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D<Sbut d'une sërio de docuxK'ots

en couleur

Couwettute mMtieuœ ntanquante


BïBLÏOTHtQUN CO~MOPOMTB N" C

THOMAS DIS QUINCEY

CONFESSIONS
D'UN

MAMECRDOPIUM
~S~3e~
~M~TnADUCTÏONÏNT~HAhH

DESC.REUX
– ~0<7~Ef.Z.E ~DJT.fOjV –

PARIS.–1~
P..V. STOCK, ËD!TEUR
(Anetwmme' ~tb)'<Hrte TSXaMt ~-aTOO~
.t7.RUEOSRICUEL!BU, 2?

'9o3
Toa< dMita Je traduction, de TtpTCttaetion et d'att*t}r<6 t~aertet peut tou<
)eep*y<, y compris t~SnMe et ttNt.rftg'
-ya~

A"LÀ M&ME ~BRAIRÏË

BIBLIOTHEQUE COSMOPOUTE

M~o(!!er)na)t). Ï'<M,t<:t- Loi. – Les –


mantraduit<tubannisj~t- J-ei) RouAd~).Pitu~tdUci). Traduit du
M.teC'*ï'MXt)K.Un\o!. demnioparMM.):K(:ot.m.
in.tB. aM vn.LK fit V. t'K XK~nx. Un
BjOK~SM U<J.).–~MtO'<)'<'< vo!.in.<:<3~
~MJt~X'.–tMMOXft'fOf.t'M't. nu')~K'r ~). – A<j< F.u)~
r«'<.–Traduit tht))t)fVH«!t)u t'onMi~ en a aetea. Adtpta-
pxrMM.Aua. MoxMUERct A. t)on française par MM.J..
ALMAKt.Un vot.in.<<) Lonaira et Schûrmana. Une
– ,'<M.f~M des /i)! i" t't2' hrût-huro in.<S. i!
parties.– Tr<<dut't{on do <
<:ttTCtttn!<ifnE. – .Wc~eM~
MM. A.Monniot' <itLi!t)))3)t- ronan traduit (tu-
son.UnYohin-tS.350 <MM/<~ russf, par M" Mnrina Po-
-–t/ae/ai!ft~,pi6co ont actes. lonsky et G. Dobesso. Un
adaptationfran<dsû duMM. – yot.in.i8.3 M
Scharmann otJ.Loxaire. ~At~o))M d'HM/)f/OM.Vi'i
Un9br.in-i8.ï'rix.a et twuturcs de NicitKor Xa.
-–t/M~ant, comëdîo en3Rctes. trapuxny. Traduit du russe,
Traduction ttcAug. M<)n. par M'"Mari))'tPo!on8ky
nier.Unvol.in.i8. Prix.3SO otG.Dehcssc. Un volume
e n a.!tcs. in-tS. 3 50
––Z~na~a,p!6co 4
Une~f!<Mt<e,
pi&ce en4ac. HCUEGAKnAY.– tf ~)YM<<Ga-
tes,6tableaux.Traduction ~~o, pièce an 3 notes. Adap-
de M. Aug.Monnier. Un tation de MM.
~ol.in-i8. 3SO Schurmannfrançaise et J. Lemaire.
– 3f~My<<'e< Po~aMte. Tr&- Unebr.in.t8.Prix. 2
dncUon deMM. Aug. M on- (
GRtGOROviTCH (Dhnitri). Les
nieretG.Montignac. – Une f<!f€n<t<~ /a Ca;)!<o<e,ro~taM
brochure in-iS. 1 traduit du russe, par M"*
J~'fOt,dramo
– te en4actes.– E!éoNoro Tsaknv. Un vo).
/OMftM~f< drameen4ac- in.iS. 3 SO
tes. Traduction de M. A. ïlAUi'TMÀNN
l – ~MM
Monnier. UnvoLin.tS.3SO Mf!<a:)'M. (Gerhart). Traduction d'A-
BRAfDËs (Edouard). MA!- lexandre Cohen. Un .volume
–Sous
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Fin d'une sert': do d<K:m[)t:nts
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MANGEUR D'OPIUM

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TxnMA~)'K Qutxct~. –Sou.veniK <mtoMogHtpM.que< du


MMtgeur d'apium. tin ohnuo.in.iC, traduction de M. A!!)ert
Studno. a fr. Kû
8nKH.Kï.– CE~Mt on pMxe, <M<)ui<c~ par M. AU'crt :<M)nc.
– !'au'.p!))ots pn't<ique-i. – H<'mtatiou du dÈtsmc. – yMi-
tnt'nts du )ro)nM)s. Cnti~MR littéraire ot ('ritifjne d'att.
Phi!t'hop!o. <Jn'.oiamo in-16. a fr !it)
Swf.LE~.– CEawex poétiquet oomplètet, traduites !Mr Mti<
Habbo.
1. – rc~'<f<. Reine Nfab, Alutor, I.<mn et Cythaa, etc.
Il. H,wnM. ~ex Cenoi, ï'Mïn6th~e, I.& Ma~o~naf,
Kptpty.~hidion, Adonaïa, H~Uas. t
n:. – Petits poèmes et firagaieuta. –. Défense de la
po0!iie.
Tfôis votumcs no so vendant pas sûpar~'tpnt. if) fr. !io
ïtABBR(i''<)!ix).– SheUey, <& vte et sas œu~teh. Un fort
votumo in-i8. 4 ff. o
A. C. SwfsB~K. – Po&m<!t et KtaUades, traduction do
Gabriel Mo~roy, avec de') notes sur Swinburft< peu' Uuy do
Maupa'-s9at. Un voluntc in-i8. 3 fr. MU
A. C. Sw):<BUMXR. – Nouve&nx jpo~mes et BaUadeB, traduR-
tion p~r M. Albert Savine. ~n volume !n-i(! 3 fr. M
CHm&TOFnB MAMt.owe.– Théâtre complût. Traduction, ëtude
su<* Marlowe,sa vie et sei (ouvres, par F6H\ Rabbe. avec une
préface par Jean Mchnp)n. Deux volumes in-~8.. 1 fr. a
~us.\BKTHHAttRETHKOwsMG.– Aurora Leigh) roman. Un j
volume in i8. 3 fr. :i0
0
OscARWtLOH. – Le portrait do DoritHt Gray, roman. Un
volume in-!8. 3 fr. 50
At,MEY. – Vice-versa, rontan. Un volume in-i8. 3 fr. 50
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THOMAS DE
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CONFESSIONS
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D'OPIUM
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J~R~U~RHTKADtJCTtONtNTKGRAL);

P.~

V. DESCREUX
– NOUVRI.Ï-.H MMl-i'ION –

PARIS – I~r~RR.
T?,-V. STOCK, ÉDITEUR

27, RUE DE RICHELIEU, 27

1903
'tous droits réserva.
PREFACE DU TRADUCTEUR

Les CoM/MtOH.? <fw! M<ïMg-<?«r~'o~!Hn: présentent.


le double caractère, Is double intérêt d'eue une auto-
biographie et le récit d'expériences nombreuses et va-
riées sur un des agents les plus puissants que la nature
ait donnés a l'homme. Toutefois elles ne sont pas com-
plètes en tant que confessions, car très développées en
ce qui concerne l'enfance et la jeunesse de l'auteur,
elles ne s'étendent guère sur sa vie littéraire et sa ma-
turité. Elles ne sont pas absolument complètes, en tant
que récit d'expériences sur l'opium: un accident qu'il
raconte dans son introduction l'a prive de nombreux
documents et l'a réduit en certaines circonstances à
consulter ses souvenirs. Or, l'on sait que trop de pré-
cision dans ceux-ci expose le narrateur au même soup-
çon que trop de précision dans les prophéties on
suppose dans les deux cas de l'illusion, sinon de la
mauvaise ibi,
L'autobiographie de l'écrivain le défendra de ces
t'MKt'f;HMJTt<AMJtn'KUR

deux reproches. U est des qualités qu'on peut avouer


sans fausse modeste le sévère I.a RochetbuciuUd met
dans ce nombre la mémoire. Ce droit est encore moins
contestable lorsque, par une discipline suivie, l'on a
fait subir :t cette t.tcultc un entraînement énergique;
ainsi qu'on le verra, c'est le cas de notre auteur. Donc,
pas d'illusion de sa part, et de plus il notait pas dans
la nécessite de conblcr par l'imagination les lacunes
laissées par la perte de ses documents.
Quant a sa bonne loi, il l'a détendue par des argu-
ments irréfutables. Il fait remarquer la prévention de
ses compatriotes contre tout écrit ayant un caractère
autobiographique, contre la sincérité à outrance d'un
J.-J. Rousseau. II a lutté contre cette réserve presque
fatouche qui fait du Aowe anglais un sanctuaire 'impé-
nétrable, et du for intérieur d'un Anglais un MHC~M:.
sanctorum dans ce sanctuaire même. La variété, l'inté-
r~t.de ses autres écrits le dispensaient d'avoir recours
aux confessions et de'raconter des expériences .psycho-
logiques dans le simple but de captiver l'attention. On
peut le croire quand il dit qu'il a souffert de passer
pour un Mangeur d'opium, qu'il a plus souffert encore
après avoir avoué son habitude, et que le seul .désir
d'être utile l'a décidé à écrire.
Cette apologie à l'égard de l'erreur de l'illusion et
de la mauvaise foi serait nécessaire aujourd'hui eoeore,
car l'opium est resté l'objetd'une aversion avouée, pu.
blique, d'autant plus bruyante, qu'elle sert à dissimu-
ler l'usage qu'on fait de cette substance. H est difficile
de persuader qu'on s'y abandonne par la seule impossi-
Jt'K~CC BU TKAttUC~UK ))t

b!H!e défaire autrement. Tout homme qui en use est


r<u'd~ )~~ /~f.'<t' comme un chercheur de paradis t<r-
tihciei~, comme poursuivant la volupté phyiiiquc dans
ce qu'eue a de plus intense et de p!us rauine, ennn
comme lui donnant ce ratunement suprême qui con-
siste a la rendre purement intellectuelle.
Une cause qui contrihue a an~mouer ces préven-
tions, c'esUft erainte~uiest venue à quetqucs esprits
de voir i'optum remptacer i'tdcont comme poison na-
tiona! et ~urtom comme poison poput.urc. M. Vercs-
cha~<n, dont on connaît te ta!ent et la sincérité tant
comme artiste que comme explorateur, déclare que
dans un avem!' assez rapproche, cette substitution sera
accomplie.. HnAng~e!e~c, elle est ircquente, comme
l'x démontre Th. dcQuinccy lui-même, nonseuicment
p~rmi les hautes classes, mais, encore dans les crands
centres ouvriers. Alphonse Esquiros nons apprend que
le laudanum~ c'est-à-dire un liquide capable d'ajouter
aux effets de l'opium ceux d'un alcool très concentré,
est émployé couramment a Liverpool par les ouvrières
qui ont de jeunes enfants afin de pouvoir travailler dans
les ateliers en laissant leurs enfants la maison. L'on
dirait que la Chine, à qui l'Angletcrre a Impose !!M)H<xu'
litari-l'usage de l'opium, se venge de sa défaite par un
talion rigoureux et exact comme une loi de la nature.
~L.aFrance même, qui a été quelque peu complice de
cett~ ~ol~nco, n'est pas à l'abri de l'invasion. Les
études de M. Charles Richet ont prouvé la diffusion du
morphtnisme~qui est une forme plus subtile et plus
dangereuse encore de l'opiomanie. Et nous ajouterons
PRÉFACE HU TKAnuCTKUR

ici
~1
que, comme
i; t~~t~~t~
tous
t~<:
les ~V.<t~!Af ~~M-t.
exemples corrupteurs, cet
exemple vient d'en haut, H y restera confiné sans
doute l'admirable équilibre de notre tempérament
national, qui nous fait bientôt revenir des extrêmes et
nous montre tôt ou tard tout excès sous un aspect rldi-
cuic, nous arrêtera bientôt dans cette voie. Nous pou-
vous donc espe~t'que la race anslo.saxonnc gardera
le monopote de ce fléau, avec tl'autres monopoles non
moins pesants, comme son paupérisme~ son esprit de
destruction qui fait que, partout où e!îe se montre, les
races antérieures et leurs monuments semblent s'évu-
noui: Race extrême~ avec son sang-froid proverbial,
elle doit subir une loi naturelle que je me hasarderais
à formuler ainsi. Dans les caractères nationaux comme
dans les caractères individuels, les extrêmes s'appellent
coexistent et agissent soit en se combattant,; soit en
alternant leur action. C'est ce qu'exprime un livre
dépourvu de la sereine clarté des Grecs, mais non moins
beau par les innombrables lueurs d'éclair qu'il jette
dans la nuit delà nature et de Famé. On devine
qu'il
s'agit ici de la Bible. EUeditqucIque part cequete puis
bien appliquer ici ~MM~MMtM !M~oc<!<.Les cités
les plus adonnées aux préoccupations matericHesetmer-
cantiles n'ont pas été par cela préservées, ou si l'on
aime mieux, privées des écarts de l'imagination et des
illusions mystiques. Lorsque mille signes y persuadaient
l'observateur superficiel qu'on adorait un seul Dieu,
Mammoa, Plutus, le dieu des voleurs et des mat'.
chands, tout y laissait voir un fonds puissant de rêveries~
d'atTracticn Four ic côté chimérique, ténébreux des
t')~fAC):))U-mAM'R'n:UR V

choses. Les J<om.un~ ces modules de Fcspnt posi-


tif, tt qui la conquête et l'exploitation du monde hu-
posuient comme une nécessité lit vision exacte de tout
ce qui les entourait, eux qui ont créé un empire par les
deux réalités les pins inexorables de tontes, le droit et
l'épée,ont créé aussi la superstition. L'homme qui n le
plus aime et le mieux connu icnr poète natiomd,Heync,
réditeur de Vigile, insiste fréquemment sur le carac-
tère Hla fois naturaliste et sombre~ des mythes itatiqucs.
La contre-partie de cette loi démontre !a loi e!!e-meme.
L'Allemagne, réveillée par IH Prusse de son sommeil
plein de rcvcs mctftphysiques, est devenue industrielle,
et a fait de ïa guerre même une science dirigée vers les
applications immédiates.
Indépendamment de cette loi, qui fait correspondre
dans le même être un extrême a un autre, loi sunisante
pour exalter chez la race anglo-saxonne les dons de
création imaginative, que semblerait neutraliser son
esprit positif, les faits sont là-pour démontrer sa haute
virtualité intellectuelle. Le plus vigoureux penseur de
ce siede est peut-être Herbert Spencer; Darwin et
Wallacc ont donné à l'Histoire naturelle des siècles
d'impulsion et de progrés l'ère de Victoria, comme on
la nomme en Angleterre n'est pas moins féconde que
l'ère d'Elisabeth en poètes profonds et subtils, en mêtne
temps qu'elle lui est bien supérieure en délicatesse. L'on
ne voit pas même que cette.ère soit séparée des précé-
dentes par des époques de stérilité relative. Or, l'on a
bien le droit de regarder une telle culture comme une
manifestation extrême, une exacte compensation au
M~FACtC M) TXAXUCTKUR

génie poaitit qui disperse partout et enracine solide-


ment la race tngto-saxonno.

Si, de ces considérations sacrales, nous revenons par


une transition naturelle al'amen)-
qui a connu p~r une
expérience de cinquante ans Fun des u~ents les plus
puissants du réve~ nous trouverons dans le sujet qu'il a
traitè un autre sujet qui y est rehterme. et qui ne man'
que pas d'intérêt. Th. de Quincey a décrit av~ minutie,
avec précision, les effets de l'opium; nulle
part il.ne cher-
che & les expliquer. C'est là une question qui se
po'se
d'eHe-tneme.
Dans ces descriptions l'on remarquera abondance
des ëiëments moraux, logiques, imaginants, l'absence
totale de i~tement sensuel. C'est une surprise
pour le
lecteur/qui sait dans quel but l'Orient se livre il i'o-
pium. On peut attribuer cette iacùnea plusieurs causes.
La principale est peut-être !n réserve excessive de
l'Anglais, qu:<~Midére ieseut fait d'écrire des confes-
sions.comme une audace. On peut admettre !tuasiqa&
Th. de Quineey 'n'a pas connu ce cùin du
paradis de
l'opium, et que, rompu de bonne heure a là méditation
purentent intellectuelle, il devait échappera cei entraî-
nement Qu'on iise l'Opium de ï~. Paul Bonhetain,
livre qui porte la trace de bien des impressions person'
:nelles, on sera frappé desa différence, de son opposition
absolue avec les Co~MfoM. L'on ne saurait expliquer
cettè diversité par la manière de prendre ropîum que
l'un fume et que l'autre emploie sous forme de solution
AU <4" :,I~- doi*
eu ~etne~i nN'sr&~l'ea .J. supp~s*"on~ .t.u;ArQA~¡"
~~K~<rg<*nt<.t-
t'R~'ACtt t)U TRAM)C.fKUR \)t
tions différentes qui font glisser les deux t~rivains sur
deux versants opposés, alors même qu'ils ont le Même
point de départ. De plus, l'auteur francaia place son
personnage dans )a partie de l'Kxtreme-Onent oh
l'agitation des couleurs et des mouvement:: est h plus
intense; il remplit ses journées par des songeries amou-
reuses, ou par les scènes d~ lu vie alternativement iié-
vrcuse et torpide qu'on mené dans cette région, et tom
cela est d'origine extérieure. Quand l'opium étend sur
nos deux personnages sa toute- puissante innucnce, il
agit d'un côté sur un homme qui a médité et contemple,
dont lit vie psychologique est aussi animée que son
existence matérielle est tronquilic et pum- ainsi dire
vide, de l'autre sur un homme qui remplit cette exis-
tence par des passions, du mouvement, des rêveries
indéterminées. De partetd'aune, I'inteUi~ence,revcillec
par l'opium, se b;Uit son théâtre avec les matériaux
qu'elle renferme, y joue en drames ses souvenirs, ses
idées, ses sensations; de part et d'autre ellene tired'ellc-
même que sa propre reproduction.
Ce n'est pas que la sensibilité fasse défaut à Th. de
Quincey. L'on ne saurait accuser de sécheresse d'âme
celui qui a ose écrire l'épisode de la pauvre Anne, et a
fait par un simple récit, d'une prostituée de Londres,
une charmante et sympathique ngure féminine. Mais
cette sensibilité n'est pas la passion. Elle s'étend à tout
ce qui souffie dans rhumilianon et le malheur, elle
refuse même de tenir à distance par une rigueur phari:.
saïque, les êtres qui ont mérité ce malheur et cett&
humiliation jelle puise dans le souvenir de ses propres
VO! f~ACt HU Tt<A~UCTt:UR
fautes l'indulgence pour celles d'autrui. Lu sensibilité
chez Th. de Quincey, est donc une harmonie exacte
entre l'émotion personnelle, instinctive, et des motifs
tout intellectuels pour cette émotion. La passion diffère
de cette sorte de sensibilité par la violence, l'ëgoïsme,
l'aveuglement, c'est-à-dire qu'elle en diffère du tout au
tout, qu'elle en est pour umsi dire la négation.
Th. de Quincey insiste longuement sur .la faculté
que possède Fopium.au moins au début de son action,
d'établir un parfait équilibre entre les affections et les
idées, de donner à l'Intel [tgenc~la sensation et la santé
mentale, où l'imagination, la mémoire, le jugement,
les sympathies, les antipathies, tiennent leur place,
jouent leur rôle, se renferment dans -h:urs limites et les
atteignent dans tous les sens. En face de ce tableau, il
trace avec une singulière puissance descriptive, celui
de l'excitation que donne l'alcool, et què la langue
anglaise appelle si énergiquement intoxication. Ainsi,
voilà deux substances dont Func est connue, au point
que M. Berthelot a pu la reconstituer de toutes pièces,
l'autre l'est en partie. Toutes deux se réduisent en défi-
nitiveà des groupements d'atomes. Qu'on fasse pénétrer
ces substances dans la circulation, que la circulation
les mette en rapport avec les éléments, cérébraux,
aussitôt la scène psychologique s'ouvre, s'éclaire, se
peuple; une vanété infinie de spectacles intérieurs s'y
déploie. Et cela a lieu devant une partie de nous-méme
qui est la conscience, et qui éprouve devant ces spcc-
tacles, terreur, extase, colère~ remords. Cette même j
jConscièttCc qu; tout & i'h$t!<* ~!<"t pMMMnte<Jibre. et JI
fR~CE t)U TRAHUCTKUR tx

disait ~Ia mémoire: tais-toi, a l'imagination: tu ha!.


jusque-là et pas plus loin; elle est immobile, muette,
quand le spectacle est terminé, elle éprouve une senau-
tion de regret ou de soulagement par laquelle elle
exprime l'impossibilité absolue où elle était de diriger,
de prolonger ou d'interrompre le drame intérieur.
Cette idée qui ne s'est pas prexemcea Th. dsQuincey,
terrinait Baudelaire. Lui qui a si bien analyse les fan-
taisies de l'opium et du haschich, apprécie et traduit
l'alcoolique Edgar Poe, il n'a jamais recouru a ces
excitant:, et comme le dit Th. Gautier, rM~~e~M&er
Ma~re lui, reftrayuit, au lieu de l'attirer. Qu'est-ce
donc que penser maigre soi, sentir maître soi, comme
cela arrive sou~. l'innuence de certains agents, comme
cela arrive aussi en dehors de leur influence?

Un auteur ingénieux, mois par malheur un mauvais


écrivain, De la Salle, compare la mémoire a une longue
bande de parchemin qui s'enroule ù la façon d'un
volumende Pompée à mesure que s'y inscrivent toutes
les idées, toutes les sensations, sans qu'aucune échappe
à cet enregistrement automatique. La mémoire est sous
certains rapports une faculté indépendante, isolée, une
sorte d'agenda que nous pouvons consulter, mais au-
quel nous ne pouvons rien ajouter, rien retrancher.
A de certains moments, sous des influences violentes
et soudaines, extérieures, morbides, le rouleau se
déploie tout à coup dans toute sa longueur, et oSre.a
nos regards toute notre vie passée, non pas en symboles
plus ou moins abstraits, non en induÏerentes.nptauons
< fKKfACKDU TKAMJCKUK

algébriques, niais en représentation:) directes. Nous


pemont Mux funérailles d'un grand homme cela M
reproduit aux regards de la conscience sous la forme
d'une pa~o de livre, d'une colonne de journal quand
nous avons ninsi connu lu f.)it; mais si nous en avons
éte les témoins ocui~ires, nous assistons à uneveritabie
résurrection de la scène, exacte comme une photo~r~
phie, mais vivante, pleined'uu bruit etd'un mouvement
de foutf?, comme ces réapparitions de nos existences
antérieures, que M. Camille Fiammarion nous promet
dans Lumen. D'autres fois, ce tableau qui se pfesenîcà
nous, a été réellemcnt sous nos yeux, nous croyons ne
l'avoir jamais vu. Richard Snva~c Landor raconte, avec
un souvenir de terreur, l'impression qu'il ressentit en
voyant pour la première fois (c'est-ù-dire en croyant
voir pour la première fois) un pays~e absolument iden-
tique à celui qu'il avait vu en rêve quelques jours
auparavant, fait qui prouve que les choses oubliées ne
disparaissent nullement de notre esprit. Les auteursctas*
siques de la psychiatrie citent un homme qui, dans un
accès de délire, récitait de longues tirades de PAMr~,
avec une intonation fort dramatique. Une savait ni lire,
ni écrire, et le seul incident de sa vie qui eût quelque
rapport avec la pièce de Racine, c'était qu'il l'avait
vu représenter une seule fois. Il n'avait rien corn-'
pris, mais il avait vu et entendu, il n'en avait pas
fallu davantage pour graver dans sa mémoire une
inutile représentation de la pièce.
Ainsi, de l'action de certaines substances sur l'intel*
+. .1'
KgcMC, ïîcss F~CMx }'cx<rci?e sstOT!tiqas,inv!
PR~FACt MrTRAMtCTRUK X!

lontaire et pour ainsi dire convulsif d'une paniù


itnport<ntedel'tntdlijt<ence. N'y a-t-il pxsl~ uupo~a~C.
tout naturel? L'analogie sera bien p'm marquée jt~
nous nous reportons aux travaux récents sur )a phy-
siologie cérébrale. Ils nous décomposeront lu n'.em'~ire
en plusieurs mémoires bien distinctes, dont chacune
peut disparaît) e internent; ils placeront ce-: f«cul!es de
même ordre dons une certaine circonvolution de Broca.

Certains faits donnent à penser que l'intelligence, en


tant que distincte de lu mémoire, c'est-à-dire en tant
que faculté de combinaison,dcconstruction, ne s'exerce
pas toujours avec conscience et volonté. Le docteur
Love, prédicant américain, rapporte un de ces faits
Un voyageur, endormi dans une chambre d'hôte!, fut
réveillé par le bruit d'un coup de feu tiré dans la pièce
cont:i.;ue; entre le moment oit le son arriva a son oreille
et celui où il se r~veilia, il avait eu le temps de voir ~e
développer le songe suivant. Il était reporté au temps
de sa jeunesse, s~en~ageait. prenait part à diverses
batailles, désertait, était repris, jugé et condamné n
être passé par le& armes; il avait confondu le coup de
feu tire à côté de lui avec celui du peloton d'exécution
devant lequel il se croyait place, et il se réveillait avec
le souvenir d'aventures militaires qui avaient duré plu-
sieurs années. –M. Alfred Maury, dans son livre si
complet sur !e~MttN~ les /~t'M,en rapporte un du
même genre. Comme il dormait; la barre tjui soutenait
les rideaux de son Ut;tomba sans lui faire de mal, mais
~<L~~M-te(i~Faa~Hcont<M:t de cette
~)) PRÉFACt OU TKAnUCTEUR
'1
barre froide avec son cou suffit cependant pour faire
naître un rêve complet, parfaitement ordonné, dans
lequel il assistait tout le développement de la Révo-
lution française, depuis l'ouverture des Ktats.Genëraux
jusqu'à la Terreur. 11se croyait l'une des vi(.'imes du
Tribunal révolutionnaire, il montait sur Fëchafaud, il
avait la tête engagée dans !a ~uitiotine, et il s'était
revdUe confondant le choc de ~a barre avec la chute du
couperet. On sait aussi qu'un des épisodes du Mâha-
bhârata est fondé sur un rêve de cette sorte, qui fait
passer pendant la durée d'un éclair, devant rinteUi-
:;ence d'Ard}ouna tout un système métaphysique. Enfin
le mystique Ballanche, dans sa F~tfM d'jH~&a~,a
sdopté la même mise en scène.
Du reste, il n'est pas nécessaire de recourir à ces faits
qui, sans être rares par eux-mêmes, le sont par la diffi-
culté de les constater par soi-mème et chez les autres,
et dont robservanon suppose une grande habitude
psychologique. Pour peu qu'on se soit adonné aux
recherches philosophiques, aux exercices littéraires,
on sait qu'à certaines heures, dont on profité sans pou-
voir les ramener pu les prolongera l'on est dans une
disposition d'esprit particulière, qu'alors les idées appa-
Missent avec des rappôrts, des enchaînements ingénieux
et justes, qu'elles se présentent vêtues de métaphores
exactes ou brillantes, tandis qu'à d'autres moments,
ellessont pour ainsi dire de si mauvaise humeur, et
arrivent dans un négligé tel qu'on préfère les repousser
'et attendre le retour de ce qu'on nomme Finspi ration.
Une autre observation que chacmt « pu f5!rC)'sc
fUÉFACH
DU'mAMJCTKUH Xttt
rapporte &ces révélations soudaines qui nous font voir
la combinaison longtemps cherchée, et à laquelle, en
désespoir de cause~ nous avions essayé de ne plus son-
ger. Cela n'indique.t-il pas un travail souterrain, ou
l'intelligence reprend, loin du regard de h conscience,
la tache que la volonté avait renoncé à exécuter? H
semble qu'on voit se réaliser le conte de fées ci) une
jeune princesse enfermée par une marâtre avec un tas de
graines mêlées ensemble, a pour obligation de les trier;
elle se désespère, mais arrivent des fourmis que jadis
elle a évite d'écraser, €t en peu d'instants, à son insu,
tout est rangé par tas distincts. Dans le j~orc des
Highiands, les brownies se rendent utiles de lit même
façon pendant la nuit, mais s'ils s'aperçoivent qu'on
cherche à les épier, ils disparaissent après avoir commis
un méfait. Peut-être aussi, la psychologie fera-t.elle
bien aussi de laisser l'intelligence inconsciente accom-
plir son œuvre dans l'obscurité.

Mais tout en constatant ces faits, nous bornant là, et


nous gardant de vouloir en pénétrer la substance, nous
pouvons nous demander s'ils ne contiennent pas tous
les éléments de la fantasmagorieque déploient en nous
l'opium et les substances analogues. Ils nous prouvent
un phénomène d'une importance capitale, la distinction
qui existe entre les facultés mentales; l'intelligence
peut échapper à la volonté et à la conscience, travailler
loin de leur action avec force et régularité, pour ne
leur apporter ensuite que le résultat dénnitif, la solu-
tion du problème cherché; elle peut aussi travailler sans
~V fKK.'ACHRU TK*nUCTKUR

but proos, sans un problème résoudre. commequand


le compas do l'architecte se distroh en n~ures symé-
triques et compliquées, qui n'ont aucun rôle dans rcdi*
Rce. Elle peut eniin prendre la mémoire pour com-
pagne de ses jeux et de ses excursions capricieuses,
ou lui laisser toute la place. H résulte de tunt cela des
combinaisons bien plus vari~ que cdtes du kaleido~-
cupe, car ia reguiarité et la symétrie sont un accident
fortuit et non d'e~t néceMaire de !a disposition de l'ins-
~runtentiMeUectueL
U n~t pas nécessaire de montrer que cette indépen'
dance de la mémoire et de rtnteUi~ence ne sont pas
des phénomènes propres à l'état de rêve. Sans doute le
sommeil relâche jusqu'à les rendre flottants et insen-
sibles les liens qui nous rattachant au monde extérieur,
liens qui pendant Fêtât de la veiUe sont tendus parfois
au pointde vibrer douloureusement en nous. Mais cet
état de veille n'est autre chose que la volonté et l'atten-
tion nous savons bien que toutes deux nous coûtent
un effort continuel. Il faut une sorte de volonté pour
vouloir; dès que le regard est nxé sur un point, il se
lasse et recommence à errer; pour pèu que la sur-
veillance se suspende, toutes les folles du logis s'ccbap'
pent, s<: groupent, s'isolent, racontant, raisonnant,
rieuses ou grondeuses; cela constitue l'état aussi agréa-
ble que dangereux qu'on nomme rêverie, maladie qui
pousse Ter< lA~oiKude, et qu'à son -tour la solitude
«ggr,a<M!.
Ces fànt~ste$.d?j~ mémoire, de nation du
raispnoemea~i(C. ;a€tlieai ioft bieOt avec ce bel :~u i-
DUTACKHUT)(At'UC-rt:UR XV
libre intellectuel que l'h. de Quincey nous dépeint
comme un effet de l'opium. Cet a~ent a une vertu nar-
cotique remarquable, et celle-ci ne se borne pas une
action toute-puissHute sur lu douleur physique. HUc
s'exerce avec non moins d'énergie sur la douleur morale
aiguë ou chronique;, sur celle que cause en nous un
choc violent et subit, sur celle que nous fait éprouver
la morsure incessante d'un amour trompe par l'abandon
ou la mort, d'une ambition dont l'objet nous fuit et
nous inquiète. Est-il prouvé d'ailleurs qu'une douleur
morale diS'ere essentiellement d'un& douleur
physique,
qu'elles soient confinées dans des régions qui ne com-
muniquent jamais eatrc elles? Cet équilibre inteHecmel
que Th. de Quincey décrit avec tant d'éloquence,
avec la sensation d'une incomparable volupté qu'est-il,
sinon l'anesthésie de la douleur morale au mctne de~re
que l'engourdissement de la douleur physique? Il reste
alors l'intelligence, la mémoire, l'imagination; devant
ces facultés passent des objets qu'elles
contemplent
à loisir, sans être violemment distraites
par ces dou-
leurs. Sans doute, Th. de Quincey nous laisseentendre
qu'à la longue, cette action anesthésique s'épuise, et fait
place a des souffrances. C'est là un phénomène physio-
logique nous savons que la plupart des agents pro-
duisent par leur abus ou leur long usage l'effet même
qu'ils étaient destinés à combattre. Il n'est donc pas
étonnant que ce bel équilibre-que Fopium. produisait
soit détruit par l'opium lui-même,
que les fresques
majestueuses et calmes, devant lesquelles on se pro-
menait en dilettante charmé, soient
remplacées par des
XVI PRÉFACE DU TRAPUCTKUR

courses haletantes à travers un enfer aux cercles bien


autrement nombreux que l'enfer dantesque.

Un caractère frappant sur lequel Th, de Quincey


insiste avec raison, consiste dans un lien intime entre
les visions de l'opium et les incidents de notre vie. Ces
océans agites dont l'étendue interminable donne le
vertige, et dont chaque vague est composée de figures
qui grimacent, menacent ou supplient; ils ne sont pas
autre chose que ces foules qu'il a jadis parcourues.,
regardant attentivement chacune des molécules hu-
maines qui les composent, dans l'espoir toujours trompe
d'y découvrir sa pauvre amie. C'est encore un souvenir
des foules de Londres, de ces deux ou trois millions
d'êtres entassés dans une cité, de ces deux ou trois
millions d'êtres dont le piétinement anairé s'entend de
loin, et qu'un poète anglais contemporain a comparé
au puissant rugissement du tourbillon central (mighty
central upwar). Cette poursuite d'Anne, dont tous les
incidents réels sont devenus les textes d'autant de
drames visionnaires, n'est que la vie de Th. dé Quin-
cey comme il l'a dit lui-même, son autobiographie
est la substance de ses rêves.
Une dernière question se pose; que les observa-
tions précédentes nous aideront à résoudre. L'homme
de lettres peut-il puiser dans l'opium ou dans les
substances analogues des ressources intellectuelles?
Nous répondrons oui et non. Oui, s'il s'agit de se placer
dans des dispositions favorables au travail, et de com-
battre h do"r physique et morale qui est le princi-
FREPACt: M) TRAPUCTKUR Xï)t
1-- 1 1 1- 1 -1 9 d\ v

pal, et, au fond; le véritable obstacle il ce travaiLOui,


encore, s'il s'agit de soutenir cet effort en vue d'accomplir
une tâche qui demande l'unité d'inspiration. Non, s'U
veut créer, ou simplement voir. Shakespeare dit dans
.HaM!~ « H y a bien plus de choses dans la réalité, que
ne saurait en rêver toute votre philosophie. » L'opium,
avec toute la splendeur, la variété, le mouvement de ses
visions, restera toujours au-dessous de cette réalité, et
l'auteur du Cosmos, alors même qu'il se bornait au
monde physique, n~vaitrieu a enviera Th. de Quincey,
à Edgar Poë, à Hoffmann. L'opium restera donc, à ce
point de vue, un plaisir ëgoïste, et .peut-être par cela
seul, un plaisir stérile. H n'ajotiterit rien a nos facultés,
ni aux objets de nos facultés. Se bornant tirer de nos
ressources intellectuelles ce qu'elles contenaient il l'état
latent, ce que nous y avons accumule par un travail
antérieur, à dissiper, sans qu'on puisse compter toujours
sur cet effet, les obstacles qui nous empêchaient dc les
employer, il est incapable denous révéler des problèmes,
des solutions, des aspects inconnus des choses.

V. Dt:SC!:EUX

2
AU LECTEUR

Je vous présente ici, bienveillant lecteur, le récit


d'une période remarquable de ma vie. S'il répond à
mon désir, j'espère qu'il offru'a non seulement Fintëret
des faits, mais encore une grande part d'utilité et d'ins-
truction. Je l'ai écrit surtout pour ce dernier motif, et
cela doit me Mre pardonner d'être sorti de la délicate
réserve qui le plus souvent nous empêche d'étaler en
public nos erreurs et nos faiblesses.
Le malheureux et le coupable ont une tendance na-
tùrelle à fuir les regards du monde ils préfèrent l'obs-
curité et la solitude jusque dans le choix d'une tombe,
ils cherchent à s'isoler parmi la foule souterraine. On
dirait qu'ils renoncent à revendiquer leur part de fra-
ternité dans la grande famille des hommes, qu'ils
veulent, comme le dit cnergiquement Wordsworth,
Exprimer avechumilité
Leur remords par la solitude.
En somme, dans notre intérêt à tous, il vaut mieux
xx AU t.KCfKUR

qu'il en soit ainsi, et pom' moi, je me ~ardenu bien de


blâmer des sentiments aussi salutaires. Mais d'une
part, ma confession volontaire n'est pas un aveu de
culpabilité, d'autre part, si elle en était un, je persiste-
rais peut-être encore &penser qu'en racontant une ex-
périence payée aussi cher, je rends autrui un service
tel qu'il compense largement toute violence fuite aux
sentiments dont j'ai parle et qu'il justifie une excep-
tion à la règle générale. La faiblesse et la misère ne
sont pas fatalement liées à une faute. Les ombres de
ce couple ténébreux se confondent ou se séparent selon
les motifs visibles, le but qu'avait l'offenseur, les excu-
ses manifestes ou cachées de l'offense, la force des ten-
tations qui ont fait faire le premier pas vers celle-ci, selon
l'énergie avec laquelle on a lutté pour agir ou résister.
En ce qui me concerne, je puis sans faire tort à la vé-
nte ou a la modestie, aMrmer que ma vie dans son
ensemble, a été celle d'un philosophe; ma. naissance
m'avait destiné à une existence intellectuelle dès le
temps. même de mon séjour à l'école, mes projets et
mes plaisirs ont été intellectuels. Si l'usage de l'opium
est une volupté sensuelle, si je reconnais m'y être livré
jusqu'à un degré qui n'a été atteint par aucun homme,
de son ~i~M, il n'en est pas moins vrai que j'ai lutté
contre cette ensorcelante domination avec un zèle reli-
gieux, que j'ai fini par accomplir une tâche qui n'avait
été imposée & aucun homme, que j'ai brisé un à un,
jusqu'au dernier les anneaux de la chaïne maudite
qui m'enserrait. Une telle victoire sur soi-même doit,
~n toute juM'ce, faire pardonner la faiblesse qu'on s'est
AUJ.KCr~UR XX)i

permise, quelle qu'en soit la nature on l'étendue, Et je


n'insiste pas sur ce fait, que ma victoire a étc incontes.
table, alors que j'aurais pu justifier ma défaite par des
arguments de casuisie. On pnut employer cette expres-
sion soit qu'il s'agisse d'actes ayant pour but unique
de souder la souffrance, soit qu'ils aient été inspires
par la recherche d'un plaisir superflu.
Coupable, je ne le suis donc pas, ù mon sens, e!
quand je me reconnaîtrais tel, je pourrais persister a
écrire ces confessions, en songeant au service que je
rendrais ainsi à la classe des mangeurs Mais
d'opium.
y en a-t-il? Lecteur, je suis oblige de le dite cette classe
est très nombreuse. J'en ai eu la preuve il y a quelques
années, en comptantceux qui m'étaient connus directe-
ment ou indirectement comme mangeurs d'opium,
dans une partie très restreinte de la société anglaise
partie composée d'hommes remarquables par leurs ta-
lents ou leur notoriété. Je citerai par exemple l'éloquent
et généreux William le défunt
Wilberforce, doyen de
Carlisle, docteur Isaac Milner', le premier lord Erskine~.

ÎMacMitner. – Le public le désignait sous ie nom de doyen-


deCarlisle; dans laconversation, l'on s'adressait toujours nu ~qye'!
Milner; mais dans son propre cercle, il était traité endettement
comme le chef de Queen's College Cambridge, sa résidence
ordinaire. Ainsi que son frère Joseph (de Hut) it était, au fond,
.néthodiste wesleyen, et c'est sous l'influence de ces principes et
des sympathies qu'ils lui suggéraient, qu'il a continué et con-
<t
Jusqu'au temps de Luther l'ouvrage de son frère, t'o!re
~?<'McAr~<<e)t)M.De nos jours, oni'eût considéré non comme
méthodiste, mais simplement comme partisan de l'Eglise infé-
rieure. Quoi qu'il en soit, on peut se demander en passant
comment un homme d'une honnête~ aussi bien établie que
<.e!!t:uu doyett Mnnet-, tneHattn'Mttû.d M~ idées morsies st !=
cumul d'une fonction ecclésiastique importante, comme ce
XXU AUt.MTKUR
t< r~ l-n~t
le
M. D. phHosophe un sous.Kcr<<a!re d~Rtat

doyenn):, avec la direction d'un coH~ do même importance


L'une de.r
l,'itüU dct :l~llX
deux Clr1t'~CS
chnrses était
c~it forvnteut
~br~tnent rtr:r;linée,
ne~ti~ee. Cet
t:et exempte
exentpla
~h voir quels prf~re~ t't-~iM a )ca)i~< pendant h dernière
~~MMtiûn, dans Fobaert'ation des principe i'eti~ieux
de désintéressement. pratique
Aujourd'hui, l'homme te plus ind~tic.tt
rtfuteMitcequetrente ans .utpaMvan: ~'n ecf'csiastiqua metho.
disM, rigide, et mémo innati~uc, sctnn t]uciqucs-un&, per~~t.tit
faire, Mni: se croire tenu i\ aucune csptic.uion. Si j'.u pre~ut~
cet exeMpte sous son vrai jour, n est t~s propre
h ~!)~<tt!oft a rrou~rque
uctueUe a un ..entituent plus eleyj de b diotH~
morate. Nous ne cessons de traitct' injui-tentent notre
temps, et
Ctpendan!, à certains &if;nes m~niiestet nu secret, je vois que
depuis t'epn~ued'Kti.ah~h et de Charte~ nutjc période n'~t
plus inteileetuette, ptuAnnitMce, ptusditticifeenveMeite-metue'
rexcimtion oxtrenrd'nnirc ()Ut rùHnc dans !'tntctli~cn;e ne tarde
pa~ il se. traduire par un de~etnppentent proportionnel de la sen-
fibititc n)t.M}e. Les distinctions ot! meMp)))'.
p~'c)to)oi;iques
&)qu(.-sttU) servent à notre pen~ moderne comme de membres
et d'articuiations, accusent )e car.tctefe plus défie des sujets
qui
occupent nos réflexions. De teitc~ distinctions aumient paru, il
y a cant trente ans, entachées de pédantisme, ou même pleines
d'une obscurité suspecte, on les eut
être on les eût eUees comme coupables Ju~esimpMtic.tbies- peut-
auxsessions trimestrielles
de Middiesex, avec l'.&'coMfwc poiitiquc de Mande~itie. Revenons
au doyen Miiner. Pour montrer quelle
place ses talents lui
donnaient dans la première génération du dix-neuvième
~c!e
je rappellerai qu'il ne faut pas le juger par ses ocrin; ils lui
ont été imposés par quel;:lue circonstance
pressante et fortuite
e est dans la conversation qu'il retrouvait sa vraie p!aM à un
rang supérieur. Pour Wordsworth, qui l'a souvent rencontre à
la Mbte du feu JordLonsdaie, etait~ miitre incontesté des cau-
seurs de son temps; lui seul, depuis la mort de
Burke,
sans être réduit i des souvenirs, entrer dans un sujet savait lui
plaisait, te manter d'un mouvement personne) et aisé, lui qui donner
un tour original et nouveau. Comme
mangeur d'opiu.n. le doyen
~.htner, dit-on, faisait face avec vigueur à la neeessue h.):
&vait tmpos~ cette habitude. J'ai appris de divers côtés que sa
dose était de que
grains (environ N~o gouttes de
prenait de six en six heures, avec l'aide d'un ~udanumiqu'it u~
confiance, domestique de

~uel est ce ph!:osophe nomme &? En vérité, )c ne m'en


MUt-tens plus. Sans que fy fusse
pour rien, grâce à un absurde
AULKCfKUR :.t!)t
(c'était feu M. Addington, frère du premier lord Sid<
mouth). Il me décrivit les sensations l'avaient amené
qui
à l'usage de l'opium dans des termes à ceux
identiques
qu'employait le doyen de Carliste « C'était comme si
des rats lui mordillaient les membranes de l'estomac.
Nommons aussi Samuel il y avait
Taylor Colerid~e
bien d'autres personnes à peine moins connues. Si donc
une classe relativement très nombreuse a pu fournir
autant d'exemples, et cela dans les limites d'information
d'un seul curieux, il était naturel de conclure que la
population de toute la même
l'Angleterre présenterait
proportion de cas.
Cette conclusion ne me parut pourtant pasassez rigou-
rcusc jusqu'au jour ou certains faits arrives H ma con-
naissance me nrcnt asscx voir qu'elle était parfaitement
correcte i" Troispharmaciens de Londres, gcnscsti-
mable&; établis Ibrt
loin les uns des aunes, chez lesquels
j'achetai par hasard de petites quantités d'opium, m'as-
surèrent qu'il y avait alors un nombre infini de gens

poltron quj avait de l'autorité sur la presse, tous les non~ pro-
pres furent supprimés a mon insu dans la première édition de
ce livre, il y a ttente-e;))q ans. Je ne fus pas consulté, et je ne
découvris ces blancs absurdes que plus tard quand je fus raillé
à leur sujet, et avec grande raison
par un journaliste satirique..
Rien ne pouvait être plus plaisant quecesappeis à des ombres,
a Lord D. au doyen D, au philosophe P. En tout cas, n'y
avait aucun prétexte pour justificr cette absurde intervention,
en alléguant qu'il y avait là des personnatites qui mouvaient
offenser les hommes désignes. Tou$ )c$ cas, sauf peuMtre ce!ut
de W))berfotce, au sujet duquel j'eus alors de
légers doutes,
étaient connus ~amjfierementdans des cercles nombreux d'amis.
Je dois rendre justice M. John Taylor, l'émineat éditeur d,e c~
livre, en dëciarant qu'il n'eut aucune part dans cette inepte
~<
suppression.
XXtV AUACTEUR
qui prenaient de l'opium par plaisir (on peut bien les
nommer des amateurs), que la difnculté de distinguer
ces personnes, auxquelles l'habitude avait rendu l'opium
nécessaire, d'avec celles qui en achetaient en vue d'un
suicide, leur occasionnait chaque jour des embarras
et des discussions. Ce renseignement ne concernait
que Londres. s" Mais ceci paraîtra peut-être plus éton-
nant au lecteur. H y a quelques années, en passant
par Manchester, j'appris de plusieurs manufacturiers
en coton que leurs ouvriers s'adonnaient de plus en
plus à l'usage de l'opium, si bien qie le samedi à partir
de midi, les comptoirs des pharmaciens étaient chargés
depilulesde un, deux ou trois grains, fabriqués pour
faire face aux demandes prévues pour la soirée. La
cause prochaine de cet usage était le psu d'élévation des
salaires d'alors, qui ne permettaient pas aux ouvriers
de s'adonner à l'ale ou aux autres spiritueux. On pen-
sera qu'une augmentation des salaires aurait mis fin
à cet usage, mais je suis fort éloigné d'admettre qu'un
homme, après avoir savouré les divines voluptés de
l'opium, se dégrade par la suite jusqu'aux grossiers et
mortels plaisirs de l'alcool. Ce qui me paraît bien établi
c'est que
Ceux-là en usent aujourd'hui, qui n'en avaient ja-
mais usé auparavant.
Et ceux qui en avaient toujours usé auparavant, en'
usent aujourd'hui plus que jamais.
D'ailleurs le pouvoir fascinateur de i'opiHm est admis
même par les écrivains médicaux, ses plus grands ad-
versaires. Par exemple Àrosiier, pharmacien dei'hôpi-
AU t.HC.THUR \~v
tul de' Greenwich dans son J~AMt sur les <~<?~ de
/'oy<!<)!! publié en t~ë~. indique dans un passage
pourquoi Mead n'a pas été assez explicite dans l'exposé
des propriétés de cette substance, des remèdes qui les
combattent, et il s'exprime lui-même en termes mysté-
rieux, mais p~M cru~to<o!jfort clairs pour les adeptes
« Peut-être pensait-il que ce sujet est d'une nature trop
délicate pour être éclairci à tout le monde beaucoup
de gens ayant les moyens d'cn user sans réserve, cela
aurait pu leur ôter cette crainte et cette hésitation qui
les empêchent de faire l'épreuve des :nnombrab!es pro-
priétés de Fopium. Car il y a dans cette substance
~!eMdes qualités dont la COnn<M(!MCCrCM~t'~t~ ~OM
usage habituel et le ttte<<'r<ïtf CMy<~CW C~f~ MO?M
encore plus que c~e~ les Turcs e«.v-t:M. La diifu-
sion de cette connaissance, ajoute.il, serait un malheur
public:~ Je n'admets pas sous réserve la nécessité de
cette dernière conclusion, mais c'est un sujet que ~au-
rai l'occasion de traiter avec plus de liberté au cours
même de cet ouvrage. A ce point de vue, je me borne-
rai à dire t" que l'opium a été jusqu'à présent le seul
analgésique universel qui ait été révélé à l'homme
2" qu'il est le seul, l'unique analgésique qui soit in-
faillibledansuneproportion extrêmement grande de cas;
~° que sa puissance dépasse de beaucoup celle de tous
les agents connus contre l'irritationnerveuseet la mau-
dite maladiedu ~p~:MMH~~P, 4."qu'il pourrait bien être
et je le pense d'après un fait absolument convaincant
pour moi, le seul remède qu'il y ait, non pour guérir
quand elle a éclaté, mais pour arrêter quand sue es~
XXV! AU LKCTKU~
latente phtisie pulmonaire, ce HëaH si redouMb!e fn
Angkt<rre. Je dis que si Fopiunt possède ces quatre
propriétés on quelques-unes d'entre elles, tout agent
qui justifie d'aussi belles prétentions peut, que) que soit
aon nom, se refuser trônent omor tinns la d~~a.
tion et à subir tMhetnent que ~'on impose d l'opium
dans les livres, je dis que l'opium ou tout ~um-e
agent d'égale puissance peut uMn~et' qu'ii ~e
révélé à l'homme pour un but plus élève, que d~
servir de cible a des dénooewions morales ou sugge'
rces par l'ignorance~ sinon par l'hypocrisie, –qu'il de-
vrait être clevuà la di~nited'ëpouvantaHsc~nMuepour
même en fuite les terreurs superstitieuses; car ceUea~i
n'ont le plus souvent d'umre résultat que d'ôter la
sou~tance j)umainecequi lu soulasernitle plus promp.
îement leur objet est d'amuser les enfants et de
fournirdes textes de composiuons Itttéraire » ut pue-
ris placeant, et declamanio fim).
En un sens, et de loin, tous les remèdes, tous les
modes de traitement médical nous sont offerts comme
analgésiques, leur but définitif étant de soulager la
spuS'rance qui est la suite naturelle des maladies et
des infirmités. Mais nous n'employons pas le mot d'a-
nalgésique dans son sens propre et ordinaire, en l'appli-
quant à des remèdes qui se proposent le soulagement
de la douleur comme un enct secondaire éloigne, conse~
cutif à la guérison du mal. Ce mot ne s'applique avec
justesse qu~ux remèdes qui produisent ou poursuivent
ce résultat comme but premier et immodiat. Lorsqu'on
ads's!re de? toniqHM à u'jt cMMurquïsoucrc peno-
AU ï.tSCTKUK MVtt

~r
diquement de l'estomac, et
qu'on supprime a!aa t~ 1"u,.1I.
longue
ces sounrauces, cela ne nous autorise pas à qualifier
ces toniques d'analgésiques; la suppression de la dou-
leur est le terme extrême d'un circuit que la nature
parcourt et demande sans doute des semaines pour être
'accomplie. Mais un analgésique véritable, par exemple
six gouttes de laudanum, ou une cuillerée d\m carmi-
natif chaud mélange A du brandy, peut souvent guérir
en cinq ou six minute:, ta torture que soutire un enfant.
Parmi 16$ plus puissants des analgésiques, nous citerons
la ci~në, la {usqniame, le chiorotbrme et Foptum.
Mais il est incontestable que les trois out un
pt'emiers
champ d'action fort restreint, quand on les compare a

l'opium. Celui-ci surpasse de beaucoup tous les agents


connus a l'homme, car il est le plus puissant dans son
action, et sur la douleur cette action est trëj étendue.

dépasse tellement les autres en puissance que selon


moi, si dans un pays païen, l'on était arrive a la con-
naissance adéquat" de ses effets, si l'on avait connu

La connaissance adéquate. -C'est justement là qu'était l'im-


possibilité. Parmi les détails de la vie antique, il en est un qui
a entièrement échappé notre intention, c'est l'excessive rareté,
la cherté, la difficulté de se procurer les drogues les plusactives,
surtout celles d'origine minérale, celles qui exigeaient une pré-
paration minutieuse, ou une grande habileté industrieHe. Quand
il faUait du temps et de la peine, pour se procurer une denrée
artificielle, on eu faisait rarement usage et si l'usage en était
rare, quel motif avait-on de )a fabriquer? Que le lecteur jette
un coup d'œii sur l'histoire et l'époque d'Herode le Grand, telle
qu'elle se trouve dans Josèphe, il verra, quel mystère, quelle
dë<iance soupçonneuse entourait l'introduction de ces drogues,
que l'on pouvait regarder comme des moyens d'assassinats; il
.se rendra compte des lenteurs, des difncult~s, des (tankers qui
s'opposaient à ce que la connaissance de l'opium fût familière.
XïY):t AULECTEUR
<
par l'expérience l'étendue de ses effets magiques et leur
rapidité, l'opium aurait eu des autels et des prenez
pour célébrer ses facultés bienfaisantes et tutélaires.
Muis tel n'est pas l'objet de ce petit livre. Bien des
gens s'en sont fait une idée absolument fnusse. Qu'on
me permette de profiter de cette premièrepréface,légère-
ment modifiée pour dire que mon but, en ces confes-
sions; était de décrire le pouvoir que l'opium possède
non seulement sur les malaises et les soutfrances du
corps, mais encore sur le mondeplus vaste et plus téné-
breux.des songes,
PREFACE DE LA DERNIER ÉDITION

Lorsqu'il a été décidé que dans cette réédition de


mes oeuvres, les Confessions d'«M Mangeur d'opium
formeraient le cinquième volume; j'ai voulu mettre a
profit cette occasion pour revoir l'ouvrage tout entier.
Par suite d'un accident, une grande partie des Con-
fessions (en un mot le tout excepté les songes) avaient
été primitivement écrite a la hâte; différents motifs
m'avaient empêché de les revoir et de leur donner
quelque chose de plus que la simple correction gram-
maticale. Mais il leur fallait bien plus encore. La partie
narrative se serait naturellement promenée à travers
une série d'épisodes secondaires, et avec du loisir pour
les retoucher, il aurait acquis par là une grande ani-
mation. Les circonstances n'ayant pas permis ces amé-
liorations, ce récit a été forcément appauvri. Il en est
résulté qu'il aurait besoin de corrections et de retran-
chements, mais surtout qu'il laisse à désirer l'achève-
ment de ce qui n'était qu'à l'état d'ébauche, lé déve-
loppement de ce qui avait été indiqué d'abord d'une
manière trop sommaire.,
XXX t'KKfACt: t)K LA !tHKK)KKH EMT!OH

Hn suivant <:aplan, c'eût été une tâche facile, bien


que laborieuse, de refondre le petit ouvrage dans un
moule meilleur, et à tous les points de vue, le résultat
eût pu obtenir tout au moins l'approbation des premiers
lecteurs. Comparé ce qu'il était jadis, le livre doit
tendre, par le seul fait de son ehangemeQt, et quelle que
soit l'exécution de ce changement, à devenir meilleur;
dans mon opinion il est en effet meilleur, si l'on veut
bien accorder l'indulgence et faire les concessions que
mérite le bon vouloir. Il suffirait pour y avoir droit, de
faire appel à la nécessité logique et rationnelle, car en
se bornant à développer ce qui a reçu déjà un bon ao-
cueil~on ne fait qu'ajouter à ce qui existait auparavant.
Tout ce qui était bon dans le premier ouvrage se
complète par beaucoup de détails qui sont nouveaux.
De plus cette amélioration est due à des efforts; à des
souffrances qui paraUnuent incroyables si l'on pou-
vait les représenter exactement.' Une maladie ner-
veuse d'un caractère tout particulier qui m'a atteint
par intervalles pendant ces onze ans, est revenue au
mois de mai de cette année, au moment même où je
commençais cette revision; cette maladie a poursuivi
son siège silencieux, je dirai même souterrain, car
aucun de ses symptômes ne se manifësM à l'extérieur,
et cela d'une façon si obstinée, qu'après m'être entière-
ment consacre dans la solitude à cette seule tache, et
Favoir poursuivie-sans rinteï'rompre ou la ralentir, j'ai
rëeHement dépensé en quelques ~Gurs six grands mois
pour refaire ce Htnpie petit volume.
Les conséquences ont été déplorables pour tous.les
DtKtACE ht H M~MtÈRK ËniTin~ XXX)

intéfessës l'imprimerie t'est plainte de mes fréquentes


visiter les cônapositeu!t frissonnent la vue de mon
écriture bien qu'on <t<puisse l'accuser d'être illisible,
et j'ai bien des motifs pour craindre que dans les jours
oit mes souffrances m'accablaient de leur poids le plus
lourd, U~'en soit résulté un certain affaiblissement
dans la cl«të de mon coupd~co! critique. Je puis avoiri-
laissé échapper bien des bévues, des erMura, des répétl-
tionl de faits ou même de mots. Mais plus souvent
encore j'ai pu me tromper en appréciant les effets réels,
dans l'ordonnance inexacte du style et des couleurs.
Ainsi parfois la lourdeur et l'enchevêtrement des phra*
ses a pu détruire Peftèt d'un détail qui, jeprësenté na-
turellement, aurait été pathétique il n pu arriver au
contrairequc, par une légèreté inopportune, j'aie éteigne
la sympathie de mes lecteurs–de tous ou de quelques-
uns. Mille occasions ouvrent la porte à de&erreurs de
ce genre, c'est-à-dire dos erreurs qui n'apparaissent
pas évidemment telles. Quelqucibismêmë il s'agit d'une
faute incontestable on la voit, on !a reconnaît, on
peut l'effacer par un soudain et vigoureux effort, dont
roccasionnereviendra pas lorsque par exempte l'épreuve
est devant vous pour vingt minutes, prête à recevoir
une modincation, après quoi elle sera reprise et signée
sans appel, toutes ces circonstances étant réunies,
l'humanité du lecteur pardonnera la faiblesse qui laisse
passer une erreur dont -on a nettement conscience,
lorsque la €orrectien qui la ferait dispat~ttre exige tm
effort, à l'instant même ou la souffrance s'exaspère,
lorsque surtout cette correction en impose ïinq ou six
~~U:)~ fRÉFACK RE LA DERMttRE tCtïtOK

autres, afin de rétablir dans les idée! un enchaînement


tolërable. Je ne dis pas cela parce ~«e je crois avoir
commis d<~ces fautes, je ne le croit pas. Mais je préfère
imaginer une erreur conservée en.pleine connaissance
de, cause, afin que des négligences vénielles puissent
parcomparaison avec ces licences tout apparentes, ob-
-tenir l'indulgence d'un critique bienveillant. Lutter
contre les attaques épuisantes d'une maladie qui se dé-
veloppe, exige une grande énergie. Je n'essaie pas de dé-
crire cette lutte; on ne saurait ni se faire comprendre,
ni être intéressant quand on veut exprimer l'inexpri-
mable. Mais le généreux lecteur ce sera pas moins dis-
posé à l'indulgence, à raison des concessions que je de-
mande, si contre ma volonté, Foccasion se présente pour
y faire appel.
J'ai fait aussi connaître, au lecteur l'un des deux -"1
courants qui tendaient à contrarier mes efforts pour
améliorer cepetit'Iivre. Hyen a eu un second, et moins
accessible à ma volonté même avec. toute son énergie.
Pendant longtemps j'avais compté sur une fin intéres-
sante dont je me proposais: de former-les dernières pages
du volume; c'était une série'de vingt, ou vingt-cinq
songes ou visions diurnes qui avaient surgi devant
moi dans les derniers temps où l'opium exerçait sur
moi son influence. Ces feuilles, ont disparu, les unes
dans des circonstances. qui me laissent un espoir assez
fondé de les retrouver, les autres par des hasards.inex-
pHcabIes~ d~autresën6npar'de&motHs'peu honorables.
pinqou six furent, je crois, brûlées; pendant que j'étais
Mul, occupé à lire dans ma ehamhj~à.~Mteh~f~ Nae
Md~ACK M j&MTtOK XX~UU
M~NtÈRK

< t~ t t
étincelle tomba sans que je la visse, de ma bougie sur
un tes de papier, et y mit le feu. Si elle était tombée
<~aH)le tas et non dessus, le feu aurait bientôt été le
plus fort ,etse communiquant à la boiserie légère et
aux draperies du lit, il aurait atteint les solives du
plafond comme il n'y avait pas de pompes dans Je
voisinage. toute la maison aurait été brûlée en une
denn-heure. Mon attention fut d'abord attirée par une
clarté soudaine sur mon livre, et toute la différence
entre la destruction totale de ce qu~on possède et la
perte insignifiante de livres qui valaient ciaq guinées,
fut duc à un large manteau espagnol on le déploya
et on le maintint fortement sur le foyer de l'incendie,
avec Faide d'une personne, qui malgré son agitation
n'avait point perdu sa présence d'esprit, et l'incendie
fut étouffé. Parmi les papiers qui furent atteints, mais
non au point de devenir illisibles, se trouvait < La
fille du Liban. » Je Fai imprimé et placé avecintention
à la fin du volume, comme formant la suite naturelle
d'un récit ou l'histoire d'Anne, la pauvre méprisée
n'était pas seulement l'épisode le plus remarquable et
le plus douloureusement pathétique, c'était aussi une
scène qui m'apparaissait sous des couleurs nouvelles
disons mieux: cette scène transformée, faite, refaite,
~aa$ cesse composée, recomposée, formait la substance
commune à tous mes rêves d'opium. Les traits decette
Anne que gavais perdue, et que j'ai poursuivie dans les
foules de Londres, )e les ai cherchés dans un sens plus
N~al dans mes rêves, pendant bien des années.
:+-
.i~
T~!5eë gênera <rsi:C~CTS~K~,d~!aec~M~ aâ~o,an'ia..xasuO.
3
")t~HT MOtfMt sc ta eiHMtH~tt ~~MTMtt
*m<M~<ea«k< fonnet w<tnést h pen~trne, kMMag,
t'~t k <~<ne,<otM<~Mtn~M<t <MMjCM<te. Mais il y Mt~
Mh to~emn: qoet~et <nMt<qtM Mpt~mMMM pl<Mew
BMMM~~FMm&monefMBXteaamëM~k~~M~e, uot
desae'otmcttr~tcrtxt qtM'ioi dëfabxit «tutMMh de M
<MfObertoute rëbttbMhwtM'net tome <Mp6BM«; Ttis
sont les <net<fspour Ke~qnek c<!ttead<~t!on <pëeM~,
sur i<tqueHe<ontp«ti<nt A bon dtjroM~tMieoM de nM<
<m!M, pu <tre donnée en eotier M M peut r~re<<H
ec tnoMMK voilà en <tcc<"nd lieu pom-~u<M te fn~aMM
<t<M)~BpuMie, a ëté )~ à So, dmot lt~<tMe~N
<)oe)~tle<[<t~<myMM<ertd'épït~ue,

.A~Mnxt&M~
CONFESSIONS

0'U.M

MANGBURD'OPIUM

m'a aoaveM demande d<ths quelles circonstances,


L*<M*.
par quel enchaînement je suis devenu mangeur d'opium.
f&Me par degré, par CM<ds, avec défiance, comme on
4esc<atdpar Me plage de sable-vers les profondeurs de !a
mef,<n McbMtt d'avance quds dangers on trouve en ehe-'
BMa, en te louant ces dangers avec une sorte de coquet-
tene, qM 'revient <n deftnhtvë à les braver? Ou bien
encore fm-ce par ignorance compiéte de cesdangcts, en
cédant aveugtëtoent aux conseils intéresses d'un cmpi-
nqae ? i~as d'une fois des préparations destinées au iràhe- `
meot.des aSections pu.tmonaine6 ont dû leur ef6cactt<?à
!'<pMt)n q~i entrait ~aas leur composnion, à lui seul, bien
qu'on pKHeetAt brnyamment contre cet auxiliaire compro-
mettent Y~MtB ce déguisement fallacieux, une foule de
~ensocjcoM IwiMé attirer dans ~tneeelavage qu'ils
n'avaient pas prévu, par WB remède ignoré qu'ils ne
<e~BaMs~ni de-nom, II wn~as~ sourveat
ttuam qu'on ne dëcotFM'e~esHen&d'une abjecte servitude que
~aànd&~BttMsë tetjrrTeMaoinextricaMe à travers toute
36 eoNMMtom
l'économie organtque. En troisième et dernier lieu, cela
se tRt-it. Ou!, réponds-je, dans mon empressement pas-
sionne, avant que la question soit nnie. sous l'impulsion
soudaine et toute-puissante qu'exerçait une souffrance
corporelle? Je répète à haute voix, oui, je le redis avec
force, avec indignation pour répondre à une opiniâtre
calomnie. Ce fut comme à un simple analgésique, et par
la seule viotence de la douleur la plus cruelle, que j'eus
pour la première fois recours à l'opium, et il Vagissait
justement de cette même douleur, ou de quelqu'une de
ces variétés qui entrainent la plupart des gens à l'emploi
de cet insidieux remède. Voilà le fait, voilà l'occasion.
Si, dès le principe, j'avais connu les subtiles énergies
contenues dans cette puissante substance, et dont l'emploi
bien réglé a pour effets, – t* de calmer toutes les irrita-
tions du système nerveux, a* de stimuler les dispositions
gaies, }" de répondre à l'appel d'un effort extraordinaire,
comme les hommes en trouvent des occasions fréquentes,
et de soutenir pendant vingt-quatre heures de suite, les
forces animales, qui sans ceia diminueraient par degrés,
– très certainement j'aurais débuté dans l'usage de
l'opium, en appelant un supplément extérieur de force et
de joie, au lieu de m'y jeter pour fuir une tohure exté-
rieure. Et pourquoi non? Si c'est là une faute, n'est-ce pas
aussi une faute que commettent tant de gens, et tous les
jours, avec l'alcool ? Sommes-nous autorisés à le regarder
seulement comme un remède P Le vin est-il permis sim-
plement à titre d'analgésique ? Je pense que non; autre-
ment je serais obligé de mentir et de prétexter un tic
anormal dans mon petit doigt, et ainsi commedans une
<M?fawwyAoMd'Ovide, moi qui suis un amant de la vérité,
]C deviendrais, jour par jour et pouce par pouce,, un
trompeur. Non, toute l'humanité proclame qu'il est permis
de boire du vin sans donner pour excuse un certi&catttu
médecin. Ce quon.a le droit de chercher dans le vin, on a
tûremeat le mêmedroit de le. tro~tr dans l'opnjtn,jtj)lus
B'UK MAKGKUH D'OPtUM 3y

forte raison uaM les cas nombreux et analogues au mien,


où !'opium exerce sur l'économie des ravages bien moins
graves qu'une quantité équivalente d'alcool. Coleridge se
trompait ldonc deux fois, quand il se donnait la liberté de
diriger les attaques les moins amicales contre le prétendu
raffinement de volupté qui me faisait employer l'opium;
il M trompait en principe, il se trompait en fait. Une
lettre de lui qui a été publiée sans son aveu, je l'espère
du moins, mais qui n'en a pas moins paru, attire l'atten-
tion de son correspondant sur la différence profonde qu'il
y aurait eu entre sa situation comme mangeur d'opium et
la mienne it semble qu'il soit tombé dans cette habitude
par des causes excusables, c'est-à-dire par nécessité, l'opium
étant la seule ressource médicale qui f&t efficace contte sa
maladie à lui. Et moi, scélérat que je suis, j'ai,. comme
chacun sait, reçu des fées un charme contre la douleur;
si j'ai adopté l'opium, c'est par un penchant abominable
pour la recherche aventureuse de la volupté, et j'ai péché
le plaisir dans toute sorte de ruisseaux, Coleridge se
trompe dans toute l'étendue possible du mot, il se trompe
dans son fait, il se trompe dans sa théorie; un petit fait,
une grosse théorie. Ce dont il m'accuse, je ne l'ai pas fait,
et quand cela serait, il ne s'ensuivrait pas que je suis un
citoyen de Sybaris ou de Daphné. Jamais distinction ne
fut plus mal fondée, plus fantastique que celle qu'il lui a
plu d'établir entre ses mobiles et les miens, et il n'est pas
possible que Coleridge ait été induit dans son erreur par
de faux renseignements, car personne sans dout~ n'a pré-
tendu en savoir plus long que moi sur une question qui
était du domaine de mon expérience particulière. Mais s'il
existe une telle personne, elle trouvera peut-être quelque
intérêt a refaire ces confessions d'un bout à l'autre, à cor-
riger leurs innombrables fautes, et comme lés fragments
qui n'y ont pas été publiés ont été en partie détruits, elle
afMt ~honté de les rétablira pile pourra encore rendre de
i'éeiat aux couleurs fanées, retrouver l'inspiration qui
38 CQMUCSStONS
s'est évanouie, combier les hiatus béants qui sans cela
pourraient bien m'échapper et défigurer pour toujours
mon petit ouvrage. En fait le lecteur, s'il s'intéresse à la
question, trouvera que pour moi, qui dons un tel sujet
suis non seulement le menteur, mais le seul juge, je n'ai
jamais varie d'une ligne eh racontant l'anhire d'une façon
dinërente. J'ai été véridique en disant au
~entièrement
lecteur que c'est non pas la recherche du plaisir, mais
l'extrême vioience d'un mal de dents causa par le rhuma-
tisme, que c'est cela, cela seul qui m'a conduit à l'usage de
l'opium. La maladie de Coleridge était le rhumatisme
simple. Pour moi, cette maladie, qui était revenue
avec violence pendant dix ans, était un rhumatisme
facial combiné av.ec là névralgie dentaire. Je le devais a'i
mon 'père, ou, pour mieux dire, je le devais a mon igno-
rance honteuse, car une dose in~igniname de coloquinte,
ou de quelque autre remède, prise trois fois pnr semaine,,
m'aurait, plus sûrement que l'opium, arrache à cette ter-
rible malédiction Mais en cette ignorance, qui m'ame-
nait à faire la guerre à la rage de dents quand elle était
mûre,, quand elle eclntait en sensations douloureuses, au
lieu de l'attaquer dans ses germes et. dans sa marche, je ne
faisais que suivre l'habitude gêné' nie. Atteindre le mal,
quand il en était encore à sa période déformation, tel
étair le vrai remède~ alors que dans mon aveuglement, je

D~ux causes contribuent 4 aH'aibtir le sentiment d'horrear qui,


sans elles, s'attacherait à !<t rage de dents, savoir son extrême fré-
quence; o't trouverait ma)a!~ment en Europe' une fantiite qui eft ait
<tëeMmpte, une maison dont chaque chatnbren'ait. pas retenti des
~mi~'ements arrachés par cette cruelledouleur.Cetteubiquité contribue
t ttfttre traiter légèrement.En secondUeu.<T)n'y ztfache ptts d')n)por.
ttnee pour un niotif indtqud dans un pr.apoeqn'en Ettrjbueà ainPhiUp
SMn~y,)e~B<Mi9sur quelle autorité.; < S'i) y avait des cas mortels de
rage de dents,fussent-ifsinnnimentrares,certen)t)adie serait regardce
«tmntt'<.m<<pi<'«'SeB)Tt de )'e~?~te.)]Uff)iti<)e.M.<iseot!)nM )es,pa-
jftntysn'este&ptu~aigua n'ont jamaiseu d'isMamofKXe,commeses crises
têt plus violentes cessent tout à coup pour faire place à d< Jongues
période" auni caimee que te temps des atcyons,'il en résulteuu d~dimt
<tM<x<)M<MM" ~s~??y~&~ J* <.cttf MtjtitMe,er on oeMit p)u&
B'UMM*NQ<URD'ODUM ?9
me bornais à chercher quelque adoucissem~M au mat
quand il était déjà constitue, et qu'il échappait toute
prise. Dans cet état de sounrance, état complet et déve-
loppé, j'étais expose sans défense a un conseil fortuit, et
par là même, par une conséquence naturelle, ù l'opium, le
seul, l'unique analgésique qui soit universellement
reconnu comme tel, le seul auquel tout le monde recon-
naisse ce rôle important.
Ainsi donc, Coleridge et moi, nous occupons la même
situation, au point de vue de notre initiation baptismale
aux. effets de cette substance énergique. Nous sommes
embarqués sur le même esquif, et le pouvoir que posséde-
rait un. ange même, pour fendre un cheveu en quatre, ne
suffirait pas pour trouver une dincrcnce, fût-elle aussi fine
qu'une pointe d'aiguille, entre les ombres que nos fautes,
la mienne et la<sienne, jettent sur ce terrain. Faute contre
faute (en supposant qu'il y aie faute), ombre contre ombre
(si cette faute pouvait jeter une ombre sur-le disque etin-
celant comme la neige d'une morale ascétique), 1&fait, chez
lui, comme chez moi, recevrait une interprétation iden-
tique, serait compté comme une dette d'égale valeur,
serait mesuré comme une faute dans la même balance de
responsabilité. C'est en vain que Coleridge essaie de créer
une différence entre deux situations qui concourent
vers une identité absolue, et ne varient que comme le
rhumatisme diffère du mal de dents. J'ai toujours été au
premier rang parmi les admirateurs de Coleridge, mais je.
n'en fus que plus étonné quand on me prouva bien des

ttf et)equ'une épreuvepour notrecourageet notre patience.Je ne saurais


mieux représenter son intensité, son extrêmeviolence,que par )Mfaits
suivants. Dans )e certie de mes connaissance5particulières, j'ai ren'
aenMdtox personnes qui avaient subi en mêmetemp&ies~tortures du;
nui de dents-et:ducancer..E))e~dêe)araientque le premieretatf. je beau-
Mtip~e.ptus crud. sur rccheUede la souffrance.Tous les deux,présentent
par intervallesce quêteschirurgien!:appeXeHtdMsenMtionsfanctnanteSt
– ce sont des radiations rapides,eNouissaotes,vibrantes de)douleur, –
et sur cette ba~ede comparaison,paroxysme contre paroxysme,)eur opi'-
tMOttpiaMitt'naedet deux.Muiîr<m<:ts.comme )e l'ai indiquée.
40 CQKfMStO~
fois combien il est négligent dans l'ordonoonce d'un sujet
discutable, et quel démon le possède pour l'empêcher de
constater exactement lès faits. Je n'en ai que mieux
ressenti l'étourderie injuste que Coleridge témoigne en ce
qui me concerne personnellement. Si Coleridge commet
une aussi grosse erreur dans l'énoneiation des faits, pro-
pos de nos fréquentes expériences sur l'opium, cela vient
en partie de ce qu'il lit à la volée, en partie de ce qu'il lit
avec partialité, et sans suite, et oublie naturellement ce
qu'il a lu. Chacune de ces négligences habituelles, comme
le lecteur Mle dira de lui-même, est une faiblesse veoieUe,
cela est certain. Mais ce qui n'est pas véniel, c'est de se
permettre ces négligences au point de nuire gravement à la
réputation qu'un ami fraternel possède de se gouverner
lui-même, et c'est un frère qui n'a jamais parlé de lui sans
exprimer une admiration enthousiaste, admiration que les
ouvrages exquis justifient si amplement. Supposez qu'enf
réalité j'aie mal agi il aurait alors même été peu géné-
reux, et j'aurais été attristé que Coleridge se fut précipité
vers le public pour lui dénoncer ma faute a Par les pré-
sentes, on fait savoir a tous que moi, S. T. C., homme
d'aspect agréable, avec des grands yeux gris s, je suis un
mangeur d'opium patenté, tandis que cet autre est un
boucanier, un pirate, un flibustier' et il ne peut avoir
qu'un faux permis dans sa poche suspecte. Au nom de la
vertu, nrrêtez.lei < Mais la vérité est que la nègligence
<lans les faits et les citations tirées des livres, était, chez

Voir!echarmantportraitquefaitWordsworthde S. T. C.et delui.


même,tousle costumed'tSmnehis.dansleCAafMtt ~f.MoA'ac~.
Cemotétait emp!oyedansiesensqueje luidonneeteveet'orthogrophe
que )'emptoie,,pM!n~!et j;rand~boucaniersd'autrefo; )cs Angtaiset
Françaiscontemporain! denotregrandDampier,vers1aSnduxvn':iec]e.
–J)Il a reparudansje! {ourMux d:s Eott.t'nt". d proposdes xtMrtsde
<~iba,maisavecuneorthographedifférente, ei on écrit tuaiours,je ne
Mis pourquoi~<tM<~r.t. ~<)oiqu'ilensoit,et souscesdeuxformes,il
resteundenve p&rcor)rcptw) dansla bouchedu Franco-Espagnols,
motans'aitfreebootM~fM.ac-eithrdit. -––– du
C'UH MAHQCUR &'OP!UM 4t

Coleridge, une in~rmitJ naturelle. 11y a moins de trois


jours, je lisais une courte appréciation de feu l'archidiacre
Hare (dans Les Conjectures $!~ la vérité) relativement
à des considérations très hardies, et non moins fantastiques
de Coleridge sur la manière dont on fabrique des vers
latins à Eton. Mon ancienne manière de voir Il ce sujet me
revint dans toute sa fraîcheur avec une force d'un comique
irrésistible, attendu que Coleridge, voulant appuyer son
opinion' de citations tirées des livres, ne manque jamais
de citer des endroits rêvés par lui-même sans qu'on puisse
un instant le soupçonner de mauvaise foi dans ce déver-
gondage d'imagination c'est là même ce qui fait l'intérêt
de ce cas. Le sourire bienveillant de l'archidiacre à propos
de cette méprise étonienne me fit naturellement penser
au cas dont il s'agit maintenant, en ce qui concerne l'his.
toire de nos divergences dans la profession de mangeurs
d'opium. Il est inutile que j'en parle plus longuement, le
lecteur ëtantprëvenuque toutcequ'n ditColeridge aeesujet
estparfaitement lunatique, et ressemble auxscches sculptees
sur la lampe suspendue dans C~r~fa~. « Tout était des-
siné conformément aux images cérébrales du sculpteur.
Cette affaire peut donc être considérée comme
tranchée, et tout ce qu'elle pouvait contenir de diver-
tissant paraît véritablement épuise. Mais, après réflexion,
une autre erreur de Coleridge, erreur bien plus grave,
devient plus évidente comme elle est )iée à l'affaire
d'une façon qui explique à fond tout l'ensemble de ces
eon~ssions, l'on ne saurait la laisser de côté. Tout lecteur
attentif, après quelques instants de réflexion, sentira que,
quelle qu'ait été la cause occasionnelle qui nous entraîna,
Coleridge et- moi, à l'usage de l'opium, elle ne peut expli-
quer l'usage continu de ~'q~t'Mt)!.Ni le rhumatisme, ni le
mal de dents ne sont des maladies qui durent et habitent
dans l'économie. Tous deux sont intermittents, et ne peu-
vent nullement expliquer une, habitude permanente de
mangerdeTopiuut des mois x~nt n~ststires pouf en
4~ com'tHmoNs

mw
arriver !<t. Bn tenant compt< des. dinerences constitution.
MUes, je dirai qu'en'moin& de cent vingt jours, l'habitude
de l'opium n'est pas si profondcment enracinée, qu'il faiUe
an enbrc surhumain sur soi-même pour y renoncer, et
même lit' quitter tout d'un coup. Le samedi vous eMs un
mangtur d'opium, le dimanche vous. ne t'êtes plus. Quelle
est donc la. cause qui fit de Cotend~e l'c9c]ave de l'opium-,
un esclave qui jumais ae put rompre $a chaîne? Dans-son
éternelle; légèreté, il imagine qu'il a expliqué cette habi-
tude et cet esclavage, et il n'a pus dit un Mot qui puisse
éetairer cette question. Le rhumatisme, dit-i!Fa conduit
!~iun), tret bien, mais avec un trai«m<ant médical
approprié; le rhumatisme aniMMtdiapartc; U fmnHt même
diaparu~nsfr~ifenteot, parler osei!)a!)OtMt ordinaires qui
font se succéder les causes naturelles. Er !a!doui~af cess:tac,
l'usage d~ l'opium aurait dû cessera I~ourqunr n'ea fut-H pa:
ainsi? Parce que Coleridge avait fini par apprécier !e
plaisir reniât que doano l'opium, et qu'ainsi; !e'véritable
obstacle qu'il s'imaginait avoic esquivé par quelque voie
mystérieuse, se représente devant iui~avec une ibrce infi)-
térée. L'attaque rhumatismale aurait pris nn longtemps
avant que l'habitude eût le temps de se former. Supposez
que j'exagère !a &ibiesscde l'habiiude probable ? Cela serait
également en ma faveur, et Coleridge nfavaitpns le~dMit
de'me refuser un-ptaidoyer dont il usait four lui-même.
C'est vëritaMemtnt un fait à. inscrire dans les annales des
erreurs volontaires de l'liomine, que Gotendgemt pu tenir
~ta tel langage devnnt telles réalités. Moi,.q<ti.nc vais pas
proclamant mes victoires sur moi-même,, et qui n'emploie
aucun argument moral contre l'usage de lfoptutB, ;en'en
ai pas moins brisé plus d'une fois mon engage-.aent, par des
motifs de ~rM~tMC, a tors que j'ai fait pour cela des enbrts
qui'figurent dans mon récit comme les plus ardues des
souffrances. Goleridge qui professe, sans' en donner de
ïnonts, que manger de l'opium est un crime, et'un, crime
phi~grave, ponr des TâJHoas. myst~t~t~M~~p~~ hssx.~u
t~'UN MAKGKUR O'OPtUM ~)

vin ou du porter, et .qui a, par suite, les motifs les plus


graves pour s'en abstenir, n$ s'en laisse pas moins choir
dans les liens de ce maudit opium, et ce):) dans les condi-
tions les plus cruelles dont on ait jamais parle, sans y être
obligé, sinon par le peu qu'il nous en a dit. U était l'esclave
de cette puissante substance, au .même point que CaHhan
l'était de Prospère il détestait son despote. Comme Cali-'
ban, il use les fibres de son coeur contre les anneaux de
s:tchaine. Parfois, a quelques reprises, pendant les sombres
veillée*) de sa captivité, vous entendez les grondements
ëtouBës d'une révolte impuissante, dont la brise vous
apporte les dernières vibrations
Itaxquc tconmn
Vincta rccus.mt'~n

Recusanttim,- on refuse, c'est vrai, on refuse, et on accepte


sans cesser de protester contre le mors impitoyable et
tout-puRsant, et pour toujours, on se soumet, on se le
laisse mettre à la bouche. Ceci est connu a Bristol (pour
cette ville je puis en répondre moi-même, mais la chose
est probablement vraie pour d'autres), il en était venu à
– commissionnaires,
payer des gens, charretiers, etc., –
afin qu'ils l'empêchassent par force d'entrer chez les phar-
maciens. Mais comme l'autorité qui permettait de l'arrêter
venait de lui seul, ces pauvres gens se trouvaient naturel-
lement pris' d'ans un piège métaphysique tel que ne l'ont
prévu ni Thomas d'Aquin, ni le prince de la casuistique
des ]ësU'tes. Erce redoutable dilemme devait amener des
scènes d'ans le genre de celle-ci
– Oh, Monsieur, disait le commissionnaire d'un. ton.
suppliaut (suppliant, niais. assez impératif, car qu'il se
montrât dispose a l'ëner~'e~ou aux concessions, les cinq,
shillings pan )ourqufattendait! le pauvre homme ctaienc
également compromis). Monsieur, il 'ne faut pas. Mon-
sieur~ !Hechissez~ songez à votre femme, et.
44 CONMSSt&NS
Le philosophe transcendantal. Ma femme 1 Quelle
femme ? Je n'en ni pns
Le commissionnaire. – Mais vraiment, Monsieur, vous
avez tort; vous me disiez pas plus tard qu'hier.
Le philosophe transcendantal. Peuh 1 hier est passé
depuis longtemps, Savez-vous, mon garçon, que des gens
tont morts pour n'avoir pas eu de l'opium à temps ?
Le commissionnaire. C'est possible, mais vous me
disiez de ne rien entendre.
Le philosophe transcendantal. C'est absurde. Un
accident ennuyeux, un accident est arrivé, tout à coup.
Peu importe ce que je vous ai dit il y a longtemps ce que
je vous dis à présent, c'est que, si'vous n'ôtez pas votre
bras qui m'empêche d'entrer chez ce brave pharmacien,
je vais avoir de quoi vous assigner pour coups et violence.
Est-ce à moi de reprocher.à Coleridge cette soumission
servile à l'opium Dieu m'en "préserve. Ayant moi-mêh.e
gémi sous ce joug, je le plains, je ne le blâme pas. Mais
assurément il doit s'être imposé à lui-même une telle servi-
tude, en toute liberté et pleine conscience, par son propre
désir de se donner les stimulations géniales; !e blâme ne
vient pas de moi, mais de Coleridge lui-même. Quant à
moi, dès que cessaient les tourments qui m'avaient forcé à
chercher un soulagement dans l'opium, je renonçais à
celui-ci, sans avoir. le mérite d'une difficile victoire, pré-
tention que je ne mets nullement en avant. C'était le
simple instinct de la prudence qui m'avertissait de ne pas
jouer avec un instrument si terrible de consolation et de
soulagement, de ne pas gaspiller, pour un instant de
malaise, ce qui contenait un élixir de résurrection au sein
même des ouragans capables de tout bouleverser. QueUe est
donc la cause qui, en réalité, a fait de moi un mangeur
d'opium ? Cette anection qui a fini par étabiir en moi
t'<Mffe de rbpium, quelle ~tait-eHe ? Etait-ce la dou-

Voyez(~Mo.
O'UM MAKGEUK n'ODUM

teur? Non, c'était l'abattement. Etait-ce la disparition


accidentelle de la lumière du soleil? Non, c'était la livide
désolation~ Etait-ce une obscurité qui pouvait se dissiper ?
Non, c'étaient des ténèbres fixes, perpétuelles, c'était
« !<'ëc)!pse toute,
Sans espérance d'un jour nouveau

Mais d'où venait cet état ? QueMes en étaient les causes ?


H venait, je pourrais le soutenir sincèrement, des misères
de ma jeunesse à Londres. !1 est vrai que ces misères
étaient dues, en dernière analyse, à mon impardonnable
folie, et qu'a cette folie je dois bien des ruines. 0 esprit
d'interprétation compatissante, ange d'oubli pour la jeu-
nesse et ses erreurs, toi qui exauces toujours comme si tu
entendais la musique délicieuse d'un lointain concert de
voix féminines! 0 choeur qui intercédez, ange qui oublies,
consentez à vous réunir, pour mettre en fuite la fantôme
puissant, qu'ont engendré les brouillards du remords Il
vole à ma poursuite, il s'élance du sein des jours oubliés,
il grandit toujours, il prend des proportions colossales; il
s'élève au-dessus de moi, et son ombre pèse sur ma tête,
comme s'il était derrière moi, tout près, et pourtant sa
naissance date d'une heure qui est écoutée depuis plus
d'un demi-siècte. 0 ciel, se peut-il qu'un enfant de dix-sept
ans à peine ait, par un aveug!ement passager, pour avoir
écouté le faux, le menteur conseil que lui donnait son
coeur exaspéré, pour un seul pas hors du chemin, pour un
simple mouvement à droite ou a gauche, se peut-il que sa
destinée ait changé de direction, que le poison ait souille
les sources de son bonheur, qu'un clin d'oeil ait fait de
toute sa vie un constant remords 1 Mais, hé!as, il me faut
rester dans les réalités des choses. Ce qui est évident, c'est
que parmi les amers reproches que je me fais à mot~mè'ne,

'Vo~«&!MM)t<M!!fM.
4~ CO}(FSSSO!<S
etque m'arrachent aujourd'hui les douleurs évciMëes par
mes souvenirs, ce n'est pM pour combiner des excuses
pIaunMes ou échapper au blumc, que je fais remonter
mon<'lMtb!tude dénnittM de l'opium jusqu'aux besoins
qu'ont crée en moi mes anciennes souffrances dans les
rues de Londres. Car si le contre-coup de ces nou<ïrances
de Londres m'a forcé, plusieurs années «près, a employer
l'opium, il,n'est pas moins vrai que ces souftrances eUes-
mêmes avaient pour cause ma propa e folie. Ce qui demande
à être excuse, ce n'est pas .l'usage de l'opium, si l'opium
est devenu le seul remède efncace pour la maladie ce sont
les folies qui ont elles-mêmes produit cette mtdadie.
Quant à moi, après être devenu un mangeur d'opium
par habitude, après etretomba par inexpérience dans de
pitoyables excès d'opium, j'ai néanmoins lutté quatre fois
avec succès contre !n domination de cettes~bstance. J'y ai
renonce quatre fois, j'y ai renoncé pendant de lon~aes
périodes, et si j'y suis revenu après des énexions lucides
et persévérantes, c'est que de deux maux, j'ai choisi le
moindre de beaucoup. En cela je ne vois rien qui demcnde
une justification. Je le répète une fois encore, ce qui me
tourmente ce n'est pas l'empli de l'opium, avec ses éner-
gies qui tranquillisent et vont jusque dans les dernières
profondeurs apaiser les maux causes par mes souffrances
de Londres; c'est l'extravagance de la folie enfantine qui
me précipita au mitieu de scènes qui devaient amener ces
souffrances comme tésultat naturel,
Ce sont ces tableaux que je vais retracer.'Il se peutqu'i!~
aient par eux-mêmes un intérêt qui leur mérite un court
souvenir. Mais, en ce moment, et dans les .circonstances
actuelles, ils sont devenus indispensables pour rendre intel-
ligible tout ce qui. suit. Ces incidents de ma Jeunessefbrment
le s)ibsiratum ~fondamental, le secret MM<t/ des rêves res-

Le motif. Le terme de motif est employéici dans le sent que )e9


artistesetles amateursd'art attachentau termetechniquede <Vof;fp,appii-
qué aux tableaux,ou aux devetoppemeuts successifs d'itmiMmeamsiciU.
D'UNMANGEURt~OPtUM ~y
1
ptendissants, des déploiements fantastiques qui étaient ea
tealitë l'objet de ces confessions, et qui le sont encore.

Mon père mourut lorsque j'avais sept ans. }Haissait ~ix.


enfants, moi compris, savoir quatre lUs et deux fuies, aux
soins de quatre tuteurs et de ma meff, « qui tu loi on don-
nait aussi l'autorité. Ce mot excite un frémissement de
colère dans mes nerfs, tont le pouvoir spécial du tutorat,
tel que l'exerça l'un d'eux, a -eu d'influence sur l'erreur
unique, mais capitule de mon onfancu. Elle n'aurait pas
été surp<)<sëe par ma folie, si celle-ci n'avait pas été aidée
par l'obstination des-autres.
L'amer souvenir de cette'faute de <na part, de cette obs.
tination chez un tuteur qui m'était hostile me fera pnr-
donner si je m'arrête un instant a considérer les devoirs
légaux de cette charge.
A mon avis, il n'est pas dans !a société humaine, quelle
que soit sa forme de civiiisation, un devoir impose par la
confiance ou la loi, qui ait été aussi souvent expose aux
effets de la nëgHj~ence ou même de la perfidie. Pour les
temps classiques de la Grèce et de Rome, la comparaison
de nombreux détails m'a donne cette impression que de
toutes les formes de l'autorité domestique, nulle n'a, plus
qua ceUe-ci, ouvert un vaste champ a la rapacité facile à
la concussion. Là relation de père à fils, telle que 'l'était
celle du patron au client, était généralement dans la pra-
tique de la vie ordinaire, l'objet d'un amour et d'un dé-
vouement tout religieux, tandis que les devoirs sacres d'un
tuteur envers son pupille-avaient leur véritable origine,
leur source dans les plus tendres adjurations d'un ami mou-
rant bien que rappelés à l'espritparle spectacle continuel
des orphelins sans protection qui jouent autour des-préci-
ptces caches sous les fleurs, ils ne parlaient que rare-
ment a la sensibilité d'un 'Romain avec le ton impsrntif
d'un oracle. Les obligations qui influaient sur le Romain,
dans un sens purement moral, étaient bien-peu nombreuse,
4~ COM~ttMtONt
ti même il en existait. Les pures sources de l'obligntion
morale avaient été profondément empoisonnées a Rome
par la loi et la coutume. Le mariage s'était corrompu de
lui-même par la facilité du divorce grâce aux suites de
cette facilité, c'est-à-dire à la légèreté dans les choix, à
nnconstance à rester fidèle dans ce choix, il en était ré-
sulté un si subtil trafic d'égoïsmc, qu'il ne pouvait assortir
un modèle idéal de sainteté. L:< relation du mari et de la
femme avait perdu à Rome tout ce qui en fait le caractère
moral. La relation du père et du fils avait perdu de même
toute sa sainte tendresse, sous l'innuence écrasante et !e
poids impitoyable des sévérités pénates et vengere&se!. Les
devoirs du client envers son patron n'étaient point fondés'
sur la simple reconnaissance ou la simple fidélité, corres-
pondant à ce que le moyen âge nommait ~«H~, mais sur
une terreur liée à la prudence, terreur qu'inspirait ou
loi où l'opinion sociale. Dès que la loi intervient dans les
mouvements des plus hautes affections morales, c'en est
fait de la liberté d'action, de la pureté des motifs, de la di-
gnité dans les relations des personnes. C'est ainsi qu'en
France avant !a Révolution, en Chine à toutes les époques,
la loi positive n'a pu venir en aide à l'autorité paternelle,
sans produire les plus désastreux effets. En ce. qui con-
cerne l'ancienne histoire de Rome, on peut dire que ce vice
originel.et primitif atteignant la sainte liberté des atïections
humaines, a eu pour effet de détruire toute inspiration de
la conscience dans les temps postérieurs, et dans toutes les
directions. Par suite, chez un peuple qui devait à !a nature
.des principes plus élevés que n'en possédait la Grèce, si
-l'on excepte les explosions d'esprit public et de patriotisme
et trop souvent d'un chauvinisme sans noblesse, le .motif
des actions ne s'élevait pas au-dessus t" de la stricte léga-
lité; 2~ de la crainte superstitieuse; 3*' de la complicité
servUe* avec les exigences insolentes de l'usage populaire.
.11 eût donc été étrange que le tuteur d'orphelins obscurs,
entoure de tentation~ ayant M portée les moyens
!)'UHMANOEUK
n'OPtUM ~<)
de iM MtJnfaire, se' fût montre plus fidèle à son mandat
que ie gouverneur des provinces, un préteur ou un
proconsul. Et qui montra plus de perfidie, plus de rapa-
cité ? Bien rares ét'ient les gouverneurs intègres qui n'ac-
ceptaient aucun présent des coupables, n'extorquaient pas
de rançon aux faibles. Et pourtant, en qualité de déposi-
taire d'un pouvoir public, un gouverneur était surveillé
par la jalousie de eompétiteurs politiques; il pouvait avoir
à faire face à un interrogatoire solennel dans le sénat ou
dans le forum, ou dans l'un at l'autre. Mais le tuteur qui
remplissait une t3che privée envers des orphelins était as-
sure que l'attention du public ne se porterait jamais sur des
anatres si obscures et si dépourvues d'importance poli-
tique. Oh peut donc admettre en raisonnant par analogie,
que, pour un Romain, !e tuteur particulier était forcement
un délinquant secret, qui mettait pront les occasions et
les droits de sa charge pour travailler à la spoliation et à la
ruine de l'héritage connë a ses soins. Ce vice mortel et
destructeur de l'époque païenne a dû mille fois épaissir
les ténèbres qui entouraient le lit de mort des pères. Trop
souvent le père mourant lisait avec certitude dans l'expe-
fience de toute sa vie la perspective-de suspendre sur ses
enfants un danger distinct et imminent, alors qu'il cher-
chait pour eux une -protection toute particulière. H lais-
sait derrière lui une maison peuplée d'enfants, une petite
flottille (on pouvait la représenter ainsi) de charmants vais-
seaux, prêts à lever l'ancré, sur le point de partir pour tra-
verser les infinies profondeurs de la vie, il faisait le signal
d'appel pour les escorter. Un homme ou deux, ceux qu'il
connaissait le moins mal parmi les hommes qui avaient
parcouru les mêmes mers, s'ocraient pour cette tàche il
acceptait avec doute, avec chagnn, avec effroi. Au moment
où les .traits deses enfants s'enaçaient dans le brouillard de
la mort,sonâme devenue prophétique était traversée
parune é
horrible pensée; peut-être l'escorte, cédant aux tentations
pressantes de l'occasion, aHait.ellese changer en corsaire,
4
~0 eONfMStOSS
tout au moins en voleur; peut-être le tuteur deviendrait-il
de paru pris un e~dùeieur perttde pour l'iMxperieuee de
ses enfants.
Cette aggravation des angoisses qui assirent le !it de
mort des pa<en<&enlevés à leurs enfants en bas âge a été
dis~ip~ par l'innuence libératrice qu'a exercée le ehri-ni~.
nisme en s'étendant de siècle en siècle. A notre époque,
partout où l'on respire un air purifie par la charhc oh-c.
tienne, par les principes chrétiens, ce fléau domestique
s'est atténue peu à peu, et dans l'Angleterre actuelle, il n'v
a pas de sorte de fraude, dont on entende parler plus rare-
ment. On en -trouve une preuve dans k peu- d'tatepet
qu'inspire en générai l'absolue sécurité cherté par !t Cour
de la chanceuerie. Aussi, mon père bénéficia pour te repos
de ses derniers moments du bonheur de son temps et de
son pays. H choisit pour tuteurs de ses six enfants les per-
sonnes qui; parmi ses relations, lui oS'raieM }e plus de ga.
ranties; il tit appel, .'dans le cercle de ses amis intimes, a
ceux qui occupaient le plus haut degré dans son idéal
d'honneur et de sagesse pratique; ensuite, comptant, pour
compenser ce qu'il y aurait de trop dur dans l'influence de
quatre hommes, sur le pouvoir discrétionnaire dont ma
mère était investie, il sentit ses inquiétudes se dissiper. De
tous ces tuteurs, aucun ne se montra indigne de son choix
au point de vue de l'honneur et de l'intégrité. Mais,
après
tout, il y a une limite (plus vite atteinte peut-être eh An-
gleterre que dans le reste de la chrétienté) pour le bien que
l'on peut réaliser par une sage prévoyance. Oh peut dire
de la race anglaise avec plus de justice que de toute autre,
que nous ne sommes pas des fainéants chez nous, riche,
pauvre, chacun a quelque chose à faire. C'est en Italie que
nous trouvons des paysans qui passent les deux tiers de
leur temps à ne rien faire. C'est en Espagne qu'il faut aller
chercher une aristocratie physiqaecaeat dégradée par l'a-

Hest reconnu par des ~oya~ear!. – :6it tt~tais, soit fun~is, soit
~tman~~qaero~pe ducatd'E~F~M, tMKMi~Usementàt'ëMr: d<
D'UM MANtWMt O'OfiUM ~}
.1" 4
vitisMnteeducation des femmesetdespretres etqu'on trouve
des prince qui, comme Ferdinand VI I, se Rusaient gloire
d'avoir brodé un jupon. Dans notre génération actuelle, on
peut compter sûrement que le tuteur exercera ses fonc-
tion!: avec une loyauté consciencieuse, en eo qui concerne
i'intcrct de ses pupilles, mais on tant qu'elles exigent une
vi~itance de tous les insunts, et de la prévoyance à longue
date, eUcs sont, à vrai dire, à peine compatibles avec l'état
prient de notre société nngiaise. Les tuteur,! choisis par
mon père, lors même qu'i!s eussent été les plus sa~s et!es
plus énergiques des hommes, n'aureient pu réaliser, dans
bien des occasions, ses secrets désirs. Parmi ces quatre per-
sonnes, l'un était marchand. Je ne prends pas ce mot au
sens étroit qu'on !ui donne en Ecosse, d'après le mot cm*
pruntéâia France, où jamais les princes n'ont exerce le
common: tnais dans le sens large et noble de l'Ang~
terre, de Florence, de Venise. Par suite ses relations etcn-*
dues avec les ports de mer et les colonies lointaines absor-
baient son attention, exigeaient noëtne sa présence, l'enïe-
vaient à sa vie domestique, et l'on ne pouvait s'attendre à
ce qu'il fit davantage pour ses pupilles; il devait se borne!'
à surveiller somnMirement leurs intérêts pécuniaires. Notre
second tuteur était un magistrat rura! d'un district popu-
leux aux environs de Manchester, et à cette époque même,
il était aux prises avec une population turbulente et tou-
jours plus nombreuse d'étrangers, Gallois et Irlandais. Lui
aussi, accablé par les occupations de sa charge publique, il
avait peut-être le droit de penser qu'il avait entièrement
rempli ses devoirs de tuteur quand il se tenait prêt à agir
à propos de quelque difficulté accidentelle; et dans les cas

ce que, dan; te Kentacky,l'onnommeraitune n'étb~e rude et tarba!e!)f~


(roag hand tumbte)d'eduMtionpoputnire.trahit jusquedans )'extent<net
ted~tfoppement physique les eSeM~vidects d'h~bitM<iM ea'<mineM qTti
cet agi pendant plusieurs genetation?. ii serait intéressant <!ecom):!tfe
sut ce point ia vérité exacte,mais la vérité nontravestiepar des pr~)U{ie$
aati&Maxet démocratiques.
5t CONFESSIONS

ordinaires, il se reposait de ses devoirs sur ceux qui avaient


plus de loisirs.
A. cène uerniëte catégorie appartenait assurément le
troisième tuteur, le révérend Samuel H. qui, à la mort
de mon père, était.vicaire d'une église, à Manchester ou à
Salford, à ce que je crois'. Ce personnage faispit partie
d'une. classe que la nature. de l'homme a nécessairement'
rendue nombreuse en tout temps, mais qui l'était encore
plus alors qu'aujourd'hui. La classe dont je parie est
celle. qui ne possède aucune sympathie pour le sens intel-
lectuel et les facultés intellectuelles de l'homme, elle con-
sidère la religion comme un code de règles respectables,
fondées sur de grands mystères tracés obscurément, et
rappelés à la mémoire dans certaines grandes fêtes ecclé-
siastiques. Celles-ci ont été établies par les Eglises primi-
tives de la chrétienté, par exemple par l'Eglise anglicane,
qui-ne date que de la Réforme, par 'l'Eglise rvmaine, par
l'Eglise grecque. Il avait composé un recueil de trois cent
trente sermons environ, à raison de deux par dimanche.
il y en avait:pour:un cycle de trois ans; sa modestie lui
faisait regarder ce temps comme suffisant pour assurer
l'oubli total de son éloquence. Un impertinent aurait pu
soutenir qu'il fallait beaucoup moins de temps pour pro-
duire cet e8et, car les sujets traités ne s'élevaient pas au-
dessus du niveau de conseils utiles, et !e style, sans man-
quer de correction-académique. n'était pas d'une passion
entraînante. Gomme p'édicateur.M. H. était de bonne
foi, mais il manquait de vivacité. C'était un homme bon et
consciencieux il regardait la chaire commeun instrument

Sa!fordest une grande ville, séparéelégalement.de Manchesterpour


des rations électorales,séparée physiquementd'elle par cce rivière, mais
à cela près, au point devue des relations et de t'inauence,eétait un. quar-
tier deManchester,commeSouthwarkest un qûartitr de Londres. Si le
!e<tM)'~eutse faire une idéede celle situation par un souvenirctassique,
c'était Je tn~merapport qnecetui d'Argos avec Mycfnes.Uneinxitation à
dtner, procfamee par le herau)t pub)ic d'Ar~o~.pouvait s'entendre du
milieu deMycene! et un gourmandt'aurait entenduedes faubourgs!et
p!<p~"j &itentenu était M[Ueuti<.t'cmedtetM.meant.
Ï)'UMMANGEUR n'OPJUM $3
'<–i~i-<t'
civilisation devait aider les livres. ~<*
actif de qui Mais quand
on prend des sujets aussi terre à terre, aussi ternes, aussi
décousus que ceux-ci les bienfaits de l'activité, le danger
des mauvaises compagnies, la nécessite des bons exemptes,
les effets de la persévérance, il est difficile de produire en
soi-même et chez ses auditeurs un courant énergique de
passion. H est vrai que ses auditeurs ne formaient pas une.
classe qui eut grand besoin d'émotions \'i\es. Elle n'était
pas composée de gens de rien; beaucoup d'entre eux étaient
riches et venaient a l'église en voiture. Le résultat naturel
de l'estime qu'ils avaient pour mon tuteur fut qu'un cer-
tain nombre d'entre eux s'associèrent pour lui bâtir une
égu!e, celle de Saint-Pierre, à la rencontre de la rue Mo-
rely et de la future rue d'Oxford, qui venait d'être décidée
et qui alors n'existait que sur le plan d'un ingénieur. La
circonstance qui me mit en rapports individuels avec
M. H. fut celle-ci deux ou trois ans auparavant, un de
mes frères qui était mon aîné de cinq ans, et moi, nous
fûmes confiés à ses soins pour recevoir l'instruction clas-
sique. Cela fut fait, je crois, pour obéir h une volonté su-
prême de mon père, qui avait une estime bien fondée pour
le caractère de M. H. mais qui se faisait une idée trop
haute de sa valeur comme lettré, car il n'entendait rien au
grec. Quoi qu'il en soit, il en résulta que ce gentleman,
qui auparavant était notre tuteur à tous dans le sens que
les Romains donnaient a es mot, devint un <Kfor pour mon
frère et moi, dans le sens anglais de ce mot. Depuis l'âge
de huit ans jusqu'à celui de onze et demi, le caractère et le
fonds intellectuel de M. H. eurent donc une grande impor-
tance pour le développement de mes facultés, telles qu'elles.
Même les trois cent trente sermons qui se déroulaient sans
faire grand enet sur l'ensemble de.sa congrégation, contri-
buèrent en réalité à mon instruction. En fait, je n'enten-
dis que la moitié des sermons;. la maison paternelle de
Greenhay se trouvait alors en pleine campagne, Manches-
ter ne s'étant pas encore agtandi jusque-là, l'éloignement
3<t CO.4FESSlONS

noas oMigeait !< prendre une witure,


pMM~ot le service du
matin. Mais chaque sermon de cet
office m'était icoposé
comme un texte sur lequel ;'avais à improviser dojtx sortes
d'imitations. tantôt le diminutif, la miniature, tantôt l'ttm-
puacation oratoire, en conservant autant que potM&tt tes
expre~Hono original et aussi (ce qui m'impoaut un t~Rwrt
douloureux) l'ordre des idées. Ceta eut été bien &d!e, si
cesidccs avaient été rattachées naturellement les unes aux
autres, &i par exemple, elles avaient été !esdëve}oppMaeats
d'un sujet, mais teur disposition arbitraire, toute iottoite,
me rendait cet exercice aussi mataMp que de danser sur la
torde. Aussi, j'étais !e seul. de toute ia congrë~attoc', à
écouter avec une attention dévorante, à éprouver <teTen-
tation sous rinHu~oce n~~e de eerte parole qw cox!ait
sur les autres têtes, comme r«m mr des da!!es de ttxn~r~,
c'cst-â-dire sous l'influence endonnante de quelque «nnon
de mon somnolent tuteur. Mais cet ennui ne fut pa: entiè-
rement perdu; ces dont ta dufae ne dé-
mêmes sermons,
passait pas seize minutes, et qui étaient aussitôt oabHes
qu'approuvés par chacun, furent pour moi un exceHent

Tb)tt<<t<-<MtS)'ot!. –ï)s'<ts[t:eid'~i<tt9<!ont i'aiottNtOt'com:


tncn}eant ~«pargnait.ttors&m~ mùnoire.desftpde<nnm<op~<tr~.
Deux OM trois ans .plus tard, quand )'approc))!)i de tnj dixi~toe année,
l'église de S&int-Pietfe fut terminée et ouverte au service. 11y eut donc
tmetm)t<ertt)on d< t'ediSM par !que de <e diMtte (diee. <te Chtater).
En qualité de papiUt du tituteire. )e Sgttr~i mtartntment pM<ot!tt per-
sonnes invitées à cette Kte, et je me rappelle un petit incident qui montre
bien la httt< de ~CHtiments qui i) «e léguée à t'É);ttte d'Angteterre ~r
!ts Puritains du xvn* iiede.L'tptiM était tpattr~ite dans le t'j~< <r«;
assurément les ornenxnts extéricurs et nntrieurs étaient assez r~ret,
ossM maigres. Mais au centre du plafond, pour dimintter t'eftet mMtotmt
d'une vaste Mffftce Manche, onavait app~iqee .t!M tOMtt to pMtttie. tBpt)~
sentant uj)e.corne .d'abondance, avec des Heurs, des fruits. Pendant ji)u<
nous étions réunis dans la sacristie, recteur, gardient, architecte. et te
rtMedM <;&f!it yeat an gMBd 'intH'nutK'd'iH~~tutt, q*! ~tt~h
pas a s'exprimer en parties;~ T-ed~ttait qu~.t'~vt~Me oe ~e.crùt <tb)i}!c
comme les ieonoctastcs bourras de :6<t5, afntnnn~r ttn dcerct da pros-
cription contre cette simple orMratnttttionde )a:votte.Me<n!de eranne,
nous parcottrûttc~ ta;p<m<e <Mf,.A S)tite.<hu!p)M)«t. SaStij;<te)M'KJe'~
Jes yeux. rnai$,fut-ce par courtoisie, pu par approb.ation, ce _q- dont~e
-=~1'v:t:'¡¡'t1;
.1 Tt'Utt MAKGKUR H'OptUM $5

exercice de gymnastique mteUeetueue, bien plus en rap<


port avec ma ~ib)esse enfantine que ne l'eussent été les
sermons d'Isaac Barrow ou de Jëremie Taylor. Ceux-ci,
avec leur luxe d'images, auraient ébloui ma pauvre vue, la
grandeur gigantesque de leurs idées aurait accablé les ef-
iorts de mon intelligence. En fait je tirai donc de cet exer-
cice hebdomadaire !e plus grand profit. Peut-être aussi se
forma dès lora une faculté qui ne devait mûrir que plus
tard je me plaignis longtemps, avec amertume, de ce que
l'emploi du crayon pour prendre des notes m'était interdit,
et ma mémoire avait :t supporter tout !e fardeau. Mais on
sait que plus l'on charge la mémoire, plus elle se fnriine,
que plus on a de confiance en elle, plus elle mérite
cette confiance. Aussi, aprts trois ans de cet c~ercic. .je
trouvai que ma facutte d'abstraire et de condenser avait
pris un développement sensible. Mon tuteur était de plus
en p!uss&Tis&it, mais par malheur (dans tes premierstemns
c'était ~wM!eur) il n'y avait d'autre moyen de vérifier
mon exactitude que de recourir au sermon même bien
qu'it fût sûrement caché parmi les 330, le mauvais échap-
pait aisément au coup de harpon. Mais ces recours de-
vinrent de plus en plus rares, et comme je l'ai dit, mon tu-
teur était chaque fois phjs cou.tent. D'autre part, on se
demandera si j'étais toujours content de lui et de ~es trois
cent trente sermons Oui, je l'étais, j'avais afïection et
conSance, sans arncre-pensce, sans reserve, grâce aux
principes de vénération profondément enracinés dans mon
caractère, lorsque je rencontrais une expression de force
supérieure à la moyenne ordinaire de mon tuteur, jamais
il ne me yint~ l'esprit qu'il fût mains bon, moins intel-
ligent que les autres; je Je trouvais simplement différent.
Je ne lui cherchais pas querelle pour son engourdissement
caractéristique, pas plus que je n'en aurais voulu à un ruban
vert de n'être pas bleu. Un simple hasard fit qu'un jour
je citai un distique qui me parut sublime. il était question
d'un prédicateur, comme il en'apparaît parfois dans'les
56 CONf(!M<ONt

temps difficiles, aux époques d'e!Ïervtscenee, un Hhdu.


tonnerre, qui regarde en face tous les ennemis, et qui re*
lève un dén, alors même qu'il lui, serait facile de t'éviter.
Ces vers ctnie.nt de Richard Baxter, qui se battit souvent
nvee des orages qu'il avait crées tui-mcme, depuis l'au-:
rore de la guerre parlementaire en (G~a, pendant )'! période
de Cromwell, qui le détestait cordialement, et enën jusque.
sous les règnes timides de Charles H et de Jacques Il.
Comme orateur religieux, il était peut-être le Whittield du
xv)t* siècle, le I.eMConowM de Cowp<;r.
Voici comment il décrit l'ardeur passionnée de sa prédi-
cation
< Je prêchai comme tûrement je ne prêchera! plus, »
cela est déjà quelque chose, mais Ja suite est un coup de
tonnerre..
« Et commeun homme qui meurt~à des hommes qui meurent.
Ce distique, qui me paraissait de l'or en bâfre, pas
tant par son éclat que par sa pesanteur, dévoilait w!
autre aspect de l'Église catholique, et la révélait comme
une ÉgHse de soldats et de croisés.
Par là je ne veux point pourtant sigoa!er utMHmperfec-
tion positive chez mon tuteur. Lui et Barrer avaient été
placés par le hasard dans des générations dinérentes. Le
sièc!e de Baxter, du commencement jusqu'à la fin,' était
révolutionnaire. Pendant toute la durée de ce xvu* siècle,
les. grands principes du gouvernement représentatif et les
droits de la conscience traversaient les épreuves douiou-
reusesde la résistance et d'une dure expérience. Mais de mon
temps, a ta Sn du xvm* siècle, il est vrai que tous tes été-
'.Les droits de la conscience. !) est ptnjMe de constater que Baxter
n'ev*!t aucun goot pour eux. t) qualifiaitla tolérancere!)gteu!ele n)eur*
tfodes~met'. Et quand on lui objectait que c'était à l'intolérancereli-
~icusequ'i) devatt ses plus crueite!.souti'r.tnce!.)! r~potd~it < Aht~5
Ci~ttaient bien différent:; j'avais raison, tandis'quel'immentemajoritéde
ceux qui profiteront de cette nouvelleinvention qu'on nommetolérance,
.&oatdansune erreur révoltante. <
n'UN MAKOEUK D'OPtUM ;y
mentt de.Ia vie sociale furent jetés au creuset; toutefois il
s'agissait de nos voisins, et non plus de nous-mêmes. Dé-
sormais on n'avait plus besoin du prédicateur héroïque,
prêt au martyre, et parlant « comme sûrement il ne parie-
rait plus Aussi je ne songeai plus à reprocher à mon
tuteur !e manque d'énergie pour combattre contre des
maux aujourd'hui' oubliés, il n'avait pas davantage le de-
voir de se lancer avec un dévouement patriotique, dans un
gouffre, comme le Romain de la fable, Curtins, ou de
monter sur un échafnud par zèle pour la liberté, comme
Algernon Sidney, le véritable martyr anglais. Chaque di.
manche me ramenait régulièrement cette cruelle inquié-
tude. La nuit du samedi, par cette triste prévision, la nuit
du dimanche, après une expérience encore plus triste, )e
dormais mal; mon oreiller était bourré d'épines; tant que
le lundi n'avait pas ramené l'inspection du matin et la re-
vue d'armes, et ensuite la nn de la parade, puis le cpM~,
je me sentais dans l'état d'un sous-ofncier en mute, au mo-
ment où il va passer en conseil de guerre. Supposez que
le lundi soit envahi par quelque intrus assommant, pnr
quelque visiteur faisant partie de la troupe des parents
pauvres qu'avait mon tuteur. Il me semblait en voir four-
miller dans quelque partie' inconnue du Lancashire; un
seul cri de <ccaw, caw les faisait envoler par nuage épais,
comme les corbeaux, et ils venaient s'installer pendant des
semaines a la table de mon tuteur, et de sa femme, qui,
dans.leur hospitalité généreuse, n'auraient pas laissé le plus
humble d'entre eux sous la triste .impression d'un accueil
glacial. Dans ces circonstances il pouvait arriver que la se-
maine entière se passât sans mettre un terme à mes ennuis.
C'est.ainsi que pendant trois ans et demi, c'est-à-dire
depuis ma huitième jusqu'après ma onzième, année nous
vécûmes en bonne intelligence, mon tuteur et moi. I! ne
se factia.it jamais, et a vrai dire il n'en avait aucune occa-;
sion; de mon côté, je ne laissai pas voir ce que je trouvais
d'odteux dans ma tâche (et elle l'était d'une manière abo-
58 comt~i<M'

miaxbt~), M h* f~ble <Hbr< qu'été me contai:, après que


l'habitude m'eut rendu 'capable de la remplir ~v~: une
tMMtce prë4<>mptueute. En dernier lieu, je M trouvais
aucune facilité A exécuter cet exercice hebdomadaire, qui
ne cessa jamais d'être « une épine dans la chair x. Je.crois
que mon tuteur, comme certaines divinités cru<ll(;sdu Pa-
ganisme, respirait un parfum d'encens brûlé, 01 voyant
rotation, l'irritation inquiète ~u'il entretenait, comme
une. vestale surveMc !e ~u sacré, par ce tourment perio
dique. éprouvait du plaisir à me poursuivre jusque dans
mes s<M)~s. asile &ûr a;etne pour un paria, si bien que le
dimanche, ce )oarqin ouvre aux hommet, et même aux
animaux, te~ poftea du repos, éMtt pour moi un.jour de
martyre. Mais après tout, il est possible qu'il n~ait rendu
service, car !< constitution matadiv<* de mon espfit ne
m'enirainait que trop vers te s<MDM. de la rêverie sans
nn, et l'cbignement de ]a vie et de ses reatités, que je
fuyais dans des Astractiôns chin~enques..
Qu'il fût utile ou non, mon séjour chez coon tuteur tirait
à sa fin. Quelques mois âpres Je onzième anniversaire de
ma naissance, Creenhity* fut vendu, et la maison de ma
mère, enfants et domestiques, futtransportëe à Bath. Pen-
dant peu de mois, mon frère et moi no~s fômes laissés aux
soins de M. Samuel H. du moins en ce qui concerne
notre éducation. Quant au luxueux contortabte d'une vert-
table d':meure anglaise, nous devînmes, par une invitation
spëeiate, les hôtes d'un jeune ménage de Manchester,M.<:t
Mme K. CetëvéncnaeM, bien qu'il n'ait pas. eu de suites,
a laissé en moi des sentiments d'une inexprimable profon-
deur, il forme comme une parenthèse ~iamanMe de boN-
heur intime, tel quel'homme !e coanattuae fois~ une

Ct-Mata~– Maison<fe campagne bâtie par mon père. A i'~pnquede


sa construction (<7<)tou 1792),elle était ~toignéed'un j;r:tnd-mij)edes
dtrniefM m~spnsde MtnttMter.ai~tnainteaaut, tt m~roe<jc.)tusjM)f;.
temps,e))e été at~etnte.fa'' tes r~i~s.MMois~eoM.ntsde.eeU~tmu.tf
MUC, etaepois JOngKOpSabsotMe da)~i<pn bruys)!:et vmtë to.trbition.
D'UM MAKGtUm D'OPtUM

seuk.daas~outt' une vie. M. K. était un jeune ax~c!t!H)d


qui devenait Américain; je veux dire par là que c'était UN
An~!ais qui exportait aux Ëta~-Unis. H avait épouse, trois
ans auparavant, une jolie et charmante jeune femme, bien
éievëe et douée d'une remarquable largeur d'intelligence.
Mais le trait distinctif de cette maison était l'esprit d'amour
qui, sous l'influence bienfaisante de la maîtresse, se répan-
dait chez tous ceux qui en faisaient partie.
Feu te docteur Arnold, de Rugby, entre autres idées
nouvel qui n'ëMient pas toujours bien accueiUies mcmc
de ses amis, insistait fréquemment et-avecibfce sur e~le-
ci, savoir que notre système social en Angleterre tt~tt me-
nace d'an grand péril, par la sëparat~n inexorable tNK'e
nos classes s!evces et nos classes laboneuses; que, si Jt'o)a
n'adoptait pas un tMO.~ v!f<M~! plus conciliant entre ces
deux n-actionStJiver~entcs de notre corps social, ou tout
autre moyen, il fallait s'attendre à une effroyable rcvotu-
tion. Ce n'est pas '!e lièu de discuter un &u}et aussi va'!te;
je me bornerai donc à faire deux observions. Voici !a
première Bien qu'un changement tel que le désirait le
docteur Arnold, si on le considère comme Ctuse, puisse
produire des effets avantageux, d'autre part, si on le
regarde comme effet lui-même, il constituerait Mne sorte
de société moins noble que celle que nous avons
possédée,
moins noble de beaucoup. Chez les nations où ~M classes
supérieures ont à l'égard des classes laborieuse~ et surtout
à l'égard des domestiques, un langage paternel et Menveiî-
lant, il en est ainsi parce que ces classes occupent une
situation élevée et qu'elles se composent de personnes qui
ont des droits civijs, en- face de personnes
qui n'ea ont
aucuns. H y a de tx siècles, quand un chef militaire lisait
à ses-soldats Mes enfants a, il agissait ainsi pafce ~u'H
c~KT!R dcspo~~n-esponsaMc, qui cxcrpaii sans coa~Ie
le droit de vie ou de mort. Mais dès le jour où les droits
légaux ont été concédés aux classes les plus pauvret, }e
respect iacvKS&Ic ccs'cissses supërtcures etetn: pour
60 CONft!SStONS
jours l'affection et fait. disparohre le langage avec lequel.
on traitait naturellement des classes en état de minurite
ou de sujétion enfantine.
Voilà ma première remarque. Voici la seconde Le
changement que demande le docteur Arnold,.soit qu'il le
promette ou non, est pratiquement impossible, ou, s'il est
possible, il ne l'est que dans un champ limité, celui de la
servitude doniestique. C'est là seulement que les deux
classes en question sont en contact continuel. C'est sur
cette scène qu'elles se rencontrent sans se heurter. ou
sortir de: leur place, et là seulement peut avoir lieu un
changement. Une sage maîtresse de maison, ayant ..assez
de tact pour allier une gracieuse affabilité avec une dignité
qui ne s'endort pas, qui ne lui permet pas de s'abaisser au
bavardage étourdi, s'attachera l'affection de toute femme
jeune et capable d'émotion. Telle était mistressK. Elle
avait gagné tout d'abord la reconnaissance de ses gens en
leur assurant un large bien'être; leur confiance en les
écoutant patiemment et leur donnant de sages conseils;
leur respect; en refusant de s'intéresser aux cancans, aux
propos qui n'avaient d'autre objet que des médisances.
Jusque-lù, il ne manque peut-être pas de maîtresses de
maison qui pourraient suivre son exemple. Mais le bon-
heur qui régnait alors chez-M. K. dépendait surtout de
causes toutes particulières. Les huit personnes qui l'habi-
taient avaient l'avantage de la jeunesse; les trois jeunes
servantes ressentaient l'influence.d'un enchantement tel
qu'on le voit rarement, par le spçctacle qu'elles avaient à
toute heure sous les yeux, tableau qui de tous est le'phis
propre à émouvoir une sensibilité iéminine; chacune
d'elles pouvait espérer, sans présomption, qu'il serait celui
de sa propre vie. Je veux parler d'une heureuse union
conjugale.entre deux personnes qui vivaient en si parfaite
harmonie, qu'elles étaient entièrement indépendantes du
monde extérieur. Ce qu'il y avait de tendresse, de satisfac-
ti,on ispme dans c~ttë union, .cHës~touvuiënt !ë voir, par
tt'UN MAKfiEUR R'OPtUM 6f

elles-mêmes. On était alors au milieu de l'hiver, époque


qui a pour effet de resserrer tous les liens domestiques.
Leur travail, comme dans toutes les maisons anglaises qui
sont bien ordonnées, était d'ordinaire achevé h deux
heures; lorsque arrivait le soir, et que l'instant où le maître
de la maison allait rentrer sans retard, s'approchait, rien
n'était plus gracieux que le sourire qui se dessinait
d'avance sur la jolie figure de la jeune femme; il y avait
plus de grâce encore dans le sourire qui se rëncchissait, à
moitié involontaire, à moitié contenu, sur les physiono-
mies des servantes, qui tympathisaient avec cette joie. Une
enfant, une petite HHe de deux ans, avait alors mis le
comble au bonheur des K. Elle se prêtait naturellement
a toute heure, et en tous les endroits à In fois, à ce qu'il
semblait, a compléter des groupes de famille. Mon frère
et moi, nous avions été, depuis notre enfance, élevés à
traiter les domestiques avec politesse; nous remplissions
les places qui restaient libres dans cette gradation d'âges
et nous ressentions à différents degrés la profonde paix
que nous ne pouvions comprendre ou apprécier d'une
-manière raisonnée. Parmi nous, il n'existait pas un mau-
vais caractère; il n'y avait aucune occasion pour des ja-
lousies personnelles; grâce au privilège de la jeunesse,
que nous possédions tous, il n'y avait.pas de passé doulou-
reux dont le souffle .se :fît sentir, on n'éprouvait pas les
inquiétudes irritantes qu'amasse l'avenir. L'Esprit d'espé-
rance, l'Esprit de paix, aiHsi que cela m'apparaissait quand
je me rappelais ce calme profond,,avaient formé pour leur
propre plaisir, une alliance fraternelle pour enfler une
bulle isolée de bonheur fantastique, pour faire le silence et
le sommeil pendant quatre mois, autour dune demeure
solitaire de huit personnes, au sein même des éternels
orages de la vie; il semblait que'ce fût une tente arabe,
plantée dans .un désert inconnu~ l'abri de.tout envahis-
sement humain. de tout soupçon même.de son existence,
~race à des sphères Qe:DrMutUafd'prctceteur.
6s co~rnssioxs

Qu'il était profond, ce repos! mais comme il était


entouré d'une atmosphère humaine, cwnbicn il était fr<
gtte! Cette bulle d'illusion se rompit-elle, tout d'un coupt' P
Non; elle se fondit peu à peu, on silence, comme un palais
de neige se dissout. Seldn la magnifique expression qu'a
employée Shakespeare, et qu'il n tirée de son a~nenne
~`
fantaisie, elle se dé-de&sina (dis)imned) comme un nuage
perd ses contours, par degrés ifnper<ep.iHe: Déjà ie mot
départ (mon frère et moi nous étions rappelés & Bath)
avait donné !e premier signal de cette dissolution. Ensuite,
fort peu de temps après, ce fat un autre signal confus,
l'alternance des mots joyeux et douloureux- le mariage et
la mort désunirent lo groupe cffcctueux des jeunes ser-
vantes. Enfin, en troisième lieu, mais bien des années
après, la maîtresse même de la maison, en même temps
que son enfant, quitta cette terre, quitta le repos le plus
doux que cette terre puisse souffrir, pour entrer dans un
repos plus doux encore. Bien des années, peut-eire vingt
àns après cette époque, un jour que, pour m'abriter contre
la pluie, j'étais entré dans une boutique, dans la rue la
plus animée de Manchester, le maître de la maison me-
montra un gentleman qui était de l'autre côte de la rue et
qui errait d'un pas incertain, paraissant touf à fait etran"
ger à l'attention qu'il attirait < Voyez, me dit le maître
de la boutique, c'était autrefois un des principaux négo-
ciants de notre ville, mais il s'est trouvé dans do grands
embarras commerciaux; il n'y avait rien à dire de son
intégrité, ni, je pense, de sa conduite, mais par le fait de
ces malheurs en aSatres, et des décès quront eu lieu dans
sa famille, i! est tombe dansje désespoir, et vous voyez de
quelle manière iL se console, Il donnait à entendre que
la démarché de ce gentleman était celle d'un homme ivre.
Je ne pensai pas qu'i! en fût ainsi. Son regard exprimait
une désolation habituelle, mais en même temps un égare-
ïaeat nerveux qui ne pouvait- augmenter sans lui faire de
la v'~ua.uppors:bis f~rdMti.Jt: ne tercvis plus, je
n'UN MANGEUK
n'OPtUM o33
penstt avec horreur qu'il était destine a lutter dans sa
vieillesse avec k's tragiques cruautés de la vif. Bien des
raisons m'empêchèrent de me. faire reconnaître de lui;
mais j'avais appris, quelque temps aupnravnnt, qu'il était
avec moi, le seul survivant de cène famille autreibis si
joyeuse. Aujourd'hui, depuis bien des années, je suis le
seul qui reste de ce sanctuaire sacré, si doux, si solennel,
si profond, qui, semblable à l'arche flottant sur tes mers
désertes, contenait huit personnes; toutes, excepté moi,
ont été l'une après l'autro rappelées pour entrer dans le
seul repos qui puisse etr« plus profond que celui dont nous
jouissions alors.
En quittant les K. je quittai Manchester; pendant
les trois années suivantes, je fus envoyé ù deux écoles bien
diiïerentes, savoir, d'abord a une école publique, celle de
!~th, alors et depuis célèbre par son excellence, ensuite à
une école privée dans le Wittshirc. Ces trois ans écoutes, [
jo me retrouvai à Manchester. J'avais alors un peu plus
de quinze ans. L'un de mes tuteurs, M. H. banquier
dans le Lincotnshirc, que j'ai omis plus haut de mention-
ner, était celui que l'éloignement empêchait le plus de
remplir ses fonctions; sans cela je lui aurais rendu volon-
tiers hommage, comme au plus capable de tous. H avait
appris que certains avantages pécuniaires résulteraient de
mon séjour à l'école de grammaire de Manchester, et
comme sous d'autres rapports elle valait autant que celle-
ci ou celle-là, il conseilla ma mère de m'y envoyer. En
fait, un séjour de trois ans a cette école faisait obtenir
pendant ser'1 ans une aUocation de cinquante livres, ou
peu s'en faut, ce qui, ajoute a me; cent cinquante livres de
revenu, aurait fait un 'oral de deux cents livres par an;
c'est l'a!ljcation moyenne qu'il faut à un sous-gradud
d'Oxford. Comme il n'y eut d'objection d'aucun côté, ce
plan ut adopté, et ne tarda pas a ctre mis à exécution.
En conséquence, vers la fin- de l'automne, ou plutôt au
csn!meas:!Bsat de i'hi'*e'' <e 8< jf Si*HM~ &au@ed.ms
6~ CONFESSIONS

recote de-grammaire de Manchester. La salle de classe,


par sa grandeur, affichait déjà la prétention qu'avait l'école
d'appartenir a une catégorie élevée~ cette sorte d'écoles
que je crois particulières a l'Angleterre. Pour atteindre ce
but si rapproché, l'on avait eu recours à l'influence impo-
sante de l'architecture, mais avec une gauche parcimonie,
et l'on s'en était tenu la. Les murs immenses et blancs
étaient ornés à peu de frais de moulures et de grands me-
daillons en plâtre qui rappelaient aux jeunes élèves les
principales gloires de la littérature; à cela près, ils étaient
nus comme les murs d'un dépôt de mendicité ou d'un
lazaret. Ces derniers édifices dont la. destination évoque
des idées tristes et noires, éloignent de l'esprit tout dessein
de les embellir par des peintures ou des sculptures, mais la
salle dont il s'agit avait un caractère plus noble, et la
nudité de ses murs implorait quelque décoration. Il eût été
bien facile d'y mouler des scènes variées. L'on aurait tout
d'abord, pour rendre hommage aux lettres, représenté
Athènes; la sagesse d'Athènes, personninéedansPisistrate.
il aurait fait de son mieux pour donner l'~t'~e complète
et correcte. En second lieu, les captifs athéniens en Sicile,
quatre cents ans avant Jésus-Christ. Ils s'attiraient une
généreuse compassion, « en redisant les chants du mélan-
colique poète d'Electre <. Les passions terrestres étaient
si promptement oubliées, grâce au poète athénien d'alors,
que l'orage de la colore sicilienne, avec ses vagues, faisait
soudain place au calme céleste il suffisait pour se racheter
d'un souvenir fortuit, d'un fragment mutilé des vers divins
d'Euripide; aussitôt les chaînes tombaient, le captif qui le
matin s'était réveillé esclave dans une-mine~ entrait comme
hôte bienvenu dans un palais de Syracuse. On aurait pu
représenter « le conquérant glorieux d'Emathie '~au début
de sa carrière, parcourant Thèbes avec des désirs de ven-
geance, et calmé par des pensées littéraires, « ordonnant
d'épargner la maison de Pindarè, alors que les temples, les
tours s'abattaient sur le sol a. Oh 'eût'pu montrer Alexandre
n'U~ MARGEUR f'OPiUM 6$

sous les cotonnades d'une ville persane, Echatane, Baby-


lone, Suse, P~rsëpolis, lorsqu'il recevait de Grèce un
nuzzur plus vénérable qu'aucun présent de la « barbarie
orientale », une cassette ornée de pierres précieuses, et
contenant l'Iliade et l'O~~f, ces créations déjà aussi
anciennes que les Pyramides.
J'éprouvai donc un sentiment de répulsion à l'aspect de
ces murs et de leur nudité puritaine, lorsque mon tuteur
et moi nous entrâmes dans ce hall. Nous marchions d'un
pas solennel, non pas, comme Milton, pour. aller nous
présenter devant le trône du Soudan mais vers le siège
où trônait un despote aussi absolu, bien que son royaume
fût tout petit. Le despote, c'était le directeur, l'<!rcÂ!M-
calus de l'école de grammaire de Manchester, et cette école
avait des qualités bien diverses. i" Elle était ancienne sa
fondation remontait à un évêque d'Exeter, au commen-
cement du vt* siècle; ainsi elle a maintenant (!856) plus de
trois cent trente ans; – 2". elle était riche et le devenait da-
vantage tous les jours; –3° elle était distinguée par les
restions bénéficiaires qu'elle ava~t avec la magnifique
Université d'Oxford
Le directeur était alors M. Charles Lawson. Dans les
premières éditions de cet ouvrage, je l'ai élevé au rang de
docteur, afin de déguiser la réalité, et de supprimer par là
les personnalités bien qu'elles me fussent indifférentes,
elles auraient pu, dans certains cas, déplaire à quelques
personncs.MaisM. Lawson n'était nullement docteur. Il
n'était pas non plus un clergyman, au sens légal. du mot.
Bien des gens néanmoins, sous l'influence. d'associations
mvolon;aires dans les idées complexes qui représentent un
directeur d'école, lui attribuaient un caractère ecclésias-
tique. Le fait est qu'il avait reçu l'ordre du diaconat dans

Le pt!Mge par t'~cotede- Manchesterconférait certains avantagesà


i'Univertite d'Oxford.L'on a vuptus haut qu'its assuraient à fauteur un
revenuce onqutatthTrtsptndttntseptsn! a cette université (N.d. 'r.i.
5
<~6 COSt'ESStûKS

t'Élise d'Angleterre. Mais Use considérait lu!-mcme comme


un laïque, et recevait cette qualification sur les adresser des
lettres de ses correspondants distingués, et on peut supposer
qu'Us étaient bien au fait des règles techniques de l'étiquette
anglaise. L'étiquette, d~ns les cas de ce genre, ne ditïere
pas entièrement de la forme onEdeUe. Aujourd'hui la loi
anglaise, ainsi qu'on l'a vu pour l'adiré de Horne-Tooke,
est celle-ci quiconque a été cler~ymau, reste cter~ maa.
Le caractère sacre dont on est revMu par l'ordination est
indéiébi.e. Mais, d'autre part, qu'~t-ce qu'un clergyman?
On ne l'est pas quand on a reçu seulement l'ordre d~ diacre,
à ce qae j'ai du moins entendu dire; on l'est serment
quand ona reçu lesecondordre, qui estdéfinitif, la prêtrise.
S'il en était autrement, les amis de M. Lawson cotaoaet-
taient une bien grande erreur en le qualifiant de squire
dans leurs lettres
Qu~il fût squire ou non, clergyman ou non, qu'il eût un
caractère sacré ou profane, M. Lawson n'en méritait pas
moins quelque intérêt par sa position et son existence
claustrale. La vie n'existait plus pour lui, quant à ses es-
pérances ou sçs épreuves. La seule épreuve qui lui restait
subir, était de lutter avec une maladie douloureuse, et de
combattre à mort. Il avait a payer sa dette de mortel, il
était en retard; à cela près, tout était fini pour lui. Je ins
frappé de l'idée qu'il avait une pauvre espèce -d'intelligence;
je pouvais me tromper, à cause de mes moyens limités
d'appréciation. Mais cela ne détruisait pas Tintérat qu'il
inspirait alors dans sa vieillesse: il avait au moins soixante-
quinze ans; cela n'ôt~it rien à mon désird'épelerà rebours
et de lire ainsi -le livre de sa vie. Quelles avaient été ses
aventures en ce monde Avait-il -eu 'des hauts et des
bas dans sa carhere?'Quels-triomphes avarMi-obtenus dans
t I.e sensde motstels quec~rgym~n,gM~nMK,squire, est trop connu
en France pour qu'il soit nécessairede !es,remp)xeerpar des equivateNts
ceux-cid'ailleurs manqueraientd'exactitude;un clergymann'est pas.tout
&fait un eecMsiastique,un~;ent)emann'estas ut] ~toasteur d..3\).
n'UN MANCt:~ ~'Of'UM 6~
M
les paifubles et ~enneilex voûtes d'Oxford? Queues ~col-
lusions lui &vait causées le rude contact du moudeeMoieur!'
De celles-ci, deux seulement avaient survécu dans les sou-
venirs malicieux de < ses amis )'. Il était jacobite, comme
l'eiaient tant de gens parmi mes chers compatriotes du
l.ancashirt,! il avait bu à la santé du prétendant;'il avait
fait cela en présence du docteur Byrom, qui gratifia l'as-
semblée de son célèbre, mais équivoque impromptu a la
santé de ce prince A!. Lawson fut donc obligé d'assister
à l'écrasement de son parti politique. Telle fut la première
mortification qu'il éprouva. La seconde lui arriva sept ans
plus t~rd,et d'après ce qu'on m'a dit, elle fut accompagaee de
cruelles épreuves de dédain. Avait'il interprète dans un
sens trop favorable pour lui les indices douteux de la faveur
de la dame? Celle-ci avait-elle, en coquette impitoyable,
désavoué les espérances qu'elle avait encouragées ? Quoi
qu'il en soit, un demi-siècle avait passe .en adoucissant, en
cicatrisant )es,blessures du pceur de M. Lawson. Si la dame
de !y5x vivait enco.re en t8oo, elle devait être bien ridée.
ïci surgit un singulier problème métaphysique. Lorsque
l'objet d'un amour passionne est devenu un )/ain fantôme,
l'ardente passion peut-elle survivre, prendre une forme
abstraite, se .désoler des souffrances qu'elle éprouve, im-
plorer leur ~onsolatiQa? J'~i entendu dire .que cela était

'DaM cette réunion M;~ro!M~)M Caputets se trouvaientm6)csavec


tes-MontaigM;ru't de ceux-ciinvite le docteur Byrom à porter Ja.siintfi
du roi « Dieu, bénissele roi! Qu'i) confonde)e prétendant!x Ettedoeteur
chanta
D&u MxtUt le roi, <~x:«M- de ~Me c< de ;<at/
~'M~<.f~ paseu ttmMMiM
Dieut:<tH!< ~.f</ /<)-t~«<&)~/
Lequel est le prétendaut, lcq:lel of /< rM? –
~KM nous Mn<</ ~«t U' bien autre B~t' 1

Le docteur.n'était pas connu seulement commeJacobite. Il a écrit un


'manuelfort bien fait, qui, d'âpres ceuxqui )'ont)u, s'ë!eveà une-hauteur
vraimentphitosophique.!)aviaMartLey,entre autres, eu parle ainsi « Si
jamaisil yenait à se formernue langue phi!osophique,telle que t'ont sou-
haitéeTevequeMitkins.Leibnitz,etc., t'ouvragedu D'Byrom fourniraitles
iMfacteresqutMavieadMienl.te~eux~sonAcMtur~
68 CONFKMtOKS
arrivé. Dans !e poème de Ruth, qui est fondé sur des évé-
nements réels, ainsi que je l'ai appris, Wordsworth place
un épisode pathétique. Quand les soins médicaux eurent
apaisé chez la jeune personne les premières fureurs de la
folie, et que la maladie eut pris une forme plus douce, on
cessa de la tenir renfermée. Se retrouvant en liberté parmi
les scènes champêtres au milieu desquelles elle avait passé
son enfance, elle reprit peu à peu les habitudes qu'elle
avait, avant que son esprit fût troublé par le chagrin.
Quelque chose de pareil était arrivé à M. Lawson; peu de
temps après avoir reçu le premier choc, il avait cherché
les moyens d'effacer l'impression profondément gravée,
et l'un d'eux fut de revenir autant qu'il lui fut possible, à
l'état d'élevé de collège. Il fut aidé dans cet enbrt par la
singulière disposition de l'édince où il exerçait ses fonctions
officielles. Pour une maison située en Angleterre, elle ne
manquait pas d'originalité, car elle était bâtie comme une
maison romaine. Toutes les chambres de tous les étages
avaient leurs fenêtres sur une petite cour centrale. Cette
cour était carrée, mais de dimensions si exiguës, qu'un
Romain l'aurait appelée un tw~MWMM!. M. Lawson.. avec
un petit effort d'imagination, se la représenta comme la
cour d'un collège. C'était là qu'avaient lieu les appels quo-
tidiens, auxquels chaque élève devait répondre quand on
prononçait son nom. Le malheureux M. Lawson, à force
de tenir toujours en éveil l'idée qu'il était encore dans,la
cour d'Oxford, parvint peut-être à se mettre dans la tête,
que tout ce qui concernait la dame avait été un rêve, et
que la dame n'était qu'un fantôme. D,e plus, les usages du
collège, eh ce qu'ils pouvaient fortifièr cet imaginaire alibi,
étaient respectés à Miltgate; ainsi celui qui consistait à
avoir deux assiettes, à dîner, l'une pour la viande, l'autre
pour les légumes. Le seul luxe qu'il eût gardé, bien qu'il
fût assez coûteux, était celui qu'il se donnait à Oxford,
comme les jeunes gens bien rentés, et il y persistait, bien
qu'il ne pût en profiter qu'à des intervalles de plus-en plus
C'UK MANGEURD'OMUM 6()
éloignés. C'était un cheval de selle pour lui, un second
à les conserver malgré
pour son domestique; il s'obstinait
l'augmentation des taxes de guerre, et cela pendant des
années après qu'il eut cessé de monter à cheval. Une fois
en trois ou quatre mois, il faisait seller et sortir les chevaux
il se donnait beaucoup de peine pour se hisser sur la selle,
et quinze ou vingt mi-
partait à un amMe bien modéré,
nutes après, on le voyait revenir dc sa chevauchée de deux
milles, avec la conviction qu'il s'était donné de l'exercice,
et que cela devait suiïirc pour une autre période de cent
jours. Mais M. Lawson cherchait le meilleur de sa conso-
lation dans les grands classiques d'autrefois. Les grands
élèves s'adonnaient à l'étude des grands tragiques qui
avaient fait frissonner le public athëmen pour lui bien
des leçons, qu'il commençait toujours et ne finissait jamais,
furent des occasions journalières de se consoler avec tes
gaîtés .d'Horace dans ses Epitres pu ses Satires. Les plai-
santeries d'Horace ne s'usaient jamais pour lui. Lorsqu'il
retrouvait le~<MMO~M,ou quelque autre bonne
saillie, il se renversait encore dans son fauteuil, tout
comme il l'avait fait pendant cinquante ans, et paraissait
éprouver de ces accès de gaîté contagieux qui secouent
bruyamment la poitrine. M. Lawson aurait pu convenir
que le mot de~<MH~ était le véritable motif de sa gaîté.
H existe de sombres tyrans qui se délectent dans une dis-
cipline de terreur pour eux et pour leurs élèves, ce mot
doit ramener des souvenirs trop dégradants pour que leur
'hilarité ne soit pas feinte.. Les allusions, quand elles sont
des personnalités terribles, cessent d'être une occasion, de
plaisanterie. C'est l'hypocrisie seule qui éclate de rire en ce
cas, et cette hilarité n'est que le langage d'une malédiction
rentrée et sournoise. A la vérité, il n'en était pas de même
i-l'école de grammaire de Manchester. Il faut le dire à
l'honneur des maîtres et des grands élèves, qui les uns et
les autres étaient seuls les auteurs de ce. résultat, tant que
jeconnus.ee!te ëco~t c'€5t-dir~ d? '?<}<;a !8o2, toutes
yo à
CONftXStOX!
tes punitions qui avaient pour principe !a dou)ei)r cof-
porelle, tombèrent en de&uemde, et cela longtemps .nvnnf
que l'opinion publique se fût émue à ce propos. Commenf 1
la discipline etait-eiïe donc maintenue? Elle l'émit par h<i
conduite que, s imposaient les grands ejèves et par l'emcrf-
cité de leur exemple, combinée avec leur système d'e'règtes.
Les instincts naturels sont noofes, dès qu'ils ne sont pas
foncièrement mauvMs,U'heure de h~'irinténais~nte~eveux
par!er du moment o{t le sens poétique donne ses premières
.fleurs, et oit les adolescents commencent entrevoir !e
paradis qui se dessine furtivement dans un sourir" fëfti-
nin. Si !'étab)issement n'avaiteu que ses etève'! exterses, i: est
plus que prpbabte que les tendances à la \'u!gatrité bruyante
y auraient prévalu. Mais il se trouvait que la partie la plus
tigëe de l'école, eest-à-dire celle dont les élèves étaient
sur la marge de l'adolescence, et se montraient de beaucoup
les plus studieux, ayant tous le goût de la lecture, de la
réflexion, tous sentant se développer en eux l'amour des
lettres, cette partie se composait de pensionnaires. Les
élèves appartenant à la maison exerçaient donc une in"
Huence prépondérante sur l'école. Ils étaient unis entre
eux par des tieTis fraternels, tandisque les externes étaient
isolés. Mais, ce qui était l'essentiel, il n'y avait point de
conr de récréation, si petite qu'elle fût, dans l'école; ou
plutôt il n'y en avait point pour la classe supérieure ou la
classe de grammaire. Cap i!ex!&tatt aussi, grâce aux libe~
ratthes pùbHque~, une école inférieure, ou toute Porg~ni*
satioa: de l'enseignement était ~ëduits' aux procèdes les
plus elémentaires pour apprendre à lire ë< à écrire. La
sa)!e où s'exécutait; cette' tâche urvile é~it: située sous
l'éCoie supérieure, et formait, je pease~ es repr&duetioa
souferfaine de !a salle d'en haut. CeHe-'et étant de deux ou
trois pieds seulement au-dessus du niveaQ de la ru& voisine,
l'ëcoleinfërieure devait être Sttuecbten au-d~soos d&ce
ïliveitU. E)!e ëfatf sans doute une crypte obscure, comme
otï en voit sous maintes' cathedfaies t it faoff que la coQ<<-
n'UK MASCKU& D'OFtUM y:

true!eur ait été siogutièrement imprëvcyaat pour avoir


condamne une partie -de son édidce à une obscurité sépul-
crale. Cette école plébéienne n'était accessible que par de
longues séries d'escaliers, et je n'ai jamais eu de l'énergie
de reste pour étudier la question sur place. Comme le
terrain descendait en pente extrëme.nent raide vers ce bas
fond, je pense en y réfléchissant que la crypte soutenaine
a pu recevoir quelquefois la visite du soleil ou de !a lune.
H est possible, après tout, que cette classe inférieure vouée
aux exercices manuels ait possédé une cour de récréation;
mais la nôtre qui était située dans les régions supérieures
n'en avait pas, ainsi que je l'ai dit, et cette lacune offrait
des avan.tage!, qui n'avaient pas etc prévus.
C'est lord Bacon qui remarque les subtils arrangements
que peut dissimuler la forme extérieure d'une table. Si
elle est carrée, comment nier qu'elle a une tête, des pieds,
deux pôles opposés, l'un boréal, l'autre austral, un péri-
hélie, un aphélie, des côtés qui représentent l'équateur ?
Cela ouvre une vaste perspective à l'ambition. Mais une
table ronde coupe court à ces rêves de grandeur, de même
une table triangulaire. Pourtant si cette dernière a un
angle droit, le Lucifer placé à cet angle peut dire qu'il
sous~tend ses deux voisins à chaque bout de l'hypoténuse,
et se croire supérieur à eux, comme Atlas était ph t
noble que le globe qu'il portai:. Disons en passant qu'une
disposition de ce genre formait la base de la hiérarchie
chez John O'Groat lui-même, et non dans les hautes lati-
tudes septentrionales de sa demeure. H paraît que John
O'Groat,-au lieu de décider les querelles de préséance
d'après cette règle-ci ou ce principe-là, les tranchait pat
la racine, au moyen: d'une table ronde. Il est probable que
le roi Arthur en usait, de même à l'égard de ses chevaliers,
Charlemagne avec ses preux, et c'est ainsi que font les
matelots pour décider qui s'exposera au danger d'une
réclamation s-éditieuse.. Comme le remarque Harrington
dans son OeMK~deux fillettes, sans autre ressource que
7.~ COKFESStONS

l'esprit qu'elles tenaient, de leur mère, ont découvert le


moyen de partager une orange de telle sorte que toutes
deux soient satisfaites; ce moyen est si efficace que toutes
les sectes de philosophie n'auraient pas trouvé mieux c'est
que la première coupe l'orange et que la seconde a le droit
de choisir. Tu partages, et moi je choisis, voilà la recette.-
Un ange ne trouverait-rien de plus ?ur pour garantir
l'équité d'un partage forcer celui qm le fait à hériter des
inégalités qu'il a pu faire dans l'opération delà division.
En ces cas une précaution qui semble banale fait voir dans.
la scène qui: précède tout un monde, de conséquences
nécessaires fatales. Dans notre situation, un résultat tout.
-aussi disproportionné provint de ce fait tout fortuit que
nous n'avions pas de cour de récréation. Nous autres
~înés, par nos dispositions méditatives, par l'amour-propre.
-que nous inspiraient nos rapports fréquents avec les lettres,.
nous étions déjà peu disposés aux jeux .d'enfants, et nous
couvâmes que l'absence d'une cour de récréation nous
faisait une .nécessité de notre préférence et de. cotre
orgueil. Même les plus fiers d'entre nous bénéficièrent de
cette obligation, plus d'un aurait vendu son privilège
d'orgueil pour une heure d'amusement et serait devenu
conformiste, au moins par occasion. Un jour plus beau
que d'ordinaire, une lutte d'habileté qui aurait excité plus
que d'habitude le sentiment d'une supériorité particulière,
.aurait.pu engager plus d'un parmi .nous à se départir de;
son isolement,. et.pour. toujours. Une. familiarité .sans- i
limite aurait été la conséquence, le résultat était cer-
tain, Si l'on accepte la société d'autrui pour faire des
affaires, il peut n'en résutter aucun, inconvénient pour
:le résultat de la réserve. Grâce aux intérêts communs que
fMpus,avions comme habitant.sous:le même toit, grâce aux
'restions amicales que créaient entre nous.les sujets de
-discussion tirés des livres, nous avions fbtmé un club
d'adolescents dont quatre ou. cinq. âgés de dix-hu)t ou
t~x-neuf ans, .étaient.déjà .des jeunes hommes, et on y
&'UN MANGEUR B'ODUM ?J
't 1.1 ~.>
montrait autant de réflexion et Ut. respect pour soi-même
qu'il y. en a souvent même parn.i des adultes. L'école
souterraine contribuait aussi quelque peu à notre bonne
tenue. Elle formait dans notre établissement une division
subalterne qui rendait plus sensible à nos yeux, par la
force du contraste, la réserve qui nous était naturelle. Son
programme se-bornait aux humbles résultats qui sont.dans
la limite bornée des efforts mécaniques; tout ce qui est
mécanique est restreint. Pour nous au contraire, alors
même que le. terme d'école de grammaire donnait en
apparence l'idée .d'un cercle d'études bien étroit, nous
sentions que réellement ce cercle était vaste, et s'étendait
même à l'infini.
Il me fallut peu de temps pour m'apercevoir que ce mot
nous donnait à tous une idée fausse. Si l'on demandait la
définition d'une école de grammaire, et le sujet de son
enseignement, il est presque sûr que l'on obtiendrait cette
réponse ~«L'enseignement? mais c'est celui de la gram-
maire, et pas autre. chose. C'est 1~ une erreur. Comme
je l'ai montré ailleurs, le mot de gr<!H!)Ha<!M pris dans es
sens, ne signifie pas la grammaire, bien que la grammaire
obéisse, elle aussi, à des lois d'une subtile philosophie,
mais la littérature. Voyez Suétone. Ces ~'<~Mw<:<!C!qu'il
représente comme inondant Rome sous le règne des Fla-
viens,.n'étaient j)as des ~<:M!M:f!'eM~ le moins du'monde,
ils appartenaient à ce qu'on désigne -en France par le. mot
très compréhensifde littérateurs. Cela veut dire i" qu'ils
avaient pour profession d'étudier la littérature; 2" qu'ils
l'enseignaient; 3° qu'ils y contribuaient par leurs travaux. En
somme le mot de granttK~tM est. peut-être. le terme latin
qui représente le moins inexactement notre mot /er<t<Mrc.
Maintenant .que j'ai esquissé. les traits caractéristiques
qui distinguaient notre.école et son' directeur (quant aux
professeurs de premier et de second. rang; il y en avait
quatre .pour la.classe supérieure), je reviens à mon examen
d'entrée. Ce jour.est.MëmorabIe pour moi, en ce qu'tl.est
7~ OMMBMWM
le p~tM de départ d'MM longue série de ~eaot attristes
par
l'Of~eiu~Mt obstia~ioa d'un côté, et ke MsuhaM qu'alla
produisit grâce à ma propre- folie de l'autre côté. Ausait~t
que mon tuteur ae fut retiré, M. L~wa~t prit dans. aoa
bureau un volume du $~c~<'< et me p<ia de meure en
aussi bon latin que po&~ble quelques page: de Stt.eit,a.p<at
près le tiers d'un am~éro. Le hasard ne panom tu~mu
une tMitleure occasion pour attester tout* fet<ta<k<€dé me<
forces com'atel.Hiaiste. !ei)edoMtqu<tqa<M expHcatioas.
Dans la precëd~me tdtuon 4e ce* Cw</itMm~, qm avM<~t
été écrites trop M&b&<e,et d'MUMaiOre trop peu pré-
cise d.)a~ les dettits MM MOpOttoM~ j'ai produit une
impression qui n'était p<& daM mon dessin, en ce qui
regarde vrai cara<tért de a;e& aptitudes «Marne hetie-
tHSte. Je dois <tne<ttW de ht même manière ce qui est
relatif à la facuit~ pttK luaitee qui était l'objet de mon
exMaeo. ~ctue!. En ~c, aussi bien qu'en latin, nMs con.
aaiss<mçes n'e<«ieot p$s et~<fHfa; à mon âge cela était
impossib~ et il y <a avait une autre cause toute particu-
Here; à cetteépoqwei! n'existait aucun guide qui pût nous
conduire avec sûreté dans les )ungk& épineux du latin, et
à p!u& forte raison, du grec. Quand j'aurai dit ~'ta la
grammaire ~ue de Porc-Royai traduite parle docteur:
Nu~t&at était la seule clef que nous possédions en Angle-
terre pottf les innombrables difncultés dejt construction
grec<t«~ M que pour la ~< M<a<ftc<:r,l'estimable Thesau.
ra~ de More! n'ayant pas été réimprime, se trouvait
fjtftatent, !e lecteur icoaclura-que la tecce d'un ecoiter.
cooeoe helléniste ne pouvait être quepau de chose. Et la.
mienne était fort p~u de chose. Mais eriteadons-nous
Q~e~t-ce qui était ~eM de cAoM? c'était seulememnw
connaissance du grec, et cette connaissance a des limites
extrêmement étendues. !1 n'en était pas ainsi de ma
~aMeM«M du grec. La cor naissance est toujours presque
proportionnelle au temps q't'on y a consacré, et par
MnMqueMyfuponidnho!ip sans doute à l'âge de l'etu-
ttUN MANGKU~t)'OP)UM y5
h
diant. Mah poxseMion d'un langue, la ~c~tàde l'adap.
<er, dé la mouler sur vos propres pensées, est absolument
u~tquMfKnïnn don naturel, et le temps n'y.estque pour
peu de chose. Que l'on prenne h trinité domiaMte des
érudits heMén~tes qui norissment entre la cév<tlution
anglaise de t688 et le commencement da x;x* siècle,
trinité que l'on formera, je pense, de Bentley, Valckcnner
et Porson, l'on s'imagine généïalement que ce sont les
hommes' auxquels il faudra nous adresser si nous voulons
une éloquente inscription grecque pour un monument
peM<. Je ne suis pas de cet avis. Les plus grands érudits
se sont d'ordinaire montrés les plus piteux écrivains dans
les !angue& classiques, qusUes qu'elles soient. H y a
soixante ans,. quatre docteurs nous donnèrent autant de
traductions de l'Elégie de Gray, et ces quatre traductions
faisaient fort peu d'honneur à l'érudition anglaise.. Et pour-
tant l'un de ces docteurs avait précède Porson dans la chaire
de grec de Cambridge. Si l'on objecte que le docteur
C&okc (n'est de lui que je parle) n'avait guère de réputation,
nous ~!Ion&prandre un helléniste indiscutable, un homme
d'une précision pointilleuse, Richard Dawcs, l'auteur bien
connu des « Misce)knea critica! Celui-là, il était un vrai
gourmet en fait des finesses de la syntaxe grecque il eut
été en Grèce un érudit de quelque valeur, et plus d'une
fois il prit à la gorge Richard Bentley. M écrivit, il publia.
la traduction grecque d'une partie du Paradis perdu, ainsi
que deux idylles pleines de flagorneries qu'il dédia a
Georges HI,. au sujet de la Mort da son < auguste papa,
Il est difficile de rien concevoir de plus niais dans la
conception,, de plus enfantin dans l'exécution que ces
deux tentatives. Je vais maintenant '~Hf opposer
le~ver~
iambiques composés par ur enfant qui mourut à dix-sépS
ans il était fils de Aï. Tomtine, évêque de
Winchester,
qui fut le précepteur de M. Pitt Je soutiens absolument
f~f~M'M~M~.– Onte~trouve~am i~n'~M de'~Jjt.itcH.cv? ',e jg
Ca);utta,sur t'afticfcgrec.A cetteoccMio)),je ferji)c~t~tqt.t. ~tiûu< \e):t
-y6 CONFKSSJONS

que la faculté de donner aux idées un vêtement grec est


du ressort de la sensibilité naturelle, et qu'elle est presque
sans rapport avec l'étendue ou la précision grammaticale
-que possède celui qui écrit en grec.
Ces explications sont-trop longues. Le lecteur compren-
dra en somme que ce qu'il me fallait en pareil cas, ce
n'était poi!M-!a-c<w)ajssance précise et familière de la
syntaxe en cette langue, ce n'ëttMî pc'mt une copia verbo-
.TMM!,ce n'était point uneexirême agilité à parcourir les
rapports mutuels des idées, c'était surtout la faculté de
considérer les objets modernes, étrangers à- l'antiquité
.sous un aspect capable de me suggérer des périphrases
quand !e mot propre faisait défaut, et de donner de la
vivacité à ma traduction avec des idiotismes pleins de
saveur et de variété, partout où l'occasion se présentait.
J'y réussis et je me surpassai, car pour la première fois,
M. Lawson.me félicita vivement. Cela. ne lui était jamais
-arrivé, comme on le savait, et ce fut aussi la dernière fois.
il me fit un autre compliment d'une nature plus substan-
tielle, qui mit le comble à sa gracieuse condescendance,
~e veux dire qu'il me plaça provisoirement dans la classe
supérieure. Ce n'était point alors la classe supérieure, car
il y en avait une autre plus élevée, mais les jeunes gens
~ui la forntaient allaient prendre leur vol vers Cambridge
dans quelques semaines; alors ia première classe s'ouvrit
pour nous, c'est-à-dire pour, moi et deux autres.
Deux ou trois jours après cet examen, un dimanche,
je transportai mes pénates chez. M..Lawson., Vers neuf

-tommeceaxde Dawes,où l'on se propose d'imiter Homère ou Théocriteg


.en d'unemanièregenerate,que des vers hexamètresdactyliques,sont par.
~aitementinutiles pour.prouyt:r qu'on a la facutte de penser en grec. En
!es examinant, on verra que la magnificenceorehe:tra)edu mètre, que la
-c~denc:sonore qui est propreà chaquevers isoté,imposenécessairement
-jtla penséetadiseontinuite;Le~yers iambiquess~nairessottseuisexen~pis
de ce défaut, car ce mètre possède la facutté de se'rEouter, de recevoir
~i'T!'=f! d-* !s~<-a!e*, et Mu: r:ppc:t i! ts: :~sb'sb!e, s! is:ar
~)nversbhnc des Anglais,tel qu'il est mani~par Mi)ton.
D'UN MAXGjtUR B'OPtUM yy

heures du soir, un domestique me conduisit par un petit


escalier, me fit traverser une enfilade de petites chambres
obscures et démeublées, qui avaient des fenêtres, mais pas
de portes, jusqu'à la salle commune (comme on dit x
Oxford) qu'occupaient les seniors. Tout s'était réuni pour
m'accabler. Je quittai la société de femmes charmantes, ce
qui était déjà une perte sensible. De plus, la saison était
pluvieuse, et cela est suffisant pour produire de la dépres-
sion. L'aspect désolé des chambres mit le comble à mon
abattement. Mais la scène changea dès que la porte fut
outer:~ Je vis apparaître des physionomies pleines d'ani-
mation. Quinze ou seize jeunes gens étaient dispersés dans
la chambre; deux ou trois d'entre eux, qui paraissaient
d'âge à les diriger, vinrent à ma rencontre et me reçurent
avec une politesse sur laquelle je ne comptais pas. La
bonté sérieuse, la sincérité absolue qu'on voyait dans
leurs façons me fit l'impression la plus favorable. J'avais
vécu familièrement avec des enfants venusde toutes Ie&
parties de l'Me, à l'école de grammaire de Bath, et pendant
quelque temps, a Eton lorsque je rendais visite à Lord
Altamont, j'avais fréquenté des enfants qui se piquaient
d'appartenir à la plus haute aristocratie. A Bath et à Eton,.
régnait, à des degrés divers, un ton souverainement poli;
l'extérieur, le langage, la tenue annonçaient chez presque
tous et dès l'abord' une connaissance prématurée du
monde. Ils avaient sans doute l'avantage sur mes nou-
veaux amis, sous le rapport de la réserve gracieuse, mais
d'autre part, ils perdaient à être comparés avec ces :n{ants
de Manchester au point de vue des qualités d'amour-
propie extérieur et de dignité. A Eton, les titres étaient
en grande abondance; dans l'école de Manchester, beau-
coup d'enfants étaient fils d'ouvriers, ou de personnes de
cette clause, quelques-uns même'avaient des scëurs qui
étaient servantes. Ceux qui occupaient le rang le plus
élevé par la naissance et l'ancienneté appartenaient pour la
p~psrt $ Sa ncMcssc de cs!)!psgnc os as cierge. Je crc~
78 CW~M~M~

atM&i qu'à l'eMeption de troi&~t ~wtre itères, qwi <!«<iaat


fils d'un clergyman a Ynri~ tous étaient eotmne moi du
I~anof&hire. A cette époque j'avais tr&p peu d'e\périence
pour avoir une opinion de quelque poids au sujet des
prétentions de supériorité morale on intellectuelle qui
régnaient dans les différentes provinces de hêtre île. Mais
depuis j'ai reconnu que je pouvais être d'accord avec leu
led<*cteur'CookeTayIo'r, et concéder !a supër<oritë aux
natifs du Lancashire, au point de vue de l'énergie, de
l'aptitude à affronter la souffrance et d'autres beU<;s qua-
lités. Il y a un siècle, ils se distinguaient déjà par leur
culture et la délicatesse de leurs goû<s. Nulle part en
Europe si ce n'est dans quelques partie de l'Allemagne,
ils n'avaient de rivaux dans l'habilite 'nwsicale et-la sensi"
bilité; .aussi même aù temps de Haend~, les chanteurs de
chœurs du Lancashire jëtaicat les .seuts pfmr qui ses
oratorios ont dû ètre un trésor, q.nip~urles~utres .fut
toujours sinon formé, du moins tr'es imparfaitement
<;onnn.
Un des jeunes .gens, remarquant mon air abattu, m'ap-
porta un peu de brandy. Je n'avais jamais soute l'alcop)
sous cette forme, ne connaissant que le vin et n'en ayant
jamais bu en quantité suffisante pour me troubler l'-esprit.
Aussi je fus très surpris .du changement soudain qMi s'o-
péra dans mon état, changement ..qui me .rEndLt .aus-
sitôt .mon aptitude naturelle pour la conversation. Il ne
lui manquait plus qu'un sujet assez intéressant. Et ce sujet*
sortit de la manière la plus simple d'une remarque qui me
fut faite .par un des enfants il donnait & entendre que je
.m'étais.arrange de mon mieux pour esquiver, en arrivant,
..l'exercise du-dimanche ;soir.– Non, repondis-je, pas du
Mut, mais quel eMit cet exercice? –Tout .simplement Ja
traduction orale dans le petit livre, .de Grouus sur l'E~*
.depce du chrtst~iMsme~ –- Connaissais-je Je jivre? -–

't.eM<e<x<ctee9t:t~cAr~Mt<Fr~t'Ot!fx.t r~
D'US t<AMGM~D'OMUM ?9
Non; «Mt ce que je savais par moi-même de Grotiutmvait
pour base ses traductions en vers latins, de nombreux
fragments qui restent des tragiques grecs, traductions qui
m'avaient frappe par leur beauté remarquable. D'autre
part, son livre d'un caractère plus élevé « De Jure j?~~ et
dont lord Bneon a fait un si grand doge, m'était
entièrement inconnu, mais j'en avais entendu parler par
une personne fort réuéchie dans des termes tels que, seion
toute probabilité, Grotius était mieux doué et se savait
mieux doue comme homme de lettres que comme philo-
sophe. A propos de son petit livre sur les révélations mo-
saïque et chrétienne, j'avais entendu des jugements tout
à fait dédaigneux, deux entre autres. De l'un, il ressortait
simplement que le sujet était traité avec une force logique
bien inférieure a celle de Lardnerou de Patey. Aussitôt,
plusieurs jeunes gens exprimèrent vivement leur appro-
bation, surtout n l'égard de Patey. L'~y~c~cM de cet
auteur, avait paru sept ans auparavant, et énit deve-
nue déjà un sujet d'étude parmi eux. Quant à l'autre ob-
jection, elle s'attaquait inoins a la pénétration dialectique
de Grotius qu'à son érudition, du moins sur un point par-
ticulier. Selon une anecdote bien répandue, le docteur l'
Edward Pococke, le grand orientaliste anglais du xvue siècle,
fut engagé à traduire en arabe ou en turc le petit ouvrage
de Grotius; il répondit en mentionnant la sotte légende du
.pigeon ou,de la tourterelle qui servait d'intermédiairecntre
-le prophète et le ciel; légende accréditée et adoptée par
Grotius avec la plus aveugle crédulité. Une fable aussi mal
fondée produirait, selon Pococke, un double inconvénient;
-d'abord elle détruirait l'autorité de ce livre-là en Orient, de
plus elle nuirait au christianisme pendant bien des géné-
rations, en apprenant aux sectateurs du prophète que leur
maître était l'objet du mépris des Francs à cause de ce
conte de nourrice, et parce'que des contes de ce genre
trouvaient accueil auprès des ér~dits chez les Francs.
.11 ~njésulterait~un dosbif dommage.) d'abord, le chrjstia-
80 CONFMStONt
nisme serait méprisé dans son érudition et-dans la per-
sonne de ses érudits, mais cette conséquenccpouvait laisser
aux mahométans la conviction'que le christianisme avait
une force propre, indépendante des erreurs et des sottises
qùeses.déienseurs commettaient. Non, en outre, il se pro-
duirait dans ce cas une forte réaction contre If chistianisme
lui-même. On soutiendrait d'une façon assex plausible
qu'une vaste philosophie religieuse ne 'devait guère avoir
d'arguments puissants en reserve, s! elle attaquait le maho-
métisme sur une fable aussi puérile. Adopter cette légende c
même sans la blûmer, parmi des nations qui niaient pas
e!t rapports directs avec les musulmans, cela seul indiquait
nans le christianisme une faiblesse choquante, et tous ses
arguments étaint fondés non pas sur la force propre, mais r
sur les points défectueux de son adversaire. t
La cause de Grotius paraissait tout à fait désespérée. s
G. )eune garçon, dont j'eus plus tard occasion d'admirer t
tout la fois le courage, la loyauté et la prévoyance, chan- {
gea tout à coup le terrain du combat. H'ne'chercha pas a [
défendre la ridicule fable du pigeon au contraire il mit
dans un même sac le pigeon et un autre oiseau qui, selon
tes musulmans, conduisit les premiers croisés, une oie qui
sans doute a été un personnage historique, dans un cer-
tain sens. Il reconnut donc que sous ce rapport Grotius
n'était pas défendable. Mais en somme, quand il s'agit du
point essentiel, de l'infériorité apparente de Grotius en pré-
sencedePaley, etc., il bouleversa d'une phrase tout l'édi-
fice. de ce parallèle.– Pale Lardner, dit-il, quel but se j~
proposaient-ils? Leur bût avoué c'était de triompher par
tous les arguments, toutes les évidences, toutes les pré-
'somptiohs, quelle qu'en fût la ~source, et de les faire con-
courir à prouver tous les éléments du christianisme sans
exception. Bien, c'était là ce qu'ils voulaient, était-ce aussi
ce qu cherchait Grotius? Pas--du tout. Bien souvent le
jeune G. avait remarqué à part lui, que Grotius laisse de
'côté sans' motifs visibles, des arguments de première force;
tt'UN MAHûHURU'OPiUM S:

auMi G. Je soupçonnait-il de rétrécir lui-même son champ


clos~volontairementet cela-pour des raisons tout extë-
rieures. Il lui semblait évident que Grotius avait ses motifs
pour refuser les évidences qui lui venaient d'une classe
particulière de témoins. La-dessus plusieurs d'entre nous
se mirent à rire de le voir se faire sa part avec une har-
diesse orgueilleuse. Il paraissait agir comme certains versi-
ficateurs dont l'adresse acropatique s'évertue glorieusement
a composer une série de stances d'où ils excluent succes-
sivement chaque consonne, chaque voyelle, chaque diph-
tongue; leur succès peut se comparer à la couronne de
lauriars .qu'un coureur gagnerait en sautant a cloche pied,
à ceUe qui imposerait aux copcurrents l'inhumaine condi-
tion d'avoir les deux jambes dans un sac. – « Non, non,
interrompit C. avec impatience,, toutes ces luttes fantas-
tiques avec des difficultés qu'on s'est données soi-même,
ont un but d'ostentation et ne profitent à personne. Mais
Grotius, en s'imposant ces exclusions, avait un dessei)\par- s
ticulier, et il a obtenu un résultat qu'il ne pouvait atteindre
autrement. Si Grotius n'accepte d'autres évidences et
.d'autres probabilités que celles qu'admettent les musul-
mans, les infidèles ou ceux qui restent neutres, c'est qu'il
a écrit son livre pour un public distinct et particulier. L'in-
diHer.entsera docile aux autorités tirées des indifterents
notoires les musulmans témoigneront de la déférence aux
aftirmations des musulmans; les sceptiques s'inclineront
.devant les arguments du scepticisme. Tous ces gens, qui
auraient été arrêtés dès le seuil par des témoignages qui
s'annoncent avec un caractère hostile, écouteront attenti-
.vement les suggestions qui leur sont offertes dans un esprit
conciliant, et à plus forte raison, celles dont les auteurs
sont partis de l'endroit même ou ces auditeurs sont res-
tes.
Au risque de commettre une longue digression, je me
suis kisse alier rapporter une première conversation entre
ces pnnopaux ëiéyes. G. avait* tout à fait raiso~ r quand
-a

6
COSMMMM
il voulait employer une clef secrète pouf er~querte {~t
livre de Grotius, je l'ignore. Si je l'ignore, c'~M par ma
faute, car j'ai dû être invité hpayermoa écot dansles études
du 'dimanche soir sur le De Veritate et par suite tM
moyens propres résoudre la question ont été i 'ma =
portée
En tout cas cette force solitaire d'observaltonsi)enctt.ase
chez un garçon de quinze ans, cette idée perspicace de iG.
en opposition direcce avec l'idée .reçue, me frapperont
.d'admiration. En même temps <e me demandai ï'H avah
tort-ou raison en ce qui regardait le fait lui-même. Lorsque,
dans une chasse entraînante comme un torrent, t~t'une
.ardeur précipitée dirige tous les.éians da.ns ui seubcoarant,
une personne est capable de songer en un clin d'ceit aux
crochets inattendus du gibier, qu'elle le suit du même
mouvement, qu'elle résiste avec obstination aux inc'!nct'i
d'une arrogance impérative, cela n'indiqùe-t-il pas ~ie
.sagacité bien rare dans l'enfance. G.avait-il raison PAloi
tl ouvrait par surprise une serrure que les autres n'avaient
.pas su ouvrir. Se trompait-il? Dansée cas il avait tracé leIle
.plan et l'esquisse d'un ouvrage meilleur que celui de<jrotius,
.en ce sens qu'il aurait été :plus original et 'plus approprié
.a un but déterminé..
Toutefois ce n'est pas à cet enfant, mais à !toute l'école
que j'ai voulu rendre hommage -et témoigner ma recon-
naissance en cette occasion. Plus Mrd., ,quand )'étMs sous-
gradué à Oxford, j'étais bien piacéipour voir comme dans un
miroir, les prétentions caractéristiques et le niveau moyen
.de la plupart des écoles renomcoé&s. Ce miroir, c'était la
conversation ordinaire et les JivMs.favoris des jeunes gens

'Je su'd <xcusab)s,dans unocertatae mefMre,de tette négligence,car


peu de tempsaprès mon entrée, M.l.awsonrEtt)p)a;ai!atecondudimanche
soir, Grotius par )e NouveauTestament, du docteur Ciarke.< Loindes
du &0)tveair.» <T~t ')A~e 'iettt.focf qu<:je paiste Uottuerpour
.~Btix,.)oio
mon oubli d'éclaircirce sujet. J! peut.se.faire, après tout, que je i'itte
-réellementêctait'ci.m~isquete courant des années ait fini par ftjeter le
ttMdtjUturtebofd. j
.) ,)
D'UM MANUKUR H'OPiUM -93

en r&be qui .appartenaient aux nombreux collùges d'Oxford.


Disons d'une manière générée que chaque collège était on
relations niiales (strictes ou non) avec une .ou plusieurs
.de nos grandes écoles publiques. II es,t heureux pour
l'An~lMerre que ~es écoles soient dissén~inées dans tous
les ~om.tes. Comme toutes les nominations aux principaux
emplois dans ces écoles .publiques sont souvent conférées
parJa loi aux Universités .d'Oxford ou .de .Cambridge, i) en
résulte que le système d'enseignement .~at exilent. S'il M
produit des .lacunes, on peut sans doute jt~s .attribuer aux
individus et leurs études. Et m&oie, à mon avis, cas
iacuoesN~en sont pas. Les prodiges d'instruction classiques,
ceux mèn:<es qu'on pourrait qualiner de merveilleux, n'é-
taient pas alors, et n.e :sont pas aujourd'hui, peu communs.
Et cepBndjMt, sous un certain rapport fort important,
nombre de ces écoles .et des meilleures, a les juger par leurs
iruits, laissaient l'impression désagréable d'une lacune. Ou
plutôt ce n'était pas une lacune au point de vue de l'objet
qu'elles se proposaient forœeUementj jc'etait un dédain
volontaire, systéma.tique a. l'égard d'un objet qu'elles con-
sidéraient comme étranger à leur tâche; cène lacune était
relative à la littérature tMC~?' on négligeait d'en lire les
chartes expressives, et dans cette littérature moderne, on
dédaignait par une faveur spéciale, qui paraît fort brutale,
notre littérature nationale, anglaise, et cela tout en pro-
clamant à son .de trompe son évidente supêdorité. Moi,
qui jour et nuit faisais brûler J'encens de mes hommages
sur les grands .autels de la Poésie ou de .Hcloquence anglaise,
j'éprouvais Mn sentiment .d'h.unuJ.iMion et de révolte, lors-
que .je refMootrais des .}euNes .gens à l'esprit sievé, dont j.e
coeur brûlait en ivaia d'une sensibilité qui cherchait un
objet digne d.elle, et .que je trouvais en eux Mne ignorance

*&rt0f<'tOtt «xt. -:Dans quelques collèges les droits des abattit


(bo:trMers)de certainesécolesétaient formels; dans.d'Mtres, ils ettient
coadiHonne)s~ dans d'autres enfin; iis étaient en compétition avec ies
'–" !)<<–<–<<:«. n~~fjt«<'tf..
~4 COtFESSMNS

absolue d'un culte qui eût pu les satis<«ire largement; )e!


veux dire d'un magninque héritage littéraire, qui parfois
excitait: l'envie de nos ennemis. Qu'il est'douloureux de
voir ou de savoir qu'il existe des mondes de'grandeur et
de beauté voués & une destruction incessante, des forêts où
<e déploie une vie luxuriante, des fleurs sauvages éternelle- s
ment inaccessibles, alors que d'autre part à ce malheur
correspond un malheur égal, je veux dire, alors que la ?
même puissance pour éprouver le bonheur se dépense en
pure perte se consume sans avoir jamais eu d'objet C'est
là en .éalité un gaspillage, dans le monde des impressions
de plaisir, et il est parallèle à une perte égaie dans les or-
ganes et le système du plaisir. Ce. tableau n'est-il pas
propre à serrer le cœur d'un Anglais? Quelques années,
c'est-a.dire vingt ans avant mon entrée, à Ox{<~rd,circons-
tance qui m'a fait souvenir douloureusement de ce dédain
a l'égard de notre littérature nationale, il y avait à la
Cour de Londres.un ambassadeur français, homme qui,
aeion quelques-uns, représentait brillamment l'esprit na-
tional à vrai dire il possédait quelque chose d'infiniment
plus noble etpius profond,de patriotisme. Car le patriotisme
véritable et dépourvu d'affectation, se fait aimer d'un amour
généreux par !a sincérité et la vérité.' L'esprit national, au
contraire, ainsi que je -l'ai toujours vu, est niais; il est
malhonnête, il est dépourvu de grandeur, il est incapable
de simplicité; toujours assiégé par des tentations de mau-
vaise foit il finit par se changer peu. peu en esprit de
mensonge. Ce Français mettait au-dessus de tout Ja litté-
rature c'était sur ce champ de bataille qu'il avait conquis
tous ses trophées, et pourtant, quand ii dut passer en revue
la littérature de l'Europe, il se~it dans son honnêteté cons-
ciencieuse, obligé à faire de sop ouvrage un-monument à
l'honneur d'un seul homme, qui avait pour patrie un pays
ennemi. A ses yeux le nom de Milton effaçait tous les
autres. Cet homme était Châteaubriand. L'éclat personnel
qui l'entpurait.donnait un éçtatnare~a<sduits..Etpar
P'UN MA~iGHUR D'OrtUM 85

suite de sa qualité 11-d'ambassadeur, .c'est-à-dire d'homme


représentatif, cette, conduite pouvait être prise pour un
.acte représentatif. Dans cette circonstance le génie tutélaire
de la France semblait s'incliner visiblement .devant le génie
de l'Angleterre. D'autre part un hommage aussi libre, un
aveu aussi noble avait droit de recevoir un accueil égale-
ment empreint de générosité. Ce n'était pas comme le
témoignage de Balaam en face d'Israël, une soumission
forcée à. une vérité odieuse, c'était l'honneur rendu dans
un esprit de magnanime sainteté, à un intérêt qui, dans la
nature humaine, dépasse d'une grande hauteur toutes les.
considérations purement nationales.
Cela dit, à ce respect sans bornes que professait envers.
un astre brillant de.notre monde, littéraire, et que rendait
publiquement .un Français. notre ennemi par .nature ,er
par éducation, opposons le spectacle humiliant de jeunes
Anglais, à qui on laisse, du moins pendant leur instruction,.
ignorer jusquà l'existence de ce puissant poète..Cela veut-
il dire qu'il faille, selon moi, placer le..Par~er~K, le
Paradis reconquis, et le ~tM~OM, dans la bibliothèque des.
écoliers? Nullement. Le degré de sensibilité qu'il faut pour-
éprouver la sublimité miltonienne, est rarement développé-
pendant l'enfance; la prudence demande que ces ouvrages.
divins soient mis en réserve pour la virilité, accom-
plie.. Mais on devrait faire connaître qu'ils existent, et
quels sont les principes de respect souverain pour le.
poète qui font agir ainsi. Jusque-là, des extraits de Milton,
de Dryden, de Pope, et de bien d'autres écrivains, alors même;
qu'ils ne seraient pas appréciables à toute leur valeur pour
ceux qui ne connaissent pas grand'chose de la vie, ne dé-
passeraient pas, en général, l'intelligence ou la sensibilité
d'un enfant de seize ou dix-sept ans. Dans les autres.
branches de la littérature, il en est deux que je vais indi-
quer, qui sont capables (ou pourraient le devenir entre
des mains habiles) d'exciter l'intérêt .chez ceux. qui sont
bords ae l'enfance et n'ont pas encore atteint l'âge moyen
M eosf6sa<o~s
<~t ]roo! pM<< se faire imm<Mtie~!er dans une Uoiversité
anglaise, jet feo~ dt~e !& fin de ht dix-hmiteme année.
Che!fche< daas Ïe~.hmguea de tous tes pays, depuis ta mys-
tique Benarès, les bords du. Gange, a!!M à l'ouest aux
sources de fHudson, vous mets ait dën. d? .trouver,
pour former une bibliothèque micressartM en vo<' de la
jeunesse, rMn: do mieux que ce qui suit
En premier lieN, M. Cousin a sewena' fecenttMfMt âne
erreur que l'on pourrait qualitier -de mensonge, si eUe ne
s'expliquait simplement par l'i~nofanceeonftplète da sujet;
H préteMd <p«~ nous n'avons pas de ppesaMur passable
depuis Bacon. Cela est faux Icxvn* siécfe, et surMer la
partie de ce siècle- à laquelle il fait aUusion, e'est-â-dire
tëzS-tyoo, a produit des oeavres d'une etoqacnçe achevée,
éloquence philosophique et en même temps pa.faite au
point de vue de la forme littéraire et de la passion; il est
.d'une: richesse' que ne connaît pas ta !ittera<ure française
-en prose, il est le point culminant' de notre littérature, et
pas une lit~ïe de' cas ceu~res qui ne soit postérieure a la
mort deLordi Bacon. DonKe, ChUiingwoFth, sirThotHa~
B:'Gwne, Jeramië Taylor, MUfon, South, Barrow forment
un~~t~, un~ constellation des sept étoiles d'or, dont
aucune littérature ne peut offrir l'équivalent dar~ leur
genre. Il me suffirait de prendre ces sept écrivains, et
d'omettre tous leurs contemporains, si je me proposais de
construire un système complet de philosophie refatTfaux
intérêts suprêmes'de rhuma'aité~. Uneerreurde M..CoNsïn
<onsïstë'e~tdenient à ne pas voir ee' iait, qu~ tous les
problèmes phiitoMphiques, quels q~'Hs soient, peuvent se i

'PA~oM~At'e.–C.'estàpfopu~dect'motqu'ilpourrait y «voirunnuJee.-
tendu. B!e')des ge~s..sejffguroontque le magasin.deces fcrhain~ cot-
t~entt 'l tt~c'egxt et non dtf)a pMtotOphië.Mais j'<i stiMeattqteh)Be
part que la totai~de ce qu'il yadephUosophieenAngteterre~'est. tour
jours cachéedans fa scieuce ecc)~!astiqueangtaise. Jerémie TAytor,par
~ttmpie~ooay atbntre-.Muttes c6t~sp!%tii!ue:'d<~ia p!nfoso))t:ti~
d~ ce!)6~
<i a ~eui'.6S{ett!ftv)e, ta me<~)e, h pfttdenea.soaTeratUtted'.ttd'ttM;
de Cettequeles Grecsrapportaiert ai !Mm);t)tM
toHMM,
D'un MANGZW D'OPtt'M 8y
'eau sous
présenter de nouveau sous un
un masque
masaue thooh)giqac;
thooh)a!aac: il s'est
s'est
aina.di~eMe de 1~-e bien des libres anglais qu'H prenah,
d'après les. a.pparencos, pour des traités de controverse pro.
testante, alors qu'ils sont réellement une mine inépuisable.
d'eloq~mc~ et de spéculation phitosophique.
Ea second lieu un choix très complet dans la littéra-
turc dramatique anglaise, depuis l'année !~So }usqu'en~
t635, époque où elle fut congelée par le froid do l'esprit
puritain qui assaisonnait toute chair pour Ja guerre par!e-
mentaire. Il n'est pas de littérature, sans excepter même
celle d'Athènes, qui ait jamais offert un théâtre aussi va-
rM~ u~ déploiement aus&i carnavalesque; tant de types
maaqMes ou démasques, tant de vie passionnée, qui Kspi-
ra.y remMait, agissait-, souffrait, riait
Q)«~Htc!<u)t< /tOM)t)te~,
votum,, timor, ira, fo!i'p~,
GftH<<)'~(fi~CM).!t<~
Tout c<Ia, mais avec plus de sincérité, plus d'exactitude
qu'on n'en trouve, et qu'il ne peut y en.avoir dans le
genre adopté ph<' !e sombre satirique, tout ce que- nos an-
cêtres du moyen âge représentaient; dans. leurs « Danses
Q&&Morts scènes d'ivre~s douloureuse ou riante, tQut
cela, nous le retrouvons en groupes scéniques, sn vête-
mea,M et en couleurs. resplendissantes. Qu~le aut):& n~taon
peut offrir une littérature dramatique comparable. Le
drame athénien, a disparu en grande partie, celui de Rome
a péri, étouffé'dès sa naissance par les sanglantes réalités
de l'amphithéâtre, comme la lumière d'uae bougie devient
invisible. au soleil. Le drame espa~nol~ même après a.voir
passé par les mains de Calderon n'offre que des esquisses
inachevées. Ls théâtre françs::s a bien des défaut essen*
tiels que l'on n'a pas encore définis avec )usiesse,*tnais il Il
cette infériorité évidente, qu'il n'atKigaits.on~ apogée que.
soixante ans, que deux générations, âpre:; le nôtre. H est
e?' <MM! grande periads du drame anglais se ferma
precisëmem quand s'ouwcit l'époque di: théâtre, tt'&a'.
88 COUt'KSStOM
cmx celui-ci a donc perdu tu supériorité merveilleuse que
t}onne à la scène une époque romantique et pittoresque.
Cette époque s'était évanouie quand le théâtre français
atteignit son apogée; i) s'ensuivit naturettement.que ta
délicatesse française, qui alors était trop développée,
étouffa ou fit'dévier tes libres mouvements du génie de !a
<union.
Je prie le lecteur de me pardonner cette digression trop
longue, & taquette m'ont entrainè mon amour pour notre
belle littérature nationale, mon désir de la voir figurer
parmi les moyens d'éducation, avec des ressources minis-
îërieHes d'une étendue bien plus grande; j'ai voulu, en
tout cas, protester contre le dédain superficiel qu'on pro-
fesse a l'égard de nos:meilleurs écrivains h ce dédain nous
pourrions devoir un reproche cuisant, celui de « marcher
avec des souliers à srosc!ous)t (pour employer t'expres-
sion de TCowtM)sur ce que les étrangers d'un esprit élevé
régaident comme le. )oy<tùle plus précieux de notre dia-
dème nationaL
Ce reproche tombait ;de tout son poids, comme mon
expérience dans ses limites m'obligeait à le cratndrt, <ar
la plupart de nos grandes écoles, si admirablement dtngees

faut -remarquerqae dom!&périodequi précédaimmédiatement


Corneille,la tragédiefrançaiseavaitfait dest(ror:t pour exprimtruee
notarepta! forteet plusvivante.Gttiïota tiré d'unevieillepièce(je ne
!aittt e))fest de Rotrou,ou de Hardy)une scèneextrêmement émou.
vante.tt s~f;!td'un princequiest devenuamoureuxd'unejeuneCHe de
bassenaiMance.Elleest fidèleet constante,mais les eouttiMm qui
entourentle prince,la calomnientpar pure méchanceté; le pftneeMt
trompépar les apparences dans les bruitsqu'ilsfontcourir,il y afoute c
foi, maissansse décider,commesescourtisansl'espèrent,à renoncer à
ton amour.Aucontraire.Hesthantéparcèneimagede Mnesprit deplus
dans
en.plus malade; une.scène,le plus vildeces catomnieteorif~it de
Mnmieuxpourdétournerla penséedu princeversd'autresobjets'noua
~oyomieprince faired'inutileseffortspourse maîtriser,pour êtreat:en.
tif,)M!!t!aprofondeur desonamourlui faittrouverdes souvenirsatten.
drissantsdanslesparolesmêmesdont!e but est de )es!uifaireoubiier
Selonla remarquede Guizot!ui-meme, cettescèneen tout Afait dansla
manièrede Shakespeare, et je mehasardeà dire qu'unetelleappréciation
XUt«!ttic~HHttt);fMt~tttChitt!tB!.t<)UU.
f'UH MAKGKUK tt'ONUM S~

sous d'autre rannnrts~


rapports'. Mais critique de ce
une ~ritifmf~f
Mn!<! )!n<* ce eenrtt
genre
aurait. rebondi sans effet sur l'école de grammaire, de
Manchester, Ma première conversation avec les. ct~ves-
avait été amende naturellement sur un sujet fortuit, et
m'avait fait voir qu'ils étaient assez familiers avec les uic.
ments do la controverse chrétienne dans sa lutte avec le
Juif, le MahomëMn, l'inndelo et le sceptique. Mais ce n'é-
tait la qu'un CM exceptionnel, et nous ne tarâmes pas &
chercher nos sujets ordinaires de conversation duns ht lit-
térature, c'ett-à-dire dans la littérature nationale. Ce fut
alors que je commen~maeprauver un respect profond
pour mes compagnons oui, ~'Jtait un respect profond, et
il ne fit que s'accroître par une expérience plus longue.
Depuis j'ai connu bien des gens de lettres, des hommes.
qui faisaient professiqn de littérateurs, qui étaient connus
comme des hommes voués !t la littérature; quelques-uns
avaient adopte un genre spécial, un petit coin où ils exer-
çaient leurs talents-!iueraires avec un soin minutieux.
Mais parmi de telles gens, je n'en ai trouvé que deux ou
trois qui sé rapprochaient de ce que je considérais comme
une connaissance étendue, telle que je la voyais chez ces.
jeunes gens, pris ensemble. Ce qui manquait &l'un, l'autre
le possédait; aussi, par des échanges continuels, la contri-
bution incomplète de l'un s'ajoutant à la contribution in-
complète d'uft autre, les connaissances individuelles de
chacun s'étendaient peu a peu jusqu'au total de ce qui
existait.dans toute la réunion des seniors. Il va sans dire
que quelques points littéraires restaient inaccessibles,
mais c'était parce que les livres eux-mêmes étaient hors
de ta portée.d'enfants à l'école tel était Froissart, dans.
l'antique et trois fois séculaire traduction de Lord Ber-

L'onptitMntque des cavra~ tels que le .WcroM!)nc, quel'onsait


Ïtf< t'œuvftdes jeunescensd'Eton,et par)&mEmede Cannfn~,un df
de!<ttr<);uif)e;,ontd&prodaireuneffetétonnant,carla connaissance
de-'
nationaleétaitpourchacundescollaborateurs
f!t_)it(j!ratttre nomeutement.
atMirede!ym~x!Nt,m.5 :CK:re:d"KMt MiMtenMbte.
C~ MmHS'MM~t
nera; d'Mtoa pMtitt de b it~r~M é!«!ent MtureHc-
ment an<}pMM(}<xs de jeunes }!)tt~o<M,M.ua on aeppii*.
quant le terme g~Mr~ d'âpre la. assure que )'ai troMVte
en mMge pour les UttOrateura de pro&stion, ~'ëproavaft :t
l'égard dû pres<;u< tous let ~niors mes condiscipkt un
respect que je ne <n'ë!<tM)guère aucnttu h r<xaontif à t'
gard. de n'itnportt quels eufams. Mea Mbangeit d'Me<&
av<<: ceux d'entre eux qui avaient du talent pour la paro!e/
stimulèrent vi«m<nt mon intelligence,
Cet échange fut cepood~t r<!n!erim~ dans de plus
étroites limites peu de temps tpr~s moa entrée. Je recon-
nais avec an grand !~w~r<'aqne;C)<mitt~«txdetouh:tlex
facilités qui étaient eompanb~es avec t'orsaaiMtion de i'e~
tabHM<uaent. Aussi ;'avai& une chambre particulière, qui
me serMH non s<;).]ement de <:f)binet .d'étude, mais encore
.de chambre & coucher. Comu)~ elle était acrëe et bien
édaïrce, je n'éprouvai aucun iaconi.'entent h l'employer &
ce's) deux fins. Mais l'effet naturet de cette iadHite de
retraite était de me séparer de mes compa~no)~, car, tout
en nimant la soctété de quelques-uns d'enur~ eux, j'avais
pour la solitude un'goût mortel, peut-~tre une disposition
maladive. PotM'donner un pouvoir plus fatcinateur a ma'
solitude, ma mère m'envoya un ~f<T. de Cinq guioec~
ann de payer mon ndmiïMon~ a la bibticibjeque de 'Man~
che~ter. Aujourd'hui je ne regarderais pas une te!ie bibUo-*
thèque comme fort ~~Me, mais eMe e~n.~ompoece
d'une manièro fort utile, et très bien admiahtree, grâce an
bon sens er a l'inteHJ~ence de quelques membres du co~
mité fondateur. VoH~ deux choses qui: étatent rëe!tenMnt
t))n luxe. Uoe troisième, dont m'etai& promit par avance
un plaisir encore plus grand, échoua eamptÈtemeo~ poaa
un motif qu'il est bon d'indiquer, car il peut être utile à
d'autres. J'eus un piano-forte, et en même temps la
surnage nécessaire pn.tn'p'rendre des Iecos<n«t}vi<s d'un
maître de musiQue. Je découvris tout d'abord que huit et
même dix heuce! d'exercice par jour étaient indispeaMMes
))'UN WA<<On!« )tt'C)')Ut 9f

pwuc Mre un pfcyrM Mtitfhxmnt sur <:ct instrument. Une


<utre d~tou~orte mit comutt: à mot dtsenehuntew~nt,
ce fut f~ie'ei. Étaot du~tM If but p~rticulMr qu~ )t" me
proposà<s, il devint aident poof mot qu'aucun degré
d'hubilete sur cet instrum~nr, que !t talent nome de That-
b~s, <attituuf6jMtMt. Je ~'arriva! que trop tôt !t reùonnn~re
<}a< pour goûter touttt !a profon~tuf du. ptaisir mu~teat,
l'auditeur doit )5<reth)ns)mé!.nabMtutïM'ntpa~if. ~vene~
aussi habile t)u<}vous voudret, il n eo fucdrj pas mo<ns
d<r<Mnthe, de'iat vh!t)an<:e, Je!me~tion pour etcumsr
d'une manière !rrëprochah!e, < cette dhpumion est in"
compatible avec i'exta&e, t<! repcn qm est n~~saire pouf
joeif vraiment de la musiqué suppeae< m&w ~u'&a
paHi~ff coa~itmMe une vusie machine capable d'exécuter
tout un oratorio, s'il ~tut un petit nMmvemcM du pied, à
de longs !n<e~<ue~ pour que l'~udiMar coUahore rexc-
<;utt0«, cela suffirii pour dëfruire tout son p!aisir. Ce fut
donc une simple d<!couvcfM pxyehotogiqu)! qui lit évanouir
d'avance mes arnbhians musi<:a!<!s. AuK.i un do mes p!:m-
&iMde luxe creva comme une bulle, dès le temps de mon
entanM. Puisque dans cet état de chose, l'instrument
était pMS~ l'état de bulle, il fallait que H}:professeur de
musique subit, la même métamorphose. Comme il ctaic
irès bon et qu'il me plaisait, je ne pouvais me r~eoneilief
avec ridée d'uacteUe catastrophe. Mais martela honnc
volonté dent il faisait preuve dans de certaines limites, il
était consciencieux et avait un amour~propts légitime, ïi
&'apercBt que je ne faisais aucun e&a't seMeax pour me
perieettonaof; aussi un beau jour, ii at< serra la main et
prir congé ptntr toujours. A moins d'être employé pour
souligner une n~orale ou pour enobe!l'c un; eoote, te piano
était devenu in'atHe il était trop gros poup titre suspendu
aux saule~ et H h'.y a~ait pas de saules dans le voisinage.
H reaa là pendant dte& mois~comfne monumeat'encom~
brant de travail mal emptoye, de.plaisir .ditaipé eo~me
une bulle de mon, coMtCMt~paYeatf de Twoas musicales
<)< COMFMMOW!
qu'un examen psychologique avait dispersées pour toujours.
Oui, cela était eer«in, sur trois ou: quatre objets, de
luxe, il en était disparu un, qui avait prouvé sa nature
fugitive de bulle aérienne; cela était trop certain il s'était
fondu, mais il en restait bien deux. La chambre tranquille,
située à deux étages au-dessus des exhalaisons terrestres,
et interdite à toute intrusion importune; la bibliothèque
de Manchester, dont les divisions les plus intéressantes
étaient pourvues avec tant de symétrie et de jugement, –
pas une qui empiétât sur les autres –- ce n'étaient pas des
bulles, et rien ne s'en était évanoui. Oh 1 comment expli-
quer, comment faire concevoir l'inexplicable développe-
ment delà destinée mauvaise en moi.meme et chez les
autres dans l'été de !8ot ? Alors que régnait ~surtoute la
terre une paix qui succédait h sept ans de guerre sanglante,
.mais une paix qui annonçait déj~t l'explosion d'une guerre
bien plus sanglante, mon cœur refléta dans ces troubles
obscurs, sembla répéter comme.un écho, reproduire
comme un miroir les menaces de la politique;; les nuages
que chassait l'ouragan dissipèrent la radieuse: et.sereine
aurore qui .alla précéder mes premiers-,pas dans. la vie ?
Inexplicable :.tel est le terme dont j'ose qualifier cette
fatale erreur, de mavie, car c'est ainsi qu'elle doit appa-
raître aux: autres. Même pour moi, toutes les fois que je
tente de .réaliser le fait. en reproduisant par un retour en
arriére la nature et. le degré des: souffrances qui firent
disparaître mon meilleur ange,, oui, même pour moi cet
évanouissement de; mes. facultés de résistance paraît inex-
plicable. Mais disons la'vérité pure, maintenant que les
changements amenés par le temps.me mettent:en état de
dire. la chosetelle! qu'elle fut, au lieu de n'en dire qu'une
partie comme dans les précédentes éditions, il est certain
qu'elle n'était nullement mystérieuse. Toutefois ia cir-
constance dont il s'agit est un des cas nombreux.qui prou-
vent ppurmonesprit l'impossibilité absolue.de faire des
confessions.entiéres~ d'une parfaite franchise, aussi long-
!U« MAXGtUR D'Ot'tUM <)3
temps qu'il existe encore des personnes qui eurent 'dnns
les événements. La chose est encore plus difficile quand
ces personnes, étant mortes et enterrées, survivent toujours
dans d'autres pe~onnes qui sont attachées à elles par
l'affection et la parenté. Plutôt que d'infliger des mortifi-
cations à des gens ainsi places, l'homme doué d'un cceur
sensible préférera mutiler son récit, H supprimera des
faits, et ses explications sorant illusoires. Par exemple, en
cet endroit de mon rëdt, j'ai acquis le droit, je devrais
peut-être dire quej'ai assume le devoir de qualifier de-brute
un médecin de l'avant-dernière génération oui, certes j'ai
le droit de l'appeler une'brute criminelle. Mais puis-je le
fair~, sans ressentir un profond remords tant que ses fils et
ses filles vivront, après en avoir reçu pendant mon
enfance tes soins lea plus dévoués? Souvent le même jour
où mes souffrances me démontraient l'horrible ignorance
du papa, j'éprouvais quelque soulagement gr~cc aux bontés
de ses filles et aux connaissances scientifiques du fils.
Il n'en est pas moins vrai que cet homme est devenu mon
mauvais génie au moment même où l'obscurité d'un orage
s'épaississait sur ma route. Ce n'est pas qu'à'lui seul, il
eût pu faire réellement un mal durable, mais il était pour
d'autres un coopérateur inconscient, et par 1~il a scellé et
ratiué la condamnation qui tenait menaçant sur ma tête
un orage de ps:nes. En'fait trois personnes ont contribué
sans le vouloir a ce désastre, cette ruine qui étend son
ombre sur moi jusqu'à maintenant encore, et qui alors fit
de moi un vagabond errant sans asile, quand je n'avais pas
encore dix-sept ans. De ces trois personnes, je fus la
première par suite de mon désespoir volontaire, de mon
renoncement résolu à toute espérance de second-ordre,
alors qu'après tout, je pouvais compter sur quelque adou-
cissement, en supposant que -la' guérisoncomplète n'était
pas possible. La. seconde personne fut ce médecin sans
conscience qui ne sut pas arrctenna maladie avant qu'e!!e
eut atteint un degré avancé. En troisième lieu ~venait
~4 MWMM&itt
M. Lawaon, dont les intirmi'tts toujours ~roimnte< ~n~oM
(M( )Mttre oa maladie et l'avaient accrue de be«tae tteure.
H Mt .etcMt~e, mais il est vrai pourtant que M. L~wtoo
devint par décret ua fléau pour to~MceuK qui tototweM
Ma< son ta~enee, et cela par son ~Matt<nae &retnpUr t~
d~foirt. S'U «It été pire, it aurait ëté béai bicc-plu:) !.inc6-
mmeat dans <on entourage. S'U avait pu <e reeonciHer
avec ridëe d'oefompUr avec nc~ji~emoe M tâche, il n'au-
rait pas si bien fait Y<Mrcombien il e!:ut au-dessous de cette
tAche tn~me. Man il' ne voulait pas en entendre p<M-ler.
Il s'MtèMit i parcourir jusqu'au dernier pwce:Ia <~rri~rc
qui lut ,était prescrite, et les x:ea)Mquen&Mprouvaient
douiouccutement le mtiMte de ~ous aeua qui J'eaipuraieni,
Seten iet <atiqMe< et <MditionBe~t Mswfr<sde l'école, la
e!a<M «MnaMHncth&<eptt~eure*du ~Min~aMa ~uriootda
!a quitter &neuf, et jouir.une hBure.e'MtètB.derepos avant
iedc~oer. En CMete~tUM, ~M~~i)iFe~~j'«pos était stric-
.tem=t due Hux.ëJÈ~s, et ne devait aubif tuc~ne .rcduc-
~!on 'par le &it .du caprice ou de la lenteur du m~ïn~
suprême. Mais ptr suite des empit&temejMsxucce~&if:.sur
tcette heure, les cloches de l'église oollégiale qui, -selon un
wieil usage, .Monnaient depuis neuf heures ~etdemie )usqu'a
-dix, et marquaient par Aeurs'ehaBSt.nxeat! de .ckf muiie.i!s
et de rythme l'approche de dixieBwe~hcMre,jBnirent par
nous-annoncer qu'à la sortie de la das$e, le,pain etle lait
:composant aMtre modeste dë}eucer devaient .être expédies
tvee une rapidité qui convenoit Mieux ~ux ;oAsea,uxde l'air
.qu'a de: dttciptes de la plutosop~e grecque. N'avions-
'&ous pas caeMM compensation, le .dfcit. d'etapiëter mr
'rheure SMiv.tta.te,de.dix à OMe? N'9n,:pas tueme d'uoc
.fraction de oeeottde.. JM~queJte dertuer.coup de cloche
aM<itMMKMaeé dix heun:&, 00 voyait M. Lawson monMr
~caJier ~e .ta db~c <:dui ~ui sou~'Kut .;e plus .de ce
-rigouBea)f. accomp!igsMnentdu devoir,, ne. pauvait* pas
~àMgwerq~ J~ jL.a~on .en souSrait jmouM..S'~ jetait
:Mn~pu!)MUt ~j~d d'autnn, U. s'~eoMttait Ae sa dette
~'UM-MtttMMtUtt tt'OHUM Q~
· fi '10
>
)U<)qu*)r<Atfn!er farthin~. Le n~mo entpif~ment se pré"
dui~it, M de même sans amener la moindre compensation
pour et qui aurait dû ~tre notre tem}~ de )r<'))('s, les deux
heures <prM io d!ner. Ce fut seulement pour de*: motrfs
mystérieux, sans doute pur égard pour les raii~Hs de
famille des externes, dont une seule Ytoiation aumit déter-
miné une i<t<.urrection de pères et de mères, ~u'H s'~n
tint ~d~Iement a cinq heures du soir, cotunif tnomc~t
de !a ctôtura des exercices journaiiers de l'école.
Dès que tout fut or~tnise ainsi, la n~ifai~jtnte machine
fonctionna avec régularité au bout de six mais, sauf un
court répit df quatre semaines, eHe avait produit quelque
elfet. Pour commencer, M. Lawson avait s.ms le vouloir,
et m&tae à ton insu, fermé toutes les i~u~s par lesquelles
nous poovion!,dun)tHin jusqu'au soir, prendre quelque
exercice -corporel. Deux ou trois iatervaUes de cinq
mitlUtes chacun, et tous longuement sépnrés, ~'oitu tout ce
dont nous disposions pour :dter nous promonet' dans la
campagne. Mais dans nnevasM cite comme Mxnchester,
nous ~'eussions pas atteint l'entrée des faubourgs que ce
court intervalle était termina. 'Lu manie de M. Lawson
dès qu'elic agit avec quelque -résultat fâcheux aur l'abrevia'
tion de nos tnstants de repos, ne tarda pus inftuuncct'
~r&vement ma santé débite. Le foie devint par
degrëx, et cet état 'fut accompagne de !a disposition qu'il
produit d'ordiMire, d'une profonde metuncohe. Dans ces
circonstances, comme d'ailleurs à la moindre indisposi-
tion, t'arais été sconse, par 'mes tuteurs, faire venir le
médecin, mais )e n'avais ~s été laissé libre de choisir mon
coasetUer. Celui-ci n'était pas tnedecin; un docteur
aurait demandé Je prix réglé d'une ruinée par visite; il
n'était pas chirurgien c'~taM'unjMOpie pharmacien. Dans
te cas d'une maladie sérieuse ~'<tvatsle droK de recourir à
tmfaedeem. Mattunoeonsultatiûnd'un prix mMcs cie'vé
pourrait faiMn~abiement paraître sufftsante pour une indts-
-poMKMt peNBettait au pa~Mt-de toaMhier, ~-t'sftt&
~6 CON)*)SM)OtM

.doute eUe l'eut été, car rien n'était plus simple que tR~n
cas. Trois doses da calomel oudepi!u!es hleues, ce que
par. malheur j'ignorais alors, m'auraient certainement
rétabli en huit jours. Un moyen, meiUeur encore, et qui f
toujours opéré sur moi avec une rapidité, une. sûreté
magique, aurait consisté A m'ordonner, après avis donné en
parucuHer à M. Lawson, une promenade dt. soixante-dix
milles par semaine. Maiheureusejfnent mon conseiller
médical était un vieux monsieur comateux, riche au delà
de ses besoins, insouciant dans l'exercice de sa profession
par suite de l'usage qui réglait alors la pratique de la méde-
clne, il était interdit aux pharmaciens de recevoir des
honoraires pour consultations, et H lui fallait subir Je
douloureux expédient qui consistait à se faire payer en
.recommandant une quantité fabuleuse de remèdes. Mais.
~in)p!ement par paresse, il s'abstint de me tourmenter par
la variële de ses médecines; avec une simplicité sublime, il
~'en tint à une affreuse mixture, dont la composition
s'était-présentée h son esprit quelque jour ou i! avait eu ù
traiter un tigre. Dans les circonstances ordinaires, avec un
exercice suffisant personne ne se portait mieux que moi.
Mais mo~ organisation était d'une fragilité périlleuse lut-
ter en même temps contre un telle ma!adie,et contre un te!}~
médecine, celq semblait trop. Le proverbe nous apprend
que trois déménagements sont aussi désastreux qu'un
incendie..qela, se peut. Je suis porté à croire, d'après Je
même etpri~ de comparaison mathématique, que trois doses
bonnes pour un tigre équivalent à une attaque d'apo- 1
plexie, ou même au tigre lui-même. Apres en avoir pris
deux, qui me secouèrent assez pour me laisser à peine
vivant, je me refusai à exécuter l'injonction coUée sur
.chaque fiole, et ainsiconçue < Repetatur haustus. Au lieu
de me. hasarder à cet acte périiïeux, j'envoyai chercher
M. (le pharmacien) et je lui demandai si dans l'arsenal de
son art, qui passe pour posséder une innnité de ressources,
Hn'txistait aucun remède qui fût moins abominable, et S
1
D'UM MANGEUR O'OrtUM <)~

qui ebranUt moins un organisma aussi délicat que cetui.ci.


– < Non, il n'y en. a pas », me répondit-il. H était très t'en,
il insistait pour que je vinsse prendre du thë avec ses
filles, qui étaient réellement aimable, mais il me répétait
à différents intervalles <t Non/il n'y en a pas, il n'y en a
pas puis il rassemblait ses forces, et criait très haut
n H n'y en a pas x en appuyant sur les dernières syllabes,
qu'il prononçait ainsi n en-en-en a-a-a pa-a-as 1a Tout
l'esprit que possédait cet homme avait.ctd dépensé, sem-
b!ait-it, dans la composition de cette infernale mixture.
D~ lors, à nous trois, M. Lawson, le'somnolent
pharmacien, et moi–nous avions construit une echeHe où
les fautes allaient croissant. M. Lawson n'avait eu qu'~ se
montrer scrupuleux, pour détruire ma santé le pharma'
cien avait souscrit pour sa petite contribution en ratifiant
et triplant les effets fâcheux de cette vie renfermée. C'était
a moi, le dernier. de la série, à parfaire et compléter le
résultat en apportant ma faible part, la seule chose que
j'eusse à offrir, c'est-a'dire mon désespoir absolu. Ceux
qui ont parfois souncrt d'un grave dérangement du foie,
savent pf;ut-ëtre que dans toutes les gammes du decoura".
gemcnt humàin et leurs infinies variétés, il n'en est pas de
plus redoutable. L'espérance se mourait en moi. Je n'avais
aucun secours a attendre de la médecine, grâce a 'ma
profonde ignorance, qui n'avait d'égale que celle de mon
conseiller officiel. Je ne pouvais espérer que M. Lawsbn
modifierait son système; l'instinct du devoir était trop
fort en lui, et son incapacité à remplir ce devoir devenait
chaque jour plus évidente. « J'en arrive au point, pen-
sai-;e, qu'il ne reste plus de secours qu'en moi-même
D'ailleurs pour tout homme, la dernière ressource n'est
autre chose que. sa propre personne. Mais ce lirai-même
paraissait en état de banqueroute complète, banqueroute
de conseil, d'avis, d'effort dans le sens de l'action, –
de suggestion dans le sens dé la direction suivre. Depuis
deux mois je poursuivais de mes tuteurs ce que
i ~)t4J.'~«~m
7
na coxMMtom
j'appelais une négociation dans ce but; l'objet que je me
proposant était d'obtenir que mon séjour à r<co!<: f<
threge de beaucoup. Mais le mot de négociation était une
désignation trop Hatteuso pour une correspondance ou
depuis le commencement je n'avais trouvé en mon tuteur,
rien qui ressemblât à l'ombre ou h l'apparence d'un com-
promis. A vrai dire, quel conirromis e~i: possible, quand
d'aucun côté l'on ne pouvait faire de concession p~rdettc,
si petite qu'elle fût il fallait tout ou rien, car nul M<e~o
~W!M~ n'était admissible. Lorsque je jetai un premier
regard sur cette vérité désagréable – qu'il n'existait
aucune possibilité de concession ntutneUe, et que l'une
des'deux parties devait tout céder, je fus frappé de l'idée
naturelle qu'it ne faHatt compter pour cela sur aucun
tuteur. En m'me temps je fus frappé de cette autre idée
que mon tuteur n'avait pas un seul instant discuté en vue
d'un résultat eSecttf, mais simplement dans l'espoir de me
convertir à ce qui, raisonnable ou non, était irrévocable-
ment etab!i. Ces deux découvertes par leur lueur soudaine
et simultanée, étaient tout fait suffisantes pour mettre fin
brusquement a la correspondance. Je comprisaus.si un
détaU qui par un fait 'étrange, m'avait échappé jusqu'au
moment où tous ces désappointements se révélèrent, savoir
qu'un de mes tuteurs, fût-il même disposé à céder, n'était
que l'un des cinq. Tant mieux dans les ténèbres qui
m'entouraient de tous côtes, cela fut pour moi comme une
lueur de vrai encouragement. Après avoir dépensé si long-
temps jusqu'à minuit d'excellent papier et du suif (j'ai
honte d'employer. ua mot aussi bas, mais ma véracité
m'empêche de dire de l'huile) si le résultat obtenu devait
être insignifiant, c'était une sorte de consolation que de
ne pas l'avoir atteint. Toutes les raisons possibles s'accor-
daient 'désormais pour m'engager à ne plus perdre ma
rhétorique mon. suif et ma logique avec ce tuteur, bloc
impassible de granit. A la vérité, en relisant sa dernière
<:oaimuatcation,}e soup~ant!M$quej'avais cpuise jusqu'au
C'UH MAKGtU~ B'OPtUM §<)
.iIi. _)-
Jcr'tkt pMM <)~ Mp.tHentë, ou pour cmployemn terme
de marme qu'il avait toute la lon~"r du câble au
bout duquel il s'asi'ait. Des. lors si gavais voulu imiter
Fapothicaire avec son « rcj~ctatur hausties et voulu lui
faire avaler une dose nouvelle de sollicitation, il aurait
imité ma réponse à l'invitation d'avaler la troisième
potion, en m'opposant son tion résolu H mon auda-
cieuse MUttHive. Je dois cependant rendra justice ti mon
tuteur d'abord et surtout l'absence d'arguments do ma
part, et de motifs d'une apparence sérieuse, le peu d'impor-
tance qu'il attachait à ma maladie de foie, qui pour lui
avait dît n'être qu'un mot, s'ajouteraient aux considéra-
tion* puissantes qui suivent tt que cet enfant étourdi,
aurait-il dit, trouvera de quelque poids dans trois ans.
Mon revenu patrimonial, comme celui de mes ft~res, atûia
au nombre de trois, était de ceht cinquante livres lors de
la mort de mon père D'après l'opinion courante, ou pour
parler plus hardiment, d'après la maxime d'une autorité
traditionnelle qui était répandue en Angleterre, ce revenu
était trop faible pour un sous-gmduë passant quatre tri-
mestres à Oxford ou à Cambridge~ Trop faible de combien?
de cinquante livres, le revenu nécessaire étant fixé à deux
cents livres. En conséquence la somme que l'on supposait
il tort ainsi qui je le vis plus tard par moi-même, manquer
il mon revenu pour vivre à Oxford, était justement celle
que la caisse de l'école de Manchester allouait a ses élèves
après âne résidence de trois ans, et qu'elle payait non
pendant trois'ans, mais pendant sept ans consécutifs.
II fallait des raisons bien décisives pour lutter contre les
motifs aussi évidents de juste et honorable prudence qui
exigeaient ma soumission à un plus long séjour a l'école.
Cent c~ttt.ttfc ~'yr<~ rfMHM.– Commentse fit~-it que pendent
une longue tutelle de
Jonquetute))e ptds de
de plus- de quatorzeans, ce revenusoit
quatoMeans.ce revennsoit resté
que Station-
Mhe? Je n'ai pu )t tt~'oir. Personne n'était nposé à des soupçonsde
d~:oufBttaentrcti, cependantcette circonstancedoit s'aiouter aux c.t'ide
a~igeece pMsivt, de torts ncgjtiriqui rendentai <K!agreaHe&contem-
pttr le MM<tQje la situation des o'pht)ins t<Mttoatt la thretXott.
tOO COMftMtOKS

__I_ .&
Lec<M! n'MCttM)pas tM arguments qui crient en fureur,
en désordre, contre moi. J'en éprouve un chagrin trop
sincère. Sur la résidence exigée de trente-six mois, j'en
avais déj.\ dix-neuf, c'est-a'dire plus de la moitié, de ter-
minée. D'autre part, il est vrai que mes souffrances
étaient absolument intolérables, et que sans concours
aveugle et inconscient de deux personnes, ces soun'rancet
n'auraient pas existé ou auraient été promptement soûla.
gées. Dans la grande ville de Manchester, il existe sans
doute assez de mercure pour charger tout un vaisseau, et
il en faut gros comme un gland de chêne pour le calomel
qui aurait fait changer d'aspect toute une existence
humaine, et fait taire la cloche funèbre dont les sons
douloureux, douloureux encore, bien qu'etoun~s en par-
tie, lui répètent les reproches qu'elle se fait avec
remords.
Des lors, le seul excès de mes souffrances corporelles et
de mes désillusions inte!!ec!uc!tes, suffit pour développer
une frénétique et enthousiaste énergie. Aux Etats-Unis, il
est un fait bien connu, très souvent décrit par les voya-
geurs sous t'innuence des variations dans la quantité du
sel de la nourriture, un instinct furieux attire toutes les
bandes de bisons vers le centre commun des < lèche-sel
C'est une impulsion analogue qui pousse les sauterelles,
qui chasse les lemmings dans leur marche mystérieuse, ïls
sont sourds au danger, sourds au cri de la bataille, sourds
aux trompettes de la mort. Que la mer se trouve sur leur
chemin, que des armées avec de l'artillerie leur barrent la_
route, ces obstacles terrinants ne les arrêtent qu'en les
détruisant les abîmes les plus affreux, lorsqu'ils se dis-
posent à les. engloutir, lorsqu'ils, sont prêts à les entraîner,
ne suffisent pas pour modifier ou retarder la ligne qui
avance inexorablement.
Tel était cet instinct; son commandement était aussi
impérieux, aussi puissant, mais hélas aussi aveugle,
quand le coup de fouet d'une indignation tumultueuse,
B'UN MAMGKUX B'OP)UM )0t

d'une espérance naissants, l'atiuma en moi et tran~gura


soudain tout mon être. Un clin d'œi! donna à ma résolu-
t!on la dureté du diamant, comme si elle n'était pas le ré-
sultat d'un acte ou d'une délibération venant de moi, mais
l'effet subi passivement de quelque oracle dicte par une
sombre puissance située hors de moi. M'échapper de Man"
chester, telle était la résolution. Afe cacher aurait été le
vrai mot, si }'avai:. médite quelque chose de criminel. Mais
d'où venaient cette indignation, cette espérance? L'indi-
gnation avait sa cause naturelle en mes trois bourreaux,
le tuteur, l'archididascalus et le professeur de <<o~!e
En e<Tetceux qui coopèrent matériellement a un résultat,
même par une intention trcs vague, sont réunis par JL'es.
prit en une fatale confédération. Quant u l'espérance,
comment l'expliqua. ? Etait-elle tepremier.no de la résolu-
tion, ou la résolution était.elle le premier-né de l'espérance?
Elles allaient ensemble, inséparables, comme l'éclair et le
tonnerre, ou bien l'une courait tour a tour devant ou
derrière l'autre. Grâce à cette extase transcendante que
faisait éclater la perspective d'une soudaine dd!!vrance,
toute anxiété naturelle qui, sans cela, se fût entrelacée avec
mes sentiments, disparaissait dès lors dans un flamboiement
de joie, comme la lumière de là planète Mercure est
pendue et éteinte à cause de son trop grand rapprochement
de la splendeur solaire. En pratique, je ne portais pas mes
soucis au delà d'un avenir qui dépassât deux ou trois
semaines. Ce n'est pas par insouciance ou imprévoyance.
car je vais naturellement dans d'autres directions. N~:t
cela s'explique secrètement par ce que Wordsworth indique
en décrivant la joyeuse disposition de la France pendant la
belle aurore de sa première Révolution (tySS.t~o) il
nomme cet état une joie ~'OK ne sent pas (senselessness
of joy), c'est-à-dire une joie emportée,. frénétique, irreSé-

'~?!.d.T.~
!<M COSFK~tONS
-1. cela _A.
même 1
chie, et par subtile 1: comme Wordsworth le
dit avec raison, une joie qui submer~etut toutes les veni-
meuses inquiétudes, tous les doutes qui ton~M le coeur.
J'éttus, ;'<vais été longtemps prisonnier, )'6ta~'enferme
dans une maison de force; un mot puisant comme In
foudre, sois libre, était prononce dans un repli secret de
ma volonté, et il avait fait tomber comme par un tremble-
ment de terre, les portes de ma pr~un. A chaque instant
je pouvais sortir. Mon imaginmmn me précédait sur les
doux sentiers galonnés des coUines champêtres; je re:-
pirais d'avance les brises des montagnes eterneHe~ dont )e
MutHe me semblait venir du jardin du Paradis; au scuit
de ce ciel terrestre, il m'était désormais impossible de dis-
tinguer nettement, ou avec uno longue attentionnés détails
épineux qui pouvaient plus tard se multiplier autour de
moi, de même qu'au milieu des roses de juin, et pendant
quelque belle matinée de juin, je n'aurais pas réussi me
mettre sous la froide impression et dans l'abattement que
produisent les brouillards vers la fin de décembre. P<Htn',
voilà qui était décide? Mais quand? Mais où? Le quand?
ne pouvait avoir qu'une réponse. Bien des raisons m'obli-
geaient à choisir la saison d'ëtë, dès son commencement
si possible. Outre ces rinçons-la, le mois d'août devait ra-
mener mon anniversaire, et un des articles de ma charte
générale était que mon anniversaire ne me retrouverait
pas à l'école. J'avais aussi quelques préparatifs faire!
d'abord j'avais besoin de quelque argent. Par suite, j'écrivis
à la seule personne qui fût mon ;amie confidentielle, à
lady Carbery. Autrefois, elle et lord Carbery, anciens
amis de. ma mère, m'avaient honoré à Bath ~t ailleurs,
quelques années, d'attentions flatteuses; 'en particulier,
dans ces trois années, lady Carbery, jeune femme qui

ne sentaitpas,étaitsublime.< ACatais,Word&worth
.C€ttc)oie;qtt'on
(voirFrcanwnetFl eu 1802.à ireise-avr.eucrrièra,à lagrande
eé~reoortait
èredela ~surfectionsociatede
trede).t résurrection
socialede ~SS.Sg,
ent8ot.à qui avaitsuivi
avait suivi on
unsotMMit
sommeildix
dix
fois sfcuhirc.
D'UKMAHGKt)RH'Om)M )o3

avait dix ans de plus que moi, et qui était aussi remarquable
par ses qualités intellectuelles, que par sa beauté et su
hanté, avait entretenu une correspondance avec moi sur
des questions littéraires. Elle avait une opinion trop haute
de mes facultés et de mes propres, et partout elle parlait
de moi en termes enthousiastes, u tel point que si j'avais
eu cinq ou six ans de plus et possédé quelques avantages
personnel, son langage aurnit pu faire sourire a ses dépens.
Je lui écrivis alors, pour la prier de me prêter cinq guinées.
Une semaine se passa tout entière sans m'apporter de
réponse. Cela me ntéprouver de l'indécision et de l'inquié-
tude sa seigneurie possédait une grande fortune tout &
fait indépendante du contrôie de son mari, et j'étais assuré
qu'elle m'eût envoyé avec empressement une somme vingt
fois plus forte, à moins que sa sagacité ne fût parvenue,
contre toute mon attente, a pénétrer dans quel dessein je
demandais ces cinq guinees. Avais-je commis l'imprudence
de laisser échapper dans ma lettre me'nc des mots dénon-
ciateurs? – Certainement non, mais a:ors pourquoi.? A
ce moment même toutes mes suppositions furent interrom-
pues brusquement par une lettre qui portait un sceau orné
d'une couronne. Elle était de lady Carhery, comme cela
s'entend, et contenait dix guinées au lieu de cinq. Les
voitures allaient lentement à cette époque; de plus lady
Carbery était partie pour.les bords de !a mer, et c'était là
que ma lettre avait dû la rejoindre. Des lors, avec ce qui
restait en poche, j'avais douze guinées qui me paraissaient
une somme suffisante pour mon but immédiat. Quant a ce
qui arriverait plus tard, le lecteur se doute bien que je mar-
chais dessus avec dëdan. Pourtant cette somme dépensée
l'hôtel sur le pied de la plus stricte économie, ne pouvait
pas durer plus d'un mois pour ce qui est de vivre dans
les auberges de second < rJrc, d'abord elles ne sont pas
toujours moins coûteuses, et une objection décisive se
présente Dans les contrées solitaires de montagnes,
~cambriennas aussi bien que cumbriennes), on armement
t0~ CQ~t!)0?<S

rembarras du choix, celle qui coûte cher est !a seule. De 0


ces douze-guinées, il fallait déjà en déduire trois. L'époque
des pourboires et des étrennes données aux trois ou quatre
domestiques de la personne chez laquelle vous dînez, cette
époque-la est passée depuis .trente ans environ. Mais cet
abus évident n'avait aucun rapport avec l'habitude de dis'
tribuer de l'urgent entre les domestiques dont la tache
journalière était augmentée par suite du séjour d'un visi-
teur dans la famille. Cette habitude, qui, je pense, est
propre à la gentry anglaise, est honorable et juste. Je 'a
tenais de ma mère qui avait en horreur les façonssordides,
et je regardais comme ignoble pour un gentleman de ?
quitter u<M maison sans reconnaître l'obligeance de gens
qui ne peuvent rappeler tout haut leurs droits. En cette
occasion la seule nécessité me contraignit à ome'tre la
gouvernante de la maison; H m'était impossible de lui =
offrit' moins de deux ou trois guinées; mais, comme elle
était inamovible, je renëchis que je pourrais les lui envoyer
plus tard. Pour les trois domestiques de second rang, je
pensai ne pouvoir donner moins d'une gumeea. chacun
.dans ce but je laissai la somme nécessaire aux ma!as de
G. le plus honorable et le p!us intègre des seniors; la
remettre moi-même, c'était m'exposer à faire connaître
mon dessein prématurément. Ces trois guinées 'déduites,
il m'en restait neuf ou à peu près. Des lors tout était
arrangé, excepté une chose; j'avais tranché-les questions
~K<M<< et co~MWMf,mais non la question CMP Elle restait
<M~~H~!C~.
Mon dessein primitif avait été de voyager vers le nord,
c'est-a-dir~ vers la région des lacs anglais. Cepetit district
montagneux est placé comme une tente entre quatre points
bien connus, savoir les petites villes d'Ulversione et de
Penrith ses deux pôles, nord et sud, entre Kendall à
l'est, Egremont à l'ouest; la première distance est d'environ
quarante milles, la dernière d'à peu près trente-cinq milles.
Cette <:on~e exerçait ~ur moi une attraetioa fascinante,
D'UN MANGKUR B'OMUM to5

$uhtUe, douée, fantasque, qui n agi avec force sur mon


i~Uigence dès l'âge de dix-sept ou dix-huit ans. La partie
Méridionale de ce district, d'environ dix-huit ou vingt
nnUes de longueur qui porte la nom do Furness, ngurc
tdgaiement dans la géographie de l'Angleterre provinciale,
comme une section du I.ancashire, bien qu'elle soit séparée
de ce comté par l'estuaire de la baie do Morccombe. Or, le
Lancashire étant mon pays natc!, j'avais, des mon énonce,
par Fetiet de cette simple fiction légale, aime comme un
privilège mystérieux, aussi tenu qu'un n! de la vierge, n
me regarder comme client, comme affranchi dans le petit
domaine féerique des lacs anglais. La plus grande partie
de ces lacs se trouve dans le Westmoreland et le Cumher-
land, mais les eaux si belles et si calmantes d'Esthwaite,
avec quelques petites îles d'cmeraude, et la plus grande iie de
Coniston, avec leur subHme chaos de groupes montagneux,
le petit réseau de vaHëcs tranquilles qui s'étend vers la
tête et suit tout le chemin en remontant vers !e Grasmere,
ces eaux se trouvent dans lit partie supérieure du Furness.
C'était sur elles, ainsi que sur les ruines d'une abbaye si
fameuse jadis que s'était, quelques années auparavant,

ta<< – L'extrémitéd'unh)Cport': dansle paysle nomdef<?~dans


l'endroitoùi) re;o!tlescoursd'eauet lesfutMe.tUtqui)'.t)imententpar
la MSmemttaphoft, rextrcmtt~opposée,par où torte~t les e.<ux, se
nommepied.Cette distinctiontoute naturelleme donnet'ocMs:onde
tcni.irqueren passant,que l'existence réelled'une<f~ et d'un ~Mfdans
fouiesles étenduesd'eauxternies, ôte toutfondementà l'ironiedeLord
ByronIl l'égarddes poète: lakistes, qu'il qualifieavecdédainde poètes
demarais.Lepublicpresqueentiera cnnsidtrecettealtérationdesfaits
commeune conséquence naturelledu dépitsi bas,et en app.ir.iuce
-.i tna~
fonde,que.LordByronéprouvaitencore si vivementà t'tigardde Wordswortil
et pourdesmotiftpiusfaotas~ues enversSouthey.Lef.'itdettans.
formerune imagevivantequi représentaitun mouvement incessant,en
untableaude stagnationtorpide,avaitun resuiw tansib'e. Maisquelle
différencey avait-ilentre les t'M ~tCM de et
Virgile, lesmaraiscor-
rompuset couvertsd'une nappeverte, sinonque les premiersavaient.
une
quelesderniersn'aient pas ie mot {~fc <t un pied, cesprincipesa;t mou-
vementincessant.Remplacer de lac,par untermequi ex'.intou
supprimela di.îerenceessentiellequi caractériseund'unelac,c'est-à-diresa
mobllitéagitéeet éternelle,c'estse rendrecoupable ins~ite,oùla
p*{* is*Me c'e**!*M"K* t! «!ttint*.
to6 eowMMtOHt
J!t*~<t-~–t.–t~<
étendue la ~)~
splendeur solaire que leur donnait td grande
enchaatar:5Sù d'alors, Anne Raddine. Mais plus encore
qu'Aaat Rtdctifte, les peintres paysagistes, si nombreux,
si varies, avaient contribué à la gloire du district des lacs
~ng!a!$; ils avaient retracé aux yeux, ils raient gravé dans
le coeur ses retraites pudiques avec-leur saint repos, les gran-
deur!: alpestres de plusieurs dentés tels que Waatdate-Head,
Langdale-Head, Horrowdalp, Kirskstone, Htwsdaie, etc.
Ils n'avaient pas néglige ta paix monastique qui parait
régner sur cet aspect particuUer de ln vie pastorale, bien
grandiose, comme le remarque Wordsworth, avec sa rude
simplicité, la lutte avec le danger que recèlent dans leurs
vastes draperies les brouillards qui entenèhrent les hauteurs,
et celui qu'apportent les vents du nord dans leurs orages
de neige et de grêle, si on la compare avec la vie eneminee
des bergers dans i'Arcadie classique, ou dans les pâturages
fleuris do la SieHc.
A toutes ces choses qui m'attiraient si fortement vers
les lacs, vers cette aimable contrée, s'ajoutait la puissance
magnétique, qui à cette époque me paraissait unique au
monde, de WUiam Wordsworth. Cette connexion intime
du poète qui m'avait le plus dmu, avec la région, te paysage
qui tenait à mon cœur par les tiens les plus forts, et
captivait mon imagination, devai: avoir pour effet
inévitable, en des circonstances ordinaires, d'exercer sur
mes délibérations incertaines une action rapide etdécisive.
Mais dans les impressions faites sur moi tant par la poésie
que par l'aspect du pays, il y avait trop de solennelle pro-
fondeur, ainsi que je puis le dire sans exagération, pour
qu'elle, pût produire un entraînement hâtif ou fortuit,
comme résultat capable de traduire exactement sa force,
ou de réfléchir son caractère intime.
Si vous étiez, lecteur; un Mahomëtan dévot qui tourne
chaque jour des regards pleins de respect mystique vers la
Mecque, si vous étiez un Chrétien religieux qui contemple
avec même extase l'&oruoa vers. Saint-Pierre de Rome,
D'U?< MAKMU~ U'0)')UM )ni

ou vers Et Kodah, la sainte cité de Jeru~lem, ainsi nom-


mée par les Arabes mêmes, qui haïrent élément ~~hM-
tiens et J~ifs, n'eprouveriM.vous pas une vive douleur,
si un ami vous rencontrait sur une grande route, et qu'en-
toure, selon la circonstance, d'un nombreux équipage de
chameaux ou de voitures, il vous dit en acccidnmt tout h
coup sa marche « Allons, vieux camarade, trottons côte
à côte; me voilà parti pour la mer Houge, et j'ai un cha-
meau de reste a ou bien s'il vous disait « Me voUa en
route pour Rome, et j'ai une voiture bien capitonnée. H
peut se faire que l'invitation tût h propos, qu'elle fût nvan-
tageuM; mais vous n'en seriez pas moins choque de cc
qu'un voyage qui prendra forcément le caractère formel
d'un pèlerinage religieux, puisse avoir pour point de dé-
part, pour cause occasionnelle, une otTrc fortuite, une cir-
constance née d'une rencontre passagère. Dans lo cas ac-
tuel, aucun fait ne me permettait de rêver que je nie pré-
senterais moi-même à Wordsworth. Le principe de
vénération, pour parler comme les phrenoto~istes, était
trop développé en moi pour me porter n un tel acte. C'est
à peine si je serais allé le trouver, si j'aurais repondu a
une telle invitation venant de lui. Je ne pouvais me faire
à l'idée, envisagée comme une simple possibilité, que
Wordsworth aurait entendu prononcer mon nom pour la
première fois au moment mê.ne où je me trouvais dans
quelque embarras pécuniaire. Ce n'était pas tout. La poésie
et Je pays enchante auraient perdu à mes yeux tout intérêt
(c'est le seul mot qui puisse rendre mon idée d'une ma-
niera totale); tout mon intérêt pour les personnes et les
êtres, la vigne et la vendange, les gardiens et les, dames de
ces Hespérides, et en même temps pour leurs fruits d'or,
se serait évanoui, s'il m'avait fallu y bire irruption dans
un état de bouleversement qui neutralise la pensée. Cette
précaution dsticate m'était rappelée par une tradition qu'a
conservée Pausanias. A ce qu'il raconte, les gens qui visi-
taient pendant la nuit le Janaeux champ de bataille de Ma-
<oH COK~KMtOtt!

rathon, parcouru à certaines époques par des cavalieu fan-


tômes qui faisaient des charges et des manoeuvres de com-
bat, si ces gens étaient attirés par une vulgaire curiosité,
et n'obéissaient pas à des mobiles plus nobles qu'une
dégradante indiscrétion, étaient accueillis et maltraités
dans les ténèbres par des êtres analogues sans doute a ceux
qui infligèrent une si rude correction à Falstaff sous les
vénérables ombrages de Windsor; ceux qui au contraire
venaient en visiteurs pieux, et animés d'une véritable et
filiale sympathie pour les hauts faits de leurs ancêtres
athéniens, ceux qui se présentaient comme nls de la
même terre, recevaient l'accueil le plus hospitalier, et
pouvaient remplir en toute sQrcto les devoirs de pèlerinage
ou de mission religieuse. Dans les circonstances où je me
trouvais, je vis que les motifs d'affection et de respect qui
auraient si fortement fait pencher !a balance en faveur des
lacs dunord, étaient justement ceux qui me poussaient
avec force dans la direction contraire/les circonstances
dont je parle étant de nature !t produire en moi du trouble
et de l'incertitude. A ce moment même se révéla un nou-
veau motif puissant pour m'empêcher d'aHer vers le nord
je songeai a ma mer*. Mon cœur se serrait à seule pen-
sée de lui causer une émotion trop vive qu'y avait-il
de mieux pour la calmer que ma présence même, dans un
moment opportun? A ce point de vue, le nord de la Prin-
cipauté de Galles était le havre le meilleur pour moi; la
route qui partait de mon séjour actuel, traversait Chester,
où ma mère avait alors nxé sa résidence.
Si j'avais éprouvé quelque hésitation, et je dois dire que
j'en éprouvai, sur cette manière d'exprimer les égards que
je devais à ma mère, cela venait non de quelque indé-
cision dans mes sentiments, mais- de ce que-je craignais
qu'on interprétât cet acte de tendresse, en disant que
j'exagérais mon importance aux yeux de ma mère. Pour
que je fusse capable de lui causer une émotion alarmante,
il fallait que je me. supposasse l'objet d'un intérêt tout
B'UH MAKGKUR n'OHUM tU't

particulier? Non, je n'admettais pas cetto conclusion. Mais


peu importe. Mieux valait m'exposer ù mille raineries,
que d'encourir un seul de ces remords que l'on se fuit à
soi-même et que le temps n'adoucit jamais. Aussi je me
résolus a braver ces raiHeries sans faibiir, et o faire une
excursion vers ic Prieuré Saint-Jean qu'habitait ma mère,
ptcsde Chester. Au moment même où je prennis ce parti,
un incident singulier vint m'y confirmer. La veiiic même
de mon fatal départ, je reçus pnr !a poste une lettre dont
l'adresse était tracée d'une écriture inconnue A Mon-
sieur, Monsieur de Quincy-Chester ». Cette répétition do
Monsieur Monsieur, qui était pour tes usages français' l'é-
quivalent de notre expression de ~M!'rc, émit alors pour
moi une nouveauté ininielUgibie. La meilleure manière
de me l'expliquer était de lire la lettre, ce que je m'enbr-
çai de faire, dans la mesure du possible, mais en vain. J'en
deehinrai cependant assez pour rcconn:ntre que la lettre
n'était pas pour moi. Le timbre de h! poste était, je pense,
~fatM&oufg',mais elle était datée a l'intérieur d'un endroit
situé en Normnndie. 11était possible qu'eiio fùt adressée
il un pauvre émigré, à quelque parent des Quairemere de
Quincy', qui était venu it Chester comme professeur de
français sans doute, et h qui la courte et pernde paix d'A-
miens avait permis de revenir en France en 1802. Un

'Pottr~MMMyM/'MK~t!– Ce n'étalent point desusagesmodernes


Lafameuse comtessede'Derby,Charlottede la Tr<mo)))e qutdiffgMla
défensede Lathom'HouM (leprincipalchâteaudesStanleyétaitI.~thom
et non Know~cy). écrivaitau princeRuperten adressant'ses lettres:
AMonsieur,AMK~~xr fe prince Rupert,au tieu de A .VoM~wM)-
pr<wfRupert; c'étaiten l'année1644,danst'enntede Marston-Moor,
l'avant-dernière
de)«guerreparlementaire.
'De QMtKcy.La famillede Quincy,ou Quincey,ou Quincie,dont!e
noms'estécritcommetouslesnomspropresau tempsde)'anarchie ortho'
graphiquequi régnaitIl y a cinq ousix cents ans,de toutesles façons
quepouvaitinventerle tapr!c<,était d'originenor\veRtenne.
Dèslecom-
mencement du xt*siècle,elle émigrade Norw&ge dansle sud;et sebrisa
en troispartie!),une funcatse,une anglaise,une ongtû-ftmericaine,
dont
chaconeécritMnnomavecdetegere"différences.
!t0 t.~Ntt.~i~St

homme Mai obscur devait être forcément inconnu dans


tous les bureaux de poste en An~eterre, et )a lettre m'a-
vait été adressée, comme au plus ~gé des repré::ent«nts
masculins de la famille de Quincey, qui était, comme on
le pente, très connue à Chester.
~~efH~étonné de me voir transformé d'un tr.-it de plume
non seulement en un Monsieur, mais en un AfoMMKt'
multiplié, ou pour parler en termes d'algèbre, en un ~'OM<
jt«Hr élevé au can'e, ce q~i me faisait prévoir !< possibithë
d'être un jour Monsieur uu cube (Monsieur). Quant à la
lettre, en l'ouvrant à la hâte, j'en fis tomber un effet sur
Smith, Ptiyne et Smith, d'environ quarante guinées. On
pourrait croire qu'à ce moment, l'intérêt que ma decou**
verte m'inspirait prit plus de force, car si cet envoi fortuit
m'était adressé tout exprès, il n'y avait pas malentendu;
jamais homme, à la veille de s'engager dans une périj!euse
aventure, n'avait vu tomber un secours plus opportun, et
qui vînt à un moment plus critique. Mais hëlus mon
regard'n'eut pus de peine à raisonner les chances défavo-
rables. Prophète de malheur, je le suis toujours pour moi-
même, forcé que je suis à tirer de tristes augurer, sans
pouvoir les dérober à mon cceur, même pendant les rêves
d'une seule nuit. En un instant )e vis trop clairement que
je n'étais point le Monsieur au carre. Je pouvais être AfOM*
WMf, je ne pouvais pas être AfoH~'eKrà !a ssconde puis-
sance. Qui donc m'aurait dû quarante guinëes? Si j'avais
un débiteur, pourquoi avait-il recuté jusqu'à ce moment
!<:paiement de sa dette? Qu'il était honteux pour lui d'a-
voir attendu ma dix-septième année avant de me faire
connaître sa dette ou même son existence si intéressante?
Il est incontestable que la morale en toute rigueur rendait
ce retard sans excuse. De plus, comme cet homme témoi-
gnait-son repenUr sous la forme ia plus pratique, M M<
sous la forme d'un paiement, je me sentais tout disposé à
lui donner l'absolution pour ses péchés passés, une quit-
tance générale de ses arriérés, s'H en existait, et cela pour
n'ux M*nGKU<tn'onuM !tt
toam !et génération! à venir. Mois hélasl il suffisait que
cet avoir fût opportun pour qu'il fit tomber mes espé-
roneex. Un homme qui aurait dû cinq guindés pouvait
être un personnage réel, il pouvait exister un tel débiteur
en choir et en os; cela était croyable, mais ma crédulité
n'allait pas au delà, et si l'argent m'était ree"ement adressé
~ott~~c. à coup sûr, il ne pouvait venir que de l'Ennemi,
et dans ce ces il fallait examiner sur-le-champ si je devais
l'accepter. Dans le moment actuel, il s'unissait d'une
énigme de Sphinx, et la solution, s'il en existait une, devait
être cherchée dans la lettre. Mais, ôcieHô terre avec
cette lettre). Si le Sphinx dnutrefois avait propose son
énigme à Œdipe par correspondance, et In lui eut fait
remettre par le bureau postal de Thebes, il était pour moi
d'une évidence frappante, qu'il aurait bien fait d'employer
la main d'un Français, pour que son énigme pût braver
éternellement son fatal interprète. A Hath, où les émigrés
français étaient reunis en grand nombre, six mille, ce
que je crois, pendant les trois dernières années du
xvm* siècle, j'avais, grâce aux relations de ma mère avec
les principales familles emigrées, acquis une grande con-
naissance de la calligraphie française. Cette connaissance
m'avait prouvé que l'aristocratie française persistait encore,
et pendant cette période de iyoy-j8oo, dans le mépris tra-
ditionnel pour tous les talents de cette catégorie, les
regardant comme bons pour des gens de loi et des gens
du peuple, gens qui, comme le dit Shakespeare en parlant
'!e préjugés analogues chez ses compatriotes, ne sont que
Il bons à servir un
yeoman M. Tous s'en remettaient du
soin d'écrire aux valets et aux femmes de chambre, parfois
même ceux d'entre eux qui battaient leurs habits et leurs
tapis, épluchaient aussi leur écriture, je veux dire leur
écriture de la.semaine,car, pour leur écrituredn dimanche,
cette écriture surfine qu'ils réservaient à leurs prpductions
littéraires, ils s'en rapportaient aux compositeurs. On con-
serve encore aujourd'hui des lettres écrites par la famille
t!jt CO'<FES!iiOMS

royale de France en ty~a-gS, dans les mémoires de Cléry,


et d'autres fidèles serviteurs, et on y trouve la plus grande
ignorance de la grammaire et de 'l'orthographe. Quant à
l'écriture, elles paraissent toutes de la même main, toutes
taillées dans le même bloc de vieux bois, dans la même
vénérable planchette, toutes présentent ces mêmes traits
raides et verticaux que l'on dirait tracés avec une paire de
mouchettes. Je n'en parle pas ainsi pour m'en moquer; les
latents de cette sorte étaient négliges avec' !M<eM<!OM, pnr
amour-propre, et leur absence était une façon de proc)a-
mer hautement son mépris pour les arts à l'aide desquels
bien des pauvres gens gagnaient leur vie. Un homme de
haute naissance ne se considérait pas plus comme désho-
nore par des lacunes dans la perfection banale de l'écri-
ture, de la grammaire, de l'orthographe, que chez nous un
gentleman qui ignorerait les mystères de l'art de cir<r les
souliers ou de faire briller les meubles. Néanmoins leur
mépris systématique et affecté pour la calligraphie, entraîne
les plus grands embarras pour les personnes qui sont obli.
gees de déchiffrer leurs manuscrits. Harrive que les effets
de leur insouciance dînèrent de beaucoup; l'écriture est
grossière et peu élégante, cela est constant, mais parfois,
disons une fois sur vingt, elle est remarquablement lisible.
Il en était tout autrement de la lettre que je tenais. Vive.
ment trouble par mon départ du lendemain, je ne pus lire
deux phrases de suite. Malheureusement il n'en fallait que
la'moitié d'une pour me montrer que le contenu était
adressé à un Français qui était dans le besoin, loin de son
pays, et qui luttait probablement avec les maux qui ac.
cbmpagnent cette situation, – l'absence d'amis, et l'exil.
La lettre avait subi quelques jours de retard avant de
m'être remise; quand je m'en aperçus, je sentis ma sym-
pathie pour le pauvre ëtt'anger. s'accroître naturellement.
Déjà, et fatalement, il avait eu à sounrir par suite des re-
tards dans la remise de la lettre, mais des ce moment, et
toujours, il lui faudra souffrir encore par l'inquiétante
n'UMM*t<G):UR D'OKUM t!3
la
pensée que lettre est perdue. Pendant ce jour d'adieux,
je ne pouvais prélever un instant pour aller au bureau de
poste de Manchester et je ne pouvais me décider !t mesé-
parer de cette lettre sans avoir donné mes explications en
personne, pour m'ôter tout scrupule, et me décharger par
une reconnaissance écrite de la poste, de toute responsa-
bilité future. H est vrai que pour toucher l'argent par
fraude, il aurait fallu commettre un faux matériel, crime
qui à cette époque était impitoyablement puni de mort, et
ce fait, s'il avait été connu du public, suffisait a écarter
tout soupçon à Fëgard de la personne que le hasard avait
rendue détenteur de la lettre. Mais le danger était aiUeurs
pendant que l'affaire serait étudiée et jugée, et qu'elle atten-
drait sa solution définitive, des rumeurs fâcheuses pour-
raient se répandre parmi bien des personnes qui ne con-
naitraient la chose que partiellement, et ces rumeurs
iraient trouver une de ces personnes.
Enfin tout était prêt. La Saint-Jean, pareille à une ar-
mée avec ses drapeaux, s'avançait dans le ciel; déjà le jour
le plus long de l'année avait fui les quelques arrangements
incomplets par lesquels j'avais voulu éviter en partie les
obstacles qui allaient sans doute surgir, étaient achevés;
de toutes les choses que je pouvais faire, laquelle restait à
faire? Aucune, et cependant au moment même où il m'é-
tait permis de reprendre ma liberté, j'hésitais encore; je
m'attardais comme sous l'influence de quelque obscure
perplexité, ou même de je ne sais quel attrait passager
pour cette captivité, au moment même où je faisais un
violent effort pour m'en délivrer. Mais ce qui m'apparais-
sait le plus clairement, c'était un attachement aux êtres
animés ou inanimés qui avaient entouré et égayé cette
prison. Ce que j'avais hâte de quitter, j'éprouvais de la
peine en le quittant; sans la lettre étrangère, j'aurais pu
longtemps encore hésiter et traîner. Mais grâce à celle.ci
et aux motifs variés et pressants qu'elle tenait éveillés, je
hâtài mespréparatifs. La même heure qui apporta la lettre
8
CO~tMiOMt
H~

J.- u v f 1 t

jusqu'en mes mains, fut témoin de ma résolution, que je


formulai h haute voit dans ma chambre, de partir le len<
tiemain matin de bonne heure. Il ctait donc enfin, il était
presque soudainement arrivé un certain jour qui serait
le dernier, le denuer de tous ceux que je passerais à
l'école?

I.e docteur Johnson a fait une remarque aussi juste que


touchante, quand il dit que faisant pour la dernière lois,
et sachant que c'est la dernière fois, une chose qui nous
est depuis longtemps habituelte, nous éprouvons toujours
un serrement de cceur. Ce sentiment secret d'adieu ou
d'acte testamentaire je le portai avec moi, je le mis dans
chaque moi, dans chaque mouvement de ce jour mé<no-
rable. Que je fusse actif ou passif, isolé ou dans un groupe,
j'entendais sans cesse un nouvel et soudain écho d'adieu
dans tout changement fortuit ou régulier qui marquait le
cours des heures depuis le matin jusqu'à ï< nuit. Je trou-
vai ce son d'adieu comme un emouv~t appel, surtout
quand cinq heures amenèrent avec la fin du cours le
service solennel du soir de l'Eglise anglaise, lu par
M. Lawson, lu cette fois comme les autres au milieu du
silence respectueux de toute l'école. Outre la solennité des
prières, la lumière du jour mourant possède par elle-même
une sorte de tristesse pensive et sympathique. Et si les
changements de la lumière se font remarquer d'une
manière moins profonde dès cinq heures du soir en été,
nous sommes néanmoins sensibles à l'approche du temps
de repos, avec les secrets dangers de la nuit, autant que si
nous étions en plein hiver. En ces circonstances même, il
y avait pour moi quelque chose de profondément émou-
vant dans la cérémonie du soir, et dans la prière contre
les périls des ténèbres. Mais cet effet était encore aug-
menté par la. manière symbolique dont la liturgie parle de
cette obscurité et de ses dangers. J'avais été amené à
MCoanaUre natureUenKnt/ca voyant cette peprésem~tiM~,
h'ODUM
D'US MANGKUR
le ï~marqu«Me pM~Mr de rhaMomancit ou d'évoca-

tion magique que le christianisme a dep!oy~ en cela et dans


des cas semblables. Celui qui pratique h rhaMomancie
ordinaire et natureUe, qui entreprend de tirer des sombres

cavité de notre terre !es puits d'eau perdus dans ses pro"

fondeurs, ou qui plus rarement se propose de faire


tes minéraux, ou les dépôts de bijoux et d'or
nnr.titre
enseveus, :;race a une sympathie magnétique entre sa

binette et l'objet cache de sa divination, ceh)i-!a possède


ta faculté d'indiquer Fendroit oit l'on pourra chercher'
cet objet avM quelque espérance. H en c&t de même du

christianisme, dont le merveiUeux magnétisme a fait sortir

'M.).fo')).t))c< – Le mot ~'e~ cortetj'ond.utt !)n mot Mf!))cft-


to"i!M )'e)(ment <i<f d'un grand nombre d.' t'<'n)p<<. t) '.ijinitK' diti-
mnon. ou f:eu)ï<tde d~doire ma~i~uen~nt, d'une f.t~~t ordin-tirement pro-
ph~tiqne, une .?ertion import-tutt: tt) h tir.txt de ~u:)qu'nn~ de:. :tourcM
Mn~t~usM qu'autori'ait h i.upemitiott patcnnj. Kn g'in~r.'tj.t source <~t
d~i~n~e proprement par )c premier terme du mot compose niosi on~')'M
Unifie e~) (;'cc le 'oose, et !c mot OMt.w;t;tC;t' indique le n)odede d!vi-
tutiot),quit:.t foude sur )'iuterpretatiot) de'- !o))~c' f)~ mSmeo~f~au
j;~ni(i! omt/Ao~, est le mot grec qui :i,;nifie oiseau. et le mot orft/fAo.
t;f<!);ct'<*désigne cenre particulier de propti~tie fonde sur t'o~ervntiol)
du vol dans certains rassembtemcnt'. fortuiti. d'oi~M~x. C/tA')', est te mot
grec qui signifie main; d'oh )a cAf'ro'MKC't' est l'art de prédire la destinée
d'un homme par les iignet de st main, ou par ):< f<m; /.? (du toth)
n <brm~ .tA)f));M<'t\
p.!h;M, creux de la m~in). 'A't~o~ (cadavre humain)
prophétie fondée sur la réponse qu'on arrache Ades fantôme<. cnmme c'e~t
le cas pour la Pythonise d'Endor, ou au~ t~davre~ eux-m~m~, eo:nme
le fait Erichtho dans Lucain; Je me suis !a)ss~ aller A éclaircir ce sujet p.tr
tectenr~- avoucu:
plus:eurs exemples, parce que, depuis bien des nnn''e~,des
'ngenument leur ignorance des JanguM classiques, et me reprochent d'ex-
pliquer trop brièvement les mots que ;'tmp)oie. Je continuer.)! en disant
de vxr~c qni
que le mot rhabdos veut dire \erg?. Ce n'est pas cette sorte
était portée par les licteurs romains et qui ~ta!t en réalité un f~o: de
branehaf;e!, mais une baguette de la grosseur d'un crayon, ou tout au plus
de celle des tiges de !aiton qui 'errent &fixer les Upi~ d'eM~Her; cette
taguette faite en bois de *au)e, était et est encore aujourd'hui dans un
comté méridional de t'Angieterre, un puissant instrument de divination.
Mais il faut savoir que le sens de ce dernier mot est bie:t plus étendu que
celui du mot ~cfAAt'f, bien que ce mot de prophétie, tout en ayant u.t
sens plus étroit qne celui de divination, soit encore rétréci à tort dans le
sens que lui donne notre traduction o<B:ie)!a de ta Bibte. Devoiter o~
En co:t<
déchiffrer ce qui est caché, tel est le sens r~et du mot divination.
siquenee, dans les écrits de saint Panl, les mots dans de p)'ojfA<'i:'e n'in-
diquent pas uue seule fo:s ce que suppose te lecteur anglais, mais les dons
!}6 COMFESS)ONS
des ténèbres les sentiments les plus augustes, inconcevables
auparavant, informes et sans vie; en effet, avant lui,
nulle philosophie religieuse n'avait sufR à la tache de faire
mQrir de tels sentiments. Do plus, et en même temps il a
incarné ces sent!caents dans des images d'une grandeur
égale, et par là il a exalté leur puissance de manïere a les
implanter éternellement dans le cœur de l'homme.
Un exemple les fleurs qui nous font tant d'impression
par leur beauté aussi fragile que les nuages, par leur <:o!o-
ration aussi splendide que les cioux, ont été, pendant des
milliers d'années, l'héritage des enfants eux seuls les
honoraient comme les joyaux divins, quand soudain la

exotique!, les dons d'interprétation appliquée A ce qui est obscur, le


don d'analyser ce qui cMcompiiquéttupoint de vue logique, de développer
ce qui est condense, d'exécuter d'une manière pratique ce qui pourrait
paraître purement tpecuiatif. Dans le Somersetshire, qui est le comté le
pins défavorablement traité parla nature au point de vue des eaux, lors-
qu'cn vent bâtir une mai<on, l'on se trouve toujours en présence d'une
ditScuité, qui consiste &trouver un endroit convenable pour creuser un
puits. La solution consiste convoquer une troupe de rabdomantistes du
pays. !.€<.hommesparcourentie terrain environnant, ettiennentla baguette
~e tante horizontalement; l'endroit où elle dev!e, ou s'incline d'e))e-ni6me
~-trs le sol, est celui où l'on trouvera de l'eau. J'ti vu d'une part ce pro-
-cédé réussir, et d'autre part j'ai été témoin des peine! énormes,des retards
des frais que l'on avait à subir quand on se rangeait au parti contraire qui
refuse les avantages de cet art. En suivant un plan empirique, e'est.a-dire
en perçant le sol au hasard pour trouver i'eau, on finissait, d'âpres ce que
j'ai toujours vu, par des ennuis sans nombre. En réalité, ces pauvres gens
~ont preuve, après tout, d'un esprit bien plus philosophique que ceux qui
rejettent leurs services avec dédain. Les artistes subissent sans le savoir
la logique de lord Baeoit.its bâtissent sur une longue chaîne d'induction,
sur les résultats uniformes d'une expérience de tous les jours. La faction
s
«ppcsee ne nie pas cette expérience. tout ce qu'elle peut xiieguer, c'est que
d'après toutes les lois qui lui sont connues à priori, ii n'y aurait pas d'ex-
périence applicable à ce cas. Or, une série suffisante de faits bouleverse
toutes les probabilités antérieures. Quoi que puissent dire les savants ou t
les sceptiques, la plupart des bouilloires à thé de la vaifée de Wrington l
sont remplies grâce à !a~rhabdomancie. Après tout, les scrupules qu'on =
se fait d'avance au sujet démette rhabdomancie, sont du même ordre que `
ceux quiaaraientdec)aret'impoMibiiitéde)abousso)emarine,s'i)s n'avaient
été précèdes par l'expérience. !i y a dans les deux cas une sympathie invi- 1
sible entre des forces inconnues, que personne ne peut exptiquer: ii y a
un indice )'5ifqui dirigcprati~'ien)' "t a'ec )mteMe,dors même qu'on
trouverait MephistopheK: au fond de l'affaire. r
>
&'UNMANGMUK
n'ODUM )t?
voix du christianisme, appuyant celle de l'enfance, les a
élevées une grandeur qui dépasse celle du trône hébreu,
qui pourtant était de fondation divine, et a prononce que
Salomon, dans toute sa gloire, n'était pas orné comme
l'une d'elles. Quant aux vents, aux orages, éternelles
haleines violentes ou calmes du règne d'Eole, pourquoi
ont-ils dans leur rage, comme dans leur sommet), échappe
a toute prison morale, ù la captivité ? Simplement parce
qu'il serait vain d'offrir un nid a la naissance de quelque
nouvel être moral, alors que la religion n'existe pas chez
leshommes sous une forme capable de le produire. Cest
en vain qu'on voudrait représenter par une image un sen-
timent céleste, si le sentiment n'est pas né. Mais aussitôt
qu'il est devenu nécessaire au but d'une religion spiri-
tuelle, que l'esprit de l'homme, source de toute religion,
contemple sa grandeur et sa profondeur mystérieuse
réfléchies dans une image proportionnée à lui, alors la
majesté et les routes inconnues des vents et des tempêtes,
qui soufrent à leur gré, et qui viennent de sources secrètes
pour l'homme, sont évoquées, hors des ténèbres et de
l'oubli, pour donner et recevoir un état saisissant, dans
lequel le mystère d'en bas fait'resplendir et étinceler le
mystère d'en haut. Appelez devant vous le plus gran-
diose de tous les spectacles terrestres qu'est-il ? C'est
celui du soleil couçhant. Appelez le plus grandiose
de tous les sentiments humains qu'est-il ? C'est que
l'homme oublie sa souffrance avant de s'étendre pour le
repos. Et ces deux grandeurs, la puissance du sentiment,
la puissance du spectacle, sont mariées par le christia-
nisme.
Ici donc; dans cette prière < Eclaire notre nuit, nous
t'en supplions, Seigneur! a l'obscurité et les grandes
ombres de la nuit étaient représentées d'une manière
symboliquement significative ces deux grandes puis-
sances, ta nuit et les ténèbres, qui appartiennent au chaos
primordial, étaient figurées comme signes des périls qui
t!8 CO~itMtONS

menacent incessamment wntra


"0('1"" notre n~mvri
In~.e:t:tn'\t\=-)\t
pauvre et malheureuse
nature humaine. Ce fut avec une sympathie des plus
profondes que je m'unis à la prière contre les dansera dm
ténèbres ces périls, je les voyais dresser leurs pièges noc-
turnes autour des lits où dormaient les nouons )e voyais
ces périls d'aspect encore plus effrayant surgir dans le-;
rep!is des aveugles coeurs humains, les périodes tentations
tissant leurs filets invisibles devant notre marche, les
pcriis que nous font les bornes de notre connaissance mal
dirigée.
Les prières étaient terminées, l'école se dispersa. Six
heures sonnèrent, sept, huit heures, qui rapprochèrent
d'autant le jour mourant de sa <in. Nous étions donc rap-
prochés de trois heures de cette obscurité que notre liturgie
anglaise évoque avec tant de grandeur symbolique, comme
cachant sous son manteau noir tous les périls qui uss!egent
notre faiblesse d'hommes. Mais en été, aux faubourgs
immédiats de la Saint-Jean, la vaste proportion des mou-
vements célestes se lit dans leur lenteur; le temps devient
la inesuM de l'espace. Alors, lorsqu'il fut huit heures
sonnées, le soleil s'attardait encore au-dessus de l'horizon
la lumière, large et belle, avait encore deux heures de
voyage à parcourir avant de prendre cette nuance douce
et évanouie qui prélude au crépuscule Alors avait lieu la
dernière cérémonie officielle de la journée tous les élèves
étaient réunis, et les noms de tous étaient appelés dans
l'ordre de préséance. Le mien le fut, comme d'ordinaire,
le premier 8. Je m'arrêtai en passant devant M. Lawson,j

/tMcrèpuscule. I) s'agitdu secondcrépuscule.Je mesonv.'trns <n


effetd'avoirlu dansun tj~teaUemaudsurlesnntiquiteshM)ra!qms, ainsi
que et exnn grand th~otos'cnanglaisde t63o,!s;f.!eA~brose,qne)es
anciensjuifsavaientdeuccrtpMeute!,savoir,le cr~puKutede tatour-
terelle,oudu jour, le secondétaitle cttpu'.cutedela nuit,ondueorbc'u. g
'e~remf~?'. – Dansl'ensembledel'école,je n'auraispas ététe pré-
m!cr,cardans)Ktrinitc que formaitla premicreclasse,il n'y avaitpasde
nrtt<titr<piattabsolueou !ner!ttt;c))e n'étaitqu'une anititcde hasard. R
Notredignité,commechefsdel'école.nousinterdisaitlesmfnue<)!tK-
!ite~!Mi!commeil étaitinévitablequ'i)y eûtun classement, il e faisait ,j
n
f.
O'UNMA!<0<UR
t)'ODUM t!~
je m'inclinai, en le regardant gravement en face et me
disant !t est ~ieux et innrmo, et en ce monde je ne te
reverrais plus. x Je ne me trompais pas je ne l'ai jamais
revu et je ne le verrai plus. H me rendit mon regard avec
complaisance, me sourit placidement, répondit a mon
sn!ut sans savoir que c'était un adieu, et nous nous se-
parâmes pour toujours. Au point de vue de l'intelligence,
je n'avais rien vu en lui qui méritât mon respect dans le
vrai sens de ce mot, mais j'avais ce respect sinccre pour
lui, parce qu'il était consciencieux, ndcie il ses devoirs, et
lors même qu'il avait en ces derniers temps tuttc avec peu
de succès pour les remplir, i! s'était impose plus de sout"
irances qu'il n'en avait cause aux autres, ~ntin ie le res-
pectais comme un lettre solide et attentif, quoique sans
éclat. Pour ma part, }eiui devais beaucoup de reconnais-
sance il m'avait témoigne une bonté toujours e~atc,
m'avait accordé toutes les ~acitites qui dépendaient de lui,
et je songeais avec peine la mortiitcation que j'aUais
lui causer.
Le matin arriva qui devait me lancer dans le monde

<c)'<t'xt ~fc~ y<!)-< Mats


pif <n<:ft))ne!e. AuM), en tant que~MMt'or, j'étais
mes deux seniors eta':t externes, l'occupais la ptori~rc p)aeednnsr-:ï;<-
Mi'-seme))t~e M. Law-.o)). ~)M j'étais jM'tM~ M)MtM. Je do))!)<: tous
t< minces ii~taUt pour qn'o!) ne puisse )ne )tptoc);tt- aucune n~'Rcnee
à cet unvra,
crjnje oa petite. t.'h'tcrCt qu'oit prend~it diminuerait si
le )e:)cur pouvait supposer un moment qne quelque fait a 'm d<')).<!u))i
ou mx!i!c. DèB )<)p'cMK't'c )isne. )'<') observé fidèlement les toit de t'txnc-
titude, même dans des choses absolument insignifiantes. Mais je suit
devenu jatoux de M soin, depuis qu'un critique irhodais, de Rrand éclat
comme homme d'esprit et comme lettré, a voulu contester l'exactitude de
mon récit, dansft p~rHequ) concerne Londres, et m'a attribut d~s raisons
posonnc)ks pour cette (nexactitude.
J'aurais voulu pouvoir dire avec vérité que nous, qui composions )a
première clisse. nous n'etieM pas une H-Md<?. mais une ~N<t~. Mnis les
faitsne )t)e perm:ent pas de t'.tmrmer. !.c! faits, ainsi que tOft )e n)onde
en convient, sont det êtres entêtes. Sans doute, et trop souvent aussi, ils
sont des êtres htit~nt', car s'iis éoit:)t autre! )e pourrais prétendre que
je u'avais qu'un Mut camarade de c);!6M;d.)ns ce ça! nous aurions et<i
conhne Castor et Po!)ux, qui se succedjtcut comme )e'. seaux montent et
descendent, l'un se tev~ut avec t'auro.e, c'<'t.)it Phosphores, et l'autre.
c'e!M-di[e)ttu!,M:t~f:: H«F:rs*, t! ~t.M')d«ttt~t)tt)jH]uit.
tao COHFJCSStOKS

ce matin qui par lui'meme et par ses conséquences en bien


des points importants, « donné à ma vie consécutive sa
propre couleur. A trois heures et demie, je me levai, jo
contemplai avec une émotion profonde l'ancienne église
collégiale, revêtue de la lueur matinale elle commen-
çait à rougir sous l'éclat ëtincelant d'un jour de juillet ù
son aurore sans nuage. J'étais ferme, inébranlable dans
mon dessein, et pourtant agité par la perspective de dan-
gers et de peines incertaines. Ce trouble formait un
contraste émouvant avec la sérénité innnie du matin, et y
trouvait en quelque sorte un remède. Le silence était plus
grand encore qu'a minuit; pour moi, je suis plus sensible au
silence d'un matin d'été qu'à tout autre. La lumière, tout
aussi large et forte que celle de midi dans les autres saisons,
semble digérer du jour complet, ce qui vient principale-
ment de l'absence de l'homme; aussi la tranquillité de la
nature et des innocentes créatures de Dieu paraît durable
et profonde, tant que l'homme, a~ec son inquiétude d'es-
prit, ne vient pas en troubler la sainteté par sa présence.
Je m'habillai, je mis mon chapeau et mes gants, je
m'attardai un peu dans la chambre. Il y avait un an et
demi que ce lieu était devenula « forteresse de ma pensée )'.
Là, j'avais lu et étudié jusqu'aux heures avancées de la
nuit. Il est vrai que pendant la dernière partie de ce séjour
j'avais perdu ma gaîté et la paix d'esprit dans la lutte et
la fièvre de mes contestations avec mon tuteur, mais
d'autre part j'étais un enfant passionnément amoureux des
livres, et consacré aux exercices de l'intelligence et j'avais
pu trouver bien des heures de bonheur dans mon état
ordinaire d'accablement.
Heures de bonheur? Oui, et était-il certain que dans la
suite je retrouverais jamais dételles heures? A ce moment,
il n'est pas impossible que, laissé à moi-même, à mes im-
pressions finales, je renonçasse à mon projet. Maisil me
sembla, comme il arrive souvent en pareil cas, que la
retraite m'était fermée.. La confidence que j'avais été
O'UN MANQKUR D'OMUM !2t

contraint de faire an domestique de Lawson était un danger.


L'enet que produisit cette rénexion détournée fut non pas
de modifier mon plan, mais de jeter pendant une demi-
heure une impression de découragement sur toute la pers-
pective qui s'étendait devant moi. En cet état, les yeux
ouverts, je me mis S rêver. Tout à coup un saisissement
pareil au frisson glacial qu'aurait produit une révélation
mortelle, m'enveloppa tout entier, et je sentis se renouveler
en moi le souvenir odieux d'un moment qui était bien loin
dans le passé. Deux ans auparavant, quand j'étais aussiloin
de mes quinze ans accomplis que je l'étais alors de mon dix-
huitième anniversaire, j'avais passe a Londres une partie
de la journée, avec un ami de mon âge. Naturellement,
parmi les huit ou dix grands spectacles qui attirèrent notre
attention la plus vive, se trouvait celui de la cathédrale de
Saint-Paul. Nous visitâmes, et par suite nous vîmes la
galerie sonore De tout ce que je vis, rien ne me fit une
plus forte impression. Encore une demi-heure après, nous
nous trouvions sous le dôme, et autant que je m'en sou-
viens, près de l'endroit même où peut-être plus de cinq
ans après fut enseveli lord Nelson de ce point nous
voyions flotter triomphalement dans les hauteurs d'une aile
de l'édifice qui se prolongeait à l'ouest de notre place, de
nombreux drapeaux pris à la France, à l'Espagne, à la
Hollande. La sensation de respect que j'éprouvais était
devenue profonde à la vue de ces trophées solennels des
hasards et des changements entre de puissantes nations, et
je me trouvai tout à coup plongé dans un rêve aussi saisie-
sant que maintenant, et dans lequel une pensée qui m'avait
souvent obsédé faisait un rôle dominant. Cette pensée avait
pour objet la fatalité qui d'ordinaire est réservée a un

Pourceuxquin'ontjamaism )ag-~r/c.MKor~, ouquin'ontluaucune


descriptiondes phénomènes qui5'yremarquent,it peutêtre
acoustiques
utilede dire pouren donneruneidée nette,qu'unmotouune question
murmuredt!a manièrela plusfaibleà unboutdela gâterie,est répète&
s'iti~&<-«!
«M utte{orM:omp:rs&te &c:'te de tcaatft?,
1 CO~)MMMS

n~nmveie niwiv .1_l.


mauvais choix, Je
me rapp<h~ comme un oracle terrifiant
ce redoutable conseil ro~ata A~~e~ y<w M)tM« tw~r«
(le mot qu'on a laissé échapper ne revient plus) et il me
parut un arrêt froid comme la glace jeté dans les mouve-
ments d'espérance trop. bruyante qui me hantaient sous
diverses formes. Longtemps avant ma quinzième année,
j'avais remarqué e<Mt<neun ver cacha dans le coeur de la
vie et qui en ron~t !a sécurité, ce fait que d'innombrables
choix prennent un autre aspect et sont di~remment ap-
préciés aux diiïertnts âges de la vie, qu'ils se transforment
par la succes$!on des heures. Des t'age de quinze ans,
j'avais été profondëmùnt humilie de jugements que j'avais
formulés jad!<~ de vains espoirs que j'avais jadis encourages,
de temoig«agtt d'admiration ou de mépris auxquels j'avais
jadis donné mon assentimcnt. Et quant aux actes à i'es<
desquels j'éprouvais que!ques doutes, je n'étais jamais sûr
que !a sueeetsion des années ne m'amènerait pas de nou-
veaux motifs de doute, tant au point de vue des principes
1
qu'à ce!«i des résultats inévUabies.
Ce sentiment d'hésitation nerveux pour toute parole ou
tout acte qui ne pouvait être modifié, avait été soudain
réveillé en cette matinée de Londres, par l'expérience
ft-appaNte que je fis dans la galerie sonore. Mon ami, placé
à un bout de la galerie, mo chuchota dans le plus..doux
murmure, une vérité solennelle, mais mal venue. A l'autre
bout, cette vérité solenheUe, après avoir roulé le long des
murs, m'arriva en grondements menaçants d'une force
assourdissante. Et maintenant, dans mes derniers moments
d'hésitation, quand je rêvais les yeux ouverts dans ma
chambre de Manchester, en cherchant des présages, cette
Menace, entendue à Londres, venait de nouveau fondre
tuf moi avec fureur, comme un épais et violent orage
une voix, trop tardive pour être obéie, me criait « Sors
de cette maison, et un Rubicon se formera entre toi et
toute posstbUité de retour. Tu ne <iiras pas que tout ce que
tu fais, tu l'approuves dans le fond de ton coeur. En ce
Tt'UK MAKGt.UR h'Ot'tUM
!9;

moment même, ta conscience le combat dans son murmure


mn sn .o.n 1.1_1.

soudant, mais il l'autre bout de la galerie de m vie, cette


me)ne conscience te le répétera avec une voix de tonnerre, a
Un pas retentit tout à coup sur les escaliers, et
dissipa
mon rêve, en me rappelant à moi. Les heures dangereuses
raient venir, et je me préparai en toute hâte aux adieux.
Je versai des larmes en jetant autour de moi un regard
sur la chaise, le foyer, le bureau, et lcs autres objets qui
m'étaient familiers, sachant trop sûrement que je les con-
templais pour la dernière fois. Dix.neuf ans se sont
écoutes depuis, et pourtant je vois aussi distinctement que
si Jetait hier, les traits et l'expression de l'objet sur lequel
s'arrêtèrent mes derniers regards. C'était te portait d'une
aimable dame il était suspendu sur la cheminée. Les yeux
étaient si beaux, et tout l'ensemble rayonnait d'une si cé-
leste tranquillité que j'avais mille fois dépose ma plume
ou mon livre pour lui demander
quelque consolation,
comme un dévot le fait pour son saint patron Pendant
que je la contemplais, les sons graves de la vieille cloche
annoncèrent six heures. Je m'avançai vers le tableau, je
le laissai, je m'en éloignai sans bruit, et je fermai la
porte pour toujours.
H y a tant de hasard et de bizarrerie dans l'alternative
des occasions qui font naître le rire et les larmes, que je

Ecrit <n«oûttStt.
La gouvernanteavait t'habitudede me raconter que cette dame avait
vécu (eUevoulait dire sans doute qu'elle était n~e)deux cents ans aupt.
ravant, date qui concordaitmienxavec la tradition qui attribuait son por*
trait à Vau Dytk. Tout ce qu'elle s~ait de plus rehtivement à !a dame,
c'était quelle avait été une bienfaitricedefoH~e.soit pour )'e;o)cde Hr''m-
tMire, soit pour le to)'~e d'Oxfordqui était en relation avecl'école,soit
pour)e cott~e d'Oxfordauquel c'ait spcciatementattachéM. La\s0n,soit
enfinpour M. !.awsonlui mCmc.t:Ueavaitam.siété une bienfaitricesps-
ciale pour moi,gtâcc à ton expressioncharmantede Madone.Ce qui con.
tneHeau~si jusq~ un certain point à rendre ce bienfait plus idéal, plus
oet't:, c'est qu'elle mele rendait t.ans le savoir, sans que je connusseson
com, ni son rang, ni son âge, ni le pays oh elle av;)itvécuet fini sa vie;
t'!e ttait séparéede moi
«< !'<:tctn:t;. par deux siècles,et t'étaisséparé d'ellepar l'abîme
1 a~ coNyjîMjom

ne puis maintenant me rappeler sans sourire un incident


d'alors qui fut bien près de déconcerter l'exécution de
mon plan. rabais une malle d'un poids énorme, car outre
mes effets, elle contenp.it presque toute ma bibliothèque.
La difnculté était d'arriver à la remettre à un voiturier
ma chambre était située a un étage aérien de !a maison, et,
qui pis était, l'escalier correspondant, à l'angle du briment,
n'était abordable que par une galerie qui passait devant la
chambre à coucher du professeur. J'étais en excellents
termes avec tous les domestiques sûr de leur discrétion
et de leur connivence, je fis part do mon embarras à 'un
valet du professeur. Le valet jura qu'il ferait ce que }e
voudrais et quand le moment fut arrivé,~ monta l'escalier
pour descendre la malle. Je craignais que cela ne dépassât
les forces humaines, mais le valet était un homme
Aux fautes d'Atjas. faites }Murporter
Le poids des plus puissantes monarchies,
et il avait le dos aussi large que la plaine de Salisbury.
En conséquence, il s'entêta à vouloir descendre la malle à
lui tout seul, tandis que j'attendais au bas de la dernière
marche, inquiet de ce qui pouvait arriver. Pendant
quelque temps je l'entendis descendre à pas lents et fermes,
mais malheureusement comme il tremblait en franchissant
le passage dangereux, a quelques degrés de la galerie, le
pied lui glissa, l'énorme fardeau, tombant de ses épaules,
prit un élan croissant à chaque marche de l'escalier, et
arrivé au bas, il roula ou plutôt bonditen droite ligna, en
faisant autant de bruit que vingt diables juste devant la
chambre à coucher de l'archididascalus. Ma première
pensée'fut que tout était perdu, que la seule chance qui
me restât d'exécuter une évasion était de sacrifier mon
bagage/Cependant, après réflexion, je me déterminai à
attendre les événements. Le valet était dans la plus
grande alarme, tant pour son compte que pour le mien,
mais, en dépit de cela, le'sentiment de. ce qu'il y
n'U« MAMGKUR tt'OMUM jta~
avait do grotesque dans ce fâcheux contretemps s'~ait
si fortement empara de son imagination, qu'il poussa
un long, sonore, bruyant éclat de rire capable de
réveiller les sept dormants, Je ne pus m'empêcher de par-
ticiper aux éclats de cette gaité tapageuse, aux oreilles
mêmes de l'autorité ainsi bravée j'étais moins diverti par
l'empressement risible avec lequel la mftiie bondissait da
marche en marche, avec une vitesse croissante, un tapn~o
redoublé, comme la ~aa: a~S~ (le rocher indomptnble)
de Si;yphe', que par l'effet produit sur le valet. Nous
nous attendions naturellement à voir M. Lawson bondir
hors de sa chambre, car d'ordinaire, au moindre trottine-
ment de souris, il en sortait comme un mMn de sa niche.
Chose étrange pourtant en cette circonstance, quand le
vacarme des éclats de rire eut cessé, nous n'entendîmes
dans la chambre a coucher ni un bruit, ni même un mou-
vement. M. Lawson avait une douloureuse maladie qui
souvent le tenait éveillé, mai:, rendait aussi son sommeil
très profond quand elle le permettait. Encourogé par ce
siience, le valet reprit la malle, et accomplit le reste de la
descente sans accident. J'attendis jusqu'à ce que j'eusse vu
la ma!!e chargée sur une brouette, et la brouette partie
pour la voiture alors < avec lu Providence pour guide a,
ou pour mieux dire, dirigé et conduit par ma folle étour-
derie, je m'éloignai à pied, emportant sous le bras un petit
paquet <~ui contenait quelques articles de toilette, dans une
poche un poète anglais qui était mon préféré, et dans une
autre un singulier volume qui renfermait la moitié des
pièces de l'Euripide édité par Canter.
Au sortir de Manchester, je pris une route qui se diri-
geait par le sud-ouest vers Chester, et le pays de Galles, et
j'arrivai tout d'abord (si mes souvenirs sont exacts) à la
ville d'Altrincham, dont le nom se prononce .AM~W~ew.
Agé de trois ans et atteint de la coqueluche, j'avais été

Honore.(MyM~.
!a6 Cù~FtMtO~t

transporté, pour être traité par le chaat;emen< d*<lr, sur


dinerents points du Lancashire, et pour que je profitasse
dans la plus large mesure possible de la variété dans la
nature de l'atmosphère, on nous avait envoya, ma bonne
et moi, passer la première nuit de notre voyage dans cette
jolia petite ville d'Attrincham. Le lendemain qui annon-
çait comme une splendide journée do juillet, je me levai
plus tôt que ma bonne n'aurait voulu, mais peu d'instants
après elle jugea bon de suivre mon exemple, et après
m'avoir infligé mon ablution matinale, suivie de la prière
domlnicnle, elle n)e revêtit de mes jupons, me couvrit, et
me soulevant dans ses bras, elle ouvrit largement la
fenêtre, ce qui offrit soudain à mon regard la scène la
plus gaie que j'eusse vue jusqu'alors c'était la petite place
d'Altrincham à huit heures du matin. Il y avait marche ce
;our-lâ, et comme jusqu'alors je n'avais pas la moindre
~idee de ce qu'était une vitie, réprouvai autant d'étonne-
ment que de joie devant ce spectacle nouveau et animé.
Des fruits comme on peut en avoir en juillet, des fleurs, il
y en avait des monceaux. Les étals de bouchers, grâce à
leur brillante propreté, me semblaient aussi intéressants,
de même que les bonnes jeunes femmes d'Altrincham, qui
circulaient en bonnet et *n tabliers coquettement arran-
ges. La gaîté de cet ensemble, à cette heure matinale,
jointe au murmure d~ ;?sversations joyeuses et des rires,
qui montait comme celui d'une source jusqu'à la fenêtre,
me firent une imp~ssiû~ si profonde qu'elle ne s'est pas
dissipée. Tout cela, comme je l'ai dit, était réuni à huit
heures dans une superbe matinée de juiMet. Ce fut aussi
à ce moment, par une autre superbe matinée de ;'uHet,
que deux heures après mon départ de Manchester, je me
retrouvai au milieu du marché d'Altrincham. Rien n'y
avait changé. C'étaient les mêmes fruits, les mêmes fleurs,
les mêmes bonnes jeunes femmes qui circulaient avec les
mêmes jolis bonnets, qui pourtant n'étaient pas les M~)K~.
Peut-être la fenêtre de la chambre où gavait couché
H'U~ MAKGEUK tt'OMUM t~y

ctait*<ti< encore ouverte il n'y manquait que moi et ma


boMC, car hfhts quatorze ans entiers avaient pusse sur
cette scène, et j'y songeais. Ne.mmoins le moment du
déjeuner est toujours une des agréables péripéties de la
journée, c'est bien alors qu'un homme peut oublier des
soucis, c'est alors, et pour une raison de plus, quand il a
fuit une promenade de sept milles. Je le "entais; aussi
me suis-je arrêté a faire cette remarque, à noter la
singulière coïncidence qui me ramenait deux fois et tou-
jours par simple hasard par le fait, les cloches sonnaient
huit heures, un même jour de juillet, quand elles m'appor-
tèrent cette sensation agréable a l'œil et à l'oreille qu'of-
frait k petit marche d'AItrincham. J'y déjeunai. Déjà par
t'enet de deux heures de marche, j'avais éprouve une
demi-guérison. Après un repos d'une heure, je me remis
en route; toute ma tristesse, tout mon découragement
avaient disparu, et quand je sortis d'Ahrincham, je me dis
Tous les endroits ne sont pas la G< M~iore. La dis-
tance entre Manchester et Chester était d'environ 40 milles.
Qu'est-elle devenue par l'effet des chemins de fer ?
Je l'ignore. Je comptais la parcourir en deux jours, car
bien que je pusse faire ce trajet en un seul, je ne croyais
pas utile de me fatiguer a l'excès, et mes f.~cu)tes ambula-
toires étaient rouillées par un long repos. Je me proposais
de couper le voyage en deux parties égales, et a bien peu
de chose près, c'est-à-dire à deux ou trois milles, ce par-
tage égal était obtenu en m'arrêtant à une auberge fort
proprette située sur la route, et d'une catégorie assez
commune en Angleterre. Une bonne et maternelle pro-
priétaire, jouissant de quelque aisance, que rien ne forçait
à être rapace, et qui tirait les ressources moins de l'auberge
que de sa ferme, voila qui me promettait pour la nuit un
sûr et profond repos. Le lendemain matin, il ne me restait
plus que dix-huit milles à parcourir pour atteindre la
vénérable Chester. Avant que j'y fusse arrivé, l'effet salu-
taire que l'air et l'exercice avaient produit en moi, comme
<*3 COMUMtOMt
ils l'avaient fait et l'ont toujours fait depuis, était si éner-
gique, que je me sentais enivré et débordant d'ardeur r
bouillonnante. Sans la maudite lettre qui parlois
Planait sur moi,
Comme le font Jet corbeauxau-dessusde la maison condamnée,

je n'aurais pas tardé à oublier ma gravité sous l'influence


de cette santé renaissante. Car deux heures avant d'arriver
&Chester, par suite de la direction sud-ouest que la route
suivait, je vis se déployer complètement devant moi cet
incomparable spectacle
Nouveauet cependant aussi antique
Que les fondationsdu ciel et de la terre
d'un splendide et triomphant coucher de soleil au-dessus
des montagnes du nord du pays de Galles. Les nuages
passèrent graduellement par des formes diverses, et dans
la dernière je lus distinctement !a scène que t'avais trouvée
six mois auparavant dans un poème parfait de Wordsworth;
elle était tirée entièrement d'un journal de Londres, la
CAroM~Me ~<!tM<-J<!MtM, à ce que je crois; il s'agissait 1
d't'n lac canadien
Avec toute sa foule féerique
D'iles qui <cntgroupées ensemble,
Et reposent avec un calme comparable aux coins du ciel
Qui se voient entre les nuages du soir.
Cette peinture, que l'auteur du poème de ~M<A.avait
faite d'après le ciel, il semblait que 1~ciel la ressuscitait et
lui rendait la vie en copiant le ciel du poète. En juillet ï8oa,
pouvais-je donc citer réellement Wordsworth ? Oui, lec-
teur, et j'étais le seul en Europe. En 1700, j'avais connu
~VbM~OMMte.!sept, à Bath. Dans l'hiver de tSot-z
j'avais lu Ruth en entier; dès le commencement de t8o3,
j'avais écrit à Wordsworth, et en mai i8o3, j'avais reçu de
Wordsworth une longue réponse.
D'UM MARGEUR D'OPtUM t:()

I,e matin, dès que je fus arrivé a Chester, la première


pensée qui m'assaillit à mon lever, fut le souvenir de la
malencontreuse lettre tombée h ma charge. L'odieuse res-
ponsabilité que m'imposait cette lettre devenait h chaque
heure plus irritante, car chaque heure ajoutait à rem-
barras de mes mouvements cette lettre pouvait mettre les
employés de ln poste au nombre des gens qui étaient à ma
~ro-trsuitc. L'indignation me saisissait, h la pensée qu'elle
faisait peut-être de moi un complice coupable de l'anxiété,
ou même du malheur du pauvre émigré. Elle m'exposait
doublement à être soupçonne avec injustice; d'abord son
état le faisait présumer pauvre; de plus, il était étranger.
J'étais furieux de voir que ce chitïbn de lettre allait me
forcer, dans les auberges, à toutes sortes de démarches
évasives et sournoises, car il me paraissait important par-
dessus tout, de n'être point arrêté, de n'être pas même in-
terrogé un instant comme détenteur illégal 'd'une lettre
importante, et il fallait, en la remettant moi-même, dé-
montrer que je n'avais nullement caressé l'idée de l'utiliser
à mon profit. J'étais en quelque sorte obligé de rapporter
la. lettre. Mais alors une démarche qui n'était pas simple,
c'était de prendre mon chàpeau avant de déjeuner, de me
présenter au bureau de poste, d'offrir mes explications, et
alors, comme le chrétien dans l'allégorie de Bunyan, de
déposer le fardeau qui accablait mon âme aux pieds de
ceux qui pouvaient me signer un certificat d'absolution.
Quoi de plus simple? QuoideplusfaciIe?Riennel'étaitdavan-
tage cela était hors de doute. Et si le faon que vous aimez
était emporté par le lion, rie serait-il pas fort simple, fort
aisé de suivre le voleur jusque dans son antre, et de dé-
montrer à ce gredin toute l'indélicatesse de sa conduite.
Dans la situation toute particulière où je me trouvais,-le
bureau de poste n'était rien moins que l'antre du lion..
Heux troupes distinctes; comme je le savais à merveille,
étaient à ma poursuite en ce moment, et toutes deux
allaient se réunir au bureau de poste. De tous nsic. les tobjets

9
< ;0 OONFM&tOMS

que j'avais an vue, il M'en était point de plus important


que d'éviter d'être repris. J'étais inquiet au sujet du pauvre
étranger, mais je n'étais pas frappe de Jt'idée que je dusse
me sacrifier à cette inquiétude, et ce-sacrifice me.paraiasait
le résultat inévitable de ma démarche au bureau de poste,
et dans la suite, j'ai appris que cette crains était bien
fondée. Mais je m'aperçus que, le contenu de la lettre, ne
pomment être détourne de sa destination sous un faux
matériel, j'étais le seul a connaître cette circonstance. Des
doute< sur ce point devaient fortiner les soupçons de.ceux
qui auraient été en rapport avec moi, ou ~n rapport avec
-le fait.-On se serait adressé plus instamment au bureau de
poste pour réclamer le tt Monsieur Monsieur~, et-par suite,
le bureau de poste aurait eu recours au prieuré; par suite
encore, ie bureau de poste et le prieuré se seraient concer-
tés plus aisément pour arranger ma capture, dans le cas où
je me serais dirige vers Chester, ce que je devais faire
naturellement, si je voulais remettre moi-même la lettre
~tux autorités ofHcielIes. II est évident qu'aucune de ces
mesures ne m'était alors connue avec certitude, mais je les
regardais comme des probabilités raisonnables. H était évi-
dent que mon évasion de Manchester datant de cinquante
et quelques heures, on avait eu tout le loisir nécessaire
pour concerter les préparatifs nécessaires. Il merestait une
dernière ressource, en cas extrême, et elle m'eût sans
doute suggéré un moyen de me débarrasser de mon in-
commode dépôt, et -j'aurais pu jeter de ce côté le regard
brûlant de malice que Simbad avait/sans .doute ~ancé au
vénérable rufEan qui se tenait à cheval sur ses épaules.
Mais les choses n'étaient pas aussi désespérées que pour
Simbad: aussi, dès que j'eus fini mon déjeuner, je pris
mon chapeau et je me résolus à examiner l'affaire et à
..prendre un parti décisif en plein air. En cHet, j'ai toujours
trouvé plus facile de rénécbir sur un sujet embarrassant,
en me promenant en plein air, sous le .vaste regard du ciel
naturel, qu'en nrenîcrmant dans une chambre.. M~is a
P'!M MAXCKUR B'OPiUM }3t

n'wnâo 1. .i n. l.r..a
Ê--
peine avais-je mis le pied sur le seuil que je fus arr&tJ par
une idée évidemment quelques-uns des domestiques du
prieure se trouvaient chaque matin dans les rues. Sans
doute je pouvais éviter ces rues en longeant les murs de la
ville. Je le fis, et {'arrivai a une aUëo obscure qui me con.
duisit peu à peu jusqu'au bord de la rivière Dec.
Depuis
sa source, dans sa route par les montagnes du
Denbighshire,
cette rh'iere fameuse dans notre histoire d'avant ic> \or~
mands, par !a. plus ancienne des parades qu'a données la
monarchie anglaise <, est sauvage et pittoresque, et me'nc
en aval du Prieure, où habitait ma mèrc, eHe a un
aspect
intéressant. Mais depuis ce point jusqu'à environ un mille
de son embouchure, de Chester u Parkgatc, eUe est
pitoyablement doci!e,.M la plus grande partie de son cours
ofh-<:toma fait l'apparence d'un canal. Sur la rive droite*
se trouve une levée artificielle qu'on nomme le
Cop
(sommet). Cet ouvrage a été bâti par les Danois, à ce que
je crois,. et certainement ce mot est d'origine danoise,
c'esl-â-dirc qu'il est islandais ou vieux danois. C'est le
même qui a formé le terme de eq~M~ (faite,
chaperon)
employé en architecture. Je suivais.cette rive et promenais
mes regards sur l'ensemble du tableau que formait le cours
delà rivière. Teuton me livrant à cette contemplation,

'jDMjMr, Cette paradc.tà fut fort décorative,car il quelque Qis<


!an<:ed:)&<st-â-<!ireimmtidiMementau-desMnsduptieur~deStit)t-Ji:an
Edgar, le pMfnitr.Mtn-entiode toute l'An~etertc, a)!a eu bateau, ayant
pour rameurshuit roitelets ses vassaux.
La rive droite. Maislaquelle des rives est la d[oite ou la gauche,
dans-des tireonstances qui varient à l'infini Geia peut causer UtteheM.
Mioo, mais c'MnbarMueraqu'un iettem-sans expérience,car ta
du spectateur est toujoursfixée d'une manière conventionnelle.position
Dans t&
tactique militaire, dans la géographieraisonnee,dans l'histoire, on sup.
poseuniformémentque vous toun!M it: dos la source de la riviet~, et
que vos yeuxsui ventle courant. Dansces conditions,le bordde la rivière
qui est à votredroite, esna rivedroite-dans an sensabsoluet non Teiatif
commecela serait dans une chambre,ï) suitde Jaque.te bordde iaT&taitt
qui ionseJe Middlesexest toujours la rive gauche,et quela rive de Surrey
est toujours la rive droite, soit que vous alliezde Londres à Oxford, soit
~M'&iM.“ y0~f<<i<!à ?.vut!M:
CONFtSStO~S

j'éprouvais d'abord quelque inquiétude, craignant qu'il y


eût des Philistins par le pays, et il pouvait se faire à ce
moment que j'eusse été épié. Mais j'ai remarqué, en
gênerai, que quand on cherche quelque moyen d'échapper
aux Philistins de toute espèce, employés du shcriff,
peu importe, – on ne trouvera de plus sure
persécuteurs,
retraité que dans les chemins bordés de haies, dans les
champs, parmi les vaches et les moutons; nuls êtres ne
se montrent plus tendres envers leurs petits, quand ils en
sont séparés; en somme, je n'ai pas honte d'avouer un
profond amour pour ces tranquilles créatures. A ce~moment*
là, nombre de vaches paissaient dans les champs au bas du
Cop; mais sur la longueur du Cop lui-même je n'aperçus
aucun être qui me donnât l'idée d'un Philistin: en effet, il
n'y avait personne, qu'une femme qui paraissait d'âge
moyen (j'entends parler de trente-cinq a quarante-cinq
ans), proprement vêtue, et qui ne pouvait en aucune
façon appnrtènir ;ala catégorie de mes ennemis; je m'étais
assez rapproche d'elle pour en être sûr. Elle était à
environ un quart de mille devant moi, et s'avançait d'utt
pas ferme de mon côté, face à face. Aussi je ne tardai pas
à lire distinctement l'expression de ses traits, et son atti-
tude devint un miroir qui reflétait et me renvoyait mes
propres sentiments j'y vis en conséquence l'horreur, et
je n'exagère pas en employant ce mot pour exprimer
l'impression que me causa un bruit formidable et tumul-
tueux que j'entendis en avant. Je dis en avant par rapport
à moi, mais c'était en arrière par rapport à elle. En deux
mots voici quelle était'notre situation. Environ p.un demi-
mille en arrière de l'endroit où était la femme, lè bord de
la rivière que nous suivions tous deux se terminait pic,
de telle sorte que lè bord voisin, formant presque un angle
droit, était caché entièrement à la vue. C'était de ce bord
invisible que partait ce bruit inquiet, si passionné, si mys-
térieux. Pour moi qui jamais en ma vie n'avais entendu
ces 'clameurs de bataille funëuse, et n'avais pas même
t)'U!<MANGKUR H'ODUM
1les livres ou sur 11
connu c<tbruit par ht scène, ett prose ni
en \et$, je ne pouvais que murmurer un essai do conjec'
ture sur sa cause probable. Je sentais seulement que c'était
un être aveugle et sans organisation, dans une colère qui
n'avait rien d'humain ni de bestial, qui pouvait s'exprimer
ainsi par un tel tumulte de grondements océaniens. Qu'y
avait-il? On ce!a se passait-ii? D'où cela venait-il? Etait-ce
un tremblement de terre, une convulsion du sol ferme?r r
Etait-ce une antique lagune comme celle du Soiway, qui
brisait ses chaînes? Cela était plus vraisemblable que
d'admettre l'alto no-~c~ d'Euripide (un fleuve qui coule
en remontant vers sa source) enfin réalise après des siècles
d'attente. Je n'eus pas longtemps h attendre une demi-
minute après que notre attention avait été éveillée, la
cause prochaine du mystère se révéla à nos yeux, bien que
la cause éloignée, cause secrète d'une cause visible, fût
aussi obscure qu'auparavant. Autour de ce coude a angle
droit que formait la rivière, ainsi que je l'ai décrit, aussi
vite qu'une charge de cavalerie, mais avec une régularité
parfaite, l'eau du bord le plus éloigne allant aussi rapide-
ment que celle du bord le plus'rapproché, de façon a pré-
senter une ligne tout à fait droite, s'avançait vers la partie
tranquille de la rivière, une grande masse d'eau, qui rem-
plissait toute la largeur du lit, et progressait à raison de
quarante milles à l'heure. Il était heureux pour nous, moi
et la respectable dame de la campagne, le Deucalion et la
Pyrrha de ce dangereux moment, seuls survivants probables
de ce déluge, que grâce au Cop et aux anciens travaux des
Danois, qui. peut-être n'ont pas encore été payés, nous
puissions survivre, car à ce moment-là, et sur le Cop en
question, il n'y avait personne que nous deux. En fait,
cette fortification d'eau, mur perpendiculaire qui s'avançait
aussi vertical.que s'il eût été réglé par le fil à plomb d'un
maçon, allait avec une rapidité telle que, sans contredit, le
plus léger des chevaux ou des dromadaires n'eût pu lui
échapper. Plus d'un chemin de 1er, parmi les chemins de,
<3~ co?)f):M)om
f~–t..t~J!tJ~t' -t~
fer qui lui ont succédé à Fenvi, n'aurait eu le tiers d'une
chance. On pense bien que je n'eus pas le temps d'étudier
ïa chose en détail; je suis un pauvre sire, au point de vue
des facultés observatrices; sans cela j'aurais pu dire que ce
bloc liquide marchait non pas au galop, mais à un trot
allongé, oui, très allongé, l'allure la plus redoutable chez
an tigre, un buffle, une masse d'eaux en révolte. Un fan-
tôme même, j'en suis sûr, me ferait plus de peur, s'il arri-
vait sur moi à un diable de trot allongé, que s'il fondait au
galop. Le premier mouvement fut pour nous un effet de-la
tacheté, de la lâcheté la plus abjecte, la plus égoïste. Tel
est l'homme, mème un Deucalion de choix; telle est la
femme même, une Pyrrha convenable. Nous nous mimes
tous deux & courir comme des lièvres, et pendant les pre-
mières soixante secondes, Deucalion n'eut pas la moindre
pensée pour la pauvre Pyrrha. Mais encore pourquoi? Je
m'imaginai sérieusement que le canal Saint-Georges, et par
suite, sans doute, l'océan tout entier, avait brisé ses
barrières, et que sans doute aussi, il se livrait aux mêmes
inconvenantes gambades sur les riviér&s, le long d'un
rivage de six ou- sept millè milles. Dans ce cas, c'en était
fait de l'espèce féminine. C'était pour moi un sujet de
spéculation fort romanesque étant le dernier des lettrés,
qui survécût, j'avais devant moi pour sujet de réflexion
une pauvre Pyrrha probablement tout a fait iUettrëe, et à
laquelle je n~avais jamais adressé là'parole. Cette idée me
frappa. Je ne lui avais pas parlé. Alors, je lui parlerais,
cela était d'autant plus urgent, que le bruit de l'eau qui
avançait m'avertissait que la fuite était inutile. De plus, si
un reporter, un second rédacteur de quelque journal de
Chester promenait à ce moment sa longue-vue sur le
€<~p,
'et me découvrait dans cette attitude peu
chevaleresque, il
me condamnerait sans faute au gibet pour l'éterni t~ Je
m'arrêtai donc; je n'avais d'ailleurs fait que quatre-vingts
ou-cent pas au plus, et j'attendis ma solitaire co-propfié-
tair< du Cnn.KUe était un peu esM~ftMe d~oircfMtEU,. et
i~'UNMARGEURn'Ot'tUM t35
.n'ait quelque peine à répondre, En outre, à ce moment
mcme, la colonne jiHftM~r~ d'eau, marchant dans un
sans tout à fait opposé a celui du courant K.«M~ de lit
rivière, allait de notre côte, en faisant un bruit d'ouragan,
et envoyait aux rives du Cop un salut aquatique elle
affirmait hypocritement son intention de nous baiser les
pieds,. mais il n'échappait à aucun des intéressés, qu'il y
avait la une traîtreuse prétention de nous entrnlner dans
le déluge des vagues pendant ce temps-la, le Ûot
puissant
qui refluait, grondait comme une charge de cavalerie, et
laissait dans la vue comme dans l'ouïe, les preuves de sa
terrible puissance. Mais que me dit la partenaire
qui était
associa avec moi à ce drame enrayant, lorsqu'elle vint à
moi? Que dis-je alors? Le hasard ilt que je lui
parlai le
premier, malgré le fait notoire et incontestable, que /<? lie
lui <!MM pas d~n~e~. H faut établir, comme une rcg)c
solennelle décidée et sans appel possible, qu'au milieu des
grandes convulsions de la nature, comme un tremblement
de terre, une trombe/un cyclone, une éruption du
Vésuve,
il est et sera légal a l'avenir, nonobstant tout
usage, toute:
tradition contraires,. que deux Anglais pourront commu-
niquer ensemble, lors même que par déposition faite
devant deux juges de paix, il aura été prouvé qu'ils n'ont
pu être présentes l'un a l'autre; dans toutes les autres.
circonstances, l'ancienne législation qui prescrit de ne pas,
se connaître,. reste en vigueur. Le cas actuel, a. défaut de-
témoignages plus évidents, pouvait être regardé, sinon
comme un tremblement de terre, du moins comme faisant
partie des fruits ou des fleurs que produit d'abord le
tremblement de terre. Je n'ai aucun scrupule à
m'exprimer.
ainsi. Toute ma frissonnante réserve angtaise se
dissipa
sous l'impression brûlante d'avoir été vu. pendant
que je
courais pour sauver ma vie;
supposons que la colonne
d'eau, se fût mise redescendre le courant, au. lieu de. le.
remonter; dès lors nous et tout le comté Palatin, nous
aurions dû encore courir pour lui échapper. Quand uh tel
t36 COtFESStONS

pé)U menace tout à la fois, assurément la n~pp~~h (le


franc-parler) doit obtenir la liberté de s'exercer sans
attendre une autorisation.
Aussi je demandai à la femme ce que signinnit cet hor-
rible bouleversement des eaux comment comprenait-elle
ce mystère EHe répondit que bien qu'elle n'eut jamais
vu jusqu'alors pareille chose, elle en avait souvent entendu
parler par sa grand'mère, que si elle avait couru du même
côté, c'était parce que je courais, et peut-être aussi un
peu parce que le bruit l'avait enrayée. Mais qu'était-ce?
Je le lui demandai. – C'est le Bore, me répondit-elle. C'est
une indisposition laquelle sont sujettes certaines rivières,
et la Dee en était une. J'étais si ignorant que jusqu'alors
jè n'avais jamais entendu dire que certaines rivières
eussent une telle maladie nerveuse. Dans la suite, j'appris
que, dans le voisinage, un cours d'eau bien plus impor-
tant-éprouvait, aux marées de printemps, les mêmes
accès hystériques, qu'il en était de même de quelques
autres rivières en petit nombre en Angleterre, et que dans
les Irides, il n'y avait que le Gange.
Enfin, quand le Bore eut été considéré sous tous les
rapports possibles par notre ignorance mise en commun,
j'abordai un sujet tout aussi encombrant, et qui m'en-
nuyait bien plus que n'importé quel Bore, savoir la
lettre étrangère qui était dans ma poche. Le Bore nous
-avait causé une alarme qui avait bien duré quatre-vingt-dix
ou cent secondes, mais la lettre aûrait empoisonné mon
existence entière, comme le diable prisonnier dans la
bouteille, aussi longtemps que je n'aurais pas réussi à la
transférer à une personne qualifiée légalement pour la
recevoir. Ma belle.amie du Cdp ne serait-ellè pas m'arquée
par le Fatum comme- la a femme future a née pour me
délivrer de cette malédiction* de poche! Il est certain
qu'elle montrait une simplicité rustique comparable à
celle d'Aubrey dans « CowMte yoM p/<!t'ra ». Elle n'avait
pas plus qu'Aubrey reçu des dieux le don d'être « poétiques,
f'UK MANCSURn'OP)UM t3y
mais au point de vue de.ma mission spéciale, cela pouvait
être au nombre de ses meilleures qualités. De toute fa~on
j'avais l'esprit accablé sous le poids de la responsabilité i
nie présenter en personne au bureau de la poste, c'était,
je le savais sincèrement, ruiner mon. entreprise dès le:
premier pas. Plusieurs agents pouvaient être employés,
et pouvait-on en trouver un qui par ses regards, son lan-
gage, ses manières inspirât plus de confiance que cette
femme, envoyée par le hasard ? Le cas s'expliquait de lui-
même elle comprit aisément, comment une ressemblance
Je nom avait fait tomber la lettre entre mes mains, et que
le procédé le plus simple consistait l'expédier à son vrai
propriétaire par le vrai canal, savoir la poste générale, cette
institution qui ne sera jamais assez estimée, et qui plante
sa tente nocturne à Lombard Street, mais qui pour ce cas
spécial était également représentée par le bureau de poste
de Chester. Ce service ne lui causerait aucun désagrément
et d'autre part tous les intéressés lui devraient de la recon-
naissance. J'avais été sur te point de donner à ma recon-
naissance la forme d'une demi-couronne, mais j'eus
naturellement quelque incertitude sur la situation qu'elle
occupait dans la société. Elle pouvait être la femme et non.
la domestique d'un fermier, et je trouvai ingénieux de
supposer qu'elle avait une jeune sœur; et ce fut à cette
personne imaginaire que je demandai à offrir mon présent
sous la forme d'une poupée.
Je puis donc, après avoir été provisoirement Deucalion
pendant le court intervalle de cette panique, prendre congé
de ma Pyrrha, la seule compagne des périls et des angoisses
de ce terrible Bore, et j'envoyai ma Pyrrha, la .Thessa*
lienne Pyrrha, non pas à la vallée thessalienne de Tempé,
mais- ô puissance de l'anachronisme de l'imagination 1.
– au bureau de poste de Chester, non sans l'avoir avertie-
de ne se laisser à aucun prix arracher son secret. Sa posi-'
tion, au point de vue diplomatique, était, comme je k:
lui..ns comprendre, meilleure qu~ celle du bureau .de
) )8' CO'<f)RKMOK~
poste; elle avait plein pouvoir sur quelque chose id
sur un bon do quarante guioees, tandis que l'orgueilleux
bureau de poste a'avxit, pour repondre à «y plein pouvoir,
aucun titre, dont il pût se prévaloir, soit dans le présent,
soit dans l'avenir. Elle pouvait être comparée a, une
Pandore, et la bo!)e qu'elle portait contenait au fond
quelque chose de rieux que l'espérance, car l'espérance
nous trompe souvent, mais une traite snr Pnyne, Smith et
Payne, ne trompe jamais, et la valeur de ce titre était une
somme qui, d'après Goldsmith, suffitpour Mre d'unclergy-
man anglais un homme « rëputë riche » pendant une
douzaine de mois cela lui donnait le droit de regarder
avec dédain tout« les pefxonHM qu'te rencontrerait.
Environ deux heures- après, la compagne de mon
royau'3'te solitaire sur le Cop reparut, me rapportant l'ua'
suraace bienvenue que Chester avait survécu au Bore,
et que tout ce qui était courbe allait être rendu aussi droit
qu'un trajet de nèche. Elle avait donne mon « poulet Jt
comme elle disait, au bureau de poste, elle avait été
remerciée par plus d'un ou deux des hommes de lettres
qui figuraient dans le personnel de cet établissement on
lui avait assuré. que, bien avant la fin du jour, une vasts
Cornucopia de justice et de bonheur serait répandue sur
la tête de toutes les personnes qui avaient pris part. à'l'ac-
tion. Pour moi, qui n'étais pas le moins accable des
acteurs, je -me sentis soudain soulagé et remis de tout le
poids injuste de la responsabilité qui pesait sur moi; le
pauvre émigré fut délivré de sa lutte avec des craintes qui
étaient incertaines et des créanciers qui étaient trop. cer-
tains; le bureau de poste fut délivré du scandale et des
embarras d'une irrégularité si grossière, qui auraient pu
mettre à bas le directeur général des-postes; enfin les
habitants-du Prieuré furent soulagés des anxiétés grandes
ou petites, fondées ou imaginaires, qu'aurait pc'leur causer
mon indélicatesse supposée.
il était une personne qui ne pouvait coade~cendre à
P't'H MAMGKUX
Q'ODU' !3~
participer à cette inquiétude. C'était mn sM-ur Marie, plus
u~je que moi de onze mois accomplis. C'était lit plua
noble fille qu'on pût voir, et au premier mot, elle avait
manifesté le plus incrédule dédain pour toute supposition
que son frère iut capable d'avoir seulement conçu la basse
pensée de faire du tort h un exilé pauvre. Kn ce moment,
j'échangeai quelques mots d'adieu avec mon ûdete agent
féminin t n'ayant plus rien qui me retînt à Chcster,
l'exception de ce qui regardait cette sœur. L'affaire en
question n'était pas de la remercier pour m'avoir rendu
résolument justice, car je ne pouvais rien savoir de cette
bienveiHanie action je voulais seulement la voir,
apprendre d'elle ce qui se passait au Ptiemé, et tue mettre
en état de correspondre régulièrement avec elle, d'après
les moyens qui m'étaient permis dans ma situation. Or, un
oncle maternel, qui avait un grade dans l'armée du Ben-
gale, était venu en Angleterre avec un conga de trois ans,
comme c'était l'usage alors, et était en visite nu Prieuré.
Le personnel domestique de ma mère se composait ordi-
nairement de cinq personnes, toutes âgées et peu actives.
mon oncle qui avait ramené en Angleterre de beaux
chevaux persans et arabes, avait jugé nécessaire d'adjoindre
à son écurie un supplément de valets et de grooms. Tous
étaient alertes et actifs, et quand, a travers le crépuscule,
je regardai les fenêtres du Prieuré dans l'espoir d'attirer
l'attention de ma sœur, je n'atteignis pas mon but.
Je n'aperçus pas de lumière dans la chambre qu'elle devait
certainement habiter, et de plus je m'aperçus que j'étais
devenu l'objet d'une attention particulière pour certains
domestiques inconnus, qui avaient évidemment reçu
des ordres pour me rechercher, et à qui mes allures

Certainesf;ettsMM
irrite!, ou mïme croientînMtMt par des 9Ui!<S
)at!on9déguises commed'aatret !e sont par des MtembouM.A. cepKt-
pos, qu'on me perateftt de dire que s'il y < dtns ma phrase huit mots
de Mite <Mn«)t<Uttpar un. c'est par pur <ccideat.II yen a.'ait neaf
d?n~le texte primitif mais pour 4patgner ces gent sU9ceptU)!e& j'ai
6ubstitu<~m~<'<tà,MM/c./ft'
!40 COKFjESStOKS

inquiètes firent supposer que )'ëtais lit personne en ques.


non. Déconcerte par Fnspect nouveau de toutes choses, }e
m'éloignai~ et je revins une heure d'un
après/porteur
billet pour ma sœur je la priais dans ces lignes de guetter
une occasion pour venir pendant quelques. minutes sous
les ombres des petites ruines dans te jardin du Prieuré
où je l'atténdais, Je remis ce billet h un étranger, dont le
costume m'annonçait un groom, et le priai de le remettre

/.M) «~~ J<<))! ~r~'M ~M ~rxH~. – Le prieuré de Stint-Jto)


avait f.)it partie d'une fondation moustique anaehttA htres antique église
de Saint-Jean, située hors de l'enceinte de Chetter. Dtt )e commencement
du xvu* siècle, le prieure, ou ce qui en restait, fut utilisé comme maison
d'habitation par tir Robert Cotton, l'archéologue, qui, Mion iatradittou,
y reçut la visite de Ben JonMn. Ce qui avait furTecu du prieuré, quand
ttet~thtbitepMCotton. ettit,Muf)teuhine, la n))ni:nure d'une motton
noble, avec un toit de pierre en \'oa<e, tout comme il avait été'fait pour
ks nMResd'un ~t.)b))SMme))tmonastique. !.c petit hall de l'entrée, la salle
à ))m'f;e')a princi)'x)e chambre à coucher, <!tt)ie))td'une tteg.~nce modeste,
et* rapport exact avec le ~enre de vie d'un lettré cetibataire, et étaient
Mites dans le :nSmeetato& Cottontes avaitlaissés deux siècles ttup~WMt
Ma)<!cet aspect de petit château qu'avait le prieure, avait, ~(âce A des
retMnchemeuts successifs, fait succéder les dimensions de i'in-ta à
t'in-Mio royal; i) se devinait surtout aut belles ruines qui ornaient la
petite peiouse. et qui conduisaient a la maison, à travers le hall. Ces
ruines consistaient et) trois arcades, qui étant en demi-cercle, et non oei-
\'i))es, étaient ditti saxonnes, et non gothiques. A quelle forme architec.
turate appartenaient-eites réellement, c'est ce que j'ignore. En tout cas
la vieille église de Saint-Jean, dont le prieure avait à une certaine époqur,
été une dépendance avait un caractère désagréable de simplicité grossière
et nue. Mais les petites rujnes avaient une beauté réelle, et attiraient
pendant tout l'été, et chaque année, des artistes, des dessinateurs. Je lie
me souviens, pas si elles étaient embellies d'ornements architecturaux,
mais elles intéressaient tout le monde, d'abord parleur proportion deminia.
ture, qui, si e'tes eussent été portatives. leur auraient valu d'être intro-
duites directement, comme décors et efron~ft! fe)'MH<e sur les scènes
dramatiques de Londres; de pius, elles étaient surmontées d'un couronne-
ment naturel de la plus riche composition, forme de buissons, de lieurs
sauvages, de fougères, e: qui était d'une beauté ravissante. Ce fut sous
cet aspect attrayant que ma mère vit le petit prieuré, qui était alors à
vendre. Comme résidence, il avait ]e grand avantage d'être situé à une
eertaine distance de ChestCr, bien que cette ville, ecmme toutes les vilies
épiscopales, eSt une population tranquine et respectable. Ma m~re t'acheta,
y ajouta un salon, huit ou neuf chambres à coucher, cabinets de toilette,
tt< en te conformant an plan original de cette miniature; elle en fit
ainsi une très jolie résidence, une petite retraite sur laquelle régnait toute
la grâce de t'tntiquité monastique
t~'UHMANQtUR
D'OPIUM t~t
à la jeune dame dont il portait l'adresse. H me répondit
d'un ton poli qu'il allait le faire, mais ce ne pouvait être
une réponse sincère, carla chose était impossible, comme je
moins d'une minute après, je vis
l'appris bientôt. En enet,
se glisser a travers les ruines, non pas ma jolie sœur, mais
l'oncle que le Bengale avait bronzé 1 Un tigre du Bengale
ne m'aurait pas terrifié davantage. C'était, j'en étais mor-
tellement sûr, une barrière qui allait opposer une résis-
tance iatale a la poursuite de mon projet. Je me trompais.
Entre mon oncle et ma mère, il existait une profonde
affection. Ils se regardaient l'un l'autre comme les seuls
restes d'une famille où avait règne une mémorable har.
monie, mais, par certains'traits du caractère, il n'existait
point au monde de personnes qui fussent plus vivement
opposées, et cela se vit bien dans la circonstance actuelle.
Dans le repos immuable de sa maison pleine de décorum,
ma mère regardait tout mouvement violent et irrégulier,
et par conséquent le mien, du même œil qu'elle aurait vu
l'ouverture du septième sceau dans l'Apocalypse. Mais
mon oncle était tout a fait du siècle, et, ce qui parlait
encore plus puissamment à mon égard en cette circons-
tance, il était d'une activité maladive. Rien ne lui parais-
sait plus naturel qu'une personne douée de raison préférât
le voyage a travers les fraîches montagnes des Gatles, il la
routine servile des études parmi des livres rébarbatifs et la
de maîtres aussi poudreux aussi
poussière, en compagnie
paraissait-il enclin à regarder ma conduite comme un acte
extraordinaire de courage..Sur son avis, il fut décidé qu'il
ne fallait pas espérer de lutter contre mes désirs, et que je
serais laissé libre, de poursuivre mon premier projet de
de me
parcourir les montagnes de Galles, à la condition
contenter de la mince allocation d'une guinée par semaine.
Mon oncle dont la prodigalité indienne courait après toute
occasion de se manifester bruyamment, aurait consenti
Volontiers ce qu'on me fît une allocation bien plus ét .<
due, et m'aurait lui-même donné en cachette tout ce que
t~a eMtfMMOtMt
j'<mraït demande. M~as, ~dane /moa ~gnonmce ~énerate,
Kience que je possédais à fond, i}e jugeais cette somme
suf&MuMe, et.à ce moment, ma mère qui avait adhère
passivement aux propeaitions de mon onde, intervint avec
une ngw~r, qu'au ~ond de mon eceur }e ne pouvais
désapprouver. < Un subside plus considérable, disait-elle
fort raisonnablement, Jte serait qu'ua encouragement
prouvant à mes deux frères cadets que la révolte était
récompensée, et que l'indocilité était le meilleur moyen
de se procurer des aises et du bien-être. A ces mots, ma.
conscience s'émut. Je reçus comme une commotion elec-
trique cette allusion, exprimée d'une manière si inat-
tendue, par rapport à mes frères. A dire la .vérité, je ne les
avais jamais fait entrer dans mes réflexions en examinant
les conséquences éventuelles qui pouvaient les détourner
d'imiter mon téméraire .coup de tête. Ainsi donc, le troi-
sième jour, résonnait avec un tintement solennel, .répète
par un écho retentissant dans ma conscience réveillée,
l'un des nombreux reproches que j'avais a mc~aire~ .mas'
que et prédit sans détails précis par la pensée secrète .que
j'avais -eue sous le dôme de la cathédrale de Saint-Paul,
dans la G<7er/e sonore. Dans cette circonstance spéciale,
je sais que mon mauvais exemple n'a jamais eu de résul-
tats fâcheux, mais au moment où ma mère exprima cette
triste supposition, la crainte de voir se produire ces jresul-
tats excita mes remords. Mon frère cadet, enfant d'un
caractère généreux et héroïque, avait pour maître d'école
un homme brutal et sauvage. Ce frère, je,le sais bien,
avait des raisons plausibles, dix fois plus puissantes que
toutes celles que je pouvais alléguer, pour imiter mon
exemple. Il était infiniment probable qu'il agirait ainsi,
.mais bien des années plus Mrd, rappris de lui-même qu'il
ne Ie.&tpas. La méchanceté .diabolique de son-maitre lui
déviât a lal&n insupportable sans songer à oon exemple.
<t dans des circonstances tout à jait diRëcemMs,Jean &)Bre
-conquit sa liberté par .des moyens que hti:suggérerent ses
B'UH ttAMCZUR B'OPtUM !4;

preste, d~nales Hmnes que lui laissaient ses ressources


il s'embarqua sur la vaste étendue de l'océan, parcourut
en sept ans ia périlleuse carrière du roman nautique son
nom fut enacé de tous les souvenirs en Angleterre il
devint par nécessité pirate parmi les pirates, fut exposé à
mourir comme meurent les pirates quand ils sont pris,
maison matin de batniUe, il réussit à déserter le drapeau
sanglant, parvint h rejoindre l'expédition aventureuse des
Anglais à Montevideo, combattit sous les yeux de l'amiral
Home Popham, le commodore, et vingt-quatre heures
après la victoire, fut élevé au grade de midshipman, sur le
Diadème; vaisseau'de guerre de 64 canons, qui portait le
pavillon de Sir Home. J'ai raconté tout cela àilleurs avec
plus de détail. Je raconte ces faits ici encore et en résumé
pour-dire que ce ne fut pas par mon influence qu'il s'en-
fuit loin d'un tyran brutal. Je suis arrivé maintenant à
savoir cela, mais alors je ne pouvais que l'ignorer. Et puis-
que j'avais.si bien oublié qu'un tel résultat fût.possible, et
causât tant de malheurs à mes jeunes frères, comment
n'aurais-je pas oublie cent autres conséquences également
.probables, également pleines de dangers? Cette réflexion
m'attrista, et rendit de plus en plus pénétrante la pensée
prophétique, de l'oracle à la voix funèbre, dont les éclats
de tonnerre avaient retenti, comme la menace faite à
Balthazar, le long des murs de la Galerie 30?!0~. En fait,
il y a dans la vie des sentiers embrouillés et inconnus un
choix arbitraire est d'abord le seul motif qui vous fasse faire
ou vous empêche de faire Ie;premier pas c'est un voyage
a travers une vaste forêt kercynienne, que nui n'a explorée
ni décrite; chaque pas que vous y faites vous fait entrevoir
l'inconnu tout auïOMr de vous, dans ce que vous allez par-
courir, et par la même modifié vos-jugements sur ce que
vous laissez en arrière. Et même ce que vous connaissez
par une expérience absolue, passée et achevée, ce qui'vous
paratt de tuâtes les~hos~s ~iu monde le plus sûrement
scellé, leplut certainement fixé, cela même, vous devez le
!44 CON~SStONS

tenir en suspens, rA
le 1- 1,-
regarder comme exposé à des eondi~
tions contingentes, possibles, comme sujet à subir dans son
caractère provisoire des afnrmations, des négations,. selon
des combinaisons nouvelles où cette chose peut entrer avec
des. éléments qui peut-être ne viennent que du point de
départ ancien et primitif.
Attristé par ces réflexions, je le fus encore plus par la
froideur de ma mère. Si je pouvais me hasarder supposer
en elle un défaut, c'est que dans son caractère hautement
tendu, elle dirigeait trop exclusivement sa froideur vers
ceux qu'elle savait ou croyait les auteurs d'un mal, à quel-
que degré que ce fût. Parfois, son austérité pouvait pa.
raître injuste. Mais alors toute l'artillerie de son déplaisir
semblait se démasquer, et avec justice, pour tirer sur une
aberration morale, qui n'offrait à ce moment aucune
excuse admissible; cela se disait dans un coup d'oeil, s'expri-
mait d'un seul mot. Ma mère avait de t'inciinaïion à juger
défavorablement les causes qui avaientbesoin de beaucoup
de paroles; de mon côté, j'avais du talent pour les subtilités
de toute nature et de tout degré, et j'étais devenu naturel-
lement expert dans les cas qui ne pouvaient laisser. tomber
leur appareil extérieur et se présenter sous un aspect aussi
simple. S'il y a au monde quelque misère sans remède,
c'est le serrement de cœur que donne !'7<KWKwuM!<'<e.
,Qu'un autre sphinx vienne proposer à l'homme une nou-
velle énigme en ces termes Y a-t-il un fardeau, absolu-
ment insupportable pour le courage humain? – je répon-
drai aussitôt c'est le fardeau de l'incommunicable. A ce
moment-la, alors que j'étais assis dans le salon du Prieuré
avec ma mère, sachant combien elle était raisonnable,
combien patiemment elle écoutait les explications, com-
bien elle était franche, ouverte à la tendresse, je n'en estais
-pas moins abîme dans.un désespoir infini par la difncultë
'de me faire entendre. Elle et moi, nous avions sous. tes
yeux le même acte, mais elle le regardait .d'un .centre, et
:.ïno:.d'an autre. J'étais ~certam' s' pendant une demi-
a
D'UNMARGEURn'OPtUM ~S
minute elle pouvait ressentir l'impression mortelle des
souffrances que j'avais combattues pendant plus de trois
mois, cette somme d'angoisse physique, cette désolation
de toute vie intellectuelle, elle aurait exprimé avec élan
son pardon pour tout ce qui lui apparaissait alors comme
un simple éclat d'insoumission capricieuse. « Dans cette
courte expérience, se serait-elle écriée, je lis un arrêt qui
vous acquitte; dans ces dures soufïrances, je reconnais une
résistance digne d'un gladiateur, » Voilà ce qu'aurait été
alors son verdict, dans le cas que je suppose. Mais des rai-
sons infiniment délicate: rendaient cette supposition irréa-
lisable. De tout ce qui se présentait à ma rhétorique, il
n'était rien qui ne représentât mes souffrances d'une ma-
mëre aussi faible que puérile. Je me sentais impuissant,
désarmé dans cette difficulté languissante ù affronter, ou
à essayer d'affronter l'obstacle qui était devant moi,
comme il nous est souvent arrivé, dans nos rêves enfantins,
de lutter contre un lion formidable. Je sentais que la situa-
tion était sans espérance un mot unique, que j'essayais
d'exprimer de mes lèvres, se mourait en un sanglot, et je
me laissais aller passivement à un aveu apparent qui se
dessinait dans toutes les apparences, à l'aveu de n'avoir
aucune excuse acceptable à présenter.
Une des alternatives, dans l'offre qui m'avait été faite,
était la permission de rester au Prieuré. On me laissait
libre de choisir entre le Prieuré et le voyage dans les mon-
tagnes des Galles. Ces dernières et le Prieuré m'offraient
un séjour attrayant. On pourrait s'imaginer que ce dernier
me laissait exposé à des reproches nouveaux et intermit-
tents il n'en était rien. Je connaissais assez ma mère pour
être sûr qu'apïês avoir exprimé avec chagrin sa désappro-
bation pour ma conduite, après avoir rendu toute méprise
impossible ce sujet, elle était prête me donner une
hospitalité bienveillante, et dans les choses ordinaires, à
me témoigner sa bonté; mais cette bonté ne serait pas
ce!;? qutjM~ fera:! oublier ma situation douteuse sous
~CUEC 5S
!0
f~O coumwots
~'e'mbre de son déplaisir on me lai~MMh l'esprit a!H<~Ubft'
pour m'entretenir à l'aise sur n'importe quel ~o~t. Ua
homme dont la conversation est simplement tuppe~tee~ et
qui la Tient expQMe à une protestation eoanoucUe, coo~n~
<etnitle cil, pour moi, ne peut éprou~fcetK liberté ttisëe,
h OMint d'avoir un.; scnsi')iHtJ ohtuM et gr&Mier~.
Lft mienne, d.ms des cirootMtanc'M comme ccHcs où ;e
me trouvai!, était si loin d'~re obtuse, qu'eU~ë~it d'une
acuité morbide tt ettraf~~nte. r&vais commis. une
faute, je le snvait, et je ne cherchais p;)s me k' di~simu*
let. Vrauntat la Yioh:nù& de !'angfttMc. qui m'avan Mft re-
courir à l'expérience de ht Galerie sonore, et i<t!i:;cifiextiooL
&ymbott<;ue que )'avais attribuée à cette expérience, maai-
fe'Haien.t indirectement mon profond sentiment de L'erreur
commise par que adonnais; pour.
moi, par des voies mystérieuses, le sens et les conséquences
de cette erreur devaient s'ngrandir à chaque époque de la
vt~ à mesure que ie reporterais mon regard sur cette er-
reur, d'une distance ptu-: éloignée. De plus, cette tUusiott
fortuite à mes frères m'avait fait soudain, et douloureuse-
taent songer à une autre, à une nouveUe faute côntre mes
devoirs de fils. Une mère, surtout quand elle est veuve, a.
tout particulièrement le droit de réclamer le concoura de
son S): aîné et toute son aide pour exercer une influence
salutaire sur les pensées et les desséins des enfants plus
jeunes, et si tel est le droit d'un&mere, combien plus pos-
séde-t-eite celui d'exiger un tel concours~ quand eUe !t,
comme le fit ma mère, satisfait à tous le: devoirs maternels
par des sacrifices de toute sorte, dont je connaissais toute
la valeur. Elle était camparativement jeune, n'ayant que-
trente-six. ans, et avait fermement refusé toute proportion,
au moins dans deux occasions distinctes~ où on lui oSrait
d'honorables partis, -et cela par iidetité pour I& souvenir
de mon père, et dans l'intérêt de ses enfants~
U ;m'ëtait impossible de ne. pas lire, dans des exemples
pareil~ et-dépourvus -de ~oate oa:<tt!pHe<s, ma- ci~p
M''U~\t*~UKUKU'0['tU
mootr&H sx bonté, un appel u prouver d~ nwn côté t~
tneMû e'apres~ment à diminuer de mon mieux le poids
Je sa responsabilité. Hélas en ce qui regardait ce devoir,
je ne M.)tais que trop certainement mon erreur une o&-
casioH avait été volontairement négligëet et cependant }<:
sentais qu'un arbitre impartial lui-même ne pouvait voir
dans les apparences qu'une faible piu'tiù de ce qui phtidait
en ma faveur. Ce qu'il eût i'.)Uu dire pour mejustifie,- avec
~u<:< dev.tit être dit non par moi, mais pur un ~oc:n
dtsint<res~e, et je n'en avais &ucun ai ma disposition. J)an.;i.
r~veuglû détresse de mon Sme, dans l'angoisse de ma
conscience et de mon cœur, j'étendis les bras pour cher-
cher mon seul auxiliaire c'était ma sœur aînée Mary, car
nM sceur Jeanne parlait a peine. Ce fut aveuglement, ma-
ch~naiement, que )'etendi& les bras comme' pour appeler
son attention et pour donner une forme à la pensée qui se
débattait, j'allais parler, quand je m'aperçus tout a coup
que Mary n'était point la. J'avais entendu un pas derrière
moi, je supposais que c'était le sien. Le domestique, en se
chargeant si vite de nm lettre, m'avait fait croire qu'clie
allait apparaître dans quelques instants. Mais elle était bien
loin, elle accomplissait une mission d'amour inquiet et'
fraternel. Aussitôt après ma fuite, un exprès avait été en-
voyé de Manchester au Prieure; cet exprès bien monté
avait fait tout le chemin en quatre heures. H avait dû me
dépasser dès le premier jour de ma marche, et moins d'une
heure après son ayri.vce, il vint du bureau de poste une
communication qui expliquait la nature et le contenu de
h lettre tombée si mal a.' propos entre mes mains. L'a-
larme se répandit aussitôt au Prieure, il faut avouer que la
coïncidence de mon évasion avec cette remise certifiée d&
la lettre entre mes mains ne donnait que trop de fonde-
ment la. connexion qu'on établissait entr& les. deux fMt&.
Je fu&reconnaissant envers ma sosur Mary pour avoir ?é<
sisté aux apparences qui parlaient si fort contre moi, et
cepend&nti&n'a.vai& aucun dro'ide me plaindre de c:ux

1
'4~ COMfKMiOm
qui auraient cède à ces apparences. H semblait probable
que j'avais viole les lois de quelque manière, soit par un
faux, soit en m'appropriant frauduleusement le contenu
de la lettre. Dans les deux cas, ce qu'il y avait de mieux à
faire pour moi, était de m'expatrier. La France, à cause
de la paix qui était faite alors, ou la Hollande étaient l'asile
le plus sûr pour moi jusqu'à ce que l'affaire fût éclaircie,
et'comme il ne pouvait y avoir en aucune façon de l'in-
quiétude au sujet du résultat dennitif, c'est-à-dire de l'ar-
gent, il ne pouvait y en avoir davantage pour redouter
une poursuite judiciaire au criminel, même en se plaçant
au point de vue le- plus défavorable, celui d'un fait délic-
tueux. Un vieux gentleman, depuis longtemps en relations
avec ma famille, et qui bien souvent avait servi d'intermé-
diaire à mes tuteurs, ofirit ses services à ce moment comme
conseiller, et pour servir de protecteur a ma sceur Mary.
Aussi, deux heures après l'arrivée de l'express de Manches.
ter, qui parti à i heures du matin, était a sa destination à
3 heures du soir, toutes les démarches nécessaires auprès
une banque de Chester ayant été faites pour obtenir des
lettres de crédit, une voiture à quatre places était à la
porte du Prieuré. Ma sœur Mary y monta avec une domes-
tique et l'ami qui l'escortait.
Le jour même où je quittai M. Lawson vit commencer
ma poursuite. Le coucher du soleil fut témoin du passage
de mes chasseurs sur la Mersey, et de leur entrée au trot
dans Liverpool. De là ils firent treize milles pourOrms-
kirk, de là à la~rcct~ de Preston, vingt autres. A peu
de chose près, ces trois étapes faisaient cinquante milles;
voilà ce que firent mes chasseurs avant de se coucher, en
poursuivant quelqu'un qui ne fuyait pas. Le lendemain, bien
longtemps avant que, sous l'humble apparence d'un piéton,
~*eusseatteint Chester; la troupe de ma sceur arrivait à
Ambleside, à environ gz milles de Liverpool, ce qui les
éloignait en conséquence d'environ toy milles du.Prieure.
Cette partie de chasse avait de bonnes raisons pour se
D'UN MANQRUR D'OPtUM t~q

croire sur la vraie route, même après avoir atteint l' « or-
gueilleuse Preston qui est le point où se reunissent les
routes qui, de Liverpool et de Manchester, vont vers le
Nord. Car je m'étais d'abord proposé d'aller aux lacs an-
glais, et j'avais intentionnellement laisse quelques indica.
lions dans ce sens derrière moi, dans l'espérance de lancer
sur une fausse piste tous ceux qui me poursuivraient.

Cette chasse me fut rappelée environ quatre ans plus tard,


sous la forme désagréable d'une '< petite note <' de près de
t5o livres à prélever sur ma petite fortune patrimoniale.
De toutes les lettres du prieure., auxquelles, par une méprise
naturelle, on ne songea pas jusqu'au jour qui suivit mon
arrivée, c'est-à-dire jusqu'au troisième jour après le départ
de ma sœur, aucune ne la rejoignit, ce qui fut un malheur.
Car le voyage pour aller aux lacs et en revenir, joint à
leur circuit de plus de t5o milles, aurait fait un total
d'environ 400 milles, mais il arriva que ceux qui me pour-
suivaient, n'ayant pas le temps de peser les renseignements
qu'ils recevaient, furent entraînes a y ajouter un supplé-
ment de 200 milles, pour poursuivre un « moi imaginaire
aux souterrains, puis a BoIton-Abbey, et de là jusqu'à
York. De cette sorte, le voyage fut de plus de 600 milles,
que l'on fit entièrement avec quatre chevaux. Ces quatre
chevaux qui, à l'époque où le foin et les grains étaient au
plus bas prix, coûtaient trois shillings par mille, et quatre
dans la saison la plus chère, firent une dépense de trois
shillings trois pence par mille, tarif auquel il était d'usage
d'ajouter un shilling par mille pour les barrières, les
postillons, les hôteliers; aussi le total ajouté à la dépense
que faisaient naturellement trois voyageurs dans les hôtels
s'éleva à cinq shillings par mille. En conséquence cinq
shillings étant le quart d'une livre sterling, six cent milles
coûtèrent le .quart de six cents livres. Le seul article de
cette longue note qui me consola par un seul sourire de
Mût cet argent dépensé inutilement, se trouvait dans la
t&O w CONMMSWM
colonae relathfe A PaMenhtie (au eonMXMCttueiat de
i'U~<swater),&tvoir: t
Pour an <ecito, de {wemière q~dité lifres o, &h. «x.
dito tccandeqtialité tt <h. $.
TTeiest le prit que coûte un écho, raisonD<M<)'Mat v«-ié,
pour la poudre que l'on hfûle. Mais à Lew%'<Mni, Mr !e
WindermerCt il y des échos au prix d'une oteeai-coMmaae
pour les badauds de choix inférieur qui sont capables de
prendre un caillou du Rhia, pour < rarthie authettttque M.
Mais cette invasioa acadta~Ue sur 'moa pMntaoitM
et)ut un incident sans uaporMnce, au pomt de vue des
suites durables.qu'il pouvait avoir. Si j'avait attendu jus-
qu'au retour de ma Meur, retour -qui, j'en <tus $Ûf,<fAtt
été DeMpdé par l'imperfection du système <~e conpMpon-
dence que itwosaïi&ns concerté, tout oura!tf~u<d.J'au!'<tis
re~c d'eHe l'accueil cordiaj, 1a sympathie pr~nde qui
~n'étaient nécessaires; j'aurais poursuivi traaqm~emeot
mes Mudes, et mon entrée Oxford aurait eu lieu par,uac
suite aam<ne~ des choses. Mais par malheur, après un
ébranlement aussi sérieux de ma santé, la moindre in-
terruption dans le système sauvage de vie en jpMa air que
j'avais adopté, me jetait à l'instant dans des crises ner-
veuses. Sans nul doute, cette vie y<wcp, <qui m'avait
<hMtaë tant d'espoir de tTecom'ner fapidccMct et sûreœent
la saute, <~Mt agi avec plu$ d'énergie qu~ }~ ne lavais
supposé elle paraissait, à la lettre, opéfer d'MnemaateM
irrésistible la reor~anMatton dermes facultés hmguksahtes.
Aussi, impatient de ~'absence de ma sc&ur, et agité de -voir
que mon séjour était si ~oa~entps prive de <ce qui ifaM
charme central de itûMte.-&mUIe, ua tr~~p~o~ )5.)t~ ~un
regard pateT~ael) rayonnant de sympathie ~e pris iepa.ni
de m'oirtf ces pMsir& d~s -bais -et des ouMMa~nex, qui
<ëtMent désonaais si près de œoi. Les parties du FIjjUshtre
et-mêaM -da Dcnbj~~M-e qui a'ïM.dnemt Ghe$ter &e sont
pas, i vrai idire, ~ineaMttt .attrayantes. AinH-l.! v~!iaede
.Gressfofd,sur la luioite dtt Fjintshire~t.alad~Mmce/de
D'UN tttfGEUR D'~MUM t5t

stp! otHiet tout au plus, o&rait une timabte pedte netnaite,


H laq~eUe j'avais un accès privilège. J'en essayai d'abord,
mais c'était une c&Mpagae soigasusemejtt aménagée, et
attire. Deux dattes de quelque distiaetion, proches p!h
reatet) anciennes amies de ma mère, étaient en quelque
sorte les reines qui régnaient dans l'enceinte de cette v~Hëe
arcadienne. Ce n'était pas c<: que je cherchais. Tout
était élégant, poli, tt;a.jaqutHû,~uriespet~uses et ~es chemins
de cette verdoyante retraiM; la r~dexse n'y était pas sup-
portée les mjoittdr~ atets d'eaux a~ent reçu des laçons
de AKMMM tenue, et !cs deux Y<!hn des dames régnantes
{MrsWfn'rington<;t\M)s Parry), montraient la perfection
du boa goût. Cn ea<:t. les deux dame; avaient cultive ieur
go~t pour la peinture, et je eroM; qu'eHes avaient reussi
a$sez bien. J'y fus introduit et trop bien reçu, car e!!e~ me
forcent faire partie de la société. Quant à Gressford
considéré comme r~&idenee )ourna!:ére,it m'apparut bientôt
sous un aspect peu eagageaut, malgré la fascination dont le
dotai~ot les. charmes de ses deux propriétaires. D'autre
part, à xx milles de Chester, s'eteaJ une scène bien autre-
n)em _grande< belle v,tliee de Uangoten, au eentre du
Denhighshire. Ce royaume était aussi gouverne par deux
dames leur ëloigaernen~t roma-nesque du monde, a un ~gc
<ort peu a~aa~e, attirait depuis bien des années ~intérêt
gë~é;~ sur ~ur personne, leurs haltitudes, i~tr$ opinions.
Ces .datées étaient Irlandaises, Miss Pocsoaby et lady
Eipaaor Butler, scsurde lord Ormond. Je ~e<)u'avais été
présenté, deux fois.par des. personnes dont ~e faog doanatt t
une certaine valeur à cette introduction. Mais bien que
leur courtoisie de haute éducation leur permît de cacher
l'expression de leurs sentiments, elles doivent avoir éprouve
peu d'intérêt pour ma per~nae <M mes opinions J'ai

B ~et }t 'ptutt .d'auliquerid -q<tt,EBi~M ~t.<nUjd, <)M)Mt .it


nt'~oattt!<}<tenf donnerune opMtMMt &wcrs&!ede WofdKWth, coaMB~
poète (Mt)tt dt cça~e~mtiott~))U-*tatt )Héhnt~ TKMpM Moi, niais par
aot4~j~M~<M~t<t~id~t~~[aitcaeMtM)M'fertMtaWcrd<*
t5t COMF&MtOHS
peina t dire que mes sentiments nétatent pas des plus
ardents A leur égard.. Néanmoins je me présentais à leur
cottage toutes les fois que je traversais Uangolen, et je
fus toujours reçu courtoisement quand il leur arrivait de
se trouver à la campagne. Mais comme ce n'était pas des
dames que je cherchais dant les Galles, je continuai jus-
qu'au comté de Caernarvon, et pour quelque temps je
louai un appartement en miniature, c'est-à-dire une
chambre et un cabinet à Bangor.
Ma propriétaire avait été la servante ou la bonne, ou
quelque chose de ce genre dans la famille de l'évoque de
Bangor; elle n'avait quitté cet emploi que fort tard pour
se marier, ou pour parier comme elle, « faire une nn )'.
Dans une petite ville comme Bangor, !le seul fait d'avoir
vécu dans la famille de l'évoque conférait une certaine
distinction, et ma bonne propriétaire avait plus que sa
part de l'orgueil que fait nnître naturellement un tel avan*
tage. Ce que < Mylord disait, ce que « My lord a faisait,
et combien il était utile dans le Parlement, et combien il
était nécessaire à Oxford, tel était le refrain journalier do
sa conversation. Je supportais fort bien tout cela, car il ne
me coûtait pas grand effort pour être indulgent envers la
loquacité d'une vieille domestique, et heureusement il n'y
avait rien dans le train-train quotidien de notre existence
qui nous imposât la société fréquente de l'un à l'autre.
Cependant nous nous rencontrions quelquefois, et il faut
bien que dans ces occasions, je ne lui aie pas semblé
frappé autant qu'il convenait de l'importance de l'éveque,

worth, <t peut-<tre aussi ses œuvres), aucune d'e!)c! ne me parut d!M
pesée à prendre'quelque intérêt ou à concevoirdes espérancespour ses
efforts. Mais!ot)j!tempsaprès cela, quand la Chambre des Commnnet
éclataen appjtudissementsà eon nom cité par SergeantTalfourd, et que
les,voyageurs américainsde quelque distinction venaient par troupes4
Ryda! Mount, tes poèmes de Wordswbrth lui-même prouvent qu'une
grandercvctation&'iitaitproduiteà L)MBo)en.Je cite cette anecdote parce
que }'<ttbien des raisons de croire que si beaucoupde gens se sont acon-
de
~erti<*à à l'égard Wcrdsworth, ce fut grâce à ces mêmescirconstances.
!)'UM MANGEUR D'OPtUM <5~

et de la grandeur qu'il y avait a avoir vécu dans un palais;


de mon indifférence, peut-être
peut-être pour me punir
aussi par hasard, tout simplement, elle me rapporta un
avait été question de moi d'une
jour une conversation où il
manière indirecte. Elle avait été au palais, et comme le
dîner allait être servi, on l'avait retenue dans la salle à
manger; pour donner une idée de son économie dames-
tique, elle dit qu'elle avait loué co qu'elle appelait avec
« ses appartements Le bon évoque avait~
pompe
l'avertir d'être prudente
paraît-il, saisi cette occasion pour
dans le choix de ses locataires; il avait dit f Vous savez,
Betty, que Bangor est situé sur la grande route qui mène
à Head (ia Tète, désignation employée couramment pour
Holyhead) et que nombre d'aventuriers irlandais pour
échapper au paiement de leurs dettes en Angleterre, de
même que nombre d'aventuriers anglais que le même motif
conduits naturellement a passer
poussevers l'île de Man, sont
par ici. Cetavis ne manquait certes pas de fondement rai-
sonnable, mais il était donné à Miss Betty pour qu'elle
l'approfondît dans des méditations personnelles, et non
pour m'être communiqué spécialement; or ce qui suit
était pire encore – Oh! my lo?d, répondit ma proprié-
taire, d'après ce qu'elle me racontait de l'anaire, je crois
assurément que ce jeune gentleman n'est'pas un aven-
– Vous ne pensez pas que je sois un
turier, parce que.
aventurier, dis-je en l'interrompant dans un éclat d'indi-
gnation à l'avenir, je vous épargnerai cette inquiétude. »
Et sans retard, je me préparai à partir. La bonne femme
paraissait toute disposée à faire quelques concessions, mais
une âpre et méprisante expression. que je crains d'avoir
appliquée au savant dignitaire lui-même, excita à son tour'r
son indignation, et toute réconciliation fut dès lors im-
possible. J'étais, à la vérité, fort en colère contre cet évêque
qui avait suggéré des soupçons, tout indirects qu'ils fussent,
contre une personne qu'il n'avait point vue, et je songeai
à lui faire connaître mon sentiment en grec. Cela aurai.t
i~t C<MUr<tMMMO:
<a le doubte M'MMge de lui donner uc pre~w~ <)~or<Me
sur ma re~ect<tMMtë, et de forcer, coottOM i*Mper<tM,
&fepMJre <hm! ~Mc langue; « <~MMce cts!i
Jt'<v&<tae
oM.d&ut&i*p<s de ma aupeuM-ité & mx «MM«Mrx~e
escrimeur, «!~nt que rar~tneai on e~np~o~<<~<c adresse
contre toutes les terreurs qu'inxpiratt lu pon~que de Sa
Seigoeu~e.
JCai ea Mft, « dans ma <x)!crc, j'ai dit <;u<t< qae ce «Mt
qui pût MbMSaer ou contester h T<i«M' inte~ectu~te du
r~que tes ta!<nts étaient nûo jMM~eMnt de bon j~tM,
<mtM encore tn*t juppropnes
<ax <<xp)<Ms <[u~t ttVMt &
TetMpHr. Ea <~et
~eyeque de B<taytf, qui «att alors Sc
d<Mt€<Mf Cte~er, était aussi i<' ~opect<uf de SraMWM<r,
O~toni, et « coHc~ <!teM<~ <Ke adtainix~H~oa~, au

'Le M~ t<M)~ Bftt<)t<nM ~x ~<tMt<~)t <}<)M !'<tttnx de rMt~M,


fut mh .en ptetn jour !'attn~e <t~<e«, La famille priao~te de )< mal.
ton 'igett:) de GTenvittc, ~tMt t etOe tpoqnc. celle <tti Matqut* de tSuc'
tchtjihMt, qui <ttp<~ ~t ~Mt~<t. ~t tMtMt tit de, ~e tjeamheaime, ~efd
GM)~ GrtnviUt. ~ui t MUM~dë<[$M ia y~trie au «tre Nu~t .!mit
cette année-là ou 1<t suivftntt, <e<f pour le coUtee, ce qtii :.)gn:6e ;h
A*(t)eterfe, ~u'H tf~tOt ~m <Mt~ftat, mais un ~eane ~~nxot, et M'!)
tWHt~t.huittM,~e,<)r<ti)M)M<k Mttt t&tttH'it<. D'~pr~t tout ititprt-
c<dent* connus, il Mmit' da <etftrà ChjjM Chureh, n)e!s iorsque cette
<~tes6<afut ~t~.«~~)')e)<t fat nt~rcOement contiuht; cet ouclé, lord
~~vMe. ,t(mt~~t'~M~.A)~tet< <MpttMi< i'MoMcre <!tCfeuy)ite,<t
qui paMtit pour ut)) trudit <CMt~]i, asshta an couseit de f<tni))e: sur so)<
<ftt; et ta gnmd <to~nt(M«t ~Oxford, Brasenose fut cttob! de prSf~renee
ai C.hftt.t Obun~ « entt* <~e ae oh~m.fm ~~Mntin~ ptr te ~t~t
au'intpir~tM )e~ateaM téaiatsttttits, ainsi que i'~rudjtioa reaM~uab}.:
du O~OeaTer. <C<!tM))r<~t«!f)tMc fortuite de ne reposa?:i
Brasetose~qui
tpm ttttt, ~tt<tuf~'<B«t& ptr~ene~, tombt <)MH) vite qtr<t)e it~tt
.<ttu~i,<t Uy.t~gtemptt ~t'<!)e es:<MMfee. tfttt de f.tit~~ief.ftoiiks
tampagnarde~ habittût tMa d'Oxford, Mppostnt nn~ eupenorit~ n3<ure))c
«x ~ottc~es ~m<M<~t)tt directeur au ev~qu~ eUes ignortttt ~u'à Ox~'ord
4 ~tmjtMt~tMtt )*t.4tf~tt<mnt ~e; eoi)tett Mop<mMnts s.e tu-M)M)t st <t
&ont tenus pour~tM M'rMj; et en disoit~ M.bw4M ~que~A Oxford
M~ar~ca)itr, «rt<e <t<<ttr!ae < at)<'prtttYept)TMntMt:~edoje~dudto-
~e att3cu<MU-&<'tMettt)<)<t)t'~e~trecte))f<<e Qh-in <jbtMx:h, qxi: p.de
jU)(Bhre~J<qo~ttt,<t<t<:<~tev<s,cMMpeMtt ~ag ou'MtcM) t:o)M$e<te~i
'<a~utt_cbms to<tt<Tt)~<.rsit~.MM ce r6!e, monsienr le Do)'ene~t un
~<t-M*~eWMt~t)dén~)<t ~M~4-~{qM. l.'Mf~crjtÉ Mr-
-MMJte q~ ~J~WN~it .A~ttJMp&fW-itt !a!)jnfM:e, fut a~me~te par
P"?"~A' ~at quemer&'d'~ëquM,)U!.quà c< que quetques
<tet<MM'ettMent~)tt<t)ti ~e MqtttMt~e dans la Asmbction'dM ~6i.
n'UN .MMtnMt a'OP}UM ~?5

I. à- /1~·r~ 0·71 1.. 1a~1_1·=_.


· »_
point de vue de l'eaMM~emeht et dé la dt<apnne. JFj~ppris
plus tard que dans ce rôle tK~demtqae, il méritait ia repu"
Mtioa de feformatear, de sage, de teaapërÊ, d'heureux
Tëfanoateur; quant à son erudirioa, je ~s, bien de~ années
âpre):, qu'il avait été nacntionn.ë a'vec éloge pM* Porson.
Mais d'un autre côte, l'é.êque n'était pas l'abri du re-
proche d'abuser de ton influence locale, iut*cc par allusion
directe, ou par inzouation, contre un e!r<mgt:ï- sans dé-
fense. Un homme .àu~t important, dans uae aussi petite
ville, était en &it arrnë d'un pouvoir aussi absolu que celui
dont jouit un capitaine en second sur le pant de son
vaisseau. Ua < !ëg;ste de mer » serait, dans cette circons-
tance, obligé de garder ses plaintes duns sa poche/jusqu'à
ce qu'il p~î les fatre valoir a <e<re, auprès du capitaine.
Du t'émet après tout, mon idée n'était pas si absurde que
cela, coière qui m'avait inspiré le commen~ment, se
serait protBptemeht ibndue dans la gaît~ qui en aurait
accompagne l'exécution. Le lecteur va croire que œou
projet de rfprgsai)!cs manqua en armant conn-g moii l'or-
gaeil oSciel de révêque. Tout homme, penser~-t'oh, qui
<)ceupe une place aussi considérable dans ~e publique.
un lord du parlement, 'an homme qui a gagne un gros Jot
à la loterie episcopale (car BM~or en un ëyêcjté de six
mille livres par an), un don souverain A Ojfjtbfd, en un
mot un splendide cMtMM~r~,armé de ia coudre et de l'eelair
du diocèse, ne quittera jamais son attitude olympienne,
pour prendre connaissance d'une commuoiomoh que lui
fait un enfant. Mais tout l'univers doit saisir le caractère
de cette iCommunieation .qui était supposée écrite en
grec.
Et dans ce cas, Ja sunnite suSsan pour
porter l'evèque
à la lire. Et comme ùae telle démarche était d'une
hTegu"
larité choquante. il éprouverait Ja fatale ie&tMtoa de <?
:risquer à Mce une expérience dtttget'ec&e et de r~Mhre
-en grec. H ne se~Mt pas agréable de .neEuaer an de6 ~eté oct
silence jMMïsoette &Tme exoennique de lettre, .a elle etMt
rédigée en termes respectueux :pour l'âge et iasou&t«Mt
~M cotWtSHom

ecclésiastique d'un eveque. Et il était évident qu'il s'abat


serait moins en répondant même à un enfant s'il possédait
cette sorte de supériorité. Mais l'évoque n'était.il pas un
homme instruit, bien qualiuë pour répondre, et dont les lec<
turcs devaient être bien autrement étendues que les miennes?
Je l'avais entendu dire; on m'apprit aussi,
mais longtemps
nprès, qu'il avait écrit avec élégance et érudition, mais
non en ~-<-c,sur les marbres d'Arundel. Le seul fait d'avoir
choisi ce sujet, de notre temps oh les travaux de deux
siècles ont réduit à d'étroites dimensions le champ ouvert
à une sagacité originale, témoigne d'une instruction qui
Mtfortbinde la moyenne. Mais j'ai déjà dit ce que je pense
à ce sujet, savoir qu'il n'y a aucune proportion entre !es
les connaissances générales qu'un homme peut posséder
en grec, et la faculté d'écrire en cette langue, c'est-à-dire
celle de se servir comme d'un moyen de communication
familière et aisée. Cet avantage, qui n'appartient pas né-
cessairement et ordinaire ~ent à la plus profonde érudition
en grec, je me l'attribua, ainsi qu'une adresse surnaturelle
à varier les formes de l'expression, et à faire entrer les
idées les plus réfractaires dans le vêtement de la phraséo-
logie hellénique. Si î'evéque avait cède a la tentation de
répondre, je me représentais le résultat inévitable cett6
masse épiscopale immobile sur l'eau comme un vaste
trois-ponts, incapable de riposter par un seul coup de
canon, tandis que ma légère et agile frégate aurait voltigé
autour de lui en tous sens, et l'aurait attaqué à plaisir,
sans perdre une occasion. Ïl n'aurait trouvé aucun moyen
d'employer son érudition à lui, par exemple celle qu'il
possédait sur les marbres d'Arundel, sans 'rappeler ce
personnage cosmogonique du Vicaire de WakeMd, avec son
a~pxov Spefxa! A-K~-K~ -ta ~v. Une fois tombée dans ce
piège d'une correspondance suivie, Sa Seigneurie n'aurait
plus la liberté d'y mettre fin soudainement, ou de la pour-
suivre sans dommage pour sa grandeur
épiscopaie. Du
Teste ma colère née tout coup et avec violence, comme
1
D'UK MAKGSUR B'OPtUM t5y
sous l'in~uehee d'une insuhe réelle, n'avait rien de Mé-
chant, et elle était déjà calmée d'avance par ce qu'il y avait
de plaisant et de comique dans Je tableau qui présentait a
mon imagination la scène qui aurait eu lieu entre nous.
En aucune façon je n'aurais trouve du plaisir a causer
quelque mortiflcation à l'évêque; mortifications qui au-
raient été exploitées avec bonheur par les méthodistes alors
nombreux dans le comté de Caernarvon. Pour finir, je me
serais sans doute borné à une grave remontrance en
style
tempéré, où je .me serais ePorce de développer les consé-
quences terribles qui pouvaient résulter pour moi des insi-
nuations étourdies de Sa Seigneurie.
Mais les conséquences altèrent aussi vite que les traces
de ces insinuations, et déjà, ie jour même ou ma sotte
propriétaire avait, par bêtise peut-être plutôt que par mé-
chanceté, répété les paroles de l'évêque sur un ton qui me
semblait aussi insultant, et cela, sans aucune provocation
de mon côté, car jusqu'alors il n'y avait pas eu la moindre
difficulté dans nos petits comptes hebdomadaires, une de
ces conséquences fut que je n'eus point de domicile. En
effet je refusai dédaigneusement l'abri d'une maison d'où
la franchise et la politesse semblaient bannies à ce point.
Cette conséquence en engendra d'autres toutes 'naturelles
de toute manière il me fallait chercher un nouveau loge-
ment, et je quittai Bangor aussitôt pour aller à Caernar-
von, que j'atteignis après une marche forcée de deux
À ce point de tue, et à part )e bon marché et la brii)ante propreté
des chambres,entretenue par une domestiqueanglaise quesurveillaitla
gouvernanted'un tvïqu~angtais, j'avais peude choseà regretter. En fait,
Bangorétait un séjour peu attrayant, )e moins attrayant qu'il y eut dans
le comtéde Caernarvon.Et cependant,n'y avait.it pas une cathédrale?
Oui,il y en avait une, et elle aurait pu êtred'une grande ressourcepour
moi,si tes officesdu ehcBury avaient eu lieu régulièrement,mais il n'y
enavait pas. A la vérité,})
il nepouvait y en avoir, car à ce que j'appris,il
n'y avait jamais eu de choeur.Le cimetièrede la cathédralepaMaitalors
pour le plus beauqu'il y eût dans tout }eroyaume,mais cette befute était
"ogenreà peineen rapport avecle Heu/c'était celled'un jardin bien tenu,
et non d'un cimetière. Elle provoquait le sourire et la joie, tant elle était
peuen !rmot)ie avecla destinationrée))e de cet endroit.
'~$ COStTMStCM
hewe&et domie. A Caernarvon )en~ trouvai aucun loge-
ment qui convint par~itement à mes vues/car les chambres
à louer sont très. clairsemées dans ks Galles dM Nord
aussi pendant quelque temps, comme j'avais quelques
guinées en réserve, je ~eeus surtout à l'auberge.
Ce changement de séjour eut pour effet naturel de dé-
tourner mes pensées de l'évoque. Ainsi se dt~pertct gra-
duellenMnt tous mes projets de protestation. Je suis e<telm
à regarder cette issue de l'affaire cornn~ malhtureuae, cor
probablement eUe aurait eu les conséquences suivaatta.
Comme ;e l'appris plus tard lors de mon séjour à Ox&Mrd,
et quand j'eus fait connaissance avec lesgens de BraseaoM,
cotlege auquel appartint-dans la suite mon plus )eane
frèra, l'évêque était un homme plein.de raison et même
d'affabilité. Donc, en recevant ma remontrance s~eeque,
cet étudit aurait certainement ressentiquelque. intérêt pour
l'auteur; il était trop équitable pour ne pas. prendre en
considération une plainte qui, rédigée e~ a;iec ou autre-
ment, lu.i rappelait ce qu'il y avait d'ircëilcxion dans sa
conduite, et l'exprimait avec quelques apparences de jus-
tice. II est absolument certain qu'il m'aurait fait une ré-
ponse courtoise, témoigne son regret d& l'incident qui'me
prh'ait d'un domicile; ilm~auraiftait remarquer que quand
un homme fait dans sa propre maison de~ recomm&oda-
tions à-un inférieur, et qu'elles ont pour objet non d~ le
pronroquer à agir, mais seulement de le mettre: sur aes
gardes, la loi et l'usage donnent un priviïège à ces recom-
mandations, quelles soient écrites ou communiquées dç
vive .voix. Quant à l'usage insultant qu~on avait fait de. son
avis, il t'aarait mis simplement au compte du manque de
tact de cette fr.'nme, et peut-être il l'aurait attribué à une
cause dont il faut tenir grand compte quand on pèse les
expre~tons grossières et inciviles des gens sans éducation,
)< .~eux. direla, grande pauvreté de leur langage. Ils em-
ploient 'des phrases qui dépassent de .beaucoup la portée
rce!lc"de îcT!r?en~~t:<}~ ïcu:' inicuHùtit. et cdâ ~tuple-
n'un MAMCttm B'optUM t;t)
'1.
ment parce que I< peu d~MnJue de leur Yocaba!air<: ne
leur permet pas de choisir une expres&iun d'un carojTère
moins blessant. J'aurais fait à cette lettre la réponse qu'il
convenait, et parsuite, a~Stint-Michet, lorsque la famillé
dorévêque se serait'reo.dueâ Oxford, j'aurais retrouvé h
B.tngor mon logement ou un logement voisin, avec de
pr:)ndes facilités pour ftvoirdas livres. Mais c'eût été là un
avantage passager. D'autres avantnges plus éloignés
auraient et~ plus sérieux. !) se trouvait que !e
eo!!eg<
auquel réeo~ de granxaaire de Manchester pouvait m'en-
voyer <omnae a!umnu<t (boursier) privilégié, était cehu-!a
a~me que l'évêque dirigeait. Je n'a: aucun motif pour
croire que l'évêque était en mesure de me rendre quel-
ques-uns des avantages auxquels j'avais renoncé voiontni.
rement en m'échappant de t'ccoie, mais il m'aurait donné
une large conapenMUion par les avantages dont il d{sp<K:~
au coUège~ comme la FeUowship, etc., et qui étaient H m;t
portée. Au lieu. de cela, un conseil erroné me fit ent~~
dans un collège qui ne dépendait pas de mon comte et de
mon école; aussi )<: neproStai ni des privilèges, ni des
chances ordinaires d'avancement, ni par conséquent des
loisirs littéraires que les Universités anglaises offrent à
l'hotnm& qui suit la. voie légats pour les obtenir. Tout cela
fut re~ts dans le monde des teve: par mon brusque départ
pour Caernarvon, et pour la contrée que Pennant a le
premier désignée sous le nom de Snowdonia.

On y trouvait~ dès. 1802, de nombreuses auberges, bâties


à des distances raisonnables l'une de l'autre, pour la com-
modité des touristes, et on n'y était pas exposé, comme
dans les Galles, aux ennais qu'éprouvent généraiMnenc
sur les grandes routes d'Angteterre, les gens- qui
ont adopté
le voyage à pied, Je dois dn-e qn~ le
ptus grand ttombr~
des personnes que je rencontrais, comme compagnons de
voyage dans les tranquilles petits salons des~ stations de
poste dsasicsGsHcs, paient d~-pî~cs~ S~tr.tou!? sis.
t60 CONMM!ONS
route de ShrewsburyparDangoIen, Uanrwst', Conway,
Bangor, et en tournant u angle droit vers la gauche, par
Caernarvon, de la à Dolgclly, chef-lieu du Merionethshire,
Tan-y-Bulch, Karlech, Barmouth; à travers les char.
mantes solitudes du Cardiganshire, puis en faisant un
angle aigu qui conduit à la frontière angiaiitt. à travers le
magnifique paysage boisé du Montgomcryshire, je trouvai
à des distances de douze à seize milles, les auberges tes
plus confortables. Ce qui offre une perspective de repos
dans toute cette chaîne de maisons tranquilles et solitaires,
c'est qu'aucune d'elle n'a plus de deux étages. Cela était
dû à ce que la modeste échelle d'après laquelle on voya.
geait dans la principauté de Galles s'était formée d'après
les besoins de l'Angleterre. Alors (souvenons-nous qu'alors,
c'était en 1802, année de paix), l'Angleterre n'envoyait
qu'une faible partie de son vaste courant d'émigration an-
nuelle, dans Ja direction du canal (la Manche) qui était
alors fermé. Il n'y avait pas de Babylones commerciales
pour dresser jusqu'aux nues leurs formidablés tours, sur
les belles routes champêtres les ouragans hâtifs, lès armées
fiévreuses de chevaux et de chars volants ne tourmentaient
pas les échos de ces retraites montagnardes. J'ai été sou-
vent frappe de cette idée qu'un homme las du monde, qui
voudrait la paix du monastère sans en subir la sombre
captivité, c'est-à-dire la paix et le silence qu'on y trouvait,
mais avec la large liberté de la nature, n'aurait rien de
mieux à faire que d'errer dans ces modestes auberges des
comtés du nord dans les Galles, Denbigh, Montgoméry,
Caernarvon, Merioneth, et Cardigan.
Ainsi, il coucherait et déjeunerait à Caernarvon; de là
il ferait aisément neuf milles a pied pour dîner à Bangor;
puis neuf milles pour aller à Aber, ou à Uanberris, et
ainsi de suite, et toujours, à raison d'une centaine de
Uanrust.– La seu!evuede ce motest inquiétante:une seu!evoye))e
j;Mr MqB'MAM!'i*c~pt<pourMpteonscauM! MaisonteprpaonM
<!stmtntMu<!<formeTtanroust.

1
t)'U~ MAKGEUKti'ODUM !6t

mille par semaine. Rien n'est plus charmant que ce genre


de vie, comme j'en fis alors l'expérience pendant plusieurs
semaines de suite. C'était le mouvement perpétuel des
vents et des fleuves, ou du Juif-Errant, s'il était délivré de
l'obsession que lui imposait le voyage, et faisait pour lui
de la fraîche liberté une captivité meurtrière. Je ne puis
ce vagabondage,
imaginer une vie plus heureuse que
soit seulement elle fait
pourvu que le temps supportable
une série infinie de beautés nouvelles; vers le
passer par
soir vous recevez la bienvenue dans une jolie maison rus-
vous y trouvez toutes les délicatesses* d'un grand
tique
hôtel, et en particulier certains raffinements qui sont con-
sidérés comme sacrés dans les régions alpines; on en jouit
sans avoir & supporter ce qui les accompagne inévitable-
ment dans les hôtels des grandes villes, et ceux où les
en grand nombre, c'est-à-dire le
voyageurs se réunissent
tumulte et le tapage.
Il n'était que trop agréable' de vivre sur ce plan, pour
moi surtout. Ma santé, pour être parfaite, exige la prome-
nade pédestre dans les limites de dix-huit milles au plus,
de huit à dix milles au moins. A vivre ainsi, l'homme con-
naît le bonheur quotidien. Mais combien cela coûtait-il ?
Environ une demi-guinée par jour, et mon allocation en-
fantine n'atteignait pas le tiers de ce prix. L'ardeur de
santé, cette santé bouillonnante et pleine d'un sauvage
entrain, qui augmentait graduellement, et suivait pas à
pas cette progression de l'exercice, quand du matin au
soir je respirais l'air des montagnes, cela devint vite un
fléau incommode. Pour donner des pourboires aux domes-
bientôt vu la un de ma
tiques et payer mon lit, j'aurais
hebdomadaire. Mon système fut donc de profiter
guinée
de ce _que l'air de l'automne était encore assez chaud pour
économiser la dépense d'un lit et d'un pourboire, en cou-

Unluxe d'une autre sorte, tout à fait particulier à la principauté de


G<iie!,e[ qu'oit f<:u';u)ttt«!ttW)(ttHU)Ouf~tu!cut.Mtc{ct'~p~r~JNtta.
toutesles auberges,c'étaient les harpistes gallois.
!< COKMtSMMS S

chant dans ~< fougères et tes genêts sur la pente d'une


colline, Peut-être avec un manteau d'un poids suffisant,
et d'une dimension convenable, ou .avec un burnous
arabe, la chose n'aurait pas offert une grande difficulté.
Mais quel ennui que de traîner ce fardeau pendant tout le
jour Aussi valait-il peut-être mieux que je n'eusse pas de
couverture. Pendant quelques semaines, j'essayai d'une
tente fabriquée par moi-même, avec de la toile forte, et
qui ne tenait pas plus déplace qu'un parasol ordinaire;
mais j'éprouvais trop de peine à la dresser comme il fal-
lait, et quand il faisait du vent pendant la nuit, c'était sn
compagnon désagréable. Mais l'hiver approchait <t ce sys-
tème de bivouaquer devenait dangereux. On peut encore
bivouaquer décemment et narguer le vent et la pluie jus-
.qu'â la fin d'octobre; et j'ai compté dans une quinzaine,
neuf nuits passées en plein air.
Le lecteur sait peut-être, par expérience, qu'il n'y a pas
de jaguars dans la Principauté de Galles, ni même de pu-
mas, ni d'anacondas, ni de Thugs d'aucune espèce, pour
parler généralement. La seule chose que je craignais,
peut-être par le seul effet de mon ignorance en zoologie,
était que, pendant que je dormais la figure tournée vers
'les étoiles, quelqu'une des innombrables petites vaches
d'aspect brahminique qui paissent sur les collines <am-
briennes, ne vînt à poser son pied juste au milieu de ma
figure. Je ne suppose pas que les vaches galloise aient
précisément une aversion pour les figures anglaises; mais
je trouve toujours dans l'esprit féminin je ne sais- quelle
belle fantaisie, quelle exubérance florale de ça charmant
caprice qui, je le crains, caractérise nos chères soeurs du
beau sexe, dans tous lès mondes. A l'cncoMfe des Thugs,
j'avais de par Juvénal un pertnis d'insouciance, consistant

C&rnassicrsquiformentune série décroissanteallant du tigre au chat.


L~unK.:ti:=R fsr=:*at '}- 'M<' <M«v ~m,detMu~te&~MMtIes tusqu'aux
to~s de concierges(N. P. T.).

1
R'UK MA~&KU.tC'OPtUM 't'3
daM F~ttt dt fha bourse (cthtabit vacuus~ coram latrone
viatori. Mais j'ai peur que le permis de Juvénal ne tienne
à meure
pasTcau en tout temps. H y a des gens enclins
la question celui qui persiste à donner pour excuse qu'il
n'a dans la poche qu'un misérable shilling, des gens qui
n'auront pas lu dans Juvénal le privilège ou t'exemption
accordée par cette y<!CH«~sà l'égard de la destinée con~
mune qui attend les voyageurs lorsqu'ils vont déranger les
voleurs dans leur solitude.
Le doctetrr Johnson, dans je ne sais quelle circonstance,
que j'ai oubliée, est représente par ses biographes comme
définissant en ces termes le bonheur d'une personne qui ne
le méritait pas « Eh bien, je suppose que sa sottise cor-
respondait à leur sottise. )' Cela expliquerait-il d'une façon
humiliante pour moi, les succès que j'obtenais par ma
conversation dans les auberges du comté de Caernarvon ?
N'admettez pas une telle idée, courtois lecteur. Jt importe.
ou de
peu que le succôs soit remporté de cette manicre
cette manière-là; c'est le sucées; et la sottise même, si c'est
une sottise'victorieuse, si elle triomphe de l'habitude fatale
du bâillement chez les auditeurs, et dans certains cas, sur
celle de la dispute, doit réceler un art plus profond, un
pouvoir secret plus efficace qu'on ne peut l'àcquérir aisé-
ment. En fait, la sottise est une chose très peu maniable.
Il n'y a pas; pour employer les mois Je MiltOTi, un fils sur
sept enfants de sept pères qui soit propre à la tâche de
maintenir et de contraindre une compagnie formée de gens
convenables «ans les limites de la sottise or-thodoxe, et cela
pendanTdeux heures;d'horloge. -Quelle qu'en soit la source,
toute conversation qui reussitau point de faire naître le désirr

't~cMM. –. Je-efams, bien que ptasicm's annëM-se soient <;Mo)!'<:5


depuisma<ierni~MlecturedeJuvénal,' quele vrai tens, le sens classique
ceMCKMS ne soit celui d'MOMMt<f,libre de foM<r~MM inquiétant, de
tellesorte que MtCMt'M! dësigneraitiefMH/e produit le fait d'être à
i'ahhdu vol. Maisqu'on 'me pcrmeite de prendre le mot au sens de libre
dufardeau de toute propriété, sens où le mot de vacuitas
d indiqueraiti-t
taMi~ttt~isM'tM!
!6~. COKMSStONS
de revoir le causeur., doit contenir du sel, doit être assai-
sonnée de quelque condiment savoureux assez piquant
pour neutraliser les tendances naturelles de toute causerie
confuse, que l'on ne dirige pas avec vigilance, à se perdre
dans les propos insipides et plats. Par'dessus toutes choses,
je condamnais et je condamnerai, comme une ppste, l'erreur
capitale de Coleridge, erreur qu'il mit en pratique pendant
sa vie,* et qui consistait à tenir l'auditoire dans un état
passif. Cela était très injuste pour les autres, mais au plus
haut degré pour lui-même. Ce courant interminable de
parole qui ne se suspendait jamais, ne laissait pas une
seuleoccasion de réagir à l'auditeur poursuivi etimmobilisé,
ruinait absolument les intérêts du causeur lui-même. Tou-
jours passif, toujours soumis à l'action, jamais autorisé à
réagir! Dans quel état de collapsus devait tomber le pauvre
et pitoyable auditeur, celui qui jouait le rôle d'auditeur?
11 rentrait chez lui dans l'état d'un homme qui a été tiré
du puits juste au moment où il allait mourir sous l'influence
de gaz délétères; naturellement il est arrivé plusieurs
heures auparavant a ce point périlleux de dépression, il a
perdu toute faculté de distinguer, de comprendre, de com-
biner. Quant à moi, sans qu'il me faille songera la désa-
gréable arrogance que comporte une telle habitude, je me
contenterais des principes du plus fatal égoïsme, pour
éviter cette tendance à paralyser mon auditeur, à lui en-
lever tout moyen d'apprécier mon éloquence, ou l'argument
que je lui décoche.
J'avais quelques grands avantages pour la conversation,
et pour obtenir l'attention de gens plus sages que moi. La
vis journalière, celle même qu'on mène en Angleterre,
m'était inconnue à un point qui dépasse toute imagination.
Mais d'autre part, j'avais l'avantage d'une mémoire prodi-
gieuse, et un autre, qui est bien plus important, le don
d'un instinct logique qui saisissait instantanément les secrets
des analogies et des parallélismes entre les choses qui
paraissaient les plus éloignées. Jé possédais deux qualités
H'UM MANGEUR D'OPtUM t65

précieuses pour la conversation d'abord, une provision


inépuisable de faits, et par là des ressources infinies pour
éclaircir et varier tout sujet. qu'amenait le hasard ou le
choix; ensuite, un sens de l'art prématurément éveillé, au
point de vue de la conve* ation. J'avais appris a user de
vigilance pour esquiver poliment l'approche d'une discus-
sion ennuyeuse, ou imprimer d'une manière tranquille et
souvent imperceptible, une direction nouvelle a des dia-
logues qui languissnient péniblement, ou devenaient un
inutile jeu de raquette. Que ce fût un devoir pour l'art de se
cacher,et de se masquer, je ne l'ignorais pas. Mais cela ne
demandait pas beaucoup d'art. Ce qu'il fallait avant tout,
c'étaient de nouveaux faits, de nouvelles vues, ou des vues
dont l'aspect original donnait de la nouveauté à des faits
bien connus. Il était utile de répandre quelque peu de
mystérieux, sur toute chose d'aujourd'hui et d'hier, même
avec ceux qui par tempérament avaient le mystérieux en
aversion; il fallait user de dictons pointe épigrammatique,
de plaisanteries, –. fussent-elles quelque peu fripées; une
citation opportune en vers produisait toujours ces effets, et
des anecdotes expressives répandaient quelque grâce dans
toute l'allure du dialogue. C'eût étq fatuité que de pra-
tiquer cet art avec travaii. et pour être vu, j'avais un petit
nombre de procédés très simples, mais les employant à
propos et sans les montrer, ils faisaient toujours leur effet.
Il en résulta que j'acquis une popularité extraordinaire
dans le cercle étroit de mes amis. Ce cercle se renouvelait
nécessairement assez souvent, car il se composait seule-
ment des touristes qui s'attardaient quelques semaines
dans l'intérieur ou aux environs de la Snowdonia, ceux
qui établissaient leur quartier général à Bethgellert ou à
Caernarvon, et ne dépassaient pas dans leurs excursions
es plus'étendues le pied du Cader-Idris. Parmi ces mem-
bres passagers de notre société, je me rappelle avec un
plaisir tout particulier M. de Haren, un jeune Allemand
très distingué, qui poMe~:t ou avait co&:e~une~ommis-
!~6 Ct~f~StOXS
sion de lieutenant dans la marin? anglaise. Comme on était
en paix, il en protitait pour ausmeater ses connaissances
sur l'Angleterre, et par conséquent en langue anglaise,
bien qu'au point de vue de la facilité à s'exprimer couram-
ment, il lui restât foct p<ULà apprendre. Ce fut lui qui
me donna tes précaires leçons d'allemand, et me tit con-
naître la littérature de son pays. J'entendis parler
pour la
première fois de Puni Richter, en même temps de klippel,
humori4te admire par Kant, de ïiamann, aussi classe parmi
les humoristes, mais écrivain peu connu, smguHéremen!
obscur, et que je n'ai ~mM \u entre les mains .d'aucun
Anglais, excepté $irWi!Unm HainUto~.M. de Haren me
donna les moyens de cona<tître utitement ces écrivains
grâce à la petite bibliothèque~ voyage qu'il emportait
<tans une de ses m~Ues.
Les pht':rëguUer9 des noembres-d~ ce cercle demi.littéraire
étaient GaHois; deux d'entre eux étaient légistes, l'autre était
un clergyman. Ce dernier avait reçu une instruction régu-
lière à Oxford, comme disciple du Jésus (collège gallois),
c'était un homme de connaissances étendues. Les
légistes
n'avaient pas eu les mêmes avantages, mais ils avaient fait
de bonnes lectures, et ils étaient des compagnons intéres-
sants. La principauté de Galles, comme tout le monde le
sait, est habitée par une population passablement proces-
sive je ne l'en estime pas moins pour cela. Les belliqueux
Butler et les chevaleresques Talbot du xv~ siècle, n'ayan;
plus au xvn< le moyen de dépenser leur furie guerrière
d'une manière légale, se mirent à se chamailler entre eux.
et rien n'est plus âpre que les lettres qui nous restent de la
correspondance hostile des frères Talbot au temps de
Shakspeare. Une porte se fermait devant leurs inclination:
martiales; naturellement ils s'ouvrirent celles que les
circonstances leur lassaient. Ce trait de caractère, trè

Vo:r particutierementun )iyre de sir EgestonBrydges,dont j'ai ouNs


h.~y.~V attttie pM.4aat ta règne4e Jacquesï".
n't)~ MAiSGKUX D~OPtUM
!6y
commun t dans
da!l<! les
)e!! basses
c)~ !nf~r!fnr,*<:
inférieures <<<) rive
du fm~~c ~t<t!
pays gallois, obli-
geait les légistes u faire le tour des principales villes de
leurs districts aux ;ou~ de marché. Je les rencontrais
toujours dans ces villes, et nous renouvelions chaque fois
notre amitié littéraire.
Cependant je passai; altornativement des prix doux aux
prix forts. Les denrées étaient à un bas prix incroyable
à cette époque, où les taxes de guerre de M. Pitt étaient
appliquée'} avec intermittence, au point qu'il était extrême-
ment aisé de mettre de côté deux guindée sur trois dans la
dépense de trois semaines, on vivant chez les cottagers.
M. de Haren m'assura même avoir passe un jour ou deux
dans une auberge qui n'était pas un pauvre cottage, mais
simplement une auberge sans prétention, où la maîtresse
de la maison remplissait toutes les fonctions, celles de cui-
sinière, de garçon, de nUe de service, de dccrotteur, de
palefrenier; pour ce qu'il considérait comme un dîner
réellement distingue au point de vue des mets, sinon au
point de vue du service de table, qui était simple et grossier,
il avait payé seulement six pence (0,60 cent.). Cotte même
auberge situéeâ dix ou douze milles au suddo Do~cUy, reçut
quelque temps après ma visite, et je trouvai que tout était
exact dans le récit de M. de Haren. La seule réserve à
faire dans ce tableau confortable était que l'on faisait le
feu surtout au moyen de bois vert, dans une cheminée qui
fumait. Je fus si incommode par cette sorte de fumée, qui
est particulièrement irritante et caustique pour les yeux,
que le jour suivant je fus obligé, quoique je fisse, de dire
adieu à la propriétaire factotum; je me sentis réellement
rougir quand je payai la note, mais je songeai au bois vert,
qui me parut une compensation assez forte pour rétablir
l'équilibre. Il'me fut alors, il m'est encore impossible de
m'expliquer ces bas prix absurdes; le même bon marché,
chose étrange à dire, se trouvait, ainsi que me l'assurèrent
Wordsvorth et sa sœur, dans'un paysage analogue, c'est-a-
dire dans la région des lacs anglais, à la même époque.
«~ -CONtESStONS

L'expliquer ainsi que le font tant de gens, par l'absence de


marcher pour les produis agricoles, c'est faire de l'écono-
mie politique rebours; car le remède contre la rareté
des marches et par conséquent contre l'absence de con-
currence, consiste certainement non pas à vendre à perte,
mais à empêcher la production, et par suite à- ne p&s
vendre du tout'.
En fait toutesles denrées étaient à si bon m&rchë, nu
moins cellesque je pouvais m'attendre à trouver dans la
maison d'un ouvrier, qu'il m'était dimcile de dépenser six

pence par jour sous ce toit. Pour du thé ou du café, il n'y

Treize ans plus tard, e'est-a.dire, l'année de Waterloo, Il m'arriva de


parcourir la prineiptoX du sud au nord, en commençant par Cardiff, et
finissant par Bangor. Je n< un détour dt v!o);t-cfuq milles environ, pour
m'informer de la santé de mon excellente hSte~te, de mon factotum déter
miné, qui était à FanUpode exact de tous les sinécurlstes possibles. Je la
trouvai occupée à frotter des bottes et des éperons, et se disposant, à ce
que je crois, à-remplir une autre élégante fonction, celle de graisser les
sabots des chevaux. Comme elle s'y préparait, elle fut interrompue par
taon entrée et celle d'un autre tourhte, qui rectamase'servictsfoustroiïou
quatre-formes différentes. Je m'informai de la cheminée; fumait-elle tou-
jours ? H))e montra autant de surprise que si on t'avait Mnp~onnce d'un
trtme aussi comme ce n'était pas la saison ou l'on fait du feu, le n'insis-
tât pas. Mais je vis quantité de bois vert et une fort petite provision de
bOches. Je crains donc que cette chambre, la principale de toutredif!ce,e
continue à empoisonner le repos des malheureux touristes. Je dois néan-
moins mentionner une compensation que j'eus cette même nuit pour toutes
les larmes que la maudite petite chambre m'avait fait verser. Il y eut un
bal public dans cette auberge, cette nuit-ta; je me rendis de bonne heure
dans ma chambre, ayant fait une longue marche, et ne voulant pas gêner
la compagnie et l'excellente propriétaire qui devait, je crois pouvoir le
dire, jouer du violon aux danseurs. Le bruit et )e tumulte étaient
intolérables. aussi je ne pus fermer )'œi). A trois heures tout se tut, la com-
pagnie étant partie tout à la fois. Soudain, du petit salon qui était au-
dessus de moi, sépare: de ma chambre par le plus mince des plafonds,
s'éleva avec l'aurore la plus douce voix de femme que j'eusse jamais
entendue, quoique je fusse depuis bien desannées, un liabitué de l'Opéra.
C'était une étrangère; elle velfait de loin, et ie matin on me dit qu'elle
était méthodiste. Ce qu'elle avait chanté, ou du moins ce qu'etie chantait en
Unissant, c'étaient les beaux vers de Shirley:
&M~«,/t!«~«'M~M/M~
~t~tMft'S'Ott <<<XS la ~MMMr<,
JMM/M<!<K ~jr/tm.
Cet incident obtint de moi t'oubU et le pardon pour la malencontreuse
petite cheminée 1
D'UNMANGEURC'OMUM t6t)
en avait point, et à cette époque, je n'y tenais pas beau-
coup. Du lait, du pain grossier à la vérité, mais bien plus
savoureux que le pain insipide d'un blanc grisâtre qu'on
voit dans les villes, de la viande de chèvre ou de chevreau,
voilà ce qui formait le menu chez le cottager, menu sans
luxe, mais très satisfaisant pour un homme qui se donnait
beaucoup d'exercice. Si on le désirait, on avait du poisson
d'eau douce a assez bas prix, particulièrement des truites
de la plus belle qualité. Dans ces circonstances, j'eus tou-
jours de !n peine a dépense, cinq shillings, ou même trois
shillings par semaine, a moins que je n'eusse acheté des
airelles ou du poisson. H m'était de la sorte aisé de mettre
de côté les fonds nécessaires pour opérer mes déplace-
ments périodiques dans le rôle d'un gentleman touriste.
H me fut même souvent impossible do dépenser plus de
deux shillings et demi, car dans quelques famittes qui ne
r
vivaient pas d'un salaire quotidien, il suffisait que je
rendisse quelque service, comme d'écrire une lettre, pour
que je ne pusse par aucun moyen faire accepter de l'ar-
gent. Ainsi, pour en citer un exemple, près du petit lac
de Talyllyn, dont le nom s'écrit ainsi, je crois, mais se
prononce Taltlyn, dans une contrée reculée du comté de
Merioneth, je fus hébergé pendant trois jours entiers par
une famille de jeunes gens, et traité avec une bonté affec-
tueuse et fraternelle dont le souvenir ne s'est jamais
affaibli dans mon cœur. La famille se composait, à cette
époque, de quatre sœurs et de trois frères, tous étaient
grands et attiraient l'attention par leur élégance e* la déli-
catesse de leurs manières. Telle .était leur beauté, telle
était la perfection naturelle de leurs façons et leur distinc-
tion, que je ne me souviens pas d'avoir rencontré ces
qualités à ce degré, et dans un cottage, si ce n'est une ou
deux fois dans le Westmoreland et le Devonshire. Ils
parlaient anglais; c'est un talent qui n'est pas commun
parmi les membres d'une famille galloise, surtout dans les
villages' en dehors de la grande route. Dès que j'y fus
!?0 <:<MFK5)aK3

introduit, j'y écrivis, à propos d'une qHMt!&!t de s!)!air~,


une lettre pour un des frères, qui avait servi à bord d'un
vaisseau de guerre anglais, et plus en particuUer, deux
lettrtt que deux des sœurs envoyaient à leurs naneés.
Toutes deux étaient de physionomie engageante, et l'une
d'eltet était d'une rare amabilité. A travers leur confusion,
leur rougeur, pendant qu'elles me dictaient, ou plutôt
me donnaient des indications générales, il n'était pasdimcitc
de démêler qu'elles voulaient concilier dans leur lettre
toute ~offfection possib!e avec !a réserve qui convenait à
des ~MS filles. Je m'arrangeai pour faire concorder les
deux MHttments, et elles furent satisfaites de la façon dont
je les tvois rendus, autant qu'elles furent étonnées, dans
leur candeur, de ce qu~ je les avais si bien devinées.
L'accue~ que ron reçoit des femmes dans une famille
indique d'ordinaire sur quel pied l'on sera traité par tous.
En ce cas j'avais rempli mes fonctions de secrétaire la
satisfaction générale peut-être aussi \je les, intéressai par
ma conversation, si bien que je fus invité m'arrêter, et
qu'on me retint d'une,maniere si cordiale, que je me sentis
peu disposé à lutter. Je fus obligé de coucher avec les
frères, le seul lit vacant se trouvant dans la chambre des
jeunes femmes; à cela près je fus traitô en toutes choses
avec des égards qu'obtiennent rarement des bourses aussi
légères que l'était la mienne, et l'on me fit comprendre
que mon instruction ci ma politesse étaient regardées
comme des preuves évidentes de gentHhommcrie. Aussi
m'arrêtai.~ chez eux pendant trois jours, et pendant une
grande partie du quatrième, et comme je ne voyais pas
faiblir la bonté avec laquelle ils me traitaient, je pense
que j'aurais pu rester chez eux jusqu'à ce jour, si leurs
ressources eussent été à la hauteur de leurs désirs. Néan-
moins le dernier matin, comme on s'asseyait pour le
déjeuner, l'aperçus sur les physionomies les indices d'une
confidente fâcheuse, et bientôt après l'un de~ frères m'ap-
prit que, la veilie de mon arrivée, les parents s'étaient
i)'UNMAMGt.Ut<b'ûp)UM t~!J
rendus au meeting annuel des méthodistes, qui se tenait à
Caernnrvon et que leur retour était attendu pour ce jour-
la; il me dit que s'ils n'étaient. pas aussi a~hMm qu'ils
devaient l'être, il me priait au nom de tons ïe$ jeunes g~ns,
de ne pas prendre la ci. (&een mauvMss part. Les p<t"ents
revinrent, l'air bourru, à toutes mes avances ils répon-
dirent « O~" .M~MC/t » (pas l'anglais). Je sus .h.quoi
m'en tenir; aussi, prenant congé le plus affectueusement
possible de mes aimables hôtes, je m'éloignai. Eneffet, bien
qu'ils eussent plaidé chaleureusement ma cause auprès de
leurs paren:s, et qu'ils eussentsouvent excusé les manières
des vieillards, en disant qu'ils « étaient comme cola x, je
n'avais pas de peine & comprendre que mon talent pour
écrire des lettres d'amour était aussi peu propre que mes
alcaïques et mes sapluques à me recommander auprès de
deux méthodistes gallois sexagénaires, et que ce qui avait
été hospitalité, par la grâce et la politesse de mes jeunes
amis, serait charité, par l'effet des manières bourrues de
leurs parents. A cette époque, alors qu'il me devenait de
plus en plus difHcile d'économiser sur mon revenu hebdo-
madaire, en co~chtnt dehors, les fonds nécessaires pour
me loger dans les auberges coûteuses, il semblait qu'un
ennemi tout-puissant, auquel j'obéissais avec peine, mais
iata!emen.t, me faisait changer continuellement de séjour,
et me poursuivait comme Fœstre de l'infortunée ïo dans le
mythe grec Jetait l'aiguillon d'une persécution secrète
qui me faisait fuir alors que personne ne me poursuivait.
Ce n'était pas une espérance irompsuse, car l'espérance ne
<Ne murmurait qu'un encouragement douteux; ce n'était

'CfMrtMrfMt. – Da:;s cette circonstance,le vis combien )'id<'ede


nombre est vaguepour tes espritsqm ue st Mu! point &nu))Mis~~<c
elle.Je demandaià une personne âgée CoMbienpensez-vousqu'i) y
ait eu de gens à Caernarvon, ce )our-t4?– Combien,combien,rcpondit
cette personue.je pense, je compteqm'i)pouvait y avoir pr:s de qa~re
mittions.
millions.. tout mj\li()!1~
mitiions
Qtt~-ttre d'cu'en~crsd.tn.sia
la_petite pe:))eviitede
villede Ca.emarvQu,
C~rnan'on,
qni pouvait tout au p!us,d'après ma propre es!in!<tion,en contenir
-_u- quatre
c<ntsd~pi)M. t
<?t CONFKSStOKS
pas une crainte fondée, car tout était autour de moi animé
d'une douce et champêtre beauté. Tout a coup je pris une
résolution farouche, cslle de sacrifier ma gainée hebdoma-
daire, de couper le c~bie de mon ancre, et de me jeter en
désespéré dans Londres. Mais pour que le lec'eurnc s'exa-
gère pas mon élan et ne se le représente pas comme un
-accès de frénésie, qu'il se souvienne de ce que je trouvais
de vexant dans ma situation présente, et des moyens qui
trouvaient à ma portée pour l'améliorer. Si j'eusse
mieux connu la vie que je ne la connaissais alors, ce n'eût
pas été un plan désespéré pour un jeune garçon, instruit
comme je l'étais, que de s'élancer dans l'océan sans bornes
de Londres. Je possédais des talents qui pouvaient me
apporter quelque argent. Ainsi, comme correcteur d'im-
primerie pour les réimpressions d'auteurs grecs, j'aurais pu
gagner un salaire..Mais ces ressources que je possédais
réellement, je ne les vis jamais sous ce jorr, ou pour dire
la vérité, elles m'étaient inconnues quant à celles sur
lesquelles je pouvais compter le plus, il me semblait invrai-
semblable qu'elles me fussent utiles. Mais quel motif avais-
je de me plaindre de ma vie actuelle. Le voici le
dilemme proposé à mon choix était que si je voulais
positivement avoir de la société, il me fallait vivre dans
les hôtels. Si j'avais pu me faire l'idée de vivre tranquille-
~ne.tt dans un village ou un hameau; pour un homme
aussi insoucieux des commodités de la vie, ma guinée
hebdomadaire m'aurait procuré tout ce qu'il me fallait, et
dans quelques maisons elle m'eût donné
l'avantage qui
,était tout a fait indispensable à mon bien-être, d'une
chambre particulière. Dans ce cas même. la dépense était
fatalement augmentée par le luxe aristocratique de notre
façon anglaise, qui interdit à un gentleman de coucher
dans sa chambre de séjour. Dans ces conditions, j'aurais
pu peut-~tre trouver une itts:a!!a!ion propre et confor-
table dans quelques familles respectables, où mes habi-
tudes peu bruyantes, et ma courtoisie respectueuse

1
C'UK MANGKUR D'OfiUM !??

envers les femmes, m'aurait fait considérer comme un


hôte h conserver. Mais la compensation terrible de cet
était l'imposibilité absoiue d'avoir des livres, ou
avantage
d'une manière plus générale, celle d'avoir
pour parler
aucune relation intellectuelle. Je languissais pendant tout
le jour, pendant toute la semaine, sans avoir autre chose
une fois tous les sept
que le journal du comté paraissant
jours, pour égayer mon ennui mortel.
J'ai dit au lecteur a quel bon marché incompréhensible
on vivait dans tes cottages pauvres. Mais cela n'avait aucune
influence sur les prix des hôtels de premier ordre, les seuls
où j'eusse quelque chance de rencontrer de la société. Ces
la brièveté de la saison,
derniers, alléguant principalement
demandaient les prix de Londres. Pour les payer, il ne
m'était plus possible, l'hiver approchant, d'économiser la
moitié de ma guinée en passant la moitié du temps d'une
façon moins coûtsuse.'Cela coupait court à tout plan
raisonnable pour alterner les jours d'existence sauvage
avec ceux d& confortable et de luxe intellectuel. Mais pen-
dant que cet embarras me parlait à une oreille, l'autre
était assaillie par les offres bienveillantes de mes amis
et surtout des deux légistes, qui me proposaient
gallois,
de me prêter tout l'argent que je croirais nécessaire pour
aller à Londres. Douze guinées, nuis-je par dire, me
sembleraient suffisantes. Ils me les prêtèrent sur-le-champ.
Dès lors, dès cet instant, j'étais prêt .pour Londres.
Je fis mes adieux à la Principauté de Galles en qualité
de touriste pédestre d'une façon aussi peu prétentieuse que
c'est-à-dire d'em-
j'y avais fait mon entrée. D'"M~MMf<ï,
barras de chevaux ou de bagages, je n'en avais aussi aucun,
si léger qu'il fût. Partout où il me plaisait, au moment qui
me plaisait, je pouvais m'arrêter. Ma dernière halte de
un simple hasard m'y
quelque durée fut à Ostwestry;
conduisit, et ce hasard qui arriva de la manière la plus
naturelle uHtis une KUNblpcttte ~i!!c, utc~t lencoHuct Uni
des plus chauds amis que je m'étais fait dans les Galles, et
)~ CONtt:SStOm

qui s'y trouvatt en résidence. Il ex~rctt sur moi une vio-


lence hienveillante qui me retint plusieurs jours, et il ne
voulut accepter aucune défaite. Comme il était encore
célibataire, il lui émit impossible d'ajouter aux autres
charma de sa demeure hospitalière, celui de la société
féminine. Mais cette demeure, rendue attrayante par les
grâces de sa franchise juvénile et doson intelligence ardente,
su<nsait pour raccourir le jour le ptus long. Cet ami gallois
est un de ceux qui ont croisé en grand nombre ma route;
enchatné par d'anciens événements ou par des nécessités
domestiques aux devoirs d'un~ profession, alors que son
caractère sauvage et réfractaire le lançait tête baisséedans
toutes les routes intellectuelles qui étaient en désaccord com.
plet-avecses devoirs journaliers. Sa bibliothèque était déjà
nombreuse, et aussi bien choisie que peuvent le permettre
les hasards qui président d'ordinaire la formation d'une
bibliothèque en province. On peut dire en géïteral que la
bibliothèque d'un jeune homme dans une ville provinciale
n'est rien autre chose qu'une allusion, un dépôt dû des
accidents locaux, un abatagc fortuit de fruits détaches -et
dispersés par les rudes ouragans d'une banqueroute. Dans
bien des cas aussi, une telle bibliothèque de province re-
présentera simplement la partie des bagages qu'une famille
qui va habiter beaucoup plus loin, abandonne pour éviter
les dépenses du transport, les livres étant les plus lourds
des bagages domestiques. Parfois encore, mais plus .rare-
ment, il arrive qu'une vieille famille- s~teint et laisse
forcément aux exécuteurs .testamentaires la ~Nche de liqui-
der tout le capital, matériel qai formait le milieu où elle
vivait, des lors on voit apparaîtr-e avec un éclat de météore
soudain,et sortir de quelque cachette-centenaire, un magni-
fique joyau littéraire, ~n exemplaire de l'édition pnneeps
de Shakespeare de i6x3,un Becaïnëron'qui n'a -pas subi la
castration, ou quelque étincelani Ks~~tov (ecrin). C'est
a'BS'MM"hpf;u~ ~<' pttH~iMCe, ttM'MtMt~ttsetKMt
accrue naturellement et en silence, n'en conserve pas
n'UN MA~CKUH D'ODUM t~5 i

moins les preuves muettes de maintes convulsions et tra-


gédies de famille, qu'elle parle et raconte pour ainsi dire
des orages, et contient les souvenirs de naufrages à demi
oubliés. Les naufrages réels offrent souvent de semblables
exemples de bibliothèques formées au hasard au fond de
la mer avide. Quelle magnifique collection de livres
repose, à l'abri de la critique, sur le sol de l'Océan Indien
ou Atlantique, gruce aux contributions annuelles, aux
kee~sak-es, MX interminables forgct-me-noi (ne m'oubliez
pas) des puissants personnages de l'Jnde. Le /cH'<
avec la triste séparation du capitaine et de ses filles, le
Growenor le ~U)~<OM, l'~M'g~t~nM~ des douzaines de
vaisseaux de )Trême tonnage, avec des populations renou"
velces par la naissance, la mort, le mariage, populations
capables de remplir des cités, aussi riches que des mines
d'or, capables de factions et d'émeutes, voilà ce qui a
patronné libéralement par le don d'exemplaires de grand
format, cette vaste bibliothèque Bodieienne sous-marine,
bien moins exposée à l'incendie que cette autre bibliothèque
Bodieienne du monde terraqué.
Cette bibliothèque d'un particulier d'Ostwestry avait
quelque chose de ce caractère désordonné, fantastique,
irrégulier, mais elle n'était pas moins attrayante pour cela.
Il y avait là une foule de choses qu'on n'aurait pu trouver
nulle part et qui, nulle part ailleurs, n'eussent pu se trouver
réunies. Aussi entre la bibliothèque et la conversation
ardente de son propriétaire, qu'animait encore le rare
avantage d'une fraternelle sympathie, je courais le danger
de rencontrer des attractions assez fortes pour m'endormir
dans les délices de <~e séjour, ou pour me faire rêver des
événements extraordinaires. En réalité j'étais excusable
d'agir <)4n&i}<:<onnaissais.trés imparfaitement les ornières
où se passait la vie quotidienne de mon an,t.~ .il se faisait
une idée si hautement castillane des devoirs qu'impose la.
grande d=c~ de rhcs?ir=Hté, qu'd! ne T~ursit ~m~s
permis de soupcsnne!'de.quelle façon )'MtfavaisgradueUe..
]fy6 CONMSStONS
110 1.
ment et sans le savoir les obligations régulières que lui
imposait son métier. S'en aller, sous prétexte < d'anaires
pendant une tournée d'une semaine, ç'aurait été à M~~MA',
et d'une manière virtuelle, au point de vue du .résultat,
m'indiquer avec une clarté évash'e. conforma aux conven.
tions sociales, que je ferais bien de partir moi-même. H
serait mort plutôt. Mais un accident survint et révéla la
véritable situation, ou du moins me là fit soupçonner, et
engagea mon sentiment de délicatesse & combattre tout
désir de rester plus longtemps. J'annonçai tout & coup et
péremptoirement mon départ, en ajoutant de quelle ma-
nière il aurait lieu. Longtemps en effet, il combattit avec
un zèle sincère contre mon dessein, qu'il prétendait n'être
nullement nécessaire pour lui rendre sa liberté d'action.
Mais voyant enfin que j'étais très détermine, il cessa de s'op-
poser à mon projet, et se borna à m'aider de ses conseils
et a entrer dans les détails..Mon plan avait été d'aller à
pied jusqu'au delà de la frontière, d'entrer en Angleterre,
de marcher jusqu'à Shrewsbury, éloigné d'Ostwestry d'en-
viron 18 milles, et là, de prendre'une des lourdes voitures
qui me transporterait à bon marché à Birmingham, grand
foyer où convergent toutes les routes de l'Angleterre dans
sa partie centrale. Un plan pareil reposait sur l'hypothèse
qu'il pleuvrait fortement et longtemps, hypothèse admis-
sible à la fin de novembre. Mais comme il était, possible
que le beau temps durât encore quatre ou cinq jours,
qu'est-ce qui m'empêcherait de faire tout le-voyage à pied?
Il est vrai que la mine renfrognée de l'aristocratique
pro-
priétaire allait certainement m'accueillir et me faire un sa-
lutauquel j'aurais à m'accoutumer à la fin de chaque journée
de marche mais, excepté dans les stations solitaires de
poste, le crime d'avoir employé la vile méthode:de marcher
à pied, la seule connue aux patriarches d'autrefois et aux
tramps (vagabonds) modernes (tramp est le nom que leur
donnent les actes cfRc'cl'n!" Parement) <?!"ve et s'expie
aisément par cet autre fait que vous éparpi}!ez.votre pous-
D'UNMANGEURC'ONUM )yy
sière, si par hasard vous avez le bonheur d'en avoir, ¿
travers les rues que vous avez envahies en étranger.
Heureusement le scandale du voyage à pied est, a certains
égards, marqué -d'une manière moins compromettante
que celui de la scrofule ou de la lèpre; il n'est jamais im-
primé sur votre figure. L'homme qui est coupable de
voyager à pied, lorsqu'il entre dans une ville quelconque,
n'a pas autre chose à faire que de se plonger dans la foule
de ceux qui sont innocents de cette faute il en sortira
lavé et rebaptisé, ttu moins dans les choses de la vie ordi-
naire. Le maître de tout hôtel sait que vous n'êtes pas venu
le trouver à cheval ou en voiture, mais il se peut que vous
ayez séjourné pendant des semaines dans la maison d'un
citoyen distingué, qu'il serait peut-être dangereux d'offen-
ser, et peut-être aussi vous avez bonne réputation dans
quelque autre hôtel. A cela près, on peut dire d'une ma-
nière générale que le voyageur à pied, aux yeux d.p<.
propriétaires anglais, traîne après lui l'ombre et le shib-
holeth du paria le plus misérable. Mon ami gallois savait
cela il me pressa vivement de profiter des avantages des
voitures publiques, pour ce motif-là et pour d'autres. Un
voyage- de )8o milles, fait à pied, me prendrait neuf ou
dix jours, et, dans ces conditions, les seules dépenses dans
les auberges dépasseraient le prix de la voiture la plus
coûteuse. A cela, rien de fondé à objecter, excepté que ces
dëoenses de neuf ou dix jours seraient nécessaires tôt ou
tard, que je fusse à Londres ou sur la route. Mais comme
il me semblait peu gracieux de faire une résistance trop
obstinée à des conseils inspirés uniquement par mon avan-
tage, je soumis h mon ami tous les détails de mon plan;
l'un. d'eux était que je prendrais la malle de Holyhead, et
non les diligences. Cette stipulation visait une des nouvelles
manières de voyager qui faisaient alors leur première ap-
parition. Les voitures rapides coûtaient le ~néme prix que
les malles, mais les diligences commençaient alors merm:
à prendre des allures nouvelles et inquiétantes. Les dé-
la
<7~ CO~FKMtONS
lacements s'accroissaient si rapidement, que pour suffire
aux demandes, la vieille forme du véhicule, qui contenait
au plus six places, se métamorphosait, sur les routes prin-
cipales, en un véhicule allongé, en forme de bateau, très
scmb)ab)e h nos mo'dernes et détestables omnibus, mais
dépourvu de toutes lc$ ametiorations de eoux-ci. Ce vé-
hicule était appelé le .<long coach et les voyageurs avaient
douze ou quatorze places a droite et à gauche/Comme la
ventilation était fort méprisée en ces temps ou on ignorait
presque partout l'existence même de l'atmosphère, il en
résulte que les horreurs de la cage noire du gouvçrneur
Holwcll à Calcutta, se reproduisaient dans de moindres
proportions chaque nuit sur toutes les rp.utes anglaises.
Yl fut "convenu enfin que je quitterais Ostwestry à pied,
simplement pour profiter des aimables dispositions du
temps, mais que lorsque la malle traverserait Ostwestry,
mon ami m'y retiendrait une place pour tout le trajet
jusqu'à Londres, de façon à écarter d'avance tous les
competiteurs.
Le jour où je quitta! Oswestry, accompagné pendant
prés de cinq milles par mon ardent ami, était éclaira par
le soleil doré des derniers jours de novembre. On aurait
pu dire avec autant de vérité que 'du clair de lune de
Jessica, dans le Af<!r<~M~ Venise, que cet éclat d'or du
soleil semblait dormir sur les bois et les champs, tant il y
avait de religieux silence, de repos profond comme la mort.
Ce jour-là était un de ceux que donne la courte et aimable
saison de l'été qui renaît pour nous dire adieu, saison qui
sous un nom ou un autre est connue partout. Dans l'Ame'
rique du Nord, on l'appeiïe l'été indien; dans l'Allemagne
du nord et du centre, c'est l'c/e des vierlles femmes, ou
plus rarement l'<~ des ~ewo~e~p.s. C'est cette dernière
et rapide résurrection de l'été dans ses souvenirs les plus
brillants, résurrection qui n'a pas de racine dans le passé,
qui n'a aucun appui dans l'avenir; elle ressemble aux
languissants et capric<eua. cdats ds I&l&MpçMpiMnte~ elle

1il!
P'UM MANGHUX D'OMUM ï~f)

imite ce qu'on. nomme chex tes naïades. l'e<:Imr avant la


mort quand ils touchent à la fin. On y sent ).< lutte qui
s'est produite entre les forces décroissantes de Fête, )es
forces croissantes de l'hiver, elle rassemble assex bien à
celle qui entraîne par des forces antagonistes vers une
innammation ardente, et par la, dans une bataille furieuse,
précipite le corps plus rapidement vers la mort et son repos
définitif. Pendant un temps, l'équilibre s'est maintenu
entre les forces ennemies; à la fin l'antagonisme est
vaincu; la victoire est remportée par les puissances qui
combattent pour la mort en même temps que la lutte
cesse, disparait l'angoisM de la batMtle. A partir de ce
moment, la belle inclinaison de la vie qui décroît, sans
être troublée -par des réactions, se laisse aller avec une
placide religieuse vers ies profondeurs muettes de l'infini.
Quelle douceur, quel mystère u~ns ce sourire tendre,
doré, si'encieux comme un rct'e, et uui meurt aussi tran'-
qui)!e que la vie s'en va che? un saint ainsi se dissipa
graduellement ce jour d'adieu pendant lequel j'employai
toutes les heures à saluer les Galles pour bien des années,
et pris congé de l'et' L'aspect, le calme sépulcral de ce
jour immobile, a mesure qu'il s'écoulait solennellementdu
matin, à midi, au soir, attendant la nuit qui accourait pour
engloutir sa beauté, mefaisaiteprouver une impression fan-
tastique, comme si je lisais le langage même de la résignation
quand elle cède devant une force invincible. Et par inter-
valles }'eatendats,-– sur une clef bien différente, – le gron-
dement rauque et éternel de cette terrible capitale, dont
chaque pas me rapprochait, m'appelant, à ce qu'il mn
semblait, à des desseins aussi obscurs, des succès aussi
incalculables que le sont les routes suivies par les boulets
lancée: au hasard et dans les ténèbres.
U n'était pas tard, mais la nuit était venue depuis deu~-
heures au moins quand j'atteignis Shrewsbury. n'étais-~
point exposé au soupçon de voyager pédestre men~ S~as
doute je Fêtais, mais lors taême que mon <nmc eût été
ï8o CONFESSAS
encore mieux prouve qu'il ne pouvait l'être dans ma situa.
tion, il reste encore un ~ocM jfa'tn<eM<t'<ppour de tels cas.
Assurément un homme peut se repentir de tout crime, et
par conséquent d'avoir voyagé à pied. Je pourrais avoir
erré un tribunal pour juger les pieds-poudreux (dusty
foot) aurait pu trouver les preuves de mon crime sur mes
souliers pourtant je ressentais peut-être un secret désir de
ne plus agir ainsi désormais. Certainement j'éprouvais
quelque chose de ce genre quand je me présentais comme
le voyageur enregistré pour la malle de cette nuit. Cette
attribution fit de moi un hôte parfaitement en règle pour
l'auberge. Quelle que fût la vie désordonnée que j'avais
pu mener jusque-là, comme voyageur à pied. En consé-
quence je fus reçu avec égards, et il arriva que je fus
accueilli d'une manière pompeuse Quatre chandelles
de cire portées devant moi par des muets dociles,
ce n'étaient là que les honneurs ordinaires, qui, ainsi que
me. l'avait bien longtemps avant appris l'expérience,
étaient les premières parallèles du siège d'rigé pour se
loger dans la bourse de l'étranger. Il est certain que
les chandelles sont employées par les aubergistes, tant
insulaires que continentaux, pour essayer « la portée de
leurs canonsM.Sil'étrangerse soumet en silence, comme le
fera sûrement un vrai voyageurs pied, et ne répond pas
au moyen d'une bordée de protestations, il est reconnu
comme situé passivement dans le champ de tir, et sa capi-
tulation est assurée. J'ai toujours envisagé cette amende de
cinq ou sept shillings, pour des chandelles qui vous sont
absolument inutiles, comme une sorte d'impôt d'entrée
inaugurale/comme ce qu'on appelle en argot de prison,
le ~tM~rt par lequel on établit qu'on est un homme comme
<t /aMf, et il n'est au monde nul impôt que je paie plus
volontiers. Toutefois celui-ci était trop habituel pour que
je le considérasse comme une distinction. Les chandelles,
pour employer le superbe mot grec sxojM~s, marchaient
processionnellement devant moi, comme le feu sacré, feu
D'UN MANGEUR D'OtUUM t8t

inextinguible sur son foyer d'or, précédait César semper


Augustus lorsqu'il accomplissait un de ses avatars reli-
gieux ou officiels. Alors il suivait les routes qui mènent
ordinairement à la glorification, il passait le long des
aréiques cavernes; je pouvais dire comme un des douze
Césars, h l'heure de la mort Ut puto, deus Ho a (mon
opinion personnelle est que je suis en train de passer
dieu); mais enfin la métamorphose n'était pas complète.
Elle fut accomplie quand je m'arrêtai dans la chambre
somptueuse qui m'était assignée. C'était une salle de bal t
de nobles proportions, éclairée, pour le cas ou j'aurais à
écrire des ordres, par trois superbes chandeliers, non pas
ornés de vulgaires collerettes en papier, mais étincelants
de cristaux suspendus à toutes leurs branches, et renvoyant
les éclats adoucis de ses grosses chandelles de cire. II y
avait de plus deux orchestres, qu'avec de l'argent on eût pu
rempli en trente minutes. Pour compléter le tout, il man-
–- avec cela mon
quait une seule chose, un trône, apo-
théose eût été parfaite.
Il pouvait être environ sept heures du soir, quand je
pris possession de mon royaume. Environ trois heures
après, je me levai de ma chaise et regardai dans la nuit
avec un vif iméret. Pendant près de deux heures j'avais
entendu se lever un vent furieux, et toute l'atmosphère
était devenue alors un vaste laboratoire de forces enne-
mies. C'était un chaos, une forêt vierge pleine de spectacles
sombres et intéressants, pleine de ces bruits religieux de
ces <:sons qui vivent dans les ténèbres H (Wordsworth,
Excursion) comme je n'en avais jamais remarqué volon-
tairement. J'avais eu raison, et l'instinct m'avait guidé,
quand j'avais fait mes adieux au printemps. Pendant tout

Une salle de bal. Cela s'expliquetrès simplementpar ce fait que


t'ho'e) traversait une phase étendue de puri8catic:i,d'embellissement,et
le c:ois, d'agrandissement,et comme i) arrivaque cette nuit je metrouvai
Mt/tde voyageur arrivé à t'hôte),il s'ensuivit pour moi cette réceptionà
dMa:oy: ro~
tSt COMfKMtOMt
le jour, les Galles avec leurs ehr.~es de a)ont<gnes,
Penmaenm&wr, Snowdon, Cader Idris, avaient parta~
avec Londres mes penses. Mais désormais c'était Lon-
dres, dans son isolement ténébreux et son innni, qui
régnait sur toutes les facultés de mon âme. Quant a
d'autres objets, d'autres pensées, je ne pouvais en suppor-
ter. Lnngtcmp! avant minuit, toute la maison, à récep-
tion d'un garçon unique, était allé se coucher. Deux
heures m'étaient accordées après les douze coups,- pour
des réflexions qui faisaient battre mon cœur. Plus que
jamais )'é<ais sur le bord extrême du précipice; les détails
qui m'entouraient rendaient plus profondes et plus
intenses ces rénexions, et leur imprimaient un caractère
de solennité et d'effroi, parfois même d'horreur. !1 est
impossible à ceux dont la sensibilité est rebelle et calleuse,
de concevoir comment il existe d'autres hommes dont les
rêveries se trouvent fortement modifiées et gouvernées par
les caMCtÈtCs extérieurs de la scène qui est en contact
immédiat avec eux. Plus d'unsuicide.qui restait en suspens
dans les balances du doute, a été décidé et mis sommaire-
ment a exécution par l'eSet que produisait l'aspect désole
et mélancolique d'une maison ruinée et dépouillée. Sou-
vent il n'y a pas d'exagération à dire que la diSerencc
entre la disposition à mépriser la vie, et celle qui porte à
la prendre allègrement, dépend dès-apparences extérieures
qu'offrent les détails domestiques places continuellement
sous nos yeux. En ce qui me concerne, dans cet hôtel de
de Shrewsbury, j'avais devant moi un groupe d'objets qui
tendaient à faire sur moi des impressions bien diverses, et
cependant'elles se conciliaient sous quelques rapports.
Les dimensions extraordinaires des chambres, et surtout
leur hauteur inusitée, me donnaient d'u.ne manière conti-
nue et obséd':nte, par les liens naturels d'associations de
sentiments ou d'images, Impuissante .vision de Londres,
qui m'attendait au loin. Dix-hmt ou vingt pieds de hau-
teur m'apparaissaient forcément avec des proportions exa-
D'ONMAXCEUHB'O'tUM tS;

1 1__ 1-~ !l --1~


gérées dans quelques-unes des chambres latérales plus
petites, destinées sans doute aux joueurs de cartes et aux
buveurs. Ce simple caractère des salles, – leur hauteur
inaccoutumée, et ce vide retentissant qui résultait de leur
élévation, – il n'en fallait pas davantage pour le rendre
terrifiant, et il l'était réellement, surtout quand il s'y joi-
gnait les images innombrables et vaporeuses des pieds
agiles quiavaient si souvent semé la joie sous ces voûtes, où
elles voiaiehtsur les ailes de la jeunesse et de l'cspé!nce,au
temps où chaque chambre retentissait de sons musi-
caux. Tout cela surgissait en une vision tumultueuse,
pendant que les heures mourantes de la nuit s'en allaient
àpas furtifs, que tout, dans la maison comme dans la ville,
dormait autour de moi, que l'ouragan battait contre les
fenêtres avec une fureur croissante, et semblait augmenter
indénniment. H en résultait en moi un état insupportable
d'excitation nerveuse, sous ces influences de forces oppo-
sées, sur lesquelles planait de bien haut l'horreur de
l'abîme insondable de Londres, où j'allais me jeter si déli-
bérément. Plus d'une fois je regardai au dehors, et plon-
geai ma vue dans la nuit. Elle était épouvantable au delà
de toute description, aussi noire que la gueule d'un
loup Mais par intervalles, le vent qui soufflait conti-
nuellement, finissait par balayer les nuages, par déchi-
rer le vaste rideau, et laissait voir quelques étoiles dont la
lumière était singulièrement trouble et lointaine. Plus
U'une fois, en allant des chambres retentissantes, à la
fenêtre d'où je voyais la nuit furieuse, ~'aperçus Londres
m'ouvrant ses portes fantastiques, pareilles à l'ouverture
redoutable de l'Achéron (~<eroHi'y avari Et toi aussi,
Galerie résonnante, dans ces instants de désolation dont je
sentais tout le poids, tu vins murmurer à mon oreille des
avertissements prophétiques. Une fois de plus, je me pré-
parai à prono'nccr un mot irrévocable, à mettre le pied
dans ces sentiers aux détours tracés par !a fatalité, et dont
les enchevêtrements né peuvent plus être débrouillés.
~4 C<MtFf;M)OM
Telles étaient tes pensées, et avec ellés les visions qui
leur correspondaient, qui déniaient dans la chambre MOt~
de mon imagination surexcitée quand, soudain, j'entendis
un bruit de roues, mais ce bruit se perdit bientôt dans un
quartier éloigne. Je pensai, ce qui était exact, que c'était
la malle d'Holyhead* qui allait en toute Mfe remplir son
premier devoir, celui de remettre les colis au bureau de la
poste. Quelques minutes après, on annonça que les chevaux
étaient changés, et me voilà en route
pour Londres.
Toutes les malles du royaume, à l'exception d'une seule,
celle de Liverpool, étaient de manière a arriver à
dirigées
Londres le matin de bonne heure. De quatre a six heures,
elles arrivent l'une après l'autre dans l'ordre où elles se
trouvent sur l'indicateur, du Nord (~V-<M/<), de l'Est
(.E-<M~
de l'Ouest (W-est), du Sud {~-ûM~) de là viènt, suivant
certains curieux le mot
d'étymologie, magique M?W.S
(nouvelles) elles se rendent successivement au bureau de
la poste où elles leur émouvant
déposent fardeau, pas
avant quatre heures, pas après isix heures. Je parle du
temps où elles marchaient avec lenteur. L'état des routes
était tel que, pour y circuler, on avait construit des voitures
d'une masse les malles bâties
hyperbolique d'après ces
principes étaient les chariots les plus lourds ait
qu'on
jamais pu voir ou imaginer. Ces deux inconvénients
réunis~
La malle de Holyliead était & son
origine, sous la dépendance des vents
etdeseaux,!Menqu'e)!e ne suivit pas tacôte.Eiie ne
pouvait.par conséquent.
remplir ses fonctions avec la même exactitude que tes malles dont le tra-
jet était tout terrestre. Soixante miUes de trajet
par eau, entre Dublin et
Holyhead, étaient franchis avec une précision merveilleuse. Les transports
n étaient confiés par la poste qu'à des
capitaines ayant commandé des fré-
gates les salaires étaient assex étevés pour faire de ces emplois une récom-
pense fort appréciée dans )a vie nautique, et les rendre di"nes d'envie et
de vive compétition. Le résultat était de supprimer tout inconvénient
qui.
peut être prévu par )e soin, l'attention, i'habi)ete professionnelle. Cela
n'empêchait pas, après tout. les vents de faire de leurs tours, surtout pen-
dant les deux ou trois semaines qui sub-ent
t'équinoxe. et i'honjme le plus
habile dans ce temps o& l'on n'avait pas les ressourtes de la
vapeur, ne
pouvait répondre d'arriver à l'heure dite. Six heures étaient, je
fixé la crois ie
temps par poste pour ces soixante minea. mais ce déiai était sou-
vent d: beaucoup au-dessous du dé!ai
qu'il fa!)fi[.
C'UHMANGEUR
C'OMUM ï35
le poids des voitures et les routes, qui étaient des fondrières,
il était impossible même pour les chevaux nourris avec le
système anglais, pour des animaux qui n'avaient aue des
os et du sang, de traîner leur énorme véhicule à unc vitesse
de plus de six milles et demi par heure. En conséquence,
il nous fallut vingt-huit mortelles heures pour que la malle,
quittant Shrewsbury à deux heures du matin, pût atteindre-
le bureau central de la poste et remettre fidèlement au rez-
de-chaussée de Lômbard-Street tout le fardeau d'amour et
de haine que l'Irlande avait été capable de réunir en vingt-
quatre heures, dans le grand dépôt de Dublin, en vue d'en
faire une donation a l'Angleterre.

En y réfléchissant, je vois que j'ai été injuste envers.


moi-même. Ce n'était pas sans un plan quelconque que
j'étais parti, et je l'avais mûri en route. Le succès de ce
plan dépendait de la possibilité de faire un emprunt en
donnant une caution personneHe. Deux cents livres, en y
comprenant quelque chose pour Ie& intérêts, faisaient
quatre sommes decinquante livres chacune. Quelle distance
me séparait,de mamajorité? Tout simplement un intervalle
de quatre ans. Londres, à ce que je savais ou croyais, était
la ville où trois articles sont à un prix très élevé, premiè-
rement, les gages des domestiques, en second lieu les loge-
ments en troisième lieu, le laitage. Pour tout le reste,
Londres était souvent plus avantageux que les autres
villes. Dans une rae de Londres qui n'aurait d'autres pré-
tentions que celle d'une respectabilité passable, il a tou-
jours été possible au dernier demi-siècle d'avoir deux
'Cela n'est pas exact. Si vous allez de Hammerfestvers le sud, et que:
vouspartiez ainsi du point le plus septentrionalde la Norwègeou de la
Laponiesuédoise,pour traverser toutes les latitudes de l'Europe jusqu'à
Gibraltar, &l'ouest,ou Naples A l'est, Glascowestia ~i))eoù à ma con-
naissance,lestogememssont te.ptus cher!. Un )ogemeT)tconvenablepour
unepersonneMu)e!etr<)ttvc:t;?:mentsEdinoboargpour une demi-guinée
parsemaine,et coûte nna guinde à Gtascow; dans cette dernière ville, à.
rcxceptiondes gages des domestiques,tout tend le séjour plus coûKat,
qu'àLondres
i)8G cost'KMtOM
chambra ~ratea pour le prix d'une demi-puinée par
semaine. C<M« somme de vingt-cinq livrer déduite, il me
resterait uo< <ommo égale pour les ftUtreï dépenses pendant
l'année. J'étais tMt. sûr qu'elle serait suMsante. Si donc je
parvenais à trouver les deux cents livres, mon projet était
de me retirer à l'e«rt de toutes mes conn,.Ui.<nces jusque
e< que je devinsse libre par l'effet de la loi. 11 est vrai
qu'en agissant ainsi, je renon~aii: forcemant tous les
tvanta~ imusinaires ou tet!~ ~ds ou petits, d'un
voyage M!'Unh ertitë. Mais comm< en ff<t!itJ je n'ai jamais
tiré d'une Université aucun avantage ou profit, le résultat
auquel mon plan m'nur.tit conduit, s'il s'était réalise, aurait
été le tnone que produisit mon échec. Ce plan était nssex
simple, mais il uvait pour hase la possibilité d'attendrir
la durctë des pfet<:ur<. Sur ce point, )'nvais la fois des
espérances et des craintes. Ce qu'il y avait de plus exaspé-
rant, c'était ce que le hasard me fit connaître comme une
règle invariable dans lu conduite des prêteurs, le retard
c'est le seul moyen qu'Usant pour grossir leurs exigences,
en alléguant leurs rapports A\'cc les hommes de loi et la
nécessité de soutenir !eur xele.
1
Je ne perdis pas de temps pour commencer l'anaire qui
m'avait amené à Londres. A dix heures du matin, e'est-a-
dire un moment ou l'on peut supposer que tous les
hommes d'affaires sont à leur poste, soit en personne, soit
en. procuration, je me rendis au bureau du prêteur.' Mon
nom y était déjà connu car étant encore dans les Galles,
j'avais écrit pour donner un exposé clair et soigne de ma
situation dans le monde et de mes espérances pécuniaires;
j'appris plus tard qu'on avait pris personnellement des ren-
seignements detailtës sur quelques-uns de ces points; et
par ces lettres je m'étais efForcé de me préparer un accueil
favorable. Le prêteur, comme je m'en aperçus, avait une
règle invariable. Il n'accordait jamais une entrevue pM'-
Mnnellc a qui que ce fût, quand c'eût été le plus aimé de
t~'UNMAKQKUK
M'Ot'tUM <8y
ses clients. Tou* sans aucune exception, et moi comme les
au<rfs, étaient adressés pour les renseignements et têt
démarches H faire dans leurs ncsociaïions, un uttorncy.
Celui-ci portait plusieurs jours par semaine le nom de
;!rnne!t, mais occanonne!tement, pdut~trc aux jours de
la lettre t't'uge, il promut )< nom beaucoup ))!us répandu
de Brown. M. Brun<it-Brown ou Hrnwn-nruneU avait
établi son foyer (si jamais il en eut un) et ses dieux dômes*
tiques (quand ils n'étaient pas sons ia ~rde du sh~iH) dans
Gretk-Street, quartier de Soho. i'nr ette-meme !n maison
n'&vait rien qui interdît le respect, si elle efx été bhnchic
de temps à autre. Mais clle avait un air nMthcureux, une
apparence sombre et s~una~c d'nngoi~e qu'c))e dc\)it a ce
on ne~H~enit do h hndi-
que, depuis de iongues années,
de la nettoyer, et même, sous certains rapport:
geonncr,
de la reparer. A vrai dire. les fcnotres n'avaient pns de
vitres cassées !e profond sitcnce qui régnait dans cette
demeure était dû a l'ubsence de tout visiteur ainsi qu'à
celle des employés ordinaires d'un ménage, boulangers,
bouchers,.brasseurs, et cela expliquait suffisamment son
air de désolation en suggérant un motif qui n'était pas tout
à fait exact, l'absence complète d'habitants. Ln maison
avait, pendant le jour, des hôtes, mais d'une classe si!en"
cieuse, et elle était destinée a voir leur nombre s'augmenter.
M. Brown-BruneM, après m'avoir épis à travers une étroite
meurtrière percéemr lcflnnc de l'édifice, et pareille à
celles qu'on voit fréquemment aux portes des façades à
Londres, m'accueillit avec empressement et me conduisit
comme un hôM d'importance à son q/M<! ~!p/oma<MMj
qu'H 9'~Mit réservée sur le derrière du bâtiment. L'expres-
sion de sa physionomie, et plus encore le jeu contradictoire
tes mouvements involontaires et vivement réprimés de ses
traits, vous faisaient aussitôt penser que cet homme-là
devait avoir bien des choses à cacher et peut-être aussi
bien des choses à oublier. Son regard exprimait l'attention
éveillée contre toute surprise, et passait en un instant à dt)t
'S8 co~n:ss<om

coups.d'ceil irrésistibles de soupçon et d'inquiétude. S! un


sourire paraissait sur sa n};ur9, il n'était jttma~ nature!,
mnis il était aussitôt chassé par quelque rénetion d'an~ois~e
ou ne tardait .pas h faire pince à une expression triste et
réservée. !1 y avait cependant en M. Brunell quelque
remords qui entretenait in bonté et la nobles; et je lui
en fus ensuite profondément reconnaissant pour l'asile qui
me sauva la vie. Il avait l'amour le plus vif, le plus rare, le
plus sincère pour toutes sortes de connaissances, et surtout
pour cette sorte d'instruction que nous appelons littérature.
La route orageuse, et sans doute parfois coupable, qu'il avait
suiviedans !a vie l'avait engagédansdes querettes incessante:
avec ses coHe~ucs; i! l'attribuait, a'/ec des imprécations
amères, n la 'soudaine interruption de ses études, par suite
de la mort violente de son père, M la nécessite qui l'avait
)ete, tout enfant, dans l'exercice des auaircs légales do
l'ordre le plu!: inférieur et l'avait ainsi exposé u des tenta-
tions journalières en lui of!'rant l'occasion de profits qui
n'étaient pas.strictement justes, et cela avant qu'il eut eu
le temps d'acquérir aucuns principes. Dès nos premières
relations, M. Brune!! avait abordé avec moi des sujets de
conversation où il entrait avec ardeur pour y trouver de
quoi rafraîchir le plaisir que lui donnaient ses souvenirs
d'auteurs classiques, ou pour présenter ses doutes afin d'en
obtenir l'éclaircissement, ses embarras devant des construc-
tions compliquées qu'il s'agissait d'aplanir et de dénouer.
Bien-que le génie domestique à demi mort de faim.qui
régnait dans cette maison, écrivant la devise du dénuement
sur tous les dessus de cheminées, sur tous les endroits où
il pouvait, bien qu'il protestât avec véhémence, comme il
sut le faire grâce aux échos de la maison, contre l'admis-
sion de bouches surnuméraires, il y entra néanmoins'~ je
pense que ce fut par une nécessité absolue) un clerc
nommé Pyment ou Pymont. Ce fut pourla première fois
q~c ce met tn'sppsra: dsns icrôieds non! propre.
M.. Pyment n'en avait aucun autre à ma connaissance, si
C'UK MAMGK't~ P'OP)t)M !S~

ce n'ost dans !e vocabulaire d'in)ur~ de M. Brune!), qui


possédait une collection très variée de sobriquets sans
aucun rapport avec les habitudes, soit bonnes, soit mau-
vais de l'individu. Bien que séparé par deux chambres,
M. Brunell avait tou}oura la connaissance précise et
détaillée de ce que Pyment faisait ou allait fnire. Mais
Pyment ne se donnait guère la peine de répondre à moins
que, comme cela arrivait parfois, il ne comptât produire un
enei plaisant. Co qui faisait de Pyment un homme néces-
saire, c'était qu'il fallait faire acte de présence u chaque
instant dans les tribuns: inférieure de Westminster,
comme la cour de conscience, les cours du shériff, etc. 11
arrive auMi que l'homme le plus indispensable, celui qui
abaî!ep!usde besogne & une certaine heure, devient encom-
brant et inutile ù une autre heure le moissonneur qui peine
le plus dur est, aux yeux. de l'ignorant, un lazxarone fai-
néant, quand le temps est humide ou orageux. !i y avait
donc des hauts et des bas dans l'activité de Pyment;
M. Brunell en profitait cyniquement et prétendait que non
seulement Pyment ne faisait rien, mais que de plus il
donnait bien de la besogne au malheureux Brunell. Mnis
la vérité trouvait parfois l'occasion de se venger quand il
fallait faire appel à Pyment pour l'offensive ou la défensive,
et que le cas était important < Pyment, ici, Pyment,
venez par ici, Pyment, on vous demande. » Tous deux
étaient gros et grands, et il le fallait, car quelquefois les
clients étaient mécontents soit d'un procès perdu, soit d'un
procès dont le gain était compensé par une note de frais
lourds et inattendus; alors ils se fâchaient, se montraient
disposer à la bataille et offraient à Pyment une occasion de
dire que ce ;our*Iâ, du moins, il avait gagné son s&laire en
jetant dehors un client avec lequel il était difficile de s'ar-
ranger autrement.

Mais-j'anticipe. Je reviens, pour donner quelques explica*


tiCS:; au )OUr de Mon SttiVée & LûttJtëa. Cwuuictt uH jpcn
<W.~t4:i)0})S
t~)

de franchie m'au~it ~Mutile dès ça moment. Tous les inta-


reMés, excepte moi, connaissaient la vente, savoir que rien
ne pouvait ~trc conclu et termine avant six mois au moint,
et cela en supposantque mes proposition;! fussent udoptcos.
Sachant cota, j'aurai) aussitôt renonco H touMt !et espé-
rances de cette snrte, comme ~tant sons rapport avec les
ressources pratiques de ma sHnaHnn. On vert~*par la suite
que ie <)~ir da me prêter Far~eM était sincère e! réel. Atai$
aton it ~it trop tar~. Hn tous c~s )o me crois autt!"
riM)k (lire que dans un eus pareil, de~ hommes de loi mcm'
ttonorabieit n'iront {~<.ph' vit~, !)&tnunefoat sous Jtvcr;i
pre.text~)tpendant six Moi' Un deiai ptu~ ~ourt, &ce qu'}!
s'in~ag")Mt. sufnrait difficitentent pour juMMer aux yeux
de teurt eHanM, la son~ne qu'ils Mcroient autorisés il exi~r
pour leur p~ino <:tîc~r corr'~pond~nco préalable. Combien
il serait meilleur pour les dcxx parties, combien plus hono'
rtMe, plus tranc, plus libre de déguisement, que le client
puisse dire « Trouver cette soMme {supposonsqu'it s'agisse
de quatre cents livres) trouvcx'Ih en trois semaincx, ce qui
est possible, quand il s'agit d'un prêt pour trois ur)~, et il
y aura un boni de cent livres. Tardex deux mois, il n'y aura
rten de ?! )' En tMitantavec cette sincérité, combien )'.tu"
rais c~M<!des souM'rance! phytique~ poft~et jusqu'aux der-
oiér~s extrémités, combien je me serais cpargnd de dou-
Itursquem'ontcaMteetmesespëraneesdecucs. Au contraire,
le ~yst~tae qui fut emptoye avec moi comme il l'était avec
tout le monde, qui consistait renouveler ;sans cesse na~s
espérances après de nouveaux échecs, à m'ttjourjmr pour la
prétendue rédaction d'actes,âm'e<torqueriepeu que je r~ce'
vais de vieux ami! de ma famille r'encoatre$ par hasard à
Loridres, et~ mâle prendre sous pr~t~cte d'achat de timbres
imaginaires, ce système eut pour r~uhais de m'amener
sur le seuil même de la mort par inanition. Et d'autre
part, ceux qui me donnaient ces déceptions intérieures, ne
gagnaient rien qu'is n'eussent reçu d'une matuére hcmo-
T&btoet iu~ic, eu ttg~ttt &vccfrs~h~. A~s~, ps? i'a6e<
1
e'HHMAMfiKt'R;)'0)'n)M

de ces trotNptMW sans ce-e i'ennuv<'i'jgs, je cnn!imuu M


vivre sept <Mthuit semaines, en me topant le ptu& ~<:ono.
miqueaxatpossibtc. Ces logements, Mon qu'ils mu parussent
a peine convenablas, m'emportèrent ait moins les deux.
tiers des guinJes qui me restaient. A la fin, quand il me
resta, avec uncdemi.~uinee, juste do quoi suitirc i<mn nour-
riture quotidienne, je quittai ma demeure, j'exposai à
M. BrunelUa situation ou je me trouvai: et je lui demanda!
!ap<Tmi$wï d'user de M vaste maison comme d'un mi!e
pour la nuit. Le paiement n'avait pt's encore tait un crime
voisin de la fe!on:e, du fait de coucher en plein air, ainsi
que l'ont décidé quelque vin~t ans plus tard nos bénins
}et;idateurs aussi ce n'était pas un crime. Ce fut la loi qui
m'apprit que j'étais coupable. Longtemps âpres, en con-
templant les collines Camhriennes, je découvris avec sur*
prise combien j'avais été criminel au point de vue du par-
lement, lorsqu'au temps de ma jeunesse, je dormais p.trmi
les vaches, en plein air, sur les pentes. Cela était légal,
mais ce n'en était pas moins ma!hcureux. On comprend
combien M. Brnnell me fit plaisir, car non scutement U me
donna son consentement, mais encore me pria de venir
cette nuit même, et de m'arranger de la maison le mieux
que je pourrais. ï.a joicque me donna cet empressement
ne fut pas sans mëtangc je regrettais de n'avoir pas de-
mandé beaucoup plus tôt cette permis$ion,carcite m'aurait
épargné un nombre considérable de guinces, que j'aurais,
comme on !e pense bien, appliquées a mes besoins urgents,
et au besoin qui était le plus urgent de tous à cette époque, a
l'achat de couvertures. 0 viciUes femmes, filles du labeur
et de la souffrance, parmi toutes les difficultés et les âpres
hé:itages de la chair qu'il vous faut affronter, il n'en est
point, pas même la faim, qui me paraisse comparable à celui
du froid pcndaotia nuit. Chcrchcrua refuge contre le froid
dans un lit, et alors sous le mince et frêle tissu d'une cou-
verture misérable déchirée, ne pouvoir fermer l'ceil, comme
dit Wdrdswonh en panant des pauvres v!ciHesduL Dorses"
tf~t CONfKM)OMS

shirë.quanddes ctrcons.Mn<:e<. locales rendaient le charbon


trop cher, – voila un ennemi terrible & combattre pour les
pauvres bonnes grand'meres 1Ce fut alors que je repentis,
<omme auparavant je l'avais éprouve sur les pentes ~uva~cs
des Galles, quel bien ineffable c'est quo la chaleur. H n'y a
pas de malédiction plus terrihie pour l'homme on pour la
femme que celle-ci se débattre entrela fatigue qui appelle
le sommeil et le froid qui pénètre et vous traverse, et vous
contraint a, peine endormi, ù vousre\'fi!!er tout fri$!tonnant,
a chercher vainement ia chaleur dans un mouvement nou.
v<aUta!ors que depuis ~n~emps la fatigue vous écrase.
Mais h défaut tneme de couvertures, c'était une belle chose
que d'avoir un asile contre le plein air et d'être assure de
cet asile pour tout le temps où je pensais qu'il me serait
nécessaire.

'Aux approches de !a nuit je me rendis a Greek-Street.


En prenant possession de mon nouveau logement, je le
trouvai déjà habite par un hôte solitaire. C'était une
pauvre enfant abandonnée qui paraissait <){;eede dix ans,
mais on voyait qu'elle souHrait de !a faim, et de teites
souffrances font souvent paraître les enfants plus ag<!s
qu'ils ne le sont. Cette enfant d~aisseo m'apprit qu'elle
demeurait là le jour et la nuit depuis quelque temps avant
mon arrivée; la pauvre créature manifesta une'grande
joie quand elle sut que désormais je lui tiendrais compa-
gnie dans les heures d'obscurité. On ne pouvait dire que
maison fût vaste; chaque étage en particulier rétait fort
peu, mais comme il y en avait quatre en tout, eUe était
assez-grande pour faire éprouver fortement la sensation de
son vide retentissant. Comme ellc était dépourvue de tout
mobilier, les rats faisaient un tapage fort bruyant sur les
escaliers et les planchers. Aussi, tout en souffrant physi-
quement de la faim et du froid, l'enfant abandonnée pou-
vait employer ses loisirs a se créer des souffrances encore
plus vives en se ïbrgeant des fantômes. J'étais en mesure
))'U!<M.~fit:U«~'(!)')UM )Q3

de lui promettre ma protection contre do tels ennemis


tacon'ipn~nied'un h~mmesuiïisnit prmreeta mni-! quand
iUui nOrirnno aide di~erente et plus utile, cetn, h<;tn<.l 1
n'était guère en mon pouvoir. Nous dormions sur le sot,
avec nn rouleau de papier;, judiciaire:- pour oreiller, sans
autre couverture qu'une grande houjse de chcvn); plus tard
cependant nous découvrîmes dnns un galetas une vieille
housse de eannpe, un petit morceau de hure, d'autres
d~hri-. dt! cette sort*?, qui ajoutèrent un peu notre bien-
être. !.ft pauvre enfant se serrait contre moi pour se
réchauffer et se défendre contre !cs fantômes ses ennemis.
Lorsque je n'étais pas plus mntnde que d'ordinnire, je la
prennis entre mes brns, dctcUe façon qu'elle nvait une
choteur satnsitnte, et que souvcm elle dormait, nturs qu&
cela m'était impossible. Pendant les deux premier;; mois de
mes souiTwnccs, je dormais surtout pendant la matinée,
mais j'etnis exposé !t des accès de somrneU à tonte;' heures.
Monsommeit était encore plus fatigant que l'état de veine;
n~s rêves douent fort ogitcs, peine moins effrayants que
ceux que j'aurai plus tard a décrire comme produis par
l'opium mon sommeil ne dépassait pas le degré de celui
qu'on appelle sommeil de chien je pouvais entendre
mes propres gémissements, et plus d'une fois je fus réveillé
en sursaut pur le son de ma voix. Vers cette époque, une
sensation atroce commença a me tourmenter des que je
tombais dans l'assoupissement. Cette sensation, qui est
venue me retrouver à diflerentcs époques de ma vie, con-
sistait en un tiraillement que j'éprouvais je ne sais où,
mais qui occupait apparemment la région de l'estomac, et
pour la faire cesser, j'étais obligé de lancer brusquement
les pieds en avant. Elle se manifestait aussitôt que je
commençais à m'endormir, et comme l'effort nécessaire
pour la dissiper me réveillait, je finis par ne plus
dormir que sous l'influence de l'épuisement; or, comme
;e Fat d:t plus haut, ma faiblesse toujours croissante me
plongeait dans un état de somnolence, dont il butait
t3
'9~ CdMMMtOKt
m'eveilier à chaque instant, 11arrivait trop ~a<ra!ëment .i
que h jouissance d'un sommeil profond était Mécanique-
ment liée h la fatale nseeKsite d'une interruption volontaire.
C'était commesiune coupe eût ëtërempHe jusqu'au bordpar
l'excessif besoin de sommeil. La plénitude de la coupe
représente symboliquement un repos complet; mais la
chose se continuant, les eaux arrivaient &t~n, it torrents,
se précipitant 'do tous les côtés de !n coupe, et interron-
paient le sommeil que précédemment.eUes produiMient en
rempiiMHut sitencieusement lit. coupe, pendant l'instant
qui précédait. Il y u\tit tant de rMguhrfte dans CCMC
ascension graduelle et cette chute soudaine, dans cette
lente arrivée et cette dispersion brusque, que c'était
une alternative interminable d'un sonnneU profond et
d'un rcveil orageux, et je passnis de l'un !t l'autre d'une
façon aussi successive que le crepuscute le fait en 11
s'assombrissant, ou l'aurore en devenant plus claire.
Paj!; un instant de repos qui ne fût le prologue de l'etTro!,
pas de doux frcmissonsnt de restauration qui tic finît par
des cns soudains de douloureux changement. D'autre 1
part, le maître de lu maison survenait quelquefois
de très bonne heure, quelquefois aussi il ne venait que
vers dix heures, ou ne venait pas du tout. Il vivait dans une
crainte perpétuelle d'être arrête. Adoptant le système de
Cromwell, il passait chaque nuit dans un autre quartier
de Londres; je remarquai qu'il ne manquait jamais d'exa*
miner a travers une fenêtre dérobée l'aspect de ceux qui
frappaient la porte, avant de se décider a leur ouvrir. H
déjeunait seul. Il est vrai que ce qu'il avait pour son thé lui
eût difficilement permis de hasarder une seule invitation
sans se borner à offrir à cet invité l'excédent de son repas;
celui-ci consistait en une miche ou quelques biscuits,
achetés en revenant de l'endroit où il avait passe la nuit.
Et s'il avait invité un convive, celui-ci eût été, comme
je lui Rs doctement remarquer, dans le rapport de succes-
sion pour cette séance, terme impropre, faute de sièges,
1
D'UN MAMGKUH. U'OHUM !f)5

et non d<MM1.an",r,
!e rapport ,1-
de i"'J'vi~t.I"
coexistence 1:1
h! .Indnn
r<')ation. .I.tlt
.ir.
etdtut
dan;; le temps et non dam l'espace. Pendant qu'il déjeunait,
je tâchais d'orditunre de trouver un prétexte pour roder
nutom' de lui, et de l'air le plus indiileront que je pouvais
ma donner, je m'eûorcais de rccoher tons les morceaux
qui restaient parfois il n'en restait pas une mietM. !~n
cela }<<ne commettais pa~ u'i vol, si ce n'est envers Al.
!!ruM)l lui-n~mc, qui était au~si obiij. d'envoyer, veM
midi, acheter un bleuit &upp~taenta!r< D'aiUcu: pur
dt;~ moyens que j'expliquerai p'u~ tiu'd, it fut indemnisé
hknp'us qu'au centuple; quiU~hhp~uvrcen~nr~ elle
n'~MitJarna;~ admise a entrer dans !eenbinet,si je puis
donner ce acm au lieu qui tenait le dépôt ~ener.U des
parchemins, papiers de procédure, etc. Cette chambra était
poureik' la chnrnbrcde Harbe-Hieue.earette était toujours
terfaM par lui jusqu'ù rhcurt} de iion dincr, six heures
cnviTon, lorsqu'il partait définitivement. Cette fittettc était*
elle une enfant natu~'elled< Bruneitou une domestique;
ri~aorai: elle n'en savait rien cite-meine. Hn tout cas e)!&
etRi! traitée en bonne à tout faire. A peine M. Hrunctl
uppsmi$Mit- qu'ette descendait les cscatiers, lui cirait les
soutiers, bro$sait !e&. habits, etc. A moins qu'eiie ne fût
envayee en course, cHe ne quittait jamais le sombre tartare
de la cuisine, jusqu'à l'iKurG bienvenue où mon coup de
marteau du soir ramenait à !n porte d'entrée ses petits pas
tremblants. Quant à la viu qu'eUe menait pendant la jour-
née, je n'en savais que le peu qu'elle m'en disait le soir
des qu'arrivait l'heure des araire?, je sentais que mon
absaace était désirée, en conséquence je sortais, et je restais
assis dans les parcs ou ailleurs jusqu'à l'approche de 1~
nuit.

Quel était don' quelte sorte d'individu était le maître de


la maison ? Lecteur, c'était un- de ces, praticiens marrons
qui s'exercent dans les régions inférieures de la procédure,
et sus isprs~cn~ on !,tn&eMu<: obligent se priver du
<()G COMMSSK~S
luxe d'une conscience délicate. Sur bien des routes de
vie, une conscience est d'un transport plus coûteux qu'une
femme ou une voiture. De même que les gens disentfamiliè-
rement qu'ils ont « bazarde Il leur voiture, M. Hruncil avait
Hussi < baxarde a ht sienne, pour quelque temps, comptant
la reprendre sans doute, dès que ses moyens !e lui permet-
traient. Il était attorney par annonces, et il faisait tous les
jours savoir au public, par des av ispubliés dans les journaux
du matin, qu'il entreprenait de procurer des emprunts pour
des personnes sures dans des circonstances qu'on pouvait
ordinairement regarder comme désespérées~ c'est-a-dirc
lorsque l'emprunteur ne présentait aucune autre garantie
que sa personne. Mais comme il avait soin de s'assurer que
les fonds ne manquaient pas pour le remboursement, que
des parents rapprochés ne permettraient pas que le nom de
la famille fût déshonoré, et qu'il assurait la vie de l'emprun-
teur pendant un certain temps. il ne courait pas grand
risque. D'ailleurs toute l'nflhire dépendait du prêteur/qui
était dissimulé dans la coulisse, et ne'se montrait jamais a
ses cnenis, et qui traitait de tout par l'intermédiaire de ess
savants procureurs, tels que M. Brunell et d'autres. L'ar-
tangement intime de la vie d'un tel homme présenterait un
tableau monstrueux. Dans les étroites limites où je pou-
vais l'observer, je contemplai des scènes d'intrigue, de
chicane entortillée, dont le souvenir me fait sourire, comme
j'en ai souri autrefois en dépit de ma situation misérable.
Cette situation me fit connaître dans le caractère de M. Bru-
nell bien peu de traits qui lui fissent honneur, et de
l'étrange composé qu'il formait, je dois tout oublier,
excepté qu'il fut obligeant à mon égard, et qu'il se montra
généreux dans la limite de ses moyens.
Ces moyens, je dois le dire, n'étaient pas fort étendus.
Mais je partageais avec les rats un logement gratuit. Le
docteur Johnson a ditqu'ilne lui était jamais arrivéqu'une
seule fois de pouvoir manger à discrétion des pêches d'espa-
lier. Aussi j'acquitte un devoir de recbhnu~ta<tce en d~s-

1
n'UNMAKf.KUKn'ODUM n)~
rant qu'alors, seulement alors, j'eus a ma disposition un
nombre indéfini de chambres, et même départements,
dans,une maison de I.ondres. Maintenant je puis dire
laquelle 1elle était h l'angle nord-ouest de Ureek-Strect,
du côté de la rue qui est le plus voisin do Soho-Squnrc. A
part la chamhre de Barbe-Bleue, que la pauvre enfant
croyait hantée, et qui d'ailleurs était fermée, tout le reste,
de la cave au grenier, était notre disposition. « Le monde
était & nous et nous plantions notre tente ou nous en
avions la fantaisie. J'ai décrit cette maison comme spacieuse
et respectable elle est dans une situation bien en vue, dans
une partie bien connue de Londres. Nombre de mes lecteurs,
je n'en doute point, passeront devant elle quelques heures
après avoir lu cela. Quant a moi, je ne manque jamais de
la revoir quand une occasion m'amène h Londres, Cette
nuit même, a dix heures du soir (15 août 1821, jour de mon
anniversaire) j'ai dévie de mon itinéraire ordinaire dans
Oxford-Street, pour aller y jeter un coup d'ceit. Elle est
aujourd'hui occupée par une famille d'apparence respec-
table. Les vitres ne sont plus rendues opaques par un vernis
formé des poussières et des pluies de l'année, et l'extérieur
a entièrement perdu son air sombre. Aux lumières des
fenètres de h façade, j'ai observé une réunion de famille,
pour le thé peut-être, et j'y ai vu de la joie, de l'entrain.
Merveilleux contraste, a mes yeux, avec l'obscurité, le froid,
le silence, la désolation qui régnaient dans cette maison il
ya dix-neuf ans, quand elle avait pour habitants un écolier
affamé et une pauvre enfant abandonnée. Disons en passant
que j'ai plus tard fait de vains efforts pour retrouver sa
trace. A part. sa situation, elle ne pouvait être qualifiée
d'enfant intéressante. Elle n'était pas jolie, son intelligence
n'était guère brillante, ses manières n étaient pas particu-
lièrement agréables. Mais, grâce au ciel en ce temps même,
il ne fallait pas les embellissements de l'élégance superflue,
pour. se .concilier mon-affection. La nature. humaine telle
quelle, dans son appareil le plus humble et le plus familier,
~S COMfJE~OMS
me sufnsait. J'a)ma!sceUe enfant parce qu'elle était t, com-
pagne de ma misère. Si elle vit encore, elle <at probabte-
ment mère, elle a des enfants à elle; mai~ comme
je l'.H
dit, je n'ai pu retrouver sa trace.

Je !e regrette. Mnis il y eut une Autre pMEOnne


que j'ai
cherché h retrouver par des efforts bien plus
passionnés,
et mon échec m'a causé un chemin autrement
profonde
C'é!:)it une jeune femme elle appartenait à lu catégorie
des déclassées et des parins de notre popuiation féminine. Je
ne resten'. nulle hûnte, tt j'aurais lort d'en re~ntir en
avouant que j'étais alors en tcra~t ~ataitiers et amicaux
avec nombre de femmes qui appartenaient à«tte condition
déplorable. Ne souries p;):,iec<eur<~i vous abandonnez si
négligemment Ne froncée pas le sourcil lecteur donU'nus-
tërite n'est pas toujours ~e saison j (~ m'en pas ici l'occa-
sion d'un sourire ou d'un ~roncetnent de aourcits. Un éco-
lier sans le sou ne peut être accusé d'~trt à }a portée de
pnreitiestentnuons <je plus, l'ancien proverbe }atin le dit
« 5!'ne Cer~re <M ~~M/M, etc. » ces matheur~uses dtaicnt
simplement messœut-s en infortune, seeursparmUesquencs
se trouvaient en Hussi~rftndepropornon. que parmi d'autres
personnes en nombre egat ~esqualitcsqui eommandtntun
respect un~-erset, t'humani* h générosité dcsinterMeee,
-un courage qui ne se dément pas dans la défense de l'abon~
donne, une ndëtité qui ne prend pas des ~etHIes pour des
trahisons. t.a vérité est qu'à aucune époque de ma
vie, je
-n'ai été homme à me croire souillé par le contact ou
l'ap-
proche d'une créature qui a ia fonne humaine. Je ne puis
Supposer, je ne ~eux pas croire qu'aucune créature qui ait
ieoMtctère masculin ou feminim.oitabxolumeM
reprou\ée
rëje-tee en dehors des rangs, que l'on soit déshonore seu~
lenient pour lui avoir parlé. iLoin de là, dés ma
jeunesse,
j'ai mit quelque amour-propre & converser <amiliarement~
tHor~. ~<w<tftco, avec tous les êtres humatns, hommes,
&<neMs, enttnts, que l6 hasard mettait ~r ma route/Un
1
B'U~MAKQKUR Oùi'iUM )nu
philosophe ne_x.
doit -»- 3- avec les m~Nes
pas regarder
-1
y~ux que
cette pauvre créature bordée qu'on appelle un uo~me du
monde, être rempli de pre~u~ <3t)nits et e~oï~tes sur Ji«
naissance et l'éducation, le philosophe doit se regarder
comme une intelligence M~~Ke dont les rapports ne
varient pas selon la hauteur ou i(t bassesse, l'éducation ou
l'absence d'éducation, le crime ou l'innocence. Lan~essite
faisait de moi un peripateucicn, un promeneur des
rues
cela me mettait en rotations naturelles et frc<]UM)tcs avec
ces p<rip!(<~t{<:iensen jupons, qu'an nomme oMcicUcment
les femmes de trouoir. Pimieurs d'entre eHex ont pris en
paMMt ma défense contre les gardes, quand ils voulaient
me chott~r <t<N escaliers des mpisons où je m'étais
assis;
d'autres m'ont protégé contre des .«laquts p)us sérieuses.
Mais pornu e)tes il en est une, – <:ene
h propos de qui je
suis entré dans c<s considérations. Mais non! ô ~cncrcu<;e
Anne, je ne dois pas te ranger parmi ces femmes. Trou-
vons, s'il se peut, un terme plus noMe pour donner la
condition de <!cHedont la bonté et la compassion, en subve-
nant à mes besoins quandJe monde entier se tenait ù l'écart
de moi, furent tclles que je lui dois d'être encore vivant.
Pendant
biendessemaines.j'avaisparcouruaveccette pauvre
fille sans umis la longueur d'Oxford-Streot, et je m'émis
repOtoavcceUesuricscscaUers,oual'abridcsportoscochct-es.
Elledevait ctrc plus jeune que moi ;eHc me diton cflet qu'une
n'avaitpasseizeansaccomplis. Grâce aux questions que mon
intëro: pour elle m'inspira, j'appris d'eile peuà peu
sa simple
histoire. C'était une de celles qui arrivent fréquemment,
commej'ai quelques raisons de le penser, une de ccilesoù ie
pouvoir de la loi pourrait intervenir plus souvent pour pro'-
teger et venger la victime, si la bienfaisance londonienne
se mutait mieux en mesure de les connaître. Maisle torren't
de chante d& I~ndres coule ~ans un lit souterrain et
sans écho, malgré sa largeur il est inaccessible, ou diffici-
lement accessible aux pauvres errants abandonnés. Il faut
,I.¡t~¡. a.s~
ccs~csn' :qx:'x i~ondT~x, ~csnms -dans !MTc: i~ ~'s~s <;api..
&00 CONftSMONS
tales, l'aspect extérieur, la physionomie de la société a un
caractère dur; cruel, repoussant. Mais je vis que d'une ma.
aiére ou d'une autre, quelques-uns des torts qu'avait
éprouves Anne, pouvaient être réparés. Je l'engagent sau-
vent,avecinstahce, h déposersaplaintedevant unm~gisirut.
Isolée commeelle l'était, je lui assurai qu'elle obtiendrait
une attention immédiate, et que la justice aMgiaise,qui n'h
de ménagements pour personne, la vongerait sans retard et
amplement du rufHan brutal qui avait saccagé son petit
avoir.- Elle me promit souvent de le faire, mais elle retarda
de jour en jour à faire les démarchesque je lui.conseillais.
Ette était en enet timide tt abattue à un point qui montrait
'combien son jeune coeur avait été profondément atteint.
jPeut-etre pensait-elle avec raison que le juge le plue juste,
que lie tribunal le plus rigoureux, ne pouvaient rien pour
réparer le désastre le plus grave. En tout cas, il y avait
quelque chose à faire il avait été enfin convenu entre nous,
que dans un jour ou deux nous irions ensemble chez le
magistrat, et que je parlerais pour elle; malheureusement
t'était le jour où je ~a vis pour la dernière fois. Cet humble
.service,ilétait pourtant écrit que je ne le lui rendrais pas.TEt
celui qu'elle m'avait rendu était de ceux qui dépassent toutes
les limites de' la reconnaissance. Voici quel- il était. Une
.nuit, nous allions lentement par Oxford-Street; ce jour-là
avait été pour moi un jour de faiblesse etdelangueurextraor-
.dinaire et jelapriaidem'accompagnerjusqu'aSoho'Square.
Nous y parvînmes et nous assîmes sur les escaliers d'une
.maison, qu'a cette heure même je ne revois jamais sans un
déchirement d'angoisse, et sans rendre intérieurement
hommage à l'âme de cette malheureuse fille, en mémoire
de sa généreuse conduite alors. Dès que nous fûmes assis,
je me trouvai beaucoup plus mal j'avais appuyé ma tête
contre sa poitrine tout à coup je glissai d'entre ses bras et
tombai à la renverse sur les escaliers.. La sensation que
J'épruu~HiMÎuiàiuë laisse !3CcnT:ct:onisp!csTiTeq!:ss:ns
un excitant d'une force extrême, je serais mort sur.le eoup~
P'UH MAMQttUR M'Ot'tUM 90t

à moins que je ne fusse tombé à un état d'épuisement tel


que, abandonné comme je l'étais alors, ma situation aurait
été désespérée. Ce fut à co moment critique de monexis-
tence que ma pauvre compagne orpheline, qui n'avait reçu
du monde entier que des injustices, étendit vers moi une
main secourabie. Elle jeta un cri de terreur, 'unis sans
perdre un moment, elle courut A Oxford-Street, et en
moins de temps qu'on ne saurait l'imaginer, elle revint
auprès de moi avec un verre de porto épicc. Ce breuvage
produisit sur mon estomac vide, qui h ce moment aurait
rejeté toute nourriture solide, un etiet instantané et vivi-
naat. Pour payer ce verre, la généreuse fille, sans mur-
murer, puisa dans sa pauvre bourse; il faut se souvenir
qu'alors elle possédait a peine de quoi pourvoir aux besoins
les plus urgents de la vie, et qu'elle n'avait aucun motif
d'espérer que je pourrais jamais m'acquitter envers eue. 0
jeune bienfaitrice que de fois pend«nt le cours des années,
je me suis arrêté à quelque point solitaire, pour songer a
toi avec le chagrin d'un coeurplein de sincère amour! Com-
bien de fois j'ai songe ù ces tempsde jadis où la malédiction
paternelle passait pour posséder une puissance surnaturelle,
pour aller a son but avec l'inexorable fatalité d'une satis-
fâction entière 1 J'aurais souhaité que de même la bénédic-
tion d'un coeur accablé sous le poids de la reconnaissance
possédât le pouvoir céleste de pourchasser, de hanter, de
traquer, de saisir ta personne jusque dans les sombres hor-
reurs d'un bordel de Londres, ou même, si cela était possible,
de pénétrer jusque dans les ténèbres sépulcrales, de t'y
réveiller en t'apportant un message de paix et d'oubli et de
réconciliation suprême'
Il est des sentiments qui, sans être plus profonds.ou plus
passionnés, ont plus de tendresse que d'autres. Souvent
quand je me promène aujourd'hui dans Oxiord-Street, à
la fantastique lumière du gaz et que j'entends -jouer.sur
qu~}qi:crc&aM orgue df barbarie un de ces airs Qui a
cette époque étaient une consolation pour moi et ma chère
M!s COt~MMOX*
jeune eoxt~goe, )< veroc des !arme<t ci je MMaompiais à
f~tchtr *ttr ~t mystérieux arra~ementt qui nous ont
<)<p«r<M d'une ntaaiere si rttpide et ti soudaine, et pour
t~e}o<tr<. Comn~Mtt ceta amva-t-i! ? L~ tecMur va ~ap-
ptwn<tM ptur ce qui me rxMKe f<c<Mtt~)r<i*a< e~ ~«ges
pf<M!nM!Mure<.

Peu d< temps après le dernier incident ~<M j'ai rapporte,


)< Mnoaotrti dans AtbeniMr!e-S<r<fet un ~ent~maa qui &ti.
)t<!k~<tft}<de la maison de hdëfuatt Ma}«ne. Ctgetttkman
t~Mt, en phMt«fnr< etCMMM, <wçu )'h<wjpMt« d<m< ma
<MMU<, il «< «wn~itawatw sus <M rtMoo~ttBee tveceut.
a'<t«y«i pM de d~aiter <n< pcr<onne, }e lui répondis
<<MfC une tntt~fe ~ranchMe, et comme il ax Joan* sa parole
d'honneur de ne pas me dénoncer t met <uttt)r<, je lui
indiquai m~'vënttibte adreMt à Grcek-Street. le lendemain,
je reçus de lui une banknote de dix livres. Ltt lettre qui la
renfermait fut fcceiM t l'attorney avec d'autres lettres
d'<Na!re<, mais quoique son air et son attitude me aMent
voir qu'il en soupçonnait le contenu, il eut t'hounetetë de
me h Tenttttre sans hésitation.
Ce présent, à raison du but tout particulier auquel il
<tait~urtoatdettine, me conduit natnre!!emt'at à parler du
motif originaire qui m'<va!t conduit a Londres et dont
j'avais poursuivions relâche l'exécution p~r l'iMern~diaire
de M. Bru.aeii, dès le premier jour de mon arrivée,en cette
ville.
Mes lecteurs seront surpris en apprenant que, dans
«n moode aussi vaste que Londres, je n'avait trouve
aucun moyen d'échapper aux dernières extrémités de la
mitef-e. jfis seront fftppM de l'idée que deux ressources au
moins m'étaient Bccessibkï :~a première ~teH_de demande.r
&MMtaaot auK atBit de -ma famille, )a seconde était d'uU-
ii«r ïMs )tua<t Mtentt, quels qu'ils fustent, peur en tirer
qm't~~ ~ftiff Fn rr~ t'* ~?'
OM~heur <{&$ je mdout~ par-deesua«Mt était d'~fe
1
&'UHWAtMUMX
B'OPtUM ao)
réclamé pwf <a« tuteura; je ne doutais pas qa'il* n'e<tn-
pbyatstnt contre moi jusqu'aux limite* le< plu* «trecoes
!o pouvoir que !a !oi leur donnait, c'est-à-dire qu'Ut ne me
contraignissent t rentrer dan* l'école que j'av<u<quinée.
Cette rentre qui était en rcalite, comme à mes yeux, ~n
déshonneur, 1er* même qu'elle eût cté subie volontaire-
ment, <i etit m'était imposée nu mépris et par~eHancede
mes désirs connus <t de mes vives répugnances, devenait
pour moi «nt hun)Uiation pire que la mort et aurait eu en
<net ma mort pour coasëquence. J'etah donc aMez peu
porté à deaMnder de i'a<M<taace aupret de ceux ~iont
)'enM<~wftain d'en recevoir, si j'étais en tne<ne temps cer-
tain qu'il fallait courir le risque de mettre tne: tuteurs sur
matrxce. Les amis de mon père :n'sienië<ë nombreux;
il y en arait dans toutes les parties du royaume H !~)ndres
en particulier, bien qu't! y eût un grand nombre de ses
amis, dix ans t'étaient écoutés depuis sa mort; il en était
peu dont ~e connusse les noms; je n'avais jamais vu
Londres, sinon une seule fois, quand j'avais quinze ant,
et pendant quelques heures et de ces quelques amis,
)'ignofài<!l'adresse. Cette tnaniere de me tirer d'aHhirc était
donc incertaine, mais par-dessus tout. eUe offrait le danger
dont j'ai parlé et )'etaispea dispose à l'employer. Quant &
l'autre manière qui consistait à utiliser pour un salaire les
talents et les connaissances que je pouvait posséder, je me
sens aujourd'hui dispose partager l'étonnement du lec*
teur pour ma négligence. En corrigeant des épreuves de
grec, sinon de quelque autre façon, j'aurais gagne assez
pour mes bibles besoins. J'aurais rempli une telle tache
avec un soin si exemplaire et si attentif quej'aurais conquis
la c<M<Mncede cetm qui m'emp!oya!ent. Endonnant cette
dntctiiMtà!'MS<<!ot<< )'ava)s !<pr<toi<:r« gftad&vantage
de voir la dignité ~otel!ectueïle et l'e!<~aace se combiner
a'Mct<!iOte<tes tidj~mc<Nn?M<ten<~ de i'intptimene et cela
auraTt epzt~aS mMn utg~}'~ '~vK Mtpec: d? Tsrc:-SM*a*,
toute mornncMion. Dans une situation extr&ate comme
~04 C.OMftMtOm
ceUe où j'avais fini par me trouver, je n'aurais pnsabsolu"
ment dédaigné l'humble fonction de diabte f. Un emploi
subalterne dans un état honorab!epar lui-même vaut mieux
qu'un poste bien plus élevé dans une profession dont le but
définitif est'trivial ou ignobié. Jo dois dire que je ne suis
pas certain d'avoir de capable de remplir complètement les
fonctions dont je parle. Pour manier parfaitement le carac-
tère « diaboiique », je crains que la patience ne soit h vertu
indispensable, A un point tel que je n'étais pas sûr de lu
posséder; il fallait une adresse de danseur de corde pour
satisfaire des auteurs quintcux, maniaques dans leurs exi-
gences dans les questions de points et devirgu!ea.Maisu
quoi bon parler de mes'qualités? Que j'en eusse 'ou non,
pouvais-je obtenir un tel emploi ? H ne faut pas oublier
que des recommandations sont nécessaires même pour
l'emploi de <' diable ». Ace pomt de vue, je. devaisme pré-
senter un éditeur respectable avec une lettre d'introduc-
tion que je n'avais aucun moyen de me procurer. Pourdire
.la vérité, it ne m'était jamais venu à l'esprit de considérer
!e travail littéraire comme: une source de profits. Aucun
moyen de trouver de l'argent d'une manière assez prompte
ne s'était présenté à moi, excepté celui qui consistait it
obtenir un emprunt grâce à mes droits et à mes espérances.
Ce fut celui vers lequel je dirigeai tous mes efforts. Entre
autres personnes à qui je m'adressai, il yavaitunJuif,
nomméD*.
Au momentprésent(automnede t8~6)trente-cinq anssesontécoulés
depuisla premièrepuNicMiondt,CMn)tmoi)-M,tt!<nMieatts:e ne m'im-
d e
poseplusl'obligation taire le nomde ce Juif.on da moin",cetttiqu'f!
avalt adoptépoursesrelations d'affairesavecietGent))'.Jediraidoncsans
remords, qu'il M nommMtDell. Quelquesannéesplustard, ce nomfut
t)ttde ceux qui turent prononcés devantla Chambredes Communet.~ à
proputde quelquetfraire(j'ai depui!)ongtemp~ouMi~ dequoi i)t'tftiMait),
affairequi<H<it Mrttedumouvement partemeuttirecontrele ducd'Yprii,
au sajetdeMM.Ctarte, etc. Commetocs !M)ttitr<tJuifszvec)Mque)s
t'ai eu dMrtppcrt<d'an'ai)-e<,
tétait franc et honottMedanssa manière
d'~ir. Il tenaitce qu'ilpromttMit,et si ies conditionsétaientdures,c~
qui étaitInévitable,
étant donne;)t<risquesqu'ilcouMit, ii enfonvenait
H
:af~pi~ 1
Ï)'UNMAHQEUH
O'ODUM Sp~
Je m'étais présenté en personne & ce Juif et d'autres
prieurs qui font des annonces; )'avais avec moi l'état de
mes espérances, et il ne leur ëtait guère .ditncUe d'en
constater l'exactitude. Lu personne quiy était mentionnée
comme le second fils de–, était bien en possession de tous
tes droits et de plus encore que t'avais indiques, mais il
surgirait encore un doute et les physionomies des Juifs
exprimaient ce doute d'une manière fort significative
c:ais-}e cette personne ? Jamais il ne me fut venu à l'esprit
qu'on pût en douter j'avais craint plutôt, en voyant avec
quelle attention mes amis les Juifs m'examinaient, d~ leur
donner une trop grande certitudeque j'états cette personne
et qu'ils pouvaient concevoir quelque plan, avoir quelque
projet pour se saisir de moi et me vendre h mes tu-
teurs. Il me paraissait étrange que mon moi considcr<S
Ce fut~ttmeme a. M. De)! que je m'adre::ai pour une anair; du même
genre, quelques dix-huit mois plus tard. Et comme je datais ma demande
d'un co)ie);e respectable, je fus assez heureux pour attirer son attention
sérieuse sur met propositions. Kiies m\'t<tient t)npot<M non par mes
étourderies ou des légèretés de jeunesse, dont mes habitudes me prc~er-
vaient, mais par la Mncune maticieu~cde mon tuteur. N'ayant pu MtMder
davantage mon t'ttr~e &l'Un~ersit~. ii m'avait donné une dernière preuve
de tM dispositions, en refusant de signer tout arrangement qui m'aurait
accordé un si)i)!in); de plus que ce qui m'était aUoue pour mon s~our A
l'école, e'est'a-dire centtivret par an. Aveccette somme, et i cette époque,
c'ett-a'dire dM< ies dix premictes années de notre siècle, il y avait juste
ae quoi vivre au collège, et elle était bien ioin de ce qu'il fallait un
homme qui, sans afficher un mépris bruyant pour l'argent, sans avoir de
j;oût* coûteux, s'eu rapportait avec trop de confiance aux domestiques, et
ne trouvait aucun plaisir aux pùeriis détails d'une économie minutieuse.
Je ne tardai pas à me trouver dans i'embarra;, dans un moment d'impa-
tience, au lieu d'avouer franchement ma situation &ma mère ou à quoique
autre de mes tuteurs, dont plus d'un m'aurait avance les deux cent cin-
quante livres ncceisaitts, noncomme tuteur iega), mais comme ami, je fus
assez fou pour m'engager dans une négociation volumiuéuse avec le Juif.
Je fus mis en possession de la sommedemandée, au taux de t? !l< p. too
par an, payable en une annuité preiev-Se sur cette somme; !srae) de son-
côté, la diminua d'une autre sommede qoetre-vingt-dix guinées seulemènt
alléguant qu'il avait à payer )a note d'un attorney(pour quels services?
Rendus à qui? J8e<)du<&queUeep<~))c? riait-ce au temps dtt sitRe de'
!erusaiem? Etàit-ce iorsd&ia construction du second tempie?–Je n'a
pu iedecouyriri. Quant à cette note, elle mesurait un nombre de pieds
que j'ai oublié, mois je la conserve encore dans aue collection de cuno-
;;t~
CO~fMMQtM

MM<M)~«f (ou* j'ai toujouM tu un vif peachant- pour i~


dittiactioM logiqeot et, par tuite, )<rm'expnmais atnd) f&t
aMp~oea~ de CMttr<Mr« nxm moi eonttdcfe /~OM~<n*.
A~ dt t*"M' !<M<M tcntpMio~ )'Ma rxcMtMtm Mu! moyea
qui était ta BMmpouv~M-. Pendant qu )'e<~ dans t«
0<!t«, j'avai, r<~u dt~'M'eMMlettres de m<* jeunes amis;
)< les montrai car tvait tou)ouM<ttr<aai. Notubft
de ces ~ttte*etM<MMdu comte d'Ahaax~tq~~MittLon et
fat depu;~ pendant quelques années, <Mtde mes am!t
iatintM. KU<~étaient datées d'Etoa. J'en avais d'autf« du
ta&JpquM d. SM~tt,sot) pare. Quoiq~ nbMtbe p&f!M&pfO}<!t
t~prie~t~ avait c<e à Et« tui'm&me il t'y était tn.Mfah
autant qu'un gentilhomme a boxMa de ~êtM et il lui ea
était resté l'affection pour les études classiques et ietjewtM
lourds. En conséquence, il avait été en correspondance
avec moi depuis mn quinzième année, m'entretenant, tan-
tôt des grandes tœ~iorations qu'il réagit ou projetait
dans les comtés de Mayo ON de Sligo, taatôt detméfites
de quelque poète latin, ou bien me suggérant des sujets sur
lesquels il supposait que je pom't&i&versifier ou inspirer le
souMe poétique dans l'esprit de mon unique ami intime,
aonSIs.
A la lecture de ces lettres, un de mes amis les Jut&con-
sentit à m'avancer deux ou trois cents livres sur ma
garantie personneUe~ à. la condition que je déciderai)! le
jeune comte (qui, disons-le en passant, n'était pas plus âgé
que moi) !t cautionner le remboursemejfn à l'époque où
nous serions tous deux majeurs. L'objet principat que se
proposait !e. Juif n'était pas, je pense, le mince profit qu'il
pouvait Mrt à mes dépens, mais la possibilité d'entrer en
teintions avec mon jeune ami dont les vastes espérances
lui étaient biea coaiues. Ann d'exécuter les propositions
que me &!s&itle-Jui~ je me disposai à me rendre Eton,
huit ou suMf jours après avoir reçu les dix Hv~s. Sur cet
argent, gavais donné trois guinées a mon prêteur d'argent
u!~Imu! uu,pûurp5i'!c!' plus exactement, je {ts~Tsis
n'UNWAtMHtW
t~f)UM ~ûy
r<mis« M. BfUHtU, dF«t.< Br<norn, comme rtp~eMHtitnt
Il Juif, M. Dt!) J~ lui avait remis une somme ptut petits
ct~om propre nom. !i donnait pour motif de ce preuve.
nMnt &~r mes fonds à e~ moment critique, qu'il fanait
Mhtttr dtt timbres afin de rréparer !M actes (lui semiënt
r<Ji~ pendant mon <bMnceJe Lon~r~. J'~ta!&nbsc!u.
m<Mt certain qu'il mcnt<nt, mais je routais lui ôtcr tout
exp«i«nt qui lui permettrait J< m'imputer s<<t propre
MMrds.Qu!ax9thi))!n~ environ ~urtut amptoy~s~r~ons-
tituer, mais tr~t modestement, mon habt!)em<h)t. Sur le
resu, je donnai la taoi«e, c'est-à-dire un pt'n ptm ~'un<
g~inét, à Anne, comptant, à mon retour, partager avec
elle tout c. que j'aurais.

Cesarraagcmcntsïerminds, il était six heures quand, par


une sombrt soirée d'hiver, je me mis en route, accompagne
d'Anne, dans la direction de Piccadiity, cnr mon intention
était de prendre ia malle de B~th ou de Bristol jusqu'au
tournant de Salt HiU et Siough. Notre chemin nous con<
duisit par des quartiersqui ont entièrement disparu, si bien
que je n'en puis fixer les limites, et qui ont été remplacer
par Regent's-Street et se$ dépendances. Swatoro-StreeteM
le seul nom qui ait échappe dans ma mémoire à ces vastes
usurpations révolutionnaires. Comme nousavionsdu temps
.de reste, nous tournâmes à gauche jusqu'à Golden-Square
où nous nous assîmes près de l'angte de Sherrard'Street,
atin de ne pas nous trouver au milieu du tumulte et de
l'éclat de PiccadiMy. J'avais déjà fait part de mes projets à
Anne; je lui assurai alors encore qu'elle serait associée i
ma bonne fortune, si je réussissais et que je ne l'abandon"
nerais jamais, tant que j'aurais !e pouvoir de la protéger.
C'était mon intention, dictée aussi bien par l'affection que
par le sentiment du devoir: sans parier do la reconnaissance
qui me rendait son obligé pendant toute ma vie, je l'aimait
autant que si elle eût été ma sœur et à ce moment mon
a:ta<;ht:meat était sept ibis pius grand à cause de Sa pitië
ao8 coNfMttons
que m'inspirait la vu~e de son extrême abattement. En
apparence, cet abattement était le motif le plus puisant
de mon affection, car j'aUais quitter celle qui m'avait sauvé
la vie et cependant en réfléchissant au coup que ma santé
avait reçu, je me sentais plein de joie et d'espérance. Pour
olle, au contraire, qui devait se séparer d'une j~rsqnne.qui
n'avait guère pu l~i être utile qu'en lui témoignant une
bonté, une douceur fraternelle, Je chagrin, la terrassait.
AuMiquaud je lui donnai le dernier baiser d'adieu, elle
jeta ses bras à mon cou et se mit pleurer sans dire un
mot. Je comptais être de retour dans une semaine au.pins
tard je convins avec elle qu'à partir de la, cinquième nuit
et tous les soirs, elle m'attendrait, & six heures, au bout de
la grande rue de TitchneM, où nous avions l'habitude de
nous donner rendez-vous; j'avais pour but de ne pas man-
quer notre rencontre dans le vaste océan d'Oxford-Street.
Je pris cette précaution-~ j'en pris d'autres .je n'en oubliai
qu'une. Elle ne m'avait jamais dit et je ne lui avais pas
demande son nom de famille, détail auquèl aucun de nous
n'attachait d'importance, ou bien je l'avais oublié. C'est
une coutume générale, il faut le dire, parmi les pauvres
filles. de sa malheureuse condition, de prendre des noms
simplement chrétiens, comme Marie, Jane, Frances, et non
de s'affubler, comme les liseuses de romans à hautes pré-
tentions, de noms comme :miss Doug)as, miss Montague..
Son nom.aurait été le plus sûr moyen de la retrouver, et
j'aurais dû.m'en informer,mais je ne pensais pas qu'une aussi
courte absence dût rendre notre rencontre plus difficile: ou
plus.incertaine qu'elle ne l'avait ëte:pëndant bien'd'es se;
maines.aussij'avaissongeâpcineun instaatâ cettenëcessité-
;e.ne:l'aYais pas.mise au;nombre.d.esobjets~qui devaient
attirer notre attention au dernier moment. Mon seu! souci
était atorsde larassurer par quetques espérances, de lui
persuader combien iLetait indispensable de soigner une
yiplente toux dont eUe souffrait, et je ne.songeai à la pré-
caution dont je parle que quand i! fut trop Mrd.
O'UMMAXQttUR M'OPtUM 9t0g
Lorsque ~'arrivai au ente de Glocester à PiccadiUy, où à
cette époque, les malles de l'ouest s'arrêtaient quelques
minùMsavaht 'de sortir de !.ondres, ilét(titdë)h huit heures
et quart.. La malle de Bristol était sur le point départir:
je montai sur l'impériale. Le roulement si doux de celte
malle ne tarda pas A m'endormir. est assez remarquable
lt(
que première fois que j'ai pu goûter le plaisir d'un som-
mer réparateur, aprèsplusieurs mois, ce fut sur l'impériale
d'une diligence, lit qu'en ce jourje trouverai plutôt incon-
fortable. A ce sommeil se joignit un incident qui me fit
voir, comme un grand nombre d'autres de cette époque,
combien aisément un homme qui n'a jamaisconnu l'extrême
detreMe Mit par tui-meme, soit comme témoin immédiat,
peut passer sans s'en douter auprès d'un coeur humain où
!a bonté quelquefois, la dureté quelquefois aussi, sont pous-
sées jusqu'au bout. Le rideau que les waMt~f~ forment
audevant des traits et des expressions naturelles ù l'homme
e<t si épais, que, pour un observateur ordinaire, les deux
extrêmes et leurs intermédiaires sont confondus en un
point où le déguisement les rend neutres. Voici ce dont
il s'agissait. Pendant les quatre ou cinq premiers milles
que nous f!mes hors de Londres, }e gênai continuellement
mon compagnon de voyage en tombant sur lui chaque
fois que la voiture avait une secousse; je dois dire que si
la route avait été moins douce et mo~ns égale, je serais
tombé de faiblesse. !I se plaignant bruyamment de cet
ennui, comme, sans doute, bien des gens l'auraient fait,
mais il exprimait son mécontentement dans des termes
plus rudes que la circonstance ne semblait le permettre. Si
jel'avais quitté en ce moment-là; je l'aurais assurément
pris pour un être bourru et grossier. Je savais bien que

La mallede Bristolétait alorsla mieuxdirigéedetout le royaume,


dela route.Elle partageaitcet avantageavecla malle
grâceà l'excellence
de Bath, qui pitrcourattle mêmetrajet pendant !o5 milles.De plus
~~<Y*~)< Mi*<)*t'M~*M'<Vt«tf«ft ~KM'j.j)~p<f)<t;j!r?{!<je
BfUto).
!4
«O COKMM)0!<S

je lui ~vaia donne des motifs pour se plaindre; aussi je


m'excusai en lui disant que je ferais de mon mieux pour
ne pas me rendormir; en même temps, je lui expliquai
aussi brièvement que possible, que j'étais malade, Mffaibti
par de iongucssoutfrances, et que je ne pouvais prendre une
place à l'intérieur. A c&ttc explication, i'honttne changea
instantanément de manières. Un moment après, quand
j'eus été revente par les lumières et le bruit de Hounsiow
(car, maigre n')<~ effons, je n'avais pas tardé à retomber
danslesonxaeit), je m'aperçus qu'il avait passe son bras
autour de moi pour me préserver d'une chute. Pendant
tout le reste du voyage, il eut pour moi les petits Mias
d'une femme. Cela était d'autant plus méritoire de sa patt
qu'il ignorait que je n'allais pas jusqu'à Bath ou à Bristol.
Malheureusement, j'allai plus loin que je ne voulais. Mon
sommeil était si profond et si réparateur à cause du
grand air, qu'à une secousse inattendue de ia voiture,
causée sans doute par son arrêt à un bureau de poste, je
m'aperçus que nous étions it un endroit situé &six ou
sept milles à l'ouest de Salt-HiU. Je descendis alors; pen-
dant )a demi-minute que dura l'arrêt, mon biem'eiUant
compagnon m'engagea à m'aHer coucher sans retard.
D'après le coup d'oeil rnpidc que j'avais pu jeter sur lui au
milieu des lumières de Piccaditiy, <~ devait être un domes-
tique de connance dans une bonne maison. Je lui promis
de suivre de son conseil, quoique je n'én eusse pas l'inten-
tion, mais je devais des égards Fhommequi m'avait oMigé
si à propos, et je me mis en route pied. H devait être
près de onze heures, mais j'allais si lentement que j'entendis
l'horloge d'une maison de paysan sonner quatre heures
quand je fus sur le point de tourner pour aller de Siough
à Eton. L'airelle sommeil avaient agi ensemble pour
n! rendre des forées; néanmoins j'étais ias. Je me rappelle
une idée assez-naturelle, et formellement exprimée par un
poète romain, laquelle à ce m6ment-!a me consola
quelque peu de ma pauvreté. QuoïqUcs aeiuuittes ttu~'mtt-
C'UN MAMCKUK U'OMUM ttt

vont, un meurtre avait été commis )a LanJede Hounslow.


C'était veritabiement une lande, sans aucune ciotm-Cj qui
étendait de tous côtes, s~uf d'un seul; la vaste étendue
plane comme une mer. Je suis sur de ne pas me tromper
en disant que la victime ~e nommait Siècle, et que c'était
le propriétaire d'une plantation de lavande dans le voisi*
nage, Chaque pas de mon voyage en arricre (car je faisait
face a Londres) ma rapprochait de la ï.andc. Je me disais
oatureHement que moi et le meurtrier maudit, s'il était
dehors cette nuit-la, nous pouvions aller au-devant l'un de
l'autre sans le savoir, a travers l'obscurité. Dans ce cas, si
au lieu d'être comme je l'étais, en c<Ïet, un peu plus qu'un
vagabond,
Seigneur et maître de ma science, rien de p!ua

j'avais été comme mon ami lord Attamont, l'héritier d'une


fortuite qu'on évaluait n 3o,ooo livres de revenu, quelle
Krreur m'aurait pris a la gorge! Sans doute lord Aitamont
ne serait vraisemblablement jamais a ma place. Mais les
sens de ma remarque n'en subsiste pas moins un pouvoir
immense, de grandes possessions inspirent à l'homme une
crainte honteuse de la mort. Je suis convaincu, parmi le
plus intrépides aventuriers, combien n'en est-il pas a qui
la .pauvreté permet libre déploiement de toutes leurs
facultés ? Si au moment même où ils vont se mettre à

*î)e)'xhommesnommés Hollowayet Haggerty, furent condatnn~splus


tard commeconpabtts de ce meurtre, sur des preuvesextf~mtfn&ntdou-
teuses Leten) témoin à chargeétait un ftuicheticrdeNew~tequi avait
entendu eoMfu~m<:))t une conversation entre eux. L'impressiongcncra!e
etaitqu*ante! témoignageétait tretinsufftti) t)t.C<tteimpression!utaU6me'
Mep<f la brothere d'un légistepénétrant, qni lit rassortirla confuMMet
!'incohtren<edes charges admisespar la Cour. Ils furent cependantexe-
cutés <n<itj;tC
tout ce qu'on put faire. Un désastremeurtriercoïncidaavec
l'exécution, et coûta Ja vie à près de soixante per~onunes,à ce que je
cre!t;t!tM furent icrasM. ~r )a foute qui se e<;ffi<!tdeY.)Ht!itpoupée
d'tfxtfottpt d< ~af~onsbra;teuM~u<se tt)M:<ntpar lebras tt fomaient
))tchthtt pour M faire paM<~ejasqu'~u bas <te)< potence.Cette tragédie
fut)ott~t~mptr<gafdcepar une partie de4 badaudsde tendres co'.mneUne
pssr~cs .!t ?<!«'i'!t'<M N!s««! <!e!t!<:t«e oe !a caphate
ima CONFISSIONS
l'oeuvre, on venait leur annoncer qu'ils héritent d'un
domaine anglais qui ràpporte !o,ooo livres par an, combien s
sentiraient persister leur mépris pour les balles', et
diminuer dans la même proportion leur empire sur eux-
mêmes. I! est donc vrai, comme le dit un sage qui a connu
par expérience la bonne et la mauvaise fortune, que la
richesse est plus propre
A énerver la vertu, à en àb<ure htbarrière, fde gloire.
Qu'Alui donner la tentation d'entreprendre un projet digne
(M)iton,
P.tM~t fMc~tt~.)

Je muse autour de mon sujet, parce que ta souvenance


de ces temps est pleine d'intérêt pour moi. Mais mon lecteur
n'aura plus de motifs pour s'en plaindre, car je me hâte
vers la couclusion. En me rendant de Stough à Eton, je
m'endormis le matin pointait à peine quand je me
réveillais à la voix d'un homme qui était debout auprès de
moi. Il m'étudiait au point de )'Me~xe sans doute, pen-
dant que, sous l'influence d'une présentation aussi inatten-
due et aussi suspecte, je l'étudiais au~OtKfaeyMetMo~avec
non moinsd'intérêt. Je nesavaispasqui i~tait. Il avait mau-
vaise tournure, ce qui n'implique pas nécessairement que
ce fut un gredm si c'en était un, il avait dû penser qu'un J
homme qui dort en plein air et en hiver ne vaut pas la
Tpeined'être volé. En ce qui me concerne dans cette con-
clusion, je puis assurer à cet homme, en supposant qu'il
~e trouve au nombre de mes lecteurs, qu'il se trompait
absolument. Je ne fus pas fâché d'être ainsi dérangé, car
j'étais debout assez tôt pour pouvoir traverser Eton avant
qu'il y eut beaucoup de gens dehors. La nuit avait été
lourde et brumeuse; vers le matin, il y eut un peu de

Onobjecteraque biendeshommesauccmb)tdu pouvoiroudt la for-


tune,ont, de no4jourscommedanstoutesles époquesdenotre histoire,
été )McourtisonsaMidasdes dan~ertdu champde batai))e.Soit: mais
-cecasn'estpas celuidontje parle. Unelonguehabitudedupouvoiret de
la fortureleurenavaitémousséle plaisiret l'effet.
n'UH MANGSUtt O'OPtUM 9); 3

gdeeet!es arbres étaient alors couverts de givre. Je me


faufilai dans Eton sans être remarqué; j'entrai dans un petit
rafé de Windsor où je.me lavai et je rajustai ma toilette de
mon mieux. Enfin vers huit heures, je m'acheminai vers
l'enceinte duco!!ege,aupre5 de iaqueUeétaientbatiestoutes
les maisons « des Dames ». En chemin je rencontrai un
junior, auprès de qui je mo renseignai. Un Etonien est
toujours un gentleman; aussi, malgré la pauvreté de mon
accoutrement, on me répondit avec politesse. Mon ami Lord
Ahamont était parti pour le Collège de Jésus a Cambridge.
7~owM!$ e~Mj;M ~or/Cependant j'avais d'autres amis
aEton, mais ce n'est pas a tousceux a qui l'on donne ce nom
dans les temps prospères qu'on aime à se présenter quand
on est dans la détresse. En y réfléchissant, je demandai à
parier au comte de Desert Bien que je ne fusse pas aussi
intimement lié avec lui qu'avec les autres, je ne craignais
pas de me présenter a lui dans quelque situation que je
fusse. Il était encore i Eton, mais il se préparait aussi ,je
crois, à prendre son vol pour Cambridge. Je le demandai,
je fus reçu avec bonté, et invité à déjeuner.
Lord Desert me fit servir un repas magnifique. li me parut
tel, et même d'une magnificence redoutable, car c'était le
pre mier repas régulier, !a première« table de brave homme* >
à la quelle je fusse assis depuis des mois. Chose étranger
dire, je pus à peine y toucher. Le jour où j'avais reçu ma
banknote de dix livres, j'étais entré chez un boulanger~
et j'y avais acheté deux biscuits j'avais pendant plusieurs.
semaines passé et repassé devant cette même boutique-en
y jetant des regards avides, dont le souvenir m'humiliait.
Je me rappelais une histoire que je considérais alors
comme fausse, à propos d'Otway, et je craignais qu'il
J'avaisconnutordD:s:rt,a!n6d'unetrès nombreusefamille,quetques
année!auparavant,~r~qu'itportaitlenomdetordCasïtccuffe. Cnnettsit
le nomdefamiOe, ;ecroi<qu'elletiraitsonorigined'unepersonnequi
présentequ€)qu& intérêt historiqueun Cunequi fut secrétairedumat-
heureuxco'nttd'Essex.toriquecelui-ciserévoltadeioyatement contrete
j;odvtfhttneutde!afetneEit'xbtin..
«4 CONy)Mt)<M«.
n'y eut quelque danger à manger trop vite. Mais jt !<
craignfus tort mon appétit avait entièrement disparu,
et j'éprouvait du dégoût pour toute e~pece de nourriture.
Cette répugnance à manger d'un plat quel qu'il fût, persista
pendant plusieurs temainet. D.u!<:ce<te ocension.~ à la table
de Lord Desert, je ne me trouvai pas mieux qu'it l'ordi-
naire, et je n'avais aucun uppétU au milieu de cette
abondance. J'avais eu, <*utout temps, un goût malheureux
pour le vin; j'expliquai donc mon état & Lord Désert, je
lui ~s un récit sommau-c de cc que je \onai$ d'endurer il
raccuoUHt avec une vive expression de sympathie, et Bt
venir du vin. Cela me causa un soutagement immédiat,
et un plaisir encosMf; au!&<, toutes les fois que j'en ai eu
l'occasion, je n'ai jamais manque de boire du vin. I! est
certain que cette disposition à boire du vin devait entre-
tenir et aggraver ma maladie, car la tonicité de mon
estomac avait tout à fait disparu, a ce qu'il semble; mais
un régime piu& raisonnable ~aurait t'.dt renaître plus tôt
peut-être-et d'une manière complète. Je m& plais à croire
que ce ne fut pas l'amour du vin qui me retint dans le voisi-
nage de mes amis d'Oxford je me persuadai que mon
retard vint alors de ma répugnance m'adresser à Lord
Desert. Je savais que je n'avais que peu de- droits à son
aide, pour obtenir de lui le service particulier pour lequel
je-m'étais rendu à Eton. Mais je ne voulus pas avoir fait
un voyage inutile, et je hasardai ma demande. Lord Desert,
dont la bonté était sans bornes, et qui la mesurait, en ce
qui me concernait, à la compassion qu'il éprouvait pour
ma situation, et à la connaissance qu'it avait de mon inti-
mité avec plusieurs de ses amis, p!u:ôt qu'à une enquête
minutieuse sur l'étendue de mes droits directs, montra de
l'hésitation à. me répondre. Il avoua sa répugnance, a
entrer en relation avec les prêteurs, et craignit qu'une
telle démarche n'arrivât à la connaissance de ses parents.
J&t phs, U dcstsM que s: sipKHurc~ ct?nt <yun homn':?
dont les espérances étnientsi infsneuresâceUesd.e.soa.
h'UMMAMtMttM'CPtUM s
cousin, fût acceptée par mM amis les tn~dèles. Mais il ne
voulut pas, sans doute, ma morutier par un refus peremp-
toire et absolu, car, après avoir un peu réfléchi, et précisé
certaines conditions, il me promit sa caution. f.ord Desert
n'avait alors que dix'huit ans; nuus souvent depuis, me
rappelant combien il avait su combiner le hon sens et la
prudence, avec )a poiites~e, qui chex lui était einhettie
d'une franchise juveniie, je me suis demande s'il y avait
un homme d'Eta! (si accompli, si exparimente qu'H fut en
diplomatie) capable de se conduire nn~ux qu'il le lit dans
de tettes circonstances.
Réconforte parsaprofnease, qui, same:ie~c qu'H y ttvnit
de mieux, dépassait de beaucoup tes tri'.tes pre\ iaior)S que
je toetais
t~'tatis iaites,
faites, }e liris lele coclae
je pris coche de Windsor et revins ni3
de ~'l'indsor
Londres trois~ours npres l'avoir quitté. Me voici à la fin de
mon histoire. Lcs.!uifsu'agreùrentp:'s!esconditionsdc Lord
Desert. ou le prétendirent. Je ne sais s'ils n'auraient pas
fini par les accepter et s'ils ne voulaient pas s"S"cr Au
temps pour faire une nouvelle enquête. U y eut d'autres
retarda, ie temps passa,. le dernier reste de ma banknote
s'en alla, et, avant que l'aHairecutete conclue, j'allais
retomber forcément dans ma premiera détresse. Tout à
coup, à.ce moment critique, une occasion sa présenta pour
me réconcilier avec mes tuteurs; elle fut toute fortuite. Je
ma hâtai de quitter Londres pour retourner au Prieure;
quelque temps après j'en sortis pour aller à Oxford, et ce
fut seulement plusieurs mois après que je fus en mesure
de revoir l'endroit qui était si intéressant pour moi, et qui
l'est encore aujourd'hui, commeayant été le théâtre princi-
pal des souffrances de ma jeunesse.

En amendant, qu'était devenue Anne ? où était-elle ? Kn


quel endroit sétait-elle rendue? Selon nos conventions,
je la cherchai tous les jours, je l'attendis toutes les nuits,
durfuM t*t<Ms4~r& Lcs'h'e:, sa eo~ds h: ne TK=hScM a
pendant les derniers jours que je passai à Londres~ j'em–
9U& COttMMHOWt
ployai tous les moyens qui étaient en mon pouvoir, tous;
ceux que me suggérait ma connaissance de la ville, tous
ceux qui étaient dans le cercle bien étroit de mes ressources,
pour retrouver sa trace. Je savais dans quelle rue e!)e
logeait, mais j'ignorais damsqueUe mai<on je.me souvins
enfin de ca qu'elle m'avait raconté sur les mauvais traite-
ments que lui faisait subir son logeur, et j'en concluais
qu'elle devait avoir quitté ce domicile avant notre sépara-.
tion. Elle connaiinait peu de monde en outre la vivacité
des questions que se faisait à son sujet portait les gens h
rire des mot!hqu'i!s me supputent. D'autres, s'imogtnant
que je coùrais après une fille qui m'avait volé quelques
menuesbegate)!es, étaient ptntôt, comme cela se conçoit et.
s'excuse, dispo<n~me taire ce qu'ils savaient, si même i!s
savaient quelque chose. Finalement j'eus recours, en deses-
poir de cause, à un dernier moyen te jour où je quittai
Londres, je donnai mon adresse au Prieuré à la seute per-
sonne qui connût Anne de vue, pour avoir été une fois ou
deux en notre compagnie. Tout fut inutile. Jusqu'à présent
je n'ai pas entendu un mot sur elle. De tous les chagrins
qui peuvent fondre sur un homme au cours de la vie,'
aucun ne m'a été plus lourd à porter. Si elle était vivante,
certainement nous avons été bien des fois à la recherche
l'un de l'autre, au même moment, à travers l'énorme laby-
rinthe de Londres peut-être n'avons-nous été séparés que
par quelques pieds, – il n'en faut pas davantage, à Londres,
pour aboutir à une séparation éternelle 1Pendant plusieurs
années, j'espérai qu'elle était vivante qu'on prenne le mot
de myriade non dans le sens figuré, mais littéral pendant
mes passages à Londres, j'ai regardé en face des myriades
de visages féminins, dans i'espoir de retrouver Anne. Je la
reconnaîtrais encore entre mille, même en. la voyant un
seul instant. Belle! elle ne l'était pas; mais il y avait une
si douce expression dans ses traits, elle avait un si joli
port de tête! Jel'ai cherchëe,:commeje l'ai dit, avec l'es-
pérance de !a trouver: ii enfut ainsi pendant des années;
n'us t«~«tm c'CMUM aiy

Mais aujourd'hui, ~e f<khM!<wr~de la voir et ia toux qui


me faiMit souffrir qutted je ta qutK«4 est aujourd'hui ma
consolation. Maintenant je ne désire plus la voir j'ai plus
déplaisir à me la représenter couchée depuis longtemps
dans la tombe, dans la tombe de Magdeteine, comme je
t'espère, disparue avant que les affronts et les cruautés
aient souillé et corrompu son caractère iag~nu, avant
que la brut'uitë des rufnans tut achevé la ruine qu'île avait
commencée.

Oxford-Street, marâtre au cœur de pierre, qui entends les


sanglots des orphelins, et bois les larmes des enfants, enfin
je t'ai quittée, enfin le temps est venu où je ne promènerai
plus mon angoisse sur les trottoirs interminables, ou je ne-
serai plus ni dans mes rêves, ni dans ma veille, en proie
aux tortures de la faim. Anne et moi, nous avons sans
doute des successeurs trop nombreux qui foulent nos tracer
et ont hérité de notre misère d'autres orphelins, après
Anne, ont sanglote, d'autres enfants ont versé des larmes,
et toi, Oxford-Street, sans doute tu as depuis fait écho aux
murmures d'un nombre infini de coeurs. Quant à moi,
me semble cependant que l'orage auquel j'ai survécu ait été
le présage d'une longue période de beau temps, que mes
souffrances prëmaturéesaient étéacceptéescommelarancon
de bien des années a venir. Lorsque depuis je mepromenais
à Londres en homme contemplatif et solitaire, comme je
l'ai fait bien souvent, j'éprouvais le plus ordinairement un
sentiment de sérénité et de paix intérieure. Sans doute les
'souffrances de mon noviciat à Londres ont jeté dans ma
constitution des racines si profondes, qu'elles continuent à
percer, à fleurir encore, à produire une ombre malfaisante,
et à répandre une nuit profonde sur mes dernières années.
Ma'< ;e? n'vMMx assauts de la douleur ont été reçus avec
un courage toujours croissant, et fortifié par les ressourcés
~<8 COtOf~MMOM~

d'une intelligence plus caOM. Elles ont été <ou!<jite« par


une amitié, une sympathie dont je ne saurait exprio~r la
tendresse et !t profondeur.
Ainsi, quels que fussent les adoue~sementt que je ren-
contrai, bon nombre des annJes qui suivi~MM ratta-
chèrent !e! unes aux autres par le" HeM tabtik d'une
soutfrance qui avait toujours tes mêmesracines. ici je note
un trait qui prouve combien, dans nos d~Mf~ nous avons fa
vue courte. Lors de mon prcn~ter et pénible 5<)'Mr il
Londres, quand les nuit~ étaient claires, mn consohnion, si
l'on peut lui donner ce nut)~ t:t.ut d'<er ù Oxford-Strect.
et contempler de là les avenues qui « succèdent depuis le
centre de M<fyiebone )usqu'i< etmpagna et aux ibret$.
Car, nie disais-je, en promenant mes regards le long des
perspectives infinies dont ua c~é était éclairé et l'autre
obscur, voilà la route qui caéae vers le Nord, et par con-
séquent a et M;'avt!< t<t ailes de la colombe, c'est là
que je m'envolerais pour trouver bonheur. Voità ce
que je disais, ce que )e desirais dans mon aveugtement.
Et pourtant c'est )u<Mfn<nf daa< cette région du Nord, dans
cette même vallée, e't« justement dans cette maison ap-
pelée par mes desift trompeurs, que mee sounrances repa.
rurent et menacèrent de nouveau d'emporter la citadelle
de la vie et dertMptraoce. C'<tstlà que, pendant desannées,
je fus poursuit p<tr de<vi)nont auMth&rnMes, des fantômes
aussi extractif<Mea!ret que ceux qui hantèrent is couche
d'Oreste..Moe malheur surpassait !e sien, car-le sommeil
qui apport tous un répit et des forces, et qui agissait sur
lui surtoe< commeun baume divin pour son cœur malade
et son ctrVMu hante* ne me visitait que pour m'apporter
un redombiemenKie~sottffMnee.Aussi j'étais aveugle dans
mesdeair~ Mais ie tn&mevoile qui s'étend devant la vue
co~neét trouble de l'homme- pour lui cacher ses malheurs
fut)t7<, ttti ta cache aussi tous les adoucissements, et un

*<ft:wG'CW~ 3~Y~C!0-~S'JpO~~M)t
P'UMMAMOKm
D'&PtUM a)~
ma! qui a'< pas été prévu par la erdinta )reneontre des con-
solations inespérées. Aussi, moi qui éprouvais les mêmes
troubles qu'Orestc, excepté ses remords, je ne trouvât pas
moinsdesoutien que lui. Mes Kumëniue: comme les siennes,
se tenaient au pied de mon lit et me regardaient fixement H
travera les rideaux, mais mon Etectx! était assise et vclli.ut
a mon chevet, se privant de sommeil pour me tenir com-
psgnie'pendant les longue! heure:: de h\ nuit. Car c'est
toi, bien-aim~e M" chère compagne de mes dernières
années, c'est toi qui ftis mon Ktectrt:, et soit par hmobie~e
de ton esprit, soit par la durée et le dcvouemont Je ton
affection, tu n'as pas voulu qu'une steur grecque surpas~t
une épouse anglaise. Car tu accomplissais sans y son~r les
humbles tâches de la bohte, et les servîtes soins de i'atïec-
tion la plus tendre', comme d'essuyer de mon front pen-
dant des années !es matsaine! sueurs, ou de rafraîchir mes
lèvres crispées et brûlées par !a fièvre. Et quand ton propre
sommeil,enfin, par une longue et sympathique contagion,
avait été troublé par le spectacle de mes abominables que-
reUes avec les fantômes, avec lcs ombres furieuses qui me
disaient: < Tu ne dormiras plus alors même :u ne laissas
échapper ni une plainte, ni un murmure, tu gardas ton
angélique sourire.tu restas fidèleà ta tache d'amour, comme
l'Electre antique. Car clle aussi, bien qu'elle fût Grecque,
et la fille du roi des hommes i, c!Ie pleura quelquefois et se
cacha la figure sous un pli de son vêtement.
Mais ces agitations ont cessé, et tu liras ces récits d'une
période qui fut si douloureuse pour nous deux comme la
légende de quelque songe hideux qui ne reviendra jamais.
Pendant ce temps je suis a Londres, je parcours de nouveau
les trottoirs d'Oxford-Street. Souvent, accablé par des
inquiétudes qui ne seraient supportables que grâce à toute
ma philosophie et à ta présence secourable, je me souviens

~3uSo'~eujjt!):(Eurip. Oreste)
~'Â~~5pM'&Y:tS;J~M-~
390 COKFMStOtS D'UN MANÛKUR B'OPtUM

que je suis sépare de toi par la distance de trois cents milles


et par la longueur terrible de trois mois; je considère, par
les nuits claires, les rues qui vont d'Oxford-Street vers le
Nord; je me souviens de ces nppe!s que dans ma jeunesse je
jetais avec angoisse, je songe que tu es assise seule dans
cette même vallée, que tu es maîtresse de cette même mai-
son où mon cœur égare s'envciait il y a dix-neuf ans. -Ils
étaient aveugles, ils sont.aujourd'hui dispersés par les vents
du passe, les appels de mon cceur, et quoiqu'ils aient eu
un autre but autrefois, je puisses répéter aujourd'hui en
leur donnant un sens nouveau. Si je pouvais retoufner aux
impuissants désirs de mon enfance, je me dirais encore à
moi-même, en regardant vers le Nord < Oh que n'ai-)e
les ailes de la colombe x Ht avec qu)!!e juste confiance
dans ta bonne et charmante nature je pourrais ajouter !n
seconde moitié de mon cri.: '< Et que ne puis-je m'envoler
vers ce bonheur'! a

"0{t~m8:? :~M T:H!~M~. Tout )tUt&~err*que dans cet endroit


je fais allusionauxpr<mi~rM sc~ne~d'Orne, unedes plusbe))tt expres-
slonsdes<f!ti:tion!!
de famillequ'onpuissetrouverdans Huripide.M.!is
il est nécessaire
d'apprendreà un keteur peu instruit,qu'au d~butdela
pièce,lasituation'estcelled'unfrèrequin'a pas'd'autresecoureque celui
de sa soeorpt')dtnt!e5ha))ucinati"'s d)abot)qutt~oqu~e;p~runecons-
ciencemalade,ou, selonla mythotu~ie par )t:sFuries.De
tht'Stro!e,hantc
p)nsil est exposéà un dangerim.)).t.atde la part de sesennemis,alors
que ceuxqu'iln&nttne sesamisf'ttb.i.tdonttfat
ou ne )tUmont)<;nt que de
a fro!denr
LES PUUSIRS DE UOP1UM

Le jour ou je pris de l'opium pour la première fois est


si éloigné, que j'aurais pu oublier sa date, si ce fait avait
été dans ma vie un incident sans importance. Mais les éve.
nements décisifs sont inoubliables les circonstances qui
accompagnèrent celui-ci me permettent de le rapporter à
l'été ou à l'automne de t8oo.A cette époque j'étais à
Londres; où je revenais pour la première fois depuis mon
entrée à l'Université. Voici quelle fut cette occasion. J'avais
gardé de mon enfance l'habitude de me baigner la tête dans
l'eau froide au moins une fois par jour. J'éprouvai une crise
soudaine de mal de dents que j'attribuai à l'interruption
momentanée de cette pratique; je sautai à bas du lit, je
me plongeai la tête dans une cuvette d'eau froide, et je me
recouchai les cheveux encore tout humides. J'ai à peine
besoin de-dire que le lendemain je me réveillai en proie
aux atroces douleurs d'une névralgie rhumatismale de la
têteet de !à ~ace, qui ne me- laissa aucun répit pendant
vingt jours. Le vingt-unième, je crois, c'était un dimanche,
~?ortM dans la rue, plutôt pour échapper à mestortures,
si c'était possible, que dans un but déMnt. Je rencontrai
par
M3 !.ïS ft.A)S)K!! UK)L.'OP)UM
hasard une personne que j'avais connue au eoUe~c, et qui
me conseUla l'ûpium. Opium) 1 terrible cause de voluptés et
d~ douleurs sans nom. J'en avais entendu parler comme de
la manno ou de l'umhrnisie, je n'en savais rien de plus. A
cette époque c'était pour moi un mot insignifiant. Ht main-
tenant quelles cordes solennelles il fait vihref dnn~ mon
ceeur 1 Quel tromblement de terre produit des secoures
comparables à celle qu'excitf en moi ce mot parles sou-
venirs de tristesse ou de bonheur qu'il évoque? Quand je
ma'reporte un instant ù ces cluses, je sens une impor:nnc.
mystique s'attacher aux plus minces détails relatifs a l'ft)-
droit, à l'heure à l'homme (était-ce bien un homme?) qui
m'ouvrirent pour la première fois le paradis des mangeurs
d'opium. Ce fut par une humide et mctancoHquc soirée
d<: dimanche, et cette terre sur laquelle nous marchons
n'offre nulle part un aspect plus sot qu'a Londres par un
dimanche pluvieux. Pour me rendre chez moi, il m<:fillctit
parcourirOxford-Street. Près dû t' « important Panthéon ¡
comme M. Wordsworth a eu ta. hatuc de l'appeler, j'aper-
çus une boutique d'apothicaire. Cet apothicaire, cet incons-
cient dispensateur d<:s voluptés cctestet, avait comme pour
être en harmonie avec le temps pluviaux, une figure aussi
sotte, aussi stupide qu'on peut s'y attendre un dimanche
pluvieux à Londres de la part d'un apothicaire qui appar-
tient à la race des mortels. Quand je lui demandai de la
teinture d'opium, il m'en donna, comme l'aurait fait le prc-
mier veau. Bien plus, il me rendit sur:mon shilling un
objet qui avait tout à fait l'apparence d'un demi-penny ea
cuivre, et il le prit dans un tiroir qui était remuement en
bois. En dépit de toutes ces circonstances qui indiquent
qien un individu humain, il m'est toujours,apparu dans la
vision bëatiHque d'un apothicaire immortel, envoyé sur
terre avec une mission qui me concernait ~exclutivement.

11n'est que juste de dire que Wordsworth parie de l'intéheur; on


tQNit grand Mtt de le ja~tï par le dth&rts!mp)eet an qa'i) pre!<me,ou
~<'i*int! <CA{~ra*Stfet;.
r.<S~t.A)!!<MM!'t1f)U~t :a3
.J
Ht ce qui me confirme duM cène manière de le concevoir,
c'est qu'A mon retour Londres, je passni de nouveau près
de l' important Panthéon x, je cherchni mon homme, je
ne te trouvai pns. Donc, pour moi qui ne ~onnaissnis pns
son nom (en avait-il. un?) il semblait qu'il se fût évaporé
d'Ox!brd-Street; impossible qu'il se fut envole dans un
au!M endroit, ou, comme pourrait l'insinuer un serrât,
qu'il se cachat pour ne rien payer. !.<:lectcur j,'our«t ne
voir en lui qu'un apothicaire sublunaire; celn est possible;
ma croyance à moi est d'un ordre ph)s élevé, et je pente
qu'il s'est évanoui eu évaporé t. Tant je suis peu dispose à
voir des'.ouvenirs humains autour de l'heure, du lieu, de
l'ttM qui me firent <:onna!tfe la substance céleste.
On peut croire qu'arrivé chez moi je ne perdis pas une
minute pour en pron-ire la quantité rccommHudec. J'étais
forcément novice da;is tout fart et !s mystère de l'usnge
de l'opium, je le prii dans les conditions les plus dcfnvo-
raMeS,mais enfin ;& le pris. Kt une h~ure après, -– ciel l
Quel changement Que! révolution t comme mon esprit fut
rcvei!tc jusqu'en ses dernières profondeurs Qne!!e apoca-
lypse d'un monde entier se déploya en moi '~ïessouiïrances
m'aient disparu: mais c'était it mes ycu\unc <ti!)e. Le
résultat 'né~anf émit per<u dans l'immensité des effets
positifs qui s'étaient réalisés devant moi, dans l'abîme de
volupté divine qui s'était soudain révélé. C'ctnit bien une
panacée, un ~~pjjtaxM ~K~B~ (remède qui ena':e 'toute
trace de souci) pour toutes les souffrances humaines c'était
le secret du bonheur, et cesecrct, surleque! lesphilosophes

~f~Ko«/ ot<A'~or~. Cettetnatrercde quitterla scènedece monJe


paraitavoirété fr&.).)tn:e au dix-Mpti~nest~c'e.tn;ti!i.eUeétait, ce
qu'itsemble,le pfivi!èf:edt!<personneste race royale,et n'x jamaisété
aecordceaux apothicaires.En effet,en !6S6,un pette dontle nométait
de.tristeaognre.et qui,di&om-ictnpit'uutnt,l'a an)p)<nttn{jtMt'S~,t;n
nomméF)a<mon (plat)tn patent de lamort de Charles exprimeton
étonnement qu'utt princecommetteunesottisecommecellede mourir.
Eneffet,dit M.f)~tmtn,les roisdevraientdédaignerdemourtr,tt p!Mot
lüSrsruittt.3icdlvs~ia~t
~tM'~M&M. !t< attttit'tt <«!
a~a-siltri4 iw~iEiw1_i.:
)'?'<'(4*e* i'.»~w,
!B* ~f.. StM~,t-~s
s'entend).
!~4 LtS pmStKS PR LQPtUM

ont discuta pendant tant Je siècles, se dév~i'Kittout coup.


Désormais le bonheur s'achèterait un penny; oa le tran~
porteraitdans une poche de son habit; desextases portatives
pourraient être enfermées dans une bouteille d'une pinte
et la paix de l'esprit t'expédierait par la diligence.
Disons d'abord un mot sur sesenetR corporels. D'ailleurs,
à tout ce qui a été écritjusqu'a prescntau sujet de l'opium,
soitpar des voyageurs en Turquie keux-ei peuvent alléguer
le droit de mentir qui leur est reconnu depuis un temps
immémorial) soit par des professeurs en médecine qui su
prononcent M' M/n!, je n'ai qu'une réponse à faire,
mais eUe est abtoiue Absurde 1 Je me souviens qu'un
jour, passant devant un étalage de librairie, je tombai sur
une page d'un auteur satirique où je lus ces mots <'Depuis
cette époque, j'ai acquis la certitude que les journaux de
Londres disent la vérité au moins deux fois par semaine,
savoir, le mardi et le samedi et qu'on peut s'en rapporter
à eux, c'èst lorsqu'ils publient la liste des banqueroutes. »
Pour les mêmes raisons, je me garde bien de nier qu'on ait
appris à l'Univers quelques vérités relatives à l'opium.
Ainsi, les savants ont insisté sur ceci que l'opium est de
couleur brun foncé. J'accorde cela, remarquez-le. Ils ont
dit,.de plus, que l'opiumest assezcher; j'en conviens égale.
ment, car de mon temps, l'opium des Indes-Orientales
coûtait trois guinées la livre, celui de Turquie en coûtait
huit. Ils ont dit, en troisième lieu, que si vous en prenez
une grande quantité, il faut vous attendre à un accident
désagréable pour un homme quia des.habitudes régulières
cet accident, c'est de mourir-*

Lemardiet le-samedi. Les;ours où la Ga~fe parait(ou p:Mi9<


Cepointparatt avoirété contesté des savantsfont r~i-ent!).
H
Mftteune con!r:f<;onde )a ~r~<ff«cpar
~M~<~)«'de BuctMn.Je JaY3
derni~rtmententre )Mmainsd'unefermièrequi y paiMitdes notions
rehtivet& MMate.L'ony faisaitdireau docteur Hf,)utse garderde
prendreenuneseulefoisptnsde vingt-cinqoncMdeitudtnam; )iMz:
?!"<< vV!!}gt.sq~ssKK,
,~rétin-ws qcxstMqa*s t!f~
î.,y·Ga. ~»itMt'ÿC.i.y Mmote<;mvt]MM
1
t.KS )'t.A)SH<S DK L'<MWM ~a~

Ces assertions importantes sont vraies, en somme et en


de<ai!, je n'hésite pas a l'avouer la vérité fut et sera
toujours digno de respect. Mais estime qu'en ces trois
théorèmes sont renfermées toutes les notions certaines q ~e
l'homme a réunies au sujet de l'opium. Aussi donc, respec-
tables docteur: puisqu'il paraît y avoir de la place pour de
nouvelles découvertes, asseyez-vous, et permettez-moi de
me présenter pour faire une leçon sur ce sujet.

En premier Heu, il n'y a pas autant d'unanimité qu'on le


prétend, sur le point que l'opium pris exprès ou par acci-
dent produit ou peut produire l'ivresse. Soyez certain, léc-
teur, d'aprèsmon expérience personne!!e,que )amaisau<une
quantité d'opium n'a produit et ne peut produire cet effet.
La teinture d'opium connue sous le nom de laudanum
enivrerait certainement si l'on pouvait en ingérer une assez
grande quantité,.mais comment? parce qu'ellecontient une
fort proportion d'esprit de vin, et non parce qu'il y a tant
d'opium dans sa composition. Quant à l'opium en nature,
je l'affirme péremptoirement, il est incapable de mettre
l'organisme dans l'état causé par l'alcool la différence ne
porte pas sur l'intensité, mais jwr M<ï<;<rede leur effet.
Le plaisir que donne le vin suit toujours une marche ascen-
dante, et tend vers une crise après laquelle il diminue rapi-
dement celui que procure l'opium, des qu'il s'est montré,
reste stationnaire pendant huit ou dix heures. Empruntant
it la science une distinction, nous dirons que dans le premier
cas, le plaisir est aigu, que dans le second, il est chronique.
L'un est un flamboiement, l'autre une lumière égale et
tranquille. Mais ce qui les distingue le plus profondément,
c'est que le vin met le desordre dans les facultés intellec-
tuelles au contraire, l'opium pris convenablement, intro-

à un grain d'opium en nature. Mais l'opium varie énormémentdans sa


puretéet sa force;ilenest par conséquentde mêmede la teinture d'opinm.'
Aussi la plupart des-amateurs que j'ai connus faisaient bouillir leur
<'p;uja,a&!K~ecan6tr.
t5
~6 !.K;M.A!mSMt.'Qp)UM

duit en celles-ci l'ordre le plus délicat, la règle, l'harmcnie.


Le vin fait perdre à l'homme son empire stw lui-même,
l'opium renfonce cet empire.. Le vin agite le jugement,
donne un éclat extraordinaire, un exagération bruyante
dans l'expression des sentiments de mépris ou d'admirh-
tion, d'amour et de haine chez le buveur; l'opium, au con-
traire, produit la sérénité, l'équilibre entre toutes les
facultés actives ou passives. En ce qui concerne le carac-
tère, ou les sentiments moraux en générai, il se borne
à leur donner cette sorte de chaleur vitale qui est approu-
vée par la raison, et que nous posséderions sans doute, si
nous avions eon~rve laconstitutiom corporelle des hommes
primitifs ou antédiluviens. Ainsi l'on peut dire que l'opium,
comme le vin, donne plusd'expansionau cœur et aux senti-
ments bienveillants, mais alors même il y a une différence
remarquable dans le développement soudain de cette ten-
dresse de cœur qui accompagne l'ivresse, il reste toujours
plus ou moins de ce caractère de buveur d'apparition pas-
sagère qui nous expose par lui-même au mépds des assis-
tants. L'on prodigue les poignées de mains, les sarments
d'éternelle amitié, l'on fond en larmes sans que personne
sache pourquoi, et la créature sensuelle 'se manifeste
librement. Mais l'expansion de sympathie qui survient
sous l'influence de l'opium n'est pas un accès de nèvrc,
paroxysme passager;. c'est un retour salutaire à l'état
que l'esprit- reprendrait naturellement quand aurait
disparu une irritation douloureuse qui aurait profondé-
ment pénétré en-nous,.en y portant le trouble et y mettant
aux prises les impulsions d'un cœur qui était par lui-même
juste et bon. Il faut convenir que jusqu'à un certain
point et chez certains hommes, le vin a aussi le pou-
voir d'exalter et de fortifier l'intelligence. Mot; qui n'ai
jamais été un grand buveur de vin, j'ai éprouvé qu'une
demi-douzaine de verres agissaient avantageusement sur
les facultés, donnaient de l'éclat et de la force a la con-
science, et à -l'intelligence la. sensation d'etre-ye~f!~
!.M Pt.A)S)RSDK t.'OMUM ~ty
~M sui. Rien n'est plus absurde que ~'exprcs~~o)~ com-
mune suivant laquelle un homme ivre n'est plus /M<-n!CM!p.
Au contraire, c'est dans l'état de sobriété que les hommes
se déguisent et se rendent absolument méconnaissables, et
c'est sous l'influence dela boisson qu'Us so manifestent avec
leur vraie caractéristique, ce qui est tout Io contraire d'un
déguisement. Disons-le encore le vin conduit toujours
l'homme à lu marge de l'absurdité et de l'extravagance, et
au delà d'une certaine mesure, il a pour sûr cnet de volati-
liser, de disperser les énergies intellectuelles, tandis que
l'opium semble toujours faire succéder le calme audcsordrc,
la concentration à l'eparpillemant. Pour tout dire en peu de
mots, un homme qui est ivre ou qui tend vers l'ivresse, se
trouve et sent qu'il se trouve dans une condition qui donne
la prépondérance a la partie purement humaine, et trop
souvent la partie bestiale de la nature, tandis que le man-
geur d'opium, – j'entends celui qui est simplement sous
son innuence, et je suppose qu'il se porte bien, sent
s'exalter en lui la partie la plus divine de cette nature,
c'est-à-dire que les affections morales jouissent en lui d'une
sérénité sans nuage sur laquelle plane la grande et majes-
tueuse lumière de l'intelligence.
Telle est la doctrine que professe au sujet de l'opium la
véritable Eglise, dont je prétends être le véritable Pape,
infaillible par conséquent, e~lelegat a~fcre qui s'est dési-
gné lui-même pour tous les degrés de latitude et de lon-
gitude. Mais je dois rappeler ici que je parle d'après une
expérience aussi longue qu'approfondie. Au contraire, la
plupart des auteurs incompétents 1 qui onitraité de l'opium,

Parm! les innombfabies voyageursqui ont prouvé, par les sottises


qu'ils ont dites, qu'its n'avaient jamais eu 'de rapports personnels.avec
l'opium, il en est nn contre lequel je dois mettre tout spécialement mes
lecteurs en garde: c'est)e brillantauteur d')MM<Mt';M. Cet écrivaina tant
d'esprit, qu'on serait tenté dei: prendre pour un mangeurd'opium,mais
il est impossiblede )e reconnaitrepour tel quand on voitquelledescription
pitoyablefait de seseftets, aux pa~es tt~-ztydeson premier YCJume.
Cette inexactitudedoit ette évidente poar l'auteur tui-meme,s'i) y r~(!s-
<ts8 L):Sft.A!StRSDE!OP)UM
J1'I'"
et même de ceux qui en ont parlé ex yrft/fMo dans des ou-
vrages sur la matière médicale, prouvent, par l'horreur

qu'ils expriment à son égard, que leur connaissance expé-


rimentale de ses effets est parfaitement nulle. Je confirmerai r

pourtant avec candeur que j'ai rencontre une personne qui


rendait témoignage au pouvoir enivrant de l'opium, et que
cela fit chanceler mon incrédulité en effet c'était un chi-

rurgien il d'opium à cause d'une maladie


prenait quantité
extrêmement douloureuse qui avait son siège localisé dans
un seul organe. Cette affection était une inflammation
subtile, non aiguë, mais
chronique, qu'il avait combattue,

je. crois, pendant plus de vingt ans; il avait remporté la

victoire, si toutefois c'est vaincre que de se rendrelavietolé-


rable et de maintenir sur un pied respectable une femme
et des enfants qui ne pouvaient compter que sur lui'. Il

chit, car sans compter les erreurs que j'ai combattues dans mot texte, tt
d'autre; erreurs qu'il adopte complètement, i! reconnaîtra iui-meme ceci
le vieux gentleman & barbe Manche 'qui man~e de i'opiufn & haute do~
est néanmoins en état de lui donner des conseils fort clairs et fort per.
suastfssur les funesteseffets de cette habitude. Cela ne prouve nullement
que l'opium cause une mort prématurée ou peuple les maisons de foui:.
Quant à moi, je lis dans l'àme du vieux gentleman, et j'aperçois ses
motifs: il était amoureuy du petit récipient en or où Anastasius con-
serve la pernicieuse substance et !i ne voit aucun moyen plus com-
mode ou plus court de s'en emparer, que de mettre le possesseur de
l'objet hors de son bon sens. Cette interprétation jette un jour tout nou-
veau sur le cas en question, et donne plus de valeur au récit. Le discours
du vieux gentleman, entant que leçon de pharmacie, est absurde, mais
comme tendant & berner Anastasius, c'est un modèle du genre.
Ce chirurgien fut le premier qui m'avertit que 1'opium variait d'une
manière dangereuse par suite de son mélange dans des 'proportions
impossibles prévoir, avec des impuretés. Certainement un homme que sa
profession avertissait du danger d'une habitude factice de )'opium employa
au delà de ce qu'exigeait sa souffrance, un hommequi tremblait, à chaque
instant, de voir ses pauvres enfants plongés dans la détresse par un excès
de sa part, voyait la nécessité de réduire à un minimum la dose journa-
tiere. Mais pour ce)a, i) fallait arriver à doser opium, non pas d'après
la quantité apparente qui indiquait la balance, mais d'après la
quantité vinaeHe'qui restait, déduetton faite d'un poids variable de
matières étrangères. Ceta était un problème fantastique, dont la solution
était impossible; aussi fallut-il !e poser en d'autres termes. t) n'était ptus
question de mesurer les impuretés, car, combinées et unies aux parties
actives de l'opium, elle échappant à une appréciation. Séparer, éii.mner
LES PLAISIRS DE t.'OPtUM M()
m'arriva de lui dire, ainsi que je l'avais appris, que ses
ennemis l'accusaient de mettre des sottises au sujet de la
politique, et que ses amis l'en disculpaient en suggérant
qu'il était toujours sous l'influence de l'ivresse causée par
l'opium. « L'accusation, lui dis-je, n'est pas absurde yt'nMft
/<tCM,mais le plaidoyer l'est. » Mais, a ma surprise, il appuya
en disant que ses ennemis et ses amis avaient également
raison. « Je maintiens que je dis des sottises, me répondit-il,
de plus je soutiens que ce n'est pas de parti pris, ni dans un
but intéresse, mais purement et simplement, purement et
simplement, purement et simplement, rcpeta-î-i! encore,
parceque. je suis ivre d'opium, et cela tous les jours a. Je
répliquerai que l'accusation formule par ses ennemis
paraissant établie par des témoignages respectables, puisque
les trois parties en convenaient, je n'avais plus à m'en in-
quiéter, mais quanta la défense, j'hésitai encorcàl'admettre.
11 se mit en devoir de discuter sur ce sujet, et d'aligner ses
raisons, mais il me semblait impoli de débattre un sujet en
prenant pour point de départ une erreur que cet homme
aurait commise sur une question de son domaine profes-
sionnel. Aussi je n'insistai pas, lors même que ses arguments
semblaient suggérer des objections. Du reste,un
hommequi
difdes sottises, sans même « avoir un intérêt à agir ainsi
ne saurait être un partenaire fort agréable dans une conver-
sation. J'avoue cependant que l'autorité d'un chirurgien,
qui, de plus, passait pour habile, peut paraître d'un plus
iM parties impures ou inertes, tel était te but a atteindre. Il y arrivapar
une manier: particuticre de faire bouillir l'opium. Cela fait, le résidu
était d'âne force constante,et les dosesjournalièresetaien: assez facilesfi
déterminer.Dix-huit grains formèrentsa ration journalière pendant bien
dMxanëes.En langagede clinique, dix-huit grains font dix-huit fois
v)nf;t.~nq gouttesde faudanum.25étant le quart de cent. dix-huitfoisie
quart décent, ou le quart de t,Soo.iont~5o. Tel fut le chiffreauquel ce
chirurgiens'arrêta pendant près de ~ingt ans. Ce fut alors que sa sont.
france prit une soudaine recrudescence.Mais alors le combat était ter-
miné.la victoireetait certaine.Tous ses devoirsétaient remplis,ses enfants
."faient heureusementdébute dans le monde, et la mort, qui devait !ui
.'pporter un soulagementdevenu chaque jour p)ns t)éeeMti:e. co&m
"ettir sansfaire de tort A personne.
X~ ).HSM.A!StXSM:n!'U'M
,.n; n" lit
t!rand poids que mienne, mn~. encore une fois, je dois
mettre en avant mon expérience personneUe, car j'absor-
bais par jour sept mille gouttes de plus que lui, même
lorsqu'il arrivait a son maximum. Bien qu'il ne fût pas
adniissible qu'un Médecin ignorai: les eti'ets caractéristiques
de l'ivresse par le vin, j'eus l'idée qu'il commettait peuï.etre
une erreur de tonique, en emptoyunt le mot d'WMM, dans
un sens trop étendu, en l'appliquant d'une manière
gêne"
raie ù tontes les formes d'excitation nerveuse, au lieu de !n
borner une tbrmcspeei.ded'excitation agréable, distinguée
par des symptômes bien connus, et à laquelle sont atta-
chées des conséquences qu'on ne peut en séparer. Deux de
ces conséquences me paraissent remarquables ait point de
vue diagnostique, comme étant les marques caractcri;ques
et inséparables de l'ivresse alcoolique, mais quelques ahus
qu'on fasse de l'opium, elles ne produisent jamais sous
son influence. La première consiste à perdre le pouvoir sur
spi-meme, dans ce qu'on fait ou ce qu'on veut faire, pou~
voir qui diminue graduellement, quoique avec une rapidité
variable, et chez tout individu sans exception, quand
prend du vin ou quelque autre liqueur fermentée, au delà
d'une certaine limite. La langue et les autres organes de-
viennent ingouvernables; l'homme ivre parle indistincte-
ment, et pour certains mots, il fait des efforts sérieux et
fort amusants afin de les prononcer, ce à quoi il ne parvient
pas toujours. Les yeux prennent un air hagard, la vision
se dédouble, embrassant un espace trop grand ou trop petit.
La main se dirige maladroitement. Les jambes fléchissent,
et ne concertent plus leur mouvement. Tel est le resuhat
auquel aboutit toujours l'ivresse, d'une manière plus ou
moins rapide. – En second lieu, comme symptôme carac-
téristique~ on peut remarquer que dans l'ivresse alcoolique,
le mouvement suit toujours une. courbe identique le bu'
veu< monte sans s'arrêter vers un maximum ,ou point
cutmtnantjt rmft!~ <iun<t< il rfdeftcend par une courbe de
détente également graduelle. Il y dans l'accroissement de
!.)Mt').A)'!)M!)K).'W)U)< s3t
~-1- 1
l'ivresse un xënith jquet on ne peut rester qu:md on l'a
atteint; c'est l'ell'ort aveugle, inconscient, mais toujours in-
fructueux, du buveur obstine pour maintenir cette éleva-.
tion suprême du plaisir, qui l'entruîne ù des accès parfois
mortels. Des que cette acwJde volupté intense est atteinte,
une nécessité fatale veut qu'on en redescende par un
co!!ap-
sus graduel correspondant. Certaines gens, itce que j'ai ouï
dire, ont prétendu qu'ils s'étaient enivres avec du thé vert
un médecin instruit de Londres, dont les connaissances pro-
fessionnelles m'inspirent un respect motivé, m'ussurait
l'autre )our, qu'un tmuade, pendant sa convatesecnce, avait
été enivré par un bifteck. Toutceta, en réalité, rentre dans
la dénnitioh rigoureuse de l'ébriété.

Après m'être étendu si longuement sur la première et


la principale des erreurs au sujet de l'opium, je ne dirai
que peu de mots sur la seconde et la troisième. L'on pré-
tend que l'exaltation intellectuelle causée par l'opium est
nécessairement suivie d'une dépression proportionnelle,
que la conséquence naturelle et même immédiate de
l'opium CMla torpeuret ta stagnation physique et morate.
A la première de ces erreurs j'opposerai simplement un
démenti formel; j'assure à mon lecteur que pendant les
dix années où j'ai pris de l'opium non pas tous les jours,
mais d'une manière intermittente, le jour qui suivait celui
où je m'étais accordé ce luxe, était toujours marqué
par
une disposition d'esprit extraordinairement favorable.
Quant à la torpeur qui, dit-on, suit ou même accompagne
la pratique de l'opium, selon les nombreuses descriptions
qui représentent les Turcs mangeurs d'opium, je la nie
paiement. Saqs doute l'opium est rangé dans !a classe
des na.rcotiques, et il finit par produire quelques-uns de
leurs effets, mais son action initiale est toujours, au
plus
haut degré, une excitation, une stimulation de
l'organisme.
La we«M&M pet-inde de !MM)influence durait
tnH;ot.
chez moi, au temps de mon apprentissage, huit heures et
~3*. m<t pt.~sms un (,'owuM
plus ainsi ce doit être la faute du mangeur d'opium lui-
même, s'il ne calcule pas l'administration de la dose de*e
telle sorte que tout le poids de sa jouissance narcotique
tombe sur lui quand il va. se coucher. H paraît que les
mangeurs d'opium turcs sont assez stupides pour se
placer, comme certaines statues équestres, sur des uHtot!-
de bois aussi stupides qu'eus.
Mnis afin que le lecteur
juge dans quelle mesure l'opium stupéfie les facultés d'w,
Anglais, et plutôt dans le but d'être .ci~ir que pour raison-
ner en forme, je vais décrire de quelle manière j'ai
passé
plus d'une soirée à Londres sous l'influence de l'opium,
dans la période comprise entre !So~ et !8n. On verra
tout au moins que l'opium ne me .poussait pas à rechercher
la solitude, que bien moins encore il me portait a l'inertie,
& cet état de torpide anUssemeni sur soi-même oa l'on
montre les Turcs. Je donne ce récit au risque d'être
pris
pour un enthousiaste fanatique ou un visionnaire, mais
je m'en soucie peu. Je dois prier mon lecteur de se souve-
nir que j'étais un travaiUeur .laborieux, que mes études
portaient pendant tout le reste de mon temps sut ~des
questions ardues, et que sans contredit j'avais le droit de
me donner par occasion quelque relâchement, au'mé<ae
titre que le premier venu.

Le feu duc de Norfolk avait l'habitude de dire


« Lundi prochain, si Dieu le veut et le temps le permet,
je me griserai. » De même, je m'étais astreint à nxer
d'avance pour un tempsdonné à quel moment, avecquelles
circonstances accessoires dé détails agréables, je commet-

J'~eis pour ~rMt feu sir GtCTgti.Beaumont,ancien et intime ami


<tttduc.Maisde telles expressionssont toujours sujette*Jt des app)i<-t-
!ioat fSchëuses.Par ces mots le feu duc sir Georges désignait le duc
si connu de la nation commeami de Fox, BMke,Sheridan, etc.j0t temps
deitfirandeRevotution française de t78o-o3. Depuis cette époque je
crois qu'il.y a eu trois générations de ducs de la famille Homard, et
qu'e))es ontinsptre autant d'intérêt à la nation anglaise,d'abord à cause
des t~sendessaneiantes qm tUustreut '?<'r puitMntemaisott. tntMit*
parce qu'ils sont A la tête de !apairje.
LK:!P).A)St«SnE!OMUM 233

trais une débauche d'opium. Cela m'arrh'ait rarement


plus d'une fois en trois semaines à cette époque-ls, je ne
me serais pas hasardé comme je le fis chaque jour dans la
suite, à prendre «M verre de ~t«Fa':)nn MfgMsc/MM~e< sans
sucre. Non, comme je l'ai dit, une <bis en trois semaines,
c'était assez pour cela, je choisissais la nuit du mardi ou
du samedi. Voici le motif de ce choix. Le mardi et le
samedi étaient les jours où l'on jouait régulièrement a
King's Théâtre (c'est l'Opéra); c'était alors que la Grassini
chantait. Sa voix, le plus riche des contralto, me ravissait
au delà de tout ce que j'avais entendu. Oui, et de tout
ce que j'ai entendu depuis. Je ne sais dans quelle situation
se trouve aujourd'hui l'Opéra, car il y a sept ou huit ans
que je n'y suis point retourné, mais a cette époque c'était
l'endroit de Londres où l'on pouvait passer le plus agréa-
blement la soirée La place au parterre coûtait une
demi-guinée, mais a la condition ennuyeuse d'être en
grande tenue. On était admis dans la galerie pour cinq
shillings, on y éprouvait beaucoup moins d'incommodités
qu'au parterre 'de bien des théâtres. L'orchestre était
remarquable par sa douceur, sa mélodie, sa force, et bien
supérieur aux autres orchestres anglais. Leurcompositi&n,
je l'avoue, les rend insupportables à mon oreille, à cause
de la prédominance des instruments bruyants, et, dans
certains cas, de la tyrannie du violon. Je frémissais d'un
plaisir toujours nouveau en entendant la voix angélique
de laGrassini.Je frissonnais de plaisir à ma place, en,
attendant sa radieuse épiphanie (apparition), je me levais,
incapable-de me tenir en repos, quand sa voix céleste,
suave comme un son de harpe, chantait son entrée bien

~'t~p~reqoemon lecteur aurazté assezattentif aux incidentsdémon


récit pour ne pas croire que je fais allusion au temps de Brown-BraneU
et.de Pyment. Acette époque,je n'avais pas d'argent pour aller à l'Opéra.
Je parle d'un temps fort postérieur à cesscènes de mon enfance,d'e))-
:r'j«'t~*< '3: d'Oxfo~ Ou de ifntp'i b!eu postérieurs à tnoa
séjour à Oxford..
9~4 t.MPt.AtS)~St)R).'OMUM

venue dans ThrettaneIo-ThreuaneIo de prélude Les


chœurs étaient divins, et quand la Grassini apparaissait
dans quelque intermède, .comme cela arrivait souvent, et
qu'elle répandait les trésors dû son âme passionnée dans le
rô)e d'Andromaque sur lit tombe d'Hector, etc., je me
demande si parmi les Turcs a qui l'opium, a ouvert le
pamdis, H en fut un qui éprouvât seulement la moitié de
mon plaisir. Mais en vérité je fais trop d'honneur u des
Barbares en iessupposant capables de voiuptes approchant
de celles qu'un Anglais éprouve par l'intelligence. Car la
musique est une volupté intellectuelle ou sensuelle, selon
te tempérament de celui qui l'écoute. Et, pour le dire en
passant, à part la be!te digression que contient sur ce sujet
la DM~!ë~!e J~M!~ je ne connais dans toutes les uttéra-
r
tures qu'un passage où l'on traite de la musique d'une
façon adéquate h sa nature ce sont quelques pages du
livre de sir Thomas Brown intitulé Religio Aff~e< 3.
Bien qu'eHes soient surtout remarquables par leur éléva-
tion, elles ont aussi leur valeur philosophique, en ce

epM'M~M-Srpt-c'M~M. – C'est la belle onomatopéepar ta.


queUe Aristophane représente le son de la phorminx grecque ou de
quelquetutre instrument, que i'on Mppose~najesueAia harpe moderne.
En ce qui eoaternt les instrum<nt<employespar les anciens Hébreux
dans tes'c~rémoniesdu Tempte. ce seraitun vain et futile travail que d'en
thereher)'eqa«*~nt dans le s~c des Septanteou le latin de la Vu1);~ie.
Il n'en catp4s dp 'aSmep~~ries
t!n'<)Ct<Mp<sdp mernepour les,(Jrecs: on ~twiours
<}Kc::ot) a wujollrsi'e~përtnce
l'e~pérance.ql1'une
qu'une
fouMteheureuse mettra au {our une seutpture ftpresenttnt sur )t marbre
rorganisation et les detaiisde t'Orchestrique.
Comme tout change! Cette Grassini que j'adorais, quand €))e fnt
)t<)~e d'or aoRtois.nous quitta pour Paris, et lorsque j'appris sur quel
pied elle vivait avec N~poMon,j'en vins à la détester.Etais-je fâchéqu'on
détestât l'Angletérreou qu'on apprit à unefemmeà dételer lAngleterre?
Nullement je lui envoulais d'avoir eêd~enfinà ta malice d'une nation
)a!ousepour )aque)!ee!)ene pouvait jamais evoir êprome de sympathie
MM~<.H<:M«.tM)Msivous voûtez,mai),franchement, et <nfaisant la
<oarà4'«nr~
Je n'ai pas te'iiyre sous la main, inais je crois que c'est )c
commencepar ces mots: « Et mêmela musique de taverne, passagequi qui
aux nas!ast!te. auxautres un vertitieffefotie.r~veitte en moi uninspire pro-
fond sentimentrèligieux.»'
!.t:S}'t.A)S)KsnHt.'ODUM ~35

qu'elles contiennent en germa la vraie théorie des ciïet~


musicaux. Bien des gens s'imaginent tort que c'e&t pur
l'oreille qu'ils sont en communication avec la musique,
et qu'ils n'ont qu'un rôle passif dans l'impression qu'ct!<'
produit sur eux. 11n'en est pas ainsi. Le plaisir est tout
entier dans la réaction que les sensations auditives déter-
minent de la part de l'esprit, la M~tt~'c arrivant par la
sensation et recevant de l'esprit sa forme. Voilà comment
des personnes qui ont l'oreille également bonne dînèrent
tant sous ce rapport. L'opium, en exaltant fortement et dans
tout son ensemble l'activité intellectuelle, accroît natu-
rellement ce mode particulier d'activité par lequel nous
sommes aptes à transformer en délicats plaisirs intellectuels
les matériaux bruis d'une sensation sonore transmise par
un organe. Mais, dit un ami, une suite de sons musicaux
est pour moi une succession de caractères arabes. je ne
puis y attacher aucune idée. Des idées, mon cher ami 1
Ce n'est pas là leur place toute la classe d'idées qui
peuvent .prédominer en un tel cas a pour langage, pour
réprésentation des sentiments. Mais c'est là un ordre de
choses étranser à mon sujet. Je me borne à dire qu'à un
choeur, à tout autre morceau chanté avec ensemble et
harmonie, je voyais se déployer devant moi comme une
tapisserie sur laquelle était représentée ma vie passée tout
entière ce~te perspective notait pas un acte de mémoire,
car tout me semblait actuel et incorporé à la musique je
n'éprouvais plus la douloureuse sensation des détails, car
les accidents de-mon existence étaient éloignés et envelop-
pés d<ns une sorte d'abstraction obscure, tandis que les
passionsy étaient exaMes, exprimées sous un appel idéal
et élevé. Tout cela était à ma disposition pour cinq
shillings, si l'on ptéftndt 1$ société bie~ élevée du parterre
il n'envoûtait qu'une demi-guinoë, prix des pinces de galerie
ou une demi-couronne, en prenant le billet d'avance chez
les marchands de musique. Outre la musique de la scène
et ae l'orchestre, }'entcnda:~ tout autour de moi, pendant
Ï~ I.t:S!A)S)RSt)R!0)~UM

tas intervalles de l'exécution, la musique de la langue ita-


lienne parlée par des italiennes, car la galerie était -l'or-
dinaire bondée de gens de cette nation. J'éprouvais autant
de plaisir à l'écouter qu'en avait le voyageur Weld
dans le Canada, quand il se reposait f.n entendant le doux
rire des femmesindiennes. Moins on comprend upe langue
plus on est sensibleù h mJiodie où à la rudessede ses sons.
A ce point de vue, c'était un avantage que mon peud<'
progrès dans la connaissance de l'italien; a cette époque
j'étais un pauvre lettré sous ce rapport; je le lisais diffici-
lement, je ne le parlais pas du tout, et je ne comprenais
pas la dixième partie de ce que j'entendais en cette
langue..
Tels étaient mes plaisirs h l'Opéra. J'en avais d'autres,
.nais comme je ne pouvais me les donner que dans lit
..cirée du samedi, ils avaient souvent à lutter contre mon
amour de l'Opéra en ce temps on le jouait régulièrement
le mardi et le samedi. Je crains d'être obscur en décrivant
ces plaisirs-là mais je puis assurer au lecteur que je ne
le serai pas plus que Marinus dans la vie de Proclus, ou
tel autre biographe ou autobiographe de bonne réputation.
Comme je l'ai dit, je ne pouvais me donner ce plaisir que
dans la soirée du samedi..Que pouvait avoir la soirée du
samedi qui la distinguât des autres ? Je n'avais pas de tra-
vail dont je dusse me reposer, je n'avais pas de salaire à
toucher pourquoi donc aurais-je songé à une soirée du
samedi sinon pour me souvenir, qu'alors je pouvais
entendre la Grassini? Vous avez raison,, très logique lec-
teur, ce que vous ohjectez n'admet, n'admettra pas de
réponse. Mais certains hommes font passer leurs sentiments
par certaines routes; aussi en est.il;qui préfèrent prou-
ver l'intérêt qu'ils portent aux pauvres gens en exprimant
de façon ou d'autre de la sympathie pour les souSranccs
de ces derniers; pour moi je préférais leur témoigner cet
intérêt en sympathisant avec leurs plaisirs. J'avais connu
'm"MfH etde trop prc: les dou!carsdë !&pttuvretc; le
'v
<.K<.P).A)<:)KKt~:).'())'iUM
ajy
souvenir m'en était reste plus ~duie que je ne l'omis
voulu. Mais les plaisirs des pauvres gens, la façon dont
ib se consolent de leurs soucis, dont ils se délassent de
leurs fatigues, c'estunspectaciodontia vue ne devient jamais
pénible. La nuit du samedi est un repos régulier, pério-
dique pour le pauvre, pour tous ceux qui vivent d'un tra-
vail manuel les sectes les plus hostHcs sont d'accord sur
ce point, et acceptent le bien commun de la fraternité, lit
chrétienté tout entière se remet de ses f&iigues. C'est un
repos qui en amené un autre, qui est séparé par un jour
et deux nuits de la reprise du pénihle travail. Aussi, quand
.'rrivt: le samedi soir, je m'imaginais que j'étais également
délivré du jouf; de quoique labeur, que j'avais une paie à
recevoir, et quelquè somptuosité ou loisir ù m'offrir. Par
suite, pour être dans la plus large mesure possihie, témoin
d'un spectacle qui s'accordait si bien avec mes
dispositions
sympathiques, je me laissais souvent aller le samedi soir,
après avoir pris de l'opium, errant à l'aventure, me sou-
ciant peu de la direction ou de la distance, parcourant tous
les marchés, et autres endroits de Londres où les pauvres
gens vont le samedi soir dépenser leurs salaires. Plus d'une
famUiecomposeeduperc. de ln mère etd'unoudeux enfants,
s'est arrêtée devant moi, pour délibérer sur .les voies et
moyens, sur l'état du budget, sur le prix des articles de
ménage. Peu a peu je me familiarisai avec les désirs, les
embarras, les opinions du peuple. Parfois j'ai pu entendre
quelques murmures de mécontentement, mais bien plus
souvent l'attitude de ces gens, leur physionomie, leur lan-
gage exprimaient la patience, l'espoir et la tranquillité. Je
dois dire qu'en générât il m'en restait cette
impression
totale que les pauvres ont bien plus de
philosophie
pratique que les riches, et font preuve d'une résignation
plus empressée et plus docile à l'égard de ce qu'ils considè-
rent comme des maux sans remèdes ou des pertes
irrépa-
rables. Partout où j'en trouvais
l'occasion, lorsque je
P°~'s!efaire_ sans paraître indisct e:, je me m~'aisâ
~38 )!:S)'t.A)ï)RSHKt.'OriUM
!eurs sociétés, je donnais mon opinion sur le sujet de !our
eatretien, et si eUe Jetait pas toujours discutée raison-
naMement, elle était toujours qccueillie avec bienveiUance.
Lor&que le salaire reçu ou attendu était plus étevé qu'n
l'ordinaire, si,le prix du pain de quatre livres avait baissé,
ai l'on s'attendait a une diminution du beurra ou des
oignons, j'étais content si le contraire arrivait, je tirais de
l'opium des motifs de consolation. L'opium CM comme
l'abeille, qui puise inditïéremment ses matériaux sur les
roses ou dans la suie da cheminée il peut subordonner
tous les sentiments à une dominante commune qui sert de j
def musicale. Quelques-unes de ces promenades m'entra!.
nèrent a de grandes distances, car un mangeur d'opium est j
trop heureuxpours'apercevoir quelc temps marche. Parfois
am.si, malgré mes eHbrts pour barrer du côté de mon domi-
cile d'après les principes nautiques,, en fixant mes regards
sur !'étoi)e polaire, et chercher ambitieusement « un pas-
sage du Nord-Ouest au lieu de longer les caps et les
pointes que j'avais suivis en m'ébignant, je tombais tout
à coup dans des allées tortueuses comme un nœud, dans
des entrées d'une obscurité énigmatique je rencontrai
posés comme des sphinx, des problèmes de rues sans
issue, bien faits, je pense, pour dérouter l'assurance des
commissionnaires et bouleverser la cervelle des cochers
fiacre. Je pus m'imaginer parfois que j'avais été le premier
à découvrir certaines terrce !'Kco~)!p et je me deman-
dai si réellement elles avaient été figurées sur les plans
.récents de Londres. Il m'est démontré que pour circuler à
pied dans Icsudd'HoIborn,dans un endroit connu de

'&««'~ettf);)!')}(<< On peut voir dMs les iafses -et ~st~theminces


de'.chaumK'Ksrt'tttquMd.~is r~ion des Lacs,de la place m2n)e où
l'on vous a!fait t'honneur de vous mettre ait coin du foyer. De là j'.)i
p!asd'ane fois entendu,si non dMab:i)tc;.Lcar murmure s'entendait
fort bien, quoiqueleurs corps fussent trùp petits pour ttre aperçus de si
b~. Je m'informai,et j'appris que la suie est utite aux abeilles, surtout
)ttsnte debois et de houitte,à une certaine phase de la fabricationde la
w:w':
.». du- 1
!.KS r).A!~RS r'R t.'0~)UM 23~(~

beaucoup de mes lecteurs de Londres, il faut passer par la


cuisine d'un particulier; comme cette cuisine est étroite
et obscure, une grande attention est nécessaire, sans quoi
l'on se salirait au contact des casseroles. 11 est vrai que
j'expiai tout cela d'une manière fort cruelle plus tard,
quand la figure humaine hanta tyranniquement mes rêves,
quand les'perplexités de mes courses à travers Londres
reparurent et agitèrent mon sommeil en se compliquant
de perplexités morales et intellectuelles qui jetaient !o
trouble dans ma raison, l'angoisse et le remords dans mu
conscience.

Par ce qui précède, j'ai prouvé que l'opium ne produit pas


forcément l'inertie et la torpeur, mais qu'au contraire il me
conduisait souvent dans les théâtres et les marchés. Cepen-
dant j'avouerai avec franchise que des théâtres, des marches
ne sont pas les endroits que hante de préférence le mangeur
d'opium quand il est au plus haut point de son état divin
de volupté. A cette phase, les foules deviennent une
oppression pour lui; la musique même lui paraît trop sen-
suelle, trop grossière. Il cherche naturellement la solitude
et le silence, comme conditions indispensables de ces
paroxysmes ou de ces rêveries d'une profondeur infinie qui
sont le couronnement etla consommation de ce que l'opium
peut produire dans une nature humaine Pour moi qui
avais la maladie de méditer trop et d'observer trop peu, moi
qui dans les premiers temps de mon séjour au collège,
faillis tomber dans une profonde mélancolie du souvenir
sans cesse présent des souffrances dont j'avais été témoin
a Londres, j'étais averti asse~ clairement des tendances de
mes pensées pour lutter- contre elles de toutes mes forces.
J'étais tout à fait semblable à ces gens qui, selon l'ancienne
légende païenne, étaient descendus dans l'anu'e de Tro-
phonius. Le remède que j'employais consistait à m'imposer
à moi'même la fréquentation de la société, et à tenir mon
ïstclHgcnTS cou!titue!!ctnent occupée sur des sujets scienti-
a~O t.KSPt.A)S)RSt)E!OMUM

tiques. Sans ces moyens, je serais certainement tombé dans


une mélancolie hypochondriaque. Dans les années sui-
vantes cependant, lorsque je fus rentré en pleine possession
de la gaîté, je cédai à mon penchant naturel pour ta vie
solitaire. A cette époque-la, je tombai souvent dans ces
sortes de rêverie sous l'influence de l'opium plus d'une
fois il m'atriva,.por une nuit d'été, à une fenêtre ouverte
d'en la vue s'étendait sur in mer à un mille de distance, en
même temps que je pouvais jeter un regard presque circu-
laire sur une grande cite située à peu près à la même dis.
tance, je restais à cette fenêtre du coucher du soleil a son
lever, et j'y passais toute la nuit sans faire un mouvement,
comme si j'étais gelé, sans avoir conscience de moi-même
comme d'un être distinct dans la scène variée qui se
déployait au-dessousde moi. Cette scène avec tous ses détails
se réalisa assez fréquemment pour moi sur la belle colline
d'Egerton. Vers la gauche s'étendait la ville aux langues
variées, Liverpool vers la droite, c'était le fourmillement de
la mer. Ce tableau était en quelque sorte la reproduction
symbolique de ce qui occupait une rêverie de ce genre. La
ville de Liverpool représentait la terre, avec ses chagrins et
ses tombeaux reculés au dernier plan, mais toujours à por-
tée de la vue, et dans les limites de la mémoire, L'Océan.
avec son éternel mais doux balancement, sur equel planait
un.calme alcyonien, pouvait représenter assez exactement
l'intelligence, et la manière dont elle se berçait alors. Il me
semblait en effet que j'étais éloigné pour la première fois,
séparé du grondement sonore de la vie, que la fièvre, la
bataille, le tumulte étaient suspendus, qu'une trêve garan-
tisMit au cœur le soulagement de ses fardeaux secrets
c'était unSabbath de repos, un adoucissement des fatigues
humaines. Les espérances semaient des fleurs dans les sen-
tiers de la vie, et se réconciliaient avec la paix qui règne
dans les tombes; les mouvements de l'intelligence s'accom-
plissaient aussi aisément que ceux du ciel, et toujours ce
calme alcyonien sur toutes les angoisses, cette tranquillité
<SP!.AtStRSnt:t.'OP)UM Ï~t
i
qui,loin de paraître le résultat de l'inertie, semM~it 1' net
d'antagonismes puissants, énergies sans limites, repos sans
limites. “
0 juste, subtil et tout'puissant opium aux cceurs des
pauvres et des riches, aux blessures qui ne guériront
jamais, aux angoisses désespérées qui donnent à l'esprit
des tentationsde révolte tu apportes un baumeadoucissant.
Eloquent opium, avec ta rhétorique irrésistible, tu dissipes
les projets de fureur, tu rends pour une nuit a l'homme
coupable les espérances de la jeunesse, et tu laves le san{;
de .ses mains; tu faisoublier a l'instant à l'orgueilleux « les
injustices restées sans réparation, les outrages restés sans
vengeance 0 juste et inflexible opium, tu cites a la chan-
cellerie des rêves, de faux témoins pour faire triompher
l'innocence, tu confonds les parjures, tu mets à néant les sen-
tences des juges iniques. – C'est toi, qui avec le musée des
images évoquées dans le cerveau, bâtis dans le sein de la
nuit, des cités et des temples qui défient l'art de Phidias et
de Praxitèle, la splendeur de Babylone et d'Hécatompylos
toi qui dans « l'anarchie du sommeil qui rêve » fais surgir
à l'éclat du soleil les images des beautés depuis longtemps
ensevelies, les figures bénies du foyer domestique, en les
seul fais de tels
purifiant « des souillures de la tombe. Toi
présents à l'homme, c'est toi qui possèdes les clefs du para-
ô
dis, juste, subtil et puissant opium

Lecteur courtois, indulgent aussi, comme je l'espère,


puisque vous m'avez accompagné jusqu'ici, permettez que
je me reporte à huit années plus tard, c'est-à-dire de !8o~,
époque où j'ai nxé mes premières relations avec l'opium,
à 1812. Les années de vie académique sont passées, dispa-
rues, et entièrement oubliées. Le bonnet d'étudiant ne

C'est-à-dire ~KxCMt Portes (de MKt~ou,cent et T:~t), porte. Cette


epitheted'Hecaton'.pyiosétait rdser<eeà Thèbesd'Egypte pourfa distin-
Saer de ~'Ë~i:KT:5Ao<,nom' réservé a la Thèbesgrecque,qui était à un
)uHi'de marche d'Athènes.
!6
9t~ LES PLAtStRSD): L'OPtUM

comprime plus mes tempes ai ce boaaei existe encwt. il


serre celles de quelque jeune érudit aussi heureux, j'espère,
que je l'étais moi-même, et amant aussi passionné des
sciences. A cette heure, j'ose le dire, ma robe partage le
tort de plusieurs milliers d'excellents livres do la biblio-
thèque Bodléienne, c'est-à-dire qu'elle est l'objet d'études
suivies pour de savantes teigne' et d'éruttits rongeurs peut'
être, et c'est là que s'arrête mes notions sur sa destinée,
elle est entrée au grand magasin situé ~M~MejMtrt, où vont
Ma fin les bouilloires, les boites à thé, les tasses à thé, les
soucoupes à thé, dont la ressemblance fortuite. avec la
génération présente des tasses à thé, etc., me rappellent
que j'en possédai autrefois, bien que leur sort et leur 6n
dernière ne puisse être pour moi, comme pour la plupart
de ceux qui ont porté la robe dans l'une ou l'autre des
Universités, que l'objet d'une histoire vague et conjecturale.
La persécution de la cloche de la chapelle, qui faisait
entendre à six heures du matin ses avertissements maudits,
n'interrompt plus mon sommeil; le portier qui la faisait
sonner est mort, et ne dérangera plus personne. Je suis
d'accord avec bien d'autres qui ont tant souffert de sa
manie tintinnabulante, pour lui pardonner ses torts et les
oublier. Je suis en bons termes avec la cloche elle-même
je suppose qu'elle sonne comme jadis, trois fois par jour
je suis certain qu'elle ennuie cruellement maints dignes
gentlemen, et trouble la sérénité de leur esprit, mais en ce
qui me concerne, je ne m'inquiète plus de sa voix perfide
(je dis perfide, car elle était d'une méchanceté'si rafnnec
qu'elle avait un timbre aussi doux, aûssi argentin que si
elle avait convoqué les gens pour quelque partie de plai-
sir). A la vérité ses sons n'ont plus là force d'arriver jus-
qu'à moi, lors mêmeque le vent -serait:aussi favorablement
tourné qu'elle pourrait le désirer dans sa malice, car je
suis séparé d'elle par une distance dé z5o milles, et enterré
dans la profondeur des montagnes, Et que fais-je dans les
montagnes? Je prends de l'opium. Mais est-ce tout? Non,
ms.M.AtSiXSttKt.'Ot'iUM

tect<mf, en cène année t8~, oùaous voilà parvenus,


comme dam quelques-unes des années précédentes, j'ai été
principalement occupé à étudier la métaphysique a!ie-
mande dans les écrits de Kant, Fichte, Schellin~. Et quel
est mon genre, quelle est ma règle de vie ? En un mot
quelle est la classe, la catégorie sociale dont je fais partie ?
A cette époque, c'est-à-dire en !3, )'habite un cottage,
je n'ai d'autre domestique qu'une servante (honni soit qui
mal y pense) dans le voisinage on la nomme !Ha MtfMt:-
~f<. Et en tant que lettré, en tant qu'homme qui a reçu
uneM!!truction complète, je puis, je pense, me classer. moi-
mttne,c<Mome membre indigne dans cette corporation mal
définie qu'on nomme le! j~Mf/emM; soit pour les motifs
que j)'ai indiques, soit parce que je n'ai pas d'emptoi, ou
de profession définie, on juge avec raison que ]C dois vivre
de ma fortune personnelle cela constitue ma situation
dans le pays. Là courtoisie de la moderne Angleterre fait
qu'on met le titre d'Esquire sur leslettres qu'on m'adresse.
Cependant, si l'on en jugeait avec la rigueur des lois hëM!-
diqucs, dont les représentants antiques et grotesques res-
semblent à des valets de piques ou de carreau, )e crains
bien de ne justifier que faiblement ce titre distingué. Aux
yeux du public, je n'en suis pas moins X, Y, Z, Esquire,
sans être juge de paix, ou custos t'o/K/otWH (garde des
rôles). Suis-je marié? Pas encore. Est-ce que je prends
encore de l'opium? Oui, les soirs de samedi. Peut-être en
ai.~e pris sans vergogne depuis le dimanche pluvieux »,
depuis l' < imposant Panthéon », depuis le bêatifique apo-
thicaire de i8o.t. Oui, cela est ainsi. Et en quel état ma
santé se trouve-t-elle après toute cette consommation
d'opium? En un mot, comment me porte-je? Mais, très
bien, lecteur, je vous remercie. En fait, si j'ose dire la
pure et simple vérité, bien que pour être d'accord avec les

jea demots portant sur la TeMemMance


de<!n!tt~et (tntf~HC,et par
<-<M«~tK'«t
if)tM<<"i*'M?{N.<<.T. U
~44 t-KS f!.AMUt~ fK t.'OWUM

théories da certains médecins, j'eusse dû être malade, je


ne me suis jamais mieux porte en ma vie qu'au printemps
de !8ts, et j'espère sincèrement, cher lecteur, que toute
la quantité de claret et de MafMrt de Londres rCtWMM«M~
que selon toute probabilité vous avez pris et prendrez tous
les huit ans pendant toute votre vie, ne sera plus funeste h
votre santé, que lie l'a ëtë a ta mienne l'opium que j'ai pris
de t8o~ à tSn, bien que ta qualité en soit suffisante pour
m'y baigner et m'y noyer. Par là vous pouvez juger corn'
bien il est imprudent do demander un avis médical h
An<M{<Mu<$ Qu'on le consulte sur tes choses théologiques,
soit, je suppose qu'il peut être un sûr conseiller, mais non
sur la médecine. H vaut mieux s'adresser au docteur
Buchan, comme j'ai fait; car je n'ai jamais oublié l'excel-
lent avis de ce digne homme, et je me suis « gardé «MeH-
<t~?ncHf de ~ep~Mcr la dose de vingt-cinq onces de /<tM<fa-
KH~Men une seule fois. )' C'est a cette réserve, à cette
modération dans l'usage de t'opium que je pense pouvoir
attribuer le fait que maintenant du moins (c'est-à-dire
en ï8a:2) je ne connais ni ne soupçonne les terreurs que
l'opium tient en réserve pour ceux qui abusent de son
indulgence. En même temps, il ne faut pas oublier que j'ai
été jusqu'à ce jour un dilettante dans l'usage de l'opium, et
que même après huit ans, la simple précaution d'espacer
convenablement chaque dose a suffi pour empêcher
l'opium de ne devenir nécessaire tous les jours..
Mais maintenant commence une ère nouvelle, Veuillez,
cher lecteur, vous transporter en t8t3. Pendant l'été de
l'année que nous venons de quitter,.j'avais beaucoup souf-
fert d'une maladie physique qui avait pour cause l'abatte-

!-c)e;ttur d'aujourd'hui s'étonnera de voir citer aussi fx~quemment


.MtffMt'M,ouvrageentierementonb]iê.Maïscet ouMicstdaAt'abond.toee
prodigieusedes romanciersoriginaux et pleins de talent qui ont pu))u)c
dans les trente-cinq ans après la premièreédition de ces Confessions.
Anastasius a pour- auteur le fameux richissime M. Hope; en tSz'.cc
.tivteav.utx)'9nde]'ep!it3tionet.rande.ia<tuen;e dans )a société diri-
~taate.
<.ï<.M.A)S)!<SMt.'0~)UM j:~5
ment intellectuel combine a\'ee un évënementauiigeant. Cet
événement n'ayant aucun rapport avec ce dont je parle en ce
moment sinon l'état t~he~x qu'il produisit en moi, je n'en
raconterai pas les detaUs. L'indisposition de )8it avnit.elle
quelque part dans celle de t&!3, je n'en sais rien, mais
dans cette dernière année je fus attaqué d'une très doulou-
reuse irritation de l'estomac, analogue sous beaucoup de
rapports a celle que m'avaient causée les souû'rancet de
ma jeunesse, et elle fut accompagnée de la réapparition de
tous mes anciens rêves. Ce fut alors, c'est-à-dire en t8t3,
que je devins mangeur d'opium, et cette fois je le fus non
par intervalles, mais régutierement. Ici je me trouve dans
ua dilemme embarrassant. me faut mettre à bout la
patience de mon iectejr en iui décrivant tous les détails de
ma ma'adie, et des efforts que j'ai faits pour la combattre,
aHn de bien établir qu'il m'était impossible de lutter plus
longtemps contre l'irritation d'une souH'rancc constante.
Mais, d'autre part, si je passe légèrement sur cette phase
critique de mon histoire, je dois renoncer au profit de la
plus forte impression que j'ai faite sur l'esprit de mon lec-
teur, je dois m'exposer à l'opinion erronée d'après laquelle
aurais gtisse par une série de faiblesses graduelles jus-
qu'aux plus grands abus de l'opium opinion à laquelle
bien des lecteurs seront entraînés, comme je l'ai reconnu
auparavant. Voilà le dilemme. U faut que je songe à la
première de ses cornes. H mp reste donc à demander la per.
mission de donner des détails autant que cela sera néces-
saire à mon dessein. Aussi, bon lecteur, donnez-moi votre
indulgence la plus complète, aussi complète quepeut l'accor'
der votre patience, et la mienne. Ayez assez de générosité
pour que je n'aie pas à perdre votre estime en vous.expo-
sant ma faiblesse, et ménageant votre commodité. Ou plu-
tôt/croyez inutilement ace que je vouspriede croire, c'est-
à-dire qu'il me fut impossible de résister plus longtemps
croyez-le noblement, que votre adhésion soit une marque
de confiance ou un acte de simple prudence. Sans cela, ce
94<~ UM ft~tMXS BW t.'OP)UM

que je ne fais pas ici je le ferais dans une autre édition~)e


vous ferai croire en vous faisant trembler, et ~<~ L
~'<'t<MM~par la seule ressource de la pandiculation connue
sous le nom vulgaire d« baïUement, je détournerai m<Mlec-
teurs de l'envie de me demander quelques raisons pour ce
que je me propose de faire.
Ainsi donc, je demande en premier lieu qu'on m'accorde
que si j'en suis venu à l'usage quotidien de l'opium, c'est
que je n'ai pas pu faire autrement. Aurais-je réussi plus tard
à rompre avec cette habitude, alors même qc'U me tem-
Mtit que nos efforts dussent ~tre inutiks? Quelques-unes
de ces tentatives innombrables que je 6< aurait-elle pu ttre
portée plus loin Aurai~e pu déployer plus d'énergie pour
me maintenir en poMession du terrain reconquis pas à
pas? Ce sont là des questions qu'il roe faut ëtude)*.Peut-être
serais-je en mesure de trouver une excuse, mais j'avouerai,
avec une entière franchise, que mon infirmité tyrannique
est un eudémonisme exagère. Je désire trop vivement un
dtat de bonheur tant pour moi que pour mes semblables;
je ne puis envisager le malheur, soit le mien, soit celui
d'autrui, d'un regard assez ferme je suis peu capable de
supporter la douleur présente en vus d'un profit compen-
sateur. Sur bien d'autres questions, je suis d'accord avec
ces messieurs du Portique* de Manchester, en ce qui con-
cerne ia philosophie stoïcienne, mais surce point-là, il n'y a
pius d'accord.. Je m'attribue ici la liberté du philosophe
ectectique je cherche une secte courtoise et reSëchie qui
\'eume biMïeondescendre a rinnrme eondhion d'un mangeur
d'opium, je voudraisdes hommesagreabies et faciles, t~ts que
ies décrit Chaucer, pour entendre ma confession ou me don-
ner Tabsotutiûn.Jo mettf&tdeta bonae volonté à eMcuter
!t s'agit d'an cercletrès beau,ouje fus admisMB;démarche*,pen-
dant monp~sageà Manchester, par plusieursgentlemende cettevi])e'
Ou)Mmm<ctcerO<! ït Porchteu )<tPeTttqdt;e'e;t )t Mntdu n)Mgrec
,SM<t. Et)fM<)u<)itc<i'4tr.)ngtr&Mahche;ter,
je meSgurai~qnejMtnembre~
.e:sn'= p-a''sx='Mt~ds-is*: *'?! ?t<;(;< *t Q
ttpte'«!<X~ao~.Maisj ai appris.depuisqueje metrompais.
LES ft.A)S)RS DK L'OMUM t~y

los pénitences qu'ils imposeront, et les e<lorts d'abstinence


qu'ih exigeront de pauvres pécheurs comme moi. Quant à
un moraliste inexorable, dans l'état nerveux où je me
trouve, il me serait aussi insupportable que de l'opium qui
n'aurait pas été bouilli. De toute façon, celui qui m'im-
p0«ra de charger mon vaisseau avec un lourd fret de pri-
vation et d'austérité, dans une croisade entreprise pour
mon amélioration morale, doit me prouver avec dû .bons
arguments que mon antreprise justifie quelque espérance-
A mon uge c'est-â.dire a trente-six ans, on ne peut suppo*
ter que j'aie de l'énergie de reste, j'en ai juste assez pour
les travaux intellectuels qua j'ai entrepris; aussi qu'on
n'essaye pas de m'effrayer et de me décider par des paroles
trop dures, à en risquer une partie dans une aventure
chanceuse de moralisation.
Qu'elle fut chanceuse ou non, telle était en t8t~ l'issue
dû ~a lutte dont j'ai parlé; aussi, dès cette époque, le lecteur
doit m's considérer comme un mangeur d'opium devenu
têt définitivement et régulièrement. Se demander si cet
homme-la prenait de l'opium tous les jours serait demander
si ses poumons respiraient, sisoncceur exécutait sa fonction.
Ainsi doac~~ctear, vom savez ce que je suis; vous des
certain qu'aucun gentleman « à barbe blanche ne
peut
espérer de me persuader (comtne Anastasius)queje dois me
défaire «du petit récipient d'or qui contient la pernicieuse
substance ». Non, j'en avertis les moralistes et les chirur-
giens/quelle que soit leur prétention ou leur habileté dans
le cerçle de leur activité respective, ils ne sauraient
espérer
d'obtenir de moi quoique ce soit, s'ils commencent
par me
proposer brutalement un carême ou un ramadan d'opium.
Cela bien convenu cntr& nous, nous ferons désormais voile
vent. arrière. Ainsi donc, lecteur, maintenant que nous
avons passe i~Mtapx à rester assis et à bavarder, levons-
nous, s'tt vous ~)laît~ et avançons-nous trois ans plus loin.

CepassageÉUi[écrit lors de la prouieri:édition.


*4~ m pt.A)StKSDE t.'Of)UM
Nous allons lever le rideau, et vous m'apercevrez sous un
nouvelaspect.

Si un homme, pauvre ou riche, nous


annonçait qu'il va
nous apprendre quel a été le jour le plus heureux de sa vie,
et nous dire pourquoi, et en quelles
circonstances; je sup-
pose que nous n'aurions taus qu'un cri Attention atten-
tion !Ct}our!ep!us heureux de la vie, un homme pèserait
fort embtrrMse de l'indiquer un événement qui tient une
place aussi distinguée dans les souvenirs, et que l'on recon-
naît capable de produire une félicité spéciale, séparée,
suprême en un certain jour. doit être assez solide pour que,
sauf les accidents, il continue à produire le même bonheur,
ou du moins un bonheur aussi reconnaissable,
pendant
bien des années de suite. On peut fixer ce lustre (période
de cinq ans) ou du moins cette année de bonheur, sans
s'exposer aux railleries de la sagesse. Lecteur; cette année
m'arriva.: elle fut une de celles auxquelles nous sommes
parvenus, bien qu'elle fut enfermée comme entre les paren-
thèses d'années qui furent sombres. Ce fut une année de la
-plus belle eau, comme diraient les joailliers, sertie <tt isolée
dans,l'ombre ténébreuse de l'opium. Cela est étrange à
dire, mais j'étais parvenu à diminuer d'un coup er sans t*p
grand effort, ma dose de trois cent vingt grains, c'est-à-dire
huit mille gouttes de laudanum', par jour, à quarante
grains, c'est-à-dire huit fois moins. Aussitôt, et comme par

M,je comptevingt.c:uqgouttes de laudanumpour un );ntin d'apiom,


tt qui est l'estimation communémentadmise. Mai! commeil fàut noir
compte de deux-variations considérables,t'une dans)< force de t'opium.
en-nature,l'autre encore plus grande dtas cette de ta teinture, je suppose
~a'an ne peut exiger une appfoximttxm iBStMteMmote dansce c<)ca). ï~
cuilleréesà thé w*rienta;.t<ut en.contenanceque l'opium en force.!i en
ttt de pt<:t«qu) «m:!tf)ne)ttcent ~oattM, de-telle sorte que huit nutk
cottes, c'e~-à-dire80 foiscentgouttes,tiendraient ~m8o fois cuitteree:.
Maitiet~rande~caiUertaà thé qu'on emploieaujourd'hui ont une conte-
itaatéde beaucoupeup~teure.et il en est d'aussi fortes que des cuillers
'< t<M«M'<MM<;MM. t.<W)tM«t'ttM* <tt<~«(MMm <t<.ht <MMHtt<~t
iatttditeptriedocteurBuehan.
LKS !<AtS)RS DK t.'QPtUM a~~
magie, le nuage de profonde mélancolie qui pesait sur mon
cerveau comme les noires vapeurs que j'ai vues descendre
du sommet d'une montagne, se dissipa en une semaine; il
s'en alla avec ses sombres bannières, aussi rapidement qu'un
vaisseau, qui a jeté à la côte, se remet a flot, soulève par le
reflux,
Et se meut tentement, si même il se meut.

Ainsi j'étais parfaitement heureux. J'étais revenu à mille


gouttes seulement par jour, et qu'était-ce que cela? Un
dernier printemps était venu clore la saison de la jeunesse.
Mon cerveau remplissait ses fonctions aussi aisément que
jadis; je relisais Kant, je le comprenais encore, ou je
croyait le comprendre. Mes sentiments de plaisir se répan-
daient de nouveau sur tout ce qui m'entourait. Si l'on m'eût
annoncé-la présence de quelqu'un d'Oxford ou de Cam-
bridge, ou de n'importe où, je lui aurais fait dans mon simple
cottage un accueil aussi somptueux que peut le faire un
pauvre. Je lui aurais offert tout ce qu'il faut pour faire le
bonheur d'un sage, ycompris !e laudanum, que je !ui
aurais verse dans une tasse d'argent, faute d'une coupe
d'or. Je dirai en passant, puisqu'il s'agit de laudanum
donné avec prodigalité, que je me souviens d'un petit inci-
dent de cette époque, incident qu'il me faut rappeler, car
tout insignifiant qu'il était, il devint dans mes rêves un
élément de terreur plus redoutable qu'on ne saurait l'ima-
giner. Un jour, un Malais frappa à ma porte. Quelle affaire
pouvait amener un Malais dans cette retraite au sein des
montagnes anglaises? Mon affaire à moi n'est pas de le
découvrir il peut se faire qu'il se dirigeât vers un port de
mer, Whitehaven, Workington, etc., situé à 40 milles envi.
ron de !â

*!tyavtit un courant étroit, mais continue) de déplacemententre les


)Mta<thntMM.<}*tse*t:ds !,M:Mre, t:twpu!)tt!oMs corre:*
pondautesdu Cumberland, commeà Havengtass,Whitehaven. Working-
Tt5o USt't.AtOMMtt.'OftUM

La domestique qui lui ouvrit la porte était une ieune


6Ue ne* et etevae dans- les montagnes; elle n'avait ornais
vu d'homme v~tu en Asiatique, et le turban lui causa un
vifatonncment~ Comme rhûmme savait juste autant .d'an-
gtais qu'elle savait de maiais, il sembiait qu'un détroit
infranchissable ie&empôcMt de se communiquer leu~idtes.
s'ils en avaient à se communiquer. Dans ce dilemme,
fiHe se rappela ce'qu'on disait de l'instruction de son
maître, et m'attribua sans doute la connaissance de toutes
les langues de la terre, sans compter, je pente/eeUe de quel-
ques langues de la lune. Elle monta donc et me fit com-
prendre qu'il y avait une sorte de démon il était visible
qu'elle xne supposait le pouvoir de !e faire fuir de là maison
par mes exorcismes.
Le groupe qui se preseum devant moi, bien qu'il eût été
fbrmé par le hasard, et n'eut rien d'artificiel, s'empira de
mon imagination et frappa mes yeux d'une Impression bien
plus vive que ne t'avaient jamais fait les attitudes ou les
groupes sculpturaux qu'on voit dans tes vaUets à l'opéra,
et qui sont si pretenneusetMnt ordonnes. C'était dans une
cuisine de cottage, pièce qui avait tout au plus l'air d'une
antichambre rustique, avec son revêtement de bois dé cou-
leur foncée, auquei le temps et !e frottement avaient donné
la teinte du chêne; )a se tenait debout le Ma!ats, dont le
turban et les larges pantalons blancs se dessinaient nette-
ment sur le mur sombre. était plus près dé la jeune fille

tôt, Mtrypor:,etc., et c'~toit surtout tax <!p~qaesoù a~oit tiett la presse.


Cet ~chan);eavait lieu par mer, mais aussi par terre, ye profite de cette
otMtnttnpotifindiquer nn fait intéressant que j'ai trouvédans un atma-
Mc)i itinéraire, datant du milieu du tt~tte d'EtiMbtth, c'est-à-direde
!S79. La route oMeie~equesuivaient les messagersde )a reine à cette
époque,et par conséquentla plupartdes \o)'ageur<,ttt partit pas comme
<or<t'ht(tp<)'Gra<~fe.et<it}a p:r)< v~)Hede St(<nt-Jtan,Thret!«M
()t raccourcipar SouthwaiteMon étant alors inconnu).Keswick,Coeker-
mouth,tt WhiKhxven.A partir de Saiut-Oswatd.de Gre~msrc(que l'on
prononçai ainsi comme)<:voulait t'origine danoisedu mot) )a routeétait
la-mêmequ'aufourd'hui. Delà elle contourMit !a rive gauchedu lac, tra.
versaitHammerscar,allait jusqu'à UtHe !<an:;da)e.dcia a Wrydose et
S<MnMMt<;<t<<<'(~t~)MM'«'.V"'?''t<
t.Mi').A)S)XSnKt.'0!')U)« a5t 1

que celle-ci ne semhlait le vouloir, quoique son coura~a


natif de montagnarde combattît le sentiment de terreur
peint s'ir son visage, quand elle regardait cette sorte de
chambre. On ne saurait imaginer un tableau plus frappant
que le contraste de cette jo!i<t figure anglais d'une irn!-
cheur exquise, de cetM attitude droite et <i~re, avec le t~int
jaune et bilieux du étalais, où le climat et J'air marin
avaient mis des reflots foncés, le regard de ses yeux petits,
sauvages, toujours en mouvement, soi: lèvres minces, ses
gestes et ses courbettes serviles. A demi-caché par le féroce
M~ai~ un petit enfant du cottage voitin s'était glissd der-
fiert tut; il était occupe à regarder le turban, et les yeux
eS'rayMn de l'hotnme, tandis que, pour se rassurer, il tenait
d'une main la robe de la )oHe fille..
Mes connaissance dans les Sangues orientais tic sont pas
fort étendues, car elles sont bornées deux mois, savoir te
mot arabe qui désigne Forge, et le mot turc qui veut dire
opium (madjoon) encore i'ai-}e appris par Anastasius.
N'ayant ni dictionnaire matais ni môme io Mt't~rt.f.tte
d'Adelung, qui m'aurait fourni quelques mots, je pris le
parti de lui réciter quelques vers de l'M~e, vu que
parmi toutes les langues que je possédais, il n'en était
pas qui se rapprochât plus que le grec de la latitude des
langues orientales. Il me fit les politesses les plus empres-
Ctttejeunefi))e, ttomm~e )3arbar.<Lewthwaito,était déjà une per$o;tne
d'unecertaine importance poétique,i~nendnqu'elle <i};uMt(&son insu)
comme principe ptrM)))')! parlant dans un petit poème pastoM! de
Wordswort)). Qu'e))efût réellement bette, et que je ne l'aie pas décrite
ainsi dansle seul but de produire uu effet pittoresque,le leeteuren aurala
preuve par le vers ~uiv~ntde ce poème qui fut écrit dix ans avant,
quand Barbara Lcw:))~a)tt n'avait que six ans:
C'était la petite Barbara Lewthwaite. enfant d'une beauté rare.
Cesmot; deWiUiitmWordsworth,juge difficile,et ecriv;iind'une rigon.
reuseiitteratite. autorisent quelqueprétentionà passerpour belle,au moins
Acemoment. M.tn i) e&trec<~nuque daM t~'iaMhotttgit~detoutesles
zonesterrestre', il est une fleursujette plus que touteautre &dépérir, o'ett
iabMUte de la femme.Spenser, dansles belles xtances sur la muttbitite-
oni!<tpaMeenre?ue!~<c solennitétoutes les formesde cette f~ttittter,
rt:tM. t-t-U MtiiMtMtttetttttMtMêM~ )« Mt<t*«~(*~ <t<'?'!{-* K-'i:
sats.
a5a t.t:!frt.Ats)!<SM:).'of)UM

sées, et me répondit je ne ne sais quoi qui devait être du


malais, De cette manière je sauvais ma réputation de lin-
guiste auprès de mes voisins, car le Malais n'avait aucun
moyen de trahir mon secret. I! resta assis sur le plancher
pendant près d'une heure, après quoi il se remit en route.
A son départ, je lui donnai entre autres choses un moMtnu
d'opium. Je supposais que pour un Oriental comme lui,
l'opium n'était pas moin& familier que le pain quotidien, et
l'expression de sa figure me prouva que j'avais raison. Néan-
moins je fus saisi de quelque consternation, quand je le vis
porter la main à sa bouche et avaler le tout en trois frag-
ments, d'une seule bouchée. Lu quantité en était suffisante
pour tuer une demi'douzaine de dragons, y compris leurs
chevaux, en supposant que ni les bipèdes ni les quadrupèdes
n'eussent été dressés a prendre de l'opium. Je fus inquiet
pour le pauvre diable, mais que faire ? Je lui avais donné
de l'opium, par pitié pour sa vie solitaire, car s'il avait fait
la route à pied depuis Londres, il devait avoir marché pen-
dant plus de trois semaines sans avoir échangé une idée avec
un être humain. Fallait-il violer les lois de l'hospitalité en
le saisissant et lui ingurgitant une dose d'émétique; lui
donnant l'idée épouvantable qu'il allait être saeriné à quel-
que idole anglaise <*Non, il était clair qu'on ne pouvait rien
faire pour lui. Le mal était fait, s'il y avait un mal de fait.
H prit congé; je fus inquiet pendant quelques jours, mais
n'apprenant pas qu'on eut trouvé le cadavre d'un Ma)a.i<
ou d'un homme en turban sur les routes extrêmement peu
fréquentées qui allaient de Grasmere à Whitehaven, je fus
heureux de conclure qu'il était habitué à l'opium et que
je lui avais rendu le service que je voulais lui rendre, en

'Ce)a n'est cas une conclusion nécessaire,.Les variétés des tHets pro-
duits p~rt'opiumsurf les divers tempérament'!sont infinies.Un magistrat
de Londres (Harriott. Z.ttffM rr~yer~ vie, t. IH, ?' édition) raconte
que pour essayer du laudanumcontre la goutte, il en prit ta première
nuit quarante somxs. )a seconde,nuit soixante, ta troisièmenuit quatre.
vingts,M))baucun résultat, et cela à un 3~ avance.
Lt~fLAtStRSDKt.'OnUM

lui procurant une nuit de répit au cours de son pénible


vagabondage.
Je me suis laissé aller à développer cet incident parce que
ce Malais's'incrusta dans mon imagination,.grâce au tableau
pittoresque qu'il avait concouru a former, grâce aussi il
l'inquiétude que j'avais éprouvée à son sujet pendant quel-
ques jours. Il se représenta dans mes rêves, amenant d'autres
Malais encore pires que lui, qui couraient l'a-muck i dans
mon cerveau et me jetaient dans un monde de troubles
nocturnes. Mais laissons là cet épisode et revenons à cette
année intercnlaire de bonheur. J'ai déjà dit que sur un sujet
aussi-important pour nous que le bonheur, nous écarterions
tout ce qu'un homme pourrait nous dire d'après son expé-
rience ou ses essais, cet homme fût-il un garçon de charrue
qu'on ne supposera pas capable d'avoir labouré bien pro-
fondement un sol aussi intraitable que celui des plaisirs et
des douleurs de l'homme, ou de conduire ses recherches
d'après des principes fort lumineux. Quant à moi qui ai
pris le bonheur sous deux formes, Il l'état solide et liquide,
bouilli ou non bouilli, venant de Turquie ou des Indes
Oriéntales, et qui ai conduit mes expériences sur ce sujet
intéressant comme avec une batterie galvanique, moi qui,
pour le profit du monde entier, me suis inoculé le poison à
la dose de S,ooo gouttes de laudanum par jour, comme un
chirurgien français s'est récemment inoculé le cancer, un
autre chirurgien anglais d'il y a vingt ans, la peste, un troi-
sième, anglais aussi, la rage, on avouera bien que si quel-
qu'un sait ce que c'est que le bonheur, ce doit être moi.
Aussi vais-je faire l'analyse du bonheur, et pour être plus
intéressant, je la ferai non pas sous une forme didactique,
mais en l'enveloppant et la mêlant dans la description
d'une des soirées que j'ai passées pendant l'année interce-

Voyszles récits, nombreuxcheztousles v~ya~eursen Orient,des excès


frénétiques commispar les Malais oui ont pris de t'<tnt"mf" qc: sost
réduits au d~setpoirpar leur mauvaisechance au jeu..
t.)M ft.*)S)t<S.DS t.'OPtUM
1_ _tsm.. _e \_1_J: _A 1--
laire, alors que le laudanum pris tous les jours n'était autre
chose pour moi qu'un etixir de volupté.
La scène représente un cottage situé dans une vallée
à dix.huit milles de la ville la plus rapprochée. La vallée
'n'est ras grande e!te a deux milles de )ong sur trois quarts
de mille de large; FaYantage de cette dispoMba coK~te
en ce que toutes les fa~iHes qui y résident composent une
grande farttille, qui est personnellement connue à vos
regards et intéresse \otre affection des degrés divers.
Les montagnes sont de vraies montagnes, dont ia hauteur
varie entre trois et quatre mille pieds; ie cottage est un
cottage et non, comme le dit un auteur spirituel, « un
cottage avec deux écuries et, comnne je doi$ le représen-
ter dans son état d'alors, c'est une maisonnette blanche,
enguirlandée de plantes fleuries, chobics de tel~ sorte que
les fleurs se succédent sur les murs, entourera -s fenêtres
depuis le printemps )usqu'& l'été et l'automne, en commen-

Le eom~ et la vaU~e dont il s'agi! dans cette description ue sont


point !mas"Mi''es. h vallée AoFt à cette <'poque une des aimi<b)es Ya))<eii
du G) asmtre: le cottage fut habité pendant plus de vingt am de suite par
tno!,qHlyrt.np)f{<nWort)$wort)ten tScs-Pour expliquer la r~terve
qHcjefitisc;) écrivant était, le lecteur f.edemMtdtMcn quoi le temps peut
avoir sh~r~ iaf beamt dH Grasm~re. Les va))~e5 du Westmorejand
<er.'ien:-e))M sujettes à gritoonfr ? Lecteur, <<s: là un triste somenit-
pour plusieurs d'entM nous. 11 y a trente ans une bande de Vanda)e5
(j'ignore )enr6 noms grâce au c'cl) sous prétexte de faire une route carros-
sable qui n'était nu!)cfnent nécessaire, transporta au prix de 3,ooo livres
que cela co& à )a paroisse trompée, un horribte chaos de Mocs de granit,
qu'c))eaiig[M sur trois quarts de mille tout au travers de cette charmante
succession de retraites forestières et de pudiques abris du iac, bord~ de
fougères iacompnrftbies. entre autres, de !'MmM):da )'~t)!;$.Cet asiie i5o)&
du lac de Grasmere est décrit par Wordsworth qu'il lui apparut un
matjn de Mptc'nbre, dans le charmant poème, des noms de <ct<.);. C'est
de là tnMre, je veux dire de ce po&fM de cette couronne magnihque de
t'Osmanda, qu'est inspira ce vers; le plus beau des vers pris à part dont
on se souvienne distinctement:
Oà ffdMtedu lac,
t ~fSf solitaire <« bords c/M)!f& par les vieilles romances.

y<t~is dottc raison de faire cette t<ser\e. Le Gra~mete avant cet


<m!rt« et t<Gr.nn<Ère qm-ini Stteeedait étaient deux v&tit~e! bien
différentes.
t.KSt~.A)S!RSHt:OP)UM x<:

çant par les roses de mai et Unissant par le jasmin, Mais


nous ne sommes pas au printemps, ni en été ni en automne
nous sommes dans l'hiver, sous son aspect le plus farouche.
C'estlà un point très important dans -la science du bon-
heur. Et je suis surpris de voir que les gens, quand ils se
félicitent de ce que l'hiver vient ou s'en va, sont satisfaits
de ce qu'il a été ou sera probablement doux. Je pétitionne,
au contraire, tous les ans, pour qu'il y ait le plus possible
de neige, de grêle, de gelée, d'ouragan de toute sorte, autant
que le ciel pourra en fournir. Assurément chacun connaît
les divins plaisirs qui vous attendent au coin du feu, en
hiver, les lumières allumées à quatre heures, les tapis de
foyer bien chauds, une jolie main pour servir le thé, les
volets fermes, lesrideaux tombant à grosplis surle pencher,
pendant que la pluie et le vent font rage et bruissent au
dehors.

Et semblent crier à travers les portes et les fenêtres,


Comme s'ils voulaient confondre le ciel et la terre;
Maisils ont beau faire, ils ne trouvent pas la moindre entrée;
Aussi notre repos n'en est que plus doux sous les voûtes
[massives.]
a /e<A~MK~a~M~o~;tc.

Te!~ sont les éléments de la description d'une soirée


d'hiver; il n'en est aucun qui ne soit familier à tous ceux
qui sont nés sous les hautes latitudes. Et tous ces raffine-
ments ne sont mûrs que quand le temps est orageux ou inclé-
ment de façon ou d'autre. Je n'ai pas de préférence pour que
le temps soit neigeux, d'un froid noir, ou qu'il fasse un vent
tel que, comme le dit M. Ctarkson, l'anti-esclavagiste, l'on
puisse « s'y appuyer le dos comme contreun poteau ?. Jeme
contenterai dé la pluie, pourvu qu'il pleuve des*chiens et
des chats, ou, comme disent les marins, « des canons et des
ëpissoirs », mais il me faut quelque chose dans ce genre,
sans quoi je me trouve déçu en quelque point. Pourauci
l'hiver m'imposerait-il une si forte dépense en bougies, char-
9~6 !.KS Pt.AtStRS DK 1.'OPIUM

bon, etc, si je n'ai pas les avantages qui en résultent ? Non,


il me faut pour mon argent un hiver canadien ou russe,
partout ou l'homme partage avec le vent du Nord la pro-
priété de ses oreilles. En vérité, je suis épicurien au point
de ne pouvoir savourer pleinement une nuit d'hiver,tant
que la Saint-Thomas n'est pas passée depuis longtemps, et
lorsque l'hiver commence à prendre une direction fâcheuse
du côté du printemps en fait il doit être séparé de la
lumière et des rayons du soleil par un épais mur de
nuits bien noires. Ainsi donc, partons de la première
semaine de novembre pour aller à la fin de janvier; le soir
de Noël sera là ligne méridienne qui servira pour le comput
de la saison du bonheur, laquelle, selon moi, fait sans appa-
rition au salon avec la bouilloire à thé. Le thé, n'en
déplaise à ceux qui le tournent en ridicule parce que leur
sensibilité nerveuse est émoussée, ou devenue telle par
l'effet du vin, à ceux qui sont insensibles à l'effet d'un sti-
mulant aussi délicat, le thé sera toujours la boisson favorite
des gens intellectuels. Pour moi, j'aurais fait alliance avec
le docteur Johnson pour faire ~c~MHttM~rMectHMMà Jonas
Hanway ou à tout autre impie qui voudrait le déprécier.
Mais ici, pour m'épargner la peine défaire une trop'longue
description verbale, j'introduirai un peintre et je lui don-
nerai mes instructions pour qu'il achève le tableau. Les
peintres n'aiment pas les maisonnettes blanches, à moins
qu'elles ne soient fortement barbouillées par le temps, mais
comme le lecteur sait maintenant qu'il s'agit d'unc soirée
d'hiver, nous ne demanderons les services du peintre que
pour l'intérieur de la maison.
Peignez-moi donc une chambre de quatorze pieds sur
douze, dont la hauteur ne dépasse pas sept pieds et demi.
Voilà, lecteur, ce que ma famille nomme assez ambitieuse-
ment le salon; mais comme il est forcé de a jouer deux
rôles o, onle nomme aussi et plus justement la bibliothèque:
il se .trouve~en effet que les livres sont le seul article sur
Icoue! te <.<H!"~}n%r'ch~ ("M m<*svoisins: J'~n <r!V'r<M*
t.KSPt.A)X!RSDE L'OP~M 3~
cinq mille que j'ai rnssemblés un à un depuis ma dix-hui-
ticme année. Donc, peintre, mettez.en le plus que vous
pourrez'dans h chambre; bourrez la de livres; de plus,
peignez-moi un bon feu, un mobilier simple et modeste,
comme il convient au cottage sans prétention d'un lettré.
Près du feu, représentez une table a thé, et comme il est
certain que personne ne viendra nous voir pendant cette
soirée orageuse, mettez seulement deux tasses et deux sou-
coupes sur le plateau à thé, et si vous savez comment
peindre une chose de ce genre, symboliquement ou autre-
ment, peignez une théière éternelle, – éternelle a parte
ante et a parte. post, car j'ai l'habitude de boire du thé
depuis huit heures du soir jusqu'à quatre heures du matin.
Et comme il est désagréable de faire son thé ou de le verser,
représentez-moi une jeune et jolie femme assise a la table.
Que ses bras soient comme ceux de l'aurore, que son sou-
rire soit celui d'Hébé. Mais non, chère M. n'insinuons
pas, même en plaisantant, que la lumière que tu répands
dans mon cottage soit subordonnée à une source aussi
passagère que la simple beauté physique, ou que l'enchan-
tement de ton sourire angélique puisse être saisi par un
pinceau terrestre Aussi, mon beau peintre, laisse cela pour
un objet plus ta portée; celui qui s'en rapproche le plus,
ce sera moi-même. Représente le mangeur d'opium, avec
clepetit récipientd'cr contenant la pernicieuse substance
placé sur la table à côté de lui. Quant à l'opium, je ne
m'oppose pas à voir un tableau qui le représente; faites-le,
si vous voulez; en tout cas, je vous apprendrai qu'un
< petit récipient », quel qu'il soit, ne sera, même en !8t6,
ce qu'il faut pour mon dessein, qui était bien éloigné de
l'époque de l'imposant Panthéon et de tous les apothi-
caires «mortelsou autres ». Non, bornez-vousâ peindre le
récipient tel qu'il est, non en or, mais une simple carafe
de verre, comme il convient à un être sublunaire. Un
jour, par une suite d'exp~ncRees bien conduites, j'ai décou-
vert que c'était une carafe. Vous y mettrez un quart de
'7
<;& !.M tLAMtMB)Ct.'tM't<J)t
laudanum à couleur de rubis, et en plaçant à côte un
tivre de métaphysique demande, on saura centinement
q~ je suis tout près. Quant à mon portrait metne, j'hérite.
J'admets que je devrais figurer au premier plan dans le
tableau. Etant le héros de la pièce, ou, si -vous préférez, le
criminel à la barre, je devrais être en personne dans !a salle
d'audience. Cela parait raisonnable, m~h pourquoi me Õ
conf~tserais-je sur ce point à un peintre ou à qui que ce
so!t f Le public, a ForciHe de qui je murmare confiden-
tiellernent ces confessions toutes privées (ce que je ne fais
pas pour te peintre) pourrait peat-ètre M représenter le
mangeur d'opium sous un aspect agréable il lui aurait
attribué avec une disposition romanesque, un extériear
é!egant, une belle figure pourquoi lui arracher cruelle-
ment une iKusion aussi charmante ? –* Charmante pour le
public comme pour moi. Non, peignez-moi, si vous me pei-
gnex~ selon votre fantàisie, _.etcomme la fantaise d'un
peintre se plaît à de belle créations, je ne puis, de cette
manière, qu'y gagner beaucoup.
Maintenant, lecteur, nous avons parcouru successive-
ment les dix catégories de ma situation, telle qu'elle était
vers .ïStu-ïy, année jusqu'au milieu de laquelle j'estime
que j'ai été un heureux mortel. Voilà les éléments de bon- ;c
heur quûtje me suis efforcé de mettre sous vos yeux dans
l'esquisse ci-dessus d'une bibliothèque de lettré, dans un
cottage montagnard, par une soirée orageuse d'hiver, peu-
dant que la pluie bat avec une fureur vindicative contre les
fenêtres, par un temps si noir que vous ne verriez pas =
votre main si vous la placiez entre vos yeux et le cie!.
Mais il faut dire adieu, un long adieu au bonheur, soit en
hiver, soit en été, adieu aux, rires et aux sourires, adieu à
la paix de l'esprit, aux rêves tranquilles, aux consolations
bénies du sommeil. Voilà plus détruis ans erdctmr que~
tout cela s'enfuit loin de moi. Ici comme-nce l'Iliade de
mes- maux, et levais entrer dans la période des Torturer
de l'opium. h
LES TORTURES DE L'OPIUM

*At)t*tqa'B<t~dp<i"!t'ttretttp<
MMtpinetMdMn.UnMireturdatrtni-
blement~!e te et de i'~dipM.
(Sxet.t.E)r.)~fft'~t'r/~t!m.)

qui m'avez accompagné jusqu'ici, je dois faire


Lecteur,
appel à votre attention, avant d'aller plus loin, sur les
remarques suivantes.
Vous êtes déjà averti, je l'espère (sans cela vous auriez
une opinion peu favorablede ma logique), queues tortures
de'Topium, sur!e!que!!es je m'étendrai conformément au
titre ci-dessus, se rattachent à mesanctennes souffrances de
Londres, et par celtes-ci à celles que j'avais éprouvées plus
anciennement encore dans les Galles; qu'elles ont avec
elles un lien naturel, en d'autres termes que mes premières
souffrances ont engendré les plus récentes. Sans cela, ces
confessions seraient coupées en deux parties sans aucun
rapport réciproque, dont la première serait le récit des
malheurs de mon enîance, la seconde tout à fait indépen-
dante, ;ïe récit des souffrances consécutives aux excès
d'~p~Ms. Ce? dcmr parties. n'auraient aucune connexion,
sumn le fait bien peu important qu'elles appartiennent
toutes deux à !a même personne. Mais un peu d'attention
~S~paurtcomTer combien cette connexion est étroite.
~60 KS TORTURES DS !OP}UM

Cespriv&tions endurées soit dans les Galle;, soit à Londres,


partant sur l'organe te plus faible de mon système
dèn-
physique, c'est-a-dire sur l'estomac, eurent pour effet
nitif l'état maladif et irritable de l'estomac qui m'amena à
employer l'opium comme le seul remède assez puissant pour
me soulager.
Voila qui fournit un lien satisfaisant entre les deux par-
ties de mon récit.
L'opium n'aurait jamais été probablement élevé à la
dignité d'auxiliaire quotidien et viager, s'il ne m'avait
pas prouvé qu'il était l'unique agent capable de calmer les
tortures que m'avaient laissées mes privations de jeunesse.
Par là un M~n<t, tel que celui de la cause et de l'effet, est
assez bien établi entre le premier récit et le second, entre
les souvenirs de mon enfance et ceux de mon âge mûr. 11
n'en faudrait pas davantage pour montrer l'unité de toutes
ces confessions. Mais, bien que cela ne soit pas nécessaire,
il se trouve qu'un autre bien digèrent rattache ensemble
les deux récits distincts. Le seul phénomène par lequel
s'exprime l'opium, le seul phénomène qui soit communi-
cable, consist&dans les rêveset principalement dans la scène
Mais
qui les entourait, sous l'influence des abus d'opium.
il .est naturel que ces rêves et le décor dans lequel ilss
s'accomplissaient tirassent leur structure et leurs maté-
riaux,. leurs masses d'ombre et de lumière, de ces
profondes révélations qui avaient été si fortement gravées
dans mon coeur, de ces traits creusés à l'eau-forte que les
immenses foyers de la vie de Londres avaient sculptés en
souvenirs éternels sous la dure influence, de' la détresse.
Aussi il est certain que les anciennes épreuves de mes fautes
en{antines,eurentpour résultat non seulement de me con-
duire' indirectement- a l'opium, mais encore de gouverner
les phénomènes principaux de ces expériences définitives.
Tel est donc le résumé le plus sommaire de l'ensemble de
la situation: l'objet final de tout ce récit aboutit .aux rêves.
C'est en vue de'ceux-ci que se dirige toute ia narration.
!.KS TORTURES DR t.'Ot'K'H a6t
Mais queUe était la cause des rêves ? C'était l'opium em.
ployé avec un' excès sans exemple. Quelle était la cause de
ces abus dans l'emploi de l'opium ? C'étaient ces souffrances
d'autrefois celles-ci, seules, avaient cause les dérangements
qu'ellés avaient laissés derrière elles dans l'économie orga-
nique. En exposant la situation de cette manière et par-
tant de !a fin pour remonter au commencement, je fais voir
qu'il y a un lien ininterrompu et unique entre toute cette
série d'expériences; en premier, en dernier lieu, les rêves
étaient l'héritage laissé par l'opium, l'opium était l'héritage
hussé par mes folies d'enfant.

Vous trouverez peut-être que je suis trop confidentiel


et tropcommunieatifau sujet de ce qui meconcerneperson-
nellement., Cela est possible. Mais ma façon d'écrire con-
siste surtout n penser tout haut, à suivre mes dispositions,
plutôt qu'à me demander qu'il est mon auditeur. Pour
peu qu'eje m'arrête à me demander ce qu'il est convenable
de dire, je me demanderai s'il est convenable de dire quoi
que ce soit. En réalité, je me figure que j'écris à une dis-
tance de vingt, trente, cinquante ans du moment pré-
sent, soit pour être agréable à ceux qui ont bien voulu
conserver de l'intérêt pour moi, soit en vue des personnes
(en grand nombre, et en nombre qui croît sûrement tous
les jours), qui prennent un plaisir inextinguible aux
mystérieux effets de l'opium. Car l'opium est ~r~Mjf,
mystérieux au point parfois d'être en contradiction avec
lui-même, – si mystérieux qu'après en avoir usé si long-
temps, et souvent même abusé, je continue à me tromper
dans les conclusions de plus en plus éloignées que je sup-
pose à un certain moment conformes à la vérité. Voici cin.
quante-deux ans que j'emploie l'opium comme une res-
source magique contre toutes les sortes de souffrance
physique, je puis le dire,sans autre interruption que quel-
ques p<H-'<x~ de quatre bu six mois, pendant lesquels par
des efforts extraordinaires de volonté, je suis parvenu
a0: MS TORTURA t)E t.'ODUM

m'en abstenir eompietement Apart ces intervalles, et


quelquesautrciunterruptions, Je brouille
essai: avec l'opium
au commencement de ma. carrière, je puis dire que
j'ai expérimente l'opium pendant un peu plus d'un demi-
tiecle. Quêtât donc mon avis définitif sur le bien ou !emal

qu'il peut produire ? La question porte surdeux tendances


capitales que l'on attribue populairement, et tort, il

ropium, savoir la prétendue nécessite d'en prendre une

quantité toujours croissante, ainsi que l'affaiblissement

correspondant qu'on suppose dans son pouvoir et son eSi-


cacite. Quelle est donc mon.opinion ~inate et précise sur
cesdeuxhorribles défauts? Le lecteur sait que, quand nous
amTons A quarante ans, nous sommes fous ou ϑdeans, a

'<~M) est le rcsdtxt <a<), 'c'ttt ce q«e )t ne saurais dire. !a~6t{aHe*


ateut.ttpi~s deïetits fictoirc~, ayant bien pesé toutes ~es tons~quehee-.
pouf ou contre, je r<tcu) nais de pt) ti prit à !'t'e de l'opium. Mois <:<;
N'était pas Mn; de grands ehangetneMtt accomptis <H fitence dsns !)M
txtni~M de prendre l'opium, changements dus A ces luttes rt)t<)-<Ste..L'un
de ces tbMgemcnt': consista en ce que Ja quantité qui n~Hsit t~eKMirc
dinu)).~ peu t peu ~Ms des propor~oM énormes. Selon t'expression
emptoyee ~aas ]e Slang, au a~i)ieu de tM carrière, comme jmaHgeur
û'opima,}'Ma~'a); consomme une quantité 'fabuteuse t. Cette quantité
non d'optant en nature, mais de ieh)turc, connue communément sous le
nom de hnaanata, devait & 8,000 souties par jour. Ecrivez cette ~ttan-
ntetnthi:rre5 arabes, et vous verNzaupremierconpd'œi! qu'elleformait t
8 doses de t ooo gouttes, oa Soa doses de !o gouttes, ou enfin 80 doses de
too gonttes. Une seule dose de too~outtetfempHrt une de ces cuillers à
thé tomme les faisait autrefois, et ejtume on les trouve encore chez
les pauvres tn habit noir. So de ces doses auraient tenu dans 80 de ces
*cui))crs tmtedno'ienaes, ea d'aut~-es termes, dans an Mpite), teit tBt tuni
pour trois <entv:agtma).tdet ~jat'es.Mtis la cuiller àthéemp!oyee dans
ee jm* siècle, est presque aussi grande que la cuiller à dessert de nos ateux.
Voici comment je m'es suis reada compte. Pexditat le xvtU' eieeîE, qutnd
te ~ie ~mmerica à ~tre CMMu par la classe euvfiepe, les &m~es seules en
pren<tM'ut{ les hommes, même ceux qc! t;tt:ent bien élevés persis:eren[
le plus M~u~ent, )<nqa*& Révolution française, à traiter une telle boisson
<vec mépris, comme ineipide ett<M)M ~owr ]<s jfetMtes. Cet ettêtement
dans les habitudes mtKtdiBes gouv~Mit M:r~tement ia fabrication des
cui))eri. à thé. Jusqu'à Water)oo, les cuillers & thé étaient faites tur h
mesure ces bouches Kiau)t')M ~pa! an gmta pre&t~e~ *t!)« extio-
na~e~ le sexe p!M hâ)~ <t p't<tsgrotster t'ctfuat rej à peu if.is~e aller à cette
habitude enemic.ee de bo:re du tlié, la dimension des cuiiters à thé s'aug-
menta ea ifue des gueules de cormoran qui se penchaient sni Jes piatesu\
~'m6aaBS€MBOuVent-i~MMMM.
LM TWTUMS DK t.*OMUM ~63

ce que dit ie proverl~e de nos ancêtres (/co/ or pAywM~).


Apparemment nos dignes aïeux visaient à l'allitération et
écrivaient pA~t'n'~R avec un Et p~.jrquoi pas ? Le
p~Me d'un homme est incontestable, bien que la ma-
nière de l'écrire soitsujetta à quelques améliorations. Mais
je présume que ce proverbe signifiait ceci qu'à cet &ge on
peut exiger d'un homme qu'il accepte la responsabilité de
sa propre {santé. U est donc de mon devoir d'être, en ce
sens, un médecin, de garantir, autant que la prévoyance
humaine peut garantir quelque chose, ma propre santé cor-
por&Ue, Quant à c<la, j'y ai réussi, à m'en rapporter aux
témoignées pratiques et ordinaires. Et j'ajoute solennelle-
ment que, sansl'opium, je n'aurais pas atteint ce but. JI y a
trente-cinq ans, je n'en doute aucunement, que' je serais
enterré! 'Quant aux deux alternatives du dilemme popu-
laire, dont la première est qu'il faut renoncer a l'opium ou
en prendre chaque jour une quantité indéfiniment crois-
sante la seconde que même en adoptant une échelle crois-
sante, il faut se résigner à une efficacité toujours décrois-
sante, et à la condition désespérante de descendre enfin
au martyre du buveur de liqueurs fortes, je me pose en
adversaire résolu, et je nie carrément toute cette doctrine.
Quand je débutai dans la carrière de l'opium, je le fis avec
une grande inquiétude; devant mes yeux bottaient les
images claires et sombres, selon mes dispositions du mo-
ment, des buveurs de brandy, que j'apercevais souvent sur
la limite du deiirium tremens. Je poursuivais l'opium sous
l'influence d'une inexorable nécessite; je le voyais comme
une puissance inconnue, mystérieuse, qui me conduisait je
ne savais où, comme un être capable de changer sou-
dain d'aspect sur cette route ténébreuse. Je vivais habituel-
lement sous l'impression de terreur que nous avons tous
~prou Me. quand on nous racontait les histoires de cerfs,
ou prétendus cerfs, qui se faisaient poursuivre par un chas-
seur à cheval pendant plus d'une lieue, jusqu'à ce qu'ils
l'eussent égare dans les profondeurs d'une forêt sans
a6~ ï.KS TOKTUMS
RK !OP)UM
.bornes; alorsle retour étant impossible, ils s'évanouissaient
tout coup, laissant l'homme dans une épouvante extrême,
ou bien ils prenaient une forme encore
plus redoutable.
Une partie du mal que je redoutais se réalisa en effet, mais
la seule cause en était mon ignorance, ma négligence des
précautions nécessaires, ou la grossière insouciance a
l'égard de ma santé, relativement à certains dnngers que je
connaissais fort bien, mais dont
j'appréciais mal l'impor-
tance et la gravité. J'étais tempérant c'était mon seul
avantage, mais sous les séductions endormantes de l'opium,
je me laissais altéra une vie absolument sédentaire, alors
que je croyais armement qu'un exercice violent était tout-
puissant contre toutes les sortes de faiblesse ou d'irritation
nerveuse de nature obscure.
Le récit de mon accablement, et de mon état tout à fait
désespéré, tel qu'on le verra dans le paragraphe suivant
(n° 3), est une description ndele d'un cas réel. Mais en
attribuant cet état à l'opium comme :t une cause suprême
et prédominante, j'avais parfaitement tort. Vingt jours
d'exercice, une promenade de vingt fois vingt milles, ù
raison de trois milles ou trois milles et demi par
heure, à
un pas ordinaire, m'aurait lancé aussi vite
qu'un ballort
dans les régions de l'excitation naturelle et
hygiénique,
où l'abattement était un phénomène
impossible. 0 ciel i
comme l'homme exagère ou néglige ses tcssources natu-
relles 1 Mais le lecteur rénéchi se dispose à dire
qu'il faut
distinguer entre ces ressources naturelles, et l'opium, res-
source qui, loin d'être naturelle, est.artincieUe
au plus
haut degré, qui est même absolument opposée à la nature.
Je pense autrement; me fondant sur une expérience vaste
et qui dépasse peut-être toutes les autres,
m'appuyant aussi
sur mes expériences incertaines, qui ont varié 'de toutes
.les manières possibles, de façon acculer la solution dans
tous les angles successivement, j'énonce les trois
proposi-
tions suivantes, dont aucune n'est connue du
vulgaire, et
la troisième, qui ne tarera nos a ~n-eé'abHe, a une impor-
t.KSTORTURESDB t/OP)UM 96?
tance nationale, je veux dire qu'elle est relative non-e
maladie héréditaire en Angleterra.

En ce qui concerne l'accroissement morbide de l'ha.


bitude chez le mangeur d'opium, habitude qui, une
fois enracinée dans ~économie, étendrait ses tentacules
comme un cancer, il n'est pas en mon pouvoir de me
prononcer d'un ton d'oracle sur le cas en question, c'est-
à-dire sur le danger apparent d'une telle pratique, et
de préciser par quels degrés on nrrive ordinairement au
dernier terme; cependant je voudrais pouvoir le faire.
Etant un oracle, mon désir serait de me conduire
comme un oracle, et de ne pas éluder les questions faites
convenablement, comme Apollon les éluda trop souvent
à Delphes. Mais dans le cns particulier qui se trouve devant
moi, l'accident de mon voyage par mer en présence de cet
orage contrariait l'évolution naturelle du problème sous
sa ibrme la plus dangereuse. Je me sentais trop mal à mon
aise, en reconnaissant la condition violemment artificielle à
laquelle j'étais parvenu peu à peu grâce à des quantités
inconnues jusqu'alors dans l'usage de l'opium; les ombres
de l'éclipsé étaient trop noires et trop effrayantes pour ne
pas m'effrayer, et provoquer de ma part un effort convulsit
pour reconquérir le terrain perdu. Cet effort, je le fis
chaque pas que j'avais fait dans la fausse route, je le refis
patiemment en sens contraire. Aussi j'empêchai la catas-
trophe naturelle et spontanée, quelle qu'elle pût être, par
laquelle la puissante Nature se serait évertuée à redresser les
tortsquiluiavaient étéfaits. Mais quelle fut Inconséquence?
Six ou huit mois plus tard, sous la nouvelle influence
d'une insupportable irritation nerveuse, je m'embarquais
encore pour aller dormir sous l'effet de l'opium. A droite,
à gauche, en haut, en bas, j'allais ainsi sùr cette mer acci-
dentée une année après l'autre, « Balancez-vous » disait

B.tttace~fM)' C'~r !*?'eHr.voa: n'M~: p.uc!.u!n d'an oracte


pour apprendreque celavient d'une Ytei))echan5ond6
nourrice, qi! peu-
t6ù iUMTCMTUXKS
~S ~'OMUM
.Margery !)<tW, qui vendit son lit pour acheter de la paille.
C'est ainsi que j'allai de trxver~, à l'exemple classique de
Miss D~w, montant et descendant pendant des années,
exécutant les manœuvres les plus compliquées, les danses
les plus difficiles, m'éloignnnt, me rapprochant de mon
soleil central, l'opium. Tantôt je courais grand danger à
mon périhélie, tantôt j'étais antraine plein d'effroi, dans
une orbite comëtaire, dans un ophelie de six mois où les
motopium était inconnu. Que ptnsait la nature de ce mou-
vement d'escarpolette ? C'est un mystère absolu pour moi.
L'irritation nerveusem'oMigeatt parfois âd'enrayants excès,
mais ia terreur que m'inspiraient des symptômes imprévus
survenant tôt ou tard, me raa~enatt en arrière. Cette ter-
reurétait augmentée par!cs vagueshypotheses qui couraient
alors ausu)etdciacomT)u<tion spontanée. Me faudrait.
il quitter de cette façon le a!and& littéraire ? Selon rima-
gination populaire, eUc s'opérait de deux manières, mais
il n'y avait guère moyen de choisir l'une ou l'autre. La
première, consistait à faire explosion; l'on éclatait, !a nuit,
sans qu'il eut de lumière tournée au voisinage, et on ne
laissait d'autres vestiges que des os, inutiles à tout le
monde, et on ne pouvait vous les attribuer que parce
qu'ils notaient réclamât par personne. On s'imaginait
qu'il se formait un volcan, un amas inconnu, produit par'
une grande abondance de brandy, qui fournissait les maté-
riaux de cette explotton spontanée. Cela faisait reculer la
crédulité de beaucoup de gens, et on expliquait la chose
par une hypothèse plus plausible, attendu qu'il fallait le
concours d'une aHamette-bougœ. Sans une matière incen-
diaire, on ne prenait pas feu. ~ous royons quelquefois les
mains des buveur~ invétérés répandre un nuage de vapeurs
alcooliques asse:,épaisses pour plonger les mpachcs dans

t)aRtlongtemps< résisté &la critique, à la colèrecontre-lesennemi!:de


Q~w,–à la pitMpourDaw elle-même,si honteusementmisesurja pai))e.
<tquiateca.)~re-~ngt6~ener.(t)Ot)s<t'Mfan:s,tn<ompt<ntrieq aa< par
~Mt&t~~M ~w~M~'
i.H TORTUKKS
UK ~'OptUM !t6y
te sommeil ou le <'omiT;<rap)Ès le même principe, on
supposait que la respiration pouvait être surchargée de
particules spiritueuses, en assez grande proportion pour
prendre teu quand le sujet approchait de sa bouche une
allumette pour allumer la pipe qu'ihenaitentre ses lèvres.
Alors, qu'est-ce qui pouvait empêehcri'" élément dévorant »
(ie feu, dans le langage des journaux) de pénétrer par la
gorge dans la poitrine; celle-ci, n'étant pas assurée.
l'homme était perdu, cela va de soi. L'opium, dira le lec-
teur, n'est pas de l'alcool; c'est vrai, mais il pourrait bien
être encore pire, en dënnitive, si l'on s'en rapportait a
l'expérience. Coleridge, le seul homme que le public
connaisse comme familier avec l'opium, comme en prenant
tous les jours, par système, et pendant bien des années,
ne pouvait être considéré comme l'historien sincère de ses
progrès. De plus, Coleridge vivait dans l'illusion perpétuelle
qu'il était sur le point de s'a<ï'rancMr de l'opium, et il en
était arrivé à avoir un motif extérieur pour se faire cette
illusion. Etant sur une route soHtaire et mal famée, qui
conduit a un point que ne peut m'indiquer l'expérience de
personne, je devins extrêmement défiant, et .si la nature
avait ourdi quelque trame pour fairf: un exemple sur moi,
j'étais résolu à la berner. Aussi je ne suivis jamais les
séductions de l'opium jusqu'aux dernières extrémités.
Néanmoins, en échappant a ces extrémités, je me heurtai à
âne découverte aussi importante que si je ne les avais pas
évitées, après !a première ou la seconde victoire dans cette
lutte, je reconnus qu'il m'étaitimpossible de persister pen-
dant plus de quelques mois dans l'abstinence de l'opium,
m&is je remarquai que la tyrannique exigeance de sa domi-
nation décroissait de beaucoup à la longue; les doses
nécessaires étaient notablement inférieures, et, après la
quatrième victoire, qui me coûta des efforts encore
moindres, je m'aperçus que non seulement la dose quoti-
dienne câpresla rechute) é.MttdJmi)w~4)MM u'KpTTp'~Mn
énorme, mais encore que si j'essayais de revenir à la dose
'68 ms TORTUHMM t.'ot']UM
primitive, il se produisait des symptômes nouveaux, c'est-
à-dire une irritation superficielle de la
peau, qui ne tardait
pas à devenir insupportable, et tendait a m'eu détourner.
En quatre ans environ, sans
beaucoup d'efforts, ma ration
quotidienne était tombée d'elle-même, d'une quantité qui
variait de huit, dix ou douze mille gouttes de laudanum
la celle de trois cent. Je parla de laudanum,
parce qu'un
autre changementseproduisitparaltèttementa
celui'ia, c'est-
à-dire que l'opium employé sous la forme solide
exigeait
un temps assez long, et de plus en plus long pour dissémi-
ner sensiblement ses en'ets, temps qui allait parfois
jusqu'à
quatre heures, tandis que la teinture opérait d'une maniera
instantanée.
l'ai donc atteint une position du haut de laquelle
je puis
me prononcer avec autorité, et donner le résultat d'une
expérience longue, anxieuse, vigilante. En admettant qu'il
fasse des efforts sérieux, quoique
intermittents, pom-
s'imposer des périodes d'abstinence, le mangeur d'opium
s'assure une enthanasie naturelle, et
inévitable, par la
pratique de l'opium employé avec le plus grand excès.
11 y a des années, quand
j'esquissais légèrement ce sujet,
j'annonçai un fait qui dès ce moment m'était connu., savoir
qu'aucune période d'abstinence, fût-elle de trois jours de
suite seulement, n'était perdue. Dix grains retranchés a
une dose journalière de cinq cents, font un total
respectable
au bout de plusieurs semaines, et l'on verra
qu'ils modifient
le résultat final, même en comptant sur une année. En ce
moment, après un demi-siècle d'expériences et d'oscilla-
tions, sans autres eHorts ou tentatives d'abstinence, en
dehors de celles que j'ai faites sérieusement de plusieu-s
phases, cinq ou six en tout,.pour me délivrer du jougd::
l'opiur.i, je me suis retrouvé a très peu de chose près dans
le même état qu'au début de cette
longue période, On ra-
conte de lord .Nelson que, même après le Nit et 1
Copen-
hague, illui Miait, quand i!tcpr6nait!a vie nayal?.pfvar i
la dette que la nature exige
des plus jeunes mousses/ou des 1
1
t.M TOtU'URKS t)K t.'0'M
~g
_r_ · a
mathurins les plus neufs, je veux dire :& mal de mer. Cela
arrive un grand nombre de matelots, ils ne retrouvent le
pied marin qu'après avoir passé quelques jours à bord. Il
en arrive autant aux vétérans de l'opium,quand, après cette
longue interruption, ils reprennent avec lui l'ancienne
famiiiarité et trop brusquement. Je mentionne ce fait,
comme preuve de l'immense changement qui s'est accom-
pli, que dans ces derniers cinq ans, je me suis senti pâlir,
que j'ai éprouvé des avertissements qui m'annonçaient un
malaise de ce genre, pour avoir pris vingt grains d'opium
au: plus. Maintenant et depuis quelques années, je me con-
tente ordinairement de cinq ou six grains par jour, au lieu
de trois cent vingt on quatre cents. Terminons cette revue
en disant que le pouvoir de l'opium comme
anesthésique,
mais plus encore comme calmant pour les sensations ner-
veuses et irrégulières, n'a pas subi jusqu'à présent la moindre
diminution, et que s'il a par hasard déployé son ancienne
force pour punir de quelques peines légères quelque inat-
tention ordinaire h l'égard des règles, il a gardé intact son
privilège primitif d'engourdir l'irritation, et de favoriser
les efforts qui dépassent la limite.
Ma première proposition revient donc à celle-ci – le
dessein de secouer les biens de l'opium, dessein que bien
des gens regardent comme une tentative désespérée, n'est
pas seulement exécutable, il s'accomplit avec une facilité
qui croît à chaque effort; il est favorisé, activé par la
nature, qui emploie des voies secrètes, qu'on ne soupçonne-
rait jamais si l'expérience ne les prouvait. Sans doute c'est
une triste recommandation à faire pour louer un remède
qui a des prétentions aussi étendues, que de dire qu'en
triomphant de la faiblesse humaine, on peut s'abstenir de
lui. Ce serait gagner peu de chose que d'obtenir un service
négatif, que de profiter d'un rabais sur un agent, jusqu'à
ce qu'il fût démontré que ce rabais a pour effet de tronhtpr,
de neutraliser les grands bénéfires positifs, qui dépendent
des effers de cet agent. Quels sont les avantages qui sont
ayo ma ~MTe«t:< et t.'w<u«
subordonnés fopium etqu!méritenmn nom tel q~.t celui
d*bé~6cM?

Qu'om me permette de dire brièvement, d~ns la seconde


proposition, que si le lecteur avaitvu croître, dansuneforet
de l'Amérique du Sud, an. puisant fébrifuge têt que l'écorce
J~x!<« (le quinquina), il n'y aurait sans doute accorde
qu'une légère attention. Pour en comprendre la valeur, il
eût Mu qu'il souffritd'une fièvre intermittente. De l'écorce,
cela lui paraîtrait peu ~urel comme stimulant, mais il se
dirait qu'une fièvre :rce ou quarte n'est pas un obstacle
moins oppose a!a nature, à l'égard des forces humâmes, et
il finirait par se persuade que denx causes opposées à la
nature peuvent converger ~'ers un résultat très naturel et
très salutaire. L'irritation nerveu$e est le bourreau secret
de la vie humaine, et sans dout~ il n'existe aucun moyen
<tM< de la maîtriser, si ce n'est l'opium pris tous les ]our~
et avec des précautions énergiques. ·

Mais l'importance de ma troisième proposition est d'un


poids plus dcc:sJ encore. Savez-vous, lecteur, quel
est Je fléau (je parle au point de vue physique) de la
Grande-Bretagne et de l'Irlande? Tous les lecteurs qui
s'intéressent aux choses médicales doivent savoir que c'est
la phtisie pulmonaire. Lorsque vous vous promenez dans
une forêt à une certaine époque de l'année, vous pouvez
apercevoir une marque de peinture blanche faite sur l'élite
des arbres, qu'on signale ainsi au forestier pour qu'il les
abatte. Cette marque-la, si le monde ténébreux consentait
à révéler ses projets, onlaverrait aussi distribuer se:, indica-
tions éloquentes surles jeunes hommes et les jeunss femmes.
Parmi ceux qui, selon l'expression de Péricics. forment le
~rts<c~K~ de la population, quelte prodigieuse proportion
serait celle des personnes qui-porteraient su:' le front cette
même marque désolante, ou tout autre symbole d& consé-
.'?"<Mt- 't*~ t<M*%)M?
p!t"t'é<: ~M*~ M4K"<
LM TORTUttM &t L'OMJM ayt
en songeant à la boucherie annuelle qui prendra ses vie*
times désignées dès leur naissance principalement parmi
les enfants pleins d'errance, et qui décime impartiale-
ment tous les rangs de la société. La taxe du revenu, la
taxe des pauvres est-elle aussi régulière dans sa répartition
que l'impôt paye par 'OM<Mles classes, ce florilegiuni, qui
moisonne les fleurs Stries par 'a nielle, et par fout? Alors
surgit la question pleine d'angoisse, qui perce tes cœurs de
tant dé milliers de familles N'y a-t-il aucun remède ? N'y
a-t-il aucun moyen de pallier ce mal ? Ne perdez pas une
seconde Il reHéchir sur ce vain sujet, quand celui qui parle
est armé. d'une autorisation qui est régulière pour un motif
ou un âutre. Représentez en votre for intérieur combien
une pauvre mère aurait de force méprisante, si, auprès du.
cercueil de sa nUe, elle pouvait croire ou s'imaginer que des
vestiges de scrupuleuse ctiquette, de superstitions nées avec
nous, que la terreur d'un mot, un vieux préjugé tradition-
nel, a neutralise une chance de salut sur mille pour s:.
fille, a pu s'interposer entre la malade et une guérison sût'c
et parfaite, – cela étant une possibilité pour cite, mais une
certitude paur moi, ainsi que je pourrais le lui dire. Elle
s'écrierait dans son indignation K Qu'importe qui dit la
chose, du moment que la chose elle-même est vraie f o Ce
qu'il faut, c'est le mot puissant et sûr, quelle que soit la
bouche qui le prononce. Qu'on me permette d'énoncer un
fait bien connu toute consomption, bien que latente dans
l'économie, et révélée par des caractères visibles dans la
conformation corporelle, ne se manifeste pas forcément par
un état maladif, jusqu'à ce qu'une sorte de « refroidisse-
ment », de bronchite, d'affection banale de la poitrine ou
des poumons forme un point de départ pour le développe-
ment morbide~. La faute mortelle consisTc en une seul.

Hexisteun cas parallèle,qui ce termineaussi fatalementparfit mort,


moisdont l'évolutions'opère dans un cercleétroit. H y a cinquante ans,
6irE\'<r.'rd Home, chirurgien dnpiusgrjnd mérite, signaiait,d'aprèsson
~xpMt~t<<~H~<sM;sdc!Mn~ds: ~)-tM:
S'7~ LES TORTURM DE t.'OPtUM

chose, laisser ce développement se produire; le seul secret


qui puisse l'arrêter consiste à entretenir, à provoquer
par tous les moyens possibles la perspiration insensible. H
sumt de savoir diriger une fonction constante de l'économie
animale voila le talisman magique pour mettre en déroute
les forces liguées contre les grands organes de !a respiration.
Des affections pulmonaires, si on ne leur permet pas de se
développer, ne peuvent persister sous l'action continue et
curative de cette force magique. En conséquence, il suffit
de se demander quelle est la substance puissante qui pos-
sède cette action, puissance comparable à celle du « fils
d'Àmram s etparlaquelleonfaitjaillirdes ruisseaux salubres
qu'on tire, pour la guérison, d'un tissu d'ailleurs dèsséché,
aussi aride que les rocs de la solitude. Je n'en connais
qu'une qui réponde à cette nécessite, c'est l'opium. Une
dame de Londres me donna l'occasion de soupçonner obs-
curément les effets de cet agent énergique. A cette époque et
depuis quelque temps, elle donnait l'hospitalité à Goleridge,
pour lequel elle avait des égards tout filiaux. Aussi elle
n'ignorait pas qu'il avait l'habitude de prendre de l'opium.
Un jour, pour répondre à une observation qu'elle me faisait,
je lui demandai à quels signes elle reconnaissait que
Coleridge serait incapable d'écrire, ou, pour mieux dire, de
se livrer à aucune occupation littéraire, elle me répondit
< Oh 1 je m'en aperçois fort bien au brillant de ses joues.
La figure de Coleridge, ainsi que le savent ceux à qui elle
est connue, présente des joues d'une vaste surface, trop
vastes pour l'expression intellectuelle de ses traits, si l'effet
d'ensemble n'étatt racheté parce.que Wordsworth appelait

simples tubercutesd~ l'aspectle plus banal,qui, après être restéestrente


ans et plus sans causer le moindre désagrément, étaient lésées de la
façon la p)us'egere. par le rasoir. Que s'en suivait-il? Unefois dérangée,
cette excroissancebanaledevenaitun cancerbien défini.Se produit-il une
catastMpheanalognedans le système pulmonaire,quand elle est ac(t'<:e
dans son développementpar une cause occasionnelle,et cette catastrophe
Mt-e)ts MMMe de rester ât'etat-de meuaceinvisibleMXyeux iuexperi.
memet? Mais, d'autre part, il y a des milliersde cas où eUeepparaitra.
t.ES TORTURES Ils t/OPtt'M 2~}
son front divin. Grâce à cela, il n'était pas de joues qui
offrissent, qui montrassent aussi largement leur état, et
spécialement leur éciat sous l'influence des excès d'opium.
Pendant plusieurs années, je laissai cela sans y réfléchir,
ou sans pouvoir m'expliquer cette splendeur faciale. Enfin,
soit e'~<ù MM/M,soit par quelque indication médicale,
j'en vins à comprendre que cette face brillante, aussi res-
plendissante que celle de l'antique demi-Dieu païen. Escu-
lape, devait son éclat h la simple accumulation de la pers-
piration insensible. A cette heure, h l'heure mémorable où
je fis cette découverte-la, j'en fis une seconde. Ma propre
histoire, au point de vue médical, contenait un mystère.
Au début de ma carrière comme mangeur d'opium, j'avais
été regardé comme une future victime de la phtisie pul-
monaire, et l'on me l'avait dit plus d'une fois. Bien que les
convenances humaines eussent toujours lait accompagner
cet arrêt sur mon sort de quelques paroles dont la forme
était encourageante, qu'on m'eût dit par exemple que les
tempéraments variaient l'innni, que nul ne pouvait nxer
des limites aux ressources de la médecine, ou, défaut des
remèdes, aux forces curatives de la nature seule, il n'en
fallait pas moins un miracle pour m'ôter la conviction que
j'étais un sujet condamné. Tel était le résultat définitif de
ces communications agréables; il était assez alarmant, et le
devenait encore plus pour trois motifs. D'abord cette opi-
nion était formulée par les autorités les plus dignes de foi
du monde chrétien, savoir les médecins de Clifton et des
sources thermales de Bristol, qui voient plus de maladies
pulmonaires en un an que tous leurs autres collègues
d'Europe en un siècle; cette affection, comme je l'ai dit,
était un fléau tout à fait propre à la Grande-Bretagne, car
il est dépendant des accidents locaux du climat et des
variations continuelles que subit celui-ci. Ce n'est donc
qu'en Angleterre qu'on pouvait l'étudier; pour approfondir
cette étude, il M)ait même visiter les en'iroc: de Bristol;
en effet, les malades riches se rendaient de tous côtés dans
)US cotes
18
<~ !S TORTURESMEt.'OPtUM
le Devonshire, dont 1< température ctabMmée et les vents
dominants permettent de garder en pkin air les myrtes
et autres arbustes toujours verts, tn~ae pendant l'hiver. !i
s'en suivait qu'en se rendant a<t Devonshire, tous les
malades s'arrêtaient à Clifton, jf'y demeurai d'une, manière
continue; aussi plus d'une fois, et d<:l'avis des autorités des
plus compétentes, le jugement qui me condamnait fut pro-
noncé. En second Heu, ces Médecins étaient convaincus
par une circonstance extrêmement fâcheuse de huit
enfants que nous étions, jetais le seul qui eût hérite de la
constitution corporelle d'un père mort phtisique à l'ige
assez }eune de trente-neuf ans. En Troisième lieu, le pre-
mier coup d'oeil montrait à un médecin tous les symptômes
de la phtisie fortement et visiblement marqués. JLe teint
hectique de la figure, les sueurs nocturnes, l'embarras
croissant de la respiration.
E~ laissant de côté la question de savoir si cette habitude
augmentait réellement les risques, en tout cas cette aug*
mentation du risque pouvait et devait être évaluée comme
toutes les autres. De nouv elles habitudes s'établissaient
dans la société; je le savais fort bien. Les antiques organi-
sations pour les intérêts de l'assurance sur la vie, seraient
contraintes, par l'influence de telle ou telle condition
urgente, à s'adapter à des circonstances nouvelles. Si les
anciennes sociétés étaient assez sottes pour persister dans
une obstination aussi mal dirigée, il s'en formerait de nou-
velles. L'histoire delà question se présentait sous les points
de vue suivants Il y a seize ou dix-sept ans, toutes les com-
pagnies exprimaient la plus vive répulsion pour les mangeurs
d'opium. En cela le premier venu devait dmpprbuver les
principes de leur conduite. Les buveurs invétérés de brandy
n'éprouvaient cas de refus. Et pourtant l'alcool expose à
des da'~ers journaliers, par exemple celui du <~trn<Mt
<reMe?)S. Or, on n'a jamais entendu dire que l'opium ait
cause lé ué!!tiut-tt ttëmens. ~'un cot~, il-y a"d~ ~Mg~fs
certains et connus sur la route; d'autre part, en supposant
t.t.S TORTUMBS
DE L.'OMUM 9?5
qu'il existe des dangers correspondants, il faut les recon-
naître. Mais les compagnies n'auraient pas même honore
d'un regard ceux qui, comme nous, se présentaient en
s'avouant mangeurs d'opium. Je pense qu'en ce qui me
concerne en particulier j'aurais cté regardé comme l'abo-
mination de la désolation. En peu de mois, quatorze com-
gagnies refusèrent d'admettre ma candidature a une assu-
rance sur la vie, sans donner d'autre raison que mon aveu
de manger de l'opium. Cette assurance n'avait pas grand
intérêt pour moi, mais elle en avait pour bien d'autres
personnes, Et je me contentai de répondre Dans dix
ans, messieurs, vous arriverez à mieux comprendre votre
intérêt. Moins de sept ans après, je reçus une lettre de
M. Tait, chirurgien au corps de police d'Edimbourg.
m'y rendait compte des recherches qu'il avait faites officieu-
scment a la .demande de deux ou trois sociétés d'assurance.
Au commencement de cette période de sept ans je savais,
ou j'avais de fortes raisons pour croire que l'habitude de
manger de l'opium se répandait largement et danj des
classes sociales fort éloignées les unes des autres. Cette
coutume devait avoir pour première conséquence d'obliger
les compagnies d'assurance a réviser leurs antiques et
étroits règlements. Elles avaient cédé à cette nécessite, et
les effets premiers de cette révolution s'exprimaient a mes
yeux dans les feuilles qui m'étaient transmises aussi obli-
geamment par M. Tait. Son but, tel que je le compris en
recevant ces renseignements, était simplement de rassem-
bler des notions, des suggestions, des réserves, des doutes,
comme on pouvait les attendre d'un homme qui avait iait,
comme moi, des expériences aussi raisonnées que nom-
breuses sur l'opium. Très malheureusement, pendant la
correspondance que nous échangeâmes, ce gentleman fut
enlevé soudainement par .une attaque de fièvre typhoïde
il mourut après une très courte maladie, me laissant un
fËgret~tr~rMfncMvif.
J'avais bien des raisons de cette mort. Ne le
regretter
~?6 LES TORTURES DE L'OPIUM

connaissant que par la correspondance fort intéressante


qu'il avait engagée avec moi, je m'étais persuade que
j'avais beaucoup à attendre de M. Tait, esprit philoso-
phique, ennemi résolu du cant traditionnel. Il avait raconté
dans les communications qu'il m'avait faites, l'histoire
détaillée avec une rigueur inquiète et scrupuleuse, de plus
de quatre-vingt-dix sujets. Il s'était impitoyablement refusé
a toute tentation de confondre les maux attribues en
propre à l'opium comme stimulant, comme narcotique,
comme poison, avec ceux qui lui appartiennent comme
simple cause de constipation, ou d'autres troubles sans
importance de l'économie animale. Bien des personnes
d'habitudes sédentaires, surtout parmi celles qui sont
adonnées aux travaux de la pensée, ont besoin de quelque
agent qui remette en mouvement le balancier du système
animal. La négligence de ces moyens aura ibr.cément pour
effet de troubles la santé, mais ces dérangements ne sont
nullement imputables à l'action spéciale de l'opium. !I y a
des milliers de causes qui peuvent produire un effet idcn.
tique et plus durable, si elles ne sont pas combattues avec
vigilance. La mission spéciale dont M. Tait était chargé,
d'après les instructions des compagnies d'assurances, et
comme je l'interprétai d'après ce qu'il m'apprit lui-même,
consistait a donner des conclusions précises et décisives
sur les effets de l'opium en tant qu'augmentant ou dimi-
nuant la longueur de la vie. Au moment où ses relevés
furent interrompus par cette fatale attaque de fièvre, il
n'avait pas entièrement terminé l'exposition de tous les cas;
aussi n'avait-il pu prononcer un jugement définitif sur cet
ensemble. Mais la direction qu'aurait suivie son esprit ne
m'en apparaissait pas moins avec évidence. Il eût, sans
aucune hésitation, conseillé à ses clients, les compagnies
d'assurances, de s'exempter de toute inquiétude au sujet
des tendances de l'opium à abréger la vie. Mais il aurair
dirigé leur attention vers un autre sujet; il leur eût fait
voir que dans beaucoup de cas,.on a des moufs raisonhaMcs
ms TORTUKKS nt: L'OPiUM :yy

de soupçonner l'opium, non que séparément et par lui-


même, il sou la cause de certains maux, mais parce qu'il
fournit.une ind~fion conjecturale de quelque processus
caché, d'une irritation qui s'est enracinée dans un système, et
dont on a cherché en lui !esou)ngement: dans ces cas, l'usage
de l'opium a été non pas une cause, mais un ctTet, attendu qu'il
a été employé comme remède curatif. ou palliatif Dans
dételles circonstances, le bureau d'assurance est en droit
d'exiger la révélation sincère de la maladie, mais il n'est
pas autorisé il considérer l'opium comme étant la maladie
eUe-même ï! a pu facilement arriver ce qui suit l'excita-
tion ressuscitante produite par l'opium, le pouvoir qu'il
possède de mettre l'homme en état de fournir douze heures
d'efforts continus et inusités, et cela soudainement, c'est-â-
dire pris une heure avant qu'on soit averti de la nécessité de
ce travail, cette faculté d'exciter aussi bien l'esprit que la
force, ou simplement le désir'de se débarrasser de l'ennui,
du /Mtt! M'~t', voilà bien des motifs dont un seul peut
suffire pour expliquer le recours à l'opium. On pourrait
répondre au bureau d'assurance par ces paroles du profes-
seur Wi!son « Messieurs, je suis un Hédoniste, et si vous
voulez savoir pour quel motif je prends de l'opium, voilà ce
motif. Mais chaque fois qu'on demanderait à un candidat
s'il pren~ de-l'opium, le bureau d'assurance se conduirait
avec prudence, avec justice en ajoutant la question pour-
quoi » et s'informant dans quelles conditions cette habitude
a commencé. S'il s'agissait d'une lésion locale, cela donne-
rait naturellement au bureau le droit de réclamer un exa-
men médical. En dehors de ces cas particuliers, il. était
évident que ce chirurgien pénétrant et expérimenté ne
voyait pas dans l'habitude de l'opium ta moindre raison
pour hésiter à conclure un traité d'assurances sur la vie, on
pour exiger une annuité plus élevée.

Le professeur Witson a fabriquéle mot anglais d'Mdoniste(chercheur


<}en!ai;!r)n!«"n)'q" *")" q'àd'S'rt:,dan: !r:prc;!iM qu'it
faisaitpour pt~isMter.
3yR f.ES TORTURM DE L'Ot'iUM

Je m'en tiendrai I< Le lecteur va conclure de ce que je


viens de dire que to.it ce j'ai dit autrefois, dans des époques
où j'apercevais confusément et incorrectement les funestes
effets de l'opium, est rétracte. Mais en quittant !a tâche de
redresser une erreur largement répandue, par la
façon inexacte dont je concevais autrefois !avsritc, je laisse
les choses dans l'état où elles sont. Mes vues générales sur
les effets et les tendances naturelles de l'opium ont eu la
chance d'être soutenues et confirmées en tout ce hasard
d'une correspondance avec un homme compétent. Quant à
ma doctrine propre, je la réitère uu moment de finir, et
sous une forme facile à se rappeler. Lord Bacon a dit, 'vec
trop de hardiesse, que celui qui trouverait le moyen de
rendre la myrrhe soluble dans le sang, posséderait le
secret de la vie immortelle. Je propose un charme d'une
forme plus modeste celui qui découvrira le secret de
stimuler et d'entretenir sans'interruption la perspiration
insensible, aura trouvé le moyen d'enrayer la phtisie pul-
monaire. Je quitte ici mon rôle de médecin pour reprendre
le cours de mon récit.
Mes études sont maintenant interrompues depuis long-
temps. Je n'éprouve aucun plaisir à lire pour moi-même, je
puis peine supporter un moment la lecture. Cependant
il m'est arrivé maintes fois de lire à haute voit pour l'agré-
ment des autres, parce que le talent de la lecture est une
qualité que je possède. Pour employer le mot de talent
(accomplishment) danslesens qu'on luidonnedans le slang,
c'est-à-direcommequalitésuperncielleetmondaine, ce talent
est le seul que je possède. Autrefois, si j'avais consenti à faire
profiter ma vanité de quelque don, de quelque privilège,
c'était de celui-là, car j'ai remarqué qu'il n'en est pas de
plus rare. Les acteurs sont les gens qui lisent le plus mal.
John Kemble lit sans produire de l'cfîct, bien qu'il ait un
grand avantage, celui d'être un lettré accompli. Sa sceur,
l'immortelle Siddons, bien qu'elle lui soit supérieure par
ia voix, produit encore inoins d'cnct sn lisant, ~tte n'a de
!.KSTOUTURESDE t-'OMUM 2~~
t!u
succès qu'en lisant des ouvres dramatiques, Je l'entendis
lire le Pj~~M~cf~H, à Bartey-Wood; son échec fut
pitoyable, aussi pitoyable que les apphudiss~meMs hypo-
crites de la société qui l'entourait, et qui, cela va snn:'
dire, était absorbée dans une admiration presque muette.
Mais je pense que le dédain qu'elle éprouvait pour son
cercle d'admirateurs est a peine justifié. Qu'auraient pu
faire les pauvres gens ? Déjà, par cela seul qu'elle s'efforçait
de conquérir leurs sunrages, qu'elle s'exposait a un juge-
ment, il y avait de la part-de Miss Siddons un acte de con-
descendance, après lequel une appréciation impartiale
n'était pas permise. J'éprouvai le besoin de m'adresser h
Miss Siddons en ces termes « Vous qui avez lu devant la
famille royale- à Windsor, vous qui avez même été invitée J
à ycM <TMcotr pendant votre lecture à Windsor, vous êtes
deso'mah une personne privilégiée, à qui la védté ue sau-
rait parvenir. Nos sentiments, n'étant pas libres deprendre
une expression naturelle, ne sauraient être pris en consi-
d'éruHon. Permettez que nous gardions !e silence, au moins
par respect pour la dignité de la nature humaine. Et vous-
même, restez silencieuse, au moins par respect pour la
dignité de cette voix toujours incomparable. » – Ni Co!e-
ridge, ni Southey ne lisent bien les vers. Southey mérite
l'admiration en toutes choses, excepté en celle-là. De même
que Coleridge, il lit comme s'il criait, ou du moins avec un
accent de lamentation lugubre. En généra!, on lit la poésie
sans aucune passion, ou bien on l'exprime d'une manière
exagérée. Si j'ai jamais éprouvé de l'émotion dans ces der-
niers tetaps, ce fut grâce aux plaintes sublimes de « Sam-
son .4g'OK:~M ou aux grandes harmonies des discours
de Satan dans le Paradis reconquis, lorsque je me les
lisais à moi-même à haute voix. Nous sommes loin
de toute- ~ii!e, mais une jeune dame vient quelquefois
prendre le thé avec nous. Quand elle joint ses prières a.
celles de M. je leur lis des fragments de poèmes de
Wurustfurut. Je dirat en passant quc.Wordsworth est le
t8o t.KS TORTURES DE L'OPtUM

seul poète à qui j'aie entendu lire ses propres vers, et sou-
vent en vérité il s'en acquitte admirablement.
Je crois que, depuis deux ans environ, je n'ai rien lu et
rien étudié. Les.études analytiques veulent une application
continue, et non un travait à bâtons rompus, et des étions
fragmentaires. Tout cela m'est devenu insupportable, j'y ai
renoncé avec un sentiment d'impuissance~ de faiblessè-enfaii-
tine qui me cause une angoisse plus grande encore, quand
je me rappelle le temps où j'y trouvais mes plus chères
délices. Un autre motif consiste en ce que j'avais consacré le
labeur de toute ma vie, dédié mon intelligence tout entière,
fleurs et fruits, à une tâche lente et assidue, à la construc-
tion d'une oeuvre unique, à laquelle je m'étais enhardi de
donner le titre d'un ouvrage que Spinoza a laissé inachevé,
c'est-à-dire De jE'H!CM~!OKe AMW~n/M~~ec/M. Le voilà
gisant, comme pétrifié par le froid, pareil à un pont espa.
gno},.â un aqueduc entrepris sur un plan trop vaste pour
les ressources de l'architecte au lieu de me survivre comme
le monument, de mes désirs tout au moins, de mes aspira-
tions, de. mes longs travaux, consacré a ennoblir la nature
humaine parle moyen que Dieu m'a donné pour atteindre
un but aussi grandiose, il restait là, pour apprendre à mes
enfants l'échec de mes espérances, la raillerie de mes efforts
leur montrer un entassement de matériaux inutiles, de~
fondations destinées à ne jamais recevoir un édince, la
douleur et l'écrasement de, l'architecte. Pour m'occuper,
dans cet état de faiblesse, je m'étais tourné vers l'économie
politique; mon intelligence qui jadis était aussi active, aussi
infatigable qu'une panthère, ne pouvait pas, je suppose.
tomber au dernier degré de la léthargie,.tant que je serais
vivant. L'économie politique offre, à une personne dans
ma situation, un avantage qui se concilie ovec sa nature de
science éminemment organique, je veux dire-qu'en elle il
n'est pas de.partie qui n'agisse sur l'ensemble, et de même
que chaque partie.reçoit del'ensemble un effet et une réac-
s
tion; h~ v1<~i,w Ty iB v être
r dé'achée
P ·? PP ?t Pde'e-
(YÎP1
néannMin: chnqne partie.peul
LES TORTURES Dp t/ODUM a8t

nir un objet distinct d'étude. Si profond que fût l'accable-


mentde mesfacultés à cette époque, je ne pouvais pourtant
pas oublier ce que je savais. Pendant tant d'années, mon
intelligence avait vécu dans l'intimité des austères penseurs,
de la logique, des grands prêtres de la science elle ne pou-
vait rester sourde à l'appel retentissant par lequel l'écono-
mie poétique, traversant alors une crise, demandait de
nouvelles lois et un législateur transcendant. Tout à coup,
en t3t8; un- ami d'Edimbourg m'envoya le livre de
M. Ricardo me souvenant du pressentiment prophétique
qui m'annonçait la venue d'un législateur de cette science,
je me dis, avant d'avoir terminé ie premier chapitre c Cet
homme, c'est toi L'étonnement et la. curiosité étaient
des émotions depuis longtemps mortes en moi. Cependant
je fus émerveillé encore une fois, émerveillé de voir que je
pouvais subir encore une stimulation qui me portait lire;
je fus aussi émerveillé du livre lui-même. Cet ouvrage pro-
fond avait-il été réellement écrit dans le choc tumul-
tueux du xtxe siècle ? Pouvait-il avoir pour auteur un
Anglais, non pas un homme abrité par les cloîtres acadé-
miques, mais accablé par les soins mercantiles et parlemen-
taires, et qui avait exécuté ce que toutes les universités de
l'Europe, ce qu'un siècle de pensées avaient. agité sans
le faire avancer de,l'épaisseur d'un cheveu Les écrivains
.intérieurs ont été accablés, enterrés sous des masses
énormes de faits, de détails, d'exceptions M. Ricardo avait
déduit à priori par l'intelligence seule, des lois qui pen-
chaient comme des lèches lumineuses dans le noir chaos
des matériaux; il avait ainsi édifié ce qui n'était qu'une
collection de discussions préliminaires, et en avait fait une
science aux proportions régulières, posée désormais sur
une base éternelle.
Voilà ce qu'avait fait un seul livre d'un homme profond;
j'en ressentis un plaisir, une activité que je ne connaissais
plus depuis des années; cela m'excita même à reprendre
iapiume,6ùdumoins a dicter à M.qui écrivait, îi me
2~2 I.M TORTURES UH L'OptUM
1.
semblait que quelques ventes avaient éclxppe à l'feU
« inévitable » de M. Ricardo. Elles étaient,
pour la plupart,
d'une nature telle que jepourraisleur donner une exprtMton
concise et claire en même temps que brève et ëlë~ote en
les mettant sous des symptômes algébriques, ce qui aurait
forme tout au plus la matière d'une brochuft. Avec AL..
pour secrétaire, même cette époque, incapable comme je
l'étais, d'un effort total, )'esquissai d<MM mes « Prolé-
gomènes pour tous les systèmes futurs d'Economie poli-
tique
Néanmoins cet eS'ort ne fut q~<M< aamme
passagère,
comme la suite le prouva. Des ftfTMgements fa rentprisavec
une impnmerie de province t environ dix-haitmiHesdeH
afin de publier. Un compeateur surnuméraire fut engagé
pour quelques )oucsdM& ce but; l'ouvrage fut m~me
anncncé deux fois )'e<t!s pour ainsi dire prisonnier de mes
engagements. Man M me fallait écrire une préface, un hom-
mage que ;evott!aM aussi expressif que possible, à M. Ri-
cardo. Je me trouvai absolument incapab'e d'exécuter tout
cela. Les afnutgements furent contremandés, le composi-
teur renroye, &t mes Pro~o~~M~ altèrent dormir auprès
de leuxtréres aînés et plus importants.
En décrivant: et détaillant ma torpeur intellectuelle,
j'emploie des mots qui s'appliquent plus ou moins à toutes
parties de ma vie pendant lesquelles j'ai habité les pro-
fondeurs circéennes de l'opium. Si .;l'on en excepte l'état
de misère et de souffrance, je puis dire que j'ai vécu de la
vie d'un dormeur. Je ne pouvais que rarement parvenir à
écrire une lettre; répondre en que'ques mots à celles
que
)< recevais, voilà le maximum dont j'étais capable,, et
plus d'une fois je le fis alors que la lettre traînait depui&
des semaines, et même des mu:s, sur mon bureau. Sans
l'aide de ? quel qu&f&t I~sort de économie politique,
mon économie domestique serait tombée dans des embar-
ras inextricables. Je ne ferai plus allusion aux détails de
cc*tt s~rre; cit eat uu cependant dont Jt& ma.n!eur
t.KS TORT~MS DK t.'ùftUM a8;
u optum sentira a ta un tout le poids, toute la cruauté, c'est
.cette incapacité. cette'faiblesse, ce sont ces incidents em-
barrassa.ms qu'amené h né~ngence, la disposition a ren-
voyer à demain l'accomplissement de !a tache d'aujourd'hui,
c'est le remords qui doit rendre plus cuisantes les
piqûres
de ces ennuis pour un esprit qui en a conscience. Le man-
geur d'opium conserve intactes toutes ses sensibilités
morales, toutes ses aspirations il veut, il souhaite aussi
ardemment que jamais la réalisation de ce qu'il croit
possible, de ce qu'il sent comme une exigence du devoir,
mais son intelligence l'entraîne infiniment au delà de ce
qu'i! considérerait comme son pouvoir réel, non seulement
au point de vue de l'exécution, mais encore <~ela réflexion
et de la décision. Il gît sous un incube, un cauchemar
lourd comme un monde, il git en présence de tout ce
qu'il
brûle d'accomplir, il est dans l'état d'un homme que la
para-
lysie tient enchaîne dans son Ht, dan& une langueur mor-
telle, et qu'elle forcerait de voir insulter ou déshonorer les
êtres qui lui sont le plus chers. Il donnerait sa vie
pour
pouvoir se lever et marcher, mais il est aussi impuissant
qu'un enfant et ne parvientpas mêmea faire un effort pour
se mouvoir.
De là je reviens a ce qui forme l'objet réel de ces dernières
Confessions, à l'histoire et au compte rendu de ce
qui
avaitlieu dansmesyêves; ils furent en effet les causes immé-
diates et prochaines des terreurssombres qui occupèrent et
remplirent mon existence même pendant l'état de veille.

Je m'aperçus pour la première fois d'un changement im-


portant survenu dans cette partie de mon organisation
physique; quand je vis reparaître ua état de l'ceil, qui est
assez fréquent dans l'enfance. Je ne sais si mon lecteur con-
rait le phénomène en question il consiste en ce que beau-
coup d'enfants ont la faculté de se représenter comme des
objets réels, dans l'obscurité, toutes sorte&da fartt<
Chez quelques-uns, cette faculté est une
simple aSection
*S4 TOMURSSHKt.'OftUM
dans la structure de l'n~l d'autres au controtreont le pou-
voir voton~ire ou à dewi volontaire d'appeler ou Je faire
disparaître ces sortes de fantômes Un enfant que ;'inter-
ro~eaiacepropot me répondit: «Je puis leur dire de venir,
et ils viennent, mais ils ne s'en vont pas toujours quand je
leur dis de s'en nller. Il H possédait dans un se~l sens un
pouvoir aussi indéfini sur ces apparitions qu'un centurion
romain sur ses soldats. Au milieu de t8fy, cette faculté
prit chez moi un développement qui me Mettait au sup-
plice la nuit, pendant que j'étais, couche sans dormir, de
vastes processions déniaient devant moi sans interruption,
avec une pomps funèbre, ou c'étaient des frises d'his-
toires interminables dont les détails étaient aussi tristet,
aussi solennels pour mon esprit que s'ils eussent été
tirés des époques antérieures à Œdipe, à Prian), aux villes
de Tyr, de Memphis. En même temps que ce phénomène
se produisait, un changement correspondant s'opérait dans
mes rêves. Un théâtre s'ouvrait tout à coup et s'illuminait
dans mon cerveau, m'on'rant des spectacles nocturnes d'une
sp!endeurpi"sque terrestre. Les quatre faits qui vont suivre
donneront une idée de ce que je remarquai u cette époque.

t. H semblait qu'a mesure que croissait la faculté créa-


triçe de mon regard, il se développait une sympathie entre
l'état de veille de mon cerveau, et son état de rêve, en ce
sens tout ce qu'il m'arrivait de faire apparaître et de des-
siner par un acte volontaire dans l'obscurité devenait un
élément actif dans mes rêves eux-mêmes. Aussi je finis par
ne-plus exercer ma faculté qu'avec crainte.
De même queMidas changeait toutes chosesen un or qui
trompait ses espérances et raillait ses désirs tout humains.
tous ies objets susceptibles d'être représentes parle dessin
apparaissaient. dans l'obscurité pour peu.que leur idae fût
évoquée par mon esprit, et se transformaient en fantômes
visibles. Par un enchaînement quisemblaittoutnussi fatal,
"i!* "va!<a* e*é de:nK: en. trx:;s Tsgscs c: jfsnias-
t.KSTORTUK~ Ptf !<'0)'n!M t8!<

tiques, tels que ceux qu'on n-jce avec une encre -.yn)p~-
thique, ils reparaissaient dessines de nouveau par !a puis-
ante chimie des rêves, et avec un éclat insupportaMt: qui
me donnait un serrement de cœur.
a. Co changement et d'autres qui s'accompUrent dans
mes r&ves furent accompagne:, d'une an.~ois~e profondément
située, d'une metancotie funèbre, et telle que les mots n~
sont pas cnp.tbiex de t'exprimer. tno semMnit que chaque
nuit, je descendais – et j'emploie ce mot du descendre
dans un sens littera! et non mcMphorique, – dnns des
~outfras, des abîmer s;m:. ~o!<i!, pmfundem~ qui ~uccc-
daient à d'autres profondeurs, et dont je n'espérais jamais
pouvoir remonter. Et même a mon réveil, je n'avais pas la
sensation d'en être sorti. Pourquoi m'etendrc sur ce sujet i
La sombre tristesse qui accompagnait ces chlouismms
spectacles, ttouvaitson expression finale dans l'obscuntu,
comme celle d'un découragement qui porte au suicide, et
aucun mot ne saurait l'exprimer.
3. Le sens de l'espace, et à la nn le sens de la durée
furent modifiés avec la même puissance. Des édifices, des
paysages, etc., se montraient dans des proportions si vastes
qu'elles dépassaient la limite du champ optique. L'espace
flottait et s'ampHHai! en étendues inexprimables qui se suc-
cédaient l'infini. Cela me troublait beaucoup moins que
levaste agrandissement du temps. Parfois je croyais avoir
vécu soixante-dix ou cent ans dans une nuit, parfois même
t'avais la sensation d'une durée supérieure de beaucoup
à toutes les bornes de l'expérience humaine.

4. Les plus petits incidents de l'enfance, des scènes


oubliées qui dataient des dernières années, étaient ressusci-
tés. On ne peut dire que je les rappelais à ma mémoire, car
si on me les avait décrits pendant mon état de veille, je
n'aurais pu reconnaître en eux des fragments de mon exis-
tence passée. Disposés comme ils l'étaient devant moi, dans
des rêves semblables a. des intumons, revêtus de tous leurs.
t~O !.tS TOKTt'Kt:~ t)R !0)'U)M

d~nui<i fvanoms, de tous tes Mnu'.ucnts qui !es avaient

je k<. r~'t'Mo.u'~j~' jnimediat~nent. Une de


ttc~tnp.~n~,
meA pare'ues me raconta un )our~n'ct~it cn)ant,eU(. tomba
dans une rivière, ou ctte ctait sur !e point df p'ir. quand
on \'int son seenn)~, nu demier tnomcnt o'!nque
t'])o vit Jcinh'
en un snn existence entière, nvcc
qu'a!w.
tnus ses incidents cubiic; rept'c~-ntec devant et!~ con~mc
dans un nnn'ir, et ce)a nt')) par t~)'!eaux sueees~ita, mais

en un scu! t.tb!~u, ~c)]e sentit u:t!<rc ~oudtunemcnt ~n


e])o une ï'nhj d~' ~.ush- I'e)tSt'm!e et Mus !es uctaUs

!n~e J: ce f~it xm~r~t~He <~it une petite ft!)< d'<nf)ron neuf


aut; il ett bien <'ttt.th< qn't!)<' s'ttt pfj~e autant qu'ot) peut )t foirt,
M)r ~i du <rt!frt Je la mort, ttT~y'.nt ~<tn, – <tu)«nt. dx-jt. <ta'.t
p!t !e f.):'j <) ~)!<: hunxm ~ut <n t!'< t<t'c:!M et .< pu Meomer M:* *<u-.t-
(::);«. JJ)< t)m'<;ntj'.«)np!n'- 'ie quattt*vi)'st-di\ «)'. A MtHcd~Ctt
n'<n)0~)f. tt j< )"n-< dire ~'<Ue q))<: ?au!- um i~j'p"Tt~ c'e!.< u~c
);:n:T)C<).ti po~t~-tit dt~ qu.t)i(t< rc!))''rquitt'!<t t! tnt<;ft~ti!M. P<n.i<))t
tUKie M ioit~'te vi< e))e jouit d'une !<utc p-d~Mt, eomitx ie)ect<:nr!e
\n.i p)ns )r')n. K')'' ~v.'it nm h)'d)is<c.: t~ttc )!).)-.cn)h)c, re~'icMit la
Vt'rit-i a~t ~n< i')~)!),;i!e, ':t )n.:i) <i! un<: vie s:tixttn);!tt ;'u~;r~ qui eût
xit iM')nc.n' //«.M;f oftfi ~)«< (~s mut< '.outii:n~ <dnt dt t'tio'Ht!.
J~ )n:!))io)U)f:tes !t. it'. M.xf~e fu~temen: xnr.~t~ t<.ux *dn mMCtctC. afin
.j.x )c !c-'[;nr )' p. .t <.thc nne j~ut a'tt tx~<'[a!i<))s du )).)n.tttn)', .t
-.iocdutt~ cmhoHn.~te, :\t'<;m)~ui inconsidéré dc$ )))ot' Qu.o.'ntc-ctoq
.u~ 'cCt)'))trent e~tre M r'!cit .]!Mnd t!)c me !c iit j'o~r h j'ttnucte tb~,
c[ M '-KJode a.ftTJ<t'!t p.)s un iota t'c s'~t.)i! de,'i.)f~ parmi )e:i circons-
t.u'.cf: p~t 'ut d~tt) n'.tv.ttt variv, t) p;t!t q't'i) t~t. ï.t !!ci!))e K )'~M ~<
dernieM d;s v.'tMM. cci)c qu'ot srcx on Mmmer.tit dttCM, et e~ an~Lus
~(rtU.tiici. N:.) ~tMhn'n.nn Mt'htbit;'it; mCmetn picin ;our.t)ie';tait
'(:!)< tirt; A cet!<so):tude i-c ocrait joint le siicncc, nn~ic bruit d'un ruis-
~ttu. <ititit étroit, et n'avait de ta p.ofondeur qu: p.'r nccident, et il
)w.it im p~e~ des petites cotiines. L'cuf.tnt «imb.) danx ceruisn:u pro-
~.)!))eme!)t A t'endroit où <e tro.)".)it m) Je SM iond~. Si tout te fût p.-t~s~
tomntcA rordifuirc, e))e Eu! bien j);u de ctisoccii d~ Mtut; il .t\'tit: t.\
~ne )n )i'-on d'habitation. mais un ) cpii dit soi en cachait )a ne. !.e tcmp-.
que i'cnf.u)t rcM.) dani l'eau ));: fut p.tS t'objct d'une en.Htcte soigneuse. on
uetefutqut<i".<nd )e souvenir &'en <t!tit perdue unedotn-'stiqu:. aux soins
dshqn~itet'e.'f~nt était conttee, avait un interct Mtnre! obs<:ur.;ir ce~
dt'taits. n'aprcs le r~cit de t'enfant. il !cmb)e que !)i.p))yxie était d.jA
Mmm:n:c. Un moment dt )nttt: et de smToMtion mortel se p.«M dam une
tjemi.eonsc~cncc, i)~it p)ace 4 ix sensation d'un choc ~hr ou t!'t:M )s ee;-
Ye:u, spre! quci itn'y a p)))S ni tt'tteui Jou'eur; alors pasM un ~c!ni:-
~Noui~ant de lumière, auqne) suceMa immédiatement cette sotcnnette
;)psc~); pose d: tonte t'existenceccou'ëe. Heurensement )aehmede)'enfr.nt
c'~m la t:<;M imit ~tc vmp.ir un fermier qui tenait .t bti) f;ue)que$
t.MTOKTU~'iPHt.'OtIUM a8~
Ce!a jne par.ot vrai, d'xpt'~ quetquM expériences de
Fopium. J';)i vu ien~me fuit atnrme deux fois dans des
nvres modernes, et ac<:ompa~no d'une remarque sans doute
fondée, sitvùh que !c terrible livre de comptes dont parlent
les Ecritures, existe remuement, n'est autre que reprit de
chaque homme. H est au moins une chose certaine pour
moi rien ne tombe: dans un oubU parfait les traces une
fois imprimas dans la mJmoire sont indtUcbiies. AUnc acci-
dents peuvent e't doivent interpusc!' un vt)i)e entrù la con-
science actuelle et !e4 secrètes in~Cfiptions de l'esprit m:us
voilée ou découverte, rin~~tiption subsiste indcnnuncm
~t musique les ctoiks semblent d!Sp~)\n(rc avant lu
lumière ordin:urc du jour, mats nous savons que c'eM cette
lumière qui s'étend devant elle:; comme un voile, qu't-Hes
Kttcnd<tnt pour redevenir visibles que cette !umiere du jour
qui les obscurcit se retire à son tou)-.

Aprc~ avoir indiqué ces quatre faits qui caractoi~aient


t"cs reveset les distinguaient nettoient do ceux de ht santé,
je vais citer quelques exemptes propres a les cctairer: j'en
çitcrai aussi d'autres dont le souvenir m'est resté, ann que
le lecteur puisse se lcs représenter comme tes peintures du
s'
plus grand en'et possibfc.
Dans mn jeunesse et depuis, j'ai toujours aime a lire Tite-
Live c'est celui des historiens romains que je préfère tant
pour le style que pour le sujet. J'ai souvent éprouve un
frisson a ces mots sotenuels qui représentent si fortement
la majesté romaine, ces deux mots qui se trouvent si fré-
quemment dans Tite-I.ive CewM/ t-ow.7;:xy et surtout
quand le consu! apparaît dans ses fonctions militaires. Je

terres de cette petite solitude, et qui, par un hasard extraordinaire, ta


parcourait Acheva)&ci:t instant-là. ~'<;tant pas très bie~.mont~, de pins
.'rtc!ë par les inies, OHd'autres obstaclesqui se trouvaient entre lui et tx
miere, il perditdu temps, mais aussitôt qu'Ufut an bord,it s'c~ncx tout
bo:teetcperonHe; il réussit à sauverun être qui s'étaitsansdoute avancé
parmiles populationsdes ombresaussi loin qne le pttn)ettent les lois du
mondesoutenain quand eOesconsement&]aiMer)eretour Ubre.
t~S8 LM TORTUtOM DE t.'OPtUM

veux dire p~)rlit que les tonnes de roi, Je suhuu, de re-


gent, etc., en général tous ceux par iesquets on désigne les
hommes qui personninent majesté collective d'un grand
peuplc, n'avaient pas au même degré le pouvoir d'exciter
en moi le sentiment du respect. Bien que mo lecture favo-
rite ne fût pas l'histoire, mes travaux de critique m'avaient
fait connaître Afond une période de l'histoire at.gtnise, celle
de h Guerre Parlementaire. J'avais été séduit par la sran-
deur morate de quelques hommes qui ont joue un rôle !<
cette époque, et par les intéressants mémoires qui nous
sont restés de ces temps tt'oub!Js. <))ncnne de c's
séries Je !eetures superficielles m'ayant fourni des sujet:.
de rënexions, me donnait des matériaux pour mes rêves.
Après avoir peint sur le fond obscur, pendant que je veinais,
quelque réminiscence, il m'nuiv~it souvent de voir une
troupe de dames, parfois même un' fcte, un hal. J'entendais
dire, ou je me disais moi-même Voici les dames an~iaises
de ces malheureux temps de Charles 1~. Voici ks fen.mes et
les filles de ces gens qui vivaient en paix les uns avec les
autres, s'asseyaient a lu mémo table, étaient unis par le
mariage ou !a parenté, et cependant âpres un certain jour,
en août <6~2 ils n'ont jamais échange de sourires, ils ne
se sont plus rencontres que sur ks champs de bataille; a
Marston-Moor, ù Ncwbury, à Naseby, ils ont tranché avec
l'épée cruelle tous les liens d'amour, ou noyé dans le sang
les souvenirs de l'ancienne amitié. :) Les dames dansaient,
elles paraissaient aussi aimables que ceiles de !a cour de
Georges IV. Même en songe, je savais qu'elles étaient

Bien que le n'aie:-ouslam.'tinaucunmoyende vérifierma conjecture


)ecroisque ce jour<:taitle t~ août. Cefut ce;our.!Aou 4 peu prèsque
Ch.tr!eil"')evai'etendard royal à Hottingham,qui fut rcnverstla nui
suivante,présageatsexMchenx, surtoutquandonconsidèrecombiencette
sortede superstitionavaitde pouvoirau xvn*siècle,et pannila gcnera-
tiondece siecte.surtoutsurcelledelagueriep~rtementaire. Kemarquon-.
en passantqu'onne sauraitdireun mensongeplusgraveet plus méchant
qu'enimputantà t'archeveque Laud une foi ou
particulière exception-
netteencesavertissements muet!
t.t:tORTURt:~t~t.'Ot')UM (à

ensoveûe:: depuis près de deux sK'ele: (~cnc <~tes'~vanQuis-


sait soudainement, et, en un clind'cei),j'entendaissucceder
le mot terrible de CoM~~w~nM; aussitôt apparaissait,
se Rtissant siteneieusement, P.)uius ou Marius, drape dans
le mn~nitique patudamentum, entoure d'une co~pn~niede
centurions, je voyais !a tunique d'ecnrfato portée nu bout
d'une tance et j'entendais ensuite i'atni.~mf's des Irions
fomnines.

!t y n quctquex mtnce&, jù p~rcuurais les .txt~xX~


nwtt~'tt~ de Piranesi. [(~oterid~c, qui se trouvait H', me
désigna une s~rie da gravures de ce même artiste, intitu!cc
A~M, où il a reproduit quciques-uncs des visions
qu'it avait eues {tendant le délire d'une ncvrc. Je n'en parte
que d'après la description de Coierid~e il y en avait qui
repKsentuient dp vastes voûtes gothiques, sur te sol des-
quelles de puissants engins, des machines, des roues, des
eaMe", des catapultes, etc., étaient disposes, exprimant une
énorme nccumulation de force ou de résistance. Hn exa-
minant les murs, vous apercevez un escalier, vous ic suivex
jusqu'à son extrémité, vous y apercevez Piranesi hn-mcme.
Suivez l'cscancr, vous !c voyez se terminer brusquement,
sans balustrade, de telle sorte qu'on ne puisse faire un pas
de p!us sans se précipiter dans les profondeurs inférieures.
Que! que soit le sort du pauvre Phanesi, vous supposez du
moins que son travail prendra fin d'une façon quelconque
mais regardez plus haut, vous voyez un second étage d'es-
catiers, et voiia encore Piranesi, cette fois debout au bord
extrême de l'abîme. Regardez encore plus haut, voici un
autre escalier aérien,voici encore Piranesi dans mon deiire,
toujours occupé daM sa pénible ascension, et ainsi de suite,
vue t'escaticr incomplet et le
msqu'a ce qu'on perde de

La <MM/}ue fï't'~)-/o!f. – C'était ainsi qu'on annonçait )e jour de la


battue.
/ty<mM. Cemot désigne)e cri poussé par !ou< tes soldats romaiM
tttttt)!'«e !u9;an[t Aiaia'aiaiai
<'
'9
Xt)() t.KS 'tOK'tURta Mt: <Of')UM

maUtëureux Piranesi dnn$ !es.hauteur;. obs~ure~ de)< voûte.


Mon architecture se composait de même dans mes revex,
et les peuplait ~tvec la même fécondité ~e reproductions
indéfinies. Dans !cs premiers temps do mnm!<!adie,!essp!en-
deurs de mex r~ve~ avaient surtout un caractère nr~hi*
tecturc!; je contemplais des cités, des pa!a! d'une telle
ma~nincenee, qu'on ne peut en voir que dans les nuases
quand on est reveiitJ. J'~ntprunte h un grand po~M' un
ft'a~ment d'un p~ssa~o ou il décrit un spectacle qui appa-
rut rëùUcMtnt dans les nuages, description d&at de
nombreux traits se retrouvèrent irJquemmeat dAN*mes
rêves.
« !.e ape::<!M!equ! ae ddptoya toudatnement
~Mtt celui d'une puissante cité, j'oserais dire
unefor~: viert;o d'JJinces. se purdantau!oh),
fayam vef<une profondeur tne!c!t)cuse,.
se perdant au loin dans une splendeur infinie!1
C't!tAitun ouasMnient do dinmnnt et d'or,
avec dcsdôtues d'albâtre, de:, spires d'argent,
des terrass-~ ctincctautcs, qui s'ckvnient l'une sur t'autrc,
jusqu'au x~nith )A briHiuent de tMnquiUcs pavi))oriS
disposés et! avenucs, H des tours cou.onnues
de créneaux, dont les bords toujours )uobi)es [cieuses t
étaient ornui! d'ctoi!cs, illumination de toutes les pierres pr~-
Voilà ce qu'avait créé Ja nature terrestre,

D'"tS'M':<!poéte. Quel ttait-i) ? Wordsworth? pourquoi ne i'ai.je


pM nommcpim hautCela jette une )um!&resur l'étrange histoire de la
réputation de Wordsworth.Ce fut en !8S! qHej'~fn'ts et publiaicesCtM.
~OM. A cette époque, bien que le nom de Wordsworthcomnxn~t à
sortir de l'épais nuage de dédain et d'outt.iRMqui l'avait ju<qu't)ors
éclipsé, était nëanmoiMencore peu connu. Ce fut ïeutement dix ans
après que sa grandeur fut admisesans rlsistance etssnacontMMtfon.J'ai
été, sans en excepterpersonne, le plus anciende tous ceux qui' OHtsalué
tôt début et lui ont rendu hommage,et je repousse avec horreur toute
suppositionqu'une seule phrase de moi contiendHit une intention mal.
veillante,ou l'occasiond'en tirer un mot de méchancetévulgaire, à son
égard. La sublimitédu passagecité parle.d'eDe-mSme.On auraiteu beau
fairele dédaigneuxen voyant le nom du poète orné dei'~pithete.~fox~,
on-ajHaHsenti ta dispositionmai';ei))a"t<6c dissiper, finre place,i une
admiration sympathiquedevant cesve[6~p!<'ndides.
T<~num:s m: !A~wu\t ~i

nf)if~&t~~ttf&;tf'r~i)t-n'.m
a\'t:cit:*i)oir~t]~uri.du)\~u:)~n
d~or)uai:<pndi)t';sut'cda,~t)r]Mbait; 7
sm' tes rentes et )e!<cn)tc;) deri tnûnt'~nes, p.u'toui,
i6~broui.')a)'dss'(!m;nt)'e)irJs,poursùtn'i!)nh)er
etscrcnn'r~nusuncietd'iUtn'H »

Ce magninque détail: n do~!t les bnrds j'ù)~? M<o/


étaient ornes d'Jtoit~s Htuait pu être c~pie dnns mes) <
architecturaux, tam il s'y pr~ci)!iUt ftcquen~ne))!. On
raconte que Drydctt.et dm~!es derniet-sîcmpsjuseii man-
daient de )n vinade ct'uepnurKc donncrdesrcves~piendidc~;
ilseussent bien mieuxaiîeinïce but en mungeantde!'op!um i
je ne me souviens pas qu'aucun poète Fait fait, excepta
roc.teur dramatique Sh:<dwc!). Dans i'nntiquite, Honore
puf.sehbon droit, {'enxc, pour avoir connu les vertus de
l'opium en tant que ~o~anM ~n~ c'est-a-dirc comme
moyen de combattre la douleur.

A iuon tirchitecture succédèrent des rêves de lacs, de sur-


faces liquides il l'éclat argentin ils revinrent si souvent
qu'ils mefirent craindre un état goutteux ou une tendance
du cerveau qui la reprMentait o&/cc<!t"?M«'M<'pourcmpioycr
un terme métaphysique; je redoutais que ce fût t organe
malade qui se projetait lui.mëme au dehors connue son
propre objet. Pendant deux mois j'avais crueUement souf-
fert du mal de tête, cette partie de mon corps av:)it jus-
qu'a!ors été si exempte de toute atteinte de faiblesse
(faib)csse physique, bien entendu) que j'avais l'habitude d'en
dire ce que le feu lord Orford disait de son estomac, c'est-
à-dire qu'elle paraissait survivre tout le reste de ma per-
sonne. Jusqu'alors donc, je n'avais jamais connu le mal de

0~WMfn<. Ce mot, à peu pr~s inintelligibleen t89!, avait un


aspect fot!cme.]tscho)a5tiqu. aussi, quand U~tMtaMompagntdes~
termesfamilierset techniques, il paraissaittout à fait pedantesqne.Mais
d'autre part il est indispensensabtepour penser avccpreci'.ionet avec )ar-
f;eur; depuis ~.S! il est devenu d'un ')Mg~ *i <r''qa-K!qs' r. ps~
cesoinct'i'xcusc.
a<)9 ).M'fORTUtU:M:t.'Or!UM

<~<e, e'<~p!e Mus la forme des douleurji rhumat~mnie'.que


je contra~'ai par monétourderic.
Les eaux changèrent peu ù peu d'aspect. Au lieu de lac.?
transparents, brillants comme des miroirs, ce furent des
mers et de:: océans. Alors apparut une modification ff-
frayaute elle s'opéra lentement, comme un rouleau se
déplie, pendant des mois, promenant un supplice prolonge i
<:n cil'et il ne m'a jamais quitté, bien qu'il reparais~ a in-
tervulles plus ou moins étonnes. Jusqu'alors la figure
humaine s'était souvent mêlée à mes re\'es, mais sans les
tyranniser, sans y t'senMr une influence particulière et
odieuse. Mais depuis, cette maladie que j'ai appelée la tyran-
nie de )a figure humaine, commença h se développer. Peut-
être dois-je en rapporter la cause a ma vie de Londres, nlors
que je cherchais Anne dans les flots de !a foule. Quoi qu'il
<:n soit, ce fut dès !or3 au milieu des eaux soulevées de
l'océan que !a ugurc humaine se montra d'abord la mer
paraissait pavée de fMes innombrables tournées vers le ciel.
les unes exprimaient la supplication, la malédiction, le
désespoir, d'autres surgissaient par milliers, par myriades,
par générations mon agitation était au comble, mon esprit
me semblait baUotte sur les vagues de l'océan, roule dans
les courbes des flots.

Mai !8t8. – Lo Malais m'a persécuté odieusement pen-


-dant des mois. Toutes les nuits, grâce lui, j'ai été trans-
porté dans des tableaux asiatiques. Je ne sais si d'autres
personnes partagent à cet égard ma manière de sentir,
mais j'ai souvent pensé que s'il me fallait quitter l'Angle-
terre pour vivre en Chine, d'après les usages chinois, avec
les modes, les manières et parmi les choses et les spectacles
de la Chine, je deviendrais fou. Les causes de mon horreur
sont situées profondément, et il en est qui doivent m'être
communes avec d'autres personnes. L'Asie du Sud, en
général, est le pays des images et des associations terribles.
Ei!e estic bercehude la race humaine; ceiasunu pour sug-
!.t: TORTUMMKK t.'OnUM
,a ~-111. 1t. _1
gérer son égard des sentiments pleins d'un sombre res-
pect. Mais ce ne sont pas là les seules causes. Personne
ne prétendra que les superstitions sauvages, barbares, cnpri..
cieuses do l'Afrique, ou des tribus inférieures de quoique
autre pays lui font une impression comparable il celle que
produisent en lui les religions antiques, monumentaies,
cruelles et eompiiquces de l'Hindousian. Ln simpte anti-
quité des choses de l'Asie, de ses institutions, de ses his-
toires, et surtout de ses mythologie: etc., est si puissante,
que pour moi )a vieillesse de la race et du non) ûte tout moyen
de se représenter la jeunesse d'un individu. Un jeune Chi-
ne)! me semble un homme antédiluvien ressuscite. Les
Angtais cux-mcmes, bien qu'ils ne soient pas élevés dans
la connaissnnce de telles institutions, ne peuvent maîtriser
un frisson, quand ils songent n la mystérieuse sublimité de
castes qui ont coulé dans un lit u cties, et refuse de se
mélanger, pendant des périodes incommensurables il
n'est personne qui ne se sente pénétré d'un respect reli-
gieux par la sainteté du Gange, ou le seul nom de l'Hu-
phrute. Ce qui contribue pour beaucoup il entretenir ces
sentiments, c'est que l'Asie sud-orientale est et fut pendant
des milliers d'années, la partie de !a terre ou !a vie humaine
fermentait le plus ardemment, la grande o/~e~M ~<?M<<
L'homme est une herbe folle dans ces régions. Les vastes
empires entre lesquels s'est répartie l'énorme population de
l'Asie, donnent un nouveau caractère de grandeur aux
sentiments qui s'associent avec tous les noms, toutes les
images de l'Orient. La Chine, outre, ce qu'elle possède en
commun avec le.reste de l'Asie du Sud, m'épouvante par su
manière de vivre, ses usages, par cette barrière de répulsion
placée entre moi et e!!c, par des antipathies trop profondes
pour que je puisse les analyser. Je préférerais vivre avec
des fous, de la vermine, des crocodiles ou des serpents. Le
lecteur doit pénétrer dans tout cela, dans bien d'autres
choses encore <p.~ je ne puis exprimer, s'ii veut comprendre
l'indicible horreui' que me faisaient éprouver ces rêves de
LKS TORTURESnE !f)r)UM
Par
spectacle!! orientaux et de tortures mythologiques.
l'eu'et associé de la choeur tropicatc et des rayons solaires
tombant h plomb, je rassemblais toutes sortes de créatures,
oiseaux, quadrupèdes, reptiles, toutes sortes d'arbres et de
pentes, toutes sortes d'usages et d'aspects, \e!s qu'on les
rencontre dans les diverses régions des tropiques, et je les
réunissais duns la Chine ou l'ilindoustan. Par des sensa-
tions associées, je ne tardais pas a introduire l'I'~yptc et
ses divinités dans le même ordre de faits. Des singes, des
perroquets, des cacatoès me regardaient fixement, me
huaient, me faisaient des grimaces, m'adressaient leur
babillage. J'entrais en courant dans des pagodes, j'étais Hxë
pendant des siècles a leur sommet ou dans quelque chambre
secrète. J'étais l'idole, j'étais le prêtre, j'étais adoré, j'étais
sacrifié. Je fuyais la colère de Brahma & travers toutes les
forêts de l'Asie; Vishnou me haïssait, SIvn m'attendait
immobile. Je tombais tout à coup sur Isis et Osiris j'avais,
prétendaient-ils, commis une action qui faisait trembler
l'ibis et le crocodile. Pendant des milliers d'années, j'étais
enseveli vivant dans des sarcophages de pierre, avec des
momies et des sphinx, dans d'étroites cavités, au cœur des
pyramides éternelles je recevais les baisers cancéreux des
crocodiles, je gisais sans mouvement dans les roseaux et la
boue du Nil, parmi des tas de créatures avortées et indes-
criptibles.
J'essaye de donner une idée légère de mes rêves orien-
taux, dont les spectacles monstrueux me causaient toujours
une telle stupéfaction, que l'horreur semblait peu à peu se
fondre dans un étonnement sans mélange. Tôt ou tard sur-
venait un reflux de sensations qui emportaient l'étonnément,
etme laissaient moins de terreur que de haine etde répulsion
pour ce que je'voyais. Sur toute forme, toute menace, toute
peine, sur toute incarcération dans une solitude obscure.
pesait une sensation écrasante d'éternité 'et d'innmté. Dans
les autres rêves, à part une ou deux exceptions légères, la
répugnance physique ne jouait aucun rôle. Mais depuis,
!.):S TftRTUKESr~Kt.'O'tUM 3~5
-1. Il l'
')!) ne furent peuples que d'oiseaux din'ormes, de serpents,
de crocodiles, et surtout do ceux-ci. Le maudit crocodile
devint pour moi l'objet d'une horreur plus violente que
tout le reste. J'étais obligé de vivre avec lui, et pendant des
siècles, ce (lui se produisait toujours dans mes rêves. Par-
fois je m'échappais, et me retrouvais alors dans des
maisons chinoises. Tous lcs pieds des labiés, des canapés
s'animaient, devenaient vivants; l'abominable Mtedu cro-
codile, avec ses yeux sanglants, me regardait, répétée, mul-
tipliée par myriades, et je restais petriné, fascine. Le
hideux reptile hanta si souvent mes rêves, que bien des
fois citait toujours !a même rêve qui s'interrompait de la
même manière j'entendais de douces voix m'appeler (car
en dormant j'entends tout ce qu'on dit), je me réveillais u
l'instant le jour était avancé, mes enfants étaient la, se
tenant par lu main, auprès de mon lit, ils venaient me
montrer leurs souliers de couleur, leurs habits neufs, me
faire voir qu'ils étaient tous prêts pour faire une prome-
nade. Rien n'était plus terrible pour moi que ce change-
ment, rien aussi ne me touchait plus que ce brusque passage
des obscurités munies a la magnifique lumière d'un jour
d'été, et des êtres avortés et gigantesques d'une horreur
inexprimable, n la vue de l'enfance, et d'innocentes créa-
tures humaines.

Juin tSto. J'avais eu l'occasion de remarquer, a diverses


époques de ma vie, que la mort de ceux que nous aimons,
et en généra), la contemplation de la mort (toutes choses
égales d'ailleurs) nous impressionne plus vivement en été
qu'en toute autre saison de l'année. Scion moi, cela s'ex-
plique par trois raisons. D'abord ce qu'on voit du ciel en
été nous semble bien plus haut, bien plus loin, et si l'on
veut me permettre un solécisme, bien plus infini. Les
nuages, qui aident principalement l'oeil à apprécier la dis-
tance de la tente bleue déployée au-dessus de nos têtes,
sont en été plus volumineux, plus ramassa; accumules ea
9f)6 !.t:STOR-fURMpt:L'0)~))M
«mus bien plus grands, bien pins imposante. En second
lieu, la lumière et les aspects du soleil qui se lev~ et se
couche sont bien plus propres ù symboliser, à représenter
l'infini en troisième lieu, ce qui est la raison véritable,
l'exubérante et inquiète prodigalité de la vie, doit naturel-
lement porter l'esprit avec plus de force vers la pensëc
antagoniste de la mort et de h stérilité hivernale qui règne
dans la tombe. est d'observation générale que deux idées
qui ont l'une avec l'autre des rapports d'antagonisme, et
qui se repoussent l'une l'autre, sont aptes a s'engendrer
mutuellement. C'est aussi pour cel~ que je considère
comme impossible de chasser la pensée de la mort, quand
je me promène seul par une longue journée d'été, et la
mort d'une certaine personne, sans m'émouvoir plus pro-
fondément, hante mon esprit avec plus d'obstination, plus
de persévérance dans cette saison-la. Cette cause peut-être,
ctaussiun incidentsans importance dont je ne parleraipas, nt
surgir le rêve suiv ant une certaine prédisposition doit avoir
toujours existé en moi pour le produire, mais dès qu'il eut
apparu, il ne me quitta plus; il se brisa en mille variations
fantastiques, qui souvent sp rassemblèrènt tout t coup, me
laissant l'impression terrifiante d'une scène unique, et
reconstituant le rêve primitif.
Je me croyais a un dimanche de mai, le matin c'était le
jour de Pâques, de très bonne heure. J'étais debout, et, a ce
qu'il me semblait, à la porte de mon propre cottage. Juste
en face de moi se déployait le paysage. que cette circons-
tance devait amener, mais il était, comme toujours, agrandi
et idéalisé par la puissance du rêve. C'étaient bien là mes
montagnes, et à leur pied la même jolie vallée, mais les
cîmes montaient a des hauteurs plus qn'alpestres,et les
espaces qui les séparaient étaient assez larges pour contenir
des savanes et des prairies forestières. Les. haies, se .cou-
vraient d'une abondance de roses blanches; je ne voyais
aucune créature vivante, excepté dans le cimetière,.ou le
bétail était couche paisiblement parmi les tombes -ver-
!S TOKTU~S Ï)K t/0~!UM 3~
.j~t.))
surtout autour de lit
doyaatps, tombt*d'un enfant qu'autre-
fois j'avais aime avec tendresse. C'était exactement ce que
j'avais v u, un peu n'ant le lever du so!ei), pendant le même
été eu l'enfant mourut. Je contemp!nis cette scène
qui
nt'etnitfamiiiere, et me disais « Le lever du soiei! est encore
bien éloigna, et c'est le jour ou l'on célèbre les prémices de
la Hc'itu'rection. Je vais faire une longue promenade les
vieux chagrins seront oubtie:: aujourd'hui, car t'air est frais
et ca!me, les coHines sont hautes, et s'einnccnt vers le ciel,
le cimenere est aussi verdoyants que les clairières, les c!ai-
t tcres aussi paisibles que le cimetière avec la rosée je
mouiUcrat mon front, et alors je ne serai pas plus !on~-
temps malheureux. Je me retournai, comme pour ouvrir
!s porte de mon jardin, et il ma gauche j'aperçus un paysage
tout diifetent, bien que !e pouvoir du rêve l'harmonïsih
avec le premier. La scène était orientale; c'était aussi le
jour de Pâques, un dimanche, de très bonne heure a une
très grande distance j'apercevais comme une tache a l'hori-
xon les dômes et les coupoles d'une grande cilé, – esquisse
vaporeuse et confuse, que peut-être m'avait laissée des mon
enfance la vue d'une peinture qui représentait Jérusalem.
A moins d'une portie de Hoche devant moi, sur une
pierre, a l'ombre des patmcs de Judée, une femme était
assise je la regardai, c'était Anne 1 EHe fixa sur moi un
regard plein de gravité enfin je lui dis « Ainsi, je vous
ai retrouvée 1 » J'attendis, mais elle ne me répondit pas un
mot. Sa physionomie était telle que, quand je la vis pour la
dernière fois, la même, et pourtant bien différente. Qua-
torze ans auparavant, dans le vaste Londres, lorsque
la lumière du reverbère tomba sur sa figure, et qu'une
dernière fois je baisai ses lèvres (0 Anne, pour moi ces
lèvres n'avaient point subi de souillure ses yeux ruis-
selaient de larmes. Alors je ne vis plus ces larmes. Tantôt
elle semblait changée, tantôt il me semblait qu'elle ne
l'était pas; elle paraissait a peine.plus agëe. Son regard
cMitîranqui!!c)n)a)S!i avait une expression extraordinai-
tf)8 !.K5TORTUBMBRt.'OP!UM
rement solennelte, et 1~ contemplais ~'ec une sorte de
frayeur. Soudai son image s'obscurcit, je me retournai
vers les montt~ncs, je vis de~brouillards qui s'épaississaient
entre nous; en un instant tout s'évanouit. Ce fut alors une
obscurité compacte, un clin d'eeil et je fus transporté bien
loin des montagnes, sous le réverbère de I.ondr~* je me
promenais avec Anne, tout comme nous nous étions pro-
mènes dix-huit ans auparavant, quand nous étions l'un et
l'autre des entants, sur les trottoirs intermintbles d'Oxford-
Strect.
Alors commença aussitôt un rêve d'un caractère bien dif-
férent, rêve tumultueux, qui débutait par une musique sem-
blable à celle qu~ maintenant j'entends souvent dans mon
sommeil, musique de prélude et de suspension attentive.
Les ondulations de ce bruit total ressemblaient a rouvcr'
turc de l'hymnedueouronnement, et comme celui-ci, elles
donnaient la sensation du mouvement d'une foule nom-
breuse, de chevauchées qui défilaient à l'infini, du trépigne-
ment d'armées innombraNes.'La matinée était venue, jour
de crise et d'espérance suprême pour la nature humaine,
ensevelie alors sous une mystérieuse éclipse, etaccablée par
quelque terrible fatalité. Dans un certain lieu – lequel î?
je l'ignorais; d'une certaine façon – laquelle ?.)€ l'igno-
rais aussi; --certains être:, lesquels? je n'en savais rien
engageaient une bataille, une lutte, souffraient une agonie,
en traversaient toutes les péripéties; quelque chose se
développait commevers lacatastrophe d'un drame immense.
Je m'y sentais engagé par une sympathie qui devenait plus
insupportable, à mesure que la confusion augmentait dans
les scènes partielles, la cause, la nature, et l'issue indéchif-
frable de cette mêlée. Comme cela arrive souvent dans les
rêves, où nous nous faisons nécessairement le centre de
tout le mouvement, j'avais la faculté de décider l'issue, et,
en même temps, je n'avais pas cette facultés Je pouvais
diriger le dénouement, à la condition d'être capable de
faire un acte de volonté, mais d'autre part il m'était impos-
!.K~ TûKTURM t'R t.'OP)UM <t'm

i.ib!e de faire cet acte, car )'ctai& accable $ous je poids de


trente Atlantiques, ou sous l'oppression de quelque faute
inexprimat'ie. Je gisais impuissant « a des profcndeutA que
n'atteindra jamais le plomb de la snnde Ainr~, pinoiUo il
un chœur, la passion prit un accent plus pénétrant. Sur la
scène se jouait un ~rond intérêt, une cause d'une impor-
tance immense, et telle que )amni!. l'cpcu n'en avait jiunnis
tranche, que nuite trompette n'en avait annonce. Aion: ~e
produisirent de soudaine:! alarmes, des pousxeea dans tous
tes sons, les eouKes précipitées d'innombrahies fm;i)tfs, je
ne s~ats si c'étaient ceux de la honnc-uu cct:~dc ia mau-
vaise cause; tout était une obscurité traversée par des
ium~res, une tempête semée do iigm'es humnincs; enfin,
qnand j'eus le sentiment que tout était perdu, des appari-
tions féminines, des êtres qui pour moi vutaicnt p!u:. que
le monde entier et dont b vue était une coût te et dernière
faveur, – nés étreintes de mains, des séparations qui bri-
saient le ceeur, puis avec un soupir commo durent le pous-
ser les souterrains infernaux, quand l'incestueuse mère pro.
nonc& le nom abhorré de la mort, j'ontendis ces paroies
répétées: :Adieuxctcrne!s têt elles reprirent encore plusieurs
fois: Adieux éternels 1
.Alors je me ré~ciitai dans mon agitation et je cria! < Je
ne dormirai plus. »
Aujourd'hui, j'en suis veau à redouter l'approche du
sommeit,s'il doit m'apl)orter des visions aussi douloureuses,
pleines d'une vie aussi intense que celles qui persécutaient
mon cerveau plein de fantômes. Je ressentais aussi de plus
en plus fréquemment des palpitations dans une région
interne, analogues à celles qu'on nomme des palpitations
de eceur, ce qui est une erreur, sélon mes suppo:itionu, car
elles se rapportent exclusivement a des dérangements dans
l'estomac. Elles augmentaient d'une manière évidente et
rapide, en fréquence et en fc:ce. En considérant que ma
vie était nécessaire a d'acres que raoi, je fus .ec!!cmettt
inquiet, et je m'arrêtai à temps, mais ce fut avec une difïi-
}00 ms TOR1'UR< NK ).'Oi')UM
1" 1~ _1~L «._
cuité qui dépasse toute description. Quoi que je fisse, il
semblait que, comme on dit en lan~a~e militaire, la mort
« se jetât sur mon chemin Renoncer à l'opium, ce n'était
nullement me livrer d'angoisses qui étaient ~o~e~M, f
dans le sens propre du mot; mais d'autre part mourir par
reHet d'epuuvautcs nerveuses, mourir par la fièvre céré- =
bra!e ou la folie, voita les alternatives qui semblait occu"
per les deux routes qui m'étaient ouvertes, Heursusonent
il me restait assez de fermeté dans le caractère pour choi-
sir délibérément le parti qui m'imposerait plus de souf-
frances, msis qui me montrait dans le lointain l'espérance
de me sauver définitivement.
CctM possibilité se réalisa, je pus échapper si l'opium.
L'issue de cette crise nouvelle dans mes expériences se
trouve ddcrito assez exactement dans les lignes suivantes
que mes lecteurs d'autrefois ont trouvées dans la première
édition de ces Confessions. Si ces lignes s'y trouvent, c'est
que la crise dontelles paricntne fut qu'un eûort provisoire,
qui aplanit la route pour bien d'autres crises plus suppor-
tables, par lesquelles mon systemc..constitutionnel se sou.
mit graduellement.
Je fus victorieux. Vous n'allez pas conclure de ce mot,
lecteur, que je me trouvai dans mon état de joie ou d'exalta.
tion. Représentez-vous en moi un homme qui, même après
quatre mois,. éprouve encore de l'agitation, des convul-
sions, des battements et même des palpitations de coeur,
de la courbature mon état se rapproche beaucoun de celui
d'un homme qui a été soumis a la question, et je me repré-
sente cet état d'après la description émouvante que nous en
a faite le plus innocent de ceux qui l'ont subie un con-
temporain de Jacques I. Je n'éprouvai .aucun soulagement

WiUitmLithRow. Sonlivre(~o)'<!gM,
etc.)estennuyeuxet assMn)i))
<crit,maislerécit de sesso~nrancetquand on le mit &la questionà
M~aga,etcequisuit,CMd'un intérêtpoignant.U y a moinsde détails,
!d<t ft~ < f~~r! *"r r~")h)t<<~)<t«)-.
turc publiéen !S3oparJuanVan Hatcn.
!.t'$ 'ftWnn<KSt)Kt.'(U')UM 3()t

par les remèdes excepte par lit teinture nmmoniaca)c de


vatsriane. La monde de ce récit s'adresse nu mangeur
d'opium; eHcest donc d'un intérêt nécessairement restreint.
S'il apprend h craindre et a trembler, l'clfet sera suiH.sant.
~!ais il peut au moins se dire que le dénouement de mon
récit prouve c~ci: après avoiremptoyc i'~j'ium pendant dix-
huit ans, après oit avoir «hu&e pendant huit de <:es ttnnces,
on peut y renoncer. S'il en est assex heureux pour se con-
sacrer u cette t~che ave'): ptus d'énergie que jc ne l'ai Mt,
ou, s'i! a une constitution ptus forte quela mienne, i) obtien-
dra plus et cela lui coûtera moins. Je pense qu'il en sera
ainsi, et je ne prétends pa.< mesurer les efforts d'autrui par
les miens. Je lui souhaite cordiatement plus de courage, je
lui souhaite eordiakment }e même succès. Cependant
j'avais des rnisons c\tericuresqui peuvent mnihcureusemcnt
lui manquer. Ces raisons fourntssuicnt a ma conscience un
secours énergique, et dm intérêts purement personnels
nuiraient peut-être p:)s avec !a même puissance sur uu
esprit nÛ'.nbH par ropium.
Lord Maçon' suppose qu'il est aussi doutouret.xde naître
que de mourir. Ce~ paratt probable pendant tout lc temps
que je consacrai a diminuer mon opium, j'éprouvai les
tourments d'un homme qui passe d'un mode d'existence à
un autre etqui ressent a la fois ou ahernativement les dou.
leurs de la naissance et de la mort. La fin ne fut pas la
mort, mais une sorte de régénération physique, et je puis
ajouter que toujours depuis, et par intcrvaHes, j'ai éprouve
une résurrection plus juvénile dans mes facultés.
H me reste cependant un héritage de mon premier état

!).tn<toutes)ei. éditions précédentes j'avais attribue ce sentiment à


JeremieTaytor. En f.tis.tntdes recherchesexactes pour \<'ri(;erceUecita-
Oon.fevh tjtteje m'étais trompé. Desidées de ce sen'c se rencontrent
plus d'unefois dansies œuvres considerabjeedci'evcque,mais le passage
quif-'est présentea mon esprit a été évidemment)e suivant qui esttiré de
i'~Mf~!)r la mort par LordBacon :<ït est aussi n~Mt-f)'Jt'Nosrirqut
d:nx! t:t puùr~.uurun petit enf~irit,
cnf.)nt,1!'un
tiii»est
est peut-Ztre
peat-~tre aussi douloureuxque
t'autre.
30!t m& TO~TUMt M t.'WtUM

mes re\'e~ ne sont pas tranquilles. L. a~ttanon mortelle et


le boulèversement de l'orage n'ont pas subi un apaisement
compte! !e~ levons qu! campaient dans mon sommeil se
sont remises en marcha mais elles n'ont pas entièrement
disparu. Monrapoïe~tencoreu~te; iiotcommoces pottes
du Par<Ji!i telles que nos premiers parents les virent en se
retournant, il est encore comme dans le veM eitrayant de
MiUon,
t l'kin du ))i; Ktfibt~s et <~bt~ tnem~ms w.
LA FILLE DU LIBAN

Damas, !n première née des cites, Om el Dcnia mère


des générations, qui existait avant AbrahaM, qui existait
avant les Pyramides, quels sons fuyant par une
porte
dérobée qui s'ouvre a l'Orient sur des sentiers secrets, et
vers le désert lointain, quels sons troublent le silence
solennel d'une nuit oricnta!e? Quelle voix appelle les
sateUites qui montent une garde éternelle sur la tour, au-
dessus de la porte, et les invite a le recevoir quand il
rentre dans sa demeure syrienne ? Tu Ie~ connais, Damas,
tu l'as connu dans les jours de trouMe comme un homme
savant dans les amictions humaines aussi sage pour con-
seiller dans les souffrances de l'esprit que pour celles du
corps. La voix qui interrompt ia nuit'est !a voix d'un
grand évangeliste, l'un des quatre – il est aussi grand
médecin. C'est lui que reconnaissent joyeusement les
a gar-
Omel Dénia, t~re du monde, tel est le sens du nom arabe de
Damas. Son existenceest antënenre aAbMham, c'es.t-~tre qu'éjectait
déjà ancienneplus de mille ans avant le si~gede Troie, plus de deux
mille ansavantl'ère fhr<'tienne,comme on peut le <'<re d: ?.. Gcuess
{* :); ~s Mit~utementttc contesles races o:iet!ta)es,Dam~sest recotl
nue comme la plusantique des ei[es~t'OMat<~HndKs.
304 <t')t.).Knut.)BAH

diensdelaporte, c'est~l'-u'qu'ils s'empressant d'ouvrir. Ses


sandales sont blanches de poussière, car il a voyagé bien
de&semaines au delà du désert, guidé par des Arabes, «un
de porter la nouvelle de l'espérance Pnimyre et son
esprit est fatigue de toutes choses, excepté d'être fidèle a
Hieu et de brûler d'amour pour l'homme.
l.es cités orientales dorment à cette heure. Peu ou
point de bruit pour troubler le repos tout autour de l'Evan-
gëlisto quand il se dirigea vers h place du Marche. La une
scène dinerente attira attention. Vers la gauche, dans une
chambre d'en haut, dont les volets étaient largement
ouverts, de nombreux jeunes gens étaient assis et se diver-
tissaient bruyamment, à la lumière étincelante des flam-
beaux et des trépieds où brûlaient des bois de senteur.: ils
unissaient toutes leurs voix dans des chœurs, tous étaient
couronnés de fleurs cueillies a Daphné cu sur les bords de
l'Oronte. L'Evangeliste ne prit pas garde a eux, mais bien
loin vers la gauche, h l'abri d'un enfoncement, sous la
lumière d'un seul vase de fer ou brûlaient des éclats de
cèdre, et qui était suspendu au bout d'une lance, il aper-
çut une femme d'une beauté si transcendante, que quand
elle se montrait tout coup, sortant des épaisses ténèbres,
elle enrayait les hommes comme une illusion, comme une
créature de l'air. Etait-elle née d'une femme ? C'était peut-
être l'ange, -– ainsi se dit l'Evangéliste, l'ange qu'il avait
rencontré dans le désert après le coucher du soleil, et qui
l'avait fortifié par de mystérieuses paroles. L'Evangéliste
s'avança et la toucha au front quand il se fut ainsi assuré
qu'elle était bien une femme, quand il vit d'après lit place
qu'elle occupait, qu'elle attendait un compagnon, un des
jeunes gens de cette troupe débauchée, il gémit intérieure-
ment, il se dit, mais de telle sorte qu'elle pût l'entendre
< Pauvre fleur fanée, ta naissance tu étais donc divine-

!)!ntyfe n'avait pas ex'-Mici.:t:!Ct <: zis:'h "<<)'it~arec<;)te.


o!) elleparvipt vers époque d'Au~iieo, nais c'était dtjâ une nobte cité.
).Am.t.t:nu).niA~ 3o5

ment emheUie, – parce avec tant de ~loira que même


Salomon dans toute sn pourpre, même les lis de la plaine,
n'épataient pas tes dons, jusqu'à ce que tu eusses offense le
Saint Esprit de Dieu ? – La femme éprouva un tremble-
ment violent et dit Rni'bi, que faut-il faire Pcar tu le
vois, tous les hommes me dédaignent. )) L'E\anf;e)isteK'
prit & songer, et se dit en secret ti lui-même < Maintenant,
je vais éprouve)' le cœur de cette femme, et vair si en vente
il avait de l'inclination pour Dieu, et s'il a dévié seulement
a cause lie quelque obstacle impitoyahte. n Se tournant
donc vùrà h) femme, le prophète' lui dit « Kcoute, je suis le
messager de Celui que tu n'as point connu, de Celui qui il
fait!e Liban et les cèdres du Liban, qui n fait !n mer, et le
ciel, et l'armée des étoiles, qui a fait lit lumière, qui a mit
les ténèbres, qui a soufflé l'esprit de vie dnns les narines de
l'homme. Je suis son messager, c'est lui qui m'.t donne le
pouvoir de lieret de délier, d'édifier et de ruiner. Demande-
moi donc ce que tu voudras, – peu ou beaucoup, – et par
moi tu le recevras de Dieu. A!ais, enfant, ne demande pas
a tort. Car Dieu peut exaucer ta prière funeste si tu lui
demandes de tendre des pièges sous tes pieds. Ht souvent il
semble refuser aux agneaux qu'il aime, alors qu'il les
"aucc, il leur donne dans le vrai sens, ou bien (Ici sa
jix chanta comme dans un hymne), ou bien il leur
Jonnc dans un monde plus heureux. Ainsi, ma iilie, sois
prudente pour toi-même, et dis-moi ce que je dois deman-

Le Prophète. – !!itH qu'un prophète ne fût pas par cela seul et en


vert'' de ce caractère, un Ev~ng~tiste,néanmoins chaque Hv:mf~)in<*
était nécessairementprophète, dansle sens que donne Ace mott'Kcriture.
Caril faut se rappeler que le mot de propMte, Amoinsd'être interprété
par t'etyn)o)ogie,ne désignepas celui qui annonceou fait voir à J'avance.
Qu'était-ce donc qu'un prophète, dans le sens que donneuniformémentà
ce mot t'Eeriture? C'était un homme qui soulevait le rideau cachant Ics
secrets desseinsde Dieu.tt annonçait et publiait tes vérités auparavant
voiléesde Dieu, et commeics événementsfuturs pouvaient contenir des
veritesdivines, lerévélateur des événementsfuturs devenaittn ce sens un
prophète. Mais répétons que le rote du prophète.couMUititf"ftp:a &
teentftr !t <"t~:n'n!: i t'.xMttce,et ne consistait pas tteCt'.MfWcmMfeu
.<e)a.
20
20
306 t.t.KM)HHAK
der «Dieu pour toi. Mais la fille du Liban n'avait pas
besoin de son avertissement, elle mit un genou terre
devant l'envoyé Je Dieu, pendant que ht pleine lumière de
la torche de ccdre tombait sur ses yeux et y faisait briller
le repentir, elle éleva ses mains croisées avec prière, et
comme l'Hvan~éiiste lui demandaU pour la seconde fois
quel présent il devait faire descendre du ciel pour elle:
« Seigneur, que tu veuilles me transporter de nouveau
dans la maison de mon père. » Et rEvan~cliste, qui était
bon, versa une larme en s'arrêtant pour h baiser au front,
et il dit: « Ma fille, ta prière été entendue dans l~seieux,
et <c te promets que l'aurore ne paraîtra pas trente fois,
que le soleil ne se coucha pas trente fois derrière le
Liban, avant que je te reconduise dans la maison de Mn
père." »
Alors ht belle enfant devint la pupille de î'Hvangeiistc.
M!!e ne tenta pas de déguiser son histoire, ou de pallier
ses fautes. Quelles que fussent toutes celles qu'eU~ avait
commises, elles étaient scmbhtMes a celles de mUtions
d'autres fcmnies dans toute génération. Son père était un
prince du Liban, orgueilleux, incapable d'oubli, et inexo-
rable. Les torts faits a sa fille par son déloyal amant, il
les avait faits à la favur des occasions que lui donnait
sa fiancée dans sa confiance, le père persistait à les ressen-
tir comme s'ils étaient les fautes de la jeune nlle trahie
lui refusant toute protection, il la chassa, bien qu'elle fût
évidemment innocente, et la réduisit a des complaisances
criminelles auxquelles il fallait se prêter, sous l'exigence
des nécessites quotidiennes, qu'elle ne pouvait satisfaire
par son inexpérience. Elle eut beaucoup à souffrir à cause
de son père et de son amant, elle fut
largement récompen-
sée. Elle perdit un père farouche, un amant déloyal,
tHe cuT pour tuteur un apôtre. Elle perdit une fortune
princière dans le Liban, elle conquit bientôt un héritage
dans 1~ ciel. €ar cet
héritage était à elle avant les trente
jours~ si élite ne succombait pas. Et pendant que le temps
LAH!.i.KM!i.!MK 3u?

marehatt d'un pas assure vers le trontiëme jour, voici


qu'une ~evre brûlante s'abattit sur Damas, et qu'elle pro-
nonça son arrêt sur la lille du Liban, mais avec douceur,
si bien qu'en moins d'une heuroeUe fut enlevée aux ensei-
gnements célestes de l'Kvangcliste. Et ainsi chaque jour
le doute se fortifiait. -– Le saint apôtre lit toucherait-il
de sa main, en lui disant < l-'emma, lève-toi. Ou la
présenterait-il comme une pure Hancee au Christ, avant le
trentième jour ? Mais la parfaite liberté est ic privilège de
ceux qui servent le Citrist et c'était a elle seule fi faix.'
son choix.
Le trentième matin se leva dans toute sa pompe, mais
bientôt il fut obscurci par un orage soudain. Le soleil ne
se montra pas avant midi alors lit trieuse lumière per~a
son voile, et les vallées syriennes se réjouirent de nou-
veau. C'était l'heure d&signce :ï l'avance pour le baptême
de la nouvelle nne du Christ. Le ciel et la terre se répan-
dircnt en bénédictions sur cette heureuse lëte, et quand
tout fut Termine, a l'abri d'une tente dressée sur le toit
plat de son habitation, la fille régénérée du Liban, jctant
son regard par-dessus les jardins de roses de Damas, con-
templa vers le lointain horizon ses montagnes natales.
KHe était couchée, éprouvant un bonheur plein d'angoisse,
et témoignant par ia blancheur de sa robe baptismale,
qu'elle avait recouvré son innocence et s'était réconciliée
avec Dieu. Et quand le soleil descendit vers l'Occident,
rEvangélistc, qui était reste aussi depuis midi près du lit
de sa fille spirituelle, se leva solennellement et lui dit
« Fille du Liban, le jour est arrive, et l'heure approche où
je dois remplir la promesse que je t'ai faite. Veux-tu être
plus sage dans les désirs, et permettre que Dieu ton nou-
veau père, t'exauce en paraissant te refuser, qu'i! te fasse
un meilleur présent ou dans un monde bien meUteur ? x
Mais la fille du Liban devint triste à ces mots, elle désira
ses collines natales, non pour eHes mêmes, ntais parce
qu'elle y avait laissé une sœur jumelle qu'elle chérissait:'
3o3 !.A.t-)f.t.KM)t.U)AN
Mute:, deux, se tenant par la mnin, et Mut enfants, avaient
erré parmi les cèdres immortel: Ht l'Kvan~eliste se rassit
'près du lit; de temps n autre elle conversait avec lui. puis
retombait dans un doux sommeil, sous la fièvre qui
l'accablait.
Comme la soirée s'avançait et qu'il ne restait qu~ peu de
temps avant le coucher du soleil, l'Evangelistû se leva une
dernière fois et d'une voix encore plus solennelle, lui dit
« Ma fille, voici le trentième jour, le soleil va achever sa
course, peu d'instants me restent pour accomplir la parole
que Dieu m'a confiée pour toi. Ht comme de légères vapeurs
de délire se jouaient autour de son cerveau, l'EvangëIiste
leva son bâton pastoral, et le dirigeant vers ses tempes, il
chassa les vapeurs, et leur interdit de troubler plus long-
du
temps sa vue, et de s'interposer entre elle et les forets
Liban. Et les vapeurs du délire s'entr'ouvrirent, s'écartant
h droite et à gauche. Mais sur les forêts du Liban était sus-
pendue une puissante masse de nuages obscurs qu'avait
rassemblés l'orage du matin. Une seconde fois l'Evan-
gélistc leva (son bâton pastoral, et, lc dirigeant vers les
nuages, iMesreprimanda, leur interdisant de rester plus long-
temps entre elle et la maison de son père. Et aussitôt les
sombres vapeurs s'entr'ouvrirent sur le Liban, à droite et a
gauche, et le rayon d'adieu du soleil éclaira tous les chemins
qui conduisaient au palaisde son père atravers les cèdres im-
mortels. Mais la fille du Liban chercha en vain des yeux
dans les chemins pour découvrir quelque souvenir de sa
sœur. Et l'Evangeliste, prenant en pitié son chagrin, lui
montra le bleu du ci~l, que les vapeurs avaient laissé voir
en se retirant. Et il lui fit remarquer la paix qui y régnait.
Et alors il dit '< Cela, c'est encore un voile. aussitôt, pour
la troisième fois, il leva son bâton paatoral, et le dirigeant
vers le bel azur du ciel, il lui commanda, et lui défendit de
dérober plus longtemps à la jeune fille la vision de Dieu.
Aussitôt l'azur du ciel s'ouvrit à droite et à gauche, laissant
voir pleinement les révélations infinies qui ne sont visibles
).Am.Hf)U!.)pAN ;!of)

que pour les yeux des mourants, Ht ht iiUe du Liban dit a


FEvan~cIiste < 0 père, que)lessont ces armées que je vois
passer en revue dans ces espaces infinis? » Et l'EvangeHste
répondit c Ce sont les armées du Christ, et elles
paraissent
pour recevoir certaine fleur humaine et chérie, certaines
prémices de la foi chrétienne, qui cette nuit s'élèveront de
Damas jusqu'au Christ. Soudain, la 1111edu Liban
vit sortir de l'armée' cëtcstc et so pencher vers elle la
seule figure dont elle avait faim et soif. La sceur jumelle
qui l'aurait attendue dans le Liban était morte de dou!eur,
et c'était au Paradis qu'elle l'attendait. Dans un transport
subit, elle s'élança de sa couche, mais aussitôt elle retomba
dans sa faiblesse retenue par l'Evan~cliste, elle lui jeta ses
bras autour du cou, pendant qu'il murmurait à son oreille ses
dernières paroles u Et maintenant, consens-tu à ce
que
Dieu t'accorde ce qu'il paraissait te refuser ? – Oh oui,
oui, oui, repondit avec ferveur la HHc du Liban. Aussitôt
l'Evangëtistc donna le signal aux cieux, et les cieux don-
nèrent le signal au soleil, et une minute après, le corps de
la fille du Liban devenait de marbre dans ses vêtements
blancs du baptême l'orbe solaire descendit derrière le Li-
ban, eil'Evangeliste, les yeux brillants de larmes mortelles
et immortelles, rendit grâces à Dieu de ce qu'il avait accom-
pli la parole qu'il avait eu la mission de dire a la Magdeleine
du Liban, lui promettant que le trentième jour, avant que
le soleil se couchât derrière ses collines natales, il l'aurait
transportée dans la demeure de son père.
TABLE

PrdfnceJutMductcurau lecteur. r
Préface (iutAdemi&t'c&iition. xx:x
Confessionstt'unmangem'd'opimn. i
!.esp!K)sh's<)et'opiu!)H 22!r
Les tortures de l'opium. -!)f)
L<;Rt!ednL.iba)T. ~o;

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