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La Note du Lundi -- No.

5 du 5 avril 2010

Dans ces Notes du Lundi, je vous emmène dans les coulisses du capital risque de
la Silicon Valley. Aujourd'hui : iPad et prix.
Bonne lecture,

Jean-Louis Gassée

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iPad et prix

Mon pays d’adoption est bizarre, la religion se mêle à la vie civile d’une
façon qui surprend les Français. Les magasins sont ouverts le dimanche,
quelle horreur, imaginez la Grande Épicerie du Bon Marché disponible le
jour du sabbat. Ici, à Palo Alto, Pâques est le seul jour de fermeture dans
l’année pour Fry’s, le Ministère de la Défonce technoïde, la chaîne de
boutiques où vous pouvez acheter l’éventail complet des produits high-
tech, depuis le condensateur, la résistance et le disque dur jusqu’au PC,
téléviseur ou console de jeux. Même chose pour les boutiques Apple.
Bref, un weekend abrégé pour le lancement de l’iPad, la tablette
multimédia/Internet d’Apple. Un des haruspices habituels, Gene Munster,
anal-iste chez Piper Jaffray, prédit 600.000 à 700.000 iPads vendus en un
seul jour. Si le chiffre se confirmait, ce serait un succès historique. Pensons
en effet que les ventes du premier weekend pour l’iPhone se chiffrèrent à
environ 200.000.
Lancement réussi, semble-t-il, mais qui ne répond pas à un grand nombre
de questions.
Pour quoi faire est la plus intéressante de toutes. Apple ne fait pas mystère
de sa perplexité, de sa difficulté à définir une catégorie dite du troisième
objet : l’ordinateur personnel, le téléphone intelligent, smartphone, et
maintenant, et peut-être la tablette magique.
Une autre question, connexe, est celle de la lecture, que je vais restreindre
ici à celle des quotidiens et magazines. Le livre électronique, e-reader,
d’Amazon a suffisamment démontré que le livre électronique est viable.
Mais quid de la lecture de notre quotidien préféré, de notre magazine favori
sur l’iPad. Ou, nous rapprochant du coeur du problème, quid de la viabilité,
du modèle économique, de la pompe à euros sur la version iPad du Monde
ou du Nouvel Obs, par exemple ?
Ce dernier magazine, il y a quelques semaines, présentait Steve Jobs
comme un sauveur possible de la presse, comme l’homme, pour
l’entreprise, Apple, et l’objet, l’iPad, qui pourrait ‘’rebooter’’, relancer le
modèle économique, le faire passer du papier flaccide au Web turgescent.
La théorie est connue : vous diffusez une application gratuite pour attirer le
chaland, sommaire, offres ‘’spéciales’’... Si je suis intéressé, clic, j’achète le
numéro, facturé sur mon compte iTunes. 30% au Grand Timonier, 70% à
l’éditeur, ce qui est beaucoup plus que ce qui reste après la filière carbone,
l’imprimerie et ses tracas, et la distribution, avec sa course d’obstacles.
Nous en sommes loin.
Il y a la difficulté à faire mieux qu’une tiède remise en forme du produit
papier ou Web, à tirer partie des caractéristiques d’une tablette qui est
autre chose qu’un PC sans clavier. Difficulté compréhensible, le medium est
nouveau, le secret a été bien, trop bien disent certains, gardé avant le
lancement commercial du 3 avril.
Il y a aussi la volonté de certains à s’accrocher à l’abonnement plutôt qu’à
la vente au numéro. Vieille habitude : comme çà, on tient le client. Au lieu
de s’efforcer de la charmer chaque semaine ou chaque jour. Quand je suis à
Paris, en face de mon kiosque à journaux favori, je vois une corne
d’abondance ; quand je demande un magazine, le kiosquier n’exige pas un
abonnement. Pourquoi faire autrement dans cet autre eldorado qu’est le
Web ? N’est-il pas plus profitable de vendre aussi au numéro, un peu plus
cher, mettant le client à l’aise et, en fin de compte, engrangeant de
meilleures recettes ?
Enfin, surtout pour un investisseur intéressé par les modèles économiques,
il y a la question du prix : pourquoi payer pour lire sur iPad ce que je peux
lire gratuitement sur le Web ?
Difficile question. Pour laquelle la réponse non moins évidente est que nous
ne payons pas pour ce que nous croyons être le produit, le ‘’contenu’’
disons-nous en matière de média. Nous ne payons pas pour l’information
mais pour le service de distribution, pour la mise à disposition, pour la
qualité, la saveur, la commodité, le charme, ou non, du service.
Prenons quelques exemples.
Au restaurant, je ne paye pas les calories, portant indispensables au
maintien vital de ma température centrale, mais pour la façon dont elles
sont livrées. Et le même sandwich jambon-beurre-émenthal avec une
‘’pression’’, à ingrédients identiques, coûtera du simple au double selon le
chic du café. Je peux trouver Bach et Nougaro gratuitement sur le Web,
mais la commodité, le confort ergonomique (et moral) du service iTunes
expliquent sa prospérité face au ‘’gratuit’’. Un artichaut à Saint-Pol-de-Léon
est payé 0,1€ à l’agriculteur et vendu 1€ à Paris. Parce que ce qui pèse le
plus dans le vécu du client est la mise à disposition sur l’éventaire du
marché bio.
Revenant au ‘’contenu’’, au quotidien ou au magazine, pensons à une plus
grande facilité de lecture, de navigation, voire de référencement ou de
partage, de meilleures illustrations, l’inclusion d’interviews. Toutes ces
améliorations par rapport à une simple reproduction d’une version papier
ou Web ‘’classique’’ représentent un meilleure mise à disposition et, donc,
la possibilité d’un meilleur prix - comme pour le sandwich. Sans parler d’un
support publicitaire plus prisé pour l’annonceur.

[Pour l’iPad lui-même, ma ‘’deuxième impression’’ dans deux semaines.]

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