Le courage

des leaders

Les auteurEs D’ailleurs, le Conference Board of Canada (2001) reconnaît ce

Michelle Harbour et Veronika Kisfalvi
«Le courage est la principale qualité de l’humain,
car elle garantit toutes les autres.»
fait lorsqu’il décrit ainsi les qualités que devra avoir le leader de
2010 : tolérance au risque, sensibilité et ouverture, leadership
de délégation et propension à gérer des enjeux difficiles envers
les personnes. L’expression «le leader doit faire preuve de
courage!» se pose alors comme une évidence si on conçoit le
leadership comme une double compétence de prédilection
pour faire face aux difficultés et aux risques. Malgré le flou qui
entoure ces deux compétences, il semble exister une grande
proximité entre elles.

Winston Churchill

Q
u’ont en commun Platon, Aristote, Jean XXIII,
George W. Bush, Bill Clinton, John F. Kennedy et,
plus près de nous, Stephen Jarislowsky? En fait,
tous accordent au courage une importance majeure
dans la prise de décision risquée ou difficile, mais
avec des visions différentes : courage des nations, courage
des dirigeants, courage de s’opposer, courage d’avoir un com-
portement éthique. À travers les époques, le courage a tou-
jours été un mot clé dans les discours et les écrits pour mettre
en exergue les attentes envers les décideurs. Or, le courage
n’est pas l’apanage des décideurs. Il est utilisé à toutes les
sauces, que ce soit le courage politique, le courage amoureux,
le courage de diriger, le courage d’être soi, le courage héroï-
que, le courage de ses idées, le courage de dire, le courage
d’affronter la douleur, la maladie, etc.
À la fois concept flou et concept fétiche en communica-
tion, le courage dans le domaine de la gestion s’inscrit dans un
contexte où l’incertitude est décuplée par l’impact qu’exer-
cent les technologies de l’information. Le leader d’aujourd’hui
doit donc composer avec davantage de risques qu’auparavant.

Notre étude exploratoire avait pour objectif de mieux com-

Michelle Harbour est professeure au département des sciences
administratives de l’Université du Québec en Outaouais. prendre le courage à travers la conception même de leaders
Veronika Kisfalvi est professeure à HEC Montréal. du monde des affaires. Cinq directeurs généraux qui ont agi à
titre de leaders dans des fusions de caisses Desjardins ont

74 Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008

 participé à cette étude sur la conception du courage de diriger
en contexte de fusion d’entreprises. Fervents promoteurs de
la fusion, ceux-ci étaient bien conscients dès les débuts du pro­
jet que leur emploi, voire leur carrière, était en jeu. Les résul-
tats ont montré qu’ils conçoivent le courage de diriger comme
une décision morale qui s’exprime dans l’action et que le lea-
dership, la confiance, un ego fort et une préoccupation pour
les intérêts organisationnels constituent ses déterminants. En
contrepartie, le courage de diriger favorise le leadership, la
confiance et le renforcement de l’ego, tout en permettant
d’assurer les intérêts organisationnels ainsi que l’avancement
de la carrière. En fait, ces leaders ont compris le courage de
diriger comme un concept où s’entrecroisent des compéten-
ces de gestion et des intérêts organisationnels et personnels.
Dans la première partie, cet article présente un tour d’hori-
zon de la place accordée au courage de diriger dans la littéra-
ture sur le leadership. Dans la deuxième partie, il expose les
résultats de notre recherche. Finalement, dans la troisième par­
tie, il discute ces résultats, c’est-à-dire leurs incidences, leurs
implications et leurs limites pratiques.
I Le courage : ce qu’on en dit
Courage et trait de personnalité
Le mot «courage» vient du latin cor, qui signifie «cœur».
Une personne courageuse est donc quelqu’un qui possède de
l’esprit, de la vitalité, de la vigueur, de l’énergie, de la passion,
caractéristiques généralement associées, dans notre imaginaire,
aux leaders et au leadership. La littérature sur le leadership
destinée au grand public confirme ce lien entre le courage et
le leadership. Elle nous offre toutefois plusieurs conceptions
du courage, présenté souvent comme un trait ou une caracté-
ristique d’un bon leader, intégré dans un ensemble de traits
désirables, comme l’honnêteté et la crédibilité. Il est égale-
ment lié à la candeur, aux buts clairs, à la rigueur et à la disci-
pline (Klein et Napier, 2003).
Courage et prise de décision
Fortement associé à la prise de décision, en particulier aux
décisions les plus difficiles, le courage est fréquemment perçu
comme la volonté de faire ce qui doit être fait en ce qui a trait
aux risques et aux difficultés, et ce, malgré la possibilité d’un
résultat désagréable (Van Eynde, 1998). L’habileté à agir selon
ses convictions face à la peur, à la douleur, au danger, au
doute, à l’incertitude, et même face au désespoir, caractérise
les conceptions du courage trouvées dans la littérature (Jablin,
2006; Quick et al., 2007). Un contexte de peur, d’incertitude et
de risque semble alors essentiel pour qu’une décision soit
considérée comme courageuse, ce qui met l’accent sur les
composantes émotionnelles de la prise de décision courageuse.
Courage et comportement
D’autres auteurs soulignent que le simple fait de prendre
une décision difficile n’est pas une démonstration de courage;
c’est dans l’implantation d’une telle décision que le courage
peut s’exprimer (Harris, 2000). Le courage est donc opposé à
la rationalisation, aux excuses pour l’inaction ou à l’action inap-
propriée selon les circonstances (Van Eynde, 1998). Il est par-
Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008
fois décrit comme une habileté à entreprendre des actions
d’importance qui mèneront au succès de l’entreprise, voire de
la carrière du leader (Reardon, 2007).
En plus d’être considéré comme un trait du leadership, le
courage est présenté comme une action, un comportement ou
un processus composé de plusieurs étapes, par exemple se
fixer des buts atteignables, évaluer le risque en fonction des
bénéfices et établir des plans de contingences (Klein et Napier,
2003). En prenant en compte des éléments de peur, de risque
et d’incertitude, quelques auteurs voient dans le courage un
calcul du risque, une délibération et une préparation soignée
ou encore un pari intelligent. Ces auteurs maintiennent que le
courage peut s’apprendre et s’acquérir par la pratique, sur une
certaine période de temps, parfois même sur des décennies
(Aprigliano, 1999).
Courage et leadership
Étonnamment, alors que le courage est présenté par plusieurs
auteurs comme une dimension essentielle du leadership, il est
difficile d’en trouver des définitions explicites dans la littéra-
ture sur le leadership; les auteurs décrivent plutôt les actes ou
les comportements qui requièrent du courage. Il peut s’agir,
par exemple, de s’opposer ouvertement à des croyances bien
ancrées ou encore au statu quo. Plusieurs mentionnent le cou-
rage de parler, de donner son opinion, de défier le point de vue
de la majorité, évitant ainsi la «spirale destructrice du silence»
(Perlow et Williams, 2003; Fifer, 2006). En d’autres mots, être
courageux consiste à être ouvert, à avoir des opinions impo­
pulaires et à agir en conséquence. Le leader courageux se
positionne non seulement comme quelqu’un de différent, mais
également comme une cible potentielle d’hostilité et de repré-
sailles. La volonté de défier les normes ou les relations de
pouvoir établies (où l’individu est en zone connue, sécuritaire
et confortable) est aussi envisagée comme étant du courage
(Heifetz, 2004; Katzenbach, 1996).
Les leaders doivent avoir un courage de conviction; la notion
selon laquelle le courage est nécessaire si on veut poursuivre
sa propre vision est intimement liée au leadership. Le courage
du leader est ainsi associé à son habileté à prendre énergique-
ment en charge les événements difficiles et à donner une direc­
tion claire (Lapierre, 2003). Par ailleurs, d’autres voient dans le
courage la reconnaissance des habiletés ou des comportements
requérant de la souplesse, comme le fait de reconnaître les
forces des autres, de partager les bons coups ou d’admettre que
son propre point de vue n’est peut-être pas le meilleur, voire
admettre ses erreurs. Le courage peut être parfois offensif,
parfois défensif, et le même leader peut exercer ces deux
formes à des moments différents (Jablin, 2006). Ces vues
contradictoires concernant ce qui constitue l’action courageuse
indiquent que le contexte peut jouer un rôle important dans la
conception de ce qui est courageux.
Courage et morale
Plusieurs soulignent la dimension morale et éthique du
courage, où celui-ci consiste à faire la bonne chose, même au
risque de perdre son emploi, sa carrière ou ses relations inter-
personnelles. Par exemple, selon Jablin (2006), pour que l’action
du leader soit considérée comme véritablement courageuse,
75
 elle doit être orientée vers le bien commun. La dénonciation
est présentée régulièrement dans la littérature comme un
exemple d’action courageuse chez un individu qui refuse
d’appuyer ou de maquiller des fraudes ou autres actes crimi-
nels. Il n’est donc pas étonnant que le courage du leader soit
souvent lié à son intégrité personnelle, à la vertu et au fait de
posséder de «bonnes» valeurs et d’agir en fonction d’elles
(Stephano et Wasylyshyn, 2005; Harris, 2000).
Courage et intérêts
Alors que certains auteurs voient dans le gain personnel un
résidu acceptable du courage, courage et intérêts personnels
sont à toutes fins utiles vus comme étant opposés. Le cou-
rage est largement associé aux capacités du leader de mettre
les intérêts collectifs au-dessus de ses propres intérêts. Lors-
que ses motivations ne sont pas celles qu’elles devraient être
(c’est-à-dire qu’elles sont trop tournées vers ses intérêts per-
sonnels), il est perçu comme démontrant un pseudo-courage
et non un courage authentique.
I L’étude du courage chez les leaders
Malgré le fait que dans la littérature destinée au grand
public le courage apparaît fréquemment comme une compo-
sante essentielle du leadership, le concept lui-même a rare-
ment fait l’objet d’études scientifiques. Le lien entre le courage
et le leadership a encore moins été étudié. D’ailleurs, à ce sujet,
Jablin (2006) souligne que, même si le courage est générale-
ment considéré comme une qualité du leadership, il a été négligé
dans pratiquement toutes les théories socio-scientifiques. Il
prétend que l’une des raisons en est que le courage constitue
une notion vague, difficile à conceptualiser et à opérationnali-
ser. En conséquence, les idées qu’on trouve relativement au
courage dans la littérature, telles qu’elles ont été présentées
précédemment, peuvent être intuitives, mais elles sont basées
davantage sur la spéculation que sur de solides évidences
empiriques. La recherche concernant la nature du courage, les
formes qu’il peut prendre ou la manière dont il peut être acquis
se résume à quelques études empiriques seulement.
Dans une de ces rares études, Aprigliano (1999) cherche
les sources du courage chez des leaders transformationnels
qui sont considérés comme des habitués de l’incertitude et du
risque et qui n’hésitent pas à faire face aux défis, aux conflits
et aux menaces. Se basant sur des entrevues en profondeur
réalisées avec plusieurs gestionnaires, cette auteure conclut
I
que le courage se développe à l’intersection du soi (le carac-
tère du leader), d’un ensemble d’absolus ou de valeurs fonda-
Le courage :
mentales qui suscite la passion chez le leader, d’un ensemble
ce que les résultats montrent
d’expériences de vie liées à l’exercice du courage et de la
réflexivité du leader (une inclination à réfléchir sur ses actions
afin d’apprendre d’elles). Elle a également trouvé qu’une fois que
les leaders étaient capables de manifester du courage, ils étaient
davantage en mesure d’actualiser leur potentiel de leadership.
Comment les leaders eux-mêmes comprennent-ils le cou-
rage et l’action courageuse? Comment définissent-ils le courage?
Dans quelles circonstances se voient-ils agir de manière coura­
geuse? Et d’où leur vient ce courage? L’étude présentée dans
cet article tente de répondre à ces questions. Elle est analo-
76
Encadré 1
À propos de l’étude
Pour obtenir les conceptions des directeurs généraux et rendre
plus claire cette réflexion construite autour du courage, nous
avons utilisé la méthode de la carte cognitive. Une carte cogni-
tive est une représentation graphique mettant en perspective
des concepts et les liens qui les unissent. Elle illustre la pensée
de l’individu qui le guide dans la perception consciente de sa
réalité, et ce, sur un sujet bien précis, tout en l’épurant des
détails inutiles à une certaine généralisation (Langfield-Smith,
1992). La carte cognitive est un outil qui sert à illustrer non pas
une expérience, mais la conception que l’on se fait d’un sujet
issu ou non d’une expérience particulière.
Les données ont été recueillies dans le cadre d’une entrevue
structurée où le point de départ consistait à déterminer, avec le
sujet, les concepts considérés comme fondamentaux du courage
de diriger. La question de départ a été formulée comme suit  :
«Quels sont les facteurs qui font qu’un haut gestionnaire d’entre-
prise aura ou n’aura pas de courage de diriger en contexte de
fusion et quelles sont les conséquences d’avoir ou de ne pas avoir
de courage?» Par la suite, le sujet a été amené à déterminer les
explications de chacun des concepts issus de la question ainsi
que leurs conséquences. Les cartes cognitives ainsi obtenues se
présentent comme un enchevêtrement de 106 à 156 concepts
unis par des liens de cause et de conséquence.
Il est important de spécifier que le but de cette étude était explo-
ratoire et qu’elle n’avait pas pour objectif de déterminer si ces
gestionnaires ont manifesté ou non du courage de diriger; notre
objectif était plutôt de comprendre la conception qu’ils en ont.
gue à l’étude d’Aprigliano en ce sens que l’accent est mis sur
des dirigeants en exercice, mais ici dans le contexte québé-
cois. Alors que demeure l’intérêt pour les antécédents et les
conséquences du courage, son objectif premier est de com-
prendre comment les personnes qui sont en position de lea-
dership, et qui ont été placées dans un contexte qui les a
exposées à un degré élevé de risque, d’incertitude et de diffi-
cultés, comprennent le courage et le rôle qu’il joue dans l’exer-
cice de leur leadership. Cette étude rend compte également
des implications possibles de la conceptualisation du courage
de ces leaders sur la gestion des organisations en général.
La conception des directeurs généraux a été obtenue à
l’aide de la construction d’une carte cognitive. Les détails de
notre méthode sont décrits sommairement dans l’encadré 1.
Afin de mieux situer le lecteur, nous avons illustré dans le
schéma 1 une carte cognitive d’un directeur général, dont nous
avons retenu les principaux concepts, en excluant ceux qui
n’avaient qu’une importance marginale.
Ces concepts liés entre eux montrent une pensée riche et
dynamique. Outre qu’il en émerge une conception similaire,
nous avons constaté que les principaux concepts qui structu-
Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008
 Représentation détaillée des principaux liens entre le courage et diverses caractéristiques contextuelles et individuelles d’un directeur général

Schéma 1
Confiance en Résultats
Connaissances ses capacités voulus
Sentiment
Expérience d’impuissance
de travail
Goût de
Meilleur contrôle
recommencer
des événements
Mobilisation

Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008

Confiance
Vécu en soi

Avoir beaucoup
Indiquer la d’initiative
Reconnaissance voie à suivre
par ses pairs
COURAGE Développement
DE DIRIGER de la carrière

77
Capacité d’avoir
un mentor

Partage de
l’information
Partage de Leadership
Travail Alliés internes la vision
en solo et externes

Sentiment d’être Sentiment du

Légende moins seul travail accompli

CONCEPT Développement du Motivation

ÉTUDIÉ Implication
dans le milieu potentiel du marché personnelle
Concepts
directs
Mobilisation
Autres concepts des employés
principaux
des analyses
 rent le courage de diriger s’organisent dans une relation syner-
gique. Le schéma 2 illustre la conception commune aux cinq
participants qui en émerge.
Ainsi, pour ces directeurs généraux, le courage de diriger
se présente comme un ensemble de concepts indissociables
et interagissant les uns avec les autres. Tout d’abord, il se
dégage de leur conception que l’action semble constituer la
nature même du courage de diriger, ce qui confirme les
constats faits dans la littérature destinée au grand public.
Ensuite, la confiance et le leadership apparaissent comme les
deux principales qualités liées à l’expression du courage de
diriger. Finalement, un troisième groupe de concepts semble
davantage jouer un rôle de motivation, soit les intérêts dirigés
vers l’organisation et les intérêts personnels.
Le courage, c’est de passer à l’action
Avec des concepts comme «mobiliser», «partager», «déve-
lopper» et «s’impliquer», l’action est omniprésente dans les
cartes et dans les analyses, et ce, autant en amont qu’en aval
du courage de diriger. L’action appelle le courage de diriger :
«Avoir du courage, c’est de passer à l’action, pour le bien de
l’entreprise.» Ce courage à son tour permet de reprendre le
contrôle dans un contexte difficile ou risqué :
«Je sentais que je perdais le contrôle. […] Quand tu as
le contrôle, tu n’as jamais besoin de courage. Là, il fallait
être courageux parce que je devais régler un problème
stratégique important sans que j’aie le contrôle. […] Ça
n’a pas duré longtemps, peut-être trois minutes. Mais
ça a été probablement les trois minutes les plus risquées
de ma carrière! Là, j’ai eu besoin de courage, parce qu’il
a fallu que j’intervienne.»
Schéma 2
Représentation des principaux liens
entre le courage et diverses caractéristiques
contextuelles et individuelles
ACTION
Confiance
en soi
Intérêts COURAGE Intérêts
organisationnels DE DIRIGER organisationnels
Ego Carrière
Ego
Leadership
78
Ces gestionnaires reconnaissent le courage non pas dans
la décision comme telle, mais dans l’actualisation de celle-ci.
D’ailleurs, le verbe «décider» est très rarement utilisé dans
ces cartes cognitives. Les vœux pieux ne sont pas considérés
comme du courage de diriger.
Toutefois, l’action a ici une saveur morale qui confirme les
conceptualisations du courage dans la littérature et qui rap-
pelle la définition de Barnard (1958) sur la morale d’affaires,
laquelle doit reposer sur la primauté des intérêts collectifs
(organisation ou communauté). Pour que le courage de diriger
soit considéré comme tel, la décision doit s’appuyer sur les
intérêts de l’organisation et elle doit s’actualiser, c’est-à-dire
qu’elle doit passer à l’action, devenant de ce fait une action
morale.
Or, l’acte courageux est une impulsion qui semble tribu-
taire de deux grandes motivations : le contrôle et le change-
ment. Tout d’abord, le courage de diriger permet d’«assurer le
contrôle des événements et le pouvoir sur eux» et d’avoir un
«sentiment d’indépendance». Écoutons l’un de ces gestion-
naires :
«Je savais que c’était quelque chose qui deviendrait
inévitable pour l’organisation, pour la caisse. Ou bien tu
attends, tu attends, tu attends; c’est un style, ça met à
l’épreuve ton caractère. [Mais] je déteste l’incertitude.
Je me suis dit : “Si on est pour embarquer dans ce jeu-
là, on va le faire maintenant. Après, on verra ce qui va
arriver.”»
La perspective de rester maître de sa destinée est impor-
tante et semble constituer l’impulsion à agir. Ainsi, le courage
de diriger apparaît pour certains comme un moyen de ne pas
être vulnérable dans un contexte difficile ou risqué. Cette
conception a été amenée de manière prépondérante par les
directeurs généraux pour qui le projet de fusion a été particu-
lièrement ardu.
Or, pour les deux directeurs généraux dont le projet de
fusion a été lancé par eux-mêmes et pour lequel ils ont affirmé
ne pas avoir eu besoin de beaucoup de courage de diriger, le
courage apparaît au contraire comme un outil de changement.
Ici, on parle du «désir de changer les choses», ce qui les incite
à être proactifs et à prendre des risques. D’ailleurs, ces direc-
teurs généraux ont même suggéré à cet égard des concepts
comme «avoir le goût du risque» et «avoir le goût du change-
ment». Le courage de diriger permet donc le changement au
moyen d’un sentiment de contrôle sur sa destinée pour les
uns ou du plaisir d’être au cœur de l’action pour les autres. «À
vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. C’est des sensa-
tions fortes!» ainsi que l’a affirmé un directeur général.
La nature du courage se dessine autour de l’action. En
effet, le courage apparaît comme le passage à l’action d’une
décision que ces directeurs généraux jugent morale. La déci-
sion éthique d’un processus, d’après Trevino et Weaver (2003),
se fonde sur quatre sous-processus : la sensibilité morale, le
jugement moral, la motivation morale et l’action morale. Selon
la conception qu’en ont ces directeurs généraux, le courage
constitue le dernier sous-processus de la décision éthique,
soit l’action morale.
Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008
Le courage, c’est une expression de la confiance
Le courage de diriger repose sur deux types de confiance :
la confiance en soi et la confiance dans les autres. La confiance
en soi se présente comme le concept le plus important; elle a
été nommée initialement par tous les participants comme
étant liée directement au courage de diriger soit à titre de fac-
teur déterminant, soit à titre de conséquence. La confiance en
soi est un préalable important au courage de diriger qui, lui, en
retour, vient l’alimenter.
Or, la confiance en soi est fortement associé à la pratique
de la gestion, d’une part, et à la force de l’ego, d’autre part. En
effet, ces directeurs généraux estiment que la confiance en
soi est alimentée par le soutien offert par l’organisation, par
les connaissances, par l’expérience, par les réalisations anté-
rieures et par la vision. Voici ce qu’en dit Julien, qui a connu
une fusion particulièrement difficile :
«J’avais beaucoup confiance en moi. J’avais une vision,
et c’est là que je m’en allais. J’avais confiance autant en
mes moyens que dans les gens qui m’entouraient.
J’avais confiance dans le fait qu’ils ne me laisseraient
pas tomber.»
Il semble donc que la confiance en soi soit étroitement liée
à la confiance dans les autres. Le concept de «confiance dans
l’organisation» résume bien la confiance dans la caisse popu-
laire ou la Fédération qui revient souvent. Plus spécifiquement,
c’est le président du conseil d’administration de la caisse qui
joue un rôle important dans cette confiance. Par ailleurs, l’ego
est fortifié par la confiance en soi qui favorise l’estime de soi,
la sérénité et, comme l’a bien illustré l’un d’entre eux, «le sen-
timent d’avoir pris la bonne décision».
Le courage, c’est de faire preuve de leadership
Le leadership est un autre concept qui peut prendre plu-
sieurs significations1. Nous avons retenu la perspective de
Lapierre (2003), qui dit que «le leadership est une direction
[provoquée par une insatisfaction] à l’origine du besoin de pro-
duire, d’exercer de l’influence et de laisser sa marque». Nous
avons donc regroupé sous le terme «leadership» les référen-
ces à la mobilisation, à l’influence, à la reconnaissance et aux
appuis dans les interactions du directeur général avec les dif-
férentes parties prenantes.
Ainsi que nous l’avons défini, le leadership joue un rôle
important dans la dynamique du courage de diriger. En effet,
cette qualité, qui est prépondérante dans toutes les analyses
et également pour tous les directeurs généraux, s’avère un
facteur déterminant. Près de la moitié des concepts associés
au leadership qui sont ressortis des analyses sont rattachés
directement au courage de diriger. C’est donc dire leur impor-
tance. L’un des directeurs généraux explique ainsi comment
son leadership lui a été utile pour assumer ses valeurs et se
protéger avant de se lancer «courageusement» dans un projet
de fusion où sa carrière était en jeu :
«Au fond, le courage, c’est d’assumer tes valeurs, indé-
pendamment de ce qui arrivera, mais sachant égale-
ment que si tu le fais, tu vas avoir les joueurs de ton
côté et ils risquent de te récupérer quelque part. Quand
tu coupes la branche sur laquelle tu es assis, tu dévelop-
Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008
pes tes réflexes et la grosseur de tes muscles pour sau-
ter dans l’arbre le plus proche. C’est un peu l’image que
je me fais. Alors moi, tout au long du projet, je bâtissais
mon réseau. Je me suis impliqué un peu plus politique-
ment dans le secteur et j’y ai même occupé certaines
fonctions. […] Comme ça, tu te bâtis une crédibilité, et
là tu viens de rapprocher des branches dans lesquelles
tu peux sauter quand ta branche tombe!»
En outre, tout comme pour la confiance, le courage de diri-
ger semble jouer un rôle rétroactif en favorisant l’exercice du
leadership du directeur général. Écoutons encore une fois
celui qui était assis sur sa branche…
«Là où ça demande du courage quand tu joues un jeu
stratégique, c’est le bris de confiance. Le risque est
peut-être plus que tu n’aies pas de fusion et que tu
n’aies pas d’emploi. Ça prend un courage de conviction
et un courage politique pour influencer ces gens-là.»
L’analyse des concepts que nous avons regroupés sous le
leadership montre un portrait où des facteurs d’interactions
organisationnelles dominent. La plupart de ces concepts – par
exemple, les concepts de «reconnaissance», de «mobilisation
des employés» et d’«appuis» – concernent les relations entre
le gestionnaire et les parties prenantes de l’organisation. Tou-
tefois, quelques concepts relèvent davantage de qualités plus
individuelles, comme la «vision» ou le fait d’être «crédible».
Ces derniers concepts se retrouvent cependant exclusivement
comme une condition du courage de diriger; ils ne représentent
pas une conséquence. En contrepartie, le courage de diriger
renforce le leadership du gestionnaire par le biais de l’établis-
sement de meilleurs appuis et d’une plus grande capacité de
mobilisation.
Dans un contexte de fusion, le courage de diriger et le lea-
dership semblent donc fortement liés dans la conception des
directeurs généraux. Qui plus est, le concept d’«action» (besoin
de produire, selon Lapierre, 2003), jumelé avec les concepts
de «mobilisation», d’«influence», de «reconnaissance» et
d’«appuis», apporte un poids supplémentaire au rôle du leader­
ship dans la manifestation du courage de diriger.
Le courage de diriger repose donc sur deux qualités princi-
pales que doit posséder le protagoniste : la confiance et le
leadership. Ces qualités se présentent comme des facteurs
d’actualisation du courage. Elles s’inscrivent dans la conscience
de soi que nous avons associée à l’ego. En outre, comme ces
qualités sont aussi une finalité, leur renforcement devient un
facteur de motivation qui justifie la décision courageuse et
suscite le maintien de l’action courageuse.
Le courage, c’est la défense d’intérêts collectifs
et individuels
Parmi les concepts retenus comme étant des motivations,
il y en a un sur trois qui relève des intérêts organisationnels.
Pour ces leaders, la principale condition qui les autorise à
s’engager dans un comportement courageux dans un contexte
de fusion se fonde sur des intérêts organisationnels. La «per-
formance», le «développement» et la «pérennité de l’organi-
sation» viennent construire le bien-fondé du projet. Comme le
souligne un de ces leaders :
79
 «Le courage, c’est de vaincre quelque chose que l’on
ne connaît pas, quand on a peur. […] Je faisais la promo-
tion du projet sans savoir si je gardais mon emploi. Ça,
c’était un processus difficile. [Mais] je croyais à la nou-
velle caisse. Je croyais que c’était la meilleure chose à
faire.»
Or, malgré cette importance initiale, les intérêts organisation­
nels occupent une place moindre en tant que conséquence du
courage de diriger. Une fois le projet amorcé, l’impact attendu
sur l’organisation semble être tenu pour acquis, laissant la
place aux intérêts personnels. Il est possible que ces résultats
soient liés au fait que l’organisation de ces dirigeants (la caisse
Desjardins) est imbriquée dans une plus large organisation (la
Fédération des caisses Desjardins du Québec) où, à notre
connaissance, aucune fusion n’avait été considérée jusqu’alors
(et même à ce jour) comme un échec financier ou stratégique.
Dans ce contexte organisationnel, l’impact des projets de fusion
est davantage rattaché aux aspects humains issus du change-
ment.
Les intérêts personnels amenés par les directeurs géné-
raux sont de deux ordres : le renforcement de l’estime de soi
par un ego plus fort et l’avancement de la carrière. Les intérêts
associés à l’ego dominent les intérêts personnels avec près
de 60 % des concepts. L’ego est compris ici comme «une
expérience de soi ou la conception que l’on se fait de soi-
même ou encore la dynamique unique de l’individu» (Drever,
1981 : 79; traduction libre). Nous avons donc regroupé sous
cette notion les concepts liés à la «satisfaction personnelle»,
au «sentiment du devoir accompli», en fait aux divers senti-
ments, désirs, attitudes et valeurs que l’individu a intérêt à
préserver pour construire son image de soi. Les directeurs
généraux semblent miser sur l’intégrité pour justifier le recours
à une action courageuse. Or, les concepts liés à l’ego sont
situés pour la plupart en aval du courage de diriger, c’est-à-dire
comme conséquence. Ainsi, selon la conception qu’ils en ont,
les directeurs généraux croient que le courage de diriger
contribue à renforcer positivement l’ego.
Les avantages pour la carrière se positionnent comme une
conséquence directe du courage de diriger. Ces leaders consi-
dèrent que l’exercice du courage de diriger aura un impact
positif sur la carrière. La reconnaissance d’une réalisation stra-
tégique constitue une garantie qui ne pourra qu’être bénéfique
à la carrière d’une manière ou d’une autre à court, à moyen ou
à long terme, et ce, indépendamment de l’issue du projet.
Écoutons un de ces leaders :
«[Je me suis dit :] “Il faut que je voie plus loin que mon
nombril.” Je pensais vraiment au milieu, aux clients. Je
savais que ça ferait une super belle caisse. C’est sûr, à
un moment donné, tu te dis : “Je n’ai pas de filet. Je
I
Incidences, implications
et limites pratiques
n’ai rien”, mais d’un autre côté, j’y croyais à la fusion. Je
m’étais dit : “Peu importe ce qui arrivera au bout de tout
ça, ça va être une corde de plus à mon arc, et on recon-
naîtra ce que j’ai fait.”»
Cette attitude positive face aux risques relatifs à la carrière
constitue une forte motivation à s’engager dans des décisions
menant à des actions qui requièrent un courage de diriger. Or,
l’optimisme est un aspect de la psychologie de ces leaders qui
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est ressorti nettement de nos analyses. D’une manière géné-
ralisée, les directeurs généraux ne conçoivent pas que le cou-
rage de diriger puisse avoir un effet négatif, que ce soit sur
l’organisation, sur l’ego ou sur la carrière, et ce, même si cer-
tains d’entre eux ont vécu des moments très difficiles. Par
exemple, certains directeurs généraux ont vécu un stress très
intense sur de très longues périodes de temps en raison d’une
incertitude quant à leur avenir professionnel. Dans un des cas
étudiés, cette tension a même entraîné une certaine détresse
psychologique qui se faisait sentir même plusieurs mois après
la fin du projet de fusion. Toutefois, malgré les difficultés et les
risques, aucun directeur général n’a rapporté un concept néga-
tif comme conséquence au courage de diriger, et ce, indépendam­
ment des pertes (réelles ou potentielles) qu’ils avaient subies.
Les participants à l’étude conçoivent donc le courage de
diriger comme étant issu de considérations organisationnelles
ou collectives, favorisé par la confiance en soi, et qui profite
ultimement au protagoniste tant sur le plan de la carrière que
sur celui de l’estime de soi. Acte moral et acte intéressé, com-
ment peut-on comprendre un tel paradoxe? Le courage de
diriger est-il une décision éthique s’il s’agit également d’une
décision intéressée? Quelles sont les motivations profondes
du geste courageux? Les résultats de l’étude ont montré que
les conséquences anticipées du courage de diriger sont essen-
tiellement positives et tournées vers le protagoniste. La car-
rière et l’ego sont les conséquences anticipées pour lesquelles
le protagoniste cherche à conserver un contrôle. Cet optimisme
dans un contexte de risque permet de comprendre la place de
l’acte intéressé dans le courage de diriger. Celui-ci n’est pas
conçu comme un acte suicidaire. Il est le fait d’un gestionnaire
qui agit en conformité avec ses convictions et qui est investi
d’un espoir réaliste que, peu importe l’issue, sa carrière ou son
estime de soi en sortira gagnant.
Cet optimisme ne signifie pas que les sujets ne sont pas
conscients des risques qu’ils courent. Il relève davantage d’une
négociation entre les risques et les gains. Pour Damasio, neu-
ropsychologue bien connu, cette négociation «s’appuie sur
l’appréciation d’un objectif, et cette appréciation ne peut avoir
lieu si l’attention n’est pas tournée correctement à la fois vers
la conséquence ennuyeuse immédiate et vers la conséquence
heureuse future, à la fois vers la souffrance présente et vers la
gratification future. […] Outre le bien évident que les altruistes
font aux autres, ils se font également du bien à eux-mêmes
sous la forme d’amour-propre, de reconnaissance sociale,
d’honneur et d’estime publique, de prestige et éventuellement
d’argent» (1994 : 242-243; traduction libre).
Action morale, leadership, confiance et optimisme : ainsi est
compris le courage des leaders de projets de fusions d’entre-
prises. Mais plus encore, le courage apparaît comme un
ensemble de qualités et de motivations dynamiques et syner-
giques. Cette conception du courage apporte un éclairage
novateur sur le comportement éthique, sur l’expression du
leadership et sur la gestion des compétences, notamment
quant au rôle des émotions, aspects que nous discutons dans
cette partie.
Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008
Le comportement éthique
Le courage de diriger est vu par les leaders de notre étude
comme un comportement éthique. Si le jugement moral a été
abondamment étudié, il n’en est pas de même pour l’action
morale. De plus, il semble bien que le lien entre le comporte-
ment éthique et le jugement moral soit relativement faible.
D’autres facteurs viennent donc influer sur ce type de compor-
tement. Par contre, ceux-ci ayant été très peu étudiés, les
connaissances sont plutôt limitées quant à ces facteurs que
Trevino et Weaver (2003) ont répertoriés dans diverses recher-
ches : le développement cognitif moral, les personnalités recher­
chant le contrôle, les pressions organisationnelles, les conflits
de rôles, l’influence de personnes significatives ainsi que les
codes de conduite, la culture et le climat organisationnels. À
cet égard, notre étude indique que le courage de diriger est
envisagé comme un comportement éthique où deux de ces
facteurs jouent un rôle prépondérant : le premier est lié aux
traits de la personne, soit une personnalité tournée vers la
recherche du contrôle, tandis que le second est contextuel et
concerne les pressions organisationnelles générées par les
avantages de la fusion pour l’organisation. Rappelons ici que
notre étude était exploratoire. En ce sens, certains facteurs
relevés par Trevino et Weaver n’ont pas été abordés, notam-
ment le développement cognitif moral, qui pourrait très certai-
nement jouer un rôle dans la compréhension des enjeux
organisationnels et donc dans les convictions du leader.
Le leadership nouveau
Selon Fortune (Morris, 2006), l’ère du leader charismatique
est révolue; place au leader courageux! Les règles de l’art de la
performance selon le modèle de Jack Welch (General Electric)
ont été revues et mises au goût du jour. Ainsi, la règle «engager
un P.D.G. charismatique» est devenue la règle «engager un
P.D.G. courageux»! Selon cette nouvelle règle, le leader cou­
rageux doit être davantage tourné vers la pérennité de l’entre-
prise et orienter ses actions vers la croissance interne, au
risque de devoir affronter les pressions du marché et des
analystes financiers férus de croissance à court terme. Selon
Fortune, le leader courageux a le courage de ses convictions
en toutes circonstances.
Indépendamment des nouvelles modes, le leadership et le
courage semblent intrinsèquement liés. Le leadership et le
courage de diriger doivent se préoccuper des intérêts des
actionnaires de l’organisation dont le conseil d’administration
est le gardien. Or, malgré l’importance que revêt le monde des
affaires pour le leadership courageux, la question demeure  :
comment reconnaître le potentiel de courage chez le leader et,
surtout, comment s’assurer que le leader restera courageux!
Notre étude exploratoire ne peut répondre que sommairement
à ces questions. Il semble toutefois que les convictions quant
au bien-fondé des projets pour l’organisation jouent un rôle
majeur dans l’actualisation du courage de diriger. Condition
sine qua non du courage, ces convictions doivent être confor-
mes aux attentes des conseils d’administration. Ceux-ci ont
donc la responsabilité de bien communiquer leurs attentes et
de créer une culture organisationnelle adéquate. La confiance
entre le conseil d’administration et le leader est primordiale
pour la manifestation du courage de diriger de ce dernier; si le
courage a besoin d’une bonne dose de confiance en soi, il a
Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008
également besoin d’une bonne dose de confiance dans les
personnes signifiantes. C’est au prix de cette confiance que le
gestionnaire anticipera avec optimisme les risques pris pour
répondre aux attentes du conseil d’administration ou les ris-
ques rattachés au fait de s’opposer à ces attentes.
La gestion des compétences
Dans la pratique, le courage de diriger, tout comme le lea-
dership, est considéré comme une compétence de gestion.
Traité comme tel, il s’exprime à travers les processus de dota-
tion, d’évaluation et, par le fait même, de rémunération des
grandes entreprises, notamment celles qui utilisent l’appro-
che «architecte de carrière», dont le Mouvement Desjardins
(Durivage, 2004). Or, le courage de diriger n’y est pas abordé
comme une compétence éthique. De plus, comme l’indique
Durivage, les compétences sont complémentaires et doivent
être jumelées avec certains traits de la personnalité. Notre
étude indique que les programmes de gestion des compéten-
ces devraient considérer le courage de diriger comme un acte
éthique que permettent trois traits de la personne (la confiance,
le désir de contrôler les événements et l’optimisme face au
risque) et une compétence (le leadership).
La question qui demeure toutefois concerne la réaction de
l’individu face à certains contextes, plus précisément le rôle
des émotions par rapport à la compétence. Nous avons
constaté que, pour nos gestionnaires et dans la littérature en
général, le courage de diriger est ancré dans une multitude
d’émotions, comme la peur, l’insécurité, la colère, la tristesse
de même que l’excitation, la joie et l’enthousiasme. Nous
avons vu l’importance de la confiance dans les diverses par-
ties prenantes. Cette confiance vient certainement moduler le
portrait émotionnel entourant le courage de diriger.
I Conclusion
Action morale, le courage de diriger se fonde sur un ensem-
ble dynamique de confiance et de leadership. Soutenu par de
profondes convictions quant aux bienfaits pour l’organisation,
l’exercice du courage de diriger amène le renforcement de
l’ego du gestionnaire et favorise le développement de sa car-
rière dans une perspective à court, à moyen ou à long terme.
L’interaction de ces éléments engendre un effet de rétroac-
tion, contribuant ainsi à consolider ces concepts entre eux. Le
courage de diriger est une compétence de gestion complexe,
et c’est en ce sens que nous croyons qu’il est important de
bien cerner l’ensemble des composantes sociopsychologi-
ques de l’individu ainsi que la dynamique et le contexte qui y
sont liés.
Notre étude aura permis de jeter un peu de lumière, en fait
celle projetée par les gestionnaires, sur une compétence qui
suscite beaucoup d’intérêt, voire de la convoitise! Nous
n’avons pas la prétention d’avoir épuisé cette notion du cou-
rage de diriger. Il reste beaucoup à faire afin de le comprendre;
il faut encore voir si l’image que nous ont présentée ces cinq
leaders transcende les contextes et peut ainsi être transposée
dans un outil de gestion. N’oublions pas que le courage est un
construit; en ce sens, la signification accordée est intrinsèque-
ment liée à la personne, au contexte, à l’époque et aux cultu-
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res et sous-cultures. C’est pourquoi il doit être circonscrit dans
le temps et l’espace. Cependant, notre étude a permis de
confirmer certaines conceptions au sujet du courage dans la
littérature dédiée au grand public sur le leadership, d’ajouter
certains éléments nouveaux et de nuancer les relations entre
courage, leadership, éthique et intérêts personnels.
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Note
1. Voir Barnard (1938), Kets de Vries et al. (1994), Lapierre (2003)

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82 Gestion · volume 33 / numéro 3 · Automne 2008