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PROBLEMES et DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES AI M. GARDNER R. MARCHAND Ingénieur E.N. et E.S.E. Tome I DUNOD PARIS 1964 Table des Matiéres AVANT-PROPOS . 1. Hexaflexagones 2. Le carré magique .... 3. Neuf problémes .......0..ceeeeseeeeeeeeee 4. Tictactoe ........455 5. Paradoxes sur les probabilités ...... 6. Le Jeu d'Icosie et la Tour de Hanoi .. 7. Modéles topologiques curieux ............ 8. Le Jeu de Hex ........... eee eee . 9. Sam Loyd : Le plus grand auteur de problémes des Etats-Unis .... 10. Tours de cartes mathématiques ...........ceeeceeeceeeeeees 11, Comment se rappeler les nombres ...........5++ 12. Neuf autres problémes 13. Polyminos..............5 14. Faux raisonnements ......0.. 6. sees ee eeee ee eeeeeenneeeeeee 15. Nim et Tac Tix....ssssccsceeeeeeeee sees 16. Gauche ou droite 2 1.6... . ee cece eee cece teen eee teen eee eee VIL 154 Abvant- propos La part de jeu qui rend récréatives les « mathématiques récréa- tives » peut prendre bien des formes : probléme A résoudre, jeu d’émulation, tour magique, paradoxe, faux raisonnement, ou simplement mathématiques avec toutes sortes de stimulants curieux ou amusants. S’agit-il, dans ces exemples, de mathématiques pures ou appliquées ? Il est difficile de le dire. En un sens, les mathématiques récréatives sont des mathématiques pures — pures de tout emploi. En un autre, elles sont des mathématiques appli- quées, car elles répondent a ce besoin universel de !’homme qu’est le jeu. Les mathématiques pures, elles-méme, cachent peut-étre ce besoin. Il n’y a que peu de différence entre l’enchantement éprouvé par le débutant qui perce un ingénieux casse-téte et celui du mathématicien qui triomphe d’un probléme trés ardu. Tous deux contemplent la pure beauté — cet ordre clair, au dessin net, mys- térieux, enchanteur, qui est sous-jacent 4 toute structure. Il n’est donc pas surprenant que, souvent, il soit difficile de distinguer entre mathématiques pures et récréatives. Par exemple, le théoréme sur la carte 4 quatre couleurs est un important probléme de topo- logie non résolu: on trouvera cependant des discussions de ce théoréme dans maint volume créatif. Nul ne peut nier que les hexagones en papier, sujet du premier chapitre de ce livre, ne soient des jouets prodigieusement divertissants ; pourtant, l’analyse de leur structure nous entraine rapidement dans la difficile théorie des groupes, et des articles sur ces hexagones ont paru dans les revues de mathématiques les plus techniques. Les mathématiciens créateurs ont rarement honte de leur intérét pour les questions récréatives. L’origine de la topologie est l’analyse, que fit Euler, d’un probléme de traversée de ponts. VIL AVANT-PROPOS Leibnitz a consacré beaucoup de temps a étudier le jeu de toupie qui, récemment, a réapparu avec succts dans le commerce, sous le nom de « Mesurez votre intelligence ». Le grand mathématicien allemand David Hilbert a démontré un théoréme fondamental du domaine des problémes concernant le découpage des surfaces. Feu A.M. Turing, qui fut un pionnier de la théorie moderne des calculateurs, a discuté le « probléme de 15 » de Sam Loyd (étudié au chapitre 9 de ce volume) dans un article sur les problémes solubles et insolubles. Piet Hein (dont le le jeu de Hex est l’objet du chapitre 8) m’a dit que, dans Ja biblio- théque d’Albert Einstein auquel il rendait visite, il apercut un rayon consacré aux livres de mathématiques récréatives. Il n’est pas difficile de comprendre !’intérét de ces grands esprits pour le jeu mathématique, car la pensée créatrice consacrée 4 des questions si banales ne fait qu’un avec le mode de pensée qui conduit a la découverte mathématique et scientifique. Aprés tout, que sont les mathématiques, sinon Ia résolution de problémes ? Et qu’est la Science, sinon un effort systématique pour répondre de mieux en mieux aux problémes que pose la nature ? Aujourd’hui, la valeur pédagogique des mathématiques récréa- tives est largement reconnue. Une importance croissante leur est attribuée dans les revues publiées pour les professeurs de mathé- matiques, ainsi que dans les derniers livres d’enseignement, surtout ceux écrits du point de vue « moderne ». Par exemple, Algébre moderne et activités humaines (1), de J.G. Kemeny, J.L. Snell et G.L. Thompson, est rendue vivant par beaucoup de questions récréatives. Ces sujets captent l’intérét d’un étudiant plus que bien d'autres ne pourraient le faire. Le professeur de mathématiques qui, dans un lycée, réprimande deux éléves jouant en cachette au jeu de Tictactoe au lieu d’écouter son cours, pourrait bien s’arréter et se demander : « Ce jeu a-t-il, pour ces éléves, plus d’intérét mathématique que ce que je leur raconte ? » En fait, la discus- sion, en classe, du Tictactoe, n'est pas une mauvaise introduc- tion 4 diverses branches des mathématiques modernes. @) Dunod, éditeur, 1960, AVANT-PROPOS x Dans un article sur la « Psychologie de la folie des problémes » Henry Ernest Dudeney, le grand amateur anglais de problémes, exprimait deux regrets. La littérature sur les mathématiques récréatives, écrivait-il, se répéte énormément, et l’absence d’une bibliographie adéquate oblige les enthousiastes 4 gaspiller du temps pour inventer des problémes posés il y a longtemps. Je suis heureux de signaler que le besoin d’une telle biblio- graphie a, enfin, été satisfait. Sous le titre Mathématiques récréa- tives, le Professeur William L. Schaaf, du Collége de Brooklyn, a établi et vérifié une excellente liste de 143 pages, que l’on peut se procurer pour 6 F au Conseil National des Professeurs de Mathématiques (1), r20r Sixteenth Street, N.W. Washington 6, D.C. Une édition revue a été publiée en 1958. Quant au second regret de Dudeney, je crains qu’il ne concerne toujours les livres habituels de ce domaine, y compris le présent volume, mais je crois que les lecteurs découvriront ici plus que I’habituel apport d’éléments nouveaux non encore imprimés. Je remercie Gérard Piel, éditeur du Scientific American, et Dennis Flanagan, rédacteur en chef, pour le privilége de figurer réguligrement dans le groupe distingué de leurs collaborateurs, et pour la permission de reproduire mes recherches dans le présent volume. Je suis également reconnaissant aux milliers de lecteurs de toutes les parties du monde, qui ont pris la peine d’attirer mon attention sur des erreurs (hélas trop fréquentes), et de faire de précieuses suggestions. Parfois, ces aimables réactions ont été incorporées dans les articles eux-mémes, mais, dans la plupart des cas, elles ont été réunies en un complément, a la fin de chaque chapitre. Quand il le faut, les réponses aux problémes sont aussi indiquées en fin de chapitre. Enfin, je ne dois pas manquer de remercier ma femme, non seulement pour sa compétence et toute sa bonne humeur dans la correction des épreuves, mais aussi pour sa patience durant ces heures éprouvantes de méditation mathématique, quand je n’entendais pas ce qu'elle me disait. Martin GARDNER @) National;Council of Teachers of Mathematics. CHAPITRE 1 Hexaflexagones Les Flexagones sont des polygones en papier, pliés A partir de bandes, droites ou courbes et qui ont la charmante propriété de changer de faces quand on les fait « jouer » par flexion. N’efit été le fait banal de formats différents des papier 4 lettres anglais et américain, les Flexagones pourraient encore étre inconnus, et un certain nombre de mathématiciens de haut vol n’auraient pas eu le plaisir d’étudier leurs curieuses structures. Tout commenga 4 I’automne de 1939. Un étudiant anglais de 23 ans, Arthur H. Stone, résidant a l'Université de Princeton ot il avait une bourse de Mathématiques, venait de diminuer de deux centimétres et demi les feuilles de son cahier américain, pour qu’elles puissent s’adapter 4 son classeur anglais. Pour s’amuser, il com- mena a plier de diverses facons les bandes de papier qu'il venait d’enlever, et il arriva que l’une des figures faites l’intrigua parti- culiérement. Il avait plié la bande en diagonale 4 trois endroits, puis réuni les extrémités, réalisant ainsi un hexagone (voir fig. 1). Quand il pingait ensemble deux triangles adjacents et repoussait vers le centre le coin opposé de I’hexagone, celui-ci s’ouvrait 4 nouveau comme une fleur fraiche éclose, et montrait une face entitrement différente. Par exemple, si l’avers et le revers de l’hexagone initial étaient peints en couleurs différentes, la nouvelle face ressortait blanche et l’une des faces coloriées disparaissait ! Cette structure, le premier flexagone qui fat découvert, avait trois faces. Stone y pensa un peu pendant la nuit, et, le jour suivant, confirma sa conviction (acquise par pur travail mental) que I’on 2 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES pouvait réaliser par pliage, un type hexagonal plus compliqué, ayant six faces au lieu de trois seulement. Arrivé 1a, Stone trouva la structure si intéressante qu’il montra le modéle de papier 4 ses camarades d’école. Une quantité de « flexagones » apparut rapi- dement a table, pendant le déjeuner et le diner. Un « Comité du Flexagonage » fut constitué pour sonder plus avant les mystéres du « flexagone ». A part Stone, les autres membres en étaient Bryant Tuckerman, étudiant en mathématiques, Richard P. Feynman, Fig. 1 On construit un trihexaflexagone en découpant une bande de papier de telle sorte qu’on puisse la diviser en 10 triangles équila- téraux (A). La bande est repliée le long de la ligne ab, puis re- tournée (B). On la replie 4 nouveau le long de la ligne cd, I’avant dernier triangle étant superposé au premier (C). Puis, le dernier triangle est replié et collé sur l'autre face du premier (D.) On peut faire «jouer» la figure comme on le voit page 3; elle n'est pas destinée 4 étre découpée. Il est recommandé d’employer du papier assez fort d’au moins ? trois centimétres et demi de large. b HEXAFLEXAGONES 3 étudiant en physique, et John W. Tukey, jeune répétiteur de mathématiques. Les modéles furent appelés hexaflexagones — « hexa » pour leur forme hexagonale, et « flexagones » pour leur aptitude a « jouer », Le premier modéle de Stone est un trihexaflexagone (« tri», car on peut faire apparaitre les trois faces différentes); son élégant second modéle est un hexahexaflexagone (car il a six faces). Pour faire un hexahexaflexagone, on part d’une bande de papier (le ruban pour machines a additionner convient trés bien), et on la divise en 19 triangles équilatéraux (voir fig. 2). On numérote 1, 2 et 3, successivement, les triangles qui sont sur une face de la bande, le 19° triangle étant laissé en blanc, comme le montre la figure 2 A. Les triangles de la face opposée sont numérotés 4, 5 et 6, selon la figure. Puis on plie la bande de telle sorte que, au revers, les mémes nombres s’appliquent Tun sur l'autre : 4 sur 4, 5 sur 5, 6 sur 6, et ainsi de suite. La bande ainsi pliée — que représente le dessin B de Ja figure 2 — est alors elle-méme repliée suivant les lignes ab et cd (dessin C) de facon a former un hexagone (dessin D); finalement le triangle blanc est retourné et collé sur le triangle blanc correspondant de |’autre face de la bande. Il est plus aisé de faire tout ceci avec une bande de papier ot figurent les triangles, que de le décrire. Si vous avez fait les pliages correctement, les triangles de l’une des faces visibles de I’hexagone seront tous numérotés 1, ceux de l'autre face étant tous numérotés 2. L’hexahexaflexagone est maintenant prét a «jouer». Pincez ensemble deux triangles 4 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES adjacents (voir fig. 3) en courbant le papier le long de la ligne qui les sépare, et appuyez sur le coin opposé; la figure peut alors s’ouvrir de fagon A montrer 3 ou 5. En faisant « jouer » au hasard, on devrait pouvoir trouver les autres faces sans grandes difficultés. Les faces 4, 5 et 6 sont un peu plus ardues 4 amener que les faces I, 2 et 3. Parfois, on peut étre enfermé dans un cycle pénible qui fait sans cesse retomber sur les trois mémes faces. Tuckerman découvrit rapidement que le moyen le plus simple d’amener toutes les faces de n’importe quel flexagone était de s’en tenir a faire « jouer » ce dernier au méme coin, jusqu’a ce qu'il tefuse de s’ouvrir, puis de passer au coin suivant. Connue sous le WAVAVAVAVA| of cod Fig. 2 On construit un hexahexaflexagone en découpant une bande de papier de telle sorte qu’on puisse la diviser en 19 triangles (A). Les triangles d’une face sont numérotés 1, 2 et 3; ceux de l’autre face 4, 5 et 6. Une décomposition analogue en couleurs ou dessins géométriques peut aussi étre utilisée. L’hexagone est alors obtenu par pliage, comme le montre le dessin D; il peut « jouer » de maniére a montrer six faces différentes. HEXAFLEXAGONES 5 Fig. 3 On fait «jouer» un trihexa- flexagone en pingant simulta- nément deux de ses triangles (haut). L’autre main peut ouvrir Taréte intérieure de deux trian- gles opposés (bas). Si le pliage ne peut pas étre ouvert, on pince la paire adjacente de triangles. Si le pliage s’ouvre, Vintérieur et l’extérieur peuvent étre permutés, ce qui découvre une face jusque 14 invisible. nom de « transversale de Tuckerman », cette méthode fait apparaitre Jes six faces d’un hexahexa dans un cycle de 12 « flexions », mais les faces 1, 2 et 3 sortent trois fois plus souvent que 4, 5 et 6, La figure 4 représente un moyen commode de schématiser la trans- versale de Tuckerman, les fléches indiquant l’ordre dans lequel les faces apparaissent. On peut utilement appliquer ce type de diagramme & la « transversale » de tout type de flexagone. Quand le modéle est retourné, la transversale de Tuckerman parcourt le méme cycle, mais en sens inverse. En allongeant la chaine de triangles, le Comité découvrit que l'on peut faire des flexagones 4 9, 12, 15 faces, ou plus. Tuckerman parvint a réaliser un modéle utilisable qui en avait 48! Il trouva aussi qu’en utilisant une bande de papier coupée en zigzag (c’est- a-dire ayant des bords en dents de scie, et non plus rectilignes), 6 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES il était possible de fabriquer un tétrahexaflexagone (4 quatre faces) ou un pentahexaflexagone, Il y a trois hexahexaflexagones différents possibles : I’un en pliant une bande droite, un autre 4 partir d’une chaine pliée en hexagone, le troisitme en partant d’une forme ressemblant quelque peu a un tréfle a trois feuilles. Le décahexa- flexagone (a 10 faces) a 82 variétés différentes, toutes réalisées a partir de bandes pliées de facons étranges. On peut réaliser Fig. 4 Schéma d’une transversale de Tuckerman pour un hexahexaflexagone. des flexagones ayant tout nombre de faces que l’on désire; mais au-dela de 10, le nombre de formes que chacun peut prendre augmente dans une proportion inquiétante. A ce propos, tous les flexagones 4 nombre pair de faces sont faits 4 partir de bandes ayant deux faces distinctes; tandis que ceux a nombre impair de faces n’ont qu'une seule face, comme une surface de Moebius. HEXAFLEXAGONES 7 Tukey et Feynman ont élaboré en 1940 une théorie mathéma- tique compléte du « flexagonage » qui, parmi d’autres choses, montre exactement comment construire un flexagone ayant toutes dimensions et tout aspect que l’on désire. Cette théorie n’a jamais été publiée, bien que des parties en aient été, depuis, découvertes a nouveau par d’autres mathématiciens. Parmi les « flexeurs », se trouve le pére de Tuckerman, le distingué physicien Louis B. Tuckerman qui appartint autrefois au National Bureau of Stan- dards; il établit, pour la théorie, un diagramme, simple mais efficace, en forme d’arbre. Pearl Harbor amena un arrét dans le programme de « flexage » du Comité, et les taches de guerre éparpillérent vite les quatre associés a tous les horizons. Stone est maintenant Lecteur de mathématiques a l'Université anglaise de Manchester. Feynman, actuellement a I’Institut de Technologie de Californie, est célébre en physique théorique. Tukey, professeur de mathématiques 2 Princeton, a fait, a la Topologie et a la Statistique, de brillants apports qui lui valurent une considération mondiale. Tuckerman est un mathématicien bien connu de I’Institut des Hautes Etudes de Princeton, of il collabore au projet de calculateur électronique de I’Institut. Les membres du Comité espérent pouvoir, un jour prochain, établir en commun une ou deux notes qui seront l’exposé définitif de la théorie des flexagones. D’ici 14 nous sommes tous libres de construire les nétres, et de voir ce que nous pouvons, pour nous- mémes, découvrir de la théorie. COMPLEMENT Pour construire des flexagones a partir de bandes de papier, une bonne méthode consiste 4 plier en avant et en arriére, suivant Jes lignes de pliage, avant de réaliser le modéle : il s’ensuit que le flexagone « joue » bien plus efficacement. Quelques lecteurs ont réalisé des modéles plus durables en découpant des triangles dans des feuilles de carton ou de métal pour affiches, puis en les réunissant avec de petits morceaux de ruban, ou bien en les collant GanDNER. — Problémes et divertissements mathématiques, 1. 2 8 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES sur un long ruban, et en laissant entre eux des espaces leur per- mettant de «jouer», Louis Tuckerman garde sous la main un ruban d’acier de dimensions telles qu’en enroulant autour de lui un ruban de papier d’une certaine largeur, il peut réaliser rapi- dement une bande dont le pliage est le méme que celui de la figure 2B. Ceci épargne beaucoup de temps dans la fabrication des flexa- gones a partir des triangles alignés en chaine, Des lecteurs m’ont communiqué une grande variété de moyens permettant de décorer les faces des flexagones pour y réaliser d'intéressants dessins ou représenter des figures d’un aspect frappant. Par exemple, chaque face de I’hexahexa apparait sous deux formes différentes au moins, par une rotation des triangles élémentaires se correspondant I’un a l'autre. Si donc on divise chaque face comme Je montre la figure 5, en coloriant différemment Fig. 5 les aires A, B et C, la méme face peut apparaitre en ayant au centre, soit les aires A, ce qui est le cas de la figure, soit les aires B ou C. La figure b montre comment un dessin géométrique peut étre réalisé sur une face avec trois dispositions différentes. Des 18 faces possibles que la rotation des triangles peut amener, trois sont impossibles a réaliser avec un hexahexa fait 4 partir d’une bande droite. Ceci suggéra 4 l’un de mes correspondants Vidée de coller sur chaque face des fragments de trois dessins HEXAFLEXAGONES 9 différents, de telle sorte que, par un pliage convenable du modéle, on pouvait prévoir que telle figure apparaitrait au centre, tandis que les deux autres seraient réparties sur le pourtour. Sur les trois hexagones intérieurs ne pouvant étre vus, il collait des fragments de trois figures représentant des jeunes personnes avenantes et dévétues, de fagon a réaliser ce qu’il appela un hexahexafrustragone. Un autre lecteur m’écrivit qu’il avait obtenu des résultats analogues en collant ensemble deux faces triangulaires adjacentes. Ceci empéche une face entire d’apparaitre par pliage, bien que l’obser- vateur « frustré » puisse vérifier qu’elle existe, en jetant un coup d’eil a V'intérieur du modéle. Il est excessif de déclarer qu’a partir d’un hexahexa réalisé avec une bande droite, quinze modéles différents soient les seuls possibles. Un coloriage différent des faces révéle le fait curieux Fig. 6 que trois de ces quinze modéles peuvent étre associés 4 leurs «images » réfléchies. Si on numérote de x a 6, dans le sens des aiguilles d’une montre, les coins intérieurs de chaque modéle, on trouve que trois de ces modéles apparaissent avec les mémes chiffres, mais en sens inverse des aiguilles d’une montre. Tenant compte de cette dissymétrie, on peut dire que les six faces de cet hexahexa présentent, au total, 18 configurations différentes, Ceci me fut signalé pour la premiére fois par Albert Nicholas professeur de pédagogie au Collége de Monmouth, dans I’Illinois, o& la fabri- cation des flexagones devint une sorte de folie, dans les premiers mois de 1957. 10 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES Je ne sais qui fut le premier A utiliser des flexagones imprimés comme cadeaux publicitaires ou cartes de veux. Le premier qui me fut envoyé était un trihexa adressé par la Rust Engineering Company de Pittsburgh, pour annoncer, en 1955, leur banquet de remerciement. Comme carte de Noél en 1956, le Scientific American utilisa un bel hexahexa présenté de facon 4 montrer une variété de dessins faits de flocons de neige en couleurs. Pour les lecteurs qui voudraient réaliser et analyser des flexa- gones autres que les deux décrits dans ce chapitre, voici une rapide énumération de variétés élémentaires : 1° Le monohexa: une bande de trois triangles peut étre pliée a plat, ses bords opposés étant réunis de fagon a faire une bande de Mebius de forme triangulaire (pour une telle bande de Mcebius de type plus élégant, voir le chapitre 7). Comme elle a une seule face faite de six triangles, on pourrait l’'appeler un unahexaflexagone, bien que, naturellement, il n’ait pas six cétés, et ne « joue » pas. 2° Le duohexa : c’est simplement un hexagone découpé dans une feuille de papier. Il a deux faces, mais ne « joue » pas. 3° Le trihexa : il n’a que la forme unique décrite dans ce chapitre. 4° Le tétrahexa : il n’a, pareillement, qu’une seule forme; et on l’obtient par pliage 4 partir de la bande ayant la forme a dents de la figure 7 A. 5° Le pentahexa : une forme seulement. Pliage a partir de la bande vue sur la figure 7 B. 6° L’hexahexa : il y a trois variétés dont chacune a des pro- priétés propres. L’une d’elles est décrite dans ce chapitre. Les deux autres sont obtenues par pliage 4 partir des bandes repré- sentées. Voir la figure 7 C. 7° L’heptahexa : il peut étre réalisé A partir des trois bandes que I’on voit figure 7 D. La premiére peut étre pliée de deux facons différentes, et donne, au total, quatre variétés. La troisigme forme, obtenue a partir d’une bande de 8 a recouvrements, est le premier exemple de ce que Louis Tuckerman appelle les « flexa- gones en rue ». On peut numéroter ses faces de telle sorte qu’une V/ LINIV\ LAs VA LL VV VAL Fig. 7 Bandes a dents pour le pliage d’hexaflexagones. Les triangles ombrés sont a col 12 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES transversale de Tuckerman améne au sommet les sept faces dans leur ordre, comme, dans une rue, on voit successivement les numéros des maisons. L’octahexa a 12 variétés différentes, l’enneahexa en a 27 et le decahexa, 82. Le nombre exact des variétés de chaque ordre peut étre évalué de plus d’une facon, suivant la définition d’une variété distincte. Par exemple, tous les flexagones ont une structure asymé- trique qui peut étre « orientée » 4 droite ou a gauche, mais on pourrait difficilement classer les « images » réfléchies comme des variétés différentes de formes. Les chaines rectilignes de triangles ne peuvent donner que des hexaflexagones dont les ordres sont des multiples de trois. Une variété d’hexa 4 12 faces est particulitrement aisée a réaliser. Partez d’une chaine rectiligne ayant une longueur double de celle utilise pour I’hexahexa. « Enroulez »-la comme sur la figure 2 B. La bande a maintenant la méme longueur que celle utilisée pour I’hexahexa. Pliez-la, ensuite, comme pour faire un hexahexa. Le résultat sera un dodécahexaflexagone. En faisant des essais sur les flexagones d’ordre élevé, une régle commode & avoir en téte est que le nombre des feuilles (épaisseurs) de papier correspondant 4 deux triangles adjacents est toujours égal au nombre des faces. De plus, il est intéressant de noter que si l’on attribue a chaque face d’un flexagone un nombre, ou un symbole, que l’on inscrit sur chaque triangle élémentaire, l’ordre des symboles d’une bande dépliée a toujours une triple symétrie. Par exemple, la bande pour I’hexahexa de la figure 2 comporte pour I’avers et le revers les suites de nombres ci-dessous : 123123 123123 123123 445566 445566 445566 Une division en trois groupes, analogue A celle-ci, est carac- téristique de tous les hexahexaflexagones, bien que, pour les modéles dordre impair, l'un des trois groupes soit toujours dans !’ordre inverse. CHAPITRE 2 Le carré magique Depuis plus de 2 000 ans, les carrés magiques ont intrigué les mathématiciens. Dans sa forme traditionnelle, le carré est construit de telle sorte que les nombres de chaque ligne, de chaque colonne et de chaque diagonale aient la méme somme La figure 8 représente cependant un carré magique d’un type entitrement différent. Ce carré ne semble relever d’aucune méthode : les nombres y paraissent répartis au hasard. Et pourtant il posséde une propriété magique qui étonne la plupart des mathématiciens autant que les profanes. Un moyen commode de démontrer cette propriété consiste a vous munir de 5 piéces de monnaie et de 20 petites marques de papier, par exemple en forme d’allumettes. Demandez main- tenant a quelqu’un de choisir un nombre quelconque du carré. Placez une piéce sur ce nombre et éliminez tous les autres nombres de la méme ligne et de la méme colonne, en les recouvrant avec des marques. Demandez a la personne de choisir un second nombre dans l'une quelconque des cases non recouvertes. Comme avant, mettez une piéce sur ce nombre et recouvrez tous les autres de la méme ligne et de la méme colonne. Renouvelez l’opération deux autres fois. Il restera une seule case non recouverte sur laquelle vous mettrez la cinquiéme piéce. Si vous additionnez les cinq nombres, apparemment choisis au hasard, qui sont sous les pices, il est certain que le total sera 57. Il n’y a 1a rien de fortuit. A chaque nouvelle expérience, le total sera le méme. 14 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES Si vous aimez résoudre les énigmes mathématiques, peuteétre voudrez-vous vous arréter ici pour étudier le carré, et voir si vous pouvez découvrir son secret par vous-méme. Comme la plupart des tours, celui-ci est ridiculement simple quand on l’explique. Le carré n’est rien d’autre que la bonne vieille table d'addition présentée avec artifice. Le tableau est cons- truit a partir de deux groupes de nombres : 12, 1, 4, 18, 0 et 7, 0, 4, 9, 2 dont la somme est 57. En écrivant horizontalement le premier de ces groupes au-dessus de la premiére ligne et le deuxitme, verticalement, 4 gauche de la premiére colonne (voir fig. 9), on voit immédiatement comment les nombres des cases sont déter- LE CARRE MAGIQUE 15 12 1 4 «+18 =O 25 0112) 144 {18 4 16 | 5 | 8 |22 9 | 21| 10} 13 | 27 2 |14 3 | 6 | 20 Fig. 9 N S © = N n|OoO 1s ” minés. Le nombre de la premiére case (premiére ligne, premiére colonne), est la somme de 12 et de 7, et ainsi de suite pour les autres cases. On peut construire des carrés magiques de ce type aussi grands que l’on veut, avec toutes combinaisons de nombres désirées. Le nombre des cases ou les nombres choisis initialement n’importent en aucune maniére. Ces derniers peuvent étre positifs ou négatifs, entiers ou fractionnaires, rationnels ou irrationnels. Le tableau résultant aura toujours la propriété magique de fournir, par la méthode décrite, un nombre déterminé et qui sera toujours la somme de deux groupes de nombres générateurs. Dans le cas traité ici, on pourrait décomposer le nombre 57 en huit nombres quelconques dont la somme Iui soit égale. Tl est maintenant aisé de voir le principe sous-jacent a ce tour. Chaque nombre du carré représente la somme d’un couple de nombres pris dans les deux groupes générateurs. Quand on place une piéce sur le nombre, cette paire particulitre est éliminée. En vertu de la méthode, il est obligé que les piéces soient dans des lignes et des colonnes différentes; les piéces recouvrent donc les sommes de cinq paires différentes prises parmi les dix nombres générateurs, ce qui équivaut 4 la somme de ces dix nombres. 16 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES 1 2 3 4 14 Fig. 10 Un des moyens les plus simples de composer une table d’addi- tion sur un carré magique est d’écrire d’abord 1 dans le coin supé- rieur gauche, puis de continuer de gauche a droite avec des nombres entiers successifs. Un tableau de cette sorte A quatre x quatre cases, devient une table d’addition pour les deux groupes de nombres I, 2, 3, 4 et 0, 4, 8, 12 (fig. 10). Ce tableau donne nécessairement le nombre 34. Le nombre « imposé » est naturellement fonction des dimen- sions du carré, Si un cété a n cases, le nombre imposé sera : ne+tn = Pour les carrés dont le cété a un nombre impair de cases, ce nombre sera égal au produit de n par le nombre de la case centrale. Si on écrit d’abord un nombre plus grand que 1 (soit a) et si on écrit 4 la suite les nombres successifs, le nombre imposé sera : m+n 2 +n(a—1). LE CARRE MAGIQUE 17 Il est intéressant de noter que le nombre imposé est le méme que le total de chaque ligne et de chaque colonne d’un carré magi- que classique formé avec les mémes éléments numériques. Il est aisé, grace a la seconde formule, de calculer le nombre initial d’un carré ayant un nombre de cases et un nombre imposé déterminés 4 volonté. Il est frappant d’arréter quelqu’un impromptu en lui demandant de vous donner un nombre supérieur 4 30 (ceci est nécessaire pour éviter d’avoir dans le carré de petits nombres agacants); puis de composer rapidement un carré quatre x quatre, ayant ce nombre comme nombre imposé. (Au lieu d’utiliser des pices, une méthode plus rapide consiste 4 faire entourer de cercles, par la personne interrogée, les nombres qu'elle choisit, puis a tirer un trait sur Ja ligne et la colonne correspondantes), Le seul calcul, possible de téte, que vous ayez a faire est de sous- traire 30 du nombre énoncé, puis de diviser le résultat par 4. Par exemple, on appelle 43. En soustrayant 30, il reste 13, qui divisé par 4 donne 3 1/4. Si vous mettez ce nombre dans la premiére case d'un carré quatre x quatre, et continuez dans l’ordre 4 1/4, 5 1/4..., Vous construirez un carré magique ayant 43 comme nombre imposé. Cependant, pour rendre le carré plus déconcertant, il faut brouiller l’ordre des nombres. Par exemple, vous pourriez mettre le premier nombre, 3 1/4, dans une case de la troisiéme ligne, comme on le voit figure 11, et les trois nombres suivants (4 1/4, 5 1/4 et 6 1/4) sur la méme ligne dans un ordre quelconque. Vous pouvez maintenant écrire les quatre nombres suivants sur une autre ligne (n’importe laquelle) pourvu que leurs cases soient dans le méme ordre qu’avant. Faites exactement la méme chose avec les deux derniéres lignes. Le résultat final ressemblera au carré représenté figure 12. Si vous voulez éviter les fractions en conservant 43 comme nombre imposé, supprimez 1/4 aprés tous les nombres et ajoutez 1 a chacun des plus grands nombres entiers qui deviennent 16, 17, 18 et 19. Il faudrait, de méme, ajouter 2 ou 3 si les fractions étaient 2/4 ou} 3/4. 18 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES 3% Fig. 14 Les changements d’ordre des nombres dans les lignes ou dans Jes colonnes n’affectent en rien la propriété magique du carré; et, en brouillant ainsi les cases, le carré parait bien plus mystérieux qu'il ne l’est en fait. On peut aussi utiliser les tables de multiplication pour impo- ser un nombre. Dans ce cas, il faut multiplier les nombres choisis au lieu de les additionner. Le produit final sera égal au produit des nombres générateurs. [16% 18% | 15% | 17% 8% | 10%) 7% | 9% 4% | 6% | 3% | 5% 12% LE CARRE MAGIQUE 19 Je n’ai pas réussi 4 découvrir qui, le premier, appliqua cette attrayante propriété des tables d’addition et de multiplication a un tour. Un jet de salon, avec cartes numérotées, basé sur ce principe, fut publié par Maurice Kraitchik, 4 la page 184 de ses Récréations mathématiques, parues en 1952. C’est la référence la plus ancienne que j’aie trouvée sur ce principe. Depuis 1942, plusieurs opérateurs aux tendances d’esprit mathématiques ont introduit des variations sur le théme initial. Par exemple Mel Stover, de Winnipeg, a remarqué que si, a toute page d’un calendrier, vous entourez 16 nombres d’un carré, celui-ci constitue une table d’addition ayant comme nombre imposé le double de la somme des deux nombres se trouvant aux extrémités de l’une ou l'autre des diagonales. L'habitude des jeux de cartes ouvre aussi des possibilités variées, Par exemple, est-il possible de disposer un jeu de cartes de sorte qu’aprés l’avoir coupé, on puisse distribuer une série de quatre cartes ayant toujours le méme nombre imposé ? Cette question n’a donné lieu qu’A peu de recherches, et peut avoir mainte conséquence curieuse 4 découvrir encore. COMPLEMENT Un opérateur de Courtright, dans l’Ontario, Stewart James, a inventé une nouvelle variété de carré magique, grace a laquelle on peut présenter, a coup sfir, tout mot que l’on veut a un audi- toire. Supposons qu'il s’agisse du mot HENRI. Formez un carré de cartes dont les faces (connues de vous seul), portent les lettres comme suit : On demande 4 quelqu’un de choisir une des cartes en en tou- chant le dos. Cette carte est mise de cété, sans qu’on voie le cété face, et on enléve toutes les autres cartes de la méme ligne et de 20 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES la méme colonne. On répéte l’opération trois fois de plus, et la seule carte restante est placée avec les quatre autres choisies. Les cinq cartes sont alors retournées et disposées de fagon a ce qu’on lise HENRI. Avec cette méthode, il est naturellement impossible qu'il y ait des cartes en double dans les cinq choisies. Un lecteur nous écrivit que le carré magique lui semblait étre une piquante curiosité 4 dessiner sur les cartes d’anniversaire envoyées aux amis ayant l'esprit mathématique. Le destinataire suit les instructions, additionne les nombres qu'il a choisis, et est stupéfait de voir que le total représente son Age. CHAPITRE 3 Neuf problemes 1. LE RETOUR DE L’EXPLORATEUR Un vieille devinette s’énonce comme suit. Un explorateur marche pendant un mille vers le Sud, tourne et marche pendant un mille vers l’Est, puis tourne encore et marche pendant un mille vers le Nord. Il se retrouve 4 son point de départ. II tue un ours. De quelle couleur était l’ours ? La réponse classique est ; « Blanc », parce que l’explorateur a dé partir du Péle Nord. Mais quelqu’un découvrit récemment que le Péle Nord n’est pas le seul point de départ satisfaisant a l’énoncé. Pouvez-vous imaginer quelque autre point de la Terre d’ot on pourrait marcher un mille vers le Sud, un mille vers l'Est, un mille vers le Nord, et se retrouver au point initial ? 2. POKER TIRE Deux hommes font une partie de poker tiré de la curieuse facon suivante. Ils étalent sur la table un jeu de 52 cartes, de facon 4 voir toutes les cartes. Le premier joueur tire une main en prenant les cing cartes qu’il choisit. Le second joueur fait de méme. Le premier joueur peut, maintenant, conserver sa main initiale ou tirer jusqu’a cing cartes. Ses écarts sont mis de cété, Puis le second joueur peut tirer de la méme facon. Alors, le joueur ayant la meil- leure main gagne. Les couleurs ont la méme valeur de sorte que deux « flush » sont équivalents, sauf si l’un contient de meilleures cartes. Quelque temps aprés, les joueurs découvrent que le premier joueur peut toujours gagner s'il tire convenablement sa premiére main. Que doit étre celle-ci ? 22 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES 3. L‘ECHIQUIER TRONQUE Pour ce probléme, il faut disposer d’un échiquier et de 32 dominos. Les dimensions d’un domino sont telles que celui-ci recouvre exactement deux carrés adjacents de l’échiquier. Les 32 dominos peuvent donc recouvrir les 64 carrés de ce dernier. Mais, supposons maintenant que l’on découpe deux carrés situés dans deux coins en diagonale (voir fig. 13) et que l'on enléve un domino, Est-il possible de placer les 31 dominos restants sur l’échiquier, de telle sorte que les 62 carrés soient tous recouverts ? Si oui, montrez comment on peut le faire. Si non, démontrez que c’est impossible. Fig. 13 Lréchiquier tronqué. 4 BIFURCATION SUR LA ROUTE Voici la version récente, modifiée, d’un vieux probléme de logique. En vacances dans les Mets du Sud, un logicien se trouve dans une ile habitée par deux tribus dont la réputation est que les membres de l'une d’elles disent toujours la vérité, tandis que ceux de l'autre mentent toujours. Il arrive 4 une bifurcation sur une route, et, a l’'indigéne qui se trouvait 1a, il doit demander laquelle des deux routes il faut prendre pour atteindre un village. Il n’a NEUF PROBLEMES 23 aucun moyen de dire si l'indigéne dit la vérité ou ment. Le logicien réfléchit un instant, puis pose une seule question. D'aprés la réponse, il sait quelle route prendre. Quelle question pose-t-il ? 6. BRONX CONTRE BROOKLYN Un jeune homme habite 4 Manhattan prés d’une station de métro. Il a deux amies, l’une a Brooklyn, !’autre dans le Bronx. Pour aller voir son amie de Brooklyn, il prend un train vers le haut de la ville; pour aller voir celle du Bronx, il prend un train sur Je méme quai, mais vers le bas de Ia ville. Comme il aime une amie autant que l'autre, il prend simplement le premier train qui se présente, laissant ainsi le hasard déterminer s’il va au Bronx ou 4 Brooklyn. Le jeune homme arrive sur le quai du métro 4 une heure quelconque, chaque samedi aprés-midi. Les trains pour Brooklyn et le Bronx arrivent a la Station aussi souvent l’un que I’autre, toutes les dix minutes. Il trouve cependant que, pour quelque taison obscure, il passe la plus grande partie de son temps avec son amie de Brooklyn, ot en fait, il va neuf fois sur dix en moyenne. Pouvez-vous imaginer une raison valable expliquant pourquoi Je hasard joue si fortement en faveur de Brooklyn ? 7. DECOUPAGE DU CUBE En utilisant une scie mécanique, un charpentier veut découper un cube de bois de 3 décimétres de cété, en 27 cubes de 1 décimétre de cété. Il peut y arriver aisément en faisant six coupes dans le cube, et en laissant les piéces juxtaposées dans leur position initiale (voir fig. 14). Peut-il diminuer le nombre des coupes nécessaires en changeant la disposition des morceaux aprés chacune d’elles ? 8. L’ABONNE EN AVANCE Un abonné a I’habitude d’arriver 4 sa station de banlieue chaque soir a 5 heures exactement. Sa femme attend toujours le train et Je raméne en auto 4 la maison. Un jour, il prend, plus tét, un train qui arrive a la station a 4 heures, Le temps est beau, et au lieu de Ganpnen. — Problémes et divertissements mathématiques. 1. 3 24 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES téléphoner chez lui, il part a pied sur la route que sa femme prend toujours; ils se rencontrent quelque part sur le chemin. Lui monte en voiture et tous deux reviennent chez eux, en y arrivant dix minutes plus tét que d’habitude. En supposant que sa femme conduise toujours 4 la méme vitesse, et que, ce jour-la, elle soit partie juste 4 temps pour l’arrivée du train de 5 heures, pouvez-vous déterminer pendant combien de temps le mari a marché avant d’étre pris en auto ? 9. LES PIECES FAUSSES Il y a quelques années, un certain nombre de problémes sur les poids de piéces ou de balles ont soulevé un intérét général. En voici une vatiante nouvelle, d’une charmante simplicité. On a 10 piles @ 6 eB Bee eB sa Fig. 14 Le cube coupé en tranches (haut) Fig. 15 Z—\ Les pitces fausses (gauche). de piéces de chacune 50 francs (voir fig. 15). L’une des piles n’a que des piéces fausses mais on ne sait pas laquelle. Le poids d’une piéce bonne, est connu et chaque piéce fausse pése un gramme de plus qu’elle ne devrait. On peut peser les pitces sur une balance a aiguille. Quel est le plus petit nombre de pesées nécessaire pour déterminer quelle est la pile de piéces fausses ? NEUF PROBLEMES 25 REPONSES 1, Ya-t-il sur la Terre un point autre que le Péle Nord, 4 partir duquel vous pourriez marcher un mille vers le Sud, puis un mille vers l'Est, enfin un mille vers le Nord, pour vous retrouver au point de départ ? Oui, vraiment, et pas seulement un, mais une infinité! Vous pouvez partir de tout point d’un cercle entourant Je Péle Sud, a une distance légérement supérieure 4 (« + x) milles, soit environ 1,16 mille du Péle. « Légérement supérieure » pour tenir compte de la courbure de la Terre. Aprés avoir parcouru un mille vers le Sud, votre parcours suivant d’un mille vers l'Est vous fera faire un cercle complet autour du Péle, et le parcours, a partir de Ja, d’un mille vers le Nord, vous fera revenir au point de départ. Ce point pourrait donc étre pris parmi l’infinité de points du cercle distant de 1,16 mille du Péle Sud. Mais ce n’est pas tout. Vous pourriez aussi partir de points plus proches du Péle, de sorte que le parcours vers l'Est vous ferait faire le tour du Péle exactement deux fois, trois fois, ou plus. 2. Ily a 88 premiéres mains gagnantes qui, toutes, appartiennent a deux catégories : (t) quatre dix et toute autre carte (48 mains); (2) trois dix et I’une quelconque des paires suivantes of aucun dix ne figure : AS-9, Roi-9, Reine-9, Valet-9, Roi-8, Valet-8, Reine-7, Valet-7 (40 mains). Ce sont deux lecteurs qui attirérent mon attention sur la seconde catégorie. Je n’avais jamais vu ces mains figurer dans l’une quelconque des réponses 4 ce probléme précédemment publiées. 3. Comme on peut le démontrer aisément, il est impossible, avec 31 dominos, de recouvrir l’échiquier tronqué (en découpant deux coins en diagonale). Les deux coins opposés sont de méme couleur. En les enlevant, l’échiquier reste donc avec deux cases de plus dans une couleur, que dans l'autre. Comme des cases adjacentes ont des couleurs nécessairement différentes, chaque domino recouvre ainsi deux cases de couleurs différentes. Aprés avoir recouvert 60 cases avec 30 dominos, il reste deux carrés de 26 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES méme couleur non couverts, Ceux-ci, ne pouvant pas étre adjacents, ne peuvent donc pas étre recouverts par le dernier domino. 4, Si l'on demande que la réponse a la question puisse étre «oui» ou «non », il y a plusieurs solutions résultant, toutes, du méme principe. Par exemple, le logicien montre !’une des routes et demande 4 l’indigene : «Si je vous demandais si cette route conduit au village, me répondriez-vous « oui » ? », L’indigéne est obligé de donner la réponse exacte, méme s’il est un menteur! Si la route conduit réellement au village, le menteur répondra « non » a Ja question directe, mais il ment, et a la question telle qu'elle est posée, il répondra « oui ». Le logicien peut donc étre certain que la route conduit réellement au village, que l'interlocuteur dise la vérité ou mente. D'un autre cété, si, en fait, la route ne con- duit pas au village, le menteur est pareillement forcé de répondre «non » & la question qu’on lui pose. Une question analogue serait « si je demandais 4 un membre de l’autre tribu si cette route conduit au village, me répondrait-il « oui »? » pour éviter ’imprécision résultant d’une question qui en comporte une autre, il vaut peut-étre mieux (comme I’a suggéré un lecteur) s’exprimer ainsi : « Des deux affirmations « vous mentez» et « cette route conduit au village », y en a-t-il une, et une seulement, de vraie ?» Ici encore, que I’indigéne mente ou dise la vérité, la réponse «oui» indique que c’est la route, et la réponse « non » que cela ne I’est pas. Mon attention fut attirée, par Dennis Sciama et John Mc Carthy, sur une amusante complication supplémentaire. « Suppo- sons », m’écrivit McCarthy, « que le logicien sache que « pish » et «tush » soient les mots indigenes signifiant « oui» et «non », mais qu'il ait oublié lequel des deux veut dire « oui» et lequel «non », bien que parlant la langue indigéne, a part cela. Il peut encore déterminer quelle route conduit au village. «Il montre une des routes et demande : « Si je vous demandais si Ja route que je montre est celle qui conduit au village, me répon- driez-vous « pish » ? Si l’indigene répond « pish», le logicien peut conclure que la route qu'il a montrée conduit au village, méme NEUF PROBLEMES 27 s'il est encore « dans le bleu » pour savoir si l’indigéne ment ou dit la vérité et si « pish » veut dire oui ou non. Si I’indigéne dit «tush », il peut conclure a l’inverse ». H. Janzen et plusieurs autres lecteurs m/ont fait savoir que si la réponse de l’indigéne ne doit pas étre « oui » ou «non», il y a une question qui révéle la bonne route, quel que soit le nombre des routes au croisement. Le logicien se borne 4 montrer toutes les routes, y compris celle qu'il vient de suivre, et demande: « La- quelle de ces routes conduit au village ?». L’indigéne qui dit la vérité montre la bonne route, et le menteur montre probablement toutes les autres. Le logicien pourrait aussi demander : « Quelles sont les routes ne conduisant pas au village? ». Dans ce cas, le menteur ne montrerait probablement que la bonne route. Cepen- dant les deux cas sont un peu douteux. Dans le premier, le menteur pourrait ne montrer qu’une route fausse, et dans le second, il pourrait montrer plusieurs routes. En un sens, ces réponses seraient des mensonges; I’une, cependant, ne serait pas le pire mensonge possible, et l’autre contiendrait une part de vérité. La question d’une définition précise du « mensonge » inter- vient naturellement dans les réponses précédentes par oui et non. Je ne vois pas de meilleure facon d’éclairer cela qu’en citant intégralement la lettre suivante que le Scientific American recut de Willison Crichton et Donald E. Lamphiear : «Il est triste de remarquer que le développement de la logique méne au déclin de l'art de mentir. Il semble que, méme parmi les menteurs, le domaine de la raison semble devoir l'emporter sur celui du pari. Nous nous référons au probléme n° 4 du numéro de février et 4 la solution proposée. Si nous acceptons celle-ci, nous devons croire que les menteurs peuvent toujours devenir les dupes de leurs propres Drincipes, situation qui devra se présenter chaque fois que le mensonge prend la forme d’une adhésion servile a des régles arbitraires. Dire a un indigéne : « Si je vous demandais si cette route conduit au village, répondriez-vous « oui» ? », et s’attendre a ce qu'il inter- préte la question comme dépendant, pour le sens aussi bien que dans la forme, de conditions imaginaires, c'est, pour l’anthropologiste, 28 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES présupposer une certaine recherche de la part de cet indigéne. Si Vanthropologiste pose la question par hasard, il est presque certain que U'indigéne confrondra cette phraséologie singuliére avec une certaine politesse de maniéres enseignée dans les démocraties occiden- tales, et qu'il répondra comme si la question était simplement : « cette route conduit-elle au village ? », Si, d’autre part, il le fixe avec tout V'éclat de son regard pour souligner le dessein logique de sa question, il découvre aussi son intention, faisant craindre a V'indigéne qu'il a été joué, S’il mérite l'épithéte de menteur, ce dernier va suivre une méthode de contre-duperie qui laissera l'anthropologiste mal renseigné, Dans cette derniére perspective, la solution proposée est inédéquate; mais, méme jugée en fonction du mensonge strictement formel, elle est viciée par son ambiguité. La recherche de solutions claires nous conduit a une analyse plus détaillée de la nature du mensonge. Selon la définition traditionnelle dont usent les logiciens, un menteur est celui qui dit toujours ce qui est faux. L'ambiguité de cette définition apparait quand nous essayons de prédire ce qu'un menteur répondra a une question dépendant d'une vérité partielle telle que : « est-il vrai que, si ce chemin est celui de la ville, vous soyez un menteur? ». En appréciera-t-il correctement les deux parties, pour définir leur relation fonctionnelle et s’exprimer en sens contraire, ou, adoptera-t-il la méthode uniforme de mentir @ lui-méme aussi bien qu'aux autres, en changeant le sens de chaque partie avant d’établir leur relation fonctionnelle, et de changer le résultat trouvé pour cette derniére ? Nous distinguons ici le « menteur simple », qui, simplement, dit toujours ce qui est faux, du « menteur sincére » qui exprime toujours le second aspect logique de la vérité. La question « Est-il vrai que, si ce chemin méne 4 la ville, vous étes un menteur ? », est une solution si nos menteurs sont sincéres. Le menteur sincére et le diseur de vérité répondent tous les deux, soit « oui » si la route indiquée ne conduit pas 4 la ville, soit « non » si elle y conduit. Tandis que le menteur simple répondra « non », qu'elle y conduise ou non. En remplagant une induction par une équiva- lence, on obtient une solution valable a la fois pour les menteurs simples et sincéres. La question est alors : « Est-il vrai que ce chemin conduit @ la ville si, et seulement si, vous étes un menteur? ». La NEUF PROBLEMES 29 réponse sera uniformément « non» s'il y conduit, et « oui » s'il n'y conduit pas. Mais on ne saurait s’attendre a ce qu'un indigéne primitif montrdat, quand il ment, la scrupuleuse cohérence que ces conceptions exigent, pas plus que ne serait aisément dupé un menteur doué d'une telle pénétration. Nous devons donc considérer le cas de «l'artiste menteur » dont le principe est de toujours tromper. Devant un tel adversaire, le seul espoir de l’anthropologiste est de rendre maximum la probabilité d'une réponse favorable. Il n'y a pas de question logique qui soit une solution infaillible, car si le principe du menteur est de tromper, il comptera avec une tactique de la déception, qui trompe la logique. Le trait essentiel de la tactique de l'anthropologiste doit, manifestement, étre la siireté de sa psychologie. On peut admettre une telle tactique car elle a encore plus d’efficacité contre le menteur simple ou sincére, que contre l’artiste menteur le plus coriace. Comme solution la plus générale, nous proposons donc la question suivante, ou une de sens équivalent : « Saviez-vous qu'on sert de la biére gratuitement au village »?, Celui qui dit la vérité répond « non » et part immédiatement pour le village, suivi par l’anthropologiste. Le menteur simple ou sincére répond « oui » et part aussi. Supposant aimablement que l'anthropologiste pratique aussi la duperie, le menteur fantaisiste détermine sa tactique en conséquence; devant deux moti- vations inverses, il peut courir la chance de les satisfaire toutes deux en répondant : « Hum ! J'ai horreur de la biére!», et en partant pour le village. Ceci ne trompera pas un bon anthropologiste. Mais si un menteur voit le piége, il reconnaitra que cette réponse est inadé- quate. Il peut alors, pour l'amour de l'art, faire le sacrifice supréme, et partir sur la mauvaise route. Il remporte une victoire technique, mais, méme s'il en est ainsi, l’anthropologiste peut revendiquer une victoire morale, car le menteur est puni, et dévoré par le soupson d'avoir raté de la biére gratuite. 5. On peut connaitre les contenus de trois boites en ne tirant qu'une seule bille. Vous savez — c’est la clé de la solution — que les étiquettes mises sur les boites sont fausses. Vous devez prendre une bille dans la boite marquée « noir - blanc »; supposons qu’elle soit noire; vous savez donc que I’autre bille de 1a boite doit aussi 30 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES étre noire, sans quoi l’étiquette serait correcte. Ayant identifié la boite contenant deux billes noires, vous pouvez dire immédia- tement ce que contient la boite marquée « blanc - blanc» : vous savez qu'elle ne peut pas contenir deux billes blanches, son étiquette devant étre fausse; elle doit donc contenir une bille noire et une bille blanche. La troisitme boite est évidemment celle qui contient deux billes blanches. S’il se trouve que la bille tirée dans la boite marquée « noir - blanc » est blanche au lieu d’étre noire, le méme taisonnement conduit 4 Ja solution du probléme. 6. La réponse a ce probléme est une simple question d’horaires de trains. Bien que les trains de Brooklyn et du Bronx arrivent aussi souvent — a des intervalles de 10 minutes — leurs horaires sont tels que le train du Bronx arrive toujours une minute aprés Je train de Brooklyn. Le train du Bronx ne sera donc le premier a arriver que si le garcon arrive sur Je quai pendant cet intervalle d’une minute. S'il arrive a la Station 4 tout autre moment — c’est- a-dire pendant un intervalle de neuf minutes — le train de Broo- klyn arrivera le premier. Le garcon arrivant 4 un moment quelcon- que, les chances sont de neuf contre un pour Brooklyn. 7. Il n’y a aucun moyen de rendre le nombre des coupes inférieur A six. Ceci apparait immédiatement si l’on remarque qu’un cube a six faces. La scie coupe suivant un plan — une face a la fois. Il faut donc six passes de la scie pour découper le cube d’un décimétre de cété qui est au centre du cube (et n’a, au début, aucune face extérieure). Ce probléme fut proposé par Frank Hawthorne, inspecteur de mathématiques au Ministére de 1’Education, Albany, New York, Les cubes ayant 2 X 2 X 2et 3 X 3 X 3 cubes unitaires sont uniques dans le sens of, si l’on ne tient pas compte du nouvel arrangement des morceaux avant chaque coupe (pourvu que chaque morceau ait quelque face obtenue par coupe) il faudra toujours trois coupes pour le premier, et, pour le second, six, pour le décou- page en cube unitaires, NEUF PROBLEMES 31 Pour le cube 4 x 4 x 4, il faut neuf coupes si les morceaux sont maintenus assemblés en forme de cube, mais par une mise en pile convenable avant chaque coupe, on peut réduire a six le nombre des coupes. Si, 4 chaque mise en pile, on vérifie que tout morceau est découpé en deux parties aussi égales que possible, on réalisera le nombre minimum de coupes. En général, pour un cube n X n X n, le nombre minimum de coupes est 3 k, k étant défini par : ak >n> ak} Ce probléme général fut posé par L. R. Ford jeune et D. R. Fulkerson, tous deux de la Rand Corporation. Il est un cas parti- culier d’un probléme plus général (nombre minimum de coupes pour découper un bloc a x 6 x c en cubes unité) publié par Léo Moser de l'Université d’ Alberta. Eugéne J. Putzer et R. W. Lowen ont généralisé le probléme plus encore dans une note contenant leurs recherches « sur la meilleure méthode pour découper un bloc rectangulaire en cubes unitaires »; cette note a été publiée en 1958 par les Laboratoires de Recherches Scientifiques Convair, San Diego. Les auteurs considéraient des blocs 4 n dimensions, 4 cétés définis par des nombres entiers, qu'il s’agit de découper en hypercubes unitaires, avec le minimum de coupes, suivant des plans. Dans le cas de trois dimensions, ce probléme pourrait, estiment les auteurs, « avoir des applications importantes dans les industries du fromage et des pains de sucre », 8. L’abonné a marché pendant 55 mn avant que sa femme ne le recueille. Etant tous deux rentrés chez eux 10 mn plus tot que d’habitude, il en résulte que la femme de I’abonné a réduit de tomn le temps qu'elle mettait habituellement pour aller 4 la gare et en revenir, c’est-a-dire de 5 mn le temps pour y aller. Il s’ensuit qu'elle a rencontré son mari cinq minutes avant 5 h, heure 4 laquelle elle le prenait habituellement, donc a 4 h 55 mn. Etant donné que lui est parti a pied a 4 h, il a donc marché pendant 55 mn. Il n’est nécessaire, pour résoudre le probléme, de connaitre ni la 32 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES vitesse de l'homme 4 pied, ni celle de sa femme en auto, pas plus que la distance de leur maison 4 la gare. Quand il fut proposé dans le Scientific American, ce probléme était mal rédigé, et faisait croire que la femme de !’abonné arrivait d’ordinaire en avance a la gare, et attendait le train de cing heures. Dans ce cas, le temps de marche de son mari est compris entre 50 et 55 mn, Un certain nombre de lecteurs remarquérent qu’une solution ra- pide du probléme est donnée par ce que les logisticiens de l’Armée appellent un « graphique de marche » (voir fig. 16). Les temps sont portés en abscisses, les distances en ordonnées. Le gra- phique montre clairement que la femme de l’abonné aurait pu partir de chez elle avec une avance pouvant atteindre dix minutes par rapport 4 l'heure lui permettant d’arriver en méme temps que le train. La limite inférieure (50 mn) du temps du marche du mari n'est atteinte que si sa femme part 10 bonnes minutes plus MAISON : 3 z 6 3 3 8 GARE 4 HEURES 5 HEURES Fig. 16 Graphique du probléme de I’abonné. NEUF PROBLEMES 33 tét — et, cela, qu’elle conduise habituellement A une vitesse infi- niment grande (auquel cas son mari arrive chez lui au moment ot elle part) , ou que le mari marche 4 une vitesse infiniment petite (auquel cas elle le rencontre a la gare aprés qu’il ait marché pendant 50 mn sans arriver nulle part). Dans l’une des plus pénétrantes analyses que j’aie recues, David W. Weiser, professeur assistant de Sciences naturelles 4 l'Université de Chicago, écrivait : « aucune de ces hypothéses n’est impensable, a voir la facon dont une femme conduit, et dont un mari piétine dans une auberge ». 9. Une seule pesée permet d’identifier la pile de piéces fausses, Prenez une piéce dans la premiére pile, deux dans la seconde, trois dans la troisiéme et ainsi de suite jusqu’aux 10 piéces de la dixiéme pile. Puis pesez le tout avec une balance a index. Exprimé en grammes, l’excédent de poids correspondra au numéro de la pile fausse. Par exemple, si le total des pitces pése sept grammes de plus qu’il ne faut, la pile fausse est la septiéme dans laquelle on a pris sept piéces (dont chacune pése un gramme de plus que la piéce vraie). La méthode précédente serait encore applicable s'il y avait une onziéme pile de dix piéces, car aucun excédent de poids n’indiquerait que la seule pile restante est fausse. CHAPITRE 4 Tictactoe Quel enfant n’a pas joué au Tictactoe, ce trés ancien et universel duel d’intelligences dont Wordsworth a écrit (Prélude, Livre I) : Au soir, quand, avec un crayon et une ardoise lisse Divisée en carrés tout couverts de croix et de chiffres, Nous combinions et cherchions, téte contre téte, Dans une lutte trop humble pour que l'expriment des vers. A premiére vue, il est malaisé de comprendre l’attrait constant d'un jeu qui ne semble rien de plus qu’un jeu d’enfant. S’il est vrai que, méme dans sa forme la plus simple, le jeu offre un trés grand nombre de coups possibles — 15 120 (9 x 8 x 7 X 6 X 5) combinaisons pour les seuls cing premiers — il n’y a, en fait, que peu de méthodes fondamentales, et, 2 tout garcon astucieux, il suffira d’étudier le jeu pendant environ une heure pour devenir un joueur imbattable. Mais le Tictactoe a aussi ses variantes plus complexes et ses cétés tactiques. Dans le jargon de la théorie des jeux, Tictactoe est une lutte a deux qui est « finie » (elle a une fin précise), n’a aucun élément de hasard, et se joue avec une « information parfaite », tous les coups étant connus des deux joueurs. Si elle est jouée « rationnellement » de part et d’autre, la partie doit étre indécise. La seule chance de gagner est d’attirer un adversaire imprudent dans un piége, pour pouvoir, au coup suivant, et de deux fagons — dont une seule peut étre interdite — avoir ses pions en ligne. TICTACTOE 35 Des trois ouvertures possibles — un coin, le centre ou une case latérale — la meilleure est le coin parce que I’adversaire ne peut éviter un piége au coup suivant qu’en choisissant le centre, I’une des huit solutions possibles. Réciproquement, les piéges par ouverture au centre ne peuvent étre déjoués qu’en prenant un coin. L’ouverture latérale est, 4 maints égards, la plus intéressante, a cause de sa richesse en piéges pour les deux joueurs; elle se fait en prenant l’une des quatre cases latérales. Les trois ouvertures et les réponses possibles du second joueur jouant rationnellement sont représentées sur la figure 17. 2 Xx o) xX Oy Po OX] Fig. 17 Le premier joueur (X) peut choisir entre trois ouvertures. Pour éviter de perdre, le second joueur (O) doit choisir l’une des cases indiquées. Bien des siécles avant l’ére chrétienne, on a joué a des variantes du Tictactoe ayant plus d’intérét mathématique que la forme ci-dessus. Toutes comportent six jetons, et peuvent se jouer sur le tableau de la figure 18 — un des joueurs a trois piéces d’une méme valeur, le second, trois piéces d’une autre valeur. Dans sa forme la plus simple, qui était populaire dans la Chine, la Gréce et la Rome anciennes, les joueurs mettent a tour de réle une piéce sur le tableau, jusqu’a ce que les six soient placées, Si aucun des partenaires n’a gagné en ayant trois piéces alignées (parallélement aux cétés ou en diagonale), ils continuent 4 jouer en déplacant, a chaque coup, une seule piéce dans l’un des carrés adjacents. Seuls sont permis les mouvements paralléles aux cétés. Ovide mentionne ce jeu dans le livre III de son Art d’aimer, et le fait figurer dans un groupe de jeux dont il recommande la maitrise 4 une femme qui recherche la popularité des hommes. 36 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES En 1300, il était courant, en Angleterre ot on I’appelait la « marelle a trois », qui est l’ancétre de la marelle a neuf, onze, et douze, ou de « mill », son nom actuel aux Etats-Unis. La victoire du premier joueur étant certaine s’il joue au centre, cette ouverture est d’or- dinaire interdite. Sous cette réserve et s’il est joué rationnellement, le jeu est indécis, mais il fourmille de pi¢ges dangereux de part et d’autre. Une variante de ce jeu permet les déplacements vers les cases voisines, parallélement aux deux diagonales du tableau. Dans une autre (attribuée aux premiers Indiens d’Amérique) on autorise Fig. 18 Tictactoe 4 pions mobiles. tout déplacement a partir d’une case, dans n’importe quelle direction paralléle aux cétés ou aux diagonales (par exemple, on peut passer de la case 2 a la case 4). Dans la premiére de ces varian- tes, celui qui joue le premier peut encore s’assurer la victoire si Pouverture au centre est autorisée; mais la seconde est probable- ment une question de chance. Une variante francaise, trés souple, appelée «les pendus », autorise les déplacements de piéces dans toute case libre. S’il est joué rationnellement, ce jeu est aussi tenu pour un jeu de hasard. TICTATOE 37 Bien des variantes du Tictactoe a jetons mobiles ont été appli- quées a des tableaux 4 x 4, chaque joueur disposant de quatre pions et s’efforcant de le mettre en ligne. Il y a quelques années, John Scarne mit sur le marché une intéressante variante 45 X 5 cases, appelée « Teeko ». A tour de réle, les joueurs jouent chacun quatre pions, puis les déplacent d’une seule case dans une direc- tion quelconque. Un joueur gagne s'il met quatre pions sur une ligne, paralléle aux cétés ou aux diagonales, ou en carré sur quatre cases adjacentes. Pourtant, bien des variantes amusantes du Tictactoe n’usent pas de pions mobiles. Par exemple le Toetactic (nom que I’on doit aun lecteur, Mile Shodell, de Great Neck, New York), On y joue comme dans le cas habituel, sauf que le premier joueur ayant trois pions en ligne perd. Le second joueur a un avantage manifeste. Le premier ne peut forcer la chance que si, d’abord, il joue au centre. D’ot il suit qu’en prenant des positions symétriques de celles du second joueur, il peut gagner. Depuis ces derniéres années, on a mis sur le marché plusieurs jeux de Tictactoe a trois dimensions. On y joue avec des tableaux cubiques, les pions devant, pour gagner, étre sur une ligne paral- lele soit aux cétés ou diagonales des faces, soit aux quatre diagonales principales du cube. Dans le cas d’un cube 3 X 3 X 3, le premier joueur gagne facilement. Il est curieux que la partie ne puisse jamais étre indécise, parce que le premier joueur a quatorze coups A jouer et qu’il est impossible de les jouer tous sans marquer des points. Le cube 4 x 4 X 4 conduit a une partie plus intéres- sante, qui, jouée rationnellement, peut — ou ne peut pas — étre indécise. On a proposé d’autres méthodes pour jouer avec des cubes. Pour Alan Barnert, de New York, le coup gagnant serait de mettre quatre pions en carré dans !’un des plans paralléles aux faces, ou dans l'un des six plans diagonaux principaux. Quand ils étaient étudiants, a l’Université de Chicago, en 1941, Price Parks et Robert Satten ont imaginé un jeu intéressant, avec un cube 3 X 3 X 3, ott I’on gagne en arrivant 4 mettre les jetons sur deux lignes qui se coupent, le coup gagnant étant 4 leur point d’intersection. Un 38 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES coup joué dans le cube unitaire central, en début de partie, assurant la victoire, ce coup est interdit — sauf s’il assure la victoire en cours de partie, ou s’il est nécessaire pour empécher I’adversaire de gagner 4 son prochain coup. On peut jouer au Tictactoe 4 quatre dimensions avec un hyper- cube imaginaire découpé en carrés 4 deux dimensions. Par exemple, un hypercube 4 X 4 X 4 serait représenté comme on le voit sur la figure 19. Avec cette représentation, on réalise un coup gagnant en mettant quatre pions en ligne et si leurs positions sont sur une droite intérieure 4 tout cube constitué par quatre carrés disposés en série sur des plans paralléles aux faces ou aux deux diagonales principales. La figure 20 représente un coup gagnant sur un cube ainsi constitué, Le premier joueur est réputé gagner sfirement; mais si on joue avec un hypercube 5 X 5 X 5, la partie peut étre incertaine. Pour un cube 4 n dimensions, le nombre de lignes possibles sur lesquelles on peut gagner est donné par la formule : (K + 2)"—K" 2 ott n est le nombre de dimensions et K le nombre de cases le long d’un cété, La maniére d’établir cette formule est expliquée par Léo Moser’s dans ses remarques publiées par l’ American Mathematical Monthly, en 1948. Le méme jeu japonais « go-moku » (cing pierres) qui est encore populaire en Orient, se joue aux points d’intersection d’un tableau « go », équivalent a un carré de 19 x 19 cases. A tour de rdle, les joueurs placent leurs pions pris dans une réserve illimitée, jusqu’A ce que l'un deux gagne en ayant cing jetons sur une ligne paralléle a l'un des cétés ou a l’une des diagonales. Aucun déplacement de pion n’est autorisé. Les spécialistes pensent que le premier joueur peut s’assurer la victoire; mais, autant que je sache, on n’en a jamais publié la preuve. En Angleterre, dans les années 1880, le jeu est devenu populaire sous le nom de « go-bang ». Parfois on y jouait sur un échiquier ordinaire, chaque joueur ayant 12 ou 15 TICTACTOER 39 r WO deat Lh 1 Ea a 4 fs cog : : ° e oe ef : a a 3 et Fig. 19 Tictactoe 4 quatre dimensions. Les lignes pointillées indiquent quelques combinaisons gagnantes, pions. Si, une fois tous les pions en place, aucun joueur n’avait gagné, les déplacements de pions étaient autorisés dans toute direction. Dans la dernitre décade, on a construit un certain nombre de machines électriques pour jouer au Tictactoe. On apprendra avec intérét que le premier Tictactoe robot fut inventé (mais non réellement fabriqué) par Charles Babbage, Je précurseur anglais qui, au dix-neuvitme siécle, inventa des machines a calculer. GARDNER. — Probiémes et divertissements mathématiques. 1. 4 40 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES Babbage envisagea d’exposer sa machine 4 Londres, pour recueillir des fonds en vue de travaux plus ambitieux, mais en apprenant que des expositions — en cours dans cette méme ville — de machines étranges (y compris une « machine parlante » et une qui faisait des vers latins) avaient été des fiascos financiers, il renonga a son projet. Fig. 20 Le cube reconstitué. Une caractéristique nouvelle du robot de Babbage était sa méthode pour choisir entre l’un ou l'autre de deux coups A jouer se présentant comme également bons. La machine conservait en permanence le nombre total des parties gagnées. Si on lui deman- dait de choisir entre deux coups A et B, elle consultait ce total, et jouait A s'il était pair, B s'il était impair. S’il y avait trois coups possibles, le robot divisait le total ci-dessus par 3, obtenant ainsi un reste de o, r ou 2, chacun de ces restes déterminant un des coups. Dans ses Epoques de la vie d'un Philosophe, publiées en 1864, Babbage écrivait : « il est évident qu’on aurait pu, ainsi, répondre 4 un nombre quelconque de conditions », Et « un obser- TICTACTOE 4 vateur examinant le robot, aurait pu le regarder longtemps avant de découvrir le principe d’aprés lequel il fonctionnait ». Babbage ne laissa malheureusement aucun écrit sur ce qu’il appelle les détails mécaniques « simples » de sa machine, et on ne peut qu’en deviner les plans. Comme il le note cependant, «il imagina que cette machine pourrait consister en deux person- nages, des enfants, accompagnés par un agneau et un coq; que V'enfant gagnant la partie pourrait battre des mains, tandis que le coq chanterait; puis que l’enfant perdant pourrait pleurer et se tordre les mains pendant que I’agneau commencerait a béler », Exposée en 1958 4 la Foire Industrielle Portugaise de Lisbonne, une machine 4 Tictactoe moins imaginative caquetait quand elle gagnait, et grognait quand elle perdait (probablement par réglage sur un circuit « mauvais coup »). On pourrait croire qu'il est simple de « programmer» un calculateur digital pour jouer au Tictactoe, ou d’établir des circuits spéciaux pour une machine A Tictactoe. C’est vrai, 4 moins que votre but ne soit de construire un maitre robot qui gagnera le maximum de parties contre des joueurs sans expérience. La diffi- culté consiste 4 deviner de quelle maniére un novice jouera le plus probablement. Il est certain qu'il ne le fera pas totalement au hasard; mais quel sera son minimum d’adresse ? Pour donner une idée de la nature des complications qui surgissent, supposons qu’un novice ouvre sur la case 8, La machine pourrait étre bien avisée en répondant de fagon irrationnelle par la prise de la case 3! Cela lui serait fatal si elle jouait contre un spécialiste, mais si l’adversaire n’est que d’une adresse moyenne, il est peu probable qu'il joue la case 9, la seule qui le feragagner. Des six autres coups possibles, quatre sont désastreux. En fait, il sera trés tenté de jouer sur la case 4 parce qu'elle conduit 4 tendre au robot deux piéges qui « promettent », Malheureusement, le robot peut se tendre un piége en jouant ensuite la case 9, puis la case 5 au coup suivant. Il pourrait arriver que, dans une partie véritable, la machine gagnat plus souvent par cette tactique témé- faire qu’avec une méthode de sécurité qui, trés probablement, laisserait le jeu indécis, 42 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES Qu’il soit un robot ou un homme, un véritable maitre joueur ne se bornerait pas 4 savoir les coups les plus probables des débu- tants, tels qu’ils résultent des statistiques faites sur des parties antérieures; il analyserait aussi la maniére de jouer de chacun pour déterminer les genres d’erreurs que son adversaire a le plus de chances de faire. Si le novice améliorait son jeu en cours de partie, il faudrait aussi en tenir compte. A ce degré, le modeste jeu de Tictactoe nous emméne loin des questions banales de probabilité et de psychologie. COMPLEMENT Le nom « Tictactoe » s’écrit et se prononce de bien des facons. Selon le Dictionnaire d’Oxford des Chansons de la Mére I'Oie, édition 1951, page 406, il vient de la vieille chanson anglaise pour enfants que voici : Tit, tat, toe, Mes premiers pas, Trois joyeux garcons bouchers en rang. J’en mets un debout, j’en mets un par terre, J’en mets un dans la couronne du vieil homme. J’ai observé que bien des joueurs de Tictactoe sont sous V'impression fausse qu’étant capables de jouer avec une tactique imbattable, ils n’ont plus rien a apprendre sur le jeu. Cependant, un maitre joueur doit étre prompt a profiter au maximum d’un coup mal joué. Ceci sera éclairé par les trois exemples suivants qui concernent l’ouverture latérale. Si vous ouvrez en X8, et que votre adversaire, supposé débutant, joue O2, votre meilleure réponse est X4, parce qu'elle vous fait gagner dans 4 des 6 coups possibles ensuite pour I’adversaire. Ce dernier ne peut déjouer vos piéges que s'il joue O7 ou Og. Si l’adversaire ouvre en X8 et que vous répondiez par un coin inférieur, par exemple en Og, vous pouvez lui tendre des piéges gagnants s'il joue X2, X4, ou X7. TICTATOE 4B S'il ouvre en X8, la réponse en O5 peut conduire 4 une suite amusante. S’il prend la case X2, vous pouvez !’autoriser a dire quel sera votre propre coup suivant, car, quel qu'il soit, il vous permettra de tendre un piége vous faisant gagner ! On a indiqué, dans ce chapitre, que pour la variante 4 pions mobiles, populaire dans la Rome ancienne, le premier joueur gagnait la partie s’il prenait la case centrale. Pour les lecteurs intéressés, voici les deux suites possibles de coups entrainant la victoire. x oO 5 3 4 6 @) 9 I 4a7 ne joue pas 548 5 6 I 9 @) 3 2 raq ne joue pas 4a7 Ces deux suites de coups améneront la victoire, que les dépla- cements paralléles aux deux diagonales principales soient, ou non, autorisés : mais la premiére n'est plus valable si on admet les déplacements paralléles aux petites diagonales. CHAPITRE 5 Paradoxes sur les probabilités La théorie des probabilités est un domaine des mathématiques d’uue richesse peu commune en paradoxes — ces vérités qui tranchent si fortement sur l’essence méme du bon sens qu'elles sont difficiles 4 croire, méme quand on en a les preuves sous les yeux. Le paradoxe des naissances en est un trés bon exemple. Si l’on désigne 24 personnes au hasard, A combien estimez-vous la probabilité pour que deux — ou plus — d’entre elles aient la méme date de naissance (c’est-a-dire méme année, méme mois, méme jour) ? Par intuition, vous pensez qu’elle est trés faible. En fait, elle est 24/50, soit un peu supérieure a 50 % ! Dans son livre Un, deux, trois... l'infini, George Gamow donne la méthode simple qui suit, pour arriver 4 ce résultat inat- tendu. La probabilité pour que les dates de naissance de deux personnes ne soient pas les mémes est manifestement 364/365 puisqu’il y a une chance seulement sur 365 pour que la date de naissance d’une personne coincide avec celle d’une autre). La probabilité pour que la date de naissance d’une troisitme personne différe de celles des deux autres est 363/365; pour une quatri¢me personne, ce serait 362/365, et ainsi de suite jusqu’a la 24° personne (342/365). On obtient ainsi une série de 23 fractions dont il faut faire le produit pour avoir la probabilité pour que les 24 dates de naissances soient différentes. Ce produit est une fraction qui se réduit A 23/50. En d’autres termes, si vous aviez a parier qu'il y ait au moins une coincidence dans les dates de naissance de @) Dunod, 2° édition, 1963. PARADOXES SUR LES PROBABILITES 45 24 personnes, vous finiriez par perdre 23 fois, et par gagner 27 fois pour chaque série de 50 paris. (Ce calcul ne tient compte ni du 29 février, ni du fait que les naissances ont tendance 4 étre plus nombreuses en certains mois qu’en d’autres, ce qui, respectivement, diminue ou augmente la probabilité). Ces singularités sont si surprenantes que leur vérification effective, en classe ou dans un salon, constitue une amusante distraction. Si plus de 23 personnes sont rassemblées, faites écrire, par chacune d’elles, sa date de naissance sur un bout de papier. Rassemblez et comparez ces bouts de papier. Avec plus de chances oct 1 09 08 07 06 05 04 0.3 0,2 01 0 10 20 30 40 50 60 Nombre de personnes: Fig. 21 pour que contre, deux dates au moins seront les mémes, a la grande surprise des intéressés qui se connaissent peut-étre depuis des années. Heureusement, il n’importe pas le moins du monde que quelqu’un triche en donnant une date fausse. Les chances restent exactement les mémes. 46 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES Un autre moyen, plus facile encore, d’éprouver le paradoxe est de vérifier les dates de naissance correspondant a 24 noms pris au hasard dans le Who's Who ou dans quelque autre diction- naire biographique. Naturellement, plus vous prendrez de noms au-dela de 24, plus la probabilité d’une coincidence sera grande. La figure 21 (prise dans Cent curiosités mathématiques publiées par William R. Ransom en 1955) montre, par un graphique, comment la courbe de probabilité varie en fonction d’un nombre croissant de personnes. La courbe s’arréte A 60 personnes, car, au-dela de ce nombre, la probabilité est trop proche de la certitude pour distinguer la courbe d’une ligne droite. Il est A noter que la courbe s’éléve rapidement jusqu’a l’abscisse de 4o personnes, puis croit moins vite en s’approchant de la certitude. S’il y a 100 per- sonnes, les chances d’un pari équitable pour une coincidence sont d’environ 3 300000 contre 1. Naturellement, on n’atteint la certitude absolue que s'il y a 366 personnes. Les dates de naissance et de mort des Présidents des Etats- Unis illustrent clairement le paradoxe. Dans chacun des deux cas (33 dates de naissance, 30 dates de mort), la probabilité d’une coincidence est proche de 75 %. Comme on le sait, Polk et Harding naquirent un 2 novembre, et trois Présidents, Jefferson, Adams, Monroe, moururent tous un 4 juillet. Plus stupéfiant encore, peut-étre, est le paradoxe du second as. Supposez que, jouant aux cartes, vous regardiez votre jeu aussitét aprés la donne des cartes et annonciez : « J’ai un as ». On peut calculer exactement la probabilité pour que vous ayiez un autre as : elle est 5 359/14 498, ce qui est inférieur 4 1/2. Supposons, cepen- dant, que tous les joueurs s’entendent pour un as particulier, par exemple, I’as de pique. La partie continue jusqu’A ce que vous ayez une main vous permettant de dire : « J’ai l’as de pique ». La probabilité pour que vous ayiez un autre cas est maintenant 11 686/20 825, soit un peu plus de 1/2! Pourquoi le fait de désigner I'as modifie-t-il les chances ? Le calcul exact de celles-ci dans les deux cas est long et fasti- dieux. Mais, en réduisant le jeu a quatre cartes, l’as de pique, I’as de coeur, le deux de tréfle et le valet de carreau, on peut facile- PARADOXES SUR LES PROBABILITES 47 ment comprendre le mécanisme du paradoxe. Ces cartes étant battues et distribuées 4 deux joueurs, l'un d’eux ne peut avoir que l’une des six combinaisons possibles (voir figure 22). Pour cing de ces mains de deux cartes, un joueur peut dire « J’ai un as », mais ce n'est que dans un cas qu'il a un second as. La proba- | 's @ ¢ V a en we Fig. 22 =e bilité de celui-ci est donc 1/5. D’autre part, il n’y a que trois combi- naisons permettant au joueur de dire qu'il a I’as de pique. L’une d’elles comporte un second as dont la probabilité est 1/3. Un paradoxe analogue est celui du second enfant. M. Durand dit « J’ai deux enfants dont un au moins est un garcon ». Quelle est la probabilité pour que l'autre enfant soit un garcon ? On est 48 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES tenté de dire 1/2 jusqu’a ce qu’on énumére les combinaisons également probables. GG, GF, FG. GG n’arrivant qu'une fois, sa probabilité est 1/3. Si Durand avait dit que l’ainé de ses enfants (ou le plus grand, le plus lourd etc.) est un garcon, la situation eit été tout a fait différente, les combinaisons se réduisant mainte- nant 4 GG et GF, et la probabilité d’un second garcon atteignant 1/2. Si tel n’était pas le cas, nous aurions un moyen trés ingénieux de deviner, le cété « face » d’une piéce masquée, avec plus de la moitié des chances. Il nous suffirait de lancer nous-méme une piéce. Si «face » sortait, nous dirions : «II y a 14 deux piéces, et l’une d’elles (la mienne) sort « face », La probabilité pour que l’autre sorte « face » est donc 1/3; par conséquent, je parie qu'elle sorte « pile », «Le faux raisonnement est, naturellement, que nous spécifions laquelle des piéces est « face ». Cela revient a dire que I’ainé des enfants est un garcon; et cela modifie les chances de la méme fagon. Le plus fameux de tous les paradoxes sur les probabilités est celui, dit de St-Pétersbourg, qui a été présenté par I’illustre mathé- maticien Daniel Bernoulli, dans une note a l’'Académie de St- Pétersbourg. Supposez que je lance une piéce de monnaie et convenons que je vous donnerai cent francs si elle tombe « face » Si elle tombe « pile », je la lance a nouveau, et, cette fois, je vous donnerai deux cent francs si elle tombe « face », Si elle tombe encore « pile », je la lancerai une troisitme fois en vous donnant quatre cents francs si elle tombe « face ». Bref, j’offre de doubler la somme 4 chaque coup, en continuant jusqu’a ce que je doive payer. Que donneriez-vous pour pouvoir faire avec moi, cette partie Aun joueur ? La réponse incroyable est que, pour chaque partie, vous pour- riez me donner n’importe quelle somme, disons un million de francs, et malgré cela, étre gagnant. Dans chaque partie, il y a une probabilité de 1/2 pour que vous gagniez 100 F, de 1/4 pour que vous gagniez 200 F, de 1/8 pour que vous gagniez 4oo F, et ainsi de suite. Le total de ce que vous pouvez espérer gagner est donc (rt X 1/2) + (2 x 1/4) + (4 X 1/8) + ... série illimitée dont la somme est infinie. Par suite, la somme déterminée que vous m’avez PARADOXES SUR LES PROBABILITES 49 donnée d’avance par partie n’importe pas; finalement vous gagne- fez si mous jouons assez de parties. Cela suppose que j’aie un capital illimité, et que nous puissions jouer un nombre de parties également illimité. Si vous me donniez 100 000 F, par exemple, pour une seule partie, il y aurait de fortes chances pour que vous soyiez perdant. Mais cette possibilité est plus que contre balancée par le fait que vous avez une chance — bien qu’elle soit faible — de gagner une somme astronomique par une série longue et ininterrompue de « pile ». Si je n’ai qu’un capital de valeur finie, ce qui sera toujours le cas, en fait, la somme équitable pour une partie est, alors, elle-méme finie. Le paradoxe de St-Pétersbourg intervient dans toute combinaison of !’on double la mise; et son analyse détaillée entraine toutes sortes d’incidences compliquées. Figure marquante de l’école du « positivisme logique », et aujourd’hui professeur de philosophie a l'Université de Princeton, Carl G. Hempel a découvert un autre paradoxe étonnant sur les probabilités. Depuis qu'il l'exposa pour la premiére fois, en 1937, dans la revue suédoise Theoria, ce « paradoxe de Hempel » a été Yobjet de maint savant argument des philosophes scientifiques, car il touche au coeur méme de la méthode scientifique. Supposons, disait Hempel, qu’un savant veuille approfondir l’hypothése : « tous les corbeaux sont noirs ». Ses recherches vont consister 4 examiner autant de corbeaux que possible. Plus il trouvera de corbeaux noirs, plus sera grande la probabilité de l'hypothése. Tout corbeau noir peut donc étre considéré comme un «cas de confirmation » de I’hypothése. Les savants, pour la plupart, croient avoir une idée parfaitement claire de ce qu’est un «cas de confirmation » Le paradoxe de Hempel dissipe vite cette illusion, car on peut parfaitement prouver, avec une logique d’airain, qu'une vache pourpre est aussi un « cas de confirmation » de I’hypothése suivant laquelle tous les corbeaux sont noirs! Voici comment : Par un procédé que les logiciens appellent « conséquence immédiate » on peut transformer |’affirmation « tous les corbeaux sont noirs» en une autre, logiquement équivalente, « tous les objets non-noirs sont des non-corbeaux ». Le sens de la seconde 50 PROBLEMES ET DIVERTISSEMENTS MATHEMATIQUES affirmation est identique a celui de la premiére; ce sont seulement deux facons de s’exprimer. La découverte de tout objet confirmant Ja seconde affirmation doit manifestement confirmer la premiére. Supposons alors que le savant recherche des objets non-noirs pour confirmer I’hypothése que tous les objets de cette nature sont des non-corbeaux. Il tombe sur un objet pourpre. Un examen plus précis montre qu’il ne s’agit pas d’un corbeau, mais d’une vache. La vache pourpre est nettement un « cas de confirmation de ce que tous les objets non-noirs sont des non-corbeaux ». Elle accroit donc la probabilité de vérité de I’hypothése logiquement équivalente « tous les corbeaux sont noirs ». Le méme argument vaut évidemment pour un éléphant blanc, un hareng saur, ou la cravate verte du savant. Comme I’a dit récemment un philo- sophe, un ornithologiste recherchant la couleur de corbeaux par un jour de pluie, pourrait poursuivre ses recherches sans se mouiller les pieds. Il n’a qu’4 regarder autour de son bureau et a noter les cas d’objets non-noirs qui sont des non-corbeaux ! Comme dans les exemples précédents de paradoxes, la difficulté semble résider non pas dans un faux raisonnement, mais dans ce que Hempel appelle une « intuition mal dirigée », En considérant un exemple simple, les choses commenceront a s’éclairer. Une Société emploie un grand nombre de dactylos dont on sait que certaines ont les cheveux roux. On veut vérifier I’hypothése selon laquelle toutes ces filles 4 cheveux roux sont mariées. Un moyen évident de le faire est de demander 4 chacune de ces dactylos 4 cheveux roux si elle a un mari. Mais il y a un autre moyen — et qui pourrait étre plus efficace —. On demande au Service du Personnel une liste de toutes les dactylos qui ne sont pas mariées. Puis, on va les voir pour vérifier la couleur de leurs cheveux. Si aucune n’a de cheveux roux, nous avons entigrement confirmé notre hypothése. Personne ne contestera que chaque dactylo qui n’est pas mariée et n'a pas de cheveux roux est un cas de confirmation de la théorie suivant laquelle les dactylos 4 cheveux roux sont toutes mariées. Il n’est pas difficile d’admettre cette méthode de recherche parce que les groupes dont nous nous occupons ne comprennent qu’un petit nombre de membres. Mais si nous essayons de déter-

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