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Collection “Logiques Sociales” Dirigée par Dominique Desjeux et Bruno Pequignot Bizeul D., Nomades en France, 1993. Giraud C., L'action commune. Essai sur les dynamiques organi- sationnelles, 1993. Gosselin G., (sous la direction de), Les nouveaux enjeux de Vanthropologie. Autour de Georges Balandier, 1993. Farrugia F., La crise du lien social, 1993. Blanc M., Lebars S., Les minorités dans la cité, 1993. Barrau A.,Humaniser la mort, 1993. Eckert H., L’orientation professionnelle en Allemagne et en Tazykoff W., Organisations et mobilités. Pour une sociologie de Ventreprise en mouvements, 1993. Barouch G., Chavas H., Oi va la modernisation ? Dix années de ‘modernisation de Vadministration d’Etat en France, 1993. Equipe de recherche CMVV, Valeurs et changements soci 1993. Martignoni Hutin J-P., Faites vos jeux, 1993. ‘Agache Ch., Les identités professionnelles et leur transformation. Le cas de la sidérurgie, 1993. Robert Ph., Van Outrive L., Crime et justice en Europe, 1993. Ruby Ch., L’esprit de la loi, 1993. jologie esthétique, 1993 ‘sens de action et la compréhension d'autrui, 1993. Figures de l'imaginaire religieux et dérive idéo- des malentendus, 1994. Pilloy A., Les compagnes des héros de B.D., 1994. FRANCOISE REUMAUX TOUTE LA VILLE EN PARLE Esquisse d'une théorie des rumeurs en Editions L'Harmattan 5-7, 1ue de VEcole-Polytechnique 75005 Paris © L'HARMATTAN, 1994 ISBN : 2-7384-2419-8 (CHAPITRE 1 Le Social et son Double I—Le schéme de la verticalité La sumear oat ts fois cysique et septique, Comme les rigucur si extréme, si rigoureuse qu’elle a un caractére presque hallu- it Un chercheur soucicux d°établir les fondements dune sociologie des rumeurs se trouve confronté un processus analogue. I sera sensible & I’électro-choe que produisent certaines rumeurs, & cette les calomnies, qui nc sont que d’obliques situations de face & face visant un tiers toujours absent. Dire, en effet, que la rumeur est, par définition, un phénoméne Serene alone mieten ree ment d’un poids suffisant pour Ics rendre crédibles, leur nouveauté résidant dans la forme particulitre, scintillante et unique que leur donne, & travers le contexte od ils prennent naissance, leur projection dans 'imaginaire social. Pas de rumeur « réussie » sans cette double odyssse. Odyssée dans la mémoire, odyssée dans I'imaginaire. La rumeur tient & la fois Nae vis vet, ne evn de pepe mandi ‘drole du pf? Riccar 1985 p 301313) Ulysse et d'Orphée, D’Ulysse par son entéiement, sa ruse — elle par sa fagon enfin de s'avancer masquée dans la salle des prétendants eae ee ‘Nous parlerons ainsi (par exemple) d’épiendémie pour qualificr ce que la rumeur dit du Sida et d’espace hétSromogtne pour désigner les connexions de I'espace ot elle se déploie qui, la plupart du temps, ne se confondent pas avec les connexions qui séparent les groupes «clos » des groupes « ouverts » ou les linéaments structurels en place. ‘Comment rendre compte de fagon claire — mais sans trahir sa offert l'exemple d°une continuité di Autre, qui fonde toute rumeur, "Imago étant a la fois I'absolument ‘Autre de la larve et la preuve du Méme. Nous avons ainsi pu meutre ‘en évidence existence dun stade larvaire, essentiel & la compréhen- 1969, 1. Bieder, 1970 et note analyse, nF. Reumaux, 1990 )- ssion du phénoméne, puisque c'est dans 1a mémoire du groupe et dans ‘Aux ravages de la larve (qui est d'une San ed ie re Ja chair de poule. I! a, couvé, la structure des tens tions de possibilité de sa réception, Il — Un opérateur de sociabilité Le phénoméne de la rumeur a attiré I'attention des chercheurs ‘ouverte. Ils ont tenté de découvrir « le lieu et la formule », Boi il n'y aque des lieux et des formes. La lecture de ces éwides, qui inaugurent la recherche en sciences sociales sur le phénoméne de la rumeur, in sistent toutes sur les défor- mations subies par le message au cours de sa transmission, & une (8) Comme tout ls pays impigués dans ce confi, ls Etats-Unis ont slices ‘par le phénomine des rameurs, pendant Ia Seconde Guerre mondiale mais asi ts réserve prés, celle de G. Allport et L. Postman (1947), qui admettent Tahara ar eimamataneee sinon de résoudre le probleme, du moins de le poser de fagon plus (6) Nous avons pris, pour le dmonter, exemple le pls extme et le pls ‘Albee: ex des coches ’Anwers, enous avons visual, en wtlisant Jes grands evi e Wrcine, es ona embe probr Reams, 1950) tees objet Rewguct) enero de ae de rnution on compere. ments diflérenci¢s dane un espace homogéne ov hétrogéne (Dodd ec). u appropriée, en utilisant les notions de Figure et de Fond. Nous est alors revenue en mémoire l'image de cet 6ionnant visage, décrit par Le probléme est de savoir si ces traits atypiques sont sociologi- Sartre, surgissant d'un seul coup dans le cadre dune fenéte et sasi comme une figure sur un unitaire fond dhoreu. ‘Nous avons trouvé fun écho dela charge émotionnelle dnt tes propagande ou de la langue de Torsqu’une figure n‘arrive pas & se détacher sur un fond, il n'y a, & proprement parler, pas de rumeur. Test done apparu opportun dinterroger les figures de la rumeur, j c'estadire de se demander sur quel modele elles sont baties, et de j scruter le fond sur lequel elles se détachent, c'est-i-dire de se metre & Técoute des tonalités structurclles de la nymphe sociale qui en a permis ’émergence. Sil y a une logique dans l'organisation des figures de la rumeur, il devient patent que I’on doit la retrouver & la fois dans son langage et dans le modéle st ‘articule ce langage. Autrement dit, par ‘quel genre de sy umeur réussit-elle le tour de force de se rendre crédible et & quel « modéle de pensée » ce type de discours jen sir, puisque la rumeur met la charrue a wre $F sea (900, comee ete ‘iselsaedp. 13) hi (6) comme amar we ce cl 2 B repére dans le phénomne de la rumeur, sinscrivent dans une trame CHAPITRE IL Figures et Fonds I—Compétences et Espaces ‘rumeur. Or ricn de tel. La rumeur engage, semble-t-il, & chaque fois lune sociabilité de l'inédit. Un certain nombre d’éléments, cependant, organisent sa transmis- sion, ceuvrent & 1’élaboration d’un espace propre et aux formes parti- couligres de son discours. ‘Au départ, la nouvelle fot dans les eaux de Vindétermination. IL ces chaines anonymes, qui ne cristallisent pas. Et c’est la réception faite & une nouvelle qui détermine la forme et le devenir de la rumeur dont elle est l'objet. 18 S‘ouvre alors un procts de sens qui va requérir la mise en ceuvre ‘de compétences particuliéres, afin d'asseoir sa vérité et de la faire ccentfier conforme. ‘Jouant sur un registre od la contradiction n'est pas l'inadmissible, ogique (les analyses de bal experts sont formels, donc les experts ont &6 pay6s (cf. ira). A la figures hodologiques pariculitres, de mime que les urs stades de la Evidence, dans les rumeurs hysiériques, tant I’existence d’un noyau ppervers que d’une phase paranoide trés nette. La contamination d'un modéle par l'autre, ou 1a pluralité de traits cloué par I"hamegon, au moins quelques sophistes.. J.non semble sorersent dig nos aches son doe schémas tin quedo signifier que la rechercho est en cous IL — La modélisation des formes-rumeurs Prenons donc un instant quelques rumeurs qui seront étudiées C'est dans les licux oi abondent failles et fractures, que ce soient les banlieues ou, dans les villes, les quarters en voie de disparition, ” ‘presque des non-quartiers ou des no man’s land, ou a "inverse dans professions qui laissent de (terribles) loisirs, ou qui apparticnnent & lisantes, baties sur un modéle futuriste, ‘des milieux traditionalistes, I'on ne iésine pas sur la séparation des ‘qu'essaiment le plus facilement les rumeurs schizoides. roles sociaux, c'est dire od la censure est encore trés vive. elles ou quelles sont les figures hodolo- Or, ce que l'on appelle bourgeoisie — Familles, je vous hais — est un espace sans connexions . —— Ragots ‘On dit que les notairesses ont foreé les Percechéne & déménager pour s'emparer dela maison, On dans les environs du lavoir. ‘On dit qu’elles auraient propose a privé réservé 8 leur usage exclusif. Rumeur ‘Hyperbole des ragots : les notairesses auraient des vues sur toutes Jes maisons de la rue. Epicerie Lestel (C616 droit) De l'autre cOté de la rue, comme ta ferme Gil. Amorce les ragots a centre-village. Un certain nombre d'habitants, ceux « qui ne vont n'y a pas une femme dans la rue & qui iln’a pas fait de proposition. Famille Percechéne (cOté droit) Récemment chass6e par les notairesses (voir plus bas). La méxe, joule =~ mors ily a guinzo ans Sait rouge blgee eb On dit qu’a I'école, haricots aux files, On dit qu’il a demandé & étre muté « en ville», mais qu’il n'a pas -obtenu sa mutation parce: trop nul. ‘On dit instit de droite, ‘On dit qu’elle est une empScheuse de tourner en rond et qu'elle it de la jalousie partout ‘On dit qu’ils donnaient des coups de tSléphone anonymes & Jean Petit Georges (du centre-village). 107 On dit qu'il s’est « arrangé » pour avoir sa femme comme creak ce, co%ps que consituc ensemble des ragots dela ruc, les endoits ob ce éorps peut tue sigma, ce qui est une manire de monte, mais aussi de cacher, puisqu’on ne pergoit que les signes de quelque chose ‘qui demeure dans Vombre. ca ule le Conseil et prend toutes les décisions. Famille Gil (cOté gauche) Située, comme i ntre les deux qu’une différence de degré. On peut en inférer que lorsque cette difficulté se présente, 'est-dire lorsque Von a affair & des ragots qui ont Tallare de rumeurs, ou 8 des rumeurs qui ont I'allure de ragots, confronté au modal Le nee miétier« Renee, ». Les fréres Herlin cherchent du travail, mais n’en trouvent pas & cause du chémage (I'un deux ne vient-il tre nommé empl ‘Le couple Caspier n'est gutre apprécié, mais enfin Tespecter les mentalités des gens », Les Genevitve va voir le Nicole «c’est qui On dit que tes fill Gargare, un homme ma qui veut, la Bemadetic On dit que la petite fait du cheval en robe, On dit que son free (qui a cu des histoires avec les gendarmes) quand il était gamin découpait les hirondelles au hachoir, Sylvie, traine aussi, La preuve : elle Rumeur Cristallise sur les trois générations de femmes de la famille : out ‘ce qui est Gil, c6té femmes, traine. La petite-fille, les filles, la mare, Pas étonnant : ca a commencé avec les Allemands. scbne clivée du Théétre du Nous qui Jove chaque jour, le matin autour make Cet inventaire fait apparaitre un certain nombre de points intéres- sams. 1) On voit d'abord que, dans chaque cas, si les ragots sont ‘multiples, 1a rumeur est une (2 l'exception de celle concemant les fréres Herlin qui a deux versants, le premier — noble — n’étant que 1"écran du second), 2) On voit dautre part que ce que I’on peut appeler rumeur n'est pas autre chose que la somme des ragots, ou l"hyperbole que l'on peut tracer & partir des divers ragots, ou encore un ragot puissance deux ui. en grossissant,stigmatise, en d’autres termes qui choisit, dans le te passer, de ceux qui ne passeront pas ; de ta journée, les événements @hier, 108 109 épressif. Or, ce trait n’apparait guére, méme lorsque les habitants ‘contreviennent aux lois républicaines, en braconnant, par exemple, ou ‘en organisant un débit de boissons clandestin, ou en s"arrangeant avec Je cadastre pour rogner un bout de terrain sur le voisin. monde parle, comme si les ent pas ce qu'il disent. ‘gens, qui disent ce qu’ils savent I —Transgresser et Maintenir sarés, le circuit du pouvoir, le également office de commis: du pouvoir devrait également étre un circuit est le véhicule du désaveu. Elle en est "instrument, de la méme fagon ‘que le fouet, chez Sade: instrument du suppli 5) Le fait remarquabl Ble. Entreprise de longue ) os “iniiés qui, connotant finiéricur la statue du politique et le transforme en une sorte de 1a fin du combat, Itvera ou bais. favorables, défavorables, indices ‘On le sait moins peut-ée pour l'économie, encore que l'on parle seein taten tout naurllement de surenchére, des aes ou des 2-coups (le haut SEES Net hee cms = eon ene ns oa eee ge gappincecte gi ee epee easel sears et qui, ainsi Un tel vocabulaire pet bole érotique (1) et dont ta contagion est Tun des (2) Linypesbole éoique de a marche est le défi de mode, dont les actices sont sppeées des mannequins, fagn i peine déguis de dire que ce sont des automates, ce | signifi que ous les signes de fminité sont en quelque soe tlécommandés pa es ‘epards auxquels les mannequins sont lives en pure, enous fenvotediecement la Salpéitre ob Charctpetsertat le mardi ses « collections», site de tableaux vivants de comps galvaisés. (verdict du bilan) et vietimes de la politique (libérale ou planifiée), le rapport entre le Savant et le Politique étant un jeu de miroirs fondé sur 128 129 remarquables, au point denvahir l'économie dont on devine, Lyotard, qu'elle es ibidinale et dont on lit maintes contractures sur corps politique. moderne, capable de mener le troupeau aux abattoirs de la mode, plus rapide, devenu génératcur dimages oniriques, source productive de fantasmes, marché aux denrées cotées a la bourse du sexe, bref, dose d’amnésic hysté- ferture » en étant un Dans le champ économique, l'amnésie se loge 3 la noble enseigne du progrés technique, dont la marque caractéristique est I'accé\ération xvissante de l'obsolesconce des objets qui, mis au rebut, sont compa- par exemple, raccourcie en tA dévorer des yeux, ce qui indique ‘est un cannibalisme du regard. Ies bilans scientifiques, 4 la confession hystérique ‘congue comme une stratégie dire un espace oii tant le corps scotome scintilant dessiné par Charcot, de cette « apocalypse neuronale » tion (on vend les gens courant de la langue ni capables de repérer dans le vaches), don usage formule) alors que la thédtraité de ta forme — énigme ou rébus —ta <ésigne clairement comme symptdme. 130 # _passéiser le présent, car un temps sans passé est un temps oil snangue une dimension les paliers du social, avec la pourrait définir la mentalité (lévrier 1989), es qui, de mani¢re encore plus significative, euvent longtemps demcurcr latents, comme ces germes dantisémi- tisme qui n’attendent que Ie terreau d'un Front National pour Vavenir, en d'autres termes, la référence au passé étant perdue, de 132 refouler, c’est-A-dire de ne pas la reconnaitre dans ses symptOmes méme les plus éviden Or, ce qui estun animal hystérique, I — Lanesthésiste-fantome des rumeurs hystériques est : Ne cherchez pas ! Fuyez ! ou Tuez. ! « N'entrez pas dans ces boutiques » (Orléans). La réaction, an paroxysme de la rumeur, est une réaction somnambulique hhystérique, implique une utilisation particulitre des trois compétences spécifiquement impliquées dans toute rumeur. On voit tout de suite | 34 tend A démontrer que I’homme post-modeme ‘quo, dans ce type de rumeurs, la compétence paralogique est quasi pulle. On ne se donne pas la peine de démontrer, ou de s'appuyer sur ‘aucun moment pergue io apeuhat vet ‘émoins qui ont vu, et on ne compte plus ceux qui ont vi le monstre ‘du Loch Ness, par exemple (2). Méme mécanisme pour les apparitions |e Ja Vierge ou les manifestations de I'au-dela, les species faisant facilement la Une de Iimaginaire. Il faut citer ici l’étrange rumeur de dans la méme pice que fa victime, La figure de I'anesthésiste, disposant ainsi de I'arme absolu, un gaz d'une puissance terrifiante ne Iaissant aucune trace, devient celle «un génic du mal — Fantémas américain — dont ’intention (dont on ‘comprend ainsi que les parties du corps « anesthésiges » soient les Uh ic do Conard Enhtnd 2 ul 98 rege hed Loch Jjambes (paralysées) et la bouche (privée de salive et « briléy ‘autour »). On ne saura jamais, hélas, quelle fut la cause de ce désir de’ viol dans cette petite ville de I'llinois, auteur américain n’ayant pas ccherché & mettre en évidence le stade larvaire de la rumeur, pour s¢ ccontenter d'une analyse, au demeurant minuticuse, de la presse locale —UN RODEUR AU GAZ PARALYSANT EN BORDEE, gros titre qui, le lendemain de la premiére agression, fit la Une du Daily Journal Gazeite de Matioon — ce qui n'est que la cause occasionnelle reflétant la suggestbiité dune partie de la population (féminine) ay Adis (tices wo folval calaer Wace a acpend qui ait 6 retenue. en a 61é de méme, et cela est tds caractéristique de la logique hhystérique de ce type de rumeurs, pour I"hypothése retenue & une ues large majorité par la population de Seattle, toujours aux USA, en 1954, pour expliquer les causes dune singulidre épidémie affectant les pare-brise des voitures, qui se révélaicnt curicusement « piqués » 'étranges petite bulles, de la taille de longle du pouce, se dévelop- pant dans Iépaisseur du vere. niveau d’éducation (les moins éduqués sont (maximum de crédulité entse 25 et 44 ans), surtout ce qui nous intéresse ici, de + 50 % des personnes interrogées jommage inhabitue! causé par un arriverent pas & se décider apr’s avoir entendu de nombreuses explications dont aucune ne leur avait pparu vraiment probante, 21 % se posérent comme sceptiques, refusant de voir dans le phénoméne autre chose qu'un banal dégat routier. 3 % 16 intéressant est que ce soit -hypothese la plus enfin refustremt de répondre ou méme de prendre ta question en cconsidération. Ainsi, de méme que les femmes de Mattoon, 93 % dans I’échan- tillon considéré par Johnson (52 % pour la ville) croient & l'anesthé- siste fantéme, 50 % de la population de Seattle (hommes ct femmes) eroient que Ia curieuse épidmie qui « détigure » les pare-brse a pour cause un « microbe », agent chimique inconnu, des moisissures ou des champignons du verre provoqués par des « retombées » de nance de jugement demicr : « Trois victimes de la bombe H voient la mort en face » ou « Un témoin raconte : les essais nucléaires échap- it une valeur conjuratoire, c’est-a- tionne un démemti. La seconde est que valeur objective mais valeur rituelle : il fonctionne comme un rituel de désenvoiitement. Cela explique pourquoi I'efficacité du démenti est presque nulle Jorsqu’il s‘appuie sur des faits ou des preuves. Dans la rumeur de 137 Seattle, les conclusions du Laboratoire de Recherche sur 1’Environnement de I"Université de Washington indiquent (le 10 juin) que le piquage des pare-brise est uni le nombre des alvéoles augmentant avec lage et rrumeur, un monde oi « tout est possible », et dont on entend les échos. ‘sur Ie terrain ds qu possible, j'sais pas, c’est bizarre » ou « On ne saura jamais, ces trucs- Ba », ou méme enchainement complet : « Tout est possible, wypothése finale, le Nous moi ‘identifier (qui sont les savoir), étant, dans les rumeurs hystérotdes, toujours I"hypothése ta plus fantastique. Cola tui confere (du dehors) un aspect trts caractérist fois bouffon et sinistre, comme Mest une caricature, aspect qui n'est pas peru comme tel du dedans, oi I'on prend tombe pour la proie, Ta caricature pour le modéle ou I'exces pour le manque. Ainsi, dans ce type de rumeurs, toutes les affirmations sont permises, qui vont dans Ie sens de l'ombre, de l’excts, de la bouffonnerie tagique, étre pris dans le tourbillon de ta rumeur revenant & étre pris de folie, c'est dire « autorisé » & imprimer la marque de son désir sur le récl dans des rumeurs hystGriques, qui disent que dans telle ville réde un fioleur i 16me), que dans telle autre des femmes disparaissent,livrées aux trafiquants de chair (Orléans), que mique sont déja A I'ceuvre (Seattle), violeur invi thési les effets secondaires du 138 herche & cemer une rumeur : « Tout est Laffaiblissement de la compétence paralogique a pour corollaire Je renforcement de Ia compétence rhétorico-magique : non seulement sien ne parait possible : par exemple DBuisse boire du poison risée dans I’eau soit droite es boi (ou qu'une femme au comble de la beauté soit au comble de la maladie, L’enflure démesurée du possible, cette « magic » caractéristique ‘des rumeurs hystériques — qui, dans une épidémic ues « mineure » (les pare-brise de Seattle) touche tout de méme 50 % de la population — modifie également l'ersatz de compstence dont toute rumeur se séclame. tout le monde, c*est-adire & 4 Monsieur Tout-le-Monde et & tous ceux qui (en) parlent: la tigre en parle. Plus de distinction entre fonction publique et fonction privée, vie Publique et vie privée. waille, et par médecins, c’est-2-dire I"hOpital enter, disent wsensées, On comprend dés lors importance du thtme que va véhiculer la Tumeur, Plus il sera lié un événement-choc de la mémoire collective, C"est-A-dire plus le stade larvaire sera occulté, plus spectaculaires | __Seront ses effets et plus grands les ravages du désir qui le porte. 139 TI — Diable, sors de la fille... Le mais restrctif, dans V’expression « nous on n'est pas racstes, 1s | Semi-Nomades |jeunes filles res | jeunes femmes efteulles, vendanges| Printemps Jogie, qui permetient de Iexpliquer. (@) Ampelé dans un couvent apts dane jeune reigieuse aint de paalysie foncionncle, Charest vite ni dit « Levea-vous et marchex |». La malade obéi, Le conflit prend corps (si I’on peut dire) dans le comps méme des possédées, qui n’est pas seulement un corps qui se convulse, mais un ‘corps qui parle. Que disent donc les diables ? J. Carroy-Thirard a noté (exceptionnelle) café ou « bon pain de boalanger ». sort de Morzine (« Pauvre Morzine, deux ou trois ans »), dépossédée de ses traditions par les influences exiscieures. nine portée par la cul union sacrée pour menacé de dépos: 4) Le depré de gestation para Gonnamment long, quand on apprend que des événements comparables cornmencent ds le printmps 1857, carnant dans des rises ‘de postecion pr une centaine de personnes, «épldémie » qui mesa trois ans he ‘Goes pour reprenire, plus déteminée, en 1860, année de annexin de la Savoie 8 Ia France (ef. Cary-Thirard, op cit 145) a le démon, de l'autre non pas Péronne ou " dont je ne prononce pas le nom, corps réceptacle et auquel je ne peux par consé- 4 la deuxiéme personne (...) Ainsi la femme et son diable se dénient réciproquement comme suit d'énonciation. Ils ine peuvent jamais dialoguer, mais seulement parler aliernativement Pun de U autre comme d'une troisiéme personne : lui, elle, un, une autre.» «Diable, laisse la fille et sors de notre corps » ‘On remarquera, pour Morzine, une tableau) entre les magons et les ei d’analogies (voir possédées qui, se “en cffeuilles et les vendanges ‘ont la situation « qui se des hommes jeunes », La seconde analogie, et non la moins remarquable, est celle de la est magique " che2 le sorcier, cexcés de la force par rapport Gire tel qu'il manque sa force. On peut dire aussi le ne peut étre contenue dans le systéme des noms. De ce seu! fait, elle produit ses effets sans passer ar les médiations symboliques ordinaires. » En ce sens, on peut dire que les magons sont vis-a-vis des jeunes filles et des jeunes femmes de Morzine dans le méme rapport qu'un M3 ‘Sid’une pan, il y a le désir de se sentir « comme les autres » (Il y ‘trois mois, la fille n’avait point encore de crises, elle souffrait mais personne ne le connaissai, maintenant ell est comme les autres) et de "unison de celui des autres voir, il y a transgresser, de ne plus « résisier », de Vineroyable complaisance avec laquelle les rumeurs les plus leuses ou les plus venimeuses sont transmnises. Cela explique aussi le cOté oraculaire du message, impecsonnas et surdéterminé pa le On, somme incommensurable des et des Elle un cs ce ars ean ), eesta-dire de lisse parler l'autre en Ie temps d'une rumeur (ou d'une crise), ‘ce que l'on sort de la bouche de « la fille » par anthologique, recuelli sur le terrain, & Creil liers de ‘Eremple dans pgsmis des pares piqus de Sat app! la ‘compétence de la police, déclarée incompétente, puis aux experts, qui subissent le méme son, puis au gouvernement de I'Etat (Sacré Loup ‘de Gouverneur comme « Sacré Loup d’Evéque ») jusqu’a ultime appel au président Eisenhower. ‘« Va me chercher de l'eau, sacrée viele Sacrée Charogne. Je suis le diable et je commande-& tout le monde. » parole de celle de la possédée, Point extréme, est réversible : « IV —Faire du spectacle (On retrouve cet aspect possession, typique des rumeurs baties sur Je modéte hystériqu: les rumeurs tumultueuses qui balisent le parcours des hommes politiques promus — par la grce des médias o ‘se joue le spectacle de la post-modemnité — au rang de stars et, bien ‘de imaginaire dans le rée\ ot atomisation) du réel refa- ‘sO, dans le sillage toujours scandaleux des stars elles-mémes. gonné dans I"imaginaire se modeles proposés parla | "Tout le monde connait le cancer du président ou les photos ‘mémoire sociale, donne la mesure de la force, souvent irrésstible, 8 |__truquées dune certaine presse, celle qui montre par exemple la laquelle on se trouve confronté a instant de transmettre une rumeur. 9 148 femme de Georges Pompidou « dans ses ceuvres », ou les révélations hhebdomadaires qui narrent les malheurs des princesses — T'une est droguée (Caroline de Monaco), l'autre boit (Margaret d’ Angleterre) —ou encore ces affirmations foudroyantes, scoops & la puissance m, {qui tombent comme des pavés dans la mare : « la fille de Jacques ‘Chirac est morie » pendant la campagne électorale ou enfin le célebre «« Sheila est un homme >. Il sagit dans tous les cas de « faire le spectacle » en faisant ‘monter Je monde sur les planches, en le jouant comme on jove une "publique et vie pri d’autres termes va tenter de reprendre fe pour le dérober aux yeux du public elle n'est pas simplement le comps ‘corps qui Tui est propre et dont elle ‘veut. me rupture du contrat hystérique — ‘Augustine et consorts aient soudain « Corps pour Corps ». C'est -gard blew porcelaine, ou je te ferme les y la rumeur hystérique qui, bien mise en scene par les médias, prend en janvier 1987 une allure de raz-de-marée : « Isabelle ‘Adjani est morte. » Toute la presse, qui a le sens de I’hyperbole, parle de rumeur la sérénité que lui impose l soudain qui le frappe ? 3 princesse « qui a tout », beauté, la déchéance de la drogue evou de fin pensable wage sur le sexe? lique soit un homme en traits iniéressants, et méme un cOté Grand-Guignol assez captivant, le spectacle, donné par les gens du spectacle, tors, s'agitent, se tordent, se pment, font des clins dail, agonisent, s'en vont, reviennent, racontent, racontent encore, racontei toujours... PPartout, la surdétermination est reine west done pas étonnant ‘qu'on en trouve des signes évidents dans le langage, oi les éiatsaffeoc- {ifs par exemple, sont placés sous le signe de I'hyper-émotivté : on public, le clou atlendu du spectacle étant — comme au cirque — le ‘moment oi le lion dévore le dompteur. ‘Aisi le comps de la star. qui ensorcellc le public, est ce qui s‘offte ‘son regard, c’est-A-dire une cible, et c’est sur cette cible que tous les ‘coups vont converger dés lors que la star refuse de confondre vie 000 (A) Si un compe comporé de toi Eéments tant paris te meut lorsque deux 4’etre fx sont en mouvement, il se meuvra encore lorsga’on en aura ajouté un uatiéme ‘ales ois éments sans pate I'emporent sur uniquement on 4 jou. 150 151 ook lends oc ee ate (©) Exile corps composé de cing ements sans pas se meut, se mouva dans tous Jes cas encore sion y ajute n sixitme Glément, les cing premiers I'emportant sur onigu sxitme. Modtle |: Pieudo-fvidence du mouvement L’argument consiste & montrer que le mouvement, qui parait té absurde, mais que I'absurdité n'est pas pergue, ne pergoit pas la contrefagon. stain, ou plus contradictoire, parat illustre cette pseudo-certitude dont se targue la rumeur. oe (A) lesbele Adjani s & hospalisge ov ext mone (1,2) A Init de In Timone 8 ‘Manele (3). Exact pour la maladie (ou Ia mor) mais pial est coli de Saint ‘Marguerite 4). toting @ Isshele Adjani a Gf hospilisge, ou est mone (1,2), Marssille, mais ni & la $onone G) nla Saar Margot (4): HoaphoutBaigey ). oe (© sabetlc Adjani a hoopitalsée ou et more (1,2) mas pas & Marcil Spit ea Timone (3) o & Saito Marguerite (4) ou kHouphoutt Boigny (5): au CHU, de Rangel Toulouse (6). est répété autant qu'il y a de pour I'entendre sans que l’affinma- tion soit remise en question. Et pour cause : elle est tenue pour 153 soit la nature du doute, on ne peut pas la Cogito de a rumeur. wariant, on peut admetire toutes les variables de ces variables ne I’entame. On peut se « fuite » précipitée de l'actrice — aprés mes nitaire — par la sortie des artistes, ‘ne nous intSressent pas, le racism, le sida, ) les yeux qui nous ont regardés, le corps sont la bouche, la voix, les yeux, le corps les maladies des autres qui nous a é1é offert, gens du spectacle pour spectatours ‘est pas autre chose que le clou du spectacle, mane pas, ou gubre, ce démenti. (Sur les 38 % de le démenti a la télévision, 50 % seulement y roient, 7 % sont persuadés qu’il est ruqué, sondage réalisé par 14 CHAPITRE VIL L’anomie d’angoisse I— L’analogie tronquée oes /oix (celle de la France idages, par exemple —, qu'il illete la presse, écoute la radio tne presque absence de fond gagnant de proche en proche et menagant "envahir tout le paysige. Si les courantsrevendicatis qui traversent la société ne sont plus Prioritairement lis argent, cela signifie que les revendications sociales ne seront pas d’abord des revendications de salaire. 157 Je jeu du (des) créi(s), devient une sorte de réve éveillé, Ia joie de ‘oir se réaliser Ie réve s'accompagnant d’une sorte d'inquiétude : ce est qu'un reve (quelle échéance au réveil 2) ou de malaise — nous ppensons & ces élus si pleins de compréhension envers leurs adminis- trés que cette bonne volonté tous azimuts (nous ne sommes pas racisies) laisse planer un doute sur leurs intentions (mais..) ainsi les Chinois du treizitme arrondissement, si bien encadrés par la mairie ‘que la rumeur les fait mourir par tombereaux —, un malaise qui, passant de mon corps, dont je ne comprends pas tous Jes rouages, au ‘corps social dont les rouages m’apparaissent cent fois plus complexes, plane comme une menace vague, un orage qui s'annonce et n’éclate pas, préscnt-absent, d’autant plus présent qu’il est, &la réflexion, plus absent. Et pourtant, rien ne me dit que la crise, qui paraiten récession, ne Plus qu'une augmentation de salaire, ce qui est revendiqué, c'est tun changement de statut. La nuance est d’importance, car elle change réduits au « parler vrai» ou au « pari remplacés par les nouveaux pauvres — et I va pas d’un seul coup... que l’ouverture, prénée par les politiques, est pas en fait. que celui ou celle que je rencontre, qui paraissent si ‘. 30 décembre 1986). Ainsi évoquée, les Bees du temps pass redeviennent présentes ct se confondent a la perception hallucinatoire de la Béte du temps présent. De méme qu’Anna O., dans le compte rendu de Breuer, place » (Journal du D héroiques. le Capitaine de Dragons Duham: Penserez avee moi que cet animal est un monstre dont le pére est un lion » (lettre 8 I'Intendant d°Auvergne). ‘Monsieur Raoul V., Figaro, 30 décembre 1986), une chose incroyable (@ Une béte comme ga peut tuer un animal faisant dix fois son poids », Figaro, ibid.) qui ne bouge pas comme un gibier ordinaire (@ J'ai chassé tout ce qui bouge que, telle ta féche de Zénon, el instant (« deux coups de feu f do supreme ib Bee ut 8 premier & apercevoir la Béte de Noth : « Ce qui m'a impressionné, C'est encolure, comme un taureau... Varritee un peu maigre... Je ‘royais que c'était un veau couché. D’un seul coup, ca se leve, ga sen est allé par le chemin. ai pris ma course... » (Notes de terain, 1987, c'est nous qui soulignons). m De méme que la rumeur fait un usage hallucinatoire du stade eae « On voit le loup partout. Les coups de téléphone se ‘matois des rabatteurs, seuls capables de lire & livre ouvert sur les sols boueux ou les bas-c6tés de sable aménagés pour que les animaux y laissent leurs empreintes. Ce sont tous de petits Cuvier, eapables 2 ia "écartement entre les coussinets) non seule- eee neem le celle de Noth, de celle des Vosges, ou de celle de Réauville, est si diversement interprété qu il devient ininterprétable. Il 1B y a ainsi retournement complet de la preuve : c'est la matérialité ‘meme des empreintes qui prouve la non-matérialité de la Bete, st donc guére étonnant qu'elle déjoue tous les pitges de fils reliés & des clochettes et des lumpes. Nous étions quatre,

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