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IBN SINA : MYTHE ET REALITE, K. MOURAD La critique littéraire moderne considére que la vie d'un auteur n'est pas véritablement fondamentale pour étudier et analyser son oeuvre. Cette méme attitude se retrouve en philosophic. Parlant d’Aristote Heidegger M. dit : «ll est né, il a travaillé, il est mort.» De cette maniére il veut signifier que lessentiel demeure pour lui la lecture de Foeuvre!; Vintérét_biographique et psychologique ne pouvant dans ce cas «porter A la compréhension philosophique le tout unitaire de 'oeuvre [...}>?. De méme Goldman L.. montrant les limites de la démarche biographique, lui reproche, entre autres, de ne pas pouvoir relever ce qui, dans la vie de 'auteur a été déterminant dans I'élaboration de son ceuvre parce quil lui est difficile de déméler, dans leur enchevétrement, l'accidentel de Vessentiel. I est certes évident que la connaissance détaillée du vécu d'un auteur ne donne pas toujours de clé pour étudier son oeuvre, d'autant que bien des ouvrages ont survécu au Temps grice notamment a a tradition orale, sans que nous puissions identifier leur patemité -sil en fut. Oeuvres d'auteurs anonymes, elles ont néanmoins permis de renouer avec des époques lointaines offrant ainsi a Thistorien, a l'anthropologue. au sociologue... de reconstituer des systémes politique: de restituer des faits historiques, de décrire des modes de vie.. La vie d'Tbn Sina ne maurait nullement intéressé, si justement, elle n'entrait pas dans finit ainsi ce que la littérature désigne par “genre autobiographique” et quelle d «Récit rétrospectif en prose qu'une personne réelle fait de sa propre existence, lorsquielle met V'accent sur sa individuelle, en particulier sur histoire de sa personnalité.»’. Dans ce genre, le narrateur, qui est en méme temps Fauteur et le personnage, relate le récit de sa vie. Le lecteur grice a cette identité [narrateur=auteur=personnage] qu'il reconnait par des signes comme I'usage de la premiére personne, le nom de Tauteur qui est également celui du personnage..., admet qu'il a 1a une autobiographie. Cette relation spécifique établit un pacte4 tacite entre auteur qui promet de raconter la vérité, et le i sont narrés, lecteur qui accepte la véracité des faits qui h " Foltz 8. Heidexger ela curisitébiographigquen. im Magszine Litérire, Martin Heilegner Ere et le Temps, 235, novembre 1986. p26 2a Lejeune P. Le pacte autobiographiqne, £0, Sei, 1978.1 4. Keimeporse Mou ra Cependant, la particularité de la Sira d'Ibn Sing réside dans le fait que le Maitre dicte le récit de sa vie A son disciple qui le reprenu ensuite pour le continuer et le compléter par un genre voisin qui est le mode biographique. Ainsi, la Sira peut constituer un objet d’étude littéraire au sens restreint du terme pour dégager les modes narratifs qui s‘articulent sans exclure les autres aspects d'ordre historique, psychologique, social et moral. I! est vrai, que le récit dIbn Sina fournit quantité de faits de tous ordres qui ont permis 4 des spécialistes de disciplines différentes tant arabo-musulmans qu'occidentaux de reconstituer la formation de Venfant et identifier les maitres dont il fut léléve, de connaitre Vidéologie de son pére, de tracer les itinéraires de son errance, les fonctions qu'il a occupées sous les différents regnes en lutte & une époque fortement mouvementée, nommée a juste titre : “la fin des pouvoirs califiens : le temps des princes”S par les historiens. Ila permis par ailleurs de reconstituer une partie des livres quill a lus et la totalité des titres des ouvrages quiil a écrits, d’en retrouver certains pendant que d'autres nous restent jusqu’a ce jour perdus, si ce nest & jamais Enfin il nous apprend «au dela de la surface sociale, matérielle et pi tique de la vie du Maitre, ses cétés proprement moraux ; sa religiosité libérale. sa croyance rationaliste, son tempérament vivace, son indépendance spirituelle, sa ténacité intellectuelle, son érudition scientifique, son esprit encyclopédique, sa profondeur personnelle et son approfondissement des choses, des problémes et de soi-méme ainsi que de lunivers oi il vit et duquel il essaie de nous donner une image rationnelle et une description raisonnable.»® Mais c'est aussi a partir de la Sira que peu a peu va se construire le mythe d'lbn Sina Par mythe littéraire, il faut entendre, lentrée d'un lieu (Marrakech, Grenade, Cordoue, Bagdad ou d'une fagon générale 'Orient), d'un événement (La bataille de Poitiers. la Bataille des Trois rois), ou d'un personnage (Hardin ar-RaSid, al-Mansar, Don Juan) dans la démesure a partir de faits réels nourris par le travail de limaginaire populaire Vou savant. Dés lors, le réel mais aussi le fictif, le vrai mais aussi le faux deviennent partie intégrante du personnage. Tout ce quill a accompli se confond avec ce qu'on lui attribue de telle sorte que sa personnalité finit par contenir tous les possibles et réunir tous les paradoxes § Eats. snciétés et cultures du monele: musulossn médicvul Xe-XVe sigs er. et. “La tin des pouvsirs...”. ouvrage eollectif. Sl, PUP es § Homsi H..intruduction @ Avicesne, autho recip. -biegraphie. 6. € {py SINA MYTHE ET REALITE On reléve a travers la Sira qu'lbn Sind est marqué du sceau de lexcessif et de la démesure : génie précoce, mémoire extraordinaire. intelligence supérieure, vitalité inépuisable, grande générosité, noblesse d'ame, profonde piété. Enfant, il dépasse ses maitres en théologie, en jurisprudence et en mathématiques ; autodidacte en médecine alors qu'il n'est qu'un adolescent de 17 ans, il surpasse les médecins de son époque. Plus tard, il excelle en grammaire, en astronomie, en philosophie, en pharmacopée, et tant d'autres disciplines, laissant une oeuvre protéiforme. Henry Corbin écrit & son propos «{Il] fut un enfant extraordinairement précoce. Son éducation fut encyclopédique. englobant la grammaire et la géomé , la physique et la médecine, la jurisprudence et la théologie.»? Seul aveu dhumilité et d’honnéteté intellectuelles que l'on rencontre dans la Sira Teste, outre ses gestes de générosité et de piété, son aventure avec al-Farabi : il reconnait avoir lu quarante fois le livre de la Métaphysique d'Aristote sans rien y comprendre ; et qu'un jour, alors qu'il déambulait dans un marché aux livres, il fut accosté par un crieur qui lui proposa un ouvrage. Décu par ses vaines lectures, il le dédaigna ; le vendeur insista, lui expliquant que son propriétaire était dans le besoin. Cédant a sa générosité autant qu’a sa curiosité, il 'acheta. Le livre n'était autre que = fF “agra kita ma ba‘d al-jabi‘a a’AbU Nasr al-Farabi. Ce fut ce texte qui lui facilita Vaceés & la Métaphysique d’Aristote. «De retour & la maison, nous di |. je lus ce livre et par lui je compris ce que je savais par coeur. Je fus au comble de la joie, je rendis grace 8 Dieu et je répandis d'abondantes auménes.» Cette oscillation entre le réel et linvraisemblable contribue aus: a forger autour de la personne Ibn Sind des légendes chargées parfois de pouvoirs occultes. On raconte justement que vers la fin de sa vie il aurait cherché, et presque trouvé, le reméde qui le rendrait immortel. Pareillement, concemant Tincendie de la biblioth&que de Boukhara, pendant que certains l'accusaient den étre Yauteur a seule fin de devenir unique détenteur du savoir quelle recelait, d'autres en revanche se consolaient en disant : «Le sanctuaire de la sagesse n'a pas péri, il s'est transporté dans le cerveau du a’-Saykh ar-ra'Is.»8 Aux légendes, il faut aussi ajouter les controverses suscitées par sa pensée. «De son vivant comme aprés sa mort, [son] oeuvre philosophique a été l'objet de critiques virulentes. Deux accusations principales ont éé portées contre le grand penseur ” Le musulman : d'une part l'athéisme et I'hérésie, de l'autre le manque d'original 7 Corbin H. Histire dela philosophic isanigue, 8 Gallimard. 1964. pp. 236-236, § Ammar. thn Sani Avice, la vie et aeusre. 84. LOr du Temps, 1992 . 32 Davat “une pensce nmatrice”. i Le Courter de TUNESCO, cewbre 1986, p29, KitREDDINE MoURND méme auteur ajoute un peu plus loin : «Parmi lc- penseurs les plus critique on trouve le théologien et philosophe Fakhr al-Din Razi (1149-1209), et le philosophe al- Ghazali (1058-1111), connu également sous le nom d’Algazel. Mais il a surtout été son égard, soumis & un feu nourri de la part des théologiens de son temps. A lépoque moderne quelques chercheurs ont contesté Voriginalité de son apport. Certains se plurent 3 ta comparer 3 Firdasi en poésie (v. 930-1020), & al-Birini (973-1048) dans le domaine de Vastronomie et des sciences naturelles, a al-Razi (865-923) en médecine, concluant dans chaque cas & linfériorité d'Ibn Sind par rapport @ chacun dieux. D'aucuns ont méme soutenu qu'lbn Sind le philosophe n'a fait que reprendre et développer les théses de son illustre prédécesseur al-Fardbi (872-950), sans rien y ajouter de substantiel.»! Enfin se demande-t-on encore 4 son sujet, fut-il un homme animé d'une haute éthique et d'une profonde mystique ou un matérialiste et un jouisseur effréné ? A propos des Badawi, citant le disciple du Saykh, nous dit qu'il «fut fort en tout : la force de copulation domina toutes ses autres forces; il se livra démesurément a cette concupiscence, ce qui affecta beaucoup sa santé.»!! A quoi répond Leclerc : «On a donné souvent Avicenne comme un débauché, dont les excés auraient abrégé existence. mais on n'a pas assez songé a ses excés intellectuels quill a pratiqués si constamment et si prématurément. Sa précocité et sa fécondité, au milieu d'une vie si tourmentée. tiennent du prodi Son existence n’était pas moins porteuse de démesure tant elle fut aventureuse aussi bien quand il entra au service des princes par ambition ou par néc 6, que sur les routes, condamné a une errance foreée. «Sa vie, écrit H. Corbin, passa done dans Vatmosphére des cours : soit dans les villes oi résidaient les émirs, soit dans les voyages et les expéditions. Ses journées (...) étaient en général occupées par les affaires du monde, et la nuit, entouré de ses disciples, i composait ses traités de philosophic ou de médecine.»!3 En réalité elle fut moins paisible et, bien que tour a tour, ministre, médecin dmirs, prisonnier dans quelque sombre citadelle, exilé en fuite, ou protégé d'un mécéne. Ibn Sina continua avec une égale ferveur a écrire ouvrage sur ouvrage. comme si son souci était moins daffronter les vicissitudes de Histoire que de triompher du Temps. «ll pouvait travailler nimporte ot et dans nlimporte quelle circonstance. note Asimov Gcrivant ou dictant ses ouvrages jour et nuit, en prison ou en voyage, méme i cheval Diaprés les calculs du savant iranien Said Nafissi. il a écrit (ou lui sont attribués) 456 ouvrages en arabe et 23 en persan. Dans les catalogues Jes bibliothéques et divers pays du monde, on dénombre au moins 160 livres d'Avicenne (...]»!+. Ou att °A. Hise la pion sary, €3. Nein 1972 9, $9899, "2 Lectore L. Hise de ta deine era ed. Lenon e&t€ pa le Mistre des Habhous et des Atfatres Islanyaes, a 190, p 65-467 "9 Copbin Lr penne relign use avicomne,&. Neon 298, 9,20 14 psimow M.S.."Ubn Smite, an seme cise. Le Coumer de TUNESCO,oetobne 1980. p.4 6 Iss SINA MY THE Er REALITE Grand philosophe et prince des médecins ou simple compilateur Ibn Sind ne va pas moins marquer de son empreinte aussi bien laire arabo-musulmane que Occident et ce, des sigcles durant. Ses ouvrages deviendront des références incontournables qui fourmillent de théories, d'analyses, de commentaires, et intuitions dans différents domaines notamment en physique, en astronomie, en mathématiques, en minéralogie «formulant un grand nombre didées originales qui ont influencé profondément les sciences naturelles de son temps, et qui restent encore actuelles aujourd'hui.»!5 A. S. Sadykov va jusqu’a le considérer comme le précurseur de la science moderne non sans aborder les domaines oit Ibn Sina Ia été. En physique. il a laissé une étude du mouvement et de la mesure du mouvement en établissant une théorie «selon laquelle la vitesse est fonction de ce que l'on appelle, en physique moderne la “masse"[...}>!®. Pa ailleurs, il a pu déceler «les vitesses des deux formes de mouvement de la matigre» «on voit, écrit Ibn Sind le tonnerre (I'éclair) & un moment, et on lentend @ un autre, aprés que le bruit s'est déplacé graduellement dans lair jusqu’a louie.»!? Ce dont il est question ici n'est rien moins que la distinction entre la vitesse de la lumiére et celle du son. Il a été le premier également & considérer «espace et le temps comme des quantités de mouvement.»!8 Il a abordé ““ilm al-fiyal” et laissé des descriptions de mécanismes simples et d'autres complexes mus par des treuils, des poulies et des vis & partir desquels «furent inventés plusieurs appareils utilis eau ou pour traiter Thuile, les grains et le coton.»! En astronomie, il a mis au point, ss en Asie Centrale pour tirer entre 1012 et 1014 une méthode pour déterminer la différence entre les longitudes de deux localités?0, Méthode qui sera redécouverte, cing sigcles plus tard par Johannes Werner (1468-1528). D'autres hypotheses non moins révolutionnaires ni moins scientifiquement exactes, ont été formulées en chimie, en minéralogie, et en géologie. Reste enfin son appropriation par 'Occident qui renforcera davantage son mythe. Diabord par la métamorphose onomastique qui le fera passer d'lbn Avicenne. Dans cette nouvelle transhumance, et de la pensée, et de Voeuvre d'ibn Sind «un mouvement naquit qui porta son nom : lavicennisme latin. II s'étendit principalement trois domaines : la philosophie, les sciences, en particulier la médecine.»?! 'S Sadykow A.S..°Un précurveurde la science moderne”id pA 4 M1 ia pad Mu 20 ic en substance, en quo elle consist: ane est observe & som nih. pati msde sun lacaté dont ong ext inconnve. Puis on ealele Ta positon de ln lune & Tide de ables établie pour vine Toca oat Is longitude est conn ditérence entre la position quon a calcul et celle qu'on a obserée se adult par la ditféeace Ueures desde localités.lagulle constitu fa diffrence entre leurs longitudes wéographiques » Salykow. op. cit pH 21 Nogales S. G."Comment thn Sina devin Avicenne”, i Le Courter de TUNESCO. octobre 1980. p. 32. KHREDDINE Mor'RAD Sa pensée, A encore, controversée, défendue. rejetée, servira a forger des systémes philosophiques et doctrinaux aussi bien a l'époque médiévale (Saint Albert le Grand [v. 1200-1280], Saint Thomas d'Aquin, Duns Scot [1265-1308]), que durant la Renaissance (Tommaso de Vio [1469-1534] ; Jean de Saint-Thomas [1589-1644]). «L'actualité de la pensée d’Avicenne, conclut Nogales, se retrouve d'une part dans le subjectivisme moderne, de Descartes & Kant, de l'autre, dans toutes les preuves de existence de Dieu par les arguments ontologiques d'Henry de Gand & nos jours. Finalement, il apparait comme un logicien en avance de huit sicles sur 'Occident.»22 Sur le plan de la pensée, il est vrai quactuellement, son oeuvre suscite encore. comme par le passé, un intérét accru. Mais le mystére, et donc le mythe, nen demeure pas moins présent. Précisément A cause de -ou grice a- la disparition dune partie de ses, textes, notamment al-fikma al-masriqyya, lors du sac d'ispahan (1034) et le Kitab al- Ingaf dont il ne reste que quelques fragments sur les vingt fuit mille questions auxquelles il répond. Une connaissance globale de sa pensée reste snachevée du fait que son oeuvre est incomplete. Un autre obstacle joue 14 encore en faveur du mythe et que Goichon exprime trés clairement : «nous nous trouvons, écrit-elle, devant une oeuvre trs complexe. Elle est d'un scientifique encore plus que d'un philosophe : on peut s'en faire une idée rien quien se reportant aux index de Introduction 10 the history of science de G. Sarton, qui permettent dentrevoir immense influence exercée pendant des sciécles par une pensée multiforme, dont la valeur marqua profondément presque toutes les branches du savoir humain. Aussi. les études qui omettent dans leur mi point ce rapport de la partie philosophique 4 un ensemble beaucoup plus large. ne la situent pas dans la véritable vue dibn Sina. Jamais on ne l'étudie dans son unité au dhomme. Ou bien le médecin, ou bien le philesophe. M. Gardet, et nous-méme. en avons fait autant.»2¥ Contrairement donc, a une tradition littéraire et philosophique qui considére qu'une oeuvre n’est parachevée qu’a la mort de son auteur, avec Ibn Sina, les chercheurs en sont encore a des interrogations et des conjectures. Mais comment faire autrement ? Diautres questions encore restent en suspens et méritent des études approfondies. Je pense par exemple a apport réel dilbn Sind. mais aussi d'autres penseurs araho- musulmans a la philosophie qui semble se réduire aujourd'hui a Taxe gréco- germanique? S'agissant précisément de heritage hellénique Buc! .i écrit: Pourtant Cest une vérité a laquelle je suis parvenu aprés avoir passe unc vertaine Wannees penché sur l'étude de lhéritage grec dans la civilisation srabe Ce ue jai trouve parmi les trésors de manuscrits arabes qui n’étaient pas ences: #1: tiés- des testes ues importants et assez abondants attribués aux penseurs de Io Gréce + les uns sont sans = Hp 38. 5 tow Sina. Lave des irectivs eles remarqucs.t AM Goichon. ct introduction p. 8 éd. Vern 1851 INA MYTHE Et REALITE trace dans ce qui nous est parvenu de la Grace ; les autres sont authentiques, mais leurs originaux grees sont perdus ; par contre leurs traductions en arabe nous sont bien conservées. Dans la premiére catégorie entrent des textes qui sont sirement apocryphes. et dautres qui pourraient bien avoir une origine grecque authentique.»™ Cette découverte est d'une importance capitale dans a mesure od elle nous permet de nous interroger non pas sur ce qui est grec et ce qui ne lest pas, mais sur la démarche philosophique contemporaine, je pense entre autres 4 Heidegger, qui dialogue avec Vhéritage grec épuré -mais cela est-il possible?- de toutes les pénétrations qui font enrichi? Autrement dit, si la philosophie n'est pas lige a 'axe gréco-germanique, oi se trouvent les apports des autres cultures dans la construction de la pensée humaines ? Si la raison est une, chaque peuple est universel 4 'exclusion des autres, Dans le cas contraire. Ja raison ne saurait se construire que d'une mosaique d'approches du monde. Si tel est le cas, et c'est ce que je pense, je dirais en songeant a un célébre vers d'un pote : un seul fragment de la raison vous manque et la connaissance sen trouverait dépeuplée. Je concluerais en disant que la Sira est une oeuvre littéraire qui apporte un éclairage pertinent sur la vie d'Ibn Sind, mais qu'elle ne nous permet pas de comprendre par exemple Le Livre des directives et des remarques (Kitab al-Lsarat' wa al-Tanbihat) ov il aborde la Chose -la quiddité-, concept qui interpellera encore aujourd'hui Heidegger’, ni la classification des cieux qui a inspiré Louis Aragon, dans son ouvrage, Le Fou d'Elsa, chant poétique au legs arabo-musulman & !Occident. Ibn Sina fut d'une exceptionnelle intelligence, mais comment opérait-il ? Nous l'ignorons. Son oeuvre est certes magis mais c'est son oeuvre qui le dit, non son vécu Loeuvre d'lbn Sina, comme sa vie portée par une puissante vitalité, ressemble «en quelque sorte A la métaphore végétale du pollen, frappé a la fois d'errance et denracinement et qui peut sommeiller, des siécles parfois, pour s‘éveiller un jour, ici plutét que 1a, et donner a plante et le fruit. Ou encore comme la transplantation des eucalyptus qui d'une terre A une autre donne une essence différente» mais nous pouvons dire que tout savoir, toute culture d’od quis vinssent, connaissent «cette incroyable figure oi errance et enracinement sont aussi solidaires que les deux pages d'une méme feuille»?6, 24 Badawt°A. La Transmission dela philsphie greeque aw monde arabe, 6d, Vein, 17-0. Ine Sevion 25 Heidegger M.. Eswais er eonfrences, 8, Galliotd, 1984, CF "La Chose” pp. 19 26 Mourad K.."La transhumance des cultures Actes du Colloque Euro-Arahe sre theme : Lawrie, Soci et Développement 15-17 avril 1996. Rabat, pals avec le coneours de In Fondation Konrad Adenauer. KiiiREDDINE Moka BIBLIOGRAPHIE ‘Ammar S., Ibn Sud, Avicenne. la vie et locuvre, &d. LOr du Temps, 1992. ‘Aragon L... Le Fou d'Elsa, 64. Gallimard. 1963. Aziz P., Les sectes secrétes de Islam, éd. Robert Laffont, 1983. Badawi “A., Histoire de la philosophie en Islam. &4. Vrin, 1972. Badawi ‘A...Lat Transmission de la philasophie grecque au monde arabe, 64. Vtin, 1987, Corbin H., En Islam iranien, 6d. Gallimard, 1972 ~ imagination eréatrice dans le soufisme d'bn ‘Araby, 6d. Flammarion. 1958. - La Pensée religieuse d’Avicenne, &d. Vrin, 1951 - Histoire de la philosophie islamique, é4. Gallimard, 1964. Etats, Sociétés et culture du Monde musulman médiéval Xe-XVe siecle. ouvrage collectif. ed. PUF. 1995, Etudes sur Avicenne, dirigées par J. Jolivet et R. Rashed, éd. CNRS. 1984. Gardet L., Les Hommes de U'Islam. 64. Hachette, 1977. Heidegger M., Essais et conferences, éd. Gallimard, 1958. Histoire des sciences urabes, sous la direction de Rashed (Roshdi. éd. Seuil, 1997 Homsi H., Avicenne ; autobiographie-biographie. 8 Ibn Khaldan, Discours sur Histoire universelle. Tr. Vincent Monteil, 6d. Sindbad, 1967-1968 Ibn Sind, Le Livre des directives et remarques, tt. A.-M Goichon, éd. Vrin, 1951 Le Courrier de Unesco, "Avicenne”, octobre 1980. Leclere L.. Histoire de la médecine arabe, &. Ernest Leroux, 1876 : réedité par le Ministére dex Habbous et des Affaires Islamiques, Rabat, 1980. Lejeune P., Le Pacte autobiagraphique. 4. Seuil. 1975. Munk S., Des Principaux philosophes arabes et de leur doctrine. &d. Vein 1982, Needham J., La Science chinoise et 'Occident, éd. Sevil. coll. Points, 1973. Sinoué G., Avicenne ou la route d'Ispahan, &d. Denok, 1989. REFLEXIONS SUR LA TRANSMISSION DU SAVOIR A PARTIR DE LA BIOGRAPHIE D'AVICENNE R. BENMOKHTAR I/ INTRODUCTION Jai essayé dans ce qui suit de me concentrer sur la vision de l'éducation et aussi sur sa pratique par Avicenne ; c'est un travail passionnant, difficile & traduire sur le papier Sortant de trois années a la téte du département de 'Education, je découvrais plus que des points communs, des communautés de vue, voire une complicité avec Avicenne y trés. modeste contribution conscient de I'importance de Veuvre et de la pensée d'Avicenne en matiére d’éducation espérant principalement aiguiser la curiosité des pédagogues pour quils approfondissent plus ce travail et pour que les pensées d’Avicenne sur l'éducation revivent et fassent revivre nos projets éducatifs, pour sortir plusieurs idées que je croyais originales étaient en fait millénaires ! J'ai done écrit cette nos systémes d’éducation de leur grande crise actuelle! I/ AVICENNE ET L'EDUCATION Avicenne a-til été un éducateur ? La réponse est oui et ce de deux maniéres différentes. La premiére revient 2 son ceuvre. qui en elle-méme est une cuvre gigantesque de transmission de savoir. La deuxigme est qu'Avicenne avait une vision particuligre ou personnelle de Véducation. Mais alors quel est son fondement philosophique ? En fait, en tant que penseur, Avicenne sest prononcé sur de nombreux sujets et l'éducation fait partie de ses réflexions. Ses idées dans le domaine se fondent essentiellement sur sa vision de Vhomme, de la société, sur le savoir et son mode dacquisition et sur les différents comportements de l’étre humain en fonction de son dge ou de l'environnement auquel il appartient. Avant de rappeler briévement quelqu s unes de ces idées qui constituent lassise philosophique de ses points de vue sur l'éducation, il convient de rappeler qu’Avicenne & sa fagon était un musulman convaincu et que sa croyance et ses relations avec le Coran ne sont pas étrangéres a sa vision. " Lorsgue le Professcur Moulay A. ma demandé de présenter un anicl sue Avigen et Tustin. (ai commened par eeusee. Fa effet, je avails pas une connaissance approfondie de Taruvre de e grand mate. dont fassocins plus fe nom a mélecine qu kt plagoge. I insist. Je promis alors d' rfléchie et de me documenter.Jentepris done un vossze 3 la decouvert 'Aviccnne. Ne us rapidement fascine parla vie et Faure de cet ive Zexception. Plus favangais dans cete recherche. plus je me rappel de rmaniére quasi obsessonnelle. comment le monde masulman a pf si mauvais usage oy pas Jusye, de Fieuvre de ce: home RActIb BENMOKIETAR IL1/ AVICENNE ET L’ETRE HUMAIN Selon Avicenne, létre humain est a la fois corps et esprit. Sans l'un, Tautre ne peut exister. L'esprit est la source de la vie consciente et le moteur de la vie physiologique et bon ni mauvais. Son mécanique. Sur le plan moral, [tre humain ne nait comportement et sa conduite se fagonnent en fone n de environnement dans lequel il grandira et vivra. Mais a cause de ce don divin qu'est lesprit, il reste responsable et autonome car il est le seul capable par ce quil aura acquis de ce qui Tentoure, de changer son destin. Ainsi si Avicenne donne une importance capitale 3 la volonté et au libre jugement, il reconnait le réle essentiel de la société dans la formation morale de Vindividu comme dans sa formation d'acteur de cette société IL2/ AVICENNE ET LA SOCIETE Selon Avicenne, la société est composée d'individus différents dans leurs capacités et aptitudes. Ces différences induisent une certaine forme de spécialisation des étres qui rend nécessaire la coopération et Yentraide entre eux. Cependant, cette coopération et entraide qu'aujourd’hui on appellerait synergie, ne sont possibles que <1 la socicte est organisée selon les régles respectées par tous. Mais d’od y permettent de gérer une si grande complexité ? elles sont transmises par Khalifa qui applique la loi pour tous les cas explicites dans le texte et qui par al-"ijtihad nent ley régles qui p nad F OU son et la concertation trouve les solutions aux cas non explicites. Avicenne met ainsi en cohérence une vision de la société basée sur la reconnaissance de la différence entre les étres et leur individualité, et ob le regroupement est une nécessité de survie ; et d'autre part une vision de la société dont rorganisation « idéale » est d'essence divine et qui nécessite un guide connaisseur de Ia loi et capable de sagesse pour faire progresser les régles et assurer la cohésion du groupe et le faire évoluer. De ce fait, dans la société, les individus n’auront pas la méme formation ni le méme rdle & jouer, mais tous devront éue utiles au groupe pour assurer sa cuhésion et sa survie. Matis comment est-ce que Ii . la société dividu acquiert ce savoir et cette expérience utiles & 1.3 / AVICENNE ET L’ACQUISITION DU SAVOIR Lindividu selon Avicenne acquiert le savoir par le moyen de ses sens et de son intelligence. Il est important de souligner qu’Avicenne parle d'une intelligence en Evolution qui dans sa premiere phase. celle de enfance, est préte a Vacquisition de ls connaissance et qui progressivement va sfenrichir des résultats de Vexpérience et du savoir acquis. Ainsi di -il plusieurs phases dans cette évolution, La pre! ere REFLENIONS SUR LA TRANSMISSION DU SAVOIR A PARTIR DE LA BIOGRAPHIE DAVICENNE phase est celle de la petite enfance, intelligence "primitive"? est transmise a enfant & sa naissance. De par son existence et sa nature, elle distingue 'étre humain de l'animal et cest elle qui lui donne sa capacité d'apprendre. L'enfant passera alors par plus phases od son intelligence se développera en accroissant ses capaci eur 's de mémorisation, de recherche, de comparaison et d'abstraction, ce qui permettra 4 enfant d'apprendre la lecture, Vécriture et le raisonnement, Parallélement, il distinguera te bien du mal, et deviendra responsable car le premier devoir de 'étre humain est de reconnaitre ses faiblesses et ses erreurs et dlagir pour acquérir le sens moral qui distingue Vétre supérieur. Pour Avicenne, esprit est éternel et son acceptation dans le royaume divin est qu A ses actes durant sa vie matérielle. De ce fait, l'acte éducatif devient un devoir et fonction de la connaissance, du savoir acquis et du degré de moralit aura imprimé Véducation une finalité, non seulement pour l'accomplissement de son devoir au sein de la société mais aussi pour atteindre le degré de pureté nécessaire pour que I'ame s'éléve dans 'au-deld parmi celles des justes et des prophétes. Mais comment atteindre cet objectif a la fois pratique et moral ? 1L4/ LES IDEES D'AVICENNE SUR L’EDUCATION En effet, pour Avicenne l'éducation a un objectif. Et cet objectif est celui de former un citoyen sain, de corps, desprit et de comportement, et de le préparer 3 un travail ou & un métier intellectuel ou manuel utile a la société. Avicenne insiste sur le fait que le travail manuel nécessite un apprentissage continu qui seul peut mener & la maitrise professionnelle. Selon Avicenne, cette préparation et cette formation tiendront compte des quatre étapes de la vie d’un individu : la période de développement qui va de la naissance & trente ans, la période de la jeunesse qui va jusq ’a trente-cing-quarante ans, la période de maturité qui va jusqu’a soixante ans et la période de vieillesse qui va au dela, La premiére période est divisée elle-méme par Avicenne en étapes subsidiaires : la petite enfance (0 & 2 ans), Yenfance (3 & 5 ans), la période denseignement (6 a 14 ans), la période d'enseignement spécialisé (15 ans et plus). Avicenne s'est intéressé a chacune de ces étapes, précisant les actions a entreprendre. Jes précautions A prendre, lenseignement 2 donner et les méthodes a utiliser, ne négligeant ni Vhygigne, ni la nutrition, ni le comportement de lé ducateur ou des parents Ainsi, bien avant les psychologues modemes, Avicenne avait percu limportance de Yéducation dans la petite enfance sur la formation du caractére, le développement de Vintelligence et du corps. Sil insiste sur limportance de lallaitement materne! pour le primitive «dans le sens qui vient avant, Rachid BENMOKIUT A nouveau-né, c'est autant pour des raisons de sai". ' »sique que mentale, Sil insiste sur Texercice des cet age c'est parce quiil pergoit son importance dans le développement physique de l'enfant et son équilibre Limportance de l'environnement dans ta formation de la personnalité et 'équilibre psychologique est largement soulignée. La peur, 'agressivité. le mensonge... peuvent Gtre évités non par un enseignement quelconque mais par les actions entreprises pour éloigner ces sentiments ou ces réflexes de l'enfant. Pour Avicenne, l'enfant doit étre heureux et protégé dans cette phase. On doit également former son goat, doit Vimportance de la musique, du chant, de la découverte de la nature et de ses merveilles L’étape de l'éducation primaire, pour Avicenne, est une étape de la vie de l'enfant qui doit étre organisée. Il doit progressivement y acquérir les (Coran, poésie, écriture, lettres...). Cest un enseignement qui doit aboutir es de la culture islamique progressivement la spécialisation. Avicenne recommande que cet enseignement soit collectif et non individuel et il a aussi percu le rdle socialisant de I'école bien avant le vingtitme sidcle. Vient alors I'étape de la spécialisation qui repose sur les aptitudes, les prédixpositions et orientation. Le choix doit mener vers acquisition de plus de connaissances ou ka préparation d'un métier. Avicenne insiste sur le libre choix de lenfant et attaque violemment le fait d'imposer 4 un enfant une orientation différente de celle qui! souhaite. Avicenne reconnait que lorientation est une tache difficile car il peut y avoir une opposition entre les aptitudes et les désirs, mais il recommande néanmoins une orientation scolaire ou professionnelle, car il est important de relier 'éducation et les besoins économiques et sociaux de la société. En fait, il préconise que la phase finale des études soit celle de la spécialisation qui est basée sur existence de prédispositions chez enfant ainsi que de sa maitrise des connais aires a cette spécialisation. Les méthodes éducatives Avicenne préconise des méthodes pédagogiques appropriées a chacune des étapes de la phase éducative, Ainsi pour l’tape de zéro a trois ans, qui a pour objet essentiellement une ouverture de Tesprit et des sens et une croissance harmonieuse du corps, l'éducation physique et musicale doivent avoir une part importante A cOté des acti accorde une part trés importante au jeu et l'éducation physique quill considére comme ités deve Ce qui est tres intéressant c'est qu’Avicenne des activités socialisantes et formatrices du caractére de l'enfant. Diailleurs il préconise le recours au jeu méme dans 'étape de Venseignement primaire. Mais parallélement il souligne la nécessité d'adaptation des exercices et des jeux a | force. En ce qui concerne létape suivante de 6 a 14 ans, les matiéres a enseigner sont ige de Venfant et sa [RESLEXTONS SUR LA TRANSMISSION DU SAVOIR A PARTIR DELA BIOGRAPHIE DAVICENNE Vapprentissage du Coran, lécriture et la lecture, les bases religieuses, une petite dose de poésie arabe, le calcul et les mathématiques ; tout ceci complété par le jeu et l'éducation physique. L'apprentissage du Coran a une place importante dans cette éducation. Si Avicenne nomme les philosophes précédents ou contemporains reconnaissant que l'enfant 4 cet ge ne pouvait comprendre le sens des versets, cet exercice était important sur plusieurs plans V'apprentissage précoce garantit une mémorisation longue, la fierté de posséder le livre sacré est un élément important de lintégration dans Ja communauté musulmane, ‘le vocabulaire de l'enfant s‘enrichit et sa maitrise de la langue s'affirmera plus facilement avec 'apport des autres apprentissages. ‘*le Coran constitue un repére et donc offre des références a l'enfant lors de la phase d'affirmation de sa personnalité et de 'acquisition des concepts moraux et du sens des valeurs. L’tape suivante, celle de spécialisation, commence comme on I'a dit plus haut par Yorientation de enfant, compromis entre ses goiits et ses capacités. Chaque matigre a ses spécificités et nécessite une certaine connaissance et savoir-faire. Selon Avicenne, il est important que l'enfant soit orienté vers des connaissances spécifiques qu’elles soient ances soient intellectuelles ou manuelles. Ce qui est important est que ces conn: celles nécessit ies par des métiers et aboutissent A cette intégration sociale of létre iS de appartient au groupe parce quiil lui st utile. Avicenne insiste sur la spé Yenseignement nécessaire A chaque métier, faisant la différence entre l'enseignement théorique et lenseignement pratique. En ce qui concerne lenseignement théorique, il distingue notamment dans Venseignement des sciences entre les sciences naturelles les. sciences générales et les sciences naturelles particuligres ou spécifiqu mathématiques générales et spéciales, les sciences philosophiques, les sciences sa vie familiale humaines et sociales qui sintéressent au comportement de individu, et sociale, et & la vie politique. Avicenne insiste sur le fait qu'il n’existe pas une seule méthode ou approche pour acquérir sciences, savoir ou métier. Et il cite des. voi nombreuses et plusieurs philosophies a ce sujet. Liacte éducatif doit siinscrire dans une approche qui tient compte de l'époque et des objectifs assignés A cet acte. Ce quil convient de noter ici c'est l'importance du rdle personnel de l'étudiant qui, ayant une liberté relative dans le choix de ses études, doit s‘investir personnellement dans sa quéte du savoir. Rach BeNwoxtiTak Avicenne pour sa part ne sest pas contenté d'une méthode. Avicenne ne dictait pas. ses étudiants devaient faire un effort d'apprentissage personnel : lui. leur offrait lors de ses cours occasion de vérifier leur compréhension. d’étendre leur savoir ou de confronter ses idées aux leurs, Cette confrontation didées était une des meéthodes les plus prisées. Ses vertus sont acquisition de 1a précision et de la concision du lang. du sens de la répartie, de la rapidité de réflexion, Elle aiguise également lintelligence et développe ta confiance en soi, dit alors Avicenne. Une autre méthode utilisée par Avicenne est celle de la correspondance. le maitre rédige un précis sus un theme ou répond une question de ses éléves, et les invite a répondre. Les étuciants sappuyaient sur les documents a leur portée. livres, manuscri pour répondre. débattre. questioner, Liexercice pratique dans la phase de spécialisation est fortement recommandé par Avicenne et cet exercice permet de confirmer le choix et de contronter théorie et pratique. Toutes ces méthodes tendent a développer le sens de la responsabilité chez 'étudiant. les qualités diinvestigation et d'autres apprentissages, le tout dans une logique d'observation, de raisonnement, de déduction dont Avicenne fut un des miaitres incontestés. Ill/ AVICENNE EST MODERNE, La premiére réaction aprés cette investigation est de dire « Avicenne est moderne ». en fait il est plus que modeme ! En effet, ce nest qu’au courant de ce sitcle que les relations entre l'apprentissage et le développement de intelligence ont commencé i faire Vobjet d’études et de recherches approfondies. Les apports extrasomatiques dans n de enfant et surtout dans le développement de s révolut n intelligence sont aujourd'hui établis. L’éducation sert aussi bien a activer les capacités de notre cortex qu’a développer ce méme cortex par lenrichissement du réseau de communication intra- cérébral. Ainsi. elle augmente nos capacités d'observation, d'induction et de déduction. Avicenne avait déja percu cet apport et avait établi la relation entre lige de 'apprenant et ses capacités d'apprentissage d'une part et l'apport précoce de savoir et de savoir-faire pour faciliter te développement de son intelligence. de ses capacités mais aussi pour socialiser son comportement. sudes récentes Quand Avicenne préconise le recours au jeu, il est précurseur. D+ sur le jeu chez les animaux ont montré son importance sur la formation du caractére, sur Vacquisition de la notion de limite, sur la confiance en soi et sur léquilibre psychique. Le jeu est un élément indispensable a la socialisation, Or, depuis Avicenne. le temps consacré aux jeux a l'intérieur des écoles a été réduit a une portion congrue. le jeu étant méme considéré comme inutile. REILENIONS SUR LA TRANSMISSION DL. SOIR A PARTIR DE LA BIOGRAPHIE D ANICENSE Quand Avicenne affirme que l'éducation a une finalité et que I'utilité sociale est un de ses objectifs, ne répond-il pas & ce souci majeur aujourd'hui qui est celui de former des citoyens utiles ? Quand Avicenne donne une place importante 4 Vorientation et parle d'un compromi is entre le projet de lenfant et ses capacités a réaliser ce projet et lt écessité de poursuivre un objectif de formation pour sintégrer dans sa société. ne répond-il pas & une de nos questions majeures d'aujourd'hui, et surtout ne nous don: il pas une legon tant nos systémes d’éducation sont loin de se soucier des besoins de nos économies ? Les méthodes préconisées et utilisées par Avicenne sont a Yopposé des concepts basés sur 'apprentissage par la mémoire et les cours magistraux. Le maitre au centre du cercle des étudiants, répondant aux questions, ouvrant les débats, provoquant ses éléves. des éleves curieux, préparés qui questionnent et poussent le maitre a s'élever dans ses réponses et dans sa science, est une autre image que celle du maitre sensé tout savoi au-dessus des éléves sur son estrade, les écrasant de son autorité. dispensant son cours souvent avec lassitude, fuyant les questions et quétant la cloche qui mettra fin A cet éniéme acte de la tragédie. L'échange de correspondance entre maitre et éléves n'est pas déja un enseignement a distance? En tout cas. on y trouve les vertus déclarées des partisans du télé-enseignement interactif qui parlent d’enseignement asynchrone et synchrone: Oui, Avicenne est trés moderne, il est innovateur et c'est une lecon. Cependant, sii est un point pour lequel Avicenne est resté en harmonie avec la société de son époque et pour lequel il n'a pas apporté didé: l'éducation des filles, En fait, il en parle peu et ne préconise rien en ce qui les concerne ni ne défend leur éducation. Or, & cette époque il y avait de nombreuses femmes. 'S novatrices, c'est savantes, . des poates, , des femmes de grande culture..., reconnues et citées. En fait, ces femmes ont regu une éducation a domicile grace a effort particulier de leurs parents et a leur engagement personnel. Pour expliquer l'attitude d’Avicenne, il faut revenir & sa vision de la femme dans la société. Pour Avicenne, quand thomme s'est sédentarisé, il a développé la notion de propri et de bien personnel. Il a alors eu besoin d'une compagne, pour garder sex biens durant son absence et pour l'aider A les conserver et participer a son bien-étre en sloccupant du foyer et des enfants. Ainsi, pour Avicenne, 'utilité sociale de la femme est son utilité familiale, elle n'a donc pas besoin d'études spécialisées conduisant a un métier. RACHID BENMOKIITAR Mais alors pourquoi la priver d'un enseignement primaire ? La, il n'y a pas de réponse, sauf celle que l'éducation de Ia fille A domicile était une chose admise, alors quielle n’était pas acceptée a l'école. Mais Avicenne n'avait-il pas préconisé de toujours adapter l'éducation et Yenseignement A son époque et 4 la société ? On peut alors spéculer qu'il n’aurait pas pu étre contre la généralisation de la scolarisation des filles et leur accés & tous les métiers de nos jours. Mais comment se fait-il que tant de clairvoyance, de bon sens et de savoir aient été effacés, ignorés pendant des siécles ? En fait, cherchant & comprendre, j repris un autre grand maitre de la pensée arabo- musulmane, un autre précurseur, celui de l'analyse des systémes, je veux dire Ibn Khaldan. Ibn Khaldan développe des idées similaires & celles d'Avicenne quil a probablement lu, Ainsi il affirme que le besoin de savoir est nature! chez 'homme. I! établit également une relation explicite entre le développement du savoir-faire agricole ou dans l'industrie et le niveau d’éducation et de culture. Pour Ibn Khaldin, !'panouissement culturel et la richesse des Economies sont souvent liés au niveau d'éducation des populations. De méme, Ibn Khaldin a bien saisi limportance de apport extrasomatique au développement de intelligence qui selon lui se développe par les études, l'exercice des métiers et les comportements quotidiens. Cependant, Ibn Khaldan a bien observé la décadence des pays du Maghreb et notamment dans le domaine de l'éducation. A ce sujet, il a écrit que Fes et le reste des pays du Maghreb brillent par absence d'un bon enseignement. Ainsi ceux de leurs habitants qui se consacrent aux études, ont passé une bonne partie de leur existence a fréquenter des assemblées savantes, silencieux, ils ne parlent, ni ne débattent et leur godt pour l'apprentissage de mémoire est plus grand que nécessaire. Ainsi il n’acquiérent ni une once de savoir, ni un brin de savoir-faire scientifique. Ils comparent entre eux ce quills ont mémorisé et croient que la mémorisation est la finalité de tout enseignement. Il est essentiel de constater qu'aprés plusieurs siécles, les systémes éducatifs de ce pays continuent i reproduire ce modéle et ignorent les préceptes et les idées d’A vicenne. La débicle d’Andalousie, la chute de Baghdad suffisent-elles a elles seules a expliquer pourquoi des peuples qui ont produit des génies de lensergure de ces deux hommes, sont aujourd'hui parmi les moins développés technologixjuement et certains dentre eux ont des taux d'analphabétisme parmi les plus grands du monde ? L’objet de cet article n'est pas de répondre & cette question, mais plutét d'apporter un modeste éclairage sur la vision d'une des plus grandes intelligences de I’humanité sur Véducation. On se serait attendu a une vision limitée au contexte de l'époque, dépassée et sans intérét aujourd'hui, c'est tout le contraire que j'ai découvert. Avicenne était et RETLEXIONS SUR LA TRANSMISSION DU SAVOIR A PARTIR DE LA BIOGRAPHIE DAVICENNE reste un maitre. Entrer dans le détail de son ceuvre, aller plus loin dans l'analyse de ses méthodes serait sans aucun doute d'un apport essentiel & notre monde d'aujourd’hui. Au moment oti beaucoup parlent de réforme de l'éducation sans comprendre une once de ce que cela signifie, Avicenne apporte une grande legon, dans le domaine de la formation des étres humains. La premiére des lecons est la modestie. Avicenne n'a jamais eu la prétention de tout savoir mais il a eu le souci d’écrire, d'expliquer, de transmettre ses connaissances du mieux qu'il pouvait, conscient que la vraie éternité est celle des idées. En cela il est peut-étre plus que moderne, il est éternel. Comme dit au début, l'éducation est en crise dans le monde et particuligrement dans notre pays. Le constat est dur et le bilan est lourd. La nécessité de changement ne fait pas de doute, mais ne devons-nous pas nous poser la question suivante nos enfants n’est-elle pas trop importante pour qu'on Ia laisse aux seuls enseignants ? et jajouterai aux politiciens ? Aprés ce modeste travail sur Avicenne et l'éducation, je suis convaincu que si les bons éducateurs ont une place a tenir et un réle a jouer, il n’en demeure pas moins que le changement est une affaire de culture. Il faut créer une culture du projet éducatif. Un projet c'est un but, des objectifs, une stratégie, des compétences, des techniques dévaluation et des boucles diexpérimentation et de correction, Crest done une vision philosophique qui se base sur une volonté de changer mais aussi sur une capacité de changer et de convaincre tous les acteurs de changer. Les acteurs sont d'abord les parents qui, dans un systéme démocratique, doivent faire entendre leur voix, engager leurs moyens chacun a la mesure de ses possibilités, mais exiger que ceux qui déterminent l'avenir de leurs enfants soient comptables de leurs actes et de leur décision aujourd'hui et dans le futur. Ce sont aussi nos enfants qui doivent participer a leur projet et apprendre le sens du devoir et de la responsabilité et est comprendre comme le souligne si bien Avicenne, que faire partie d'une soc dabord lui étre utile. Diod effort personnel, permanent, Yengagement individuel nécessaire pour parvenir & cet objectif et mériter l'effort que parents et nation consentent A leur éducation Acteurs essentiels, moteur de tout processus, les enseignants ne peuvent se départir de la responsabilité qui leur incombe ; si le systéme est mauvais ils 1 faut done quils admettent leurs lacunes, leurs erreurs et Tinsuffisance de leur préparation et deviennent exigeants pour la qualité de leur formation et comptables des résultats de leurs éleves en font partie Mais cette approche qui responsabilise et valorise les acteurs et qui est proche de la philosophie d’Avicenne est-elle compatible avec l'éducation de masse ? Saurais tendance A penser que cst justement parce que Tenseignement de masse a déresponsabilisé les acteurs que la seule vole ds changement est celle qui focalise Yeffont sur les acteurs essentiels. Les aspects techniques. pédagogiques et financiers peuvent trouver leur solution, mais ces solutions ne sauraient suffire. L'éducation est par essence une affaire purement humaine et c'est auprés de ses acteurs qu’est fa solution Tl n’en demeure pas moins que l'éducation est désormais un systéme de tres granule complexité du fait méme qui est organisé et ré au niveau des Etats ou de grandes collectivités. Avicenne ne s'est pas penché sur cet aspect, puisque tel n’stait pas le eas

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