Le plaisir des mathmatiques

Jean-Pierre Serre
Mdaille Fields 1954, Prix Abel 2003, professeur au
Collge de France
Le plaisir des mathmatiques ? J 'ai commenc le
ressentir ds mes tudes secondaires. Pourquoi ? Un mot
l'explique : la curiosit. J e n'tais pas port plutt vers un
secteur qu'un autre, passant avec autant de joie de la
thorie des quations celle des coniques. La question
fondamentale est : comment a marche ? Ce qu'il y a
d'extraordinaire, c'est que l'on peut parfois y rpondre,
avec toute la rigueur ncessaire, en btissant des solutions
inattaquables. Qui ne dsire pas tendre la certitude ne
peut vraiment pas tre mathmaticien.
Bien sr, une thorie peut devenir un jour dmode, soit
parce que ses rsultats se dmontrent trop facilement, soit
parce qu'elle est absorbe par une autre, plus efficace.
Mais en tout cas - et c'est le point essentiel - elle ne
deviendra jamais fausse, la diffrence de ce qui se passe
dans les autres sciences.
Ce qui m'blouissait, c'tait qu'avoir compris quelque
chose en mathmatiques donne l'impression d'avoir acquis
un savoir dfinitif. C'est la seule discipline o cela soit
aussi clair.
Il existe de trs nombreux exemples de domaines o la
curiosit d'un mathmaticien peut avoir s'exercer. J e me
souviens par exemple d'avoir, taupin frachement intgr
l'cole Normale, lu avec passion le livre de van der
Waerden. J 'avais galement t fascin par le thorme de
J ordan disant qu'une courbe simple du plan euclidien
partage ce plan en deux rgions connexes. Avec mes amis
Lacombe et Poitou, nous avons essay de lire le texte
original, sans d'ailleurs comprendre vraiment la
dmonstration de J ordan. L'extrme simplicit du rsultat,
si pnible dmontrer, nous avait fortement
impressionns. Pourquoi a marche ?
Ce n'est que deux ou trois ans plus tard que j'ai vu
comment ce thorme se dduisait trs simplement des
proprits gnrales des groupes de cohomologie. Un bel
exemple !
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31/10/2004 http://www.rms-math.com/article.php3?id_article=12