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MÉMOIRE
La dimension gazière
dans les relations UE–Russie
INTRODUCTION 3
PREMIÈRE PARTIE
RUSSIE-UE: DIVERGENCE DE PERCEPTIONS ET CONVERGENCE D'INTÉRÊTS 5
DEUXIÈME PARTIE
LA POLITIQUE GAZIÈRE VUE DEPUIS BRUXELLES ET MOSCOU 19
TROISIÈME PARTIE
L'ENJEU GAZIER DANS LES RELATIONS UE-RUSSIE 35
CONCLUSION 52
SOURCES 56
2
ANNEXES 61
Introduction
La dimension gazière dans les relations UE-Russie est un sujet qui fait régulièrement la une
des médias. Thème complexe, il se situe à l'intersection de deux aspects majeurs: l'évolution
de la Russie et de l'Union européenne depuis la fin de la guerre froide, et l'énergie, notamment
dans ses dimensions stratégique, économique et environnementale.
Ce thème est souvent présenté de manière simplificatrice et parfois même alarmiste. Nous
tenterons d'analyser ici de manière plus rationnelle les tenants et les aboutissants de l'enjeu
gazier dans un contexte élargi, et de comprendre, par-delà les idées reçues, les relations entre
Bruxelles et Moscou.
Celles-ci sont particulières, d'une part parce que la Russie est le seul grand voisin de l'UE qui
soit acteur mondial des relations internationales, et d'autre part en raison des élargissements
successifs de l'Union européenne qui ont transformé à la fois les relations entre Bruxelles et
Moscou et les perceptions mutuelles.
Bien que l'on puisse parler de politique étrangère européenne, il convient de souligner que la
politique étrangère dans l'Union européenne reste avant tout fonction des États membres.
Ceux-ci se réservent en effet la possibilité de développer des relations bilatérales avec les
pays tiers, en fonction de leurs intérêts ou de leur influence propres, ou au contraire de mener
une politique communautaire commune face aux acteurs extérieurs. Cependant, je me
limiterai, dans le cadre de ce travail, à la politique étrangère envers la Russie menée
collectivement au niveau européen par les États membres, sans perdre de vue que ces derniers
peuvent mener une politique étrangère autonome. L'Union européenne fait en effet preuve
d'une relative cohésion envers la Russie, qui fera l'objet de la première "stratégie commune"
de l'UE, adoptée par le Conseil européen en juin 1999.
Les relations entre Bruxelles et Moscou sont difficiles, tendues et empreintes de méfiance
mutuelle, et d'aucuns évoquent déjà l'émergence d'une "nouvelle guerre froide" entre la Russie
et l'Occident. Cependant, les intérêts économiques sont tels que la Russie et l'Union
européenne pourraient difficilement se passer l'une de l'autre. Cela semble toutefois être plus
une alliance de raison qu'une alliance de cœur. La dépendance mutuelle est particulièrement
forte en ce qui concerne l'énergie, enjeu économique de premier ordre aux implications
multiples.
Le présent mémoire se limitera aux seuls aspects gaziers. Outre la nécessité de circonscrire le
sujet, ce choix a été motivé à la fois par la place absolument essentielle qu'occupe le gaz
naturel dans l'économie russe et européenne, et par les spécificités qui font du gaz un cas à
part, bien différent de celui du pétrole. Le commerce du gaz reste en effet soumis à de
nombreuses contraintes, que cela soit en matière de transports, de contrats ou de tarifs.
INTRODUCTION 4
Dans le secteur du gaz, l'Union européenne s'efforce de créer un marché unique libéralisé à
l'échelle du continent, tandis que la Russie cherche à contrôler de près l'industrie gazière. D'un
côté comme de l'autre, on est très attaché à préserver la sécurité énergétique, concept qui
recouvre en Russie et dans l'UE des réalités et des objectifs bien différents. Quelles sont les
stratégies mises en œuvre à Bruxelles et à Moscou en la matière, et à quelles contraintes ces
politiques sont-elles soumises? Les considérations géopolitiques occupent ici une place
centrale.
Les crises entre la Russie et ses voisins ukrainien et biélorusse ont suscité émoi et inquiétudes
en Europe au sujet de la sécurité d'approvisionnement. À en croire certains, le Kremlin
pourrait fermer le robinet du gaz et ainsi asphyxier l'économie européenne. Quel est le
pouvoir du Kremlin en la matière? Une telle menace est-elle probable, et si oui, quelle est sa
nature? Le géant gazier Gazprom ne cesse d'impressionner l'Europe, mais a-t-il la volonté et
la capacité de nuire qu'on lui attribue volontiers?
Première partie
La Russie et l'Union européenne: divergence de
perceptions et convergence d'intérêts
1 Russie-UE: dévelo ppe ment de deux modèles o pposés
Depuis le début des années 1990, lorsque naissent tant l'Union européenne que la Fédération
de Russie, les deux entités ont développé deux modes de fonctionnement diamétralement
opposés, en ce qui concerne la nature de l'entité étatique, les structures de pouvoir, les
priorités macroéconomiques, et surtout la gestion de la politique extérieure.
En décembre 1991, Boris Eltsine, fort de la légitimité du suffrage universel et de son image de
vainqueur face à la tentative de coup d'État d'août 1991, proclame l'indépendance de la
République socialiste fédérative soviétique de Russie, qui devient la Fédération de Russie. On
assiste à la dissolution du parti communiste, remplacé par un groupe hétéroclite d'élus
"démocrates", dont bon nombre sont pourtant issus de la nomenklatura officielle. Les années
1992 et 1993 sont marquées par des réformes libérales et pro-occidentales, mais aussi par une
désintégration de l'État.
Malgré son caractère fédéral et multiethnique, il s'agit d'un État nation dans le sens
traditionnel du terme, qui s'inscrit dans la droite ligne de la Russie impériale1, et où les
autorités cultivent un patriotisme parfois teinté de nationalisme. La Russie perd son statut de
grande puissance et devient tributaire de l'aide de la communauté internationale, qui exerce
alors une influence considérable sur le pays. Cette situation sera vécue comme une déchéance,
et alimentera un désir de réparation qui se fait toujours sentir aujourd'hui.
Les bouleversements d'Europe de l'Est ne sont pas sans conséquence sur la construction
européenne. Ils permettront de manière indirecte de mettre définitivement sur les rails, en
décembre 1989, la première phase de l'union économique et monétaire, chantier relancé par le
Conseil de Madrid six mois plus tôt. En effet, la réunification de la RFA et de la RDA, qui
suscite des craintes françaises notamment, sera en quelque sorte contrebalancée par l'adoption
d'une monnaie unique, qui représente une concession pour l'Allemagne dotée d'une monnaie
stable et forte (Olivi, 2007, pp.235-9).
Le traité de Maastricht, qui entérine ce projet, crée l'Union européenne. En renonçant à leur
monnaie, les États membres de la Communauté abandonnent une part de leur souveraineté et
un des attributs majeurs de l'État nation. Bien que le traité crée également une citoyenneté
européenne (au moment où disparaît la citoyenneté soviétique) et prévoie une politique
étrangère et de sécurité commune (PESC) remplaçant la faible coopération politique
européenne (CPE), l'Union est loin d'être un État à part entière, et n'est d'ailleurs même pas
1
Lire à ce sujet Kagarlitsky Boris, La Russie aujourd'hui, néolibéralisme, autocratie et restauration, Parangon,
L'aventurine, Paris, 2004. L'appropriation par le pouvoir de la symbolique impériale en est une manifestation.
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 6
dotée de la personnalité juridique. S'il ne s'agit pas d'un "super État" ni d'une "fédération",
c'est toutefois bien plus qu'une organisation internationale traditionnelle. Son rôle sur la scène
internationale lui a en outre valu l'appellation de "puissance civile", à même d'influencer les
normes de manière pacifique, par sa force de persuasion.
Cette structure, outre son caractère postmoderne qui lui vaut parfois l'appellation "post-État",
est par ailleurs sans cesse en évolution. L'objectif affiché dès les années 1950 est en effet de
bâtir "une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l'Europe". À l'aube des années
1990, la Communauté s'embarque dans de grandes réformes institutionnelles, avec les traités
de Maastricht, d'Amsterdam, de Nice et le traité constitutionnel. Il convient de combler le
"déficit démocratique", de s'adapter à la nouvelle donne internationale, et de modifier les
institutions pour pouvoir intégrer de nouveaux membres. Ce processus ardu est caractérisé par
des compromis imparfaits et de difficiles processus de ratification, mais surtout par une
absence de vision et de consensus sur la finalité de l'Union (zone de libre-échange ou
fédération d'États?), sur les limites de l'intégration et sur les frontières géographiques de
l'Europe.
Le rôle central de l'administration présidentielle sur la scène politique russe n'est pas sans
rappeler la place occupée par le parti communiste à l'époque soviétique. La différence tient au
fait que le Parlement peut désormais s'opposer aux lois proposées par le Président et son
équipe. Cependant, ce cas de figure est en pratique extrêmement improbable. Alors qu'Eltsine
a souvent recouru aux décrets pour gouverner, Poutine préfère la voie parlementaire, étant
donné que le parti loyal au Président, Russie unie3, dispose d'une majorité des deux tiers à la
Douma (Allison, 2006, p.25).
À Bruxelles en revanche, le Parlement européen n'a cessé de gagner en influence depuis 1990,
avec la procédure dite de codécision qui couvre désormais bon nombre de domaines. Le
Parlement a en particulier affirmé son contrôle sur la Commission: il a notamment forcé la
Commission Santer à démissionner en raison d'irrégularités en mars 1999, ou imposé des
modifications dans la composition de la Commission Barroso en novembre 2004. Preuve
supplémentaire de l'affaiblissement relatif la Commission sur les questions majeures, son
initiative de projet constitutionnel présentée en décembre 2002 se solde par un flop (Olivi,
2007, p.409).
2
Le 3 octobre 1993, afin de débloquer la crise, il lance les troupes fédérales à l'assaut de la Maison blanche,
siège du Parlement russe à Moscou.
3
Russie unie a obtenu 37,6% des suffrages aux élections législatives de 2003, loin devant la deuxième force
politique du pays, les communistes (12,6%). De nombreux indépendants et députés de petits partis ont ensuite
rejoint son groupe parlementaire, si bien qu'elle contrôle 300 sièges sur 450.
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 7
Dans les hautes sphères du pouvoir russe gravitent différentes factions. Actuellement, il s'agit
principalement des siloviki4, qui sont particulièrement présents et influents5. Ils désirent voir
restaurée l'autorité de l'État, et sont hostiles aux personnes ou aux mouvements qui
apparaissent miner l'unité nationale ou la position du gouvernement fédéral, comme par
exemple les ONG étrangères. Poutine a toutefois su contrebalancer leur influence en
s'appuyant également sur les libéraux économiques. Il maintient entre ces deux factions un
délicat équilibre, dont il est lui-même l'arbitre.
Dans l'Union européenne, le centre de gravité décisionnel est le Conseil. La prise de décision
y est très décentralisée, avec autant de centres de pouvoir qu'il n'y a d'États membres. Si les
politiques appartenant au premier pilier sont soumises au vote à la majorité qualifiée (dont le
fonctionnement a d'ailleurs fait l'objet d'âpres négociations), la plupart des politiques des
deuxième et troisième piliers relèvent toujours de l'unanimité. D'ailleurs, les décisions
importantes, sur les grandes avancées, n'ont souvent pu être prises qu'à la faveur d'un
changement de pouvoir dans un des États membres. Ainsi, un compromis sur le traité
d'Amsterdam peut être atteint grâce à l'arrivée de Tony Blair en mai 1997, et un accord sur le
traité constitutionnel peut être trouvé suite à la victoire surprise de José Luis Zapatero en mars
2004 (Olivi, 2007, pp.349 et 419).
Si certains chefs d'État ou de gouvernement des grands pays européens peuvent donner des
impulsions aux grands dossiers communautaires, contrairement à la Russie, le pouvoir est
largement dépersonnalisé, notamment en raison du système de la présidence tournante du
Conseil. La force de l'Union européenne réside plus dans ses institutions. L'on reproche
d'ailleurs souvent à l'Union d'être dirigée par la bureaucratie bruxelloise, généralement taxée
de lourdeur et d'inefficacité.
Depuis Moscou, cette bureaucratie est cependant vue comme une machine extrêmement
efficace, pouvant imposer son ordre du jour à la partie russe; elle suscite dès lors de vives
craintes (Karaganov, 2005, p.7). En comparaison, la bureaucratie russe est caractérisée par
une structure hyperpersonnalisée où les institutions n'ont que peu de poids. De plus, elle
souffre clairement d'un manque d'effectifs qualifiés et de ressources:
4
C'est ainsi que l'on appelle de manière générale les personnes issues de l'armée, du FSB (ex-KGB) ou d'autres
organes de maintien de l'ordre. Vladimir Poutine en est lui-même issu.
5
S'ils ne représentaient que 4% des hauts responsables sous Gorbatchev et 11% sous Eltsine, leur présence a
grimpé à 25% au cours du 1er mandat de Poutine (Allison, 2006, p.24).
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 8
(…) there is a great lack of understanding (…) even among the relevant decision-
makers, about the way in which the EU operates. (…) The result is that the EU
Commission is normally given responsibility for the preparation of joint resolutions as
Russian negotiators have 'neither the people nor the time' to prepare their own drafts
(Allison, 2006, p. 35).
Si la bureaucratie russe est donc peu efficace, l'armée occupe une place de choix sur la scène
politique russe. Elle conserve une influence considérable dans la société, renforcée encore par
la guerre en Tchétchénie6. Bien que les chiffres avancés varient, on peut affirmer que les
dépenses militaires ont augmenté au cours des dix dernières années. Par contraste, la défense
européenne se met lentement en place, malgré la réticence de certains États membres et la
difficile relation avec l'OTAN, au fil des crises internationales qui sont autant d'aveux
d'impuissance pour l'UE. Une politique de sécurité et de défense est finalement instaurée fin
des années 1990, afin de contribuer à la sécurité et à la paix internationale, conformément
aux principes de la charte des Nations Unies.
Il est très probable que les élections législatives de décembre 2007 et la succession de
Poutine, prévue pour le printemps 2008, ne soient que des manifestations supplémentaires et
plus abouties de la "démocratie dirigée" à la russe. Pourtant, Vladimir Poutine reste très
populaire. C'est sans doute qu'il a su être un dirigeant de poigne dans un pays où la
démocratie est souvent perçue comme synonyme du chaos politique et du déclin économique
des années Eltsine; qu'il a pu, grâce notamment à la hausse des prix des hydrocarbures sur les
marchés internationaux, redresser l'économie russe10 et améliorer ainsi le niveau de vie
général de la population, et redonner à la Russie une partie de sa grandeur perdue.
6
Pour plus de détails sur l'influence qu'a la guerre de Tchétchénie sur la société russe, lire Politkovskaïa Anna,
La Russie selon Poutine, Gallimard, Paris, 2004.
7
Le secteur audiovisuel est aujourd'hui caractérisé par une "absence de pluralisme du secteur audiovisuel,
associée à la disparition de titres de presse écrite indépendants, minés par des amendes exorbitantes"; "les
chaînes de télévision, sous le contrôle total du Kremlin, sont soumises à une censure très stricte"; et "la
législation sur la presse reste très éloignée des standards internationaux" (Reporters sans frontières: Russie –
rapport annuel 2006).
8
"The Kremlin's new cookbook", The Economist, 15 mars 2007.
9
La répression à Moscou et Saint-Pétersbourg des manifestations pacifiques organisées en avril 2007 par le
mouvement Une autre Russie, animé notamment par l'ancien champion d'échecs Gary Kasparvov, en constitue
un bon exemple et révèle en filigrane une certaine faiblesse du régime. Lire à ce sujet "Democracy à la russe",
The Economist, 19 avril 2007.
10
Selon les indicateurs de Economist Intelligence Unit, la croissance réelle du PIB par rapport à l'année
précédente n'a cessé de s'accélérer au cours des cinq dernières années, passant progressivement de 4,3% en 2001
à 6,7% en 2006.
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 9
La démocratie et les droits de l'homme occupent en revanche une place centrale dans l'Union
européenne, qui ne manque pas une occasion de souligner l'importance de ces "valeurs
européennes" et d'en faire la promotion auprès de ses partenaires. En témoignent notamment
la compétence en matière des droits de l'homme accordée à la Cour de justice des
Communautés européennes par le traité d'Amsterdam, la rédaction d'une "Charte des droits
fondamentaux" proclamée avec le traité de Nice puis intégrée dans le traité constitutionnel, ou
les sanctions prises contre l'Autriche en 2000 lors de l'entrée au gouvernement du FPÖ de
Jörg Haider.
Tout à l'inverse, dans l'Union européenne, la tendance est au retrait de l'État des structures
économiques. Le 1er janvier 1993, la création du marché intérieur de l'Union européenne est
officiellement achevée. Celui-ci permet la libre circulation des personnes, des marchandises,
des services et des capitaux. L'UE procède ensuite au démontage des monopoles nationaux et
à la libéralisation de nombreux marchés, comme celui des télécommunications, du secteur
aérien, du gaz et de l'électricité, ou plus récemment des services.
Tandis que la Russie est relativement pauvre mais détient d'énormes ressources naturelles,
l'Union européenne est prospère mais dispose de ressources naturelles limitées (voir à ce sujet
les données reprises à l'annexe 1). Sur la base de cette opposition fondamentale, les politiques
économiques des deux entités vont diverger. L'économie russe, en particulier depuis 2000, est
dopée par la hausse des prix des hydrocarbures. La même année, l'Union européenne parie sur
l'innovation et l'économie de la connaissance en lançant l'ambitieuse stratégie de Lisbonne,
dont les résultats seront toutefois mitigés.
telles que Moscou et Saint-Pétersbourg et le reste du pays. À l'inverse, l'UE consacre plus de
40% de son budget à la politique régionale11, afin de combler les écarts de développement qui
existaient entre ses différentes régions et de renforcer ainsi la cohésion économique et sociale
du territoire.
Le contraste avec la politique étrangère de la Russie est saisissant. Celle-ci mène une
politique résolument réaliste, fondée sur les intérêts nationaux, qui sont avant tout des intérêts
durs (hard interests). Elle n'a découvert que récemment la capacité d'influence que lui confère
la langue russe dans l'espace post-soviétique et en fait un usage limité. Elle préfère en effet
baser sa politique sur la puissance coercitive (hard power): puissance militaire évocatrice de
la grandeur soviétique passée, bien que l'armée russe soit vétuste, pléthorique et peu efficace;
et puissance énergétique, par son potentiel en ressources naturelles et son contrôle des voies
d'exportation depuis les gisements d'Asie centrale. Elle se soucie peu des valeurs, mais mise
beaucoup sur les considérations géopolitiques. Elle est plus à l'aise dans les relations
bilatérales, et préfère par exemple traiter avec les États membres de l'UE pris séparément
qu'avec Bruxelles. Elle envisage les relations internationales comme un jeu à somme nulle
(zero-sum game), d'où la difficulté de résoudre les nombreux conflits gelés sur son pourtour12.
Le propos mérite toutefois d'être nuancé. Les intérêts de l'UE peuvent parfois précéder les
"valeurs européennes". Ainsi le Conseil européen de juin 2007 a-t-il adopté une stratégie pour
un nouveau partenariat avec l'Asie centrale, largement motivée par les ressources naturelles
de cette région. Preuve du caractère inhabituel de cette approche, d'aucuns s'en sont très tôt
offusqués13, alors que la stratégie associe habilement hard interests et soft values. Du côté
russe, si le but de la politique menée par Poutine est de promouvoir les intérêts nationaux de
la Russie, elle "ne s'inscrit pas dans une logique de moyen ou de long terme, destinée à nouer
les partenariats indispensables à une meilleure insertion de la Russie dans l'économie-monde,
mais privilégie les gains à court terme" (Gomart, 2006, p. 6).
Depuis la désintégration de l'URSS, une bonne part de la société russe, toutes tendances et
orientations confondues, s'accorde généralement à considérer l'époque soviétique avec regret
11
Programmation financière et budget, site Europa <http://ec.europa.eu/budget/index_fr.htm>
12
Abkhazie, Ossétie du Sud, Transnistrie, îles Kouriles, etc.
13
"EU could ditch human rights to secure Central Asian energy", European Voice, 1er février 2007
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 11
et à désirer une forme de réintégration avec les anciennes républiques sœurs. Selon des
enquêtes réalisées par Allison de 2000 à 2005, l'UE semble méconnue en Russie. Toutefois,
pour la grande majorité des personnes interrogées qui ont exprimé un avis, celui-ci était
positif. À l'inverse, l'OTAN est bien mieux comprise que l'UE, mais généralement perçue
comme une menace (Allison, 2006, pp.135-45).
Dans l'UE, l'Allemagne a très tôt prôné une politique d'ouverture vis-à-vis de la Russie et des
anciens pays du bloc de l'Est, et a ainsi été le principal moteur de l'intégration des pays
d'Europe centrale et orientale (PECO). La politique d'élargissement a d'ailleurs été, jusqu'en
2004, la seule politique menée par l'UE envers ses voisins de l'Est. Ce n'est qu'après
l'élargissement historique, en mai 2004, que l'Union lance une politique européenne de
voisinage pour ses "voisins immédiats, terrestres ou maritimes"14, sauf la Russie, avec qui
existe un partenariat stratégique15.
Cependant, c'est avant tout l'adhésion de huit pays issus de l'ex-bloc soviétique qui va
modifier les relations entre l'UE et la Russie. Avec les pays baltes et les anciens pays satellites
d'Europe centrale, les relations restent tendues et marquées par une histoire souvent
douloureuse. Les nouveaux États membres de l'UE entendent se défaire à tout prix et souvent
de manière abrupte des résidus d'influence de la Russie. Moscou voudrait conserver un droit
de regard sur ce qui constitue désormais les affaires internes de ces pays, comme l'installation
d'un système de défense anti-missile en Pologne et en République tchèque, ou le sort de la
minorité russophone d'Estonie et de Lettonie.
On peut distinguer en Russie trois grands courants en ce qui concerne les attitudes face à
l'Europe. Les libéraux pro-occidentaux, pour qui la Russie fait incontestablement partie de
l'Europe, et les nationalistes pragmatiques, qui s'accordent sur cette vision en insistant sur les
spécificités russes, sont généralement bien disposés envers l'UE. Les nationalistes
fondamentalistes, pour qui la Russie est une entité eurasienne à part, voient plus l'UE de
manière négative (Allison, 2006, pp.47-9). De manière générale, les Russes semblent attachés
à une image archaïque de l'Europe, appelée "vraie Europe"16, qui ne correspond plus à
l'Europe postmoderne d'aujourd'hui rejetant les ego nationaux et reconnaissant la valeur de
l'intégration supranationale (Makarychev, 2006, pp.19-22).
14
Algérie, Arménie, Azerbaïdjan, Belarus, Egypte, Georgie, Israël, Jordanie, Liban, Libye, Maroc, Moldova,
Autorité palestinienne, Syrie, Tunisie et Ukraine.
15
La politique: Qu'est-ce que la politique européenne de voisinage? http://ec.europa.eu/world/enp/policy_fr.htm
16
On opère généralement en Russie la distinction entre la "fausse Europe", à savoir les pays d'Europe centrale
caractérisés par de forts sentiments anti-russes, et la "vraie Europe", c'est-à-dire les nations d'Europe de l'Ouest,
amicales envers la Russie et héritières de traditions séculaires.
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 12
Si, avant 2004, l'UE est considérée comme un contrepoids naturel à l'influence américaine en
Europe, l'élargissement puis les "révolutions de couleur"17 convainquent la Russie que l'UE
dispose d'une grande capacité d'influence qui menace les intérêts de la Russie (Krastev, 2007).
Mis à part quelques militaires et politiciens nationalistes, les élites russes craignent désormais
plus les conséquences de l'élargissement de l'UE que l'OTAN (Allison, 2006, p.160).
Subissant une perte d'influence à l'avantage de l'UE dans ce qu'elle appelle son "étranger
proche"18, la Russie adopte des positions inflexibles avec la Pologne et les États baltes
notamment, afin de mobiliser la population derrière le régime et de se prouver que la décennie
d'humiliation est achevée (Krastev, 2007).
(…) political elites in Russia and the EU may live in one civilisation but exist in
different time zones: the former 'seeks to join the Old World of fifty or a hundred years
ago' while contemporary Western Europe is developing a new 'post-European' system of
values (Allison, 2006, p.177, c'est moi qui souligne).
Andreï Makarychev, qui se penche sur l'utilisation du vocabulaire dans les relations entre
Bruxelles et Moscou, conclut son analyse de la sorte:
17
Révolution "de la rose" (Géorgie, fin 2003), "orange" (Ukraine, fin 2004) et "des tulipes" (Kirghizstan, mars
2005).
18
C'est ainsi que l'on appelle en Russie l'espace post-soviétique (en russe, !"#$%&& '()*!&$+&).
19
Voir notamment le discours de Vladimir Poutine à la conférence de Munich sur la politique de sécurité, 10
février 2007, p.10
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 13
(…) the EU and Russia, in communicating with each other, use the same words but
nevertheless speak different languages, thus playing with the multiple meanings
embedded in them. (…) the EU equates the very concept of neighbourhood with 'a ring
of friends', while Russia seems to perceive the bulk of their neighbours as sources of
danger and irritation (Makarychev, 2006, p.39).
Les deux parties sont incapables de formuler conjointement leurs objectifs stratégiques, et de
s'accorder sur une vision commune. L'Europe, portée au dialogue, parle une langue juridico-
administrative et la Russie le langage de la force. L'Union européenne voudrait que tous ses
partenaires partagent ses valeurs, et ses attentes étaient particulièrement élevées dans le cas de
la Russie en raison de sa proximité géographique et de ses liens historiques et culturels avec
l'Europe. Cet espoir s'est estompé au cours des années Poutine, même si la Commission
affirmait en 2004 que le "degré de convergence de la Russie avec les valeurs européennes et
universelles déterminera, dans une large mesure, la nature et la qualité de notre partenariat"20.
La Russie quant à elle voudrait être traitée par les Occidentaux de la même manière que ceux-
ci traitent la Chine, à savoir comme une civilisation (Krastev, 2007).
The Russian Federation is one of the most important partners for the European Union. A
key priority of the European Union is to build a strong strategic partnership with Russia
based on a solid foundation of mutual respect.
Le ministre russe des affaires étrangères Sergueï Lavrov, à l'occasion d'une rencontre avec des
grands industriels russes le 6 juillet 2007, ne dit pas le contraire:
The European Union is our major economic and political partner (…) Russia and the
EU [have] no acceptable alternative to building a strategic partnership, and all the
existing contradictions [can] be tackled via a patient and respectful dialogue (Lavrov,
2007).
De plus, les échanges commerciaux ont augmenté de plus de 70% en cinq ans, soit bien plus
rapidement qu'avec le reste du monde. Les investissements directs étrangers de l'UE-27 en
Russie ont pratiquement quadruplé de 2001 à 2005, et les entreprises russes investissent de
20
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les relations avec la
Russie, COM(2004) 106 final, 10 février 2004, p.4
21
EU-Russia Relations Info pack, Commission européenne, mai 2007, p. 1
22
Les échanges internationaux représentent près de 57% du PIB russe, selon la Fédération internationale des
associations commerciales FITA.
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 14
plus en plus dans l'UE23. Mais surtout, les échanges commerciaux, bien que déséquilibrés
(l'UE accuse un déficit commercial avec la Russie, qui se creuse à mesure que croissent les
échanges24), sont complémentaires: la Russie exporte avant tout des produits énergétiques
(65%), du fer et de l'acier vers l'UE, tandis que l'UE exporte avant tout des équipements de
télécommunication, des machines et des produis chimiques en Russie. Cette complémentarité
est synonyme d'interdépendance, en particulier dans le domaine de l'énergie, qui sera examiné
de manière approfondie dans les deuxième et troisième parties.
Preuve de l'importance de la dimension économique dans les relations entre Moscou et les
capitales européennes, l'incident diplomatique autour de l'extradition d'Andreï Lugovoï25 en
juillet 2007, s'il a été marqué par une escalade, a été rapidement clos par les deux parties,
désireuses que l'affaire ne nuisent pas à leurs intérêts économiques. Jim Murphy, ministre
britannique des affaires européennes, a affirmé que la décision d'expulser quatre diplomates
russes dans cette affaire avait été prise avec un regret très profond. En écho, le ministre russe
des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, déclarait deux jours plus tard: "Russia is interested in
normalising its relations with Britain - assuming they are based on respect for each other's
interests and the common sense. We are ready for this."26
Cet accord, très vaste et ambitieux, est marqué par la volonté d'aider la Russie à mener à bien
la transition économique et politique qu'elle traverse. Pour ce faire, il ne propose pas d'autre
vision stratégique que celle d'aligner la législation russe sur celle de l'UE, afin de permettre
une intégration approfondie et, à terme, la création d'une zone de libre-échange27. À titre
d'exemple, l'article 55 relatif à la coopération législative dispose que "Russia shall endeavour
23
Communiqué de presse STAT/07/65 de la Commission européenne: "Sommet UE-Russie: Déficit de près de
70 milliards d’euros du commerce extérieur de l'UE27 avec la Russie en 2006", 15 mai 2007
24
Ibid.
25
Accusé par Londres d'avoir assassiné Alexander Litvinenko.
26
"UK 'not being macho with Russia'", BBC News, 18 juillet 2007; "Russia wants normal ties with UK", BBC
News, 20 juillet 2007
27
Article 1: "The objectives of this Partnership are: (…) to support Russian efforts to consolidate its democracy
and to develop its economy and to complete the transition into a market economy; (…) to provide an appropriate
framework for the gradual integration between Russia and a wider area of cooperation in Europe; to create the
necessary conditions for the future establishment of a free trade area between the Community and Russia (…)."
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 15
to ensure that its legislation will be gradually made compatible with that of the Community".
Cela a valu à l'accord de nombreuses critiques, notamment de la part d'experts et de politiques
russes, qui déplorent son caractère déséquilibré.
Cet aspect des relations UE-Russie est bien souvent méconnu. La basse politique (low
politics) domine la relation, et la machine administrative et technique est dotée de sa force
d'inertie propre. Selon un diplomate russe de haut rang en poste à Bruxelles, le partenariat
Russie-UE est complexe, et traite toute une série d'importantes tâches pragmatiques.
Toutefois, au cours de la présidence de Vladimir Poutine, des questions de "haute politique"
ont de plus en plus souvent empêché la réalisation de progrès sur des questions de "basse
politique". C'est que les médias, dans l'UE comme en Russie, préfèrent la haute politique aux
détails techniques de la basse politique (Allison, 2006, p.47).
Preuve de la volonté des deux parties de mener une coopération plus pragmatique et axée sur
des questions concrètes, Bruxelles et Moscou décident au sommet de Saint-Pétersbourg, en
mai 2003, de créer "à terme" quatre espaces communs:
- l'espace économique commun, couvrant les questions économiques et
environnementales et visant à créer un marché ouvert et intégré entre l'UE et la
Russie;
- l'espace commun de liberté, de sécurité et de justice;
- l'espace commun de sécurité extérieure, couvrant la gestion des crises et la non-
prolifération;
- l'espace commun de la recherche, de l'éducation et de la culture.
Il s'agit de cadres extrêmement larges et vagues, dont le contenu serait susceptible de fluctuer
en fonction des circonstances. Ils seront quelque peu précisés deux ans plus tard au sommet
de Moscou, par l'adoption de feuilles de route (road maps), instruments destinés à mettre en
œuvre les quatre espaces communs à court et à moyen terme. Il convient toutefois de noter
que ces documents sont de nature politique et non juridique, et sont donc dénués de caractère
contraignant. Ils restent plus déclamatoires et symboliques que pratiques. D'ailleurs, les
feuilles de route doivent à leur tour être précisées par des mécanismes de mise en œuvre. Il
s'agit là d'un dispositif bureaucratique à l'image de la relation entre Bruxelles et Moscou. Ce
n'est pas non plus sans rappeler le fait que les deux partenaires s'accordent à qualifier leur
relation de "partenariat stratégique", sans pour autant conférer un contenu ou une vision
précise à ce concept.
28
EU-Russia Relations Info pack, op. cit.
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 16
Parmi les sujets qui fâchent et dont les médias font bien souvent état, on retiendra notamment
la guerre de Tchétchénie29; la problématique énergétique et en particulier la fiabilité de la
Russie en tant que fournisseur d'énergie, qui est analysée de manière approfondie ci-après; les
relations avec les pays baltes, et notamment l'affaire de la statue soviétique de Tallinn au
printemps 2007; l'assassinat d'Alexander Litvinenko à Londres en novembre 2006 et la
question de l'extradition d'Andreï Lougovoï; l'installation d'un système anti-missile américain
en Pologne et en République tchèque; l'embargo russe sur la viande polonaise; l'indépendance
du Kosovo et les divergences de vues sur le programme nucléaire iranien.
Le dernier sommet UE-Russie, tenu les 17 et 18 mai 2007 à Samara, est assez symptomatique
de la relation. De l'avis de Sergueï Lavrov, les négociations se sont déroulées dans un climat
constructif30. Un expert européen rencontré ayant assisté aux discussions confirme cette
perception, et précise que les propos les plus durs ont été réservés pour la conférence de
presse. Vladimir Poutine doit montrer à son opinion publique que la Russie est redevenue une
puissance; José Manuel Barroso entend dire aux Européens que les problèmes bilatéraux
concernant l'Estonie, la Lituanie et la Pologne étaient des questions européennes, et signaler
par là à Moscou que la stratégie consistant à diviser l'UE n'est pas payante31. Les médias ont
donc fait état des tensions et du grand froid qui caractériseraient les relations entre l'Union et
la Russie32. Ainsi les divergences masquent-elles un élément fondamental de la relation entre
l'UE et la Russie: la convergence d'intérêts.
29
La première guerre de Tchétchénie a retardé la ratification et l'entrée en vigueur de l'APC dans les années
1990, la seconde a entraîné la suspension de nombreux programmes d'aide TACIS à la Russie. Les critiques de
l'UE, mises en sourdines après que la Russie a présenté cette guerre comme lutte contre le terrorisme à la suite
du 11 septembre 2001, ont repris de plus belle après la prise d'otage de Beslan en septembre 2004.
30
"(…) the Samara Summit passed in a businesslike, frank and benevolent atmosphere" (Lavrov, 2007).
31
Conférence de presse conjointe de Vladimir Poutine, José Manuel Barroso et Angela Merkel à l'issue du
sommet UE-Russie, Samara, 18 mai 2007
32
"The Big Chill", The Economist, 17 mai 2007
33
Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, République tchèque et Slovaquie, puis Bulgarie et Roumanie.
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 17
dispositions sur les échanges commerciaux qui seront rendues caduques par l'accession
imminente de la Russie à l'OMC.
Les Russes ont été les plus prompts à demander une renégociation du traité34, afin d'en faire
un partenariat entre égaux. En effet, l'idée sous-tendant l'APC est d'inviter la Russie à adopter
les normes, règles et principes de l'UE afin de faciliter sa modernisation. On a parfois
l'impression qu'avec la Russie, l'Union tend à donner des leçons en qualité de "grande sœur
avisée", dans le but de parvenir à un certain degré d'intégration avec son grand voisin. C'est
oublier que la Russie reste un grand pays, et ne peut donc pas être traitée comme ses voisins
de plus petite taille. De plus, cette approche s'est avérée clairement contre-productive:
(…) it is precisely the expectation that Russia should adopt EU rules and standards that
some see as the stumbling block to future relations. The partial loss of sovereignty is
difficult for any country, but (…) peculiarly difficult for Russia because of its historical
traditions and perception of the world. In any case, in the last four years, a new Russia
has emerged, which does not conform with the existing Europeanization concept,
according to which Moscow should gradually adopt the principles suggested by the EU
as regards a nation's domestic and foreign policy (Allison, 2006, pp.67-8).
Certains notent que les États-Unis et l'Union européenne, bien qu'ils partagent de très
nombreux intérêts, ne sont liés par aucun traité. Ils se demandent si l'on ne pourrait pas se
concentrer sur des questions pratiques plutôt que de se lancer dans de longues et âpres
négociations sur un document conceptuel et abstrait35. Cependant, les rapports de Bruxelles
avec Washington et Moscou sont de nature bien différente, et la relation UE-Russie nécessite
un cadre institutionnel fort. D'ailleurs, la plupart des acteurs semblent attachés à un accord de
partenariat, et s'accordent sur la nécessité de négocier un nouveau traité reflétant mieux les
réalités actuelles.
De nombreux scénarios ont été imaginés par les experts, donnant lieu à des analyses et à des
prédictions variées, allant du retrait pur et simple de l'APC à un traité d'union stratégique, en
passant par le statut quo36. Certains experts russes évoquent sérieusement une adhésion de
leur pays à l'UE à l'horizon 2020. De manière plus réaliste, ils plaident généralement pour un
traité établissant une coopération entre deux entités indépendantes, sans intégration formelle
ni harmonisation de la législation. Ils voudraient que l'UE et la Russie inventent ensemble un
modèle de coopération spécifique et préfèreraient que la Russie se modernise en adoptant des
normes internationales (par opposition à européennes), comme c'est par exemple le cas pour
les règles commerciales dans le cadre de l'OMC (Karaganov, 2005, pp.9-12).
Côté européen, le mandat de négociation donné par les États membres à l'Union européenne
est, de l'avis des experts rencontrés, "ambitieux". Il prévoit de donner un statut juridique aux
quatre espaces communs, et d'intégrer le contenu de la charte de l'énergie, signée mais non
ratifiée par la Russie (voir le point 2.1.2 pour plus de détails) dans le nouvel accord. Les États
34
Un groupe d'experts russes disait en janvier 2005: "The Legal base of Russia-EU relations has become
outdated; moreover, it has been inadequate from the very beginning" (Karaganov, 2005, p.6).
35
"The bear neccessities of life", The Economist, 23 novembre 2006
36
Pour plus de détails, lire notamment l'article de Karaganov Sergueï et al., Russia-EU Relations: The Present
Situation and Prospects, CEPS Working Document, Bruxelles, 2005, et le recueil d'articles publié par Emerson,
Michael, The elephant and the bear try again, options for a new agreement between the EU and Russia, Centre
for European Policy Studies, Bruxelles, 2006.
PREMIÈRE PARTIE: divergence de perceptions et convergence d'intérêts 18
En réalité, les négociations n'ont toujours pas commencé. Certains des nouveaux États
membres, dont la Pologne, bloquent leur ouverture en raison des différends qui les opposent à
Moscou (notamment l'embargo russe sur la viande polonaise). Cette question au départ
éminemment technique est montée dans les sphères de la haute politique. La situation ne
semble pas prête de se débloquer. En effet, d'un côté comme de l'autre, les dirigeants auront
d'autres priorités. Vladimir Poutine doit veiller à arranger sa succession d'ici aux élections
présidentielles russes du printemps 2008. L'Union européenne s'est engagée dans une
nouvelle conférence intergouvernementale, qui sera suivie par un difficile processus de
ratification soumis à un calendrier serré.
Pour l'heure donc, il semblerait que rien ne presse. L'accord de partenariat et de coopération
est renouvelé tacitement d'année en année, et la pause actuelle pourrait finalement s'avérer
positive. Cela pourrait laisser le temps de repenser les relations, de prendre de la distance et
du recul. La partie russe devrait ainsi pouvoir mieux se préparer, malgré ses capacités
relativement restreintes, à des négociations qui seront de toute évidence ardues; et les États
membres de l'Union pourront prendre le temps de mener des consultations et d'accorder leurs
violons avant le concert des négociations.
Il importe que cette pause forcée mais bienvenue soit mise à profit pour réfléchir sur les
objectifs ultimes de la coopération, qui devraient précéder la négociation du nouveau traité, et
non l'inverse. Il serait préférable que la nature et le contenu du nouveau traité ne soient pas
définis par l'inertie bureaucratique ou la nécessité d'opérer un "rapprochement" coûte que
coûte. Dans le cas contraire, la coopération serait pratiquement virtuelle et déclamatoire.
Il s'agit de trouver un terrain d'entente sur la base des intérêts de chacun et d'objectifs qui
auront été clairement définis au préalable. Bruxelles et Moscou pourraient construire une
relation entre adultes, pragmatique et dédramatisée, basée sur leur communauté d'intérêts.
L'amélioration du climat d'investissement en Russie, fondée sur la transparence, la non-
discrimination, la prévisibilité et la simplification de la législation, est un exemple de domaine
où les intérêts convergent37. Pour ce faire, la Russie devrait oser s'ouvrir davantage à
l'étranger, ce qui est loin d'être le cas actuellement. Mais comment lui en faire le reproche,
alors que le "patriotisme économique" a été remis au goût du jour en France par exemple?
37
Avec certes quelques exceptions, dans le secteur des hydrocarbures notamment. Pour plus de détails à ce sujet,
voir le point 2.2.3.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 19
Deuxième partie
La politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou
Pour l'Union européenne, la question fondamentale se pose en ces termes: Où aller chercher
les ressources énergétiques nécessaires et selon quelles modalités les acheminer jusqu'à leur
point de consommation? En d'autres termes, il s'agit de la sécurité d'approvisionnement et de
la création d'un marché intérieur (libéralisé).
L'Union européenne dispose de peu de réserves de gaz, mis à part celles de la mer du Nord,
qui sont sur le déclin. Cependant, elle est entourée de vastes réserves, en Afrique du Nord, au
Moyen-Orient, et surtout en Russie. Trois principales routes d'approvisionnement alimentent
l'Europe en gaz naturel, par un dense réseau de gazoducs: la première vient de la mer du
Nord, la seconde vient de Sibérie occidentale, et la troisième d'Afrique du Nord. En 2005,
l'UE-25 importait 55% de ses besoins en gaz, soit 290 milliards de m3. Parmi ceux-ci, 36,7%
provenaient de Russie, premier fournisseur de gaz de l'Union devant la Norvège.
L'"or bleu" est d'ores et déjà la source d'énergie en plus forte croissance40, et la demande de
gaz devrait selon toute vraisemblance augmenter au cours des prochaines années, en dépit
38
À ce sujet et pour la part du gaz dans le bouquet énergétique de chaque État membre, voir l'annexe 2. Il faut
noter qu'il existe de grandes disparités entre États membres: la Hongrie, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et l'Italie
sont gros consommateurs de gaz, alors que le gaz n'est pratiquement pas utilisé en Suède et qu'il est
complètement absent à Chypre et à Malte.
39
Comme le montre l'annexe 3, la contribution des autres sources d'énergie dans la production électrique n'a pas
beaucoup changé en dépit de la hausse de la production électrique depuis 1990. Seule l'utilisation du gaz naturel
a connu une forte hausse.
40
La demande de l'Europe en gaz a augmenté de 36% en dix ans. Sur la même période, la demande de gaz
destiné à la production d'électricité a grimpé de 111%.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 20
d'un accroissement probable de la part du nucléaire et/ou des énergies renouvelables dans le
bouquet énergétique. Étant donné que les ressources indigènes déclinent, la Commission
européenne estime que l'Union importera 70% de ses besoins en gaz naturel d'ici à 2020, et
jusqu'à 84% d'ici à 203041. Il ne fait aucun doute que la Russie sera l'un des principaux
fournisseurs en gaz de l'UE. Les experts estiment que la Russie fournira 250 milliards de m3,
soit près de la moitié de la demande de l'UE en gaz importé à l'horizon 2020, qui devrait
s'élever à 525 milliards de m3 (Konoplyanik, 2005, pp.283-4).
Le traité sur la charte de l'énergie porte avant tout sur cinq grands domaines: protection et
promotion des investissements sur la base de l'extension du traitement national ou du
traitement de la nation la plus favorisée; libre-échange des biens énergétiques; liberté de
circulation de l'énergie (transit) par les oléoducs et gazoducs; réduction de l'impact négatif du
cycle énergétique sur l'environnement, grâce à l'efficacité énergétique; et mécanismes de
résolution des litiges entre États ou entre État et investisseur. En revanche, il n'impose pas de
modalités particulières en matière de propriété des ressources naturelles et n'exige pas
nécessairement la privatisation des compagnies nationales (Konoplyanik, 2006, p.529-39).
Il constitue de l'avis de plusieurs experts, dont Konoplyanik et Wälde, un succès des années
1990 en matière de traités multilatéraux, et l'un des meilleurs instruments pour améliorer la
sécurité énergétique dans le monde. Il offre une protection de premier ordre aux investisseurs,
comme le montrent les dispositifs prévus en matière d'arbitrage international qui permettent
d'éviter de recourir aux tribunaux nationaux pouvant manquer d'impartialité ou d'intégrité.
Ce traité est incontestablement très ambitieux. Peut-être pèche-t-il même par excès
d'ambition. Même Konoplyanik et Wälde, ardents défenseurs du traité, reconnaissent que
(…) the ECT was slanted towards the interests of the European Union – as a major
energy importer and energy foreign investor. This reflects its political and financial
influence over Treaty negotiations (Konoplyanik, 2006, p.553).
Certains experts, notamment parmi ceux rencontrés, voient même dans ce traité un projet aux
teintes post-colonialistes élaboré dans l'euphorie de la fin de la guerre froide et destiné à
mettre la main sur les énormes ressources de la Russie tout en garantissant la sécurité
d'approvisionnement de l'Europe en énergie.
Il n'est pas surprenant que le traité n'ait à ce jour toujours pas été ratifié par deux des plus
grands fournisseurs d'énergie extracommunautaires, la Norvège et la Russie. La Russie craint
41
COM(2002) 488 final; COM(2007) 1 final.
42
Signé le 17 décembre 1994, entré en vigueur le 16 avril 1998. Pour une liste complète des pays membres, voir
l'annexe 6.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 21
notamment de devoir ouvrir son réseau de gazoducs à la concurrence, ce qui permettrait par
exemple d'acheminer du gaz d'Asie centrale vers l'Europe. La Norvège invoque une question
constitutionnelle pour se justifier (Konoplyanik, 2006, p.540-1).
La Russie applique certes le traité sur la charte de l'énergie de manière provisoire et non
contraignante, mais ce traité semble sur une voie de garage. La Russie répète à qui veut bien
l'entendre qu'elle ne ratifiera pas le traité sur la charte de l'énergie, et Vladimir Poutine ne rate
jamais une occasion de le réaffirmer43. Dimitri Medvedev, vice-premier ministre et président
du conseil d'administration de Gazprom, que d'aucuns voient comme le dauphin de Poutine, a
récemment affirmé que le traité était "mort-né"44. Quant à la Norvège, elle ne ratifierait pas le
traité avant que la Russie n'ait fait le pas en premier (Konoplyanik, 2006, p.541). Dans ces
circonstances, l'Union européenne ne peut compter sur ce traité pour garantir sa sécurité
d'approvisionnement.
Le gaz soviétique est exporté par deux grandes voies, l'une traversant le Belarus et la Pologne
au Nord, et l'autre l'Ukraine et la Tchécoslovaquie, au Sud. Les circonstances politiques
dictent alors les modalités de livraison du gaz, qui s'opère sur le rideau de fer, notamment à
Baumgarten (frontière slovaco-autrichienne) et à Waidhaus (frontière tchéco-allemande). Les
différents opérateurs nationaux d'Europe de l'Ouest l'acheminent ensuite vers leur marché. Le
gaz est vendu à des conditions et des prix différenciés aux différents acheteurs, notamment en
fonction de la distance séparant le point de livraison du marché national. Les contrats sont
donc assortis d'une clause dite de destination finale, qui interdit aux acheteurs de revendre le
gaz sur un autre marché que le leur (Konoplyanik, 2005, pp.291-4).
Lorsque, fin des années 1990, la Commission européenne entame la lente création d'un
marché intérieur du gaz en Europe46, ces modalités datant d'un autre âge sont toujours
43
Il a notamment affirmé le 10 février 2007, à la Conférence de Munich sur la politique de sécurité: "The
Charter itself is not acceptable to us. (…) would you want us to put only what you [the EU] need in the
document and leave what we [Russia] need outside the framework?"
44
"Customer relations, Gazprom-style", The Economist, 27 avril 2006
45
Également appelée "use it or lose it"
46
Notamment avec la directive 1998/30/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998 concernant des
règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 22
Les modalités de tarification évoluent elles aussi. Jusqu'aux années 1960, les prix sont fixés,
dans le cadre d'accords de partage de la production, pour toute la durée du contrat. À partir
des années 1980, le prix du gaz est calculé sur la base d'une formule complexe (escalation
formula), généralement en fonction du prix du pétrole brut sur les marchés spot49. Le stade
ultérieur d'évolution des marchés (aux États-Unis et au Royaume-Uni notamment) lie les
tarifs des contrats à long terme aux prix sur les marchés spot du gaz (exchange pricing)
(Konoplyanik, 2005, pp.287-8).
Pour parvenir à cet objectif, la directive prévoit notamment, outre les obligations de service
public, la protection des consommateurs, l'accès des tiers et l'ouverture des marchés, la
séparation juridique des gestionnaires de réseau de transport (art.9) et de distribution (art.13).
Alors que la Commission européenne avait, au début des années 2000, cherché à faire
disparaître les contrats à long terme, la directive de libéralisation leur reconnaît une place,
47
Sur la base de l'article 81 réprimant les pratiques restrictives
48
La Sonatrach algérienne et l'entreprise Nigeria LNG Ltd sont également concernées (voir notamment le
communiqué de presse de la Commission européenne IP/03/1345).
49
Marché sur lequel s'opèrent les achats et les ventes d'énergie à court terme (à la journée ou jusqu'à 3 ans).
50
Parallèlement à celui de l'électricité
51
Directive 2003/55/CE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2003 concernant des règles communes
pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 98/30/CE
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 23
pour autant qu'ils ne portent pas atteinte aux objectifs de libéralisation et soient compatibles
avec les règles de concurrence (considérant 25).
Avec le recul, la libéralisation est loin d'avoir apporté tous les bénéfices annoncés. En
particulier, les prix ont augmenté. Cela tient certes aux obligations environnementales et à la
hausse des coûts du pétrole, sur lesquels s'alignent les prix du gaz (comme expliqué ci-
dessus), mais surtout au manque de concurrence et de transparence sur les marchés. Malgré
un règlement de 2005 qui précise les conditions d'accès aux réseaux de gaz naturel52 et qui
vise à accroître la transparence et à lever les obstacles au marché intérieur, la Commission
note en janvier 200753 que les obstacles techniques restent nombreux.
Il semblerait que la libéralisation ait avant tout profité aux groupes intégrés verticalement,
comme GDF ou E.ON, qui ont pu renforcer leur présence sur leur marché national. En janvier
2007, l'enquête sectorielle sur les marchés de l'énergie menée par la Commission confirme
l'existence de graves problèmes de concurrence54. La Commission annonce son intention de
lancer des enquêtes, ainsi que 34 procédures d'infraction contre 20 États membres, afin de
veiller au respect de la législation.
C'est dans ce contexte que la Commission a proposé une étape supplémentaire vers la
libéralisation, à savoir le découplage de la propriété (ownership unbundling), tel qu'il a été
pratiqué de manière volontaire au Royaume-Uni dans les années 199057. Un vaste débat a
52
Règlement (CE) n°1775/2005 du Parlement européen et du Conseil du 28 septembre 2005 concernant les
conditions d'accès aux réseaux de transport de gaz naturel
53
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen "Perspectives du marché intérieur du
gaz et de l'électricité", COM(2006) 841 final, 10 janvier 2007
54
Parmi les problèmes rencontrés figurent le degré élevé de concentration du marché, l'intégration verticale de
l'offre, de la production et de l'infrastructure qui empêche un accès équitable aux infrastructures et débouche sur
des investissements insuffisants dans ces dernières, et enfin la mise en place éventuelle de pratiques collusoires
entre les opérateurs en place en vue du partage des marchés. Pour plus de détails, voir le communiqué de presse
IP/07/26.
55
"A sparky new policy", The Economist, 11 janvier 2007
56
Par exemple: "In a decision in May 2006, the Italian competition authority found ENI guilty of abusing its
dominant position on the wholesale gas supply market in Italy by delaying investments that would increase the
capacity in a pipeline owned by one of its subsidiaries (Trans Tunisian Pipeline Company)", Energy sector
competition inquiry, Frequently asked questions and graphics (MEMO/07/15).
57
Il convient toutefois de noter que sur le marché des États-Unis, libéralisé depuis 20 ans, le découplage de la
propriété n'est pas requis.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 24
ainsi été initié. S'opposent d'un côté la Commission, le Parlement et les autorités de
régulation, et de l'autre côté l'industrie, gros consommateurs industriels et groupes gaziers
verticalement intégrés confondus, ainsi que le Conseil, où siègent les États membres, dont
certains sont actionnaires des grands opérateurs gaziers58. À l'heure qu'il est, il est encore trop
tôt pour dire qui va l'emporter. Le débat porte également sur l'organe régulateur du marché.
La Commission prône l'instauration d'une autorité de régulation européenne, mais le Conseil a
préféré en mars 2007 renforcer le mécanisme de coordination des régulateurs nationaux
(ERGEG+).
La difficulté de la mise en œuvre du marché intérieur de l'énergie indique que les États
membres restent très attachés à leurs prérogatives dans ce secteur stratégique. Certains
regrettent le temps où les opérateurs nationaux étaient maîtres chez eux et jouaient un rôle de
tampon, protégeant ainsi les consommateurs des variations de prix sur les marchés
internationaux.
Dans la foulée de la libéralisation, Bruxelles entend renforcer ces règles. En avril 2004, l'UE
adopte une directive sur la sécurité d'approvisionnement en gaz naturel60. En effet, le besoin
se fait sentir de réagir à la dépendance croissante de l'Union aux importations de cet "or bleu",
qui augmente avec l'adhésion de huit nouveaux pays membres particulièrement dépendants
des importations de gaz russe. La directive sur la sécurité d'approvisionnement impose aux
États membres de prendre des mesures afin de veiller à la sécurité de l'approvisionnement, en
particulier des ménages (art.4), pour autant qu'elles soient compatibles avec les règles du
58
Voir le plan d'action du Conseil européen (2007-2009) Une politique énergétique pour l'Europe, Conclusions
de la présidence du Conseil européen des 8 et 9 mars 2007. La France est particulièrement opposée au
découplage de la propriété, l'Allemagne également, mais dans une moindre mesure. Il faut noter que Gaz de
France appartient à 80,2% à l'État français, tandis que E.ON n'appartient qu'à hauteur de 2,5% aux pouvoirs
publics allemands, en l'occurrence le land de Bavière.
59
En août 2007, elle compte 26 États membres, tous membres de l'OCDE.
60
Directive 2004/67/CE du Conseil du 26 avril 2004 concernant des mesures visant à garantir la sécurité de
l'approvisionnement en gaz naturel
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 25
marché intérieur. Elle crée un groupe de coordination pour le gaz, et charge les États membres
de prévoir des mesures nationales d'urgence en cas de crise (art.7). Il convient de noter que les
contrats à long terme sont cités à plusieurs reprises comme instrument renforçant la sécurité
énergétique.
Dans le débat sur la libéralisation du marché du gaz, il est de bon ton d'invoquer la sécurité
d'approvisionnement. Les grands groupes énergétiques verticalement intégrés affirment que
s'ils doivent scinder leurs activités, ils ne pourront plus être pris au sérieux par les
fournisseurs étrangers, notamment Gazprom. Des entreprises plus petites ne seraient pas en
mesure de s'engager sur des périodes très longues qui impliquent des sommes considérables,
et en fin de compte, le découpage des grands groupes en plus petites sociétés nuirait
gravement à la sécurité d'approvisionnement. Les défenseurs du découplage de la propriété,
Commission et régulateurs nationaux en tête, affirment quant à eux que cette réforme est
indispensable pour garantir un marché intérieur du gaz ouvert et compétitif, favorisant
notamment les investissements dans l'infrastructure, qui constituent un élément crucial pour la
sécurité d'approvisionnement.
En réalité, ni les uns ni les autres n'ont tout à fait tort. Il ne fait aucun doute que les grands
groupes disposent d'une véritable puissance de négociation face aux fournisseurs de gaz, et
peuvent donc obtenir des conditions avantageuses. Cependant, il faut également et surtout,
afin de garantir la sécurité énergétique de l'Europe, que le marché intérieur du gaz soit ouvert,
dénué d'opérateurs dominants, caractérisé par une véritable concurrence, fluide, bien
interconnecté et dès lors attractif. C'est loin d'être le cas aujourd'hui, et c'est en cela que la
réussite de la libéralisation actuellement en cours aura des implications profondes pour la
sécurité d'approvisionnement.
En matière de gaz naturel, l'Union européenne est soumise à deux grandes contraintes: d'une
part, l'accroissement continu de la dépendance aux importations de gaz, notamment en
provenance de Russie, et d'autre part, l'accroissement de la dépendance de l'économie
européenne au gaz naturel. Il lui faut dès lors, outre les énergies renouvelables et l'efficacité
énergétique, miser sur la diversification de ses sources d'approvisionnement en gaz naturel.
Au cours des dix prochaines années, on peut tabler sur une hausse des importations de gaz en
provenance de Russie et de Norvège, et plus encore celles sur un accroissement des livraisons
de gaz naturel liquéfié (GNL), du Qatar, d'Amérique Latine, ou d'Afrique.
Avant tout, il est essentiel que l'Union européenne diversifie ses voies d'approvisionnement.
À cet égard, le gazoduc Nordstream, reliant Vyborg (Russie) à Greifswald (Allemagne) en
passant sous la mer Baltique, et qui a suscité de vives réactions négatives61, est plutôt un
contre-exemple. Il faut en réalité développer le gaz naturel liquéfié, ce qui est à l'œuvre, avec
de nombreux terminaux GNL en projet62, mais surtout ouvrir un quatrième corridor de
gazoducs en provenance de la mer Caspienne et du Moyen-Orient. Il semblerait d'ailleurs que
les décideurs européens aient pris conscience de l'importance du projet. Le gazoduc Nabucco,
qui permettra d'acheminer le gaz naturel de la mer Caspienne jusqu'en Europe centrale, est
désormais un des cinq projets européens prioritaires en matière de réseaux énergétiques63.
61
La Suède et la Finlande s'inquiètent des répercussions environnementales, tandis que la Pologne y voit un
projet s'inscrivant dans la "tradition Molotov-Ribbentrop". Voir "Divided and panicky", The Economist, 4 mars
2006
62
Répartis dans toute l'Europe (Pologne, Grèce, Royaume-Uni, Pays-Bas, Allemagne, Italie, Espagne, Croatie),
ils auraient une capacité de 150 milliards de m3 par an (Finon, 2006, p.387).
63
Conclusions de la présidence du Conseil européen des 8 et 9 mars 2007, p.18
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 26
La consommation des ressources est également impressionnante, et caractérisée par une très
grande inefficacité énergétique. La Russie est la première économie consommatrice de gaz
dans le monde, et la part du gaz dans le bouquet énergétique s'élève à 51,2% (en 2006), en
augmentation constante depuis 1990. Cependant, la Russie rattrape seulement les niveaux de
production de pétrole et de gaz de 199166.
C'est avant tout grâce à ces ressources que le budget fédéral affiche un excédent67 et que la
Russie a dès lors pu rembourser par anticipation ses dettes au club de Paris. Sharipova et
Cherkashin notent que la dépendance du budget russe aux "pétrodollars" a augmenté de 1999
à 2003, car d'autres sources de revenus n'ont pas été mises en place. Une hausse du prix du
baril de pétrole brut de 1$ entraîne une augmentation des recettes fédérales allant, selon
différentes estimations, de 1 à 1,5 milliards de dollars (Sharipova, 2006, pp.45-51).
Consciente de sa dépendance aux prix des hydrocarbures, la Russie crée en 2004 un fonds de
stabilisation alimenté par les recettes excédentaires provenant des exportations de pétrole
lorsque le prix du baril passe la barre des 20$. Ces réserves constituent une pomme pour la
soif et n'ont pas vocation à être injectées dans l'économie. En 2007, Vladimir Poutine annonce
des aménagements à ce dispositif, qui s'ouvre aux recettes provenant du gaz, et se décline en
un fonds de réserve, destiné à minimiser les risques pour l'économie, et un fonds pour les
générations futures68.
64
Energy Strategy of Russia for the period of up to 2020 (Summary), 28 août 2003, p.2
65
Chiffres pour l'année 2006, Agence internationale de l'énergie
66
En 1991, la république socialiste fédérative soviétique de Russie produisait 643 milliards de m3 de gaz naturel,
niveau que la Russie n'a rattrapé qu'en 2006 (voir annexe 9).
67
Surplus moyen de plus de 2% du PIB de 2000 à 2003 (Sharipova, 2006, p.26)
68
Discours annuel à l'Assemblée fédérale, 26 avril 2007
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 27
En 2003, le gouvernement russe adopte la "stratégie énergétique pour l'horizon 2020". Celle-
ci fixe, entre autres pour le gaz naturel, des objectifs chiffrés en matière de production69 et
d'exportation70. Elle prévoit de réduire la part du gaz dans le bouquet énergétique, au profit du
charbon et du nucléaire71; et d'investir d'ici à 2020 dans le secteur du gaz naturel quelque 180
milliards d'euros, soit un quart des investissements prévus pour l'ensemble du secteur
énergétique (Piper, 2003). Elle entend en outre diversifier les structures d'exportation du
pétrole, notamment vers l'Asie-Pacifique.
Pour ce qui est de la politique extérieure de l'énergie, la Russie veut passer du statut de
fournisseur de matières premières à celui d'acteur majeur sur le marché mondial de l'énergie.
Pour ce faire, elle veut développer ses capacités de raffinage et sa technologie. La Russie veut
devenir l'égale des grandes puissances, et pouvoir influencer les marchés. Elle entend entrer
dans la cour des grands et devenir une "superpuissance énergétique".
Vladimir Poutine y explique l'importance centrale qu'il accorde aux ressources naturelles dans
le développement économique et politique du pays, et expose la stratégie qu'il mettra ensuite
en œuvre au cours des années 2000. Ce secteur, qui représente plus de 50% du PIB du pays,
est simplement trop important pour être laissé aux seules forces du marché. L'État doit
conserver un contrôle sur les grandes décisions en matière de ressources naturelles et ainsi
mener une politique dirigiste (Poutine, 1999, pp.3-7).
Cette stratégie, qui s'inscrit dans le long terme, vise à faire usage du potentiel des ressources
naturelles pour permettre une croissance soutenue et l'inclusion de la Russie dans l'économie
mondiale. Poutine entend créer de grands groupes verticalement intégrés capables de se
mesurer aux grandes multinationales occidentales (Poutine, 1999, p.5).
69
Pour le gaz naturel, avec pour point de départ 595 milliards de m3 (2002): 635-665 milliards de m3 (2010) et
680-730 milliards de m3 (2020)
70
275-280 milliards de m3 (2020)
71
Vladimir Poutine a annoncé la construction de 26 nouvelles centrales nucléaires d'ici à 2020, avec pour
objectif d'accroître d'ici là la production électrique de deux tiers. Discours annuel à l'Assemblée fédérale, 26
avril 2007
72
Comme en témoigne l'inclusion de la Russie dans le G7, désormais G8.
73
Vladimir Poutine a rédigé une thèse de doctorat (kandidat) sur l'économie et les ressources naturelles dans
l'oblast de Leningrad, qu'il a défendue en 1997 à l'Institut des mines de Saint-Pétersbourg. Elle est
malheureusement inaccessible, ayant mystérieusement été classée secret, ce qui n'a d'ailleurs pas manqué
d'éveiller des doutes sur son véritable auteur (Balzer, 2005, p. 211).
74
La version de l'article que j'ai pu me procurer est une réimpression parue dans !"#"$%&$-"'()"(&*'
+'%$,$(-# (Bulletin des ressources naturelles) n°7 (24), avril 2000. C'est sur cette version que je me base pour
citer les numéros de page.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 28
Il est conscient que ce secteur nécessite plus d'investissements que de main d'œuvre, et qu'il
ne pourra dès lors pas résoudre directement les problèmes socio-économiques de la Russie
(Poutine, 1999, p.4). Cependant, si le secteur est essentiel pour l'avenir du pays, c'est avant
tout en raison des intérêts nationaux. Le secteur doit servir les intérêts géopolitiques du pays
et contribuer à sa sécurité. Il convient que les intérêts nationaux soient respectés lorsque l'on
attire les investissements étrangers dans le secteur (Poutine, 1999, pp.8-10).
Certes, comme l'indique à juste raison Balzer, les politiques économiques dirigistes sont
plutôt la norme parmi les États pétroliers du monde (Balzer, 2005, p.221). Jusqu'il y a peu, la
Norvège pouvait faire figure d'exception. Cependant, la fusion entre Statoil et Norsk Hydro,
qui sera effective au 1er octobre 2007, créera un géant énergétique contrôlé à 67% par l'État
norvégien75. La spécificité de la stratégie poutinienne tient au fait qu'elle met le secteur
énergétique au service, non tant de l'économie du pays ou de l'enrichissement personnel des
dirigeants, mais des intérêts purement géopolitiques de la nation. Si l'on ajoute à cela des
institutions faibles et corrompues, un pouvoir hautement personnalisé, et une très grande
capacité de résistance aux pressions de l'étranger, on obtient des affaires telles que Sakhaline
(voir ci-dessous) ou Ioukos, que je voudrais évoquer maintenant.
Mais surtout, si l'oligarque a subi les foudres présidentielles77, c'est qu'il s'est directement
opposé à la stratégie de Poutine en matière de ressources naturelles, sans veiller à recueillir
son approbation. D'abord, Ioukos a financé directement et indirectement des forces politiques
d'opposition, avant tout dans le but d'influencer la réforme sur la fiscalité du secteur des
hydrocarbures78; ensuite, il y avait la fusion prévue avec Sibneft et le projet de vente de parts
du nouveau groupe à la société américaine Exxon-Mobil; enfin, Khodorkovski avait signé
avec Pékin en mai 2003 un accord prévoyant la construction d'un oléoduc vers la Chine
(Buszynski, 2006, p.289).
75
"The birth of a national energy giant", BBC News, 18 décembre 2006
76
Poutine ne remettrait pas en cause les privatisations des années 1990, pour la plupart entachées d'irrégularités,
tant que les oligarques se tiendraient à carreau et ne s'opposeraient pas à la politique du Kremlin. À ce sujet, lire
l'excellent article de William Tompson, Putin and the 'Oligarchs': A Two-Sided Commitment Problem, avril
2004.
77
Mikhaïl Khodorkovski est arrêté le 25 octobre 2003 et condamné le 31 mai 2005 à 10 ans d'emprisonnement
pour fraude fiscale; Ioukos sera démantelé.
78
Les partis libéraux Yabloko et Union des forces de droite, par Khodorkovski, et le parti communiste, par un
autre actionnaire majeur de Ioukos
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 29
Cette affaire a non seulement souligné le contrôle des médias par le Kremlin, l'arbitraire du
système judiciaire, et la faiblesse de l'État de droit en Russie, mais surtout la volonté du
Président de reprendre le contrôle du secteur pétrolier. En effet, la vente des actifs de la
société, dont l'issue est manifestement orchestrée, permet la reprise d'une bonne partie des
capacités de production de Ioukos par la société publique Rosneft79.
Poutine semblerait ne pas pouvoir tolérer qu'une entreprise privée mène sa propre politique
indépendante, avec les implications géopolitiques que cela suppose. D'ailleurs, comme le
montre la question de la destination d'un nouvel oléoduc vers l'Asie, en matière de
géopolitique, le Président semble décider seul. Le gouvernement et le ministère de l'énergie
prônaient la construction d'un oléoduc vers la Chine, pour des raisons économiques
évidentes80. Ce sont toutefois les intérêts géopolitiques qui ont primé: le Président a opté pour
un projet vers le Japon, auquel s'est finalement adjointe une branche vers la Chine. Toutefois,
la faisabilité du projet, tout comme ses modalités de financement, restent floues. Poutine a
mené ici une politique bismarckienne: en s'arrogeant les pleins pouvoirs, il a pu réduire les
contraintes domestiques et positionner favorablement la Russie face à ses deux grands voisins
asiatiques en créant entre eux un délicat équilibre (Buszynski, 2006, p.290-300).
Avec 47 820 milliards de m3, la Russie dispose des plus grandes réserves de gaz naturel au
monde, qui ne devraient, selon les estimations, pas être épuisées avant 67 à 88 ans au plus tôt
(Shafranik, 2005, p.51). La Russie est également le premier producteur et le premier
exportateur de gaz naturel. En 1991, la production gazière connaît un pic qui n'est à nouveau
atteint qu'en 2005, après avoir fluctué d'année en année (voir annexe 9). À l'époque soviétique
déjà, le gaz occupe une place prépondérante dans le bouquet énergétique (42,1% en 1990),
qui n'a cessé d'augmenter depuis lors. En 2006, il représente 51,2% de la consommation
primaire d'énergie (Gazprom, 2007, p.69). Ce phénomène s'explique avant tout par la sous-
évaluation des prix du gaz sur le marché intérieur russe, qui favorise l'utilisation de cette
source d'énergie.
En effet, sur la majeure partie du marché russe du gaz, les prix sont réglementés. Le marché
comprend un secteur réglementé, où opère principalement Gazprom, et un secteur
déréglementé, où opèrent principalement les petits producteurs indépendants (voir schéma à
79
Le 19 décembre 2004, Yuganskneftegaz, filiale de Ioukos représentant 60% de ses capacités de production, est
vendue à une structure créée pour l'occasion, Baikal Finance Group, qui est elle-même rachetée trois jours plus
tard par Rosneft. Voir "Method and madness", The Economist, 29 décembre 2004
80
Solution moins coûteuse, et présentant un retour sur investissement plus rapide.
81
Gazprom contrôle à 100% les sociétés Transgaz, qui gère le réseau de gazoducs, et Gazexport, héritière de
l'ancienne centrale soviétique d'exportation du gaz.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 30
l'annexe 8). De ce fait, la consommation de gaz sur le marché intérieur est particulièrement
forte, l'inefficacité énergétique est considérable, et le marché russe du gaz est extrêmement
dépendant des exportations pour assurer ses revenus (voir ci-dessous). Depuis 2000, les prix
réglementés ont connue une forte hausse, plus rapide que l'inflation (voir annexe 8). Le
gouvernement a prévu qu'ils augmentent de 28% d'ici à 2010, et qu'ils soient soumis aux lois
du marché à partir de 2011 pour les entreprises. Toutefois, pour les particuliers, la
réglementation des tarifs devrait rester d'application (Gazprom, 2007, p.71).
La Russie dispose d'un gigantesque réseau de gazoducs82, qui a transporté en 2006 quelque
717,8 milliards de m3 (Gazprom, 2007, p.34). Gazprom estime que le réseau est poussé
jusqu'à ces dernières limites, bien que certains experts indépendants indiquent que le réseau
fonctionnerait à 90% de ses capacités (Riley, 2006, p.3). Quoi qu'il en soit, il ne fait aucun
doute que le système est largement vétuste, près de 60% des gazoducs ayant plus de vingt ans.
Le réseau est caractérisé par un sous-investissement, que beaucoup d'observateurs imputent
au manque d'ouverture du marché russe.
En ce qui concerne le mode d'exploitation des ressources, la Russie est caractérisée par une
dualité entre deux systèmes contradictoires. Il s'agit d'une part du système de licence83, basé
sur le droit administratif et dès lors entièrement tributaire de l'État, qui garde le droit de
modifier unilatéralement les conditions d'exploitation. D'autre part, on a le système d'accord
de partage de la production84 (production sharing agreement), qui est une relation
contractuelle soumise au droit civil. Dans ce cas, une fois que l'investissement consenti par
l'entreprise, généralement une multinationale étrangère, a été remboursé par les hydrocarbures
produits, les recettes de la vente sont réparties entre la société et l'État propriétaire des
ressources (Krivoshchekova, 2006, pp.7-10).
Le gouvernement préfère le système de licence, qui lui laisse les coudées franches. Ainsi, en
2002, 83% des réserves de gaz naturel étaient soumises à des licences. Mais ce système a des
effets néfastes sur la production. En effet, les entreprises disposent de telles réserves qu'elles
n'en exploitent que 40 à 50%, après quoi elles abandonnent les gisements. En outre, les
questions relatives aux ressources du sous-sol sont jusqu'à présent soumises à la compétence
conjointe de l'État fédéral et des régions, ce qui génère bureaucratie et insécurité juridique.
Une nouvelle loi sur les ressources du sous-sol, en cours d'adoption, prévoit que les licences
seront désormais du seul ressort de l'État85.
La loi de 1995 sur les accords de partage de production est d'une grande complexité, si bien
que seuls 29 accords de ce type ont été approuvés depuis lors (aucun depuis 2000) et que
seuls trois accords sont actuellement à l'œuvre86 (Krivoshchekova, 2006, p.10). Certains
estiment que ce mode d'exploitation est désavantageux pour la Russie. Quoi qu'il en soit, le
Kremlin n'a pas hésité à faire usage de pressions administratives, en invoquant des
considérations environnementales, pour forcer les entreprises étrangères de Sakhaline-2, seul
grand projet n'impliquant pas d'entreprise russe, à céder une participation majoritaire à
Gazprom87.
82
Le réseau comprend 175 000 km de gazoducs et 234 stations de compression.
83
Système généralement d'application dans les pays industrialisés, notamment: Norvège, Australie, États-Unis,
Royaume-Uni, Canada.
84
Système généralement d'application dans les pays de l'OPEP, en Égypte, en Azerbaïdjan et au Mexique.
85
Locatelli, "La Douma apporte des restrictions importantes à l'accès aux hydrocarbures pour les investisseurs
étrangers", easybourse.com, 26 avril 2007
86
Sakhaline-1, Sakhaline-2 et Kharyaga.
87
Depuis avril 2007, Gazprom détient 50% des parts plus une, Shell 27,5%, Mitsui 12,5% et Mitsubishi 10%.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 31
Malgré ses gigantesques réserves et son potentiel considérable, le marché russe du gaz,
caractérisé par un quasi-monopole d'État tout puissant, une insécurité juridique et l'arbitraire
des pouvoirs publics, est très peu attractif pour les investisseurs étrangers. La politique menée
actuellement par Vladimir Poutine consiste à imposer le contrôle de l'État dans les projets
gaziers d'envergure, à ne faire appel aux investisseurs étrangers que dans les cas d'absolue
nécessité, en tant que partenaires minoritaires88, et à terme, à dissuader les opérateurs
étrangers d'investir sur le marché russe du gaz.
88
La participation du groupe Total à l'exploitation du gisement Chtokman constitue un exemple récent de cette
stratégie.
89
L'entreprise Rosneftegaz, contrôlée par l'État, a acheté 10,47% des parts de Gazprom, portant la participation
de l'État dans Gazprom à 50,002%.
90
En septembre 2007, Gazprom se porte acquéreur des parts d'actionnaires minoritaires dans la société
Mosenergo, distributeur d'électricité à Moscou, pour une valeur de 4,7 milliards de dollars. "Gazprom seeks
control over Moscow utility", International Herald Tribune, 11 septembre 2007.
91
En octobre 2005, Gazprom achète Sibneft, propriété de l'oligarque Roman Abramovitch, pour la somme de
13,1 milliards de dollars. L'État russe contrôle désormais 30% de la production pétrolière.
92
Alexeï Miller, président du conseil de gestion de Gazprom et proche de Poutine; German Gref, ministre du
commerce; Viktor Khristenko, ministre de l'énergie; et Igor Yusufov, représentant présidentiel spécial pour la
coopération énergétique internationale.
93
Gazprom dispose de 29 850 milliards de m3 de réserves de gaz, soit à lui seul 17% des réserves mondiales; le
groupe représente 84,7% de la production russe de gaz naturel, soit un cinquième de la production mondiale.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 32
Ces éléments ne sont sans doute pas dénués d'importance, mais en réalité, la stratégie de
Gazprom n'est pas incohérente. Certes ses investissements ne vont pas dans la production de
gaz sur les champs russes. Mais il entreprend de consolider sa position en investissant
principalement sur deux fronts, d'une part dans le transport et la distribution de gaz en Europe,
et d'autre part dans l'exploitation et le transport du gaz d'Asie centrale. Les deux volets de
cette stratégie se complètent bien.
Investir en amont dans l'exploitation et le transport du gaz sur le marché d'Asie centrale
présente également plusieurs avantages. D'abord, les coûts d'extraction y sont sensiblement
moins élevés que dans bon nombre de régions de Russie. Ensuite, géopolitiquement, Gazprom
a tout intérêt à exploiter les ressources de ces pays qui pourraient être des concurrents, sur le
marché européen par exemple. En y investissant, Gazprom en fait des partenaires. Enfin, le
gaz produit à bas prix en Asie centrale peut être avantageusement vendu sur le marché
européen aux tarifs du marché mondial.
Ainsi la boucle est-elle bouclée. Jusqu'à présent, cette stratégie a été payante. Cependant, à
moyen terme, Gazprom sera vraisemblablement limité par trois éléments. D'abord, il a
clairement négligé d'investir à temps dans la production de gaz en Sibérie occidentale, ce qui
94
En 2006, Gazprom a essuyé 8 milliards de roubles de pertes sur son marché intérieur.
95
Distribution de gaz: Eesti gaas, Latvijas gaze, Lietuvos dujos (dans les trois pays baltes); marketing de gaz:
Gasum (Finlande), transport de gaz: Interconnector UK (Royaume-Uni/Belgique), Overgas (Bulgarie),
Slovrusgas (Slovaquie). Pour plus de détails, voir l'annexe 15.
96
En juillet 2006, les deux entreprises ont procédé à un échange de participation dans les activités de production,
de distribution et de transport. E.ON détient désormais 6,4% du holding Gazprom, qui a consolidé sa
participation dans Wingas et WIEH.
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 33
risque de s'avérer problématique (voir à ce sujet le point 3.1.2). Ensuite, il n'a pas encore
développé la technologie de liquéfaction du gaz, et qu'il devra vraisemblablement s'allier avec
un concurrent mondial afin d'accéder au marché en pleine expansion du gaz naturel liquéfié97.
Enfin, cette stratégie ne fait que reporter la problématique du développement de ses gisements
de Sibérie orientale et des mers arctiques, dont les coûts d'exploitation sont élevés (Locatelli,
2002, p.151).
Gazprom mène ainsi une politique somme toute assez classique d'optimisation, consistant à
produire juste assez pour satisfaire la demande, mais pas trop afin de maintenir une pression
sur les prix. Yuri Shafranik, ancien ministre de l'énergie sous Eltsine, l'exprime en ces termes:
The main problem for the development of the world's energy sector in the foreseeable
future [is] the difficulty of ensuring the necessary volume of fuel and energy production
through adequate investment under terms and conditions both acceptable to consumers
and attractive for producers. (Shafranik, 2006, p.51, c'est moi qui souligne)
C'est là un jeu délicat. Certes, Gazprom a jusqu'à présent compté sur les ressources d'Asie
centrale pour répondre à la demande intérieure et étrangère. Mais si les prix du pétrole
viennent à baisser98, induisant une diminution du prix du gaz livré dans le cadre des contrats à
long terme, Gazprom verra diminuer les recettes provenant de l'exportation du gaz. Il devra
alors revoir radicalement sa stratégie, avec une marge de manœuvre limitée. Dans un tel cas
de figure, il pourrait d'une part, à court terme, tenter de faire baisser la consommation
intérieure, étant donné que de grands progrès peuvent être réalisés en matière d'efficacité
énergétique. D'autre part, à long terme, il pourrait augmenter sa production, en consentant des
investissements considérables, ou en sollicitant la participation d'entreprises étrangères. Mais
dans ce cas, il est fort probable que les intérêts économiques du groupe entrent en conflit avec
les intérêts géopolitiques de la Russie; on ne peut affirmer avec certitude quels intérêts
primeraient.
D'autre part, à long terme, la Russie entend également diversifier ses destinations
d'exportation, en particulier vers l'Asie, où la croissance de la consommation d'énergie devrait
97
Le GNL représente d'ores et déjà 25% du marché mondial du gaz (Tomberg, 2006b).
98
L'Agence internationale de l'énergie table un léger tassement des prix (AIE, 2006, p.2)
DEUXIÈME PARTIE: la politique gazière vue depuis Bruxelles et Moscou 34
Dans les 20 à 30 années à venir tout du moins, l'Europe devrait toutefois rester le premier
marché d'exportation du gaz naturel russe. C'est économiquement le marché le plus lucratif, et
en termes géopolitiques, c'est le marché d'exportation naturel pour le gaz russe. En effet, les
principales ressources, situées en Sibérie occidentale et dans la mer des Barents, sont proches
de l'Europe et reliées à elle par un dense réseau de transport. Qui plus est, Gazprom vient de
conclure toute une série de contrats à long terme avec de grands opérateurs européens99.
Derrière les efforts de diversification des exportations, l'économie russe demeure très
dépendante des ressources naturelles du pays. Une chute des prix des hydrocarbures serait
catastrophique pour l'économie russe. Ce cas de figure semble certes très improbable à court
et à moyen terme. Cependant, on est en droit de se demander si la Russie n'est pas victime de
ses propres ressources (ressource curse). En effet, des prix élevés sur les marchés mondiaux,
comme c'est le cas actuellement, créent une illusion de prospérité et de bien-être qui n'incite
pas le gouvernement à procéder aux nécessaires réformes structurelles. L'industrie
exportatrice de ressources ne peut assurer une croissance soutenable à long terme. D'ailleurs,
les pays qui doivent importer leurs ressources énergétiques affichent généralement de
meilleures performances économiques à long terme que les pays grands exportateurs de ces
ressources. Afin que les ressources profitent véritablement à l'économie du pays, il est
impératif que la majorité des hydrocarbures produits soient consommés sur le marché
intérieur, non tant comme combustible, mais surtout dans l'industrie manufacturière,
notamment chimique (Shafranik, 2006, pp.54-8).
Les ressources naturelles sont un don de Dieu. Mais une véritable puissance énergétique
doit être fondée sur des technologies performantes, notamment des turbo-machines
efficaces, des générateurs, des machines-outils modernes. Dans la Russie actuelle [mai
2006], ces capacités ne sont pas renouvelées au rythme nécessaire, les technologies
héritées de l'époque soviétique sont obsolètes et l'infrastructure est vétuste (Campaner,
2006, p.386).
99
Gasum (jusque 2025); Gaz de France et Wintershall (jusque 2030); ENI, RWE Transgas et E.ON Ruhrgas
(jusque 2035).
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 35
Troisième partie
L'enjeu gazier dans les relations UE-Russie
3.1 Menaces sur la sécurité é nergétique
La sécurité énergétique se décline en sécurité de la demande pour la Russie exportatrice
d'hydrocarbures, et en sécurité d'approvisionnement pour l'Europe importatrice de ces
combustibles. La possibilité d'une interruption des livraisons de gaz (ou l'incapacité de le
vendre, selon la perspective dans laquelle on se place) est souvent évoquée. Cependant, tant
que les réserves d'hydrocarbures ne seront pas épuisées et que des dispositifs de transport
existeront, il devrait être possible d'acheter et de vendre du gaz. Dès lors, la question est plutôt
de savoir à quel prix et dans quelles conditions s'effectueront les échanges.
Les négociations entrent dans l'impasse, les républiques importatrices refusant ces
augmentations brutales de prix, qui sont multipliés par trois. Il en résulte un ultimatum, puis
100
Il s'agit avant tout des crises avec l'Ukraine et le Belarus. D'autres crises ont également eu lieu, avec la
Moldova, l'Azerbaïdjan et la Géorgie; leur nature et leurs enjeux étant très différents, elle ne seront pas abordées
ici.
101
"Gazprom, bras armé du Kremlin", Le Monde, 5 juillet 2006; "Comment Poutine utilise l'arme du gaz"
(dossier), Courrier international, 8 février 2007
102
"Der lange Arm von Gazprom", "Putin dreht den Hahn ab", Die Zeit, n°53/2004 et 1/2006
103
"Rosja: Powrót imperium", "Gazprom doszed, do polskiej granicy", Gazeta Wyborcza, 3 janvier 2006 et 3
janvier 2007; "Válka o plyn ohro-uje op.t evropské domácnosti", "Litevci, Poláci a N.mci mohou z/stat bez
plynu", Lidové noviny, 25 janvier 2006 et 28 décembre 2006
104
Il faut en réalité distinguer dans cette crise deux conflits séparés: l'un, fin 2006, portant sur le gaz, qui sera
réglé in extremis sans interruption des livraions, et l'autre, début 2007, pour des raisons quelque peu différentes,
sur le pétrole, qui donnera lieu à une interruption des livraisons russes.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 36
une interruption des livraisons russes de gaz à l'Ukraine en 2006, et de pétrole au Belarus en
2007. Les pays de transit se servent alors sur les hydrocarbures destinés aux importateurs
européens. En janvier 2006, les livraisons de gaz à l'Europe sont perturbées, et connaissent
une baisse significative (de 20 à 40%) pendant deux jours. La crise suscite de vives
inquiétudes et des protestations dans les pays européens. La Russie est condamnée de manière
quasi-unanime, comme si en imposant les prix du marché à l'Ukraine "pro-occidentale" de
Viktor Iouchtchenko105, elle voulait avant tout s'attaquer à l'Europe et à ses valeurs,
notamment la démocratie.
La crise opposant la Russie à l'Ukraine a souvent été analysée comme une utilisation brutale
par la Russie de l'"arme énergétique", dans le but de faire pression sur son voisin
apparemment désireux d'entreprendre de grandes réformes, démocratiques et autres. C'est que
d'une part, la crise est intervenue au beau milieu de l'hiver, et que d'autre part, la "révolution
orange" ukrainienne lui a donné une forte teinte politique. Certains y voient la confirmation
de ce qu'ils appellent la "doctrine Lavrov", à savoir: qui s'éloigne de la Russie paiera ses
matières premières aux prix mondiaux (Dubien, 2006, p.381). Si les considérations politiques
ont pu jouer un rôle dans la crise ukrainienne, la crise avec le Belarus un an plus tard invalide
toutefois la thèse de la doctrine Lavrov. En effet, le régime de Lukachenko au Belarus est un
allié fidèle du Kremlin, Minsk n'a absolument pas l'intention de prendre ses distances par
rapport à Moscou, ni d'entreprendre une démocratisation du pays.
S'il est vrai que la tactique utilisée par la partie russe peut sembler brutale et disproportionnée,
il convient de noter que dans le cas ukrainien, qui concerne le gaz106, Gazprom reprend les
livraisons avant qu'un accord ne soit trouvé avec la partie ukrainienne. En effet, il est
contractuellement responsable pour le transit du gaz jusqu'aux points de livraison sur l'ancien
rideau de fer (voir le point 2.1.3). Il lui importe de conserver sa crédibilité en tant que
fournisseur fiable, et de ne pas mettre en danger les recettes considérables que lui procure
l'exportation. Gazprom n'avait d'ailleurs pas agi autrement lors de crises avec l'Ukraine en
1992 et 1993, avant l'arrivée au pouvoir de Leonid Koutchma (Guillet, 2007, pp.6-13).
Finalement, les deux crises se soldent par l'alignement des tarifs relatifs à la vente et au transit
sur ceux pratiqués en Europe occidentale107, marquant ainsi la fin des échanges en nature
hérités de la période soviétique.
105
Les médias occidentaux ont généralement présenté le conflit entre Iouchtchenko et Ianoukovitch de manière
quelque peu réductrice comme une opposition entre un mouvement "pro-occidental", démocratique, ouvert et
réformateur, et un mouvement "pro-russe", autoritaire, rétrograde et corrompu.
106
La coupure des livraisons de pétrole au Belarus a duré deux jours. Toutefois, la partie russe n'avait pas dans
ce cas d'obligation contractuelle de livrer une quantité de pétrole déterminée.
107
Kiev paie désormais le gaz 230$/1000 m3 (sauf pour le gaz originaire d'Asie centrale, facturé à 95$) et
Gazprom paie 1,6$/1000 m3 sur 100km pour le transit de son gaz par l'Ukraine vers l'Europe.
<http://www.gazprom.com/eng/news/2006/01/18619.shtml>
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 37
Larsson, de l'agence suédoise de recherche sur les questions de défense, identifie une
cinquantaine d'incidents108 depuis 1991, lors desquels la Russie a cherché à faire pression sur
les pays baltes, l'Ukraine, le Belarus, la Moldova ou la Géorgie, avec des répercussions pour
les pays importateurs en Europe. Les incidents sont répartis à égalité entre les présidences
Eltsine et Poutine, bien que le nombre de coupures ait diminué de moitié au cours des années
2000 (Larsson, 2006, p.4).
Si l'énergie est désormais utilisée de manière plus subtile, la Russie risquerait de recourir à
une "politique agressive", un "comportement dérangeant", des "problèmes techniques", des
"différends contractuels" ou une "politique tarifaire discriminatoire" afin d'atteindre ses
objectifs géopolitiques. Ce risque est certes faible pour les pays n'ayant pas appartenu à
l'Union soviétique. Cependant, ils pourraient être touchés par des incidents visant les voisins
directs de la Russie, d'autant plus que Moscou serait indifférent aux répercussions de ses actes
sur certains États (Larsson, 2006, pp.3-4).
Ces craintes sont vivement renforcées par le fait que l'État russe contrôle complètement les
réseaux de transport du gaz (par l'intermédiaire de Gazprom) et du pétrole (par l'intermédiaire
du monopole d'État Transneft) en amont, et qu'il s'engage désormais sur le marché européen
en aval. En effet, depuis plusieurs années, Gazprom a acquis des prises de participation dans
de nombreuses entreprises européennes (pour plus de précisions, voir l'annexe 15), et occupe
une position dominante de quasi-monopole en Finlande et dans certains pays d'Europe
centrale et orientale (PECO). La Russie pourrait ainsi contrôler ces marchés, et une fois que le
gazoduc Nordstream sera opérationnel, par exemple couper les livraisons à la Pologne tout en
approvisionnant l'Allemagne, et mettre son veto à l'approvisionnement de Varsovie par Berlin
(Smith, 2006, p.3).
Par ailleurs, Gazprom pourrait malmener la concurrence sur le marché européen du gaz. Le
géant russe y est certes un nouvel entrant, mais il reste surtout le fournisseur de ses propres
concurrents. Comme le fait remarquer Milov, de l'institut de politique énergétique, basé à
Moscou, "on ne peut parler de concurrence loyale en aval lorsque le fournisseur en amont
jouit d'un monopole légal et total" (Milov, 2006, p.10).
De plus, l'alliance que Gazprom a passé en août 2006 avec la Sonatrach, compagnie nationale
algérienne du gaz, devrait permettre à la Russie de renforcer son emprise sur l'Europe, et
notamment d'accéder au marché espagnol. Forte de sa présence directe sur les marchés
nationaux, Gazprom pourrait verrouiller ses débouchés sur les marchés isolés afin d'induire un
relèvement des prix. Certains considèrent même que Gazprom pourrait être en mesure de
rompre unilatéralement ses contrats pour imposer des conditions de prix et de quantités qui lui
soient plus favorables, et de dicter ses conditions sur les marchés spot du gaz (Finon, 2006,
p.383).
Cependant, d'un point de vue économique, les menaces les plus sérieuses pour la sécurité
énergétique viennent du sous-investissement dans les infrastructures et les activités de
production en Russie. Les champs gaziers géants, d'où provient la majeure partie de la
production russe, sont sur le déclin. Gazprom a tardé à développer de nouveaux champs et à
consentir de lourds investissements afin de compenser cette baisse, et à plus forte raison
d'accroître la production. Il a préféré investir en Asie centrale et dans les entreprises
108
Dont une quarantaine de coupures, les autres étant dus à des rachats, menaces, chantage, ou à une politique
coercitive des prix.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 38
européennes (voir le point 2.2.4). Certains y voient d'ailleurs une réplique du "modèle
argentin", où la seule manière de préserver les intérêts financiers est d'investir à l'étranger et
de négliger la production dans le pays (Paillard, 2007, p.16).
Gazprom pourrait très rapidement éprouver des difficultés à honorer ses contrats de livraison
et l'on craint un déficit du gaz grandissant. L'entreprise a d'ailleurs reconnu l'existence d'un
déficit de production109, et les centrales électriques russes ont subi des restrictions
d'approvisionnement en gaz au cours de l'été 2006 (Milov, 2006, p.8). Cependant, les experts
divergent sur son ampleur. Stern estime que si Gazprom veut maintenir son niveau de
production actuel (environ 550 milliards de m3), il lui faudra ajouter 70 milliards de m3 de
nouvelles capacités de production d'ici à 2015 et 180 milliards d'ici à 2020 (Stern, 2005).
Selon Milov, le déficit gazier s'élèverait dès 2010 à plus de 100 milliards de m3 (Milov, 2006,
p.7). Paillard estime quant à lui le déficit gazier à 63 milliards de m3 dans un scénario
optimiste, et à 200 milliards de m3 dans le pire des cas110 (Paillard, 2007, p.7).
Ces craintes sont renforcées par une prise de conscience de la vulnérabilité de l'Europe au
gaz. La crise ukrainienne survient peu après que le Royaume-Uni devient importateur net de
gaz en 2004, pour la première fois depuis plus de vingt ans, en raison du déclin des champs
gaziers en mer du Nord (voir annexe 4). De plus, les entreprises européennes (BP et Shell
notamment) ont largement investi sur le marché russe des hydrocarbures, alors que les
gazoducs et oléoducs restent contrôlés par un monopole d'État et que les pouvoirs publics
russes dictent leurs conditions aux investisseurs étrangers, à Sakhaline notamment. Enfin,
l'Union européenne ne cesse d'accroître sa dépendance au gaz, qui s'est vue renforcée par la
libéralisation du marché de l'électricité111.
D'autre part, les dirigeants russes recourent volontiers à une rhétorique dure, qui choque et
effraie l'Europe. Ainsi, Alexeï Miller déclarait lors d'une réunion à caractère politique avec les
ambassadeurs des États membres de l'UE à Moscou, le 18 avril 2006, en réaction à la levée de
boucliers causée en Europe par une possible prise de participation de Gazprom dans le géant
britannique Centrica: "It is needed to note that attempts to limit Gazprom’s activity in
European market and politicize gas supply issues, which are in fact solely economic, will
make no good results."112
If a total and/or permanent cut in supply to Europe would materialise, it would have to
be preceded by a serious degeneration of relations in combination with a developed
technical ability to export energy elsewhere. (Larsson, 2006, p.3, c'est moi qui souligne)
déterminer quelles craintes sont fondées et quelles menaces sont extrêmement peu probables,
voire irréalistes en raison des contraintes pesant sur les acteurs russes.
Pour ce qui est des menaces d'ordre politique, qui sont les plus souvent mentionnées, les
inquiétudes européennes sont exacerbées par le caractère relativement imprévisible de la
politique extérieure russe en matière d'énergie, qui est avant tout fondée sur les "intérêts
nationaux" du pays (voir point 2.2.2). Si, dans la plupart des États, les intérêts nationaux ne
sont pas figés mais dynamiques, ils sont particulièrement fluctuants en Russie. Cela tient au
haut degré de personnalisation du pouvoir, à la faiblesse des institutions, et au fait que les
dirigeants ont peu de comptes à rendre à la population.
Il convient toutefois de noter que la "diplomatie énergétique" du Kremlin est limitée par de
nombreuses contraintes, en matière de production, d'infrastructure, de consommation
domestique et d'investissements. Bien que l'État russe contrôle désormais une bonne part du
secteur énergétique, il ne dispose pas de mécanismes permettant d'influencer de manière
précise les actions des entreprises, et ce principalement en raison de la corruption et du
manque de discipline113 (IEP, 2006a, p.3).
La Russie est en particulier limitée par ses infrastructures d'exportation, qui sont entièrement
tournées vers l'Europe, ce qui fait d'elle un exportateur régional et non mondial. La
diversification des voies d'exportation reste une perspective lointaine et extrêmement
coûteuse. En effet, dans l'industrie gazière russe, la majorité des coûts sont engagés dans le
transport et non dans la production (Guillet, 2007, p.17). Comme le résume Margot Light:
"They [the pipelines] took fifty years to build and it will take another fifty to construct
alternatives" (Light, 2006, p.22).
Les livraisons de gaz à l'Asie nécessitent la construction de gazoducs sur des milliers de
kilomètres et l'exploitation de gisements en Sibérie orientale; le lancement de la production et
de modestes livraisons devrait prendre au moins dix ans une fois que les acteurs se seront
accordés sur un projet, et notamment sur les prix. Seul le gaz naturel liquéfié permettrait une
véritable flexibilité des voies d'exportation, mais cette technologie est coûteuse en
investissements, inconnue pour Gazprom et longue à mettre en œuvre.
Probablement jusque 2020 tout du moins, l'Europe devrait rester le grand marché
d'exportation du gaz russe. Comme nous l'avons vu, l'économie russe est très dépendante des
recettes provenant de l'exportation des hydrocarbures; couper les livraisons de gaz à l'Europe
reviendrait à se tirer une balle dans le pied. D'ailleurs, la crise ukrainienne de janvier 2006 a
montré que Gazprom est soucieux de respecter ses obligations contractuelles envers les
consommateurs européens, et d'assurer le transit, qui relève de sa responsabilité (Guillet,
2007, p.21).
Moscou disposait d'un moyen de pression efficace sur ses voisins tant qu'il leur vendait le gaz
à des prix nettement inférieurs à ceux du marché. La Russie a d'ailleurs souvent recouru à cet
instrument dans les années 1990 avec les anciennes républiques soviétiques. Mais désormais,
alors que les pays de l'UE et certains pays de l'ex-URSS achètent leur gaz au prix fort,
Moscou se voit d'une part privé de cet instrument pouvant être utilisé à des fins politiques, et
d'autre part dépendant de ces exportations payées en devises sonnantes et trébuchantes.
113
À la différence de l'Arabie saoudite, qui peut mener des actions hautement coordonnées sur les marchés du
pétrole.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 40
Les préoccupations d'ordre économique, nettement moins évoquées dans les médias, sont
dans certains cas plus fondées. Si l'on examine de près les craintes de voir Gazprom imposer
sa loi sur le marché européen du gaz, force est toutefois de constater que les marchés spots
restent marginaux sur le continent européen. Gazprom préfère de loin la sécurité des contrats
à long terme aux marchés spot, où il pourrait peut-être imposer ses conditions, mais où les
prix pourraient également baisser en raison d'une concurrence accrue, par exemple du GNL
qatari (Finon, 2006, p.384).
La position dominante qu'occupe Gazprom sur les marchés de la Finlande et des PECO est
certes préoccupante, tout comme le danger de cloisonnement des marchés. Cependant, le
problème du degré élevé de concentration et de la fragmentation du marché du gaz est plus
général. La Commission européenne a d'ailleurs entrepris de s'attaquer à ces questions en
janvier 2007, par le biais des pouvoirs dont elle dispose pour lutter contre les ententes et pour
contrôler le degré de concentration et les aides d'État (voir le point 2.1.4). Face à la
réglementation communautaire en matière de concurrence, Gazprom ne devrait pas être plus
puissant qu'une autre société114.
La menace d'un déficit gazier résultant du sous-investissement dans la production russe de gaz
est plus inquiétante. Si jusqu'en 2009-2010, les nouveaux champs développés, Zapolarnoye,
Pestovoye et Tarkosalinkoye, devraient permettre de compenser le déclin des trois super
géants arrivés à maturité et entrant en phase de déclin (Locatelli, 2007a), il semble que la
production russe de gaz ne pourra répondre à l'accroissement de la demande européenne. Le
déficit devrait perdurer en tout cas jusqu'en 2016, date où les champs géants de la péninsule
de Yamal devraient devenir opérationnels. Les États ayant le plus à craindre des perturbations
sont les pays de la CEI qui paient toujours leur gaz à des prix inférieurs à ceux du marché, et
dans l'Union européenne, ceux qui sont les plus dépendants du gaz russe, à savoir les pays
d'Europe centrale et orientale ainsi que la Finlande (voir annexe 4, fig. 2).
Si le déficit gazier se creuse comme prévu, viendra la délicate question de l'arbitrage entre les
exportations et le marché intérieur. Vladimir Poutine a indiqué à plusieurs reprises que la
priorité irait au respect des obligations contractuelles de la Russie en matière d'exportation
vers l'Europe (Blakey, 2007, p.6). C'est en tout cas le choix qui répond à la logique
économique, tant que les prix réglementés sur le marché intérieur forceront Gazprom à y
vendre son gaz à perte. Par ailleurs, il est fort probable que Gazprom cherche à facturer le gaz
livré aux pays de la CEI aux tarifs européens, comme il l'a déjà fait avec l'Ukraine et le
Belarus.
La situation est certes grave, mais pas nécessairement catastrophique. En effet, deux éléments
de solution pourraient contribuer en Russie à réduire le déficit gazier annoncé. Premièrement,
la consommation intérieure de gaz pourrait être "contrôlée" par le biais d'une hausse des prix
sur le marché russe, voire leur libéralisation115, et par des initiatives relatives à l'efficacité
énergétique, domaine dans lequel le potentiel d'économies est considérable116. L'agence
internationale de l'énergie estime que 30 milliards de m3 pourraient être économisés chaque
114
Le troisième paquet législatif pour la libéralisation du marché du gaz, présenté par la Commission en
septembre 2007, réaffirme que les entreprises de pays tiers seront soumises aux mêmes obligations que les
sociétés de l'UE, en matière de découplage de la propriété notamment.
115
Un tel cas de figure rendrait toutefois le marché intérieur plus attractif pour Gazprom, ce qui pourrait modifier
l'arbitrage entre exportations et vente sur le marché russe.
116
Le 7e rapport sur les progrès du dialogue énergétique UE-Russie évalue ce potentiel à 390 millions de tonnes
équivalent pétrole, soit un potentiel comparable à celui de l'UE.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 41
année dans le seul secteur du gaz, tant au stade de la production, du transport que de la
consommation (AIE, 2007, p.63). Deuxièmement, les producteurs indépendants pourraient
compenser la production déclinante ou stagnante de Gazprom. Ceux-ci ont extrait en 2006
quelque 61 milliards de m3 de gaz (Locatelli, 2007b), soit 13% de la production nationale, et
il semble très probable que cette part augmente de manière significative au cours des dix à
quinze prochaines années117.
Les intérêts économiques sont convergents, la dépendance est mutuelle, mais les deux parties
se regardent en chien de faïence. C'est que la confiance manque, notamment en raison des
divergences de perception détaillées au point 1.1. D'un côté comme de l'autre, on œuvre à
réduire une dépendance perçue comme menaçante. En effet, certains tendent à projeter le
risque politique associé classiquement à une situation de dépendance au domaine des relations
commerciales, en mettant en avant un risque de domination des marchés.
Afin de réduire les risques, l'Union européenne mène une triple politique. D'abord, elle entend
diversifier les sources d'approvisionnement en gaz, notamment en essayant d'accéder aux
gisements d'Asie centrale, ainsi que les sources d'énergie, renouvelables et autres. Ensuite,
elle table sur l'efficacité énergétique119 afin de ralentir la croissance de sa dépendance aux
importations. Enfin, elle tente de développer une stratégie commune en la matière, notamment
avec la création d'un groupe de coordination pour le gaz120 et la mise en place d'un
observatoire de l'énergie au sein de la Commission121.
117
La stratégie énergétique russe prévoit que cette part atteindra 20% d'ici à 2020. L'AIE estime que cette part
pourrait s'élever à 40%, soit 260-290 milliards de m3, dès 2015 (AIE, 2006a, p.32), bien que Stern évalue la
production indépendante plutôt à 120-150 milliards de m3 d'ici à 2015 (Stern, 2005, p.58).
118
Gazprom fait toujours la distinction entre les "exportations" à destination de l'Europe, vendues en moyenne à
150>/1000 m3, et les "livraisons à la CEI", vendues en moyenne à 60>/1000 m3 (prix appliqués en 2006). À ce
sujet, voir l'annexe 13.
119
Le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007 a fixé comme objectif la réalisation de 20% d'économies, toutes
sources d'énergie confondues, d'ici à 2020.
120
Appelé également groupe de Madrid, il a été mis en place en novembre 2006 (Décision 2006/791/CE de la
Commission européenne).
121
Voir point 3.2.2
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 42
européenne, ce qui lui permet de ne pas fournir un seul bloc dont elle serait entièrement
dépendante. Par ailleurs, les autorités russes et Gazprom évoquent volontiers la perspective
d'exportations vers l'Asie, qui reste toutefois lointaine et parsemée d'obstacles122.
La sécurité énergétique est vue de manière très différente selon que l'on se trouve dans
l'Union européenne ou en Russie. Bruxelles désire pouvoir acheter du gaz à des prix bas, ou
du moins stabilisés à leur niveau actuel, tandis que Moscou voudrait pouvoir vendre son gaz à
des prix aussi élevés que possible. C'est là une situation tout à fait classique. Les partenaires
peuvent toutefois s'entendre de manière partielle: ils désirent tous deux des prix relativement
stables, sans grandes fluctuations, et avant tout prévisibles. Pour ce qui est des conditions
permettant de garantir la sécurité énergétique, les deux parties semblent estimer qu'elles se
résument principalement à la possibilité d'agir en toute indépendance, ou en tout cas avec le
plus grand degré d'indépendance possible.
L'objectif est, selon le communiqué du sommet, "to raise all issues of common interest
relating to the [energy] sector, including the introduction of cooperation on energy saving,
rationalisation of production and transportation infrastructures, European investment
possibilities, and relations between producer and consumer countries" (Grant, 2003, p.1). Le
dialogue est co-dirigé par Viktor Khristenko, ministre russe de l'industrie et de l'énergie, et
François Lamoureux, directeur général de la DG Transports et énergie de la Commission
européenne.
Les travaux commencent véritablement en octobre 2001, à l'issue d'une phase analytique. Les
progrès sont lents, en raison de l'importance capitale de ce secteur pour les deux partenaires,
de la multiplicité des acteurs (dont bon nombre, notamment les entreprises privées, ne sont
pas représentés) et des intérêts. Le dialogue est en outre quelque peu limité par l'absence de
politique étrangère commune de l'UE en la matière, son faible impact sur les stratégies des
compagnies énergétiques, et une coopération insuffisante avec les pays de transit.
122
Vladimir Poutine déclarait le 11 septembre 2006 au Financial Times que la Russie livrerait d'ici à 10-15 ans
30% de sa production de pétrole et de gaz à la Chine. Mais celle-ci dispose de vastes quantités de charbon bon
marché, et ses besoins en gaz seraient relativement faibles. La construction d'infrastructures de transport étant
très coûteuse, il apparaît plus probable que la Chine se fournisse en gaz naturel liquéfié auprès de l'Indonésie.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 43
Pourtant, le dialogue énergétique parvient à des résultats qui sont autant de petits succès:
identification de projets d'infrastructure présentant un "intérêt commun" pour les deux parties,
mise en place de projets pilotes en matière d'efficacité énergétique, création d'un centre des
technologies à Moscou123. Il a œuvré à la ratification du protocole de Kyoto par la Russie en
novembre 2004, ce qui a d'ailleurs permis l'entrée en vigueur du texte le 16 février 2005. En
outre, il a permis de désamorcer des malentendus grâce à l'échange d'informations124. De
nombreux sujets restent toutefois problématiques, notamment l'importation de matériaux
nucléaires de Russie, sur laquelle l'UE impose toujours des limitations125, l'accès des
producteurs indépendants au réseau de gazoducs et d'oléoducs, ainsi que la nécessité
d'améliorer le climat d'investissement en Russie.
Vers 2004, l'énergie, et en particulier la sécurité énergétique, devient l'un des sujets majeurs
de la relation entre Bruxelles et Moscou, et fait l'objet d'une grande attention médiatique. C'est
là le résultat d'une conjonction de facteurs. Il y a l'affaire Ioukos évoquée ci-dessus,
l'élargissement de 2004 qui change la donne géopolitique pour l'Union européenne, la hausse
des prix sur les marchés mondiaux, la libéralisation du marché de l'énergie dans l'UE et les
prises de participation de Gazprom dans le secteur gazier européen, la dépendance croissante
de l'UE aux importations d'énergie, puis la crise russo-ukrainienne de janvier 2006, fortement
politisée à la suite de la révolution orange "pro-occidentale". C'est à ce moment que l'énergie
quitte véritablement la sphère de la basse politique pour monter vers la haute politique. Après
le départ de François Lamoureux fin 2005, c'est le commissaire européen à l'énergie, Andris
Piebalgs, qui reprend le flambeau, tandis que, de l'avis d'experts rencontrés, le centre de
gravité décisionnel en matière de dialogue énergétique au sein de la Commission européenne
glisse de la DG Transports et énergie à la DG Relations extérieures.
En novembre 2006, dans le septième rapport sur les progrès du dialogue énergétique, les
parties reconnaissent que la sécurité énergétique est un défi majeur qui restera une question
centrale de la coopération énergétique entre la Russie et l'Union européenne. Elles soulignent
en outre
123
Ce centre a depuis lors produit de nombreuses études, en particulier sur l'efficacité énergétique et son
potentiel dans le secteur énergétique russe.
124
Les autorités russes, dont Vladimir Poutine en avril 2002, ont soutenu à plusieurs reprises que les États
membres de l'UE étaient tenus par une réglementation communautaire de limiter leurs importations de gaz
naturel en provenance d'un fournisseur extracommunautaire à 30% de leur consommation. La question a été
abordée au sein du dialogue énergétique, et la partie européenne a prouvé qu'il n'existait aucune limitation de ce
type. <http://ec.europa.eu/energy/russia/issues/hydrocarbons_en.htm>
125
L'UE ne peut, en vertu de ses propres règles, importer plus de 20% de son uranium de fournisseurs
extracommunautaires. Toutefois, étant donné que les PECO importent leurs matériaux nucléaires principalement
de Russie, celle-ci demande depuis plusieurs années une révision de ces règles (Grant, 2003, p.3).
126
Seventh Progress Report on the EU-Russia Energy Dialogue, novembre 2006, p.3
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 44
peuvent sembler limitées, il est appelé à se maintenir, en raison de l'importance capitale que
revêt ce secteur, tant pour Bruxelles que pour Moscou.
En effet, les États membres rechignent à abandonner leur souveraineté en matière d'énergie.
La libéralisation du marché semble ne pas avoir remis fondamentalement en question
l'étroitesse des liens entre États et grandes compagnies énergétiques, les pouvoirs publics
conservant généralement des actions assorties d'un droit de veto (golden shares) dans les
anciens monopoles d'État privatisés. Jusqu'à présent, les fusions dans le secteur tendent
d'ailleurs à consolider la position des opérateurs historiques sur leur marché national128. Tout
se passe comme s'ils étaient "gardiens" de leur marché national, plus encore que "champion
national" conquérant des parts sur les marchés étrangers.
En outre, certains des grands opérateurs européens, anciens monopoles publics, soutiennent la
position des monopoles russes, et ne se montrent pas très favorables à la concurrence, bien
souvent au nom de la sécurité d'approvisionnement. Des entreprises comme ENI et E.ON ont
récemment échangé avec Gazprom des prises de participation dans des gisements gaziers en
Russie contre une prise de participation dans un réseau de distribution en Europe ou l'accès à
des technologies modernes129 (Paillard, 2007, p.8). Cette approche de partenariat avec le
monopole Gazprom ne peut toutefois suffire à garantir une sécurité d'approvisionnement.
Face au déficit gazier évoqué ci-dessus, les contrats à long terme peuvent d'ailleurs donner
une illusion de sécurité aux consommateurs.
D'aucuns en Europe voudraient que l'Union puisse parler d'une seule voix avec les
fournisseurs d'énergie, soit par le biais des instances politiques de l'Union ou d'un oligopole
d'acheteurs gaziers. Il y a une certaine logique à vouloir contrebalancer la dispersion des actifs
des entreprises gazières, imposée par la libéralisation, par l'instauration d'un pouvoir de
négociation européen. Pourtant, une telle approche serait inacceptable pour les États membres
d'une point de vue politique, et relativement peu justifiée d'un point de vue économique. Il ne
faut en effet pas oublier que les opérateurs gaziers ont le choix d'acheter leur gaz en Russie,
127
Gazprom notamment plaide pour une libéralisation du secteur, et avant tout pour une déréglementation des
prix sur le marché russe (Gazprom, 2007, p.71).
128
On relèvera notamment la prise de contrôle de Ruhrgas par E.ON en Allemagne en 2003, et le projet de
fusion GDF-Suez en France. On notera que dans le second cas, Suez a été prié de revendre au préalable certaines
de ses activités afin d'empêcher qu'il ne domine le nouveau groupe. L'État français devrait ainsi détenir 35% du
nouveau géant énergétique.
129
Gazprom pourrait également acquérir des parts de la nouvelle société GDF-Suez en échange de la
participation de Total à l'exploitation du gisement Chtokman, "Gaz de France : Gazprom impliqué dans le projet
de fusion avec Suez ?", Boursier.com, 18 juillet 2007. Gazprom a démenti l'information.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 45
En revanche, des formes de coordination plus légères pourraient s'avérer utiles. D'un côté, on
pourrait instaurer un dialogue permanent avec les pays exportateurs, à l'instar de ce que fait
l'Agence internationale de l'énergie pour le pétrole. De l'autre, l'Union prévoit de créer un
observatoire de l'énergie131 visant à créer une capacité européenne de collecte d'informations
sur les contrats gaziers et les projets d'investissement et ainsi à renforcer le pouvoir de
négociation des entreprises européennes du secteur.
The Parties give high priority to the neceesity of enhancing the investment climate,
without which the objective of ensuring a sustainable and reliable supply of energy will
be seriously threatened as demand continues to grow. (…) the Parties confirm the great
importance of attracting investments into exploration, production and transportation of
gas.132
Vladimir Poutine affiche une adhésion politiquement correcte et déclamatoire aux principes
du marché. Il a notamment déclaré en février 2007 à Munich que la Russie avait l'intention de
créer dans le secteur énergétique un marché uniforme soumis aux principes du marché et à la
transparence, et s'est félicité de l'ouverture du marché pétrolier, sur lequel 26% de l'extraction
serait faite avec des capitaux étrangers133. Il n'a d'ailleurs pas évoqué le secteur gazier, qui
reste considérablement plus fermé. En outre, une nouvelle loi sur les ressources du sous-sol en
cours d'adoption durcit sensiblement les conditions d'accès au marché pour les entreprises
étrangères134.
Si ouverture il y a, elle devra être réciproque. L'accès des entreprises européennes au secteur
gazier russe en amont ne pourra se faire sans que la Russie ne s'implante davantage sur les
marchés européens, comme le souhaitent le Kremlin et Gazprom. L'adhésion imminente de la
Russie à l'Organisation mondiale du commerce ne permettra pas une ouverture de ce secteur,
étant donné que l'énergie n'est actuellement pas couverte par l'OMC. Cependant, les
négociations en cours depuis 2000 au sein de l'Organisation concernent notamment le secteur
de l'énergie, et l'on pourrait dès lors espérer à moyen ou à long terme un déblocage de la
situation par cette voie. De manière plus générale, l'OMC constituera un cadre juridique de
130
Pour autant que les réseaux nationaux soient véritablement interconnectés, afin de donner de véritables choix
aux pays d'Europe centrale.
131
Initialement appelé "observatoire européen de l'approvisionnement énergétique" dans le Livre vert Une
stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable de mars 2006, cette structure qui reste à créer
au sein de la DG Transports et énergie de la Commission porte désormais le nom d'"observatoire de l'énergie".
132
Seventh Progress Report on the EU-Russia Energy Dialogue, op. cit., p.3
133
Discours et réponse aux questions à la conférence de Munich sur la politique de sécurité, 10 février 2007
134
En effet, seules les entités russes (entreprises russes ou joint-ventures détenues à 51% par du capital russe)
pourraient participer aux appels d'offre des licences de production. Voir Locatelli, "La Douma apporte des
restrictions importantes à l'accès aux hydrocarbures pour les investisseurs étrangers", easybourse.com, 26 avril
2007.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 46
règlement des différends commerciaux, tels que l'embargo russe sur la viande polonaise, et
devrait mettre un terme aux mesures unilatérales de rétorsion.
Aujourd'hui, l'ouverture des marchés apparaît toutefois fort improbable, étant donné les
réticences de part et d'autre. Du côté européen, le troisième paquet législatif pour la
libéralisation du marché du gaz, présenté par la Commission en septembre 2007, prévoit des
mesures de sauvegarde135 protégeant le marché européen contre les sociétés originaires de
pays tiers. Celles-ci devraient être soumises aux mêmes exigences que les sociétés de l'UE en
matière de découplage de la propriété, ce qui aura pour effet d'empêcher Gazprom par
exemple d'acquérir une participation majoritaire ou même significative dans les réseaux de
distribution européens de gaz. De plus, il est prévu qu'en matière de systèmes de transmission,
toute acquisition par une société extracommunautaire devra être préalablement autorisée par
un accord entre l'UE et le pays tiers concerné, ce qui politisera immanquablement la question.
Du côté russe, on évoque parfois la création d'un "OPEP du gaz". Certains, comme Tomberg,
voient d'ailleurs dans la vague alliance entre la Russie, l'Algérie, l'Iran et les pays d'Asie
centrale un embryon d'organisation des pays exportateurs de gaz, où la Russie assumerait le
rôle de leader et de producteur d'apoint (Tomberg, 2006, p.85-6). L'Iran prône haut et fort la
création d'une telle organisation, mais exporte très peu de gaz. Quant à Vladimir Poutine, il
affirme que la Russie n'a pas l'intention de créer un cartel du gaz, mais un groupe de
coordination des activités visant à assurer la sécurité d'approvisionnement aux grands
consommateurs mondiaux d'énergie136. Quoi qu'il en soit, la perspective d'une entente
mondiale des exportateurs de gaz paraît plutôt improbable. Tout d'abord, une grande majorité
du gaz naturel reste soumise à des contrats à long terme, avec des prix généralement alignés
sur ceux du pétrole. Ensuite, tant que les prix des hydrocarbures restent élevés, la création
d'un tel cartel présente peu d'intérêt pour les pays exportateurs. Enfin, il n'existe actuellement
pas de véritable marché mondial du gaz, mais plutôt trois marchés régionaux: le marché
européen, fourni surtout par la mer du Nord et la Russie; le marché asiatique, qui
s'approvisionne auprès de la Malaise, de l'Indonésie et de l'Australie; et le marché américain,
qui puisse principalement ses ressources au Canada et à Trinidad-et-Tobago.
Cependant, le Qatar, numéro un mondial du gaz naturel liquéfié, fournit déjà l'Europe, les
États-Unis et l'Asie. Cette nouvelle technologie pourrait bien changer la donne, d'autant que le
marché du GNL devrait doubler de 2004 à 2010 (AIE, 2007, p.17). On assisterait ainsi à la
lente émergence d'un marché mondial, sur lequel les prix seraient découplés de ceux du
pétrole et déterminés par les marchés spot à court terme. Le Qatar ambitionne d'ailleurs de
concurrencer sérieusement la Russie et les autres fournisseurs sur le marché européen d'ici à
2015137 (Paillard, 2007, p.20). C'est peut-être par ce biais que pourrait s'ouvrir indirectement
le marché russe.
135
Proposal for a Directive of the European Parliament and of the Council amending Directive 2003/55/EC of
the European Parliament and of the Council of 26 June 2003 concerning common rules for the internal market
in natural gas, COM (2007) DRAFT, 19 septembre 2007, p. 7
136
"A gas OPEC", Economist Intelligence Unit, 5 février 2007
137
Le Qatar est d'ailleurs vivement opposé à la création d'un cartel des pays exportateurs de gaz.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 47
Cette politique, aussi impressionnante soit-elle sur le papier, est toutefois soumise à de
lourdes contraintes sur le terrain: la production demande de gros investissements, les
infrastructures d'exportation sont entièrement tournées vers l'Europe, la Russie est plus
consommatrice qu'exportatrice d'hydrocarbures, et sa politique extérieure énergétique est mal
coordonnée (Allison, 2006, p.33). Cette politique est en outre soumise à d'importantes
contraintes internes. En effet, les hydrocarbures, comme d'autres secteurs de l'économie russe,
sont pris dans les luttes d'influence, les siloviki tentant de convertir leur pouvoir politique en
biens économiques et financiers140 (Guillet, 2007, p.23).
Pour l'UE, la mise en place d'une politique extérieure de l'énergie constitue un élément
novateur. Le traité instituant la Communauté européenne n'attribue pas à l'Union de
compétence directe en matière de politique énergétique, exception faite d'Euratom, et la
gestion de l'approvisionnement en gaz et en pétrole est toujours restée une prérogative
nationale. Cependant, face aux évolutions récentes, les États membres ont pris conscience de
la nécessité de "parler d'une seule voix" au sujet de certaines questions de politique
énergétique extérieure141.
138
Vladimir Poutine lui-même n'utilise pas cette formule très largement répandue, bien qu'il n'en réfute pas la
substance. Voir Transcript of Meeting with Participants in the Third Meeting of the Valdai Discussion Club, 9
septembre 2006.
139
Ce que l'on appelle parfois "pipeline diplomacy".
140
La lutte serait particulièrement âpre à l'approche des élections présidentielles de 2008.
141
Notons toutefois, comme l'a réaffirmé le Conseil européen des 8 et 9 mars 2007, que chaque État membre
conserve le droit de déterminer librement son bouquet énergétique. Conclusions de la présidence, p.23.
142
Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen "Une politique de l'énergie pour
l'Europe", COM(2007) 1 final, 10 janvier 2007, pp.27-9
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 48
Cette région, qui borde la Russie sur son flanc Sud (de l'Asie centrale au Caucase du Sud en
passant par la Caspienne) semble être le théâtre d'un duel géopolitique et diplomatique à
fleurets mouchetés entre l'UE et la Russie. Moscou est depuis longtemps très présent dans ces
pays qui appartiennent à son "étranger proche". Les entreprises énergétiques russes ont
beaucoup investi dans la production et le transport d'hydrocarbures en Asie centrale. En mai
2007, la Russie a obtenu du Turkménistan et du Kazakhstan un accord sur la construction d'un
nouveau gazoduc passant au nord de la Caspienne qui acheminera le gaz d'Asie centrale via la
Russie144. Un mois plus tard, Gazprom a annoncé qu'il entendait construire avec le groupe
italien ENI un nouveau gazoduc, appelé "South Stream", reliant la Russie à la Bulgarie sous
la mer Noire.
L'UE entend bien s'engager elle aussi dans la région. Elle a lancé en 2004 l'"initiative de
Bakou", dialogue énergétique associant l'UE, les pays de la mer Noire, de la Caspienne et
leurs voisins. Il existe de nombreux projets de gazoducs et d'oléoducs visant à créer un
corridor Sud, reliant la Caspienne à l'UE sans passer par la Russie. La construction du
gazoduc Nabucco145 devrait commencer en 2009, le connecteur Turquie-Grèce devrait être
opérationnel à l'automne 2007, et la construction du connecteur Grèce-Italie devrait débuter
en 2008146. Plus en amont, le gazoduc du Caucase Sud147, construit parallèlement à un
oléoduc, est entré en fonction en décembre 2006148, reliant ainsi la Caspienne à la
Méditerranée. Cependant, en raison d'une augmentation des prix du gaz russe vendu à
l'Azerbaïdjan, les premières livraisons de gaz vers la Turquie n'ont débuté qu'à l'été 2007149.
La construction d'un gazoduc transcaspien150 est souvent évoquée, bien que le projet ne soit
actuellement pas formalisé. Preuve de la volonté de Bruxelles de s'engager dans cette région,
143
Le traité instituant la communauté de l'énergie, signé le 25 octobre 2005, vise à créer un vaste marché
énergétique rassemblant l'UE et ses voisins des Sud-est. Cette initiative s'inscrit dans le cadre du "processus
d'Athènes", lancé en 2002, dont l'objectif est de resserrer les liens entre l'UE et les Balkans occidentaux, en
promouvant un rapprochement dans le secteur de l'électricité et du gaz.
144
"Russia clinches gas pipeline deal", BBC News, 12 mai 2007
145
Reliant la Turquie à l'Autriche via la Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie. Il devrait être opérationnel en
2012.
146
Entrée en service prévue en 2011.
147
Également appelé BTE (Bakou-Tbilissi-Erzurum), il relie les gisements gaziers azéris à la frontière turque en
passant par la Géorgie.
148
"Azerbaijan’s Shah Deniz Field On Stream", Oilvoice.com, 15 décembre 2006
149
"Too energetic a friendship", The Economist, 25 août 2007
150
Reliant le port turkmène de Türkmenbasy à Bakou en passant sous la mer Caspienne. Il permettrait
d'acheminer le gaz d'Asie centrale vers l'UE sans passer par la Russie.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 49
le Conseil européen de juin 2007 a adopté une stratégie pour l'Asie centrale, dans laquelle les
hydrocarbures constituent indéniablement une priorité151.
On le voit, dans cet espace géographique, Bruxelles et Moscou ont des intérêts très divergents
et mènent des politiques concurrentes. Cependant, tant du côté russe que du côté européen, la
politique énergétique extérieure est grevée par de lourdes contraintes internes et externes. Du
côté des contraintes internes, on notera les divisions entre différentes factions russes, ainsi que
les intérêts conflictuels entre États membres de l'Union européenne. Les projets de gazoduc
"North Stream" et "South Stream", soutenus respectivement par l'Allemagne et l'Italie,
semblent contrecarrer la politique de diversification des sources d'approvisionnement en gaz
naturel menée par les Vingt-sept. Pour ce qui est des contraintes externes, on remarquera
surtout la lourdeur des investissements à consentir pour diversifier les voies de transport, ainsi
que les aléas de la politique internationale. Ainsi, s'il y a quelques années, on prévoyait de
relier le Turkménistan à la Turquie en passant par l'Iran, au Sud de la Caspienne, une telle
option paraît aujourd'hui impossible, d'où le projet, bien plus coûteux, de gazoduc passant
sous la mer Caspienne.
Le gaz semble être à la fois un élément moteur et un élément révélateur des relations UE-
Russie. D'un côté, il force les parties à entretenir une relation étroite parfois inconfortable, à
collaborer et à maintenir le dialogue, et peut ainsi favoriser l'émergence de politiques
destinées à coopérer ou au contraire à se placer dans une relation de concurrence. De l'autre, il
révèle de manière très symptomatique l'interdépendance et l'absence de confiance qui
caractérise la relation.
151
"The EU will support the exploration of new oil, gas and hydro-power resources and the upgrading of the
existing energy infrastructure. To enhance EU security of energy supply, the EU will also support the
development of additional pipeline routes and energy transportation networks. It will also contribute to regional
energy security and cooperation, and widen export markets for Central Asian producers." The EU and Central
Asia: Strategy for a New Partnership, COREPER, 31 mai 2007.
152
Speech at an enlarged meeting of the Russian Union of Industrialists and Entrepreneurs dedicated to
streamlining relations between Russia and the European Union, Moscou, 6 juillet 2007
153
Notamment le rapport "The economics of climate change" présenté en octobre 2006 par Nicholas Stern et le
4e rapport d'évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), publié en
janvier 2007.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 50
Dans le "World Energy Outlook 2006", l'Agence internationale de l'énergie se livre à des
projections pour la période allant jusque 2030. Si les politiques actuelles restent inchangées,
dans ce qu'elle appelle le "scénario de référence", la demande mondiale en énergie devrait
augmenter de plus de 50% d'ici à 2030, et les émissions de gaz à effet de serre devraient
croître de 55% (AIE, 2006b, p.1 et 5). En revanche, si d'ambitieuses politiques, telles que
celle de l'UE, sont mises en place, dans ce que l'AIE appelle le "scénario de politiques
alternatives", la demande en énergie augmente "seulement" de 37%, principalement dans les
pays en développement, et les importations des pays de l'OCDE en énergie diminueraient
après 2015 (AIE, 2006b, p.6).
Les relations UE-Russie sont également concernées: un dialogue environnemental est lancé
en octobre 2006. Bruxelles attache désormais une importance toute particulière à ce domaine
de coopération, qui est étroitement lié à celui de l'énergie. Aussi l'Union européenne adopte-t-
elle une nouvelle politique globale qui place les changements climatiques au centre de la
politique énergétique154.
Partant du constat que les politiques actuelles ne sont pas durables, l'Union européenne
identifie trois défis à relever en matière d'énergie. Le premier est celui de la durabilité.
L'énergie représente en effet 80% des émissions de gaz à effet de serre dans l'UE, et en l'état
actuel des politiques, le volume total d'émission de ces gaz devrait augmenter de 5% d'ici à
2030. Le deuxième défi est celui de la sécurité d'approvisionnement: selon les prévisions, la
dépendance aux importations passera de la moitié à près de deux tiers155 en 2030, et la
demande en électricité devrait continuer d'augmenter de 1,5% par an. Le troisième défi est
celui de la compétitivité, l'Europe étant très vulnérable aux prix de l'énergie et nécessitant
d'importants investissements.
Pour apporter une solution globale à ces trois défis, l'UE entend mener une "nouvelle
révolution industrielle", et se fixe toute une série d'objectifs pour l'horizon 2020: réduire les
émissions de gaz à effet de serre de 20%; économiser 20% d'énergie grâce à l'efficacité
énergétique; porter la part des énergies renouvelables à 20% du bouquet énergétique de l'UE;
porter la part des biocarburants à 10% dans les transports. En outre, elle veut stimuler la
recherche dans les technologies énergétiques, notamment le piégeage et le stockage de CO2;
améliorer la compétitivité sur le marché européen de l'énergie, notamment en renforçant son
intégration et les interconnexions156. Elle prévoit enfin de promouvoir la solidarité
énergétique au sein de l'UE, notamment en cas de crise énergétique, et veut "parler d'une
même voix" afin de promouvoir ces objectifs dans les relations internationales.
Il s'agit là d'une politique très ambitieuse, dont la mise en application dépendra fort de la
volonté politique des dirigeants européens, ainsi que d'autres facteurs157. L'objectif de
réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20% d'ici à 2020, et de 30% si les autres
154
Livre vert "Une stratégie européenne pour une énergie sûre, compétitive et durable", COM(2006) 105 final,
mars 2006; Communication "Une politique de l'énergie pour l'Europe", COM(2007) 1 final, janvier 2007; Plan
d'action du Conseil européen (2007-2009) Une politique énergétique pour l'Europe, mars 2007.
155
Pour le gaz et le pétrole, la dépendance aux importations devrait s'élever respectivement à 84% et 93%.
156
L'objectif est de porter à 10% les capacités d'interconnexion entre les marchés nationaux pour ce qui est de
l'électricité et du gaz, Plan d'action du Conseil européen (2007-2009) Une politique énergétique pour l'Europe,
mars 2007, p.18.
157
L'expansion des biocarburants par exemple pourrait être limitée par la demande alimentaire grandissante à
l'échelle mondiale.
TROISIÈME PARTIE: l'enjeu gazier dans les relations UE-Russie 51
pays développés s'associent à l'effort, est formulé de manière vague158 et pourrait bien ne
jamais être atteint. En revanche, les objectifs en matière d'énergies renouvelables et de
biocarburants adoptés par le Conseil sont contraignants159. Une fois qu'ils auront été fixés
pays par pays (ce qui pourrait d'ailleurs donner lieu à de difficiles négociations), ils auront
force de loi et les États qui ne les respectent pas pourront se voir imposer des amendes
(Blakey, 2007, pp.2-3).
Il existe des synergies entre la lutte contre les changements climatiques et la sécurité
d'approvisionnement. L'efficacité énergétique constitue un excellent exemple de domaine
dans lequel tant la Russie que l'Union européenne ont tout intérêt à être actives. En outre, on a
suggéré, afin de lutter contre les changements climatiques, d'œuvrer à découpler la croissance
économique de la consommation en énergie160, ce qui aurait également des effets très positifs
pour la sécurité d'approvisionnement. Enfin, la mise en place de mécanismes du protocole de
Kyoto en Russie, où le potentiel de réduction des émissions de gaz à effet de serre est
considérable, serait bénéfique tant pour Moscou, qui en retirerait une source de revenus, que
pour Bruxelles, qui pourrait atteindre ses objectifs de réduction d'émissions en finançant de
tels projets (AIE, 2007, p.63). L'UE prévoit d'ailleurs d'ouvrir le système communautaire
d'échange de quotas d'émission aux pays tiers, dont la Russie, afin d'en faire un marché
mondial du dioxyde de carbone161.
Dans les deux scénarios qu'elle envisage pour l'horizon 2030, l'Agence internationale de
l'énergie prévoit que les combustibles fossiles restent la principale source d'énergie dans le
monde et que la part du gaz naturel augmente légèrement (AIE, 2006b, p.2). En dépit de
l'essor des énergies renouvelables et des biocarburants imposé par le Conseil, le gaz restera
vraisemblablement avec les autres énergies fossiles (pétrole et charbon) une composante
essentielle du bouquet énergétique de l'Union européenne dans les années à venir.
158
On ne sait si la réduction de 20% doit se calculer à partir des niveaux actuels, des niveaux projetés pour 2020,
ou d'une année de référence dans le passé, comme 1990 dans le cas du protocole de Kyoto.
159
Plan d'action du Conseil européen (2007-2009) Une politique énergétique pour l'Europe, mars 2007, p.21.
160
De 1971 à 2002, chaque point-pourcent de croissance du PIB mondial calculé aux parités du pouvoir d'achat a
été accompagné d'une croissance de la demande en énergie de 0,6% (Shafranik, 2006, p.50).
161
Communication de la Commission européenne "Création d’un marché mondial du carbone", COM(2006)
676, 13 novembre 2006.
CONCLUSION 52
Conclusion
La fin de la guerre froide a permis, outre de nombreux bouleversements, une libéralisation des
échanges sans précédent. Dans l'euphorie du moment, l'Europe a cru que la Russie allait
suivre son modèle, mais il n'en a finalement pas été ainsi. Aujourd'hui, il s'avère que la
Fédération de Russie, État-nation traditionnel, au pouvoir centralisé et hautement
personnalisé, avec ses institutions faibles et sa démocratie dirigée, est bien loin de l'Union
européenne, structure postmoderne, aux institutions fortes et au pouvoir décentralisé, très
attachée à ses valeurs. En matière de relations internationales, Bruxelles mène une politique
libérale axée sur la puissance douce tandis que Moscou préfère une approche réaliste basée
sur son pouvoir coercitif.
De part et d'autre, la méconnaissance est grande, les perceptions mutuelles sont loin de la
réalité et fortement ancrées dans le passé. L'adhésion à l'Union européenne de pays ayant été
soumis pendant quarante ans à la tutelle soviétique a encore renforcé ces perceptions
caricaturales, faites de peurs et d'idées reçues, généralement entretenues par les médias. Pour
autant, en dépit des tensions, la Russie et l'Occident ne connaissent pas une "nouvelle guerre
froide", comme l'ont affirmé certains.
Pour ce faire, il importe que l'Union européenne et la Russie traitent d'égal à égal. L'UE devra
renoncer à procéder comme elle l'a fait jusqu'à présent avec beaucoup de succès vis-à-vis de
ses voisins, c'est-à-dire en exportant ses principes et sa législation. Face à la Russie, membre
permanent du Conseil de sécurité de l'ONU, une nouvelle approche devra être inventée. Alors
que la Russie craint de perdre son identité et défend âprement sa souveraineté, il semble
contre-productif de vouloir lui faire partager toutes les valeurs européennes. Certaines,
comme l'abolition de la peine capitale, ne sont d'ailleurs pas partagées par les États-Unis,
traditionnels alliés de l'Europe.
Les Européens ne doivent pas pour autant renoncer aux valeurs inhérentes à leur identité; ils
peuvent les promouvoir dans des cadres plus larges. En matière de libéralisation des échanges
et de sécurité juridique des investissements par exemple, la Russie semble plus disposée à
accepter les règles de l'Organisation mondiale du commerce que celles de l'UE. Cela tient
sans doute notamment au fait que l'OMC compte parmi ses membres des grandes puissances
telles que les États-Unis et la Chine, qui raisonnent davantage comme la Russie, en termes
réalistes.
Les ventes de gaz russe à l'Europe ne sont pas sans spécificités. L'"or bleu" est généralement
vendu à des prix alignés sur ceux du pétrole brut, dans le cadre de contrats à long terme
assortis d'une clause "take or pay" et jusqu'il y a peu d'une clause de destination finale. Il est
CONCLUSION 53
transporté sur des milliers de kilomètres, généralement depuis la Sibérie occidentale, par
gazoducs, si bien que les coûts de transport sont plus élevés que les coûts de production. Pour
ces raisons, le mode de fonctionnement du marché est axé sur le long terme et les
investissements à consentir sont colossaux.
La dimension gazière occupe tant pour Bruxelles que Moscou une place de premier ordre. En
effet, l'UE voit augmenter la dépendance de son économie au gaz, notamment pour la
production d'électricité. De plus, les réserves de la mer du Nord étant sur le déclin, sa
dépendance aux importations de gaz naturel, notamment de la Russie, est appelée à croître.
Quant à la Russie, son économie, tout en étant très gourmande en gaz, est extrêmement
dépendante des exportations de ce combustible vers l'Europe pour assurer les recettes de
l'État, la croissance économique et le bien-être de ses citoyens. L'Union européenne et la
Russie accordent dès lors une extrême importance à la "sécurité énergétique", et mènent des
politiques divergentes destinées à assurer la sécurité de l'approvisionnement en gaz pour l'une
et la sécurité des rentrées financières pour l'autre, sans toutefois y parvenir tout à fait.
Dans les années 1990, les pays européens tentent d'abord de garantir leurs importations
d'hydrocarbures par le biais du très ambitieux traité de la charte de l'énergie, sans beaucoup de
succès. À l'aube du nouveau millénaire, l'Union européenne se lance ensuite dans la création
d'un marché unique du gaz libéralisé. Contrairement aux prévisions, la libéralisation profite
avant tout aux opérateurs historiques verticalement intégrés, et ne parvient pas à décloisonner
les marchés nationaux. Actuellement, faute de grands investissements d'infrastructure et d'une
diversification des sources et des voies d'approvisionnement, la sécurité énergétique ne
semble pas assurée. Comme le montre le débat en cours sur le découplage de la propriété, les
réformes avancées par la Commission européenne font face à une vive opposition des
entreprises dominantes et de certains États membres. Pourtant, la sécurité de
l'approvisionnement passe par un marché intérieur du gaz ouvert, concurrentiel, fluide et bien
interconnecté.
Le clivage entre monopoles et concurrence est toutefois plus complexe qu'une simple
opposition entre Russie et Union européenne. En effet, certains grands opérateurs européens
s'allient à Gazprom. Pourtant, la sécurité énergétique profiterait beaucoup d'une ouverture
réciproque et inconditionnelle des marchés russes et européens, si un sentiment d'insécurité et
de méfiance ne rendait pas très improbable la mise en œuvre de telles réformes. Pour l'heure,
l'UE envisage des mesures de sauvegarde afin de protéger son marché. En Russie, on évoque
la création d'une OPEP du gaz, qui demeurera une perspective éloignée tant que les prix du
gaz resteront élevés et alignés sur ceux du pétrole. Cependant, le marché gazier pourrait
devenir nettement plus concurrentiel dans les années à venir, notamment grâce au
développement du gaz naturel liquéfié.
CONCLUSION 54
Depuis quelques années, la sécurité énergétique est devenue un thème majeur des relations
UE-Russie. Cette importance a culminé lors des crises ukrainienne et biélorusse de janvier
2006 et 2007 qui ont suscité de graves craintes en Europe. La Russie, à laquelle on prête
volontiers des intentions malveillantes, disposerait avec l'"arme du gaz" d'un pouvoir libéré de
toute contrainte, utilisé à des fins politiques. Le tableau alarmiste est complété par la présence
croissante du géant gazier russe sur les marchés européens.
Mues par cette volonté de diversification, la Russie cherche à exporter ses hydrocarbures vers
l'Asie-Pacifique, et l'Union européenne voudrait ouvrir un quatrième corridor
d'approvisionnement en gaz naturel permettant d'accéder aux ressources de la mer Caspienne
et d'Asie centrale en contournant la Russie. Dans cette politique de diversification, deux
éléments seront essentiels. Il s'agit d'abord du gaz naturel liquéfié, seul mode de transport
apportant une véritable flexibilité. L'Europe prévoit de construire de nombreux terminaux sur
ses côtes et Gazprom cherche à pouvoir développer ou accéder à cette technologie. À terme,
CONCLUSION 55
le GNL pourrait contribuer à un découplage des prix du gaz par rapport à ceux du pétrole. Le
second élément majeur est l'Asie centrale, où la Russie reste très présente. L'UE voudrait
pouvoir y accéder en s'appuyant sur ses alliés à Bakou et à Tbilissi notamment.
La nécessité de lutter contre les changements climatiques vient ajouter un nouvel aspect à la
dimension gazière. L'UE entend désormais mener une "nouvelle révolution industrielle"
appuyée par une ambitieuse politique à l'horizon 2020. Dans ce contexte se dégagent des
synergies entre sécurité d'approvisionnement et lutte contre les changements climatiques. En
dépit du renforcement de l'efficacité énergétique et de l'essor des énergies renouvelables, le
gaz devrait rester une composante essentielle du bouquet énergétique dans les années à venir,
étant donné qu'il est comparativement le plus avantageux des combustibles fossiles. Il se
pourrait toutefois qu'il soit à moyen terme concurrencé par le nucléaire pour la production
d'électricité, ce qui ne serait pas sans implications sur la relation entre Bruxelles et Moscou.
Pour l'heure, cette relation est caractérisée par une communauté d'intérêts et une absence de
confiance. On pourrait y voir un parallèle avec la relation franco-allemande au lendemain de
la seconde guerre mondiale. Si la construction européenne a permis un rapprochement
spectaculaire entre Paris et Bonn, cette dynamique des petits pas sur des questions concrètes
semble ne pas fonctionner entre Bruxelles et Moscou. Cela tient peut-être à l'éloignement des
perceptions, des modes de fonctionnement et des valeurs. On est ainsi tenté de constater qu'en
dépit de sa place centrale, la dimension gazière et l'interdépendance qui la caractérise ne sont
pas à même d'influencer le reste des relations entre l'Union européenne et la Russie. Il semble
plutôt que la dimension gazière soit simplement fonction de l'ensemble des relations entre
Bruxelles et Moscou.
ANNEXES 56
Sources
Bibliographie
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POUTINE Vladimir, "M#%&)("+%7-2@)+&1@& )&2*)2@ 1 24)(4&=## )('1#4#9 )722#A2B7A
ANNEXES 58
Discours et séminaires
LAVROV Sergueï, ministre russe des affaires étrangères, Speech at an enlarged meeting of the
Russian Union of Industrialists and Entrepreneurs dedicated to streamlining relations
between Russia and the European Union, Moscou, 6 juillet 2007162
POUTINE Vladimir, Transcript of Meeting with Participants in the Third Meeting of the Valdai
Discussion Club, 9 septembre 2006163
POUTINE Vladimir, Discours et réponse aux questions à la conférence de Munich sur la
politique de sécurité, 10 février 2007
POUTINE Vladimir, Discours annuel à l'Assemblée fédérale, Moscou, le 26 avril 2007
POUTINE Vladimir, BARROSO José Manuel, MERKEL Angela, Déclaration à la presse et
questions-réponses lors de la conférence de presse conjointe à l'issue du sommet UE-
Russie, Samara, 18 mai 2007
BLAKEY Simon, Problématiques géostratégiques du secteur gazier, Séminaire "Pour un
marché intérieur du gaz performant", Parlement européen, 6 juin 2007
BECK Michael, Organisation du système énergétique américain: quelles leçons pour
l'Europe?, Séminaire "Pour un marché intérieur du gaz performant", Parlement
européen, 6 juin 2007
162
<http://www.mid.ru/brp_4.nsf/e78a48070f128a7b43256999005bcbb3/fbf8e881958194a5c32573130044eff2?
OpenDocument>
163
Les discours de Vladimir Poutine sont accessibles sur le site du Kremlin à l'adresse
http://www.kremlin.ru/eng/sdocs/speeches.shtml
ANNEXES 59
Documents officiels
Relations UE-Russie
Partnership and Cooperation Agreement between the European Union and the Russian
Federation, 24 juin 1994164
The Road Maps (Road Map for the Common Economic Space; Road Map for the Common
Space of Freedom, Security and Justice; Road Map for the Common Space of External
Security; Road Map for the Common Space of Research and Education, Including
Cultural Aspects), 10 mai 2005165
EU-Russia Energy dialogue, Seventh Progress Report, présenté par Victor Khristenko,
ministre russe de l'industrie et de l'énergie, et Andris Piebalgs, commissaire européen à
l'énergie, Moscou/Bruxelles, novembre 2006
Charte de l'énergie
Traité sur la charte de l'énergie et protocole de la charte de l'énergie sur l'efficacité
énergétique et les aspects environnementaux connexes, signé 17 décembre 1994, entré
en vigueur le 16 avril 1998166
Final Act of the Energy Charter Conference with respect to the Energy Charter Protocol on
Transit, 31 octobre 2003167
164
<http://ec.europa.eu/comm/external_relations/ceeca/pca/pca_russia.pdf>
165
<http://ec.europa.eu/comm/external_relations/russia/summit_05_05/finalroadmaps.pdf>
166
< http://www.encharter.org/index.php?id=178>
167
< http://www.encharter.org/index.php?id=37>
168
Documents disponibles sur le site EUR-Lex http://eur-lex.europa.eu/fr/index.htm
ANNEXES 60
Experts rencontrés
Commission européenne, DG Relations extérieures
M. Jakub BORATYNSKI, administrateur à l'unité "Russie"
Commission européenne, DG Énergie et transports
Mme Nina COMMEAU-YANNOUSSIS, chef d'unité "Politique de l'énergie et sécurité
d'approvisionnement"
Conseil de l'Union européenne
M. David JOHNS, responsable de la Russie à l'unité "Europe de l'Est/Asie centrale"