Professional Documents
Culture Documents
VOIR ET ECOUTER
LA PERSONNE QUI
SOUFFRE
www.evolutivity.info
Voir et écouter la personne qui souffre
Luciano Manicardi, moine de Bose
Certes, nous savons combien il est difficile d’écouter, si écouter indique l’acte
de s’ouvrir à la souffrance de l’autre et de l’accueillir: «La plupart des oreilles se
ferment aux paroles qui essaient de dire une souffrance»3. Des barrières sont élevées
pour éviter que la souffrance passe de celui qui la vit et l’exprime à celui qui l’écoute.
Pourtant, sans cette culture de l’écoute de la personne qui souffre, nous condamnons
l’autre à la solitude et à l’isolement mortel, et nous empêchons, pour nous également,
toute possibilité de consolation et de communication de notre propre souffrance.
Galimberti poursuit:
Écouter n’est pas prêter l’oreille, c’est se faire conduire par la parole de
l’autre là où la parole nous conduit. Et si, au lieu de la parole, nous
trouvons le silence de l’autre, nous nous laissons guider par ce silence.
Dans le lieu indiqué par ce silence, il est donné de découvrir, à celui qui a
un regard pénétrant et ose voir la douleur en face, la vérité que ressent notre
cœur, ensevelie par nos paroles. Cette vérité, qui s’annonce dans le visage
pétrifié du déprimé, se tait pour ne pas se confondre avec toutes les autres
paroles4.
La question, ici, qui doit se poser est celle-ci: savons-nous vivre la compassion
comme écoute de celui qui souffre?
Suivant cette grille, ma réflexion voudrait vérifier si l’Écriture a quelque chose
à nous dire aujourd’hui en vue d’une pratique de la compassion.
Le prophète annonce les pleurs de Dieu face à la ruine que les péchés du
peuple ont causée à Jérusalem (Jr 14,17).
La justice devra ensuite être rétablie moyennant un jugement, une sentence,
une peine; la souffrance de Dieu deviendra colère et fureur, mais la voie de la
conversion du pécheur restera toujours ouverte; c’est pourquoi on peut dire à Dieu:
«Dans la colère, souviens-toi d’avoir pitié!» (Ha 3,2). Et Dieu affirme: «Je ne prends
pas plaisir à la mort du méchant, mais plutôt à le voir renoncer à sa conduite et vivre»
(Ez 18,23).
NOTES
1) Voir SONTAG, Susan, Davanti al dolore degli altri, Milan, Mondadori, 2003.
5) LEVINAS, Emmanuel, Di Dio che viene all’idea, Milan, Jaca Book, 1983, p. 115
(la référence doit être en français; nous nous en occupons nous-mêmes).
6) Cf. BIANCHI, Enzo, «Giustizia e perdono alla luce della Bibbia», in Atti del
Convegno nazionale L’esercizio della giustizia e la Bibbia, Settimello (FI), Biblia,
1996, p. 211-231.
7) HESCHEL, Abraham Joshua, Il messaggio dei profeti, Rome, Borla, 1981, p. 87.
8) Ibidem, p. 88.
11) Cf. VESCO, Jean-Luc, «Les lois sociales du Livre de l’Alliance (Exode XX,22-
XXIII,19)», in Revue thomiste 2 (1968), p. 241-264; MARX, Alfred, «Israël et
l’accueil de l’étranger selon l’Ancien Testament», in Le Supplément 156 (1986), p. 5-
14; BARBIERO, Gianni, «Lo straniero nel Codice dell’Alleanza e nel Codice di
Santità: tra separazione e accoglienza», in CARDELLINI, Innocenzo (éd.), Lo
«straniero» nella Bibbia. Aspetti storici, istituzionali e teologici. XXXIII settimana
biblica nazionale, in Ricerche storico bibliche 1-2 (1996), p. 41-69; SPREAFICO,
Ambrogio, «Lo straniero e la difesa delle categorie più deboli come simbolo di
giustizia e di civiltà nell’opera deuteronomico-deuteronomistica», ibidem, p. 117-
134.
13) «L’empathie est l’acte par lequel nous nous rendons compte qu’un autre, une
autre, est sujet d’expérience comme nous: l’autre vit des sentiments et des émotions,
accomplit des actes volitifs et cognitifs. Comprendre ce que ressent, veut et pense
l’autre est un élément essentiel de la cohabitation humaine dans ses aspects sociaux,
politiques et moraux. C’est la preuve que la condition humaine est une condition de
pluralité: non l’Homme, mais des hommes et des femmes habitent la terre» :
BOELLA, Laura, Sentire l’altro. Conoscere e praticare l’empatia, Milan, Raffaello
Cortina Editore, 2006, p. XII.
15) Dans les évangiles, sauf en Mt 18,27, Lc 10,33 et 15,20, le verbe splanchnízein a
Jésus pour sujet (Mt 9,36; 14,14; 15,32; 20,34; Mc 1,41; 6,34; 8,2; Lc 7,13). En Mc
9,22 l’invocation «aie pitié de nous!», dans la bouche du père de l’enfant épileptique,
est adressée à Jésus. Dans certains textes, on a la séquence: sujet Jésus // verbe voir //
verbe splanchnízein // personne/s en situation de besoin (Mt 9,36; 14,14; Mc 6,34; Lc
7,13). La seule occurrence évangélique du substantif splánchna (Lc 1,78) se réfère à
Dieu.
16) Sur le thème des résistances à la compassion voir, dans ce même fascicule,
l’article de Lytta Basset, titre et pages.
17) Cf. BORGNA, Eugenio, L’arcipelago delle emozioni, Milan, Feltrinelli, 20023, p.
128-144.
19) LÉVINAS, Emmanuel, Éthique et infini. Dialogues avec Philippe Nemo, Paris,
Fayard (Livre de Poche), 1982, p. 80.