Professional Documents
Culture Documents
La station de
sauvetage
de Roscoff
Depuis ses débuts ( 1866 )
jusqu'à l'arrivée des canots à moteurs (
1958 )
par Jean Pillet
Pendant la guerre 1914/1918 Entretien du canot de Sauvetage La photo prise vers 1914.
à l'abri du Marin de Roscoff de Rosoff au Theven Assis, de gauche à droite :
Esprit Le Mat - Charles Roignant.
Debout de gauche à droite
Esprit Le Mat fils, Masson, Saout, Joseph Corne.
Le canot Armand-Béhic
est remonté vers son abri
PREFACE
Si la ville de ROSCOFF s'est choisi récemment devise « La Mer au Futur », elle n'oublie pas pour autant que l'histoire de
ce « vieux trou de flibustiers » « vieux nid à corsaires », selon le poète Tristan Corbière fut depuis les temps les plus
reculés, liée à la mer.
Or, chez les « gens de mer », solidarité et courage sont des vertus innées, mais par trop souvent méconnues, hélas, du
grand public.
Plaisancier à ses heures, nul caillou n'a de secret pour lui, de la baie de Morlaix à la Cornouailles anglaise.
En charge de très hautes fonctions à la tête de la Société nationale de sauvetage en mer, héritière de nos sympathiques
hospitaliers sauveteurs bretons, il est au fait de tous les rouages de ce type d’œuvres à caractère humanitaire.
Deux bonnes raisons pour le Dr Pillet - qui avait déjà su capter notre attention à travers un ouvrage qui fait autorité dans
le monde maritime - pour retracer, par le détail, dans le style alerte et concis qui est le sien, la vie si attachante de la
Société de sauvetage de Roscoff qu'il a si bien connue.
Quelle histoire passionnante de la vie courageuse de nos marins que ce récit très vivant, émaillé d'anecdotes permettant
de renouer avec le souvenir de Roscovites illustres et de rendre hommage, à travers eux, aux sauveteurs de tous les
âges.
Nul autre que Jean PILLET ne pouvait se faire meilleur narrateur de cet inlassable dévouement propre à nos anges
gardiens des mers.
Quel bel exemple de civisme et d'abnégation en vérité dans un monde où trop souvent hélas, l'égoïsme est roi !...
Michel MORVAN
Maire de la ville de Roscoff Conseiller régional
Président de la Société de sauvetage de Roscoff
Année - 1989
AVANT PROPOS
Le livre « Le sauvetage au temps des avirons et de la voile » paru en août 1986, avait été écrit avec la pensée suivante :
« laisser à chaque station, la possibilité d'écrire sa propre histoire ». Et voilà que je suis pris à mon propre « piège ». A
mer haute, les bernaches, ces oies noires à l'élégant petit collier de perles fines, blanches, batifolent sous mes fenêtres,
présentant mille facettes différentes levant un peu ma plume, je les compare au sujet que j'ai à traiter.
Mon texte aura-t-il leur élégance, leur calme, leur précision de mouvements, leur diversité, car il faudra qu'il intéresse des
lecteurs d'origines très différentes. Aussi, ai-je essayé de retracer de mon mieux la vie de ces canotiers de sauvetage qui
sont eux aussi, à leur manière, des oiseaux de mer.
Les « gens de la Côte » le savent bien. Tout homme de mer risque d'être confronté un jour ou l'autre à la mer cruelle,
mangeuse d'hommes, soit comme sauveteur, soit comme marin de métier ou d'occasion, en grand danger de devenir
naufragé.
Ce travail a d'abord été écrit pour les familles de Roscoff qui retrouveront avec plaisir et fierté les noms d'anciens ou de
grands anciens de chez eux.
Ces hommes, chers Roscovites, vous ont légué leur passé courageux, fait de devoir accompli dans le respect de la
grande tradition maritime, l'entraide entre gens de mer.
Il n'était pas question d'une part, de s'écarter des textes d'archives, à savoir les rapports établis après chaque sortie par
le patron : car, inventer des conversations ou des répliques ce n'est plus de l'histoire, mais du roman et d'autre part, il
n'était pas question non plus de ne mettre en avant que des sauvetages particulièrement difficiles, en renvoyant en fin de
texte des sorties semblant être de routine.
Peut-on dire que ces dernières, qui arrachaient ces hommes de leur travail ou de leur modeste confort à terre, pour les
jeter comme bénévoles, au large dans le danger et le froid sont moins valables !
Elles seront donc en place chronologique souvent indiquées seulement par la date et le nom du navire assisté ou sauvé.
Et à côté des familles de Roscoff, dont font partie beaucoup d'estivants, il y a les touristes, les scientifiques de la Station
biologique, les plaisanciers de passage, les curistes, les visiteurs qui connaissent le musée de Port-Louis où se trouve
exposé le vieux canot de sauvetage à avirons de Roscoff, construit en 1897 et remis à neuf. Aussi mon souhait est-il que
chaque lecteur, de Roscoff ou non, jeune ou moins jeune, puisse comme nos bernaches qui choisissent leur petite algue
préférée, trouver dans ce texte les passages qui répondront le mieux à l'intérêt qu'ils portent aux choses de la mer.
Pilier Ouest de la baie de Morlaix, la ville de Roscoff a les pieds dans l'eau, le nez au vent, et est assise sur un jardin
potager, qui depuis toujours donne des productions de premier choix.
Pendant longtemps, elle a exporté ses oignons de l'autre côté de la Manche, grâce à ses Johnny, dont l'histoire est bien
connue. La pêche la faisait vivre avec de nombreuses petites unités et, son port, quoique à sec, à marée basse, comme
beaucoup d'autres en Manche, était utilisé par toutes sortes de cotres, chasse-marée, goélettes, pour le transport de
bois, charbon, ciment, sable, etc.
C'est dire que son activité maritime était intense ; or, c'est bien connu la mer est de mauvais caractère quand le vent la
tourmente. « Par le calme ma petite sœur aussi navigue », ce vieux dicton des anciens de la voile ne doit pas être oublié
par nombre de jeunes qui naviguent pour leur plaisir et non pour leur gagne-pain, qui certes acquièrent une certaine
expérience de la mer par temps maniable, mais peuvent se trouver « piégés » un jour ou l'autre.
Le clocher de fine dentelle de l'église, si beau à voir, a dû être regardé dans le passé bien des fois par des capitaines ou
patrons de pêche en détresse, comme une bouée de sauvetage qu'il fallait atteindre impérieusement pour sauver leur
vie.
Bien sûr, il y a toujours eu des tentatives locales, personnelles, et isolées, pour tenter de sauver des vies.
Mais le « sauvetage à bras d'hommes » n'a pu être tenté, surtout dans les pires conditions, qu'à partir du moment où des
sociétés de sauvetage ont été créées et ont mis en place des canots spécialement étudiés, et construits pour cet usage
exclusif.
La plus ancienne société de sauvetage en France, est la « Société humaine et des naufrages de Boulogne », fondée en
1825. Mais c'est à partir de 1865, année de la fondation de la « Société centrale de sauvetage des naufragés », présidée
par l'amiral Rigault de Genouilly, qu'un immense effort a été fait pour doter toutes les côtes de France d'un réseau de
protection efficace avec des équipages entraînés.
La station de Roscoff a été fondée en 1866 dès la seconde année de la création de la « Société centrale de sauvetage
des naufragés ».
Voici ce qui a été écrit à l'époque : « La maison abri a été construite aux frais des Ponts et Chaussées et remise à la
Société le 12 février 1867. Situé sur le quai Sud et orientée parallèlement au rivage, ce qui est un défaut ».
La cale de lancement est une pente empierrée assez rudimentaire qui a dû être améliorée à plusieurs reprises, mais un
ressaut brusque qui la termine devrait disparaître. A marée basse, le port assèche complètement, mais grâce à la fermeté
du sol et à la vaillance de la population maritime, le lancement reste toujours possible et s'effectue même rapidement
dans toutes les circonstances.
La route se prête à un transport par chariot attelé de deux chevaux. Roscoff a toujours été une station modèle à tous les
points de vue.
2 - L'Armand-Béhic, premier canot de sauvetage à avirons
de Roscoff
C'était le 9,78 m. mais construit en France aux chantiers, Augustin-Normand, du Havre dont il portait le n° 4.
Armand Béhic était un homme d'une puissance de travail peu commune qui fut le deuxième président, le véritable
animateur et l'organisateur de cette immense entreprise française, les « Messageries Maritimes ».
On peut imaginer facilement l'intérêt que représentait pour Roscoff et surtout pour ses marins, l'arrivée d'un canot de
sauvetage ; le premier, un vrai, comme ils n'en avaient encore jamais vu.
Il était probablement venu du Havre par voie ferrée, et était là, sur son chariot, devant la porte de l'abri.
Les grandes roues ont dû leur sembler énormes, 1 m 80 de diamètre, avec un gros moyeu en bronze et une jante très
large pour être porteuse sur un sol mou.
La coque était splendide, imposante, blanche pour les oeuvres vives (sous la flottaison), vert-foncé pour les oeuvres
mortes (au-dessus de la flottaison). Grimpés sur le chariot, jeunes et vieux détaillaient avec beaucoup d'intérêt
• la ligne de sauvetage extérieure en guirlande, sur laquelle s'agripperaient les mains tremblantes des naufragés ;
• les cinq bancs pour les dix canotiers avec la grosse pastille en bois précisant bien la place de chacun ;
• les cale-pieds permettant un gros effort sur l'aviron et au centre au niveau des cale-pieds, trois de chaque côté,
six grandes soupapes de bronze avec leur collerette de 26 cm de diamètre et astiquées et brillantes comme sur
un « Yak » !
• les grands dômes de redressement avant et arrière, étaient peints en blanc et l'armement intérieur les
émerveillait. Il y avait tout ce qu'il fallait y compris un petit baril d'eau douce et un caisson de biscuits de mer.
Peu de temps auparavant, ils avaient eu connaissance des essais de sécurité faits au chantier au Havre les 23 octobre et
2 novembre 1866. Tout était normal ainsi
• le canot était insubmersible, grâce à des caisses à air. Même crevée, la coque flottait encore ;
• chaviré, il se redressait très vite grâce à une petite quille et aux dômes de redressement ;
• plein d'eau jusqu'aux bancs, les soupapes de vidange fonctionnaient bien et évacuaient l'eau en 30 secondes
environ.
Tout cela était le résultat d'un tour des côtes de France très complet du commandant Albert, premier inspecteur de la
Société, qui était en relation directe avec l'amiral président de Paris.
Les premières sorties se faisaient toujours avec lui et toujours par petit temps. Ce qui fut fait.
Dès lors, ils devaient manœuvrer seuls et les hommes commençaient à avoir confiance dans leur patron et dans leur
canot, mais ils entrevoyaient tout de même avec un peu d'anxiété une sortie par mauvais temps absolument
indispensable pour leur entraînement. Le canot était-il par gros temps aussi manœuvrable qu'on le disait ? Les lames
embarquées par-dessus bord étaient elles vraiment avalées par les soupapes de vidange ?
Bref, le 3 mars 1867, le président de la station et le patron François Ropars décidèrent de sortir.
« On avait choisi un jour de mauvais temps pour exercer les équipages qui étaient au complet, aucun des bateaux de
pêche n'avait pu sortir à cause des forts vents d'Est, qui soufflaient en tempête et du mauvais état de la mer ».
Tirer de l'abri le chariot portant le canot et le descendre à l'eau fut sans problème.
Tous avaient enfilé leur brassière de sauvetage par-dessus leur ciré et les dix canotiers, deux par banc, mettaient en
place leur aviron.
A tribord avirons verts, à bâbord avirons blancs, ceci pour faciliter les commandements du patron qui pouvait dire (en
breton naturellement) « allez les verts » ou « stoppez les blancs ».
Quelques-uns avaient gardé aux pieds leurs sabots ; ces « boutous » universellement portés à la campagne et sur les
côtes : parfois même avec une tige de toile ou de cuir cloué qui les transformaient en sabot bottes. Mais la plupart était
nu-pieds, c'était plus prudent en cas de bain forcé et ils adhéraient mieux aux cale-pieds. Sur la tête, c'était la grande
fantaisie le suroît classique en toile huilée noire ou le béret galette ou une vieille casquette.
Le sous-patron avait vérifié que chacun avait bien passé son avant-bras dans l'anneau de sécurité correspondant à sa
place et il était paré à intervenir avec le grand aviron de queue pour aider une manœuvre.
Un moment de silence relatif entre deux rafales de vent, et le patron François Ropars, debout à l'arrière, adossé à la
cloison, tenant la barre avait dans ses yeux le regard plein de confiance et d'énergie des onze hommes qui assis en face
de lui le fixait...
• Sous-patron, Dirou (Jean-Marie) - Canotiers, Roignant (Mathieu), Sévère (Claude), Bellec (Jean), Cocaign
,(Henri), Cozic (Tanguy), Kenfort (Auguste), Le Mat (Esprit), Le Mat (Jean-Marie), Lumière (Jean-Marie), Péron
(Jean-Marie).
Au commandement dans l'eau calme du port, les dix avirons s'abaissèrent en même temps et, avec un bon coup de rein
terminé par un effort des bras solides, tous donnèrent une première poussée à l'Armand-Béhic qui s'éloigna. Restaient à
terre, le second équipage, les membres du Comité, et un groupe amical venu les encourager.
D'un geste très simple, le patron rythmait l'effort tout en maintenant avec sa grande barre le cap à suivre. Une fois sorti
du port, le canot a commencé à danser, et les gros embruns à arriver, mais aussitôt les six soupapes font entendre leur
claquement et le bateau se vide instantanément.
Les canotiers devaient se taire pour rester attentifs et ménager leur souffle, mais il y avait sûrement de temps à autre un
bavard qui donnait son impression « gast oui ! » certes ils avaient tous une grande habitude des avirons même par mer
creuse, mais là, ce bateau avançait superbement. Continuons la lecture du rapport.
« Il s'est manifesté au début une certaine hésitation de la part des canotiers. Ils croyaient que le bateau ne pourrait
avancer à l'aviron contre un vent aussi violent, à cause de sa légèreté et de sa hauteur au-dessus de l'eau. L'essai du 3
mars les a si bien rassurés qu'au lieu de faire une course dans le chenal de l'Ile de Batz, comme il avait été projeté dès le
départ, ils ont hardiment franchi la pointe de Bloscon, l'endroit le plus dangereux de la côte par vents d'Est ».
C'est qu'à bord, tout allait bien, se sont dit à terre, le deuxième équipage et les marins qui suivaient cet entraînement
avec grand intérêt.
Et une fois doublé Bloscon, Ropars a dû commander à quatre hommes seulement de maintenir aux avirons le canot
« bout au vent » ; il a fait mâter et hisser les deux voiles au tiers, probablement avec un ris et sans tourmentin.
« Et c'est ainsi qu'ils sont revenus à la voile en passant au vent du rocher de Ménanet. Au retour les hommes étaient
enthousiasmés et disaient aux spectateurs qui se trouvaient sur le quai de Roscoff qu'avec un bateau comme celui là, ils
pouvaient aller partout.
Le second équipage s'est embarqué plein de confiance et a fait son exercice avec le même succès ».
Ce fut sûrement un joyeux retour bien fêté par les équipages et le Comité de la Station comprenant le président, le vice-
président et le secrétaire trésorier.
Roscoff a toujours eu, comme toutes les stations, des équipages de premier brin.
Dans les récits qui vont suivre on aimerait pouvoir citer chaque homme pour que les familles retrouvent leurs anciens
mais il faudra s'en tenir surtout aux patrons et sous-patrons qui sont toujours l'âme d'un équipage lancé dans le danger.
Voici les grands noms à retenir encore que cette liste pourrait être beaucoup plus longue :
• François ROPARS, le premier en date, Esprit LE MAT, père et fils , Charles ROIGNANT, Joseph MASSON,
Joseph CORRE, Jean-Marie DIROU, Jean-Marie PERON, François CORRE, Arthur LE MAT, dernier sous-patron
en date.
Une grande partie de ce qui suit intéressant le premier canot, est extraite du « MEMOIRE adressé à l'ACADEMIE
FRANÇAISE par les notables habitants de Roscoff (Finistère) pour un concours à un prix de Vertu de Le Mat Esprit pilote
lamaneur patron du canot de sauvetage de Roscoff et daté du 10 octobre 1889 ».
« Né le 15 janvier 1838, fils de feu Joseph et Françoise Créach, à l'âge de 13 ans, il embarque comme mousse sur un
bateau pilote et y reste pendant 14 mois puis au long cours comme novice puis comme matelot pendant 42 mois.
A l'âge de 20 ans comme inscrit maritime il est appelé et sa conduite exemplaire et son dévouement au devoir sont
remarqués et quoique illettré, il est congédié comme quartier maître de manœuvre de 1 ère classe au bout de 42 mois de
service. Le 27 juillet 1861, il s'est marié à Marie-Jeanne Roignant. De ce mariage naîtront quatre enfants.
Jusqu'en 1864 il navigue au long-cours et revient dans son pays. A cette époque, la pêche est fructueuse et il faut
désormais nourrir sa famille. Il élèvera ses enfants en bon père de famille, d'une conduite exemplaire, économe, et d'une
probité à toute épreuve.
C'est à cette époque que commencent les actes de courage et de dévouement de ce brave sauveteur.
Le 8 juillet 1864, embarqué comme matelot à bord de la chaloupe de pêche Les Deux Maries surpris dans le raz de
Roveur à 3 milles au Nord de l'Ile de Batz, par une bourrasque de vent de nord est, il concourt au sauvetage de Kerné
Alphonse, seul survivant des trois hommes composant l'équipage de la Florence qui avait pour patron son beau-frère.
Seize jours après, le 24 juillet 1864, passant près du port de Roscoff, il entend crier au secours. Un enfant vient de
tomber à l'eau, mais il a disparu. Le Mat se jette tout habillé dans la direction qu'on lui indique, nage, plonge et ramène à
terre Lorette Kerné, fille de celui qu'il sauvait quelques jours avant.
D'office, il est nommé canotier du canot de sauvetage, dès la création de la station en 1866. Esprit Le Mat, patron du
canot de Roscoff ».
Cette sortie est la dernière de l'Armand-Béhic. Il sera en place mais sans détresse à secourir jusqu'à l'arrivée de son
successeur, le canot Commandant Philippes de Kerhallet. A cette date, Esprit Le Mat a reçu pour sa station, le prix de
l'amiral Méquet du ministre de la Marine, un témoignage officiel de satisfaction de la « Société centrale » :.
Pendant les rares moments qu'il passe à terre, tous ses soins sont donnés au canot de sauvetage dont la conservation
est parfaite.
Les produits de sa pêche et de son pilotage, et ensuite sa retraite annuelle de 456 F sur les Invalides de la Marine
forment les ressources du ménage.
Ils ont pu acquérir une maisonnette et un bateau. L'un et l'autre peuvent représenter une valeur de 2 500 F.
La mémoire se termine par le trait suivant. Le 28 novembre 1888, il mariait deux de ses enfants ; la fin du banquet arrive
et au moment où ils doivent commencer les chansons Le Mat demande un instant de silence.
« Mes enfants, nous sommes ici dans la joie, mais n'oublions jamais les naufragés. Je vais faire une quête pour la
Société centrale de sauvetage des naufragés. Les gros sous pleuvent dans l'assiette et Le Mat quitte le banquet pour
remettre sa collecte au trésorier du Comité. Cette somme figure aux annales de la Société centrale ».
Voici les dernières années de l'Armand-Béhic ; quittant Roscoff, il a été renvoyé au chantier Augustin Normand au Havre
pour remise en état et ensuite à l'Herbaudière en mars 1899 pour y rester en service jusqu'en 1909. A cette date il était
condamné et vendu 407 F chariot compris.
Esprit Le Mat a 59 ans, et c'est certainement pour lui une grande joie de recevoir un canot neuf, et c'est aussi une grande
fête pour Roscoff.
Voici ce que rapportent les annales de la « Société centrale de sauvetage des naufragés ».
Depuis le matin et malgré une violente tourmente de S.O., la petite ville de Roscoff est en fête, tous les bateaux pêcheurs
sont pavoisés ainsi que ceux dans le port et les édifices publics.
A 3 heures, le patron Le Mat rassemble ses canotiers et sort le canot de la maison abri. Déjà une foule compacte est là,
assistant à cette manœuvre. La façade de la maison est décorée avec un goût parfait, au mât de pavillon flotte le pavillon
national et celui de la Société, une superbe guirlande encadre la porte au-dessus de laquelle et de chaque côté se
balancent trois ancres de grandes dimensions, faites de lauriers fleuris, de chrysanthèmes et de camélias. Le
Commandant Philippes de Kerhallet, entièrement pavoisé, porte en tête de chacun de ses mâts un bouquet de mêmes
fleurs, et ses formes élégantes disparaissent presque (sauf le nom) sous les guirlandes de verdure. Ces décors sont dus
à l'initiative des jeunes filles et femmes des canotiers, des pêcheurs et de leurs amis.
Quatre heures sonnent à l'église paroissiale de Roscoff, Notre-Dame de Croatz-Batz. Le clergé, suivi de la population
entière et d'une foule d'étrangers, arrive devant le canot, aux côtés duquel sont rangés les vingt-quatre canotiers en
costume de travail et portant leur ceinture de sauvetage. Devant la maison abri se tiennent M. Georges Philippes de
Kérhallet, fils de la bienfaitrice, le vicomte Macé, inspecteur de la Société, le président et les membres du Comité local, la
municipalité, tous les chefs de service de la localité et un grand nombre d'invités. Le clergé monte à bord du canot dans
lequel l'attendent et le reçoivent, le patron Le Mat et le parrain et la marraine, deux charmants enfants de 4 et 5 ans :
René Laligne, fils de notre sympathique commissaire dé la marine, et Jeanne Le Mat, petite fille du patron et fille de
canotier. Ils tiennent un superbe bouquet.Un méchant et noir nuage de nord ouest qui depuis une heure menace de
troubler la fête se dissipe tout à coup et disparaît dans le nord est... puis la cérémonie religieuse a lieu et M. Georges
Philippes de Kérhallet remet un pli au président du Comité à l'adresse des femmes des canotiers ; attention touchante de
Mme Monrival qui a voulu qu'elles et leurs enfants, ne prenant pas part au banquet puissent fêter en famille le baptême
du nouveau canot.
C'est le moment du lancement, l'accalmie continue, le flot arrive et avec lui la nuit. Le patron qui a placé ses canotiers à
leur poste donne le signal, mais déjà, malgré tout son sang froid, il n'est plus maître de sa manœuvre. Les Roscovites,
eux aussi, sont à leur poste de sauveteurs, hommes, jeunes gens, et enfants ont saisi les traits et le Commandant
Philippes de Kerhallet, enlevé dans un élan, irrésistible, descend comme une flèche la rampe rapide qui relie le hangar à
la grève, une immense étincelle jaillit, en même temps qu'un choc violent imprime un fort coup de roulis au canot, le fer
d'une des roues vient de broyer un bloc de quartz. Le patron et les canotiers entraînés dans cette course de 100 mètres
entrent dans l'eau jusqu'à la ceinture et montent à bord. Le Commandant Philippes de Kerhallet reçoit la baptême de la
mer. Les canotiers lèvent les rames et poussent des vivats en l'honneur de leur bienfaitrice et de son fils. Les
acclamations redoublent dans la foule ; nous sommes tous très émus.
A 6 heures et demie a lieu le banquet, la municipalité, les chefs de service et les invités y assistent avec le Comité et les
équipages du canot portant leurs décorations.
En face de la place d'honneur qu'occupe M. Georges de Kérhallet sont les armes de Roscoff avec sa fière et dure devise
bretonne « A Rei a Squei ». En légende les encadrants « virtus et spes » à notre bienfaitrice, au-dessus le drapeau
français et le pavillon de la Société... Au champagne, le président local se lève et adresse à M. Georges Philippes de
Kérhallet les paroles suivantes
« Monsieur, en nous faisant l'honneur d'assister à ce baptême vous nous donnez ainsi que Mme votre mère un
témoignage de haute sympathie... ce don perpétuera parmi nous son souvenir...
Vous appartenez, Monsieur, à l'une de ces anciennes et illustres familles de Bretagne qui ont toujours eu pour devise :
« honneur, patrie et charité ». Ces nobles traditions sont restées intactes dans la vôtre et votre bonne et généreuses
mère le prouve aujourd'hui.
Fils d'un marin officier supérieur, adoré de ses équipages, vous êtes ici entouré d'une vraie famille de sauveteurs. Parmi
eux vous voyez les hardis vétérans de l'Armand-Béhic, l'éloge de ces vaillants équipages n'est plus à faire et les
nombreuses décorations qu'ils portent disent assez ce qu'ils sont des hommes de devoir... Messieurs, levons nos verres
en l'honneur de notre bienfaitrice, de son fils et de toute leur famille, et en disant adieu à l'Armand-Béhic, faisons tous nos
vœux pour la longue brillante et heureuse carrière du Commandant Philippes de Kerhallet.
« Monsieur, notre président, M. Le Dault, vient de vous dire combien le comité et les canotiers de sauvetage de Roscoff
sont reconnaissants à Mme Monrival du superbe canot qu'elle a offert à la station. Sous la rude écorce qu'on lui attribue
volontiers, le marin sent fortement tout ce qui est noble et grand. Ce sont les marins en effet qui occupent
nécessairement la majeure partie de la lugubre liste des victimes de la mer, et c'est à eux, dès lors, que profite surtout
l'intervention si précieuse des embarcations de sauvetage, cette forme sublime de la charité et du dévouement.
Ce sont les marins aussi qui fournissent ces mâles équipes de sauveteurs, qui veillent sans cesse sur divers points du
littoral ; et si ils sont trop nombreux pour faire tous partie de ces phalanges d'élite, à la formation, c'est à qui s'inscrira
pour combler les vides que la maladie, la vieillesse ou la port sont seules capables d'y créer.
Permettez-moi donc de vous dire combien nos marins vouent de reconnaissance à Madame votre mère... Dites-lui aussi
que le pieux souvenir qu'elle a attaché au canot qu'elle confie à nos marins sera religieusement gardé par eux et par
nous tous ; et que les pêcheurs de Roscoff qui seront appelés à l'honneur de le monter sauront se rendre dignes du
vaillant et regretté commandant dont leur embarcation porte le nom ».
« Messieurs,
En saluant la nouvelle embarcation que la Société centrale vous confie, j'ai le devoir de vous faire connaître la haute
personnalité maritime qui lui a donné son nom, par la pieuse initiative de Mme Monrival la compagne de sa vie. Mme
Monrival, mariée en premières noces au commandant Philippes de Kérhallet, est une femme de suprême bonté, la
providence des souffrants ; de généreuses fondations telles que le pavillon des femmes à l'hôpital de Trouville sont dues
à son inépuisable libéralité ; en déléguant aujourd'hui son fils unique, M. Georges Philippes de Kérhallet, cette femme
admirable, cette mère, a mis le comble à ses attentions, j'oserai dire à sa tendresse pour vous, à son amour du bien.
Le capitaine Philippes de Kérhallet était breton, comme vous messieurs, il a proclamé la fière devise de Portzmoguer
« Var Doué, Var Bro ! Pour Dieu, pour la Patrie » comme vous il a aimé le sol natal et tout fait pour l'illustrer. Né à Rennes
le 17 septembre 1809, M. Philippes de Kérhallet se sentit attiré par l'existence aventureuse de l'homme de mer ; il entra à
l'école navale d'Angoulême en 1825.
Sa carrière, toute de travail, dota la marine française de cartes et de livres universellement admirés ; ces plans et ces
écrits sont un véritable monument d'exploration nautique qui fera passer le nom de son auteur à la postérité.
L'excès même du labeur hydrographique accompli dans les pays malsains, usa prématurément la santé de l'intrépide
officier qui lutta jusqu'à la dernière minute, ne manifestant qu'un regret, celui de ne pas mourir à son poste, sur le pont
d'un vaisseau, en face de l'ennemi ; le commandant s'éteignit le 16 février 1863 à l'âge de 53 ans.
Marins de Roscoff, compatriotes du célèbre corsaire Balidard, fils des hardis compagnons de jean de Penhoët, amiral de
Bretagne, grande famille de sauveteurs, et vous en particulier, pilote Esprit Le Mat dont la vie exemplaire est un chapelet
d'héroïsme, que Dieu vous protège et vous aide ! qu'il vous accorde le succès dans les sorties de sauvetage que vous
accomplirez, qu'il sauvegarde le beau canot auquel votre bienfaitrice, Mme Monrival a fait attribuer le nom sonore du
commandant Philippes de Kérhallet. »
M. Georges Philippes de Kérhallet se lève et remercie tous au nom de sa mère et au sien, puis s'approchant du patron Le
Mat dont la poitrine est couverte de médailles, il l'embrasse et lui dit « Brave patron Le Mat vous n'avez plus de médailles
à recevoir, mais il y a encore au-dessus d'elles une place à remplir, puissé-je, l'amiral Lafont, président de la Société
centrale, m'y autorisant, être assez heureux pour vous attacher moi-même celle qui manque encore, et qui sera la
suprême récompense d'une vie irréprochable, de votre courage, de votre abnégation, de votre dévouement ».
A ces mots, les applaudissements et les vivats redoublent, l'émotion est à son comble. Il est 10 heures du soir, la fête est
terminée.
Là se termine la liste officielle des sorties notées depuis la fondation ; 73 au total mais les toutes dernières n'ont pas
dues être comptabilisées.
Vraisemblablement avant sa vente, dans ses dernières années, le canot a dû participer, fleuri, à quelques fêtes de la mer.
Les rares anciens, qui ont pu être interrogés, ont un souvenir très pénible des ultimes sorties à l'aviron.
Beaucoup de bateaux de pêche avaient un moteur et, en cas d'urgence un patron préférait prendre la mer avec son
propre canot motorisé.
Charles Roignant a été nommé dans l'ordre de la Légion d'honneur en 1901 pour avoir participé à vingt sorties et au
sauvetage de quarante-neuf vies humaines.
Le fils d'Esprit Le Mat portant le même prénom que son père après avoir été canotier a pris sa suite comme patron. Il a
été nommé dans l'ordre de la Légion d'honneur en 1926 pour avoir participé à trente et une sorties et au sauvetage de
quatre-vingt quatre vies humaines.
D'autres aussi se sont distingués comme sous-patron ou patron dont les noms sont indiqués au début de cet article.
Pour en revenir aux canots, on peut écrire qu'à deux ils ont assuré soixante-quinze sorties. .
A Roscoff, l'ancien abri existe encore ; c'est la coopérative des marins pêcheurs.
Il n'a pas été possible malheureusement de retrouver les tableaux de sorties qui se trouvaient toujours fixés aux murs à
l'intérieur de tous les abris : date, nom du navire, nombre de vies sauvées.
Ces tableaux ont dû être enlevés en 1953 après la vente du canot et probablement détruits... hélas.
C'était une belle évocation d'un courageux passé et qui montrait aux visiteurs qu'un canot de sauvetage à longueur
d'année et 24 heures sur 24 devait toujours être prêt à prendre la mer, au premier coup de cloche du tocsin ou au premier
coup de canon du sémaphore, avec un équipage parfaitement entraîné, et acceptant d'avance toute "fortune de mer", la
meilleure comme la pire.
Les archives de la station portent cette dernière ligne le Commandant Philippes de Kerhallet est vendu à la Société des
régates de Pempoul, chariot et armement (lettre n° 20 du 6 janvier 1953).
M. Le Got se souvient de l'avoir réparé après qu'il avait été abordé par un fort bateau ; et m'a fait parvenir la note suivante
: « ... quant au chariot il a pris la route pour aller à Pempoul, mais le cerclage très rouillé d'une roue a cédé en roulant, et
le chariot a été abandonné au haut de la côte de Pontigou. Je ne sais ce qu'il est devenu après ».
(moi non plus car dans toute la France je n'ai jamais pu retrouver chariot ou roue ; le moyeu était une belle pièce de
bronze... C'est probablement la raison).
De 1953 à 1974... le Kerhallet perdant son identité s'enfonce dans la brume de l'oubli et devient peu à peu une épave.
Ce qui suit a paru sous la signature de l'auteur, le Docteur Pillet dans le n° de juillet 1976 des annales de la S.N.S.M. et a
été repris dans l'ouvrage .intitulé "Le Sauvetage au temps des avirons et de la voile" Edition le chasse-marée Estran 1986
et dans la lettre roscovite de janvier 1988.
1975
Depuis longtemps je m'intéressais aux canots de sauvetage à avirons des sociétés de sauvetage.
Mais retrouver et conserver, pour les générations futures, un authentique canot d'autrefois présentait un intérêt tout autre
; je me décidai à tenter l'aventure.
Mes recherches commencèrent. Lettres, déplacements, appels téléphoniques amenaient toujours la même réponse :
« Un canot de sauvetage à l'aviron, mais, c'est fini mon cher Monsieur ! »
J'en étais toujours à zéro, quand le « hasard », ce hasard qui, selon la belle pensée de Pasteur « ne favorise que les
esprits bien préparés », me combla. C'était au soir du 26 octobre 1974. J'étais avec un ami sur la plage du Letty, près de
Bénodet et je tombais en arrêt sur « lui », L’ancêtre. Il était identifiable au premier coup d’œil malgré ses blessures. « Tu
n'es pas fou, me dit mon ami, c'est une baleinière de cargo ». Alors je lui montrai la forme typique des ferrures du
gouvernail, le croc à échappement, la place des six soupapes de vidanges, et, sortant mon couteau, je tâtai le bordé. Le
rapide bilan du dommage était lourd.
A nouveau me couchant sous la coque, mon poinçon tâtait le gal bord, les râblures, la quille, l'étrave, l'étambot, les
bouchains au niveau du portage : hormis les avaries, aucune trace de pourriture ; en particulier le double bordé en teck
était parfaitement sain. La question serait de retrouver du teck de Siam ou de Birmanie, pour le pont. Il n'y avait pas à
minimiser les difficultés d'ordre moral et matériel qui allaient s'amonceler. Mais, je le sentais avec une joie profonde,
l'aventure était commencée et j'étais décidé, coûte que coûte à arriver au but.
« Première manche » .
Il fallait d'abord l'acheter. Il appartenait à l'Union des Centres de Plein Air (U.C.P.A.) mais les dirigeants locaux ignoraient
totalement son origine, son nom, sa date de construction. Il servait de ponton. Si "en échange" nous pouvions fournir un
autre ponton, le canot était à nous. Grâce à la S.N.S.M. et en particulier à notre vice-président, l'administrateur général
Georgelin, il fut possible de trouver et d'acheter aux Domaines un ras déclassé par la Marine.
Je lançai alors une souscription privée en dehors de la S.N.S.M., pour que des esprits chagrins ne puissent nous
reprocher de dépenser de l'argent, sur de vieux bateaux, au détriment d'unités nouvelles. Je m'adressai d'abord à mes
amis « frères de la côte », puis à des relations et, par des revues de yachting, au grand public. Je partais dans le cirage,
mais d'emblée, je peux le dire, presque chaque jour, le courrier m'apportait des chèques avec toujours un mot amical et
encourageant et cette aide financière était loin d'être négligeable.
Le ras acheté aux Domaines devait être remorqué de Brest au Letty. Une occasion n'était pas facile à trouver mais, là
encore, l'administrateur général Georgelin sut frapper à la bonne porte. Ordres, contrordres et finalement tout se passa
bien : le ras arriva à son nouveau mouillage. Il ne restait qu'à ramener le canot près de chez moi, au Diben en
Plougasnou. Le faire naviguer était impensable. Un bon ami me proposa de se charger du transport. Hélas, un bon matin
son chauffeur de poids lourds me lança un S.O.S. par téléphone : « Je suis sur place, mais, je n'ose pas ni le prendre, ni
même le soulever : il va arriver en miettes ! » Il fallut donc passer par un transporteur spécialisé, et c'est ainsi qu'en juillet
le canot arrivait sur le terre-plein des chantiers de constructions navales de Vincent et Jean Rolland au Diben. La
première manche était gagnée.
Dès le soir, j'allai au chantier. Certes j'avais bien prévenu le patron que le canot n'était pas neuf, qu'il avait des
blessures... bref, qu'il ne m'en veuille pas en lisant ces lignes, je me doutais bien de ce que serait ce premier contact !
• « Bonjour, cher patron ». Pas de réponse, puis d'un ton faussement dégagé.
• « Vous avez vu le canot ? »« F...ez cinq litre de fuel dedans et mettez-y le feu » me répondit M. Rolland sans se
retourner.
• « Mais M. Rolland, le temps des « tantad » (feu de la Saint-Jean) c'est en juin ».
• « Je ne travaillerai jamais sur une pourriture pareille ». Alors là, je fais semblant de ma fâcher. Car on peut dire
tout sur le canot, sauf qu'il est pourri.
Quinze jours plus tard le travail était accepté. Je me portais garant personnellement d'un règlement immédiat suivant les
conditions habituelles d'une construction neuve. Nous allions bénéficier de la grande expérience que M. Rolland avait de
ces canots et je savais qu'après les réticences du début, il mettrait à cette restauration le meilleur de lui -même et nous
ferait profiter de certaines pièces mises de côté il y a une trentaine d'années et provenant d'un canot de sauvetage
identique, la deuxième manche était gagnée.
Je réunissais les membres de la station S.N.S.M. de Plougasnou, président Jean Flamanc, et leur exposais mon projet ;
ils furent conquis et d'emblée le capitaine Laurent Caroff, patron de la vedette S.N.S.M. 15 Notre Dame du Trégor fut
mon bras droit et la moitié de mon bras gauche.
Nous nous mîmes d'arrache-pied au travail tous les deux et quand, plus tard, le canot rentra dans le grand hangar, le
brûlage de la peinture intérieure et extérieure était terminé et le ponçage très avancé ; la cale vidée de son Klégécel avait
été lavée à grande eau et nettoyée ; les placards collés sur le bordé avaient été enlevés ; le pont était réparé avec du
teck d'origine récupéré sur un ancien canot de sauvetage et cadeau du chantier. Bref, son aspect s'améliorait.
D'après les mesures prises, c'était un 10,10 m. construit chez Augustin Normand entre 1878 et 1907. Un numéro et deux
lettres retrouvées lisibles après brûlage de la peinture sur l'étrave et communiquées à M. Augustin Normand permirent
enfin de savoir qu'il s’agissait du canot Commandant Philippes de Kerhallet construit par son grand-père au Havre en
1897 pour la station de Roscoff.
La coque restaurée, c'était bien, mais la présenter avec son armement complet décuplerait son intérêt, tout était
problème et tout fut résolu.
Et le temps des finitions arriva. Un dernier coup de ponceuse sur le beau pont en teck, les cuivres à briquer, le gréement
à installer et la voilure à hisser.
Elle provenait d'une grand voile neuve de Claverie, cadeau du chantier Ernest Sibiril, dans laquelle Arthur Le Mat, dernier
sous-patron du canot avait taillé, cousu et ralingué "à l'ancienne" les trois voiles dans son grenier, rue des Perles.
L'armement absolument complet à mettre en place, y compris le sac pour naufragés, avec peignoir de laine et deux gants
de crin pour friction...
Et le 15 décembre 1975, à la date fixée deux mois auparavant, c'était la première présentation officielle du canot aux
autorités S.N.S.M. du Finistère. Le chantier Rolland était en fête et très amicalement le buffet était offert par la station de
Roscoff, président M. Michel Morvan. L'amiral préfet maritime s'était fait représenter par le commandant Bellec.
Le Commandant Philippes de Kerhallet en place dans la salle d'exposition du musée de la citadelle de Port-Louis
Au début de janvier 1976, le canot partait pour Paris emmailloté comme un nouveau-né et était installé au stand de la
S.N.S.M. au salon international de la navigation de plaisance.
Ce fut un plaisir pour moi d'être présent pendant toute la durée de l'exposition, secondé par M. Froment, capitaine au
long-cours.
J'avais le sentiment d'avoir derrière moi toutes ces générations maintenant disparues de canotiers qui avaient été l'âme
de ces canots. L'intérêt du public se manifesta par un défilé incessant sur le stand de la S.N.S.M. du premier au dernier
jour.
Le 20 janvier 1976 eut lieu la remise officielle du canot à l'amiral Amman, président de la S.N.S.M., sur la passerelle
devenue estrade se trouvaient aux côtés de M. Aymar Achille Fould, fondateur du musée de l'Atlantique, le commandant
Luc Marie Bayle, directeur des musées de la marine, le patron Laurent Caroff et moi. Le canot fut ensuite confié au
commandant Bayle, pour figurer dans le musée de l'Atlantique de Port-Louis. Le capitaine Caroff et moi avons reçu de
l'amiral Amman, une médaille de reconnaissance de la S.N.S.M.
Un immense merci, à tous ceux qui m'ont encouragé et aidé de toutes les façons possibles, et m'ont permis de terminer
dans un soleil étincelant une aventure passionnante, qui avait débuté dans la brume devant une pauvre épave, avec la
seule volonté de réussir.
Et voici la suite, et la fin de cette longue histoire : par une lettre du secrétaire d'Etat à la jeunesse et aux sports, M.
Chamois, adressée à l'amiral Amman président de la S.N.S.M. et qui me l'a transmise le 30 novembre 1976.
« ...Etant de passage à Saint-Pol-de-Léon, j'avais remarqué, mouillé sur une vasière, un ancien canot de sauvetage en
assez piteux état certes, mais qui avait encore belle allure...J'appris qu'il avait été acheté quelques années auparavant
par Monsieur B. personnalité bien connue à Saint-Pol-de-Léon, pour mettre à la disposition de la troupe marine S.D.F.
dont le fils était responsable.
La disparition dramatique de celui-ci avait amené la mise en sommeil du groupe et entraîné par voie de conséquence
l'abandon du canot.
J'ai pris contact avec Monsieur B. qui se déclara d'accord pour le céder à un organisme de jeunes.
J'alertais immédiatement mon ami Pierre Buisson, secrétaire général de l'Union nautique française, qui recherchait
justement des bateaux pour le centre du Letty.
L'affaire fut très vite conclue et le canot fut acquis, mais son transport par la route posa de sérieux problèmes.
Il finit par arriver à Bénodet et fut confié au chantier Craff pour une remise en état et des modifications de coque et de
gréement.
Rebaptisé « Dumbo » il donna au cours des années qui suivirent l'occasion à de nombreuses palanquées de jeunes de
découvrir l'art subtil des virements de bord.
Quand cette lettre m'est parvenue, le canot était au musée de Port-Louis depuis dix mois. Son identité avait été précisée
plus d'un an auparavant, par son numéro de chantier gravé dans l'étrave.
Les Hospitaliers sauveteurs bretons l'ont réveillé en 1958, en y installant la vedette Arcoa monomoteur à essence de
6,40 m. Itroun Varia Croas Batz.
En 1967, toutes les anciennes stations de la « Société centrale » ou des « H.S.B. » ( Hospitaliers Sauveteurs Bretons )
ont fusionné sous les couleurs de la « Société nationale de sauvetage en mer ».
CONCLUSION
Le canot Philippes de Kerhallet lancé au siècle dernier a été le premier en date à être recherché, trouvé, et remis en état
pour être placé dans un musée.
En 1974 -1975 ce n'était pas chose courante et ce « sauvetage » a provoqué, dans ses débuts, quelques sourires !...
En 1986, le musée de la pêche de Concarneau a pu acquérir et remettre en état l'ancien canot de Grand Camp, le
Commandant-Carreau.
Le 17 juillet 1988, l'ancienne station de Cayeux ouvrait à nouveau ses portes pour présenter au public le canot Benoît-
Champy superbement réarmé, et placé dans son abri d'origine.
Il reste encore trois unités de même type qui seront peut-être conservées.
En complément de ces présentations il fallait écrire sur le plan national le "Sauvetage au temps des avirons et de la
voile". C'est chose faite, et ce livre a reçu deux prix en 1987
Les bateaux ont changé, la mer comme les hommes est restée la même, le drame de l'Aber-Wrac'h nous l'a rappelé.
Aujourd'hui les équipages des vedettes et canots tous temps de la S.N.S.M. sont dignes de leurs anciens.
Comme eux, ce sont des volontaires, des bénévoles, aussi courageux que modestes.
Grâce à ces anciens canots, grâce à leur histoire, la S.N.S.M. n'est pas en danger de perdre la clef de son avenir,
puisqu'elle n'oublie pas son passé.
Bibliographie
Les archives de la « Société centrale de sauvetage des naufragés » conservées par la S.N.S.M. Les
annales du sauvetage maritime numéro de juillet 1976, édité par la S.N.S.M. Le livre « Le Sauvetage au
temps des avirons et de la voile » édition le chasse marée estran, 1986.
Crédit photographique
• du livre « Le Sauvetage au temps des avirons et de la voile » édition le chasse marée estran 1986.
• de collection particulière de l’œuvre des « Abris du marin ».
A côté d'occupations professionnelles importantes, privées et hospitalières, il a tenu à avoir une activité maritime, suite de
navigations en Manche, pour son plaisir, et suite de son service dans la Marine nationale.
Inscrit aux « Hospitaliers Sauveteurs Bretons » (H.S.B.) en 1946, il fonde en 1948 le « Yacht Club de Morlaix » avec
conférences et cours de navigation.
Puis il devient aux H.S.B. Chef de secteur de Morlaix, et en 1967 avec la fusion H.S.B. et Société Nationale de
Sauvetage en Mer, (S. N. S. M.).
Son président, l'amiral Amman, le nomme par la suite administrateur, et un peu plus tard, membre du Comité de direction.
Le Dr Pillet a toujours été attiré par le sauvetage en mer, mais il estimait que la période du sauvetage côtier sans moteur
était particulièrement dangereuse et courageuse, et qu'il fallait à tout prix en conserver le souvenir.
C'est chose faite, grâce à lui. Par la découverte et la remise en état d'un canot construit en 1897 et dont ce livre raconte
l'histoire.
Par la publication de son livre « Le Sauvetage au temps des avirons et de la voile », qui est un travail d'historien et un
ouvrage de référence.
Remerciements
L'auteur remercie tout particulièrement