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Socio-anthropologie

28 | 2013
Apocalypses

Grégoire Chamayou, Théorie du drone


Paris, La Fabrique, 2013

Sophie Lefeez

Éditeur
Publications de la Sorbonne

Édition électronique Édition imprimée


URL : http://socio- Date de publication : 15 décembre 2013
anthropologie.revues.org/1617 Pagination : 168-170
ISSN : 1773-018X ISBN : 978-2-85944-761-8
ISSN : 1276-8707

Référence électronique
Sophie Lefeez, « Grégoire Chamayou, Théorie du drone », Socio-anthropologie [En ligne], 28 | 2013, mis
en ligne le 23 septembre 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL : http://socio-
anthropologie.revues.org/1617

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Grégoire Chamayou, Théorie du drone 1

Grégoire Chamayou, Théorie du drone


Paris, La Fabrique, 2013

Sophie Lefeez

RÉFÉRENCE
Grégoire Chamayou, Théorie du drone, Paris, La Fabrique, 2013.

1 Après s’être intéressé aux Chasses à l’homme (2010), le philosophe Grégoire Chamayou s’est
tourné vers les drones, réalisant une analyse de l’usage létal des drones par les
Américains. Dès les premières pages, il affirme son opposition à cette pratique et son but
de montrer que la justification d’un tel usage repose sur un détournement sémantique et
langagier. L’auteur rappelle à ce propos comment l’administration américaine a justifié
en 2001 le recours à la chasse à l’homme. Une telle pratique nécessitait de pouvoir
localiser, identifier et détruire la cible, aussi l’auteur décrit-il les principes qui ont
conduit à instaurer une surveillance permanente de la société. Le repérage des individus
considérés comme hostiles, en l’absence d’uniforme distinctif, s’appuie sur l’observation
statistique et probabiliste de schémas comportementaux, ou « analyse des formes de
vie ». Les drones mettent en œuvre cette nouvelle politique grâce à leurs capacités à
exercer une surveillance constante et à éliminer les individus jugés nuisibles. Cette
transformation du travail militaire en assassinats ciblés planétaires, sous couvert de
guerre mondiale contre le terrorisme, est fortement critiquée par Chamayou, tant au plan
politique que juridique, technique ou de l’éthique militaire.
2 Le bombardement par drone s’écarte en effet de notre vision paradigmatique du combat :
la distanciation et l’invulnérabilité du tireur remettent en question notre vision de
l’héroïsme en faisant disparaître l’idéal du courage sacrificiel. En outre, la représentation
imagée et la distance instaurent une coupure entre soi et l’acte commis, et ce
compartimentage « permet tous les crimes », selon l’auteur. Distinguant entre coprésence
et colocalisation, ce dernier montre en quoi la distanciation du tir constitue une

Socio-anthropologie, 28 | 2015
Grégoire Chamayou, Théorie du drone 2

révolution de la structure de l’intersubjectivité. Une très longue note de bas de page offre
un éclairage original et conceptuellement précis sur cette question.
3 Sur le plan juridique, Grégoire Chamayou montre le glissement de la distinction entre
combattants et non-combattants vers la distinction eux/nous, ce qui constitue à ses yeux
un « dynamitage » du droit des conflits armés. Il en fait le premier principe directeur
d’une nécro-éthique du drone, puis il démonte la caractéristique prétendument
humanitaire du drone, que lui conférerait sa précision ainsi que sa capacité à faire, dans
le pire des cas, autant de dommages collatéraux qu’une autre arme pour une même
efficacité opérationnelle, en soulignant que c’est surtout les morts chez soi qu’il s’agit
d’éviter en réalité. Par ailleurs, l’auteur accuse les drones d’encourager la suppression de
l’emploi de l’uniforme ennemi, levant ainsi l’obligation du respect du droit des conflits
armés (l’uniforme fait le combattant, sur le plan juridique). Or, l’homicide en temps de
guerre est décriminalisé seulement s’il y a réciprocité. Dès lors, il fallait recourir à
l’argument de la causa justa pour justifier tous ses actes, ce qui revenait à tordre le droit
pour justifier ses frappes assassines ciblées par drone.
4 Le recours aux drones est également le fruit d’un arbitrage en faveur du capital, au prix
reconnu d’une moins grande efficacité stratégique. L’automatisation totale n’est
cependant pas encore à l’ordre du jour car elle soulève le problème de la responsabilité,
ainsi que celui de la mise en algorithmes du droit. Chamayou y ajoute la nécessité d’une
conscience critique des agents ; le pouvoir ne s’exerce que sur des corps, et « sans
mobilisation des corps, plus de pouvoir », écrit-il. Au cours de cette analyse, Grégoire
Chamayou veut également montrer en quoi tuer par drone transforme les formes de
violence armée et le rapport à l’ennemi. Cependant, les modifications mentionnées
(assassinats ciblés, disparition des zones de guerre, etc.) relèvent très largement du
champ politique et non de l’objet technique en soi, qui n’en est que la concrétisation sous
cette forme d’emploi. Tout le discours américain qui a accompagné l’instauration de la
« guerre mondiale au terrorisme » ne s’appuyait pas sur les drones, et n’en a d’ailleurs pas
besoin pour exister. L’ouvrage ne distingue donc pas suffisamment ce qui relève de la
culture populaire américaine (comme l’esprit de vengeance, le goût pour les solutions
techniques), de la culture politique américaine (le besoin de se sentir plus fort que les
autres pour se croire en sécurité), de la culture guerrière américaine (les règles
d’engagement), de l’emploi américain des drones (la forme létale), et enfin des drones
proprement dits. Un pays utilisant les drones selon une autre doctrine et d’autres règles
d’engagement pourrait, par conséquent, estimer que les critiques formulées ici ne le
concernent pas. Mais cela ne retire rien à la richesse ni à la rigueur conceptuelle des
analyses présentées dans cet ouvrage.

AUTEURS
SOPHIE LEFEEZ
doctorante en sociologie, CETCOPRA-université Paris 1

Socio-anthropologie, 28 | 2015

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