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Université Catholique de Louvain

Faculté de Théologie
Institut Supérieur des Sciences Religieuses

LVt 20880

DIEU ET L'HOIVIME
Contribution de Raymundo Panikkan au dialogue
e n t r e le christianisme e t l'hindouisme

Première Partie

Promoteur ; Professeur J. RIES

Dissertation présentée en vue


de l'obtention du grade de
Docteur en Sciences religieuses
par

Robert SMET

Louvain-La-Neuve

1SSO
L^au-teur exprime sa reoonng,issanoe au Professeiir JtûLien Ries.
Il fut un. promoteur éclairé, minutieux et encourageant.

Il dit sa gratiliude aussi aux Professeurs Jacques Etienne et


Albert Houssiau qui l'ont guidé et encouragé.

Il tient à dire qu'il doit beaucoup à son épouse et à ses en


fants qui ont eu la patience de supporter les longs mois de
labeur.

Il remercie l'éqtiipe des traducteurs qui ont facilité la com


paraison d'oeuvres-parues en plusieurs langues.

Robert Smet
II

lïïTEODUGTIOïr

Dans les pages qui suivent, notre propos est d'étudier, dans les oeuvres
de Eaymundo Panikkar, la relation entre Dieu et l'hoioame- avec, au centre, la
médiation du Christ, dans la perspective d'un dialogue entre le christianis
me et l'hindouisme.

Nous ne proposons pas une étude du christianisme ou de l'hindouisme, ni


une comparaison entre ces deuix: univers religieux. Nous ne donnerons pas non
plus une étude esdiaustive de la pensée panikkarienne en général. Nous veil
lerons à rester dans les limites du projet annoncé.

Dans cette recherche, nous porterons notre attention sur trois axes qui,
de l'avis que nous exprimait le Professeur Panikkar lui-même, constituent les
trois piliers de sa aretaherïte personnelle, à savoir Dieu, le Christ et le
culte. Cela réalisé, nous serons amenés à explorer le type de relation entre
l'hindouisme et le christianisme choisi par notre Auteur. Nous devrons, à ce
moment, comparer la démarche de quelqu'Tin qui part du topos de l'Inde, pour
Il

penser les problèmes en cause, avec le discours théologique chrétien, surtout


tel qu'il se manifeste à 1'époque contemporaine, au niveau, par exemple, du
Concile Vatican 11 et de quelques théologiens actuels.

Nous sommes, dès l'abord, conscients de la nouveauté de la démarche pa


nikkarienne par rapport à l'importation en Inde d'un christianisme pensé de
façon occidentale et influencé historiquement par le monde sémitique et grec
notamment. Cette démarche peut susciter un a priori favorable chez le lec
teur, Elle pose des questions au discours occidental traditionnel» Elle ne
résout pas tous les problèmes. Puisse néanmoins notre recherche mettre en
évidence, avec le plus de clarté possible, les idées de notre Auteur et fai
re découvrir celui-ci, en Occident, comme<un chaînon sincère, original et non
négligeable de la quête religieuse contemporaine.
III

BIOGR/IPHIE

Raymundo Panikkar (l) naît le 5 novembre 1918 à Barcelone, fils de


père indien et de mère catalane. Il est de nationalité indienne.

Il va passer tine "bonne partie de sa vie en Europe, Il y entame des


études scientifique) aux universités de Bonn et de Barcelone, En 1958, il
présente un doctorat en chimie à îîadrid (2). Il prolonge ses études par une
recherche philosophique et défend un doctorat en philosophie en 1946 (3)
dans la capitale espagnole.

Dans cette première partie de sa vie, il oeuvre dans l'industrie de son


pays natal, ce qui explique plusieurs de ses premières publications qui nbnt
pas un lien direct, à première vue du. moins, avec sa recherche philosophique
et théologique. Cette dernière se concrétise en I96I par un doctorat en
théologie à l'Université du Latran (4)»
Ultérieurement, Eaym-undo Panildcar passe une bonne partie de sa vie en
Inde, pays où il retourne régulièrement, et aux: Etats-Unis où il enseigne
la philosophie comparée de la religion et l'histoire des religions, à Santa
Barbara.

Ordonné prêtre catholique en 1946, notre Auteur reste attaché à la fois


au christianisme et à l'hindouisme. Développant une intense activité, il
fonde différentes revues ainsi que la Société espagnole de Philosophie,
Il fut secrétaire de divers congrès, directeur de diverses publications,
visiting Professer dans plusieurs universités et membre d'associations nom
breuses, Actuellement, sa prindipale activité se situe au département des
études religieuses de l'Université de Californie,

(1) Uous nous servons des notes biographiques qu'il nous a transmises.
Quant à l'orthographe de son nom, on lit parfois Raymond Panikkar et
exceptionnellement Raymundo Paniker,
(2) R, PAÏÏIKKAR, Ontonomia de la Clencia, Sobre el sentido de la oiencia
y sus relaciones oon la filosofia,

(3) R« PAMKKAR, El concepto de naturaleza, Analysis historico y metafisico


de un concepto,
(4) R, PANIKKAR, The Unknown Christ of Hinduism,
IV

En même temps indien et marqué à la fois par l'Europe et l'Amérique,


attaché à deux univers religieux, prêtre catholique, mais aussi scientifi~
que, philosophe, théologien et mystique, animateuh de congrès, responsable
de revues et professeur, l'Auteur ne se sent pas "plusieurs", divisé ou écar*7
telé (l). Il tient, nous le verrons, à garder dans sa vie une continuité
et une unité„

(l) Voir, par exemple, R, PAUIKECAR, Philosophv as Life-Style, pp. 197-207.


CHAPITRE I

LES CONCEPTS ET LEUR EXPRESSION

Quelques olefs pour comprendre la pensée d.e Raymundo Panlkkar:


INTRODUCTION

Certains termes techniques intervenant régidièrement dans les écrits


de R, Panikkar^ il semble utile^ voire indispensable, de les expliquer dès
le début de notre recherche. La mise en évidence de quelques constantes
sera une introduction a la penseo/^ elle—même de l'Auteur car le relevé des
mots clés d'un penseur constitue déjà une initiation à son discours.
Dans cette perspective, nous ne nous contenterons pas d'une brève éim-
mération avec exq)lication succincte, mais nous proposerons une découverte
plus substantielle de la pensée exp)rimée par les termes choisis. Nous di
rons aussi que cette initiation ne se réserve pas les mots spécifiques au
professeur de Santa Barbara. Si notre auteur ne recule pas devant les néo-
logismes, il reprend aussi des termes bien connus de l'indologie. Notis
verrons quel sens il leur donne, mais le lecteur gagnera à se référer à
d'autres lexiques pour les termes sanskrits traditionnels (1).
Ajoutons encore que, cette initiation au langage une fois réalisée-,,
nous considérerons comme superflue toute réexplication ultérieure.
Rappelons, enfin, que ce chapitre n'est qu'une introduction. Il se situe
dans la catégorie des moyens» L'objet proprement dit de notre recherche
n'apparaîtra qu'au-delà du parvis (2).

(1) Voir le dictionnaire Hindulsmi M, Clefs pour la pensée


hindoue ; H, LE SAUX, Sagesse hindoue, mystique chrétienne, note limi
naire, pp. 25 - 53» R. PMUQùiR, The Vedio Expérience, pp. 867 - 9OO,
etc.

(2) Nous classerons les termes analysés par ordre alphabétique. D'une
part, cette classrfica,tion aidera le lecteur à retrouver aisément les
mots. D'autre part, nous nous refusons a une cla.ssification plus
aléatoire se basani^ par exemple, sur leur importance respective pour
saisir la pensée de l'Auteur, Nous dirons aussi qu'un choix comporte
toujours le sacrifice de ce qu'on ne choisit pas. Nous ne pouvons tout
retenir, ni tout expliquer, dans cette première étape. Le choix et le
sacrifice ont donc, ou risquent d'avoir, pour certains, quelque chose
d'arbitraire, d'injuste, sinon de fantaisiste.
5.

1« Autonomie

Parfois simplement citée (1), l'autonomie constitue une idée chère


ou un schème d'approche privilégié de notre Auteur» >"Par autonomie, nous
entendons que le monde, aussi bien que l'être huraain, sont sui iuris,
c'est-à-dire autodé.toiminés et autodéterrainables, chacun étejit sa propre
loi. Pour l'autonomie, toute injonction provenant de l'extérieur -même
si elle est censée venir d'en-haut- est une imposture" (2)»
En régime d'autonomie, on oppose l'Eglise à l^Etat, l'empire à la
république, la philosophie à la science, le sacré au profane. Chaque
sphère de l'existence a ses propres règles et il ne peut y avoir d'inter
férence entre les différentes sphères. La nation est souveraine, la rai
son se présente comme l'arbitre suprême, tout individu est égal à un autre
individu, toute loi est promulguée démocratiqiiement, la science revendiqioe
une pleine indépendance.

Ce régime exclut-il la religion ? Pas nécessairement. ]}1ais, si le


sacré peut rester valable, ce n'est que dans son domaine propre. Si la
religion survit, elle perd les privilèges que lui assure l'hétéronomie
(voir hétéronomie) et elle n'est plus qu'une affaire privée. Le prêtre
est un citoyen comme un autre et l'enseignement religieux est évidemment
facultatif (5).
On le sent, le régime d'autonomie est une réaction contre quelque
chose, contre une antre situation, contre ce que l'Auteur appelle
1'hétéronomie (4).
(1) E, PAÎTIKKAE, Por an Intégration of Reality, p. 25,
(2) R, PAEUffiAR, Le culte et l'home séculier, pp. 47 - 48•
(5) R. PARlKILiR, Le culte et l^omme séculier, pp. 56 - 58. Suir l'autono
mie, voir aussi Philosophy as Life-Style, p. 203 et Philosophy of
Religion, p. 254 où il n'y aurait a,ucun contact entre la philosophie
et la religion, oubliant qu'elles ont une préoccupation commune; la
religion sans la philosophie coturt alors le risque de nîêtre plus
qu'un fanatisme aveugle et la philosophie sans la religion peut n'être
plus que l'analyse d'un oada,vro et non d'un être vivant. Yoir aussi
Por an Intégration of Reality. p. 25, lyiaya e Apocalisse pp. 73 - 75»
Humanismo y Cruz, pp. 168 - 169, 210 - 211,
(4) R. P/dîIIffii'iE, Le culte et l'homme séculier, p. 58; Eumanismo y Cruz,
p» 188,
4.

Comme tel, il ccort le risq.ue de l'extrémisme et semble cpj:actériser


l'Occident aujourd'hui (1), Bien q,ue citant rarement Hegel (2), l'Auteur
nous suggérerait de voir dans l'autonomie comme l'antithèse réagissant à
la thèse (hétéronomie), le tout devant déboucher sur la synthèse (que
serait 1'ontonomie),

Aux valeurs efficientes du régime d'hétéronomie que sont l'adoration,


l'éternité et le sacrifice et dont nous parlerons en temps voulu, corres
pondent, aux yeux de Panikkar, trois termes efficients : 1) le respect?
2) la temporalité et 3) le service•
D'abord le respect» Tandis que l'adoration apparaît à oerta,ins comme
une abdication de l'homme atteint dans sa dignité, on admet le respect pour
Dievi et pour ses desseins, éventuellement, et, de toute façon, poiir les
hommes, parce que cela peut être compatible avec la conscience de soi ainsi
qu'avec une attitude critiqtie. Le culte ne miserait plus sur l'extase ou
sur la danse mais sur la lecture, sur la méditation et sur la connaissan
ce. Il constituerait, dans cette perspective, un acte de réalisation de
soi (3).
Le deuxième terme efficient du régime d'autonomie serait la tempera-
lité. /ilors que l'éternité appartient seulement à Dieu, la temporalité
serait le propre de l'homme» Ce ne serait pas la simple succession des
événements mais davantage "un mode particulier de l'existence, où le passé
se joint au présent, où le présent emporte le passé dans son élan vers
l'avenir"(4). C'est dans le temps que je suis, que je deviens, je ne puis
perdre mon temps» Je ne puis perdre le temps des autres»

Enfin, le troisième terme efficient est le travG.il, soit 1 ' oeuvre


accomplie, l'acte posé, Hhomme mise sur le service des autres, il veut
améliorer leur sort, il lutte pour la liberté, il tient à faire respecter
Iféminente dignité de toute personne huma,ine (5).

(1 ) H, PAIîIKKAE., Le Christ et l'hindouisme» p» 132, Ce livre est particu


lièrement important car il reprend la thèse de doctorat en théologie
de notre Auteur à l'académie pontificale du Latran en 1962 comme le
rappelle ïï, LE SAUX dans la. rencontre de l'hindouisme et du chris
tianisme, p, 206, note 1 »
(2) S, PANHŒAE, The silence of the word, p, 163»
(3) H» PAiîIKKAR, Le culte et l'homme séculier, pp. 58 - 60,
(4) R. PAHIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, 6l,
(5) R» PMîUlCAR, Le culte et l'homme séculier^p» 64»
5.

"Le cxilte conslistera donc dans la reoonnaissanoe de notre dignité et de


notre rôle de collaborate'urs avôo le monde entiea:?» en vue d* instaurer une
vie meilleure sur terre" (l).

2, Bhaktif-Yoga (ou îïarga = chemin)

Le Bfaaicti-mârgai parfois simplement cité par notre Auteur (2)^ est-


le yoga ou le mârga de la dévotion» C'est un chemin de réalisation de
soi par la dévotion» L'Auteur considère la "bhakti comme une dimension
fondamentale du culte (5), aveo la connaissance, la contemplation et
l'action (4)»
"Don total de soi à la divinité" (5)» la "bhakti est, un chemin qui en
gage tout l'homme : sensibilité', affectivité, cliarité totale et continuels
le. Il ne s'agit plus du culte védique passablement hétéronome (6), où
l'on pouvait, à la limite, accomplir ou utiliser le rite sans le compren
dre (7), mais davantage du progrès (s) de l'époque upanisadiqvie accordant
la primauté aux sentiments et aux intentions de l'homme.

(1) E, PAEIKKAS, ^ culte et l'homme séculier, p» 65, Sur le lien entra:


hétéronomie, autonomie et ontonomie de ïï, PAKIKK/iE. et le "trio" auto
nomie, hétéronomie et théonomie de TILLICH, notre Auteur signale que
les deux pensées se sont forgées à la môme époque mais sans concerta
tion ni inter-influenoe. Voir le culte et l'homme séculier,
pp. 48 - 49, note 1.

(2) H, PAKKKAfî, Vâc in the sruti, p» 5»


(5) E, PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, I25.
(4) E, PAtŒKIiAE, Le culte et l'homme séculier, pp, 125 s,
(5) E, PAîLOQCâE, Le mystère du culte, p, 69.
(6) Nous verrons ceci plus en détail ultérieurement tout spécialement au
chapitre 4 sur le culte.
(7) E# PANIIvKAE, Le mystère du culte, p, 76.
(s) E, PAITHŒAE, Le mystère du culte, p. 77»
6*

L'opus operantis l'emporte stjt le sepl opus operatum (1),


La constante option de nctere Auteur pour oe que nous appellerons
avec lui l'ontonomie le pousse à préférer un bhakti-raâr^ qui n'est ni pu
rement hétéronome, ni purement autonome mais qui synthétise, si l'on
peut dajoe, l'un et l'autre, soit "un acte théandrique que seul peut opérer-
un homme divin ou un dieu incarné (2).. Le ouite est alors "le service di-
unrt objectivité et subjectivité, oeuvre divine et participation
humaine, action et intention, matière et forme, liberté de la grâce divine
et collaboration humaine, en un mot Dieu et homme, le Christ" (3).
La démarché religieuse se développe ici nécessairement dans une direction
liée au personnalisme (4) où l'amour reste la q-uintessence du bhoMi-
mârga (5).
lîous voyons la même tendance chez l'Auteur, lorsqu'il souligne le dé
passement de 1'agnihotra ou le sacrifice du feu (6), pa-r l'intériorisation
upanisadique de 1'agnihotra (?)» où le sacrifice est "descente en soi,
approfondissement, afin d'a.tteindre ce que cherchaient les sacrifices an
ciens" (8), Ce que cherchaient ces sacrifices anciens, c'est l'identifi-
ca,tion de Brahman avec l'âtman à l'intérieur: de nous (9), Ace niveau,
la. priere joue un double rôle : écarter les obstacles et nous fa,ire deve
nir ce que nous sommes (IO).

(1) R, P/iRUCEAR, Le mystère du culte» p, 80,


(2) R, PiûTIKRAR, Le mystère du culte, p, 80,
(3) R, PiJîHŒjfiR, Le nystère du culte, pp. 80 - 81,
(4) E, P/dmCK/iR, rne Kcinity and the Religious Expérience, pp. I9 - 24.
(5) R» PAILEHCAR, Spiritualife indu, p. 61,
(6) E, P/iJ^IKI^AR, Le mystère du culte, p. 91,
(7) E, PiJnKKLJi, Le mystère du culte, p, 95» Nous reviendrons rappelons-
le sur cette évolution de la notion du culte à l'intérieur de
l'hindouisme,
(8) R, P/ilîIIQïAR, Le mystère du culte, p. 94.
(9) R, PLiniŒAR, Le mystère du culte, p. 94,
(10) R, PAMKKûR, Le ms^stère du culte, pp. 95 - 97,
L'xinion du soi au Soi, l'évanouissement de la distinction sujet-objet
apparaissent: comme un sommet: dans la contemplation. "C'est la bhakti
(l'abandon, In piété) du ' •bbalctei, (adorateur) qui fait se manifes-ter le
Bhagavata (le Seigneur béni)" (1), Pour l'Autour, l'adorateur, le dévôt
ou le méditant ne doit pas croire trop vite que le recouvrement de l'âtman
ptiissG être identifié avec une fusion avec l'Absolu t cel^ii-ci est im
manent mais aussi transcendant. On se méfiera donc du danger de i:iarois-
sisme, de panthéisme, d'immanentisne, du cercle fermé, du circuit sur
soi-même, qid. ne rejoint ni la perspective chrétienne, ni fondamcntalenent,
la conception hindoue (2),
Le thakti-nârga apparaît conmc le chemin du culte intégral, distinct
de la période védique et du culte parfois purement spirituel de la phase
upanisadique. C'est le chemin de l'amour, de la beauté, de l'adoration,
du don total de soi-même à Lieu, de la dévotion de la créature pour
l'Absolu, potœ un Absolu du reste plus souvent perçu comme personnel que
dans lesTJpanisad en générale Lieu aime et se communique. Le dévêt adore
et participe. Il y a grSce et échange (3). La dimension théiste caracté
rise donc souvent ce mrga (4)«
"(î ) k, Le mystère du culte, p» 100, note IO4, Sur bhakti-m^ga
(sentier ou chemin de la dévotion) ou bhakti-yo^ (discipline de la
dévotion), on peut comparer notre Auteur avec, par exemple, P. FALLOIR
L'arrière-plan doctrinal de la bhakti, do,ns la quête de l'Etemel,
PP» 519 - 350 et R.C, ZAEHNEEl, l'iiindouisme, pp, 149 - 170* La
lecture de la Gxta est évidemiaent indiquée également, bien que le li
vre garde la trace de plusieurs courants de pensée à l'intérieur de
l'hindouisme»
(2) J.A. CTJTTAT., dans La rencontre dos religions, voix, p, 60, une montée
vers le monothéisme à travers les trois phases de l'hindouisme : la
phase rituelle (kartia-mârga), intellectuelle (juâna-mârga) et celle où
prédomine l'amour spirituel (ou bhakti-mârga). Voir J, M/iSSOlî,
Valeurs religieuses de l'hindouisme, pp. I7I - 173, 175-175, 175 -
177.
M, LHAVAMOîlY, La recherche de salut dans l'hindouisme, pp. 189 -
190, etc. Voir aussi R. PidTIKICAR, The Vedio Eypericnoe. p. 90,
\ %
Spirituaiita indu, pp. 84 - 94 et Ihe Trinlty and the Religions
Expérience, pp. 19 - 24.
(3) R, PidJU'dQYR, Spiritualità indu, x)P« 05 - 86.
(4) R. PAÎIIIŒAR, Spiritualità indu, p, 88,
il faut. reoomaîtTQ que lablaakti, noamoinsj s'expximo de façons
multiples et- variées, 0 ).
Si, sur le plan tiiéorique, dit l'<»,ute-ur, l'Inde admet, la supériorité
du jnâaa-mârga, il faut reconnaître que, sur le plan pratique, elle donne
la prééminence à 1 ' amour, et cela, pas seulement au niveau, de la spirituci-
lité populaire (z).

iirahma-Jijnâsa

Le brabma-jijnâsâ est le clésir. de connaître lieu mais vin désir qui


reste distinct de la conuciiSBanoe do lieu • Il est. engendré, par le.
fait, que le monde expérimenté par l'homme n'est pas lieu, n'est pas
l'Absolu. C'est donc à travers la connaissance de ce monde perçu comme
relatif, c'est à travers la découverte existentielle do la. contingence,
que nous arrivons ou que nous pouvons arriver à sentir la nécessité de
l'origine du cosmos, et d'une origine qui .est ailleurs (4). La sruti,
l'ensemble de la révélation védique au sens strict, nous aide dans cotte
démarche» Lille souligne le besoin d'une cause (i))»
Le. désir de connaître lieu précède-t~il la perception de la contin**
genoe où en est-il une conséquence ? Il est difficile de le préciser (b),
Liais il est important de maintenir, les 'deux pôles que sont le désir de
connaître lieu et la connaissance elle—môme qui incite au désir et qui
1'entretient (7)•

U) S* PLEEKKiR, Spiritualità indu, p, 51.


(2) a, PAHISEM, Spiritualità indu, p; ^3,
(5) fi. PAMIEELfi, Le Christ et l'iiindouisme, p. 117, Voir aussi l'article
suivant: sur lé brahma-jnâsâ.
(4) fi. FAMKKàRf Le- Christ et l'hindouisme, p» 11^.
(^) PAFrKKAH ,Le-Christ et l'iiindouisme, p. 120,
(6) H. PAIIKKâH, Le Christ et l'IxLndouisme, p, 122,
(7) fi. PifiUffiAE., Le Christ et l'hindouisme, p. 123.
9.

PaoilckaE. va pliis.. loin en soulignant que- le Bnahma-'jijnâsâ. senait en lui-


même un don de Dieu can "Dieu est la cause même de notce désin" (1).
Le désin. de connaître Dieu semble être, en Inde, plus que le résul
tat d'une démarche philosophique, métaphysique, abstraite, d'après la
quelle la perception rationnelle de la contingence postule une cause, non
causée, finalement peui>-être assez terne ou impersonnelle. Il s'inscrit
dans une démarche existentielle et religieuse (2),

4* Brahma-Jnâsâ

Le brahma-jnâsa est la connaissance de Drahma (3). lïLle est alimen


tée, noua l'avons, vu, par la perception de la contingence at par le v
existentiel de connaître Dieu, mais elle s'enrichit par ;
1} la srutij
2) l'activité de la Kisoni
5) la méditation^
4) la vie avec les hommes dans le cosmos.

(1) i. EANiKKAii, Le Christ et l'hindouisme, p. 1^6. Dans humanisme y


Çri^, l'Auteur, p. lui, parle de la réalité. eiiirijentLeïïT^^îète.
de l'être humain tel qu'il vient dans ce monde, ni pure nature, ni
être totalement déchu. Il gravite sous l'influence du premier
et du second Adam. Il y a en lui, p. 2Q1, une soif d'absolu qu'H. ne
peut liû-même assouvir. L'humanisme ne garde-t-il pas, p, 202, une
secrète envie de Dieu ? Si l'homme ne se découvaxs pas comme le suprê
me, ne cherche-t-il pas une instance ultime, dLt-il, p. 20^ ? Ba soi,
"l'homme est, pour une partie, un être tronqvié. et pour une'autre, il
est élevé à une surnature", p. 206 et participe au Christ, pp. 212 -
215,
(2) P, PALLOh, dans pour un vrai dialogue entre chrétiens et
p. Î25, Bouligtie que les hindous ont insisté sur ce Drahma/-jijnâsâ,
sur.ia découverte du fondement ultime de la réalité et sur l'gt^
jrjnâaâ ou découverte de la nature réelle du Soi ; "l'immanence du
divin a denc été. pour les hindous, une vérité vécue, ils ont cherché
à comùiiuaier avec l'Esprit Suprême qu'ils réalisaient comme étant le
intorior intima meo et à contempler l'univers entier comme tout en
veloppé de Dieu et pénétré, de Sacré".
(5) i. PAiMlKKAh, Le Christ et l'hindouisme, p. 117*
10

Dès qu9 l'on touche à l'Inde, on doit avoir à l'esprit que la con
naissance religieuse n'est pas le fait de la raison seule, L'Inde
n'établit pas de cloison étanche entre théologie, philosophie et'mysti
que, pas plus qu'entre la raison et l'intuition (l), La oonnaissnnce de
Brahman impliquerait ainsi de nouveau une réhabilitation de tout l'homme,
et elle serait plus proche d'une connaissance au sens de G, Mareél et de
la connaissance de Dieu^ dont il est question dans l'Ancien Testament que
d'une spéculation purement rationnelle. Qu'en était-il, du reste, de ces
cloisonnements avant la Renaissance chez nous ? Le fondateur du thomisme
n'est-il pas à la fois philosophe et saint ? He retrouve-t-on pas ce
non-cloisonnement dans la pensée patristique ? N'existe-t-il pas encore
dans "une bonne partie de la, pensée orthodoxe ? Ce non—cloisonnement
n'existe-1—il pa.3 aussi chez nous ? N'est—ce pas depuis la, Renaissance,
en Occident, que l'on établit des distinctions nettes entre des types de
recherches qui, tout en ayant leur méthodologie propre et leur objectif
respectif, n'en sont pa,s moins complémenta.ires et ga,gneraient à se ren
contrer davantage et à s'interféconder (2)

(1) Nous verrons notre Auteur revenir souvent a,u thème du non-cloison
nement et de la relation entre les types de recherches. Il veut en
cela nous aider à dépasser de ma,uvra,is souvenirs (comme la condamna
tion de ceirtains par d'autres sortant de leur juridiction et de leur
compétence) et a aller plus loin que des dichotomies relativement
récentes chëz nous mais qui sont encore viva.ceB, L'Inde,n'c,yant pas
connu notre Renaissance, vit les problèmes autrement, au point qu'il
n'est pas facile de préciser toujours si tel penseur est philosophe
ou théologien ou mystique. Voir à ce sujet J.B. CARMAIT, à propos de
Râmânuja, The Theology of Râmânuja, pp. I99 - 211.
(2) L'Auteur nous posait ces questions lors de notre entrevue à Paris en
septembre 1978. Nous nous permettons, par ailleurs, de ne pas déve
lopper davantage le thème dans ce chapitre d'introduction. Retenons,
pour l'instant, que la conna,issance de Dieu pour l'Auteur et pour
l'Inde est plus que ra^tionnelle. Elle grandit dans la vie de tout
l'homme.
11

5. D^rajrthologisation

1, C'est le processxis de disceriieraent et d'élimination de ce qiii est


d'ordre mybhologique tant dans le culte concret que dans les Ecritures
sacrées (l). On en parle aussi à propos des Evangiles parce qu'ils
sont liés à line époque (2), C'est un effort de traduction pour
l'homme moderne (5).
2. ïïotre Auteur semble parler de façon q/nonyme de la démythologisation
et de ce qu'il appelle la "dékérygmatisation" lorsqu'il envisage la
libération du noyau chrétien essentiel et central ou fondamental de
ses formes contingentes ou de ses carcans (4).
5. Il aborde aussi la démj'^thologisstion à propos de la morale. L'homme
civilisé "démythise" la morale, dit-il, c'est-à-dire qu'il en cherche
les raisons, La morale devient alors science, dialectique, "elle se
convertit en logos" et "on obéit en fonction d'un syllogisme"(5). On
aurait donc, chez certains, une morale non-démjrbhisée qui serait, à la
limite, aveugle, servile, infantile, irrationnelle et, chez d'aiitres,
une morale démythisée où l'on trouve les raisons, le pourquoi, avec le
danger de ne plus obéir qu'à son jugement personnel, et donc à soi-
même (6).,-

(1) R. PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p. 54» Nous n'avons


pas vu l'Auteur d-évelopper de façon significative la distinction
entre "démythologisation" et "démythisation", C'est assez clair,
par exemple, dans Le mystère du culte, p. 174. Au sens panikka-
rien des mots, le présent orticle poiorrait donc s'intituler
"démythisation".
(2) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, I7I»
(3) R. PANIKKAR, Le mystère du. culte, p, 175.
(4) R. PANIKK/iR, The categoty of growth, p, 120,
(5) R. P^UîIKKlilR, B'^ythe de la morale, p, 366. • u. ,v
(6) R, PANIKKAR , ]y^he de la morale,= -pp. 570 - 5^, . ••
••1
12

Potirrait-on alors envisager conme toie reinjrthlsation, me


ïïiaaythologisiermg, à condition q.ti'elle ne soit pas m sarivetage plus
ou moins conscient et artificiel (l ) ? On éviterait m.e morale sans
connaissance qui serait éventuellement fanatisme et esclavage et me
connaissa,nce qui voudrait tout pénétrer et' qui, en m sens, tuerait
l'homme et la vie (2),.;Ily a, en effet, par exemple, des valeurs qu'on
ne discn.tG pas, comme la justice, la démocratie,., et même 1?intégri
té nationale (3),
4. L'application de la Raison a.u Mythe risque de réduire l'intuition de
csi'^i'-cif toujours supérieure à son expression conceptuelle et aussi
de situer l'homme davantage dans son seul milieu socio-culturel, ren
dant le dialogue inter^culturel plus difficile (4).

6. Dogme

Le dogme est souvent perçu comme m énoncé devant servir de garde-


fou au crojrjmt, exprimant avec une certaine autorité les vérités aux
quelles il se rattache, disant sa croyance. Comme tel, l'énoncé, pris
de façon abrupte, risque de râener à la'dogmolâtrie" (5),

(1) R, Piu:IIKECAR, La demitologizzazione nell ' incontro tra Cristianesimo


e Induisno, dans Kerygma md ^thos, pp. 211 - îîais l'idée
ne nou.s semble pas claire. Disons aussi que, daus l'ensemble; de
son oeuvre, l'Auteur ne développe pas les inplica-tions morales
des religions avec autant d'intérêt qu'il s'anplique, pan exemple,
aux problèmes métaphysiques et culturels,
(2) R, PiililiQC/iR, Mora,le du mythe, p, 373 •
(3) R, PiilîIEKliR, Patriotisme y Gristiandad, pp, 37 s,
(4) Re peut-on suggérer a.ux chercheurs et souhaiter pour chacm me
entente sur m vocabulaire simple et constant en ces matières
complexes et tellement importantes ? Rous renvoyons le lecteur
aux articles sur la Raison eu le î'fy'the dans le présent chapitre,
sans être convaincu que tout sera définitivement clair pour Ixii,
(5) R. P/ilîIKKAEl, Le Christ et l'hindouisme, p. 44,
15

alors que les âogmes comme énoncés "sont des canaux, non des idoles"(l)i On
tiB peut donc figer la religion dans des formules (2) d'autant plus:que
toute affirmation chrétienne devrait être prise avec un coéfficient de
relativité, être humhle en admettant le pluralisme des interprétations
et des fsimulations (5). On devrait donc éviter tout dogmatisme (4),
tout en soulignant que relativité ne signifie aucunement relativisme (5).
On gagne a dépasser, par voie de conséquence, les formulations dog-
ma,tiques cristallisées pour rejoindre davantage ce qui est signifié (6)
car le dogme, en taiit que réalité, n'est "jamais épuisé par aucune
formulatxon" (7), Ainsi donc, la trolition religieuse se doit d'être plus
que celle d'une doctrine ou d'une herméneutique, plus que la tradition
d'un ^rygma, être "la continuation d-'un logos vivant" (s).
Toute formulation est, socio-culturellement située, bien qu'étant
nocessaire. "Les formules de foi sont seulement intelligibles et donc
valables à l'intérieur d'une certaine-homogénéité cultiirelle. Idolâtrer
une telle culture serait aussi faux que penser qu'on peut se passer de
toute cult'uro" (9).

(1) E. PAMiaL'Jî, Le mystère du culte, p. I92. "Le dogme chrétien n'est


pas une idole ni une limitation" dit l'Antèar dçns EfearS e Auocalisse
p. 150.
(2) E. PANIKKAE, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 98,
(5) S, P/JIEKICAE, Tlie Eostonian Yerities, p, 152,
(4) E. Pid-îIKKAE, Por an Intégration of Heality, p, 51,
(5) E. P/;ITI,KIG''iJl, giie Eostonian Yerities. p, 152, Por an llitegration of
p» 51, Je crois, p, 260, Los dioses y el Senor, p, 12.
(6) E, P/lïIKKAE, Le Christ et l'hindouisme, p. 169, Il semble à notre
Auteur que des dogmes à première vue incompatibles de différentes re
ligions ne s'opposent peut-être pas radicalement. Voir Eeligione e
Eeligloni, p. 79, Par exemple, le polythéisme ne s'opposerait pas
toujours au monothéisme, ni la Trinité chrétienne à l'unicité musul
mane d'Allah, ni la réincarnation hindoue à l'unicité personnelle
chrétienne. Sur cette Idée des convergences dogmatiques au-delà
des apparentes divergences, voir aussi, pp. I50 - I51
(7) E. PijlUKKiiE, Sur l'herméneutique de la tradition, p, 5é1 «
(b) e, PARIKIC/JL, Sur l'herméneutique de la tradition, p. 56I.
(9) E, PAMIHCAE, Je crois, pp, 259 - 260,
14

On poiarrait, à propos du do^e, distinguer, d'une part, la réalité


fondamentale et d'autre part, l'énoncé, ou l'article de foi, ç[ui cherche
à 1?exprimer, La foi est donc plus qu'affaire de concepts (l)è Elle
n'est pas seulement orthodcjne (2),
Il y a une différence entre la foi qui est dynamisme et la croyance,
encore qu'elles soient liées parce que la foi ne peut être désincarnée.
Elle s'exprime dans la croyance mais elle est plus. C'est le risque d'une
société homogène où les formules autoritaires que sont les dogmes pour
raient être confondues avec la foi elle-même, alors qu'il*) n'en sont que
le langage.

En 1979» dans une de ses dernières publications, l'Auteur- définit


les dogmes comme étant "les croyances fondamentales telles qu'elles sont
données par la tradition, sanctionnées par l'autorité et formant un. corps
de doctrines s l'orthodoxie" (4).

7. Esprit Saint

Il serait pour l'hindotiisme, comme une des "manifestations divines


en plénittide par laquelle Lieu dans son immanence se découvre ou plutêt
se revêt lui-nôrae" (5)» Le professeur de Santa, Barbara considère la pré
sence de l'Esprit -Saint comme un élément conmtm au christianisme et à
l'hindouisme, le Logos venant parce que l'Esprit Saint est dans le monde
et dans le coeur de l'homme,(6)

(1) Pl. PAimaCAR, Je crois, p. 258.


(2) Voir les articles orthodoxie et raison de ce cliapitre, Bous sentons,
chez notre Auteur, l'influence à la fois d'une certaine m.éfiànce à
l'égard de ceux qui, en Occident, se sont trop limités à l'aspect or
thodoxie (bien qu'il soit important) et do l'hindouisme qui mise plus
sua? 1 ' espérience religieuse que suit la formulation conceptuelle de la
croyance. On pourrait, a-vec le Père LIE&E, citer aussi saint
Tliomas ; "actus autem crodontis non tominatur ad enuntiabile sed ad
rem", Initiation théologique, t. 5, P» 19*
(3) H. PABIiai/iR, Paith and Belief, p. 19.
(4) R. PiLHIOf/'iR, Rtatattva., p. 30,
(5) R. PAîTIÏOCAR, Le Ohrjst et l'hindouisme, p. 48.
(6) R, PiiinKEAR,, Le Christ et l'hindouisme, p. 49*
15

Le fait que l'Autexio? parle constaxxient de l'Esprit nous pousse à


le nentionner dans ce chapitre d'introduction, Conme prêtre catholique,
E. Pconikhar tient, en mà,tière tr'initaire, à proposer une présentation or
thodoxe du mystère trinitonro (l)j il n'en reste pas ihoins que, vu de
l'Inde, tout ne soit pas clair (2).

1.

1. L'Auteur envisage la, foi comme un "phénomène universel" parce qu'elle


est une dimension constitutive de l'homme se résumant à une "ouverture
existentielle à la transcendance, (3).

(1) E, PMII{EAa, Ihe Trinity and the Religions Eaqaerience, p. 6,


(2) Ne peut-on poser une question à l'Auteur ?L'Esprit serait une
"manifestation divine en plénitiide", dit—il, mais une manifestation
épuiserait—elle l'Absolu ? Peut-elle l'exprimer en plénitude ?
M. ELIADE n'est-il plus prudent en parlant de "hiérophanies" dans
son Traité d'histoire des religions ? Si l'Esprit est manifesta
tion, n'y a-t-il pas risque de confu.sion entre "essence" et
"manifestation" ? Le pltis, l'Auteur, dans une correspondance de
juin 1979, nous disait que, à son avis, la notion de l'Esprit
Saint dans l'hindouisme est plus proche de celle du Nouvea,u
Testailîent que decelle de l'Ancien, No peut—on cependant se deman
der si, dans l'hindouisme, la conception ne demeure pas en-deçà
des positions chrétiennes ? L'après H. LE SAUX, les intuitions
trinitaires de l'hindouisme ne recouvrent pas la plénitude de la
révélation néotestamentaire, L'Esprit est-il, en Inde, une
"Personne divine" ? Le mot "Personne" est-il adéquat î LE SAÏÏX
Sagesse hindoue, mystique chrétienne centre sur le mystère de
la Trinité le dialogue entre le christianisme et l'Mndouisme,
mais qu'est-ce que l'Esprit, par exemple, dans la, Svetâsvatara.
ïïpanisad, III, 8 et 9, P..61? III, 12 - 15, p, 62; III, 19, p, 63 ?
Enfin, notons, an passage, que E, PANIIQLIE, dans The Vedic
Expérience, p. I31, repère un rapprochement entre l'Esprit et le
vent, dans le védisme, ce qui n'est pan sans parenté avec le monde
j-uif,
(3) R« PANIKKAE, Le culte et l'homme séculier, p, 22,
16

Elle ne serait pas réservée à -une minorité née dans une tradition de
croyance. Plus qu'une orthodoxie, elle apparaît comme une question et
pas seulement comme une réponse (l), car "l'univers^Ée ultime no peut
pas se trouvei?' dans la sphère noétique"(2).
2, La foi appanaît aussi comme quelque chose de vivant, comme une "foi-
acte, action, realite, attitude humaine totale"(3), soit unidynamisme.
Elle est la participation "à ce mouvement du Corps mystique vers sa
plénitude" (4),
3» Plus qu'une connaissance aveugle ou une adhésion fanatique, plus aussi
qu'une conclusion logique ou une conviction naturelle (5), elle sera
toujours 'hn défi", comme il le dit dans la solitude grandiose de
l'Athos (6),
4» La foi apparaît comme "l'ouverbure existentielle de l'homme, comme une
de ses dimensions constitutives. Chaque homme est infini, non fini,
et capable d'être satisfait par cette croissance, ce salut, cette li
bération, La foi est cette capacité infinie" (7),

(1) Voir notre chapitre 2, paragraphe 7,


(2) R, PMIIIŒM, Sur l'herméneutique do la tradition^ p. 362.
(3) R, PAîHKEAE, Sur l'herméneutique de la tradition, p, 362,
(4) R, PAKEKIC4R, Sur l'herméneutique de la tradition, p. 362,
(5) R. PAILEKEAR, Morale du mythe, p, 377,
(6) R, PAILEIKAR, Letter from the holy moûnt Athos, p, 726, En la
maiière, l'Auteur ne part pas en général, nou^ le verrons, des re
cherches occidentales qui font pa,rtie d'un discours souvent étran
ger au topos de l'Inde. Voir, par exemple,. R, AUBMI, La problé-
matique de l'acte de foi, données traditionnelles et résultats de
controverses récentes. Le professeur de Santa Barbara a davantage
ses racines en Inde, sans cesser d'être prêtre catholique,
(7) R» PASIKECAR, Rtatattva, p, 29, .Dans cette définition nous sentons
l'Auteur influencé plus par son topos indien qtie par l'idée d'une
correspondance à une révélation et à une grâce, comme on y est
habitue dans la pensée chrétienne développée dans une "religion
prophétique',',
17

9» Herméneutique

L'herméneutique est "boute interprétation", ou "la science qui consi


dère les principes mêmes sur lesquels se hase toute interprétation" (l)
ou " cette interprétation qui ne se sait, désormais, ni totalement objecti-
vahle, ni pleinement subjective, mais qui se rend compte de sa validité
parce qu'elle est devenue consciente de ses propres limites" (2)*,. Il peut
donc's'agir d'tine acception large et indifférenciée du fait d'interpréter
mais aussi d'une organisation de ce fa,it en science, réfléchissant alors
de manière structurée et systématique sur le fait même d'interpréter;
Elle peut, en troisième lieu, être comme l'expression, la conséquence ou
le résultat de l'application des principes acquis et anoHysés dans la
deuxième perspective, tout en restant prudente et humble.

Avec notre Auteur, nous devrons distinguer plusieurs niveaux d'her


méneutique ;
A— L'heméneutique active. Elle serait la réception d'un donné se dis
tinguant d'une herméneutique passive qui serait l'interprétation ou
1'intellection de ce qu'on nous donne (5)« Cette distinction ne nous
paraît pas être une constante dans la pensée de notre Auteirr, mars
nous devions la signaler.

^ dlachronique. Elle cherche à combler le fossé tempo


rel de l'histoire de la culture humaine, à résorber la distance tem
porelle entre l'interprétant et l'interprété, à repérer le sens des
mots dans leur contexte rédactionnel, à établir une méthode d'inter
prétation des structures et des images. Elle démythise, elle libère
le texte de sa gangue spatio-temporelle pour repérer le donné initial
dans sa nudité, Qomxie telle atxssi, elle reste toujouirs dans un mi
lieu socio-culturel particulier (4),
(1) R, PAITIEICiR, La sécvilarisation de l'herméneutique, p, 222,
(2) R, PAiniQl/iR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 223,
(5) R, P/iHIIHCAR, Sur l'herméneutique de la tradition, p, 344. Hous dé
velopperons dans notre cliapitre 3, au paragraphe 8, les analyses que
l'Auteur nous propose concernant l'initiation (dïkgâ) et l'herméneu
tique (mirnnsâ) dans l'hindouisme,là où il établit la différence
entre l'herméneutique active et passive. C'est pourquoi notre cha
pitre 1 ne prévoit pas un orticlc sur la, révélation ni sur la tradition
(4) Ri PAMTEKAR, Philosophy as Life-Style, p, 205 on be temps circulaire,
• pé 218, •
18.

G- ti' hermémeii-uiq-ue diatopique. Elle part du fait que les topoî ne peu
vent être rejoints adéquatement on utilisant les outils de compréhen
sion d'une seule tradition ou d'une seule culture. Elle met en rela

tion des horizons humains différents ou des milieux de vie hétérogène^,


Comme telle, elle tente de repérer les postulats et les présupposi
tions des systèmes et leurs limites. Elle cherche à ce que les expé
riences et les intuitions des uns dans letœ milieu d'émergence ptiis-
sent être repérées à. partir de l'intérieur de ce milieu. Notre
Auteur privilégie cette herméneutique de façon constante pour lutter
contre toute forme de colonialime d'une culture par rapport à une
autre, contre tout impérialisme d'un langage, d'un système end'une
religion. Il compte ainsi éviter le comparatisme ou la comparaison
des religions. Il espère dépasser le dialogue dialectique au profit
du dialogue dialogique leqviel n'est plus un affrontement de concepts,
d'idées, ou un jeu d'érudits, mais une expérience do confiance en
l'autre, une e::qpérience de communion et un fait religieux authenti
que (l). "Un nouveau degré de conscience est en train de naître,note
Haymundo PaniMcar, et j'ai proposé que la méthode approprié de s'oc
cuper d'interprétation interoulturelle soit appelée herméneutique
diatonique". Aucun phénomène ne peut être compris hors de son con
texte car il n'y a pas d'objectivité a^bsolue. Il ne faut pas sauter
lo, distance entre le texte et le contexte. L"intext" incorpore le
contexte et il faut comprendre l''întext"de clmque document étudié (2).

^ 'herméneutique morphologique. Elle veut détailler, exposer, présen


ter, enseigner les 'formes" ou les trésors d'une culture particulière,
d'une tradition domée (elle possède ainsi un lien avec l'herméneu
tique diachronique, elle aussi intra-culturelle). En un sens,
pourrait-on dire, c'est une herméneutique qui n'invente rien, elle
transmet et éventuellement, elle traduit. C'est une herméneutique
de transmette^TTs et de traducteurs qu'on trouverait, par exemple,
chez beaucoup do parents, d'éducateurs, de "professeurs de religion"
011 de prédicateurs (3).

(1) R, PANIKKAR, Philosophy as Life-Style, p. 205 ©t Le temps circulaire,


pp. 218 et 250.
(2) R. PANIKKAR, Rtatattva, p. 9. "Voir aussi pp. 12 - 13, 27, etc.
(3) R. PAITIIQCAR, Philosophy as Life-Style, p. 205 ot Le temps circulaire,
p. 218.
19

li*h.G3jni6K.6U'fcic[ue^^pTOfcuiG. Elle SG boiïn.G "a dormci? d©s Gjcplioa'txons gïi


fonction des données d'un monde de la ro^ison et de l'fcmpirie', voire
du témoignage des sens" (l). Gomme telle, elle reste dans la sphère
d'un "univers qu'on considère comme rationnel" (2).
sacrée. Face à l'herméneutique profane, l'herméneuti
que sacree est "une interprétation des faits ou événements, <^ans leur
sacralite, c'est—a^-dire sans les réduire a un monde gouverné par dos
paramètresrationnels ou profanes"(5). Elle est aussi "une tentative
d'interprétation selon les principes appartenant à l'ordre du sacré,
c'est-à-dire irréèuctibles au profane" (4). Notre Auteur croit que
l'ardre du sacré est donc différent de l'ordre du profane et qu'on ne
peut soumettre un objet sacré à une herméneutique profane parce que
celle-ci est d'un autre ordre (5). Par exemple, l'une admettra le mi
racle, l'autre pas.
Dans le cas du Cnrist, on pourrait considérer comme relevant de
l'herméneutique sacrée la compréhension du Christ à partir du mystère
tiinitaire comme aux conciles de Nicee, d'Ephèse et de Chaloédoine,
compréhension qui a prévalu jusqu'aujourd'hui chez nous (6) mais qui
est affrontée actuellement à une herméneutique sécularisée voyant da
vantage le Christ dans sa proximité avec les pauvres et les déshérités-
de ce monde. Il n'y aurart pas nécessairement une opposition entre
l'herméneutique sacrée et l'herméneutique séculière, on peut envisager
une complémentarité, mais il arrivera que celle-ci, chez certains,
n'admettra pas toutes les affirmations de celle-là, étant que
pour l'herméneutique sacrée et trinitaure, non seulement on n'envisa^ge
pas la négation de Dieu ni la négation de Jésus homiae-Dieu mais on
prend l'affirmation et de Dieu et du Christ honne-Diet^comme point de
départ•
(1 ) R, PANIKEîiJl, La sécularisation de l'herméneutique, p, 225,
(2) R, PiilIKIC/'iR, La sécularisation de l'herméneutiqtie, p, 225, Nous pour
rions nous rappeler l'avis de M. ELIADE disant qu'"un phénomène reli
gieux ne se révélera comme tel qu'à condition d'être appréhendé dans
sa propre modalité, c'est-à-dire d'être étudié à l'échelle religieuse"
et pas seulement à partir de la psychologie, de la linguistique, de la
sociologie ou de l'art. Voir Traité d'histoire des religions> p, 11,
(5) R, PAlTIîOC/'iR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 225,
(4) R» PAÎîIKEiiR, La séoxilarisation de l'herméneutique, p, 223,
(5) R, P/vNIîŒAE, La séctilarisation de l'herméneutique, p. 225, Nous ver
rons, toutefois, que l'Inde n'est pas obsédée par cette distinction,
(6) R, P/JTIî3<AR, La sécularisation de l'herméneutiqiie, pp, 216 s.
20

G- L'herméneutiq-ge séç-ulxère (ou séc\iLarisée), Elle peut être soit pro


fane, soit sacrée, parce qu'elle s'applique tant au monde profane qu'au
monde sacré. Elle ne se singularise donc pas par son objet mais par
sa présupposition que "la, dimension temporelle' est constitutive de
l'être ... irremplaçable et définitive?' (l).
Il n'est pas question, dans l'heiméneutique sécularisée, d'une op
position entre le sacré et le profane. Elle ne relève donc pas, répé
tons-le, d'une distinction d'objets interprétés, mais elle manifeste
une noxxvelle prise de conscience selon laquelle il n'y a pas d'être
qui ne soit temporel. Il fa-ut, à ses yetrc, prendre le saeculum a,u sé
rieux car il n'y a pa,s de "transcendance ontologique", ni "d'éternité
trans-temporolle" (2). A ses yeux, éventuellement. Dieu peut être im
manent tout en ayant une "transcendance ontique a,pophatique" (5).
Elle ne nie donc pas Dieu sous prétexte qu'elle se serait sécularisée,
ce serait uni comprendre le mot, car il peut y avoir un centre divin
dans l'être foncièrement temporel (4). L'herméneutique séculière, qui
prend le saeculum au sérieux, est "l'explication d'une donnée en fonc
tion de ses coordonnées historico-temporelles, car c'est en elles seule
ment qu'on croit pouvoir atteindre l'intelligibilité cherchée (5).
Elle doit tenir compte du conditionnement temporel do l'objet in
terprété mais aussi du conditionnement du sujet interprétant, car
"le moment temporel de l'interpréta,tion a,ppartient a,ussi à l'interpré
tation" (6) .1 .On peut note» aussi 'qu'ii n'est p?s.,.pos^blo augo^ïM'tail de
trouver une théologie valable pour tous les homes, pour toutes les
cultures, pour tous les temps.
Dans l'interprétation du Christ, l'herméneutique séculière partira
plus des données de la conscience humaine que du Jésus de la foi.
Elle sotilignera plus son rôle aujourd'hui que son essence immuable (7')»

(1) H. PAITHQG'Jl, La sécularisation de l'herméneutique, p. 225. C'est


l'Auteur qui souligne.
(2) R. ViJŒLŒIJif La sécuRarisation de l'herméneutique, p. 226.
(5) R. PAITIIGOIR, La sécularisation de l'herméneutique, p. 226
(4) R. PAîIUGiAR, Le temps circulaire, pp. 235 ~ 246.
(5) R. PilEIîŒl/iR, La séculorisation de l'herméneutique, p. 227.
(6) R. Px'jniaCAR, La sécularisation de l'herméneutique, p. 24O.
(7) R". PAILEIQCAR, La 3écula,risation de l'herméneutique, p. 242.
21

elle partira moins de la consistanoe ontologique de Jésus de Nazareth


et pensera sa nature à partir de l^histoire, dans la mesure où elle
est repérable, et dans sa présence contemporaine (l).
Notre Autour prend-il position ? Novis verrons ultérieurement
plus en détail son respect pour le dépominateur commun à toutes les
herméneutiques de Jésus, à savoir Jésus lui-même, son respect pour
toute herméneutique "d*en-haut" ou "d'en-has", son souci do chercher
une réponse communautaire plus qu'une interprétation personnelle(2),
"Nous nous intéressons, écrit-il, à une réponse qui puisse em
brasser tous les hommes de bonne volonté qui reconnaissent Jésus sotis
une forme ou sous une autre, bien que nous ne partagions pas leurs
opinions"(3).

10, Hétéronomie

. 'Çar hétéronomie, nous entendons une conception du monde, aussi bien


qu'un degré anthropologique de conscience, fondés sur une structure hié-
hiérarchique de la réalité, L'hétéronomie prétend que les lois régissant
chaque sphère de l'existence proviennent d'vine instance supérieure et
sont pour ainsi dire responsables, en tout et pour tout, du fonctionne
ment de tel être particulier ou de telle sphère de l'existence"(4),
Dans un régime d'hétéronomie sacrée, par exemple, le culte est re
lié au sacré:, leqriel est supérieur au profane, celui-ci servant celui-là.
Dieu est supérieur à l'homme, lequel obéit donc à Dieu et à la hiérarchie
religieuse,

(1) R, PAITIIvKAR, La séottlarisation de l'herméneutique, p, 242,


(2) R, PANIKK/iR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 246,
(3) R* PANIIOCAR, La séçTjlarisation de l'heménoutique, p, 245»
(4) N. PMIKÏQIR, Le culte et l'homme séculier, p, 47» Voir aussi
Philosophy as Life-Style, p, 203, Philosophy of Religion, p, 234 où
la relation philosophie-religion est envisagée sous l'angle de la
domination de l'une par rapport à l'autre. Voir a^lssi ïîayâ 0 Apoca-
lisao, PP» 72 - 73, ou For an Intégration of Reality, p, 25. C'est
peut-être dans le même sens que l'Autour, dans Humanisme y Cruz,
s'oppose au "surnaturalisme monodimentionnel", pp, 229, 236 et
258 ?
22

Dans cette perspective également, le chef religieiis est "an-dessus" du


chef temporel et l'Eglise est supérieure à l'Etat, Les valeurs spirituel
les l'emportent sur les valeurs temporelles, la théologie sur la philoso
phie (gncilla tlieologiae) et celle-ci sur la science. L'acte le plus éle
vé de l'homme est le culte. Il mise stir l'adoration et l'abandon, au plan
anthropologique, sur l'éternité, au plan métaphysique, sur le sacrifice,
au pla,n cosmologique. Le culte hétéronome présente donc ces trois valeurs-
efficientes.

D'abord l'adoration.

Je suis sauvé dans la mesure où Je me reconnais pécheur, sans valeur,


contingent et où J'accepte, simultanément, l'existence d'un Dieu personnel
et bon. Je pratique le karma-yoga, le Jnân£>-yoga, le bhakti-yoga (l).
Je deviens éventuellement, iin ascète,, un homme rempli d'humilité - vertu
primordiale - et un mystique, c'est-à-dire "un homme ayant réellement dé
couvert qtie Dieu seul est la Réalité vraie et permanente, l'Etre plénier,
la Perfection, la Réalité à la fois immanente et transcendante"(2) que
J'adore,

L'étoi^îte est la dêuxîene vïileur eiî'iciente.

Elle a,pparaît au plan métaphysique comme une "réa.lité hétérogène par


rapport au temps"(3), incompatible avec l\d et le transcendant. Elle
caractérise Dieu auquel l'home se voue dans "un abandon qui, en perspec
tive d'hétéronomie, n'apparaît pas corne un suicide (4), On verrait, dans
cette ligne se développer aussi uine espérance dans un post-tenporel, dans
un "à—venir", dans un "pas-encore", arec le risque de ne pa.s prendre le
saeoulum au sérieux.

La troisième vaùeur efficiente du culte en régime d'hétérotonie est


le 3a,crifice, le sa-crifice qui apporte le salut, le sanrifico qui est
orthopraxie. Le culte, par nat^ire, est accompli corne un "acte cosmothéan-
drique" où Dieu et l'homme collaborent et par lequel l'homme réaùise son
salut" (5),

Cl) R, PARIIOIAR, Le culte et l'homme sétfulier, pp, 50 " 52,


(2) R, PANIKIÙIR, Le culte et l'homme séculier, p, 55 -
(3) R, PAEIIOéAR, Le culte et l'homme séculier; pp.53 ~ 54»
(4) R, PAEIIQC/Jl, Le culte et l'homme séculier, p, 54»
(5) PAJHEEâE, Le culte et l?home séculier:, pp, 55 ~ 5^i»
23

L'hotérononie se retrouve dans une cvlture et dans une philosophie


où les prouves de Dieu ne sont pas ressenties oome un besoin Important
pour l'honnie, ce qui n'est pas le ces pour l'Occident contenporain (l),
"Lr- cjlture incline à l'autononie, dit-il aussi, le culte à l'hétérono-
nie" (2),

11, Individu (et personne)

"Individu" est une a,bstraction résultant de la coupure de l'home


avec ses relations, avec sa réalité relationnelle, soit de la réduction
de l'home à sa "matière brute". L'individu se distingue de la notion de
personne en tant que celle-ci est ur faisceau de relations, relations
avec l'Absolu, avec les autres, avec le cosmos. La société, ainsi, n'est
pas tine juxtaposition d'individus mais "le champ mturel et personnel de
l'interaction humaine" (3),
D'une part, l'individu forme vxi tout, une unité ontologique et,
d'autre part, la personne "est tin centre de relations, et est fondée sur
la distinction qualitative d'unicité, et parce qu'unique, incomparable,
est de ce fait un mystère" (4). Plus qu'un individti, l'homme est donc
une personne, soit un "noeud dans un fa,isoeau de relations" (5) qui at
teint attK antipodes du réel, il est un ca.rrefour.
j'itant donné ce qu'est la personne, l'illusion d'égocentrisne est
"le mal principal à la fois ontologique et moral" (6),

(1) E, PAÎîHQCâii, Le Christ et l'hindouisme, p. 132,


(2) II, P/iïrUQvAi;., Le mystère du.culte, pp. I5I - 152,
(5) E. PAîriKKAIl, Le culte et l'homo séculier, p, I6; voir aussi
Religione e religionl, pp. 56, 88 et 101,
(4) II, P/iITIKKAIl, La loi du Karma,, p, 223. BfÊnes développements chez
M, BIARDSAU, Clefs pour la pensée hindoue, p. I7I,
(5) R, PAIŒKEAIi, Por an Intégration of Reality, pp. 88 - 89j voir aussi
Rtatattva, p, 14j Maya e Apocalisse, p. 29; The Yedio Expérience,
PP« 73, 266, 747 - 748; I"ne Trinity and the Religions Bxperience,
p, 52; Humanisno y Cruz, p, 215,
(6) 11, PAIIUQIAS, La loi du Karma, p, 223,
24

car elle oublie que 1*essence âe la personne est de,ns la relation (l),
Ue peut-on aussi se denander si le concept de personne est applicar-
ble pour lieu (2) ? Le nythe de Prajâpati, que nous étudierons, contre
de toute façon un Dieu inpliqué dans les affaires humaines, au point que
Dieu no serait pas seiaenent Dieu sans l'home, ni l'honne seulement hom
me sans Dieu de telle sorte que l'isolation comme aussi la pure collecti-
visation sercdent contre nature, le mythe décrivant à la fois la divini-
S8.tion do l'home et l'humanisation de Dieu (5), Dieu est donc perçu
essentiellement comme en relation (4),

12, li^ra

Pace au Brahman abstrait, général et commun à tout (5), Dieu serait


davantage l'Absolu concret, vivant et personnel (6), source de tout, pré
sent en tout mais aussi au-dessus de tout (7),

(1) S, P/ATHÎK/Îil, AdvG,ita and bhakti, p, 508®


(2) îTous citons ici G«A, KELlEil, Religion personnelle et négation de la
personne, où, p. 79f il rejoint la, définition panikkanienne de la
personne, ajoutant plus loin, p. 82, "le théologien hindou admet que,
dans son essence -ultime, la divinité qu'il invoque est au-delà de
toute qualifica-tion, de toute relation, et, parta,nt, qu'elle est in-
persomolle ; elle n'a pa,s de nom parce qu'elle est ineffable, elle
est l'absolu pin? et simple, conscience ptiro, pure béa.titude non qua.li-
fiable, béatitude incomparable, sat-cit-ânanda".
(3) R. PiilTIKIvAIl, The myth of incest, p, I42,
(4) A plusiours reprises, da.ns la suite, nous verrons l'Auteur situer
la personne humaine entre le monde divin et le monde cosraique, entre
le di-vln et le matériel, comrae un "carrefour", comme un "prêtre",
comme un point de rencontre. Il parlera a,ussi de Dieu moins comme un
être indépendant et coupé du monde q^ue comme un être en rela.tion
avec l'homme et le cosmos, 3nfin, le mond.e ne sera pas, dans la
même ligne, coupé de sa source. Dieu, et de celui dont il est l'habi
tat, l'homme,
(5) R® P/dPEKEAR, Le Christ et l'hind;.oui3me, p, 139®
(6) R, PAITIKI'!AIl, Le Christ et l'hindo-uisme, p, 14I®
(7) R® PAîHICKAPl, Le Christ et l'hindouisme, p, 139®
25

Isvara sera,xt plus proche de ce lieu suprême et personnel que le teime


"Brahman" (l). Il serait l'image de la source unique, son révélateur,
comportent une faoe totonée vers l'Inépuisahle dont il est l'expression
et une face touinée vers làmande e±6ér±eurL. .Le Brahman serait donc
✓ ——
transcendant mais origine du monde en Isvara (2), Plus qu'un simple
médiateur, Isvara serait lieu, semblable à lieu, fils de lieu, indivisi
ble par rapport à lieu. Il apparaît comme nécessaire pour penser lieu
et pour l'unir au monde (5)* Gomme tel, il serait proche d'Adonaî, du
Kurios, âu lominus, du Logos, comme la divinité unie au monde, vers la
quelle vont tous^les religions, 3'alpha et 1'oméga (4)> fondant et la
transcendance et l'immanence de Brahman (5).
I^ara apparaît à notre Auteur comme le Seigneur, Lord, proche du
Logos johannique sans lui être identique, "Une comparaison entre Isvara
et le Clirist peut s'avérer non seulement dangereuse mais inadéquate" (6)
même si le mot "Seigneur" désigne le Christ dans le christianisme et
-rjf—
Ig?^ra dans l'hindouisme. On ne pourrait nier le "terrain commun"
"pas plus que niveler tout sans nuances",....

Prenant ses distances par rapport à Sankara et à Bâmànuja,


R, PaniMcar souligne que "son" Isvara est plus tourné vers le mystère du
Christ que du côté du Brahman des védantins (7)«

(1) R, P/IÎIKKAR, Maya e Apocalisse, pp, 342 - 545. J.B, C/iRMAK va dans
le même sens dans The Theology of Ramânuja, p, 18,
(2) R, PARIKEAR, Ber Ishvara des Vedanta,, pp, 451 - 452,
(3) R, PARIIQQIR, Ber Ishvara des Vedanta,. p, 446,
(4) Christus und Indien, p, 123,
(5) R, PARIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp, 155 - 157*
(6) R, PAUIKK/iR, Le Christ et l'hindouisme, p, 100>,
(7) R. PAÎflIOCAR,. Le Christ et l'hindouisme, p. 1é2, Il tirera toutefois
plus le Christ vers Isvara que Isvara vers le Christ, verrons-nous.
Il développera une pensée "logocentrique" plus que "Jesus-centrique".
Est-ce à dire que "son" Christ est un être vague et vaporeux ? Bon.
C'est le Christ manifesté en Jésus mais c'est aussi le Terbe de Bieu,
agissant depuis les origines, dans la création et à l'oeuvre partout.
26

15. Jnânê^Yoga

C'est le yoga de la connaissance, le chemin de la réa,lisation par


la connaissance» L'Auteur considère la connaissance comme "le deuxième
acte fondamental du culte" (l), après la hhakti et avant l'action (2),
Cette connaissance, l'Auteur sait combien elle importe dans l'hindouisme,
surtout lorsque celiAi-ci,dépasse la période védique où le karman comme
a,cte sa,crificiel s'avérait priraordia,l. Il parle a,lors d'une évolution
moderne dans le sens du jnânâ-mârga (3) où l'esprit dans lequel on ac
complit le rite importe plus que 1'exactitude de son accomplissement.
On sent, dans ce résumé, que l'Auteur a une préférence pour l'évolu
tion upanisadique, Considérai,nt néa.nmoins l'élitisme où versait quelqu.e-
fois la contemplation pure du système védantin, il approuve la séculari
sation simplifiante (4) où l'Inde actuelle pn,rvient à garder un caractère
culturel mâme au travail profane et à l'éducation(5) et il valorise le
bhakti-mârga.
Il faut souligner que la comia,issanoe ne doit pas être réduite à
une activité strictement rationnelle fréquente en Occident, Elle fait
appel au tout de l'homme et de la vie et elle a essentiellement une'
fonction de libération, de réalisation et de divinisation, le ônânâ-
marga ne doit pas déboucher sur un savoir spéculatif, sur une pure con
naissance, La tentation peut exister mais le jnânâ doit rester un che—
roin, jusque dans la vie quotidienne et dans la contemplation qui s'y dé
veloppe(6),

(1) E, P4JnKKAE, Le culte et l'homme séculier, p, 125«


(2) E, PMIKEAE, Le culte et l'homme séculier, pp. 125 et s.
(3) H. P/iOTmE, Le mystère du culte, p. 58, Ne peut-on déceler une
perspective parallèle chez les prophètes juifs qui, sans rejeter le
culte et les rites -beaucoup étaient prêtres- insistaient sur les
dispositions intérieures ?
(4) n. PiNIIKKAE, Le mystère du culte, p, 66,
(5) H. PiiNIIOIAK., Le mystère du culte, p. 67,
(6) R, PAJmaOiR, Spiritualità hindù. pp. 77 - 79,
27

Les vert-us fondamentales de ce mârga sont sama (contrôle mental),


(domination des sens), uparati (renoncement), titiksa (patience),
samâdhâna (concentration de l'esprit) et sraddha. (foi) (l). Ce chemin
doit mener à la contemplation q-ui est "réalisation de Dieu" (2), avec
l'idée d'imméiSiateté, de disparition de la distinction entre Sujet et
Objet par l'incorporation au Voyant divin (5)*

14. Karma-Yoga (ou Marga)

Koga des actes, chemin de la réalisation par les actes.


L'action n'est-elle pas "l'acte fondamental ,du culte" (4) ? Il
s'agit soit de l'acte extérieur soit de l'acte intérieur, soit de l'acti-
'•vité entière de l'homme, tout spécialement l'aide et l'amour. Le culte
est l'acte par lequel la personne cultive son centre, et par conséquent,
cet acte par lequel la personne participe au coeur de toute réalité, par
lequel elle s'unit, au niveau le plus profond, a tous ses frères et se
trouve en communion avec l'univers tout entier. Le culte est l'acte par
lequel la personne dépasse non seulement l'égoîsme et l'isolement, mais
aussi l'activisme infrictueus de pure agitation et la superficialité sté
rile d'une existence inauthentique"(5).
Le culte est action, donc, mais toute action n'est pas culte (6).
Encore faut-il qu'elle soit révélatrice d'être, qu'elle mette l'être "à
nu" (7).

(1) R. PAî-IIirKAR'^ Spiritualita hindù, p. 81.


(2) R. PA!tîII{KâR-, Spirit-ualita, hind-u, p. 82.
(3) R. PARIKKAR', Spiritualité hindu, pp. 82 - 84.
(4) R. PMIKKAR, culte et l'homme séculier, p. 126. Notons que
l'Auteur parle d'acte fondamental du culte à propos de plusieurs cho
ses, comme la connaissance.

(5) R* PANIKEAR, Le culte et l'homme séculier*, p. I30.


(6) R. PANIKEAR, Le mystère du culte, p. 43.
(7) R. 'PMIKKIiR, Le mystère du culte, p. 44. Le Karma est l'action hu
maine comme chemin de salut, -un chemin q-ui n'est pas se-ulemœnt irnitu-
rel, un chemin religieux, distinct de l'activisme et de la pure
action sociale, sans toutefois l'Inclure. Voir Spiritiwiife indu,
p. 7é.
28

A propos do l'action (karma), E. Panikkar ne partage pas tout ce


qu'a dit l'hindouisme. Par exemple, on entend souvent parler du lien en
tre karma et samsara (transmigration) dans la religion d'Inde, lîe poui-
vant nous faire admettre la théorie de la transmigration, il ne manque
pas de souligner qu'à l'origine la doctrine du karma n'avait rien à voir
avec celle du samsara (l), tout en reconnaissant que pour "beaucoup,
aujourd'hui, dans l'hindouisme et dans le "bouddhisme, karma et samsara
sont insépara'ble3(2).
Il accorde aussi la préférence non au karma védique en tant que sa
crifice correctement accompli mais à l'action humaine transfigurée en
sacrifice (5), Heprenant ses catégories d'hétéronomie, d'autonomie et
d'ontonomie,. il situe le sacrifice védique dans l'hétéronomie (4), il pré
sente les ïïpanisad comme une réaction autonome (5) et majrque sa préférence
pour l'ontonomie qui est comme la ssnithèse de la thèse et de l'antithèse,
car elle est "un contenu implicite de l'hétéronoi^ie et une supposition
tacite de l'autonomie" (6), Il considère que l'hindouisme, resté x-'l"ue dans
l'hétéronomie, pourrait enrichir le christianisme occidental actuel impré
gné davantage d'autonomie, le dialogue pouvant'Remettre en lumière le
noyau ontonone de la vraie religiosité humaine" (7), Pour l'ontonomie,
on effet, "service divin veut dire ensemble service de Dievi et service de
l'homme, il s'agit à la fois de l'oeuvre divine et du devoir de l'homiae" (s)
Par ailleurs, il n'est pas question d'opposer l'action et la médita
tion, ou l'action et la contemplation, ni potir notre Auteur ni pour l'hin
douisme dans sa majorité. L'action humaine doit avoir une Sme, en quel
que sorte, et le contemplatif ne peut devenir un étranger par rapport" au
monde qtii se construit.

(1) R, PANHŒAR, Le mystère du culte, p, 56, note 16,


(2) R, PARIIŒAR, Le mystère du ctate, p, 58, Sur l'évolution de la no
tion de karma dons l'hindouisme, voir La loi du TTfi.-rmn., pp. 21O -
216,
(3) R« PAÎJIKîLlR, Le mystère du culte, p, 71,
(4) R, P.AILEIQCAR, Le mystère du culte, pp, 74 -• 76,
(5) R« PAÎTIIQLiR, Le mystère du culte, p, 77,
(6) R, PAKIKK/iR, Le mystère du culte, p, 79,
(7) E, PAITIKEAR, Le mystère du culte, p, 79,
(b) h, PAjnKEAR, Le mystère du culte, p, 80,
29,

"Si l'action n^est pas contenplativs," elle n'est pas action, dit-ilj si
la contemplation n'est pas active, elle n'est pa,B réellement contempla*»
tion" (l). Oh peut se demander si l'Occident, qui n'ignore pa,s cette
complémentarité, n'a pas moins vécu, en général du moins, cette inter
action entre les acquis de la, mystique et la vie quotidienne, en sorte
que le dialogue avec l'Orient le viendrait enrichir, on lui faisant re
découvrir ses propres découvertes, ses intuitions et des expériences
parfois négligées (2),

15• Méditation

Dans l'hindouisme, elle n'est pas d'ahord une réflexion sur un


texte, sur un sujet précis, sur un problème de la vie, nais plus souvent
peut-Ôtre comme un arrSt de la pensée. Ce qui compte, ce n'est pas ce que
nous pciBOZis , mais ce que nous sommes, non ce que nous méditons mais la
peditation elle-même. Elle est alors "le repos de l'esprit en son fon
dement ineffable et inconnaissable" (3), Le silence extérieur mais sur
tout intérieur serait comme "la, dernière étape qui précède l'union à
Diexi" (4). "Le silence, la paix et la conscience ontologique de tout ce
qui existe est nécessaire" (5).
Panilckar considère ce repos dans le fondement, cette méditation,
comme étant essentielle, pour lui personnellement, il la pratique inten
sément ("n faut pratiquer ce qu'on enseigne" nous disait-il avant de se
retirer en Inde en 1979)* mais aussi pour tout hoimne afin qu'il puisse
redimentionner la vie (6).

VMUEÉIŒL, Le temps circulaire, p. 244. Même idée dans Le nystère


du culte, p. 19.
(2) Sur le Karma-pârga. voir aussi R. PIûmaCMl, Spiritualità indu, pp. 62-
76, Dans notre chapitre 2, § 11, nous développerons aussi le thème
à partir de The Trinity and the Religious Expérience, pp. 11 - 19.
Les trois marga (bhakti—, jnana-, et karma-rmrga) cherchent la com
munion avec l'Absolu. Toir Spiritualità indu, p. 60.
(5) R. PARTEIGriR, Lettre sur l'Inde, p. 18.
(4) R. P7JIIKIL1R, Lettre sur l'Inde, p. 19.
(5) R, PAÎIIIQCAR, Le culte et l'homme séculier, p. 126.
(6) R, PAETKKAR, La presenza di dio, p. 58 : "ridimonsionare la nostra
vita" pour voir le super omia ... in omnibus.
30

16, Mbksa (ou approche hindoue de la libération)

En régime d'hétéronomie, on parle de lien, d'obligation, de devoir,


de dépendance, d'obéissance, de contii^nce, d'himilité et, dans cette
perspective, la liberté fait figure d'indépendance, d'orgueil, d'auto-
suffisance, La communauté l'emporte sur la personne (l). Cet étal; de
fait suscite une réaction autonome où la liberté est présentée comme le
"droit suprême et inaliénable de la personne humaine" (2). L'homme
d'aujourd'hui, dit Eaymundo Panildcar, mise beaucoup sur le plxiralisme,
sur le dialogue, sur la tolérance, sur la démocratie et sur l'égalité,
n met l'accent sur la vérité subjective et sur l'existence, plus que
sur la vérité objective et sur l'essence. Il ne veut plus d'une vérité
sécrétée par quelques mandarins mais affirme que "l'authenticité
(personnelle) se trouve aur-dessus de la vérité (objective)" (j).
Notre Auteur propose une métanoïa par une métamorphose de la dimen
sion religieuse, La religion pou2?rait se définir comme "n'importe quel
ensemble de moyens qui prétende faire parvenir l'homme au but de sa vie,
quelle que soit la façon de concevoir ce but" (4), Il décèle des points
communs dans le communisme, dans l'humanisme et dans le sécularisme.
Dans ces points communs, la quête de salut est dans la. recherche d'une
libération des chaînes qui entravent l'homme. En conséquence, il énonce
la liberté comme "catégorie religieuse fondamentale" (5),

(1) E, PANIKEAE, Herméneutique de la liberté de la religion, pp. 57 - 60,


On parle éventuellement de la "récompense des dociles" (p. 71),
(2) E, PANIKEAE, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 61,
(3) E, PAIŒEAE, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 63.
(4) E, PANIKEAE, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 67, La
religion pourrait aussi être définie comme un ensemble de pratiques et
de croyances qui conduisent l'homme vers son but ultime, d'après
Philosophy- of Eeliglon, p, 230, C,A» KELLEE la définit comme
'l'ensemble des moyens de communication mis en oeuvre par un groupe
social dans le but d'établir ou de rétablir l'intégration de son
"divin" dans sa vie communautaire et, par là même, de réaliser sa pro
pre intégration", le divin désignant "la grandeur transcendante par
référence à laquelle un groupe social,,, définit' son identité", voir
Le Dieu des chrétiens et les dieux des religions, pp, 512 et 510.
(5) E. PiiNIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, pp. 69 - 70.
31

Il y a-urait liberté lorsque existe l'harmonie "entre les profondeurs in


times de l'être et ses exqjressions et manifestations" (l), soit qu'on
fasse ce qu'on veut, soit qu'on veuille ce que l'on fait.

Pour l'homme d'aujourd'hui, dit l'Auteur, une action forcée n'est


pas religieuse (2)5 un acte religieux requiert toujours notre adhésion (3);
enfin, il y a "crise de l'intermédiaire" (4), et, par intermédiaire, il
entend par exemple le roi, le concept, le prêtre, le sacrement, l'insti
tution, la prière, la "connaissance des élites" (5)* Il propose le prine
cipe que "seul un être identique à soi-même peut être pleinement libre"(6).
Pour l'homme, au plan anthropologique, on parlerait de la liberté comme
de la liberté "de se faire soi-même", "La liberté est la créati-vlté hu
maine",,. "L'homme est libre ,,, en tant qu'il se crée" (7), Au plan
cosmologique, il voit l'homme se libérant comme créateur du monde et c'est,
à ses yeux, une expérience religieuse fondamentale pour nos contempo
rains (s). Lui—même préfère la libération au rite et au dharma, il opte
pour une liberté qui nous permette de façonner notre vie (9).

(1) R, PAUEEKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 70.


(2) R, P/JHEKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 72,
(3) R, PAHIKEAR, Herméneutique de la libejrfaé de la religion, pp, 72 -
73• bh acte religieux posé sans foi manque de vérité et est asat,
non—être, dit M, DHAVA140ÏÏY, Hindu V/orship ; Sacrifices and
Saoraments, p, 120,
(4) R. PAî>TIKK/iR, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 73,
(5) R. PAMTKIC/iH, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 73,
(6) R, PAtniCKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 76, Mais
l'expression "être identique à soi-même" n'est-elle pas ambigUe ? La
totalité n'est-elle pa,s la seule à pouvoir être égale à elle-même ?
Tout être particulier n'est—il pas relié aux autres en sorte qu'en
s'identifient à lui—même au sens du moi limité à sa sphère privée,
il s'appauvrirait, se nierait, se détimirait ?
(7) R, PAHIKEAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 79,
(s) R, PAHIKEAR, Herméneutique de la liberté de la religion, pp, 79 - 80,
(9) R. PAILEEIQIR, The Bostonian Verities, p, I46, tout en préférant le
mot "libération" au mot "liberté" comme il écrit dans Création and
Hothingness, p, 348,
32

Panikkar nous propose, en plus, un point de vue personnel. Le


obristianisme-religion lui paraît: être une religion parmi d'autres reli
gions (1). Ce qui peut prétendre à l'universalité, c'est le Christ et non
le christianisme comme religion (2), c'est le Christ intérieur (sans nier
toutefois le Christ historique), grâce auquel un acte libre, spontané ©t
pleinement humain est religieux, réel et chrétien même s'il n'est pas
"un acte qui extérieurement s'adapte à la doctrine chrétienne" (3)« On
peut donc admettre que des peuples ont rejeté le christianisme-religion
parce qu'ils choisissaient la liberté et fondamentalement le Christ,
"principe de la liberté qui réside en chacun de nous", qui est venu nous
dire "que nous devons juger pour notre compte, prendre nos responsabilités,
faire fructifier les talents donnés, savoir pardonner, car l'enjeu de la
liberté" ... est "une constante création et re-création" (4), Ainsi donc,
"la liberté chrétienne est la liberté humaine et le Christ est le libéra
teur" (5).

(1) E. PAMKKAE, Herméneutiqixe de la liberté de la religion, p. 82 : non


le Christ et le christianisme dans son essence,mais le "christianisme-
religion" .
(2) R. VMIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 83.
(3) R. PiRIKKAR, Herméneutiqxie de la liberté de la religion, p. 83.
(4) R. PAITIKEAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 84,
(5) R« PAHIKEfiE, Herméneutique de la liberté de la religion, pp. 83 - 84.
Ne pourrait-on suggérer une comparaison entre certaines approches occi
dentales (marxiste —et, en un sens, chrétienne) et orientales du
problème: ? D'une part, un effort pour libérer l'honime en changeant
les structures du monde : économiques, sociales, politiques. Certains
parlent alors du déterminisme historique, de la lutte des classes, du
progrès scientifique et technique, ou de la révolution. Dans cette li
gne, la liberté apparaît assez facilement comme un droit à revendiquer
et une coalition s'imposerait contre des aliénations en un sens exté
rieures au moi. D'autre part, l'Orient, moins obnubilé peut—être par
"l'aménagement du territoire", organiserait la libération par rapport
aux aliénations intérieures à l'homme. Plus qu'un droit à revendiquer^
la liberté serait ici perçue corme la, vocation fondamentale de chacun,
comme un devoir même et l'agent libérateur serait moins un système ou
une,institution que la, personne elle-même, le chrétien voyant peut—être
ici la lutte contre le péché collectif et contre la,faute individuelle.
33

Pour rester da-vantage dans le ^pos de l'Inde,^l'auteur utilise sou


vent le terme sanslcrit de mok^a (l). De la racine mw -(moksoh) qui si
gnifie delier, likerer, moksa signifie donc libération, "sôtèria, salus,
liberté, émancipation, delil/rance, indépendance" (2)» Pour lui, le désir
de moksa constitue 'l'impulsion fondamentale de l'homme"..."Cette émanci
pation appartient à l'o3?dre le plus profond de la personne humaine et
donc bien au-dessus des désirs sexuels, des idéaux politiques, des situa
tions économiqu.e® ou des idéologies htimaines" ... L'homme est "condition
ne, médiatisé, exploite, abusé par les dieux, le destin, la nattire, la so
ciété, les autres, soi-même," ,,, par "l'obsession du développement'"',.,
par "les innombrables réseaux qui nous relient, mais aussi qui nous lient,
non seulement aux autres mais a,ussi à la méga—machine que l'homme a cons
truite et sans laquelle ou en dehors de laquelle il ne peut plus vivre",
dans la "vie civilisée moderne, colle dite 'développée'"(3) I L'Auteur
parle du "scaphandre technologique" (4) ou de la "mégamachine" (5)

(1) Bien des termes "se superposent" sans se recouvrir totalement (ex.
salut chrétien, nirvana, moksa, libération, des aliénations, etc).
Voir Por an Intégration of Reality, p. 38.
(2) Pl. TMÎIKKMLi Le nythe comme histoire sacrée, p. 313, Voir aussi par
exemple M, DîIAVAî®l\Df, La recherche du salut dans l'hindouisme, p. I84,
P. PALLOh, dans Pour un vrai dialogue entre chrétiens et hindous.
p, 117j souligne que l'hindouisme est un mukti—marga, soit une voie
de libération, libération de ce qui empêche l'homme d'être tout en
tier orienté vers le spirituel, l'étemel, l'absolu et vers la décou
verte du Soi véritable.
(3) R. PAMKKAE, Le mythe comme histoire sacrée, p. 313, On peut signa
ler sa remarque dans Création and ITothingness, p. 348, concernant le
point de vue oriental marqxiant la préférence pour une liberté "à
partir de " par ra,pport a une liberté "pour", ou pour le terme de
"libération" paj: rapport à celui de "liberté".
(4) R. PMIKEAR, Le iiythe comme histoire sacrée, pp. 313 - 314,
(5) R. PMIEiafi, Pon an Intégration of Reality, p. 53,
34

etanl; iiisc3?i'fce conini6 appel fondafflental au coem? de


l'être humain, se trouve Icgipuement inscrite dans 1»idéal^ dans la pro
grammation des sociétés et des religions, tout spécialement au coeur du
christianisme, de l'hindouisme (l) et du houddhisme.
Tout n'est certes pas dit sur le problème. Certa,ins pourraient
s'interroger ; le rappori; avec les choses dans le mohde technico—
scientifique est—il de soi aliénant ? L'Auteur répond qu'il est, frappé,
IttL aussi, par les apports positifs et irréversibles de la créativité
occidentale (2). Ou encore, si l'idéal de libération peut être "l'impul
sion fondamentale de l'homme", n'y a-t-il pas aussi de "fausses libéra*
tiOns ? ITe serait—on pas en dToit d'espérer plus d'ouvertures sur
l'aliénation majeure que pourrait être le péché ? Et ainsi de suite.
Disons toTitefois que l'Auteur nous semble avoir le mérite de réconcilier
religion et liberté, pourvu qu'a.ucun de ses lecteurs ne confonde la liber
té de la religion avec la reli^on de la liberté, n apparaît-ainsi
que la question est plus abordée peut-être à partir des approches de la
mok^ comme valeur religieuse hindoue, comme voie de réalisation, de.
salut et de divinisation qu'en fonction du topos de l'Occident.

17. Mythe

L'Auteur fait l'herméneutique de quelques mythes comme celui de


(5)> de Shunashépa (4) et de la statue inachevée du Bout^dha (5),
Occasionnellement, sans donner une définition du n^rthe qxii puisse e:<q)ri—
mer l'intégralité de la question, il livre des considérations que nous
croyons importantes.

(1) L'hindouisme n'est-il pas un moksa-mârga comme l'Auteur le dit dans


Los dioses y el Senor, p. 76.
(2) B. PAMIKKAE, Eor an Intégration of Eeality. p. 51,
(3) H. PAinKKAE, La faute originante, pp. 70 sj Morale du mythe, pp. 362 -
363, etc.
(4) B, PA NIKEAB, Le mythe comme histoire sacrée, pp. 250 s.
(5) H. PAinZKAB, Bas erste Bild des Buddha,.. pp. 373 - 585.
55

Le mythe comporte toi récit, le legein, que l'Auteur appelle le


"mythclogomène" (l). Celui-ci précède l'interprétation et lui survit.
La raison se penche sur le mythe, elle l'interprète à dessein de le ren
dre Intelligible - il y a tine prédication démy-fchisée qui vise à l'intel
ligibilité (2), La raison, toutefois, ne peut s'arroger un monopole (3).
Ni la raison, ni l'interprétation partielle parce que socio-culturelle-
ment située, n'épuisent le message du mythe. Notre Auteur dira par
exemple : "Il nous est impossible, avec le seul logos, d'assimiler le
message chrétien dans toute sa plénitude" (4). La parabole reste donc
nécessa,ire, bien que logos aille avec mythos (5) et qu'il puisse y avoir
un mariage" d'amour entre l'un et l'autre (6). Le logos peut aussi ré
duire la profondeur du mythe, "Il arrive souvent que nous avons une idée
trop restreinte du dire, iine conception trop myope du parler, une notion
trop étroite de la, parole que le nythe dit et prononce (7)»
Si nous vivons dans une culture où le logos est premier, la parabole
"couvre ce qu'a d'insuffisant le contenu du logos"(8), du discours humain.
du concept. Avec elle, nous cessons de simplement "invoquer des conceptdl
La parabole "conduit là où la réalité ne se saisit plus ni ne s'appréhende,
mais où elle est escpérimentée, vécue" (9).
Dans la recherche interculturelle, signe de l'universalisme en mar
che, le problème se pose de la comm"unication des données. A cette fin,
le concept serait souvent inadéquat en raison de ses racines historiques
particulières. Les mots d'une culture donnée ne seraient pas transpo^-
sables ou traduisibles sans risquer de détota,liser la totalité. Faits
pour se comprendre à l'intérieur d'une culture donnée, ils potirraient
faire écrans lorsqu'on sort de leur milieu d'émergence.

(1) R. PANIKKAR, Le mythe comme histoire sacrée, p. 246, Voir


Mythologonène.
(2) R, PANIKIiAR, Le mystère du culte, p. 189.
(3) R, PMIKKIiR, Le mystère du culte, p. 197.
(4) R. PA-NIKEAR, Le mystère du culte, p. 188.
(5) R. PAiTIIŒÎlH, Philosophy as Life-Style, p. 202.
(6) R. PidUKKAR, Philosophy as Life-Style, p. 205.
(7) R. PAl^maO/iR, Morale du nythe, p. 365.
(s) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 186,
(9) R. P/iNIKKAR, Le mystère du culte, p. 186.
56

R» PajaiB-car propose alors la "transrnythisation" grâce à laquelle âars


une autre culture on pourrait retrouver le contenu profond des nythes d'un
autre univers, leurs intuitions, leircs découvertes, leurs appels, car. le
Dythe serait un noyon de corjnunication plus que le discours "traductif"
qui en est établi à l'intérieur de leur topos de naissance, La
transDythisation dès lors ne s'en prendrait pas à la. raièon, mais •
elle voudrait en dénoncer le monopole (l), "Le mythe se laisse trans-
mythiser ce qui n'est pas possible avec le logos. Le logos en tant que
tel a son sens propre et univoque. Le mythe ne marque rien, il se conten
te d'indiquer et par conséquent laisse la porte ouverte à plusieurs inter
prétations possibles" (2), Et d'ajouter, non sans une certaine audace,
l'hypothèse que si krsna n'est pas le Christ, celui—ci ne pourrait se ré
véler au croyant vaisnava qu'à travers le mythe de krsna, de même pour
Eama (3),
Le mythe, terrain où puisent les philosophes et moyen fécondant de
rencontre transculturelle (4) serait une vérité ou un état de conscience (5)
dont le mythologomène est l'expression ou le langage. Il serait plus
apte au pluralisme que l'ordre conceptuel, si l'on est conscient de la
relativité radica,le de toute construction humaine (6), L'ordre conceptu.el
vaudrait pour une confrontation intra-ctilturelle mais le mythes "a la
primauté dans les rencontres inter-culturellos" (7). Le mythe exprime
rait mieux que le discours logique ce que l'homme est (8) et le dynamisme
profond de chaque être (8).
(1) II. P/JTJKIÙUI, Le mystère du culte, p. 197»
(2) II. P/dlIECAIl, Le mystère du culte, p. 200.
(3) Voir notre paragraphe sur les homologies dans notre chapitre 5.
(4) R. P/JIIKKAIl, Le mythe comme histoire sacrée, p. 243.
(5) R. Pj'iRimOiR, Le mythe comme histoire sacrée, p. 246.
(6) h, P/dUKIOiRj Le mythe comme histoire sacrée, p. 247^
(7) R. PihlIKKàR, Le mythe _comme_histoire sacrée, p. 248. Nous n'avons
pas repéré une distinction significative chez l'Auteur, entre "trans
culturel" et "interculturel".

(b) R, P/iimOOiR, Le mythe comme histoire sacrée, p. 279»


(9) R. PAI71KIIAR, Le m:^-the comme histoire sacrée, p. 301• Eu d'autres
mots aussi, on pourrait suggérer que la conceptualisation réduit
"l'enjeu polyvalent et pluiraliste du mythe" (ihe royth of incest,
p, 142) et que l'herméneutique du mythe doit se laisser replonger dans
le nythe pour ne pa,s s'en couper ni en édulcorer la profondeur.
31

Nous devinons la prudence de Piaymundo Panikkar à l'égard de la rai


son, dti langage, du logos. Ue peut—on toutefois s'interroger ? Par
exemple, si le logos est conditionné par son milieu, d'émergence, ne peut-
on supposer que le mjrthe soit, lui aussi, l'enfant d'un quelque part ?
La question notxs semble importante.

18, îfythème

Le m3rtheme est "un fragment complet de l'horizon éclairé par le


mythe, chaque fraient étant complet, en tant qu'exprimant une problé
matique déterminée" (l). Par exemple, dans l'analyse du mythe de
Shunashépa, Haymundo Pannikar observe des mythèmes présents comme la
mort (2), la solidarité de la vie (5) et le désir transcendantal (4)
ainsi que des mythemes absents, qu'on ne peut donc introduire sans extra
polation, comme la sexualité (5), la perspective politique (6) et l'escha
tologie (7).
La notion de mythème et la distinction qu'il établit entre les my
thèmes absents et présents nous font constater, en premier lieu, la pro
fondeur possible du mythe, sa dimension existentielle et, par conséquent,
transculturelle, en deuxième lieu, la possibilité d'une certaine trons—
m^'-thisation et, enfin, les frontières du mythe qui, dans son individuali»^
té, n'exprime pas le tout de l'existence et de la problématique huma,ines.

(1) E, PAHIKîv/lE, Le mythe comme histoire sacrée, p, 297,


(2) E, P/ilîIKïCAE, Le mythe comme histoire sacrée, p, 297,
(3) E, FilNTKKAR, Le mythe comme histoire sacrée, p, 299,
(4) E. P/iiTIiaLlR, Le mythe comme histoire sacrée, p, 501,
(5) E, P/ilîIïOC/iE, Le ms'-the comme histoire sa.crée, p. 505,
(6) E, P/J\TIiaLiE, Le mythe comme histoire sacrée, p. 3O8,
(7) E, P/ilîII{K/iE, Le mythe comme histoire sacrée, p, 310,
58

19. Mythologomène

C'est le legein ou le récit même du my-the, son expression ou son


langage (l). On a, par exemple, et nous y reviendrons longuement dans
notre chapitre 2, le mythologomène de Pajajâpati (2), comme il relate
celui aussi de Shinashépa (3) et d'autres.

20, Oecuménisme oeoraméniq'O® Catholique)

Le terme désigne, chez nous, l'effort et le mouvement qui chercheni:


à recomposer l'inion entre les confessions chrétiennes différentes (4).
Pour R, Panilckar, c'est l'oecuménisme ouvert à toutes les religions et
pas seulement aux diverses confessions chrétiennes. Le professeur?
Pandldcar l'appelle "oecuménisme catholique" avi sens d'universel (5). Il
est, comme tel, exigé de plus en plus par. la rencontre des cultures, par
la prise de conscience de la relativité des formulations humaines histo
riques, mais avant tout par la foi en un Dieu unique, un Dieu pour tous,
agissant partout par le Logos et par l'Esprit.

(1) R, PMIKEAa, Le mythe comme histoire sacrée, pp. 246 et 251.


(2) R. PAMKKÛR, La faute originante, pp. 70 s.
('5) R. PLMKKAR, Le mythe comme histoire sacrée, pp. 252 - 267.
(4) Les définitions données sont aussi nombreuses que leurs auteurs.
Nous nous contentons de renvoyer à l'article "oecuménisme" de
L. BGTJïER, dans dictiomaire théologique, pp, 473 - 479.
(5) R. PAIUKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 59? Le mystère du culte,
pp, 13 et 14. Il constate que sa trouvaille a de plus en plus de
succès dans Faith and Belief, p. 4. Sur l'oecuménisme et la rencon
tre des religions, l'Autem? donne ses principales sources dans Ifeyâ
e Apocalisse, pp, 3^1 - 365. On peut au passage, se demander si le
mot catholique au sens où on l'entend dans l'Eglise catholique ne
gagnerait pa,s à être conservé pour éviter toute ambiguïté.
39

Il doit être guidé moins par le souci de s'entendre ou de se réconci


lier que par celui de la vérité, une vérité qui ne remonterait pas unique
ment à quelques siècles mais une vérité qui remonterait à Adan parce que
1'"homme dès Adam vit une tradition ontologique ininterrompue"(1),
"l'alliance cosmique" précédant l'alliance abrahamique (2). Il faudrait
avoir un horizon global (3)« Ce qu'il appelle le mjrfche na,issant de notre
vingtième siècle ; "j'aimerais, dit-il, parler ici de l'un des mythes
naissants de notre époque : le mythe de l'unité de la famille humaine vue
dans l'optique globale d'une culture de l'homme embrassant toutes les civi
lisations et les religions comme autant de facettes, mutuellement enrichis
santes et stimulantes, d'une expérience humaine unique et totale" (4) où
"la confrontation porte à la complémentarité" (5).
Cet oecuménisme n'est pas à confondre avec un traditionalisme fi-
xiste ni avec un regard rétrospectif statique, il "pousse en avant le pro
grès des traditions humaines" (6), il est une manifestation de "l'univer-
salisme en marche" (7). Fondamentalement, il est dynamisme et mouvement
créateur.

Itoecuménisme en tant que mouvement visant à rapprocher les différen


tes confessions chrétiennes apparaît, vu de l'Inde, comme une tentative
louable et nécessaire, mais elle concerne surtout la "famille occidentale'.*
Le professeur de Santa Barbara ne s'en occupe pratiquement pas dans ses
écrits. Il opte pour son "oecuménisme catholique", et cela constitue, nous
semble-t-il, une dimension fondamentale pour comprendre sa pensée (8).

(1) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 16.


(2) E, PANIKKAR, Le mystère du culte, p. I7,
(5) R,.PANIKI{AR, For an Inte^ation of Reàlity, pp. 20, 65, 7I.
(4) R» PANIKKilR, Un mythe naissant, p. 9» L'homme moderne se caractérise
rait ainsi par deux éléments principaux, soit son aspect séculier par
lequel il opère une prise de conscience positive du temps et, enstiite,
la dimension planétaire de son horizon. Voir The Tedic Expérience,
pp. 18 - 19.

(5) R. P/iEIKKAR, Un mythe naissant, p. 12,


(6) R, PANIiaCAR, Le mystère du culte, p. I7,
(7) R. PAMKKi'ja, Lettre sur l'Inde, p. 7.
(8) M.BIAEDEAU, Clefs pour la pensée hindoue, p. 5, se demande également
si le vingtième siècle n'apparaîtra pas comme celui de l'histoire
universelle.
40

Dans cette dimension planétaire des recherches et des eDq)ériences


que notre Auteur appelait un des mythes naissante de notre époque, chacun
est appelé à sortir de son isolement (l), comme pour aller à l'inverse
du monogénisme en voyant l'unité de l'humanité plus dans son terme que
dans son origine (2), notamment dans une rencontre des religions qui ap
paraît à la fois inévitable, importante, urgente, dérangeante sans doute
mais aussi certainement purifiante (5). Le travail qui reste à faire est
cependant immense, l'essentiel de l'oecuménisme oecusiéndhg^ue est encore à
réaliser (4).
Il résume un jour son évolution de la façon suivante. Elevé dans
une orthodoxie assez stricte, il a quitté Ur pour le pays des hommes. Il
se trouve alors devant un dilemme : ou bien rejeter les conceptions exclu—
sivistes et monopolisantes, ou bien condamner ce qui l'entourait comme
étant l'oeuvre du péché. Il découvre alors la rela,tivité d'une orthodoxie
qui sembla,it peu ouverte, l'interdépendance de tout, le pluralisme de
l'homme et voultib vivre sa foi sans exclusivisme, considérant comme lane
disgrâce de faire partie d'un "peuple élu", d'Stre'^un homme privilégié"
d'autant plus que "cela ferait tort à Dieu", Teut-on, en effet, être re
ligieux si on est coupé des autres hommes (5) ?

(1) R. PMîUffiAR, ïïn mythe naissant, pp. 10 - 12j Ihe category of growth.
p. 115, etc.
(2) R. PAIIIKKAR, ïïn mythe naissant, p. 10.
(5) R. PjilTIKIGiR, ïïn mythe naissant, pp. 13 - 14.
(4) R. PAÏÏIKICAR, Have "Religions" the monopoly of "Religion" ? , p. 517.
Tout ceci sera développé dans notre chapitre 5 à pantir notamment de
Eaith and Belief, A Multireligious Expérience, dans The Intra,-
Religious Dialogue, pp. 2 —22. L'Auteur y dit, justement croyons-
nous, p. 5, qu'on ne fait pa,s encore de l'oecuménisme simplement parce
qu'on dépanse une neutralité classique et qu'on tolère l'®x±tence des
autres.

(5) R. PARIKKAR, Paith and Belief, pp. 5 —é : "An objectified autobio-


graphical fragment.
41

N'est-ce pas Ixil qiii disait î "Je suis parti comme un chrétien, 5® sriis
trouvé moi-même comme un hindou et je reviens comme un bouddhiste, sans
avoir cessé d'être chrétien" (l) ?

21, Ontonomie

"Par ontonomie, nous entendons ce degré de conscience qxii, ayant dé


passe l'attitude individualiste aiissi bien que la conception monolithique
de la réalité, considère le tout comme un univers. Ainsi la régulation
d'un être particulier n'est régie ni par des lois qu'il se serait imposée
lui-même, ni par des lois qui lui aurodent été dictées d'en-haut, mais
elle est une partie du tout, engagée dans la, découverte et la, poursuite
de sa destinée.

(l) R, PANUQCAR, Faith and Relief, p. 2, Tout ceci n'est pas sans poser
quelques questions. Pour l'article qui nous occupe ici, demandons-
nous s'il faut vraiment distinguer un oecuménisme entre chrétiens
et un oecuménisme "universel". L'expression "oecuménisme catholi
que" panikkarienne ne désigne pas l'oecuménisme catholique de
1*Eglise catholique institutionnelle comme on l'entend chez nous.
S'il est évident que l'Auteur a"dépassé" les efforts pour recomposer
l'union entre les diverses confessions chrétiennes, faut-il pour
autant changer le sens des mots ? De plus, l'argumentation ét^o—
logique ne peut-elle laisser certa,ins supposer que l'Eglise catho
lique ne serait pas ouverte aux non-chrétiens et qu'elle ne serait
pas accessible à l'tmiversalisrae ? Faudrait-il mettre l'adjectif
catholique entre guillemets lorsqu'on parle d'Eglise catholique ?
42

L'ontonomie est la réalisation du nomos, de la loi du de l'âtre, qui


se situe à cette profondeur- où l'unité n'empiète pas sur la diversité,
mais où la diversité est plutôt l'tmique et propre mnifestation de
l'unité" (l).
L'ontonomie que Raymundo Panikkar qualifie de "théandrique" (2) n'est
pas, a ses yeux, une troisème conception s'opposant à l'autonomie et à
l'hétéronomie, mais plutôt leiir synthèse (3).
L'ontonomie "repose sur le fait que l'univers est un tout, qu'il
existe une relation interne et constitutive entre toutes les parties de
la réalité et que rien n'est détaché de 1'ensemble" (4).

(1) R. PMIKKilR, Le culte et l'homme séculier, p, 48. Voir aussi Philoso-


phy as Life-Stylè, p, 205. Il y appelle l'ontonomie (nomos tou ontos)
un concept crucial. Dans Philosophy of Religion, p, 234» l'Auteur ex
plicite que ! "L'ontonomie est le concept exprimant cotte relation par
ticulière qui n'est ni une relation de domination, ni une relation
d'indépendance rebelle". Parlant de la philosophie et de la religion,
il ajoute ; "Les deux disciplines sont en rapport l'une avec l'autre de
l'intérieur et leur relation est une relation interne, constitutive de
leur propre nature. Les deux sont en corrélation de telle façon que les
lois de l'une ont une répercussion sur l'autre. La philosophie n'est .
pas un substitut de la religion, ni la religion une excuse de n'avoir
pas de philosophie. - La philosophie elle-même est un problème religieux
et la religion est aussi une recherche d'information philosophique".
Voir aussi Fot an Intégration of Reality. p. 22; Maya e Apocalisse,
PP« 75 - 80; Rtatattyp-, p. 24.
(2) R. PAITIKRAR, Le culte et l'homme séculier, p. 66,
(3) R. PANIKK/iR, Le culte et l'homme séculier, p. 67. Humanisme y Crus,
p. 236. Il s'inspire du mouvement thèse - antithèse - synthèse bien
connu. L'Auteur, sans être à proprement disciple de Hegel cite la
"^^iude explicitement dans The silence of the word, p. I63. Signalons
aussi qu'il s'accorde sur le sens du mot theos de P. TILLICH, mais
qu'il préféré parler de l'ontonomie plutôt que de théononie, voir
Le culte et l'homme séculier, pp. 48 - 49.
(4) R. PAHIKICAR, Le culte et l'homme séculier, p. 66.
43

Le concept soip.ignerait la relativité radicale de tout, en d'autres mots,


considérant que la réalité a une polarité non-dualiste et que l'idéal est'
l'intégration dans le tout (l), tout en ajoutant que trouver l'ontonomie
est un art(2).
Si nous avons à l'esprit ce que l'Autexn? nous a dit de l'autonomie
et de l'hétéronomie, et si nous cherchons à éta-hlir des synthèses, trois
valeurs essentielles devraient nous apparaître prolongeant sa pensée sur
les va,leurs efficientes de l'hétéronomie et sur les termes efficients mis
en évidence en régime d'autonomie. Les trois valeurs que nous pou2n?ions
appeler ontonomiquegseraient ; I ) la dévotion ou l'amoin:
2) la tempitemité
3) la participation ou la mystique.
1) Exigence anthropologique fondamentale (3), "tendance fondamentale de
l'être humain" (4), la dévotion ou l'amour est un don profond de soi,
un attachement à une ca,use, à un idéal, à me personne, Cet'femour-
dévotion" existe par conviction intérieure. Il manifeste m engage
ment subjectif. Il n'y aurait pe^s de réalité objective sans ma par
ticipation, sans ma conviction, sans mon engagement (5)« Cet "amour-
dévotion" ne m'est dicté ni par m ordre venu d'en-haut ou d'ailleurs,
ni par m mouvement issu d'me révolte ou d'me réaction. Il jaillit
de mon intérieur,

2) La deuxièrae valeur ontononique serait la tempitemité, Comme telle,


elle est différente de l'éternité réservée à Dieu et de la simple
temporalité en régime d'autonomie. Découlant de l'expérience du pré
sent dans toute sa profondeur, d'un présent qui comporte le passé en
ptiissance, l'avenir en espérance, l'éternité et le temps, la tempeâal-
té fait que j'ai conscience du temps tout en ps situant, en un sens,
hors du temps, pour me permettre d'en avoir conscience (6),

(1) R, PARIKKAR, Phllosophy as Life-Style, p, 203,


(2) R, PAWIEXAR, Philosophy as Life-Style, p, 204.
(3) R. PMIKKAR, Le cuilte et l'homme séculier, p. 67.
(4) R» PARIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, 68è
(5) R, PAMIKKAR, Le culte et l'homme séculier, pp. 69 - 70.
(6) R, PANIKKAR, Le ctilte et l'homme séculier, pp. 70 - 715 voir aussi
La tempitemidad, pp. 75 - 93.
44

5) La troisième valeur est la participation ou la mystique. Développer


les idées de notre Auteur sur le sujet dans le cadre limité de cer;
chapitre d'introduction nous" amènerait à empiéter sur celui consacré
au culte. Disons seulement que, plutôt que l'adoration valorisée en
régime d'hetéronomie ou remplacée par le respect en autonomie, la mys
tique ou la participation est "ce contact immédiat avec la réalité qui
fera disparaître aussi bien la séparation entre le sujet et l'objet, que
la distance présente implicitement dans toute forme de dualisme" (l).
Le culte comme mystique est l'expression de ma personne, de la plénitude
de ma personne, de ma participation au tout, où coopèrent la matière
et l'esprit, le divin et l'humain, le corps et l'âme, et l'Auteur ajoute
même l'angélique et le démoniaque (2), Par ce culte ontonome, je me
réalise et je contribue à l'accomplissement de l'univers (3)» Tout
peut devenir ctiltup/el et la sécularisation n'appa,raît plus comme un
blasphème, pa,s plus que comme une victoire, ce qui amène le professeirc
de Santa Barbara à conclure :"L'attitude ontonome dira tout d'abord à
l'homme sécularisé que rien n'est plus saesré que la réalité séculière,
tout en ajoutant pour le traditionnaliste que le sacré n'est pas une
valeur en soi, mais une dimension de l'unique réalité cosmothéandri—
que"(4).

Une conséquence particulière de l'ontonomie serait de ne plus séparer


les différentes démarchés de recherche de l'homme car ces cloisonnements
s'opposent à l'intégration de la réalité. Par exemple, on ne devrait plus
pratiquer seulement la science, ou seulement la philosophie, ou seulement
la théologie ou la "religion" (5), du fait que tout est lié, en relation,
complémentaire. Dans le prolongement de cette considération, le monde et
l'homme ne seraient plus comme des étrangers ou comme des adversaires ou'
comme deux êtres en relation d'esclave à maître ou de màître à esclave,
mais comme deux êtres dont la mutuelle relation est constitutive de chacun.
Il faut trouver un ordre ontonomique (6),

(l ) E» PAÎIIEKAE, Le culte et l'homme séculier, p, 73.


(2) E, P/ilîIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p. 74,
(3) E, PANIKK/iE, le culte et l'homme séculier, p, 75,
(4) E, PASîHQOYE, Le culte et l'homme séculier, p. 80,
(5) E, P7dîIKICAE, For an Intégration of Eeality, p, 22,
(6) E, PANIKKAE, For an Intégration of Eeality. p, 62,
45

Avec l'hétéronomie et l'autonomie, l'ontonomie est une des trois


conceptions du monde qiii ont développé des intuitions valables. Elles ne
constituent pas trois périodes de la culture mais davantage trois attitu
des fondamentales, religieuses et humaines "correspondant à trois degrés
anthropologiques de conscience". Elles ne se suivent pas dans un ordre
chronologique "mais acquièrent une valeur kairologique en concordance avec
le développement intérieur ou extérieur de telle situation concret# (l).

22, Orthodoxie

C'est le fait de penser correctement ou de penser sa foi et de la


dire en conformité avec le milieu socio-religieux dont on fait partie (2).
L'orthodoxie comporte une "convergence intellectuelle" et dogmatique avec
les gens du milieu dont nous participons. Comme telle, l'orthodoxie peut
éventuellement nous séparer, nous mettre en situation de discontinuité,
de rupture ou de non dialogue avec ceux ^gui sont étrangers à notre milieu.

(1) R. PMIKMR, Le culte et l'homme séculier, p. 49. Rotre Auteur est-


il sur ces dinstinctions en dépendance de P, TILLICH ? Laissons-le
répondre lui-même ; "J'ai forgé le mot "ontonomie" vers la fin des
années quarante, sans savoir qu'à peu près en même temps Tilîich éla
borait le trio autonomie, hétéronomie. théonomie, et définissait ainsi
le dernier terme : "Cette loi supérieure (qui) est en même temps la
loi intérieure de 1»homme Ixii-même, enracinée dans le fond divin qui
est le fond même de l'homme ; la loi de la vie transcende l'homme,
encore qu'elle soit en même temps la sienne" (Religion and Secular
CifLture, conférence de 1946, publiée dans The Protestant Era, Chicago,
1948, pp. 56 - 57), Ifelgré mon accord assez large avec la notion de
theos chez Tîllidh, je considère que quelques unes des attitudes hété-
rononiques que nous refusons tous deux pourraient être qualifiées de
théonomiques. En outre, le concept d'ontonoraie pourrait être employé
dans des domaines où il serait difficile de parler de théonomie, par
exemple dans la relation entre la politique et l'économie" (Le culte
et l'homme séculier pp. 48 - 49, note I).
(2) R, PAEIKKAR, Le culte et l'homme séculier, pp. 98 - 99,
46

A l'intérleiœ d'un milieu donné, l'orthodoxie religieuse insiste,


c'est clair, sur l'aspect cognitif de la foi, sur l'adhésion intellectuel
le, plus sur le vrai que sur le hien, mais sans exclure po^3r autant la
recherche du hien ou l'aspect volitif de dafoi.

Panikkar se méfie du langage humaôn et sotiligne, par exemple, la pru


dence du Bouddha face aux grandes questions que tout homme se pose.
Le Bouddha "arrache l'homme à l'obsession de l'orthodoxie" dit-il (l).
L'Auteur semble influencé par une tendance peut-être panindienne -
bouddhiste et hindoue — à ne pas centrer la vie du croyant sur un contenu
intellectuel, sur une doctrine, sur une dogma^tique, ce qu'on aurait sans
doute davantage fait dans une partie de la religion occidentale. Il se
demande s'il n'y a pas un présupposé implicite à une partie de notre cul-,
ture à sa,voir que la révéla,tion serait une révélation-doctrine, "que
l'absolu s'est presque identifié avec la communication d'un messa,ge, d'une
tradition, qui est surtout une doctrine et, si vous voulez, une 'essence'.
Est-ce qu'on a pas oublié un peu peut-être que l'absolu de la révélation
n'est pa,s une doctrine, que la foi réelle n'est pas une foi dans la foi
des autres, que la tradition n'est pas la, transmission primo et per se
d'une doctrine, d'un évangile, d'un texte, ma.is la transmission d'une foi,
c'est-à-dire la transmission d'un mystère, d'une présence réelle. Je
dirais : La Révélation c'est le Révéla^teur, si nous parlons sur le plan
de la foi" (2).
Sachant que le but de toute religion est de sauver l'homme, notre
Auteur considère que "cela nous porte à découvrir que ce qui constitue le
noyau de toute religion n'estpas une doctrine mais un acte "(5). Le cons
titutif d'une religion serait donc plus 1'orthopraxie que l'orthodoxie (4).

(1) R, PAMKKAR, Le silence et la parole,, p. 133«


(2) R, PARIKKAR, intervention dans une discussion à Rome, dans
Herméneutique et tradition, p. IO3..
(3) R. PAITIKKAR, Le sujet de l'infaillibilité, p. 440. Bans le même sens,
il écrit dans Religione e religioni, p. 71» que "Le christiannisme
comme religion est beaucoup plus qu'une doctrine",
(4) M, DHAVAMORY, Eindu ¥orship ; Sacrifices and Sacraments, p. 118, note
que la vérité ultime est reçue par la foi et pas seulement par une
orthodoxie ou par des propositions énoncées.
47

Au fond, poursuit R. Panildcar, y-a-t-il, dans l'hindouisme, de la


place pour une hétérodoxie par rapport à un canon doctrinal ?
L'hindouisme n'est-il pas un ensemble, sans lien formel, une multitude de
traditions, de sectes, de communautés, d'âshrams, d'organisations, de
tendances ne possédant pas une institution centrale protectrice d'ortho
doxie (1) ? Se sentirait—on coupable, dans cet ensemble, dans cette mul
titude, si l'on avait une interprétation personnelle (2) ?
Paut-il, pour autant, négliger le souci d'orthodoxie ? Non. Peut-
être doit—on le situer, savoir que le dogme n'est "jamais épuisé par une
formulation" (3) ? Il y aurait lieu de sentir davantage, aliis verbis,
que la tradition, que la paradésis, est plus que la transmission correcte
de système doctrinal et d'énoncés corrects qu'on se passerait de généra
tion en génération, comme des bijoux de famille. Pour le christianisme,
la tradition doit être la tradition du Christ, du Révélateur, de
Quelqu'"un, de la grâce aussi, des sacrements et pa,s seulement de con
ceptions, d'idées ou d'interprétations (4) car "aucune religion n'est
seulement orthodoxie" (5),
Retenons pour le moment Itinsitance de notre Auteur à souligner
qu'un langage particulier ne doit pas trop tôt se croire universel (6)

(1) R. PANIKEAR, The Hindti Ecolesial Oonsciousness, p. 201. Toir aussi


Algunos aspeotos fénomenologicos de la espiritualidad hindu actual,
pp. 25-49.
(2) R, PARlEK/iR, The Hindu Ecolesial Oonsciousness. p. 202.
(5) R. PilîIIŒAR, Stir l'herméneiitique de la tradition, p. 36I.
(4) R. P/miQOiR, Sur l'herméneutique de la tradition, pp. 36O - 361.
(5) R. PAim-lOm, Sur l'herméneutique de la t3?adition,p. 36I. Dans
Religions e religioni, pp. 75 —85, l'A^lteur souligne toutefois que
toute religion a une dimension dogmatique et doctrinale, qu'elle pro
pose "Une Weltanschauung a l'adhésion intérieurs de ses membres pour
les sauver. L'hindouisme lui—même, p. 79, u des dogmes, même s'ils ne
sont pas tou-jours écrits. Les religions ont besoin, p. 81, de ]possé-
der -une doctrine, soit une traduction intelligible pour l'assimilation
humaine du message religieux, lyiais on ne peut ignorer le danger
d'identifier une religion avec son habit culturel et sociologique,
ajoute—t—il dans The Trini"ty and the Religions Expérience, p. 1,
(6) R. PANIKEAR, The Bostonian Yerities. p. 149.
48

OU qu'il n'y a pas de deimier mot - ce sont seulement des mots pour le
temps présent (l)» Betenons aussi l'influence sur notre Auteur d'une
pensée indienne qui n'a pas l'obsession dogmatique et se présente dès
lors comme fondcmontalemont différente de ce qui existe dans une religion
de type prophétique, comrae le Judaïsme, le christianisme et l'islam»
Eaymundo Panikkar est conscient de l'importance d'une orthodoxie, d'une
absence de chaos ou de confusion, mais il tient, à l'occasion^à souligner
aussi la "flexibilité" et la "relativité" de l'orthodoxie (2), Si l'on
admet que le dogme est porteur d'une affirmation orthodoxe mais qu'il
exprime en plus une intuition et une expérience et si l'on comprend que
le bagage intellectuel est utile pour formuler une vue cohérente, on peut
sentir le risque d'tme coniaaissance par ouï-dire, par conformité, par
convenance (3), on peut partager le souci de l'Auteur d'accéder à une
expérience plus directe, à ce qu'il appelle une connaissance mystique,
à une intuition (4),

23• Orthouoièsis

L'orthopoièsis est 1"attitude morale de l'homme tourné vers la su


prématie du Bien" (5). La foi étant plus qu'une adliésion intellectuelle,
elle présente un aspect pratique et volitif. Elle veut le Bien et pas
seulement le Yrai, Cependant, elle est aussi plus qu'orthopoièsis car
"une vie éthique sans reproche n'équivaut pas à une vie de foi (6).
Celle-ci n'implique donc pas seulement un comportement moral accordant
la primauté à la pratique des vertus (7).

]^1) E. PiiinZKAE, Eor an Intégration of Reality» p. 37,


(2) E« PANIEIAS, Rtatattva, p. 31,
(3) E» PAimQCAE, Etatattva, p, 45,
(4) "Un effort doit être fait, dit P. PALLOIT, pour aller au-delà des
systèmes philosophiques et théoiogiques qvii ont conceptualisé la foi
et l'expérience religieuses, afin d'atteindre cette réalité person-,
nelle et existentielle de la vie religieuse elle-même qui est anté
rieure à toute réflexion et à toute explication". Yoir Pour un vrai
dialogue entre chrétiens et hindous, p. 128.
(5) E, P/dJIKKAE, L'homme qui devient Dieu, p, 37,
(6) R, PAJniŒAE, L'homme qui devient Dieu» p, 38,
(7) E. PAI'TIKKAE, L'homme qui devient Dieu, p, 41.
49

Ainsi donc, de même que la foi n'est pas seulement l'adliésion à une
traditioii-doctrine, tout en compoirtant une doctrine à transmettre, de
même la foi ne se réduit pas à un comportement particulier, tout en im
pliquant un certain type de comportement, La foi ou la vie de foi serait
donc plus qu'une éthique de braves gens, elle serait aussi, par exemple,
ouverture au transcendant, communion avec l'Absolu, correspondance à
l'Etre (1).
La religion comporte toujours, a,ux: yeux du professeur de Santa
Barbara, une dimension éthique et pratique, elle touche à l'aspect volitif
de l'homme, elle présente un aspect dynamique, La morale, dans les reli
gions, propose une croissance existentielle aux hommes, A ce titre, elle
est importante dans le dialogue inter-religieux car partout l'homme est
invité à rechercher la perfection intérieure et personnelle autant que
pratique, extérieure et organisée pour réaliser la richesse de son inté
riorité mystique (2),

24. Orthopraxis (ou Orthopraxie)

C'est l'art d'agir avec rectitude (3), lîaymundo Panildcar. choisit


ce terme en s'inspirant d'Aristote. La praxis "serait cette activité de
l'homme qui modifie et même façonne non seulement son existence extérieur^
mais aussi la dimension intérieure de sa vie" (4), L'orthopraxie actua- '
lise la potentialité de mon être et, par exemple, ne divinise si mon but
est de devenir Dieu.

(1) lîe rejoindrait-on pas ici, on quolqu.e sorte, l'intuition mosaîqtie


ou la révélation sinaîtique où nous voyons le Décalogue proposer une
relation entre les deux tables de la Loi, intuition et révélation
reprises par le prophétisne juif, par Jésus de Hazareth, par les
écrits apostoliques et par la tradition chrétienne ?
(2) R. PAlTIKK/iIi, Religione e religioni, pp. 85 - 96.
(3) R, P/ilTHaLiR, L'homme qxii devient Dieu, p, 40, Elle fait partie de ce
que l'Auteur appelle "le risqtio existentiel" dans Phil.osophy as Life-
Stylo, pp. 200 - 201, Dans Phe Yodic Expérience, p, 395, il la défi
nit comme l'action que l'homme doit accomplir pour obtenir De-but désiré,
(4) h, PAIŒQC/ili, L'homme qui devient Dieu, p, 4I •
to

CoHmo telle, elle est chemin de mon salut. Compatible avec des erreurs
doctrinales et morales éventuelles, elle veut montrer que je suis auteur
essentiel de mon propre destin (l), du pas encore de mon existence. Elle
m'empêche de rater mon être. Si nous comprenons bien notre Auteur, elle
relève donc de la métaphysique aussi et pas de la seule morale (ortho-
poièsis), Gomme telle aussi, elle peut varier selon les orthodoxies et
suivant qu'on est en régime d'hétéronomie, d'autonomie et d'ontonomie.
Aux yeux du professeur de Santa Barbara, l'hindouisme doit se com
prendre essentiellement comme orthopraxie (2), qui s'exprime dans le cul
te, "norme de vie au sens ontologiqtie", car la religion de l'Inde n'est
ni de la morale, ni de la doctrine, ce qui peut dérouter le christianis
me occidental plus qu'oriental, peut-être, dans la mesure où il serait
devenu orthodoxie (3)« Ainsi, "la religion est primordialement une
orthopraxis (dans laquelle se place l'orthodoxie), parce qu'elle ne se
borne pas à prêcher ime doctrine, nais veut avant tout sauver l'homme (4),
Pour cela, elle veut transmettre "quelque chose de vivant" (5) plus qu'un
kevy^nB, (6),
Par notre intelligence, nous sommes attirés vers la vérité. Par.
notre volonté, nous nous élançons vers le bien. L'un et l'autre sont
lies a notre acte d'être, bi nos pensees, ni nos actes ne nous épuisent
toutefois car nous sommes plus que des dialecticiens et plus que des cons
tructeurs du monde, Fondamentalement, nous cherchons -et cela serait
vrai dans toutes les religions- à nous saitver, à nous achever, à accéder
à une forme de plénitude, à notre but ultime, quel que soit le nom que
nous lui donnons, ïïotre religion nous y pousse. Si celle-ci nous pro
pose comme but une vision intellectuelle, nous mettons l'accent sur
l'oirfchodoxie, ~

(1) R, P/iRIKIG'lR, L'homme qui devient Dieu, pp, 42 - 45,


(2) H, PMUIQCAR, The Hindu Ecolesia.1 Gonsoiousness, p, 201, Eayâ e
Apocalisse, p, 154,
(5) R. TIJÏIKKIiRj Le mystère du culte, p, 35,
(4) R. PAI-ÎIKKAR^ Sur l'herméneutique de la tradition, p, 346,
(5) R. PAKUŒAR, Sur l'herméneutique do la tradition, p, 3é2,
(6) R, PAtUKRAR, Sur l'herméneutique do la tradition, p, 36I, Vedic
Expérience, p, 27, Dans une entrevue qu'il voulut bien nous accor
der le 16 septembre 1978, à Paris, le professeur Panikkar dit plusieurs
fois : "Je suis à l'aise grâce à 1'orthopraxie".
51

Si elle noiiB propose comme but la récompense d*un comportement moral, nous
visons davantage à pratiquer les vertus» L'orthopraxie serait la poursuite
et l'acquisition de notre terme, de notre but, tels que nous les percevons»
Elle marque notre existence extérierae et la dimension intérieure de notr©
vie. Elle nous empôcherait de nous enfermer dans notre état présent, elle
nous pousserait à nous réaliser, et, par là, à nous sauver» ITous sommes
ainsi les acteurs de notre destin (l)» Elle serait-affectée dans la me
sure où nous poserions des actions qui ne nous réaliseraient pas, où nous
ne serions pas facteurs de notre destin, ou nous nous arrSterJons dans no
tre devenir, Pioremont conditionnée par des facteurs extexnes au mol, l'or
thopraxie deviendrait hétéro—praxie» Nullement marquée pa,r des facteurs
externes, il y aurait auto-praxie»

Nous pourrions-nous demander s'il y a un critère pour dire qu'il y


a- °^1^ùo f- praxie» L'Auteur nous disait alors : faut-il un critère ?
Sent—on la nécessite d'un critère ? Le bon grain et l'ivraie poussent en
semble, mais peut-on juger dans l'ordre de la pratique ? Le jugement in
tellectuel ne po3rfce-t-il pas plutôt sur une doctrine ? L'orthopraxie pour
rait être jugée dans le cadre d'une orthodoxie donnée, mais le poTurrait-
elle en dehors de cette orthodoxie (2) ?

25. liaison

Unie à la perception et à la sensation, la raison ne transcende pas


en soi la connaissance acquise par les sens, mais ellelorganise. Elle est^
toutefois, incapable de pénétrer à l'intérieur du monde pour percevoir en
lui et au-dessus de lui le Principe Suprême qui est Lieu, Poim cela, elle
devra, être enrichie par la foi et par l'expérience suprasensible de l'in
tuition (3). L'Inde ne distingue pas, comme nous, foi et raison.

(1) R, PANIKKilR, L'homme qui devient Dieu, pu. 4O - 42,


(2) L'iiuteur se posait ces questions dans une correspondance enregistrée
en juin 1979. Ne peut-on suggérer ici un rapprochement avec le point
de vue pa^iiLinien exprimé dans I Cor, 5 : 12 - 13 ?
(5) R. PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp. 127 - 128.
52

Ainsij la porception do la rala'tivi'tG dos choses ou du non—absolu ssésul—


te autant de la vie spirituelle que du syllogisme (l), en sorte qu* on'
n'aurait jamais la "raison seule", mais la raison d'un être pur, détaché,
moral (2),
La raison a.pparaît aussi oomme génératrice de concepts, elle s'expri
me en concepts, mais, oomme telle, elle serait toujours sooio-ouLturelle-
ment .située, La parole ou le discours qu'elle engendre serait valable à
l'intérieur de son milieu d'émergence, pour des gens qui partagent le mê
me conditionnement, mais ne serait pas traductible dans une autre culture
avec laquelle on voudrait se situer en état de dialogue, d'où aussi la
limite des dogmes - sans nier leur nécessité - et l'utilité du mythe,
Eifc Panikkar distingue le. nécessité du logos dans une confrontation
intra-culturelle" et la primauté du mythes "dans les rencontres inter-cul-
turelles" (5). "La relation de la raison est dialectique, celle du mythe
est dialogique" (4). L'Auteur apprécie de façon régulière la distinction
entre ledialectique, lie a la. raison logique, celle qui argumente et dis
tingue à l'intérieur souvent d'un système particulier, et le dialogique qui,
sans abolir la raison, la situe dans un ensemble plus large où place est

(1) 11, P/iHIKKAEl, Le Christ et l'hindouisme, p. 125>,


(2) R, PAMIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p; I50, P. LERAIL souligne
a,ussi que l'Inde ignore la distinction dia.leotique entre la pensée et
la vio. Par conséquent, "l'idée même d'une religion à dogmes est
a,bsolument étrangère à l'Inde", dans Six upanishads majeures, p, 21,
Même perspective, chez M, BIARDEAU, Clefs pour la pensée hindoue, p, I9,
(3) R, PiiRUffiAR, Le mythe comme Iiistoire sacrée, p, 248, Il souligne
toutefois logiquement le lien entre mythos et logos dans Philosophy
as Life-Style, p, 202, Dans Humanisme y Crus, p, 44, il note qu'il
faut ^thos et Logos pour comprendre l'univers.
53

faite à l'écoute de l'autre, à la découverte de l'expérience que réalise


l'alter, ainsi qu'à l'intuition,(1),
n ajoute que la raison, génératrice de concepts, est aussi généra
trice d'idéologies. Pour 11, Panildcar, l'idéologie est "la partie déniy-
thisee de la vision qu'on a du monde, elle est le résultat du pa,ssage du
mythos ai: logos dans la vie et la réflexion personnelle, elle est l'en
semble plus ou moins cohérent d'idées qui forment la conscience,critique,
voire le système doctrinal qtti permet de se situer rationnellement - idéo-
logiquement - dans le monde, à un moment déterminé du temps et de l'espa
ce", car elle suppose toujours 'tm système spatio-temporel du logos (2).
Tout en vivant a l'intérieur d'un système rationnel cependant
—ce qui est nécessaire —il nous est possible de communier avec d'autres
qui évoluent dans a'autres systèmes, à la, condition que la système soit
toujours ouvert, non autosuffisa,nt. Il serait possible, pour le profes
seur de Santa Barbara., de communier avec d'autres malgré une actuelle
"incompatibilité dialectique" (5). On pourrait au moins, pa.r exemple,
dépasser même provisoirement le contenu d-«un logos qui nous tient à coeur
pour faire confiance a l'autre et, cela., sans le jtiger (4),

(1) R, P/lIKKAR, Philosophy as life—5tyle, p, 205, où il considère qu'un


mariage d'amour est possible entre mythog et logos, Voir aussi The
Bostonien Yerities» p, I55, où l'Auteur parle de "dialogioal oommu-
nlcation" dépassant la "joute dialectique", p. 145, Même distinction
entre dialogique et dialectique, p, I50. Il souligne, par là même,
la relativité du langage, ce qui n'équivaut pas au relativisme comme
il le souligne dans The Bostonian Yerities. p. 152, je crois,
p. 260, dans For an Intégration of Realitir^ p. 31. Même idée p.~72,
où il stipule que le relativisme équivaudrait à refuser totite affir
mation. Yoir aussi Yaith and Belief, p. 21 ou Epochè in the
Religious Enoounter, p. 40,
(2) R. PAtma<AR, Tolérance, idéologie et mythe,, p, 192. H n'aime pas les
jotites dialectiques, lû la divinisation du discours, comme il le dit
dans Métathéologie ou théologie diacritique, p, 47, ni le "cancer do
l'intelligence", dans Sur l'herméneutijue_an^la^_^dit^^ p, 344, ni
le langage particulier qui, trop tôt, se croit universel, dans
The Bostonian Yerities. p. 149, etc.
(3) R.PAKŒKKAR, Tolérance, idéologie et mythe, p. 200,
(4) S. PiRnKKAR,Toléra,nce, idéologie et mj-iihe, p, 202,
54

H, Paxiikikar souligne aussi que plus me société s'organise idéolo-


giquement, moins la tolérance lui est facile (l).
Ainsi, nous croyons repérer une constante, à savoir que l'Auteui?
recommande de se méfier du langage, du mot, du logos, du discours logique,
du discours élaboré et structuré. Il semble convaincu de l'inadéquation
du langage par ra,pport au réel, comme s'il éta,it impossible d'enfermer le
réel dfis un dictionnaire, Ne va-t-il pas jusqu'à dire que "le discours
sur Dieu est foncièrement inauthentique" (2), Ne faut-il pas, alors, li
bérer la théologie chrétienne d'une certaine conception particulière du
monde (5) ? Ne doit-on pas admettre dans l'Eglise ceux qui auraient des
préambules et des schémas d'intelligibilité différents des nôtres ? Ne
faut-il pas savoir si "la cristoJlisation historique de la foi chrétienne,
telle qu'elle existe aujourd'hui, est la seule possible (4) ? Les sys
tèmes ne peuvent-ils détruire leur but aussi et connaître une certaine
faillite (5) ? Il faudra,it avoir peur ou se méfier des systèmes ou des
ensembles monolithiques (6),
L'0ccider4.aooorderait beaucoup d'importance à la raison. Déjà
Aristote définit l'homme comme un animal doué de raison (ce qui réduirait
sa divinité et son animalité) (7),

(1) R, PAîLCŒAR, Tolérance, idéologie et mythe, p. 205. Il regrette, par.


exemple, le fréquent complexe de supériorité de penseurs chrétiens
face à l'Inde, dans une lettre au Docteur Véréno, ïïm das religiose
Gesprè'ch, p. 180.
(2) E, PANIKKAR, Le silence et la. parole, p. 130. Prudence d'A. TERGOTE
qui, face aux concepts, refuse d' "oublier quo ces concepts ont leurs
sources et leurs matrices signifiantes dons le vécu du sujet avant
d'Ôtro codifiés par les théories" dans Réciprocité du temps et de
l'éternité- , pp. 93 - 94»
(3) R. PANIIQCAR, Métathéologie ou théologie diacritique, p. 44.
(4) R. PANIIŒAR, Métathéologie ou théologie diacritique, p. 46.
(5) R. P/iNIKICAR, Eor an Intégration of Reality, p. 22.
(6) R, PAIIEKIvAR, Eor an Intégration of Realityj p. 25.
(7) R. PANIKKAR, Eor an Intégration of Reality, p. 48.
55

La raison risque dès lors, de devenir le critère ultime de vérité (l).


L'homme "blanc risque de tomber dans la tentation cartésienne (2), On voit
l'Ouest miser sur la Parole quand l'Est mise sur l'Esprit (j). L'Occident,
tel un adolescent qui se replie sur lui-même, développe une théologie
toumee vers l'intérieur et il se met à prêcher à des gens d'autres cultu
res avec lesquelles il ne s'est pas assez familiarisé, alors que si la foi
ne peut être désincarnée, elle pourrait porter d'autres ha,bits que les ha
bits méditerranéens (4), L'Occident, aussi, n'a-t-il pas trop intellectua
lise le don qui nous était transmis, comme s'il disait : "au commencement
était le Message" au lieu de proclamer : "au commencement était le Logos"(5)?
A la limite, aussi, par exemple en ma,tière de morale, n'y -a-1—il pa.s un
danger de majorer la raison en faisant de nous comme un critère ultime et
de nous ériger ainsi comme des rivaux de Lieu, en ne nous fiant plus qu'à
notre jugement (6)\
Nous serions incomplets en ne soulignant pas, dans l'article qui nous
occupe, le rôle éminent de l'intuition dans l'activité de la raison, quand
nous ne limitons pas celle-ci à la raison raisonnante. "N'existe-±-il pas,
dit l'Autour, une intuition supérieure à la conn.a.issance rationnelle et ne
peut—on former une vraie sagesse sur quelque chose qui, sans être en con-w
tradiction avec la raison, aille plus loin qu'elle et nous permette de
déboucher sur la religion, c' est—a^-dire la connaissa,nce et la pratique dos
moyens qui conduisent au bonheur, à la libération et au salut" (7) ?
Le langage discursif ne serait pas toujours a,pte à exprimer et à commiaii-
quer ce que l'intuition peut appréhender ou approcher.

(1) A. PANTKICAR, Eor an Intégration of Reality, p. 49» Lans Hunanisno y


p. 66, l'Autour écr,n : "Le mal de notre civilisation est que
les intellectuels ont cessé d'être contemplatifs". On a tort, p. 68,
de juxtaposer arts, sciences, amour et connaissance en oubliant leur
relation ontonomique. Ce serait, pp. 64 - 69, le danger des intel
lectuels. "La connaissance humaine est rationnelle par excellence"
nais elle n'est pas exclusivement rationnelle" dit-il, p. 85,
(2) A. PANIKNAA, The silence of the word, p. I57.
(3) A. PANHaC/iA, The silence of the i^rd, pp. 159 - I60.
(4) A. PANHaOïA, Christ, Abel and Melohisedech, pp. 394 - 395,
(5) A. PAMIEEÏiA, Sur l'herméneutique de la tradition, p. 347.
(6) A. PAl'IIIŒAA, Morale du mythe, p. 3^9.
(7) A. PANIEEAB, Lettre stœ l'Inde, p. 61.
56

Cécî expliqueasiît peut-être l'aspect èh partie 'incommunicable de l'intui


tion (l),
E, Panikkar dit ailleurs que "ce qui est plus vivant dans la foi ne
peut po,s être escprime j il y a toujours un ïïngedachto dans tout ce que nous
pensons" (2),

(1) M. BUŒnMiUf [Théorie de la connaissance philosophie de la parole,


p. ^538. Elle écrit,"a propos de"î'intuIHon,"";" "elle"dépassé lé do-
ma,ine extérieur de la conna.issance et constitue à elle seule un do-
inn.ine à part l'intuition échappé donc par essence à la cominuni—
cation, à l'échange par la parole ... encore que ce soit elle que
l'on s'efforce d'exprimer pour l'enseigner aux ignorants".
(2) E. PAHIiahlR, L'Infaillibilité, p. 453. Atitre d'information, signal
ions que, pour M. BI/iEDEAU, dans Clefs pour la. pensée hindoue, p. 107,
a la vision brahmanxque de l'homme, manque "le concept de raison qui
permet à l'individu à tout le moins de reprendre pour lui-même les
idées de son milieu"^... nais que cette vision "peut aussi faire naî
tre des proj:ets aussi ambitieux que celui d'un Lescartes : repartir
de zéro^pour penser plus juste et fonder une pensée sur une vérité de
départ^iniiittaquable"» Et d'ajouter : "la notion même de concept n'a
pas d'équiivalent dans le vocabulaire sanslccit" (p. IO7). Voir
R.C. ZAEHîffiRj Inde, Israël^ Islam, p. 89. La philosophie hindoue
reste toujours enracinée dans la religion. "La philosophie va pren
dre pour thème la_relation do l'un et du multiple, et la possibilité
de restaurer l'unité primordiale grâce à l'intuition mystique".
A la, fin de cet article sur la raison, ne pourrait—on se poser quel
ques questions ? Si, par exemple, le discours h-umain est situé, le
m^he n'est—il pas, lui aussi, conditionné par son milieu d'émergence?
Si une certaine fraternité humaine peut exister dans l'imaginaire
pour permettre une certaine "transn^rthisation", ne risque-ton pas d'ou
blier que le mjrfche est, comme le logos, enraciné dans un terroir au
point qu'une transplantation serait délicate ? De plus, si une trans
plantation du mythe est pensable, une transplantation du discours no
le serait-elle pas ? La raison, en un sens, ne vise-t-elle pas, par
vocation, à l'universel ? Si la ra,ison ne déconsidère pas le mythe
et les métaphores parce qu'ils ont une valexir sans doute irremplaça
ble, ne reste—t—il pas que la raison le sait, ce qui supposerait
qu'elle dépasse pa,r un côté au moins l'aspect métaphorique ? Ou en
core î s'il est bon de souligner l'humilité de la raison, ne faut-il
pas la raison pour souligner cette humilité ? Ne court—on pas le ris
que, à la lamte, de recourir au langage pour critiqioer la langage
et de s'en prendre à la raison avec les armes de la raison ? Le dis
cours logique, aussi,^voire la confrontation dialectique sont-ils, en
mort de la philosophie, de la theologie et de la religion ou
ne seraient—ils pas plutôt une nécessité pour chercher la clarté, en
sorte que ce qui peut apparaître comme un obstacle, pourrait s'avérer
être un moyen, voire une condition, pour marcher vers une unité qtii
n'est pas donnée toute faite ?
57

2é« Sanatana ._#iarma

Du point de vue hindou, ce serait la religion étemelle, sous sa


forme la plus élevée, réalisée dans l'hindouisme. Pour celui-ci, toutes
les religions, en im sens, seraient "bornes, dans la mesure où elles con
duisent l'homme vers sa perfection, vers sa plénitude, vers sa réalisa
tion. Mais, se perdant dans la nuit des temps, l'hindouisme considère
qu'il n'a rien à recevoir du christianisme comme religion-soeur (l)„
Pour l'Auteur, l'hindouisme est une étape du sanâtana dharma devant trou
ver sa plénitude dans le dliarma siddhi ou perfection religieuse du chris
tianisme, moyennant une mort et une résinrection de l'un et de l'autre,
de l'un à l'autre, peut-être, dont nous reparlerons (2), "L'hindouisme
est le point de départ d'une religion qvii trouve son point culminant dans
le christianisme" (3).
L'hindoToisme ne connaît pas de fondateur repérahle, il se perd dans
la nuit' des temps et il engage tout l'homme dans la comm'union avec
l'Absolu, Cela pousse ses membres à parler de sanâtana dharma. Ce n'est
pas un obstacle décisif au dialogue dialogique a,veo le christianisme.
Mais l'affirmation du sanâtana dharma peut faire difficulté, comme la pré
tention du christianisme à être une religion universelle (4), L'Auteur
voudrait chercher néanmoins une solution au.problème, comme il le dira
dans notre chapitre 5 > notamment dans ce qu' il appelle la théologie hind-ouer
clirétienno. Le sanâtana. dharma, comme religiosité primordiale de l'hon^-
me (5) ne s'opposera.it pas au christianisme.

(1) R, PAîflKICAR, Le Christ et l'hiiadouisme, p. 37.


(2) R, PAîIIKKAR, Le Christ et l'hindotiisme, p, 42, îSyâ e Apocalisso,
pp. 148 - 235,
(3) R, PAMUOCAH, Le Clirist et l'hindouisme, p, 87,
(4) R, PAKDŒAR, Rtatatt?a, p. 27.
(5) R. PANIIKAR, The Yedio Erperionco, p. 37. Dans Spiritualità indù^
pp. 15 - 16, à propos du sanâtana dharma, l'Auteur parle du concept
fondamental d'ordre, de l'ordre ontologique du réel dans sa structure.
Le concept hindou est lié à celui du karma, diversément compris en
Inde, Chaque individu aurait aussi son propre dharma réglant son
existence. Sans le âhçmm, le monde serait chaotique et la religion
serait la connaissance et la réalisation du dharma (p. I7).
"Rigoureusement, l'hindotiisme n'est pas une religion, mais simplement
dharma" (p, 18),
58

27. Sécuiaxisation (liée à Sécularisme)

Mot d'origine probablement étrusque et relié au latin sero, serare


qui signifie "semer, planter, engendrer, éparpiller". Le séculier désigne
"le monde temporel, l'aspect temporel de la réalité" (l) et il est évalué
en fonction de notre conception du temps. Si celui—ci est perçu comme né
gatif, on déduit que le monde séculier s'oppose au sacré et que, en vertu
de son aspect passager, il ne mérite pas nos efforts (2), Dans le cas in
verse, le monde séculier symbolise la conquête du réel dont le sacré et la
religion s'attribuaient le monopole. Sécularisation serait alors "libéra
tion du genre humain de l'emprise de l'obscurantisme" (j), E, Panikkar
considère ce processus comme un phénomène régïulier dans l'histoire humaine
et non comme un trait spécifique de notre époque (4).
La sécularisation (voir aussi herméneutique séculière ou sécularisée)
repose sur une prise au serieux du saeculum et ne présente pas, en soi,
l'aspect d'opposition autonome qui apparaît dans ce qu'il appellera la
sécularité, différente du sécularisme qui "est la conscience de la pleine
responsabilité do l?homme à sa maturité" (5).

28. Sécularité

C'est "la destruction intolérante de tout ordre sacré" (6), 211e


apparaît, comme telle, en régime de réaction autonomrque sans en être une
conséquence automatique, lie peut-on penser, ici, aux concepts occidentaux
de laîcisme ou de laïcité (7) ?
(1) E, P/ilIIKEjlE, Le culte et l'homme séculier, p, 22,
(2) E. P/iîIIÎŒM, Le culte et l'homme séculier, p. 23, d'où ce qu'on appelle
des mystiques d'évasion" aux antipodes de la "théologie des réalités
terrestres".
(3) E, P/iîflKKAE, Le culte et l'hoimae séculier, p. 24,
(4) E, PillTIKZAE, Le culte et l'homEie séculier, p, 24,
(5) E, PAITIIEC/iE, Sûnyatâ and Plêromâ, p. 93.
(6) E. PAÎJIÎ3CAE, Le culte et l'homme séculier, p. 82,
(7) Y.M.J. COÎTGAE, Jalons pour une théologie du laïoat. p.43. Le mot "laïc"
n«a-t-il pas connu une évolution notoire depuis le XIXème siècle jusqu'à
Vatican II ? On peut a,ussi voir le sens du terne "laïque" en France,
encore aujourd'hui souvent, et comparer avec ^^înen gentium, chapitre 4,
59

29. Sniti

La sruti est l'ensemble de la rGVGla,tion hindoue que nul penseur, en


Inde, n'oserait contester. Elle est considérée comme étant le message,
la révélation, une donnée immédiate, définitive,fina-lej comme la manifes-
ta,tion de la révéla,tion de Lieu, Il n'y aura,it personne derrière elle.
Elle est considérée comme n'ayant pas d'auteurs.

En tant qu'épiphanie primordiale, la sruti est différente de la Bible,


différente du Coran, en ce sens que pour comprendre la Bible et le Coran
dans lesquels les croyants considèrent qu'il y a des mandatés (prophètes)
transmettant une parole venue d'ailleurs, il faut connaître le contexte
rédactionnel, il faut, éventuellement, une institution (par exemple d®Eg3JjaB,
Rome,la Commission Biblique,,.) pour en garantir et en contrôler la juste
compréhension. Commence alors ce que notre Auteur appelle "la course a,ux
herméneutiques" (l), L'Inde viendrait paradoxalement, pour le professeur
do Santa Barbara, rappeler "la dimension d'incarnation du Logos révélé"
en ce sens que,la vac (Parole) du Parole intégrale, avec sa
mOvtérialito, son écho cosmique, sa graphie visible, son sens et sa signifi
cation",., elle ne serait pas la révélation mais pldtÔt le révélé, la
cristallisation du brahman, sa congélation dans le temps et dans l'espa»
ce" ,,, "Le Logos de l'Hindouisme est sonore, matériel. Parole prononcée
et écrite, vivante et spirituelle" (2), au point que "la lecture, le chant '
du Veda, c'est l-^'acte litvicgiquo par lequel on entre en rapport existen
tiel, réel, avec ce qtii fera mon salut" (j).
Cette sruti engendre et entretient le désir de connaître Lieu (4),
Elle serait résumée dans les Yedânta-Sùtra (5), Si "ce qui a été enten
du" (6) se trouve dans le Veda pour l'hindouisme, nous noterons que
l'iiuteur distingue cette révélation et nos saintes Ecritures,

(1) R. PAlTIKILiR, Sur l'herméneutique de la tradition, p, 551,


(2) R. PAlîIIffiAR, Sur l'herméneutique de la tradition, p, 358. Voir aussi
Spiritualité indu, p, 36,
(3) R, PAlTIKIL'iR, Herméneutique et tradition, p, 569,
(4) R, PAUEEK/iR, Le Christ et l'hindouâsme, p, II6,
(5) R» PAHIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 115,
(6) R, PAUCKK/iR, Le mystère du culte, p, I76,
60

A leur sujet, il insiste sur le fait qu'il ne faudrait pas opposer


Ecriture et Tradition parce que l'une et l'autre sont deux dimensions d'une
même réalité (l), de même qu'il y a un lien intime entre OTuti et smrti
CD
(tradition) (2),
A tra.vers toute son oeuvre, l'Auteur montre sa vénération pour le Veda,

Cela explique l'important travail de présentation qu'il en fait dàns The


Yedio Expérience. Avec la Bitle et le Coran, le Veda lui apparaît comme
"un moment de la religion universelle" (5), Il en fait une anthologie im
posante parce que l'homme en a besoin (4). Par amour, il l'offre au monde
comme xin bouquet de fleurs (5), non pas tant pour en faire une exégèse sa
vante mais avec le dessein que le Veda soit reçu comme un livre de prière
et de méditation où l'homme trouvera une réponse aux grands problèmes hu
mains, issiie des tréfonds de l'humanité (6). La sruti ne devrait pas ap
partenir, en effet, aux seifLs spécialistes, à ses yeux, car elle est une rér
vélation de quelque chose susceptible d'enrichir l'expérience humaine de
chacun sons pour autant qu'on se perde dans la spéculation des écoles (7). :
Document de l'Homme, le Veda reprend ainsi vie par nous, qui devenons- les
auteurs de la Parole vivante lorsque nous la lisons, lorsque nous l'esqpri-
mons, lorsque nous en vivons (s). C'est par nous que le Veda révèle son
autorité (9) "Les Vedas. sont Vedas seulement dans l'esprit" (10). Toujours
valables aujourd'htii, ils révèlent l'home se découvrant au milieu des trois
mondes s le divin, 1»humain et le cosmique (II), Il voudreât ainsi ce qu'il
appelle "une réincarnation existentielle" du Veda (12),

(1) S, PAILUKKAR, Le mystère du culte, p. I85.


(2) Sur sruti et snrti voir le résumé clair de H. AHTOIHE, Sources ; livres
sacrés et littérature religleuso» dans La quête de l'Etemel, pp. 33 -
34.
(3) li. P/dlIIŒAR-, The Vedic Expérience, p. 4.
(4) R. PAIIIKKAR, The Vedic Expérience, p. 5-.
(5) R. PAinKK/iR, The Vedic Expérience, p. 6,
(6) H. P/iFrmïï, Tlie Vedic Expérience, p. 8.

(7) R. PAimŒAR, The Vedic Expérience, p. 10.


PAiLffilCAR, The Vedic Expérience, p. 12.
(9) R. PMIEIG''iR, Tlie Vedic Expérience, p. 13.
(10) R. PAHIKKAR, The Vedic Expérience, p. 13.
(11) R. PAimaCAEi, The Vedic Expérience, p. 14.
(12) R. PMnacAii, The Vedic Expérience, p. 27.
61

3Q-* Temps

Le temps peut être perçu de manière positive ou de façon négative


et cela amene l'homme tantôt à considérer le sacré comme une conquête du
réel, une conquête libérante pour lui (l) et, tantôt, s'il est perçu né
gativement, à opposer le monde séculier au monde sacré (2). Perçu, positi
vement en régime d'autonomie, le temps condtiit l'homme, tout spécialement
en Occident, à considérer la temporalité comme quelque chose qui lui est
propre et l'éternité coirnne étant réservée à Dieu (voir le deuxième terme
efficient du régime d'autonomie). R. Panikkar distingue aussi l'évitemi-
té des anges, la temporicité des hommes et le temps des choses (3), Il
considère ailleurs que Dieu et l'homme sont auteurs du temps, qu'ils font
le temps, en opérant le changement (4)« Chaque changement apparaît ainsi
comme une "nouvelle création" (5) de la part de Dieu et peut-être comme
un moyen de "coopérer au retour des choses" (6), de la paa?t de l'home.

(1) R, PAITIKEIiR, Le culte et l'home séculier, p, 24,


(2) R, PMIKÏiAR, Le culte et l'home séci^ier, p, 23,
(3) R« P/iUKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, 61,
(4) R. Pi^iUICICAR, Le mystère du culte, pp. 49 - 51,
(5) R« PMIIQû\R, Le mystère du culte, p, 49,
(6) R, P/jnKMR, Le Eiystère du culte, p, 51,
62

CeliAl-ci, alors, transcende le temps s'il s'insère dans la réalité défini


tive (l),
II. PaniMcar pose régulièrement le problème du temps (2). Une concep
tion linéa.ire du temps parle du passé, du présent et du futur. Elle sou
ligne les conditionnements de l'hier sur d'aujourd'hui et multiplie
aujourd'hui les projets pour demain» Tantôt le temps a des structures op
pressives, tantôt il est la matrice de la science et de la technique pour
améliorer le sonrt humain, tantôt il perte en lui la nostalgie d'un paradis
perdu, tantôt il implique la promesse d'un étemel post-temporel.

(1) E. P/dîIia</lE, Le mystère du culte, p. 52, Apropos du temps, on peut


penser au temps-fugacité des poètes, Tempus fugit, gravait-on sur les
anciennes horloges. On se rappelle le dieu Ghronos dévorant ses en
fants. On peut rappeler aussi le temps-durée de H, BERGSON et l'image
célèbre de la boule de neige. On peut encore distinguer le temps réel
et le temps spychologique. J.T. NELIS, dans l'article Temps du
Dictionnaire encyclopédique de la Bible, col. I8O9, compare le temps
"des occldenta,U3c" et le temps des "orientaux" :"L'occidental, écrit-il,
se représente le temps comme une ligne uniforme sur laquelle on peut
situer, avec une précision objective, tous les événements, avec leur
distance exprimée en tomes de temps; du point où il croit se trouver
(le présent), il appelle ce qtii se trouve devant lui l'avenir, et ce
qtii est derrière lui le passé. Cette ligne peut être continuée indéfi
niment dans les deux sens". Dans cette optique, le temps serait du
(fuantita.tif, alors qu^ pour l'oriental, il serait davantage du quali-
ta.tif. D'un coté, il serait "objet de mathématique" et de l'antre
"objet d'expérience". Certains souligneront aussi l'importance de
vivre intensément aujourd'hui car, "entre le passé et le futur, il y
a un présent qui peut tout changer" dit E. H/iB/j-CHI, Gomencements de
Voir aussi E. l?.ùIŒKÎU\Rf dans Rtatattva, p. 55 s
"Ce n'est pas seulement une vie heureuse qtii compte, nais une vie
pleine".
(2) Voir E, PAMiaC/iE, Temps et histoire dans la tradition de l'Inde,
pp. 73 ~ 96; La- tompitemidad. La misa, como 'consecratio temporis',
pp. 75 - 93; Le temps circulaire, pp. 20J - 246.
63

Ce tenps proneuttin dynarâsne révolutionnaire où le temporel est seulement


le temporel ou bien il se berce dans la mj'-stique d'un Grand Soir qui heur
te le Yannek de Camus ou dans l'espérance d'un post-temporel, alors que
l'homme est insatisfait à la fois de ce temporel seulement temporel ou de
cet étemel purement étemel, comme si le Royaume de Dieu ne se réo,lisa,it
prospectivement que dans un "pas encore", au risque de prôner une religion
"opium du peuple". Dans la perspective linéaire aussi, où le temps est
de l'ordre du quantitatif, l'homme veut vivre longtemps et il a l'obses
sion de la mort, parce que celle-ci lui appa,raît comme ce qui vient au
terme de la, ligne de sa vie.

R. Panikkar veut rappeler à l'Occident, en un sens, une conception


circulaire du temps, une "expérience seigneuriale du tenps" (l). Il part
de la certitude que le monde temporel n'est pas notre "anbia,nce unique",
tout en refusant la "tyrannie de l'étemité" ou le "monopole de l'intem
porel" (2).
L'Inde veut éliminer l'attente de quelque chose parce que l'attente
élimine le présent (5).

(1) R, PUÎIKKAR, Le tenps circulaire, p, 212.


(2) R, P/iim{E/iR, Le temps circulaire, p. 208, Dans Création andRothingness^
p, 350, il émet l'avis que la modernité commence avec l'idée de la tem
poralité linéaire. Y,A, DEVASÎINAPAIHI, dans l'hindouisme et les autres
religions, p, 177» souligne que, on Inde, toute l'histoire est spirituel
le et que, lié à l'éternité, le temps gagne en stature,
(3) L'Auteur ne cherche pas, par exemple, une religion pour le seul futur --
dont nous ne profiterions pas, une religion qxii nous tromperait, qui
nous enlèverait une partie de notre vie, qui donnerait aux pauvres des
consolations faciles car le Royaume n'est pas d'abord pour a-près mais
pour ici. Voir The Bostonian Vorities, pp. 147-148. "La réalité n'est
pas épuisée par sa temporalité, KLle n'est pas temporelle maintenant
et étemelle plus tard mais tempitemelle", dit-il dans Philosophy as
Life—Stylo, pp, 205 —206, Dans Religione e religioni notamment,
pp. 139 - 140, l'Auteur distinguo l'étemité do Dieu, l'étemité des
anges, la temporalité de l'hoimae itinéirant sur terre. Mais, il ajoute
in® la vie étemelle n'est pas seulement ou exactement l'étemité, il
parle de tempitemité ou de l'existence tempitemelle de l'homme, par
ticipant a la fois au temps et à la vie de Dieu, Voir aussi
La Tempitemidad, pp. 75 - 93,
64

Elle ne pletœe pas non plus le temps perdu parce que le temps, en soi,
est inconsistant. Elle ne veut pas en accélérer le rythme. Elle tient
davantage à en atigmenter la qualité (l). Pour l'âme indienne, le temps,
comme une circonférence, n'a ni commencement, ni fin. On est en Itii, sans
pouvoir y échapper et nous sommes incapables de penser l'intemporel ou
l'originel et l'eschatologique, c'est-à-dire de répondre aux questions
ultimes (2), Il n'y auradt ni moments privilégiés, ni obsession de la
mort, car on n'a peur de la mort que dans la mesure où l'on s'identifie
ses propres pro;iets. La mort est davantage perçue comme la non-vie qui
peut être actuelle. En ce sens, la non-vie peut être en moi, soit la mort,
lorsque Je ne vis pas intensément, qualitativement, ici et maintenant.
Ainsi, l'obsession de la mort est l'obsession du futur dans une perspecti
ve linéaire, mais, dans le temps circulaire, on aurait l'obsession de la
vie pleine et de qualité, aujourd'hui, "Le progrès personnel ne consiste
pas en une ligne historique, droite et ascendante, mais en un rapprochement
plus marqué du centre" (j)* C'est auJo\u?d'hui que l'intemporel peut pren
dre, en quelque sorte, un vêtement temporel. C'est aujourd'hrii que Je peux;
transcender le temps, non par la passion du progrès dans une opération
technico-scientifique ma,is par ma libération profonde, afin de "délivrer
notre monde du cauchemar de la science et de la technique avec leurs sous-
produits de l'automation et de la machine" (4).
Hotre Auteur parle aussi de teg^orisation, non pas en tant que retard
calculé apporté à une action mais, dans l'expérience de la temporalité en
Inde, comme expérience du temps tempitemel, c'est-à-dire celle d'un pré
sent unique, irréductible, non-répétable, seul à être, ni accablé par le
passé, ni stimifLé par le futur (5), '

(1) Voir R, PAITIICKAR, Technique et temps : la technooronie, pp. 125 - 229,


(2) R. P/lîHaCAR, Le silence et la parole, pp. 121 - 134; Las erste Eild
des Buddha, pp. 373 - 375.
(3) R. PAMIILIR, Le temps circulaire, p. 222. La circularité du temps, en
Inde, représente l'expérience de la continuité de mon être ou l'immor
talité ontologique d'un moi qui n'est pas mon ego psychologique. Je
ne suis pas un ego éphémère qui ne fait que passer sur la ligne droite
des événements cosmiques. Voir Rtatattva, pp. 34 - 35.
(4) R. P/iRIKIC/iR, Herméneutique et tradition, p. 370»
(5) R. PAMKKAR, Le temps circulaire, p. 235,
65

ni désiré, ni projeté, celle d'tin "présent dans lequel, avec innocence


et candeur, on vit sans le savoir la dimension intemporelle de l'existen
ce" (l), soit in présent qxii a transcendé le temps. Le Royaume de Dieu
apparaîtrait non lorsque se réaliserait un rêve plus ou moins utopique
du futur, mais "quand le présent s'ouvre, fleurit, pour ainsi dire, en
fleur de tempitemité" (2). C'est Mo et nuno que je réalise l'existence
toute nue qui vaut plus que tout, qui jamais ne fut, qui jamais ne sera,,
l'existence ou la méditation nourrit l'action, et réciproquement,et où
importe le seul qualitatif.

On le voit, si nous comprenons bien, la prise au,sérieux du temps


circulaire n'aurait rien a voir avec la prise au sérieux du temporel pour
l^""®^nie dans une optique autonomique. Elle est liée à la prise au sé
rieux de mon être dans sa densite ontologique où je rejoins l'étemel
aujourd'hui en ayant conscience du présent que je vis tout en me situant
en un sens hors du temps pour en avoir conscience (5). Je suis, à ce ni^
veau, comme nous le disions au début de cet article, auteur du te®)S,
coopératour de Dieu, Je fais le changement. Je réalise,en lui, une nou
velle création. Je participe au "retour des choses", je transcende le
temps en m'intégrant dans la réalité définitive. Ce qui compte, dans
cette perspective, ce n'est pas tellement de vivre longuement mais de
vivre intensément.(4).

31• Tolérance

La saine tolérance ne devrait jamais être confondue avec le relati


visme de la vérité ou avec une indifférence à son égard (5). Nous ne dé
velopperons pas ici tout ce que dit notre Auteur, car nous nous trouvons
devant un thème qui lui est particulièrement cher.

(1) R, PARIKKAR, Le temps circulaire, p. 237,


(2) R, P/iJîIICKAR, Le temps circu3®,ire, p, 24I,
(3) E- PAMîQCAR, Le culte et l'homme séculier, pp. 70 - 71, Voir aussi
La; tempitemidad, pp. 75 - 95,
(4) Nous nous rappelons SEKEQDE parlant dans le même sens dans De
brevitato vitae, pp. 52 - 53,
(5) R» PANIKKAR, Tolérarce, idéologie et mythe, p, I93,
66

ïïo-us votidrions simplement indiquer les quatre caractéristiques que


présente la tolérance aux yeux du professeur de Santa Barbara. Il pajîle
en effet de :

1) la tolérance politique où l'on tolère ce qu'on ne peut tota


lement admettre?
2) la tolérance théologique qui découlerait de la foi au péché
originel et â ses conséquences;
3) la tolérance philosophique fondée sur la reconnaissance de
nos limites et celles de notre discoTB?s. Je suis tolérant,
alors, parce que je sais que je ne comprendspa,s le tout de
l'être (1);
4) la tolérance mystique, "La tolérance est vécue ici comme une
attitude supérietire ; la, sublimation d'un état de choses par
le pouvoir de la tolérance même... Cela représente une vi
sion non objectiva„ble du monde et implique la conviction que
l'action de la personne hums,ine a. une valeur qui n'est pas
seulement purement subjective" (2).
Si une idéologie, quelle qu'elle soit, se croit parfaite et s'-érige
de ce fait en système, elle devient sectaire et intolérante. Il faudrait
savoir admettre dans la pensée ce que je n'y puis encore intégrer, ce
qui est possible dans la, mesure où j'ai un moyen de communier à l'autre
malgré "notre incompatibilité dialectique" (3),

(1) R, P/jniCKMl, Tolérance, idéologie et mythe, p. 194»


(2) R, 'PÎŒTKKIiR, Tolérance, idéologie et pp. 194 - 195, Dans Los
die ses y el Senor, l'Auteur parle de la vertu mystique de la toléran
ce (p. 137)» invite le christianisme à tolérer le monde en chemine
ment (p. 138), à ne pas oublier le pluralisme qui est interne auchrisr
tia-nisme lui-même (p. 95)? à. reconnaître l'imperfection de notre con
naissance et la transcendance de 3avérité et de la réalité (p. 96).
L'herméneutique peut être multiple parce qu'elle n'est pas l'instance
ultime^ du fait qu'il y a aussi et toujours l'être, la foi et le mys
tère (p. 97).
(3) H. PAIIIKKAR, Tolérance, idéologie et mythe, p. 200. J.A. GDTTAT, dans
La rencontre des religions, pp. 78-79? parle du "fcolérantisne"qui serait
un amour déspiritualisé et insensible aux valeî3rssuma.turelles. Il
ajoute qu'on ne peut réduire les religions "à dos points de vue pure
ment subjectifs dépoTorvus de 'données' objectivement connaissa-bles".
67

Tolérer ne serait pas supporter l'autre comme un mal nécessaire, ce serait,


sans renier se à quoi on croit ni oublier ce qu'on est, accéder à une
réelle humilité, reconnaître l'autre comme centre d'autocompréhension,
comme un lieu de cheminement, repérer son action et ses intuitions fonda
mentales, môme si son discours et son comportement ne peuvent être encoaîe
actuellement intégrés dans mon ensemble dialectique, La chose implique
ma confiance en l'autre, mon respect pour la lumière qui est en lui, mon
ouverture à l'expérience ontologique qu'il réalise (l).

(1) Comme le dit l'Auteur dans notre chapitre 5, au paragraphe 7, l'hin


douisme est un ensemble composite moins homogène que l'islam ou que
le christianisme, L'Hindou, en plus, n'a pas l'obsession dogmatique de
•ÎOccident, Qel^implique, voir aussi Maya e Apocalisse, p, 6, la
tolérance hindoue bien connue. Aux pages 375 - 374, bibliographie
sur la tolérance.
68

CONCLUSIONS

En intit-ulant ce chapitre s"Les concepts et leto? expression, qtielques


clés pour oomprêndre la pensée de Eaymundo Panilckar", nous nous proposions
d'expliquer quelques termes importants utilisés par l'Auteur .
A la fin de cette étape"apéritive", quelques conclusions.

1. L'étude de l'oeuvre abondante de l'Auteinr présente de réelles diffi-


cifLtés, Ne parlons pas du fait qu'il écrit en cinq langues, sans comp
ter les références au grec, au latin et au sanskrit. Il y a plus.

En premier lieu, on éprouve souvent l'impression d'une réflexion en


spirale, par touches successives, par approfondissement progressif, alors
que notre esprit s'accommoderait volontiers d'un discours plus cartésien.

Deuxièmement, les sujetg abordés sont souvent moins définissables


que ceux de la science positive. On touche à la philosophie, à la théo
logie, à la mystique, à la recherche occidentale autant qu'à celle de
l'Orient. Il s'y trouve du reste, à plusieurs reprises, des sujets sur
lesquels les spécialistes ne sont pas tous d'accord et où la recherche
demevœe inachevée.

Troisièmement, l'Auteur ne recule pas devant des néologismes. S'ils


sont souvent inliérents à la prospective, ils requièrent néanmoins un
temps d'adaptation pour le lectetir et leur explication était nécessaire,

En quatrième lieu, l'Auteur change le sens habituel de certa,ins ter


mes. A l'occasion, nous y avons attiré l'attention du lecteur et nous
nous sommes penmiis de poser quelques questions,

2, Le te3?rain étant quelque peu dégagé, nous découvrons l'Auteur se si


tuant à la rencontre de plusieurs univers qui l'ont formé, ceux de
l'Occident et de l'Orient, ceux du christianisme et de l'hindouisme.
Nous devinons l'intérêt d'une recherche chrétienne partant du topos de
l'Inde et non plus du seul milieu méditerranéen, d'une recherche suscep
tible d'exciter chez nous une prudence intellectuelle mais aussi de
susciter un a priori favorable, tout spécialement en cette fin de siècle
où les religions, les cultures et les grandes expériences humaines se
rencontrent davantage, se connaissent mieux et peuvent envisager de
s'interféconder.

Il semble clair, ici, que R, Panikkar sent qu'il a un rôle à jouer,


un rôle original.
69

Conme il le dit ; "cheminer peur mon propre compte et par des sentiers
vierges" (l).

Des perspectives ont été ouvertes qui appellent des développements


substantiels. Il était exclu de les proposer dans un chapitre d'intro
duction qui ne donnait que des clefs. >Iais nous voudrions comprendre
mietDc certains problèmes importants et trouver réponse à qvielques ques
tions.

a) Aux confins d'une religion prophétique, comme le christianisme, et


d'une religion mystique, comme le sanâtana dharraa de l'hindouisrae (2),
comment l'Auteur va-t-il aborder le problème de Dieu ou du divin et
celui do la relation entre l'Absolu et l'humain ?

b) Que peut donner la mise en relation d'un Occident à la pensée analy


tique et cartésienne, soucieuse de clarté et d'orthodoxie, et d'-on
Orient plus intuitif, plus synthétique, plus unitif, prooccupé d'or-
thopraxie ? Quel type de dialogue s'avère possible et quelle inter
fécondation peut être envisagée ? Où le mènera ce qu'il appelle
"l'oecuménisme catholique ou oecuménique", ainsi que la vertu mysti
que de la tolérance ?

C') Comment s'articulera sa réflexion sur Dieu et sur le ctfLte avec les
clefs de l'hétéronomie, de l'autonomie et de l'ontononde ? Que don
nera la synthèse entre la thèse et l'antithèse ?

d.^ Qu'est-ce que la foi pour lui, en fin de compte, si l'on sait sa pru
dence à l'égard du. logos humain, son souci préférentiel pour l'ortho-
praxie, son refus de dogmolâtrle son intérêt pour le mythes, son
attente d'une foi perçue comme question, comme dynamisme, comme ou
verture existentielle, plus que comme "bonne réponse" ?
e) Gomment nous présentera—t—il le Christ si l'on a entendu ses propos
sur Isvara et annonce une pensée plus "logocentrique" que "Jésus-
centrique" ?

f) Que donnera, sur tous les problèmes abordés, ce qii'il appelle une
hermeneutique diatoptique et pas seulement intra—culturelle ?

(1) R. PARIKICIR, Le temps circula,ire. p. 207,


(2) Nous utilisons la tenninologie de .R.C. ZAEHHER, dans Inde, Israël.
Islam.
70

g) Quelle noksa ou quelle libération, lui vit de l'hindouisme et du


christianisme, va^t-il proposer à l'homo religdosus ?

Les chapitres qui suivent vont tenter, notamment, de répondre à


ces questions (l).

Cl) Hous.mettrons le_ signe dans la suite de nptre. ouvra^ lorsque le


lecteur gagnera particvilièrement à, se rappeler les explications des
clefs, données dans ce chapitre d'introduction.
71

C H A P I T H E II

L ' ABSOLU
72

Selgnetu? tu es là, tu es également ici, tu nous vois et je vois


à travers toi, je voudrais ne plus rien voir d'autre que ce que
tu vois; et nous sommes ta vision et notre rapport devra être
changé, renversé et devra réaliser l'expérience de moi comme un
toi divin, car Dieu, l'unique Dieu est Yawhé, celui qui est ;
Seigneur je suis toi, ton toi, tu me vois et alors je peux fer
mer les yeux, non pour cheminer les yeux fermés mais pour voir
toujours plus la totalité de tout" (l).

(l) R, PiiîTIKKAR, La presenza di Dio, pp, 42 - 43.


"73
lîITRODUCTION

La logique et la clarté du discours paraissent exiger l'antériorité


d'une ouverture sur l'Absolu dans la pensée panikkarienne, par rapport à
une analyse de son approche du mystère du Christ. C'est la raison de ce
chapitre,

Peut-être n'allons-nous pas trouver ici ce qui donne à R, PaniMcar


sa place originale dans la rencontre entre l'hindoiiisme et le christiani.s-
me et qui le distingue des autres chercheurs qui s'orientent tantôt vers
une théologie contemplative et tantôt vers une analyse comparative. Ce
chapitre va, néanmoins, dépa,sser l'initia,tion au vocabulaire et nous in
troduire plus en profondeur dans la. recherche.

Sans rien renier de son christianisme, sans ignorer la place privilé


giée de la révélation de l'Absolu dans l'histoire sainte, telle qu'on la
trouve dans la Bible, le professeur de Santa Barbara va. proposer des pis
tes importantes de sa pensée, pistes nécessaires poiu? l'approfondissement
ultérieur. Il connaît bien la théologie occidentale, notamment le thomis
me, mais nous sentirons aussi la, profondeur et le re,yonnement de ses raci
nes hindoues.

Résolument universaliste en vertu de son monothéisme oecuménique,


R. PaniMcar postule et perçoit l'action de Dieu dans le monde entier et
donc dans les différentes religions. Il sait aussi que Dieu nous échappe,
"''^^scende tout ce que nous pouvons dire de Lui et que notre discours
est relatif et relativisable, situé et inadéquat, voire ina,uthentique. Il
nous rappelle l'himailité nécessaire du langage huma,in en prenant souvent
parti pour une théologie apopha,tique,
Re voyant pas de cloisons infranchissables entre la théologie et la
mystique, voulant, au contraire, refuser toute dichotomie entre la recher
che religieuse et la vie spirituelle, comme l'Inde et la tradition de
l'Orient chrétien et une bonne part de la recherche occidentale, l'Auteur
voit un Dieu vivant à l'origine, au centre et à l'aboutissement tant de
l'esgLstence elle-même que de la quête ontologique de l'Absolu. C'est dans
cette perspective qu'il va poser les problème de la foi, de la relation
Créateur—créatures, et, tout simplement, de la vie vécue avec intensité.
Pour cette recherche sur la pensée de R. Panikkar sur l'/ibsolu, nous
proposons le plan suivant ;

§ 1 - l'universalisme ou la manifestation universelle de Dieu;


74

§ 2 - l'Inconnaissable ou l'Inépuisable5
§ 3 - Bralinia-jijnâsa ou le désir de connaître Dieu;
§ 4 - la contingence et le Dieu des philosophes et des savants;
§ 5 - la relation entre l'homme, le monde et sa cause;
§ 6 - Dieu dans les régimes d'hétéronomie, d'autonomie et d'ontonomie;
§ 7 - la foi comme question;
§ 8 - foi et logos I
§ 9 - le n^he de Prajâpati;
§ 10- la vision cosmothéandrique;
§ 11 - le n^stère trinitaire.

ITous terminerons par un résumé et par une appréciation. A ce moment,


nous serons aptes à découvrir ce que nous appellerons le "logocentrisme"
de Eaymundo Panikkar, "logocentrisme" qui, à nos yeux, lui assure une
place particulière dans la rencontre des religions et qui sera l'objet
d'une nouvelle étape dans notre recherche.
75

§ 1 - L'im-VlilRS/iLISîffi OTJ LA tîAMFESTATIOÏÏ TMI7MSELLE LE LIEU

A. Iiït3£oduotiôrL

A côté d'ime histoire "particulière du salut, la théologie chretien-y


ne parle de dessein universel divin. En plus de la révélation juive-
chrétienne, elle connaît la révélation tiniverselle et la révélation cos-r
mique. Sans oublier l'alliance abrahamique ou celle avec un peuple de
prêtres, elle sait aussi l'importance de l'alliance adamique et noachi-
que. Elle aborde les thèmes du Logos spermatikos, des éléments reli-
gionis et des sacramenta natvrae présents ailleurs.

n. Panikkar, prêtre catholique mais aussi imprégné par l'dme reli


gieuse de l'Inde, ne néglige aucune de ces perspectives mentionnées,
mais il opte constamment pour une ouverture universaliste, Cette ten
dance personnelle résulte de son cheminement propre, elle rejoint aussi
les conceptions de Vatican II, et, fondamentalement, elle a le soutien
de la révélation biblique,

La recherche juive et clrcétienne s'est tantôt centrée sur la rcvé-


la.tion particulière et, à ses yeux, prioritaire - avec parfois un risque
de particularisme qui n'en est cependant pas une conséquence inévitable •
et tantôt sur la. révélation universelle et sur le dessein universel de

salut ma,is sans perdre de vue le cara,ctère propre du trésor biblique et


des acta, Lei dans l'histoire sainte. Le problème qui se pose est de
valoriser une perspective sans négliger ce qu'elle ne privilégie pas.

Lieu est et il est Lieu-pour-tc?us, Le chrétien d'Occident et


d'Orient n'est pas habitué à minimiser la révélation en Israël et dans
l'histoire sainte où Lieu fa,it irruption, que nous trouvons dans
l'Ancien Testament et dans le Fouvoau (l). Il nous est commun de pen
ser qu'il y a une transcendance rcpéra-ble de la Parole révélée dans la
Bible, Lieu y dépassant la révélation cosmique (2), Eous ne pouvons
donc ignorer le paradoxe de "la rencontre non seulement possible, mais
obligatoire, avec l'Inaccessible, l'Alliance avec celui qui ne peut
être que Seul" (3),

(1) L, BOUTER, Lictionnaire tliéologique, art. ïïniversalisme, Lesclée,


Tournai, 19^3, p» 637.
(2) H lE SABX, Sagesse hindoiie, mystique de l'Inde, p. 149.
(3) H,LE SAUX, Sagesse hindoue, mystique de l'Inde, p, 42.
76

même si cela est difficile à admettre poto? le Srec d'autrefois comme pour
l'Hindou d'aujourd'hui, soit "la manifestation du non-manifesté, de celui
qui en soi est le Non-manifestahle " (l). Au-delà de la révélation cos
mique, Dieu veut "ouvrir la voie d'un salut supérieur" (2), "envoyant son
Fils pour faire connaître les secrets de Dieu" (5), ce qui amène le concile
Vatican II à conclure ; "l'économie chrétienne, étant l'alliance nouvelle
et définitive, ne passera donc jamais et aucune nouvelle révélation publi
que n'est dès lors à attendre avant la manifestation glorieuse de notre
Seigneur Jésus-Christ" '(4)* Cela n'empêche nullement que Dieu soit Dieu-
pour-tous, présent à tous et qvi'il donne à chacun la grâce et les moyens
de salut (5).
La révélation biblique est claire à ce sujet. Quelques rappels siif-
firont, sans développer ici le thème biblique de l'universalisme. Dieu
se souvient "de l'alliance perpétuelle entre Dieu et tout être vivant,
toute chair qui est sur la, terre" (6). C'est l'alliance noachique.
Dans la période postexilique marquée souvent par le particularisme, il
dit à Jonas -symbole du ïjuif moyen pour lequel Dieu est d'abord le Dieu
des Jioifs, "notre" Lieu plus que celui de Ninive, symbole du monde païen-
qu'il aura pitié de la ville "où. il y a plus de cent vingt .mille êtres
humains qui ne fsa,veat distinguer leur droite de leur gauche, et des bêtes
sans nombre" (7)* Vers 540 avant notre ère, il annonce un mystérieux ser
viteur souffrant qud s'offrira puur l'humanité entière (s), N'est-ce pas
Dieu aussi q-ui remplit la terre et le ciel (9) ? Ne chantons-nous pas, à la
sainte liturgie, le cantique des séraphins en Isaîe, "sa gloire remplit
toute la terre" (IO) ? :

(1) H. LE SAUX, Sagesse hindoue, mystique de l'Inde , p. 42,


(2) Dei Verbum, ch. 1, n° 5»
fei Verbum, ch. 1, n° 3.
(4) Dei Verbum, ch. 1, n° 5•
(5) Lumen gontium, ch. 2, n° I6.
(6) Gen. 9 î I6. Signalons que la plupart des textes que nous citons ici
le sont par l'Auteur lui-même dans Le Christ et l'hindouisme, pp. 90-92*
(7) Jonas 4 5 11.
(8) Is. 53 : 2 - 12.
(9) Jér. 23 : 24.
(10) Is. 6 : 3.
77

C'est le n$ne miiversalisne dans la prière de Synéon (l), dans l'annonce


à Joseph (2). Jéstus parle de conx qiâ viendront du levant et du cou*»,
chant (5), il sait que le banquet ne réunira pa-s seulenent ceux qui avaient
e3!q)licitenient reçu l'invitation (4). Et, lorsqu'il institue l'Eucharistie,
il parle de son corps offert pour là rndltitude (5)> afin que le monde
ait la vie (6), Les Apôtres comprendront qu'il est la lumière de tout
homme (7), devant réunir l'univers entier (s), rachetant "des hommes de
toute tribu, langue, peuple et na,tion (9)»
Le chrétien peut donc être convaincu que Lieu est père universel et
affirmer à tout homme ; "Lieu te veut, t'aime, t'éclaire, t'appelle,
attend que tu marches vers la Liberté, la joie, la plénitude, vers l'union
avec l'Etemel", Allis verbis, Lieu est catholique, au sens profond et ori-
ginej. du mot. Peut—être sera,ii>-il le seul à être ca,tholique ?

B. Perspectives de R, Panikkar

Nous commençons par ce paragraphe parce qu'il exprime le départ, l'in


tuition de base, le "fa,it primitif" de Eaymundo Panildcar. L' "universa,lis-
me en marche" (10) est non seulement un fait sociologique ou culturel évi
dent, mais un fait religieux. Il s'ensuit que l'oecuménisme ne peut s'ar
rêter à recomposer l'union entre les chrétiens de confessions différen
tes (11), Il faut découvrir Lieu à l'oeuvre partout.
(1) Luc 2 ; 29 - 35.
(2) Mat. 1 21.

(5) îîat. 8 11 - 12,


(4) Plat, 22 1 - 14.
(5) tlat. 26 26 - 29 et tesrfces parallèles.
(6) Jean 6 51.
(7) Jean 1 9.
(8) Eph, 8 1 - 13.
(9) Apoc, 5' 9.
(10) R, PâNiKiiûitj Lettre sur l'Inde, p, 7,
(11) L'Auteur, toutefois, dans Hindouisme et
p, 1, souligne que l'oecuménisme entre les chrétiens est un mouve
ment des plus importants dans la physionomie que prendra 1'avenir",
Sur l'oecuménisme "catholique" et "oecuménique", voir a,ussi Religione
e religioni, pp, 23 et 24,
78

Notre Autetir Insiste sur le monothéisme nniversaliste, voulant "rappeler


que, pour le christianisme, le Père des cieux fait "briller son soleil sur
les "bons comme sur les méchants, et fait toraber sa pluie sur les justes et
sur les pécheurs? que le Christ est l'attente des peuples, que son esprit
est à l'beEvre parmi les non-croyants, et qu'il est déjà trouvé par ceux
qui ne le cherchaient pas? qu'il est un Dieu caché qui s'est parfois dis
simulé sous la forme d'un Dieu inconnu, ou dans le coeur des hommes de ton
ne volonté" (l).
Le défi niajeur de l'universalité (2) nous pousse à un "oecuménisme
oecumenique" qui doit être guidé non pas uniquement par le souci de s'en
tendre nais par le respect de la vérité remontant non seulement à quelques
siècles mais aux premiers hommes car "l'homme dès Adam vit d'une tradition
ontologique ininterrompue" (3), Dès lors, "la plénitude des temps est fai
te aussi des apports temporels provenant de toutes les religions" (4).
L'Auteur divise l'histoire de l'Eglise en cinq périodes (5), La
première, celle du témoignage, irait de l'ère apostolique jusqu'à Arius.
Celle de la conversion nous conduitait jusqu'au choc avec l'islam. De
cette époque à la découverte de l'Amérique : période de la croisade. De
celle—ci à la fin de l'ère coloniale, nous aurions l'étape des missions.
L'ère contemporaine se caractériserait par le dialogue. Comme nous le di
sions dans les conc]tusions de notre premier cha,pitre, notre Auteur sait
qu'il vit à un moment important de ce qu'il nppelle"l'oecuménisme oecumé
nique" .

(1) R. PAITIKKAE, Le Christ et l'hindouisme, p. 91. H s'y réfère à Mat. 5;


45s Gen. 49 ; 10j Rom.. 15 ; 21,citant Is. 52 : 15? 10 ; 20? 45 ; 15?
Actes 17 ; 25? Luc 2 : 14.
(2) R, PANIKEAR, Le culte et l'homme séculier, p. ICI? voir aussi
Métathéologie ou théologie diacritique, p. 42 ou Pbîlosophy of
Religion, p. 232.
(3) R. P/iNIKKAR, Le mystère du culte, p. 16. S. BRETON parle du "dialogue
oecuménique du second degré, où le christianisme s'affrontera aux gran
des religions de l'Orient", voir L'herméneutique de la liberté roli-
P* 5"^ • "T^oir anssi R. PANIICCAR, Hindouisme et christianisme,
p. 1, et Los dioses yel Senor. pp. 145 - 146.
(4) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 150.
(5) R. PANIEECAR, Témoignage et dialogue, p. 367,
79

"Nous croyons, écrit-il, qu'une fécondation mutuelle entre hindouisme et


christianisme dans la profondeur mythique est de nos jours non seulement
une possibilité, mais aussi un impératif de notre feâros"(l).
L'hindouisme "fait partie du plan de la Providence" (2). Dieu y est
présent, il en est la source et "les religions se rencontrent là où elles
prennent leur source" (3). Si le christianisme prétend posséder toute
la vérité, ce ne peut être en la monopolisant, en niant que la vérité ou
de la vérité existerait ailleurs. Ce serait faire de l'Eglise catholique
un "club bourgeois et fermé des détenteurs de la vérité" (4) et oublier
que les différentes religions sont "tin moment de l'unique économie de sa
lut voulue par Dieu" (5),

R. Panikkar part de la révélation universelle de Dieu ou de l'univer-


salisme auquel l'hindouisme l'a habitué.

(1) R, PiîNIKIG'iR, La faute originante, p. 69.


(2) R, P/iinXK/iR, Lettre sur l'Inde, p. 82.
(3) R. PANIKIÙiR, Le Christ et l'hindouisme, p. 33.
(4) R. P/iNTKILlR, Le Christ et l'hindouisme, p. 69.
(5) H. MDRIER, Lecture de la Déclaration par un missionnaire _d'Afrique
dans les relations de l'Eglise avec les religions non chrétiennes,
p. 159» G. THILS , dans Propos et problèmes, distingue le dessein
universel du salut et l'histoire spéciale du sa,lut dans la tradition
juive-chrétienne, pp. 51 - 53> ainsi qu'une révélation universelle et
une révélation particulière, pp. 84 - 93, Dans Actes 1? s 26-27,
Paul n'annonce-t-il pas aux Athéniens que la recherche de Dieu à tra
vers les tâtonnements est prévue dans le dessein créateur de l'Absolu ?
Le catéchisme hollandais note, à ce sujet ; "Dans les tâtonnements
de l'humanité en quête de Dieu se cachent les tâtonnements de Dieu en
quête de l'h-umanité", voir Une introduction à la foi catholique, p, 59,
R. PANIKKAR nous propose de partager, face aux hommes de bonne volonté,
quels qu'ils soient, face aux innombrables démarches de l'homo religio-
sus, un regard qrd n'aurait pas permis naguère, sa,ns doute, le massacra
des prêtres de Baal, la destruction des religions pré-colombiennes, ni
celles des approches de l'Absolu en Afrique et en Asie. Voir The
Trinity and the Religions Expe_rienc_e. p. 14 et Los dioses y el Senor,
pp. 20 - 31.
80

Il rejoint les perspectives bitiliq-ues qui, elles aussi, savent dépasser


le particularisme bien que le peuple d'Israël ne le comprît pas toujours.
Il rejoint la personne et le regard du Christ Jésus. Il rejoint, enfin,
la perspective théologique catholique en de nombreux passages, par exemple,
de Vatican II (l).
Si l'oecuménisme entre confessions chrétiennesconstitue ime promesse
pour l'avenir (2), il faudrait comprendre que, tu de l'Inde, cet oecuménis-;
me apparaît comme une entreprise entre croyants de la zone méditerranéenne.
Il faudrait qu.e le mouvement s'ouvre de plus en plus aux religions non-
chrétiennes pour devenir un oecuménisme "catholique" ou "oecuménique" (3),
car Dieu seul est saint et une religion qui condxiit vers Lui ne peut être
que sainte" (4),

(1) Si l'universalisme de l'Auteur ne propose pas des idées entièrement


nouvelles par rapport à la foi de nos pères ni spécifiques dans la
recherche contemporaine, elles ri en dépassent pas moins les vues sou
vent tronquées de certains chrétiens, les horizons limités , les men
talités isolationnistes, les théologies Insulaires, les oeillères
d'une foi régionaliste, ou ce que J, A. CUTTAT, dans L'introduction
au livre de R, G, ZAEIîNML, Inde, Israël, Islam, p, 59» appelle ;
"le provinc-ialisme de missionnaires de l'ancienne école". Ce dépasse
ment ne semble pas motivé par un souci d'apprivoiser les autres, par
une diplomatie d'a,pproche ou d'habile conquête, ma,is par une foi mono
théiste, celle en un Dieu présent et sauveur partout, à l'oeuvre sous
toutes les la,titudes, dans tous les contextes et à toute époque, celle
en un père qui: n'est pa^s un Père indigne prenant souci de ceux qui,
sans mérite, sont nés Juifs et Qhrétiens et négligea.nt les autres qu'on
a,ppelait hier païens, incroyants ou adeptes soi-disant malheureux de
religions dites fausses,
(2) R. PAIîIKEAR, Maya e Apocalisse, p, 2085 Religions e religioni, p. 23,
(3) R, P/iIDLKK/iR, Maya e Apocalisse, p, 209,
(4) R. PAÎHKK/IR, Religione e religioni, p, 205,
81

§ 2 - H'INCOMiïISS/iBEE OU L»INEPUISABLE

A. Introduction

Si 1'Absolu se révèle et se donne à tous, il est aussiœlui que


nul n'a jamais vu et que personne ne peut décrire adéquatement.
Dieu, par Moïse, interdisait toute reproduction de lui-même :
"Tu ne te feras aucune image sculptée, rien qvii ressemble à ce qui est
dans les deux, là-haut, ou sur la terre, ici-bas, ou dans les eaux,
au-dessous de la terre" (l). Dans l'épiàode du veau d'or (2), le pé
ché d'Israël semble avoir consisté non pas à adorer un faux Dieu mais
a représenter le vrai. Moïse avait perçu-ce que bien d'autres souli
gneront ultérieurement- que Dieu est inconnaissable, qu'il est indes
criptible, qu'il ne peut être dit par l'homme. Maître Bckhart parle
du mystère du non-manifesté" (3). Nous connaissons la théologie néga
tive et apophatiquG. "Dieu n'est rien de ce que l'homme pense de
lui" (4). Il est le nomen innomablle. Il est "Je suis" ou "Celui qui
est". "Dieu dit à Moïse 'Je suis celui qd est'. Et il dit s 'Voici
ce que tu diras aux Israélites ; "Je suis" m'a envoyé vers vous" (5),

(1) Ex, 20 ; 4,
(2) Ex. 32 : 1 - 6.
(3) H. LE SAUX, Ig^rencontre de l'hindouisme et du christianisme, p. 62.
(4) H. Iml SAUX, Lg^oncontre de l'Iilndouisme et du ob-^-î^
(5) Ex. 3 : 14. """" "
82

H. LE SAUX joutant que le nom de Yahwé est "le nom qui révèle Dieu et qui
le dérobe tout à la fois" (l).

B, Perspectives de R, Panikkar

Pour Eaymundo Panikkar le divin n'est "saisissable ... que par le


dos" (2), "le discours sur Dieu est foncièrement inauthentique" (3).
Dieu n'est stirement pas dans aucun sens que nous puissions donner à ce
concept... Le principe de raison suffisante nous interdit de nommer Dieu
de quelque façon que ce soit" (4). Penser l'Absolu ne peut-il déjà nier
ses caractères d^absoluité" (5). Toute religion serait un pas de Eommu-
nion avec l'Absolu, une communion "en chemin". Même le christianisme gar
derait un voile y compris pour celui qui y perçoit comme un sommet de révé
lation. Toute religion ne serait-elle pas en quelque sorte inachevée ?
C'est dans ce sens que notre Auteur parle de la puissance et de l'impuis
sance de la religion : "l^îacht und Ohnmacht der Religion" (6).

(1) H, LE SlJJXf Sagesse hindoue, mystique chrétienne, p. 193. Sans entrer


actuellement dans l'étude de Sankara et de Ramanuja, nous dirons aussi
que, au-delà de leurs divergences, ils se rejoignent dans cette certi
tude de 1'indescriptibilité de Dieu, de ce Dieu .qui transcende la "con
naissance connaissante" comme dit P. JOHAMS dans La pensée religieuse
de l'Inde, p. 193, Ils sont unis par ce que ¥. JOHNSTOR appelle "la
présence de ce Quelque chose ou de ce Quelqu'un qui dépasse toutes nos
représentations mentales", dans Zen, et connaissance de Dieu, p. 37,
Sur l'apophatisme, voir une synthèse concise de J. MOEGHAMIT, dans
lyiystique de l'Inde, m;^rstère chrétien, pp. II9 - 129. G. THILS, dans
La "théologie oecuménique" dit, p. 61, "le Dieu de la révélation est
un Deus absconditus" et, p. 60, "Une théologie oecuménique doit rester
consciente de la pa-Jvreté d'expression de tout appareil verbal et
conceptuel par rapport à la Transcendance inexprimable de la Parole
divine",
(2) R, PAlîIKK/iR, Tolérance, idéologie et mythe, p. 191»
(3) R. PAKEKEAR, Le silence et la parole, p. 130.
(4) R, PAEIKICAR, Le silence et la parole, p. 134.
(5) R. PiiMKKAR, The Vedio Expérience, p. 55.
(6) R. P/iHnOLlR, Das erste Bild des Budclha. p. 378.
83

Le salut est par elle et en elle mais l'essentiel est encore à venir.
L'image du Bouddha le rend présent et absent. "Dieu ne fait pas du
théâtre" (l), "La dialectique doit cesser" (2). BraJm^ n'est visible
que pour im quart (3).
L'esprit humain peut décrire ce que l'homme voit, touche et sent.
Il se sert à ce moment des informations reçues par les sens, il décrit
ce qu'il observe, il analyse ce qu'il expérimente. Sa raJLson distingue,
compare, opère un tri, cherche les relations de cause à effet. L'esprit
induit ou déduit, il conjecture pour progresser, il émet des hypothèses
et veut les vérifier. Il tente des synthèses dont il sent à la fois
l'utilité et la relativité. Il écoute les autres et dialogue, H s'enfci-
chit des acquis du passé, il s'associe aux investigations qui lui sont
contemporaines, il prospecte pour perfectionner la connaissance de demain.
Ses questions sont des projets de réponse et il sait que sa loi interne
le pousse à avancer sans cesse. Mais l'humilité et la prudence intellec
tuelle sont des qualités importantes. Plus l'homme avance, plus le champ
de ses ignorances conscientes s'élargit. Cela l'excite néanmoins à pour
suivre sa quête de l'ultime,

R. Panildcir ne veut nullement supprimer l'activité de la raison,


puisqu'il raisonne, ni faire cesser le lan^ge, puisqu'il parle, mais il
tient à 3?appeler régulièrement qu'il faut situer la raison, qu'elle n'est
pas le tout de l'homme, qu'elle ne doit pas être coupée de la vie et de
la mystique, et que, surtout, l'homme ne peut dire adéquatement Dieu,

(1) R, P/JIIKKAR, erste Bild des Buddha, p, 380. Dans Plumanisrao yCrus^
pp, 276 - 283, l'Auteur souligne aussi la discrétion et l'humilité de
Dieu, même en Christ, Lieu ne règne pas sur terre comme y régnerait
un homme, p, 284, Il est discret, p, 310,
.(•2) E. P/iDIKEAR, Das erste Bild des Buddha. p, 385.
(5) R. PARUa^AR, The Vedic Expérience, p. I9, L'idée revient souvent,
p. 74» etc. n l'emprunte atix écrits de l'Inde.
84

Ën évitant Se toEDér aans "le "relativisme potu? lequel tout est bon ou rien
n'est bon, il refuse d'oublier la relativité du langage et du discours
ainsi que la. transcendance de l'Absolu (l).
Il souligne aussi, à l'occa.sion, que l'Inde ne va. pas toujours dans
•un sens personnaliste comme les religions dites abrahamiques et que donc
l'approche personnaliste du di.vin n'est pas la seule possible. Le con
cept méditerranéen de Dieu pourrait faire difficulté aujourd'hui. Le
Bouddha, se tait pour sauver Dieu. Il peut y avoir une exq)érience du di
vin q-ui ne conduit pas au dialogue inter-personnel (2),

Dans le prolongement de cette perspective, nous retrouvons l'impor


tance du silence, de l'int'uition, de l'expérience mystique incomm'unicablo.
Hous retrouvons aussi les antithèses hindo^^es où, à de multiples reprises,
il est dit que Dieu, est ^at et asat, être et non—être, immanence et trans
cendance, ni ceci, ni cela,"neti neti". C'est une manière de dire que
Dieu ne peut être dit, de s'en référer à l'indescriptible et de puisera
l'Inépuisable. On éta.blit aisément une relation a.vec la théologie chré
tienne négative et apophatique. Gela ne tue pas la recherche. Certes,
une théologie p-urement négative sera.it une négation de la théologie,
mais il appert que ceux qui parlent de la difficulté de "dire Dieu" sont
des gens qui le recherchent avec intensité. H'est-ce pas un élément com
mun peut-être à tous les mystiques ?

(1) Voir notre chapitre I, article Saison. E.C. ZAEHïïER, dans Inde, Israë],
Islam, p. 123, signale que pour l'.lindou les réalités suprêmes sont
inexprimables par des mots, d'où, notamment, le'ur tolérance et letir
étonnement devant nos querelles dialectiques. L'ultime est toujours
inconnaissable, po'ur les Hindous, et toute religion comporterait un
mélange d'erreur et de vérité, aucune n'aurait le monopole de la vé
rité, comme le dit M, DHAVAI'îOHY, dans l'hindoid-sme moderne, pp. 99 -
100.

(2) R, PAÎIIKKÂE., The Trinity and the Religions Expérience, pp. 28 - 29.
Le Père, dans la Trinité, exprimerait davantage à ses yeux l'aspect
inépuisable et apophatique du divin. Dans Los dioses y el Senor,
pp. 88 - 89, l'Auteur soTfLigne que la transcendance de l'Absolu n'est
pas seulement une preuve de la "débilité de notre connaissance» mais
qu'elle est inhérente à l'Absolu. Dans Himanismo y Crus, il parle
a.ussi, p. 270, de l'iia-affa-bilité divine et de la théologie apophati-
que, p, 271.
85

§ 3 ~ BHAHM/l-JIJMSA OFle DESIR DE COM^AITIiE' DIEU

A. Introduction

Bien que ne voyant pas Dieu et ne pouvant le décrire adéquatement,


nous portons en nous le désir de le connaître. Ce désir est alimenté
par des chemins, pa.r des viae, comme le dit la théologie thomiste. On
distingue différentes raisons qui poussent l'homme à chercher Dieu ;
des raisons sociologiques (soit l'influence du milieu), des raisons
"esthétiques" (soit le désir de trouver une explication au monde), des
raisons éthiques (soit la nécessité de fonder en Dieu le comportement
moral, 1'"impératif catégorique" de Kant) et des raisons psychologiques
(comme le désir de survie, la peur, le besoin d'exaucement, etc,,,).
Ces raisons semblent en crise chez nous en Occident, Les premières
sont contestées par le pluralisme ambiant, les secondes par le natura
lisme scientifique, les troisèmes par ce qu'on a.ppelle la sécularisa-
tion de l'éthique, et S. Ereud s'est autorisé à présenter la foi comme
la résultante de nos frustrations, de nos manques et de nos insatisfac
tions, s'en prenant ainsi aux ra,isons psychologiques.

Cette crise ne semble pa,s invalider les ra.isons précitées. Sans


doute percevons-nous mieux leurs limites, sans doute aussi serons-nous
prudents face à une certaine apologétique plus rassurante pour ceux qui
n'en ont pas besoin que convaincante pour lesautres, sans doute ainsi
serons-nous prudents face à un discours "à usage Interne". Il n'en
reste pas moins que le croyant est aidé par son milieu de foi et qu'il
a besoin du soutien communautaire, il reste aussi que le monde peut être
pour nous le signe d'un au-delà de lui-même, il reste encore que la, re
lation théiste s'oppose au relativisme moral et fonde la poursuite d'une
vie de quaiité, il reste, enfin, que nos besoins peuvent nous ramener
à Dieu, comme l'estoma.c creux de l'enfant prodigue le ramène à la ferme
et à son père (l).
Ces catégories étant entendues, nous savons les résonances bibli
ques qu'elles comportent. Une initiation à la vie des peuples et aux
religions nous induit à y percevoir comme des constantes. Partout,en
effet, nous voyons les religions s'organiser socialement, proposer des
explications du monde, promulguer des codes moraux et annoncer un sa
lut, ce qui correspond à nos quatre raisons,
(1) Luc 15 ;~11 - 32.
66

B. Perspectives de 11, PaniMcar

H, Panikkar a vécu une partie de sa vie en Occident, mais il est mar


qué profondément par le monde hindou qui, étant plus religieux, a moins
besoin de preuves que l'Occident» L'Inde reste attachée au sens du sa«-
cré (l). Il affirme que "l'homme ontologiquement a-religieux n'existe pas,
pas plus que n'existe, en fait, une société purement 'naturelle' " (2),
il croit que l'existence de l'homrae est mutilée si elle est une existence
sans Lieu (5) et que la foi n'est pas un luxe (4). Mais de quelle foi
s'agit-il ? Motis nous pencherons bientôt sur l'approche qu'il en fait.
Pour le moment, voyons de quoi part le désir de connaître Lieu, de l'avis
de notre Auteur.
- — / ^
Il part des Vedanta-Sutra résumant la sruti (5)» Mous citerons avec
l\ii, les trois aphorismes suivants ï

1) désir de connaître Brahmaiif


2) Brahman est ce de quoi procède l'origine et caetera de l'Univers ;
5) Il nous est connu par l'Ecriture.
•n' _ *
Résumons sans commentaire. Le but de ma vie est Brajma-jnasâ,
mais il faut pour cela que Brahiaan me soit connu. Le deuxième aphorisme
dit ce que j'entends par Brahma : "ce de quoi procède l'origine et caetmve,
du monde". Ce que je veux connaître, c'est dpnc "l'origine et ca.etera de
l'univers et ce vers quoi nous tondons". Le but de mon désir est Brahman
bien que je ne connaisse pas encore Brahman, Les Ecritures m'y aideront
comme elles entretiennent Brahma-jijnSsS poxir "Sanlcara (6),

(1) R, PAMIKKtiR, Lettre sur l'Inde, p, 31. Laiis Maya e Apocalisse, l'Auteur
explique que pour l^Inde, la religion ne naît pas d'abord d'une réy
flexion ou d'une décision personnelle ma,is de l'existence vécue, p, 25,'
On n'y distingue pas, par exemple, sacré et profane parce que tout est
sacré, parce qu'il n'y a pas de profane autonome, p, 26, La religion
y est présente partout, p, 27, Et il faut prendre l'appel spirituel au
sérieux, comme il le dit dans The Yodic Esq^erience, p, XXXV",
(2) R, PiJnKEAR, Lettre sur l'Inde, p, 83.
(3) R. PAMIIQCAR, L'homme qui devient Lieu, p, I5,
(4) R» P/iMIKEiLR, L'homme qui devient Lieu, p, 18,
(5) R» P/JîIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 115.
(6) R, PARIKK/iR, Le Christ et l'hindousime, p, 116,
87

Revenons au pourquoi de ce désir. Le monde qui est le nôtre est perçu


comme non absolu. Il appelle me cause. Si je connais le monde comme Bratima^
je ne chercjie plus Brahma, A la source de Brahma-jijanâsâ, il y a donc la
perception de la contingence ou de la "non-absoluité" de ce que je rencontre,
suis et expérimente. C'est à travers la connaissance du monde que je connais
la nécessité de son origine. En écoutant la s'ruti et en connaissant le mon- ;
de tel qu'il m'appa.raît, la contingence est une affirmation raisonnable (l), .
Je rencontre des êtres, non l'Etre, Le désir de connaître Dieu suppose la
perception de la contingence. Il y aurait toujours ainsi deux pôles insépa
rables qui sont le désir de connaître Lieu et la connaissance qui incite au
désir (2),
En résumé, pour les Vedânta-sûtra et pour le professeur Eanilckar qui les
comménte, à la base de Brahma-jijna,sa se trouvent la sruti et la perception
de la contingence de l'être rencontré.

Nouis ne pouvons toutefois nous arrêter ici, car ce serait réduire son
point de vue, nous semble-t-il, à un certain raisonnement métaphysique de
type occidental, La raison peut-elle dépasser les objets des sens ? Larai^
peut-elle parvenir au Bralma-jnâsâ ? Peut-être y aurait-il, en nous, une
autre "connaissance" que celle acquise par les sens (perception et sensation
soit la Buddhi des Upanisad ? A côté de la raison, qui ne peut pénétrer à
l'intérieur du monde pour'voir au-dessus et dans le monde le Principe suprê-'
me (5), il y a, en effet, la foi et l'intuition. D'une part, la foi qui no
tamment accepte l'autorité des sources extérieures à elle-même. D'autre
part, l'expérience supra-sensible qu'on appelle l'intuition, L'Inde ne sépa
re pas foi et raison (4). La "non-absoluité" du monde y serait un présuppo
sé à toute recherche intellectuelle et spirituelle, présupposé qui est la ré
sultante d'une vie religieuse (5),

(1) R, P/il[IKE<AR, Le Christ et l'hindouisme^ p, 120,


(2) R, P/iRIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p* 125, Les penseurs de l'Inde,
dit ZAEHIER, dans Inde, Israël, Islam^ p, 127, ont toujours jiigé que le ;
phénoménal multiple ne peut être ce qui est fondamental. Ils cherchent
donc quelque chose qui transcende l'individualité et qui soit étemel,
(3) R, PAHIiaCAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 127,-
(4) R. PARIKIvAR, Le Christ et l'hindooiisme, p. 128, pas plus que science
et foi ! voit Ifeya e Apocalisse, p. 18,
(5) R. PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 129,
88

Ce fi^e'st ac5nc pâs xxne raison iâiSsée à'elle-.mênie telle q.u»on petit la trotwer
dans tme certaine philosophie autonome de l'Occident, mais la raison d'tin ho-
mo religiosus pour lequel l'inadéqtiation ou la'hon-absoluité" du réel rencon
tré engendre le désir de connaître l'Inconnaissable (l).
(l) Peut-être po-urrait-on suggérer ici que la recherche philosophique occi
dentale sur Dieu, avec notamment l'argument de la contingence, part, en
fin de compte, du désir de Dieu et d'une recherche du transcendant ?
Même si la chose n'est pas toujours explicitée, , le"jeu dialectique"
n'est-il pas la résultante d'une certaine expérience religieuse ? Notre
philosophie serait-elle totalement coupée de la mystique, de la vie inté
rieure, d'un certain type d'existence ? Dans la foi, ne pouvons—nous
dire a.ussi que Dieu est au début de notre recherche métaphysiqvie même si
ce n'est pas évident tout de go pour tous ? Dn, philosophe occidental
par]a-t-il do Dieu indépendamment d'une certaine ouverture au mystère de
l'existence ? Celui qui veut "prouver" Dieu ne l'a-t-il pas pressenti ?
Ne veut-il pas exprimer avec sa raison un éveil déjà réalisé dans son
existence ? Ne serait-il pas simpliste de dire j "l'Ouest pense et l'Est
expérimente" ? Platon fait—il de la, philosophie sans ngrstique ? Que
dire de Plotin ? La pensée philosophique thomiste n'est-elle pas dans
la. Somme théologique ? Thomas et Bonaventure ne sont-ils pa.s des saints ?
La pensée philosophique de E.Eicoour est-elle totalement indépendante de
son protesta,ntisme ?
Que l'Inde dise plus explicitement le lien entre la philosophie et
la mystique semble assez évident. Que l'Occident l'ignore para,ît inévi
dent, même s'il ne le dit pas toujours explicitement. De même, il sem
ble plus fréquent, qua,nt auxpihilosophesparlant de Dieu, que les chercheurs
occidento,ux ne rêvent pas d'expérience mystiqtie autant qu'en Asie et que
des mystiques de chez nous ne sont pas obsédés de philosophie, comme si
le rapport philosophie-théologie-religion—mystique n'était pa,s encore
totalement résolu.

dia,sta3eis et nos cloisonnements ne sont-ils pas parfois plus


dictés a.ussi par le désir d'éviter de sortir des compétences de chacun,
de méthodologies propres et efficaces et par le souci de ne pas commettre
des erreurs de jugement qui nous ont la,isBé quelques mauvais souvenirs
—le fantôme de Galilée —que par le refus de convenir que ces recher
ches ont une source commune ? Beaucoup de nos recherches ne font-elles
pas des ascensions différentes d'une montagne identique î En fin de
compte et d'a.nalyse, ne restera,it—il pas que la quête métaphysique est
aussi une question religieuse qui rassemble prêtres, poètes, philosophes
et théologiens sinon aussi des scientifiques ?
89

Nous dirons^ o,u terne de ce paro.graphe, que le désir naturel de voir


Dieu, nous paraît être, pour le moins, un problème redoutable. Quelles
sont, par exemple, sa source profonde et ses causes ou motivations ?
Quelles sont aussi les capacités de ce Êsir ? Mon désir est-il, capacité
de connaître son objet ? Mon désir ne serait-il pas plutôt comme une
prédisposition, tine attitude d'ouverture et de réceptivité ? Mon désir
ne serait-il pas comme un préalable positif qui me ferait dire "Me voici"
- expression fréqviente dans l'Ancien Testament -, dès que Dieu aurait
l'initiative de"descendre", de "parler", de "venir vers moi" ? La Bible
ne nous ha.bitue-t-elle pas plus fréquemment à cette façon de voir les
choses ? Avec un esprit indien, Eaymundo Panikkar répond s "Dieu est la
cause même de notre désir quand nous tentons de prouver son existen
ce, nous la présupposons ontologiquement, car s'il n'existait pas nous
n'éprouverions même pas le désir d'aller à lui" (l).

(l) R, PAJniQiAil, Le Christ et l'hindouisme, p, 136.


90

§ 4 - la. CCIWINGEICE et le, "DIEU DES PHILOSOPHES ET DES SATAHTS"

A, Introdiiction

Nous avons successivement souligné le point de départ de la pensée


de H. Panikkar, son "fait primitif", soit la foi monothéiste en nn Dieu
qui se manifeste universellement et non seulement à une minorité de pri
vilégiés, En deincième lieu, nous avons soifLigné que, si toute question
humaine sur la réalité ultime est un projet de réponse, il faut compren
dre qu'au-delà des Içgiques investigations humaines. Dieu reste, pour
tous, l'Inépuisable, celui que le langage ne peut dire adéquatement.
En troisième lieu, nous venons de parler du puissant et mystérieux dé
sir de connaître l'Absolu, lequel désir repose sur la perception de la
fion—absolu!te"du monde rencontré, mais aussi sur l'intuition, sur le mesr
sage des Ecritures et sur la foi, sans oublier que l'Inde voit l'action
de Dieu, sa présence, à l'origine même du désir.

Depuis longtemps jusqu'atijourd'hui, l'Inde s'interroge sur l'Un et


le multiple et court le risque d'un certain monisme.. Il paraît impossi
ble d'éluder la question. Notre Auteur se trouve porté à souligner plus
la proximité de l'Absolu que son éloignement et la relation entre les
pèles du réel,plus que la distance qui les pourrait séparer ainsi qun la
dichotomie à la,quelle une pensée d'origine sémite et grecque a pu nous
habituer.

On poiirrait rappeler l'argument laéta-physique de la contingence pour


souligner ce qu'il a, à nos yeux, d'incomplet et pour ce qu'il présente,
croyons-nous, de positif.

Nous regrettons que l'argument métaphysique soit abstrait, qu'il .


conduise à un "Premier Moteur" ou à une "Cause première non causée" qui
peut se perdre dans de lointains nuages, qu'il ne nous dise ni le nom de
cette Cause, ni son projet s-ur nous. Surtout, no^is croyons déceler en
lui un vice fondamental. Nous constatons qu'on applique à l'ensemble de
l'être la catégorie de causalité appliquée de façon légitime seulement
à l'expérience réelle et quotidienne. Nous admettons donc difficilement
qu'on applique cette relation de causalité à l'ensemble des êtres dont
nous n'avons pas actuellemnnt l'expérience.

(l) B. PASCAL, Oeuvres complètes, pp. 553 - 554.


91

Allis verbis, la contingence de l'"ensemble" n'est-elle pas un présupposé


aussi longtemps qu'on n'a observé que la"contingence du détail" (l) ?
L'apport positif, par contre, de l'argumentation en cause pourrait
être que la sensation de notre contingence nous peut ouvrir à la recher
che de l'Absolu. Saint Thomas ne parle-t-il pas de "viae" ? Le cosmos
pourrait eAnsi conduire à une certaine théologie naturelle. Il pourrait
être une via, vin chemin, un signe, une piste, mais cela ne signifie pas en
core qu'on possède la foi (2).
B, Pascal distingue aussi, d'une part, le Dieu des philosophes et des
savants (occidentaux) qu'il ne rejoint pas, probablement en raison de la
critique de l'argument de la contingence et, d'autre part, le Lieu d'Abraham-
Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob qui est davantage un Dieu vivant, un Dieu d'al
liance, un Dieu qui est un "Je" qui nous dit : "Tu", un Dieu avoc lequel
une relation peut s'établir bien autrement qu'avec le Premier Moteur
d'Aristote, "On ne cause pas avec la Cause Première" ...

B. Perspectives de R. Panikkar

E.Panikkar montre que l'hindoviisme préfère voir Dieu au départ de sa re


cherche plus qu'à son aboutissement. Il y a une présence divine en nous
et l'hindouisme préfère les voies de 1 'immamence à celle de la tro,nscendance

(l) A.D. SMPlTILL/lWGES, La Création, dans Initiation théologique, t. 2,


p. 209 écrit ; "toutes les causalités que nous connaissons ne sont que
des relations intra-cosmiques, et prétendre les dépasser pour attein
dre à une causalité relative au Tout, c'est précisépent sortir des re
lations, sortir de 1 conséqvient, sortir même des catégo
ries de la pensée et faire ce qu'on appelle aujourd'hui une extrapola
tion" .
(2) Voir Vatican I : "Si quelqu'un dit que le Dieu uMque et véritable,
notre Créateur et Seigneur, ne peut être connu avec certitude par ses
oeuvres grâce à la lumière natvirelle de la raison humaine, qu'il soit
anathème" et "Si quelqu'un dit que l'assentiment de la foi chrétienne
n'est pas libre, riiais qu'il est produit nécessairement par les argu
ments de la raison humaine, ou que la grâce de Dieu est seulement néces
saire povir 'la foi qui opère par la charité', qu'il soit anathème".
Voir G. DTJMEIGE, La foi catholique, p. 75, n" 1 et pp. 7ô - 77, n° 5.
92

Peut-on chercher Dieu en dehors sans trahir le Dieu intérieur î Ce no


serait donc pas tellement le monde qui nous oonduitait vers Dieu, comme
dans la pensée rousseauiste, "Admire et crois", mais c'est le désir de
connaître Dieu qui nous fait voir le monde dans sa Juste perspective.
Au lieu de dire; "le monde est contingent, donc il a une cause", on di
rait pe^it-être ; "Dieu existe, donc le monde est en lui et de liai" (l).
L'Occident, étant en période d'autonomie, a "besoin de preuves. Il
court le risque d'a-hstraotion de sa méi/aphysique, L'Inde, elle, s'épa
nouit dans une autre culture et elle coimaît une philosophie de type hé-
téronomo (2), iElle tente ainsi de réconcilier les perspectives afin que
le môme Etre soit cel-ui des "philosophes" et des "pieux". L'hindouisme
tient à un Erahma qui soit vivant, conscience pure, Joie et Etre suprême.
Etre total, celui qui est en tous les êtres sans pouorfcant d.emouror en
eux (3)» il veut me Cause première qui ne soit pas seulement cause pre
miers, qui a "une nature plus riche qui transcende sa fonction de causa
lité" (4), La Cause première et Brahma. sont, par conséquent, différents,
tout en concernant la même réalité (5),

La discussion pourrait se résumer en quelques propositions :


1) ce monde a "besoin d'un fondement;
2) ce fondement doit être ultime et distinct de ce monde;

(1) R, PiiHIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp. 131 - 132. Dans Inde,


Israël, Islam, R,C. ZAEÎIHER dit que l'Inde n'arrive pan à la notion
occidentale de l'être contingent, p. 137. Si Dieu transcende le mon
de, il habite aussi au coeur de l'homme, aJou±e-t-il p. I54. Il dis
tingue, p, 159, l'essai pratique des Yogis pour trouver l'âme indivi
duelle immortelle (SamMaya - Yoga,' Jalnisme), 1'eîîpérionce d'un mys
ticisme de la nature et d'une fusion de l'âme individuelle (dans les
"dpanigad), ainsi que la spéculation théorique sur BraJaman.
(2) E, PAMIKKAE, Le Christ et l'hindouisme, p, I32,
(3) R. P/ilTIKKAE, Le Christ et l'hindouisme, pp. 146 - 147,
(4) R. PAHXKEAR, Le Christ et l'hindouisme, p. I50»
(5) R. PAîîIinCAR, Le Clarist et l'hindouisme, p, I5I. Sur la complexité
du terme Brahman, voir aussi B.C. ZiiEUHER, Inde, Israël, Islam,
pp. 125 - 127, 131 - 136.
93

3) ce fondement existe au moins dans la mesure où ce monde exista,


et la raison l'exige;
4) sa nature dépasse les possibilités de notre connaissance bien
que nous puissions dire qu'il existe et qu'il est distinct.

Quelques questions peuvent venir à l'esprit. L'Occidental, habitué


a une certaine apologétique ou installé dans un topos autonome, n'est—il
pas tenté aujourd'hui,, si Lieu est admis totit de go au début de la recher
che ultime, de soupçonner vin relent de fidéisme ? Fe va-t-il pas, en
reaction, souligner l'importance de son apologétique tout en étant cons
cient des limites de celle-ci ? Paut-il pratiquer ou récuser, se demandera-
t-il, l'argumentation des "preuve^'de Lieu ? Ou bien encore ; si cette ar
gumentation est eherchée par des Occidentaux: qui ne "croient plus" et si
elle n'est a.dmise que par ceux qui "croient déjà", comme un discours à
usage interne, le désir de Lieu serait-il plus que la perception de notre
incomplétude ou que la projection d'un manque ? Ou encore, si la raison
peut être enrichie par l'intuition et la foi ou I'e3q)éri8nce mystique,
l'Occidental ne va—t—il pa.s dire non seulement : "le coeur a des raisons
que la raison ne connaît pas" mais surtout s "la raison a des raisons que
le coeur ga;gnerait à connaître" ?

Nous sommes à la rencontre de deux univers différents ; l'univers


occidental et l'univers de l'Inde. C'est la rencontre entre un monde qui,
depuis des siècles, est marqué par la raison, par la logique, par la science
par la technique, par une réaction d'autonomie "X*
au sens panilckarien et,
d'autre part, un monde ^ui, pour plus d'un point, est resté en régime d'hé-
téronomie et se trouve être profondément religieux.
94

§ 5 - M ESTi/ITION EOTEE LE MONDE ET SA GA.USE

A, Introdxiction

Ayant pris ses distances à 1'égardd?-un Occident qu'il perçoit en


reaction d'autonomie , H, Panikkar se laisse imprégner par ses racines
hindoues. On le perçoit marqué par le Vedânta, un courant philosophi
que et religieux des plus importa.nts en Inde et par la théorie de
1' advaita aude la non—dualité. Il semble utile d'en ra,ppeler les gran
des lignes (1).
Le courant philosophique du Vedànta est sans dovite le plus influeùt
en Inde jusqu'aujourd'hui. Il est représenté par quelques grands pen
seurs que les indianistes connaissent bien. Il ne peut être question de
résunrar ici ce qu'ont élaboré tous les maîtres de la pensée philosophi
que indienne mais nous proposerons une initiation limitée à la méta
physique de deux d'entre eux : Sankara et Eamanuja,, avant de revenir à
la pensée propre de notre A.uteur,

Au huitième siècle de notre ère, Sankara parle de l'indépendance


absolue de Dieu "existant par Soi, sans relation au monde" (2). Le
penseur védantin est comme affronté à un dilemme, Dieu étant à la fois
indépendant e^^ cause efficiente autant que matérielle du monde. Pour
sauver 1'indépendance de la cause, il déduit l'inexistence propre du mon
de qui, comme tel, aache et déforme l'Etre suprême (3). Animé du dedans,
l'univers est conscience, dirigé par des âmes, étant entendu qu'il y a
unité entre l'âme cosmique et les âmes individuelles. Toute vérité se
rait comprise dans le Tat tvam asi (Tu es cela) (4),

(-i) Pour cette ouverture aux systèmes védantins de Sankara et de


Eamanuja, nous nous fions à la compétence de plusieurs analystes
qui nous semblent dignes de confiance,
(2) P, JOHAKNS, Vers le Christ par le Yedanta. I, p, 3. Voir aussi
E. GATIHEE, La pensée hindoue, pp. 51 - 59j E, DESMET, Le non-dualis
me de Sankara, dans La quête de l'Etemel, pp. 6l - 755 J.A. GUTTAT,
La rencontre des religions,pp. 49 s.
(3) P. JOHAÎETs, Vers le Christ par le Vedanta, I, pp. 5 - 8,
(4) Phrase de la Ghandogya ïïpani^ad, VI, 8, I6 selon laquelle "Tu",
(sujet individuel) es "Gela" (l'Absolu). Tu es Dieu,
95

Je suis Dieu, non en tant que sujet individuel, car l'individualité de


l'âme est pure illusion (l), mais en tant que ptu? sujet qxii n'est pas une
évolution de l'Absolu, Celtd-oi est sa,o (sat), soit être absolument pur,
- std (oit) soit intelligence sans mélange, et anânda, soit satisfaction
absolument complète en soi-même (2), "identité de l'absolue réalité ou
objectivité et de l'absolue idéalité ou subjectivité" (5)» absolue bonté,
absolue vérité, et donc m5'"stère indivisible pour notre connaissance distin-?
guant épistémologiquement objet connu et sujet connaissant.

Le monde est, dans cette optique, perçu comme un mirage, comme une
illusion. Il ne peut nous donner une connaissance pure de Dieu, pas même
une connaissance analogique (4)» Sankara, si nous comprenons bien, esqui-
ve donc et le monde et sa relation à Dieu, N'utilisant pas l'analogie,
il considère que Dieu est sans attributs (5)» qu'il apparaît "comme une
personnalité théorique, comme un voyant absolu fixé dans sa propre lumino
sité passive" (6), S'il aime l'homme, ce ne serait pas d'un amotir d'un
"Je" pour un "Tu", il nous aimerait en lui. Il s'aime'lui-même en noud'(7),
La certitude sankarieme que Dieu est amour ne peut aller jusqu'à envisa
ger, semble-t-il, un amour porté à un objet extrinsèque à l'Un sans seconrh;

Dans cette perspective moniste, l'homme est appelé à discerner


l'étemel—réel du transitoire—irréel, à devenir indifférent aux "valeurs
provisoires" du mende, à coordonner ses désirs vers la bonté et vers le
bonheur en soi, afin d'aller progressivement de son extériorité vers son
intériorité en Lieu (s), Sankara. aurait ainsi, peut-être, le mérite d'ap
prendre aux hommes "l'humilité du monde" et de souligner "l'absoluité de
Dieu".
r »

En bref, on voit chez Sankara,, le tattvana,si souligner l'aspect subjec


tif de Dieu et le sac-cid-anânda son a,spect objectif.

(1) P, JOHAM'TS, Vers le Christ par le Yédanta, I, p. I5.


(2) P, JOHAMS, Vers le Christ par le Védanta, I, p, 19.
(3) P. JOHMÏI^S, Vers le Christ par le Védanta, I, p, I9,
(4) P. JOHAIUTS, Vers le Christ pa,r le Védanta, I, pp, 32 - 33,
(5) P. JOHAMS, Vers le Christ par le Védanta, I, p. 103^
(6) P, JOHAMS, Vers le Christ par le Védanta, I, p. 135,
(7) P, JOIiAMS, Vers le Christ pa.r le Védanta, I, p, 143,
(s) P, JOHAMS, Vers le Christ par le Védanta, I, pp. 174 - 176,
96

D'-une part, Dieu, semit indépendant et irréféré et,d'autre part, le inonde


dépendrait de Dieu, mais sans avoir pour autant une existence distincte,
sans quoi il serait, à ses yeux, un absolu (l).
Le prince des vedantins,comme on l'appelle volontiers, arrive ainsi
à un monisme radical car, comme dit H. LE SAUX : "au plan du réel, le moi,
le monde et Dieu ne sont pas davantage trois sphères de réalité autres en
tre elles, car rien de ce qui ne peut échapper à la non-dualité de
l'être" (2). L'expérience advaîtine est un témoignage inégalé l'his
toire humaine sur l'absolu de l'Etre, sur le mystère de Dieu " (3),
L'Inde nous appellerait à un haut niveau de la conscience de soi, à nous
laisser saisir par la"Présence dévorante" (4), dans la contemplation, par
le "chemin du dedans"(5),

(1) P. JOHAIWS, Vers le Christ par le yédanta. I, pp, 224 ~223. Sur tout
ceci, voir aussi 0. UGOms, L'Absolu selon le Vldanta. pp. 53 - 86,
117 - 174, 213 - 276, Résumant "èankara, Raymundo PaniJdcar, dans Le
pp, 111 - 114,dit que, pour le prince des"-^'-
dantins, le monde a une origine et procède de Brahman. Le monde prend
àa source dans le Seigneur (l^ra) mais Brahman reste transcendant.
A-t-n une relation avec le monde ? La question resterait ouverte de
savoir si Isv^a^est cause. Le monde ne suffit pas pour faire connaî
tre Brahman, la sruti reste nécessaire à cette fin, une certaine expé
rience de l'Absolu serait possible comme "intuition de Brahman" grâce
a 1'^Ecriture et à l'intuition ou expérience advaitine de non-dualité.
Dlterieureiient, notre Auteur reconnaîtra qu'il interprète S^aj^ra et,
notamment, qu'il tire davantage l'Isvara 'sarikarion du c6té du Christ,
n^en faisani. •pas un simple avatSra, p. 157 et allant plus loin que
Sanlcara dont l^IsA^a est plus du- côté de Brahman. Dans Der Ishvara
dyjedajita, il stipule que illsva^. saàcarien n'atteint pas la média--
tion et que celui de RSmMiuja est aussi plus tourné vers le Brahma.n.
Il chercherait un mojren terme entre les deux penseurs védantins, voir
pp. 452 - 453.
(2) H, LPj S/iïïX, Sagesse hindoue, mystique chrétienne, p. 29.
(3) H. LE SAIJX, Sagesse hindoue, m^rstique de l'Inde, p. 111.
(4) H, LE SATJX, Sagesse hindoue, mystique de l'Inde, p. II7,
(5) H. LE SAÏÏX, Sagesse hindoue, nystique de l'Inde, p. 143.
97

où se trouve le Saooldânanda; "cette image de Dieu au plus intime du coeur


de l'homme" (l) dont l'expérience aboutit au silence, même s'il ne conduit,
à la limite, qu'à "l'évidence d'être", inférieure à l'expérience mystique
chrétienne du Saooidânanda, comme le soutientle même autein? (2),
y .

Sahkara accorderait Ja primauté à la connaissance qui, à l'écoute de


la sruti, procédera en trois étapes :
1) s'ravana, soit l'audition de la sruti;
2) manana, soit le raisonnement sur ce qui a été entendu;
5) nididhyâsana, soit l'étape de la réalisation»
Cette dernière- étape, dépaâae la seconde qui est rationnelle. Elle est
faite d'assimilation personnelle, elle est indemne du moindre doute, elle
est enrichie d'intuition divine, dans une exqjérience transcendante (3).
Nous aurions donc en Sahkara un penseur moniste qui, marqué par l'in
tuition de l^'absoluité"de Dieu, néglige la réalité ou la densité du monde.
Il semble que cette pensée ait amené son auteur à une vie exemplaire et à
des expériences mystiques, qu'elle ait marqué son être, sans diastasis
entre le "penser" et le"vi-vre", sans distancement entre philosophie, théo
logie et mystique.

Au douzième siècle, le courant védantin connaît un autre maître s


Ramanuja, A l'inverse du précédent, il veut se centrer stir la relation
entre le monde et Dieu, esqtiivée par son prédéessseTU?, D'une part, Dieu
reste réel et indépendant, d'autre part, le monde et les âmes sont réels
également.

Soucieux de garder l'unité du réel maintenue avec acharnement par


✓ • ^
Sahkara, Eâmânuja veut sauvegarder l'apparente multiplicité de l'être et
sa densité.

(1) H, LE SAIIX, Sagesse hindoue, mystique de l'Inde, p, 228, Le saccid'*


anandà est issu de la liaison du Sat - - Ahanda, Signalons aussi
l'exégèse intéressante du "Om" dans la note 1, pp, 236 - 257.
(2) H, LE SANK, Sagesse hindoue, mystique de l'Inde, p, 262,
(3) N. DE SI'ET, Le non-dualisme de "Sanlcara (Advaita-vâda), dans La quête de
•l'Etemel, p, 67, Résumé du système sankarien pp, 61 - 75, Voir aussi
y
0. luiGOMBE, L'Absolu selon le Vedsaata p.349» Ne pourrait-on imagineh
ion nouveau dynamisme pour la dogmatique chrétienne si l'on pouvait la
"redire" so"us l'éclairage des trois démarches proposées ? Voir encore
M, DBAVMONY, La recherche du salut dans l'hindouisme, p, 195*
96

D*1:018 part, Brahma est toujoxirs l'unique et l'ultime sujet, d'autre part,
tout le reste est un prédicat en ce sens que la matière et les âmes sont les
qualités de Dieu, Les étants sont produits de leur Cause mais celle-ci
subsiste dans son effet sans cesser d'être elle-même (l). Les êtres se
raient ainsi des transfoimations de l'Etre Cause première et non séparés
d'elle, celle—ci ayant une essence immuable et un revêtement accidentel.
Le Eéel serait une substance unique mais qualifiée (Lieu, l'âme, la nature
inconsciente). Dieu aurait ainsi un nombre infini d'attributs, tout en
restant sujet connaissant (2), La seule réalité serait Braim^ mais cette
réalité serait intérieurement complexe, comportant :
1) l'univers changeant et inconscient de la matière (Prakrti)j
2) la communauté- des atman finis ou limités ;
3) leur Cause ou le Seigneur (isvara), le Brahman et sa transcen
dance ,

J,B, Carman propose de très bea,ux textes où Dieu dit ce qu'il est (3)
et d'a,utres où l'on parle à Dieu, Dans les textes râmânujiens où Dieu
parle de lui-même, Brahman apparaît comme l'Etre suprême, celui qui est
au-delà de l'esprit tout en restant à la portée des dévots, celui qui est
le Soi de tout. Dote de toutes les qualités (4), 1© Brahman n'est en rien
souillé par la nature matérielle. Il est'le Soi de tout, aisions—nous,
toutes les entités sont ses modes, elles sont son corps (5), au point
qu'il est la cause de la moindre chose (6),

(1) P, JOIL'iMS, Vers le Christ par le Yédanta. I, pp. 36 - 43, Sur


Eâmânuja, voir R, DE SMEB, Hâminuja et Madhva, dans La quête de
l'Etemel, pp, 76 —83, 0. LACOMBE, L'Absolu selon le Védanta, pp, 87-^
115, 175-211, 277 - 328, pour ne citer que quelques documents de
base, Nous nous référerons surtout à J,B, Ci\Eî-1AlT, The Œheology of
I&mânuja, plus récent et recommandé par les indianistes. Voir aussi
E, GATHII®, La pensée hindoue, pp, 6l - 68; J,A, CDTTAB, La rencontre
des religions, pp, 50 - 53; 0, LACOiïHE, L'Absolu dans l'hindouisme,
p. 305 - 319.
(2) P, JOHAMS, Vers le Christ par le Vedanta, I, pp, 44-48.
(3) J,B, GUS-ViEf The Theology of Ramanuja, pp, 65 - 75.
(4) J,B, CAEÎ'lAlir, The Theology of Râmâniija, pp, 66 - 67,
(5) J»B, C/jRilAR', The Theology of Ramanuja, p, 72,
(6) J,B, CAEMAiI, The Theology of Ramanuja, p, 75.
99

Le Soi fini anrait donc la même nattire essentielle que le Soi Suprême
(BraLman?) mais, à son niveau, tout peut être obscurci par la Karma etj de
plus, le Soi fini ne peut qu'avoir une connaissance intuitive du Soi su
prême par la méditation et par le yoga (l).
Il faudrait donc à ce Soi fini plus qu'une relation avec les choses.
Il a besoin de la conscience de son être en relation avec Dieu car une âme
sans Dieu serait inexistante comme la lumière sans le/Soleil, Oublier
l'appartenance à Dieu serait négliger l'essence de l'âme. Si donc le Soi
fini et le Soi suprême ont ensemble la conscience, la connaissance de soi,
la joie pure, le Soi fini se distingue du Soi suprême en ceci qu'il faut
au Soi fini le supplément de la connaissance du fait qu'il doit son exis
tence au Soi suprême, par lequel et pour lequel il existe, tandis que le
Soi suprême est autosubsistant et que sa nature essentielle peut être défi
nie sans référence à toute autre entité (2).
H semble donc que les êtres finis prennent plus de densité chez
Ramanuja que chez Sankara, Le Réel, en effet, ce n'est pas seulement un
Etre infini, sans plus, mais un Etre infini en relation avec des êtres fi
nis qui sont parties de la propre réalité de Dieu, La substance causale se
transforme en une autre substance qiii serait nouvelle et différente (5),
en sorte que la relation causale ne serait po.s entre Dieu comme cause et
le monde comme effet mais entre Brahman comme cause et Brahmn.n comme effet,
non sans risque de panthéisme.

Les âmes et la matière feraient donc partie do Brahman. Elles se


raient son corps et ses modes. Il y aurait ce qu'on pourra^it a,ppeler une
incarnation cosmique de Brahman, "Que je sois nombreux" ! - "May I be
nany" !

Ici doit intervenir la notion de lîlâ (4),

(1) J,B, GARIîAK, Ihe Theology of Ramanuja, p, 94*


(2) J,B, C/JîI'î/'iN, The Theolog;'- of Ramanuja, pp. 95 - 97«
(5) J,B, C/JRI^îAlT, The Theology of RSmânuja, p, 115, J.A, GUTTAT, dans
La rencontre des religions, reconnaît que Ramanuja "exalte l'absolue
transcendance du Seigneur divin (ishvara) comme Personne", On devine
donc les facettes multiples que l'Absolu peut prendre dans la recher
che hindoue,

(4) R. PAÎÎIKKAR, SpiritxTalita indu, p, 158,


10G

Pourquoi Bràhman "crée-t-il" ? JoB, Carman observe que devDc sortes de


buts peuvent expliquer une action en général : soit notre propre intérêt,
soit l'intérêt des autres, Brahman ayant réalisé toun ses désirs, il ne
peut opérer une "création" pour atteindre un but non encore obtenu. Il
ne"créerait" pas davantage pour l'intérêt des autres. De plus, il est
clair que Brahman ne peut être, comme tel, le créateur de notre monde de
misères. S'il le créait, il le créerait tout heueeux. Il n'aurait donc
pas de but possible et, par voie de conséquence, il ne peut être la cause
de l'univers. C'est ici qu'intervient la notion de lllâ c'est-à-dire de
jeu. Le but de Celui dont tous les désirs sont comblés serait le jeu,com
me il en serait d'un roi régnant sur toute la terre et se livrant au diver-:-
tissement. Le Soi fini et la matière sont dans le jeu divin. Si Brahman
créait, pourrait-on ajouter, ne serait-il pas partial ? Les êtres ont, en
effet, un statut différent, parfois cruel, Brahman serait-il la cause de
la souffrance des êtres ? Dieu agit donc par plaisir, par jeu et le jeu
n'a pas de but. Il s'agirait d'une action qui n'a aucune finalité en elle-
même, Le jeu est le but et les substances du monde sont les instoruments
et les matériaux de ce jeu. L'univers n'aurait pas été créé pour le bien
ou pour l'intérêt d'autrui. Il serait 1'auto-expression de Dieu (l),
"Créer des êtres" devrait se comprendre comme "provoquer leur émanation" (2)
Brahman inclut tous les êtres finis avec leur "variété dans son être infini
parce qu'il est le Soi interne de l'univers collectivement et le Soi interr
ne de chaque être individuel (5), Chaque être est le corps de Brahman (4)
et tout enseignement sur Brahman comme cause et effet implique que Brahman
est substance et que le monde est son mode. "This substance is a mode" (5),
Par son corps, on pourrait entendre toute substaaice qu'un être intel
ligent contrôle et supporte pour ses propres fins et dont la nature est
subordonnée au Soi intelligent. Comme telle, la terre est le corps du
Seigneur (6), Tous les êtres sont en Dieu, Dieu ne dépend pas d'eux, mais
il les contrôle, il supporte le Soi fini, il en est le contrôleur interne '
(antaryamin).

(1) J,B, CiiBMM, The Iheology of Eâmânuja, pp, 117 - 120.


(2) J,B, C/iEMM, The Theology of Ramânuja, p. 121.
(3) J,B. CAEMAIT, The Theology of ilâmânuja, p, 123,
(4) J,B, C/iBMAU, The Theology of Eâmânuja, p. 124.
(5) J,B, C/iEIlM, The Theology of Eâmânuja, p. 125,
(6) J,B, CAEMM, The Theology of Eâmânuja, p. 127.
101

Tout en voyant Dieu comme base ontique de tout, Ramanuja insiste sun le
fait que l'Absolu n'est pas a,ffeoté par les imperfections de son corps cos
mique, échappant par exemple au Karma, aux mutations et aux imperfections
cosmiques (l)» L'insistance sur le lien ontique ferait aussi que Dieu
serait à la fois accessible sans cesser d'être inaccessible (2),
A la place de la priorité que Saïikara accorde à la connaissance,
Eâmânuja mettrait la bhakti, l'amour de Dieu étant "à la fois la fin et le
moyen de notre réalisation personnelle" (3), Admirons Dieu, dirait-il, vi
vant et proche, en nous-mêmes, "notre moi-même contemplé sur un fond d'abso
lu et de plénitude" (4)» Insérés da.ns la transmigration (samsara) par le
kama, cherchons à retrouver l'harmonie universelle. Purifions notre corps
détachons-nous de 1^^ et du monde en tant que coupé de sa source, pDce+i
nons l'habitude de nous tourner vers Dieu, accomplissons nos devoirs sa,cri—
ficiels, pratiquons les vertus, installons-nous dans la sérénité, la, médita-?-
tien et l'amour (5).
Au terme de cette introduction, longue peut—être> incomplète certaine
ment, mais, croyons-nous, litile, nous voyons l'Inde marquée par le système
védantin, par la thèse centrale de la non-dualité ou de l'advaita. Les
éankariens et les Eamànujiens s'y retrouvent mais toutefois avec des diver
gences profondes face au problème de l'Un et du multiple, les uns tentés
de considérer le monde comme une illusion, à la limite comme a—sat ou non-
être, les autres plus portes a scficonnaître aux êtres finis une réelle
densité, mais se retrouvant tous dans la recherche de la fusion, de la com
munion avec le Brahman,

Sachant que l'Inde est imprégnée (bien que pas totalement semble-t-
il) par l'advaita du Vedanta, sachant que lîaymundo Panikkar est lui-même
pénétra par l'Inde, il nous semble intéressant maintenant de nous remettre
à son écoute afin de voir où il se situe sur cette toile de fond védantine.
Un seul paragraphe ne suffira du reste pas pour nous éclairer sur sa pers
pective de façon satisfaisante.

(1) J.B, C/ilîI'î/ilT, The Theology of Samanuja, pp. 128 —I30, L'Ecriture se
lon Eâmânuja affirmerait la forme divine mais nierait toute relation
avec l'impureté cosmique et le karma (voir p. 172).
(2) J.B, CAHîïAR', The Theology of lùunanuja, p, 174.
(5) P. JOHAJMS, Yers le Christ par le Yédanta, I, p, 208,
(4) P. JOH/AINS, Yers le Christ par le Yédanta, I, pp, 120 - 122,
(5) P. JOÎIAMMS, Yers le Christ par le Yédanta. I, p. 210,
102

B, PerBpectives de ïi. Panikkar

R, Panildcar relève line différence entre Brahman et Dieu, l'un se si


tuant au terne plutôt d'une spéotilation philosophique et théologique et
l'autre au sommet de l'adoration dont il est le but (l). Le Dieu de l'a
doration ne peut être une base abstraite et commune de l'être mais un
Absolu concret et vivant. L'idée de Brahman serait donc différente de la
conception théiste de Dieu (2), Les deux désignant, toutefois, l'Stre,
l'Ultime, la Vérité et l'Absolu, Utilisant une terminologie védantine,
il se centre sur le rapport entre Brahman - inconnu et I^ara, le Seigneur,
le Créateur, le Dieu, Soulignant l'évolution de la pensée sur Isvara
dans l'hindouisme (3), il choisit la conception du Vedânta où Isvara est,
la révéla,tion de Brahman, son aspect personnel, tout en étant Braliman et
se sachant Brahman, fondant et sa, transcendance et son immanence (4)»
Lorsqu'il se livre à une interprétation personnelle du Bralim^. Sûtra,
1» 2 (5) ; trois propositions lui semblent indiscutables j
1) "Brahma ou Dieu ou la divinité existe, il est l'absolu, et il est
par conséquent sans lien, immuable, unique, simple, vraiment
nirguna"
2) "Le monde, ou cet univers, existe avec to^^s ses êtres divers qui
vont des dieux à la matière, et il possède tous les attributs
que Brahma n'a pas et no peut pas avoir; il est susceptible de
changement, multiple composite, vra,iment saguna " (7),
3) S'il n'y a aucun Ixen entre le monde et Dieu, on est donc dans
le dualisme mais un dualisme qui détruit et Brahma et le monde,
en ce sens qu'il y aurait un second —le monde - aussi ultime
que Bralima et celui-ci ne serait plus ce qu'il est, le relatif
devenant un absolu. Ce dualisme amènerait à un monisme radical.

(1) R, PAIŒKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, I39,


(2) R, P/ilimE, Le Christ et l'hindouisme, p, I44; Etatattva p, 45,
(5) R. -PiWIKKIŒLf Le Christ et l'hindouisme, p, 154« Ignoré dans le
RgJTefe et le Ya^ Yeda, quelques allusions dans l'Atharva Veda,
cité souvent dans les Brahmana,
(4) R, PMTHŒAR, Le Christ et l'hindouisme, pp. 154 - 157,
(5) R, PAÏÏIKEAR, lySyâ e Apocalisse, pp, 291 - 350,
(6) R, PANIKEÛ'iR, Le Christ et l'hindouisme, p, I57,
(7) Rt PAITIKEAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 157,
105

paradoxalement, en ce sens que seul le monde existerait si nous par


tons de lui ou que Seul Bralima existerait si nous ne laissons auciaie
place au monde (l)» Il faut donc nn lien qui relie le monde à Dieu
sans l'enchaîner et xin lien qui relie, en même ten^s, Dieu au monde,

sans élever oelui-Cfi, Isvaxa serait ce lien, ce que de quoi tout pro-
cède, à quoi tout retourne, par qtxoi tout est, un Isvara qui est Dieu,
non le Père silencieux et inaccessible mais le Logos, l'image, le ré
vélateur, engendré par Dieu^égal à lui par nature, tourné à la fois
vers l'inaccessible et vers le monde (2), R, PaniMcar se réjouit de
trower dn,ns le Vedanta l'intuition que Brahma transcendant est cause
du monde en Isvara mais il reconnaît que l'Isvara de Sankara est plus
tourné vers Brahma tandis que celui qu'il présente, dans le commentaire
que nous venons de résumei; est davantage tourné vers le mystère du
Christ (3) . Il souligne aussi qu'une 'fcomparaison entre Isvam et le
Christ peut s'avérer non seulement dangereuse mais inadéquate" (4).
Au-delà du Brahma Sutra et de son commentaire. H., Panilckar répond-il
au problème de la relation entre le monde et sa source ? Tout en annonçant
y

le chapitre suivant s'ur Isvara qui reprendra longuement la question pour


l'élargir, nous résumons, dans les lignes qui suivent, quelques évidences
nn•• . • •

(1) R» P/ilflKEAR, le Christ et l'hindouisme, pp, 157 -• 158. L'Etre et les


étants ne sont ni un ni deux. Dieu est sat, être, Brahman. Les êtres
ne sont pa-s pluriel mais "devenus". La différence n'aurait rien à voir
avec le pluralisme ou la quantité. Toute chose est symbole de l'Absolu,
non une copie, mais liée et non-étrangère à l'Absolu, non-séparée, expret
sion du même et unique être. Voir Der zerbrochene Krug, pp, 556 » 558,
Au sujet du concept de "Symbole", observant des variations de contenu
selon les contextes, nous avons demandé à l'Auteur s'il pouvait définir
sa conception propre. Il nous a répondu, en juin 1979, qu'effectivement
il éto,it en recherche à ce sujet et qu'il devrait préciser sa pensée
dans une publication ultérieure,
(2) R, PAîîIICKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 159 - 161.
(3) R. P/JFHQL'iR, Le Christ et l'hindouisme, p. I6I, H fait donc une inter
prétation de la pensée sanlcarionne.
(4) R. PANIKICAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 100,
104

panlkicariennes, qu'il appelle des implications dialectiques (1),


1) Si Dieu existe, rien ne lui échappe, rien ne lui est indifférent,
"Reconnaître son existence, ce n'est pas énoncer ime proposition neutre,
c'est exprimer me vérité qui envahit tout" (2),
2) S'il est Dieu, Il ne dépend pas de nous, de notre affirmation, pour
exister, "H existe indépendamment de la connaissance que .j'ai de
Ivii" (3).
5) S'il est Dieu, il transcende toute connaissance humaine car ; "Un Dieu
que l'on pourrait comprendre, qui serait simplement compréhensible, ne
serait plus Dieu" (4), Il reste l'Inépuisable,
4) Si Dieu est, l'homme, qui est un être matériel et spirituel, peut avoir
de Dieu une "approche existentielle consciente" qui va de pair avec
"lama^tîadité normale d'un être humain" (5),
5) Si Dieu est, il doit jouir d'une priorité gnoséologique et ontologiaue.
L'homme peut monter vers Dieu gnoséologiquement dans la mesure où Lieu
descend vers l'homme ontologiqueraent.
6) Si Dieu est, Il est l'origine, le commencement, l'alpha tout autant que
1'oméga, l'achèvement et la fin,

7) Si Dieu est, aucun être n'est au—dessus de lui, ni. sans lui, ni sous
Irii. Sous lui, en ce sens que tout ce qui est ne peut être qu'effet.-de
lui. et existe en lui, et pour lui,

s) Si Dieu est, il est plus quelqu'm que quelque chose, un "Je" un"Je"
qui dit : "Tu". Uous sommes le "vous" de Dieu.

9) Si Dieu est, il y a une relation entre lui et nous, une relation que le
professeur PaniKkar qualifie de réelle, de concrète, d'existentielle,
de personnelle, d'intime, de particulière. Si Dieu est, il n'y a pas
d'athées ; s'il existe des gens qui ne se savent pas aimés par Dieu,
ils n'en sont pas moins en Dieu, pareils à des enfants endormis contem
plés par leurs parents mais qui ne sauront cet amotr qu'à leur• réveil,'

(1) R, PAIÎIKKAR, Le Ghrist et l'hindouisme, pp, 102 - 106,


(2) R, PAÎflKIQlR, Le Christ et l'hindouisme, p, I03,
(5) R, PMHŒCAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 105,
(4) R. PAÏIIKKAR, Le Ghrist et l'hindouisme, p, IO3,
(5) R, PAMKICàR, Le Christ et l'hindouisme, p, IO4,
105

10) Si Dieu est, par conséquent, la société humaine ne peut être


a-religieuse, ou indépendante, ou sans lien, puisque le lien lui est
constitutif ou condition d'être (l).

Notre Auteur serait donc anime, comme l'Inde, par un sens profond de
l'unité de l'être (2), Il est convaincu que la sruti est une source enri
chissante pour notre propre quête de l'Etemel mais il ne partage pas les
idees sankariennes sur la "personnalité théorique" de Dieu ni sur un amour
divin non extrinsèque à l'Un sans second. Il ne minimise pas la densité
du multiple. Il ne parta,ge pas non plus les faiblesses du système mmâ-
nujien concernant la dureté du mouvement karniique ou la préexistence des
âmes (3).
Il relève, par contre, pour les partager, les éléments fondamentaux
des différents systèmes» P, Johanns, déjà en 1952, concluait que toutes
les doctrines importantes sont dans le jedanta mais sans y être articulées
dans un système cohérent. Elles sont, à ses yeux, compatibles, par exem
ple, avec le thomisme mais à condition de dépasser les systèmes contradic
toires (4), Le meilleur système ne devrait-il pas être un système ouvert,
reprenant les parcelles de vérité émises dars-'les autres ? Peut—on être
seulement platonicien, ou aristotélicien, ou thomiste, ou ca3rtés3.en ou
marxiste ? Ne devra,it-on pas plutôt se laisser féconder par les parcelles
venues d'ailleurs, tout en sachant, c'est clair, que la fécondation mutuel
le de vérités éparses peut engendrer un nouvel être (qui est é/entuello-
ment un système en puissance) tout en évitant un syncrétisme fa,de et
amorphe ?

Dans cette perspective, Baymundo Panikkar met en évidence les"parcel-


les vedantines" importantes comme ;
1) la, transcendance de Dieu qui dépasse le dire humain}
2) l'approche du mystère d'Isvara sur lequel nous reviendrons;
(1) Gbs points résument Pl, PAIÏIKKAB, Le Christ et l'hindouisme, pp,104-106,
(2) Nous verrons ce thème de l'unité de l'être se développer à la fin de
ce cha,pitre, notamment a partir de son article Eor an Integra.tion of
Reality, pp, 19-91* Voir aussi, The Vedio Expérience, p, 55,
(5) E* JOxîAήiS avait souligné que la théorie du karma créait comme un
dilemme pour Eamanuja, la volonté de l'homme risquant d'être juxta,po-
see, ainsi que ses effets, a celle de Dieu, Voir Vers le Christ par
le Védanta, I, p, 86,
(4) P, JOHANNS, Vers le Christ par le Védanta» I, introd, pp, IX - X,
106

3) le lien ontologique et existentiel entre Dieu et nous;


4) l'humilité du monde;
5) l'importance du silende, de la méditation et de la hha.vtT ;
6) le sens de l'unité de l'être;
7) la foi comme dimension constitutive de l'homme;
8) la société humaine comme nécessairement religieuse.
Tous ces points nous semblent utiles à signaler ici mais plusieurs seront
seulement développés ultérieurement,notamment le cinquième. Disons que,
vivant à la fois de l'Inde et de l'Occident, notre Auteur sait que, à la
base de notre malaise, il y a la question de "la relation entre Dieu et
le monde, entre l'Absolu et le relatif" (1). L'Inde pourrait, ici, nous
aider à dépasser nos réductions détotalisantes.

Au courant des spéculations de l'Inde, notre Auteur insiste suc le


fait qu'elle se passionne plus sur la fin que sur le commencement, pour
1'oméga plus que pour l'alpha, sur l'éternité plus que sur le temps, sur
l'homme qiii atteint son but plus que sur l'homme en chemin, sur Dieu plus ji
que sur le monde (2).

n voit l'Inde mettre l'accent sur le fait que le monde est symbole
de l'absolu, expression d'un seul et même être, l'abîme subsistant entre
le symbolisant et le symbolisé (3), ajoutant en note : "ce n'est pas le
panthéisme, mais au contraire l'exclusivisme de Dieu, c'est-à-dire le
théomonisme, qui est le gros écueil de la pensée indienne (4)«
A travers la parabole de la cruche (5)» il montre que pour 1'Inde
"toute chose est figure limitée et rétrécie de l'absolu" (6), L'intuition
védantine est'l'expérience d'une vision non-dualiste de l'être, une per
ception des choses non comme objets (Dieu ne connaît pas d'objets) ni com
me contenu, mais en tant qu'attitudes et gestes de Dieu.

(1) R« PA]ni{KAE, Le mystère du culte, p. I24.


(2) R. PANIIŒAR, Le mystère du culte, p. 30, A ce niveau dit l'Auteur
Maya e Apocalisse, p. 355, Sankara et Ramanuja pourraient avoir
sensus plenior comme Platon et Aristote.
(3) R. PAKIEEAR, Le mystère du culte, p. 127.
(4) R. PAfmffiAR, Le mystère du culte, p. 127, note 25. Voir aussi Der
zerbrochene Krug, p. 559.
(5) R. PiltHKKAR, Le mystère du culte, pp. 132 - 142; on peut revoir ici la
Brahmabindftpanigad. 15-14, p. 5 et la Ifarika ïïpanigad, III, 3-7, p. 29
(6) R, PAimŒAR, Le mystère du culte, p. I38, Los diosesy el Senor. p. 86.
107

L'Occident parle des choses comne syaholes, en tant qu'on peut à partir.-
des êtres parler de Lieu par analogie. Pour l'Inde, la chose est symbole
de Lieu, c'est-à-dire Lieu lui-même en tant qu'épiphanie, en tant que,,,
chose, car la chose n'est rien d'autre que Lieu sous 'l'apparence' de la
chose présente?'(1 ), "Le symbole est théophanie, ou mieux encore, ontopha-
nie" (2).
Lans l'ensemble des êtres, l'homme porirrait être défini comme "la
partie visible où toys les ordres do la réalité se croisent" (3), "il est
le carrefour d'une réalité qui emhra,sse Lieu jvisqu'aux choses matérielles,
en passant par tous les êtres" (4), L'homme serait, pourrions-nous dire,
non pas la cause fa,isûnt exister le symbole ou la théophanie, mais le lieu
terrestre, le lieu historique grdce auquel le symbole est perçu comme sym
bole, la theitphanie comme theophanie,l'ontophanie comme ontophanie,
Lépassant la perspective matérialiste où la matière n'est renvoyée qu'à
elle-même, dépa,ssant l'activité de pure production en servant la terre, la,
société, la science et la technique, l'homme est appelé,aux yeux de
R, Panikkar, à être Ift "carrefour" et à poser "l'acte sacerdotal.., libé
rateur de la nécessité physique" (5), H ne se sauverait pas da,ns les
bras d'un Lieu étranger, tout à fait transcendant, ni ne s'anéantirait
dans un Lieu tout à fait immanent. Il serait lui aussi créateur du monde.
On dépasserait ainsi une perspective hétéronome de la création, on échap
perait au matérialisme, on éviterait le culte autonome de la productivité,
on ne s'enfermerait pas dans le "scaphandre technologique" ou la "mégat--
chine" (6) et cela pour s'épanouir en régime d'autonomie.

(1) R« PMIKZAR, Le mystère du culte, p, I40.


(2) R, PAiniCOiR, Le mystère du culte, p. I41, Ler zerbrochene larug,
p, 5^7• La création sera-it comme l'écho du cri primordial divin, dit-
il dans The Trinity ant the Religions Expérience, p. 47,
(3) R. PilUKMR, Le mythe comme histoire sacrée, p, 301; voir aussi
For an Intégration of Reality, p. 89; The Yedic Expérience, p. 14.
(4) R, PAiniŒaill, Le mythe comme histoire sacrée, p, 301,
(5) R. P/iI^IKIC/Jl, liermoneutique do la liberté de la religion, p, 80,
(6) R, PAMKKAR, For an Intégration of Reality, p, 53,
ioè

Potœ lui, comme lio-ur le Vedanta, Dieu- et le monde ne seraient "ni un,
ni deux" (l). On peut nier le dualisme sans verser dans le monisme. On
doit refuser le dualisme exacerbé qui établirait à la limite le monde en
face de Dieu, hors de l'Absolu, comme un nouvel absolu niant l'Absolu lui-
même, On devrait de même rejeter le monisme exacerbé car il est évident
que l'identité absolus ne permettrait aucune différence, Is^vara intervient
ici pour penser Dieu et pour l'unir avec le monde dans l'hindouisme, comme
dans le christianisme (2), Il est exclu aussi d'imaginer l'Absolu
dépendant en tant qu'attaché au monde parce qu'en étant responsableo
D'autre part, "une non—relation absolue rendrait le BroJhman superflu" (3)»
L'être caché, la vie intérieure et transcendante de Brahman, la première
cause qui est base causale ne tolère rien hors de soi qui serait dernier,
"a cote de " ou "aUf-àela de", ou "pa.rallèlement à". Dieu est celui de qui
tout vient, à qui tout va, en qui tout est. Mais en même temps, il ne
s'agit pas seulement du Père, du Dieu silencieux, mais aussi d'Isvara, du
Logos, du Christ, Le Brahman transcendant est on Isvara l'origine du monde.
Où en sommes-nous ?

Dans l'introduction, nous avons vu que le Vcdanta non—dualiste est


dominé par Sankara qui verse dans un monisme préjudiciable à la prise en
considération de la densité des êtres et par Râinânuja qui en tient davan
tage compte mais avec un risque de panthéisme,,Nous baignons, en tout cela,
dans le problème complexe de l'Un et du multiple.

(1) R, PiiNHŒAH, ICein christlicher Yoga, p. 44, Spiritualité indu, p. I835


The Trinity and the Religious Expérience, p, 74. L'Inde a conscience
de l'immanence et de la transcendance dibl'Auteur, dans Maya e
Apocalisse, pp. 27 - 28, "L'hymne est une partie de Dieu,,.l'homme est
en un certain sens divin". Ce ne serait pas du panthéisme, p, 28, mais
du théandrisme. Même réaction contre l'accusation de panthéisme dans
The Vedic Expérience, p, 134,
E, GATHIER, dans la pensée hindoue, p, 28, souligne aussi le dangerdes
étiquettes "monisme" et "panthéisme" • Même le non—dualisme de Sankara
ïiâ serait pas du monisme d'après P, EALLON, dans Pour un vrai dialogue
entre chrétiens et hindous, p, 129.
(2) E, P/iNXKKAR, Der Ishvara des Vedanta, pp. 446 - 455,
(3) R, PANIIffiAR, Der Ishvara des Yedanta. p. 448, L'Occident, la pensée
juive, chrétienne et l'islam vont davantage insister sur l'idée de créa
tion, dit l'Auteur, dans Création and Nothingness, p, 346, ce qui ré
sulterait, p, 551, d'un affrontement avec l'idée platonicienne de
Démiurge,
109

Nous avons entendu il,' PaniMcar distinguer le mystère du Brahman et


l'aspect plus personnel de ce Braliman qu'il voit en Isvara (l). Dans sa
réflexion sur le lien entre l'Absolu et le monde, on ne pourrait séparer
à l'excès l'un et l'autre pas plus que les unir trop. Pace à la pensée
grecque, tant platonicienne qu'aritotélicienne, priorité serait à donner,
cependant, au sens de l'unité de l'être, soit à la relation existentielle,
concrète et intime entre Dieu et le monde, entre l'Absolu et le relatif,
comme il le disait. Sans être compréhensible. Dieu pourrait être approché
existentiellement par l'homme parce que tourné vers le monde en Isvara,
Dieu étant proche de tout et de tous, rien n'apparaîtrait comme a-religloux,
comme sans lien avec l'Absolu, tout se ma,nifesterait comme l'expression
de l'Un dans la mesure où le "carrefour" qu'est l'homme y est éveillé dans
un 'hcte sacerdotal**.

On devrait donc, si nous comprenons bien, insister sur une "intégra.tion


de la réalité". Une intuition cosmothéandrique de celle-ci nous la révé
lerait comme étant tripolaire ; comprenant la matière, l'homme et Dieu ou
l'Esprit, Toute realite sera-it imprégnée d'une triple dimension, dans le
monde de l'Inde qui est aussi celui de notre Auteur, c'est-à-dire une dimen
sion matérielle, une dimension de conscience et une dimension de mystère,.
Dans cette façon d'approcher le réel. Dieu ne serait jamais loin et
l'on dirait que le réel ne peut être atrophié ni de sa dimension patériel-
le, ni de sa dimension de conscience, ni de sa dimension de mystère. En
d'autres mots encore, si nous pouvons mieux faire comprendre la pensée de
notre Auteur, le monde que nous connaissons et qu'en un sens nous sommes
serait comme le corps de Dieu (2), comme la force énergétique de la réali
té absolue.

(1) C, B, PAPALI, dans Yédisme et hindouisme classique, p, 42, reconnaît


que l'hindouisme admet la notion métaphysique d'un Brohman impersonnel
et d'un Isvara personnel, personnel surtout dans sa relation avec le
monde. Voir aussi M, DHAVAMONY, L'hindouisme moderne, p, 69,
(2) Voir plus loin le mythe de Prâjâpati, Ce serait le point de vue de
lîâmânuja aussi d'après 0, L4G0îffiE, L'Absolu selon le Védanta, pp. 245,
280, 322. Voir aussi l'analyse précitée de J.B. C/ilîmN dans Œhe
Theology of Hâmânuja, Comme dit 2, PilNIKKAE, dans The Trinity and
the Religiotts Expérience, p, 75 ' "Dh Dieu 'purement transcendant' est
une abstraction de la même façon qu'un homme 'purement indépendant' "
^et" Dieu, l'homme et le monde sont engagés dans une aventure unique".
110

On po-urralt aller affirmer éventuellement qu'il n'y a pas de Dieu


sans le monde, pas plus qu'il ne pourrait y avoir de monde sans Dieu, On
verrait en cela comme un héritage védantin, comme un'Souvenir d'advaita','
sans qu'il y aÂt reprise des difficultés de cohérence révélées dans les
> ^ * mm mm
systèmes sankarien et ramanujien mais tout en sentant notre Auteur plus
proche sans doute de la pensée de Hâmânuja que du "monisme" sankarien.
Au teime de ce paragraphe, nous pourrions ajouter aussi qu'il paraît
assez clair que notre Auteur préfère parler de creatio in Deo et a Deo
plutôt que de creatio ex nihilo (l), en ce sens que Dieu ne crée pas "à
partir de rien" mais "à partir de lui-même". Yu la densité du créé, nous
venons de le dire, nous pourrions situer R. Panikkar plus du côté du pen
seur du Xllème siècle que du côté de "Sankara, mais il ne nous semble pas
avoir xesolufondamentalement le problème de la rela-tion entre l'Un et le
multiple. îTous sommes portés à croire que le professeur de Santa Barbara
sent la relation peut-être plus qu'il ne la dit de façon dialectique. Le
problème est de savoir si l'esprit humain est capable d'y arriver'* Si l'on
peut émettre l'hypothèse que le dire hvinain peut tout exprimer, il n'est
pas évident qu'il puisse toujours cômprendro ce qu'il exprime. Et, comme
le note le Pere Sertillanges ! "la, question de la, création est l'une de
celles qui ont le plus embarrassé les pensetirs de tous les temps (2),

(1) E. PAOTKKAR, La faute originante, p. 84, Maya e Apocalisse; pp. 82 -83,


Die vielen Gôtter, p. 111, L'Inde n'a.rriverait jamais à l'idée d'un
Dieu créateur pour S. SIA'DYE, Hindouisme et christianisme en dialogue,
p. 16, Sans creatio ex nihilo, dès lors, poin: C.B. PAPALI, Yédisme
et hindouisme classique, p. I4, il reste trois alternatives ; 1) le
monde est 00—éte2?nel avec Dieu, ce qtii compromet la souveraineté divi
ne; 2) le monde émane de Diuu, ce qui contredit l'immutabilité divine;
5) on sauve" Dieu, mais en niant le monde. Pour l'Inde, ajoute
M, DHAYAMONY, dans L'hindouisme moderne, p. 69, Dieu ne cr&pas à par
tir du néant. "C'est une transformation réelle ou illusoire de lui-
même en des êtres varies. Dieu a pris toutes les formes que nous pou
vons voir dans l'univers". Il n'est pas un speotateiir lointain mais
quelqu'un qui participe au monde sans en être souillé, R. PAEIKKAR,
dans feya e Apocalisse, pp. 87 —98 donne un florilège de textes hin
dous sur la questions. Los dioses y el Senor, pp. 91 - 95.
(2) A.D, SERTILLANGES, art. Création, dans Initiation théologique, t. 2,
p. 208.
111

Nous tenons à souligner que Raymiindo Panildcar n'esquive pas le problème de


la création par Dieu, Il y a plusieurs façons de l'esquiver, en effet,
C'en est une de dire que le monde est Dieu. C'en searsnt une, sans doute,
que de verser dans l'émanatisme plotinien, sans que nous puissions déve
lopper ce thème ici. C'est esquiver le problème, aussi, que fait le pla
tonisme par sa théorie du chaos primitif auquel vient mettre fin un prin
cipe organisateur. Notre Auteur ne verse dans aucun de ces périls, il
n'esquive pas la création, il ne prône ni la panthéisme, ni le monisme,
ni le dualisme. Tout au plus, en insista-nt plus sur l'a. Deo, est—il porté
à souligner plutôt l'immanence que la transcendance, la proximité plus
que la distance et la relation ontique plus que l'ana-lyse ontologique.
L'expression a Deo marque un point de départ ou un auteur responsable.
Elle serait préférable à l'es^jression ex Deo dans la mesure où le ex indi
que une cause matérielle. Certains ont parlé de ex nihilo pour souligner
qu'il n'y a pas de matière préala.ble à la création. Il reste que le pro
blème est complexe et que nous ne le résoudrons pas. Là n'est du reste
pas l'objet de notre travail et nous laissons aux spécialistes le soin de
chercher, d'expliquer. Nous sentons que l'homme parle comme il le peut,
avec les moyens dont il dispose et qu'il cherche, pourra,it—on dire, à par
ler le moins mal possible. Il tente notamiment de distinguer les foraula,-
tions "tolerables" et celles qui ne le sont pas.
Le professeur de Santa Barbara parle du "théoaonisne" corne étant
l'écueil de l'Inde (l). Le terne "théononisne" est rare, nous en convien
drons, Nous connaissons mieux le monisme tout court, lequel serait. Juste
ment, une des "fornaîLations non—tolérables", En bref, sans nous lancer
da,ns un expose qui, une fois encore, ne relève ni de notre propos ni de
notre compétence, le monisme, pourrait-on dire, n'admettrait qu'un seul
principe constitutif du réel. Ce serait le ca.s du matérialisme philosophi
que pour lequel tout est matière. Ce serait le cas d'un certain idéalisme
aux yeux duquel t'oufc serait idee ou pensée. Ce sera.it le cas, encore, des
pantheismes pour qui tout est Dieu, encore que la notion de panthéisme pa
raisse complexe, H semble, à écouter les spécialistes, que des variantes
peuvent s'y introduire.

(l) H.P/iNIIŒIin, dans Los dioses y el Senor, pp, 91 - 92 dit aussi que le
monisme ontologique reste le péril de l'Inde,
112

On potirrait comprendre panthéisme accordant nae certaine réalité aux


choses et aux hommes, comme étant, par exemple, des modes de la Substance
divine (l). Une autre variante considérerait le monde comme une illu
sion (2), Nous supposons donc que le "théomonisme" aurait tendance à ne
pas accorder de réalité aux choses, aux hommes, rii à ce monde, la seule
réalité étant Dieu. Ce serait le danger de 1' "exclusivisme de Dieu" (3),
Raymundo Panikkar nous paraît clairement éviter les écueils et d'un
dualisme minimisant la relation constante entre l'Absolu et le relatif,
dans le sens d'une dichotomie plus occidentale qu'orientale, et du monis
me, qiri supprimerait cette dichotomie pour majorer la, relation dans un
sens panthéiste (4.). Il échapperait ainsi à la, fois au monisme sankarien
et au dualisme grec, aux excès des uns et des autres. Il pressent que
l'équilibre doit se situer au centre mais nous ne croyons pas, disons-le
encore, qu'il résoltre totalement la question. H sent la relation, aliis
verbis, plus qu'il ne l'exprime dialectiquement» "Dieu et le monde ne sont
ni un, ni deux" selon son expresssion fréquente et qtii est peut-être un in
dice de pensée indienne où les oppositions expriment l'inexprimable comme
le sotaigne M, Biardeau (5). C'est un peu comme si l'on disait : "Je sais
que ce que je dis est vrai mais je ne sais pas exactement ce que cela veut
dire" , . .

(1) On devrait ici consulter les spécialistes. Sur les différentes concep
tions du panthéisme, voir, par exemple, P. GPiSGOIRE, Hegel feuerbach,
p. 95. "
(2) M. BIARDE/iU, Clés pour la pensée hindoue, p. IO9.
(5) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 127. Il rejette clairepant, pan
théisme et monisme. "Voir encore Philosophy as life-Style, pp. 202 -205;
Por an Intégration of Reality, p. 73 et p. 88, etc.
(4) Dans Por an Intégration of Reality. p. 44, Raymundo P/AHKKAR regrette
que philosophes et théologiens aient distingué, sinon parfois séparé,
le monde et Dieu, ceci soit dit tout en admettant une hiérarchie entre
les êtres. Pîême pensée dans sa critique de Platon et de Sankara (pp. 78-
79). Pe même, on ne peut nier le monde pour ne voir que l'âme ou que
Dieu, conmie dans le gnosticisme qui condamne le monde (p. 87), Il
parle ailleurs de la paranoïa du monlstie et de la schizophrénie du dua
lisme (p. 73), Voir aussi Advaita and Bhakti, p. 304; Œhe silence of
the word, p. I63, Religioni e religioni, p. 70,
(5) M. BIIJSMiU, Clés pour la pensée hindoue, p. IO9. Ces oppositions pour
exprimer 1 ' inexprimable ne sont-elles pas une constante dans les ïïpanisad
115

§ 6 - DIEU DMS LES PJSGIMES D'HETEilONOîaE, DL/lUTOEOMIE ET L'OMOUOîIIE'

A, Introduction,

Un long paragraphe vient de nous retenir aire réflexions de l'Inde


sur la relation entre l'Un et le multiple. Nous avons observé les liens
et les distances entre les spéculations védantines de Saiîkara et de
Ramanuja d'une part et, d'autre part, la recherche de R, Panikkar, pltis
attiré par l'advaita que par les dichotomies, acceptées souvent par
l'Occident, Nous reprenons maintenant, po\n: poursuivre notre analyse,
des catégories plus particulières à l'Autour, celles d'hétéronomie ,
d'autonomie et d'ontonomie ,

La pliilosophie contemporaine connaît - faut-il le rappeler -


une a«na,lyse épistémologique dépassa,nt à la fois un idéalisme qui don
nerait priorité au sujet connaissant sur l'objet connu et l'empirisme
qui veut que l'objet connu 1'emporte, par souci d'objectivité, sur le
sujet connaissant. Elle proposerait une épisténologie de la rencontre
entre le sujet connaissant et l'objet connu. Nous éviterons de nous
lancer, ici encore, dans un détot qui ne répondrait pas à l'objectif
de notre recherche, lîappelons, toutefois, qu'on peut distinguer le
point de vue que prend le su.jet connaissant pour rencontrer l'objet à
connaître et la façon dont l'objet apparaît en fonction du point de vue
déterminé de celui qui le considère. Le sujet étant plus qu'intellect
mais .aussi affectivité et intuition, etc .,, cela ' entraîne une réhabi»^
litation du tout de l'homme dans son activité de connaissance. Pour
comprendre l'autre, également, nous devrions entrer da,ns son point de
vue. Nous devrions entrer dans le point de vue de l'enfant, de l'ado
lescent, du Ma.rxiste, de l'Oriontal ou de l'Occidental, Le point de
vue du scientifique, baignant dans la science dite positive, est diffé-:
rent du point de vue de l'artiste. Il existerait, ainsi, des approches
diversifiées du mÔne réel.

Si nous rappelons cela, c'est parce que Lieu est perçu différem
ment selon la personne qui le cherche et l'approche, et qui le cherche
et l'approche avec un point de vue particulier et déterminé„ Ainsi,
quelqu'un qTii se situe dans'xin régime d'hétéronomie ne rencontre ou ne
perçoit pas l'Absolu comme celui qui vit en réaction autonome. Nous re
trouvons donc, comme prévu, mais soua un angle nouveau, le problème de
l'Absolu et de son approche par l'homme, catholique ou hindou, jeune
114

ou vietccj traditionnaliste oti mEirqué par les idées dites raodemea, Nous
devinons, par là même, la relativité du point de vue de chacun et, dès lors,
la relativité du discours que la raison va développer sur l'objet de son
investigation. Nous pressentons, aussi, qu'un point de vue, quel qu'il
soit, est détotalisant s'il n'est celui d'un Etre Absolu mais celui
d'êtres relatifs et situés, conditionnés scoiD-culturellement, Nous de
vrons aussi nous-pencher sur- la relativité du logos et tenter de voir
oonnnenbpourrait s'organiser au mieux la rencontre des religions et, sin
gulièrement, celle entre l'hindouisme et le christianisme, car, ayant des
points de vue divers, les religions organisent des discours diversifiés,
bien qu'il n'y ait qu'un seul Absolu, qui est nécessairement le même, à
la source, pour tous.

B, Perspectives de 1, Panildcar

En régime d'hétéronomie (l), pour Eaymundo Panihkar, Dieu est


l'Etre infiniment supérieur, le Créa,teur et le Seigneur de l'homme.
Celui-ci lui obéit et il se soumet à une hiérarchie de droit divin dont
les m.embrGs sont supérieurs eux—mêmes, par exemple, aux a-utorités civi-r
les et politiques pour parler en termes occidentaux. Qu'on se rappelle
la supériorité du Pape sur l'empereur, du prêtre sur le fonctionna,ire,
du brahmane hindou sur le Ksatriya (membre de la caste des guerriers^
ajoute-t-il, de l'Eglise sur l'Etat (ce qu'on appelle parfois le
Papocésarisme), L'homme aborde l'Absolu avec le point de vue de quel
qu'un qui se sait pêcheur, limité, petit, faible, mortel, trop atta
che à une matière périssable, immergé dans un monde provisoire, tel un
néant qui a besoin d'un salut radical qui doit lui venir d'en-haut et
d'ailleurs, à la limite par "hétéro-rédemption", le point de vue de
quelqu'm qui est pa.reil à une poussière ou tel un pèlerin dans une
"vallee de larmes", en exode pénible vers un au-delà, vers un post-
temporel, vers un "pas encore". Un tel homme obéit. Il fait confiance.
Il écoute respectueusement le clergé. Il a des principes reçus plus
parfois que des idées pensées.

(l) R, PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, pp, 50 s, Yoir aussi


notre chapitre I, art, hétéronomie. Dans Huma.nismo y Crus, p, 236,
l'Auteur dit qu'une hétéronomie trop centrée sur la suma,turo est
une erreur comme l'autonomie s'arrêtant au seulement naturel.
115

Il admet la théocratie, la césaropapisme autact que le "papocésarisme",


Il verse éventuellement dans la papolâtrie ou la dogmolâtrie. Sa liberté,
c'est son obéissance, sa soumission, sa confiance dans l'institution où
il vit.. Il n'aime pas les contestataires. Eventuellement, il supporte
rait qu'on les élimine. Il ne fréquente pas les marginaux, ceux qu'on
appelle schismatiques, hérétiques ou mécréants.

Son Dieu, l'homme l'adore plus peut-être qu.'il ne l'aime, H s'aban


donne totalement à lui, avec une confiance éperdue qui peut le mener à la
sainteté, voire au martyre. Parfois, la spiritualité transcendante du
Tout-Autre a poussé cet homme à négliger le monde, sinon à mépriser son
propre corps. Il est aussi le jouet de Dieu, son instrument docile, son
esclave, ou son serviteur (l).

(l) L'aslam officiel nous apparaîtrait corne en régime d'hétéronomie.


L'homme y est une "goutte de sperme" (Cbran 16, I4), Il craint le
Seigneur (2 : 1795 6 : 71j 7 ; 205; 3 : 131; 5 : 11; 30; 12 : 57) de
vant lequel tout s'incline (13 : 6) car "Un culte perpétuel lui est dû"
(16 : 54)« L'homme se résigne à la volonté de Dieu (2 ; 125, I5O;
3 î 78» 60, 18) par laquelle toute sa vie est conditionnée (I8 : 25),
Le monde est jeu et frivolité (29 : 64) et le croyant marche vers la
vie étemelle qui est la véritable vie (29 s 64) et cela en s'inté
grant dans une institution de Dieu qui est uhe religion immuable
(36 î 29),
Dans cette religion, qui nous paraît hétéronome au sens ^nikkarien
du terme, nul ne peut contester la loi immuable et la lecture régulière
du Coran le rappelle au croyant d'tine sourate à l'antre. Les mêmes
sujets et directives s'y répètent souvent, comme sur le jeûne précis
(2 ; 178 - 185), le pèlerinage (2 : 192 - 195, 155; 5 : 91), la prière.
(2 ; 104; 11 ! 116; I7 : 80; 20 s I5O; 25 ; 2; 5I : 5; 55: 59; 55 ; 26,
etc.) ou l'aumône (2 g 104, 269; 14 : 36; 25 : 4; 31 : 3, 1é; 35 : 26).
Dieu est le souvera,in G,bsolu, H dicte une loi étemelle et intangi- :
ble, une loi que le Coran exprime littéralement, à laquelle l'adepte '
doit se soumettre sans discuter sous peine des pires châtiments
(même sur des sujets profanes comme la, législaticn sur l'héritage, en
4 : 6-17, a,lors que le Christ refuse de traiter de cette question
en Luc 12 ; 14),
Pbur R, PAJmiQC&R, dans The theandrio vocation, p. 73» notre temps est
moins sensible a un Lieu lointain, ou à un Dieu qui piinit, récompense,
exige humilité et adoration. La foi des croyants au Dieu de Lépante
est en crise.
116

2» Face au point de vue de l'honme "prosterné" en régime d'hétéronomie,


il y a celui du régime d'autonomie. Ce n'est plus un homme prosterné" mais
un "homme debout" pou3n?ions-nous dire, debout comme le citoyen libre dans
l'Antiquité, Cet homme affirme sa dignité. Il revendique pour sa raison
le droit d'être l'arbitre. Il se veut égal, de plein droit, par rapnort
aux autres hommes quels qu'ils soient. En politique, il opte pour la dé
mocratie; en science, il veut une pleine indépendance dans sa, recherche.
C'est, bien sûr, un homme en reaction contre la situation hétéronome d'hieh
Il se dit du reste progressiste. C'est à ce titre qu'il refuse toute atti
tude comme l'adoration à l'époque de ses pères qui serait, à ses yeux, une
abdication de lui-même et donc quelque chose de dégradant. Il a, en effet,
une conscience exacerbée de lui-même et fait jouer son esprit critique,
quand ce n'est pas son esprit de critique (l).
Une autre caractéristique de l'homme debout" est qu'il tient à prendre
au sérieux le temps où il vit, le saeculum, le monde et toutes ses réali
tés aiJxquellos il reconnaît leur pleine densité. Il s'engage dans ce mon
de-là, il le sert, il se dévoue pouc le transformer, pour l'améliorer, pour
libérer l'homme, pour lui donner, le plus possible, les conditions néces
saires à une vie humaine digne de ce nom.

Quelles sont les conséquences de ce point de vue ? Souvent, d'abord,


Dieu n'appara.ît plus, en ce sens que 1' "homme debout" peut cesser de s'y
intéresser. On pourrait parler d'athéisme pratique. Ou bien il s'y oppose
et l'écarte comme un obstacle et cela, peut-être, de bonne foi. Certains par.
leraient ici d'athéisme positif, OU bien, secoué par les mutations, il ne
sait plus s'il est "pour" ou s'il est "contre", il cherche encore, parce
que les arguments favorables ou dévaforables ne lui sont pas déterminants.
On pense ici à l'agnosticisme' 9

Toutefois, il n'en est pas toujours ainsi. L'homme a,utonome peut en


core respecter le prêtre (2) parce que c'est un homme accueillant, servia--
ble et honnête.

(1) E, PMIKKAE, dans The Trinity and the Religions Expérience, .p, 50,
écrit que le péché contre le Père est la cassure avec l'Infini, la
négation de notre divinisation, l'enfermement dans le fini, " Le dé
sespoir est le refus de l'Infini et la suffocation dans le fini", ce
qui, comme tel, se retrouve souvent dans le régime d'autonomie,
(2) Yoir les exemples donnés par R, PANIKKàR, Le culte et l'homme séculier,
p. 57.
117

Il admei; aussi qus sss sufanis iTSçoivsn'fc un cotms de neligion pance que
cela leur donne des principes, à condition que ce cours soit' facultatif,
cela va de soi, car la religion est une affaire privée qui perdu ses
privilèges d'autrefois.

Dieu peut encore le concerner. Certes, ce n'est plus un tyran fermé


et inaccessible, dit R. Panikkar, mais Quelqu'un de respectable (l). Le
respect que l'homme "debout" accorde à ses frères, il peut être tout dis
posé à l'accorder également à Lieu et à ses dejsseins. L'homme peut même
trouver utile de réfléchir sur Lieu et de discuter de sujets religieux,
fait régulièrement en société,' comme il lira avec prudence et inté
rêt des ouvrages traitant de religion et tout spécialement la Bible, qui
se vend mieux que jamais. Il pourra aller jusqu'à aimer ce Lieu, car il
préfère l'amour inter-personnel à l'abdication qu'il décèle rlp.-ns l'adoration,
L'homme "debout" sait a,ussi qu'il mourra. C'est, en un sens, la seu
le certitude sur son avenir. îîais, au lieu de se préparer par une mysti
que d'évasion au "pas encore", il prend à pleinesi mains le temps où il
s'intègre, conscient que la vie temporelle est "la manière propre à l'hom
me, sa manière temporelle et humaine, d'exister et de dtirer, de subir et
de déployer son ejdstence" (2).
Msant cependant moins siu? la "première table mosaïque" (3) parlant
des relations entre l'homme et Lieu ou de la "vertu de religion", il prend
a pleines mains la "deuxième table" (4), il vote dans ce sens la Déclaration
droits de l'hoFame en 1948. Le culte, à ses yeux, "est- "la""'"
recoOTiaâssanoe de notre dignité et de notre rôle de collaborateurs avec
le monde entier, en vue d'insta,urer une vie meilleure sur terre" (5).
R. PaniMcar dit alors que"le grand exploit de l'autonomie est d'avoir
découvert que la temporalité est une réalité, qu'elle n'est ni une étape
passagère ou intermédiaire entre la non-existence et l'éternité, ni une
institution provisoire pour l'existence dans le temps, ni une ma.rche où
l'on poserait le pied un instant pour la laisser ensuite derrière soi" (6).

(1) R. PARIKKAR, Le culte et l'homme séculier. p. 58.

(2) R. PMIKK/LR, Le culte et l'honmie séculier. p. 62,


(3) Ex.. 20 s 3 - 11.
(4) Ex., 20 ; 12 .- 17.
(5) R. P/JTIKICAR, Le culte et l'homme séculier. p. 65.
(6) R. PAimOCAR, Le culte et l'homme séculier. p. 62.
118

5. Après le point de vue hétéronome^ qui révère Dieu^ et le point de vtie


-autonome, qvd l'ignore ou le respecte, voire qui l'aine, venons-en à la
perspective ontonome» L'homme ontonono veut tenter la synthèse de ce ^u'on
a appelé "1'homme prosterné" et "l'hotone debout". Il n'accepte pas que
tout soit décidé "d'en-haut", comme dans l'islam, pas plus qu'il ne prétend
tout organiser "d'en bas", pour reprendre des expressions spatiales tra
ditionnelles.

L'homme ontonome n'oppose pas les sphères de l'univers et de la vie


car, pour Itii, "l'univers est un tout" et "il existe une rela,tion interne
et constitutive entre toutes les parties de la réalité" parce que "rien
n'est détaché de l'ensemble" (l). Ainsi, il ne définit pas le sacré par
opposition a,u profane, il n'oppose pas le culte au travail, ni celui-ci à
celui-là, ni, pourrait-on ajouter, Marthe à Mario (2), H ne s'enferme
pas plus dans une mystique d'évasion que dans le "scaphandre technologi
que", Il ne se vide pas dans une contemplation méprisant l'action, ni dans
une action "activiste", vidée de contemplation (5),
Le point de vue ontonome n'étant ni aliénant, ni iconoclaste, Lieu
apparaît alors comme "Notre Tère qui est atoc cieux". On poxirrait utiliser
l'image suivante ; la mer orée la plage mais la plage n'est visible et
"n'existe" que lorsque la mer s'est retirée. L'homme est la plage visible
qui doit son être à la mer. L'un reste proche de l'autre. La mer dessine
la plage et la plage ne peut exister sans la mer.

Le prefesseur de Sa,nta Barbara a.yant bien déblayé le terrain, par ses


considérations sur l'hétéronoinie et sur l'autonomie, présente le Christ
comme l'exemple parfait de l'être ontonome,

(ï) R. PANIKICA?, Le culte et l'hemme sécvilier. p, 66,


(2) Luc 10 : 38 - 42, Lans Humanisme y Cruz, p, 15I, R, PMIKKAR souligne
que déjà le christianisme patristique est ouvert à la dignité de
l'homme, H ajoute, p, 152, "c'est le moyen de l'authentique théan-
drisme chrétien, La Patristique est une époque humainement divine",
(5) Voir l'enseignement de la Bhagavad-Gita et les commentaires de
S, ATJROBINLO, Voir L'enseignement de Ramakrlshna présenté par
J, HERBERT, pp, I4I - 142» etc» Les auteurs ne manquent pas pour
souligner la nécessaire complémentarité entre l'action et la contem
plation, et la tradition monastique chrétienne va dans le même sens,
à travers les siècles.
119

"Sans vouloir faire de polémique ou de discrimination, dit-il, j'ajouterai


que, si le message chrétien signifie quelque chose, c'est bien cette expé
rience de la réalité cosmothéandrique de tout être, dont Jéaus-Christ,
vrai Dieu et vrai homme, est le paradigme. Dans le Christ, il n'y a pas
l'Homme d'une part et Dieu de l'autre; aucune de ces deux dimensions in
trinsèquement unies ne l'emporte sur l'autre; affirmer que le Christ se
rait plus divin qu'humain, ou vice-versa, n'aurait donc s-ucm sens. Le
rideau de séparation est déchiré par le milieu, et l'intégration de la réa
lité commence avec la, rédemption de l'homme" (l).
Dieu, l'homme et l'univers sont en corrélation. Dieu, sans l'homme,
ne serait rien, dans le Védisme, L'homme, sans Dieu, serait plus une cho
se qu'une personne. Le cosmos, sans Dieu et sans l'homme, serait sans con
sistance, tel in inexistant chaos, L'Etre primordial n'est pas un Dieu
hétéronome, ni un homme a,utonome nuais l'expression vivante de l'être onto-
nomique. Le Purusa est l'homme cosmique et l'a,spect personnel du tout de
la, réa,llté. Cela souligne la connexion entre tout ce qui existe et toutes
choses apparaissent comme des membres de l'unique Purusa (2).

(1) R* PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, 67, Hotonsj au passage,


avant les développements que nous ve2?rons sur le Christ étemel, que
notre Auteur parle ici de Jésus-Christ, ou du Christ manifesté en
Jésus de Nazareth,
(2) R, PANIKKAR, The Vedic Expérience, pp, 68, 75» Hn quart de la person
ne cosmique est visible. Trois quarts sont voilés, invisibles. Ces
fractions sont fréquentes dajis l'hindouisme, p, 74, Voir R. C, Z^lEHNER,
Inde, Israël, Islam, p, 90,
120

§ 7 - M K)I C0M1E QÏÏESTIOÎT

A, Introduction

Après avoir observé connent Dieu ost perçu dans les régimes d'hé-
téronoraie, d'autonomie et d'ontononie, nous écouterons R, Panikkar con
sidérer la foi comme dimension constitutive de l'homme. Dans cette pré-
senta,tion personnelle^ il l'envisa,ge plus coiame question que comme ré
ponse.

Le ca,tholique romain bien infome admet que la foi est connaissance


tout en n'étant pas seulement connaissance mis aussi comportement et
essentiellementj relation (l). Etant donné le paj?agraphe que nous enta
mons^ portons notre a,ttention un Instant sur l'aspect connaissance, Nous
pourrions dire que, si la, foi n'est pas seulement connaissance^ elle ost
aussi connaissance. Le critère de cette connaissance nous apparaîtrait
en Christ, en Jésus de Nazareth, né, m.ort et ressuscité, L'Eglise ca
tholique se devra.it ainsi de ga,rder saintement et d'esqposer fidèlement la
révélation transmise par les: Apôtres, c'est-à-dire le dépôt apostolj-
que (2), Le Nouveau Testament n'insiste—t—il pas, à plusieurs reprises,
sur la„ sacrée paradôsis (3) ? Ne met-il pas ses lecteurs en ga,rde con*
tre les fauteurs de troubles (4) ?
Pour le catholique adulte, le respect de ce dépôt apostolique peut
être un culte au révélateur suprône qu'il voit dans le Christ, Grâce
à ce respect, il dépasse son gabarit subjectif pour s'intégrer dans un
peuple et dans une institution qui le dépassent, qui le guident, qui le
protègent contre luriû^meet contre les fauteurs de troubles. Il ose
alors accepter les vérités dures de l'Evangiles (5),
(1) Sur la foi, l'ouvrage de R, AUDERT^ Le problème de l'acte de foi,
données traditionnelles et résultats de controverses récentes, res
te fondamental,
(2) Voir G, DTOIEIGE, La foi catholique, p, 291, n° 48I citant, Vatican I,
(3) II Tim, 3 ; 14 - 17; Actes 2 : 42j Luc 2 ; 1 - 2j I Cor, 15 : 1}
I Jean 2 : 245 Jude 3» R» PANIUL'iR nous donnera des suggestions inté
ressantes concernant la tradition dans le christianisme,
(4) Gai, 1 : 7; Eph, 4 s 14j Col, 2 : 6 - 8; II Œhess, 2 ; 1 é 35
I Tin, 1 s 3 - 4; II Tin, 3:1-9» Tito 1 : 10 - 14j II Pierre 2 s
1 - 3; 5 ; 3 - 45 I Joan 2 ; 18 - 19; Il Jean 7; Jude 4,
(5) ^oir J, GTJITTONjf Ce que je crois, qui aborde clairement cette pro
blématique ,
121

Il se réfère à des synthèses éclairantes (l). Cette fidélité et cette in


tégration lui donnent conme une stabilité intérieure que le monde ambiant
Itii refuse souvent aujourd'hui et son unité intérieure liii permet de rayon
ner, non sans courir le risque, peut-ôtre, de se confier à la foi des au
tres»

H ne se considère pas saint pour autant, ni "arrivé", car il sait


que posséder la vérité est une chose et qu'Ôtre possédé par elle en est
une autre. Il sait qu'au-delà de la oon-sermtion pure et sir.iple d'un don
né, il a une tâche, celle notamment de réconcilier sa connaissance et sa
vie, celle dsipaaser de ravana à manana pour arriver à nididhyâsana, pour
reprendre les catégories 'sajSkariennes (2), celle de poursuivre aussi l'in
ventaire du message et de s'ouvrir aux "empreintes de l'Absolu" partout où
il passe et agit.

Globalement, si la foi n'est pas un total assouvissement intellectuel,


elle donne, cependant, une réponse aux problèmes fondamentaux que l'homme
peut se poser (3),

B, Perspectives de R, Panikkar

Eaymundo Panikknr compare la fci enseignée comme réponse et la foi sen


tie comme question. Il sait que le Christ ne sera jamais connu totaJement
sur la terre, car il fendrait alors voir le Père (4) et que, en n6me temps,
"la foi n'est pas un luxe" réservé à quelques uns, "mais une dimension an
thropologique, annexe à la plénitude de l'être humain sur terre" (5).
Cela fait que "l'homme ontologiquement a-religieux n'existe pas, pas plus
que n'existe, en fait, une société iDurenent 'naturelle' "(6),

(1) Per exemple P. VARILLON, Eléments de doctrine chrétienne. 2 vol,,


TH, ESY-î^EIïMET, Croire, ou en collaboration Une introduction à foi
catholique,
(2) R, DE StlET, J, ÏÏEUNER, La quête do l'Etemel, p, 67,
(3) Vatican II, Uostra aetate, n® 1,
(4) R, PAÎTIKEAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 18,
(5) R, PAîHKEAR, L'homme qui devient Bieu^ p, 18,
(6) R, PAMIQ<AR, Lettre sur l'Inde, p, 83,
122

C'est, dans l'hoimiie qni devient ('t) que notre Sutevir dévlloppe
ses conceptions sûr la qtiestion qui nous retient présentement..

D'abord perd^on la foi, si elle est constitutive de l'homme ?


'Perd-on réellement la foi, ou bien s'a.git-il de l'abandon de certaines
croyances ? Est-ce la foi qvii disparaît, ou bien est-ce l'homme qui se
soustrait à la lumière ? Et la conversion, ost-elle un véritable chan
gement de foi, ou bien plutôt un retour à l'intériorité qui nous peimet
de découvrir ce en quoi on croyait déjà d'une façon inadéquate ou incon
sciente" (2).?
Dépassons ces questions, bien qu'importantes, pour rester dans le
propos de ce paragraphe. En premier lieu, dit Raymundo Panikkar, fonda
mentalement, "l'objet de la foi, en tant que teonne ultime de l'intention-
nalité ontologique de l'acte de foi, est unique, il n'y a qu'un Absolu" (3).
Une même foi peut donc être compatible avec un pauuralisme intellectuel,
qxii ne signifie pas toutefois chaos conceptuel, et avec un pluralisme mo
ral, qui n'équivaut pas non plus à une anarchie (4).
En deuxième lieu, la foi est ce par quoi l'homiae "s'achève, atteint
sa plénitude, obtient sa libération, son but ultime, quel que soit le nom
qu'on lui donne" (5)» liîlle est ce qui vise à développer toutes les poten-
tia.lités de l'être, "La quintessence de la foi sero,it, donc, cet aspect
de l'homme qui s'achemine vers sa plénitude, cette dimension qui fait que
l'homme ne s'enferme pas dans son état présent, qui l'ouvre à la perfection,
à son but ou à son destin"(é). Elle serait praxis authentique. Elle se- ;
rait orthopraxis, "La foi est un acte, une dynamique" (7),

(1 ) R, P/ilIEICAR, L'homme qui devient Dieu, qui est une intervention sur la
foi dimension constitutive de l'homme dans IV^he et foi (pp, I7 - 63)
a.ux colloques de l'Institut d'Etudes hvma,nistes et philosophiques de
Rome en 1966, Rous le citons dans l'édition de I969,
(2) R, P/iRIICKAR, L'homme qui devient Dieu, p, 26*
(3) R, PARIKK/'iJi, L'homme qtti devient Dieu, p, 5é,
(4) R, PANIKIC/Jl, L'homme qui devient Dieu, p, 39»
(5) R, P/iRIKKAIi, L'homme qui devient Dieu, p, 4I •
(6) R, P/iUKKAR, L'home qui devient Dieu, p, 42,
(7) R, P/JnKKAR, Los dioses y el Senor, p, 78»
125

YouLant se situer dans me perspective tiniversaliste, R, Panikkar


présuppose qu'il y a me foi salvifique hors du christianisme, commme à
tous les hommes "quelles que soient leurs croyances religieuses" (l), si
non la plupart des hommes ne seraient pas sauvés et la création serait me
faillite. Est-ce à dire qu'on pourrait supprimer ou ignorer toute discri
mination ou toute différence ? Certes, non. Mais Dieu accorde à tous le
don de la foi et cette même grâce adressée à chacm peut "inspirer des
actes de foi doctrinalement inéga,ux" (2), l'hétérodoxie doctrinale n'étant
pas "m signe mivoque de manque de foi" (5).
Quel serait s,lors cet élément commm à tous, présent au coeur de cha
cm et qui serait salvifique ? Il doit, dit notre Auteur, dépasser les
cultures et les doctrines. Il serait "l'ouverture existentielle vers la
transcendance" (4), me owerture à l'Etre qui implique par le fa.it même
réceptivité de la. part de l'homme, capa,cité d'ouverture.
Je me perçois comme non-absolu, comme inachevé, non-définitif et par
conséquent, "non-Dieu", Ce n'est pas me découverte ptirement rationnelle
relevant d'me métaphysique abstraite, c'est davantage l'expérience con
crète de mon indigence et de ma capacité illimitée de croissance. Ma foi
serait cette ouverture et l'acte de foi ma réponse à cette ouverture.
Elle est désir» Elle est projet. Elle est recherche d^^ aésiré. Elle est
question. Elle jaillit ainsi "de la structure inquisitive do l'homme" (5).
Alors que l'on a souvent privilégié l'ontologique, le professeur de
Santa Barbara accorde la primauté à l'ontique. L'ontologique conduit au
discours philosophique et théologique ainsi qu'à la foi comme réponse, tan
dis que l'ontique mène davantage à la. foi comme question. Alors que le
croyant avait de "bonnes réponses", bien orthodoxes dans son langage intra-
culturel et m "bon comportement", R, Paniklca,r affirme que'l'essence de la
foi nous semble se trouver plutêt dans la question que dans la, réponse" (6).

1) R, PAJUIKKAR, L'homrae qui devient Dieu, p, 50,


2) R, PAITIKEAR, L'homme qui devient Dieu, p, 55»
5) R, PAEIKEAR, L'homme qui devient Dieu, p, 55,
4) R, P/dniCKAR, L'homme qui devient Dieu, p. 55»
5) R. PAîîIERIi.R, L'homme qui devient Dieu, p, 6l. Nous venons de résur.aer
les pages 55-60.
(6) R, PAÏTIKICAR, L'homme qui devient Dieu, p, 62, On pourrait, en un
sens, avoir des chrétiens "bien élevés", qui "ont la réponse" sans
avoir la foi ,,,
124

n voit donc la foi corne vine ouverture existentielle et l'acte de foi con-
me auréolé de la mène dinension, soit la dinension existentielle.
En 1961, aux Colloques de liome, dans la discussion qui suit son expo
sé, notre Auteur précise que sa pensée, sur cette question, est encore
"en voie de développement" (1), Déjà, cependant, il a la certitude, qui
lui tient toujours à coeur, de "l'universalité de la foi au-dessus de la
particularité des croyances" (2), Il soutient qu'une foi qui a un contenu
intellectuel n'est pas salvatrice sans ce contenu, qu'elle ne peut le né
gliger ou en faire abstraction, maj.s il ajoute aussi qu'une foi différente
de la nôtre peut être salvatrice car aucune foi ne peut être "simple
gnose" (5).

Des questions viennent-elles à l'esprit de celui qui écoute cette


perspective ? A l'expression "foi comme question", ne peut-on préférer
parler do l'attitude religieuse "essentielle", ouverte sur une pluralité
de modalités fidèles à cette "essence" ? No risque-t-on pas, à la limite,
de vider la foi de tout fondement objectif ou de tout contenu repérable ?
La foi peut-elle être présentée comme question, comme constitutive de l'hom
me, comme immanente, anthropologique, nécessaire et spontanée ou n'impli-
que-t-elle pas une certaine"rupture"autant que la présence d'un transcen
dant plus qu'humain ? Ne peut-il y avoir confusion entre la foi d'une part
et, d'autre part, la disposition à la foi qui, elle, serait inhérente à
l'homme ? Si l'on s'accorde pour reconnaître que la foi se fonde sur quel
que chose de plus profond que la diversité confessionnelle et si l'on admet
que le prédicatif ou que les énoncés ne sont pas, comme tels, l'objet de
la foi, cola ne peut-il subodorer un jovir comme un refus, plus ou moins in
conscient, dos déterminations quelles qu'elles soient ? Ou bien encore,
s'agit-il d'une ouverture à la transcendance plus ou moins vague ou d'une
ouverture au Transcendant ?

On comprendrait que de telles questions viennent à l'esprit, L'Auteur


apporte quelques éléments de réponse qui paraissent intéressants. La foi,
dit-il, est "une dimension qtii est là, discrète, silencieuse, Sintérieuro,

(1) R, PANIKKiiR, L'homme qui devient Dieu, p. 98.


(2) R. P/iNIKK/ll, L'homme qui devient Dieu, p. 99.
(3) R. PANIKKAR, L'homme qui devient Dieu, p. 118,
125

qui remonte à la surface de raille façons, mais qui dans sa profondeur ca


chée rend témoignage de ce qui dans l'être humain dépasse infiniment
l'homme" (l). Il refuse de s'arrêter à "une tendance moderne qui risque
de sacrifier tout à l'existentiel" (2), Il distingue aussi la foi et
l'acte de foi, "L'ouverture est la foi, la réponse positive est l'acte de
foi" (5). Il perçoit donc la foi comme le dynamisme de notre"noyaii cen
tral" qui se cristallisera dans un ensemble de convictions et de formula
tions mais il donne la primauté à ce dynamisme. Il reconnaît que la foi
sans contenu est peu pensable en Occident mais affirme que cette position
n'est pas universelle(4), car "l'essence de la, foi n'est pas la croyance
en'Dieu», ni n'importe quel objet" (5), Ou encore î:"ce qui est plus vi
vant dans la foi ne peut être expriméj il y a toujours un Ungedachte
tout ce que nous pensons" (6),
Tout ceci est intéressant, pensons-nous, mais notre Auteur admet qtie,
en adoptant l'aspect question pltitôt que l'aspect réponse, il ne résout
pas tous les problèmes concrets. Il s'en console en concluant : "de temps
en temps je crois qu'il est sa,lutaire d'avoir une vision plus panoramique,
bien que moins détaillée" (t)* C'est,peut-être, ce q^1i nous porterait à
dire que sa position nous force à nous poser, nofe aussi, me question,
plus qu'elle ne nous apporte une repense. Sommes—nous, par exemple, do
mestiqués par des réponses préfabriquées, à la démonstration desquelles
nous n'avons pas ete associés, ou bien sommes-nous ouverture, recherche,
expérience et communion ? Donnons-nous primauté au dynamisme dont il
parle ? La foi serait-elle alors plus que le dynamisme et plus que la
question ?

1979» dans une des dernières publications avant sa retra,ite en


Inde, Iteij'mundo Panikkar revient au thème de la foi comme dimension cons
titutive de l'homme, comme ouverture existentielle.

(1) R, PAEUCK/iR, j^he et foi, p. 55.


(2) II. PAITIKKAR, %the et foi, p. 59.
(3) R, PANIKKAR, ]^!^he et foi, p, 60,
(4) R, PANIKKAR, !%"the et foi, p, 6l, Il dit toutefois, nous l'avons si
gnalé, que le contenu intellectuel est nécessaire à la foi salvifiaue
sans que celle-ci, évidemment, puisse n'être simplement qu'une gnose.
(5) R» PANIKKAR, ly^the et foi, p, 62,
(6) R, PANIKKAR, L'infaillibilité, p. 453.
(7) R, PAÎIUCICAR, Mythe et foi, p, 65,
126

"La foi est l'ouverture existentielle de l'honane, conme vine de ses di


mensions constitutives. Chaque homne est infini, non fini, et capable
d'être satisfait par cette croissance, ce salut, cette libération" (l) que
lui apportent les religions,

"L'acte de foi est l'acte hunain fondamental par excellence par lequel
l'homme répond à l'appel de la, transcendance et remplit le trou provoqué
par cette ouverture. Ceci est l'acte qui sauve, qtii libère l'homme" (2).
La croyance serait davantage la prise de conscience intellectuelle globale
de l'homme et le chemin par lequel il se voit capa,ble de réaliser l'acte
de foi (5), Ces croyances articulent la croyance dans des affirmations
intellectuelles. Les dogmes sont les croyances fondamentales cristallisées
dans une tradition, sanctionnées éventuellement par une autorité et s'or
ganisant en un corps qui constitue l'orthodoxie.

Dons son optique, la religion est "le chemin qui conduit l'homme de
son prédicament présent à ce qu'il croit être sa destinée ultime : un sen-.,.
tier vers le salut ou la libération" (4),
Nous croyons sentir, en tout ceci, des racines hindoues profondes à la
base de la pensée paniKkorienne, Encore faudra-t-il voir s'il n'y a aucun
problème à penser de la sorte lorsqu'on se trouve deva,nt une religion de
type prophétique comme c'est le ca,s dans la tradition Juive—chrétienne (5)»

(1) n, P/jmaCMl, Rtatattva, p. 29,


(2) R, PANIKKAR, Rtatattva, pp. 29 - 50* ÎTous posons une question : "Est-
ce Dieu qiii sauve ou l'acte humain de la réponse ou de la correspondance!*?
(5) R. P/Jm<K/vR, Rtatattva, p, 30 ;
(4) R» P/JIHQC/iR, Rtatattva, p, 29, Le prédicament serait la situation
actuelle de l'homme, dont celui-ci prend conscience, et qui le pousse
à chercher un but, en vue d'un dépassement et d'une"marche vers",
(5) R.C.ZACHtnilR, dans Inde, Israël, Islam, développe une comparaison éclai
rante entre des religions "prophétiques" et des religions "mystiques".
Le problème que nous signalons ici sera repris et clarifié, lorsque
nous comparerons les recherches du professeur d'Oxford avec la pensée
paniWcarienne, Sachons que l'Inde valorise toujotirs l'attitude exis
tentielle comme R, PANHOC/xIi le souligne dans Los dioses y el Senor,
p. 85,
127

Tout en percevcint 1 ^intérêt de la perspective proposée par R, Panilckar,


nous nous interrogeons sur le risque possible de verser dans le minimalis-
me, "J'appelle 'religion*, écrit-il, tout ce qui a la prétention de libé
rer l'homme" (l) ou ; "Pour moi la 'foi' dans n'importe quel 'complexe'
ayant la prétention de 'sa,uver' (communisme, humanisme accomplit la
tâche que la foi dans les religions traditionnelles prétend remplir, c'est
donc pour cela que je crois qu'un homme en bonne foi (comme le dit le lan
gage commun) se sauve" (2), R»est-on pas tenté, alors, de dire avec
G, Bruaire, que"la religion devient équivalente à la non-religion", qu'on
est rédiiit "à des positions minimales" car "la religion voulant tout dire,
ne dit plus rien" (5) ?
Nous pourrions, ici, inciter à une certaine prudence dans le
jugement. Si l'on part d'une définition traditionnelle de la religion,
on peut en arriver aisément à considérer que la position panildcarienne est
miniraaliste, sinon dangereuse, voire erronée, liais nous voudrions ici sou
ligner le droit d'émettre une hjrpothèse, l'intérêt d'ouvrir une piste inha
bituelle aussi, non par souci de l'insolite mais dans un esprit d'ouvertu
re et de compréhension vis-à^-vis du dynamisme interne, profond et fréquem
ment constatable dans l'être humain, Nous savons, en effet, que la foi
comme réponse n'est pas de soi la foi et que la question est nécessaire.
Nous dirons, enfin, au terme de ce paragraphe, que si la foi est une
question, si elle comporte cet aspect "question", il reste qu'ttne question
est un projet de réponse, un projet de vie certes mais aussi un projet de
logos. Ceci nous amène naturellement à envisager une nouvelle étape
notre investigation.

(1) R, PANIKKAR, L'herméneutique de la liberté religieuse, p. 98.


(2) R. p;jnKK/Jl, L'herméneutique de la liberté religieuse, pp. 98 - 99.
(3) G, BRUAIRE, L'herméneutique de la liberté religieuse, p. 99,
128

§ 8 - FOI ET LOGOS

A • IntrodTootion

'"En Indé, dit H* Le Saiix, l'homme n'a pas ressenti le besoin


d'ob^eotiver, comme des projets hors de soi» en face de soi le mystère
divin en son 'fond' - au fond de son âme, de son être, de sa perception,
en sa pensée, en sa conscience, au fond des choses, au fond de l'univers...
..le spirituel de l'Inde se refuse à nommer le mystère... L'adoration
ne peut que s'achever dans un recueillement ineffable au sein de l'Etre,
en l'expérience de sat~cit-ânanda, comme il l'appelle, c'est-à-dire
d'être, de conscience d'être, de félicité essentielle, de joie d'être" (l).
L'hindouisme ne percevrait pas comme nous la nécessité d'énoncer une
dogmatique bien structurée. Les hindous "ne conçoivent pas la vérité
religieuse en termesdogmatiques" (2). Ce qvii prime, c'est l'union avec
Dieu, une union indescriptible qui n'est pas sans rappeler, peut-être,
le souci de Maître Eckhart de rejoindre Dieu au-delà de ce qui est dit de
lui, l'apophatisme et la théologie négative, saint Jean de la Croix et le
Nuage d'inconnaissance.

Jusqu'ici, le christianisme, né dans le milieu méditerranéen, est


marqué profondément par le génie grec et par son intellectualisme. Il
tient à se dire lui-même, La venue de non-conformistes appelés héréti
ques lui apparaît comme un danger redoutable, H faut alors protéger le
peuple contre Arius à Nicée, contre Nestorius à Ephèse, contre Luther à
Trente. La dogmatique moins conceptualisée de l'ère apostolique s'orga
nise donc a,u fil des siècles, au rjrbhne des conciles, les grandes écoles
théologiques assurant progressivement une structuration et tine synthèse.
Le développement dogaatique suit son cours, mis en valeiir par J.H. Nev/man.
Il ne serait plus facilement pensa,ble, chez nous, d'avoir une théologie
qui porterait sur la seule Ecriture sainte et qui forait abstraction de
la réflexion séculaire postapostolique. On pourrait ajouter aussi que
Dieu "ne s'est pas tu à la mort de saint Jean", mais qu'il est présent
dans l'inventaire du révélé à travers les Pères de l'Eglise, les théo
logiens, les mystiques, les assemblées conciliaires, les documents pon
tificaux, sans oublier les textes liturgiques.

(1) H, LE SAUX, La rencontre de l'hindouisme et du christianisme, p. 35.


(2) R.C, ZAEHNER, L'hindouisme, p, 11,
129

Le christianisne occidental, spoclalenent le catholicisme, serait


soucieux de compréhension, de clarté, d'orthodoxie, La raison est au
rendez-vous de sa démarche religieuse. On doit dire, cependant, que les
chercheurs s'accordent souvent pour affirmer que la foi n'est pas simple
connaissance tout en étant aussi connaissance et qu'elle n'est pas simple
comportement non-signifiant et imposé par le milieu de vie, tout en étant
aussi comportement et dynamisme. On admet également que la religion cher
che à répondre aux questions fondamentales de l'homme mais qu'elle n'appor
te pas un assouvissement intellectuel. Sans qu'on puisse,réduire sa démar
che à une activité rationnelle, l'Occident apparaît plus obsédé d'intellec-
tion par ra,pport à l'Inde qui partage et développe moins le souci dog'iati-
que. On trouverait plus facilement chez nous l'activité de la raison, le
Jeu minutieux de la, dia,loctique, la propension à la conceptualisation et
le risque d'une thooriso-tion qui ne concernerait pas toujours l'homme
existentiollement,

Il est possible, en plus,que la, distinction ne soit pas toujours ai-


soe entre ce qui vient de Dieu - que nous pourrions appeler le reçu — et
ce qui vient de l'home -que nous nommerions le construit , Une large
recherche devrait s'élaborer sur la relation entre le reçu et le constrviit
qui mettrait certains points en évidence. On sortirait du sujet à la dé
velopper ici mais ,on peut suggérer quelques éléments, La recherche sou—
lignera,it qu'il y a, du construit, par exemple, dans l'enseignement catho
lique, On penserait notoixaent aux facteiors humains de la rédaction bibli
que et à l'influence de courants philosophiques et de situations histori
ques sur la théologie et sur la régulation pratique du christianisme.
Qp.'on se ra,ppelle aussi la distinction entre ce qui est de fide définita
definitg, sententia proxlma fidei et sententia communie,
Pace au construit, le croyant s'efforcerait de ne pas le nier. Il
tenterait -tâche nécessaire mais combien difficile - de le cerner, afin
d échapper à toute majoration du construit et, par conséquent, du reçu.
Il pourrait relativiser le construit en observant des présupposés qui ne
seraient pas intangibles. Il se réj-ouirait de l'existence et de la possi
bilité du construit qui laissent à l'homme le droit et le devoir de chemi
ner et de chercher. Grâce au reçu, le croyant, catholique par exemple,
verrait la lumière que l'homme "laisse à lui—même" n*a,urait pas encore
acquise et il trouverait un fondement à l'impératif moral. Il s'ouvrirait
aussi au reçu de démarches religieuses extra ecolesiam.
130

Face à ce que U.C. Zachner appelle des religions mystiques, le chris


tianisme apparaît comme une religion prophétique. Il se présente avec des
racines géographiques et historiques repérablesIl se réfère à des man
datés - comme l'islam (l )~ remontant à Abraham,' aux grandes figures vété-
rotestamentaires et, a,u sommet, au Christ, "Yerbe fa,it chair", apparais
sant comme révélateur suprdme et comme critère fondamental ••,

Cette référence au Christ laisserait toutefois, nous l'avons dit, une


large place au logos humain et à la raison. De même que Sanka,ra apprenait
l'humilité du monde, de même R, Panikkar viendrait ici nous apprendre ou
nous rappeler l'humilité du logos, ïï. Le Saux précise que le Chrétien est
mal à l'aise à partir du moment où il franchit les frontières de la culture
occidentale et cela parce que le christianisme actuel a un profond enraci
nement sémite, grec et latin (2), Il souhaite, du reste, qu'on ptiisse re
voir les conceptions philosophiques sur lesquelles nous avons assis notre
théologie et qu'on cherche a,u-delà de nos conceptualiso.tions "le terrain
ferme de l'expérience de 1'intellectus" (3)« H sait que Dieu est plus
loin que les réussites humaines, philosophiques et même spirituelles, plus
loin que rites et formulas, plus loin que la conscience (4), C'est cette
problématique que rejoindrait, peut-être^ Eamakrishna lorsqu'il écrit :
"Toutes les religions sont des chemins qtâ condirLsent à Dieu, mais les che-r
mins ne sont pas Dieu" (5).

B, Perspectives de R. Panikkar

Si nous rappelons notre cha,pitre 1 et l'article consacré à la raison ,


nous savons comment R« Panikkar parle du logos.

On voit la raison :

1) organiser la connaissance sensorielle sans toutefois percevoir le


Principe Suprême iiihérent aux choses, si elle n'est pas enrichie par
la foi et par l'intuition;

(1) Coran 2 : 13O; 5 : 78; 33 : 7î 42 : 11î 57 : 26 - 27, etc.


(2) H, LE SAUX, La rencontre de l'hindoiiisme et du christianisme, p, 32,
(3) H, LE SAUX, La rencontre de l'hindoriisme et du christianisme, p, 56.
(4) H, LE SAUX, La rencontre de l'hindouisme et du christianisme, p, 117.
(5) L'enseignement de Râraakrishna, publié par J, BERBERT, p, 231»
pensée 682,
151

2) être génératrice de concepts socio-cuLttirelleiaent situés, nécessai


res pour une relation intra-culturelle siais difficilement tradtdsi-
bles en vue d'un dialogue trans-culturel où le mythe serait plus
utile, suscitant une relation plus dialogig.UG que seulement dialec
tique ;

3) engendres? éventuellement idéologie et système spatio-tonporellenent


-K*
conditionnés, ouverts à la tolérance dans la mesure où ils ne sont
pas a,utosuffisants et où noxis avons confiance en l'autre que nous
rencontrons.

Le professetir de Santa Barbaradit alors que le dialogue entre les re


ligions doit être "un dialogue religieux, au niveau même de la foi, au lieu
d'être une dispute rationnelle"(l), La fol n'est-elle pas "adhésion suprar
rationnelle, et donc super-conceptuelle, à la Vérité suprême" (2) ? "On
ne peut nier le caractère intellectuel de la foi sans nier la foi ello-nêne;
pourtant la foi ne peut être Identifiée avec aucun de ses parar.iètres. Là
gît la, force et la faiblesse de l'orthodoxie" (3),
La théologie scolastique distingue l'acte de foi et sa formulation
conceptuelle, La foi est un acte salvifique qui saisit les choses en elles-
mêmes et la conoeptualisation ne serait qu'une approche de quoique chose
qui la transcende, sans quoi on violera,it la transcendance et la sumatura-
lite. Le transcendant, parce qu'il est ce qu'il est, ne peut donc entrer
"en relation univoque avec une formulation intellectuelle quelconque" (4).
L'acte do foi ne pourrait alors dépendre de formulations inaltérables.

Il reste, cola dit, que la, conceptualisa,tion itinérante de la foi de


l'homo viG.tor lid. reste nécessaire. Elle a besoin, cette foi, d'un véhicu
le intellectuel, La foi doit pouvoir "se dire", A cette fin, elle dépend
du système conceptuel qui l'exprime, La qualité .de cette expression est en
fonction de deux choses : d'une pairb, de la, qua,lité intrinsèque du système

(1) R, PAIîIKKAE, L'homiae qtii devient Lieu, p, 20,


(2) R, R/liiriKEjiR, L'homme qtii devient Lieu, p, 26,
(5) R, PAlîIKKAR, L'homme qirl devient Lieu, p, 35,
(4) R, PAMKKAR, L'homme qui devient Lieu, p, 34,
132

philosophique utilise etj d'autre part, de l'intuition "exprimant avec plus


ou moins de profondeur lê contenu ineffable" (l)
La foi est supérieure à sa conceptualisation bien que celle-ci lui
soit nécessaire; La foi est un moyen de rejoindre le but ultime, elle vi
se "l'acquisition de cette valeur qui est le centre de la finalité humai
ne" (2), elle achemine vers la plénituâe, au-delà de 1'orthodoxie et de
l'orthopoièsis, au-delà des divergences doctrinales et morales.5 don de
Lieu, elle serait, pour l'homme, "la capacité de devenir ce qu'il doit
être" (5).
Nous nous rappelons ainsi ce que R. Panikkar a dit sur la foi comme
ouverture à la transcendance, sur la foi comme question plus que comme
réponse® Si nous y revenons, c'est que, peut—être, le moment est venu de
comparer différent types de rencontres entre l'hindouisme et le christia
nisme comme le fait J® Ries (4). On aurait d'abord une approche spirituel-
le et contemplative avec Rogers, Monchanin (5) et le Saux (6), B. Griffits,
sans oublier Santiniketan, l'Université fondée par R. Tagore. Ensuite^
on distinguerait une approche semblable à celle de Justin, de Clément
d'Alexandrie, de Tertullien, et des Ca-ppacodiens, soit une recherche philo
sophique et théologique scrutant s^ti et smrti et portant sur les grands
sujets des pensées de l'Inde comme les doctrines âuBrahman, de l'âtman,
du karma et du samsara. On pense aux recherches des jésuites en Inde (7).

(1) R® PANIKKAR, L'homme qui devient Lieu, p. 35» Mais il y aurait toujours
une transcendance de la réalité et de la vérité par rapport à la con
naissance et au disootirs humain comme le dit l'Auteur, dans Los
dioses y el Seîïor, p. 84.
(2) R, PANIKKAR, L'homme qui devient Lieu, p, 41.
(3) R. PANIKKAR, L'hoimne qtii devient Lieu, p® 34, Le problème se pose,
pour nous , de savoir qui dira à l'homme ce qu'il doit être.
(4) Voir J. RIES, Rencontres des croyances et des religions de l'Inde ,
pp. 236 - 243.
(5) Voir surtout J. MONCHANIN, Mystique de l'Inde, mystère chrétien.
(6) Le lien est clair entre Monchanin et Le Saux. Voir H, LE SA.ÏÏX, sur
Monchanin, Swami Parana Arubi Anandam en 1958 si leur colla,boration pour
pour A benedictine ashram^ pour Ermites du sa,ccidânanda.
(7) Voir les appréciations dans R® LE SMET, J. NEUNER, La quête do l'Etemel,
pp. 59-6OJ 73 - 75; 83; 87-88; 98-100; 111-116; 125-127; 138-139;
152-153; 163 -164; 174-178; 186-187; 198-199; 209-213; 250-231;
243-'244; 253-254; 302-305; 345-348; 358-358.
153

Et, en troisième lieu, on aurait l'approche spécifiquement panikkarienne


qui ne se situerait plus au niveau des doctrines mais au niveau existen
tiel «où se retrouve une fin identique : la divinisation de l'homme et
son union avec l'Absolu" (l), les deux religions^ la chrétienne et l'hin
doue, ne se pouvant rencontrer, aux yeux de H. Panikkar, qu'au niveau où
elles se rencontrent réellement, soit le nivea,u existentiel, La foi a
ses racines dans l'Absolu (2)j la foi comme question, comme dimension cons
titutive de l'homme est xiniverselle (5), car Lieu parle à tous (4)^
les deux religions peuvent connaître tension et opposition dans cette ren-^
contre (5), mais elles peuvent "se sourire", si ce ne sont pas deux cultu
res q\ii s'a-ffrontent mais deux religions enga,geant l'homme entier (6) et
qui se rencontrent en Lieu, là où elles prennent leur so^urce (7). Et ne
s'agit donc pas d'envisager une colonisation de l'une par l'autre, il ne
s'agit pas non plus d'une co^existence avec une façade d'unité, les deux
marchant stir le même chemin mais coupé dans le sens de la longueur, il ne
s'agit pas d'un oecuménisme naïf faisant comme si aucvine incompatibilité
dialectique ne les séparent, il ne s'a,git pas d'un marchandage honteux,
do ut des, de vérités pour trouver un dénominateur coimnun, suffisant pour
constxtuer une sorte d'internationale theiste, unie et forte face aux tenta
cules prometheens du matérialisme milita,nt, mais bien de prendre conscien
ce de ce que l'unité existe entre nous puisqu'elle existe en Lieu, et d'en
prendre conscience la ou elle se manifeste déjà, par exemple, aux yeux de
R, Panikkar, en Isvara.» Les deux religions porirraient "co-ek-sister" plus
dans un in-esse que dans un co-esse, chacime pourrait se convertir à l'au
tre pour la "con-prendre", pour s'incarner en elle, pour en "racheter"la
substance fondamentale.

R, RIES, Rencontres des croyances et des religions de l'Inde, p, 258.


R, PANEKKAR, L'homme qui devient Lieu, p, 57,
R, PAlîIKKAR, L'homme qui devient Lieu, p. 99,
R, PAinÉKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 11,
R, PAÏÏIIŒAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 36,
R, PANIKEAR, Le Christ et l'hindouisme, pp, 3I - 32,
R, PAIŒKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 33»
134

Gela dépasserait la simple "démarche diplomatique" et s'insoritait dans le


dynamisme de l'histoire (l).

Dams une certaine mesure, on pourrait donc dire que l'unité existe
déjà entre les hommes si on les considère dans leur source radioa,le qu'est
Dieu, mais que le problème est d'en prendre oonsoienoo. Cette prise de
conscience serait elle-même un fait religieiix, ma-is ne devrc,it-elle passer^
aussi, pam la ra-ison ? Si celle-ci n'est pas le tout de l'homme, n'en
constitue-t-elle pas une des richesses majeures dont il est difficile de
faire abstraction ? Pourquoi ne serait—elle pas au rendez—vous ?
ÎTous percevons l'intérêt des perspectives panikkariennes. Nous sa
vons que la comparaison des discours peut n'être que jeu d'éruûits, nous
comprenons aussi que la polémiqué ou la controverse ne résolvent pas tous
les problèmes de la vie. Nous nous rappelons aussi l'humilité du langage
et ae la, ra,ison. On peut toutefois continuer de s'interroger.
En arriver à des affrontement dialectiques, cela constitue-t-il en
soi la mort de la pensée et du progrès, de la philosophie et de la théolo
gie ou bien un tel affrontement, dans la charité et da,ns la foi, ne serc,it-
il pas pour l'homme une chance d'aboutir un jour à la clarté ? La raison
est-elle l'ennemie de l'existence ou bien repose-t-elle sur celle-ci ?
L'existence ne porte-t-elle pas en elle une aspiration à la raison, à la
structure, à une certaine clarté ? Y a-t-il en soi conflit entre le dialecr
tique et le dialogique ?

L'Auteur répond alors, justement croyons-nous, qu«"il ne s'agit point


de mépriser la raison ni de nier les droits et même la médiation du logos»
mais de découvrir dans l'homme une profondeur plus grande, dans laquelle
s'inscrit précisément la problématique de la foi" (2).

(1) R, PAJnSKAE,. Le Christ et l'hindouisme.n. 34.- Dans The Trinity and the
Religious Expérience, l'Auteur suggère au Christianisme de dépasser ses
particularités culturelles. "Le dépouillement chrétien devrait être com
plet" (p. 3), La foi chrétienne devrait conduire à la plénitude et àla
conversion de toutes les religions. Elle vit dans le temps et le coeur
de l'homme. Il lui faut une forme historique par conséquent, mais une
forme qui est me forme. Le christianisme actuel est lié à l'Occident
mais on ne pourrait sans particularisme l'identifier avec la foi chré
tienne (p. 4),
(2) R, PAMKKAR, tlythe et foi, p. 55,
135

Il n'en veut pas à la raison, mais il veut la situer (l).

Ces nuances entendues, rappelons, pour établir un état de la question


les points les plus marquants qui sont acquis, semble-t-il, dans notre
recherche sur foi et logos s

1) la raison est importante, surtout si elle est enrichie par la foi


et par l'intuition;

2) la raison s'escprime par des mots et des exposés mais ceux—ci peuvent
parfois faire écran

3) le système do pensee doit toujours être ouvert et ne pas tourner en


idéologie autosvifflsante, conquérante et intolérante;
4) la relation entre les croyances diverses peut être plus que discur
sive et conflictuelle;

5) le souci légitime d'orthodoxie ne doit pas être un obstacle à la


rèlation;

6) la conceptualisation ne peut être une prise de possession du


Transcendant ma^is elle reste un véhicule intellectuel .nécessaire;
7) la foi vise à nous conduire à notre but ultime qui est plus qu'un
syllogisme ou qu'un système;
s) la perspective d'un co-esse qui serait un jn esse»

Il paraît intéressant de prolonger ces propositions par une ouverture


que notre Auteur suggère, en 19^3, à deux données de l'hindouisme, d'une
part l'initiation (diksp,) el^ d'antre part, l'herméneutique * (mTnânsâ).
L'initiation hindoue montre que l'Inde a étudié le problème de la
"tradition active" (l'acte de donner, de transmettre ...) reçue par une
"herméneutique active" (soit la réception comme telle de ce qui est donné),
soit "le fait de pouvoir donner le parquet fermé et de recevoir le paquet
ferme sans l'ouvrir" (2), La religion se soucierait plus alors de trans
mettre le salut que de le théoriser, de donner le salut plus que de prê
cher une doctrine, d'opérer une co«naisaanoe''que de proclamer une connais
sance.

(1)11, PAITEKKAR, IV^the et foi, p, 61,


(2) R, PANIiaCAR, Sur l'Herméneutique de la tradition, p, 346,
136

Elle pourrait, dans cette ligne, éviter d'identifier trop tôt le Logos avec
ke^ygma, le Logos avec un message, alors que l'Occident a, peut-être,
intellectualisé trop le don gratuit qui était transmis (1),
En plus de l'initiation, l'hindouisme fournit un effort poxir une her
méneutique absolue (mlmansa) dépassant toxijours la simple analyse ration
nelle. Cette herméneutique étudie soit le dharma -elle poarbe sin? l'action
et les actes rituels sauvertrs en se centrant sur les brahmana (2) - soit
s'agit alors de mimânsâ suprême, ou uttara-mimâhs'â,
appelé Tedânta ou brahmamimânsâ dont le but est de faire connaîtrel'Absolu,
en se centrant sur les ïïpanlsad (3), Pour l'hindouisme, la sruti est per
çue bien autrement que la Bible ou que le Cora.n. Getix-ci contiennent un
message venant d'ailleurs, nécessitant des prophètes, exigeant la connais
sance de leur ethos pour les interpréter ainsi que des institutions auto
risées pour assurer leur pleine compréhension et l'on assiste alors à "la
course des herméneutiques" (4). Pour la "srati, qui serait étemelle, les
choses sont différentes î elle est sans auteur, elle est elle-même la pa
role intégrale, le révélé en soi et non le véhicule d'un message venu
d'autre pajrt (5),
(1) R, P/jnKKAIi, Sur l'herméneutique de la tradyion, pp. 346 - 347.
(2) R. PAITIKKAR, Sur l'herméneutique de la tradition, pp. 347 - 348, Sur
les règles et sur l'esprit de ce mîmansa, voir Le fondement du pliira-
lisme herméneutique, dans ^mitizzazione e Imagine, pp. 243 - 269,
(3) R* PAîriZKAii, Sur l'herméneutique .e la tradition, p. 349»
(4) R. PAÏTIKKAIi, Sur l'herméneutique
.e la tradition, p. 351» On peut di
re au passage que les institutions contrôlant la qualité des herméneu
tiques n'existent pas dans toutes les confessions chrétiennes.
(5) R. PAiUIŒilR, dans Spiritpaltta indu, p. 36, écrit ; "La révélation
chrétienne est 1' automanifestation divine en Jésus Christ" qui est plus
une personne qu'une doctrine et qui serait plTis qu'un fait limité his
toriquement, soit la "personne théandrique du Christ qui parle, c,git et
se révèle non seulement dans le passé historique, nais aussi dans le
présent concret et dans la sphère supranattirelle de la tempemité".
La révélation hindoue, par contre, serait plus le fait d'une illuiaina-
tion interne liee a la, méditation de la sruti» La révélation védique
différé de la Bible, dit l'Auteur, da,ns The Vedic Expérience, pp. 13 -
14, en ce sens qu'elle révèle l'homme au milieti des trois mondes : le
divin, l'humain et le cosmique, plutôt qu'elle ne proclar.ie un messa,ge
divin transmis par un médium de type prophétique.
157

Que viennent faire ces considérations dans notre recherche ?


Eaymundo Panikkar précise que l'influence grecque a poussé le christianis
me à percevoir le Logos d'abord comme intelligible (l), comme si le Logos
avait parlé une fois pour toutes, révélant une connaissance su-prême, nous
laissant ultérieurement comme des orphelins. Alors l'herméneutique de la
tradition et de cette connaissance devient centrale et des institutions
ecclesiales en assurent la qualité. Pour l'Inde, la. vao ne serait pas ré
duite au Verbe intelligible. Elle serait "la Parole intégrale, sa maté-
riaJité, son écho cosmique, sa gra.phie visible, son sens et sa significa
tion",., la "cristallisation du brahman, sa congélation da.ns le temps et
dans l'espace" (2). Prolongeant et éclairant ceci dans la discussion qui
prolonge son intervention, le professeur de Santa Barbara se demande si
l'Occident ne fut pas tenté de mettre trop l'accent sur l'orthodoxie, alors
que, s'il faut celle-ci, s'il faut uaie tradition correcte d'un contenu,
un bon enseignement et d'ne aussi un magistère, la tradition chrétienne
est aussi "traditio clavium, gratiao, sa.crajiientorura" et pa,s seulement
"traditlo doctrina,e" (5), car la. tradition doit être plus que celle d'une
herméneutique ou d'un contenu doctrinal mais surtout celle du Révélateur,
puisque "la vraie tradition est toujours ,,, une descente de Lieu et une
présence immédiate", soit "la. continuation d'un Logos viva.nt" plus que
"la tradition d'un kerigaa" (4),
Notre Auteur revient ainsi à une idée qui lui est chère à savoir que
"l'universalité ultime ne peut pa.s se trouver dans une sphère noétique",
La foi n'est pas, de nouveau, d'a.bord une réponse mais elle est un dyna
misme, soit "qui est quelque chose de vivant, qui est un a.cte de foi, une
foi—acte, action, rea-lito, attitude humaine tottvle", soit la participation
"à ce mouvement du Corps mystique vers sa plénitude" (5), La vraie tra.di-
tion serait non pas seulement celle d'un contenu intellectuel mais la, re-
présentaticndu Révélateur, l'actuaJisation du Christ vivant, "du Christ
réel, qui n'est ni un Christ pensé ou interprété selon n'importe quelle
herméneutique, ni un Christ figure exclusive du passé, mais le Christ to
tal d'hier, d'aujourd'hui, de toujours, donné par l'acte total du culte,
(1) R, PANIKKAR, Sur l'herméneutiqtio de_la tradition, p. 357,
(2) R, PANIKKAR, Sur l'herméneutiqize de la tradition, 358,
(3) R. PilTIIŒAR, Heaanéheutiqne et tradition, pp* 36O - 361.,
(4) R, PANIKK/iR, Herméneutique et tradition, p, 36I, Kerygma est écrit
kerigma dans le texte,
(5) R» PANIKKi\R, Herméneutique et tradition, p, 362,
138

dans la participation par la foi, l'espérance et la chaxité, dans le même


acte par lequel le Pantocrator crée, rachète et glorifie le cosmos" (l).
Tout ceci vient de nous montrer uti' exemple illustrant l'utilité d'uc
dialogue Orient-Occident, Sans doutej si l'on nous permet un jeu de mots,
nous pourrions dire que les Orientaux désorientent souvent les Occidentaux
que nous sommes. Pour le confirmer, replongeons-nous, maintenant, plus
explicitement encore, dans le topos hindou, avec le mythe de Prajâpati et
l'herméneutique que Pu, Panilckar en établit» ÎTous avancerons dans la dé
couverte de sa pensée sur l'Absolu,

(1) R. PMIKEAR, .Sag. l'herméneutique de la tradition, p. 363,


159

§ 9 - LE MïTIffi DE PTIA.JÂPATI

"Une foi q_'ui prétend être "universelle, doit pouvoir inspirer, fécon
der, convertir des religions autres que celles qui jusqu'à présent ont été
le véhicule de cette foi, elle doit être capable aussi de se grèffer sur
d'autres mythes Nous croyons qu'me fécondation mutuelle entre hin
douisme et christianisme dans la profondeur mythique,, est de nos jours non
seulement "une possibilité, mais aussi un impératif de notre kaxros" écrit
B». Panikkar (l).
Nous nous rappeloihs la pensée de l'Auteur sur le mythe , sur ce qu'il
entend par mythologomène , mythème , démythologisation et transmythi-
sa-tion, Nous savons qu'à ses yeux le mjrfche exprime mieux que le discours
logique intra-culturel ce que l'homme est (2) et le dynamisme profond de
chaque être (3)« Comme le présent chapitre est centré sur Dieu ou l'Absolu,
nous nous devons de sui"vre le professeur de Santa Barbara dana sa lecture
du mythe de Prajâpati, un mythe sur Dieu,
Le mythologomène de Prajâpati nous révèle celui-ci comme Dieu par
excellence, de qui tout est né, qtii a l'énergie procréatrice, qui est
l'Unique, le premier sacrifiant, l'Etre comme Absolu, le itoahnan, le
Principe Suprême, la Réalité Ultime, "Dieu est le Q;ul sous—jacent à tout
et vers lequel tout se dirige" (4),

Uotre Auteur distingue trois moments du mythe,

1 ® "i In solitude

Au début, c'est le rien, le non-être, l'absolue vacuité. Rien que


l'Un, L'Etre se fait Esprit et se dit "que je sois". Il j Ifî
Soi (âtman). L'Etre ne vit que le Soi, il en prit conscience ; Je
suis (so'han). Il y eut, à ce moment, rupture de solitude, "Le fait
même d'être impliqué,d'être avec soi : c'est le principe de la ré
flexion, de la. conscience et de l'être. L'esse est toujours
co-esse (5),
(1) R, PAUIKKAR, La faute originante, p, 69,
(2) R, P/iimaCAR, Le mythe comme histoire sacrée, p, 279* Nous avons àér^
jà posé la question de savoir si le mythe n'est pas, come le logos,
tributaire lui aussi de son milieu d'émergence.
(3) R. PMIKKAR, Le mythe comme histoire sacrée, p, 3OI,
(4) R, PARIKICAR, La_fa.ute originante, p, 71*
(5) R* PARIKKAR, La faute originante, pp, 72 - 73»
140

En naissant, la conscience a pera. On n'a pa,s peux loEsqu'on est seul


nais lorsqu'on sait qu'on est seul. Réfléchissant svir soi, Prajâpati
perd sa solitude sereine et sa sinplicité. Pourtant, sa peur disparaît
avec la certitude que rien ne peut l'agresser. Il subsiste toutefois
l'ennui, l'absence de joie. Cet enraii engendre le désir de l'a,utre et
ce désir est au début de l'expansiçn, du "sacrifice, de l'aliénation, de
la croix" (1),
2° - le sacrifice

A défaut de natière première pour créer le monde, Prajâpati se sacrifie


lui-nêne et son démembrement est "le sacrifice primordial par lequel tout
a été fait" (2), La création serait donc sacrifice, don de soi-même,
immolation créatrice, Pre.japati étant simultanément le sa.crifiant, le sa
crifié, celui qui reçoit le sa,crifice et le résultat de celui-ci.

(1) R, PARIKIAR, La faute originante, p, 73. Nous citerons ici la


Brhadâranyaka-Uponisad, I, 4 : "Le Soi (âtman) existait seul, à l'origi
ne, sous la forme du purusa,j en regardant a,utour de lui il ne voit rien
d'autre que lui-même. Il prononça d'abord 'je suis' ". Trad, L, SILBUEM,
voir l'introduction à l'Aitereya TJpa,nisa,d, p, 22, Nous reviendrons sur
le Puamsa et sur le sacrifice primordial,
(2) Le Soi était seul à l'origine, dit l'Aitereya IJpanigad, I, 1, p, 27,
C'est alors qu'il engendre le monde (l, 2s., p, 27), Prajâpati, manifes-i
tation de Brahman était seul existant, au début, dit la Î4aitry Upanisad, i
Prapa,tliaka V, 2, p, 25. Voir aussi la. Erhad-Ziranyalg;!, ïïpanigad, I, 4»
1, p, 10.
On mentionne la peur ressentie alors par 1'âtman (l, 4, 2, p. 10) avant
qu'il se divise en deux (l, 4, 3, p, 10), Même idée en I, 4, 10, p. 10
eti, 4f11»p. 15. On parle a.ussi dans les Upanisad du désir, ches
Prajapati, d'avoir une descendance, voir la Prashna ïïpanigad, I, 4, p, 214,
Ces références sont loin d'être suffisantes, Nous ne pouvons nous livrer
à une étude de toutes les ïïpanigad, maJLs il nous semble utile de souli
gner, au passage, ces quelques textes pour sentir quelque peu, de façon
concrète, la. racine hindoue et upanisadique tout spécialement, du mythe
de Prajo.pati. Nous laisserons donc a,ux spéciadistes le soin d'établir
un relevé complet et de se livrer à des analyses plus approfondies.
141

Tout est parti du besoin intrinsèque de se multiplier, non d'un amour


poin? un non-moi qui n'existe pas encore. Tout viendrait d'nne concentra
tion de l'Un sur soi-même. On aurait donc ensemble Kâma qui est le désir
précité et tapas, soit "l'ardeur primordiale, le feu initia,l, la concen
tration divine, l'énergie et la force créa,trice qui déclenchent tout le
mouvement cosmique" (l),

3° - 1'intégration

Le corps démembré de Prajâpati engendre les créatures et, le sacrifice


étant consommé, il ne reste rien de lui. "Lieu est mort d'a,voir créé,
il s'est immolé pour que sa créa,ture soitj le monde n'est pas autre chose
que le Lieu sacrifié, immolé", Praôapa,tl sera reconstruit par le sa,crifi-
ce, comme l'agnlhotra.

Une fois nées, les créatures s'éloignent de Lieu, parce qu'elles craignent
d'être réabsorbées par lui. Les voilà cependant en pleine confusion.
Affranchie du Créateur, la créature devient chaotique. Lieu doit rentrer
en elle pour lui redonner^ vie, Léguisée en vache, la créature est fécon
dée par Prajapati sous la forme d'un taureau (2), "Lieu doit redescendre,
la manger, s'unir à elle, perpétuer donc l'inceste pour la diviniser, pour
la faire parvenir à l'unique fin que Lieu peut avoir : lui-même" (5),
R, PiJIIKICAE, La faute originante, p* 75.
R, P/JLEKIUIR, La faute originante, pp, 77 - 78.
R, PAUIKEAR, La faute originante, p, 78» Voir aussi le retour des créa
tures à Praja,pati dont elles omanont dans la Prasna Upanisad, II, 7, p, 15
et dans la Mundalca Upaniga^d, I, 1, 7, p, 85 II, 1, 1, p. 11, Sur les
mythes hindous de l'inceste, R, P/JCEKEAR, dans Mora-le du mythe, p, 56O,
note les références aux écritures sacrées de l'Inde dans lesquelles le
thème revient souvent, Uous devrons aussi renvoyer à rin antre article im-;
portant sur la qiiestion, The myth of incest as symbol for rédemption in
Vedic Indig, pa,ru dans Types of rédemption, pp, I30 - 143,
Nous y retrouvons les étapes du mythe s le vide total initial,' l'Un incons
cient, la, 3olitu.de qui prend conscience d'elle-même, le désir de procréa,- -
tion, la créa,tion, comme acte sacrificiel et démembrement du corps, le dés-
intéresseiaont' des créatures et l'inceste qui exprime non la création cos-^
mique mais un second moment auprès la "faute originante" du sacrifice pri-
mordial. Voir pp,_^133 - 139 avec références nombreuses.
En fécond.ant, Pra.1apa.ti no peut fa^talemont que pénétrer une créature issue
de lui. L'inceste pourrait s'expliquer en fonction de différents motifs,
soit 1) un type anthropomorphe d'amour où le Créa^teur tombe aiïioureux de sa
fille; 2) le désir de donner vie à un être créé imis encore inerte; 3) la
volonté de ramener les créatures vers leur fin; et 4) aussi faire partici
per la créature à la fécondité divine, où, autrement dit, élever la créa,-
t^•lre au rang de partenaire pour que le monde continue, dans le sens d''.une
"divinisa,tion dsnianique", p, 139. Le tabou de l'inceste pourrait ainsi
être expliqué, bien que n'étant pas universel, par l'interdiction d'imiter
l'ante même de l'Absolu, p, 143. Sur les trois éta,pes : solitude, sanri-
fice et intégration, voir aussi The Vedic Expérience, pp. 51-54 et 78.
142

Après avoir pris oomaissanoe du résumé du mythologomène de


Prajapati (l)j quelle interpréta.tion lui donner ? Nous voudrions mettre
en évidence quelqties points importants de l'herméneutique panikkarienne.

1) L'Occident ne devrait pas accuser l'Orient de panthéisme car le mythe


de Prajapati ne doit pas mener à une telle interpréta,tion. On ne peut
confondre panthéisme et démembrement de Dieu, Ce qu'il faudrait voir,
c'est Dieu créant non à partir de rien mais à partir de lui-même, non
ex nihilo ni ex Deo, mais a Deo (2), Le monde résulte du don de Dieu par
Dieu.

2) En deuxième lieu, et cela pourrait nous rappeler l'humilité du monde


observée dans le système sankarion, la création n'est qu'illusion aussi
longtemps qu'elle se coupe de sa source, comme si elle se suffisait en
elle-même. Elle doit dépasser sa "créaturabilité",
5) Apartir du mythe, Ro Panikkar envisage l'histoire non comme une sim
ple succession d'événements analjrsables, par exemple^ dans une relation
de cause à effet, qui serait strictement intramondalne, mais comme un
processus où l'home retrouve ses racines, se construit, se fait et ren
tre dans sa soirce, L' 'homme est ainsi" une 'étincelle' divine, un mo
ment de la récréation de Dieu, un élément du sacrifice divin qui refait
à l'inverse la chute originante" (5), la faute originante qtii était le
démembrement précité.
On pourrait ainsi parler d'une rédemption ontique, La création ne
serait qu' "un premier moment du grand drame théandrique de la réalité ;
au sacrifice de Dieu correspond le sacrifice de l'homme, à la création,
la, divinisation" (4) et l'histoire "le second acte du drame de la créa
tion, 'festî'le complément inverse du même acte divin" (5), Il faut recons
truire le corps de Prajapati (6),

(1) On le retrouve résumé dans E, PAtmaLlE, Morale du mythe, pp. 562 - 363.
l'iême scénario dans Phe silence of the word, pp. I60 - 162.
(2) R. PANIKEAR, La faute originante, p. 84; feyâ e Apocalisse, pp. 80s.;
Création and Nothingness, pp. 344 - 352.
(5) PANIKKAR, La fa,ute originante, p. 85; Le mythe comme histoire ssnroe,
pp. 267 - 269.
(4) R. PANIKKAR, La faute originante, p. 86.
(5) R. PANIKI{7iR, La faute nriginante, p. 85.
(6) R. PANIKKAR, Eor an Intégration of Roality. p. 20
145

4) Il y a,, dans ce mythe, la perception profonde du lien intime entre


l'Absolu et l'Etemel, d'une part, et,, d'autre part, la créature et l'hisr
torique, H n'y a pa,s, d'im c8té, un Dieu indépendant q\ii n'anrait rien •
à voir avec les hommes et, d'un autre côté, des hommes indépendants, qui
n'auraient rien à voir avec Dieu. C'est dans ce sons que notre Atiteiir
parle du "mystère théandrique de l'existence" (l). L'homme est appelé
a évacuer en quelque sorte sa contingence, sa, créaturabilité, à mourir
à un certain dualisme, non pour renaître au monisme philosophique mais
pour découvrir l'advaita, cette dimension de la réalité où Dieu et la
créature ne seraient ni Un (risque de monisme amorphe et inacceptable),
ni deux (dualisme rationaliste), où Dieu se donne lui—même par amout? à
une cr0a,ture qui trouve la, plénitude ontique dans la, rentrée en sa, source.
Son existence serait une faute, une faillite et un péché en tant que
'béistence coupée de sa source" et, ajoute-t-il ; "surtout de son terme"(2).
Nous retrouvons ainsi -une remarque, déjà relevée, de notre Auteur, à savoir
que l'Inde se pa,ssionne plus sur la, fin que sur le commencement, plus sur
1'oméga que sur l'aApha, plus sur l'etemité que sur le temps, plus sur
Dieu que sur le monde, plus sur l'homrae qui atteint son but que sur
l'homme en chemin (5),

Une telle pensée semble intéressante sur plus d'un point. N'est-on
pas séduit par ce mythe progressif ? N'est-on pas séduit par l'idée et la
clarté de ce cheminement en trois étapes ; celle de la solitude, celle du
sa,orifice, celle de l'intégration ?

On pourrait éventuellement suggérer quielquos comparaisons. Certes,


en aucun ca,s, disons-le clairement, nous ne voulons nous lancer dans des
exposés et prendre position concernant des auteurs et des systèmes où les
spécialistes eux-môme ne sont pas tous, .d'accord, sur ^lesquels ils propo
sent des interprétations diversifiées. Nous ne pouvons même en proposer
un résumé.

(1) R, P/iNIIŒAR, La faute originante, p, 87,


(2) R, P/iNUCKAR, La faute originante, p, 82,
(3) R» PANIICÏ/iR, Le mystère du culte, p, po. Bien qu'en d'autres mots,
nous retrouvons ces points d'herméneutique du mythe de Prajâpati dans
The myth of incest, pp. 159 - 145,
144

Cependant, il nous paraît intéressant de signaler que R. Panikkar et le


mythe de Prajapati ne sont pas les seuls à parler de 1' 'émanation" des êtres
finis à partir de l'Un et du retour vers l'Un. Plotin y est ouvert (l),
Hegel y aurait pense (2). Saint Thomas, tout en insistant sur la création
comme acte libre de Dieu, nous montre le Créateur et la création puis le
mouvement de la créature vers Dieu et le Christ servent de chemin (5).
Ces rapprochements suggérés., nous laisserons à d'autres l'analyse et l'é
valuation de ces pensetirs.

Dans les comparaisons possibles, il faut signaler le rapprochement


établi par R. Panikkar entre le mythe de Prp.;iâpa.ti et le mythe d'Adam (4).
Des deux côtés, il est question d'un comiaencemont heureux, d'une unité pri
mordiale, d'un Principe primordial qui sort de la solitude et de l'inacti
vité pour produire l'existence, le temps, l'espace, tout ce qui se meut, et
notamraent les hnmnins. Il existe donc un premier moment d'origine qui crée
pour que l'Un sorte de la solitude, ce qui révèle un double mouvement à
l'intérieur du Principe lui-même et aussi vers 1' extérieur. Dieu se dé
membre et engendre le monde. C'est la création de la r.:ultiplicito où le
cosmos et l'homme ont la même origine. Dieu -le monde - et l'home co
existent. L'Un devient origine parce qu'il fait naître. Cette "chute" prq-
voque l'existence historique de l'horxie.

(1) Voir P. COPLESTOK, Histoire de la philosophie, La Grèce et Rome,


pp. 488 - 496 qui semble nuancé. Voir aussi H, DDMSRY, Philosophie de
la religion, t. 1, pp. 44 - 49,
(2) Par exemple, voir P. POUILLEUX, Introduction aux système de Maix et
Hegel, pp. 36-58? P« GREGOIRE, Hégel-Peuerbach, pp. 116 - 117? avec
une interprétation particulière de la divinité du Christ si l'on en
croit, pa,r exemple, P. ASVELD, La pensée religieuse du jeime Hégel,
pp. 140 - 143o
(3) Saint THOî-îAS, Somme théologique, I a, 2, proaj.abule et le prologue de
la III a Pars. Voir I a, q. 44 et 45 (de modo emana.tionis rerun a pri-
no prinoipio) et poior le retour à l'Un s la Ilae q. 3. a. 8.
(4) Hous résumons ici R. PAHTKEAR, Eor an Intégration of Reality, pp. 34-
35. On peut se demander si un tel rapprochement tient compte des
divergences.
L'herméneutique chrétienne du mythe adamique n'a-t-elle pas, en effet,
développé la théologie du péché et de la grâce ? Nous savons aussi
l'intérêt de la pensée paulinienne sur le "Nouvel Adam".
145

De là,on observe le désir de l'honne d'être conne Dieu et, en Dieu,


une ardeur parallèle pour l'hor.me et pour le cos-nos, cofine unt double mou
vement d'en-bas vers le haut et d'en-haut vers l'abysse, le double mouve
ment du sacrifice et du sacrement. L'univers apparaît alors comme un tout
en relation, comme une famille, comme un macro-organisme, ITous sommes les
membres du corps démembré et notre tâche autant que notre privilège sont
de remambrer le Corps, de le rendre entier, d'intégrer les fragments de
l'univers éparpillés a travers le temps et l'espace. L'énergie, pour ce
faire, peut venir de toutes les latitudes mais elle n'a qu'une source
unique,
146

§ 10 - M HSIOÎT G0SÎ40THEM1I)RIQ,IJE

Au moment de ce chapitre sur Dieu où nous sommes arrivés, il paraît


intéressant de synthétiser les idées de R, Panikkar concernant ce qu'on
peut appeler maintenant le remembrement de Prajâpati ou son refus de cen
trifuger le réel.

Le professeiu? de Santa Barbara a le souci des synthèses, de la re


cherche d'un horizon global, d'une intégration de toute la réalité, d'une
intuition unifiant l'expérience des millénaires et des générations. Nous
savons qu'il hésite à distinguer, à séparer la philosophie,la science et
la théologie. Il refuse aussi d'être asservi par des systèmes de pensée
auto-suffisant s ou fermés. Il ne veut pas non plus accepter les cloison
nements de la recherche spécialisée. Notre Auteur a soif d'unité, de dia
logue, d'harmonie, de convergence. Il veut proposer comme une synthèse
ouverte ou un système susceptible d'être complété sans cesse, en sachant
et en adiaettant que cette synthèse ou qtie ce "système" puisse, être
l'objet de diverses interprétations. Notre tâche serait de remembrer le
corps démembré, c'est-à-dire de "guérir" et d'intégrer les fra,gments de
l'univers, éparpillés dans le temps et dans l'espa.ce.

Dans la synthèse qu'il propose dans Por an Intégration of Reality,


R. Panikkar croit percevoir ce qii'il appelle les trois moments kaîrologi-
ques de la conscience humaine, trois attitudes htmaines fondamentales,
sans toutefois les présenter comme trois étapes nécessairement successives
de l'humanité, établies sur une ligne du temps, car, à ses yetix, chaque
moment est présent dans les deux autres. Il excluerait donc l'idée d'un
évolutionnisme rigide (l) et nous proposerait une perspective qu'il Juge
reposant sur une recherche abondante, sur son expérience et sur son in
tuition (2),
Les trois moments seraient le moment oecuménique, le moment écono-
mique, prolongé par l'interlude écologique, et, enfin, le moment catho
lique (3),

(1) R, PANIKK/lEI, Por an Intégration of Reality, p, 56.


(2) R, PANIIQÙiR, Por an Intégration of Reality, p, 39*
(3) Précisions, dès l'abord, que les adjectifs vont prendre un sens
proprement panikkarien.
147

I, Le moment oecTJmeniq'ae

L'homme primordial (l) vit dans la natiire qui est sa maison. Il se


nourrit de la terre, il la cultive. Il fait partie intégrante de la natu
re. Le divin est toujours sous-Jacent. Tout est sacré et l'homme est une
partie intégrante du tout. Le voilà donc qui cohabite avec les forces na
turelles et avec les forces divines, La terre, dans sa structure mentale,
est le centre de l'univers et la. vision de l'homme pourrait être appelée
00smocentrique (2), Dans le tout dont l'homme participe, dans l'univers
qui apparaît comme un organisme vivant, la vie se manifeste comme une so
lidarité où chacun est responsable de l'ensemble.

Cette période pourrait être appelée "agriculturelle". Elle se rencon


tre souvent dans l'histoire et, aux yeux de R, Panikkar, elle est rejetée
à partir du momient où l'âme du monde est identifiée avec Lieu ou l'Esprit
Saint. (3), à partir du moment où philosophes et théologiens distinguent
le monde et Lieu. (4), à partir du moment où la nuova sciontia. la renie com
me animis.me primitif. "La, ma,théma,tisa.tion du monde engendra: une rupture
dont nous conmiençons à pa.yer les conséquences" ajoute-t-il (5),
L'homme primordial vit plus qu'il ne pense. Plus qu'il ne se réfléchit,
il est. Son intelligence est encore à un moment extatique (6). Elle est
comme passive (7),
(1) R. P/iRHaCdR, Eor an Intégration of Reality, p. 39; l'Auteur y préfère
parler d'homme "primordial" plutôt que d'homme "primitif" parce que ce
dernier terme pourrait supposer un Jugement de valeur et une disconti
nuité entre l'homitie d'autrefois et l'homine d'aujourd'hui. On retrouve
les développements qui suivent dans T^ new Innocence, pp. 7 - I4.
(2) R. P/iRIKlAR, Por an Intégration of Reality, p. 41, note 6l, où il cite
E, MERSCH, Le Christ, l'homme et l'univers, p. 13 ; "Le monde, dirait-
on, fait un tout, un ensemble, et cet ensemble est humain -il est un
'macranthropos' ". A ce niveau, l'Afriqtie aurait gardé peut-être plus
une spiritualité "tellurique", la sensation d'une création unitaire à
laquelle l'homme participe. Voir R. VîmKKIJi, Los dioses y el Senor,
pp. 27 - 28. L'Auteur précise toutefois que toutes les valeurs afri
caines ne sont pas positives, p, 29.
(3) R. P/iNIKKAR, Por an Intégration of Reality, pp. 42 - 43.
(4) R» PAMKKAR, J^2?_an Intégration of Realitjr, p, 44,
(5) R« P/JinùC/ili:, Pc^ an Intégration of Reality, p, 46.
(6) R, PArriKEC/Jl, Por an Intonation of Reality, p, 63.
(7) PAIIEKKAR, Por an Intégration of RegRity, p, 64,
148

II* Le moment économique

Ce deuxième moment serait caractérisé par la mentalité scientifique


et par l'attitude humaniste, "L'homme découvre les lois de l'univers, les
structures objectives du reel, il distingue, il mesure, il expérimente" (l)»
Le voici "roi" de l'univers, progressivement. Son esprit lui apparaît
comme le critère d'intelligibilité. Aristote définit cet homme comme un
"animal doué de raison", ce qui néglige sa divinité et réduit, en même temp^
son animalité. La diastasis commence, A ce moment,l'homme connaît. 11
sait qu'il connaît. La Raison peut porter une majuscule (2),
L'homiae s'éloigne de la nature, il s'aliène, il prend conscience de
son individualité. "Le centre de gravité glisse du cosmos vers l'hommd'(3).
Ainsi donc, à la vision oosmocentrique de la réalité succède une visioîi
qu'on peut appeler anthropocentrique.
Ce moment économique est un fait et un fait irréversible. En lui-même,
il présenterait des apports positifs. Le niveau de vie commence de monter,;
Beaucoup de problèmes humains, parfois cruciaux, sont de plus en plus réso--
lus par la science et par la technique. La civilisation moderne s'élabore.
Pourtant,, ce moment ne présente pas la réponse ultime et il comporte des
hypothèques, même si personne ne souhaite revenir à un mode de vie pré
scientifique.

Cl) R, P/JniaCAR, Eor an Intégration of Reality. p. 48.


(2) R. P/dnK3C/LE, For an Intégration of Reali;^. pp. 50 - 51, où il souli
gne la négligence de la matière et de la praxis, 11 voit deux réac
tions. L'une, celle de Maanc et de Engels, par exemple, et l'autre,
celle dos "siiprarationnels" où il situe le fidéisme, le supra-iationa-
lisme, le néothonriLane, l'existentialisme et le mysticisme.
(5) R. PMIKRAR,. For an Intégration of Reality, p. 51. Dans tenisno^y
p. 61, l'Auteur parle alors du "cancer sciontiste" qui détiuit
l'hommej p. 98, il fait allusion au mythe de l'homme come être auto
nome, spécialement aujourd'hui, pp. I68-I69. L'Auteur refuse un mon
de seulement naturel, p. 173, issu de l'huimanismo en réaction autono
me, p. 188, humanisme anthropocentriqiio, p. 198, avec pour fondement
philosophique le rationalisme, p. 204, 11 décrit, à nouveau,,1'auto
nomie, pp. 210-211 et la. présente comme tme erreur, p. 236.
49

Nous arrivons aujourd'hui à ce que il, Pa,nikkar noixie "l'interlude


écologique" (l). Si, théoriqiienent, on peut dominer la nature, si l'on
pexit vivre en paix, sans conflits idéologiques, s'il est possible de sup
primer l'injustice et la misère et de créer ainsi le bien-être, l'horme
moderne perçoit les limites des rêves d'hier. L'avenir lui pose des ques
tions angoissantes, en effet, La cassure n'aiogmente-t-elle pas, par exem
ple, entre les nantis et les autres ? Les confrontations ne se multiplient-
elles pas ? La nature réagit aussi à des siècles d'abus et de pillage.
Les ressources s'amenuisent, des espèces sont menacées, les conditions
d'environnement sont perturbées. La nature, exclue du débat, commence do
perdre patience, pourrciit-on dire.

L'homme affirme alors qu'il faudrait user de la. nature plus raison
nablement, Naît un nouveau logos : c'est l'écologie. Elle veut réconci
lier l'homme a.vec la nature. L'homme ne se considère plus comme un monar
que absolu, dit notre Auteur, mais comme un "monarque constitutionnel" (2).
On parle alors de relation "anthropocosmique" (5)« On pourrait introduire
ici le concept de "techniculture" pour désigner la nouvelle conscience de
la relation homme—monde, pour exprimer la nouvelle sensibilité par rapport
au corps, à la matière, à la société et au monde,

III, Le moment catholique (4)

L'écologie pourrait diriger l'humanité vers une expérience plus inté


grale, L'homme, toutefois, se devrait d'a,ller plus loin que la recherche
de solutions technologiques primaires, comme au sujet de la dépollution
ou du contrôle de la natalité. Il devrait accéder à une métanoîa et trou
ver un ordre ontonomique.

(1) K, PMII{KAR, For an Intégration of Roality, pp, 55 - 61, Ailleurs,


dans Gdie Vedic Expérience, p. 122, l'Auteur note que "l'écologie est
une science sacrée pour l'homme védique",
(2) R, P/iNIKKAR, For an Intégration of Reality, p, 58,
(5) N. PANUaLfiR, For an Intégration of Reality, p, 6l.
(4) R. PANII{K/iR, For an Intégration of Reality, pp, 6l - 68, Signalons,
si cela était nécessaire, que le mot "catholique" est utilisé dans le
même sens que lorsque l'Auteur parle d'oecuménisme "catholique".
150

Le troisième moment ka,ïrologlqtie coïnciderait avec tine vision cosmothéan-


driqne de la réa,lité (l), qui serait plus que le oosmocentrisme de l'hom
me primordial ou que l'anthropocentrisme du moment économique. L'urgence
en parait universelle à l'Auteur qui parle de moment catholique.
Commence la recherche d'une"nouvelle innocence". Il existerait dans
l'home un noyau ca,pahle de permettre me régénération.
Mais en quoi consiste la vision cosnothéandrique ? R, Panildcar en
décèle des lueurs dans la conscience primordiale et originale. Il observe
1'écartélément opéré par les découvertes qui intoxiquent progressivement
l'humanité. Il apprécie celles-ci na,is il ajoute que, si les vagues sont
ca,ptivantes, elles ne doivent po,s nous détourner de l'océan entier (2).
ITous le suivons dans la recherche de l'unité au-delà des divisiong ('3)j
les sages devant rappeler la totalité, "l'entier", même si l'analyse et
la discriminaytion ont pemis des progrès que personne ne conteste.

(1) L'Auteur met sur le même pied "cosmothéandrisrne" et "théanthropooos*


misme". Le second terme serait peut-être plus juste parce que
"anthrêpos" désigne l'Homme, tandis que aner vise le mâle. Il recon
naît que, en Occident, le terme "theandrique" souligne toujours la
relation entre l'humain et le divin et il admet que "cosmothéandrisrne"
est plus euphonique, dans For an Intégration o# lieality, p, 69.
(2) Pl. PAHIHKAFu, For an Intégration of Reality, p, 69. Il faudrait "tout
prendre" : le divin et l'humain, l'essence et l'existence, la tradition
et le progrès, etc. dit-il dans The Vedic Fxperience, p. JUTI-, prendre
le sacré et le profane car tout est sacré, dans Maya e Apocalisse, p. 26
valoriser la fonction liturgique de l'homme sans négliger le social, le '
politique ni le scientifique, dans Rtatattva, p. 41. L'Auteur a besoin
de la science, de l'art, de I0, connaissance de la création, de la physi-
q^ie, de la médecine, de la technique, mais aussi de la philosophie de la
religion, de l'activité apostolique, etc., po^ur développer au mieux
tout ce que Dieu a, donné. Voir Theandric vocation, pp. 68-69,
(3) L'Autour souligne que dans la culture humaine on evit souvent l'habitude
de distinguer dos triades : mondes des dieux, des hommes et ce qui est
en-dessous? ou bien ; ciel, terre et monde inférieur; ou encore ; passé,
présent et futur; voire : le spirituel, le psychique et le corporel; ou,
enfin ; le corps, l'âme et l'esprit.
151

Il cherche ime vision globale (l).


Ce ne peut être une syhthèse raccourcie éliminant des parties du réel
qu'elle ne pourrait intégrer. Cela s'est produit dans l'histoire. Dieu,
comme pur esprit, fut privé de matière et de corps, devenant, dans le dis
cours des théologiens, comme un être immuable et immobile. L'homme aussi
supprima son animalité, puis, dans une certaine mesure, sos sentiments,
poTor devenir res cogitans, roseau pensant, machine qui parle. Il faudrait
donc éviter tout réductionnisme spirituel et matériel, car "au.cune partie
du réel ne peut ou ne devrait être annihilée en faveur d'une autre partië'(2)
On ne peut couper les communications entre les ^hères du réel (3).
"Notre a.ffirmation fondamentale, alors, écrit R, Panikkar, est l'ul
time unité de la réalité"(4). Le divin, l'humain et le terrestre "sont
les trois dimensions irréductibles qui constituent le réel" (5). Les
parties soit en relation avec l'entier, elles n'en peuvent être retirées,
elles sont les dimensions d'un tout,

"La vision cosmothéandrique surpasse la dialectique parce qu'elle dé


couvre la structure trinitaire du tout" (6),

(1) Tout serait intéressant pour cette vision globale : la ms.tière et


l'esprit, le bien et le mal, la., science et le mysticisme, l'âme et le
corps. Voir R, PMIKK/Jl, Por an Intégration of Reality, p, 71 • Le
même, on peut tenter de résorber dans une synthèse les cloisonnements
entre théologie et philosophie, dit l'Auteur dans Humanisme y Cruz,
pp. 12 - 13. La vision globale devrait, p, 27, tenir compte des sen
timents, des intuitions affectives, morales et intellectuelles, de le. fqi.
(2) EL» •P/ATUdC/iR., Por an Intégration of Reality, p, 72.
(3) C'est pourquoi l'Auteur qui est docteur en science, en philosophie et
en théologie se considère comme un, comme monos, dans Philosophy as
Life-Style, p, 199» "L'atomisne ontologique représenterait la destrucr
tion de l'être" note-t-il dans Spiritualità indu, p, I7.
(4) R, PiJnmC/iR, Por an Intégration of Reality, p, ^2, Dans Mâyâ e
Apocalisse, l'Auteur rappelle que l'Inde cherche l'unité, pp. 19-20,
et que, par exemple, elle n'oppose pas science et foi, p, 18,
(5) R. PAHIIŒ7iR, Por an Intégration of Reality, p, 74. Dans l'esprit du
védisme, dit l'Auteur dans The Vedic Expérience, p, 73, l'homme sans
Dieu n'est rien, pas plus que Dieu sans l'homme. L'un sans l'autre
serait sans consistance. Le divin, l'humain et le cosmique sont liés.
(6) Ri. PINIKICAR, Por an Integra,tion of Reality, p. 74»
152

Ainsi, premièrement, chaque être atirait une dimension abyssale, transcen


dante et immanente, inépuisa.ble et insondable, "Tout ce qui est est parce
qu'il parta-ge le mystère de l'Etre -et du Iîon»»Etre comme certains pour
raient préférer le dire" (l). Tout ce qui existe est _sa_t - être. Deuxième-,
ment chaque être se situe dans un champ de conscience, il est pensable, il
peut être relié avec la conscience de l'homme. Tout ce qui est affirmé ou
nié se trouve connecté avec notre conscience. Le réel peut exister sans
que je le connaisse mais il est ^el pour autant qu'il entre en relation
avec ma conscience. Troisièmement, chaque être est dans le monde, il est
en relation avec le cosmos, l'énergie, l'espace et le temps (2).

Dans cette perspective, pas de Dieu sans le monde, pas d';5me sons
corps, pas de monde sans dimension divine ni dimension de conscience. Dieu
ne sero,it pas sans ma,tière ou sans espace. Si Dieu était soustrait do sa
créa,ture, celle-ci s'évanouirait. Ainsi, le lien entre les choses fait
exister les êtres. Pa,s de monde sans créateur. Si le théiste peut penser
in a,bstraoto un Dieu sa,ns créatrire, ce Dieu n'existerait pa,s car il n'exis
te pas, puisque ce qui existe en fait est un Dieu avec créature.

Le réel apparaît ainsi constitué par trois dimensions ; l'élément


empirique ou physique (cosmos, nc-tière, énergie), l'élément noétique ou
spirituel et l'élément métaphysique ou transcendant (qui soulignerait l'inér
puisabilité de toute chose, qu'il s'agisse du cosmique, de l'humain ou du
divin).
En vertu dti principe cosmothéandrique qui souligne la. relation entre
toutes les choses, le monde ne sera,it pas seulement un habitat ou une par
tie extérieure à moi—même ou étrangère au tout. Ea rela,tion avec lui se
rait constitutive. Je suis lié à lui. Je ne pourrais donc le nier pour
ne considérer que Dieu ou que l'ême. De plus, iXQ cosmos sans l'homme ou
sa,ns la conscience ou sa„ns le besoin divin n'est pas le cosmos que nous
expérimentons (5)« De même aussi. Dieu n'est çu ne serait pas a,bsolument
l'Autre.

(1) R. PANIKE<AE, For an Intégration of Reality, p. 75.


(2) R, PAMKKAR, For an Integra-tion of Reality, p. 78. Comme nous l'avons
signa.le à un autre endroit, il n'y a,urait donc pas, selon le professeur
de Santa Barbara, de réel sans matière. Le réel ne pourrait donc ja
mais être désincarné. Voir R, PAEEKKAR, ^ilosophy as Life-Style, p. 199,
(3) R. PAIUÏEKAtl, For an Intégration of Reality, p. 87.
155

L'absolue transcendance serait déjà contredite par la pensée qu'on en a(l).


Dieu est l'unique "Je" dont je suis le "Tu". Il ne serait donc nullement
un être fermé. Le Dieu siiprême n'est jamais seul, pour lui-même. (2).
Il ne peut être question, dans cette vision cosmothéandrique, d'un
Dieu sans fonction cosmologique ou cosmogonique. Il est le Dieti de l'hom
me et le Dieu du monde. Le divin, l'humain et le cosmique seraient plus
reliés que séparés : le cosmos a un pouvoir créatif, l'homme a soif de
supra-humain et le divin a une inclinaison humanisante (3). L'homme est
au carrefour où se croisent les trois dimensions (4),
Pour éclairer sa pensée, l'Auteur prend l'image du mandala ou du cer
cle, Cercle, circonférence et centre sont liés et ils n'exiôtent pas l'un
sans l'autre, "Après tout, la circonférence est le centre grandi, le cer
cle est la circonférence remplie et le centre est comme la semence des
deux antres" (5),

(1) R, PiJ^IîQI/Jl, Philosophy as Life-Style, p, 200,


(2) R, PAITIKICAR, The Vedic Expérience, p, 355, Pour l'hindou, dit
R,0, Z/iEHNlUR, dans Inde, Isra,ël, Islam, p, I40» pus de creatio ex ni-
yil?» ï'®'® d'abîme entre l'homme et Dieu, Dieu ne se trouverait jamais
tout a fait hors de l'univers. Dieu est, p, I42, "ce qui pénètre tou
tes choses et cependant est autre qu'elles",
M, DH/i-Viffi^OKY, dans L'hindouisme moderne, p, 106, souligne que les Chré
tiens peuvent estimer la. conception hindoue de Dieu comme fondement de
toute existence et du moi spirituel de l'homme, comme être pur, cons
cience pure, béatitude totale, comme être bon,ami de tout vivant, à
la fois transcendant et immanent,
(3) R. PAITIKOR, ^r an Integra.tion of Realitj'", p, 89, Dieu ne serait
plus sans la créature d'après The silence of the word, p. I63,
(4) R. PAMIKKAR, For an Integra.tion of Reality, p, 90, "Nous pouvons en
core avoir une vue extatique et intégra.le de l'univers si nous cessons
de réclamer une position privilégiée et exceptionnelle pour l'homme con-
ne s'il était le but et le produit final de la créa.tion" dit l'Auteur
dans Tho Vedic Expérience,p, II4. Dans Hunanismo y Crus, onvoit'lhom-
me, p, 38, composé de corps, d'amo, d'esprit et de divinité, H est
situé entre le divin et le monde, pp, 42 et 49, sacerdotal, p, 50, "Dieu,
l'homme et le monde sont les trois principales réalités existantes",
p. 223, Animal religieux, p, 240, l'homme a sa fin en Dieu, p, 243,
(5) R, PANIKICAR, F.or an Intégration of Reality, p. 90, Voir aussi The new
Innocence, p, 13.
154

Le cosmos étci,it le centre dans le moment oecmnéniqne où l'on parlaât do


cosmocentrisne, La perception de cette erreur a poussé l'humanité à cher
cher un autre centre a,insi que la circonférence. On en est arrivé alors
à des conceptions théocentriques jusqu'au moment où l'homme s'est rendu
compte que c'est lui qui avait intronisé Dieu coiome centre. Par réartion,
l'homme décide alors de se situer, lui, comme centre, et c'est la phase
dite économiqtie ou humoriste,

Pace à ces réductions détotalisantes, la. vision cosmothéandrique re


fuse de graviter seulement autour du seul cosmos, ou seulement a.utour du
seul homme, ou seù].ement autour du seul Dieu, L'homme modome a corne tué
un Dieu insula,ire et isolé, La terre s'en prend aujourd'h^^i de plus en
plus à un homme qui s'éta,it a,véré sans merci et d'une étonnante raparité.
Les dieux d'hier paraissent négliger l'homiae et le cosmos. C'est come
si l'on avait touché le fond, "A la rarine de lOv sensibilité écologique,
il y a un effort mystique et ati fond de la compréhension de l'homme, il y
a. un besoin pour l'infini et le non-compréhensible. Au coeur même du di
vin, il y a un désir pour le temps, l'espace et l'home" (l).

(1) R, PARIKKAR, For an Intégration of Reality, p, 91. F. FALLOïï, dans


Pour un vrai dialogue entre chrétiens et hindous, rappelle la richesse
de la recherche hindoue sur le Dieu-ïlère et la place importante, dans
cette pensée, de la saJkti ou force divine, pp, 137 - 138, Il souligne
aussi le caractère sacré de l'i-inivers entier dans lequel rien ne se
rait vraiment profane, pp. 139 - 141. C'est l'Occident qui distingue
davanta.ge le monde sacré et le monde profane, note R, P/JJIKKAR, dans
Humanisme y Crus, p, I67,
155

§11 - LE ÎÎYSTEEE TRIKITAIIffl

Pour R, Panikkar, lo. Trinité est tiiie réalité fondamentale, La théo


logie chrétienne en est imprégnée. Le %stère an cause rend possible
l'Incarnation, une Incarnation qui laisse intacte et l'unité et la, perfec-
tiondivines (l). L'Absolu chrétien est pensé comme Trinité (2) et le
]yiy-bère trinitaire pourrait résoudre le problème de l'Un et du nuLtiple (3),
pour reconduire de la dualité vers l'unité (4),
Plutôt que de s'attacher à redire le discours chrétien traditionnel,
l'Auteur préfère se laisser prendre par l'Inde. Ainsi, pour un advaitin
soulignant la non-dualité et ne mettant pas l'accent sur la relation
"je - tu", l'Absolu apparaît comme m Amour englobant le tout dans lequel
une partie du tout peut aimer une autre partie du même tout. Mon amour
est amour divin. Si l'on garde l'aspect personnel de l'Amour, la doctrine
trinitaire semble, aux ye'ox du professeur de Santa Barba,ra, comme pouvant
être expliquée par 1'advaita (5)« Le Père est l'ultime Moi qui engendre le
Fils comme son Toi manifestant le Lui et l'Esprit est l'Amour personnifié •
du Père et du Fils. Ce ne sera,ient pa,s trois êtres distincts nais l'unique
Moi qui s'aime Soi-même dans le Toi (le Fils) et décou-yre sa non-dualité
(l'Esprit), ce qui expliquerait le mouvement de l'Etre sans second (6).
Comparant advaita et Trinité, l'Auteur distingue Brahnan, l'Absolu,
l'Inconnu, et, d'autre pant, Isvara, le Seigneur, le Créateur, le Dieu (7).
C'est dans les ecoles hindoues de la, bhakti que la prééminence est donnée
^ comme Dieu personnel. Il est la personnalité de Dieu dans les
Upanigad (ô) où sa fonction est d'être révélation de Brahman, le "premier
issu des profondeurs de Brahman", l'aspect personnel de Braliman, lequel ne
peut être une personne car il lui faudrait être avec les choses dans un
rapport compromettant son canactère absolu.

(1) R, PAITIKKAR, La, sécularisation de l'herméneutique, p, 216.


(2) E, PAiniQùlR, Der Ishvara des Yedanta. p. 446, The Trinity and the
Religious Expérience, p. 42,
(3) R. PAJJIKKAR, Der Ishvara des Vedanta, p, 450»
(4) R. PAUEEHAR, Der Ishvara des Vedanta., pp. 454 - 455»
(5) R. PAlTIIUiAR, Advaita. and Bhakti, p. 299,
(6) R, PANIKKAR, Advaita and Bhalcti, p, 308.
(7) R« PANHŒAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 152.
(s). R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 154»
156

/
Isvara serait le Créatetœ, la grâce, la connaissance de Brahman, le
Seigne-ur, Il est Brahman, et il le sait. Il est le Bien qui agit et au
quel on aspire. Il fonde et la transcendance et l'immanence de Brahman (1 ),
Pour l'Auteur, dans ce passage, on aurait un Brahman nirguna, sans lien,
immuable, unique, simple; ensuite le monde, susceptible de changements,
multiple, composite, doté d'attributs. ^
Entre le Brahman nirguna et ce mon-
—• - '• '• • !

de, il existerait un rapport "x" en Isvara, Ce de quoi tout procède, à quoi


tout retourne, en quoi tout existe^ est Dieu, non pas un Dieu silencieux et
inaccessible (le Père), ma,is Isvara, le Eils, le Logos, identique au Père,
égal à lui-même par nature, à la fois tourné vers l'Inaccessible et vers
le monde,

L'Absolu désignerait le Père qui n'a pas d'être, en ce sens que l'être
du Père est le Eils. Le Eils serait l'identité du Père (3) et ce Fils
"ne peut influencer l'apophatisme de l'être du Père" (4). Dans l'Esprit,
l'home serait uni à Dieu^ Il serait un avec le Eils et atteindrait la
divinité sans toutefois accéder à la fusion avec le Père, La transcendance
divine serait sauvée et "la îtcinité chrétienne est ici la garantie pour la
distinction appropriée sans séparation" (5), Aux yeux de l'Auteur, advaita
et Trinité ne sont pas des antipodes. Les deux dogmes cherchent à sug
gérer 1'ineffabilité du mystère ultime (6). Ce qui nie la Trinité, c'est
la négation de la Trinité, dit—il, et non 1'advaita et ce qui nie 1*advaita,
ce ne serait pas la Trinité mais la négation de 1'advaita (7).

(1) R, PAHIKK/Jl, Le Christ et l'hindouisme, pp, 154 - 157»


(2) R« PAWIKK/jll, Le Christ et l'hindouisme, pp, 157 - 159«
(3) E, PANIKKAR, Das erste Bild des Buddha, pp, 383 - 384.
(4) R. PANIKKAR, Das erste Bild des Buddha, p, 383, A = A, dit l'Auteur.
Le premier A n'est pas, le deuxième A .estle Logos, soit l'expression
du premier A, l'expression du Père,
(5) R. PAîTIKKAR, Sunyatâ and Plëroma, p. 84.
(6) R, PANIKK/'iR, Rta.tattva, p, 56, H, LE SAÏÏX organise le dialogue entre
l'hindouisme et le christianisme autour du mystère chrétien de la
Trinité et du Saooidananda hindou, dans Sagesse hindoue, mystique chré-
tienne. Le même rapprochement se trouvait déjà dans P, JOHAMS,
La pensée religieuse de l'Inde, pp, 41 - 42.
(7) R* PANIKKAR, Rta,tattva, p, 46, L'univers hindou eit 1'univers chrétien
ont approché l'ultime par deux langage différents. L'un n'est pas la
traduction de l'autre, mais ne le contredit pas. Le premierne serait pas
nié et rejeté pa,r l'o,utre et réciproquement.
157

Se penchant stœ la Trinité chrétienne, il la juge importante po-ur


diverses raisons, lorsqu'il aborde le problème dans le contexte d'une recher
che hindoue-clorétienne (l), soit poiu? ;

1) éviter un monothéisme personnaliste aux traits anthropomo3?phiques;


2) diriger notre attention vers le myistère ultime sans supprimer, ce fai
sant, les "dieux" et les êtres surhumains5
3) souligner le divin comme relation, comme commmication infinie, comme
donation totale, comme sacrifice et iramola,tion, le libérant ainsi d'uie
substantia.lité statique;
4) montrer que le Père est asat, non-être, la Source, et qu'il est sat,
être, le Pils, le ïïeceveur, et qu'il y a une génération ontique étemelr
le, ananta,l'Esprit, le Don;
5) mettre un terme au dilemme dua,lisme-monisme, cax par m seul et même
acte, le Père engendre le Fils et crée le monde car tout est fait par
le Verbe de Dieu;
6) montrer que le Créateur et la création ne sont ni un ni deirx, souli
gnant non point l'apparente dualité entre le monde et l'Esprit mais
l'aventure spatiale et temporelle ad extra dans laquelle nous sommes
engagés ;
7) rappeler que, s'il y a une place poire nous dans la vie trinitaire, on
peut affirr.ier la réalité du monde sans affaiblir l'unicité du divin (2),

Si nous établissons un rapide état de la question abordée dans ce para


graphe, nous pouvons dire que l'Auteur :

1) considère le Mystère trinitaire comme fondamental;


2) ne développe pas prioritairement le discours traditionnel chrétien
sans toutefois le rejeter (3);

(1) Nous y reviendrons au chapitre 5, paragraphe 10, Disons simplement ici '
que l'Auteur appelle théologie "indienne-chrétienne" une théologie chré
tienne traditionnelle et occidentale qui s'efforce de s'adapter au mi
lieu de l'Inde, par un travail de traduction ou d'indigénation, et qu'il
appelle théologie "hindoue-chrétienne" une théologie qxii part directe
ment du topos de l'Inde, ce qiii est assez nouveau et suscite un intérêt
et un a priori favorable, nous senble-t-il,
(2) R, PANIKEIiR, Rtatattva, pp, 37 - 39»
(3) L'Auteur souligne son attachement à une interprétation orthodoxe et
ecclésiale comme il le dit dans The Trinity and the Religions Expérience,
p. 6,
158

5) suggère que 1'advaita et la Trinité ne s'opposent pas dans leur recher


che et leurs intiiitions fondamentales;
4) reconnaît et exprime synthétiquement led avantages du îfystère de la
Trinité chrétienne.

Des qtiestions, par ailleurs, se posent, qui nous poussent à poursxiivre


l'écoute du discours panikkarien. Par exemple : qui est le Père dans la
théologie hindoue-chrétienne de notre Auteur î Qui est le Pils ? Qui est
l'Esprit ? Qu'est-ce qu'un monothéisme personnaliste et que serait un mo
nothéisme non-personnaliste ? Que signifient les expressions asa.t et sat
dans le contexte hindou ? Ou encore, l'acte créateur du Père en Isvara
coïncide—t-il avec l'acte créateur trinitaire du monde et de l'homme ?

Pour chercher une réponse, l'Auteur élabore une réflexion préalable


sur les trois marga de l'hindouisme (sinon des autres religions) (l),

I, Le "Kariria-margà '- Idolâtrie"


Sous toute latitude, l'homme a cherché le contact avec le divin par le
moyen d'images, d'objets et de concepts. Ce fut, même pour Israël, le
grand péché et la grande tentation, Israël fut tenté par l'idolâtrie des
peuples voisins, des peuples visités et des peuples conquis. Ce peuple
admit que le contact avec le divin était possible avec l'Arche, avec la
Tente du Rendez-vous, avec le Temple, Il y aurait, pour notre Auteur,
une parenté entre cette démarche et celle des autres nations. De part et
d'autre, on parle à Dieu, on l'adore, on lui reconnaît des attributs.
Dans ce contexte, les prophètes s'opposera,ient aux rivaux de Yahwé plus
qu'ils ne s'attaqueraient à 1'iconolâtrie. Par après, les dhrétiens
eurent horreur des idoles -d'où beaucoup d'incompréhensions tragiques en
Afrique et en Asie- avant de les remplacer par l'image du Dieu d'Israël et
du Dieu révélé en Désusi Christ,

Pour Israël et pour le christianisme, la spiritualité est basée sur


un Dieu qui parle, qui agit, qui révèle. Il commande, punit et fait alliance.

(l)ïïous suivrons ici The Trinity and the Religious Expérience of lyian, paru
en 1973 et 1975 et revoyant The Trinity and ¥orld Religions. Icon,
Person. Fystery, publié à iMadras en 197O. Voir aussi,de notre Auteur,
Tovifard an Bcumenical Theandric spirituality, pp. 507 - 554.
159

R. Panlkkar voit ici la catégorie d'idolâtrie, la différence avec les au


tres nations étant que, d'une part, il existe un Rieu vivant, vrai et indi
visible et, d'autre part, une identification parfois hâtive (mais pas tou
jours évidente) d'une idole concrète avec le Dieu suprême (l)« Il y a
des deux côtés une relation entre l'idole et l'adorateur, une religatio .
H n'est pas question d'une hétérogénéité absolue, ITul ne vit pour une
pure transcendance, parce qu.' une pure transcendance ne nous concernerait
pas, parce qu'elle serait distante du toirbillon de notre existence. Dieu
est perçu comme compromis avec son peuple.

Le professeur de Santa Barbara distingue ici, d'une part, l'idolâtrie


comme transfert à une créature de l'adoration due à Dieu seilL, une adora
tion qui s'arrête à l'objet et qui est un péché et, d'autre part, l'icono-
lâtrie comme adoration d'un objet sur lequel descend la gloire de Dieu en
vue de faciliter voie montée de l'homme vers Dieu (2),
Il découlé, de la pr;miere tendance religieuse décrite, une spiritua
lité particulière. On y trouve l'action sa,crée, rituelle, salvifiquo,
l'accomplissement du devoir, le respect du karma propre à chacun, l'obéis
sance à la loi, en bref, une action destinée à permettre à l'homme d'at
teindre le salut, la fin, l'accomplissem.ent.

II, Après la description de ce premier type de spirittialité, R, Panikkar


aborde le "Bhakti-mârga - Personnalisme"

Israël nous lègue sa conception de Dieu et le Nouveau Testament la


maintient en l'approfondissant. Le Christ a été condamné non point parce
qu'il s'est présenté comme un homme divinisé ma.is parce qu'il se dit Pils
de Dieu, Il ose se dire a son peuple coiïime l'ima,ge divine qui commande
adoration et obéissance jusqu'au bout. Son crime, du point de vue juif,
serait d'évincer Tahwé, l'icSne d'Israël (5),

(t) li* PANIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, pp. 1*1 —15,
Israël sera,it le champion de la, vraie idolâtrie contre la fausse, dit
l'Auteur, car "l'ioÔne ne doit pas toujours être représnntée iconographi—
quement", p, 18,
(^)R, panikkar, The Trinity and the Religions Expérience, pp. 15 - 16.
(5) R. PANIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, pp. 19 - 20, Les
Juifs n'ont pu reconnaître Dieu dans le fils d'un artisan, dit l'Auteur,
dans Humanisme y Gruz, p, 275,
160

A la suite du peuple les Chrétiens insistent sur la relation


personnelle avec Dieu, Pour eux, la religion est un dialogue et un amour
entre des êtres personnels. L'obéissance n'est pas la soumission servile
mais la reconnaissance d'un Dieu qiii peut commander. L'amour n'est pas
l'extériorisation d'une affection spontanée ou d'une extase inconsciente
mais davantage un don mutuel. L'adoration n'est pas l'annihilation de la
personnalité face- à l'Absolu na,is l'affirmation de sa souveraineté. Le
péché n'est pas une trangression cosmique nais un fefus d'amour et du di
vin dessein d'amour. Dieu roste celui qui aine, punit, pardonne, en bref,
quelqu'un qui fait tout ce que fait une persoime. Le christianisme est
identifié progressivement avec le personnalisne et pour qu'il y ait me
relatiçn filiale avec Dieu, il faut que Dieu soit découvert comme m être
personnel (l).
Cette tendance se retrouve dans d'autres religions. Ainsi, "le che
min de dévotion et d'amour, bhalcti-nârga, est le fleurissenent normal de
la dimension personnaliste de la spiritmlité" (2),
Un tel chemin maintient la dualité. Il y a le divin qui me dit "tu",
qui me dome non être, non amour, .ma capacité d'aimer, sa grâce, qui m'ap
pelle a communier avec lui. Avec les Upanisad, l'homme religieux pourrait
trouver une expérience du Silpreme qui serait différente par rapport à celle
de la tendance personnaliste, en mettant moins en évidence l'objet qui est
aimé et le sujet qui a,inîe,

III, L'Auteur arrive ainsi au Jnâhâ-marga et nous retrouvons, l'advaita.

Il suggère au christianisme d'aller plus loin, au-delà de ses racines


juives et "méditerranéennes",

Dieu est Dieu pour sa créa.ture, dit R. Panikkar, en référence à sa


créature plus que pour lui-même. L'adoration est importante seulement pour
le fils incamé (3)»
(1) R, PAJniOCAR, The Trinity and the Religions Expérience, pp. 21-22,
Le "Je suis celui qui suis"vadansun sens personnaliste,reconnaît
l'Auteur dans Los -dioses y el Senor, pp, 55 - 58.
(2) R, P/dUKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, p, 25, Dans
le Yisnuisme, d'après l'Auteur, dans Spiritualita indu, on retrouve
rait aussi le théisme, "Le Dieu personnel est le but de la créature"
dit-il, p, 146, Il cite Ranânuja, Madhva, Nimbarka et Yallabha,
(5) R. PAMKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, p, 26,
161

Le concept chrétien de Lieu se réfère à une théophanie (Yaii-wé) et à une


épiphanie (Jésus), à quelque chose qui s'est passé à un moinent donné de
l'histoire et qui fut médité dans un contexte mental particulier. Cela
fait prohlène pour notre temps, dit l'/mteur. L'homme d'atijourd'hirl est
troublé, en quelque sorte, par une conception personnaliste de Lieu.
Serait-il un père indifférent au mal ? Peut-il vouloir la mort de son
Fils ? Exauce-t-il, avec évidence, avec efficacité repérable, les prières
de demande, adressées à lui par l'homme ? Aurait-il permis et permettrait-
il encore actuellement un monde tellement imparfait ? Le dialogue a,nnoncé
comrae personnel avec lui n'est-il pas ressenti comme un "monologue dialo-
gique" dans une foi ave-ugie ? Pourquoi se cache-t-il ? Ne ressent-on pas
l'impression qu'on peut agir en ce monde sans tenir compte de ce Lieu et
que cela n'entraîne pas pour autant des conséquences désagréables (l ) ?
La question se pose donc de savoir s'il existe autre chose, comm.e
expérience de Lieu, qui ne conduise pas de soi au dialogue inter-person-
nel, Epuise-t-on le mystère de Lieu en le dévoilant comme Personne ? Une
spiritua,lité est-elle pensable dans laquelle Lieu ne serait po.s mon Tu ?
L'Auteur répond que l'hindouisme peut ici prendre la parole. Les Upani^ad,
par exemple, ne reposent pas sur un Tu, volonté souveraine, nais stjx l'ex
périence supra—rationelle d'une réalité souveraine présente à l'intérieur
de nous-mêmes. Le Lieu des Upani^d ne iDarle pas, il inspire. Il est
Esprit , Ce qui lorino, ce n'est plus le couple "appel-réponse", mais la
comio-issanco, la co-naissance'^ l'expérience atteinte. Le dia,logue est
transcendé. L'idée personnaliste do la rencontre est dépassée. On ne cher
che plus le Tout-Autre mais le Lieu intérieur.

(l) H, PANIEKAR, Thg Trinity and the Religious E;rperienoe, pp. 27 - 28^
The theandric vocation, p, 73; Los dioses y el Seïior, pp. 13, 31 ;
Voir aussi Humanismo y Cruz, pp. 257 - 268, Le christianisme ne con
naîtrait-il pas la crise de Job, p. 263?
162

L'home apparaît come le centre entre la transcendance et l'imanence (l).


Il atteint le divin en son proxore être, en se la,issant pénétrer par le
dynanisne divin. Le divin imanent n'est pas nn Dieu personnel, un Dieu
Autre caché en noi. On ne parle pas à un Dieu inraanent. Il n'est pas
un Dieu extérieur caché en moi-nêne (2).

(1 ) R, PAhlKKAR, The Trinity and the Religious Expérience, pp. 29 —30,


S. SIAWE, dans JŒ, 2 - 3 - 4, 1978 - 1979, explique que la né-
ta.physique indienne oscille entre uin Dieu personnel et un Dieu inper-
sonnel, entre un Dieu transcendant et un Dieu imanent, p. 18, ce qui
viendrait du fait que l'Inde, d'après le P. Monchanin, ne posséderait
ni la Trinité";,, ni l'Incarnation, ni l'Esprit Sa.int, Tournée vers la
recherche dti divin et sur l'idée de sa.lut, la philosophie y insisterait
sur le lien entre Dieu et le Moi, plus que sur un Je et un Tu, sa,ns tou
tefois que cette perspective soit toujours absente, p, 20. Au Congrès '
de Banga,lore en 1955, Igs ado^Dtes de la bhakti ont perçu leurs a,ffini-
tés avec les idées de grâce, d'adoration, de pardon, de péché et de pro-
nesse, pp. 45-46. A propos du ^ga et du Zen, p. 65, elle écrit;
"cette expérience n'est pas une expérience de relation, nais d'identi
fication à un .Etre absolu conçu en ternes négatifs dans le yoga de mode
advaita, ou à une Vacuité absolue dans le bouddhisne zen... Ces expé- .
riences représentent, à iDrei'iière vue du noins, l'extrême altérité par
ra,x)port a l'experience chrétienne ina,is elles ne re]présentent pas la
totalité des formes d'expériences de l'Absolu connues par l'Asie :
beaucoup d'autres existent qui présentent des affinités partielles
avec la nystique chrétienne". Il faudrait toutefois, pour elle, dé
passer l'opposition immanence - transcendance car elles existent dans
toutes les formes mystiques.
(2) R, P/jnigCAR, The Trinity and the Religious Expérience, p. 31 .L'Auteur
a toutefois noté dans Humanismo y Cruz. p. 156, que "l'essence de la
Religion présuppose un tu-je". "La Bible voit l'home devant Dieu,
l'Upanishad voit l'home en imersion dans l'élément divin" dit
P. LEBAIL, dans Six ïïpanishads na,jeures, p. 180,
163

L'Absolu n'est pas, alors, un Créateun fa,oe à des fils et à des créatures,
mais l'atna,n, le Soi, le Soi de tout (l). Dans cette perspective, la priè
re n'est plus une denande ou -une louange, elle est la prière de quoiqu'un
q\ii ne sait pas qu'il prie. C'est ce que l'Inde appelle le quatrième
état (2),

(1) E, PAWIKIOIR, Tfae Trinity and the Beligious Ebroerience. p. 33^ souligne
que ceci n'est pas spécifique à l'hindouisme des ïïpanisad mais qu'il
y a des ra,pprochôments possibles avec des expériences mystiques dans
le judaïsme, le christianisme et l'islam. Cette approche peut poser
quelques questions. D'abord, poj? exemple, si la mystique désigne
l'expérience de Dieu qui s'unit à nous et non pas le désir profond de
l'homme de se sa,isir du divin ou une expérience psychologique paj:ticu-
lière sa,ns référence à la révélation du mystère dn Dieu, on peut se de
mander 4ans quelle m.osure une spiritualité non-personnaliste débouche
sur la mystique authentique. Le problème est complexe. Yoir
L, BGUTilîB, dictionnaire théologiquo, article ILvstique et mysticisme.
pp. 449 —452. De meme, si la théologie est une médita,tion des mystè
res ou une critique des concepts tolérables, arrivant à une synthèse
élaborée, soucieuse de clarté, do fidélité et de foi, 1'escpérience du
quatrième état dans le projet upanisadique peut—il déboucher sur une
théologie ? Bous nous permettons donc, au passage, de stiggérer une
grande jorudence pour la comparaison entre 'hystique upa,nisadique" et
mystique chrétienne.
(2) La lecture des ïïpanisad montre l'obsession de l'immanence, la convic
tion profonde de l'intimité divine avec Braliman. Arriver au Sujet pur
du sujet mène au Soi ptir de Brahman dit la Katha-ïïpanigad, II, 11-13,
p. 11; III, 2, p. 13; TV, 1 - 2, pp. I4 - lé; Y, 9 -_11, p. I6. On
retrouve l'idée de salut pa,r l'identification entre atman individuel et
âtman universel dans 1'Aitereya ïïpanisad, p. 9, Introd. de L. SILBÏÏIÏÏT4
voir Y, 1 - 4, p. 27; voir aussi la iîaitry ïïpanisad. II, 2, p. 15,
Ohandogra ïïpanigad. III, I4, 3-4, PP. 39 - 40; 10:11, 3 - 4, p. 111;
YIII, 7, p. 114; la Kaivalyopanisad. I, I6, p. 5; II, 24, p. 9 ;
"Tout entier témoin, exempt d'être et de non-être, on va vers la forme
pure de l'Atman Suprême", Ce serait l'enseignement de la.
Bralimabindupanisad. d'après B. TÏÏBIIO!, voir v, 7, p. 15 ; "par la pri
se de conscience silencieuse on a^tteint l'Stre". Dieu réside en nous
pour 1'Atharvasira ïïpamisad. Y, p. 11. Recherche de la» même identité
dans la Brhad-Aranvaka ïïpanisad^. lY, 4-5, p. 80; Y, 1, 1, p. 92.
Dieu est en nous pour la l'fcha Harâyana ïïpanisad.71. 231 - 232, 259,
p. 63, "dans la caverne du coeto?", XII, 469, pp. II6 - 117. L'intimi
té communiante serait acquise non pas d'abord par le raisonnement (iCatha
ïïpanisad. section 2, 8-9, P» IO), ni par l'exégèse ou bea,ucoup d'étu-
(lén-tha ïïpanisa.d. II, 23, p. 12) mais par la médita.tion
(iCaivalyopanigad.1. 2, p. 5) et le quatrième état. Les quatre éiats sont
vaisvana.ra. (etat de veille avec pensées), taija.,sa (sommeil avec rêve),
prajna (sommeil sans rêve) et turva ; l'état "où s'abolit toute discri
mination, toute connaissance, y compris celle qiii ne comportait plus de
différences, évanouissement total dans un absolu inexprimable, impen
sable ... Cet étai dernier ... c'est le Brahman suprême, celui de qui
l'on ne peut dire que non ! non ! Le Soi du Soi"..."spiritualité
absolue" écrit E. LESHLPLE, Introduction à la Eandiôkya ïïpanisad. p. 4.
164-

Ce n'est ni me conscience externe, ni me conscience interne, ni me cons


cience , ni me inconscience, c'est le recoiivrement de l'âtman, quelque
chose d'indéfini, d'impensable, et surtout d'incommmicable (l).

(l) E, PAÎTIKK/lIl, T^e Trinity and the lieligious Expérience, p. 54» H est
souvent question de ces quatre états dans les Upanisad. Voir, par exem
ple, la mndulqya ïïpanisad, 5-5, 9-12, p. 19; l&rika, I, 1 - 5,
10 - 18, 22; la Ghandogya ïïpanisad, VIII, 10, 1, p. 116, VIII, 11, 1,
p. 117; la Brhad-Aranyaka -ïïpanisad, IV, 5, 17-21, pp. 74 - 75; IV, 4,
2, p. 79l la Conapati ïïpmigad, III, 6, p. 10; la Kaivalyopanigad, I,
12-15, 17, p. 5; la Saryâsaropanipad, préface de B, TUBUTI, pp. 5-4,
6. Voir la préface du nôme auteur à la Brahmabindûpanisad, p. 5,voir
V. 4 et 7, p. 15 : "par la prise de conscience silencieuse on atteint
l'Etre". Arriver à l'état où "la raison ne bouge plus" et qui est la.
voie suprême, scvns pensées, sans paroles et sans regards, comme dit la
Katha ïïpa.nisad, VI, 10, 10 et 12, pp. I9 - 20 etc.
L'état"divinisant" et purifiart est le quatrième, l'état de veille sans
ponsee, là où l'on acquiert la. ma.îtrise du mental (Atna.pujopa,nisa.d, p.6),
l'immobilisation de la pensee et où se réalise l'ava.ncée vers les trois
degrés de la contemplation : celle d'me divinité manifestée dans le
cosmos, celle du Dieu créa.teur et celle de l'Absolu non-manifesté
(Atmapujopanisad, p. S). On est débarrassé des fluctuations mentales
(Atna.pujopa.nisad, p. 9) et "la rencontre du Soi universel n'est rien
d'autre quie l'abolition de toute mutiplicité" dit L. IOlP/ATI, dans le
conneneonont de 1 'Atma,pu.joponigad, p. 12 (auteur a,uquel nous nous réfé
rons ici pour cette Upanipa.d).
Si la Gita ne distingue pas toujours clairement les quatre états, elle
s'attache tout spécialement au quatrième où s'épanouit la, paix du men
tal : II, 68, p. 71; IV, 59, p. 115; VI, 24-27, p. 155; VIII, 9-10,
p. 164; 12-15, p. 165. n est question de l'ascèse du mental en XVII,
16, p. 280, Ifeppelons que nous citons la Oitâ dans la version de
S. ABEOBIUDO.,présentée pa,r J, HEIlBEHT. La, méditation y joue m rôle
capital. G-ita,, XII, 12, p. 222, "Cette connaissance vient par me mé
ditation intérieure a tra,vers quoi le Moi étemel devient pour nous
appaxont dans notre existence propre", XIII, 25, p. 255, assurant la,
maîtrise intérieure du mental, GÎtâ^, XVIII, 55, p, 296,
165

lî., Panlkkar, bien que profondonent marqué par l'hindouisme, tient à


ne pas nier, à ne pas rejeter l'autre aspect de la spiritualité dont il
futquestion plus haut. Il reconnaît, en effet, qu'une spiritualité basée
stœ la seule immanence est encore plus fausse que celle basse uniquement
sur la seule transcendance (l). "Le dualism.e et le monisme sont égale
ment faux" écrit-il (2), Dieu et le monde ne sont ni un ni deux, dit-il
souvent, comme nous l'avons déjà signsJé.

L'Auteur suggère que l'homme est ainsi appelé à recourir non seulement
a sa raison mais aussi à d'autres facultés comme l'expérience, l'intuition,
la foi, la révélation, le don (3). On serait près de la réalisation quand
on sent que tout est en Dieu mais qu.o Dieu n'est pas dans les choses (4).
(1) E, PAlIKKAlî, The Trinity and the Religions Expérience, p. 35,
(2) R. PMIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, p, 36,
(3) R« P/iRIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, p. 37,
(4) R. PARIIŒAIi, The Trinity and the Religions E}q)erience, p, 37. L'Auteur
se réfère ici à la GÏtâ, IX, 4-5. Nous pourrions relire ce livre. La
'Otta vise "la situation comminiante" entre l'homme et le divin (il, 50-
51, p. 64; II, 71-72, p. 711 VI, 27-28, p. 135), le divin auquel on
se consacre totalement (il, 6l, p, 69), auquel le yoga nous unit (VI,23,
p. 1345 VI, 27, p, 135), que le yoga nous fait connaître (VII, 1, p, 141,
3, p. 142). L'Un est inconnaissable (il, 29, p. 46) mais l'étemel est
en nous (il, 30, p. 47)» H n'y a pas de coupure Entre Dieu et les
êtres, "Sur Moi tout ce qui est on ce monde est enfilé comme des per
les sur un fil" (VI, 7, p. 145). "Par Moi tout cet univers a été éten
du dans l'ineffable mystère de Mon être; toutes les existences sont si
tuées en Moi, et non Moi en elles" (iX, 4> p. 175, passage cité au dé
but do cette note par R, PAÏÏIKKAR), "Toutes choses éternellement repri
ses en son unité" (XIII, I7, p. 233). Dieu n'est-il pas dans le coeur
(XIII, 18, p, 233; EU, 15v p. 253) ? On peut en approcher en retrou
vant 1'atman en nous (il, 55» p. 66), par un retour au Moi (lll, I7,
p, 8I), Il faut tendre à l'extinction du soi dans le "RTTihmnn (v, 24,
p. 123) dans lequel on prend refuge (il, 7, p, 41), Animé du désir de
voir Dieu (XI, 3-4, p. 202), l'homme trouve sa plénitude dans labhakti,
ajoute la GÏta (VII, I7, pp, 154-155), pouvant obtenir ainsi la purifi
cation par une'Ascension vers le Moi profond" (XVIII, 53 -54, pp, 313-
314) mais débouche sur la, dévotion et l'amour éperdu de l'Absolu qui
constitue le sommet du discours à Arjuna (XVIII, 55, p, 315, 57, p, 518,
58, p, 319 et toute la fin du chapitre 18 jusqu'à la page 329),
166

Alors que le personnalisme parle de dialogue, de demande, de lou


ange et d'amour, les ïïpanisad et l'advaita parlent de silence, d'aban
don, de non—attachement,. Il n'est plus question d'offense contre Dieu,
ni d'un Dieu q\ii souffre pour nous, mais de l'ineffable expérience de
l'union (l). On s'oublie soi—même. On renonce à aimer Dieu contraire
ment a ce que fait le bhakta et cela non point par manque d'amour mais
par un amour qui disparaît dans l'aimé et qui n'a plus de mémoire de
lui-même,

Ces explications ne nous détournent pas du Mystère trinitaire, dit


E. Panikkar, Il tente alors non pas de notis expliquer le lyfy-stère (2)-tout
en soulignant que l'interprétation classique n'est pas la seule à ses-yeuse
yeux: (3) - mais de réconcilier*les trois spiritualités qu'il vient d'expo
ser et de reformuler le Mystère trinitaire parce qu'à ses yeux, c'est en
lui que les religions se rencontrent.

Pourquoi parler de la Trinité, lui dira-t-on, si ce qu'il en dit va


au-delà de l'interprétation traditionnelle chrétienne ? Il répond qu'il y
a continuité entre ce qu'il va dire et la théologie chrétienne. Il répond
que le dialogue ne peut se situer sur un terrain neutre mais qu'il doit paq?-
tir d'une tradition religieuse pourvu que celle-ci n'accepte pas l'immobi
lisme sclérosant. Il répond qu'il faut ouvrir un dialogue qui lui paraît
possible mais sans négliger les traditions et les terminologies connues (4),
L'Absolu est Un et n'a pas de nom. Au-delà du langage hupain, transcen
dant, c'est Lui qui serait désigné par le Père, Ce nom, toutefois, n'est
ni celui de Dieu, ni celui de l'Absolu, La question même de savoir ce qu'il
est pour lui-même n'a pas de sens, "La ré-flexion de Dieu n'est déjà plus
le Père" (5), La méditation du iTiystère doit éviter de se diriger vers le
tri-théisme. Il n'y a pas de multiplicité dans l'Absolu et, en ce sens, le
Fils et l'Esprit ne sont pas Dieu. Partir du nombre est une erreur. On
peut continuer de parler des Trois Personnes égales parce que toutes sont
Dieu mais aussi parce que Dieu n'existe pas séparé des trois.

(1) R, PANIKKAR, The Trinity and the Eeligious E^erience, p, 58,


(2) E, PANIKK/iE, The Trinity and the Eeligious Expérience, p, 41,
(5) E, PANIKKIE, The Trinity and the Eeligious Expérience, p, 42,
(4) E, PANIKKAE, Ihe^ Trinity and. the Eeligious Expérience, p, 43,
(5) E, PANIîCKAE, The Trinity and the Eeligious Expérience, p, 44»
167

Ce que le Père est, 11 le transmet au Pils, Ce que le Pils reçoit, il le


donne au Père en retour et ce don est l'Esprit. Le Père se donne le Pils
et le Pils est l'être même du Père,

Le Père, l'Absolu, n'est pas. Il n'a pas d'ex-sistence. Il a tout


donné dans la génération du Pils (l), dans une totale immolation dont la
croix du Christ est l'image et la révélation. Le Père connaît le Pils,
mais le Pils n'est pas un accusatif, un objet de connaissance. Il est
l'être du Père, dans une identité et une altérité totales. On va au Père
par le Pils. Aller directement au Père n'aurait pas de sens, La création
est l'écho du cri primordial divin. Le Père est silencieux» "Dieu est le
silence total et absolu". Le Père ne serait pas un Je, Tout vient de lui,
tout va, vers lui, on ne peut pa^s l'a,tteindre comme tel, mais, en même temps,
on ne peut pcas ne pas être dans le courant qui attire tout vers Ixii. Tout
tend vers lui mais il n'y a pas de lieu pour l'atteindre (2).
Ce qui existe, c'est l'Image, le ^gos, la visibilité de l'Invisible,
le Pils, le Tu dans lequel nous sommes inclus parce que le Père nous inclut
dans la filiation do son Pils. Qpi voit le Christ voit le Père parce que
le Pils est le Père rendu visible. Il n'y a rien d'autre à voir du Père
sinon le résultat do sa paternité, son Pils, mais voir le Pils, c'est voir
le Pils comme Pils du Père et non voir le Père, et on reconnaît le Pils
dans l'Esprit.

A proprement parler, il n'y aurait donc aucune spiritualité du Père.


Le péché contre le Père qui est l'Infini serait la cassure avec l'Igfini,
la négation de notre divinisation, l'enfermement dans le limité. "Le dé
sespoir est le refus de l'infini et la suffocation dans le fini"(3).
Le Pils est et est Dieu. Le "de-Dieu" est le Pils, qui crée, agit,
en qui tout existe, alpha et oméga, le Seigneur, Lord. Il n'y a pas de
Dieu, sauf le Père qui est le Pils dans l'Esprit et setil le Pils serait
Personne parce que Personne implique relation. Le Dieu du théisme est
seulement le Pils avec lequel on peut entrer en relation, mystère caché

(1) R, PAPIKK/iR, Los dioses y el Senor, p. 89» L'Auteur s'exprime autre


ment dans Humanisme y Cruz, p. 21^ "Dieu est l'unique 'Je'. Son 'Tu'
plein et total est le logo si'
(2) R, PAIÎIKKAR, The Trinity and the Religious Expérience, pp. 47 - 48.
(3) R. PAIŒŒAR, The Trinity and the Religious Expérience, p. 50.
168

dGpuis "bonjoursj presGiit dans les Ecritures Saintes etj pour les ôhrétienS}
manifesté en Jésus-Christ (l). Le Christ serait alors le Seigneur -un
Seigneur que les 6hrétiens ne peuvent monopoliser- un Christ connu et in
connu, cache ou non, seul lien entre le créé et 1'incréé, entre la terre
et le ciel, entre le temporel et l'étemel, unique médiateiu? entre les detix
pôles du réel, comme Isvara en Inde. Grâce au Fils, le personnalisme ne
serait donc pas dans l'erreur en pojrlant de relation avec un Dieu person
nel.

Chaque Être, en plus, nous y compris, apparaît comme ime christopha-


nie, un prolongement du Christ (2). Au-delà des ermites et des cénobites
retirés dans leurs sanctuaires, l'Esprit pousse le Chrétien plus loin que
l'Eglise institutionnelle, il pousse l'homo religiosus vers la restaura
tion do tout dans le Christ (3), à telle enseigne que "la seule "vraie ex
périence du Christ est dans l'humaine et cosmique koinonia" (4), Rester
accroché seulement à l'humanité et à l'historicité d'un Sauveur:, ce serait
bloquer la venue de l'Esprit et retourner à un stade d'iconolâtrie exclur-
sive.

Si le Pere est transcendant au point que même le nom de Dieu ne lui


pourrait être domé, si le Logos est Dieu pom? nous qui sommes encore pè
lerins, la ré"vélation de l'Esprit est davantage celle d'un Dieu immanent (5),
celle de l'intériorité ultime de chaque être (6). Pour le Père, l'Esprit
est le retour à la source qu'il est lui-même. Dans un même processus,
l'Esprit va du Père vers le Fils et du Fils vers le Père. Le Père ne gar
de rien, le Fils ne garde rien, tout retourne au Père. La Trinité apparaît
comme le Mystère de l'unito dans le sens qu'une vraie unité serait trini—
taire. Le Soi-même du Père est le Fils, le dans lxd.-même est l'Esprit,
Le Fils n'a pas de soi-même en étant le tu du Père. Son soi-même est un
tu. De même, l'Esprit en lui-même est une contradiction car il n'y a que
l'Esprit du Père et du Fils.

(1) R. PAETKKAR, The Trinit^r and the Religious Expérience, pp. 51 - 53.
(2) R, PAITIKKAR, The Trinity and "bhe Religious Expérience, p. 54. H
ajoute, p. 68, que le Père nous appelle a.vec le même appel que le Fils
car en Dieu il n'y a pas deux appels, il n'y a pas de multiplicité.
Chaque être est une christophanie appelée à participer avec le Logos,
(5) R. PAIîIKKAR, The Trinity and the Religious Expérience, p. 57.
(4) R. PMIKEAR, The Trini"by and the Religious Expérience, p. 58,
(5) S» PAMIIOGIR, The Trinity and the Religious Expérience, p. 58,
(6) R, PAITIKKAR, The Trinity and the Religious Exqjerience, p. 59.
169

On ne parlera pas d'm Je qui s'adresse à m atitre, ni d'nn Tu à q\ii l'on


parle na,i3 d'un nous entre le Père et le Pils, et un nous qui comprend
l'univers entier (l).
Si l'on parle de la spiritualité de l'Esprit, il faut dépasser, dit
R, Panikkar, les structures personnalistes. Connus et aimés, nous sommes
dans la sphère de la connaissance, de l'amour et de la heauté. On ne par
le plus d'un moi à sauver. C'est le silence des mots, des désirs, des
actions, le silence de l'être, le silence de la volonté d'être, c'est aussi
l'absence totale de peur (2).
L'Auteur déduit, dans le théandrisme, que l'homme est plus que "de
l'homi;ae", que notre vocation depuis le début est d'hêtre les fils de Dieu
unis avec le Pils unique, bien que l'Occident ait peur de voir le divin en
l'homme (5), alors que "l'homme et Dieu ne sont ni un, ni deux" (4), Il
ne faudrn,it donc ni sevCLement regarder Dieu, ni seulement regarder l'hom
me. "Une anthropologie intégrale implique une théologie humaniste" (5).
"Un Dieu 'purement transcendant' est une abstraction de la même façon qu'un
homme 'purement indépendant' " (6). Il n'y aurait pas de réalités sépa
rées l'une de l'autre, comme Dieu, le monde et l'homme, pas plus qu'il n'y
aura.it unei seule réalité, soit Dieu, soit l'hoiame, soit le monde, nais plu-r
têt "Dieu,
1 l'homme et le monde sont engagés dans tine aventure unique" (7). '

Au terne de ce paragraphe, il semble utile, par souci de clarté, de


mettre en évidence les points d'insistance de la pensée panikkarienne con
cernant le î'^stère trinitaire.

1. L'Auteur a le souci d'éviter une présentation du ly^stère trinitaire


plus tri-théiste que monothéiste.

1) R. The Trinity and the Religions Expérience, PP . 59 - 61.


2) R. PANIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, PP 64—66,
5) E. PAÏÏÏKK4R, The Trinity and the Religions Expérience, p. 73.
4) E. P/jmUOLR, The Trinity and the Religions Expérience, p. 74.
5) E. PAUnaC/iR, The Trinity and the Religions Expérience, p. 74.
6) R. p/jfnui/iR, The Trinity and the Religions Expérience, p. 74.
7) E. P/dlIKK/Ji, The Trinity and the Religions Expérience, p. 75.
170

2, Il insiste sur l'unité de l'être plus que sur la diastasis entre le


Père, le Fils, l'Ssprit, le monde, l'home, l'être-à-Dieu et l'être-au-
monde, href, sur l'unité entre les composants du tout de la réalité,
convaincu que tout est engagé dans un processus divin d'éclatement et
de retour en la soiu?ce.

5. Sans rejeter la perspective personnaliste de la tradition juive-chré


tienne, bien qu';elle fasse problème à beaucoup a,ujourd'hui, sans renier
la conception orthodoxe chrétienne traditionnelle comme il le dit expli
citement, il tente de "sentir" le î^stère trinitaire à la lumière de
l'intuition advaitine hindoue qui débouche, siurtout dans les ïïpana^ad,
sur un type de spiritualité différent de ce qui existe dans le mono
théisme personnaliste des religions dites abrahoniques.
4. L'Auteur n'étudie pas le Mystère trinitaire de façon abstraite, théori
que, en lui-même, d'où ses exposés sur les trois nârga. Il cherche ains^
un lien entre théologie et spiritualité, dans une tendance fréquente no-
tament en Inde.

5. Dans sa reflexion, il souligne le risque et d'une spiritualité basée


s-ur une pure iirmanence et d'une spiritualité basée sur la seule transcen
dance .

6. Convaincu que dans le mystère trinitaire peut être trouvée une conver
gence entre les grandes religions, l'Auteur souligne la transcendance
apophatique du Père, 1'ex-pression du mystère primordial dans le Logos,
dans le monde et dans l'home, ces deux derniers étant christophaniques,
ainsi que le retour de chaque être dans le Tout.

7. Chaque être apparaît corne engoué dans le processus divin. L'home est
en Lieu, divinisé, en voie de retour vers sa source. Le péché est "la
suffocation dans le fini". Pa,r rapport à l'Occident, cette perspective
lui paraît normale. Il ne recule pas devant elle. Son univers est
uni-vers. Sa Weltanschauung est essentiellement religieuse.

En fin de parcours, nous nous permettrons quelques impressions et


quelques questions,

1. Il nous semble d'abord qu'on peut avoir un intérêt et un a priori


favorable pour une recherche différente de la théologie traditionnelle,
pour une recherche plus "hindoue—chrétienne" que indienne—chrétienne"
pour reprendre les expressions de notre Auteur.
171

Il peut aîrriver^ chez le lecteur noïi habituéj d'être étonné par des expres
sions insolites, conme le couple sat-asat, être et non-être, qui en Inde
ont une autre résonance que chez nous lorsqu'il s'agit d'approcher l'inex
primable, Nous pouvons aussi comprendre l'hésitation de R, PaniMcar
face au concept de personne appliqué au divin et qui entraîne notamment
une approche nettement différente du Père, Mais, en même temps, nous
percevons la difficulté d'exprimer la Trinité en dehors des sentiers chré
tiens qui l'ont méditée à partir de Jésus Christ et du Nouveau Testament,
2. Ace sujet, nous sentons que l'Auteur "tire" le Père vers le. Brahman,
et même peut-être plus vers le Brahman neutre que vers le ^atanan masculin
dont nous avons parlé antérieurement, plutôt qu'il ne "tire" le Brahman
vers le Père de la théologie chrétienne traditionnelle, Be même, il"tire"
le Christ vers Isvara et vers le logos, plus qu'il ne "tire" Isvara vers le
Christ manifesté en Jésus. Bom? mieux situer sa pensée dans le topos hin
dou, nous avons jugé utile d'introduire des notes sur les Upanisad et sur
le quatrième état car il nous semble que l'obsession hindoue de l'immanen
ce, surtout au niveau upanisadiquo, conduit l'Auteur à s'exprimer de façon
personnelle,

3. Nous percevons également une tension, que le discours paniKkarien ne


résorbe pas,croyons-nous, entre ce que nous appellerons des religions pro
phétiques et des religions mystiques, pour utiliser la terminologie de
R,C, Zaehner,

4. Nous nous posons donc des questions, après avoir écouté le disco\n:s
panikkaxien sur le %stère trinita,ire. Ne faut-il pas "tirer" le Père
vers la révélation néotestamentaire de l'amour plus que vers le asat ?
L'homme ne peut-il dire "tu" au Père et à l'Esprit, prier le "No^"père"
et chanter le Veni creator ? N'y a-t-il pas, dans certaines expressions,
le risque d'une confusion entre la génération du Eils, vrai Dieu né du vrai
Dieu, et la création du cosmos et de l'homme ? Si l'homme est le "tu" de
Dieu, l'est-il au même titre que le Fils étemel ? Ou, pour en parler
simplement, avec un jeu de mots qui est plus qu'un jeu de mots, voit-on
toujours nettement la différence entre fils de Dieu et Dieu le Fils ?
Enfin, si le Fils est présent dans l'hindouisme et dans les autres reli
gions du monde, si le Christ parle et agit partout, le fait-il et 1'est-il
identiquement que dans le christianisme ?
172

5. La théologie chrétienne nous habitue à imodisoours. Notre propos


n'est pas de le présenter ici in extenso, mais il semble utile d'en souli
gner quelques éléments. Jésus s'est présenté comme fils de Lieu, comme
theios mais s'est—il dit thoos ? Il semble qu'il fallut du temps, à l'ère
apostolique, pour dire que Jésus était Lieu, theos —ce terme désigna,nt
plutôt le Père - et pas seulement divin, theios. En 325 à Nicée et en 581
à Constantinople I, la réaction à l'arianisme souligna le omoousios ou la
consubstantialite entre le Eils et le Père, insistant sur l'unité de
substance entre les deux persomes, pour s'opposer au subordinationisme,
au bi—theisme et au tri—théisme. La, théologie parla clairement de Jésus
comme une personne en deux natures et du Lieu Un en trois Personnes. La
liturgie chrétienne prit l'habitude de prier le Père, par le Eils, dans
l'Esprit. La réflexion théologique chrétienne s'efforça, au couirs des
siècles, de préciser, da,ns un souci de clarté, le contenu de termes impor
tants (l) et d'écarter des synthèses considérées comme hétérodoxes (2).
Ce voeu de clarté a pu créer des malentendus, notamment entre Qsecs et la
tins. Il a, pu n'être pan exauce à chaque essa-i. Il n'en demr.ure pa-s moins
réel et tellement qu'on se demande si le mystère trinita.ire peut ôtre pen
se en dehors du Christ et du christianisme, par exemple à partir de l'Inde.
La présence de "réalités" ternaires (3) est-elle suffisante ? Ne risque-t-
on pas de confondre la perception d'une tria,de avec l'intuition pré-chré
tienne ou para-chrétienne de la Trinité ?

(1 ) Exemples : nature, essence, substance, personne, incama,tion, con-


substantialité, processions, missions, hypostases, etc ...
(2) Comme le modalisme, le sabellianisme, le docétisme, l'arianisme, le
nestorianisme, le monophysisme, l'appollinarisne, le monoénergisme,
le monothélisme, l'unitarianisme, etc.
(3) On pense au Saccidânanda ot à la Trimurti comportant Brahmâ. Visnu et
^Siva. ' ' ** "
175

CONCLÏÏSIOITS

L'utiiversallsne ou la manifestation universelle de Lieu révèle un


Lieu-pour-tous qui accorde son amour à toute créature, comme le Père dans
l'Evangile donne à chacun, quel qu'il soit, et la pluie et le soleil.
Cette foi conduit, tout spécialement à l'époque de la planétarisation du
dialogue et de la relation, à écouter sa parole adressée à tout homme et,
tout spécialement à l'Inde,

21 Lieu apparaît a l'homo religiosus comme l'Inconnaissable ou comme


l'Inépuisable, îlalgre la révélation biblique, malgré la révélation cosmi
que, Lieu reste "Celui qui est" et que le langage humain ne peut exprimer
adéquatement sans quoi Lieu no serait plus Lieu,

3, Le Brahma-jijnâsa pourtant réside dans notre être profond. En nous,


en effet, jailli du "coeur" de Lieu et induit de l'immersion dans le mon
de perçu comme non absolu, il y a le désir de connaître Lieu, un dé
sir qui est grand et qu'alimentent les Ecritures sacrées,

4» Nous induisons la contingence de l'être que nous sommes et qui nous


entoure et cette relativité ressentie porte en elle l'exigence d'une cau
se première. Si l'Absolu est deviné présent à l'origine même de la questiop
métaphysique, nous soipmes encouragés à le chercher comme vivant et comme
personnel, comme Quâ.qu'un dont la nature serait plus riche que sa seule
fonction de causalité,

5. Quelle est la relation entre le monde et sa cause ? A l'intérieur de


l'école védântine, beaucoup de penseurs élaborent des systèmes, tels
Sankara et Ramanuja, Si l'on s'efforce de dépasser leurs cont2?adictions,
on est à même de relever les parcelles de vérité capables de féconder notre
propre quête de l'Etemel, telles la transcendance absolue de Lieu et l'il
lusion du monde s'arrêtant à lui-même,

A l'Occident percevant Lieu comme source ontique des êtres et décri


vant ceux-ci comme appelés à une relation dont l'amour extrinsèque de Lieu
a l'initiative, l'Inde apparaît moins obsédée par 1'alpha que par 1'oméga,
et souligne davantage la réintégration en Lieu par l'acte théandrique de
l'homme dans une perspective ni hétéronome ni autonome, au sens panikka-
rien, en pleine ontonomie, R, Panilckar veut éviter les excès d'un dualis
me reléguant Lieu dans les lointains de l'être ou mutilant l'homme aveuglé
par une activité prometheenne, pour le voir se réaliser en sa source, sans
verser pour autant dans les réductions monistes.
174

6. Dieu est approché de façonsdifférentes dans les régimes d'hétéronomie,


d'autonomie et d'ontonomie. Si Dieu apparaît comme le Très—Haut, régissant
toutes les sphères de l'agir et du penser humains, en fonction du point de
vue de 1' "homme prosterné", si Dieu est soit ignoré soit respecté par l'hom-r
me autonome, en réaction contre l'hétéronomie de ses pères et affirmant àa
dignité de personne au risque d'imaginer qu'il trouvera sa plénitude exis
tentielle dans l'affirmation de soi—même, R, Panikkar préfère la perspecti
ve ontonome qui, loin d'opposer les sphères de l'être et de la vie, souligne
"la relation interne et constitutive entre toutes les partie de la réalité",
le Christ étant le sommet, le type même de l'union harmonieuse des sphères
en laquelle s'opère la rédemption,

7• Plutôt que la foi décrite comme réponse a la question métaphysique de


l'homme, dans Une religion institutionnelle dressant l'inventaire du révé
lé sans toujours en vivre, R. Panikkar, sans rien rejeter du christianisme,
propose d'envisager la foi comme dimension constitutive de l'homme, se ca
ractérisant par une ouverture existentielle au transcendant, par une ouver
ture qui est une orthopraxie compatible avec un pluralisme doctrinal et mo
ral, comme une ouverture qui ne serait ni seulement orthodoxie ni seulement
orthopoiésis. Conmie dynamisme. C'est la foi comme question plus que comme
réponse.

8. Quelle relation y a-t-il, alors, entre foi et logos ? Une religion


admettant des prophètes, c'est-à-dire des mandatés poteurs d'une parole de
l'Absolu, reconnaît un droit divin. Toutefois, elle reste humano-divine.
M purement humaine (on pourrait parler de nestorianisme eccléBiologique),
ni purement divine (sinon nous serions dans le monophysisne ecolésiologi-
que). Il n'est, dès lors, pas toujours aisé de distinguer, avons-nous dit,
l'intangible venu du semeur divin, face a,u relativisable, sorti dés nains
ou du coeur du semeur humain, Notre Auteur veut alors souligner la rela
tivité du langage religieux, toujours inadéquat pour exprimer ce qui le
transcende, toujours sooio—culturellement situé, nécessaire povir la, rela
tion intra-culturelle, mais pouvant faire écran surtout dans une relation
inter-culturelle. Il requiert donc l'humilité du langage, la priorité du
dialogique sur le dialectique,,1'ouverture de tout système, parce que l'acte
de foi dépasse la formulation conceptuelle, parce que la foi se situe au
niveau existentiel plus qu'à celui des doctrines.

9. La richesse du mythe apparaît dans l'analyse de celui de Prajâpati.


Là où le logos opérerait une réduction dialectique, le mythe peut servir
175

de trait d'union pour la rencontre inter-culturelle. Celui de Prajâpati


révèle des intuitions profondes de l'Inde :

a) celle de Dieu qui se donne au monde;


b) celle du monde appelé à se convertir à l'humilité par un dépasse
ment de sa créaturabilité;
c) celle de l'homme, étincelle de Dieu, engagé dans le processus de
réintégration en sa source toujours actuelle;
d) celle de l'advaita, qui n'imagine pas plus un Dieu indépendant qui
n'aurait rien à voir avec l'homme, qu'un horm^ie indépendant qui n'au
rait rien à voir avec Dieu.

10, n nous est alors proposé une vision cosmothéandrique, longuement


décrite, après avoir perçu la sitviation du moment oecuménique avec son cos
mocentrisme, du moment économique, marqué par son anthropocentrisme et pro
longé par l'interlude écologique,

11, Le mystère trinitaire, enfin, a été, abordé, ce qui paraît-ipiportant


avant d'analyser le "Logocentrisme" paniKkarien dans notre chapitre 3»

Le "fait primitif" de la recherche panikkarienne est la, mentalité


universaliste opposée, comme telle, à toute perspective pouvant faire fi
gure d'anti-monde ou de ghetto. L'oecuménisme se doit, dès lors^ de cher
cher une convergence entre les confessions chrétiennes nais aussi de s'ou
vrir à une relation planétaire de l'hono religiosus, on s'élevant à un
dialogue dialogique a,vec toutes les religions du monde. Celles-ci jail
lissent de la môme source unique et s'y abreuvent. Chacune appardît comme
une étape du, cheminement et de la situation communiante avec l'Absolu et on.
peut, dans la foi, espérer une féconda,tion mutuelle progrossiise,

Dans le concert immense des, quêtes de l'Etemel, nous sommes tous des
pelerins, comme en exode vers une Jérusalem qui n'est pas eneore construite
dans sa plénitude, L'Auteur remet en valeur la théologie négative et l'a-
pophatisme, lesquels sont des remèdes au triomphalisme possible de nos af
firmations, de nos énoncés et de nos systèmes.

Non sans courir le risque possible aux yeiox de certains, d'un certain
fidéisme ci?yptogano qu'il rejette toutefois, R, Panikkar postule que. Dieu
étant omniprésent, rien n'est seulement naturel et que nul n'est a-thée,
La valorisation de la soif d'Absolu paraît reposer sur des données objecti
ves et ropérables, tant en nous qu'autour de nous.
176

L'analyse de ce désir est intéressante. Le monde, le monde soientisé


et confortable, n'a-t-il pas comme nn goût de trop peu ? L'homme que nous
sommes et celui que nous rencontrons ne sont-ils pas des êtres inachevés
et sans cesse inassouvis ? "Etre, c'est être en route" disait Gabriel
Marcel (l). "La personne humaine est en marche continuelle, en structura
tion toujo.urs inachevée dans la confrontation multiple" écrit
:Marc Oraison (2). La soif du "plus", la soif du"Tout" n'est-elle pas en
l'homme l'empreinte digitale de sa source ? Ainsi, le monde n'apparaît
pas comme un en soi capable d'assouvir la soif. La sensation de la continr
gence, à défaut d'être une preuve, n'en est pas moins une voie. Il serait
bon de se rappeler la relativité de ce que Prométhée, en nous, pourrait
penser comme absolu.

Dans cette même analyse du désir, l'Auteur vaJorise le rêle dos Ecri
tures sacrées quelles qu'elles soient. Elles alimentent le désir de con
naître l'Autre, Elles notis empêchent de reconstruire: "la tour qui va
jusqu'au ciel", de coaliser les Titans da,ns l'ascension de l'Olympe, de
nous sentir seuls dans la, contemplation des nébuleuses, de suffoquer da^ns
le fini et la"mégamachine'.'

Dans ses considérations sur la recherche de l'esprit qui progrcmime le


projet de comprendre toujours davantage, R, Panildcar nous invite à ne pas
isoler la raison en la coupajit de la foi et de l'intuition. Il opère,
pour ceux qui auraient la tentation cartésienne, une réha.bilita,tion de la
vie, de l'expérience, de l'affectivité, de l'intuition, soit du tout de
l'homme.

On peut observer le départ essentiellement religieux de la démarche


de notre Auteur. E. Schuré écrivait un jour : "Qui que nous soyons, à
quelque école philosophique, esthétique ou sociale que nous appartenions,
nous portons en nous ces deux mondes ennemis, en apparence irréconcilia
bles, qui naissent des detix besoins indestructibles de l'homme : le be
soin scientifique et le besoin religieux" (5).

(1) G, ÎIARGEL, Homo viator, p. 10.


(2) M, ORAISON, Morale pour notre temps, p. 43•
(5) E, SCHURE, Les grands initiés, p. 16.
177

Paoe à •un Occident en sit-uation autonome, où le monde est de moins en moins


perçu comme le signe d'un au-delà de lui-même, R, Panildcar, en ton fils de
l'Inde, nous situe d'emblée dans un •univers religieux. Il pressent Dieu au
début de la recherche au lieu de le déduire comme la conclusion d'un syl
logisme, Il souligne l'immanence dans la ligne upanisadique au lieu de fi-
ger Dieu dans un transcendantalisme qui 1'éloignerait, à la limite, comme
un étranger, H n'en supprime pas pour autant le pa,radoxe de l'aspect
nirgima et de l'aspect saguna, résorbé quelque peu en I^ara, un peu comme
Jésus réconcilie, pourrait-on dire, le Dieu d'Isaîe et le Dieu de Jérémie,
celui d'Ezéchiel et celui d'Osée, par le "^Kotre Père" - "qui es aux cieux".
Dieu existe indépendamment de la connaissance que nous en avons, mais
nous sommes capables d'une approche dans notre existence. Rien n'est sans
lui. Tout est en lui. Ce lien nous est constitutif. Notre Auteur parle
de cosmothéandrisme, lequel sotiligne le lien ontique entre le cosmos, Dieu
et l'homme. Le mystère de la création est donc approché dans la perception
de l'unité de l'Etre et de la, réalité englobante dans laquelle nous baignons,
plutôt que par un énoncéqui supporterait une diastasis entre le penser et le
vi^vre. Ce sens de l'unité de l'Etre libère notre Auteur à la fois du théo
monisme et du matérialisme, des excès du panthéisme et de ceux du dualisme,
d'une relation absolue entre la Cause et l'effet et, en même temps, d'une
absence de relation.

Dans les acquis positifs de ce chapitre, nous mettons en évidence les


catégories éclairantes d'hétéronomie, d'antonomie et d'ontononie qui nous
pa,raissent très utiles dans la recherche sur des sujets multiples comme
Dieu, le c^ulte, le temps, le monde, l'agir, l'homme, la liberté, la rela,-
tion hurxiine, la foi, le Christ, et adnsi de sxiite. Il s'agit là de caté
gories claires et fondamentales. Elles nous aident à situer, à comparer,
à comprendre, à éola,irer des situations, à résorber des conflits, à cerner
des struct^ures mentales repérablos dans le concert des quêtes de l'Etemel,

Dans les acquis marquants, nous voyons encore la. foi coimne question
plus que comme réponse. Sans ignorer les problèmes soulevés, il est inté
ressant de sentir la. différence entre une ouverture dynamique et une posses
sion d'énoncés qui pourrait être dévitalisée, car a,utre chose est de possé
der la vérité et a.utre chose en être possédé. Sans porter atteinte au mes
sage que l'Eglise proclame et dont elle veut vi^vre, il faut insister sur
le dynamisme profond de l'homme vers "de l'Autre", dynamisme qui porte en
lui toutes les potentialités humaines et qui constitue un lien entre tous
ceux qui, provisoirement, ne se retrouvent pas encore dans une convergence
178

de doctrines et de oonportenents, conne ce dynaaisne missait peut-être


les prêtres de Baal et le prophète Elle qui alladt les mssacrer, Uous
croyons que cette perspective constitue une originalité de notre Autexir
par rapport à d'autres chercheurs,soucieu::, eux aussi, d'un dialogue entre
le christianisne et 1'hindouisme.

Si le péril existe de minimiser le rôle do la raison et l'importance


du contenu repérable de la croyance, il reste, et le professeur Panildcar
le rappelle, qu'il faut situer la raison et le discours qu'elle élabore.
Celui—ci est un moyen, maâs la fin est la situation conmmiante, Le dis
cours est un guide et un garde-fou et la religion mène à Lieu, elle est un
chemin vers Lieu, nais elle n'est pas Lieu, pour reprendre l'expression
citée de Eânala?ishna. Lans cette perspective un in-esse peut déjà dépasser
co-Qsse, et la rencontre se manifeste coane un fait religieux plus que
comme un affrontement dialectique. Elle s'inscrit dans le dynamisme de
l'histoire et du dessein de Lieu sur le monde et sur l'home, plus que dans
la ligne d'une opération diplomatique de rapprochement.
Acquis marquant, enfin, que l'anaiyse du mythe de Prajâpati, ITous
percevons, par lui, la, primordialité de l'Un qui nous appara,ît plus coiame
une réalité ontique actuelle que commue dans un ex nlhilo pré-historique ou
pré-cosmique, La conscience de l'Un, pouvant engendrer solitude et peur,
suscite une creatio a Léo, une immolation créatrice. L'histoire a,pparaît
alors sous un angle nouveau : c'est le remembrement de Prajâpati,
Prométhée est délivré, mais pas come le pensait Shelley (1), Il ne descend
pas du Caucase pour chanter l'ode du Titan de Goethe ni pour réciter la ti-:
rade de Jocaste, maâs pour garder et cultiver l'Eden, pour marcher comme à
têtons vers le Lieu Inconnu des athéniens, pour remonter à la, source, en
amont dti fleuve polltié, et pour "accepter l'inceste",

La thèse de l'universaâisme, la, théologie néga,tive et apophatique, la


perception de la "non absoluité" du monde rencontré, l'écoute des Ecritures
sa,crees, l'insertion dans une tra,dition qui n'est pas perçue comme un ca,rcan,
la soif de l'Absolu, le refus de réduire Lieu à n'être qu'une Cause
Première ou un Premier Moteur, la, recherche d'un Lieu personnel et vivant
—qu'on se rappelle le îicmorial de Blavise Pascal — la, volonté de ne pas
assécher la raison en la coupant du tout de l'homme ; tout cela ne nous
dérange pas.

(l) SHELLEY", Prométhée délivré.


179

Tout homme se pose la question métaphysique, le "qu'en est-il finalement


de l'homme et de l'univers" ?, et cette question nous situe dans vme immen
se recherche où l'Orient et l'Occident ont souligné des dangers et des cer
titudes, émis des hypothèses, accepté des perspectives,pressenti et expri
mé des approches parallèles, cherché des formulation tolérables et écarté
des perspectives jtigées inacceptables.

Il nous semble que l'Auteur est marqué, d'une part, par sa réaction
face a.u logos occidental dont le substrat philosophique ne correspond pas
aux structures inquisitives de l'Inde et, d'autre part, par la religion de
l'Inde qui est plus obsédée d'expérience religieuse et de mystique que E'exr
pression claire d'un contenu repérablo de la croyance, Nous connaissons
quelquefois un problème analogue chez certains en Occident aujourd'hui.
Mais, à force de miser sur le dynamisme profond de l'homme qui est une pré
disposition à la foi et à l'expérience religieuse, ne court-on pas le ris
que de minimiser l'importance du contenu de cette foi ? Il ne paraît pas
évident que le dynamisme précité puisse tout de go être considéré comme la
foi ! En effet, s'il en était ainsi il n'y aurait plus, à la limite, ni
erreur, ni magistère, ni incroyance et l'on serait en peine pour parler
d'orthodoxie et même, éventuellement, pour parler d'orthopraxie, IT'jr a-
t-il pas une confiance excessive dans l'homme, dans l'individu, dans la
créativité personnelle ? Me sent-on pas le danger du relativisme, du mini-
malisme horizontalisant et d'un salut venant "d'en bas" ? C'est peut-être
ce qu'exprimait J, Brun lorsqu'il disait, à R, Panildcar lui-même, qu'il
craignait "une sorte de pélagianisme atmosphérique" ? (l),
La même année, notre Auteur disait que "le discours sur la religion
n'est pa,s de l'archéologie" (2), Mais est-on archéologue en partageant la
foi de Micée, d'Ephèse, ou, tout simplement, de l'ère apostolique ? Que
devient, dans ce contexte, la valeur de la tradition apostolique d'un dépôt
basai et quel critère va nous guider ?

ïïe pourrait-on considérer que la fidélité à la "connaissance chrétien


ne" est un culte au critère qu'est le Christ manifesté en Jésus deNazaretl:^

(1 ) L'herraéneutique de la liberté religieuse, p, 91, dans la discussion


qui suivit l'exposé de notre Auteur sur la liberté comme dimension
constitutive de l'homme,
(2) R, PARIKKAR, L'hermeneutique de la liberté religieuse, p, 98»
180

qu'elle est un moyen de sortir de notre isolement, de dépasser notre ga


barit, de remedier a notre fantaisie, et cela, en nous insérant dans un
ensemble qui nous éduque, qui nous précède et qui n'est pas nécessairement
étouffant ? Cette fidélité nous forait admettre aussi 1'inévident, l'ir
rationnel —pensons a l'Eucharistie— ce qu'on peut appeler les vérités
dures de l'Evangile et un cre^ que nous approuvons et que nous proclamons,
même si nous n'en sommes pas les auteurs. Cette fidélité, ensuite, n'as
surerait—elle pas a la personne une stabilité qui résiste au temps dans
un monde où la notion même de vérité se trouve- mise en question ? Cette
fidélité, enfin,pourrait créer une unité intérieure qui réconcilie, si on
le veut bien, le penser et le vi-vre, le savoir et l'agir.
L'Auteur dit bien qu'il refuse de s'arrêter à "-une tendance moderne
qui risque de sacrifier tout à l'existentiel" (l), il n'en donne pas moins
la primauté au dynamisme plus qu'aux convictions et formulations dans les
quelles ce dynamisme se cristallisera et il tient à l'idée que la foi avec
contenu n'est pas un présupposé tmiversel (2). Ne peut-on dire que, si la
foi est perçue comme question, il reste qu'une question est essentiellement
un projet de réponse et qu'il n'est pas évident que la réponse doive venir
de nous, même si elle a besoin de notre adhésion pour être efficace ?
Dans le prolongement de ce que nous venons de dire, on peut approuver
le souhait du professeur de Santa Barbara de voir s'établir un dialogue
dialogique et se réaliser une rencontre qui soit un événement religieux,
riais, faut-il, pour autant, que cesse la dialectique ? La relation dialec
tique ne peut-elle être également religieuse ? N'est-elle pas, en plus,
une chance pour l'homme d'arriver un jour à la clarté ? Certes, on peut
envisager des substrats philosophiques différents, des approches diversi
fiées, une herméneutique diatoptique *, mais le logos humain ne porte-t-il
pas en lui une visée universelle ? Ne veut-il pas s'adresser à tous, être
compris de tous, même si nous sommes encore loin du compte ?

(1) R. PANIKKAE, Mythe et foi, p. 59.


(2) R, PANIKKAR, îfythe et foi, p. 61.
181

En ce qui concerne Dieu et la foi en Dieu, certains pourraient se de


mander s'il n'y a pas, dans la pensée de E, Panikkar, comme une apparence
de fidcisne (l). L'Auteur s'en défend en se considérant comme aux antipo
des du fidéisne qui équivaut, à ses yeux, à un véritable attentab contre la
raison (2)« Pour certains, cependant, il n'est pas évident que Dieu existe
et qu'il soit à l'orée de notre quôte métaphysique et religieuse. Cela ne
s'admet que dans la foi, L'Auteur n'en disconviendra pas nais les
Occidentaux semblent davantage marqués par la perspective biblique (5),
Dans les langues indo-européennes, nous connaissons une parenté frap
pante entre les tern,es désignant Dieu (4)» Le divin est toutefois perçu
de façons différentes. Si des philosophies occidentales cherchent parfois,
depuis le XVTII ène siècle, à nous convaincre que l'idée de Dieu est un pro-
dtiit artificiel et accidentel de la pensée htunaine, la psychologie et l'his
toire des religions noiis la montrent, prr contre, ancienne et indéracinable,
L'homme a besoin do "la sève ontique qui lui donne l'Stre" (5), Sans elle, ;
sans cette sève, l'homme est mutilé de son fondement. Il a compris, depuis,
la ntiit des temps, que la vie est dominée par la réalité transcendante et
immanente du divin, quel que soit le nom qu'il lui donne et quelles que
soient les manifestations qu'il en reconnaît.

Dans ce cheminement religieux de l'hum.anité, Israël se giéfio des re


ligions cosmiques (6) et se centre sur l'idée d'alliance, sur l'histoire

(1) E, PAHIKKAE# .en -19é3, disait : "Pour ceux qui croient à In, réalité
plus qu'à la raison. Dieu est immédiatement présent", Yoir L'athéisme
tentation du monde réveil dos chrétiens ? p, 53, Il ajoutait, p, 56,
"ÏTous assistons peut-être à l'apparition d'une génération, d'une cultu
re, d'une civilisation qui professe l'athéisme pour la première fois
depuis que l'homme est sin? la terre",
(2) R, PiJJIZKAR, Morale du mytho, p, 377*
(3) Comme le dit E,C, ZAEHtffiR, dans Inde, Israël, Islam, p, 63, le chré
tien peut comprendre plus facilement les religions prophétiques que
les religions mystiques. Par exemple, le Vedânta non-dualiste peut-il
être compris par quelqu'un qui est parqué p;?.r la Bible ?
(4) J, RIES le rappelle dans les conclusions du livre L'expression du sacré
dans les grandes religions, pp, 3O6 - 307,
(5) h# PAUIKKAR, La foi dimension constitutive de l'homme, p, 18,
(6) M, ELIADE, Histoire des croyances et des idées religieuses, I, p, 33,
182

sainte qui est celle des interventions d'Adonal, histoire relatée dans des
livres qui, même historiques, sont aussi prophétiques (l), histoire célé
brée dans des fêtes liturgiques qui constituent autant des rappels des
hauts faits de Dieu que la célébration de l'actualité de l'alliance et de
la présence divine.

Avec Abraham se manifeste nn Dieu qui fait irruption dans la vie d'un
homme. Des moments théophaniques sont repérables et difficiles à nier (2).
Dans l'hindouisme, par contre, on perçoit moins la place accordée a l'ir
ruption d'un Dieu personnel dans l'histoire, d'un Je absolu dans la vie
d'un homme, pour le desinstaller, pour le manda,ter, pour en fa^ire le por
teur d'une parole qui aura valeur de droit divin intangible. L'hindouisme
mise davantage sur la relation mystérieuse entre l'Absolu et l'âme indivi
duelle, On y rencontre des textes de tendance déiste, parfois des passa
ges plus théistes (3).
La Bible nous propose des théoi^hanies dépassa,nt les hiérophanies an
térieures (4) et allant plus loin que la, relation mystérieuse avec la trans
cendance dont parlent les TJpanisad, Le moment théophanique privilégié est
évidemment, pour le christianisme, la personne du Christ manifestée en
Jésus de Kazareth, mort et ressuscite, dont la parole reste par les
Evangiles et dont l'agir continue dans les sacrements, par l'Eglise, et
tout spéôialement dans l'Eucharistie,

(1) C'est l'option prise,^ par exemple, dans la Traduction Oecuménique de


la Bible, vis-à-vis des livres vétérotestamentaires classés souvent
comme historiques.
(2) On pense, par exemple, a l'opoque mosaïque au Sina,ï, à la vocation
de Sajnuel peut-être et à la théophanie au Temple, en 740, avec Isaïe.
(3) Voir la Bhagavad-GÎta et la Svetasvatara Upanisa,d, ch. 6, Voir aussi
R. C, Z/iEHKSR, L'hindouisme, pp, m - 112, pour la Gitâ. Le même
auteur, dans Inde, Isra,êl, Islam, p. 139> écrit qu'on ne trouverc,it
jajuavis en Inde une notion compatible avec le Dieu biblique qui a,git
pour son peuple, qui fa,it irruption dans l'histoire, disant son dessein
et se révélant lui-même comme réalité objective. Il relève, toutefois,
là aussi, les exceptions de la Svetasvatara ïïpanigad qui serait "une
version théiste du SÔMdiya-Yoga", p. 212, et de la G^â qui, néanmoins
n'atteindrait pas le concept judéo-chrétien de révélation, p, 225.
(4) Voir M, ELIADE, Traité d'histoire des religions, pp. 92 - 98, 115-135,
139-162, 202, 211, 220, 222, 231, 275, 281 et 310.
183

Dans cette perspective Diblique, la foi am^ait un contenu et des cri


tères. Elle pourrait se. dire et Ôtre fondée sur l'e2q)érienoe mystique,
certes, comme dans l'hindouisme, mais elle aurait également des bases géo
graphiques et historiques liées notamment à la personne repérable du
Seigneixr inoamé. En cela, notis serions davantage ma,rqués pau la. perspec
tive bibliqxie.

Si nous sommes dans un milieu religieux, si nous avons une vie de


méditation, si nous avons une expérience de bhakti, si la, vie est une rela
tion consciente avec Dieu, nous pouvons aussi comprendre R, Panildcar.

Si l'on entend que tous ne considèrent pas le mot Dieu comme un sym
bole universel (l), on observe, chez nous aussi, que bien des gens admettent
un Etre Suprême, un Absolu, tout en hésitant à lui donner le nom de Dieu,
lequel est chargé d'une spécvilation philosophique et théologique dans la
quelle ils n'entrent pas, lequel est aussi parfois déformé par des malen
tendus et par de ma,uvais63 présenta.tions. Le Bouddhiste lui-même aurait
quelque difficulté à nous dire s'il croit en Dieu ou non, sans pour antant
accepter d'être considéré comme un athée au sens occidentai dti mot (2),
Influencé par l'Inde, R, Pa.nilckar nous semble privilégier fondamenta
lement l'immanence de l'Absolu sans rien nier de sa transcendance (3).
On peut être frappé, en effet, par le lien qu'il souligne entre le Dieu in
connu, le Dieu q^li se donne, le réel qui se montre à nous et nous qui sommes
au coeur du réel. On peut être frappé par son cosmothéandrisme ou par ce
qu'il a,ppelle aussi le "théanthropocosmisme",

(1) M, BLfiRDEAU, Clefs pour la pensée hindoue, pp. 23 - 24, dit que "Dieu",
pour l'Occident, est un terme qui retient la transcendance et la sainte
té de l'Adonal biblique, tandis que pour l'Inde, deux termes désignent
l'Absolu, Brahman neutre, qui est l'Etre pur, la Qonscience pure et la
Béatitude, Le corrélat humain de l'Absolu est l'âtman, soit "le princir-
pe immortel qtii, dans l'homme, est appelé à se délivrer du corps, de
tout corps, pour atteindre enfin â la parfaite identité avec le
Brahman", p. 25.
(2) D'où la question de R, PAtLEIŒAR : "Est-ce que cela a encore un sens de
parler de Dieu, quand on a compris ce que le Bouddha a dit ? Peut-on
considérer le nom de Dieu comme une étape de la prise de conscience de
Dieu ? Peut-on croire sans objet ? "Yoir L'analyse du langage théolo-
gique, p. 134,
(3) Cette imm.anenoe, à ses yeux, frapperait moins l'Occident, Voir
R, PANIKKAR, Der zerbrochono Krug, p, 56I,
184

En quelque sorte, c'est faute de pénétration que nous ne verrions pa,s


les convergences. Ceci paraît important pour notre synthèse. Il y aurait
défaut de pénétration à nous arrêter à un Dieu transcendant, lointain, pu
rement spirituel, sans rapport avec l'être que nous touchons et que nous
sommes. Il y aurait dofa,ut de pénétration à saisir le cosmos comme le
ferait un "homme debout", en féaction autonome. Il y aurait défaut de pé-
nétra,tion à nous définir comme des animo-ux doués de raison, "L'homme,
dit notre Auteur, s'aliène et perd la dignité humaine lorsqu'il se plonge
datis le monde temporel comme si celui-ci était son ambiance unique" (l).
Si, pa,r contre, nous percevons les convergences, nous ne cloisonnons pas
l'être ou les êtres, iMous nous refusons alors à centrifuger l'appréhension
du réel.

Nous devons rappeler ici ce qu'il écrivait en 1970, à savoir qu'en


Inde "toute chose est figure limitée et rétrécie de l'Absolu" (5), la
chose étant épiphanie de cet Absolu, Dieu "sous l'apparence de la, chose
présente" (4)» Ce que nous appelons aûnsi pénétra,tion pour percevoir les
convergences ou refus de centrifuger le réel et son appréhension, nous
amène à une vision religieuse du tout, soit au sens de l'unité de l'être
qui, loin de verser dans un monisme métaphysique, serait une perception
aigtie de l'acte créateur continu de l'Absolu, dont le monde est l'expres
sion de la force énergétique, comme son corps,

L'Absolu est le Je sublime, ultime, celui qui m'a,ppelle, qui est à


l'origine de tout, qui est liberté pure, celtii qui ne peut être pensé,
celui qui ne peut être figé par la polarité "être - pensée sur l'être",
celui dont le mystère pour le chrétien a son épiphanie dans le temps et
l'histoire en Christ, mais aussi celui qui est au plus intime de l'être,
de tout être, au plus intime de moi-même, celui dont tout participe.

(1) R, PANIKZAR, Le temps circulaire ; temporisation et temporalité, p. 208,


(2) R, PANIKKAR, Yac in the simti, p, 12.
(3) R, PidŒKKAR, Le mystère du culte, p, 138,
(4) R, P/iNIKK/;R, Le roystère du culte, p, I40,
185

Il ne s'agit pas de panthéisme mais d'me perception radicale de


l'être, nne perception de l'être dans sa racine, dans sa ra^x. E, Panikkar
préfère ainsi comme nne vision horizontale de la réalité avec toi esprit
pins synthétique qu'analytique et une vision horizontale qui reste fonda
mentalement religieuse. Il sait que la vie dans l'être peut être radicale
ment théologale au sein même du quotidien et que cela importe plus qu'une
organisation théologique qui plaît à la raison. L'ontique plus que l'on
tologique, Le théologal plus que le théologique (l).

Nous potirrions terminer ce chapitre en reprenant la prière qu'il


composait un jour, à Rome, "Seigneur, tu es là, tu es également ici, tu
nous vois et je vois à travers toi, je voudrais ne plus rien voir d'autre
que ce que tu vois et comme tu le vois; et nous somnies ta vision et notre
rapport devra être changé, renversé et devra réaliser l'expérience dti moi
comme un toi divin, car Lieu, l'unique Lieu est Yahvre,, celui qui est;
Seigheur je suis toi, ton toi, tu me vois et alors je poux fermer les yeux,
non pour cheminer les yeux fermés mais pour voir toujours plus la totalité
du. tout" (2),

(1) L»après notre Auteur, une des caractéristiqiies de la mentalité in


dienne réside dans les "intioitions transversales". Yoir R. P/JJIKILIR,
Lettre sur l'Inde, p. 52.
(2) R, PANIICKAR, La presenza di Lio, pp. 42 - 45.
18Ô

CHAPITRE III

lOT/JiA

LE LOGOS

LE CHRIST

JESUS LE NAZIiRETH
187

"Mon point de départ n'est- pas peut-être la


théologie chrétienne comme on 1 ' entend
traditionnellement, mais plutôt une foi,une
foi nue, dirai-je, dans le Christ, dans un
Christ qui n'est pas absolument identifié
avec Jésus de Nazareth" (l).

(l) R. PilNIKKAR, Le sujet de l'infaillibilité, p. 452.


188

IFTBDDUGTION

La oitation mise en exergue, au début de ce chapitre sur le Christ,


situe d'emblée la perspective dans laquelle H. Panikkar se place. Il con
naît la Bible et la théologie occidentale, c'est—à—dire ce qui est acquis
dans le contexte culturel semite, grec et latin, dans le milieu qui nous
est propre. Il est au fait de notre cheminement occidental. Cependant,
cette connaissance, qu'il partage avec nous, ne lui sert pas "absolument" de
point de départ.

Il sait les données historiques concernant Jésus de Nazareth, né sous


Auguste vers é ou 7 avant notre ère, menant une vie ca,chée pendant probable
ment près de 54 ans, proclamant la Parole qu'il est, pendant: une courte vie
publique, mourant, vraisemblablement le sept avril 50 (1), ressuscitant dans
un nouveau mode d'être, réintégrant la gloire du Père. Notre Auteur parle
de ce Christ-là, vrai Lieu et vrai homme, comme il est dit dans la foi ni-
céenne. Po^urtant, il veut davantage repérer et développer quelques pistes
que l'Occident n'ignore pas mais que, peut-être, nous n'avons pas privilé
giées, du moins à certaines époques de notre cheminement, des pistes qui
étaient mieux connues à l'époque patristique peut-être, plus que dans les
interprétations contemporaines et qui, à ses yeux, peuvent servir de pont
entre l'hindouisme et le christianisme, voire entre toutes les religions
du monde, dont le concert innombrable ne peut plus être mis en veilleuse, à
une époque de l'histoire où l'horizon de l'homme est la plajiète Terre.
L'Auteur va insister sur le Christ "étemel". Il ne s'agit pas, d'une
réalité vague q-ui réduirait le christianisme à n'être qu'une gnose informe
négligeant l'Incarnation du Yerbe étemel en Jésus de Nazareth. Il est
question plu.tÔt de percevoir que le Christ n'est pas seulement Jésus de
Nazareth. En d'autres mots, le Christ "étemel" exprime la certitude d'une
action de la Parole de Lieu en Jésus de Nazareth, mais aussi de l'action de
la Parole de Lieu dans la vie trinitaire intrinsèque, dans l'acte créateur
divin, dans la création évoluante, dans toute religion en tant que moyen de
relation entre l'Absolu et les hommes de bonne volonté, dans tout acte h-umano-
divin faisant réintégrer le cosmos dans sa source et dans le coeur de tout
honmie où rayonne le Christ intérieur qui opère la "con—version" vers l'Un.

(1) Voir CoH, LOLL, Le fondateur du christianisme, p. 20,


189

Par souol de clarté, poiir conprGndre les sentiers souvent complexes


de notre Auteur, sentiers peu pratiques dans certains exposés ohristologi-
ques contemporains, nous porterons notre attention sur quelques thèmes
majeurs de la pensée panikkarienne, ÎTous chercherons à repérer des intui
tions profondes où l'hindouisme et le christianisme pourraient Ôtre en re
lation plus dialogique que dialectique. Il ne sera pas question de juxta
poser deux traditions, pour les mettre en situation conflictuelle, ni mê
me en regard l'une de l'autre, pour repérer ce qui dans l'une serait la
traduction de ce qui existe dans l'autre.

Le professeur de Santa Barbara pose un acte fondamentalement religieux,


dans la foi, où se reconnaissent les intuitions propres à chacun et dans
lesquelles sont à l'oeuvre, dès aujourd'hui, et depuis toujours, le même
Christ "étemel" et le même Esprit, donnés à chacun dans son topos respec
tif.
190

§ 1 - L'EVOLUTIOÏT DE L»HEBI'ÎSKETJTIQ'OE DU CHRIST

A. Introduction

Si l'on veut résuner la tradition concernant l'interprétation de


Jésus-Christ, l'accent est rais sur les déclara^tions centrales des conci
les de Nicée, d'Ephèse, de Constantinople I et de Chalcédoine (l).
Les affimations trinitaires et les affimations christologiques sont
intinenent liées, rejoignant la profession de foi qui termine l'évangile
matthéen (2). La théologie prolonge cette perspective (3)« Elle cher
che a établir l'équilibré entre d'une part, le Christ corame horone intégré
dans la créature et la multiplicité et d'autre part le Christ relevant,
comme Dieu, de la "catégorie" de l'Un et de 1'incrée, équilibre qui ne
peut ni détruire la divinité ni aliéner l'humanité, ni laisser l'humain
se perdre dans le divin comme une goutte d'eau se perd dans l'océan, ainsi
que le suggèrent l'hérésie ou la tendance nonophysites, ni permettre à
l'humain d'annihiler le divin ou de le minimiser, dans une perspective
nestorienne.

Il faut la Trinité pour qu'il y ait l'Incarnation du Fils et la


théologie s'imprégné de cette idée de base» Grâce à ce mystère trini—
taire, l'heomiéneutique traditionnelle garde intacte l'unité et la perfecr
tien de Dieu, A partir de là, on cherche l'unité, en Christ, et de Dieu
et de l'homme, une unité qui ne serait préjudiciable ni à sa pleine di
vinité, ni à sa, pleine humanité.

Le salut, dans cette interprétation du mystère de la, personne du


Christ en deux natoores, pour reprendre les termes de Tertullien, le sa
lut est apporte par le Christ parce qu'il est divin, parce qu'il est sou
dé au Père par un lien omique et irremplaçable.

(1) G, DUMEIGE, La foi catholique, pp. 26, 27, 197,


(2) Ifet, 28 î 19,
(3) Exemples i le symbole d'Epiphane , vers 374, le symbolecB.t d'Athanase,
le symbole du XI ème concile de Tolède (675), le, profession de foi
du IVème concile de Latran (1215) et celle de Michel Paléologue
(1274), On connaît aussi les onathématismes de saint Cyrille en
431 (voir G, DUMEIGE, La foi catholique, pp, 191 - I93), la formule
d'union en 433 après Ephèse, la lettre à Plavien de saint Léon le
Grand en 449 (voir G, DUMEIGUE, La foi catholique, pp, 195 r 196),
191

Nous n'avons pas à développer ici une christologie ni une sotériologie


exhaustives. Là n'est pas notre propos, ni celui de R, Panikkar. Nous ne
pouvons tout dire à propos de tout, même si les sujets sont passionnants au
tant que fondamentaux. Nous voudrions simplement sxiivre le professeur de
Satita Barbara dans la comparaison qu'il établit entre l'herméneutique tra-
ditionnelle et une herméneutique plus récente, pour découvrir les prolonge
ments et les analyses subséquentes qu'il nous propose.

B, Perspectives de R, Panilckar

Notre auteur voit se développer, au début de ce vingtième siècle, une


approche du Christ différente de l'approche antérieure. C'est le Christ
"homme" qui devient "le fait primitif" de l'investigo.tion et non plus le
mystère trinitoire, "Son humanité, dit-il, est devenue si centr<?.le que
•c'est par elle, et non par sa divinité, que Jésus semble avoir un rayonne
ment universel et répondre à un appel profond chez ceux qui sont allergiques
à un christianisme surnaturel" (l). Si nous connaissons la préférence du
Professeur de Santa. Barbara pour un langage universel, par rapport à un
logos situe, conditionné par exemple par le lieu méditerra,néen de son émer
gence (2), nous pressentons l'intérêt qu'il doit accorder à une évolution
plus large de l'herméneutique. S'il ne faut pas écarter a priori ce qu'il
vient d'appeler un "christianisme surnaturel", s'il ne faut pas exclure,
comme non avenue pour le monde, Is, théologie nicéenne qui reste un garde-
fou pour la pensée, il reste qu'on gagne, à ses yeux, à s'ouvrir à un re
nouveau d'interpreto/tion. Celui—ci aurait peut—être l'avantage, aussi,
d'être moins exclusivement ecclésia^stique et conciliaire si, considérant
l'herméneutique sécifLarisée, R, Panikkar note, un peu plus loin, que " le
Christ conquiert, pour ainsi dire, son indépendance des milieux cléricaux
qui semblaient en avoir le monopolo" (3),

(1) R, PANHK/iR, La sécularisaiion de l'herméneutique, pp. 213 - 214.


(2) "Le fait d'être chrétien est—il lié inexora,blement au monde méditerra
néen"? se demande R, PANIKKAR dans The Bostonian Verities, p, I49,
Il souligne, au passage, que le Christ n'a jajiiais voulu nous laisser
une seule plbrase dans sa langue historique po\u? ne pas nous lier à
quelque langue que ce soit, voir p, I50,
(3) R. PANIKKAR, La sécularisation de l'herméneutique, p. 220, Nous pour
rions noter que les "milieux cléricaux" ont aussi une fonction ministé
rielle et que la foi niceenne est celle du peuple chrétien depuis les
temps apostoliques.
192

Comment perçoit-il cette sécularisation de l'herméneutique du Christ ?


Le début du vingtième siècle a étudié davantage le Christ en tant qu'homme,
ce qui transforme notablement l'interprétation. On cherche moins l'unité
entre l'homme et Dieu dans la personne de Jésus, on axe moins l'esprit sur
la dialectique des deux natures en une seule personne, on ne part plus de
la réalité trinitaire. C'est l'union du Christ avec les hommes qui va, de
plus en plus, marquer le pas (l).
Parmi les problèmes ma,Jours, celui du rapport entre le Jésus de l'his
toire et le Jésus de la foi, oelui de la continuité entre Jésus de Nazareth
et le ressuscite, celui du lion actuel entre le Christ et les pauvres, les
souffrants, les rojetés. Ce qui prime est moins le Christ sauveur par son
lien avec Dieu, par sa divinité, que le Christ perçu comme sauveur dans et
par son humanité, le Christ présent parni nous. Ce Christ apparaît comme
plus "moderne", comme le prototype de l'amour réel. C'est un Christ effi
cace, modèle des gens charitables, un Christ "révolutionnaire" et "sociali
sant" qui "a inspiré les hommes à se dépasser soi-même" (2), Il devient
alors le symbole de la plénitude et de la libération.

Nous connaissons l'interprétation moderne du Christ et ses auteurs,


nous en savons les valeurs, les limites et le dyaamisme (3), tout en sachant
qu'on ne prouve, en fin de compte, la pleine humanité du Christ historique
que parce que l'on croit à sa divinité, en un sens. Personne, en effet, ne
pense à établir la pleine humanité de Socrate ou de Marc-Aurèle î

(1) Notre Auteur ne cite pas ici les auteurs auxquels il pense et se réfère.
Il renvoit aux contributions des assemblées générales du Concile
Oecuménique des Eglises dans The Ecumenioal Eevieu sans plus de préci
sions, Voir La sécularisation de l'herméneutique, p, 220, note 21,
Nous ne pouvons, dans le cadre restreint d'une monographie, résumer les
approches multiples qui furent faites du Christ aux 19èmeet 20 ème siè
cles, notamment par les historiens des religions ou par les sociologues,
par les psychologues, les pej^-chanalystes, par des mouvements sociaux,
par des écrivains, voire même par des cinéastes,
(2) R. P/lîIKK/Jl, La sécularisation de l'herméneutique, p, 221,
(3) L, BODYER, Le Eils étemel, résume la problématique. On la retrouve
aussi dans CH. DUQUOC, Christologie, essai dogmatique, l'homme Jésus,
vol, 1, et Le Messie^vol, 2.
195

Nous disposons de toute ime littérature récente allant dans ce même


sens ; le Clirist est le non-violent, le pacifiste, l'homme libre, le prophè
te sans frontière, celui qui est à tous, mais particulièrement aux petits,
aux marginaux, aux rejetés de la société (et toute société a ses lépreux),
celxii qui parle d'amour et de non-conformisme, celui qui apparaît comme
1'antilégaliste, l'homme par excellence, le Sage des Sages, le libéré libé
rant, celui qui vient parmi nous pour nous dire ce que nous sommes et nous
aider à vivre pleinement notre humanité.

Qu'il y ait conflit entre des tendances ohristologiques n'est pas un


fait nouveau. L. Bouyer parle du va-et-vient entre "la pensée chrétienne
qui dissout la réalité de l'homme dans la réalité, elle-même radicalement
abstraite, d'un Dieu q\ii n'est que l'Absolu, incapable d'entrer en rapport
avec quoi que ce soit d'autre que lui, et le nestorianisme, qui ne restaure
la vérité de l'humain qu'en en exilant le divin" (l). La théologie antio-
chienne et occidentale - et même notre iconographie face aux icônes de
l'Orient - insistent sur l'importance de l'histoire et de Ibntidocétisme (2).

Sans reprendre ce qui a été dit sur l'herméneutique sacrée , profane


et séculière ou sécularisée, venons-en, aux problèmes posés par le passage
d'une interprétation du mystère du Christ à partir de la réalité trinitaire,
dans une optique nicéenne et chalcédonienne, à une interprétation plus con
temporaine, misant davantage sur l'histoire, prenant au sérieux le temporel,
le saeculum, plus qu'vine "transcendance ontologique" ou -un-e "éternité trans
temporelle" (5), L'herméneutique séculière apparaît comme "l'explication
d'une donnée en fonction de ses coordonnées historico-temporelles, car c'est
en elles seulement qu'on croit pouvoir atteindre l'intelligibilité cher
chée" (4). Elle verrait le Christ dans son contexte temporel parce que cette
recherche est compréhensible à l'homme d'aujourd'hui, ce à quoi est toujours
sensible R. Panikkar.

(1) L, BOUYER) Le Fils éternel, p. 22.


(2) L. BOUYER, Le Fils éternel, pp. I97 *• 198*
(3) R» FANÎKKAR, La sécularisation dé l'herméneutique, p. 226.
(4) R. PANIKECAR, La séciilarisation de l'herméneutique, p* 227»
194

Peut-on envisager une traduction du langage nicéen ?

Il s'agirait, en l'ocourence, d'adapter l'ancienne compréhension con


ciliaire du quatrième et du cinquième siècles dans une langage actuel.
Pareille entreprise, aux yeux de l'Auteur, paraît toujours délicate. Qu'on i
se rappelle l'adage "traductor traditor". Il juge que les langages sont
trop différents pour assurer la validité d'une bonne traduction, d'autant
plus qu'il serait encore nécessaire de parler de "nature" et de "personne" si
l'on veut éviter le risque d'une détotalisation de l'acquis de 525 et que
resterait le présupposé d'ime interprétation privilégiée qu'il faudrait tra-?
duire sans l'édulcorer(l),
A défaut de traduction, peut-on envisager la voie de la complémentari^r
té ?

Différente de la précédente, elle proposerait, au nom d'un pluralisme


herméneutique, qu'une interprétation complète une autre interprétation sans
la détruire. Convaincue que la connaissance humaine est toujours imparfaite,
que le langage humain est toujours limité et qu'une donnée est toujours
transcendante à la connaissance et au langage, la voie de la complémentarité
serait possible dans la mesixce où les deux interprétations ne seraient pas
contradictoires -cela va de soi - et dans la mesure où la relation d'une
interprétation à un contexte déterminé serait repérable. L'interprétation
trinitaire en contexte nicéen serait à ce titre compatible avec l'interpréta
tion moderne née d'un contexte moins "surnaturel", et la complémentarité
chercherait la possibilité des convergences.

Peut-on envisager la voie de l'équivalence ? On poserait l'hypothèse


de deux interprétations différentes mais équivalentes. Deux formulations
pourraient rejoindre une même réalité transcendant les interprétations et ce
la de façon équivalente, ce qui serait éventuellement reconnu par une auto-?
rité, comme le concile de Florence le fait pour le "Pilioque" et le "per
Pilitim" (2),

(1) R, PAlTIKICiiR, La sécularisation de l'herméneutique, pp, 25I - 252,


(2) R, PANIKK/iR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 235» H reprend
ailleurs ces deux expressions sans prendre position, voir Letter from
the holy mount Athos, p. 726, L'exemple du Pilioque et du perPilium
apparaît à notre Auteur comme l'exemple type d'un cas d'éqviivalence.
Voir aussi Los dioses y el Senor, p, 93»
195

La voie de l'égiiivalence proposerait donc, pa-r exemple, deux théologies


différentes, non-complémentaires, non-superposables. L'une ne serait pas
la traduction de l'autre. On les a^dmettrait comme valables toutes deux,
comme orthodoxes l'une à côté de l'autre, juxtaposables sans conflits et
admissibles sans démission.

L'option de R, Panikkar a pour objectif, de dépasser tout logos parti- ,


culier pour chercher un discours communautaire et atteindre, par liii, les in^
tuitions fondamentales au-delà du dire humain. Il propose plus qu'une tra
duction parce qu'elle resterait attachée à l'idée fixe d'une interprétation'
privilégiée qu'il faudrait malgré tout maintenir. Il propose autre chose
qu'une complémentarité qui, -sans être totalement à exclure, ne serait en
sorte qu'une juxtaposition de deux logoî émergeant de deux contextes. Il
ne semble pas davantage parvenir à une équivalence suffisante en matière de
christologie, bien que reconnaissant que la chose fut possible historique
ment, à Florence notamment et sur une autre qviestion importante, admise en
plus par les autorités compétentes.

R. Panikkar constate qu'il n'existe pas une théologie valable pour toup
ies hommes et povir tous les temps, ainsi que pour toutes les cultures. Il •
affirme qu'elle n'existera pas aussi longtemps que tous les hommes n'yadhé-^
reront pas. Au-delà donc d'une "théologie mondiale" qui n'existe pas, on
pourrait sans doute partir des données fondamentales de la conscience humair-
ne, plus qtie du Jésus de l'histoire ou du Jésus de la foi (1 ),

(l) "Partir des données fondamentales de la conscience humaine" peut appeler


des explications. Rous ne les donnerons pas ici pour ne pas surcharger
le présent paragraphe. L'Auteur développera ces données de la conscien
ce en décrivant (voir notre chapitre 5) l'expérience existentielle com-r
mune. Lisons ici qu'il j sera question, par exemple, de la prise de
conscience de notre incomplétude, d'une volonté de marcher vers une fin,
de dépasser la situation actuelle, d'une soif de lutte, de progrès, de
vérité, de libération, d'une attente d'un salut, d'une recherche de jus
tice, de fraternité, d'une quête d'authenticité, etc. On a-urait, en cela,
comme un dénominateur commun à travers les systèmes différents de pensée
et au-delà des langages multiples. Ce dénominatexir commun réunirait
tous les hommes et Jésus pourrait les concerner chacun sans être seule
ment le Jésus des historiens et des théologiens.
19Ô

Devant les interprétations marxiste^ nicéenne et autres du Christ, fa


talement multiples, il conclut qu'elles ne sont ni traduotibles, ni complé
mentaires, rarement équivalentes, mais ohseirve qu'elles ont toutes Jésus en
commun, un Jésus qui dépasse les interprétations et dont la permanence si
gnifiante est un fait indépendant de toute volonté humaine organisée. Jésus '
est "le symbole le plus puissant de l'Occident" (l), "le symbole invariant
plus fort que l'idée et que toutes ses interprétations" (2), symbole vivant
et vrai, quelles que scient les idées que les hommes s'en sont faites, l'u
nique symbole valide peur 95 des Américains et, pour les Russes, "le sym
bole suprême de la vérité et de la bonté" (3),
Jésus reste "symbole de lui-même, bien que ce symbole se révèle aux uns
et aux autres sous des formes très différentes" (4)» Son être se manifeste
comme tel et une relation s'établit entre lui et le moi de chacun. Le point'
de vue de chacun engendre une description correspondante maùs le "fait Jésus*,'
le "symbole Jésus" survit à toute dialectique particulière visant à l'expri
mer, ni purement objectif puisqu'il est toujours perçu par quelqu'un, ni pu
rement subjectif parce qu'il y a dans l'interprétant la référence à quelque
chose qui lui est extérieur. Il est donc repéré par des interprétations di-r
vergentes sans jamais se laisser enfermer dans aucune d'elles, La perspec-'
tive trinitaire et surnaturelle nicéenne n'épuiserait pas plus le "symbole
Jésus" que l'interprétation marxiste.

R, Panildcar voudrait dépasser aussi une simple herméneutique morpholo-


•X- ^ ^ . . " -
gique et une herméneutique diachronique (5)«

La première est celle des parents chrétiens, des éducateurs,des prédi


cateurs, des professeurs de religion, soit une herméneutique de "transmet
teurs", voire de "traducteiirs", qui explore la Bible et la théologie, invesr-
tit les trésors de la tradition, explique, explicite et n'invente rien,
soucieuse qu'elle est d'éclairer le cheminement du moi par la découverte
d'une recherche institutionnelle au sein de laquelle l'enseigné serait apper
lé à s'insérer pour être fécondé par les acquis de ses pères et pour être

(1) R, PiiïïIIQCAR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 246.


(2) R, PANIIŒAR, La sécularisation de l'herméneutique, p. 247*
(3) R, PAITIIŒAR, La sécularisation de l'herméneutique, p. 248.
(4) R» PARIKKAR, La sécularisation de l'herméneutique, p. 247»
(5) R, PAITIKKAR, Le temps circulaire, pp, 218 et 2305 et Philosophy as
Life-Style, p, 205,
197

libéré de son minimalisme, de son relativisme, de la fantaisie de son ego,


en faisant reposer ses croyances et ses certitudes sur un dépôt transmis le
plus fidèlement possible, de génération en génération, de façon invariante
quant au fond exprimé, mais éventuellement traduites, quant à la forme, la
quelle tiendrait compte de l'évolution des termes et des structures philoso
phiques sous-jacentes, ceci afin de détailler les trésors humains d'une cul
ture particulière (l).
Le symbole de 525-381, par exemple, resterait ime interprétation à prir
•X*
vilégier dans le cas de l'herméneutique morphologique , quitte à trouver
d'autres termes que "descendu aux enfers", "monté au ciel", "engendré non
pas créé", "de même nature" ou "consubstantiel". A la limite, les trans
metteurs, en christologie, seraient comparables aux "transféreux" en litur
gie (2), soucieux de ramener leurs contemporains à la "religion", emportés
par m souci de plaire et de récupérer, quitte même à balayer de façon icono
claste des expressions et des formes concrètes ayant vale^u? en soi,

R, Panikkar ne veut pas davantage, avons-nous dit, s'arrêter à une


herméneutique diachronique qu'il voit, par exemple, chez P, Ricoeiu? et chez
R. Bultman (3)» Cette herméneutique diachronique tente de résorber la dis
tance temporelle entre l'interprétant et l'interprété. Elle repère le sens
des mots dans leur contexte rédactionnel initial. Elle établit une méthode
d'interprétation des mots, des structures et des images. Elle démythise.
Elle libère le texte de sa gangue spatio-temporelle, de son emballage
historico-cult-orel, pour tenter de dire le donné initial dans sa nudité, com
me on pourrait la faire pour Homère, Virgile, Moïse, et ainsi de stiite, et
cela pcor résorber le gouffre temporel de l'histoire culturelle humaine (4).

(1) R, PjWIKEAR, Philosophy as Life-Style, p, 205,


(2) R, PANTKKAR, Le culte et l'homme séculier, pp, 30 - 37. Nous croyons
comprendre et respecter notre Auteur en disant qu'il ne faut pas nier
pour autant 1'Eglise-institution et le rôle de l'évêque de Rome et du
collège épiscopal en la matière comme le dit notamment Vatican I, dans
G, LUMEIGE, La foi catholique, Crante, Paris, I96I, pp, 291 - 292,
(3) Notre Auteur a insisté sur ceci dans une conversation qu'il tint avec
nous à Paris, le 16 septembre 1978,
(4) R, PANIIdCAR, Philosophy as Life-Style, p, 205,
198

Il juge, en effet, qu.e même cette herméneutique se ''resitue"dans un topos


particulier et déterminé, en-deçà d'un langage trans-culturel. C'est ou
blier, pourrait-on dire, que le fait dépasse son "dire". C'est oublier que
le symbole est transcendant, qu'il est au-dessus des exposés dialectiques
et des déterminations logiques.

La recherche du professeur de Santa Barbara s'oriente dans le sens


"X"
d'une herméneutique diatopique . Le topos varie d'un^ homme à l'autre,
d'une culture à l'autre, St i l convient de mettre en relation des horizons

humains différents (l),

L'Occidental peut comprendre la Bible, Homère, Virgile ou Moïse dans la


mesure où il grandit dans un topos qui leur est apparenté, mais il se trouve
démuni pour parler à l'Hindou qui, situé dans un autre topos, ne le pourrait
comprendre. Le mot "Lieu", par exemple, malgré les parentés indo-européen
nes bien connues (2), n'est pas compris par im Bouddhiste comme chez nous,
au point que celui-ci ne pourrait peut-être comprendre la question ;'broyez-
vous en Lieu ou non" ? (5).
Un singe attaque l'homme qui rit devant lui. Pour l'homme, ce rire
est un signe de sjTnpathie, de plaisir, de joie. Lans son topos, l'homme n'a
rien à se reprocher. Il perçoit en lui une relation positive avecl'animal.'
Celui-ci, cependant, au sein de son propre topos, voit les choses de façon •
totalement différente. Quelqu'un qui rit montre ses dents, et quelqu'un qui
montre ses dents, dans le monde simiesque, est un agresseur et donc une menace.
Le singe attaque l'homme qui rit (4).

(1) R, PAHIiaC/LR, Philosophy as Life-Style, p. 205,


(2) Voir M, ELI/iLE, Traité d'histoire de^ religions, p. 685 J. RIES,
Le sacré et l'histoire des religions, dans L'expression 3u sacré dans
les grandes religions, 1, Proche-Orient ancien et traditions bibliques,
pp. 306 - 307.
(3) K. PAHIKItAR affirme par exemple que "la moitié de l'humanité ignore la
conception théiste de Lieu" dans Métathéologie ou théologie di^ritique,
p. 47» Il ne condamne, précise-t-il, ni la conception du theos ni le
discours humain à son propos mais il souligne que theos ou Lieu ne va
pas de soi partout et qu'on aurait tort de diviniser le discours sur le
sujet. Le dialogue dialogique inter-religieux ne devrait donc, p. 50,
ni exiger le préalable du caractère personnel du divin ni l'autre pré
alable d'un bralman indéterminé,
(4) R, PANIKKAR, Rtatattva, p, 27,
199

Autre exemple, dans un contexte similaAre, à Bali, le touriste qui visite


les singes "descendants de cevix qui aidèrent Rama", dans la forêt sacrée de
Sangeh, doit marcher les mains ouvertes sans quoi il se voit entouré par les
singes sacrés imaginant que la main fermée cache quelque friandisei

S'il y a un topos propre au singe et un topos proprement humain, il y a


aussi un topos occidental et un topos indien.

Revenant à l'herméneutique de Christ, ayant parlé de l'herméneutlq_ue


morphologique des transféreurs et de l'herméneutique diachronique encore
intra-culturelle, R, Paniklcar suggère une herméneutique diatopique. S'il ne
cache pas son admiration pour le Père Honchanin qu'il considère comme un
saint, il regrette qu'il ne soit pas libéré de ses catégories hellénico-
occidentales (l). Or, l'Auteur, nous l'avons déjà dit, ne vexit pas d'une com-i
paraison des religions. Il veut le dialogue dialogique plus que dialectique.
Il faut, pour lui, baigner dans le topos indien (et pas seuilement hindou),
A ce niveau, il se considère comme privilégié et, de là, responsable. Il pan-
le de 1' 'Impératif de notre kairos" (2), Bans la recherche d'une "réponse
communautaire" valable dans les différents topol, "nous nous intéressons à
une réponse qui puisse embrasser tous les hommes de bonne volonté qui recon
naissent Jésus sous une forme ou sous une autre, bien que notis ne partagions
pas leurs opinions" (3),
Avant de décrire 1'herméneu.tique diatopique qui doit nous éclairer stir
la compréhension du Christ au coeur du topos de l'Inde, voyons ce que pour
rait souligner une herméneutique séculière ou sécularisée, relevant d'un
topos et d'un logos déjà plus universel que le topos et que le logos propres
à la théologie de l'Occident.

(1) Cela ne signifie pas que chacun doive se libérer toutefois d'un langage
pour dire sa foi,. Si un mot fait écran, un autre peut -être un pont, en
sorte qu'un nouveau langage percera l'éventuelle opacité du premier. Il
nous semble qu'une herméneutique dia,topique se réalise aussi par le lan
gage, par un langage. On conviendra de la nécessité d'une ouverture du
système de pensée, non de sa disparition. Une approche respectueuse de
deux univers mentaux peut et doit se faire. Ri l'un ni l'autre ne doit
mourir et, s'ils se fécondent mutuellement, n'est-ce pas pour engendrer
un nouveau système au moins in potentia, tel uin enfant qui naît d'un
homme et d'une femme différents et gui se sont aimés ?
(2) R, PARIKKAR, La faute originante, p, 69.
(3) R» PARIKEfAR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 245.
200

Pour P« Panikkar, l'herméneutique sécularisée du Christ propose des


pistes moins ecclésiastiques que par le passé et donc déjà plus universelles
parce que rejoignant des données constitutives de la conscience hvimaine.
On peut souligner le rôle du Christ dans son humanité, plutôt que de partir
de son essence immxiable (l). Comme tel, le symbole solide de Jésus peut
être parlant pour celui qui a soif de liberté, d'ouverture, d'accueil ou de
partage, pour tout qvii veut être artisan de paix, pour tout qui milite pour
la reconnaissance de l'éminente dignité de la personne humaine, pour tout
qui est sensible aux valeurs de Bonté, de Vérité, de Sainteté, Jésus porte
dans ses paroles et dans ses actes le meilleur des aspirations de chacun.

Plutôt que de parler en termes traitant de la consistance ontologique


de Jésus de Nazareth, on pensera sa nature à partir de sa sigîîification his--
torique et de sa présence au monde contemporain. Si l'on envisage sa rela
tion avec le Père, ce n'est pas en termes de théisme mais "comme une certaine
conscience d'une unité avec le mystère central de la vie ou de l'existence,
ou plutôt encore, en termes de son unité avec l'humanité souffrante et non
libérée" (2),

(l ) On peut admettre la chose sans problème, semble-t-il, comme méthode pro-?


visoire en vue de chercher un progrès relationnel. Cela n'implique pas ;
qu'il faille oublier la recherche "essentialiste" sur le mystère du
Christ, Ce chapitre montrera à suffisance que notre Auteior y est sen
sible,
(2) R» PANIKICAE, La sécularisation de l'herméneutique, p, 242, Nous voyons
ici un aspect réel du Christ, mais qui, isolé de la quête essentialiste,
opérerait tine détotalisation de la totalité, Socrate, lui aussi, peut
être comme "une certaine conscience d'xme unité avec le mystère central
de la vie". Le "sjonbole Socrate" serait-il comparable au "symbole Jésus"?
Si une telle herméneutique était à la mode, cette mode n'en serait pas
moins tromperie car le Chtist historique, repérable en Jésus, ne peut être
coupé de sa relation au Père, Cette tromperie ne se trouverait pas, par
contre, dans le cas d'une herméneutique morphologique ou diachronique,
Nous signalons donc que notre Auteur est soucieux de dialoguer avec
l'homme séculier et contemporain mais qu'il tient aussi à établir une
relation avec d'autres approches du Christ.
201

Il s'agit de recevoir le Christ en tant qu'être, "antériexjr" à la spé


culation philosophico-théologique, "antérieuT" à une analyse essentialiste
de son mystère profond. Le présupposé de la "polarité être - pansée sur
l'être" n'apparaît pas, à notre Auteur, comme un présupposé universel, mais '
plutôt comme une option occidentale. Penser l'être, ce serait un peu le fi
ger. Il s'agit de recevoir l'être du Christ, de le laisser s'exprimer, se
montrer, se donner, avec une certaine spontanéité, avec une large liberté,
sans analyser sa nature ontologique. Le "Je" de cliacun serait perçu comme
un centre d'auto-compréhension dans lequel interviennent la raison, inévita
blement, mais aussi la mystique et l'intuition, situant l'inte3:prétant com
me dans un état de nouvelle innocence non institutionnelle. Un dialogue
s'engagerait alors entre le "Je" et l'être du Christ.

On ne partirait pltis des conséquences du topos grec où il est question


soit des hérésies comme le docétisme, le nestorianisme, l'arianisme et le
monophysisme, soit des réponses conciliaires qui leur furent données. Ces
hérésies et ces réponses se situent dans une perspective essentialiste, don
nant naissance à des symboles de foi qui ne résument du reste qu'ime partie
du "reçu chrétien". Ces hérésies et ces réponses; apparaissent, vues de
l'Inde, comme des querelles ayant divisé la famille occidentale et proche-
orientale, Ces prises de position relèvent aussi de la "polarité être -pen
sée sur l'être". Elles risquent de donner du Christ une pensée correcte
in se mais pas nécessairement concernante pour d'aujourd'hui de la pensée
occidentale pas plus que pour la recherche mystique et intuitive de l'Inde, ;

La rencontre de l'âme hindoue, qui n'a pas l'obsession dogmatique,


avec un christianisme centré sur l'orthodoxie peut être une a,ventxire et le
dialogue avec l'autre ne doit pas impliquer un reniement de soi-même. On
peut tenter de se laisser féconder par une approche différente, recevant
l'être avant de le penser, rencontrant l'être dans la n^rstique et dans l'in
tuition dans le figer dans un dictionnaire, visant une fusion existentielle|
avec l'Absolu, sans programmer a priori un florilège d'anathèmes.

Nous trouverons les perspectives panikkariennes sur l'herméneutique


diatopique dans la suite des paragraphes de ce chapitre. Avant cela, po
sons quelques questions.

D'abord, si l'herméneutique du Christ,évolue en ce siècle, ne risque-


t-on pas de voir l'herméneutique séculière devenir une herméneutique pro-
*
fane ?
202

En deuxième lieu, l'herméneutique s'arrêtant au Christ "homme p\3r", mettant


en veilleuse la dimension trinitaire de l'analyse nicéenne, ohalcédonienne
et eoclesiale, n'est-elle pas dictée, par certains, par le souci de plaire
plus que par celui de sauver ?Ifexpression"tréfonds traditionnel" ne suhodorq-
t-elle pas une vision péjora.tive du passé ou de la tradition comme s'ils
étaient des carcans ? Face au d.épÔt apostolique eroiichi du développement
dogmatiqu.e, le chrétien, en effet, ne doit-il pas être "conservateur" (l),
en ce sens qu'il doit garder un trésor, non p3,s comme le serviteur qui n'a
reçu qu'une mine et qui la met en terre pour ne pas la perdre, mais comme
celui qui en a reçu dix, qui les fait fru-ctifier et qui, en fin de parcours,
peut régner sur dix villes, lors du retour de son maître (2) ? Enfin, si
chacun est un centre d^ auto-compréhension -ce qui est évident - il n'est pas
un individu mais une personne et donc un être en réseau relationnel, IT'y
a-t-il pas un risque, et même plusieircs, à insister trop sur l'aspect "cen
tre d'auto-compréhension" ? N'y a-t-il pas, par exemple, le danger de né
gliger un "en soi" de la vérité pour conclure î "peu importe ce qu'elle est
en elle-même, ce qui compte est ce qu'elle est pour moi" ? L'homme
deviendrait-il adulte en reconstruisant tout setil son propre Parthénon ou
hien en s'intégrant, avec bien sÛr toute la puissance de son être, dans un
ensemble qui le précède et sans lequel il meurt tel un sarment coupé du
cep (5) ?

Au terme de cette étape, pouvons-nous percevoir le pourquoi du malaise


de l'Auteur face à certaines herméneutiques du Christ et le pourquoi de ses
propositions personnelles ? la question semble importante et nous voudrions
nous y arrêter pour émettre quelques observations.

(1) 'Nous pensons à une phrase de Vatican 1 ; "Le Saint-Esprit n'a pas été
promis aux successeurs de Pierre pour qu'ils fassent connaître sous sa
révélation, •une nouvelle doctrine, mais pour qu'avec son assistance ils
gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par
les Apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi". Voir G, DTOîEIGE, La
foi catholique, p, 291, Nous souihaitons, bien sûr, que le mot "conserva-
te'ur" soit bien compris. Il ne doit aucunement nous orienter vers le
fixisme ou le statisme, il ne doit pas freiner la recherche théologique
et mystique,
(2) Luc 19 ! 12 - 27| ou line autre parabole parallèle en Mat, 25 ! 14 - 50.
(5) Jean 15 s 1 - 5»
205

1° L'Auteior perçoit le dynamisme subsistant du "symbole Jésus",


symbole en tant que réalité signifiante et attirant l'homme qui s'attache
à la comprendre et à l'interpréter. Le dynamisme du symbole Jésus est
assez évident pour nous mettre en garde contre totite position figeante,

2° L'Auteur nous paraît également vouloir adopter ce qu'on poTirrait


appeler une position plus pastorale que théologique. Soucieux de commu*'-
nication avec les hommes, il cherche la"signifiance" du Christ admissible
par le plus de personnes possibles, Nicée et la recherche essentialiste
pourraient paraître alors plus un temps fort de la. pensée qu'une perspec
tive à privilégier unilatéralement, parce que l'homme séculier est moins
ouvert à une "religion surnaturelle" et parce que l'Hindou serait plus im
perméable à un discours spécifiquement chrétien, institutionnel et pliitdt
occidental. Une traduction de Mcée ne serait donc pas une solution satis
faisante, L'herméneutique morphologique et l'herméneutique diachronique
seraient non seulement affaire de techniciens mais aussi affaire d'Occiden
taux, centrés, de toute façon, et sur un langage particulier et svu? le
Christ historique réparable en Jésus de Nazareth alors que, pour notre
Auteur, le Christ est plus que Jésus de Nazareth, tout en étant aussi,
bien sûr, Jésus de Nazareth,

3° Ne souci pastoral amène l'Auteur à privilégier -une compréhension du


Christ a partir de l'homme qui considère le Christ, Lans le monde sécu
lier, l'homme sécularisé verrait dans Jésus celui qui porte en lui les as
pirations profondes de tous et qui vient partager ou habiter le "drame
existentiel", L'Hindou partirait de ses catégories propres et aurait
tendance à ne pas majorer mais plutôt à minimiser l'importance de l'histoi
re de Jésus po\3r viser d'abord un Logos 3.ctif de toujours à toujours,
actif partout et depuis les origines de la création, comme Isvara.
L'accent est mis par les uns sur la soif de liberté, la soif de vie inten
se, de dignité, de justice et ainsi de suite, qtii constituent des données
fondamentales de la conscience humaine. L'accent est mis par d'autres sur
la soif d'Absolu inhérente à toute conscience, peut-être, et particulière
ment développée dans l'hindouisme et dans le bouddhisme.

On perçoit les différentes herméneutiques vis-à-vis desquelles


l'Auteur prend ses distances sans les renier et celles qu'il veut privilégieDi
Nous venons d'entrer dans une vaste problématique et la suite de notre re»*
cherche va nous montrer ce qu'un auteur, nourri de l'âme hindoue, veut met
tre en évidence, en partant d'un topos différent du nôtre, moins marqué par
204

toi esprit analytique de type grec, moins orienté par l'histoire de Jésus,
plus soucieux de mystique, plus frappé d'une omniprésence de l'Absolu que
par son irruption dans le temps, à des moments théophaniques privilégiés,
auxquels la Bible nous a davantage habitués. Il tient à s'ouvrir à toutes
les christologies, à ce qu'on pourrait appeler des christologies "par en
haut" et '^ar en—bas", traditionnelles et modernes. Il ne vient pas suppri
mer une herméneutique pour la remplacer par une autre, il n'est pas à clas
ser dans les iconoclastes faisant table rase du passé. Il propose une ouverf
ture, par l'herméneutique diatopique, en vue d'une approche plus large du
Christ,

Avant d'écouter les propositions christologiques panîkkariennes qui


suivent, il nous paraît intéressant de signaler l'herméneutique d'autres
penseurs de l'Inde. Nous faisons confiance, pour ce faire, à la présentation
qu'en donne M, Bhavamony (l), lùam Mohan Roy acLpirerait surtout l'éthique
du Christ, K.C, Sen verrait en Christ un de ceux qui ont le mieux réalisé
l'union consciente entre l'humain et l'Esprit divin. Pour EamaJccishna, le
Christ serait un des êtres supérieurs et spéciaux doués par Dieu de dons par
ticuliers, dotés d'une mission et qui forment une classe à part comme Krisna
et le Bouddha (2). Yivekananda irait dans le même sens (5), comme Swâmi
Akhilananda (4)« Gandhi considérait le Christ comme un des grands docteurs
de l'humanité, mais, si Dieu a des fils, nous sommes tous fils de Dieu et 1q
message évangélique, bien qu'étant un sommet, ne serait pas la parole finale
de Dieu (5). Eadhakrishnan établirait une différence entre la personne du :
Christ et son message d'une paart et d'autre part, la cristallisation théolo-r
gique tiltérieure (é).

(1) iî, DHAVAtîCEY, L'hindouisme moderne, pp. 69-111, siu?tout pp. ICI-IC4.
(2) M, DHAYAMCNY, L'hindouisme moderne, pp. ICI -1Q2, Pour le dernier au
teur il se réfère à Phe Gospel of Ramakrishna, pp. 3CC-3C1,
(3); M.DMVAMCNY, L'hindouisme moderne, pp. 1C2-1C3, où l'Auteur se réfère
à$he complété 1/forks of Swâmi Yivekananda, vol, lY, pp. 188-2CC,
(4) M, DHAYMCFÏ", L'hindouisme moderne, p, 1C3, Référence à Hindu vie^ir of
Christ, p. 56.
(5) M, DHAYAMCNY, L'hindouisme moderne, p, 1C3. Référence à The Message of
Jesus-Christ, pp. 1C8 et ss,
(6) M, DHAYAMCNY, L'hindouisme moderne, pp. 1C3-1C4. Référence à
East and Mest in Religion, pp. 59 et sa.
205

Q-uant à D,S, Eamachandra Eao, il retiendrait principalement le sermon sur


la montagne, soit un enseignement moral et ce qui, de^ns la pensée du Christ»
pourrait être intégré dans l'univers de l'Inde, sans plus (l).
Pour M. Dhavamony, les guides de l'hindouisme sovihaiteraient que le
christianisme renonce à son prosélytisme parce que le christianisme serait
indu dans l'hindouisme. Il faudrait que les Chrétiens fassent preuve d'é-
vangélisme au sein de l'hindouisme, non pour verser dans l'exclusivisme chrér-
tien mais pour tendre vers une religion \miverselle. Dhavamony regrette par
ailleurs un certain exclusivisme hindou pour lequel "l'hindouisme met toute
son emphase sur le genre mystique et immanent d'expérience religieuse",,.
Gela entraîne un certain relativisme alors que, pour nous, tout "découle de
la suprême réalité historique de Jésus Christ" (2), "Le problème est de
voir, poursuit-il, comment le chrétien peut effectivement convaincre l'ïïindqu
que le Christ est juge et sauveur de toute vie religieuse" (5). Ici, il ne ;
faudrait ni théorie abstraite, ni polémique, car, ce que nous avons à commu-r
niquer "c'est la personne et le message de Jésus-Christ" (4).

(1) M, DHAVAMONY, L'hindouisme moderne, pp. 103-104» Référence à The Ne'W


Testament, p, 127, ?•» PALLON, dans Pour un vrai dialogue entre cbréti^
et hindous, pp. 113-115» souligne, aussi que les Hindous s'intéressent
plus au message spirituel et moral du Christ qu'au Christ lui-même.
Comme le confirme V.A. DEVASEHAPATHI, dans L'hindouisme et les autres
religions, p. 184, l'Hindou accepte m.al que le Christ soit une manifesta
tion historique de Dieu et que cette manifestation soit finale et
complète.
(2) M. DHAVAMONY, L'hindouisme moderne, p. IO9.
(3) M. DHAVAMONY, L'hindouisme moderne, p, IO9.
(4) M. DHAVAMONY, L'hindouisme moderne, p, 110.
206

§ 2 - LA THEOLOGIE DU LOGOS

A, Introduction

Relevons quelques perspectives occidentales sur le thème du Logos


sans, pour autant, reprendre tout ce qui fut écrit sur la question dans la
philosophie grecque, dans l'Ancien Testament, dans le Houveau, ou chez
les Pères de l'Eglise (l). En introduction, à la pensée de R. PaniM^ar,
rappelons-nous spécialement les trois textes johanniques identifiant Jésus
et le Logos (2), Sans en établir une exégèse complète, reprenons, les
concernant, quelques points soulignés par M.E, Boismard et par A. Lamouille,
par M, Spanneut et J, Liehaert (3).

(1) Nous sortirions, en cela, de notre recherche, nous quitterions notre


objectif qui est essentiellement de comprendre la pensée de
R. Panildsar. Nous répéterions aussi des données sensées connues de
nos lecteurs. Le plus, nous ne voulons pas prendre le risque de nous
lancer dans un discours à la fois complexe et probablement inachevé,
(2) Il s'agit de Apec. 19 • 13 î "Il est revêtu d'un manteau trempé de
sang, et il se nomme s la Parole de Dieu", Le Logos —Jésus a,pparaît
comme le Juge victorieux venant à la fin des temps. Le deuxième texte
est I Jean 1 ; I s "Ce qui était dès le commencement, ce que nous
avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux:^ ce que nous avons con
templé et que nos mains ont touché du Yerbe de vie (certains tra
duisent "du message de vie" ou "de la parole de vie", voir Traduction^
Oecuménique de la Bible, p, 745? note c,). Dans ce texte, Jean soTuLi-i
gne et la préexistence du Yerbe et son Incarnation concrète en Jésus.
D'une part, sa présence dans l'initiative créatrice de l'Absolu dès
le commencement. D'autre part, le fait que les témoins oculaires de
Jésus ont approché directement la personne humaine, physique, du Eils,
du Verbe éternel fait homme. Le troisième texte est évidemment le
célèbre prologue du quatrième Evangile,
(3) M,E, BOISÎÎARD et A, LAI-îOUILLE, L'Evangile selon saint Jean, pp, 72-
805 M, SPANNEUT et J, LIEBAERT, Catholicisme, vol, 7> article Logos,
col, 980,
207

Le texte du prologue johannique constitue un document fondamental pour


la recherche sur le Logos dans le Nouveau Testaments On pouirrait insister
sur les points qui suivent .

1° Il y a un lien entre Jean 1 et Gen. 1, Les deiuc côtés, le Logos est


créateur et la vie est son oeuvre ainsi que la lumière, la cause étant,
de part et d'autre, distincte de ses effets (l).
l'Ogos est "auprès du Père" ou "tourné vers le Père". "L'idée est
celle d'une présence auprès de quelqu'un" (2). Cette relation, grâce au
p^s avec accusatif, serait à comprendre comme dynamique plutôt que comme
statique (3).

3° Ce Logos est aussi Lieu, Il n'est pas question d'un Logos créé, mais
Logos qui est Lieu. Ceci constitue une ébauche de théologie trini-
taire, ébauche en ce sens que l'Esprit n'est pas signalé dans le passage.
"Il n'y a qu'm seul Lieu; mais en Lieu, le Père se distingue du Seul
Engendré, qui est aussi son Verbe, sa Parole" (4).

4° Ce Logos créateur, tourné vers Lieu et en même temps Lieu, vienb pro
gressivement vers la créature (5)» Il était dans le monde depuis toujours
de par son activité créatrice, en tant que principe créateur, mais d'une
présence cachée. Il était aussi en tout homme, éclairant sa raison pour
lui indiquer comment vivre selon la loi divine (6), ce qui amène Jacques
à dire ; "accueillez avec douceur la parole plantée en vous et capable de
vous sauver" (7). Cette Parole est en nous dès le moment où l'acte créa
teur de l'Absolu nous permet d'être dans le monde.

(1) On retrouve l'idée du Christ parole active dans la création en Hébr. 1 ;


1 - 2; I Cor. 8 s 6; Col. 1 : 15 - 17.
(2) M,S. BOISM/IEL et A. LAîlOUILLE, L'Evangile de saint Jean, p. 75.
(3) M, SPAÏÏNEUT et J. LIEBAERT, Catholicisme, vol, 7} art. Logos, col. 980,
(4) M.E, BOISI'ÎAEL et A. LAIÎOÏÏILLE, L'Evangile de saint Jean, p. 70.
(5) Voir Hébreiix 1 s 1 - 3 qiii montre bien la progression dans le "jeu d'ap
proche de l'Absolu" vers l'homme par la création, par les prophètes et
par le Fils "en la période finale où nous sonmies".
(6) Rom, 2 : 14 - 16.
(7) Jacques 1 ; 21.
208

Ce logos vient aussi dans le monde et dans le peuple q.ue Dieu - et


donc le Verbe - s'était choisi. De même que la Sagesse avait fait le touir
du. monde, le tour des peuples, avant de s'installer en Israël (l), ainsi
"le Verbe, après avoir déposé la Loi naturelle dans le coeur de tous les
hommes, s'est manifesté, à Israël par le don de la Loi et par la bouche des
prophètes" (2).

Au sommet de ce'^eu d'approche", si l'on peut ainsi s'exprimer, entre


l'Absolu et l'homme, nous avons l'Incarnation du Verbe étemel. Le Verbe
se fait chair. Il vient dresser sa tente parmi nous, si nous traduisons lit
téralement le "eskènôsen" de Jean. Il s'agit là d'un approfondissement ma
jeur du thème de la Tente du Rendez-vous (5), la schékinah ou présence mys
térieuse de Dieu (4) se concrétisant et se matérialisant dans le Verbe, in
camé sans cesser d'être tourné vers Dieu et d'être Dieu.

Le Dieu inconnaissable, à la fois révélé et caché par le "Je suis ce


lui qui est" (5), celui que nul n'a jamais vu (é), celui dont nul ne peut
voir la face (7)» celui-là est révélé par le Verbe qui est "dans le sein
du Père" et qui "l'a dévoilé". Moïse a parlé avec l'Absolu (s) mais il Itii
est dit s "l'homme ne saurait me voir et vivre" (9), Elie, de même, se
voile le visage quand, à l'entrée de la caveme, il sent la présence de
l'Absoltî "dans le bruissement d'un souffle ténu" (IO). Le Fils unique,
l'Unique Engendré, lui seul est le divin qui se fait chair pour dire ce
qu'il a vu auprès du Père (II) et pour qu'en le voyant l'homme puisse "voir
le Père" comme Jésus le dit à Philippe (12),

(1 Sir. 24 î 6b - 8,
(2 M,E. BOISMAED et A, LAMOUILLE, L'Evangile de saint Jean, p, 77»
(3 Ex, 26; 31 : 7; 40 : 34 - 35, etc.
(4 L, BOUYER, Le Fils étemel, pp. 58 - 60.
(5 Voir H, LE SAUX, Sagesse hindoue, mystique chrétienne., p, 37»
(é Jean 1 s 18,

(7 Ex, 33 ; 20,

(8 Ex. 33 s 11.

(9 Ex. 33 ; 20.
(10 I Rois 19 : 12 - 13.
(11 Jean 6 : 46; 8; 38,
(Ê Jean 14:6-11.
209

Le prologue de Jean constitue vin temps fort de la découverte religieu


se dans l'humanité. Le Christ Jésus est perçu coname le Yerbe subsistant in
carné, L'attitude des hommes devant Ivâ, par voie de conséquence, est con
sidérée comme leur attitude devant Dieu lui-même, "Autour du Verbe incamé
s'est ainsi cristallisé un drame qui dure, en faitj depuis que Dieu a commenr
cé de parler aux hommes par ses prophètes" (l). Lorsque les prophètes s'ex
primaient, c'était déjà le même Verbe à travers eux, "le même Yerbe qui de
vait prendre chair à la fin des temps pour s'adresser directement avix hom
mes, lorsque le Fère l'enverrait personnellement ici-bas" (2), Après vine
"présence cachée", il y eut "une présence directe et visible". Le Verbe
étemel s'adresse ainsi à "bout homme dont il est le créateur et povir lequel
il est Ivimière, soit "ouvertement" pour ceux qui sont en contact avec
l'Evangile, soit " secrètement si la parole divine ne l'atteint que sous des
formes inaparfaites" (3) car "à tout homme le Verbe parle, il attend de tout
homme une réponse. Et le destin étemel de cet homme dépend de sa répon
se" (4).
Il semblerait donc qu'une théologie du Logos qui ferait abstraction du
Christ historique et qui refuserait une reconnaissance du Logos en Jésus
de Nazareth ne serait pas une théologie chrétienne. Elle ferait abstraction
de la conscience que Jésus avait de lui-même et de la compréhension de ce
même Jésus par le christianisme apostolique. Tout "logocentrisme" chrétien
devrait être "christocentrique", Il s'ensviit qu'une herméneutique du Christ
refusant une détotalisation de la totalité évangélique ne pourrait passer
outre de l'herméneutique trinitaire explicitant le mj^stère, soit la réalité
profonde du Christ Jésus.

Toutefois, on ne pourrait faire abstraction des réalités comme la pré


sence du Logos dans la création, la préexistence de l'amour du Père pour le
Eils avant même la création, l'antériorité de l'action de la Parole

(1) X, LEON-DUPOITR, Vocabulaire de théologie biblique, col, 914•


(2) X. LEON-DUPOUR, Vocabulaire de théologie biblique, col. 914.
(3) X, LEON-DUEGUTi, Vocabulaire de théologie biblique, col, 914.
(4) X, LEON-DUPOITR, Vocabulaire de théologie biblique, col. 914.
X, LEON-DUEOUR distingue clairement la révélation dans le Christ Jésus,
dans l'Evangile, dans les Eglises chrétiennes et, d'autre part, une
révélation plus universelle, en tout homme, sous des "formes imparfai
tes", Retenons les deux adverbes : "ouvertement" -et "secrètement".
210

par rapport à son Incarnation en Jésus, 1' tiniversalité du don, par le Logos
à Inhumanité, de la vie, de la limiière, du saltit et l'attirance vers le Père
par le Pils.

Ainsi donc, d'une part, la christologie ne peut se limiter à une théolo-f


gie du Logos qui ferait abstraction de l'Incarnation en Jésus de Nazareth,
et, d'autre part, elle ne peut se limiter à Jésus de Nazareth qui est spatio-
temporellemertiïsitué et négliger la dimension "Logos étemel" qui, respectant
le temps fort de "l'événement Jésus", élève la perspective à sa dimension
étemelle et universelle. On peut même espérer qu'une approche "logocentri-
que" du Christ permette une meilleure compréhension de ce même Christ pour
ceux qui ont grandi dans un topos non-méditerranéen, sinon même une meilleure
compréhension de ce même Christ pour ceux q^ui sont héritiers du milieu grec
et sémite mais dont le discours s'est parfois quelqvie peu figé dans des for
mules plus orthodoxes qu'existentielles et concemantes,

B, Perspectives de R, Panikkar

Tentons maintenant de cemer la pensée de notre Auteur sur le Logos


qu'il reconnaît en Christ.

La vâo indienne peut être rapprochée du Logos chrétien sans lui être to
talement identifiée, de même qvi'il reste à élucider la relation entre sabda
et Logos (l ).
Il semble intéressant aussi de signaler le lien entre Logos et
Prajâpati. "Prajâpati était le Tout (l'Un), Eidam, 'ce' sous son aspect in
déterminé 3 vâc étant sen second.

R. PANIKIEAR, Le mystère du culte, pp. 89 - 90. Sur sabda, voirM, BlAEDEAU,


Théorie de la connaissance et philosophie de la parole dans le bralimanis-
me classique,, Yac paraît être p3.us qu'une invention de l'homme ou qu'un
simple moyen de communication. Aussi importante que le Brahman, vâo est
la Parole, le premier enfant de l'Absolu. Plus que le principe d'intelli
gibilité de l'univers, elle est la Parole dans son entièreté, elle est
révélation avec son aspect matériel, sa réverbération cosmique, sa forme
visible, son son, sa signification et son message, Sruti aussi est vâc.
Elle comprend le passé, le présent et le futur. Par elle, chaque chose
vient à l'être. Son empreinte est partout. Elle est l'incarnation de
l'homme autant que l'incarnation de Lieu; son rôle est capital le sa
crifice et la prière. Voir R, PANIKKAR, Vâc in the "sruti, pp, 5-25, et
The Yedic Expérience, pp, 88 - 11,
211

Prajapati s'omit à vac. Vao conçut, liîlle s'éloigna de lui et engendra les
créatures. Puis elle revint dans le sein de Prajapati" (l). Aux yeux de
notre Auteur, serait l'instrument de Prajapati, son expression, sa pro
jection, sa parole, plus que sa compagne. Ce qoii l'intéresse est que
Prajapati cree avec et à partir du Logos et que cela rend possible le retour
à l'Un, Le sacrifice divin s'accomplit par des paroles, ce qui rend possible
le sacrifice des hommes (2),
Le professeur de Santa Barbara voit aussi le Logos comme "eïkôn",
L' eïkônn'est pas une copie du Père, et "l'image" n'est ni inférieure, ni
étrangère à celui-ci, mais son ex-pression, son image ad intra, son Fils (3),
"Si le Logos est le symbole du Père, le Logos fait chair est le symbole absoÀ
lu de Dieu dans le monde, l'humanité du Christ le symbole réel du Logos "(4)^
"Le Christ est eï^n autant que Logos", image autant que Parole (5),
Conscient, comme saint Jean, du réalisme de l'Incarnation, l'Auteur sait
aussi l'importance de voir en Jésus le Logos, le Verbe de Dieu, la Parole de
Dieu, iîais, en tant que Parole de Dieu, le Christ ne peut être limité à
Jésus de Nazareth, c'est—à—dire que Jésus est le Christ mais que le Christ
précède Jésus, Le Christ est étemel (6) et est partout à l'oeuvre (7), car
le hojgos est créateur de l'univers (s),
"A prendre très au sérieux le primat du Christ, ainsi que son règne uni^
versel et temporel, il est normal et même souhaitable que la Figure ait eu
des préfigurations, que Celui qui doit venir'ait eu des précurseurs et des
hérauts',,. Si le Christ est ce Premier, ce Parfait, il faut admettre qu'il

(1) Citation par R. PANIKKAR de Kathaka, XII, 2?, 1,


(2) R, PANIKKAR, -Le mystère du culte, pp, 89 - 90,
(3) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 127, Rappelons que, pour l'Inde,
toute chose est symbole de l'Absolu, l'bx-pressiori' d'un seul et même
être. Il n'y aurait donc pas de dmlisme bien que reste un abîme entre
le symbole et le symbolisé,
(4) R» PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 147,
(5) R» PANIKKAR, Morale du i^the, p, 365»
(6) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 145»
(7) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 80, Voir V.A.DEVASENAPATHI,
L'hindouisme et les autres religions, p, I84, "Le verbe de Dieu étend son
influence sur toutes les créatures" dit G, THILS, dans Propos et problème%a26»
(s) R, PANIICKAR, Religlone e religion!, p, I34,
212

ait pu non seuLement se frayer les voies, mais encore être la cause ontolo
gique de tout ce qui trouve dans le fait clirétien son actualisation suprême
et son terme" (l).

Il veut s*élever à un Christ universel, à un Christ qui ne serait pas


monopolisé par le christianisme institutionnel car les autres religions veu
lent "avoir le bénéfice d'un Christ dans son historicité incamée" (2)^ Dès^
lors, si l'on ne peut fermer les yeux sur l'Incarnation, on ne peut davanta^
ge accepter que l'intention première et principale soit d'annoncer unique
ment le Christ historique car "on amoindrirait le Pantocrator vivant et
suprahistorique" (3).
Ce qui attire l'Hindou n'est pas tant le Jésus de l'histoire "qu'on
tient toujours pour un simple avatar à côté de tant d'autres, que le Christ
vivant, au-dessus de l'histoire, qui vit dans le coeur de ceux qui l'aiment'(4).

(1) R, PMIKKAR, Le mystère du culte, p, 149»


(2) R, PMIKKAR, Le mystère du culte, p. 159. Voir aussi The Bostonian
Verities, p. I48, The Trinity and the Religious Expérience, p. 53;
Los dioses y. el Senor, p, 113» Gomme le dit G. THILS, dans Propos et
problèmes, il peut y avoir authentique révélation hors du christianisme
sans que cela soit préjudiciable au fait que le Christ est l'unique sau
veur, pp. 11 -12. "Le Christ n'appartient pas au christianisme, mais à
Lieu" dit R. PMIKEIAR, dans IVIayâ e Apocalisse, p, I50,
(3) R. PAHIKKAR, Le mystère du culte, p, I84.
(4) R. PIMKKAR, Le mystère du culte,p. 203, C'est le thème de l'antaryamip,
dans Yac in the sruti, p. 21. J.A. CUTTAT, dans La rencontre des reli-
gions, p, 20, analysant la pensée de RADHAKRISHHAN, dit que pour ce pen
seur en topos indien, l'Occident souffrirait de se centrer sur un Christ
"Fils unique et monogène de Dieu" et de s'en tenir à une foi en "une
vérité traditionnelle révélée aux Saints une fois pour toutes",
RADHAKRISHNAN rêve alors d'un avenir où tous les croyants seraient unis
par "une dévotion commune" dans "vine communauté mondiale dotée d'une re
ligion universelle dont les confessions historiques seraient de simples
ramifications". CUTTAT est conscient des objections que cela soulève
mais so-uhaite néanmoins que le dialogue se povirsuive, R, PAN1I3CAR
est conscient de l'insuffisance de la pensée de RADHâKRISHNAN et de
beaucoup de penseurs hindous et il va manifestement plus loin.
215

Le Chris% pooir notre Autevir, disons-le clairement, n'est nullement m ava-


tar, parce qti'un avatar ne bénéficie pas du. réalisme de l'Incarnation (l).
Il faut donc à la fois sauver ce réalisme et so-uligner la présence du Christ
dans toute l'histoire et pas seulement de -6 ou -7 à +50, un Christ qui !
s'est incarné mais qui dépasse le kaxros de cette Incarnation. Ce serait
plus le Christ - Logos que "seulement Jésus", sans cependant pouvoir sépa^
rer Jésus et Logos.

Le Christ n'est donc pas seulement messie pour Israël ni pour les deux
mille ans de christianisme. "Il ne faut ... pas s'arrêter à la personne de
Jésus, ni la laisser s'évanouir, il faut plutôt croire au Christ révélé par
Jésus ... C'est le Seigneur qui opère partout, qu'il faut découvrir" (2). :
Il est le Pantocreator apparu en Jésuis pour achever une oeuvre commencée
depuis le commencement du monde" (5), "Il opérait avant Abraham, il disait
avoir des ouailles qui n'appartiennent pas aux Apôtres, et en plus il a dé-r
claré être le principe et la fin, l'alpha et 1'oméga, le premier né de la
création, ..." (4). L'universalité .serait ainsi moins le fait du christia/p
nisme -religion que celui du Christ libérateiJr universel, présent et effip
cace dans toutes les religions (5)j si bien qu'il peut y avoir des actes •
libres, spontanés, pleinement humains qui soient religieux, réels et chré
tiens, môme s'ils ne s'adaptent pas extérieurement à la doctrine chrétien
ne (6),
Libérateur universel de toute chaîne, principe de notre propre liberté,
le Christ est aussi Christ intérieur qui permet à tout homme de poser un
acte libre, spontané et pleinement humain.

(1) R, PANIKEAR, Relation of christians, p. 525. Même vue chez C.B. Papali,
Védisme et hindouisme classique, p. 44» J»A. CUTTAT, La rencontre des
religions, p. 61. Voir aussi R, PAÎÎIKKAR, Spiritualita indu, p. 55.
(2) R. PANIKEAR, Le mystère du culte, p. 198,
(5) R, PANIKEAR, Herméneutiquie de la liberté de la religion, pp. 82 -85,
(4) R. PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 82;
Relation of christians, p. 525; The Trinity and the Religions Experiende,
p. 50.
(5) R» PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p.85 .
R.C. ZAEHNER, dans Inde, Israël, Islam, p. 290 dit aussi "Jésus-Christ
n' accomplit pas seulement la loi et les prophètes d'Israël, mais aussi» • •
les sages de l'Inde".
(6) R, PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 85.
214

Il ©si: venu nous dire que nous devons Juger pour notre compte^ prendre nos
responsabilitésj faire fructifier les talents donnés^ savoir pardonner"(l),
Ainsi, a,u nom du Jugement, de la sincérité^ de la fidélité à soi-même et à
la liberté, certains ont résisté au christianisme comme religion, comme élé
ment lie au coloïïialisme. Ils ont alors —la déduction est logique - choisi
le Christ, fondamentalement, le Christ intérieur, le Christ présent en eux.
Il les a pousses à choisir la liberté et ce choix impliquait pour eux, à ce
moment-là de l'histoire, le rejet du christianisme qui tentait de s'imposer
à eux (2), Il y aurait donc à établir une distinction entre le christianis
me - religion et la foi qu'on peut appeler chrétienne en tant qu'elle abou
tit au Christ (5) et 'Cest la foi et non pas la religion qui sauve" (4).
Le Christ ne pourrait donc être monopolisé par l'Eglise-institution(5)
et l'Hindou peut le rejoindre par son hindouisme (6), le Christ n'abolissant
pas celui—ci, pas plus que l'Ancien Testament (7)« La sruti serait ainsi un
livre intelligible sur le Christ (s). Celui-ci, au coeur de l'hindouisme,
reste la lumière de tout homme, celui qui parle de Dieu "quelle que soit la
forme que prendra la croyance ou la pensée de celui qTii est ainsi le *patient'
du divin"(9)» Par l'Esprit présent au coeur du monde et au coeur de chacun,
le Logos parvient à tous (IO), .

riyrr PAITIIOCAR, Herméneutique de. ,1a liberté de la reli,s:ion. n. 84.


(2) R, PANIIŒAR, Herméneutique de'lLlTïiFerté'de 1 religion, pp. 84-86. Il
cite ici les textes sur lesqtiels il fonde cette perspective ; Jean 8 ;
56; S. THOSaS, In II Sent., d» 39, q. 3, a. 4, ad I; I-II, q. 19, aa.5
et 6; DAME, Infemo, III, 94-9^} Déclarations des droits de l'homme
(de 1789); Dictionnaire de Théologie Catholique. A, VACANT, E. MANGENOT,
E. MIAim, Paris I909, article LiT:?erté; N. BERDIAEEF, Esprit et liberté.
Paris, 1935, PP», 137 et 167} L, LAVELLE. De 1'acte. Aubier, Paris, I946,
p, 184, pp. 332 -333? J.P. SARTRE, L'existentialisme est un humanisme.
Nagel, Paris, 1946, p. 37? SCHMA.US, Katholische Dogmatik. Hueber,
"1938, p. 7915 K. RAHNER, Yorbemericungen zum Problem der reli-
giosen Freiheit. dans Theologische Eragen heute. Hueber. Munich. 1Q66.
PP» 9 et 111 R, GUAPiDINI, Ereiheit und Tfnabànderlichkeit. dans
ïïnterscheidung des Christlichen. (Grunervald, Mainz, I963, p. 120.
5) R. PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p", 98.
4) E. PAILLKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 99,
(5) E. PANIKKAE, Lettre sur l'Inde, pp. 91-92; Eeligione e religioni. p. 20.
{6) R. PANIKKAR, Lettre' sur l'Inde^ pp. 41 et 85. L'Inde admire le Christ,
dit J. ÎÏASSON, dans Valeurs religieuses de l'hindouisme, pp. 177-178,
mais beaucoup moins l'Eglise institutionelle. Le problème est de"faire
retrouver à l'Inde le réalisme pluraliste divino-humain dont l'Incama-
tion du Christ est le centre ardentp, 178.
(7) E. PANIKICAR, Lettre sur l'Inde, p. 100. Ceci rejoint ce que le Christ
dit en Mat, 5 î I7,
(8^ R, PAiNIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 16,
(9) E. PANIIŒAE, Le Christ et l'hindotiisme. p. 40»
(10) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 49»
215

Chaque homme, dans sa religion, est donc animé par le Logos, et la rencontre
avec un tel homme de bonne volonté par un croyant apparaît ou peut apparaî
tre comme un acte religieux, Plus qu'une comparaison entre des religions,
autre chose qu'une conquête intellectuelle, autre chose aussi qu'une querel
le dialectique, cet acte religieux ne vient pas créer un système nouveau
mais surtout un esprit nouveau, où la foi sera plus dépouillée,l'espérance
plus pirce et l'amour plus surnaturel.

Seul sauveur (l), le Christ a des précurseurs dans l'Ancien Testament


ou dans l'ancienne alliance abrahamique, mais aussi dans l'alliance cosmi
que (2), Tous, nous venons du Logos et nous sommes en lui (5). Il y a
Christ caché dans l'hindouisme, dans l'Ancien Testament et ailleurs.

En résvimé, R, Panikkar reconnaît le Logos en Jésus, Logos incamé, mais


il ne limite pas le Christ au Jésus historique. Il le voit agir dans des
précurseurs, des prophètes et des événements bibliques ((4), çui lui sont anté
rieurs, comme il agit dans des précurseurs et dans des prophètes hors de la•
tradition judéo-chrétienne. Le thème du Logos l'amène à percevoir un Christ
universel. Ce Christ universel n'est pas du tout un avatar en raison de
l'Incarnation, il n'est pas une vague réalité, mais il est aussi plus que ce
qu'il fut dans son Incarnation en Jésus, Il est, présent depuis le début,
comme Pantocrator et comme Christ intérieur (antaryamin), principe libérateur,
sauveiir uniqtie, comme principe extérieur et comme principe intérieur à
l'homme (5).
Dans la recherche d'un langage commun ou acceptable psir tous, qTii pos
sède un sens pour les différents partenaires engagés dans un dialogue inter
religieux, dans la recherche d'un nom po\n: désigner celui qui, dans les re
ligions, apporte le salut, notre Auteur aime les mots "Christ", "Logos" et
"Seigneur",.

(1) R, PANIKÈAR, Le Gh:t?ist et l'hindouisme, pp, 61 et 80,


(2) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p,17. Voir aussi, Maya e Apocalisse, p, I69,
(5) R« PANIKKAR, Pas erste Bild des Bouddha, p, 383.
(4) li. PANIKKAR, dans Maya e Apocalisse, pp, 384-385, donne sa bibliographie
sur le peuple d'Israël et, pp, 581-382, sur le mysticisme non-chrétien,
(5) R. PANIKKAR, The Vedic Expérience, p, 86, sur le thème de l'A^aryâmin
dans le védisme, L'Auteur, dans Los dioses y el Senor, explique que
l'Inde perçoit la prédication chrétienne comme celle de Jésus-avatar
et non comme l'annonce du Christ, Ce ne serait qu'une réédition de son
ancienne doctrine religieuse. Voir p, 59, L'humanité est tellement
immense, po\arquoi n'y aurait-il qu'un avatar, p. 5l ?
216

Le mot "Christ" aurait ses avantages surtout si l'on pense au "Christ cos
mique" (l) mais il aurait peut-être trop une coloration chrétienne (2).
Le terme "Logos" posséderait moins cette coloration, il pourrait présenter
une certaine "analogie ontologique" (5) avec les termes yâc et saMa dans
l'hindouisme (4), mais il présenterait le risque de négliger le fait de son
Incarnation. C'est le terme "Seigneur"j Lord, qui réunirait mieux les suffra
ges, bénéficiant d'une certaine neutralité confessionnelle. Cependantj la
dimension Logos revenant à l'avant-plan, ne pourrait être négligée (5)*
Dans la perspective d'un dialogue entre le christianisme et l'hindouis-,
me, R, Panikkar nous invite à ne pas identifier trop tôt Logos et Kerygma(6).
y ^ ' -5 . ,
Sans rappeler présentement la comparaison entre sruti et Bible ou Coran dont
il fut question antérie'urement, disons que, à ses yeux, la symbiose entre le
christianisme et l'hellénisme a interprété le Logos comme Image, comme Icône
du Père, comme Parole exprimée et imagée, soit visible et qu.'en Occident on a
parlé de Parole écrite, dans la Bible et à l'intérieur de nos coeurs. Le
Bogos risquait alors de devenir le Verbe intelligible, "le verbum mentis,
l'intelligibilité pure et même, plus tard, la ratio de la scolastique" (7).
Notre Auteur juge pouvoir en déduire que tout était alors comme si le Logos
avait parlé une fois pour toutes, comme pour nous laisser orphelins par après,
excepté lorsqu'il intervenait dans l'Eglise pour nous aider à comprendre cor
rectement ce qu'il avait dit au temps jadis. Par contre, "le Logos de
l'Hindouisme est sonore, matériel, Parole prononcée, écrite, vivante et spiri
tuelle" (0)
(1) R, PANIKKAR, The category of growth, p. 127.
(2) R, PANIKKAR, The category of growth, p. 128.
(3) R» PANIKKAR, The category of grovrth, p. 118,
(4) R. PANIKKAR, The category of growth, p. 128. Une théologie de labbaRti
préférerait "Christ" et une spiritualité "jnâna" opterait potir Logos ou
^0, p. 129.
(5) R. PANIKKAR, The category of growth, p. 13O, Sur la préférence pour le
terme "Seigneur" ou "Lord" voir aussi, The Vedic Expérience, p. 134,
The Trinity and the Religions Expérience, p. 53,
(6) R, PANIKKAR, Sur l'herméneutique de là tradition, p. 347. M. DHAVAMONY,
dans L'hindouisme moderne, p. 110 dit que ce que nous avons à communi
quer "c'est la personne et le message de Jésus-Christ" et que, p. IO9,
"la vraie humilité dans nos rapports avec les Hindous, consiste à ne
rien revendiquer pour nous-mêmes mais seulement pour le Christ".
(7) R. PANIKKAR, Sur l'herméneutique de la tradition, pp. 357-358,
(8) R, PANIKKAR, Sur l'he3miéneutique de la tradition, p. 358.
217

Les dera religions, ajoute-tkil - et cette ajoute est éclairante nous


sem"ble-t-il - admettent un Logos qui est sarx^ mais le christianisme - avec
notamment les textes johanniques que nous avons rappelés - insiste sior le
"egeneto" (l), sur le Verbe devenu chair, qui s'est fait hommes Alors donc
que l'hindouisme rappellerait "la structure sacramentelle de l'univers, le
caractère de Parole du cosmos ou, selon ^me expression qui nous est chère,
la constitution christophanique de tout le créé, l'Etre contingent n'étant
qu'une christophanie", le christianisme ajouterait que le mystère primordial
caché depuis le début et dans le Veda serait dévoilé en Christ, "Révélateur
de soi-même", manifestant "la Lesoente de Lieu lui-même" ou "l'épiphanie de
Quelqu'un" (2). La tradition chrétienne serait alors le don de ce Quelqu'un
plus que celle d'une orthodoxie intellectuelle, "La vérité chrétienne -et
cela veut dire plénière - c'est le Christ, le Christ comme personne. C'est
sa personne, le Christ total, qui est l'adéquation au Père dans l'éternité
et au monde,anfxuretiàmesure que le monde s'achemine vers la fin" (5).
Lorsque le professeur Blanchi dit à notre Auteur, en I965, qne la tra
dition chrétienne "me rattache à quelque chose d'antérieur au moi,, du moins
dans le temps et dans l'espace" (4) et que le professeur R.Ricoeur confirme
cet avis en disant : "il y a un élément d'historicité avec lequel tombe ou
tient le christianisme" (5), R. Panilckar admet comme capitales, lui aussi.

(1) R, PANIKKAR, Sur l'heiméneutique de la tradition, p, 359.


(2) R, PAhlKKAR,. &ar 1 'herméneutiqvie de la tradition, p. 359. Voir aussi
The Trinity and the Religious Expérience, p. 54»
(3) R» PAKIKKAR, Sur l'herméneutique de la tradition, p. 363. Bans Los
dioses y el Senor, R, PANIKKAR considère que le Christ ne vient pas fon-r
der Tone nouvelle religion (p. 14) mais continuer ce qui est commencé depuis
le début et dans tout le cosmos. Il n'est pas un aérolithe tombé du
ciel (p, 15). La"mission intégrale"."réside dans la création, la ré
demption et la glorification" du monde (p. 51)• Ou pourrait dire que le
Christ "n'est pas vme incarnation de Lieu subitement tombée du ciel"
(p, 62) et que la prédication évangélique serait plus que l'historiogra
phie de Jésus (p. 65). L'Inde, du reste, se passionne pour la présence
réelle du Christ aujourd'hui plus que sur le passé (p, 67), Ce serait
là, peut-être, le thème d'un Christ cosmique (p, 108), d'un Christ qui
n'est pas mon Lieu, mon idole, mon prophète, ma,is l'alpha et l'oméga, le
premier-né, le créateur, le rédempteur et le glorificateur (pp. 126 - I27),
(4) Herméneutique et tradition, p. 365» dans la discussion.
(5) Herméneutique et tradition, p. 366.
218

et l'existence historique du Christ et sa résurrection (l), mais il ajoute


que "le Christ vivant n'est pas 'herméneutisable' " (2), que le plus
important, c'est la présence du Christ dans l'Eucharistie, dans le Sacrifice,
dans l'Eglise, c'est la rencontre personnelle^ c'est la découverte d'une pré-r
sence. Il veut souligner la dimension n^stique du christianisme sans nier
sa dimension prophétique, historique et doctrinale.

Ainsi, bien que l'historicité du Christ soit nécessaire, R, Panikkar


préfère insister sur le Logos qui est chair. Ce n'est plus "Jésus seul" qui
est proclamé. Cette perspective souligne le lien entre le Père, d'une part,
dont le Logos est le symbole, l"ëx-pressiori', et, d'autre part, l'homme (5).
Cela met en évidence la relation actuelle entre nous et l'Absolu de qui tout
vient, vers qui tout va, en qui tout est (4),relation assurée par le Logos.
Celui-ci est à la fois tourné vers le Père et tourné vers le monde. Il aune
fonction étemelle et une fonction temporelle (5) et tous les hommes partici
pent au Christ entier qui est le Tu absolu qui ressemble au Père,

C, Appréciation provisoire

Le Logos panikkarien, mis en regard du Logos grec, apparaît avec le


bénéfice de la divinité et de l'Incarnation et non en tant que simple inter-r
médiaire. Peut-être serait-il plus proche de Philon que de Platon ? Compare
aux données bibliques, ce Logos panikkarien rejoint à la fois la certitude
vétérotestamentaire d'une action de la Parole divine dans la création et
dans les prophètes, le réalisme de la théologie johannique où il est ques
tion de la présence étemelle "auprès de quelqu'vin", de l'identité de subs
tance avec ce Quelqu'un, de l'approche de cette Parole dans l'humanité avec,
au sommet, le célèbre eskènôsen. Le lien, toutefois, entre l'Inconnaissable
et nous, ne serait pas assuré par un Christ limité à Jésus de Nazareth, ce
dont Jésus de Nazareth avait lui-même conscience.

(1) Herméneutique et tradition, p, 367,


(2) Herméneutique et tradition, p, 568.
(3) R, PANIKKAR, Ler zerbrochene Krug, p, 447*
(4) R, PANIKKAR, Ler Ishvara des Vedanta, p, 451,
(5) R» PANIIŒAR, Ler Ishvara des Vedanta, p. 455» soit une fonction étemel
le dans la vie divine intrinsèque et une fonction temporelle dans la re
lation de Lieu avec le cosmos, double fonction qui serait repérée tant
dans la recherche des uns sur Isvara que dans celle des autres sur le Christ,
219

Il n'y a, nous semble-t-il, aucune détotalisation de la totalité évan-


gélique dans un tel "Logocentrisme" qui ne prendrait pas pour point de dé
part premier l'historicité du Christ, Il paraît, à l'Auteur, que l'Hindou
nous rejoindra plus facilement si nous n'opérons pas la réduction du Christ
à celui qtii a vécu sous Auguste et Tibère ^ et qui est mort sub Pontio
Pilato, tout en soulignant que le professeur de Santa Barbara n'est évidem
ment pas gêné par ce sub Pontio Pilato,

Si nous pouvons novis permettre une autre observation qui ne manque pas
d'intérêt, nous semble-t-il, nous dirons aussi que le "Logocentrisme" panik-
karien rejoint l'herméneutique nicéenne alors que l'Auteur avait paru, un
moment, marquer une préférence povir une herméneutique plus "moderne". Nous
voulons dire que le "Christ - Logos" est davantage perçu dans son lien avec
l'Absolu que comme "l'homme parfait" ou celui des petits et des déshérités,
0'est dans le même sens d'une pensée ou d'une recherche essentialiste, sur
la nature de Jésus et du Christ, qu'il développe, dans notre paragraphe sui
vant, le rapport entre Jésus et Melchisédech, le prêtre de l'alliance cos
mique.

Nous constatons donc que notre Auteior respecte toutes les données bi
bliques et spécialement les précisions johanniques. Nous prendrons acte de
ce que la théologie du Logos ne fait pas du Christ im être vaporeux, éthéré,
totalement spirituel, qui serait vide à force de pure intériorité ou en ver-r
tu de sa présence universelle et étemelle (l), La théologie du Logos sem
ble solide, non-détotalisante et utile potir le "dialogue dialogique".

(l) Est-ce à dire que tout est résolu ? Tant s'en faut. Nous nous permet
tons de rappeler au passage le problème déjà soulevé des relations entre
ce que nous avons appelé le "reçu" et le "construit". Il y a du "reçu"
et du "construit" dans le christianisme comme dans l'hindouisme et dans

toutes les religions du monde. Si l'on sait l'action du Logos partout,


cela ne rend pas évidentes les frontières ni clairs les contours du'fceçu",
pas plus que ceux du"construit" relativisable. Il reste aussi que
l'action du Logos ou du Christ étemel n'est pas identique partout, de
même valeur, X, LEON DÏÏPOTJR, notamment, l'a souligné dans Vocabulaire
de théologie biblique, col, 914» Nous avons signalé plus haut les
adverbes "ouvertement" et "secrètement".
220

§ 3 - MELCHI3EDECPI ET LE CHRIST

A. Introduction

Ayant suivi notre Auteur dans ce qu'il dit de l'évolution de l'her


méneutique du Christ dans un premier paragraphe, nous l'avons entendu dans
ses réflexions sur une approche du mystère et de l'essence du Christ - •
LogosÉ Ces réflexions nous ont amenés à constater que le professeuc de
Santa Barbara ne se limite aucunement à une "herméneutique séculière ou
moderne". Si l'on est assez loin d'une traduction ou d'iine répétition
- à plus forte raison - des données nicéennes sur la compréhension du
Christ, on n'en rejoint pas moins une investigation "essentialiste",

11 nous invite, maintenant, sur une autre piste pour comprendre le


Christ. Une fois de plus, il va chercher à accomplir l'acte religieux de
la rencontre entre le christianisme et l'hindouisme. Ce n'est plus d'un
"Logocentrisme" qu'il va être question, mais d'une mise en relation entre
le sacerdoce du Christ et celtii de Melchisédech, Pouir la bonne sitviation

de ses perspectives, nous pensons utile, ici aussi, de commencer par un


rappel de quelques éléments de la perspective occidentale et biblique,
tout particulièrement,

"Melchisédech, roi de Shalem, apporte du pain et du vin; il était prê


tre du Dieu Très-Haut, 11 prononça cette bénédiction ; 'Béni soit Abram
par le Dieu Très-Haut qui créa ciel et terre, et béni soit le Dieu Très-
Haut qui a livré tes ennemis entre tes mains'. Et Abram lirL donna la dîme
de tou.t" (l).

Roi et prêtre de Shalem, Melchisédech offre le pain et le vin à


Abraham. 'C'est un rite d'alliance. 11 prononce une bénédiction STir le
patriarche, 11 en reçoit in tribut. Le tout se passe devant El-Elione,
le Dieu Très-Haut, dieu ancestral des clans sémites, considéré au moins
comme dieu suprême et créateur par Melchisédech et certainement comme Dieu
unique par Abraham.

Dans la rencontre entre ces deux hommes, le premier, celui qui bénit
et reçoit tribut, est le principal, bien que n'étant pas prêtre hébreu.
Le patriarche occupe le second rang, bien qu'étant, par Isaac, Jacob et
Lévi, l'ancêtre du sacerdoce lévitique (2),

(1) Gen, 14 : 18 - 20,


(2) Hébr. 7 : 6 - 10,
221

Un de-uxième texte tiUlique i "Tàhvé l'a jiAré, il ne se dédira point |


'Tu es prêtre à jamais selon l'ordre de Melchisédech' " (1)4 Le psaume 110
voit irae continuité entre I)a,vid et Melchisédech, ce qui unira, dans la pério>-
de postexilique, sacerdoce et royauté dans la personne du sairîreur attendu,

L'épître avix Hébreux établit aussi une relation entre le Christ et le


prêtre de Shalem. "Lvii qui n'a ni père, ni mère, ni généalogie, ni coramen- ;
cement pouj? ses jours, ni fin pour sa vie, mais qui est assimilé au Fils de •
Dieu, reste prêtre à perpétuité" (2), Ou encore "Il est notoire... que no
tre Seigneur est issu de Juda, d'une tribu pour laquelle Moïse n'a rien dit
dans ses textes sur les prêtres. Et l'évidence est plus grande encore si
l'autre prêtre suscité ressemble à Melchisédech, et n'accède pas à la prêtri
se en vertu d'une loi de filiation himiaine, mais en vertu de la puissance
d'une vie indestructible. Ce témoignage, en effet, lui est rendu ; 'Tu es
prêtre pour l'éternité à la manière de Melchisédech' " (3).
Le Nouveau Testament établit donc, également, une relation entre le
Christ et Melchisédech. Descendant d'Abraham (4) mais aussi d'Adam (5),
Jésus a tœ. sacerdoce qui ne se rattache pas au sacerdoce institutionnel juif
car le Seigneur est descendant de Juda et non de Lévi. Il prolonge davanta-r
ge le sacerdoce royal du messie davidique, successeur de Melchisédech. Ce
sacerdoce est supérieur au sacerdoce lévitique vu que les fils de Lévi s'in
clinent devant lui respectueusement dans leur ancêtre AbraJriam.

Sans commencement ni fin, le prêtre de Shalem préfigure le Christ et


son sacerdoce étemel. Alors que le sacerdoce lévitique est composé de gens
pécheurs, mortels et nombreux, le Christ en regard, apparaît comme le juste^
l'immortel et celui qui est unique, au service non plus d'une alliance dépas
sée mais d'une alliance nouvelle et définitive dont les signes, fait remar-'
quable, sont, comme dans Gen. I4 5 18-20, le pain et le vin.

Nul ne s'étonne de voir l'importance du sacerdoce de Melchisédech dans


la pensée biblique, patristique et dans la liturgie. L'universalisme et
l'aspect durable du sacerdoce de Melchisédech et du Christ l'emportent sur le
particularisme et la dimension provisoire du sacerdoce institutionnel hébreu.

(1) PS. 110 : 4.


(2) Hébr. 7:3.
(3) Hébr. T.: 14 - 17.
(4) îîat. 1 : 1-17.
(5) Luc 3 ; 23 - 38.
222

A propos du sacerdoce} dans les religions anciennes, chacxm sait que


la fonction sacerdotale fut souvent une fonction royale, c'est-à-dire rem
plie par les rois. Le fait n'est cependant pas général. SaDs être des sou
verains, les patriarches hébreux édifient des autels et ils offrent des sa^
orifices à Adonaï, En cela, ils remplissent une fonction sacerdotale. Avec
îbîse, la tribu lévitique prend de l'importance^ bien qu'à côté d'elle sur
vive une sorte de sacerdoce familial (l) et que les rois juifs, comme leurs
voisins, continuent, eux aussi, d'offrir des sacrifices (2), Les lévites
seront valorisés de façon particulière à la fois par la vie et le culte au
Temple de Jérusalem, par la lutte progressive contre les sanctuaires locaux,
I
par la ruine de la monarchie en 58? ®t par la quasi—disparition des prophètes
dans la période postexilique. Leur mission, en résumé, semble double. D'une
part, il s'agit du culte, du service du culte avec, au centre, l'offrande du
sacrifice et, d'être part, du ministère de la Parole, pour rappeler les

;
hauts faits de Dieu,CM proclamer la Loi de l'Alliance et maintenir la tradition
1

mosaïque dans la vie du peuple.


CO

Dans le Nouveati. Testament, le Christ ne se donne pas lui-même le titre


de prêtre, celui-ci désignant peut-être, à ses yevix, une caste ambigtle et
une fonction devenue trop particulière. Il n'en est pas moins conscient
d'offrir sa vie en sacrifice pour que le monde ait la vie et d'accomplir ui^e
loi, soit justement les deux piliers du sacerdoce en Israël (j)»
L'épître aux Hébreux franchit le pas et donne au Christ Jésus le titrç
de prêtre, La croix y apparaît comme le sacrifice de l'expiation (4), de
l'alliance (5), du Serviteur (6), Il est appelé par Dieu pour intervenir
pour les hommes (7). Le lien est établi avec le sacerdoce de Melohisédech(8),
L'un et l'autre sont sans origine et supérieurs au sacerdoce lévitique (9)«

(1) J-uges 6 : 18 - 29; 13 : 19» 1? 1 5» I Sam, 7:1.


(2) I Sam, 13 : 9? II Sam, 6 : 13, 175 24 : 22-25, etc.
(3) Voir par exemple CH. DUQUOC, Christologie, vol, I, pp. 209 - 213.
Brève bibliographie sur le thème, p, 209, note 70»
(4) Hébr, 9 11 - 14.

(5) Hébr, 9
(6) Hébr,„ 9 28

(7) Hébr. 5 1 - 4.
(8). Hébr. 7 1 - 5.
(9) Hébr, 7 4 - 10.
225

Le Nouveau Testament, en plus, reconnaît au peuple entier une fonction sa


cerdotale (l) et, à certains dans ce peuple, une mission particulière, sans
que le mot "prêtre" les désigne explicitement (2),

B, Perspectives de R. Panikkar

Le regard miversaliste de R. Panikkar l'amène à prendre en considéra


tion le sacerdoce de Melchisédech, Il va reprendre les données que nous ve
nons de rappeler dans notre introduction. Il va également développer des
idées plus personnelles. Il étudie brièvement ce thème dans quelques textes
bibliques que vous avons cités (3), il obseirve l'intérêt que lui porte la
liturgie catholique, anglicane, mosarabe et orientale dans laquelle il est
fêté (4), il rappelle aussi la pensée patristique (5)j la théologie scolasti-
qtie, l'histoire et même la légende. C'est principalement dans trois documents
qu'il se penche svir la question (6).

(1) Phil. 2 ; 17| 4 : 18; Rom. 12 ; 1; I Pierre 2 : 5, 9; Apoc, 1 s 6; 5 :


10 ; 20 s é.
(2) Cette "lacune" ne permet évidemment pas de miser tellement sur le sacer
doce universel des fidèles qu'on éliminerait le "sacerdoce ministériel"
au sens catholique et orthodoxe, notamment, avec un pouvoir d'ordre parr
ticulier, dans le peuple et au service du peuple. Comme le dit
L, BOUYER, dans .dictionnaire théologique, p. 582 ï "Quant aux ministres
du Christ dans l'Eglise, le titre ne leur est jamais appliqué d'une fa
çon spéciale, bien que saint Paul décrive leur ministère en employant
les formules les plus spécifiquement sacerdotales". Il renvoit, pour
justifier ceci, à Rom. 15 î 16, où Paul parle de son ministère.
(5) Gen. 14 ; 14 - 20; Ps. IO9 (IIO) : 45 Hébr. 5 : 5 - 6; 6; I9 - 20;
7 : 1.
(4) R» PANIKKAR, Eine Betrachtung tlber Melchisédech, pp. 7 " 8.
(5) R, PANIKKAR, Eine Betrachtung ùber Melchisédech, pp. 8 - 9,
(6) R, PANIKKAR, Eine Betrachtung liber Melchisedech, dans Kaîrqs, I, 1959»
pp. 5 - 17? Christ, Abel and Melchisedech, Jeevadhara, vol, V, 1971,
pp. 391 - 405? Maya e Apocalisse, Abete, Rome, I966, Meditazioni su
Melchisedech, pp, 185 - 203, Dans ce dernier chapitre mentionné, il don
ne, p, 185, ses sources bibliques, et, pp, 186 - 187, une bibliographie
plus large sur le thème.
224

Nous voudrions nous arrêter à la réflexion proprement paniMcarienne.


Notre Auteur distingue trois alliances :
1) celle avec Adam ou alliance cosmique;
2) celle avec Abraham;
3) celle qui accomplit les deux autresj alliance avec la création
entière, dans le Fils (1).
Comme Père du peuple élu, Abraham reste responsable pour le monde en
tier, C'est pour cette raison qu'il a besoin de la bénédiction du représen
tant de la première alliance qui est Melchisédech, Le salut vient par les
Juifs mais non pour eux seuls (2), Melchisédech est le lien entre Abraham
et le sacerdoce cosmique. En lui nous rencontrons le sacerdoce de la premiè
re alliance qui existe dans les religions pré-chrétiennes (3),
Les religions du monde tiennent leur sacerdoce du seul Dieu étemel.
Si, du point de vue d'une orthodoxie, elles peuvent avoir de "mauvais dogme^{
elles n'en sont pas moins des religions et elles ont des prêtres qui sont de
vrais médiateurs, des hommes choisis par les autres pour ce qui appartient à
Dieu, afin qu'ils offrent des sacrifices pour les péchés du monde. D'autres
prêtres que les nêtres peuvent donc donner une bénédiction. Ils sont les
frères de nos prêtres (4).

(1) E, PANIIŒAR, Eine Betrachtung Uber Melchisedech, p, 10,


(2) Il n'y a donc pas opposition entre l'allia,nce noachique, universelle et
étemelle (Cen, 9 î 12-17) d'une part, et, d'autre part, l'Alliance
avec Abraham, ce qui apparaît notamment dans Gen, 12 : 3, Voir aussi
iSya e'Apocalisse, p, I50 où l'Auteur, en plus de la rencontre entre
Abraham et Melchisédech rappelle la découverte de Pierre à la vision de
Joppe ; voir aussi La presenza di Dio, p, 27. Dans Mayâ e Apocalisse,
p, 351» l'Auteur note que si "l'alliance de Dieu avec le peuple d'Israël
est un .fait mique", elle n'est pas toutefois exclusive des autres tradi
tions religieuses.
(3) E, PANIKKAE, Eine Betrachtung ùber Melchisédech, p. 12*
(4) E, PANIKKAB, Eine Betrachtung ùber Melchisedech, p, I4. G, THILS, dans
Propos et problèmes, p, 11, signale que, pour un certain nombre de théo
logiens chrétiens, les autres religions peuvent avoir quelque chose de
plus que naturel et que cela pourrait nous amener à dépasser l'antithèse
entre connaissance naturelle et révélation sumaturelle. L'alliance noa
chique pourrait, p, 37» amener un mûrissement du jugement courant sur les
autres religions. De même, on pourrait valoriser les alliances avec Adam
et Noé, mais aussi avec Melchisédech, sinon avec Hénoch, pp, 63-64.
225

Ainsi, pour notre Auteur, le christianisme n'apparaît pas comme exclusif


mais comme englobant tout, comme accomplissant et sauvant et non pas comme
éteignant les mèches qui fument encore.

Le Christ agit avant Abraham et, depuis le début, dans toute la création
"Adam était déjà dans l'ordre entier et surnaturel" (l) Melchisédech, par
rapport à lui, est un homme d'après le péché et, à ce titre, son sacerdoce
est celui du prêtre cosmique au sein d'une création qui attend le salut. A
travers lui. Dieu transmet le sacerdoce à tous ses frères païens de toutes
les époques jusqu'aujovird'hui. Le Christ, dans cet ensemble, Itii qui est
fondamentalement le se\il prêtre, vient dans la lignée de la première allian-^
ce cosmique et ferme la succession du sacerdoce lévitique. Il a le sacerdo4
ce de Melchisédech, Comme tous les bons prêtres de toutes les religions du.
monde ont part au sacerdoce de Melchisédech, le Christ, par les prêtres catho
liques, à chaque Eucharistie, offre un sacrifice immaculé dans lequel sont ;
réunis tous les sacrifices et toutes les prières des diverses religions du
monde (2),
Le sacrifice, en soi, opère un retour du monde dans sa source, c'est-
à-dire en Lieu, En participant au sacrifice eucharistique, le ehrétien fait
une démarche pour louer le Seigneur, pour chanter en communion avec ses frèr
res, pour accomplir, aussi, un devoir religieux, mais, en plus, pour offrir,
le sacrifice qui libère, "le sacrifice qui sauve le monde et povir lequel le
monde a été créé, le sacrifice qui inaugure le retour du cosmos et commence
à former déjà des deux nouveaux et une terre nouvelle", et ce sacrifice
eucharistique soutient le monde dans son ensemble, ce qui est possible dan?
la mesure où le Christ "est finalement lui-même l'unique liturge et prêw ^
tre" (3).
En résumé de ce qui précède, disons que R. Panikkar distingue trois al
liances ! l'alliance cosmique, l'alliance abrahamique et l'alliance dans le
Fils. La seconde n'abolit pas la première, qui est universelle, adamique
et noachique (4), Melchisédech assurant le lien entre l'une et l'autre.

(1) R, PiilîIKKAR, Eine Betrachtung ttber Melchisedech, p. 15,


(2) R, PAlîIKKâR, Bine Betrachtung ùber Melchisedech, pp. lé - 17»
(3) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 162,
(4) Notre Auteur aurait pu exploiter le message qui nous paraît central dans
la parabole noachique en Gen, 9 ' 12-17* On y voit Dieu parler de
lfe,lliance que je mets entre moi et vous et tous les êtres vivants qd
sont avec vous, pç?ur les générations à venir".
22é

En lui sont incluses toutes les religions du monde. Le Christ est agent
dans la première et dans la seconde, dès la création et, après le péché, dans
un monde qui attend le salut. Son sacerdoce n^est ni lévitique ni donc pro
visoire, Il est le sacerdoce du Eils et, à ce titre, son sacrifice inaugure
la restauration définitive (l).

Dans sa réflexion sur le thème du sacerdoce du Melchisédech, R, Panikkap


s'inspire aussi de ïïostra Aetate, au n° 2. Il cite le concile Yatican II ;
"Depuis les temps les plus reculés ,,, on trouve dans les différents peuples
une certaine sensibilité à cette force cachée qui est présente au cours des
choses et aux événements de la vie humaine" (2).

(1) Ajoutons quelques remarques. Abraliam, en quelque sorte, avait mis fin
aux sacrifices humains (Gen, 22 ; 1 - I4). Les prêtres juifs en faisant
crucifier le Christ n'ont pas voulu procéder à un sacrifice. Sa mort
est explicable pour d'autres raisons analysées par exemple par
J.L. CHORDAT, Jésus devant sa mort, J , JEREMIAS, Le message central du
Nouveau Testament, pp. 5I •" 35» BENOIT, Passion et résurrection du
Seigneur, pp. 10 - 253| OH, DUQUOC, Ghristologie, vol. I, pp, 111, 198, '
etc. C'est Jésus q^li a lui-même perçu le sens des événements : voir
J. GUILLET, Jésus devant sa vie et sa mort; P.R. REGAl'IEy, La croix du
Christ et celle du chrétien, voir Jean 6 : 51, 60, 67; Luc 12 ; 5O; 13 ;
33, etc. Le sacrifice du Christ, sur le coup, déroute ses proches et
dépasse les vues humaines de Pierre (lyiat, I6 ; 21 - 23) et de Thomas
(jean 11 : 16). Jésus préfère les pensées de Dieu (Mat. I6 : 23), Il
sait que "le voile du Temple va se déchirer", comme déjà il annonçait à '
la samaritaine le dépassement du culte de Jérusalem (Jean 4 ; 20 - 24).
Ce sacrifice est plus qu'une erreur judiciaire car il est celui du Pils,
un sacrifice qui a valeur cosmique,, portée universelle, conséquence pla
nétaire, Il porte non setilement les péchés du monde, comme le
Serviteur Souffrant (is, 53 s 4'-6, 8, 11), mais aussi toutes les litur
gies du monde. C'est en un sens, comme le remembrement de Prajâpati.
Sur la présence du Christ à travers tout l'Ancien Testament, Hébreux 11
est particulièrement intéressant,
(2) Nostra Aetate, n° 2, cité par R. PANIKKAR dans Christ, Abel and
Melchisedech, p. 391.
227

Analysant l'approche réalisée par le Concilej l'Auteur repère une nou


velle façon de "dire" et de "penser" les choses dans le discours catholique.
Le catholio:^sme conciliaire dépasse les condamnations et les anathèmes, il
dépasse aussi une réflexion méthodique sur ce, qu'il connaît à l'intérieur de
lui-même, dans sa propre tradition. Le catholioisme conciliaire veut com
prendre les autres religions. Il veut vaincre l'isolement. Un esprit nou
veau se manifeste, plus pastoral que conquérant. Les Chrétiens commencent
d'admettre que, si la foi ne peut être désincarnée, elle peut porter diffé- i
rents habits, autres que des habits méditerranéens (l). Il y a en cela autre
chose qu'un stratagème d'apprivoisement. Quelque chose de profond s'est pas
sé au Concile, à savoir la reconnaissance des autres religions comme chemins
conduisant vers le Salut les hommes de bonne volonté, fondant cette certitu
de sur le fait que, si Dieu veut le salut de tous les hommes. Il offre à cha
cun l'occasion d'être sauvé. Il y a désormais place pour le pluralisme cul
turel, philosophique, mais aussi théologique et religieux (2) ,

Sans développer ici les idées de notre Auteur sur l'Eglise, nous vou
drions, dans l'esprit de ce chapitre, voir ce qu'il dit à propos du Christ,
Dans sa réflexion, des textes néotestamentaires sont cités ;

1) "Je suis le Ohemin, la Vérité et la Vie. Nul ne va au Père que


par moi" (Jean 14 î 6) -(5)5
2) "Le tout vient de Dieu, qui nous a réconciliés avec Lui par le
Christ et nous a confié le ministère de la réconciliation. Car
c'était Dieu qui, dans le Christ, se réconciliait le monde, ne te
nant plus compte des fautes des hommes, et mettant sur nos lèvres
la parole de la réconciliation" (il Cor, 5 s 18 - ^^) -(4),

(1) R, PANIKKAR, Christ, Abel ard Melchisedech, pp. 594 - 395»


(2) R, PANIKKAR, Christ,. Abel and Melchisedech, pp. 596 - 597»
(5) L'Auteur ne cite que la première phrase de ce verset mais cela ne sem
ble avoir aucune importance,
(4) L'Auteur ne cite pas les deux versets : nous remarquons donc qu'il ne
souligne que le Christ, dans lequel Dieu se réconcilie tout le monde,
sans parler du ministère de la réconciliation qui nous est "confié". On
peut s'étonner, au passage, qu'il ne se réfère pas à Eph, 1 ; 5 - 14, qui
va dans le sens de II Cor, 5 ; 18 - 19,
226

De ces deiax textes, le professeur de Santa Barbara retient qu'ils par


lent du Clirist et non de l'institution chrétienne, A^es yeux, ces deux pas
sages soulignent le rôle du Christ dans toutes les religions (l).

Se référant à îlat, 16 ; 13, où le Christ demande ce que l'on pense du


Fils de l'homme, R, Panikk3.r distingue deux parties dans la réponse de Pierre.
La première ; "Tu es le Christ" et la seconde : "Le fils du Dieu vivant" (2).
D'une part, c'est la reconnaissance de l'oint, de celui qui avait été annon
cé et attendu en Israël, Cette réponse est celle d'un Juif, D'atitre part,
Pierre parle du "Fils du Dieu vivant". R, Panikkar considère que le Fils ne
reprend pas seulement la tradition qui commence avec Abraham mais qu'il entre
aussi dans deux g3?ands mouvements de la rédemption universelle, celui d'Abel,
qui offre le premier sacrifice qui plaît à Dieu, l'homme primitif et bon de
par la création, celui de Melchisédech, le prêtre et le roi, 1'incirconcis
supérieur à Abraham, qui ne suivit pas le patriarche et dans lequel le pro
fesseur de Santa Barbara voit le représentant des religions non-abrahamiques.
Le patriarche serait le père des croyants en"termes d'ordre historique" et
Melchisédech le père des croyants comme racine de l'humanité (3),
La théologie chrétienne développe et privilégie souvent la tradition
abrahamique comme étant la ligne ancestrale de Jésus, Notre Auteur, qiiant à
lui, souligne que le Christ préexiste par rapport à Abraham, recevant l'hma-
nité d'Abel et la prêtrise de Melchisédech (4), Jésus, fils de l'homme, n'a
plus alors seulement un lien avec la tradition abrahamique, il opère dans tqu-
tes les religions qui, elles, remontent à Melchisédech et à Abel (5)»

(1) R, PANIKKAR, Christ, Abel and Melchisedech, p, 400»


(2) Nous constatons, ici aussi, que notre Auteirc ne reprend pas toute la pé-
ricope matthéenne dans laquelle interviemert la promesse àPierre et le
pouvoir des clés ; Mat, I6 ; 13 - 19»
(3) R. PANIKKAR, Christ, Abel and Melchisedech, p, 403*
(4) R, PANIKKAR, Christ, Abel and Melchisedech, p, 405»
(5) On notera au passage que R* PANIKKAR ne comprend pas le titre de Pils de
l'homme à partir de Dan, 7 S 15« CH, DUQUOC, dans christologie, vol, I,
pp, 188 - 209, détaille davantage la complexité du titre de "Pils de
l'homme" que Jésus se donnait volontiers. Nous savons que les avis diver
gent quant à la compréhension du titre en question. Disons aussi que
CH« DUQUOC parle aussi de Jésus et de Melchisédech, pp, 210 - 213,
229

Au terme de ce paragraphe, rappelons quelques perspectives de notre


Auteur,

1° le réinvestissement du thème intéressant du sacerdoce de Melchisédech,


lequel était déjà valorisé par la théologie patristique et dans la litur-r
gie chrétienne, sur la hase, tout spécialement, de l'épître aux Hébreux
qui, en elle-même, est le reflet d'uae recherche élaborée déjà dans
l'Eglise apostolique;

2° la valorisation de tout sacerdoce dans les différentes religions du mon


de, même si celles-ci ne sont pas actuellement en parfaite convergence en
matière dogmatique et morale;

5° le fait que la valorisation de tout sacerdoce historique soit liée au


sacerdoce du Christ qui, fondamentalement, est l'rinique liturge;

4° le lien entre les différentes alliances ou entre les différents niveaux


d'une même et continue alliance entre l'Absolu et nous, le Christ occupant
le centre;

5° l'idée que le Christ assme dans la liturgie eucharistique tous les


sacrifices de toutes les religions du monde et leurs prières (l),
(1) Nous pourrions émettre deux remarques,
1) ïïe peut-on regretter que certains textes bibliques choisis par notre
Auteur ne soient cités que partiellement et interprétés non pas en
fonction de ce qu'ils ont voulu dire dans leur totalité au sein de
leur milieu d'émergence mais en fonction du seul soucide souligner
la fonction ou la place centrale du Christ ?
2) Dire que tous les prêtres du monde sont les "frères de nos prêtres"
ne présente—t-il pas quelque ambiguïté ? La chose, certes, semble in
téressante mais ne peut-on pas mettre en évidence la perspective,
chère aux 6atholiques et aux ûrthodoxes, de la succession apostolique?
Il y a, en effet, un mandat explicite donné au sacerdoce ministériel
des jêvêques, des prêtres et des diacres au sein des Eglises, Frater
nité ne serait donc pas identité. Un pasteur anglican peut être,
certes, considéré comme un "frère de nos prêtres" mais cela règle-t-
il pour autant, par exemple, la question de la validité des ordina
tions anglicanes ?
Nous ne prenons pas position, toutefois, en posant cette question, sur
l'avis du Pape Léon XIII quant au. problème et à sa solution, peut-être
provisoire,
250

Avant d'aborder la recherche sior Isvara, nous prenons acte de la per


ception paniklcarienne du sacerdoce de Melchisédech, La personne du prêtre de
Shalem représente tout sacerdoce dans le monde et dans les religions,
s'occupe du service du culte, de l'offrande du sacrifice, du ministère de la
parole et d'ime démarche de convergence entre le divin et l'humain. Le
Christ"éternel est le prêtre par excellencej à l'oeuvre partout. Tout sacer
doce historique apparaît comme participant à son sacerdoce unique. Tous les
prêtres du monde ont ainsi un lien avec le Prêtre ou avec l'unique liturge
qui est le Christ étemel et, par là même, un lien qui les vinit entre eux.
Le même qu'on ne pourrait privilégier le sacerdoce lévitique, particulier et
provisoire, au point de ne pas prendre en considération le sacerdoce non-
lévitique, extra—biblique ou non—juif, de même la prise en considération lé
gitime du sacerdoce chrétien ne devrait pas amener à oublier la valeur de
tout sacerdoce extra—chrétien, et cela en vertu de la présence a,gissante de
l'unique liturge au coeur de l'univers. La figure biblique de Melchisédech
expliciterait la réalité sacerdotale, multiple dans ses manifestations histo
riques, vinique dans sa source.

Ainsi, en ne prenant pas pour point de départ un Christ qui serait


absolimaent identifie avec Jésus de Nazareth ni une théologie chrétienne com
me on l'entend traditionnellement, R, Panildcar ne choisit pas pour objectif
de développer une théologie "romaine" du sacerdoce mais il ne 1'écarte pas ni
ne la renie, puisqu'il reste prêtre catholique. Il ne nie pas la primordiali-
té du Christ Jésus mais il n'en fait pas le point de départ unique de sa re
cherche, Son objectif, en prenant la personne de Melchisédech, est d'y voir
un témoin de tout sacerdoce, ce qui lui permet de voir le Christ étemel.
Lieu tourné vers le monde, agir à travers tout sacerdoce et pas seulement par
celui de nos prêtres. Il se situe, ici encore, dans une perspective réso—
lunent universaliste, à la fois au-delà de tout particularisme et sans au»*
cun reniement de la pensée proprement chrétienne. Le même que Melchisédech
assure le lien entre l'alliance cosmique et l'alliance abrahamique, de même
le Pils n'a pas un sacerdoce provisoire et limité mais il assure un lien en
tre tout sacerdoce.
231

§ 4 - ISVAEA ET LE CHRIST

Nous arrivons à un nouveau moment important de notre analyse de la pen


sée panikkarienne sur le Christ, celui où il établit un lien, plus qu'une
identification pure et simple, entre le Christ et l^ara. Pour situer cette
recherche, il nous faut repartir de l'idée de Brahman, comparée avec celle
de Lieu.

Srahman serait, dit notre Auteur, abstrait, général et commun à tous (l),
ens commune, quiddité essentielle de tous les êtres, structure universelle
et condition de tout(2), tandis que Lieu serait un Absolu concret et vivant,
personnel, fin de tout, et qui appelle à l'union (3), ens reale, ens realis-
simum^ source de tout être, réalité qui est en tout mais qui reste également
au-desuus de tout (4).
Isvara serait plus près du Lieu suprême et personnel que le terme
Brahman (5) •
Etant donné l'importance du thème abordé, nous proposons une présenta
tion des étapes de la pensée de notre Auteur.

(1) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 139»


(2) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. I4I. Jean de YARENNE refuse
de traduire le terme Brahman car aucun mot français n'y correspond. H
précise que Brahman est à la fois principe immanent (t^ = cela), absolu
infini, indifférencié, non manifesté, et Lieu personnel - Brahman -
Seigneur souverain (Isvara) et âme du monde, Brahman serait neutre et
Brahman masculin, selon la position de l'accent, Yoir introd, à Maya
Narayana ïïpanigad, t 2, pp. 31-32. Voir PANUNZIO, Christus und mr,
dans Kairos, p. 117. Bratoan masculin et neutre dans Kausitaki Upanigad,
4» p. 22. On aurait donc l'idée d'un Absolu inexprimable mais toiomé
vers le monde et personnel. Voir la Kena Upanigad, p. 5, section 1, 4;
l'Atmapujopanigad, introd, de L, KAPANl, p. 85 la Kaivalyopanigad, introd,
introd, de B. TUBINI, pp. 3-4? la Mandxlkya Upanigad, introd, de
E. LESIMPLE, p. 4j la Chândogya Upanigad, Vlll, 1, p. IO7. Voir aussi
P. LEBAIL, Six gpanishads majeures, pp. 40, 47, I79, 248, etc.
(3) R. PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 139.
(4) R. PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. I4I.
(5) J.B. CARÎÎAN, The Theology of Râmânuja, p.18. Voir aussi R.PAîTlKItAR, Mayâe
Apocalisse, pp. 342 - 343.
232

L'évolution de sa pensée ne nous paraît pas assez significative sur chaque


sujet étudié jusquHci, c'est pourquoi nous nous tenons en général à une
présentation systématique» Par contre, dans le cas présent, nous jugeons
devoir changer de méthode.

Lès 1961» R« Panikkar distingue aussi un Brahman neutre qui est base et
origine de tout et un Brahman masculin qui serait plus proche, à ses yeux,
de l'idée indienne de Lieu (1). Il faut, pour l'Inde^ sauvegarder la transn
cendance de Brahman mais sans déduire que lui et le monde seraient de\uc cho
ses. Brahman est l'être caché, la vie transcendante (2), mais, pour l'Auteur,
ce n'est pas Quelqu'un de silencieux, ce n'est pas "setilement le Père", mais
/
Isvara, le Logos, le Christ.

Isvara n'est pas le Lémiurge platonicien, ni un Brahman terrestre qua


lifié. Il n'y a qu'une source, Isvara est son image, son révélateur, person
ne engendrée de Lieu. Il comporte une face tournée vers Lieu dont il est
1"fex-pressiorf'et une face tournée vers le monde extérieur. Le Brahman reste
donc transcendant mais il est l'origine du monde en I^ara (3)»
Lès 1961 toujotirs, le professeur de Santa Barbara dit se situer entre
Saôkara et Eamanuja (4). L'Isvara de SaAkara n'atteint pas la médiation en
tre l'Absolu et nous. Il est Lieu mais tourné vers le Brahman, ceci pour
souligner 1'intouchabilité de Brahman (5).
/

L'Isvara de E, Panikkar est Lieu, semblable à Lieu, fils de Lieu, Lieu


de Lieu, indivisible par rapport à Lieu. Il est donc plus qu'un simple mé
diateur (6), Isvara inclut tout. Il est ce de quoi, ce par quoi, ce vers
quoi tout existe, puissance divine, image du divin mais avec une "identité
de natxjre".

Alors que l'Isvara de Râraânuja va aussi vers le Brahman, celui de


R. Panikkar est plus proche du Christ. Lieu est l'Absolu qui a un Tu abso
lu qui lui ressemble,.

(1) R. PANIEICAR, Ler Ishvara des Yedanta, p. 447*


(2) R. PANIKKAR, Ler Ishvara des Yedanta, pp. 448 - 450.
(3) R. PANIKKAR, Ler Ishvara des Yedanta, pp. 451 - 452.
(4) Yoir aussi Maya e Apocalisse, pp. 347 - 348.
(5) R» PANIKKAR, Ler Ishvara des Yedanta, pp. 452 - 453» Yoir aussi Le
Christ et l'hindouisme, pp. 110 - 113, 1é2.
(6) R. PANIKKAR, Ler Ishvara des Yedanta, p. 453.
235

Si cette perspective dépasse les écrits de l'Inde, l'Autein? argue que beau
coup d'écrits philosophique et theologiques recèlent souvent im. sens plus
cache (l). En deçà du monisme sankarien où le monde n'est pas perçu dans
sa densité et où -Isvara, par voie de conséquence^ est plus perçu en Dieu
setd, sans être non plus strictement râmânujien avec les risques de compré
hension panthéiste, l'Auteur croit pouvoir trouver un sensus plénior aux
écrits védantins et présente un Isvara divin mais qui est le Tu absolu de
1 Absolu, se rapprochant ainsi davantage d'une théologie trinitaire sans re
nier les racines hindoues de sa personne (2),
Isvara apparaît donc nécessaire et pour penser Dieu et pour unir Dieu au
monde (3). Cette place est tenue par le Christ, dans le christianisme, sur
tout si l'on part du Logos johannique plus que du seul Christ historique re-
pérable en Jésus de Nazareth et ce "Logocentrisme" serait souhaitable dans
la perspective d'une relation dialogique entre le christianisme et l'hindouis
me (4),

Isvara est plus-, rappelons-le, que le Logos platonicien qui n'est, au


fond, qu'un chaînon ontologique entre l'Absolu et le relatif (5). L'Isvara
panikkarien est davantage alpha et oméga.
En 1968, l'Auteur reparle du Christ dont l'action ne se limite pas en
Jésus de Nazareth* Il opérait avant Abraham, il était le principe et la fin,
le premier né de la création (6), le Pantocrator "qui est apparu à la fin des
temps en Jésus de Nazareth pour achever l'oeuvre qu'il avait commencée depuis
le commencement du monde" (7).
En 1968 toujours, le professeur Panunzio, présentant à Rome ÎÊyâ e
Apocallsse de R. Panildcar, exprime la pensée de celui-ci. Il explique que
l'Inde souligne, d'une part, 1'impersonnalitë de Dieu (s) et, d'autre part, ^

1) R, PANIKKAR, Der Ishvara des Vedanta, pp. 453 - 455.


2) E, PANIKKAR, même idée du sensus plenior. dans Maya e Apocallsse, p. 351,
3) R. PANIKKAR, Der Ishvara des Vedanta, p. 446,
4) fî» PANIKKAR, Der Ishvara des Vedanta, p. 447,
5) E. PANIKKAR, Der Ishvara des Vedanta, p. 451,
6) R. PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 82.
7) R. PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, pp. 82 - 83.
Christus und Indien, p. 122. Voir R. PANIKKAR, iCyS e Apocallsse,
pp. 340 - 345.
234

y
•un Dieu personnel } Isvara, proche d^Adonaï» du KurioSy du Domlnus. Le
dogme d*Is'yara est mis en e"videnoe par la bhakti, dans laquelle métaphysique
et ascèse peuvent se fondre. Il reconnaît la nécessité d'un lien entre
l'Absolu et le Dominus crpateur et Seigneurî Le Brahman étant indépendant
du monde, le Christ ou le Logos serait la divinité comme unie au monde,
Isvara est le Christ étemel, celui vers lequel tendent toutes les religion^
1'oméga mais aussi 1'alpha qui fait que déjà toutes les religions sont les
oeu-vres actuellement d'Isvara, de la Parole, du Logos, du Christ (l).
On voit le cosmos qui respire le Logos. C'est un point de -vue qui in
téresse l'Inde (2), Il est conclu que Brahman est et l'Absolu et Isvara,
En 1970, réfléchissant sur le temps , le professeur de Santa Barbara
écrit que l'homme est auteur du temps et qu'il coopère au retoixr des choses
en Dieu, le culte étant "l'action théandrique où l'homme et la divinité s'emr-
ploient ensemble à continuer le monde, à rapprocher effectivement le méso-
cosme de l'univers divin" (5),,, "se libérer du temps consti-tue un des buts
majeurs de la spiritualité hindoue classique. Tout comme I^ara échappe à
la limite du temps, ainsi tout homme qui veut atteindre la perfection, c'est-
à-dire parvenir au véritable accomplissement final, a-t-il besoin de trans
cender le temps" (4)» Isvara apparaît comme échappant au temps, ce à quoi
nous sommes nous-mêmes appelés. Il est notre modèle, le type de l'homme,
celui qui réalise l'accomplissement ou la plénitude vers lesquels nous mon
tons, tels des pèlerins,

La même année, notre Auteur souligne, et la remarque est d'importance


pour les Chrétiens, que l'idée d'Isvara ou du Pantocrator vivant et supra-
historique ne doit aucunement nous mener vers un être plus ou moins vague
et vaporeux. Cette idée ne peut en aucune manière nous pousser à fermer les
yeux sur l'historicité de Jésus de Nazareth, sinon, dit-il nettement, tout
devient gnose" et c'est le début de la ruine de toute religion" (5)« Mais,
dans le même o'uvrage,. il rappelle que, s'il ne faut pas laisser s'évanouir le
visage ou la personne de Jésus, il s'agit, simultanément, de reconnaître '
qu'il n'est pas messie seulement pour Israël et poiar deux mille ans de chris
tianisme.

(1) Christus und Indien, p, 123,


(2) Chris-tus und Indien, p. 128,
(3) H, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 51,
(4) R, PANIKKAR, Le mystère du ciilte, p, 51 •
(5) R« PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 184,
235

Il est "le Seignetir qui opère partout", et il faut reconnaître "cette rela»
tion particulière entre le Christ et toutes les figures du Seigneur" (l).
Il constate, toutefoisj que ce qui attire l'Hindou "est moins le Jésus de
l'histoire, qu'on tient toujours pour un simple avatar à côté de tant d'au
tres, que le Christ vivant, au-dessus de l'histoire^ qui vit dans le coeur de
ceux qui l'aiment" (2). L'Hindou, dit-il, "n'aurait que faire d'un Dieu
abstrait, ni d'un Homme-Dieu qui resterait prisonnier de l'histoire" (3)«
Nous rappelons que l'Auteur affirme sans ambage que Jésus n'est molle- ,
ment un avatar, La figure "incarnation" et la figure "avatar" n'ont rien à
voir l'une avec l'autre (4). Il n'y a pas d'incarnations multiples, par exemr-
ple, mais il y a multiplicité d'avatar. Au fond, en catégories occidentales,
1'avatar est docète. Ce n'est pas l'humain à proprement parler mais'homme
une forme humaine" et qui, de plus, n'étant pas pleinement humaine, n'est
pas non plus mortelle, comme tout ce qui est pleinement humain,

1972 est une étape encore dans la recherche de R, Panikkar, Sur le


problème d'Isvara, il nous propose de suivre l'évolution de l'hindouisme et
il repose le problème du rapport entre Brahman, l'Absolu, l'Inconnu et, d'au
tre part, Isvara, le Seigneuir, le Créateur, le Dieu (5).
/
Isvara n'est pas cité dans le Rg Veda ni dans le Ya^ur Yeda. Quelques
allusions y sont faites dans l'Atharya Yeda (6), sans que ce soit central.
Les Brahmana le citent souvent (7), Dans les Yoga sûtra, Isvara est la voi^
quii mène à l'union avec l'Absolu,,. Il est omniscient et non soumis aux limi
tes du temps, La dévotion à Isvara est la voie de la perfection et les écor
les de la bhakti lui donnent la prééminence.

(1 ) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 198,


(2) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 205,
(5) R. PANIKKAR, Le mj^stère du culte, p, 205,
(4) Voir R, PANIKKAR, Relation of ohristians, p, 527» E» GATHIER, La pensée
hindoue, p, 45. R. PANIKKAR, dans Spirittialità indu, pp. 152 - 154^^evient
à la même idée. Il donne une bibliographie sur le sujet p, 153, note 49.
(5) R, PANIKKilR, Le Christ et l'hindouisme, p, 152j Voir aussi The Vedic
Expérience, pp, 155 -* 136,
(6) R, PANUCKAR,. Le Christ et l'hindouisme, p, 1535 voir les références
qu'il donne dans la note 85.
(7) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 155» voir les références dans
la note 87,
236

S'il n'apparaît pas dans le culte, coirane Visnu, Kxsna, Govind, Harl et Siva,
• 9 """"yoT'o* -—•-••• •

on le trouve dans la réflexion de la l)hakt"i, Dans les Upanisad, il devient


la personnalité de Dieu, mais ce serait dans le Vedânta qu'il prend la con
ception que R. Panikkar lui attribue (l). Sa fonction est d'être révélation
de Brahman, Il est "le premier issu des profondeurs insondables du sein de
Brahman" (2), Il est l'aspect personnel de Brahman. Celui-4ci,en effet, ne
peut être une personne, car, dans ce cas, il devrait avoir des rapports ou
des relations qui mettraient en cause son caractère d'Absolu (3), Isvara est
donc le Créateur, car Brahman ne peut créer. Il est la grâce du Seigneur, la
connaissance de Brahman, le Seigneur. Il est Brahman et il sait qu'il est
Brahman. Il est le Dieu vers lequel aspirent les créatures. Il fonde, à la
fois,.la transcendance et l'immanence de Brahman (4).

Cela donne une synthèse en trois propositions ;

1) Il y a un Absolu, Brahman, sans lien, caché, immuable|


2) il existe un monde qui possède tous les attributs que Brahman ne
peut avoir, comme la multiplicité ou le changementj
3) entre le I) et le 2), entre le Brahman Un et le monde multiple, il
existe un rapport qui est cause et médiateur, un lien "x" qui empê
che le dualisme sans conduire au monisme, un lien "x" qui relie
Brahman au monde, sans enchaîner l'Absolu au monde. Ce lien c'est
Isvara ou Christ (5).
Isvara est donc Dieu, non un Dieu silencieux et inaccessible, mais le
Fils, identique à Dieu, à la différence du Démiurge platonicien. Isvara est
aussi le révélateur divin. Engendré par Dieu, identique à Lui par nature,
tourné à la fois vers l'Inaccessible, et vers le monde, plénitude de la Parole
du Père, manifestation du Père, né de Dieu, alpha et oméga (6).
Pour notre Auteur, le Yedanta aurait donc l'intuition que le Brahman
transcendant est cause du monde en Isvara» Mais, avec probité, le professeur
de Santa Barbara admet que sa compréhension d'Isvara diffère de celle de
X
Safikara.

(1) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 154*


(2) R. PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 155»
(3) Voir notre chapitre I, article "individu" comparé à "personne".
(4) R« PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp. 155- 157*
(5) R. PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp. 157 - 158.
(6) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp. 159 - I60.,
257

Po-ur celui-ci, I^ara est plus du côté de Brahman alors que, pour lui, il
est davantage toiimé vers le laystère du Christ (l).
Est-ce à dire qu'on povœrait admettre une identification entre Isvara et
le Christ ? Pas précisément, A plusieurs reprises, il nous met en garde
concernant cette identification, "Une comparaison entre Isvara et le Christ
peut s'avérer non seulement dangereuse, mais inadéquate" (2), Il ne se contre
dit pas, croyons—nous, Il repère l'évolution d'Isvara dans les textes hin
dous ainsi que dans leurs interprétations successives et se livre à une exégè
se personnelle, qui ne rend pas compte servilement de l'école des maîtres corn-
me Sankara et Ramânuja.

Quant à lui, il rapproche plus facilement Isvara et le Christ, tout en


soulignant que son travail est une etape de la recherche de l'humanité vers
l'inconnu et que le Christ ne sera pas totalement connu svir terre, sans quoi
il nous faudrait voir le Père (5)«- Pour l'hindouisme, Isvara est le Dieu qui
agit. Pour les Chrétiens, il agit par Clirist, "La pierre d'achoppement ap
paraît quand le christianisme, tout en formulant les précisions nécessaires,
identifie Jésus, Fils de Marie avec le Christ" (4), identification que l'Hin
dou trouve absurde.

néanmoins, pour l'Auteur, s'il y a une différence entre "Seigneur" pour


les uns et "Seigneur" pour les autres, cette différence n'est pas telle que
le mot "Seigneur" transcenderait toute analogie (5). D'une part, on ne peut
nier a priori un "terrain commun" et d'autre part, on ne peut tout niveler
sans nuances,

y
La recherche de R. Panikkar sur Isvara l'amène inévitablement à aborder
le mystère de la Irinité,

(1) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 162,


(2) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 100? voir aussi pp, 98 et 169}
Maya e Apooalisse, pp. 35I - 552,
(3) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 18,
(4) R» PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 47» On ne peut distinguer
toutefois comme étant deux, d'une part un Christ, être étemel, mais qui
serait l'oint ayant une mission temporelle et transhistorique, et, d'autre
part, le Christ historique repérable en Jésus.
(5) R. PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 101, De même, Brahmen n'est
pas Yahvé mais les deux "concepts" sont "homologables" en tant que jouant
un même rôle - ou un rôle analogue - dans deux univers religieux diffé
rents, voir Indology as oross-oultural oatalyst, pp. 177-178.
238

"La plupart des religions, écrit-il, "butent sur le fait que ,,, elles
ne sauraient admettre qu'il puisse y avoir en Dieu une division (la théolo
gie chrétienne dirait : vine relation) sans compromettre la simplicité et
l'aséité de Dieu, Le Verbe de Dieu est Dieu^ le symbole de la Divinité est
la Divinité, l'image de Dieu est Dieu et non seulement divine. Toutefois,
il faut bien qu'on admette une distinction. Si le Logos de Dieu n'était
rien d'autre que Dieu, on glisserait dans le polythéisme ou dans le monismej.
s'il ne comportait pas la distinction qui pour nous n'apparaît que par le
dogme de la Trinité, on ne verrait plus que deux échappatoires ; celle qui
consiste à abstraire le verbe du verbe et à ne considérer que son contenu
théorique -et c'est la porte ouverte à l'humanisme et à l'athéisme-, ou celr-
le qui consiste à tenir le Verbe pour Dieu, le symbole pour la réalité - et
c'est bientSi le monisme et le panthéisme. Seul le mystère théandrique (du
Christ), lequel n'est à sa place que dans la foi en la Trinité, peut emprun
ter une voie moyenne qui évite l'exclusivisme de deux extrêmes" (l).
Sans ambage, l'Auteur écarte le "bi-théisme", le monisme, l'humanisme.,
l'athéisme et le panthéisme, La foi en la Trinité est donc la clé qui résout
le conflit entre les extrêmes. Nous dirons aussi que l'Auteur semble se mé
fier . de la dialectique qui évacuerait le mystère, car "la dernière vé
rité est inexprimable" (2), Le Père n'est pas vu sur terre, ni le Pils con-t
nu parfaitement (5). Il refuse donc vine identification ptire et simple entre
y _ •
Brahman et le Père, comme entre Isvara et le Christ (4)» comme entre lavac
indienne et le Logos (5)» Il sait qu' "unDieu que l'on poiirrait comprendre,
qtii serait simplement com-préhensible, ne serait plus Dieu" (6),

(1) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p. .177» En "1975» dans Spiritualita


iMu, p, 159, l'Auteur revient encore svir Isvara et, une fois encore,
le présente comme Dieu, Seigneur de l'univers, celui qui soutient tout
l'ordre de l'univers. Dieu vivant, bien distinct du Premier Moteur im
mobile •

(2) R, PANIKK/iR, Das erste Bild des Buddha, p, 585»


(5) R» PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 18,
(4) R. PANIKECAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 98.
(5) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 89»
(6) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 105,
259

Il a distingué le Père, le Fils et l'Esprit, Rappelons que le Père


serait plus le Dieu Inconnu et inconnaissable. Image du Père, le Fils est
distinct de lui non de nature mais de personnalité (l). Il est tourné vers
l'Inaccessible et vers le monde, La îrinité est donc nécessaire pour "com
prendre" l'Incarnation, une Incarnation qui laisse intactes et l'unité et la
perfection divines (2), Le Christ est vrai homme et vrai Dieu (5),

(1) R, PiilTIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp.. 159 - I60,


(2) R, PAinKIOiR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 216,
(3) R. PMUQCAR, -Herméneutique de la religion, p, 78, Nous ne voyons jamais
notre Auteur analyser les conciles trinitaires comme s'ils étaient
indépassables, ni la théologie des Pères de l'Eglise, spécialement des
Cappadociens, Rappelons aussi une remarque déjà faite. Le professeur
de Santa Barbara "tire" le Père de la Trinité chrétienne vers le Brahman,
et plus vers le Brahman neutre que masculin, plutôt que de "tirer" le
Brahman hindou vers la révélation néotestamentaire du Père et d'un amour
Infini auquel on peut dire ; "Tu", parce qu'il est un "Je". De même,
il "tire" le Christ vers Isvara plus qu'il ne "tire" Isvara vers le Christ
manifesté en Jésus le Christ, sans toutefois nier l'identification johan-
nique entre le Logos et Jésus,
240

§ 5 - LE CHRIST SAITTEUR

Ce paragraphe ne sera ni m traité de sotériologie occidentale, ni me


recherche du salut telle qu'elle peut être développée dans l'hindouisme, ni
ime comparaison des devoc perspectives pour repérer les convergences et les
divergences possibles, Nous savons l'intérêt que présentent de telles inves
tigations autant que les difficultés qu'elles peuvent soulever. Nous vou
drions simplement exprimer les idées de R, Panikkar,

Une première s'impose, à savoir le lien entre la dimension miversalis*-


te que notre Auteur choisit en général pour sa réflexion et la place du
Christ comme sauvenr. Le salut, pour le professeur de Santa Barbara, vient
du seul Christ (l), mais Lieu donne à tous les moyens de salut. Lieu veut
sauver le monde entier et, par voie de conséquence, il importe que le chrisr
tianisme échappe à toute forme de sectarisme (2), Le Christ sauveur est
partout à l'oeuvre dans le monde (5)« Le sacrifice qui sauve le monde, qui
inaugure le retour du cosmos en sa source et qui commence de former de nou
veaux cieux et me notivelle terre, le sacrifice qui soutient l'mivers est
possible parce que le Christ "est finalement lui-même l'mique liturge et
prêtre (4), Il est le Pantocrator -(s)» "le Pantoorator qui est apparu à
la fin des temps en Jésus de Nazareth pow achever l'oeuvre qu'il avait aom«-
menoée depuis le commencement du monde " (6),

(1) R, PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp. 80 et 83. lySyâ e Apooalisse,


pp. 169 et 211j La chiesa e la religioni del monde, p. 168| Relation of
christians, pp. 525 et 529? Hindouisme et christianisme, (lîitte me),
pp. 2 et 5, etc.
(2) R, PANIKKAR, Le Christ et l'homme séculier, p. 112,
(5) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p.,80; Religione e religioni, p. 19»
L'Auteur parle d'ei^érience christocentrique de la réalité, dans
Hvimanismo y Cruz, p. 7.
(4) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, pp. 162 - I65,
(5) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p. I84.
(6) R, PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, pp. 82-85,
G, THILS, dans Propos et problèmes, p. 64, écrit dans le même sens :
"Aujourd'hui, on reconnaît plutôt que l'histoire du salut commence à la
création",
241

Il est le libérate.ur miversel (l), efficace dans toutes les religions et à


l'intérieur de tout homme (2), Il n'y a, fondamentalement, que le seul sa
cerdoce du Christ (3), du "médiateur ontique" (4).
Nous voyons l'Auteur rejoindre, en cela ^ des textes clés du Nouveau
Testament qui ont perçu le Christ comme sauveur universel (5) et qui militent
contre le particularisme qui tente Jonas dans la parabole vétérotestamentai-
re où Dieu révèle qu'il est en peine pour "la grande ville, où il y a plus
de cent vingt mille êtres humains qui ne distinguent pas leixt? droite de leur
gauche, ainsi qu'une foule d'animaux (6).

Le salut est donc fondamentalement un don de Dieu, soit un acte surna


turel, La terre, comme telle, ne se donne par elle-même aucun moyen de salut,
elle n'est pas'bapaoité de rédemption", mais Lieu, toutefois, peut utiliser
des moyens naturels, historiques, et même les lois cosmiques peuvent nous me-i
ner à Lui. L'Hindou, dès lors, serait sauvé par le Christ, non par le seul ^
hindouisme. II. serait sauvé par le Christ, par l'intermédiaire des "sacre
ments" de l'hindouisme, par l'intermédiaire de la justice, de la vie morale,
et du mysterion qui vient par l'hindouisme, ainsi que nous sommes sauvés par
le Christ plus que par le christianisme. De même que le Christ parle et sau
ve à travers le christianisme qui devient ainsi moyen de salut, de même le
Christ parle et sauve à travers l'hindouisme qui devient, lui aussi, moyen de
salut (7).

(1) R, PANIKKAE,, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 83; Ifeyâ e


Apocalisse, p. I69.
(2) R, PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion,pp. 83 - 84,
(3) R, Pi'iITIKEAR, Jîine Betrachtung Uber Melchisedech, p, 16.
(4) R. PANIKKAR, H'umanismo y Crus, p. I66.
(5) Par exemple ; Mat, 8 : 5-155 Luc 3 : 23-36 comparé à ilat, 1 ; 1-17;
Mat. 5 : 43 -48; 26 -28; Jean 3 : 17l 6 : 5I; Actes 10 ; 9-16; 24-28,
44-48; 17 : 24-31; Eph, 1 ; 3-15, etc.
(6) Jonas 4:11,
(7) R. PANUQCAR, Le Christ et l'hindoiAisme, pp. 80 - 85, Dans Hindouisme et
christianisme, p, 2, l'Auteur écrit : "Le Christ est le Rédempteur univer
sel, Il n'y a pas de rédemption hors de lui ,., Ceci revient à dire que le
Christ est présent de quelque manière dans le cheminement de tout homme
vers Dieu",
242

Cette perspective panikkarienne rejoint celle du Concile Vatican II,


Ce dernier insiste sur le fait que l^homme n'est pas sauvé par sa seule sin
cérité mais plutôt par la grâce de Dieu accordée à l'homme' qui veut vivre en
fonction de sa religion et du 'bien tel que sa conscience le lui révèle et le
lui dicte, mais toujours "non sans la grâce de Dieu" (l). Notre Auteur
lui—même, sent un changement notoire dans la mentalité qui est la base de la
recherche catholique (2),
E. PaniMcar résume le point de vue chrétien sur le Christ sauveur en
disant que le Christ est le rédempteur universel, que tout homme sauvé est
sauvé par le Christ, que Dieu fournit à tout honme tous les moyens de salut
et qu'il est en chacun tout au long du cheminement vers lui (j). Si donc
l'Eglise accomplit l'action du Christ dans le monde, "le christianisme est
une religion concrète qui prétend être le lien normal et ordinaire où s'exer
cent la puissance rédemptrice et l'action salvifique du Christ" (4)» Da
question peut alors se poser, à la limite, de savoir si le Christ sauve l'ÏÏin-
dou malgré l*hindo"uisme ou si le salut^dans l*hindotiisme et par l*hindouisme
ou si, tout simplement, l'hindouisme figure dans le dessein de salut, dans ;
le plan de rédemption dont le Christ est le sommet (5)»
Face à cette question, R. Panikkar refuse de voir l'hindouisme comme
une religion purement naturelle dont le Christ serait absent.

(1) Voir Lumen gentium, ch, 2, n° 16 par exemple,


(2) Voir son analyse (et ses réactions) de Hostra Aetate, n° 2, dans Christ,
Abel and Melchisedech, pp., 594 - 395.
(5) R, PANIIQCAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 61, Il renvoit à Eph, 1 î
3-'14 et Col, 1 ; 13-22, Ailleurs, l'Auteur voit le dogme de la ma
ternité virginale de ilarie sauver le Christ du danger d'être seulement
rédempteur d'Israël, voir Rtatattva, p, 32.
(4) R. PARIKECAR, Le Christ et l'hindouisme, pp, 6l -62,
(5) R, PiiNIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 62, Nous pensons à la pers
pective patilinienne en Actes 17 s 26 - 27 5 "s'il a fixé aux peuples les
temps qui letir étaient départis et les limites de leur habitat, c'était
^afin que les hommes cherchent la divinité pour l'atteindre , si possible,
comme à tâtons et à la trouver". G, THILS, dans Propos et problèmes,
p. 131 -132, admet aussi que Dieu sauve dans et par les religions,
"Oui, sans hésiter en ce qui concerne les grandes religions" tranche-
t-il p. 132,
245

Il ne veut pas considérer l'hindouisme comme une religion venant du seul


esprit humain^ pour laqu.elle le Christ ne serait pas rédempteur. Du reste,
une religion purement naturelle serait-elle encore une religion ? Où fau
drait-il situer le seuil entre le "naturel" et le "surnaturel" (1)?
I

On ne peut opposer l'hindouisme comme une erreur et le christianisme


comme la vérité. Ce serait, pour l'Auteur, une forme de "paternalisme"".
Ce seratt oublier aussi que le Shrétien reste également un pèlerin sur cette
terre, L'Hindou, autrement dit, ne peut envisager d'être sans Dieu et dans
l'erreur totale aussi longtemps qu'il n'a pas rencontré Chrétien (2).
Le Christ est mort et ressuscité pour tous, lui seul est l'unique rédempteîir
et le Chrétien est son associé, il est co-rédempteur, mais il n'est pas le
seul co-rédemptem? (j).
Depuis longtemps, l'hindouisme est disposé à comprendre la nécessité
d'une médiation et d'un médiateur entre Brahman et le monde. Il faut un lien
qui soit un trait d'union entre Braliman et le monde sans enchaîner Brahman ni
élever le monde comme absolu, et ce trait d'union qui résoudrait le "rapport
x" qui est cause, médiateur ou "quelque chose d'analogue" (4) serait en
Isvara et en Christ (5).
Jésus apparaît alors comme le paradigme de la réalité cosmothéandrique.
Dieu et homme, ni plus l'un que l'autre (6), réalisant "l'expérience non dua
liste d'un acte à la fois pleinement humain et suprahumain" plutôt que de
souligner "la dichotomie d'ume initiative divine accueillie par une récepti7
vité humaine"(7)» Nous retrouverions ici le concept d'ontonomie où "servicè
divin veut dire ensemble service de Dieu et service de l'homme" où "il s'agit
à la fois de l'oeuvre divine et du devoir de l'homme" ou d'"un acte théan-

drique que seul peut accomplir un homme divin ou un Dieu incamé" (8),

(1) R, PMIiaCAR, Le Christ et l'hindouisme, pp, 64-66, Voir Hindouisme


et christianisme, (lîitte me), p, 25, Voir Gè HLCLS, Propos et problèmes,
p. 12,
(2) E, PANIIŒAR, Le Christ et l'hindouisme, pp, 69-70,
(5) R. PAÏÏIKEAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 75.
(4) R« PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 157.
(5) R. PANIKEAR, Le Christ et l'hindouisme, pp, 158-159.
(6) R, PANIKKAR, Le culte et l'homme séculier, p, 67,
(7) R. PANIIGCAR, Le culte et l'homme séculier, p, IO4,
(b) R, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 80,
244

On voit donc le Christ qui enseigne et qui agi-tr et dont l'action est'
aussi un rite ou un sacrifice. Il vient faire la volonté du Père, il vient
s'incarner, mourir et ressusciter, soit "accomplir cette sainte action théan-r
drique où l'homme -et la création- imite Dieu ontologiquement, c'est-à- ;
dire fait retoxir à Dieu" (l).
Après avoir souligné que le Christ est le rédempteur universel et uni
que, 1, Panikkar a ajouté que le salut ne vient pas du seul homme mais qu'il,
est un don de Dieu, un don, toutefois, qui atteint l'Hindou non pas malgré
son hindouisme mais en lui. Nous avons observé l'hindouisme disposé à admet
tre un Intermédiaire entre Brahman et le monde. La théologie d'Isvara pour
rait être enrichie par xuie bonne compréhension du Christ,

Mais de quel Christ s'agit-il ? Certes, il n'y en a pa,s deux, ou trois,


ou plus î Mais s'agit-il seulement de Jésus-Clirist, de Jésus de Nazareth,
qui a vécu sur terre, de telle date à telle date, et dont les historiens si
tuent la mort, sacrificielle pour le croyant, le 7 avril 50 (2) ? E,Panikka3?
répond qu'on ne peut, d'vine part, faire abstraction de ce Jésus repérable
historiquement (3) pas plus, d'autre part, que nous y limiter (4), Le
Christ qui sauve est un Christ qui agit partout et depuis toujours, lumière
de tout homme, qui réconcilie tout en lui, point de rencontre entre tous.
Il n'est pas un Christ monopolisable par les Chrétiens mais "ce que nous con
sidérons comme le point de rencontre,, et qui en même temps répond aux exi
gences de la théologie chrétienne" (5)» alpha en qui tout subsiste et oméga,
seule voie qui conduit l'homme vers Dieu, C'est celui qui partout inspire
et parle de Dieu "quelle que soit la forme que prendra la croyance ou la pen
sée de celui qui est ainsi le 'patient' du divin" (6), présent, par le fait
même, dans l'hindouisme dans la mesure où celui-ci est une vraie religion.

(1) H, PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 158,


(2) C.H, DODD, Le fondatevir du christianisme, p, 20 ; "Tout converge vers
ce point précis, que nous pourrions dater, avec quelque chance d'exacti
tude, du vendredi 7 avril de l'an 30 ap, J-C, "
(3) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p, 174*
(4) R* PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 4O; Le mystère du culte,
p, 184; Herméneutique de la liberté de la religion, p, 83, etc.
(5) R» PANIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 40.
(6) R, PANIKECAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 40.
245

Le danger peut exister de voir le "Christ étemel" devenir un être dif~


ficilement repérablei Notre Auteur en est conscient et il échappe -on peut
le dire sans hésitation- à ce péril. Il est, par voie de conséquence, ame
né à étiidier le Christ sauveur et rédempteur aussi en Jésus de Nazareth.

Cherchons à cerner la recherche et son point de vue sur ce sïijfet , C'est


l'heméneutique (l) qu'il nous propose un survol de
l'évolution de l'herméneutique du Christ sauveur dans l'histoire de la théo
logie chrétienne.

Dans cette analyse il distingue l'herméneutique en'tréfonds tradition


nel" et l'herméneutique "moderne".

En "tréfonds traditionnel" dit-il, l'herméneutique *du Christ sauveur


part de la connexion entre la problématique trinitaire et l'antrhropologie de
de la dualité de natures en une seule personne, La Trinité est nécessaire
pour comprendre l'Incarnation qui laisse intacte l'imité et la perfection di
vines, La théologie est imprégnée de cette perspective depuis les grands con
ciles trinitaires de 525, 381, 451 et 451 (2). On y souligne l'unité entre
Jésus et Lieu. Dans cette ligne, le Christ sauve par son lien avec Dieu et
avec l'homme. Il sa\-ive, au fond, parce qu'il est Dieu. On est en pleine her-
méneutique sacrée et il faut privilégier la formulation d'une personne en
deux natures,

L'Auteur semble considérer qu'ime traduction du langage nicéen pour au


jourd'hui est difficile parce que le langage d'hier et celui d'aujourd'hui
sont trop différents.

Il est amené à considérer l'herraéneutique "moderne" ou nouvelle. Celle-


ci se centre essentiellement sur la nat'ure humaine du Christ, sur sa pleine
humanité, plus que sur sa divinité, sur sa proximité avec nous plus que sur
celle avec Dieu ou que sur son essence divine. On souligne sa relation avec
les pauvres, avec les persécutés, avec les assoiffés de justice et d'amour.
Il devient le prototjrpe de l'amour réel et efficace, le modèle des gens cha
ritables, à la limite, le révolutionnaire, de tendance socialisante sinon
gauchiste pour certains, celui qui a "inspiré les hommes à se dépasser soi-
même" et qui devient le symbole de la plénitude et de la libération (3).

(1),R, PANIKKAR,, La sécularisation de l'herméneutique, pp. 215 -255<


(2) R, PANIKKAR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 216,
(5) R. PANIKKAR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 220.
246

Peut-être pourrait-on sentir le danger que l^hennéneutique sécularisée ;


devienne tout simplement une herméneutique profane au point que la distinc-f
tion ne serait pas nette antre ce Jésus-sauveur et "Socrate-sauveur", N'en;
viendrait-on pas vite à ce genre d'ambiguïté surtout si on négligeait la ré-r
surrection du Christ Jésus ? Une traduction du message de Nlcée serait-elle
Impossible ? Au cas où cela serait exact, ne peut-on proclamer Nlcée tel
quel sans chercher ce que l'Auteur appelait un langage équivalent ou compléf
mentalre (1 ) ? Pour certains, Nlcée n'est qu'un moment de la pensée et "le:
moment temporel de l'Interprétation appartient aussi à l'Interprétation" dit
li. Panlkkar, mais Nlcée ne seraAt-11 qu'un moment ? Ce concile a-t-11 eu
conscience de créer du neuf, du moins quant au fond dogmatique, quant au con
tenu ? Ne voulalt-11 pas garder la fol ou l'herméneutique apostolique, réa
gir contre Arlus qui la contestait et dire au peuple la foi de toujours et
non seulement l'Interprétation d'un moment, même si le langage choisi est ce
lui d'un moment faisant partie du développement dogmatique ? Nous posons
ces questions parce qu'elles viennent facilement à l'esprit, mais, d'une part,
nous n'y voyons nullement des objections à la recherche de notre Auteur et,
d'autre part, nous savons qu'un concile reste toujours daté et signé, c'est-
à-dire situé.

Nous conviendrons que les Interprétations du Christ peuvent être multi


ples et qu'elles ont en commun le personnage Jésus, Nous conviendrons qubn
doit s'Intéresser "à une réponse qui puisse embrasser tous les hommes de bon
ne volonté qui reconnaissent Jésus sous me forme ou sous me autre bien que
nous ne partagions pas leurs opinions" (3). D'ailleurs peut-on s'arrêter à
me seule chrlstologie ? Si Paul ne s'est pas laissé prendre à la demande
de preuves chez les Grecs ou de signes chez les Juifs et cela pour prêcher m
Christ crucifié "sans recourir à la sagesse du dlscoircs, pour ne pas réduite
à néant la croix du Christ" (4),.pour proclamer le langage de la croix qui
est folle pour certains (5)> s'il ne s'est pas laissé prendre par le seul
sounl de plaire, n'oublions pas, toutefois, qu'il a veillé à s'adapter à
chacm de ses auditoires pour être grec avec les Grecs, comme R, Panllckar
veut être indien avec les Indiens,

(1) R, PANIIŒAR, La sécularisation de l'herméneutique, pp. 231 -238,


(2) R, PANIKKilR,.. La sécularisation de l'herméneutique, p, 24O,
(3) R» PANIKKAR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 245»
(4) I Cor. 1:17»
(5) Voir I Cor, 1 ; 18-25,
247

L'auteiar cherche -une réponse comm'unautalre, nous dit-il, plus qu'il ne


livre son interprétation personnelle (l). Nous devons donc faire la part
des choses. Au fond, il constate une évolution. Il observe que le Christ
est étudié aujourd'hui plus dans son rôle actuel que dans son essence immua-f
ble ou dans sa "consistance ontologique" (2), Il constate que la pensée
actuelle part plus des données de la conscience humaine que du Jésus de l'his
toire et du Jésus de la foi.

Quant à lui, face à cette herméneutique moderne à laquelle il veut res-r


ter ouvert, s'il cherche une réponse communautaire compréhensible pour le
monde sécularisé, il parle aussi du Christ Logos, du rapprochement -non de
l'identification- entre le Christ et Isvara, il parle du Pantoorator, du li
bérateur universel. C'est bien là une perspective plus essentialiste, qui •
est plus proche de l'herméneutique nicéenne que des perspectives plus horizon-
talisantes en milieu sécularisé. Nous sentons comme un tiraillement intérieur
à notre Auteur ; il ne rejette pas Nicée tout en trouvant le langage nicéen
difficile à traduire, il encourage une herméneutique embrassant tout homme
de bonne volonté, mais tout cela en développant une théologie du Logos. Il
parle du Christ sauveur, proche de l'homme, qui porte en lui les meilleures
aspirations de la conscience humaine mais il souligne en même temps l'imporr-
tance pour lui du lien entre le monde et Dieu, en Isvara et en Christ.

En fin de compte, qu^est-ce que le Christ qui sauve ? 11 nous paraît


devoir préciser que R. Panikkar ne se livre pas à une exégèse des textes con
cernant la naissance, la mort et la résurrection de Jésus le Christ, ni des
textes concernant la rédemption dans la Bible, par exemple dans le corpus pau-
linien, analyse à laquelle nous sommes habitués en Occident, 11 n'a pas
"l'obsession du 7 avril", mais il ne l'exclut pas. 11 voit le Christ éternel
toujours sauveur plus que le Christ Jésus sauvant à un moment précis et pour
toujours. Cette perspective nous paraît intéressante et, peut-être, caracté
ristique. "Le Eils, écrit-il, l'agneau qui continue de vivre, le sacrifice
du Christ, deuxième personne de la Trinité, le symbole du Père, tout cela
reste étemel" (3).

(1) E, PANIKKAR, La sécularisation de l'herméneutique, p. 246.


(2) R, PANIKKAR, La sécularisation .de l'herméneutique, p. 242.
(3) R. PMIKKAR, Le mystère du culte, p. 145*
248

"Si le Logos est le symbole du Père, le Logos fait chair est le symbole
absolu de Dieu dans le monde^ l'himianité du Christ le symbole réel du
Logos" (1), A force de souligner ce "primat du Christ, ainsi que son règne
universel et temporel, il est normal et même souhaitable que la Figure ait
eu des préfigurations" qu'il se soit frayé des voies antérieures à Jésus de
Nazareth et on doit admettre qu'il puisse "être la cause ontologique de tout
ce qui trouve dans le fait chrétien son actualisation suprême et son ter
me" (2)i De même, après le "séjour visible" de Jéstis, le Chrétien, aujour+-
d'hui, prend conscience, en participant à la Messe que "par le sacrifice
chrétien chacun s'unit au Christ pour sauver le monde, assurer l'équilibre
cosmique, maintenir l'Eglise vivante, prendre part à tous les actes divins,
création comprise" (3)«
Nous disions que, souvent, l'Auteur voit le Christ toujours sauveur plus
que le Christ Jésus sauvant à un moment donné et pour toujours, dans un
Evénement historique à portée cosmique» On comprend alors qu'il dise que le
christianisme a voulu avoir le monopole du Christ et que les autres religions
"voulaient avoir le bénéfice d'.un Christ sans son historicité incarnée" (4),
Pour-éclairer ces perspectives, R. Panikkar revient, ici encore, aux
catégories d'hétéronomie.,d'autonomie et d'ontonomie . La liberté, dit-
il, n'est pas de faire n'importe quoi mais celle de se faire soi-même (5).
"En termes chrétiens, poursuit-il, le Christ ne nous sauve pas par un acte
hétéronomique en nous offrant un salut étranger à nous, mais en devenant
chair et sang:afin de pouvoir être mangé, assimilé, et par ce métabolisme di
vin, nous transformer nous aussi en fils de Dieu ,,. Soulignons que dans la
conception chrétienne le salut ne vient ni par 1'hétéro—rédemption (par un
autre), ni par auto-rédemption (par soi-même), le Christ étant à la fois vrai
Homme et vrai Dieu" (6).

(1) R, P/iNIKICAR, Le mystère du culte, p. 147»


(2) R, PMIKKA-R, Le mystère du culte, p« 149*
(5) R. PANIKKAR, Le ms'^.stère du culte , p. 162,
(4) R. PANIKKAR, Le mystère du culte-> P» 159» note I5I.
(5) R. PAHIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 78.
(6) R» PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 78. L'Autevir,
dans lîaya e Apocalisse, p, 147» reconnaît évidemment que le caractère
spécifique du christianisme reste la dimension historique et concrète du
Christ, qtii est inséparable et indivisible de sa divinité et de son
action cosmique.
249

Il exclut l'idée que Dieu pourrait nous sauver sans nous, autant que
celle que nous puissionsnous sauver sans lui. Le texte que nous venons de
citer contient aussi des expressions nettement eucharistiques, La Messe
passe pour un sommet, ce qui lui faisait dire un jour : "en tant que reli
gion historique, le christianisme a la révélation divine 'en dernière analy
se' parce qu'il possède l'Eucharistie" (l).
Tout n'est pas encore dit sur la pensée panildcarienne concernant le
Christ sauveur. Ainsi, si notre Auteur n'exclut nullement le Christ historir-
que, il insiste plus sur le Christ étemel, ainsi que, ajoutons-le, sur le
Christ intérieur. Si l'hindouisme petit être bloqué par l'historicité, s'il
n'assimile pas comme nous le sub Pontio Pilato, s'il n'est pas marqué par la
primordialité de ce que nous appelons l'Evénement qui engendra les communau
tés chrétiennes et qui remplaça le shabbat par le dimanche, s'il ne souligne
pas notre Pâques au lendemain de la Pâque juive, nous comprenons que l'intui
tion du Christ intérieur soit prépondérante, La rédemption par un autrui re-
pérable dans le temps et que nous appelons Jésus-Christ ne sera donc pas pri
vilégiée par la pensée hindoue, L'Auteur ne nie pas cette primordialité pour
lui, -il est prêtre catholique- mais il a le souci de s'exprimer en fonc
tion du topos de l'Inde.

Le Christ qui attire l'Hindou, écrit-il, "est moins le Jésus de l'his


toire, qu'on tient toujours pour un simple avatar à côté de tant d'autres,
que le Christ vivant, au-dessus de l'histoire, qui vit dans le coeur de ceux
qui l'aiment" (2).

Le Chrisfapporte la liberté nécessaire pour pouvoir réaliser l'acte li


bre qui sauve"(3) et "seul un Christ intérieur -ce qui ne veut pas dire
qu'il n'y ait pas aussi le Christ historique- peut permettre la réalisation
d'un acte qui soit libre, spontané et pleinement humain" même si ce n'est pas
un "acte qui extérieurement s'adapte à la doctrine chrétienne" (4).

(1) E, PiilTEKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p. 66,


(2) E, PANIKIvAE, Le mystère du culte, p^ 203. Pour G. THILS, dans Propos et
Problèmes, pp. 111 -112 , "il serait irréel de croire à une loi inscrite
au coeur de l'homme et qui poursuivrait sa tâche, dégagée de toute in
fluence surhumaine ou divine",
(3) E, PAEIKKAE, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 83,
(4) E, PANIIŒAE, Herméneutique de la liberté de la religion, p, 83»
250

Par conséquent, "là où est la liberté, là est le Christ. C'est lui qui est
le libérateur de toute chaîne, de toute douleur, de toute angoisse, et pour
quelques une il est aujourd'hui le libérateur de toute religion au sens
restreint du mot" ... il est "le principe de liberté qui réside en chacun
de nous, il est venu nous dire qvie nous devons juger pour notre compte, pren
dre nos responsabilité, faire fructifier les talents donnés, savoir pardon
ner ..." (1),

Tout cela n'est pas, certes, sans soulever quelques questions. Dans
le dialogue qtii suivit son exposé à Rome, en 1968, E. Panikkar ajouta î
"^appelle 'religion' tout ce qui a la prétention de libérer l'homme" (2).
Il veut critiquer une conception trop juridique du IV^ystère de la rédemption
et de la médiation du Christ (3), distinguer le "christianisme - religion"
et la foi qu'on peut appeler chrétienne en tant qu'elle aboutit au Christ (4).
Ainsi, "dans l'actuelle prise de conscience de l'humanité tout acte authen- ^
libre est considéré et vécu comme un acte religieux, donc sauveur •
si on a foi en lui" (5), Dieu serait ainsi, en quelque sorte, passé dans
les mains de hommes "les prêtres de l'univers" (6). La rédemption par au
trui" ne serait pas une expression heureuse. Le Christ reste mon frère et
mon supérieur mais il se fait un avec moi pour me libérer (7).
Notre Auteur marche, parfois, comme sur une corde tendue. Tantôt sa
pensée —c'est très clair —n'exclut pas le sub Pontio Pilato mais refuse de
le privilégier, tantôt il parle du sauveur intérieur mais il le fait sans
écarter le sauveur historique. Nous entendons alors la réaction de J. Brun
qui croit sentir "une sorte de pélagianisme atmosphérique" (s). N'y aurait-il
pas, en d'autres mots, une odeur pélagienne dans des expressions comme "actQ
qui sauve si on a foi en lui" ?

(1) E, PANIKKAE, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 84.


(2) Discussion dans Herméneutique de la liberté religieuse, p. 98.
(3) Herméneutique de la liberté religieuse, p. 100,
(4) Herméneutique de la liberté religieuse, p. 98.
(5) Herméneutique de la liberté religieuse, p. 99.
(6) R, PANIKKAE, La faute originante, p. 85.
(7) PANIKKAE, Keine christlicher Yoga, p. 45.
(8) Herméneutique de la liberté religieuse, p. 91.
251

Ou lorsque l'Auteur affirme "je crois qu'im homme en bonne foi (comme dit
le langage commun) se sauve" (l), d'où la réaction de J, Bruaire "la reli
gion devient équivalente à la non-religion"(2), Ces réactions, toutefois,
sont des réactions à un exposé particulier et ce dernier ne peut être coupé
de l'ensemble de la recherche panikkariennei

Il peut sembler difficile à certains d'intégrer^ dans cette façon de


voir, les idées habituelles sur le péché originel, sur le Christ mort et resr
sucité pour nous sauver (3), sur la grâce, sur le sacrement de réconcilia
tion et même la notion de jugement dernier pourrait en prendre un coup, du
moins telles qu'elles sont présentées de façon générale ou de manière tradi-j
tionnelle(4). !
Il nous paraît également difficile de voir, dans chaque texte panikka- ,
rien, des notions précises sur l'acte sauveur. Nous avons donné quelques
idées sxir la molt^a mais nous reconnaissons que le sens précis des termes
n'est pas clair dans chaque passage sur la rédemption. Peut-on, sans que
cela soulève des questions, présenter comme sauveur tout acte dans lequel
nous avons foi ? N'y a-t-il pas beaucoup d'ambigîiités actuellement, par
exemple, dans certaines recherches sur la liberté, sur la libération et sur
la théologie de la libération ? Ne pouvons-nous pas aussi avoir foi en bien
des choses qui ne sont pas de soi les meilleures ?

De plus, le respect exacerbé pour 1' "hoimne de bonne foi" ne peut-il ame
ner à un minimalisme relativiste ? Ne peut-il isoler l'homme de la guidan-
ce des institutions ? N'y a-t—il pas une trop grande confiance dans chacun
coiame centre d'auto-oompréhension et un risque de simplifier le jeu complexe
de la conscience î Ou bien ces questions viennent-elles chez ceux qui au^
raient "trop" fait confiance aux institutions ?

^ XHerméneutique de la liberté religieuse, p. 98,


(2) Herméneutique de la liberté religieuse, p, 99,
(5) J.A.CUTTAT,- dans la rencontre des religions, pp. 70-71, précise que
l'Orient extra—monothéiste ignore le péché et doit donc éprouver une dif
ficulté à percevoir le rôle de la Passion du Christ,
(4) R. PANIKKAR, dans Humanismo y Cruz, p, I50, souligne néanmoins la nou
veauté du christianisme manifeste dans la Croix et la Grâce, L'Auteur
suppose le jugement lorsqu'il écrit p, 149» que "notre vie actuelle, par
conséquent, a toute l'intensité d'un examen".
252

A l'écoute d'une pensée moins axée sur une conception juridique de la


rédemption et nourrie d^vin milieu différent du nôtre, nous pouvons découvrir
des éclairages intéressants, notamment les points qui suivent î

1, la foi dans la présence d'nn Christ sauveur en tout homme, conséquence de


la perspective universaliste de départ;

2, la vision d'un Christ étemel qui sauve de toujours à toujours -pourvu


qu'on ne cesse pas de privilégier Jésus-Christ ressuscité- et qui sauve
dans l'hindouisme et non malgré l'hindotiisme;

3, la perception ou l'intuition d'un médiateur entre l'Absolu et le monde,


relevée dans l'hindouisme, celle d'un Christ caché;

4» la recherche d'une réponse communautaire;

5. l'écoute d'une herméneutique moderne, pourvu qu'elle ne fasse pas fi d'une


herméneutique en "tréfonds traditionnel";

6, la recherche essentialiste à partir notamment de la théologie d'Isvara;

7. le refus d'une hétéro-rédemption où nous ne serions pas acteurs;

8, le refus d'une auto-rédemption où nous nous sauverions par nous-mêmes.

Le Christ sauveur, toutefois, n'est pas compris comme un être vague.


R. Panikkar le reconnaît clairement en Jésus le Christ, "Le Christ est mort

et ressuscité, dit-il, pour tous les hommes, avant et après lui" (l). Son
caractère de sauvein: universel pepose non seulement sur le fait qu'il est
"rédempteur historique" mais aussi sur le fait qu'il est'Pils unique de
Dieu" (2), tout en sachant donc que le salut passe aussi par la Croix et la
Résurrection (3). "Le Christ est mort et ressuscité pour tous les hommes..,
et sa Rédemption est universelle et unique" (4).

(1) R, PANIKEAR, Hindouisme et christianisme, p. 5.


(2) R, PAHIKKilR, Hindouisme et christianisme, p. 5» A la page 7> il utilise
aussi l'expression "rédemption par la croix", ce qui rejoint ce que
R.C.ZAEHMER, dans Inde, Israël, Islam, p.286, considère comme l'originali
té du christianisme,

(3) R* PANIKEAR, l'iâ.jâ. e Apocalisse, p. 183.


(4) R. PAiflKIiAR, Maya e Apocalisse, p. 235»
255

Tous les titres de Pantoorator, de Logos, de Rédempteur unique, etc. sont


donnés à Jésus, Pils de Mkcie, crucifié et réssuscité""pour assumer en lui
la totalité de la création" et pour rassembler toutes les parties éparses du
genre humain en pélérinage (l). Le christianisme, en conséquence, doit par
tir du Christ historique, fils de Iferie, maib qui est identique au Christ
supra-historique, vivant hier et aujourd'hui, principe et fin, source de tout,
identiqvie, également, au Christ sacramentel, tout spécialement dans
l'Eucharistie (2). "L'Eglise est centrée sxor la personne authentique et vi
vante de Jésus-Christ" (3). "L'alpha et 1'oméga de la Création est Jésus-
Christ" (4), "la plus gra,nde ma,nifestation de Dieu" (5). Ainsi, "le Modèle
et Maître des chrétiens n'est pa,s un simple mortel, mais le Eils de Dieu" (6).
Il y a donc un salut par la Croix même si le mystère de cette Groix dépasse
la raison (7), Le Verbe s'est fait chair et sa résvirrection revêt pour tous
•une importance capitale (s).

(1) R, PANIKKAR, Maya e Apooalisse, p, 55é.


(2) R, PANIKKAR, Religione e religioni, p, I33,
(3) R. PANIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, p. 54,
(4) R. PANIKKAR, Humanisme y Crus, p, 30.
(5) R. PANIKKAR, Humanisme y Cruz, p, 93; cela n'empêche pas l'Auteur de par
ler aussi de "Christ cosmique", p, 1154.,
(6) R, PANIKKAR, Humanisme y Cruz, p, 207,
(7) S, PANIKKAR, Humanisme y Cruz, pp. 298 -299» Il parle aussi du Dieu cru
cifié qui meurt sur une croix, p. 306. Peut-être de'vrait-on préférer,
dirons-nous au passage, l'e3q)ression "Dieu le Pils" à celle de "Dieu"?
Plus loin, p. 355» l'Autexir ajoute ; "Le Mystère chrétien est unique :
c'est le Christ qui dans son être même révèle le Dieu trinitaire et le
sens ultime du créé. Il récapitule tout, le créé et 1»incréé. Il est
l'ultime synthèse ontique absolue",
(s) R, PANIKEIiR, Humanisme y Cruz, pp, 346-347,
254

§ 6 - LE CHRETIEN D/iNS LE MONDE

Si l'on se rappelle les différentes herméneutiques du Christ (§ 1),


si l'on insiste plus sur le Logos étemel et omniprésent que sur un Christ
qui serait absolument identifié à Jésus (§ 2), si le sacerdoce de
Melchisédech valorise plus le dessein universel de salut que l'alliance par
ticulière juive-chrétienne (§ 5)> si l'on interprète la théologie d'isvara
dans le sens "Logocentrique" (§ 4)1 si l'on voit le Christ sauvant de tou
jours à toujours et pas seulement à un moment donné, repérable dans l'his
toire (§ 5), on peut se demander quelle est la place exacte du Chrétien dans
le monde.

Dans cette recherche, H, Panikkar ne prend pas toujovirs clairement po


sition et garde ses distances fréquemment par rapport à des positions chré
tiennes qui lui paraissent trop liées à tin milieu méditerranéen. Toutefois,
il n'est pas muet sur la question. Nous écouterons ce qu'il nous dit dans
Relation of christians to their non-christian surroundings.

Le Chrétien, c'est d'abord .quelqu'un qui doit vivre dans la bonté.


Mais il n'en a pas le monopole, car "La bonté de Dieu est partagée par ses
créatures" (1 ) et les exigences du semon sur la montagne se retrouvent
ailleurs (2).
En deuxième lieu, le Chrétien doit vivre dans cette vérité dont il a la
plénitude. Pourtant, il n^en a pas non plus le monopole et il n'a pas «lui-r
même épuisé la plénitude qu'il porte en lui. Dieu ne peut-il avoir parlé à
d'autres ? S'il se choisit un peuple témoin, re.jette-t-il pour autant les
autres nations ? S'il parle par son Fils, cela éliminerait-il sa divine et:
universelle Providence ? S'il y a une révélation particulière, n'y a-t-il
pas aussi une révélation universelle (5) ?

(1) R, PANIKKAR, Relation of christians, pp. ^06 - 307»


(2) R, PANIKKAR,., Relation of christians, p. 306, note 3» cite Laws of Manu,
11, 161, VI, 47, 485 Mahabharata, Xlll, 5571, 38B9l XII, 5528; Y, 1270;
Dammapada, 5; Analecta Confuciana, XII, 2, etc. Même avis chez
R,C, ZAEHNER,,, Inde, Israël, Islam, p. 185, B«C, PAPALl, dans Le concept
du bien et du mal dans l'hindouisme, pp. 487 - 491 résume le code de
Manu.

(3) R» PANIKKAR, Relation of christians, pp. 307 - 308,


255

Le Chrétien est aussi quelqu'un qui est sauvé en Christ, C'est vrai,
mais il fa^^t ajouter que le salut est offert à toute personne qui vient en
ce monde. Dans cet ensemble, "un chrétien est simplememt un collaborateur
conscient avec le Christ dans sa triple fonction de création, de rédemption ;
et de glorification du monde" (l), A côté donc de cette collaboration cons— ,
ciente, il existe une collaboration ontique du fait que tout homme de bonne
volonté est ontologiquement uni au Christ et collabore avec lui en tant que
co-rédempteur et co-créateur. Le Chrétien est "un homme qui a reçu un don
libre qui est un appel personnel du Christ pour faire avec lui, réellement
en lui, la tâche de rédemption du monde" (2),
"Le Christ rédemptetir n'est pas différent du Christ à travers lequel
tout a été fait et en qui toutes choses subsistent" (3), Si tout est alors
christophanie, il n'y a pas contradiction pour le Chrétien entre sa vocation
personnelle et sa vocation de créature. Tout le monde est en Dieu et de
Dieu, Notre acte de foi, d'espérance et de charité atteint et le Dieu trans-r
cendant _et notre relation au monde. L'union avec l'Absolu inclut "le rela
tif de l'Absolu" que sont le monde, l'espace, le temps, le cosmos. Le monde
n'est pas un être en lui—même. Il est le corps de Dieu.

Les vertus théologales sont cosmologales (4)»


"L'acte de foi intégral n'est pas une croyance en un Dieu isolé mais
dans une divinité vivante qui inclut aussi la création de Dieu" (5). Il est
alors normal, dit l'Auteur, de faire confiance en l'homme, en la foi de l'auy
tre, en la foi même de celui qui ne croit pas, La foi réelle ne devrait pas'
être séparée de celle des autres. Elle ne doit pas nous amener à les jviger.
Elle cherche ce qui nous unit en profondeur. L'homme de foi fait confiance
en l'autre comme Dieu fait confiance au monde, il voit tout dans la divinité,
il découvre le monde en Dieu,

(1) R» PANIKKAR, Relation of christians, p, 508,


(2) R, PANIKKAR, Relation of christians, p, 510. L'Esprit pousse le fîhrétien
plus loin que l'Eglise visible, vers la restauration de tout dans le
Chris-t^note l'Auteur dans The Trinity and the Religions Expérience,
P. 57.
(3) R. PANIKKAR, Relation of christians, p, 310,
(4) R. PANIKKAR, Relation of christians, pp, 312 - 313,
(5) R. PANIKKAR, Relation of christians, p, 313, C'est nous qui soulignons.
256

Il a tnae tolérance positive» S'il est Shrétien, il perd tout complexe de


supériorité. Il voit dans les autres des frères, non "des autres" (l).
Par l'acte d'espérance, nous voyons le monde être en Dieu et retourner
vers lui. Le Chrétien, cela étant, est un optimiste. Son espérance n'est
pas en un salut privé. Il sait que l'univers est dans la main de Dieu, Il
ne se considère pas comme un privilégié. Son optimiste, en effet, est cos- [
mique et son espérance inclut et le monde et les autres (2), Le Chrétien
connaît alors que la création et que la rédemption du Christ ne sont pas unq
faillite, H sait que Dieu a tout créé, que Dieu est en train de créer le
monde comme il est, que le Christ sauve le monde comme il est (3).

L'acte d'amour a été bien étudié par la tradition^^Shrétienne. Le êhrér-


tien découvre maintenant que son acte d'amour inclut et Dieu et l'oeuvre de
Dieu, Il n'aime pas Dieu et ne peut se consacrer à lui s'il n'aime pas ce
que Dieu aime, A l'amour primordial de Dieu correspond la réponse de l'hom-r
me (4) et cet amour est un amour mystique réel qui atteint et le monde et sa
sotirce (5). Sans arrière-pensée, l'aote d'amoin? est finaA, théologal. Il
embrasse le mystère. Par lui, nous partageons l'action de Lieu sur le monda ;
nous créons, et, avec la Trinité, nous rachetons "cette partie de Dieu qui
est encore pèlerine, en route, ce monde qui est en retour vers sa source"(6)

(1)1, PikNIKKAS, Relation of christians, pp. 315 - 316, Comme le dit


E, JUG-UET, dans Se faire conversation, p, 252, "prétendre retenir les
chrétiens dans la vérité par voie d'aiitorité en entravant, si peu que ce
soit, leur faculté de reconnaître la vérité, d'où qu'elle vienne, c'est
tenter d'arrêter en eux le mouvement même de la foi",,."Il nous faut vir
vre enracinés et ouverts, les deux à la fois",
(2) R, PAHIKKAR, Relation of christians, ppé 317-318. G, THILS, dans Propos
et problèmes, p. 162, dirait qu'il y a ainsi la communion des saints
entre tous ceux qui sont sauvés dans les différentes religions,
(3) R» PANIKKAR, Relation of christians, p, 319»
(4) R. PMIKK/i-R, Relation of christians, pp, 319 - 320, "La relation chré
tienne avec le monde est donc une relation avec le monde de Dieu",
p, 321, car le monde est l'action de Dieu ad extra,
(5) R, PANIKE/iR, Relation of christians, p. 321.
(6) R. PAEIKICAR, Relation of christians, p, 322. Dans Ifeyâ e Apocalisse,
on retrouve, pp. 154-155» la trilogie ! Foi nue, Espérance pure,
Amour supranaturel,
257

et le missionnaire est celui qui proclame la Liliération, le Salut et


l'Amour qui sont les oeusrres du Christ dans tout l'univers,
i

Comment le Chrétien va-t-il comm-uniquér en profondeur qvec les autres ?


S'il s'enferme dans sa raison, il débouche avec difficulté sur une action
efficace. C'est par le Christ que la communion est possible, dans le royau
me du sacré, plus en profondeur que dans des relationa profanes. Lesfêtes,
par exemple, à l'occasion des grands moments de la vie humaine, apparaissent
oopne étant des catégories sacrées, comme des actions religieuses. Les re
ligions peuvent aussi dépasser des relations superficielles et atteindre un
partage dans le sacré. Si, en effet, Dieu est distinct du monde mais en mê-t
me temps non séparé de lui, les religions peuvent déjà réaliser une relatioi^
sacrée (l). Si le Christ est le rédempteur, mais aussi le glorificateur, le
créateur, le divinisateur du monde, cela doit éclairer la relation entre le
Chrétien et les autres.

R, Panikkar aborde ici trois thèmes ; koinonia, diakonia et kerygma,

La Koinonia, Le Chrétien n'est pas un privilégié et ne peut s'excuser


de ne point collaborer avec les autres. Sa nature est commune avec celle
des autres. Même si cetix*-ci ne connaissent pas encore le Christ, c'est le
Christ qui pousse le Chrétien à collaborer, à travers lui, par lui, en lui.
m

Une relation religieuse et chrétienne peut s'établir même si elle ne porte


CM
pas l'étiquette d'une confession. Le Christ serait-il limité par sa figure
historique ? N'est-il pas la Personne divine qui assume tout (2) ? "La
conception chrétienne de l'Incarnation est essentiellement liée à la
Trinité" (5), C'est donc parce que l'Absolu est Trinité que le Christ peut
être l'alpha, l'oméga, le commencement, la fin, l'unique médiatevir, celui en
qtii tout subsiste. Ainsi, la relation avec les non-chrétiens est "une réali
té ontique basée sur la koinonia de chaque être dans le Christ" (4).

La diakonia. Si nul ne va au Père que par le Fils, la médiation du


Christ est, elle aussi, ontique et universelle. L'histoire apparaît ainsi
comme une montée vers l'union totale avec l'Absolu par la rédemption du Christ,

(1) R, P/iNIKKAR, Relation fo christians, pp. 324-325,


PMIKKAR, Relation of christians. pp, 326-527.
(3)=R. PANIKKAR, Relation of christians. p. 527.
(4) R. PANIKZAR, Relation of christians, p, 528; Maya e Apocalisse, p, 177.
Yoir The Trinity and the Religious Expérience, p, 58 ; "la seule vraie
expérience du Christ est dans l'humain et cosmique kainonia",
258

Avec le Chrétien, tout homme peut être oo-rédempteur. Toute activité hu


maine peut être un terrain de coopération, malgré des degrés différents de
conscience (l). Même au niveau sacramentel, si le non-chrétien n'a pas la
plénitude sacramentelle du nouveau contrat, il partage la sacramentalité cos
mique du premier acte de Dieu avec l'humanité et le Christ est là où il y a ;
un amour à donner (2). L'Auteur note cependant que le lîhrétien est appelé
"à un plus haut seirvice" (5).
Le Icerygma» Le -Chrétien est appelé à proclamer me bonne nouvelle, cel
le de l'action du Christ qui divinise l'homme. Par sa vie, par sa libéra
tion des chaînes, le Chrétien doit exposer "les choses joyeuses du Christ'(4).
Cela ne consiste pas d'abord en la proclamation d'une morale, d'une doctrine^
d'une Eglise mais celle de Dieu, de son Royaume, du Christ, de l'Amour, cellq
d'un déjà-là qui est à l'action avant même l'arrivée du messager. C'est . ;
l'enlèvement du voile qui cache la réalité et le Dieu vivant (5). Il ne s'ar
git pas d'apporter le Christ comme si le Christ nous appartenait mais plutôt;
de continuer à proclamer le Christ qui se donne.

Le Christ, dit R, Panikkar, ne vient pas fonder une nouvelle religion


mais accomplir toute justice, apporter leur accomplissement à toutes les re
ligions du monde, Ls christianisme-religion est "l'ancien paganisme, ou,
pour être plus précis, le complexe hébreu-hellène-grec-latin-celtique-gothi-
que-moderne converti au Christ avec plus ou moins de succès" (6), et le chris
tianisme en Inde ne devrait pas être une religion importée mais davantage
l'hindouisme converti Ivii-même, le vieil hindouisme qui serait en même temps
une création nouvelle, ayant passé par une mort et par une résurrection. Le
Chrétien doit être vigilant afin de ne pas donner de contre-témoignage, il
doit se sentir responsable et témoigner du Christ caché, inconnu mais pré
sent et actif dans toutes les religions (?).
(1 ) R, PANIKKAR, Relation of christians, pp. 328-3295 îCyâ e Apocalisse,
pp. 177-179.
(2) R, PANIKKAR, Relation of christians, p, 330,
(3) R» PANIKKAR, Hindouisme et christianisme, p, 4» voir aussi Humanismo y
Cr^, p, 322.
(4) R. PANIKKAR, Relation of christians, pp, 351 -332 5 voir aussi iCyâ e
Apocalisse, p, 179. Sur koinonia, diakonia et ke^gma, voir également
Los dioses y el Seîîor, pp. 128-130,
(5) R. PAHIKKAR, Relation of christians, p, 332.
(6) R, PANIKKAR, Relation of christians, p, 334»
(7) R. PANIKKAR, Rele^tion of christians, p, 338.
259

Le Qirétien a donc, dans l'univers, une vocation sacerdotale (l), CettQ


mission, dans le peuple du contrat nouveau et définitif, a des temps forts.

Prêtre de l'humanité et de la création, le Chrétien offre le sacrifice,


"C'est la mission des Chrétiens que l'offrande du sacrifice qui crée, rachè
te et glorifie le ponde" (2), Sur la patène, il offre au Père les peines,
les joies, les actions et les vertus de l'humanité. A ce moment, le Christ,
avec les Chrétiens, offre le cosmos à sa sovirce.

Temps fort aussi que celui où le Chrétien reçoit le sacrement, poior Itii-
même et pour le monde, surtout "le sacrement des sacrements, l'Eucharistië'@,
car, "la comn^ion n'est pas simplement une dévotion privée, ni un acte indi
viduel exclusif des chrétiens, mais un acte cosmique" (4). "Tout ceci cul-;
mine dans ce métabolisme divin et sumat-urel par lequel en mangeant la chair
et en buvant le sang du Christ ... le chrétien reçoit la vie étemelle et
est assimilé dans le Christ, I^Iais ceci n'est pas tout. Ce processus d'as-'
similation divine descend vers le peuple qui ne croit pas explicitement dans
le Christ à travers l'action sacramentelle du chrétien qui a reçu le Christ,
lequel est reçu, en conséquence, par les autres" (5).

(1) E, PAMKKâR, Los dioses y el Senor, p. 159»


(2) E, PANIKKAR, Relation of christians, p. 545• Dans Humanismo y Crus,
p. 536, l'Autetir dit que la théologie de l'Eucharistie ne peut s'arrê
ter seulement à la transsubstantiation. Elle doit aussi repérer le
sens du mystère eucharistique dans notre vie ainsi que dans la totalité
du cosmos.

(3) R» PANIKK/iR, Relation of christians, p. 34é.


(4) R. PANIKKAR, Relation of christians, p. 346.
(5) R. PANIKKAR, Relation of christians, pp. 346 -347.
2é0

CONCLUSIONS .

1, Dans un premier point de nos conclusions, nous pouvons distinguer


deux aspects de la recherche panikkarienne sur le Christ, Le premier se
rait une réflexion sur l'action du Christ : il agit dans la vie trinitaire,
dans la création, dans toutes les religions., notamment dans l'hindouisme,
il agit aussi au coeur de tout homme. Dans cette ligne, le Christ est sau
veur, libérateur, à l'oeuvre dans tous les actes auxquels l'homme croit.
Le deuxième aspect de la pensée panildcarienne, lié au premier, porterait
sur l'essence du Christ. L'Auteur cherche à l'approcher par des thèmes qui
sont tantôt familiers à l'Occident, tantôt plus étrangers. On retrouve
alors les titres de Pils, de Logos, de prêtre selon l'ordre de Helchisédeoh,
de Pantocrator, de médiateur, d'iinique liturge, d'Isvara tourné à la fois
vers Brahman et vers le monde, les thèmes de l'eîkÔn, du Eurios, du
Seigneur, Nos premiers paragraphes sont centrés sur la recherche de l'es
sence ou du mystère du Christ, le dernier le serait davantage sur l'action
du Christ, Nous noterons, toutefois, que cette distinction, bien que reflé
tant la pensée de notre Auteur, ne suggère nullement une rupture ou une nonr
relation, au contraire, entre les deux aspects,

2, Un deuxième point de nos conclusions est que le professeur de Santa


Barbara est soucieux de s'ouvrir à tous les hommes de bonne volonté et de
sortir, par là même, d'une pensée qui pourrait être particulariste ou, à la
limite, génératrice de sectarisme. Le Christ n'est jamais épuisé, à ses
ye\nc, par une tendance christologique. Une tendance n'est qu'xine tendance.
Une chx'istologie est une christologie parmi d'autres. Il n'y a pas seule
ment une christologiej si valable soit-elle.

Si notre Auteur se trouve en dialogue avec le monde sécularisé, il re


lève l'efficacité du "symbole Jésus" perçu comme l'homme parfait, l'homme
libre, celui qui est proche des pauvres et des déshérités, celui qui porte
en lui les aspirations les plus pures de la conscience humaine. Une telle
herméneutique lui paraît respectable et "concernante" pour beaucoup. Res
pectable, elle doit être respectée. Cela n'empêche nullement R, Panikkar
de dialoguer avec d'autres horizons humains. S'il part du topos de l'Inde,
il veut privilégier des aspects différents du mystère de la personne du
Christ, Sentant les intuitions hindoues exprimées, parfois sous-jacentes,
concernant l'acceptation par l'hindouisme d'un intermédiaire entre le Brahman
inexprimable et le monde, il se centre sur la recherche essentialiste autour
261

du thème d'Isvara, il refuse de réduire le Christ à Jésus de Nazareth, à un


homme limité dans l'histoire. Il voit alors le Christ étemel^ le
Pantocrator, le Logos, pas "Jésus seul" mais un Christ sauvant de toujours
à toujours, lumière qui illumine tout homme, antaryanim au ooeur de chacun, ,
au-delà des divergences doctrinales. Cette perspective paraît siiifisamment
importante pour que nous mettions en exergue une citation marquante a^^ début
de ce chapitre. Cependant, qu'il dialogue avec l'homme séculier ou avec le
monde hindou et ses intuitions profondes, notre Auteur reste toujours oonforh
me à l'essence de la foi chrétienne. Il garde, en effet, l'identification
johannique entre le Logos et Jésus, nous l'avons souligne à plusieurs repri
ses. Autrement dit, le Christ présent au coeur de tout homme, le Christ ca-!
ché dans l'hindouisme et dans toutes les religions du monde, le Christ agent
dans tous les sacrifices, le Christ qui a ses préfigurâteues, ses prophètes
et ses prêtres en Israël mais aussi à l'Orient et à l'Occident du monde',, il
le reconnaît manifesté dans sa plénitude en Jésus de Nazareth, même si l'hin^
douisme trouve cela absurde, comme il le signalait, i

Nous croyons important, par le fait même, de suggérer aux lecteurs de ne


pas s'arrêter à un aspect de la pensée panikkarienne, de ne pas voir l'arbre
mais la forêt, . Si, dans un article, un livre ou une conférence, on sent quel
que fois ce qu'on a appelé une athmosphère pélagienne, il est essentiel de ;
percevoir combien le professeur de Santa Barbara est ouvert à la fois a ce
qu'on pourrait appeler une "christologie par en-bas" et à une "christologie
par en-haut". Il nous semblerait difficilement admissible qu'on se limite ^
une christologie particulière pour lancer les anathèmes sur d'autres qui ne;
la rejoindraient pas. Si les intolérances furent souvent signées dans l'his
toire par des adeptes de telle ou telle religion, on peut, croyons-nous,
partir avec un a priori favorable à la dévouverte d'une pensée qui, en dépas
sant le visage conquérant, occidental, gréco—sémite, que le christianisme a
souvent pris, cherche les intuitions profondes, des Hindous et des Chrétiens
notamment, et cela sans négliger, dans une épochè réductrice, le pilier fon
damental de la foi chrétienne eu Christ manifesté en Jésus, On pourrait di
re qu'une telle entreprise susciterait assez facilement la sympathie, dès le
départ, d'autant plus que tout le monde aurait probablement gagné à la ten
ter avant les conflits et les malentendus qui ont maintenu les croyants des
diverses religions dans une situation d'isolement. Notre Auteur nous paraît
rejoindre, en cela, et il le dit lui-même, le renouveau théologique, évident
à Vatican II, lorsque le monde catholique considère les autres univers reli
gieux de la planète.
262

Un troisième point nous semble important : c'est celui,de l'acte reli


gieux qu'il pose dans sa recherche. L'Auteur dépasse ce qu'il appelle les
voies de la traduction, de la complémentarité et de l'équivalence. Il ne
développe pas non plus une herméneutique "morphologique" et "diaohronique", ;
souvent intra-culturelle à ses yeux,. Nous ne pouvons dédtiire sans extrapo
lation indue qu'il les rejette ou qu'il les considère comme inutiles,
l'herméneutique "diatopique" n'est donc pas exclusive dans sa pensée. Privi
légier quelque chose n'est pas exclure ce qui n'est pas privilégié. Dans
notre troisième point, nous voudrions souligner que l'Auteur ne semble pas
vouloir expliquer tellement axnc Hindous ce que nctts avons élaboré en chris-
tologie, en ecclésiologie, en théologie sacramentelle et ainsi de suite. Il
ne donne nulle part, en effet, une vue synthétique du christianisme occiden
tal, pas plus qu'il ne nous propose ime description eschaustive de l'hindouis
me, pour autant du reste que la chose soit possible (l), R, Panikkar appa
raît comme un Chrétien de l'Inde, assez occidentalisé, d'une part, pour nous
comprendre et nous situer, ainsi que pour nous parler dans un langage ac
cessible^ mais plus soucieux, d'autre part, de dire à l'Occident les intui
tions profondes q\ii, au-delà des systèmes tant orientaux qu'occidentaux, sont
celles de l'hindouisme et qui pourraient nous libérer de vues peut-être par-r
fois trop courtes. Plus qu'il n'accomplit une démarche purement dialectique,
systématique et synthétique, il pose,en cela, l'acte religieux qui consiste
à reconnaître un Absolu indescriptible et proche à la fois, source de tout,:
origine même de la démarche de tout homo religio sus.

L'intuition de cet Absolu et le désir de l'approcher et de le connaître


sont des bases de l'hindouisme. Un rapport "x", comme il le dit, existe enA
tre cet Absolu et nous, et l'Inde vient souligner plus la relation que la
distance. Dans cette démarche de convergence, il y a l'intuition de
l'Intermédiaire Majeur, qui porte le nom d'Isvara, du Logos, du Pantoorator^
de l'eïkSn, du Kurio^s, du Dominus, du Seigneur, en soulignant toutefois que-
cet Intermédiaire est plus qu'un intermédiaire simple et second mais qu'il
est Dieu lui-même. C'est acte religieux, un acte de foi, que de reconnaî
tre sa présence et son action dans le monde de toujours à toujoras, dans tou
te religion, dans toute liturgie, dans toute liberté, dans toute foi, malgré
les divergences de doctrines et de comportements.

(l) Disons toutefois que sa description de l'hindouisme va loin dans deux


synthèses particulière ; The Yedic Expérience et Spiritualita hindù.
263

On pourrait peut-être dire que par lui l'unité existe et que le tout
est d'en prendre conscience. De plus, s'il "tire" l'_Isvara védantin plus
du côté du Christ, comme il l'admet lorsqu'il parle d'une exégèsepe-rsconelle,
c'est parce qu'il sait que le Christ caché dans l'hindouisme s'est manifesté;
en Jésus de Nazareth. Ici, il souligne le dynamisme du "symbole Jésus" qui
survit a toutes les herméneutiques. Il pose alors l'acte religieux de res
pecter celles-ci, dans un esprit pastoral, dans un souci dialogique, fondés
l'un et l'autre sur une conviction et une expérience de foi (l).
Nous voulons donc souligner, dans ce troisième point de nos conclusions,
que la démarche du professem? de Santa Barbara est celle d'un croyant, celle
d'un monothéiste. C'est dans la foi qu'il interprète l'évolution d'Isvara
dans les écrits hindous, c'est dans la foi qu'il nous propose de ne pas li
miter le Christ à Jésus de Nazareth, tout en sachant, toujouj?s dans la foi,
que son travail n'est qu'une étape de la recherche de l'himianité vers
l'Absolu et que, sur terre, nous ne pourrons jamais connaître parfaitement
le Christ. C'est dans la foi toujours qu'il souhaite que le Christ ne soit
pas monopolisé par les Chrétiens,

4» Nous avons montre que R, Panikkar voit le Christ toujours sauveur et pas
seulement le Christ sauvant a un moment précis de l'histoire et pour tou
jours. Nous l'avons entendu dire, d'une part, que, pour l'Hindou, la pierre
d'achoppement apparaissait quand le christianisme identifiait Jésus, Fils de
Marie, avec le Christ et, d'autre part, que, pour lui, il faut reconnaître •.
dfue le Christ est "la cause ontologique de tout ce qvii trouve dans le fait
chrétien son actualisation suprême et son terme". Il y a donc une actuali
sation suprême et xzn terme dans le fait chrétien. Serions-nous devant un
dilemme ? Ou bien l'identification, ou bien la non-identification. Sort-on
de l'impasse en disant qu'il existe une convergence d'intuitions ? Notre
Auteur, certes, n'est pas dans l'impasse lui-même, ni dans sa vie, ni dans
ses écrits. Tout ce qu'il atteste est conforme au contenu, à l'essence de
la foi chrétienna , il n'y a aucune détotalisation de la totalité.

(l) Rappelons ici, avec insistance, que les perspectives christologiques


paniKkariennes dépassent non seulement un "Jésus-centrisme" chrétien
mais aussi les herméneutiques réductrices des penseurs hindous présen
tées par M, DHAVAMDNT au terme du premier paragraphe de ce chapitre.
264

Aucvin doute n'est permis. Mais comment pourra-t-il, demain, en Inde, expli
quer les déductions logiques de la primordialité de la manifestation du Fils
dans Jésus ?

S'il donne la référence de 11 Cor, 5 ; 18-19, il ne souligne pas le


"et nous a confié le ministère de la réconciliation". S'il s'en réfère à
lîat, 16 ! 15, il ne parle pas du "pouvoir des clés" dont il est question dans
les versets qui suivent, Ne pas citer ne signifie pas nier. C'est évident.
Nous pouvons imaginer aussi qu'un nouveau discours pourrait éventuellement
être .eherché mais, dans l'état actuel de la question, nous ne voyons pas
l'Hindou disposé à admettre les déductions logiques liées à la primordialité
de la manifestation du Fils en Jésus,

L'identification du Fils et de Jésus, dans le christianisme, repose sur


beaucoup de données, mais, en leur centre et leur sommet, nous avons la ré
surrection, laquelle fait dire, notamment à Thomas ; "Mon Seigneur et mon
Dieu" (l). En Jésus, nous avons "une venue de l'amour de Dieu en visibili-
té"(2). De ce fait, l'Incarnation, la naissance, la vie cachée, les paroles,
les signes, les comportements concrets, le style de relation et la mort de ;
Jésus sont objets non seulement d'histoire mais aussi de théologie. Le mys
tère de l'Homme-Dieu devient central. De là aussi décovilent pour nous une '
découverte immense et multiforme : la Trinité, la Pentecôte, la norme néotes
tamentaire, l'Eglise et sa structure hiérarchique, l'Eglise et les sacrements
chrétiensqui prolongent terrestrement le corps du Seigneur et "qui sont exi
gés intérie^u?ement par la permanence de la médiation de grâce de l'homme
Jésus" (3). A partir du Fila incamé, mort et ressuscité, on comprend le sa
lut, la grâce, la mariologie, la foi, l'espérance, etc. S'il y a place en
core pour des écoles théologiques, pour des recherches, pour des tendances,
pour des hypothèses, nous avons cependant des directives claires sur l'idéal
moral, des révélations précises sur Dieu et sur la relation avec l'Absolu,

(1) Jean 20 ; 28,


(2) E, SCHILLEBEECKX, Le Christ sacrement de la rencontre de Dieu, p. 25,
(5) E, SCHILLEBEECKX, Le Christ sacrement de la rencontre de Dieu, p, 55,
Pour nous, dit M, DHAVAMONY, dans L'hindouisme moderne,p. 109, tout "dé
coule de la suprême réalité historique de Jésus-Christ" et, par consé
quent, le problème est de voir comment le Chrétien peut effectivement
convaincre l'Hindou que le Christ est juge et sauveur de toute vie reli
gieuse.
265

L'Eglise devient, dans sa visibilité, le point central de la présence du


Christ sur terre et l'Eucharistie est le "foyer même de la présence du Christ,
parmi nous". Le ce foyer, partent les six autres sacrements, La prédica
tion dévoile ce mystère central, La sacramentalité se déploie alors dans
toutes les directions, dans la vie chrétienne des fidèles, dans les sacramen-
taux, dans le monde humain matériel et historique, tout entier sous l'action
du Kurios (l). Tout cela n'est pas lié seulement à un "Logo—centrisme" mais
à un "Jésus-centrisme",

Nous nous trouvons donc, ici, devant la question et le paradoxe du chris


tianisme au centre duquel se trouve le Christ Jésus, Verbe incarné, question
et paradoxe pour le judaïsme, pour l'hellénisme, pour l'islam, pour l'hin
douisme, On peut s'accorder pour reconnaître que le Christ n'est pas"abso
lument identifié" à Jésus, en ce sens que le Verbe est plus que ce qui est
contenu en Jésus-Christ dans sa vie terrestre - le Christ ne.croît-il pas
toujours aujourd'hui ? lyiais encore faut-il que l'on identifie aussi le Verbe
et Jésus, au point que tout autre manifestation du Verbe serait une préfigu
ration -comme par exemple dans l'Ancien Testament- ou une participation -ce
serait notre cas —a Jésus qui est Pils de Lieu, clé de l'unité du monde, de
l'homme en Lieu, clé de l'histoire des Juifs et de celle des nations.
Il sera donc intéressant de voir comment l'Auteur parle du culte et des
sacrements, si nous savons son souci, dans un acte religieux authentique, de
chercher un langage universel, de privilégier une foi nue "dans un Christ qui
n'est pas absolument identifie avec Jésus de Nazareth" tout en soulignant que
le "pas" vient avant l'adverbe "absolument" et non l'inverse. Avant d'abor
der cette importante question du culte at des sacrements, sacrements qui sont
dans le christianism.e le lieu privilégié de la rencontre de l'homme et de
LietT., disons que, pour H, Panikkar, le christianisme ne doit pas abandonner
son discours propre. Si c'est le Christ qui sauve et non le christianisme,
celui-ci n'en doit pas pour autant devenir comme un appendice accidentel.
Au terme de ce chapitre, il semble important de dire que, si le professeur
de Santa Barbara insiste sur le Logos, sur le Bantocrator, sur Isvara, sur le
sacerdoce de Melchisédech et sur les différents points abordés, ce n'est pas
pour nier ou pour renier le discours chrétien traditionnel mais plutôt pour
insister sur des aspects que ce discours n'a pas toujours soulignés. Nous
trouverions ici la raison de ses insistances.

(l) E,SCHILLEBEECKX, Le Christ sacrement de la rencontre de Lieu, pp. 240-


241,
266

Enfin, nous voudrions terminer en eooutert une parabole racontée par


un religieux indien et chrétien (l) qui connaît, comme E, Panikkar, avec le
quel il fut plusieurs fois en relation, et-le topos de l'Inde et la pensée
chrétienne. Cette parabole parle du salut, du Christ et d'une comparaison
entre le christianisme et l'Asie, Elle aura peut—être l'avantage de déten
dre quelque peu nos lecteurs,

"Un homme tombe dans un puits, dit-il, et le voilà au comble du déses


poir, Il crie au secours, il appelle à l'aide, mais il se sent perdu,
Confucius vient à passer par la. Il entend les cris désespérés, s'ap
proche, regarde le malheure'ux, puis se dit : 'comment peut-on être
bête au point de tomber dans un puits', et il passe son chemin. Un
deuxième personnage arrive ensuite, c'est le Bouddha, Gautama se pen
che sur le trou profond, prend en pitié celui qui s'y trouve, observe,
réfléchit, p^s, se penchant a nouveau, il s'adresse à l'homme qui se
croit perdu : 'je ne suis pas dans ta situation, mais à ta place, je
disposerais de telle façon mon corps, mon dos, mes mains, mes pieds,
et ainsi, il devrait y avoir le moyen, pour toi, de t'en sortir par
toi-même, A toi de réfléchir ôt de lutter maintenant, je t'ai fait
une proposition', En troisième lieu vient le Christ, Il se penche
lui aussi, il voit les efforts de l'homme, il se penche et le prend
miraculeusement pour le sortir du puits. Depuis lors, le Chrétien est
souvent devenu paresseux, il attend un salut tout fait, L'Hindou lui,
assume sa vie, développe sa religiosité et prend sa vie en charge".

Cette parabole nous semble utile pour comprendre que E. Panildcar ne par
le pas d'hétéro-rédemption magique, ni d'auto-rédemption sans Lieu, mais d'une
collaboration libre et consciente entre l'homme et son principe intérieur,
Nous pouvons aussi, à partir de cette pacabole, deviner l'intérêt d'une re
cherche sur la conception panilckarienne du culte ou de la démarche de convei^
gence entre le divin et l'humain. '

(1) S, VALLAVAEAJ S, PILL/iI, rencontré chez les Carmes à Gand, en août


1979. Il est l'auteur de "j'ai rencontré le christ chez les vraisvogis,
Hauwelaerts, Leuven-Paris, 1977.

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