Sciences-recherche-astrophysique PREV Traquer les secrets du cosmos à 1700 mètres de profondeur (REPORTAGE) Par Annie HAUTEFEUILLE =(PHOTO+VIDEO)=
MODANE (Savoie), 17 déc 2009 (AFP) - A 1.700 mètres de
profondeur, sous le mont Fréjus, les chercheurs du Laboratoire souterrain de Modane sont lancés dans une chasse aux particules de matière noire ou l'étude de fantomatiques neutrinos, mais disposent aussi d'instruments pouvant attester du millésime d'un vin. L'entrée du LSM, laboratoire le plus profond d'Europe, se situe derrière un abri anti-incendie du tunnel de Fréjus. Dans une chaleur étouffante, les équipes cherchent à comprendre "comment a été créé l'univers, de quoi il est composé et comment la matière va évoluer", résume son directeur Fabrice Piquemal, lors d'une visite de journalistes mardi. Des applications pratiques sont aussi prévues au LSM : grâce à des instruments permettant de mesurer de très faibles taux de radioactivité, il est possible d'y authentifier le millésime d'un vin, l'origine du sel de Guérande ou des pruneaux d'Agen. Pour rester "dans le top des laboratoires souterrains", M. Piquemal espère décupler la surface du LSM d'ici 2013, grâce à des financements dans le cadre du grand emprunt, en profitant du creusement d'une galerie de sécurité parallèle au tunnel du Fréjus. La matière visible formée de protons, neutrons et électrons ne constituerait que 5% de l'univers et la matière noire, jusqu'à présent de nature inconnue, 23%, le reste, étant attribué à une énergie noire selon les récents modèles cosmologiques. Pour traquer des WIMPS (acronyme anglais pour particule massive interagissant faiblement), hypothétiques particules de matière noire capables de traverser une montagne, les chercheurs ont caché leurs appareils sous 1.700 mètres de roches, pour les protéger des rayons cosmiques qui auraient brouillé le message. Alors qu'en haut du mont Fréjus, le flux de rayons cosmiques est de 10 millions par mètre carré et par jour, au sein du laboratoire il n'arrive plus que 4 rayons cosmiques par m2 et par jour, selon M. Piquemal. Les détecteurs ultra-sensibles de l'expérience Edelweiss 2 destinée à mettre en évidence des WIMPS sont en outre enfermés dans une épaisse coque de plomb les isolant de toute radioactivité ambiante. Comme le plomb moderne a une faible radioactivité résiduelle, une couche de plomb "antique" a été insérée tout près des détecteurs. Une cargaison de plomb romain transportée dans un navire ayant sombré voici 1.600 ans au large des côtes bretonnes a permis au laboratoire de disposer d'un trésor : du plomb ayant perdu toute trace de radioactivité. Ce type de plomb peut valoir 250 euros le kg, souligne M. Piquemal. D'autres protections (contre neutrons ou muons) entourent les détecteurs d'Edelweiss 2. Peu de chercheurs restent sur place. L'essentiel est piloté à distance et les équipes scientifiques peuvent vérifier en direct depuis l'Allemagne ou Grenoble si l'expérience marche, précise Jules Gascon, professeur à l'Université de Lyon. Derrière tous ces blindages, "on laisse les détecteurs compter" en attendant qu'une WIMPS "cogne sur un noyau" d'atome de germanium ultrafroid (-273,13°C), le faisant reculer et émettre une infime quantité de chaleur et des électrons signalant son arrivée, explique Gilles Gerbier, responsable scientifique de l'expérience. Un signal récemment identifié au LSM pourrait être le bon, même si statistiquement cela reste insuffisant, ajoute-t-il. La découverte a fait l'objet d'une publication scientifique. Beaucoup plus massif que le piège à particules de matière noire, le détecteur NEMO 3, haut de 5 mètres, vise à étudier les propriétés des neutrinos, particules passe-muraille et reliques du Big Bang qui pourraient expliquer comment a été créée la matière originelle. ah/mpf/phc