sujet black light sur le recrutement de l’armée, mon
équipe et moi avions pris la poudre d’escampette, direction
Amnéville, entre Metz et Thionville. Plusieurs naissances
venaient d’avoir lieu, coup sur coup, au parc zoologique. J’avais
eu l’info grâce à une courte dépêche de l’AFP diffusée quelques
jours plus tôt. Sans surprise, l’idée avait séduit JPP. J’avais donc
obtenu sans problème le blanc seing nécessaire pour aller filmer
les nouveau-nés et signer un nouveau reportage. La route vers
Amnéville est un peu longue, mais le tournage se passe sans
histoires. Les bébés hippopotames, tigres de Sumatra ou
kangourous ne sont pas très loquaces, mais l’image parle d’elle-

44
Le Parisien a été le premier à parler de cette affaire, dès le lendemain de
l’élection, le dimanche 15 décembre 2002. Un reporter radio a même réussi à
enregistrer la scène. Pendant la pub, Jean-Pierre Foucault a perdu son calme
légendaire devant l'énervement des milliers de spectateurs du Palais des Sports
de Lyon : « Ça suffit, vous êtes gentils maintenant ! », lança-t-il à la foule
indisciplinée avant de conclure sur un très courtois « Mais laissez-moi parler,
merde ! ». Bien-sûr, une fois la pub terminée, Foucault avait retrouvé son
sourire ultra-bright. Pendant le direct, la « voix off » de TF1 s’est évertuée à
fait croire aux 9,2 millions de téléspectateurs (45,5% de PDM) présents ce
soir-là, qu’il y avait une « folle ambiance » dans la salle, alors qu’en fait,
Foucault était hué et sifflé de toute part. Un gros mensonge pour une
authentique bronca…

39
même. Et les gamins croisés au zoo ont les yeux si adorablement
écarquillés devant ces timides petites boules de poil, que je ne
fais guère d’angoisses quant au montage du lendemain. Celui-ci
s’avère pourtant plus délicat que prévu. Calliope, la Muse qui
préside à la poésie épique et à l'éloquence, a apparemment
d’autres chats à fouetter que de venir guider la plume asséchée de
mon stylo bic. Par chance, le monteur en connaît une couche sur
toutes ces bestioles. Je finis par parvenir à mes fins. Vient alors le
moment tant redouté du mixage, celui où je dois poser ma voix
sur le sujet fraîchement monté. Depuis le début de mon stage, ma
voix était l’objet d’innombrables remarques et critiques, parfois
contradictoires ce qui était d’autant plus déstabilisant. Je ne
savais plus à quel saint me vouer : « ta voix est trop chantante,
sois plus monocorde », « on ne t’entend pas quand tu mixes,
parle plus fort », « redresse-toi quand tu poses ta voix, que ça
vienne du ventre », « agite tes mains, vis ton commentaire, joue-
le ! »… en deux mois, j’ai à peu près tout entendu, et sur tous les
tons, sec ou amical, sans pour autant trouver de parade au
problème, que je ne niais pas, bien au contraire. J’étais
parfaitement conscient de mes lacunes « vocales » mais ne
parvenais désespérément pas à les combler. Lorsque je réécoute
aujourd’hui les sujets de mes débuts, je me rends compte des
progrès accomplis… je considère pourtant que ma voix est
toujours mon talon d’Achille, c’est dire qu’au printemps 2000
mes prestations, devant le micro de la cabine de mixage, étaient
loin d’être parfaites. Je ne ménageais pourtant pas mes efforts
pour essayer de parvenir à un mixage acceptable. Mais plus mes
confrères me donnaient des conseils, plus ils se focalisaient sur
ma voix, moins je me sentais en mesure de leur donner
satisfaction, et tout simplement progresser. Dans ce domaine très
particulier du mixage, auquel mon école n’avait pas forcément
très bien préparé ses étudiants (au CFJ et à l’ESJ, des comédiens
professionnels viennent faire travailler leur voix aux étudiants ;
ce n’était pas le cas à l’IPJ), j’avais totalement perdu confiance en
mes moyens. JPP avait été l’un des premiers à me faire des
remarques, me préconisant de faire rapidement quelque chose si
je voulais continuer à travailler pour lui, pour « son » 13 heures.

40
Une fois ma voix posée, j’apporte la cassette en salle de
visionnage, une petite pièce spécialement conçue et aménagée,
avec magnétoscope SP, SX45 et écran géant. Elle jouxte les deux
cabines de mixage, non loin de la régie et du studio vitré. Sur
TF1, tous les sujets, sans exception, sont visionnés avant
diffusion. Le rédacteur en chef de l’édition concernée (13 heures,
20 heures ou week-end) est là, entouré de deux ou trois autres
collaborateurs, pour visualiser en avant-première les reportages et
les valider, les uns après les autres. Le fond et la forme sont
appréciés sans complaisance, et il n’est pas rare de voir des
journalistes repartir de là en quatrième vitesse, leur cassette sous
le bras quelques minutes avant l’heure de diffusion prévue dans le
conducteur46, pour aller changer un plan du montage ou une
phrase de leur commentaire. Geneviève Galey, la rédactrice en
chef du 20 heures, est, par exemple, singulièrement attentives aux
fautes grammaticales, d’accord et aux liaisons phonétiques
douteuses. Intraitable à ce propos, elle ne laisse rien passer. Ce
n’est pas un hasard si PPDA dit souvent de cette ancienne
journaliste politique, à Paris-Match et au Point, passée également
par la case présentation à « TF1 Nuit », qu’elle joue le rôle de
« Madame le proviseur » au sein de la rédaction de la Une. Elle
ne transige sur aucun jeu de mot, aucune facilité d’écriture
comme « Reste que… », mène une guerre ouverte (et souvent
bruyante) aux tics de certains rédacteurs (l’expression
« véritable » est tout particulièrement dans sa ligne de mire) et
fait la chasse aux sujets trop orientés (les journalistes maison ne
sont pas là pour donner leur opinion !47). Comme nous le verrons
plus tard dans ce récit, c’est là l’une de ses principales
responsabilités, la véritable rédaction en chef de la « grand
messe » du soir étant, comme pour le 13 heures, aux mains du
présentateur. PPDA en l’occurrence, pour le 20 heures.

45
Le SP et le SX sont les formats vidéos couramment utilisés en télé.
46
Le « conducteur » est un document établi lors de la conférence de rédaction ;
on y trouve l’intitulé de la totalité des sujets qui seront diffusés dans le JT,
dans l’ordre de leur diffusion. C’est le squelette du JT, l’équivalent du
sommaire d’un magazine.
47
Voir plus loin le chapitre intitulé « les Robots de l’information ».

41
En ce vendredi 2 juin 2000, j’attends donc avec anxiété la
validation de mon sujet, avec l’espoir que ma voix se soit
améliorée. Catherine Nayl, assise derrière le bureau surélevé
réservé aux rédacteurs en chef, se tourne vers ses voisins. Elle
hésite. Finalement, elle demande à ce qu’on aille chercher JPP
pour qu’il prenne lui-même la décision adéquate. Sortant à peine
du maquillage, le présentateur se présente, moins d’un quart
d’heure avant l’antenne. Il s’accoude sur le chambranle de la
porte et demande à ce que le technicien lance le sujet. Il est
pressé. Positionné non loin de là, j’assiste à la scène. Au bout de
dix secondes à peine, le verdict tombe : « on remixe ! », tranche-t-
il sans traîner. En se retournant pour se diriger sur le plateau du
JT, il m’aperçoit. Il me lance en coup de vent, sans s’arrêter, d’un
ton assez sec : « ta voix, c’est plus possible ». Catherine Nayl le
suit, à la recherche d’un journaliste maison pour réenregistrer
mon commentaire, par-dessus ma voix. « La structure de tes
sujets est bonne. Tu choisis les bons sonores. Ton problème, c’est
la voix. On t’avait prévenu », me glisse-t-elle sur un ton déjà plus
compatissant que celui employé par son mentor. Je subis alors
l’humiliation suprême pour un journaliste télé (c’est en tout cas
comme cela que le tout jeune journaliste que j’étais à l’époque l’a
vécu) : le sujet est remixé sous mes yeux. C’est Patrick Ninine,
l’unique journaliste de couleur de la chaîne travaillant au siège
parisien48 lors de mon passage à TF1, qui est chargé de pallier

48
Il avait été muté courant mai au siège, après plusieurs années de
collaboration dans un bureau de province, dans le Sud-Ouest. Espérons pour
lui qu’il n’avait pas été invité à rejoindre la tour TF1 pour d’abord servir de
caution black au sein de la rédaction… un peu comme Sébastien Folin,
Malgache pur jus bombardé en 2001 à la météo, une première en France pour
un présentateur de couleur : « Me mettre à l’antenne sur la météo est une
démarche avant-gardiste. Les chaînes mettent des cautions de couleur mais
souvent à des horaires indues », déclarait-il, lucide, à Afrika.com le 13 février
2002 (Folin fait la pluie et le beau temps, article d’Olivia Marsaud). Depuis,
Sébastien Folin a également pris les rênes de Vidéo Gag (à la suite du départ
fracassant de Bernard Montiel au printemps 2003). Dans l’Express du 5 juillet
2001, Ronald Blunden, alors directeur de la communication de TF 1,
reconnaissait sans complexe que « depuis dix-huit mois, [TF1] a décidé
d'augmenter la visibilité des blacks et des beurs à l'antenne. Nous avons écrit
dans ce sens aux écoles de journalisme et aux agences de casting, pour faire
émerger de nouveaux talents. »

42
mes insuffisances « vocales ». Je lui confie mes trois-quatre
feuilles griffonnées et, cinq minutes plus tard, le tour est joué…
Ma collaboration au JT de 13 heures venait de prendre
définitivement fin. Sans fleurs ni couronnes. Ce qui ne
m’empêcha pas de continuer à travailler pour les autres éditions,
et notamment celle du week-end (Claire Chazal n’avait
manifestement pas la même appréciation de ma voix que JPP ;
elle ne considérait pas, en tout cas, que mes sujets étaient
indiffusables…). Je n’étais pas encore au bout de mes surprises.

43
44
Poivre. « Conférence 20 heures, conférence 20 heures ».
Il est presque 16 heures lorsque l’interphone se met à grésiller.
Toute une petite troupe de journalistes, jusqu’alors éparpillée
dans les deux étages de la rédaction, relève la tête, rassemble ses
idées, puis se dirige en salle de conférence. Il y a là les chefs
infos en charge du JT en question, deux ou trois chefs de service
et l’équipe complète du 20 heures : Geneviève Galey, la
rédactrice en chef, Philippe Perrot, le rédacteur en chef adjoint,
Jacques Asline, le réalisateur, mais aussi le chef d’édition, la
scripte… Quelques stagiaires sont également présents, par
curiosité. La vingtaine de chaises trouve rapidement preneur.
Sauf une… L’assistance se dévisage, les regards se croisent,
quelques langues commencent à se délier, on s’ouvre
discrètement à son voisin… lorsque soudain surgit celui que tout
le monde attend. L’homme est étonnamment bronzé, souriant. Il
s’excuse de son retard. Ses premiers mots sont pour celle qui
semblait garder, presque jalousement, la chaise demeurée vide.
PPDA s’assoit à ses côtés. Le tandem du 20 heures, Patrick
Poivre d’Arvor - Geneviève Galey, à l’œuvre depuis 1996 (c’est
dire si le duo se connaît bien), est reconstitué. La conférence peut
débuter. Tout va très vite. La plupart des sujets ont déjà été
abordés vers 9h30 lors d’un premier briefing restreint (lequel se
résume généralement à un tête-à-tête entre PPDA et Geneviève
Galey) puis à 11 heures, lors de la première conférence de la
journée. PPDA, l’inoxydable PPDA, celui dont les initiales sont
aussi connues en France que celles d’IBM ou du PSG, est aux
manettes. C’est lui qui tranche, décide des angles des reportages,
de la hiérarchie interne du journal. C’est lui encore qui attribue à
chaque sujet une place et un temps, en vue d’établir le
« conducteur », le squelette du journal. Ce n’est pas le 20 heures
de TF1, c’est le 20 heures de PPDA. Il est frappant de voir à quel
point les chefs de service ou les chefs infos acquiescent presque
systématiquement, sans jamais broncher. Tout au plus se
permettent-ils de rares suggestions que le présentateur vedette
n’hésite pas à balayer, cordialement mais fermement, d’un revers
de main lorsqu’il l’estime nécessaire. Geneviève Galey, pourtant
rédactrice en chef du JT, prend rarement la parole : la plupart du

45
temps, elle n’intervient que pour régler des détails, techniques ou
pratiques essentiellement. De débat, il n’y en a aucun. Ce qui
n’est généralement pas bon signe. Au sein d’une rédaction, qui
plus est au sein d’une rédaction comme celle de TF1 où l’on ne
retrouve a priori que des « pointures », en tout cas des
journalistes expérimentés avec un certain bagage intellectuel, les
avis divergent forcément sur la façon de traiter l’actualité du jour.
Une rédaction en « bonne santé », une rédaction qui vit, c’est une
rédaction qui discute, qui échange, qui doute aussi. C’est une
rédaction qui s’interroge sur son travail, sur celui des autres… et
c’est précisément de cette réflexion collégiale, de ce
bouillonnement intellectuel que naît quotidiennement le
« canard » du lendemain ou le journal télévisé du soir. Ceux-là
même qui ne sont que pages blanches ou « noir » silencieux (en
télé, on parle de « noir » à l’antenne lorsqu’il y a un « blanc ») au
moment où se déroule la conférence de rédaction préparatoire. A
TF1, rien de tel. A 13 heures, c’est Pernaut qui est aux
commandes ; à 20 heures, c’est PPDA. Une seule différence,
mais de taille : les deux présentateurs ne partagent pas la même
vision de la société française. C’est déjà ça.

Sans contestation possible, le PPDA est le seul maître à bord du


20 heures. Il ne s’en cache pas, d’ailleurs : « Je suis le patron de
ce journal », lâche-t-il dans Le Monde, le 26 novembre 2001.
Deux ans auparavant, à l’occasion des 50 ans du JT, il expliquait :
« Le principal changement est lié à mon départ d'Antenne 2 en
1983. Les pressions politiques étaient si fortes que j'ai
démissionné. J'ai fait un choix délibéré et, à cette époque, quand
un présentateur quittait la télé, il partait définitivement. Je
pensais réellement ne pas revenir… Quatre ans après, lorsque
j'ai accepté de présenter de nouveau le JT, j'ai posé une
condition : être maître du contenu de mon journal. En étant
directeur adjoint de l'information, je suis responsable de mon
travail et c'est essentiel. Parce que pour convaincre les
téléspectateurs, il faut d'abord être convaincu de ce que l'on fait.
Cela dit, je ne prends jamais de décision importante sans y

46
associer la rédaction »49. Ce dernier point est discutable, au vu de
l’expérience que j’ai pu avoir à TF1, même si l’actualité du
printemps 2000 ne prêtait pas vraiment à controverse. Ce qui est
certain en tout cas, c’est que le rôle de Geneviève Galey,
rédactrice en chef en titre, est réduit à la portion congrue. Outre le
fait de se muer en maître Capello à l’heure du visionnage des
sujets, Geneviève Galey, par ailleurs très lucide en privé sur
l’exercice de son métier à la Une (ce qui ne l’empêche pourtant
pas de continuer d’y travailler, pour des raisons détaillées un peu
plus loin), sert essentiellement, et presque uniquement,
d’interface entre la rédaction et le présentateur. Rôle
normalement réservé au chef d’édition dans les autres rédactions
nationales ou régionales (en télé bien sûr). Mais contrairement à
Catherine Nayl qui a toujours son JPP sur le dos, Geneviève
Galey doit souvent mener seule la barque du 20 heures. Et pour
cause : PPDA est très rarement présent dans les locaux de la
chaîne. Son vaste bureau du deuxième étage, rempli de photos de
personnalités et autres célébrités rencontrées au hasard des
plateaux, est le plus souvent orphelin de son artiste. Si le
présentateur peut difficilement se permettre de manquer la
première conférence de rédaction quotidienne, celle de 11 heures,
il brille régulièrement par son absence à la conférence de
16 heures. En deux mois, compte tenu des jours fériés et du
festival de Cannes (qui permettaient aux téléspectateurs les plus
âgés de revivre avec nostalgie le temps glorieux mais révolu de
l’ORTF, ressuscité avec brio par Jean-Claude Narcy, le joker de
PPDA50), je n’ai constaté la présence de PPDA à la conférence de

49
Interview disponible sur le site internet de TF1 :
http://infos.tf1.fr/dossiers/50ansjt
50
Après 41 années de bons et loyaux services et 7000 journaux télévisés
présentés, Jean-Claude Narcy a, depuis, définitivement raccroché les
oreillettes, le 3 janvier 2002, avec Alain Delon en invité du JT. Depuis, c’est
Thomas Hughes qui a été promu « doublure officielle » de PPDA. Pendant
mes deux mois à TF1, j’ai eu à faire à quelques reprises avec Jean-Claude
Narcy, dont les prestations du soir étaient sournoisement attendues avec
impatience par l’ensemble de la rédaction tant le présentateur multipliait les
gaffes à l’antenne (saviez-vous par exemple que James Bond est joué par un
certain « Pierre Bronan » ?). Un jour, alors que j’allais le voir pour lui donner
des éléments de lancement sur un reportage qui ne sera finalement pas diffusé

47
16 heures qu’une quinzaine de fois. Il était absent quasiment une
fois sur deux, ce qui est considérable, même si l’actualité, pas
vraiment brûlante, était loin d’être chargée. De telles absences
s’expliquent assez facilement. Difficile en effet pour un homme
normalement constitué, c’est-à-dire dénué du don d’ubiquité,
d’être membre de jurys (qu’il préside parfois) par dizaine51,
d’écrire des romans ou des essais (jusqu’à deux les bonnes
années52), de préfacer des ouvrages53, d’accorder des interviews à
la presse magazine ou aux radios, d’animer une émission de radio

(le sujet avait déjà été traité à 13 heures), il exigea que je modifie le
commentaire de mon sujet sous prétexte qu’il avait besoin pour son lancement
des informations que je donnais dans l’attaque (le début) du sujet… une telle
demande est totalement surréaliste lorsque l’on connaît un peu le métier : le
sujet n’est pas là pour mettre en valeur le lancement du présentateur, c’est
précisément tout le contraire !
51
Depuis 2001, PPDA a été membre, à une reprise au moins, des jurys
décernant le prix TV Breizh, le prix Francis Bouygues, le prix Interallié, le
prix Saint-Exupéry Valeurs Jeunesse, la bourse Lagardère du jeune libraire, le
prix spécial du jury du livre Sélection, le prix Internet du livre, le prix
Méditerranée de littérature, le concours « Sauvez un Trésor près de chez
vous ! », les trophées du web tourisme, le prix Cognac de littérature, le prix
St Valentin, le prix Carrefour savoirs du Premier Roman… et la liste est loin
d’être exhaustive.
52
Patrick Poivre d’Arvor a publié, au bas mot, une vingtaine d’ouvrages
(d’ailleurs souvent réédités) depuis qu’il est entré à TF1 : Les derniers trains
de rêve (Le Chêne - 1986), Rencontres (Lattès - 1987), Les femmes de ma vie
(Grasset - 1988), L'Homme d'images (Flammarion - 1992), Lettres à l'absente
(Albin Michel - 1993), Les loups et la bergerie (Albin Michel - 1994), Elle
n'était pas d'ici (Albin Michel - 1995), Les plus beaux poèmes d'amour (Albin
Michel - 1995), Un héros de passage (Albin Michel - 1996), Lettre ouverte
aux violeurs de vie privée (Albin Michel - 1997), La fin du monde, écrit avec
son frère Olivier (Albin Michel – 1998), Petit homme (Albin Michel - 1999),
Les rats de garde, écrit avec Eric Zemmour (Stock - 2000), L’irrésolu (Albin
Michel - 2000), Un enfant (Albin Michel - 2001), Courriers de nuit – les
aventuriers de l’Aéropostale, écrit avec son frère Olivier (Place des victoires -
2002), La côte de granit rose, écrit avec Serge Lenczer (Philippe Auzou -
2002), J’ai aimé une Reine (Fayard – 2003), Coureurs des mers (Place des
victoires - 2003), Raconte-moi la mort, écrit avec Claire Chertemps et Claire
d’Hennezel (Editions du Rocher - 2003), Frères et sœur (Balland - 2004),
Anthologie des plus beaux poèmes d’amour (Albin Michel - 2004)
53
Dernière préface en date, celle parue dans Air France : objets du ciel,
ouvrage signé par Michel Fraile et publié aux éditions Ouest-France (octobre
2003).

48
hebdomadaire sur RTL (« Invitations » entre septembre 2002 et
juin 2005), de lire les ouvrages proposés dans l’émission littéraire
qu’il présente tous les quinze jours sur TF1 (« Ex Libris » puis
« Vol de nuit » depuis septembre 1999) ou chaque samedi sur sa
filiale LCI (« Place aux livres », chronique phare de la chaîne
info), d’assurer la vice-présidence de TV Breizh, de produire et
présenter « Vol de nuit » ou des émissions pour TV Breizh (au
lancement de la chaîne bretonne), de disputer chaque année, la
raquette à la main, la coupe de France des journalistes à Roland
Garros (en simple et en double avec Jean-Pierre Berthet,
chroniqueur judiciaire à la Une et président de la presse
judiciaire), de déjeuner dans « les endroits où il faut être vu »…
tout en étant présent à TF1 pour préparer le 20 heures… Les
défenseurs de PPDA rappelleront certainement, avec raison, que
l’homme est talentueux, donc vif d’esprit, rapide et qu’il souffre,
comme Daniel Schneidermann54, d’insomnies chroniques : il ne
dort guère et peut donc consacrer partie de ses nuits à l’écriture
de ses ouvrages (surtout « entre minuit et 3 heures du matin »,
selon ses propres dires55) ou à la lecture de ceux des autres … il
n’est demeure pas moins que la multitude de casquettes dont il est
affublé est tout de même colossale. Lui-même reconnaît d’ailleurs
qu’ « il croule sous le travail. »56 Pas étonnant dès lors que PPDA
ne revienne, la plupart du temps, à TF1 qu’en toute fin d’après-
midi, aux alentours de 18h-18h30. Heureusement encore qu’il
circule dans Paris à scooter et qu’il peut donc se faufiler au milieu
des grappes de voitures immobilisées dans les bouchons, sinon il
aurait très bien pu, certains soirs, manquer le début de son JT…
« Je ne suis pas un exemple recommandable pour mes confrères,
il faut que je sois dans l’excitation », confesse-t-il dans TV
Hebdo, le 12 octobre 2003. Vu son habituelle heure de retour

54
Contrairement à PPDA, l’ex-chroniqueur du Monde -mais toujours
présentateur d’Arrêt sur images- est plutôt du petit matin : il « se lève entre
cinq et six heures du matin » et passe ses fins de nuit devant son ordinateur
« à écrire, surfer sur Internet et répondre sur le forum d’Arrêt sur image. »
(Libération du 7 octobre 2003)
55
Interview réalisée par Jérôme Benoit, pour le compte de son propre site
internet, disponible sur http://jerome.benoit.free.fr/
56
Entretien paru dans VSD, 25 mai 2005.

49
dans son bureau de Boulogne, il est évident que ses deux
assistantes lui mâchent copieusement le travail. Autrement dit
que ses lancements sont plus ou moins déjà écrits lorsque le
présentateur s’attelle officiellement à leur rédaction et à leur
dictée sur les coups de 19h - 19h30. C’est un secret de
polichinelle au sein de la chaîne. Un soir sur deux, PPDA
n’honore le studio de sa présence qu’à 19h59, quelques instants à
peine avant la prise d’antenne. Juste à temps pour se positionner
sur le fauteuil tant convoité et lancer les titres, une fois achevé le
générique. Poivre est tellement coutumier du fait qu’en régie, le
réalisateur et les techniciens ne se soucient pas plus que ça de
n’avoir dans leurs écrans de contrôle qu’une chaise vide alors
même que les écrans publicitaires précédents arrivent à leur
terme. Est-ce par perfectionnisme ? Oui, si l’on en croit
l’intéressé : « Je ne fais pas ça par jeu, mais parce que je
travaille jusqu’au dernier moment », précise-t-il dans Le Monde
le 27 novembre 2001 : le journaliste du quotidien, invité à assister
au JT du lundi 19 novembre 2001, avait, lui aussi, constaté la
ponctualité vacillante du présentateur. Ou est-ce plutôt parce que
le présentateur, revenant généralement trop tardivement à TF1,
n’a pas le temps de préparer son journal, lequel compte tout de
même en moyenne 18 à 20 sujets, donc 18 à 20 lancements ? Dès
lors, toutes les secondes, y compris les ultimes avant le
générique, sont bonnes à grappiller. On peut légitimement se
poser la question. Surtout lorsque l’on remarque parallèlement
que le présentateur fait régulièrement appel à sa secrétaire, en
plein JT, pour lui dicter, à la va-vite pendant la diffusion d’un
reportage, le lancement d’un sujet qui viendra plus tard dans le
journal. Pratique qui n’avait pas non plus échappé au journaliste
du Monde : « Pendant le premier reportage, Patrick Poivre
d'Arvor dicte le lancement du procès des supporteurs algériens à
une jeune femme qui compose le texte du "prompteur", l'écran
sur lequel défile le texte lu par le présentateur ; "dix secondes",
lance une assistante du réalisateur. Le présentateur plante son
regard dans la caméra. Retour plateau. Le ton est presque
intime : le micro suffit à porter la voix. »

50
En deux mois, j’ai eu la possibilité d’assister à une bonne
vingtaine de conférences de rédaction menées par PPDA, que ce
soit à 11 heures ou à 16 heures. Et il faut bien avouer que PPDA
en conférence de rédaction, c’est plus qu’un spectacle, c’est
presque une leçon de journalisme. Il décrypte, analyse,
décortique. Je découvre là un homme qui connaît son métier sur
le bout des doigts. Un grand professionnel de l’info.
Indéniablement talentueux. Même une Claire Chazal (que l’on
remarque d’abord pour ses tenues décontractées du jeudi, ses
petites baskets en toile et sa discrétion non feinte) ou un Jean-
Claude Narcy (qui sort surtout du lot plus par son côté ORTF
défraîchie avec son petit costume serré) ne tiennent pas la
comparaison. A mon arrivée à TF1, j’étais pourtant
paradoxalement plus défiant à l’égard de PPDA que de Pernaut. Il
faut dire que « Poivre », comme l’appellent ses collègues, n’est
pas seulement le journaliste le plus en vue de l’Hexagone, le seul
à présenter parallèlement, via son Guignol de Canal +, deux JT
différents sur deux chaînes concurrentes… c’est aussi le
journaliste le plus controversé du pays. Peut-être moins
aujourd’hui qu’hier, mais l’homme traîne toujours derrière lui un
certain nombre de casseroles, plus ou moins bruyantes ou usées
(depuis le temps qu’elles raclent le sol…). Le jour où je croise
PPDA pour la première fois, en chair et en os, j’ai évidemment à
l’esprit sa vrai-fausse interview de Fidel Castro. Aujourd’hui
encore, douze ans après la diffusion de l’entretien bidonné, le 16
décembre 1991, l’affaire est dans toutes les mémoires. Intercaler
des questions, enregistrées a posteriori par PPDA, entre des
réponses formulées par le leader cubain en conférence de presse,
et du coup donner l’impression au téléspectateur d’avoir décroché
un entretien particulier exclusif, en tête-à-tête, c’est une faute
professionnelle qui justifie entièrement le scandale qui s’en
suivit57. Surtout lorsqu’on suppose que le journaliste vedette avait

57
La supercherie avait été révélée, non sans mal, par Télérama puis par Pierre
Carles, dans « Double Jeu », l’émission de Thierry Ardisson : le reportage
avait d’abord été censuré, le 18 janvier 1992, par Hervé Bourges, le PDG
d'Antenne 2, pour « des raisons confraternelles » (« Pour des raisons
confraternelles, la direction d'Antenne 2 a décidé de ne pas diffuser le sujet
prévu par l'équipe de Double Jeu » était-il inscrit sur le panneau apparu à

51
procédé de la sorte parce qu’il avait dû être « vexé comme un
cochon » que le Lider Maximo lui refuse, au tout dernier
moment, l’entretien qu’il lui avait pourtant accordé au préalable
(refus que PPDA apprit une fois sur place, à Cuba, ce que l’ego
de celui qui aimait alors parler de sa carrière en terme de
« septennat »58 avait dû d’autant moins supporter). PPDA a
évidemment une toute autre version des faits, qu’il a répétée à
maintes reprises. Sans pour autant convaincre. « J’ai bel et bien
fait une entrevue avec Fidel Castro au début des années 1990.
En 1991, quand je me suis rendu à Cuba, le responsable du
service international de TF1, Régis Faucon, m’avait dit que
j’aurais la chance de rencontrer Castro à nouveau. Une fois sur
place, cela n’a pas fonctionné. Or, Régis Faucon a monté le
reportage comme si j’avais obtenu l’entrevue. Évidemment, si je
l’avais vu avant, je ne l’aurais jamais diffusé, mais voilà, tout
s’est passé très vite. Par la suite, Régis Faucon a reconnu sa
maladresse. Pour ma part, je n’ai jamais présenté le reportage
comme étant une entrevue exclusive. J’ai bien spécifié que c’était
une conférence de presse. Sur le coup, personne n’en a parlé,
mais un mois plus tard, il y a eu un véritable déchaînement dans

l’antenne au moment où les téléspectateurs devaient découvrir la séquence,


l’émission étant pré-enregistrée), avant d’être diffusé, dans une version
tronquée, le 25 janvier 1992. La presse s’était alors emparée de l’affaire ;
plusieurs dizaines de journalistes avaient même écrit à la Commission de la
carte de presse pour que la précieuse carte soit symboliquement retirée au
présentateur.
58
C’est en tout cas l’opinion de Pierre Carles, le réalisateur de « Pas vu, pas
pris » , « Enfin pris ? » ou de « La sociologie, un sport de combat » : « J’ai
plein d'archives sur PPDA. Je possède, par exemple, toutes les images où il
parle de sa carrière en terme de septennat. "J'ai fait un premier septennat sur
la Deux", "Si Mitterrand se représente, j'irai peut-être jusqu'au bout de mon
septennat..." Au départ, il le disait en rigolant. N'empêche, on découvre petit à
petit que ce type-là a fini par se prendre inconsciemment à un moment donné
pour l'égal du Président de la République, pour son interlocuteur privilégié.
Voilà peut-être pourquoi il a aussi mal réagi lorsqu'il n'a pas pu présenter le
JT, le soir de la mort de Mitterrand! Entre-eux, il y avait une sorte de longue
histoire d'amour-haine. C'est lui et non Jean-Claude Narcy qui aurait du
l'enterrer... », explique le réalisateur dans un entretien accordé en mai 1996 à
l’ATA, l’Association (belge) des téléspectateurs actifs (transcription
disponible sur http://ata.qwentes.be).

52
la presse. J’ai eu droit à toute la mauvaise foi du monde »,
déclare PPDA à La Presse, le mercredi 31 octobre 200159.
Demeurent pourtant quelques interrogations troublantes : avoir
rencontré Fidel Castro en 1990 justifie-t-il en quoi que ce soit le
montage réalisé à partir d’une conférence de presse tenue fin
1991 ? Les questions de PPDA se sont-elles enregistrées toutes
seules ? Peut-on imaginer que Régis Faucon60, clairement montré
du doigt par PPDA, ait utilisé une caméra cachée pour piéger le
présentateur ? De plus, sur TF1, tous les sujets sont visionnés
avant diffusion : comment celui-ci aurait-il pu passer à travers les
mailles du filet ? Autant de questions auxquelles le présentateur
n’a jamais vraiment répondu, les personnes les plus à même de
les poser, comme des étudiants en journalisme (aux questions
sans doute moins convenues que celles des journalistes auxquels
PPDA accorde ses interviews), étant cordialement invitées à ne

59
Plus récemment, PPDA a également abordé cette délicate affaire dans une
émission intitulée Patrick Poivre d'Arvor et diffusée le samedi 12 avril 2003
sur la chaîne Histoire, dans le cadre de la série « Télé notre histoire », réalisée
par Jérôme Bourdon et Pierre Tchernia. Lors de cet entretien, enregistré en
novembre 2002, le présentateur donnait une version semblable à celle sus-
citée. Il reconnaissait cependant être « coupable sur deux points. Le premier
point, c'est que j'ai réagi très violemment vis-à-vis de ce journal, qui s'appelle
Télérama, qui avait été très très odieux, enfin bon… qui était hostile à TF1
depuis la privatisation… c'est son droit… mais qui avait d’abord essayé de
faire croire que j'étais à Paris, ensuite que j'étais sur place mais que j'avais
tenté de faire croire à… une manipulation… et j'avais pris ça mal. Et puis,
toujours, dans ces cas-là, on sur-réagit… j'ai… j'ai… comme j'avais d'autres
attaques, d'une autre nature, sur le front, de la vie privée, j'avais peut-être
tendance un peu sottement à penser à un complot. Peut-être étais-je
paranoïaque. Et puis, ma deuxième erreur, c'est que, un an plus tard, je suis
allé faire une interview de Fidel Castro. Alors la plupart des gens sont
persuadés que cette fameuse interview est une fausse interview, alors que j'ai
rencontré cet homme en 92. Bon, je suis plutôt fier de l'avoir fait puisque
depuis je crois qu'une seule interview de lui a été réalisée. C'est plutôt… pas
un exploit… mais enfin… une bonne affaire. »
60
Pour l’anecdote, c’est dans la plus grande discrétion que Régis Faucon, alors
responsable de la politique étrangère à TF1, a quitté la Une le 31 décembre
2000, le directeur de l'information, Robert Namias, s'étant opposé à tout
communiqué. Lire à ce propos, dans Le Monde Télévision du 29 juin 2002, la
lettre signée par le principal intéressé, en réponse à un autre courrier, de Robert
Namias cette fois, paru la semaine précédente.

53
pas aborder le sujet lorsqu’ils pourraient en voir l’occasion. Dans
Les petits soldats du journalisme61, François Rufin, dévoile
notamment les coulisses de la venue de PPDA, en 2002, au CFJ
(l’une des écoles de journalisme les prestigieuses, dont PPDA est
d’ailleurs sorti diplômé en 1971), où l’auteur était alors étudiant :
« "Est-ce que vous croyez qu’on peut interroger Monsieur
d’Arvor sur son interview de Fidel Castro ?" Avant de s’autoriser
pareille impertinence, Anne avait consulté le directeur. Il
préconisa l’abstinence, tout en la laissant bien sûr libre de… Le
lendemain, un encadrant, ex-rédac’chef du Monde (journal
associé à TF1 lors de la dernière élection présidentielle),
clarifia : "Évitez de le questionner sur son bidonnage à Cuba.
C’est un peu convenu et ça risque de le blesser gratuitement.
Chacun commet des erreurs dans sa vie. Inutile de remuer le
couteau dans la plaie". Chacun se le tint pour dit : après tout,
TF1 est un employeur potentiel…» Et les questions gênantes
furent laissées de côté…

Lorsque l’on présente le JT, surtout le « 20 heures » de TF1 qui


est le journal le plus regardé d'Europe avec chaque soir de huit à
dix millions de téléspectateurs, on se doit d’être irréprochable.
C’est une question de crédibilité, avant même d’être une question
de moralité. Alors PPDA l’est-il ? Cette interrogation me
taraudait évidemment l’esprit bien avant que je ne pose un pied à
TF1. Entre la vraie-fausse interview de Castro, déjà évoquée,
l'affaire du bébé ramené d'Irak62, l'interview de Saddam Hussein

61
Les petits soldats du journalisme, publié aux éditions Les Arènes en février
2003, a connu un certain succès en librairie puisqu’il s’est vendu à près de
20.000 exemplaires.
62
PPDA passa presque pour un « héros » pour avoir ramené clandestinement
d’Irak, le 21 août 1990, le petit Florian Barbut, un bébé de 18 mois : lui et son
père faisaient partie des 560 Français que Saddam Hussein voulait transformer
en bouclier humain face à l’aviation alliée. Le bébé avait été dissimulé dans
l’un des sacs en toile du présentateur, après que son père lui avait fait boire
quelques gouttes de champagne pour s’assurer de son silence pendant le
transport entre l’hôtel et l’aéroport de Bagdad. On apprendra plus tard, grâce
aux écoutes téléphoniques réalisées par la DST autour de l’ambassade d’Irak
(alors pays ennemi), que c’est l’ambassadeur qui aurait lui-même suggéré à
TF1 d’envoyer un journaliste pour aller récupérer le bébé. Pour plus de détails,

54
au milieu des otages63, celle du faux garde du corps de ce
dernier64, sa condamnation à 15 mois de prison avec sursis et
200.000 francs d’amende pour recel d’abus de biens sociaux65,
l’affaire du paparazzi chahuté en Grèce66, ses relations ambiguës
et tumultueuses avec la presse people67… j’avais de quoi nourrir
une défiance légitime à l’égard de celui qui présente et dirige le

lire avec attention le chapitre 16 de TF1, un pouvoir, l’ouvrage déjà cité de


Pierre Péan et Christophe Nick.
63
L’interview, réalisée le 28 août 1990 en présence de nombreux otages
invités à protéger les bâtiments officiels irakiens, avait fait un tel scandale
qu’Etienne Mougeotte se sentit obligé de faire publiquement amende
honorable, le 11 septembre 1990 dans le Figaro : « La télévision n’est pas
seulement amplificatrice, elle peut aussi être manipulatrice, fût-ce au corps
défendant des journalistes et des responsables de l’information. »
64
Le 19 décembre 1990 puis le 23 janvier 1991, dans le « Droit de savoir »,
PPDA interviewa celui un certain « capitaine Karin » présenté alors comme
« un garde du corps de Saddam Hussein, membre de la garde républicaine ».
Ce qui s’avèrera entièrement faux, l’homme en question se révélant être un
simple attaché de presse de l’ambassade d’Irak à Paris, comme le dévoila
L’Evènement du Jeudi dans son édition du 31 janvier 1991.
65
PPDA a été reconnu coupable le 20 avril 1995, puis le 10 janvier 1996 en
appel, d’avoir bénéficié entre 1987 et 1991, de la part de Pierre Botton, gendre
et conseiller de Michel Noir, de 535.000 F de cadeaux (lors du procès, Pierre
Botton avait évalué ses « largesses » envers PPDA à plus de 2 MF), sous la
forme de billets d'avion et frais d'hôtel à Venise, en Guadeloupe, à Cardiff
etc... en échange notamment d'une annonce en direct sur TF1 par Michel Noir
de sa candidature aux élections municipales de Lyon. Malgré cette
condamnation sans équivalent pour le présentateur d’un JT, PPDA ne fut
« privé » d’antenne par sa direction que pendant trois petits mois, au printemps
1996.
66
PPDA et son frère Olivier s’en sont violemment pris, durant l’été 1999, à un
paparazzi qui les avait suivis pendant leurs vacances en Grèce, lui déchirant
notamment sa carte de presse.
67
PPDA n’a de cesse de vomir les pourfendeurs de vie privée, tout en ne
cessant de la médiatiser (l’exemple du suicide de sa fille Solenn est à ce sujet
très significatif) et de multiplier les apparitions dans les endroits où il faut être
vu, dans ces soirées qui n’existent que pour et par la couverture qu’en fait la
presse papier glacée. PPDA ne cache pas son aversion pour Voici mais a signé
« avec plaisir » l’éditorial de Gala pour les dix ans du titre… expliquant, le
2 avril 2003 dans le « Fou du Roi » sur France Inter, que le second,
contrairement au premier, ne publiait que des clichés « autorisés »... Rappelons
que les deux titres appartiennent au même groupe, Prisma Presse, et sont sous
la responsabilité d’un même directeur d’édition, Patrick Cau.

55
20 heures de TF1 depuis 1987 (un sacré bail tout de même !).
Mais durant ces deux mois de stage, il montrera le visage d’un
grand professionnel, éminemment talentueux, exception faite de
son notoire manque « d’assiduité ». Pas chez lui de chasse aux
« institutionnels », aux « intellos » ou aux personnes plus
bronzées que la moyenne… Il est beaucoup plus respectueux de
la diversité culturelle, de la mixité sociale du pays, la fameuse
« hétérogénéité sociale et culturelle » chère à Dominique
Wolton68, que les journaux d’information télévisés se doivent de
refléter d’un point de vue éthique, mais aussi réglementaire, la
télévision hertzienne n’ayant pas, à ce titre, les mêmes
obligations légales que la presse écrite69. Autre point à mettre à
l’actif de PPDA : il est le seul présentateur de la chaîne à tenir
une véritable conférence critique, digne de ce nom, dès la fin du
JT, pour analyser a posteriori le contenu du journal en compagnie

68
Auditionné au Sénat, en 1998, Dominique Wolton, chercheur au CNRS et
auteur de nombreux ouvrages sur la communication, expliquait : « Seule la
télévision généraliste est apte à offrir à la fois cette égalité d'accès, fondement
du modèle démocratique, et cette palette de programmes qui peut refléter
l'hétérogénéité sociale et culturelle. La grille des programmes permet de
retrouver les éléments indispensables à l’ "être ensemble". Elle constitue une
école de tolérance au sens où chacun est obligé de reconnaître que les
programmes qu'il n'aime pas ont autant de légitimité que ceux qu'il aime, du
seul fait que les uns cohabitent avec les autres. » Ce qui est valable pour les
programmes l’est aussi, évidemment, pour les thèmes abordés, les situations et
les personnes mises en image dans un journal d’information télévisé
généraliste. In Etat des lieux de la communication audiovisuelle 1998 (Rapport
d'information du Sénat, 27 octobre 1998).
69
En France, trois principes régissent le traitement de l'information
audiovisuelle : le pluralisme, l'honnêteté et l'indépendance. Le pluralisme de
l'information est l’aspect principal du pluralisme des courants socioculturels
défini comme un objectif de valeur constitutionnelle par le Conseil
constitutionnel dans sa décision du 18 septembre 1986 sur la loi relative à la
liberté de la communication. L'honnêteté de l'information est également
mentionnée dans cette décision : selon les sages, les programmes doivent
garantir l'expression de tendances de caractères différentes « dans le respect de
l'impératif d'honnêteté de l'information. » A noter que le décret n° 47-43 du
30 janvier 1987 fixant le cahier des charges de TF1 lors de sa privatisation, fait
également obligation à la première chaîne d'assurer l'honnêteté de
l'information, lui imposant notamment de réaliser ses émissions d'information
dans un esprit de stricte objectivité.

56
des membres de son équipe et des journalistes encore présents. La
conférence ne dure pas forcément de très longues minutes, mais
PPDA la mène avec professionnalisme et une certaine humilité.
La plupart du temps, c’est décontracté, assis sur le rebord de la
table, qu’il livre ses impressions à chaud, félicitant ou critiquant
ses confrères sur des points bien précis. PPDA ne semble donc
pas être, dans son travail au quotidien, le mauvais petit canard
traditionnellement vilipendé et raillé par la critique (c’est-à-dire
certains de ses confrères). Son ascension fulgurante depuis sa
sortie du CFJ en 1971 et sa victoire au concours « Envoyé
Spécial » de France Inter n’est manifestement pas le fruit du
hasard, même si le succès de son JT, la notoriété et l’argent qui
l’ont accompagné70, lui ont sans doute fait tourner la tête au début
des années 1990. Lors de mon passage à TF1, il semblait avoir
retrouvé le sens commun. Ce qui ne veut pas dire que les
informations données dans son JT sont toujours aussi impartiales
et honnêtes qu’il veut bien le dire, ou que ses téléspectateurs se
l’imaginent (cf dernier chapitre). Le talent d’un homme, quel
qu’il soit, n’est jamais, en aucune manière, le garant absolu de
son indépendance ou de sa probité. Surtout lorsque l’on travaille
sur la chaîne de Bouygues…

70
L’instruction par le juge Courroye de l’affaire Botton montra que PPDA
avait déclaré au fisc, entre 1988 et 1991, un revenu moyen annuel supérieur à
4,3 MF. En 1996, les revenus de PPDA étaient estimés à 6 MF annuels par
Le Nouvel Observateur (édition du 16 novembre 1996). Ils auraient depuis
encore sensiblement augmenté : Le Point du 25 janvier 2002 a évalué le salaire
brut du journaliste vedette à 45.700 euros bruts mensuels (sans compter les
primes, les droits d’auteur …).

57
58
Aux frontières du réel. « Tiens
Bertrand, il faudrait que tu nous fasses quelque chose là-dessus.
C’est pour ce week-end. » Le chef info me tend une photocopie
d’un article du Parisien, daté du matin même. Nous sommes le
jeudi 11 mai 2000. Aussitôt, je m’empare de l’article en question
et me mets à le parcourir, cependant que le chef info retourne au
« bocal » (là où travaillent les chefs info du jour, face à un mur
d’images et aux télescripteurs AFP ou Reuters) : « Les Pokémon
interdits de cour de récréation », titre en page 10 le quotidien
francilien. « Jamais un jeu n’aura autant bouleversé les esprits.
La collection de cartes est parfois à l’origine de violences. Au
point que des directeurs d’école ont décidé de les bannir. » Me
voilà donc confronté au délicat problème des Pokémon, ces
monstres de poche (Pokémon est l’abréviation de Pocket
Monster) venus en droite ligne du Japon. Pikatchu et ses drôles
d’amis faisaient alors fureur parmi les écoliers, surtout depuis que
TF1 avait décidé de diffuser, tous les matins, le dessin animé les
mettant en scène : un million de pochettes de cartes à jouer
s’étaient vendues en deux mois, entre le 3 janvier, date du début
de la diffusion sur la Une, et la fin février 2000. Un phénomène
de cours de récréation comme l’école en a connu beaucoup, mais
dont l’ampleur reste aujourd’hui encore inégalée, bien que le jeu
ait été, finalement, relativement éphémère (qui s’en souvient
vraiment aujourd’hui ?).

L’article du Parisien ne fait pas dans la dentelle. Il donne


l’impression que la troisième guerre mondiale est déclarée.
Témoignages de parents, de profs ou de directeurs d’écoles
totalement excédés succèdent à des exemples, tous plus alarmants
les uns que les autres, de rackets, de disputes et de bagarres. « Les
Pokémon, c’est du jamais vu. On en est arrivé à des
débordements quotidiens, au-delà du gérable », lance un
directeur d’école élémentaire dans les premières lignes du papier.
N’ayant pas d’autres sources d’information que cet article et ne
connaissant moi-même aucun gamin ayant succombé à la
« Pokemon mania », je décide, dans un premier temps, de joindre
les personnes citées dans l’article. Je fais également le tour des

59
associations de parents d’élèves (PEEP, FCPE), ainsi que des
différents rectorats d’académie de la région parisienne (étant
entendu que le sujet devait être tourné à Paris ou en proche
banlieue). A ma grande surprise, mes interlocuteurs éprouvent les
pires difficultés à me trouver des exemples concrets
d’établissements scolaires où les Pokemon sont effectivement
interdits de séjour. Dans leur majorité, les personnes citées dans
le Parisien (celles en tout cas que je suis parvenu à joindre)
estiment, pour leur part, que leurs propos ont été montés en
épingle, leur parole déformée ou amplifiée, comme pour donner
du corps à l’article. L’expérience aidant, il s’avèrera que c’est une
pratique relativement courante dans les pages sociétés ou faits
divers du Parisien, journal populaire de qualité mais parfois un
peu trop racoleur, histoire évidemment de doper les ventes. A
l’époque, je l’ignorais. Après toute une matinée de coups de fil,
de tentatives de recoupement des informations, je ne suis arrivé à
mettre la main que sur un nombre infime d’écoles où les
Pokemon ne sont véritablement plus en odeur de sainteté. Sûr de
ma découverte, je décide d’aller m’en ouvrir aux chefs info.
« C’est pas grave, on s’en moque. Ce que les gens veulent, c’est
retrouver dans leur poste de télé ce qu’ils ont lu dans la presse »,
me répond t-on. Stupéfiant. « L’article est vraiment très
approximatif, et le titre très exagéré par rapport à la réalité »,
fais-je alors remarquer de nouveau à mon interlocuteur. Sans plus
de succès. Après une demi-journée de coups de fil, je venais de
démonter presque entièrement, de mon point de vue, l’article
plutôt léger du Parisien. Mais pour quel résultat ? On me
demandait expressément de reproduire, de mettre en image ce que
je savais pertinemment être erroné. Bonjour la déontologie...
« Les devoirs essentiels du journaliste, dans la recherche, la
rédaction et le commentaire des événements, sont (…) de rectifier
toute information publiée qui se révèle inexacte », est-il
notamment écrit en toute lettre dans la Déclaration de devoirs et
des droits des journalistes71. Celle-là même qui sert

71
La Déclaration de devoirs et des droits des journalistes a été adoptée en 1971
par les représentants des fédérations de journalistes de la Communauté
européenne, de Suisse et d'Autriche, ainsi que de diverses organisations
internationales de journalistes.

60
théoriquement, avec la Charte des devoirs professionnels des
journalistes français72, de « bible déontologique » à toute la
profession. Ce jour là, à TF1, on m’enjoignait d’aller précisément
à l’encontre de ce principe de base du journalisme. Diffusé à
l’antenne le 20 mai 2000, le reportage ne reflétait absolument pas
la réalité telle que je l’avais perçue pendant mon enquête. C’était
la simple transcription filmée d’un article bourré
d’approximations et d’inexactitudes. Pourvu que l’information
soit accrocheuse, et peu importe qu’elle soit malhonnête... je
venais de recevoir une nouvelle leçon de « journalisme à la
TF1 ».

« Autre folie qui s’est emparée cette fois des plus jeunes, les
Pokemon. Depuis plusieurs mois, ils font fureur dans les cours
d’écoles : achat, vente, échange… c’est un passe-temps qui est
devenu parfois ingérable pour les enseignants… ce qui a conduit
certains directeurs d’école à interdire purement et simplement
ces petits monstres japonais…» Dans son lancement, Claire
Chazal reste particulièrement vague sur l’ampleur du phénomène
que va aborder le sujet qui suit, à savoir non pas la « folie qui
s’est emparée des plus jeunes » mais bien les interdictions dans
les cours d’école. Pas sûr, en effet, que le téléspectateur ait retenu
les deux mots clés du lancement qui étaient, vous l’aurez sans
doute compris, « parfois » et « certains ». D’autant plus que la
présentatrice appuie, de par son ton et ses silences, sur
« purement et simplement » : c’est plus spectaculaire, donc plus
vendeur. Du coup, le téléspectateur, faute de précision ou de
statistiques explicites sur le nombre d’établissements concernés, a
évidemment l’impression qu’une majorité des directeurs d’école
a opté pour la même politique coercitive vis-à-vis de Pikachu et
de ses amis, le reportage traitant exclusivement des écoles
définitivement fâchées avec les Pokemon (conformément à ce
que l’on m’avait « commandé »). Ce qui était loin d’être le cas,
d’après les différents témoignages et éléments que j’avais pu

72
La Charte des devoirs professionnels des journalistes français a été adoptée
par le SNJ, le syndicat national des journalistes, dès 1918 avant d’être révisée
et complétée en janvier 1938. Elle est aujourd’hui reconnue par l’ensemble des
syndicats de la profession.

61
recueillir. Dans notre difficile métier de journaliste, il n’y a
jamais de vérité. L’objectivité est toute relative, chacun ayant son
propre regard, sa propre subjectivité. La simple sélection d’une
information, qu’elle soit appelée à être traitée ou seulement à être
reprise dans un commentaire, par rapport à une autre est déjà
signe de subjectivité. Il est, par ailleurs, impossible pour un
journaliste, quel qu’il soit, chevronné ou brillant, d’embrasser la
réalité dans sa totalité, celle-ci étant à la fois inépuisable et
toujours plus complexe qu’elle n’y paraît au premier abord.
L’essentiel, c’est donc d’être honnête. Ne pas prétendre, par
exemple, avoir vu une voiture rouge lorsque vous manquez le
passage de la voiture ou, pire, lorsqu’il ne vous a pas échappé que
la dite voiture était d’un gris métallisé peu sujet à caution. C’est
vraiment le B.A-BA du journalisme. Sur TF1, la priorité est
manifestement ailleurs. On préfère délibérément voguer « aux
frontières du réel », histoire de diffuser des reportages plus
pêchus, plus « paillettes », plus facilement perceptibles par le
téléspectateur moyen… bref des sujets évidemment plus vendeurs
que ce qu’ils auraient dû être si le journaliste avait été invité par
ses patrons à retranscrire honnêtement ce qu’il avait
effectivement constaté. Bref s’il avait d’abord et avant tout
cherché à être aux prises avec la réalité. Cette fameuse réalité
déjà si difficile à cerner parce qu’infinie, et qu’il est de toute
façon si ardu de toucher en télé, là où le temps, essentiel à
l’élaboration et à la diffusion du « complexe », manque le plus
cruellement (que ce soit lors de la préparation du reportage ou
dans sa durée, les sujets de JT ne dépassant qu’occasionnellement
une minute et quarante-cinq secondes). Dans le cas des Pokemon,
ce n’est pas le temps qui m’avait manqué. Mes chefs avaient
tranché pour moi : ils avaient décidé que la « vérité » du Parisien
était plus glamour que celle que je leur proposais. Et tant pis pour
la déontologie…

Plus globalement, il est frappant de voir à quel point la plupart


des personnes composant la rédaction de TF1 est complètement
déconnectée de la réalité sociale, dans son sens large. Une
anecdote, pour débuter : en plein tournage du sujet sur les
Pokemon, ma tension artérielle se mit à faire du yo-yo, ce qui se

62
traduisit, malgré deux trois sucres mentholés, par des vertiges et
des nausées plutôt rudes. Comme je me sentais de plus en plus
mal et que le tournage était désormais achevé, je demandai à mon
équipe de me déposer aux urgences toutes proches de la Pitié-
Salpétrière. Me voyant quasiment défaillir (c’est vrai que je
n’étais vraiment pas au top de la forme à ce moment-là…), la
JRIette73, au demeurant très sympathique, décide, en chemin, de
joindre Pierre Ly, le chef du service santé à la rédaction, pour lui
soutirer quelques contacts au sein de l’hôpital. Ma confrère ne
veut pas que j’aille prendre mon tour dans la file d’attente des
urgences. Elle souhaite que je sois immédiatement pris en charge.
Sous mes yeux, et malgré mes injonctions aussi fermes que
faiblardes, elle appelle directement l’un des responsables de
l’établissement hospitalier. Lequel lui rétorque qu’il allait donner
des instructions pour que l’on s’occupe rapidement de moi mais
que je devais de toute façon me rendre aux urgences. Je remercie
ma collègue de se donner tant de mal pour moi, tout en lui
précisant bien que j’attendrai patiemment mon tour, comme tout
un chacun. « Il n’y a pas de raison : pourquoi un détenteur de
carte de presse devrait-il bénéficier de privilèges particuliers au
sein d’un hôpital ? Je ne suis tout de même pas à l’article de la
mort… » « Comme tu veux, mais le professeur Saillant m’a bien
précisé que tu devais voir un médecin au plus vite. Va aux
urgences… ne traîne pas s’il te plaît ! », me répond t-elle. C’est
alors que je réalise, tout en poussant la porte des urgences, que
ma collègue avait dérangé, pour une simple baisse de tension, le
professeur Gérard Saillant. Celui-là même qui avait opéré
Ronaldo, l’un des plus talentueux footballeurs de la planète, à
deux reprises, en 1999 et en 2000. L’illustre professeur Saillant,
chirurgien émérite dans sa clinique de Lyon et chef du service
d’orthopédie de la Pitié-Salpétrière… un homme forcément très
occupé et qui avait sans doute bien autre chose à faire que de se
consacrer à mon humble cas… Comment peut-on, à ce point,
perdre toute notion de la réalité ? Comment peut-on en arriver à
joindre, sans doute sur son portable, une personne de cette

73
Ce néologisme n’a rien d’officiel, mais c’est ainsi que je surnomme les JRI
de sexe féminin.

63
envergure pour des nausées et des vertiges certes très
handicapants sur l’instant, mais loin de mettre en jeu mon
pronostic vital ? Ces deux questions me tarauderont l’esprit
pendant les longues minutes passées en salle d’attente.

Au-delà de cette anecdote évidemment croustillante, il est


flagrant de constater à quel point les chefs infos, les rédacteurs en
chefs, les présentateurs bien sûr, mais aussi la plupart des chefs
de service et journalistes, semblent totalement déconnectés du
monde réel… Evoluant dans le « monde magique » de TF1 où ils
sont tous choyés et divinement rétribués (cf chapitre suivant),
enfermés huit à dix heures par jour dans cette immense tour
aseptisée de verre et d’acier, résidant pour la plupart dans les
beaux quartiers parisiens où la vie s’écoule paisiblement, toutes
ces « têtes » ne semblent avoir de prise avec la réalité que par le
prisme de la revue de presse qui leur est livrée chaque matin. Un
sujet n’existe que si la presse en parle. Tant que ce n’est pas le
cas, le journaliste qui propose une idée de reportage tiré de son
propre vécu, de sa propre expérience, se voit quasi
systématiquement répondre « qu’il y a d’autres priorités » ou
encore que « ça demande à être vérifié » (un comble quand on
repense à l’épisode des Pokemon !). C’est exactement ce qui m’a
été rétorqué le jour où je suis allé proposer, d’abord à un premier,
puis à un second chef info, de tourner un sujet sur la colocation.
Sur Paris, le phénomène commençait à prendre une ampleur
considérable. Ayant moi-même expérimenté plusieurs types de
colocation (celle « cauchemardesque » avec des inconnus et celle
« plaisante » avec des amis) et vivant d’ailleurs toujours en coloc’
au printemps 2000, j’en connaissais un rayon sur la question, sur
les petits secrets pour réussir ce subtil mélange de liberté et de vie
à plusieurs, sur les difficultés à convaincre les propriétaires ou les
agences immobilières, et bien sûr les avantages, pas seulement
financiers, que les participants à l’aventure peuvent en tirer… Le
sujet me paraissait alors d’autant plus intéressant à traiter que
c’est généralement à partir de mai-juin que les étudiants, et
notamment les futurs « néo-parisiens », débutent leur recherche
de logement, laquelle s’apparente inévitablement, dans la
capitale, à un authentique chemin de croix. « Es-tu vraiment sûr

64
que ça vaut la peine qu’on s’y intéresse ? Et quelle édition ta
suggestion pourrait-elle intéresser ? Certainement pas le
13 heures, en tout cas. C’est trop urbain, trop jeune pour
Pernaut. Et pour ce qui est du 20 heures, ce n’est vraiment pas la
peine d’y compter…». Le verdict est sans appel. Je repars donc
sans trop d’espoir vers le bureau que je me suis temporairement
approprié. Mais trois jours plus tard, le 5 juin 2000, coup de
théâtre. En feuilletant la presse, je tombe sur un court article du
Figaro intitulé : « La colocation séduit les jeunes ». Le sort est
parfois coquin. Muni de ce que je pressens être une « arme
fatale », je m’empresse d’aller proposer une nouvelle fois ce sujet
qui me tient particulièrement à cœur. « Pourquoi pas… ça peut
intéresser l’édition du week-end… banco ! Mais je tiens à ce que
tu nous parles des sites internet dédiés à la colocation, ceux cités
dans l’article ». J’obtenais donc le feu vert tant attendu…
soixante-douze heures après avoir essuyé un refus catégorique.
Etait-ce le fruit de ma persévérance ? Je ne le crois pas. Sans
l’article du Figaro, pourtant très prudent (la journaliste précisait
bien que « le phénomène n’a jamais été quantifié mais tout
indique qu’il est bien installé »), je n’aurais jamais été autorisé à
mobiliser les moyens techniques et humains de la chaîne pour
réaliser mon reportage. C’est une certitude.

65
66
Raccourci. A côtoyer quotidiennement des
personnes ayant globalement tous la même approche de la
société, à force de s’entendre dire qu’il faut d’abord penser à
simplifier le propos, privilégier le côté accrocheur, conforter le
« bon sens » du téléspectateur moyen… on finit par perdre ses
propres repères, par abandonner, plus ou moins consciemment, sa
clairvoyance déontologique au bas de la tour TF1 pour,
finalement, se fondre dans le moule. C’est ce qui m’est arrivé
lorsque j’ai été amené à aborder le problème de l’insécurité sur le
campus de Nanterre. Comme vous l’imaginez bien, c’est
évidemment en réaction à un article, intitulé « Des maîtres-chiens
pour le campus » et paru le jeudi 25 mai 2000 dans le Figaro, que
la rédaction en chef du week-end me sollicita, dans un réflexe
presque pavlovien, pour aller faire ma petite enquête au cœur de
la résidence universitaire.

Samedi 27 mai 2000, 20h27. Treizième sujet du


JT.

Lancement de Claire Chazal : Et toujours au chapitre


de la sécurité, cette expérience menée sur le campus
de Nanterre. Pour mettre fin aux agressions dont les
étudiantes sont victimes la nuit, le rectorat a décidé
de mettre en place une brigade de maître-chiens
chargés d’escorter les jeunes filles. Bertrand Lambert
et
Michel Anglade ont suivi l’une des ces équipes, la
nuit dernière.

Commentaire : Hitchcock aurait sans doute aimé


l’endroit. Les résidentes du campus, elles, n’en
raffolent guère. Mal éclairés, les lieux sont propices
aux agressions en tout genre. Des maîtres-chiens ont
donc été engagés pour assurer la sécurité des
étudiantes. Une initiative plutôt bien accueillie.

67
Interview d’un jeune étudiant « black » : Qu’il y ait
des maîtres-chiens c’est vraiment une bonne mesure
de sécurité, surtout pour les filles qui se sentent un
peu en insécurité.

Interview d’une jeune étudiante « beur » : Moi, par


exemple, ici, arrivé à une certaine heure, j’ai très
peur : des maîtres-chiens y en a pas partout !

Commentaire : Quatre maîtres-chiens, c’est


évidemment trop peu pour assurer la sécurité de
l’ensemble du campus. Présente dès 18 heures, la
brigade a donc reçu pour mission d’accompagner les
jeunes filles entre le RER et leur résidence car c’est
sur ce trajet que deux étudiantes ont été violées en
janvier dernier.

Interview d’un maître-chien : La plupart des


agressions, c’est derrière ces arbres qu’elles ont lieu.
En passant là-bas, c’est facile : comme c’est visible,
les agresseurs ne sont pas là-bas. Donc ça se passe
ici, derrière ces arbres… vous voyez…

Commentaire : Consciente que ces patrouilles ne sont


qu’une réponse provisoire au problème de
l’insécurité, l’université multiplie les contacts avec
les habitants des trois cités voisines.

Interview de Jean-Luc Guinot, Responsable de la


sécurité à l’Université Paris X – Nanterre : Ce
campus est une immense copropriété de trente-deux
hectares. Il est bien évident qu’on ne peut pas le
fermer, qu’on ne veut pas le fermer. C’est aussi le
seul espace vert qu’il y ait à disposition des enfants
des cités. D’où notre intérêt à tous de nous entendre
afin de pouvoir faire bénéficier ces enfants des
installations sportives, culturelles qu’il y a ici, mais
également de l’espace en général.

68
Commentaire : Décidée à s’ouvrir aux jeunes des
cités, l’université reste toutefois vigilante : un poste
central de sécurité va ainsi voir le jour dès cet été.

Lorsque je revois, aujourd’hui, ce reportage, j’ai honte. Honte de


ce raccourci tellement facile mais dont je n’avais absolument pas
conscience au moment du montage du sujet, le matin précédent sa
diffusion. A entendre mon commentaire, qui fut avalisé sans
l’ombre d’un doute par l’équipe de l’édition du week-end, c’est
une évidence : l’insécurité est le fait des habitants des cités
voisines. Quant aux violeurs, ils sont issus des « barres »
limitrophes… Ma prose, sans être explicite, est en fait plein de
sous-entendus qu’aucune information sérieuse ne m’autorisait
pourtant à émettre. Je ne disposais d’aucune indication sur
l’origine, le « pedigree » des violeurs et, plus globalement, des
fauteurs de trouble. La police était volontairement demeurée
discrète sur son enquête et les personnes mises en cause. L’article
du Figaro était d’ailleurs totalement muet à ce sujet. Je le
concède volontiers, personne n’est venu tenir mon stylo en salle
de montage. Mais les personnes qui me connaissent bien peuvent
témoigner que je ne me serais jamais permis, sciemment, une
telle facilité, celle de superposer dans un même commentaire
deux informations certes véridiques (deux étudiantes ont
effectivement été violées ; l’université est effectivement entourée
de plusieurs quartiers dits « difficiles ») mais dont la
superposition amène le téléspectateur à penser que les jeunes des
banlieues sont les seuls responsables de l’insécurité sur le
campus. A l’écoute du sujet, l’amalgame est inévitable. Personne
pourtant à TF1 ne s’offusqua de ce commentaire peu glorieux.
Bien au contraire. « Tu aurais dû donner plus la parole à des
jeunes filles vraiment flippées, plutôt que de faire réagir le mec ;
lui, il n’est pas vraiment concerné…En plus, de la façon dont tu
lances tes deux sonores, on s’attend à voir arriver une nana…
mais on tombe d’abord sur un mec. Tu aurais dû inverser les
deux interviews. » Si la remarque sur l’ordre des deux sonores est
plutôt pertinente (sauf que l’inversion était de toute façon

69
impossible : la première séquence du reportage se déroulait de
nuit, comme l’interview de l’étudiant, alors que celle de
l’étudiante avait été enregistrée quelques heures plus tôt, donc de
jour… tout comme la deuxième séquence du sujet), la suggestion
sur les « filles flippées » dénote bien l’état d’esprit de la rédaction
dès que l’on aborde le thème de l’insécurité. Priorité au
spectaculaire, au sensationnel, à l’émotion. Un cocktail explosif
qui ne fait généralement pas bon ménage avec les principes de
base du journalisme. Là où il faudrait privilégier rigueur et
froideur conceptuelle pour s’en tenir strictement aux faits, aux
actes, aux données chiffrées, on préfère à TF1 user du pathos,
sans doute plus préoccupé par « le spectacle de l’événement »
dont parle Ignacio Ramonet74, plus que par l’événement lui-
même. Dans la droite ligne de Pierre Sabbagh lorsque le
présentateur du tout premier JT de France (c’était le 29 juin 1949)
déclarait, en 1962 : « Le journal télévisé n’est pas un vrai
journal, c’est d’abord un spectacle. »75 Moi-même, sans volonté
délibérée de le faire, j’avais inconsciemment succombé peu ou
prou à ce traitement peu déontologique de l’information : le
premier plan du sujet (une vue de nuit d’une zone
particulièrement mal éclairée du campus, la caméra donnant

74
« Le journal télévisé, dans sa fascination pour le "spectacle de l'événement",
a déconceptualisé l'information et l'a replongée peu à peu dans le marécage
du pathétique. Il a établi, insidieusement, une sorte de nouvelle équation
informationnelle qui pourrait se formuler ainsi : "si l'émotion que vous
ressentez en regardant les images du journal télévisé est vraie, l'information
est vraie". Cela a accrédité l'idée que l'information, n'importe quelle
information, est toujours simplifiable, réductible, convertible en spectacle de
masse, et décomposable en un certain nombre de segments-émotions. Se
basant sur l'idée, très à la mode, qu'il existerait une "intelligence
émotionnelle". L'existence de cette "intelligence émotionnelle" justifierait que
n'importe quelle information - dossier du Proche-Orient, crise du sud-est
asiatique, débats sur la globalisation, secousses sociales, rapports
écologiques, etc. - puisse toujours être condensée et schématisée, ramené à
quelques images. Au mépris, réel, de l'analyse, prétendument facteur d'ennui.
» explique Ignacio Ramonet, directeur du Monde diplomatique et professeur
de théorie de la communication à l'université Denis-Diderot (Paris VII),
dans un article intitulé « Le pouvoir de l'image télévisuelle » et publié
le 20 février 2002 sur le site internet de l’UNESCO.
75
Cité par Pierre Péan et Christophe Nick, TF1, un pouvoir, page 30.

70
l’impression d’être cachée derrière un arbre, comme prête à surgir
tel un agresseur résolu) et le commentaire qui l’accompagnait
(« Hitchcock aurait sans doute aimé l’endroit... ») participaient
pleinement à cette mise en scène « émotionnelle » de
l’information ; le tout allait à coup sûr faire froid dans le dos des
téléspectateurs. Preuve que le poison était aussi puissant
qu’insidieux. Les élections présidentielles de 2002 et la
polémique qui s’en suivit sur le traitement « pyromane » de
l’insécurité par la rédaction de la Une, étaient pourtant encore
bien loin... Au printemps 2000, on pouvait déjà sentir les
prémices de cette pyromanie… j’y avais moi-même succombé,
bien malgré moi.

71
72
Les robots de l’info. On l’a vu, à la
rédaction de TF1, il n’y a pas de débat. Il est bien loin le temps
où les journalistes osaient monter au créneau pour dénoncer telle
ou telle dérive vers l’info « paillettes », « l’infotainment »76, tel
ou tel raté comme ce jeudi 9 novembre 1989 où TF1 est la seule
télévision du monde à ne pas ouvrir son JT de 20 heures par la
chute du mur de Berlin77… Au début des années 90, les
journalistes maison ne se privaient pas de mettre les pieds dans le
plat lors d’AG extraordinaires particulièrement houleuses. Ils ne
se gênaient pas non plus pour carrément « planter » des sujets
commandés par leur hiérarchie mais dont ils estimaient, en
conscience, qu’ils n’avaient pas leur place à l’antenne (il leur
suffisait de prétexter un quelconque problème technique lors du
tournage pour que le reportage passe à la trappe). Cette époque
est bien révolue. Pourtant, comme nous venons de le voir, les
motifs de révolte, ou tout au moins d’interrogation, ne manquent
pas, entre le poujadisme, le dilettantisme de tel ou tel présentateur
et la soumission flagrante de la rédaction vis-à-vis des intérêts
économiques du groupe Bouygues (voir postface). Comment dès
lors expliquer que personne ne « bouge » ? Pourquoi ces
journalistes expérimentés, avec un certain bagage intellectuel,
ayant tous faits leurs preuves avant d’être recrutés par TF1, se
plient-ils si facilement à la volonté des présentateurs et à la
direction de l’information en général ? En deux mois, je n’ai
assisté qu’à une seule « rébellion » : celle d’un authentique
« grand-reporter », tragiquement disparu au Koweït le
22 décembre 2002 après avoir été percuté de plein fouet par un
tank alors qu’il cherchait à protéger son cameraman lors d’un
tournage sur les préparatifs de la guerre en Irak. Patrick Bourrat
occupait une « alvéole » tout proche de celle où je m’installais
habituellement, non loin du bureau de ce personnage hors norme
qu’est Axel Girard. Un après-midi, je l’entends revenir à son

76
« Infotainment » est le condensé de « information » et de « entertainment »
(divertissement en anglais).
77
En ce jour ô combien historique, PPDA ouvrit son JT avec un sujet sur les
tableaux volés mais retrouvés du musée Marmottan. Pour plus de détails, voir
TF1, un pouvoir page 392 et suivantes.

73
bureau. Toute la rédaction lève discrètement la tête, se redresse
légèrement pour être en mesure de voir ce qui se passe par-dessus
les « cubes ». Inutile de tendre l’oreille pour deviner que Patrick
Bourrat est furibard vis-à-vis de sa direction. Le grand reporter
avait été envoyé en Bretagne pour faire un reportage sur le moral
des habitants de la région, six mois après le drame de l’Erika78.
Ce n’était pas la première fois qu’il se rendait sur place puisqu’il
avait déjà couvert la catastrophe en elle-même, en décembre
1999. Il connaissait donc bien les lieux et les gens. A son retour
de la pointe Finistère, il revient avec un sujet plutôt positif : la vie
a repris son cours. Le sujet ne sera jamais diffusé. Il ne
correspondait pas aux attentes de la chaîne. Le rédacteur en chef à
l’origine de la « commande » avait dû lire des articles de presse
plutôt négatifs. Et il voulait donc retrouver cette impression dans
le sujet. Une fâcheuse manie (rappelez-vous l’épisode des
Pokemon…) contre laquelle Patrick Bourrat vociféra tout l’après-
midi, pestant à haute voix contre « ces incapables de la rédaction
en chef ». Son statut de grand-reporter depuis 1979 à TF1 (il avait
notamment couvert la chute du Mur de Berlin, la chute de
Nicolae Caucescu, la révolution en Tchécoslovaquie, le conflit
israélo-palestinien, la guerre au Kosovo...) lui autorisait certains
écarts verbaux. Ce seront les seuls perceptibles durant mes deux
mois de stage. Aucun autre journaliste ne montra, en public, des
signes d’agacement. Lorsque les chefs info reviennent d’une
conférence de rédaction pour « distribuer » les sujets, très rares
sont ceux qui discutent l’angle du sujet ou tout simplement
l’intérêt journalistique du reportage qu’on leur demande de
réaliser. Les robots de l’info ne discutent pas les ordres, ils
s’exécutent, sans broncher. L’efficacité est leur première vertu ;
la maniabilité l’une de leurs qualités préférées de leur employeur.
Comme le précisait avec justesse David Pujadas (le présentateur
du 20 heures de France 2 était parti avec fracas de TF1 en 199479

78
L'Erika, un pétrolier de 180 mètres de long chargé de 26.000 mètres cubes
de fioul lourd, sombra le 12 décembre 1999 au large des côtes bretonnes
entraînant une marée noire du sud Bretagne jusqu'aux Sables d'Olonne
(Vendée).
79
Sorti diplômé du CFJ en juin 1988, David Pujadas est très vite enrôlé par la
Une après avoir remporté la Bourse TF1, le fameux Prix Francis Bouygues.

74
et peut donc comparer, en connaissance de cause, les méthodes de
travail des rédactions de la Une et de France Télévision), « à TF1,
la bonne parole vient d’en haut et on la respecte beaucoup plus
[que sur le service public]. La culture de la hiérarchie y est
beaucoup plus importante [que sur le service public] »80. Les
journalistes les moins malléables ou les plus critiques sont
d’ailleurs tous partis de la première chaîne, comme Jean-Michel
Carpentier, Carole Comon (tous deux anciens du service
politique), John-Paul Lepers (désormais sur Canal +) ou encore le
sus-nommé David Pujadas, pour ne citer que les plus connus. Au
printemps 1994, ils ont ainsi été une quinzaine parmi les
journalistes les plus en vue à claquer violemment la porte de TF1
pour rejoindre d’autres cieux journalistiques. Ceux qui restent ne
sont pas pour autant des « manchots » du journalisme. Bien au
contraire, ils sont, pour la plupart, éminemment talentueux. Un
talent qui n’a pas empêché ces professionnels brillants de passer
par pertes et profits les convictions et les idéaux qu’ils pouvaient
avoir sur leur métier de journaliste. « Avant je vivais la télé non
pas comme une simple profession, mais comme une démarche
citoyenne. Comme la plupart des gens de France 2 aujourd’hui
encore. Etre journaliste, c’est avoir un droit de vote : je suis pour
ou contre la direction, pour ou contre les choix éditoriaux, etc…
Foutaise ! On s’est tous professionnalisés, en ce sens que TF1 est
devenue une entreprise comme les autres. Toute notre vie
professionnelle est là, mais la vie privée est au-dehors. J’ai le
droit d’être contre certaines idées de TF1, mais on ne me

Rapidement nommé grand reporter, il rejoint le magazine d'investigation « le


Droit de savoir » où sa pugnacité lui vaut quelques ennuis. Son enquête sur
Bernard Tapie est « trappée » sans vergogne par Patrick Le Lay, ami personnel
de l’ancien président de l’OM. Plus tard, le couperet de la censure, interne à la
chaîne, tombe de nouveau sur le jeune loup, cette fois pour une enquête
concernant le milieu de la Côte d'Azur… Lassé, David Pujadas finit par
démissionner en 1994 en adressant une lettre fracassante au PDG de la Une.
Ce qui ne l'empêche pas de sauter dans le train de LCI, la chaîne d'info en
continu créée par TF1 avant de rejoindre ensuite France 2 à l’invitation
d’Olivier Mazerolle (nommé, en mars 2001, directeur général délégué chargé
de l’information de la chaîne, en remplacement de Pierre-Henri Arnstamn).
80
Interview de David Pujadas par Daphnée Rouiller, diffusée le samedi
18 octobre 2003 dans l’émission « + Clair », sur Canal Plus.

75
demande pas de voter TF1, et l’idée est que TF1 n’a pas à tenir
compte de mes états d’âme. Je n’ai donc qu’une chose à faire :
mon travail, le mieux possible. Je dois être un bon reporter qui
rapporte des informations rigoureuses et vérifiées. Mais je n’ai
rien à dire du style : "On n’aurait pas dû programmer ça". Avant,
c’était passionnel. Maintenant c’est pro. Avant, je me sentais
cogestionnaire de la chaîne. Maintenant, je vis avec mon métier,
à côté de lui. C’est vrai qu’il y a une spécificité du journaliste : il
doit se poser la question "Dans quel cadre s’inscrit mon sujet ?"
Mais, avant la privatisation, on faisait grève pour la clause de
conscience. Idiot ! Les Bouygues nous ont permis de comprendre
que c’est d’abord une question de méthode », confie un
journaliste des « Infos géné » à Pierre Péan et Christophe Nick,
en 199781. Ceux qui sont restés ou qui ont rejoint le navire amiral
TF1 en cours de route, l’ont fait en toute connaissance de cause.
Pour plusieurs raisons :

• Dans l’accomplissement quotidien de leur métier, les


journalistes de la Une bénéficient de toute la puissance et
l’efficacité de la « machine » TF1. Ils n’ont à se soucier que de
leur commentaire. Pas de longues procédures parfois fastidieuses
comme sur le service public pour obtenir une équipe complète de
tournage (c’est-à-dire avec un preneur de son, ce qui est par
exemple loin d’être systématique sur le service public, sur
France 3 notamment) : les JRI et les preneurs de son sont prêts à
partir à tout instant ; ils attendent patiemment que l’on fasse appel
à eux dans la salle de départ. Les outils de travail sont parmi les
plus modernes du PAF : JRI comme preneurs de son sont certains
de disposer d’un matériel fonctionnel ; les voitures de reportage
font l’objet de toute l’attention du service de maintenance : elles
sont toujours propres avec le plein d’essence. Tout ceci n’a peut-
être l’air de rien, mais tous ces petits tracas potentiels
empoisonnent journellement le travail de la majorité des
journalistes de télé français. A la rédaction de TF1, les conditions
de travail sont « royales ». Les journalistes qui évoluent au
service des « Infos géné » ou « société » sont par exemple les

81
TF1, un pouvoir, page 504.

76
seuls de France à bénéficier de l’aide d’une assistante de
rédaction, une profession directement importée des Etats-Unis :
c’est cette assistante qui cale les rendez-vous, déniche le chiffre
ou la statistique qui manque, voire même trouve les « bons »
interlocuteurs (autant de tâches qui reviennent habituellement aux
journalistes : défricher un dossier, se renseigner auprès des
personnes compétentes pour finalement aller interviewer celle qui
semble la plus pertinente ou la plus intéressante… c’est la base
du métier !). On peut absolument tout demander à cette assistante.
Elle est d’une redoutable efficacité. Dès lors, les journalistes du
deuxième étage n’ont pas grand chose à faire de leur journée. Les
siestes, pieds sur la table, sont relativement courantes à l’heure de
la digestion, comme chez ce « grand reporter » envoyé
dernièrement dans le Golfe. Les conditions de travail sont donc
optimales, incontestablement les plus confortables du PAF. Sans
oublier que les journalistes de la chaîne ne réalisent jamais plus
de deux ou trois reportages par semaine (soit par exemple deux
fois mois qu’un journaliste de France 3, en région), excepté ceux
qui sont en charge du suivi d’un dossier bien particulier lorsque
celui-ci est sous le feu des projecteurs de l’actualité.

• Travailler à TF1, c’est avoir le sentiment d’être une personne


qui compte. Lorsque Robert Namias, le directeur de
l’information, traverse l’immense open space du deuxième étage
de la tour TF1 pour saluer « ses » journalistes, lançant par ci par
là quelques « ça va ? », adressant de temps à autre de rares signes
de la main, on a l’impression de se retrouver trois siècles plus tôt,
dans la Galerie des glaces du château de Versailles, lorsque Louis
XIV se frayait un chemin au milieu de ses courtisans… et ce
d’autant plus que tels les membres de la cour du Roi, agglutinés
les uns aux autres pour entrevoir le souverain, les journalistes,
assis la plupart du temps derrière leurs cubes inamovibles,
n’aperçoivent que la tête de leur directeur filer d’un bout à l’autre
du plateau… Plus généralement, à l’extérieur de la tour TF1,
rares sont les politiques ou les services de presse qui osent refuser
quoi que ce soit à l’envoyé spécial de la Une (rappelez-vous Jean-
Claude Gayssot qui n’accepta de répondre à mes questions que
lorsqu’il réalisa que je travaillais à TF1) : le poids de l’audience

77
vous confère clairement un statut distinct du reste de la
profession. On réserve les meilleurs emplacements pour votre
caméra, on vous appelle avant les autres, on vous fait des
confidences exclusives, on est prévenant avec vous… Alors,
forcément, une telle attention de la part des responsables qui ont
le pouvoir politique et/ou économique, ce n’est pas seulement
plaisant ou une facilité bienvenue dans l’exercice journalier du
métier, ça monte aussi un peu à la tête. Quitter TF1, dans l’esprit
de ces journalistes, c’est donc redescendre dans l’échelle sociale.
Car il ne faut jamais oublier qu’un journaliste quel qu’il soit,
n’existe dans les yeux des politiques ou des responsables des
services de presse que par le médium qu’il représente : si un
journaliste quitte TF1, il perd à coup sûr son statut d’interlocuteur
privilégié. Il n’existe plus. Etre journaliste sur TF1, passer à
l’antenne devant près d’un téléspectateur sur deux (que ce soit à
midi ou le soir), c’est aussi l’assurance d’une certaine notoriété
auprès du public. Et donc, lorsqu’on le souhaite, la possibilité de
pratiquer des « ménages ». Dans le jargon de la profession, les
« ménages » désignent les prestations des journalistes qui mettent
directement leur notoriété au service de l'animation de débats en
tous genres, des colloques politiques aux séminaires d’entreprise.
Une activité fort lucrative bien que théoriquement proscrite, pour
d’évidentes raisons déontologiques, par la commission de carte
de presse. La Charte des devoirs professionnels des journalistes
français édicte ainsi, depuis 1918, qu' « un journaliste digne de ce
nom (sic) (...) ne touche pas d'argent dans un service public ou
une entreprise privée où sa qualité de journaliste, ses influences,
ses relations seraient susceptibles d'être exploitées ; ne signe pas
de son nom des articles de réclame commerciale ou financière
(...) n'use pas de la liberté de la presse dans une intention
intéressée. » Avec les « ménages », les journalistes n’informent
plus, ils communiquent. Et plus le journaliste est connu, plus sa
capacité à communiquer est jugée efficace. C'est pourquoi les
journalistes de télévision, les plus visibles, et notamment ceux de
TF1, les plus regardés, les plus populaires, sont les plus
recherchés pour les ménages. En octobre 2001, le magazine
Capital consacrait un dossier complet aux « ménages », révélant
notamment que Robert Namias (celui donc censé montrer

78
l’exemple, en tant que directeur de l’information… lequel avouait
dernièrement, dans le Point du 19 septembre 2003, être
« embarrassé » -et on le serait à moins- par son épouse, Anne
Barrère, celle-ci venant d’accepter un « ménage » élyséen en
prenant le rôle de « consultante extérieure en communication
pour aider Bernadette Chirac »… vous avez dit mélange des
genres ou conflit d’intérêt au sein du couple Namias/Barrère ?),
Jean-Claude Narcy et Jean-Marc Sylvestre n’hésitent pas à louer
leurs services à telle ou telle entreprise. Et le mensuel de publier
quelques « tarifs » : Jean-Marc Sylvestre vaudrait ainsi 70.000 F
la prestation, mais saurait se contenter de 15.000 F pour
15 minutes82. A en croire le Canard enchaîné du 17 septembre
2003, Jean-Claude Narcy, désormais en pré-retraite à TF1 depuis
qu’il ne joue plus les doublures de PPDA, ne se contente plus de
proposer ses services au secteur privé. Il a une autre corde à son
arc : c’est lui qui aurait ainsi, « grâce à ses états de service
incontestables », « raflé la plupart des contrats » de media-
training (cette science peu exacte qui consiste à entraîner à parler
bien -et pas nécessairement juste- lorsqu’on est convié à donner
son opinion à la télévision, à la radio notamment83) imposé « aux

82
Les journalistes de TF1 ne sont évidemment pas les seuls à profiter de cette
« manne » providentielle. Voici quelques chiffres, indiqués par Capital : ils
correspondent à la moyenne des cachets demandés pour une prestation unique
d’une heure à une journée. Ils incluent la commission de l’intermédiaire (20 %
en moyenne), mais pas les faux frais : hôtel et parfois jet privé. Pierre-Luc
Séguillon (LCI) compenserait par une intense activité ménagère le montant
relativement modeste de ses émoluments : 50.000 F la prestation ; Ruth Elkrief
(RTL), bien qu'elle néglige, paraît-il, les réunions préparatoires, vaudrait, elle,
75.000 F ; Christine Ockrent (France 3) n'aurait obtenu que 75.000 F pour
jouer les madames Loyal chez Péchiney… mais ses tarifs auraient depuis
largement augmenté puisqu’ils se montraient aujourd’hui à 18.000 € la demi-
journée, si on en croit Guy Birenbaum dans Nos délits d'initiés (paru chez
Stock à la rentrée 2003).
83
Selon Le canard enchaîné du 2 mars 2005, c’est Jean-Claude Narcy, alors
toujours directeur adjoint de l’information de TF1, qui aurait coaché Hervé
Gaymard, l’après-midi du 25 février 2005, pour l’aider à préparer son
interview, le soir même à 20h… chez Claire Chazal (bonjour le mélange des
genres !). Le Ministre de l’Economie venait de démissionner après s’être fait
prendre la main dans le sac : l’Etat avait mis à sa disposition un luxueux
duplex de 600m² en plein cœur de Paris.

79
sous-ministres sans le sou » par le conseiller en communication
politique de Matignon, Dominique Ambiel (alias le « spin-
doctor de Raffarin »84), après que Françoise Miquel, la directrice
du service d’information du gouvernement (SIG), a terminé de
« recenser les besoins des cabinets ministériels ».

• Posséder un badge d’accès au liseré bleu, celui réservé aux


titulaires, c’est aussi et surtout la certitude d’être choyé par son
employeur. Détenir l’une des 470 cartes de presse de TF185, c’est,
financièrement parlant, loin d’être la « panade ». En France, le
revenu médian pour un journaliste de « base » (c’est-à-dire
n’exerçant aucune responsabilité d’encadrement) est de
14.300 F ; le revenu médian des journalistes de télé nationale
(journalistes « cadres » et de « base » confondus) est, lui, de
22.300 F86. Deux montants déjà honorables (il faut se souvenir
qu’en France, le revenu médian des ménages ne dépasse pas
8.300 F), mais sans commune mesure avec ce que gagne un
détenteur de carte de presse sur la Une : à TF1, en 2001, le salaire
mensuel brut moyen d’un journaliste s’élevait à 41.148 F pour un
homme, et à 31.997 F pour une femme87. Des sommes
considérables au regard de celles en vigueur dans les autres
rédactions hexagonales. Le commentaire vaut également lorsque
l’on compare les bulletins de paie des journalistes à ceux adressés
au personnel évoluant dans les autres étages de la tour TF1 : les
émoluments des journalistes de la Une sont, ainsi, de 10 à 15%
plus élevés que ceux des cadres et cadres de direction de la chaîne
(37.153 F pour un homme, 26.560 F pour une femme) ; ils sont
également deux fois supérieurs aux salaires des agents de maîtrise
et techniciens (20.134 F pour un homme, 16.734 F pour une
femme) ou encore trois fois plus importants que les

84
l’Express du 4 septembre 2003.
85
Chiffre au 31 décembre 2002. Source : le Quid 2004.
86
Statistiques tirées d’une étude de l'Institut Français de Presse (IFP) réalisée
en 1999, laquelle propose une véritable radiographie de la population des
journalistes français au 1er janvier 2000, c'est-à-dire celle des
31.903 journalistes français détenteurs de la carte professionnelle 1999.
87
Chiffres issus du bilan social présenté en réunion du comité d’entreprise de
TF1, le 31 mai 2001.

80
appointements des employés travaillant à Boulogne (13.128 F
pour un homme, 11.500 F pour une femme). En terme de
rémunération, les journalistes sont donc, non seulement, au
sommet de la pyramide des journalistes français, tous médias
confondus, mais aussi au sommet de la pyramide de TF1. Les
chiffres communiqués pour 2002 par la direction des ressources
humaines de la Une confirment d’ailleurs ceux de 2001 : la
rémunération mensuelle moyenne des personnels en CDI s’est
élevé, l’année de la triste (et néanmoins onéreuse pour TF1)
Coupe du Monde de football en Corée, à 5.456 € (35.789 F) pour
les journalistes, contre seulement 4.843 € pour les cadres, 2.889 €
pour les VRP, 2.791 € pour les agents de maîtrise ou 2.117 € pour
les employés (soit une moyenne de 4.353 €, en hausse de 5,02%
par rapport à 2001). Précision supplémentaire, si l’on en croit Le
Point du 25 janvier 2002, l’échelle des salaires maison s’établit
comme suit, tous sexes confondus : 2668 euros mensuels en
début de carrière, entre 3811 et 5335 pour un Grand reporter et
entre 4878 et 6860 euros pour un rédacteur en chef adjoint88.

Autre avantage non négligeable, les journalistes bénéficient d’une


multitude de primes, comme celle, assez invraisemblable pour
des journalistes de télévision, dite de « passage à l’antenne » (un
vrai jackpot lorsqu’on est présentateur !)…, ou encore de 23 € de
remboursement sur leur repas du midi dès qu’ils partent en
reportage (par comparaison, sur le service public, c’est 13 €…)…
Là où un chef de service peut escompter un salaire de 25.000-
27.000 F mensuel sur France 3 ou 30.000-32.000 F sur France 2,
il peut aisément toucher le double sur TF1. Mais les privilèges
pécuniaires des journalistes de la Une ne s’arrêtent pas là. Bien
plus avantageux que le 13eme mois (qu’ils touchent bien
évidemment), ils bénéficient, en matière d’épargne salariale, des
trois fonds communs de placement mis en place par TF1 pour
gérer l’épargne salariale de ses collaborateurs. Dans le cadre du
fonds TF1 Actions, mis en place dès 1988, les salariés de la
chaîne peuvent ainsi verser chaque mois jusqu’à 287 € (1.880 F)
88
Voir l’article signé Emmanuel Berretta et intitulé « Journalistes : les
« stars » et les « autres »... », publié le 25 janvier 2002 dans le magazine
Le Point.

81
pour acheter des actions TF1 : cette somme est abondée à 100 %
par l’entreprise (dans la limite légale de 3.444 €, soit 22.560 F,
par an et par salarié). C’est-à-dire que lorsqu’un salarié décide de
verser 287 €, il se retrouve automatiquement avec l’équivalent, en
actions TF1, du double de ce montant, soit 574 €. Seul
inconvénient, les actions achetées de la sorte sont « bloquées »
pendant cinq ans, sauf circonstances exceptionnelles. Les salariés
de la chaîne sont également intéressés au résultat de l’entreprise
via la réserve spéciale de participation, instaurée en 1989 et qui
équivaut pour beaucoup à un quatorzième mois, étant entendu
que cette participation aux bénéfices n’est pas versée en
numéraire mais en actions TF1. Lors de mon passage à TF1, au
printemps 2000, je côtoyais donc sans le savoir des millionnaires
potentiels, voire effectifs pour ceux qui avaient déjà revendu une
partie de leur capital. Les journalistes présents à la Une au
moment de sa privatisation en 1987 et qui avaient investi un
minimum dans le titre TF1 via le fonds TF1 Actions avaient en
effet vu la valeur de leur portefeuille être multipliée par 3,75 : le
jour de son introduction en Bourse, le 24 juillet 1987, l’action
TF1 valait 165 F (soit 25,1 €) ; le 6 mars 2000, le titre TF1
atteignait son plus haut historique à 94,2 € (617,91 F). Si l’on
tient compte de l’abondement, la mise de base des journalistes les
plus chanceux avait donc été presque multipliée par huit ! On
comprend dès lors mieux pourquoi le cours de l’action TF1 fait la
pluie et le beau temps au sein de la rédaction, et au siège de TF1
en général. En deux mois, j’ai assisté à plusieurs scènes
totalement surréalistes où des personnes de la rédaction, pianotant
sur l’un des postes communs dédiés à internet, poussaient des
hurlements presque hystériques à la vue de la valeur de leur
portefeuille boursier… Il faut le savoir, les cours des actions TF1
et Bouygues défilent, en permanence et en temps réel, sur le canal
interne de la chaîne, diffusé un peu partout dans la tour (y
compris à la rédaction) ; chaque matin, les cours sont également
affichés, pour ceux que le canal interne rebute, sur les panneaux
d’affichage disposés dans les différents couloirs des étages (une
pratique qui ne date pas d’hier : elle avait été initiée par Francis
Bouygues à la rentrée 1987, alors même que la rédaction se
situait rue Cognacq-Jay, dans le 7eme arrondissement de la

82
capitale). Au-delà de toute considération financière, on peut
légitimement se demander s’il est sain de « faire » de
l’information sous la pression directe des cours de l’action de son
entreprise et de son propriétaire, en plus de celle déjà
omniprésente des courbes d’audience. Une chose est sûre en tout
cas : une telle politique salariale (au sens large du terme) n’a,
évidemment, fait que contribuer à asphyxier toutes velléités
internes de résistance. Bien plus sans doute que les mises à l’écart
des journalistes les plus indépendants.

On le voit bien, se révolter contre TF1, discuter sa ligne éditoriale


(disons ses lignes éditoriales tant celle du 13 heures diffère de
celle du 20 heures), c’est risquer gros. Entre se taire, assurer son
avenir et celui de ses enfants, et tout perdre pour finalement ne
pas changer grand chose à la situation (quelqu’un prendra
volontiers la place que vous avez préféré abandonner), les
journalistes encore en place ont vite choisi. Un réflexe
« humain » qui les a pourtant transformé en « robots de l’info ».
Bouygues l’avait bien compris : c’est en misant, comme sur ses
chantiers, sur une armée de contremaîtres d’autant plus fidèles
que surpayés, que l’opérateur de la chaîne a réussi à dompter une
rédaction pourtant très virulente envers ses chefs il y a encore dix
ans. Même les syndicats semblent avoir baissé pavillon. Pour
l’anecdote, Jean-Pierre Pernaut, encarté à la CFTC mais élu sur
une liste CGC/FO/CFTC, est particulièrement fier d’être l’un des
deux seuls représentants du personnel de la chaîne à prendre part
au conseil d’administration de TF189, où il siège ès qualité depuis
le 23 février 1988…

89
Le conseil d’administration de TF1 est aujourd’hui composé de
12 membres : Patrick Le Lay, le P-DG de la Une, Patricia Barbizet, directeur
général de la société Artémis, Martin Bouygues, P-DG de Bouygues, Claude
Cohen, directrice générale de TF1 Publicité, Michel Derbesse, directeur
général de Bouygues, Philippe Montagner, directeur général
Télécommunications de Bouygues, Etienne Mougeotte, vice-Président de la
Une, Olivier Poupart-Lafarge, directeur général Economie et Finances de
Bouygues , Alain Pouyat, directeur général Informatique et Technologies
Nouvelles de Bouygues, Haïm Saban, Jean-Pierre Pernaut et Céline Petton,
tous deux représentants du personnel. Tout ce petit monde s’est partagé en
2003 la coquette somme de 198.000 € (1,3 MF) en jetons de présence, répartis

83
pour 50% au titre de la responsabilité des administrateurs et 50% en fonction
de la présence aux séances du Conseil.

84
La Bourse ou la vie ! Jeudi 29 juin. Le
grand jour est enfin arrivé. Depuis une semaine, la tension,
désormais palpable, est montée d’un cran entre la plupart des
stagiaires. La bourse TF1 est dans tous les esprits, chacun
cherchant à mieux connaître les modalités des épreuves du
concours ou mettre un nom sur les futurs membres du jury appelé
à désigner les « heureux » gagnants. Les questions existentielles
sont légion : « Mon chef de service sera t-il membre du jury ? »,
« Quelle tenue dois-je mettre pour le plateau enregistré ? Avec
ou sans décolleté plongeant ? », « Comment puis-je rencontrer
fortuitement untel pour échanger quelques mots avec lui avant le
jour J ? »… Une véritable obsession. L’arrivée des étudiants en
école de journalisme n’ayant pas eu la possibilité de bénéficier,
comme nous, de deux mois d’immersion au cœur de la tour TF1,
n’avait pas vraiment contribué à apaiser les esprits. Les petits
nouveaux, en provenance du Celsa (Paris), du CUEJ
(Strasbourg), des IUT de Bordeaux, de Tours, et du CMTC
(Marseille), se demandaient légitimement pourquoi ils avaient été
conviés à découvrir la rédaction quelques jours seulement avant
le concours, cependant que les étudiants venus de l’IPJ, du CFJ
ou de l’ESJ avaient eu tout le temps de se familiariser avec les
méthodes de travail TF1… Une injustice flagrante qui ne manqua
pas de créer quelques tensions supplémentaires entre les
candidats, ceux s’estimant lésés et ceux regardant avec méfiance
ces nouvelles têtes venues leur disputer la place qu’ils
s’évertuaient à se faire patiemment, depuis le 1er mai (voire même
depuis près de six mois pour le fameux stagiaire issu du CFJ).

Pour les stagiaires disputant comme moi la bourse « rédacteur »,


les épreuves se déroulent en deux temps : plateau de situation et
commentaire en cabine. A chaque fois, vingt minutes de
préparation et un seul essai, dans les conditions du direct. Pour le
plateau, il nous est demandé un papier d’une minute précise sur le
statut pénal du Président de la République. Nous devons nous
imaginer sur les marches de l’Assemblée nationale, au soir de
l’intervention du député Vert Noël Mamère lequel avait
provoqué, le 30 mai, un esclandre dans l’hémicycle en mettant

85
explicitement en cause Jacques Chirac dans l’affaire des faux
électeurs du 3eme arrondissement de Paris90. L’enregistrement de
la cassette, destinée à être visionnée le lendemain matin par les
membres du jury, a lieu, en fait, dans les locaux de la chaîne.
Nous défilons les uns après les autres, chacun des candidats et des
candidates s’étant mis sur son 31 pour mieux crever le (petit)
l’écran.

La seconde épreuve est beaucoup plus folklorique. Nous sommes


conviés un par un dans l’une des deux cabines de mixage situées
près du studio du JT. Quand vient mon tour, on me tend un
dossier comportant une vingtaine de dépêches sur la société
Eurotunnel, son cours de Bourse, ses petits porteurs floués etc…
A peine ai-je le temps de survoler une première dépêche qu’un
technicien me demande de mettre mon casque pour visualiser le
sujet « muet » que je vais être appelé à recommenter. L’ambiance
du sujet est audible, les interviews également, mais pas le
commentaire original. J’ai droit à deux diffusions pendant
lesquelles je dois d’abord m’atteler à comprendre la scène à
laquelle j’assiste, sans oublier de chronométrer le temps entre
chaque interview et ambiance sonore pour que mon texte
s’intercale parfaitement entre les différents éléments sonores du
sujet. C’est évidemment mission impossible. Au début, pourtant,
tout va bien : je réalise sans trop de difficultés que le sujet à été
tourné dans un restaurant où se réunissaient des petits porteurs
qui avaient perdu toutes leurs économies dans l’aventure
Eurotunnel. L’un d’eux (une retraitée apparemment) se voit
même décerner le titre peu glorieux de « roi des cons ». Mais
c’est ensuite, dans la seconde partie du sujet, que ça se gâte : le
ton monte entre les convives attablés sans qu’on ne sache

90
La question de la responsabilité pénale du chef de l'Etat a été soulevée la
première fois en août 1998 à la suite de la mise en examen d'Alain Juppé,
poursuivi, dans l'enquête sur le financement du RPR, pour des faits remontant
à l'époque où il était adjoint du maire de Paris, alors Jacques Chirac. Le
22 janvier 1999, le Conseil constitutionnel a estimé, à l’occasion d'une
décision concernant la Cour pénale, que le président de la République n'a pas à
être soumis à la justice pénale durant l'exercice de son mandat. Depuis cette
date, la polémique sur l’impunité du chef de l’Etat ne cessait de faire rage.

86
pourquoi. Je suis largué : je ne comprends strictement plus rien à
la scène que je suis censé commenter. Les dépêches n’abordent à
aucun moment cette réunion de petits porteurs. Je ne dispose
d’aucune information sur les personnes qui s’expriment dans le
reportage, sur le désaccord manifeste entre les participants à la
réunion ; je ne sais ni où ni quand ces images ont été tournées…
l’exercice est totalement absurde. Tous les candidats font
cependant de leur mieux. Comme la salle de mixage doit être
évacuée par son occupant au plus tard vingt minutes après son
entrée, chaque prétendant dispose de moins de quinze minutes
pour rédiger son texte : les quatre premières minutes ont été
consacrées au visionnage, par deux fois, du reportage ; les cent
vingt dernières secondes sont quant à elles nécessaires pour
enregistrer, en une prise unique, le commentaire. Ou comment
avoir la certitude raconter n’importe quoi… Que dire en effet sur
des images dont on ne perçoit pas la signification au premier
coup d’œil et sur lesquelles on ne dispose d’aucune information
précise (pas même le minimum syndical : qui, quand, quoi, où,
comment, pourquoi ? ; les fameux cinq « W » en anglais) ? Quel
journaliste pourrait, dans ces conditions, écrire un commentaire
intelligent et pertinent, le tout en moins de vingt minutes ?
Aucun. Ce genre de situation se présente t-elle souvent dans une
rédaction ? Jamais. Cette épreuve était donc manifestement
dénuée de tout bon sens. Pas étonnant dès lors que personne n’a
vraiment eu l’impression de l’avoir dominée.

La remise des prix est prévue pour le lendemain en fin d’après-


midi. Je sais déjà que ce vendredi est mon dernier jour à TF1. Et
je n’ai pas l’intention de m’attarder une seconde de plus dans
cette rédaction peu recommandable. Rendez-vous nous est donné
au huitième étage, là où les personnalités et les cadres les plus en
vue de la chaîne viennent habituellement prendre un verre ou
déjeuner, loin du brouhaha du resto d’entreprise ou de la chaude
densité virile des abords du zinc de la cafet’, ces deux carrefours
de la mi-journée étant ouverts à l’ensemble des salariés de la
chaîne. Le « Club », c’est son nom, en jette un maximum. J’y
mets les pieds pour la première et dernière fois. On se croirait
dans l’un des grands hôtels parisiens luxueux de la Place

87
Vendôme. Cerise sur le gâteau, il y a même une vaste terrasse
paysagère qui domine la Seine pour mieux offrir Paris à ses
chalands. De la rue, au pied de la tour, cette terrasse est invisible,
indécelable. Pour l’apercevoir, il faut prendre un certain recul :
les Parisiens un tantinet curieux et attentifs qui empruntent le
périph’ peuvent l’apercevoir depuis leur voiture, au moment où
ils franchissent, en direction de la porte Saint-Cloud, le puissant
fleuve aux onze affluents. Deux stagiaires évoluent dans ce lieu
très privé avec une étonnante aisance : ces deux belles jeunes
filles à la plastique digne des concurrentes de « Nice People »
avaient été conviées, autour d’un café forcément amical, à venir
parler, on l’imagine bien, de leur passion pour le journalisme
avec celui qui leur avait ouvert les portes du « Club ». PPDA est
décidément un coureur de jupon hors norme. Malgré un emploi
du temps proche de l’asphyxie digne d’un chef d’Etat, il avait
trouvé le temps de s’intéresser d’un peu plus près aux seules
stagiaires qui alliaient, par le plus grand des hasards, une certaine
compétence professionnelle et un indiscutable charme féminin.

Pour cette remise des prix, TF1 n’a pas lésiné sur les moyens :
petits-fours, canapés sucrés/salés, corbeilles de fruits rouges,
cocktails, champagne à volonté… il faut dire que toutes les
vedettes de la chaîne sont là : Robert Namias, le directeur de
l’information de la chaîne, PPDA, Claire Chazal, Claude Carré,
Anne Sinclair (qui ne se doute vraiment pas qu’elle vit là sa
dernière remise de prix avant d’être prestement remerciée par
Patrick Le Lay91), Jean-Pierre About… La plupart des chefs infos
et des chefs de service ont également répondu présent.
N’attendant strictement rien à titre personnel de cette remise des
prix très solennelle, je suis relativement détendu. Je profite. Et je
ne suis d’ailleurs pas le seul : quelques stagiaires dont l’avenir
s’inscrit alors déjà, tout comme moi, bien loin de cette tour TF1,

91
Cette année là, sans le savoir, l’ancienne présentatrice de « 7 sur 7 », qui
était encore au printemps 2000 directrice générale adjointe de l'antenne en
charge du développement et de la stratégie de l'information et vice-présidente
de e-TF1, faisait pour la dernière fois partie du jury décernant le Prix Francis
Bouygues : mois d’un an plus tard, le 6 juin 2001, elle sera virée, sans
ménagement et du jour au lendemain, par le PDG de la Une.

88
font de même. Après tout ce que nous avions enduré, nous
aurions eu tort de nous priver de ces succulents petits amuse-
gueule. D’autres prétendants ont la mine fatiguée des mauvais
jours. L’estomac noué, le visage tendu, ils se contentent, par
politesse, de tenir un verre à la main : ils scrutent le moindre
signe annonciateur de l’annonce du palmarès. La plupart des
membres du jury sont présents, mais pas Robert Namias : les
candidats les plus stressés n’ont pas d’autre choix que de
continuer à prendre sur eux… histoire de conserver leur sourire
de façade alors que leur sang bout littéralement d’impatience. A
les voir, j’ai mal pour eux. Ils donnent vraiment l’impression que
leur vie va se jouer ici. Le paradis ou l’enfer. Ils en ont tellement
rêvé de TF1, ils ont tellement investi dans leur stage, se sont
tellement évertués à jouer les « bons » stagiaires, à la fois
compétents, disponibles et dociles, qu’il est impensable pour eux
de repartir de là bredouille. Les plus acharnés d’entre eux sont
d’ailleurs les seuls à s’être immédiatement parés de la montre
TF1, très chic avec son bracelet bleu marine moucheté de noir en
« cuir véritable » (c’est clairement spécifié au dos), qu’une
charmante hôtesse avait remise, dans un présentoir argenté du
plus bel effet, à chacun des stagiaires lors de son arrivée au
« Club ». Les plus ambitieux vont pourtant très vite déchanter.

Lorsque Robert Namias arrive enfin, il ne faut pas être grand


clerc pour remarquer que quelque chose le tourmente. Le silence
se fait de lui-même pour laisser la parole au président du jury.
« Bonjour à tous. Tout d’abord, je voudrais dire que nous avons
été surpris par la qualité très médiocre, par la pauvreté même,
des reportages et des plateaux réalisés par les rédacteurs. C’est
la première fois que nous voyons cela. J’ignore pour quelles
raisons : peut-être cela tient-il aux épreuves ou tout simplement à
la médiocrité des étudiants qui nous ont été envoyés… » Stupeur
dans la salle. Dans un silence glacial, on entend presque les
rythmes cardiaques s’emballer sous les poitrines les plus
ambitieuses. « Par conséquent, nous avons décidé, après mûre
réflexion, de ne pas attribuer le Prix Francis Bouygues cette
année. » Que de carrières rêvées brisées net… une partie de la
salle fait peine à voir. « Par contre, je dois dire que nous avons

89
été subjugués par la qualité des JRI en compétition. Comme nous
n’arrivions pas à les départager, nous avons choisi de décerner
le premier prix du concours JRI à deux candidats… deux
candidates même, que nous sommes ravis d’accueillir pour une
année au sein de la rédaction. » De quoi mettre un peu de baume
au cœur des responsables pédagogiques des écoles qui avaient
fait le déplacement et redonner le sourire à tous ceux qui avaient
passé la Bourse « JRI ». Pour les autres…

Ayant réalisé d’eux-mêmes que les épreuves qu’ils nous avaient


proposées au printemps 2000 ne tenaient manifestement pas la
route, les responsables du Prix Francis Bouygues ont changé leur
fusil d’épaule dès l’année suivante. Depuis juin 2001, la Bourse
« rédacteur » se déroule en deux temps. Première
salve d’épreuves : un plateau de situation et un reportage à
réaliser dans la journée. Deuxième salve pour ceux qui ont été
sélectionnés : un mini magazine pour lequel le candidat dispose
de trois journées (une pour caler ses rendez-vous, une pour
tourner les séquences et les interviews, une pour monter le sujet),
et un entretien avec le jury. Voilà qui est déjà plus cohérent. Mais
il reste encore beaucoup à dire sur le déroulement de la Bourse :
l’inégalité entre concurrents perdure encore aujourd’hui (l’école
qui les envoie détermine toujours la durée de leur stage) ; quant
aux « heureux gagnants », ils ne reçoivent pas toujours le prix qui
leur est annoncé lors de la cérémonie organisée en grande pompe
au « Club » (le candidat, issu du CUEJ, classé troisième au
concours « rédacteur » de juin 2001 peut en témoigner : « Nous
serons très heureux de vous accueillir cet été pendant trois
mois », lui lança, devant des dizaines de témoins, Robert Namias
pour le récompenser d’être monté sur le podium. Aujourd’hui
encore, il attend toujours son contrat…).

90
Citrons pressés. Lors de mon passage à TF1,
l’ambiance était au beau fixe. Oublié le livre de Péan et Nick,
envolées les lunettes noires de Claire Chazal qui avaient plombé
l’ambiance au sein de la rédaction pendant de long mois après sa
rupture avec un confrère célèbre de la chaîne… mais surtout les
performances globales de la chaîne atteignent des sommets…

TF1 est toujours, et de loin, la première chaîne française en terme


d’audience avec, sur les six premiers mois de l’année 2000, des
parts d’audience de 33,7% et 36%, respectivement sur les
individus de 4 ans et plus et les femmes de moins de 50 ans. 47
des 50 meilleures audiences du premier semestre 2000 sont à
mettre au crédit de la Une. De quoi largement confirmer sa
prééminence hertzienne92. Parallèlement, l’action TF1 s’envole,
atteignant des sommets : le 6 mars 2000, le titre TF1 atteint son
plus haut historique à 94,2 €93. Sur la période du 1er janvier au
30 juin 2000, le titre TF1 enregistre une croissance de 40,4%,
c’est-à-dire une hausse six fois plus importante que celle de
l’indice SBF 120 sur la même période (+7,4%)94. L’envolée est
telle que TF1 rejoint le CAC 40 le 10 mai. Dans l’euphorie,

92
Sur l’ensemble de l’année 2000, TF1 verra sa part d'audience moyenne
s’établir à moins de 35 % sur l’ensemble des cibles : 35,9 % pour les « femmes
de moins de 50 ans » (contre 37,4 % en 1999) et 33,4 % pour les « individus
de 4 ans et plus » (contre 35,1 % en 1999), soit un recul de 1,5 point par
rapport à l’année précédente (baisse qui s’explique notamment par une
concurrence accrue de l’offre thématique, sur le câble et le satellite). Sur
l’année, TF1 obtiendra tout de même 91 des 100 meilleures audiences.
Source : Médiamétrie.
93
Lors de son introduction en Bourse, le 24 juillet 1987, l’action TF1 valait
165 Francs (soit 25,1 €). La valeur de l’action avait donc été multipliée par
3,75. L’action a depuis, retrouvé, peu ou prou, son cours d’introduction.
Le 2 avril 2003, elle valait ainsi 22,7 € ; le 6 décembre 2006, 29,20 €.
(voir graphique page 136).
94
Lancé le 8 décembre 1993 et calculé en continu depuis le 18 avril 1994,
l'indice SBF 120 est composé des 40 valeurs de l'indice CAC 40 auxquelles
s'ajoutent 80 valeurs du premier marché parmi les plus liquides. Le 7 juin
1999, le titre TF1 était passé du second marché au règlement mensuel.

91
l’entreprise décide de diviser par dix son nominal95, afin, selon
Patrick Le Lay, de « favoriser l’actionnariat des petits
porteurs »96, c’est-à-dire d’augmenter l’accessibilité du titre,
donc son attrait, autrement dit in fine sa valeur. Le 31 décembre
2000, la capitalisation boursière de TF1 atteint 12,1 milliards
d’euros97, chiffre toujours inégalé à ce jour en fin d’exercice
annuel.

Plus important encore, le marché publicitaire, florissant, profite


d’abord, et comme jamais, à la Une. Au 30 juin 2000, les produits
d’exploitation du groupe TF1 s’élèvent à 1 145,8 M€, en hausse
de 23,4% par rapport au premier semestre 1999. Deux éléments
expliquent principalement cette envolée : les recettes issues des
activités de diversification (+39%) mais surtout la croissance des
recettes publicitaires directement liées à l’antenne, en hausse de
18,4%98. En fait, TF1 bénéficie à plein des transferts intervenus
dans les dépenses des annonceurs à la suite de la réduction
annoncée puis effective de la durée des espaces publicitaires de
France 2 et France 399. Et le résultat est là : TF1 améliore
considérablement son résultat d’exploitation pour le porter à
271,7 M€, soit une hausse incroyable de 42,8% par rapport au
premier semestre 1999. Citons le triomphant rapport d’activité
semestriel de la chaîne : « Dans ce contexte, le résultat net du

95
Le nominal est la valeur initiale d’un titre. Il résulte de la division du capital
de la société par le nombre d'actions émises. Toutes les actions d'une société
ont le même nominal.
96
Rapport d’activité annuel 2000 du groupe TF1.
97
Depuis, la capitalisation boursière n’a cessé de sombrer, tel le Titanic (avec
le « Loft story » de M6 dans le rôle de l’iceberg mortel). Le 31 décembre
2002, elle n’était plus que de 5,4 milliards d’euros avant de remonter
légèrement au cours de l’année 2003. Le 3 octobre 2003, elle se montait à
5,6 milliards d’euros (soit 36,9 MF).
98
Sur l’ensemble de l’année, la part de marché publicitaire de TF1 augmentera
de 12% pour atteindre 53,8% (51,1% en 1999) alors que, dans le même temps,
le marché publicitaire télévision brut progressait de 6,1%. TF1 est alors
l’unique chaîne de télévision européenne à disposer d’une telle position, aussi
dominante, sur un marché publicitaire télévisuel.
99
Le projet de loi préparé par Catherine Trautmann, adopté par l’Assemblée
nationale le 21 mars 2000 en deuxième lecture, a fait passer de douze à huit
minutes par heure la publicité sur les chaînes publiques.

92
groupe atteint 168 M€ soit une progression de 53,4%. Au premier
semestre 2000, la marge nette du groupe TF1 atteint 14,7% des
produits d’exploitation contre 11,8% en 1999. La structure
financière de TF1 se renforce au cours de la période. Les
capitaux propres du groupe s’élèvent au 30 juin 2000 à
602,4 M€, la trésorerie au 30 juin est de 213 M€ après avoir
financé l’augmentation de la participation de TF1 dans
Eurosport, le montant des emprunts et dettes financières reste
faible (16,8 M€) ». Sur l’ensemble de l’année 2000, le produit
d’exploitation de la chaîne atteindra 2,3 milliards d’euros, faisant
évidemment de TF1 le principal groupe de télévision de France.

Pour résumer, avec une part d’audience de 33%, une part de


marché publicitaire télévisuel de 54%, un résultat net consolidé-
part du groupe de 1,6 milliard de francs pour l’année 2000 (soit
603 MF de plus qu'en 1999), une capacité à mobiliser des
ressources pour financer sa croissance externe à hauteur de
6,7 milliards de francs, une rentabilité financière qui a atteint son
niveau le plus élevé avec 36,5%100, TF1 est sur son petit nuage
économique et financier. Mais pas question pour autant de jeter
l’argent par les fenêtres, fussent-elles avoir été posées par
Bouygues. Toutes les économies, même minimes, sont bonnes à
faire. Une culture « BTP » qui ne date pas d’hier et ne doit rien au
hasard : en 1987, lorsque Patrick Le Lay débarqua de Bouygues
pour prendre en main une TF1 fraîchement privatisée, il plaça à
chaque poste de direction (finances, marketing, ressources
humaines…) un homme de la maison Bouygues, persuadé que la
méthode du géant du BTP avait pleinement fait ses preuves dans
l’encadrement. Et chacune des fonctions fut flanquée… de son
propre contrôleur de gestion. Histoire d’éviter que les coûts ne
dérapent ! Une véritable culture de grippe-sou… Malgré donc de
faramineux bénéfices au niveau de la chaîne, le budget de
l’information avait ainsi fait l’objet d’une coupe franche de
50 MF entre 1999 et 2000, le faisant tomber de 750 MF à
700 MF. Dans cette optique d’optimisation des coûts, les
stagiaires qui, comme moi, avaient « la chance et le privilège

100
Rapport annuel 2000 du CSA sur TF1.

93
d’évoluer au sein de la plus belle rédaction de France », se virent
généreusement gratifier d’une indemnité mensuelle de 3000 F
(montant qui ne doit rien au hasard : au-delà de 30 % du SMIC
mensuel, cette gratification est assimilée à un salaire ; TF1 aurait
donc été soumis au paiement des cotisations sociales, de la CSG
et de la CRDS). Nous étions pourtant diplômés d’une école
reconnue par la profession, donc opérationnels, au minimum Bac
+5 et bien que n’ayant pas encore la carte de presse (il faut trois
mois d’activité à temps plein et payés pour l’obtenir la première
fois), nous aurions dû, en toute logique, bénéficier des
dispositions prévues par la convention collective des journalistes.
Il n’en fut rien. Mais personne n’alla pour autant se plaindre. La
colère à l’égard de la société et de ses dirigeants grandit
cependant à la vue de notre première feuille de paie. « L’étudiant
recevra une indemnité forfaitaire mensuelle de 3000 Francs »
était-il écrit en toutes lettres dans ma convention de stage, signée
le 27 avril par les trois parties (école, entreprise, stagiaire). La
rémunération prévue était ridicule, certes, mais nette pensions-
nous. La formulation « indemnité forfaitaire mensuelle » était,
dans nos esprits, sans équivoque. Et pourtant… Quelle ne fut pas
la surprise, l’écœurement même, ressentis par la plupart des
stagiaires lorsque nous réalisâmes que TF1 considérait ces 3000 F
comme une indemnité brute… C’est la règle en fait, lorsque la
mention « brute » ou « nette » n’est pas précisée. Au regard du
code du travail, TF1 était donc dans son droit le plus strict. Ce qui
n’empêcha pas nombre de stagiaires, en leur for intérieur, d’avoir
la désagréable impression d’avoir été trompés, comme s’ils
avaient oublié de lire la petite clause écrite en minuscule au verso
d’un quelconque contrat d’assurance ou de crédit-bail…
Résultat : au lieu de toucher 458 € par mois, nous ne reçûmes que
389,30 €… c’est-à-dire 15% de moins. La différence de 68,70 €
(450 F) paraît insignifiante… elle l’est pour TF1, même
multipliée par la petite dizaine de stagiaires, au vu des
1,6 milliard de francs de bénéfices dégagés en cette année 2000,
mais elle l’est beaucoup moins pour des personnes censées se
loger, se nourrir (se divertir aussi, accessoirement), bref vivre
dans la capitale avec seulement 389,30 € (2550 F) par mois… Et
inutile de penser faire un petit boulot à côté, c’était totalement

94
illusoire : nos amplitudes horaires au 1, Quai Point du Jour nous
interdisaient complètement une telle fantaisie.

Partout ailleurs, quel que soit le médium, les soi-disant stagiaires


venus des écoles de journalisme étaient tous rémunérés au moins
au SMIC (sauf à LCI, facile de deviner pourquoi… la chaîne tout
info est détenue à 100% par TF1…). Un an plus tôt, lors de mon
stage de fin de première année au Télégramme de Brest, un
quotidien régional concurrent de Ouest-France, j’avais touché
7850 Francs brut par mois (là, pas d’embrouille possible, le terme
« brut » était écrit noir sur blanc dans la convention de stage),
bénéficiant ainsi de la convention collective des journalistes de
PQR. Autre exemple, cette fois, en télé : en août et septembre
2000, un mois tout juste après mon départ de TF1, mes huit
semaines de stage, toujours « fournies » par mon école, effectuées
à France 3 me furent payées sur la base mensuelle brute de
11332,51 Francs. Comme n’importe quel salarié de la chaîne
publique, j’avais signé un contrat à durée déterminée (CDD) et
bénéficié des dispositions prévues dans la convention collective
et son avenant audiovisuel… tout en étant officiellement
considéré comme un « stagiaire école ». TF1 profitait donc à
plein de sa position de leader, de sa supposée attractivité vis-à-vis
des jeunes journalistes pour nous exploiter, nous presser comme
de vulgaires citrons, bien verts pour le coup… N’importe quel
pigiste à TF1 aurait touché, au bas mot, 1700 € pour les onze
reportages complets, dont six ont été diffusés101, que j’ai réalisés
durant mes deux mois de stage, soit plus du double de ce que j’ai
été rétribué… Et j’omets là volontairement de prendre en compte
la dizaine d’interviews de complément également accomplies par
mes soins…

Non seulement TF1 nous payait au « lance-pierre », histoire sans


doute de payer de plus gros cigares102 à Martin Bouygues103, sous

101
L’article L. 761-9 du Code du travail prévoit le paiement de tout travail
commandé, même si le fruit de ce travail, article ou reportage, n’est pas diffusé
ou publié.
102
Selon le dossier publié par le Nouvel-Observateur le 27 juin 2002, les
revenus du PDG de Bouygues se sont montés en 2001 à 1,7 M€, soit 11,2 MF

95
prétexte que nous devions déjà être bien contents d’intégrer cette
« belle » rédaction, mais en plus nos patrons ne se gênaient pas
pour nous faire travailler, en toute illégalité, pour l’autre chaîne
du groupe, LCI (alias « La Cassette Immédiatement » dans le
milieu des JRI). La Chaîne Info ne s’est pas privée, en effet, de
diffuser interviews, images, réalisées ou tournées par les
stagiaires de la maison-mère. Ainsi, la fameuse interview de Jean-
Claude Gayssot, squeezée du 13 heures de Pernaut le vendredi 5
mai 2000, avait-elle été diffusée dès le 4 mai au soir sur LCI.
Sans bien sûr que je ne sois payé, ou tout simplement remercié.
TF1 et LCI sont pourtant deux entités juridiques bien distinctes,
avec chacune leurs propres autorisations d’émettre
(l’indispensable conventionnement délivré par le CSA). Etre en
stage chez l’un ne devait donc en aucun cas signifier travailler
pour l’autre, qui plus est gratuitement. Les juristes en droit du
travail apprécieront. Ceux du droit d’auteur également. Dans ce

(jetons de présence compris), soit un chouia de plus (10% environ) que le


revenu perçu la même année par Patrick Le Lay (1,58 M€, soit 10,4 MF, jetons
de présence compris). En 2002, à en croire le magazine Challenges, Martin
Bouygues aurait perçu un salaire de 1.994.015 €, soit plus de 13 MF ; Patrick
Le Lay, lui, aurait dû se contenter de 1.530.147 €, soit tout de même plus de
10 MF. Encore plus fort : en 2003, c’est carrément 2,3 millions d'euros (plus
de 15 MF donc) que le PDG de Bouygues a reçu en guise de salaire (dans un
communiqué un rien provocateur, l’entreprise a tenu à préciser que « la
rémunération effective », c'est-à-dire une fois déduits la CSG, la CRDS et
l'impôt sur le revenu, de son PDG ne s’est élevée qu’à seulement un million
d’euros. Cela « permet de souligner l'importance des prélèvements fiscaux et
sociaux en France », pouvait-on y lire)… De son côté, c’est un chèque
faramineux de 2,6 millions d’euros (plus de 17 MF) que Patrick Le Lay s’est
généreusement accordé, soit une envolée spectaculaire de 42% ! A se
demander quelle décision de gestion géniale a pris, en 2003, pour bénéficier
d’une telle revalorisation salariale…
103
Martin Bouygues, qui n’apparaît pourtant nulle part dans l’organigramme
officiel de TF1 (il siège certes au conseil d’administration de la chaîne depuis
le 1er septembre 1987, en tant que simple administrateur, mais n’a pas de
fonction exécutive dans l’entreprise), dispose d’un vaste bureau au 14eme étage
de la tour à deux pas de ceux de Patrick Le Lay et d’Etienne Mougeotte, les
numéros 1 et 2 de la chaîne (à noter que cet étage n’est accessible que par un
seul et unique ascenseur, appelé par les hôtesses, histoire d’éviter toute
intrusion malvenue). Preuve s’il en est que la famille Bouygues surveille de
très très près « sa » chaîne, ce qui y est diffusé ou ce qui va l’être.

96
domaine, la jurisprudence est sans équivoque. S’appuyant sur le
code de la propriété intellectuelle, l’article L. 761-9 du code du
travail et l’article 7 de la Convention nationale collective des
journalistes, la jurisprudence considère qu’un contrat de travail,
donc a fortiori une convention de stage, n’entraîne en aucun cas
la cession des droits patrimoniaux104 au profit de l’employeur.
Une entreprise de presse ne peut publier dans d’autres revues ou
sur d’autres supports, les articles, photographies, dessins,
reportages audiovisuels… sans parvenir avec l’auteur à un accord
préalable, matérialisé par une signature au bas d’un contrat en
bonne et due forme : « Le droit de faire paraître dans plus d’un
journal ou périodique les articles ou autres œuvres littéraires ou
artistiques dont (les journalistes) sont auteurs est obligatoirement
subordonnée à une convention expresse précisant les conditions
dans lesquelles la reproduction est autorisée. »105 En résumé, un
journaliste, qu’il travaille en presse écrite, en radio ou en
télévision, conserve ses droits pour toute exploitation de son
œuvre (exception faite de la première exploitation, pour laquelle
le journaliste a cédé ses droits à l’entreprise de presse en échange
de son salaire), sauf à faire concurrence au support auquel il
collabore (loi du 11 mars 1957). La loi sanctionne d’ailleurs sans
ambiguïté le non-respect de ce droit patrimonial : « Toute
représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le
consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayant cause
est illicite. »106 L’utilisation d’une œuvre sans le consentement de
son auteur constitue une contrefaçon avec comme conséquence
des sanctions au civil et au pénal. La diffusion de cette simple
interview de Jean-Claude Gayssot sur LCI, faite sans mon
consentement, écrit ou oral, et pour laquelle je n’ai pas été
rémunéré, était donc illicite à plus d’un titre. Tout comme,

104
Le droit patrimonial (ou pécuniaire) est le droit pour l’auteur d’exploiter
son œuvre et d’en tirer profit.
105
Article L. 761-9 du Code du travail.
106
Article L. 122-4 du Code de la propriété intellectuelle.

97
d’ailleurs, la diffusion des sujets sur le site internet de la
chaîne107…

Non contents d’être payés « trois francs six sous », nous étions
donc exploités (ou presque) au bénéfice du groupe TF1. Et rien
ne nous était épargné. C’est seulement par hasard que l’un d’entre
nous apprit que nous pouvions nous faire rembourser notre carte
orange mensuelle. Personne n’avait apparemment jugé bon de
nous prévenir de nos droits. Mais il y a plus surprenant encore. A
la mi-juin, j’eus la mauvaise idée de tomber malade et de ne
pouvoir me rendre à Boulogne-Billancourt pendant deux jours.
Dès mon retour, je produisis évidemment un certificat médical en
bonne et due forme mais ce n’est qu’à la réception de ma
deuxième et dernière feuille de paie que je réalisai que ma maigre
indemnité avait été amputée de 2/30e ! Alors même que j’avais
travaillé le 1er mai, le 8 mai, le lundi de la Pentecôte, le jeudi de
l’Ascension, avec des jours à très forte amplitude horaire (la
conférence de rédaction du 13 heures a lieu à 8h30, le débriefing
du 20 heures pas avant 20h45)… ce qui est tout à fait normal
pour un journaliste payé décemment et bénéficiant des avantages
prévus dans sa convention collective (ce qui n’était alors pas
vraiment mon cas) mais qui aurait largement dû compenser, dans
ma situation, une absence médicalement justifiée de 48 heures
quand on se souvient que mes émoluments se montaient à
389,50 € mensuels (363,46 € en l’occurrence pour le mois de
juin). Le droit des stagiaires en entreprise est tellement
minimaliste qu’une telle amputation sur rémunération n’est pas
stricto sensu illégale. Mais elle est déjà beaucoup plus discutable
d’un point de vue éthique. Rappelons tout de même que l’article
36-2-I de l’avenant audiovisuel à la convention collective des
journalistes stipule que « le journaliste incapable d'assurer son
service par suite de maladie ou d'accident étranger au service est
placé en congé de maladie. Ce congé est rémunéré dans les
limites suivantes, sa durée totale s'appréciant sur une période de
douze mois consécutifs. Le journaliste justifiant de plus de deux
107
Depuis septembre 2003, seuls les journaux télévisés des quinze derniers
jours sont disponibles sur le site internet de la chaîne. Auparavant, tous les JT
diffusés depuis fin 1999 étaient consultables sur www.tf1.fr

98
semaines de présence dans l'entreprise perçoit, dans la limite
d'un mois, la totalité de sa rémunération mensuelle majorée, le
cas échéant, du supplément familial. » Malheureusement, cet
avenant, conclu le 9 juillet 1983, ne concerne plus TF1 depuis
1987 puisqu’il ne s’applique qu’au service public de
l’audiovisuel. Il en va évidemment tout autrement de l’accord
d’entreprise TF1 SA, conclu le 31 janvier 1991, lequel prévoit
exactement la même chose dans son article 34 : « le salarié,
incapable d'assurer son service par suite de maladie ou
d'accident étranger au service, est placé en arrêt de travail. Cette
absence ou éventuellement le cumul de plusieurs arrêts est
rémunéré dans les limites suivantes, sa durée totale s'appréciant
sur une période de douze mois consécutifs. Le salarié justifiant de
plus de deux semaines de présence dans l'entreprise perçoit la
totalité de sa rémunération mensuelle dans la limite d’un mois ».
Cet accord, qui ne concerne théoriquement que les personnels de
production, techniques et administratifs, aurait également pu nous
être appliqué, puisque, à notre grand désarroi, nous n’étions pas
considérés comme « journaliste ». Mon exemple est significatif à
ce propos, il n’en fut rien. Et TF1 économisa 25,42 €… Divisé
par les centaines de millions d’actions TF1 en circulation108, ça
fait combien de dividende pour les actionnaires ?

108
215.980.129 actions TF1 sont actuellement en circulation (au 31/10/2006).
Source : Euronext.

99
100
Postface. Je n’avais jamais imaginé faire un stage à
TF1. Je n’avais d’ailleurs rien demandé. Mais au terme de ces
deux mois passés au sein de cette « belle » rédaction, je n’étais
plus le même. Je ressortis de là complètement désorienté, écœuré.
Si les sirènes de l’audimat frétillant, de la notoriété et de l’argent
faciles avaient eu, sur quelques stagiaires et la plupart des
journalistes maison, le même effet que les douze vierges de l’île
d’Ouessant, « belles comme des anges mais perverses comme des
démons » (et dont les chants étaient, selon la légende, autant
d'appels d'amour, propres à séduire le cœur des jeunes hommes),
j’avais plutôt tendance à ne voir en TF1 que la Lorelei de
l’audiovisuel. Telle la belle déesse du Rhin qui conduisait les
marins à la mort en les envoûtant de son chant magique, TF1
semblait plutôt faire oublier aux journalistes qui composaient sa
rédaction les dangereux tourbillons et récifs près desquels leur
direction et leurs présentateurs les faisaient naviguer. Pas
étonnant dès lors que le bateau de la déontologie finit par se
briser à maintes reprises et finalement sombrer dans le fleuve.

Mon expérience à TF1 fut finalement assez brève, huit semaines


seulement, mais des plus enrichissantes. Mais pas dans le sens où
on l’entend habituellement. Je ressortis de là tellement écœuré
que je n’avais alors qu’une idée en tête : tout plaquer, mettre un
mouchoir mouillé sur mes aspirations professionnelles les plus
profondes, bref changer de branche et ne plus jamais retourner
travailler dans une rédaction. Pour quelqu’un qui, comme moi,
avait toujours rêvé de devenir journaliste, depuis la plus tendre
enfance, une telle réaction était inimaginable. Pensez-donc. Je
n’étais alors qu’élève de CM2 que déjà je créais de toute pièce et
animais mon premier journal, celui de mon école élémentaire. Un
canard sans prétention qui continua sa route au collège puis au
lycée pour devenir DNPH. DNPH, pour Dinitro-2,4 Phényl
Hydrazine, était un redoutable et apprécié fanzine étudiant qui
participa à plusieurs festivals « Scoop en stock »109. Elle circula

109
« Scoop en stock » est le seul concours en Europe qui regroupe toutes les
catégories de journaux réalisés par des jeunes de 11 à 30 ans, dans le cadre

101
pendant plusieurs années sous le manteau dans les plus grands
lycées parisiens, malgré la chasse aux journalistes en herbe
entreprise par l’administration de l’établissement où nous étions
tous scolarisés : le lycée Henri IV, celui qui dominait la montagne
Sainte-Geneviève, au cœur du 5eme arrondissement de la capitale,
avant même de dominer les esprits. Devenir journaliste était chez
moi plus qu’un rêve, c’était presque une obsession. Comme je
suis quelquefois têtu, j’avais tout fait dans mes études pour suivre
ma vocation. Quitte parfois à décevoir mes parents, qui avaient
pour moi d’autres rêves de grandeur, dans l’administration ou
dans le management. Il était donc totalement impensable que j’en
arrive à vouloir mettre un terme à une carrière journalistique qui
n’avait même pas débuté, au moment où j’étais justement le plus
à même de toucher enfin mon rêve du doigt. C’est pourtant ce qui
me hantait l’esprit après ces deux mois passés derrière les miroirs
sans tain de la tour TF1. Cette tour qui, tel le rocher schisteux de
la Lorelei dans la Vallée romantique du Rhin, s’élève de près de
100 mètres au-dessus du fleuve qui la longe.

Quelques jours avant de plier bagage, le corps meurtri par tant


d’illusions perdues, le moral en berne, j’étais allé discuter avec un
ancien de l’IPJ, lui-même intégré au service des sports de la
chaîne. Il me connaissait bien, puisqu’il avait été l’un de mes
profs de journalisme sportif pendant ma deuxième et dernière
année de scolarité. J’avais amené avec moi une cassette de mes
sujets. Nous les regardâmes ensemble. A la fin de cette séance de
visionnage improvisée, il me lança que je « serai bien sur France
3, en région ». Sous-entendu, ton boulot, c’est vraiment de la
m…, alors autant aller travailler là où, selon lui (et cet avis est
malheureusement partagé par nombre de journalistes des
rédactions télé nationales), la profession en produit le plus. Le
tout avec un incroyable aplomb, surtout lorsque l’on sait que cette
personne, dont le travail était reconnu de tous lorsqu’elle débuta
sur Europe 1, s’est distinguée depuis en se consacrant corps et
âmes, mais sans aucun esprit philanthrope soyez-en sûr, à la

scolaire ou hors-scolaire. Ce véritable « marathon de la presse jeune », qui


dure trois jours, est organisé chaque année par J.Presse, l’association nationale
de la presse d'initiative jeune.

102
présentation d’émissions à haute valeur journalistique ajoutée
comme « Koh-Lanta » (50.000 F pour faire la voix-off de la
première saison, et environ deux fois plus pour assurer la
présentation des éditions suivantes, un vrai jackpot), « Le plus
grand Domino du monde » ou encore « Fear Factor »110.

Eh bien oui, je suis bien sur France 3. C’est là que j’y ai retrouvé
le goût du métier, le goût du journalisme de terrain, sans pression
de l’audimat (de toute façon excellent à l’heure du journal
régional de 19h00111), de la Bourse ou de la vision populiste et
écœurante de la société véhiculée par tel ou tel présentateur.
Après un mois de vacances pendant lequel j’avais tenté d’oublier
ce que j’avais pu voir et entendre à TF1, loin de toute rédaction et
de tout téléviseur, j’avais finalement décidé d’honorer les deux
mois de stage à France 3 que mon école m’avait trouvés avant
même que je ne pose un pied à TF1. Même si tout n’y est
évidemment pas parfait, si les moyens, humains et techniques,
manquent parfois, si certains lourdeurs propres au service public
sont parfois décourageantes, si certains sujets ne sont pas toujours
passionnants à traiter, j’ai un réel plaisir à travailler dans les
rédactions régionales de France 3. Je peux y exercer mon métier
en toute indépendance, sans que ne soit jamais remise en cause
mon intégrité morale ou professionnelle. France 3, c’est
d’ailleurs, et de loin, la meilleure école pour ce difficile métier de
journaliste-rédacteur audiovisuel : les journalistes sont
constamment sur le terrain, ont la possibilité de réaliser des
magazines, au plus près des réalités sociales, et peuvent, s’ils le
souhaitent, s’essayer à des exercices bien particuliers où rien ne
remplace la pratique (présentation des JT, plateaux en direct
depuis l’extérieur…). Les journalistes en région ne sont pas
considérés comme des pions par leurs rédacteurs en chef. Les JRI

110
C’est Vincent Lagaf’ qui avait d’abord été pressenti pour présenter « Fear
Factor », preuve s’il en est besoin, des qualités journalistiques requises pour
animer ce type de programme.
111
Le 19/20 est aujourd’hui le programme leader sur la tranche de l’access
prime time, entre 19 heures et 20 heures. L’édition nationale du 19/20 est le
second journal de France avec en moyenne entre 5 et 6 millions de
téléspectateurs et une part d’audience moyenne de 30%.

103
ne sont pas non plus vus comme de simples « presse boutons ».
JRI comme rédacteurs ont droit à la parole lors des conférences
de rédaction. Ils peuvent contester, et ne se privent généralement
pas de le faire, la ligne éditoriale qui leur est proposée. Tous ces
hommes et ces femmes ne sont pas non plus des nantis. Ils n’ont
l’œil rivé ni sur les courbes d’audience, ni sur le cours de l’action
de leur société. Et pour cause, c’est un service public. Ceux qui y
travaillent ne possèdent pas le statut de fonctionnaire pour autant.
Ce sont des contractuels presque comme les autres.

Depuis cet épisode, malgré parfois de réelles difficultés à trouver


du travail (depuis deux ans, le marché n’est pas vraiment rose,
loin s’en faut), je n’ai jamais sollicité de contrats sur les chaînes
privées, ni même dans ces sociétés de production qui pullulent
aujourd’hui, de peur de revivre une expérience similaire. Je n’ai
jamais cherché de travail que sur les chaînes publiques. Et à
chaque fois que je trouve un téléviseur allumé sur la première
chaîne à l’heure des infos, je m’empare de la télécommande.
Plus jamais je ne pourrai croire un seul mot de ce que l’on peut y
entendre. Pour ceux qui en doutent encore, il leur suffit
simplement de regarder, le dimanche midi sur France 5,
l’émission « Arrêt sur images », animée par Daniel
Schneidermann, le désormais ex-chroniqueur télé du Monde112,
pour y voir révéler, presque chaque semaine, telle ou telle
manipulation ou omission volontaire plus ou moins flagrante (au
point que plus aucun journaliste de la Une ne s’aventure sur le
plateau de l’émission, et ce depuis plusieurs mois, obéissant
ainsi, selon Daniel Schneidermann, à un « mot d’ordre de Robert
Namias, le directeur de l’information de TF1, qui a dit plus

112
Début octobre 2003, la direction du quotidien a engagé une procédure de
licenciement contre Daniel Schneidermann à la suite de la parution de son
dernier livre, Le cauchemar médiatique, publié chez Denoël, dans lequel
l’auteur critique ouvertement la « réaction clanique » de Jean-Marie
Colombani, président du Monde, et d’Edwy Plenel, directeur de la rédaction,
lors de la sortie, sept mois plus tôt, du sulfureux ouvrage de Pierre Péan et
Philippe Cohen, La face cachée du Monde. Daniel Schneidermann publie
désormais sa critique « médiatique » chaque vendredi dans les pages Rebonds
de Libération.

104
personne à Arrêt sur images »113). Premier exemple d’un
reportage déontologiquement discutable traité par l’équipe
d’« Arrêt sur images » : le sujet diffusé début 2003 pour
dénoncer la prolifération des numéros de téléphone surtaxés. La
journaliste de la Une prenait clairement le parti des petites gens
contraints de débourser quelques centimes d’euros pour obtenir
un renseignement ou une attestation officielle auprès de
l’administration. Un tel procédé était jugé totalement
scandaleux… sauf que TF1 l’utilise également, cette fois pour
rentabiliser la naïveté de ses téléspectateurs, ce qui est bien plus
choquant. Les appels à 0,56 € sont en effet devenus un passage
obligé pour ceux qui souhaitent participer à un jeu ou assister à
une émission (avec arnaque au bout la plupart du temps, comme
peuvent en attester, par exemple, plusieurs « heureux gagnants »
de l’émission « Rêve d’un jour »114, produite et présentée par
Arthur ; les personnes qui appellent les administrations ont, eux,
au moins, la certitude de ne pas jeter leur argent par les fenêtres :
ils reçoivent toujours les documents ou attestations qu’ils ont
demandé). Autre exemple, celui de ce reportage sur un procédé
de télésurveillance électronique, présenté comme
« révolutionnaire » par Claire Chazal… mais dont la principale
caractéristique est surtout d’avoir été conçu et d’être
commercialisé par VisioWave, une société dont TF1 possède
aujourd’hui 80% du capital115… Une précision que la
présentatrice vedette avait, bien entendu, omis de donner aux
millions de téléspectateurs qui regardaient le journal de TF1 ce
soir là. Ou comment faire un peu de publicité gratuite pour une

113
« Arrêt sur images » du 26 octobre 2003.
114
Voir à ce sujet l’émission « Arrêt sur images » diffusée sur France 5
le dimanche 2 mars 2003, à laquelle participaient plusieurs « heureux
gagnants », toujours dans l’attente de la manne promise en direct par Arthur,
devant des millions de téléspectateurs.
115
Visiowave est une société suisse créée en 1998. A l’été 2000, TF1 y était
entrée à hauteur de 25% avant de porter sa participation à 80% du capital.
Dans un article publié le 3 avril 2003, dans Agefi, le directeur de Visiowave,
Sébastien Bougon, expliquait qu’il avait trouvé en TF1 « l’actionnaire
industriel qui lui offre les moyens d’une expansion industrielle à long
terme »… et aussi, accessoirement, un peu de publicité gratuite, à une heure de
grande écoute, sur la chaîne de télévision la plus regardée de France.

105
des sociétés du groupe... Même constat lorsque Pascal Houzelot,
le président fondateur de Pink TV, bien connu de TF1 puisqu’il
fut pendant 10 ans conseiller d’Etienne Mougeotte à la
présidence de la Une, est étrangement interviewé en plein milieu
d’un sujet « ambiance » sur la Gay Pride 2003 pour annoncer le
lancement imminent de son bébé, la première TV gay
française… dont TF1 est, par le plus grand des hasards, partie
prenante : la Une participe en effet, aux côtés entre autres de
Canal + et de M6, au capital de Pink TV (qui sera, bien entendu,
notamment diffusée sur TPS, le bouquet satellite dont TF1
possède 66% du capital116). A noter d’ailleurs dans le même
reportage, diffusé le samedi 28 juin 2003 à 20 heures, les
innombrables plans montrant ostensiblement le logo Pink TV
affiché sur la façade de l’Opéra Bastille… une façon comme une
autre de filer un petit coup de pouce, aussi subtil que bienvenu, à
un projet dans lequel est impliquée la Une. Et comme souvent, le
gendarme du CSA n’y a vu que du feu (de même que les équipes
d’« Arrêt sur images », sûrement déjà en vacances) et n’a donc
pas sanctionné la première chaîne française, alors même que la
publicité clandestine est formellement proscrite sur les chaînes
hertziennes. Mais le plus incroyable est à venir : un an plus tard,
le samedi 26 juin 2004, à l’occasion d’une nouvelle gay pride,
qui revoilà ? Pascal Houzelot, toujours lui, toujours interviewé
place de la Bastille (le cadre est identique, devant la façade de
l’Opéra Bastille ; seule la publicité à l’arrière plan a changé,
mais c’est toujours celle de Pink TV, rassurez-vous)… En plein
milieu du sujet d’ouverture du 20 heures de Claire Chazal, sur le
défilé homosexuel parisien donc, le journaliste, Pierre Grange,
saisit « l’occasion de parler d’une naissance, le 25 octobre… la
première chaîne gay » pour mieux donner la parole à l’ami des
décideurs de la Une… et glisser quelques infos sur la

116
Concurrent direct de CanalSatellite, le bouquet TPS (Télévision Par
Satellite) a été lancé le 17 décembre 1996 et a fêté en décembre 2000 son
millionième abonné. A la fin juin 2003, TPS comptait 1,44 million d’abonnés
dont 1,19 million en réception directe par satellite. Depuis le 18 juillet 2002,
pour un montant de 104 M€, la participation de TF1 est passée de 50% à 66%
du capital du bouquet satellite (via le rachat des parts de Suez), les 34% du
capital restants étant la propriété de M6.

106
programmation de la chaîne tant attendue. Pour différentes
raisons, le projet porté par Pascal Houzelot n’avait pas pu sortir
des cartons en 2003, TF1 assure donc la promo en attendant que
Pink TV voit enfin le jour… Inutile de préciser que la Une est la
seule télévision hertzienne à parler ce jour là du futur lancement
Pink TV… ça ne faisait guère de doute ! Et le CSA me direz-
vous… aux abonnés absents, comme d’habitude !

Par comparaison, lorsque les présentateurs de Canal + évoquent


Vivendi Universal, ils ont l’honnêteté intellectuelle de préciser
systématiquement que Canal + est l’une des sociétés du groupe
Vivendi. A TF1, on ne s’embarrasse pas de telles précautions. La
transparence d’accord, mais d’abord chez les autres… Les
exemples de cette fâcheuse dévotion du TF1 « éditeur diffuseur
de journaux d’information » vis-à-vis du TF1 « société privée à
but lucratif propriété de Bouygues » ne manquent pas. Et cette
dérive ne date pas d’hier. En 1997, dans Les nouveaux chiens de
garde, Serge Halimi avait déjà porté à la connaissance du public
quelques exemples aussi édifiants que savoureux : « TF1 produit
Casino de Martin Scorsese avec Robert de Niro et Sharon Stone
pour acteurs principaux : le 25 février 1996, Sharon Stone surgit
à « 7 sur 7 » (…) Bouygues construit la mosquée de Casablanca
et l’aéroport d’Agadir : le roi du Maroc s’installe au journal
télévisé de TF1. Puis le monarque enchaîne avec l’émission de
Jean-Pierre Foucault, la trop bien nommée « Sacrée soirée ».
Bouygues aimerait s’occuper de plates-formes off-shore en
Angola : Jonas Savimbi fait irruption au journal de la Une.
Bouygues veut obtenir un contrat de forage de gaz en Côte
d’Ivoire (où son groupe contrôle déjà la distribution de l’eau et
d’électricité) : le président ivoirien vient au journal de TF1. »

Le 18 décembre 2003, c’est Thierry Breton qui a l’honneur et le


privilège d’être reçu par Patrick Poivre d’Arvor… mais de quoi le
PDG de France Télécom vient-il donc parler ? De l’offre de
télévision numérique dite « TPSL » que l’opérateur historique
vient de lancer, le jour même… au côté de TPS, le bouquet
satellite majoritairement détenu par TF1… Tiens donc…
L’entretien, des plus cordiaux et chaleureux, se déroule après la

107
diffusion d’un sujet sur une « technologie révolutionnaire » qui
permet de recevoir chez soi la télé via une simple prise
téléphonique. Cette fois, le journaliste ose la transparence : il
souligne dans son sujet que « TPS est détenu à 66% par TF1 » et
qu’il existe « d’autres concurrents sur le marché, comme Free,
LDCom et Cegetel », mais la minute quarante qui lui a été allouée
est surtout l’occasion de donner moult détails sur TPSL : l’offre
est disponible « dans un premier temps à Lyon puis à Paris et
dans toute la France courant 2004 » et permet de recevoir « les
grandes chaînes nationales et les chaînes thématiques […] avec
une qualité d’image et de son identique à celle du DVD ». Il est
même indiqué que le téléspectateur « peut même acheter des
programmes à la carte quand il le souhaite, que ce soit des films
de cinéma ou même le journal télévisé »… finalement, seul le
tarif n’est pas précisé ! Ouf… on avait presque l’impression de
regarder un (long) spot publicitaire avec la participation bénévole
de Nicole Fontaine, ministre déléguée à l’industrie, et
d’Emmanuel Florent, PSG de TPS, tous deux interviewés au
cours du sujet. Si la technologie en question est effectivement
« révolutionnaire », l’offre de TPS et de France Télécom l’est
beaucoup moins : car ce que PPDA et le journaliste omettent
opportunément de préciser ce soir là, c’est que, sur ce nouveau
marché, TPS et France Télécom se sont fait griller la politesse par
l’un de leurs principaux concurrents. Trois semaines plus tôt, le
1er décembre 2003, c’est en effet Free qui a allumé, avant tout le
monde, la télévision sur internet… son offre est certes moins
complète que celle de la Une (24 chaînes au départ pour Free,
48 pour TPSL) mais elle est nettement plus économique (29,99 €
mensuels avec l’accès internet haut débit contre 37 € sans accès
internet117) et surtout disponible dès le premier jour sur Paris et
une vingtaine de villes de province… alors que, pour ses débuts,

117
La différence principale entre l’offre de TPSL et celle alors commercialisée
par Free est que le client doit acquitter un abonnement à TPSL (21 €) et à
France Télécom (16 € pour MaLigne TV), auxquels s'ajoute le prix du
décodeur. Ce dernier ne permet pas d'accéder à internet, mais n'impose pas non
plus de posséder un PC pour fonctionner, contrairement à la freebox (grâce à
laquelle il est toutefois possible d’appeler gratuitement vers la France
métropolitaine).

108
TPSL ne fonctionne que sur Lyon… Mais pas question que la
filiale de TF1 puisse passer, sur sa chaîne mère, pour le Poulidor,
sympa mais à la traîne, de la télé par ADSL… et tant pis si « Free
Anquetil » a franchi la ligne en tête… les intérêts du groupe TF1
passent avant la qualité de la l’information qui est fournie, ce soir
là, aux téléspectateurs. A moins d’être spécialisé dans le domaine,
ces derniers n’y ont vu que du feu…

Dans un tout autre style, on peut aussi s’interroger sur l’intérêt


journalistique de l’interminable duplex, en plein journal de
20 heures, le samedi 26 avril 2003, entre Claire Chazal, à Paris, et
Arthur, à Nice, destiné à promouvoir « Nice People », la nouvelle
émission phare de la Une produite par Endemol et lancée ce soir-
là118 pour faire oublier que M6 avait volé la vedette à la TF1
pendant deux longs printemps (2001 et 2002) avec son « Loft
Story »... à y regarder de plus près, les duplex semblent être
d’ailleurs devenus, depuis un certain temps, la règle pour
s’assurer que le téléspectateur ne décroche pas de la Une après le
JT : le 20 octobre 2001, déjà, c’est Nikos Aliagas qui est chargé
de battre le rappel pour la première d’une toute nouvelle
émission… la Star Ac’ ! Le 22 mai 2004, c’est Charles Aznavour,
cette fois, qui vante, en duplex du Palais des Congrès de Paris et
toujours sous l’œil bienveillant de la présentatrice du 20 heures le
week-end, le concert qu’il va offrir quelques minutes plus tard en
direct, aux spectateurs de la Une, à l’occasion de son quatre-
vingtième anniversaire119. Il faut être clair : ce n’est en aucun cas
de l’info, c’est de la promo. Ni plus ni moins. Quatre mois plus

118
Le succès de ce premier « prime » en direct de la « villa » fut d’ailleurs
assez mitigé : Nice People réunit ce soir là 6,87 millions de téléspectateurs
pour 34,9% des parts d'audience, ce qui est mieux que le premier « prime » de
Loft Story 1 (5,2 millions de téléspectateurs soit 26,1% de part d'audience),
mais nettement moins bien que celui de Loft Story 2 (8,2 millions pour 37,5%
de part d'audience). Par comparaison, ils avaient été 5,4 millions de
téléspectateurs à suivre la première de la Star Academy saison 1, 6,5 millions
à regarder le prime d’ouverture de la Star Ac’ 2 et 6,4 millions à passer leur
soirée devant la première de la Star Ac’ 3.
119
Un petit coup de pub et hop, ils sont 6,3 millions de téléspectateurs (soit
36,5% auprès du public de 4 ans et plus), à passer leur soirée devant TF1,
arrivée en tête des audiences de prime time.

109
tôt, le 24 janvier 2004, c’est Anthony Kavanagh, en direct de
Cannes, qui s’y collait pour vendre la soirée de TF1, à savoir la
remise des NRJ Music Awards. Et, cerise sur le gâteau, ce sont
les élèves de la Star Académy, montant les marches, qui étaient à
l’image, comme par enchantement, lorsque Anthony Kavangh
jouait son rôle de commercial… Ou comment faire d’une pierre
deux coups…

Il faut dire que le journal de la Une est en quelques sorte la


deuxième maison des élèves de la Star Académy, après bien-sûr
le fameux château de Dammarie-lès-Lys où ils passent seize
longues semaines sous l‘œil de 41 caméras, dont 4 infrarouges
(contre seulement 36 caméras dont trois infrarouges pour Loft
story, les petits joueurs…). Il y a en effet myriade de sujets
consacrés à la « Star Academy » et à ses chanteurs à la voix
cassée, diffusés dans les JT de la Une. Quelques exemples de
reportages passés en semaine au JT de 13 heures de Jean-Pierre
Pernaut et parfois de Jacques Legros, entre l’automne 2001 et le
printemps 2004 : Elodie sort son premier album (8 mars 2004)120,
les habitants de Cosne sur Loire fêtent Elodie (22 décembre
2003), début de la tournée de la « Star Ac » (17 avril 2003), gros
plan sur un fan de Jennifer (12 mars 2003), dernières répétitions
avant la tournée (13 février 2003), dernière journée au château
(20 décembre 2002), premiers pas sur scène de Jennifer
(16 octobre 2002), Jennifer l’artiste de l’été (29 août 2002),
Jennifer sort son premier disque (22 mars 2002), disque de
diamant pour les apprentis chanteurs de la Star Ac’
(21 décembre 2001). Le week-end, c’est chez Claire Chazal et,
exceptionnellement chez Laurence Ferrari, que les Star
Académiciens trouvent régulièrement refuge : Elodie, gagnante
de la Star Ac (21 décembre 2003 à 13h), 1ere journée d’après

120
Ce midi là, le journaliste n’y est pas allé de main morte dans son
lancement : « très bel album », « une voix et un sourire qui nous a envoûté »…
Et comme si ça ne suffisait pas, JPP ne s’est pas gêné pour présenter, une fois
le sujet diffusé, le CD en question. Histoire sans doute que les acheteurs
potentiels attablés devant leur poste ne se trompent pas d’album une fois qu’ils
se retrouveront dans le rayon « chansons françaises » de leur hypermarché
préféré.

110
Star Ac pour Elodie et Michal (suivi d’un long plateau en direct
avec Elodie, le 21 décembre 2003 à 20h), visite des coulisses du
plateau sur lequel s’affronteront Michal et Elodie (20 décembre
2003), Nolwenn : une star est née (3 janvier 2003), rencontre
avec Nolwenn, la grande gagnante de Star Academy
(22 décembre 2002), portrait des deux finalistes : Nolwenn et
Houcine (21 décembre 2002), Jennifer et la Star Ac chantent
pour l’opération Pièces Jaunes (duplex avec Anne Barrère en
direct de Chambéry, le 26 janvier 2002), Jennifer défile pour
Torrente en robe de mariée (21 janvier 2002)… là encore, la liste
(certainement et malheureusement non exhaustive) est longue !
Seul PPDA a manifestement refusé de céder, considérant sans
doute, et à juste titre, que les reportages sur Jennifer, Nolwenn,
Elodie et compagnie n’avaient pas leur place dans un JT télévisé,
mis à part dans feu « Exclusif »121 : à ma connaissance, il n’a
« pêché » qu’une seule fois, et encore, seulement de manière
indirecte, en consacrant un authentique reportage aux écoles
spécialisées qui ne peuvent suivre le phénomène Star
Académy122… Cette déferlante de sujets ne se comprend que si
l’on sait que TF1 a tout intérêt à entretenir le phénomène « Star
Ac’ », même une fois achevée la diffusion de l’émission,
programmée à l’automne pendant 13 semaines (le samedi ou le
vendredi en prime time et en quotidienne à 18 heures pour les
deux premières saisons, à 19 heures pour la troisième). TF1 tire,
en effet, de fantastiques profits de la vente des innombrables
produits dérivés (magazines en vente dans en kiosque toute
l’année, même en dehors des périodes de diffusion de la « Star
Ac’ », vêtements, papeterie, CD, DVD…) où sont mis en valeur,
d’une manière ou d’une autre, les élèves qui se sont joyeusement
fait enfermer (de leur plein gré) dans le château seine et marnais
des Vives Eaux, à Dammarie-les-lys123. En 2003, ce sont plus de
20 millions d'euros de recette sur les produits dérivés Star Ac' que

121
Journal télévisé orienté « people » programmé jusqu’en juin 2002 sur TF1,
en fin d’après-midi.
122
Sujet diffusé le 23 janvier 2003.
123
Pour en savoir plus, voir le magazine de Benoît Duquesne, « Compléments
d’enquête », diffusé le lundi 10 novembre 2003 sur France 2.

111
TF1 aurait encaissé124. Star Ac Magazine, lancé en décembre
2001 et tiré depuis à 300.000 exemplaires douze mois sur douze,
est devenu l’un des tous premiers magazines pour adolescents (il
s’est même hissé dans les dix meilleures ventes de magazines, en
France, toutes catégories confondues) avec, déjà, plus de
5 millions d’exemplaires vendus125… TF1 se partage également
les monumentales recettes générées par les très lucratifs disques
signés par les élèves de l'Academy avec Universal Music (la
société présidée par Pascal Nègre représente habituellement 37%
des ventes de disques en France, mais a réussi à porter sa part de
marché à 55% lors des fêtes de fin d'année 2002 grâce à la
coédition des disques de « Star Academy »126) et Endemol (la
société qui produit la « Star Ac’ »127)… Entre janvier et juin
2003, TF1 Musique a ainsi vendu plus de 5 millions de singles et
d’albums chantés par les participants de la « Star Academy 2 »…
On comprend mieux, dès lors, pourquoi tant de reportages,

124
Sources : realTV.net, ftpk.net
125
Produits dérivés, le maillon fort de TF1, Mohammed Aïssaoui, supplément
Figaro Entreprises du lundi 10 novembre 2003.
126
La télé-réalité à la conquête du monde musical, Véronique Mortaigne,
Le Monde daté du 31 janvier 2003.
127
Endemol France, filiale du néerlandais Endemol (représentée en France par
Arthur et Stéphane Courbit) est le plus important fournisseur de programmes
de flux pour la télé hexagonale. A son actif : « Nice people », « les Enfants de
la télé », « la Fureur », « 120 Minutes de bonheur », « Stars à domicile »,
« le Bigdil », « Plein les yeux », « Exclusif », « Toutes les chansons ont une
histoire », « Fear Factor » (TF1), « Loft story », « Hit Machine »,
« les Moments de vérité » (M6), « le Vrai Journal » (Canal +), « On ne peut
pas plaire à tout le monde » (France 3), « le Bonheur est dans le pré » (France
5), « la Grosse Emission » (Comédie)... Pour la période septembre 2003 - juin
2004, selon un classement publié en novembre 2003 par Ecran Total effectué à
partir des grilles actuelles et des contrats annoncés, Endemol devrait produire
en moyenne 26 heures et 48 minutes par semaine, soit 1072 heures pour la
période considérée (total en baisse de six heures par rapport à la saison
précédente). Loin derrière Endemol France, on retrouve Réservoir Prod.,
le groupe de Jean-Luc Delarue, en deuxième position avec 16 heures et
32 minutes par semaine (soit 661 heures pour la saison) puis Lagardère Active,
en troisième place avec près de 15 heures de programmes par semaine (soit
596 heures pour la saison), suivi de Fremantle Media avec 11 heures et
23 minutes et de StudioExpand, filiale du groupe Canal+, cinquième avec
8 heures et 22 minutes.

112
difficilement défendables d’un point de vue strictement
journalistique mais pourtant diffusés pendant les grand-messes du
13 heures ou du 20 heures, sont consacrés à ces stars éphémères,
fabriquées de toute pièce par le petit écran128.

Mais TF1 n’est pas toujours aussi prolixe. La première chaîne


peut, en effet, se montrer particulièrement avare en reportages
lorsqu’il s’agit, par exemple, de traiter des affaires judiciaires
concernant ses propres dirigeants ou son principal actionnaire.
Sur ce thème, la pudeur est de mise. Pas un mot, le
mardi 7 novembre 1995, lorsque Patrick Le Lay, le numéro 1 de
TF1, est placé en garde à vue pour une affaire de pot de vin. Six
semaines plus tard, le 19 décembre, c’est au détour d’une brève
sibylline que les téléspectateurs de la Une apprennent que le siège
de Bouygues a été perquisitionné et que son PDG a été entendu
par les policiers : « Martin Bouygues entendu à Nanterre par les
policiers de Lyon dans le cadre d’une enquête sur les comptes en
Suisse de l’homme d’affaires Pierre Botton. Perquisition au siège
du groupe. »129 On remarque là la discrétion de PPDA, lequel ne
se donne même pas la peine de préciser les soupçons qui pèsent
alors sur Martin Bouygues ; les policiers de la division financière
du SRPJ de Lyon interrogent pourtant ce dernier sur la
destination finale d’une coquette somme de 2 MF, virée par le
groupe Bouygues sur les comptes suisses de Pierre Botton.
Courte brève encore lorsque, trois jours plus tard, le fils de
Francis Bouygues est finalement mis en examen pour abus de

128
Globalement, depuis la privatisation de la Une, les revenus issus de la
diversification n’ont jamais cessé de prendre de l’ampleur : de 8 % du chiffre
d’affaires en 1988, on est passé à 16 % en 1994, à 30 % en 2000 et à 43% en
2002. La barre symbolique des 50 % n’est plus très loin... la filiale de
Bouygues a clairement réussi à se constituer une source de revenus alternative
à la publicité. Pour le premier semestre 2003, l’ensemble baptisé
« Diversifications et divers » a pesé 574 millions d’euros, soit 41% du chiffre
d’affaires de la Une (TPS et Eurosport inclus). Sur la même période, la partie
« Publicité Antenne TF1 » représentait, quant à elle, 835 millions d’euros.
Source : Produits dérivés, le maillon fort de TF1, Mohammed Aïssaoui,
supplément Figaro Entreprises du lundi 10 novembre 2003.
129
Cité par Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Liber – Raisons
d’agir, 1997, page 35.

113
biens sociaux. Ce soir-là, c’est Claire Chazal qui s’y colle : ...
« Sachez encore que, dans le cadre du dossier des comptes en
Suisse de Pierre Botton, Martin Bouygues, le président du groupe
Bouygues, a été mis en examen pour recel de biens sociaux »130.
Autant de développements judiciaires dont la presse avait fait ses
gros titres131, mais sur lesquelles TF1 n’avait pas jugé bon de
s’attarder. « Dire la vérité. Même si ça coûte. Surtout si ça
coûte » : le mot d’ordre prêté à Hubert Beuve-Mery, le fondateur
du Monde, n’est manifestement pas de rigueur sur la Une. La
plupart des téléspectateurs l’ignore, mais TF1 a tout de même été,
fait pour le moins rarissime dans les annales de la presse
française contemporaine, condamnée à deux reprises par la justice
française, dans les années 90, pour avoir manqué d’« objectivité »
et d’« honnêteté » dans ses tranches d’information132… Et dire
que la première chaîne française est toujours la télévision à
laquelle une très large partie des Français (41%) font le plus
confiance. Ils sont même 46% à considérer la Une comme étant la
source d’information la plus fiable, l’organe d’information le plus
insoupçonnable, très loin devant le service public ou la presse
écrite133. Il n’est jamais trop tard pour ouvrir les yeux…
130
Cité par Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Liber – Raisons
d’agir, 1997, page 35.
131
Entre le 19 et le 23 décembre 1995, Le Monde consacrera quatre articles
complets aux déboires judiciaires de Martin Bouygues. Libération cinq (voire
six, si l’on compte le long portrait du PDG publié le 23 décembre).
132
Le 25 janvier 1990 la cour d'appel de Lyon a condamné TF1 pour
manquement à sa mission « de servir l'intérêt général, en assurant l'honnêteté,
l'indépendance et le pluralisme de l'information ». Quatre ans plus tard, c’est
le TGI de Paris qui constate, le 8 juin 1994, que TF1 a manqué d'objectivité
dans un reportage consacré au village drômois de Suze-la-Rousse.
133
Si l'on en croit le 17e baromètre TNS-Sofres réalisé pour La Croix et Le
Point les 14 et 15 janvier 2004 auprès de 1000 personnes, 41 % (+1 par rapport
à 2003) des sondés ont répondu TF1 à la question « A quelle chaîne de
télévision faites-vous le plus confiance comme source d’information ? ».
France 2 (22 %, +1), France 3 (14 %, =), Arte (11 %, +1) et M6 (2 %, -2)
arrivent bien après. Un an plus tôt, dans une enquête CSA similaire, les
résultats avaient déjà été sensiblement identiques : 46% des personnes
interrogées avaient répondu TF1 à la question « A quel média faites-vous le
plus confiance ? » Venaient ensuite pour 36% leur quotidien régional, puis
France 2 (27%), France 3 (21%), et Le Monde (14%) qui arrivait ainsi en tête
des quotidiens nationaux. RTL, première radio, était sixième de ce classement

114
Plus près de nous, que penser encore lorsque JPP consacre
21 ridicules petites secondes, le lundi 29 septembre 2003, lâchées
entre un long portrait d’une personne âgée « isolée » et un sujet
consacré à la mise en place d’une unité de vie familiale à la
prison de Rennes, à « l’ouverture cet après-midi à Nanterre du
procès des emplois fictifs du RPR. Parmi les 27 personnes
invitées à comparaître, une majorité de chefs d’entreprise mais
aussi des hommes politiques comme le président de l’UMP, Alain
Juppé. Ce procès porte sur des salaires de permanents du RPR
payés par des entreprises privées et par la mairie de Paris entre
1988 et 1995. Les débats devraient durer une quinzaine de
jours. »134 ? Un propos pour le moins concis (et au vocabulaire
bien choisi : le terme « invité » n’est pas anodin) alors que
l’ensemble de la presse écrite135 et audiovisuelle a fait ses gros
titres sur ce procès tant attendu après huit ans de procédure… Et
pour ne rien arranger, TF1 a décidé d’illustrer cette courte brève
par ce que l’on appelle un « off », c’est-à-dire un montage
d’images diffusé pendant que le présentateur livre l’information,
les yeux rivés sur son prompteur (excepté JPP, si vous vous
souvenez bien). Jusque-là rien d’anormal, me direz-vous. Sauf
que les images choisies, sans doute captées lors des dernières
universités d’été du parti chiraquien, sont celle d’un Alain Juppé

avec 11%. Le premier hebdomadaire évoqué était le Nouvel observateur (5%).


Parmi les quotidiens, 5% des sondés citaient le Figaro et le Parisien,
4% Libération et 1% Les Echos, France-Soir et L'Humanité. Le Canard
enchaîné recueillait également 1%. Le total est supérieur à 100%, les sondés
ayant pu fournir plusieurs réponses (sondage CSA effectué entre les 26 et
27 février 2003, auprès d'un échantillon national représentatif de
1003 personnes de 18 ans et plus, suivant la méthode des quotas).
134
Texte intégral.
135
« Droit dans son box » titre Libération en Une le lundi 29 septembre 2003
avant de consacrer trois pages au procès ; Autre Une, celle du Parisien :
« Emplois fictifs, Juppé : l’épreuve », suivi de deux pages complètes sur le
sujet ; Le Figaro (« A Nanterre, le procès des emplois fictifs du RPR »),
Le Monde (« Le procès du financement de l’ex-RPR » et « La fidélité d’Alain
Juppé à l’épreuve ») et les Echos (« Procès Juppé ») se sont, eux, contentés
d’un appel en Une tout en consacrant de nombreux papiers à l’ouverture des
débats au tribunal de Nanterre (deux pages pleines pour le Monde, une pour
le Figaro).

115
triomphant, tout sourire, bras levés, acclamé par des militants
UMP… laissant ainsi entendre que l’ancien Premier ministre
attend très sereinement le procès : comment un homme si
détendu, si souriant à l’image peut-il avoir quelque chose à se
reprocher ?? S’il se comporte de la sorte, c’est qu’il
a manifestement l’esprit tranquille, donc qu’il est blanc comme
linge dans cette histoire ! Les images parlent d’elles-mêmes… La
manipulation est subtile, peut-être involontaire ou inconsciente
(pour une fois, accordons à la Une le bénéfice du doute) mais son
effet est garanti. Dans l’esprit des téléspectateurs déjeunant
devant JPP ce midi là (surtout ceux qui n’ont eu ni le temps ni
l’envie d’étudier de plus près le complexe et volumineux dossier
des emplois fictifs de la RPR et de la Mairie de Paris), Alain
Juppé est innocenté avant même d’avoir été jugé… Ou comment
ne pas fâcher le pouvoir en place… et préserver ainsi les marchés
publics de la maison mère… Au final, durant toute la première
semaine du procès, JPP ne s’est pas vraiment attardé sur les
débats et les révélations des chefs d’entreprise et des anciens
cadres du RPR… puisque aucun reportage complet ne leur a été
consacré alors que, dans le même temps, le 13 heures prit le
temps de diffuser des sujets sur des thèmes variés -et absolument
pas poujadistes- tels que à quoi sert un député ?136,
l’augmentation vertigineuse des impôts locaux en Haute-
Corse137, la jungle fiscale européenne138 ou encore la taxe
foncière représente une lourde charge pour les familles139… Le
20 heures de PPDA, Thomas Hughes (le jeudi,
exceptionnellement) et Claire Chazal (le vendredi) a fait, lui, un
peu mieux, avec deux reportages sur le procès, diffusés le lundi et
le vendredi, ce qui ne représente malgré tout que trois petites
minutes en cinq jours…

Cette manie de ne surtout pas froisser le pouvoir en place, et


notamment lorsqu’il est de droite, est presque aujourd’hui un
réflexe. Toujours à la pointe de l’information, TF1 a ainsi tout

136
Reportage diffusé le mardi 30 septembre 2003.
137
Reportage diffusé le jeudi 2 octobre 2003.
138
Reportage diffusé le mercredi 1er octobre 2003.
139
Reportage diffusé le mercredi 1er octobre 2003.

116
fait pour minimiser l’affaire Gaymard, en février 2005. Pendant
neuf jours, le Ministre de l’Economie, fraîchement nommé à
Bercy après la démission de Nicolas Sarkozy, est au cœur de la
tourmente médiatique pour avoir logé sa famille (nombreuse)
dans un somptueux duplex de 600 m² à deux pas des Champs-
Élysées... au frais du contribuable. Pour un ministre qui déclarait
quelques jours plus tôt « que les Français doivent se
désintoxiquer de la dépense publique »140, les 14.000 euros de
loyer mensuel à la charge de l’Etat font plutôt désordre (surtout
lorsqu’on est soi même propriétaire d’un appartement de 200 m²
dans le 6eme arrondissement de Paris, loué 2.300 euros par
mois)… c’est en tout cas l’avis unanime de la presse nationale et
internationale. Mais sur TF1, la prudence est de rigueur : en
pleine tempête médiatique, mercredi 16 février, le cas Gaymard
n’est abordé qu’à 20h25, en quatorzième place (sur 22 sujets
traités)… alors qu’il a fait l’ouverture de la totalité des journaux
radio et télé tout au long de la journée. Le lendemain, rebelote :
c’est par le biais d’une brève sibylline, « aussi soignée que
pudique »141, que PPDA annonce, après vingt bonnes minutes de
JT, que Hervé Gaymard a décidé de mettre les voiles (ce qui est
pourtant peu recommandé en pleine tempête…) et donc de quitter
son duplex pharaonique : « Les suites de l’affaire Gaymard, qui a
décidé de déménager de son logement de fonction, à la suite des
nouvelles règles édictées hier par Jean-Pierre Raffarin. Deux
membres du gouvernement vont régler une partie de leur loyer. Il
s’agit de Frédéric de Saint-Sernin et de Jean-François Copé, et
un troisième, Laurent Hénard, va déménager. »142 Dix-huit
secondes d’information percutante ! Merci TF1… Les
téléspectateurs de la Une qui découvrent Hervé Gaymard, deux
jours plus tard, le vendredi 25 février, sur le plateau du 20 heures
de Claire Chazal, pour un entretien vérité, ont dû se gratter la tête,
persuadés d’avoir manqué un épisode. Le Ministre venait de
démissionner dans l’après-midi, vilipendé par l’opinion et
abandonné des siens… excepté par la Une, qui, jusqu’au bout,
aura tout fait pour sauver de la noyade l’enfant chéri de Jacques
140
Déclaration faite le mercredi 19 janvier 2004, sur LCI.
141
Le canard enchaîné du 23 février 2005.
142
Texte intégral.

117
et Bernadette, l’ultime espoir de la Chiraquie face au bouillonnant
Sarkozy : à en croire Le Canard enchaîné du 2 mars 2005, c’est
en effet Jean-Claude Narcy himself, directeur adjoint de
l’information de TF1, qui a été dépêché en catastrophe à Bercy,
l’après-midi même de l’interview, pour assurer un media training
au ministre en partance. On croit rêver…

A contrario, lorsque Bouygues peut se payer le scalp de l’un des


principaux concurrents sur l’autel de la Une, pas d’hésitation à
avoir. On met le paquet ! Un exemple probant parmi d’autres,
celui du traitement de la catastrophe de Roissy, dans la semaine
qui suivit l’effondrement d’une partie du terminal 2E, fin mai
2004. Interview par PPDA de l’architecte et concepteur du
Terminal, Paul Andreu, le 26 mai, sujets à la pelle dès le 24 à
midi… avec à chaque fois les mêmes interrogations, récurrentes,
presque obsédantes : « ADP n’a-t-il pas mélangé les genres en
étant à la fois maître d’œuvre et maître d’ouvrage », « Défaut de
réalisation ou de conception ? » ? Bien-sûr, le questionnement
est légitime mais le zèle investigateur, plutôt inhabituel, qui
prévaut pendant plusieurs jours est intrigant. Car il ne faut pas
oublier que Bouygues et ADP (Aéroports de Paris) se disputent à
l'international le marché naissant de la gestion privée des
aéroports. Quelques jours plus tard, le 28 mai à 20 heures, c’est
avec une étrange délectation, que Claire Chazal en rajoute une
couche sur ADP et sur le décidément malheureux Paul Andreu,
accusés cette fois de corruption et d’abus de confiance par un
corbeau anonyme dans le cadre de la construction de l’opéra de
Pékin (accusations démenties par ailleurs dès le lendemain des
Chinois offusqués et vexés). L’information aurait pu justifier une
brève mais non, c’est un sujet complet qui est lancé par la
présentatrice. Une minute et dix secondes pour informer les
téléspectateurs de l’ouverture, huit mois auparavant, d’une
information judiciaire, voilà qui est plutôt original et
particulièrement novateur pour une chaîne qui se targue de
privilégier « le caractère évènementiel de l’info »143, c’est à dire
143
Lire à ce propos l’entretien accordé au Figaro économie par Robert
Namias, paru le 16 janvier 2004. Le directeur de l’information de la Une y
déclarait notamment : « Que l’actualité se déroule en France ou ailleurs, ce

118
l’info brûlante, pas celle qui a déjà une presque une année dans la
vue... Plusieurs chroniqueurs se sont d’ailleurs émus du
traitement réservés à ADP sur TF1 dans les jours qui suivirent le
drame de Roissy : Daniel Schneidermann dans Libération144, et
Philippe Meyer sur France Culture145, notamment. Le CSA, quant
à lui, dormait apparemment paisiblement sur ses deux oreilles…

Fort heureusement, il reste toujours France 2, France 3 et


Canal Plus pour comparer, le plus souvent possible, les différents
points de vue télévisuels, a priori plus honnêtes, sur l’actualité.
Tout en demeurant méfiant, il ne faut pas être naïf… les pressions
politiques ou économiques pèsent bien évidemment sur ces
rédactions, y compris sur celles du service public. Mais la
transparence y est tout autre : sur France 2 ou France 3, les
syndicats et les sociétés de journalistes sont beaucoup plus
combatifs que sur TF1. Dès lors, les infos éventuellement
« trappées » ou minorées, les dérives éventuellement constatées
(dans le choix des personnalités politiques invitées ou plus ou

n’est pas un critère à nos yeux. Pour nous, ce qui compte, c’est le caractère
évènementiel de l’info. Et cela, je l’assume pleinement. »
144
Dans sa chronique intitulée Roissy : les petits rien de TF1 et parue dans
Libération le 28 mai 2004, Daniel Schneidermann écrivait : « Bouygues et
ADP : ces deux-là se connaissent, se pratiquent, se surveillent. Aux quatre
coins du monde, ils savent qu'ils vont se retrouver et se combattre. Rien à dire.
Ce sont les affaires. Sauf que Bouygues dispose d'un avantage sur ADP : elle
possède une chaîne de télévision, elle. Et elle s'en sert. Certes pas
ostensiblement. Certes avec discrétion et compassion. Certes à coups de petits
riens : un temps d'antenne insensiblement plus long, l'invitation en plateau
d'un architecte bouleversé. Peut-être a-t-on rêvé, d'ailleurs. [...] Dans le
doute, guère d'autre solution que de continuer à être attentif à ces petits
riens. »
145
Dans « L'esprit public », diffusé sur France Culture le 30 mai 2004, le
chroniqueur s’en prit violemment à TF1… et à l’immobilisme du CSA :
« Peut-être pourrait-il aussi, s'il a le temps, regarder la télévision, regarder
TF1 […] et se demander s'il est bien normal que TF1, qui appartient à une
entreprise de bâtiment et de travaux publics, dise autant de bien de l'entreprise
de bâtiment et de travaux publics à laquelle elle appartient, notamment dans
un sujet récent à propos d'un hôpital construit en Afghanistan, et autant de
mal d'une société concurrente, notamment dans plusieurs sujets récents à
propos du très fâcheux effondrement d'une aile d'un bâtiment de l'aéroport de
Roissy. »

119
moins « imposées » dans les journaux par exemple) et les coups
de fil « amicaux » éventuellement reçus par l’encadrement sont
instantanément connus du grand public par le biais de
communiqués internes (qui sont généralement repris dans les
pages médias des grands quotidiens nationaux) ou d’articles dans
le Canard enchaîné pour les cas les plus sensibles. Ce fut le cas
par exemple durant la canicule de l’été 2003 lorsque Matignon fit
pression, le jeudi 14 août, pour que France 3 ne diffuse pas un
sujet dans lequel on pouvait voir le Premier ministre refuser de
répondre à une question embarrassante, mais néanmoins
pertinente : le journaliste en question, Fabrice Turpin, avait
« osé » demander au Premier ministre si le gouvernement n'avait
pas eu « un retard à l'allumage » dans sa gestion de la crise. C'est
à sa sortie d'une réunion de crise sur la canicule, alors qu'il
rejoignait son bureau, que Jean-Pierre Raffarin avait été hélé par
l'équipe de France 3, la seule présente sur les lieux à ce moment
(le service de presse avait précisé qu'aucune communication ne
serait faite). Surpris, le Premier ministre avait fait mine de ne pas
entendre la question pour mieux disparaître en s'entretenant avec
ses conseillers. L’image était forte : la fuite du premier ministre
portait évidemment un sérieux coup de canif dans le plan de
communication du gouvernement, déjà soupçonné de passivité
face à la crise sanitaire provoquée par la canicule. Face à un tel
« forfait », un tel crime de lèse-majesté, le sang du conseiller en
communication de Matignon, Dominique Ambiel, ne fit qu'un
tour : un numéro à dix chiffres plus tard, c'est à Marc Tessier en
personne, le président de France Télévisions, qu'il enjoignait de
ne pas diffuser les images importunes. Autrement dit d’empêcher
la diffusion du reportage. En vain. Yves Bruneau, directeur
adjoint de la rédaction de France 3, mettait sa démission dans la
balance et obtenait gain de cause : le sujet en question fut
finalement diffusé dans le 19/20, le Soir 3 jeudi soir, et fut même
repris dans le journal de 13 heures de France 2, le lendemain
vendredi. Dans les jours qui suivirent, Libération et Le Monde,
particulièrement bien informés, se firent l’écho de toute
l’affaire… Au final, c’est donc un peu l’histoire de l’arroseur
arrosé. Et si le couperet de la censure manqua sa cible, c’est grâce
à la mobilisation de toute une rédaction, déterminée à faire son

120
travail en toute indépendance malgré les injonctions externes
répercutées en interne par la présidence de France Télévision :
une telle issue est difficilement imaginable sur TF1 où la vérité
vient toujours des étages supérieurs de la tour de Boulogne146.

Autre exemple éloquent, celui du traitement du départ présumé


d’Alain Juppé, à la suite de sa condamnation, en première
instance, à dix-huit mois de prison avec sursis et dix ans
d'inéligibilité dans l’affaire des emplois fictifs de la Mairie de
Paris : lorsqu’il ouvre le journal télévisé, le mardi 3 février 2004
à 20 heures, David Pujadas affirme que l'ancien Premier ministre
a décidé de se retirer de la vie politique. Sous le titre écrit « Alain
Juppé le retrait », David Pujadas annonce à ses 5,17 millions de
téléspectateurs : « Alain Juppé a tranché. Après sa
condamnation, il a décidé de prendre du champ avec la vie
politique pour se consacrer au combat judiciaire. Un retrait qui
sera progressif ». Des contacts pris avec des proches du maire de
Bordeaux jusqu’à quelques instants avant le début du JT,
semblent en effet indiquer qu’Alain Juppé va quitter la vie
publique. Mais au même moment, ce même Alain Juppé,
interviewé sur la chaîne privée rivale, TF1, dit très précisément le
contraire aux 11,9 millions de personnes qui l’écoutent d’une
oreille plus ou moins distraite. Contraste. Le présentateur venu de

146
Depuis la reprise en main de la rédaction de TF1 au début des années 90,
les journalistes se sont très rarement révoltés… et encore plus rarement pour
des motifs éditoriaux. Ainsi, le mardi 3 mai 2005, c’est pour s’élever… contre
les « fils à papa » ( !) que près de 80 salariés se sont réunis en Assemblée
générale clandestine (initiative ô combien exceptionnelle) dans un bar à
proximité de la tour Bouygues... une réunion en catimini pour évoquer le cas
Guillaume Debré (fils d’un certain Jean-Louis, président depuis 2002 de
l’Assemblée Nationale) contre lequel une cinquantaine de journalistes sont
allés jusqu’à signer un texte de protestation. Son arrivée annoncée à
Washington en tant que troisième correspondant de la chaîne n’était
apparemment pas été du goût de tous, alors que Robert Namias avait annoncé
une pause dans les recrutements (après l’embauche de sept ultimes cartes de
presse). Une semaine plus tard, le 10 mai, Robert Namias assurait aux trois
délégués syndicaux qu’il venait de recevoir que le poste de Washington serait
pourvu, comme à l'habitude, au terme d'un appel à candidatures. Mini-
révolution à la Une : la base fait plier la tête…

121
LCI a beau essayé de rectifier le tir en fin de journal, sans pour
autant jamais prononcer le mot TF1, en évoquant un « retrait,
mais un retrait progressif, un retrait partiel et surtout un retrait
qui n'est pas définitif d'Alain Juppé », le mal est fait. Les
différents journaux, Libé et le Monde en tête, s’emparent dès le
lendemain de l’affaire et sous la pression des syndicats de
journalistes SNJ, USJ-CFDT et SNJ-CGT de France 2 (qui
accusent l'encadrement de la rédaction de la chaîne d'avoir
commis une « faute professionnelle ») David Pujadas, sur France
5 dans « Arrêt sur Images », et Olivier Mazerolle (le directeur de
la rédaction) sur France 2 dans « L’hebdo du médiateur »,
reconnaissent alors leur erreur. Insuffisant pourtant aux yeux de
la majorité des journalistes de la chaîne publique : le
mardi 10 février, ils sont 242 à voter une motion de défiance (soit
67,4 % des 440 cartes de presse exerçant sur France 2) à
l'encontre de leur directeur de l'information Olivier Mazerolle…
lequel démissionne le lendemain. Quant à David Pujadas, qui fait
également l'objet, avec l'ensemble de l'équipe du 20 heures, d'une
motion de défiance votée à 69,63%, il est suspendu pour deux
semaines. Toute cette agitation, ces mea-culpa faits en direct à
l’antenne (David Pujadas qui présente ses excuses le jeudi 4 en
ouverture du 20 heures, Olivier Mazerolle soumis à la question
sur sa propre antenne par des téléspectateurs mécontents dans
« L’hebdo du médiateur » le samedi 6), cette médiatisation de la
gestion interne de la crise et les conséquences non négligeables
qui s’en suivent, sont tout bonnement impensables sur la Une :
rappelons seulement le sort qui avait été réservé à Patrick Poivre
d’Arvor lorsque fut découverte la supercherie à propos de sa
vraie-fausse interview de Fidel Castro. Le soir même il était à
l’antenne, comme le lendemain, le surlendemain etc… comme
s’il n’était rien arrivé. Quand il y a faute sur le service public, le
plus souvent par précipitation ou par emballement pour ne pas
perdre la face vis-à-vis de la Une plus que par volonté de
désinformer ou de servir ses intérêts propres (comme la Une vis-
à-vis de Bouygues), il y a sanction. Et lorsqu’elle ne vient pas
spontanément de la direction de la chaîne, la Société des
Journalistes de la chaîne, garante d’une information rigoureuse et
non-dénaturée, veille. Un tel garde-fou collectif n’existe pas,

122
n’existe plus que la Une depuis que la rédaction a été reprise en
main au début des années 90. Sur le service public, c’est une
garantie précieuse pour le téléspectateur.

Sur Canal Plus, le problème est différent : hormis le court JT de


midi et le magazine « Lundi investigation », l’information est
clairement subjective comme les présentateurs et producteurs du
regretté « Vrai journal » ou du feu « Contre-journal » l’ont
toujours revendiqué explicitement. Interrogé dans le supplément
radio-télé du Monde daté du 29-30 mars 1998, sur le degré de
censure qu’il encourait dans son « Vrai journal », Karl Zéro
expliquait, sans fard, à la suite de la prise de contrôle récente de
Canal Plus par la Compagnie générale des Eaux (la CGE,
l’ancêtre de Vivendi), que « l’accord de départ, avec Pierre
Lescure et Alain de Greef, spécifiait bien qu’il y avait trois sujets
sur lesquels on ne pouvait pas enquêter : le football, le cinéma, la
CGE. Cela dit, ces interdits ne me posent pas de problème. Je
trouve normal qu’un diffuseur ait ses exigences. Si on veut avoir
une totale indépendance, il faut faire une télé pirate. Cet accord
limite un peu nos ambitions, mais c’est comme ça partout. Moi,
j’ai simplement le courage de le dire. » Le téléspectateur sait
donc à quoi s’en tenir lorsqu’il regarde Canal +. Libre à lui de
faire ensuite son choix, en toute connaissance de cause, de la
même façon qu’un lecteur choisit ou non de lire Libération, Le
Figaro, L’Humanité etc… TF1 prétend, de son côté, produire une
information honnête et objective, ce dont on peut très
honnêtement douter. Le parti pris pour Michel Noir lors des
municipales de 1989 ou pour Edouard Balladur lors des élections
présidentielles de 1995 est là pour le rappeler, au-delà des
anecdotes et des exemples énumérés dans les différents chapitres
de cet ouvrage. Une chose est sûre en tout cas : TF1 version
Bouygues, ce n’est plus pour moi une option au moment de
zapper pour regarder les informations télévisées. Ce n’est plus
qu’un épisode de ma vie. Bref certes, mais que je ne suis pas près
d’oublier. Une expérience, une simple expérience.

123
124
Remerciements

à Vince pour avoir supporté mes fulgurances TF1


lors de nos vacances réunionnaises

à Claire, Guenaëlle, Françoise, Alexandre, Jean-Guillaume, Gaël,


Abdel, Patrick pour leurs précieux conseils et concours

à Guy et à son regretté MacBook Pro (celui qui faisait les crêpes)

à mes amis pour m’avoir remonté le moral au sortir


de ces huit semaines passées à TF1

à l’IPJ pour m’avoir permis de vivre cette expérience unique

à la rédaction de TF1 pour s’être livrée sans fard


pendant ces huit semaines

125
126
Pour alimenter votre réflexion…

Pierre Péan et Christophe Nick, TF1, un pouvoir, Paris, Fayard,


1997, l’ouvrage de référence sur le monde magique de TF1. Pas
vraiment de scoop dans ce pavé (dans la mare) de 696 pages,
mais une foule d'informations sur les coulisses de la chaîne, les
luttes d’influence internes et externes, les salaires mirobolants des
uns et des autres, mais aussi des portraits au vitriol des principaux
protagonistes déjà croisés ici… un véritable feuilleton à l'eau de
vipères.

Pierre Bourdieu, Sur la télévision suivi de L'emprise du


journalisme, Paris, Liber-Raisons d'agir, décembre 1996, petit
livre rouge dans lequel le célèbre sociologue s’exprime dans une
langue bien plus accessible que dans la majeure partie de ses
travaux. On y retrouve en fait la transcription de deux de ses
cours donnés au Collège de France. Bourdieu y démonte
notamment les différents mécanismes de ce qu’il appelle la
« censure invisible ».

Serge Halimi, Les nouveaux chiens de garde, Paris, Liber –


Raisons d’agir, 1997, où l’auteur dénonce, en quatre courts
chapitres mais avec force, la collusion entre pouvoir médiatique
et politique. Analyse enrichie et actualisée dans une nouvelle
édition, parue en novembre 2005.

Laurence Franceschini, Droit de la communication, Paris,


Hachette, 1996

le site internet d’Action Critique Médias (Acrimed), un


observatoire très critique, parfois un peu trop virulent, mais
souvent pertinent des médias : http://acrimed.samizdat.net/ Le
site a été fondé après les grèves de 1995 par le politologue Henri
Maler, maître de conférence à Paris VIII, considérant que « le
mouvement social de novembre et décembre 95 a donné lieu à
des tentatives intolérables d’étouffer la voix des acteurs
sociaux ». Adhérente d’Attac, l’association a pour objectif de

127
contester l’ordre médiatique existant, d’armer les acteurs du
mouvement social et de mettre en question les conditions de la
prestation médiatique. Acrimed a, par ailleurs, participé, le 24
septembre 2003, à la création, aux côtés du Monde diplomatique
et de l’agence de presse indépendante IPS, d’un observatoire
français des médias qui veut « placer l’information sous
surveillance ».

Pascale Clark, Merci de votre attention, Paris, Albin Michel,


2003, un roman aussi acide que lucide sur les dérives
nombrilistes et démagogiques du petit monde des médias où l’on
peut retrouver croqué, sous la plume enchantée de Pascale Clark,
un certain PPDA plus vrai que nature (à vous de deviner de quel
personnage du roman il s’agit, mais après voir lu TF1, une
expérience, c’est une simple formalité).

Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, La bonne soupe.


Comment le 13 heures contamine l’info, Paris, Les éditions des
Arènes, 2006. L’enquête, à la fois surprenante et drôle, menée au
cœur de la rédaction de TF1 par deux journalistes de Libération.
La mécanique et les recettes du 13 heures de Jean-Pierre Pernaut
passées au crible… au cas où vous auriez déjà oublié ce que vous
avez lu avant de parvenir à cette page.

128
129
130
Annexes

131
132
TF1, une entreprise

Î 20 ans après sa privatisation, TF1 est, aujourd’hui, avec


236,3 millions d’euros de bénéfice147 pour un chiffre d’affaires de
2,87 milliards, une véritable machine à cash pour Bouygues (qui
possède, au 31 décembre 2005, 42,9% du capital et 41,4% des
droits de vote).

Î Son chiffre d’affaires se répartit comme suit (données


décembre 2006) :

Ö Exploitation de chaînes de télévision en France


(69,8%) grâce à TF1 bien-sûr mais aussi aux 26 chaînes
thématiques (LCI, Eurosport France, TV6, Serie Club,
Odyssée, TV Breizh, Histoire, Ushuaïa TV, TMC,
TFOU...) que possèdent le groupe. Sans oublier les
activités de régie publicitaire, de télé-achat (via
Téléshopping), de co-production audiovisuelle et
cinématographique (via GLEM, TF1 Films Production,
TAP, Alma Production…) ou encore la vente, en pleine
essor, de licences de marques d'émissions (Star Academy,
Ushuaïa…), d'édition de jeux ou de magazines (Star Ac
Mag’…).

Ö Exploitation de services de télévision payante (13,8%)


grâce à TPS et à ses 1,8 millions d’abonnés (TPS est sur le
point de fusionner avec CanalSat après des années de lutte
fratricides).

ÖExploitation de chaînes de télévision à l'international


(8,4%), par le biais d’Eurosport International (et de ses

147
Part groupe, pour l’année 2005.

133
105 millions d'abonnés) ou encore de Sportitalia (détenue
à 29% depuis 2004)

Ö Vente de droits audiovisuels (8%) liés aux différents


catalogues de films ou de droits sportifs possédés par le
groupe

Î Bouygues possédait, au 31 décembre 2005, 42,90% du capital


de TF1 et agissait de concert avec la Société générale (1% du
capital) en vertu du pacte scellé le 19 février 1987. Mais début
2006, la Société Générale a décidé de céder sur le marché la
participation qu’elle détenait dans le capital de TF1, entraînant,
par voie de conséquences, la fin de l’action de concert qui existait
jusque là entre la banque et le groupe de BTP.

Actionnariat de TF1

Bouygues
9,40%
Société générale
17,60%
42,90%
Autres France
0,10% Autocontrôle
29,00% 1,00% Europe (hors France)
Autres
Données au 31 décembre 2005, disponibles auprès de TF1.

Î L’action TF1 vaut, au 6 décembre 2006, 29,20 €, en hausse de


24,57% depuis le 1er janvier 2006, en hausse également de
34,44% sur la dernière année glissante. La capitalisation
boursière équivaut, en décembre 2006, à 6,3 milliards d’euros,

134
soit un niveau qui n’avait plus été atteint depuis l’âge d’or de
1999-2000.

Cours le plus bas, le plus haut et cours moyen de l’action TF1

135
Evolution du cours de l’action de TF1, sur les 8 dernières années
(en €uros)

Une entreprise généreuse avec ses actionnaires


(en €uros)

136
Î En terme d’audience, TF1 a parfaitement réussi à maintenir sa
primauté sur l'audiovisuel français. Vingt ans après sa
privatisation, elle enregistre chaque jour une moyenne de 31% à
35% de part d'audience… bien loin devant sa principale
concurrente, France 2 (20,5 % de parts d'audience en moyenne).

En 2005, TF1 a trusté 97 des 100 plus fortes audiences télévisées


de l'année et a vu son audience (auprès des individus de 4 ans et
plus) augmenter de 0,5 point sur l'ensemble de l'année à 32,3%,
contre 31,8% en 2004. La chaîne a également réussi à porter son
audience à 66 minutes par jour et par individu ! Et c’est le foot
qui lui a permis de réaliser sa plus belle performance : France-
Chypre, diffusé le 12 octobre, a obtenu, ce soir là, un taux
d'audience de 50,4%.

Il faut remonter à 2003 pour trouver une audience globale en


baisse : cette année là, la part d’audience de la Une s’établissait à
31,5% sur les individus de 4 ans et plus, soit 0,7% de moins
qu’en 2002. La baisse était significative mais TF1 restait tout de
même, encore et toujours pourrait-on dire, très largement en tête
devant le service public : France 2 plafonnait à 20,5%, France 3 à
16,1% puis venaient M6 (12,6%), Canal + (3,7%), France 5
(2,9%), Arte (1,8%) et les chaînes thématiques du câble et du
satellite (10,9% en tout). Malgré une performance en demie
teinte, TF1 réalisait en 2003, comme d’ailleurs en 2002, 95 des
meilleures audiences de l’année… arrivant en tête neuf soirs sur
dix en prime time au cours de l'année. Colossal…

En 2003, Sur la première marche du podium, toute chaîne


confondue, on trouvait la première partie de « L'affaire
Dominici », le téléfilm avec le duo Michel Serrault - Michel
Blanc (12,2 millions de téléspectateurs, soit 50,2% de part de
marché, le 13 octobre). Globalement, ce sont les programmes de
fictions qui dominèrent le classement 2003 avec 60 des 95
meilleures audiences de TF1 (Julie Lescaut et ses 11,6 millions
de fidèles le 2 octobre, Navarro, Les Cordier, juge et flic, Une
femme d'honneur, Sauveur Giordano...) mais l’information n’était
pas en reste : le journal de 20 heures du 5 janvier 2003, présenté

137
par Claire Chazal, se hissait ainsi en seconde position du
classement grâce aux 12,1 millions de téléspectateurs venus aux
nouvelles des automobilistes bloqués par la neige (44,2% de part
de marché). En 2002, c’était le JT de 20 heures de Patrick Poivre
d'Arvor, qui était arrivé à la première place du Top 100 avec
14,8 millions de fidèles. TF1 a fait son petit calcul : 54 des JT
présentés en 2003 par Claire Chazal ont été suivis à 20 heures par
plus de 10 millions de téléspectateurs contre 40 en 2002. La part
de marché moyenne du 20 heures de TF1 s’est élevé 40,1% sur le
premier semestre 2004 (contre 41% en 2003 et 40% en 2002), ce
qui représente tout de même 9 millions de personnes assises
chaque soir devant leur petit écran… branché sur la Une. Par
comparaison, dans le même temps, ils ne sont que 5,7 millions à
s’intéresser au JT de France 2 (soit 24% des téléspectateurs, un
chiffre en légère augmentation depuis l’arrivée de David Pujadas
à la rentrée 2001). De quoi justifier la fanfaronnade de Robert
Namias, le 16 janvier 2004, dans Le Figaro : « C’est simple, nous
n’avons pas réalisé de meilleure année depuis 1991 ! » Merci la
canicule de l’été 2003, les conflits sociaux et, bien-sûr, la guerre
du Golfe… « En 2003, les pics d'audience ne se mesurent pas à
l'aune du conflit irakien, rectifie le directeur de l’information de
la Une dans le quotidien de la Socpresse. Notre antenne s'est
montrée plus forte sur des sujets tels que les conflits sociaux ou la
canicule. Le succès de TF1 en matière d'information repose sur
une alchimie qui ne date pas d'hier. Je dirais qu'en 2003, notre
formule s'avère mieux ancrée que jamais. Il s'agit d'une sorte de
trépied : d'abord, TF1 a su installer un style et une écriture
audiovisuelles qui lui sont propres ; ensuite, la rédaction a
prouvé sa capacité à toujours anticiper sur ce qui fera débat le
jour J ; enfin, les visages de nos présentateurs sont parfaitement
identifiés, que ce soit Jean-Pierre Pernaud, Claire Chazal,
Poivre d'Arvor ou Laurence Ferrari et Thomas Hugues ».

Directement hérités de la structure de la grille de TF1 chaîne


publique, les éditions de 13 heures et 20 heures de la Une version
Bouygues sont donc aujourd’hui les journaux d’information les
plus regardés de France. Ce sont même les deux piliers centraux
de la grille de TF1, « de véritables points d'ancrage pour la

138
chaîne » dixit Robert Namias (toujours dans le Figaro), avec en
moyenne 47,9% de part d'audience à la mi-journée (contre 27,3%
sur France 2) et 41% à 20 heures (contre 24,5% à la chaîne
publique). Ces taux d’audience sont exceptionnels
comparativement à ce qui se passe ailleurs en Europe ou aux
Etats-Unis… et ils sont essentiels à la bonne tenue de l’audience
globale de la chaîne : dans Le Monde du 24 juin 2002, Etienne
Mougeotte reconnaissait que la grille de TF1 est « organisée
autour » de ces deux carrefours de l’information. Un choix
stratégique qui coûte cher (92 millions d'euros en 2002) mais qui
en vaut la peine si l’on en croit le directeur de l’antenne de la
Une, lequel ajoute, toujours dans Le Monde, que « le coût de la
rédaction, c'est le prix à payer pour être une chaîne leader et
généraliste. Si nous avions ramené nos JT à une durée de dix
minutes, comme M6, cela aurait été une prime pour France 2. Et
il n'est pas possible d'être leader si nous n'avons pas
d'information leader. »

139
140
Biographie croisée
des hommes et femme clef
de la rédaction de TF1

¡ Robert Namias, directeur de l’information


¡ Patrick Poivre d’Arvor, directeur adjoint de
l’information
¡ Jean-Pierre Pernaut, directeur adjoint de
l’information
¡ Claire Chazal, directrice adjointe de l’information

1944
29 avril : naissance de Robert Namias, à Paris.

1947
20 septembre : naissance de Patrick Poivre d’Arvor à Reims, à
19 h 50 selon l'état civil et son père mais à 20 h 10 selon sa mère.
On comprend mieux dès lors pourquoi il donne l’impression de
renaître chaque soir à 20 heures… Son père, originaire de
Tregastel en Bretagne, est représentant en chaussures. Sa mère,
nantaise, est femme au foyer.

1950
8 avril : le petit Jean-Pierre Pernaut vient au Monde, à Amiens,
dont la Cathédrale gothique le fascine encore aujourd’hui.

141
1956
1er décembre : naissance de Claire Chazal à Thiers, dans le Puy-
de-Dôme, près de Clermont Ferrand. Telle l’eau de Volvic, la
petite Claire, fille d’une institutrice (future professeur de Lettres)
et d’un ajusteur (devenu instituteur à son tour puis haut
fonctionnaire) s’enrichit de précieux oligo-éléments au contact de
la roche volcanique.

1963
Contre toute attente, le jeune Patrick Poivre d’Arvor décroche son
bac scientifique… grâce à un glorieux 16/20 en philosophie !
Adieu Reims et bonjour Strasbourg où il intègre l’Institut
d’Etudes Politiques.

1964
En Alsace, l’hiver est rude : PPDA ne quitte plus sa chambre de
bonne et écrit son premier roman : Les Enfants de l'aube. Sa
première femme, Véronique, donne également naissance à leur
premier enfant. Il ne perd pas de temps le petit Patrick…

1968
Licencié en lettres et titulaire d’un diplôme d’études supérieures
de philosophie (Paris I la Sorbonne), Robert Namias débute sa
carrière journalistique au 22 de la rue de Bayard, sur RTL.

1969
Robert Namias passe à la concurrence, sur Europe 1 où il assure
une chronique universitaire : PPDA et JPP, tous deux encore
étudiants, font partie de ses auditeurs potentiels.

142
1970
Robert Namias s’initie à la présentation sur Europe 1.

1971
Patrick Poivre d’Arvor, fraîchement diplômé du CFJ (après
notamment une licence en droit), remporte le concours Envoyé
Spécial de France Inter grâce à deux reportages réalisés à l'Ile
Maurice et aux Philippines : il décroche un contrat d’un an mais
restera jusqu’en 1975 sur la radio publique. D’abord présentateur
des journaux du matin et de la revue de presse, il devient par la
suite grand reporter.
Robert Namias se lance dans le journalisme politique, toujours au
bénéfice de la station de la rue François 1er.

1972
A peine sorti de l’ESJ Lille, Jean-Pierre Pernaut fait ses débuts à
l’ORTF Amiens-Picardie en tant que reporter puis présentateur.

1973
Alors que ses futurs petits camarades de TF1 font déjà leurs
armes dans le journalisme, Claire Chazal, la cadette d’entre eux,
en est toujours à cirer les bancs du lycée : elle décroche son bac
avec une mention bien.

1974
TF1 devient une société de programmes à la suite de l’éclatement
de l’ORTF.

143
1975
Jean-Pierre Pernaut découvre les locaux de la Une rue Cognacq-
Jay, où il présente désormais l’édition de 23 heures (jusqu’en
1978).
Premier drame dans la famille Poivre d’Arvor : une petite
Tiphaine, âgé d'un mois et demi à peine, s'endort à jamais dans
son berceau. Solenn naîtra un an plus tard.
Janvier : Patrick Poivre d’Arvor débarque sur Antenne 2 pour
prendre en main le service Politique intérieure puis le service
Politique, économique et social.

1976
Patrick Poivre d’Arvor devient, à la demande du directeur des
informations d’Antenne 2, un certain Jean-Pierre Elkabbach, le
plus jeune présentateur de JT de France, dont il est désormais
rédacteur en chef adjoint.
16 février : Patrick Poivre d'Arvor se jette à l’eau. Il présente son
premier journal télévisé.

1978
Déjà titulaire d’une maîtrise d’économie, Claire Chazal réussit
HEC, dont elle sort diplômée. Dans la foulée, elle obtient un
DEA d’économie mais échoue à l’entrée de l’ENA.
Patrick Poivre d’Arvor publie Mai 68 - Mai 78 aux éditions
Seghers. Il joue également son propre rôle dans Au bout du bout
du banc, de Peter Kassovitz (expérience qu’il renouvellera
d’ailleurs quatre fois).
Jean-Pierre Pernaut devient, pour deux ans, le joker d’Yves
Mourousi, titulaire indiscutable du fauteuil de présentateur du
13 heures de la Une. Le ver est entré dans le fruit…
Robert Namias est nommé chef du service société et rédacteur en
chef d’Europe 1.

144
1979
Patrick Poivre d’Arvor livre son « humeur du jour », chaque
matin à 7 h 45 sur France Inter (éditoriaux qu’il poursuivra
jusqu’en 1981).

1980
Claire Chazal effectue un stage d’un an au sein de la rédaction
d’Europe 1, au service des informations générales.
Jean-Pierre Pernaut est muté au service Economie de TF1,
d’abord en tant que reporter puis en tant que responsable de la
rubrique Industrie.

1981
Apparemment plutôt bien vu du pouvoir en place, Jean-Pierre
Pernaut est détaché pour couvrir l’intégralité de la campagne de
Valéry Giscard d’Estaing, en vue des élections présidentielles...
qui verront la victoire de François Mitterrand. Mauvaise pioche !
JPP se console vite, avec la naissance de son fils Olivier,
quelques semaines plus tard, le 9 juillet.
Mai : Après quelques piges à l’hebdomadaire l’Usine Nouvelle et
au bimensuel l’Expansion, Claire Chazal intègre le service
économie du Quotidien de Paris, dirigé par Philippe Tesson.

1982
Plus ou moins placardisé, Jean-Pierre Pernaut anime, deux étés
durant, le « Journal des vacances » sur TF1.
Patrick Poivre d’Arvor publie Les enfants de l'aube aux éditions
Lattès.

145
1983
Patrick Poivre d’Arvor quitte la rédaction d’Antenne 2 mais
produit et présente l'émission hebdomadaire « A nous deux » sur
la Deux. Il se lance également dans la rédaction hebdomadaire
d’éditoriaux pour le Journal du dimanche (activité qu’il
continuera jusqu’en 1992) et Paris Match (jusqu’en 1986).
Robert Namias présente une émission médicale sur TF1 et lance
la radio locale parisienne 95,2 qu’il dirigera jusqu’en 1987.
Janvier : Jean-Pierre Pernaut devient chef adjoint du service des
Informations générales et société de la Une.
Septembre : Jean-Pierre Pernaut débute sa collaboration aux
« rendez-vous d’Annick ».

1984
Mai : Claire Chazal devient responsable du service économique
du Quotidien de Paris. Parallèlement, elle assure des chroniques
sur Europe 1, autour du thème de la danse, une de ses passions.
Septembre : Jean-Pierre Pernaut participe à la création de
« Bonjour la France » en tant que responsable et présentateur des
parties magazines, puis loisirs et tourisme.
Robert Namias passe sur FR3 pour présenter « Face à la Trois »,
un magazine politique.
Patrick Poivre d’Arvor change de registre et anime l’émission
« Tous en scène » sur Canal +.

1985
Jean-Pierre Pernaut abandonne un temps ses régions hexagonales
chéries pour animer le magazine « Transcontinental ».
Patrick Poivre d’Arvor publie Le roman de Virginie (écrit avec
son frère Olivier) et La traversée du miroir, chez Balland.
Octobre : Claire Chazal rejoint Les Echos en tant que journaliste
au service Economie générale.

146
1986
Patrick Poivre d’Arvor redécouvre les joies de la radio en
proposant son « billet », chaque matin à 7 h 15 sur RMC ; il
devient également producteur-présentateur de « A la folie pas du
tout » sur TF1 où il fait ses premiers pas. Parallèlement, il sort
Les derniers trains de rêve aux éditions Le chêne.
Robert Namias intègre définitivement TF1 : il est journaliste dans
l’émission « Médecines à la Une ».

1987
Robert Namias présente « Une première » sur TF1 et en assure la
rédaction en chef.
Patrick Poivre d’Arvor publie Rencontres chez Lattès.
Mars : Claire Chazal est promue chef adjoint du service
Economie générale des « Echos ».
Mars : Jean-Pierre Pernaut se voit confier la présentation du
journal de 23 heures en alternance avec Joseph Poli.
4 avril : la Commission nationale de la communication et des
libertés (CNCL), en charge de la privatisation de TF1, accorde
une concession de 10 ans à Francis Bouygues.
16 avril : l'État vend 50 % de TF1 à Bouygues pour 3 milliards de
Francs. TF1 est officiellement privatisée.
24 juillet : l’action TF1 est introduite en Bourse ; elle vaut 165 F
(soit 25,1 €).
Juillet – Août : Jean-Pierre Pernaut présente les JT de 13 heures
et 20 heures.
31 août : Patrick Poivre d’Arvor prend les rênes du journal de
20 heures de TF1, dont il assure également la rédaction en chef.

1988
Premiers pas de Claire Chazal à Antenne 2 où elle est nommée
grand reporter au service économique.

147
Parution chez Grasset des Femmes de ma vie, par Patrick Poivre
d’Arvor.
22 février : Jean-Pierre Pernaut présente son premier 13 heures à
lui sur TF1. Il en assure, de plus, la rédaction en chef.
23 février : encarté à la CFTC mais élu sur une liste
CGC/FO/CFTC, Jean-Pierre Pernaut prend part à son premier
conseil d’administration de TF1 en tant que représentant du
personnel de la chaîne.
Octobre : Patrick Poivre d’Arvor est promu directeur adjoint de la
rédaction de TF1.
26 octobre : première d’« Ex Libris », émission littéraire produite
et présentée par Patrick Poivre d’Arvor (jusqu’en 1999).

1989
14 novembre : Patrick Poivre d'Arvor est nommé directeur
adjoint de l’information de la Une aux côtés de Michelle Cotta,
directrice de l’information depuis 1987.
Sur TF1, Robert Namias co-produit et présente aux côtés de son
épouse, Anne Barrère, « Santé à la Une » (jusqu’en 1994).

1990
25 janvier : la cour d'appel de Lyon condamne TF1 pour avoir
manqué à sa mission « de servir l'intérêt général, en assurant
l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information ».
Février : Robert Namias est nommé responsable du service
Economie Vie moderne – Arts et spectacles de la rédaction de
TF1. Il rejoint ainsi la rédaction de la Une.
Septembre : Claire Chazal se voit confier la présentation, en
alternance avec Philippe Gassot, du journal de la nuit de la Deux.
Ses prestations sont vite repérées par la concurrence (TF1 en
l’occurrence).
9 novembre : premier numéro du « Droit de savoir », magazine
d’investigation de TF1, présentée et co-produite par Patrick
Poivre d’Arvor.

148
Décembre : Patrick Poivre d’Arvor reçoit l’écran d’or Télé
Loisirs du meilleur journaliste de télévision ; on lui remet
également le super écran d’or de la vedette préférée de l’année.

1991
Claire Chazal reçoit le Sept d’or du meilleur JT : la présentatrice
le dédie à Philippe Tesson, celui qui l’avait lancée dix ans plus tôt
au Quotidien de Paris.
Mars : Robert Namias est désigné directeur adjoint de la
rédaction de la Une et rédacteur en chef du journal de 20 heures.
2 juillet : premier numéro, en deuxième partie de soirée, de
« Combien ça coûte ? », nouveau magazine sur l’argent produit
par Coyotte, la société de Christophe Dechavanne, et présenté par
Jean-Pierre Pernaut.
16 août : Claire Chazal présente son premier journal sur TF1, le
week-end… et en profite pour tripler son salaire (qui passe de
20.000 à 60.000 F mensuels).
7 septembre : Jean-Pierre Pernaut accède au titre de directeur
adjoint de l’information.

1992
Patrick Poivre d’Arvor publie L'Homme d'images chez
Flammarion.
1er juin : TF1 s'installe à Boulogne dans les 45.000 m² de bureaux
et de studios de l’immeuble flambants neufs réalisés par…
Francis Bouygues. Ou comment rentabiliser au maximum la prise
de contrôle de la chaîne…
7 décembre : démission de Michèle Cotta, directrice de
l'information de TF1, après un différend l'opposant à la rédaction
à propos d'un projet de code déontologique. Elle proposait que les
journalistes refusent systématiquement les cadeaux d’une valeur
supérieure à 1.000 F. PPDA, déjà englué dans l’affaire Botton,
proteste, précipitant le départ de la directrice de l’information :
Robert Namias, sans doute plus accommodant, est désigné pour
la remplacer..

149
1993
Parution de « Edouard Balladur », par Claire Chazal, aux
éditions Flammarion : mieux qu’une enquête, mieux qu’une
hagiographie… une profession de foi balladurienne…
Patrick Poivre d’Arvor poursuit sa carrière d’écrivain à succès et
publie Lettres à l’absente chez Albin Michel : le dialogue d'un
père et de sa fille anorexique qui s’inspire de son expérience
personnelle avec Solenn, sa propre fille.
Décembre : Patrick Poivre d’Arvor reçoit, au nom de la rédaction,
le 7 d’or du meilleur journal télévisé, selon le vote des
téléspectateurs.

1994
Jean-Pierre Pernaut reçoit l’écran d’or du meilleur présentateur de
JT.
Patrick Poivre d’Arvor écrit Les loups et la bergerie, paru chez
Albin Michel ; Jean-Pierre Pernaut, de son côté, persévère dans sa
parano anti-fonctionnaires et publie L'argent par les fenêtres -
Les scandales du gaspillage (TF1 Editions).
8 juin : le tribunal de grande instance de Paris condamne TF1
pour avoir manqué d'objectivité dans la présentation d'une
information sur la commune de Suze-la-Rousse, charmant petit
village aux portes de la Drôme provençale.
24 juin : lancement sur le câble de LCI, la chaîne d'information
créée par TF1.

1995
Le très régionaliste Jean-Pierre Pernaut reprend sa plume qui sent
bon le terroir : Aimer Vivre en France : les 100 plus belles fêtes
de France paraît aux éditions TF1 (on reste en famille…). Dans
un tout autre style, Patrick Poivre d’Arvor publie Elle n’était pas
d’ici (une réflexion sur le deuil née du douloureux suicide de sa
fille, anorexique, Solenn, le 27 janvier 1995) et Les plus beaux
poèmes d’amour (tous deux chez Albin Michel).

150
Fidèle à lui-même et à la ligne éditoriale qui fait le succès de son
13 heures, Jean-Pierre Pernaut présente « Vivre en France »,
magazine consacré aux traditions et diffusé la nuit sur TF1.
20 avril : Patrick Poivre d’Arvor est reconnu coupable, dans
l’affaire Botton, d’avoir bénéficié, entre 1987 et 1991, de
535.000 F de cadeaux sous la forme de billets d'avion et frais
d'hôtel en échange notamment de l’annonce en direct sur TF1 de
la candidature de Michel Noir aux élections municipales de Lyon.
Il fait appel.
29 avril : naissance de François, fruit de la relation de Claire
Chazal avec PPDA.
Décembre : premier prime-time pour « Combien ça coûte ? »
avec une spéciale Noël. JPP met le paquet (cadeau) et fait un
carton en terme d’audience.

1996
Nouvel opus bien-pensant signé Jean-Pierre Pernaut : « Attention
arnaques », toujours publié chez TF1 éditions. Patrick Poivre
d’Arvor nous parle, lui, d’un Héros de passage avec la complicité
des éditions Albin Michel.
10 janvier : Dans le cadre de l'affaire Botton, la cour d'appel de
Lyon confirme la peine de Patrick Poivre d'Arvor à 15 mois de
prison avec sursis et 200.000 F d'amende, bien qu’elle relève dans
son arrêt qu’il n’était pas « le seul journaliste connu à avoir
profité sans état d’âme des largesses de Pierre Botton ». Absent à
l’audience, le présentateur vedette plaide une nouvelle fois non
coupable en affirmant dans un communiqué ne s’être « jamais
livré à un acte délictueux en connaissance de cause ». Il se
pourvoit en cassation. Acculée, la direction de la chaîne n’a pas
d’autre choix que de le priver d’antenne, et donc de son sacro-
saint 20 heures, pendant trois mois. Seule solution pour retrouver
alors PPD(A), zapper sur Canal Plus à l’heure des Guignols de
l’info. Si vous êtes accro, mettez la 4 !
26 mars : le CSA reconduit jusqu’en 2002 la concession accordée
à Bouygues.
Juin : Robert Namias est promu directeur de l’information de la
Une.

151
Juillet : Claire Chazal est nommée, comme ses petits camarades
présentateurs de sexe masculin, directrice adjointe de la rédaction
de TF1. Pas de jaloux !
Juillet : PPDA participe à la transat Québec-Saint Malo, seule
course trans-océanique en équipage, aux côtés de son ami le
navigateur Laurent Bourgnon. 11 jours (dont 2 de mal de mer)
plus tard, notre marin de fortune a perdu entre 7 et 8 kilos. Le
vainqueur, Loïck Peyron, l’a emporté en 7 jours, 20 heures et
24 minutes.
Septembre : fort de ses bons scores d’audience, « Combien ça
coûte ? » devient mensuel.

1997
Parution de « l’Institutrice », premier roman signé Claire Chazal,
chez Plon. Il se vendra à plus de 200.000 exemplaires et sera
même adapté pour la télévision… sur TF1 bien-sûr !
Coup de gueule de Patrick Poivre d'Arvor contre les paparazzi,
cette « meute de charognards » qui lui gâchent la vie depuis
plusieurs années. Il en a gros sur la patate : Lettre ouverte aux
violeurs de vie privée sort chez Albin Michel.

1998
Claire Chazal reçoit le prix Roland Dorgelès (catégorie
télévision) pour sa présentation des journaux du week-end sur
TF1.
Dans la série « on est vraiment mal gouverné », Jean-Pierre
Pernaut récidive et ressort une version au goût du jour de L'argent
par les fenêtres - Les enquêtes de Combien Ça Coûte ? aux
éditions TF1. Patrick Poivre d'Arvor, lui, prédit La fin du monde
(Albin Michel).
Patrick Poivre d'Arvor devient, pour un an, le producteur-
présentateur de « Ex-libris », émission littéraire diffusée tard en
soirée, sur TF1.
30 mars : « Combien ça coûte ? », présenté par Jean-Pierre
Pernaut, obtient le 7 d’or du meilleur magazine de société.

152
1999
2 octobre : Le public décerne à Jean-Pierre Pernaut le 7 d’or du
meilleur présentateur de JT. Pour son sourire de début de
canard ?
16 octobre : Patrick Poivre d'Arvor produit et présente, pour la
première fois, « Vol de nuit », nouvelle émission littéraire qui
prend le relais de « Ex Libris ». Il n’aura pas l’audace d’y
présenter son Petit homme (Albin Michel).

2000
Parution, toujours chez Plon, du second roman de Claire Chazal,
« A quoi bon souffrir ? ». De son côté, Patrick Poivre d’Arvor
publie L’irrésolu (Albin Michel) et brocarde, dans un second
roman co-écrit avec Eric Zemmour (journaliste au Figaro),
l'intégrisme de la transparence dans Les rats de garde (Stock).
17 mars : Claire Chazal se marie avec Xavier Couture, alors
directeur de l’antenne et des sports de TF1 (le numéro 3 de la
chaîne, en fait, derrière Patrick Le Lay et Etienne Mougeotte).
Avril : Patrick Poivre d’Arvor accède à la vice-présidence de TV
Breizh, le bébé breton de Patrick Le Lay diffusé sur TPS et Canal
Satellite.
15 Mai : diffusion sur la Une de l’adaptation de « L'Institutrice »,
le roman de Claire Chazal paru trois ans plus tôt. Le téléfilm
réalisé par Henri Helman est récompensé quelques semaines plus
tard par le 7 d'or du meilleur film de télévision. Parallèlement, les
petits plaisantins de Voici s’amusent à modifier quelques
paragraphes du manuscrit originel signé Claire Chazal (titre,
noms des personnages, lieux de l’intrigue) pour l’envoyer sous un
faux nom aux éditeurs de la place parisienne. Résultat : le
manuscrit est refusé partout, y compris chez Plon, qui avait
pourtant signé de deux mains pour le bouquin original en 1997.
Y a comme qui dirait du piston dans l’air…
Novembre : Patrick Poivre d’Arvor décroche, pour son roman
« l’Irrésolu », le prix Interallié qui, depuis 1930, récompense le
meilleur roman écrit par un journaliste.

153
2001
Parution de Un enfant, par Patrick Poivre d’Arvor, chez Albin
Michel.
27 octobre : véritable idole des foules de ménagères de moins de
50 ans, Jean-Pierre Pernaut est de nouveau élu par le public
meilleur présentateur de JT et reçoit le 7 d’or correspondant.

2002
Deux nouveaux ouvrages à l’actif de Patrick Poivre d’Arvor :
Courriers de nuit – les aventuriers de l’Aéropostale, écrit avec
son frère Olivier (Place des victoires) et La côte de granit rose,
rédigé avec Serge Lenczer (Editions Philippe Auzou).
Grande première : Jean-Pierre Pernaut fait une infidélité aux
éditions TF1 et nous gratifie d’un nouvel ouvrage sur lequel il n’a
fait qu’apposer son nom : Le meilleur des perles des assurances
sort aux éditions J’ai lu. Mais de qui JPP tient-il donc le plus :
Paul-Loup Sulitzer ou Pierre Bellemarre ?
16 mars : Jean-Pierre Pernaut présente, aux côtés de Laurence
Boccolini, « Salut la France », un jeu qui rassemble 200 maires
de France afin de tester leurs connaissances sur notre beau pays.
Facile, pour réviser, il suffit de regarder chaque jour le
13 heures !
30 avril : libéré bien malgré lui de ses obligations présidentielles,
le Premier ministre Lionel Jospin promeut Robert Namias au
grade d’officier de l’Ordre national du Mérite entre les deux tours
de l’élection présidentielle.
Juin : pendant la Coupe du Monde de football en Corée, Jean-
Pierre Pernaut anime chaque jour, en access prime time, « Tous
ensemble ! », magazine chauvino-footballistique destiné à
encourager les Bleus de Roger Lemerre. Sans
succès…certainement la faute à la cuisse à Zizou !
17 avril : Xavier Couture, numéro 3 de TF1 et mari de Claire
Chazal, est nommé président du directoire de Groupe Canal + par
Jean-Marie Messier, le PDG de Vivendi-Universal. La position
de son épouse à TF1 est fragilisée.

154
Septembre : Patrick Poivre d’Arvor effectue son grand retour à la
radio, sur RTL. Chaque vendredi de 19 h à 20 h, jour où il ne
présente pas le 20 heures sur la Une, le célèbre présentateur
reçoit, dans « Invitations », des personnalités au cœur de
l’actualité, qu’elle soit artistique, littéraire ou sportive… Vous
avez dit boulimie d’antenne ? Et à 20 heures pile, les auditeurs
sont priés d’allumer leur poste de télé : Claire Chazal les attend !

2003
Le prix Richelieu, décerné chaque année depuis 1992 à un
journaliste par l'association "Défense de la langue française"
(DLF), est attribué à Claire Chazal.
Patrick Poivre d’Arvor prend d’assaut les librairies avec J’ai
aimé une Reine (Fayard), Coureurs des mers (Place des victoires)
et Raconte-moi la mort, co-écrit avec Claire Chertemps et Claire
d’Hennezel (Editions du Rocher)
2 février : Xavier Couture est débarqué de la direction de
Canal +. Le Monde annonce que Claire Chazal serait menacée :
elle n'aurait plus les faveurs de sa direction. TF1 dément et
Patrick Le Lay invite le couple Chazal-Couture dans un resto à la
vue du tout Paris.
3 avril : Robert Namias est nommé par le gouvernement Raffarin
à la présidence du Conseil national de la sécurité routière
(CNSR). Sans doute une récompense pour avoir placé le thème
de l’insécurité au cœur de la présidentielle de 2002... et permis la
réélection de Chirac, une fois débarrassé de Jospin.
Août : Claire Chazal exhibe sa poitrine à la Une de Voici…une
semaine plus tard, c’est au tour de Laurence Ferrari, sa
remplaçante de l’été et des fêtes de fin d’année, d’en faire de
même. Mais à qui profite le crime ??
Août : l’épouse de Robert Namias, Anne Barrère, accepte la
proposition de Bernadette Chirac et prend en main la
communication de la première Dame de France. Vous avez dit
conflit d’intérêt au sein du couple ??
3 novembre : Jean-Pierre Pernaut est désigné par les lecteurs du
magazine Télé 7 jours « meilleur présentateur du JT » pour le

155
13 heures de TF1. Il reçoit son troisième 7 d’or personnel des
mains de Nikos Aliagas, le maître de cérémonie.

2004
Manifestement toujours aussi insomniaque, PPDA sort Frères et
sœur chez Balland, une Anthologie des plus beaux poèmes
d’amour et La mort de Don Juan chez Albin Michel mais aussi
Pirates et corsaires (coécrit avec son frère Olivier) aux éditions
Place des Victoires.
14 janvier : « L’enfant de l’aube », adaptation télévisée de l’un
des premiers romans de PPDA, fait un tabac sur TF1, en prime
time. 9,9 millions d’individus, soit 43,2% du public présent
devant sa télévision à ce moment de la soirée, regardent la fiction
de la Une. Hasard ou pas, c’est la deuxième fois que Telfrance
produit une adaptation d’un roman écrit par un présentateur
œuvrant sur TF1 : elle l’avait déjà fait en 2000 avec
« l’Institutrice », signé Claire Chazal.
17 mars : « Combien ça coûte » fête sa cent cinquantième. Pas
peu fier, JPP se vante d’avoir fait « un milliard deux cent mille
entrées » depuis le début de CCC.
Septembre : JPP reçoit le renfort d’Evelyne Thomas pour co-
présenter CCC et tenter d’enrayer la baisse d’audience. Telle une
comète dévastatrice, Evelyne ne fait que passer (elle claque la
porte pendant l’hiver) après avoir plombé un peu plus l’émission.
Merci qui ?
Novembre : les rumeurs vont bon train et envoient PPDA à la
retraite, pour cause d’audience déficiente (entre 35,4% et 39,9%
de parts de marché entre le 24 novembre et 8 décembre, contre
40% habituellement… ça chauffe !). Que nenni ! répond
finalement Robert Namias : « Poivre reste pour moi le meilleur
présentateur du journal télévisé de 20h00 et le restera encore très
longtemps. Je le pense, je le souhaite, je l'espère et je ferai en
sorte que ce soit le cas », déclare-t-il sur Europe 1 le 9 décembre.
17 novembre : inauguration à Paris de la Maison de Solenn, du
nom de la fille anorexique de PPDA décédée neuf ans plus tôt.
Financée en grande partie par l’opération « pièces jaunes » (pour
laquelle Bernadette Chirac est venue nombre de fois aux

156
20 heures de TF1), cette structure destinée à prendre en charge les
maux des adolescents se veut unique en Europe.
24 novembre : sortie en salles, des « Indestructibles » (« The
Incredibles »), dernière coproduction Walt Disney – Pixar.
Véritable voix de la France, Patrick Poivre d'Arvor prête son
organe à ce film d'animation, aux côtés d’Amanda Lear et de
Lorie. Quel trio !
25 novembre : PPDA se confesse dans France Soir : « Je gagne
cinq fois moins que le PDG de Renault ». Ce qui lui assure tout
de même entre 40.000 et 45.000 € par mois. Incroyable lorsqu’on
réalise qu’il n’a toujours pas vendu la moindre voiture !
Décembre : Patrick Poivre d'Arvor et son frère Olivier reçoivent
le prix « Ancre de marine » lors de la fête du livre du var, pour
leur livre Pirates et Corsaires.

2005
Bien décidé à jouer les « bonnes fées » pour « redonner aux
autres un peu de la lumière ou de la chance qu’[il] a eu »,
Patrick Poivre d’Arvor accepte de présider la 4eme édition du Prix
Carrefour savoirs du Premier Roman. Il succède à Philippe
Delerm (2002), Iréne Frain (2003) et Bernard Werber (2004).
Mais que vient-il faire dans cette galère ? Osons les ménages
littéraires ! Auteur décidément prolixe, PPDA propose cette
année à ses fidèles lecteurs La France vue du ciel (avec Yann
Arthus-Bertrand à l’arrière de l’hélico, l’œil rivé à son appareil
photo) aux Editions La Martinière, Les aventuriers du ciel (Albin
Michel jeunesse) mais aussi Le monde selon Jules Vernes (avec
son frère Olivier, chez Menges). Mais quelle plume l’a piqué ?!?
12 mars : fan de sport automobile tout comme son fils Olivier
(jeune pilote parrainé par Jacques Laffite et soutenu par TF1 et
Bouygues Télécom… merci papa !), Jean-Pierre Pernaut fait son
show à Saint-Dié, lors de la super finale du trophée des stars,
organisé par le Trophée Andros. Pour sa première course sur
glace, JPP termine troisième ! A quand une reconversion
définitive ? Ça urge !
Avril : nouvelles rumeurs, concernant cette fois Claire Chazal,
dont les relations avec Robert Namias seraient devenues

157
électriques. La presse en veut pour preuve sa mise à l’écart du
débat sur le référendum européen avec Jacques Chirac, le 7 avril.
Selon l’Express du 11 avril, la présentatrice vedette serait même
sur le point de perdre sa couronne de reine de l’info du week-end
au profit de sa dauphine Laurence Ferrari. Le 29 mai, elle co-
présentera pourtant la soirée électorale « spéciale référendum ».
Faut-il y voir une réponse de la Une ?
2 avril : nouvelle promo, interne cette fois, pour Robert Namias,
nommé directeur général adjoint en charge de l'information de
TF1.
Mai : dans une interview accordée à TV Magazine, Jean-Pierre
Pernaut annonce qu'il va épouser « sans doute en septembre » sa
compagne Nathalie Marquay, mère de deux de ses enfants, Tom
et Lou. Sans rire, il se déclare « très fier de ce que (Nathalie) a
fait » dans La Ferme 2, show de télé-réalité où l’ex Miss France
1987 a fait feu de tout bois dans la fosse à purin pour soutenir
l'association Ti'Toine. Et comme si ça ne suffisait pas, nous
apprenons avec angoisse que Nathalie Marquay prépare une
adaptation de sa vie pour TF1 : « Ce sera l'histoire d'une femme
qui se bat contre le cancer, (...) qui a été Miss France, qui
découvre qu'elle a une leucémie. Elle refuse une greffe qui la
soignerait mais qui la rendrait stérile ». Où est ma zappette ?!?
Vite…
27 mai : « Je croule déjà sous le travail. Je vais d’ailleurs être
contraint d’arrêter mon émission sur RTL »… terrible confession
de PPDA à VSD. On verserait presque une larme…
14 juin : PPDA fête sa 500ème émission littéraire sur TF1. Entamé
en 1988 avec Ex-Libris, le marathon cathodico-livresque du
journaliste se perpétue depuis 1999 avec Vol de nuit. Cadeau à
ses 500.000 fidèles, PPDA invite ce soir là la crème des éditeurs,
d’Antoine Gallimard à Odile Jacob.
6 juillet : l’éternel remplaçant estival de PPDA, Thomas Hughes
avoue dans TV Magazine qu’il se verrait bien calife à la place du
calife. « Je présente des journaux depuis dix ans. Je sais faire. Je
suis prêt ». La jeune garde s’impatiente on dirait…
16-17 juillet : PPDA participe au record SNSM, à bord de
Brossard, barré par Yvan Bourgnon. Le trimaran met 1 jour,
6 heures, 33 minutes et 20 secondes pour rallier

158
Saint-Nazaire à Saint-Malo. La réponse du vieux loup (de mer)
n’a pas tardé !
25-26 août : Patrick Poivre d'Arvor, accompagné de Gérard Holtz
et Sarah Lelouch, se lance à l'ascension des 4.807 mètres du Mont
Blanc. But de la manœuvre : déployer une banderole en faveur de
l'opération pour l'environnement « La Montagne à l'état pur ». Il
sait prendre de la hauteur le Patrick !
Septembre : dans le viseur depuis plus d’an de Bernard Violet,
ancien reporter sur FR3 et … TF1 mais surtout spécialiste des
biographies qui dérangent, PPDA découvre dans en librairie sa
première biographie non-autorisée.

2006
Toujours aussi prolixe, PPDA trouve cette année l’inspiration
dans les dunes… Il nous gratifie notamment de Disparaître,
roman énigmatique sur la vie de Lawrence d’Arabie, co-écrit
avec son frère Olivier (un récidiviste…) aux éditions Gallimard.
Voilà pour le texte, les images, elles, se trouvent dans un autre
« beau » livre : Lawrence d'Arabie, la quête du désert, aux
éditions Place des Victoires.
Février : Le 13 heures de Pernaut passé à la moulinette par deux
journalistes de Libération… La bonne soupe. Comment le
"13 heures" contamine l’info sort aux Editions les Arènes.
260 pages pour mieux décrypter le succès du JT de JPP...
A déguster sans modération (le bouquin, pas le JT) !
Printemps : à quelques semaines d’intervalle, le PPDA de l’été
(alias Thomas Hughes) et la Claire Chazal de Noël (alias
Laurence Ferrari), claquent la porte de TF1, lassés sans doute
d’attendre leur tour dans l’arrière boutique (les titulaires du poste
refont le coup du Viager… ils sont increvables !). Il faut dire que
Thomas venait d’être remplacé, dans son rôle de remplaçant
(vous suivez ?), au nom du communautarisme triomphant, par
Harry Roselmack, un beau black débauché à prix d’or sur
Canal +. Le couple vedette, joker de luxe des JT de la Une depuis
près de 10 ans, file sur le groupe Canal +.
Juillet : week-end animé pour JPP, en villégiature dans le
Lavandou avec son épouse, Nathalie Marquay. Persuadé d’avoir

159
été pris en photo sans son autorisation (alors qu’il était en petite
tenue sur la plage !), notre JPP national voit rouge, n’hésitant pas
à faire appel à la gendarmerie et à confisquer les clés du véhicule
du pseudo paparazzi, alors même qu’un bébé se trouvait sur la
banquette arrière, en plein soleil. Les deux parties ont porté
plainte. PPDA n’aurait pas fait mieux ! Les paparazzi n’ont qu’à
bien se tenir…
7 juillet : le tribunal de grande Instance de Nanterre donne raison
à Claire Chazal. Derrière l'écran, biographie romancée de Claire
C. directrice de l'Info à TF1, signée Sarah Vajda, est retirée de la
vente par mesure judiciaire conservatoire, dans l'attente d'un
jugement au fond, une mesure rarissime. Censure, vous avez dit
censure ??
Septembre : camouflet pour PPDA ! Alors qu’il rentre le teint
halé de ses vacances, un sondage montre que 81 % des Français
souhaitent qu’Harry Roselmack, son tout nouveau remplaçant
estival, continue de présenter le 20 heures de TF1. Déjà qu’il est
plus bronzé que lui…et qu’il réalise de meilleures audiences
(7,4 millions de téléspectateurs en moyenne durant l’été, soit
42% de part de marché) … voilà maintenant que le public le
réclame… c’est vraiment le pompon !
7 novembre : JPP lance un blog new look sur le site de TF1. Au
menu : plus de 15.000 reportages « magazines » sur la France
d'en bas, d'à côté et d'ailleurs... emmagasinés en 20 ans de JT…
A consommer avec la plus grande modération… ou dans le cadre
d’un régime spécifique surveillé par votre médecin.
14 novembre : Coup dur pour Robert Namias ! Edouard Boccon-
Gibod, directeur de la communication de la Une, est nommé «
directeur délégué à l'information du groupe TF1 sous l'autorité
d'Etienne Mougeotte ». Robert Namias demeure directeur de
l'info de la Une mais il semble désormais plus proche de la porte
de sortie que de l'augmentation. « Namias est carbonisé » analyse
un journaliste de TF1 interrogé par Libération. Un directeur de la
communication bombardé à la tête de l'info du groupe TF1 ? Il
fallait oser ! Merci Patrick Le Lay…
15 novembre : le syndicat CFTC des journalistes de TF1, auquel
adhèrent notamment JPP, PPDA et Chazal, se sent obligé de
voler au secours de Robert Namias. Fait exceptionnel, il publie un

160
communiqué où il fait savoir que la nomination d’Edouard
Boccon-Gibod « ne peut susciter qu'étonnement et interrogations
à quelques mois d'échéances électorales importantes ».
22 novembre : face à la notoriété grandissante de son collègue
Harry, JPP réagit dans VSD. Et il ne lui veut pas que du bien…
« Il a l’étoffe d'un titulaire en tant que présentateur, pourquoi
pas, mais en tant que directeur adjoint de l'information, peut-être
pas ». Et tac ! T’es gentil Harry, mais faudrait quand même pas
pousser pépère dans les orties !
23 novembre : PPDA se fait flinguer en direct par l’homme au
karcher. Devant huit millions de téléspectateurs, Nicolas Sarkozy
balance sa complaisance à Poivre en pleine figure : « J'ai regardé
le journal de TF1 où vous avez interviewé, c'est un grand mot,
Madame Royal ». Voilà Patrick accusé de sympathie avec la
candidate du PS… comme quoi la retraite politique d’Edouard
Balladur a fait de sacrés dégâts à TF1.
30 novembre : PPDA tient sa vengeance. L’annonce (pas
vraiment surprise) de la candidature à la Présidence de la
République, du Ministre de l’Intérieur -et ami intime de Martin
Bouygues- n’est abordé qu’en quatrième position… après
notamment un sujet sur Dominique de Villepin. Un véritable
crime de lèse-talonnettes !

161
162
Sommaire

Roulette russe………...………………………………………….7

Règles du jeu……..……………………………………………9

Premiers pas ……...………...…………………………………..13

JPP ………………………….….……………………………....17

Harry, un ami qui lave plus blanc…………………………...35

Poivre…………………...………………………………………45

Aux frontières du réel……...…………………………………..59

Raccourci …………………..…………………………………..67

Les robots de l’info………………………..…………………..73

La Bourse ou la vie !………..……….…………………………85

Citrons pressés..………………………………………………..91

Postface …………………………………………………….…101

Bibliographie………………………………………………….127

Annexes

y TF1, une entreprise …………………………………...…133

y Biographie croisée des hommes et femme clef de la rédaction


de TF1………………………...……………………..………..141

163
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165
166

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