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HEC Montréal
La technologie de l'information au
cœur de l'espace de la stratégie
L'industrie des services financiers en
mutation
Thèse soumise pour l'obtention du titre de
docteur en philosophie (Ph.D), administration
des affaires
Albert LEJEUNE
Montréal,1993-1994
Espaces de la stratégie et TI 2
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À Gaston et Maggy.
À Danielle et Florence.
À Robert et Ginette.
Sommaire
Chapitre 1 Espace de la stratégie et technologie de l'information 11
Introduction 11
L'intégration technologique 14
L'évolution des solutions de la technologie de l'information 14
L'automatisation des opérations et des transactions 14
L'automatisation des représentations 15
L'automatisation des supports à l'interaction 16
L'architecture de la technologie de l'information 16
La cohésion stratégique 18
Intégrer la structure 19
Intégrer la stratégie 20
Intégrer la culture 20
Travailler l'architecture de l'organisation 21
Problématique 22
La déformation de l'espace organisationnel 22
La vitesse et l'infrastructure technologique .......................................................22
L'architecture de la transparence......................................................................23
Habiter ou transiter : le risque d'inertie 24
Contexte 25
Espaces de la stratégie et TI 3
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Conclusion 110
Chapitre 4 Approche méthodologique 112
Introduction 112
Le problème de recherche et la position du chercheur 113
Un problème complexe au carrefour de plusieurs disciplines 113
Un problème flou ..............................................................................................114
Un problème qui se pose à l'échelle de l'organisation ............................................114
Un problème contextuel .....................................................................................114
Un problème de nature qualitative .......................................................................115
Une approche inductive pour construire une théorie 118
Une approche déductive pour vérifier des propositions 119
Le paradigme de la recherche .............................................................................119
Résumé de l'approche de la recherche ..................................................................121
Le design de la recherche 122
Rappel des questions de la recherche 122
Première question: .............................................................................................122
Deuxième question: ...........................................................................................123
Troisième question: ...........................................................................................123
Un design imbriqué de plusieurs cas ....................................................................124
Les unités d'analyse 125
L'organisation ...................................................................................................126
Les solutions de la technologie de l'information ...................................................127
L'espace de la stratégie .......................................................................................127
La performance .................................................................................................128
Les trois propositions de la recherche 128
Première proposition de recherche ......................................................................129
Deuxième proposition de recherche .....................................................................130
Troisième proposition de recherche .....................................................................132
La logique du design de la recherche 133
La validité des construits ....................................................................................134
La validité interne ..............................................................................................134
La validité externe .............................................................................................135
La fidélité .........................................................................................................136
Les étapes de la recherche 136
Espaces de la stratégie et TI 6
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Introduction
Depuis Barnard (1938), Selznick (1957) et Andrews (1971), la mission
organisationnelle est ce concept unique et intégrateur qui définit une identité.
Travaillée et actualisée par les leaders successifs, cette identité offre un sens à
l'engagement des participants, encadre la définition d'un domaine d'activités, structure
une stratégie et projette une image de cohérence dans la société. Des entreprises comme
GE, HP, un groupe comme Matsushita ou la division Saturn de GM illustrent ce rôle
crucial de la mission organisationnelle.
Depuis ENIAC1 en 1941 jusqu'aux plates-formes électroniques intégrant
aujourd'hui le traitement de l'information et la communication à distance, la technologie
de l'information a bouleversé les organisations et questionné leur mission. Des systèmes
de production intégrés basés sur ordinateur aux systèmes de distribution électroniques
reliant directement clients et fournisseurs, en passant par les systèmes de conception
assistée par ordinateur, de vastes applications intégrées forment les nouvelles
fondations des organisations novatrices. Les Anthony (1965), Gorry et Scott Morton
(1970), Wiseman (1985), Scott Morton (ed) (1991) et Keen (1992) ont contribué, avec bien
d'autres, à situer les différentes applications de la technologie de l'information par
rapport à la structure organisationnelle, aux besoins des gestionnaires, à la stratégie et à
l'ensemble organisationnel complexe qu'est une configuration de stratégie, de
structures, de processus et de culture.
Cette évolution technologique rapide semble placer les stratèges devant un
dilemme. Doivent-ils mettre au coeur de la mission la réalisation d'un système
stratégique électronique? Doivent-ils, pour sauvegarder la mission, ignorer la mise en
place de la plate-forme électronique intégrée?
Faire le premier choix, c'est faire des gains de flexibilité en laissant flotter la
définition du domaine d'activités, la stratégie générique mais aussi l'engagement des
participants. À l'extrême de cette position, la mission se trouve définie et incarnée par
le leader technologique, et la vraie planification stratégique devient la planification des
entendent peu de choses, ne doit pas questionner l'essence de leur organisation. Dans
leur organisation, l'informatique et la technologie de l'information doivent se limiter à
l'opération des systèmes en place et les responsables des systèmes sont tenus à l'écart
du premier cercle du pouvoir stratégique.
Tous les gestionnaires de haut niveau comprennent ou du moins sentent cette
tension nouvelle entre l'indispensable cohésion stratégique et la nécessaire intégration
technologique. Ils savent que les échanges entre ces deux domaines académiques et
professionnels de la stratégie et de la technologie de l'information sont au centre de la
mise en oeuvre de capacités stratégiques nouvelles dans les grandes organisations
complexes. Mais ils savent également que la contribution des investissements à la
performance financière est rarement au rendez-vous2 et que l'utilisation de la
technologie de l'information comme arme stratégique n'est plus à l'ordre du jour
(Hopper, 1990).
L'intuition de départ du chercheur est que stratégique est maintenant collectif et
que les technologies de l'information peuvent contribuer à construire cet espace collectif
de représentation.
Le but de cette recherche est de contribuer à actualiser, par une recherche
empirique et un travail théorique, la question de la maîtrise stratégique de la
technologie de l'information dans le contexte des années 1990. Il faut pour cela dénouer
- en l'expliquant - cette tension entre la stratégie organisationnelle et la technologie de
l'information. En effet, entre l'unicité de la mission et l'unité de la plate-forme
électronique il n'y a pas un dilemme mais l'exigence de repenser l'espace politique,
instrumental et théorique dans lequel s'énonce et s'implante la stratégie. Cette exigence
passe par la maîtrise d'un cadre conceptuel et d'un vocabulaire permettant aux
gestionnaires de penser en même temps la stratégie et la technologie de l'information.
Nous voulons montrer que la technologie de l'information ne rencontre pas
seulement la stratégie dans l'environnement compétitif de la firme. La technologie de
l'information contribue à transformer le contexte organisationnel par ses outils d'aide à
l'information et à la décision tout en structurant différemment les situations cruciales
qui exigent le partage d'information entre acteurs et décideurs.
Ce chapitre débute par la revue d'éléments de la littérature traitant d'intégration
technologique et de cohésion stratégique. L'exposé de la problématique suit,
accompagné d'une présentation de la notion d'espace de la stratégie. Plus loin dans le
chapitre sont abordés la question, les propositions et le design de la recherche. Enfin
2 (Venkatraman, 1993).
Espaces de la stratégie et TI 14
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L'intégration technologique
La cohésion stratégique
3La première préoccupation technique des responsables de l'informatique est celle de l'architecture technique,
un dossier difficile et . (Niederman, Brancheau, Wetherbe, 1991: 479).
4Chaque magasin Wal Mart (Stalk et al., 1992) est relié au siège social et aux autres magasins par vidéo-
conférence.
Espaces de la stratégie et TI 19
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Intégrer la structure
5Trois risques objectifs conduisent les organisations à changer leur structure. Pour Child (1987), ce sont les
risques associés à la demande (fluctuante), à l'innovation (accélérée) et à l'inefficience (coûts de production trop
élevés). Ces trois risques demandent, dans l'ordre, plus de rapidité et de cohésion dans la réponse aux modifications
du marché; l'accès aux nouvelles idées et concepts ainsi qu'une grande flexibilité opérationnelle interne, enfin,
l'exercice d'un plus grand contrôle et l'étude de possibilité de sous-traitance de certaines opérations.
Face à chacun de ces risques, la TI ( (Child, 1987)) se qualifie pour offrir de nouvelles structures aux
organisations, depuis la hiérarchie intégrée jusqu'au réseau , en passant par la semi-hiérarchie, le co-contrat, le
contrat coordonné, et les liens de revenus coordonnés.
6Johnston et Vitale (1988), dans un article qui décrit les avantages compétitifs d'un système inter
organisationnel reliant l'organisation focale à ses clients et à ses fournisseurs, proposent d'ailleurs la définition
suivante d'un système (d'information) inter organisationnel ():
(p. 154).
Et reprenant à Cash et Konsynski (1985) une définition qu'ils trouvent simple et utile: .
Espaces de la stratégie et TI 20
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Intégrer la stratégie
Intégrer la culture
Problématique
La ville avait jadis des murs, une frontière et un centre. Aujourd'hui la ville est
un lieu dense traversé en tous sens d'infrastructures de transport et de communications.
Ses frontières ont disparu; la ville est devenue un étalement urbain7. Son centre a
disparu, il est partout et nulle part.
Cette transformation de l'espace urbain - ou organisationnel - peut être abordée
par les notions de vitesse, d'architecture et de comportement humain.
7 Entrevue au journal Le Devoir de M. Claude Pichette, président du Groupe de travail sur Montréal et sa
région, le samedi 6 mars 1993.
Espaces de la stratégie et TI 23
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L'architecture de la transparence
8Il arrive souvent que le siège d'une compagnie qui abrite des ordinateurs adopte la transparence comme
architecture. À Montréal, l'immeuble IST qui borde l'autoroute métropolitaine est typique; en Belgique, le siège
international de SWIFT, le centre mondial de commutation des messages bancaires, présente une partie centrale
complètement transparente. Le même thème graphique de la transparence servait récemment à illustrer une
couverture du magazine Business Week sur l'entreprise virtuelle.
Espaces de la stratégie et TI 24
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«Ce que l'on indique n'est pas le nom de la rue (les rues n'ont pas de
nom), ni le numéro dans la rue (il n'y en a pas); c'est le nom du quartier (machi
ou chô), suivi de trois numéros qui se rapportent respectivement à la section de
quartier, à l'îlot et à la parcelle. Les deux derniers numéros ne correspondent pas à
un ordre logique mais à un ordre pratique, celui dans lequel le terrain a été
bâti».(Berque, 1982 : 124)
9Berque commente ainsi cette spécificité spatiale : «La logique de cet espace n'est pas celle de l'observateur,
fût-il le voyageur ou le Prince : c'est celle de l'habitant. Ce n'est pas la rue, espace venant d'ailleurs et menant
ailleurs, qui impose aux lieux habités son nom et son ordre numérique : le nom comme le numéro se rapportent aux
lieux habités, dans l'ordre où ils ont été habités. L'habitant y vit en tant que tel, non pour qu'un regard extérieur le
trouve.» (Berque, 1982 : 124).
Espaces de la stratégie et TI 25
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«On ne peut pas comparer l'homme qui dort dans un TGV ou dans un
Concorde à l'homme qui prend la mesure d'un territoire comme un Marco Polo ou
un d'Aboville traversant le Pacifique à la rame. Cette inertie naissante dans la
révolution des transports est devenue globale avec la révolution des
transmissions.» (Virilio, entrevue au journal , 28 janvier 1991, p.2)
Contexte
Un environnement changeant laisse peser des menaces sur l'avenir des banques
(Bryan, 1988) tandis que les nouveaux venus sur la scène des services financiers (des
courtiers comme Merrill Lynch, des géants de la distribution comme Sears, ou des
géants de l'automobile comme GM) semblent se réserver, aux États-Unis et de plus en
plus au Canada, toutes les opportunités (Sippel, 1989).
Espaces de la stratégie et TI 26
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occupait dans cette fonction plus de mille personnes. À ces frais d'opération et
d'entretien de l'informatique, s'ajoutent les coûts liés au développement de nouvelles
applications. Le président peut voir apparaître sur son bureau des projets de
développement de 20, 50 ou 100 millions de dollars.
Après avoir été convaincu dans les années 80 de l'importance stratégique de la
technologie de l'information, le président d'une banque dans les années 90 s'interroge
légitimement: où sont passés les bénéfices promis de l'informatique ?
S'il consulte les meilleurs spécialistes et il se fera dire que la technologie de
l'information a tellement envahi toute l'organisation que c'est l'organisation - envahie
par la technologie de l'information - qui devient stratégiquement la formule gagnante.
Il doit apprendre à aligner, dans une même cohérence, les affaires et la technologie de
l'information.
Dans le modèle d'alignement qu'on lui présente (voir la figure 1.1.), la notion
d'architecture est cruciale. Le président doit articuler une architecture d'affaires pour
tirer profit d'une architecture de la technologie de l'information, et réciproquement. Du
côté de l'architecture d'affaires, on doit concevoir les produits et les services,
l'organisation, les processus et le management, l'allocation des ressources et la culture;
du côté de l'architecture de la technologie de l'information, il faut concevoir les
applications, les données et le réseau, les standards et les interfaces, l'organisation et les
habiletés dans le domaine de l'informatique, le management et les processus de
l'informatique ainsi que le niveau du financement.
Comment aborder ce puzzle architectural?
Le message des experts semble être le suivant : continuez à automatiser en
utilisant la technologie de l'information et veillez à intégrer les dimensions de
l'organisation.
Plus vous automatisez, plus vous posez la question de l'architecture de la
technologie de l'information et plus vous intégrez l'organisation, plus vous faites de
l'architecture organisationnelle (voir Nadler et al., 1992). C'est le contexte
caractéristique des organisations complexes des années 90.
Espaces de la stratégie et TI 28
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Figure 1.1.
P LATE-FORME P LATE-FORME
D'AFFAIRES DE LA TI
Deuxième question :
Est-ce que cette relation nous permet de mieux saisir, de mieux apprécier, le
développement moderne d'avantages concurrentiels et le rôle qu'y joue la technologie de
l'information?
Troisième question :
Cette troisième question porte sur l'effet d'une relation donnée entre un
déploiement de la TI et une architecture d'affaires sur la performance financière, de
positionnement ou d'innovation.
Dans les années 90, la cohésion entre la TI et les affaires relève d'une organisation
plus intégrée et moins cloisonnée souvent qualifiée d' . En fait, il ne s'agit pas d'opposer
une nouvelle forme géométrique à la pyramide mais bien de lui opposer une forme
vivante - comme l'arbre illustré à la figure 1.2. - où les individus ne sont plus seulement
des organisés mais des organisants. Des organisants10, car leurs contributions
définissent une structure, une croissance, un développement stratégique et culturel.
Figure 1.2.
Dans la pyramide, le pouvoir est au sommet; dans l'arbre le pouvoir existe à partir du
tronc, qui est unique comme l'est le sommet de la pyramide. Dans l'arbre, le pouvoir est
une énergie qui doit se propager pour nourrir les branches (les projets...) et les feuilles
(les organisants). Dans la pyramide, le pouvoir est souvent morte pesanteur.
11voir B. Joseph Pine II, , Boston (Mass.): Harvard Busines School Press, 1993.
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compétition tant au niveau des coûts que de la qualité. Ces défis obligent l'entreprise à se
transformer en mobilisant des savoirs et des compétences toujours plus spécialisés. Plus que
jamais le management et l'ensemble des membres d'une organisation sont mis à
contribution pour concevoir ou revoir la conception des systèmes, des procédés et des
produits - et ultimement des structures - dans un contexte économique difficile. Les
nouvelles exigences de la gestion stratégique sont autant des exigences d'acquisition et
de développement de savoirs et de compétences multiples que la mise en place d'un
espace de la stratégie adapté à cet effort de conception des systèmes, des procédés et des
produits.
La stratégie était - et reste le plus souvent - l'apanage de la haute direction;
l'espace de la stratégie est le concept des organisants, le concept de celles et ceux qui
développent, avec leur savoir et à leur niveau, des systèmes, des processus et des
produits.
attribuer à l'artefact.14
La littérature en stratégie traite des forces et des faiblesses d'une face aux
opportunités et aux contraintes de son . Cette notion d'espace de représentation limitée
cognitivement aux capacités du stratège ne semble plus adaptée à une situation
nouvelle dans laquelle tous les savoirs et les compétences doivent être mobilisées pour
faire face à une complexité croissante dans l'entreprise. Il nous faut étendre cette notion
d'espace de représentation de la stratégie au-delà du stratège au sommet.
Un sociologue de l'architecture, Raymond (1984), met au centre de son ouvrage15
la société comme productrice d'un espace de représentation social qui est à concevoir
comme source, à travers l'histoire, de l'espace de représentation de l'architecte.
Mais qu'est-ce que l'espace de représentation de l'architecte? C'est en même temps
une légitimité sociale codifiée par un pouvoir16 (la légitimité de représenter), un ensemble de
procédés de techniques et de pratiques, et un complexe d'outils et de formes mentales aptes à la
représentation.
Cette notion décrit alors un ensemble comprenant : 1. la légitimité de
représenter, 2. les outils concrets de ce travail de représentation (exemples : les outils
d'un peintre, toile, peinture et couleurs à une époque donnée) et 3. les théories qui sous-
tendent ce travail de représentation (exemple : la géométrie projective pour le peintre
de la Renaissance).
Raymond (1984), sociologue de l'architecture, utilise une typologie en trois points de
ces espaces :
Dans l'espace vide, le concept de stratégie et la légitimité appartiennent au
sommet. Dans cet espace, la technologie de l'information vient se substituer au travail
humain tandis que les contributions du management intermédiaire et du personnel sont
faibles :
14 Le sens des travaux de Simon et Newell (1972) nous indique que la solution est générée dans un espace
de représentation individuel. Un espace collectif de représentation peut-il exister et générer des solutions collectives
à des problèmes communs? C'est sans doute le plus grand bénéfice d'une culture organisationnelle efficace et
transparente.
15 Voir Raymond (1984): .
16 Ceci peut être illustré par une des communications faites lors du congrès international tenu à Montréal en
mai 1990. Il s’agit d’un Moscovite, Viacheslaw Glazychev:
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nettoyer, à enlever les papiers, tout... Ils ne se sentent pas responsables jusqu'à
tant que la vice-présidence responsable de la succursale décide que chaque
succursale soit évaluée sur la propreté, sur la qualité du service, et sur les
guichets! »
[Extrait d'un entretien avec un responsable des systèmes
informatiques d'une banque, décembre 1990]
Dans l'espace programmatique, les légitimités sont bousculées pour remettre sans
cesse en question l'ajustement réciproque de l'organisation et de l'environnement. Dans
cet espace, la technologie de l'information vient proposer des outils puissants pour
produire de l'information :
-«Les succursales qui sont le plus aux prises avec un marché féroce
voient qu'elles ont de plus en plus besoin d'avoir un plan stratégique. Donc de ne
plus gérer à l'oeil, mais d'avoir une stratégie arrêtée. Avoir des plans d'action,
mettre dans le coup le personnel et y aller de façon très organisée. Alors ce qu'elles
veulent, c'est une base de données qu'elles vont pouvoir exploiter elles-mêmes.»
[Extrait d'un entretien avec un responsable des opérations d'une
banque, février 1991]
«Alors ce que ça veut dire aussi, comme le changement n'est pas planifié
complètement pour l'ensemble de l'organisation, ça devient quelque peu de la
déstabilisation, du déséquilibre, des essais et des erreurs. On essaie de trouver un
meilleur fonctionnement qui nous permette d'y faire face.»
[Extrait d'un entretien avec un responsable des opérations d'une
banque, février 1991]
Figure 1.3.
architecture DE architecture
LA
COH ÉSION
STRA TÉGIQ UE STRATÉ INTÉGRATION
TECHNO LOGIQ UE
GIE
PERFO RMANC E
Le domaine de la question de recherche
Première proposition :
Deuxième proposition :
Troisième proposition :
Importance de la recherche
17«In this new era, information technology will be at once more pervasive and less potent/.../ Within their
companies, [managers] will focus less on developing stand-alone applications than on building electronic platforms
that can transform their organizational structures and support new ways of making decisions.» (Hopper, 1990: 118).
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Plan de la thèse
Introduction
18Voir Rumelt (1979: 199): «A principal function of strategy is to structure a situation - to separate the
important from the unimportant and to define the critical subproblems to be dealt with».
Espaces de la stratégie et TI 42
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La notion d'espace de représentation est propre aux personnes engagées dans un travail de
création, dans un travail de design. Herbert Simon, dans son ouvrage «The Sciences of the
Artificial», définit l'activité de design dans ces termes :«Everyone designs who devises courses of
action aimed at changing existing situations into preferred ones » (1969 :129).
Cette activité de design, propre aux ingénieurs, aux médecins, aux peintres, aux
architectes, aux managers et aux stratèges, procède d'une seule logique :la découverte d'options
différentes de façon à répondre aux critères du design.
Ce processus de recherche de solutions, de choix et de mise en oeuvre est un processus
continu, car si ce processus commence dans un contexte particulier (idée de «starting point»19
chez Simon) chaque pas dans sa mise en oeuvre crée une nouvelle situation, elle-même nouveau
contexte dans lequel se renouvelle l'activité de design.
Pour Simon, arriver à la construction d'un artefact respectant tout les critères d'un design
est d'abord affaire de représentation :«/. . . /solving a problem simply means representing it so as
to make the solution transparent» (Simon 1969 :153).
Imaginons un modèle public, par exemple un schéma publié dans une revue académique.
19 Dans les mots de Simon explicitant l'idée de «starting point»: «The real result of our actions is to establish
initial conditions for the next succeeding stage of action» (Simon 1969:187).
Espaces de la stratégie et TI 43
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Figure 2. 1.
La représentation
Ce modèle pourrait être une équation ou un schéma proposé par un savant atomiste pour
décrire le réel atomique. Ce modèle est l'artefact d'une chose réelle. À partir de ce modèle, un
lecteur, un autre chercheur, peut créer sa propre carte mentale de la chose réelle en reliant le
modèle à sa propre carte mentale de la chose. La représentation (Lacharité, 1987) est en effet un
processus social - les acteurs communiquent des aspects de leur carte respective - et un acte. Le
modèle devenu carte mentale peut inciter le chercheur à agir sur la chose réelle, par exemple au
moyen de l'expérimentation (voir la figure 2. 1. ).
Cette introduction à la notion de représentation, inspirée de Bunge (1983), est importante
car elle situe le sujet comme un acteur et comme être social. La représentation, comme acte et
comme relation, est à distinguer du paradigme du traitement de l'information (Bunge, 1983)
parce qu'elle considère le stratège comme un acteur social plutôt qu'une cible bombardée
d'informations. Le stratège est un acteur compétent dans des domaines complexes du savoir; à
ce titre, il doit souvent agir comme concepteur de système, de procédé, ou de produit. Il agit,
comme l'artiste, dans un espace de représentation.
Figure 2. 2.
L'espace de représentation
L'espace de la stratégie
Figure 2. 3.
L'espace de la stratégie
La chose réelle qui retient l'attention du stratège est bien évidemment la performance de
l'organisation. Mais la performance naît d'un effet de levier; d'un travail sur X - le problème
crucial qui devient l'objet de la stratégie - qui peut être, selon la situation, un amalgame
d'organisation et d'environnement, de personnes et de procédés, de culture et de processus
décisionnels, de structure, de technologie et de ressources. Le stratège concentre son attention
sur X pour éviter, par exemple, qu'un problème de production n'affecte la performance ou
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qu'une opportunité de vente ne soit perdue. L'objet de la stratégie peut rester le même, comme
un projecteur poursuit un personnage sur une scène d'opéra, ou il peut changer de nature et
d'étendue.
Supposons l'objet de la stratégie soit la réduction des coûts et commentons
successivement la signification de notre schéma (illustré à la figure 2. 3. ) :1. la situation de
représentation, 2. l'espace de représentation et 3. l'ensemble de la configuration.
La situation de représentation
Avant la mise en oeuvre, il y a une situation de représentation; pendant la mise en oeuvre,
il y a une situation de représentation; après la mise en oeuvre, il y a une situation de
représentation. Cela indique qu'il se trouve toujours un ou des stratèges qui projettent, agissent,
informent et s'informent. Le stratège qui cherche à réduire les coûts projette sa carte mentale
sous forme de modèle public (discours, plan stratégique, communiqué de presse), agit ou cherche
à agir sur X (il décrète le gel des salaires) et il s'informe en améliorant son système de suivi des
coûts.
Les chances que son travail de réduction des coûts connaisse du succès dépendent bien
sûr de multiples facteurs environnementaux, mais surtout de sa propre emprise sur l'objet de la
stratégie. Ici intervient la notion d'espace de représentation.
L'espace de représentation
Pour le gestionnaire comme pour Mozart, chaque situation de représentation se déroule
dans un contexte politique, instrumental et théorique. Quel est le poids, en terme de légitimité,
du discours ou du mot d'ordre du gestionnaire? Quels sont ses outils de planification, de
budgétisation, de simulation? Sur quelle technologie de l'information peut-il s'appuyer? Que
vaut sa théorie locale de réduction des coûts? Est-ce le meilleur «fit» actuel? Est-ce une vision
d'avant-garde? Une hallucination? Un consensus partagé par tous les gestionnaires?
L'emprise du stratège sur l'objet de la stratégie viendra d'une cohérence entre le stratège
comme individu, la situation de représentation qui permet ou non d'adresser les vrais problèmes
et l'espace de représentation qui inhibe ou renforce son travail.
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L'espace de la stratégie
L'espace vide
Ce que Raymond appelle l'espace vide, c'est-à-dire un espace vidé de toute représentation
sociale pour laisser place à une trajectoire d'architecte (l'élaboration d'une intuition esthétique)
nous rapproche de l'entrepreneur visionnaire.
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Figure 2. 4.
L'espace vide
L'espace vide caractérise ce type d'architecte qui, pour réaliser son intention esthétique,
fait le vide autour de lui :vide du pouvoir et de la légitimité des autres, vide des contraintes et des
normes existantes, vide des théories préétablies. Seul ce vide permettra à sa trajectoire
personnelle de se développer. Comme représenté sur la figure 2. 4. , l'espace vide se caractérise
par la marge de manoeuvre du stratège. Il se réserve seul l'accès et définit l'objet de sa stratégie;
il veille à ce que sa mise en oeuvre soit conforme à sa vision. Le triangle qui entoure le stratège
symbolise le pouvoir, la légitimité du stratège au sommet.
Le concept d'espace vide est compatible avec cette idée (Smircich et Stubbart, 1985)
d'abandonner la perception que l'organisation doit s'adapter à son environnement. D'après de
récentes recherches sur les crises organisationnelles, ce qui cause les crises c'est un «pattern» de
pensée des dirigeants, plutôt que l'environnement externe; c'est le stratège qui est le premier
concerné - dans l'espace vide - par l'adaptation à l'environnement.
L'exemple de Geneen à ITT (Geneen, 1984) peut être considéré comme un archétype de
ce que nous appelons l'espace vide en stratégie. Nous retrouvons, dans son cas, les trois
dimensions de l'espace de représentation de la façon suivante :1. pour ce qui est de la légitimité,
Geneen détient un pouvoir quasi absolu sur l'ensemble de ses directeurs, seule la stratégie de
Geneen est, a priori, légitime; 2. en terme d'outils, Geneen envoie à ses filiales l'ordre de ne plus
perdre de temps avec la planification stratégique, ces outils sont insignifiants à ses yeux; 3. au
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niveau théorique Geneen travaille au cas par cas («managing is to manage!») sans s'embarrasser
d'une théorie de la représentation en stratégie autre que sa propre trajectoire et sa propre vision.
La performance est l'objet central de l'action du stratège organisationnel. Il s'agit de
croître, et, par cette croissance, de construire une organisation plus forte et plus puissante. Une
organisation qui sera un ensemble de modules multiples dont seul le stratège possédera la
logique interne (celle de sa trajectoire). Comme le rappelle Mintzberg (1973) à propos des
entrepreneurs :«We're empire builders. The tremendous compulsion and obsession is not to
make money, but to build an empire».
Ces stratèges de l'espace vide ont compris qu'il fallait une vision, une obsession, une
trajectoire pour bousculer la performance. Le stratège de l'espace vide doit arriver à représenter,
pour les collaborateurs potentiels, le plus grand potentiel de succès :«encouraging the
representativeness heuristic» (Schwenk, 1986).
Ce processus amène le stratège de l'espace vide à manipuler l'information qu'il peut
transmettre à ceux qui sont prêts à s'engager avec lui («contributors»). Ces collaborateurs entrent
ainsi, potentiellement, dans une escalade d'engagement envers la vision du leader. Cet
engagement se poursuit même si les résultats atteints continuent d'être négatifs (Schwenk, 1986).
Pour susciter les actions adéquates, le leader doit constamment confronter les
responsables à leurs résultats (à leur réalité!) :
Pour Peters et Waterman (1982), un des premiers attributs qui caractérisent le mieux les
meilleures entreprises innovatrices, c'est le parti pris de l'action. Écho identique dans le livre de
Moss Kanter (1983). L'auteur y écrit en guise de conclusion :«In short, acting first, thought
later; experience first, making a «strategy» out of it second».
Pourquoi ce primat de l'action? Parce que le monde (l'environnement des organisations)
est devenu tellement complexe qu'on a le sentiment de ne plus pouvoir agir sur sa transformation
et que «c'est quand il n'y a plus rien à faire qu'il faut agir» (Autrement, 1985).
Starbuck (1983) définit les organisations comme des «générateurs d'action» :d'actions
automatiques et standardisées d'où la capacité d'apprentissage et d'adaptation à des situations
nouvelles est absente. Les leaders qui ont une trajectoire ferme vers de meilleures performances
vont essayer de briser, au moyen de leurs actions, l'aspect programmatique des organisations
pour susciter l'initiative, la responsabilité et l'entrepreneurship au sein de leur corporation. Mais
Espaces de la stratégie et TI 50
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L'espace programmatique
L'espace programmatique est propre à l'architecte qui finit par renoncer à toute vision
esthétique pour mettre en forme un programme résultant d'un budget, de données sur les coûts et
de contraintes réglementaires (sur l'occupation du sol, les matériaux, l'esthétique et l'industrie de
la construction) nous fait penser au gestionnaire mécanique et objectif apte à fonctionner selon
les coûts/bénéfices, les opportunités/contraintes et les forces/faiblesses.
L'espace programmatique est plein, chargé de normes et de contraintes, d'outils de
représentation et de pratiques enracinées, d'idéologies et de théories bien en place. L'architecte
qui travaille dans ce type d'espace de représentation ne peut plus développer sa propre trajectoire.
Il effectue seulement de la mise en forme de contraintes diverses et multiples (terrain, plan
d'occupation du sol, normes d'urbanisme, normes de construction, cahier des charges).
C'est le type d'espace de représentation décrit par les experts en «problem solving»
(Newell et Simon, 1972) :un espace rempli d'opérateurs où une solution ou un artefact (le produit
d'une activité consciente de design ) ne s'élabore qu'après de multiples itérations. Un type
Espaces de la stratégie et TI 51
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Figure 2. 5.
L'espace programmatique
La stratégie est conçue alors comme le résultat d'une série d'itérations entre des noeuds de
connaissance concernant les opportunités et les menaces dans l'environnement, ainsi que les
forces et les faiblesses de l'entreprise ou de l'organisation (Andrews, 1980). La dimension
dominante de l'espace de représentation programmatique dans son aspect concret et visible est
certainement l' «outillage» (repérage de l'environnement, modélisation, planification stratégique,
gestion par objectif, budget base zéro) mis en branle, à l'aide d'ordinateurs et de procédures
administratives, pour produire une stratégie-programme.
Sur la figure 2. 5. , le triangle de l'espace vide est devenu le carré de l'espace
programmatique. Sur chaque côté du carré s'exercent des pressions :les opportunités dans
l'environnement, les contraintes de l'environnement, les forces de l'organisation, les faiblesses de
l'organisation. La configuration du pouvoir y est transformée; l'équipe de planification
stratégique et de contrôle joue un rôle clé auprès du stratège au sommet. Le plan devient l'outil
privilégié de la stratégie; l'accès à l'objet de la stratégie est difficile.
Dans la configuration de l'espace programmatique, le stratège est relié à un système de
20 Une image empruntée aux sciences physiques peut nous éclairer: «... comme Prigogine l'a fait remarquer,
l'introduction d'opérateurs en théorie physique apparaît adéquate chaque fois que l'on doit abandonner la notion de
trajectoire» (Lestienne, 1985).
21 comme le souligne Fortune (7 mai 1990) dans son dossier «Who needs a boss?»
Espaces de la stratégie et TI 52
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planification qui agit sur lui et sur lequel il agit, à défaut d'agir directement, comme le stratège
de l'espace vide, sur l'organisation.
Que prend pour objet le stratège de l'espace programmatique?
Nous basant sur Lorange (1982), nous dirons que les systèmes de planification ont suivi
une évolution depuis le budget («extrapolation»), c'est-à-dire la répartition des ressources,
jusqu'à l'analyse des portefeuilles d'activités («portofolio planning»), en passant par l'étude de
l'avantage compétitif d'une firme sur le marché («business planning»). À travers cette évolution
de la planification, l'objet de la stratégie devient un mixte variable englobant toujours mieux
l'organisation et s'ouvrant toujours plus sur l'environnement pour en construire l'ajustement
réciproque :le «fit».
Quels sont les liens entre le stratège de l'espace programmatique et cet objet? Nous
tâchons de les décrire ci-dessous.
Le système de planification va produire une stratégie pour autant que ce système traite les
trois composants de base d'une stratégie :les buts, les ressources et les contraintes de
l'environnement. Autant la relation dominante, dans la configuration de l'espace vide, était
l'action du stratège sur la performance de son organisation, autant, dans la configuration de
l'espace programmatique, la relation clé est la projection d'un plan sur l'objet de la stratégie.
Dans cet espace programmatique, nous retrouvons les trois liens suivants entre le stratège
de l'espace programmatique et l'objet de la stratégie :
- la projection :le couple formé du stratège au sommet et de son «staff» de planification
va développer un modèle de l'objet de la stratégie (la publication d'un plan nécessite un
consensus préalable sur les différentes visions des experts et du manager au sommet), et va
publier ce modèle sous la forme du plan.
- l'action :le stratège n'agit plus directement sur l'objet de la stratégie, mais indirectement,
par l'intermédiaire de son système de planification (le «staff», ses ressources et les processus de
planification).
- l'information :l'objet de la stratégie, à la fois organisation et environnement, doit être
systématiquement suivi et «écouté»; des canaux de communication vers l'objet de la stratégie
sont créés, faisant du stratège de l'espace programmatique une cible bombardée d'informations.
Le lien de projection
Espaces de la stratégie et TI 53
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Le lien d'action
Ce qu'il est important de comprendre ici, dans une configuration programmatique «pure»,
c'est que le stratège au sommet n'agit pas directement, comme dans le cas de l'espace vide, sur
son organisation. En fait, il interagit seulement avec son système de planification. L'interaction
du manager au sommet et des spécialistes en planification produit une stratégie (artefact) publiée
pour les managers fonctionnels. Et cet artefact, le plan, agit, par ses contraintes et le contrôle
qu'il implique, sur les activités à programmer ou à reprogrammer dans l'organisation.
Le lien d'information
contrôle) et les tenants d'une information formelle complétée de sources informelles et ad hoc,
sur une base irrégulière relevant d'une conception de la planification axée sur la stratégie,
l'adaptation, l'analyse et le «formalisme synoptique» (Camillus, 1982) face à l'incrémentalisme
logique.
Pour faire le point sur l'information dans le processus de planification stratégique, nous
pouvons écrire ceci :l'information utilisée dans le processus de planification stratégique constitue
le point névralgique de ce processus. Il ne faut pas pour autant questionner l'utilité de la
planification stratégique (Porter, 1987) mais bien la nature des systèmes de planification.
La légitimité
Dès que le stratège, par obligation, choix ou penchant naturel, est amené à considérer
«objectivement» à la fois son organisation et l'environnement de celle-ci, il s'engage à partager sa
légitimité de formuler des stratégies (de représenter sur papier, dans le plan et par ses actes,
l'avenir de son organisation) avec les experts en planification et le système de planification mis
en place.
L'équilibre sera fragile entre un service de planification puissant et efficace dans la
formulation et un stratège puissant et efficace dans la mise en oeuvre. Comme l'écrit Ansoff
Espaces de la stratégie et TI 55
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(1979) dans son plaidoyer pour un leadership stratégique, la légitimité de la technocratie risque
de produire un affaiblissement («lack of power») du stratège et du management au sommet. Et
une incapacité à mettre en oeuvre les meilleures stratégies sur papier.
Les outils de la représentation
Dans l'espace programmatique, le stratège n'agit pas directement sur des personnes mais
il se donne, à travers le processus de planification, les moyens de programmer et de
reprogrammer les activités. Cela ne signifie pas que l'innovation est impossible, mais qu'une fois
identifiée, elle doit être intégrée aux comportements routiniers des membres de l'organisation.
Simon, dans «Administrative Behavior» (1945), discute déjà de ces deux premiers outils.
L'organisation étant un système hiérarchisé, où les moyens d'un niveau inférieur sont les fins du
niveau supérieur, la claire définition des prémisses au sommet impliquera des décisions et des
actions cohérentes avec ces prémisses, à la base.
Simon a écrit également, dans l'introduction du même ouvrage ceci :«the question is not
who decide but who arranges the scheme». Une décision complexe évoluera, au sein d'une
organisation, non seulement en fonction des prémisses fixées par la haute direction, mais aussi en
fonction du «pattern» de communications et de relations humaines qui transmet aux membres de
l'organisation l'information, les prémisses, les buts, les attitudes et les attentes (Simon, 1945).
Dans la configuration de l'espace programmatique, les conflits les plus subtils mais les
plus impitoyables se déroulent entre des théories de la représentation du futur stratégique d'une
organisation, et ce, tant du côté des chercheurs que des managers ou des experts en planification.
Camerer (1985) après avoir constaté qu'en stratégie et politiques générales, «the state of
the art is disappointing», condamne les approches inductives (et qualitatives). Selon lui, ces
approches se rapportent à l'art, et l'art ne progresse pas, n'accumule pas logiquement les
connaissances.
Il faut donc trouver un langage objectif qui permette de tester des hypothèses et
d'accumuler des connaissances vérifiées. Camerer promulgue ainsi la théorie de la décision,
l'organisation industrielle et la micro-économie comme les disciplines premières de la recherche
Espaces de la stratégie et TI 56
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en stratégie.
Les théories de la représentation sont abordées par Ramaprasad et Mitroff (1984) qui, à
partir du concept de structure logico-mathématique, soulignent que la formulation d'un problème
dépend du cadre de référence (théorie de la représentation) dans lequel on l'aborde. Ainsi les
théorèmes de la géométrie ne tiennent logiquement que dans le cadre d'un espace euclidien. Ils
mettent en relief l'importance du stratège dans la formulation d'un problème stratégique :«The
ideal strategist should sense, intuit, feel, and think». Ce que ne contredira pas Naylor (1979)
:«Every company has a corporate planning model. In most companies the model exists only in
the head of the chief executive of the company».
Les modèles corporatifs, artefacts de la stratégie, sont issus d'une conception du temps
linéaire («clock-paced»). Dans l'espace programmatique, la notion de territoire à «construire
(voir par exemple la volonté de Carlo de Benedetti, président d'Olivetti, de se construire un
empire) est remplacée par la notion de séquence de mouvements, toujours à reprogrammer.
Autant la notion d'espace, de territoire désiré, est propre au stratège de l'espace vide, autant la
notion de temps et de séquence d'actions programmées dans le temps pour conserver un «fit»
entre l'entreprise et son environnement, est propre au stratège de l'espace programmatique.
L'espace habité
L'espace habité est propre à l'architecte «social» qui est à l'écoute du client, cherchant à
saisir et à traduire exclusivement les besoins d'une famille, d'une communauté ou d'une
organisation sans imposer sa trajectoire esthétique d'architecte. L'espace habité est rempli de
sujets légitimés, étrangers à l'architecte (le leader). Ce sont, en architecture, les futurs habitants
d'un espace construit; en stratégie, les futurs utilisateurs, individus ou sous-systèmes
organisationnels (Quinn, 1980), d'une stratégie mise en oeuvre. Or ces habitants, même s'ils
n'ont pas la compétence esthétique et technique de l'architecte, ont une parole à exprimer sur leur
habitat. Selon Raymond (1984), ces habitants contiennent le concept d'architecture.
L'espace habité est un espace politique et culturel où le pouvoir agit à partir de l'intérieur
et de l'extérieur de l'organisation (Pfeffer et Salancik, 1978; Mintzberg, 1983). Dans cette
configuration, il s'agit moins pour le manager au sommet d'assurer sa propre légitimité que de
comprendre le «pattern» de la stratégie qui se construit autour de lui. Il se doit d'élaborer une
théorie adéquate des intentions et des stratégies des acteurs situés dans et autour de
l'organisation.
L'espace habité comporte deux caractéristiques supplémentaires :1. il concerne autant
que possible tout le management et même (mais pas nécessairement) tous les membres d'une
Espaces de la stratégie et TI 57
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Figure 2. 6.
L'espace habité
Ce ne sont ni la vision du leader, ni le contenu stratégique qui vont donner du sens à une
organisation. Le sens est déjà là, il ne demande qu'à être reconnu (Raymond, 1984). Mais cette
reconnaissance sera tributaire des rapports entre l'architecte social et les utilisateurs de la
stratégie.
«Le leader a peut-être été celui qui a choisi l'image parmi toutes celles
qui étaient possibles à ce moment-là,. . . , mais il est rare que ce soit lui aussi qui
ait en premier lieu conçu la vision» (Bennis et Nanus, 1985).
susceptible de laisser émerger des stratégies nouvelles, des innovations, des nouveaux procédés
et de nouveaux produits. Le stratège au sommet définit volontairement un tel contexte qui
permet l'autonomie stratégique du plus grand nombre de membres et de gestionnaires de
l'organisation.
Le contexte défini par le stratège au sommet, désirant construire un espace habité, est le
suivant :il doit perdre du pouvoir pour pouvoir légitimer les actes des autres stratèges potentiels;
il doit utiliser des outils, de nature structurelle et culturelle, pour créer un contexte suscitant et
autorisant des comportements stratégiques autonomes; il doit enfin s'interdire une vision a priori
de l'avenir de son organisation, pour être à l'écoute des situations émergentes (à encourager ou à
interdire).
«The Key to Strategy is Context» (Davis, 1982). Il y a convergence entre les chercheurs
qui s'intéressent à la stratégie au-delà de la conception du «héros-solo» (l'espace vide) ou de la
programmation de la stratégie (l'espace programmatique) pour affirmer que la clé, pour créer des
comportements stratégiques autonomes, est la gestion du contexte.
Davis (1982), dans son plaidoyer pour la gestion du contexte soutient ceci :«le contexte
est ce qui entoure le contenu, c'est-à-dire un ensemble de présupposés non questionnés qui
filtrent toute expérience». Le contexte n'a pas de signification en soi, mais il fournit le
fondement duquel dérive un contenu. Le contexte crée une réalité, et cette réalité est le contenu.
Définir le contexte, c'est définir le cadre, la frontière du contenu. C'est le pouvoir
d'affirmer que la réalité n'est que ceci, que cela ou plus que tout ceci ou cela. Pour Davis (1982),
la mise en oeuvre d'une stratégie doit, en premier lieu, recréer ce nouveau contexte chez chaque
employé. Son argument est le suivant :un gestionnaire qui ne gère pas le contexte laisse la
stratégie (essayer de) tirer l'organisation; au contraire, le gestionnaire qui gère le contexte fait en
sorte que l'organisation pousse la stratégie.
Le contexte est présent dans l'esprit de chaque «habitant». Changer le contexte, c'est
transformer sa carte mentale :«Every organization member - not just the leadership - would be
very clear about how his or her job implements that strategy». Burgelman (1983) nous fournit
un modèle définissant le contexte structurel et le contexte stratégique. Le contexte structurel est
un vaste concept enveloppant les «mécanismes administratifs variés que le management
Espaces de la stratégie et TI 59
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corporatif peut manipuler pour changer les intérêts perçus des acteurs stratégiques dans
l'organisation» (Burgelman, 1983). Ces mécanismes sont le choix d'une configuration
structurelle, de mesures de performance, de formalisation de positions et de relations dans
l'organigramme, etc.
Le contexte stratégique reflète, quant à lui, «les efforts du management intermédiaire
pour relier les comportements stratégiques autonomes au niveau produit/marché et le concept de
stratégie de l'entreprise» (idem, 1983). Pour y arriver les managers intermédiaires doivent
donner du sens à ces initiatives stratégiques autonomes et formuler des stratégies réalisables et
attrayantes (idem, 1983).
Pour Burgelman (1983), le concept de stratégie d'entreprise représente «the more or less
explicit articulation of the firm's theory about its past concrete achievements». De ces
comportements autonomes émergeront de nouvelles stratégies dans la mesure où les stratèges au
sommet adoptent une métastratégie (Hedberg et al, 1977; Hafsi, 1985) qui fera d'eux des
«professeurs d'arithmétique». C'est-à-dire des gens dont l'efficacité est mesurée par la capacité
qu'ont leurs étudiants de résoudre des problèmes, et non par leur propre capacité à résoudre ces
problèmes.
L'espace habité regroupe une littérature qui place l'organisation (ou la structure), dans le
temps, avant la stratégie. La clé, c'est que l'émergence d'un contexte d'autonomie stratégique, né
de processus cognitifs, sociaux, organisationnels et politiques complexes (Bower et Doz, 1979)
suscite des contenus qui seront transmis, réarrangés et incorporés par le management au sommet
dans leur définition d'un contenu stratégique pour la firme.
Notons, pour terminer ce point sur le contexte, que cette configuration de l'espace habité
ne se limite pas nécessairement à l'intérieur de l'entreprise ou de l'organisation. Cette
configuration peut se prolonger à l'extérieur de l'organisation. Les échanges étroits avec les
fournisseurs, la participation du syndicat aux décisions à caractère stratégique, le travail en
commun avec les instances gouvernementales ou le pré-développement conjoint de nouvelles
technologies avec des concurrents illustrent ce propos. Cette problématique de l'espace habité est
également illustrée tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'organisation du projet Saturn de GM, où
participation du syndicat, autonomie des unités de travail et coopération avec le gouvernement
vont de pair (Messine, 1987).
Que doit faire le manager au sommet, le stratège dans une telle configuration? Bourgeois
et Brodwin (1984) font cinq suggestions pour guider le stratège. Tout d'abord, le stratège ne peut
Espaces de la stratégie et TI 60
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surveiller seul toutes les opportunités ou menaces significatives; deuxièmement, le pouvoir dont
dispose le stratège pour imposer sa stratégie est limité; troisièmement, même si le stratège
cherche à planifier, il ne peut échapper au mode réactif, en partie parce qu'il est celui qui donne
les récompenses, et en partie à cause de la complexité d'opérations diversifiées; quatrièmement,
le stratège doit être prudent dans les récompenses ou les incitations qu'il établit; et
cinquièmement, il faut comprendre que la formation de stratégie se produit dans des groupes et
incorpore des perceptions plutôt que des faits irréfutables.
Sans réduire la stratégie à un phénomène de groupe, sans nier le rôle prépondérant du
leader, la configuration de l'espace habité retient que la formation de la stratégie se produit à
l'intérieur d'un groupe.
Nonaka et Johansson (1985) acceptent, tout en la jugeant insuffisante, cette prémisse
:certaines habiletés personnelles favorisent un management à la japonaise. Pour ces derniers
auteurs, les «S» doux ne sont pas seuls à caractériser un tel espace organisationnel. L'essentiel
est que ces habiletés font entrer l'environnement DANS l'organisation. Un niveau élevé de
partage de l'information sur l'environnement mène à une meilleure qualité de l'information
utilisée dans la prise de décisions et à une plus haute capacité de prise de décision. Pour Nonaka
et Johansson (1985), les «S» durs sont fortement mis à contribution dans l'exercice des habiletés
douces. Cette quête constante de la connaissance à travers des échanges interpersonnels explique
à elle seule le succès économique des japonais (Vogel, 1979).
Dans l'espace habité, l'action ne dépend plus nécessairement d'une stratégie programme
:«job assignments, clock, calendar» (Starbuck, 1983). Il y a de l'espace pour une autonomie de
l'action aux différents paliers de l'organisation, à commencer par le plancher. On peut retrouver
l'autonomie de l'action depuis le niveau du groupe de qualité jusqu'au niveau des divisions (chez
Matsushita, elles réinvestissent de façon autonome 30% de leurs revenus) (Pascale et Athos,
1981).
Action autonome, mais action consensuelle. Car c'est le groupe qui agit en se mettant
d'accord sur les moyens de son action. Dans l'espace habité, le consensus est fondamental et il
porte concrètement sur des moyens; dans l'espace programmatique, le consensus porte sur des
fins, sur une mission, mais la mise en oeuvre est rarement consensuelle.
Nous considérons, dans l'espace habité, le stratège au sommet au sein d'un groupe formé
de tout ceux qui démontrent un comportement stratégique (qui agissent, à leur niveau, sur les
rapports entre leur «organisation» et son «environnement»).
Espaces de la stratégie et TI 61
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Barnes et Kriger (1986) nous offrent une façon d'aborder la question du pouvoir dans un
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espace habité. Ce n'est pas facile :d'une part, la littérature sur le leadership, quelles que soient les
écoles, conçoit toujours un leader unique et des multiples suiveurs; d'autre part, l'approche de la
réalité «socialement construite» a peu de choses à dire sur le pouvoir. «(Weick) has little to say
about power, authority, and control and nothing to say about domination or manipulation»
(Lane, 1986).
Pour Lane (1986), l'approche de Weick est très pauvre au niveau du pouvoir. Il en veut
pour preuve le livre de Peters et Waterman (1982) qui, à la surprise des deux auteurs, trouve
«excellentes» les entreprises qui sont des créations de la personnalité dominante d'un leader fort.
Après cela, les compagnies ont développé des cultures qui incorporent les valeurs et les pratiques
des grands leaders. Lane (1986) conclut que ce sont Barnard et Selznick, négligés parce qu'ils
appartiennent pour Peters et Waterman à l'école de l'organisation comme système social fermé,
qui fournissent en fait la base théorique de l'excellence (issue du leader-fondateur).
Comme l'autonomie est paradoxale, le phénomène du pouvoir dans le contexte
stratégique de l'espace habité l'est aussi. C'est l'espace de l'antihéros, du leadership tournant, mais
c'est aussi un espace créé, à l'origine, par un leader fort, par une personnalité dominante.
D'après nos lectures, nous pouvons considérer dans cette gamme d'outils cinq
catégories d'outils (qui ne manquent pas de se recouper) :(i) le contrôle stratégique, (ii) le
découplage entre long terme et court terme, (iii) le «self-design» structurel, (iv) les outils
culturels, et (v) les techniques de consensus.
Le contrôle stratégique
Jaeger et Baliga (1985) nous proposent d'opposer deux types de contrôle :le contrôle
culturel, inspiré du management à la japonaise, et le contrôle bureaucratique, propre aux grandes
entreprises américaines. Ces deux types de contrôle sont possibles quand, pour reprendre la
typologie de Ouchi (1977), les mesures d' «output» sont disponibles et le processus de
transformation est connu. Jaeger et Baliga (1985) opposent ainsi leurs deux types de contrôle :l'
«output» du contrôle culturel consiste en valeurs partagées de la performance (à la place de
rapports formels), et le comportement est «réglé» par une philosophie partagée du management
plutôt que par des manuels de SOP («Standard Operating Procedures»). Les auteurs soulignent
également ceci :dans un système de contrôle traditionnel, toutes les valeurs peuvent cohabiter,
Espaces de la stratégie et TI 63
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mais dans un système culturel, une seule idéologie ou philosophie du management est tolérée,
celle de l'entreprise.
Pour Schreyögg et Steimann (1987), il faut remettre en question la primauté accordée à la
planification («formal planning») et concevoir le contrôle stratégique comme une activité
autonome, et non comme une annexe de la planification. Ces auteurs insistent sur la
responsabilité personnelle de chacun(e) des membres d'une organisation de rappeler, au groupe
ou à l'autorité, ce qui ne va pas. Ainsi, la mise en oeuvre d'une stratégie devient une excellente
source d'information, bien plus utile qu'un département formel de MIS. Tout ceci exige la
création d'un climat d'ouverture, de confiance et de dialogue.
Si le contrôle stratégique est l'outil clé de l'espace habité, c'est qu'il est un outil
d'apprentissage organisationnel. Un outil indispensable, parce que dans la configuration «pure»
que nous décrivons dans ce chapitre, il n'y a ni vision a priori d'un leader, ni stratégie-
programme prête à être mise en oeuvre :il faut agir pour faire émerger la stratégie. Le concept
d'apprentissage organisationnel («organizational learning») trouve tout son sens dans un tel
contexte, bien que sa signification soit confuse (Fiol et Lyles, 1985) :«new insights or
knowledge», «new structures», «new systems», «mere actions», «adaptation», «change»,
«unlearning». Finalement les deux auteurs nous proposent ceci comme définition
:«organizational learning means the process of improving actions through better knowledge and
understanding».
Il faut (Hrebiniak et Joyce, 1986) savoir gérer à court terme les objectifs à long terme de
la stratégie. Cela nécessite la création d'indicateurs de la performance qui fonctionnent à court
terme, tout en vérifiant que ces indicateurs n'aillent pas contre la santé de l'organisation à long
terme. Ces auteurs proposent un processus de prise de décisions en deux cycles (c/t et l/t) qui se
recoupent.
Le «self-design» structurel
Le schéma de Burgelman (1983) indique une tension entre contexte structurel et contexte
stratégique. Si le contexte structurel est trop rigide (définition de la tâche, autorité formelle,
système de récompense/punition), le contexte stratégique ne peut apparaître. Les propositions de
Hedberg et al (1977) visent justement à faire du contexte structurel une variable dépendante du
contexte stratégique.
Espaces de la stratégie et TI 64
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Figure 2. 7.
grande stratégie
stratégie
grande tactique
tactique
Les niveaux du concept de stratégie d'après Wilden (1983)
Cette grande stratégie peut être développée par le leader (vision), être écrite en tête du
premier chapitre du plan stratégique (programme), ou partagée par les membres d'un groupe
(consensus). Le leader veut la réinterpréter à l'aide de sa vision, les planificateurs travaillent à la
fixer, une fois pour toutes, dans le plan, tandis que les gestionnaires et les membres de
l'organisation tentent de la lire dans l'histoire du groupe. Changer le plan ne change pas la grande
stratégie. Il faut changer le groupe, le leader et ses valeurs ainsi que l'organisation; il faut
changer l'histoire.
La stratégie est déjà un pas vers l'action. C'est le choix d'un large chemin qui va encadrer
les niveaux de la tactique. C'est le lieu de la prise de décision, comme mode de fonctionnement
organisationnel. Ici l'apport de Simon (1957) est déterminant. En considérant l'organisation
comme une sorte de bassin hydrographique entre une source le (leader) et un océan les
(activités). Simon nous a amenés à réfléchir sur la structure des processus de prise de décision en
termes de design organisationnel et de prémisses cognitivement partagées par les décideurs, à
partir d'objectifs fixés au sommet.
La stratégie, c'est le lieu de la définition du domaine et d'une stratégie générique qui
conviennent à l'identité de l'organisation. Ici, les logiques implicite et subjective du leader
(Quinn, 1980) ou binaire des planificateurs (Lorange et Vancil, 1977), ou floue du groupe
(Weick, 1969,1979), commencent à se rapprocher.
L'interprétation du groupe et la vision du leader deviennent plus explicites, pour se
comparer aux interventions des planificateurs. La réflexion, l'échange ou le conflit se trouvent
alimentés par les approches normatives issues principalement de l'analyse industrielle, «rénovée»
par Porter (1980, 1985). Les concepts centraux deviennent ceux d'avantages compétitifs et de
stratégie compétitive. Cette conception du secteur industriel comme lieu d'une pratique exclusive
de la compétition est cependant relativisée par les pratiques de coopération entre organisations
(alliances, «joint-venture») (Astley et Fombrun, 1983) élaborées pour protéger l'accès aux
ressources limitées (Pfeffer et Salancik, 1978) ou pour développer une approche plus efficace de
la technologie.
La grande tactique est du domaine de l'action, à la fois lieu de la mise au point des
programmes-budgets spécifiques, en fonction de la stratégie, et lieu d'interprétation distanciée,
ex-post, des actions tactiques en cours. Cette interprétation est formalisée dans les phases du
processus de contrôle (Ouchi et Maguire, 1975), ou elle est laissée à la capacité stratégique du
groupe qui est capable de rétroaction sur la stratégie (Schreyögg et Steimann, 1987). C'est le lieu
du contrôle des processus et des résultats (Ouchi, 1977), mais aussi le lieu de formation des
coalitions qui vont défendre des projets d'investissements (Bower, 1970; Burgelman et Sayles,
1987). C'est enfin le lieu de recherche d'une interprétation, ex-post, des actions
Espaces de la stratégie et TI 69
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Nous avons appelé la configuration basée sur l'existence d'un leader fort l'espace vide; la
configuration basée sur le plan, l'espace programmatique, et la configuration basée sur la
recherche d'un consensus par le groupe, l'espace habité.
Cette vision peut apparaître comme une relecture du travail de Allison (1971) et de ses
trois modèles de l'acteur rationnel (vidant l'espace autour de lui pour y installer sa propre
trajectoire), de l'acteur administratif (programmant l'espace de l'action) et de l'acteur politique
(où de multiples acteurs, réunis en coalitions, cherchent à occuper un espace). Ansoff (1965)
opposait déjà le planificateur, l'entrepreneur et celui qui réagit après coup («reactor»). Miles et
Snow (1978) recomposèrent les grands comportements stratégiques en termes de réactif,
d'analytique, de défensif et de prospectif. Après Ansoff (1965) et Allison (1971) et au moment
où le paradigme du choix stratégique est bien établi (Child, 1972), Mintzberg présente, dans un
article paru en 1973, les trois modes organisationnels de la stratégie :le mode entrepreneurial, le
mode planificateur et le mode adaptatif.
Espaces de la stratégie et TI 70
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La prise de décisions est au centre des préoccupations de Mintzberg (1973) qui introduit
ainsi son article :«How do organizations make important decisions and link them together to
form strategies? ». La question est posée de façon cohérente avec l'analyse que Simon (1945) a
faite de l'organisation. L'organisation est d'abord un flux de décisions qui coule du sommet de
l'organisation vers la base. Dans cette vision, ou ce paradigme de l'approche décisionnelle, la
stratégie devient un «pattern», une forme cohérente, dans un ensemble de décisions.
La réponse de Mintzberg est double :les organisations prennent des décisions jointes ou
disjointes. Il y a deux façons de prendre des décisions jointes :soit qu'il y ait un seul preneur de
décision (et c'est le mode entrepreneurial qui imprègne l'organisation), soit qu'il existe un
système, le plan et son processus de fabrication, pour relier entre elles des décisions distinctes (et
c'est le mode planificateur qui domine l'organisation). La façon de prendre des décisions
disjointes est simple :les décideurs sont en face de buts qui ne sont pas clairs, des processus
décisionnels sont très politisés et des changements ne peuvent jamais beaucoup affecter le statu
quo. Nous sommes alors dans le mode adaptatif que Linblom (1959) et Cyert et March (1963)
ont contribué à décrire.
Le mode entrepreneurial est caractérisé par la vision de l'entrepreneur :par sa vision d'un
territoire à occuper dans le futur. À l'intérieur d'un espace vide, parce que vidé des contraintes
qui s'opposent à sa vision, l'entrepreneur recherche activement de nouvelles opportunités,
développe son pouvoir personnel, prend des décisions majeures, provoque des changements
radicaux et se bat pour la croissance d'un «empire».
Le mode planificateur est caractérisé par la formulation et la mise en oeuvre du plan.
Face à l'environnement, l'organisation planifie et replanifie une séquence de mouvements qui
doivent la mener vers le but défini. Les analystes jouent les rôles clés, l'analyse est pratiquée
systématiquement, les décisions sont intégrées en une ou des stratégies. L'espace de la
représentation est défini par les outils pratiques de la planification et les théories disponibles
(analyse industrielle, courbe d'expérience, gestion du portefeuille d'activités) : c'est un espace
programmatique.
L'espace habité ne connaît pas nécessairement les caractéristiques négatives du mode
adaptatif de Mintzberg (1973), à savoir l'absence de buts clairs, la pratique de solutions réactives,
les petits pas incrémentaux et les décisions disjointes quand les membres de l'organisation et le
management ont compris la vision du leader. L'espace habité offre à de multiples sujets
légitimés l'occasion de prendre des initiatives à l'intérieur d'un contexte stratégique qui favorise
l'innovation et le changement. Ce type d'espace se caractérise par une certaine autonomie
structurelle et un haut degré de consensus à l'intérieur du groupe.
Dans l'espace habité, la théorie de la représentation est construite en groupe, ex-post (voir
Espaces de la stratégie et TI 71
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Conclusion
Le débat entre stratégie et structure (Chandler, 1962) a été abordé comme une question de
contingence et de choix limité au sommet stratégique. Depuis, il a été clairement établi
(Burgelman (1983), Bower (1970), Athos et Pascale (1981), Nonaka (1988)) qu'une structure
autonome pour le groupe pouvait permettre à l'organisation d'innover en prenant le risque de
laisser la stratégie émerger des actions des différents groupes. Quand le groupe - l'équipe de
travail ou même une division - est ainsi légitimé, c'est qu'un espace habité est mis en place; un
espace qui redéfinit la stratégie et la structure pour que l'initiative locale contribue au
développement des capacités stratégiques.
Faire plus avec moins, prôner la qualité totale, le zéro défaut, requiert la participation
active du personnel et du management : des structures comme les cercles de qualité leur sont
ouvertes tandis que le management intermédiaire tantôt jouit de plus d'autonomie face au
sommet, tantôt est contraint de disparaître.
Les gains réels le long de la chaîne de production redessinée ne se font que par
d'incessantes innovations et améliorations locales qui exigent l'apprentissage et le partage des
connaissances. À leur manière, les Japonais l'ont démontré, tout comme les entreprises jugées
«excellentes» en Amérique du Nord : le succès passe par le développement d'une culture ou
d'une architecture sociale favorisant l'apprentissage collectif (Vogel (1979), Bennis et Nanus
(1985), Nonaka (1988)). À chaque fois que ce thème de l'apprentissage et du partage des
connaissances est abordé, les auteurs soulignent que cette architecture collégiale doit être basée
sur le groupe (Aoki, 1991).
En retour, le groupe exigera son autonomie structurelle (jusqu'à un certain point) et un
fonctionnement de la stratégie qui ne soit plus basé sur le diktat d'un leader omnipotent, ni sur un
plan incontournable, mais sur une certaine souplesse au niveau de l'établissement des objectifs et
de la répartition des ressources que peut seul amener un fonctionnement consensuel soutenu par
le management au sommet.
Il y a, au sommet des entreprises en route vers «l'excellence», une revendication et
souvent un désir de bâtir un espace habité permettant d'implanter un système de gestion flexible
Espaces de la stratégie et TI 72
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tout en maintenant une culture innovatrice (Chakravarty, 1984; Chakravarty et Lorange, 1989).
Comme le soulignent la plupart des grands leaders actuels, l'entreprise des années 90 doit abattre
ses cloisons et démolir ses étages. Quand ces changements sont profonds et complexes, quand ils
impliquent l'apprentissage, la coopération et la coordination des savoirs et des compétences, les
entreprises quittent un espace vide pour fonctionner de plus en plus dans des espaces
programmatiques ou habités.
Ainsi, le concept de stratégie n'est pas confiné au sommet mais «respire» et est à l'oeuvre,
de la grande stratégie à la petite tactique. L'espace que le concept de stratégie peut occuper dans
une organisation dépend alors de la qualité de la vision du leader au sommet, de la flexibilité du
processus de planification et de la mise en place d'un contexte stratégique et structurel favorable
à l'autonomie et à l'action. À ces conditions, le concept de stratégie trouve son plus grand espace
de travail parce qu'il concerne plus de managers et plus d'employés et d'ouvriers21 .
La configuration de l'espace vide peut laisser tout l'espace nécessaire au déploiement de
la stratégie du leader, mais le mode de fonctionnement de cet espace est le plus pauvre.
L'espace programmatique offre un vaste espace pour la stratégie mais son fonctionnement
devient très complexe. Cette complexité peut même dépasser les limites des équipes et des
techniques de planification. La masse d'informations à traiter et de décisions à optimiser devant
un avenir incertain dépasse les meilleurs systèmes de planification.
Figure 2. 8.
Le
confinement vs la «respiration» du concept de stratégie
L'espace habité offre une solution à la complexité. Les problèmes sont réglés là où ils se
21 comme le souligne Fortune (7 mai 1990) dans son dossier «Who needs a boss?»
Espaces de la stratégie et TI 73
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posent et l'information est amenée là où les équipes résolvent des problèmes. En même temps,
c'est l'espace le plus apte à s'étendre.
Espaces de la stratégie et TI 74
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Introduction
Ce choix vient des nouvelles finalités qui peuvent être assignées à la technologie
de l'information dans l'organisation. Après un premier mot d'ordre, largement
répandu, d'automatisation des opérations et des transactions, la technologie de
l'information doit aussi servir à mieux analyser et à mieux représenter22 aux
gestionnaires l'organisation et son environnement, et elle est maintenant chargée de
faire communiquer entre elles plus de personnes et plus vite.
Nous avons considéré - bien avant la cueillette des données - qu'une recherche
sur les liens entre technologie de l'information, stratégie et performance devait
distinguer et comparer les trois types de solutions, massivement déployées, de la
technologie de l'information : l'automatisation, illustrée dans la recherche par les
guichets automatiques, la solution de la représentation, illustrée par le fichier central client
et la solution de l'interaction, illustrée par les systèmes d'aide à la décision de groupe.
Tableau 3.1.
A
prise de acheminement informaticiens
les trans actions commande;
et les de données et personnel
EDI; FAO; entre de sais ie de
opérations guichets ordinateurs données
guic het autom atique automatiques
structuration téléchargement usager
AR
fichier ce ntral c lient
les
représ entations
mas sive des entre ordinateur
outils pour
les usagers
de travail
individuelle
compétent
données et central et s tation supporté par
l'informatique
Ainsi le fichier central client, parce qu'il exige la compétence des usagers, est du
point de vue de nos informateurs et informatrices l'application la plus critique. Le défi
est de développer la compétence des usagers, de créer de nouveaux réflexes, d'instiller
une nouvelle culture, de mener à terme des changements. Dans le cas contraire, les
applications sont peu ou mal utilisées et la stratégie - comme celle de la vente croisée de
produits financiers dans une industrie décloisonnée - ne peut être mise en oeuvre.
La problématique des applications informatisées qui relèvent de la solution
interaction de la technologie de l'information sont traitées plus loin dans le chapitre.
Le tableau 3.1. indique non seulement une progression des solutions A vers les
solutions R et I mais elle propose que les solutions R - ou I - se basent sur les solutions A
pour former des solutions AR - ou ARI. C'est l'effet recherché par les grandes
organisations : construire une plate-forme intégrée de la technologie de l'information.
Figure 3.1.
Bien sûr, chaque niveau hiérarchique a conservé une façon bien particulière
d'accéder au fichier central client. Les systèmes experts, les systèmes interactifs d'aide à
la décision, les systèmes d'information destinés à la haute direction sont des façons
particulières d'utiliser aujourd'hui les ressources d'une plate-forme intégrée de la
technologie de l'information. Mais l'application elle-même traverse toute l'organisation.
Le fichier client intégré automatise certaines opérations comme la mise à jour des
dossiers clients (solution A); il est utilisé pour représenter la situation d'un client, au
niveau de la succursale, d'un marché ou de l'organisation (solution AR); il pourrait être
utilisé par un groupe d'experts pour différents produits financiers offrant un service
intégré au client (solution ARI).
Dans une plate-forme intégrée, le déploiement massif d'une solution va le plus
souvent solliciter les quatre composantes de la plate-forme : les processeurs spécialisés,
le réseau de communications, les bases de données à accès partagé et les stations de
travail connectées au réseau.
Espaces de la stratégie et TI 81
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Figure 3.2.
PROPRIÉTÉ
intégration
horizontale
ou vertic ale IMPARTITION
des
ressources en TI
RÉSEAU
Les formes de concentration des ressources en
technologie de l'information
Source : Clemons et Row, 1989
Tableau 3.2.
Les problèmes techno-organisationnels induits par la technologie de
l'information
Tableau 3.3.
Espace vide
Représentation
Espace
Programmatique
Interaction
Infusion et diffusion
de la connaissance
Espace
Habité
Le tableau 3.3. indique que la fusion des procédés est associée avec l'espace vide;
c'est une opération planifiée par la haute direction et qui risque d'être imposée par le
diktat du sommet. La confusion dans les processus de prise de décisions relève de
l'espace programmatique parce que la disponibilité des données et des modèles de
simulation est cruciale dans la prise de décision. La question de l'infusion et de la
diffusion des connaissances contribue à développer l'espace habité parce que
l'interaction est au coeur de la création de la connaissance.
Figure 3.3.
À LA P IÈCE
EN LOTS
LIGN E
D'ASSEM-
BLAG E
FLUX
CON TIN U
Dans l'industrie des services, le portrait est assez similaire. Les grandes
applications du type A ont d'abord contribué à éliminer du personnel (exemple dans les
banques : le traitement automatique des chèques). Mais les nouveaux investissements
dans la technologie de l'information relèvent plus de solutions AR que de pures
solutions A et les problèmes techno-organisationnels dépassent l'organisation des
activités. Le fait que le déploiement massif des solutions de la technologie de
l'information crée des problèmes techno-organisationnels de plus en plus complexes
Espaces de la stratégie et TI 89
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Le fichier central client, développé à grands frais par la plupart des banques,
offre de l'information intégrée sur la situation d'un client... Au conseiller et à l'employé
d'en tirer profit! Comme dans le cas de l'automatisation flexible la représentation est
fondue dans l'automatisation avec comme conséquence des exigences nouvelles au
niveau de l'initiative, des compétences, de l'esprit de collaboration, de la qualité des
stratégies fonctionnelles. La croissance exponentielle des investissements en
technologie de l'information dans l'industrie des services n'a pas eu d'impact décisif sur
la productivité des employés-ées.
La confusion des processus décisionnels
Figure 3.4.
index d e productivité
prod uctiv ité *
des cols blancs
* So urce: S. Ro ach, "S erv ice Under Siege: The R estructuring Imp erative",
Harvard B usiness Rev iew, S eptemb er-Octo ber 1 99 1: 8 5.
Les investissements en technologie de l'information comparés à la productivité des
cols blancs, aux États-Unis
Les tenants des systèmes experts comme ceux des systèmes coopératifs partent
d'un même constat : l'acquisition et la diffusion de la connaissance sont là pour
coordonner l'action. Les systèmes d'aide au travail coopératif sont des systèmes axés
sur la coordination de l'action, donc sur l'intelligence, c'est-à-dire - comme l'écrit
Nonaka (1988) - la création et la destruction des connaissances. Ces systèmes sont liés
logiquement aux systèmes experts par la nature des problèmes techno-organisationnels
qu'ils induisent. Dans les deux cas - sauvegarde de règles dans un SE ou partage
d'histoires pour favoriser l'apprentissage organisationnel (Epple et al. 1991) - il s'agit
d'améliorer le savoir, les connaissances, l'intelligence de l'organisation. Comme le
souligne Stata (1989) l'enjeu de l'apprentissage organisationnel devient critique :
24Plus spécifiquement, un système de groupe est un système basé sur ordinateur qui supporte des groupes ou
des personnes engagées dans une tâche commune (ou un but commun) et qui fournit une interface vers un
environnement partagé (idem: 40). Ainsi, un système de groupe comme le courrier électronique contribue peu au
partage d'un environnement commun (face à une salle de conférence équipée de systèmes de groupe). Les
applications de groupe peuvent être classées en fonction des dimensions de temps et d'espace (de l'interaction en
face à face à l'interaction à distance et asynchrone). Elles peuvent aussi être classées en fonction de leurs
fonctionnalités: les systèmes de messagerie, les systèmes d'écriture en groupe, les systèmes d'aide à la décision de
groupe et les salles de réunion électroniques, les conférences par ordinateur, les agents intelligents et les systèmes de
coordination (routage de documents, programmation de processus, systèmes de suivi des engagements etc...) (idem).
Espaces de la stratégie et TI 93
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Dans les années 60, il s'agissait de construire une entreprise dans une entreprise
(un gros système et beaucoup d'analystes et de programmeurs). C'était l'époque des
étapes de la croissance (SOG pour ) : initiation, expansion, consolidation et maturité
(Nolan, 1974).
Deux transformations majeures sont venues transformer le contexte
technologique : la technologie de la ressource données () sous forme de capacité de
mémorisation et de gestion de base de données, et les systèmes en ligne directe (). À
partir de cette période l'accent, pour la planification des systèmes, n'est plus mis sur la
25Les cas classiques de AHS (), de Merrill Lynch (Lucas, 1986) ou de Federal Express (mais aussi de USA
TODAY, de General Electric, de Bank of America, de Toyota USA, de Digital Equipment, Xerox et United Airlines
(Benjamin et al, 1984)) servent d'emblèmes aux tenants de la technologie de l'information comme partie intégrante
de la stratégie d'entreprise, ou même de la technologie de l'information comme définissant la stratégie corporative.
Espaces de la stratégie et TI 94
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gestion des applications (comme la paye) et des traitements, mais sur la gestion des
données et des informations considérées comme ressources.»26
Le progiciel BSP () développé par IBM aborde bien la conceptualisation et le
design de l'ensemble de la ressource-données de l'entreprise : l'enjeu n'est plus la
gestion de la salle d'ordinateurs.
Cependant, l'environnement compétitif n'est pas encore considéré (Wiseman,
1985). Des compagnies comme American Airlines innovent toutefois en pratiquant des
solutions AR de façon interorganisationnelle. Dans les années 70, les systèmes de
réservation de billets d'avion dont les terminaux sont loués aux agents de voyage par
les grandes compagnies aériennes illustrent la montée, dans l'industrie des services, des
systèmes stratégiques. L'opération des systèmes de réservation devient d'ailleurs plus
rentable, pour les transporteurs, que les vols eux-mêmes.
L'apparition, dans les années 70, de mini-ordinateurs performants et de micro-
ordinateurs dans les années 80 a permis l'informatisation de fonctions spécialisées de
l'entreprise, à l'aide de progiciels d'applications. Le nouveau concept est devenu celui
lde la gestion de la ressource informationnelle (IRM pour ). L'IRM utilise le concept de
ressources données dans une perspective de gestion. Avec la décentralisation
qu'accompagne les nouvelles technologies de l'information, les systèmes et les bases de
données sont multiples et la question que se pose le manager est : (Sullivan, 1985).
La méthode des facteurs critiques de succès qui assiste le manager dans son
travail d'identification des exigences individuelles en système d'information est le
premier effort de planification implicitement orienté vers les communications. Le CSF
prend une perspective pour satisfaire les besoins informationnels du manager.
26«Le fait de partager (les données de l'entreprise) est le reflet d'une évolution dans l'utilisation des systèmes
informatiques. Historiquement, chaque nouvelle application engendrait ses propres fichiers et ses propres
programmes. La création d'une base de données va à l'encontre de cette façon de faire: elle rend possible la
centralisation, la coordination, l'intégration et la diffusion de l'information archivée» (Delobel et Adiba, 1982).
Espaces de la stratégie et TI 95
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L'arme de l'automatisation
27Des auteurs, de plus en plus nombreux, ont travaillé les notions d'arme stratégique (Parsons, 1983;
Benjamin et al., 1984), les avantages compétitifs des réseaux interorganisationnels (Barrett et Konsynski, 1982;
Cash et Konsinsky, 1984; Johnston et Vitale, 1988) et plus tard leurs avantages coopératifs (Rotemberg et Saloner,
1989 cité par Venkatraman et Zaheer, 1990). Pour atteindre ces avantages compétitifs ou coopératifs, des
chercheurs ont analysé les liens entre la stratégie et l'architecture de la technologie de l'information (Devlin et
Murphy, 1988; Venkatraman, 1989), ainsi que des liens entre la planification de la stratégie et la planification des
systèmes (King et Cleland, 1975) qui provoquent une réorganisation économique (Clemons et Row, 1989) à travers
une intégration électronique des marchés et des hiérarchies (Williamson, 1975; Malone, Yates et Benjamin, 1987).
Espaces de la stratégie et TI 96
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Tableau 3.4.
Utilis ation
Automatiser les Satisfaire les Appuyer ou
procédures de besoins en porter la s tratégie
base information concurrentielle
Fonctionnalités
Sys tèmes
Traitements d'information
transactionnels opérationnels SYSTEMES
A AR D'INFORMATION
STRA TÉGIQ UES
Sys tèmes d'in-
Extraction et
analyse
formation
d'aide au AR
management
ARI ?
en plus évident pour les décideurs et les observateurs que les grandes réussites des
systèmes stratégiques étaient aussi de grandes exceptions.
Le concept d'arme stratégique souffre ainsi d'un décalage avec la nouvelle réalité
de la plate-forme technologique intégrée : la plate-forme stratégique est un réseau de
communication qui relie des usagers et leur permet de tirer profit des traitements et des
données.
Les responsables de la fonction MIS, récemment sondés par la revue MIS
Quaterly relèguent de plus en plus bas dans leur liste de priorité le développement de
systèmes stratégiques; ceux-ci passent d'une priorité n°2 en 1986 à une priorité n°8 en
1989. Mason (1991) s'est mis à expliquer aux gestionnaires de systèmes et de
technologie de l'information qu'ils faisaient fausse route : la technologie de l'information
n'est pas une arme stratégique! (Mason, 1991 : 27).
28En offrant un meilleur service, en ciblant précisément la clientèle, en réalisant plus de ventes croisées (en
moyenne un client détient à peine deux produits pour une des banques observées), la banque va améliorer son
positionnement et atteindre ses clients plus en profondeur dans leurs besoins courants et dans la gestion de leur
richesse.
29Benson et Parker (1988) proposent cinq dimensions à la mesure du retour sur l'investissement en
technologie de l'information. La première dimension, l'analyse coûts/bénéfices, évalue les effets de la réduction du
personnel, de la baisse du nombre d'entités administratives et de lieux d'opération, et l'amélioration de l'efficience
dans l'utilisation des ressources. Les quatre autres dimensions (la valeur des liaisons établies, la valeur de
l'accélération des processus, la valeur de la restructuration et la valeur de l'innovation) cherchent à mesurer une
valeur obtenue à partir du rôle stratégique de l'application. Les auteurs étudient également comme contribution à la
performance l'avantage compétitif, la réponse compétitive, l'information pour le gestionnaire, l'architecture des
systèmes et l'innovation technologique.
Espaces de la stratégie et TI 99
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(Charan, 1991).
Pour Jean-Louis Le Moigne (1986), le paradigme MIS est fondé sur la conception
suivante : l'organisation est d'abord un système d'activités à contrôler. Le système MIS est
donc le système de contrôle d'un système à contrôler.
30En France, le V-P systèmes de Elf-Aquitaine le déclare clairement: (Le Monde de l'informatique, 8 janvier
1990). De son côté, James A. Senn, consultant de renommée mondiale, écrit dans une lettre d'affaires: . Weill
(1989) affirme également en conclusion de sa recherche qu'il faut regarder les dépenses en technologie de
l'information par catégorie et que les dépenses totales n'ont pas de sens.
31Selon McFarlan, il faut distinguer entre des affaires et transformation de l'organisation; la transformation
de l'organisation concerne ce qui est informel, social, politique et culturel (Conférence de l'ACI, , Winnipeg et
Montréal, le 16 février 1993).
Espaces de la stratégie et TI 100
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Figure 3.5.
doivent travailler dans cet espace vidé de leur légitimité, de leurs pratiques et de leurs
visions.
Ce paradigme de l'approche cybernétique et son corollaire - l'espace vide - ne
sont cependant plus cohérents avec la révolution technologique de l'automatisation dite
flexible. Dans l'atelier, les solutions A (comme la FAO, la fabrication assistée par
ordinateur) sont intégrées aux solutions R (la conception assistée par ordinateur, la
CAO, et la gestion des approvisionnements, MRP ou ).
Ce nouveau potentiel technologique intégré permet la fusion des procédés au
niveau de l'atelier, déclenche la réorganisation des activités et une conception revisée
des processus. La figure 3.5. exprime cette configuration qui relie les solutions A et
l'espace vide. Les lettres A et X expriment que l'application technologique A devient
objet de la stratégie X.
Dans une configuration d'automatisation et d'espace vide, les activités se
caractérisent par un niveau extrême d'automatisation. L'organisation est un espace de
flux et de processus, qui n'est pas dépendant de grandes contributions du personnel et
du management. Le management est autant que possible lui-même automatisé, ce qui a
été longuement discuté par Simon (1977) et contesté par Dearden (1965?). Dans cet
ensemble, l'information est caractérisée par un niveau élevé de codification (Boisot, cité
par Child, 1967), et les systèmes d'information sont axés sur l'automatisation des
procédures de base () et sur les rapports aux gestionnaires pour fin de contrôle ().
Comme à l'origine du management systématique (Yates, 1988) la mémoire de
l'organisation est entièrement contenue dans des processus programmés et les données
nécessaires à leur fonctionnement. C'est une mémoire des processus. Nous appelons
globalement cette configuration, où la stratégie est exclusivement dans les mains d'un
leader puissant - et où l'architecture sociale engendre surtout l'application stricte et
passive des normes - l'espace vide.
Cette configuration est à la fois dangereuse et essentielle. Elle est dangereuse
parce que l'application déployée massivement le sera strictement dans le vide, c'est-à-
dire sans transformation au préalable des comportements et des connaissances (Adler,
1988). La réflexion sur la prise de décision en relation avec les capacités humaines
limitées, le rôle des données et des modèles et l'atout de la mémoire et de la puissance
de l'ordinateur pratique une première brèche dans le paradigme de l'automatisation ou
l'approche cybernétique. Ce changement de paradigme doit beaucoup aux
développements théoriques et pratiques de l'approche décisionnelle en systèmes
d'information (Gorry et Scott Morton, 1971). Réfléchir sur le rôle des SI comme aide au
Espaces de la stratégie et TI 102
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décideur, c'est quitter d'emblée les solutions A pour entrer dans le domaine des
solutions R qui s'attaquent à la représentation. Tous les concepteurs et les développeurs
de systèmes d'aide à la décision, de systèmes pour l'exécutif devraient ainsi partager ce
paradigme de la représentation.32
Dans la littérature, l'émergence des solutions R va soulever de nouveaux débats
sur le paradigme à suivre dans la conception et le développement des SI. Directement
ou indirectement la question de l'espace de la stratégie sera abordée. À l'ère des micro
ordinateurs performants et des puissants progiciels d'aide à la décision, comment
croire que le sommet détienne la même légitimité, détienne tout le contrôle sur les outils
et les méthodes de développement de la technologie de l'information, et continue de
gérer en fonction de sa propre vision?
Les conceptions issues des années 70 et 80 de système interactif d'aide à la prise
de décision (SIAD), de système d'aide à la stratégie (SAS) et de système d'aide pour le
dirigeant (SID) illustrent bien la nécessité d'un paradigme différent du paradigme
cybernétique des solutions A ainsi que le défi qui est posé à l'espace vide.
L'espace vide - hérité des recherches de Taylor - n'est plus adapté à la production
quand la technologie de l'information permet en même temps l'automatisation et la
représentation.
32 Mais pour Fowler (1979) ce changement de domaine s'est opéré sans changement de paradigme adéquat.
Au contraire! Il faudrait faire table rase des approches MIS et SIAD (systèmes interactifs d'aide à la décision) et SIE
(système d'information pour l'exécutif), parce qu'à chaque fois - même dans ces approches nouvelles, le concepteur
demande au futur usager de définir, a priori, ses besoins en information: ce qui signifie que, si ses besoins sont
entièrement définissables, l'activité du gestionnaire peut être automatisée. Fowler écrit: .
Espaces de la stratégie et TI 103
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Figure 3.6.
Ayant négligé l'importance des interactions entre les personnes, Gorry et Scott
Morton (1989) regrettaient, dans un commentaire rétrospectif sur leur article de 1971,
d'avoir ignoré la nature collective de l'organisation :
(p.59).
Figure 3.7.
L'espace
habité et les solutions I
La clé, pour celui ou celle qui conçoit un système d'information dans ce nouveau
paradigme, n'est plus dans la modélisation a priori d'un processus comportemental ou
décisionnel, mais dans la représentation globale des informations résultant des actions
posées par les acteurs de l'organisation.
L'évolution des systèmes stratégiques pour American Airlines (Hopper, 1990)
illustre bien ce propos. Vingt-cinq ans après avoir jeté les bases du système de
réservation SABRE, American Airlines planifie, en 1989, de dépenser 150 millions de
dollars dans la mise en place d'une plate-forme électronique. En quoi consiste-t-elle?
C'est un système universel qui connecte ensemble tous les micro-ordinateurs, les minis
et les ordinateurs centraux pour faire de tous les employés et les chefs d'équipe des
Espaces de la stratégie et TI 106
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alimenté par le leader au sommet ne sont pas prêtes pour ce nouveau paradigme et les
nouveaux problèmes techno-organisationnels qu'il annonce.
Dans cette troisième configuration, il y a automatisation poussée mais limitée par
l'autonomie des équipes de travail ou des unités administratives de base. Le
management cherche à établir et à entretenir un contexte suscitant l'initiative et
l'innovation (Burgelman et Sayles, 1987), voire même l'émergence de stratégies
nouvelles. Les contributions du personnel et du management, en termes d'actions
posées et de connaissances acquises collectivement (Vogel, 1979), sont essentielles. La
technologie de l'information supporte, comme dans la configuration précédente, de
l'information à la fois très et très peu codifiée. Mais surtout, elle vise à coordonner les
actions et à supporter des processus de groupe. La mémoire de l'organisation se situe
ici, moins dans des processus programmés ou des bases de données que dans des
interactions au sein d'équipes de travail. Des interactions qui permettent l'acquisition et
la destruction de connaissances (Nonaka, 1988). La faculté de désapprendre dote
l'organisation d'une mémoire qui n'est plus seulement codifiée et cumulative, mais qui
devient intelligente.
Figure 3.8.
Espace
Espace Espace
programma-
vide habité
tique
Alignement A $ AR $
GA GA
Impact AR AR,ARI
$ $ $
GA GA GA
Plate-forme
stratégique
L'évolution du guichet automatique à partir de son
arrimage à la stratégie et de l'espace de la stratégie
Parallèlement, plus les clients utilisent les fonctions nouvelles de cet outil, plus
les données recueillies sur les transactions et les demandes d'information sont
complètes et complexes. Le guichet automatise d'abord une transaction de base
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(solution A), permet ensuite une meilleure représentation du marché (solution AR) et
supporte finalement l'interaction entre le client et sa banque (solution ARI, quand le
guichet permet de concevoir et de distribuer des produits et des services qui répondent
à une demande locale) (figure 3.8.).
Alors que l'espace vide permet ou devrait permettre de régler les problèmes de
l'automatisation (mais pas de l'automatisation flexible), l'espace programmatique
devrait permettre de régler les problèmes induits par les solutions AR et l'espace habité
devrait fournir un contexte organisationnel pour régler les problèmes - de l'ordre de
l'acquisition et de la diffusion de la connaissance - induits par les solutions ARI.
Conclusion
Introduction
33Pour Bower (1982), cette systématisation du langage est la mieux illustrée par Porter (1980) qui a fourni,
par son analyse structurelle d'une industrie, un langage systématique pour analyser une position compétitive.
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recouvrent pas : c'est le cas des disciplines de la politique générale d'une part et des systèmes
d'information de gestion, d'autre part.
Un problème flou
Comme on peut le relever dans les travaux récents consacrés au rôle stratégique de la
technologie de l'information, la conceptualisation des effets réciproques de la technologie sur
l'organisation impose aux chercheurs une approche configurationnelle. Ainsi, Venkatraman
(1989, 1991, 1993) met de l'avant la reconfiguration de l'organisation, l'étude du MIT (Scott
Morton (ed.), 1991) qualifie le rôle de la TI d'agent transformateur de l'organisation tandis que
Zuboff (1988) souligne que la dynamique du déploiement de la TI reconfigure l'organisation du
travail et les relations sociales:
Il s'en suit une exigence de vision holistique pour le chercheur; il doit comprendre que
l'investissement en technologie de l'information ne contribue pas directement à la performance.
Ce sont au contraire les transformations de l'organisation du travail - qui relève de l'architecture
des affaires - et l'évolution des relations sociales - ce qui relève de l'espace de la stratégie - qui
contribuent, ou ne contribuent pas, à la performance organisationnelle.
Un problème contextuel
Espaces de la stratégie et TI 115
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En évaluant des recherches des années 80, Kauffman et Weill (1989) ont rencontré des
conclusions divergentes, en faveur et contre la démonstration d'un effet positif des
investissements en technologie de l'information sur la performance. Le point commun de ces
recherches était d'échouer dans toute explication du «comment» et du «pourquoi» d'un effet de la
technologie de l'information sur la performance35, et ce, pour quatre raisons.
Premièrement, le design habituellement pratiqué exclut toute variable intermédiaire alors
que pour chaque cas d'application stratégique de la technologie de l'information, il y a effet de
levier de la technologie de l'information sur une variable stratégique qui en retour affecte la
performance. Deuxièmement, les unités d'analyse retenues vont, par exemple pour la banque, de
la banque au secteur industriel ou même à l'économie nationale. Kauffman et Weill (1989)
s'inquiètent ainsi des choix «macro» des chercheurs sur l'échelle des unités d'analyse. 36 Quand
les liens entre performance et technologie de l'information sont significatifs au niveau d'une
économie ou d'une industrie, ces liens sont lâches. Le niveau d'analyse trop global entraîne la
dilution des résultats et l'incapacité pour le chercheur de conclure sur le «comment» et le
«pourquoi» de ces liens. Troisièmement ces recherches sont effectuées - parfois - sans aucune
base théorique a priori. Si la base théorique est existante, c’est la plupart du temps l'économie
qui est le champ de support à l'investigation ou, plus rarement, des théories sur l'innovation.
Pour Kauffman et Weill (1989), nous sommes donc à la recherche d'études
soigneusement préparées pour traiter de ce problème neuf et complexe des liens entre
technologie de l'information et performance dans un contexte stratégique. Des études qui
prennent en compte un contexte organisationnel parce que - et c'est le quatrième point - aucune
des recherches évaluées n'utilisent de variables contextuelles.
Le problème que nous traitons est donc multidisciplinaire, complexe, flou et d'envergure
globale : il concerne l'ensemble de l'organisation ou du contexte organisationnel.
35Une théorie qui dirait qu'un dollar d'investi dans la TI crée deux dollars de profit est inutile si (Whetten,
1989) on ne répond pas aux quoi, comment, pourquoi, qui, où, et quand.
36 Bakos (1987) distingue: 1. l'économie dans son ensemble, 2. l'industrie au sein d'une économie, 3. la firme
au sein d'une industrie, 4. un groupe de travail ou une division au sein d'une firme, 5. l'individu ou le système
d'information.
Espaces de la stratégie et TI 116
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des chercheurs et des consultants alors que chaque type d'investissement en technologie de
l'information a un impact particulier sur la performance:
En observant notre domaine de recherche, nous constatons que les rapports entre
technologie de l'information et performance sont denses et complexes. La capacité de l'entreprise
de convertir efficacement des investissements en technologie de l'information en performance
grâce à la qualité de sa gestion est cruciale (Weill, 1988; Weill et Olson, 1989). Le phénomène
est donc tributaire de la qualité. Ainsi le chercheur qui veut aborder la relation entre les besoins
stratégiques de l'organisation et la technologie de l'information doit travailler avec des données
qualitatives et contribuer au développement d'une théorie fondée sur ces données.
Le travail d'élaboration de théories doit contribuer à créer du sens, à la fois pour le
gestionnaire et pour le chercheur. Weick l'a souligné pour le gestionnaire (1969, 1979) et pour le
théoricien (1989) : «We are in a business of sense-making».
De là découle le choix d'une approche méthodologique qui tienne compte du contexte
organisationnel. Le choix de la recherche qualitative est aussi un choix de conviction
personnelle face au phénomène observé : le choix de découvrir, d'interpréter et d'expliquer le
phénomène d'abord à partir des mots, des événements, des contextes et des situations où
interagissent des acteurs.
Il apparaît que l'observation participante est la plus vénérable des traditions en recherche
qualitative (Kirk et Miller, 1986); ainsi la recherche qualitative est-elle toujours une forme
d'observation participante. Cette tradition consiste à observer les gens sur leur propre territoire, à
échanger avec eux dans leur propre langage. Cette tradition imprègne la recherche qualitative,
que ce soit l'étude de cas en stratégie et en politiques générales (Bower, 1970) ou l'entrevue en
profondeur retenue pour rassembler l'essentiel de nos données.
Bien après les politiques générales, l'approche qualitative est heureusement de plus en
plus pratiquée dans le champ des systèmes d'information de gestion. Il s'agit pour Benbasat et al.
(1987) de mettre de l'avant le principe d'une recherche idéographique plutôt que nomothétique
parce que le chercheur apprend à bâtir une théorie à partir du travail du praticien :
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Pour Benbasat et al. (1987), citant Christenson (1976), la méthode des cas est la
meilleure approche pour saisir les connaissances des praticiens et en dériver des théories. Il est
ainsi essentiel que le chercheur soit, sur le terrain, attentif au langage et aux expériences des
praticiens.
Le champ disciplinaire des systèmes d'information de gestion, pourtant bâti autour des
méthodologies quantitatives, s'est déplacé vers une problématique organisationnelle ce qui
justifie encore plus ce nouveau parti pris pour la méthodologie qualitative :
La position du chercheur
«Il est reconnu que le chercheur qualitatif arrive sur scène avec un
bagage théorique considérable mais avec bien peu d'idées sur ce qui va arriver
ensuite. En utilisant la théorie, le sens commun ainsi que toutes les ressources à
portée de sa main, ce chercheur s'efforce d'abord de survivre sur le terrain de
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Peut-on démarrer une recherche d'une façon empirico-formelle avec des propositions bien
définies et se réclamer d'une méthode, comme celle de Strauss et Corbin (1991) de construction
fondée d'une théorie? La réponse est dans l'attitude du chercheur. Comme il n'y a pas de
contradiction entre la recherche menée à partir de données qualitatives et la recherche menée à
partir de données quantitatives - qui sont même une source de triangulation - il n'y a pas de
contradiction entre la possession de propositions de recherche et la tentative de construction
37«The most important invention that will come out of the corporate research lab in the future will be the
corporation itself» (Brown, 1991).
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d'une théorie à partir des faits : il suffit d'être prêt à se défaire de ses propositions ou tout le
moins à les modifier.
Par exemple, nous avons commencé à examiner les catégories et sous-catégories
contenues dans les transcriptions des entrevues en profondeur en tablant sur une quinzaine de
catégories. Quelques semaines plus tard, ce chiffre dépassait quatre cent catégories (et sous-
catégories), avant de revenir à environ cent cinquante. Lors de cette période, la richesse des
données dépassait clairement les catégories de départ; le cheminement rigoureux proposé par
Strauss et Corbin (1991) nous a permis de continuer l'analyse en laissant quelque peu de côté les
propositions de départ.
Pratiquer une démarche inductive, des faits vers la théorie, et obtenir des données
qualitatives n'est pas synonyme d'empirisme pur ni de tabula rasa. Parce que nous considérons
la science comme une activité logico-expérimentale, nous avons consacré beaucoup de temps et
d'énergie à la construction du problème38 sur lequel nous travaillons et nous avons bâti des
propositions avant d'aborder la recherche sur le terrain.
Le paradigme de la recherche
Le paradigme est un modèle qui permet de concevoir les données de façon systématique
et de les relier de façon complexe. Pour Strauss et Corbin (1991), il s'agit de relier les conditions
causales, le phénomène, le contexte, les conditions qui interviennent, les stratégies d'action et
d'interaction et, finalement, les conséquences. C'est ce que nous faisons au tableau 4.1. pour
notre recherche.
38L'importance de la définition du problème de recherche est commenté ainsi par Bachelard: «L'esprit
scientifique nous interdit d'avoir des opinions sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que
nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la
vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la
marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une
question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est
donné. Tout est construit.» (Bachelard, 1967: 14).
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Tableau 4.1.
Le paradigme de la recherche
PARADIGME MODÈLE
selon Strauss et Corbin (1991) utilisé dans la recherche
dans les trois organisations choisies pour la recherche. Ces entrevues ont été suivies d'une ou de
deux entrevues de contrôle avec chacun des participants. Lors des entrevues de contrôle, la
transcription de la première entrevue était validée avec les informateurs.
Le design de la recherche
La mise au point du design de la recherche a été un des grands défis de cette recherche.
Comment, avec des moyens d'investigation très limités, penser étudier des organisations dans
leur ensemble, observer en détail leur fonction informatique, décrire de l'intérieur un nouveau
partenariat technologie-affaires tout en décrivant les changements - plus subtils - de l'espace de la
stratégie? Le travail de recherche ne pouvait être que partiel à partir des ressources dont nous
disposions.
Première question:
ressource, le mode d'arrimage à la stratégie, les solutions apportées aux problèmes techno-
organisationnels ainsi que le souci de mettre en place une plate-forme intégrée de la TI
définissent la contribution possible du déploiement massif d'une solution de la TI.
Deuxième question:
Pour saisir cette cohérence interne, plutôt que de parler d'organisation informelle39, nous
avons proposé au chapitre deux la notion d'espace de la stratégie. Cette notion est dérivée de
l'espace de représentation de l'artiste ou de l'architecte et comprend des dimensions politiques,
instrumentales et théoriques. L'espace politique confère ou non la légitimité d'agir40, d'actualiser
ou de représenter une stratégie; l'espace instrumental met des outils à la disposition de l'architete
tandis que l'espace théorique contient une vision du monde41.
La réponse à cette deuxième question nous oriente vers la compréhension de la façon
dont la solution de la TI, une fois déployée, va satisfaire des besoins stratégiques dans un espace
de la stratégie adéquat. Nouvel outil dans un espace de la stratégie, chaque solution de la TI
vient modifier des capacités d'agir, modifier des façons de faire et transformer des théories de
l'action.
Troisième question:
Nous avons posé à la fin du troisième chapitre, trois configurations mixtes d'espace de la
stratégie et de solution de la TI : la configuration de l'artefact, la configuration de l'interface et
39Un ensemble d'arrangements en émergence incluant des structures, des processus et des relations
généralement opposé à la structure formelle (Nadler et al., 1992: 50).
40Cette dimension est voisine de la notion d'habilitation ou d'empowerement (Shaw, 1992).
41La dimension théorique est voisine de la notion de présupposé fondamental ou basic assumption (Schein,
1993).
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celle des architectes. Qu'en est-il de la réalité de ces configurations et de leur contribution à la
performance?
42 Une approche qui est de plus en plus à l'honneur en systèmes d'information (Benbasat et al., 1987; Lee,
1989; Weill et Olson, 1989).
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Figure 4.1.
les solutions
de la
technologie les dimensions les besoins
informelles de la st ratégiques
de
l'information cohérence interne de
massivement [espace de la stratégie] l'organisat ion
déployées
que s ti on 2
la performance
que s ti on 3
Le design de la recherche
Les unités d'analyse doivent être reliées à la façon dont la question a été posée et aux
énoncés des propositions de recherche. Des liens logiques forts contribuent à faire du design de
la recherche une première preuve : une preuve logique.
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Ainsi posée, la première question (Est-ce qu'il y a une relation entre les besoins
stratégiques et le déploiement d'une solution de la TI?) nous oblige à étudier le sommet
stratégique de l'organisation, car c'est là que peut se définir l'importance stratégique d'une
application de la technologie de l'information. Mais soyons fidèles à notre vision de la stratégie,
telle que présentée dans le chapitre deux : si le confinement de la stratégie au sommet est un
signe de manque de flexibilité et de comportement stratégique, nous devons observer - à la
mesure de nos moyens - l'organisation dans son ensemble.
Cette première question fait du processus de mise en oeuvre des solutions de la
technologie de l'information - leur déploiement massif - une deuxième unité d'analyse
logiquement pertinente. Cet aspect de la recherche est important parce qu'il peut nous amener à
conclure que des solutions différentes A, AR, ARI de la TI ont des relations distinctes avec les
besoins stratégiques de l'entreprise.
La deuxième question qui porte sur la cohérence (politique, instrumentale et théorique)
de la relation entre TI et besoins stratégiques indique que ce ne sont pas des décisions
stratégiques qui nous intéressent mais ce que nous avons appelé l'espace de la stratégie, un
espace pour la conception, l'action et la décision qui est affaire de légitimité, de moyens et de
théorie. À ce niveau, l'unité d'analyse est représentée par les individus engagés dans la gestion
stratégique des solutions de la technologie de l'information.
La troisième question porte sur un lien entre une configuration mixte de TI et d'espace de
la stratégie et une forme de contribution à la performance. Les entrevues avec les gestionnaires
porteront donc explicitement sur la contribution des solutions de la TI à la performance de
l'organisation.
L'organisation
Prétendre décrire les besoins stratégiques de trois organisations dont certaines approchent
les 15 000 employés et sont très décentralisées est strictement impossible. Rencontrer tous les
membres de la haute direction de chacune de ces organisations nous aurait demandé une
cinquantaine d'entrevues. Pour cerner les besoins stratégiques d'une organisation, nous avons eu
recours à la presse d'affaires, aux revues et à certains ouvrages spécialisés sur l'industrie
bancaire; nous avons effectué des entrevues exploratoires avec des gestionnaires intermédiaires
et des consultants en systèmes et nous avons décidé de limiter nos rencontres au sommet aux
vice-présidences informatique et marketing. Nos premières observations nous indiquaient en
effet que la relation entre les besoins stratégiques de l'entreprise et les solutions de la TI que nous
avions retenues se passait d'abord entre ces deux fonctions organisationnelles.
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L'espace de la stratégie
Pour bien répondre à la deuxième et à la troisième question, nous avons vérifié chez des
personnes compétentes à la fois en stratégie et en technologie de l'information (à l'aide
d'entrevues en profondeur peu structurées) les liens entre chacune des applications choisies, la
performance attendue et l'espace de la stratégie qui se met en place autour de ces solutions de la
TI.
Le premier obstacle de la recherche fut de trouver, d'identifier ces hommes et ces femmes
qui, venant de la technologie, se retrouvent intégrés-ées à des équipes d'affaires pour leur
apporter leur savoir-faire alors que d'autres, venant du côté des affaires, se retrouvent en charge
de la gestion et du développement, partiel ou global, de la technologie de l'information dans
l'organisation pour imprimer une direction stratégique au développement de la technologie de
l'information.
Nos entrevues préliminaires menées depuis l'hiver 1985, en parallèle avec la rédaction
des rapports théoriques et la rédaction de la proposition de thèse, nous ont permis de saisir
l'importance de ces personnes, véritables interfaces entre la technologie de l'information et la
stratégie, chargées de fixer le cadre de leur intégration réciproque. Ce sont, au sens
anthropologique, des initiés ou «insiders» que nous avons rencontré pour atteindre nos objectifs
de recherche.
Espaces de la stratégie et TI 128
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Les rencontres et entrevues en profondeur avec les managers au sommet nous ont permis
de cerner culturellement l' «insider»43et de le distinguer de l' «outsider».
En étudiant ces «insiders», ces personnes engagées dans la gestion des liens entre la
stratégie et la technologie de l'information, nous misons sur le fait que ce sont elles qui vont
inventer le langage, trouver les mots pour articuler deux niveaux distincts qui ne se recouvraient
pas dans les organisations : le niveau de la stratégie (laissée traditionnellement aux experts au
sommet) et celui de la technologie de l'information (laissée traditionnellement aux experts MIS
issus de l'informatique et des sciences «dures») .
Ces personnes font partie, au-delà de leurs organisations respectives, d'une communauté
nouvelle chargée de porter la bannière du développement stratégique de la technologie de
l'information. Notre objectif fut de rencontrer un nombre44 suffisant de ces personnes qui sont
particulièrement engagées dans l'articulation des langages de la technologie de l'information et
de la stratégie.
La performance
Ce qui nous intéresse dans la performance, c'est de vérifier - à partir de l'expérience des
gestionnaires rencontrés - la forme de contribution des solutions de la TI à la performance et plus
globalement la forme de contribution à la stratégie d'une configuration mixte de TI et d'espace de
la stratégie.
L'histoire des sciences est remplie de découvertes inattendues, hors de toute approche
hypothético-déductive : la pénicilline, l'ADN (Kirk et Miller, 1986) mais aussi les rayons X et la
relativité. Ainsi, le test d'hypothèse n'est pas la seule activité de recherche : il faut donc bien que
43 La linguiste Golopentia (1988) décrit ainsi la dichotomie «insider-outsider»: l'insider répond au portrait-
robot suivant: «Il est habile, connaisseur des lois, us et coutumes, des règles du jeu, de l'étiquette, des tabous; il a
des intuitions sémiotiques; il est doué de dynamisme communicatif, d'assurance, d'initiative» (p.104).
De son côté, l'outsider répond à un portrait-robot différent: «Il parle mal à propos, produisant des
lapalissades et tautologies, il ignore les tabous, fait des gaffes, manque d'intuition et de créativité dans le
maniement du code, du canal, de la situation, etc., il est dénué de dynamisme communicatif, il manque de sécurité
sémiotique» (p.104).
44Selon McCracken (1988) un maximum de 8 (huit) longues entrevues est conseillé quand le chercheur
fonctionne avec cette méthodologie. Cette méthodologie ne doit toutefois pas être utilisée isolément: le chercheur
doit disposer de données de type «étude de cas» pour interpréter correctement ses résultats.
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ces découvertes étonnantes soient venues d'une autre façon, car pour tester une hypothèse, le
chercheur doit déjà savoir ce qu'il va pouvoir trouver (Kirk et Miller, 1986 : 17).
Pour Deslauriers, l'hypothèse n'est pas la seule avenue possible en science; la proposition
semble plus appropriée en recherche qualitative (1991:97), car elle offre une de capacité d'agir et
de réagir aux données en laissant une marge de manoeuvre au chercheur. Le chercheur qualitatif
commence son activité de recherche non pas avec des construits opérationnalisés dans le détail,
mais avec des concepts indicatifs.
À l'aide de ces balises assez générales, il commence à rassembler des informations et au
fur et à mesure que les données s'accumulent, les concepts prennent forme, les processus se
solidifient, les propositions apparaissent (Deslauriers, 1991 : 98).
Nos propositions viennent de lectures, de réflexions, de discussions, de consultations et
surtout d'entrevues exploratoires menées sur le terrain. Ce sont les moyens ordinaires de former
des propositions (idem : 98).
Comme le souligne Kaplan (1964 : 53) cité par Bacharach (1989) le travail de
conceptualisation est un travail paradoxal car les concepts corrects sont nécessaires pour
formuler une bonne théorie alors que nous avons besoin d'une bonne théorie pour rejoindre les
concepts.
Cet objectif d'efficience est implicitement traité par Farley et al. (1987) quand ils étudient
les bénéfices escomptés de l'automatisation des ateliers : il s'agit de réduire les coûts directs de la
main-d'oeuvre, de diminuer l'inventaire, de baisser le nombre de rebuts, d'abaisser les coûts des
matériaux et de limiter les coûts fixes.
La considération d'un retour important sur l'investissement grâce à une technologie qui
supprime les emplois et accélère les transactions et les opérations est encore le premier facteur
motivant le développement de la technologie de l'information dans les organisations (Benson et
Parker, 1989).
L'efficience a guidé l'effort d'automatisation des opérations et des transactions de base
dans une première étape du traitement des chèques et des comptes-client mais aussi dans une
nouvelle étape d'aiguillage électronique, de programmes de cartes de débit et de services aux
investisseurs. Déjà en 1970, la banque One installait le premier guichet automatique suivie, sur
une plus grande échelle, par Citicorp. À l'aube des années 90, cette étape de la recherche
massive de l'efficience semble largement franchie dans les banques oeuvrant au Québec, mais
beaucoup moins dans les sociétés d'assurance.
elle se donne aussi une grande souplesse pour développer un avantage compétitif de
différenciation.
La participation d'une ou plusieurs unités d'affaires à des réseaux interorganisationnels,
de type échange électronique de données (EDI) ou réseau numérique à intégration de services
(RNIS ou ISDN), offre à l'entreprise de nouvelles opportunités stratégiques. Ces nouveaux
circuits de distribution exigent une structuration des données faite en fonction des clients.
L'utilisation de dossiers d'information sur le consommateur (CIF, pour «Customer Information
File») va permettre la vente croisée, la gestion des relations avec le client, l'analyse de la
profitabilité des différents segments du marché, l'aide à la planification stratégique et la
confection de rapports aux gestionnaires. Le FCC et le réseau interorganisationnel s'imposent
comme étant des outils nouveaux pour la mise au point d'un avantage stratégique de
différenciation.
Grâce aux systèmes de communication intégrés (voix, images et données), les sociétés du
secteur des services financiers vont encore plus loin dans les solutions de la technologie de
l'information. Ce qui est recherché ici, c'est l'interaction : l'interaction entre le client et l'employé
spécialisé dans l'activité de conseil et l'approche intégrée (vente simultanée de produits financiers
de différentes natures); interaction aussi des membres des différentes équipes opérationnelles de
conception, de fabrication et de distribution de ces produits et services.
Ces différentes applications se déploient plus efficacement dans un espace de la stratégie
habité, qui correspond à un comportement stratégique autonome. Les fonctions
organisationnelles se trouvent alors affectées. De façon générale, elles se retrouvent plus
intégrées aux autres fonctions et doivent redéfinir leurs processus à la lumière des nouvelles
potentialités au niveau de l'automatisation, de la représentation et de l'interaction, dans la
recherche d'un avantage compétitif.
L'affectation de ressources majeures aux solutions de la technologie de l'information pour
l'interaction est reliée à l'existence d'un contexte stratégique suscitant une dynamique locale de
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Pour Strauss et Corbin (1991), les critères d'évaluation d'une recherche qualitative sont
des procédures explicites et des standards de recherche appropriés au type d'étude. Les canons
usuels de la «bonne science» sont aussi ceux de la recherche qualitative, à ceci près : ils doivent
être redéfinis pour rencontrer les réalités de la recherche qualitative et la complexité des
phénomènes sociaux (idem : 250). Ces canons ne doivent pas être littéralement importés de la
physique ou de la biologie mais redéfinis en fonction du mode de découverte et des procédures
de la recherche qualitative.
Par exemple, aucune théorie qui a trait à un phénomène social ne peut être reproduite à la
manière d'une théorie physique. La reproduction de notre recherche demanderait la présence
d'un chercheur partageant la même perspective théorique, suivant les mêmes règles générales de
cueillette et d'analyse dans un ensemble similaire de conditions (Strauss et Corbin, 1991 : 251).
Il reste que le succès d'un projet de recherche est jugé par ses produits (idem : 252) et que
notre cadre théorique ainsi que nos résultats partiels ont été évalués cinq fois par des arbitres et
présentés ainsi deux fois à l'ASAC (en 1987 et en 1991), une fois à l'ACFAS (1990) et deux fois
lors des Conférences internationales de management stratégique (à Montréal en 1991 et à Paris,
en 1992).
Pour Yin (1989), le premier critère de qualité d'une étude de cas, c'est la validité des
construits : sont-ils mesurés, ou approximés, à partir d'un jugement subjectif ou à l'intérieur de
procédures rigoureuses? Comme Yin le suggère, nous avons multiplié les sources d'évidence
(les entrevues exploratoires dans les organisations et avec des entreprises de consultation en
technologie de l'information, les entrevues en profondeur et l'utilisation des documents émanent
de l'entreprise, de la presse d'affaires et de la littérature académique). Nous avons soigné la
construction d'une chaîne d'évidence depuis les questions de recherche jusqu'aux résultats.
Finalement, nous nous sommes «validés» avec nos informateurs lors des entrevues de
recherche en ce qui concerne les thèmes émergents de la recherche (comme la fin de l' «empire»
informatique, le peu de planification stratégique au sommet, le nouveau comportement
stratégique des succursales et l'émergence de la fonction marketing) et les transcriptions des
entrevues.
La validité interne
«La validité interne est en général la plus grande force d'une étude sur le terrain
effectuée avec soin» (Burgelman et Sayles, 1987). Ces auteurs soulignent que la familiarité du
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chercheur avec le phénomène qu'il étudie, la production de données abondantes et une stratégie
de découverte bien fondée sont susceptibles de garantir une description fiable du phénomène.
La question de la validité interne est reprise plus loin dans le chapitre à l'aide des critères
émis par Strauss et Corbin (1991) pour juger de la qualité du processus d'une recherche et de son
caractère de théorie bien fondée.
La validité externe
Le but d'une théorie fondée est de spécifier les conditions qui ont mené à un ensemble
d'actions et d'interactions ayant trait à un phénomène et à ses conséquences. Plus l'échantillon
théorique est vaste et systématiquement établi, plus riches seront les conditions rencontrées et
plus grande sera la capacité de généralisation de la théorie.
L'industrie retenue exclut une réflexion sur d'autres types d'industries comme les
industries manufacturières; le nombre de cas - trois organisations - est également limitatif.
La période retenue - les années 80 - est une période très turbulente pour l'industrie des
services bancaires et financiers. La déréglementation et le décloisonnement ont certainement
accéléré le développement de certains dossiers technologiques comme le fichier client.
Le nombre de dossiers de la technologie de l'information étudiés peut également être
critiqué. Cependant, les deux premiers regroupent les plus importants investissements en
développement pour les banques, selon plusieurs observateurs.
Le nombre limité d'informateurs à l'intérieur de chaque organisation est également à
considérer même si en plus d'une douzaine d'entrevues en profondeur, nous avons dû au long de
ces années échanger avec une trentaine de gestionnaires et une dizaine de consultants seniors
(sans compter une vingtaine de cadres et d'employés-ées des organisations observées rencontrés-
ées dans le cadre de mes cours à l'université, de projets de recherche ou de direction de
mémoires).
Un auteur comme Bower souligne cependant le besoin de développer des théories
nouvelles (Bower, 1970 : 25), même à partir d'une seule entreprise étudiée, plutôt que de générer
des données faibles à partir d'un vaste sondage.
Espaces de la stratégie et TI 136
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La fidélité
Dans la recherche qualitative, le chercheur sur le terrain est engagé de façon permanente
dans quelque chose qui ressemble vraiment au test d'hypothèse, ce qui l'oblige à vérifier sa
perception et sa compréhension face à de multiples sources d'erreurs (Kirk et Miller, 1986 : 25).
Quand sa compréhension est invalide, le chercheur qualitatif va s'en rendre compte plus ou
moins rapidement (idem).
La fidélité dépend essentiellement de la description explicite des procédures. Les
données doivent être rapportées dans les termes d'une théorie implicite ou explicite; la fidélité
comme la validité prennent leur sens en fonction d'une théorie (voir le tableau 4.1). En annexe
de la thèse sont commentés le protocole de recherche ayant servi aux entrevues et à la description
des cas ainsi que la base de données contenant les extraits d'entrevues ou vignettes narratives.
Ces deux éléments, le protocole de recherche et la base de données, sont mentionnés par Yin
(1989) comme garantissant la fidélité dans la méthode des cas.
Cette recherche s'est amorcée lors de la remise de travaux de recherche pour les
séminaires de recherche en stratégie45 et de PGA ou politiques générales d'administration46
(Policy). Les deux rapports («Coopération stratégique» et «Les activités nommées et les
activités sans nom») portaient sur des organisations oeuvrant dans l'industrie française et
québécoise des services financiers. En 1988, trois organisations ont été retenues pour la
recherche qui s'est déroulée de 1989 à 1992.
La première étape de la recherche avait comme objectif la description de la relation entre
des solutions de la TI et les besoins stratégiques de l'entreprise. La période retenue pour cette
description était la décennie des années 80.
La deuxième étape de la recherche portait plus précisément sur des changements
observables dans l'espace de la stratégie lors du déploiement massif des solutions de la TI et de
leur intégration au travail en succursale. Des entrevues en profondeur avec des membres de la
45Le séminaire de «Recherche en stratégie» était offert dans la programme conjoint par les professeurs Yvan
Allaire, Roger Miller et Jean Pasquero à l'UQAM.
46Ce séminaire est toujours offert par le professeur Henry Mintzberg à l'université McGill.
Espaces de la stratégie et TI 137
_________________________________________________________________________
Tableau 4.2.
Quatre thèmes principaux ont été retenus pour écrire les cas. Le premier est celui de la
stratégie d'entreprise. Nous avons constaté dans les trois organisations étudiées le même
phénomène d'intégration interne et, à des degrés divers, la même faiblesse de la planification
stratégique face au pouvoir des décideurs financiers qui ont, dans la conjoncture actuelle, un
horizon à court terme.
Le deuxième thème retenu est celui de la fin de l' «empire informatique». Là aussi il
faudrait apporter des nuances mais le même phénomène peut être observé : il faut couper les
coûts de l'informatique, arrêter d'investir et revoir le statut privilégié des informaticiens et de la
fonction informatique.
Un troisième thème retenu est celui de la réorganisation des activités et du rôle de la
qualité dans l'optique d'une offre globale et personnalisée de produits et de services bancaires et
financiers aux clients. Il s'agit encore d'un phénomène récurrent : introduire la fonction conseil
en succursale, transformer les compétences et la motivation, devenir une entreprise de vente
plutôt qu'une institution de dépôt.
Le quatrième thème retenu est celui de la gestion stratégique de la succursale et du rôle
nouveau du marketing à la fois au siège social et dans la succursale. Le gérant de succursale
n'est plus ce cadre en attente d'une promotion au siège social mais bien un entrepreneur qui se
voit conférer, toujours avec certaines nuances selon les organisations, de plus en plus
d'autonomie et de latitude dans sa gestion pour autant que la croissance suive.
Espaces de la stratégie et TI 140
_________________________________________________________________________
Le premier critère mentionné par Strauss et Corbin (1991) à propos des critères d'une
recherche empiriquement fondée est celui-ci : les concepts de cette recherche sont-ils générés par
les données? La réponse doit être positive pour satisfaire au critère de la fondation empirique de
la recherche.
Pour Maffesoli (cité par Deslauriers, 1991 : 95), «il faut traiter les idées comme des
boîtes à fleurs qui encadrent la réalité; le plus important n'est pas la boîte mais la fleur.» Ainsi
il vaudrait mieux utiliser la notion que le concept, car la souplesse de celle-ci satisfait mieux
notre désir de connaissance (idem : 94). À l'autre extrémité du spectre se trouve le construit,
cher à la recherche positiviste47. Entre le construit et la notion, il y a le concept, celui du langage
courant (l'amour, l'intelligence...) - le concept concret - mais aussi le concept indicatif ou
«sensitizing concept» (Meszaros, cité par Deslauriers 1991 : 92). Le concept indicatif désigne
«un ensemble de notions plutôt générales, assez précises pour identifier les données et les
regrouper, mais assez larges pour désigner plus d'une chose à la fois» (idem : 92).
Pour Dyer et Wilkins (1991) l'utilisation de construits en recherche qualitative s'effectue
au détriment des histoires qui permettent de comprendre les situations en profondeur.
«We return to the classics because they are good stories, not because they
are merely clear statements of a construct. Indeed, the very clarity of the
constructs stems from the story that supports and demonstrates them.» (Dyer et
Wilkins, 1991 : 617)
Notre choix de l'entrevue en profondeur est, dans un premier temps, un choix délibéré
pour les histoires face aux construits. Voici, pour illustrer ce parti pris, deux brefs extraits
d'entrevues menées durant la recherche:
47Pour Kerlinger, un construit c'est d'abord un ensemble de variables, le construit a été de façon délibérée
inventé ou adapté - on pourrait écrire construit - à des fins purement scientifiques (Kerlinger, 1973).
Espaces de la stratégie et TI 141
_________________________________________________________________________
Pour nous convaincre, les histoires sont plus efficaces que les démonstrations statistiques.
Cependant, avant de recueillir les «bonnes» histoires en vue de former des théories, des concepts
doivent d'abord être assimilés pour former des propositions.
Nous nous servons essentiellement dans cette recherche des concepts de performance,
d'espace de la stratégie et de solution de la technologie de l'information. Nous n'avons pas
opérationnalisé le concept d'espace de la stratégie pour en faire un construit au sens positiviste;
nous avons voulu l'utiliser comme concept indicatif, assez souple et assez large pour capter des
informations multiples mais assez précis et rigoureux pour les classer.
Espaces de la stratégie et TI 142
_________________________________________________________________________
Tableau 4.3.
espace politique
la légitimité du la légitimité du leader la légitimité du
leader et du personnel de groupe
planification opérationnel
espace instrumental
l'action du leader le plan pour formuler les mécanismes de
et pour mettre en l'action collective
oeuvre
espace théorique
la vision du leader la recherche du «fit» le consensus du
avec l'environnement groupe
Tableau 4.4.
ESPACE VIDE
ESPACE VIDE INSTRUMENTAL
Action majeure posée par le sommet
Action majeure posée par la vice-présidence informatique
Emprise du sommet sur les opérations et les activités
ESPACE VIDE POLITIQUE
Pouvoir, influence, légitimité des bureaux-chefs
Pouvoir, influence, légitimité du fournisseur
Pouvoir, influence, légitimité du v-p informatique
Pouvoir, influence, légitimité du v-p marketing
Pouvoir, influence, légitimité du v-p opérations
ESPACE VIDE THÉORIQUE
Vision, obsession, intuition du fournisseur de systèmes informatiques
Vision, obsession, intuition du v-p informatique
Vision, obsession, intuition du v-p marketing
Tableau 4.5.
ESPACE PROGRAMMATIQUE
ESPACE PROGRAMMATIQUE INSTRUMENTAL
Action collective : gestion par projet formalisée dans l’espace programmatique (ex : groupe de
développement de produit)
Décision majeure prise dans le cadre du processus de planification stratégique
Emprise du plan et du staff de planification sur les activités et sur les opérations
Utilisation du fichier central client par le siège social de la banque
Formation aux outils de l’espace programmatique (plans, budgets, programmes, procédures...)
Marge de manoeuvre de la succursale dans l’espace programmatique
ESPACE PROGRAMMATIQUE POLITIQUE
Résistance au changement dans l’espace programmatique
Pouvoir, influence, légitimité du couple : staff de planification stratégique et sommet
Pouvoir, influence, légitimité du réseau des succursales
Pouvoir, influence, légitimité du couple : staff de planification systèmes et vice-présidence
informatique
ESPACE PROGRAMMATIQUE THÉORIQUE
Modèle concurrentiel utilisé pour formuler une stratégie
Modèle économique ou financier utilisé pour formuler une stratégie
Modèle technologique utilisé pour formuler une stratégie (nolan, mcfarlan...)
Effort de modélisation du puzzle techno-stratégique
Tableau 4.6.
ESPACE HABITÉ
ESPACE HABITÉ INSTRUMENTAL
Action collective entre les succursales
Emprise de la succursale sur ses propres activités et opérations
Utilisation du fichier central client par la succursale
Formation aux outils de l’espace habité (leadership partagé, travail d’équipe, analyse en groupe
de l’environnement...)
Langage stratégique commun
Marge de manoeuvre de la succursale dans l’espace habité
Outils fournis par le sommet dans le cadre et pour le maintien de l’espace habité
Changement de structure dans le sens d’une plus grande autonomie pour les succursales
Outils développés par la succursale dans le cadre et pour le maintien de l’espace habité
ESPACE HABITÉ POLITIQUE
Luttes de pouvoir dans une arène politique sans arbitrage fort exercé par le sommet
Luttes de pouvoir, au sommet, dans une arène politique sans arbitrage fort exercé par le sommet
Pouvoir, influence, légitimité des équipes et des groupes de travail
Soutien du sommet dans le partage du pouvoir, de la légitimité et de l’influence en faveur des
succursales ou des groupes de travail
Pouvoir, influence, légitimité des succursales
ESPACE HABITÉ THÉORIQUE
Recherche du consensus
Émergence de projets, d’initiatives, de stratégie
Idéologie de la participation
Le concept de stratégie, surtout quand il est perçu et traité comme une unité complexe, a
déjà démontré sa capacité de capter le phénomène du comportement distinct d'entreprises opérant
dans une même industrie.
Le construit d'espace de la stratégie systématise trois dimensions fondamentales de la
stratégie (politique, pratique, théorique) qui définissent trois architectures (vide,
programmatique, habitée) de cet espace.
Les résultats de la recherche indiquent que le concept d’espace de la stratégie a, comme
le concept de stratégie, des qualités de validité discriminante (il présente des caractéristiques
distinctes dans des organisations distinctes) et de validité convergente (les différentes mesures du
concept - obtenues au moyen des cas ou des entrevues - partagent de la variance).
Le construit de performance
Le deuxième construit que nous utilisons dans cette recherche est celui de performance.
Espaces de la stratégie et TI 146
_________________________________________________________________________
Tableau 4.7.
Le concept de performance
PERFORMANCE
financière Profitabilité
Réduction des coûts
Tableau 4.8.
Afin de comprendre les managers et de rendre compte des liens dynamiques entre la
technologie de l'information et l'espace de la stratégie, nous avons choisi d'apporter un soin
particulier à l'analyse des thèmes qu'ils ou elles ont abordés.
Espaces de la stratégie et TI 149
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Pour Mishler (1986) et Briggs (1986), citant Cicourel (1982), l'entrevue telle que
pratiquée en sciences sociales doit être considérée comme un événement de parole («speech
event») au même titre que les autres activités de parole que sont les actes de parole, les
situations et les communautés de parole.
Pour Hymes (1967:19), cité par Mishler (1986:35), l'entrevue doit être considérée comme
une activité parmi toutes les activités, ou aspects d'activités, qui sont directement gouvernées par
des règles d'usage du langage. Ce qui devient ainsi évident entre les acteurs d'une entrevue, c'est
l'existence de présupposés culturels qui sont partagés : «Questioning and answering are ways of
speaking that are grounded in and depend on culturally shared and often tacit assumptions
about how to express and understand beliefs, experiences, feelings, and intentions.» (Mishler,
1986:7).
Gumperz, cité par Mishler (1986), définit ainsi les activités de langage : «a set of social
relationships enacted about a set of schemata in relation to some communicative goal »
(Gumperz, 1982). Ainsi, raconter une histoire, bavarder, enseigner ou interviewer implique
certaines attentes sur la progression thématique, les règles de la prise du tour de parole, la forme,
sur le résultat de l'interaction aussi bien que sur la contrainte du contexte (idem).
Le courant méthodologique traditionnel qui considère l'entrevue comme un moyen, parmi
d'autres, de remplir un questionnaire considère que nous savons tout de l'entrevue. Ce courant se
situe dans le paradigme behavioriste du stimulus-réponse et poursuit cette chimère (Mishler,
1986) de l'interview stimulus en prenant pour acquis que le langage est un assemblage de petites
boîtes et que les faits ont l'objectivité de la roche.
C'est Lazarsfeld (1935) qui a le premier compris que les variations dans la formulation
que les interviewers apportaient aux questions étaient la clé de la bonne interview. Le jeu des
questions et des réponses commence entre l'enfant et sa mère et se poursuit tout au long de la vie,
notamment dans le fonctionnement quotidien des organisations. Ce jeu, utilisé avec les règles
scientifiques appropriées, doit être considéré comme une approche correcte de la connaissance
(Cicourel, 1982; Briggs, 1986; Mishler, 1986). Il ne s'agit pas d'affirmer du bout des lèvres que
l'entrevue non-structurée est un moyen d'investigation toléré quand le chercheur est peu
connaissant dans son domaine, il s'agit, au contraire, d'affirmer que l'entrevue, abordée comme la
construction conjointe d'un discours, est un moyen complet non seulement pour générer des
hypothèses, mais aussi pour les tester. Sa force réside dans l'interprétation plus serrée des
données grâce à l'attention accordée au contexte, dans le choix d'unités d'analyse concrètes et
Espaces de la stratégie et TI 150
_________________________________________________________________________
porteuses de sens et dans l'obligation pour le chercheur d'avoir construit un cadre théorique
solide avant d'aborder les entrevues proprement dites.
Cette approche, plutôt que de s'en remettre au hasard pour le choix d'un échantillon dans
une population, doit situer les informateurs clés ou, en ethnologie, les personnes les mieux
placées par leur savoir et leur capacité d'échanger sur le fonctionnement de leur groupe.
Cette recherche des informateurs est longue et délicate. Elle suppose que le chercheur
soit d'une certaine façon reconnu par le groupe étudié. Il faut qu'il inspire confiance et qu'il soit
prêt à partager les normes du groupe étudié. Ce que Bower dit très clairement des recherches en
politiques générales : il faut que le chercheur inspire confiance et ait même des relations de
travail avec les personnes des organisations étudiées. C'est ce que nous nous sommes efforcés de
faire.
Le but est de produire, ensemble, du sens à partir des entrevues. Il s'agit donc que les
questions soient fixées dans leur sens, leur signification plutôt que dans leurs mots («meaning vs
wording » Lazarsfeld, 1935; Mishler, 1986). En mettant ainsi l'accent sur l'interaction plutôt que
sur le stimulus, l'entrevue devient une entreprise de cueillette de données où le face à face est
nécessaire. L'interaction doit en plus (Briggs, 1986:7) intervenir dans un contexte de recherche
et obliger l'investigateur à poser des questions. En général, ce type d'entrevues est complété par
du travail sur le terrain qui met en oeuvre d'autres procédures visant à ramasser des données.
Ainsi, les interviews sont le produit coopératif des interactions entre au moins deux personnes
qui assument des rôles différents et qui viennent fréquemment d'horizons social, culturel et/ou
linguistique différents (Briggs, 1986 : 102).
L'esprit de coopération et de confiance suscite et accorde de l'importance aux histoires
racontées par la personne interviewée. Cette relation confiante peut s'obtenir en légitimant la
personne rencontrée, en lui donnant, à la différence du diagnostic médical classique (Mishler,
1986), le pouvoir de se raconter.
Il ne s'agit pas seulement de créer une atmosphère amicale et agréable. Il faut aller
jusqu'à considérer les personnes interviewées comme des collaborateurs de la recherche,
participant, le cas échéant, à l'analyse et à l'interprétation des résultats.
Cette orientation dans la pratique de l'interview ne peut être adoptée que si le chercheur
comprend que chaque groupe dispose d'un métalangage48, qu'il se familiarise avec ce type de
métalangage et qu'il développe des techniques d'interview qui rencontrent ces normes.
Si dans cette option méthodologique, le chercheur tente de percevoir d'abord les
problèmes de l'informateur-trice avant ses propres problèmes techniques de validité et de fidélité,
48 «Investigating the metacommunicative repertoire of the group in question is the necessary starting point
for research» (Briggs, 1986:29)
Espaces de la stratégie et TI 151
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cela ne signifie pas que la rigueur est délaissée au profit de la pertinence, car la façon de
concevoir la rigueur en recherche est modifiée dans ce contexte. Il s'agit d'atteindre, dans les
mots de Cicourel (1982) un niveau de validité écologique : le chercheur doit refléter les actions
quotidiennes d'une collectivité. Briggs (1986 : 28) écrit : «The interviewer's attempts to increase
reliability by standardizing the presentation of the questions thwarts her or his ability to achieve
ecological validity».
Mishler (1986 : 24) écrit de son côté:
49 «Étant donné le principe de pertinence, tout ce dont le destinataire a besoin, c'est que les propriétés du
stimulus ostensible engagent son travail inférentiel sur la bonne voie; il n'est pas nécessaire pour cela que les
propriétés du stimulus représentent ou codent dans le détail l'intention informative du communicateur.» (Sperber et
Wilson, 1989: 381).
Espaces de la stratégie et TI 153
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Tableau 4.9.
Les étapes de la recherche qualitative comparées aux étapes d'une construction fondée
d'une théorie
LE CODAGE
L'ANALYSE AXIAL
présentation des passage des structuration des rapports de la base
résultats partiels catégories culturelles sources de données par
aux Conférences aux catégories documentaires par catégorie, entreprise,
en management analytiques période solution de la
stratégique de (McCracken, 1988) technologie de
Montréal (1991) l'information;
et de Paris logiciel de traitement
(1992) de texte, logiciel de
traitement d'idées
L'EXPLICATIO LE CODAGE le travail de rapports de la base
N SÉLECTIF la rédaction des cas «scénarisation» ou le de données par
(Bower, 1979) choix d'une ligne période;
(Strauss et directrice par histoire logiciel de traitement
Corbin, 1991) de cas d'idées;
traitement de texte
Les règles de la recherche qualitative sont simples : le chercheur doit respecter les quatre
phases de l'invention, de la découverte, de l'interprétation et de l'explication (Kirk et Miller, 1986
: 60). Ces quatre étapes structurent le reste du chapitre.
L'utilité quelque peu décroissante des propositions de la recherche n'enlève rien à leur
immense utilité au point de départ quand il s'agit de penser aux questions, à la pertinence, au
contexte, au design et à la méthodologie de la recherche. En l'absence de propositions clairement
énoncées, tout ce travail d'invention de la recherche aurait été impossible. Nous résumons au
tableau 4.9. quelques aspects méthodologiques avant d'analyser le design plus en détail.
Cette partie du travail de recherche est présente dans les quatre premiers chapitres qui
traitent de la question générale de l'espace de la stratégie et de la technologie de l'information; de
l'espace de la stratégie par rapport à la littérature en gestion stratégique; de la problématique du
déploiement massif d'une solution de la technologie de l'information et des choix
méthodologiques. Des publications couvrent également ce travail de structuration ou d'invention
de la recherche (Lejeune, 1987, 1991, 1992, 1993).
Dans une première étape, chaque énoncé est considéré isolément : chaque énoncé utile,
ou jugé «intensif», est considéré comme une observation.
La seconde étape part de ces observations et les développe d'abord pour elles-mêmes,
ensuite selon l'évidence de la transcription et enfin selon les catégories analytiques et culturelles
déjà développées par le chercheur.
La troisième étape examine les interrelations des observations de second ordre introduites
dans la phase précédente en les organisant en fonction des catégories analytiques et culturelles
établies par le chercheur. L'objet d'analyse n'est plus la transcription mais bien sur ces
observations de second niveau.
La quatrième étape détermine des «patterns» de consistance ou de contradiction entre les
thèmes, en traitant de façon collective l'ensemble des observations.
La cinquième et dernière étape prend ces thèmes et ces «patterns», comme ils
apparaissent dans plusieurs entrevues, et les soumet à un processus final d'analyse.
Il nous semble avoir respecté l'esprit et la lettre de la démarche qualitative décrite par
McCracken (1988) tant au niveau analytique qu'au niveau culturel, par la pratique. C'est ce que
nous traitons au point suivant.
Cette troisième phase dénote une phase d'évaluation ou d'analyse; cette phase génère de
la compréhension. Les chapitres 5, 6, et 7 interprètent et exposent les résultats de la recherche.
Le chapitre 5 est consacré à la banque de l'Est, le chapitre 6 à la banque Métro et le chapitre 7 à
la banque Mutuelle.
Cette dernière phase dénote une phase de communication ou d'emballage : cette dernière
phase produit un message. Des résultats partiels ont été «emballés» et présentés aux deux
conférences de gestion stratégique à Montréal en 1991 et à Paris en 1992. La synthèse et la
conclusion relèvent également de l'explication tout comme l'écriture des résultats de la recherche.
Pour les spécialistes de l'étude de cas, la théorie se formule par l'écriture du cas. Il faut raconter
des histoires et il se peut que finalement, des gens les trouvent intéressantes.
Pour Strauss et Corbin (1991), le lecteur d'un travail de recherche qui se réclame de la
construction d'une théorie fondée devrait pouvoir se faire un jugement sur les points suivants:
La sélection de l'échantillon
trentaine d'informateurs rencontrés de façon moins suivie. Les organisations ont été choisies
pour leurs différences politiques et culturelles tout en étant des entreprises de taille comparable
offrant des produits et des services sur les mêmes marchés. Les informateurs initiés
comprennent les vice-présidents systèmes et des responsables d'architecture technologique des
trois organisations ainsi que d'autres vice-présidents et directeurs dans les fonctions de marketing
et d'organisation et méthodes.
La figure 4.2. ci-dessous indique, pour la Banque de l'Est, les catégories émergentes.
Toutes les catégories reprises dans la figure sont des catégories émergentes. Nous y retrouvons
les catégories fermées (Miles et Huberman, 1984), c'est-à-dire présentes dans les propositions de
la recherche et des catégories ouvertes, des catégories qui ne figuraient pas dans nos propositions
de départ.
Les catégories qui ne figuraient pas dans les propositions de départ sont des catégories
qui ont trait à l'environnement et au changement : l'environnement externe et interne, les
processus stratégiques, les stratégies intentionnelles et réalisées mais aussi, au niveau
technologique, l'intégration des différents systèmes et technologies de l'information. Dans
l'annexe YY, les catégories émergentes sont expliquées en détail. Il est évident que la rédaction
des cas a tenu compte des catégories qui n'étaient pas présentes dans les propositions de
recherche. La figure 4.2. présente, sous forme graphique et en valeurs relatives, le nombre de
vignettes narratives associées à chacune des familles de codes. Les trois dossiers de la TI retenus
pour la recherche sont le guichet automatique pour automatisation, le fichier central client pour
la représentation et le système d'aide à la décision de groupe pour l'interaction. Les vignettes
associées à chaque dossier sont ramenées à 100%; l'ensemble des valeurs totalise ainsi 300%. La
figure 4.2. peut se lire ainsi : en répondant aux questions portant sur les trois dossiers de la TI, les
répondants ont parlé surtout d'espace vide, de processus stratégiques, d'environnement externe,
d'espace programmatique et des solutions de la TI pour automatiser et représenter.
Espaces de la stratégie et TI 160
_________________________________________________________________________
Figure 4.2.
Stratégie s ré alisé es
P roce ssus stra té gique s
Intentions stratégiques
Performance de c apacité
Pefor manc e de positionneme nt PERFORMANCE
Performance financière
Environnem ent externe
Environnem ent inte rne
Espac e habité ESPACES DE LA STRATÉGIE
Espac e programmatique
Espac e vide
Intégration
Inte rac tion
SOLUTIONS DE LA TI
Représe ntation
Automatisation
0 10 20 30 40 50 60 % La
densité des codes pour les entrevues réalisées à la Banque de l'Est
Les catégories de la figure 4.2. relèvent d'un premier travail de codage ouvert. Lors du
codage axial, nous avons été amenés à identifier (voir les chapitres consacrés au cas) des liens
particuliers entre les solutions pour l'automatisation, l'espace vide, la performance et les
fournisseurs des solutions technologiques. Les catégories fermées sont indiquées en caractère
gras sur la figure 4.2. et les catégories ouvertes en format normal. Nous avons donc identifié un
axe de gestion pour l'automatisation (voir le chapitre 5) et plus tard un axe de gestion pour la
représentation (voir le chapitre 6). Vers la fin de la recherche, lors du codage axial, nous avons
nommé les catégories observées autour des trois dossiers de la TI de la façon suivante : la
configuration de l'artefact, celle de l'interface et celle des architectes. Dans l'étape finale du
codage sélectif, nous nous sommes interrogés sur l'arrimage de ces trois configurations au sein
d'une même entreprise.
Quels sont les événements, actions, incidents qui mènent aux catégories?
Grâce aux entrevues, aux journaux d'entreprise, aux rapports annuels et à la presse
d'affaires, nous avons suivi les grandes étapes de l'évolution du phénomène qui nous intéresse :
l'impact de la technologie de l'information sur la performance par une compréhension de la
Espaces de la stratégie et TI 161
_________________________________________________________________________
notion d'espace de la stratégie. La lecture des cas atteste de la dynamique des événements qui
ont mené aux catégories.
Sur quelles bases des hypothèses ou des propositions ont-elles été formulées et
testées?
Les propositions ont été formulées à partir d'un constat repris souvent dans la littérature :
les échecs dans les projets de technologie de l'information sont des échecs organisationnels et
non des échecs techniques.
Figure 4.3.
ESP ACE DE
LA STRA TÉGIE
solutions de la technologie
processus espace v ide de l'inf ormation pour
culture espace programmatique l'automatisation
organisation espace habité la représentation
stratégie
l'interaction
Le
modèle de la recherche : une configuration mixte d'espace de la stratégie, de solution de la TI, de
performance et de besoins stratégiques
En contrepoint à cette réalité, les études académiques utilisent des unités d'analyse très
macro (un secteur industriel, une économie nationale), des approches quantitatives et négligent
d'approcher les questions reliées aux contextes des organisations.
La recherche se devait en plus d'aborder la question des liens avec la stratégie puisque
les années 80 ont vu se multiplier les systèmes dits stratégiques. Nous avons donc revu la notion
de stratégie dans sa relation avec la technologie de l'information. Pour nous, c'est notre
Espaces de la stratégie et TI 163
_________________________________________________________________________
proposition de départ, les solutions de la technologie de l'information s'insèrent avec succès dans
des espaces de la stratégie appropriés.
Il est certain que nos propositions de recherche ont cessé de rendre compte de la réalité
dans certaines instances. Particulièrement, nous n'avions prévu lors de la première formulation
des propositions de recherche ni l'évolution rapide des solutions de la technologie de
l'information (de l'automatisation à la représentation) ni la coexistence au sein d'une même
organisation des différents espaces de la stratégie, même si un type d'espace restait prédominant.
Pourquoi et comment avoir retenu une catégorie donnée comme catégorie
centrale?
Pour nous, la catégorie centrale de la recherche est la catégorie qui réunit l'espace de la
stratégie, les solutions de la technologie de l'information, les besoins stratégiques de
l'organisation et la contribution à la performance. Si chacune de ces notions est importante en
elle-même, c'est le jeu des concepts ou notions qui est l'objet de la recherche parce que nous
avons plusieurs raisons de penser que les solutions de la TI doivent être gérées et analysées à
l'intérieur de configurations.
Limites de la recherche
Comme l'illustre la figure 4.3., le projet de recherche est d'une grande envergure. Le
projet couvre en même temps la stratégie à travers la notion d'espace de la stratégie et la
technologie de l'information à travers la notion de déploiement massif d'une solution de la
technologie de l'information.
Il est certain que même à l'intérieur d'un nombre très limité d'organisations, il nous est
très difficile de documenter tous les aspects du modèle de recherche, ce que nous nous sommes
quand même obligés de faire.
Nos ressources sont donc très limitées face à l'entreprise qui est devant nous. La méthode
qualitative est une méthode à risques : elle peut générer du sens comme elle peut faire perdre
beaucoup de temps lors de la cueillette, de l'analyse et de l'interprétation des données.
Il va de soi que notre contribution n'est pas de l'ordre de la preuve ou même de
l'établissement d'une théorie formelle. Nous fonctionnons dans une logique de découverte et
Espaces de la stratégie et TI 164
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notre contribution se situe dans un effort de compréhension des interfaces entre les applications
de la technologie de l'information, la performance, les besoins stratégiques de l'organisation et
les dimensions informelles de la gestion.
Espaces de la stratégie et TI 165
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Introduction
La stratégie d'entreprise
En 1980, la Banque de l'Est se dote d'un service aux grandes entreprises. Banque
de la petite et de la moyenne entreprise, comme l'étaient les deux établissements qui lui
ont donné naissance, la Banque de l'Est s'oriente vers le service à la grande entreprise.
La banque définit la grande entreprise comme étant l'entreprise qui réalise un chiffre
d'affaires de plus de 75 millions de dollars, qui a besoin d'une marge de crédit de 10
millions de dollars et qui a besoin de services complexes nécessitant le recours à des
spécialistes.
En 1980 également, c'est le lancement du compte de chèque sans frais, nouveau
produit appelé à jouer un rôle de premier plan dans la politique commerciale de la
banque.
Le compte progressif est lancé en octobre 1983. Il intègre de trois produits
bancaires en un seul : chèques, épargne et placement. Les intérêts y sont calculés
quotidiennement.
Une phrase lancée en 1984 devant les cadres par le président de la Banque de
l'Est résume bien sa vision : «Entre volume, prestige, innovation et rentabilité, vous devez
toujours choisir la rentabilité! »
En juillet 1980 se tient un colloque qui lance officiellement les travaux de
planification à long terme de la banque. Tous les secteurs et toutes les régions
géographiques de la Banque de l'Est étaient représentés à ce colloque. L'avenir de la
banque y fait l'objet d'un consensus. La Banque de l'Est doit viser à devenir la banque
canadienne la plus rentable, offrant le meilleur service à la clientèle et fournissant à son
personnel un milieu de travail stimulant. Elle devrait réduire sa concentration
régionale et mettre l'accent sur des marchés spécialisés au Canada et à l'étranger, tout
en continuant à assurer sa croissance au Québec.
Après une année à sensibiliser les différents agents de l'établissement bancaire, le
V-P Planification et les cadres chargés de la préparation du plan peuvent passer à
l'action. L'établissement de l'orientation générale est la première étape de la
planification. La deuxième consiste à déterminer les objectifs à atteindre. Finalement,
en troisième étape, on prépare les stratégies et le plan. L'établissement de l'orientation
et des objectifs relève du comité des politiques et de celui des opérations. Le comité des
politiques est composé de membres de la haute direction; il doit définir les grandes
orientations. Le comité des opérations est formé de vice-présidents représentant des
secteurs comme le réseau de succursales canadien, la gestion du passif, etc. Son rôle est
Espaces de la stratégie et TI 168
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de veiller à ce que les grandes orientations établies par le comité des politiques se
matérialisent. On recourra très peu aux services de spécialistes de l'extérieur pour la
constitution du plan; la participation des cadres en sera améliorée. Planifier, c'est
envisager des changements... la banque ne cessera pas d'en rencontrer.
La banque étant issue d'une fusion de deux banques de taille moyenne, l'exercice
prenait tout son sens. Les cadres continuaient à vivre dans la culture de leur ancienne
organisation; il était donc essentiel d'accélérer une même prise de conscience de
l'environnement et d'atteindre un consensus sur la direction future de la Banque de
l'Est.
L'une des deux banques fusionnées était de culture plus traditionnelle :
l'employé devait y être perçu comme un gentleman et ne déranger personne. L'autre
banque travaillait depuis plusieurs années à modifier ce comportement de «club privé»
pour devenir plus agressive et développer des gestionnaires évalués d'après leurs
résultats. Les conflits - de nature culturelle - étaient bien évidents.
Une autre perception devait être modifiée : les dirigeants de la nouvelle banque
se voyaient toujours en concurrence avec les autres banques canadiennes anglaises.
Mais la réalité du marché était différente; le nouveau concurrent à battre, c'était la
Banque Mutuelle! Il fallait donc offrir de meilleurs services aux particuliers que ce
concurrent.
Tout au long ce cet exercice de planification qui se prépare pendant 18 mois,
l'informatique - qui est utilisée pour évaluer les coûts et les bénéfices de certains
changements - est représentée par son premier V-P Informatique. Mais l'informatique
n'est pas un problème stratégique pour la banque : c'est sa restructuration en divisions,
la rationalisation de son réseau et l'établissement d'une procédure de budgétisation qui
est délicate.
Le plan se formule facilement; les objectifs sont ambitieux et présentent des
changements substantiels, comme la pénétration du marché ontarien, la présence dans
le «Corporate Banking» - plus facile à pénétrer aux États-Unis qu'au Canada anglais - et
l'équilibre géographique du portefeuille de prêts.
En 1982, dans un contexte économique difficile, arrivent les premières pertes.
L'horizon de la planification change brutalement : la banque risque de perdre 100
millions de dollars dans l'année! Cette situation est le point de départ d'une dramatique
série de coupures de postes : plusieurs milliers employés sont touchés par des mesures
de réduction de postes, 200 succursales sont fermées, les salaires sont coupés.
Espaces de la stratégie et TI 169
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à la fin de 1983, une augmentation nette de la clientèle est enregistrée pour la première
fois.
En 1984, les grands objectifs demeurent la rentabilité et le contrôle des coûts
d’exploitation. À l'issue d'une rencontre de planification à l'été 1983, les objectifs de la
banque pour 1983-84 sont la sollicitation tous azimuts, l'amélioration de l'image, la
croissance zéro dans les frais d'exploitation - la direction propose qu'il soit fait preuve
de rigueur dans l'établissement des priorités en informatique, - la priorité à la qualité du
service à la clientèle et l'accent mis sur les ressources humaines.
Le best-seller américain de Peters et Waterman, «In Search of Excellence », fait
également l'objet de discussions. Le président de la banque a conclu cette session en
mettant l'accent sur l'allocation optimale des ressources à court terme et sur
l'amélioration des compétences des membres du personnel à long terme.
En 1984, la banque constate qu'elle a une structure simple et fonctionnelle pour
son réseau de succursales; cependant, devant la nécessité de simplifier la tâche des
directeurs - ils s'occupent à la fois des particuliers et des entreprises - et de décentraliser
la prise de décisions, la banque ramène de six à deux le nombre de divisions au Québec
et déplace vers les centres régionaux les dossiers de prêts de 300 000$ et moins. Tous les
points de vente auront la même mission.
À la banque, le comité d'administration est complètement séparé du comité des
budgets; c'est une approche typique dans le monde bancaire de séparer le budget de la
stratégie. Dans sa compréhension formelle, la planification stratégique n'existe plus à la
banque au début des années 90. Il reste que les premiers V-P et le président décident
des grandes orientations... jamais la banque ne payerait un «staff» de spécialistes pour
faire de la planification stratégique :
- «Ici, il n'y a pas de frais non justifiés, pas de luxe, moins de personnel
près des hauts dirigeants, moins d'entourage, mais tout le monde prend plus de
risques et la banque tolère plus l'erreur ».
À la fin de 1981, la banque aura fusionné 132 succursales sur son réseau
québécois. De plus, 160 succursales seront converties en succursales auxiliaires; ces
changements n'entraîneront aucune mise à pied.
Espaces de la stratégie et TI 174
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L'année 1982 voit la mise sur pied du programme SVP : S pour service, parce que
la banque souhaite servir la clientèle dans les meilleures conditions, V pour vente parce
que le personnel devra accroître la diffusion des produits de la banque, et P pour
participation parce que le programme forme une équipe de vente où chacun participe
activement. Ce programme cherche à répondre au nouveau comportement du
consommateur. Celui-ci magasine pour ses besoins bancaires, il n'est plus attaché à un
établissement : ce qui compte maintenant, c'est la qualité des produits, leur coût, les
taux d'intérêts qui sont proposés.
Les progrès réalisés dans l'informatique constituent un autre facteur important
qui a conduit au programme SVP. Les systèmes informatiques de la banque vont
dégager les employés des travaux de routine pour finalement leur permettre de se
concentrer sur le service à la clientèle.
Dès le début, des progrès dans la qualité des services offerts par la banque sont
remarqués. Quelles sont les composantes d'un service de qualité? Ce sont : l'aspect des
lieux, l'atmosphère de travail, le service aux caisses et le service au comptoir. Au
comptoir, la qualité s'exprime par l'accueil, la politesse, l'exactitude des renseignements
et l'effort de vente. Les tests effectués chez les concurrents indiquent des niveaux de
satisfaction identiques. Ce qui est important, c'est que les succursales touchées par le
programme SVP affichent une meilleure performance dans le domaine de la promotion
et du merchandising ainsi que dans l'effort de vente au comptoir.
Pendant ce temps, au service des ressources humaines, un système de gestion
des données informatisées sur les ressources humaines est mis en place. L'enjeu est
important : plus de 50 % des frais d'exploitation de la banque sont versés en salaires et
en avantages sociaux au personnel. Le système comprend deux volets : profil et
archives d'une part, salaires d'autre part. Le système permet l'accès direct au moyen
d'un écran et d'un clavier.
Le Service des opérations du réseau anime des rencontres inter-sectorielles du
personnel de la banque. À ce moment, à l'été 1983, le rôle de ce service se résume à
rationaliser le réseau de succursales tout en augmentant l'efficacité et en servant de lien
entre le réseau et le siège social. Ce service comprend une section recherche avec sept
analystes. Un des dossiers importants est l'établissement de la caisse-preuve mécanisée
qui bouscule les habitudes dans la succursale.
À l'automne 1983, le journal de l'entreprise fait circuler de l'information sur les
cercles de qualité. La banque devrait-elle imiter les pratiques japonaises? Un premier
vice-président rappelle que le fonctionnement des banques est en constante évolution et
Espaces de la stratégie et TI 176
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la rapidité de cette évolution est telle que les employés et les gestionnaires ont
beaucoup de mal à la suivre. «Comment pouvons-nous rester à la hauteur dans un contexte
aussi changeant? En recourant à la formation dans le but de devenir excellent dans un domaine,
bon dans un second et informé sur le reste! ». En citant l'auteur Alvin Toffler, le V-P
rappelle que les entreprises de la troisième vague considèrent les frais reliés au
personnel comme un investissement et ceux reliés à l'équipement comme des dépenses.
Le début des années 80 voit l'émergence d'une nouvelle race de banquiers. Ce sont
d'une part, les informaticiens et d'autre part, les représentants ou encore, les vendeurs.
Les informaticiens conçoivent les produits, les développent sur l'informatique et en
automatisent la gestion. Le représentant fait le lien entre cette banque informatisée et la
clientèle.
En avril 1984, la Banque de l'Est décroche la première place au chapitre du
service à la clientèle, d’après un sondage interne.
Dans une interview, le président de la banque déclare le 7 décembre 1985 :
À la fin de 1983, 25 GA ont été implantés dont cinq dans un rayon d'un kilomètre
du siège social.
La banque recherche continuellement la synergie entre ses opérations de la carte
de crédit et son réseau de succursales qui en est l'instrument idéal de diffusion. Le
directeur des opérations de la carte de crédit de la banque - qui gère 270 personnes -
n'est pas satisfait du traitement de l'information. Par exemple, le système est trop rigide
quand il traite automatiquement les demandes d'adhésion; il n'offre pas de souplesse
pour de légers retards de paiement... et débite automatiquement le compte des
entreprises qui utilisent la carte comme «carte de compagnie» avant de recevoir le
relevé des transactions. De façon générale, la rentabilité des opérations de la carte de
crédit est faible : pour le client qui paie à temps, il n'y a aucun frais alors que, à chaque
fois qu'il utilise sa carte, il déclenche un processus aussi important que le tirage d'un
chèque. Les banques songent d'ailleurs à demander des frais d'adhésion.
Des terminaux administratifs pour la saisie en direct des opérations des
entreprises sont installés en avril 1983.
Au sein de la fonction informatique, le Service aux usagers internes - qui compte
78 employés en 1983 - constitue le lien entre les succursales, les services et
l'informatique. La banque n'est pas encore au stade du traitement des transactions en
temps réel. Ainsi, à la fin de la journée, la succursale envoie tous les formulaires dans
une enveloppe spéciale au Service des usagers internes. Le soir, le secteur production
reçoit le courrier, le trie et remplit les bons de commande pour la saisie des données.
Les préposés des centres d'ordinateurs effectuent ensuite le travail de saisie. Après
vérification et correction, l'ordinateur sort un nouveau relevé qui est vérifié et envoyé à
la succursale.
Le 21 mars 1983 entre en vigueur le nouveau service inter-succursales qui relie
plus de 500 points de vente à l'unité centrale de la banque. Ce système est devenu
possible grâce à l'informatisation des systèmes informatiques épargne et compte
chèques et à la création d'un mode d'accès à l'ensemble des comptes pour les
succursales informatisées.
En mai 1983, il y a 25 000 GA aux USA, 1200 au Canada, dont 8 à la Banque de
l'Est.
Au début des années 80 se pose la question de la bureautique ou de l'utilisation
des micro-ordinateurs dans les succursales et les services. Le V-P Informatique voit
positivement ces changements en 1983. La bureautique est le moyen de réaliser la
Espaces de la stratégie et TI 179
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. C'est sous la responsabilité du V-P Informatique que des standards vont être
fixés pour le déploiement de la bureautique : un seul modèle d'ordinateur, l'IBM PC, de
la même marque que l'ordinateur central, un seul type de logiciel de traitement de texte
et une architecture unifiée. Une fois réglées les questions de la bureautique, le V-P
Informatique cherche à maximiser les possibilités pour le client de la banque d'avoir un
accès direct avec l'ordinateur central de la banque, sans l'intermédiaire d'un employé.
Après le guichet automatique
Le V-P continue :
L'espace vide est une situation organisationnelle qui donne des dimensions
particulières aux catégories de la légitimité détenue, des outils mis en place et des
théories véhiculées. L'espace vide, s'il est dominant pendant le déploiement des
guichets automatiques, n'est pas le seul espace de la stratégie qui est observé. En effet,
tant pour les guichets automatiques que pour le fichier central client, l'espace
programmatique côtoie l'espace vide dans les banques.
Dans les quelques paragraphes qui suivent, nous allons élaborer, à partir de nos
données, sur le contexte qui a fait, surtout dans la deuxième partie des années 80, de
l'informatique un empire.
Le phénomène des guichets automatiques et du fichier central client doivent être
compris à l'intérieur d'un contexte changeant. La dimension sans doute la plus
importante de ce nouveau contexte est la présence de l'informatique dans les opérations
de la banque. En fait, on ne peut plus imaginer changer les façons de mener les activités
sans toucher à l'informatique et réciproquement.
L'informatique partage le sommet, elle n'est pas le coeur de tout, comme le dit
notre informateur, mais elle détient le pouvoir sur l'information. Elle détient aussi le
pouvoir sur le rythme des innovations parce qu'elle est la vraie porte d'entrée pour les
nouvelles technologies. Aussi, son pouvoir et sa légitimité symbolique s'en trouvent-ils
renforcés.
Au début des années 80, les responsables de l'informatique accèdent aux comités
de direction. Pour certains, ce sera le chemin vers une présidence. Relation de cause à
effet? Pas nécessairement, mais l'informatique est le passage obligé pour la
compréhension du savoir-faire à l'intérieur d'une banque.
- «Déjà à cette époque là, l'informatique ce n'était pas une petite boîte,
c'était des gens assez, assez haut placés.
- C'est ça.
- Et même si on se reporte au début des années quatre-vingts, lorsqu'on a
vu apparaître les premiers VP exécutifs, un peu partout sur les comités de gestion,
la décision était de savoir si c'était l'informatique qu'on mettait à ce poste là ou si
Espaces de la stratégie et TI 189
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L'espace vide, c'est l'espace propre aux entrepreneurs qui «créent du vide» pour
pouvoir développer leur trajectoire; pour les responsables de l'informatique, la
trajectoire est difficile à visionner. Mais dossier après dossier, ils recherchent les
innovations, poussent sur le sommet de la banque et mettent en oeuvre de nouvelles
technologies.
Le rôle des fournisseurs a été particulièrement important dans le cas des guichets
automatiques et, cela reste à démontrer, pour tout ce qui concerne l'automatisation des
opérations et des transactions.
- «Il y a les faits que les guichets automatiques représentent par rapport
au service offert à la population une opportunité technologique. Cette opportunité
technologique-là ne venait pas nécessairement...nécessairement des institutions
financières, mais des fournisseurs qui étaient IBM ou Phillips Diebold».
Espaces de la stratégie et TI 190
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- «Étant donné que c'était une opportunité technologique, elle est rentrée
par la porte technologique de l'entreprise. Nous, on a dit bon, ce serait peut-être
intéressant, et ça rentre encore assez souvent...
La carte de la mémoire va rentrer de la même façon, la télématique est
rentrée de la même façon, par la technologie. À un moment donné, on règle une
opportunité technologique, est-ce qu'on y va, on n'y va pas dans l'entreprise.
Mais là ça redescend, ça redescend dans les unités comme le marketing, les
finances ou quelque chose comme ça et ils vont réfléchir sur le bien-fondé».
L'espace vide est un espace où le sommet déploie les moyens nécessaires à son
contrôle sur la formulation et la mise en oeuvre stratégique. Le contrôle du sommet
s'effectue principalement, dans la banque, à travers le processus d'allocation des
ressources et le contrôle budgétaire. De son côté, la fonction informatique joue un rôle
critique dans la définition des outils informatiques qui vont pouvoir être déployés par
les succursales et le siège social.
L'automatisation est propre à l'informatique, mais ne limite pas son champ
d'intervention. Tout ce qui est fait autour de la gestion de l'information, au moment où
apparaissent les micro-technologies, va relever également de son contrôle.
- «Il y avait une norme dans l'informatique que j'ai renversée, voilà deux
ans, qui disait «On ne développe aucun système sur PC.» Ça fait à peu près
quatre ou cinq ans que les PC sont arrivés puis que les clients ont commencé à
développer des produits phénoménaux.
- On a trouvé, chez des clients, des produits développés sur lesquels on a
une partie du portefeuille...beaucoup d'argent...des millions.... Il n'y a pas de
back-up là-dessus. Tout est corrigé aujourd'hui. Donc l'informatique a repris
contrôle sur la micro-informatique. Ce n'est pas de la bureautique là....le support
des DBase, Lotus c'est une chose, mais la micro-informatique doit être reprise en
main par l'informatique».
Au tournant des années 90, autant la Banque de l'Est que la Banque Mutuelle
traversent des bouleversements structuraux. Réorganisation du siège de la Banque
Mutuelle par produits-marché ou création de bureaux régionaux pour la Banque de
l'Est, le remodelage structurel est de mise. Ce remodelage touche plus ou moins
Espaces de la stratégie et TI 192
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- «Il faut être prudent parce que l'aspect budget là, managé par
l'informatique, c'est ... les investissements sont énormes, tu ne peux quasiment
plus rien faire sans toucher l'informatique d'une façon ou d'une autre. Les
clients (les clients internes, les usagers) commencent à se rendre compte que ce
n'est pas nécessairement l'informatique qui est toujours la solution à leurs
besoins; souvent, c'est l'aspect approche, démarche organisationnelle, le
partenariat aussi».
D'un point de vue formel, l'espace vide place tout le contrôle sur l'organisation
dans les mains du sommet. Durant les vingt dernières années, cette emprise a été
efficace sur les cadres et les employés-es qui effectuaient du travail peu complexe et
facilement contrôlable. Comment maintenant, dans la succursale équipée de FCC et de
stations de travail, continuer à avoir cette emprise sur l'organisation? Comment
s'assurer qu'une caissière devienne une vendeuse efficace des produits de la banque?
Espaces de la stratégie et TI 193
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Certaines banques obligent leurs employés-es à placer, par exemple, un certain quota de
cartes de crédit par mois. Mais ce mode de récompense/punition est-il le plus adapté
quand la tâche, à l'intérieur de la succursale, est devenue complexe?
De nombreux responsables signalent le peu d'utilisation des applications
nouvellement développées à coups de millions... Avec cette nouvelle organisation du
travail, le sommet est-il encore en prise sur les activités?
- «À mon point de vue, ce que j'en ai vu, c'est que quand la banque s'est
lancée dans ça (le TPV), je trouvais que ce n'était pas une bonne stratégie dans le
sens qu'on n'avait pas d'avantage à être les leaders dans ça et aujourd'hui, les
faits confirment qu'on n'en a pas tiré beaucoup d'avantages. Je croirais puis... je
pense que l'hypothèse à cette banque-là, à cette époque-là, la banque voulait être
une banque avant-gardiste, une banque moderne, une banque orientée vers le
développement de la technologie et je ne serais pas surpris si l'orientation
beaucoup plus informatique que technologique qu'on a pris à ce moment-là.
Aujourd'hui encore, on se demande comment on va faire pour le rentabiliser (le
terminal point de vente).
- Si on se dit bon, écoute on a eu nos bénéfices au niveau image de banque
dynamique, ou on ne les a pas eus qu'importe, aujourd'hui il faut rentabiliser ça,
je ne suis pas convaincu qu'on est capable de faire cette guerre-là et devenir un des
intervenants majeurs qui va en retirer des bénéfices».
Au cours de la décennie 1980, les banques ont appris que les applications de la TI
ne baissaient pas nécessairement les coûts d'opération mais, au contraire, génèrent de
nouveaux coûts d'entretien, de gardiennage, de modernisation, de télécommunications.
Les guichets automatiques, par exemple, sont-ils rentables? Plus une banque en a,
moins elle en est certaine :
Espaces de la stratégie et TI 195
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- «Et là, c'est que les guichets font partie du décor maintenant. Plus
personne ne questionne leur raison d'être, plus personne ne questionne leur
rentabilité.
- On n'a plus de discussions là-dessus mais il y a quand même une
stratégie d'entreprise qui dit «que le libre-service ne fait pas nécessairement
ses frais. Que c'est un service complémentaire de convenance qui est
donné au client».
- Et vouloir rentabiliser ça ou s'inventer toutes sortes de questions de
rentabilité on n'en sortira pas. C'est un service complémentaire...point à la ligne.
Par contre il y a une volonté, à la banque, de tabler davantage sur la diminution
du nombre de chèques et sur les files d'attente qui sont juste pour aller déposer de
l'argent au guichet par des transferts électroniques de fonds».
Espaces de la stratégie et TI 196
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Figure 5.1.
V- P
IN FOR M A TIQ U E V- P MA R K ETIN G V- P FIN A N C ES V- P OPÉR A TIO N S
FOURNISSEUR TI
présente, une même interface avec le client qui vient faire ses transactions. Mise à part
cette question d'interface, les banques auraient pu retenir plusieurs appareils et
plusieurs fournisseurs, pour autant que cela ne crée pas de problèmes de
communication avec les ordinateurs centraux.
Un sommet fort était-il indispensable pour gérer ce dossier au niveau technique?
Oui, pour fixer des standards d'interface et de communication et pour imposer un
fournisseur unique, ce qui nous permet de proposer sur la figure 5.1. l'axe fournisseur -
V-P informatique - président pour la gestion d'un dossier de l'automatisation.
Pour ce qui concerne le FCC, la gestion des dimensions techniques est plus
complexe : comment toucher à l'architecture des applications, des standards et des
télécommunications sans centraliser le pouvoir de formuler et de mettre en oeuvre cette
architecture? Face aux forces centrifuges, l'unité architecturale est à conserver. Doit-
elle être décidée dans le vide? C'est une autre question. Aujourd'hui les possibilités de
mettre au point des systèmes composites (composés d'ordinateurs et de logiciels de
constructeurs variés) sont telles que le repli de la direction sur une option tout à fait
centralisée (où tout est basé sur des ordinateurs centraux) et sur un seul constructeur
n'est plus justifiable. Cependant, il faut que les cibles d'architecture soient fixées de
façon unique.
Il est aussi essentiel que la forme de concentration de la ressource soit décidée
par le sommet stratégique qui doit constamment évaluer les options de propriété,
d'impartition et de réseau. Le pouvoir de l'informatique comporte cependant un
danger : celui de favoriser, peut-être de façon non économique, la forme de propriété
qui lui confère le plus de ressources, le plus de visibilité, le plus de pouvoir. En ce sens,
les opérations de reprise en main que vivent ou qu'ont vécu certaines vice-présidences
informatiques peuvent être interprétées par une volonté du sommet d'avoir vraiment la
marge de manoeuvre nécessaire pour choisir entre ces formes de concentration.
L'interrelation du sommet stratégique et de l'informatique dans ce que nous
avons appelé un double espace vide a favorisé la mobilisation des ressources et la
formulation d'une stratégie technologique. Mais qu'en est-il du côté de la mise en
oeuvre?
Des changements culturels sont indispensables - nous l'avons vu - au niveau
des opérations; des changements structurels sont en cours pour «dégraisser»
l'informatique et rendre plus stratégique le contexte opérationnel (autonomie, marge de
manoeuvre, capacité d'innovation...). À l'aide des micro-technologies et d'une marge de
manoeuvre plus grande des bureaux régionaux et des succursales se développe un
Espaces de la stratégie et TI 198
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- «De toute façon, /.../ tu sais tu ne peux pas tourner la banque up-side
down, du jour au lendemain, donc....
- Finalement, il y a le client (de l'informatique) à former, il a ses
habitudes lui aussi.
- Oui, c'est ça. D'ailleurs, souvent la direction nous a dit : on ne vous en
donne pas plus d'argent parce qu'on sait que même si on vous en donne, vous
allez le faire le travail, vous allez le sortir le système, mais il ne pourra pas être
absorbé par les gens des succursales; la capacité d'absorption est X, vous avez
atteint le X + X. Donc, faut que vous ralentissiez. C'est un choc ça! Faut que
vous ralentissiez, vous êtes trop vite pour le reste de l'organisation!
- Donc nous devons changer notre approche, les impliquer, travailler sur
la formation massive, mettre en place d'autres morceaux qui étaient manquants».
- Tu as des applications qui ont été développées en 86; quatre ans plus
tard, elles n'ont même pas atteint 50% de pénétration dans la boîte. Ce n'est pas
bien rentable, la technologie est quasiment finie et désuète, c'est pas tout le monde
qui s'en sert! Ce sont les embûches qui nous guettent si tu vas trop vite.»
Les informaticiens eux-mêmes comprennent que leur prochain défi n'est plus
dans le développement mais dans la mise en oeuvre, dans l'utilisation efficace des
applications par les cadres et les employés :
- «Ce n'est pas gagné mais on voit un peu je dirais la victoire à l'horizon,
dans la mesure où on arrête de travailler sur une dimension technique puis on
travaille sur une dimension humaine, la formation à la vente puis la
communication, mais je pense qu'un élément important c'est qu'on a toujours
sous-estimé tant au niveau du FCC global qu'au niveau local, on a souvent sous-
estimé la communication que les gens ont fait, où est-ce qu'on en est, tu sais il y a
encore un gap entre siège social, je dirais les informaticiens, le siège social puis le
reste de l'organisation dans la hiérarchie de la sensibilisation (aux dimensions
humaines des dossiers informatiques)».
Le concept de «ligne d'affaires» fait son chemin dans les entreprises nord-
américaines. Que l'entreprise soit centralisée ou décentralisée, l'analyse de la valeur a
conclu en faveur d'une structure organisationnelle qui épouse les activités identifiées
comme étant à grande valeur ajoutée. Gérer au niveau de la «ligne d'affaires», cela
signifie aussi lui remettre ses moyens en technologie de l'information.
Même les responsables informatiques apparemment les moins tentés par la
décentralisation poursuivent une réflexion dans cette direction :
Espaces de la stratégie et TI 200
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Tant que l'informatique, que les moyens en TI sont gérés en dehors de la «ligne
d'affaires», le couplage, l'arrimage des affaires à l'informatique, et réciproquement, ne
semble pas devoir trouver de solution performante. C'est d'une façon plus ou moins
confuse, dans un contexte de récession, la démarche de réorganisation qui se passe
dans les grandes banques, particulièrement chez celles qui ont connu une fonction
informatique la plus puissante.
Un de nos informateurs nous parle de la fin d'un empire... Le double espace vide
est menacé de deux façons : diminution du rôle du siège social et réorganisation - plutôt
radicale - de l'informatique :
Quel que soit le dossier abordé - le guichet automatique, le fichier central client
ou le système d'aide à la décision de groupe - il y a un pattern général qui se dessine.
L'espace vide est le plus présent dans toutes les questions concernant l'historique des
dossiers technologiques et leur lien avec la performance. Alors que le GA active
seulement des vignettes narratives qui relèvent de l'espace vide, le FCC sélectionne de
façon marquée l'espace programmatique.
Comme dans le cas de la Banque Métro, l'espace habité est inexistant. La
performance financière ainsi que les intentions stratégiques, autour des coûts et de la
différenciation, sont relativement très fortes dans le cas de la Banque de l'Est.
L'exigence d'architecture, ou le dossier d'intégration de la TI, est également
beaucoup plus présente dans le premier cas. À la Banque de l'Est, la fonction
informatique est puissante et très arrimée au sommet; il ne s'agit pas d'une filiale
autonome. Cet élément, associé à une tradition de fort leadership et de croissance
forcée, crée un double espace vide - pour la gestion des affaires et la gestion de
l'informatique - au sommet de l'organisation.
La Banque de l'Est semble être une bonne illustration de la configuration de
l'artefact. Cependant, le déploiement massif du FCC et la décentralisation du pouvoir
vers les régions et les succursales indique que la configuration de l'interface est elle
aussi en train de se construire.
présence très physique, leur contrôle est aisé, le suivi des transactions effectuées est
automatique. Spontanément, les informateurs ne font pas de liens entre les GA et
d'autres applications de la TI.
L'analyse fine des entrevues réalisées à la Banque de l'Est et sur l'ensemble des
réponses à la question 1,1 (voir annexe D) nous permet de construire le modèle à la
figure 5.2. Il pourrait se lire ainsi : le sommet stratégique, légitimé à prendre des
décisions majeures, observe les nouveaux comportements de la clientèle des banques
concurrentes face à l'utilisation des GA. L'automatisation des transactions du client
devrait permettre de réduire les coûts et éventuellement de mieux se positionner. Le
sommet stratégique décide alors d'affecter les ressources et de procéder à l'installation
des GA.
Espaces de la stratégie et TI 204
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Figure 5.2.
clients légitimité
f iliales outils
marchés théories
concurrents
produits
f ournisseurs
AFFAIRES TECHNO LOGIE
plate-forme DE L'INFORMATION
plate-forme
PERFORMANC E
architecture f inancière architecture
de positionnement
COH ÉSION de capacité stratégique INTÉGRATION
STRA TÉGIQ UE
solutions de la technologie
de l'inf ormation pour
processus espace v ide l'automatisation
culture espace programmatique
organisation espace habité
stratégie
La
configuration de l'artefact autour du dossier des guichets automatiques
Espaces de la stratégie et TI 205
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- «La Banque a déjà amorcé des premières étapes dans ça, notamment par
la nouvelle structure, le tiers ou le quart des succursales qui a adopté une
structure beaucoup plus orientée vers ça, où est-ce que le secteur service à la
clientèle, cette partie opérations courantes est tout à fait séparé du secteur de
développement des affaires».
50Bourgeois et Brodwin (1984) peuvent nous aider à définir le nombre de personnes-stratèges. En cinq
modèles, ces auteurs peuplent, de façon toujours plus dense, l'environnement du stratège au sommet. Leur modèle 1
ne retient que le commandant (le"stratège au sommet"); le modèle 2 tient compte, d'une façon anonyme, de
l'ensemble de l'organisation; le modèle 3 tient compte des gestionnaires-clés (exécutifs et directeurs de division)
élaborant, avec le stratège au sommet, un consensus sur la stratégie à suivre; le modèle 4 considère chaque membre
de l'organisation comme devant être inspiré par la vision de stratège au sommet; le modèle 5 enfin, considère chaque
manager comme un manager stratégique, c'est-à-dire comme une source de nouvelles stratégies («to develop,
champion, and implement sound strategies»).
Espaces de la stratégie et TI 206
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Vue d'en haut, cette émergence des responsables opérationnels crée un certain
désarroi :
Nous sommes d'ailleurs surpris de constater que dans les banques observées, le
seul «vrai» plan de la banque, c'est le plan «systèmes» et ce depuis quelques années
seulement :
Ces nouvelles légitimités sont encore mal établies. Si elles écorchent le pouvoir
de l'informatique et mettent fin au double espace vide, elles ne changeront pas
fondamentalement la légitimité du sommet.
Il s'agit plutôt du sommet stratégique qui revoit ses alliances à la lumière des
performances passées, des contraintes du marché et des nouveaux dynamismes
présents dans l'organisation.
Si, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, les opérationnels tentent
de bâtir un espace programmatique ou un espace habité, ce sera avec le support du
sommet stratégique.
Espaces de la stratégie et TI 208
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Introduction
Il y a à la Banque D une planification stratégique très forte, même s'il n’y a pas
une équipe de planification dédiée à la fabrication du plan. La planification est du type
«top-down» : le président et les premiers vice-présidents révisent régulièrement la
mission, les forces et les faiblesses de l’organisation et ils établissent des cibles
stratégiques. En fonction de cette analyse, des objectifs stratégiques sont établis par
secteur pour une durée de 3 à 5 ans. Le plan - qui comprend ces objectifs - est
documenté et diffusé aux niveaux hiérarchiques inférieurs. Depuis quelques années,
un groupe de planification et de contrôle dirigé par un V-P adjoint travaille à la banque.
De plus, l’exercice budgétaire annuel précise l’allocation des ressources.
La Banque D continue d’innover en terme de distribution de produits financiers.
C’est ainsi qu’une nouvelle succursale multi-services «Centre financier Banque D» a été
inaugurée en 1990. Cette succursale a la particularité d’offrir, en plus de la gamme
complète des produits bancaires traditionnels, une multitude de services non bancaires.
Ces services incluent l'assurance générale et l’assurance de personnes, les produits
fiduciaires et de transaction sur titres, les services de voyages et le courtage immobilier.
Le lancement de nouveaux produits se poursuivra en 1991, avec l’état de compte
consolidé. Par la présentation d’une vue «globale» sur l’état de ses relations avec la
banque, l'état de compte consolidé permettra au client de suivre l’ensemble de sa
situation financière de façon simple et efficace.
Espaces de la stratégie et TI 212
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Au milieu des années 80, la Banque Métro crée la société Métro-TI pour
coordonner l’ensemble de ses efforts en technologie de l'information; Métro-TI, c’est un
partenariat entre toutes les succursales «banque et assurances»de la Banque Métro. Le
centre informatique est mis en place en 1987 avec une vision à long terme du
décloisonnement et une volonté de se positionner en tant que conglomérat financier à
l’avant-garde de la fabrication et de la distribution d’un ensemble de produits. Métro-
TI est plus particulièrement mis en place pour que la banque puisse faire le design de
nouveaux produits financiers.
Quels sont les projets de Métro-TI qui la guident dans le développement
d'applications et dans l'étude d'une architecture globale - notamment l'instauration d'un
plan technologique de 5 ans visant à identifier les projets de chacune des sociétés et à
créer des groupes de travail pour des projets communs - pour en arriver à l’intégration
des services financiers? Ce sont les projets suivants :
Plutôt que par le FCC universel, Métro-TI est beaucoup plus préoccupée par le
fait que les sociétés aient ou n'aient pas une architecture; il n’est pas question de
développer une architecture générique, comme IBM Europe essaie de le faire dans le
domaine de l’assurance...
efficacité de gestion au budget informatique pour faciliter la prise de décisions sur les
niveaux d’investissements et les opportunités de réduction des coûts.
Le traitement unique et centralisé est maintenant défié par un mode de
traitement multiple. Désormais, le traitement centralisé, géré par Métro-TI, sera
juxtaposé au traitement local des sociétés membres, supporté par la micro-informatique.
répondre aux besoins du public. La banque est reconnue pour son esprit novateur dans
la création et la mise en marché rapide de nouveaux produits financiers adaptés aux
besoins évolutifs de sa clientèle.
Tous ces changements redéfinissent en profondeur la relation entre
informaticiens et gestionnaires, comme le laisse supposer un responsable de Métro-TI :
Métro-TI a développé avec les membres des visions d’«architecture cible»; ainsi
les supra modèles de traitement reflètent bien tout le domaine financier; tout est
développé en commun, les choix technologiques sont effectués en commun. La banque
peut y déroger, mais ce n’a jamais été une contrainte; ainsi, quand la Banque D décide
de «développer» au moyen de P.C. d’IBM dans les succursales, tout est conforme au
modèle d’architecture centrale.
À l’intérieur de la banque, il y a une vision partagée sur la décentralisation de la
responsabilité des systèmes. La banque a deux grands types de besoins : 1. les systèmes
opérationnels pour fabriquer les produits et 2. une informatique de gestion pour suivre,
Espaces de la stratégie et TI 222
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analyser, décider. Ce deuxième type de besoin est de plus en plus criant et pas très
développé :
Les pressions sur les coûts, le contexte économique difficile mais surtout le
décloisonnement et la recherche d'un comportement stratégique local - au niveau de la
succursale - entraînent les organisations observées dans des changements culturels et
structurels. L'essentiel des modifications de structure est encore à venir. Si la Banque
de l'Est a entrepris, dès l'automne 1991, de mettre en place une structure régionale qui
rapproche la succursale d'un lieu de décision stratégique, la Banque Mutuelle envisage
encore différentes options pour restructurer son niveau de management d'entreprise.
Nous n'avons, durant nos entrevues et nos rencontres et échanges, pu qu'identifier ce
besoin de restructuration.
une solution indéniable, mais le FCC concerne les usagers, déjà ensevelis sous les
rapports de gestion; ils veulent s'assurer que l'approche, cette fois, est conçue pour eux,
en fonction de leurs besoins et de leur façon de travailler. Ici encore l'informaticien
écope :
- «Je dirais qu'au siège social, ce qui va rester - parce qu'il va rester
vraiment tout le traitement - il va rester beaucoup, avec un nouveau style de
gestion.
Espaces de la stratégie et TI 226
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- «Si on voulait être une banque qui est capable de gérer ses affaires, ça
fait que là, la maturité commence à... dans ce sens là commence à s'éveiller, parce
que jusqu'à tout récemment, l'informatique relevait directement du président,
monsieur XXX, pendant deux ans. Donc ça a été très bien ça. Dans le sens où
tous ces outils là ont pu être montés au comité d'administration de la banque sur
une base régulière pour présenter des dossiers sur la concurrence, la stratégie, sur
les issues sur des solutions à des problèmes d'affaires. Donc, on est vu comme un
partenaire et pas comme un boulet jusqu'à un certain point même si ça coûte cher
(rire) ça coûte cher, on y arrive... ».
- «Le dossier client succursale dans mon sens à nous... c'est que va
devenir...va devenir primordial dans les cinq prochaines années. La banque est la
seule institution qui n'a pas un dossier client (FCC) actuellement.
C'est la seule à ma connaissance. La Banque AAA vient de partir le sien,
la Banque CCC en a déjà un depuis longtemps parce que c'est moi qui ai implanté
leur système... alors je sais comment il est fait. Mais la banque n'en a pas. Elle
n'en a pas pour deux... pour quelles raisons qu'elle n'en a pas? C'est
premièrement, c'est comme je vous dis, c'est que chaque succursale ne veut pas
partager ses données avec la succursale voisine».
Dans le cas du FCC, la fonction marketing et les succursales sont les premières à
être concernées par le potentiel nouveau de l'application. L'application FCC va
transformer la pratique de la vente en succursale tout autant que l'approche
traditionnelle de la fonction marketing. Un informateur nous parle de micromarketing
réalisé à l'aide du FCC :
Le FCC issu des efforts de la centrale rend obsolètes les efforts de développement
- souvent réalisés «en cachette» de l'informatique52. La mise en route de l'application
FCC est aussi la mise en route d'un nouveau partenariat entre le marketing et
l'informatique.
C'est plus difficile de favoriser la vente croisée quand il faut tu changes le gars de
bureau pour passer du prêt hypothécaire au prêt personnel.
Puis le gars qui s'occupe des prêts hypothécaires ça va lui tenter moins de
lui vendre d'autres choses si tu lui dis «vous autres vous vendez de tout».
Mais là attention, c'est toute une autre histoire».
Espaces de la stratégie et TI 233
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En comparant les réponses aux questions 1,1 (l'historique du dossier des guichets
automatiques) et 1,2 (l'historique du fichier central client) nous constatons une première
Espaces de la stratégie et TI 235
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différence. Alors que les processus stratégiques identifient un peu plus du tiers des
vignettes de la première question, ces mêmes processus identifient trois quarts des vignettes
du dossier du fichier central client. Est-ce parce que le dossier du FCC n'est pas arrivé au
même stade de mise en oeuvre que le dossier des guichets? Parce qu'il lui est postérieur
(le FCC est très récent)? Sans doute. Mais nous observons aussi que les vignettes
narratives qui identifient des intentions stratégiques sont peu fréquentes autour du FCC
(13% contre 38% pour les guichets).
Il semble que nous entrons dans des dimensions stratégiques plus complexes et
plus ambiguës que dans le cas du guichet automatique. C'est pour cela que nous
opposons la forme de l'automatisation à la forme de la représentation de la TI. À
l'intérieur des questions qui concernent le FCC, l'intention de réduire les coûts est à peu
près inexistante.
Nos informateurs envisagent le FCC comme un dossier technologique qui
permettra à leur organisation respective de compétitionner dans le secteur décloisonné
des services bancaires et financiers en connaissant bien leur clientèle et en modifiant
leur façon traditionnelle de travailler.
- «Notre objectif c'est d'avoir beaucoup plus que deux ou trois produits
par client.
La moyenne est à peu près autour de ça. On peut vous vendre
l'assurance, on peut vous vendre n'importe quoi...on a le droit de tout faire. On
Espaces de la stratégie et TI 236
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peut s'occuper de faire votre testament...tout. Ça fait que le milieu bancaire est en
train de devenir plus un milieu financier. Puis je pense que l'avènement du
fichier central client chez nous va nous aider beaucoup.
- Ça va être une base de données intégrée...
- C'est une base... C'est une fortune à mettre. La fortune, c'est très petit
du côté développement c'est vraiment sur le déploiement, les équipements... les
utilisations, des softwares. Ça fait qu'on travaille très fort à... On a poussé sur
la banque pour arriver où on est aujourd'hui et là gens de marketing réalisent, les
gens de produits réalisent ce qu'ils ont dans les mains».
Tant pour les banques que pour les caisses d'épargne et de crédit, le particulier
est devenu la source principale de la rentabilité. Les choix faits en faveur des
particuliers semblent irréversibles; même les banques à charte, plus orientées vers les
activités commerciales, se sont mises à soigner leurs clients particuliers :
Mais à quel client vendre un REÉR? À qui la marge de crédit? L'hypothèque? Qui
a besoin des services de courtage? Qui achèterait une assurance auto? Qui
«marcherait» dans une offre mixte? Une démarche pro-active doit partir
nécessairement d'une connaissance scientifique - autant que possible - du marché.
La propriété
favorisée. Actuellement, chacune des banques observées possède son propre centre de
traitement et emploie des centaines (plus de mille pour les plus grandes)
d'informaticiens. Les coûts de ces centrales informatiques se chiffrent annuellement à
au moins 200 millions de dollars annuellement pour les grandes banques.
Tout en restant dans la forme de la propriété de la ressource, la «microtisation»
(la migration des applications sur des micro-ordinateurs ou downsizing) est envisagée
par toutes les banques observées et mise en oeuvre plus ou moins rapidement. Ce choix
s'est effectué partout contre la politique traditionnelle de la centrale informatique, et, là
où elles le pouvaient, ce sont parfois les succursales qui ont donné le signal :
- «Alors, ce qui est arrivé parce qu'on a commencé à les rationaliser, tout
à coup on s'est rendu compte...alors qu'on pensait qu'on était bien correct...tollé!
tollé!...là on se rend compte que les succursales ont développé des trucs. N'ayant
pas ce qu'elles voulaient, elles utilisaient certains rapports qu'on croyait utile pour
tel genre de choses et faisaient des croisements d'un rapport à un autre.
- En fonction des besoins il y a des succursales qui sont également
équipées en informatique, qui se sont faits développer une application qui
ressemble au FCC, qui n'est pas parfaite parce qu'elle n'est pas reliée à la centrale,
et qui ont présenté ça aux autres succursales.
Et c'est là quand on a vu ça, qu'on a dit «il faut réagir et vite». Là, la
décision de décentraliser s'est prise».
Le partenariat
Le réseau
- «Je dirais qu'on a un certain avantage compétitif qui a été payant dans
le temps et qu'on a perdu avec la technocratie..., je m'égare un peu...avec l'appareil
technocratique, l'avantage compétitif qui est d'avoir des entreprises autonomes
avec des entrepreneurs. Beaucoup de succursales profitent des entrepreneurs. Ici
c'est que la banque ne peut pas. L'appareil technocratique, la normalisation,
l'informatique ça a entraîné la normalisation...bon ...les stratégies qui viennent du
haut...on attend. Actuellement on veut changer ça...de revenir un peu à l'ordre
des choses».
C'est au cours des années 80 - seulement - que s'installent dans les états-majors
les équipes et les systèmes de veille systématique de la concurrence et de la technologie
:
Le côté très formel et non stratégique des informations peut conduire à l'échec :
- «On avait dans les années précédentes, à peu près, 4 ans de ça, on allait
chez la firme X, on leur donnait les bandes de données et puis eux autres, ils
manipulaient tout ça et finalement ils imprimaient des cartons qui étaient envoyés
dans les succursales. Le directeur de succursale, il reçoit une espèce de grosse boîte
qui rentre un matin, dans ça tu as tous les clients sur des cartons dans l'ordre
alphabétique, dessus tu as les services qui ont, ceux qu'ils n'ont pas... Là, tu
travailles avec ça. La plupart des gens, jamais ils regardaient ça. Ils la laissaient
là...».
Espaces de la stratégie et TI 241
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- «À ce moment là, dans les années 83, on a commencé à mettre sur pied
la planification stratégique. À mettre sur pied le secteur marketing et
tranquillement pas vite l'information de gestion est devenue comme une nécessité.
Elle est devenue comme un moyen. (On a vu) comment l'informatique ne répond
pas à nos besoins en tant qu'information de gestion. ... Chez nous l'informatique
les quinze premières années, les dix premières années elle a été tout simplement....
- ...transactionnelle.
- ...transactionnelle. Mais pas du tout, c'était pas du tout de l'information
pour les gens qui analysaient les phénomènes dans le sens où on n'avait pas les
informations requises pour voir ce qui se passait sur le terrain. L'information
n'était pas faite pour ça».
Nos observations nous amènent à penser que l'espace vide qui a éclaté - le lien
entrepreneurial informatique/sommet stratégique - se recompose au sommet mais cette
fois sans l'informatique. Certaines des organisations observées n'ont pas de «staff» de
planification stratégique parce qu'elles ne croient pas dans ce concept.
Toutes nos organisations, tant du côté des affaires que de l'informatique, sont
concernées par cette stratégie-programme de la qualité : meilleure qualité des
applications et des services informatiques surveillée par un directeur de la qualité,
confrontation des états-majors à un support de qualité aux unités opérationnelles,
service de qualité à offrir aux clients en succursales.
- «Je vais vous donner une idée de vers quoi on s'en va. La notion de
qualité...je ne parle pas de contrôle de qualité...la qualité devient une fonction. ...
Il faut instaurer la notion de qualité dans notre pensée de l'informatique. D'avoir
une mission de stabilité sur les systèmes à tous les jours, c'est bien beau mais
quand ça ne «monte» pas, c'est parce que j'ai un problème. Si j'ai un problème
c'est parce que ça été mal opéré, ou ça été mal développé, ou ça été mal
architecturé. Donc, il faut instaurer la notion de qualité, pas juste aux gens qui
sont en développement, mais à partir du moment où on prend une décision de faire
de quoi. Les Japonais, s'ils font des bonnes voitures, c'est parce qu'ils les pensent
comme du monde avant! ».
Les entrevues en profondeur, celles qui ont été enregistrées et transcrites, ont
opposé deux situations : soit qu'on dise ne pas pratiquer formellement la planification,
soit qu'on laisse entendre que tout le monde fait de la planification mais aussi que
personne n'est vraiment tenu de la mettre en oeuvre.
Quelle que soit la forme juridique de l'entreprise, le constat des informateurs est
identique : au sommet, pas ou plus question de se laisser porter par la planification
stratégique. Au contraire, les gestionnaires rencontrés veulent «donner de l'oxygène» à
Espaces de la stratégie et TI 243
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l'organisation - ce qui veut dire laisser agir les succursales -, ils ou elles veulent faire de
la planification une «action créatrice», ils ou elles veulent bâtir une organisation axée
sur l'information pour permettre l'action. Beaucoup soulignent le rôle clé joué par le
temps : temps de réponse aux signaux du marché, temps d'adaptation, temps de
développement de nouveaux produits.
Nos informateurs-trices sont ainsi en accord avec la notion de planification pour
l'auto-renouvellement («self-renewal planning») tel que décrite par Chakravarthy (1984)
: cesser de compter sur les modèles analytiques et les rituels de la planification,
promouvoir la collaboration et compter sur ses propres forces; mais aussi, adopter un
focus plus serré en terme de produit-marché, segmenter en fonction des forces uniques
de l'entreprise, investir peu dans la recherche et développement et utiliser des managers
de première force.
Depuis quelques années, les banques ont des plans d'informatique serrés et
bâtissent de nouvelles structures pour l'informatique tout en contenant ou en faisant
«fondre» les ressources qu'elle utilise. La sous-traitance est maintenant considérée par
toutes les banques observées pour contenir les coûts.
Espaces de la stratégie et TI 244
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- «Quand vous avez plus de deux millions et demi de clients dans votre
fichier, ça prend des grosses centrales. Ça prend une capacité de disques
extraordinaire. Là, les gens de marketing sont les seuls à l'utiliser. Comme ils
pouvaient avoir accès à nos ordinateurs, soit par des transactions, des travaux
qu'ils lançaient, on les a mis sur un ordinateur à part qui est le centre de
l'information.»
Les grandes banques et coopératives de crédit vivent cette intégration dans les
deux dimensions horizontale et verticale. Horizontalement, l'état-major doit devenir
véritablement interdisciplinaire, organisé en fonction de couples produits/marchés;
verticalement, il s'agit d'améliorer la communication et les mécanismes de coordination
entre la base opérationnelle et le sommet.
Espaces de la stratégie et TI 246
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Le code qui revient le plus dans les entrevues pour désigner la dimension
instrumentale de l'espace programmatique est celui de la formation ou des programmes
de formation.
Les moyens d'agir changent; des choix sont à faire en fonction de ressources plus
rares. Là où c'est possible, le processus de planification fonctionne, comme en
informatique :
- «C'est bien le fun tu sais, on en met deux fois plus (de guichets
automatiques), 10 millions! Mais si on met 10 millions là, on ne peut pas mettre
de P.C. dans les succursales. On ne peut pas déployer, tout implanter, donc il y a
des choix. Il y a des choix, très, très critiques, parce que là, dans notre plan
stratégique, on a essayé de donner des dimensions à ça. On dit exemple, ce qui est
le plus important, c'est l'efficience des opérations dans les succursales? Est-ce la
qualité du service à la clientèle ? Ou le développement des affaires ? C'est dans
quelle séquence qu'on doit le faire : t'es dans quoi? Et par où on commence? ».
Espaces de la stratégie et TI 249
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pour permettre un travail plus flexible. Vingt années d'ancienneté ne donnent plus le
privilège d'être le ou la spécialiste des prêts hypothécaires :
- «C'est entendu que la personne qui elle, bon ça fait 20 ans qu'elle est là,
puis elle a commencé aux dépôts, puis ça il n'y a pris 10 ans pour arriver aux prêts
personnels puis un autre 5 ans pour arriver aux prêts hypothécaires. Puis là, elle
est rendue là, ça fait rien qu'un an, puis toi t'arrives puis tu lui dis «ça existe
plus, vous vendez de tout». Elle a bien de la misère à avaler ça. Mais c'est...le défi
c'est de mettre en place justement le programme de communication puis de
formation adéquat pour....pour former les gens justement puis les faire embarquer
dans ce nouveau mode de fonctionnement là et le faire sans laisser d'ambiguïté
puis sans laisser les gens devenir froissés de ça.
- On est dans ce bouillonnement là actuellement. Ça modifie carrément la
répartition des responsabilités puis la hiérarchie plus ou moins informelle qui peut
exister à travers ces répartitions là dans les succursales dans la mesure ou...avant
bien parce qu'on avait pas d'outils pour supporter nos ventes. On avait des gens
qui étaient experts par produit. Puis là, on fait promener notre monde. Si tu veux
une hypothèque va voir le gars d'hypothèque, si tu veux un prêt personnel va voir
le gars du prêt personnel. Là, on dit on veut plus de monde, ils vendent de tout,
puis on veut justement favoriser la vente croisée. C'est plus difficile de favoriser la
vente croisée quand il faut tu changes de gars de bureau pour passer du prêt
hypothécaire au prêt personnel».
- «On a trituré la mode de la qualité totale et la preuve est à faire avec les
mêmes gens, les mêmes idées, la même formation, les mêmes oeillères qu'on va
obtenir une fécondation différente... si on leur donne les moyens et qu'ils sont
sérieux!».
Tous les outils pour reprogrammer les actions dans la succursale sont
développés au siège social ou au bureau chef. Quelques grosses succursales jouent bien
avec l'idée de se fournir elles-mêmes de logiciels ou de programmes de formation, mais
l'effort des sièges sociaux est patent pour instrumenter le nouvel espace
programmatique. Un des exemples de ce souci du siège social est la création d'un FCC
local pour la succursale et la mise en place d'une plate-forme informatisée de vente.
des gens qui sont «line». Et lorsqu'on vient de donner aux gens «line» presque des
outils de travail que les gens «staff» ont à leur disposition. Là, on vient de parfaire
ce que j'appelle moi un transfert d'expertise.
- Pour rapprocher la solution du problème?
- Et avec un support naturellement des bureaux chef qui seront toujours
là finalement pour supporter les succursales et très, très vite, à mon avis, la
succursale va aller très, très loin à ce moment là. Et je serais pas surpris moi de
voir dans certaines succursales les directeurs du marketing, la fonction marketing,
la fonction vente sous leur responsabilité».
Espaces de la stratégie et TI 252
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- Non...là le défi est très différent. Le focus est à la bonne place pour
absorber puis bien exploiter ces outils-là. C'est justement plus cette nouvelle
orientation là qui a été... on a vu cette orientation-là puis on a dit
technologiquement, c'est elle le meilleur support qu'on puisse donner à cette
direction là que la banque nous a donnée et c'est ça qui a donné naissance à la
conception puis au développement de ces outils-là. C'est en support à ce
changement d'orientation puis de philosophie-là que ce programme là a vu le jour,
puis a été évidemment immédiatement acheté par l'organisation compte tenu de
l'orientation qu'on voulait prendre. Mais là, le défi auquel on fait face c'est
véritablement un défi de déploiement, de formation, de démystification, de... Lui
(ce défi) amène nécessairement une réflexion profonde à revoir complètement la
façon dont on distribue nos produits. Physiquement, ça va jusqu'à l'agencement
physique des succursales en terme de postes de travail, en terme de caisses....un
comptoir, a-t-on encore besoin d'un comptoir?».
marquer des points dans la vente d'assurances aussi bien que dans la vente
d'hypothèques.
L'offre de services conseil va exiger la réorganisation de la succursale au profit
des nouvelles activités de conseil qui devront bénéficier, avec les opérations courantes,
d'un environnement bureautique évolué et de nouvelles applications de type système
expert. La gestion des données a généré et génère encore beaucoup de problèmes sur
les ordinateurs centraux où les systèmes d'information ont été développés par produit.
L'approche client a conduit les informaticiens à mettre au point des plates-formes
«spaghetti», selon leur propre expression, tant l'adaptation aux nouveaux systèmes
d'information est mal supportée par l'ancienne technologie de la gestion des données. Il
y a ainsi changement d'outils informatiques aussi bien que d'outils de gestion.
L'initiative des succursales est applaudie; les directeurs de succursales doivent être des
entrepreneurs; la formation du personnel et son orientation vers la vente est accélérée,
une fonction marketing en oeuvre au sein même de la succursale est encouragée pour
les plus grosses succursales.
La théorie qui guide cette configuration mixte n'est plus la monnaie plastique ou
la banque de demain, c'est le «fit», réalisé localement, de la structure de la succursale,
du marché local et de la stratégie produit/marché.
La configuration est complexe et mouvante : elle concerne de façon inégale les
succursales et elle n'est pas toujours clairement soutenue par les ressources et la
légitimité du sommet. Cette configuration mixte crée de l'incertitude et de l'ambiguïté :
en son coeur, il n'y a plus de solution technologique toute prête comme le guichet
automatique, il y a seulement des données qui attendent, cette fois, une technologie de
l'organisation.
Figure 6.1.
Espaces de la stratégie et TI 255
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Axe principal de
la gestion de la
TI pour PRÉSIDENT
PLAN IFIC ATION
STRA TÉGIQUE
la représentation
V-P
V-P MA RKETING V-P FIN ANC ES V-P OPÉR ATIONS
IN FORMATIQUE
CLIEN TS
Le
fichier client intégré et l'espace programmatique
Nous allons voir ci-dessous comment la performance des dossiers des guichets
automatiques et du FCC est comprise différemment selon qu'il s'agit d'automatisation
(voir le chapitre 5 et l'annexe D) ou de représentation (voir ce chapitre 6 et l'annexe E).
Espaces de la stratégie et TI 256
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Figure 6.3.
clients
f iliales
légitimité
marchés plate-f orme intégrée
outils
concurrents
théories
produits
f ournisseurs
solutions de la technologie
de l'inf ormation pour
espace v ide l'automatisation
processus espace programmatique la représentation
culture espace habité l'interaction
organisation
stratégie
Le
modèle de la configuration de l'interface
Comme nous l'avons déjà observé, l'espace vide se transforme sous la pression
des relations latérales qui sont forcées par le sommet et par la nouvelle intégration
verticale. Les nouvelles relations que l'informatique doit développer avec le marketing
reprogramment l'espace de représentation des informaticiens : ils y perdent de la
légitimité.
Les informaticiens ont dû laisser aller des responsabilités dans le domaine de la
conception et gestion de produits, la gestion des guichets et des TPV, la définition des
besoins... pour se concentrer sur les infrastructures, les plates-formes, et les
télécommunications.
Une autre raison à la transformation de l'espace vide vient des pressions
effectuées par les succursales qui développeent des comportements stratégiques locaux.
Conclusion
Une partie de nos informateurs soulignent la réduction des coûts comme étant la
contribution à la performance des guichets automatiques. Cette réponse est cohérente
avec Parker et Benson (1988) : comme la TI en général, les guichets automatiques ont
été justifiés par un retour important sur l'investissement par la suppression d'emplois
(ce qui ne s'est pas avéré exact dans les entreprises observées) et l'accélération les
transactions et les opérations.
Mais une autre réponse nous est souvent apportée : les guichets automatiques
coûtent cher aux banques. S'ils divisent par deux ou trois le coût d'une transaction, ils
multiplient également par deux ou trois le nombre des transactions de base effectuées
par le client. Les guichets automatiques n'ont pas réussi, au Québec, à faire faire par le
client les opérations courantes qu'il faisait auparavant au comptoir. La contribution du
guichet automatique à la performance se situe actuellement, pour ces managers, en
terme de positionnement, géographique et technologique, à travers une offre de
services courants automatisés et des services conseil personnalisés.
réagir de façon cohérente au niveau d'une région et fixer des priorités en fonction de la
situation régionale.
Toutes les entrevues formelles, les entrevues de contrôle et nos observations sur
le terrain témoignent de nombreuses réserves face à la construction de ce nouvel espace
programmatique. Les décideurs semblent ne pas concevoir qu'avec les nouveaux outils
doit venir une légitimité renforcée pour tous ceux et celles qui doivent, à leur niveau,
formuler et mettre en oeuvre la stratégie. De la même manière, la réflexion théorique
sur le positionnement à réaliser sur le marché semble évoluer difficilement. Le
directeur de succursale peut difficilement penser ses propres objectifs sans questionner
les objectifs de la banque.
Un troisième type d'espace de la stratégie, l'espace habité, suscite des options
nouvelles pour tout ce qui concerne la légitimité et la théorie sur la stratégie. C'est ce
que nous abordons dans le chapitre sept.
Espaces de la stratégie et TI 260
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Espaces de la stratégie et TI 261
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Introduction
Au tout début des années 80, l'informatique n'est qu'une unité de support tandis
que la fonction marketing est encore absente de l'organigramme de la Banque (figure
7.1.).
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Figure 7.1.
Figure 7.2.
Figure 7.3.
régions. On utilise donc des analyses plus fines pour comprendre les attitudes des
consommateurs; on fonctionne avec des enquêtes téléphoniques; on dispose de données
sur les parts de marché et sur la perception des consommateurs... Le plan triénnal
1988-1990 prévoit des investissements de 100 millions de $ qui seront en grande partie
consacrés à la mise en disponibilité de nouveaux services et produits distribués par les
réseaux de télécommunication (les réseaux de transport des données et de la voix53
seront intégrés dans un seul réseau principal) pour permettre le décloisonnement (par
exemple, les échanges succursales - filiale spécialisée dans l'assurance-vie), le paiement
direct, la télématique, la télé-trésorerie, le courrier électronique et la disponibilité du
SAS en direct et en tout temps. En 1988, plus d'un million de détenteurs de la carte
client - qui fait aussi office de carte de débit - effectuent 35 millions de transactions aux
500 guichets automatiques de la Banque Mutuelle.
Le décloisonnement des produits et services représente le défi actuel des
institutions financières canadiennes, et comme le soutient le président de la Banque
Mutuelle : .
En 1989, la Banque Mutuelle se restructure en trois grandes sociétés de
portefeuille. Plus 3 500 personnes sont consultées en vue d'élaborer la planification
stratégique 1990-1992.
Figure 7.5.
En 1990, avec 2 260 employés au siège social, se posent de façon plus aiguë le
problème de coûts de structure de la Banque Mutuelle. Le conseil d’administration
décrète le gel des effectifs à l’échelle de l’organisation; la position du conseil est de
désinvestir dans les activités de convenance et de ne pas investir dans de nouvelles compétences
en conseil financier.
En 1990, la technologie est reconnue comme un support aux priorités
stratégiques de la Banque Mutuelle : . En vingt ans, de 1967 à 1987, la Banque Mutuelle
a atteint un niveau de un milliard de transactions par année mais de 1987 à 1992, ce
53Le réseau téléphonique comprend au début de 1988 plus de 5 000 lignes reliant au-delà de 17 000 postes à
travers le Québec.
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Figure 7.6.
-
L'organigramme de la banque au début des années 90
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Dans un contexte de récession, la Banque Mutuelle veut réduire ses coûts; les
héros de l’heure sont ceux qui réduisent les coûts à court terme. Le risque étant qu’à la
reprise économique, l’entreprise soit démunie du côté des technologies.
Rapidement 32 postes de direction sont abolis et remplacés par 6 postes. Le
niveau corporatif se réorganise autour d’unités de produits/services; ainsi il n’y a plus
de fonctions marketing ou finance comme telles mais bien des unités de service aux
particuliers (marketing et vente, suivi des opérations et tarification), service aux
entreprises, service à la gestion (ressources humaines, qualité de service, formation,
immeubles), services automatisés et service de gestion des implantations.
La vice-présidence et la fonction informatique occupent une position moins
centrale que dans les années 1980 : le V-P informatique devient un fournisseur de
services à la vice-présidence réseau. Le personnel de l’informatique est invité à faire de
la réalisation plutôt que de l’analyse des besoins, ce qui se traduit par une attrition de
140 postes sur 840. Ainsi c’est le V-P réseau qui fait, en 1992, une offre de service aux
régions concernant l’informatique.
La première vice-présidence insuffle un grand projet qualité dans l’organisation.
Ce projet part d’un constat : il y a trop de technocratie à tous les niveaux, il faut
rechercher un rapport plus organique avec les succursales. Le contexte des années 1990
est différent. Le quasi-monopole est terminé. Le fonctionnement du siège de la Banque
Mutuelle et des régions doit être repensé; les succursales questionnent continuellement
les coûts des services qui leur sont offerts. Le sommet stratégique compare les coûts de
fonctionnement de l’organisation à ceux d’une banque qui aurait une taille équivalente :
les résultats questionnent sérieusement la technocratie qui s’est développée au cours
des années.
Pour un cadre supérieur : . Les résultats de l'informatique sont souvent
questionnés en assemblée annuelle : .
Au sommet, les années à venir sont remplies d’incertitude. Maintenant que les
décisions concernant la structure sont prises, la perception est que le pilotage se fait à
très court terme et que des changements sont encore à venir. Le début des années 90, ce
sont des années de gel budgétaire, et de gel des emplois tant au siège social que dans
les succursales; un gel également de la fonction recherche et développement, comme le
précise un cadre : . Pour contrôler ses coûts l’organisation mise sur un taux croissant
d’utilisation des services automatisés.
En 1992, avec 52 milliards $ d'actifs et plus de mille succursales, la Banque
Mutuelle compte 1 062 guichets, 7 000 terminaux et 14 500 TPV. Après une quinzaine
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Une corporation, la TI-Banque Mutuelle, a été créée en 1981 pour offrir des
services de traitement informatique aux différentes composantes du Banque Mutuelle.
La corporation gère un vaste réseau de télécommunications raccordé à une centrale
informatique de grande capacité.
En 1983, les revenus de la corporation sont de près de 55 millions de $; elle
emploie 230 personnes; les dépôts ou retraits directs ainsi que les opérations aux
guichets automatiques comptent chacun pour cinq millions de transactions.
Une autre corporation, la TI-crédit Mutuelle, est responsable du fonctionnement
global des opérations de la carte de crédit. En 1983, 17 500 marchands ont adhéré à
cette carte. La TI-crédit compte 325 employés; le nombre de transactions s'établit à 12
millions et demi pour cette année.
En 1984, les revenus de la TI-Banque Mutuelle sont plus de 64 millions de $;
quatre ordinateurs de grande puissance sont ajoutés à la centrale. Les opérations
entièrement automatisées (dépôts ou retraits directs et guichets automatiques) montent
à plus de 17 millions contre 10 millions l'année précédente.
En février 1985, la filiale TI-crédit lance officiellement le terminal au point de
vente (TPV), utilisé cette même année par 1 200 marchands - d'abord comme terminal
de validation, tandis que 19 800 marchands adhèrent à la carte de la carte de crédit de la
Banque Mutuelle. En 1986, la TI-crédit compte 351 employés et le nombre de TPV
dépasse les 3 000.
L'autre corporation technologique, la TI-Banque Mutuelle, est intégrée à la
Banque Mutuelle. Elle devient la . En 1987, le nombre de TPV approche les 4 500 unités
installées chez les marchands.
L'architecture des grands réseaux relève de la Première vice-présidence Gestion
de l'information et réseaux. Sa raison d'être est d'assurer à la Banque Mutuelle la
disposition d'une technologie de pointe pour offrir aux membres des produits et
services compétitifs de qualité aux moindres coûts.
L'envergure de cette première vice-présidence Gestion de l'information et
réseaux est importante. En 1988, elle représente 700 employés (44 % de l'effectif de la
Banque Mutuelle) et son budget est de 129 M $ (65 % du budget total de la Banque
Mutuelle). La vice-présidence Gestion de l'information et réseaux se structure en trois
vice-présidences : la vice-présidence Évolution des systèmes de paiement, la vice-
présidence Développement et la vice-présidence Traitement.
La V-P Évolution des systèmes de paiement assure une planification intégrée des
plans directeurs et opérationnels, la coordination de leur réalisation, et leurs cohésion et
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Au niveau du siège social, les fonctions Inspection et Systèmes étaient les deux
fonctions clés. Mais dans les faits, la balance du pouvoir penchait irrésistiblement du
côté des Systèmes. Surtout dans les années 1985-1990 qui furent une période de très
grande croissance pour la fonction informatique. Au début des années 1990, les
autorités en place ont convenu de minimiser cette puissance de l’informatique; il fallut
donc défaire ce qui était en place. L’informatique ne correspond plus, après 1990, qu'à
l’activité de réalisation, de codage alors que c’est la vice-présidence réseau qui parle aux
clients internes : c’est la vice-présidence réseau qui définit les besoins des régions et des
succursales.
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suivre rapidement les besoins... s’il faut de nouveaux services, il permettra de rendre
disponible la plupart d’entre eux en quelques jours...
Le projet CIS ne se réalisera jamais. Après deux ans, les fonctionnalités avaient
peu évolué et la question de l’évolution de la centrale était devenue criante. C’est le
retour à la raison des informaticiens : . Un consultant ajoute : .
En 1985-86 une équipe d'informaticiens consultants s'attèle à la refonte technique
transactionnelle avec l'implantation du logiciel d'IBM, IMS; la refonte est uniquement
technologique, c’est une montée en puissance et la réalisation d’un certain
décloisonnement technique.
À cette période, dans un contexte de décloisonnement, le Fichier Central Client
(FCC) devient souhaitable. Mais les progrès sont lents pour de multiples raisons. En
1986, les responsables de la Banque Mutuelle constatent : . La firme Digital avait des
applications là-dessus, les succursales les avaient vues en démonstration et les gens de
marketing parlaient d’une gestion intégrée du dossier client pour pouvoir travailler par
segment de marché. Mais travailler à un dossier client à partir d'applications
cloisonnées et en l'absence d'une base de données relationnelle relève de l'architecture .
-
- Et s'en servir.
- Alors que les mille autres elles [les succursales] ne veulent même pas
rentrer d'informations. Alors même si on avait pensé à un fichier client centralisé
et compte tenu que c'est eux nos patrons elles ont dit ...alors elles ne les donnent
pas... alors on leur a dit on ne la donne pas c'est inutile de monter des
systèmes au coût que ça représente pour une partie seulement . Donc il est
préférable à ce moment là plutôt de décentraliser cette partie, si on veut, qui est
propre à la succursale et de la faire exploiter par la succursale d'une façon rentable.
Alors c'est inutile de faire rentrer un tas d'informations. /.../ Alors c'est
impossible de trouver un consensus. Donc ce qu'on a fait, on en a fait une partie
centrale celle sur laquelle tout le monde est d'accord et l'autre partie on l'a
décentralisée puis on a dit à la succursale .
Cette réalité d'une autonomie locale défait bien des plans au sein de
l'informatique centrale. Mais après coup, ayant bien considéré les changements
organisationnels que suppose l'exploitation performante du FCC par une succursale ou
une succursale, les responsables se demandent si le bon choix n'est pas finalement la
décentralisation complète des données grâce aux micro-technologies (serveur et réseau
locaux). Cette approche exige que la succursale dispose - pour pratiquer la vente
croisée de produits et services financiers - de toutes les données localement, y compris
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celles qui se trouvent chez les filiales de l'ensemble coopératif : surtout sociétés
d'assurance générale et d'assurance-vie et de fiducie.
De gros travaux d’architecture sont entrepris par un groupe qui comptera près
de 50 personnes; finalement ce groupe Architecture sera aboli par la vice-présidence
Systèmes alors que les du nouveau noyau SAS 2000 restent à construire.
Qu'est-ce que cette nouvelle refonte, SAS 2000? En 1990, il y avait du rattrapage à
faire : il y avait 5 ans d’attente sur certains produits et tout le système était à refaire dans
son ensemble pour travailler efficacement en temps réel et décentraliser la gestion des
données. De 1985 à 1987, l'informatique avait travaillé à la révision du système en
direct; de 1987 à 1989 les grands dossiers concernaient de nouveaux produits comme le
compte à rendement croissant, les marges de crédit, le paiement direct et le nouveau
système comptable. La refonte qui s'initie en 1989 (le projet SAS 2000) suppose la
révision de l'ensemble du système informatique et la mise en place des infrastructures
nécessaires à l'évolution des succursales pour les dix prochaines années. Il s'agit de
permettre aux succursales de réaliser une offre pro-active de services à leurs membres
dans un contexte de relations d'affaires plus spécialisées.
Le projet SAS 2000 rendra disponible une plate-forme centrale et laissera les
régions faire le développement d’applications locales; en plus le siège social aura
dessiné l’infrastructure de communications.
Le projet SAS 2000 comprend deux grandes parties importantes : l'axe central et
l'axe local.
L'axe central comprend cinq grands projets d'infrastructure. Le premier projet
vise la simplification des programmes et l'élimination de la duplication de certaines
bases de données. En plus d'une redondance des données, la technologie des années
1990 imposait le traitement en double de toutes les opérations : en direct et en différé.
Dorénavant, toules transactions s'effectueront en temps réel (avec comme conséquence
immédiate que toute transaction devient effective au moment de son exécution), ce qui
est une étape clé pour permettre d'autres développements. D'autres améliorations
apportées à la plate-forme centrale concernent la mise en place d'un support
technologique pour le décloisonnement : des liens électroniques seront ainsi établis
entre la centrale et les sociétés filiales. Enfin le projet permettra l'accès à des bases de
données comparatives et aux statistiques d'opérations et le projet vise la rationalisation
de la distribution et des coûts des rapports.
Les grands projets fonctionnels consistent dans l'établissement des liens entre les
comptes d'un client pour obtenir son profil financier local par succursale, et ce en une
seule opération sur le terminal. Les succursales pourront par la suite développer des
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applications pour compléter l'information sur le client, établir des liens entre ceux-ci et
automatiser la demande d'adhésion et la demande d'emprunt. Un autre projet vise
l'introduction de nouveaux services, la révision des services existants, la
personnalisation des services et leur tarification. D'autres projets vont permettre
d'ajuster les caractéristiques des produits et des services pour personnaliser une offre de
services.
L'axe local est la grande nouveauté des années 1990. Il rejoint par son ambition
de décentralisation et d'autonomie locale l'esprit de la refonte - non réalisée - des années
1982-83.
Le projet SAS local permet aux succursales de gérer l'ensemble du processus
concernant les applications locales et les équipements requis54. La base de données
locale sera mise à jour quotidiennement par la centrale; l'interaction avec les
applications développées dans les régions sera également possible.
Les investissements dans le SRC local doivent être effectués par les succursales et
il leur restera la responsabilité de mettre en place les conditions de réussite du SAS
local : mobilisation du personnel, formation des employés, identification des
informations requises pour connaître le client, réorganisation du travail, suivi de la
récupération des bénéfices et contrôle de la qualité de l'information.
La Banque Mutuelle se dirige - si tout se réalise comme prévu - vers une
technologie simple à utiliser, transparente, évolutive, facile à gérer par les usagers. Il ne
saurait plus y être question d'une centralisation du développement ou de l'information,
situation qui prévalait dans le passé.
La structure de fonctionnement de la vice-présidence SAS 2000 est souple, mobile
et composée de six groupes (voir figure 7.8.) qui sont en relation étroite avec les usagers.
La vice-présidence SAS 2000 adopte une structure de type , d'une durée de trois
ans, dans laquelle oeuvrent trois cents spécialistes, répartis en équipes multi-
disciplinaires, dont la composition varie selon les projets. Deux comités représentent
les usagers : le comité aviseur et le comité d'acceptation des systèmes.
Le comité aviseur relève du premier vice-président et se compose de six membres
du CA de la Banque. Ce comité établit les priorités de développement, assure le suivi
des budgets et prend les décisions en rapport avec les orientations de l'entreprise.
54La plate-forme locale est une plate-forme technologique qui comprend les éléments suivants: OS2 EE pour
le serveur; Token Ring pour le réseau local; DBM pour la base de données; DOS Windows pour les postes de travail
moyen de gamme et OS2/PM pour les postes de travail haut de gamme. Un lien direct entre la plate-forme locale et
la plate-forme centrale sera assuré: le contrôleur 4702 ne servira plus d'intermédiaire.
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Figure 7.8.
Réalisation de proje ts
GESTION
PLAN ET
CONTROLE RELATIONS
A CLIENTELE
B
C
CONCEPTION UTILISATEU RS
ESSAIS
Cette vision holistique commence par une façon de percevoir l'information sur l' .
Nous avons demandé à nos informateurs comment ils comprenaient l'utilité d'un
système d'aide à la prise de décision en groupe :
- Et comme on est une entreprise, une banque, c'est très délicat comme
dynamique, c'est très sensible politiquement. Puis en même temps on continue à
vouloir être un réseau intégré, donc à présenter une image de grande entreprise
cohérente. C'est très bien, on a beaucoup de contradictions. Mais il faudrait
quelque chose qui objective et, moi, je vois ça comme ça . On pourrait par la suite
qualifier les chiffres mais au moins [objectiver] l'information et ça c'est
étourdissant.
Par contre, ... au niveau ici [celui du siège social] là... je vois difficilement
comment cela fonctionnerait, parce que n'importe quel scénario qui sortirait
55Manz (1986) insiste sur ce point: un des facteurs importants de motivation est le .Le fait que l'extériorité de
l'identité du sujet par rapport à lui-même soit la condition de l'autonomie est exprimé ainsi par Manz (1986): . Ainsi,
toujours selon Manz, une usine ayant comme devise se signalait par des travailleurs très motivés et engagés; les
organisations japonaises sont connues pour proposer des fins altruistes à leurs employés.
Espaces de la stratégie et TI 279
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devrait être validé, devrait être validé dans le processus démocratique. Donc c'est,
c'est ... ça n'avance à rien.
56Pascale et Athos (1981) retiennent du côté : les habiletés, l'équipe, le style et les grands objectifs (, , , et ),
tandis que du côté , ils retiennent les trois autres de stratégie, structure et système. Nonaka et Johansson (1985)
acceptent, tout en la jugeant insuffisante, cette prémisse de certaines habiletés personnelles qui favorisent un
management à la japonaise. Pour ces derniers auteurs, les doux ne sont pas seuls à caractériser un tel espace
organisationnel. La clé, c'est que ces habiletés font entrer l'environnement dans l'organisation. Un niveau élevé
de partage de l'information sur l'environnement mène à une meilleure qualité de l'information utilisée dans la prise
de décision et à une plus haute capacité de prise de décision. Pour Nonaka et Johansson (1985), les durs sont
impliqués au plus haut point dans l'exercice des habiletés douces.
Espaces de la stratégie et TI 280
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Action autonome, mais action consensuelle. Car c'est le groupe qui agit en se
mettant d'accord sur les moyens de son action.
-
- C'est un long cheminement!
- C'est un long cheminement...bon...pour les succursales urbaines je
pense qu'on va avoir un autre pattern du réseau de distribution, tranquillement
qui va prendre différentes formes, rationalisation soit formelle c'est-à-dire moins
de succursales ou soit des échanges de succursales. Puis c'est un petit peu ça mais
ce n'est pas formalisé comme voie. Il y a des succursales qui se sont ouvertes sur
le marché commercial et il y a des succursales qui se sont données des experts en
crédit commercial et qui tranquillement se spécialisent dans le crédit commercial.
Et d'autres succursales qui tranquillement commencent à faire des ententes avec la
succursale spécialisée.... C'est très formalisé tout en terme d'ententes de services
mais informellement ça se vit. Il y a un réseau autre qui est en train d'émerger».
Dans l'espace habité, le consensus est fondamental et porte concrètement sur des
moyens; dans l'espace programmatique, le consensus porte sur des fins, sur une
mission, mais la mise en oeuvre n'a rien de consensuel, a priori.
Il y a convergence entre les chercheurs qui s'intéressent à la stratégie au-delà de
la conception du (l'espace vide) ou de la programmation de la stratégie (l'espace
programmatique) pour affirmer que la clé, pour créer des comportements stratégiques
autonomes, c'est, avec l'autonomie et l'entrée des informations sur l'environnement
dans l'organisation, la gestion du contexte.
Espaces de la stratégie et TI 281
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- «Donc ce qu'on a fait on en a fait une partie centrale [du fichier central
client], celle sur laquelle tout le monde est d'accord et l'autre partie on l'a
décentralisée puis on a dit à la succursale .
- «C'est, c'est, c'est ça qui est aberrant un peu! Chaque région a son plan
de pénétration, chaque succursale suit le plan ou ne le suit pas. Alors dans certains
cas ça peut paraître très anarchique, mais ils ont une grande capacité de s'adapter
à leur milieu finalement».
Cet espace habité peut paraître souple, flexible, adaptatif par rapport à
l'environnement d'affaire. Mais il est aussi politiquement lourd : là où une banque vit
peu d'enjeux politiques dans la mise en place d'un fichier central client, les luttes autour
de la propriété des données et des applications se développent à travers l'organisation
coopérative.
- «Ça a commencé à peu près en 1988 qu'on a travaillé fort sur ça là. Et
l'idée c'était d'avoir un CIF, un Customer Information File, un fichier client
complet. Et il y a des décisions politiques à prendre dans la Banque Mutuelle
actuellement [pour arriver à développer le CIF]. Les gens sont au (fait) de ça mais
la première, les premières applications vont se faire à l'intérieur d'une succursale.
Espaces de la stratégie et TI 282
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-
- Elles [les succursales] s'entendent sur les taux, sur les, sur des éléments
de... qu'est-ce qu'on fait contre tel ou tel Trust qui vient de partir une campagne?
Elles ont des, des... des rencontres... également sur : est-ce qu'on fait nos petites
campagnes... de recrutement de membres, ou bien qu'est-ce qu'on fait dans
l'habitation. Mais elles s'entendent sur un taux. Donc... elles sont dans un
processus, à mon avis, de stratégie marketing. Effectivement, 4 prises et 5 prises
avec le personnel. Ils se retrouvent souvent 5-6 autour d'une table. Est-ce
qu'elles vont être supportées? Moi je, je vois peut-être un filon là [pour les
systèmes d'aide à la décision de groupe]».
-
- Les succursales le comprennent, les corporations le comprennent. Mais
qui va avoir le contrôle du fichier central?».
Les décideurs de la Banque Mutuelle parviendront-ils à s'entendre sur le
développement d'un fichier central client complété à l'échelle de la banque? Leur façon
de préparer une réponse est proche de ce fameux consensus à la japonaise. Une
vingtaine de vignettes désignent l'aspect théorique de l'espace habité : la recherche du
consensus entre les décideurs; l'émergence de stratégie comme phénomène normal dans
cette configuration et la manifestation d'une idéologie de la participation.
Cependant les vignettes qui décrivent l'espace habité n'excluent pas les espaces
vide et programmatique que nous avons traités dans les chapitres précédents. En fait,
autour des dossiers de la TI déployés massivement les deux ou - dans le cas de la
Banque Mutuelle - les trois types d'espace de la stratégie se retrouvent. Dans le cas de
la Banque Mutuelle, la configuration de pouvoir est complexe : il n'y a plus un seul
leader, mais un collectif de stratèges : les directeurs de succursales, de régions et de
filiales, sans oublier bien sûr le président et les conseils d'administration qui opèrent
aux différents niveaux.
À la différence avec les autres configurations de l'espace vide et de l'espace
programmatique, l'espace habité n'offre ni la vision a priori du leader, ni ne permet la
construction d'une théorie du avec l'environnement.
L'espace habité est un espace de création de sens entre les habitants au moyen de
l'interaction sociale. Chacun est convoqué à l'exercice du leadership; il n'y a pas de
programme inflexible mais seulement de l'engagement profond envers l'organisation, et
de l'expression publique sur des améliorations à apporter à la tâche, sur des variations
dans l'environnement ou sur la pré-décision ().
La théorie qui guide celle ou celui qui travaille dans cet espace est l'idéologie du
groupe ou de l'organisation. L'espace habité fonctionne, pour le gestionnaire et les
membres de l'organisation, dans un contexte de légitimisation (
Espaces de la stratégie et TI 284
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- «Et dans ce sens-là, ce qui n'est pas clair, dans mon esprit, c'est de
quelle façon, les systèmes qu'on peut envisager, donc mentionner, peuvent très
bien s'intégrer dans un environnement où la démocratisation ... l'aspect
démocratique de la prise de décisions est important. On n'est pas dans un cercle
fermé où on retrouve ... 6, 7, 8 vice-présidents.
- Qui détiennent toute l'information.
- Qui détiennent toute l'information et que finalement les actionnaires
ont à entériner. La prise de décision se fait sur une base démocratique. La plupart
du temps sous forme de consensus. La plupart du temps... avec une majorité qui
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gagne, donc qui suit, et possiblement dans quelques cas avec... la capacité de
«l'opting out". Je veux dire moi je n'embarque pas carrément. Et là on est
véritablement dans un environnement démocratique. Le système de, d'aide à la
prise de décision doit passer dans cet environnement là, dans ce cadre là, pour une
adhésion, un vote... comme tel».
Conclusion
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La Banque Mutuelle vit une révolution des mentalités; les besoins des
consommateurs sont fragmentés, la gamme des produits et services est très large, le
temps de réaction compte vraiment; le marketing doit être décentralisé vers les
succursales qui, en travaillant avec leurs propres bases de données, doivent devenir des
expertes dans leur marché. La notion de temps est tellement forte qu’elle explique la
disparition des fonctions traditionnelles (ressources humaines, marketing et finance) à
la Banque Mutuelle : l’expert dans le marché doit pouvoir rapidement mettre en branle
l’organisation pour qu’elle réagisse aux urgences perçues à la base. Dans cet esprit un
maximum d’expertise doit être transféré directement à la succursale, il faut
décentraliser et comme l’affirme un responsable du marketing . Ainsi le siège social se
voit comme un ensemble d’équipes inter-disciplinaires de support à l’action locale
(notamment pour les nouveaux produits); d’un autre côté, il redistribue l’information
sur les clients vers la succursale. L’ensemble doit permettre des réflexes plus rapides
parce que la rentabilité et la performance viennent maintenant du temps de réaction.
L'année 1992 devrait marquer la fin des problèmes de capacité et de flexibilité du
système informatique. L’informatique a vécu cette incapacité à satisfaire tout le monde
et chacun... En donnant récemment satisfaction aux succursales, a-t-elle travaillé pour le
marketing et pour les finances?
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Introduction
Notre recherche portait sur les liens entre la technologie de l'information et les
besoins stratégiques. Par besoin stratégique, nous entendions les besoins de développer
des capacités stratégiques nouvelles, des capacités d'innover, d'accélérer de cycle de
conception-fabrication-distribution et de réduire les coûts.
La technologie de l'information ne répond pas d'emblée à ces besoins. Depuis la
fin des années 80 d'ailleurs, la relation causale entre investissement en technologie de
l'information et performance est sérieusement questionnée tant par les académiciens
que par les gestionnaires.
Notre point de départ pour poser la question des liens entre besoins stratégiques
et technologie de l'information a été le suivant : sans chercher à modéliser une relation
causale, nous cherchions à comprendre comment les organisations se transforment pour
mettre leur management et leurs employés en situation de tirer profit des applications,
des solutions de la technologie de l'information.
La notion d'espace de la stratégie devenait alors centrale pour rendre compte de
cette transformation de la façon de concevoir, de formuler et de mettre en oeuvre la
stratégie, depuis la grande stratégie jusqu'à la tactique. Notre recherche a donc porté
sur les défis internes de transformation de l'espace de la stratégie associés à de
nouveaux déploiements massifs de la technologie de l'information. Les trois
applications, ou solutions, de la technologie de l'information retenues nous ont permis
de former des propositions de recherche.
Espaces de la stratégie et TI 289
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Première proposition:
Deuxième proposition:
Troisième proposition:
les entrevues en profondeur ouvrent une porte vers la réalité moins sensible, mais tout
aussi importante, de la représentation et du modèle cognitif qui guide l'action. Le
codage des entrevues a été soumis à l'intervalidation de trois personnes : le chercheur,
assisté de deux étudiants ayant terminé leur deuxième cycle en gestion. Ces étudiants
avaient été auparavant initiés, formés et préparés à travailler avec le cadre théorique du
chercheur. La limite méthodologique de la deuxième approche n'est pas tellement dans
le nombre de personnes rencontrées (il y a en effet stagnation et saturation des codes
après une dizaine de personnes rencontrées) mais plutôt dans leur répartition, pour des
raisons hors du contrôle du chercheur. Les entrevues en profondeur ont été refusées -
pour des raisons de temps - à la Banque Métro sauf de la part d'un vice-président; elles
ont été moins difficiles à réaliser à la Banque de l'Est tandis que nous avons profité
d'une grande coopération des gestionnaires de la Bnaque Mutuelle.
Malgré ses difficultés de mise en oeuvre, l'intérêt des entrevues en profondeur
réside également dans la génération - validée - d'une banque de codes qualitatifs qui
permettent d'interpréter rigoureusement un discours sur le déploiement massif d'une
application de la TI. Menées de façon ouverte, rapide et spontanée, les entrevues en
profondeur (qui durent souvent près de deux heures) se révèlent très riches dans les
relations qu'elles font apparaître entre stratégie, technologie, environnement,
performance et espace de la stratégie. Ces codes, dérivés de la recherche, forment une
base solide pour des recherches futures dans le domaine.
Quand il est considéré, à la fin des années 1970, comme un nouveau moyen de
distribution de numéraire et de services financiers, le guichet automatique s'inscrit dans
une vision technologique (la banque de demain, la monnaie plastique...) tout en offrant
Espaces de la stratégie et TI 294
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57 Comme le passage d'une culture bureaucratisée à une culture proactive de vente, et le passage d'une
emphase traditionnelle sur les opérations à un focus sur la stratégie.
58 Comme le décloisonnement des quatre piliers des services financiers et la déréglementation qui favorisent
de nouveaux concurrents.
Espaces de la stratégie et TI 298
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59Osterman (1991) cite les cas de deux usines de GM qui produisent des autos avec le même taux de défauts et le
même nombre d'heures par auto fabriquée. La différence entre les deux usines? L'une a été "modernisée": de
nouvelles technologies y ont été installées au coût de $ 650 millions. Mais cette modernisation ne s'est
accompagnée d'aucune innovation dans la gestion des ressources humaines (travail en équipe, flexibilité, cercles de
qualité, formation...). Au contraire, toujours selon Osterman, l'usine NUMMI (partenariat GM-Toyota) présente
d'excellentes performances avec peu d'investissements technologiques et beaucoup d'innovations dans la gestion de
la ressource humaine.
Espaces de la stratégie et TI 299
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Figure 8.1.
Espaces de la stratégie et TI 301
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La figure 8.1. nous indique que le fichier central client évolue de solution A vers
la solution AR et la solution ARI. Le fichier central client n'est pas vraiment une
solution A; il faut cependant considérer que l'affectation d'un numéro unique au client
va permettre d'automatiser des opérations de mise à jour des fichiers clients tout en
permettant, par la réécriture des applications dorsales («backbone»), le développement
de nouveaux produits de type conjoint (assurance + hypothèque + compte chèque, par
exemple). Dans l'espace vide, les organisations jouent avec le potentiel du fichier
central client dans ces limites, dans le mode alignement (améliorer l'existant) ou dans le
mode impact (développer de nouveaux produits et éventuellement de nouveaux
marchés).
Dans l'espace programmatique, le fichier central client est utilisé
systématiquement par les gestionnaires du marketing dans les succursales ou au siège
social. Ces gestionnaires interrogent systématiquement le fichier central client pour
segmenter le marché et affiner leurs stratégies. Le fichier central client est disponible de
façon interactive sur des stations de travail qui permettent l'analyse et la simulation.
Dans l'espace habité, le fichier central client est une source d'information sur les
produits et les clients, un outil d'analyse et un outil de simulation entre le client et un ou
plusieurs conseillers (dans des domaines variés comme l'assurance, l'hypothèque, le
placement) qui cherchent ensemble à conclure une transaction complexe portant sur un
produit financier fait sur mesure. La Banque Metro a développé un outil qui approche
cette évolution du fichier central client.
Synthèse
Il dira aussi :
«Ce que nous voulons, c'est de faire progresser ensemble deux réseaux
complémentaires, celui des succursales et celui de la distribution électronique, tout
en sachant que le développement de l'un a des impacts sur l'autre».
Les discours entendus et les pratiques observées nous portent à croire que
l'articulation de l'intégration technologique et de la cohésion stratégique est autant un
défi intellectuel pour chacun des gestionnaires concernés qu'un défi organisationnel.
Souvent nous avons entendu en marge des entrevues formelles :
«Cette banque là (toujours la même), elle est vraiment en avance sur nous
et sur toutes les autres. Elle a réussi ce fameux arrimage entre l'informatique et
les affaires. Elle a eu des managers visionnaires».
Ainsi l'espace de la stratégie présent dans une organisation semble distinguer les
organisations entre elles tout en rapprochant les réponses des gestionnaires de chacune
des organisations. Nous l'avons observé pour les trois dossiers de la technologie de
l'information retenus dans la recherche : une application de la technologie de
l'information sera déployée et gérée, à son démarrage, selon l'espace de la stratégie qui
est dominant dans l'organisation. Cet espace de la stratégie est acte et relation. Il
permet un pattern de relations entre les personnes tout en contribuant à générer un
modèle du rôle de la technologie de l'information dans la stratégie de l'organisation. Ce
modèle permet alors de guider l'action jusqu'à ce que l'espace de la stratégie soit
questionné : parce qu'il produit un modèle qui génère peu de performance dans l'action
et/ou parce qu'il conduit à des relations peu efficaces entre les personnes ( en
favorisant, par exemple, le couplage sommet stratégique/V-P Systèmes alors qu'un
couplage gestion du réseau, informatique, marketing et planification stratégique est
requis par la situation).
Ces observations nous portent à conclure que la notion d'espace de
représentation de la stratégie, que nous avons décrit comme un espace social, est
essentielle à la compréhension de l'articulation de la cohésion stratégique à l'intégration
technologique. Cette articulation exige une configuration cohérente qui bouscule les
légitimités, les outils et les théories sur l'organisation. L'entreprise doit produire un
modèle adéquat du rôle de la technologie de l'information dans la stratégie et susciter
les relations interpersonnelles nouvelles pour permettre l'action, le travail intellectuel
sur le modèle et la transformation du contexte politique, instrumental et théorique.
En ce sens, la vague nouvelle de la réingénierie des organisations propose et
systématise, chez les chercheurs les plus radicaux, la mise en place d'un espace vide
dans l'organisation. La légitimité absolue du sommet, les outils de contrôle drastiques
et la réalisation de la vision décrétée au sommet construisent cet espace vide. Cet
espace est adéquat pour l'entrepreneur et il permet de mener à bien des changements
radicaux. Mais ce n'est pas un espace orienté vers l'apprentissage, l'initiative et
l'autonomie. Alors que les défis associés à l'utilisation du potentiel de la technologie de
l'information sont cruciaux, l'espace vide vient empêcher cet apprentissage. Les
tentatives de réingénierie sont nombreuses et leur taux d'échec phénoménal: l'espace
vide est le plus pauvre quand il s'agit de conjuguer cohésion stratégique avec
intégration technologique.
Espaces de la stratégie et TI 307
_________________________________________________________________________
Nous avons observé, de façon générale, une grande difficulté chez les
gestionnaires rencontrés à articuler des liens entre les solutions de la TI et la
performance. Ils ont en commun de penser que les guichets automatiques mènent à la
réduction ou du moins à l'évitement de coûts. Mais plus la discussion sur la
performance porte sur des dossiers visant à l'automatisation et l'interaction, moins le
gestionnaire comprend l'impact sur la performance. Les guichets automatiques sont
des investissements discrets qui sont, sans doute, contrôlés et suivis de façon excessive.
Espaces de la stratégie et TI 308
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Les investissements dans le fichier central client se noient dans des investissements
dans la plate-forme logicielle, matérielle et de communication.
Sur le terrain, la performance n'est pas pensée en terme de performance d'une
configuration mixte et nous pensons que la réflexion des gestionnaires sur la
contribution directe de la TI conduit à une impasse. Les solutions de la technologie de
l'information qui sont massivement déployées permettent de construire des
configurations nouvelles et performantes. C'est ainsi que la discussion sur la
performance de la TI devrait se construire. Un expert en utilisation stratégique de la
technologie de l'information mentionnait récemment: "We need a framework and a
vocabulary not for computing but for competing" (Mullen, 1993). Et Mullen d'ajouter que
ce vocabulaire devait porter sur la culture et sur la politique. La notion d'espace de
représentation de la stratégie reste, à l'issue de cette recherche, une contribution
pertinente pour lier la technologie de l'information et l'organisation des affaires en vue
de développer des avantages concurrentiels.
Espaces de la stratégie et TI 309
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Introduction
La configuration de l'artefact
La mise en place d'une plate-forme électronique
Hammer (1990) rapporte le cas étonnant de la compagnie Ford qui s'aperçoit que
Mazda emploie 5 personnes pour gérer ses comptes à payer alors que Ford, elle, en
emploie près de 500 à cette tâche. Les responsables de Ford comprennent que les gains
à réaliser proviennent de la mise en place d'une plate-forme électronique semblable à
celle que Mazda a mise en place.
Avec ce concept de double plate-forme électronique intégrée, celle du
constructeur et celle du fournisseur (voir figure 9.1.), il n'y a plus de facturation en trois
ou quatre exemplaires ni de bons de réception.
Quand le fournisseur facture une livraison, il envoie électroniquement sa facture
(1) dans la base de données (bd sur la figure 9.1.) du constructeur. Quand cette donnée
sera validée par un message électronique provenant d'un employé à la réception des
marchandises (2) d'une des usines de Ford, un paiement (3) sera électroniquement émis
au bénéfice du fournisseur.
Il est entendu que cette plate-forme ne peut se mettre en place qu'à travers une
architecture intégrée des données, des traitements, des réseaux et des interfaces.
Venkatraman (1991 : 133) a examiné les facteurs qui favorisent ou qui freinent
l'intégration d'une plate-forme de la technologie de l'information. Le débat entre
centralisation et décentralisation, l'inertie organisationnelle et le manque de vision
stratégique freinent l'avènement de cette plate-forme tout comme, bien évidemment, les
Espaces de la stratégie et TI 312
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Figure 9.1.
La configuration de l'interface
La relation avec le client contre la retraite vers la technologie
Figure 9.2.
59Osterman (1991) cite les cas de deux usines de GM qui produisent des autos avec le même taux de défauts et le
même nombre d'heures par auto fabriquée. La différence entre les deux usines? L'une a été "modernisée": de
nouvelles technologies y ont été installées au coût de $ 650 millions. Mais cette modernisation ne s'est
accompagnée d'aucune innovation dans la gestion des ressources humaines (travail en équipe, flexibilité, cercles de
qualité, formation...). Au contraire, toujours selon Osterman, l'usine NUMMI (partenariat GM-Toyota) présente
d'excellentes performances avec peu d'investissements technologiques et beaucoup d'innovations dans la gestion de
la ressource humaine.
Espaces de la stratégie et TI 316
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Figure 9.3.
La pyramide techno-organisationnelle
Nous avons observé dans notre travail de recherche des configurations distinctes
de technologie de l'information et d'espaces de la stratégie autour d'activités. Par
exemple, la succursale peut devenir une vraie configuration de l'interface (quand elle
est vraiment orientée vers le conseil et débarrassée des activités de "back-office") ou vers
l'artefact (quand elle est entièrement automatisée). L'exemple de la fonction marketing
qui intègre les activités de développement informatique est un bon exemple de la
configuration des architectes. Ces architectes, informaticiens et gens du marketing,
deviennent les vrais "designers" de la gamme de produits et de services de la banque.
L'exemple de l'incroyable logistique externe des banques composée de terminaux au
point de vente, de guichets et kiosques automatiques, d'échange informatisé de
documents, de télématique et d'audiotexte fait de ces activités et des solutions de la
technologie de l'information qui les supportent une configuration de l'artefact.
Il nous semble que le sommet stratégique doit dans ce nouveau contexte pouvoir
gérer des configurations distinctes, aux logiques peu compatibles, plutôt que des
fonctions traditionnelles comme c'était le cas dans les bureaucraties: la finance, le
marketing, la distribution et les opérations de "back-office". Le sommet stratégique
devrait gérer ces trois configurations - aux frontières changeantes - selon trois logiques
ou trois thèmes: le design dans la configuration des architectes, la qualité dans la
configuration de l'interface et l'efficience dans la configuration de l'artefact.
De façon récurrente, la presse d'affaires insiste sur le rôle du design dans le succès
des entreprises. Il n'y a pas de magie dans le succès du design autre qu'une conception
intelligente du produit à partir des besoins précis du consommateur. Les exemples de
Espaces de la stratégie et TI 318
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succès dans le design sont des exemples de collaboration étroite entre recherche et
développement, marketing et production. Ces succès ont lieu grâce à des interactions
multiples, à de l'autonomie dans l'action, à l'absence de théorie a priori sur le produit ou
le service qui doit émerger d'un consensus entre tous les acteurs et concepteurs.
Nonaka (1988) a très bien décrit un projet de nouveau véhicule chez Honda: sa
description est compatible avec ce que nous appelons l'espace habité.
Si la flexibilité et le temps sont des notions présentes dans les trois configurations
décrites - on pourrait même poser que la flexibilité et le temps soient la cause de cette
transformation en configurations - l'efficience est propre à la configuration de l'artefact.
La configuration mixte de la technologie de l'information pour l'automatisation
s'installe autour des activités de logistique externe, de logistique interne et à des degrés
variables dans les opérations.
Tout ce qui est gestion des traitements, des données et des réseaux devrait être
pensé pour servir chacune des trois configurations. Il n'y a plus de situation simple et
unique autour de la technologie de l'information et il n'y a plus une bonne façon
d'arrimer la stratégie et les systèmes.
La configuration des architectes cherche à utiliser la technologie de l'information
pour concevoir de nouveaux produits, améliorer son processus de conception et créer
un impact sur les activités de l'entreprise, améliorant ainsi son positionnement.
Espaces de la stratégie et TI 321
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Nous avons proposé dans le chapitre deux l'idée que la trajectoire du sommet
était associée à l'espace vide, et réciproquement. Nos observations recoupent d'autres
recherches qui vont dans ce sens : l'absence de plate-forme intégrée signale une faiblesse
dans les intentions stratégiques de la haute direction. En ce sens - comme aurait pu
l'écrire Chandler - la structure électronique suit la stratégie. Et cette infrastructure
électronique est aujourd'hui plus critique que la structure décrite habituellement dans
les manuels de design organisationnel : «Information architecture has replaced
organizational design, planning systems, and financial controls as the key to business design »
(Allen et Boynton, 1991 : 435).
La preuve de l'importance de l'intention stratégique du sommet réside dans le
fait que tous les grands systèmes stratégiques sont le résultat d'initiatives du sommet
dans le cadre d'une informatique centralisée. Les cas d'applications comme Otisline,
SABRE, le système ASAP d'American Hospital Supply, USAA, le Cash Management
Account de Merrill Lynch, Federal Express, Frito-Lay sont tous des efforts orientés vers
les communications qui sont conçus et gérés centralement (idem : 441).
En technologie de l'information comme en architecture, les grands architectes
d'une époque sont des personnes qui développent des trajectoires esthétiques nouvelles
pour transformer les organisations et redéfinir l'environnement. De plus, en
technologie de l'information, toutes les applications stratégiques sont de grandes
applications dorsales (ou «backbone») qui exigent un travail soutenu d'architecture.
Les entreprises qui peinent dans la réalisation de ces grandes plates-formes sont
des entreprises qui peinent tout autant dans le développement d'une intention
stratégique forte. La plate-forme intégrée est d'abord une oeuvre de la direction
générale.
Espaces de la stratégie et TI 322
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En nous risquant quelque peu au-delà des faits observés, nous pensons que la
transformation des organisations à partir de la technologie de l'information et la
déformation du fonctionnement du concept de stratégie entraîne les grandes entreprises
du secteur des services bancaires et financiers vers une situation nouvelle. Dans cette
situation nouvelle, ces entreprises devraient s'organiser autour de l'une des trois
configurations - les entreprises qui conservent ces trois configurations fortement
développées feront face à des défis majeurs de cohésion stratégique.
Quels seront les défis majeurs des grandes entreprises généralistes? La
transparence des structures, la fin de la stratégie comme exercice suffisant de définition
des grandes priorités et le début de la grande stratégie. Par grande stratégie, nous
entendons la dimension fondamentale de la stratégie qui est identité et mission. La
stratégie comme exercice de positionnement - au sens de stratégie générique - n'est plus
suffisante (n'est plus praticable) dans une organisation qui connaît des fonctionnements
très différents du concept de stratégie.
La stratégie risque d'émerger du niveau tactique, du couplage entre stratèges
appartenant aux différentes configurations de l'interface, des architectes et de l'artefact.
À moins que ces stratèges de l'émergence soient liés par une mission claire et forte, nous
voyons mal pourquoi ils se mettraient à partager leur information et à abattre les
structures qui retardent les processus de conception, de production et de distribution.
Figure 9.4.
L'INTERFAC E LES ARC HITEC TES
relations
avec le design et fabrication
client des produit s
% posit ionnement
%
sommet
st ratégique innovation
t t
distribution
électronique $
coût s
t
L'ARTEFAC T
La pyramide techno-organisationnelle : le sommet, l'artefact, l'interface et les
architectes
Recherches futures
organisations «virtuelles».
Nous voyons au moins trois grandes implications pour les gestionnaires et pour
la gestion.
Premièrement, il faut aborder avec prudence le changement organisationnel.
Toute la «musique» actuelle autour du changement organisationnel semble commencer
par la note «ré» : pour réorganisation, pour réingénierie et pour restructuration. Or, nous
avons que les dimensions informelles - ou moins formelles - sont essentielles pour
comprendre le succès des entreprises. Ces dimensions sont politiques, instrumentales
et théoriques.
Deuxièmement, il faut se défier de l'organisation dite "horizontale". Sans
sommet stratégique, point d'ambition ou d'intention stratégique ni de réflexion sur les
changements dans l'environnement. Sans gestionnaires intermédiaires, personne ne
peut interpréter l'ambition stratégique et la traduire dans les systèmes opérationnels.
Troisièmement apparaît la technologie de l'information. À l'intérieur d'un espace
habité et en présence d'une ambition stratégique, sa contribution à la performance passe
par le déploiement d'une plate-forme conçue en fonction d'une cible architecturale de la
technologie de l'information. Cette plate-forme requiert des moyens centraux de
planification, de suivi et de contrôle.
des techniques qui permettent que l'idée de l'oeuvre devienne une oeuvre représentée,
nous pouvons penser que ces techniques n'étaient pas de nature stratégique.
Connaissant la similitude des infrastructures informatiques et la préférence de ces
organisations pour «Big Blue», nous pouvons raisonnablement penser que la méthode
de développement d'une architecture était BSP, c'est-à-dire une méthode classique
d'alignement (Wiseman, 1987). Nous n'avons pas cependant orienté notre recherche
vers une exploration systématique de l'évolution des fonctions informatiques et de leurs
méthodologies.
La vision du sommet est la troisième caractéristique de l'espace vide. Il
appartient au sommet d'affirmer la centralité de la question de la plate-forme de la
technologie de l'information dans le contexte stratégique de la firme (Venkatraman,
1991). Ce que nous retenons de nos entrevues au sommet, c'est que l'informatique n'a
pas été l'objet de l'attention de la haute direction à cause de l'oeuvre architecturale qu'elle
réclame mais elle a été l'objet de l'attention de la présidence à cause des coûts qu'elle
génère. La direction informatique a également été critiquée - et parfois condamnée - à
cause d'une architecture trop centralisée. Seule la Banque Métro qui a confié clairement
un mandat d'architecture et des moyens puissants à une équipe de gestionnaires de
l'informatique semble avoir maintenu un cap constant vers une cible architecturale. À
la Banque Mutuelle, le débat centralisation/décentralisation mobilise les énergies dans
un débat politique qui n'est plus celui de l'établissement d'une plate-forme intégrée. À
la Banque de l'Est, les contraintes des performances à court terme semblent accaparer
toute l'attention de la haute direction : ces contraintes semblent favoriser les
investissements de substitution.
Espaces de la stratégie et TI 328
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