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Vers une archéologie du numérique :

Les actes documentaires


Mémoire de DEA
Majeure Sciences de l’Homme et Technologies de la Cognition et de la
Coopération

sous la direction de
Dominique Boullier (Costech/UTC)

Guilhem Fouetillou
guilhem.fouetillou@utc.fr

Septembre 2004
i

Remerciements
Je tiens à remercier avant tout Franck Ghitalla pour avoir initié le projet
RTGI et l’avoir dirigé à mesure qu’il grandissait et devenait bien plus qu’un
simple projet pédagogique. Il nous a permis à tous de construire une véri-
table aventure humaine et nous a témoigné une confiance qui ne cesse de se
renforcer.

Je remercie tous les membres de RTGI pour avoir su mettre les intérêts
du groupe devant leur intérêt personnel et s’être engagé avec passion au cours
de cette année.

Je remercie Dominique Boullier pour ses conseils avisés, ses mises en garde
et ses mises au point, pour sa disponibilité électronique durant ces deux longs
mois d’été et de rédaction ainsi que pour son soutien au projet et pour le
temps qu’il y a consacré.

Je remercie François Peccoud pour nous avoir accueilli en stage au sein


de RENUPI tout en nous laissant une totale liberté d’action.

Je remercie Stéphanie Godin, Mylene Ramm et Stéphane Coville de RE-


NUPI pour leur accueil, leur gentillesse et leur disponibilité.

Merci encore au département TSH de l’UTC et au laboratoire COSTECH


pour nous avoir accueilli dans leurs locaux bien que nous fumes d’une espèce
plutôt envahissante errant dans les couloirs à toute heure du jour et de la
nuit ; essaimant de ci de là quelques nuisances sonores auquel le bâtiment
Kant du Centre Pierre Guillaumat n’était pas habitué.

Enfin merci à ceux qui m’ont soutenu et qui ont vécu avec moi, particu-
lièrement Camille Maussang, compagnon de bureau, de soirées et de repas
au quotidien.
ii

Résumé
L’impact du modèle technique du réseau sur nos modes d’organisation
sociaux est majeur. Le passage à une société en réseau a été accéléré par
l’explosion des technologies de l’information et de la communication. Internet
est de toutes ces technologies celle qui a eu l’impact le plus important. La di-
mension sociale d’Internet grossit à mesure que ce vecteur de communication
s’intègre à la vie quotidienne d’un nombre toujours plus important d’indivi-
dus. Après s’être équipé conceptuellement pour penser Internet comme un
lieu de socialité dans lequel des entités interagissent, nous proposons d’at-
taquer la question des communautés informatiquement médiées par l’étude
des actes documentaires qui les construisent, nous plaçant ainsi au niveau
élémentaire d’une pratique communautaire et allant chercher dans la maté-
rialité même des documents numériques qui composent le Web des traces de
configuration sociale.
Table des matières

Introduction 2

1 Réseau et communauté 3
1.1 Positionnement théorique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.1 L’individuation en réseau . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
1.1.2 L’impact d’Internet sur la société en réseau . . . . . . . 8
1.1.3 Un champ transversal . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10
1.1.4 De nouveaux outils pour une archéologie du numérique 13
1.2 Pour une description de la pratique communautaire informa-
tiquement médiée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16
1.2.1 Définition a minima . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1.2.2 Reconstruire la complexité . . . . . . . . . . . . . . . . 21

2 La socialité informatiquement médiée 24


2.1 La connexion sociale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.1.1 Unité élémentaire de la socialité informatiquement mé-
diée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
2.1.2 Catégories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
2.2 Les connecteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28
2.2.1 Un corps étendu mais un corps amputé . . . . . . . . . 30
2.2.2 Identité et économie de facettes . . . . . . . . . . . . . 31
2.2.3 La stabilisation de Ses identitéS . . . . . . . . . . . . . 32
2.3 Les lieux de socialité sur Internet . . . . . . . . . . . . . . . . 33
2.3.1 La question du lieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34
2.4 Une socialité : trois approches . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

3 Les actes documentaires 38


3.1 Des actes de langage aux actes documentaires . . . . . . . . . 38
3.1.1 Pragmatique et actes de langage . . . . . . . . . . . . . 38
3.1.2 Le modèle des actes pédagogiques . . . . . . . . . . . . 39
3.1.3 Actes documentaires et document numérique . . . . . . 40

iii
TABLE DES MATIÈRES iv

3.1.4 Formes et formats communautaires . . . . . . . . . . . 42


3.2 Actes connectifs communautaires : étude monographique . . . 42
3.2.1 Centre connectif communautaire : étude d’un format
technique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.2.1.1 Etre membre de . . . . . . . . . . . . . . . . 43
3.2.1.2 Des indices de présence . . . . . . . . . . . . 44
3.2.1.3 Les forums . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45
Découpage des domaines d’intérêt . . . . . . . . 45
Le temps de (re)faire l’histoire . . . . . . . . . . 47
Une question de temps . . . . . . . . . . . . . . 47
Un vecteur ouvert . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Propriétés du vecteur . . . . . . . . . . . . . . . 48
3.2.1.4 Le vox populi . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48
Propriétés du vecteur . . . . . . . . . . . . . . . 49
3.2.1.5 Le module de webchat . . . . . . . . . . . . . 49
3.2.2 Recueil d’actes documentaires communautaires . . . . 50
3.2.3 Grille d’analyse des actes . . . . . . . . . . . . . . . . . 51
3.2.3.1 Initiateur⇔Suiveur . . . . . . . . . . . . . . . 52
3.2.3.2 In⇔Ex . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.2.3.3 Public⇔Privé . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
3.2.3.4 Etre pris : Ethéré⇔Saillant . . . . . . . . . . 54
3.2.3.5 Prendre : Impotent⇔Omnipotent . . . . . . . 56
3.3 Application . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
3.3.1 Conversation sur le vox populi . . . . . . . . . . . . . . 57
3.3.1.1 Une temporalité paradoxale . . . . . . . . . . 59
3.3.1.2 Contexte épistémique des connaissances sup-
posées partagées . . . . . . . . . . . . . . . . 61
3.3.1.3 Dynamique et polarités . . . . . . . . . . . . 62
3.3.1.4 Apport au social data mining . . . . . . . . . 62
3.3.2 Journée d’un membre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
3.3.2.1 Un post-it adressé . . . . . . . . . . . . . . . 66
3.3.2.2 Suivre le fil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
3.3.2.3 Un extraverti . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Conclusion 71

Bibliographie 77
Introduction

Le cadre général dans lequel se situe le travail présenté dans ce mémoire


est celui des problématiques du groupe de recherche encore informel RTGI
(Réseaux Territoires et Géographie de l’Information). RTGI a pour objectif
de concevoir, développer et tester des dispositifs technologiques et un corps
articulé d’hypothèses sur la géographie des réseaux et des acteurs. S’inspi-
rant de ce qu’il est communément admis aujourd’hui d’appeler la théorie des
agrégats1 , RTGI interroge les relations qu’entretiennent topologie du réseau
et contenu véhiculé par le réseau. Ma réflexion se situe à un niveau qui sub-
sume ces deux aspects du Web que sont l’organisation des pages et des liens
d’une part et la distribution du sens sur celles ci d’autre part : il s’agit du
niveau des acteurs qui occupent et construisent Internet.

La difficulté majeur rencontrée pour ce mémoire a été de se positionner


entre sciences informatiques et sciences humaines. L’extraction et l’analyse
d’importantes masses de données est affaire d’informaticiens à travers les
activités de data mining et de Web mining. Les expérimentations des infor-
maticiens qui s’intéressent au Web comme terrain d’étude les ont menés au
constat de la nécessaire mobilisation des sciences humaines et plus particuliè-
rement de la sociologie pour produire des théories visant à décrire et expliquer
l’évolution de ce média hétérogène, ouvert et à grande échelle qu’est le Web.

Notre travail s’est divisé en deux parties bien distinctes. Nous avons es-
sayé dans une première partie de nous définir un cadre théorique d’un grand
niveau de généralité. Le premier chapitre de ce mémoire s’intéresse à la ques-
tion du réseau et de l’individu. Elle soulève la difficile question du collectif
et des modes d’agrégations d’acteurs et interroge la notion de communautés
-fortement usitée dès qu’il s’agit de parler de relations sociales supportées par
le médium Internet-. Le chapitre suivant vise à établir Internet comme un
véritable lieu de socialité pouvant être approché comme un objet d’étude au-
1
Théorie avançant l’hypothèse selon laquelle les thèmes sur le Web se regroupent sous
forme d’agrégats de pages interconnectées.

1
TABLE DES MATIÈRES 2

tonome. Une fois ce travail effectué, nous avons du grandement réduire notre
domaine d’étude pour pouvoir apporter une contribution expérimentale à un
domaine aussi large que peut l’être la socialité informatiquement médiée.

S’inspirant des apports de la pragmatique, nous proposons en dernier


chapitre un outillage conceptuel pour traiter des communautés informati-
quement médiées. Notre terrain expérimental est un portail communautaire
dont les membres ont accepté de se soumettre à notre expérimentation.

Ne nous positionnant pas dans une discipline fortement instituée et balisée


mais transverse, le travail présenté dans les deux premiers chapitres nous a
été nécessaire pour asseoir notre réflexion et pouvoir introduire le concept
des actes documentaires originalement.
Chapitre 1

Réseau et communauté

1.1 Positionnement théorique


1.1.1 L’individuation en réseau
Réseau et network sont un déploiement. De leurs multiples significations
et malgré une étymologie différente1 on retrouve toujours ce déploiement,
cette prise sur l’espace, cette couverture qui emprisonne ce qui est pris dans
le réseau -filet dans lequel sont retenus les cheveux, les animaux, réseau
de contradictions qui enserre la raison, jambes gainées de résilles- ou qui
contraint le cheminement de ce qui circule sur le réseau -réseau d’eau, d’élec-
tricité, de chemins de fers, routiers, de communication, télégraphique, télé-
phonique, hertzien, informatique-.

Le réseau de personnes apparaı̂t dès 1828 dans la langue française en tant


qu’ensemble de personnes, d’organismes, en relation pour agir ensemble 2 le
terme network attendra 1947 pour s’appliquer à un groupe interconnecté de
personnes 3 et 1954 pour apparaı̂tre dans un article scientifique de l’anthro-
pologue John Barnes portant sur l’organisation sociale d’une communauté de
4600 personnes sur une ı̂le norvégienne, organisation étudiée à travers l’ana-
lyse de l’ensemble des relations interindividuelles. Au même titre que pour
ses autres domaines d’application, ce qui nous intéresse ici dans la notion
de réseau appliquée aux réseaux humains, c’est toujours cette idée de dé-
ploiement. Les sociétés occidentales ont vu depuis la révolution industrielle
se redéfinir la communauté. L’impact des technologies de la mobilité (trans-
1
réseau du vieux français resel : petit filet utilisé pour la chasse et la pêche et network
net (du latin nodus : nœud) + work : arrangement en nœuds de fils, cordes etc.
2
Le trésor de la Langue Française informatisé http://atilf.atilf.fr
3
Online etymology dictionary http://www.etymonline.com

3
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 4

ports et communication4 ) fut majeur sur les relations entre individus. Avant
ces avancées technologiques, les hommes s’organisaient en “cliques”, groupes
sociaux aux frontières définies sur un espace limité où chacun était en relation
avec chacun et où la plupart des relations étaient internes au groupe. Barry
Wellman parle de “door-to-door connectivity”[Wel01], nous pourrions parler
en français d’un réseau porte-à-porte. Il relève trois inégalités relatives à ce
type d’organisation communautaire :
– la facilité à contrôler les ressources et les comportements
– les échanges limités avec l’extérieur ne facilitant pas l’accès aux res-
sources matérielles et aux connaissances
– le groupe comme seule assistance possible et donc toute forme d’aide
dépendant de la volonté du groupe.
Dans ce monde, tant les ressources matérielles qu’informationnelles
se déplaçaient à vitesse d’homme, de carriole, de cheval ou d’embarcation
maritime non motorisée. Le développement de la machine à vapeur pour le
transport des biens matériels et du télégraphe pour celui de l’information a
permis aux individus de se déployer plus avant, d’augmenter leur prise sur le
monde et surtout sur un monde éloigné. Alors que les vitesses des transports
ont été multipliées par plus de 60 entre les premières machines à vapeur et
les actuels transporteurs aériens, l’explosion fut bien plus importante pour le
transport de l’information[Wel01]. Un livre dans sa version électronique tra-
verse la planète en quelques secondes alors qu’il lui fallait plusieurs semaines
pour cela il y a moins de deux siècles.

Une telle accélération dans la rapidité d’acheminement de l’information


a eu pour conséquence de limiter l’importance du voisinage comme seul rela-
tionnel possible, les réseaux de télé-communication permettant de maintenir
un lien avec des personnes éloignées physiquement de soi. La question de
l’espace à mesure que les technologies de l’information et de la communica-
tion (TIC) se développaient devenait de plus en plus contingente. On passe
alors au cours du XXième siècle à des communautés qui transcendent la no-
tion de groupe et de localité[Wel01], cette dernière ne se définit non plus
spatialement mais socialement, sur un intérêt commun[LTH68]. Les commu-
nautés passent du groupe au réseau social et ceci bien avant l’avènement de
l’Internet [Wel88]. Wellman et Gulia dans [WG99] notent à ce titre que le
très galvaudé village global de Mac Luhan l’a été inexactement. Pour Mac
4
Nous prenons technologies de la mobilité littéralement et refusons le terme usité en
Français pour faire référence aux technologies de l’information et de la communication
portables telles que PDA ou téléphone cellulaire bien que ces derniers entrent dans notre
définition. Les technologies de la mobilité sont donc des technologies favorisant le dépla-
cement de ressource matérielles, d’informations ou de personnes.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 5

Luhan ce n’est pas le monde qui est un village global mais bien le village de
chacun qui peut potentiellement s’étendre à travers le monde. La structure
du réseau, structure ontologiquement technique, s’extraie alors de son champ
premier d’acception pour servir à la description de nos relations à autrui et
donc de notre construction en tant que personne, de notre individuation.

La société en réseau est porteuse de nombreuses mutations. Indépendam-


ment du réseau des réseaux, le travail de Luc Boltanski et Eve Chiapello
dans [BC99] est une somme décisive pour penser cette dernière. Le modèle
qu’ils en proposent appelé “La cité par projets” ou “cité en réseau” donne de
nombreuses clés pour comprendre cette tendance lourde des sociétés post-
industrialisées. Dans [BT91], Boltanski et Thévenot ont posé les fondements
d’un nouveau paradigme sociologique, une sociologie des régimes d’action
qui vise à rendre au réel toute sa complexité comparativement aux sociolo-
gies univoques qui passent à la moulinette de leur système interprétatif leur
sujet d’étude pour l’en ressortir épuré de toute aspérité qui ne “cadrerait” pas.
L’établissement des différentes “cités” permet pour une même “situation” im-
pliquant les mêmes “acteurs” de mobiliser différents “régimes d’actions” qui
sont autant de manières d’agir et de conférer du sens à son action. L’individu
s’y révèle pluriel, il y endosse différentes identités sociales ce qui s’oppose
frontalement à une vision unifiée de l’individu telle que peut la présenter
Bourdieu à travers les notions de “champs”, “d’habitus” ou de “capital”. La
cité en réseau est un nouveau régime d’actions ajouté aux six initialement
modélisés par Boltanski et Thévenot. La cité en réseau vise à la création conti-
nue de réseaux ayant pour seule fin la réalisation d’un projet, l’extension du
réseau y est un principe supérieur commun ainsi que la prolifération des liens.
La relation interindividuelle est approchée par les concepts de connexion et
de communication. Les personnes engagées dans ce régime d’action doivent
nécessairement se lier pour ne pas en être exclu. Nous ne comptons pas ici
faire une lecture exhaustive et critique de la sociologie des régimes d’action
car ce n’est pas le sujet de ce mémoire cependant, par les traits caractéris-
tiques de la cité par projets que nous venons d’énumérer, nous introduisons
ici un modèle conceptuel fort dans lequel l’élaboration de notre propos a
grandement “baigné”. Nous essaierons à mesure que de nouveaux concepts se
présenteront de préciser en quoi le modèle de la cité par projets nous a aidé
à les forger.

Le nouvel esprit du capitalisme nous décrit les mutations du monde du


travail en France après 1968, mutations qui ont mené au mode d’organisation
décrit par la cité par projets. Il n’est pas difficile en lisant l’ouvrage de com-
prendre en quoi cette cité par projets appelle des changements radicaux dans
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 6

la socialité des individus. Les impératifs de mobilité, de flexibilité, de réac-


tivité, d’autonomie, tout cela ne se conjugue pas sans heurts avec la sphère
privée. Barry Wellman, sociologue qui travaille depuis plus de 30 ans sur les
réseaux sociaux, s’applique à décrire et à interpréter les changements induits
par cette socialité en réseau dans le quotidien des individus et depuis une di-
zaine d’années l’apport de l’Internet au phénomène. L’approche de Wellman
se situe d’une part dans la continuité des travaux de l’école de Chicago et
de l’interactionnisme symbolique et d’autre part dans l’analyse des réseaux
sociaux. Mais avant de présenter les travaux de Wellman plus avant, nous
souhaitons livrer ici quelques éléments sommaires pour positionner histori-
quement et théoriquement l’analyse des réseaux sociaux.

L’analyse des réseaux sociaux : Comme nous l’avons vu au début


de ce chapitre, le terme de “social network” est introduit dans les sciences
sociales en 1954 par John Barnes. A peu près à la même période, des mathé-
maticiens tels que Haray, Norman ou Cartwright recourent à la théorie des
graphes pour modéliser des études portant sur les relations entre individus.
La théorie des graphes permettra d’obtenir des représentations graphiques de
tissus relationnels complexes, de les explorer et de manifester certaines de leur
propriétés structurales mais aussi par le renfort des mathématiciens et l’utili-
sation de l’algèbre linéaire, d’instrumenter tout un corps articulé de “concepts
formels permettant de qualifier, de distinguer et de classer des structures re-
lationnelles en fonction d’un certain nombre de propriétés fondamentales de
distribution et d’agencement des relations entre éléments” [Mer03]. L’analyse
des réseaux sociaux se situe dans un courant de la sociologie considérant que
les objets élémentaires de la sociologie sont les relations entre les individus
plus que les individus eux même et leurs attributs. Nous pouvons voir là
un héritage de Simmel pour qui la sociologie est “la science des formes de
l’action réciproque”5 . Bien que Simmel n’a jamais utilisé le terme de réseau
dans ses travaux, de nombreux chercheurs en analyse des réseaux sociaux re-
connaissent l’importance de sa sociologie structurale dans leur discipline. La
théorie des graphes appliquée aux réseaux sociaux a permis de manifester des
saillances significatives structurales de l’individuation en réseau. Un réseau
social personnel développe différents types de relations avec une gradation
dans l’intensité du lien (famille, amis, collègues, amours). Un des apports les
plus célèbre de l’analyse des réseaux sociaux à la sociologie est l’article The
strenght of weak ties de Granovetter[Gra73] dans lequel il démontre l’impor-
tance dans un réseau relationnel des liens de faible intensité comparativement
aux liens de forte intensité (groupe primaire). Alors que le lien fort néces-
5
Pierre Mercklé citant Georg Simmel dans [Mer03].
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 7

site un fort investissement pour être entretenu mais assure assistance, le lien
faible a un coût d’entretien limité et peut être mobilisé ponctuellement pour
accéder à une ressource que l’on ne possède pas, que ce soit une information
ou une personne. Ainsi alors qu’il est impossible d’entretenir un nombre im-
portant de liens forts, on peut multiplier les liens faibles qui seront autant
de ressources mobilisables en temps voulu. Ces liens faibles ont un statut
de pont entre des réseaux d’appartenance plus resserrés. Ils permettent une
meilleure diffusion de l’information mais dans une approche concurrentielle
ils sont aussi des points stratégiques qu’il est nécessaire d’occuper pour être
un passage obligé dans l’accès à une information, ceci permet de contrôler
cette information. Il s’agit alors d’exploiter les “vides structuraux”[Bur93].
Ainsi chacun construit son réseau social individuel en développant avec des
personnes des liens d’intensité variable selon la nature de la communauté
partagée (le lien avec ses collègues de bureau sera moindre que celui avec sa
famille proche) mais aussi selon le nombre de communautés partagées (un
collègue de bureau peut aussi être équipier dans l’équipe de football locale
et partager avec soi le même intérêt pour le roman noir américain). Nous
retrouvons l’idée de Simmel selon laquelle l’individu se trouve à l’intersection
de nombreux cercles sociaux.

Ceci étant précisé, revenons maintenant à Wellman et voyons en quoi


sa lecture nous est utile dans notre cheminement. Dans [Wel96], l’étude des
groupes sociaux tels que nous les avons présentés ci-avant impliquait que l’on
en connaisse les membres et les frontières alors que pour l’étude des réseaux
sociaux, membres et frontières sont des questions ouvertes. Ainsi la structure
relationnelle devient un objet de recherche et non plus un objet donné. Dans
[Wel01], Wellman présente quelques caractéristiques de la société en réseau
dont l’avènement est à ses yeux une révolution :
– les frontières y sont poreuses
– les interactions se font avec une grande diversité de personnes
– il existe de nombreux ponts entre les différents réseaux
– les hiérarchies s’aplatissent et deviennent récursives
– les communautés y sont étendues, au frontières lâches, au maillage peu
dense et sont fragmentaires
– les individus opèrent dans des communautés multiples peu reliées
– chacun peut construire son réseau personnel sans avoir à se rattacher
exclusivement à un groupe.
Nous retrouvons dans ce dernier point l’idée de processus d’individua-
tion par la construction de son réseau social mais aussi de déploiement qui
est notre fil conducteur. On ne construit plus son réseau social dans un en-
vironnement donné, les communautés le constituant ne sont plus contraintes
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 8

par une localité et la plupart n’exige pas de leurs membres une appartenance
exclusive comme cela peut se retrouver dans les cas limites que sont les sectes
ou autres groupes à prétention autarcique. Chaque individu est libre selon
ses intérêts, ses affinités, ses projets de se construire un réseau social qui
peut s’étendre, se “déployer” spatialement avec pour seule limite l’accès aux
technologies de la mobilité.

1.1.2 L’impact d’Internet sur la société en réseau


Le passage à une société en réseau a largement précédé l’explosion d’In-
ternet. Nous avons essayé de montrer dans la partie précédente en quoi les
évolutions sociétales décrites n’étaient pas exclusivement le fait de l’avène-
ment du Net. Les débats au sujet d’Internet -tant au sein de la recherche
académique que dans la société civile- ont été, il nous semble, victimes de
la popularité de la trilogie du neuromancien créée par l’écrivain de science
fiction William Gibson. En lui empruntant le terme de cyberespace, ce n’est
pas seulement le néologisme fort pratique pour parler de ce qui se joue sur
le réseau des réseaux qui a été assimilé mais aussi une partie de la mytho-
logie cyberpunk qui l’accompagne. La mythologie cyberpunk est purement
duale. Elle fait co-exister deux espace-temps qui s’excluent. Il y a d’un côté
le monde réel hyper-informatisé et de l’autre le “cyberespace”, les mondes
virtuels, refuges stupéfiants permettant de fuir sa condition. Ce cyberespace
est la transposition à la génération électronique du LSD de la génération
chimique, une chimère se prénommant matrice où toute contrainte physique
disparaı̂t. . . Un tel cadre peut être une source inépuisable d’intrigues pour
des romanciers, cinéastes, concepteurs de jeux video mais penser la réalité
d’Internet à partir de telles conceptions mène à de nombreux errements. Au
cours des années 90, de nombreuses recherches académiques ont étudié ce
“nouveau monde” et en ont fait soit un eden, soit un enfer. On peut citer
pour les utopies à nouveau Mc Luhan et son “village global”, de Kerckhove
et sa société de “l’intelligence connectée” [Ker97], un Internet révolutionnant
nos relations sociales, apportant égalité, respect mutuel et connaissance par-
tagée ; et pour les contre-utopies ou plutôt devrions nous parler de dystopie6 ,
les études sur les jeux d’identité porteurs de déception, principalement sur les
sexes [Der97], la fracture identitaire [Tur95], l’aliénation au médium, l’isole-
ment croissant [Sto95], la pauvreté des échanges par chat [Fan96]. Toutes ces
études datant des années 90 ont pour point commun une vision d’un Internet
autiste, ne renvoyant à rien d’autre qu’à lui même ce qui les empêche d’ins-
6
Dystopie en ce qu’elle tend à transformer en cauchemar ce qui fonde le rêve utopique,
une société de l’information et de l’accès libérée de toute contrainte pour le cyberespace.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 9

crire l’usage d’Internet dans la socialité quotidienne. La dichotomie monde


réel vs monde virtuel oblige à se positionner dans une posture de choix et
non de couplage. D’autre part, en utilisant le terme de cyberespace on tend
à naturaliser un dispositif qui reste de construction humaine. Avoir recours
à la notion de lieu ou de milieu est comme nous le verrons plus tard légitime,
c’est bien d’écologie dont il est question mais cet oı̈kos, cette maison dont on
étudie les relations avec ceux qui l’occupent est ancrée dans une réalité so-
ciale qui déborde largement les frontières propres de cette maison et qui n’est
rien moins que la réalité sociale dans son ensemble, indépendamment de toute
coupure arbitraire entre ce qui serait censé constituer deux univers parallèles.

Pour Barry Wellman, Internet vient se sur-ajouter aux modes d’inter-


actions déjà existants : la rencontre en face-à-face, l’échange épistolaire,
la conversation téléphonique[WBC02], il est une technologie supplémentaire
permettant de maintenir des relations et des liens selon des modalités spéci-
fiques qui lui sont propres. Dès 1997, il écrivait dans [WG99] :
En dépit de toutes les discussions sur les communautés virtuelles
qui transcendent le temps et l’espace sui generis, la plupart des
contacts se font entre personnes qui se rencontrent et vivent dans
un espace proche
Ses recherches au sein du NetLab du département de sociologie de l’uni-
versité de Toronto montrent comment Internet facilite le déploiement de son
réseau social individuel et dans une étude à contre-sens de ce qui se fait ha-
bituellement comment Internet développe non pas uniquement les relations à
longue distance mais aussi les relations de voisinage[HW02]. Il démontre aussi
comment le mail permet des prises de contact facilitées, comment Internet au-
torise l’appartenance à plusieurs cercles ou communautés et le contrôle de son
niveau de participation dans chacun, comment l’utilisation du mail va avec
une importante utilisation du téléphone7 . On peut résumer les apports de ces
études en disant que l’utilisation d’Internet développe les interactions avec
son environnement proche, maintiens les interactions avec son environnement
éloigné et créée de nouvelles interactions purement électroniques débouchant
dans certains cas sur des rencontres face-à-face.

En allant chercher du côté d’un déterminisme technologique pour com-


prendre comment l’utilisation d’Internet affecte notre relationnel, on oublie
cette tendance lourde que nous essayons de mettre en lumière ici qui est la
7
Une étude menée auprès des visiteurs du site Web de National Geographic ayant
répondu à un questionnaire en ligne montre que la moitié des mails qui sont échangés le
sont avec des personnes visitées régulièrement[WAH00].
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 10

nécessité pour tout individu de maintenir et d’étendre son réseau relation-


nel tant en-ligne que hors-ligne et ceci par tous les moyens qui sont mis à
sa disposition. La forme des relations interpersonnelles observée sur Internet
est la continuation d’une rupture dans la nature des réseaux personnels qui
précède de beaucoup l’arrivée de l’Internet[WB04]. C’est cette rupture que
nous avons présentée sous le terme d’individuation en réseau. Un processus
d’individuation au sein de différentes communautés auxquelles s’accolent des
identités sociales spécifiques et un réseau tant technique que social téléologi-
quement tourné vers son déploiement.

1.1.3 Un champ transversal


Il n’est pas aisé de se situer dans la recherche académique d’autant plus
lorsque l’on y rentre sans avoir borné a priori sa réflexion à traiter des ques-
tions ouvertes d’un paradigme donné8 . Au cours de mon année de DEA, j’ai
approché de nombreux champs disciplinaires sans toujours avoir conscience
de leur caractère institué. J’ai eu tendance, et c’est là une dérive positiviste
qui est à rattacher au mode d’apprentissage des sciences exactes, à rendre
autonomes les connaissances que j’ai accumulées, c’est à dire à les débarras-
ser de leurs conditions de production pour en faire des énoncés scientifiques
quasi-universels. C’est donc un travail de reconstruction que je suis contraint
de faire aujourd’hui pour comprendre à qui et à quoi ce qui sera présenté ci-
après emprunte et comment tout cela, nous l’espérons, s’articule sans accrocs
notoires.

J’essaierai ici d’introduire les questions qui se sont posées au cours de


l’élaboration de ce mémoire dans leur ordre d’apparition. Non pas que ce
soit une facilité m’évitant de ré-ordonner ce à quoi le temps avait déjà donné
un ordre mais parce que c’est la meilleure façon de rendre compte de ce
qui est encore un work in progress mouvant, aux frontières incertaines à
l’image d’ailleurs de notre objet d’étude qu’est Internet. La question pre-
mière est celle du document numérique et de son extension qu’est le réseau.
La topologie documentaire particulière que forme l’Hypertexte qu’est Inter-
net ne repose pas sur des principes d’organisation documentaire structurés
comme c’est le cas dans une bibliothèque. Cette incertitude native [GB04]
d’Internet est synonyme de désorientation pour l’usager dans son activité
de lecture[GBN+ 04][GB04][Ghi01][GL02]. Ce sont ces recherches menées au
8
Ce que Thomas Kuhn dans La structure des révolutions scientifiques nomme les “exem-
plars”, “exemplars” que l’on tente d’expliciter par la “matrice disciplinaire” qui est l’en-
semble des propositions explicites condensant les connaissances admises par la commu-
nauté scientifique œuvrant dans le paradigme.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 11

sein du groupe de recherche ASSUN (Anthropologie et Sémiotique des Sup-


ports Numériques) du laboratoire COSTECH (Connaissance Organisation et
Systèmes Techniques) de l’Université de Technologie de Compiègne qui ont
amené Franck Ghitalla à créer le groupe RTGI (Réseaux, Territoires et Géo-
graphie de l’Information). RTGI a pour objectif de manifester les principes
élémentaires qui président au développement tant technique (distribution des
liens hypertextes entre les pages) que sémiotique (distribution des signes sur
les pages) du Web. Il cherche à construire une géographie figurant une dy-
namique observée de regroupement thématique des pages Web en agrégats
documentaires. Le cadre théorique du groupe se situe principalement du côté
des recherches en informatique et ce que l’on nomme data mining 9 et dans ce
cas particulier puisque la base documentaire étudiée est le Web Web mining.
On retrouve à ce point les travaux de modélisation du Web à partir de la théo-
rie des graphes (Barabasi, Kleinberg, Huberman), théorie qui comme nous
l’avons vu est d’une grande efficacité pour faire émerger des saillances (ou
patterns) et produire des indicateurs descriptifs d’un ensemble d’éléments en
liaison. Ces graphes ne peuvent se construire sans les données qui les consti-
tuent. Entre en jeu à ce point un domaine de l’informatique qui est celui du
crawl qui s’intéresse à l’exploration automatisée à l’aide de robots de tout
ou partie du Web (Brin, Page, Raghavan, Molina). Ce sont entre autre ces
robots qui ramènent l’information ensuite mise en forme par les moteurs de
recherche. La question de la mise en relation du contenu des documents Web
avec leur topologie hypertexte est aussi importante (Chakrabarti, Davison).
Nous sommes là dans un univers disciplinaire fortement ancré dans les mathé-
matiques et dans l’informatique. La conception de systèmes d’informations
spécialisés dans l’extraction, l’analyse et la représentation de sous-ensemble
du Web est à la base de l’activité du groupe RTGI. Cependant bien qu’In-
ternet fut initialement conçu pour la transmission de données et l’échange
d’information, ses concepteurs-utilisateurs l’ont dès ses débuts utilisé pour
communiquer[Rhe93]. Ce constat s’est maintenu avec l’explosion d’Internet
à tel point qu’aujourd’hui les fournisseurs d’accès communiquent tout autant
sur la promesse d’un Internet encyclopédique que sur un Internet support
d’interactions sociales. Cette dimension sociale du Web a mené à la question
des acteurs se trouvant derrière pages et liens et des communautés auxquelles
ils appartiennent. Cet aspect du Web traité dans la continuité du data mining
a donné lieu à l’apparition du domaine de recherche du social data mining
(Adamic, Lawrence, Gilles. . .). Les informaticiens se rapprochent ainsi de plus
9
Nous pouvons définir le data mining comme l’exploration systématique d’importantes
bases documentaires selon des principes analytiques visant à faire apparaı̂tre des indices
de structure ou des relations systématiques entre variables dans le but d’en extraire un
modèle qui pourra être appliqué à d’autres bases.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 12

en plus du domaine d’étude des sociologues et d’ailleurs Adamic, Buyukkok-


ten et Adar dans [ABA03] concluent leur article sur le constat suivant
Alors que traquer des réseaux sociaux dynamiquement par des
méthodes traditionnelles telles que les entretiens téléphoniques
ou les entretiens en face à face est coûteux en temps et en argent,
étudier les communauté en ligne se fait sans trop d’efforts et peut
produire des indices nouveaux et de valeur.
Où le bât blesse, c’est lorsqu’il s’agit d’interpréter ces indices pour qu’ils
dépassent leur caractère purement informatif au sens informatique, constat
qui pousse Chakrabarti à dire que c’est bien du côté des sociologues qu’ils
doivent aller chercher les solutions aux problèmes qui se présentent à eux.

Allons maintenant voir du côté des sciences souples et ne faisons pas durer
le suspens. Barry Wellman dont nous avons déjà beaucoup parlé concluait son
article Net Surfers Don’t Ride Alone : Cyber-Communities as Communities
par ces mots visionnaires
Nous avons conclu ce chapitre plus comme des pandits10 ou des
compteurs que comme des chercheurs. Comme d’autres avant
nous, nous avons progressé souvent par affirmations et anecdotes.
Cela s’explique par le manque de recherches sur les communau-
tés virtuelles qui a fait naı̂tre encore plus de questions que de
réponses préliminaires [. . .] Il est temps de changer les anecdotes
en certitudes. Le sujet est important : opérationnellement, théo-
riquement et politiquement. Les réponses n’ont pas encore été
trouvées. Les questions commencent juste à se poser.
Présenté comme cela le constat semble évident. Les informaticiens pos-
sèdent les outils, collectent les données, produisent des indices mais ne savent
pas les interpréter. Les sociologues, les anthropologues, les linguistes, les théo-
riciens de l’information et de la communication ont les intuitions, posent les
hypothèses mais peinent à les tester à de grandes échelles par manque de
moyens et surtout manque d’outils. La situation n’est pas aussi caricaturale
que les dernières lignes le laissent entendre pourtant même si le trait est
grossi il est loin d’être faux.

Ainsi nous essayons de situer notre apport relativement à ce constat.


C’est en puisant dans la sociologie interactionniste de l’école de Chicago,
dans l’analyse des réseaux sociaux, dans l’anthropologie cognitive, dans la
10
Titre honorifique donné en Inde à certaines personnalités, en particulier aux érudits
de la caste des brahmanes se livrant à l’exégèse et à l’enseignement.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 13

théorie du support, dans la pragmatique et dans la théorie de la médiation


que nous poserons à mesure les bases d’un modèle que nous pourrions qualifier
de méso-sociologique11 . D’un autre côté ce modèle se devra de pouvoir être
exploité pour pouvoir s’intégrer à un système d’information de social data
mining, il était donc nécessaire de penser un système discret, c’est la prag-
matique de Austin [Aus62] qui par les actes de langage nous a donné notre
unité discrète première : l’acte connectif. Nous pourrions continuer ainsi et
introduire chacun des concepts que nous avons incorporé à notre modèle en
donnant sa filiation théorique d’une part et son mode de conjugaison avec les
contraintes de son intégration à un système d’information d’autre part mais
cela se fera simultanément à la présentation du modèle. Ce que nous voulions
mettre en exergue ici c’est une démarche particulière qui peut aujourd’hui
donner l’impression d’un vol de surface, d’un éparpillement, d’un butinage
de par le manque évident de temps dont j’ai souffert mais qui est aussi une
première tentative d’orientation pour les trois prochaines années et peut être
aussi pour les années suivantes.

1.1.4 De nouveaux outils pour une archéologie du nu-


mérique
Un des postulats sur lequel repose nos réflexions est le suivant : Internet
est un objet d’étude autonome. Cela signifie qu’en se basant exclusivement
sur des observations situées sur ce système technique, sémiotique et d’usage, il
est possible de produire un discours explicatif sur le dispositif. Dit autrement
cela signifie que l’objet possède en lui même les principes qui prescrivent son
évolution, principes qui transcendent les justifications à portée purement lo-
cale des bâtisseurs de l’objet ; bâtisseurs aux actions peu ou non-coordonnées.
Notre approche consiste donc à partir du Web tel qu’il nous est donné. Dans
une perspective sociale telle que la notre cela signifie remonter aux acteurs à
partir des empreintes, des traces qu’ils laissent. Nous sommes métaphorique-
ment dans la situation de l’archéologue qui ne peut être témoin direct de la
fabrication d’un vase crétois il y a de cela plus de 2000 ans mais qui en en
exhumant un fragment manipule une trace potentiellement bavarde à condi-
tion de savoir la faire parler. Cependant métaphore n’est pas modèle et nous
différons de l’archéologue par au moins deux aspects (codes vestimentaires
mis à part) qu’il nous semble utile de préciser.

11
Non pas micro car non centré sur l’individu, non pas macro car n’appréhendant pas le
social par le haut mais méso car centré sur la relation, sur les formes sociales qui résultent
de l’interaction.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 14

Le premier d’entre eux consiste à dire que nous manipulons du numé-


rique et que le numérique est par essence manipulé. Pour Bruno Bachimont
dans [Bac04]“décomposition et recombinaison constituent la tendance tech-
nique du numérique”, tout contenu pour être numérisé doit être décomposé
en unités formelles discrètes ; ce contenu pourra ensuite être recombiné selon
les propriétés du système formel. Ainsi on ne peut savoir quelles manipula-
tions il a subi au cours de son histoire. Il n’est pas porteur de son histoire
ce qui le rend immédiatement falsifiable et possiblement falsifié. Pour le nu-
mérique la falsification est standard. Ceci amène Bruno Bachimont à définir
le noème du numérique, à l’instar du noème de la photographie de Roland
Barthes par le “ça a été manipulé”. Pour une pratique qui se réclame de l’ar-
chéologie, la contrainte est énorme. Quelle serait la valeur d’une antiquité
si elle ne portait aucune trace de son utilisation, si le temps n’y laissait au-
cun stigmate permettant d’en dater l’origine, si on ne pouvait différencier
les modifications successives de la production initiale ? Ces questions sont
toutes justifiées quand il s’agit de reconstruire l’histoire, hors nous ne nous
situons pas dans une perspective historique. L’internet que nous explorons
est celui d’aujourd’hui, il comporte des contenus non actualisés, des traces
d’échanges vieilles de plusieurs années, des zones fossilisées qui ne génèrent
plus la moindre activité mais ce qui nous intéresse c’est de savoir comment il
se présente à l’usager présentement. Nous cherchons à prendre des photogra-
phies des localités étudiées à des moments donnés et à répéter régulièrement
ces prises de vue afin d’avoir une vision dynamique de ce qui reste même (et
qui n’a donc pas été falsifié ou modifié) et de ce qui diffère (qui a été mo-
difié). Alors que l’archéologue reconstruit l’histoire, nous observons l’histoire
en train de se faire localement et nous consignons des descripteurs de cette
dynamique contrant partiellement le noème du numérique qui fait d’Internet
un médium par essence amnésique12 .

Le second aspect qui nous sépare de l’archéologue est la question de la


fouille. Premièrement ce que nous étudions n’est pas enfoui sous la terre et
ne demande donc pas à être exhumé, deuxièmement nous nous déchargeons
du recueil sur des robots informatiques. Cela a des conséquences importantes
sur les quantités de données qui peuvent être recueillies. Fouiller à la main un
12
Le numérique tend à devenir un support de mémoire universel, l’humanité entière est
engagée dans cette entreprise de numérisation de l’ensemble des productions humaines
alors que tout contenu numérisé ne peut être certifié comme authentique et non falsifié.
Le question dépasse largement le domaine de compétences des ingénieurs et se révèle
éminemment politique, c’est à la société d’établir les dispositifs de contrôle humains et
non pas seulement technique pour se prémunir contre toute possible dérive orwellienne de
réécriture de l’histoire.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 15

ensemble de pages Web et y relever des informations tant topologiques, sé-


miotiques que sociales est chronophage et même inenvisageable à partir d’une
certaine quantité de données. Automatiser le processus permet une économie
de moyens inédite, les robots les plus performants sont aujourd’hui capables
d’aspirer plusieurs milliards de pages Web. Cet aspect quantitatif n’est pas à
négliger car il sera prépondérant lorsqu’il s’agira de produire des preuves aux
constructions théoriques, systèmes conceptuels voir paradigmes qui fondent
le projet mais aussi qui s’élaboreront à partir des futurs expérimentations.

Maintenant que nous avons vu en quoi la métaphore de l’archéologie était


parlante mais aussi incomplète nous souhaiterions continuer sur la première
partie du titre de cette section, de nouveaux outils. Nous avons déjà cité
Adamic notant l’apport du social data mining dans le traçage dynamique de
communautés en ligne[ABA03]. Reprenons l’idée et essayons de montrer en
quoi ces nouveaux outils devraient compléter et non pas remplacer l’outillage
classique du sociologue s’intéressant à ces questions. Les approches subjecti-
vistes de l’interactionnisme puis de l’ethnométhodologie mettent au centre de
leur démarche le sens que confère l’acteur à ses actions réduisant ainsi l’écart
entre interprétations scientifiques et interprétations de la vie quotidienne. La
parole de l’acteur est recueillie en situation, l’avantage d’une telle démarche
vient du fait que l’acteur peut par la suite être questionné à loisir pour expli-
citer par exemple un acte de publication sur Internet, d’un autre côté l’acteur
peut communiquer une information incomplète, être influencé par l’observa-
teur, être indécis dans sa parole, se contredire ou pratiquer l’auto-censure.
En allant directement observer le produit de l’acte (ce qui a été publié), on
a accès à une information bien moins riche mais nous revenons au fait brut
dont le recueil a été externalisé dans un programme informatique pour un
coût quasi-nul. De plus, pour s’entretenir avec un acteur, il faut s’assurer de
sa collaboration, celui ci doit libérer de son temps alors que recueillir des
traces se fait dans la majorité des cas librement. Alors que tracer une com-
munauté par les méthodologies classiques implique de tenir en quelque sorte
cette communauté en captivité, le recours au social data mining permet des
observations qui ne nécessitent pas le concours des sujets, la communauté est
tracée sans se savoir objet d’étude.

Enfin un des apports majeur potentiel du social data mining à une socio-
logie de l’Internet, repose sur la question de la preuve. Toute théorie, modèle,
concept qui s’élaborera dans une approche qualitative, intuitionniste, à par-
tir d’une expérience phénoménologique première, dans une observation située
des usages rigoureuse et approfondie et dont les effets supposés seront obser-
vables sur Internet pourra mobiliser un système d’information d’extraction-
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 16

analyse-représentation spécifiquement designé qui se chargera de collecter sur


le terrain les occurrences qui permettront de constituer une preuve et ceci,
nous le répétons, avec une importante économie de moyens.

1.2 Pour une description de la pratique com-


munautaire informatiquement médiée
La sociologie butte depuis ses débuts à franchir le fossé séparant une so-
ciologie de l’individu ou de la relation d’une sociologie des grands ensembles.
Cette insondable complexité qui sépare le citoyen de l’ensemble des citoyens,
la relation interindividuelle de la matrice relationnelle qui fonde le social est
aussi présente quand il s’agit de définir des niveaux intermédiaires entre l’in-
dividu et la société. Personne ne vit au contact de La société, nous sommes
tous engagés dans des relations avec des individus, avec des institutions et
c’est à partir de cette expérience phénoménale du social que nous construi-
sons La société pure idéalité. Les tentatives ont été nombreuses tout au long
du XXième siècle pour nommer, définir, circonscrire ces ensembles de per-
sonnes avec qui chacun est engagé. Groupes et cercles, nous avons déjà utilisé
ces termes dans un point précédent sans leur donner de définition précise en
dehors du cas particulier de groupes qu’est la clique. Définir signifie littéra-
lement fixer des limites, c’est justement à ce niveau que ces termes posent
problème : comment leur donner des frontières stables ? Le recours au terme
réseau pour signifier un mode singulier d’agrégation d’individus place la fron-
tière comme un objet d’étude et non plus comme un préalable à l’étude. Ceci
révèle la difficulté tant méthodologique que théorique à réduire un individu
à son appartenance à un groupe donné possédant des frontières fixes. L’em-
ploi du terme de communauté est moins restrictif que l’emploi de groupe ou
de cercle et permet de penser l’individu dans ses multiples appartenances. Il
s’articule ainsi habilement avec le concept de réseau social individuel. Pour
penser la socialité sur Internet, ce qui est le cadre général de notre réflexion,
communauté est très usité à travers cyber-communauté et communauté on-
line mais la question de sa définition est toujours aussi problématique. Ceux
qui s’y essaient d’ailleurs ne posent pas réellement de définition car la ques-
tion de la limite y est en général laissée à l’appréciation du lecteur ! Prenons
par exemple une des plus reprise qui est celle de Howard Rheingold dans
[Rhe93]
les cyber communautés sont des agrégats sociaux qui émergent
sur le Net quand suffisamment de personnes maintiennent une
discussion publique suffisamment longtemps et avec suffisamment
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 17

d’investissement affectif pour former un tissu de relations person-


nelles sur le Web.13
Cette proposition nous sera utile car elle utilise le terme agrégat qui est
central pour nous et introduit avec la formation d’un tissu de relations une
idée de topologie relationnelle du cyberespace. Mais il ne nous semble pas
justifié de parler de définition au sens fort, que savons nous du suffisamment,
suffisamment de personnes, suffisamment longtemps, suffisamment d’investis-
sement affectif et de même quand pouvons nous parler d’un tissu de relations
personnelles sur le Web, faut-il que tous les membres de la communauté
aient communiqué au moins une fois avec chacun d’eux, faut-il une fréquence
d’échanges mensuelle, hebdomadaire, quotidienne, faut-il que la discussion
reste thématisée ou bien peut-elle dériver sur différents sujets, faut-il que les
relations développées soient exclusivement médiées par Internet, faut-il que
les membres de la communauté restent en nombre constant. Nous voyons que
cette définition appelle plus de questions que de réponses et qu’il serait bien
malaisé à quiconque y recourant de différencier une cybercommunauté de ce
qui n’en est pas une ; ce qui est pourtant la fonction d’une définition : séparer
ce qui répond à la définition de ce qui n’y répond pas.

Du côté des informaticiens du web mining et du social data mining, il


est aussi question de donner une définition aux communautés en ligne pour
pouvoir les tracer. Là, la définition est précise, fonctionnelle, immédiatement
implémentable dans un système d’information mais d’une pauvreté sociolo-
gique affligeante ! Une communauté devient un ensemble de pages possédant
plus de liens hypertexte entre eux que vers l’extérieur. On retrouve effective-
ment la notion de tissu relationnel plus dense à l’intérieur de la communauté
qu’avec son extérieur mais un sociologue investissant le champ de l’Internet
ne peut se contenter d’une définition n’ayant quasiment aucun potentiel des-
criptif ; que dire de plus une fois repéré cet ensemble de pages au maillage
interne dense sur ce qui s’y joue de social.

Trouver une définition tant au terme de communauté que de cybercom-


munauté s’épuise dans une tension constante entre la nécessité de subsumer
toutes les formes d’organisation communautaire sous la définition et ainsi
tant prendre en généralité que l’on obtient une définition fourre tout qui n’est
d’aucune utilité lorsqu’il s’agit d’étiqueter des configurations sociales parti-
culières et l’exigence d’une définition précise qui à mesure que ses contours
13
virtual communities are social aggregations that emerge from the Net when enough
people carry on those public discussions long enough, with sufficient human feeling, to
form webs of personal relationships in cyberspace.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 18

seront précisés verra son domaine d’application se réduire. Il s’agirait donc


de faire de communauté une catégorie générale que l’on décline en diffé-
rents types caractéristiques et d’en établir ensuite une typologie. Force est de
constater que nous n’avons pas trouvé dans nos recherches bibliographiques
de tentative explicite d’établissement d’une typologie des formes d’organisa-
tion communautaires informatiquement médiées. Les communautés ont été
déclinées en plusieurs types dont certains sont des sujets d’études fort prisés
des économistes telles que les communautés épistémiques et les communau-
tés d’expériences idéales pour traiter de la question de la diffusion de l’in-
formation et de la coopération [Con04][Gen04a][Gen04b] et les communautés
d’échanges pour comprendre la dynamique de transactions non commerciales
telles qu’on les retrouve sur tous les réseaux P2P14 [Gen04a][Gen04b] La TCP,
théorie des communautés de pratique, connaı̂t un succès important dans le
domaine du management, de l’étude des organisations et de la gestion des
entreprises mais malgré un effort évident de modélisation [WMS02], la TCP
est aujourd’hui plus prescriptive que descriptive en s’attachant à décrire les
communautés telles qu’elles devraient être15 alors que le travail descriptif -
censé éprouver la théorie au contact du réel- est laissé de côté [Sou04]. Nous
sommes face à des tentatives isolées d’étude de types de communautés par-
ticulières sous l’angle d’une discipline donnée mais toujours rien qui puisse
nous aider à penser la pratique communautaire informatiquement médiée
dans toute sa diversité.

Nous n’aurons pas la prétention de proposer une théorie unifiée des com-
munautés informatiquement médiées (CIM) car il nous semble que nous
sommes encore aujourd’hui dans le temps de l’observation et de la descrip-
tion. Ce n’est que lorsque nous aurons un répertoire riche de formes d’orga-
nisations communautaires que pourra commencer un travail de classification
débouchant sur une typologie. Donc pour le moment et pour surtout ne
pas éliminer a priori certaines formes communautaires, nous nous devons de
nous munir d’une définition de travail de communauté qui ne soit aucune-
ment contraignante. Nous voulons aussi éviter de présupposer son existence,
ce que nous faisons constamment en recourant au terme de communauté in-
14
Un réseau P2P, peer to peer, pair à pair, personne à personne repose sur une archi-
tecture de connexion directe entre un ensemble d’ordinateurs partageant des ressources
informatiques accessibles à tous. Chacun y est à la fois serveur (il met à la disposition des
autres ordinateurs les données qu’il stocke sur sa machine) et client (il peut télécharger
les données partagées par l’ensemble des autres ordinateurs sans savoir sur quelle machine
précisément est disponible la ressource, ceci étant directement géré par le logiciel).
15
On trouve maintenant des cabinets de conseil spécialisé dans le design de communau-
tés.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 19

formatiquement médiée, c’est pour cela que nous préférons parler de pratique
communautaire informatiquement médiée (PCIM). Nous redescendons ainsi
d’un niveau de granularité et nous nous replaçons au niveau des interactions
entre acteurs. Ceci nous permet de mettre de côté la question trop hâtive du
seuil d’intensité de la pratique communautaire à partir duquel on considère
qu’il y a bien eu cristallisation d’une CIM.

1.2.1 Définition a minima


Nous avons plaidé dans la partie précédente une approche consistant à
laisser de côté les tentatives de définition des CIM et d’ainsi suspendre tout
pré-supposé sur la morphologie et sur la dynamique des communautés sur
Internet. Nous utilisons le terme de communauté comme une coquille vide
que nous aurons à charge de remplir16 cependant nous ne pouvons pas faire
l’économie d’une définition de travail de ce qu’est une pratique communau-
taire informatiquement médiée, définition qui nous permettra d’introduire
notre modèle original.

Nous devons établir une définition a minima de la PCIM qui ne nous


ferme aucune porte mais qui fixe à la fois la spécificité de notre approche et
le domaine auquel nous l’appliquons. Nous avons déjà qualifié notre réflexion
comme se situant à un niveau méso-sociologique, centrée sur la relation et
non pas sur l’individu qui sous son éclairage monadique est impropre à penser
la communauté. Nous avons justifié cette posture relativement aux sciences
sociales mais elle trouve aussi sa justification dans les contraintes que nous
impose le système technique qu’est Internet. L’acteur en liberté sur le ré-
seau17 est invisible ou quasiment18 invisible tant qu’il reste dans une attitude
de voyeur19 . Par contre, si cet acteur entre dans une interaction avec un autre
acteur par l’intermédiaire d’Internet, certaines de ces interactions laisseront
des traces qu’il nous sera possible de recueillir20 . Nous sommes dans une lo-
gique d’interactions car Internet comme support d’inscription en conserve
certaines dans leur totalité mais l’information sur les acteurs de cette in-
teraction est réduite(cf. 2.2). Nous ne pouvons pourtant pas qualifier toute
16
Ce travail s’envisage sur un temps bien plus long que celui de notre DEA, cela s’entend.
17
Celui qui n’est pas un participant à un programme de recherche.
18
Une simple visite sur un site laisse des traces mais qui sont en général non publiques
et anonymes (ceci restera le cas tant que nous ne naı̂trons pas avec un numéro de sécurité
sociale et une IP fixe à vie !)
19
Le rôle des voyeurs ou lurkers a généré une importante littérature principalement aux
Etats Unis depuis la fin des années 90, nous proposons à titre indicatif [NP01][APW03].
20
Nous nous attardons plus tard dans ce mémoire sur les conditions de possibilité de ce
recueil.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 20

interaction entre deux acteurs, toute dyade comme participant d’une PCIM
au risque de ramener l’ensemble des faits sociaux à une pratique communau-
taire ! Nous situons donc la PCIM au delà de la dyade, du côté d’une triade
dans laquelle le tiers a un statut particulier car il n’est pas un individu parti-
culier mais bien l’ensemble des acteurs qui prendront connaissance de l’objet
de l’interaction. Un échange critique entre deux acteurs sur un forum abrité
par un site rentre dans le cadre d’une PCIM car le débat acquière un statut
public et ce sont bien tous les lecteurs du forum qui seront pris à témoin de
l’échange. Le même échange, mot pour mot, sur un même temps et entre les
mêmes acteurs mais cette fois ci par mail sans copie, copie cachée ou trans-
fert à des tiers n’entrera pas dans ce cadre. Nous voyons bien qu’ici c’est le
contexte de production de l’objet d’interaction -ou en anticipant légèrement
notre propos le lieu de production- bien plus que l’objet qui nous intéressent.
Nous retrouvons le medium is the message de McLuhan. Les interactions sur
le modèle de la dyade ne sont pas pour autant inintéressantes car une PCIM
importante peut déboucher sur des relations interpersonnelles plus intimes
qui s’extrairont du cadre communautaire[Mar03]. A ce titre, il nous est aussi
utile de repérer des traces de ces interactions dyadiques comme indices d’une
forte PCIM.

Nous tenons un premier constituant de notre définition a minima de la


PCIM mais cela n’est pas suffisant. En ne précisant en rien le type d’inter-
action que nous incluons dans la relation triadique, nous incluons des PCIM
qui sont considérées comme telles par des économistes mais que dans une
approche sociologique nous ne pouvons conserver. Il s’agit par exemple des
communautés d’échanges de fichiers sur Internet tels les P2P. Si nous repre-
nons la définition en construction du paragraphe précédent, nous sommes
bien dans le cas d’une PCIM, les interactions prennent la forme de tran-
sactions de fichiers et l’existence de cette transaction peut être manifestée
aux tiers connectés à ce réseau d’échanges de fichiers. Mais sans communica-
tion, la transaction seule ne peut être vecteur de socialité car lorsque cette
dernière est informatiquement médiée, elle peut se dérouler sans la moindre
interaction sociale. Nous précisons enfin que cet aspect communicationnel se
doit d’être symétrique, le modèle descendant des médias classiques (radio,
télévision, journaux) n’entre pas dans notre étude car il ne peut non plus y
avoir sociabilité sans alternance des rôles d’émission et de réception.

Nous avons maintenant notre définition a minima de la pratique commu-


nautaire informatiquement médiée : l’ensemble des interactions sociales
perceptibles sur Internet dont tout ou partie est une communica-
tion symétrique.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 21

Cette définition de travail ne nous servira que dans une approche algorith-
mique, elle nous informe sur la catégorie de traces qui doivent être repérées
et indexées. Elle ne nous apporte que deux indices permettant de préciser
une interaction sociale comme pratique communautaire. Il faut que l’interac-
tion soit perceptible à l’autre, donc qu’elle laisse une trace mais aussi qu’elle
recouvre une activité de communication. Il est évident qu’avec une telle dé-
finition nous pourrions ramener de nombreuses configurations qui ne répon-
dront pas à la notion habituelle de communauté mais cette définition nous
permet juste de mettre le doigt sur une nécessaire matérialisation de la pra-
tique communautaire. Celle ci ne peut exister sur Internet qu’en s’instituant
dans un dispositif technique qui lui servira de support.

1.2.2 Reconstruire la complexité


Nous avons commencé par nous attaquer à la question de la CIM, suivant
ainsi le chemin emprunté tant par les sociologues que par les informaticiens.
Nous avons noté une forte hétérogénéité tant dans les formes d’organisa-
tion communautaire que dans les types d’approches mais ces dernières pour
des raisons méthodologiques d’observation et de recueil des données, se sont
concentrées sur des communautés développant leur socialité spécifique à cette
communauté dans une relation principalement spécialisée avec leur médium
21
. La figure de la polarisation n’est étudiée que pour des communautés don-
nées, celles ci le plus souvent institutionnalisées (communauté des étudiants
d’une université dans [ABA03]) et ceci toujours pour des questions métho-
21
Nous reprenons là une typologie des “types de relations entre sociabilité et pratiques
culturelles” établie par Dominique Cardon et Fabien Granjon dans [?]. Cette typologie
a servi pour une étude portant sur l’étude des réseaux égocentrés ou réseaux individuels
et le recours à différentes pratiques culturelles selon les cercles du réseau relationnel. Par
pratiques culturelles et de loisir s’entend “l’ensemble le plus large possible d’activités in-
cluant donc la télévision, la radio, l’ordinateur, le livre, le cinéma, la fréquentation des
équipements culturels, etc., mais aussi les sorties entre copains, les spectacles, la pratique
du sport et les activités amateurs”. La typologie dégage “dans chaque portrait des ma-
nières propres aux individus de configurer certains segments de leur sociabilité à partir
de leurs pratiques culturelles”. Elle comporte trois figures différentes : “(1) les situations
dans lesquelles un type spécifique de pratiques est réservé de façon (quasi) exclusive à
un type de réseau de relation (spécialisation) ; (2) les situations dans lesquelles un type
de pratiques culturelles est partagé (soit sous forme d’activités communes, de discussions
et/ou d’échanges matériels) avec plusieurs cercles du réseau relationnel (distribution) ; en-
fin (3), les situations dans lesquelles plusieurs types de pratiques culturelles différentes
sont conduites avec un même réseau de relation (polarisation).” La relation spécialisée au
médium de nos communautés est donc l’utilisation exclusive de ce médium, par exemple
un groupe de discussion sur USENET, pour leur PCIM.
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 22

dologiques. Devant l’impression de flou que donnent ces multiples approches,


nous avons opté pour une ambition moindre et un retour au niveau fonda-
mental de l’interaction sociale. Nous avons isolé ce que nous avons regroupé
sous le terme pratique communautaire informatiquement médiée. Cela nous
donne une unité manipulable pour penser les CIM. Nous verrons au point
suivant comment cette unité fait partie d’un ensemble plus large qui nous
servira d’unité élémentaire et que nous nommons connexion sociale. Mais ce
sur quoi nous souhaiterions nous attarder quelques instants est notre inten-
tion de reconstruire la complexité de la communauté à partir d’une unité de
manipulation élémentaire. En utilisant complexité, considérons qu’une CIM
est complexe. Si nous prenons la définition du “Trésor de la Langue Française”
Composé d’éléments qui entretiennent des rapports nombreux,
diversifiés, difficiles à saisir par l’esprit, et présentant souvent des
aspects différents
nous retrouvons les difficultés qu’ont posé les études sur les CIM. Si nous
reconnaissons la complexité -au sens de la systémique d’Edgar Morin- des
CIM, considérant ainsi que le tout (la communauté) est plus que la somme
de ses éléments, vouloir justement diviser la CIM en une somme d’unités élé-
mentaires devrait nous faire passer à côté de ce supplément de structure que
l’on ne peut retrouver au niveau des composants. Mais en doublant ce décou-
page et cette recomposition d’une observation phénoménologique de l’objet
d’étude, nous aurons la possibilité de repérer ce qui est à la fois présent dans
notre modèle et dans notre observation directe mais aussi ce que notre modèle
ne rend pas de l’objet d’étude. Le modèle est aussi la condition nécessaire à
une observation phénoménologique de l’objet d’étude. En effet, c’est le mo-
dèle qui nous indiquera ce qu’il est nécessaire d’aller explorer directement
et non avec un robot. Le modèle est une représentation qui construit une
infra-structure certes incomplète mais qui nous en livre l’emplacement et la
forme générale. La tâche consistant à manifester où se situe ce supplément,
fait de la complexité, nous semble être une tâche qualitative qui ne pourra
être réduite à un algorithme. Le sociologue vient prendre le relais du système
d’information explorateur et défricheur en rentrant en contact avec ceux re-
pérés comme participant d’une pratique communautaire. La production de
comptes-rendus à la base de l’ethnométhodologie rendra manifeste le sens que
les acteurs donnent à leur PCIM, ils permettront aussi d’avoir une vue d’en-
semble de la pratique communautaire et de replacer le médium Internet parmi
d’autres et relativement à la rencontre face-à-face d’une grande importance
pour une pratique durable [WBC02] [Bou00]. C’est aussi en les confrontant
aux représentations obtenues grâce au système d’information qu’ils pourront
contextualiser socialement leur pratique, contexte qui servira à produire les
CHAPITRE 1. RÉSEAU ET COMMUNAUTÉ 23

marqueurs sociaux nécessaires au moment de l’interprétation

Pour comprendre la nature d’un modèle établi à partir de notre unité


élémentaire de manipulation. La métaphore des Lego est particulièrement
adaptée. La brique est notre unité élémentaire. Le système d’information au
cours de son exploration repère des patterns signifiants qu’il modélise sous
forme d’une brique. Il place ses briques relativement les unes aux autres se-
lon l’emplacement des patterns observés. Il n’a donc pas de plan d’ensemble
de la construction mais celle ci se reconstruit à mesure que des briques sont
rajoutées. Au final on obtient une construction localisée et morphologique-
ment établie mais qui n’est le fait que de l’imbrication de nos unités, celles-ci
ne sont pas implémentées dans leurs relations de structure hormis la relation
première de co-présence. C’est bien ici que vient se nicher la complexité, dans
ces relations entre interactions, ces interactions structurelles d’interactions !

Nous insistons sur ce temps de la construction qui n’est pas encore le


temps de l’interprétation. Modéliser oblige à faire des choix lourds de signifi-
cations, nous ne prétendons pas nous placer objectivement face à notre sujet
d’étude et nous savons que notre modèle sera susceptible de produire ses
propres artefacts mais ceux ci devraient pouvoir être repérés en confrontant
à la fois notre expérience phénoménologique et notre travail d’ethnométho-
dologue aux résultats produits par notre modèle.
Chapitre 2

La socialité informatiquement
médiée

Nous avons pour le moment inscrit notre démarche dans un champ théo-
rique. Nous avons plaidé pour l’établissement de passerelles entre les infor-
maticiens du social data mining et les sociologues. Nous avons essayé de
montrer la complexité du problème de l’étude des CIM ce qui nous a fait
insister sur la nécessité d’un temps de l’exploration et de l’observation avant
de nommer (établir des catégories), classer (mettre les éléments équivalents
sous leur catégorie), ordonner (établir une hiérarchie), normaliser (fixer une
unité de mesure et attribuer une mesure à chaque élément). Nous souhai-
tons maintenant proposer les premiers éléments d’une théorie de la socialité
informatiquement médiée avec toutes les précautions que cela impose. Nous
gardons toujours comme impératif de produire des concepts munis de leurs
articulations réciproques qui puissent être exploités informatiquement. Pour
arriver à nos fins, nous avons à forger trois concepts étroitement reliés : les
connexions sociales, les connecteurs, les lieux de socialité informatiquement
médiés et un quatrième qui dans une approche génétique les recouvre tous :
les actes documentaires.

2.1 La connexion sociale


2.1.1 Unité élémentaire de la socialité informatique-
ment médiée
Au cours de notre exposé, nous sommes revenus plusieurs fois sur notre
choix d’une focale que nous avons qualifiée de meso-sociologique. En nous
basant uniquement sur l’interaction, nous restons dans une forme de prag-

24
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 25

matique se concentrant sur le produit de cette interaction qui nous évite


de tomber dans une dialectique de l’intériorité et de l’extériorité des sujets
engagés dans celle-ci. Nous restons ainsi dans une pensée relationnelle et dy-
namique qui nous le verrons plus tard nous sera d’un grand secours lorsque
l’on abordera la question des identités (connecteurs dans notre terminologie).

Mais c’est sous son angle technique que nous présentons ici la connexion
sociale. Internet, contraction d’Interconnected Network. Toute l’activité du
réseau des réseaux Internet est régie par des connexions de machines à ma-
chines (serveurs et clients). L’extrême majorité de ces connexions sont to-
talement invisibles pour l’usager. Le simple fait de charger une page Web
pourra selon les cas faire intervenir plusieurs centaines de connexions entre
machines pour acheminer selon différentes routes les éléments constitutifs de
la page chargée. Seules chacune des connexions entre les deux derniers points
d’acheminement de chaque élément constituant la page seront phénoménale-
ment expérimentées par l’usager de par le fait que l’affichage des différents
éléments d’une page Web ne se fait pas simultanément [GBN+ 04]. Toute ac-
tivité sur Internet, quelle que soit sa nature, nécessite une connexion. Il s’agit
bien de connexions physiques dont la plupart sont rendues invisibles à l’usa-
ger1 ainsi tout fait social médié par Internet nécessite une connexion physique
mais toute connexion physique n’est pas un fait social. Les connexions so-
ciales sont le sous-ensemble des connexions physiques permettant un échange
de données à caractère social. Nous sommes là à un niveau de généralité
bien plus important que ce que nous avons appelé les formes de pratique
communautaire informatiquement médiée. Les connexions sociales sont né-
cessaires à l’ensemble des faits sociaux sur Internet indépendamment d’une
pratique communautaire qui n’est qu’un sous-ensemble de ces faits sociaux.
Les connexions sociales interviennent sur tous les protocoles2 et c’est en fait
la grande majorité des connexions sociales qu’il nous est impossible de tracer
1
Ceci est rendu possible par le modèle OSI (Open Systems Interconnexion) qui est
en fait une norme réglant l’interconnexion de systèmes hétérogènes, il comporte 7 couches
dont la dernière, la couche application est celle fournie à l’utilisateur, cette couche utilise les
services des 6 couches en dessous d’elle qui se répartissent les différentes tâches nécessaire
à l’échange de données, ces couches sont autonomes et invisibles pour l’usager.
2
On assimile souvent Internet au Web, pourtant le Web ne représente qu’un des pro-
tocoles présents sur Internet, le http. Les messageries électroniques font appel à un autre
protocole qui est le smtp, les groupes de discussion type USENET utilisent le protocole
nntp, les réseaux P2P utilisent des protocoles dédiés, de même pour les messageries ins-
tantanées telles que Microsoft Messenger, Yahoo Messenger, ICQ, le ftp est un protocole
ancien toujours utilisé permettant le transfert de fichiers (file transfer protocol). C’est l’en-
semble de ces protocoles qui font Internet, le Web en est la partie la plus visible mais pas
l’unique.
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 26

tant pour des raisons techniques que pour des raisons éthiques (cf 3.2.2).

Le terme de connexion sociale possède une double filliation, du côté pure-


ment informatique et technique avec la connexion comme base à toute activité
en réseau et du côté de la sociologie avec -de la même façon- la connexion
comme base à toute activité en réseau ! Nous retrouvons la connexion de Luc
Boltanski et Eve Chiapello dans [BC99] qui est présentée comme étant la rela-
tion naturelle entre les êtres de la cité par projets. Il y a une parfaite analogie
entre le réseau des ordinateurs maillant la planète et devant continuellement
établir des connexions pour mener à bien leur projet : acheminer un jeu de
données d’un point A à un point B et l’intérêt pour les individus engagés dans
cette cité à établir pareillement des connexions pour mener à bien leur projet.

Il ne nous reste plus qu’à donner une définition précise de connexion


sociale qui nous servira par la suite. Nous proposons une définition fonc-
tionnelle et non bornée à Internet : la connexion sociale amorce une
interaction synchrone ou asynchrone. Si celle ci passe par Internet nous
dirons alors qu’elle est informatiquement médiée. Nous attirons l’attention
sur le fait que la connexion n’est pas l’interaction, la connexion sert de sup-
port à l’interaction. Une fois celle ci établie tout ou partie de l’interaction
peut s’actualiser. Cependant par souci de commodité langagière nous ne dif-
férencierons pas pour le moment les deux, cela se fera lorsque nous introdui-
rons le concept d’actes documentaires de même nous utiliserons connexion
sociale pour connexion sociale informatiquement médiée, lorsque nous par-
lerons d’autres types de connexion sociale, nous le préciserons. Enfin nous
appellerons protocole de connexion sociale l’ensemble des protocoles qui per-
mettent l’établissement d’une connexion sociale.

2.1.2 Catégories
Les connexions sociales peuvent revêtir des formes fort diverses et en iso-
ler des catégories doit pouvoir se faire de nombreuses manières différentes.
Notre parti-pris consiste pour le moment à isoler les grandes catégories qui
sont signifiantes pour un système d’information. Ces catégories de connexions
sociales doivent pouvoir être implémentées algorithmiquement. Dans une ac-
tivité de social data mining doit pouvoir être repéré dans le code même d’une
page Web les indices nous permettant de savoir quels types de connexions
sociales pourront se réaliser sur cette page. Nous repérons trois activités que
nous pouvons en fait facilement isoler en nous référant à l’histoire d’Inter-
net. A la fin 1969, 4 ordinateurs situés à UCLA (University of California, Los
Angeles), Stanford, Santa Barbara et Salt Lake City forment le premier Inter-
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 27

connected Network ARPANET. Dés Avril 1969, alors que seulement l’ordi-
nateur de UCLA et celui de Stanford étaient connectés, Steve Crocker écrit
la première RFC (Request for Comment). L’émetteur de la requête faisait
une proposition et les récepteurs de cette dernière pouvaient la commenter,
c’est pour une activité de communication qu’Internet est dès le début utilisé.
Nous sommes bien déjà face à un réseau social ! Mars 1972, Ray Tomlinson
réalise la première application majeure pour ARPANET et c’est le premier
logiciel de courrier électronique. Nous avons notre premier type de connexion
sociale : la connexion sociale communicationnelle. Entre 1972 et 1973 est
développé le protocole FTP (file transfer protocol). Pour la première fois il
est possible de copier des fichiers depuis ou vers une machine distante. Nous
voilà face à notre deuxième type de connexion sociale : la connexion sociale
transactionnelle. Il est intéressant de voir que c’est l’usage qui a fait le succès
d’Internet qui a mis le plus de temps à apparaı̂tre. Cela se fera en plusieurs
temps : d’abord en 1981, Ted Nelson conceptualise “Xanadu”, une base de
données hypertexte contenant tous les écrits. Ensuite en 1987, l’hypertexte
apparaı̂t sur les micro-ordinateurs. Un des premiers environnements de dé-
veloppement hypertexte se nomme hypercard et fonctionne sur Macintosh.
Enfin en Novembre 1990 Tim Berners Lee propose l’idée du World Wide Web
au CERN : une architecture en forme de toile autorisant l’accès et la liaison
de toute sorte d’information. Le tout repose sur l’hypertexte par le langage
HTML et le protocole http, on navigue sur ce système à l’aide d’un brow-
ser. Il faut donc attendre 1990 pour qu’apparaisse notre troisième type de
connexion sociale, celle consistant à aller chercher une information en consul-
tant un document mis à disposition sur le réseau par une personne ressource :
la connexion sociale consultative 3 .

Nous avons donc les trois catégories de connexion sociale suivantes :


– la connexion communicationnelle permet l’établissement d’une conver-
sation entre un ou plusieurs acteurs selon diverses temporalités
– la connexion transactionnelle a pour objet la récupération et l’archi-
vage d’une ressource dans une interaction entre deux acteurs tel que
l’envoi d’un fichier par courrier électronique ou entre un acteur et un
site ressource tel que le téléchargement d’un logiciel sur un site person-
nel
– la connexion consultative a pour objet l’accès à une ressource et non
son stockage.
Nous remarquons qu’avec l’explosion des débits sur Internet les connexions
3
Les informations sur l’histoire d’Internet viennent de la ressource en ligne suivante
http://www-sop.inria.fr/acacia/personnel/Fabien.Gandon
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 28

transactionnelles tendent à disparaı̂tre, la lecture d’une ressource informa-


tique ne nécessitant plus obligatoirement son rapatriement en local. La tran-
saction de fichiers est une activité qui à terme sera totalement invisible à
l’usager. On n’échangera plus des fichiers mais on accordera des droits en
lecture, écriture sur des ressources car la copie d’une ressource n’est pas une
fin, elle n’est qu’un maillon dans la chaı̂ne permettant l’accès à la ressource.
La constitution d’une archive ne consistera alors plus qu’en l’agencement de
références, de liens vers des ressources.

L’établissement de ces trois catégories est en fait notre premier niveau


d’analyse des connexions sociales. Elles sont d’une grande généralité et peuvent
se vérifier à tout moment et en tout lieu sur Internet. Elles ne nécessitent
pas l’élaboration d’un dispositif expérimental de validation et sont technique-
ment signifiantes. Nous verrons par la suite que la question des connexions
sociales se confond avec celle des actes documentaires, bien plus complexe
et qui appelle à l’établissement d’une véritable taxinomie. Mais pour le mo-
ment, nous ne faisons qu’explorer les trois notions qui nous permettront de
donner à Internet un statut de lieu autonome terrain d’une multitude de faits
sociaux.

2.2 Les connecteurs


Notre modèle de la socialité se fonde sur les conditions minimales néces-
saires à la production de faits sociaux : des individus qui interagissent dans
un espace. Nous venons de traiter de l’interaction par la connexion sociale.
L’espace sera abordé dans la partie suivante et nous nous attaquons dans
cette partie au difficile problème de l’individu. Les questions d’identité sur
Internet sont fortement documentées car au delà de l’identité, celle qui per-
met d’établir mon individualité au regard de la société, c’est bien la question
du corps, de l’identité comme “conscience de la persistance du moi”4 et de
la présence qui est soulevée appelant à une théorie de la personne. Nous
ne rentrerons pas dans des considérations mentalistes ou positivistes sur les
identités considérant que la conscience est pure dynamique intentionnelle ne
possédant aucune intériorité propre, donc pure altérité5 .

Nous commencerons cette partie par sa conclusion, non par provocation


gratuite mais parce que nous voulons que le lecteur de travail prenne connais-
4
Définition du Trésor de la Langue Française Informatisée http ://atlif.atlif.fr
5
Pour un développement passionnant de cette thèse -que nous ne pouvons faire ici car
il tomberait dans le hors-sujet- voir [Bac04].
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 29

sance de notre cheminement intellectuel en ayant au préalable pris connais-


sance de son issue.

Dans le modèle que nous proposons la question de l’identité est toute


entière contenue dans ce que nous appelons les connecteurs. Nous notons
connecteurs nos adresses. Ainsi un numéro de téléphone, une adresse de
courrier électronique, une adresse de site Web, un identifiant ICQ sont des
adresses. Nous nommerons les services qui s’y rattachent, sites Web ou logi-
ciels nos centres connectifs, ce sont les espaces (nous parlerons par la suite
de lieux) à partir desquels nous pouvons fixer les modalités d’une interaction
que l’on initie et dans certains cas garder trace de nos interactions passées
(p. ex. http://www.hotmail.com, outlook express, icq etc.)

Dans une visée de conception de système d’information, de social data


mining et d’archéologie du numérique, cela se traduit par la définition sui-
vante : les connecteurs sont l’ensemble des inscriptions matérielles
permettant de singulariser et d’adresser une tentative de connexion
sociale.

Réduire la question de l’identité et du corps à un simple connecteur peut


sembler de prime abord cavalier voir suicidaire. Mais ce serait oublier la “né-
cessité faite foi” qui dirige ce mémoire : entretenir un dialogue constant entre
sciences humaines et sociales d’une part et informatique et spécificités d’un
système technique d’autre part. Se doter d’une identité sur Internet c’est,
avant toute considération théorique, se donner le moyen technique de contac-
ter et d’être contacté, de se connecter et d’être connecté. Internet comme
unique support de connaissance ou support de prendre connaissance n’a que
faire d’être arpenté par un lecteur anonyme. Nul besoin de se créer un avatar
pour lire une encyclopédie. Par contre, Internet support de faire connaissance,
ne peut faire l’économie de ces connecteurs qui assurent à notre intention-
nalité navigante les conditions minimum pour entrer en interaction avec un
autre. Il y a nécessité d’inscrire notre présence pour que l’autre puisse entrer
en rapport avec un ensemble de signes la traduisant [Wei99].

Toute interaction sur le réseau social Internet est rendue possible par les
protocoles de connexion sociale qui catégorisent techniquement la connexion
et les connecteurs qui la singularisent.
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 30

2.2.1 Un corps étendu mais un corps amputé


La question de l’identité et donc du corps ne peut se poser indépendam-
ment de la propriété. Si nous envisageons une séparation stricte entre notre
corps biologique et le monde qui nous entoure, parler d’identité et de corps
sur Internet est un non-sens. En me connectant à Internet, je suis devant un
écran, j’utilise successivement ou simultanément une souris et un clavier, mon
regard parcoure ce qui s’affiche sur l’écran. Je ne fais qu’utiliser un ordina-
teur branché sur un réseau. Fin du débat. Pourtant nous construisons notre
identité dans nos rapports sociaux, au contact de nos différents réseaux d’ap-
partenance qui composent notre réseau social individuel. Nous avons recours
à différents supports matériels pour nous connecter à ces réseaux d’appar-
tenance (téléphone portable, ordinateur connecté à Internet). Ces supports
révèlent la capacité de l’humain à appareiller son identité sociale pour avoir
une prise sur le monde qui l’entoure, à étendre son corps au delà de son
corps biologique. Le néologisme d’habitèle [Bou02], dérivé d’habit, d’habitat,
d’habitacle, construit à partir du latin habere : posséder, décrit les muta-
tions anthropologiques liées à cette extension de soi qui “équipe notre statut
social de multiples peaux”[Bou02]. Il y a couplage entre notre corps et nos
réseaux d’appartenance par la médiation du numérique. Nous ne discuterons
pas ici de la question de la portabilité de nos ancres matérielles car nous
nous plaçons une fois la connexion avec le réseau des réseaux établie, que
ce soit avec son ordinateur personnel, son ordinateur portable ou sur une
station publique. Ce que nous appelons nos connecteurs relèvent de l’habi-
tèle, ce sont des enveloppes qui fonctionnent comme des cartes d’accès. Quel
que soit le lieu où nous avons établi une connexion à Internet, nous pouvons
nous connecter par nos connecteurs à ceux de nos réseaux d’appartenance
qui sont en en tout ou partie informatiquement médiés. Par cet appareillage,
cette extension de notre corps que sont les connecteurs, nous prenons prise
sur un Internet milieu de socialité. Nous notons le caractère transitionnel
de ces connecteurs car d’une part obligatoirement rattachés à l’instance qui
diffuse le service et d’autre part porteurs des liens que nous entretenons avec
notre réseau. Ma carte bleue m’a été délivrée par ma banque, mon passeport
par l’état mais mon adresse électronique guilhem.fouetillou@utc.fr m’a été
délivrée par l’UTC et le carnet d’adresses UTC matérialise dans un support
numérique les contacts spécifiques à ce connecteur et à son centre connectif.

Mais c’est aussi un corps amputé qui est le notre sur Internet. Le cou-
plage d’un marteau et d’un homme fait du marteau un prolongement de notre
bras, il fait passer l’outil du côté du sujet. Il nous équipe et nous permet de
nouvelles interactions avec notre environnement ajoutées à celles que nous
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 31

autorisait notre corps. Le constat est autre si l’environnement n’est plus le


monde physique mais Internet. Notre corps individuel reste à l’entrée de cet
environnement là [Tur95]. L’absence de corps ne pose pas de problème tant
qu’il ne s’agit que de naviguer dans un milieu documentaire où les autres nous
sont invisibles et où nous sommes invisibles aux autres. Mais dès qu’Internet
devient support à une interaction sociale, l’absence de corporalité devient
problématique. Sans corps, pas d’expression non verbale, pas de possibilité
de manifester sa présence, pas de contrôle social des individus [Boy02]. D’où
la nécessité d’endosser une identité qui est un premier pas dans la construc-
tion d’un corps numérique. Les différentes alternatives pour étoffer ce corps
numérique, pour amplifier sa présence cherchent à transporter les fonctions
de présence de notre corps physique sur Internet en multipliant par exemple
les canaux de communication et en cherchant à se rapprocher des conditions
de la communication face-à-face. Ce n’est pourtant pas la seule alternative et
il est contre-productif de penser que le face-à-face est la configuration idéale
d’une interaction sociale. Internet est un nouveau milieu aux contraintes dif-
férentes de celles du monde physique, il faut donc envisager l’invention de
nouveaux indicateurs de présence[Wei99]. Mais il faut aussi étudier les sup-
ports d’interaction sociale existants non pas en se concentrant sur ce qui leur
manque comparativement au face-à-face mais sur leur apport relativement à
un type d’interaction sociale donné.

2.2.2 Identité et économie de facettes


La possibilité de multiplier les identités est souvent présentée comme un
frein à la stabilisation d’Internet comme milieu social. Chacun est libre de re-
vêtir différentes identités, de se faire passer pour ce qu’il n’est pas, de prendre
l’identité d’un autre. Les informations que l’on donne sur Internet sont diffi-
cilement vérifiables surtout si elles portent sur sa propre identité. Ce jeu sur
les identités n’est pourtant pas propre à Internet. Goffman dans [Gof73] a
montré comment les individus en fonction du contexte interpersonnel et de
situation -hic et nunc- jouent une facette de leur identité qui est appropriée à
la performance qu’ils souhaitent réaliser. Cette performance est lue et évaluée
à travers un ensemble de signaux par les témoins de celle-ci. Il y a négociation
entre d’une part la représentation de l’individu et d’autre part l’évaluation
qui en découle. C’est cette négociation qui pour Goffman construit l’identité
sociale. Bien avant Internet, notre identité sociale était déjà fragmentée. On
ne présente pas le même visage à ses collègues de bureau et à sa famille Mais
Internet propose une variété inédite de ce que Goffman appelle les cadres de
participation et des statuts participationnels qui vont avec. C’est par l’étude
de ces cadres et des contraintes qu’ils imposent aux performances des acteurs
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 32

et aux évaluations qui en sont faites que nous pourrons en partie décrire les
lieux de socialité que nous étudions (cf 3.2). Il est aussi nécessaire de com-
prendre comment ces identités sont en étroite relation avec les cadres d’in-
teraction que nous offrent les différents services auxquels nous souscrivons.
Ce que nous voulons dire par là c’est que la construction de nos identités sur
Internet et le couple performance-évaluation qui en sont la base dépend forte-
ment des interactions que permettent le lieu de socialité dans lequel on évolue.

La question des identités n’est pas centrale pour le moment dans notre
travail mais lorsque nous aborderons la question des actes documentaires qui
établissent le milieu dans lequel les acteurs équipés de leur identité numérique
interagissent, les quelques jalons que nous venons de poser pourront nous être
utile.

2.2.3 La stabilisation de Ses identitéS


Nous avons vu comment les usagers utilisent Internet pour maintenir et
développer un réseau social complexe se composant de différents réseaux
d’appartenance. Les acteurs jouent différentes facettes de leur identité so-
ciale selon le réseau d’appartenance avec lequel ils sont en contact. Sur Inter-
net, cette fragmentation est bien plus complète car il y a absence du corps
individuel qui est un signe de reconnaissance fort qui unifie la personne in-
dépendamment de la performance dans laquelle elle est engagée. Cependant,
cette vision totalement chaotique des identités sur Internet est compensée
par certains mécanismes sociaux qui tendent à minimiser le phénomène. En
premier lieu nous remarquons qu’il est impossible de développer des rela-
tions interpersonnelles sur du long terme sans stabiliser l’identité que l’on
présente aux autres. En deuxième lieu, mais cela est dépendant de notre pre-
mier point : changer d’identité dans un lieu où l’on a développé des relations
interpersonnelles, c’est perdre son statut social, sa réputation, son autorita-
tivité [Con04] et il n’y a pas plus de raisons à faire cela sur Internet qu’en
dehors d’Internet. Nous voyons et cela nous arrange dans une visée de traçage
de communauté que la pratique communautaire est un facteur stabilisateur
d’identités et qu’une PCIM suivie et investie nécessite de n’avoir recours
qu’à une seule identité. Si nous intégrons cette réflexion à l’hypothèse forte
du groupe concernant la géographie des agrégats documentaires sur Inter-
net, nous pouvons poser à notre tour l’hypothèse selon laquelle les identités
numériques des acteurs engagés dans des interactions sociales suivies sont
localement stables car c’est une condition nécessaire à la construction d’une
réputation. Il y a aura toujours des cas limites de jeux identitaires mais ils
restent à la marge et ne devraient pas fausser les résultats d’une approche
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 33

quantitative s’ils sont pris en compte.

2.3 Les lieux de socialité sur Internet


Interaction, personne et lieu. Nous sommes maintenant au troisième point
de cette construction de la socialité informatiquement médiée. Nous parti-
cipons ici d’un mouvement qui vise à établir Internet non plus comme une
prothèse, un prolongement de l’individu, un outil qui permet une prise sur
le monde dit réel mais bien comme un monde nécessitant que l’on s’équipe
d’outils, de prothèses pour avoir prise dessus (p. ex. nos connecteurs ). Nous
voyons bien que même si chacun des trois points abordés pour construire
la socialité ne furent qu’effleurés tant ils redéfinissent les modalités de cette
dernière, nous faisons ce travail pour pouvoir tenir l’hypothèse d’un Internet
lieu autonome sur lequel on peut observer des phénomènes sociaux durables
et y lire un ensemble d’indices qui une fois repérés et collectés construiront
la couche descriptive qui viendra se surajouter à celles techniques et sémio-
tiques de l’information retrieval classique.

Nous commencerons par aborder cette question sous son angle technique.
En proposant la connexion sociale comme corrélat à toute interaction sociale
informatiquement médiée, nous avons introduit les protocoles de connexion
sociale, les protocoles décrivent l’ensemble des formats et des règles selon
lesquelles deux machines échangent des données. Il s’agit d’un bas niveau
d’interaction entre machine qui est censé être invisible aux usagers. Ce n’est
pas entièrement le cas. L’usager commande son ordinateur par des applica-
tions qui proposent des interfaces homme-machine qui -sans entrer dans les
détails- sont une voie d’échange bidirectionnelle d’informations entre l’usa-
ger et sa machine. Sur Internet, ont initialement été développées des appli-
cations spécialisées pour chaque type de protocole d’échange de données et
donc pour chaque catégorie d’activités possibles sur Internet. On peut dire
que les couches de bas niveau technique ont transpiré sur une couche appli-
cative, influençant le format de celle-ci. On a comme catégories d’application
proposant des interfaces spécifiques les :
– interfaces de consultation les navigateurs ou browser pour le http
– interfaces de communication les clients mails et forum pour smtp et
nntp et les logiciels dédiés (MSN, ICQ, Yahoo Messenger) pour les
protocoles de messageries instantanées
– interfaces de transaction les clients P2P comme emule, kazaa, shareazaa
pour les protocoles P2P et les clients FTP (filezilla) pour le FTP.
A mesure de l’évolution d’Internet, les interfaces de la couche appli-
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 34

cative qui sont les programmes qui nous donnent à voir Internet ont cessé
d’être entièrement spécialisées et de nombreux ponts ont été construits entre
les différents protocoles ainsi que des méthodes d’encapsulation6 . La plupart
des interfaces d’accès à Internet autorisent maintenant les trois types d’acti-
vités et le passage d’une application à une autre et donc d’une interface à une
autre est de plus en plus invisible à l’usager (p. ex. l’ouverture d’un docu-
ment Word directement dans son browser ). Ainsi s’il est question de lieu sur
Internet, ce sont bien ces applications et l’interactivité de leurs interfaces qui
nous permettent d’en avoir une expérience phénoménale. C’est à la fois dans
les fonctionnalités de ces applications et dans le contenu qu’elles mettent en
forme que nous devrons établir s’il y a ou pas existence d’un espace, d’un
lieu au sens anthropologique dans lequel des personnes interagissent et déve-
loppent une socialité informatiquement médiée.

2.3.1 La question du lieu


Internet offre une trop grande hétérogénéité pour que nous puissions arri-
ver à une conclusion univoque sur un Internet lieu de socialité ou non-lieu. Il
s’agira donc de déterminer sous quelles conditions Internet peut localement
être considéré comme un lieu de socialité. Pour cela, nous cherchons du côté
de l’anthropologie lorsqu’elle s’intéresse à la relation de l’homme à son en-
vironnement. Merleau-Ponty dans [MP76] définit “l’espace anthropologique”
comme un espace existentiel, lieu d’“une expérience de relation au monde d’un
être essentiellement situé en rapport avec le milieu”. De la même façon, Marc
Augé dans [Aug92] décrit des “lieux anthropologiques” qui sont des espaces
identitaires, relationnels et historiques. Il les différencie des “non-lieux”, pro-
duits des sociétés modernes, qui sont des “espaces déréalisés” permettant “le
transit et les passages” des personnes. Il s’agit de “lieux standards” considérés
comme “des espaces sociaux basiques” et rendant possible, “en raison de leurs
vastes extensions et de leurs étroits registres de significations”, une “intercom-
munication minimale”. Pour Marc Augé, les “lieux anthropologiques” créent
du social organique, tandis que les “non-lieux” créent de la solidarité contrac-
tuelle. Cette réflexion nous offre un excellent point de départ pour notre
réflexion. Reprenons sa définition : trois conditions nécessaires pour passer
du non-lieu au lieu, identités, interactions et histoire. Les deux premiers ont
déjà été discutés et nous ont montré qu’Internet ne pouvait être considéré
comme un tout homogène. Il y a toujours possibilité d’interaction avec le sys-
tème technique, on parle alors d’interactivité par contre l’interaction sociale
6
Un protocole prend à sa charge la gestion d’un second, ce dernier apparaı̂t donc à
l’usager comme intégré au premier.
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 35

comme sous ensemble des formes d’interactivité n’est pas partout possible.
De même pour les identités, seules certaines localités d’Internet permettent à
l’usager d’endosser une identité numérique, il n’est le reste du temps qu’une
adresse IP difficilement identifiable et repérable, corps atrophié aux contours
flous et aux traits indéterminés. Nous reste la perspective historique dans
notre approche du lieu informatiquement médié qui va nous être d’un grand
apport pour penser les communautés.

Julia Velkovska dans [Vel02] interroge, dans une approche empruntant à


l’éthnométhodologie et à la sociologie phénoménologique, les identités et les
formes de relation qui se constituent sur un webchat. Elle y aborde la construc-
tion de l’espace commun, de l’espace de communication inter-subjectif. Il est
une question qui reste en suspens dans son analyse des formes d’interactions
écrites : la question de l’épaisseur et de la temporalité des relations déve-
loppées dans la durée et donc la question de l’histoire. Il nous semble que
cela est du au fait qu’elle étudie la “situation de communication” unique-
ment dans la construction de soi et dans la construction de la relation. En
donnant à l’interaction un caractère ponctuel et en la réinscrivant dans une
temporalité spécifique au chat mais ne dépassant pas la simple session, ne
peut être envisagée la question de la construction d’une archive ou d’une mé-
moire collective qui sert de terreau à un processus d’appropriation et donc à
toute dynamique communautaire. Hors les webchat n’offrent aucun support
technique pour la constitution de cette archive commune, les usagers du web-
chat doivent prendre à leur compte sa constitution soit en ayant recours à
leur mémoire propre soit en enregistrant les traces de leurs échanges sur des
supports externes (constitution d’un fichier informatique d’archives, impres-
sion papier des échanges). Le webchat n’assure pas la fonction historique du
lieu anthropologique. En effet, un espace physique, même s’il n’enregistre pas
l’intégralité des interactions qui s’y sont déroulées en garde des traces, alors
qu’un webchat n’offre aucune plasticité aux évènements qui y ont pris lieu.
Selon Sherry Turkle dans [Tur95], le webchat ne permet pas une PCIM car
c’est un espace transitoire qui s’oppose à un “sentiment de permanence expé-
rimenté quand un rôle est assumé, devenant une partie de la vie de l’autre”.
On retrouve à travers la notion de permanence, une histoire, une mémoire
commune. Cependant nous ne suivons pas totalement Sherry Turkle car si
effectivement le format technique du webchat ne permet pas de fixer infor-
matiquement l’archive des interactions passées, cela n’empêche pas l’acteur
de se construire lui même sa mémoire par la fréquentation répétée du lieu et
d’ainsi se l’approprier. Nous nous contenterons de dire qu’un webchat n’assure
pas la fonction historique d’un lieu anthropologique et qu’en cela il oblige ses
usagers à s’adapter et à développer des stratégies de contournement pour que
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 36

s’y maintienne le lien. Ceci nous donne une piste pour comprendre l’échec de
Julia Velkovska à comprendre cette permanence des échanges et cet attache-
ment qui était évident dans les discours des acteurs sur leur pratique de chat
mais invisible dans l’analyse du cadre d’interaction qu’est le webchat.

Le caractère historique du lieu anthropologique nous permettra de faire


une distinction entre les formats techniques qui permettent une socialité en
autorisant identification et interactions mais qui ne fixent pas l’histoire et
ceux mieux adaptés à une PCIM qui incluent un dispositif d’inscription au-
tomatique d’une mémoire collective. Nous voyons à partir de la définition de
Marc Augé que l’on a sur Internet une grande variété de configurations qui
vont du quasi-anonymat n’autorisant qu’une manipulation d’information à
des lieux offrant identité, interactions sociales et mémoire des interactions
passées. Dans toutes ces configurations les trois caractéristiques du lieu an-
thropologique peuvent selon notre lecture se vérifier, mais la différence s’éta-
blit dans l’intensité avec laquelle chacun de ces caractères se réalise :
– l’identité numérique est une enveloppe dont on se couvre donnant un
corps sur le réseau et permettant d’être vu, ce sont l’opacité et l’épais-
seur qui en déterminent la visibilité
– la relation se distribue dans l’interactivité et particulièrement celle per-
mettant l’interaction sociale, son intensité est fonction de l’importance
tant de ma prise sur l’autre que de la prise de l’autre sur moi
– l’histoire, la mémoire collective peuvent se construire en tout lieu si là
est l’intention des acteurs qui occupent ce lieu, cependant une gradation
peut être mesurée entre les formats techniques qui assistent ce proces-
sus de mémoire selon des modes divers et ceux qui n’offrent aucune
plasticité aux évènements.

Nous avons maintenant abordé les trois notions permettant de pen-


ser une socialité sur Internet. Alors que nous risquions de fragmenter la
construction du social en décontextualisant l’interaction sociale et en l’ana-
lysant comme unité élémentaire ponctuelle, nous avons pu grâce à la mobili-
sation du lieu anthropologique réinscrire cette socialité dans une dynamique
culturelle et historique ou peut être devrions nous dire micro-culturelle et
micro-historique car chaque lieu anthropologique possède ses particularités.

2.4 Une socialité : trois approches


Notre objectif à terme, en un temps qui n’est pas celui du DEA, est de
produire un modèle algorithmiquement implémentable dans un système d’in-
CHAPITRE 2. LA SOCIALITÉ INFORMATIQUEMENT MÉDIÉE 37

formation qui nous permettra de repérer et d’analyser des localités du Web


terrains à une activité sociale. Cette analyse devra pouvoir repérer l’inten-
sité de cette activité, sa configuration, ses frontières ainsi que sa dynamique
dans le cas d’un suivi longitudinal. Cependant, nous ne pourrons produire ce
modèle sans un travail qualitatif, heuristique sur l’Internet réseau social. Ce
chapitre nous a permis d’aborder la question du social à travers les indivi-
dus, leurs interactions et l’environnement. Mais ces trois notions sont aussi
trois approches différentes qui se succèderont pour mener à bien notre projet,
trois approches qui feront intervenir différents dispositifs expérimentaux et
différentes disciplines : un suivi d’usager d’un Web social qui s’intéressera
tant aux formats techniques (prendre par le lieu) qu’au relationnel développé
par les acteurs (prendre par l’acteur) et à la description qu’ils en font dans
leur discours. Ces deux études se réuniront dans l’étude des actes documen-
taires que nous présentons dans la partie suivante et qui clôt ce mémoire.
Nous souhaiterions prolonger par la suite le travail en franchissant le cap
de l’implémentation de notre modèle, par la traduction de régularités ou de
saillances systématiques repérées dans la première phase de notre étude en
algorithmes capables d’isoler ces même régularités ou saillances sur d’impor-
tantes quantités de données. Ce passage au social data mining devra se faire
avec une grande prudence quant à la réduction que la traduction en langage
informatique implique et il nous semble que ce saut d’échelle ne pourra se
faire sans une perte de finesse dans notre grain. Cependant les algorithmes
ainsi développés seront sous-tendus par un modèle sociologique précis qui
sera d’un grand apport à l’approche mathématico-statistiques de la question
des communautés qui est aujourd’hui dominante.
Chapitre 3

Les actes documentaires

3.1 Des actes de langage aux actes documen-


taires
Maintenant que nous avons abordé la question des communautés et de
la société en réseau, que nous nous sommes équipés conceptuellement pour
pouvoir parler d’une socialité sur Internet en se débarrassant des distinctions
entre monde réel et monde virtuel, en intégrant Internet aux schèmes de
socialité comme une médiation parmi d’autres, nous souhaitons commencer
l’étude de cet Internet social à son grain le plus fin, celui des actes même qui
le construisent.

3.1.1 Pragmatique et actes de langage


L’étude des actes documentaires est une proposition de Dominique Boul-
lier en prolongement de l’étude des actes de langage que l’on trouve en prag-
matique. La pragmatique étudie les comportements des individus en inter-
action et particulièrement les rapports qu’entretiennent les signes avec leur
usages. Autrement dit la pragmatique cherche à savoir ce que font ces signes
une fois qu’ils sont émis. Le vecteur de communication des signes qui fut
initialement étudié a été le langage mais la pragmatique ne se limite pas à
ce vecteur. La pragmatique trouve ses racines dans la linguistique mais aussi
dans la logique, elle s’est attaquée à trois problèmes que sont la détermination
de la vérité des énoncés, les effets du discours dans l’interaction et l’usage
du langage ordinaire. La première de ces catégories ne nous servira pas dans
notre mobilisation de la pragmatique.

Les trois concepts clés de la pragmatique vont nous offrir un cadre d’ana-

38
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 39

lyse adapté à notre étude de la pratique communautaire et des actes docu-


mentaires :
– Un acte : l’acte en lui même, chez Austin [Aus62] il s’agit de l’acte de
parole, dans notre cas cet acte sera dans la manipulation d’un document
numérique.
– Un contexte : en pragmatique la question du contexte inclue le contexte
linguistique, le contexte extralinguistique, le contexte présuppositionnel
et le contexte épistémique des connaissances communes. Pour les actes
documentaires, ce sera le contexte propre au support auquel nous nous
intéresserons tout particulièrement
– La performance : l’accomplissement de l’acte en contexte. Ce que l’acte
fait et dans notre cas ce que l’acte fait socialement, ce qu’il produit
comme configuration sociale inscrite dans la matérialité même du sup-
port.

Différents auteurs tels qu’Austin, Grice ou Searle ont proposé des ty-
pologies des actes de langage que nous ne détaillerons pas ici et qui tentent
d’établir des divisions dans les multiples énonciations que nous permettent
le langage. Nous recourrons par la suite à certaines des distinctions permises
par ces typologies.

3.1.2 Le modèle des actes pédagogiques


Nous avons trouvé dans le travail de Franck Ghitalla sur les formats,
scénarios et actes pédagogiques [Ghi00b], une tentative d’édification d’une
théorie pragmatique. Il s’agit là de ces modèles produits pour un domaine
spécifique mais que l’on peut faire servir en dehors de leurs frontières à condi-
tion de savoir les adapter. L’objectif de cet travail réalisé entre 1997 et 2000
dans le cadre du projet PIEMONT (Plate-forme Intégrée d’Evaluation de
Méthodes et d’Outils de formation à base de nouvelles Technologies) a été
de formaliser la relation pédagogique dans toute la diversité de formes que
celle ci peut prendre en terme de contexte d’apprentissages (géographique,
matériel, humain, institutionnel, cognitif). Le concept de format pédagogique
rassemble les formats matériels et les formats de connaissances d’un dispositif
d’apprentissage. Il permet de penser l’importance des formats matériels, du
dispositif technique dans cette interaction et de voir comment ces formats spé-
cifient l’interaction indépendamment de ses acteurs. La relation pédagogique
est caractérisée selon des scénarios pédagogiques qui organisent différemment
le processus d’apprentissage. Ces scénarios sont des modèles archétypales à
partir desquels on situe un cadre d’interaction pédagogique particulier. L’hy-
pothèse qui nous intéresse tout particulièrement propose que toute situation
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 40

d’apprentissage est un cadre d’interaction partagé qui se constitue d’une sé-


rie d’actes élémentaires “qui visent par leur distribution et leurs relations à
la transformation des sujets et à l’élaboration des savoirs ”. Les actes mobi-
lisent à la fois les concepts, la mémoire, le temps, l’environnement technique.
Ils réunissent l’acteur et son environnement. Ces actes sont supposés être
en nombre fini, identifiables et ordonnables donc typifiables. Une typologie
des actes pédagogiques est un outil descriptif de l’interaction pédagogique
permettant de rendre explicites des modes implicites de formalisation de
l’enseignement mais aussi de prévoir des scénarisations de séances d’ensei-
gnement ou d’assister la conception d’applications pédagogiques. Une telle
approche nous convient particulièrement car elle possède parmi ses principes
fondamentaux la formalisation d’un processus qui intègre tant sa dimension
technique que sa dimension socio-culturelle mais aussi la discrétisation du
processus d’apprentissage en actes élémentaires ce qui pourra parfaitement
s’adapter à notre concept de connexion sociale comme unité élémentaire tech-
nique de socialité sur Internet.

3.1.3 Actes documentaires et document numérique


Nous avons trouvé dans la pragmatique notre base théorique pour s’at-
taquer à la socialité sur Internet et dans les actes pédagogiques une appli-
cation et une adaptation de cette dernière. Nous éliminons d’ores et déjà la
possible scénarisation d’une socialité informatiquement médiée. En effet, le
cadre de l’interaction pédagogique est temporellement délimité et s’organise
sous formes de sessions, ce qui n’est pas le cas pour l’interaction sociale in-
formatiquement médiée. Cependant nous n’excluons pas, dans un temps qui
n’est pas celui de ce mémoire, de repérer des styles de socialité à défaut de
scénarios.

La question des formats documentaires et des actes documentaires est


extrêmement large. Notre sujet d’étude nous amène à nous concentrer sur un
registre étroit d’actes documentaires. En premier lieu il n’est question pour
nous pour le moment que de documents numériques, ceux qui constituent
Internet1 . Nous proposons une définition du document numérique adaptée
1
En utilisant le terme de document numérique nous nous inscrivons dans une ligne de
recherche sur les supports de connaissance et sur l’organisation du savoir, sa conservation
et sa transmission dans les sociétés humaines. Notre approche nous amène à considérer
les trois dimensions du document numérique, le document comme forme, comme signe et
comme médium mais c’est le document numérique comme médium, médium au sein duquel
se joue la relation dont il est le médiateur qui cadre plus particulièrement avec notre sujet
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 41

à notre approche : lieu d’échange et de communication dans lequel


il est aussi objet de transaction. A partir de la définition que nous
venons de donner nous voyons que tout document numérique relève d’une
dimension sociale. Tout document matérialise des interactions entre des per-
sonnes humaines2 . Nous devons donc continuer à circonscrire le registre des
actes documentaires que nous étudierons en nous limitant à l’étude des actes
documentaires qui nécessitent une connexion sociale pour se réaliser. Ainsi
toute manipulation d’un document numérique hors-ligne sans établissement
de ce sous-ensemble des connexions informatiques que sont les connexions so-
ciales n’entre pas dans notre étude. Nous justifions ce choix par notre volonté
d’étudier Internet comme un objet autonome et par le fait que les actes do-
cumentaires hors ligne ne peuvent avoir une dimension communicationnelle,
dimension qui est centrale dans toute socialité. Enfin, nous effectuons une
dernière réduction pour arriver aux actes documentaires dont nous commen-
cerons l’étude dans ce mémoire. Nous nous limitons à des actes documentaires
ayant pour contexte un centre connectif communautaire.

Nous donnons à l’ensemble des actes documentaires qui rentrent dans


notre étude et que nous venons de définir le nom d’actes connectifs commu-
nautaires, le choix du terme connectif, tout comme pour les connexions so-
ciales, trouve son inspiration dans la cité par projets de Boltanski et Chiapello
et la place centrale qu’y occupe la notion de connexion. Le terme commu-
nautaire fait référence à un lieu de socialité tel que nous l’avons déjà défini :
offrant un support à la PCIM.

Notre unité technique élémentaire d’un usage du Web social est la connex-
ion sociale. Toute interaction sociale informatiquement médiée s’initie néces-
sairement par une connexion sociale telle que nous l’avons définie. Les trois
catégories techniques de connexions sociales que nous avons isolées restent
d’un grand niveau de généralité et ne disent rien de précis sur la nature d’une
socialité sur Internet : comment se construisent les lieux qui l’abritent, com-
ment se distribuent les différents rôles et compétences des acteurs engagés
dans l’interaction, selon quels rythmes s’impriment ces interactions sur le ré-
seau. Commencer à fournir des éléments de réponse à ces questions se fera
[Ped03].
2
Nous venons d’introduire le document numérique alors que nous n’avions pour le mo-
ment parlé que d’Internet dans sa globalité. Ce passage du corpus Internet au document
numérique accompagne notre changement de focale sur l’acteur et sur les actes documen-
taires. Les acteurs ne manipulent jamais Internet dans sa globalité tout comme ils ne sont
jamais au contact de La Société, l’expérience phénoménale d’Internet passe uniquement
par les documents numériques que l’acteur manipule.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 42

par l’étude des actes connectifs communautaires. L’étude de ces actes im-
plique à la fois les acteurs et le système technique dans l’accomplissement de
l’acte -démarche qui devrait nous éviter de tomber dans des déterminismes
techniques ou sociaux selon l’approche-.

3.1.4 Formes et formats communautaires


Nous continuerons à utiliser le terme de communautés pour désigner
toutes les formes d’agrégations d’individus en interactions sociales sur In-
ternet car nous ne voulons pas présupposer de formes communautaires et
bien que nous n’ayons pas encore défini précisément de quoi nous parlons, il
nous faut un terme nous permettant de faire référence à ce niveau de granu-
larité particulier dans lequel les actes connectifs se composent, se répondent,
se succèdent et se chevauchent pour former le réticule d’un Internet social. . .
Par notre étude, nous espérons pouvoir reconstruire les communautés par les
actes connectifs qui y prennent lieu. Parler de formats communautaires est
largement anticipé mais nous notons qu’après avoir établie une taxinomie des
actes connectifs et implémenté algorithmiquement cette dernière, les explo-
rations du logiciel TARENTe devraient nous mener à repérer de multiples
formes communautaires que nous pourrons formaliser en un certain nombre
de formats communautaires.

3.2 Actes connectifs communautaires : étude


monographique
Dans le cadre de ce mémoire, nous nous essayons à une expérimentation
modeste sur les actes connectifs communautaires en faisant une monogra-
phie d’un centre connectif communautaire et en étudiant des actes connectifs
communautaires qui y ont trouvé support. Je suis membre de ce centre de-
puis ses débuts (Novembre 2003) et l’utilise quotidiennement. Dès la création
du site il a alimenté ma réflexion sur la PCIM et a été pour moi un terrain
d’observation et d’expérimentation. Nous précisons que tout centre connectif
peut être l’instrument d’une PCIM mais nous repérons les centres connectifs
communautaires par les fonctionnalités qu’ils proposent pour fixer une mé-
moire commune et faciliter l’appropriation du lieu par ceux qui l’occupent.
Ce choix nous fait nous limiter à une pratique communautaire fermée (car
elle nécessite de s’identifier pour y accéder) et instituée (par la constitution
d’une archive commune). C’est en ces lieux que nous sommes susceptibles de
trouver une importante PCIM et donc un répertoire varié d’actes connectifs.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 43

3.2.1 Centre connectif communautaire : étude d’un for-


mat technique
Le centre connectif auquel nous nous intéressons est un site Web généré
par PHP-Nuke. PHP-Nuke est en fait un générateur de portails communau-
taires développé en open source donc libre de droit. Simple d’utilisation il
permet de créer un site communautaire en ne recourant quasiment pas à
la programmation. En effet, de nombreux modules qui sont autant de ser-
vices différents sont développés par la communauté du libre et alimentent
l’offre de PHP-Nuke. Ces modules sont de toute sorte mais restent orientés
vers une pratique communautaire. Du basique module de forum jusqu’à des
modules de travail coopératifs spécialisés en passant par des modules de par-
tage de ressources multimédias ou de calendriers interactifs, il est possible de
construire une infinité de portails d’autant plus que chaque module peut être
entièrement paramétré pour s’adapter à l’usage que l’administrateur du site
envisage.

Le site que nous étudions a été développé par un ancien étudiant pour of-
frir un lieu propice au maintien de liens développés durant les années d’études
mais affaibli par l’éparpillement géographique causé par l’entrée dans le
monde du travail. On est face à une communauté qui préexistait au site.
Celui-ci n’est que venu se surajouter aux autres vecteurs de communication
et d’échanges à distance que sont le mail, les messageries instantanées, le té-
léphone ou le courrier. Pourtant, à la différence de ces vecteurs, le site a offert
un lieu communautaire qui est un point de rencontre pour tous et qui donc
matérialise le lien communautaire. Il offre une tribune à partir de laquelle la
parole de tous est diffusée également à chacun.

Nous allons maintenant voir en quoi le format technique des différents


services offerts par ce centre connectif communautaire détermine un cadre
d’interaction pour les actes connectifs communautaires qui s’y accomplissent.

3.2.1.1 Etre membre de


Pour accéder au centre étudié, un compte doit être ouvert. L’ouverture
de ce compte est validée ou infirmée par l’administrateur du centre. Il ne
suffit donc pas de surfer sur Internet pour accéder à ce centre. La nécessité
d’être membre pose une première frontière, une première délimitation entre
les membres et les non-membres. Cette inscription fait intervenir à la fois
une médiation technique dans le renseignement du formulaire d’inscription
et une médiation sociale dans la confirmation de l’inscription par l’adminis-
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 44

trateur. Le centre mettant en contact un réseau relationnel qui se fréquentait


assidûment et ayant pour but de maintenir les contacts et de les intensifier,
les informations à fournir pour l’inscription exigent de révéler un nombre
important de connecteurs et particulièrement les connecteurs extérieurs à
Internet que sont le patronyme, l’adresse postale, le numéro de téléphone.
Cette hypothèque connective exigée signifie que tout membre du centre est
appareillé d’un corps numérique tangible qui offre une prise importante sur
lui. Nous précisons que l’inscription au site fournit un connecteur supplémen-
taire propre au site.

La présence de l’administrateur dans la chaı̂ne de l’inscription est cette


médiation sociale qui assure la validité des informations données par les pos-
tulants à l’inscription par la vérification de ces dernières. Nous voyons ainsi
avant même de s’être intéressé à la structure même du centre que le mode
d’accès au site produit un contexte socio-technique qui influencera les actes
connectifs communautaires. L’impossible anonymat, la matérialisation et la
persistance de ce corps numérique à travers les fiches d’identité qui une fois
l’inscription terminée sont en accès public, sont un mode de régulation et
de contrôle de cet espace. La toute puissance de l’administrateur en est un
autre que l’on retrouve d’ailleurs partout sur le Web. Tout acte connectif
communautaire a alors pour contexte ces deux dimensions du contrôle :
– l’administrateur a toute puissance sur les traces produite par mon acte
mais surtout sur l’ensemble des interactions qui me sont autorisées à
partir de ce centre et sur mon accès au centre
– tout acte connectif communautaire ne peut être anonyme et implique
donc une responsabilité car par mes connecteurs c’est potentiellement
mon corps que j’engage dans la relation.

3.2.1.2 Des indices de présence


Occuper ce centre, c’est être identifié et c’est aussi posséder un corps
consistant le temps de sa connexion. La présence de ce corps numérique peut
être manifestée aux autres membres du centre. Deux modules du type des so-
cial proxies [ESK+ 99] sont disponibles sur le site et participent de ce souci de
donner l’information la plus complète possible sur les membres du centre. Ces
deux modules portent pour nom : En ligne. . .et Ou sont-ils. Le premier
fournit une liste des membres présents sur le site à chaque instant et le se-
cond nous informe sur la rubrique actuellement visitée par chacun. Ces social
proxies vont permettre de différencier les membres du centre des membres ac-
tuellement connectés et ainsi influer sur les actes connectifs communautaires.
En effet, la manifestation de la présence d’un membre par le social proxy
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 45

peut par exemple orienter le choix d’un mode de communication pour entrer
en contact avec un membre du centre. Ce qui devait être initialement une
communication asynchrone va se transformer en une proposition de webchat.
Les dynamiques sociales ainsi matérialisées voient leur forme altérée par ces
indices de présence.

Cependant, cette manifestation de notre présence qu’est le social proxy


passe par un signe conventionnel qui nécessite d’être interprété mais sur-
tout d’être évalué en terme de fiabilité [Boy01]. Et ce signe n’est pas fiable
quant à la présence du membre dont le pseudonyme est inscrit dans la liste
En ligne. . .. Cette inscription ne nous informe pas de la présence de l’autre
derrière son écran mais simplement de l’ouverture d’une session à son nom.
Différencier présence effective et session ouverte fait partie des connaissances
supposées partagées au sein de la communauté. Comme nous le verrons, elle
est un élément de contexte décisif pour certains actes connectifs communau-
taires.

3.2.1.3 Les forums


Le centre connectif communautaire propose plusieurs vecteurs de CMO
(communication médiatée par ordinateur). Chacune des propriétés de ces
vecteurs sont autant d’éléments qui altèrent la forme du message. Les forums
sont particulièrement adaptés à la construction de l’archive commune, au
passage du non-lieu au lieu tel que nous l’avons défini précédemment mais
ce n’est pas là leur seul caractéristique d’importance. Nous ne faisons pas un
compte-rendu de toutes les fonctionnalités des forums mais nous attardons
seulement sur des points qui nous semblent socialement signifiants et qui
pèsent sur l’usage qui en est fait.

Découpage des domaines d’intérêt Au delà du corps du message posté


sur un forum, celui-ci vient s’inscrire dans une arborescence déjà existante
qui va orienter l’interprétation des récepteurs du message. L’architecture des
forums de ce centre est l’architecture classique des forums en trois niveaux.
Le premier niveau est celui du forum. Chaque forum se divise en sujets dans
lesquels sont postés des messages. On a donc une architecture forum-sujet-
message. Lorsqu’on écrit un message, il faut commencer par choisir dans
quel forum puis soit rajouter un message à un sujet existant, soit créer un
nouveau sujet. Les forums du centre sont divisés en 4 catégories comptant
chacune plusieurs forums. On trouve comme catégories général, musique,
privé, annonces :
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 46

– La catégorie général est composée de trois forums consacrés aux ques-


tions sur le site, aux suggestions d’évolution et aux messages divers.
Le premier est un lieu d’assistance technique, le second est le lieu où
sont proposées, discutées et débattues les choix technique concernant le
centre (choix qui comme nous cherchons à le montrer ici n’ont pas une
portée uniquement technique mais aussi en terme d’usage) et le troi-
sième est le lieu proposé pour le relicat des messages dont les auteurs
ne savaient dans quel forum les poster.
– La catégorie musique regroupe un forum par groupe de musique qui
s’est créé au fil des années communes d’études et qui sont un élément
central du lien qui unit les membres de la communauté. Ils sont au
nombre de 10.
– La catégorie privé regroupe deux forums dont l’accès est uniquement
réservé à certains membres de la communauté. C’est l’administrateur
qui possède les droits d’admission et d’exclusion sur ces forums.
– La catégorie annonces regroupe 7 forums dont 5 sont consacrés à des ac-
tivités non informatiquement médiées telles que les concerts, les soirées,
les voyages, du troc et le lancement de projets coopératifs dits sérieux.
Les deux forums restants proposent des adresses Web extérieures à la
communauté et des divertissements, jeux informatiques.
Ce n’est pas l’étude des messages postés sur ces forums qui nous intéresse
pour le moment mais ce que ce découpage, cette structure a priori marque de
socialement signifiant. La structure dont nous parlons n’est pas figée. La plas-
ticité du support permet de rajouter, supprimer, fusionner des forums pour
un coût quasi nul et ceci selon les attentes des membres et les réponses qu’y
apporte l’administrateur. Comme nous l’avons vu un forum est entièrement
consacré à ces questions. L’accès limité aux deux forums de la catégorie privé
introduit une différence entre membres de la communauté pouvant accéder à
ces forums et ceux ne pouvant pas. De plus chaque forum voit sa modération
déléguée à certains membres de la communauté par l’administrateur. Il existe
donc un groupe de membres qui sont aussi modérateurs. On voit comment le
forum matérialise les différents statuts au sein de la communauté : adminis-
trateur, modérateur, membre ayant accès aux forums privés et enfin membre.
Une différence est à noter entre les statuts qui apportent prérogatives mais
aussi obligations techniques ce qui est le cas pour l’administrateur et les mo-
dérateurs et ceux qui relèvent du privilège sans compensation en direction de
l’ensemble de la communauté que l’on retrouve chez les membres ayant accès
au forum privé.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 47

Le temps de (re)faire l’histoire Les forums permettent de donner un


caractère persistant aux messages qui y sont postés. Ceux-ci à mesure de
leur accumulation construisent la mémoire commune de la communauté. Il
est possible de remonter les fils de discussion en y ayant accès dans les condi-
tions même de leur production. Le message est placé dans son co-texte (au
milieu des messages le précédant et des messages le suivant), il est daté et
adressé. Pourtant, ce n’est pas ces forums qui réaliseront la promesse de la
source authentique portée par le numérique. En premier lieu la toute puis-
sance de l’administrateur et son pouvoir de censure est toujours présent, les
modérateurs du forum et auteurs du message possèdent aussi ce pouvoir de
falsification. Il est alors possible d’éditer les messages et d’ainsi manipuler
cette mémoire, ces manipulations ne laissent pas de trace. Nous précisons à
nouveau que ces archives ne sont qu’une prothèse mnésique pour les membres
de la communauté et que l’histoire commune qui alimente le sentiment d’ap-
partenance se fixe avant tout dans la mémoire individuelle des membres.
Ainsi si la mémoire falsifiée ne porte aucune trace de sa falsification, elle n’en
est pas moins susceptible d’être évaluée comme falsifiée par un membre qui
la confronterait à sa propre mémoire.

Une question de temps Au sujet des temporalités des différents vecteurs


de CMO, la distinction se fait entre communication synchrone et asynchrone.
Les webchat, messageries instantanées sont des vecteurs de communication
synchrones et les courriers électroniques, forums, groupes de discussion, des
vecteurs de communication asynchrones. Cette distinction a été introduite
pour rendre compte du temps d’acheminement du message. Le temps de
l’émission n’étant pas le temps la réception, on a parlé de communication
asynchrone. Les interlocuteurs ne sont pas dans le temps partagé qui est ce-
lui de la communication en face à face ou par téléphone. Cette distinction
ne nous semble plus justifiée car la cassure n’est plus aussi marquée entre les
différents vecteurs de communication et ce sont les propriétés particulières de
chaque vecteur qui en orienteront l’usage. Les forums de la communauté pré-
sentée ici ont un temps d’édition court, cela signifie qu’il faut, hors problème
technique, moins de 5 secondes pour qu’un message posté soit lisible par les
membres de la communauté, nous verrons qu’en terme d’actes connectifs cela
a des conséquences qui nous amènent à interroger cette distinction entre des
vecteurs de communication en temps réel ou différé.

Un vecteur ouvert Les forums sont une ouverture sur l’extérieur. Ils au-
torisent la publication directement dans le corps du message de liens hyper-
textes, d’images, d’animations Flash, de vidéos. La frontière entre un forum
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 48

et une galerie d’image peut donc rapidement disparaı̂tre si un sujet est consa-
cré à la publication d’images. Le forum n’est pas uniquement un vecteur de
communication mais aussi un lieu de publication de ressources multimédias.

Propriétés du vecteur
1. Messages s’inscrivent dans une architecture à trois niveaux : forum-
sujet-message. Tout message est contextualisé dans son forum et son
sujet, cela fournit un cadre à l’interprétation.
2. La gestion des droits (d’accès, de modification et de suppression) des-
sine une hiérarchie sociale au sein de la communauté.
3. L’archive des interactions passées est conservée mais elle peut être fal-
sifiée sans laisser de trace de la falsification.
4. Le temps entre émission et publication d’un message est perceptible
mais inférieur à 5 secondes.
5. Le forum permet tant une communication persistante que la publication
et la conservation de ressources multimédia.

3.2.1.4 Le vox populi


Le vox populi est un module de communication qui a été développé spé-
cifiquement pour le centre étudié. A première vue il pourrait être assimilé à
un webchat cependant nous allons voir que ses propriétés techniques en font
un outil hybride.

Le vox populi est situé dans la barre de menus située sur la gauche que
toute page comporte. Cela signifie qu’il est tout le temps accessible et visible
quelle que soit la page sur laquelle se trouve le membre. C’est le seul vecteur
de communication qu’offre le centre qui jouit de cette omniprésence.

Il est constitué de trois éléments techniques. Une fenêtre de taille réduite


dans laquelle s’affiche des messages. Une zone de saisie située sous la fenêtre
et de même largeur et un bouton Envoyer en dessous de la zone de saisie.
Nous avons là les éléments qui composent un webchat sommaire.

La fenêtre de taille réduite garde en mémoire les 20 derniers messages


publiés sur le vox populi en ordre antéchronologique. Une barre de défilement
permet de les afficher. La taille de la fenêtre ne permet en général qu’aux 2
à 4 derniers messages d’être visibles selon leur longueur. Les messages sont
formatés comme suit :
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 49

1. Nom de l’émetteur en caractère gras


2. Message
3. Entre parenthèses date et heure
4. Une barre horizontale pour marquer la frontière entre deux messages
Les messages émis depuis moins d’une minute apparaissent en caractères
rouges et en gras. Le module a été développé en 0javascript et en php. Etant
intégré au menu, s’est posé le problème du rafraı̂chissement3 automatique de
ce dernier. Il a été choisi de recharger la page automatiquement toutes les
30 secondes. Ainsi à moins d’effectuer un rafraı̂chissement manuel (par la
commande Actualiser de son navigateur) l’unité de temps de ce module est
la demi-minute. C’est là la contrainte technique qui a eu le plus d’influence
sur l’usage du module comme nous le verrons plus tard.

La zone de saisie autorise 160 caractères maximum par message. Le texte


est brut, aucune possibilité de mise en forme, la police et la taille ont été
paramétrées une fois pour toute.

Le bouton Envoyer publie le message. Techniquement le contenu de la


zone de saisie est envoyé au serveur qui l’ajoute au contenu de la fenêtre du
dessus. La page est immédiatement rechargée pour faire apparaı̂tre le mes-
sage écrit mais uniquement pour l’émetteur du message. Les autres membres
présents sur le site au même instant, s’ils ne rafraı̂chissent pas eux même la
page, ne verront le message s’afficher qu’une fois la page rechargée automa-
tiquement c’est à dire sous 30 secondes.

Propriétés du vecteur
1. Il est omniprésent sur le site. Toujours visible, toujours utilisable.
2. Il n’autorise que des messages courts, textuels et sans mise en page
possible
3. La fenêtre n’est actualisée que toutes les 30 secondes ou sur demande
du membre.
4. Une actualisation de la fenêtre prend environ 8 secondes.

3.2.1.5 Le module de webchat


Le troisième vecteur de communication qu’offre le centre est un module
de webchat limité à un unique salon et permettant seulement d’envoyer des
3
Action de recharger la page à partir du serveur sur lequel elle est hébergée.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 50

messages à tous les utilisateurs ou en privé. Nous ne l’étudions pas. En ef-


fet, le site étant hébergé sur la machine personnelle de l’administrateur, les
temps de réponse du webchat sont de l’ordre de 5 secondes par message. Cela
s’est traduit par l’abandon de ce vecteur de communication par les membres.
Dans ce cas, il n’y a pas eu adaptation aux contraintes imposées par le vec-
teur et appropriation de ce dernier. Les différents vecteurs sont en rapport
de concurrence, ce webchat n’a pas trouvé sa place dans une économie des
vecteurs de communication proposés par le centre connectif communautaire.

3.2.2 Recueil d’actes documentaires communautaires


Etant membre de la communauté depuis sa création. Nous avons à notre
disposition un répertoire important d’actes connectifs communautaires qui
s’y sont accomplis. De plus nous avons accès à l’intégralité des archives du
site, ainsi que les logs du vox populi qui ne sont pas accessibles en ligne.
Connaissant les membres de la communauté et pouvant les contacter, nous
avons là aussi gagné un temps précieux pour nos maigres expérimentations
commencées tardivement !

Le nombre d’actes connectifs ayant laissé des traces dans la matérialité


même du centre est impressionnant, en faire l’étude exhaustive n’est pas
envisageable à l’échelle d’un DEA. Nous nous proposons donc en premier
lieu d’établir une grille d’analyse des actes connectifs communautaires. Cette
grille d’analyse est construite sur un ensemble de polarités par rapport aux-
quelles devront être situés les actes connectifs. Ces polarités tentent de refléter
des dynamiques sociales que nous voulons rendre visibles dans chaque acte
connectif.

Nous éprouverons notre grille en y faisant passer une série d’actes connec-
tifs. Les actes connectifs auront été sélectionnés selon deux protocoles diffé-
rents :
– Nous traiterons dans un premier temps d’actes connectifs que nous
avons repérés à mesure de notre pratique communautaire au sein de
cette communauté et qui nous semblent riches d’enseignements sur une
pratique du Web social et sur les modalités de cette dernière.
– Nous analyserons ensuite les actes connectifs communautaires d’un
membre sur une journée4 .
Ces deux protocoles nous permettront dans un premier temps de nous
4
Nous avions récupéré plus de matériel à analyser mais nous n’avons pu mener à bien
le protocole par manque de temps.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 51

intéresser à des cas significatifs dont nous souhaitions rendre compte et dans
un deuxième temps de nous confronter à des actes connectifs non choisis par
nos soins et qui sont un instantané d’une pratique communautaire.

Nous avons demandé à notre enquêté de noter sur un carnet sommaire-


ment l’ensemble de ses actes connectifs sur deux journées. Cela ne se limite
donc pas aux actes connectifs communautaires mais bien à tous les actes
documentaires nécessitant l’établissement d’une connexion sociale. Le seul
intérêt de ce carnet est de pouvoir ensuite retrouver les traces numériques
laissées par l’acte. Ainsi pour un courrier électronique envoyé, il ne suffit à
l’enquêté que de noter l’heure de l’envoi et éventuellement le destinataire
sans autre information car cela est suffisant pour retrouver le courrier dans
la liste des courriers envoyés de l’enquêté.

Nous avons ensuite repris le carnet avec l’enquêté par téléphone et avons
sélectionné les actes connectifs communautaires. Pour chacun nous avons de-
mandé à l’enquêté de verbaliser son acte, le décrire, décrire son contexte
temporel et spatial (nous parlons ici de l’espace de la communauté, non
l’espace physique d’où l’enquêté était connecté à Internet), revenir sur ses
motivations, sur l’évaluation de son impact sur la communauté et ceci en
ayant chacun la trace numérique laissée par l’acte sous les yeux. Nous avons
effectué les mêmes entretiens pour les actes connectifs communautaires que
nous avons nous même sélectionnés. Ces entretiens ont été enregistrés et nous
les avons utilisés en complément de notre grille d’analyse. Nous ne pensons
pas avoir pleinement exploité les informations que nous apportaient ces ver-
balisations et ceci par manque de temps et d’expérience dans cet exercice.
Cependant elles nous ont été utiles pour construire notre grille d’analyse, la
densifier et éviter qu’elle ne soit en contradiction avec ces mêmes entretiens.

3.2.3 Grille d’analyse des actes


Nous essayerons de situer nos actes connectifs communautaires selon des
dynamiques dont nous rendons compte ici par des polarités. Nous en pro-
posons ici un certain nombre, d’autres se révèleront si nous continuons ce
travail au delà de ce mémoire. Ces polarités sont appelées à décrire l’en-
semble des actes connectifs et non le répertoire restreint des actes connectifs
communautaires.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 52

3.2.3.1 Initiateur⇔Suiveur
Le couple initiateur↔suiveur devra, pour tout type d’acte connectif, éta-
blir une différence entre les actes qui répondent à un ou plusieurs actes et les
actes qui proposent une nouvelle configuration sociale et appellent des actes
connectifs à leur suite. Dans notre exemple, cela était traduit par le type du
message. Lancer un nouveau sujet sur un forum, c’est initier une activité qui
ne préexistait pas à l’acte, poursuivre un fil de discussion c’est être suiveur,
c’est réaliser un acte qui n’aurait pas existé si l’acte initiateur n’avait pas
existé. De même si il y a une cassure nette dans le fil de discussion et qu’un
nouveau fil est lancé sans cependant changer de sujet au sens technique5 , nous
avons un acte connectif qui est un acte initiateur. Polariser les actes connec-
tifs en actes initiateurs et en actes suiveurs exigera de les remettre dans leur
contexte c’est à dire le lieu où ils ont été effectués car seul celui-ci pourra nous
permettre de correctement les juger. Prenons l’exemple suivant : nous devons
positionner selon cette polarité un acte connectif ayant consisté à mettre de
nouvelles photographies en ligne dans un centre connectif communautaire. Si
cet acte répond à une demande de nouvelles photographies postée par l’ad-
ministrateur du site sur un forum, on est face à un acte connectif suiveur,
s’il s’agit d’une initiative propre du membre de la communauté, on est face à
un acte connectif initiateur. Nous voyons bien que ces deux actes connectifs
sont techniquement parfaitement identiques, pourtant ils ne participent pas
de la même dynamique.

Selon des approches quantitatives et dynamiques, une telle polarité per-


mettrait de voir comment se distribuent les actes initiateurs relativement aux
suiveurs et selon quelle proportion. Une très forte proportion d’actes suiveurs
sera pour nous l’indice d’une pratique communautaire cohérente dans laquelle
les actes initiateurs créent une importante activité sociale alors qu’une forte
proportion d’actes initiateurs reflète un dispersement, une atomisation de la
pratique en propositions ne débouchant sur rien. Nous notons qu’un acte
connectif consistant à laisser un message purement informatif qui n’appelle
aucun commentaire est tout de même supposé produire un nombre important
d’actes connectifs suiveurs qui seront des actes de lecture de l’information.
5
Nous rappelons qu’un forum possède une architecture à trois niveaux : forum, sujet,
message. Lorsque nous parlons de sujet nous parlons donc d’une unité technique du fo-
rum. Lorsque nous parlons de fil de discussion nous faisons référence à l’unité sémiotique
d’un ensemble de message, pour [Smi99], le fil de discussion est l’unité élémentaire de la
coopération cognitive
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 53

3.2.3.2 In⇔Ex
Nous utilisons les deux racines latines in et ex pour situer l’acte connectif
dans une dynamique d’ouverture ou de fermeture de la communauté. Nous
voyons que pour que cette distinction puisse s’établir il faut qu’il y ait un
lieu établi possédant des frontières de telle sorte qu’il existe un in-térieur
et un ex-térieur. Pour l’étude que nous proposons ici ce sera toujours le cas
car les centres connectifs de nos enquêtés sont des sites Web aux frontières
connues mais cela appellera une discussion lorsque nous franchirons le pas
du social data mining et perdrons par la même les acteurs et leurs verbalisa-
tions. Nous entendons par ouverture : des actes connectifs faisant intervenir
des ressources exogènes au milieu communautaire. Par exemple proposer d’al-
ler visiter une adresse particulière ou bien aller la visiter, faire référence à
un article d’un journal en ligne, donner l’adresse de messagerie électronique
d’un acteur extérieur à la communauté. Cette polarité peut se décliner selon
plusieurs couples. Nous proposons :
– in-tension/ex-tension intension pour le renforcement, l’assise sur des
bases solides de la communauté, extension pour le déploiement, l’essor,
le jaillissement vers l’extérieur proposé par l’acte connectif
– im-plication/ex-plication du latin plicare qui signifie plier mais aussi
tresser ou tisser et donc implicare pour enchevêtrer, enlacer mais aussi
compliquer, embrouiller envelopper et explicare pour déplier, débrouiller.
Nous retrouvons l’idée du réseau, du rets filant ainsi la métaphore tex-
tile.
– introversion/extraversion inspiré par la typologie de Jung sur la
libido et la dynamique du moi et donc dans notre cas la dynamique de
la communauté.
– convergence/divergence reprenant la dialectique de Jean Gagne-
pain. Dialectique définitoire de la Personne qu’il place au cœur de la
société et de l’histoire.

3.2.3.3 Public⇔Privé
Cette polarité rend compte de la question complexe de la diffusion d’un
énoncé. Nous n’utilisons pas les couples que l’on trouve communément dans
les modèles de communication tels que émetteur récepteur ou destinateur
destinataire car l’émetteur appelle forcément un récepteur tout comme le des-
tinateur appelle un destinataire, ce n’est pas le processus de communication
en lui même qui nous intéresse mais la représentation que se fait l’énonciateur
de la diffusion de son énoncé.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 54

Nous commençons par préciser deux pôles que sont l’énonciation publique
et l’énonciation privée. Ces deux pôles n’existent pas hors idéalité. L’énoncia-
tion publique est une énonciation diffusée à tous également, c’est l’utopie de
la société de l’information. Une égalité de tous devant l’ensemble des énoncés
produits par l’humanité. C’est le passage d’un énoncé qui sera interprété par
un public (parmi les publics) à un énoncé interprété par Le public (l’ensemble
de la population). L’énonciation privée est une énonciation diffusée dans un
périmètre parfaitement délimité et qui ne le dépassera pas. C’est l’absolue
confidentialité. Tout acte connectif doit dans un premier lieu être situé selon
cet axe. Pour cela doit être délimité techniquement son périmètre de diffusion,
cela consiste à poser une frontière technique entre ceux qui peuvent potentiel-
lement interpréter l’énoncé et ceux qui ne peuvent pas. Dans le cas du centre
connectif que nous étudions, un message dans le vox populi peut être lu et
donc interprété par quiconque connaissant l’adresse du site ou arrivé dessus
par navigation, ayant ouvert un compte et en session à un moment donné
de la vie du message (car seuls les 20 derniers messages sont accessibles sur
le vox populi ). Cet acte connectif communautaire est situé du côté du pôle
privé. Il est adressé à une communauté instituée, proche de la clique et aux
frontières difficiles à franchir.

Nous pouvons aussi utiliser cette polarité pour nous intéresser à l’évalua-
tion faite par l’énonciateur du périmètre de diffusion de son énoncé. Cette
évaluation se distribue aussi entre les pôles privé et public. Evaluer son énon-
ciation comme publique, c’est se voir en haut d’une tribune devant une foule
impersonnelle, évaluer son énonciation comme privée c’est se représenter une
confidence dans l’intimité d’un boudoir. En comparant cette évaluation de
la diffusion à la diffusion véritable, nous pouvons juger de la précision de
l’évaluation de celle-ci. En pointant sur le degré d’inexactitude de l’évalua-
tion (car celle ci ne peut jamais être parfaite, tout énoncé pouvant se diffuser
sans que son énonciateur n’en ai connaissance), nous aurons un élément de
contexte qui pourra être utile à la compréhension d’actes connectifs.

3.2.3.4 Etre pris : Ethéré⇔Saillant


Il s’agit ici de préciser quelles interactions potentielles pourront être subies
par celui qui accomplit l’acte connectif. Toute interaction sociale nécessite un
connecteur. C’est donc dans les connecteurs livrés dans l’acte connectif que
pourra être évaluée cette prise offerte sur soi. Nous parlons d’une hypothèque
connective. Nos deux pôles rejoignent notre discours sur la question du corps
sur Internet comme indice de présence et support d’interaction. Nous avons
choisi éthéré car un corps éthéré est considéré comme impalpable mais pos-
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 55

sède tout de même une matérialité. Agir dessus, y porter une contrainte bien
que d’une grande difficulté reste dans le domaine du possible.

Voyons maintenant pourquoi tout acte connectif qui n’engage que le pre-
mier de nos connecteurs présente un corps éthéré. Le simple fait d’ouvrir
un compte chez un fournisseur d’accès nous livre notre premier connecteur,
connecteur qui nous équipera d’un corps quasi impossible à identifier et
presque transparent mais connecteur tout de même. Ce corps c’est l’adresse
IP de notre machine. Chez un fournisseur d’accès public, les adresses IP sont
dynamiques, à chaque nouvelle session nous en est attribué une différente.
C’est un corps jetable dont on s’équipe à la durée de vie exactement égale
au temps de notre session. Ce corps comme potentielle prise d’un autre sur
moi me rend connectable (participant d’une interaction sociale non initiée)
mais uniquement le temps de ma session car une fois celle ci stoppée, mon
adresse IP m’est reprise et réintègre le pool d’adresses IP de mon fournisseur
d’accès. Adresse IP qu’il distribue pour chaque nouvelle ouverture de session
d’un client. De plus perdu dans la masse des millions d’usagers d’Internet,
être connecté signifie être repéré par quelqu’un puis subir une attaque de
notre machine, attaque qui doit franchir les éventuelles barrières qui pro-
tègent cette dernière (firewall) ; enfin une fois la connexion établie, il faut
que celui qui est à l’origine de l’attaque décide d’entrer dans une interaction
sociale avec moi, cela signifie se manifester et établir par exemple un canal de
communication. Se prolonger d’une simple adresse IP, c’est habiter Internet
d’un corps diaphane.

A l’opposé mais c’est là plus simple à illustrer se trouve la saillance. Pré-
senter un corps saillant lors d’un acte connectif, c’est donner à l’autre le
potentiel d’entrer en interaction avec soi selon de multiples canaux dont l’in-
teraction face à face. C’est se mettre en position de subir une tentative de
connexion sociale (pas uniquement informatique) n’importe quand et sans
possibilité de contrôle.

Cette évaluation du caractère “menaçant” des actes connectifs, menaçant


relativement au désir de préserver son territoire et ses faces pour reprendre
la terminologie de Brown et Levinson sur les actes de langage et la politesse
[BL87] -ce qui se fond dans les connecteurs selon notre approche- ; cette éva-
luation par l’interactant est intéressante à étudier car autant cette évaluation
se fait la plupart du temps aisément dans les actes de langage, autant elle né-
cessite une forte acculturation au médium et à son fonctionnement technique
dans le cas d’Internet. Il arrive à chacun de n’avoir pas correctement évalué
en quoi son acte connectif l’engageait, en quoi il était menaçant et de consta-
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 56

ter a posteriori que cet acte est la cause d’une intrusion sur son territoire.
C’est par exemple le cas lorsqu’on laisse une adresse électronique sur un site
pour pouvoir accéder à une ressource et que l’on reçoit par la suite du spam.
Ainsi tout comme pour la polarité public↔privé, certains actes connectifs
seront en partie expliqués par l’écart entre l’évaluation faite par l’acteur de
son hypothèque connective et son hypothèque connective réelle.

3.2.3.5 Prendre : Impotent⇔Omnipotent


Tout acte connectif potentialise des interactions subies. Ce couple permet
de situer les actes connectifs étudiés en terme d’interactions potentielles ini-
tiées. A quelles interactions sociales m’ouvre l’acte connectif réalisé. En quoi
me dote-t-il d’un potentiel d’action que je ne possédais pas avant de l’accom-
plir. Contrairement à la polarité éthéré↔ saillant qui conceptualise la prise
potentielle toujours offerte à l’autre quel que soit notre acte connectif, tout
acte connectif ne réactualise pas notre potentiel d’interactions. Le couple est
encore un couple idéal, non existant dans la réalité sociale. Un acte connec-
tif qui me fait tendre vers l’omnipotence sera par exemple l’acte connectif
d’inscription à un centre connectif. Par cette inscription me seront livrés de
nouveaux connecteurs qui sont autant d’accroches sur le monde numérique.
A l’opposé, se désinscrire d’un service de rencontres en ligne par exemple me
fera tendre vers l’impotence, je me départis dans ce cas du répertoire d’actes
connectifs que virtualisait ce centre. Les graduations entre ces deux pôles
apparaı̂tront à mesure que seront décrits des actes connectifs selon cette po-
larité.

Les deux couples que sont Ethéré↔Saillant et Impotent↔Omnipotent se


réfèrent aux connecteurs et donc aux acteurs eux mêmes au delà de l’acte.
Ils peuvent être mobilisés pour étudier l’ensemble des corps numériques d’un
individu et défragmenter son identité numérique, ils seront pertinents dans
l’étude d’une activité sociale médiée par Internet centrée sur l’individu..

3.3 Application
Maintenant que nous avons posé notre cadre, défini notre approche, pré-
cisé nos concepts, établi notre méthodologie, effectué en quelque sorte tout
ce qui tient d’un travail de fondation, devrait commencer le véritable travail
de recherche, par le constant aller-retour entre l’expérimentation, la mise en
liberté de notre modèle et l’ajustement de celui-ci. Nous ne disons pas que ce
modèle a été pensé hors du monde, dans un contexte idéal, il s’est inspiré de
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 57

notre expérience d’Internet depuis une dizaine d’années et de nos réflexions


à son sujet tout au cours de l’année précédente. Même si celle-ci ne fut pas
consacrée exclusivement à ce sujet de mémoire mais à des sujets connexes
propres au groupe RTGI.

Cette partie sera d’un contenu limité car nous avons réellement manqué
de temps. Nous commençons par mener une étude d’actes connectifs com-
munautaires choisis par nous puis nous décrirons les actes connectifs com-
munautaires d’un membre du centre connectif communautaire étudié sur une
journée.

3.3.1 Conversation sur le vox populi


Nous avons décrit les propriétés techniques du vox populi. Nous allons
maintenant voir comment ce cadre technique d’interactions a conditionné
l’usage de ce vecteur de communication ou du moins a orienté la place qui lui
a été dévolue par les usagers dans une économie des vecteurs de communica-
tion du centre. Pour cela, nous étudions une série d’actes connectifs commu-
nautaires qui composent une séquence dialogale entre différents membres du
centre.

Nous reproduisons ci-après l’échange tel qu’il est apparu sur le vox po-
puli le 09 Août 2004 entre 14h22 et 15h12. Etaient lisibles les 20 derniers
messages, il se trouve que le plus ancien (01) était le premier de la journée.
A 15h12 a été saisi un nouveau message, le premier de la journée, celui de
Julien à 10h48 (01) a alors disparu.

julien : ptin je r^eve David fait grève de secteur aujourd’hui


(09 Ao^ut 2004 - 10:48) (01)
nicolas : vendredi, vacances....
(09 Ao^ut 2004 - 11:11) (02)
david : non je suis là pourquoi
(09 Ao^ut 2004 - 11:13) (03)
nicolas : pour savoir si t’as pas 100 balles...
(09 Ao^ut 2004 - 11:14) (04)
david : euh... non
(09 Ao^ut 2004 - 11:40) (05)
david : c possible une dépression et un suicide pour un devoir
à rendre
(09 Ao^ut 2004 - 11:57) (06)
julien : ça arrive parfois quand T pas assez doué pour l’écrire
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 58

ut 2004 - 12:07) (07)


(09 Ao^
david : ah je serai pas le premier alors... de toute façon si je
ne me suicide pas je me fais assassiner à la correction...
magnifique alternative...
ut 2004 - 12:11) (08)
(09 Ao^
julien : meuh non va, on va continuer à te faire chier comme ça
tu pourras dire que t’etais derangé par des elts perturbateurs
ut 2004 - 13:07) (09)
(09 Ao^
david : ça peut ^
etre une idée...
ut 2004 - 13:13) (10)
(09 Ao^
david : merci les gars, je vous aime
ut 2004 - 13:14) (11)
(09 Ao^
nicolas : tu nous files de l’argent alors
ut 2004 - 13:34) (12)
(09 Ao^
david : suis plus à ça pr^
et...
ut 2004 - 13:38) (13)
(09 Ao^
nicolas : aller mon david, ça va passer... c juste un moment dé-
licat mais t’as vu pire...
ut 2004 - 13:39) (14)
(09 Ao^
guillaume : Nous on t’aime...Il t’arrive quoi exacatement David
ut 2004 - 13:40) (15)
(09 Ao^
guillaume : David! merde il s’est dejà suicidé !
ut 2004 - 13:43) (16)
(09 Ao^
guillaume : a+ mes petits couillons. Love
ut 2004 - 13:46) (17)
(09 Ao^
david : je suis trop peureux pour me suicider!
ut 2004 - 13:47) (18)
(09 Ao^
nicolas : ben bosse...
ut 2004 - 13:49) (19)
(09 Ao^
david : ouaip c ce que je fais
ut 2004 - 14:22) (20)
(09 Ao^

Cet échange nous permettra d’illustrer plusieurs points que nous avons
évoqués dans notre description du centre connectif communautaire étudié.
Nous avons quatre interactants dans cette conversation : David, Nicolas,
Guillaume et Julien qui se compose de plusieurs séquences. Reprenant la
théorie des actes de langage dans leur approche interactionniste, nous consi-
dérons qu’une séquence perdure tant que les interventions qui la composent
apparaissent comme étant sous la dépendance d’un même acte initiatif. On
peut alors diviser cette conversation en une première séquence en (01) (03)
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 59

(04) (05) au milieu de laquelle se trouve une séquence tronquée à une inter-
vention (02) et une troisième et dernière séquence de (06) à (20). Nous nous
débarrassons de la deuxième séquence immédiatement en notant que cette
dernière est constituée d’un constat appelant implicitement à un commentaire
mais qui n’est pas suivi, la séquence est dite tronquée. Il nous reste deux sé-
quences que nous ne comptons pas analyser en tant qu’actes de langage mais
qui nous informent sur ce que nous appelons une temporalité paradoxale et
sur l’importance d’un contexte épistémique de connaissances partagées.

3.3.1.1 Une temporalité paradoxale


Si nous lisons cette conversation sans prendre connaissance des indica-
tions d’heure, celle-ci ressemble à un échange classique sur un webchat tel
qu’il s’en déroule quotidiennement sur Internet. La conversation est quelque
peu décousue, il y a des enchevêtrements, les tours de parole se distribuent
assez chaotiquement. Ces propriétés ont déjà fait l’objet d’études, nous ci-
terons [Her99] qui ne se focalise pas uniquement sur les désavantages de ce
type de communication mais aussi sur ses apports. Cependant il est un point
qui rend ces échanges réellement spécifiques et qui assurent qu’ils n’ont pu
se dérouler dans un salon de webchat classique. Les 20 interventions sont
éparpillées sur un peu moins de 4h00 alors que sur un webchat elles pour-
raient se dérouler en moins de 10 minutes. Pour [Vel02] “l’obligation d’envoyer
constamment des messages fait partie des présupposés constitutifs de cet es-
pace de communication, puisque c’est la seule manière de faire émerger un
espace commun entre les partenaires”, elle nomme ceci “l’intolérance aux si-
lence”. Ainsi si l’on accepte cette intolérance aux silences des webchat, le vox
populi, ne réalisant la co-présence que par l’échange de messages écrits6 lui
aussi, devrait voir le lien se construire en permanence par la production de
messages. Les ruptures qui produisent un doute sur la présence effective de
l’interlocuteur sont supposées être vecteur d’incertitude et appeler des tours
de vérification de présence qui, s’ils ne reçoivent pas de réponse, mènent à la
clôture de l’échange.

Voyons ce qu’il en est précisément sur l’échange que nous avons repro-
duit ici. Dès le début, les propos présentés ci-avant sont mis à mal : entre
(01) constat de Julien sur la non activité de David appelant implicitement
une réponse de ce dernier ou une réaction des autres destinataires (membres
du centre en session) et le démenti apporté par David, s’écoule 25 minutes.
6
Contrairement à la plupart des webchat le vox populi ne comporte même pas de fenêtre
dans laquelle sont inscrits tous les pseudonymes actuellement en session, le social proxy
du Qui est en ligne assure tout de même cette fonction.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 60

Finalement la première séquence (01)(03)(04)(05) se termine avec une inter-


vention de Nicolas en (04) qui est une question puis une réponse de David
qui clôture la séquence 26 minutes plus tard . On pourrait arguer que cette
séquence n’est aucunement suivie par ceux qui y prennent part, Julien n’in-
tervient plus après (01) et la réponse (05) à (04) n’est aucunement suivie.

Faisons maintenant la même chose avec la troisième et dernière séquence


(la seconde se limitant à l’intervention (02)). Elle commence par un échange
suivi (06) (07) (08) (09) (10) en parfaite alternance entre David et Julien.
L’échange pourrait être transposé à l’oral, il serait parfaitement crédible.
Pourtant (06) est envoyé à 11h57 et (10) à 13h13. Il s’étale donc sur 1h20
avec des temps de silence allant de 4 minutes (09) (10) à 56 minutes (08) (09).
La séquence se continue ensuite par un échange entre David et Nicolas (11)
(12) (13) (14) sur 25 minutes. En (15) (16) (17), intervention de Guillaume
qui pose une question, ne reçoit pas de réponse, réplique sur le ton de l’hu-
mour et salue finalement l’assemblée par un “a+ mes petits couillons . Love”.
Cet arrêt de la conversation pour Guillaume n’est pas causé par l’absence
de réponse, du moins n’insiste-t-il pas pour en obtenir une et n’exprime t-il
pas une déception ou un ressenti dans sa phrase conclusive de salutations.
La séquence se termine entre David et Nicolas sur (18) (19) (20), (18) répon-
dant à (16), (19) réagissant à (18) et (20) terminant la séquence 31 minutes
après l’intervention de (19). Nous précisons que cet extrait de l’activité du
vox populi n’a pas été difficile à trouver et que la quasi totalité des échanges
sur ce vecteur ont une temporalité similaire.

Nous sommes donc face à des échanges qui ont tout de la session de
webchat mais sur des périodes plus longues avec des silences bien trop longs
pour maintenir tout lien et la conversation, ce qui n’est pourtant pas le cas.
C’est pour cela que nous parlons d’une temporalité paradoxale du vox populi.
De plus, les participants sont particulièrement tolérants aux silences, silences
qui n’appellent pas de tour de vérification de la présence effective du ou des
destinataires du message (hors (16) mais même dans ce cas c’est la fonction
humoristique du message qui est première). Il existe donc des éléments de
contexte non présents dans les actes connectifs eux mêmes (les messages
envoyés sur le vox populi ) qui rendent cette pratique non déstabilisante pour
ceux qui y participent.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 61

3.3.1.2 Contexte épistémique des connaissances supposées parta-


gées
Nous avons contacté les participants à cette conversation en leur ayant
préalablement envoyé par courrier électronique le log de l’échange. Nous leur
avons d’abord demandé de commenter l’échange. Aucun n’a évoqué les temps
entre chaque réponse. Ils sont revenus sur le sujet de discussion : le rendu de
David en précisant que les propos échangés l’étaient sur un ton léger plus pour
“délirer” que pour mener une véritable discussion visant à conseiller David.
Nous avons alors demandé si le vox populi était utilisé pour des discussions
sérieuses, argumentées, réfléchies. Les quatre ont réfuté et Julien a précisé
qu’il pouvait être utilisé pour passer une information succincte n’appelant
pas à débattre. Lorsque nous avons abordé la question de la temporalité
étant donné qu’aucun ne l’avait fait de lui même, est ressorti des discussions
que sur le vox populi, on n’attend pas une réponse immédiate à tout message.
Tous utilisent le social proxy pour savoir qui a une session ouverte mais tous
ont expliqué qu’avec l’expérience, ils se sont habitués au fait que voir un
pseudonyme apparaı̂tre dans le social proxy ne signifiait aucunement que la
personne est devant son écran ou que la fenêtre sur laquelle est chargée une
page du site est active au moment où le message est envoyé. Ainsi pour la
plupart des messages sur le vox populi, l’auteur du message le poste, change
d’activité pour un temps plus ou moins long et effectue des vérifications plus
ou moins fréquentes selon la personne pour voir si la réponse attendue est
arrivée. Le vox populi est tout de même parfois utilisé pour des conversations
suivies mais tous ont indiqué que le temps de latence entre chaque message
rendait l’échange soutenu difficile à tenir et qu’en général, s’il y a volonté
partagée de rentrer dans une conversation plus consistante, celle-ci se dé-
roule par un vecteur de communication plus adapté tel que le téléphone ou
la messagerie instantanée.

Pour résumer nos quatre entretiens, nous pouvons dire que le vox populi
est verbalisé comme un lieu d’interaction minimale. Il est utilisé pour mar-
quer une présence, signifier une compagnie, donner une information succincte
ou comme un marche-pied vers un autre vecteur de communication. En fonc-
tionnant par analogie, nous pourrions le rapprocher des post-it qui sont posés
sur le réfrigérateur comme pense-bête ou juste pour laisser un mot d’encou-
ragement, humoristique, affectueux. Tout comme le réfrigérateur va être un
lieu de passage pour tout membre de la famille, le vox populi, toujours visible
et utilisable a la même fonction, tout membre de la communauté passant par
le site pourra en prendre connaissance sans avoir à effectuer une opération
technique supplémentaire (pas besoin d’accéder à une page spécifique). Et
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 62

nous voyons là qu’un des intérêts relevé de ce vecteur est la semi-persistance
des messages. Les 20 messages en mémoire couvrent la plupart du temps une
longue période (de quelques heures à plusieurs jours lorsque l’activité se fait
moindre, ils sont à ce titre un indice d’activité sur le site pour ceux qui le
visitent). Si le temps de réponse du module était celui d’un véritable webchat,
il serait utilisé en tant que tel et les messages les plus anciens ne remonte-
raient qu’à quelques minutes, son insertion dans une économie des vecteurs
de communication s’en verrait totalement révisée et nous parions que l’usage
effectif qui en serait fait serait totalement autre.

3.3.1.3 Dynamique et polarités


Les polarités que nous avons définies peuvent nous permettre de décrire
les 20 actes connectifs qui composent cette conversation. Nous sommes dans
une pratique communautaire renfermée sur elle même en ce que les partici-
pants à l’interaction se connaissent tous et échangent sur des sujets internes
au groupe. Seuls les membres du site peuvent prendre connaissance de ces
échanges et seulement s’ils lisent le vox populi durant la période de persis-
tance de ces 20 messages. Ces actes connectifs en eux même ne livrent aucun
connecteur, ils ne sont pas une prise offerte et ne potentialisent pas une prise
future, cependant nous avons déjà vu que le simple fait de posséder un compte
sur ce centre connectif communautaire et d’être en session rend saillant (nom-
breux connecteurs hypothéqués dont ceux qui engagent notre corps propre)
mais aussi omnipotent relativement aux autres membres de la communauté.
Sur les 20 actes, nous en repérons 3 initiateurs (1) (2) (5) et 17 suiveurs
ainsi malgré les échanges peu poursuivis du début de conversation, celle-ci
se stabilise à partir de (5). Ces actes connectifs procèdent d’une dynamique
convergente et privée dans un contexte de fortes interactions potentielles.

3.3.1.4 Apport au social data mining


La plupart des éléments que nous avons avancé ici ne pourrait supporter
une traduction algorithmique et une systématisation. Nous avons déjà pré-
cisé que ce passage au social data mining se ferait avec une perte inévitable
en terme de grain. Les marqueurs qui pourraient être relevés par un système
d’information explorant une sous-localité d’Internet dans laquelle se trouve-
rait ce centre connectif communautaire sont nombreux une fois passé le pro-
blème de l’inscription au site. Pour ceci plusieurs solutions sont envisageables
au rang desquelles l’inscription automatique par le logiciel lui même, nous
parlons alors de crawler identitaire possédant une fiche d’identité et capable
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 63

de se repérer dans un formulaire d’inscription pour s’y inscrire[RGM00]. Son


développement est actuellement en préparation. Une autre solution consiste à
donner à notre crawler une signature qui serait celle du robot d’un moteur de
recherche connu possédant des droits d’entrée automatique sur certains sites
à accès sécurisé. Explorer et indexer ce site permettrait de relever l’ensemble
des inscrits par la liste des membres, d’indexer l’ensemble des informations
sur le vox populi et d’y repérer les pseudonymes ainsi que la date et l’heure
de chaque message. A partir de cela peut se faire une évaluation de la fré-
quentation du site et de son dynamisme selon la période de temps entre le
plus vieux message indexé et le plus récent. De telles informations devront
évidemment être corrélées à de nombreuses autres telles que celles apportées
par l’indexation complète des forums7 . Si ces observations sont répétées à
fréquence constante sur une période d’étude, c’est la dynamique sociale du
site qui peut être observée.

3.3.2 Journée d’un membre


Nous étudions maintenant la journée sur laquelle notre enquêté a noté
l’intégralité de ses actes connectifs. Le protocole a été précisé en 3.2.2. UMSH
est le nom donné par Julien au centre connectif que nous étudions.

10:25
- ouverture outlook, verif des mails
- 2 mails pros inutiles, 1 perso, decide de gerer le perso + tard
- café

10:40
- réunion

11:45
- retour machine, nouveau mail perso, cette fois ci reponse
- reponse à un mail de boulot
- verif hotmail, reponse à un mail
- ouverture de umsh
- lecture des derniers msg du vox
- ouverture des 2 forums avec nouveaux posts
- reponse sur un des forums
- envoi sur vox
7
Nous travaillons aussi au développement d’un crawler de forum capable de reconstruire
l’arbre des contributeurs et l’arbre des sujets pour tout forum.
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 64

11:56
- reception boulot par mail
- fenetre umsh gardée en arrière pour verifier si G des
reponses d’ici kkes minutes
- lecture d’un mail de boulot qui arrive

12:00
- commence à construire la home géné
- pas de reponse umsh, fermeture du browser
- passage sur site d’un pote, verif s’il a mis les photos de
l’anniv de samedi, pas de photos, lancement d’un mix en fond
sonore

12:11
- reponse à un mail perso

12:19
- lecture mail boulot

12:55
- envoi d’un mail à 17 personnes au boulot pour demande de
validation
- passage sur umsh, lecture du vox
- passage hotmail, decide de repondre + tard au mail reçu

13:00
- passage sur site ciné US, lecture de 2 news
+ commentaires internautes sur une des deux
- modif sur home géné
- passage sur autre site ciné US, parcours des titres des news,
ouverture forum
- ouverture simultanée de 9 fils de discussion avec nouveaux msg
depuis hier, lecture rapide des derniers msg
- reponse sur un forum

[pause]

14:40
- retour de pause, lecture de 13 mails arrivés,
reponse aux kkes persos
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 65

- corrections demandées, mail de confirmation des modifs aux


personnes concernées
- reponse à 2 mails en rapport avec soirée de samedi,
retaille de photos et envoi

15:30
- envoi d’un mail de confirmation de correction

15:39
- passage umsh, rien de neuf

15:50
- passage sur site de liens à la con, visite de plusieurs sites...

15:56
- postage d’un des sites sur forum umsh

16:00
- recuperation d’un fichier flash marrant

16:08
- post de l’adresse du flash sur umsh, verif vox et msg persos

16h20
- reponse à 2 mails persos

17h20
- passage sur forum du site ciné US

17h30
- check hotmail

18:05
- recup d’un jeu flash sur un site, postage sur umsh, check vox

18:54
- check hotmail et reponse mail

19:40
- passage umsh
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 66

Nous commençons par repérer l’ensemble des actes connectifs effectués


que nous ne pourrons pas isoler dans le cadre de notre dispositif expérimen-
tal restreint. Ceci est le cas lorsque Julien dit avoir visité un site, nous ne
pouvons pas reconstruire après coup son parcours et ainsi le découper en
actes connectifs, nous ne pouvons donc pas remonter aux actes connectifs
qui relèvent d’une simple consultation de documents. Sur ceux restant nous
nous intéressons aux actes connectifs communautaires. Nous comptons parmi
les actes que nous avons pu isoler, 5 actes sur 23 qui sont des actes connectifs
communautaires réalisés sur le centre étudié. Les 18 actes connectifs restant
sont pour 11 d’entre eux des envois de courrier électronique personnels, 4
professionnels, un message posté sur un forum et enfin deux fichiers récupé-
rés sur deux sites différents. Ont été mobilisés en plus de notre sujet d’étude
au cours de la journée 3 centres connectifs et leurs connecteurs associés :
compte de courrier professionnel, compte hotmail, compte sur forums d’un
site ressource sur le cinéma américain.

Nous avons ensuite repris chacun des 5 actes connectifs communautaires


tels qu’ils se sont succédés et dans leurs contextes.

3.3.2.1 Un post-it adressé


Julien : yoy, ça roule Guillou, je remplis le fichier
10 Ao^
ut 2004 - 11:56

Ce message a été posté sur le vox populi. Le fichier auquel fait référence
Julien est le fichier texte qu’il a utilisé pour noter ses actes connectifs au
cours de la journée. Cet acte connectif est donc un parfait artefact de notre
dispositif expérimental. Cela ne justifie pas pour autant que nous ne l’étu-
diions pas. Nous avons vu que le vox populi par sa configuration technique
avait mené à un cadre d’usages qui au sein de cette communauté fermée fait
partie d’un contexte épistémique de connaissances partagées. Nous avons
voulu savoir pour quelles raisons Julien a utilisé ce vecteur ci à défaut d’un
autre sachant que cette information pouvait être communiquée par nombre
de connecteurs. Et ceci dans le but de lui faire expliciter les propriétés du
vox populi et ainsi voir si son évaluation du vecteur est en accord avec ce que
nous avons nous même pu relever. “Je savais que tu bossais à ton bureau et
que tu passes régulièrement sur le site”; “Je ne pouvais pas être sûr à 100%
que tu lirais le message avant qu’il ne disparaisse du vox mais bon, vu le
nombre de messages sur le vox chaque jour, je ne risquais pas grand chose
et en plus c’était pas vital que tu reçoives l’info...”; “Si j’avais eu besoin de
te demander un truc sur comment je devais remplir le fichier, enfin si j’avais
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 67

eu besoin d’une réponse précise, là forcément je t’aurais envoyé un mail ou


je t’aurais téléphoné si vraiment j’avais besoin de l’info pour commencer...”;
“Je checkais le site et en lisant le vox j’en ai profité pour te passer l’info”.
Ces interventions de Julien que nous avons relevées confirment qu’il existe
réellement une économie des vecteurs de communication, Julien dispose d’un
certain nombre de connecteurs pour acheminer un message à un destinataire.
Chacun est évalué selon deux principes indépendants que sont la minimisa-
tion du coût temporel et cognitif et la maximisation de l’efficience du message
(message lu par son ou ses destinataires sous un délai minimum et non mes-
sage acheminé en un délai minimum). Nous voyons bien la négociation entre
ces deux principes dans le discours de Julien. L’information à transmettre
n’étant pas cruciale, c’est la minimisation des coûts temporels et cognitifs
avant tout qui ont orienté le choix. Il passait sur le site et la lecture du vox
populi a été suivie par la saisie d’un message et son envoi optimisant ainsi le
chaı̂nage des opérations techniques et cognitives nécessaire à l’envoi et donc
minimisant son investissement temporel. Le choix du vecteur voit un nombre
important de paramètres pris en compte par Julien. Ils ne sont pas unique-
ment d’ordre technique, nous voyons que tous les composant de la chaı̂ne de
communication entrent en jeu dans l’évaluation, le message, son support, son
destinataire.

“Oui, c’est vrai que ça ne concernait pas les autres, mais ça changeait
quoi qu’ils lisent le message...”. Le message était adressé à un seul membre
mais il n’avait aucun caractère privé. Le vox populi n’est pas utilisé unique-
ment pour des messages s’adressant à l’ensemble de la communauté. Cela
n’est pratiquement jamais le cas car pour que le message soit consulté par
l’ensemble des membres, il faut que ces derniers consultent le site tant que
le message y apparaı̂t. Les messages sont donc soit adressés à un nombre
restreint de destinataires, soit adressés à ceux qui en prendront connaissance
(par exemple pour une simple salutation). Nous voyons comment l’usager
adapte son usage selon les contraintes mais aussi les marges de manœuvre
que lui laisse le vecteur de communication. Si ce dernier permet une com-
munication publique, il n’interdit pas pour autant les messages personnels,
adressés. Ce sont les conventions, les règles instituées au sein de la commu-
nauté qui peuvent ensuite en contraindre plus avant le cadre d’usages. Si par
exemple ce canal était saturé de messages à caractère privé limitant ainsi son
utilité pour le collectif, ceux-ci pourraient être interdits et passibles de sanc-
tions. Cela n’est pas le cas pour vox populi : “Interdire les messages privés ?
A ce moment là, ça servirait plus à grand chose !”. En effet dans l’économie
des vecteurs de communication de la communauté, c’est le forum qui est le
support privilégié aux annonces et communications à caractère public car les
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 68

messages y acquièrent un caractère permanent.

3.3.2.2 Suivre le fil


Cet acte connectif est réalisé à 11h45. Il fait partie d’une séquence compo-
sée de nombreux actes connectifs faisant intervenir divers connecteurs. Vé-
rification, lecture et envoi de courriers électroniques, lecture des nouveaux
messages sur le site, réponses et envoi sur le vox populi. C’est la plus longue
séquence de la journée, celle concentrant le plus grand nombre d’actes connec-
tifs, la première de la journée (même si dans ce cas une séquence avait pré-
cédée mais elle a été coupée par une réunion), celle où l’on fait le tour de ses
différents centres connectifs pour se “tenir à jour”. Suivre le fil, c’est pour-
suivre un fil de discussion sur un sujet du forum. La dernière intervention
de Julien dans le fil datait de la veille à la mi-journée. Deux contributions
ont suivi dont Julien n’avait pas pris connaissance, une première en début de
soirée alors qu’il avait déjà quitté son bureau et une seconde au milieu de la
nuit par un membre exilé au Canada. Les apports du forum pour des indivi-
dus situés sur des fuseaux horaires différents documenté dans les études sur
les communautés épistémiques se retrouve ici bien qu’il ne soit pas question
de production de connaissances.

Encore une fois le fil dans son ensemble ressemble à une discussion clas-
sique dans un petit groupe d’individus (5 intervenants pour 10 messages).
L’initiateur du sujet est un des membres d’un des groupes de musique pos-
sédant un forum à son nom, le message a pour objet de “rappeler qu’on est
pas mort”, s’engage alors un échange entre Julien qui met en doute cette
affirmation et les membres du groupe qui font front. Même si le ton est hu-
moristique, il y a tout de même volonté, devant l’activité faible du forum
du groupe de musique en question, de marquer sa présence au sein de la
communauté, d’inscrire dans la matérialité même du forum l’existence de ce
sous-groupe de la communauté ainsi que son activité. Au sujet du message
initiateur, son auteur nous a déclaré alors que nous le questionnions à ce sujet
“C’était juste pour dire qu’on était là vu que c’était un peu mort le forum
mais bon y’a pas vraiment d’utilité, c’est plus pour le délire, histoire qu’il se
passe quelque chose dessus”. Julien admet lui aussi dans son cas que c’est là
une activité provoquée qui n’a d’autre raison d’être que de fournir des nou-
veaux messages à lire aux membres : “Forcément c’est surtout le fait qu’on
va être lu par les autres qui importe, on est un peu en représentation, on
fait notre petit show...”. Il y a construction de l’histoire du lieu simplement
par les interactions qui y laissent des traces. Il se construit ainsi comme lieu
anthropologique. On habite le lieu simplement pour manifester que le lieu est
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 69

habité : “L’utilité de l’échange ? euh. . . bein y’en a pas vraiment, on raconte


des conneries, c’est tout !” nous dit Julien exprimant par là que la finalité de
telles interactions est justement l’interaction en elle-même, le renforcement
du lien communautaire et non ce sur quoi porte l’interaction.

Cette construction du lieu communautaire par l’interaction et indépen-


damment du contenu de celle-ci ouvre la voie à une possible mesure d’une
activité sociale sur Internet en social data mining sans qu’il ne soit forcément
nécessaire d’accéder au sens véhiculé par le document numérique. Explorer
les forums, y repérer les sujets ainsi que les messages les composant, indexer
leurs dates de publication, leurs auteurs, tous ces éléments de structure d’un
forum en activité sont riches de renseignements socialement signifiants et
particulièrement pour une étude longitudinale.

3.3.2.3 Un extraverti
Les trois actes connectifs communautaires de la journée de Julien sont
trois messages sur le forum proposant les résultats de ses explorations sur In-
ternet. Un adresse de site Web, un jeu en Flash et un dessin animé en Flash.
Notre enquêté tente par ces messages d’ouvrir la communauté sur l’extérieur
en produisant des ressources exogènes à cette dernière ; et ceci tout en conti-
nuant de construire le lieu communautaire que toute production de message
sur les forums réalise. “Vu qu’on m’envoie pas mal de conneries par mail et
que j’aime bien aussi chercher du n’importe quoi, autant en faire profiter tout
le monde !”. Mesurer l’impact de ces messages ne se fait pas par le nombre de
réponses postées par les autres membres, les actes connectifs suiveurs sont
des actes de consultation mais il ne nous est pas possible de savoir combien de
personnes vont consulter la ressource proposée. Cependant le forum indique
le nombre de fois où la page est consultée, on peut donc comparativement
aux autres messages voir l’importance du lectorat de ce type de messages.
Ces trois actes connectifs communautaires sont du côté du pôle ex. La po-
larité in↔ex sur laquelle doit se situer tout acte connectif s’applique aussi
aux acteurs et dans le cas de Julien, nous sommes face à un membre dont la
PCIM est extravertie. Son activité au sein de la communauté est à ce point
reconnue qu’il est modérateur du forum dédié aux sites internet et autres
ressources. Une monographie poussée de ce centre connectif communautaire
serait l’occasion d’établir des profils de membres et de voir comment ces der-
niers orientent la dynamique sociale du centre.

Toute ressource proposée livrée par une adresse Web peut être repérée par
un système d’information et celui ci peut faire la différence entre une adresse
CHAPITRE 3. LES ACTES DOCUMENTAIRES 70

pointant vers une autre partie du centre connectif ou vers son extérieur. La
rapide analyse que nous venons de fournir de ces trois actes connectifs peut
donc en partie être suppléée par un algorithme et être pertinente pour du
social data mining. Cette approche statistique du nombre de liens entrant
et sortant d’un site peut dépasser le simple calcul de hubs et d’autorités si
le système est capable de contextualiser ses derniers et de faire la différence
entre des liens facilitant la navigation sur le centre connectif par exemple de
ceux proposés dans un forum ou de ceux proposés par le webmestre.
Conclusion

Le travail présenté dans ce mémoire a tout d’un work in progress. Il est


une image de l’avancement de notre réflexion au cours de l’année passée. Ve-
nant initialement de l’ingénierie, le pas à franchir vers les sciences sociales fut
conséquent et l’absence d’un background approprié, un manque évident que
nous ne cessons de combler. Notre objectif était de commencer la construc-
tion d’un pont entre deux approches qui ne cohabitent que trop peu pour le
moment dans l’étude d’Internet : une approche techniciste centrée sur le sys-
tème technique et sa structure et une approche sociale centrée sur l’usager et
sur la place du médium Internet dans l’espace social. Les modes pour conju-
guer ces deux approches sont en nombre considérable et nous ne faisons que
commencer à esquisser une voie. Notre sentiment nous amène à dire que la di-
chotomie qualitatif-quantitatif pourtant fort répandue et surtout le jugement
de valeur quant à la finesse d’analyse qu’elle véhicule n’est pas porteuse et
que ces deux genres méthodologiques ne sont pour nous que les deux temps
d’un même processus. L’étude des actes documentaires participe de cette
approche qualitative. Notre objectif pour notre travail futur est de pouvoir
affiner notre grille d’analyse des actes documentaires et de l’appliquer à un
grand nombre d’entre eux. Ce travail sera accompagné d’une réflexion sur les
possibles traductions des résultats de nos observations en algorithmes ; et les
résultats apportés par nos premières implémentations nourriront en retour
notre travail théorique.

71
Bibliographie

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