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M2 PDAPS
IEP BORDEAUX > Avril 2010
1. Introduction
Des le début, l'objectif de ce Forum était de mener des réflexions qui puissent
aboutir à des mesures concrètes sur des questions telles que la cybersécurité,
cybercriminalité, l'accès universel, les usages pour les domaines de l'éducation
et la recherche, la montée en puissance du cybercommerce, et les questions
relatives à la liberté d'expression et la multiculturalité de la société numérique.
En plus, il semble pertinent de remarquer un autre angle mort de la question:
le caractère "occidentralocentrique" de l'Internet, qui qui a été crée et s'est
répandu dès les Etats Unis et par le biais des successives vagues de transfert
1 Voir LE FLOCH, Guillaume (2005) "Le sommet mondial de Tunis sur la société de l'information", en Annuaire
français de droit international, volume 51, pp. 464-486.
des technologies vers l'Europe d'abord et puis vers les autres pays. Donc on
peut pas négliger le parallelisme entre l'essor de la mondalisation néolibérale
et l'essor de l'Internet comme vecteur d'expansion du capitalisme et des
représentations des cultures occidentales2. D'abord, du point de vue des
infrastructures, n'oublions pas qu'une large majorité des serveurs (donc des
structures centralisatrices de l'information) se trouvent soir aux Etats Unis soit
en Europe occidentale. Et on doit tenir compte du rôle qu'y joue l'Internet
comme un média qui possède la capacité "d 'inter-connecter le système
monde"3 et contourner les frontières mises en place géographiquement et
administrativement par les Etats (et notamment, les Etats non démocratiques).
Or nous sommes convaincus que tous les enjeux politiques de l'Internet sont
des sujets à double tranchante; c'est à dire, étant le cas d'un transfert de
technologie Nord-Sud, il faut dire qu'à présent aucune société et aucun état ne
jouent pas un rôle passif envers les atouts et les périls de l'Internet.
Aujourd'hui on peut constater que les sociétés s'approprient partout de
l'Internet et qu'elles le font des diverses manières. Ce qui permet d'abord
d'ouvrir aussi bien des nouvelles espaces d'expression du politique, de
délibération et même de contestation populaire , que de bâtir des nouveaux
mécanismes de répression et de censure. Donc la gouvernance de l'Internet à
l'échelle régionale et nationale joue aussi un rôle très important.
Alors dans ce dossier nous nous proposons de faire une analyse sommaire de
la question de la gouvernance d'Internet dans deux pays dites émergents et
non européens: la Chine et l'Inde. Et cela autour des axes thématiques faisant
le noyau dur de la question de la gouvernance d'Internet: paradigme de
gouvernance numérique dominant dans les deux cas, les politiques mises en
place, les enjeux pour la consolidation de la démocratie et enfin les
contraintes. Tout en tenant compte que pour ce que concerne la Chine, on
devrait plutôt parler directement de censure; tandis qu'en Inde l'obstacle
principale pour une "bonne gouvernance" du numérique sont des questions
2 Voir MATTELART, Tristan (2002) La mondialisation des médias contre la censure. Tiers Monde et audiovisuel
sans frontières, De Boeck, INA, Bruxelles, 280 et suivantes.
3 Voir CHENEAU-LOQUAY, Annie (2004) Mondialisation et technologies de la communication en Afrique Ed.
Karthala, Paris, pages 12 et suivantes.
liées au sous-développement, les clivages sociaux, économiques et
géographiques et grosso modo ce qu'on appelle la "fracture numérique" 4 dans
toutes ses diverses formes.
• L'Internet en Chine
4 Pour une définition de ce qu'est la "fracture numérique", voir: ELIE, M. (2001) "Le fossé numérique. L’Internet,
facteur de nouvelles inégalités ?", La documentation française, n°861, août.
5 Voir MATTELART, Tristan (2002) op.cit. page 280.
6 Voir MATTELART, Tristan (2002) ibid. page 281-282.
Le taux de pénétration d'Internet en Chine était pourtant de 12,3% en 2006
(soit plus de 162 millions d'internautes 7) grimpant jusqu'à 22,6 en 2009; ce
qui suppose d'abord une croissance extraordinaire du nombre d'utilisateurs et
d'abonnés; et deuxièmement suppose une mise en place des infrastructures
plus vastes qui peuvent aider à contourner la politique étatique de contrôle
systématique. Ayant permit l'essor de petits locaux privés ou cybercafés
(parfois inscrits dans une démarche informelle qui contourne le contrôle
administrative et même technique) qui aujourd'hui se comptent en Chine par
dizaines de milliers, l'Etat s'est lui-même rendu sa tâche plus ardue. Donc on y
voit clairement cette "paradoxe très moderne de la Chine" 8 où l'Internet joue
un rôle clé dans l'équilibre entre stabilité sociale, la légitimation de l'ordre
politique par le biais de la croissance économique et le contrôle politique actif
et réactif.
7 Voir PUEL, Gilles (2009) "Les politiques publiques de régulation de l'accès à Internet en Chine", en NetSuds, n°4,
août, page 98.
8 Voir PUEL, Gilles (2009) ibid. page 103.
• L'Internet en Inde
L'Inde est à présent, selon une raisonnable majorité des spécialistes sur
la question, une hyperpuissance dans l'industrie informatique mondiale et dans
la production de contenus numériques. Ce qui veut dire qu'en Inde, et au
contraire qu'en Chine, l'Etat n'a jamais mis des obstacles au développement de
l'Internet. Tout au contraire, la philosophie économique du swadeshi ou "la
production industrielle nationale toujours d'abord", a permit la libération des
10 On doit ici détacher Microsoft et son PDG Bill Gates, qui a récemment fait les déclarations suivantes: "Les
entreprises multinationales en Chine doivent respecter les lois locales", en outre d'autres déclarations laissant
entendre que les affaires et la politique ne doivent jamais être mélangées, ce qui a fait de Microsoft le cible des
critiques de nombreux ONG et associations chinoises en lutte contre la censure de l'Internet et la liberté
d'expression. Voir: http://french.peopledaily.com.cn/Sci-Edu/6880352.html Consulté le 12 avril 2010.
11 Voir HASKI, Pierre (2008) La Chine et Internet, Editions du Seuil, Paris.
forces économiques étatiques et du privé pour faire monter le pays dans le
train de la "révolution numérique". Mais, ce "saut technologique"12, cette
"révolution numérique", cette success story pour un pays du Sud, cache-t-elle
des réalités non admises? Existe-t-il un modèle indien pour la bonne
gouvernance d'Internet? Dans ce dossier nous allons essayer de répondre à
cettes questions tout en dressant un bilan panoramique non manicheïque sur
l'Internet en Inde.
D'abord, on peut dire que l'Inde était prête à mieux accueillir l'arrivée
d'Internet puisque le pays s'était déjà investi dans une très solide politique des
télécommunications depuis quelques décennies 13. En outre, dans le décennie
de 1990 et dans le cadre de la New Economic Policy14 apparue avec le plan
d'ajustement structurel imposé par le FMI, l'Etat indien avait démarché une
New Telecom Policy cherchant à créer un marché national du secteur qui
puisse attirer des investissements de pointe et à la fois développer une
industrie nationale. Donc beaucoup des efforts budgétaire sont aussi engagés
pour créer des pôles de recherche et investissement à la Silicon Valley (par
exemple en Bangalore), de façon qu'en ce qui concerne le poids économique
du secteur, en 2008 les NTIC représentaient environ 8% du PIB indien 15.
La taux de pénétration d'Internet reste pourtant assez faible; soit quelque part
entre 8-10% de la population16. Ce qui nous introduit déjà à l'idée d'une
gouvernance d'Internet échouée au sein de l'appropriation par la société et
l'inclusion participative des couches les plus démunies de la société. Ce qui
nous laisse entrevoir que le modèle indien de développement de l'Internet n'a
pas favorisée à une large majorité de la population et qu'il a donc creusé les
inégalités entre le monde rurale, toujours majoritaire en termes
démographiques, et le monde urbain. Mais cette "révolution numérique" a
contribué aussi à creuser les inégalités de genre, et même les inégalités inter-
12 Voir DIDELON, Clarisse (2009) "Diffusion spatiale et sociale d'Internet. Un modèle indien?" en NetSuds, n°4, août,
page 137.
13 DIDELON, Clarisse (2009), ibid. pag. 139.
14 Voir PRASAD, K. (2004) Information and Communication Technology. Recasting Development, B.R. Publishing
Corporation, New Delhi.
15 Voir dans des rapports spécialisés sur le sujet, http://www.senat.fr/rap/r04-416-1/r04-416-16.html Consulté le 13
avril 2010.
16 L'IUT reste la source la plus fiable pour ce genre de statistiques, voir DIDELON, Clarisse (2009), op.cit. page 141.
castes17, accentuant donc les divisions profondes au sein des divers groupes
sociaux et les fortes différenciations territoriales présentes dans le pays.
Peut-on dire que la lutte contre la fracture numérique est devenue le main core
de la gouvernance d'Internet en Inde? Est-ce qu'on y voit des résultats
tangibles pour aider les populations à s'approprier du réseau des réseaux? Un
nombre non négligeable des spécialistes considèrent qu'effectivement la
nouvelle gouvernance d'Internet en Inde a réussi à inverser la dynamique
inégalitaire et que cette petite réussite suppose un exemple pour d'autres pays
17 Voir CADENE, Philippe et MOREL, Jean-Luc (2003) "Le développement d'Internet en Inde", revue Géographie et
cultures, ISSN 1165-0354, n°46, pages 97-117.
18 DIDELON, Clarisse (2009), op.cit. page 144.
19 Par exemple, Microsoft s'est engagé avec le projet OLPC (one laptop per children), projet très controversée aux
résultats toujours ambivalents. Le gouvernement indien a refusé le projet en 2007. Voir:
http://www.pcinpact.com/actu/news/36207-Inde-OLPC-refus-10-dollars.htm Consulté le 13 avril 2010.
émergents et surtout pour des pays éminemment agricoles comme la majorité
des pays Africains. Ce qui n'empêche de rappeler que l'arrivée de l'Internet a
été tardive et qu'elle demeure fortement inégalitaire au delà des communautés
rurales ciblées par les aides publiques et les projets humanitaires, au delà des
villes, des quartiers et des régions les plus riches, et au delà d'une élite sociale
fondée sur des clivages en termes de stratification sociale traditionnelle et
d'économie moderne20.
Il semble alors concevable voir d'ici 2020 surgir une classe moyenne indienne,
même en milieu rurale, qui puisse s'approprier des NTIC et d'Internet comme
le font les sociétés dites développées mais tout en en profitant pour un
développement auto-centré et tout en fournissant des contenus culturalement
propres aux sociétés indiennes. Mais pour l'instant, et malgré le discours
parfois triomphaliste du gouvernement indien, une gouvernance vraiment
égalitaire de l'Internet reste toujours à façonner.
3. Conclusion(s)
21 Voir l'article de Ignacio Ramonet sur la question au Monde Diplomatique de novembre 2005. Consultable sur ligne
en http://www.monde-diplomatique.fr/2005/11/RAMONET/12901 Consulté le 14 avril 2010.
22 Voir http://www.lemonde.fr/technologies/article/2009/10/02/les-65-000-concurrents-de-l-
icann_1248113_651865.html Consulté le 14 avril 2010.
BIBLIOGRAPHIE