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La fin des éléphants d'Afrique d'ici dix ans ?

LE MONDE | 15.03.2013
Par Catherine Vincent - Bangkok, envoyée spéciale
Au sortir de douze jours de débats, l'ambiance était plutôt à l'optimisme chez les
défenseurs de la nature : les 178 pays qui ont participé, du 3 au 14 mars à Bangkok, à la
16e Conférence des parties (CoP16) de la Convention sur le commerce international des espèces
menacées d'extinction (Cites) y ont accompli des pas importants pour la protection des requins,
des tortues et des bois tropicaux.
Le ton était en revanche à la déception sur l'action menée en faveur des éléphants
d'Afrique, victimes dans leurs pays d'origine d'un braconnage sans précédent et d'un commerce
effréné en Asie.
"La communauté internationale a échoué à protéger les éléphants", ont estimé la plupart
des ONG impliquées dans ce combat. Un plan d'action pour l'éléphant d'Afrique – dont le
financement reste à préciser – a été adopté. Les pays dans lesquels d'importantes saisies d'ivoire
sont effectuées devront désormais soumettre des échantillons à des tests ADN, afin de
mieux retracer l'origine et les itinéraires de ces produits de contrebande. Mais aucune sanction
n'a été prise contre les huit pays accusés de ne pas être assez actifs dans la lutte contre ce trafic :
l'Ouganda, la Tanzanie et le Kenya (pays d'origine), la Malaisie, le Vietnam et
les Philippines (pays de transit), la Chine et la Thaïlande (principaux marchés).
Avant la conférence, le comité permanent de la Cites avait sommé ces pays de lui
soumettre des plans d'action. Exception faite de la Chine et de la Tanzanie, ils se sont exécutés.
Chacun devra remettre un plan définitif d'ici au 15 mai, et tenir la Cites informée de son
développement d'ici à l'été 2014. Tous ces pays ont "manifesté un engagement déterminé
à prendre des mesures immédiates et décisives", a affirmé le comité. Pour la plupart des ONG,
toutefois, cette simple mise sous surveillance ne répond pas à l'urgence de la situation.
"La Cites se moque du braconnage des éléphants", estiment une dizaine d'associations
dans un communiqué commun, en soulignant que la Chine, "où la représentation et la vente de
l'ivoire sont florissantes, n'a même pas reconnu une part de responsabilité".
Carlos Drews, chef de la délégation du World Wildlife Fund (WWF), s'est déclaré "déçu
par le manque d'empressement des gouvernements à accélérer le processus des sanctions". En
tonnage, le trafic de l'ivoire a doublé depuis 2007, et plus que triplé depuis 1998.
CONSCIENTS DE LA GRAVITÉ DE LA SITUATION, LES PAYS AFRICAINS ONT À
PEU PRÈS PARLÉ D'UNE MÊME VOIX
Selon les enquêtes présentées à Bangkok, il reste entre 420 000 et 650 000 éléphants en
Afrique : 25 000 ont été tués en 2011, sans doute près de 30 000 en 2012. Une autre étude,
publiée début mars dans la revue scientifique PLoS One, précise que 62 % des éléphants de forêt
ont été abattus pour leur ivoire au cours des dix dernières années. A ce rythme, les populations
d'Afrique centrale pourraient avoir disparu en 2025. Et, si le braconnage continue, affirment les
experts, c'est à terme tous les éléphants du continent qui seront menacés.
En ce qui concerne cette espèce, c'est là, peut-être, la seule vraie bonne nouvelle de la
CoP16 : conscients de la gravité de la situation, les pays africains ont à peu près parlé d'une
même voix. A Doha (Qatar), où s'était tenue la CoP15 en 2010, deux logiques s'étaient
affrontées. La Tanzanie et la Zambie, soutenues par les pays d'Afrique australe, sollicitaient un
assouplissement de l'interdiction du commerce international de l'ivoire instaurée en 1989
pour pouvoir écouler leurs stocks. Une coalition de 23 autres pays africains, emmenée par le
Kenya, leur avait fait obstacle, mais la réunion avait été marquée par ces dissensions. Rien de tel
cette année.
"Pour la première fois, les pays de l'aire de distribution de l'espèce se sont accordés sur
le fait qu'il faut tout faire pour mettre en œuvre le plan d'action pour l'éléphant d'Afrique", note
Pierre Kafando, délégué du ministère de l'environnement du Burkina Faso et président de la
coalition africaine, qui regroupe 27 pays. De part et d'autre, des efforts de compromis ont été
faits. La Tanzanie a retiré sa proposition de déclasser ses éléphants de l'annexe I (commerce
international interdit) à l'annexe II (commerce réglementé), ainsi que sa demande d'une vente
unique de 100 tonnes d'ivoire. En contrepartie, le Burkina Faso et le Kenya ont renoncé
à demander que les éléphants d'Afrique du Sud, du Botswana, de Namibie et du Zimbabwe,
actuellement en annexe II, repassent en annexe I.
Ces deux blocs historiques amorcent-ils une démarche commune de lutte contre le trafic
de l'ivoire ? Ce serait une avancée essentielle. Mais il ne s'agit que du premier maillon de la
chaîne. "Aucun effort de répression ne pourra réussir si la demande d'ivoire ne diminue pas.
Nous demandons à tous les Etats concernés de faire campagne pour la réduire", a insisté
l'association kényane Save the Elephants. Or, sur ce point, ni la Chine ni la Thaïlande n'ont fait
de propositions concrètes.
Pour plusieurs ONG, il n'est plus temps de tergiverser. "La seule manière de mettre un
terme au massacre et de sauver les éléphants d'Afrique et d'Asie, c'est une suspension
immédiate, totale et sine die du commerce légal de l'ivoire sur les marchés internationaux et
nationaux", résume Charlotte Nithard, de l'association française Robin des Bois. L'aveu d'un
délégué chinois, selon lequel son pays est incapable de distinguer l'ivoire légal de l'ivoire illégal,
n'a fait que renforcer leur conviction.

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