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ENDA Lead

Le "développement d'abord " comme condition d'un


monde durable
" Il ne sert à rien à l'homme de gagner la lune s'il vient à perdre la terre "
François Mauriac.

Au cours des deux dernières décennies (1980-2000) les pays du Sud ont
enregistré des résultats économiques divergents. Si les pays d'Amérique latine et d'Asie du
Sud ont vu leur PNB/hab s'accroître respectivement de 70 et 109%, en revanche pour
l'Afrique au sud du Sahara, cet indicateur économique a régressé de 25%. De la même
manière, les 28 derniers pays du classement IDH (Indice de Développement humain) sont
subsahariens et 40 parmi les 50 derniers pays classés à faible développement humain .

De tels constats imposent de " revisiter " la manière dont le développement au Sud et, en
particulier, en Afrique a été conçu. L'intensité des débats actuels sur la priorité donnée à la
lutte contre la pauvreté, voire sa merchandisation ("Notre rêve : un monde sans pauvreté",
Banque Mondiale, ou "Œuvrer ensemble pour le progrès" OCDE), sur le financement du
développement (Monterrey, mars 2002) dont les émanations apparaissent bien " classiques
ou néolibérales", sur la nécessité d'une régulation mondiale (Nations Unies, G8 élargi), sur la
redéfinition de la place et du rôle des Institutions financières internationales ; bref, ces
débats, sans en reprendre la totalité, souffrent de l'emprise d'un paradigme dominant aux
conséquences les plus lourdes pour les Pays en développement (PED).

La faible emprise des Etats des PED sur leurs propres décisions

Les priorités de développement des pays sont fixées par les autorités exécutives nationales
ayant recours, à des degrés divers suivant les pays, à la participation des populations. Le
sommet de Rio et les instruments y attenant ont renforcé cette situation. En effet, chaque
Convention sur l'environnement donne lieu à l'élaboration de rapports nationaux : Plan
d'action national (PAN) pour la désertification, Communication nationale (CN) pour la
Convention sur le Climat, Stratégie nationales et plan d'action sur le biodiversité (SNPAB)
pour la biodiversité, etc. il en est de même pour l'Agenda 21 lui même avec le Stratégie
nationale pour le Développement durable (SNDD). Basés sur de plus ou moins larges
concertations au niveau des pays, ces documents d'orientation sont le plus souvent sans effets
réels en matière d'action politique.

En effet la mise en œuvre effective, c'est à dire la conversion de ces orientations en actions
de politique économique et social (budget de l'Etat) se fait sous la contrainte des Institutions
financières internationales (FMI et Banque Mondiale). Il suffit de se rappeler les plans
d'ajustement structurel et les diverses conditionnalités auxquelles sont soumis les
gouvernements. La décision politique dans la mise en œuvre du développement se trouve
ainsi externalisée : le "bouclage" des opérations financières des Etats (donc les choix) est
décidé "ailleurs" et est souvent la cause de l'endettement. Cela va même plus loin car pour les
grands projets, non seulement ils sont décidés à l'extérieur mais en plus l'identification et

Jean-Philippe Thomas, session Juin 2010.


l'élaboration du projet sont le fait d'experts commis par les institutions financières
internationales.

Un développement durable à l'échelle planétaire ne peut souffrir que des millions d'individus
pauvres perdent ainsi tout pouvoir sur les orientations de leur propre développement, c'est
pour le moins contraire aux objectifs même de l'Agenda 21.

Redonner aux Etats une emprise sur leur processus de décision en repensant le rôle des
IFI

Faut-il s'en tenir au rapport Metzler dont les préconisations consistent à rendre aux IFI leur
rôle initiale, à savoir celui d'une Agence mondiale de développement pour la banque
mondiale et les banques régionales qui ne fourniraient plus de capitaux mais une assistance
technique et des biens publics permettant ainsi de créer les conditions à l'accroissement des
flux de capitaux privés. Quand au FMI, il serait cantonner dans son rôle de fournisseur de
liquidité à court terme (endiguement du risque symétrique) et stopperait ainsi ses apports
longs.

D'autres voies sont à explorer et qui répondent mieux aux besoins des pays du sud. Deux
voies complémentaires s'offrent au débat. D'une part, il s'agit de créer des Institutions
financières régionales-relais, à l'instar de ce qu'avait proposé le Japon en 1997 avec la
création d'un fonds monétaire asiatique. D'autre part, celles ci, constituées en réseau, seraient
chapeautées par des coordinations mondiales dans lesquelles la répartition des compétences
serait effectuée d'une manière plus juste entre pays industrialisés et pays en développement
afin d'asseoir la légitimité de leurs décisions. Elles ne seraient plus, comme c'est le cas
actuellement (FMI et Banque Mondiale), des instruments de politique étrangère des pays les
plus puissants. La régionalisation reste une dynamique forte dans la mondialisation de
l'économie, les IFI pourraient en tenir compte pour accroître leur efficacité et ce, d'une
manière plus équitable.

Mixer les solutions à la base et le volontarisme des politiques

Le non consensus de Monterrey et l'absence d'engagement des pays du Nord lors de ce


sommet sur le financement du développement (mars 2002) et les errements des différents
« G » depuis cette date amène à deux évidences ici mises en exergue :

1. Toutes les propositions actuelles sur le financement du développement donnent la


priorité à la mobilisation des ressources financières nationales. Confrontées aux
objectifs de réduction de pauvreté, les évaluations les plus contraignantes sont alors
formulées : la CEA-NU (Commission Economique pour l'Afrique - NU), par
exemple, en reprenant l'objectif de diminution de 50 % de la pauvreté d'ici 2015,
parvient à des taux d'investissement requis pour l'Afrique subsaharienne de 40 %
(contre 17.4 actuellement) ; sur plus longue période (2025) le taux de pression fiscale
devrait passer de 13.5 % (en 2000) à 26.5 %. Pour ambitionner de tels défis, les
économies africaines devront largement développer les initiatives " populaires " de
micro crédits à l'investissement de production, de banques mutuelles, de groupements
d'investissements (largement basé sur le mécanisme des " tontines "), etc. c'est donc
le développement des activité à la base qui peut permettre d'être à la hauteur des
enjeux.

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Le développement d’abord : Les réponses internationales aux problèmes
d’environnement : Changement climatique. Jean Philippe THOMAS
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2. L'Aide Publique au Développement (APD) ne peut rester, en soi, un mécanisme de


financement du développement qu'à la condition qu'elle se focalise sur les
investissements qui améliorent le cadre économique, social et institutionnel favorable
à l'investissement domestique ou étranger. En d'autres termes, l'APD doit générer des
effets multiplicateurs d'investissements en améliorant le cadre dans lequel s'effectue
la décision d'investir. C'est dans cette dynamique que le NEPAD s'inscrit, en
particulier dans son objectif de " bridging the infrastructure gap ", ce qui nécessite
une véritable volonté politique.

Impliquer la société civile pour un Nouveau partenariat pour le développement de


l'Afrique
Synthèse évolutive des plans Omega et Tabo Mbeki, le NEPAD " is a pledge by African
leaders, based on a common vision and a firm and shared conviction, that they have a
pressing duty to eradicate poverty and to place their countries, both individually and
collectively, on a path of sustainable growth and development, and a same time to participate
actively in the world economy and body politic" (NEPAD 2001, Introduction §1) La
prédominance donnée aux " investissements massifs lourds ", avec ses effets multiplicateurs
sur la production directe, conduit naturellement à rapprocher ces propositions du débat qui
anime actuellement la communauté internationale sur la prise en compte des risques, pour le
continent africain entre autres, liés à la désertification, au changement climatique (qui sont
maintenant avérés pour la communauté scientifique internationale ), à la perte de
biodiversité, etc.

Rapprocher les préoccupations environnementales actuelles (cf. les différents Accords


Multilatéraux sue l'Environnement -AME- ratifiés par les pays africains) d'un plan de
développement pour l'Afrique doit permettre de se rapprocher de l'objectif de " durabilité "
dans les choix de développement.

Mais, face à la multiplication des AME, la priorité doit rester aux objectifs de développement
(" Le développement d'abord "), nul ne le conteste. Le défi est d'intégrer ces accords dans les
plans de développement ou encore de faire en sorte qu'ils deviennent des facteurs de
développement durable. Ces accords doivent permettre de développer dans les pays africains
des actions structurantes à long terme, c'est à dire d'intervenir en amont sur le " trend " des
futures émissions (par exemple) en privilégiant, dès maintenant, des choix d'infrastructures
économes en carbone que ce soit dans le domaine de la construction, l'énergie, des
transports, de l'urbanisme, etc.

Si ce nouveau partenariat s'est engagé dès le départ avec les pays industrialisés (présentation
AU G8 de Génes en 2001, à Davos-New York en 2002, etc.) en revanche des critiques
majeures en provenance de la société civile africaine se révèlent actuellement : en effet, on
ne peut résoudre le partenariat pour un développement durable à un enjeu Nord-Sud. Le
développement durable inclut une forte participation des populations aux choix de
développement (Agenda 21) or, comme le note la position des représentants de plus de 10
000 organisations de la société civile réunis à Alger en mars 2002 : " We appreciate the
initiative of NEPAD, an initiative coming from Africa for Africa but we draw attention to the
fact that the NEPAD did not emerge out of a process of consultation that involved all aspects
of civil society ".

Jean-Philippe Thomas, session Juin 2010.


Renforcer les positions des pays du Sud dans les négociations internationales : prémisse
à une meilleure régulation mondiale

A l'absence de consensus à Monterrey s'ajoute le " consensus ambiguë " sur l'OMC à Doha.
Malgré tout, et sans entrer dans le détail des négociations de Doha, les pays ACP (Afrique,
Caraïbes et Pacifique) ont su faire jouer l'aspect dérogatoire de l'accord de partenariat ACP-
UE : " Désormais leur défi consistera à tirer parti de leur poids en tant que groupe au sein de
l'OMC, et à commencer à exercer une influence réelle sur l'établissement des règles
commerciales multilatérales ". Mais on voit avec les APE les difficultés rencontrées ! Cet
exemple de renforcement des positions des pays du Sud n'est encore que marginal car dans
d'autres cas, comme le changement climatique, les positions sont éminemment attentistes
face à, d'un côté, un noyau de pays avec des engagements de réductions de GES et, de l'autre,
l'absence du pays le plus émetteur de CO2 de la planète (36 %). Or les négociations " climat
" fournissent le moyen (tout du moins avant le retrait américain ) " d'organiser pacifiquement
la sortie progressive (sur un siècle ) de l'ère pétrolière (et les risques géopolitiques liés) et
une occasion de mettre en place des outils de régulation internationale qui ne se résument pas
à la seule libéralisation des échanges ". Face au besoin de régulation globale énoncée
précédemment, les PED doivent, dans le jeu des négociations internationales, faire prévaloir
des positions qui vont dans le sens d'une prise en compte forte de leur propres besoins de
développement.

Le " développement d'abord " comme seule réponse à la vulnérabilité des PED

" Le développement d'abord " est, en premier lieu, une analyse en profondeur des causes
(plus que des conséquences) de cette vulnérabilité intrinsèque qui caractérise les PED et qui
se manifeste par une forte paupérisation.

Pourquoi les PED sont vulnérables ?

L'ensemble des Conventions issues de Rio introduit (ou réintroduit) le concept de


vulnérabilité aux effets de la désertification, au réchauffement climatique, à la perte de
biodiversité, etc. Cette manière de voir les choses entraîne tout un ensemble de Plan d'action
ou de stratégie nationale (PAN, CN,…) qui, pour la plupart, occultent l'essence même de la
vulnérabilité des populations les plus pauvres, à savoir leur vulnérabilité économique et
sociale.

Il est grand temps de renverser l'approche et, comme l'a préconisé Amartya SEN, de
commencer par l'analyse microéconomique et social avec ce qu'il nomme " entitlements " , à
savoir la manière dont on peut satisfaire ses besoins élémentaires par la production, l'échange
ou tout moyen légitime comme les obligations familiales, de parenté ou de réciprocité . Le
patrimoine (ou actif) qu'un ménage a accumulé, comprend les investissements pour produire,
les stocks, les liquidités et tout ce qu'un ménage est en droit d'obtenir dans le contexte
économique et social où il évolue (autres ménages, famille, entreprises, administration, etc.).
Toute rupture de la chaîne crée une situation de crise qui se manifeste en particulier par la
famine et un état de paupérisation croissante. La vulnérabilité est donc la résultante de cette
chaîne causale dans laquelle la " nature ", et par suite ce qu'on appelle les impacts de la
désertification, du CC ou autre, n'est qu'un élément parmi d'autres et non pas la raison
unique.

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Le développement d’abord : Les réponses internationales aux problèmes
d’environnement : Changement climatique. Jean Philippe THOMAS
ENDA Lead

On en revient ainsi à une problématique de développement endogène basé sur la conjonction


des dynamiques social, de production et d'échange. Le rôle des Etats et de la communauté
internationale est alors de réguler ce qui " échappe " à ces dynamiques endogènes, (à savoir
les externalités négatives) : c'est la prise en compte, au niveau régional et mondial, de " biens
collectifs" qui pour un continent, comme l'Afrique, couvrirait, en reprenant les analyses de L.
Cook & J. Sachs : l'environnement, la santé publique, la réglementation et la stabilisation des
marchés, la coordination des réseaux transfrontaliers, les télécommunications, les réseaux
électriques, la recherche et la vulgarisation agricole et l'application des lois.

Le problème se déplace alors vers le financement de ces biens collectifs, c'est à dire la prise
en charge de leur coût par une nouvelle répartition des ressources à l'échelle mondiale.
L'APD se transforme ainsi en un flux de ressources nécessaires tant au Nord qu'au Sud pour
réguler un développement plus durable pour l'ensemble de la planète. Elle n'est plus une
sorte de bienfaisance humanitaire mais une des composantes de la régulation mondiale, tout
comme les systèmes de répartition et de redistribution nationaux l'ont été pour asseoir le
développement des pays industrialisés. L'équité tant prônée par toutes les Conventions
internationales, et perçue de manière compartimentée suivant la Convention à laquelle on se
réfère (exemple de l'équité dans le CDM !), devient ainsi un des éléments moteurs du
système puisqu'il participe à sa régulation.

Ce sont là les véritables enjeux des négociations internationales actuelles, à Cancun ou


ailleurs.

Dr. Jean-Philippe Thomas

Enda Tiers Monde

Jean-Philippe Thomas, session Juin 2010.

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