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Sommaire

BERTSTEIN & CORYN


07 Question de lecteur
L’économie sociale et solidaire peut-elle être une alternative
complète au capitalisme ?

10 L’événement
LES MACRONOMICS EN 20 MESURES
Le pari d’Emmanuel Macron

70 Dossier
20 Data
Où en est la lutte contre l’optimisation fiscale ?
22 Y’a de l’éco
Comment transformer une faillite en triomphe ! LES (GROS) MOTS DE L’ÉCONOMIE
24 Zoom
Chicago, la verte 72 L a planche à billets 84 La stagnation séculaire
74 L a trappe à liquidité 86 Le passager clandestin
26 Le tour de la question 76 L a destruction créatrice 88 Les externalités négatives 
Trump a-t-il ruiné l’accord de Paris ? 78 L e prêteur en dernier ressort 90 L’aléa moral
80 L a maladie hollandaise 92 Ils ont dessiné tous ces gros mots

28 FRANCE 82 L a main invisible 

28 Ces hauts fonctionnaires qui préfèrent le privé


32 Ça va (vraiment) mieux 94 COMPRENDRE
34 Grand ménage dans les accords sur le temps de travail 94 Un Brexit coûteux
37 En bref 95 La première cartographie des déserts médicaux
96 Plancher sur les prix du CO2
97 « Nous ne pouvons pas faire deux choses à la fois »
38 INTERNATIONAL
38 Le Portugal au sommet de l’Europe 98 Livres
40 Et si 2017 marquait enfin la relance de l’Europe sociale ?
LES LIVRES DU MOIS / Une histoire des crises en longue durée
41 Migrants : les dommages collatéraux d’une politique
DE L’ÉTRANGER / Des économistes et des paradis fiscaux
européenne irréaliste
EN VITRINE / Quel travail !
44 En bref
ÉCRANS / Le travail de la souffrance

46 ENTREPRISE
106 Idées & débats
La grève, le roman de l’ultralibéralisme
 6 Les mutuelles vont-elles perdre leur âme ?
4
49 La France, petit paradis fiscal 108 Histoire
50 Les discriminations au travail convoquées au tribunal Quand la Chine médiévale s’industrialisait
52 En bref
110 Comptes d’Alternatives Economiques
Une année riche en réalisations
54 ENVIRONNEMENT
112 Agenda
54 La France gèle la chaleur solaire
58 Nuisances écologiques : l’autre visage des inégalités 114 Le bloc-notes de Philippe Frémeaux
60 Vélo : comment remettre la France en selle ?
63 En bref

Vous pouvez nous suivre également sur

64 AGIR www.alternatives-economiques.fr

Twitter : @AlterEco_
 4 Le porc sur paille, l’autre modèle pour la Bretagne
6
67 Une économie des communs en plein essor  Facebook :
68 En bref https://www.facebook.com/AlternativesEconomiques

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 3


Editorial

www.alternatives-economiques.fr
Fondateur : Denis Clerc
Directrice des publications, présidente-directrice générale :
Camille Dorival
RÉDACTION : 28 rue du Sentier 75002 Paris, tél. 01 44 88 28 90
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Editorialistes : Christian Chavagneux (27 38), Philippe Frémeaux
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Rédacteurs en chef adjoints : Claire Alet (23 86), Catherine André (98 75),

Et en même temps…
Marc Chevallier (27 39), Sandrine Foulon (95 91), Antoine de Ravignan (95 92)
Secrétaire général de la rédaction : Daniel Salles (28 98)
Macroéconomie : Christian Chavagneux (27 38), Sandra Moatti (95 36)
Entreprise : Marc Chevallier (27 39)
Société : Claire Alet (23 86), David Belliard (95 39), Justin Delépine (58 82),

E
Vincent Grimault, Xavier Molénat (98 76), Céline Mouzon (98 74),
Naïri Nahapétian (23 85)
Travail, social : Sandrine Foulon (95 91), Laurent Jeanneau (95 38),
Camille Dorival (28 90)
Environnement : Antoine de Ravignan (95 92)
International : Catherine André (98 75) t en même temps. » Emmanuel Macron a fait de cette locu-
Agir : Céline Mouzon (98 74) tion sa marque de fabrique durant la campagne, assumant
Réseaux sociaux : Nils Wilcke (98 78)
Agenda : Justin Delépine (58 82) ainsi d’être le candidat qui prenait en compte toute la com-
Histoire : Gérard Vindt
Livres : Christian Chavagneux (27 38) plexité du réel. Et ce n’est pas nous qui allons le lui reprocher
Ecrans : Igor Martinache
Ont également participé à ce numéro : Jacques Adda, Sabine Germain, puisqu’une part essentielle de notre métier consiste justement à montrer
Antonin Gouze, Laurent Hutinet, Thomas Lestavel, Aude Martin, Marion Perrier, que les choses sont plus compliquées
Agnès Rousseau, Mathias Thépot, Laurent Testot, Thiébaut Weber, Bénédicte Weiss
Secrétariat de rédaction, iconographie : Martine Dortée (27 37), qu’elles n’en ont l’air. Une fois aux ma-
Nathalie Zemour-Khorsi (28 96), Charlotte Chartan (95 37), Alexiane Lerouge
Relations extérieures, association des lecteurs :
Véronique Orlandi (95 90), Anissa Halloui (28 90)
nettes, le « et en même temps » ren-
Le président ne peut
contre cependant des limites : gouver-
Chef de projet numérique : Laura Bernert (95 35)
Maquettes Web : Christophe Durand (95 93) ner c’est choisir. On l’a déjà mesuré, en
pas s’en tenir aux
Graphiste Web : Laurence Dorman (95 93)
Infographies numériques : Matthieu Pierre-Louis (95 93) particulier sur le dossier des réfugiés. beaux discours sur
Directeur du développement : David Belliard (95 39)
Directeur de la diversification : Jérémy Dousson (27 35) Nous vivons dans un pays de 67 mil- l’accueil des réfugiés
Chargée de diversification : Marianne Thibaut (58 81)
Directrice commerciale : Hélène Reithler (27 33) lions d’habitants qui a enregistré, en
Chargée de promotion diffusion : Aïssata Seck (28 97)
Assistant Webmarketing : Jérémy Cozette (28 94) 2015 et 2016, 160 000 demandes
PUBLICITÉ : L’autre régie d’asile. Les Suédois, eux, sont 9,8 millions et en ont
28, rue du Sentier 75002 Paris, www.lautre-regie.fr
Directeur de régie : Jérémy Martinet (27 34) reçu 191 000 sur la même période. Sans parler des
Directrice adjointe de régie : Anne Boulain (58 85)
Directeurs de clientèle : Arnaud Julieno (58 84), Anne Pichonnet (28 93) 1 222 000 de nos voisins allemands… Sous François
RELATIONS CLIENTS, FABRICATION, SIÈGE SOCIAL :
12, rue du Cap-Vert, CS 40010, 21801 Quetigny Cedex
Hollande, la gestion (ou plutôt la non-gestion) de
Tél. 03 80 48 10 25 - Fax 03 80 48 10 34 ce dossier avait été un des signes les plus flagrants
Relations clients : Stéphanie Claudel (cheffe de service), Colette Aubertin,
Lucia Bonvin, Théophile Deligny, Marilyn Fleutot, Philippe Glommeau, Isabelle d’une incapacité à affronter les sujets difficiles. Le
Ménétrier, Claude Pettinaroli, Yolande Puchaux, Laure Trillo, Sonia Varichon
Courriel : abonnements@alternatives-economiques.fr sommet avait été atteint lorsqu’en février 2016,

Jean-Marc Pau
Chef de projet technique : Delphine Dorey
Directeur administratif et financier : François Colas Manuel Valls, alors Premier ministre, s’était permis
Comptabilité : Zineb Hemairia, Odile Villard
Maquette, infographies : Marie-July Berthelier, Odile Chesnot de critiquer vertement la politique d’Angela Merkel
Conception graphique : Marie-July Berthelier par GUILLAUME DUVAL
Couverture : conception : Christophe Durand, en la matière. Et on avait apprécié qu’Emmanuel
photo : Christian Hartmann/Reuters
Illustration : Jorge Bernstein/Laetitia Coryn
Macron se démarque à l’époque de cette attitude.
Imprimerie : Maury (45300 Manchecourt)
Inspection des ventes (dépositaires et diffuseurs) : Mais maintenant, c’est à lui de tenir un discours de vérité aux Français
Destination média, tél. : 01 56 82 12 06
Diffusion : En kiosque : Presstalis sur ce sujet et d’organiser enfin un accueil digne de ce nom dans le pays
En librairie : Interforum, 3 allée de la Seine,
94854 Ivry-sur-Seine Cedex ; tél. 01 49 59 58 80 qui se prétend celui des droits de l’homme. Or que constate-t-on ? Au mo-
Mensuel édité par la Scop-SA Alternatives Economiques à capital variable, ment même où le président répétait au Conseil européen des 22 et 23 juin
partagé entre les salariés (66 %), la Société civile des lecteurs d’Alternatives
Economiques (20  %), l’Association des lecteurs (1  %), des anciens salariés que « nous devons accueillir des réfugiés, car c’est notre tradition et notre
(4 %) et des associés extérieurs compagnons de route (9 %).
RC 84 B 221 Dijon, Siret 330 394 479 00043 honneur », son ministre de l’Intérieur justifiait, lors d’une visite à Calais,
Ce numéro a été tiré à 111 000 exemplaires
CPPAP : 0319 I 84446 des pratiques inhumaines que le défenseur des droits, Jacques Toubon,
ISSN : 0247-3739
ISBN : 2-35240-191-9 ainsi que la justice ont condamné sans appel. Tandis que partout consigne
Dépôt légal : juillet 2017 est donnée de renvoyer un maximum de demandeurs d’asile vers d’autres
Imprimé en France/Printed in France sur papier certifié PEFC 100  %
recyclé fabriqué en Allemagne, Ptot 0,008 kg/tonne (pages intérieures) et pays. Emmanuel Macron ne peut pas être le président des beaux discours
sur papier certifié PEFC fabriqué en Italie, Ptot 0,021 kg/tonne (couverture)
© Alternatives Economiques. Toute reproduction, même partielle, des textes, infogra- à Bruxelles « et en même temps » de la chasse aux réfugiés en France.
phies et documents parus dans le présent numéro est soumise à l’autorisation préalable
de l’éditeur, quel que soit le support de la reproduction. Toute copie destinée à un usage Au-delà de ce dossier emblématique, la même problématique se posera
collectif doit avoir l’accord du Centre français du droit de copie (CFC) : 20  rue des
Grands-Augustins, 75006 Paris, tél. : 01 44 07 47 70, fax : 01 46 34 67 19. rapidement ailleurs : sur l’environnement, sur la protection sociale, sur
Ce numéro contient un encart broché abonnement dans tous les exemplaires
kiosque France métropolitaine
la fiscalité… Il faudra choisir et, comme toujours, le « et de gauche et de
droite » aura du mal à résister à l’épreuve du pouvoir.
Relations abonnés : 03 80 48 10 25
(8 h-12 h 30 et 13 h 30-18 h) - Fax : 03 80 48 10 34
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Courrier
Chômage et démographie
“  Dans le numéro de juin, page 13, vous faites
un intéressant diagnostic sur « l’incapacité de la France
à réduire le chômage de masse ». Mais je suis très surpris
que vous omettiez de mentionner une des principales
causes qui est la démographie. Ainsi, ces vingt-cinq
dernières années, la France a créé autant d’emplois
que l’Allemagne… mais a « produit » un million
de travailleurs de plus (source : La Tribune + Insee),
alors que la population active allemande est bien plus
importante. Un calcul simple (et simpliste…) montre que
si on inversait les démographies, nous serions vers 3 %
de chômage et les Allemands vers 11 % ! Nous sommes
« fiers » de notre démographie, mais pour le moment,
elle nous coûte cher. Autre élément omis : la réforme
des retraites « glissante » qui est en train de s’achever a,
pendant six ans, retenu plus de 100 000 travailleurs par an


sur le marché.  PHILIPPE BREUIL

Droit de réponse
“  Monsieur le rédacteur en chef,
Suite à la parution d’un article dans votre magazine en date
du 1er avril 2017 indiquant le montant des revenus annuels
de certains parlementaires issus d’activités annexes à leur
mandat, j’ai décidé d’exercer mon droit de réponse,
en vertu de la loi du 2 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
En effet, vous indiquez que mes revenus annexes de 2015
Dassault s’élevaient à 3 488 703 euros. Or ce montant
est inexact. Le montant de mes revenus concernant
mon activité salariée pour l’année 2015 s’élève


à 268 551 euros.   OLIVIER DASSAULT

Olivier Dassault fait référence au tableau publié page 32


de notre n°367. Or, une note précisait que les montants
des revenus annexes publiés se basaient sur « les activités
professionnelles et les autres mandats électifs déclarés
par les parlementaires auprès de la Haute autorité
pour la transparence de la vie publique (HATVP)
avant fin 2015 ». Elle précisait également que « la plupart
de ces revenus concernent l’année 2013 ». Pour Olivier
Dassault, la déclaration d’intérêts concernée datait
du 30 janvier 2014 et les revenus qu’il y déclarait
(357 567 euros bruts annuels du Groupe Marcel Dassault
et 3 131 136 euros de dividendes de Rond Point Immobilier)
se référaient donc à l’année 2013.
La rédaction d’Alternatives Economiques

Errata
Dans notre numéro de juin, dans le dossier « Bio, faut-il y
croire ? », le tableau sur « Les enseignes spécialisées dans
les produits bio » (page 73) donnait le chiffre d’affaires
2014 pour l’enseigne NatureO, alors que celle-ci a publié
son chiffre d’affaires 2016, d’un montant de 92 millions
d’euros. Toutes nos excuses pour ce décalage.

Alternatives Economiques,
courrier des lecteurs,
28 rue du sentier, 75002 Paris
courrier@alternatives-economiques.fr

6 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Question de lecteur

“  L’économie sociale et solidaire


peut-elle être une alternative
complète au capitalisme ? ” QUESTION DE FÉLIX CARDOSO

dant une certaine lourdeur dans


A côté de l’Etat et des entreprises classiques, les processus de décision. Cela
l’ESS dispose de nombreux atouts. Pour autant, peut freiner en particulier les
sa généralisation ne semble ni possible ni souhaitable. réorientations stratégiques dans
un monde où les ruptures tech-
nologiques sont fréquentes. De
plus, l’indépendance structurelle
Avant de répondre à cette question, il faut de l’ESS à l’égard des apporteurs de capitaux a comme
d’abord préciser ce qu’est l’économie sociale contrepartie une grande difficulté à mobiliser des fi-
et solidaire (ESS). C’est un secteur de l’économie nancements importants, indispensables pour innover
qui regroupe des structures aux statuts divers : les et conquérir rapidement de nouveaux marchés.
associations, les coopératives (comme Alternatives Enfin, son ancrage territorial, qui est un de ses prin-
Economiques) ou encore les mutuelles. Elles ont en cipaux atouts face à des structures capitalistes de plus
commun de ne pas avoir le profit comme but principal en plus nomades, a aussi comme contrepartie iné-
et d’être dotées d’une gouvernance démocratique. Ce vitable une dif- ficulté à s’internationaliser. Alors
secteur économique pèse lourd : il emploie actuel- que le succès d’une entreprise
lement 10,5 % des salariés français et ses structures dépend plus que jamais des éco-
rassemblent 7 % des entreprises hexagonales. nomies d’échelle qu’elle peut réa-
L’économie sociale et liser en s’adressant aux clients du
solidaire est née au monde entier.
XIXe siècle pour pal- Bref, les motifs qui s’opposent à
lier le manque de so- une généralisation de l’économie
lidarité qui prévalait à sociale et solidaire sont sérieux.
l’époque. Ces structures Pour autant, ce secteur
permettaient de se regrouper conserve ses avantages
pour s’entraider face à la mala- comparatifs vis-à-vis de
die, au chômage ou à la vieillesse, l’Etat, en termes de sou-
pour créer ou reprendre des entre- plesse et de proximité des
prises lorsque les patrons avaient failli, publics. Comme vis-à-vis
pour obtenir des crédits et protéger son épargne, des entreprises capitalistes, en
pour acheter en commun à meilleur prix, pour se termes de démocratie et
former, faire du sport, de la musique, pour permettre d’ancrage territorial.
aux enfants de partir en vacances… Des fonctions qui Et face aux dysfonction-
bien souvent ont été depuis reprises à son compte nements qu’a entraînés la
par l’Etat-providence. L’économie sociale et solidaire mondialisation dérégulée, les
continue cependant à intervenir dans tous ces domaines, structures de l’ESS constituent
souvent en articulation avec l’action publique via des plus que jamais un point d’appui
subventions ou une délégation de service public. indispensable pour des populations fragilisées.
L’ESS pourrait-elle, au-delà de son périmètre actuel, En fait, une économie ne peut pas, et ne doit pas,
fournir une alternative globale au capitalisme tout être constituée d’un seul type d’organisations, que
en évitant les écueils rencontrés avec les économies celui-ci soit étatique, capitaliste ou encore qu’il res-
étatisées de l’ex-bloc soviétique, en termes d’efficaci- sortisse de l’ESS. Ce qui fait l’efficacité et la résilience
té comme de libertés individuelles ? Pas évident. Ces d’une économie et  d’une Posez vos questions sur :
structures ont souvent connu des échecs dans le sec- société, c’est en réalité,
teur marchand classique. D’une part, parce que leur comme pour la nature, sa Twitter : @altereco_
gouvernance démocratique, si elle permet de mieux biodiversité. Facebook : https:// www.facebook.
impliquer les acteurs concernés, a aussi comme pen-   Guillaume Duval com/ AlternativesEconomiques

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 7


considère que ces réunions sont
Buzz

peu conclusives et un quart qu’ils


n’ont rien à y faire. La réunionite,
principal ennemi de la compétitivité ?

Schneider électrisé
par le jeunisme. Le géant
proposerait des ruptures
conventionnelles aux plus de
56 ans dans le cadre d’un accord
de compétitivité. 3 000 départs
seraient ainsi compensés par
1 000 à 1 500 embauches, dont
Un crowdfunding antimigrants, De mal en pis  70 % de moins de 30 ans. Un
il fallait y penser. Le projet, intitulé « Defend Après la ferme des 1 000 vaches, celle jeune pour le prix de deux vieux ?
Europe » a été lancé fin mai par le groupuscule des 40 000. Des investisseurs chinois
d’extrême droite Bloc identitaire. Il devait financer sont en train de passer un contrat
un bateau qui devancerait ceux des ONG afin, bien avec la Biélorussie pour y produire « Make our planet
sûr, de sauver les migrants en détresse, mais de du lait destiné à l’empire du Milieu. great again », avait lancé
les ramener sur les côtes africaines plutôt que Ils voient les choses en grand : Emmanuel Macron après l’annonce
sur le territoire européen. En quelques semaines, 20 000 hectares de terres en leasing, de la sortie des Etats-Unis de
65 000 euros avaient été recueillis pour ce noble 40 000 têtes de bétail et une série l’accord de Paris. Et d’ouvrir grand
dessein, plus que l’objectif visé… Avant que de laiteries industrielles. De quoi faire les portes aux climatologues
la plate-forme PayPal, qui avait servi son beurre. étasuniens. Las ! Le programme,
d’intermédiaire, n’interrompe la collecte sous d’un coût de 60 millions, serait
la pression des internautes scandalisés. L’économie financé pour moitié sur le budget…
collaborative mène décidément à tout ! Plus de quatre ans, du CNRS. « Make our ESR
c’est en moyenne le temps qu’un cadre [Enseignement Supérieur et
passe en réunion en quarante ans Recherche] great again », a
Il y a des lanceurs d’alerte de carrière. Selon une étude Opinionway, répliqué le collectif RogueESR.
plus chanceux que d’autres. L’Américain Daniel nous consacrons en effet trois Car les conditions de travail des
Schlicksup par exemple. A 55 ans, ce comptable semaines par an à des réunions. enseignants-chercheurs français
de Caterpillar s’est aperçu qu’avec l’aide du cabinet Le double pour les cadres. Problème, n’ont rien d’un dream come true...
PricewaterhouseCoopers, son entreprise échappait la moitié des individus interrogés
aux impôts via la Suisse grâce à une douzaine
de sociétés écrans traversant autant de paradis
fiscaux. Il a d’abord alerté sa hiérarchie. Puis,
comme cela ne donnait rien, le fisc. Résultat : BONNE NOUVELLE !
enquête, perquisition et 2 milliards de dollars
d’impôts et de pénalités pour l’entreprise. Daniel
Schlicksup devrait du coup recevoir du fisc
La chasse au gaspi avance
« L’efficacité d’abord. » Alors qu’économiser l’énergie est d’habi-
américain un chèque de 600 millions de
tude le parent pauvre de la politique énergétique, c’est devenu,
dollars, ce qui en ferait le lanceur d’alerte le mieux
depuis 2015, le paradigme officiel de Commission européenne. Sa
payé de l’histoire. Les Français Antoine Deltour
et Raphaël Halet (affaire LuxLeaks) ont été traduction réglementaire a marqué une (toute) petite avancée lors
condamnés par la justice luxembourgeoise, tandis du Conseil de l’énergie du 26 juin. En octobre 2014, le Conseil s’était
que Stéphanie Gibaud (affaire UBS) vit au RSA. accordé sur un objectif de gain d’efficacité énergétique indicatif de
27 % en 2030 (par rapport à la tendance du moment). En novembre
dernier, la Commission avait fait une proposition législative d’un objectif
Avenir pas irradieux contraignant de 30 %. Très divisé, le Conseil s’est finalement accordé
Le Vietnam a renoncé en novembre à construire ses sur 30 %, mais sans préciser s’il s’agissait d’un objectif contraignant
premiers réacteurs nucléaires. Rebelote en juin avec ou non. Ce point et le relèvement du niveau d’ambition vont à présent
la Corée du Sud (6e parc mondial de nucléaire). Le être négociés entre le Conseil et le Parlement européen, qui a quant
pays a annoncé en juin qu’il laissait tomber l’atome. à lui défendu un objectif de 40 %, en phase avec les objectifs de
Aux Etats-Unis, où le géant Westinghouse a l’accord de Paris sur le climat. Alors que son précédent gouvernement
sombré, une étude récente montre que la moitié s’était montré timoré sur le sujet, la France pousse, avec l’Allemagne
des centrales perd de l’argent. Mais du gaz et quelques autres Etats membres, pour un objectif contraignant.
ou des renouvelables, qui prendra la relève ? Verdict attendu à la fin de l’année.   A. R.

8 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


POLITIQUE ÉCONOMIQUE

Le pari d’Emmanuel Macron


On ne peut réformer efficacement qu’en tour de l’élection présidentielle
complétée par celle, très ample
forgeant un consensus autour d’un projet. également, de La République en
marche aux élections législatives
Emmanuel Macron en sera-t-il capable ? qui ont suivi. Même s’il convient
de ne pas oublier que, du fait du
niveau exceptionnellement élevé
de l’abstention et des votes blancs

E
et nuls à ces deux occasions, cette
légitimité ne lui a été conférée
nfin les ennuis com- litique qui n’existait quasiment que par une part relativement li-
mencent », avait dit pas il y a un an, il dispose des mitée de la population française.
François Mitterrand le pouvoirs considérables que les
10 mai 1981, jour de sa institutions de la Ve République Présidence jupitérienne
victoire à l’élection présidentielle. confient au président dès lors Il hérite d’un pays marqué par
A l’issue d’un long c ­ ycle électo- qu’il peut compter sur une ma- un chômage de masse persistant
ral, Emmanuel Macron est lui jorité à l’Assemblée nationale. qui, en quarante ans, a progres-
aussi désormais à pied d’œuvre. Sa légitimité est incontestable sivement miné sa cohésion so-
En s’appuyant sur une force po- après sa large victoire au second ciale et territoriale, malgré de

10 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Bien qu’il ait été son conseil- diale, sont ceux où un consensus
ler et son ministre, Emmanuel s’était progressivement forgé sur
Macron n’a pas mis ses pas dans le chemin à suivre pour le pays
ceux d’un François Hollande qui entre des forces sociales habi-
entendait être un « président nor- tuées jusque-là à se combattre.
mal ». Une partie significative Ce consensus avait pu émerger
du succès du nouveau locataire alors dans le cadre du Conseil
de l’Elysée tient au contraire au national de la Résistance puis
caractère très personnel de son d’institutions où ces forces pou-
aventure politique et à la pro- vaient se confronter, comme le
messe d’une présidence « jupi- Commissariat général du Plan.
térienne » qu’il porte et assume
ouvertement. Cette attitude cor- Une démarche ambiguë
respond manifestement aux at- Le succès d’Emmanuel Macron
tentes de Français désorientés, est lié en bonne partie à l’am-
volontiers à la recherche d’un biguïté de sa démarche sur ce
« sauveur suprême ». Cette pos- terrain. Avec ses marcheurs, il
ture bonapartiste lui a certes per- incarne d’un côté l’irruption
mis de gagner l’élection, elle est d’une « société civile » décidée
cependant aussi potentiellement à bousculer une classe politique
lourde de menaces et de difficul- sclérosée, parce qu’elle est à la
tés pour la suite. recherche d’une participation
Comme c’est arrivé à plusieurs plus active à la vie de la cité dans
reprises dans notre histoire, elle un pays où le niveau d’éducation
peut tout d’abord comporter a beaucoup augmenté au cours
des risques pour les libertés et des dernières décennies. Mais « en
Conseil des ministres
du 22 juin 2017.
la démocratie. Le énième projet même temps », comme il le dirait
de loi antiterroriste en prépara- lui-même, Emmanuel Macron
Christophe Petit - Poll News/Reuters

Une démarche de réforme


verticale pourrait se révéler tion, qui limite la séparation des personnifie aussi le monde très
contre-productive. pouvoirs et le rôle des juges, tout français des hauts fonctionnaires
comme la volonté exprimée par qui rêvent d’un Etat jacobin, gui-
le président de la République dé par une petite élite de gens très
d’introduire ouvertement le spoil intelligents, persuadés de savoir
system dans la haute administra- beaucoup mieux que le peuple ce
tion française (les hauts fonc- qui est bon pour le pays.
tionnaires sont remplacés après « On ne sort de l’ambiguïté
chaque élection, comme aux qu’à son détriment », disait le
Etats-Unis) peuvent légitime- cardinal de Retz. Nous verrons
ment susciter des inquiétudes. au cours des prochains mois
Mais surtout cette vision ver- quel est le véritable Emmanuel
puissants systèmes de redistri- ticale de la réforme se révèle le Macron : le meneur d’hommes
bution. La société française en plus souvent profondément inef- (et de femmes) inclusif et bien-
a été plongée dans ficace sur le ter- veillant, capable de rassembler
une profonde dé- rain économique le pays et ses forces sociales
prime collective : sous et social, même autour d’un projet collectif
François Hollande, Nous verrons dans si elle semble a partagé, ou l’énarque sûr de sa
la France était ainsi les prochains mois priori garantir une supériorité intellectuelle, déci-
devenue un des pays qui est le véritable grande rapidité dé à imposer coûte que coûte
au monde les plus d’exécution. On ne les réformes néolibérales dont
pessimistes sur son
Emmanuel Macron peut pas en effet rêve depuis quarante ans la di-
propre avenir. Et ni réformer un pays rection du Trésor du ministère
la gauche ni la droite contre son gré : des Finances, sans avoir réussi
classiques ne sont parvenues à on n’a jamais rendu personne jusqu’ici à les faire passer. A cet
stopper cette dérive progressive flexible, innovant et engagé à égard, le chantier du marché du
en quatre décennies d’alter- coup de lois et de décrets. travail, que le président a choisi
nances. Un ­cycle que vient donc Les moments où la France pour inaugurer son mandat sur
interrompre l’irruption d’Emma- s’est modernisée à grande vi- le terrain économique et social,
nuel Macron et de son parti « et tesse, comme dans l’immédiat sera évidemment déterminant
de droite et de gauche ». après Seconde Guerre mon- pour la suite.    Guillaume Duval

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 11


MACRON EN 20 MESURES

Tour d’horizon des principales mesures envisagées


l’événement

par le président et de leur impact.

Les macronomics
en 20 mesures
1. CSG

Moins de cotisations, plus de CSG :


qui gagne, qui perd ?

Marta Nascimento - Réa


L’automne devrait être l’occasion tion de cotisations sont plafonnés,
d’un grand bonneteau fiscal. D’un alors que la CSG ne l’est pas. Bref,
côté, la contribution sociale gé- on va surtout distribuer du pou-
néralisée (CSG) devrait augmen- voir d’achat à des gens déjà aisés.
ter de 1,7 point, soit un prélève- Pour les 5,8 millions de retrai-
ment de 22 milliards d’euros. De tés qui ne paient pas ou peu de 3. INVESTISSEMENTS
l’autre, les cotisations sociales CSG, pas de changement. Mais
salariales seraient supprimées à les 8 millions dont la pension Un plan
hauteur de 3,15 points, redistri- excède 1 200 euros perdront,
buant 17 milliards aux salariés du eux, en pouvoir d’achat. Un seuil à 50 milliards
secteur privé (les 5 milliards res- bas sensiblement inférieur à la
tants financeraient des mesures pension moyenne qui était de 15 milliards d’euros pour for-
en faveur des fonctionnaires et 1 376 euros par mois en 2015. mer un million de chômeurs de
des indépendants). L’impôt va ainsi prendre une longue durée et un million de
Au final, selon les calculs du place croissante dans le finance- jeunes « éloignés de l’emploi »
cabinet Fidroit, un salarié payé ment de la sécurité sociale, une (voir infra), 15 milliards pour la
2 000 euros brut par mois y ga- évolution entamée de longue transition écologique (rénova-
gnera un peu plus de 30 euros, pas date. Pour l’assurance chômage, tion de l’ensemble des passoires
de quoi changer sa vie . Tandis que c’est cependant une nouveauté. thermiques en dix ans, prime à
celui qui touche 20 000 euros per- Avec un risque : si les prestations la casse pour les véhicules pro-
cevra 140 euros de plus. Jusqu’à chômage ne proviennent plus de duits avant 2001, etc.), 5 milliards
30 000 euros, les salariés sont ga- cotisations, il devient plus facile pour un « plan de transformation
gnants mais les mieux rémunérés de ne plus les lier au salaire an- agricole » afin de faire monter en
y perdront du fait que les cotisa- térieur et de les réduire. gamme l’agriculture tricolore ;
tions chômage et donc la réduc-  Christian Chavagneux autant pour la santé, les trans-

2. ISF
ductif. Pourquoi alors ne pas taxer
Une nouvelle niche pour les riches les œuvres d’art ? En pratique,
l’ISF ne concernerait donc plus
Ceux qui paient l’impôt sur la for- que leur exonération reviendra à le que les propriétaires immobiliers,
tune (ISF) vont bénéficier d’une [l’ISF] réduire essentiellement pour mal vus par le nouveau gouver-
nouvelle niche fiscale puisque les plus gros patrimoines. Réformer nement. La mesure pourrait ce-
le patrimoine mobilier (actions, l’ISF pour en exonérer les plus riches, pendant être repoussée face à la
obligations…) devrait désormais il fallait l’oser ! », explique l’ancien nécessité de ramener le déficit
y échapper. « Quand on sait que les député Pierre-Alain Muet. budgétaire sous les 3 % du pro-
placements financiers représentent La raison invoquée ? Il ne fau- duit intérieur brut (PIB) : le bud-
90 % des patrimoines supérieurs drait pas décourager les place- get 2017 prévoit 5,4 milliards de
à 10 millions d’euros, on réalise ments finançant le capital pro- recettes grâce à l’ISF.  Ch. Ch.

12 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


4. FONCTION PUBLIQUE

120 000 fonctionnaires en moins
«   N o u s ré d u i ro n s le n o m b re nistre de « faire des choix » sur la
d’agents publics de 120 000 em- base de l’effort budgétaire fixé.
plois sur la durée du quinquennat. Côté collectivités locales, les
Cela correspondra à un volume choses sont plus complexes, car
de 50 000 postes non renouvelés selon la Constitution elles « s’ad-
dans la fonction publique d’Etat et ministrent librement ». L’Etat ne
d’environ 70 000 dans la fonction peut donc pas leur imposer en
publique territoriale », annonçait théorie une réduction de leurs
Emmanuel Macron dans son pro- effectifs. Il peut cependant ré-
gramme. Pour cela, il compte sur- duire leurs moyens. C’est la
tout sur le non-remplacement des stratégie du chef de l’Etat. Son
futurs départs en retraite de fonc- programme prévoit que « les
tionnaires. Cette réduction des ef- collectivités devront s’engager
Session d’aide à l’insertion fectifs doit concourir à la baisse sur une trajectoire de baisse de
de l’Afapa. L’articulation entre prévue de 60 milliards d’euros leurs dépenses. En contrepartie,
investissements publics et plan
par an des dépenses publiques en l’Etat rompra avec la méthode de
d’économies pose question.
fin de quinquennat par rapport à la baisse brutale des dotations,
l’évolution « tendancielle ». consistant à couper les vivres pour
Emmanuel Macron s’est ce- provoquer des économies ». Cette
pendant engagé à ne pas toucher baisse des dépenses devrait at-
ports et les équipements collec- aux postes dans la fonction pu- teindre 10 milliards d’euros par
tifs locaux et la dématérialisation blique hospitalière et à recruter an au bout du quinquennat [1].
des procédures administratives : 10 000 policiers et gendarmes Les syndicats, qui contestent
sur le papier au moins, le plan de supplémentaires ainsi que 4 000 à ces objectifs, attendent des pré-
50 milliards d’euros sur cinq ans 5 000 enseignants sur cinq ans. Où cisions lors du Conseil commun
qui devrait être lancé en 2018 ne donc auront lieu dans ce cas les de la fonction publique début
manque pas d’ambition. suppressions ? Selon le candidat juillet.   Claire Alet
Difficile toutefois d’en apprécier Macron [1], ce sera à chaque mi- [1] Les Echos, 23 février 2017.
la portée en l’absence de préci-
sions. Par exemple les formations
proposées seront-elles réellement
qualifiantes ? Les 5 milliards pro- 5. TAXE D’HABITATION
mis aux agriculteurs serviront-ils
vraiment à développer un modèle Exonérer 80 % des Français
plus soutenable sur le plan écolo-
gique ? Le diable se niche souvent C’est une mesure qui suscite une manuel Macron s’est engagé à
dans les détails. forte inquiétude chez les élus ce que l’Etat verse aux mairies
Mais la principale inquiétude locaux. Emmanuel Macron a le manque à gagner. Les maires,
concerne l’articulation de ce promis d’exonérer 80 % des échaudés par des expériences
plan avec le tour de vis budgé- Français du paiement de la taxe analogues dans le passé, re-
taire programmé par ailleurs : il d’habitation : les ménages dont doutent cependant que ce ver-
revient en effet à injecter dix mil- le revenu fiscal est inférieur à sement ne soit pas pérenne et
liards d’euros chaque année dans 20 000 euros par an et par part que ce levier soit utilisé pour les
l’économie, alors que le président seraient exonérés de cet impôt. obliger à réduire leurs dépenses
s’est engagé à baisser parallèle- Autrement dit, un couple avec au détriment des services pu-
ment les dépenses publiques de deux enfants qui gagne moins blics locaux. Une telle mesure
60 milliards par an. De quoi an- de 5 000 euros par mois ne limite en effet fortement l’auto-
nuler l’effet macroéconomique paiera plus la taxe d’habitation. nomie fiscale des collectivités :
a priori positif de ce plan de La mesure devrait être mise en elles perdraient ainsi un des
relance. Et si les coupes budgé- place progressivement entre principaux impôts dont elles
taires touchent aussi la recherche, 2018 et 2020. peuvent fixer le taux. Enfin, une
l’éducation, l’environnement…, La perte pour les collectivi- étude de l’OFCE montre qu’une
le potentiel global d’innovation tés serait de l’ordre de 10 mil- telle mesure aurait des effets
du pays ne sera pas réellement liards d’euros, soit 36 % de redistributifs très inégaux sur le
­accru.  Marc Chevallier leurs ressources propres. Em- territoire.  Justin Delépine

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 13


MACRON EN 20 MESURES

6. TAXATION DU CAPITAL 7. NÉGOCIATION SOCIALE


l’événement

Au secours Priorité aux accords d’entreprise


des rentiers Il faut accorder plus de souplesse les règles du compte pénibilité),
aux entreprises pour s’adapter la branche pouvant décider ou
Le président de la République aux réalités de leur marché : non de faire primer son accord
souhaite plafonner l’imposition c’est le mantra d’Emmanuel sur celui des entreprises. Les
des revenus du capital à 30 %. Macron. Et pour cela, le nou- futures ordonnances définiront
Depuis les mesures prises par veau président compte don- aussi les nouveaux thèmes (ré-
François Hollande en 2012, les ner la priorité à la négociation munération, conditions de tra-
contribuables qui touchent d’entreprise sur la négocia- vail, par exemple) sur lesquels
des intérêts ou des dividendes tion de branche. La loi travail les accords d’entreprise pourront
doivent payer 15,5 % de pré- de 2016 avait déjà franchi une désormais déroger aux accords
lèvements sociaux, auxquels étape dans cette inversion de la de branche.
s’ajoute l’impôt sur le reve- hiérarchie des normes : les en- Le contenu des ordonnances
nu calculé selon leur tranche treprises peuvent négocier avec n’est pas arrêté. Mais la volonté
­d’imposition. leurs syndicats des accords sur affichée d’introduire une baré-
Une fois les déductions prises la durée du travail moins favo- misation obligatoire des indem-
en compte (sur la CSG pour les rables aux salariés que ce que nités prud’homales, de revoir les
intérêts ; 40 % d’abattement prévoit la branche. Il s’agit d’al- règles du licenciement écono-
pour les dividendes liés au fait ler encore plus loin. mique (voir https://lc.cx/qow7),
que l’entreprise qui les verse a Minima salariaux, égalité pro- de fusionner les instances repré-
déjà payé des impôts), le taux fessionnelle, pénibilité, clas- sentatives du personnel, voire
d’imposition maximum sur les sifications et formation sont de sécuriser juridiquement les
intérêts s’établit à 58,2 %, un aujourd’hui les six domaines ré- contrats de chantier fait davan-
record parmi les grands pays servés de la branche sur lesquels tage pencher la balance du côté
industrialisés, et à 40,2 % sur elle doit obligatoirement négo- de la flexibilité que de celui de
les dividendes. cier. Demain, la pénibilité sorti- la sécurité. Des signaux forts
Cette réforme va faire des ra de ce pré carré (l’article 5 du envoyés aux employeurs, sans
p e r d a n t s  : l e s d é t e n t e u r s projet d’habilitation prévoit de garantie qu’ils embauchent
­d’assurance-vie souvent sous- simplifier pour les employeurs ­ensuite.   S. F.
crite par les moins aisés qui
verront leur taxation passer de
23 % à 30 %. Mais les revenus du
patrimoine ne représentent que 8. CHÔMAGE
3,5 % des revenus des 10 % les
plus pauvres, alors qu’ils pèsent L’assurance chômage pour tous
26 % dans ceux des 10 % les
plus riches et même 53 % pour C’est une première : indépendants et chômage. Davantage de droits
le 0,1 % les plus fortunés. Ils se- salariés démissionnaires (une fois donc, mais aussi des devoirs ren-
ront les premiers bénéficiaires tous les cinq ans) devraient bé- forcés. Refuser deux offres rai-
de cette mesure.   Ch. Ch. néficier, eux aussi, de l’assurance sonnables d’emploi entraînera
une radiation. Ce disposi-
tif, compliqué à mettre en
œuvre, existe en réalité déjà
et n’a entraîné en 2016 que
111 radiations sur 626 237.
C’est surtout l’insuffisance
de recherche active d’em-
ploi (25 677 sanctions) qui
est visée. Selon nos infor-
mations, le ministère du
Travail propose de s’ins-
pirer des modèles britan-
Salon de l’emploi à Paris. niques et hollandais, qui
La réforme vise notamment exigent des preuves de re-
Pascal Sittler - Réa

à renforcer le contrôle des cherche selon un rythme


demandeurs d’emploi.
défini. De nombreux tra-

14 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Tous les retraités
9. FORMATION auront-ils un niveau
de vie décent ? Rien
Un CPF dopé n’est moins sûr.

Une formation professionnelle


renforcée et réformée : c’est le
cœur du filet de sécurité qu’Em-
manuel Macron propose en
contrepartie de la flexibilité sup-
plémentaire qu’il entend imposer.
15 milliards d’euros seront investis
sur cinq ans pour faire monter en

Pierre Gleize - Réa


compétences chômeurs et jeunes
décrocheurs. Mais l’essentiel de
l’effort portera sur le renforce-
ment du compte personnel de 10. RETRAITES
formation (CPF). La liste des for-
mations éligibles au CPF sera élar- A point ou saignant ?
gie. Et la contribution de 1 % de la
masse salariale des entreprises à Emmanuel Macron entend rendre sonnes. A chacun de juger, comme
la formation professionnelle serait le système de retraites plus lisible en Suède, s’il peut se permettre ou
redirigée vers le CPF (qui ne reçoit et plus juste. Pour cela, il ne s’agit non de partir en retraite.
que 0,2 % de cette masse salariale pas a priori de toucher une fois de Un changement de paradigme
aujourd’hui). Les organismes pa- plus aux paramètres classiques qui suscite beaucoup d’interro-
ritaires collecteurs agréés (Opca), (âge de départ, durée et montants gations. La principale porte sur le
principaux financeurs actuelle- des cotisations…) mais d’en trans- niveau des retraites futures, d’au-
ment de la formation continue, se- former la logique même pour en tant que les réformes antérieures
raient supprimés. Chacun pourra faire un système dit « à points ». ont déjà commencé à le faire sé-
s’adresser à un prestataire de for- Une réforme qui devrait prendre rieusement diminuer. Le président
mation de son choix. Reste à sa- plusieurs années et permettre de veut certes parallèlement réindexer
voir qui aidera à se repérer dans fusionner l’ensemble des régimes. les pensions sur les salaires et non
la jungle de l’offre.  S. F. Chaque euro cotisé donnerait à plus sur l’inflation. Un mode d’in-
chacun les mêmes droits. Lors du dexation qui fait baisser le niveau
départ en retraite, les points ac- de vie des retraités au fil du temps.
quis seraient convertis en euros de Cela suffira-t-il cependant à assu-
vaux  [1] montrent pourtant que pension, selon un coefficient qui rer un niveau de vie décent à tous
cette politique n’a pas d’effet sen- tiendrait compte de l’âge de départ les futurs retraités avec ce nouveau
sible sur le ­chômage. et de l’année de naissance des per- système à points ?  S. F.
Autre changement majeur, les
cotisations chômage versées par
les salariés seront remplacées
par une hausse de la CSG. Ce 11. SANTÉ
basculement remet en question
la légitimité des partenaires so- Une prise en charge à 100 % ?
ciaux à gérer l’Unédic et soulève
des inquiétudes sur le montant « Les Français paient des restes mentaires. Emmanuel Macron
futur des allocations. Emmanuel à charge trop élevés. » Comme a prévu de limiter ce risque via
Macron, qui souhaite une assu- ses prédécesseurs, Emmanuel l’instauration de contrats types.
rance chômage davantage pilo- Macron a entonné cette antienne. C’est certes une bonne idée pour
tée par l’Etat, veut en effet réaliser Il a promis en particulier de faire clarifier une offre peu lisible,
10 milliards d’euros d’économies rembourser à 100 % les lunettes mais elle reste délicate à mettre
par an. Un bonus-malus sur les ainsi que les prothèses auditives en œuvre efficacement. De plus,
contrats courts pourrait aider à et dentaires d’ici à 2022. Com- la prise en charge à 100 % n’a
résorber le déficit de l’Unédic, qui ment ? A priori, via les complé- de sens que si l’on fixe des prix
devrait cependant déjà être rame- mentaires santé (qui constituent plafonds pour les équipements
né à 800 millions d’euros en 2020, en réalité un reste à charge pour concernés. Ce qui reste à négo-
contre 4,2 milliards en 2016, selon les ménages, même s’il est indi- cier avec des professions bien
l’assurance chômage.   S. F. rect). Avec donc le risque d’une décidées à défendre leurs privi-
[1] https://lc.cx/T24h hausse des tarifs de ces complé- lèges.   Céline Mouzon

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 15


MACRON EN 20 MESURES

12. ÉCOLE 14. LOGEMENT


l’événement

Dédoubler les classes de CP et CE1, Rénover 50 %


une mesure controversée des passoires
C’est la mesure phare d’Emma- fesseurs. Celui-ci autorise en ef- thermiques
nuel Macron : les classes de CP fet davantage de souplesse dans
et CE1 vont être dédoublées au les formes d’enseignement. Or, Si Emmanuel Macron fait ce qu’il
sein de l’éducation prioritaire. ce sont les enseignants intégrés a dit, un grand progrès aura été
L’idée est que, face à une dou- à ce dispositif qui risquent d’être accompli. Il veut rénover en effet
zaine d’élèves, l’enseignant redéployés pour permettre les la moitié des « passoires ther-
pourra être plus vigilant et dédoublements… miques » durant son mandat,
mieux accompagner les élèves Réduire les effectifs sup- avec pour objectif de les éradi-
en difficulté à ce moment cru- pose également de former les quées en dix ans, suivant ainsi la
cial de l’apprentissage des « fon- professeurs à d’autres ma- feuille de route tracée par la loi
damentaux » (lire, écrire, comp- nières d’enseigner. Emmanuel de transition énergétique. Le parc
ter). L’objectif est louable, mais Macron propose trois jours de privé compte 7,4 millions de loge-
sa limitation aux 12 000 classes formation par an ments très énergivores (étiquettes

3/4
de l’éducation prioritaire (2 500 (dont la moitié énergie F ou G). Les isoler est une
dès la rentrée 2017) constitue pourrait être faite urgence sociale (ils dégradent la
un sérieux handicap : les trois en ligne). Dans santé et les revenus des 2,6 mil-
quarts des élèves défavorisés les faits, les en- des élèves défavorisés lions de ménages modestes qui les
étudient hors de l’éducation seignants en ont étudient hors des zones occupent). C’est aussi une urgence
prioritaire. Rien n’est prévu non déjà deux et demi d’éducation prioritaire. écologique (le secteur résidentiel
plus en amont pour les mater- en moyenne (trois compte pour 11 % des émissions
nelles, pourtant très chargées fois moins que dans les autres de gaz à effet de serre) et c’est, en-
elles aussi. pays de l’OCDE), mais cette fin, un puissant levier de créations
Par ailleurs, les effets béné- formation n’est guère adaptée d’emplois.
fiques du dédoublement font dé- à leurs besoins. Comment le Cet objectif de 740 000 réno-
bat parmi les experts. Certains gouvernement compte-t-il amé- vations par an, ciblées sur les
préfèrent le dispositif « plus de liorer la situation ? Le mystère passoires thermiques, va donc
maîtres que de classes », lancé reste entier. au-delà des 500 000, toutes
en 2013 et plébiscité par les pro-   Xavier Molénat catégories confondues, visées
et jamais atteintes par l’équipe
précédente. En 2015, on comp-
tait seulement 288 000 rénova-
13. UNIVERSITÉ tions performantes, dont 54 000
concernant des passoires ther-
Une autonomie… démunie miques, indique le Cler, réseau
pour la transition énergétique.
Plus grande souplesse dans la tion » annon­c ée du budget de A terme (vingt-cinq ans envi-
composition des instances diri- l’Enseignement supérieur ne ron), les bénéfices dépasseront
geantes, liberté accrue dans la suffira pas à résoudre le pro- les coûts. Mais en attendant il faut
définition de l’offre de forma- blème. Des moyens supplémen- financer ces travaux. E ­ mmanuel
tion…, Emmanuel Macron en- taires leur sont promis, mais Macron prévoit un fonds public
tend poursuivre le mouvement « sur des bases contractuelles », de 4 milliards pour aider les plus
d’autonomisation des universi- avec la prise en compte de cri- modestes. Mais il n’est pas clair
tés engagé depuis dix ans. Avec, tères tels que l’ouverture so- à ce stade s’il s’agit d’un montant
comme ses prédécesseurs, l’ob- ciale, la qualité de l’insertion annuel et réellement additionnel
jectif de faire émerger par re- professionnelle des étudiants, comme le demande le Cler. Le
groupements des universités les cofinancements européens gouvernement pourrait au moins
« de niveau mondial », voire une et privés, la performance en mobiliser dans ce but le milliard
Silicon Valley à la française. recherche… On voit mal ce- et demi d’euros que devrait rap-
Cette ambition contraste ce- pendant comment les univer- porter la hausse prévue de la taxe
pendant avec le sous-finance- sités pourraient développer carbone en 2018, puisqu’il a aussi
ment chronique d’universités des politiques ambitieuses en décidé de conserver cet outil clé
souvent délabrées et à court la matière étant donné leurs de la transition énergétique.
de personnel. La « sanctuarisa- difficultés actuelles.   X. M.   Antoine de Ravignan

16 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


15. ALIMENTATION 16. QUARTIERS

Etats généraux Les « emplois francs »


à l’automne ressortent des cartons
La transformation de notre mo- Subventionner toute entreprise l’employeur d’être à jour de ses
dèle agricole et alimentaire est un qui embaucherait en contrat à obligations déclaratives et de
énorme enjeu de santé publique durée indéterminée (CDI) un paiement…), afin d’en élargir et
et une pierre angulaire de la habitant des quartiers priori- d’en simplifier l’usage.
transition écologique. Sur une taires, à hauteur de 5 000 euros Il n’est pas sûr cependant que
idée de Nicolas Hulot, Emma- par an sur trois ans (deux ans cela suffise à lever les réticences.
nuel Macron a prévu la tenue pour un contrat à durée déter- Ce type de mesures semble en
d’Etats généraux de l’agricultu- minée), tel est le principe des effet efficace pour ceux qui sont
re et de l’alimentation, qui de- « emplois francs » qu’Emma- déjà peu éloignés de l’emploi.
vraient se dérouler à l’automne. nuel Macron a inclus dans son Pour les autres, la discrimina-
Dans un communiqué du programme. tion à l’adresse ou à la couleur
9 juin dernier, les associations Cette mesure, la seule concer- de peau se combine souvent à
de défense de l’environnement nant spécifiquement l’emploi un faible niveau de formation
s’inquiétaient cependant que dans ces territoires, est loin et à un manque d’opportunités
l’exécutif ait décidé d’une ren- d’être neuve. Expérimenté entre sur le marché de l’emploi (le fa-
contre préparatoire en juillet 2013 et 2015, un dispositif simi- meux « réseau »). Les habitants
ouverte aux seules organisa- laire avait donné des résultats des quartiers populaires auront
tions agricoles et agroalimen- très décevants. Seuls 250 jeunes sans doute paradoxalement plus
taires. Elles rappellent la néces- avaient été embauchés en un an, à attendre de la réforme de la
sité d’une approche systémique alors qu’on en attendait 2 000. formation professionnelle (en-
de ces sujets (emploi agricole, La version Macron lèverait ce- gagement de former un million
santé, climat, biodiversité…), pendant les nombreuses res- de jeunes peu qualifiés éloignés
d’une consultation incluant trictions qui accompagnaient de l’emploi) que de cette me-
toutes les parties prenantes et cette première mouture (aide de sure, pourtant taillée spéciale-
d’aboutir à des engagements 5 000 euros seulement, plafond ment pour eux.
précis et chiffrés.   A. R. d’âge de 30 ans, obligation pour   X. M.

17. RÉFUGIÉS

L’asile en six mois ?


Pour Emmanuel Macron, la France doit assu-
mer « sa juste part dans l’accueil des réfugiés tout
en reconduisant plus efficacement à la frontière
ceux qui ne sont pas acceptés ». Il veut aussi
renforcer les contrôles aux frontières euro-
péennes et externaliser les demandes d’asile
dans les pays de départ. Le nouveau président
entend en particulier ramener à six mois maxi-
mum le traitement des demandes d’asile, re-
cours compris, contre treize aujourd’hui.
L’objectif n’est pas tant de réduire l’attente
des réfugiés que d’expulser plus rapidement
les déboutés. Réduire les délais sans accroître
l’arbitraire nécessiterait cependant de renfor-
Joel Goodman- London News Picture/Réa

cer sérieusement les moyens des associations


qui accompagnent les requérants ainsi que
Evacuation d’un camp de migrants ceux des administrations spécialisées. En
à Paris. Emmanuel Macron veut outre le gouvernement ne dit rien des condi-
accélérer le traitement des demandes tions d’accueil des réfugiés, aujourd’hui dé-
d’asile pour expulser plus vite.
plorables.  C. M.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 17


MACRON EN 20 MESURES

18. ZONE EURO 20. MORALISATION


l’événement

Un ministre des Finances, un budget Chantier en cours


et un parlement pour la zone euro Suite aux affaires qui ont émail-
lé la campagne présidentielle, la
« Nous voulons un budget de la succès du quinquennat se joue- moralisation de la vie publique
zone euro voté par un Parlement ra pour une grande part sur ce a fait l’objet des deux premiers
de la zone euro et exécuté par un dossier. projets de loi (organique et or-
ministre de l’Economie et des Fi- Il ne sera certes pas trop diffi- dinaire) présentés en Conseil
nances de la zone euro. » Dans son cile à Emmanuel Macron d’appa- des ministres le 14 juin dernier.
programme comme dans ses dis- raître comme plus actif que son Le projet de loi organique « ré-
cours, Emmanuel Macron affiche prédécesseur dans ce domaine, tablissant la confiance dans
sa volonté de transformer l’Eu- mais les difficultés ne manque- l’action publique » prévoit no-
rope-marché en une « Europe qui ront pas. Il faudra, tout d’abord, tamment la suppression de la
protège ». Cela concerne bien sûr attendre les élections allemandes, réserve parlementaire, source
la défense et le terrorisme mais fin septembre, pour y voir plus potentielle de clientélisme, et
aussi, au premier chef, l’écono- clair sur les intentions en la ma- un encadrement plus strict de
mie et le social, en particulier au tière de notre puissant voisin. Il l’activité de conseil des parle-
sein de la zone euro. Même si la faudra, ensuite, réussir à faire mentaires. « Il faudrait aller plus
perspective d’un Frexit a coûté bouger les lignes au sein d’une loin en faisant de l’interdiction de
cher à ­Marine Le Pen lors du se- Europe très occupée par ailleurs toute activité de conseil un prin-
cond tour, chacun mesure que le à négocier le Brexit.   G. D. cipe constitutionnel », souligne
Eric Alt, vice-président de l’as-
sociation Anticor.
Par ailleurs, le projet de loi or-
19. DÉFENSE dinaire interdit à un parlemen-
taire, un membre du gouverne-
Cherche partenaire motivé ment ou certains dirigeants des
exécutifs locaux d’embaucher
Emmanuel Macron assume « plei- Et Brexit ou pas, Emmanuel un membre de leur famille. Il
nement » la place de la France Macron veut poursuivre ce tra- prévoit également le rembour-
dans l’Otan. Une alliance dont la vail commun. D’ici à 2019 pour- sement des frais de mandat des
plupart des Etats de l’Union euro- tant, les dirigeants britanniques parlementaires sur présenta-
péenne (UE) sont aussi membres risquent d’être absorbés surtout tion de justificatifs. Il institue
et sur laquelle ils ont compté par leurs négociations de sor- aussi un registre public des
jusque-là en premier pour assurer tie de l’UE et les impacts de ce « déports » des parlementaires :
leur sécurité. Mais les Etats-Unis, choix.   Yann Mens cette pratique consiste à renon-
qui dominent l’Otan, se montrent cer à participer aux travaux du
moins intéressés par le Vieux Parlement en raison d’une si-
Continent. D’où la volonté d’Em- Hélicoptère Tigre. Relancer tuation de conflit d’intérêts. Elle
manuel Macron de relancer l’Eu- l’Europe de la défense ne existe par exemple au Parlement
rope de la défense. Ce souhait a sera pas une mince affaire. européen. Des éléments sont en-
rencontré un premier écho, mo- core prévus pour mieux enca-
deste, le 22 juin avec la création drer le financement des partis
par l’UE d’un Fonds européen de politiques.
défense consacré notamment à Cet ensemble de mesures a été
la recherche et développement. globalement salué par les asso-
Mais comment aller plus loin et ciations Anticor et ­Transparency
avec qui ? International, qui attendent le
L’Allemagne hésite. Si une par- troisième volet : une réforme
tie de la classe politique prône constitutionnelle prévue dans
une augmentation des dépenses les prochaines semaines devrait
militaires, l’opinion est réticente notamment limiter le cumul à
à engager le pays dans une po- trois mandats identiques suc-
litique de défense plus active. cessifs et interdire aux ministres
Laurent Grandguillot - Réa

Jusqu’ici, c’est essentiellement de diriger un exécutif local.


avec le Royaume-Uni que la   Claire Alet
France a coopéré en la matière. >>En savoir plus : https://lc.cx/TNog

18 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Y’a de l’éco

Comment transformer
une faillite en triomphe !
Glorifiant leur intervention, les régulateurs euro-

L
péens oublient de rappeler qu’ils avaient fixé l’an
dernier à la banque un objectif en termes de capital
e 7 juin dernier, l’Europe a réussi à or- que l’établissement avait dépassé sans difficulté. Visi-
ganiser la faillite de Banco Popular, une blement, le niveau n’était pas adéquat ! Et rappelons
banque espagnole au bord du gouffre avec qu’elle avait passé certes de justesse, mais réussi tout
3,5 milliards de pertes en 2016. En une nuit de même, les stress tests européens de l’été 2016.
et sans un seul accroc, la banque a été vendue à sa De plus, une inconnue demeure sur la possibilité
rivale Banco Santander, pour un euro symbolique. d’un risque juridique. Les investisseurs qui ont vu leur
Quel contraste avec la gabegie qui avait suivi la crise argent partir en fumée après avoir souscrit à l’aug-
des subprime et celle de la zone euro ! Pour éponger mentation de capital de 2016 commencent à parler
les pertes, les actionnaires ont été rincés (1,3 milliard d’expropriation. Peuvent-ils faire valoir des droits
d’euros) et une partie des créanciers, qui avaient tro- devant les tribunaux ? La question reste posée.
qué des taux d’intérêt plus élevés Et puis, faire payer les actionnaires et les créanciers,
(plus de 8 %) contre la possibilité c’est bien, surtout lorsqu’une bonne partie sont des
de ne pas être remboursés en cas fonds d’investissements américains. Si c’était des par-
ticuliers, l’argent des retraites placé dans des
fonds de pension ou les placements d’autres
Jean-Marc Pau

banques la décision aurait été sûrement plus


S’il avait fallu liquider difficile à prendre ! Pour preuve, l’Italie a dé-
l’argent des clients, cela pensé 5 milliards (plus 12 milliards de garan-
ties) pour sauver deux banques vénitiennes
aurait été plus difficile ! fin juin.

CHRISTIAN CHAVAGNEUX Un risque pour demain


Enfin, permettre à la première banque es-
de problèmes, a également perdu sa pagnole de racheter l’une de ses concurrentes fait
mise (2 milliards). De son côté, la banque Santander va d’elle un établissement encore plus gros, plus relié
utiliser une partie de ses réserves et lever 7 milliards au reste du système bancaire mondial, et donc en-
d’argent frais pour finir de boucher les trous. Ni l’Eu- core plus systémique. On comprend bien l’intérêt de
rope ni l’Etat espagnol ne versent un euro d’argent Santander : elle récupère une banque qui, au-delà de
public. Un triomphe de la régulation post-crise ? ses déboires dans l’immobilier, détient une position
stratégique dans le financement des PME espagnoles.
Pas de triomphalisme On comprend bien l’intérêt des régulateurs espagnols
En fait, non, pas vraiment. Banco Popular est loin et européens, qui font couvrir les pertes de Popular
de représenter un véritable test de la solidité des nou- par les profits et l’augmentation de capital annoncée
velles règles visant à faire payer le secteur privé avant de Santander. Mais il y a un risque que, demain, le
toute aide d’Etat. contribuable européen doive payer pour tout cela.
La banque madrilène est un petit établissement, La mise en faillite ordonnée de Banco Popular repré-
le sixième sur le marché espagnol, dont le total des sente indéniablement une réussite de l’Union bancaire
activités représente en gros un dixième de celles du européenne. Mais de là à en faire un triomphe…  
Crédit agricole. Pas un énorme mastodonte dont il
faudrait gérer des milliers de filiales aux relations
financières complexes. En clair, ce n’est pas une
« banque systémique », c’est-à-dire un établissement
dont les soucis peuvent sérieusement fragiliser le sys-
tème bancaire national, européen ou mondial.

22 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


z oom

Chicago, la verte
« Cela a été juste miraculeux pour moi ! Ils m’ont regardé pour ce
que j’étais capable de faire et m’ont payé pour que je travaille sur
moi-même. Je veux maintenant le faire connaître à plus de gens.
Je suis une ex-criminelle, je suis du ghetto. Growing Home m’a
permis de me découvrir et d’avoir une vie productive. » Maria
(photo 2) vivait dans une camionnette après un séjour en
prison quand Growing Home, une ferme urbaine d’inser-
tion, lui a proposé un travail. Située dans un quartier pauvre
de Chicago aux Etats-Unis, Growing Home, créée en 2002,
a été la première ferme urbaine de la capitale de l’Illinois
à être certifiée bio par le ministère fédéral de l’Agriculture.
C’est aussi sous son impulsion que les élus de la ville ont
revu le plan local d’urbanisme en 2011, afin de permettre
l’implantation de fermes urbaines et de jardins partagés.
Les premières ont un objet commercial, quand les seconds
sont entretenus par des bénévoles sans but lucratif.
Aujourd’hui, le site Internet collaboratif Chicago Ur-
ban Agriculture Mapping Project (CUAMP) comptabilise 2

24 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


898 projets d’agriculture urbaine. Ils incluent des projets
d’écoles, comme l’Academy for Global Citizenship, située dans
un quartier de Chicago où 80 % des familles ont de faibles re-
venus (photo 3). Plusieurs de ces projets d’agriculture urbaine
sont aussi des entreprises sociales ou des espaces d’intégra-
tion de communautés étrangères (photo 1). Chicago compte
aussi un des plus grands potagers suspendus (sur toit) au
monde, Gotham Greens, d’une surface de 75 000 m2. « Chicago
est la ville numéro un aux Etats-Unis en matière d’agriculture
urbaine », affirme Bob Benenson, porte-parole de l’association
Family Farmed, qui promeut l’agriculture locale.
RUST BELT L’agriculture urbaine s’est dé-
veloppée plus largement dans les villes de
1 La Global Garden Refugee la « Rust Belt » (« la ceinture de la rouille »)
Training Farm est cultivée des Etats-Unis, la région du Nord-Est qui a
par une centaine de familles connu une forte désindustrialisation, lais-
de réfugiés de Birmanie et sant de nombreux terrains en friche. Ce sont
du Bhoutan qui ont transformé
ajoutées les propriétés abandonnées dans
un terrain vague en ferme bio,
leur permettant de cultiver des le sillage des expulsions liées à la crise des
variétés de leur pays d’origine. subprime de 2008. L’agriculture urbaine est
un moyen de verdir les villes, de fournir du
2 Maria, ex-détenue,
travail à des chômeurs, de créer du lien so-
est désormais assistante
de sensibilisation à Growing
cial, mais elle est aussi considérée comme
Home. En 2016, cette ferme un facteur de réduction de la violence. Une
urbaine a accueilli 52 personnes étude récente de l’université de Pennsyl-
éloignées de l’emploi et produit vanie [1] a montré qu’aménager des terrains
200 variétés de légumes, vendus abandonnés réduit la violence par arme à
dans un périmètre de 30 km.
feu de 5 % dans l’environnement immédiat.
3 L’école primaire Academy for Bob Benenson renchérit : « Les programmes
Global Citizenship, située dans de fermes urbaines offrent la possibilité aux
un quartier industriel défavorisé personnes qui y travaillent de rompre avec la
de Chicago, utilise son jardin violence. »   Claire Alet
potager comme fil rouge
de son système éducatif. [1] www.pennmedicine.org/news/news-releases/2016/october/
Daniel Gillet adding-windows-to-vacant-house

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 25


CLIMAT
Le tour de la question

Trump a-t-il ruiné


l’accord de Paris ?
1 L’ACCORD DE PARIS RÉSISTE
Etats-Unis d’un ennemi déclaré du climat en an-
nonçant que cela n’aurait aucune incidence sur
Après avoir fait durer le suspense, Donald leurs propres engagements. Depuis, cette volonté
n’a cessé d’être réaffirmée et les Etats-Unis se
Trump a donc finalement annoncé le 1er juin retrouvent très isolés.
dernier sa décision de faire sortir les Etats-
Unis de l’accord de Paris sur le climat. Le
départ de la première économie du monde va-t-il
tuer cet accord historique ? Celui-ci vise à neu-
traliser avant la fin du siècle les émissions de gaz 2 UN IMPACT LIMITÉ
à effet de serre pour contenir le réchauffement Cette détermination à avancer malgré T­ rump
planétaire sous les 2 °C. Il était entré en vigueur le
4 novembre dernier, après son adoption au Bour-
traduit la prise de conscience de beaucoup
get en décembre 2015 par 195 pays, au terme de de gouvernements que la transition bas car-
cinq années de négociations difficiles. bone est bénéfique aussi pour la croissance,
Bien qu’affaibli par le retrait des Etats-Unis [1], l’emploi et la santé publique. Mais c’est égale-
l’accord de Paris continue de reposer sur des ment la faiblesse même de l’accord de Paris qui
bases solides : 147 autres pays (sur 197) l’ont déjà explique que le départ américain ne le fasse pas
ratifié. Par ailleurs, la messe n’est pas encore dite. voler en éclats. Ce traité est en effet construit sur
Selon l’article 28 de l’accord, un Etat ne peut dé- ce que les Etats acceptent volontairement de faire,
noncer sa participation que trois ans après la et non, comme l’ambitionnait feu le protocole de
date d’entrée en vigueur de l’accord, la sortie Kyoto de 1997 – qui n’a jamais fonctionné et a été
devenant effective un an après la dénonciation. abandonné –, sur un objectif global de baisse des
Soit au mieux le 4 novembre 2020… au lendemain émissions qui est ensuite partagé entre Etats. Or,
de la prochaine présidentielle américaine. avec ou sans les Etats-Unis, la somme des enga-
Si l’Amérique devait au bout du compte reve- gements nationaux pris pour l’instant pour 2025-
nir sur la décision annoncée par Donald Trump, 2030 est très insuffisante pour que le réchauffe-
elle n’aurait raté qu’une petite partie du film. Ce ment du climat reste dans la limite de 2 °C.
n’est en effet qu’à partir de 2020 que les Etats Pour leur part, les Etats-Unis avaient notifié,
ayant ratifié l’accord sont censés mettre en dans le cadre de l’accord de Paris, l’engage-
œuvre leurs engagements en matière d’émis- ment de réduire leurs émissions de gaz à effet
sions de gaz à effet de serre, selon des règles de serre de 26 % à 28 % en 2025 par rapport à
de comptabilisation et de vérification qui sont, leur niveau de 2005. De 2005 à 2015, les émis-
depuis la conférence de Marrakech de novembre sions américaines sont déjà passées de 7 313 à
dernier (la COP22), au cœur des discussions cli- 6 587 millions de tonnes équivalent CO2 par an.
matiques internationales. Cette baisse de 1 % par an est liée à l’essor du gaz
En annonçant leur sortie de l’accord, les Etats- de schiste, qui évince le charbon, moins concur-
Unis se privent donc surtout de participer à l’éla- rentiel, ainsi qu’au développement des énergies
boration de normes qu’ils pourront difficilement renouvelables, de plus en plus compétitives, et
faire réécrire s’ils reviennent sur leur décision. En aux gains constants d’efficacité énergétique. Les
face, avec ou sans les Etats-Unis, les autres pays rodomontades de Donald Trump ne devraient
sont décidés à avancer. Le 8 novembre dernier, guère affecter ces tendances lourdes qui, si elles
les participants à la conférence de Marrakech, se poursuivent au même rythme, aboutiraient
en particulier la Chine et l’Union européenne, à une baisse de 18 % des émissions en 2025 par
avaient aussitôt réagi à l’élection à la tête des rapport à 2005.

26 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Par rapport à la trajectoire relativement ambi-
tieuse que voulait fixer l’administration ­Obama,
l’écart est donc important : entre – 27 % et
– 18 % à l’horizon 2025, cela fait une
différence d’environ 600 millions
de tonnes (Mt) d’équivalent CO2,
soit un volume supérieur à ce
qu’un pays comme la France
émet annuellement (500 Mt).
Il est impossible de savoir ce
qu’il en sera en fin de compte,
mais le scénario pourrait
s’avérer moins désastreux
qu’on ne le craint souvent.
Donald Trump a en effet af-
faire à une forte résistance
dans son propre pays. Le 5 juin,
plus de 1 200 responsables (gou-
verneurs d’Etat, maires, chefs
d’entreprise, investisseurs…) ont lui des Etats-
publié une lettre ouverte pour dire au Unis (46 mil-
monde entier qu’ils continueraient à tout liards en 2016), mais
faire à leur niveau pour que les Etats-Unis res- l’écart de part et d’autre de l’Atlan-
pectent leurs engagements climatiques. L’ampleur tique tend à se réduire et l’Europe pourrait bien
de cette mobilisation met en lumière les limites de finir par être dépassée, comme elle l’est déjà par
la capacité de nuisance de Donald Trump et de la Chine depuis 2013.
son administration. Car dans ce pays fédéral, qui La chute, puis la stagnation de l’investisse-
laisse un grand pouvoir aux Etats, en particulier ment dans l’électricité verte en Europe ne sont
en matière de fiscalité et de politique énergétique, pas sans similitudes avec la croisade de Donald
beaucoup d’acteurs sont convaincus de l’intérêt Trump pour sauver les barons du charbon. Dans
d’accélérer le train de la transition énergétique. une Europe où la demande électrique stagne, la
Dans l’hypothèse où les émissions américaines poussée des renouvelables avait fini par nuire
ne feraient que suivre leur pente actuelle, l’écart aux filières dominantes : le charbon, le gaz et le
avec les engagements de l’accord de P ­ aris à l’ho- nucléaire. Sur fond de crise économique et de
rizon 2025 ne pèsera toutefois pas très lourd bas prix des énergies fossiles, leurs acteurs ont
(1,2 %) au regard des émissions mondiales, qui su convaincre les gouvernements de réduire
s’élèvent à plus de 50 milliards de tonnes par an. drastiquement les soutiens publics aux renou-
Quelles qu’elles soient, les turpitudes de Donald velables, quitte à freiner sérieusement la tran-
Trump auront donc un impact limité sur le cli- sition énergétique. Pourtant, les prix de revient
mat. Et elles ne peuvent exonérer les autres par- des renouvelables ont beaucoup baissé et pour
ties du monde d’assumer leurs responsabilités. produire de l’électricité aujourd’hui, il vaut mieux
planter des éoliennes que de construire un réac-
teur nucléaire aux normes actuelles de sécurité.
De même, les Etats européens se sont jusqu’à
3 L’EUROPE À LA TRAÎNE
présent montrés incapables de réformer en pro-
fondeur le système de quotas auxquels sont sou-
« Le retrait des Etats-Unis (...) est le signe mis les grands émetteurs et le marché du carbone
qui lui est associé. Depuis des années, le prix du
de l’abdication envers l’action commune », CO2 y est si faible (5 euros la tonne) qu’un élec-
a déclaré Jean-Claude Juncker, le président tricien a plus intérêt à brûler du charbon que du
de la Commission européenne. Mais si l’Eu- gaz, pourtant bien moins émissif.
rope tient bien haut la flamme, dans la pratique, L’Europe n’est donc pas plus que les Etats-
les actes ne suivent pas. L’investissement annuel Unis en phase avec les objectifs de long terme de
dans les énergies renouvelables en fournit un bon l’accord de Paris. Si elle ne donne pas davantage
exemple. Dirigé principalement vers l’éolien et le l’exemple – en pratiquant au besoin une taxation
photovoltaïque, cet investissement n’avait cessé carbone à ses frontières pour ne pas pénaliser ses
de progresser, pour culminer à 120 milliards de industries –, qui voudra aller de l’avant ?
dollars en 2011, selon les chiffres de Bloomberg.   Antoine de Ravignan
En 2013, il était tombé à 60 milliards et stagne à [1] 12 % des émissions mondiales, selon la Banque mondiale, derrière la
ce niveau depuis. Il reste certes supérieur à ce- Chine, à 23 %.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 27


FRANCE

Entre Bercy et les banques, les allers-retours


sont nombreux, ce qui n’est pas sans poser des
problèmes de freins à la régulation du secteur.

Hamilton - Réa
Ces hauts fonctionnaires
qui préfèrent le privé
ENQUÊTE Le « pantouflage » des inspecteurs tère des Finances, ils se retrouvent
des finances cause de multiples conflits souvent à la tête de banques et de
compagnies d’assurances. Certains
d’intérêts et freine la régulation du secteur. de ces inspecteurs multiplient les
allers-­retours entre le secteur privé

I
et Bercy, un processus qu’on appelle
revolving doors. Des pratiques qui gé-
l est totalement illusoire d’affir- avoir travaillé dans plusieurs cabi- nèrent de nombreuses situations de
mer qu’on peut avoir servi l’in- nets ministériels et administrations conflits d’intérêts potentiels.
dustrie bancaire puis, quelques publiques. Ces pratiques de « pan-
mois plus tard, en assurer le touflage* » sont courantes parmi les Parcours à la loupe
contrôle avec impartialité et en toute membres de l’Inspection générale des S’ils sont connus, ces mouvements
indépendance. » En septembre 2015, finances (IGF), l’un des trois grands étaient jusqu’ici mal documentés,
plus de 140 économistes et univer- corps administratifs de l’Etat [2], dont du fait du manque de données ac-
sitaires protestaient dans une lettre est issu François Villeroy de Galhau. cessibles. Nous avons retracé le
ouverte [1] contre l’imminente nomi- Alors que ces inspec- parcours des 333 ins-
nation de François Villeroy de Gal-
hau à la tête de la Banque de France.
teurs de l’IGF sont en
théorie destinés aux plus
[*]
    pecteurs qui constituent
les promotions des qua-
>>Pantouflage : lorsqu’un
Le motif : il avait été auparavant di- hauts postes de l’admi- fonctionnaire rejoint, rante dernières années
recteur général délégué du groupe nistration française, pour un temps déterminé (1976 à 2016), en utilisant
ou non, le secteur privé.
BNP ­Paribas (de 2011 à 2015), après surtout au sein du minis- des sources publiques

28 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Des parcours très orientés vers le privé Promotions 1980-1984 de l’IGF Inspection des finances

Secteurs d’emploi des 333 IGF des promotions de 1976 à 2016 Administration publique

Entreprise du secteur public


Mandats et fonctions
politiques
Secteur privé, hors banques

Banques et assurances

Autre

François Villeroy de
Galhau (12 ans à BNPP)
Pierre Mariani
(4 ans à Dexia
et 10 ans à BNPP)
Henri de Castries
(24 ans chez Axa)
Gilles Jacquin de Margerie
(15 ans au Crédit Agricole
et dans ses filiales)
Note : sont indiqués pour ces
personnes les passages les plus longs
dans une banque ou assurance. Mais
certains peuvent avoir fait un passage
dans d’autres établissements.

Chaque trait représente la carrière d’un inspecteur des finances, à partir de


son entrée dans ce grand corps de l’Etat. Les promotions regroupées par date,
de 1976 à 2016, couvrent 333 inspecteurs. Ce travail vise à être exhaustif mais
peut comporter quelques périodes non renseignées.

Données collectées par Thomas Clerget, Hélène Février, Bénédicte Weiss.


Pour voir l’infographie animée, avec le parcours individuel de chaque IGF :
Coordination : Agnès Rousseaux Visualisation : Philippe Rivière, Visionscarto et Alternatives Economiques https://lc.cx/qU6x

(voir graphique). Sur ces 333 ins- supérieur) et 45 inspecteurs des fi- moins dix ans d’expérience dans le
pecteurs recensés, 55 % travaillent nances travaillent à l’IGF, à Bercy. service public. Enfin, quelques hauts
ou ont travaillé dans le secteur privé fonctionnaires d’autres corps font
et 34 % (soit 115 d’entre eux) sont La pantoufle un passage de quelques années au
passés par le secteur bancaire à un L’Inspection générale des finances sein de l’IGF, avant de retourner
moment de leur carrière. « L’IGF est est une institution vieille de plus de dans leur administration d’origine.
devenue un marchepied vers des car- deux siècles. Depuis 1801, ce corps L’IGF est le « corps » qui a la pré-
rières hautement rémunératrices, no- de l’élite administrative, rattaché férence des quinze premiers au clas-
tamment dans la banque », confirme au ministre des Finances, a compté sement de sortie de l’ENA, appelé
Hélène Ruiz-­Fabri, professeure de peu de membres : 1 200 personnes, « la botte ». Les anciens étudiants
droit public et coauteure d’un rap- dont seulement quelques dizaines de cette école doivent dix années au
port du think tank Terra Nova sur de femmes. La plupart intègrent le service de l’Etat en échange du fi-
les conflits d’intérêts [3]. corps à la sortie de l’Ecole nationale nancement de leur scolarité pendant
Ils sont également 130 à être pas- d’administration (ENA). Une mino- laquelle ils sont rémunérés (chaque
sés par un cabinet ministériel ou un rité est issue du « tour extérieur », étudiant coûte au total et en moyenne
autre cabinet politique (mairie de une sélection de cadres ayant au 83 000 euros par an). S’ils ne les ef-
Paris, Elysée…) et 16 à fectuent pas, ils doivent s’acquitter
avoir exercé directe- de la « pantoufle », le remboursement
ment un mandat po- d’une partie du coût des études. C’est
litique, certains ayant PANTOUFLAGE pour cela ­qu’Emmanuel Macron a dû
cumulé ces deux payer 50 000 euros lorsqu’il a démis-
types d’expériences. Ces banques qui « captent » sionné de l’IGF fin 2016.
Enfin, 61 d’entre eux les inspecteurs généraux
ont cumulé succes- Pression à aller voir ailleurs
sivement fonctions C’est BNP Paribas qui a recruté le plus d’inspecteurs Après les quatre années obliga-
politiques (dans des généraux des finances (IGF) : ils sont au moins une quin- toires de la « tournée » (voir e
­ ncadré)
cabinets principale- zaine à y avoir travaillé. Les quatre plus grandes banques
ment) et passage par françaises (BNP Paribas, Société générale, Crédit agri- [1] Publiée dans Le Monde le 15 septembre 2015.
le secteur bancaire. cole et BPCE) en ont recruté plus d’une cinquantaine. [2] Les deux autres grands corps administratifs sont le
Conseil d’Etat et la Cour des comptes.
Aujourd’hui, 38 ins- Les banques d’affaires ne sont pas en reste : plus d’une [3] « Les conflits d’intérêts, nouvelle frontière de la dé-
pecteurs généraux dizaine d’IGF sont passés par la Banque Lazard et par mocratie », par Joël Moret-Bailly, Hélène Ruiz-Fabri et
Laurence Scialom, Terra Nova, février 2017. Disponible
des finances (le grade Rothschild, dont notamment Emmanuel Macron. sur https://lc.cx/JeaE

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 29


au sein de l’administration, les ins- Gaël ­Giraud  [4]. C’est pourquoi les tron de ce groupe. François P ­ érol a
pecteurs sont incités à aller voir ail- inspecteurs se projettent dans une d’ailleurs été mis en examen en fé-
leurs. « Les inspectrices-eurs reçoivent carrière de dirigeant d’entreprise da- vrier 2014 pour prise illégale d’in-
et expriment de différentes manières vantage que de haut fonctionnaire. térêts, puis relaxé en première ins-
des injonctions non seulement à ne tance en septembre 2015. L’affaire
pas rester dans le service au-delà de Des cas emblématiques est toujours en cours.
ces années, mais en outre à occuper, au Parmi les inspecteurs pantou- D’autres parcours d’inspecteurs de
sortir de la tournée et dans la suite de fleurs, on peut citer le cas emblé- l’IGF sont plus discrets. Comme celui
leur carrière, des postes à la hauteur matique de ­François Pérol : après un de Marie-Anne Barbat-Layani, qui est
des attentes du corps », explique Laure passage par plusieurs cabinets mi- passée du service de l’IGF à Bercy à
­Célérier, docteure en sciences de ges- nistériels, il devient en 2005 associé la direction générale de la Fédéra-
tion qui a passé plusieurs mois tion bancaire française (FBF).
au sein de l’IGF. Pourquoi un tel Elle avait aussi été directrice


empressement à voir partir des générale adjointe de la Fédéra-
étudiants modèles ? « L’Inspec-  Si vous ne voulez pas moisir tion nationale du Crédit agricole
tion des finances se définit comme dans votre bureau [à Bercy], entre 2007 et 2010. Ou celui de
un corps d’Etat fragile, car son Pierre Mariani : ancien patron
existence n’est pas inscrite dans
vous irez pantoufler dans une de Dexia, il avait par ailleurs
la Constitution française », pour- banque, avec une rémunération travaillé dix ans à BNP Paribas.
suit-elle. Pour assurer sa survie, multipliée par 10 ou 50  ” Certains de ces inspecteurs
l’IGF entend « “polliniser”à la tête GAËL ­GIRAUD, passés par la banque se re-
des organes publics », explique économiste
trouvent ensuite à la tête d’un
un inspecteur. Ceux-ci sont organisme de régulation fi-
donc sommés d’« essaimer » nancière. Comme François
dans tous les secteurs de l’économie. gérant de la banque Rothschild, où Villeroy de Galhau, nommé à la
C’est au bout de neuf années en il travaille notamment sur le dossier Banque de France en 2015. Mais
moyenne que les « pantoufleurs » dé- de la création de Natixis, filiale des aussi Jean-Pierre Jouyet, qui a oc-
cident de partir dans le secteur privé. Banques populaires et des Caisses cupé la présidence non exécutive
« Quand vous êtes haut fonctionnaire à d’épargne. Il est ensuite nommé en de Barclays France en 2005 avant
Bercy, vous savez qu’à 45 ans, vous allez 2007 secrétaire général adjoint de de présider l’Autorité des marchés
plafonner dans votre carrière. Si vous ne l’Elysée par Nicolas Sarkozy, où il financiers (AMF, le gendarme de la
voulez pas moisir dans votre bureau, va participer au pilotage de la fu- Bourse) de 2008 à 2012. Ou encore,
vous irez pantoufler dans une banque, sion de ces deux banques, donnant Hubert Reynier, ancien dirigeant de
avec une rémunération multipliée par naissance au groupe BPCE. Sans BNP de 1992 à 2000, qui a occupé le
10 ou 50 », explique l’économiste transition, il est promu en 2009 pa- poste de secrétaire général adjoint au
sein de l’AMF de 2003 à 2009,
avant de rejoindre la direction
des risques au sein du Crédit
agricole. La liste est longue.

« La capture »
Lorsqu’ils retournent en-
suite dans la fonction pu-
blique, la proximité – certains
parlent de consanguinité –
engendrée par ces revolving
doors est en effet source de
conflits d’intérêts potentiels.
« Les allers-retours entre sec-
teur public et secteur privé des
inspecteurs de l’IGF sont très
pernicieux », souligne Lau-
rence Scialom, professeure
d’économie à l’université
Paris-Nanterre et coauteure
du rapport de Terra Nova [3].
Cela rend en particulier très
Magnieux - Sipa

Siège de la Société générale. difficile toute réforme de ce


Les banques sont la destination secteur qui lèse un tant soit
privilégiée des inspecteurs de l’IGF.

30 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


FRANCE

ESPRIT DE (GRAND) CORPS


peu les intérêts de ses di- La « tournée » et la « vérif’ » déontologiques. Mais le dis-
rigeants. « Dans la “capture positif est relativement in-
intellectuelle” opérée, renché- Après leur recrutement au sein de l’Inspection générale dolore. D’autant que le réfé-
rit Laurence Scialom, il y a des finances (IGF), les inspecteurs de l’IGF commencent rent déontologie, Christophe
bien sûr le fait de maîtriser par quatre années de « tournée ». Celle-ci débute par Baulinet, a lui-même expéri-
la complexité de sujets tech- des missions de vérification, la « vérif’ ». Il s’agit d’un menté le pantouflage [5]. Il n’a
niques. Mais s’ajoute aussi contrôle inopiné dans un centre de collecte d’argent pas souhaité répondre à nos
la “capture par identification public (impôts, douanes…) pendant plusieurs semaines. questions. Quant à la cheffe
sociale”, c’est-à-dire l’appar- Une période décrite par les inspecteurs comme un par- du service de l’IGF à Bercy,
tenance à un réseau social. » cours du combattant, entre bizutage et expérience Marie-Christine Lepetit, elle
Cette porosité entre Bercy initiatique. « Parce qu’elle est éprouvante, la “vérif’” est n’a pas répondu à nos solli-
et le secteur bancaire est un l’expression de la puissance du corps sur chacun-e de ses citations.
des facteurs principaux qui membres », décrit Laure Célérier, qui a passé plusieurs Dans leur rapport sur les
explique l’édulcoration de la mois au sein de l’IGF pour réaliser une thèse sur l’audit conflits d’intérêts publié par
loi de 2013 sur la séparation interne dans l’administration publique. Terra Nova, les auteurs [3] ne
des activités de banque com- Au-delà, les missions les plus courantes de la tournée prônent pas l’interdiction de
merciale et de banque de consistent à préparer des rapports pour un ministre retour dans le public après
marchés, qui était pourtant ou une administration. « Notre but de guerre, c’est de une expérience dans le privé.
une des promesses de cam- convaincre le ministre de faire la réforme dans le sens « Mais lorsque les inspecteurs
pagne de François Hollande. justifié », explique ainsi un inspecteur. C’est dans ce de l’IGF reviennent dans la
cadre notamment qu’Emmanuel Macron avait participé fonction publique, il faudrait
Un manque de contrôle à la Commission Attali à l’origine d’un rapport « pour la que ce ne soit pas dans leur
Les conflits d’intérêts ont libération de la croissance française » en 2008. « Dans corps d’origine », souligne Hé-
été définis précisément pour toutes nos missions, notre présupposé, c’est qu’il faut lène Ruiz-Fabri. Il faudrait
la première fois par la loi re- réduire les coûts. C’est le surmoi de l’IGF : on regarde dans aussi apporter plus de garan-
lative à la transparence de quelle mesure on peut avoir une politique plus économe ties pour éviter un mélange
la vie publique, adoptée en et efficace. Les propositions doivent aboutir à réduire la des intérêts publics et privés :
octobre 2013 suite à l’affaire dépense publique », a expliqué un inspecteur à Laure allonger les délais de viduité
Cahuzac : il s’agit de « toute Célérier. Les auteurs du livre Dans l’enfer de Bercy  [1] entre deux postes et renforcer
situation d’interférence entre confirment d’ailleurs que « chaque ministre de Bercy, le contrôle sur le pantouflage.
un intérêt public et des in- reçoit donc, quelle que soit sa couleur politique, des Mais des intérêts puissants
térêts publics ou privés qui propositions de réformes quasi similaires ». s’opposent à de telles évolu-
est de nature à influencer ou [1] Par Marion L’Hour et Frédéric Says, JC Lattès, 2017. tions. Et cela d’autant plus
paraître influencer l’exer- efficacement que l’Inspec-
cice indépendant, impartial tion des finances sert aussi
et objectif d’une fonction ». Cette années, d’assurer une surveillance ou souvent de tremplin pour une car-
même loi a créé la Haute Autorité d’émettre des avis pour une autorité rière politique : ­Valéry ­Giscard d’Es-
pour la transparence de la vie pu- compétente. En 2015, cette Commis- taing, Alain J ­ uppé, Michel R ­ ocard
blique (HATVP). Les membres et les sion a été saisie de 3 149 dossiers. ou E ­ mmanuel Macron en sont issus.
dirigeants de nombreux organismes Seuls 10 % des dossiers – les plus D’ailleurs, dans les deux projets de
publics et les personnes nommées sensibles – sont étudiés de manière loi – les premiers du nouveau quin-
en Conseil des ministres – ce qui est collégiale. « La Commission actuelle quennat – qui visent à « redonner
le cas de nombreux inspecteurs de ne refuse jamais un changement d’ac- confiance dans la vie démocratique »,
l’IGF – doivent lui adresser une dé- tivité », affirme Hélène Ruiz-Fabri. Et rien ne concerne la haute fonction
claration de situation patrimoniale lorsqu’à l’inverse, un banquier revient publique. « Les grands corps de l’Etat
ainsi qu’une déclaration d’intérêts. travailler au ministère des Finances ? forment une niche au sein de la Répu-
Cette Haute Autorité partage le tra- « Ce n’est pas dans les compétences de blique, explique Hélène Ruiz-­Fabri,
vail de contrôle avec la Commission la Commission de déontologie, ce n’est et sur ce point, le changement n’est pas
de déontologie de la fonction pu- pas un sujet pour nous », affirmait l’an- en marche ! »
blique créée en 1993. Celle-ci s’assure cien président de cette Commission,    Agnès Rousseaux et Claire Alet
de l’absence de prise illégale d’inté- Roland Peylet. [4] Cité par Bastamag : voir https://lc.cx/qUCi
[5] Adjoint au directeur général de l’énergie et des ma-
rêts et contrôle le départ des agents De son côté, l’IGF a adopté en tières premières de 2000 à 2003 il était devenu délégué
publics vers le secteur privé ou vers 2009 une charte de déontologie, général de la Fedem, la fédération patronale des entre-
prises des minerais et des minéraux jusqu’en 2007.
le secteur public concurrentiel, ainsi mis en place une formation pour les
que le cumul d’activités. La législa- nouveaux inspecteurs et nommé un
Cet article a été réalisé dans le cadre d’un projet de dé-
tion interdit en particulier à un agent référent interne sur ces questions. veloppement du journalisme d’investigation économique
public de partir travailler pour une Celui-ci est chargé de conseiller les et social, soutenu par la Fondation Charles Léopold Meyer
entreprise au sujet de laquelle il a été inspecteurs sur leurs projets pro- pour le progrès de l’Homme (www.fph.ch) et mené en
commun avec la rédaction de Bastamag.
chargé, au cours des trois dernières fessionnels et leurs interrogations

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 31


Ça va (vraiment) mieux Quant à l’investisse-
ment public, il devrait
peser de nouveau sur
l’économie en dimi-
CONJONCTURE L’économie française connaît une embellie indéniable, nuant de 2 % en 2017,
après déjà une baisse
mais ses problèmes structurels sont loin d’être réglés. A commencer de 3,3 % entre 2015
par le chômage, qui peine à reculer. et 2016.

Le chômage

C
sous les 10 %
ette fois, c’est pour de sance de 0,3 point de PIB cette année Ce redressement sensible de l’ac-
vrai. Le 20 juin dernier, (contre 0,8 cependant l’an dernier). tivité ne devrait toutefois pas se tra-
l’Insee a rendu publique duire par une accélération des créa-
sa note de conjoncture Une croissance tirée tions d’emplois. Seuls 222 000 postes
semestrielle. L’institut prévoit dé- par les services marchands seraient créés cette année, soit une
sormais une croissance du produit Un certain nombre de facteurs hausse de 0,8 %, contre un plus de
intérieur brut (PIB) de 1,6 % en 2017, excep­tionnels avaient lourdement 255 000 emplois supplémentaires
après le maigre 1,1 % de l’année 2016, pesé sur l’économie hexagonale en l’an dernier. Il faut dire que l’an-
qui avait succédé au chétif 1 % de 2016 : l’agriculture a perdu 9,8 % de née 2016 avait été exceptionnelle
2015. Ce serait la plus forte hausse sa valeur ajoutée du fait d’intem- sur ce plan, compte tenu de la faible
annuelle du PIB depuis 2011. péries qui ont touché beaucoup de croissance du PIB. Le ralentisse-
Le contexte international est re- cultures, tandis que le tourisme
devenu plus favorable avec une est resté profondément affecté
IMA technologies
économie solide aux Etats-Unis, durant toute l’année suite aux en Loire-Atlantique.
une économie chinoise qui ne ra- attentats de novembre 2015. L’activité s’accélère
lentit plus, des pays émergents, Ces deux facteurs ne devraient dans les services
comme la Russie et le Brésil, qui se plus limiter la croissance en marchands.
redressent, une zone euro qui sort 2017 : la valeur ajoutée agri-
progressivement du cole augmenterait

+ 1,6 %
marasme… Du côté des en particulier de
échanges extérieurs, 5,7 % cette année
ce dynamisme retrou- et les flux de tou-
vé de l’économie mon- Ce sera le taux ristes retrouvent
diale se traduit par une de croissance du PIB progressive-
augmentation sensible français en 2017, selon ment leur niveau
(+ 5,3 %) de la demande les prévisions de l’Insee. d’avant 2015.
adressée à la France. L’activité repart
Les expor­tations françaises ne de- aussi un peu dans le bâtiment
vraient cependant s’accroître que de et les travaux publics dont la
2,8 % en 2017 selon l’Insee, contre valeur ajoutée devrait croître
1,9 % en 2016. Elles restent tirées par de 1,2 %, un secteur qui était
les grands contrats comme le bateau plongé dans une profonde dé-
de croisière Meraviglia, livré début prime depuis 2011. L’industrie
juin au croisiériste italien MSC, ou manufacturière continue elle
les ventes d’Airbus. Mais les expor- aussi son lent redressement
tations agricoles repartiraient aussi avec une croissance prévue
avec une hausse de 10 %. de sa valeur ajoutée de 1,4 %,
Dans le même temps, la crois- comme en 2016. Mais c’est sur-
sance des importations devrait ra- tout l’accélération de l’activité
lentir un peu, mais à 3,5 % (contre dans les services marchands
4,2 % en 2016), leur hausse resterait (1,9 % en 2017 après 1,4 % en
supérieure à celle des exportations. 2016) qui tire l’économie.
Autrement dit, malgré le pacte de Sous l’impact de l’austérité
­responsabilité, le pays n’a pas réso- budgétaire, les services publics
lu ses problèmes de compétitivité : sont en revanche à la traîne,
Thomas Louapre - Divergences

le trou de la balance des paiements comme les années précédentes


continue à se creuser et le commerce avec une hausse de seulement
extérieur va encore amputer la crois- 0,9 % de leur valeur ajoutée.

32 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


FRANCE

ment des créations d’emplois cette que de 17 000 postes (+ 0,2 %), contre vantage (2,4 %) que les versements de
année marque un certain retour à 49 000 l’an dernier. Cela résulte en prestations sociales (1,9 %).
la normale avec 0,8 % de gains de particulier d’une baisse de 39 000 du Ce coup de frein sur le pouvoir
productivité (contre 0,2 % seulement nombre des emplois aidés. d’achat devrait en entraîner un autre
l’année dernière). Malgré ce ralentissement des créa- sur la consommation des ménages :
L’industrie devrait continuer à tions d’emplois, la baisse du chômage celle-ci ne devrait progresser que
perdre 20 000 emplois, soit une devrait s’accélérer cette année : après de 1,2 % cette année, contre 2,1 % en
baisse de 0,6 %, mais le bâtiment en avoir diminué de 56 000 en 2016, le 2016, avec en particulier une baisse
regagnerait 24 000 pour la première nombre de chômeurs devrait se ré- des achats d’énergie et de produits
fois depuis plusieurs années, en duire de 151 000 en 2017 et le taux frais. L’effet de ce ralentissement sur
hausse de 1,8 %. Signe d’une certaine de chômage revenir de 10 % à 9,4 %. le PIB serait cependant compensé par
pérennisation des emplois créés, l’in- Comment est-ce possible ? Parce que une accélération de l’investissement
térim ne devrait augmenter que de la population active, c’est-à-dire l’en- des ménages, autrement dit leurs
29 000 postes cette année, contre semble des gens qui ont ou cherchent achats immobiliers : après une hausse
82 000 l’an dernier. Le gros des créa- un emploi, ne devrait croître cette an- de 2,4 % en 2016, ceux-ci devraient
tions d’emplois provient comme tou- née que de 83 000 personnes, contre s’accroître de 3,7 % en 2017. Si l’im-
jours du tertiaire avec 170 000 postes 196 000 l’an dernier. Les effets des ré- pact du ralentissement du pouvoir
de plus, soit une hausse de 1,5 %. Le formes des retraites devraient en effet d’achat des ménages reste relative-
ralentissement des créations d’em- être plus limités, mais l’Insee fait aussi ment limité cette année, c’est aussi
plois entre 2016 et 2017 tient surtout l’hypothèse que le plan de formation parce que ceux-ci vont puiser dans
au secteur public et associatif dont massif des demandeurs d’emploi en- leur bas de laine : leur taux d’épargne
les effectifs ne devraient s’accroître gagé en 2016 sera prolongé jusqu’à devrait descendre à 13,9 %, le taux le
fin 2017 : pour les statistiques of- plus bas depuis 1990.
EN 2017, L’ÉCONOMIE FRANÇAISE ficielles, un chômeur en formation
RETROUVE QUELQUES COULEURS n’est en effet plus un chômeur… Ralentissement
Variations annuelles (en %) et contributions des investissements
à la variation du PIB (en points de PIB)  oup de frein
C Dans ce contexte, les marges des
sur le pouvoir d’achat entreprises, qui s’étaient fortement
2015 Produit 1,0 Parmi les signaux qui peuvent redressées en 2015 puis stabilisées en
2016 interieur 1,1 avoir un impact négatif pour la 2016, devraient baisser légèrement
brut 1,6
Prévisions suite, il va falloir compter avec en 2017, passant de 31,9 % à 31,6 % de
2017 5,5
Importations 4,2
une inflation un peu plus élevée : leur valeur ajoutée. Non pas à cause
3,5 au lieu de 0,2 % de hausse des des hausses de salaires, qui restent
Dépenses 1,3 prix à la consommation en 2016, très modérées, mais surtout de la
de consommation 2,1 ceux-ci devraient augmenter de hausse des prix de l’énergie et des
des ménages 1,2 1,1 % cette année. Cela reste très matières premières. Parallèlement,
Dépenses de 1,2 bas, mais cette moyenne globale la croissance de l’investissement des
consommation
des administrations
1,3 inclut quand même une hausse entreprises va ralentir (2,9 % en 2017,
publiques 1,2 de 4,5 % des produits alimen- contre 3,4 % en 2016), du fait en par-
2,9 taires frais et de 6,2 % des prix ticulier d’un coup d’arrêt marqué sur
Investissement
3,4
des entreprises
2,9
de l’énergie, des postes sensibles les achats de machines. Celui-ci fait
dans le budget des ménages. notamment suite à la fin d’un dispo-
– 2,1
Investissement 2,4
Parallèlement, les hausses de sitif fiscal dit de suramortissement en
des ménages 3,7 salaires du secteur privé accélére- avril dernier : il permettait aux en-
– 3,1 raient elles aussi un peu, passant treprises de déduire de leur résultat
– 0,2 Investissement public de 1,2 % l’an dernier à 1,4 % cette le montant de leurs achats de biens
– 2,0 année. Mais compte tenu de l’évo- d’investissements, limitant d’autant
4,0 lution des prix, le pouvoir d’achat l’impôt sur les bénéfices à acquitter.
Exportations 1,9 des salariés ne devrait plus ga- Bref, si l’économie française se
2,8
gner cette année que 0,3 %, contre porte incontestablement mieux cette
Contributions à la variation du PIB 1,2 % l’an dernier. Contrairement année, son état reste fragile. Nombre
aux années antérieures, les sala- de ses problèmes structurels sont
1,2
Demande intérieure 2,0 riés du secteur public devraient loin d’être réglés. A commencer par
hors stocks
1,5 être un peu plus gâtés que ceux celui du chômage, qui ne recule que
0,3 du privé en 2017, avec une hausse très lentement. Guillaume Duval
Variations – 0,1 moyenne de leur rémunération
des stocks
0,4 de 2,5 %. Par ailleurs, les prélève- en savoir plus
– 0,5 ments d’impôts et de cotisations >>« Croissance solide », Note de conjoncture, Insee, juin 2017,
Source Insee

Commerce – 0,8 sociales devraient progresser da- accessible sur www.insee.fr/fr/statistiques/2872027


extérieur
– 0,3

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 33


Le chantier de démolition
des accords sur le temps

Caroline Lespinasse - Réa


de travail est désormais bien
entamé et ne se limite pas
au volume annuel de travail.

Grand ménage La participation à ce réfé-


rendum a été importante :
2 400 des 4 258 salariés

dans les accords sur


de cette direction (qui re-
présente un peu plus de la
moitié des effectifs de RTE)
ont pris part à cette consul-

le temps de travail tation électronique ouverte


du 24 au 30 mars. La CGT,
majoritaire dans l’entreprise
avec 58 % des voix lors des
DROITS Les entreprises n’ont attendu ni la loi travail de 2016 dernières élections profes-
ni les ordonnances en préparation pour revenir sur les accords sionnelles, avait mobilisé
contre cet accord soutenu
sur le temps de travail négociés au début des années 2000. par la CFDT et la CFE-CGC,
qui pèsent à elles deux 34 %

I
des voix.
Un tel référendum n’aurait
ls ont dit non à 71 %. Appelés par la filiale d’EDF : élargissement pas été possible sans la loi travail
fin mars à se prononcer sur de la tranche horaire d’intervention, du 8 août 2016 [1], qui prévoit que
un projet d’avenant à l’accord réduction du délai de prévenance les accords collectifs portant sur le
« temps de travail » de RTE (ramené de sept jours à un seul) ou temps de travail doivent être majo-
(Réseau de transport d’électricité), encore possibilité donnée aux ma- ritaires, c’est-à-dire signés par des
les salariés de la direction « Main- nagers de « désigner les salariés qui syndicats représentant plus de 50 %
tenance » ont massivement rejeté la devront intervenir sur le chantier, avec des salariés. A défaut, les syndicats
nouvelle organisation des « chan- remise d’un ordre de travail » s’il n’y minoritaires peuvent cependant de-
tiers à délais contraints » proposée a pas suffisamment de volontaires. mander à l’employeur d’organiser un

34 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


FRANCE

référendum pour valider un accord jeux de performance auxquels sont que le temps de travail réel n’est pas
qu’ils approuvent s’ils représentent confrontées les entreprises indus- conforme à l’accord signé. »
plus de 30 % des salariés. C’est pré- trielles les poussent à revenir sur ces A contrario, les entreprises ont,
cisément ce qu’ont fait la CFDT et la textes : le temps de travail apparaît en elles aussi, souvent pris des liber-
CFE-CGC. Sans succès. effet comme le principal gisement de tés : dans l’agroalimentaire, par
productivité ». exemple, où la saisonnalité exige une
Des accords dénoncés dès 2015 La négociation ne porte pas for- certaine souplesse dans la gestion
Les entreprises n’avaient cepen- cément sur le volume annuel de tra- des horaires, le délai de prévenance
dant pas attendu la loi travail pour conventionnel de sept jours
commencer à remettre en cause ces est régulièrement ramené à
accords : « La vague de dénonciations
d’accords temps de travail a commen-
cé dès la fin 2015, observe Pierre-­
“  [Dans l’industrie,]
le temps de travail apparaît
deux ou trois. Et les entre-
prises n’ont pas attendu la
loi travail pour se pencher
David Labani, consultant chez Sex- comme le principal gisement sur ces questions : « Elles ont
tant ­Expertise. A l’origine, il s’agissait pu négocier des accords déro-
surtout de sécuriser les dispositions de productivité ” gatoires ou peser sur les négo-
THIERRY HEURTEAUX,
relatives aux forfaits jours* » : depuis d’Ethic Social ciations de leur branche pour
2011, sept décisions de la chambre obtenir des dispositions spé-
sociale de la Cour de cassation ont cifiques », observe Thierry
en effet imposé aux entreprises vail. Elle se focalise plutôt sur son Heurteaux.
de mieux contrôler la charge de organisation : temps de pause, temps
travail des salariés concernés. La d’habillage, réduction du délai de Un périmètre élargi
Cour a notamment posé le principe prévenance en cas de changement Pierre-David Labani le confirme :
suivant : « Toute convention de for- de régime horaire, modulation ou « la loi travail ne change pas fonda-
fait en jours doit être prévue par un annualisation du temps de travail… mentalement la donne. Avant même
accord collectif dont les stipulations « L’objectif est de gagner en souplesse et qu’elle ait été adoptée, il était pos-
assurent la garantie du respect des en réactivité, poursuit Thierry Heur- sible d’augmenter la durée annuelle
durées maximales de travail ainsi teaux. Mais aussi, dans certains cas, de travail ou de réduire le nombre de
que des repos, journaliers et hebdo- de réaffirmer des règles qui ont été as- jours de RTT. » A un bémol près ce-
madaires » [2]. souplies ou dévoyées au fil des années. pendant : « Alors que précédemment
« En ouvrant les dossiers du forfait Dans des entreprises où un syndicat les accords de maintien dans l’emploi
jours et de l’évaluation de la charge de ultramajoritaire tire son pouvoir du
travail, les entreprises ont été tentées fait qu’il donne une certaine liberté [1] Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail,
à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation
d’élargir le champ de la négociation aux salariés, le management de proxi- des parcours professionnels.
et d’actualiser leur accord temps de mité n’ose pas aller au conflit, si bien [2] Arrêt n° 09-71107 du 29 juin 2011.
travail », poursuit Pierre-David
Labani. Expert en relations so-
ciales au sein du cabinet Ethic
Social, Thierry Heurteaux rap-
pelle qu’« entre les accords de MÉTALLURGIE
Grenelle de 1968 et la première Une modulation du temps de travail sur trois ans
loi Aubry de 1998, les entreprises
ont peu négocié sur le temps de Dès l’automne 2015, près d’un an avant Destiné aux entreprises en difficulté, ce
travail. En trente ans, moins de l’adoption de la loi travail, la branche texte ne fixe pas de seuil ou de plafond à la
25 000 accords avaient été si- professionnelle de la métallurgie avait durée hebdomadaire du travail et ne défi-
gnés. Les lois Aubry ont ouvert un ouvert des négociations sur la modu- nit pas les conditions de rémunération des
cycle, avec plus de 20 000 accords lation du temps de travail. Signé en oc- heures supplémentaires ou de lissage salarial.
ratifiés chaque année entre 1998 tobre 2016 par la CFDT, la CFTC, CFE-CGC Il revient aux partenaires sociaux de les né-
et 2001. Mais ces accords ont et FO (mais pas la CGT), un accord donne gocier au niveau de chaque entreprise. C’est
souvent été négociés trop vite : le la possibilité aux 42 000 entreprises de la notamment ce qui a motivé le refus de la CGT
nombre de jours de RTT n’a pas branche de s’adapter aux « cycles longs de d’y apposer sa signature : le syndicat a vu
toujours été bien évalué. Les en- l’industrie » en modulant le temps de travail dans cet accord « une mise en œuvre de la
sur une période pouvant aller jusqu’à trois loi travail » et « une façon de contourner les
[ * ] ans, au lieu d’un auparavant. La branche 35 heures ». Côté FO, alors que la confédéra-
>>Forfait jours : système qui permet s’engage à passer chaque année en revue les tion s’était elle aussi opposée à cette loi, FO
de décompter la durée du travail en jours
accords signés et à en faire un bilan « quali- Métaux, qui a une longue tradition d’entente
et non plus en heures. Il peut être mis
en œuvre par accord collectif de branche tatif et quantitatif six mois avant l’échéance avec le patronat de la branche, a considéré
ou d’entreprise, combiné à une quinquennale ». que l’expérience méritait d’être tentée.
convention individuelle.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 35


gement réglée par la jurisprudence,
poursuit-elle. Elle permet, certes, aux
entreprises de déroger à leurs conven-
tions de branche pour abaisser le ni-
veau de majoration de la rémunération
des heures supplémentaires, qui peut
passer de 50 % à 10 %. Mais cela passe
par un accord majoritaire : la marche
est haute ».

Contre-offensive
La CGT et la CFE-CGC ne par-
tagent pas cet avis et ont décidé de
saisir le Conseil de l’Europe pour
mieux encadrer les forfaits jours
et permettre aux salariés soumis
à des astreintes de bénéficier d’un
temps de repos suffisant. Que la
centrale de Montreuil et le syndicat
des cadres fassent cause commune
n’est pas banal. En l’occurrence, cela
s’explique : le forfait jours concerne
surtout les cadres, même si les sala-
riés non cadres qui disposent d’une
réelle autonomie dans l’organisation
de leur temps de travail peuvent,
eux aussi, être soumis dorénavant
à ce régime.
« Le recours que nous avons trans-
mis le 5 avril dernier vise à faire recon-
naître la non-conformité de ces dis-
positions de la loi travail à la charte
sociale européenne, explique Sophie
Binet, secrétaire générale adjointe
de la CGT cadres et techniciens.
Philippe Huguen - AFP

Les salariés de RTE de la direction Pour les salariés soumis au forfait


« Maintenance » ont dit non, à 71 %, au projet jours avec astreinte, cette loi autorise
d’avenant à l’accord « temps de travail ». des durées de travail de 13 heures par
jour et de 78 heures par semaine qui
permettant d’augmenter le temps de travail, les constructeurs automo- sont manifestement excessives. » De
travail étaient réservés aux entreprises biles s’engagent à maintenir l’em- plus, les salariés au forfait jours ne
en difficulté, des accords de dévelop- ploi ou même à recruter (au moins bénéficient d’aucune majoration
pement ou de préservation de l’em- 3 600 contrats à durée indéterminée de rémunération pour heures sup-
ploi peuvent désormais être adoptés chez Renault), à investir dans la for- plémentaires, « ce qui constitue une
avant même que ces difficultés ne se mation et la R&D et à sécuriser les violation de l’article 4.2 de la charte
produisent. » intérimaires… sociale européenne ».
Les accords de com- « La loi travail n’a rien Les quinze experts du Comité eu-
pétitivité signés chez
PSA en juillet 2016 puis 7 de révolutionnaire, es-
time Déborah David,
ropéen des droits sociaux (CEDS)
sont donc appelés à se prononcer
chez Renault en janvier avocate associée au prochainement et leur décision sera
C’est le nombre de jours
dernier sont tous deux du délai de prévenance sein du cabinet Jeantet. définitive et sans recours. De quoi
des textes dits « offen- conventionnel Elle intègre les jurispru- faire rebondir le débat au moment
sifs » : ils interviennent dans l’agroalimentaire, dences, clarifie certaines même où le nouveau gouvernement
a l o r s q u e l e s d e u x mais il est régulièrement normes et donne des d’Emmanuel Macron voudrait rou-
constructeurs avaient ramené à deux ou trois. outils (dans la gestion vrir une fois de plus le chantier des
surmonté les graves des forfaits jours et des accords d’entreprises sur le temps
difficultés auxquelles ils étaient astreintes, notamment). » Elle a été de travail pour achever de déman-
confrontés. En contrepartie de plus adoptée alors que la question du teler les 35 heures.
de flexibilité dans l’organisation du temps de travail « avait déjà été lar- Sabine Germain

36 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


FRANCE

[ En bref ]
CAMPING
POURQUOI REPORTER
Mieux équipés
En 2016, on comptabili-
LE PRÉLÈVEMENT À LA SOURCE ?
sait 7 800 campings et Le 6 juin dernier, le ment une connaissance Enfin, une troisième
710 000 emplacements en Premier ministre a an- par l’entreprise de la vie r a i s o n p ol i t iqu e , d e
France métropolitaine, selon noncé que le prélève- personnelle des salariés, long terme, a peut-être
une étude de l’Insee. Cela fait
ment à la source, c’est-à- une question délicate. joué : le prélèvement à la
de la France le deuxième pays
dire sur la fiche de paie, Par ailleurs, les coûts source faciliterait le rap-
du camping au monde après
chaque mois, de l’impôt de gestion d’un tel sys- prochement entre impôt
les Etats-Unis. Entre 2010 et
sur le revenu, est reporté tème s’étalent de 4 euros sur le revenu et CSG, un
2016, le nombre de campings
est resté le même, mais le à janvier 2019. Un audit par an par salarié pour premier pas vers une
nombre d’emplacements a et une expérimentation les systèmes les plus fusion et l’établissement
diminué. Cela est dû à la trans- auront lieu entre juillet et simples (Royaume-Uni possible d’une nouvelle
formation d’emplacements septembre cette année, et Danemark) à 100 euros CSG progressive. Une
nus (– 10 %) en emplace- avec des entreprises vo- pour les plus complexes évolution nécessaire,
ments équipés (+ 20 %), qui lontaires. Plusieurs rai- (Pays-Bas ou l’Australie). mais qui n’est pas for-
représentent désormais 30 % sons ont poussé à cette Jusqu’où doit-on priva- cément souhaitée par le
des capacités. Les campings décision. tiser le prélèvement de nouveau président.
proposent aussi plus de ser- La première motiva- l’impôt ? Pas évident.   Christian Chavagneux
vices collectifs (piscine, ac- tion est politique et de
crobranche, supérette…). court terme : la baisse
L’étude ne dit rien en revanche annoncée des cotisa-
de l’évolution des tarifs. tions salariales et leur
>En
> savoir plus : Insee Première n° 1649, transfer t vers la C SG
accessible sur https://lc.cx/qUwA
vont se traduire par un
SANTÉ surcroît de salaire net
Cancers : des progrès qui ne se serait pas vu
Les données rassemblées par en cas de prélèvement
l’Institut national du cancer de l’impôt sur le revenu !
(Inca) dans son dernier rapport Mais, plus au fond, la
sont plutôt encourageantes. mesure est loin d’être évi- Centre des finances
Après avoir régulièrement dente à mettre en œuvre. publiques à Paris.
Bruno Levy - Challenges/Réa

augmenté depuis 1980, l’in- Elle pose d’autant plus Le prélèvement à


cidence des cancers est de- de difficultés que l’impôt la source est reporté
à janvier 2019.
puis 2005 en recul chez les français est familialisé,
hommes (– 1,3 % par an) et ce qui implique notam-
en lente progression (+ 0,2 %)
chez les femmes. La mortalité
diminue pour les deux sexes,
mais reste plus élevée chez
les hommes. Certains cancers DU FLOTTEMENT SUR L’ESS
progressent malgré tout, en
incidence comme en morta- DANS LE NOUVEAU GOUVERNEMENT
lité : le mélanome cutané, les
Nouveauté dans ce gouvernement : affirmer qu’il s’agissait bien d’une
cancers du système nerveux
l’économie sociale et solidaire (ESS) composante à part entière de l’éco-
et, chez les femmes, le can-
cer du poumon. Chez ces der-
dépend désormais du ministère de la nomie. En 2015, un poste de délégué
nières, le cancer du sein reste Transition écologique et solidaire, et avait été créé et rattaché à la direction
à la fois le plus fréquent et le non plus du ministère de l’Economie. générale du Trésor (DGT). Mais cette
plus mortel (54 000 cas et Malgré l’intérêt indéniable que porte logique n’avait pas été poussée à son
12 000 décès en 2015). Chez ­Nicolas Hulot au sujet, cette localisation terme et celui de délégué interminis-
les hommes, c’est la prostate n’est pas sans poser question. Un tériel à l’ESS, occupé par le directeur
qui est la plus souvent atteinte haut-commissaire à l’ESS devrait être de la cohésion sociale au ministère des
(54 000 cas), mais les cancers nommé auprès du ministre, mais de Solidarités et de la Santé, n’avait pas
du poumon sont les plus fatals quels moyens disposera-t-il ? disparu. A l’heure où nous bouclons,
(21 000 décès). Les administrations chargées de on ignore encore si ces postes et les
>En
> savoir plus : « Les cancers en France. l’ESS sont en effet dispersées. Sous moyens correspondants seront ou non
Edition 2016 », Inca, 2017, accessible sur François Hollande, le choix avait été transférés au ministère de la Transition
https://lc.cx/qUwb
fait de localiser l’ESS à Bercy pour écologique et solidaire.    Céline Mouzon

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 37


INTERNATIONAL

Lisbonne. Au Portugal, les prévisions de croissance


sont bonnes et le taux de chômage est passé
sous la barre des 10 %.

Frank Siemers - Laif/Réa


Le Portugal
au sommet de l’Europe
CRISE L’activité redémarre au Portugal, mais té qu’à la suite des élections d’oc-
entreprises endettées, banques vulnérables et tobre 2015. Sous la conduite du
socialiste António Costa, la coali-
main-d’œuvre déclinante restent une menace. tion « ­anti-austérité » a rétabli les
salaires et les retraites de la fonc-

L
tion publique ainsi que la durée du
travail à leurs niveaux d’avant le
e Portugal a le vent en un déficit budgétaire ramené à 2 % plan de sauvetage de 2011, tout en
poupe : après les victoires du PIB, le taux le plus bas depuis relevant des impôts indirects (es-
à l’Euro et à l’Eurovision, quarante ans. Du coup, en mai der- sence, automobiles et tabac). Cette
son économie se retrouve nier, la Commission européenne a politique dite de « restauration des
aussi dans le peloton de tête de la recommandé la clôture de la procé- revenus » a donné une assise solide
croissance en Europe occidentale dure de déficit excessif ouverte en à la reprise de la consommation des
avec une progression du produit 2009, un an seulement après avoir ménages, laquelle reposait princi-
intérieur brut (PIB) de 2,8 % sur un menacé le Portugal d’une amende palement depuis 2014 sur la baisse
an, soit autant que les Pays-Bas et pour ne pas avoir agi assez pour ré- du taux d’épargne, une tendance
à peine moins que l’Espagne (3 %), duire son déficit. encouragée par le redressement de
l’Irlande restant hors concours avec l’immobilier et l’effet de richesse*
un taux proche de 7 %. Qui dit crois- La consommation qu’il a entraîné.
sance dit emplois et recettes fiscales. a pris le relais La meilleure tenue de la consom-
Conjuguée à une démographie décli- Libérée de la tutelle de la troïka mation a ainsi pris le relais des ex-
nante et à des flux migratoires nets – Commission européenne, Banque portations, qui ont tant bien que
encore négatifs, la reprise de l’emploi centrale européenne (BCE) et Fonds mal amorti la chute de l’activité
a ramené le taux de chômage sous monétaire international (FMI) – pendant les années d’austérité. Sti-
la barre des 10 % en avril dernier, ­d epuis mai 2014, le Portugal n’a mulées d’abord par la réduction des
une décrue de près de huit points en tourné le dos aux politiques de coûts salariaux, ces exportations
quatre ans. Et les finances publiques rigueur imposées par Bruxelles ont bénéficié à partir de 2014 de la
sont repassées au vert en 2016 avec dans le cadre du pacte de stabili- baisse de l’euro et, plus récemment,

38 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


de la reprise de la croissance eu- minué d’un demi-point de PIB envi- recapitalisation ne se sont opérées
ropéenne. De plus en plus diversi- ron depuis 2013, alors que la dette jusqu’ici qu’au coup par coup et in
fiées, tant sur le plan géographique publique continue de plafonner à extremis, chaque fois qu’une banque
(percée dans les économies émer- 130 % du PIB. était menacée de faillite. Ce fut le cas
gentes) que sectoriel (métallurgie, Fort du soutien de l’opinion et de notamment de Banco Espírito Santo
automobiles, équipements indus- la confiance des marchés, le gouver- en 2014, à l’époque second groupe
triels…), les exportations de biens et nement peut profiter des marges de bancaire portugais, dont le sauve-
de services ont progressé de 50 % manœuvre budgétaires retrouvées tage a coûté l’équivalent de 2,8 % du
en volume depuis 2010 (contre pour s’attaquer aux problèmes de PIB à l’Etat. Encore très vulnérable,
33 % pour l’Italie et 18 % pour la fond du pays, à commencer par les le système bancaire n’est guère en
Grèce). Elles représentent main- déséquilibres financiers hérités de la mesure de profiter des conditions
tenant 40 % du PIB, contre 27 % période de crise. Si la dette publique de refinancement ultra­favorables de
en 2005. Du coup, le déficit des est gérable tant que les taux d’intérêt la BCE pour accroître ses encours de
échanges courants, qui a culminé à long terme restent bas, le surendet- crédit au secteur privé.
à 12 % du PIB en 2008, est devenu tement des entreprises bloque la re-
un excédent (+ 0,8 % en 2016). prise de l’investissement ; il pèse aussi Un potentiel de croissance
lourdement sur les bilans bancaires, négatif
Bonnes nouvelles sur le front faisant obstacle à la reprise du crédit. Freinée par les contraintes finan-
budgétaire A 145 % du PIB, la dette des entre- cières, la croissance risque en outre
L’orientation de la politique bud- prises est l’une des plus élevée en de se heurter rapidement à des bu-
gétaire ayant cessé d’être restrictive, Europe. Elle décline depuis le pic toirs plus physiques, à savoir des ca-
le redémarrage de l’activité a provo- atteint en 2013 (168 % du PIB), mais pacités de production insuffisantes
qué une contraction immédiate du ceci résulte davantage de la faillite et une force de travail déclinante.
déficit public. Celle-ci est accentuée des entreprises les plus endettées Surendettées et sevrées de crédit,
par les retombées des interventions que d’un mouvement général de les entreprises portugaises n’inves-
de la BCE sur les marchés obliga- désendettement. Selon le FMI, les tissent guère : en 2016, le volume de
taires*, qui ont permis de compri- créances douteuses représentaient l’investissement privé était encore
mer la marge de risque sur la dette 12 % de l’ensemble des prêts ban- inférieur d’un tiers en volume au ni-
publique portugaise. De 11 % en 2012, caires et 20 % des prêts aux entre- veau de 2008.
le rendement des titres d’Etat à dix prises fin 2015, un taux parmi les Quant à la population active, après
ans était revenu à 2,5 % à la veille des plus élevés en Europe. Encore s’agit- avoir stagné dans les années 2000,
élections d’octobre 2015. il là des chiffres officiels, qui seraient elle a chuté de 6 % depuis 2010 sous
La défiance des marchés vis-à-vis sensiblement sous-évalués selon l’effet de l’implosion démographique
de la coalition au pouvoir a certes les agences de notation, lesquelles et de l’exode de la jeunesse. A quoi
suscité une remontée des taux continuent d’attribuer à la dette por- s’ajoute un niveau de qualification
jusqu’à 4,3 % en mars 2017, mais tugaise un statut spéculatif. anormalement bas, avec 43 % seule-
les bonnes nouvelles du front bud- A la différence de l’Espagne, le pro- ment des adultes (25-64 ans) ayant
gétaire et la dissipation du risque gramme d’assistance au Portugal mis achevé leurs études secondaires,
politique après les élections néer- en place par l’Union européenne et le contre 76 % en moyenne dans l’OCDE.
landaise et française les ont rame- FMI ne comportait pas de volet d’as- Résultat : le potentiel de croissance
nés à 3 % à la mi-juin. Cette décrue sainissement du système bancaire par de l’économie [1], qui mesure l’écart
des taux d’intérêt explique que la le rachat de ses actifs toxiques. En entre le taux de croissance observé
charge des intérêts versés sur la effet, les prêts du mécanisme euro- et ce qu’il serait si l’économie utili-
dette publique – charge qui reste péen de stabilité – qui a pour vocation sait de façon normale les ressources
considérable à 4 % du PIB – ait di- d’aider les pays exposés à une crise humaines et en capital dont elle dis-
bancaire – ne sont pas accor- pose, est négatif depuis 2012. Une
[*]    dés directement aux banques
en difficulté mais aux Etats,
caractéristique partagée seulement
avec la Grèce et l’Italie, parmi les
>>Effet de richesse : effet positif sur la consommation
d’une augmentation du patrimoine (immobilier lesquels procèdent ensuite pays de l’OCDE. Cela souligne l’am-
ou boursier) des ménages. A revenus inchangés, au sauvetage des institutions pleur de la tâche qui attend encore
les ménages se sentent moins obligés d’épargner
pour garantir leur sécurité économique.
concernées. Le déblocage de António Costa.  Jacques Adda
>>Interventions de la BCE sur les marchés tels prêts est donc condition-
[1] Voir « La croissance potentielle, une notion d’avenir »,
obligataires : dans le cadre de son programme né, entre autres choses, par le Alternatives Economiques n° 342, janvier 2015, disponible
d’assouplissement quantitatif, la BCE achète des titres
de la dette publique des pays membres, ce qui fait niveau de la dette publique des dur notre site.

monter leurs prix et donc diminuer leurs rendements. Etats qui les reçoivent, ce qui, en savoir plus
>>Solde structurel des finances publiques : correspond
au niveau qu’atteindrait le solde budgétaire si le PIB était
dans le cas du Portugal, consti- >>« Portugal : 2016 Article IV Consultation-Staff
égal au PIB potentiel. Il est calculé en retirant tuait un obstacle rédhibitoire. Report », IMF Country Report n° 16/300, FMI,
septembre 2016, disponible sur https://lc.cx/Twnz
du solde observé la part du déficit ou de l’excédent public De ce fait, la restructuration >>« OCDE Economic Surveys. Portugal 2017 », OCDE,
qui résulte des fluctuations conjoncturelles de l’activité.
des banques portugaises et leur février 2017, accessible sur https://lc.cx/TwnH

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 39


Ces consultations vont
permettre de préciser ces
droits et les conditions de
leur déclenchement. Il est
probable que les seuils
Marianne Thyssen,
commissaire à l’Emploi. qui seront négociés amé-
L’Europe commence enfin lioreront en premier lieu
Geneviève Engel - Réa

à redécouvrir qu’elle n’est la situation des travail-


pas seulement un marché... leurs des Etats membres
dont le droit actuel est le
moins protecteur, à l’est de

Et si 2017 marquait
l’Union notamment. Mais
même si elles sont moins
visibles pour les travail-
leurs français, ces amé-

enfin la relance liorations contribueront à


réduire les écarts sociaux
entre les pays.

de l’Europe sociale ? Le dialogue renoué


Après des années d’ac-
tion néfaste en matière
POINT DE VUE Pour limiter le dumping social, la Commission sociale, la Commission
s’est décidée à faire un pas
européenne propose un socle de droits sociaux minimaux. en direction des syndicats
européens. Un pas qui

E
s’ajoute à celui fait en 2016
avec la révision de la direc-
n octobre 2014, devant mières initiatives concrètes. L’une tive sur les travailleurs détachés vi-
le Parlement européen, d’entre elles prévoit notamment la sant notamment à établir le principe
le nouveau président de création d’un congé paternité de « à travail égal, salaire égal » entre
l a C o m m i s s i o n e u r o - dix jours pour tous les pères euro- les travailleurs du pays d’accueil et
péenne, Jean-Claude Juncker dé- péens, rémunérés au moins comme les salariés détachés. La Confédéra-
clarait vouloir doter l’Europe d’un un congé maladie. Le congé parental tion européenne des syndicats s’en-
« triple A sur les questions sociales ». doit aussi être renforcé tout en in- gagera dans les discussions autour
Un an plus tard, lors du congrès de terdisant qu’il soit transférable entre de ce socle en interlocuteur loyal
la Confédération européenne des les deux parents, afin d’éviter qu’il ne mais exigeant, afin de l’élargir avec
syndicats (CES), il se faisait plus pré- soit pris que par les seules femmes. des initiatives sur la réglementation
cis, envisageant la création d’un « socle des plates-formes numériques, les
européen des droits sociaux ». Le 26 avril Des initiatives concrètes formes d’emploi précaires ou les
dernier, la commissaire belge à l’Em- Deux autres projets sont soumis à la droits à la formation.
ploi et aux Affaires sociales, Marianne consultation des partenaires sociaux Mais la balle n’est pas seulement
Thyssen, a présenté ce projet fondé européens, la CES et les trois organi- dans le camp de la Commission eu-
sur vingt « principes clés » autour de sations patronales européennes. La ropéenne. Le rôle des chefs d’Etat et
trois axes principaux : l’égalité des proposition de réviser la directive dite de gouvernement sera décisif dans
chances et un accès garanti à tous au « déclaration écrite » cherche à amélio- la consolidation ou, à l’inverse, la
marché du travail ; des conditions de rer l’information des travailleurs au su- sape de ce socle de droits. Emmanuel
travail équitables ; une protection so- jet de leur contrat de travail, mais aussi Macron serait bien inspiré de se sai-
ciale de qualité et une action décidée à établir un « plancher » de droits ga- sir rapidement de cette opportunité
en faveur de l’inclusion sociale. Ces rantis quel que soit le type de contrat. de donner chair à son souhait d’une
principes clés devraient faire l’objet L’autre projet soumis à consulta- « Europe qui protège ses citoyens ».
d’une proclamation conjointe par le tion vise à garantir un accès à la pro- Thiébaut Weber*
Conseil (les gouvernements des Etats tection sociale pour tous les travail- * Secrétaire confédéral de la Confédération européenne
des syndicats (CES).
membres), la Commission et le Parle- leurs, y compris les indépendants et
en savoir plus
ment européens. Une procédure par- autres auto-­entrepreneurs. La Com-
>>« Le socle européen des droits sociaux. Construire
ticulière destinée à donner une portée mission s’appuie notamment sur le une Union européenne plus inclusive et plus équitable »,
solennelle à ce socle. compte personnel d’activité (CPA) Commission européenne, accessible sur https://lc.cx/TdVe
>>« Pilier européen des droits sociaux : de bons principes
Sur la base de ces principes, la français pour nourrir la réflexion des mais plusieurs doutes », Confédération européenne
Commission a annoncé quatre pre- partenaires sociaux. des syndicats, accessible sur https://lc.cx/Td9w

40 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


INTERNATIONAL

Migrants : les dommages


collatéraux d’une politique
européenne irréaliste
MÉDITERRANÉE CENTRALE Pour stopper l’arrivée de migrants sur les côtes
italiennes, l’Union européenne fait pression sur les pays du Sahel. Au risque
de déstabiliser leurs sociétés et leurs économies.

A h si l’Afrique
était la Turquie,
comme les gou-
vernants eu-
ropéens seraient plus rassu-
rés ! Après l’accord conclu en
mars 2016 entre les Etats de
LES PRINCIPALES
ROUTES MIGRATOIRES
TRANSSAHARIENNES
Présence simultanée
de groupes armés
irréguliers et de passeurs
Présence simultanée
MAROC

ALGÉRIE
Ouargla
TUNISIE
Tripoli

Sebha
Benghazi

Le Caire

d’autorités étatiques
l’Union européenne et ­Ankara et de passeurs
LIBYE EGYPTE
sur les réfugiés, assorti de Déplacements
par des moyens Tamanrasset
concessions – notamment fi- légaux.
nancières – au gouvernement Source : Clingendael Institute
MAURITANIE MALI
Arlit Séguédine
SOUDAN
de Recep Tayyip Erdogan, le Gao
nombre des arrivées de mi- Agadez NIGER
grants sur les côtes grecques, Bamako Niamey Khartoum
SÉNÉGAL
et surtout celui des morts en TCHAD
BURKINA FASO
Méditerranée orientale, a chu-
té, alors qu’il avait atteint un NIGERIA
pic en octobre 2015. RÉP. SOUDAN
CENTRAFRICAINE
On ne peut pas en dire au- DU SUD

tant en Méditerranée centrale. 300 km CAMEROUN

Depuis le début de cette année,


72 000 migrants déjà ont dé-
barqué en Italie en provenance des échapper aux forces de l’ordre qui comme le Niger. Car les éventuels ef-
côtes d’Afrique du Nord, de Libye en leur extorquent de l’argent aux bar- fets de l’aide au développement ne se
­quasi-totalité. Soit 27 % de plus que du- rages. Mais ils sont encore plus inci- feront sentir qu’à long terme. D’au-
rant la même période de 2016. Et plus tés à employer aujourd’hui des itiné- tant qu’en la matière, les Etats de
de 2 000 ont péri dans cette traversée, raires dangereux que les foudres du l’Union ne tiennent pas, pour l’ins-
un peu moins qu’à pareille époque gouvernement nigérien se sont abat- tant, leurs engagements financiers
l’an dernier. Mais il ne s’agit là que des tues sur eux. Des foudres qui sont pris au sommet de La Valette au plus
corps retrouvés. Les véritables chiffres avant tout le résultat des pressions fort de la crise de 2015. Jean-Claude
sont à coup sûr plus élevés. Et il fau- européennes : les Etats de l’Union Juncker, le président de la Commis-
drait y ajouter le nombre, mal connu, tentent en effet d’endiguer les flux le sion, ne s’est pas privé de le rappeler
des migrants décédés plus tôt au cours plus tôt possible, à tous les points du à l’issue du Conseil européen du 22-
de leur périple, comme ces 44 per- parcours des migrants. Dans les pays 23 juin dernier.
sonnes mortes de soif en juin dernier d’origine, en promettant une aide au En mai 2015, le gouvernement de
dans le désert nigérien, après la panne développement accrue pour y éle- Niamey avait donc adopté une loi
de leur véhicule. ver le niveau de vie et inciter ainsi les contre le trafic d’êtres humains. Et
migrants, dont les motivations sont à partir de l’été 2016, des passeurs
Pressions sur le Niger surtout économiques, à rester sur ont été emprisonnés et des véhicules
Certains passeurs ont de longue place. Mais avec plus d’empresse- confisqués. Mais l’économie d’Aga-
date évité les routes principales pour ment encore dans les pays de transit, dez, l’une des plaques t­ ournantes de

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 41


INTERNATIONAL

la migration en bordure du Saha- Côte d’Ivoire, de Gambie, du Sénégal… ont tendance à se l’accaparer et qui,
ra, s’en ressent durement. Car une également nombreux dans ces flux. pour certaines, ont des liens avec les
bonne partie de la ville en vit. Les La grande majorité des migrants qui réseaux de passeurs.
passeurs bien sûr, transitent par le Sahara
Collaboration avec la Libye
72 000
mais aussi toute une n’a toutefois pas pour
série d’activités lé- ambition de gagner En Libye, étape suivante du par-
gales : les commer- l’Europe, mais plutôt cours des migrants, l’influence de
çants qui vendent aux C’est le nombre de migrants d’aller travailler dans l’Union européenne est encore plus
migrants nourriture en provenance des côtes un autre pays du conti- difficile à mettre en œuvre. Deux gou-
et équipements pour d’Afrique du Nord qui ont nent africain  [1] . Un vernements se disputent le pays, en
leur traversée, les hô- débarqué en Italie depuis projet compliqué par s’appuyant sur des groupes armés lo-
tels qui les logent, les le début de l’année. l’anarchie qui règne en caux, mais sans pouvoir les contrôler.
banques où ils retirent Libye, longtemps l’une Au sud du pays, à la frontière du Niger,
l’argent nécessaire au voyage, etc. des destinations favorites des habi- ce sont surtout des milices issues de
La région est depuis longtemps un tants du Sahel dont les migrations l’ethnie toubou qui tiennent le passage
carrefour pour ceux qui cherchent sont souvent saisonnières. et dont certains membres sont les ac-
du travail hors de leur patrie. D’au- Les responsables européens sont teurs du trafic. Dans d’autres zones, ce
tant que les citoyens de la Com- conscients des effets potentiellement sont plutôt des Touaregs. Et plus au
munauté des Etats d’Afrique de déstabilisateurs pour les économies nord, les trafiquants appartiennent à
l’Ouest (­Cédéao) peuvent se déplacer sahéliennes de leurs pressions contre différentes tribus arabes. Toute une
sans visa entre la quinzaine d’Etats les flux migratoires. Mais l’aide que chaîne de réseaux successifs convoie
qui la composent. Ce qui facilite les Européens ont à mettre dans la ainsi les migrants du Niger aux ri-
notamment les mouvements des balance pour compenser ces impacts vages méditerranéens. Ou en tout
ressortissants du Nigeria, première négatifs est incertaine et de peu de cas, certains de ces migrants. Car une
nationalité parmi les migrants dé- poids à court terme pour transfor- partie d’entre eux est retenue dans des
barquant aujourd’hui sur les côtes mer l’économie locale. D’autant centres de détention, parfois « offi-
italiennes, mais aussi de Guinée, de qu’elle est gérée par des autorités qui ciels », parfois pas, dans des condi-

Sauvetage au large de la Libye.


L’Union européenne veut former
les garde-côtes libyens pour qu’ils
interceptent les embarcations
avant qu’elles n’atteignent
les eaux internationales.

Imago/StudioX

42 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


tions souvent atroces. Ils y
DEMANDE D’ASILE
sont maltraités, contraints Le dédale de Dublin
au travail forcé, réduits en

Rafael Flichman / La Cimade


esclavage sexuel. Et certains Avatar d’une convention signée dans la capitale à résidence dans des
geôliers rançonnent leurs de l’Irlande en 1990, le règlement 604/2013/UE hôtels, des centres
familles restées au pays, du 26 juin 2013 précise quel Etat est responsable d’hébergement, des
parfois en diffusant sur les d’examiner une demande d’asile dans l’Union eu- centres d’accueil et
Gérard Sadik,
réseaux sociaux des scènes ropéenne et quatre pays associés. Il n’interdit pas à d’orientation, voire des coordinateur national chargé
de mauvais traitement. un demandeur de déposer une demande dans plu- centres de rétention de l’asile à La Cimade
Dans ce contexte, l’Union sieurs pays mais, en fonction de différents critères, administrative. Malgré
européenne a promis en un seul pays est au bout du compte responsable ce durcissement, seulement 1 300 personnes ont
avril une aide de 90 mil- de cet examen. Les autres doivent transférer le été effectivement transférées en 2016, soit à peine
lions d’euros pour amélio- demandeur vers cet Etat dans un délai précis, sous 9 % des procédures. Les autres devraient donc
rer les conditions d’accueil peine de devoir finalement examiner eux-mêmes pouvoir déposer une demande d’asile en France
des migrants dans le pays. la demande. après un long purgatoire.
Mais elle se concentre En France, les préfectures délivrent aux migrants « MIGRERRANTS » Mais bien que les expul-
avant tout sur la forma- qui ne sont pas entrés en Europe par la France une sions soient limitées, l’augmentation des personnes
tion de garde-côtes libyens, attestation de demande d’asile « Dublin ». Celle-ci ne « dublinées » déstabilise l’ensemble du dispositif :
ce qu’a confirmé le récent permet pas d’accéder à l’Office français de protection concrètement, les délais pour enregistrer les de-
Conseil européen. L’objectif des réfugiés et apatrides (Ofpra), mais de rester sur le mandes d’asile sont de trente jours, au lieu des
est d’empêcher les embar- territoire avec une aide financière et un hébergement. trois jours prévus par la réglementation française,
cations lancées en mer par Sans pour autant garantir au demandeur qu’il ne sera et le dispositif d’accueil est à la fois saturé et en
les passeurs d’atteindre les pas transféré vers un autre pays avant expiration du partie vide. De plus, Dublin crée des situations d’une
eaux internationales et de délai prévu de six mois, prolongeable de douze mois grande violence à l’encontre de personnes qui, au
permettre que les migrants supplémentaires en cas de fuite. terme d’un dur et long périple, cherchent à voir leur
soient ramenés vivants sur RIGUEUR Le nombre de personnes « dublinées » demande d’asile étudiée. Ce texte fabrique de fait
le rivage libyen. Dans les n’a cessé de croître, particulièrement ces deux der- des « migrerrants », ballottés d’un Etat à un autre,
eaux internationales en ef- nières années : alors qu’environ 6 000 personnes soumis à l’attente, à l’enfermement et à la peur
fet, des navires militaires étaient concernées en France en 2014, 12 000 d’être renvoyés dans un pays où ils ne souhaitent
européens, mais aussi l’ont été en 2015 et 22 000 en 2016. Cette hausse pas demander l’asile.
d’autres affrétés par des or- s’explique par le nombre important d’arrivées de Partant de ces constats et de son expérience
ganisations non gouverne- demandeurs d’asile dans l’Union européenne en dans l’accompagnement des personnes réfugiées,
mentales (ONG) s’efforcent 2015, mais également par le démantèlement des La Cimade préconise l’abrogation de ce règlement
de venir au secours des em- campements de Calais et de Paris où vivaient, afin de mettre en place un dispositif européen où
barcations en perdition et, sans être enregistrées en France, de nombreuses le critère principal serait le choix du demandeur
lorsqu’elles y parviennent, personnes passées préalablement par un autre d’asile. Pourtant, les négociations actuelles au sein
emmènent les migrants pays européen. des institutions européennes s’orientent vers un dur-
jusqu’à un port d’Italie. De Pour autant, le nombre de transferts effectifs cissement du règlement plutôt qu’un changement
fait, aujourd’hui, la majori- vers le pays d’entrée en Europe restait très faible : de paradigme. Reprenant les bases de l’infamante
té de ceux qui débarquent 525 personnes renvoyées en 2015. Les préfectures déclaration Union-Turquie de 2016, ce projet prévoit
dans ce pays le font au considéraient la procédure Dublin comme absconse de renvoyer les demandeurs vers des pays dits « tiers
terme d’une opération de et manquaient de moyens. Au mois de juillet 2016, sûrs », de fixer irrévocablement la responsabilité d’un
sauvetage en haute mer. le ministre de l’Intérieur a cependant diffusé en Etat dans le traitement d’une demande d’asile et
Outre qu’elle vise à rame- catimini une circulaire demandant d’appliquer le d’assigner à résidence les demandeurs afin d’éviter
ner des migrants dans un règlement avec plus de rigueur. Suite à ces instruc- leurs « mouvements secondaires ». Ce nouveau
pays où ils ne veulent pas tions, de plus en plus de demandeurs sont assignés dispositif est voué à l’échec.
rester, la collaboration entre
les Etats européens et les
garde-côtes libyens éveille l’inquié- demandeurs d’asile ou de travail, de El Kamouni-Janssen, Clingendael Institute, février 2017,
voir notamment page 16, accessible sur www.clingendael.
tude des associations de défense des rester de l’autre côté de la Méditerra- nl/sites/default/files/turning_the_tide.pdf
droits de l’homme. Dans un récent née. Et, à défaut, de les y contraindre. [2] « UE : déléguer à la Libye la responsabilité des sau-
vetages en mer met des vies en danger », HRW, 19 juin 2017,
rapport [2], Human Rights Watch ac- Cette politique est à courte vue : accessible sur https://lc.cx/qoWV
cuse notamment les seconds d’avoir l’augmentation de plus d’un quart en savoir plus
fait usage de tirs d’intimidation lors des arrivées en Italie depuis le début >>« The Niger-Libya Corridor. Smugglers’s Perspectives », par
de récentes opérations de sauvetage, de l’année montre à quel point elle se Peter Tinti et Tom Wescott, Institute for Security Studies & The
Global Initiative against Organized Crime, novembre 2016,
mettant en danger la vie de migrants. heurte chaque jour à la détermina- accessible sur https://issafrica.s3.amazonaws.com/site/
Les Etats européens continuent tion des migrants.  Yann Mens uploads/paper299_2.pdf
>>« Don’t Close Borders, Manage them », par Mattia Toaldo,
donc de vouloir persuader les res- [1] « Turning the Tide. The Politics of Irregular Migration European Council on Foreign Relations, juin 2017, accessible sur
sortissants africains, qu’ils soient in the Sahel and Libya », par Fransje Molenaar et Floor https://lc.cx/qomX

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 43


INTERNATIONAL

Grant Rooney - Age Fotostock


Qatar : un mal pour
un bien ? Souk à Doha. Le Qatar pourrait
profiter de la crise avec ses voisins
pour améliorer sa sécurité
alimentaire.
GOLFE En fermant leurs frontières avec l’émirat, ses voisins
le poussent à diversifier davantage son économie.
[ En bref ]
L e Qatar est petit, mais est-il
puissant ? L’émirat possède un
fonds souverain dont le capital
s’élève à plus de 300 milliards de dol-
lars. Et ses eaux territoriales recèlent
l’autre lui ont expédié, soit par avion,
soit par bateau, les produits alimen-
taires dont il avait besoin. Si le Qatar
réalise 7,8 % de ses exportations et
14 % de ses importations avec ses trois
FEMMES
Travailler plus
Une plus forte participation
des femmes au marché du tra-
vail pourrait rapporter gros à
les troisièmes réserves prouvées de voisins fâchés, l’essentiel de ses ventes
l’économie mondiale, estime
gaz conventionnel de la planète, der- à l’étranger, fondées sur le gaz naturel
l’Organisation Internationale
rière l’Iran (avec lequel il partage cet liquéfié (GNL) dont il est le premier du travail dans un récent rap-
immense gisement) et la Russie. fournisseur mondial, l’émirat les fait port : 5 800 milliards de dollars
en Asie (Japon, Corée du Sud, Inde…). (soit une hausse du PIB mon-
L’Iran à la rescousse Et sur le plan énergétique, certains dial de 3,9 %) en 2025, si l’ob-
Ce sont ses principaux atouts éco- de ses voisins dépendent aussi de lui : jectif que le G20 s’est fixé en
nomiques dans la crise qui l’oppose un quart des importations de gaz des 2014 à cet horizon est réalisé
à certains de ses voisins. Le 5 juin EAU, nécessaires pour produire de sur toute la planète. ­Celui-ci
dernier, l’Arabie Saoudite, les Emi- l’électricité dans un des pays qui en vise à réduire d’un quart l’écart
rats arabes unis (EAU) et le Bahreïn, consomme le plus au monde, provient de taux d’activité entre les
bientôt suiv is par quelques-uns du Qatar par gazoduc sous-marin. hommes et les femmes, qui
de leurs obligés (Egypte, Yémen, Malgré la brouille, le pays boycotté est aujourd’hui de 27 % au
­M aldives, Er y thrée…), ont rompu s’est engagé le 18 juin dernier à pour- niveau mondial.
leurs relations diplomatiques avec suivre ces livraisons à ses « frères » >En
> savoir plus : « World Employment
Social Outlook », OIT, accessible sur
le Q
­ atar, jugé trop compréhensif à émiratis. https://lc.cx/qUxr
l’endroit de l’Iran, à majorité chiite
et trop protecteur envers les Frères Sécurité alimentaire AFRIQUE DU SUD
musulmans, un mouvement politique Même si la température retombe La récession s’installe
sunnite que les monarques du Golfe entre les protagonistes, cette nou- Rien ne va plus en Afrique du
n’hésitent pas à mettre dans le même velle crise devrait inciter le Qatar à Sud. A la crise politique, cen-
sac terroriste que l’Etat islamique. diversifier davantage son économie trée sur le président J­ acob
Cette fois, contrairement à une pré- alors que, malgré la volonté répétée Zuma et son entourage, ac-
cédente fâcherie en 2014, Riyad et ses des autorités, la moitié de son produit cusés de corruption, vient
deux principaux alliés ont aussi fermé intérieur brut (PIB) dépend toujours s’ajouter la confirmation que
leurs frontières avec le Qatar. Un coup des hydrocarbures dont les cours le pays est entré en récession
dur a priori pour l’émirat, qui importe mondiaux ne semblent pas vouloir re- au premier trimestre. Si l’agri-
la quasi-totalité des aliments qu’il monter. Dès avant la brouille, un plan culture et le secteur minier se
consomme, dont 40 % via l’Arabie ambitieux prévoyait que 40 % des maintiennent, la production
Saoudite par voie terrestre. aliments consommés dans l’émirat y industrielle est en berne, de
Le résultat paradoxal, mais assez seraient produits à l’horizon 2023. La même que la consommation
prévisible, de cette décision, c’est que fermeture des frontières va lui donner des ménages sur fond de taux
l’Iran s’est précipité au secours du une nouvelle actualité. de chômage record (27,7 %).
­Qatar, de même que la Turquie. L’un et   Yann Mens

44 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


BIENS MAL ACQUIS :
QUE JUSTICE SOIT FAITE
Enfin ! La ténacité de Transparency International
et de Sherpa, les associations qui ont porté l’affaire
dite des « biens mal acquis », commence à payer. Au
terme de dix ans de procédure, le premier procès,
celui de Teodoro Nguema Obiang, vice-président de
Guinée-Equatoriale et fils de son père (chef de l’Etat
de ce petit pays pétrolier), s’est ouvert le 19 juin de-
vant le tribunal correctionnel de Paris pour trois
semaines. L’homme, qui a acquis (entre autres
choses) un hôtel particulier de 4 000 m² dans la ca-
pitale française, de nombreuses voitures de luxe et
des œuvres d’art, est accusé de multiples blanchi-
ments en France : abus de biens sociaux, détourne-
ment de fonds publics, abus de confiance, corrup-
tion… Derrière l’affaire Obiang, des magistrats
fourbissent d’autres dossiers, ceux de proches de
chefs d’Etat africains encore mieux connus des gou-
vernants français : les familles Bongo (Gabon) et
Sassou-Nguesso (Congo-Brazzaville), dont deux
membres ont d’ailleurs été mis en examen en plein
procès du flambant « Teodorin ».   Yann Mens

RUSSIE : BERLIN CONTRE


LES SANCTIONS AMÉRICAINES
Le Sénat des Etats-Unis a adopté le 15 juin un pro-
jet de loi prévoyant de renforcer les sanctions contre
la Russie. Et plus précisément de transformer en loi les
décrets présidentiels (executive orders) adoptés par
­Barack Obama pour punir Moscou de ses multiples
agissements : cyberattaques contre les Etats-Unis, an-
nexion de la Crimée, soutien au régime syrien. Si elle
est adoptée par la Chambre des représentants puis
entérinée par Donald Trump, la nouvelle législation
permettrait aux Etats-Unis de punir les entreprises,
américaines ou étrangères, qui participent à des projets
énergétiques avec des sociétés russes. Une perspective
qui a fait bondir les dirigeants allemands, car plusieurs
firmes sont engagées dans le projet de doublement du
gazoduc North Stream, qui passe sous la mer Baltique.
Angela Merkel a adopté un langage ferme face à
­Vladimir Poutine sur le dossier ukrainien, pour autant
elle n’est pas disposée à hypothéquer l’approvision-
nement de son pays en gaz alors que la production
faiblit en Europe occidentale. Les défenseurs de North
Stream 2 estiment que le vote du Sénat cache surtout la
volonté de promouvoir les exportations de gaz naturel
liquéfié (GNL) américain vers l’Europe. La perspective
de sanctions n’enthousiasme pas non plus les multi-
nationales américaines engagées dans des projets de
prospection pétrolière avec la Russie. Laquelle a grand
besoin des technologies occidentales pour exploiter de
nouveaux gisements d’hydrocarbures.   Y. M..

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 45


ENTREPRISE

L es mutuelles sont-elles
amenées à disparaître ? La
question peut sembler in-
congrue, tant ces organisa-
tions, fers de lance de l’économie so-
ciale et solidaire, occupent une place
importante à la fois sur le marché des
complémentaires santé et sur celui de
l’assurance de biens. Et pourtant, elles
sont aujourd’hui bousculées par les
assureurs et les bancassureurs*, at-
tirés par des marchés rentables. Cette
évolution menace la survie, non pas
tant des mutuelles elles-mêmes, que
du modèle mutualiste.
Celui-ci associe en effet absence de
sélection des clients (tout le monde
peut bénéficier d’un contrat dans des
conditions analogues grâce à la mu-
tualisation des risques [1]), non-lucra-
tivité (l’objectif n’est pas de faire des
bénéfices pour rémunérer des action-
naires) et gouvernance démocratique,
(les sociétaires ont leur mot à dire sur
les orientations de la structure). Un
modèle aujourd’hui mis à mal.

Chamboulées
par la réglementation
Les mutuelles complémentaires
de santé dites « 45 » (Harmonie mu-
tuelle, MGEN, La Mutuelle générale,
Eovi MCD mutuelle, etc.) doivent
Romain Gaillard – Réa

faire face à des évolutions réglemen-


taires importantes. En 2013, le
Conseil constitutionnel a in-

Les mutuelles
terdit les clauses désignant
un seul organisme assureur
lors d’un accord de branche
signé entre les partenaires so-
ciaux dans les domaines de la

vont-elles perdre
complémentaire santé et de
la prévoyance : un vrai cham-
boulement pour le secteur.
Et, depuis le 1er janvier 2015,
la notion de « contrat respon-

leur âme ?
sable » qui s’applique aux
contrats de complémentaires
santé a été redéfinie : pour li-
miter la hausse des dépenses
de santé, le remboursement
des dépassements d’hono-
ENJEU Les mutuelles doivent faire face à la fois raires a été interdit au-delà
à la concurrence exacerbée des assureurs privés d’un certain seuil. Ouvrant
ainsi le champ aux assurances
et au renforcement des règles prudentielles. « surcomplémentaires » op-
tionnelles, souscrites par
Au risque de mettre à mal leurs valeurs mutualistes. les salariés, un segment très

46 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


DES PRATIQUES TARIFAIRES
MOINS SOLIDAIRES titutions de prévoyance, 2006. De même, en 2013, seulement
Evolution des modes de tarification des contrats des organismes paritaires 12 % des personnes couvertes par
individuels des mutuelles santé entre 2006 et 2013, acteurs traditionnels des les contrats les plus souscrits des
en % des personnes couvertes contrats collectifs de com- mutuelles payaient une cotisation
2006 plémentaire santé. ne dépendant pas de l’âge, contre
37 36 2013 36 % en 2006 (voir graphique). Au-
29 Des adhérents tant d’entailles au principe de non-­
23 vieillissants segmentation du public, qui était
Par ailleurs, les mu- constitutif des valeurs mutualistes.
14

Source : Dress
12 tuelles de santé doivent
faire face au vieillisse- Un engagement militant
Tarif dépendant Tarif ne dépendant Tarif dépendant ment de leurs adhérents, mis à mal
du revenu pas de l’âge du lieu de résidence auxquels il faut rembour- Du côté des mutuelles d’assu-
ser toujours plus de soins. rances de biens, l’autre grande fa-
Selon la Direction de la mille de mutuelles, le processus de
LES MUTUELLES DE SANTÉ PERDENT
recherche, des études, de « démutualisation » s’est engagé
DU TERRAIN l’évaluation et des statis- plus tôt. Beaucoup de ces mutuelles
Cotisations collectées (en millions d’euros) et part
tiques (Drees), les assurés étaient pourtant nées, elles aussi,
de marché (en %) des différents types d’organismes
en complémentaire santé entre 2001 et 2015 des mutuelles sont en effet d’un engagement militant pour un
nettement plus âgés que modèle économique plus solidaire.
Institutions
organismes complémentaires assurant une couverture santé, fonds CMU

de prévoyance 34 354 ceux des sociétés d’assu- Mais force est de constater que sur
Source : rapport interministériel 2016 sur la situation financière des

Sociétés 30 675 6 150 (18 %) rances : 41 % ont plus de le marché de l’assurance dommages
d’assurances 60 ans, contre seulement (automobile, multirisque habitation,
Mutuelles 5 160 (17 %)
10 037 (29 %) 28 % pour les assureurs. biens professionnels, etc.), qui pèse
8 267 (27 %) Pour équilibrer leur mo- 58 milliards d’euros annuels, les pra-
17 567
dèle, les mutuelles auraient tiques des Groupama, GMF, Matmut
3 692 (21 %) 18 167 (53 %) donc besoin de séduire et autre Maaf se distinguent désor-
17 248 (56 %)
3 279 (19 %) des clients plus jeunes. Or, mais peu de celles des compagnies
10 596 (60 %) ceux-ci sont aussi la cible d’assurances.
privilégiée des assureurs,
qui peuvent se permettre


2001 2011 2015 d’être plus agressifs à leur
égard dans leur politique  Il est fini le temps
concurrentiel que les assureurs pri- tarifaire puisqu’ils ne mutualisent où tous les risques étaient
vés affectionnent. pas les risques (entre les jeunes, qui
Enfin, depuis le 1 er janvier 2016, coûtent moins cher aux assureurs, et homogènes ”
ROGER BELOT,
les entreprises sont dans l’obliga- les aînés qui reçoivent plus de soins). président de la Chambre française de l’économie
tion de proposer à leurs salariés une Les mutuelles perdent ainsi des parts sociale et solidaire
complémentaire santé d’entreprise. de marché au profit des assurances :
Cette décision favorise la couver- alors que ces dernières ne détenaient
ture collective des salariés, qui pour que 19 % du marché de la complé- Moins sujettes aux exigences de
certains s’assuraient par le biais de mentaire santé en 2001, elles géraient rentabilité à court terme que les
contrats individuels. Le hic, c’est 29 % de ce marché de 34 milliards assureurs du fait de leurs prin-
que l’assurance santé individuelle d’euros en 2015 (voir graphique). cipes et de l’absence d’actionna-
est un marché où les mutuelles sont Certes, les mutuelles restent en- riat, les mutuelles devraient théo-
particulièrement présentes. Selon core prédominantes avec 53 % des riquement être prémunies contre
les premiers retours, les bénéfi- cotisations de complémentaires san- les dérives du modèle low cost. Or,
ciaires de cette nouvelle obligation té collectées en 2015, selon la Drees, les plaintes recensées sur le site de
sont les assureurs, qui s’attaquent mais à terme leur survie est mena- l’UFC Que Choisir montrent que les
à un nouveau marché, et les ins- cée. Elles doivent donc s’adapter à pratiques des mutuelles suscitent
la concurrence. Leurs « pratiques ta- quasiment autant l’opprobre que
[*]    rifaires en individuel semblent se rap- celles des assureurs classiques.
>>Bancassurance : activité de commercialisation procher, ces dernières années, de celles Le modèle mutualiste qui veut
de produits d’assurances par les réseaux
bancaires. des sociétés d’assurances », constate que les « bons » risques paient pour
>>Institution de prévoyance : société gérant la Drees. Par exemple les contrats
des contrats collectifs d’assurance santé
de personnes, c’est-à-dire établis dans le cadre
dont le tarif est croissant en fonction [1] Cette mutualisation des risques implique en effet que
les cotisations demandées par les mutuelles ne soient
exclusif de l’entreprise ou de la branche des revenus de l’assuré ne représen- pas segmentées en fonction du niveau de risque des
professionnelle. Ces organismes sont gérés taient plus que 29 % des personnes assurés, comme c’est le cas pour des assurances, dont
paritairement par les partenaires sociaux. le coût du contrat varie en fonction du risque potentiel
couvertes en 2013, contre 37 % en estimé pour l’assuré.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 47


DES ACTEURS DE POIDS DANS L’ASSURANCE DE BIENS les ristournes ap- la moitié des contrats en assurances
Classement des entreprises de l’assurance de biens en France pliquées autrefois dommages de particuliers reste déte-
par le chiffre d’affaires 2015 (en millions d’euros)
par les mutuelles à nue par des mutuelles d’assurances »,
et la part de marché (en %)
Chiffre Part leurs sociétaires à tempère Cyrille Chartier-Kastler. Et
d’affaires de marché l’issue des années malgré l’application de la loi dite
1 Covéa Mutuelle 8 629 14,8 bénéficiaires ne ­Hamon de 2014 sur la consommation,
2 Axa Assureur 7 720 13,3 sont plus à l’ordre qui facilite la résiliation des contrats,

Sources : Mazars, Argus de l’assurance et sociétés citées


3 Groupama Mutuelle 5 410 9,3 du jour. Du fait des les clients des mutuelles leur restent
4 Allianz Assureur 5 225 9,0 règles prudentielles en majorité fidèles. « Les mutuelles
5 Macif Mutuelle 3 086 5,3 européennes dite d’assurances savent résister », confirme
6 Crédit agricole assurances Bancassureur 2 786 4,8 de Solvabilité 2, ­Cyrille Chartier-Kastler. « Elles s’ap-
7 Maif Mutuelle 2 663 4,6 la priorité est à la puient sur une très bonne connaissance
8 Generali Assureur 2 462 4,2 mise en réserve de leurs sociétaires et sur la qualité du
9 Matmut Mutuelle 1 595 2,7 de bénéfices pour service délivré », ajoute-t-il. « Tant que
10 Crédit mutuel Bancassureur 1 579 2,7 constituer des les mutuelles proposeront un service et
fonds propres. une relation de qualité au juste prix,
les « mauvais » est, là aussi, mis à Là aussi, le modèle de gouvernance tout en réalisant un minimum d’excé-
mal par la concurrence des assu- démocratique des groupes mutua- dents pour les stocker en fonds propres,
reurs et des bancassureurs « qui ont listes, souvent devenue déjà assez il n’y aura pas de raison que leurs ad-
segmenté au maximum leurs offres et théorique, est mis à mal. Enserrées hérents les quittent », confirme Roger
les risques associés, ce qui leur permet dans un contexte concurrentiel ten- Belot. Pour l’ancien PDG de la Maif, le
d’avoir des tarifs attractifs sur les clients du, les mutuelles tendent progres- monde mutualiste devrait même af-
les plus rentables », explique Cyrille sivement à limiter la participation firmer davantage ses valeurs, en « re-
­Chartier-Kastler, fondateur du cabi- de leurs sociétaires, qui exige du fusant la banalisation ». « Nous avons
net Facts & Figures, spécialiste de l’as- temps, de l’énergie et de l’argent. Les tout à gagner à cultiver la différence
surance. « Il est fini le temps où tous les mutuelles du groupe Covéa (MMA, mutualiste ! », insiste-t-il. Et d’ajou-
risques étaient homogènes », concède MAAF et GMF) avaient en 2015 plus ter : « Il faut faire comprendre qu’il y a,
Roger Belot, ancien PDG de la Maif et de 11 millions de clients : pas facile d’un côté, les assureurs qui maximisent
président de la Chambre française de dans ces conditions d’envisager une leurs profits pour mieux rémunérer les
l’économie sociale et solidaire. vraie démocratie directe en interne actionnaires et, de l’autre, les mutuelles
« Les politiques de sélection des et une proximité entre dirigeants et avec une gouvernance démocratique qui
risques des mutuelles et des assureurs se sociétaires ! cherchent à trouver des réponses aux
rapprochent de plus en plus », constate besoins de tous. »
Olivier Gayraud, juriste à l’associa- Une bonne connaissance Mais, pour ne rien arranger, un
tion de défense des consommateurs des sociétaires nouveau risque se profile pour le
et des usagers CLCV (Consommation, Ce constat d’une banalisation mé- mutualisme : les grandes entreprises
logement et cadre de vie). De même, rite toutefois d’être nuancé. « Plus de du numérique possèdent un niveau
d’information jamais vu sur
les habitudes des consomma-
teurs. « La digitalisation risque
STRATÉGIE d’entraîner une segmentation
Concentration accélérée dans la santé hyperprécise des risques  »,
craint Roger Belot. Si elles ve-
Pour résister à la concurrence, les mutuelles mutuelles. Ainsi, 58 % des mutuelles de santé naient à utiliser leurs données
santé ont pris le parti de se regrouper afin ont disparu entre 2006 et 2015, selon l’Autorité à des fins assurantielles, « les
d’atteindre une taille critique et de dégager de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). grandes entreprises du numé-
des économies d’échelle. Le récent rappro- Elles sont à peine plus de 400 aujourd’hui et, à rique pourraient profondément
chement d’Harmonie mutuelle et de la MGEN, terme, « il ne restera qu’une douzaine d’acteurs mettre à mal les principes du
deux mastodontes du secteur, en est une des il- tout au plus sur le marché des complémentaires mutualisme », s’inquiète-il.
lustrations les plus frappantes. Un mouvement santé », estime Cyrille Chartier-Kastler, fonda- Mathias Thépot
qui s’est accéléré ces dernières années du fait teur du cabinet Facts & Figures.
des nouvelles règles prudentielles européennes, Cette concentration remet en cause le lien
en savoir plus
dites « Solvabilité 2 », consécutives aux crises traditionnellement fort entre assurés et mu-
financières de 2001 et 2008. Elles exigent en tuelle, qui reposait le plus souvent sur un métier >>« La situation financière des organismes
complémentaires assurant une couverture
effet des organismes assurantiels et mutua- ou une branche d’activité particulière. Et rend santé », rapport 2016 de la Drees, mars 2017
(https://lc.cx/TikK).
listes un niveau de fonds propres nettement souvent encore plus théorique la gouvernance >>« Tarification des complémentaires
plus élevé qu’auparavant, un niveau souvent démocratique de ces mastodontes par les re- santé : déclin des solidarités dans les
contrats individuels », Etudes & résultats
inatteignable pour les petites et moyennes présentants des assurés. n° 972, Drees, septembre 2016
(https://lc.cx/TiZx).

48 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


ENTREPRISE

sens leurs législations avant mi-2016.


Seule la France, pourtant coprésidente
du groupe de pilotage des travaux
Beps sur le sujet, résiste encore.
Pour sa défense, Bercy souligne que
de nombreux pays européens ap-
pliquent un taux normal d’impôt sur
Les entreprises du secteur les sociétés nettement inférieur à 15 %.
pharmaceutique sont « L’approche nexus a été conçue pour dé-
les grandes bénéficiaires finir l’assiette fiscale éligible au régime
du mécanisme de patent
favorable, indépendamment du taux
box à la française.
qui lui est appliqué », rétorque Pascal
Saint-Amans, ce qui rend l’argument
iStock

français irrecevable. L’idée, défendue

La France,
par le ministère de l’Economie, de dé-
terminer un taux d’imposition effectif
en dessous duquel un régime serait

petit paradis fiscal


considéré comme dommageable n’est
pas à l’ordre du jour.

France, terre de brevets


Autre argument évoqué par B ­ ercy :
BREVETS La fiscalité française sur les revenus issus seuls 26 % des brevets détenus par
de la propriété intellectuelle est épinglée par l’OCDE. les entreprises françaises assujetties
à l’IS en France ont été développés à
l’étranger, contre plus de 50 % pour

A
l’Irlande et 92 % pour le ­Luxembourg.
Cette proportion est toutefois su-
vec un taux d’impo- Le problème de la patent box tient périeure à la moyenne de l’OCDE
sition sur les sociétés au fait qu’elle cible les bénéfices, non (13,5 %), laissant à penser qu’une par-
parmi les plus élevés les dépenses engagées. « Ce système tie des brevets français est localisée
d’Europe (33,3 %), la conduit souvent à une localisation artificiellement dans l’Hexagone.
France est loin d’être un paradis fis- opportuniste de la propriété intellec- « La France est davantage un pays
cal. Pourtant, la fiscalité française tuelle », regrette P
­ ascal Saint-Amans, créateur que consommateur de bre-
s’avère très complaisante en ce qui directeur du Centre de politique et vets », nuance Guillaume de La Bigne,
concerne les revenus issus de la pro- d’administration fiscales de l’OCDE. cogérant du cabinet LLR, conseil en
priété intellectuelle (brevets, logi- propriété intellectuelle. Crédit impôt
ciels), qui ne sont imposés qu’à 15 %. Transferts de revenus recherche, aides aux jeunes entre-
Ce mécanisme dit de « patent box » [1] Les multinationales sont les pre- prises innovantes, pôles de compé-
est d’ailleurs considéré depuis oc- mières bénéficiaires du taux d’impo- titivité… : la France propose en effet
tobre 2015 comme « une pratique fis- sition réduit, dans des p ­ roportions une large palette d’aides à l’innova-
cale dommageable » par l’OCDE. Dans qui ne correspondent pas aux tion, « bien plus efficaces pour encou-
le cadre du projet Base Erosion and ­dépenses de recherche et dévelop- rager la recherche et l’innovation que
Profit Shifting (Beps) négocié entre pement (R&D) qu’elles ont vérita- l’application d’un taux d’imposition
les Etats membres du G20 pour lutter blement engagées. Une situation qui réduit, s’appliquant uniquement aux
contre l’optimisation fiscale agressive, s’explique notamment par la possibi- projets qui ont abouti », selon Pascal
l’organisation souligne que cette pra- lité dont elles disposent de transférer Saint-Amans. L’existence de ces dis-
tique risque d’être utilisée « à des fins artificiellement leurs revenus d’un positifs, censés garantir l’attractivité
de transfert artificiel des bénéfices ». pays à l’autre via leurs filiales. de la France en termes de R&D, rend
Introduit en France en 1971 dans le Pour contrer ces pratiques, l’OCDE la réticence du gouvernement fran-
code général des impôts, officielle- recommande depuis octobre 2015 çais à se mettre en conformité avec
ment pour encourager l’innovation, l’approche « nexus » : par exemple, si l’approche de l’OCDE d’autant plus
ce dispositif a bénéficié en 2016 à une entreprise française n’a engagé difficile à justifier.  Aude Martin
300 entreprises, surtout des secteurs que 50 % des dépenses de R&D liées
de la pharmacie et des cosmétiques. à un brevet dont elle est propriétaire, [1] En référence à la case que les entreprises cochent sur
leur déclaration fiscale pour bénéficier de l’exonération.
Il a engendré une perte de 300 mil- seuls 50 % des revenus issus de cet ac-
lions d’euros pour l’Etat, selon le tif seront désormais éligibles au taux en savoir plus
Comité d’évaluation des dépenses réduit de 15 %. L’OCDE a invité tous >>La version longue de cet article est disponible sur www.
fiscales et des niches sociales. ses Etats membres à modifier dans ce alternatives-economiques.fr

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 49


Les discriminations de l’institution publique, un
actif sur trois déclare avoir
été victime de discrimination

au travail convoquées
au cours des cinq dernières
années. L’emploi constitue
le premier vecteur de dis-

au tribunal
crimination dans la société,
loin devant l’école, les rela-
tions avec l’administration
ou les contrôles de police.
L’âge et le sexe ressortent
JUSTICE La première action de groupe contre les discriminations comme les deux principaux
au travail a été lancée. Ce nouvel outil changera-t-il les pratiques critères de discrimination
au travail, suivis de l’origine
et les mentalités en entreprise ? et de la couleur de peau.
Les femmes, en particulier,

C
souffrent de taux d’activi-
té inférieurs de 10 points à
’est une lettre qui fera formes de discrimination. Reste à ceux des hommes et d’un écart de
sans doute date dans la savoir si cet outil, le dernier en date salaires inexpliqué de 12 %.
lutte contre les discrimi- d’un arsenal juridique assez étof-
nations : le 23 mai, la CGT fé, sera plus efficace que les autres Des talents gâchés
a adressé par huissier un courrier à pour faire changer les pratiques et Le Défenseur des droits n’est pas
la direction de Safran Aircraft En- les mentalités. le seul à alerter sur ces inégalités
gines pour porter à son attention le de traitement. Etude du CNRS ba-
cas de 34 salariés. Selon elle, ceux- Des stéréotypes persistants sée sur des annonces de location de
ci subissent un « dommage dans leur « Au cours d’un entretien, la DRH m’a logements, enquête « Trajectoires
évolution professionnelle, c’est-à-dire demandé si mes parents parlaient fran- et origines » de l’Insee et de l’Ined,
promotionnelle et salariale », en rai- çais et d’où venait mon prénom. Elle a rapport du think tank libéral Institut
son de leur engagement syndical. aussi posé plusieurs questions sur ma Montaigne sur les discriminations
L’entreprise a six mois pour agir, ville, mon quartier et a fini par dire religieuses…, la littérature sur le sujet
avant que la justice ne s’en mêle. que son cabinet “est très vieille France, est abondante.
Jusqu’alors, lorsqu’un salarié s’es- vous comprenez ?” » Ce récit tiré d’un Sur le front de l’égalité hommes-
timait victime d’une discrimination, recueil de témoignages publié l’an femmes et des discriminations
il lui revenait d’aller en justice par dernier par le Défenseur des droits* contre les handicapés, la loi fait
ses propres moyens. Mais depuis le illustre une réalité tenace dans le bouger les choses, même s’il reste
11 mai, la possibilité d’intenter une monde du travail. Les stéréotypes fort à faire. Toute entreprise d’au
action de groupe, introduite par la ont la vie dure et les discriminations moins 20 salariés doit employer des
loi de modernisation de la justice du portent sur de multiples facettes : ori- travailleurs handicapés à hauteur de
XXIe siècle, votée fin 2016, est entrée gine, religion, sexe, apparence phy- 6 % des effectifs, faute de quoi elle
en application. La CGT a d’ores et sique, état de santé, lieu de résidence, doit s’acquitter d’une contribution
déjà annoncé que d’autres procé- orientation sexuelle, activités syndi- à l’Agefiph, le fonds pour l’insertion
dures suivraient, concernant d’autres cales… Le Défenseur des droits s’in- professionnelle des personnes han-
quiète par exemple dicapées. Concernant les inégalités
du « parcours d’obsta­ de salaires entre hommes et femmes,
SALAIRES : LES FEMMES SONT LES PLUS DISCRIMINÉES cles » que doivent ré- un décret publié fin 2012 prévoit des
Ecarts de salaires inexpliqués à un poste donné (2009-2014), en % aliser les personnes pénalités allant jusqu’à 1 % de la
0 Homme sans ascendance migratoire directe dont le nom porte masse salariale. Le gouvernement a
– 2 Homme descendant d’immigré d’Afrique-Maghreb u n e c o n s o n a n c e annoncé en octobre 2016 que 97 en-
–6 Homme né dans les DOM arabe. Pour s’en sor- treprises avaient été sanctionnées
– 12 Femme sans ascendance migratoire directe tir, « ils acceptent des financièrement. L’Islande va encore
– 13 Femme née dans les DOM emplois moins quali-
– 13 Femme descendant d’immigré d’Afrique-Maghreb fiés et moins payés. Ou,
0 Hors ZUS [*]
pour les plus diplômés,    
–5 ZUS choisissent de partir à >>Défenseur des droits : institution publique
l’étranger », décrit le
créée en 2011 qui peut être saisie gratuitement
Source : France Stratégie, sur la base des enquêtes Emploi de l’Insee
par tout individu estimant que ses droits
rapport. ne sont pas respectés.
Champ : France métropolitaine, salariés âgés de 25 à 59 ans (hors immigrés). >>Métier mixte : métier comportant au moins
Lecture : toutes choses égales par ailleurs, les femmes nées dans les DOM ont en moyenne Selon le dernier
40 % d’hommes ou 40 % de femmes.
un salaire inférieur de 13 % à celui des hommes sans ascendance migratoire directe. baromètre annuel

50 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


ENTREPRISE

plus loin. En mars, Reykjavik a an- Courtepaille et AccorHotels pour des emplois, peuvent être considé-
noncé une nouvelle loi obligeant les leur action insatisfaisante en matière rés comme mixtes*.
entreprises de plus de 25 salariés à de lutte contre les discriminations.
appliquer la stricte égalité salariale Courtepaille a, depuis, renforcé son 150 milliards d’euros
entre hommes et femmes, à travail arsenal de contrôle interne. Au final, les inégalités d’accès à l’em-
égal. Une première mondiale. « Dans une société de l’informa- ploi et aux postes qualifiés coûteraient
tion comme la nôtre, ce type d’an- à notre pays près de 7 points de pro-
nonce peut faire le “buzz” et nuire duit intérieur brut (PIB), soit environ
à l’image de l’entreprise. Le “name 150 milliards d’euros, si on en croit les
Des experts jugent and shame” [« nommer et dénon- calculs de France Stratégie [1]. D’autres
dangereuse l’approche cer »] a déjà fait ses preuves aux experts, telle l’économiste Hélène Pé-
économique Etats-Unis », souligne Marie-Cécile rivier, jugent cependant cette approche
Naves. Le nouveau chef de l’Etat, économique dangereuse : « Mobiliser
des discriminations qui entend faire de la lutte contre l’argument économique ouvre la voie à
les discrimina- la justification des discriminations si l’on
tions une cause démontrait pour certaines d’entre elles
nationale, veut qu’il coûte plus cher de les combattre que
lui aussi multi- de les accepter », avance-t-elle.
plier les opéra- Que ce soit pour des raisons écono-
tions de contrôle miques, éthiques, par souci d’image
aléatoires et les ou par simple crainte des sanctions,
testing s u r l e s des entreprises se mobilisent pour
22 motifs de dis- améliorer la diversité au niveau des
crimination re- embauches et l’équité des salaires
connus par la loi. et des promotions. C’est le cas, par
Un actif sur trois déclare avoir L’enjeu est de exemple, des grands groupes ad-
été victime de discrimination au taille, car la dis- hérant à l’Association française des
iStock

cours des cinq dernières années. crimination nuit managers de la diversité (AMD). Ces
non seulement initiatives doivent néanmoins être
Cependant la loi peine à combattre à l’égalité des chances, mais aussi considérées avec prudence, car cer-
d’autres formes de discrimination à la performance économique, es- taines sociétés se contentent de pu-
comme l’origine ou l’orientation timent certains experts. « Plus on blier des chartes sans mener d’actions
sexuelle, par ailleurs plus difficiles monte dans la hiérarchie d’une en- concrètes ni de véritables contrôles.
à prouver. « Les discriminations vo- treprise, moins les personnels sont Des études américaines démontrent
lontaires sont plutôt rares. Les déci- issus d’origines diverses et moins il y qu’un environnement de travail plus
sions biaisées expriment avant tout a de femmes. On se prive équitable améliore l’am-
le poids des habitudes. Et les publics donc de compétences. biance et le bien-être
discriminés participent malgré eux
du mouvement, car ils intériorisent
C’est un coût en termes
économiques, mais aus- 17 % au bureau. L’entreprise
de demain sera-t-elle
un sentiment d’infériorité sociale », si en termes de cohésion plus inclusive ? C’est ce
décrypte Marie-Cécile Naves, cher- sociale, de valeurs. On seulement des métiers, qu’espère Marie-­Cécile
représentant 16 % des
cheuse associée à l’Iris et coauteure ne peut réduire cet enjeu emplois, peuvent être Naves : « Il y a un ef-
du livre Talents gâchés. Le coût de la à un calcul de rentabili- considérés comme fet d’entraînement pour
discrimination (L’aube, 2015). té », estime Marie-Cécile mixtes. tous les salariés, même
Naves. « Même l’OCDE et pour ceux qui sont “du
Name and shame le Fonds monétaire in- bon côté de la barrière”
Fort de ce constat, le ministère du ternational (FMI) soulignent que les (les hommes blancs diplômés des plus
Travail a mené en 2016 une cam- inégalités, qui résultent largement de grandes universités) et qui auraient
pagne de testing consistant à envoyer discriminations, grèvent la croissance. donc, théoriquement, quelque chose à
deux CV identiques en réponse à Or, on ne peut pas dire que le FMI soit y perdre. »  Thomas Lestavel
1 500 offres d’emplois de 40 grands a priori soucieux d’égalité sociale », [1] Voir « Discriminations : le piège du calcul écono-
mique », 23 septembre 2016, accessible sur www.alter
recruteurs. Seule la consonance du ajoute-t-elle. natives-economiques.fr
nom et du prénom différait entre les Les stéréotypes de genre viennent
deux CV. Bilan : les candidats d’ori- par ailleurs aggraver les pénuries de en savoir plus
gine maghrébine souffraient d’un main-d’œuvre dans certains métiers >>« 10  Baromètre de la perception des discriminations dans
e

l’emploi », Défenseur des droits, mars 2017 (https://lc.cx/UH36).


taux de réponse inférieur de 11 points considérés comme masculins (ingé- >>« Le coût économique des discriminations »,
aux autres. Suite à cette opération, nieur, chef de chantier) ou féminins France Stratégie, septembre 2016 (https://lc.cx/UH32).
>>« Trajectoires et origines. Enquête sur la diversité
Myriam El Khomri, alors ministre (infirmière, auxiliaire de vie). Seuls des populations en France », Insee et Ined,
du Travail, a publiquement fustigé 17 % des métiers, représentant 16 % octobre 2010 (https://lc.cx/UHwh).

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 51


ENTREPRISE

[ En bref ]
Bruxelles met Google RENAULT
Carlos Ghosn s’en sort

à l’amende Il a finalement réussi à cal-


mer les esprits. Début juin, le
PDG de Renault était pourtant
au centre d’une polémique,
NUMÉRIQUE La Commission européenne a condamné ­Reuters ayant révélé un pos-
la firme américaine à une amende record de 2,42 milliards sible montage financier, visant
d’euros pour abus de position dominante. à distribuer des bonus aux di-
rigeants de Renault-Nissan,
via une société aux Pays-Bas.
Margrethe Vestager, Lors de l’assemblée générale
té en ligne, Adsense, et son du groupe, le 14 juin, Carlos
commissaire européenne
à la Concurrence, système d’exploi­tation mo- Ghosn avait dénoncé une
a annoncé le 27 juin bile, Android, sont également « affaire misérable » et dé-
l’amende record infligée visés par des enquêtes pour claré que ce projet était une
à Google. abus de position dominante. proposition « d’un consultant
D’autres amendes pourraient externe » n’ayant pas « voca-
donc suivre. tion à être mise en œuvre ».
Finalement, l’affaire n’a pas
 tablissement
E eu de suite et les actionnaires
stable ? ont entériné la rémunération
A Paris cependant, la jus- du PDG pour 2016 (7 millions
tice pourrait être bien plus d’euros) et le calcul de celle-
conciliante avec le géant du ci pour 2017. Un succès pour le
Web dans une toute autre af- dirigeant, mis en minorité sur
faire. Si les juges suivent les ce sujet l’an passé. Ce vote de
Emmanuel Dunand - AFP

préconisations du rapporteur confiance s’explique sûrement


public du tribunal adminis- par la proposition de la direc-
tion d’augmenter le dividende
tratif de Paris, Google devrait
de ses actionnaires de 31 % au
en effet échapper au fisc fran-

C
titre de l’exercice 2016.
çais. C’est même ce dernier
oup dur pour Google. La qui devrait lui faire un virement ! L’ad-
APPLE-SAMSUNG
Commission européenne a ministration fiscale réclame plus d’un Concurrents
condamné le géant du numé- milliard d’euros au géant du numérique dépendants
rique à verser 2,42 milliards d’euros pour des pratiques fiscales impliquant La sortie de l’iPhone 8 n’est
pour abus de position dominante. Ja- l’Irlande, les Pays-Bas et les Bermudes. pas une bonne nouvelle pour
mais un montant aussi élevé n’avait été Début juin, le rapporteur public a esti- tous : l’un des fournisseurs
infligé pour ce type de pratiques. Le re- mé que Google France ne devait pas su- d’Apple devrait y perdre 50 %
cord était jusque-là détenu par le géant bir de redressement fiscal puisqu’il ne de son chiffre d’affaires. Japan
des puces informatiques Intel, qui avait dispose pas d’« établissement stable » Display, qui équipe les smart-
dû s’acquitter en 2009 de 1,06 milliard dans le pays « tant au regard de la retenue phones du groupe depuis des
d’euros. La facture aurait pu cependant à la source, que de l’impôt sur les socié- années, ne maîtrise pas en
être encore plus lourde pour la firme tés ou de la TVA ». Il a même préconisé effet la construction d’écrans
californienne : dans ce genre d’affaires, que l’Etat verse 1 500 euros à Google OLED, technologie que semble
l’amende peut atteindre jusqu’à 10 % au titre des frais de justice. Le tribunal avoir choisie son client pour
du chiffre d’affaires de l’entreprise, soit devrait rendre son avis mi-juillet. son nouveau joujou. Le géant
9 milliards d’euros pour Google. Cette Au cœur du débat, c’est la définition à la pomme devrait donc, en
dernière a précisé réfléchir à un appel. d’« établissement stable » qui pose toute logique, se tourner vers
Cette sanction intervient après sept problème pour les acteurs du numé- le seul acteur compétent
ans d’enquête : Bruxelles reproche à rique. Google affirme qu’il ne dispose dans ce domaine : son grand
concurrent, Samsung Electro-
l’entreprise d’avoir mis en avant son pas d’établissement stable en France
nics. Si l’on additionne cela aux
comparateur de prix, Google Shop- puisque sa valeur ajoutée résulte du
composants déjà produits
ping, dans les résultats du moteur de travail de ses ingénieurs, situés prin-
par le sud-­coréen, chaque
recherche, défavorisant ainsi les autres cipalement aux Etats-Unis, et que son
iPhone 8 vendu devrait rap-
acteurs du secteur. Les services de la chiffre d’affaires résulte de son siège porter 200 euros à Samsung.
concurrence de la Commission s’inté- européen en Irlande, pays où la fis- En termes de concurrence, on
ressent cependant à d’autres activités calité est très avantageuse pour les a vu pire.
de Google : sa plate-forme de publici- ­entreprises.  Justin Delépine

52 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


AMAZON SE MET AU BIO
Le géant du commerce électronique a annoncé
le 16 juin dernier le rachat de Whole Foods Market,
une enseigne haut de gamme spécialisée dans les
produits bio. Cette opération de 13,7 milliards de
­d ollars – soit 12,2 milliards d’euros – est la plus
grosse jamais effectuée par l’entreprise de Jeff Bezos.
Ce rachat symbolise le désir d’Amazon d’étendre son
empire à travers des boutiques physiques, désir déjà
manifesté avec le projet de magasins automatisés
« Amazon Go », dont un a été testé dans le centre-
ville de Seattle en décembre 2016.
Avec cette nouvelle opération, Amazon frappe un
grand coup, Whole Foods, l’un des pionniers de la
distribution alimentaire bio, disposant aujourd’hui
de 460 points de vente aux Etats-Unis, au Canada et
au Royaume-Uni. L’enseigne continuera cependant
à exploiter ses magasins sous sa propre marque,
tandis qu’Amazon devrait utiliser ces magasins
pour étendre son service de livraison d’épicerie à
domicile en une heure et étoffer son catalogue de
produits alimentaires.  Antonin Gouze

LAPEYRE : PARTICIPATION,
PIÈGE À C…
Le 6 juin dernier s’est ouvert au tribunal de
grande instance de Nanterre le procès opposant
le menuisier industriel Lapeyre à 1 776 de ses sa-
lariés. Ces derniers accusent le groupe, filiale de
Saint-­Gobain, d’avoir minoré volontairement ses
bénéfices afin d’éviter d’avoir à leur verser de la
participation.
L’affaire avait éclaté en 2012 après le dépôt d’une
plainte contre seize sociétés du groupe Lapeyre.
­Selon les syndicats et plusieurs centaines de salariés
du groupe, la quasi-totalité des bénéfices de Lapeyre
aurait échappé pendant six ans à la participation
des salariés, via un montage financier. « De 2002 à
2008, le groupe Lapeyre et Saint-­Gobain ont organisé
le transfert de 96 % des bénéfices des sociétés Lapeyre
vers deux sociétés holdings, Lapeyre SA et K par K SAS,
n’ayant aucun salarié, ont déclaré la CGT et FO dans
un communiqué. 100 % des bénéfices des deux hol-
dings ont ensuite été distribués à Saint-­Gobain. »
Le manque à gagner pour les salariés, entre 2002
et 2008, s’élèverait à 81 millions d’euros, selon
les plaignants. C’est ce montant qu’ils réclament
aujourd’hui à la justice. Le délibéré sera rendu le
26 septembre prochain.
Dans le même registre, à la suite d’un litige sur
la prime d’intéressement, la chaîne Canal+ a été
condamnée début juin par le tribunal de grande
instance de Nanterre à verser plus de 15 millions
d’euros à 5 000 de ses salariés.
  Alexiane Lerouge

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 53


ENVIRONNEMENT

Pose de panneaux solaires thermiques.


Avec l’effondrement de la filière, la France aggrave
encore son retard dans les énergies renouvelables.

La France gèle

D. R.
la chaleur solaire
RENOUVELABLES L’essor de la filière solaire En 2015, selon Observ’ER, l’observa-
thermique a été cassé par des changements toire européen des énergies renou-
velables, le Danemark et la Pologne
de réglementation. Son déploiement aurait faisaient figure d’exception dans un
paysage sinistré. Le champion alle-
conduit à réduire la demande d’électricité. mand, qui cumule à lui seul 38 % du
parc européen, a vu cette année-là

L
son marché se contrac-
ter de 10 %. Au total, les
a chute est vertigineuse. En
2008, les Français avaient
60 000 mètres carrés, un
retour au niveau de 2002. – 68 % installations annuelles
dans l’ensemble de
installé 310 000 mètres Ce sont plus de 1 500 em- l’Union européenne
C’est la chute
carrés de panneaux solaires plois directs qui ont dis- sont passées de 4,6 mil-
du nombre de nouvelles
thermiques sur les toits de leurs mai- paru depuis 2008. Des installations solaires lions de mètres carrés en
sons, immeubles, hôpitaux ou entre- sites industriels ont fer- thermiques en France 2008 (le pic historique)
prises pour produire de l’eau chaude. mé, comme Clipsol à Aix- entre 2008 et 2015, à 2,7 millions en 2015,
En 2015, selon les derniers chiffres les-Bains ou Giordano alors que le marché soit une baisse de 41 %.
publiés, 100 000 mètres carrés seule- à Aubagne. D’autres ont avait à peine décollé. Mais c’est en France que
ment ont été posés et la descente aux dû reconvertir ou réduire la situation est la plus
enfers continue. « Le marché a reculé leur activité, comme Vaillant à Nantes grave, avec une chute de 68 % sur la
de 25 % en 2016 et il devrait en être de ou Viessmann, près de Metz. » période, alors que le marché avait à
même en 2017, estime François Gibert, peine décollé.
le vice-président d’Enerplan, le syn- La France dans les choux Du coup, Paris manque complète-
dicat des professionnels de l’énergie Cette dégringolade s’observe égale- ment à ses engagements. En 2009,
solaire. Cette année, on devrait tomber à ment dans la plupart des pays voisins. pour mettre en œuvre la directive

54 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


PRODUCTION DE CHALEUR
européenne de 2008 lui im-
posant de porter la part des Un potentiel important
énergies renouvelables à 23 %
L’énergie solaire peut être valorisée de
de sa consommation d’énergie
deux manières. Soit en la transformant
finale* en 2020 [1], l’Hexagone
en électricité (via des panneaux photovol-
avait défini un plan national
taïques ou des centrales thermiques), soit
d’action. Ce plan détaillait les
en produisant de l’eau chaude à moyenne

D. R.
volumes de production à at-
température, chauffée directement avec des
teindre dans chaque filière.
panneaux équipés d’un circuit d’eau. Plusieurs latitude). Quant aux chauffe-eau solaires col-
Concernant le solaire ther-
technologies existent : capteurs vitrés (les plus lectifs (CESC) de grande taille, ils dépassent
mique, il s’agissait de por-
répandus), capteurs non vitrés (utilisés pour aisément des taux de couverture de 70 %, le
ter les 49 ktep * de chaleur
les piscines, par exemple) et capteurs à tubes reste devant être fourni par un appoint au gaz
produite en 2005 à 927 ktep
sous vide, une option encore chère. ou à l’électricité.
en 2020  [2] . Or, seulement
L’eau chaude produite est généralement Selon l’Ademe, le poste ECS représentait
159 ktep ont été réalisés en
stockée dans un ballon et sa principale des- 12,2 % des besoins énergétiques du sec-
2015 sur les 465 qui auraient
tination est aujourd’hui l’eau chaude sani- teur résidentiel en 2012, ce qui donne une
dû être atteints cette année-là.
taire (ECS) : douche, cuisine, vaisselle… Mais le consommation annuelle d’environ 5,5 Mtep
Par rapport aux autres filières,
solaire thermique peut aussi servir à compléter sur 45 Mtep [1]. Dans l’hypothèse où le solaire
le solaire thermique est celle
les besoins de chauffage des logements et des thermique serait généralisé et en retenant un
qui affiche le plus grand re-
bureaux (directement ou via des réseaux de taux de couverture de 60 % des besoins, ce
tard sur les objectifs, ce qui la
chaleur) et fournir en eau chaude des équipe- sont donc 3,3 Mtep d’énergie finale (l’équi-
cantonne dans une position
ments publics, agricoles ou industriels (une valent de la production de 7,5 réacteurs nu-
ultramarginale, avec 0,4 % de
brasserie, par exemple). cléaires [2]) qui pourraient être ainsi fournies
la production d’énergie re-
Les besoins de chaleur représentent en avec cette source renouvelable de plus en
nouvelable.
France la moitié de la demande d’énergie plus compétitive (voir encadré page 56). A
Publiée le 2 novembre der-
finale* et le solaire thermique pourrait en comparer au 0,16 Mtep actuellement produit
nier, la programmation plu-
satisfaire une part importante. Pour s’en faire ou au 0,2 à 0,4 Mtep (tous usages confondus)
riannuelle de l’énergie (PPE),
une idée au niveau du seul usage ECS, il faut que la France ambitionne à l’horizon 2023.
principal décret d’application
savoir qu’en France, un chauffe-eau solaire
de la loi de transition énergé- [1] Dont 13,3 Mtep d’électricité (essentiellement nucléaire)
individuel (CESI) peut, avec une surface de et 15,1 Mtep de gaz. La demande totale d’énergie finale de
tique de 2015, a acté ce retard
3 à 5 m², couvrir 50 % à 70 % des besoins la France est de 162 Mtep (en 2015).
et révisé à la baisse les objec- [2] 3,3 Mtep finales = 38 TWh (1 TWh = 86 ktep finales).
d’un logement de quatre personnes (selon la Production des 58 réacteurs français en 2015 : 437 TWh.
tifs du solaire thermique. Dé-
sormais, il s’agit d’atteindre
en 2023 un volume situé entre
270 ktep et 400 ktep. François Gibert. UN MARCHÉ EN CHUTE LIBRE
Très en dessous du plan natio- Si la faiblesse des Marché du solaire thermique, en mètres carrés installés par an
nal d’action de 2009, lui-même loin prix du gaz a été 300 000
d’épuiser le potentiel (voir enca- bien entendu dé- Total
dré), ce nouvel objectif n’en reste t e r m i n a n t e , l e 250 000
Individuel
pas moins audacieux : entre-temps, problème provient 200 000
la filière s’est en effet effondrée et il essentiellement de
faut repartir de zéro ou presque. Pour l’évolution de la 150 000

être dans les clous, il faudrait passer réglementation. » 100 000


d’environ 60 000 mètres carrés ins- Pour comprendre Collectif
Source : Enerplan

50 000
tallés cette année à un minimum de ce qui s’est passé,
800 000 en 2023. il faut entrer dans 0
le détail des chan- 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 2015

Le Cite plombe gements interve-


le chauffe-eau solaire nus sur les deux grands segments l’évolution du crédit d’impôt pour
« C’est irréaliste si l’on ne s’attaque du marché, la maison individuelle la transition énergétique (Cite). Ce
pas sérieusement aux causes de l’ef- et le logement collectif, eux-mêmes mécanisme a été le moteur de la
fondrement du thermique, prévient subdivisés entre habitat neuf et ha- croissance des chauffe-eau solaires
bitat rénové. individuels (Cesi) jusqu’à ce que, à
[*]    Pour
– environ
les maisons
45 % des
individuelles
installations en
partir de 2007, les panneaux pho-
tovoltaïques ne viennent leur faire
>>Energie finale : énergie consommée par les
utilisateurs finaux (ménages, entreprises…). 2015 –, le retournement du marché
était de 12 % en 2009 et atteint seulement 15 %
>>Ktep et Mtep : milliers et millions de tonnes à partir de 2008 (voir graphique) [1] Elle aujourd’hui.
équivalent pétrole.
s’explique essentiellement par [2] Sur 36 121 ktep pour l’ensemble des renouvelables.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 55


de l’ombre. En effet, de 2007 à
COÛTS DE PRODUCTION
2011, le photovoltaïque a bé-
néficié à la fois du Cite et des Une source d’énergie bientôt compétitive ?
tarifs de rachat de l’électrici-
té – garantis sur vingt ans –, Pour prendre sa douche avec de l’eau sanitaire solaire (avec appoint gaz, voir en-
ce qui en faisait une opéra- chaude d’origine renouvelable, il est ab- cadré page 55) revenait à 20,8 cts/kWh en
tion très profitable, du moins surde d’équiper sa toiture de panneaux pho- 2016 (avec amortissement sur vingt ans),
pour les ménages aisés qui tovoltaïques pour produire de l’électricité contre 11,6 cts dans un système 100 % gaz [2].
avaient des capacités d’in- qui servira ensuite à chauffer un ballon. Un Cette situation est en train d’évoluer avec
vestissement. Le Cite pouvant panneau solaire thermique d’un mètre carré la baisse des coûts du solaire thermique, qui
atteindre 4 800 euros pour un produit environ 600 kWh de chaleur par an dépendra de l’ampleur de son déploiement, et
couple  , ils ont préféré utiliser
[3] en sortie de ballon d’eau chaude dans le sud la hausse sur le long terme des prix du gaz et
cette subvention pour acheter de la France, quand une surface photovol- de l’électricité. Selon Enerplan et l’Ademe,
des capteurs photovoltaïques taïque équivalente fournit annuellement et sur la base d’hypothèses prudentes, le
plutôt qu’une installation ther- 215 kWh d’électricité consommable… avant solaire thermique pourrait ainsi se passer de
mique. pertes de conversion en eau chaude. subventions dans le sud de la France en 2025
Le gouvernement Fillon a En termes de coûts de production, si l’on en maison individuelle (voir graphique) et
cependant décidé de freiner prend l’exemple d’un immeuble collectif dès 2020 en habitat collectif dans le cas de
l’essor du photovoltaïque, jugé dans le sud de la France, pour 50 m² de systèmes recourant au gaz. Dans les loge-
trop rapide et donc trop coû- panneaux, le solaire thermique revenait ments individuels tout électrique, le solaire
teux en soutiens publics, et de à 12,9 centimes par kWh en 2016, contre thermique l’emporterait sur les chauffe-eau
fait souvent spéculatif. Après 19 cts/kWh pour le photovoltaïque [1]. thermodynamiques* en 2020 dans le sud de
un moratoire sur les aides, il a Cependant, pour produire de l’eau chaude la France et en 2025 dans le nord.
réduit en 2011 les tarifs de ra- sanitaire, le solaire thermique ne peut pas [1] Ces coûts intègrent le stockage de l’énergie. Ils com-
chat et supprimé le bénéfice du encore se passer de subventions face à la parent un système photovoltaïque en autoconsommation
Cite pour cette filière. concurrence de l’électricité de réseau et du àestunautoconsommée.
système thermique où, par définition, l’eau chaude

Mais cela n’a pas permis pour gaz. Par exemple, pour quatre personnes [2] Les chiffres présentés dans cet encadré sont tirés de
autant de relancer le solaire vivant en Ile-de-France dans une maison l’étude : « Etude de la compétitivité et des retombées de
la filière solaire française », Icare & Consult, pour Ademe
thermique. C’est en effet à cette individuelle utilisant du gaz, l’eau chaude et Enerplan, avril 2017.
époque que le Cite a été étendu
aux chauffe-eau thermodyna- Coûts comparés de l’eau chaude sanitaire avec équipement solaire, gaz ou électrique
miques* (CET), dont la concur- en maison individuelle, pour 4 personnes, en centimes par kWh
rence à l’égard des chauffe-eau Chauffe-eau solaire Chauffe-eau Chauffe-eau solaire Chauffe-eau thermodynamique
solaires est d’autant plus forte individuel (4,5 m²) 100 % gaz individuel (4,5 m²) (production d’électricité)
qu’ils ont été fiscalement très + appoint gaz + appoint élec.
avantagés, explique François Ile-de-France Paca
Gibert. En effet, pour un CET, 25,2 24,3 23,9 20,4 20,5
20,8 20,8 18,1 18,1 18,1
le crédit d’impôt de 30 % est

Source : Icare & Consult


18,8 15,1 15,4
appliqué sur la totalité de la 15,4 11,6
11,6
facture, tandis que pour un
équipement solaire thermique,
l’assiette est plafonnée [4]. Ce 2016 2025 2016 2025
qui n’est pas vraiment écolo-
gique, puisque le CET est un
appareil qui consomme de l’énergie puis 2011 le recul du solaire au profit d’impôt au titre de la transition éco-
(sous forme d’électricité), contraire- des CET, dont le marché a explosé : logique. La réalité est différente. En
ment à un panneau solaire qui ne fait 80 800 unités vendues en 2016, contre effet, indique François Gibert, « dans
qu’en produire. Cet avantage fiscal, 26 700 en 2011. bien des cas, ces équipements ne fonc-
ajouté au fait que l’installateur n’a Le problème pourrait être plus tionnent pas sur air extérieur. Du coup,
pas à grimper sur le toit, explique de- grave encore. Sur le papier, les CET à partir du moment où ils récupèrent
sont réputés pro- les calories d’un air ambiant réchauf-
duire deux à trois fé par des radiateurs, les CET peuvent
[*]
   
fois plus d’énergie consommer autant d’énergie finale
>>Chauffe-eau thermodynamique (CET) : réservoir d’eau chauffé par une pompe
à chaleur. Une pompe à chaleur fonctionne comme un réfrigérateur à l’envers : sous forme d’eau qu’ils n’en délivrent. Et en énergie pri-
elle fait du chaud à l’intérieur et rejette du froid à l’extérieur. Son efficience est chaude qu’ils n’en maire*, le bilan est toujours négatif. »
principalement liée à l’écart de température entre la source externe utilisée
et la température interne souhaitée. Un CET doit porter l’eau à 50 °C ou 55 °C,
consomment en Les deux seules études sur la ques-
soit un écart beaucoup plus élevé que pour le chauffage de l’air ambiant. électricité. Ce qui tion, réalisées par le Comité scien-
>>Energie primaire : somme de l’énergie finale et des pertes de conversion (de la justifie qu’ils béné- tifique et technique des industries
chaleur en électricité) et de transport. C’est la consommation énergétique totale.
ficient d’un crédit climatiques (Costic) en 2012 et 2014,

56 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


ENVIRONNEMENT

SOLAIRE THERMIQUE : UNE PLACE MARGINALE UNE FILIÈRE


Production d’énergie renouvelable par filière en 2015, en % TRÈS EN RETARD
dans les immeubles
Production d’énergie renouvelable
neufs pour la respec-
pour différentes filières en 2015,
11,2 8,0 8,0 ter », résume François
en % de l’objectif (objectif = 100)
Agrocarburants Pompes à chaleur Eolien
Gibert.
4,9 Solaire thermique 34 100
Sans révision de la
Déchets renouvelables Biogaz 47 réglementation, les
20,5 2,7 Solaire photovoltaïque Eolien 65 objectifs inscrits pour
Hydraulique 2,5 Biogaz Ensemble 83 le solaire thermique

Source : SoES
Total énergies renouvelables
1,0 Résidus agricoles 101 dans la programmation
23 Mtep et alimentaires Agrocarburants
pluriannuelle de l’éner-
0,9 Géothermie Pompes à chaleur 132
gie, avec les milliers de
Solaire photovoltaïque 260 créations d’emplois qui
0,4 Solaire thermique

Source : SoES
39,7 vont avec, n’ont donc
N. B. : objectif fixé par le plan national d’action
Bois-énergie 0,2 Energies marines de 2009. aucune chance d’être
atteints.
soulignent la piètre performance tation thermique de 2012 (RT 2012), Le déploiement de la filière passe
des CET en conditions réelles. Elles adoptée dans la foulée du Grenelle aussi par la montée en puissance
ne portaient toutefois que sur une de l’environnement, en pleine tour- de la fiscalité carbone (30,50 € la
trentaine d’installations. Des études mente économique. Par rapport à la tonne de CO2 en 2017) selon la tra-
plus larges seraient donc nécessaires RT 2005, la dynamique a été cassée : jectoire fixée par la loi de transition
pour mettre au jour ce qui pourrait les professionnels du bâtiment et les énergétique (56 €t en 2020 et 100 €t
s’avérer être un futur scandale. fournisseurs d’énergie ont obtenu à en 2030), afin de réduire l’avantage
titre dérogatoire que les logements écrasant dont jouissent les énergies
L’habitat collectif collectifs neufs puissent dépasser de fossiles aujourd’hui. La chaleur so-
dévisse à son tour 15 % la consommation énergétique laire a aussi besoin d’un système de
La chute du solaire thermique dans maximale autorisée par la RT : soit financement adapté. Selon Enerplan
la maison individuelle a pu un temps 57,5 kWh par an et par mètre carré et l’Ademe, le solaire thermique
être amortie par son essor dans l’ha- au lieu de 50. Initialement accordée pourrait commencer à être compé-
bitat collectif, entre 2005 et 2012 (voir jusqu’au 31 décembre 2014, cette dé- titif sans aides dès 2020-2025 dans
graphique page 55). En effet, la nou- rogation a été prolongée jusqu’au le sud de la France (voir encadré
velle réglementation thermique de 31 décembre 2017. « Le résultat pra- page 56). Ce calcul retient cependant
2005 (RT 2005), qui a imposé pour la tique de la réglementation thermique un temps de retour de vingt ans… qui
construction neuve un plafonnement actuelle est qu’il n’est plus nécessaire ne correspond pas aux exigences des
de la consommation énergétique glo- d’intégrer des énergies renouvelables investisseurs.
bale par logement [5], ren- Enfin, et peut-être surtout, il fau-
dait souvent nécessaire, dra affronter les lobbies de l’électri-
outre le renforcement de cité. Ils ne tiennent pas spécialement
l’isolation, le recours à la à voir la chaleur solaire se dévelop-
production d’énergie re- per et donc réduire la demande de
nouvelable. Dans l’habitat courant. Le nouveau gouvernement
collectif, et compte tenu semble décidé à mettre en œuvre les
de la hausse des prix de objectifs de la loi de transition éner-
l’énergie, « le solaire ther- gétique de 2015. Ce qui sera fait au
mique était devenu en 2012 niveau de la filière solaire thermique
une solution préconisée par sera un bon test du sérieux de cette
les bureaux d’études dans volonté.  Antoine de Ravignan
35 % des projets », se sou-
vient François Gibert. Mais [3] Le Cite est fixé à 30 % des dépenses éligibles (maté-
riaux d’isolation, équipements énergétiques…), celles-ci
à partir de 2012, les com- étant plafonnées (16 000 euros pour un couple par pé-
riode de cinq ans).
mandes de l’habitat collec- [4] 1 000 euros par mètre carré de capteur. Un équipement
tif ont à leur tour dévissé complet de 3 m² à 5 m² (pour une famille de 3 à 4 per-
sonnes) coûte entre 4 500 euros et 7 000 euros TTC.
et, depuis, elles périclitent : [5] En moyenne 50 kWh/m² et par an pour le chauffage,
« Aujourd’hui, on est tombé à l’eau chaude sanitaire et la ventilation.
moins de 8 % de préconisa-
en savoir plus
tions, ce qui signifie en bout
de course moins de 4 % des
>>Etude de la compétitivité et des retombées socio-
économiques de la filière solaire française, Icare
Jean-Claude Moschetti - Réa

réalisations. » Le principal & Consult, Enerplan et Ademe, avril 2017. Synthèse


accessible sur http://bit.ly/2svoapK
Production de panneaux solaires
responsable de cette chute thermiques dans l’usine Saunier Duval >>Le journal des énergies renouvelables, « Spécial
est la nouvelle réglemen- (Vaillant Group), à Nantes. La filière a perdu
solaire thermique collectif », avril 2017.

1 500 emplois directs depuis 2008.


n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 57
Nuisances écologiques : Comment peut-on me-
surer ces inégalités en-
vironnementales ?

l’autre visage des inégalités  Les premiers travaux


de mesure des inéga-
lités environnemen-
tales ont été menés
ENTRETIEN La montée des injustices aux Etats-Unis dans
environnementales redouble les inégalités les années 1980, dans
le contexte des mou-
économiques. La meilleure réponse à y apporter vements de justice
environnementale qui
consiste à approfondir la démocratie. ont suivi la lutte pour
les droits civiques.
Arte

Un certain nombre de
Catherine Larrère, groupes ont, à cette
philosophe, professeure émérite
à l’université Paris I-Panthéon- époque, découver t
Sorbonne que les terrains où ils
vivaient étaient très pollués ou que leur quartier était
menacé par l’installation d’un nouvel incinérateur
ou d’une décharge. Traditionnellement chargées du
La prise en compte de l’environnement permet-elle d’en- foyer et des conditions de vie, les femmes ont mené
richir la lecture des inégalités sociales ? ces combats. Comme les populations pauvres sont
Si les problèmes environnementaux affectent l’en- aux Etats-Unis souvent noires ou latino-américaines,
semble des populations, certains groupes sont plus il a été possible d’y ouvrir des actions judiciaires en
exposés que d’autres à la pollution de l’air, au bruit, etc. s’appuyant sur la réglementation antidiscrimina-
– que ce soit au travail ou à domicile. Ces inégalités toire. Et à partir de 1994, les agences américaines
d’exposition existent au niveau international comme à ont reçu pour mission d’agir en faveur de la justice
l’intérieur des pays, tout comme les inégalités de contri- environnementale.
bution aux dégradations écologiques. Cette dimension Ces inégalités ont été plus tardivement étudiées
des inégalités est de plus en plus importante, mais elle en Europe, à l’exception du Royaume-Uni. Des cher-
est aussi plus difficile à appréhender que celles des cheurs, tels que l’économiste Eloi Laurent, contri-
revenus et des patrimoines. Ces inégalités rejaillissent buent à lancer des enquêtes sur notre continent.
finalement sur la santé. C’est pourquoi les indicateurs Mais la tâche est ardue du point de vue statistique,
d’espérance de vie ou d’autres indicateurs épidémiolo- d’autant plus qu’un certain nombre de phénomènes
giques font partie des outils les plus concernent la qualité vécue de la vie,
fiables pour cerner leur impact. difficilement traduisible en chiffres.
Historiquement, ces inégalités se En France, quelques éléments sont
sont surtout creusées par le bas : les toutefois disponibles : ainsi, une
classes populaires s’installent prio- La démocratie étude de 2012 [1] a montré que les
ritairement dans les secteurs où les locale peut apporter villes dont les habitants ont les plus
prix du foncier sont les plus faibles faibles revenus et qui comptent le
et où l’environnement est le plus dé-
des solutions pour plus d’immigrés reçoivent les nou-
gradé. La réciproque est aussi vraie : améliorer partout veaux incinérateurs plus souvent
on n’installe pas une usine polluante l’environnement que les autres.
dans des beaux quartiers. Mais à pré-
sent, ces inégalités se creusent aussi On dit souvent que l’écologie serait
par le haut. Dès lors qu’un air pur et un souci de riches. Pourtant, les plus
une vue agréable sont devenus des biens recherchés, pauvres sont plus touchés par les nuisances. Comment
les plus riches tendent à se les réserver en tirant parti juguler les inégalités environnementales ?
des phénomènes de marché. Ainsi, on ne se préoccupe Deux actions préalables devraient être menées.
généralement pas du profil socio-­économique des ha- D’abord, élever le niveau des réglementations envi-
bitants qui rejoignent les écoquartiers… ronnementales serait favorable à tous, mais il fau-
Par ailleurs, il faut tenir compte des effets sociaux drait déjà que la puissance publique fasse respecter
des politiques écologiques. La fiscalité environne- les normes existantes, ce qui est loin d’être le cas !
mentale est souvent régressive : elle pèse surtout sur Ensuite, il faut maintenir et amplifier les politiques
les plus pauvres si l’on ne prend aucune mesure cor- de lutte contre les inégalités, ceci en mobilisant les
rectrice. A tel point que cela peut devenir un obstacle mécanismes de transferts sociaux. Certains spécia-
majeur à sa mise en œuvre. listes, tels Hervé Kempf et Gaël Giraud, proposent de

58 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


ENVIRONNEMENT

limiter l’écart entre les revenus minimum et maxi- beaucoup plus efficace que les politiques publiques
mum de 1 à 12. La proposition peut paraître utopique, du type top-down. De toute façon, c’est le seul moyen
mais elle vise à réduire l’un des moteurs essentiels de concret d’y arriver, parce que les inégalités environ-
la course en avant consumériste, qui est une cause nementales découlent de logiques multifactorielles :
fondamentale de la dégradation de l’environnement. hormis pour les sites les plus dangereux et les plus
Comme l’a formulé Thorstein Veblen dès 1899, au-delà toxiques, aucune politique nationale ne peut dé-
d’un certain niveau de revenu, les consommations nouer l’écheveau des causalités à l’œuvre. C’est dans
servent essentiellement à marquer les statuts sociaux : la multiplication des projets démocratiques locaux
une raison de plus qui fait que les inégalités sociales que peuvent se définir les véritables terrains d’entente
sont un obstacle aux politiques environnementales. entre les plus modestes et les plus riches.
C’est ainsi l’égalité, donc la démocratie, qui permettra Propos recueillis par Laurent Hutinet
à terme d’améliorer nos cadres de vie.
[1] Voir « Environmental Justice in France ? A Spatio-Temporal Analysis of Incinerator
Location », par Lucie Laurian et Richard Funderburg, Journal of Environmental
Une démocratie qui fonctionne serait donc le meilleur Planning and Management, 57/3, 2014.

garant de la justice environnementale…


Oui, parce que la bonne approche consiste à cor- en savoir plus

riger les injustices environnementales et non à viser >>Les inégalités environnementales, par Catherine Larrère (dir.), PUF, 2017.
>>Responsibility for Justice, par Iris Marion Young, Oxford University Press, 2011.
une homogénéité hors d’atteinte, en raison de la di-
versité des lieux et des modes de vie.
Le critère de cette justice est avant tout
participatif et non redistributif. Ainsi,
la notion de justice climatique ne vise
pas une irréalisable égalité des droits
d’émission des gaz à effet de serre,
mais à faire en sorte que les respon-
sabilités historiques soient reconnues
et que les politiques climatiques n’ag-
gravent pas les inégalités sociales, ce
qui serait déjà un bon début.
La démocratie est aussi un levier
puissant au niveau local. Partout, des
citoyens s’emparent de leur milieu de
vie local à travers les réappropriations
collectives d’espaces, les jardins parta-
gés, les associations pour le maintien
d’une agriculture paysanne (Amap)…
Ces multiples actions, au départ peu
visibles, permettent aux citoyens de
reprendre la main sur l’aménagement
de leur territoire. Dans un deuxième
temps, les collectivités territoriales
reprennent de plus en plus ces dyna-
miques, puisque l’intérêt général est en
jeu. Nombre d’entre elles soutiennent
désormais l’agriculture biologique de
proximité, notamment parce que la
qualité des captages d’eau est en cause.
Or, les avantages de l’agriculture bio-
logique et d’une bonne gestion écolo-
gique des territoires profitent à tous.
Dans les années 1980, la philosophe
américaine Iris Marion Young a montré
que l’inégalité fondamentale concerne
la participation aux décisions sur l’en-
vironnement commun. Parce que per-
sonne n’échappe au territoire où il vit,
la démocratie locale peut apporter des
Xavier Testelin/CIT’images

HLM le long du périphérique parisien.


solutions pour améliorer partout l’en-
Certaines populations sont plus
vironnement des territoires de façon exposées que d’autres à la pollution
de l’air, au bruit...
n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 59
ENVIRONNEMENT

Emmanuel et Brigitte Macron


au Touquet, le 10 juin dernier.
Mettre « en marche » la mobilité
active nécessite un rééquilibrage
des aides fiscales entre
le vélo et l’auto.

entre 4 et 5 km, elle est de


74 %, contre 3 % pour le vélo.
Sur une distance inférieure
à 2 km, les Français conti-
nuent dans 60 % des cas de
prendre leur voiture, la part
du vélo ne passant qu’à 4 %.
B i e n s û r, l a p a r t m o -
dale de la bicyclette aug-
mente avec la densité ur-
baine. Mais à l’exception

Philippe Wojazer - Reuters


de ­Strasbourg, Grenoble et
Bordeaux, elle ne dépasse
pas 7,3 % dans les villes de
plus de 100 000 habitants. A
­Paris, seuls 4,2 % des dépla-

Vélo : comment
cements domicile-travail se
font à vélo, indique l’Insee…
contre 13 % à Berlin, 22 % à

remettre la France
Anvers ou Amsterdam, 31 %
à Copenhague, ce qui donne
une idée du potentiel.
Ces écarts avec de nom-

en selle ? breuses villes d’Europe du


Nord ne traduisent pas un
tropisme gaulois (ou anglais
ou espagnol…). Jusqu’à la fin
MOBILITÉ La bicyclette, c’est bon pour la santé des années 1970, la situation
est au contraire à peu près
et pour la planète. Mais sa pratique est au plus bas. la même partout en Europe :
Il faudrait que l’Etat donne un bon coup de pédale. l’usage utilitaire de la petite
reine, très répandu avant la
Seconde Guerre mondiale,

J
n’a cessé de chuter après,
avec l’essor de l’automobile
uillet. Les vacances, le pas- pelle à « une politique publique am- et l’étalement urbain. Cependant, sur
tis, le Tour de France. En bitieuse pour la petite reine ». fond de crise pétrolière et de contes-
1957, Roland Barthes avait tation de la société de consomma-
vu dans cette course l’une La France distancée tion, les pays d’Europe du Nord ont
des « Mythologies » des temps mo- En France, la bicyclette ne repré- très tôt mis en place des politiques
dernes. Comme l’Odyssée, le Tour est senterait qu’un petit 3 % des dépla- en faveur du vélo, qui expliquent
un périple d’épreuves : au passage cements, tous motifs confondus. les écarts observés aujourd’hui. Ce
des cols d’altitude, tels Ulysse et ses Malgré les progrès enregistrés ici sont ces mêmes politiques, menées
compagnons touchant aux portes de ou là, les derniers chiffres natio- à l’échelle locale, qui ont permis à de
la Terre, ses héros frôlent – dopage naux disponibles, publiés en janvier rares villes françaises, Strasbourg en
aidant – le « monde inhumain » des par l’Insee, sont têtus : en 2015, 2 % tête (voir encadré), de sortir du lot.
dieux. Si année après année le Tour des actifs en emploi enfourchaient Si c’est au niveau local que les
parvient ainsi à faire rouler le vélo leur bicyclette pour se rendre à leur mesures sont concrètement mises
dans le ciel de l’imaginaire et de travail, 71 % prenant l’auto. Dans le en place, il est indispensable qu’une
l’exceptionnel, c’est peut-être aussi rayon où le vélo est pertinent (une impulsion forte soit donnée au ni-
parce que, dans la banalité de l’ici- distance inférieure à 5 km), la « part veau national, tant sur le plan ré-
bas, il reste l’exception, ainsi que le modale » de la voiture dans les dé- glementaire que budgétaire. Dans
fait observer une note récente de placements domicile-travail reste un avis publié le 5 mai dernier, le
La Fabrique écologique qui en ap- écrasante. Sur un trajet compris Conseil national de la transition

60 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


énergétique (CNTE) a ainsi deman- recteurs : donner la priorité au plus de mobilité, qui sont corrélées à des
dé au gouvernement d’adopter une vulnérable sur la route (le piéton et inégalités sociales et de santé.
stratégie pour développer les « mo- le cycliste), préserver la continui- « Nous sommes restés jusqu’à présent
bilités actives » (vélo et marche à té des itinéraires (trop dans des logiques ponc-
pied), avec pour objectif de porter souvent bloqués par des tuelles, avec ici des mesu-
la part modale de la bicyclette à
12,5 % en 2030. Ce chiffre est inscrit
voies express ou des es-
paces privés), promou- 4,2 % rettes, là des décisions qui
vont certes dans le bon sens,
dans la « stratégie de développement voir un usage partagé et mais aux effets limités.
de la mobilité propre », un document prioritairement collec- des déplacements Reconnaître et appliquer
domicile-travail se font
d’orientation prévu par l’article 40 tif des espaces publics à vélo à Paris, selon de tels principes auraient
de la loi de 2015 sur la transition (aujourd’hui confisqués l’Insee, contre un effet potentiellement
énergétique, mais il est aujourd’hui par la place exorbitante 13 % à Berlin , très puissant », explique
purement indicatif. occupée par le station- 22 % à Amsterdam Sylvie Banoun, coordi-
nement des autos sur la ou 31 % à Copenhague. natrice interministérielle
Volonté poussive chaussée et des deux- pour le développement
L’avis du CNTE demande surtout roues motorisés sur les places et les de la marche et de l’usage du vélo.
à l’Etat d’établir des principes di- trottoirs), lutter contre les inégalités Cela conduira-il, entre autres, à une

VILLE CYCLABLE
Strasbourg fait la course en tête
« Strasbourg, maillot jaune de la petite reine. » C’est sous Elles permettent, comme déjà à grande échelle à Londres,
ce titre que l’Insee présentait ses chiffres sur la pratique du vélo d’interconnecter les quartiers du centre et ceux de la périphérie.
(trajets domicile-travail) dans le Grand Est, tirés du recensement Nommé Vélostras, ce réseau vélo express doit dessiner autour
2015. Dans cette métropole, 16 % des actifs vont travailler en du cœur de ville trois anneaux concentriques reliés par des ra-
pédalant, ce qui la place au premier rang des villes françaises, diales. Consistant en grande partie à étendre et aménager des
devant Grenoble (15,2 %) et Bordeaux (11,8 %). tronçons existants, Vélostras doit totaliser 130 km et faciliter les
Cette performance est liée à l’importance du réseau dédié : la déplacements de périphérie à périphérie. Il délestera le centre
ville est passée de 260 km de pistes cyclables en 1997 à 560 km d’une partie du trafic.
aujourd’hui. A Strasbourg, le premier schéma directeur consacré à Car si les vélos sont partout dans le cœur de ville, il n’en va pas
la bicyclette date de 1978. Le dernier, adopté en 2011, de même dans les quartiers et les communes
ambitionne de doubler la part modale du vélo dans
l’ensemble de l’agglomération d’ici à 2030. Selon la
dernière enquête « Ménages-déplacements », elle
560 km périphériques, où la part modale du vélo tombe
à 3 %, à peine au-dessus de la moyenne natio-
nale. Des facteurs sociologiques et de fortes cou-
s’établissait, tous types de déplacements confondus, de pistes cyclables pures urbaines expliquent cette différence, selon
à 8 % en 2009, contre 46 % pour la voiture, 33 % aujourd’hui à Strasbourg, l’Agence de développement et d’urbanisme de
pour la marche à pied et 13 % pour les transports contre 260 km en 1997. l’agglomération strasbourgeoise. Le sentiment
en commun. En extrapolant les tendances obser- de sécurité n’est pas non plus le même. Celui-ci
vées, la part du vélo serait déjà passée à 12 % en 2015, indique ne repose pas seulement sur la plus ou moins forte présence
Jean-Baptiste Gernet, conseiller délégué de la métropole aux de pistes séparées. La « sécurité par le nombre » est tout aussi
mobilités actives et innovantes. déterminante : plus les cyclistes sont nombreux sur la chaussée
AUTOROUTES À VÉLOS Pour développer le vélo, l’agglomé- et plus les voitures y prennent garde.
ration commence par tirer parti des avancées réglementaires ÉDUQUER À LA BICYCLETTE Le plan vélo strasbourgeois s’est
introduites au niveau national. En particulier, le droit pour les également doté d’un objectif de 1 200 nouveaux arceaux par an,
municipalités d’instaurer des « zones 30 » depuis 2015 partout ainsi que l’accroissement des places de vélos sur les parkings.
sur leur territoire ou l’instauration du « tourne-à-droite » dans Comme le rappelle Fabien Masson, directeur de l’association de
le code de la route, qui permet à un cycliste de tourner au feu promotion du vélo Comité d’action deux roues 67, « pour inciter
rouge. Si l’ouverture des couloirs de bus aux cyclistes n’est pas les gens à rouler, il faut aussi sécuriser le vélo lui-même ». Environ
une nouveauté, Strasbourg expérimente ce qui pourrait être les 400 000 vélos sont volés chaque année en France et le problème
futures règles de demain : depuis mai, une « vélorue », calquée se pose tant à domicile que sur les lieux de travail.
sur des initiatives néerlandaises et allemandes, a été inaugurée : L’agglomération strasbourgeoise se donne-t-elle les moyens
sur environ 300 mètres, les cyclistes sont prioritaires par rapport de ses ambitions ? « Nous n’avons pas de budget vélo s­ anctuarisé,
aux voitures. Deux autres rues doivent suivre en octobre. indique Jean-Baptiste Gernet. Les dépenses d’aménagement
Mais surtout, l’agglomération table sur de nouvelles in- – 10 millions d’euros en 2015 et 3 millions en 2016 – sont prises
frastructures. Avec, au premier chef, des « autoroutes à vélos ». dans le budget de la voirie. » Dans ces conditions, les objectifs

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 61


LES FREINS AU VÉLO : LA PLUIE ET LA PEUR
Pourcentage de réponses à la question : « Quels sont les 3 principaux freins
à l’utilisation d’un vélo pour vos déplacements quotidiens ? » entreprises. Quant à son obligation
dans le public, elle dépend d’un
58,0 % La météorologie (pluie, froid…)
décret d’application qui est prêt,
47,9 % Risque d’accident
mais qui attend la signature du
36,8 % Des distances trop longues
Premier ministre. Pire, le montant
29,0 % Relief, difficulté des parcours
déductible du revenu imposable est
21,6 % Avoir régulièrement des charges à transporter
plafonné à 200 euros. En face, les
21,4 % Risque de vol
déductions sociales ou fiscales of-
20,1 % Rouler la nuit
fertes par le barème kilométrique

Source : « Les Français et le vélo en 2012 »


13,6 % Les contraintes vestimentaires
auto, qui peuvent atteindre plu-
12,8 % La transpiration
sieurs milliers d’euros par an  [1],
8,6 % La perte de temps
sont « exagérément élevées au regard
4,2 % Difficultés de stationnement : gare, station de transport en commun
du coût de l’automobile », écrivait
2,1 % Difficultés de stationnement sur le lieu de travail ou d’études
en 2013 la Coordination intermi-
1,4 % Difficultés de stationnement : domicile
(base = ensemble des répondants)
nistérielle pour le vélo. Ces aides
priment l’éloignement (elles sont
proportionnelles aux kilomètres
r­ éécriture du code de la route – taillé rééquilibrer, au profit des piétons parcourus) et ont en outre l’inté-
sur mesure pour les automobilistes – et des cyclistes, les investissements rêt (pour les riches) d’augmenter
afin de lever l’un des principaux obs- publics dans la voirie et les aides rapidement avec la cylindrée des
tacles au développement de la petite fiscales, qui continuent aujourd’hui vé­hicules.
reine : la peur de se faire renverser par de privilégier l’automobile. Alors que les avantages du vélo
une voiture (voir graphique) ? Les as- On en est loin. L’indemnité kilo- en matière économique, écolo-
sociations de cyclistes le réclament. métrique vélo (25 centimes/km), gique et bien plus encore de san-
De même, la lutte contre les iné- une avancée due au précédent gou- té individuelle et collective [2] sont
galités de mobilité impliquerait de vernement, est facultative dans les rappelés à longueur de rapports, le
revoir les plans d’urbanisme rééquilibrage des aides fis-
et la politique des loyers cales entre la petite reine et
pour limiter l’éloignement l’auto, entre autres mesures
entre travail et domicile. Elle pour mettre « en marche »
nécessiterait a minima de la mobilité active, sera-t-il
un sujet pour le nouveau
gouvernement ? Le 10 juin,
Emmanuel Macron se faisait
photographier à bicyclette
du plan seront-ils atteints ? « Tout faire dans les rues du Touquet.
en deux mandats n’est pas réaliste », Peut-être un signe.
concède l’élu.   Antoine de Ravignan
D’autant que tout n’est pas affaire
d’infrastructures. Seul un habitant de [1] 4 444 euros déductibles en frais réels
pour 10 000 km parcourus à titre profes-
l’agglomération sur deux déclare don- sionnel avec un véhicule de 6 CV, par
exemple.
ner un coup de pédale au moins une [2] Selon les sondages, la santé est la prin-
fois par mois. L’association de Fabien cipale raison qui pourrait pousser les
Français à faire plus de vélo.
Masson est partie prenante d’un tra-
vail d’accompagnement, passant par
en savoir plus
des sessions de vélo-école dédiées aux
adultes et par des conseils à l’achat. Les >>« Vive le vélo ! Une politique publique
ambitieuse pour la petite reine », note
habitants des périphéries, notamment, de La Fabrique écologique, 2017, accessible
sur https://lc.cx/SrKQ
sont concernés par ce programme. >>Site de la Fédération des usagers de la
Pour lui, cette dimension éducative, bicyclette (FUB) : www.fub.fr
condition du développement d’une >>Site du Club des villes et territoires
cyclables (et observatoire de la mobilité
véritable culture du vélo, manque à active) : https://lc.cx/SrKm Voir, entre
autres, l’enquête « Les Français et le vélo en
l’actuel schéma directeur. Cela tombe 2012 ».
bien : la métropole doit lancer d’ici à la >>« Indemnité kilométrique vélo. Les
enjeux, les impacts »,
fin de l’année un nouveau plan sur les Coordination interministérielle pour le
Pascal Bastien - Divergence

mobilités actives, dont l’accompagne- développement de l’usage du vélo,


novembre 2013, accessible sur https://lc.cx/
ment individualisé devrait constituer 16 % des actifs SrKn
l’un des axes. Bénédicte Weiss strasbourgeois vont >>« Partir de bons matins à bicyclette… »,
Insee Première n° 1629,
travailler en pédalant. janvier 2017, disponible sur https://lc.cx/JTen

62 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


ENVIRONNEMENT

[ En bref ]
POLLUTION DE L’AIR
TRUMP ET LE CLIMAT :
Premières plaintes
Une victime de la pollution de
LA CALIFORNIE ENTRE EN RÉSISTANCE
l’air, une Parisienne de 56 ans, Il n’est pas question Unis et au-delà. Une ba- cé régulièrement ses
a porté plainte le 7 juin de- pour la Californie de ré- garre juridique pourrait normes, qui visent au-
vant le tribunal administratif duire ses engagements se jouer sur le terrain jourd’hui une consom-
de P ­ aris pour « carence fau-
contre le réchauffement des normes de consom- mation de 4 litres aux
tive de l’Etat ». C’est le premier
planétaire. En butte à la mation des véhicules. 10 0 k m e n 2 0 2 5 . E n
d’une série de recours auprès
politique anticlimat de La Californie est l’un face, les constructeurs
des juges administratifs de plu-
­Donald Trump, cet Etat des Etats qui a édicté les font du lobbying auprès
sieurs villes. Cette démarche est
soutenue par des associations fédéré s’attend donc à normes les plus sévères de la Maison Blanche
(Respire, Ecologie sans fron- une bataille juridique du pays, en vertu d’un contre des règles qui les
tière, Générations futures) qui avec l’Etat fédéral. vieux décret présiden- obligent à des doubles
ont déjà recueilli des centaines En 2015, la Californie tiel (signé par ­R ichard standards. Argument au-
de témoignages de victimes. (39 millions d’habitants Nixon) lui permettant quel la Californie oppose
Malgré l’instauration de restric- et un PIB comparable d’adopter des seuils su- la taille de son marché et
tions pour les véhicules les plus à celui de la France) a, périeurs à la législation le fait qu’une douzaine
polluants, la pollution de l’air comme l’Hexagone, dé- fédérale. C’est sur cette d’autres Etats suivent ses
urbain dépasse régulièrement cidé de réduire de 40 % base qu’elle a renfor- normes.  A. R.
les normes. ses émissions de gaz à
effet de serre avant 2030
PERTURBATEURS par rapport à leur niveau
Vote très attendu de 1990. Mieux encore
« La France va rester ferme », a que la France, elle a in-
promis Nicolas Hulot le 23 juin. troduit le mois dernier
Les Etats européens votent le une proposition de loi
4 juillet sur le texte proposé par prévoyant que 100 % de
la Commission définissant ce l’électricité vendue au
que sont les perturbateurs en- détail serait d’origine re-
docriniens, des substances per-
nouvelable d’ici à 2045.
turbant le système hormonal
En face, l’administra-
et provoquant des maladies
/Mike Blake - Reuters

tion Trump cherche à


graves. Le 15 juin, trois grandes
sociétés internationales d’en-
entraver les efforts de cet
docrinologie avaient sévère- Etat moteur de la lutte
ment critiqué ce texte, qui contre le changement Station de mesure de la pollution à Oceanside. Trump veut mettre
demande « des exigences de climatique aux Etats- au pas la Californie.
preuves trop élevées pour que
les perturbateurs endocriniens
soient effectivement identi-
fiés comme tels et soumis à
des r­ estrictions ou des inter-
CANICULE : L’AGRICULTURE TOUCHÉE
dictions », a alerté Le Monde. La vague de canicule du mois dernier a des pertes de rendement de 30 %. Par
aussi frappé les agriculteurs de France, ailleurs, ces mauvaises récoltes sur-
AGRICULTURE d’Espagne et du Portugal. Dans l’Hexa- viennent dans un contexte de prix dé-
Du vert pour la PAC gone, « les niveaux hors norme de tempéra- primés. Ils sont tirés vers le bas du fait de
Le Parlement européen a voté tures enregistrés en mai s’ajoutent à un im- récoltes records l’an dernier, en particu-
de justesse, le 14 juin, l’interdic- portant déficit en eau depuis l’automne, de lier dans le bassin de la mer Noire dont le
tion d’épandage de pesticides l’ordre de 50 %. Les nappes phréatiques et les rôle sur les marchés du blé est prépon-
sur les surfaces d’intérêt écolo- sols ne se sont pas rechargés cet hiver. Au total, dérant. Du coup, les stocks mondiaux
gique, telles que haies, bosquets on s’attend à des baisses de rendements de sont élevés. Enfin, il faut noter l’absence
et bords des cours d’eau. Cette 5 % à 10 % pour les blés et de 10 % pour les d’incident climatique cette année chez
mesure pourrait donc entrer en orges », explique Michel Portier, directeur les principaux exportateurs de céréales
vigueur le 1er janvier prochain.
d’Agritel, une société de conseil sur les en Europe centrale et orientale ainsi
Pour bénéficier des aides de la
marchés agricoles. qu’en Amérique du Nord et du Sud. Un
PAC, les exploitations de plus
Pour les céréaliers français, ce n’est contexte qui ne va pas faciliter la défense
de 15 hectares doivent compter
5 % de leur superficie en sur-
pas la double peine, mais la quadruple. des intérêts de l’environnement et de la
faces d’intérêt écologique. L’an dernier, les pluies diluviennes santé publique dans la renégociation en
de printemps avaient déjà entraîné cours de la politique agricole.  A. R.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 63


AGIR

Pascal Pérot est catégorique : « Si j’étais


resté dans le modèle standard,
avec la dernière crise, je disparaissais. »

Marion Perrier
Le porc sur paille,
l’autre modèle
pour la Bretagne permet l’évacuation rapide de leurs
déjections, le lisier. Epandu sur les
terres de culture pour les fertiliser, ce
AGRICULTURE DURABLE Un nouveau mode dernier nourrit depuis longtemps la
critique du modèle d’élevage breton.
d’élevage porcin a été mis en place, pour des La région concentre 57 % du cheptel
français. Mais les cochons, parqués
raisons environnementales et économiques. dans des bâtiments, sont invisibles.
En revanche, cet élevage intensif est

R
à l’origine de la pollution des eaux
et des marées d’algues vertes, bien
éveillés de leur sieste de la paille. Cela permet de transfor- visibles, qui affectent le littoral. En
par des visiteurs inha- mer leurs excréments en fumier. « Je ne cause, les nitrates dérivés de l’azote
bituels, les cochons de voulais pas être montré du doigt comme du lisier (des porcs, des bovins et des
Pascal Pérot, éleveur à pollueur et j’étais sensible à la notion de volailles), qui contaminent les cours
Saint-Donan, dans les Côtes-d’Armor, bien-être animal », confie le maître des d’eau et les nappes phréatiques.
n’ont sans doute pas conscience d’être lieux, qui a repris la ferme en 2000.
des privilégiés. Dans cette ferme de En France, 95 % des porcs sont au Entre le conventionnel et le bio
54 hectares, ils grandissent dans des contraire élevés sur caillebotis, un sol Polluant, ce modèle met aussi ré-
bâtiments ouverts sur l’extérieur, sur ajouré, en béton ou en plastique, qui gulièrement des éleveurs dans la rue,

64 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


lorsque le prix du porc ne leur permet durable chez Cohérence. La filière Aujourd’hui, onze exploitations
plus de vivre de leur travail. C’est ce porcine française étant très indus- sont certifiées, surtout dans les
qui a conduit l’association bretonne trialisée, les conversions d’exploi­ Côtes-d’Armor. Produire de cette fa-
Cohérence à réfléchir à un modèle al- tations conventionnelles vers le bio çon génère du travail supplémentaire
ternatif. Cofondée en 1997 par Jean- sont difficiles. « Les ateliers sont trop pour pailler les enclos et les nettoyer.
Claude Pierre (le créateur de l’asso- gros, trop hors-sol, alors que le bio Cela a aussi un coût. La chambre ré-
ciation Eau et rivières de Bretagne, suppose une alimentation produite gionale d’agriculture de Bretagne a
qu’il a quittée depuis) et des paysans sur la ferme et un accès à l’extérieur chiffré le surcoût de l’élevage sur
du Réseau agriculture durable (au- que les bâtiments conventionnels ne paille à 0,16 € par kilo de carcasse
jourd’hui réseau Centres d’initiatives permettent pas. Pour développer le bio, produit, soit environ 10 % en plus par
pour valoriser l’agriculture et le milieu on mise plutôt sur de nouvelles instal- rapport au porc sur caillebotis. « Cela
rural, Civam), elle regroupe défenseurs lations », explique Stéphanie Pageot, s’expli­q ue par le coût de l’achat de
de l’environnement, agriculteurs, syn- présidente de la Fédération nationale paille, et parce que les porcs dépensent
dicats, entreprises et particuliers. Au de l’agriculture biologique (Fnab). En plus d’énergie et ont une croissance un
début des années 2000, ce réseau dé- 2016, les élevages biologiques ne re- peu moins rapide », explique Brigitte
veloppe un cahier des charges pour un présentaient que 0,94 % des exploi- ­Landrain, cheffe du service Elevage
élevage de porcs durable. tations porcines, selon la plate-forme à la chambre régionale. Chez les
Ses piliers : des cochons élevés sur éleveurs Cohérence, les porcs
de la paille, bénéficiant d’une surface partent ainsi à l’abattoir quand


minimale de 1,5 mètre carré par tête, ils ont entre 190 à 210 jours,
soit le double du minimum régle-  Je ne voulais pas être contre 180 en conventionnel. Le
mentaire pour les porcs de moins montré du doigt comme gage selon eux d’un cochon en
de 110 kilos. Le cahier des charges bonne santé et d’une viande de
n’impose en revanche pas l’accès des pollueur et j’étais sensible meilleure qualité.
porcs à l’extérieur, obligatoire dans à la notion de bien-être
le cadre des labels « porcs fermiers » animal ” Circuit court
élevés en plein air Label rouge et PASCAL PÉROT, Pour assurer la viabilité éco-
éleveur à Saint-Donan
pour l’élevage biologique, qui peut nomique de ce modèle, l’asso-
se faire en plein air ou avec des bâti- ciation a cherché de nouveaux
ments prévoyant une aire d’exercice débouchés pour ses produc-
en extérieur. Leur alimentation doit Agence Bio. Quant au label rouge, il teurs, dont une majorité propose
être sans organismes génétiquement concernait 3,3 % seulement de la sa viande en vente directe. Les
modifiés (OGM). Les traitements an- production nationale en 2014, dont ­boucheries-charcuteries locales sont
tibiotiques préventifs sont interdits. 83 % des élevages en bâtiment, selon particulièrement ciblées. En 2012,
Enfin, lors de l’épandage du fumier l’Institut français du porc (Ifip). Cohérence dépose donc la marque
(composé de la paille et du lisier), les « Porc authentique élevé sur paille »,
éleveurs doivent respecter un apport Onze exploitations certifiées dédiée à la vente chez ces artisans.
d’azote plafonné à 80 % du seuil ré- Sur leur ferme de 48 hectares, près Ils sont quatre éleveurs aujourd’hui
glementaire (140 unités d’azote par de Dinan, Pascal et Sylvie L’Hermitte à travailler sous cette marque et à
hectare, contre 170 sinon). Utile au cultivent colza, céréales et légumi- fournir une trentaine de boucheries
bien-être des cochons, pour lesquels neuses pour nourrir les 1 100 porcs (les autres éleveurs font de la vente
fouiller et jouer sont des activités qu’ils produisent chaque année. Pour directe). C’est aux éleveurs de se
naturelles, la paille présente l’avan- protéger leurs cultures, ils misent constituer une clientèle directe. « Je
tage de résorber une partie de l’azote sur des techniques naturelles, tout produis ce que je peux vendre. Alors que
présent dans leurs déjections en les en gardant la possibilité de les traiter dans le modèle conventionnel, on est
compostant. L’utilisation de cet en- si besoin. A terme, le couple vise les toujours incités à produire plus, sans
grais solide, plutôt que le lisier, limite 1 500 porcs par an, pas plus. Cohé- garantie de débouchés. Résultat : les
de plus les risques de ruissellement. rence, qui défend un élevage fami- prix s’effondrent », argumente l’éle-
Le cahier des charges intègre en lial, limite d’ailleurs la production veur Pascal Pérot.
outre une cinquantaine de critères selon le nombre d’actifs par ferme. La paie des producteurs de la fi-
sur lesquels les éleveurs s’engagent Les exploitations spécialisées dans lière porcs sur paille n’est, elle, pas
à progresser. L’utilisation d’une ali- l’engraissement comptaient en soumise aux aléas du marché. Ils
mentation produite à la ferme est moyenne 875 places en 2010, selon travaillent avec un prix fixe négo-
ainsi conseillée sans être impéra- l’Ifip, contre 500 places occupées cié chaque année avec les bouchers
tive, ce qui est le cas en élevage bio- chez les ­L’Hermitte. Les producteurs partenaires. Ces derniers aussi y
logique. L’objectif ? « Proposer une adhérents sont certifiés tous les deux trouvent leur compte. « La viande se
alternative durable, accessible au plus ans, dans le cadre d’audits participa- conserve bien, tient mieux à la cuis-
grand nombre », justifie Jean-Bernard tifs réalisés lors de journées portes son et les consommateurs voient la
Fraboulet, chargé de mission porc ouvertes dans les fermes. différence sur le plan gustatif, assure

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 65


­ uillaume Corduan, gérant de la
G crise, je disparaissais. Grâce au prix 40 % de leur production en bouche-
boucherie-charcuterie-traiteur épo- fixe, j’ai pu recommencer à faire des rie, le reste étant proposé aux parti-
nyme, à Hillion, au bord de la baie de projets et la banque m’a fait confiance culiers à la ferme et sous forme de
Saint-Brieuc. Bien sûr, je paie le porc colis, ou servi dans des can-
2,70 € le kilo et, pendant la crise en tines du secteur. A deux, ils
2015, il devait bien avoir 70 à 80 cen-

s’en sortent avec un résul-
times de différence avec une viande  La viande se conserve tat avant impôt de l’ordre
même labellisée, mais au moins l’éle- de 30 000 euros par an. En
veur peut vivre de son travail. »
bien, tient mieux à la cuisson 2015, année de crise, ce ré-
Dans sa boutique, le porc sur et les consommateurs voient sultat était en moyenne de
paille est aujourd’hui environ 15 % la différence sur le plan 13 000 euros par actif dans
plus cher que celui qu’il propose les exploitations porcines
lorsque son stock est écoulé. Pour-
gustatif ” françaises, une filière aux
GUILLAUME CORDUAN,
tant, des consommateurs viennent boucher-charcutier-traiteur à Hillion résultats très fluctuants.
ici spécifiquement pour cette viande A l’avenir, l’association
produite localement, que Pascal aimerait développer la fi-
­Pérot livre lui-même. Après quatre pour investir dans le camion frigori- lière sur l’ensemble de la Bretagne.
ans à travailler ainsi, il dresse un fique et la bétaillère nécessaires pour Si de nouveaux éleveurs sont in-
constat positif. « Si j’étais resté dans transporter mes porcs », détaille-t-il. téressés, intégrer la filière reste un
le modèle standard, avec la dernière Pascal et Sylvie L’Hermitte écoulent pas à franchir. « Tous ne sont pas
prêts à tourner le
dos au fonctionne-
ment des groupe-
FRANCE ments », constate
Jean-Bernard
La filière porcine en difficulté Fraboulet. L’an-
Dans la campagne française, les éleveurs por- alimentaires qui leur assurent un prix fixe. En France, née dernière,
cins reprennent leur souffle. Depuis juin 2016, les le prix payé aux éleveurs évolue au gré des semaines, 1 700 carcasses
cours du porc évoluent de nouveau au-delà de 1,40 € en fonction de la cotation au Marché du porc breton. ont été vendues
le kilo, leur seuil de rentabilité. Fin 2015, ils étaient Avec des bâtiments d’élevage vieux de vingt ans dans le cadre de
descendus sous la barre d’1,20 € le kilo. C’est à la en moyenne et de petits abattoirs, comparés à leurs la filière porc
Chine que l’on doit ce sursaut. Le pays a augmenté concurrents européens, la filière française est donc sur paille. Cette
ses importations depuis l’Europe (+ 110 % sur un an désavantagée avec un marché du porc peu seg- production reste
en 2016), alors que sa propre filière porcine connaît menté. « Pendant longtemps sa stratégie exclusive donc très margi-
une restructuration. Le marché du porc est en effet a été d’offrir une production standard, au prix le plus nale au regard des
globalisé et le prix payé aux éleveurs est fonction de bas, même si des tentatives de différenciation existent quelque 13 mil-
l’offre et de la demande mondiales. Ainsi, c’est l’em- aujourd’hui », ­explique Michel Rieu, économiste à l’Ins- lions de porcs
bargo russe, en 2014, qui a précipité la crise de 2015. titut du porc (Ifip). Si quelques initiatives ont vu le jour, (soit 1,1 million de
Mais leurs difficultés sont surtout structurelles. comme des contrats tripartites entre distributeurs, tonnes équivalent
Les éleveurs français sont en concurrence avec abatteurs-­transformateurs et producteurs, l’améliora- carcasse) abattus
leurs voisins européens. Avec 2 millions de tonnes tion de la situation des éleveurs français reste soumise en Bretagne. Mais
de carcasses de porcs charcutiers produites en 2016, aux évolutions de la demande internationale. pour les éleveurs,
la France est le 3  producteur européen, derrière
e faire vivre une
­l’Allemagne (5,5 millions) et l’Espagne (4 millions). filière alterna-
Or, la filière française a connu une crise de croissance tive locale est
et d’investissement après l’instauration, en 1998, de déjà une vic-
règles européennes destinées à réduire l’impact en- toire. « Notre
vironnemental des élevages. Au même moment, les modèle n’est pas
élevages et les abattoirs allemands se sont moderni- reproductible à
sés et concentrés, baissant leurs prix de production. tout le monde,
Ils ont également recours aux travailleurs détachés, estime Pascal
une main-d’œuvre moins coûteuse venue des pays L’Hermitte. Mais
de l’Est, et profitaient jusqu’en 2014 d’une absence la production dans
de salaire minimum. son ensemble doit
Le coût de la main-d’œuvre est aussi moindre en évoluer et nous
sommes des loco-
Marion Perrier

Espagne et les éleveurs plus protégés. Ils travaillent


en majorité sous contrat avec des entreprises agro­ motives. »
Marion Perrier,
­collectif La Fourmilière

66 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


AGIR

Une économie des communs


en plein essor
d’énergie égal à
ENTRETIEN Pour Michel Bauwens, l’économie zéro. Mais Jere-
des communs génère des économies d’échelle my Rifkin ne pose
pas suffisamment
qui favorisent son développement. la question des
D. R.

limites des res-


Michel Bauwens*,
fondateur de la P2P
sources dispo-
Foundation nibles. Or, la ré-
ponse est dans les
communs : grâce
à la mutualisation
Comment définissez-vous l’économie collaborative ? des usages, on peut éliminer jusqu’à 80 % des frais,
Je parle plutôt d’économie des communs, afin de tout en gardant le même niveau de fonctionnalité.
mieux faire la différence entre des projets centrés sur Prenons une voiture individuelle qui n’est pas utili-
le profit, comme Uber et Airbnb, et des projets véri- sée 80 % du temps. Si elle est partagée, son usage est
tablement collaboratifs de partage. La mobilisation rentabilisé. Autre exemple, une association comme
des ressources existantes (voiture, logement, permis L’atelier paysan, en France. En produisant leur propre
de conduire) chez Uber et Airbnb passe ainsi par une matériel, ces entrepreneurs, issus du milieu agricole,
mise en concurrence des individus. De plus, chez créent des produits plus durables puisqu’ils sont
Uber, les véhicules transportant juste un conducteur également usagers et évitent donc l’obsolescence
ou un passager tournent en continu, alors que dans programmée. Ainsi, ils ne mutualisent pas seulement
une véritable économie des communs, une voiture les machines et leur usage, mais aussi le partage de
partagée peut remplacer jusqu’à douze automobiles ! la connaissance technique. Quant à Open Source
Avec l’économie des communs, nous sommes dans Lab, à San Francisco, leurs microscopes coûtent un
des modèles qui intègrent leurs externalités négatives huitième d’un instrument classique puisqu’ils ne
pour les neutraliser. L’Etat a un rôle à jouer en prenant protègent pas la propriété intellectuelle et font des
des mesures en faveur de cette économie. économies sur les budgets de stockage et de mar-
keting. Enfin, dans le secteur du care, aux Pays-Bas,
L’économie collaborative recouvre-t-elle désormais une Buurtzorg est un collectif créé en 2006 par quatre
large échelle ? soignants libéraux qui souffraient du fait qu’on leur
Différentes études vont dans ce sens. Celle d’Homo imposait la rentabilisation de chaque geste. En don-
Cooperans en 2015 [1], les travaux de la chercheuse Tine nant du temps, en créant du lien, y compris avec le
De Moor, d’Institutions for Collective Action, aux Pays- voisinage, ils ont accru l’autonomie des patients et
Bas, et une étude sur la Flandre du think tank Oikos, à réduit de 40 % l’usage des prescriptions médicales.
Gand, permettent d’estimer que le nombre de ces ini- Aujourd’hui, ils sont près de 10 000.
tiatives a décuplé en dix ans. Ce mouvement est assez
général en Europe. En Grèce, de nombreuses initiatives Dans le cadre de cette transition, vous défendez aussi
se font jour autour des infrastructures, en réaction aux le revenu universel. Pourquoi ?
manquements croissants de l’Etat et du marché, en C’est une pièce essentielle pour passer d’un régime
retard sur les besoins des citoyens. En Italie, le règle- marchand tourné vers le profit à un régime contributif
ment de Bologne sur la régénération des communs en tourné vers les communs. Les modèles économiques
ville a permis la reconquête des friches industrielles des communs sont à la fois moins chers et génèrent
en s’appuyant sur la société civile. Ces initiatives, déjà moins de profits. Dès lors, le revenu universel autorise
anciennes, connaissent un essor depuis 2008. chacun à prendre des risques et à libérer son imagina-
tion. C’est aussi une reconnaissance
Pensez-vous, comme Jeremy Rifkin, par l’Etat et la société que les citoyens
que cela va nous mener à une troisième sont d’importants contributeurs.
Retrouvez l'ensemble
révolution industrielle ? des articles #ideecollaborative Propos recueillis par Naïri Nahapétian
Je pense comme lui que la tran- sur consocollaborative.com
* Auteur, avec Vasilis Kostakis, de Manifeste pour une
sition écologique, grâce aux éner- L’économie collaborative prend une place croissante
économie collaborative. Vers une société des communs,
dans l’économie mondiale, de façon très variée. C’est
gies renouvelables, nous permet Charles Léopold Mayer, 2017.
pourquoi Alternatives Economiques s’intéresse chaque [1] www.homo-cooperans.net et Homo cooperans 2.0.
d’atteindre un modèle plus efficient mois, en partenariat avec la Maif, à ces nouvelles formes Changeons de cap vers l’économie collaborative !, par
avec un coût marginal de production d’activité et de consommation. Matthieu Lietaert, Couleur livres, 2015.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 67


AGIR

[ En bref ]
ÉTAT D’URGENCE POUR LES LIBERTÉS SOLUTIONS CONCRÈTES
Le gouvernement pré- pour entraver la liberté de associations dénoncent L’été avec Alternatiba
voit de prolonger de nou- manifester, comme l’a re- le nouveau projet de loi En plus du Camp Climat or-
veau l’état d’urgence connu ­François Hollande antiterroriste préparé ganisé en août dans les
jusqu’au 1 er  novembre à propos des manifesta- pa r le gouver nement ­Pyrénées-Orientales (déjà com-
2017. Adopté le 14 no- tions lors de la COP21, (la der nière loi de ce plet), Alternatiba organise des
vembre 2015 et déjà pro- dans le livre Un président type ne remonte pour- tours à vélo locaux pour favo-
longé cinq fois, l’état d’ur- ne devrait pas dire ça… tant qu’à juillet 2016). riser les rencontres et valoriser
gence n’a pourtant guère (Stock, 2016). C’est ce que Ce texte prévoit en effet les solutions concrètes sur un
territoire. Ces tours auront lieu
fait la preuve de son effica- démontrait aussi un rap- d’accroître les pouvoirs
durant le mois de juillet dans le
cité dans la lutte contre le port d’Amnesty Internatio- des autorités adminis-
Rhône et la deuxième quinzaine
terrorisme, comme l’a sou- nal publié en mai dernier. tratives au détriment
de septembre en Ile-de-France.
ligné un rapport parle- Celui-ci insistait égale- du pouvoir judiciaire
>En
> savoir plus : https://lc.cx/qUf4
mentaire en décembre ment sur l’usage fréquem- en matière de perquisi-
2016. Ce régime d’excep- ment disproportionné de tions de jour et de nuit,
FLAMANVILLE
tion a en revanche été uti- la force qui en résultait. de saisies des données
lisé à plusieurs reprises Dans ce contexte, les informatiques, etc. Des
Bataille autour de
la cuve défectueuse
mesures « inspirées par
L’Autorité de sûreté nucléaire
l’état d’urgence », écrit
(ASN) a rendu fin juin un pre-
la Ligue des droits de
mier avis positif sur la cuve de
l’Homme. « On limite la l’EPR de Flamanville avant un
liberté des personnes sans avis définitif à l’automne. En
évaluer l’efficacité de ces jeu : l’homologation d’une cuve
mesures », critique Lau- dont Areva et EDF ont reconnu
rence Blisson, du Syndi- qu’elle était défectueuse. Cette
cat de la magistrature. homologation est la condition
  Nils Wilcke pour valider la recapitalisation
Paris, septembre
2016. L’Etat en savoir plus d’Areva par l’Etat français. Elle
d’urgence a été un >>Le décryptage du projet de loi engage donc l’avenir de la filière.
prétexte pour antiterroriste : https://lc.cx/qUgo Le réseau Sortir du nucléaire
restreindre les >>Le rapport « Un droit, pas
une menace » : https://lc.cx/qUMQ se mobilise tout l’été pour que
manifestations,
>>Le communiqué l’ASN la refuse malgré les in-
Wostok Press/MaxPPP

notamment contre de la LDH : https://lc.cx/qUfS


la loi travail. tenses pressions exercées par
>>Le rapport sur le contrôle
parlementaire de l’état d’urgence, le lobby du nucléaire.
décembre 2016 : https://lc.cx/J4xk
>En
> savoir plus : https://lc.cx/qUxe

HONGRIE
Les ONG sur la sellette
LES ÉTRANGERS ENFERMÉS Le 13 juin, le Parlement hon-
grois a adopté une loi obli-
Au fil des années, le nombre depuis 2011 à quarante-cinq jours. Au geant les ONG qui reçoivent
d’étrangers placés en centres ou en lieu de l’assignation à résidence, l’en- plus de 24 000 euros par an
locaux de rétention administrative fermement est devenu la norme pour de source étrangère à inscrire
(CRA et LRA) reste élevé. En 2016, les étrangers que l’Etat veut expulser. sur toutes leurs publications
46 000 étrangers ont été concernés, re- En 2016, 43 % de ces enfermements « organisation bénéficiant de
lève le rapport annuel des six associa- ont eu lieu en outre-mer. C’est là que financements étrangers » et à
tions habilitées à y intervenir (La ­Cimade, le taux d’exécution des mesures d’éloi- fournir la liste de ces soutiens.
Assfam, Forum réfugiés-­Cosi, FTDA, gnement est le plus élevé (67 %), en En cas d’infraction, les ONG
Ordre de Malte France et Solidarité raison d’entraves à l’exercice du droit risquent, à terme, la dissolu-
Mayotte), publié le 27 juin. au recours. En métropole, moins de la tion. Cette mesure, décalque
Les CRA existent juridiquement de- moitié des étrangers enfermés sont ef- de la loi russe contre les ONG
puis 1981. Ils étaient destinés au départ fectivement éloignés. « agents de l’étranger », est
non pas à punir, mais à organiser maté-   Céline Mouzon
destinée à entraver l’action
[1] Voir De Lesbos à Calais : comment l’Europe fabrique des
des ONG critiques du gouver-
riellement l’expulsion d’un étranger en
camps, Le Passager clandestin, 2 017. nement. Les ONG hongroises
situation irrégulière sur le territoire [1].
sont déjà soumises à des obli-
Mais les conditions de rétention ont en savoir plus
gations de transparence.
été durcies : d’un maximum légal de >>Centres et locaux de rétention administrative, Rapport
sur l’année 2016, juin 2017 >En
> savoir plus : https://lc.cx/qUxb
sept jours d’enfermement, on est passé

68 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


72 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
La planche à
BILLETS

J e me souviens d’un jour, il y a longtemps,


où accompagnant mon père pour faire
les courses, j’étais tombé en arrêt devant
la vitrine d’un magasin exposant une
voiture à pédales. A mon interjection « Papa, j’la
de la Banque centrale européenne : « Le gouverne-
ment américain dispose d’une technologie appelée
“presse d’imprimerie” qui lui permet de produire
autant de dollars américains qu’il le désire à un
coût quasiment nul. »
veux ! », il avait sèchement répondu : « Je ne suis
pas une planche habillée. » Ce qui m’avait laissé Monnaie-hélicoptère
coi. Ce que je croyais être une « planche habillée » C’est évidemment tentant. Tellement tentant que
fut mon premier contact avec ce que les grandes ce privilège – pouvoir imprimer autant de monnaie
personnes appellent la réalité économique. ayant cours légal que l’on veut – a été très vite ac-
Pourtant, on sait qu’il a bel et bien existé une cordé à une seule banque, dite alors « centrale »
authentique « planche à billets » dès 1300 après (en 1848 pour la Banque de France, qui s’en est
J.-C., en Chine. Des caractères en bois fixés sur une dessaisie en 2000 au bénéfice de la Banque cen-
vraie planche et enduits d’encre permettaient d’im- trale européenne avec la création de l’euro).
primer des billets servant de reconnaissance de Aujourd’hui, la métaphore a changé : mo-
dettes à l’empereur. dernité oblige, on
Mais l’expression est parle de « monnaie-­
née sous la Révolu- hélicoptère » grâce à
tion française, avec L’expression est née ­Milton Friedman, qui
la multiplication des avait imaginé qu’« un
assignats, qui ont sous la Révolution jour, un hélicoptère
permis à la Conven- (…) lâche du ciel une
tion et à ses suc- française, avec somme additionnelle
cesseurs de payer
leurs dettes à bon la multiplication de 1 000 dollars ». Il
en résulterait forcé-
compte. Imprimer
une feuille coûte in- des assignats ment de l’inflation,
écrivait-il. Pourtant,
finiment moins cher entre 2008 et 2017,
que se procurer de des milliers de mil-
l’or ou de l’argent et en faire des pièces, comme liards de dollars, d’euros ou de yens ont été mis en
c’était alors le cas, puisque tous les paiements s’ef- circulation pour sortir de la crise et regonfler une
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

fectuaient en monnaie métallique. demande dépressive. Et sans qu’il y ait d’inflation.


Aujourd’hui, la monnaie n’a plus rien à voir avec Peut-être parce que ces milliards ont été prêtés
l’or et c’est encore plus facile. Comme l’indiquait gratuitement aux banques au lieu d’être jetés sur
Ben ­Bernanke, ancien président (de 2005 à 2014) la foule depuis un hélicoptère ? Cette planche-là
du Federal Reserve System, l’équivalent américain était sans doute trop savonnée… DENIS CLERC

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 73


74 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
La trappe à
LIQUIDITÉ

E nfermer durablement un liquide


dans une trappe, c’est une gageure :
il s’évapore ou s’infiltre. Tous les vi-
gnerons savent qu’il faut « ouiller »
le vin qui vieillit en barriques, c’est-à-dire com-
pléter de temps à autre le niveau qui tend à di-
minuer (la « part des anges ») pour éviter que le
consiste donc à immobiliser sous cette forme le
moins d’argent possible.
Le problème, c’est qu’on ne sait pas ce que nous
réserve l’avenir. Face à cette incertitude, la liquidité
est (pour reprendre l’expression de Keynes) « un
baromètre de la méfiance que nous éprouvons en-
vers (…) l’avenir ». Quand la situation économique
contact avec l’air ne transforme le vin en vinaigre. se dégrade, nous ne nous contentons pas de serrer
Il fallait être économiste pour imaginer pareille les fesses, nous faisons des réserves de liquidités
expression, et économiste anglais, puisque c’est si nous en avons la possibilité.
à Keynes qu’on la doit. Une partie des liquidités passe alors à la trappe,
Les pièces et les billets, tout le monde appelle en réserve, au lieu de servir à financer des dépenses.
cela du « liquide », bien commode pour les dé- Certes, la banque centrale (en France autrefois, c’était
penses courantes, mais aussi pour les dealers, la Banque de France, désormais c’est la Banque cen-
les artisans qui sou- trale européenne, BCE)
haitent éviter la TVA ou ne baisse pas les bras,
les amis qui vous offrent seulement les taux d’in-
un costume sur mesure, Le déficit térêt, dans l’espoir de
car le paiement ne laisse relancer l’activité par
alors pas de trace. Mais budgétaire étant un crédit moins coû-

désormais mal vu,


pour les économistes, teux. Mais tant que le
la liquidité inclut aussi baromètre de la mé-
le montant des comptes
bancaires, grâce aux- la trappe fiance joue, les acteurs
préfèrent augmenter la
quels sont effectués neuf
dixièmes des paiements : à liquidité joue à réserve de précaution
qu’est la liquidité.
c h è q u e s , v i re m e n t s ,
prélèvements, cartes
fond depuis 2008 Si bien que la sti-
mulation du crédit ne
­bancaires. sert à rien. La liquidité
finira bien par s’écou-
« Baromètre de la méfiance » ler (comme l’eau) ou s’évaporer (comme la part
La liquidité est donc un montant d’argent im- des anges), mais lentement et tardivement. Aussi,
médiatement disponible, mais qui ne rapporte Keynes proposait que l’Etat relance lui-même la
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

rien (ou très peu, puisque les comptes d’épargne machine, en dépensant plus que ce qu’il encaisse.
dont le montant peut être transformé instantané- Mais comme le déficit budgétaire est désormais
ment et sans risque en monnaie sont considérés mal vu, la trappe à liquidité a joué à fond depuis
comme des liquidités). Au contraire, il se dépré- 2008 et la courbe du chômage ne s’est pas inver-
cie au rythme de l’inflation. La bonne gestion sée. Du moins pas à temps. DENIS CLERC

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 75


76 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
La destruction
CRÉATRICE

S top, laissez tomber le burin, oubliez


les explosifs ! La destruction créa-
trice ne consiste pas à démolir tout
ce qui vous tombe sous la main pour
faire monter votre cote, tel un artiste contempo-
rain en pleine performance. C’est l’économiste
autrichien Joseph Schumpeter, qui, dans les
travailleurs par exemple, la dimension créatrice
finit globalement par l’emporter sur la dimension
destructrice. A la fois en matière de bien-être,
grâce à l’amélioration de l’offre de produits et
de services que permet l’innovation, mais aussi
en matière d’emplois et de revenus, grâce à la
hausse de la productivité qui l’accompagne.
années 1930, a for- C’est aussi ce pro-
gé cette expression cessus qui permet
paradoxale pour dé-
La destruction
le plus sûrement de
crire les évolutions rebattre les cartes et
du capitalisme qui
se déroulaient sous créatrice permet de saper les positions
en apparence les
ses yeux. Et plus pré-
cisément, la façon le plus sûrement de plus inexpugnables
des géants d’un mo-
dont l’innovation et
ceux qui la portent
rebattre les cartes ment, comme IBM ou
Microsoft ont pu en
– les entrepreneurs – faire l’expérience au
reconfiguraient sans cours des dernières
cesse le système économique. La vision qu’il a décennies dans le domaine de l’industrie de
développée était très éloignée de la conception l’information, en voyant surgir les Gafa (Google,
très statique de l’économie que défendaient Apple, Facebook, Amazon).
alors la plupart de ses confrères. A partir du moment où l’idée de destruction
créatrice s’est répandue, la question de la re-
Coûts et avantages cherche et développement (R&D) a pris une im-
Le processus que décrit Joseph Schumpeter portance centrale dans les politiques publiques.
fait évidemment beaucoup de dégâts – la des- Ainsi que celle de la propriété intellectuelle
truction – en condamnant à la faillite de nom- pour permettre aux innovateurs de tirer parti de
breuses entreprises et au chômage nombre de leurs inventions sans être immédiatement pillés
leurs employés. Mais c’est la condition indis- par leurs collègues. Ce qui aurait risqué de tarir
pensable pour que le système capitaliste puisse le flux d’innovations. A contrario cependant, une
déployer tous ses atouts – la création –, grâce protection trop stricte et trop prolongée de cette
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

à la mise au point de nouveaux produits et de propriété risque de priver des concurrents de la


nouveaux services, ainsi qu’au développement possibilité d’améliorer ces mêmes innovations.
de nouvelles entreprises. A chacun son tour d’être un peu détruit, pour
Et si ce processus est bien accompagné par des essayer de mieux renaître.
politiques publiques adaptées, de formation des  GUILLAUME DUVAL

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 77


78 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
Le prêteur en
DERNIER
RESSORT

N e vous trompez pas : le terme ne


vise pas votre grand-mère, qui vous
aime bien et vous a sauvé la mise
la fois où vous étiez si endetté que
vous risquiez de vous faire expulser. Et encore
moins la mafia, qui vous a prêté de l’argent alors
que personne ne voulait le faire, mais qui vous
Prêter de l’argent ne lui coûte rien, puisqu’elle
est maîtresse de la « planche à billets » (voir ce
terme page 73).

Opérations sauvetage
Les institutions qu’il faut sauver, ce sont les
banques. Au moins celles qui sont trop grosses
impose en échange un intérêt prohibitif du genre pour faire faillite (too big to fail, en anglais) : leur
100 % par mois et vous effondrement ruinerait
menace de vous couper la des millions d’épar-
main droite à la première gnants et provoque-
échéance non honorée. Qui serait prêt rait une panique sans

à passer l’éponge
Le (vrai) prêteur en der- nom. Les clients se
nier ressort n’a rien à voir rueraient vers les gui-
avec un buveur de sang.
Il prête des sommes qui si vous ne chets pour retirer tout
l’argent possible avant
peuvent être colossales,
moyennant des condi- remboursez pas ? qu’il ne soit trop tard.
En septembre 2008,
tions particulièrement la banque Lehman
favorables. Il est même Brothers était dans ce
prêt à passer l’éponge si vous ne remboursez cas. Elle risquait de faire faillite, si la banque cen-
pas. Un saint ? trale américaine ne lui prêtait pas de très grosses
Pas du tout : une banque centrale. Enfin une sommes. Pas question, estima celle-ci. Ça servira
institution désintéressée, penserez-vous, ce de leçon aux requins de la finance.
qui, dans la finance, est tout à fait exception- Lehman Brothers a donc fait faillite, déclenchant
nel. Deuxième erreur : la banque centrale est la plus grave crise mondiale que le capitalisme ait
au contraire très intéressée. Mais à la façon du connue depuis… 1929. Et toutes les banques du
maçon qui s’aperçoit que, s’il ne met pas très vite monde capitaliste auraient suivi Lehman dans la
un soutènement, la maison tout entière risque tombe si les banques centrales de tous les grands
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

de s’effondrer. Elle prête parce que, si elle ne le pays, y compris des Etats-Unis, ne leur avaient
fait pas, tout risque de s’écrouler. Son problème pas prêté à tour de bras jusqu’à plus soif. Reste
n’est pas de savoir combien d’argent elle va ga- que cela s’est soldé par une bonne vingtaine de
gner, mais combien elle – et toute la société en millions de chômeurs supplémentaires dans le
même temps – va en perdre si elle ne fait rien. monde.  DENIS CLERC

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 79


80 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
La maladie
HOLLANDAISE

N ous sommes en 1977 et un mal


étrange mine le petit royaume ba-
tave, aux affaires naguère si floris-
santes. C’est à n’y rien comprendre.
En 1959, des « hiep hiep hiep hoera ! », exclamation
flamande intraduisible, avaient accueilli la décou-
verte de gisements de gaz dans la belle province de
gers ont besoin de se procurer des devises du
pays dans lequel ils achètent. Or, les transactions
gazières se faisaient alors en florins. Cependant,
quand la monnaie nationale est très demandée,
elle voit son taux de change augmenter fortement
(ce fut le cas du florin dans les années 1970). Ce
qui tend à freiner les exportations des entreprises
Groningue et, au-delà, en mer du Nord. De plutôt nationales sur des marchés concurrentiels.
aisés, les sujets de Sa Majesté allaient, pour sûr, Par ailleurs, l’enrichissement du pays l’a incité
devenir très riches en exportant leur « or bleu ». à acheter de plus en plus de produits importés, et
Et en effet, les florins se sont mis à couler à flots ce d’autant plus qu’une monnaie forte les rendait
sur le plat pays. Mais, rapidement, l’euphorie ga- relativement moins chers. Ainsi, aux Pays-Bas, tan-
zière a viré à la gueule dis que Philips peinait à
de bois de genièvre. Un vendre ses téléviseurs
nombre croissant d’en- au-delà des polders, les
treprises ont commencé
à licencier et le chômage
L’euphorie Néerlandais avaient, eux,
de plus en plus intérêt à
s’est mis à grimper  :
quasiment nul en 1970
gazière a viré acheter Telefunken ou
Thomson. Pour ne rien
(1,1 %), il avait atteint
5,1 % en 1977.
à la gueule de arranger, la hausse des
salaires dans un secteur
C’est cette même an-
née que le mal, à défaut
bois de genièvre gazier qui se développait
a obligé les autres sec-
d’être guéri, fut dia- teurs industriels à suivre
gnostiqué. Par The Eco- pour retenir leurs tra-
nomist : dans un article consacré à la paradoxale vailleurs, alimentant en retour une inflation dopée
affection dont souffraient les Pays-Bas, l’hebdo- par les importations de produits de consommation.
madaire britannique lui inventa un nom : « dutch Bref, contracter la maladie hollandaise peut être
disease », la « maladie hollandaise ». L’expres- mortel pour une économie, surtout quand son in-
sion est depuis restée pour décrire des symptômes dustrie est peu développée et que son Etat est peu
qui frappent presque toujours les pays qui, pour redistributeur. Ce n’était pas le cas des Pays-Bas,
s’enrichir rapidement, puisent allègrement dans le qui s’en sont remis. Mais en 2017 comme en 1977,
capital dont la nature les a (trop) bien dotés, à la l’épidémie continue de faire des ravages en Algérie,
façon de rentiers. On parle aussi de « malédiction au Venezuela, en Arabie Saoudite ou en Russie. Et
des matières premières ». rares sont ceux qui, telle la Norvège, parviennent
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

à s’en immuniser en s’imposant, pour gérer du-


Une maladie mortelle rablement leur rente des matières premières, un
L’étiologie est relativement simple. Plus un pays régime strict de contrôle des dépenses tout en in-
exporte et plus sa monnaie tend à s’apprécier. En vestissant leurs rentrées dans des fonds au profit
effet, pour régler leurs factures, les clients étran- des générations futures. ANTOINE DE RAVIGNAN

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 81


82
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
Extrait de l’album La planète des sages, tome 2, par Jul, Editions Dargaud. Avec l’aimable autorisation de l’auteur
La main
INVISIBLE

A mies lectrices, amis lecteurs, au-


tant vous prévenir tout de suite :
vous ne ressortirez pas indemnes
de cet article. L’économie, ce n’est
pas facile à comprendre (c’est pour ça qu’il y a
Alternatives Economiques !), mais intéressés par
la chose économique – sinon vous ne seriez pas
velle : vous pouvez tout oublier ! Adam Smith n’a
jamais écrit une ânerie pareille.
Passons sur la première fois où il utilise
l’expres­sion « main invisible » dans un petit texte
où il parle des sauvages qui, n’ayant pas encore
eu la chance de découvrir la météorologie, attri-
buent les événements auxquels ils font face à la
là –, vous avez bien sûr déjà entendu parler de la « main invisible de Jupiter ».
« main invisible », mise en avant par l’économiste La deuxième fois, c’est dans son livre philoso-
écossais Adam Smith à la fin du XVIIIe siècle. phique La théorie des sentiments moraux (1759).
Rappelez-vous, cela consiste simplement à dire Il y explique qu’en employant une armée de
que chacun, en pour- domestiques destinés
suivant son petit inté- à servir leurs caprices,
rêt égoïste, contribue les riches proprié-
au bonheur de tous. Le
boucher ne se lève pas
Si la main taires terriens « sont
conduits par une main
à 4  heures du matin
pour aller chercher sa
d’Adam Smith invisible » à redistribuer
de la richesse. Un com-
viande et la découper
par pure bienveillance.
est invisible, c’est portement oisif qu’il
condamne.
Il le fait pour en retirer tout simplement Dernier emploi dans
un profit personnel. La richesse des na-
L’épicier, le chauffeur parce qu’elle tions  (1776), pour si-
de bus,  etc., chacun gnaler que quand un
fait pareil. Et pourtant, n’existe pas entrepreneur développe
à la fin, tout le monde son business, « il est
est content, nourri et conduit par une main
transporté au mieux. Comme si une « main in- invisible à remplir une fin qui n’entre nullement
visible », celle des lois du marché, de l’offre et dans ses intentions ». C’est tout ! Si Smith croyait
de la demande, guidait nos choix et permettait aux vertus de la division du travail et à l’échange,
à chacun de prendre les décisions aboutissant à il n’a jamais assimilé le marché à une main invi-
la meilleure situation possible pour l’économie. sible autorégulatrice. Il était méfiant du pouvoir
Cette confiance dans les vertus innées du marché, des marchands, adepte de l’impôt progressif et
comme mécanisme naturel de coordination de dénonçait l’oppression des salariés. Ce sont les
toutes les décisions individuelles, fait d’Adam économistes libéraux des siècles suivants qui ont
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

Smith le père fondateur d’une pensée écono- réalisé un hold-up intellectuel en se l’appropriant.
mique libérale. Si la main d’Adam Smith est invisible, c’est tout
simplement parce qu’elle n’existe pas. Un conseil :
Un hold-up intellectuel profitez des vacances pour découvrir un bon éco-
Voilà. La bonne nouvelle, c’est que c’est assez nomiste hétérodoxe, lisez Smith !
facile à comprendre. Passons à la mauvaise nou-  CHRISTIAN CHAVAGNEUX

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 83


84 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
L orsqu’un économiste vous parle de stagnation,
C’est bien qu’il vous réclame un p’tit peu d’attention.
Le mot n’est pas marrant, il signifie absence
Et pour ces experts-là, c’est absence de croissance.
Lorsque l’on y adjoint l’adjectif « séculaire »
Précisons-le d’emblée, ce n’est pas populaire.
Car cela signifie que c’est pour un moment
Que croissance et emplois n’connaîtront plus le beau temps.

Mais pourquoi, direz-vous, cet avenir pessimiste ?


Qu’est-ce qui peut justifier ce regard alarmiste ?
Une première raison tient aux leçons de l’histoire :
La croissance qu’on a eue, on ne peut plus l’avoir !
Remplacer la charrette par un long TGV
Nous fait gagner beaucoup en productivité.
Mais réserver son train par son ordinateur
Ne nous fera gagner, au mieux, que quelques heures.

La stagnation
SÉCULAIRE
Si les révolutions de la technologie
Ont fondamentalement changé l’économie,
Jouer à des jeux idiots avec son téléphone
Et voir des vidéos n’font progresser personne.
Autre raison possible pour notre stagnation
Une épargne abondante plombe la consommation.
Les Etats endettés ne peuvent plus investir
Et côté entreprises, c’est la peur de l’avenir.
Bref, pour demain, le constat serait clair
Les capitaux sont là, mais la demande en trou d’air.
Ajoutons-y encore les inégalités
Qui empêchent fortement de pouvoir consommer.

Tout cela est bel et bon, disent les technoptimistes


Mais vous oubliez trop l’intelligence en piste.
« On le voit Notre révolution passe par les neurones
Les robots de demain et peut-être les clones
sur ce point, Vont nous faire progresser de manière fantastique
Et nous sommes au bord d’une belle dynamique.
comme d’ailleurs Oubliez les prophètes qui annoncent le malheur
La croissance et l’emploi arriveront à l’heure.
sur d’autres Certes les moins qualifiés en seront les victimes
Il faudra les aider pour éviter l’abîme.
Nos grands Mais une bonne formation, une aide individuelle
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

Permettront d’éviter les drames personnels.


économistes On le voit sur ce point, comme d’ailleurs sur d’autres
s’affrontent Nos grands économistes s’affrontent les uns les autres
La question reste ouverte sur notre stagnation
les uns les autres » Et seul l’avenir dira qui donc avait raison !
 CHRISTIAN CHAVAGNEUX

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 85


86 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
Le passager
CLANDESTIN

L e passager clandestin, tout le monde


le connaît : c’est le gars qui saute
par-dessus les tourniquets du ­métro.
Pour une version plus humoristique,
vous avez Monkey Business, un film de 1931 où les
Marx Brothers sont planqués dans des barriques
pour effectuer une traversée en bateau sans
manifester pour sauver le climat : ceux qui le font
à ma place vont obtenir des résultats dont je vais
profiter en restant tranquillement chez moi. Même
si le bénéfice à attendre de ma mobilisation (vivre
dans un environnement sain) dépasse largement
le coût de ma participation (quelques heures de
mobilisation), je n’y vais pas. Mais comme mon
payer leur place… et tentent de se faire passer voisin suit le même raisonnement, personne ne
pour Maurice Chevalier, va manifester !
un chanteur français à Un autre économiste,
l’accent parigot et star du Albert H­ irschman, s’est
Hollywood de l’époque,
pour débarquer ! Le prin-
Le passager gentiment moqué de
ce livre paru en 1965
cipe est le même : le pas-
sager clandestin, c’est ce-
clandestin, et qui théorisait doc-
tement sur l’absence
lui qui veut bénéficier d’un c’est celui qui de mobilisations col-
service gratuitement en lectives… à la veille
faisant assumer les coûts veut bénéficier des vastes mouve-

d’un service
par les autres. ments qui allaient se
Au-delà des trans- développer en Europe
ports, on peut retrouver
ce comportement dans gratuitement en (dont Mai 68) et aux
Etats-Unis ! Pour Albert
de nombreuses situations
économiques. Cela peut laissant assumer Hirschman, le béné-
fice individuel atten-
être le salarié qui laisse
ses collègues faire grève
les coûts par du d’une mobilisation
n’est pas la différence
pour une amélioration des
conditions de travail, dont
les autres entre le résultat espé-
ré et l’effort à fournir,
il bénéficiera sans s’être mais la somme des
mobilisé. Ou alors, c’est le deux : loin de se com-
fonds vautour qui achète la dette d’un pays en dif- porter en passager clandestin, le citoyen tire satis-
ficulté et refuse l’annulation partielle des créances faction de contribuer à ce qu’il considère comme
acceptée par les autres créditeurs pour se faire une avancée vers plus de bonheur public.
rembourser à 100 %. Pour autant, il ne se mobilise pas en per-
manence et, dans Bonheur privé, action
Comportement citoyen ­publique (1982), Albert Hirschman explique qu’il y
Le comportement de passager clandestin ne a des cycles de mobilisation publique et de repli
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

concerne pas seulement un individu ou une entre- privé dont il analyse les déterminants. Mais pour
prise. Il peut expliquer l’absence de mobilisations les connaître, il faudra lire l’ouvrage : je ne vais
politiques ou sociales. C’est la thèse développée pas faire le boulot à votre place et vous laissez en
par l’économiste américain Mancur Olson dans son profiter en passagers clandestins !
livre Logique de l’action collective. Pourquoi aller  CHRISTIAN CHAVAGNEUX

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 87


88 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
Les externalités
NÉGATIVES

C ontrairement aux méchants ordi-


naires qui fanfaronnent, les externa-
lités sont discrètes. Surtout quand
elles sont négatives : elles avancent
masquées. Tapies derrière un aimable agriculteur,
par exemple : le voici inspectant le blé qui demain
fera nos baguettes et nos pains au chocolat. Il est
et des cours d’eau, au point de les rendre sou-
vent impropres à la consommation humaine. Sans
compter que nous ingurgitons des quantités non
négligeables de produits chimiques qu’on soup-
çonne d’être à l’origine d’un nombre croissant de
cancers, d’infécondité… Bref, l’agriculture intensive
a engendré une foule d’externalités négatives. Elle
heureux. Il pense à son compte en banque qui va est très loin cependant d’être la seule activité hu-
se remplir, tout comme celui du minotier, du trans- maine à l’origine de telles conséquences.
porteur, du boulanger, Les acteurs écono-
bref, de tous ces agents miques concernés ne
économiques qui font sont pas incités à limi-
la chaîne du pain. Mais
pour faire pousser plus
Les acteurs ter ces externalités né-
gatives parce qu’elles
vite des épis plus gros,
notre homme a truffé
économiques ne leur coûtent rien.
D’où la solution pro-
son champ d’intrants ne sont pas posée par les écono-
chimiques (engrais, pes- mistes : internaliser les
ticides…), puis il l’a arro- incités à limiter externalités négatives,

les externalités
sé abondamment. Et des c’est-à-dire pénaliser
millions d’autres de par financièrement les ac-
le monde l’ont imité.
Ce vaste mouvement négatives parce teurs qui en créent. Cela
peut prendre la forme
a rendu l’agriculture
beaucoup plus produc-
qu’elles ne leur de normes plus strictes
q u i a cc ro i s s e n t le s
tive et permis de faire
face à la croissance dé-
coûtent rien coûts pour ceux qui pol-
luent. Ou instaurer des
mographique, qui a vu taxes environnemen-
la population mondiale tales qui cherchent à
passer d’un milliard d’êtres humains environ en imputer aux pollueurs les coûts qu’ils engendrent
1800 à plus de 7,5 milliards aujourd’hui ! Mais il pour la société. Ou encore créer des marchés de
a aussi engendré une foule de conséquences né- permis d’émission qui donnent un prix à des pol-
gatives : les fameuses externalités, qu’on appelle lutions jusque-là gratuites, comme c’est le cas en
ainsi parce qu’elles n’ont pas d’impact monétaire Europe pour le CO2 émis par les gros industriels.
sur l’activité économique concernée (en tout cas Cette démarche – indispensable – n’est cepen-
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

à court terme). dant pas la panacée. Il n’est en effet pas toujours


Dans le cas de l’agriculture intensive en produits aisé de chiffrer les dommages créés par une pol-
chimiques, ces externalités se traduisent par la lution, surtout quand ceux-ci sont irréversibles :
raréfaction ou la disparition de nombreuses es- quand des personnes sont mortes ou des espèces
pèces animales et végétales. Mais aussi par l’as- disparues à jamais, par exemple.
sèchement et la pollution des nappes phréatiques  GUILLAUME DUVAL

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 89


90 n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques
L’aléa
MORAL

L orsque Cendrillon, au douzième coup


de minuit, a vu ses somptueux ha-
bits de bal se muer en haillons misé-
rables, c’est un changement complet
de personnalité, donc de comportement. Cela n’est
pas rare et l’on connaît, dans la vie économique
française, un économiste renommé devenu im-
par la foi au pied d’un pilier de Notre-Dame de
Paris, mais beaucoup avec le calcul rationnel.
Le conducteur pépère devient pilote de For-
mule 1 le jour où il est bien assuré. Et le travailleur
consciencieux se transforme du jour au lendemain
en glandeur parce qu’on vient de lui garantir la sé-
curité de l’emploi. Les gens sont opportunistes à
précateur, traitant de « négationnistes » dont il l’extrême, c’est dans leur nature, soutiennent les
faut se débarrasser tous ceux qui ne pensent pas économistes branchés. Plus on les protège, plus
comme lui (depuis, je ne ils prennent de risques,
suis pas rassuré quand et plus la société paye.
je dois sortir seul la C’est pourquoi il faut
nuit). Il y a aussi un tra- L’aléa moral les inciter à bien se
der qui s’est mué en jé- conduire : hausse des
suite et un grand patron devient un fléau primes d’assurance des

lorsqu’il
qui préside une fédéra- conducteurs à risque,
tion d’associations de menace de licencie-
réinsertion sociale. Sans
oublier (et c’est plus fré- concerne non ment des salariés qui se
laissent aller… Les éco-
quent) des économistes
qui biberonnent aux plus des nomistes prouvent ainsi
qu’ils contribuent à amé-
confortables cachets de
conseils aux banques
personnes, mais liorer la nature humaine.
Sauf que l’aléa moral
ou aux multinationales,
tout en conservant leur
des institutions devient un fléau lors-
qu’il concerne non plus
statut de fonctionnaires des personnes, mais
pour avoir un parachute des institutions. Si, en
au cas où… Les changements de personnalité ne cas de difficultés, une banque sait qu’elle sera
sont donc pas rares : la princesse peut devenir mi- forcément sauvée en raison des effets dévasta-
sérable, le séminariste se transformer en Staline et teurs que sa faillite aurait sur le système éco-
le médecin damascène en bourreau sanguinaire. nomique tout entier, elle est poussée à prendre
des risques. Pile, je gagne ; face, le contribuable
Calcul rationnel et pousse-au-crime
n° 370 juillet-août 2017 - Alternatives Economiques

perd. L’aléa moral devient alors un pousse-au-


Toutefois, si ces changements de comporte- crime. Qui ne peut être contrebalancé que par
ment intéressent les économistes, et pas seu- des règles et des contrôles, au grand dam des
lement les psychologues, c’est parce qu’ils ne mêmes économistes branchés qui croient dur
tiennent le plus souvent ni au hasard ni à une comme fer aux bienfaits de la main invisible du
conversion. Rien à voir avec Paul Claudel, saisi marché. DENIS CLERC

LES (gros ) MOTS DE L’ÉCONOMIE 91


Ils ont dessiné
tous ces gros mots
Les dessinateurs et le scénariste qui ont concocté les planches de ce dossier
se présentent. Et nous disent ce qu’ils savent et pensent de l’économie.

RUDY SPIESSERT
L’histoire du billet en une planche LAETITIA CORYN
Rudy Spiessert est dessinateur et scénariste de Super prêteur
bandes dessinées. Il a publié une vingtaine d’al- Née en 1984, Laetitia Coryn se lance
bums, dont la série Naguère Les étoiles (4 tomes, d’abord dans des études supérieures de
D. R.

Delcourt) avec Hervé Bourhis au scénario. Il collabore mathématiques. Mais se rendant compte
régulièrement au journal Fluide Glacial. Il est aussi illustrateur pour qu’on en a vite fait le tour, elle décide

D. R.
la presse jeunesse et signe parfois sous le nom de Pluttark – ne de s’orienter vers une activité un peu différente quoique très
lui demandez pas pourquoi il ne s’en souvient plus. voisine : la BD. Elle a notamment publié trois ouvrages de so-
ciologie sur la place des personnes âgées dans notre société,
L’économie ? En matière d’économie, je sais une chose : la main
Le monde merveilleux des vieux (2 tomes, Glénat) et Le péril
invisible a tendance à fausser la libre concurrence entre les agrégats
de production. A moins que ce soit le contraire. Bon, j’avoue, pour vieux (Desinge & Hugo & cie, 2014), et plus récemment un al-
moi, l’économie s’apparente un peu à la danse contemporaine : ça bum ­extrêmement torride et sulfureux, Une histoire du sexe (Les
a l’air superintéressant, je n’y comprends rien, mais je ne demande Arènes, 2017), en duo avec un obsédé notoire, Philippe Brenot.
qu’à apprendre.
L’économie ? Je n’ai jamais pris un seul cours d’économie
de ma vie, pas même au lycée, pas même lors de mes courtes
études. Donc vous pourrez me dire ce que vous voudrez, quand
j’arriverai à vous comprendre, je vous croirai aveuglément.

FLORENCE DUPRÉ LA TOUR 


Le siphon à liquidités
Florence Dupré la Tour, auteure de bandes
dessinées, publie chez Gallimard, Dargaud,
Ankama. Après un passage par la fiction, elle JORGE BERNSTEIN
D. R.

se découvre une admiration sans bornes Scénariste


pour elle-même et se consacre désormais à l’auto- pour Super prêteur
biographie, comme dans Cruelle (Dargaud, 2016). et Savoir s’économiser

D. R.
L’économie ? Les questions économiques Parce qu’il distrait ses petits camarades
m’intéressent lorsqu’elles sont associées à la sociologie, à longueur de journée, Jorge Bernstein est
à la psychanalyse, à la philosophie, aux sciences repéré au fond de la classe, sur Facebook, par
comportementales… les éditions Marwanny Corporation, qui lui proposent
d’écrire un ouvrage sur l’univers insondable du mana-
gement. En naîtra, en 2011, Winner ensemble c’est gagner
together, marquant ses débuts dans l’écriture décalée.
Une aventure qui le mènera dans les contrées luxuriantes
THIBAULT SOULCIÉ du magazine Fluide Glacial, en compagnie de nombreux
La destruction créatrice auteurs, sur les bancs de L’école du gag avec James pour
Entrepreneur du dessin de presse et disrupteur d’hu- les éditions Vide Cocagne ou sur le chemin de l’humour
mour, je suis né juste avant le tournant de la rigueur. argentique aux éditions Rouquemoute, qui viennent de
Thomas Boivin

Ma start-up fait du consulting pour de prestigieux sortir un recueil de vieilles photos absurdement légendées.
clients : L’Equipe, Télérama.fr, LeMonde.fr, Arte, Fakir… L’économie ? Si l’économie est un gros gâteau (après tout,
L’économie ? C’est mon péché mignon. J’adore ce langage ésotérique c’est plus appétissant qu’un fonds de pension), disons que je
qui dirige le monde. Comme quelqu’un qui écoute la météo marine, m’intéresse peut-être plus à la question du partage des parts
car il trouve cela poétique. Je crois que j’ai fini par saisir certains qu’à celle de la recette. Autrement dit : je suis peu disposé à piger
mécanismes…, mais c’est un peu une secte, non ? Si je devais choisir les ingrédients d’un compte de résultat, même sous la torture, et
un gourou, ce serait plutôt Frédéric Lordon, je le confesse. Peut-être je reste insensible à la mécanique de calcul de la quantité de taux
vaut-il mieux ne pas être spécialiste pour dessiner sur des sujets d’intérêt qu’ajoute mon banquier pour sucrer la pâtisserie. Mais je
si pointus, pour que ça reste frais, décalé. En même temps, il faut suis plus attentif au moment de la distribution. Il y en a quelques-
comprendre les principes pour que ça soit juste. Un équilibre délicat. uns qui s’empiffrent en cuisine, non ? Ils n’ont pas l’air de trop
s’embarrasser de la complexité et ils laissent des miettes partout !

92 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


B-GNET
Navigateur solidaire
JAMES B-gnet, comme son nom l’indique,
est un célèbre auteur de bande
La maladie de Hollande
dessinée. Le problème est que
Age  : trop. Poids : secret. Taille : plus grand que la
peu de gens le savent. Il a pour-
moyenne. Yeux : presbyte. Cheveux : de plus en plus
DBD

tant écrit et dessiné 13 livres :


rares. Arrivé sur le tard à la bande dessinée, il publie beaucoup depuis

D. R.
The world is yaourt (Requins mar-
pour compenser, notamment Les aventuriers de la finance perdue, avec
teaux, 2006), Rayures, Taches, Old
Christian Chavagneux (Casterman, 2016), Le journal du Off, avec Renaud
Skull (6 Pieds sous terre), WafWaf & Captain Miaou
Saint-Cricq et Frédéric Gerschel (Glénat, 2017), Françoise, Manuela & les
(2 tomes chez Bayard), Saint-Etienne Lyon, Pères
autres (Glénat, 2017), Dans mon Open Space, (4 tomes, Dargaud), Hipster
indignes (La boîte à bulles), Lutin Spirix, Santiago
than ever, (Jungle !, 2015)…
(Vraoum), Jojo moniteur de ski (avec PMGL), Antique
L’économie ? Avant, on disait « tout est politique », mais l’économie Parc, Bonsoir (Editions lapin).
a pris tellement le dessus dans les priorités, les arguments, les postures,
qu’on pourrait dire « tout est économique ». Même si cette évolution L’économie ? Je n’y comprends rien, l’argent
ne me plaît pas spécialement – il y a des domaines où l’économie devrait m’ennuie, mais j’aime bien qu’on m’explique.
être subsidiaire, voire absente –, mon intérêt pour certains sujets Je pense que c’est le sujet que je maîtrise le moins.
économiques vient sans doute de là. Une clé fondamentale
pour comprendre l’évolution du monde et y trouver sa place.

FABRICE ERRE
JUL Lutte pédagogique
Adam et Eve Partagé entre enseignement et bande

Cecile Gabriel
Avant de devenir dessinateur, Jul vagabonde dessinée, Fabrice Erre est spécialiste
dans de longues études supérieures et dans des personnages mégalomanes, de
l’enseignement universitaire. Mais son enfance Démonax, le plus grand bandit de l’univers (6 Pieds sous
Editions Dargaud

passée dans une école alternative a semé des terre, 2006), au Guide sublime, dictateur du Sublimeland
graines coriaces : défroqué de l’Education nationale, il (Dargaud, 2015). Il raconte donc sa vie dans un blog :
débute comme dessinateur de presse. uneanneeaulycee.blog.lemonde.fr Il fait également des
C’est son premier album de bande dessinée, Il faut tuer José albums avec Fabcaro, qui est, lui, tout à fait étranger à la
Bové (Albin Michel), qui le révèle. La croisade s’amuse paro- notion de mégalomanie.
die le choc des civilisations. En 2009, Jul investit dans l’âge de L’économie ? Mon rapport à l’économie relève de la passion.
pierre : Silex and the City (7 tomes, Dargaud) est sa première Les plus fameux concepts guident quotidiennement mon
série, satire de notre quotidien d’hommes modernes. Ce qui analyse du monde : « Un sou est un sou » (Adam Smith),
ne l’empêche pas de faire un détour, aux côtés de Charles « Le temps c’est de l’argent » (Stiglitz), « Bien mal acquis
Pépin, vers la philosophie : La planète des sages (2 tomes) ne profite jamais » (Keynes), « Un tiens vaut mieux que deux
et Platon la Gaffe (Dargaud). tu l’auras » (Raymond Barre).

L’économie ? J’ai toujours été très méfiant avec ce qui me


paraît être la moins fiable des sciences humaines, d’autant qu’elle
essaie de se faire passer pour une science exacte, alors qu’elle
est basée sur le plus de croyances. Mixer avec un petit peu de
mathématiques et un petit peu d’anthropologie permet de faire
passer la mixture ! DOROTHÉE
DE MONFREID
Savoir s’économiser
Dorothée de Monfreid écrit et des-
D. R.

sine depuis une quinzaine d’années


TERREUR GRAPHIQUE des albums pour les plus jeunes (L’école
des loisirs) et des livres d’humour pour les
Le cas stagne
grands (Hélium). Elle collabore aux magazines
Nicolas Guerin

Terreur Graphique a longtemps hésité entre ces


Spirou (L’atelier Mastodonte) et Pomme d’Api
deux passions : le dessin et la compta. Il laissa les
(Les p’tits Philosophes), ainsi qu’à Mon Lapin
dés décider de son avenir. Il fait donc de la BD. De
Quotidien, le journal de L’Association.
la bande dessinée introspective (Rorschach, hypocondrie(s)), trash (La
rupture tranquille, Make my day, punk !), musicale (La musique actuelle L’économie ? Je ne comprends absolument
pour les sourds), d’humour (Le Fist), avec Hervé Bourhis (Le petit livre de rien à l’économie. Si on m’explique, ma
la bande dessinée), politique et sociétale (La communication politique, compréhension dure à peu près une journée,
Ces gens-là). Il travaille aussi chaque samedi dans Libération, et chaque et ensuite j’oublie tout.
mois dans SoFilm, Fluide Glacial et Daron.
L’économie ? Personnellement, je souffre de phobie administrative,
je ne comprends absolument rien à tout cela et ce numéro d’Alternatives
Economiques est une aubaine pour moi.
n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 93
économie

Mais le cœur des négociations vise


Comprendre

à définir les modalités des futures re-


lations économiques et financières du
pays avec l’Europe. Plusieurs pistes
sont possibles, mais quel que soit le
résultat, il sera crucial pour l’écono-
mie britannique, qui dépend beau-
coup plus de l’Europe que l’inverse.
C’est vrai en termes d’exportations de
biens, de services et d’investissements
internationaux – même si les chiffres
s’avèrent peu fiables dans les deux

Wiktor Dabkowski - Zuma/Réa


derniers cas, comme l’a remarqua-
Michel Barnier et David Davis, le 19 juin
blement démontré un rapport récent
à Bruxelles, les deux négociateurs en du Parlement européen [1].
chef pour l’Union et le Royaume-Uni.
La City en danger
EUROPE Les négociations sur la sortie du Royaume-Uni Enfin, l’un des enjeux clés de
de l’Union ont commencé. L’addition pourrait être lourde. l’avenir de l’économie britannique
concerne son centre financier. En
sortant de l’Union, La City finira par

Un Brexit coûteux perdre son autorisation à délivrer des


« passeports financiers », c’est-à-dire
le droit de vendre des produits de pla-
Le 19 juin dernier se sont ouvertes les année. Et les dépenses engagées cement à partir de Londres.
négociations en vue de la sortie du une année peuvent être déboursées De plus, Londres est la première
Royaume-Uni de l’Union européenne. jusqu’à cinq ans plus tard. Dans ces place où s’échangent les produits
Elles sont cruciales pour nos voisins conditions, combien demander au financiers sophistiqués libellés en
britanniques. Royaume-Uni ? Sans parler des re- euros. En cas de crise, les intermé-
Du côté européen, on souhaite traites des fonctionnaires européens : diaires au cœur de ces transactions
commencer par régler deux pro- le pays doit-il uniquement payer celles – baptisés chambres de compensa-
blèmes. Le premier est celui des de ses ressortissants, alors qu’il a bé- tion – auront besoin de prêts en euros
droits des Européens vivant au néficié du travail de tout le person- de la part de la Banque centrale euro-
Royaume-Uni (3,3 millions de per- nel des institutions européennes de péenne (BCE). Celle-ci voudrait donc
sonnes) et des Britanniques en Eu- Bruxelles durant des décennies ? Les pouvoir surveiller ces chambres de
rope (1,2 million). Un accord devrait problèmes de ce genre sont nombreux. compensation de près. En juin 2017,
être trouvé sur le sujet. La participation nette des Britan- la Commission a proposé que les
Plus difficile est la question du niques au budget européen est de petites chambres puissent rester au
« chèque britannique ». Les dépenses 9 milliards d’euros, mais tous pro- Royaume-Uni, que les plus grosses
de l’Europe sont fixées dans un cadre grammes compris, les Européens ai- acceptent un contrôle plus important
pluriannuel – le dernier porte sur la meraient récupérer de 20 à 75 milliards de l’Agence européenne des marchés
période 2014-2020. Mais les engage- selon les estimations. Un montant qui financiers (Esma), mais que les très
ments sont ensuite validés chaque sera durement négocié des deux côtés. grosses, baptisées « super systé-
miques » soient forcément localisées
en Europe. Or, l’acteur le plus impor-
L’actualité des études tant, LCH, est une filiale de la Bourse
de Londres, une société privée qui
Dans son rapport annuel 2017, la confronté à un plateau. Mais n’est-ce pas verrait ainsi une partie importante
Banque des règlements internationaux justement la preuve que le local devient plus
de ses revenus s’en aller. Au-delà, par
(BRI) propose une synthèse sur la dy- important que l’international pour ces éta-
namique de la mondialisation. L’objectif blissements ? Quoi qu’il en soit, la BRI sou-
ces différentes évolutions, c’est bien
de l’institution est clairement de défendre ligne que la dynamique de rétraction des flux l’avenir de La City dans la finance
la mondialisation productive et financière bancaires internationaux est surtout le fait mondiale qui est menacé. On l’au-
comme un facteur de progrès, tout en recon- des acteurs européens, un réajustement ra compris, l’économie britannique
naissant que les gains sont inégalement bienvenu après les excès des années 2000. joue son avenir dans les mois qui
partagés. La BRI conteste que la mondiali- Et du côté des émergents, la mondialisation viennent [2].   Christian Chavagneux
sation financière soit entrée dans une phase financière continue à progresser. Une analyse
[1] Voir « An Assessment of the Economic Impact of
de régression. Si on ajoute, aux échanges stimulante. Brexit on the EU 27 », mars 2017, accessible sur https://
financiers internationaux, les activités lo- A consulter sur www.bis.org lc.cx/TGNC
cales des banques à l’étranger, on est plutôt D’autres études sur alternatives-economiques.fr
[2] Retrouvez une analyse plus détaillée sur www.alter
natives-economiques.fr
dans la rubrique « En direct de la recherche »  

94 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


écologie

CLIMAT Loin de l’idée d’un prix mondial du carbone, veau préconisé. Un prix mondial du
Comprendre

le rapport Stern-Stiglitz défend une approche différenciée. carbone internationalement négo-


cié est irréaliste. En revanche, des
coopé­rations à géométrie variable

Plancher sur les prix du CO2 pourraient être envisagées pour que,
sur le long terme, la tarification du
CO2 s’étende et que le prix du car-
Pour vraiment décarboner l’économie, il vembre dernier et présidée par les bone progresse.
y a une mesure dont on ne peut pas vrai- deux économistes. Ce rapport prend Aujourd’hui, comme l’a souligné
ment faire l’économie : faire payer le car- soin de préciser que la tarification l’économiste Gaël Giraud, un des
bone émis. Pour parvenir à l’objec- expli­cite du carbone (via une taxe ou auteurs du rapport, « 87 % des émis-
tif de l’accord de Paris sur le climat des permis d’émission échangeables) sions ne sont assujetties à aucune ta-
(contenir le réchauffement en des- n’est pas une mesure suffisante. Mais rification carbone et les trois quarts
sous de 2 °C), il faudrait, à l’échelle de en son absence, les politiques de ré- des émissions restantes sont tarifées à
la planète, que le prix du CO2 atteigne duction des émissions seront plus un prix inférieur à 10 dollars la tonne,
au minimum 40 à 80 dollars la tonne coûteuses. D’où l’importance de les comme sur le marché européen » [1]. Si
en 2020 et 50 à 100 dollars en 2030, mettre en œuvre, le plus largement le principe de tarification ne cesse de
indique le rapport Stern-Stiglitz, pu- possible et de façon ambitieuse. s’étendre – elle devrait couvrir d’ici à
blié le 29 mai dernier. Ce rapport a Cependant, compte tenu de l’hé- la fin de l’année 21 % des émissions
été présenté par une « commission térogénéité des situations et des grâce à la Chine –, les prix restent,
de haut niveau sur les prix du car- priorités, le rapport Stern-Stiglitz sauf exception, bien trop bas.
bone », créée avec le soutien de la insiste sur le fait qu’il est impossible Grâce à un prix plancher imposé
France lors de la conférence clima- que tous les pays se mettent d’accord en 2013 à son secteur industriel et
tique de Marrakech (COP22) en no- pour tarifer le CO2, a fortiori au ni- électrique (20,40 € la tonne actuel-
lement), le Royaume-Uni a fait chuter
LA TARIFICATION DU CARBONE DANS LE MONDE de 71 % sa consommation de charbon.
Etats et provinces ayant instauré ou programmé une taxe ou un marché des permis d’émission, Alors que le prix du CO2 sur le mar-
en avril 2017 ché européen des permis d’émission
ALBERTA MANITOBA
stagne à 5 euros, Emmanuel Macron
CANADA ONTARIO ISLANDE
voudrait, à défaut d’entente au ni-
KAZAKHSTAN CORÉE
COLOMBIE-
QUÉBEC
EU UKRAINE DU SUD veau des Vingt-Huit, instaurer
TERRE-NEUVE-
BRITANNIQUE ET-LABRADOR un prix plancher commun aux
WASHINGTON ÎLE-DU-PRINCE- Etats qui souhaiteraient aller de
OREGON EDOUARD JAPON
CALIFORNIE RGGI**
l’avant. Mais il sera difficile aux
Français de discuter avec les
Source : Ecofys/Banque mondiale

NOUVELLE-ÉCOSSE
NEW TURQUIE CHINE
BRUNSWICK Allemands (après leurs élec-
MEXIQUE
tions) s’ils ne proposent pas
THAÏLANDE de réduire la voilure sur le
COLOMBIE nucléaire.  Antoine de Ravignan
Marché carbone en place [1] Tribune parue dans Le Monde, 30 juin
ou programmé 2017.
BRÉSIL
Taxe carbone en place en savoir plus
ou programmée
RIO DE JANEIRO >>« Rapport de la commission de haut
Marché ou taxe carbone à l'étude* SÃO PAULO niveau sur les prix du carbone » (résumé
Marché et taxe carbone en place NOUVELLE- en français), Carbon Pricing Leadership
ou programmés CHILI AFRIQUE AUSTRALIE ZÉLANDE Coalition, mai 2017, https://lc.cx/Tmwx
DU SUD
Taxe carbone en place ou programmée ; >>« Carbon Pricing Watch 2017 »,
marché carbone à l'étude Banque mondiale-Ecofys, mai 2017.
* Y compris ensemble du territoire chinois, ** Regional Greenhouse Gas Initiative : initiative régionale des Etats du nord-est des Etats-Unis
annoncé pour 2e semestre 2017. visant à réduire leurs émissions de CO2.

L’actualité des études


L’artificialisation des sols repart en France et l’accaparement Opérateurs énergétiques territoriaux. De nombreuses collectivités
des terres se poursuit, alerte le rapport des Safer sur les marchés fonciers et acteurs locaux s’approprient la transition énergétique et deviennent des
ruraux en 2016. Les acquisitions de terrains constructibles ont progressé de « opérateurs énergétiques territoriaux », fournissant énergies renouvelables
22 % sur un an, soit 28 000 ha. L’urbanisation repart à la hausse et retrouve et solutions pour maîtriser la consommation. Comment font-ils, avec quelles
son rythme du début des années 2000 : entre 50 000 et 60 000 ha par an contraintes réglementaires et difficultés concrètes ? Un rapport du Cler
en comptant les projets d’infrastructures. Par ailleurs, la propriété agricole présente dix études de cas, dont sept en France (Energies Vienne, Enercoop
se concentre et la terre est de moins en moins détenue par ceux qui la Rhône-Alpes, Fermes de Figeac…), deux en Allemagne et une en Autriche.
cultivent : sociétés civiles d’exploitation agricole (SCEA) et sociétés anonymes Des sources d’inspiration. A consulter sur https://cler.org/
(SA) exploitent désormais 11 % des terres. L’essor de l’agriculture bio ne remet
D’autres études sur alternatives-economiques.fr
pas en causse cette tendance lourde.  A consulter sur www.safer.fr dans la rubrique « En direct de la recherche »  

96 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


management

tage d’erreurs, en interprétant mal


des informations. Dans les deux cas,
l’impact est négatif pour la perfor-
mance. De plus, pour l’individu qui
est tout le temps sollicité, le cerveau
peut, à terme, avoir vraiment besoin
d’une pause. Il s’agit d’une des causes
du burn-out par épuisement des res-
sources mentales. J’insiste, nous ne
pouvons pas faire deux choses à la
fois. Seuls les experts d’un domaine,
dont certaines tâches sont automa-
Pour éviter le burn-out, des
tisées, souffrent moins de cette sur-
pauses sont indispensables sollicitation. Tous ceux en revanche

IStock
pour alléger la charge mentale. qui doivent traiter une variété de
tâches, parfois nouvelles, subissent
ENTRETIEN Spécialiste en psychologie cognitive, cette charge psychique trop forte.
Caroline Cuny explique les conséquences d’une trop
Quels sont vos conseils pour éviter cela ?
grande sollicitation par les outils numériques au travail. Le principal est l’organisation et
la planification de ses activités en y

« Nous ne pouvons pas faire


donnant un sens global. Il faut éga-
lement garder du temps pour les ac-
tivités impromptues et urgentes. De

deux choses à la fois » plus, il est indispensable de se ména-


ger des pauses, pour alléger la charge
mentale, même des micropauses. Il
Courriel, logiciel de chat, réseaux C’est le cas par exemple quand le est également recommandé d’être
sociaux… Les canaux de sollicita- message provient d’un chef. modeste sur ce dont nous sommes
tion au travail se sont multipliés. capables de réaliser et d’essayer de
Rappelant que le cerveau n’est pas Quelles sont les conséquences pour raisonner ses supérieurs hiérar-
multitâche, Caroline Cuny, docteur le travail ? chiques. Le droit à la déconnexion
en psychologie cognitive et ensei- Deux stratégies sont mises en peut être utile en ce sens pour expri-
gnante-chercheuse à Grenoble Ecole place par notre cerveau. Soit il ralen- mer le besoin de ne pas être sollicité
de Management, publie en ligne un tit, pour prendre plus de temps pour à toute heure.
guide intitulé « Halte à la sursollici- faire chaque chose, soit il reste en   Propos recueillis par Justin Delépine
tation numérique ! »  . [1]
surchauffe et va commettre davan- [1] L’étude est téléchargeable sur https://lc.cx/qJZc

Comment les outils numériques ont-ils


modifié notre rapport au travail ? L’actualité des études
De deux façons. Tout d’abord,
grâce à eux, nous sommes en contact Où en est le débat sur le télétravail ? travail. Mais on ne sait pas si le gouverne-
constant et direct avec de nombreux Les concertations entre partenaires so- ment légiférera ou non sur le sujet.
ciaux et gouvernement sur le télétravail ont A consulter sur https :/lc.cx/qoha
types d’interlocuteurs : collègues,
fait partie des derniers chantiers du quin-
clients, fournisseurs, supérieurs hié- La peur de l’embauche, vraiment ?
quennat Hollande. Rédigé par les syndicats
rarchiques… Même s’ils se trouvent à patronaux et de salariés, un rapport sur l’état L’Insee a interrogé plus de 10 000 directions
des endroits géographiques très éloi- des lieux de cette pratique a été remis à la d’entreprise sur les freins à l’embauche. Pre-
gnés, nous restons connectés. Ce qui nouvelle ministre du Travail le 7 juin. Le télé- mier enseignement de l’étude : la moitié
augmente la plage horaire de pos- travail est entré dans le code du travail en d’entre elles (53 %) n’éprouvent pas de pro-
sible sollicitation pour notre cerveau. 2012, à la suite de l’accord national interpro- blèmes pour recruter. Pour les autres, le prin-
Ensuite, ce flux de réception conti- fessionnel de 2005, mais sa pratique a beau- cipal frein réside dans l’incertitude des carnets
nu nous fait perdre le degré d’appré- coup évolué, via l’essor des outils numériques de commandes (28 %). Deuxième barrière
et celui des nouvelles formes d’emploi no- importante, la difficulté à trouver les compé-
ciation de la valeur et de l’urgence
made. Le rapport fait état d’accords d’entre- tences requises (27 %). Les freins liés au code
des informations. Notre cerveau du travail – coût du recrutement (4 %), du
prise sur le sujet mais rappelle que 20 % des
les interprète avec une importance travailleurs pratiquent le « télétravail gris », licenciement (10 %) ou risques juridiques liés
­similaire. De plus, quand il est sous c’est-à-dire de manière informelle. Le travail aux départs (10 %) – restent marginaux.
pression, le cerveau classe les infor- à distance figure au programme des parte-  A consulter sur https://lc.cx/TGJP
mations très rapidement en leur at- naires sociaux qui sont consultés sur les fu-
tribuant une étiquette émotionnelle. tures ordonnances de réforme du droit du D’autres études sur alternatives-economiques.fr
dans la rubrique « En direct de la recherche »  

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 97


Livres & revues
Une histoire des crises
en longue durée
P ierre Dockès appartient à une tribu en
voie de disparition : l’économiste qui
connaît l’histoire des faits et de la pen-
sée économique en longue période. Il a décidé
de mettre ses connaissances au service d’un
économistes, de l’Ancien Régime à la stagnation
séculaire (la période contemporaine est juste
évoquée). On retrouve toutes les grandes crises,
qui ont donné lieu à de nombreuses analyses,
et des plus petites, étudiées par les spécialistes.
sujet sur lequel il a déjà beaucoup écrit : les Bien entendu, les thèses de Karl Marx, John
crises du capitalisme. Cela donne un voyage Maynard Keynes et Joseph Schumpeter sont
fascinant dans les singularités et les ressem- largement traitées. On est à la fois enchanté
blances entre les grandes crises et par les histoires des
les grandes explications des crises crises et souvent
qui ont marqué l’histoire. frustré que certaines
TYPOLOGIE « Les fluctua-
Un livre de référence,
Le livre du mois tions et les crises sont inhé- qui remet les idées
d’entre elles soient
traitées en quelques
rentes au fonctionnement en place sur les faits pages alors qu’on
A du capitalisme », rappelle l’auteur. aurait voulu en sa-
Tome 1. Sous le Les 150 premières pages présentent
et les théories voir plus.
regard des géants ainsi une typologie des crises, aussi des crises P É P I T ES M ê m e
par Pierre Dockès bien dans l’ordre de la production constat du côté des
Classiques Garnier, 2017, que de la finance. Elles passent en théories. Le récit des
965 p., 98 €. revue les différents éléments struc- oppositions entre
turels qui nourrissent la succession des « ordres Jean-Baptiste Say et David Ricardo, d’un côté,
productifs » : démographie, gains de producti- et Thomas Malthus et le trop méconnu Simonde
vité, transformations sectorielles, Etat, relations de Sismondi, de l’autre, est passionnant. Et l’au-
internationales, institutions sociales, finance, etc. teur n’oublie pas de souligner le retournement
On entre, ensuite, dans les crises proprement d’opinion de Ricardo à propos de l’influence
dites et les débats qu’elles ont suscités chez les du progrès technique sur l’emploi, qu’il pen-

ÉCONOMIE chronique ne rendent que super- auprès de ces derniers. Ceux-ci ­ ublic-privé, des agences indé-
p
ficiellement compte d’un mou- montrent comment ces cas in- pendantes ou encore du recours
SPHÈRE vement structurel de plus grande dividuels sont le produit d’une croissant aux cabinets de conseil
PUBLIQUE, ampleur qui, depuis la fin des conjonction d’évolutions dans que la logique néolibérale s’est
INTÉRÊTS PRIVÉS années 1980, a vu s’élargir pro- la régulation de la profession nichée, loin de la vision d’une for-
Enquête sur un grand gressivement un véritable trou d’avocat, dans des arènes poli- teresse assiégée par les lobbies,
brouillage noir au cœur de la République, tiques et dans l’essor de lieux ainsi que le montrent les auteurs.
par Pierre France et Antoine Vauchez un endroit où la distinction entre d’hybridation sociaux et intel- Une invitation inquiétante à re-
Il est encore fréquent de public et privé est devenue to- lectuels, qui ont même donné considérer nos catégories d’ana-
pointer du doigt les « pantou- talement brouillée. C’est celui-ci naissance à une improbable nou- lyse en même temps qu’à nous
fleurs », ces hauts fonction- que nous proposent d’explorer velle branche juridique : le « droit interroger sur le sens de l’intérêt
naires partis monnayer leur les auteurs, politistes, à partir public des affaires ». général et sur les leviers pour le
expérience et leur entregent d’une base de données de plus C’est bien au cœur même de garantir. Igor Martinache
dans le secteur privé. Néan- de 200 « transfuges » complé- l’appareil d’Etat, via la mul- Coll. Gouvernances, Les Presses de Sciences
moins, les cas qui défraient la tée par une série d’entretiens tiplication des partenariats Po, 2017, 197 p., 19 €.

98 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


bien continuer à créer de la va- fait aussi profiter de sa connais-
leur à redistribuer, ce que seul sance du milieu professionnel,
permet l’emploi. Plutôt qu’un des conditions de fabrication
revenu universel, il importe donc – du vin vendu en vrac comme
de garantir effectivement à cha- des grands crus. Tout en se gar-
cun un revenu suffisant pour dant de se poser en critique œno-
vivre décemment, et de réduire logue. Un métier dont les stars en
le temps de travail pour mieux prennent plutôt pour leur grade.
le partager. Un bon résumé des  Sylvain Allemand
arguments « contre » pour les La Découverte, 2017, 128 p., 10 €.
lecteurs novices sur le sujet.
 Céline Mouzon LE MIEL
Les éditions de l’Atelier, 2017, 143 p., 10 €. Enquête sur
sait d’abord marginale puis importante. Mais on le nouvel or jaune
découvre aussi un James Lauderdale, traité en ÉCONOMIE DU VIN par François Roche
quelques paragraphes et à propos duquel on au- par Jean-Marie Cardebat et Béatrice Mathieu
rait voulu connaître plus d’éléments de son ana- Les amateurs de miel pour-
lyse des périodes de sous-consommation. ront découvrir les enjeux éco-
Les analyses synthétiques et comparatives des nomiques de leur produit gour-
thèses de John Stuart Mill, Stanley Jevons, Clé- 300 milliards de dollars, mand dans ce petit livre
ment Juglar et du très intéressant John Mills sont c’est ce que pèse le marché d’enquête. Un marché de niche
remarquables. Mais, là encore, l’évocation en- mondial du vin. Un montant en forte croissance, lui aussi se-
suite des auteurs comme John Hobson (celui qui appelé à croître encore. On coué par l’arrivée de la Chine : pre-
a travaillé sur l’impérialisme, dont on découvre comprend que les économistes mier consommateur et producteur
une autre facette), Williams Foster ou Waddill fassent de cette « marchandise » mondial avec des tonnages qui
Catchings nous met tout juste l’eau à la bouche un champ de recherche à part progressent bien plus vite que le
et nous frustre de découvertes prometteuses. entière. D’autant plus qu’elle se nombre de ruches… Ce qui laisse
On l’aura compris, on a affaire à un livre de révèle une bonne entrée dans la supposer un miel chinois allongé
référence, celui que l’on conserve à portée de compréhension de la mondiali- de sucre et d’eau ou bien produit
mains, qui remet les idées en place sur les faits sation. Encore principalement de manière synthétique. Il existe
et les théories des crises. Les passionnés seront européen jusque dans les an- une grosse production de faux
heureux d’apprendre que ces presque 1 000 pages nées 1990, le vin se consomme miel au niveau mondial.
nous sont annoncées comme le premier volume et se produit désormais massi- La France achète les trois
d’une œuvre qui en comportera quatre ! On es- vement sous pratiquement quarts de sa consommation,
père que l’auteur réduira les parties les plus tech- toutes les latitudes. Si l’Italie, la nos 40 à 70 000 apiculteurs
niques et traitera plus vite ce qui est déjà connu, France et l’Espagne sont encore n’y suffisant pas. Attention, la
pour nous emmener vers les pépites historiques les principaux pays producteurs, moitié des prélèvements réalisés
et théoriques dont il sait semer son travail. la Chine et les Etats-Unis en sont par la direction de la concurrence
  Christian Chavagneux les grands pays consommateurs. ont révélé des anomalies : « miel
Pour être mondialisé, le vin vosgien » espagnol, miel bio qui
n’en reste pas moins un produit à n’en est pas, etc. Le livre analyse
part. En dépit de processus d’in- également la disparition inquié-
dustrialisation et de financiari- tante des colonies d’abeilles du
sation, son marché est encore fait de nouveaux parasites, des
FAUT-IL d’austérité, développe une cri- très segmenté, avec une myriade pesticides et des manipulations
UN REVENU tique de gauche de cette propo- de vins de terroir (en Europe, du humaines. Au-delà du miel, c’est
UNIVERSEL ? sition. Il partage avec certains moins). C’est dire encore si les une bonne partie de notre éco-
par Les économistes défenseurs du revenu universel mécanismes qui président à la système qui est en jeu. Ch. Ch.
atterrés et la Fondation des constats, sur l’accroissement fixation du prix constituent un Editions François Bourin, 2017, 95 p., 16 €.
Copernic des inégalités ou l’insuffisante défi pour l’économiste.
A la question qu’ils posent protection offerte par les minima L’auteur le relève en convoquant LES CHEVAUX
en titre, Les économistes at- sociaux, mais pas le choix du re- l’apport théorique de nombreux De l’imaginaire
terrés répondent sans ambi- venu universel comme solution. champs : économie industrielle, universel aux enjeux
guïté (et sans surprise, pour D’abord, parce que le travail n’est économie agricole, économie en- prospectifs
qui les connaît) : non. Dans cet pas qu’une source d’aliénation, vironnementale (ne serait-ce que pour les territoires
ouvrage structuré en courts cha- mais aussi un vecteur d’éman- pour rendre compte des effets du par Eric Leroy du Cardonnoy
pitres, le collectif, qui regroupe cipation et d’accès à l’autono- réchauffement climatique). Fon- et Céline Vial (dir.)
des économistes critiques du mie, pour les femmes notam- dateur du groupe de recherche Cet ouvrage offre l’occa-
néolibéralisme et des politiques ment. Ensuite, parce qu’il faudra Bordeaux Wine Economics, il nous sion de découvrir le monde

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 99


De l’étranger
équin en France : son poids
­socio-économique (2,2 millions
de cavaliers, réguliers ou occa-
sionnels, des activités avec plus
de 12 milliards d’euros de chiffre
Des économistes
et des paradis fiscaux
d’affaires par an, un montant en
progression), mais aussi ses ten-
sions (entre traditions et inno-
vations) ou ses conflits d’usage

L
(entre amateurs et riverains de
centres équestres, notamment), ’éditeur anglo-saxon Edward Elgar contrôles fiscaux sont nombreux est sûre-
son rôle dans le développement s’est fait une spécialité dans la publi- ment un endroit où la corruption est forte.
local. Enfin et surtout, sa frag- cation d’énormes ouvrages destinés Pourquoi les gens paient-ils des impôts
mentation, liée aux différentes aux bibliothèques et rassemblant le must alors qu’il est si facile d’y échapper ? La
catégories d’équidés : les che- de la littérature de recherche sur différents conclusion est que, finalement, les gens ont
vaux de course et de loisirs, ceux thèmes économiques. Il vient de publier des comportements différents face à l’impôt.
utilisés à des fins plus profes- un passionnant volume sur la façon dont Dans la même veine, une étude sérieuse
sionnelles, ceux voués à alimen- les économistes ont traité les questions de veut nous convaincre que plus les impôts
ter des boucheries chevalines, fraude, d’évasion et d’optimisation fiscales sont prélevés, moins on les fraude. Et que
sans oublier le « cheval territo- agressives, des années 1970 à nos jours. cela se démontre très bien avec un mo-
rial » (utilisé pour des missions MARGINAL A relire les publications des dèle à individus rationnels : ouf ! On pointe
de service public : relèvement de années 1970-1980, on est frappé par leur également du doigt, à juste titre, le rôle des
déchets, transport d’enfants…). manque quasi total d’analyse des paradis échanges d’informations fiscales entre ad-
C’est dire l’événement que fiscaux. On navigue entre des modèles théo- ministrations, mais plutôt que de les évaluer,
constitue, à sa façon, cet ouvrage : riques sans intérêt et des approches statis- on préfère en faire un modèle théorique.
il est de fait l’un des premiers à tiques victimes de nombreuses faiblesses. BALKANISATION Les années 2000, en-
offrir une vision aussi globale et Loin de toute connais- fin, sont les plus inté-
transversale, à travers des contri- sance historique, les ressantes. Les écono-
butions de spécialistes de diffé-
rents horizons professionnels ou
disciplinaires (historiens, sociolo-
économistes consi-
dèrent le sujet comme
marginal. Un article se
“  Un passionnant
volume sur la façon
mistes s’aperçoivent
que les entreprises sont
aussi concernées. Ils
gues, économistes…). A la lecture demande même si les dont les économistes s’interrogent sur ce qui
de la préface, due à la prospecti- comportements fis- conduit les dirigeants
viste Edith Heurgon, on mesure caux douteux existent ont traité la fraude à l’optimisation agres-
la « course d’obstacles » (c’est sa vraiment ! L’approche et l’optimisation sive et si cela bénéficie
formule) qu’a représentée la pré- est centrée uniquement fiscale agressive ” aux actionnaires, sur le
paration du colloque dont sont is- sur les individus et dans coût des révélations pu-
sues ces contributions : près de dix un cadre national. On ne bliques, et on examine
ans auront été nécessaires pour cherche pas à comprendre les mécanismes quelques cas concrets. A partir de 2013,
convaincre des acteurs des diffé- à l’œuvre ni même à en mesurer l’ampleur, les approches réfléchies et empiriques de
rentes filières équines d’échanger mais plutôt à tenter de déterminer « la Gabriel Zucman donnent un coup de jeune
entre eux. S. A. consommation optimale d’actifs risqués ». et d’intelligence au sujet. Un article fait un
Presses universitaires de Caen et Colloque de Même Joseph Stiglitz s’embourbe dans léger lien avec les dimensions juridiques,
Cerisy, 2017, 368 p., 26 €. des raisonnements hors sol qui l’obligent pourtant essentielles et largement oubliées.
à prendre pour hypothèse des marchés fi- De manière générale, plusieurs contribu-
HISTOIRES nanciers parfaits, sans coûts de transaction. tions universitaires considérées comme
EXTRAORDINAIRES Passer plus de temps sur les cas concrets importantes par les spécialistes, mais pu-
DES MATIÈRES lui aurait montré que les coûts de la tran- bliées dans des revues non strictement éco-
PREMIÈRES saction fiscale agressive nomiques, sont carrément ignorées dans ce
par Alessandro Giraudo sont plutôt élevés, dans florilège. Une balkanisation des savoirs qui
Alessandro Giraudo a une des marchés financiers rend le sujet difficilement compréhensible
passion : l’histoire des ma- largement imparfaits, à la très grande majorité des économistes.
tières premières. Années après mais que cela n’a pas  Christian Chavagneux
années, il arrive toujours à trou- empêché l’explosion de
ver un éditeur pour publier ce qu’il la fraude et de l’évasion ! THE ECONOMICS OF TAX AVOIDANCE
qualifie lui-même « d’anecdotes OUF ! Les années 1990 AND EVASION
économiques ». Les classiques nous expliquent qu’en par Dhammika Dharmapala (dir.)
sont présents : le sel, le blé, l’or, fait, un pays où les Edward Elgar, 2017, 959 p., 412,59 €.
l’argent, l’opium, etc., et ce n’est

100 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Livres & revues

pas là que l’on apprend le plus. logue nous permet plus profon- l’économie sur les écosystèmes dans ce livre sont aussi ahuris-
En revanche, on s’amuse à trou- dément de cerner les logiques naturels. Une discipline dans la- sants que déprimants. La fusion
ver des résonances très actuelles et les tensions qui animent ce quelle la France occupe une po- de 2009 entre le placement des
dans la décision romaine de secteur où il s’agit de faire ri- sition intellectuelle marginale. chômeurs (l’ANPE de l’époque)
58 avant Jésus-Christ de procé- mer rentabilité avec satisfac-  Ch. Ch. et leur indemnisation (Assedic)
der à des distributions régulières tion du client. Ce faisant, elle Coll. Repères, La Découverte, 2017, 126 p., 10 €. réclame une double compé-
et gratuites de blé : cela permet- propose une fine sociologie du tence des agents de Pôle emploi
tra à certains paysans pauvres travail, qui dissipe l’opposition SOCIÉTÉ – ENTREPRISE pour laquelle ils sont loin d’être
d’échapper à un travail indécent, habituelle entre industrie et ser- formés. Surtout face à une par-
mais aussi à des patrons peu vice, comme entre coopération LA MACHINE tie de « clients » plongés en si-
scrupuleux de réduire le traite- et concurrence. Tout en rappe- INFERNALE tuation de détresse financière
ment de leurs esclaves. Vous avez lant l’irréductible subjectivité Racontez-moi Pôle et sociale.
dit revenu universel ? dans la mesure de la qualité et emploi L’idée de dématérialiser le plus
On découvre qu’un « pays de des performances, elle esquisse par Cécile Hautefeuille possible les procédures (ce dont
Cocagne » est un endroit où l’on finalement un modèle d’écono- Une fois le livre terminé, profitent les demandeurs d’em-
trouve de la cocagne, des boules mie des usages, pour désigner on se dit qu’une réforme ploi les plus autonomes) afin de
de feuilles de guède écrasées, « la recherche de création de va- structurelle s’impose : réor- libérer du temps pour les plus
une plante qui permet d’obtenir leur dans la discipline des usages ganiser Pôle emploi. Car notre vulnérables est bonne chose
une belle couleur bleue. Que des d’un service ». Un paradigme en service public destiné à aider en soi. Mais la liste des couacs
briques de thé ont servi de mon- plein développement à la fa- les chômeurs « malmène les est impressionnante. Il faut dire
naie en Chine, que l’on dégustait veur des nouvelles technologies. gens de chaque côté du gui- que gérer plus de 6 millions de
des glaces à la table de Néron et Bref, un ouvrage… nourrissant ! chet ». Pertes de documents, personnes n’a rien d’évident.
que les califats raffolaient des  I. M. non-réponses, offres d’emploi Heureusement, il y a aussi des
sherbet (glaçon sucré en arabe). Coll. Dynamiques socio-économiques, complètement décalées, ren- chômeurs pour qui tout se passe
On laissera le soin aux lecteurs Le Croquant, 2017, 265 p., 18 €. dez-vous inutiles, formations plutôt bien. Mais pour tous les
de découvrir les multiples usages impossibles à obtenir, dédale autres, il est urgent d’agir.
de l’urine. Ch. Ch. L’ÉCONOMIE administratif, flicage, etc., les  Ch. Ch.
Editions François Bourin, 2017, 238 p., 19 €. ÉCOLOGIQUE dysfonctionnements décrits Editions du Rocher, 2017, 194 p., 16,50 €.
par Ali Douai
LES CUISINES et Gaël Plumecocq
DU CAPITALISME
par Christèle Dondeyne Les questions environne-
mentales ont suscité le déve-
loppement de réflexions éco-
« Je préfère manger à la nomiques diverses, aussi bien
cantine », scandait le défunt par leurs méthodes que par
chanteur Carlos. Salariés, leurs préconisations. L’écono-
élèves ou patients, que nous mie écologique serait, selon les
soyons dans le privé ou le public, deux auteurs, le point de gravité
s’il est une expérience que nous de toutes ces recherches. Le livre
partageons fréquemment, c’est propose une genèse des diffé-
bien la restauration collective. rentes approches disponibles,
Pour autant, nous en savons as- décrit les divers courants et ce
sez peu sur les conditions dans qui les distingue.
lesquelles sont fabriqués nos On comprend rapidement, à
repas quotidiens. Christèle travers cette typologie de la litté-
Dondeyne vient pallier cette mé- rature, que l’affrontement entre
connaissance en nous emme- économie standard et économie
nant dans les coulisses de ce pluraliste y a cours comme dans
secteur particulier. de nombreux autres domaines.
A partir d’observations par- Mais, à bien y regarder, les fron-
ticipantes et d’entretiens me- tières seraient finalement plu-
nés dans trois lieux de restau- tôt poreuses entre l’économie
ration, situés respectivement standard et une socio-­économie
dans une firme de l’industrie écologique flirtant avec les ap-
électronique, un lycée privé et proches hétérodoxes. Le point
une maison de retraite, ainsi que commun de l’ensemble étant de
dans les échelons supérieurs de négliger l’analyse de l’influence
la firme qui les gère, la socio- des modes de financement de

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 101


En vitrine
UN NOUVEAU
REGARD
SUR LA TRICHE
ET LE MENSONGE
par Sonny Perseil
Quel travail !
L
et alii (dir.)
Existe-t-il une activité hu- e marché du travail tend un peu plois : 20 % de l’emploi industriel
maine qui échappe à la triche, partout à ressembler à un sa- en France entre 2001 et 2007.
à la fraude et au mensonge ? blier : les professions intermé- Un constat ancien, mais il ne
On aura tendance à répondre par diaires disparaissent en même temps semble pas exister d’esti-
la négative, après avoir parcouru que les emplois peu qualifiés et les très mation importante plus
les 21 contributions réunies dans qualifiés grossissent. Comment cela ­récente.
ce petit livre. Elles montrent, à ­s’explique-t-il  ? CODE DU TRAVAIL
travers des exemples très diffé- Avant de répondre à la question, Gre- Quel rôle jouent les
rents, que « le capitalisme est un gory Verdugo se penche sur l’état des institutions du mar-
écosystème extrêmement propice lieux. En France, l’industrie n’explique ché du travail ? Les
à la prospérité du tricheur » et que que la moitié de la perte des emplois in- hausses du salaire
« la logique de compétition (…) termédiaires, la disparition des postes de minimum se ré-
est une source quasi intarissable secrétaires, d’employés de banques, etc., percutent sur les
de triche endogène ». De surcroît, y contribue égale- rémunéra-
dans les organisations, et en par- ment. La de-
ticulier les entreprises, la ligne mande de
séparant le comportement irré- travail non
prochable de la tricherie est sou- qualifié dans
vent floue. les services (à
Une petite revue de littérature la personne,
rappelle les deux courants de re- coif feurs…) et
cherche en management : celui celle de travail
qui met l’accent sur les effets qualifié, par
négatifs du mensonge et de la exemple du côté des informaticiens, tions situées juste au-dessus, sans tou-
tricherie, et celui qui étudie leurs augmentent. Du fait cher le salaire moyen.
impacts bénéfiques sur l’orga- d’une compression Ce qui contribue à
nisation. Parmi les cas étudiés,
celui de la fraude de Volkswagen
aux tests antipollution, pour ses
plus importante des
écarts de salaires dans
le bas et dans le haut

 L’inversion
de la hiérarchie
réduire les inégalités
mais serait défavo-
rable à l’emploi – le
moteurs diesel aux Etats-Unis, de l’échelle, les inéga- des normes aboutirait livre n’offre pas d’es-
fournit un bon support à une ré- lités de revenus sont à créer des emplois, timation des effets des
flexion sur la normalisation et mieux maîtrisées en nombreux allégements
son utilisation dans un marché France que dans les mais peu rémunérés, de cotisations sociales.
très concurrentiel. Marc Mousli pays anglo-saxons. en accroissant De même, la cen-
Coll. Perspectives organisationnelles, ÉTUDES La suite du les inégalités ” tralisation des négo-
L’Harmattan, 2017, 256 p., 26 €. livre expose de ma- ciations collectives
nière très claire, en contribue à contenir
QUAND ILS ONT passant en revue les études disponibles, les inégalités mais serait défavorable à
FERMÉ L’USINE les causes possibles des évolutions en la création d’emplois. L’inversion de la
par le Collectif cours. On comprend ainsi que l’impact hiérarchie des normes aboutirait à créer
du 9 août du changement technique sur l’emploi des emplois mais peu rémunérés, en ac-
dépend de sa rapidité croissant les inégalités. Et pour demain ?
Il y a presque huit ans, les relative par rapport L’auteur est plutôt pessimiste sur les
haut-parleurs de l’usine Molex au niveau d’éduca- conséquences du progrès technique sur
de Villemur-sur-Tarn appre- tion. C­ elui-ci ayant l’emploi. Un petit livre synthétique, très
naient aux 279 salariés la fer- progressé plus vite en clair sur tous ces sujets.
meture prochaine de leur éta- France, le rendement  Christian Chavagneux
blissement au profit d’une du diplôme a diminué,
unité slovaque. S’en est suivie entraînant un mouve- LES NOUVELLES
une lutte sociale et juridique qui ment de déclassement. INÉGALITÉS DU TRAVAIL
a abouti le 9 août 2016 par la Oui, la mondialisa- par Gregory Verdugo
reconnaissance, par la cour tion efface des em- Les Presses de Sciences Po, 2017, 119 p., 9 €.
d’appel de Toulouse, de l’ab-

102 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Livres & revues

sence de « cause réelle et sé- en permettant de prendre du en perspective avec les autres LE PRIX
rieuse » aux licenciements. Mais recul par rapport aux commen- transformations démogra- DES SENTIMENTS
la Cour de cassation n’ayant pas taires habituels qui saturent phiques, et, enfin, des considé- Au cœur du travail
reconnu à la société mère états- l’espace public. rations sur un ton plus personnel. émotionnel
unienne, Molex Inc., le statut de En bons médecins sociaux, En fin de compte, l’ancien par Arlie Russel
coemployeur, celle-ci est dis- Arjun Appadurai, feu Zygmunt directeur de l’Ined enjoint à Hochschild
pensée du paiement des indem- Bauman, Bruno Latour, Nancy rompre avec « l’immigration- Il aura fallu attendre
nités… Cinq années durant, un Fraser et Wolfgang Streeck, pour nisme », c’est-à-dire la foca- presque trente-cinq ans pour
collectif de chercheurs de plu- ne citer que ceux-là, s’appliquent lisation exagérée sur ces flux que ce classique de la sociologie
sieurs disciplines s’est littéra- à distinguer les symptômes d’un dont les proportions sont tout états-unienne soit enfin traduit
lement immergé dans cette mal lui-même difficile à diagnos- sauf massives. Il appelle à faire en français. Arlie Hochschild met
aventure dont ils livrent ici une tiquer ; ils invitent à sortir des la part des choses entre ce qui en évidence le « travail émotion-
analyse éclairante. fausses oppositions, en particu- dépend de choix politiques et nel » et ses différents ressorts que
A la fois exemplaire d’une dé- lier celles qui nous enjoignent à ce qui les dépasse. Il est en effet les salariés doivent déployer en
localisation industrielle à l’ère choisir entre un néolibéralisme absurde de se prononcer pour ou sus de leurs autres tâches. Elle
du capitalisme globalisé et s’affichant comme progressiste contre l’immigration, car la vraie s’appuie pour cela sur une longue
­exceptionnel par l’activisme et et un « populisme réaction- question est de savoir comment enquête ethnographique auprès
la médiatisation dont il a fait naire ». Ne serions-nous pas face vivre avec. Le meilleur moyen de d’hôtesses de l’air et, plus secon-
l’objet, le cas des Molex consti- à un « interrègne » caractérisé dissoudre les prétendus tabous, dairement, d’agents de sociétés
tue une mine d’enseignements par un « contre-­mouvement » rappelle l’auteur, est de faire pro- de recouvrement. La sociologue
quant aux rapports à l’emploi réagissant aux excès du néoli- gresser les connaissances en la montre ainsi que les injonctions
et à l’engagement, rebattant au béralisme ? Derrière ces notions, matière, y compris les débattues reçues par ces dernières et large-
passage nombre de résultats que d’aucuns auront reconnu respec- statistiques « ethniques » (déjà ment intériorisées entretiennent
les sociologues et les politistes tivement Antonio Gramsci, Karl permises par la législation). Un une étroite familiarité avec la fa-
croyaient acquis. Au-delà de la Polanyi et David Harvey, sur les- ouvrage plus que nécessaire par meuse approche du métier d’ac-
reconstitution des logiques et quels s’appuient la plupart des les temps qui courent. I. M. teur de Constantin Stanislavski. Il
des structures sociales dans les- contributeurs. Manière de rappe- Coll. L’envers des faits, La Découverte, 2017, s’agit non pas simplement de
quelles évoluent les multiples ler que la pensée est une activité 327 p., 21 €. feindre, mais d’éprouver les émo-
protagonistes de ces « victoires éminemment collective. I. M.
au goût amer », cet ouvrage pro- Premier Parallèle, 2017, 320 p., 22 €.
longe également avec pertinence
les réflexions sur l’engagement AVEC
des chercheurs vis-à-vis de leur L’IMMIGRATION
objet. Et il pointe, mieux qu’un Mesurer, débattre, agir
long plaidoyer, les limites des ré- par François Héran
centes évolutions législatives qui
ont reconfiguré le rapport sala- François Héran est sans
rial ces dernières années. I. M. conteste l’un des meilleurs spé-
Coll. L’ordre des choses, Agone, 2017, 286 p., 19 €. cialistes des phénomènes mi-
gratoires. Cet ancien directeur
L’ÂGE DE de l’Institut national des études
LA RÉGRESSION démographiques (Ined), après
Pourquoi nous vivons avoir longtemps œuvré à l­ ’Insee,
un tournant historique a peu goûté les remises en cause
par Heinrich récurrentes de sa profession par
Geiselberger (dir.) ce r ta i n s co m m e n ta te u r s
Voici une entreprise édi- ­d’extrême droite, Eric Zemmour
toriale à la fois simple et ori- en tête. Il leur apporte ici une ré-
ginale : prenez une douzaine ponse aussi étayée que leurs
d’intellectuels parmi les plus sorties sont vaines. Alliant sa
reconnus au monde et deman- rigueur de chercheur à un style
dez-leur d’analyser le tournant vivant et pédagogue, il propose
sociopolitique enclenché par la ainsi trois livres en un : une cri-
crise de 2008 et qui a culminé tique en règle des politiques mi-
avec le vote du Brexit et l’élec- gratoires de l’ère Sarkozy – et en
tion de Trump. Il en résulte un particulier de son slogan d’« im-
ouvrage collectif éclairant où migration choisie » –, un état des
les perspectives convergent par- lieux des enquêtes quantitatives
fois et se complètent souvent, sur la question migratoire, mise

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 103


tions adéquates à la situation, en de se demander en refermant ­ arcelle Tinayre (1870-1948),
M riage, l’engagement politique, le
puisant dans ses propres expé­ l’ouvrage si la chronique lilloise ce livre nous donne un éclairage droit de vote ou encore l’éducation.
riences personnelles. ne serait pas en réalité la préface intéressant et étonnement tou- Les textes ainsi réunis par Alain
Cette recherche pionnière, d’un roman national plus large. jours d’actualité sur la condition Quella-Villéger nous permettent
qui a ouvert la voie à beaucoup Une chose est sûre, la conclusion sociale de la femme. Chroniqueuse de prendre la mesure de la variété
d’autres, constitue une réflexion n’est pas encore écrite. I. M. pour le premier journal féministe des idées féministes défendues
éclairante sur la nature et la place Coll. Repères, La Découverte, 2017, 125 p., 10 €. français (La Fronde), celle qui se depuis la fin du XIXe siècle, tout en
des émotions, en même temps définit comme partisane d’un fé- donnant un éclairage original sur
qu’une puissante charge fémi- LA RÉVOLTE D’ÈVE minisme réformiste – envisageant des questions qui font toujours
niste, en raison du rôle particulier Chroniques le changement par le biais de l’ac- débat dans notre société. Un pan
dévolu aux femmes en la matière, et autres textes cès à l’éducation et de l’améliora- entier de l’ouvrage est consacré à
et contre le capitalisme contem- par Marcelle Tinayre tion des conditions de vie plus que des portraits de femmes qui ont
porain qui envahit toujours plus par l’obtention des droits civiques inspiré Marcelle Tinayre par leur
la sphère de l’intime. Le tout ré- A travers 35 chroniques bien et politiques – aborde des sujets simplicité et leur persévérance. Un
digé d’une plume très vivante et choisies de la romancière aussi divers que l’amour, le ma- bel hommage à des générations
sans jargon, à lire et à faire lire
aux personnes engagées dans
des emplois de service. I. M.
Coll. Laboratoire des sciences sociales,
Ecrans
La Découverte, 2017, 307 p., 23 €.
DVD Aussi méconnue qu’essentielle, la médecine
SOCIOLOGIE du travail occupe une position particulièrement
DE LILLE
par le Collectif inconfortable. Démonstration sous la forme
Degeyter d’une fiction déroutante.

Après Paris, Lyon, Marseille, Le travail de Carole Matthieu


aborde

la souffrance
Nantes et Bordeaux, c’est à la souffrance
Lille de faire l’objet d’un petit psychique
guide sociologique dans la fa- au travail

L
meuse collection encyclopé- des salariés
dique de La Découverte. Mais a médecine du travail fait partie et des médecins
du travail
là encore, et peut-être davantage, des spécialités les moins attrac- eux-mêmes.
cet ouvrage a de quoi intéresser tives pour les jeunes internes.
bien au-delà du cercle des habi- Réalisé par Louis-Julien Philippe, Carole
tants et des visiteurs de la mé- Matthieu permet d’en saisir certains mo-
tropole nordiste. Car au-delà du tifs, mais aussi de comprendre pourquoi il
portrait sociologique, qui consti- est essentiel de remédier à la situation en Elle-même souffre ainsi de la « qualité em-
tue déjà en soi un exercice délicat, porte-à-faux de ces professionnels. pêchée », cette situation où « un employé ne
les auteurs développent une vé- RESSOURCES (IN)HUMAINES Campée peut pas faire ce pourquoi il a été embauché »,
ritable thèse. A savoir que derrière par Isabelle Adjani, l’(anti-)héroïne épo- comme elle le définit très justement. Alors,
le récit largement véhiculé de la nyme exerce donc cet office dans une comme les salariés, Carole Matthieu en-
reconversion réussie de l’ancien firme de vente par téléphone. Elle absorbe caisse, jusqu’au jour où survient une tragé-
bastion industriel en métropole littéralement la souffrance des salariés die qui libère la parole et bouscule cet ordre
tertiaire créative, l’agglomération qu’elle reçoit lors de ses consultations, délétère. Mais pas de la manière attendue.
lilloise est la plus inégalitaire et tout en se montrant impuissante à trai- L’ORDRE DES MÉDECINS Adaptant le ro-
ségréguée de France. ter leurs maux. Car, comme le lui rappelle man remarqué Les visages écrasés de ­Marin
Pour étayer leur propos, ils la DRH lors d’une entrevue rugueuse, sa Ledun, Carole Matthieu aborde de manière
reviennent sur près de deux fonction se cantonne à établir des certi- fictionnelle le thème de la souffrance psy-
siècles de transformations ficats d’aptitude pour les travailleurs en chique au travail, en en soulignant les
socio-­économiques, mais aussi fonction du poste où ils sont affectés, facteurs structurels contre une lecture
politiques, en plus des données pas à les soigner. Et lorsque la même lui individualisante de la question. Une veine
contemporaines accablantes enjoint de réduire le temps de consulta- largement traitée au cinéma, mais sur la-
quant aux inégalités, scolaires no- tion de 45 à 15 minutes par patient, on quelle il n’est pas inutile d’insister. Ce qui
tamment. A entendre certains dis- comprend que le médecin n’échappe pas fait cependant son originalité, ce n’est pas
cours actuels, célébrant le dyna- au management par la performance qui seulement un esthétisme impressionniste,
misme et la création de certaines règne dans l’entreprise. qui pourra d’ailleurs déranger certains,
franges, on ne peut s’empêcher

104 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Livres & écrans

­ e femmes qui se sont battues


d Qui dit favela pense spon- étroites et même d’entendre, de regroupe de très bons articles
– et continuent à le faire – pour tanément pauvreté et vio- sentir, de toucher du doigt (osons en anglais précédés d’une excel-
leurs droits. Aude Martin lence. Pourtant, dans celle de le mot) la poésie du lieu ! lente préface en français. L’Iran
Edition des femmes-Antoinette Fouque, Mangueira (Rio de Janeiro), c’est La communauté dont elle nous a traversé une crise économique
2017, 242 p., 16 €. davantage de communauté qu’il parle s’éprouve au quotidien, au liée aux sanctions qui pesaient
est question. Les nombreuses ré- travers des mille et une manières sur le pays à cause de son pro-
INTERNATIONAL férences théoriques (Deleuze, des gens d’y inventer un art de gramme nucléaire. Si la crois-
Foucault, Freud…) jalonnant l’ou- vivre ou des « spectacles » sur sance est revenue avec la levée
LA FAVELA vrage pourraient faire craindre lesquels on tombe au hasard de des sanctions, d’importantes
DE MANGUEIRA ET une vision intellectualisée. En ses déambulations – comme ces réformes sont nécessaires pour
SES HISTOIRES DE réalité, son auteur connaît bien enfants jouant avec des cerfs-­ que l’économie iranienne se
VIES EN COMMUN cette favela où elle poursuit ses volants. On fait aussi connais- transforme.
Travailler recherches depuis 2003. Sous sa sance avec Mamie Lica, Dona La dépendance au pétrole
avec les périphéries plume, on a le sentiment d’en ar- Mena, Silvina et quelques autres, reste forte. Le « caractère ren-
par Lúcia Ozório penter les ruelles plus ou moins autant d’habitants dont l’ou- tier et clientéliste de l’écono-
vrage restitue des histoires de mie iranienne » rend difficile
vies différentes de celles qu’on l’accès à l’emploi des jeunes et
peut lire d’ordinaire. Car ici, elles des femmes, pourtant très di-
participent à une résistance, en plômés. La population, dont le
l’occurrence contre la manière taux d’urbanisation est passé de
dont les autorités appliquent 47 % à plus de 70 % depuis 1976,
leur « tolérance zéro » à la dé- rappelle Mansoor ­Moaddel, se-
linquance, dont Mangueira peut rait « l’une des moins fondamen-
aussi être le théâtre. Au final, talistes » d’Afrique du Nord et du
l’auteur convainc de poser un Moyen-Orient. Djavad Salehi-­
autre regard, lucide mais aussi Isfahani montre un net recul du
sensible, sur la (ou les ?) favel- taux de pauvreté depuis les an-
la (s), en y voyant la possibilité nées 1980, même si, affirme Mo-
d’une utopie concrète de coopé- hammad Maljoo, le sort des ou-
ration dans la production d’un vriers iraniens demeure précaire.
« en commun ». S. A. Cyrus Bina analyse, de son côté,
L’Harmattan, 2017, 204 p., 21,50 €. la structure de l’industrie pétro-
lière iranienne, la façon dont elle
L’ÉCONOMIE s’est émancipée des majors in-
POLITIQUE DE ternationaux et l’évolution des
LA RÉPUBLIQUE contrats avec les partenaires
D. R.

ISLAMIQUE étrangers. Thierry C ­ oville re-


D’IRAN vient aussi sur les rivalités éco-
mais aussi le fait de centrer son propos sur la figure par Mehrdad Vahabi nomiques entre les gardiens de
du médecin du travail, à la manière dont Nicolas Silhol et Thierry Coville (dir.) la révolution, les fondations is-
dans Corporate l’a fait avec l’inspection du travail. L’accord de Vienne conclu lamiques et les acteurs privés et
Carole Matthieu met ainsi bien en évidence la po- en juillet 2015 a permis de publics de l’industrie. Bref, au-
sition intenable des médecins du travail, pris en te- tourner une page dans l’his- tant d’exemples qui prouvent
naille par le culte de la productivité entretenu par toire des relations entre l’Iran que la réalité iranienne est plus
un employeur qui est aussi le leur et un chantage à et l’Occident sur laquelle il sera complexe qu’il n’y paraît.
l’emploi intériorisé par des salariés qui redoutent difficile de revenir, même pour  Naïri Nahapétian
plus que tout d’être déclarés inaptes ou ostracisés Donald Trump. Telle est l’une des Revue internationale des études du
pour leur incapacité à tenir la charge. Faute de s’at- conclusions de cette revue, qui développement n° 229, 2017, 234 p., 20 €.
taquer directement à ces contradictions et d’accep-
ter de reconsidérer de fond en comble nos priorités
économiques, les médecins du travail risquent de
représenter le plus souvent, malgré toute leur abné- La suite de nos notes de lecture sur alternatives-economiques.fr/lectures
gation, un avatar modernisé de l’expression « poser >>Revue du crieur n° 7, Mediapart-La Découverte, 2017, 159 p., 15 €.
un cautère sur une jambe de bois ».   Igor Martinache >>Gouverner la décroissance, par Agnès Sinaï et Mathilde Szuba (dir.),
coll. Nouveaux débats, Les Presses de Sciences Po, 2017, 232 p., 14 €.
>>La fabrique de l’autorité. Figures des décideurs en régime médiatique,
CAROLE MATTHIEU par Adeline Wrona et Emeline Seignobos (dir.), Les petits matins, 2017, 239 p., 16 €.
par Louis-Julien Petit >>Ubérisons l’Etat avant que d’autres ne s’en chargent, par Clément Bertholet
et Laura Létourneau, Armand Colin, 2017, 215 p., 22 €.
Arte éditions, 14,99 €. >>J’ai vu la misère. Récits d’une Amérique en crise,
par Martha Gellhorn, Les éditions du Sonneur, 2017, 357 p., 20,50 €.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 105


idées & débats

LITTÉRATURE En 1957, Ayn Rand publie La grève. Ce livre,


qui offre aux ultralibéraux une justification morale
à l’accumulation effrénée d’argent, dévoile aussi
leur nature profondément égoïste.

« La grève », le roman


de l’ultralibéralisme
S i vous vous intéressez aux idées économiques
libérales, vous avez forcément été amené à
croiser Atlas Shrugged (La grève, en français),
l’époustouflant roman de l’écrivaine améri-
caine Ayn Rand. Un monument de plus de 1 000 pages
dont la traduction française est sortie récemment en
poche. L’occasion d’aller regarder de près cet ouvrage
­Rosenbaum le 2 février 1905 à Saint-Pétersbourg.
De famille juive avec un père pharmacien, elle subit
l’antisémitisme et la révolution russe de plein fouet.
A 20 ans, elle émigre aux Etats-Unis, travaille quelque
temps pour le réalisateur Cecil B. DeMille avant de vivre
de petits boulots. En 1929, elle épouse un acteur au
physique de gravure de mode, Frank O’Connor, avant
mythique, vendu à plus de 11 millions d’exemplaires, de lancer sa carrière littéraire.
passionnant par ce qu’il révèle des sentiments pro-
fonds des ultralibéraux. Le chef d’entreprise, ce héros
Atlas Shrugged s’organise autour de la figure d’un mo-
Aux origines d’un roman engagé dèle idéal, celui du chef d’entreprise, dont la représenta-
Lorsque La grève sort en 1957, Ayn Rand n’est pas une tion est bâtie sur une double opposition : d’un côté, avec
inconnue. Une pièce de théâtre (1933), un premier ro- le commun des mortels, de l’autre, avec l’Etat prédateur.
man (1936) et un deuxième à succès (1943) l’ont déjà L’industriel entreprenant est le seul à faire avancer
installée sur la scène littéraire. Mais le monde. Il doit sa capacité d’inno-
c’est la publication d’Atlas Shrugged vation et de direction des affaires à
qui lui assurera une immense re-
nommée publique, en dépit d’une
critique assassine.
“  C’est dans l’expression
américaine « to make
sa seule intelligence. L’homme du
peuple est par essence improductif,
c’est un parasite qui vit de la richesse
L’auteure est également connue money », « faire de des autres. A l’inverse, le chef d’entre-
pour ses prises de position poli- prise poursuit la quête d’une meil-
tique. En 1940, elle soutient le can-
l’argent », que réside leure vie matérielle pour lui-même,
didat républicain Wendell Willkie l’essence même de la un égoïsme fondé sur l’estime de soi,
contre Franklin D. Roosevelt. En morale humaine ” tout à fait naturel et recommandé : il
1947, elle témoigne au « comité des ne doit penser qu’à son profit et pas
activités anti-américaines » de l’As- au bien-être de ses employés.
semblée pour dénoncer la « propagande communiste » Ainsi, dans un célèbre passage du livre, un personnage
dissimulée dans les films produits par Hollywood. Un défend la quête effrénée d’accumulation d’argent comme
comité qui mettra dix personnes au banc de l’industrie un principe essentiellement positif. L’argent n’est qu’une
(dont le réalisateur Edward Dmytryc, celui de L’homme monnaie d’échange, est-ce mal de vouloir en gagner ?
aux colts d’or ou le scénariste Dalton Trumbo, celui de L’argent que je reçois n’est que le reflet de ce que les
Spartacus). Au début des années 1950, elle apporte son autres sont prêts à payer pour acheter le fruit de mon
soutien au maccarthysme. inventivité qui ne doit tout qu’à ma personne, est-ce
En pleine guerre froide, Atlas Shrugged propose, au mal ? L’argent reçu n’est que la récompense de l’intelli-
premier degré, la simple défense des vertus du capi- gence individuelle, est-ce mal ? C’est dans l’expression
talisme entrepreneurial face au modèle soviétique. américaine « to make money », « faire de l’argent », que
Il faut préciser que Rand est née Alissa Zinovievna réside l’essence même de la morale humaine.

106 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


idées & débats

Dans le monde de Pour Ayn Rand, l’industriel


Rand, l’individu est entreprenant est le seul
roi et ne doit sa réus- à faire avancer le monde.
site ou ses échecs
qu’à lui-même. Et
dans un échange,
tout le monde traite
librement, d’égal à
égal. Il n’y a pas de
rapport de force,
de rentes, de paradis
fiscaux, d’inégalités
injustes, de chômeurs
involontaires, etc.
Tout ce qui est de
l’ordre du collectif
est une menace. Le

D.R.
roman de Rand est
une dénonciation
implicite des Etats-Unis de Roosevelt. En 1963, elle pro- hommes et qu’elle a vécu de très nombreuses années
nonce un discours public intitulé « La nouvelle frontière dans un ménage à trois assumé et consommé avec son
fasciste », dans lequel elle assimile K­ ennedy à ­Hitler… mari et un admirateur de vingt-cinq ans son cadet. On
Ainsi, dans Atlas Shrugged, l’Etat est une créature trouve également dans un très long chapitre l’exposi-
orwellienne, dictatoriale et spoliatrice. Il n’est qu’un tion d’une approche « philosophique » du monde aux
empêcheur d’innover, un pillard qui vit sur le dos des arguments indigents, qui n’ont jamais été pris au sé-
individus les plus intelligents. L’impôt, c’est bien enten- rieux par les philosophes.
du le vol et les collecteurs d’impôts « une vermine qui Après le succès populaire de La grève, Ayn Rand évo-
grouillait depuis des siècles ». Le service public, c’est le lue entre dépression et engagement public. Elle se re-
blanchiment de l’argent du vol, et l’aide au plus dému- plie sur un petit groupe de partisans qui l’idolâtrent,
nis, l’entretien de parasites tels que la bureaucratie, les dont Alan Greenspan, futur patron de la banque cen-
syndicalistes et les hommes politiques. L’idée que le trale des Etats-Unis. Irascible, elle n’accepte plus la
besoin et non l’effort donne des droits à la solidarité est critique. Elle meurt le 6 mars 1982.
insupportable, et Robin des Bois est le type même de
l’anti-héros, « le fournisseur des pauvres », un défenseur L’ultralibéralisme exposé
de l’état de nécessité. Atlas Shrugged lui assure la postérité. Il offre à tous
les ultralibéraux une justification morale à la poursuite
Un livre captivant d’une accumulation individuelle et effrénée d’argent. Il
Jeune, Ayn Rand maîtrise l’anglais, le français et l’al- légitime par contre coup la dénonciation de toute forme
lemand. Lectrice assidue, elle dit de Victor Hugo qu’il d’organisation sociale et d’action économique publique
est « le plus grand romancier de la littérature mondiale ». comme le premier pas vers un collectivisme dictatorial.
Elle est très tôt persuadée que les idées exprimées C’est un livre fascinant, car il emmène ses lecteurs
dans des grands romans sociaux peuvent changer le de l’autre côté du miroir de l’ultralibéralisme pour
cours du monde. Et il est vrai que l’ouvrage fait passer révéler, sans précaution ni faux-semblants, la nature
son message politique à partir d’une histoire capti- profondément égoïste de ceux qui le défendent. Y
vante entre, d’un côté, les batailles menées par deux compris par la violence. A la fin du livre, l’héroïne,
chefs d’entreprise pour faire aboutir leurs projets et, armée, fait face à un soldat un peu perdu, car il ne sait
de l’autre, la disparation mystérieuse, progressive, des pas si elle dispose ou non de l’autorité pour pénétrer
autres grands patrons. dans le bâtiment où est emprisonné le personnage clé
Mais le lecteur doit également subir des scènes senti- de l’histoire. Alors, face à ce garde hésitant quant à la
mentales de type Harlequin, où les femmes ne sont pas décision qu’il doit prendre, « calme et détachée », nous
à l’honneur. L’un des chefs d’entreprise idéalisés est un dit l’auteure, elle « pressa sur la détente, visant le cœur ».
véritable refoulé sexuel qui craint sa volonté de mâle Ainsi, elle « abattit cet homme qui avait prétendu exister
domination. Il trouvera le bonheur dans les bras de sans assumer une seule responsabilité ». Bienvenu dans
l’héroïne du livre, cheffe d’entreprise volontaire, toute le monde d’Ayn Rand.  Christian Chavagneux
à la joie d’être soumise à ce héros qu’elle a réussi à
en savoir plus
attirer sexuellement, signe supplémentaire qu’elle est
véritablement une gagnante ! Une immaturité émotion- >>La Grève, par Ayn Rand, Les belles lettres-Fondation Andrew Lessman, 2017.
>>Ayn Rand and the World She Made, par Anne C. Heller, Anchor Books, 2009.
nelle, reflet de celle de l’auteur dont on apprendra après L’auteure a eu accès à de nombreux documents sans être membre du club des
la mort qu’elle était sensible aux charmes des jeunes supporters de Rand. Une biographie éclairante.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 107


La révolution industrielle amorcée en Chine au XIe siècle
Histoire

est restée sans lendemain. En cause : catastrophes au XIe siècle, l’empire du


environnementales et invasions de nomades des steppes. ­Milieu n’aurait-il pas dû
exercer une hégémonie

Quand la Chine
mondiale ? Ne parle -
rions-nous pas chinois
aujourd’hui ?

médiévale
L’âge d’or de la Chine
Les sinologues savent
depuis longtemps que
sous la dynastie des Song

s’industrialisait
du Nord (960-1127), la
Chine a connu une crois-
sance telle que cette pé-
riode est qualifiée d’âge
d’or de la Chine. L’empire

E
du Milieu est alors l’Etat
le plus peuplé et le plus
t si la première révolution industrielle prospère de la planète. Sa capitale, Kaifeng, 650 kilo-
n’avait pas eu lieu en Grande-Bretagne au mètres au sud de Pékin, dans le Henan, est la seule ville
XVIIIe siècle, mais en Chine au XIe siècle ? du monde à dépasser largement le million d’habitants.
L’hypothèse, formulée par l’historien Robert Le pays recrute ses fonctionnaires par des concours
Hartwell dans les années 1960 [1], a été peu étudiée de- impériaux, alimentant une administration nombreuse,
puis. Elle pose pourtant des questions fondamentales : efficace et qui favorise la cohésion du pays.
si une révolution industrielle avait démarré en Chine L’agriculture bénéficie d’une hausse considérable de sa
productivité grâce à l’introduction, planifiée
par l’Etat, d’espèces de riz autorisant deux
récoltes par an, contre une auparavant. La
Représentation de l’empereur bourgeoisie urbaine, formée de proprié-
Hui Tsung. Sous la dynastie des taires fonciers et de riches marchands, ini-
Song du Nord, la Chine connaît
une croissance exceptionnelle. tie un essor spectaculaire de la demande
en produits manufacturés. Des foules d’ar-
tisans développent une offre importante
de biens de luxe. Porcelaine et soie se re-
trouvent ainsi exportées jusqu’en Afrique.
La Chine est (déjà) l’atelier du monde !
Des milliers de moulins produisent du
papier d’excellente qualité. L’imprimerie
par xylographie (planche en bois sculptée
sur laquelle on presse les feuilles) permet
d’éditer chaque année des dizaines de mil-
liers de livres, allant des recueils de prières
bouddhistes aux manuels scientifiques.
L’économie des Song du Nord est la pre-
mière à amorcer le virage vers la monnaie
fiduciaire. Les billets de banque, imprimés
par des usines d’Etat, permettaient de sol-
der plus de la moitié des transactions. Dans
les villes notamment, les impôts sont réglés
de cette façon.

Une industrialisation précoce


Dans cet apogée économique, social et
politique, Robert Hartwell voit les prémices
d’une révolution industrielle chinoise. L’ar-
chéologie montre l’existence de milliers de
pièces en fonte, standardisées, servant pour
les outils agricoles, les armes, les objets
Bridgeman

108 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


Economie

cultuels, les pièces de monnaie… Des chands. La question peut sans doute
statues de plusieurs tonnes étaient être retournée : l’Etat n’a-t-il pas
fondues d’une seule pièce. Conclu- été affaibli plutôt par un excès de
sion : il existait déjà en Chine mé- libéralisme et une montée des
diévale de véritables hauts-four- inégalités qui a mis en cause la

D. R
neaux. Et la qualité de la fonte était cohésion de la société ?
telle qu’elle impliquait une fusion On invoque surtout des causes
obtenue par la combustion du environnementales. En amont du
charbon minier. Celui-ci brûle plus fleuve Jaune, la déforestation, liée
régulièrement et plus puissamment à l’industrialisation et à l’extension
que le charbon de bois, jusqu’ici utilisé des surfaces agricoles, a favorisé
partout dans le monde depuis les débuts l’érosion des sols. Les sédiments su-
de la métallurgie. rélèvent sans cesse le cours du fleuve,
Robert Hartwell exhume des registres confiné depuis des millénaires entre
qui attestent du dynamisme de cette ac- Pièce de monnaie en bronze des digues rehaussées à chaque gé-
tivité. Basées dans le nord de la Chine, moulé. L’économie des Song nération. Mais la fréquence des crues
du Nord est la première à amorcer
à proximité des mines de charbon et de augmente. En 1048, le fleuve Jaune brise
le virage vers la monétarisation.
fer, 700 fonderies produisent des flots 700 mètres de la digue maîtresse. Son
d’objets, diffusés par des armées de mar- flot colossal ouvre un nouveau cours
chands bénéficiant des infrastructures d’Etat : routes vers la mer, à travers 500 kilomètres de champs cultivés
impériales, et surtout le Grand Canal, qui traverse déjà et de villages. Un million de Chinois périssent ! Entre 1050
la Chine du nord au sud. Une activité que ces entre- et 1120, des crues d’ampleur comparable frappent le pays
preneurs transmettent ensuite à leurs enfants. Des dy- à huit reprises [2]. L’agriculture de la province du Hebei,
nasties marchandes, en somme, grenier à céréales de la Chine du Nord, est anéantie.

700
dont l’existence précède celle des Et enfin, la guerre vient couronner le tout. Exploitant
marchands italiens du Moyen Age, la faiblesse d’un Etat en proie aux famines, les Jurchens,
souvent présentés comme les pré- cavaliers nomades venus de Mandchourie, percent
curseurs du capitalisme. C’est le nombre les frontières. Kaifeng tombe en 1127. Les Chinois dé-
E m p o r t é p a r s o n e n t h o u - de fonderies recensées placent leur capitale au sud et consacrent toutes leurs
siasme, Robert Hartwell calcule par Robert Hartwell ressources à résister à la pression des peuples des
les volumes produits au XIe siècle en Chine au XIe siècle. ­steppes. La dynastie des Song du Sud ne succombera
chinois : 114 000 tonnes de fonte à leurs attaques qu’en 1279, face aux Mongols. Mais les
par an, plus que l’Angleterre au XVIIIe siècle, qui ne four- hauts-fourneaux et les mines de charbon se trouvaient
nit encore que 68 000 tonnes en 1788 ! On considère au nord, dans la partie du pays qui est désormais aux
aujourd’hui que ces chiffres sont exagérés et que les in- mains des nomades. Ceux-ci se partagent le territoire
dices sont insuffisants pour calculer un tonnage précis… conquis et se sédentarisent. Ils fondent de nouveaux
Celui-ci n’en était pas moins considérable. royaumes et établissent dynasties et bureaucraties sur
le modèle des Song. Mais leur économie est loin d’at-
Tout disparaît teindre la complexité de l’édifice chinois antérieur. Mines
Mais en 1130, le nord de la Chine est dévasté. Kaifeng, et fonderies sont abandonnées.
la capitale, a été rayée de la carte. La vallée du fleuve Les deux derniers registres explicatifs ont combiné
Jaune, autrefois grenier à céréales de la Chine, n’est plus leurs effets : la multiplication des crues et leur mauvaise
que chaos. Les hauts-fourneaux ont cessé toute produc- gestion ont entraîné des famines et un affaiblissement
tion. Que s’est-il passé ? Pour expliquer cet effondre- de l’Etat. Les invasions nomades ont donné le coup de
ment, chacun y est allé de son diagnostic. grâce à un processus d’industrialisation qui, s’il s’était
On met tout d’abord en avant des causes écono- poursuivi, aurait pu faire basculer l’histoire mondiale
miques : pour les économistes libéraux, l’Etat des Song sur une nouvelle trajectoire. Laurent Testot*
du Nord serait mort d’un excès de dirigisme. L’admi-
* Journaliste et conférencier en histoire mondiale (www.histoire-mondiale.com),
nistration impériale aurait exercé une prédation sur les Auteur de Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité, Payot, 2017.
élites marchandes, confisqué leurs biens… Bref, elle au- [1] Voir « A Revolution in the Iron and Coal Industries in the Northern Sung », par
Robert Hartwell, The Journal of Asian Studies, vol. 21, n° 2, 1962.
rait trop interféré avec le marché et tué le capitalisme [2] « Traditional Chinese and the Environment », par Ling Zhang, dans Demystifying
dans l’œuf. Les économistes d’autres obédiences consi- China. New Understandings of Chinese History, par Naomi Stanen (dir.), Rowman & Little
Publishers Inc., 2013.
dèrent ce diagnostic comme la projection de préoccu-
pations contemporaines. Car dans les faits, la Chine des
en savoir plus
Song déléguait nombre de ses prérogatives de puissance
>>Le monde chinois. 2. L’époque moderne. X  siècle-XIX  siècle,
e e
publique au secteur privé. Ainsi les stocks de céréales, par Jacques Gernet, Pocket, 2006.
indispensables à la prévention des famines, faisaient >>Le génie de la Chine. 3 000 ans de découvertes & d’inventions,
l’objet de multiples transactions entre l’Etat et les mar- par Robert Temple, Editions Philippe Picquier, 2007.

n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques 109


COMPTES

Une année riche


pour le viabiliser. Cette détermination s’avère
payante, puisque nous avons fini l’année 2016
quasiment à l’équilibre, avec un résultat net de

en réalisations
– 13 000 euros. 2016 est une année de tran-
sition, comme le sera sans doute encore 2017,
mais nous pouvons espérer ensuite un retour
durable à l’équilibre d’exploitation, si nos lec-
Alternatives Economiques a beaucoup innové teurs continuent de nous faire confiance.
en 2016 tout en rééquilibrant ses comptes. Cela  apier et Web, des supports
P
a été possible grâce au soutien de nos lecteurs. complémentaires
Dans cette phase de transition, notre stra-
tégie repose sur quatre axes principaux. Le
premier est de continuer à miser sur le papier.
De fait, les ventes de nos trois publications pa-
pier (le mensuel et ses hors-série, mais aussi de
nos deux trimestriels Les dossiers d’Alternatives
Economiques et L’économie politique) repré-
sentent toujours 90 % de notre chiffre d’affaires
(5,3 millions d’euros sur 5,9 millions d’euros de
chiffre d’affaires en 2016). C’est pourquoi nous
cherchons constamment à améliorer la qualité
de ces publications, à les faire évoluer, à rendre
nos unes plus attrayantes, tant au niveau visuel
que dans le choix des sujets et de la titraille.
Cela a été payant puisque, après avoir baissé
entre 2012 et 2015, notre diffusion papier s’est
stabilisée. En 2017, notamment, le contexte élec-
toral a été porteur : sur la période j­anvier-avril,
nos ventes chez les marchands de journaux ont
progressé de 26 % par rapport à 2016 ! Cette

L
bonne performance montre qu’Alternatives
Economiques joue un rôle important auprès
’année 2016 aura été chargée pour la coopé- des citoyens en matière de décryptage de l’actualité
rative Alternatives Economiques. Entre le dé- économique et sociale, de compréhension du débat dé-
veloppement de notre nouveau site Internet, mocratique, notamment à l’heure des choix politiques.
la préparation de deux nouveaux hors-série Sur l’ensemble de l’année 2016, la diffusion totale payée
« révisions du bac » [1], la cocréation, avec une quinzaine (France  + étranger) du mensuel était ainsi en moyenne de
de partenaires (notamment nos amis de Vox Europ), d’un près de 90 000 exemplaires par numéro, et nous comp-
réseau européen de journalisme « data », et l’organisa- tabilisons toujours plus de 60 000 abonnés papier.
tion de nos premières « Journées de l’économie autre- Deuxième axe de notre stratégie : développer notre
ment », nos équipes ne se sont pas ennuyées. chiffre d’affaires numérique.
C’est en ce sens que nous
Proche de l’équilibre financier
Depuis quelques années, la plupart des éditeurs
187 000 € avons mené la refonte de notre
site Internet. Notre nouveau
de journaux et magazines subissent une « crise de la c’est le montant total du site, lancé en janvier 2017, fu-
presse » : d’un côté, la diffusion papier (abonnements financement participatif sionne désormais les articles
et ventes chez les marchands de journaux) a tendance sur Ulule et des dons via de nos publications papier
à baisser ; de l’autre côté, le marché publicitaire délaisse Presse et pluralisme dont avec ceux que nous publions
les supports papier pour enrichir les géants de l’Internet a bénéficié Alternatives quotidiennement sur Internet
que sont Google ou Facebook, tandis que les lecteurs ont Economiques en 2016. (hier sur www.alterecoplus.fr,
pris l’habitude de considérer que l’information en ligne aujourd’hui sur www.alterna
devait être « gratuite »… Alter Eco n’a malheureusement tives-economiques.fr). Notre nouveau site, dont le design
pas été épargnée depuis 2012, et c’est pourquoi notre se veut moderne et fonctionnel, est bâti sur un modèle
coopérative a subi de lourdes pertes en 2013 et 2014. payant : il est accessible moyennant un abonnement
Les nombreux projets que nous menons aujourd’hui à prix modéré, même si les internautes non abonnés
montrent que nous sommes déterminés à ne pas subir peuvent accéder à trois articles gratuits par mois pour
cette crise et à faire évoluer notre modèle économique découvrir nos contenus.

110 n ° 370 juillet-août 2016 / Alternatives Economiques


UNE DIFFUSION PAPIER
STABILISÉE
Diffusion totale payée du mensuel
Alternatives Economiques

110 129

99 481
Notre offre numérique est conçue Dans le souci de ne pas trop augmen-

92 351

88 695
comme complémentaire au papier : tan- ter nos prix de vente, afin que nos pu-

88 317
dis que le mensuel permet de prendre du blications restent abordables au plus
recul sur l’actualité sur un support pa- grand nombre, nous comptons en effet
pier que les lecteurs peuvent apprécier de plus en plus sur la générosité de
de lire en plusieurs fois, le site Internet nos lecteurs pour nous aider à
nous permet de publier un contenu plus financer nos investissements.

Source : OJD
réactif, sur des supports plus interactifs, Nous l’avons fait à travers deux
avec des formats originaux propres au campagnes de financement
2012 2013 2014 2015 2016
Web (webdocumentaires, infographies participatif menées sur la plate-
animées, etc.). De quoi répondre notamment aux attentes forme Ulule, qui ont été un succès grâce à vous : l’une
de ceux qui apprécient la complémentarité de ces deux au printemps 2016 pour financer le développement de
supports, à travers une offre privilégiée d’abonnement notre nouveau site ; l’autre en juin 2017 pour financer
couplé papier et Web à un prix attractif. notre futur Mook [3].
Notre site s’est également enrichi en avril dernier d’une Parallèlement, nos lecteurs peuvent aussi nous soutenir
plate-forme de blogs (http://blogs.alternatives-econo dans le cadre de la campagne de dons que nous lançons
miques.fr), dont les contenus sont accessibles librement. désormais chaque année via l’association Presse et plu-
Elle rassemble déjà les contributions d’une quarantaine de ralisme. Ceux qui souhaitent nous aider peuvent déduire
blogueurs et blogueuses, expert.e.s dans leurs domaines. leurs dons à hauteur de 66 % de leur impôt sur le revenu
ou de 60 % pour l’impôt sur les sociétés.
Diversification et financement participatif En 2016, le financement participatif sur Ulule et les dons
Troisième axe stratégique, la diversification de nos ac- Presse et pluralisme nous ont permis de rassembler au
tivités dans des domaines proches de notre cœur de mé- total 187 000 euros, sans lesquels nous n’aurions pas pu
tier : formation professionnelle, études, comptes rendus nous rapprocher de l’équilibre financier. Nous vous re-
de réunions et de débats, etc. Sur ce terrain, nous avons mercions donc chaleureusement de votre soutien et ne
innové en 2016 en organisant les « Journées de l’écono- pouvons qu’encourager ceux qui le peuvent à nous sou-
mie autrement », à Dijon. Ces journées, qui ont accueil- tenir de nouveau via Presse et pluralisme (voir bulletin
li plus de 2000 visiteurs pendant deux jours, visent à ci-dessous). C’est grâce à vous que nous pouvons mener
favoriser le dialogue entre les citoyens, les acteurs de à bien tous ces projets (et il y en aura d’autres encore en
terrain qui « réinventent » l’économie chaque jour, et 2017) et c’est grâce à vous que nous pourrons continuer à
les chercheurs et universitaires de plusieurs disciplines faire entendre notre voix pendant de nombreuses années
(économie, sociologie, philosophie, droit, etc.). L’accès encore.  Camille Dorival,
à ces journées, financées sur un modèle de sponsoring  présidente-directrice générale de la Scop Alternatives Economiques
(notamment des collectivités et des acteurs de l’économie
[1] Après le hors-série sur l’épreuve de sciences économiques et sociales pour les
sociale et solidaire), était gratuit pour le public. Forts de terminales ES lancé en 2015, nous avons édité, en 2017, deux autres hors-série de
ce succès, nous avons décidé, avec nos partenaires, révision : histoire-géographie (séries L, ES et S) et économie-droit-management des
organisations (série STMG). En vente sur http://abo.alternatives-economiques.fr/
de reconduire cet événement à Dijon les 24 et 25 no- vpc/revues
vembre 2017, et nous espérons vous y voir nombreux. [2] Dans une Scop, les salariés doivent obligatoirement être majoritaires au capital
de l’entreprise. Depuis l’assemblée générale du 8 juin dernier, le capital de la Scop-SA
Enfin, quatrième axe, nous comptons désormais sur Alternatives Economiques est réparti entre les salariés (66 %), d’anciens salariés
(4 %), la Société civile des lecteurs (20 %), l’Association des lecteurs (1 %) et des
le soutien de nos lecteurs, au-delà de l’abonnement ou associés extérieurs, « compagnons de route » d’Alter Eco (9 %).
de l’achat chez les marchands de journaux, pour nous [3] Voir « Alter Eco lance son Mook », Alternatives Economiques n° 369, juin 2017.
permettre de continuer d’investir et
de nous développer en tant qu’acteur
majeur de la presse indépendante. Je soutiens l’indépendance d’Alternatives Economiques
Dans un contexte de concentration
croissante des médias, il devient Je fais un don de…....................€, au profit exclusif d’Alternatives Economiques.
crucial que la presse indépendante Je libelle mon chèque à l’ordre de :
puisse continuer à jouer son rôle de « Presse et pluralisme – Opération Don Alternatives Economiques » Bulletin à compléter
J’indique mes coordonnées pour recevoir mon reçu fiscal et bénéficier et à retourner,
contre-pouvoir, en toute liberté édi- accompagné de votre
d’une réduction d’impôt l’an prochain.
toriale. Parce que notre entreprise chèque, sous enveloppe
Si je donne Je déduis de mes impôts Au final, il m’en coûte affranchie à
ne peut être détenue que par ses sa- Presse et pluralisme,
50€ 33€ 17€
lariés et ses lecteurs [2], notre statut 100€ 66€ 34€
TSA 32649,
91764 Palaiseau Cedex
de Scop, quasiment unique dans la 500€ 330€ 170€
presse nationale, est la garantie que Je peux également faire un don mensuel pour soutenir la coopérative Alternatives Economiques,
notre ligne éditoriale continuera à en me rendant sur la page http://abo.alternatives-economiques.fr/don-alternatives-economiques
se définir indépendamment de toute
Mes coordonnées

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pression économique ou politique Courriel
extérieure. Adresse
Code postal Ville
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n ° 370 juillet-août 2016 / Alternatives Economiques Téléphone


Conformément à la réglementation de la Cnil, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification aux informations vous concernant.
111
Connectez-vous sur www.alternatives-economiques.fr/agenda
pour annoncer vos manifestations

23-27 août
Agenda

Juillet 4 juillet Université d’été européenne


Alternatives monétaires Les économistes dans la cité des mouvements sociaux
FRANCE. Alternatives Economiques PARIS 14E. A l’occasion des 20 ans du Conseil TOULOUSE (31). Attac organise
et des collectifs de monnaies d’analyse économique (CAE), instance l’Université européenne des mouvements
locales et complémentaires composée de sensibilités diverses qui conseille sociaux, sous le slogan : « Débattons,
organisent plusieurs rencontres le Premier ministre, la Paris School of résistons, agissons, c’est le moment ! »
dans différentes villes de France. Economics (PSE) organise un séminaire sur Les locaux de l’université de Toulouse
Au menu : discussions, échanges, le thème des économistes dans la cité. Seront Jean-Jaurès accueillent pendant cinq
débats autour de ces initiatives abordées deux thématiques : comment bien jours de nombreux événements.
et expériences locales. faire interagir les mondes de la recherche, de Au programme : débats, séminaires,
Info : alternatives-economiques.fr/tour-de-france-2017- la décision et des médias ?, et les convergences forums, ateliers, concerts, théâtre,
alternatives-monetaires-0505201778784.html et divergences chez les économistes. L’ancien projections de films… Avec notamment
locataire de Matignon, Jean-Marc Ayrault, Zoe Konstantopolou, avocate et ancienne
1er juillet devrait (sous confirmation) introduire les propos,
qui seront conclus par l’actuel Premier ministre
présidente du Parlement grec, Susan
George, écrivaine et présidente d’honneur
Fraternité
Edouard Philippe (sous confirmation d’Attac France, Edwy Plenel, journaliste
SAINT-DENIS (93). L’Observatoire de la Fraternité
également). Seront présents pour débattre : et fondateur de Mediapart, Eric Toussaint,
93 lance son premier festival pour célébrer et
Pierre-Alain Muet, ancien président délégué du porte-parole du CADTM International,
fédérer les associations de la Seine-Saint-Denis.
CAE, François Bourguignon, professeur émérite Janette Habel, de l’Institut des hautes
De 13 h à 22 h à la Bourse du travail, sont prévus
à PSE, Jean Pisani-Ferry, professeur à la Hertie études d’Amérique latine, Gilbert Achkar,
débats, animations, performances musicales
School of Governance de Berlin et à Sciences Po politiste libanais, Maristella Svampa,
et scéniques, repas partagés, concerts, etc.
Paris et ancien président délégué du CAE, ou sociologue argentin, Eric Piolle, maire
Plus de 30 associations seront présentes,
encore Jean-Luc Tavernier, directeur général de Grenoble, Pablo Solon, ex-ambassadeur
dont la Ligue des droits de l’homme, Zonzon 93,
de l’Insee. Ce séminaire aura lieu dans les locaux de Bolivie auprès des Nations unies, etc.
Cercle des enseignants laïques du 93...
de la Paris School of Economics, au 48 boulevard Alternatives Economiques est partenaire
Info : http://observatoirefraternite93.org/
Jourdan, à partir de 9 h. de cet événement.
Info : cae-eco.fr/IMG/pdf/cae20ans_invitation.pdf ; Info : www.esu2017.org
2 juillet Inscription : christine.carl@pm.gouv.fr
Le temps des lilas
PARIS 20E. Un an après sa création,
le mouvement Le temps des lilas, pour « libres
4 juillet 7-9 juillet
d’inventer les autres solutions » (Lilas), organise
JO et développement durable Dialogues
PARIS 18E. Et si la possible attribution des Jeux LYON 6E. Pour sa 17e édition, Dialogues
une rencontre pour faire un premier bilan
olympiques et paralympiques de 2024 à Paris en humanité a choisi d’échanger autour
des travaux initiés. Cette organisation se veut
était l’occasion que cet événement sportif soit de la thématique : « Apprends-moi à danser
un espace de réflexion et d’imagination pour
vecteur de solidarité et de développement sous l’orage ! Et nous vivrons des jours heureux. »
faire face au Tina (There Is No Alternative).
durable ? Play International, l’Enquête Sport Pendant ces trois jours, de nombreux débats,
L’événement a lieu au bar Le Lieu Dit,
et UP Campus organisent une conférence-débat rencontres, concerts, etc., seront organisés au
6 rue Sorbier.
afin que les JO appliquent des critères exigeants parc de la Tête d’or. Chaque participant est invité
Info : www.lilas.org
pour le respect de l’environnement ou pour que à partager son expérience et sa vision du monde
(Publicité) des acteurs de l’économie sociale et solidaire sur les questions du bien-vivre, de l’écologie,
s’associent au projet. Interviendront Marie de l’éducation, de la citoyenneté, de la laïcité,
Barsacq, directrice d’Impact et Héritage Paris en plaçant l’humain au cœur des solutions.
2024, Andy Griffiths, directeur de la Fondation De nombreux intervenants sont prévus,
Laureus, Emmeline Ndongue, vice-championne dont Catherine André, journaliste
olympique de basket ball, et Pierre Rabadan, à Alternatives Economiques.
conseiller aux sports de la maire de Paris. Info : http://dialoguesenhumanite.org
Rendez-vous à la mairie de 18e arrondissement
à 19 h 15. Inscription gratuite mais obligatoire.
Info : up-campus.org/evenements/voir/id/502 10-12 juillet
Associations, un monde en action
LYON-VILLEURBANNE. Le Collectif des associations
7- 5 juillet citoyennes organise son université d’été à Lyon et
Résistances Villeurbanne. Trois jours pour aborder les principales
FOIX (09). Pour la 21e édition du festival questions posées aux associations citoyennes,
Résistances, une centaine de films et tant sur le terrain qu’au niveau national
documentaires sont sélectionnés autour et européen, pour approfondir les causes
de quatre thèmes : « La mer à mort », des évolutions en cours et éclairer
« Habitat subi, habitat choisi », « Les visages les perspectives en renforçant le pouvoir d’agir
de la violence », « Reconquête des imaginaires » collectif. Trois thèmes seront abordés :
et un « Zoom géographique consacré l’accroissement des injustices et des inégalités
à l’Algérie ». L’objectif de ce festival est sociales dans le cadre national et international,
de promouvoir un cinéma peu mis en avant. l’extension continue « du domaine du marché »,
En plus de ces projections sont prévus les problématiques écologiques posées dans
des rencontres, débats, expositions des délais très courts. La participation est
et concerts. payante et l’inscription obligatoire.
Info : festival-resistances.fr Info : associations-citoyennes.net

112 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


NOUS SUIVRE AILLEURS SUR LE WEB…

11-12 juillet politiques, des espaces d’éducation


populaire, des spectacles participatifs,
Sur blogs.alternatives-
Véhicule écologique economiques.fr, retrouvez les
des animations pour enfants,
ALÈS (30). Pour faire le point sur les enjeux des concerts (HK & les Saltimbanks), analyses régulières de Jean Gadrey,
de mobilité et de transport durable, les un repas, un hébergement en plein air Michel Abhervé, Martin Anota, Eric
rencontres internationales des véhicules (gratuit) sont prévus, ainsi qu’un grand Vidalenc, Pierre Madec, le blog de la
écologique (Rive) se tiennent chaque année, marché paysan.
depuis 2010. Différentes technologies seront
rédaction et bien d’autres choses.
Info : http://30ansdelaconf.fr
présentées au cours de ces deux jours. Avec
des conférences sur le véhicule écologique, Sur alternatives-economiques.fr/
les transports dans les villes de demain, les 18-26 août livres, retrouvez toutes nos notes de
véhicules connectés, etc. Seront notamment Cinéma et frontières lectures.
présents : Salaheddine Mezouar, président DOUARNENEZ (29). Déjà 40 ans !
de la COP22 et ancien ministre des Affaires Le festival de cinéma de Douarnenez
étrangères et de la Coopération du Maroc, soufflera cette année ses quarante Sur Twitter, retrouvez chaque jour
Ségolène Royal, présidente de la COP21 bougies. Le thème de cette édition à 17 h 30 « Le chiffre du jour », identifié
et ancienne ministre de l’Environnement, sera la notion de frontière, qui sera par le mot-clé : #LeChiffreDuJour.
Hakima El Haite, ministre de l’Environnement abordée à travers des exemples précis :
du Maroc durant la COP22, Karima Delli, Guyanne/Surinam/Brésil,
présidente de la commission transports et Mexique/Etats-Unis, Israël/Palestine,
Sur Facebook, venez poser
tourisme au Parlement européen, ou encore Corée du Nord/Corée du Sud, Vallée la question du mois. Un journaliste
Demba Diedhiou, coordinateur du réseau de la Roya, mer Méditerranée, parcours de la rédaction vous répond dans
Transports et mobilités durables à France de migrations en France, route le numéro suivant (voir page 7).
nature environnement. L’événement a lieu des Balkans, etc. Il y aura également
au Pôle mécanique Alès-Cévennes un focus sur le cinéma breton.
de Saint-Martin-de-Valgalgues.
Inscrivez-vous à notre newsletter
Info : www.festival-douarnenez.com
Info : rive-event.com quotidienne, pour ne rien rater

18-20 août Twitter : @AlterEco_

30 ans de la Conf’ Pour pouvoir paraître dans le prochain Facebook : https://www.facebook.


ALLOUE (16). Le syndicat la Confédération numéro, l’annonce de votre initiative com/AlternativesEconomiques
paysanne fête ses 30 ans. Des ateliers doit nous parvenir avant le 15 du mois

A retourner à Alternatives Economiques Relations clients, 12 rue du Cap-Vert, CS 40010, 21801 Quetigny Cedex
Alternatives
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12 rue du Cap-Vert, CS 40010, �����������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������
21801 Quetigny Cedex
Code postal ____________________________________ Ville ��������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������
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Le bloc-notes

Jean-Marc Pau
à l’immédiateté de l’échange qu’au temps de la
production. Comme si l’économie réelle fonctionnait
comme un marché boursier ! En vérité, une
Reprise L’économie entreprise, c’est d’abord un ensemble de personnes
européenne, et avec elle qui maîtrisent des savoir-faire techniques,
PHILIPPE FRÉMEAUX l’économie française, va mieux. organisationnels et commerciaux. Des savoir-faire
La croissance pourrait atteindre accumulés au fil du temps et qui fondent leur
1,6 % en 2017, selon l’Insee, après cinq années de capacité à produire ensemble des biens et des
quasi-stagnation. Du coup, la situation du marché services qui trouveront preneur sur le marché. Dans
du travail devrait continuer à s’améliorer grâce ces conditions, si l’entreprise a besoin de flexibilité
à la reprise de l’emploi dans le secteur marchand. pour s’adapter à des circonstances changeantes,
De quoi ramener le chômage sous la barre des 9,5 % elle a également besoin de permanence, pour
en fin d’année. Les raisons de cette amélioration se construire et se développer. Ce qui suppose que
sont nombreuses : le maintien d’un faible prix toutes les parties prenantes y trouvent leur compte,
de l’énergie libère un pouvoir d’achat qui soutient à commencer par les salariés. Comme l’a observé
la consommation ; même constat pour les taux le think tank La Fabrique de l’industrie dans
d’intérêt, qui demeurent à un niveau historiquement un rapport récent [2], un des maux dont souffre
bas, ce qui soutient l’immobilier et donc l’activité l’économie française est sans doute moins
du bâtiment. Les entreprises, qui voient leurs le manque de flexibilité que des modes
perspectives de management qui conduisent trop de salariés
s’améliorer, à perdre toute motivation. L’entreprise qui réussit
recommencent de n’est pas un objet à restructurer en permanence,
Comment est-il possible leur côté à investir. mais une histoire qui s’écrit.
que la conjoncture Enfin, la meilleure
s’améliore alors que santé de nos voisins
se répercute sur la Nucléaire Après l’Autriche, la Suède, l’Italie,
les réformes destinées demande adressée la Belgique, l’Allemagne, la Suisse et le Québec,
à « libérer le travail » à la France. Bref, la Corée du Sud vient à son tour de décider le mois
sont encore un cercle vertueux dernier de renoncer progressivement à l’énergie
serait en train nucléaire. Un choix dicté d’abord par des raisons
dans les limbes ? de s’enclencher, de sécurité, mais que conforte la baisse du coût
conforme aux bonnes des sources renouvelables, désormais moins chères
vieilles lois de la que le nucléaire. Même l’éolien offshore est en train
macroéconomie keynésienne. Toutes ces bonnes de devenir compétitif, à en juger par les prix de
nouvelles suscitent cependant une sourde vente proposés par les producteurs lors des derniers
interrogation chez les esprits espiègles : comment appels d’offres en Allemagne. A lire la liste des pays
est-il possible qu’une telle embellie intervienne alors qui ont renoncé à l’énergie nucléaire, une évidence
même que les réformes destinées à « libérer saute aux yeux : ce ne sont pas de doux rêveurs,
le travail » (sic !) sont encore dans les limbes ? mais des pays particulièrement innovants,
Il ne faudrait pas que la situation s’améliore trop fortement exportateurs et dont les dirigeants
vite, on risquerait de se demander si ces réformes font des choix rationnels parce que non soumis
sont bien nécessaires ! à l’influence d’un puissant lobby nucléaire,
comme c’est le cas en France. Emmanuel Macron,
qui se veut du côté des « progressistes » contre
Code Antoine Lyon-Caen, éminent juriste qui avait les « conservateurs » dans tous les domaines,
l’an dernier cosigné avec Robert Badinter un projet dispose là d’un champ d’action à sa mesure.   
de simplification du code du travail, s’inquiétait [1] Tribune publiée dans Le Monde daté du 10 juin.
récemment de l’influence exercée par quelques [2] Voir « La qualité de vie au travail : un levier de compétitivité », La Fabrique de
l’industrie, Anact et Terra Nova, octobre 2016. Accessible sur https://lc.cx/qwMg
économistes proches d’Emmanuel Macron sur
les projets de réforme actuels [1]. On ne peut que lui
donner raison. La théorie économique standard
peine en effet à comprendre ce qu’est une
entreprise. Parce qu’elle pense d’abord la vie
économique comme un ensemble de contrats noués
entre individus, elle s’intéresse davantage

114 n ° 370 juillet-août 2017 / Alternatives Economiques


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