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LES MEDIAS

Dossier IEP 2010


Réalisé par L. Hansen-Löve (29 octobre 2009)

Le plan :

Présentation

I. L’écrit. Communication et libre pensée

II. Les masses médias

III. A propos de…

A - La communication politique

B - La télévision

C - Internet

D - Le téléphone portable

E - le cinéma

IV. Un nouveau rapport au monde

Conclusion

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Présentation
Le terme de « média », pluriel de « medium », désigne à l’origine tout moyen de
communication, naturel ou technique, permettant de transmettre un « message ». Son usage
courant renvoie désormais aux « médias de mass » (mass-media en anglais), c’est-à-dire aux
moyens de diffusion collective qui permettent d’atteindre des publics vastes et hétérogènes.
On écrit aujourd’hui « média » au singulier et « médias » au pluriel tandis que « medium » ne
comporte pas d’accent. Les principaux médias aujourd’hui sont : la radio, le cinéma, la
télévision, la presse écrite, les opérateurs téléphoniques et Internet.
L’analyse des médias a été impulsée au départ pas la philosophie anglo-saxonne. À partir
de la moitié du XXe siècle, elle est investie par la psychologie sociale et prétend au statut de
« science ». La question initiale posée par les premiers chercheurs (Carl Hovland - 1912-1961,
Paul Lazarsfeld - 1901-1976, Harold Laswell - 1902-1972) est la suivante : « Qui dit quoi, par
quel canal, à qui, et avec quel effet » ? Les sociologues français (Jean Stoetsel - 1910-1987,
Edgar Morin, né en 1921) insistent de leur côté sur les bouleversements sociaux induits par les
nouveaux médias, tandis que l’américain Marshall Mc Luhan (1911-1980) montre que les « mass
media » produisent une « contraction de l’espace et du temps », constituant désormais une
extension physique et mentale de l’activité humaine. Mais c’est la question de l’exposition aux
médias, de leur impact et de leurs effets induits ou pervers, qui a suscité le plus grand nombre
de travaux.
Les médias ont toujours existé, même avant l’invention de l’imprimerie et du codex. La
statuaire antique, les icônes religieuses, les œuvres picturales et divers autres modes
d’expression furent les « médias » originels de nos aînés, comme le rappellent, entre autres,
Régis Debray (Vie et mort de l’image) et André Bazin (Qu’est-ce que le cinéma ?). Toutefois,
l’apparition et la divulgation généralisée d’une presse libre constituent un tournant décisif,
« progrès » moral salué par la philosophie des Lumières (Kant, Benjamin Constant etc..). Les
nouveaux médias de masse, apparus dès la fin du XIXe siècle, notamment avec la radio et le
cinéma, changent la donne. Le pouvoir qu’ils confèrent à ceux qui en tirent les ficelles atteint
des dimensions désormais vertigineuses - que l’on songe aujourd’hui par exemple aux tout-
puissants maîtres de Hollywood et aux jeunes patrons de Microsoft et de Google. Mais les
médias les plus accessibles à tous (Internet, les portables et…) ont également un impact
considérable sur notre mode de vie, et comportent des effets indirects multiples, bien difficiles
à cerner. Anthropologues, sociologues et philosophes nous aident donc à porter un regard
critique sur la révolution technologique sociale, politique mais aussi mentale que les nouveaux
médias ont enclenchée depuis maintenant plus d’un siècle.

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I. L’écrit
Communication et libre pensée

Texte 1

L’usage de la raison doit être libre

Dans un vibrant plaidoyer en faveur de la liberté de pensée, Kant explique pourquoi


l’expression libre implique la possibilité de communiquer nos idées. Il ose même proclamer que
toute limitation de ce droit humain fondamental constituerait un « crime contre la nature
humaine » :
[…] Dans tous les cas, la liberté est limitée. Or, quelle limitation fait obstacle aux
Lumières ? Laquelle n'est pas un obstacle mais peut-être même les favorise ? - je réponds : il
faut que l'usage public de la raison soit toujours libre et lui seul peut répandre les Lumières
parmi les hommes […]. Une époque ne peut pas se liguer et jurer de mettre la suivante dans
un état où il lui serait nécessairement impossible d'étendre ses connaissances (principalement
celles qui sont du plus haut intérêt), de se débarrasser des erreurs et, d'une manière générale,
de faire progresser les Lumières. Ce serait un crime contre la nature humaine, dont la
destination originelle consiste justement dans ce progrès […]. »
Kant, Qu’est-ce que les lumières ? (1784) § 5 et 6, Classiques Hatier et Cie, traduction J.M. Muglioni,
2007.

Texte 2

La presse adoucit les mœurs

Les gouvernements ne doivent en aucun cas redouter la liberté de la presse. Bien au


contraire. La circulation et l’échange des idées en désamorcent le caractère éventuellement
subversif :
« Ce ne fut point la liberté de la presse qui causa le bouleversement de 1789 ; la cause
immédiate de ce bouleversement fut, comme on le sait, le désordre des finances, et si, depuis
cent cinquante ans, la liberté de la presse eût existé en France ainsi qu'en Angleterre, elle aurait
mis un terme à des guerres ruineuses, et une limite à des vices dispendieux […]. Les
gouvernements ne savent pas le mal qu'ils se font en se réservant le privilège exclusif de parler
et d'écrire sur leurs propres actes : on ne croit rien de ce qu'affirme une autorité qui ne permet
pas qu'on lui réponde ; on croit tout ce qui s'affirme contre une autorité qui ne tolère point
d'examen ».
Benjamin Constant, « Principes de politique » (1806), in Écrits Politiques, Éd. « Folio-Essais », 1997,
p. 569.

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Texte 3

Nécessité des journaux en démocratie

On pourrait croire que la démocratie étant par nature le régime de la liberté de tous, la
communication et l’expression libre des idées lui sont consubstantielles. Tocqueville montre ici
au contraire que la menace de conformisme et de tyrannie (de la majorité sur les minorités)
dans toute démocratie, est permanente. C’est la raison pour laquelle la présence et la protection
d’une presse libre y sont vitales :
« Un journal est un conseiller qu'on n'a pas besoin d'aller chercher, mais qui se présente de
lui-même et qui vous parle tous les jours et brièvement de l'affaire commune, sans vous
déranger de vos affaires particulières. Les journaux deviennent donc plus nécessaires à mesure
que les hommes sont plus égaux et l'individualisme plus à craindre. Ce serait diminuer leur
importance que de croire qu'ils ne servent qu'à garantir la liberté ; ils maintiennent la
civilisation. Je ne nierai point que, dans les pays démocratiques, les journaux ne portent
souvent les citoyens à faire en commun des entreprises fort inconsidérées ; mais, s'il n'y avait
pas de journaux, il n'y aurait presque pas d'action commune. Le mal qu'ils produisent est donc
bien moindre que celui qu'ils guérissent. »
Alexis de Tocqueville, « Du rapport des associations et des journaux », De la démocratie en Amérique
(1835-1840), Livre II, deuxième partie, chapitre VI, Éd. « Folio-Histoire », 1961.

Texte 4

Vertu créatrice de la communication

L’homme n’est pas fait pour la solitude. Isolé, privé de toute communication avec ses
semblables, il s’étiole et, souvent, s’assombrit. Car c’est notre propre substance qui se forme et
s’alimente au contact des autres :
« La communication a donc une vertu créatrice. Elle donne à chacun la révélation de soi
dans la réciprocité avec l'autre. C'est dans le monde de la parole que se réalise l'édification de
la vie personnelle, la communion des personnes se présentant toujours sous la forme d'une
explicitation de valeur. La grâce de la communication, où l'on donne en recevant, où l'on
reçoit en donnant, c'est la découverte du semblable, du prochain, - de l'autre moi-même, dans
l'amitié ou dans l'amour, plus valable que moi parce qu'il s'identifie avec la valeur dont la
rencontre m'a permis la découverte. Chacun donne à l'autre l'hospitalité essentielle, dans le
meilleur de soi ; chacun reconnaît l'autre et reçoit de lui cette même reconnaissance sans
laquelle l'existence humaine est impossible. Car, réduit à lui-même, l'homme est beaucoup
moins que lui-même ; au lieu que, dans la lumière de l'accueil, s'offre à lui la possibilité d'une
expansion sans limite ».
Georges Gusdorf, La parole, P.U.F., 2008, p. 66-67.

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Texte 5

L’agir communicationnel

Le philosophe Habermas a consacré une grande partie de son œuvre à établir que la
communication possède par elle-même une dimension éthique. Non seulement l’« agir
communicationnel » est au fondement de toute action collective, mais il est - réciproquement -
lui-même fondé sur une demande rationnelle motivée et bienveillante à l’égard de tous nos
interlocuteurs potentiels :
« L'acte de langage de l'un ne réussit que si l'autre accepte l'offre qu'il contient, en prenant
(implicitement) position pour oui ou non à l'égard d'une prétention à la validité,
fondamentalement critiquable. Aussi bien Ego dont l'expression élève une prétention à la
validité, que Alter, qui reconnaît ou rejette cette prétention, appuient leurs décisions sur des
raisons potentielles. (...) Si nous ne pouvions pas nous référer au modèle du discours, nous ne
serions pas en mesure d'analyser si peut que ce soit ce que cela veut dire, que deux sujets
s'entendent l'un l'autre ».
Jürgen Habermas, Théorie de l'agir communicationnel (1981), trad. J.-M. Ferry et J.-L. Schlegel, Fayard,
1987, p. 295-297.

Texte 6

Pourquoi on ne peut pas jamais tout dire

Dans toute société, aussi libérale et démocratique soit-elle, la communication et l’expression


libres rencontrent des limites. Celles-ci tiennent à ce que Michel Foucault nomme « l’ordre du
discours ». La parole s’enferme toujours elle-même dans une sorte de cercle qu’elle s’interdit de
franchir :
« Le discours, en apparence, a beau être bien peu de chose, les interdits qui le frappent
révèlent très tôt, très vite, son lien avec le désir et avec le pouvoir. Et à cela quoi d'étonnant :
puisque le discours - la psychanalyse nous l'a montré -, ce n'est pas simplement ce qui
manifeste (ou cache) le désir ; c'est aussi ce qui est l'objet du désir ; et puisque - cela, l'histoire
ne cesse de nous l'enseigner - le discours n'est pas simplement ce qui traduit les luttes ou les
systèmes de domination, mais ce pour quoi, ce par quoi on lutte, le pouvoir dont on cherche
à s'emparer ».
Michel Foucault, L’ordre du discours, Gallimard, 1971, p. 10-11.

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II. Les masses médias

Texte 7

Le message c'est le médium

Le titre du premier chapitre de l’ouvrage du célèbre pionnier de la médiologie, Marsall Mc


Luhan est non moins énigmatique que célèbre. La formule signifie que l’effet ou l’impact d’un
message, ou d’une information, tout particulièrement lorsqu’il (elle) est véhiculé(e) par les
médias de masse, excède très largement son contenu intelligible. Les exemples de l’électricité
comme du chemin de fer démontrent que des « médias » peuvent informer notre existence sans
pour autant véhiculer des idées :
« Dans une culture comme la nôtre, habituée de longue date à tout fragmenter et à tout
diviser pour dominer, il est sans doute surprenant de se faire rappeler qu'en réalité et en
pratique, le vrai message, c'est le médium lui-même, c'est-à-dire, tout simplement, que les
effets d'un médium1 sur l'individu ou sur la société dépendent du changement d'échelle que
produit chaque nouvelle technologie, chaque prolongement de nous-mêmes, dans notre vie.
Ainsi, il est clair que les nouveaux modèles d'association humaine nés de l'automation tendent
à éliminer les emplois. C'est là le résultat négatif. L'automation, par contre, a aussi des résultats
positifs : elle crée des rôles, c'est-à-dire une participation profonde des gens à leur travail et à
leur société, participation que la technologie mécanique antérieure avait détruite ».
Marshall Mac Luhan, Pour comprendre les médias, Éd. « Points-Seuil », 1968.

Texte 8

« Médiologie » : premières définitions

Pour l’inventeur de la « médiologie », comme pour son prédécesseur Mc Luhan, le medium


n’est pas exactement une « médiation », puisque, en un sens, il est prépondérant par rapport aux
termes qu’il relie. En d’autres termes, les opérations, pour le « médiologue », comptent plus que
les objets et les œuvres qu’elles accompagnent :
« Les objets et les œuvres comptent moins, en effet, que les opérations. Gardons-nous du
piège substantialiste, en intégrant le médium comme dispositif à la médiation comme
disposition. […]Inversion des hiérarchies, le texte comme unité idéale est moins pertinent que
le livre comme objet, et l'objet à son tour que ses métamorphoses. Notre domaine est
l'intermédiaire ou l'intercalaire, puisqu'on se voue aux intervalles, intercesseurs et interfaces de
la transmission, mais le préfixe inter désignant un ordre de réalités toujours second par rapport
aux termes qu'il raccorde, nous lui avons préféré le suffixe ion de l'action, ici des interactions
technique-culture. Les entre-deux décident, mais notre langue fait l'inverse : elle subordonne
spontanément les signes de la relation à ceux de l'être, et le faire à l'être ».
Régis Debray, Manifestes médiologiques, Gallimard, 1994, p. 21-22.

1 J’ai gardé l’orthographe d’origine.

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Texte 9

Un projet culturel et démocratique

La culture de masse est accusée par les intellectuels ou les « élites » de promouvoir et de
flatter les idées « moyennes ». Ce n’est pas faux, mais il est vain et anti-démocratique de s’en
indigner ou même de le déplorer. Car si la démocratie banalise la culture, elle ne la met pas en
péril pour autant :
« […] Une démocratie authentique n'est pas seulement une démocratie politique, mais
aussi une démocratie culturelle […]. Et l'économie de consommation de masse, à laquelle
appartiennent tout aussi bien la presse que l'édition, le cinéma et la télévision, est venue ici au
secours du projet politique culturel démocratique. En offrant, par l'intermédiaire d'une
économie et d'une consommation de masse, des produits et des services bon marché
accessibles à tous, elle a permis de réaliser concrètement l'idéal démocratique culturel. La
télévision a joué un rôle considérable dans ce projet, d'ailleurs bien vu par tous ceux qui l'ont
soutenue, aux États-Unis comme en Europe. Et si la conception de la culture de masse était
sensiblement différente des deux côtés de l'Atlantique, la même idée a présidé : se servir de la
télévision pour rendre plus égales les chances culturelles des différents publics ».
Dominique Wolton, chapitre IX, « Culture : les limites de la communication », Éloge du grand public,
p. 191-192, Éd. Champs-Flammarion, 1990.

Texte 10

La société du spectacle

Pour Guy Debord, notre société tout entière a été contaminée par l’univers capitaliste de la
publicité et du marketing. Plus rien, dans notre vie sensible, n’échappe aux normes que nous
imposent les médias de masse. Notre aliénation est d’autant plus redoutable qu’elle est
inaperçue, tandis que divertissements et spectacles ne donnent à nos existences qu’une
consistance et une unité purement illusoires :
« L’aliénation du spectateur au profit de l'objet contemplé (qui est le résultat de sa propre
activité inconsciente) s'exprime ainsi : plus il contemple, moins il vit ; plus il accepte de se
reconnaître dans les images dominantes du besoin, moins il comprend sa propre existence et
son propre désir. L'extériorité du spectacle par rapport à l'homme agissant apparaît en ce que
ses propres gestes ne sont plus à lui, mais à un autre qui les lui représente. C'est pourquoi le
spectateur ne se sent chez lui nulle part, car le spectacle est partout. »
[…]
33 « 'homme séparé de son produit, de plus en plus puissamment produit lui-même tous
les détails de son monde, et ainsi se trouve de plus en plus séparé de son monde. D'autant plus
sa vie est maintenant son produit, d'autant plus il est séparé de sa vie ».
Guy Debord, La société du spectacle, (1967), Éd. « Le livre de poche », 2008, p. 30-31.

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Texte 11

L’image, efficace et sauvage

L’efficacité de l’image, nous explique ici, Régis Debray, est liée à son mutisme. C’est
précisément parce qu’elle est « idiote » (incapable de s’exprimer clairement ?) que l’image
présente une telle puissance affective et symbolique :
« Il fallait mentionner la sauvagerie ou l'idiotie de l'image, car c'est elle qui fait sa
supériorité médiologique. Une figure est plus proche de, et plus propre au passage à l'acte
qu'un discours. La plus-value figurative est dans le déficit de code. C'est son mutisme pré-
sémantique qui confère à l'image ces pouvoirs exceptionnels si chichement dévolus au texte :
accessibilité, crédibilité, affectivité, motricité, à des taux défiant toute concurrence. L'analogie
n'est pas un sens pauvre, comme le craignait Barthes. C'est un sens généreux ».
Régis Debray, « Vie et mort de l’image », Revue Esprit, février 2004.

Texte 12

La « mythologie » médiatique

Un « mythe » est comparable à une parole ou à un discours, celui-ci restant en l’occurrence


implicite. Cette « parole », telle qu’elle est véhiculée aujourd’hui par les nouveaux médias, est
porteuse d’un « message » qu’il appartient au sémiologue de décrypter :
« On entendra donc ici, désormais, par langage, discours, parole, etc., toute unité ou toute
synthèse significative, qu'elle soit verbale ou visuelle : une photographiée sera pour nous
parole au même titre qu'un article de journal ; les objets eux-mêmes pourront devenir parole,
s'ils signifient quelque chose. Cette façon générique de concevoir le langage est d'ailleurs
justifiée par l'histoire même des écritures : bien avant l'invention de notre alphabet, des objets
comme le kipou inca2, ou des dessins comme les pictogrammes ont été des paroles régulières.
Ceci ne veut pas dire qu'on doive traiter la parole mythique comme la langue : à vrai dire, le
mythe relève d'une science générale extensive à la linguistique, et qui est la sémiologie ».
Roland Barthes, Mythologies, (1954-1956), coll. « Points-Essais », Seuil, 1957, p. 182-183.

2 Cordelette au nombre variable de nœuds.

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III. A propos de…

A - La communication politique

Texte 13

Le sémiologue Barthes a été l’un des premiers à analyser l’immense capacité de


manipulation que recélait, à l’ère médiatique, l’exploitation de l’image en politique. Dès les
années 20, Staline et Hitler, en Europe, s’étaient appuyés sur les techniques publicitaires
américaines pour mettre au point leur propagande dans le cadre des systèmes totalitaires.
Roland Barthes nous explique ici quels sont quelques-uns de ces ressorts plus subtils de la
communication politique, y compris en démocratie. Ces procédés n’ont plus de secrets
aujourd’hui pour les conseillers en communication :
Photogénie électorale

« Certains candidats-députés ornent d'un portrait leur prospectus électoral. C'est supposer à
la photographie un pouvoir de conversion qu'il faut analyser. D'abord, l'effigie du candidat
établit un lien personnel entre lui et les électeurs ; le candidat ne donne pas à juger seulement
un programme, il propose un climat physique, un ensemble de choix quotidiens exprimés dans
une morphologie, un habillement, une pose. […] La photographie électorale est donc avant
tout reconnaissance d'une profondeur, d'un irrationnel extensif à la politique. Ce qui passe
dans la photographie du candidat, ce ne sont pas ses projets, ce sont ses mobiles, toutes les
circonstances familiales, mentales, voire érotiques, tout ce style d'être, dont il est à la fois le
produit, l'exemple et l'appât. »
Roland Barthes, Mythologies, ibid., p. 150-151.

B - La télévision

Texte 14

Dans la lignée de Roland Barthes et de Lévi-Strauss, l’anthropologue Marc Augé montre ici
que le « 20 heures » n’est pas un récit, mais un mythe. En d’autres termes, son efficacité
symbolique ne garantit nullement son adéquation à la réalité. L’adhésion l’emporte ici
largement sur le jugement ; « vous savez tout, dormez en paix » :
Le 20 heures

« Tout rite est sous-tendu par un mythe. Le mythe du journal télévisé, c'est le récit du
monde, un récit sans fin où les mêmes personnages ne cessent de se manifester. Un mythe n'est
pas simplement un récit. Il suppose l'existence d'un univers dont les fondements ne se discutent
pas. Le récit du journal télévisé est le fait du "présentateur", qui a dans le monde des
représentants de divers ordres, envoyés spéciaux ou enquêteurs. Entre le monde et nous, il se
présente comme un médiateur. J'existe et le monde existe parce que le médiateur existe, et

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réciproquement. […]Il en résulte que le spectateur s'habitue à croire qu'il connaît parce qu'il
reconnaît. Quant au présentateur, en se rendant de temps en temps "sur place" ou en
interviewant l'une ou l'autre des figures de l'actualité, il cautionne l'existence du monde ».
Marc Augé, Nouvelles mythologies, sous la direction de Jérôme Garcin, Seuil, 2007.

Texte 15

L’obsession de l’immédiateté

Ce ne sont pas les hommes politiques qui imposent leur agenda aux médias. C’est l’inverse.
Cette inversion de la chronologie est une illustration significative de la subordination des
événements à leur représentation : ce qui prime, ce n’est pas le fait, mais sa mise en scène
médiatique :
« De plus en plus souvent, les gouvernants en viennent à agir, à parler, à se montrer en
fonction du temps des médias au détriment du temps propre de la politique. La politique finit
par n'avoir plus d'autre calendrier que celui-là, ou presque. On retardera l'arrivée à
l'aérodrome de Villacoublay d'un otage libéré afin qu'elle puisse être retransmise « en direct »
dans les journaux du soir de la télévision. L'expression « en temps réel », si étrange quand on y
réfléchit, reflète cette obsession de l'immédiateté ».
Jacques Rigaud, Le Prince au miroir des médias, Machiavel 1513-2007, Éd. Arléa, 2007.

Texte 16

La réalité dilapidée

Les acteurs principaux des médias ont souvent été comparés aux manipulateurs de
marionnettes évoqués par Platon dans la célèbre « allégorie de la caverne ». Mais le monde des
ombres de Platon, s’il est un simulacre, renvoie néanmoins à une réalité à laquelle chacun peut
accéder par une conversion volontaire. La « caverne » constituée par les médias contemporains,
au contraire, ne comporte aucune extériorité. Le psychanalyste Roger Dadoun rejoint Jean
Baudrillard lorsque celui-ci nous explique que le virtuel a définitivement « liquidé » le réel (« Un
crime parfait », voir ci-dessous, texte 30) :
« Les médias se veulent reflets de la réalité sociale, politique, psychologique, historique,
voire métaphysique. Mais dans la vision platonicienne de la caverne que l'on cite toujours
avec force clins d’œil vers le petit écran, une substance de monde, un monde d'idées se
tenaient derrière le spectateur ; et l'on pouvait toujours à ce dernier proposer (c'est le principe
même de toute exacte philosophie) : "tourne-toi et regarde par toi-même" - fût-ce le néant que
l'on donne à voir. Au contraire, les médias renvoyant aux médias, se contemplant dans les
médias en cercles autarciques et jeux de miroirs, s'interpellant en échos répercutés à l'infini
[…], le monde en tant que réalité substantielle est dilapidé, mis en miettes, bric-à-brac livré à
la brocante médiatique ».
Roger Dadoun, La télé enchaînée, Éditions Hommisphères, p. 274-275.

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Texte 17

Mirages de la démocratie participative

Le déclin de la représentation, le discrédit de nos élus, la faiblesse des convictions citoyennes,


ont poussé les hommes politiques à proposer des formes de compensation rendues possibles par
les nouvelles techniques médiatiques. Chacun peut participer aux débats télévisés, et donner son
avis quotidiennement sur n’importe quel sujet. Les hommes politiques invitent à dialoguer avec
eux sur leur blog ou leur plateforme « Facebook ». Mais s’agit-il d’une véritable réhabilitation
de l’activité citoyenne ? Bernard Stiegler ne le croit pas :
« La perte de participation est ce qui résulte des courts-circuits politiques provoqués par la
domination des médias audiovisuels sur la vie publique. Elle délégitime les organisations
politiques, en même temps qu'elle crée une sorte de souffrance politique. C'est pourquoi les
représentants politiques sont tentés de se détacher de leurs organisations, […] et de s'adresser
à cette souffrance en utilisant les mêmes techniques que celles par lesquelles les médias court-
circuitent les organisations politiques et sociales : la participation par représentation est ce que
singent, simulent, caricaturent et détruisent les techniques contemporaines du marketing
politique, issues de la télécratie, et inspirées par elle en tant que télé-réalité, talk shows, et
autres formes d'« interactivité » pseudo-participative, en s'emparant désormais des blogs, des
sites Internet et des technologies de convergence3, élargissant ainsi leur palette d'outils
médiatiques ».
Bernard Stiegler, La télécratie contre la démocratie, Flammarion, 2006, p. 27.

C - Internet

Texte 18

Le Net, court-circuit culturel.

Même si toutes les objections et les critiques formulées par les intellectuels et les experts à
l’encontre d Internet (excès d’information, inflation mémorielle, approche chaotique etc..) sont
recevables, l’outil reste néanmoins, globalement, une « chance pour la culture » :
« Si la culture est caractérisée par la capacité à emmagasiner de nombreuses informations,
Internet est en effet un outil culturel parce que le nombre d'informations auquel il permet
d'accéder augmente de manière vertigineuse. […] Mais si l'on prend l'autre dimension de la
culture - celle de la durée -, les choses se compliquent. Il n'y a pas de culture sans permanence
et sans accumulation. Or le propre d'Internet et de la cyberculture est au contraire de se faire
et de se défaire constamment, de nier l'idée même d'accumulation. Il n'y a pas de stock, pas de
pérennité, il n'y a que des flux. Si ce côté mouvant a quelque chose de séduisant par rapport à
une certaine mode actuelle de la vitesse, de l'aléatoire, du virtuel et du contingent, on
comprend les problèmes que cela pose du point de vue d'une définition de la culture… »
Dominique Wolton, Internet et après, Champs-Flammarion, p. 152-155.

3 Techniques unifiant l’audiovisuel, l’informatique et la télécommunication, du fait de la numérisation.

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Texte 19

Le nouveau visage de Big Brother

Même si la « Toile » présente des avantages quasi illimités en terme d’accès à la culture, on
ne se méfiera jamais assez de tous les risques qu’elle nous fait courir dans le même temps. Sur
Internet, tout est fixé. Les employeurs, par exemple, peuvent en apprendre beaucoup sur notre
compte. Mais on peut imaginer des conséquences encore bien plus dramatiques :
« L'Internet permet la création d'un grenier de données où sont répertoriés, classés, fichés
les individus comme jamais auparavant. Une évaluation ininterrompue risque fort
d'accompagner notre évolution sur la Toile et avec elle un affinage constant, une perpétuelle
mise à jour de notre profil de citoyen ou de consommateur. Rien n'échappant à
l'enregistrement, il n'est rien non plus qui ne soit, d'une manière ou d'une autre, exploitable.
Alors c'en sera peut-être fini bientôt du droit de s'effacer ou d'exister sans laisser de traces.
Nous aurons conquis tous les droits et perdu le droit à la discrétion. »
Alain Finkielkraut et Paul Soriano, Internet, l’inquiétante extase, Éd. Mille et Une Nuits, 2001.

Texte 20

Le blog

Le blog offre assurément des satisfactions, notamment en termes de narcissisme, à ses


auteurs. Mais qu’en est-il des récepteurs ? Il est vrai que la question ne se pose que pour les
blogs qui trouvent leur auditoire :
« Dans les années soixante de l'autre siècle, déjà, Marshall McLuhan avait prévenu : la
télévision va chambouler à terme nos comportements et notre culture, ce sera un vaste retour
au monde sonore et sauvage des sensations d'avant l'alphabet. Il parlait du village planétaire
et nous applaudissions : oui ! Que la Terre devienne enfin un village. C'est fait. Nous y
sommes. Simplement, la télévision va se laisser manger par Internet comme elle a mangé le
cinéma. McLuhan ajoutait : la vie dans un village, quelle plaie ! Tout le monde épie tout le
monde, il faut alors se renfermer ou s'éviter pour avoir la paix. Communiquer, dit-on, revient
à s'épancher, se livrer, se confier, gonfler ses plumes et mentir à l'abri. La correspondance, la
conversation, la lenteur, la promenade, le silence et la gratuité de nos actes ont quitté
l'horizon. Voici le temps des solitudes électroniques ».
Patrick Rambaud, Nouvelles mythologies, ibid.

D - Le téléphone portable

Texte 21

Alain Finkielkraut montre ici comment le téléphone portable peut modifier en profondeur
les relations entre les hommes. 0mniprésent, il semble nous rendre désormais comme aveugle et
sourd à la présence d'autrui.
« Même si mes voisins ou mes voisines (les nouvelles technologies sont strictement
paritaires) ne hurlent pas dans le minuscule et magique appareil qui les délocalise à volonté, ce

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déferlement de bla-bla m'est beaucoup plus douloureux que n'importe quelle conversation
entre passagers. Car, en l'occurrence, ce n'est pas mon confort qui est en cause, c'est ma réalité
même. Les rouspéteurs ou les roucouleurs à distance ne se contentent pas de me déranger, ils
me gomment. Je suis simultanément agressé et aboli par leur inanité sonore. Ils agissent
comme si je n'étais pas là, avec un naturel tellement confondant que j'ai envie de crier pour
faire acte de présence ».
Alain Finkielkraut, L'Imparfait du présent, Éd. Gallimard, 2002, p. 111-112.

Texte 22

Le SMS

Efficace, le SMS économise la pensée. C’est le langage de l’action pure qui convient à
l’homme pressé et rationnel, voire technologiquement dépendant :
« C'est la première fois qu'une langue se passe des mots les plus simples. Ainsi l'homme, par
le moyen de la technologie, retourne à l'homme, c'est-à-dire à la bête, pour expliquer qu'il est
à la station Maubert-Mutualité, ou qu'il a « rv dans 5 mn et kil rapl apré » […]. Cette parole
veut de l'efficacité, se nourrit d'immédiat pur. C'est du français qui parle au Français d'à côté.
Quant à sa grammaire : nada. […] Imagine-t-on Proust s'acharnant sur son Nokia pour
réduire, dans le modeste écran où tout doit tenir, les longs paragraphes à subrelatives qui ont
fait le charme suranné, décidément d'hier, de ses romans sans fin possible ? Un message
d'alerte, à chaque phrase, stipulerait que son envoi requiert la tarification d'au moins deux
SMS. Mais ni Proust, ni Tolstoï, ni même Beckett […] n'ont Dieu merci, connu ces appareils, ni
eu à se servir de ce mode de communication. Est-ce un hasard, au fait ? »
Didier Jacob, Nouvelles mythologies, ibid.

E - Le cinéma

Texte 23

La désacralisation des œuvres d’art à l’ère de la reproductibilité généralisée.

Dans un texte devenu canonique datant de 1935, l’écrivain Walter Benjamin a montré que
les nouvelles technologies ont profondément modifié notre rapport à toutes les œuvres d’art. Le
cas du cinéma est à cet égard emblématique. La « valeur d’exposition » de l’œuvre, dans le cas
de ce nouveau medium, a progressivement remplacé toute valeur « rituelle ». Essentiellement
reproductible, et également éphémère, l’œuvre d’art a perdu toute dimension sacrée :
« La réception des œuvres d'art se fait avec divers accents, et deux d'entre eux, dans leur
polarité, se détachent des autres. L'un porte sur la valeur cultuelle de l'œuvre, l'autre sur sa
valeur d'exposition. La production artistique débute par des images qui servent au culte. On
peut admettre que la présence même de ces images a plus d'importance que le fait qu'elles
soient vues. L'élan que l'homme figure sur les parois d'une grotte, à l'âge de pierre, est un
instrument magique. On l'expose sans doute aux regards des autres hommes, mais il est destiné
avant tout à des esprits. Plus tard, c'est précisément cette valeur cultuelle, comme telle, qui

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pousse à garder l'œuvre d'art au secret ; certaines statues de dieux ne sont accessibles qu'au
prêtre dans la cella. »
W. Benjamin, Essais, (1935) traduction de Maurice de Gandillac, 1983, Bibliothèque Médiations,
Éditions Denoël-Gonthler, p. 98-99.

Texte 24

Le cinéma, art et industrie

Le cinéma est-il un art ? Ou bien une industrie ? Comme tout ce qui relève de la « culture de
masse », la production cinématographique oscille constamment entre une approche
commerciale et une dimension créatrice. Edgar Morin insiste ici sur le fait que toute réalité est
pétrie d’imaginaire ; c’est la raison pour laquelle la production esthétique nourrit toutes nos
activités, même celles qui semblent les plus étrangères à l’art :
« L'étonnant, c'est que l'industrie et l'art sont conjugués dans une relation qui n'est pas
seulement antagoniste et concurrente, mais aussi complémentaire. Comme j'ai tenté de le
montrer, le cinéma, comme la culture de masse, vit sur le paradoxe que la production
(industrielle, capitaliste, étatique) a besoin à la fois d'exclure la création (qui est déviance,
marginalité, anomie4, déstandardisation) mais aussi de l'inclure (parce qu'elle est invention,
innovation, originalité, et que toute œuvre a besoin d'un minimum de singularité), et tout se
joue, humainement, aléatoirement, statistiquement, culturellement dans le jeu
création/production. »
Edgar Morin, Le cinéma ou l’homme imaginaire. Essai d’anthropologie, Les Éditions de minuit, 1956.

Texte 25

Le cinéma est l'art qui dépasse l’art

Au cinéma, l’œil humain est destitué au profit l’« œil machinique ». C’est l’une des raisons
pour lesquelles l’art nous donne accès au point de vue - idéalement - d’une sorte de « sujet sans
conscience ». Le cinéma est, par excellence, ce medium qui a le pouvoir d’abolir l’opposition
entre le monde de l’esprit et le monde sensible :
« [...] C'est par cela que l'art cinématographique est plus qu'un art. Il est mode spécifique
du sensible. C'est ce mode que Godard appelle du nom mallarméen de mystère, corroborant
ainsi la nature « surnaturelle » ou « mystique » que le scientifique Jean Epstein et le nietzschéen
Élie Faure avaient attribuée au cinéma. Qu'est-ce donc que ce mode du mystère ou ce mode
mystique du sensible ? C'est simplement le mode qui abolit l'opposition entre un monde
intérieur et un monde extérieur, un monde de l'esprit et un monde des corps, qui abolit les
oppositions du sujet et de l'objet, de la nature scientifiquement connue et du sentiment
éprouvé. Le cinématographe, selon cette logique, est l'art « mystique » parce qu'il abolit toutes
ces oppositions. Il est la lumière qui écrit le mouvement, l'énergie spirituelle du sensible qui
révèle l'énergie sensible de l'esprit. »
Jacques Rancière, « L'historicité du cinéma », dans : Antoine de Baecque et Christian Delage (dir. publ.),
De l'histoire du cinéma, Éd. Complexe, 1998, p. 50-52.

4 Ici : refus de se soumettre à des normes

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Texte 26

L’œuvre d’art est acte de résistance

Dans ce texte délibérément provocateur, le philosophe Gilles Deleuze explique que le but du
cinéma n’est pas de communiquer. Le cinéma ne transmet pas des informations. En effet, le
cinéma dont nous parle ici Gilles Deleuze a une vocation esthétique . Or le but de l’art n’est pas
de fournir de l’information. L’art, tout au contraire, comme le souligne aussi Mac Luhan, doit
être l’antidote de l’univers écrasant du tout-communiquant :
« Quel est le rapport de l'art avec la communication ? Aucun. Aucun, l'œuvre d'art n'est pas
un instrument de communication. L'œuvre d'art n'a rien à faire avec la communication.
L'œuvre d'art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une
affinité fondamentale entre l'œuvre d'art et l'acte de résistance. Alors là, oui. Elle a quelque
chose à faire avec l'information et la communication, oui, à titre d'acte de résistance. Quel est
ce rapport mystérieux entre une œuvre d'art et un acte de résistance ? […] Malraux dit une
chose très simple sur l'art, il dit " c'est la seule chose qui résiste à la mort " ».
Gilles Deleuze (Conférence prononcée à la FEMIS le 17 mai 1987).

Texte 27

Le « complexe de la momie »

Les hommes ont toujours créé et exploité des « médias » pour fixer leur image, la pérenniser,
et ainsi échapper au moins partiellement à l’emprise du temps. L’embaumement serait la vraie
raison d’être de l’art. Or le cinéma apparaît comme le mode le plus accompli de cette vocation
inhérente aux médias en général et à l’art en particulier :
Ontologie de l’image photographique5
« Une psychanalyse des arts plastiques pourrait considérer la pratique de l'embaumement
comme un fait fondamental de leur genèse. A l'origine de la peinture et de la sculpture, elle
trouverait le « complexe » de la momie. La religion égyptienne dirigée tout entière contre la
mort,-faisait dépendre la survie de la pérennité matérielle du corps. Elle satisfaisait par là à un
besoin fondamental de la psychologie humaine : la défense contre le temps. La mort n'est que
la victoire du temps. »
André Bazin « Ontologie de l’image photographique », in Qu’est-ce que le cinéma, 1985, Les éditions du
CERF, 1999, p. 9-10.

5 Étude reprise de Problèmes de la peinture, 1945

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IV. Un nouveau rapport au monde

Texte 28

Le chercheur (CNRS) en communication Guillaume Soulez montre ici comment la presse est
amenée à troubler le jeu démocratique, parfois pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Voici
comment le « public » peut muter en une « foule » :
Hypothèse de la scène médiatique comme scène morale [le « lynchage médiatique]

« En passant directement de l'indice d’une culpabilité à l’administration de la peine, on voit


donc que le lynchage médiatique contredit le principe qui fonde la légitimité démocratique de
la publication par la presse. Rappelons néanmoins que ce court-circuit se produit, aujourd'hui,
essentiellement dans deux types de cas : les affaires qui touchent des hommes politiques (en
particulier la corruption) et les infanticides. […] Quand elle se fait critique du pouvoir
politique, la presse fait de la publicité en elle-même une source de légitimité (ce qui ne peut
être que provisoire) au point de troubler le jeu démocratique habituel. Quand elle aborde
l'infanticide, sa légitimité paraît, de prime abord, infra-démocratique : il ne s'agit plus de faire
des auditeurs et spectateurs un public, mais de susciter en eux quelque chose qui a à voir avec
les réactions d'une foule, sans qu'on ait pourtant affaire à une foule à proprement parler. »
Guillaume Soulez, « La scène morale », in Le lynchage médiatique, sous la direction de Guy Coq et
Charles Cote, Revue « Panoramiques », Éditions Corlet, 1998.

Texte 29

Le lynchage médiatique

Pour André-Taguieff, le « conformisme suspicieux » qu’encouragent la presse actuelle et les


médias de masse ouvre trop souvent la voix au « délationnisme fielleux » :
Vigilance magique et délationnnisme
« Depuis que les journalistes policiers tendent à remplacer les intellectuels engagés, la chasse
à l'hérétique, sur fond de consensus médiatique absolu, s'est substituée à la discussion critique
et à l'argumentation polémique. La diffamation douce et diluée, la dénonciation vertueuse, la
délation bien-pensante et mimétique donnent son style à la chasse aux sorcières à la française.
Le goût de la délation s'est propagé dans les rédactions : on y dresse des listes de suspects, on y
inventorie les « ambigus » et les « équivoques » (les « pas clairs »), on s'y applique à surveiller de
près tous les manquements au « correctivisme » idéologique. Un conformisme suspicieux s'est
étendu sur une grande partie de la presse, qu'elle soit dite d'opinion ou se dise d'information. »
P.A Taguieff, « Les écrans de la vigilance » in Le lynchage médiatique, ibid, p. 68-69.

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Texte 30

Quand l’homme s’expulse lui-même du monde

La construction médiatique d’un monde virtuel sinon parfait, du moins cohérent, présente
un bénéfice psychologique indéniable : il nous permet de fuir l’« objectivité terrifiante du
monde » :
« L'homme n'a de cesse d'expulser ce qu'il est, ce qu'il éprouve, ce qu'il signifie à ses propres
yeux. Que ce soit par le langage, qui a fonction d'exorcisme, ou par tous les artefacts
techniques qu'il a inventés, et à l'horizon desquels il est en voie de disparaître, dans un
processus irréversible de transfert et de substitution. Mac Luhan voyait dans les technologies
modernes des « extensions de l'homme », il faudrait y voir plutôt des « expulsions de
l'homme ».
Jean Baudrillard, Le crime parfait, Éditions Galilée, 1995.

Texte 31

La démultiplication de soi

La culture du virtuel a donné lieu à l’apparition d’une « génération de l’ubiquité ». Il est


difficile de mesurer toutes les conséquences, pratiques et mentales, d’une telle révolution :
« Aujourd'hui […] le modèle n'est plus de faire une seule chose à la fois et de la faire le
mieux possible, mais d'en faire plusieurs en même temps… en espérant qu'aucune ne soit trop
mal faite. Le modèle de ce fonctionnement est bien entendu relui de l'ordinateur qui consacre
un peu de temps à chacune des tâches qu'il réalise en simultané. C'est la même chose
aujourd'hui pour certains jeunes. Ils donnent l'impression d'écouter de la musique, de regarder
la télévision et de faire leurs devoirs en même temps. En fait, leur attention ne cesse pas de
sauter de l'un de ces domaines à l'autre. L'accomplissement de plusieurs tâches en parallèle a
pris tellement d'importance que Mme Ségolène Royal, à qui un journaliste demandait en 2006
si elle avait regardé le Mondial, fit la réponse suivante : "Je l'ai regardé avec un œil, en lisant
mon journal avec mon autre œil et en écoutant mon MP3". »
Serge Tisseron, Virtuel mon amour. Penser, aimer, souffrir à l’heure des nouvelles technologies, p. 118-
119.

Texte 32

Vers une société d’hyper-communication ?

La société de consommation hyper technologique que nous connaissons aujourd’hui tend à


faire l’économie de sa mémoire naturelle. Mais une société sans mémoire (autre que virtuelle)
peut-elle encore se projeter dans le futur ? Le philosophe Philippe Breton souligne ici le
caractère unilatéral, voire totalitaire, de notre actuelle représentation de l’avenir :
« La question initiale de ce livre était celle de savoir pourquoi la communication avait pris
autant de place dans notre société. Les éléments de réponse qui viennent d'être donnés
indiquent une voie : la communication est devenue en grande partie une utopie. Mieux, elle
a, en quelque sorte, absorbé une grande partie de l'espoir utopique dont nos sociétés sont

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capables. En tant que tel, le système de valeurs qui s'est construit autour de la communication
s'est progressivement affirmé comme une alternative possible aux idéologies et aux
représentations « classiques » de l'homme. Mais il n'est pas sûr que cette utopie ait un véritable
avenir et que les médias, par exemple, restent encore longtemps le pôle d'attraction crédible
qu'ils constituent aujourd'hui. »
Philippe Breton, L’utopie de la communication. Le mythe du village planétaire (1992), Éd. La
découverte, 1997, p. 165-167.

Texte 33

Le modèle d’un pouvoir sans autorité

Il ne faut pas confondre le pouvoir et l’autorité. Le pouvoir est la capacité d’imposer des
normes et des interdits. L’autorité est l’aptitude à se faire respecter conformément à des
croyances et de traditions jugées légitimes. Le philosophe M.O. Padis déplore ici la capacité des
médias à imposer des normes sans réflexion ni discussion, par le seul biais du divertissement. De
ce point de vue, les nouveaux médias peuvent contredire frontalement les modèles transmis en
famille ou à l’école :
« Simultanément, une institution qui incarne une certaine autorité, comme l'école par
exemple, se considère comme démunie, sans pouvoir, face à la capacité d'influence de la
télévision. Ce que montrent les jeux télévisés, c'est l'efficacité de la pure et simple contrainte
fonctionnelle : un dispositif a été prévu pour vous, vous devez vous couler dedans. Il n'y a pas
besoin qu'une autorité soit reconnue pour cela. Si vous reprochez un excès de pouvoir à ces
jeux, les producteurs vous répondront qu'il ne s'agit après tout que d'un programme de
divertissement, qu'il ne faut pas prendre au tragique. C'est-à-dire que l'absence de prétention
du programme, en particulier de la prétention à représenter une source d'autorité, est avancée
comme un mode, très efficace, de défense contre le reproche d'une trop grande influence ».
M. Olivier Padis, « Les médias : déficit d’autorité, excès de pouvoir », Revue Esprit Mars-Avril 2005.

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Conclusion

Texte 34

L’art anti-dote

L’art a toujours été un moyen de prendre ses distances vis-à-vis de la culture dominante,
voire de la remettre en cause. Aujourd’hui, les médias eux-mêmes peuvent devenir objet d’étude
et « contre-poison » de l’idéologie ambiante :
« À mesure que la prolifération de nos technologies créait toute une série de nouveaux
milieux, les hommes se sont rendu compte que les arts sont des « contre-milieux » ou des
antidotes qui nous donnent les moyens de percevoir le milieu lui-même. En effet […] les
hommes ne sont jamais conscients des règles fondamentales des systèmes et des cultures qui
constituent le milieu où ils vivent. Aujourd'hui, les technologies et les milieux qui en résultent
se succèdent les uns aux autres à un tel rythme qu'un milieu nous rend conscients du suivant.
Les technologies commencent à jouer le rôle que jouait l'art et à nous rendre conscients des
conséquences psychiques et sociales de la technologie ».
Mac Luhan, op. cité.

Texte 35

« Le son vit, le trait survit »

Même à l’ère de la vidéosphère, la culture reste encore et toujours le moyen de « prendre le


parti des morts » (voir texte : le complexe de la momie) :
« L'homme est le seul vivant que les morts habitent, et plus il est civilisé, plus il en porte
dans son esprit. […] L'enregistrement magnétique qui conserve les flux d'information. Le
magnétoscope qui peut mettre du présent en réserve, avec ses cassettes de temps différé. Le
laser optique qui promet de mirobolantes, quoique coûteuses, accumulations. Ce sont là des
outils de culture, si la culture consiste toujours à prendre le parti des morts contre, et
finalement pour, les vivants. Le paradoxe de notre vidéosphère, c'est que nous puissions
posséder les meilleurs instruments de la résurrection et du voyage dans le temps, et qu'il nous
soit de plus en plus difficile de nous arracher au présent de la vie ».
Régis Debray, Cours de médiologie générale, Éd. Gallimard, 1991, p. 253-254.

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