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Transfert(s) de connaissance :

les entretiens de l’École de design


Nantes Atlantique
hors série 2oo9
5 euros

Knowledge transfer(s):
the interviews of l’École de design
Nantes Atlantique
special issue 2009
5 euros

cadi
01
interfaces tangibles
+ design
tangible interfaces
+ design
02
POLITIQUE
+ design
POLITICS
+ design

3
03
VEILLe CRÉATIVE
+ design
TRENDS MONITORING
+ design
04
ALIMENTATION
+ design
FOOD
+ design
AVANT-PROPOS FOREWORD

Ce hors série se situe dans le prolongement du projet d’édition thématique annoncé lors de la parution This special issue runs along the same editorial line as the previous one released in May 2008, that
du hors série de mai 2008, qui consiste à mener un travail d’investigation sur la pratique du projet en is investigating design projects and observing how they relate to other professions. We decided to
design dans sa relation à d’autres métiers. Nous avons souhaité réitérer le principe d’entretiens avec maintain our basic principle and thus conducted a second session of interviews with personalities
des personnalités qui avaient accepté d’encadrer en qualité de tuteurs des étudiants de 5e année au who had agreed to tutor our fifth-year students working on their final degree project in 2007-2008.
cours de la réalisation de leur projet de fin d’études en 2007-2008. Les questions abordées dans des The issues raised, stemming from a wide range of fields such as food, strategic trends monitoring,
domaines aussi variés que ceux de l’alimentaire, de la veille stratégique, de la participation citoyenne citizen participation and the consideration of cognitive processes in digital data interfaces, place
ou des problèmes liés à la prise en compte des processus cognitifs des utilisateurs dans les interfaces design at the centre of exploratory research initiatives, far removed from the traditional vision
de données numériques, placent le design au centre de recherches exploratoires très éloignées des of design as merely stylistic approach. This research supports our work to revise the graduate
visions stylistiques auxquelles cette pratique reste traditionnellement associée. curriculum and create topic-oriented programs, enabling French and foreign Bachelor students in
design to enroll in our institution. These topic-oriented programs are aimed at encouraging creative
Cette investigation nous conforte dans le travail de refonte pédagogique mené actuellement sur trends monitoring and the exchanging and pooling of ideas. They will help our students to develop
le 2nd cycle et la création d’options majeures ouvertes aux étudiants français et étrangers après une more astute skills and a stronger expertise, allowing them to join in-house research teams or
licence en design. L’objectif de ces options majeures est de favoriser un travail de veille créative, innovation-oriented structures.
de mutualisation et de capitalisation des propositions, qui donnera à nos étudiants des compétences
et une expertise, tant pour intégrer des équipes de recherche en entreprise que pour devenir eux- The first text included in this issue focuses particularly on the human, economic and social issues
mêmes des acteurs au sein de structures favorisant des projets d’innovation. related to new technologies and the digital market. They also underline the essential role of design
in the field of “tangible interfaces” (i.e. the physical and manipulable dimension of devices whose
Le premier texte proposé dans ce numéro porte plus particulièrement sur les enjeux humains, functions of use and representation relate to digital data).
économiques et sociaux liés aux technologies et au marché des techniques numériques et sur le rôle
fondamental que joue le design dans le domaine des « interfaces tangibles », (c’est-à-dire la forme The final degree project carried out by Henri Derruder echoes the studies on augmented reality
physique, manipulable, d’objets dont les fonctions d’usage et de représentation se rapportent à la and “hybrid objects” conducted by Laurence Nigay, professor at the University of Grenoble
manipulation de données numériques). (France) who co-runs a research team in man-machine interaction engineering. Laurence Nigay
Le projet de fin d’études d’Henri Derruder s’inscrit dans les travaux sur la « réalité augmentée » et underlines the need to call upon designers and raises the issue of harmonizing methods of design
la conception d’ « objets mixtes » menés par Laurence Nigay, professeur à l’Université Jean Fourier and computing during the creative steps of the production process, underlining the potential failings
de Grenoble et co-responsable d’une équipe de recherche sur l’ingénierie de l’interaction entre homme of an approach to design concerned with technical matters.
et machine (IIHM). Laurence Nigay souligne le besoin de recourir à la pratique des designers et pose
la question de l’harmonisation des pratiques méthodologiques entre design et informatique au niveau How can design play a part in activities involved in creating new services and new ways of looking
des étapes de créativité, mettant en exergue les potentielles dérives d’une approche design qui serait at the world through “responsible” innovation – a type of design that we associate with an
trop subordonnée à la technique. awareness of environmental and social responsibilities, at the very heart of economic and political
issues? This is the central topic of the two following interviews. Armel Le Coz tried to find how his
Comment le design peut-il jouer un rôle au sein d’activités participant à la conception de nouveaux profession could possibly lead to a better understanding of political affairs. Stephen Boucher, former
services, dans une approche d’innovation dite « responsable » (que nous associons à une conscience co-secretary of “Notre Europe,” a think tank specializing in European politics, and now Head of
des responsabilités environnementales et sociales au cœur des enjeux économiques et politiques) ? the EU Climate Policies and Diplomacy Program launched by the European Climate Foundation,
Tel est l’objet des deux entretiens suivants. tells us what Armel’s project taught him about the value of design in his field of activity: researching
Armel Le Coz a mené une réflexion sur la façon dont son métier pouvait contribuer à une meilleure innovative methods for citizens to debate and make their voices heard. How can we organise the
compréhension des affaires politiques. Stephen Boucher, anciennement co-secrétaire de « Notre information and guide trends monitors? This question lies at the core of Pierrick Thébault’s project,
Europe », think tank spécialisé dans les questions de politiques européennes, et désormais directeur which focuses on the development of a tool for use by creative professionals. Henri Samier, Head
du programme « politiques européennes du climat » à la European Climate Foundation, nous révèle of the Masters in Innovation at ISTIA (the engineering school of the University of Angers, France),
ce que le travail d’Armel lui a laissé entrevoir des apports du design dans le domaine de recherche who has followed up Pierrick’s work, points out the importance of this type of research for the
qui est le sien : la recherche de méthodes innovantes de débat et consultation citoyenne. future, especially in the field of “economic intelligence.”
Comment structurer l’information et guider intelligemment le « cyberveilleur » ? Cette interrogation
a été le point de départ de Pierrick Thébault, qui s’est orienté plus particulièrement vers un outil au The last interview deals with the evolutions in our eating habits and the role of designers in this
service des métiers de la création. Henri Samier, directeur du Master Innovation de l’ISTIA (Institut domain in collaboration with experts in marketing and semiology. Anne Ripaud took an interest
des Sciences et Techniques de l’Ingénieur d’Angers), qui a suivi le travail de Pierrick, explique in the values dear to us as regards food. Her supervisor, Céline Gallen, teaches marketing at
l’importance de ce type de recherches pour l’avenir, en particulier dans le domaine de l’« intelligence the University of Nantes and has been carrying out research and experiments on the mental
économique ». representations of consumers when purchasing food products. She told us that she was curious
to discover how a design approach could be used to tackle her initial questions.
Le dernier entretien porte sur les évolutions en termes de pratiques alimentaires et sur le rôle
des designers œuvrant dans ce domaine aux côtés d‘experts en marketing et de sémiologues. We hope that this issue of our research journal will arouse in our readers the curiosity evoked
Anne Ripaud s’est intéressée aux valeurs auxquelles nous sommes attachés en ce qui concerne by Celine Gallen, and indeed by all the experts we have interviewed. We would like to thank each
la nourriture. Sa tutrice, Céline Gallen, est enseignante en marketing à l’Université de Nantes et and every one of them for their warm welcome and their valuable contributions!
mène des recherches sur les représentations mentales des consommateurs dans un contexte d’achat
de produits alimentaires. Cette dernière nous dit avoir été curieuse de découvrir ce que pourrait Frédéric Degouzon – Head of the Strategy, Research & Development Department
proposer une démarche de design ancrée dans un questionnement initial semblable au sien. Jocelyne Le Bœuf – Director of Studies
f.degouzon@lecoledesign.com/j.leboeuf@lecolededesign.com
Nous espérons que ce numéro de CADI vous fera partager cette curiosité pour le travail du designer
formulée par Céline Gallen, mais aussi sous-jacente chez toutes les personnes interrogées.
Nous les remercions pour leur accueil bienveillant et la pertinence de leurs propos.

Frédéric Degouzon ­– directeur stratégie, recherche et développement international


Jocelyne Le Bœuf – directrice des études
f.degouzon@lecoledesign.com/j.leboeuf@lecolededesign.com
2 3
L. Nigay + H. Derudder H.Samier + P. Thébault

interfaces veille
tangibles créative
+ design + design
7 33
tangible trends
interfaces monitoring
+ design + design
11 40

S.Boucher + A. Le Coz C. Gallen + A. Ripaud

politique alimentation
+ design + design
21 51
politics food
+ design + design
24 55

4 5
01
« Flexibilité, contrôle par l’utilisateur et end-user programming
sont les maîtres mots. »

Entretien avec Laurence Nigay, chercheuse en Interface Homme-Machine

CADI : Quels sont, dans le présent et dans un futur proche, les enjeux cruciaux qui sous-tendent
les activités d’un chercheur en Interface Homme-Machine ?
L.N. : Les enjeux sont nombreux et je ne vise pas l’exhaustivité ici. Nous partons du constat que
les progrès technologiques (miniaturisation, réseau informatique) élargissent l'espace d'interaction :
ce dernier inclut l'environnement physique et n'est plus confiné uniquement à un ordinateur
sur un bureau. L’interaction n’est plus limitée au bureau (utilisateur mobile, à la maison etc.)
et les domaines d’application sont beaucoup plus variés. À partir de ce constat, de nombreux
enjeux émergent, parmi lesquels l’évolution des modalités d’interaction sur supports mobiles
(par exemple, l’interaction à un doigt tout en marchant dans la rue).
Ensuite, dans le domaine de l’Interaction Homme-Machine (IHM), les interfaces tangibles
participent d’une grande mouvance s’attachant à fusionner le monde réel et le monde numérique,
mouvance que l’on désigne par les termes « réalité augmentée », « informatique pervasive », « ambient
computing », « ubiquitous computing ». Ces interfaces sont un type de réalité augmentée et ont pour
but principal de rendre physique un phénomène numérique afin de pouvoir le manipuler (bit-atome/
icône physique-phycons). L’hypothèse de départ était que la manipulation d’un objet, s’il est actionné
de manière naturelle, est bien plus simple à maîtriser que la mémorisation d’un formulaire ou le fait
de double-cliquer sur une icône. Le premier exemple nous est fourni par le MIT1 et ce fameux article
expliquant comment mélanger les bits et les atomes en utilisant l’analogie avec une bouteille que l’on
ouvre. L’idée initiale est de réintroduire des gestes naturels dans les interfaces homme-machine en
concevant des objets physiques.

Au vu de l’état de l’art de la recherche aujourd'hui, peut-on dire que cette hypothèse se révèle juste ?
Cela relève principalement encore de la recherche. De nombreux travaux de recherche s’orientent
vers les tables augmentées, qui viendraient supplanter les ordinateurs. Plus généralement,
l’informatique deviendrait omniprésente. Nombre d’entreprises récentes fabriquent de petits objets
augmentés, par exemple le lapin Nabaztag (société Violet) que l’on actionne grâce à un geste
physique et tangible en lui manipulant les oreilles. Ce procédé d’interaction est très simple
et directement assimilé par les enfants.

Pourriez-vous revenir plus en détails sur le concept de « Phycon »2 ?


C’est un concept né au Medialab du MIT (Boston, USA), ancré dans la notion d’icônes physiques.
En lieu et place d’icônes sur un écran, nous disposerions de petits objets servant à manipuler des
fichiers numériques, par exemple. Des cubes dont chacun correspond à des sections de vidéo que l’on
dispose dans un rail, une sorte de table de montage agrémentée de capteurs avec laquelle l’utilisateur
peut parvenir à monter une vidéo. Ce système est plus facile à assimiler que la manipulation à l’écran
d’icônes correspondant à des morceaux de film etc.

Et qu’en est-il de la notion d’« end-user programming » ?


En IHM, l’objectif est de concevoir des formes d’interaction utiles et utilisables. La conception
est donc toujours centrée sur l’utilisateur (par exemple le « scenario-based design approach »).
L’interaction conçue doit donc être adaptée à (1) l’utilisateur (connaissance, savoir-faire, profession
etc.), (2) son travail ou ses tâches à réaliser et (3) le contexte d’interaction (bureau, mobile dans
la rue, à la maison etc.). Il n’y a pas aujourd’hui de méthode de conception « miracle » et la mise
au point d’une interface utile et utilisable s’appuie nécessairement sur une conception itérative
centrée utilisateur. L’objectif est d’obtenir des retours de l’utilisateur final (1) le plus tôt possible
dans le cycle de conception (par exemple par le prototypage papier) et (2) tout au long du cycle
de conception (par exemple par la conception participative). Mais le fait que l’informatique demeure
plus ou moins réservée aux informaticiens et donc aux scientifiques pose problème. De ce fait,

1
Massachussets Institute of Technology.
2
Mot valise contractant « physical » et « icon ».

7
01 INTERFACES TANGIBLES + DESIGN 01 TANGIBLES INTERFACES + DESIGN

l’informatique ayant investi la sphère domestique, on sent bien que tout ce qui a trait au tangible Dans l’hypothèse de l’intégration d’un designer à un travail de recherche de ce type avec
a un rôle à jouer. On fait l’hypothèse que pour le grand public, il est plus facile d’apprendre une dimension expérimentale, quel type de résultats pourrait-on attendre ?
à manipuler des objets (technique d’appréhension faisant écho à des gestes familiers) que d’apprendre Tout d’abord, une méthode de conception, l’identification des étapes et puis qu’il soit à même de
à maîtriser des interfaces numériques. De ce fait, on s’oriente vers le end-user programming, fournir une méthode susceptible de resserrer les liens entre les deux aspects disparates du processus
la programmation effectuée par des utilisateurs qui ne sont pas des programmeurs professionnels. de conception, des notations pour aider à capitaliser les conceptions déjà réalisées par le passé, des
modèles qui vont mettre en avant les aspects importants de l’apport du design et des compétences
Une autre interrogation corrélée à celle-ci est la position de la pratique du design dans des informatiques. À plus long terme, le designer pourrait contribuer à capitaliser le savoir-faire en
démarches de conception de dispositifs d’interfaces homme-machine. Quelle est votre vision établissant des sortes de règles appelées « patrons de conception ».
de ce positionnement ?
Nous, et nombre d’autres dans notre partie, travaillons beaucoup sur le positionnement du design Selon vous, les designers devraient donc avoir un rôle amont et méthodologique au sein du
dans notre domaine. Cependant, pour l’instant les seuls designers avec lesquels nous avons processus de conception ? Ce n’est pas la vision que l’on se fait a priori de l’activité de design :
effectivement collaboré étaient des graphistes. Auparavant, on ne composait que sur écran et les on pense souvent que le design se résume à une activité de mise au point formelle.
besoins en design étaient donc bien moindres, voire nuls. Maintenant que les acteurs de notre Il y a, à l’heure actuelle, un réel besoin de l’apport de designers ; nous devons nous efforcer
domaine ont pris conscience que la composante physique devenait cruciale, nous allons avoir de d’introduire un peu de savoir-faire formel et créatif dans nos activités. Si, demain, une entreprise
plus en plus besoin de recourir à la pratique des designers. Comment insérer les étapes de créativité souhaite lancer sur le marché un nouvel objet comunicant, il lui faudra bien créer la forme de
et de conception relatives au design dans nos étapes ciblées logiciel (conception, programmation l’objet. Comment procéder avec les acteurs qui produiront la forme de l’objet ? Quelle implication
et test d’interfaces, compréhension des tâches de l’utilisateur etc.) ? À l’heure actuelle, les deux la forme de l’objet aura-t-elle sur la façon dont on l’utilisera ? Comment décrire la morphologie de
pratiques ne s’agrègent pas très bien l’une à l’autre. Certains créent des formes sur lesquelles d’autres l’interaction par rapport à la forme de l’objet ?
viennent ensuite plaquer du numérique. Le véritable enjeu, aujourd’hui, pour pouvoir avancer dans
ce domaine en termes de connaissance et de savoir-faire, c’est de mettre au point une méthode de Si l’on resserre le propos sur le projet qu’a pu développer Henri Derudder lors de son projet de fin
conception qui prendrait en compte les deux parties et les ferait fusionner. d’études, est-ce que dans les points formalisés lors de cette initiative, on trouve des éléments de
Pour illustrer mes propos, je reprends un schéma de l’article de S. Hudson et J. Mankoff intitulé réponse par rapport à l’interrogation générale que nous avons soulevée ?
« Rapid Construction of Functioning Physical Interfaces from Cardboard, Thumbtacks, Tin Foil Dans ce projet, le lien que nous avons pu établir entre nos travaux et les compétences de l’étudiant
and Masking Tape » présenté à la conférence ACM-UIST 2006 qui souligne le besoin de combiner a consisté à lui fournir un modèle conceptuel apportant des éléments pour la réflexion
la conception de la forme de l’objet physique (Design) avec celui de l’Interaction (IHM). La forme et l’exploration de l’espace des possibilités. C’est-à-dire adopter une approche méthodologique
physique de l’objet devient centrale à la conception de l’IHM justifiant le besoin de combiner Design afin d’envisager un large éventail de solutions de conception. Henri Derudder a exploité le modèle
et IHM. conceptuel que nous lui avions fourni et qui permettait de concevoir des objets mixtes.
Pour ce qui est des autres résultats, j’ai été surprise que l’approche de l’étudiant soit à ce point
Cela impliquerait-il une organisation des équipes de recherche différente de celle qui est en oeuvre biaisée par la technologie. J’aurais cru que les aspects technologiques ne rentreraient en ligne
à l’heure actuelle ? de compte qu’à une étape avancée de la conception. On ne devrait pas être obnubilé par le fait
On peut dire cela. Mais le problème c’est que dans le domaine des interfaces homme-machine que l’on va utiliser telle ou telle technologie (Blue Tooth ou des capteurs RFID, par exemple).
on a toujours prôné l’interdisciplinarité. Depuis les prémices de notre activité, nous avons dû Cette façon de faire est très intéressante dans le sens où elle témoigne de l’influence des technologies
travailler en collaboration avec des psychologues cogniticiens, des ergonomes ou des graphistes sur la conception. Henri Derudder a tout de suite jeté son dévolu sur les tags RFID. Je lui ai répondu
pour nous pencher sur ce que nous, acteurs informaticiens du secteur Interface Homme-Machine, qu’il ne devrait pas se préoccuper de quelle technologie précise il voulait utiliser à un stade si précoce
regroupons sous le terme « facteurs humains ». Une réorganisation des équipes de recherche ne de sa réflexion et je lui ai dit que l’on trouverait une solution le moment venu.
serait donc qu’une nouvelle étape à franchir dans un processus déjà enclenché. Beaucoup de gens
ont travaillé sur l’ergonomie du logiciel pour essayer de comprendre les limites du facteur humain Henri Derudder a donc paradoxalement fait preuve d’une démarche créative contrainte par une
à intégrer dans les étapes de conception purement informatique. Cette liaison a été mise en place culture et un univers technologiques.
depuis des années, il faudrait maintenant établir une liaison avec le travail des designers afin Oui, son approche s’est révélée étonnante. Je ne m’attendais pas du tout à ce qu’il travaille comme
d’enrichir, grâce à de nouvelles compétences, une équipe déjà pluridisciplinaire par essence. cela. Ce serait plutôt une approche d’informaticien d’envisager que l’on utilisera un lecteur de codes
Il y a encore dix ans, les entreprises faisaient très rarement appel aux ergonomes lors du processus barre, un tag RFID ou du Blue Tooth. Dans le domaine de l’ingénierie d’interfaces homme-machine,
de conception. De fait, l’ergonome ne pouvait évaluer le projet de l’informaticien qu’en bout nous essayons justement d’adopter des démarches de conception nous permettant de nous abstraire
de chaîne et remettait en question le travail des informaticiens à une étape très avancée de la de cela.
production. Les tensions et frictions entre ergonomes et ingénieurs étaient donc très importantes.
Désormais, les démarches se marient beaucoup mieux, notamment dans des services R&D comme Il est vrai qu’en design, on est parfois amené à suivre une démarche techno-push : se baser sur l’état
Orange Labs ou celui de la Défense Nationale. de l’art d’une technologie pour tenter de formaliser de nouveaux usages sans remettre en cause
la technologie elle-même.
Ce qui induit une démarche très expérimentale et itérative, qu’on le veuille ou non. Oui, cela est intéressant. Dans le domaine des interfaces homme-machine, on conçoit ce que l’on
Nous savons que la première proposition d’interface ne sera pas forcément la bonne et qu’il appelle l’interface abstraite, l’interaction abstraite, et l’on essaie de tracer un trait clair et net pour
conviendra d’itérer et, à chaque opération, d’essayer de centrer les recherches sur l’utilisateur. ne pas se fermer d’options à cause de la technologie, puisque l’on sait que, d’une manière ou d’une
L’approche participative se révèle fructueuse : elle consiste à intégrer au sein des équipes de autre, on finira toujours par la trouver.
conception les utilisateurs finaux, tout en gardant à l’esprit que ce ne sont pas ces derniers
qui vont créer à proprement parler. Beaucoup se fourvoient en pensant que le fait d’impliquer En définitive, Henri Derudder est parvenu à concevoir un dispositif relativement complet.
l’utilisateur final nous expose à une conception basée sur des considérations un peu « amateurs ». Est-ce que son initiative fait écho à des constatations ou des réflexions que vous avez pu rencontrer
Les chercheurs et autres membres de l’équipe de conception ne sont pas là pour obéir à la lettre lors d’autres projets ? En d’autres termes, son projet est-il en concordance ou en dissonance avec
aux utilisateurs finaux : il s’agit plutôt de les consulter. De plus il convient de noter que les les travaux menés dans le domaine des interfaces homme-machine ?
utilisateurs finaux ne sont pas forcément experts sur l’espace des possibilités, surtout en termes Je m’attendais de sa part à plus de créativité, à des propositions plus délirantes, si je puis dire.
technologiques. Mais, au contraire, son projet est le genre de projets que nous aurions pu réaliser en interne au sein
de notre équipe. Nous étions donc totalement en accord avec l’étudiant. Notre équipe étant très
intéressée par les collaborations avec des professionnels issus du design, j’avais déjà eu l’occasion
8 9
01 INTERFACES TANGIBLES + DESIGN 01 TANGIBLES INTERFACES + DESIGN

de travailler avec des designers dont la pratique m’avait beaucoup surprise et plus intéressée. objets communicants à sa guise dans son habitat. On se trouve donc dans la méthode du end-user
Le projet d’Henri, quant à lui, tenait plus de l’informatique. programming : s’assurer que l’utilisateur puisse effectivement s’approprier les technologies qu’on
lui propose.
Ceci est lié au parcours de l’étudiant qui est arrivé à cette idée par le biais de la conception
d’interface. Il avait donc une approche plus centrée sur la technologie informatique que sur On sort donc d’un modèle d’automatisation par un comportement prédictif de la machine pour
la formalisation physique. plutôt s’orienter vers une série de modules qui peuvent être recombinés sans interférer sur le libre-
En revanche, j’ai été très impressionnée par la qualité de la présentation d'Henri Derudder. arbitre de l’utilisateur ?
Sur ce point, on dénote une grande différence entre un étudiant en ingénierie informatique et un Tout à fait. L’écueil que vous évoquez a beaucoup été rencontré lors de premières approches de
étudiant en design. Il s’est avéré très amusant pour moi de comparer les transparents créés par Henri conception d’interfaces homme-machine. La domotique, qui est tombée dans le creux de la vague
et ceux que me remettent mes étudiants. On sentait la prégnance de la dimension marketing et et s’est avérée un échec, nous offre un exemple probant du caractère infructueux des initiatives
communication dans sa façon d’amener le projet. interférant sur le libre-arbitre de l'utilisateur. La domotique est redevenue d’actualité avec les
réseaux de capteurs et notre enjeu principal sera de ne pas nous heurter aux mêmes écueils que ceux
La disparition des supports matériels et la dématérialisation des contenus des biens culturels par rencontrés par le passé. Par exemple, la programmation de la température de la maison grâce à un
la numérisation étaient les enjeux principaux du travail d'Henri. Quel est l’impact du glissement ordinateur s’est avérée difficile et infructueuse. Trouvons des méthodes d’interaction adaptées à cette
vers le Tout-numérique sur les usagers de dispositifs d’interfaces homme-machine ? tâche.
La tendance à la numérisation à outrance des supports est un véritable enjeu puisque c’est justement Dans le domaine des interfaces homme-machine, on recense deux grandes approches : d’aucuns
à cause de ce phénomène que l’on revient au tangible dans le domaine des interfaces homme- considèrent l’ordinateur comme un marteau, un outil qui facilite le quotidien, un outil sur lequel
machine. Par exemple considérons un projet national ciblé sur les personnes âgées à la maison. l’utilisateur a le contrôle. C’est l’approche sur laquelle je travaille. À l’inverse, il existe une autre
Une équipe de professionnels ayant des compétences différentes défilent en continu toute la journée école tournée vers l’intelligence artificielle, qui s’attache à rendre l’ordinateur intelligent et apprenant
à la maison. Pour l’instant, le roulement est géré grâce à un grand classeur placé dans l’entrée remplissant les fonctions d’une secrétaire ou d’un assistant au quotidien, me rappelant les tâches
du domicile de la personne âgée, sur lequel chaque intervenant écrit des commentaires. Le projet que je dois effectuer etc.
consiste à étudier la numérisation de ce classeur, et sans doute à supprimer le classeur physique.
Le médecin pourra ainsi consulter les informations, il n’aura plus besoin de se déplacer chez le Dans votre vision des choses, on devrait tendre vers des dispositifs s’orientant vers une
patient. Cependant ce projet peut se heurter à des réticences des usagers ; les usagers ne sont peut- simplification plutôt que vers une complexification des modèles prédictifs, vers un outil
être pas prêts à perdre la dimension matérielle de ce service. C’est le cas avec nombre d’autres projets compréhensible et saisissable.
cherchant à transformer un objet en service numérique. On ne pourrait en aucun cas remplacer Saisissable et surtout flexible, de manière à pouvoir prendre des formes différentes. C’est
ce classeur par une clé USB. Il s’agit de retrouver des formes qui font sens tout en ayant le gain à l’utilisateur de s’organiser comme bon lui semble. Dès l’instant où l’on pénètre dans le quotidien
du numérique. de l’utilisateur, il faut avoir la décence de le laisser s’organiser. Si ce dernier veut mettre trois petits
écrans sur son frigidaire côte à côte pour disposer d’un écran plus grand et ainsi mieux suivre
Si l’on s’adonne a un petit exercice de prospective en faisant un pari sur l’avenir, quels éléments la météo, par exemple, c’est son choix. Ce n’est pas au concepteur de décider de cela en amont.
figureraient dans votre scénario d’évolution ? Flexibilité, contrôle par l’utilisateur et end-user programming sont les maîtres mots aujourd’hui.
Dans un futur proche, je suis assez convaincue que les objets augmentés risquent de gagner du
terrain dans la maison. Ces objets que l’on disposera partout dans son habitat, reliés par un réseau
sans fil, vont se répandre en procurant de plus en plus de données d’usage. À l’heure actuelle, tout
le monde est équipé d’un ordinateur et l’étape suivante est l’intégration de petits objets augmentés
dans son environnement quotidien (Nabaztag, petits écrans magnet reliés au réseau sur le frigo…).

Selon vous, le Nabaztag est le point-zéro d’une nouvelle famille d’objets augmentés qui vont
01 
envahir notre quotidien ? “Today flexibility, user-control and end-user programming are
Oui, tout à fait. Je crois beaucoup en ce scénario d’objets augmentés à la maison, Nabaztag ou autre. key notions in our field.”
À quelle échéance pensez-vous que ce scénario risque de devenir réalité ?
Selon moi, dans cinq ans, les objets augmentés seront disponibles partout. On en trouvera chez
Interview with Laurence Nigay, researcher in Computer-Human Interfaces
les distributeurs grand public. Depuis un certain nombre d’années, nous oeuvrons en laboratoire
à exploser l’ordinateur en tant que boîte grise qui se fixe sur un bureau, condamnée à disparaître,
supplantée par les tables et autres objets augmentés. Cette évolution est l’étape suivante dans les CADI: What are the main challenges underlying the current and future activities of researchers
maisons. Le gros intérêt c’est que, dans cinq ans, on disposera de données d’usage qui nous font in man-machine interfaces?
défaut aujourd’hui. En effet, à l’heure actuelle, nous sommes confrontés à un important problème L.N: There are many challenges to be taken up and I do not intend to list them all here. We first
de difficulté à évaluer ce genre d’objets et l’usage que les utilisateurs en ont. On se livre observed that technological advancement (in terms of miniaturization, web and computer networks)
à des hypothèses, à des scénarios futuristes, mais ce genre de façons de procéder est dangereux. had broadened the scope of interaction: by now including the surrounding physical environment,
it is no longer restricted to the desk computer alone. Now interaction can also happen outside the
On s’apprête donc à passer du stade expérimental au stade industriel. office area (e.g. mobile users, home workers etc.) and the possible areas of use are far wider. From
Oui et l’on va observer comment les utilisateurs vont s’approprier ces objets et interagir avec eux. this observation arise many challenges and issues, including the need to develop interaction modes
Vont-ils les combiner ou les utiliser séparément ? Le véritable enjeu consiste à éviter un retour on mobile devices, for example, like fingertip-controlled interaction when walking down the street.
à l’approche que nous avons adoptée jusqu’ici, celle du Tout-numérique et de l’informatisation Secondly, I would say that in the field of man-machine interaction, tangible interfaces are
à outrance, les techniques pour deviner ce que fait l’utilisateur après avoir mangé, etc. Dès que l’on participating in an effort to bring together the real and the digital worlds, a trend that has been
pénètre dans la sphère du quotidien, il faut bien prendre soin de laisser à l’utilisateur une grande labeled “augmented reality,” “ambient computing,” or “ubiquitous computing.” Man-machine
flexibilité dans l’organisation de son environnement personnel. Comme l’ont exprimé les chercheurs interfaces – a kind of augmented reality tool – are mostly meant to give concrete expression to
de Xerox PARC au terme de longues réflexions : « On ne vit pas dans un système expert ». Nous digital phenomena, allowing users to manipulate them more easily (bit/tom, physical icons/phycons).
devons avoir pour objectif de laisser l’utilisateur organiser son environnement en installant des The idea that sparked off this trend is that it is far simpler to manipulate an object – when handled
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01 INTERFACES TANGIBLES + DESIGN 01 TANGIBLES INTERFACES + DESIGN

naturally – than to memorize a form to fill in or to double-click on an icon. The first example Would this involve rethinking the current organization of research teams?
illustrating this hypothesis was given by the MIT1 in a now-famous article explaining how to mix Yes, we could say so. But the problem is that the cross-disciplinary approach has always been
bits and atoms by comparing the process to that of opening of a bottle. The basic idea is to apply central to man-machine interfaces. Since the very beginning of our activities, we have had to work
natural gestures to man-machine interfaces by designing physical objects. hand in hand with cognitive psychologists, ergonomists or graphic designers to collectively consider
what we, computer specialists, call the “human factors.” Thus, reorganizing research teams would
After a close look at the state-of-the art in man-machine interfaces today, would you say that only be another step in an ongoing process. Many people have studied software ergonomics to try
this hypothesis has been proven to be correct? to understand the difficulties encountered by the human factor in grasping the purely computer-
For now man-machine interfaces have mostly been concerned with research. Many research centered steps of the design process. This connection was made a long time ago, but now another
initiatives are focused on augmented multi-touch tables that could ultimately replace computers. link needs to be created with designers so as to enhance the existing cross-disciplinary team with
In the greater picture, computers would take on an omnipresent dimension. Many newly set up new skills. Ten years ago, only very few companies actually called upon ergonomists during their
companies now manufacture small augmented objects like the Nabaztag rabbit for instance – production process. This meant that ergonomists could not assess and cross-examine projects until
distributed by the Violet company – a friendly device operated using physical and tangible gestures, they reached the very end of the creation process, which meant that they sometimes had to challenge
in this case by moving the creature’s ears. This simple mode of interaction can easily be grasped the work of the computer specialists at a very late stage. Ergonomists and engineers therefore
by children. had a very hard time getting along. Now their quite different approaches blend together far more
smoothly, especially within R&D departments such as Orange Labs or that of the Ministry
Could you elaborate on the Phycon2 concept, please? of Defence.
This concept – first coined by the MIT Medialab (Boston, USA) – focuses on physical icons.
Instead of icons scattered all over our computer screens, we would use small objects to manipulate Which inevitably implies a very experimental and tediously repetitive approach, whether we like
digital files, for example. A series of cubes arranged on a rail, each containing a section of video, it or not.
a kind of cutting table fitted with sensors, would allow users to edit videos. It is far easier to We know for a fact that the first interface is never the right one, and that we will undoubtedly
comprehend this kind of system than, for example, to use icons representing film fragments. be led to carry out repeated experiments, each time trying to place the user at the center of our
research. The participative approach has proven quite fruitful. This involved integrating end-users
What exactly is “end-user programming”? into design teams, with the understanding that they are not, strictly speaking, actually going to
People working in the field of CHI strive to design useful and usable types of interaction. They abide create something. Many people are mistaken in thinking that by involving end-users, we run the
by the rules of user-centered design (such as the “scenario-based” design approach). The type of risk of creating products based on amateurish considerations. Yet researchers and other members
interaction created must be adapted to (1) users (knowledge, know-how, profession etc.), (2) their of design teams do not have to follow the every word of end-users: they are simply there to be
work or any activity they have been asked to carry out (3) the context (at the office, on the street, consulted. We should also point out that end-users are no experts when it comes to analyzing
at home, etc.). No foolproof method has so far been developed, and we cannot create a useful and the scope of possibilities, especially in terms of technology.
usable interface without resorting to a repetitive user-centered approach to design. Researchers and
designers focusing on man-machine interfaces always endeavor to get end-user feedback (1) right Suppose a designer was to participate in a research project of this kind with an experimental
from the earliest steps of the creation process (through on-paper prototyping, for example) and (2) dimension to it. What type of results could be expected?
all throughout the long-term design cycle (via participative design, for example). But the fact that Initially, a design method, with the identification of the stages required so that the designer is then
computing remains more or less a domain for computer specialists and scientists only poses able to match the two important aspects of the design process, with, on the one hand, notes to help
a problem. Now that computers have invaded the domestic sphere, any potential tangible solutions capitalize on previous designs and, on the other hand, a model, in which both design and computing
have a great role to play. The idea is that the general public finds it easier to handle physical objects play a prominent role. In the long run designers could contribute to capitalizing on expertise
(because they can apply techniques that echo familiar gestures) than to learn how to master digital by establishing a set of rules called “design templates.”
interfaces. Therefore, researchers are veering towards end-user programming, i.e. programming
carried out by non-professional programmers. So you think designers should work on the methodological aspect of the design process, prior to
production? This is not how people usually see design: people often think that designers merely
Another related question is the place of design in the creation of man-machine interfaces. finalize products.
Where do you think designers should stand in this process? Today, there is a real need for designer input; we must strive to add a little expertise and creativity
We, and a number of peers, have been reflecting a great deal on the position of design in our area to our activities. When launching, let’s say, a new communication device on the market, a company
of activity. However, the only designers we have actually worked in collaboration with were graphic must first and foremost come up with a shape for its new product. How do you deal with the
designers. In the past, all creative drawing was done onscreen so there was very little, or no need for professionals who will actually produce the shape of the object? What impact will the shape of
well-designed tools. Now that players in our domain have realized the importance of the physical the object then have on users? How do you describe the morphology of interaction in relation to
aspects of interfaces, we are increasingly going to need to draw upon the know-how of designers. the shape of the object?
How could we incorporate the creative steps of designers into our software-oriented production
steps e.g. design, programming, interface tests, understanding user needs…? For now the two Coming back to the concept developed by Henri Derudder in his final degree project, did you,
disciplines still fail to intertwine effectively. Some professionals come up with shapes and others among the points covered by the student, find some kind of answer to the overall questions we have
then apply digital techniques to them. To further the advancement of knowledge and know-how raised?
in this field we must implement a production method that would combine both activities. In this project we created a connection between our activities and the student’s skills by providing
To exemplify what I’m saying, I’d like to refer to the diagram which illustrates an article by him with a conceptual model, which gave him some avenues in which to explore the scope of
S. Hudson and J. Mankoff entitled: “Rapid Construction of Functioning Physical Interfaces possibilities. This involved adopting a methodological approach in order to envisage a wide range
from Cardboard, Thumbtacks, Tin Foil and Masking Tape” presented at the ACM-UIST 2006 of creative solutions. Henri Derudder has made use of the conceptual model that we gave him,
conference. Here, they underline the need to combine the shaping of the physical object (Design) which enabled him to design a variety of objects.
with the mode of interaction (CHI). The object’s physical shape has become central to man-machine As for the other results, I was taken aback when I realized to what extent the student’s working
interfaces and justifies the need to weave design into man-machine interfaces. method was influenced by technology. I thought that technological aspects would not be taken into
consideration until a later stage of the design process. A designer should not be so caught up in the
different technologies that he/she has decided to use (Blue Tooth or RFID sensors, for instance).
1
Massachussets Institute of Technology. I found it very interesting to observe such a way of working: it shows the deep influence of
2
Portmanteau word that merges “physical” and “icon.”
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01 INTERFACES TANGIBLES + DESIGN 01 TANGIBLES INTERFACES + DESIGN

technology upon creation and design. Right away, Henri Derudder opted for RFID tags. I replied increasingly widespread, thereby providing more and more use-related data. Today most people are
that he should not worry about what type of technology he was going to use at such an early step equipped with computers; the next step is the adoption of an increasing number of small augmented
of his reflection. I told him we would find the suitable solution when the time came. objects (such as Nabaztag, small network-connected magnet-screens stuck on the fridge, etc.).

So Henri Derudder paradoxically adopted a creative approach which was restricted by his deeply Do you think that Nabaztag is just the first member of an emerging family of augmented
ingrained technological culture. objects that are about to invade our daily lives?
Indeed. His method was really striking. I had not expected him to work this way at all. Deciding Yes, exactly. I firmly believe that augmented objects will gain tremendous popularity and invade all
if you’re going to use a bar-code scanner, a RFID tag or Blue Tooth is more the job of an engineer. kinds of homes, be it Nabaztag or otherwise.
However, in the field of man-machine interface engineering, we favor creation processes that enable
us to break free from overly technological mindsets. When do you think this scenario might begin to become reality?
In my opinion, in five years time augmented objects will be all over the place. You will find them
Indeed in design you sometimes have no choice but to adopt a techno-push approach, i.e. using in supermarkets and other general public stores. For many years, we have been endeavoring in
the state-of-the art of a specific technology to try and ascertain new uses without questioning the laboratories to go beyond the idea of the computer as a rigid desk-riveted grey box, as this is bound
technology itself. to disappear and be replaced with augmented tables and all other kinds of augmented objects.
Yes, this is an interesting point. In the field of man-machine interfaces, first we design what we call This development is the next step in private homes too. The interesting thing is that in five years
the abstract interface, abstract interaction, and then we try to draw a sharp, clear line so as to make time a significant amount of use-related data that we currently lack will be made available to us.
sure not to overlook potential options as a result of technological considerations, as one way or Indeed, for the time being, we are confronted with major difficulties in evaluating the efficiency
another we know we will eventually find a technological solution to apply to our object. of such objects and to observe how users actually make use of them. We have been speculating
and inventing prospective scenarios, but such methods could prove dangerous.
In the end, Henri Derudder managed to design quite a complete device. Is his initiative in tune
with observations or reflections you might have come across in other projects? In other words, So we are ready to move from experimentation to production?
is our student’s project in line with the work of researchers and designers in the field of man- Yes. And from then on we are going to be able to observe how users actually use these objects and
machine interfaces? how they interact with them. Are they going to combine them or use them separately? The true
I must admit I expected him to display more creative skills, more off-the-wall ideas, if I may say challenge lies in not reverting to the approach we have adopted up to now, that is the all-digital
so. But on the contrary, his project is exactly the kind we could have carried out with our in-house method, excessive computerization and, for example, techniques to guess what users like to do after
team. We therefore totally approved of your student’s work. Our team is really willing to work in eating, etc. When dealing with people’s daily lives, it is important to allow users enough flexibility
collaboration with design professionals. I already had the opportunity to work with other designers in organizing their own environment. As some researchers from Xerox PARC stated after extensive
whose practice really surprised and interested me. Henri’s project, however, was more computer- reflection: “We do not live in an expert system.” The objective we must set for ourselves is to have
based. users organize their environments as they please by placing communication devices wherever they
feel like in their home. This is end-user programming: making sure users can actually use the
This is perhaps due to the academic path of the student, who came up with this idea by means technologies that are offered to them.
of interface design. This explains why he focused more on computer technology than on the
physical aspect. Are we therefore breaking away from a model of automization based on predictive behavior and
Right. However I was really impressed by Henri Derudder’s high-quality presentation. It showed veering towards a series of modules that can be assembled without interfering with the user’s free
me the huge gap that existed between a student in computer engineering and a student in design. will?
I found it very entertaining to compare the slides made by Henri to those that my students handed Exactly. We came across the pitfalls you were just mentioning during the first attempts at designing
out to me. You could feel the marketing and communications spirit in the way he presented his man-machine interfaces. Home automation initiatives – which fell into decline and finally proved
project. to be a complete failure – are living proof that devices jeopardizing users’ free-will are doomed to
fail. Home automation is currently coming back in the limelight with the advent of wireless sensor
The disappearance of material aids and the increasing number of cultural goods being distributed networks, and in this context we are going to have to be careful not to fall into the same traps
in digital form were Henri’s main concerns. What consequences will this evolution towards in which we got caught up in the past. For instance, we know for a fact that programming house
an all-digital society have on users of man-machine interfaces? temperature via a computer is difficult and ineffective. Let’s find relevant interaction methods
This continued over-digitalization is a big issue and it is precisely because of this phenomenon that which are suitable for this task.
we are now reverting back to tangibility in the field of man-machine interfaces. Let’s have a look at
a nationwide project on elderly people living at home. All day every day, an elderly person receives The field of man-machine interfaces is ruled by two main schools of thought: those for whom
numerous visits from a versatile team of healthcare professionals. Up until this point, the various computers are like hammers, tools making everyday life easier and over which end-users have
care workers filled in information on the elderly patient in a folder left in the house. The project complete control. This is the approach I adopt in my work. The other school of thought is that
involved getting rid of the physical folder and replacing it with a digital version. This would enable of artificial intelligence, which endeavors to make computers intelligent and able to learn, so they
the doctor to access all information related to his/her patients without having to actually visit them. can replace a secretary or a personal assistant on a daily basis, reminding the user which tasks need
The project, however, has not aroused much enthusiasm as users of this health care service are eager to be done etc.
to maintain the material and physical interaction they have with their doctors and other health care
professionals. A number of other projects which aim to transform an object into a digital service In your view, designers should aim to create devices that are simple to use. Instead of continuing
have met with the same reluctance. There is no way that the folder I mentioned earlier could be to come up with ever more complex predictive models, they should try and devise easily
replaced by a USB key. We need to find shapes that both make sense in the material world and make understandable and graspable devices.
the most of digital technology. Graspable and above all flexible, so that they are able to take on different shapes. Because users
must be free to organize their lives as they please. Designers should not determine how users are
If you were to take a bet on what would happen in the future, what would your evolution scenario to use such or such a device prior to production as is often the case. Today flexibility, user-control
include? and end-user programming are key notions in our field.
In the near future, I am positive that augmented devices are going to gain a foothold in homes.
These objects, scattered all over the house and connected via wireless networks, are going to become
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BIOGRAPHIE PRINCIPALES PUBLICATIONS


BIOGRAPHY MAIN WORKS PUBLISHED

Laurence Nigay, informaticienne de formation (thèse en 1994 sur le thème suivant : « Conception
et modélisation logicielles des systèmes interactifs : application aux interfaces multimodales »)
est professeure à l’Université Joseph Fourier (UJF), membre de l’Institut Universitaire de France
(UIF) depuis septembre 2004, co-responsable de l’équipe IIHM (Ingénierie de l’Interaction
Homme-Machine). Elle a été médaillée de bronze du CNRS en 2002. Ses recherches portent plus
particulièrement sur l’ingénierie de l’Interaction Homme-Machine (IHM). Elles visent à faire le lien
entre les facteurs humains et le Génie Logiciel (GL), c’est-à-dire à considérer les critères d’ergonomie
comme des critères de qualité du logiciel, au même titre que les critères de Génie Logiciel, à étudier
des méthodes de conception centrées sur l’utilisateur. Laurence Nigay travaille plus particulièrement
au sein de l’équipe IIHM sur de nouvelles formes de modalités d’interaction, la multimodalité et les
interfaces post-WIMP3 (post Window Icon Menu Pointer).

Laurence Nigay, was trained as a computer engineer (in 1994 she wrote a PhD thesis on: “Designing
and modeling interactive systems using software: application to multimodal interfaces”) and
has been teaching at the University Joseph Fourier (UJF), a member of the Institut Universitaire
de France (a nation-wide institution which fosters the development of advanced research within
universities and promotes cross-disciplining.) since September 2004. She also co-runs the IIHM
team (a working group that studies man-machine interaction engineering). She was awarded a
bronze medal by the prestigious CNRS (French National Center for Advanced Research) in 2002.
Her research activities have mostly been centered on man-machine interaction. They aim to bridge
the gap between human factors and software engineering, i.e. using ergonomic criteria to assess
the quality of software, just like criteria of software engineering, and to study user-centered design
processes. Within the IIHM team Laurence Nigay has been working on new modalities
of interaction, on multimodality and on post-WIMP3 interfaces.

3
 Post WIMP = post Window Icon Menu Pointing Device. Ce terme fait référence aux interfaces plus évoluées
que le système, désormais daté, Icônes / Menu / Souris.
This term refers to interfaces more advanced than the now-outdated system based on icons, menus and a mouse.
Ouvrage collectif : Collective work:
Bryan-Kinns Nick, Blandford Ann, Nigay Bryan-Kinns Nick, Blandford Ann, Nigay
Laurence (eds). People and Computers Laurence (eds). People and Computers
XX, Proceedings of Human Computer XX, Proceedings of Human Computer
Interaction 2006. Springer, 2006, 278 p. Interaction 2006. Springer, 2006, 278 p.

Chapitre dans un livre : Chapter in a collective work:


Nigay Laurence. Software Engineering Nigay Laurence. Software Engineering
for Multimodal Interactive Systems. In for Multimodal Interactive Systems. In
Bouchet J., Juras D., Mansoux B. (eds). Bouchet J., Juras D., Mansoux B. (eds).
Multimodal User Interfaces : from Signals Multimodal User Interfaces: from Signals
to Interaction. Springer, 2008, pp. 201-218. to Interaction. Springer, 2008, pp. 201-218.
(collection Lecture Notes in Electrical (Lecture Notes in Electrical Engineering)
Engineering)
Recently published articles:
Article : Nigay Laurence, Chin Tat-Jun, You Yi Lun,
Nigay Laurence, Chin Tat-Jun, You Yi Lun, et al. Mobile Phone-based Mixed Reality:
et al. Mobile Phone-based Mixed Reality : the Snap2Play Game. In Proceedings of the
the Snap2Play Game. In Proceedings of the 14th International Multimedia Modeling
14th International Multimedia Modeling Conference. Berlin/Heidelberg: Springer,
Conference. Berlin/Heidelberg : Springer, 2008 (The Visual Computer).
2008 (The Visual Computer).
Presentation at an international
Conférence internationale : conference:
Nigay Laurence, Chin Tat-Jun, Coutrix Nigay Laurence, Chin Tat-Jun, Coutrix
Céline. Deploying and Evaluating a Mixed Céline. Deploying and Evaluating a Mixed
Reality Mobile Treasure Hunt : Snap2Play. Reality Mobile Treasure Hunt: Snap2Play.
In International Conference on Human In International Conference on Human
Computer Interaction with Mobile Devices Computer Interaction with Mobile Devices
and Services (10, 2008, Amsterdam) Mobile and Services (10, 2008, Amsterdam) Mobile
HCI. ACM Press, 2008, pp. 335-338. HCI. ACM Press, 2008, pp. 335-338.

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01 INTERFACES TANGIBLES + DESIGN 01 TANGIBLES INTERFACES + DESIGN

Yubi
Henri Derudder
Nathalie Ciprian – responsable
pédagogique 2nd cycle
Though his study on the formal and
functional aspects of such artifacts
Espèces d’objets * remained skin-deep as exclusively
* en référence à Georges Pérec (1974), focused on the chosen technological
Espèces d'espaces, Éditions Galilée, Paris, solution, Henri’s initiative nonetheless
Tout doit disparaître, l’inutile, 2000. proved quite groundbreaking in that it
le futile ainsi que le substituable 4
fonctionnels et symboliques. aims to materialize actions rather than
par de l’intangible. De grands discours, 5
Cf. les visions de S. Dali et plus récemment to “re-materialize” objects.
tel celui de Philippe Starck, prônent, les écrits du sociologue Zygmunt Bauman.
parfois non sans contradictions, 6
Jean Bazin cité par J.-M. Schaeffer in Indeed, our world is made of liquid5:
la décroissance, la disparition des revue l’Homme n° 170, revue française the true nature of things does not lie in
objets, la simplicité, par choix de vie d’anthropologie 2004, p.35. their material dimension but in fluxes.
ou par nécessité économique. Henri Derruder’s project draws from
the “ritual objet”, a notion coined by
Ceux-ci semblent mis à mal dans ce French anthropologist Jean Bazin:
projet d’étudiant. Après avoir vécu au the “ritual object” is an object which
milieu d’une foultitude d’objets, Henri is updated ritually; it is not a mere
Derudder nous propose une évolution “object” – i.e. something you can hold
qui nous entoure d’un nouveau in your hand or stand in front of, but
système… d’objets. La démarche, an active player, an entity with which
primordiale ici, de recherche sur les one interacts.6
usages n’a pas abouti à un autre constat
que ceux de Baudrillard ou Pérec : Therefore you cannot define an
l’homme a toujours eu et aura encore object without mentioning the
besoin d’artefacts4.  environment in which the object is to
be used, in addition to describing all
Bien que survolant la partie formelle the functions it might feature. “An
et fonctionnelle desdits artefacts, sous object is not limited to 'the thing'
couvert de la technologie embarquée itself, which is merely the virtual sum
proposée, l’approche d’Henri est of all its concurring or successive
originale dans le sens où elle propose objectivations.” When making this
de matérialiser des actions plutôt que statement, Jean Bazin did probably not
de « re-matérialiser » des objets. envisage all the technological solutions
En effet, notre monde serait liquide5:
l’important ne serait plus dans
le matériel, mais dans les flux.
Yubi
Henri Derudder
that would expand the lives of objects
via technology and design.

La proposition d’Henri Derruder nous “Espèces d’objets” * Nathalie Ciprian – Course Leader -
renvoie à la notion d’ « objet rituel » Postgraduate Studies
présente dans les travaux de
l’anthropologue Jean Bazin : l’objet Everything is bound to fade away: the * The student is here referring to Espèces
« rituel » est un objet actualisé useless, the futile and all that can be d’espaces by French essayist and novelist
rituellement, il n’est pas un « objet » replaced by intangible objects. Some Georges Pérec (1974), Espèces d'espaces,
(quelque chose face à quoi on se tient) famed figures – like Philippe Starck, for Éditions Galilée, Paris, 2000. literally
mais un actant (une entité avec laquelle instance – have sometimes advocated translates as “Sorts of objects.”
on interagit).6 “de-growth,” the disappearance of 4
functional and symbolical.
objects, simplicity, either by life choice 5
See S. Dali’s views on the matter as well
Ainsi un objet ne peut être or economic necessity. as the more recent works by sociologist
complètement caractérisé qu’en Zygmunt Bauman.
précisant le contexte dans lequel il In his project, our student criticizes 6
Jean Bazin quoted by J.-M. Schaeffer in
est décrit en plus des fonctions qui lui such ideas. Born about twenty-five the periodical L’Homme, n° 170, Revue
sont conférées. « L’objet ne se réduit years ago, Henri Derudder has always Française d’anthropologie, 2004, p.35.
pas seulement à « la chose », celle-ci been surrounded by objects of all
n’étant jamais que la totalité virtuelle kinds; today he has come up with an
de ses « objectivations  concurrentes innovative solution: a new system
ou successives ». En écrivant cela, Jean based on… objects. By observing and
Bazin ne soupçonnait peut-être pas documenting usage, he came to the Henri Derudder
toutes les possibilités de prolongation same conclusion as Baudrillard or tel. : 06 68 44 53 95
de vie des objets par la technologie et Pérec: Mankind has always needed and email : henri@digitalic.org -
le design. will always need artifacts4.  site : http://www.digitalic.org
18 19
02
« Le design peut jouer un rôle en amont de nos activités,
en participant à la conception de nouvelles visions. »

Entretien avec Stephen Boucher, consultant en politique.

CADI : Les Euro-thinks tanks (réservoir d’idées spécialistes de l'Union européenne) se veulent
des architectes de la démocratie européenne. Pouvez-vous nous expliquer ce que sont ces entités,
influentes bien que peu visibles ?
S.B. : Pour vous donner une réponse succincte qui pourra être complétée par l'ouvrage Les Think
Tanks : Cerveaux de la guerre des idées (Éditions du Félin) co-écrit avec une journaliste des Échos,
Martine Royo, nous avons défini les think tanks, organismes sans vraiment d'idéal type, comme
des organes de réflexion et de proposition de solutions politiques, dotées de leurs propres équipes
de recherche. Ces chercheurs se consacrent à la réflexion et à l'analyse politique avec la vocation
d'en tirer des propositions, de les faire connaître, d’œuvrer à leur d’adoption et de les promouvoir.
Ces entités situées à la croisée des mondes académiques, politiques, économiques, médiatiques
et industriels, ont des traits communs avec chacun de ces univers sans être assimilables à des
organismes plus classiques (équipe universitaire, parti politique, consultants… ).
Ils se distinguent des clubs, historiquement nombreux en France, en général réunis autour d'une
personnalité, d'un parti ou d'une certaine tendance politique, qui sont avant tout des lieux de
rencontre, comme le veut la terminologie du nom. Au contraire, les think tanks sont censés être,
selon l'étymologie du terme américain, des « réservoirs de pensée ».

Quel est le rôle de ces « réservoirs de pensées » ou « laboratoires d'idées »?


Leur rôle est d'alimenter le débat, de nourrir la réflexion, d’apporter des idées innovantes et de
rénover la pensée. Par exemple, Dominique Strauss Kahn et certains de ses fidèles ont créé un
nouveau think tank appelé Terra Nova dont la mission est de rénover la pensée moderne. L'Institut
Thomas More, un think tank néo-libéral français, s'attache à éclairer les débats d'idées novatrices
tirées de cette philosophie.

Existe-t-il une typologie des think tanks ?


On recense quatre types de think tanks : les think tanks universitaires, les advocacy tanks (think
tanks très idéologisés, pour beaucoup néo-conservateurs, qui « plaident » pour une cause auprès
des médias, de l'opinion publique et surtout des décideurs), les instituts de recherche sous contrat
et les think tanks de partis politiques.

Quels sont les enjeux et questions primordiales qui régissent les activités des think tanks,
et notamment des think tanks spécialistes de l'espace européen, votre champ d'action ?
Lorsque nous avions réalisé, il y a déjà quatre ans, une étude sur les think tanks qui s'intéressent
principalement à l'Europe et l'Union Européenne, certaines problématiques intéressaient plus que
d'autres (les questions institutionnelles et économiques notamment) mais nous avions repéré certains
effets de modes. À une époque où les questions de terrorisme étaient sur le devant de la scène, nous
avons observé une vague de création de think tanks et de programmes d'études sur ce sujet, de même
pour les questions touchant à l'immigration. À l'heure actuelle, les thèmes courants sont l’énergie,
le changement climatique et le développement durable. Historiquement, les think tanks se penchent
sur les questions institutionnelles, de compétences de l'Union Européenne, sur les questions
économiques, la politique étrangère. En effet, nombre de think tanks tels l'IFRI (Institut Français
des Relations Internationales) ou l'IRIS (l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques)
sont orientés plus généralement vers les questions internationales.

Quel impact ces think tanks ont-ils sur les processus de décision ?
Avoir un impact sur les processus de décision, influencer et faire passer leurs idées reste le but
des think tanks. C’est en cela qu'ils se distinguent de la recherche académique : leur réflexion n'est
pas théorique, elle doit être suivie d'effets. Toutes sortes d'exemples montrent que certains think
tanks ont injecté des idées dans le débat politique. Le concept de la « tolérance zéro » en matière
de délinquance urbaine, par exemple, a été popularisé et promu par le Manhattan Institute,
un think tank américain. Sans leur concours, cette théorie serait restée une proposition de l'ordre
académique. Ils en ont fait un concept politiquement attirant. De même, le Center for European
21
02 POLITIQUE + DESIGN 02 POLITICS + DESIGN

Policy Studies (CEPS), un des principaux think tanks européens, a été à son origine un des C’est donc la capacité du designer à mettre les concepts en forme qui pourrait s’avérer utile
promoteurs de l'union économique et monétaire. Mais les cas où l'impact d'un think tank sur une dans votre domaine.
idée politique est mesurable restent assez rares. Leur influence est trop diffuse pour être facilement La démarche primordiale à adopter c’est de croiser des disciplines, de croiser des regards. Pour cela,
identifiable ; ce serait davantage une contribution à la discussion politique. Notre Europe a, par des acteurs de différentes disciplines doivent pouvoir se rencontrer. Il serait intéressant et fructueux
exemple, apporté des arguments dans le cadre du débat sur le budget européen, un programme de constituer des groupes de travail réunissant experts du design et experts du monde politique
de recherche et de réflexion existant depuis quelques temps. Si nos idées sont lues et peuvent servir réfléchissant ensemble à des problèmes et à des solutions. Certains outils sont nés de ce genre de
d'inspiration à certains députés européens, il est impossible de repérer de manière précise et tangible démarches : la société Shell qui avait besoin de mieux comprendre comment pouvait évoluer son
l'influence directe de nos actions. Contrairement aux lobbies traditionnels, nous ne proposons pas marché a développé la méthode des scénarios, pratique courante dans le domaine du design mais
des actions immédiates sur telle ou telle directive européenne,ou pour changer tel aspect ou tel marginale en politique à l’époque. Désormais cette méthode des scénarios d’usage est devenue
amendement. Nos actions sont plus conceptuelles, plus générales. Voilà également pourquoi il est monnaie courante dans notre secteur d’activité.
difficile d'identifier comment et à quel degré l’opinion publique se les approprie.
Quels autres aspects du travail d’Armel Le Coz ont suscité votre intérêt ?
Comme le rappelle Armel le Coz dans son mémoire, seul un français sur trois dit s'intéresser Son travail m’a interpellé et intéressé, notamment l’idée que certains outils du design lui permettraient
à la politique (abstention en moyenne supérieure à 40% depuis 1958). Quelles sont les causes de mieux expliquer des projets de lois ou des problèmes politiques. Je serais curieux de voir la
du désintérêt et du manque d'adhésion des citoyens pour la politique ? continuation de ce projet et son aboutissement concret pour découvrir des solutions innovantes
Ce genre de statistiques est à interpréter prudemment. Au vu de la passion qu’a suscité le référendum par rapport à nos méthodes, somme toute classiques, d’explication et présentation
à propos du Traité Constitutionnel ou les élections présidentielles françaises, les Français des textes de loi.
s’intéressent très fortement aux questions politiques à certains moments. Ce sondage reflète sans
doute une certaine vision de la politique mais ne donne en aucun cas une vision générale de la Ce qui était intéressant dans le projet d’Armel c’était sa volonté d’apporter une dimension
relation des citoyens français avec la politique. Je pense au contraire, c’était d’ailleurs un peu le pédagogique aux outils de participation citoyenne. Partant du constat que toute une partie
calcul politique de M me Royal, que les citoyens sont en attente de nouvelles formes de participation de la population n’avait pas accès au débat politique, faute de moyens de compréhension des
qui leur permettent de s’impliquer, de débattre et d’avoir un impact sur les discussions. problèmes, il a mené son projet dans l’optique de dépasser l’élitisme inhérent à la sphère de la pensée
politique. Cette perspective vous paraît-elle réaliste ?
Le terme de « désintérêt » n’est peut-être pas bien approprié. Disons plutôt que les citoyens Tout à fait, même si j’ai du mal à imaginer quelle forme cet accès élargi au débat politique pourrait
éprouvent un intérêt pour la politique mais n’ont pas les moyens ni les outils pour adopter un prendre. Une infographie un peu sophistiquée sera toujours mieux que les journaux, mais cela ne
comportement participatif. serait pas forcément suffisant pour révolutionner les usages dans le domaine politique. Mais d’après
Oui. D’autre part, il existe sans doute un désintérêt pour certaines formes traditionnelles de la ce que je comprends intuitivement cela pourrait s’avérer un outil d’explication très efficace. Je pense
politique ou certains débats, mais pas pour la politique en soi : grands choix de vie et grands choix donc qu’un tel projet peut interpeller les gens, les faire réagir de manière différente, leur apporter
de société… une compréhension plus approfondie de la situation. La politique se fait beaucoup entre experts,
et les citoyens en sont exclus. Si l’on parvenait de manière tout à fait rigoureuse mais pédagogique
La fonction d'innovation est un des chevaux de bataille des think tanks. C'est également un des fers à intégrer les citoyens dans cette complexité, cela donnerait des résultats et attirerait beaucoup de
de lance des designers. Comment la démarche du design peut-elle participer de l'innovation prônée monde.
par les think tanks ?
Sur le principe, dans la mesure où la création est primordiale dans l’industrie du design, cette En tant que spécialiste de l'innovation en matière de réflexion politique à l'échelle européenne,
activité doit être basée sur une réflexion structurée autour de l’émergence et de la diffusion de comment pensez-vous que la perception de l'actualité politique par les citoyens risque d'évoluer
nouveaux modes de vision, réflexion qui pourrait certainement être appliquée à la politique. D’après au cours des prochaines années ? L'hégémonie d'une politique intellectuelle, intellectualisée, réservée
ce que je connais de la politique, les modes d’organisation de la pensée sont très classiques, voire très à un cercle d'initiés va-t-elle se résorber, selon-vous ? Les institutions démocratiques
pauvres. Les gens sont souvent très bien formés et très intelligents, mais les infrastructures ou outils vont-elles privilégier la communication et adapter leur discours aux citoyens ?
permettant de penser de manière collective sont très limités et pas très évolutifs. Former des gens Le décalage perçu entre l’engouement pour la politique, une certaine frustration des citoyens
à penser de manière individuelle est une bonne chose (qui se pratique déjà en politique), il convient et les leçons qu’en tirent les responsables politiques est inquiétant. En France, par exemple, la
surtout maintenant d’organiser la réflexion collective. Et, sur ce point, je pense que nous pourrions compréhension de la notion de participation des citoyens au débat politique est assez superficielle,
tirer des enseignements du design. bien qu’on recense des débats publics ou l’existence du CNDP (Centre National du Débat Public).
Si ce genre d’initiatives sont motivées par de bonnes raisons, la réflexion méthodologique qui les sous-
Votre domaine d’activité (qu’Armel Le Coz a décidé d’explorer dans le cadre de son projet tend reste assez limitée avec, de fait, des résultats eux-mêmes assez limités. Les citoyens ne perçoivent
de fin d’études) relève du domaine intellectuel, il a donc plutôt trait à l’immatériel. Quel impact pas forcément l’impact de ces initiatives sur la vie politique et cela engendre en eux
le design (historiquement plus lié à la conception d’objets tangibles ou d’espaces) peut-il avoir des frustrations. (« On nous consulte mais à quoi cela sert-il, en définitive ? »). Au niveau européen,
sur l’immatériel ? ces initiatives sont encore plus compliquées puisque la dimension internationale et multilingue entre
Nous pourrions aborder ce sujet sous deux angles différents. Tout d’abord, le design peut jouer en ligne de compte.
un rôle en amont de nos activités, en participant à la conception de nouvelles visions et de nouvelles Les réactions au récent référendum montrent bien le décalage existant entre ce que veut le peuple
solutions… Et d’autre part, il pourrait influer sur la phase aval, les moyens de diffusion, de et ce que préconisent les responsables politiques. La leçon que l’on pourrait en tirer est qu’il ne faut
vulgarisation et d’organisation du débat. C’est ce qu’a fait Armel en concentrant ses efforts sur pas consulter le peuple à propos de questions trop complexes. Mais ce serait se fourvoyer.
la manière de les expliquer et d’en débattre. Dans le secteur du design, de même que dans tous La vraie réponse est qu’il faudrait mieux organiser le débat. De façon un peu pessimiste,
les secteurs de l’industrie, du fait de la dimension économique, on ne peut se contenter d’attendre je n’ai pas l’impression que les responsables tirent les bonnes leçons de ce genre d’échecs.
qu’un génie vienne proposer une solution. Les processus sont organisés pour faciliter une créativité Une autre façon de voir serait de considérer que les responsables politiques ont un rôle bien
continue et arriver à de nouveaux modes d’actions. Que cela se matérialise sous la forme d’un défini, gérer le quotidien de la nation, et qu’ils n’ont pas le loisir de consulter les citoyens. Cette
nouvel outil, à travers la manière d’organiser un service hospitalier, dans l’urbanisme ou autres tâche incomberait plus à la société civile, aux associations, aux entreprises… Ce type d’initiatives
problématiques sociales, il y a forcément des enseignements à tirer du design. enrichirait le débat politique et apporterait des outils de réflexion à la classe politique. Si ces outils ont
un certain poids politique, alors les intéressés y prêteront attention. Le Grenelle de l’environnement
est un exemple de processus de réflexion et de consultation. Mais, en définitive, tout ce qui y a été
décidé passe désormais à la moulinette de la logique incontournable des partis politiques.
22 23
02 POLITIQUE + DESIGN 02 POLITICS + DESIGN

Donc, si évolution des outils de consultation citoyenne il doit y avoir, cela ne viendra pas What are the main issues underlying the activities of think tanks and especially those specializing
forcément des institutions. in your field of action, the European Union?
Il ne faut pas forcément attendre que les hommes politiques et les institutions comprennent Four years ago when we carried out a study on Euro-think tanks we came to the conclusion that
les choses, il faut initier les choses. C’est ce que Notre Europe s’est attaché à faire en some issues appealed more than others, such as institutional and economic matters, but we had also
organisant un sondage délibératif au niveau européen qui a fait mouche. En effet, une spotted a number of fashion trends. When terrorism was hogging the media limelight we noticed
autre organisation est actuellement en train d’organiser un sondage similaire à propos du an increase in related think tanks and study programs; the same trend also applied to immigration
système européen qui reçoit un accueil très positif. Tandis que les institutions européennes issues. Today the most popular topics are clean energies, climate change and sustainable
ont manifesté une certaine réticence lorsque nous avons lancé notre premier sondage, nous development. Originally, Euro think tanks were meant to focus on institutional issues, economic
constatons qu’elles accueillent le deuxième à bras ouverts. La conclusion serait donc qu’il faut matters and foreign policy pertaining to the European Union.
peut-être amorcer les choses du côté de la société civile.
What influence do these think tanks have on the decision-making process?
Having an impact upon the decision-making process, influencing people and spreading their ideas
are the main goals of think tanks. Here lies their main difference with academic research: they do
not restrict themselves to mere theoretical reflection, their thinking must lead to concrete action.

02  Many examples show how think tanks have breathed new ideas into political debates. The policy
of “zero tolerance” to urban crime, for instance, was first made popular and promoted by the
Manhattan Institute, an American think tank. Without them, this theory would not have made
“Design could come into play prior to our activities it past the academic phase. The Manhattan Institute managed to make it into a politically appealing
by contributing to creating new views and new solutions…” concept. Along the same lines, the Center for European Policy Studies (CEPS), one of the most
authoritative European think tanks, was initially one of the main supporters of the Eurozone.
However, it remains quite rare for a think tank to actually have a noticeable and quantifiable
impact upon political thinking. Their influence is too interspersed over the political arena to be
Interview with Stephen Boucher, consultant in public affairs.
easily identified; their action is therefore more accurately described as a contribution to the political
discussion. “Notre Europe” for instance set forth a number of arguments during the European
CADI: Euro-thinks tanks aim to be the architects of European democracy. Could you tell us more Budget debate, as part of a research program which has existed for some time. Though we know
about these influential yet barely visible bodies? our ideas are actually being read and sometimes prove inspirational to some European members
L.N.: To give a brief answer – that you are free to supplement with the work entitled Think Tanks: of parliament, there is no precise tangible way to evaluate the direct impact of our actions. Unlike
Cerveaux de la guerre des idées (Éditions du félin) about think tanks seen as the true brains pulling traditional lobbies, we do not advocate taking immediate action on such or such European directive
the strings of the ideological war, that I co-wrote with Martine Royo, a journalist from the French or changing various aspects or amendments, for instance. Our action is more concept-based and
newspaper Les Échos – I’d say that think tanks – organizations that do not really have a typical has a broader scope. And this also accounts for the difficulty in evaluating the way and the extent
idealized model – are thinking groups who are equipped with their own research teams dedicated to which public opinion adopts our ideas.
to reflecting upon and analyzing political issues in order to find solutions, make them known and
get them implemented. These organizations, situated at the crossroads between the academic, As Armel Le Coz underlines in his final thesis, only one in three French people claims to take an
political, economic, information and industrial worlds, have common features with each of these interest in politics (the abstention rate has on average been over 40% since 1958). What do you
fields but stand out from more traditional types of organizations such as university teams, political think are the reasons for this lack of interest in politics?
parties and consultants. These kind of figures should be analyzed carefully. Looking back at the massive display of
enthusiasm for the European Constitutional Treaty referendum or the latest French presidential
They are not to be confused with clubs, which are historically quite numerous in France and elections, it can be seen that at certain times, the French get deeply involved in political issues.
usually focused on one single personality, a political party or a specific political view and are above This survey you’re mentioning only mirrors one single aspect of French politics, it is far from giving
all meeting places, as their name indicates. Think tanks, on the other hand, are supposed to be, an accurate picture of French voters’ actual relationship to politics. On the contrary, I tend to think,
according to the etymology of the American term, quite literally “tanks of thought.” and during the latest French presidential campaign Mrs Ségolène Royal had sensed that, citizens
are in need of new simplified ways to participate in the political debate, to become involved and
What role do these “think tanks” or “idea labs” actually play? have their voices heard in political discussions.
They keep the political debate alive, provide food for thought, bring innovative ideas and renew
thinking as a whole. For instance, Dominique Strauss Kahn 7 and some of his followers founded You are right, speaking of a “lack of interest” may not be the right term. Let’s say citizens are eager
a new think tank called “Terra Nova” whose mission was to renew modern thinking. The Thomas to take an interest in politics but do not have sufficient means or tools to be able to take part.
More Institute – a French neo-liberal think tank –endeavours to cast new light on existing debates Exactly. I would also add that there is a lack of interest for some traditional types of political issues
with their own groundbreaking ideas. or some age-old barren debates but not for politics itself – I mean life-changing choices and
society-shaping decisions…
Is there a typology of think tanks?
There are four different types of think tank: university think tanks, advocacy tanks –i.e. Innovation is one of the main leitmotivs of think tanks. It is also one of the greatest tools of designers.
ideologically committed think tanks that defend a cause and aim to gain support from the media, How can design play a role in fostering innovation as advocated by think tanks?
public opinion and above all from decision-makers – government research bodies and political party Since creativity is key to the design industry, this activity needs to be based upon structured
foundations. reflection on how to bring out and spread new modes of vision; and this kind of reflection could
undoubtedly be applied to politics. From what I understand of politics, the methods used to
organize thinking in this field are very traditional and rather poor. Most people working in this
7
Dominique Strauss-Kahn, often referred to as DSK is a French economist, lawyer, and politician, member of
field are very well-educated and intelligent but they only have access to very limited, rigid and not
the Socialist Party (PS). He was appointed Managing Director of the International Monetary Fund (IMF) on 28
particularly advanced infrastructures and tools to promote collective thinking. Training people
September 2007.
to think individually is a good thing to do – this is what has been done in politics so far – but now
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02 POLITIQUE + DESIGN 02 POLITICS + DESIGN

we need to organize collective thinking. And here, I think designers could have a very useful input. complex to handle as the international and multilingual dimension has to be taken into consideration.
Your field of activity – which Armel Le Coz has centered his final degree project on – is rooted in The upshot of last year’s referendum bears witness to the discrepancy between what the people want
the intellectual world and is therefore concerned with immaterial matters. How can design, which and what political leaders advocate. We could easily jump to the conclusion that the people should
is originally concerned more with tangible products or spaces, impinge on the immaterial world? not be consulted when it comes to complex issues. But we would be mistaken to do so. The solution
This topic can be addressed from two different angles. Firstly, design could come into play prior to is that the debate needs to be organized more thoroughly and efficiently. This might sound a little
our activities by contributing to creating new views and new solutions… Otherwise, it could have an pessimistic, but I have the feeling that political leaders do not learn their lesson from such failures.
impact further along the line, when working on distribution methods, ways to simplify information Taking a different point of view, we could say that political leaders have a well-defined task to
for the general public and organizing debates. This is what Armel has worked on, centering his fulfill, that of managing the day-to-day issues of the nation, and that they have no time to consult
efforts on explaining our ideas and encouraging citizens to step into the debate. In design, as in all citizens. Civil society, associations and companies should be entrusted with this mission instead.
industrial fields, economic and financial concerns constantly remind us that we cannot simply sit This type of initiative would enrich the political debate and provide the political class with tools for
and wait for the genie to show up with the perfect solution. Production processes in design are meant reflection. When these tools begin to have enough political weight, then those concerned will start
to encourage non-stop creativity and new modes of action. Be it through a new tool, through the new to pay attention to the ideas conveyed by them.
lay-out of a medical department, via town-planning projects or other social issues, there is
a lot to be learned from design. So, if these tools to consult citizens were to develop, the initiative would not necessarily be
launched by the institutions.
From what you say it seems that it is the designer’s ability to give shape to concepts which could We cannot sit still and keep waiting for political leaders and institutions to grasp things, we must
prove the most useful in your field. initiate things ourselves. This is what “Notre Europe” did when they organized a Europe-wide
Cross-disciplining is the way to go, that is having several disciplines blend, several viewpoints meet. deliberative poll, which was a tremendous success. Indeed, another organization has conducted
It would be interesting and possibly fruitful to create working groups that would bring together a similar poll about the European system that has so far met with appreciation on the part of the
experts in design and politics to reflect as a team upon current issues and to come up with collective participants. Whereas European institutions were quite reluctant when we launched our poll, they
solutions. This type of method has led to the emergence of new tools: to understand how to broaden have given a warm welcome to the second one. Maybe we should try to make things move from
its market slot the Shell company implemented the scenario-based method, a common practice in within civil society.
design that was largely unknown in politics at the time. Now scenarios of use have become common
in our field of activity.

What other aspects of Armel Le Coz’s work also aroused your interest?
His project appealed to me right away. I was especially curious to learn more about how certain
design tools would enable students to explain government bills or political issues in a more accessible
fashion. I would be curious to see his completed project to discover how his innovative solutions
contrast with the rather traditional methods we have been using to explain and present government
bills.

Armel’s project was born out of a will to bring a didactic dimension to citizen participation tools.
Having noticed that a large part of the population were kept aside from the political debate, as they
were not well-informed enough to actually grasp the situations and issues discussed, he carried out
a project which aims to go beyond the elitism inherent in political thinking. Do you think this is
a realistic goal?
Absolutely. Though I have a hard time visualizing what such an open-access political debate may
be like. Offering the general public information through enhanced computer graphics will definitely
be more efficient than newspapers, but I doubt this is sufficient to shake up the deeply ingrained
uses in the political field. However, I have a feeling that this could prove to be a very powerful, far-
reaching explanation tool. Therefore I am convinced that such a project is more than likely to catch
people’s attention, make them react differently and provide them with a greater understanding of the
situation. Politics is mostly a matter for experts, and to this day citizens have been denied real access
to it. If we managed to introduce citizens into this complex system this would undoubtedly produce
positive results and appeal to a great number of people.

As an expert in innovation applied to political reflection on a European scale, how do you think the
perception of current political affairs by citizens is going to evolve over the next few years? Do you
think that the domination of intellectualized politics reserved solely for the happy few, is going to
lose ground? Are democratic institutions going to pin their hopes on communication and adapt their
speech to their citizens?
The discrepancy between the interest in politics, the frustration felt by citizens and the conclusions
political leaders come to is quite worrying. In France, for instance, most citizens only have a skin-
deep understanding of what it means to participate in the political debate, in spite of all the existing
public debates and the creation of the CNDP (National Center for Public Debate). These initiatives
are grounded in noble causes but the methodological reflection that underlies them is quite poor
and lacking in coherence, which, in turn, leads to poor results. Consequently, citizens fail to feel the
impact of such initiatives upon political life and this fills them with frustration: “OK, we are being
consulted, but what good can come of it?” On a European level, this type of initiative is even more
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02 POLITIQUE + DESIGN 02 POLITICS + DESIGN

BIOGRAPHIE PRINCIPALES PUBLICATIONS


BIOGRAPHY MAIN WORKS PUBLISHED

Avant de prendre de nouvelles fonctions à la European Climate Foundation 8 en tant que Directeur
de programme « politiques européennes du climat », Stephen Boucher a œuvré en qualité de co-
secrétaire de « Notre Europe », un think tank spécialisé dans les questions européennes fondé par
Jacques Delors. Auparavant, Stephen Boucher a été consultant en matière de politique énergétique,
conseiller pour les affaires européennes et internationales auprès de la vice première ministre et
ministre fédérale belge de la mobilité, consultant en lobbying à Bruxelles et Londres puis maître
de conférences à Sciences Po Paris. Il est à l’initiative d’une opération de sondage délibératif au
niveau européen, méthode innovante de débat et de consultation citoyenne.

Before taking up his new position at the European Climate Foundation8 as Head of a research
program entitled “EU Climate Policies and Diplomacy,” Stephen Boucher worked as a co-secretary
for “Notre Europe,” a think tank specializing in European Union-related issues founded by Jacques
Delors. Stephen Boucher started out as a consultant in energy policy, and then became a counselor
specializing in European and international affairs for the Belgian deputy Prime Minister and for
the Minister of mobility, a consultant in lobbying (in Brussels and London) and a lecturer at the
Institute of Political Sciences in Paris. He initiated a Europe-wide deliberative poll, an innovative
method to revive debates and consult citizens.

8
 La European Climate Foundation (ECF) a été créée dans le but de promouvoir les politiques climatiques et
énergétiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre sur le territoire européen. Pour de plus amples
informations, voir : http://www.europeanclimate.org/

Boucher Stephen, Royo Martine, Boucher Stephen, Royo Martine,


Les think tanks : cerveaux de la guerre des Les think tanks: cerveaux de la guerre des
idées. Paris : Éditions du Félin, 2006, idées. Paris: Éditions du Félin, 2006, 188 p.
188 p.
Boucher Stephen, Radoslaw Wegrzyn,
Boucher Stephen, Radoslaw Wegrzyn, Cattaneo Diego. L'Europe et ses think
Cattaneo Diego. L'Europe et ses think tanks: un potentiel inaccompli. Études et
tanks : un potentiel inaccompli. Études et recherches, n° 35. Brussels: Notre Europe,
recherches, n° 35. Bruxelles : Notre Europe, 2004, 174 p
2004, 174 p. A groundbreaking document that can be
Document téléchargeable à l’adresse downloaded at:
suivante : http://www.notre-europe.eu/?id=35&tx_
http://www.notre-europe.eu/?id=35&tx_ publication_pi1[showUid]=89
publication_pi1[showUid]=89

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02 POLITIQUE + DESIGN 02 POLITICS + DESIGN

Loi.fr
Armel Le Coz
Loi.fr
Armel Le Coz

La politique, comme discipline Politics – a discipline and a form of


et comme art au service de la cité, art at the service of the community
façonne nos vies quotidiennes : le – shapes our lives on a daily basis:
fonctionnement de nos démocraties the workings of our parliamentary
parlementaires offre en effet democracies give people’s
aux représentants du peuple la representatives the opportunity to
possibilité de légiférer sur des aspects legislate on a large number of aspects
innombrables de notre existence. of our lives. But law-making – by its
Mais l’exercice législatif, par sa universal vocation and its link with the
vocation générique et sa relation à common good – implies using rather
l’intérêt général, impose de recourir abstract legal terms and notions that
à des termes et des notions juridiques stray far from common sense. At a time
abstraites qui les éloignent du sens when politicians are largely mistrusted
commun. À une heure où la défiance and when citizens of all social
s’impose vis à vis des professionnels backgrounds are starting to voice their
de la politique et où le souhait d’une will to take part in political debates,
plus grande participation des citoyens how can we present legal projects in a
se manifeste à de nombreux endroits new light and open the debate? This is
dans la société, comment formuler et the tricky question that Armel Le Coz
rendre accessible les projets législatifs has set out to answer, giving his point
et ouvrir le débat ? Telle est la question of view as a designer.
difficile à laquelle s’est attelé Armel, en
donnant son point de vue de designer. “Loi.fr” is a teaching tool that is
open to comment. It proposes two
« Loi.fr » est un outil pédagogique main tools. Firstly, the visualization
et ouvert à la critique. Il s’appuie of information by way of charts
sur deux supports principaux. and diagrams, making it possible to
Tout d’abord, la visualisation de describe abstract mechanisms which
l’information par schémas permet are often hidden. Secondly,
de décrire des mécanismes abstraits the production of scenarios of use –
et souvent cachés. Ensuite, la mise en in the form of short video sequences
scène de scénarios d’usage sous forme – to give concrete expression to the
de courtes séquences vidéo donne situations evoked. The project also
du corps aux situations évoquées. aims to help users to make their
Le projet propose également voices heard using the Web and the
d’organiser la prise de parole grâce au numerous collaborative solutions it
web et à ses possibilités collaboratives, offers, either via the written word or
par écrit ou par des captures vidéo. via screen-casts. It also suggests setting
Il se propose également d’exploiter up services for citizens in public places
des dispositifs accessibles aux citoyens and administrative offices.
dans les lieux publics
et les administrations. This way, law-making will cease to be
a domain solely reserved for those who
Le travail législatif ne serait ainsi attend parliamentary commissions.
plus réservé aux seuls habitués des On the contrary, with such a tool,
commissions parlementaires, mais politics and law-making could become
pourrait devenir un véritable travail a real collective project carried out by
collectif d’une large communauté a large, well informed community,
informée et réconciliée avec ses at one with its representatives.
représentants.
Frédéric Degouzon – Head of strategy,
Frédéric Degouzon – directeur research & international development
stratégie, recherche et développement Armel Le Coz 
international site : www.innovation-et-design.fr

30 31
03
« À l’avenir, aux architectes de la connaissance qui maîtrisent
la technologie viendront s’ajouter les designers de la
connaissance. »

Entretien avec Henri Samier, enseignant chercheur en information stratégique et innovation.

CADI : Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la veille ?


H.S. : Après l’agrégation de génie mécanique à l’École Normale Supérieure de Cachan, j’ai obtenu
mon doctorat sur « la veille technologique en conception de produits nouveaux » à l’ENSAM 9
de Paris. Comme j’avais des connaissances en fabrication des produits, je me suis intéressé à la
manière dont on les concevait, puis logiquement j’ai vérifié qu’ils n’avaient pas déjà été inventés
en consultant les brevets. Je me suis donc concentré sur la veille technologique pour évoluer sur
la veille stratégique et aboutir ensuite à la veille sur Internet. Ainsi je pouvais me tenir informé sur
l’environnement concurrentiel direct et sur les environnements d’influences afin de transférer les
idées applicables à d’autres secteurs. Aujourd’hui, cette maîtrise de la chaîne d’information qui part
de l’idée pour aboutir au produit me permet de diriger le Master Innovation à l’Université d’Angers.

Pourquoi la gestion des connaissances et plus particulièrement la veille stratégique et technologique


sur Internet deviennent-elles indispensables au processus de décision ? Quels sont les enjeux
contemporains, les grands challenges dans ce domaine d’activité ?
La veille est indispensable car elle est le fil qui retient l’épée de Damoclès. Elle permet d’éclairer
les décisions et de devenir proactifs dans la démarche d’innovation, qui conduit à proposer des
nouveaux produits capables de « périmer » ceux des concurrents. Et donc l’innovation est à la fois
incrémentale (pour améliorer un produit existant) et en rupture avec ce qui se fabrique d’ordinaire.
Ainsi on peut créer l’événement, gagner en notoriété et déstabiliser les concurrents sur un terrain où
ils sont absents. Par exemple, la « stratégie de l’océan bleu 10 » (Blue Ocean Strategy) conduit à nager
dans des eaux plutôt bleues car vierges de requins à l’attaque (auquel cas l’eau serait rouge) et surtout
permet de s’aventurer dans des zones que personne n’a encore explorées, quitte à se faire ensuite
rattraper par les concurrents.

Selon vous, sans cet effort de veille technologique, on ne peut atteindre « l’océan bleu » ?
Certains chefs d’entreprise très intuitifs qui se lancent dans des projets sans recherches préalables
ou qui inventent des produits novateurs de manière fortuite, trouvent l’écho avec un marché.
Mais pour entreprendre de manière systématique et s’assurer un résultat probant à chaque fois,
il faut mettre en place cette démarche de veille qui assure la traçabilité des processus de recherche
(Qui fait quoi ? Comment ? Avec qui ? et Pourquoi ?). Au moment de prendre une décision relative
à un nouveau produit ou une nouvelle gamme, on prend en compte le capital technologique (interne
et externe) dégagé par l’activité de veille. Or, ce dernier évolue dans le temps et peut amener
la remise en cause de certains choix portant sur les produits. Il faut donc suivre en continu les
fluctuations du capital technologique. On ne peut se contenter de capturer sa teneur à un instant
donné, comme un instantané, la veille s’apparente plutôt à une caméra de surveillance qui permet
de suivre l’évolution du produit et de gérer au quotidien, l’évolution des technologies, des besoins
des consommateurs, des tendances. À ce propos, notre équipe de recherche « Présence et
Innovation », une unité mixte rattachée à la fois à l’Université d’Angers et à l’ENSAM d’Angers,
envoie des enseignants-chercheurs faire des interventions innovantes dans les entreprises afin
de mettre en place des cellules d’innovation de rupture. Cette « recherche / action » en entreprise
intègre un volet recherche (pour la modélisation des processus), un volet conseil (pour la mise
en œuvre) et un volet formation continue (pour transférer les compétences).

Dans les domaines de la gestion des connaissances et de la veille stratégique et technologique,


en quoi la démarche design s’avère-t-elle intéressante ?
La notion de design pourrait paraître décalée dans le domaine de la gestion des connaissances.
Cependant, le design s’avère indispensable à notre activité pour ce qui est de la manipulation
de données en 3D ou en réalité virtuelle. Grâce à cette immersion, il sera possible de prendre

9
École Nationale Supérieure des Arts et Métiers renommée aujourd’hui « Arts et Métiers ParisTech »
10
Se reporter aux travaux de W. Chan Kim Et Renée Mauborgne et l’INSEAD et Harvard Business School.
33
03 VEILLE CRÉATIVE + DESIGN 03 TRENDS MONITORING + DESIGN

les décisions et d’anticiper les scénarios d’avenir avec des outils de réalité virtuelle, voire de faire n’ait pas inventé un nouveau mot. « Veille créative » est le terme auquel on pense en premier ;
ressentir au décideur les émotions suscitées par un environnement d’information en représentant il serait bon d’en définir un nouveau.
ce dernier sous forme 3D. Pour ce faire, on aura besoin des services d’un designer pour véhiculer
l’esprit de l’entreprise à travers un modèle 3D qui facilitera l’interaction avec un utilisateur immergé En choisissant ce titre, Pierrick a sans doute voulu mettre en exergue le lien entre votre pratique
dans l’information et non plus seulement derrière un écran. de veille technologique et stratégique et la pratique qu’il essaie de faire naître et de développer ?
Le design peut aussi apporter la navigation structurelle dans la pratique de navigation sur Internet. Le choix de ce nom est un moyen de donner de la crédibilité et des assises à son projet.
Lire les uns à la suite des autres les mille milliards de documents à notre disposition est certes Tout à fait. Reste à voir sur quels fondements il va s’appuyer pour créer ses éléments. Notons
utile mais trop fastidieux. Les moteurs de recherche existants n’aident pas à naviguer efficacement qu’il a évité avec brio l’écueil des formalismes, des mouvements d’Internet car il a bien compris les
pour trouver rapidement l’information ou le mot recherché. Pour cela, il faut atteindre du sens. enjeux. Sa problématique consiste à réconcilier veille et création en inventant des solutions créatives
Or le moteur de recherche élimine le sens. En revanche, les cartographies et autres modes de tout en faisant de la veille, sans esprit prédateur dans des logiques de gagnant-gagnant ancrées dans
représentation intermédiaires permettant de naviguer structurellement dans l’information offrent un le partage. Pierrick a évité le piège consistant à se dire : « Non, je refuse de mettre mes idées en ligne
autre niveau d’accès et de liaison à une information. Je pense particulièrement aux travaux de Tony car alors elles deviendraient publiques et je ne pourrais plus les utiliser ni les breveter. » Le partage
Buzan : les cartes mentales, une façon de cartographier la connaissance avec des liens et du sens. d’idées pouvait se révéler fructueux en lui permettant de se faire connaître et de se constituer
On peut citer par exemple les méta-outils de recherche : allplus.com, mnemo.org, searchcristal.com un réseau. Un changement de paradigme fondamental entre notre société et le web s’opère en ce
ou oskope.com qui représentent les résultats cartographiques et iconographiques ou encore le logiciel moment. Dans notre société actuelle, la valeur, c’est la rareté : plus c’est rare, plus c’est cher. Mais
Mind up de Calinda qui permet de dégager de la connaissance à partir de l’analyse d’échanges sur le web, la tendance est inverse : ce qui est cher sur Internet, c’est la profusion. Il existe donc
d’e-mails. une forte dissonance entre ces deux mondes. Dans cette logique de profusion à tout prix, les sites
visités par des millions d’utilisateurs ont la valeur marchande la plus élévée. Même si le contenu
Le designer aiderait donc à structurer l’information et à créer du sens à partir du contenu est relativement pauvre dans le concept (cf. Facebook), le grand nombre d’adeptes fait qu’un outil
de la veille. devient captivant voire incontournable. De plus, en veille créative appliquée au web, on dénote un
Oui c’est cela. Le designer apporte sa vision des choses et ses solutions pour présenter l’information autre clivage entre les webs marchand et non-marchand. Prenez par exemple Mozilla, Wordpress,
de manière plus judicieuse avec un meilleur impact, afin qu’elle soit mieux comprise et surtout plus Wikipedia : il n’existe aucun modèle pour évaluer ces entreprises-là. Ce ne sont pas des entreprises,
facile à mettre à jour. Il ne s’agit pas d’un simple disque dur de stockage dans lequel on amasse ce sont des fondations, des associations et l’on ne sait pas comment déterminer leur valeur.
différents documents.
Un autre aspect important du rôle du designer a trait aux services de personnalisation de masse, En effet, il n’existe pas de critères pour évaluer ces nouvelles plateformes.
le travail en amont pour maîtriser un flux d’informations que l’on va ensuite distribuer et diffuser François Druel, l’un de nos docteurs qui consacre sa thèse 11 aux nouveaux paradigmes entre web
à la bonne personne au bon moment, avec sa propre forme et son propre format. À l’avenir, il nous et société a développé un modèle très novateur basé sur vingt-deux critères d’évaluation. C’est un
faudra personnaliser chaque bulletin de veille orientée web 2.0 avec Netvibes ou Mexx, nouvel axe de recherche que notre communauté scientifique est en train de développer.
par exemple. L’environnement permettra une meilleure assimilation de l’information.
Pensez-vous que la volonté de faire émerger une intelligence créative collective soit réaliste et
Au cours de l’année 2007-2008, vous avez encadré le projet de Pierrick Thébault, un outil fondée ?
méthodologique de veille créative permettant aux acteurs des milieux de la création de se faire Il existe déjà une intelligence collective née du partage d’informations sur Internet. Pour définir
veilleurs actifs en structurant et capitalisant le contenu généré en continu sur le web 2.0 en vue une connaissance et une intelligence, il faut, au préalable, une information collective. À plusieurs,
de faire émerger une intelligence créative. En quoi cette initiative vous a-t-elle intéressé ? on est capables de co-créer des produits ou services destinés à être utilisés à différents endroits du
Elle m’a intéressé à plusieurs titres. Lorsque Pierrick m’a contacté, j’étais en train de terminer un globe et d’exploiter le web dans toutes ses dimensions temporelles et spatiales. Le groupe automobile
ouvrage sur la web-créativité en collaboration avec Victor Sandoval. Dans ce livre, nous montrons Mercedes, par exemple, avait testé le travail collaboratif par Internet. Leur centre R&D travaillait
comment le web est capable de diffuser de la créativité ou des idées et inversement, comment nous en 3/8 sur l’ensemble de la planète. Utilisant la même plateforme collaborative pour travailler sur les
sommes capables de puiser la créativité d’Internet, voire de faire travailler des personnes de culture, véhicules, ils faisaient travailler trois équipes de R&D en continu en fonction des fuseaux horaires.
d’âge et de langue différents sur un même projet à distance. La synchronicité était donc parfaite Lorsque l’ingénieur allemand se réveillait, il savait qu’une autre équipe avait avancé sur le projet
puisque Pierrick s’est présenté à moi avec une problématique un peu similaire, découlant du même pendant la nuit. Un bel exemple d’intelligence collective à travers Internet.
esprit selon lequel le web 2.0 pourrait révolutionner une multitude de choses dans le métier
de designer, notamment. Et qu’en est-il de l’intelligence créative ?
Pour ce qui est de l’intelligence créative, il suffit de mesurer le nombre de blogs créés chaque jour.
Mais le projet Creative Feed est destiné à tous les créatifs et ne se limite pas seulement au champ Le web procure un nouvel espace de créativité que chacun peut faire évoluer de manière individuelle
du design. ou collective. De fait, nous passons une bonne partie de notre temps sur Internet à échanger et
L’approche, la démarche et l’analyse de l’étudiant étaient très pertinentes. J’ai d’ailleurs été étonné partager. Nous partageons de l’information avant même d’aller consulter un moteur de recherches.
par la qualité et la maturité de sa réflexion. J’avais l’habitude d’encadrer des projets d’élèves L’internaute échange via le chat, les mails et tous les médias de communication offerts par
ingénieurs, des étudiants en DEA et des doctorants. Au vu du niveau d’études de Pierrick Thébault, Internet. Il s’agit autant de donner que de prendre de l’information. Il existe de nombreux exemples
je m’attendais à un projet moins construit. Certains étudiants de l’École de design Nantes Atlantique d’intelligence créative. De plus, ces pratiques d’échange d’information sont très démocratiques : les
font preuve d’une grande capacité de réflexion et d’un niveau très élevé et il faudrait davantage le technologies web 2.0 rendent l’information et la communication accessibles à tous, indépendamment
faire savoir ! L’idée de veille créative est très ambitieuse et surtout novatrice parce que paradoxale. du niveau social ou intellectuel. Même les utilisateurs maîtrisant mal les ordinateurs (bien que
Faire de la veille revient à de la surveillance, tandis que la création, individuelle ou collective, l’interface n’ait pas évolué au cours des trente dernières années) sont capables d’interagir et de créer
est une activité très sensible. La notion de veille créative développée par Pierrick établit un pont sur Internet sans connaissances approfondies en informatique. La grande révolution du web 2.0
entre deux mondes relativement disjoints. Il y avait une résonance entre un certain nombre de c’est qu’il permet à tout un chacun de cliquer, de déplacer, de manipuler des objets et de créer.
concepts développés dans notre ouvrage « La Webcréativité » et les idées de Pierrick. La fraîcheur Le mash-up 12 et les digitechnologies offrent les exemples les plus parlants de cette profusion.
de son analyse a nourri notre réflexion. Pour traiter son sujet, il a suivi un processus classique basé
sur l’analyse du contexte, qu’il s’est d’ailleurs très bien approprié. Concentrant ses efforts sur la
troisième sphère de la veille (la veille technologique), il a constaté que le web 2.0 (avec des procédés
11
François Druel a travaillé pour l’atelier.fr avec Jean-Michel Billaut, puis chez France Telecom. En parallèle il a
et tendances comme le mash-up, la folksonomie et tous ces nouveaux termes barbares nés de souhaité s’engager dans des recherches en vue de rédiger une thèse intitulée Évaluation de la valeur à l’heure du
l’Internet) contenait déjà les germes d’une veille créative. Mon seul petit regret, c’est que Pierrick web. Proposition de valorisation de projets non-marchands.

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03 VEILLE CRÉATIVE + DESIGN 03 TRENDS MONITORING + DESIGN

Il s’agit de mixer de la connaissance et du contenu ? Vous avez dit : « Nous trouvons sur Internet les meilleures informations comme les pires. Internet
On mixe des idées couplées à des technologies. Certains laissent des technologies qu’ils ont est une forme moderne de la Caverne de Platon (où nous retrouvons les valeurs, fonctionnements
développées en accès libre, comme dans des tubes à essai, afin que les autres utilisateurs puissent et les règles connues, mais implementées avec les technologies actuelles). » Faut-il en déduire que
les enrichir de leurs propres idées créatives et contribuer au développement de nouveaux services. vous voyez Internet comme une réalité projetée ? Comme un simulacre de notre monde matériel ?
Par exemple « housingmaps.com » (hybridation de Google Earth et Craig’s List) permet de trouver Depuis les prémices de l’histoire de l’innovation, chaque nouvelle technologie amène une
un appartement en trois clics (principalement aux Etats-Unis) et représente un bon exemple tendance à la duplication de formes existantes. On traverse toujours une phase de copie,
de technologies collaboratives couplant la cartographie à d’autres services. On pourrait citer dans toutes les technologies (cinéma, forme rudimentaire de la bicyclette etc.). Ce phénomène
« virtualcity.ca », site canadien qui permet aux internautes de naviguer à la manière d’un piéton très humain causé par les peurs et autres freins au changement est antérieur à l’avènement
grâce à une carte, tout en visualisant les devantures de magasins croisées sur son chemin, ou encore du web. Il est nécessaire de passer par une phase d’appropriation des techniques, une sorte
« maps.fon.com » qui permet de visualiser tous les hotspots wifi gratuits dans le monde. Cette de reproduction du mythe de la Caverne de Platon, reflétant le meilleur comme le pire de toute
application hybride très participative et ouverte suit la logique gagnant-gagnant et non-marchande société. Il constitue la première étape du processus. L’humanité se trouve encore au stade
de l’Open Source. Chaque utilisateur peut réutiliser cette hybridation, ce mélange technologique et préhistorique de l’évolution d’Internet. On perçoit tout juste les bribes de notre émancipation
y apporter d’autres éléments s’il le souhaite. Dès lors que l’on dispose de technologies interopérables de la phase de copie. Facebook, par exemple, n’est que la copie d’un modèle qui pré-existait
et hybridables, on peut être créatif à l’infini. Les sites « mashable.com », « programmableweb. le web et qui, grâce à ce dernier, a été amplifié jusqu’à l’hyper-profusion avec des millions
com » recensent les sites hybridables les uns avec les autres. Toutes ces applications constituent un d’utilisateurs. Mais le concept n’a rien de révolutionnaire en soi.
énorme réservoir d’idées dans lequel les utilisateurs peuvent puiser. Cette démarche témoigne d’une Demandons-nous quelles sont les nouvelles applications qui ne tombent pas dans la caverne
grande évolution des mentalités : lorsque j’ai une idée, je ne la garde plus pour moi mais je la mets de Platon. Certaines formes de blogs, les mash-up, les logiciels hybrides, se situent en dehors
à disposition en tant que logiciel, protégé ou pas, permettant à une multitude d’autres personnes de de la caverne (même si d’aucuns objecteront que l’on utilisait déjà de telles techniques
l’utiliser. Il s’agit d’un véritable laboratoire web, qui contribuera à faire évoluer les règles juridiques auparavant dans le domaine de la musique lorsque l’on mixait différents sons grâce à des
et de propriétés intellectuelles, comme nous pouvons le constater dans le domaine de la musique. platines). Cependant, à l’heure actuelle, on assiste à l’émergence de systèmes totalement
différents, basés sur le principe du web OS, un système d’exploitation en ligne qui nous
À l’ère de l’individualisme exacerbé, il est rassurant de constater que les internautes se tournent permet à partir d’un navigateur de lancer n’importe quel document sans héberger les
vers la collaboration grâce au web 2.0… applications ni les logiciels sur son disque dur. L’usage s’oriente vers plus de simplicité.
Ayant étudié de près les racines historiques de la créativité en fonction des religions, des diverses Si nous vivons actuellement un pic de complexité informatique, les prémisses d’une
croyances et selon les pays, j’ai pu constater que le rapport à la créativité change au gré des cultures simplification se font déjà sentir. Les fabricants s’attachent à créer des outils plus simples,
et des époques. Selon certains peuples, la créativité provient d’un être supérieur. Dans l’Antiquité, la plupart des utilisateurs ne sollicitent que 5% des capacités de leur ordinateur.
la création était l’apanage des Neufs Muses, l’Homme sur terre ne pouvait pas créer. En fonction
des différentes croyances et des spiritualités, certaines cultures ont été plus créatives que d’autres car En tant que formateur de « cyberveilleurs », vous observez avec un œil expert toutes les
cela leur était « autorisé ». En Europe, il semblerait que l’on n’ait pas assez donné d’espace de liberté transformations subies par ce réseau en constante évolution qu’est Internet (notamment
« neuronale » et « physique » pour favoriser la créativité. la prolifération des sources d’information et des plateformes d’interaction sociale). Quelle
vision de l’avenir pouvez-vous nous donner, tant au niveau technologique que social ?
Ceci est dû à l’académisme cher aux français, prônant une hiérarchisation de la production Il y a quinze ans, l’activité de webmaster n’existait pas. Désormais, un nouveau métier à
artistique. Au contraire, d’autres cultures ayant un rapport plus postmoderne à la créativité l’image du webmaster est en train de voir le jour : celui de « blogmaster », terme désignant
hiérarchisent moins la production. la personne qui gère les blogs et qui fait de la veille spécifiquement centrée sur les blogs.
Oui, en France il existe des séparations de mondes : créatif, scientifique ou littéraire. Son apparition engendrera une série de métiers qui n’existaient pas auparavant (WebUsability,
Les connaissances sont souvent cloisonnées, alors qu’en réalité toutes les pratiques sont WebMarketing, KwowledgeWorker, KnowledgeDesigner, E-réputation). Il y a quelques années,
interconnectées. Léonard de Vinci , par exemple, était capable de produire des cartes mentales une entreprise nous avait demandé de faire de la veille ciblée sur les blogs.
tout en embrassant un certain nombre de disciplines totalement disjointes entre lesquelles il Le résultat montrait qu’à terme, il serait intéressant de surveiller les évolutions de ces
faisait des transferts. La différence est source de créativité parce que c’est en son sein que naît nouvelles plateformes, mais qu’à l’époque, cela s’avérerait inutile.
la création. Howard Gartner, de l’université d’Harvard, a défini les sept formes d’intelligence,
indépendantes les unes des autres, qui sont linguistique, logico-mathématique, kinesthésique, Car il n’y avait pas assez d’interaction ni de contenu à l’époque ?
musicale, spatiale, sociale, introspective. La créativité fait donc appel à l’association de Ce genre d’initiatives était prématuré pour les entreprises. En revanche, les blogs représentent
plusieurs de ces formes d’intelligence et montre qu’elle est aussi holistique et systémique, un filon pour ces dernières aujourd’hui. Il est intéressant de transférer cette technologie et
c’est-à-dire globale. Tout individu est intrinsèquement créatif et selon son parcours et ses de concevoir, en complément de l’intranet, un blog dédié à la gestion de projets, afin de gérer
rencontres, il laissera plus ou moins cette créativité innée se développer. Certains individus et archiver toute l’information informelle que l’on ne veut conserver et rendre visible
ont été tellement contraints et endurcis par la vie qu’ils expriment une sorte d’hyper-créativité de tous. À l’avenir, aux architectes de la connaissance qui maîtrisent la technologie viendront
à travers leur art, quel qu’il soit, pour exister. Le travail de Pierrick propose des outils qui s’ajouter les designers de la connaissance. Je ne sais pas quand cela arrivera, mais j’en suis
favorisent la créativité à distance et accessibles à tous. Cela nous rappelle que l’accès à la intimement convaincu. Ces designers de la connaissance identifieront les informations
créativité n’est pas l’apanage des personnes ayant fait de longues études ou certaines écoles requises par tel type d’utilisateur (flux RSS, rapport de veille) et sous quelle forme. Ils vont
spécifiques. Dans notre région, Jean de Vulliod, un chef d’entreprise, a eu l’idée de mettre ensuite la packager et la designer de manière à gagner en efficacité et en rapidité. Ils créeront
sur pied « les journées créatives des pays de la Loire » où tous les collégiens et les lycéens des systèmes d’information personnelle, grâce à leurs connaissances en matière d’ergonomie,
recevront une initiation à la créativité afin de créer collectivement des idées visant à améliorer d’usabilité et de techniques d’appropriation de l’interface et de l’information par l’usager,
leurs villes et leur région. Dans l’hypothèse où cette initiation à la créativité donne envie Un nouveau métier est né.
à des jeunes de créer leurs entreprises, alors nous aurons d’une part contribué à augmenter
la compétitivité des « pays de la Loire » à un horizon de cinq à dix ans et d’autre part nous Un métier de l’information intelligente.
aurons lancé un mouvement de fond qui pourrait être généralisé. Oui, d’une part, une information intelligente est une information fondée sur une navigation
structurelle et une représentation graphique et non plus seulement textuelle. Le système
de « tags » constitue déjà les prémices de cette évolution. Ce sont des formes inversées
12
Le mash-up est une hybridation technologique qui consiste à prendre des applications de sites d’annuaires statistiquement construits. Au lieu de définir un annuaire selon des catégories,
(libre accès) pour les mixer, comme on le fait avec de la musique et ainsi créer des nouvelles
applications innovantes.
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on analyse le contenu du texte et l’on procède à un tri pour générer des tags. C’est la sein desquels tous les interlocuteurs (banquier, client, fournisseur) se vouent une confiance
préhistoire de la nouvelle forme de gestion de la connaissance qui s’apprête à émerger avec mutuelle, donnant ainsi naissance à des espaces de liberté où les relations sont basées sur
le Web sémantique. Nous en sommes tout juste au stade des signes tracés dans des grottes la confiance. C’est ce qui fait défaut et qui continuera peut-être à manquer sur l’Internet
ou, au mieux, au stade balbutiant des hiéroglyphes. À long terme, le design atteindra la à grande échelle, qui évolue en fonction des croyances, des religions, des cultures, des pays,
symbiose entre l’utilisateur et les technologies. Combinée à la baisse des coûts du matériel etc. Le futur de la créativité sur le web, réside à la fois dans la création de nouveaux outils
informatique et à la simplification des outils, la fracture numérique entre les individus équipés hybridés, de nouveaux modes de collaboration et dans l’échange des bénéfices tirés de ces
des technologies du web et ceux qui ne sont pas équipés va se résorber. On ne parlera plus nouvelles pratiques. Un peu comme si l’on avait un accord de copropriété de brevet sans
de « handicapés numériques » comme c’est parfois le cas à l’heure actuelle. avoir de brevet. Les lois juridiques et le droit de propriété intellectuelle vont évoluer soit
D’autre part, l’avenir devrait voir émerger de nouvelles interfaces et de nouvelles formes naturellement soit par contrainte. On a pu observer ce phénomène dans le monde de la
d’écrans et d’appropriations. On sait projeter des images sur des lentilles de contact, ce qui musique. C’est l’usage qui draine dans son sillage toute l’industrie, avec les travers que cela
évite les dispositifs lourds du type casque et réduit la fatigue oculaire. Le monde des interfaces peut engendrer. Mais l’offre actuelle ne correspond pas à la totalité des besoins. Internet fait
est en pleine révolution, en allant dans le sens d’une meilleure appropriation. émerger de manière très naturelle, voire empirique, tous les besoins et dès que ceux-ci sont
validés, l’offre elle-même évolue. Après cela, soit on sort de la caverne assez facilement, soit
Vous pensez que de plus en plus d’interfaces tactiles vont se développer ? on y reste un peu plus longtemps englué. Mieux vaut concentrer ses efforts sur des produits
Oui, je pense, mais pas seulement tactiles. On assistera également à l’émergence de davantage porteurs de valeur et de création plutôt que de stigmatiser à partir de règles ou de postures
d’interfaces vocales, voire émotionnelles à l’avenir. L’utilisateur pourra commander un rigides et figées, en s’efforçant de travailler dans la fluidité et de miser davantage sur la vitesse
ordinateur grâce à son cerveau, grâce à des connexions neuronales. Certaines recherches et l’accélération plutôt que sur la position.
sont actuellement en cours sur ce sujet. À ce titre, il existe le magazine de vulgarisation
« Le Monde de l’intelligence », (disponible en kiosque), qui fait le lien entre l’intelligence Selon vous, ce sont donc les nouveaux usages qui nous permettront d’émerger
créative et l’intelligence au sens neurobiologique du terme. Il est à l’image de cette hybridation de la caverne ?
entre technologie et art actuellement à l’œuvre. Grâce à des dossiers thématiques, on y observe C’est ce qui se produit actuellement. De nouveaux facteurs vont également contribuer
de manière orthogonale ou périphérique différents domaines, observant ainsi les approches à cette émergence, telle la création apportée par cette nouvelle génération de créateurs et
neuronales afin de savoir ce qui va préfigurer les futures applications. de designers qui ont baigné dans ce genre de systèmes et en connaissent les usages. Lorsque
nous apprenions l’informatique, il y a vingt ans, nous avons été « déformés » à l’informatique.
Comment le designer pourrait-il s’emparer de ces évolutions vers de nouvelles interfaces ? La nouvelle génération n’a pas été déformée, elle est née avec « une souris dans la main »
Tout d’abord, en s’imprégnant de cette littérature et de cette ouverture. Un designer ou un et bénéficie, de ce fait, d’un plateau ouvert, propice à la créativité et à l’innovation
féru d’informatique a certainement plus à apprendre de la biologie que de l’informatique, technologique, qu’elle peut s’approprier à son rythme. De ce fait, les membres de cette
s’il veut stimuler sa créativité. Le designer devra s’efforcer de faire une veille à 360°, génération vont pouvoir échanger et créer plus facilement car ces outils sont intégrés à leurs
de scruter autour de soi puis procéder à une sélection pour déterminer quels secteurs influent comportements quotidiens. Ils ont une énergie libre qui favorise la créativité, ainsi l’avenir
sur le sien propre, quelles tendances sont à l’œuvre, ceci pour anticiper les évolutions. nous fournira des étudiants plus inventifs car ils auront bénéficié d’un espace de création et
Il s’agira ensuite de surveiller des secteurs particuliers pour prendre de l’avance sur les de liberté grâce au web et ils se seront donc approprié ce média en ayant fait le choix conscient
concurrents, par exemple. Dans notre monde actuellement en mutation, nous pouvons de leurs sources d’informations et d’inspirations.
proposer des innovations qui trouveront leurs échos dans le futur. Ceci est possible, entre
autres grâce à des méthodes de prospective et grâce à la veille multi-sectorielle qui éclaire Il est vrai que le web offre un espace infini pour exprimer sa créativité.
la vision de l’évolution des besoins, des attentes des clients et l’évolution de leurs valeurs. Oui et, à l’avenir, l’âge moyen des créateurs d’entreprise baissera. Bill Gates a bien créé
la sienne alors qu’il était en culotte courte. Cela se répètera à plus grande échelle.
Il ne suffit pas de repérer les avancées technologiques, il faut aussi les contextualiser et On se détachera peu à peu du système pyramidal au sein duquel l’innovation est verrouillée
anticiper les obstacles qu’elles vont rencontrer… par des brevets et les produits développés selon les modèles économiques en vigueur.
Il faut créer et inventer au bon moment pour les bonnes personnes. Rappelons que l’inventeur Un nouveau modèle économique reste à créer. Des travaux sont en cours en Europe du Nord
du moteur diesel est mort dans la misère car son invention était arrivée trop tôt et n’avait pas à propos des générateurs de nouveaux modèles économiques. On les surveille de près parce
trouvé son marché ! que c’est à travers ces nouveaux modèles que l’on fera émerger de nouveaux business plans
pour créer de futures sociétés. Nous nous situons donc aux deux extrémités de la chaîne.
Rien ne sert d’être un génie si l’on n’est pas en phase avec son temps. Nous surveillons à 360° en regardant à la fois l’usager et ce qui se produit en amont. « Atelier.
Pour bien vivre avec son temps, il s’agit de susciter la créativité pour le plus grand nombre, fr », la première cellule de veille dans le domaine de la banque, mise en place par Jean-Michel
et notamment la jeune génération. Un proviseur de lycée m’a un jour demandé ce que nous, Billaut pour BNP Paribas, nous a montré que pour savoir que financer, il fallait surveiller les
les universitaires, attendions des jeunes bacheliers. Je lui ai répondu que ce que j’attendais nouvelles technologies afin de déterminer les plus potentiellement rentables pour un banquier.
le plus d’un élève entrant dans l’enseignement supérieur, c’était l’ouverture d’esprit, sa soif Ainsi, même les banquiers ont recours à la veille. On en aurait besoin à tous les niveaux,
de connaissance et la volonté d’entretenir sa flamme de curiosité pour qu’elle reste infaillible. même si les activités qu’elle engendre demeurent cachées.
Un élève curieux sera ouvert sur le monde, beaucoup plus créatif et donc plus réceptif.
D’ailleurs, votre établissement regorge d’éléments par essence curieux et créatifs, ce qui est La veille est un métier de l’ombre, finalement…
une grande chance pour vous, je pense notamment aux étudiants en design d’interactivité Mettons le en lumière. Vous savez, veiller, c’est surveiller activement et les veilleurs
que je connais mieux. En design d’interactivité, le spectre de la créativité est plus large, par du Web n’ont rien à voir avec des « veilleurs de nuit ». Il est vrai que le terme « intelligence
opposition à d’autres pratiques qui imposent des contraintes de matières, matériaux et outils. économique » est beaucoup plus noble au sens latin et il englobe, entre autres, toutes
Le web donne la possibilité de créer et de diffuser un nouveau modèle de produit en 3D, puis les pratiques de veille. Ma préférence se porte sur le terme « d’intelligence innovation »,
de le vendre une fois fabriqué. Ainsi, à l’avenir, il s’agira de créer de nouvelles formes et mais je reste convaincu qu’au-delà de la terminologie, nous devons avant tout insuffler
de permettre aux usagers, via le web, d’acheter des produits par souscription, sur le modèle à nos jeunes « l’esprit d’innovation ».
des groupements d’achats dans des fermes bio. Ce genre de pratiques peut être appliqué
à profusion sur Internet. Ensuite, il suffit de gérer le niveau de confiance. Les nouveaux
enjeux dans le futur consisteront à instaurer un niveau de confiance suffisant sur Internet.
La société « Gottap » œuvre dans ce sens en s’attachant à créer des réseaux sur Internet au
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03 VEILLE CRÉATIVE + DESIGN 03 TRENDS MONITORING + DESIGN

03  companies to set up innovative initiatives with a view to implementing “break-away” innovation
clusters. These research initiatives within companies comprise a research section (to model
processes), a counseling section (to help companies implement the models) and a training section
“In the future technoliterate knowledge architects (for knowledge transfer).
will be supported in their task by knowledge designers.” To what extent does design contribute an interesting input in the fields of knowledge management
and strategic trends monitoring?
Odd as it may first seem, design is indispensable in the field of knowledge management as it helps us
Interview with Henri Samier, researcher in business intelligence and innovation. handle data in 3D or virtual reality. As a result of this immersion, it is only a matter of time before it
will be possible to make decisions and anticipate future scenarios using virtual reality tools and even
CADI: What brought you to technological trends monitoring? to feel the emotions which are aroused by a certain information environment, using 3D simulations.
H.S.: After passing the French national competitive examination (Agrégation) in mechanical This will require designer expertise to make sure the company’s brand image is conveyed properly
engineering at the École Normale Supérieure de Cachan, I attained my PhD with a thesis on through 3D-models which will facilitate interaction with users totally immersed in information, as
“technological trends monitoring and new product design” at the ENSAM 9 in Paris. As I was opposed to seated in front of a screen. Design is also likely to introduce structural navigation into
quite knowledgeable in product manufacturing, I took an interest in how products were made, the type of browsing currently in use on the Internet. No matter how useful it may be, scanning
and from there on I logically began making sure they had not already been invented by someone thousands upon thousands of documents one after another is way too tedious. Existing search
else by checking out patents. I started out with monitoring technological trends and then veered engines fail to help Internet users browse efficiently and find a specific term or piece of information
towards strategic trends and eventually stepped into the world of Internet trends monitoring. This quickly. To do so, you need to factor in some element of meaning. Unfortunately, search engines
was a way to keep myself informed about direct competitive environments and influences so as to wipe out meaning. On the other hand, mapping and other intermediate representational modes,
be in a position to apply the ideas to other segments of the market. Today, this understanding of which allow users to structurally navigate through information, grant users more advanced access
the mechanisms underlying the information chain, from the first flash of inspiration to the finished and another type of link to information. I am referring here to Tony Buzan’s works: Mind maps, a
product, has allowed me to run the Masters in Innovation at the University of Angers in North- means to map out knowledge through links and meaning. To list a few representatives of this trend,
Western France. we could mention some meta-research tools such as allplus.com, mnemo.org, searchcristal.com or
oskope.com that display results in a cartographic or iconographic fashion, and the software Mind
Why has knowledge management – and especially strategic and technological trends monitoring up – developed by Calinda – which produces knowledge from the analysis of e-mail correspondence.
on the Internet – become so indispensable to the decision-making process? What are the great
challenges and main issues that prevail in your field of activity? Designers would therefore participate in structuring information and generating meaning based on
Trends monitoring is indispensable because it is like the hair that keeps the Sword of Damocles the results of technological trends monitoring?
from falling. Thanks to trends monitoring, more relevant decisions are made and more proactive Right. Designers give their view of things and offer smart solutions to organize information more
approaches to innovation are adopted, enabling companies to launch new products likely to efficiently so that users can understand it and update it more easily. It is not like a hard drive where
“outdate” those of their competitors. In this way, innovation is both incremental – in that it you can stock documents in any random order.
improves already existing products – and distinct from traditional manufactured items. These
kind of innovative methods helps companies to stand out, get a name for themselves and unnerve Designers also play a very significant part in developing mass-customization services, which means
competitors in areas of the market they have not yet conquered. Take by way of illustration the Blue the work done prior to production to control the flow of information, which is then distributed to
Ocean Strategy 10: this strategy spurs you to go swim in the deep blue waters, where there are no the right person at the right time, in the form and format. In the near future we should customize
killer sharks – otherwise the water would be red – and therefore venture onto new grounds that each web 2.0-oriented trends monitoring report with Netvibes or Mexx, for instance. A tamed
no other person has explored, even if you know competitors might soon follow your lead. environment enables the information to be assimilated more easily.

Do you think that without technological trends monitoring, it is not possible reach this “Blue During the year 2006-2007 you supervised Pierrick Thébault’s project, a creative trends
Ocean”? monitoring tool which allows creative professionals to become active monitors by shaping
Sometimes very intuitive Managing Directors carry out projects without conducting any research and exploiting the content generated non-stop on the Web 2.0, with a view to producing a kind
beforehand or haphazardly come up with innovative products, which actually find a successful slot of creative intelligence. What appealed to you in this initiative?
on the market. Yet these are the lucky few… and in order to undertake projects systematically It appealed to me for several reasons. When Pierrick got in touch me, I was in the process of
and to ensure a fruitful outcome each time, manufacturers have no choice but to implement trends completing a book on web-creativity co-written with Victor Sandoval. In this book we aim to
monitoring, which ensures the research process can be easily traced (Who does what? How? With demonstrate how creative ideas and trends can easily spread on the web and, conversely, how we
whom? Why?). When making a decision related to a new product or a new range, both the internal can draw from all the creativity on the Internet, and even to allow people from different cultural
and external technological potential brought out by trends monitoring is taken into account. backgrounds, different generations, speaking different languages to work together on a common
Indeed, trends monitoring is constantly developing and sometimes leads companies to reconsider long-distance project. This being so, Pierrick and I were totally synchronized. He came up to me
some of their choices relating to a product. It is necessary to constantly follow the fluctuations of with a topic similar to the one I was working on, with the same belief that the web 2.0 was likely
the technological potential. It is not sufficient take an instant snapshot at a given moment. Trends to revolutionize a wide array of things, particularly in design-related professions.
monitoring is more like a surveillance camera through which you can watch a product develop,
and follow on a daily basis the evolutions in technology, and consumer needs and trends. Speaking But the Creative Feed project is meant for all creative professionals, it does not only apply
of which, our research team called “Présence et Innovation,” – a mixed unit jointly run by the to design.
University of Angers and the ENSAM in Angers – has been sending assistant-professors into The student had a very relevant approach to creation, a pertinent production process and analysis
of the situation. I must admit I was quite taken aback by such an insightful and mature reflection.
I was used to supervising projects carried out by engineering students, students pursuing research-
9
École Nationale Supérieure des Arts et Métiers, now renamed “Arts et Métiers ParisTech.” This prestigious
based Master’s Degrees and PhD Students. At first glance, I was really expecting a less accomplished
French institution trains qualified engineers in the fields of mechanical engineering, power engineering and
project. Some students from L’École de design Nantes Atlantique have a great ability to reflect
industrial engineering.
on issues and a very high level and you really should make it known! The task of implementing
10
See the studies carried out by W. Chan Kim And Renée Mauborgne, the INSEAD and the Harvard Business
a creative trends monitoring solution is a very ambitious and innovative challenge as it is self-
School.
40 41
03 VEILLE CRÉATIVE + DESIGN 03 TRENDS MONITORING + DESIGN

contradictory. Trends monitoring is tantamount to implementing surveillance activities whereas faraway team had furthered the project during the night. A convincing example of the benefits
creation – be it individual or collective – is a very sensitive activity. The creative trends monitoring of Internet-based collective intelligence.
solution developed by Pierrick bridges a gap between two relatively remote worlds. A number of
concepts developed in our work La Webcréativité concurred with the ideas brought to the fore by How about creative intelligence?
Pierrick. His fresh analysis was inspirational and has nurtured our reflection process. To handle As far as creative intelligence is concerned, just look at the tremendous number of blogs created
his chosen topic, he has opted for a quite traditional process based on context analysis – which he every day. The web procures a new space for people to unleash their creativity. It is a tool for each
has perfectly appropriated. Focusing on the third main field in trends monitoring (technological and everyone to develop, whether it be individually or collectively. We spend a large amount of time
trends monitoring), he came to the conclusion that the web 2.0 – ripe with groundbreaking methods exchanging and sharing information and ideas on the Internet. We tend to share information even
and trends such as mash-up, folksonomy and all these new barbarian terms that have arisen since before consulting a search engine. Internet users communicate using chat rooms, emails and all the
the advent of Internet – already harbored the seeds of a creative trends monitoring solution. It is means of communication readily available on the Internet. It involves as much giving information
just a shame that Pierrick did not actually coin a new term himself. The term “Creative trends as it does receiving information. There are numerous examples of creative intelligence. These
monitoring” is the first one that comes to mind. It might be a good idea to try and come up with practices of exchanging information are becoming increasingly democratic: web 2.0 technologies are
another one. concerned with making information and communication available to all, irrespective of social and
intellectual background. Even those who don’t know how to use a computer properly–despite the fact
By choosing this title, Pierrick was perhaps trying to highlight the bond between strategic and that interfaces have not evolved over the past thirty years – are capable of interacting and making
technological trends monitoring activities such as yours and the solution he has been striving use of their creativity on the Internet, without any advanced knowledge in computing and data
to introduce and develop? He must have chosen this title to give his project credibility. processing. The great revolution brought about by the Web 2.0 is that it allows all kinds of users
Exactly. But we do not yet know what foundations he will build his solution on to create these to click, drag, drop and manipulate objects and to create. Mash-up 12 and digital technologies are
elements. He shrewdly managed not to be misled by formalism or by Internet movements because a good illustration of the profusion we mentioned earlier.
he understood the core issues underlying his project. The central issue of his initiative is the need
to reconcile trends monitoring and creation by inventing creative solutions while observing trends, Is the aim to blend knowledge and content?
and to do so with a collaborative mindset without competition, a community spirit based on mutual You blend ideas coupled with technologies. Some allow free access to their newly-found technological
learning. Pierrick managed not to fall into the protectionist trap that could have led him to think: solutions – as if storing a substance in test tubes – for peers to appropriate and enhance with their
“I won’t disclose my ideas online because they would become available to everyone and then own creative ideas thereby helping to develop new services. We could cite “housingmaps.com”
I would no longer be able to patent them nor even to use them as I please.” He realized that sharing – a hybrid of Google Earth and Craig’s List – which allows users to find an apartment with just three
innovative ideas could prove fruitful in that it would help him to get a name for himself and set up clicks of the mouse. Mostly implemented in the US, this device is a good example of collaborative
a network. technologies, which blend mapping with other activities. Another example is the Canadian website
“virtualcity.ca,” where Internet users can stroll around like pedestrians using a map, looking
A changing shift in fundamental paradigms is currently underway between our society and the at shop-fronts on their way; or “maps.fon.com” where you can locate all the free wi-fi hotspots in
Web. In our modern-day society what is valuable is what is rare; the rarer it is, the more expensive the world. This hybrid, participative and open application follows the anti-commercial “win-win”
it becomes. However on the web the opposite trend can be observed: it is profusion which earns spirit of Open Source software. Anyone can make use of this hybrid technological blend and add
you the most money. There is a strong discrepancy between these two worlds. In a system in which his/her input if he/she wants. With such interoperable and hybridizable technologies, there are now
profusion is sought for at all costs, the most popular websites – sometimes visited by millions of no boundaries to our creativity: the sky is the limit. Sites that can be hybridized with each other are
Internet users – have the highest market value. Even when their content is relatively poor in terms listed on “mashable.com,” and “programmableweb.com.” This range of applications is basically
of concept (i.e. Facebook), the fact that they have a significant amount of users makes them like a huge think tank from which users can draw upon. Such a working method bears witness to
fascinating and unavoidable tools. a deeply significant evolution of mentalities; when I come up with an idea, I no longer keep it to
myself, I make it available as a software – protected or otherwise – so as to allow as many people as
Another cleavage inherent in creative trends monitoring applied to the web must be noted: the possible to make use of it. We are faced with a true “web lab” that, in time, will bring legal rules and
opposition between commercial and non-commercial webs. Take, by way of example, Mozilla, intellectual property laws a few steps further as has already happened in the music industry.
Wordpress or Wikipedia: to this day there is no way of evaluating the efficiency or value of such
companies. These are not actual companies but foundations or organizations whose actual value At a time when individualism is becoming increasingly fierce, it is quite pleasant to see that Internet
cannot easily be assessed. users still have faith in collaborative work thanks to the web 2.0…
Having closely studied the historical roots of creativity according to religions, beliefs and
Indeed, there are no criteria to evaluate these new platforms. nationalities, I observed that the bond between human beings and creativity differs from one culture
François Druel, one of our PhD students currently in the process of completing a thesis 11 on the new to another and varies through the ages. To some populations, creativity originates in a superior
paradigms between web and society as a whole has recently worked on a groundbreaking model being. In Ancient Times, none other than the Nine Muses was allowed to claim creative skills,
based on twenty-two evaluation criteria to grade web platforms. This brand new research topic mankind did not have the right to create anything. Depending on the belief or spirituality that
is currently being developed within our scientific community. prevailed, some cultures nurtured their creativity more than others because they were allowed to.
In Europe, it seems like not enough mental and physical liberty was given to promoting creativity.
Do you think the wish to bring forth a creative collective intelligence is realistic and deserves further
interest?
A kind of collective intelligence already exists on the Internet, which has come from information-
sharing. To mark out a certain type of knowledge and intelligence, you need prior collective 11
François Druel worked for l’atelier.fr with Jean-Michel Billaud and for France Telecom. In the meantime he
information. When pooling their ideas and skills, people have the ability to co-create products
has decided to write a thesis entitled Évaluation de la valeur à l’heure du web. Proposition de valorisation de
or services to be used in a number of different places and to exploit all the temporal and spatial
projets non-marchands (An assessment of value as perceived on the Web. Proposals to valorize non-commercial
dimensions of the Web. The automotive leader Mercedes, for instance, has already tried and tested
projects).
collaborative work on the Internet. Their R&D department had implemented the three-shift system
In web development, a mashup is a web page or application that combines data or functionality from two or
12  
with workers located in subsidiaries all over the planet. Using the same collaborative platform to
more external sources to create a new service. The term mashup implies easy, fast integration, frequently using
work on their vehicles, they had three R&D teams working non-stop according to the different time
open APIs and data sources to produce results that were not the original reason for producing the raw source
zones. This way, upon arriving at work bright and early, the German engineer knew that another
data. (source: Wikepedia)
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03 VEILLE CRÉATIVE + DESIGN 03 TRENDS MONITORING + DESIGN

This is due to the French academic vision which ranks artistic production in a rigid hierarchy. asked to monitor blog-related trends. Upon completion of the study we came to the conclusion that
Conversely, other cultures, who see creativity in a rather postmodern light, do not feel the need monitoring these new types of platforms may prove useful in the future but at the time it was futile.
to rank artistic output in this way.
True. In France the creative, scientific and literary world are totally cut off from each other. Is that due to the lack of interaction and content at the time?
Knowledge often remains locked up within specific circles whereas in reality all scholarly practices At the time it was way too early for companies to adopt this type of initiative. Today, however,
are interconnected. Leonardo da Vinci, for instance, could produce mind maps which embraced blogs represent a great business opportunity for industrials and all kinds of entrepreneurs to seize.
a number of seemingly disjointed disciplines that he managed to merge via knowledge transfers. Companies might find an interest in transferring this technology to designing project management
Difference is the source of creativity because creation is brought to life within it. Howard Gartner blogs which, in addition to the intranet, would enable them to manage and store all informal
from Harvard University defined seven types of intelligence which he says are independent from information they wish to keep and make accessible to all. In the future technoliterate knowledge
each other: linguistic intelligence, logical/mathematic intelligence, kinesthetic intelligence, musical architects will be supported in their task by knowledge designers. I have no clue when this will
intelligence, spatial intelligence, social intelligence and introspective intelligence. Creativity occur but I am deeply convinced it will happen at some point. These knowledge designers will
requires combining several of these forms of intelligence, which show the holistic and systemic – identify which type of users require which type of information (RSS feed, Trends monitoring
i.e. global – nature of it. All human beings are intrinsically creative and depending on their life report) and how they want it presented. They will then package and design the information so as to
path and on the encounters they will make along the way, they will be more or less inclined to let offer enhanced and faster services. By making use of their skills in ergonomics, usability and their
this innate creativity blossom. Some people have been so afflicted and toughened by a life full of technical know-how relating to how users appropriate interfaces and information, they will create
hardships that they tend to be hyper-creative in whatever kind of art they practice, as a means to personal information systems. A new profession is born.
stay alive. Pierrick proposes tools that encourage long-distance creativity and are accessible to all.
This reminds us that creativity is not solely for the happy few who went to college. In our area, a A profession concerned with intelligent information.
company manager, Jean de Vulliod, had the brilliant idea of organizing the “Journées créatives des Indeed what I call intelligent information is a piece of information based on structural navigation
pays de la Loire,” an initiative through which middle school and high school students are rewarded and graphic representation as opposed to text only. The tag system constitutes the basis of this
for their creative talent in developing collective ideas for city and regional improvement. Should this evolution. They are an inverted form of statistics-based directories. Instead of building a directory
introduction to creativity spur young people to set up their own company, then we will be proud to in which data is ranked by categories, text content is analyzed and data is organized, which
have participated in increasing our region’s competitive potential in a five to ten year time span, and generates tags. We are currently witnessing the prehistoric era of a new type of knowledge
to have triggered a long-term trend which could likely spread out considerably. management which is set to emerge with the semantic Web. We still haven’t gone further than the
cave-painting phase or, in the best-case scenario, the hieroglyphic era. In the long run, designers will
You once stated: “The best and the worst information can be found on the Internet. Internet is create an alliance between users and new technologies. As the cost of computer equipment comes
a modern-day version of Plato’s Cave – where known values, mechanisms and rules are being used down and data processing tools are made simpler, the digital divide, between those who have access
alongside new technologies.” Does this mean you see the Internet as some sort of projected reality? to digital and information technology and those who do not, will ultimately disappear. Nobody will
Like a carbon copy of our material world? be dubbed “digitally disabled” anymore as some people sometimes are today.
Since the dawn of the history of innovation each new technology has led to a tendency to duplicate
already existing forms. I think all technologies have at first unavoidably gone through a “mimicking Moreover new interfaces, screen shapes and appropriation techniques should emerge in the near
phase” (motion pictures, age-old bicycle models etc.). This is so typical of human behavior, future. We know how to project images onto contact lenses, which is a good way of avoiding bulky
pervaded with fears and other change-hindering factors, and dates back from way before the advent devices – such as helmets – while reducing eye-strain. The world of interfaces is in the midst
of the web. To become acquainted with newly invented techniques a phase of appropriation is of a deep revolution that should pave the way to facilitated appropriation.
necessary: a sort of reenactment of Plato’s myth that mirrors the best and the worst of each society.
This is the first step of the process. For now, humankind is merely living through the prehistoric Do you think that we will see an increasing number of tactile interfaces?
era of the Internet. We are just taking the first faltering steps towards our emancipation from Yes I do, but not only tactile ones, though. An increasing number of voice recognition-based
the mimicking phase: moving from mimicking to appropriating. Facebook, for instance, is just or even emotion-based interfaces are going to appear in the near future. Users will be in a position
a copycat version of a device that existed prior to the web, and that has expanded to the point of to control computers with their brain, by means of neuron connections. Some research is currently
mass-profusion with millions of users. But the very concept of Facebook is far from groundbreaking. being carried out on this topic. Here I would like to refer to a general public scientific review called
Which of the new applications have managed to avoid falling into Plato’s cave? Some types of blogs, “Le Monde de l’intelligence,” that bridges the gap between creative intelligence and neuronal
mash-ups and hybrid software have managed to stay out of the cave (though some will disagree and biological intelligence, so to speak. This magazine offers a good illustration of the ongoing
and point out that such techniques were already in use in the musical field, when different sounds hybridization of art and technology. This thematic report provides readers with a peripheral view
were mixed together with turntables). However, radically different systems such as web OS-based of a number of fields, allowing them to observe neuronal approaches, which will give them an idea
solutions are currently surfacing, enabling users to open any type of document from a browser of what applications will be like in the future.
without downloading the required applications or software on their hard drive. In terms of use,
we are gradually veering towards more and more simplicity. While we may have reached extreme How could designers embrace this evolution towards enhanced interfaces?
heights in computer complexity, there is an increasing effort to simplify. Some manufacturers have Firstly by reading these type of documents and then by remaining open to new trends. Designers
already begun to develop simpler tools; most users only use 5% of their computer’s capacities and computer fiends undoubtedly have way more to learn from biology than from computing
anyway. if they want to stimulate their creativity. Designers will have to monitor trends at 360° to stay
on the lookout for smart ideas and then make a selection to determine which fields have an impact
As a professor training “cyber-watchmen” you keep a well-informed eye upon the transformations on his own sector and identify the current trends, in order to anticipate future developments. Then
of the ever-evolving network that has become the Internet – a network which is constantly they will have to focus on some areas in particular to be one step ahead of their competitors, for
evolving – in particular the proliferation of information sources and of social interaction platforms. instance. Though we live in a constantly evolving world we can still put forward innovations that
How do you envision the future, technologically and socially speaking? users will actually find useful in the future. This can be achieved by applying prospective methods
Fifteen years ago there was no such thing as a webmaster. Today a new profession is being brought and multi-sectorial trends monitoring, which will shed light upon the evolving needs
to life based on the activities carried out by webmasters: the term “blogmaster” has been coined and expectations of customers and their changing values.
to describe the person who manages and monitors blogs. This gives way to the emergence of a
whole series of new professions on the job market (Web Usability, Web Marketing, Knowledge
Worker, Knowledge Designer, E-reputation, to name but a few). A few years ago, our lab was
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03 VEILLE CRÉATIVE + DESIGN 03 TRENDS MONITORING + DESIGN

We can’t simply identify technological advances, we must also analyze them in their context being carried out with a view to generating new economic models. Their moves and findings are
and anticipate the obstacles they could be faced with… being closely watched as these new models will be the key to the creation of new business plans for
We must create and devise solutions at the right time for the right people. Let us not forget that new companies. Our department is situated at two opposite ends of the chain. We look all around,
the inventor of the diesel engine died in squalid conditions because his product came out too early observing both the user and what happens prior to the production process. “Atelier.fr,” the first
and there was no market for it to sell! trends monitoring unit dedicated to banking – founded by Jean-Michel Billaud upon request of
BNP Paribas – made it clear that to get an idea of what sector to invest in, it was important to keep
There’s no point in being a genius if you’re not in tune with the times. an eye on new technologies and thereby define which ones could possibly be the most profitable to
To move with the times you must aim to awaken creativity in as many people as possible and a banker. This shows that even bankers benefit from trends monitoring services. Though not very
especially among young people. A headmaster in a high school once asked me what we, as academic popular yet, these services would be useful and needed in many different areas.
scholars, expected from young high school graduates. I replied that what I first and foremost
expected from a student entering into higher education was open-mindedness, an eagerness to learn
and the will to keep the inquisitive spirit alive. An inquisitive student will be outward-looking, more
creative and therefore far more receptive. Speaking of which, your school is ripe with knowledge-
thirsty and creative students, which is a great opportunity for you. I am here referring to your
BIOGRAPHIE
interaction design students because I know them better. In interaction design the creativity spectrum BIOGRAPHY
is wider compared with other fields where designers are limited by materials and tools. On the web
you can create a product and then advertise it by circulating a 3D model-version of it, and ultimately
sell it once it has been manufactured. Therefore, in the future, when designers and manufacturers Henri Samier est enseignant-chercheur et directeur, depuis 1996, du Master Information Stratégique
come up with new concepts, they will allow users, via the Internet, to buy the products by means et Innovation Technologique de l’ISTIA (Institut des Sciences et Techniques de l’Ingénieur
of subscription, like the customer-based networks in organic farms. This type of practice can be d’Angers) qui englobe différentes spécialités : innovation stratégique, agro-alimentaire, biologie et
applied ad infinitum on the Internet. Then you just have to deal with the issue of trust. In the near développement durable, modélisation numérique, réalité virtuelle et projets européens. Également
future, the real challenge is to establish a certain level of trust on the Internet to reassure customers. spécialiste du web 2.0 et 3.0, il s’attache à former, avec son équipe enseignante, des « cyberveilleurs »
The company “Gottap” has been working on it by setting up Internet networks within which all dont le travail de veille sur Internet porte sur les technologies et les marchés.
members (bankers, customers, suppliers etc.) place their trust in one another, giving rise to free
spaces where relationships are based on trust. However such initiatives are still few and far between Henri Samier is a senior lecturer and researcher at the ISTIA (the engineering school of the
and the trust factor is still missing and might still be for a while as Internet takes on a greater scale University of Angers) where he has been running a comprehensive Master’s curriculum in Strategic
and keeps evolving depending on beliefs, religions, cultures, nationalities and so on. Information and Technological Innovation since 1996, a training programme which covers several
The future of web creativity lies both in the creation of new hybrid tools, new means of disciplines: strategic innovation, the food industry, biology and sustainable development, digital
collaboration and in the exchange of benefits gained from these new practices. It is a bit like signing modeling, virtual reality and European projects. As an expert in web 2.0 and 3.0, Henri Samier –
a co-ownership agreement for a patent without actually having a patent. Laws and intellectual together with his teaching team – also endeavors to train “cyber watchmen” to monitor technology
property rights are about to change, either naturally or through man-made decisions. A similar and market-related trends on the Internet.
trend has already occurred in the music industry. Usage and user habits now set the tone for the
entire industry, which sometimes leads to inconsistencies and deficiencies. Indeed, the current
offer fails to meet all the needs. Internet brings to light – in a very natural, empirical manner
– all customer needs, and as soon as these needs are confirmed then the offer itself can evolve
accordingly. Afterwards, either we will step out of the cave relatively easily or we will stay stuck
in there a while longer. It is better to focus on products of value and creation rather than comply
with rigid fossilized rules and stances, and to work steadily, focusing on speed and momentum
rather than on position.

In your view, it is these new uses that will help us emerge from the Cave?
This is already happening right now. And new factors are also going to play a part, such as the
work of a new generation of creative professionals and designers who have always been immersed
within these kinds of systems and are therefore very familiar with use. When people my age were
trained to use computers twenty years ago, they were “un-trained.” Unlike us, the new generation
was not “un-trained,” these children were born with a computer mouse in their hand and now have
a whole array of techniques and opportunities at their disposal to nurture their creativity and nose
for innovation. Their computer-literacy will make it easier for members of this generation to share
PRINCIPALES PUBLICATIONS
ideas and be creative because these tools are part and parcel of their daily life. They are filled with MAIN WORKS PUBLISHED
an unrestrained energy that promotes creativity. As they will have benefitted from this space of
creation and freedom provided by the web, students will have become more inventive and will have
appropriated this media, by learning to choose their sources of information and inspiration sources Samier Henri, Sandoval Victor. Christofol Hervé, Richir Simon, Samier
carefully. La Recherche intelligente sur l’Internet. Henri. L’Innovation à l’ère des réseaux.
Paris : Hermès Science Publications, 1998, Paris : Hermès Science Publications, 2004,
The web does offer an infinite space to unleash creativity. 190 p. 436 p.
Yes it does. And in the near future, the average age of entrepreneurs is set to fall. Bill Gates founded
his company when he was still a child prodigy. We will see many similar success stories and on Richir Simon, Samier Henri, Sandoval Samier Henri, Sandoval Victor.
a wider scale. We will gradually break away from the pyramid-like system whereby innovation Victor. Les Cybertechnologies dans les La Webcréativité. Paris : Hermès Science
is locked up in patents and manufacturers have to create products that comply with mainstream entreprises industrielles. Paris : Hermès Publications, 2007, 243 p. (collection
economic models. A new economic model remains to be created. In Northern Europe, studies are Science Publications, 2003, 286 p. Finance Gestion Management)
46 47
03 VEILLE CRÉATIVE + DESIGN 03  TRENDS MONITORING + DESIGN

CREATIVE intelligents. Pierrick a su proposer


une application offrant la place juste
within which projects can take root.
Creative professionals often work in
13
B. Stiegler, philosopher, highlights
the significance of new information

FEED
Pierrick Thébault
nécessaire à l’esprit créateur tout en
le libérant et l’accompagnant dans ses
envies, en mobilité et dans le temps.
collaboration with their peers and real-
time sharing of ideas is also a good
means to help the creative process.13
technologies and of individual and
collective symbolization processes
(indexation, transmission, collaboration).
Speech delivered at a conference entitled:
Nathalie. Ciprian – responsable How should the outcome of research Le numérique permet-il d’articuler d’une
Générer du sens et de la matière pédagogique 2nd cycle using multi-support references façon nouvelle la culture savante et le
à création à partir des flux be organized, summed up and savoir profane? (Literally: “Can digital
d’informations : L’optimisation de 13
B. Stiegler, philosophe, rappelle appreciated? And how can it be technologies help us rethink the workings
cette tâche est un des rêves de l’homme l'importance, dans les nouvelles formalized on a digital interface? of scholarly culture and non-expert
« augmenté » (ou assisté, selon le point technologies de l’information, du travail Pierrick’s solution uses automated knowledge?”). Conference held at the
de vue) que beaucoup d’entre nous individuel et collectif d'inscription systems which associate semantic National Institute for Art History in March
sommes devenus. Un enjeu majeur des symbolique (indexation, transmission, analyses and mind-mapping with the 2007.
outils de veille numérique aujourd’hui collaboration). Conférence intitulée ability to customize and therefore
sur le marché est la production de Le numérique permet-il d’articuler d’une appropriate modes of association and
connaissance, d’attention à partir façon nouvelle la culture savante et le visualization. The outlined system
d’une somme d’informations passée au savoir profane ? Conférence à l’Institut must imperatively be swift, fluid and
travers de filtres informatiques de plus National de l’Histoire de l’Art 03/07. understandable. Trends monitoring
en plus sophistiqués. is too strategic an activity to be left
solely to human monitors, or indeed
Parmi ces automates de veille, entrusted to so-called intelligent
Pierrick a constaté qu’aucun n’était computer systems alone. Pierrick

CREATIVE
particulièrement dédié aux métiers has managed to design a computer
de la création (architectes, designer, application which gives creative minds
illustrateurs, écrivains, chercheurs… ). just the right amount of space they
Il a donc fait des recherches sur
les modes de travail des créateurs
FEED
Pierrick Thébault
need, while providing them with more
freedom and supporting them in their
en phases amont de la conception choices, both in terms of mobility and
et sur leurs possibles transferts en timing.
visualisation numérique. Les métiers Optimizing information flows by
étudiés utilisent des outils et des making them more meaningful and Nathalie Ciprian – Course Leader - Pierrick Thébault
matières premières de divers formats more usable for creation is one of Postgraduate Studies site : http://www.regarde.org
(textes, photos, vidéos, croquis, the dreams of the “augmented”
sons… ) qui permettent d’élaborer (or “assisted,” depending on who’s
des univers de référence dans lesquels talking) human beings many of us have
s’inscrivent les projets. Les créateurs turned into. Today the main aim of
travaillent souvent en collaboration digital tools for trends monitoring is
et le partage de leurs réflexions en to produce knowledge and to attract
temps réel peut également favoriser le consumer and reader attention, by
processus créatif. 13 means of a mass of information filtered
Comment organiser, synthétiser et through ever-more sophisticated
valoriser un travail de recherche de computer applications.
références multi-support et comment
le formaliser sur une interface Having observed these automated
informatique ? La proposition trend monitoring systems, Pierrick
de Pierrick intègre des concepts came to the conclusion that none
d’automates qui associent l’analyse were dedicated to creative jobs, such
sémantique, des cartographies as architects, designers, illustrators,
mentales, avec l’opportunité de writers and researchers. For this
personnaliser, donc de s’approprier, reason, he focused his research on
les modes d’association ainsi que the working methods implemented
les modes de visualisation des by creative professionals in the early
informations. L’agilité, la fluidité et stages of the design process, and
la lisibilité du système sont capitales. on their possible transfer to digital
visualization. These professions
La veille est trop stratégique pour use a wide range of tools and raw
être laissée aux veilleurs, certes mais materials, in various formats (texts,
également pour se voir déléguée photos, videos, sketches, sounds,
aux systèmes informatiques dits etc.), which constitute environments
48 49
04
«Dans le domaine alimentaire, le design est la seule clé
de différenciation.»

Entretien avec Céline Gallen, chercheuse en marketing.

CADI : Vous avez étudié l’influence du design des produits dissonants sur la perception cognitive
des consommateurs. Quelles observations à propos de l’impact du design avez-vous pu faire lors
de cette étude ?
C.G. : Je suis justement en train de rédiger un chapitre à ce propos pour un ouvrage à paraître fin
2008 qui s’appelle La couleur et l’alimentation. Le design n’a commencé à investir les produits
alimentaires que depuis peu. Jusque très récemment, le design alimentaire ne s’appliquait qu’au
packaging mais assez peu aux produits eux-mêmes. Depuis les années 2000, un mouvement est
en émergence, amorcé par les grands chefs et relayé par des bureaux de style, des centres d’art
et de design spécialisés dans l’alimentation. J’ai travaillé avec deux de ces structures : avec le bureau
de style Enivrance (fondé par un acteur du marketing) sur un sablé épinard-framboise, puis plus
récemment avec un centre d’art et de design créé par un professionnel issu du design, La cuisine.
Leur approche est très différente mais la confrontation de ces différentes perspectives s’est révélée
très intéressante. On constate que les acteurs du marketing privilégient la perspective visuelle du
design alors que les designers ont une approche poly-sensorielle du produit. Pour eux, le design
d’un produit alimentaire inclut son goût, sa texture et pas uniquement son aspect visuel.
La recherche en marketing devrait ainsi s’attacher à enrichir la conception purement visuelle
grâce à la démarche du design.
Néanmoins, ces deux collaborations montrent de façon étonnante que le design visuel est celui
qui impacte le plus l’imaginaire du consommateur. Pour réaliser mes observations, j’ai procédé
avec quatre focus groups de huit à dix personnes, soit plus de trente personnes au total. Deux des
focus groups commençaient le test en aveugle et les deux autres commençaient par le test visuel du
produit. Je pensais, à tort, que la perception sensorielle des participants ayant commencé le test en
aveugle ne serait pas trop influencée par le design. Mais il s’avère qu’au cours de l’expérience, les
sujets ayant goûté en aveugle le produit oublient complètement leur perception gustative initiale
pour former leurs attentes uniquement sur les aspects visuels. La couleur influence notamment très
fortement la perception du goût.

Pourtant, comme le rappelle Anne Ripaud dans son mémoire, d’après Brillat Savarin : « Le goût est
le sens qui nous procure le plus de jouissance. » On pourrait donc imaginer que le goût prévaut sur
les autres sens en matière de design alimentaire. Mais vous avez apparemment observé le contraire.
Le goût a une importance primordiale dans le design alimentaire, c’est indéniable. Mais il est
influencé par le design visuel. Le design a un pouvoir très fort sur l’imaginaire. Quand il conduit
à la « dissonance » (cf. la Badoit rouge, le sablé épinard-framboise etc.) cela fait peur au
consommateur (le risque perçu) mais cela fait surtout appel à un imaginaire faisant référence
au non comestible. Une fraise bleue, par exemple, suscitera chez le consommateur des évocations
appartenant au registre non comestible. Ainsi, cette dissonance peut s’avérer dangereuse car elle
empêche le consommateur de s’approprier le produit.

Comment faire pour que le consommateur dépasse sa perception visuelle ?


Il faut trouver la « bonne dose » de dissonance. En effet, s’ils sont en attente de nouveauté, les
consommateurs ne sont pas encore habitués aux produits alimentaires « designés ». Il faut donc leur
proposer des solutions innovantes tout en les rassurant, en veillant à ne pas trop perturber leur acte
d’achat et faire en sorte qu’ils saisissent le message que l’on veut faire passer à travers ce design,
donner du sens au produit. Les produits trop incongrus sont à proscrire car ils généreront du risque
perçu qui entraîne chez le consommateur un rejet du produit. Il y a cinq dimensions dans le risque :
le risque physique (lié à la santé), le risque sensoriel (lié au goût), le risque psychologique (risque que
le produit ne vous corresponde pas), le risque social (risque d’être mal jugé à travers l’achat ou la
consommation de ce produit, du fait de la rigidité des codes sociaux), et enfin le risque financier
(le risque de payer trop par rapport à la jouissance tirée du produit).

Comment cette originalité ou excentricité en cuisine est-elle reçue par les consommateurs ?
Les consommateurs sont encore assez frileux et se comportent de manière ambivalente.
51
04 ALIMENTATION + DESIGN 04 FOOD + DESIGN

Si certaines études publiées montrent qu’il y a une forte attente de nouveauté (nouveaux goûts, Qu’est-ce que le design peut apporter au marketing appliqué aux modes de consommation
nouvelles textures), il faut cependant conserver des schémas classiques. Ainsi, lorsqu’on propose alimentaire ?
des produits alimentaires excentriques au consommateur lambda, il considère que ces derniers Tout à l’heure, j’ai mentionné des produits très typés, très dissonants mais le design peut se
ne lui correspondent pas. Il attribue ces produits à des consommateurs plus jeunes, urbains manifester de manière beaucoup plus simple. Par exemple, lorsque Danone travaille avec des
(voire parisiens) bobos, branchés, frimeurs… qui aiment épater leurs convives. En province, les designers, ils ne conçoivent pas quotidiennement des produits extravagants. Le design a forcément
consommateurs sont prêts à acheter ce genre de produits mais seulement dans des lieux spécialisés un fort impact sur les ventes d’un produit dans la mesure où son approche est poly-sensorielle.
où l’on s’attend à trouver des articles hors du commun (épicerie spécialisées, musées par exemple). Une barre chocolatée, même si elle est très classique, en forme de parallélépipède, nécessite tout de
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le sablé épinard-framboise (conçu par Enivrance mais fabriqué même une réflexion de design. Le design est indispensable pour penser forme, couleur et texture
par le pâtissier Daniel Mercier) avait été commercialisé au Lafayette Gourmet Paris. Nombre de en étant plus ou moins sophistiqué, plus ou moins atypique ou plus ou moins dissonant. Mais il
produits alimentaires « designés » sont en vente à la Grande Épicerie du Bon Marché, par exemple, est indispensable, ne serait-ce que pour se différencier par rapport aux concurrents, pour créer
ou dans des épiceries de luxe comme Fauchon et Hédiard. l’image de marque, assurer la reconnaissance du produit par le consommateur. Un yaourt doit avoir
une forme de yaourt. Ce sont les codes introduits par le design qui permettent au consommateur
Il semblerait que les consommateurs soient à la recherche d’une dimension expérimentale. d’identifier le produit.
Oui, tout à fait. C’est typiquement la recherche d’une expérience par l’alimentaire qui pousse
le consommateur à tester ce genre de produits. C’est d’ailleurs le thème du projet d’Anne Ripaud. D’autant que dans la société de l’hyper-choix dans laquelle nous vivons actuellement,
Mais, pour l’instant, ce genre de tendances ne s’observe que chez une partie des consommateurs. il est indispensable de bien baliser chaque produit pour guider le consommateur.
L’alimentation est une activité ayant trait à la survie et la plupart des consommateurs n’osent pas Oui, c’est un des aspects bénéfiques du design pour le marketing. Avec l’arrivée de grandes chaînes
encore trop chambouler leurs habitudes alimentaires. Tous les consommateurs ne sont pas prêts comme IKEA, le design est devenu très accessible aux particuliers. Nombre de consommateurs qui
à vivre une expérience à travers le produit alimentaire même s’ils le sont avec d’autres produits ne s’intéressaient pas du tout à la décoration, il y a encore quelques années osent désormais équiper
de consommation. Lorsqu’il s’agit du produit alimentaire, les mécanismes se complexifient. leur intérieur de manière plus originale, plus chaleureuse, plus personnelle. On observe la même
tendance pour le prêt-à-porter avec des enseignes comme H&M ou Zara qui copient les marques
L’alimentation reste au stade de besoin naturel et nécessaire. de créateurs. Ainsi, l’originalité et les articles insolites deviennent de plus en plus accessibles et le
Pour certains consommateurs, oui. Nombre d'entre eux m’ont dit à propos des produits que j’ai consommateur accorde davantage d’importance à l’aspect visuel des objets qu’il achète. Il montre
étudiés que ceux-ci ressemblaient trop à des objets de décoration, voire des objets d’art. une sensibilité accrue pour l’esthétique.
Or un produit alimentaire n’a pas pour vocation de décorer. Aujourd’hui, le design est présent absolument partout et commence à susciter l’intérêt des
consommateurs même dans le domaine alimentaire.
On ne badine pas avec la nourriture…
La notion de jeu avait effectivement été abordée dans les tests consommateurs. Le consommateur À travers les marques distribuant des objets conçus par des designers, la dimension
lambda n’admet pas que l’on puisse jouer avec la nourriture. Ce que l’on attend en premier lieu esthétique des produits est venue aux consommateurs.
d’un produit alimentaire, c’est qu’il soit bon. Oui, notamment grâce aux pays nordiques. Mais les produits alimentaires étant les
seuls produits de consommation que l’on ingère, avec le médicament, il y a une barrière
Un excès d’originalité paraît dommageable à la substance ingurgitée ? psychologique très forte. Anne l’a d’ailleurs très bien montré dans son mémoire : on devient
C’est vrai pour certains sujets. Mais d’autres sont clairement en recherche d’expériences nouvelles. ce que l‘on mange avec le phénomène de « pensée magique ».
Prenez par exemple les gens qui se rendent chez Ferran Adria. 14
Pourriez-vous revenir sur le terme de « pensée magique » ou « magie sympathique »?
Quelle est la différence entre design culinaire et design alimentaire ? Les deux termes sont équivalents. Ils font référence à un mode de pensée longtemps considéré
Le design culinaire relève du domaine de la cuisine, des produits conçus par le cuisinier, le grand comme primitif et étudié par les anthropologues au XIXè siècle. L’étude de ce phénomène
chef, les artisans des métiers de bouche mais aussi par certains amateurs armés d’audace. Le design remonte donc à très loin, mais on a longtemps cru que c’était lié aux populations primitives
alimentaire investit davantage le champ de l’industrie et s’applique à des produits alimentaires de (qui jetaient de sorts, qui s’adonnaient à des sacrifices d’animaux etc.). Or on s’aperçoit que
grande consommation ; il englobe également le packaging, l’aliment dans sa globalité. cet imaginaire lié à la nourriture existe même s’il se présente différemment. L’eucharistie
à l’église pendant la messe en est un exemple typique. Quand le prêtre dit « Ceci est mon
Vous faisiez allusion au projet de fin de cycle d’Anne Ripaud, « Expérience alimentaire », visant corps, ceci est mon sang », il s’agit de pensée magique.
à « interroger les valeurs intrinsèques de l’homme face à la nourriture pour répondre aux attentes
d’un consommateur à la recherche de produits innovants. » Pourriez-vous nous expliquer ce qui Oui, en ingurgitant le corps de l’être sacré, on pourra atteindre la grâce. On devient ce que
vous a intéressée dans cette initiative ? l’on mange.
Ce projet ne pouvait que plaire à un marketer comme moi, s’intéressant à la perception du Oui. La pensée magique se pratique donc dans les cultes religieux, mais elle agit également
consommateur puisqu’il proposait une démarche de designer à partir d’un questionnement commun de manière inconsciente dans le quotidien. Par exemple, lorsque vous regardez une publicité
avec mes activités de recherche en marketing. J’étais donc curieuse de voir les résultats qu’obtiendrait pour un yaourt, vous croyez au slogan qui vous assure que vous deviendrez belle en le
Anne, en cherchant à anticiper ce qui se passe dans la tête des consommateurs. Comment leur faire mangeant. Les marketers vous font croire en un bénéfice produit selon lequel vous deviendrez
vivre une expérience à travers le design du produit alimentaire ? Jusqu’où la conception de produit plus belle ou plus mince en mangeant ce produit. Ce principe est poussé à l’extrême à travers
va nous mener ? Alors que pour ma part, je ne me penche sur la façon dont le consommateur perçoit cette tendance appelée la « cosmeto-food », la cosmétique par la nutrition. Ces nouvelles
le produit qu’une fois qu’il est conçu. Nos deux démarches sont complètement différentes mais tendances basées sur l’identification à une icône représentant le produit alimentaire découlent
complémentaires. La mienne se situe en aval, la sienne en amont. Lors du jury, on se rend compte de la pensée magique : croire en un phénomène de transfert par l’ingestion d’un aliment, de
que l’on a des angles de vue et des préoccupations différentes. ses propriétés physiques mais également morales et symboliques. Dans le même ordre d’idées,
on n’aime pas manger un plat préparé par une personne hostile par crainte de contamination
de la nourriture et de transfert de ses défauts sur soi.
14
Cuisinier catalan, célèbre chef du restaurant El Bulli (le bouledogue), à Roses, sur la Costa Brava. Sacré Apparemment, la magie sympathique est soumise à un principe de contagion et de similitude.
« meilleur cuisinier au monde », il est l’un des tenants de la gastronomie moléculaire ; il expérimente sans cesse Le phénomène de magie sympathique est en effet régi par deux lois. Il y a tout d’abord
de nouvelles technologies et des textures et des saveurs surprenantes. la loi de la similitude qui consiste à dire que les objets sont ce qu’ils semblent être :
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04 ALIMENTATION + DESIGN 04 FOOD + DESIGN

le consommateur interprète un objet selon ce qu’il en perçoit. Un chercheur américain appellé Et quels produits alimentaires sont les plus enclins à bénéficier de la valeur ajoutée
Paul Rozin a tenté de faire manger des chocolats en forme d’excrément canin à des étudiants. du design ?
Même s’ils savaient qu’il s’agissait de chocolat de très bonne qualité, les sujets ont manifesté Les produits à forte connotation de plaisir et sans doute les aliments sucrés (desserts,
une réticence très forte. Il a également effectué des études consistant à faire mordre des sujets snacking). A contrario, je me souviens de l’échec d’une initiative consistant à intégrer des
dans un caoutchouc ayant un aspect de vomissure. Une autre de ses études célèbres consistait codes-barre sur la peau des fruits. Les fruits (au même titre que la viande) ne sont pas des
à demander à des sujets de mettre du sucre en poudre dans deux bouteille d’eau puis à leur produits marketés, mais des produits bruts, dénués de packaging visant à vendre le produit.
fait coller une étiquette « eau sucrée » sur l’une et « cyanure -poison  » sur l’autre. Ensuite, Cette technique consistant à dépigmenter une partie de la peau du fruit fait partie de ces
il leur demandait de noter de 1 à 10 l’envie de boire le contenu de chacune d’elle. La bouteille méthodes auxquelles les consommateurs sont totalement réfractaires. Le design alimentaire
étiquetée « poison » a récolté une note basse et inférieure à la bouteille d’ «  e au sucrée ». devrait tout d’abord s’emparer des produits hédoniques, les boissons, par exemple. On peut
Pourtant les sujets savent pertinemment que les deux flacons contenaient de l’eau sucrée. citer le véritable succès commercial rencontré par la Limonade Lorina qui propose des
La loi de la contagion renforce la loi de la similitude selon laquelle en mangeant un aliment produits colorés avec des goûts originaux. Plus que toute forme de communication média,
j’intègre ses propriétés à la fois physiques, morales et symboliques de cet aliment. Je suis ce sont le design de la bouteille et de son contenu qui ont fait la notoriété de la marque.
contaminé par cet aliment. Si je mange quelque chose de répugnant, je deviens moi-même Un cas de figure où le design suffit à rendre un produit attrayant (à condition que ce dernier
répugnant. Ces deux lois complémentaires forment la pensée magique. Si la loi de la similitude soit bon, évidemment).
n’est pas propre à l’homme (on la retrouve chez les animaux), la loi de la contagion ne
s’applique qu’à l’homme et ne prend effet que chez les individus à partir de trois ou quatre L’alimentaire est un secteur où de nombreuses contraintes se posent pour les designers.
ans. Ceci explique pourquoi les enfants n’éprouvent aucune répugnance à ramasser et mettre Oui, dans le domaine alimentaire, le design est aujourd’hui une des seules clés de
dans leur bouche de la nourriture ayant traîné par terre ou à mordre dans de la nourriture différenciation. Mais si le produit brise les codes, il faut fournir des clés au consommateur
déjà entamée. Pour ma part, lorsque je montre à mes étudiants la photo du même sandwich pour qu’il comprenne le pourquoi de cette rupture.
entamé par une vieille dame édentée ou par une femme blonde plantureuse, ils sont plus tentés
de consommer celui entamé par la jolie blonde. Pourtant, aucune information relative
à l’hygiène de ces deux consommatrices ne leur a été communiquée.

Quel mécanisme cognitif fait qu’un consommateur est répugné par un aliment qu’il sait
sain ?
Ce phénomène n’est pas du tout rationnel. D’où le terme de pensée magique. Il s’agit d’une
04 
impression de contamination, parfois fondée (si le produit a été léché par un animal, par “In the food industry, design is the only way to make products
exemple) mais parfois pas du tout (dans le cas du chocolat en forme d’excrément canin). stand out.”
Notre cerveau est constitué de catégories mentales. Un chocolat ayant une forme douteuse
aura beau être de bonne qualité, voire fabriqué sous les yeux du sujet, ce dernier n’en sera
pas moins révulsé par cette forme associée dans son cerveau à un objet répugnant et non
Interview with Céline Gallen, researcher in marketing.
comestible. En interprétant ces stimuli visuels, le cerveau classe cet objet comestible dans
une catégorie d’objets non comestibles répugnants. Ensuite, le consommateur en déduit que
s’il ingère ce produit considéré comme non comestible et répugnant, il deviendra lui-même CADI: You have studied how discordant product design can influence the cognitive perception
répugnant. of consumers. What did this study teach you about the impact of design?
C.G.: I recently published a chapter dedicated to this very topic to be published in an anthology
Vous qui avez étudié l’influence du design sur le sensoriel et les facultés cognitives des entitled La couleur et l’alimentation, dealing with color and eating habits. Design is just beginning
consommateurs, comment pensez-vous que le secteur du design alimentaire va évoluer to gain a stronghold in the food product industry. Until very recently food product design only
au cours des prochaines années ? applied to packaging and not to products themselves. But since the year 2000, a new trend —
Le design alimentaire investit peu à peu le secteur industriel. À l’origine, cette tendance triggered by celebrity chefs and continued by trend agencies and art and design centers specializing
était l’apanage des grands chefs avant de s’étendre jusqu’aux bureaux de conception créant in food and eating habits — has begun to emerge. At the time I was carrying out projects in
des produits de manière confidentielle commercialisés dans des points de vente haut-de- collaboration with two such structures: initially with a trend agency created by a marketing expert
gamme très ciblés, réservés à une clientèle très restreinte. À l’heure actuelle, des progrès called Enivrance – with whom we created a spinach-and-raspberry-flavored shortbread – and then
sont déjà en marche dans le secteur : certains groupes alimentaires s’attachent à élaborer more recently with La cuisine, an art and design center set up by a design professional. Despite their
de nouvelles textures, de nouvelles formes de produits en collaboration avec des designers. different approaches to design, it proved quite interesting to confront the diverging perspectives
Mais cette évolution ne pourra être que progressive car la pensée magique et autres invariants of the two partners. While marketing professionals emphasize the visual significance of design,
propres à la nature humaine freinent quelque peu la mutation des modes de perception designers tend to focus on the multi-sensory aspect of the product. To them, food product design
des consommateurs. Cependant, nous vivons dans un environnement favorable à ces encompasses even taste and texture and is not limited to appearance alone. In my view marketing
évolutions car l’esthétisme et la recherche de nouveauté y prennent de plus en plus de place. researchers should explore how design can be used to enhance a creation process, which has up to
Cette progression ne s’effectuera qu’à deux conditions : que le produit soit bon et que le now been exclusively centered on visual aspects. However, from these two collaborations, I gathered
consommateur comprenne pourquoi on « injecte » du design dans l’alimentaire. Pour dépasser that visual has the most impact on the consumer. I observed four focus groups – each comprising
l’image quelque peu snob véhiculée par le design alimentaire auprès de certaines catégories eight to ten people (more than thirty people in total). Two of those groups began by taking the test
de population, il faut expliquer au consommateur la raison et le sens qui sous-tendent blindfolded while the two other groups made a visual acquaintance with the product first. I wrongly
la démarche du design alimentaire, et ce que l’on cherche à lui apporter à travers ce produit. thought that the sensory perception of the blindfolded participants wouldn’t be influenced very
Il faut créer une relation poétique avec le produit. « Si le produit est excellent, much by the product’s visual design. Surprisingly, during the experiment the blind subjects totally
le consommateur pourra passer outre certaines excentricités qui lui paraissent injustifiées. » put aside their first taste-based impression and formed their opinion based on appearance alone.
Cependant, les producteurs se doivent de susciter l’achat et le réachat. Certains Color, in particular, has a very deep impact upon taste.
consommateurs achèteront une première fois par curiosité, mais il faut ensuite les fidéliser.
Il est donc indispensable de créer une consonance entre tous les éléments du produit et une
convergence des sens au niveau de l’apport possible du design.
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04 ALIMENTATION + DESIGN 04 FOOD + DESIGN

In her thesis, Anne Ripaud quotes Brillat-Savarin who stated that “taste is the sense which can Too bold a design can make consumers dubious of the substance contained in a food product?
provide some of the greatest pleasures that humans can experience.” Knowing this, we could be led This applies to some people, yes. But others are definitely in search of new culinary horizons.
to believe that taste prevails over all other senses in product design, yet you seem to have noticed the Just look at how many people eat in Ferran Adria’s 14 restaurants.
opposite trend.
One cannot deny the essential role of taste in food product design. But taste is being strongly What is the difference between “culinary design” and “food product design”?
influenced by visual design, which has a significant impact upon what people think. Design that “Culinary design” stems from the world of cooking and has to do with all products prepared and
results in “discordant products” such as red-tinged water brought out by French brand Badoit and designed by cooks, chefs and all catering professionals and also by daring and talented amateurs.
spinach-and-raspberry-flavored shortbread, tends to scare consumers away— this is what we call the “Food product design” is more concerned with industrial production and applies to mass-produced
“perceived risk” – and makes them believe the products are inedible. A blue strawberry, for instance, food products; it includes packaging and every aspect of the food product.
will automatically make the consumer think he cannot eat the product. In the end, the search for
originality can actually prove detrimental to products in that it makes it more difficult for consumers Let’s now focus on Anne Ripaud’s final degree project, “Expérience alimentaire,” which aims to
to appropriate them. “question the intrinsic human values we have about food in order to meet the expectations of ever-
more demanding consumers eager to try innovative products.” Could you tell us what appealed to
How can one make consumers see beyond the merely visual perception of food products? you in this initiative?
The trick is to try and pitch the level of originality. Indeed, although consumers are eager to discover As a marketer interested in consumer perception, I could only appreciate such a project as it is
innovative products, they are not yet familiar with designer food products. Therefore food product offers an approach to design born from a collective effort between my marketing-oriented research
designers, while offering innovative solutions, need to reassure the consumer. Care needs to be taken and a designer’s know-how and knowledge. I was really keen to discover the results Anne would
to ensure that purchase intent is not disrupted and that the design of the product fully conveys the produce by trying to anticipate how the consumer thinks. Her project raises two main questions:
brand’s specific message. In short, they must give meaning to the product. Products that are too how can food product design provide consumers with a new experience? How far can food product
discordant, unusual, should be banned because they might introduce a “perceived risk” that could design take us? As far as I’m concerned, unlike Anne, I only deal with how consumers perceive the
result in consumers rejecting the product. This risk can be divided up into five categories: physical products once they’ve been designed. Our two totally different stances complement each other.
(health-related) risk, sensory (taste-related) risk, psychological risk (the product you consider buying While I am more concerned with steps happening after production, Anne comes into play much
might not appeal to you), social risk (social codes are such that you might be criticized for an item you earlier in the process. During student oral presentations, I was struck by the obvious discrepancy
buy or consume), and financial risk (the item bought might be too expensive compared to the pleasure between what drives designers and what fuels marketers.
provided).
How can design contribute to enhancing food-related marketing?
How do consumers perceive this trend, this eagerness to design original and eccentric food products? In a previous answer I only quoted particularly characteristic and discordant products but some
Most consumers still have cold feet and are quite ambivalent. Though some studies have shown that companies also use design for less sophisticated purposes. For instance, when dairy products
consumers are keen to see new products on the market to experience new tastes and textures, we distributor Danone calls upon designers they do not expect them to produce unconventional,
must stick to traditional patterns. Indeed, when confronted with uncommon food products average off-the-wall items on a daily basis. Design obviously has a strong impact on the sales of a product
consumers do not feel part of the targeted audience and tend to think these products are not suitable as it appeals to all the senses. Even the plainest rectangle-shaped chocolate bar had to be given
for them. They attribute these products to a younger, more urban audience – yuppies or modern- some thought by a designer at some point. Design is essential to determine shape, color and texture,
day hipsters who buy unusual food to show off and impress their guests. The average consumer is whether it be sophisticated or unsophisticated or unusual or familiar. But it is also indispensable
prepared to buy such products, but only from specialized places such as delicatessens or museums to make a brand stand out from that of its competitors, to create a brand identity and to ensure
where you would expect to find these kind of discordant products. Its comes as no surprise that the consumers will recognize the products. A yogurt must be shaped like a yogurt. These design-derived
spinach-and-raspberry-flavored shortbread I mentioned earlier – designed by Enivrance and then codes help consumers spot and identify the products they need.
prepared by celebrity pastry-chef Daniel Mercier – was distributed by Lafayette Gourmet Paris, a
department store renowned for its wide range of exotic fresh produce and fine foods. Many designer More than ever in this modern-day society where hyper-choice rules, it is essential for designers
food products are also being sold in the fine grocery sections of similar prestigious French department to dote each product with an identity to guide the consumer.
stores (the Grande Épicerie at the Bon Marché in Paris, for instance) or in high-quality fine grocery Yes, and that is one of the reasons why design is really beneficial to marketing. With the advent of
stores such as Fauchon or Hédiard. great chain-stores such as IKEA, design managed to gain entry into family homes for the first time.
A number of consumers who had never taken the least interest in decorating their homes gradually
From what you say it seems like consumers are increasingly seeking to experiment with food. dared to treat themselves to more original furniture conveying more human warmth and actually
Very much so, yes. Consumers are drawn to those kind of exceptional products by a strong desire reflecting their personalities. The same trend can also be observed in the field of high street clothing
for a new food experience. This is the central topic of Anne Ripaud’s project. However, to this day, with chains such as H&M or Zara, who unrestrainedly draw inspiration from designer brands. As
this trend has only been followed by a minority of consumers. Indeed food is a matter of survival a result, innovative and original items are more and more easy to find and consumers are showing
and most consumers are still reticent to radically change their eating habits. Many consumers are a growing interest in the visual aspect of the goods they purchase, thereby demonstrating an
still too attached to traditional food to be inclined to experience new food products. Although they increasing sensitivity to aesthetic values. Today design is everywhere and arouses consumer interest
already take bold stances in other fields, many consumers are still not prepared to experiment with even in the field of food.
different foods. When it comes to food products, the usual mechanisms ruling consumer behavior
automatically take on a more complex dimension. As more and more brands have begun to sell items thought up by designers, consumers have
realized how essential the aesthetic factor actually was.
Indeed, food continues to be seen simply as a natural and necessary need. Exactly, and this especially true in Scandinavian countries. However, the only consumption goods
For some users, it is. Many consumers told me that the products I studied were reminiscent to be ingested, food products and prescription drugs, are ranked in a special, isolated category.
of decorative objects or even art pieces. Yet food products are not meant to be ornaments. When it comes to this type of product, consumers have an accrued psychological resistance and

One must not trifle with food, so to speak.


The subject of game-play was indeed broached during the consumer tests. For most average
14
Ferran Adrià is the world-famous Catalan chef of El Bulli in Roses on the Costa Brava (Spain). Dubbed
consumers, playing with food is totally unethical. The main quality expected from food products “World’s Best Chef,” he is one of the founding fathers of molecular gastronomy – though he tends to prefer the
is palatability. term “Spanish avant-garde cuisine.”

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04 ALIMENTATION + DESIGN 04 FOOD + DESIGN

behave less boldly, possibly because they are less willing to place their trust in uncommon items that being prepared with care and attention, they will still feel repelled by it because its appearance is
are not part of their usual frame of reference. As Anne craftily managed to demonstrate in her final reminiscent of something which is disgusting and inedible. Faced with these odd visual stimuli, our
degree thesis, according to the age-old but still prevalent phenomenon of “magical thinking”: “You brain identifies these food products as disgusting and inedible. From there on consumers jump to
become what you eat.” conclusions and believe that if they do ingest this product, which they have identified as disgusting,
they will, in turn, become disgusting.
Could you elaborate on the term “magical thinking,” also known as “sympathetic magic”?
These two terms are equivalent. They both refer to a mode of thinking first studied by nineteenth You have been researching the impact of design upon the human sensory system and upon
century anthropologists and long overlooked because thought to stem only from primitive tribal consumer cognitive faculties. How do you envision the evolution of food product design in the near
populations (tribes who cast spells or sacrificed animals, etc.). But over time we have come to realize future?
that these beliefs surrounding food actually exist even though they are not given concrete expression Food product design is gradually gaining ground in the industrial world. Originally, this trend was
the same way. The Eucharist carried out in churches offers a typical illustration of this type of a privilege that only renowned chefs were in a position to enjoy, but it has progressively spread.
practice. Indeed the priest saying: “This is my body, this is my blood” is a significant example of Now a number of fine-food designers prepare products to be sold in carefully targeted luxury selling
magical thinking. outlets. Today improvements are already underway in this field. Some food product professionals
have now set to work, in collaboration with designers, to come up with new textures and shapes.
If I understand this right, after ingesting the Sacred Being then you are in a state of grace. However, these are but the first faltering steps of a process that could prove tedious because
You become what you eat. magical thinking – and a number of other unchanging features inherent to human nature – prevents
However, magical thinking is not exclusively limited to religious cults, it also pervades our consumer perception modes from developing smoothly. But let us not forget that the environment we
daily lives without us even knowing. For instance, women watching a commercial advertising live in is favorable to these hoped-for developments as it is infused with a strong taste for aesthetics
the wonderful qualities of a yogurt will tend to buy into the slogan claiming that eating it will and an inclination towards innovation. Two main requirements must be met for this progression to
undoubtedly help them blossom into slender beauties. Marketers work very hard on triggering this occur: first the product must taste good, and secondly manufacturers and designers must make sure
kind of naïve wishful thinking. This principle is taken to the greatest heights of caricature with consumers actually understand why design is being introduced into the food industry.
what we call “cosmetic foods” or nutrition-enhancing cosmetics. These new trends, which consist To relieve food product design from the snobbism often associated with it, we must strive to explain
in identifying with an icon representing a food product, are derived from magical thinking: once its aim to consumers and how it is likely to improve their lives. We must endeavor to strike up an
again we find the belief that someone’s physical, moral and symbolical qualities can be passed on via emotional link between consumers and potentially consumed goods. If the product is excellent,
food. Along the same lines, nobody likes to eat a dish cooked by an unfriendly guest – someone they any original features which the consumer may find unnecessary will pass unnoticed. It is, however,
do not appreciate as a person – because they fear they will be contaminated by it and want to avoid important not to lose sight in the process of the need to not only arouse buying intention but also to
absorbing the cook’s bad qualities. build up consumer loyalty to a product. All the features of a product must be bound together by a
meaningful leading thread and all senses must be called upon to achieve optimum design.
Sympathetic magic is ruled by two grounding principles: contagion and similarity.
Indeed, the phenomenon of sympathetic magic is ruled by two laws. Firstly, the law of similarity, Which products are the most likely to benefit from the added-value of design?
which states that objects are what they seem to be: consumers interpret objects based on how they Pleasure-providing products such as candies and sweet foods in general such as desserts and snacks.
perceive them. An American researcher called Paul Rozin tried to talk a batch of students into On the other hand, this reminds me of a failed initiative, which aimed to engrave bar codes into
eating dog-dirt-shaped chocolate candies. Even though they knew they were made of good quality fruit. Fruit and meat are natural products (to an extent). They do not go through a marketing
chocolate, the participants stoutly rejected the unusual treats they were asked to taste. For the process, they are sold as such, without packaging. Altering the pigmentation of part of a fruit for
purpose of other similar studies subjects were asked to bite into a vomit-like piece of rubber. the sake of referencing only meets with consumer resistance. Food product design should first and
As part of a now famous study, a scientist asked subjects to pour sugar into two full water bottles foremost focus on products associated with pleasure such as drinks, for instance.
and to stick a label on each bottle – one that read “sweetened water” and the other “cyanide -
poison”. Subjects were then asked to grade the bottles from 1 to 12: the higher the grade, the more In the food industry there seems to be a lot of parameters for designers to take into account.
they felt like drinking the content. As it turns out, the bottle of water advertised as containing a Yes. To this day in the food industry design has been one of the only ways to make products stand
poisonous substance got only very low grades, even though all participants knew it was filled with out. Yet if a product disrupts traditional codes, then clues must be given to consumers so that they
nothing but water and sugar. The rule of contagion complements the rule of similarity, which states actually understand the reasons for these changes.
that by eating a food product you are taking on its physical, moral and symbolic values. You are
contaminated by this food. If you eat something disgusting you will, in turn, become a disgusting
being. These two complementary rules are the mainstays of magical thinking. Humankind is not the
only species concerned with the rule of similarity – animal species also comply with it. However the
rule of contagion only applies to humankind and to individuals over three or four years old. Hence
infants’ carefree attitude with food and what they put in their mouth – indeed kids feel no disgust
in swallowing soiled food found lying on the ground or already bitten into by someone else.
As for me, when I show to my students a picture of the very same sandwich already bitten into by
an old lady with bad teeth or by a an attractive young blond woman, they are unsurprisingly more
inclined to eat that belonging to the good-looking blond woman. Though none of them was given
the least bit of information as to the hygienic standards of the two sandwich-eaters.

How come consumers are repelled by food that they know for a fact is good and healthy? Which
cognitive mechanism is at play here?
This phenomenon is totally irrational. Hence the term “magical thinking.” The consumer
believes that the food is contaminated. Sometimes, this is true, if, for example, the product has
been licked by an animal, but in other cases, such as the dog-dirt-shaped chocolate, this belief
is totally unfounded. The human brain is made of mental categories. When a chocolate candy
has an uninviting shape, even if consumers know it is a good quality product, even if they see it
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04 ALIMENTATION + DESIGN 04 FOOD + DESIGN

BIOGRAPHIE PRINCIPALES PUBLICATIONS


BIOGRAPHY MAIN WORKS PUBLISHED

Céline Gallen est docteur en sciences de gestion (2001), maître de conférence à l’Université
de Nantes (Institut d’économie et de management) où elle enseigne le marketing. Son activité
d’enseignante porte également sur les modes de consommation alimentaire et les représentations
mentales des consommateurs, dans le cadre d’un Master 2 dans le domaine de l’agro-alimentaire.

Céline Gallen holds a PhD in management science (attained in 2001) and lectures at the Institute
of Economics and Management at the University of Nantes. Her current activities are also
concentrated on consumer food habits and the mental representations of consumers, two topics
she has been exploring as part of a Master’s curriculum in the domain of the food industry.

Bouder-Pailler Dominique, Gallen Céline. Bouder-Pailler Dominique, Gallen Céline.


Influence des représentations mentales sur Influence des représentations mentales sur
la valeur de l’expérience de consommation la valeur de l’expérience de consommation
culturelle : approche exploratoire. culturelle : approche exploratoire.
In Congrès des Nouvelles Tendances In Congrès des Nouvelles Tendances
en Marketing (2006, 5, Venise) Venise : en Marketing (2006, 5, Venise)
Université d’Économie, 2006. Venezzia: Université d’Économie, 2006.

Gallen Céline. Le risque perçu lié à la Gallen Céline. Le risque perçu lié
dissonance cognitive dans la consommation à la dissonance cognitive dans la
alimentaire. 2001, Revue Industries consommation alimentaire. 2001, Revue
Alimentaires et Agricoles, pp. 39-45. Industries Alimentaires et Agricoles,
pp. 39-45.
Gallen Céline. Le Rôle des représentations
mentales dans le processus de choix, une Gallen Céline. Le Rôle des représentations
approche pluridisciplinaire appliquée au mentales dans le processus de choix, une
cas des produits alimentaires. 2005, Revue approche pluridisciplinaire appliquée au
de Recherche et applications en Marketing, cas des produits alimentaires. 2005, Revue
20, 3, pp. 59-76. de Recherche et applications en Marketing,
20, 3, pp. 59-76.
Gallen Céline. Le Design alimentaire  :
quelle place pour l’originalité dans la GALLEN Céline. Le Design alimentaire
cuisine ? In Colloque interdisciplinaire : quelle place pour l’originalité dans la
Faire la cuisine (2005, Toulouse). cuisine? In Colloque interdisciplinaire
Faire la cuisine (2005, Toulouse).
Gallen Céline. Le besoin de réassurance
en consommation alimentaire. Revue GALLEN Céline. Le besoin de réassurance
Française de Marketing, 2001, 183-184, en consommation alimentaire.
pp. 67-85. Revue Française de Marketing, 2001,
183-184, pp. 67-85.

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04 ALIMENTATION + DESIGN 04 FOOD + DESIGN

Givrés de concevoir une chaise » (M. Brétillot,


designer culinaire) 16, c’est ce que fait
Surprising people without unsettling
them, astonishing them and seducing
J.P. Péché – Course leader of the
“New Eating Habits” Master’s

crevettes
Anne Ripaud
le design alimentaire en intégrant
des contraintes industrielles et de
merchandising.
them: such was the challenge which
Anne had to face by creating an
“exciting transgression” through her
program, designer & lecturer in design
management.

jellied shrimp recipes. 15


Eldar Shafir, Itamar Simonson & Amos
« Nous, nous appartenons à une société Her project aimed to “question the Tversky. Preference, Belief, and Similarity.
Donner forme à un objet est un travail qui a développé, de façon exorbitante, intrinsic human values we have about New-York: The MIT Press, 2003.
de composition de signes, comme de le plaisir alimentaire. On ne se rend food in order to meet the expectations 16
M. Brétillot, Professor at the Esad
composer un plat ou une recette… pas compte à quel point la culture of ever-more demanding consumers (Higher Institute for Decorative Arts) in
On travaille simultanément sur alimentaire française est une espèce eager to try innovative products and Reims (France).
plusieurs niveaux : ce que nous voyons, de délire hédonique et transgressif » enjoy new experiences.” She drew 157
Jean-Pierre Poulain. Les ambivalences
ce que nous comprenons, ce que (J.-P. Poulain) 17 on sociological studies to define de l’alimentation contemporaine. Mission
nous projetons. Lorsque l’aliment est L’art culinaire français trouve, avec several main angles of approach of Agrobiosciences, 2000.
l’objet d’étude, le design doit prendre le design, une nouvelle source de her work, taking into account the Jean-Pierre Poulain is a member of the
en compte plus particulièrement les développement et de créativité… context of our societies, which are scientific committee of the Ocha (French
notions d’affect et d’intimité inhérentes hédoniste, transgressive et pertinente ! governed by “hyperchoice.” Among lab dedicated to eating habits), a pofessor,
à l’acte de manger : c’est un terrain de the most popular strategies influencing researcher and sociologist specializing in
jeu passionnant. J.P. Péché – responsable pédagogique decision-making, one solution is often the hotel business. (agrobiosciences.org/
option « Nouvelles pratiques chosen by consumers: looking for new IMG/pdf/mpcahierspoulain.pdf)
Surprendre sans dérouter, étonner alimentaires », designer conférencier alternatives15.
et séduire, voici un challenge auquel en design management.
Anne a dû faire face, en créant une These new alternatives offer new
« transgression exaltante » avec ses 15
Tversky, Eldar Shafir, Itamar Simonson experiences which have to draw on
préparations de crevettes en gelée. & Amos Tversky. Preference, Belief, and “real” values; for food, these are:
Son propos est « d’interroger les Similarity. New-York : The MIT Press, product quality, nutritional value,
valeurs intrinsèques de l’homme face 2003. dietary value, organoleptic value, etc.
à la nourriture afin de répondre aux 16
M. Brétillot, enseignant à l'Esad de It therefore seemed natural for Anne to
attentes d’un consommateur à la Reims. also interview chefs, nutritionists and
recherche de produits innovants et de 17
  Les ambivalences de l’alimentation dietitians.
nouvelles expériences ». Elle s’est basée contemporaine, Jean-Pierre Poulain, Her experimentation has more to do
sur des études sociologiques avant Membre du Comité scientifique de with “food product” design than with
de définir ses axes de développement l'Ocha, technicien hôtellerie et sociologue “culinary” design, and is therefore
dans le contexte d’ « hyperchoix » de (agrobiosciences.org/IMG/pdf/ more concerned with “industrial”
nos sociétés. Or, parmi les stratégies mpcahierspoulain.pdf) design. It complies with the three main
possibles d’aide à la décision, une values essential to design projects –
solution est souvent choisie par les identity, usability and technique – and
consommateurs : tenter l'alternative 15. with market-related requirements such
as reproducibility and production cost.
Ces alternatives proposent de nouvelles “It seems only natural that cuisine
expériences qui doivent nécessairement should use design just like a custom-

Jellied
s’appuyer sur des valeurs « réelles » ; made furniture manufacturer uses
pour l’aliment, la qualité des produits, it when creating a new chair” (M.
des valeurs nutritives, diététiques, Brétillot, culinary designer16). This
organoleptiques… Anne a donc tout
naturellement interrogé aussi des
shrimps is what food product design does
by taking into account industrial
cuisiniers, des nutritionnistes et des Anne Ripaud requirements and merchandising.
diététiciens.
“We live in a society where the
Son travail d’expérimentation s’inscrit Giving shape to an object means pleasure of eating has taken an
dans une démarche de design plus composing with signs, just like when extremely extravagant dimension.
« alimentaire » que « culinaire », qui preparing a dish or trying a recipe. We may not have realized it yet but
relève du design « industriel », en It implies working simultaneously on French food culture has turned into
respectant les trois groupes de valeurs several levels: what we see, what we a transgressive and hedonistic frenzy.”
du design dans le projet, l’identité, understand, what we project into it. (J.-P. Poulain)17
l’usage, la technique, dans un contexte When dealing with a topic like food, With the help of design, French
de marché (reproductibilité, coût… ). design must not overlook the key culinary arts have found new
« Il est tout à fait naturel que la notions of affect and intimacy inherent opportunities for development and
gastronomie fasse appel au design in the act of eating: this is an extremely creativity … which are also hedonistic,
comme l’éditeur de meubles le fait pour exciting playground. transgressive and relevant!
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Les cahiers de recherche « CADI » sont publiés par L’École de design Nantes Atlantique.

Directeur de la publication : Christian Guellerin


Comité de rédaction : Frédéric Degouzon, Jocelyne Le Bœuf, Morgane Saysana
Interviews : Morgane Saysana, Frédéric Degouzon
Traduction : Morgane Saysana
Relectures et secrétariat de rédaction : Morgane Saysana
Relectures version anglaise : Zoé Lacey
Conception graphique : Audrey Templier & Yves Mestrallet, éditions MeMo
Abonnements et diffusion : Judite Galharda Marais

Ont contribué à ce numéro : Stephen Boucher, Céline Gallen, Laurence Nigay, Henri Samier.

Tous contenus de ce numéro peuvent être reproduits sous certaines conditions spécifiées dans la licence Creative
Commons applicable : http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

Écrire à CADI : cadi@lecolededesign.com


CADI hors-série, septembre 2009.
ISSN 1962-3593

http://www.lecolededesign.com/

The “CADI” research journals are published bi-annually by L’École de design Nantes Atlantique.

Director of publication: Christian Guellerin


Editorial board: Frédéric Degouzon, Jocelyne Le Bœuf, Morgane Saysana
Interviews : Morgane Saysana, Frédéric Degouzon
Translation: Morgane Saysana
Proofreading & publisher desk: Morgane Saysana
Proofreading (English version): Zoé Lacey
Graphic design: Audrey Templier & Yves Mestrallet, éditions MeMo
Subscriptions & distribution: Judite Galharda Marais

Contributors to this issue: Stephen Boucher, Céline Gallen, Laurence Nigay, Henri Samier.

Any part of this issue may be reproduced under conditions specified in the Creative Commons license.
http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

Write to CADI: cadi@lecolededesign.com


CADI special issue, September 2009.
ISSN 1962-3593

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