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François Berthelot, Maxence Poirier

avec la collaboration de Robert Neiss, Agnès Balmelle, Philippe Rollet

Urbanisme et programme monumental de la ville de Reims/Durocortorum entre le


Ier et le IVè siècle ap. J.-C.

A Reims, le nombre et l’importance des opérations de fouilles préventives au cours de ces vingt
dernières années, ont livré un grand nombre de données nouvelles sur la métropole de la province romaine
de la Gaule belgique.
Le plan à damier de la ville augustéenne, dont l’expansion est délimitée par une enceinte très
probablement contemporaine, peut maintenant être reconnu et restitué sur une surface urbanisée qui
avoisine 550 hectares.
Ces éléments nous incitent désormais à proposer ici, une nouvelle image de la structure d’une
capitale de province de la Gaule et de son développement pendant le Haut-Empire.

1. La romanisation (phase I): La refondation augustéenne

Dans la continuité des phases antérieures d’occupation du site de Reims (durocortorum); l’oppidum
de la fin de l’Indépendance et l’occupation gallo-romaine précoce, nous proposons d’exposer de manière
synthétique, trois thèmes : la création de la ville augustéenne (phase I), le développement de ce projet
urbain (phase II) et un essai d’analyse des processus de romanisation à travers l’étude de la structure
1
urbaine et des données de fouilles .
2
Après la phase précoce de la ville antique , le site va faire l’objet d’un aménagement de grande
ampleur qui prend en compte les contraintes que constituent la présence de l’oppidum et surtout son fossé
d’enceinte et une occupation antique antérieure dont les éléments fournis par les fouilles récentes, indiquent
qu’elle est loin d’être négligeable dans l’évolution du développement urbain.
Il s’agit donc de la création au cours des 15 dernières années avant notre ère, d’un vaste plan
d’urbanisme aux dimensions inusitées dans l’Empire romain puisqu’il concerne une surface d’au moins 600
hectares.

1.1. Création de l’enceinte augustéenne

L’événement qui préside à cet aménagement est la création de ce que nous appellerons «la grande
enceinte» dont le tracé globalement hexagonal, est désormais bien reconnu à l’exception de son extrémité

1
Il n’est pas possible d’aborder ici, en détail, les processus d’urbanisation, c’est pourquoi nous avons choisi de fournir une bibliographie
non exhaustive qui renvoie à des publications plus spécialisées.
2
NEISS, BERTHELOT ET AL. 2007, 299.

Bollettino di Archeologia on line I 2010/ Volume speciale E / E11 / 3 Reg. Tribunale Roma 05.08.2010 n. 330 ISSN 2039 - 0076
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F. Berthelot, M. Poirier, avec la collaboration de R. Neiss, A. Balmelle, Ph. Rollet – Urbanisme et programme monumental de la ville de
Reims/Durocortorum entre le Ier et le IVè siècle ap. J.-C.

au nord-ouest. Ce tracé, d’abord observé


par les fouilleurs du XIXe siècle, a été
3
précisé par les fouilles récentes .
L’enceinte est constituée par un
grand fossé creusé dans le substrat cra-
yeux (dimensions: 30 m de largeur, 15 à
20 m de profondeur pour 7 km de lon-
gueur) qui enclot une surface de 600 ha.
La rivière, la Vesle, ferme l’enceinte à
l’ouest. A l’heure actuelle, aucun élément
de rempart en remblai ou de courtine, n’a
pu être mis en évidence. La question de
sa datation sera précisée ensuite.

1.2. Création du plan augustéen (roma-


nisation phase I)

L’analyse spatiale et les données


chronologiques indiquent qu’un vaste plan
viaire à damier est conçu à durocortorum
sous le règne d’Auguste, probablement en
raison de son nouveau statut de capitale
de la Gaule belgique et de la présence du
Fig. 1 - Tracé de la grande enceinte (en vert) et plan viaire augustéen sur le 4
fond de plan de la ville actuelle. siège du procurateur de la province .
L’étendue de cette nouvelle organisation
urbaine, à l’exception des nécropoles, ne s’étend pas au-delà de la grande enceinte et de la rivière, à
l’ouest.
C’est à partir des découvertes récentes et anciennes que l’on peut d’abord restituer le tracé des rues
de façon certaine et ensuite, déduire les tracés possibles (fig. 1).
Les nécropoles de la première moitié du Ier siècle à sa périphérie et l’extension maximale du réseau
5
viaire peuvent justifier la datation de l’enceinte qui serait donc une sorte de pomoerium .
Le tracé des grands axes routiers est également tributaire de l’enceinte car la liaison entre le réseau
urbain et les voies romaines se fait à son niveau, au moins jusqu’à la construction de l’enceinte de l’Antiquité
6
tardive au début du IVe siècle .
Par ailleurs, la céramique trouvée dans les caniveaux qui délimitent les premières chaussées des
7
rues appartient l’horizon chronologique de synthèse n°2 de Reims, soit entre 20 avant notre ère et 0 . Elle
peut donc dater la conception de tout l’ensemble même s’il est possible que la réalisation du plan urbain ait
pu nécessiter plusieurs années et se soit déroulé plus tardivement à l’intérieur de l’oppidum en raison d’une
occupation plus ancienne.

3
NEISS 1976, 47–62.
4
Strabon, Géogr., IV, 1, 1. «Actuellement, toutes ces populations en deçà du Rhin ont déposé les armes et obéissent aux Romains.
Nous nommerons encore dans le bassin même du Sequanas les Parisii qui occupent une île du fleuve et ont pour ville Lucotocia, les
Meldes, les Lexoviens dont le territoire borde l'Océan; mais ce sont les Rèmes qui forment la nation la plus considérable de cette partie
de la Gaule, et comme Duricortora, leur capitale, est en même temps la ville la plus peuplée du pays, c'est elle naturellement qui sert de
résidence aux préfets envoyés de Rome»
5
Cicéron, De legibus, II, 23, 58 (loi des XII tables, qui interdit l’inhumation des individus à l’intérieur du pomoerium: «Hominem mortuum
... in urbe ne sepelito neue urito» Leges Duodecim tabularum, X, 1, cité par Cicéron).
6
NEISS, SINDONINO ET AL. 2004, 89.
7
DERU 1996.

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Fig. 2 - Cénotaphe des Princes de la Jeunesse tel qu’il est actuellement présenté au musée Saint-Remi à Reims (cliché M. Poirier).

On peut constater également


que lors de son implantation, l’obstacle
du fossé de l’oppidum qui ne sera re-
bouché qu’à la fin du Ier siècle de notre
8
ère , va générer à l’est et à l’ouest de la
ville des rues qui suivent son tracé
concentrique; divergeant ainsi de l’o-
rientation générale.
C’est également à cette période
que le premier monument connu à
Reims, le cénotaphe des Princes de la
9
Jeunesse , est construit, probablement
sur un premier forum d’époque augu-
stéenne (fig. 2).
Un autre fait remarquable est à
noter. A partir du Ier siècle le tracé ré-
gulateur ne changera plus jusqu’à la
construction de l’enceinte de l’Antiquité
tardive au début du IVe siècle.
La figure n° 3 montre les es-
paces occupés attestés et possibles
pendant le Haut-Empire, d’après les
connaissances actuelles. Elle démontre
bien que le plan d’urbanisme initial a été
réussi dans sa plus grande part. Fig. 3 - Extension de l’occupation urbaine avec en rouge les secteurs pour
lesquels l’information archéologique est absente.

2. La romanisation phases I et II : l’évolution des rues

2.1. Les rues précoces (phase I)

Elles sont installées sur la craie géologique et les surfaces de roulement sont généralement limitées
par des caniveaux en bois. Elles mesurent généralement 17,40 m de façade à façade. Il existe aussi une

8
BERTHELOT 1993, 31.
9
NEISS, DENIAUX 1992, 19–22.

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Fig. 4 - Chaussée augustéenne initiale sur le chantier de la rue Maucroix (cliché P. Rollet-INRAP).

Fig. 5 - Restitution de la première chaussée augustéenne sur le chantier de la rue de Venise. Cette voirie nord/sud est la même que
celle de la figure 4 et se trouve à plus de 2 km de distance et présente les mêmes caractéristiques et la même chronologie (dessin M.
Poirier).

famille de quelques rues dont la largeur est proche de 15.50 m. La dimension de cet espace public ne
changera pas jusqu’à la fin du IIIe siècle. Les chaussées, limitées par des caniveaux en bois, possèdent une
largeur comprise entre 9.40 m et 9.80 m; les espaces latéraux étant occupés par des trottoirs (figg. 4 et 5).
10
L’étude de la structure des rues et de l’habitat riverain montre que l’occupation s’étend très rapidement
dans la nouvelle organisation urbaine sous les règnes d’Auguste, Tibère et Claude sur au moins 450
hectares ce qui met en évidence un accroissement très fort et rapide de la population urbaine. Il semble
évident que la ville devient un pôle d’attraction majeur à cette période.

2.2. Les rues à portiques (phase II)

De rues encore peu équipées aux chaussées fragiles, probablement en fonction des moyens
matériels (rareté de la pierre) et financiers disponibles, on passe progressivement à des rues à portiques
avec des adductions d’eau et des chaussées dignes d’une capitale de province (fig. 6).

10
BERTHELOT 2004.

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Si la construction des portiques


est générale sur l'ensemble de la ville et
qu'elle relève certainement d'une volonté
du pouvoir édilitaire, les réaménage-
ments qu'elle a impliqué ont amené des
adaptations aux constructions existantes,
notamment avec la création d'un étage
11
au-dessus de la galerie .
De la fin du Ier siècle mais
surtout pendant le IIe siècle, ce sont au
minimum 17 000 piliers de portiques qui
sont construits. Ils matérialisent une nor-
malisation du paysage urbain qui devient
le cadre (décor) de la mise en scène des
monuments symbolisant ainsi une forme
d’aboutissement de la romanisation. La
construction des portiques, par son am-
Fig. 6 - Rue à portique et adductions d’eau sur le chantier de la médiathèque
(image de synthèse de X. Briand d’après M. Poirier et A. Balmelle). pleur, peut laisser supposer un évergé-
tisme important même si aucun élément
comme une inscription ne viennent le
confirmer.
De grands collecteurs sont
également aménagés pour drainer vers
la rivière, l’eau recueillie dans les ca-
niveaux de la voirie qui sont le plus
souvent soigneusement construits en
bois.
Une de ces rues qui a été fouillée
à 8 reprises possède une longueur dé-
sormais reconnue de 2.5 Km, ce qui n’a
pratiquement aucun équivalent dans
l’Empire.

3. La romanisation phase II: la parure


monumentale

Parallèlement à l’amélioration de
l’équipement des rues, une deuxième
phase du développement urbain est ca-
ractérisée par la parure monumentale.
Elle est révélatrice de la richesse et de la
puissance des élites (fig. 7).
Fig. 7 - Plan de localisation des monuments.
Le forum

Le forum de Reims s’étend sur 2.5 hectares (250m x 100m) (fig. 8). Son organisation est tripartite.
La partie religieuse se développe vers l’ouest à partir du cryptoportique dont ne subsiste en élévation que
l’aile ouest (fig. 9). Vers le sud, à l’emplacement de la place Royale se trouve la partie centrale du forum. Il
11
BALMELLE, SINDONINO 2004.

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Fig. 8 - Le forum antique. Insertion dans la ville actuelle (image de synthèse de X.


Briand d’après la restitution de M. Poirier et C. Sauvain).

Fig. 9 - La galerie orientale du cryptoportique


du forum (cliché F. Berthelot).

faut imaginer là, une vaste esplanade


dallée, bordée de colonnades et
flanquées de boutiques à l’extérieur
de la place. A l’extrémité sud de
l’ensemble se trouvaient la curie et la
12
basilique . La partie du crypto-
portique actuellement conservée,
n’est donc qu’une petite composante
d’un vaste ensemble monumental de
250 m de long sur 100 m de large
(2.5 hectares) qui pouvait rivaliser
avec les forums des autres capitales
de provinces de l’Empire romain.

L’amphithéâtre
Fig. 10 - Position et restitution de l’amphithéâtre d’après les fouilles du Tramway
en 2008 (Maxence Poirier d’après S. Sindonino et M. Lefils).
L’amphithéâtre est connu par
les sources anciennes et une partie de son élévation a subsisté jusqu’au début du XIXe siècle. Aucun plan
n’est parvenu jusqu’à nous. Cependant un mur périmétral et la fondation de sa façade, ont été découverts
en 2008. Cela nous permet désormais de le localiser précisément et d’en définir les dimensions: 122 m x
100 m. Sa construction est postérieure au milieu du Ier siècle de notre ère (fig. 10).

12
SAUVIN 2005.

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Fig. 11 - L’arc antique de «la Porte de Mars».

Les arcs antiques

Quatre arcs enjambent le passage des axes


principaux en direction des quatre sorties de la ville tout
en encadrant le centre administratif et monumental.
Celui de la Porte de Mars, au nord (fig. 11), s'étend avec
ses trois arcades sur 32,50 m de largeur. Celui de la
13
Porte Bazée (fig. 12) au sud, avait la même ampleur .
Ce sont les plus grands connus du monde romain. Ces
quatre arcs, probablement construits entre le milieu et la
fin du IIe siècle, illustrent encore l'image de grandeur et
d'opulence que la ville cherchait à donner d'elle-même
tout en cherchant à rappeler, au moins symboliquement,
son ancien statut de cité indépendante car fédérée.

Le sanctuaire de la rue Belin

Un monument important daté du IIe siècle, a été


découvert en limite septentrionale de l'agglomération.
Une construction de type cryptoportique a été mise au
jour sur une cinquantaine de mètres de longueur.
L'étude de la topographie de ce secteur et les
découvertes du XIXe siècle permettent de restituer, avec
Fig. 12 - l’arc antique de «la Porte Bazée». Gravure du
XVIIe siècle.

13
BERTHELOT, BOUREUX, CAUSSIL ET AL. 1986.

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Fig. 13 - Le sanctuaire de la rue Belin. Plan


de fouille, restitution (d’après P. Rollet et M.
Poirier) et image de synthèse (Frédérique
Coqueret).

Figg. 14-15 - Eléments d’architecture en


remploi provenant du sanctuaire (cliché P.
Rollet).

vraisemblance une esplanade d'en-


viron 100 m de côté entourant un ou
plusieurs sanctuaires (fig. 13).
Après la destruction des bâ-
timents par un incendie, deux im-
portants puits en gros appareil, pa-
rementés de blocs de remploi, ont été creusés sur le site dans la deuxième moitié du IIIe s. Ils ont livré une
série de 500 blocs appar-tenant en partie au monument qui a donc servi de carrière et à des stèles
14
funéraires d’une nécropole proche (figg. 14 et 15) .

L’aqueduc et les thermes publics

L'essentiel du parcours du canal de l’aqueduc qui se déve-loppe sur une longueur de 44 km entre la
rivière, à Jonchery-sur-Suippe et son arrivée au sud de Reims ont pu être cartographiés (fig. 16). Il alimentait
15
certainement les thermes, les adductions d’eau et des fontaines .
16
Les thermes s’étendaient à l’emplacement de la cathédrale actuelle sur plus d’un hectare . Nous n’en
avons que des plans partiels, mais l’étude stratigraphique montre plusieurs états de construction et de

14
ROLLET 1998, 77–80.
15
ARDHUIN 1997, 331–351.
16
NEISS, BERTHELOT ET AL. 2007, 304.

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Fig. 16 - Tracé de l’aqueduc romain (d’après M. Ardhuin).

reconstruction jusqu’au IVe siècle où


une reconstruction serait due à l’Em-
pereur Constantin comme l’atteste
17
une inscription .

4. Analyse de l’urbanisme au
Haut-Empire

4.1. L’organisation du bâti dans les


insulae

Le terme d’insula est com- Fig. 17 -


pris ici comme l’îlot urbain délimité Comparaison des su-
par les rues qui l’entourent et non perficies d'insulae
entre Aix-en-Proven-
l’immeuble collectif, tel que le décrit ce et Reims.
Cicéron à Rome.
L'urbanisme de Durocortorum s'inscrit dans la lignée des plans à damier, chers à Hippodamos de
Milet mais à une nuance de taille près: les insulae du carroyage augustéen de la capitale de la Gaule
belgique sont vingt fois plus vastes en superficie que celles du carroyage créé par Sextius près de 120 ans
plus tôt à Aix en Provence (fig. 17). Cette originalité est partagée par d'autres chefs lieu de civitas du nord de

17
C.I.L. 3255.

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Fig. 18 - Plan général de Durocortorum au IIème siècle ap. J.-C. avec numérotation des insulae.

la Gaule, comme Amiens ou Metz. Nous sommes donc en présence d'un urbanisme innovant nécessitant
une nouvelle approche scientifique.
L'empreinte prédominante du plan à damier (fig. 18) a généralement orienté la recherche sur le
système viaire lui même, au détriment de l'organisation interne des insulae, très complexe à élucider dans le
contexte archéologique rémois. Il faut maintenant inverser la méthode et esquisser des justifications

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fonctionnelles à la métrologie de ces insulae


très différentes et qui ont façonné un nouveau
paysage urbain, avec son long cortège de
problèmes techniques à résoudre (réseaux, di-
stribution, assainissement…) nécessitant une
"ingénierie urbaine" de grande qualité.
C'est donc sur le parcellaire des
insulae et leur occupation que nous proposons
d'explorer quelques pistes de recherche.

4.2. Le parcellaire

En l’absence de tout bornage originel


conservé en place, nous en sommes réduits à
proposer plusieurs scénarii à partir de quel-
ques postulats.
D’abord, nous avons constaté que les
Fig. 19 - Hypothèse de division parcellaire. venelles, ambitus et passages étaient peu fré-
quents à l’intérieur des îlots urbains. En la
quasi absence de réseau viaire secondaire interne aux îlots, il est donc vraisemblable que l’organisation de
l’espace, passant par une opération de lotissement, s’apparentait à un découpage parcellaire pur et simple.
L’agrimensor romain est connu non seulement pour la qualité technique des ses réalisations
18
(aqueducs, cadastres…) mais aussi pour les ouvrages techniques que sa corporation a laissés , ouvrages
parmi lesquels figurent les fragments du traité d’arpentage de Frontin.
Notre deuxième postulat repose sur les dimensions des parcelles. Concevoir un lotissement
présuppose de connaître la finalité des occupations qui s’implanteront sur chaque parcelle. Nous émettons
ici l’hypothèse que la domus était, pour les agrimensores gallo-romains du début de notre ère, le module de
19
référence. Une rapide analyse comparative des dimensions des domus en Gaule démontre que la largeur
parcellaire moyenne sur rue est d’environ 28 m pour une profondeur moyenne de 70 m, dans un rapport
profondeur/largeur voisin de 2,5.
2
La surface moyenne de ces domus étant voisine de 2000 m , il restait aux agrimensores à les
disposer dans l’îlot, sans créer à priori de voiries secondaires internes, tout en permettant l’accès à chaque
parcelle depuis les rues (fig. 19).
A ce stade de la démonstration, il est important de noter que nous ne cédons pas à la tentation
d’une métrologie systématique basée sur la dimension du pied romain d’environ 30 cm, module si petit qu’il
permet de justifier toutes les théories et leurs contraires.
Nous préférons suggérer par le raisonnement quelques principes qui pourraient être à l’origine d’une
organisation de l’espace à infirmer ou confirmer in situ lors des fouilles à venir.

4.3. Les domus

La récente publication «Les maisons de l’élite à Durocortorum» réalisée par A. Balmelle et R. Neiss
apporte un éclairage nouveau tant sur la structure de ces domus que sur le niveau de vie de ses habitants.
Nous sommes en présence d’une forme d’urbanisation importante dans les îlots urbains. Il est
20
particulièrement intéressant de constater que cet « outil urbain » d’occupation de l’espace fut utilisé dès le
début du Ier siècle ap. J.-C. comme pour la maison de Muranus mais aussi à la fin du même siècle (Maison

18
ADAM 1995, 10.
19
LOUSTAUD 2000, 183.
20
BALMELLE, NEISS 2003, 63.

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Fig. 20 - Plans comparatifs de différentes domus. D'après J. Loustaud.

au Poisson) et que les domus se multiplièrent, avec une augmentation très nette au IIe siècle (Maisons à la
Pergola, au Jardin, aux Amours et au Bélier).
Autant les formes d’habitat vernaculaires gallo-romaine pouvaient avoir une parenté même lointaine
avec l’habitat ouvert précédant la Conquête, autant les domus étaient vraisemblablement une véritable
« révolution culturelle » pour les élites gauloises.
2
L’étude du parcellaire (cf. supra) nous permet de proposer des domus d’environ 2000 m . Cette
2
surface, comparée à la Maison du Faune à Pompéi (2900 m ), à la Maison des dieux Océans à Saint
2 2
Romain-en-Gal (1700 m ) et la Maison à la Monnaie d’Or à Limoges (1650 m ), semble réaliste et valide
2
bien le module parcellaire original d'environ 2000 m (fig. 20).

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4.4. L’habitat vernaculaire

21
Lorsque Vitruve évoque la
condition des classes moyennes et
humbles, il écrit: «quant à ceux dont la
situation est celle de la moyenne des
gens (his qui communi sunt fortuna), ils
n’ont nul besoin de vestibules, ni de
tablina, ni d’atria magnifiques, puis-
qu’ils vont chez les autres pour leur
ren-dre leurs devoirs et non l’inverse»,
P. Gros exprime avec justesse les
difficultés que pose l’analyse puis l’in-
terprétation des plans de cet habitat
vernaculaire, parce que nous sommes
évidemment beaucoup moins rensei-
gnés sur l’habitat de ces catégories so- Fig. 21 - Organisation des structures dans l'insula.
22
ciales . Il est en effet dangereux d’é-
valuer le caractère plus ou moins «ordinaire» ou plus ou moins «populaire» de cet habitat parce que la
réalité sociale de ses habitants nous échappe en grande partie. C’est la raison pour laquelle nous préférons
parler d’architecture ou d’habitat vernaculaire, selon la défini-tion du dictionnaire "le Petit Robert": «indigène,
domestique».
Nous nous bornerons mode-stement à constater plusieurs faits:
1 - La plupart des structures de cet habitat génèrent une interface avec la rue que l’on peut qualifier
en langage d’urbanisme réglementaire de «bande des 6m comptés à partir de l’alignement». Cet espace qui
longe l’alignement de la façade a en effet une épaisseur constante de 5 à 6m (fig. 21).
2 - Au-delà de cette bande des 6m, l’organisation de cet habitat verna-culaire est pratiquement
illisible tant les enchevêtrements et les extensions successives sont nombreux.
3 – L’artisanat ou une activité de type artisanale ou commerciale sont souvent associés à l’habitat
vernaculaire (îlot Capucins-Hincmar-Clovis, 25, rue Libergier, 6, rue des Fuseliers, 37, rue de Venise et rue
de l’Equerre).
4 – Il existe une mixité entre les domus et l’habitat vernaculaire dans les îlots de grandes dimensions
(travées A et C du plan de repérage des insulae (cf. fig. 18) mais pas dans les îlots de petites dimensions
(travée B du même plan). Cette particularité est étonnante et révèle peut être une spécialisation des îlots de
la travée B réservée à des activités artisanales ou commerciales. C’est le cas des ateliers de potiers et de
tissage découverts rue de l’Equerre, des échoppes de la rue de Venise et des entrepôts du début du Ier
siècle et des activités de tabletterie mis au jour au 6, rue des Fuseliers (fig. 22).
Il est à remarquer qu’il est impossible, pour le moment, d’esquisser le moindre parcellaire à l’intérieur
de ces îlots de petite taille, comme si les agrimensores en charge d’établir le carroyage connaissaient déjà la
vocation qui leur était attribuée. Nous pourrions peut être nous trouver là en présence d’un zonage
spécifique «activités et habitat associé» dans une travée d’îlots bien desservie par deux cardo traversant la
ville du nord au sud. Cette hypothèse a été récemment confirmée dans la partie nord de la même travée, rue
Maucroix où P. Rollet vient de mettre au jour un quartier contenant un vaste entrepôt, d’au moins 80m sur
15m, et un atelier de tabletterie.

21
Vitruve, De Architectura, VI, 5, 1.
22
GROS 2003, 82.

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Fig. 22 - Plan des hypothèses de secteurs


fonctionnels dans la ville.

4.5. L’évolution de l’occupation des


îlots

Les évolutions perceptibles au


cours du Haut-Empire ne touchent
pas la géométrie des îlots, qui reste
figée dans le carroyage augustéen
jusqu’à l’implantation de l’enceinte tar-
dive au début du IVe siècle ap. J.-C.,
mais plutôt leur organisation interne.
Le tableau de l’évolution de la
nature des occupations (fig. 23) met
en évidence, en lecture horizontale, la
grande stabilité du type d’occupation,
exception faite du site de la rue de
l’Equerre.
En revanche, en lecture ver-
ticale, on voit qu’à une même époque,
les occupations pouvaient être très différentes d’un
îlot à l’autre. La première moitié du Ier siècle est très
contrastée puisque cohabitaient des îlots construits en
matériaux périssables, des maisons en dur abritant
déjà des activités, et des domus. Sur les dix huit sites
significatifs étudiés, le tiers est plutôt à dominante
d’habitat mixte, les deux autres tiers à dominante
d’habitat résidentiel.
Le tableau permet de distinguer assez nette-
ment cette répartition selon qu’elle porte sur le centre
ou sur les quartiers périphériques. A l’intérieur du
tracé de l'oppidum, les domus occupent l’essentiel
des îlots, alors qu’à l’extérieur, les deux types d’oc-
cupation s’équilibrent. Les deux zones paraissent
donc bien individualisées. Ces différences, très sen-
sibles dans le paysage urbain, peuvent expliquer, en
partie, la grande opération de rénovation urbaine
unificatrice menée vraisemblablement au milieu du IIe
siècle ap. J.-C. et qui se manifeste par la création de
portiques le long de l’ensemble des rues (fig. 24).

4.6. Le paysage urbain

A ce stade de l'étude, et après avoir analysé


la mise en place de la trame viaire et l'organisation du
bâti dans l'îlot urbain, il nous a semblé intéressant Fig. 23 - Tableau des évolutions de l'occupation des insulae.
d'ouvrir le champ de la réflexion à l'échelle de la ville.

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Fig. 24 - Essai de restitution d'une rue à portiques.

L'utilisation du plan à damier avec ses îlots urbains et ses rues se justifie d'autant mieux qu'il crée un
nouveau paysage urbain en complète symbiose avec la parure monumentale de la ville, pour servir un
dessein politique au sens étymologique du mot.
En effet, le rôle de capitale politique de province joué par Durocortorum a provoqué une urbanisation
monumentale qui atteint son apogée à la fin du IIème siècle de notre ère et fût l’aboutissement d’une
stratégie urbaine ambitieuse reposant essentiellement sur le positionnement des arcs antiques dans
l’espace, la volonté de créer des axes monumentaux, une mise en scène des entrées de ville et une
organisation du cœur de la cité.

5. Analyse des relations spatiales et fonctionnelles

En ce qui concerne l'implantation des arcs antiques, il convient de distinguer deux familles. En effet,
la porte Mars au nord et la porte Bazée au sud, tangentent sur le cardo, l’ancien oppidum des Rèmes, alors
que sur le décumanus, les portes de Cérès à l’ouest et aux Ferrons à l’est, sont implantées nettement en
retrait, à environ 250 m à l’intérieur de l’ancien rempart de l’oppidum des Rèmes.
Il semble vraisemblable que l’implantation des arcs nord et sud a été dictée par la volonté de
conserver la mémoire du tracé de l’oppidum des Rèmes, au détriment de la symétrie par rapport au
croisement du cardo et du décumanus, et ce peut-être pour affirmer la prééminence de l’axe nord-sud
(Boulogne/Rome).
Contrairement aux deux précédentes portes, les portes aux Ferrons et de Cérès sont implantées en
parfaite symétrie par rapport au croisement cardo /décumanus.
La conséquence majeure de telles implantations est la définition des limites virtuelles d’un centre
monumental qui, en s’appuyant sur le carroyage des rues, prend la forme d’un quadrilatère rectangle de 1
150 m de long par 600 m de large pour une superficie d’environ 70 ha (fig. 25).
En ce qui concerne la volonté de créer un axe monumental, il est particulièrement intéressant de
constater que la prééminence urbanistique de l’axe nord/sud, inscrite dans la trame viaire par la position des
arcs antiques, est ainsi confortée par la répartition géographique des monuments dans la ville.
En effet, la majeure partie de la parure monumentale est située à proximité du cardo sur une aire
géographique de 2.5 Km de long, pour seulement 0.5 km de largeur. Cette redondance dans l’implantation

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Fig. 25 - Plan définissant le secteur central de la ville. Fig. 26 - Plan définissant la prééminence de l'axe cardo.

des édifices monumentaux autour du cardo, implique d’étroites relations urbaines nord/sud entre tous ces
bâtiments publics, générant un trafic urbain important autour de cet axe (fig. 26).
Cet axe monumental recouvre également une notion de balisage puisque, pour un piéton se rendant
par exemple du sud de la ville au temple de la rue Belin, la distance maximum entre deux monuments
balisant son trajet, n’excédait jamais 400 m, ce qui, compte tenu de la hauteur moyenne très supérieure des
édifices publics par rapport à l’habitat environnant, était un excellent mode de repérage.
Chacune de ces quatre entrées de ville correspond en outre à une mise en scène particulière.

- La plus spectaculaire est sans aucun doute celle perçue par les voyageurs en arrivant par la voie de
Boulogne.
Cette mise en scène repose sur les relations entre trois edifices monumentaux disposés en triangle, le
temple de la rue Belin, l’amphithéâtre et la porte Mars.
A l’approche de la levée de terre de l’enceinte augustéenne, le voyageur apercevait dans l’axe de la
Porte Mars, à sa gauche le temple édifié sur une hauteur, à sa droite l’imposante masse de
l’amphithéâtre. Au fur et à mesure de sa progression, le temple disparaissait d’abord de son champ de
vision, puis l’amphithéâtre, pour déboucher enfin sur la Porte Mars.
La distance à parcourir était d’environ 1,2 km, la durée de l’approche représentant environ une demi-
heure de marche, la mise en scène devait être ainsi particulièrement impressionnante.
L’arrivée par la voie de Trèves est différente. La mise en scène est basée sur des relations entre deux
monuments, très éloignées (1,5 km entre l’arc antique et le temple de la rue Belin), le temple étant
toujours perçu latéralement vers le nord jusqu’au passage des voyageurs sous la porte Cérès.
- La mise en scène depuis l’arrivée de Soissons est caractéristique d’une accumulation d’édifices
monumentaux en arrière plan de l’arc antique, le forum et le cryptoportique, les thermes et le théâtre.
- La plus évidente est celle qui met en relation le cénotaphe des princes de la jeunesse probablement
situé sur le forum et la Porte Bazée. Il s’agit d’une relation entre deux édifices vraisemblablement
disposes en ligne et rela-tivement proches l’un de l’autre. Nous sommes là en présence de l’entrée de
ville menant vers la provincia et l’Italie. Ces deux édifices fonctionnaient vraisemblablement en étroite

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relation, visuelles et symboliques.


Il est intéressant de constater
que le forum est la pièce maîtresse de
la composition urbaine, véritable clé de
voûte de l'ensemble, en connexion
avec tous les secteurs de la ville.
Initialement les fora n’ont été
que des espaces laissés vides de cons-
truction, ne se définissant que par leur
emplacement dans le plan urbain et par
leur surface. Au fil des décennies, ils
ont vu leur pourtour et leur étendue se
garnir de toute une architecture en rap-
23
port avec leur plurifonctionnalité . Ce
schéma urbain s’est reproduit à Reims.
Il s’est créé un encadrement d’édifices
monumentaux qui a eu pour effet de
fermer le forum, de l’isoler du reste de
la ville, et ainsi de solenniser les acti-
vités qui y trouvaient leur cadre.
Il est tout à fait remarquable de
constater que le forum, isolé par des
portiques du reste de la cité, est une
réduction homothétique du quadrilatère
Fig. 27 - Plan définissant les zones urbaines de la ville.
rectangle virtuel limitant le centre mo-
numental de la ville.
L’organisation du centre urbain se définit donc à l’intérieur d’un double périmètre:
- Le forum au centre, déterminant un petit quadrilatère rectangle couvrant une superficie de 2.5 ha.
- Et une constellation d’édifices publics à proximité immédiate, insérés dans un grand quadrilatère
rectangle d'une superficie de 70 ha.

Il est évident que la densité d’équipements publics attirait l’ensemble des habitants au centre ville,
dans un lieu permettant l’organisation politique de la cité.
Il semble que les relations spatiales et fonctionnelles entre édifices monumentaux et îlots urbains
soient régies par une organisation urbaine à trois niveaux (fig. 27).
A/ Une couronne externe urbanisée (530 ha) à l’intérieur de l’enceinte augustéenne où les
monuments (sanctuaire de la rue Belin, arcs antiques, amphithéâtre), ont une fonction de représentation
dirigée vers l’extérieur.
B/ Une couronne intermédiaire urbanisée (67.50 ha) où les monuments (théâtre, basilique, thermes),
ont une fonction attractive pour la population.
C/ Un cœur urbain, le forum, centre économique, politique et religieux sur une surface d’environ 2.5
ha.

6. Analyse du symbolisme sous-jacent

La situation juridique des villes dans les Trois Gaules, n'est pas restée figée au cours de la période
Julio-claudienne. Différentes promotions, du statut pérégrin au statut colonial (Trèves), à l'intérieur de ce
même statut (Lyon), n'ont pas manqué d'exercer des effets sur les autres villes, pérégrines quant à elles, de
23
BEDON 1999.

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ces provinces. Les avantages, entre autres fiscaux, attachés aux statuts coloniaux, montrant que ces
avantages pouvaient s'étendre à des villes autres que des fondations romaines, ont suscité des désirs chez
les dirigeants des civitates, et stimulé l'aemulatio dans les capitales, opérant sans doute un effet
d'accélération pour la romanisation des structures urbaines dans les trois provinces. Toutefois, les villes
bénéficiaires ont dû auparavant se constituer un équipement urbain et une parure monumentale compatible
avec ce statut. Il est probable que Reims, capitale de la Gaule belge, cité fédérée de l'Empire, a
continuellement cherché à affirmer sa position dominante en tant que capitale politique de la Gaule belge.
C'est vraisemblablement le moteur principal du développement important de cette cité, c'est
certainement la preuve d'une romanisation largement acquise, dès le début de notre ère.
Cette formidable organisation de l'espace révèle des symbolismes qui s'expriment à travers des
mises en scènes de la parure monumentale, un effacement des limites et un accompagnement urbain.
Nous avons constaté que la mise en perspective des entrées de ville était fonctionnellement
particulièrement bien étudiée.
Deux exemples démontrent le caractère symbolique attaché aux édifices monumentaux des entrées
sud et nord de la ville. Au sud, la porte Bazée est le plus grand arc antique connu dans le monde romain et il
était visuellement associé au cénotaphe des princes de la jeunesse, élevé à la mémoire des petits fils
d'Auguste. En Gaule, trois villes, Agendicom (Sens), Durocortorum (Reims), et Augusta Tréverorum
(Trèves), ont livré des éléments qu'on a pu identifier comme provenant de tels monuments.
Peut-être n'est-il pas sans signification que ces trois villes figurent sur le réseau routier d'Agrippa, où
une présence romaine plus accentuée qu'ailleurs a pu amplifier un élan de loyalisme envers l'empereur. La
ville démontrait donc symboliquement sa volonté démonstrative d'intégration à l'Empire, le cénotaphe en
étant la manifestation monumentale la plus évidente, consacrée à l'Empereur, alors qu'au nord, la parure
monumentale symbolise une volonté civilisatrice vers les peuples celtes du nord de l'Empire. Ce symbolise
repose:

Sur trois concepts:


- les spectacles, symboles d'une nouvelle vie sociale
- la religion, ouverte aux peuples du nord de la province
- la soumission à Rome, par les armes si nécessaire

Sur deux monuments:


- l'amphithéâtre, un des édifices les plus caractéristiques de la civilisation romaine, se situe à un
emplacement privilégié, à l'arrivée de la voie romaine vers Boulogne, ce qui lui confère une fonction
de symbole, projeté à l'extérieur, de la puissance de la civitas des Rèmes, capitale de la Gaule
belge.
On peut assurer que, par leur masse et leur aspect voyant, par le grand nombre de spectateurs
qu'ils rassemblaient, par leur ferveur populaire que rencontraient les spectacles qu'on y donnait, les
amphithéâtres ont joué un grande rôle, dès l'époque Julio-claudienne, dans la romanisation des
villes des Trois Gaules qui en possédaient.

- le sanctuaire de la rue Belin, vraisemblablement dédié à Mercure dieu du commerce, dont


l'esplanade ouvrant vers le nord était une preuve symbolique d'ouverture vis à vis des peuples celtes
vivants dans les régions septentrionales de l' Empire.

Dans cette fonction de représentation, la Porte de Mars et la Porte Bazée, peuvent suffire, par leur
majesté monumentale et leur décor, à exprimer la totalité du message dévolu à l'enceinte: c'est
vraisemblablement la raison pour laquelle les Rèmes n'ont pas, dans un premier temps, muni leur ville d'un
rempart au droit des quatre arcs, mais se sont contentés de quatre arcs placés sur les routes les plus
importantes qui desservaient la ville.

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De la sorte, les arcs, sans


relations organiques avec un quell-
conque rempart, n'étaient plus très
éloignés, dans cette progression vers
l'autonomie, d'être perçus comme des
édifices ayant pour vocation, non plus
de contribuer à matérialiser des limites
urbaines tangibles, mais seulement d'en
monumentaliser les principaux
franchissements.
Une autre caractéristique
urbaine intéressante concerne l'orga-
nisation des limites, virtuelles ou phy-
siques. Étant donné le peu d'éléments
archéologiques recueillis à l'intérieur de
l'enceinte de l'oppidum des Rèmes,
proto augustéen ou de la tène finale, il
est difficile de proposer une organisation
interne hiérarchisée pour cette période.
Par contre, l'observation des limites
dans la ville de la fin du II ème siècle de
notre ère est révélatrice d'une symbo-
lique très puissante.

Nous sommes en présence de quatre Fig. 28 - Plan définissant les limites de la ville.

types de limites (fig. 28).


- Le tracé de la grande enceinte augustéenne, qui est en réalité une projection homothétique de
l'oppidum disparu. Cette limite est à la fois une protection physique par rapport à l'extérieur, mais
aussi la limite tangible d'installation des nécropoles, et peut être le témoin de la reconnaissance d'un
privilège accordé par Auguste à la capitale des Rèmes.
- Une limite virtuelle définie par les quatre arcs antiques, précisant le Centre monumental de la ville.
- Une limite "semi-perméable" autour du cœur urbain de la cité qui est le forum, partiellement
surélevé et bordé de galeries à portiques.
- Une limite sacrée qui n'est autre que la cella du temple situé au cœur du forum dans le temple
vraisemblablement dédié au culte impérial.

Cette hiérarchisation des limites, intégrant à la fois la mémoire de l'oppidum celte et les trois degrés
de franchissement pour atteindre la statue d'un empereur divinisé, est une magistrale leçon d'urbanisme.

Conclusion

A la lumière des découvertes de ces dernières années, il apparaît clairement que la ville gallo-
romaine qui s’installe à l’intérieur de l’oppidum, à partir de la Conquête, a bien fait l’objet d’une refondation
au début du règne d’Auguste. A cette période, un plan d’urbanisme ambitieux va être implanté à l’intérieur
d’une grande enceinte qui enclot une surface de l’ordre de 600 hectares qui va très rapidement être occupée
sur la majorité de sa superficie, dès le Ier siècle de notre ère. Cette organisation urbaine va perdurer jusqu’à
la fin du IIIe siècle et la construction de l’enceinte de l’Antiquité tardive.

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L'utilisation du plan à damier avec ses îlots et ses rues se justifie d'autant mieux qu'il crée un
nouveau paysage urbain en complète symbiose avec la parure monumentale de la ville, pour servir un
dessein politique au sens étymologique du mot.
En effet, le rôle de capitale politique de province joué par Durocortorum a provoqué une urbanisation
monumentale qui a atteint son apogée à la fin du IIe siècle de notre ère et fut l’aboutissement d’une stratégie
urbaine ambitieuse reposant essentiellement sur le positionnement des arcs antiques dans l’espace, la
volonté de créer des axes monumentaux, une mise en scène des entrées de ville et une organisation du
cœur de la cité autour du forum.
24
Si, comme le dit Roland Martin : L'urbanisme est une science intermittente dont l'histoire ne
coïncide pas nécessairement avec celle de l'architecture et que plusieurs conditions, démographiques,
historiques, artistiques et humaines, politiques et sociales sont indispensables à son développement, force
est de constater qu'à Reims, au début de notre ère, elles étaient toutes remplies.

Ringraziamenti
Remerciements à Fabrice Laporta pour la traduction en anglais du résumé, à Yoann Rabasté et à Guillaume Roy pour la
DAO.

François Berthelot
Assistant ingénieur à la direction régionale des affaires culturelles de Champagne-Ardenne
E-mail: francois.berthelot@culture.gouv.fr

Maxence Poirier
Architecte DPLG
E-mail: poirier@blp-architectes.fr

Robert Neiss
Conservateur en chef du patrimoine
E-mail: robert.neiss@wanadoo.fr

Agnès Balmelle
Adjoint scientifique et technique (INRAP Grand-Est)
E-mail: agnes.balmelle@inrap.fr

Philippe Rollet
Responsable scientifique d’opérations (INRAP Grand-Est)
E-mail: philippe.rollet@inrap.fr

Bibliographie

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ARDHUIN M., 1997. L’aqueduc romain de Reims : bilan des recherches menées entre 1982 et 1991. In Actes
du colloque les aqueducs en Gaule romaine et des régions voisines, Limoges, 331–351.

24
MARTIN.1956, introduction.

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