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Faculté de Théologie
Institut Supérieur des Sciences Religieuses
LVt 20880
DIEU ET L'HOIVIME
Contribution de Raymundo Panikkan au dialogue
e n t r e le christianisme e t l'hindouisme
Première Partie
Robert SMET
Louvain-La-Neuve
1SSO
L^au-teur exprime sa reoonng,issanoe au Professeiir JtûLien Ries.
Il fut un. promoteur éclairé, minutieux et encourageant.
Robert Smet
II
lïïTEODUGTIOïr
Dans les pages qui suivent, notre propos est d'étudier, dans les oeuvres
de Eaymundo Panikkar, la relation entre Dieu et l'hoioame- avec, au centre, la
médiation du Christ, dans la perspective d'un dialogue entre le christianis
me et l'hindouisme.
Dans cette recherche, nous porterons notre attention sur trois axes qui,
de l'avis que nous exprimait le Professeur Panikkar lui-même, constituent les
trois piliers de sa aretaherïte personnelle, à savoir Dieu, le Christ et le
culte. Cela réalisé, nous serons amenés à explorer le type de relation entre
l'hindouisme et le christianisme choisi par notre Auteur. Nous devrons, à ce
moment, comparer la démarche de quelqu'Tin qui part du topos de l'Inde, pour
Il
BIOGR/IPHIE
(1) Uous nous servons des notes biographiques qu'il nous a transmises.
Quant à l'orthographe de son nom, on lit parfois Raymond Panikkar et
exceptionnellement Raymundo Paniker,
(2) R, PAÏÏIKKAR, Ontonomia de la Clencia, Sobre el sentido de la oiencia
y sus relaciones oon la filosofia,
(2) Nous classerons les termes analysés par ordre alphabétique. D'une
part, cette classrfica,tion aidera le lecteur à retrouver aisément les
mots. D'autre part, nous nous refusons a une cla.ssification plus
aléatoire se basani^ par exemple, sur leur importance respective pour
saisir la pensée de l'Auteur, Nous dirons aussi qu'un choix comporte
toujours le sacrifice de ce qu'on ne choisit pas. Nous ne pouvons tout
retenir, ni tout expliquer, dans cette première étape. Le choix et le
sacrifice ont donc, ou risquent d'avoir, pour certains, quelque chose
d'arbitraire, d'injuste, sinon de fantaisiste.
5.
1« Autonomie
iirahma-Jijnâsa
4* Brahma-Jnâsâ
Dès qu9 l'on touche à l'Inde, on doit avoir à l'esprit que la con
naissance religieuse n'est pas le fait de la raison seule, L'Inde
n'établit pas de cloison étanche entre théologie, philosophie et'mysti
que, pas plus qu'entre la raison et l'intuition (l), La oonnaissnnce de
Brahman impliquerait ainsi de nouveau une réhabilitation de tout l'homme,
et elle serait plus proche d'une connaissance au sens de G, Mareél et de
la connaissance de Dieu^ dont il est question dans l'Ancien Testament que
d'une spéculation purement rationnelle. Qu'en était-il, du reste, de ces
cloisonnements avant la Renaissance chez nous ? Le fondateur du thomisme
n'est-il pas à la fois philosophe et saint ? He retrouve-t-on pas ce
non-cloisonnement dans la pensée patristique ? N'existe-t-il pas encore
dans "une bonne partie de la, pensée orthodoxe ? Ce non—cloisonnement
n'existe-1—il pa.3 aussi chez nous ? N'est—ce pas depuis la, Renaissance,
en Occident, que l'on établit des distinctions nettes entre des types de
recherches qui, tout en ayant leur méthodologie propre et leur objectif
respectif, n'en sont pa,s moins complémenta.ires et ga,gneraient à se ren
contrer davantage et à s'interféconder (2)
(1) Nous verrons notre Auteur revenir souvent a,u thème du non-cloison
nement et de la relation entre les types de recherches. Il veut en
cela nous aider à dépasser de ma,uvra,is souvenirs (comme la condamna
tion de ceirtains par d'autres sortant de leur juridiction et de leur
compétence) et a aller plus loin que des dichotomies relativement
récentes chëz nous mais qui sont encore viva.ceB, L'Inde,n'c,yant pas
connu notre Renaissance, vit les problèmes autrement, au point qu'il
n'est pas facile de préciser toujours si tel penseur est philosophe
ou théologien ou mystique. Voir à ce sujet J.B. CARMAIT, à propos de
Râmânuja, The Theology of Râmânuja, pp. I99 - 211.
(2) L'Auteur nous posait ces questions lors de notre entrevue à Paris en
septembre 1978. Nous nous permettons, par ailleurs, de ne pas déve
lopper davantage le thème dans ce chapitre d'introduction. Retenons,
pour l'instant, que la conna,issance de Dieu pour l'Auteur et pour
l'Inde est plus que ra^tionnelle. Elle grandit dans la vie de tout
l'homme.
11
5. D^rajrthologisation
6. Dogme
alors que les âogmes comme énoncés "sont des canaux, non des idoles"(l)i On
tiB peut donc figer la religion dans des formules (2) d'autant plus:que
toute affirmation chrétienne devrait être prise avec un coéfficient de
relativité, être humhle en admettant le pluralisme des interprétations
et des fsimulations (5). On devrait donc éviter tout dogmatisme (4),
tout en soulignant que relativité ne signifie aucunement relativisme (5).
On gagne a dépasser, par voie de conséquence, les formulations dog-
ma,tiques cristallisées pour rejoindre davantage ce qui est signifié (6)
car le dogme, en taiit que réalité, n'est "jamais épuisé par aucune
formulatxon" (7), Ainsi donc, la trolition religieuse se doit d'être plus
que celle d'une doctrine ou d'une herméneutique, plus que la tradition
d'un ^rygma, être "la continuation d-'un logos vivant" (s).
Toute formulation est, socio-culturellement située, bien qu'étant
nocessaire. "Les formules de foi sont seulement intelligibles et donc
valables à l'intérieur d'une certaine-homogénéité cultiirelle. Idolâtrer
une telle culture serait aussi faux que penser qu'on peut se passer de
toute cult'uro" (9).
7. Esprit Saint
1.
Elle ne serait pas réservée à -une minorité née dans une tradition de
croyance. Plus qu'une orthodoxie, elle apparaît comme une question et
pas seulement comme une réponse (l), car "l'univers^Ée ultime no peut
pas se trouvei?' dans la sphère noétique"(2).
2, La foi appanaît aussi comme quelque chose de vivant, comme une "foi-
acte, action, realite, attitude humaine totale"(3), soit unidynamisme.
Elle est la participation "à ce mouvement du Corps mystique vers sa
plénitude" (4),
3» Plus qu'une connaissance aveugle ou une adhésion fanatique, plus aussi
qu'une conclusion logique ou une conviction naturelle (5), elle sera
toujours 'hn défi", comme il le dit dans la solitude grandiose de
l'Athos (6),
4» La foi apparaît comme "l'ouverbure existentielle de l'homme, comme une
de ses dimensions constitutives. Chaque homme est infini, non fini,
et capable d'être satisfait par cette croissance, ce salut, cette li
bération, La foi est cette capacité infinie" (7),
9» Herméneutique
G- ti' hermémeii-uiq-ue diatopique. Elle part du fait que les topoî ne peu
vent être rejoints adéquatement on utilisant les outils de compréhen
sion d'une seule tradition ou d'une seule culture. Elle met en rela
10, Hétéronomie
D'abord l'adoration.
car elle oublie que 1*essence âe la personne est de,ns la relation (l),
Ue peut-on aussi se denander si le concept de personne est applicar-
ble pour lieu (2) ? Le nythe de Prajâpati, que nous étudierons, contre
de toute façon un Dieu inpliqué dans les affaires humaines, au point que
Dieu no serait pas seiaenent Dieu sans l'home, ni l'honne seulement hom
me sans Dieu de telle sorte que l'isolation comme aussi la pure collecti-
visation sercdent contre nature, le mythe décrivant à la fois la divini-
S8.tion do l'home et l'humanisation de Dieu (5), Dieu est donc perçu
essentiellement comme en relation (4),
12, li^ra
(1) R, P/IÎIKKAR, Maya e Apocalisse, pp, 342 - 545. J.B, C/iRMAK va dans
le même sens dans The Theology of Ramânuja, p, 18,
(2) R, PARIKEAR, Ber Ishvara des Vedanta,, pp, 451 - 452,
(3) R, PARIIQQIR, Ber Ishvara des Vedanta,. p, 446,
(4) Christus und Indien, p, 123,
(5) R, PARIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, pp, 155 - 157*
(6) R, PAUIKK/iR, Le Christ et l'hindouisme, p, 100>,
(7) R. PAÎflIOCAR,. Le Christ et l'hindouisme, p. 1é2, Il tirera toutefois
plus le Christ vers Isvara que Isvara vers le Christ, verrons-nous.
Il développera une pensée "logocentrique" plus que "Jesus-centrique".
Est-ce à dire que "son" Christ est un être vague et vaporeux ? Bon.
C'est le Christ manifesté en Jésus mais c'est aussi le Terbe de Bieu,
agissant depuis les origines, dans la création et à l'oeuvre partout.
26
15. Jnânê^Yoga
"Si l'action n^est pas contenplativs," elle n'est pas action, dit-ilj si
la contemplation n'est pas active, elle n'est pa,B réellement contempla*»
tion" (l). Oh peut se demander si l'Occident, qui n'ignore pa,s cette
complémentarité, n'a pas moins vécu, en général du moins, cette inter
action entre les acquis de la, mystique et la vie quotidienne, en sorte
que le dialogue avec l'Orient le viendrait enrichir, on lui faisant re
découvrir ses propres découvertes, ses intuitions et des expériences
parfois négligées (2),
15• Méditation
(1) Bien des termes "se superposent" sans se recouvrir totalement (ex.
salut chrétien, nirvana, moksa, libération, des aliénations, etc).
Voir Por an Intégration of Reality, p. 38.
(2) Pl. TMÎIKKMLi Le nythe comme histoire sacrée, p. 313, Voir aussi par
exemple M, DîIAVAî®l\Df, La recherche du salut dans l'hindouisme, p. I84,
P. PALLOh, dans Pour un vrai dialogue entre chrétiens et hindous.
p, 117j souligne que l'hindouisme est un mukti—marga, soit une voie
de libération, libération de ce qui empêche l'homme d'être tout en
tier orienté vers le spirituel, l'étemel, l'absolu et vers la décou
verte du Soi véritable.
(3) R. PAMKKAE, Le mythe comme histoire sacrée, p. 313, On peut signa
ler sa remarque dans Création and ITothingness, p. 348, concernant le
point de vue oriental marqxiant la préférence pour une liberté "à
partir de " par ra,pport a une liberté "pour", ou pour le terme de
"libération" paj: rapport à celui de "liberté".
(4) R. PMIKEAR, Le iiythe comme histoire sacrée, pp. 313 - 314,
(5) R. PMIEiafi, Pon an Intégration of Reality, p. 53,
34
17. Mythe
18, îfythème
19. Mythologomène
(1) R. PMîUffiAR, ïïn mythe naissant, pp. 10 - 12j Ihe category of growth.
p. 115, etc.
(2) R. PAIIIKKAR, ïïn mythe naissant, p. 10.
(5) R. PjilTIKIGiR, ïïn mythe naissant, pp. 13 - 14.
(4) R. PAÏÏIKICAR, Have "Religions" the monopoly of "Religion" ? , p. 517.
Tout ceci sera développé dans notre chapitre 5 à pantir notamment de
Eaith and Belief, A Multireligious Expérience, dans The Intra,-
Religious Dialogue, pp. 2 —22. L'Auteur y dit, justement croyons-
nous, p. 5, qu'on ne fait pa,s encore de l'oecuménisme simplement parce
qu'on dépanse une neutralité classique et qu'on tolère l'®x±tence des
autres.
N'est-ce pas Ixil qiii disait î "Je suis parti comme un chrétien, 5® sriis
trouvé moi-même comme un hindou et je reviens comme un bouddhiste, sans
avoir cessé d'être chrétien" (l) ?
21, Ontonomie
(l) R, PANUQCAR, Faith and Relief, p. 2, Tout ceci n'est pas sans poser
quelques questions. Pour l'article qui nous occupe ici, demandons-
nous s'il faut vraiment distinguer un oecuménisme entre chrétiens
et un oecuménisme "universel". L'expression "oecuménisme catholi
que" panikkarienne ne désigne pas l'oecuménisme catholique de
1*Eglise catholique institutionnelle comme on l'entend chez nous.
S'il est évident que l'Auteur a"dépassé" les efforts pour recomposer
l'union entre les diverses confessions chrétiennes, faut-il pour
autant changer le sens des mots ? De plus, l'argumentation ét^o—
logique ne peut-elle laisser certa,ins supposer que l'Eglise catho
lique ne serait pas ouverte aux non-chrétiens et qu'elle ne serait
pas accessible à l'tmiversalisrae ? Faudrait-il mettre l'adjectif
catholique entre guillemets lorsqu'on parle d'Eglise catholique ?
42
22, Orthodoxie
OU qu'il n'y a pas de deimier mot - ce sont seulement des mots pour le
temps présent (l)» Betenons aussi l'influence sur notre Auteur d'une
pensée indienne qui n'a pas l'obsession dogmatique et se présente dès
lors comme fondcmontalemont différente de ce qui existe dans une religion
de type prophétique, comrae le Judaïsme, le christianisme et l'islam»
Eaymundo Panikkar est conscient de l'importance d'une orthodoxie, d'une
absence de chaos ou de confusion, mais il tient, à l'occasion^à souligner
aussi la "flexibilité" et la "relativité" de l'orthodoxie (2), Si l'on
admet que le dogme est porteur d'une affirmation orthodoxe mais qu'il
exprime en plus une intuition et une expérience et si l'on comprend que
le bagage intellectuel est utile pour formuler une vue cohérente, on peut
sentir le risque d'tme coniaaissance par ouï-dire, par conformité, par
convenance (3), on peut partager le souci de l'Auteur d'accéder à une
expérience plus directe, à ce qu'il appelle une connaissance mystique,
à une intuition (4),
23• Orthouoièsis
Ainsi donc, de même que la foi n'est pas seulement l'adliésion à une
traditioii-doctrine, tout en compoirtant une doctrine à transmettre, de
même la foi ne se réduit pas à un comportement particulier, tout en im
pliquant un certain type de comportement, La foi ou la vie de foi serait
donc plus qu'une éthique de braves gens, elle serait aussi, par exemple,
ouverture au transcendant, communion avec l'Absolu, correspondance à
l'Etre (1).
La religion comporte toujours, a,ux: yeux du professeur de Santa
Barbara, une dimension éthique et pratique, elle touche à l'aspect volitif
de l'homme, elle présente un aspect dynamique, La morale, dans les reli
gions, propose une croissance existentielle aux hommes, A ce titre, elle
est importante dans le dialogue inter-religieux car partout l'homme est
invité à rechercher la perfection intérieure et personnelle autant que
pratique, extérieure et organisée pour réaliser la richesse de son inté
riorité mystique (2),
CoHmo telle, elle est chemin de mon salut. Compatible avec des erreurs
doctrinales et morales éventuelles, elle veut montrer que je suis auteur
essentiel de mon propre destin (l), du pas encore de mon existence. Elle
m'empêche de rater mon être. Si nous comprenons bien notre Auteur, elle
relève donc de la métaphysique aussi et pas de la seule morale (ortho-
poièsis), Gomme telle aussi, elle peut varier selon les orthodoxies et
suivant qu'on est en régime d'hétéronomie, d'autonomie et d'ontonomie.
Aux yeux du professeur de Santa Barbara, l'hindouisme doit se com
prendre essentiellement comme orthopraxie (2), qui s'exprime dans le cul
te, "norme de vie au sens ontologiqtie", car la religion de l'Inde n'est
ni de la morale, ni de la doctrine, ce qui peut dérouter le christianis
me occidental plus qu'oriental, peut-être, dans la mesure où il serait
devenu orthodoxie (3)« Ainsi, "la religion est primordialement une
orthopraxis (dans laquelle se place l'orthodoxie), parce qu'elle ne se
borne pas à prêcher ime doctrine, nais veut avant tout sauver l'homme (4),
Pour cela, elle veut transmettre "quelque chose de vivant" (5) plus qu'un
kevy^nB, (6),
Par notre intelligence, nous sommes attirés vers la vérité. Par.
notre volonté, nous nous élançons vers le bien. L'un et l'autre sont
lies a notre acte d'être, bi nos pensees, ni nos actes ne nous épuisent
toutefois car nous sommes plus que des dialecticiens et plus que des cons
tructeurs du monde, Fondamentalement, nous cherchons -et cela serait
vrai dans toutes les religions- à nous saitver, à nous achever, à accéder
à une forme de plénitude, à notre but ultime, quel que soit le nom que
nous lui donnons, ïïotre religion nous y pousse. Si celle-ci nous pro
pose comme but une vision intellectuelle, nous mettons l'accent sur
l'oirfchodoxie, ~
Si elle noiiB propose comme but la récompense d*un comportement moral, nous
visons davantage à pratiquer les vertus» L'orthopraxie serait la poursuite
et l'acquisition de notre terme, de notre but, tels que nous les percevons»
Elle marque notre existence extérierae et la dimension intérieure de notr©
vie. Elle nous empôcherait de nous enfermer dans notre état présent, elle
nous pousserait à nous réaliser, et, par là, à nous sauver» ITous sommes
ainsi les acteurs de notre destin (l)» Elle serait-affectée dans la me
sure où nous poserions des actions qui ne nous réaliseraient pas, où nous
ne serions pas facteurs de notre destin, ou nous nous arrSterJons dans no
tre devenir, Pioremont conditionnée par des facteurs extexnes au mol, l'or
thopraxie deviendrait hétéro—praxie» Nullement marquée pa,r des facteurs
externes, il y aurait auto-praxie»
25. liaison
28. Sécularité
29. Sniti
3Q-* Temps
Elle ne pletœe pas non plus le temps perdu parce que le temps, en soi,
est inconsistant. Elle ne veut pas en accélérer le rythme. Elle tient
davantage à en atigmenter la qualité (l). Pour l'âme indienne, le temps,
comme une circonférence, n'a ni commencement, ni fin. On est en Itii, sans
pouvoir y échapper et nous sommes incapables de penser l'intemporel ou
l'originel et l'eschatologique, c'est-à-dire de répondre aux questions
ultimes (2), Il n'y auradt ni moments privilégiés, ni obsession de la
mort, car on n'a peur de la mort que dans la mesure où l'on s'identifie
ses propres pro;iets. La mort est davantage perçue comme la non-vie qui
peut être actuelle. En ce sens, la non-vie peut être en moi, soit la mort,
lorsque Je ne vis pas intensément, qualitativement, ici et maintenant.
Ainsi, l'obsession de la mort est l'obsession du futur dans une perspecti
ve linéaire, mais, dans le temps circulaire, on aurait l'obsession de la
vie pleine et de qualité, aujourd'hui, "Le progrès personnel ne consiste
pas en une ligne historique, droite et ascendante, mais en un rapprochement
plus marqué du centre" (j)* C'est auJo\u?d'hui que l'intemporel peut pren
dre, en quelque sorte, un vêtement temporel. C'est aujourd'hrii que Je peux;
transcender le temps, non par la passion du progrès dans une opération
technico-scientifique ma,is par ma libération profonde, afin de "délivrer
notre monde du cauchemar de la science et de la technique avec leurs sous-
produits de l'automation et de la machine" (4).
Hotre Auteur parle aussi de teg^orisation, non pas en tant que retard
calculé apporté à une action mais, dans l'expérience de la temporalité en
Inde, comme expérience du temps tempitemel, c'est-à-dire celle d'un pré
sent unique, irréductible, non-répétable, seul à être, ni accablé par le
passé, ni stimifLé par le futur (5), '
31• Tolérance
CONCLUSIONS
Conme il le dit ; "cheminer peur mon propre compte et par des sentiers
vierges" (l).
C') Comment s'articulera sa réflexion sur Dieu et sur le ctfLte avec les
clefs de l'hétéronomie, de l'autonomie et de l'ontononde ? Que don
nera la synthèse entre la thèse et l'antithèse ?
d.^ Qu'est-ce que la foi pour lui, en fin de compte, si l'on sait sa pru
dence à l'égard du. logos humain, son souci préférentiel pour l'ortho-
praxie, son refus de dogmolâtrle son intérêt pour le mythes, son
attente d'une foi perçue comme question, comme dynamisme, comme ou
verture existentielle, plus que comme "bonne réponse" ?
e) Gomment nous présentera—t—il le Christ si l'on a entendu ses propos
sur Isvara et annonce une pensée plus "logocentrique" que "Jésus-
centrique" ?
f) Que donnera, sur tous les problèmes abordés, ce qii'il appelle une
hermeneutique diatoptique et pas seulement intra—culturelle ?
C H A P I T H E II
L ' ABSOLU
72
§ 2 - l'Inconnaissable ou l'Inépuisable5
§ 3 - Bralinia-jijnâsa ou le désir de connaître Dieu;
§ 4 - la contingence et le Dieu des philosophes et des savants;
§ 5 - la relation entre l'homme, le monde et sa cause;
§ 6 - Dieu dans les régimes d'hétéronomie, d'autonomie et d'ontonomie;
§ 7 - la foi comme question;
§ 8 - foi et logos I
§ 9 - le n^he de Prajâpati;
§ 10- la vision cosmothéandrique;
§ 11 - le n^stère trinitaire.
A. Iiït3£oduotiôrL
même si cela est difficile à admettre poto? le Srec d'autrefois comme pour
l'Hindou d'aujourd'hui, soit "la manifestation du non-manifesté, de celui
qui en soi est le Non-manifestahle " (l). Au-delà de la révélation cos
mique, Dieu veut "ouvrir la voie d'un salut supérieur" (2), "envoyant son
Fils pour faire connaître les secrets de Dieu" (5), ce qui amène le concile
Vatican II à conclure ; "l'économie chrétienne, étant l'alliance nouvelle
et définitive, ne passera donc jamais et aucune nouvelle révélation publi
que n'est dès lors à attendre avant la manifestation glorieuse de notre
Seigneur Jésus-Christ" '(4)* Cela n'empêche nullement que Dieu soit Dieu-
pour-tous, présent à tous et qvi'il donne à chacun la grâce et les moyens
de salut (5).
La révélation biblique est claire à ce sujet. Quelques rappels siif-
firont, sans développer ici le thème biblique de l'universalisme. Dieu
se souvient "de l'alliance perpétuelle entre Dieu et tout être vivant,
toute chair qui est sur la, terre" (6). C'est l'alliance noachique.
Dans la période postexilique marquée souvent par le particularisme, il
dit à Jonas -symbole du ïjuif moyen pour lequel Dieu est d'abord le Dieu
des Jioifs, "notre" Lieu plus que celui de Ninive, symbole du monde païen-
qu'il aura pitié de la ville "où. il y a plus de cent vingt .mille êtres
humains qui ne fsa,veat distinguer leur droite de leur gauche, et des bêtes
sans nombre" (7)* Vers 540 avant notre ère, il annonce un mystérieux ser
viteur souffrant qud s'offrira puur l'humanité entière (s), N'est-ce pas
Dieu aussi q-ui remplit la terre et le ciel (9) ? Ne chantons-nous pas, à la
sainte liturgie, le cantique des séraphins en Isaîe, "sa gloire remplit
toute la terre" (IO) ? :
B. Perspectives de R, Panikkar
§ 2 - H'INCOMiïISS/iBEE OU L»INEPUISABLE
A. Introduction
(1) Ex, 20 ; 4,
(2) Ex. 32 : 1 - 6.
(3) H. LE SAUX, Ig^rencontre de l'hindouisme et du christianisme, p. 62.
(4) H. Iml SAUX, Lg^oncontre de l'Iilndouisme et du ob-^-î^
(5) Ex. 3 : 14. """" "
82
H. LE SAUX joutant que le nom de Yahwé est "le nom qui révèle Dieu et qui
le dérobe tout à la fois" (l).
B, Perspectives de R, Panikkar
Le salut est par elle et en elle mais l'essentiel est encore à venir.
L'image du Bouddha le rend présent et absent. "Dieu ne fait pas du
théâtre" (l), "La dialectique doit cesser" (2). BraJm^ n'est visible
que pour im quart (3).
L'esprit humain peut décrire ce que l'homme voit, touche et sent.
Il se sert à ce moment des informations reçues par les sens, il décrit
ce qu'il observe, il analyse ce qu'il expérimente. Sa raJLson distingue,
compare, opère un tri, cherche les relations de cause à effet. L'esprit
induit ou déduit, il conjecture pour progresser, il émet des hypothèses
et veut les vérifier. Il tente des synthèses dont il sent à la fois
l'utilité et la relativité. Il écoute les autres et dialogue, H s'enfci-
chit des acquis du passé, il s'associe aux investigations qui lui sont
contemporaines, il prospecte pour perfectionner la connaissance de demain.
Ses questions sont des projets de réponse et il sait que sa loi interne
le pousse à avancer sans cesse. Mais l'humilité et la prudence intellec
tuelle sont des qualités importantes. Plus l'homme avance, plus le champ
de ses ignorances conscientes s'élargit. Cela l'excite néanmoins à pour
suivre sa quête de l'ultime,
(1) R, P/JIIKKAR, erste Bild des Buddha, p, 380. Dans Plumanisrao yCrus^
pp, 276 - 283, l'Auteur souligne aussi la discrétion et l'humilité de
Dieu, même en Christ, Lieu ne règne pas sur terre comme y régnerait
un homme, p, 284, Il est discret, p, 310,
.(•2) E. P/iDIKEAR, Das erste Bild des Buddha. p, 385.
(5) R. PARUa^AR, The Vedic Expérience, p. I9, L'idée revient souvent,
p. 74» etc. n l'emprunte atix écrits de l'Inde.
84
Ën évitant Se toEDér aans "le "relativisme potu? lequel tout est bon ou rien
n'est bon, il refuse d'oublier la relativité du langage et du discours
ainsi que la. transcendance de l'Absolu (l).
Il souligne aussi, à l'occa.sion, que l'Inde ne va. pas toujours dans
•un sens personnaliste comme les religions dites abrahamiques et que donc
l'approche personnaliste du di.vin n'est pas la seule possible. Le con
cept méditerranéen de Dieu pourrait faire difficulté aujourd'hui. Le
Bouddha, se tait pour sauver Dieu. Il peut y avoir une exq)érience du di
vin q-ui ne conduit pas au dialogue inter-personnel (2),
(1) Voir notre chapitre I, article Saison. E.C. ZAEHïïER, dans Inde, Israë],
Islam, p. 123, signale que pour l'.lindou les réalités suprêmes sont
inexprimables par des mots, d'où, notamment, le'ur tolérance et letir
étonnement devant nos querelles dialectiques. L'ultime est toujours
inconnaissable, po'ur les Hindous, et toute religion comporterait un
mélange d'erreur et de vérité, aucune n'aurait le monopole de la vé
rité, comme le dit M, DHAVAI'îOHY, dans l'hindoid-sme moderne, pp. 99 -
100.
(2) R, PAÎIIKKÂE., The Trinity and the Religions Expérience, pp. 28 - 29.
Le Père, dans la Trinité, exprimerait davantage à ses yeux l'aspect
inépuisable et apophatique du divin. Dans Los dioses y el Senor,
pp. 88 - 89, l'Auteur soTfLigne que la transcendance de l'Absolu n'est
pas seulement une preuve de la "débilité de notre connaissance» mais
qu'elle est inhérente à l'Absolu. Dans Himanismo y Crus, il parle
a.ussi, p. 270, de l'iia-affa-bilité divine et de la théologie apophati-
que, p, 271.
85
A. Introduction
(1) R, PAMIKKtiR, Lettre sur l'Inde, p, 31. Laiis Maya e Apocalisse, l'Auteur
explique que pour l^Inde, la religion ne naît pas d'abord d'une réy
flexion ou d'une décision personnelle ma,is de l'existence vécue, p, 25,'
On n'y distingue pas, par exemple, sacré et profane parce que tout est
sacré, parce qu'il n'y a pas de profane autonome, p, 26, La religion
y est présente partout, p, 27, Et il faut prendre l'appel spirituel au
sérieux, comme il le dit dans The Yodic Esq^erience, p, XXXV",
(2) R, PiJnKEAR, Lettre sur l'Inde, p, 83.
(3) R. PAMIIQCAR, L'homme qui devient Lieu, p, I5,
(4) R» P/iMIKEiLR, L'homme qui devient Lieu, p, 18,
(5) R» P/JîIKKAR, Le Christ et l'hindouisme, p, 115.
(6) R, PARIKK/iR, Le Christ et l'hindousime, p, 116,
87
Nouis ne pouvons toutefois nous arrêter ici, car ce serait réduire son
point de vue, nous semble-t-il, à un certain raisonnement métaphysique de
type occidental, La raison peut-elle dépasser les objets des sens ? Larai^
peut-elle parvenir au Bralma-jnâsâ ? Peut-être y aurait-il, en nous, une
autre "connaissance" que celle acquise par les sens (perception et sensation
soit la Buddhi des Upanisad ? A côté de la raison, qui ne peut pénétrer à
l'intérieur du monde pour'voir au-dessus et dans le monde le Principe suprê-'
me (5), il y a, en effet, la foi et l'intuition. D'une part, la foi qui no
tamment accepte l'autorité des sources extérieures à elle-même. D'autre
part, l'expérience supra-sensible qu'on appelle l'intuition, L'Inde ne sépa
re pas foi et raison (4). La "non-absoluité" du monde y serait un présuppo
sé à toute recherche intellectuelle et spirituelle, présupposé qui est la ré
sultante d'une vie religieuse (5),
Ce fi^e'st ac5nc pâs xxne raison iâiSsée à'elle-.mênie telle q.u»on petit la trotwer
dans tme certaine philosophie autonome de l'Occident, mais la raison d'tin ho-
mo religiosus pour lequel l'inadéqtiation ou la'hon-absoluité" du réel rencon
tré engendre le désir de connaître l'Inconnaissable (l).
(l) Peut-être po-urrait-on suggérer ici que la recherche philosophique occi
dentale sur Dieu, avec notamment l'argument de la contingence, part, en
fin de compte, du désir de Dieu et d'une recherche du transcendant ?
Même si la chose n'est pas toujours explicitée, , le"jeu dialectique"
n'est-il pas la résultante d'une certaine expérience religieuse ? Notre
philosophie serait-elle totalement coupée de la mystique, de la vie inté
rieure, d'un certain type d'existence ? Dans la foi, ne pouvons—nous
dire a.ussi que Dieu est au début de notre recherche métaphysiqvie même si
ce n'est pas évident tout de go pour tous ? Dn, philosophe occidental
par]a-t-il do Dieu indépendamment d'une certaine ouverture au mystère de
l'existence ? Celui qui veut "prouver" Dieu ne l'a-t-il pas pressenti ?
Ne veut-il pas exprimer avec sa raison un éveil déjà réalisé dans son
existence ? Ne serait-il pas simpliste de dire j "l'Ouest pense et l'Est
expérimente" ? Platon fait—il de la, philosophie sans ngrstique ? Que
dire de Plotin ? La pensée philosophique thomiste n'est-elle pas dans
la. Somme théologique ? Thomas et Bonaventure ne sont-ils pa.s des saints ?
La pensée philosophique de E.Eicoour est-elle totalement indépendante de
son protesta,ntisme ?
Que l'Inde dise plus explicitement le lien entre la philosophie et
la mystique semble assez évident. Que l'Occident l'ignore para,ît inévi
dent, même s'il ne le dit pas toujours explicitement. De même, il sem
ble plus fréquent, qua,nt auxpihilosophesparlant de Dieu, que les chercheurs
occidento,ux ne rêvent pas d'expérience mystiqtie autant qu'en Asie et que
des mystiques de chez nous ne sont pas obsédés de philosophie, comme si
le rapport philosophie-théologie-religion—mystique n'était pa,s encore
totalement résolu.
A, Introdiiction
B. Perspectives de R. Panikkar
A, Introdxiction
Le monde est, dans cette optique, perçu comme un mirage, comme une
illusion. Il ne peut nous donner une connaissance pure de Dieu, pas même
une connaissance analogique (4)» Sankara, si nous comprenons bien, esqui-
ve donc et le monde et sa relation à Dieu, N'utilisant pas l'analogie,
il considère que Dieu est sans attributs (5)» qu'il apparaît "comme une
personnalité théorique, comme un voyant absolu fixé dans sa propre lumino
sité passive" (6), S'il aime l'homme, ce ne serait pas d'un amotir d'un
"Je" pour un "Tu", il nous aimerait en lui. Il s'aime'lui-même en noud'(7),
La certitude sankarieme que Dieu est amour ne peut aller jusqu'à envisa
ger, semble-t-il, un amour porté à un objet extrinsèque à l'Un sans seconrh;
(1) P. JOHAIWS, Vers le Christ par le yédanta. I, pp, 224 ~223. Sur tout
ceci, voir aussi 0. UGOms, L'Absolu selon le Vldanta. pp. 53 - 86,
117 - 174, 213 - 276, Résumant "èankara, Raymundo PaniJdcar, dans Le
pp, 111 - 114,dit que, pour le prince des"-^'-
dantins, le monde a une origine et procède de Brahman. Le monde prend
àa source dans le Seigneur (l^ra) mais Brahman reste transcendant.
A-t-n une relation avec le monde ? La question resterait ouverte de
savoir si Isv^a^est cause. Le monde ne suffit pas pour faire connaî
tre Brahman, la sruti reste nécessaire à cette fin, une certaine expé
rience de l'Absolu serait possible comme "intuition de Brahman" grâce
a 1'^Ecriture et à l'intuition ou expérience advaitine de non-dualité.
Dlterieureiient, notre Auteur reconnaîtra qu'il interprète S^aj^ra et,
notamment, qu'il tire davantage l'Isvara 'sarikarion du c6té du Christ,
n^en faisani. •pas un simple avatSra, p. 157 et allant plus loin que
Sanlcara dont l^IsA^a est plus du- côté de Brahman. Dans Der Ishvara
dyjedajita, il stipule que illsva^. saàcarien n'atteint pas la média--
tion et que celui de RSmMiuja est aussi plus tourné vers le Brahma.n.
Il chercherait un mojren terme entre les deux penseurs védantins, voir
pp. 452 - 453.
(2) H, LPj S/iïïX, Sagesse hindoue, mystique chrétienne, p. 29.
(3) H. LE SAIJX, Sagesse hindoue, m^rstique de l'Inde, p. 111.
(4) H, LE SATJX, Sagesse hindoue, mystique de l'Inde, p. II7,
(5) H. LE SAÏÏX, Sagesse hindoue, nystique de l'Inde, p. 143.
97
D*1:018 part, Brahma est toujoxirs l'unique et l'ultime sujet, d'autre part,
tout le reste est un prédicat en ce sens que la matière et les âmes sont les
qualités de Dieu, Les étants sont produits de leur Cause mais celle-ci
subsiste dans son effet sans cesser d'être elle-même (l). Les êtres se
raient ainsi des transfoimations de l'Etre Cause première et non séparés
d'elle, celle—ci ayant une essence immuable et un revêtement accidentel.
Le Eéel serait une substance unique mais qualifiée (Lieu, l'âme, la nature
inconsciente). Dieu aurait ainsi un nombre infini d'attributs, tout en
restant sujet connaissant (2), La seule réalité serait Braim^ mais cette
réalité serait intérieurement complexe, comportant :
1) l'univers changeant et inconscient de la matière (Prakrti)j
2) la communauté- des atman finis ou limités ;
3) leur Cause ou le Seigneur (isvara), le Brahman et sa transcen
dance ,
J,B, Carman propose de très bea,ux textes où Dieu dit ce qu'il est (3)
et d'a,utres où l'on parle à Dieu, Dans les textes râmânujiens où Dieu
parle de lui-même, Brahman apparaît comme l'Etre suprême, celui qui est
au-delà de l'esprit tout en restant à la portée des dévots, celui qui est
le Soi de tout. Dote de toutes les qualités (4), 1© Brahman n'est en rien
souillé par la nature matérielle. Il est'le Soi de tout, aisions—nous,
toutes les entités sont ses modes, elles sont son corps (5), au point
qu'il est la cause de la moindre chose (6),
Le Soi fini anrait donc la même nattire essentielle que le Soi Suprême
(BraLman?) mais, à son niveau, tout peut être obscurci par la Karma etj de
plus, le Soi fini ne peut qu'avoir une connaissance intuitive du Soi su
prême par la méditation et par le yoga (l).
Il faudrait donc à ce Soi fini plus qu'une relation avec les choses.
Il a besoin de la conscience de son être en relation avec Dieu car une âme
sans Dieu serait inexistante comme la lumière sans le/Soleil, Oublier
l'appartenance à Dieu serait négliger l'essence de l'âme. Si donc le Soi
fini et le Soi suprême ont ensemble la conscience, la connaissance de soi,
la joie pure, le Soi fini se distingue du Soi suprême en ceci qu'il faut
au Soi fini le supplément de la connaissance du fait qu'il doit son exis
tence au Soi suprême, par lequel et pour lequel il existe, tandis que le
Soi suprême est autosubsistant et que sa nature essentielle peut être défi
nie sans référence à toute autre entité (2).
H semble donc que les êtres finis prennent plus de densité chez
Ramanuja que chez Sankara, Le Réel, en effet, ce n'est pas seulement un
Etre infini, sans plus, mais un Etre infini en relation avec des êtres fi
nis qui sont parties de la propre réalité de Dieu, La substance causale se
transforme en une autre substance qiii serait nouvelle et différente (5),
en sorte que la relation causale ne serait po.s entre Dieu comme cause et
le monde comme effet mais entre Brahman comme cause et Brahmn.n comme effet,
non sans risque de panthéisme.
Tout en voyant Dieu comme base ontique de tout, Ramanuja insiste sun le
fait que l'Absolu n'est pas a,ffeoté par les imperfections de son corps cos
mique, échappant par exemple au Karma, aux mutations et aux imperfections
cosmiques (l)» L'insistance sur le lien ontique ferait aussi que Dieu
serait à la fois accessible sans cesser d'être inaccessible (2),
A la place de la priorité que Saïikara accorde à la connaissance,
Eâmânuja mettrait la bhakti, l'amour de Dieu étant "à la fois la fin et le
moyen de notre réalisation personnelle" (3), Admirons Dieu, dirait-il, vi
vant et proche, en nous-mêmes, "notre moi-même contemplé sur un fond d'abso
lu et de plénitude" (4)» Insérés da.ns la transmigration (samsara) par le
kama, cherchons à retrouver l'harmonie universelle. Purifions notre corps
détachons-nous de 1^^ et du monde en tant que coupé de sa source, pDce+i
nons l'habitude de nous tourner vers Dieu, accomplissons nos devoirs sa,cri—
ficiels, pratiquons les vertus, installons-nous dans la sérénité, la, médita-?-
tien et l'amour (5).
Au terme de cette introduction, longue peut—être> incomplète certaine
ment, mais, croyons-nous, litile, nous voyons l'Inde marquée par le système
védantin, par la thèse centrale de la non-dualité ou de l'advaita. Les
éankariens et les Eamànujiens s'y retrouvent mais toutefois avec des diver
gences profondes face au problème de l'Un et du multiple, les uns tentés
de considérer le monde comme une illusion, à la limite comme a—sat ou non-
être, les autres plus portes a scficonnaître aux êtres finis une réelle
densité, mais se retrouvant tous dans la recherche de la fusion, de la com
munion avec le Brahman,
Sachant que l'Inde est imprégnée (bien que pas totalement semble-t-
il) par l'advaita du Vedanta, sachant que lîaymundo Panikkar est lui-même
pénétra par l'Inde, il nous semble intéressant maintenant de nous remettre
à son écoute afin de voir où il se situe sur cette toile de fond védantine.
Un seul paragraphe ne suffira du reste pas pour nous éclairer sur sa pers
pective de façon satisfaisante.
(1) J.B, C/ilîI'î/ilT, The Theology of Samanuja, pp. 128 —I30, L'Ecriture se
lon Eâmânuja affirmerait la forme divine mais nierait toute relation
avec l'impureté cosmique et le karma (voir p. 172).
(2) J.B, CAHîïAR', The Theology of lùunanuja, p, 174.
(5) P. JOHAJMS, Yers le Christ par le Yédanta, I, p, 208,
(4) P. JOH/AINS, Yers le Christ par le Yédanta, I, pp, 120 - 122,
(5) P. JOÎIAMMS, Yers le Christ par le Yédanta. I, p. 210,
102
7) Si Dieu est, aucun être n'est au—dessus de lui, ni. sans lui, ni sous
Irii. Sous lui, en ce sens que tout ce qui est ne peut être qu'effet.-de
lui. et existe en lui, et pour lui,
s) Si Dieu est, il est plus quelqu'm que quelque chose, un "Je" un"Je"
qui dit : "Tu". Uous sommes le "vous" de Dieu.
9) Si Dieu est, il y a une relation entre lui et nous, une relation que le
professeur PaniKkar qualifie de réelle, de concrète, d'existentielle,
de personnelle, d'intime, de particulière. Si Dieu est, il n'y a pas
d'athées ; s'il existe des gens qui ne se savent pas aimés par Dieu,
ils n'en sont pas moins en Dieu, pareils à des enfants endormis contem
plés par leurs parents mais qui ne sauront cet amotr qu'à leur• réveil,'
Notre Auteur serait donc anime, comme l'Inde, par un sens profond de
l'unité de l'être (2), Il est convaincu que la sruti est une source enri
chissante pour notre propre quête de l'Etemel mais il ne partage pas les
idees sankariennes sur la "personnalité théorique" de Dieu ni sur un amour
divin non extrinsèque à l'Un sans second. Il ne minimise pas la densité
du multiple. Il ne parta,ge pas non plus les faiblesses du système mmâ-
nujien concernant la dureté du mouvement karniique ou la préexistence des
âmes (3).
Il relève, par contre, pour les partager, les éléments fondamentaux
des différents systèmes» P, Johanns, déjà en 1952, concluait que toutes
les doctrines importantes sont dans le jedanta mais sans y être articulées
dans un système cohérent. Elles sont, à ses yeux, compatibles, par exem
ple, avec le thomisme mais à condition de dépasser les systèmes contradic
toires (4), Le meilleur système ne devrait-il pas être un système ouvert,
reprenant les parcelles de vérité émises dars-'les autres ? Peut—on être
seulement platonicien, ou aristotélicien, ou thomiste, ou ca3rtés3.en ou
marxiste ? Ne devra,it-on pas plutôt se laisser féconder par les parcelles
venues d'ailleurs, tout en sachant, c'est clair, que la fécondation mutuel
le de vérités éparses peut engendrer un nouvel être (qui est é/entuello-
ment un système en puissance) tout en évitant un syncrétisme fa,de et
amorphe ?
n voit l'Inde mettre l'accent sur le fait que le monde est symbole
de l'absolu, expression d'un seul et même être, l'abîme subsistant entre
le symbolisant et le symbolisé (3), ajoutant en note : "ce n'est pas le
panthéisme, mais au contraire l'exclusivisme de Dieu, c'est-à-dire le
théomonisme, qui est le gros écueil de la pensée indienne (4)«
A travers la parabole de la cruche (5)» il montre que pour 1'Inde
"toute chose est figure limitée et rétrécie de l'absolu" (6), L'intuition
védantine est'l'expérience d'une vision non-dualiste de l'être, une per
ception des choses non comme objets (Dieu ne connaît pas d'objets) ni com
me contenu, mais en tant qu'attitudes et gestes de Dieu.
L'Occident parle des choses comne syaholes, en tant qu'on peut à partir.-
des êtres parler de Lieu par analogie. Pour l'Inde, la chose est symbole
de Lieu, c'est-à-dire Lieu lui-même en tant qu'épiphanie, en tant que,,,
chose, car la chose n'est rien d'autre que Lieu sous 'l'apparence' de la
chose présente?'(1 ), "Le symbole est théophanie, ou mieux encore, ontopha-
nie" (2).
Lans l'ensemble des êtres, l'homme porirrait être défini comme "la
partie visible où toys les ordres do la réalité se croisent" (3), "il est
le carrefour d'une réalité qui emhra,sse Lieu jvisqu'aux choses matérielles,
en passant par tous les êtres" (4), L'homme serait, pourrions-nous dire,
non pas la cause fa,isûnt exister le symbole ou la théophanie, mais le lieu
terrestre, le lieu historique grdce auquel le symbole est perçu comme sym
bole, la theitphanie comme theophanie,l'ontophanie comme ontophanie,
Lépassant la perspective matérialiste où la matière n'est renvoyée qu'à
elle-même, dépa,ssant l'activité de pure production en servant la terre, la,
société, la science et la technique, l'homme est appelé,aux yeux de
R, Panikkar, à être Ift "carrefour" et à poser "l'acte sacerdotal.., libé
rateur de la nécessité physique" (5), H ne se sauverait pas da,ns les
bras d'un Lieu étranger, tout à fait transcendant, ni ne s'anéantirait
dans un Lieu tout à fait immanent. Il serait lui aussi créateur du monde.
On dépasserait ainsi une perspective hétéronome de la création, on échap
perait au matérialisme, on éviterait le culte autonome de la productivité,
on ne s'enfermerait pas dans le "scaphandre technologique" ou la "mégat--
chine" (6) et cela pour s'épanouir en régime d'autonomie.
Potœ lui, comme lio-ur le Vedanta, Dieu- et le monde ne seraient "ni un,
ni deux" (l). On peut nier le dualisme sans verser dans le monisme. On
doit refuser le dualisme exacerbé qui établirait à la limite le monde en
face de Dieu, hors de l'Absolu, comme un nouvel absolu niant l'Absolu lui-
même, On devrait de même rejeter le monisme exacerbé car il est évident
que l'identité absolus ne permettrait aucune différence, Is^vara intervient
ici pour penser Dieu et pour l'unir avec le monde dans l'hindouisme, comme
dans le christianisme (2), Il est exclu aussi d'imaginer l'Absolu
dépendant en tant qu'attaché au monde parce qu'en étant responsableo
D'autre part, "une non—relation absolue rendrait le BroJhman superflu" (3)»
L'être caché, la vie intérieure et transcendante de Brahman, la première
cause qui est base causale ne tolère rien hors de soi qui serait dernier,
"a cote de " ou "aUf-àela de", ou "pa.rallèlement à". Dieu est celui de qui
tout vient, à qui tout va, en qui tout est. Mais en même temps, il ne
s'agit pas seulement du Père, du Dieu silencieux, mais aussi d'Isvara, du
Logos, du Christ, Le Brahman transcendant est on Isvara l'origine du monde.
Où en sommes-nous ?
(l) H.P/iNIIŒIin, dans Los dioses y el Senor, pp, 91 - 92 dit aussi que le
monisme ontologique reste le péril de l'Inde,
112
(1) On devrait ici consulter les spécialistes. Sur les différentes concep
tions du panthéisme, voir, par exemple, P. GPiSGOIRE, Hegel feuerbach,
p. 95. "
(2) M. BIARDE/iU, Clés pour la pensée hindoue, p. IO9.
(5) R. PANIKKAR, Le mystère du culte, p. 127. Il rejette clairepant, pan
théisme et monisme. "Voir encore Philosophy as life-Style, pp. 202 -205;
Por an Intégration of Reality, p. 73 et p. 88, etc.
(4) Dans Por an Intégration of Reality. p. 44, Raymundo P/AHKKAR regrette
que philosophes et théologiens aient distingué, sinon parfois séparé,
le monde et Dieu, ceci soit dit tout en admettant une hiérarchie entre
les êtres. Pîême pensée dans sa critique de Platon et de Sankara (pp. 78-
79). Pe même, on ne peut nier le monde pour ne voir que l'âme ou que
Dieu, conmie dans le gnosticisme qui condamne le monde (p. 87), Il
parle ailleurs de la paranoïa du monlstie et de la schizophrénie du dua
lisme (p. 73), Voir aussi Advaita and Bhakti, p. 304; Œhe silence of
the word, p. I63, Religioni e religioni, p. 70,
(5) M. BIIJSMiU, Clés pour la pensée hindoue, p. IO9. Ces oppositions pour
exprimer 1 ' inexprimable ne sont-elles pas une constante dans les ïïpanisad
115
A, Introduction,
Si nous rappelons cela, c'est parce que Lieu est perçu différem
ment selon la personne qui le cherche et l'approche, et qui le cherche
et l'approche avec un point de vue particulier et déterminé„ Ainsi,
quelqu'un qTii se situe dans'xin régime d'hétéronomie ne rencontre ou ne
perçoit pas l'Absolu comme celui qui vit en réaction autonome. Nous re
trouvons donc, comme prévu, mais soua un angle nouveau, le problème de
l'Absolu et de son approche par l'homme, catholique ou hindou, jeune
114
ou vietccj traditionnaliste oti mEirqué par les idées dites raodemea, Nous
devinons, par là même, la relativité du point de vue de chacun et, dès lors,
la relativité du discours que la raison va développer sur l'objet de son
investigation. Nous pressentons, aussi, qu'un point de vue, quel qu'il
soit, est détotalisant s'il n'est celui d'un Etre Absolu mais celui
d'êtres relatifs et situés, conditionnés scoiD-culturellement, Nous de
vrons aussi nous-pencher sur- la relativité du logos et tenter de voir
oonnnenbpourrait s'organiser au mieux la rencontre des religions et, sin
gulièrement, celle entre l'hindouisme et le christianisme, car, ayant des
points de vue divers, les religions organisent des discours diversifiés,
bien qu'il n'y ait qu'un seul Absolu, qui est nécessairement le même, à
la source, pour tous.
B, Perspectives de 1, Panildcar
(1) E, PMIKKAE, dans The Trinity and the Religions Expérience, .p, 50,
écrit que le péché contre le Père est la cassure avec l'Infini, la
négation de notre divinisation, l'enfermement dans le fini, " Le dé
sespoir est le refus de l'Infini et la suffocation dans le fini", ce
qui, comme tel, se retrouve souvent dans le régime d'autonomie,
(2) Yoir les exemples donnés par R, PANIKKàR, Le culte et l'homme séculier,
p. 57.
117
Il admei; aussi qus sss sufanis iTSçoivsn'fc un cotms de neligion pance que
cela leur donne des principes, à condition que ce cours soit' facultatif,
cela va de soi, car la religion est une affaire privée qui perdu ses
privilèges d'autrefois.
A, Introduction
Après avoir observé connent Dieu ost perçu dans les régimes d'hé-
téronoraie, d'autonomie et d'ontononie, nous écouterons R, Panikkar con
sidérer la foi comme dimension constitutive de l'homme. Dans cette pré-
senta,tion personnelle^ il l'envisa,ge plus coiame question que comme ré
ponse.
B, Perspectives de R, Panikkar
C'est, dans l'hoimiie qni devient ('t) que notre Sutevir dévlloppe
ses conceptions sûr la qtiestion qui nous retient présentement..
(1 ) R, P/ilIEICAR, L'homme qui devient Dieu, qui est une intervention sur la
foi dimension constitutive de l'homme dans IV^he et foi (pp, I7 - 63)
a.ux colloques de l'Institut d'Etudes hvma,nistes et philosophiques de
Rome en 1966, Rous le citons dans l'édition de I969,
(2) R, P/iRIICKAR, L'homme qui devient Dieu, p, 26*
(3) R, PARIKK/'iJi, L'homme qtti devient Dieu, p, 5é,
(4) R, PANIKIC/Jl, L'homme qui devient Dieu, p, 39»
(5) R, P/iRIKKAIi, L'homme qui devient Dieu, p, 4I •
(6) R, P/iUKKAR, L'home qui devient Dieu, p, 42,
(7) R, P/JnKKAR, Los dioses y el Senor, p, 78»
125
n voit donc la foi corne vine ouverture existentielle et l'acte de foi con-
me auréolé de la mène dinension, soit la dinension existentielle.
En 1961, aux Colloques de liome, dans la discussion qui suit son expo
sé, notre Auteur précise que sa pensée, sur cette question, est encore
"en voie de développement" (1), Déjà, cependant, il a la certitude, qui
lui tient toujours à coeur, de "l'universalité de la foi au-dessus de la
particularité des croyances" (2), Il soutient qu'une foi qui a un contenu
intellectuel n'est pas salvatrice sans ce contenu, qu'elle ne peut le né
gliger ou en faire abstraction, maj.s il ajoute aussi qu'une foi différente
de la nôtre peut être salvatrice car aucune foi ne peut être "simple
gnose" (5).
"L'acte de foi est l'acte hunain fondamental par excellence par lequel
l'homme répond à l'appel de la, transcendance et remplit le trou provoqué
par cette ouverture. Ceci est l'acte qui sauve, qtii libère l'homme" (2).
La croyance serait davantage la prise de conscience intellectuelle globale
de l'homme et le chemin par lequel il se voit capa,ble de réaliser l'acte
de foi (5), Ces croyances articulent la croyance dans des affirmations
intellectuelles. Les dogmes sont les croyances fondamentales cristallisées
dans une tradition, sanctionnées éventuellement par une autorité et s'or
ganisant en un corps qui constitue l'orthodoxie.
Dons son optique, la religion est "le chemin qui conduit l'homme de
son prédicament présent à ce qu'il croit être sa destinée ultime : un sen-.,.
tier vers le salut ou la libération" (4),
Nous croyons sentir, en tout ceci, des racines hindoues profondes à la
base de la pensée paniKkorienne, Encore faudra-t-il voir s'il n'y a aucun
problème à penser de la sorte lorsqu'on se trouve deva,nt une religion de
type prophétique comme c'est le ca,s dans la tradition Juive—chrétienne (5)»
§ 8 - FOI ET LOGOS
A • IntrodTootion
B, Perspectives de R. Panikkar
On voit la raison :
(1) R® PANIKKAR, L'homme qui devient Lieu, p. 35» Mais il y aurait toujours
une transcendance de la réalité et de la vérité par rapport à la con
naissance et au disootirs humain comme le dit l'Auteur, dans Los
dioses y el Seîïor, p. 84.
(2) R, PANIKKAR, L'homme qui devient Lieu, p, 41.
(3) R. PANIKKAR, L'hoimne qtii devient Lieu, p® 34, Le problème se pose,
pour nous , de savoir qui dira à l'homme ce qu'il doit être.
(4) Voir J. RIES, Rencontres des croyances et des religions de l'Inde ,
pp. 236 - 243.
(5) Voir surtout J. MONCHANIN, Mystique de l'Inde, mystère chrétien.
(6) Le lien est clair entre Monchanin et Le Saux. Voir H, LE SA.ÏÏX, sur
Monchanin, Swami Parana Arubi Anandam en 1958 si leur colla,boration pour
pour A benedictine ashram^ pour Ermites du sa,ccidânanda.
(7) Voir les appréciations dans R® LE SMET, J. NEUNER, La quête do l'Etemel,
pp. 59-6OJ 73 - 75; 83; 87-88; 98-100; 111-116; 125-127; 138-139;
152-153; 163 -164; 174-178; 186-187; 198-199; 209-213; 250-231;
243-'244; 253-254; 302-305; 345-348; 358-358.
153
Dams une certaine mesure, on pourrait donc dire que l'unité existe
déjà entre les hommes si on les considère dans leur source radioa,le qu'est
Dieu, mais que le problème est d'en prendre oonsoienoo. Cette prise de
conscience serait elle-même un fait religieiix, ma-is ne devrc,it-elle passer^
aussi, pam la ra-ison ? Si celle-ci n'est pas le tout de l'homme, n'en
constitue-t-elle pas une des richesses majeures dont il est difficile de
faire abstraction ? Pourquoi ne serait—elle pas au rendez—vous ?
ÎTous percevons l'intérêt des perspectives panikkariennes. Nous sa
vons que la comparaison des discours peut n'être que jeu d'éruûits, nous
comprenons aussi que la polémiqué ou la controverse ne résolvent pas tous
les problèmes de la vie. Nous nous rappelons aussi l'humilité du langage
et ae la, ra,ison. On peut toutefois continuer de s'interroger.
En arriver à des affrontement dialectiques, cela constitue-t-il en
soi la mort de la pensée et du progrès, de la philosophie et de la théolo
gie ou bien un tel affrontement, dans la charité et da,ns la foi, ne serc,it-
il pas pour l'homme une chance d'aboutir un jour à la clarté ? La raison
est-elle l'ennemie de l'existence ou bien repose-t-elle sur celle-ci ?
L'existence ne porte-t-elle pas en elle une aspiration à la raison, à la
structure, à une certaine clarté ? Y a-t-il en soi conflit entre le dialecr
tique et le dialogique ?
(1) R, PAJnSKAE,. Le Christ et l'hindouisme.n. 34.- Dans The Trinity and the
Religious Expérience, l'Auteur suggère au Christianisme de dépasser ses
particularités culturelles. "Le dépouillement chrétien devrait être com
plet" (p. 3), La foi chrétienne devrait conduire à la plénitude et àla
conversion de toutes les religions. Elle vit dans le temps et le coeur
de l'homme. Il lui faut une forme historique par conséquent, mais une
forme qui est me forme. Le christianisme actuel est lié à l'Occident
mais on ne pourrait sans particularisme l'identifier avec la foi chré
tienne (p. 4),
(2) R, PAMKKAR, tlythe et foi, p. 55,
135
2) la raison s'escprime par des mots et des exposés mais ceux—ci peuvent
parfois faire écran
Elle pourrait, dans cette ligne, éviter d'identifier trop tôt le Logos avec
ke^ygma, le Logos avec un message, alors que l'Occident a, peut-être,
intellectualisé trop le don gratuit qui était transmis (1),
En plus de l'initiation, l'hindouisme fournit un effort poxir une her
méneutique absolue (mlmansa) dépassant toxijours la simple analyse ration
nelle. Cette herméneutique étudie soit le dharma -elle poarbe sin? l'action
et les actes rituels sauvertrs en se centrant sur les brahmana (2) - soit
s'agit alors de mimânsâ suprême, ou uttara-mimâhs'â,
appelé Tedânta ou brahmamimânsâ dont le but est de faire connaîtrel'Absolu,
en se centrant sur les ïïpanlsad (3), Pour l'hindouisme, la sruti est per
çue bien autrement que la Bible ou que le Cora.n. Getix-ci contiennent un
message venant d'ailleurs, nécessitant des prophètes, exigeant la connais
sance de leur ethos pour les interpréter ainsi que des institutions auto
risées pour assurer leur pleine compréhension et l'on assiste alors à "la
course des herméneutiques" (4). Pour la "srati, qui serait étemelle, les
choses sont différentes î elle est sans auteur, elle est elle-même la pa
role intégrale, le révélé en soi et non le véhicule d'un message venu
d'autre pajrt (5),
(1) R, P/jnKKAIi, Sur l'herméneutique de la tradyion, pp. 346 - 347.
(2) R. PAITIKKAR, Sur l'herméneutique de la tradition, pp. 347 - 348, Sur
les règles et sur l'esprit de ce mîmansa, voir Le fondement du pliira-
lisme herméneutique, dans ^mitizzazione e Imagine, pp. 243 - 269,
(3) R* PAîriZKAii, Sur l'herméneutique .e la tradition, p. 349»
(4) R. PAÏTIKKAIi, Sur l'herméneutique
.e la tradition, p. 351» On peut di
re au passage que les institutions contrôlant la qualité des herméneu
tiques n'existent pas dans toutes les confessions chrétiennes.
(5) R. PAiUIŒilR, dans Spiritpaltta indu, p. 36, écrit ; "La révélation
chrétienne est 1' automanifestation divine en Jésus Christ" qui est plus
une personne qu'une doctrine et qui serait plTis qu'un fait limité his
toriquement, soit la "personne théandrique du Christ qui parle, c,git et
se révèle non seulement dans le passé historique, nais aussi dans le
présent concret et dans la sphère supranattirelle de la tempemité".
La révélation hindoue, par contre, serait plus le fait d'une illuiaina-
tion interne liee a la, méditation de la sruti» La révélation védique
différé de la Bible, dit l'Auteur, da,ns The Vedic Expérience, pp. 13 -
14, en ce sens qu'elle révèle l'homme au milieti des trois mondes : le
divin, l'humain et le cosmique, plutôt qu'elle ne proclar.ie un messa,ge
divin transmis par un médium de type prophétique.
157
§ 9 - LE MïTIffi DE PTIA.JÂPATI
"Une foi q_'ui prétend être "universelle, doit pouvoir inspirer, fécon
der, convertir des religions autres que celles qui jusqu'à présent ont été
le véhicule de cette foi, elle doit être capable aussi de se grèffer sur
d'autres mythes Nous croyons qu'me fécondation mutuelle entre hin
douisme et christianisme dans la profondeur mythique,, est de nos jours non
seulement "une possibilité, mais aussi un impératif de notre kaxros" écrit
B». Panikkar (l).
Nous nous rappeloihs la pensée de l'Auteur sur le mythe , sur ce qu'il
entend par mythologomène , mythème , démythologisation et transmythi-
sa-tion, Nous savons qu'à ses yeux le mjrfche exprime mieux que le discours
logique intra-culturel ce que l'homme est (2) et le dynamisme profond de
chaque être (3)« Comme le présent chapitre est centré sur Dieu ou l'Absolu,
nous nous devons de sui"vre le professeur de Santa Barbara dana sa lecture
du mythe de Prajâpati, un mythe sur Dieu,
Le mythologomène de Prajâpati nous révèle celui-ci comme Dieu par
excellence, de qui tout est né, qtii a l'énergie procréatrice, qui est
l'Unique, le premier sacrifiant, l'Etre comme Absolu, le itoahnan, le
Principe Suprême, la Réalité Ultime, "Dieu est le Q;ul sous—jacent à tout
et vers lequel tout se dirige" (4),
1 ® "i In solitude
3° - 1'intégration
Une fois nées, les créatures s'éloignent de Lieu, parce qu'elles craignent
d'être réabsorbées par lui. Les voilà cependant en pleine confusion.
Affranchie du Créateur, la créature devient chaotique. Lieu doit rentrer
en elle pour lui redonner^ vie, Léguisée en vache, la créature est fécon
dée par Prajapati sous la forme d'un taureau (2), "Lieu doit redescendre,
la manger, s'unir à elle, perpétuer donc l'inceste pour la diviniser, pour
la faire parvenir à l'unique fin que Lieu peut avoir : lui-même" (5),
R, PiJIIKICAE, La faute originante, p* 75.
R, P/JLEKIUIR, La faute originante, pp, 77 - 78.
R, PAUIKEAR, La faute originante, p, 78» Voir aussi le retour des créa
tures à Praja,pati dont elles omanont dans la Prasna Upanisad, II, 7, p, 15
et dans la Mundalca Upaniga^d, I, 1, 7, p, 85 II, 1, 1, p. 11, Sur les
mythes hindous de l'inceste, R, P/JCEKEAR, dans Mora-le du mythe, p, 56O,
note les références aux écritures sacrées de l'Inde dans lesquelles le
thème revient souvent, Uous devrons aussi renvoyer à rin antre article im-;
portant sur la qiiestion, The myth of incest as symbol for rédemption in
Vedic Indig, pa,ru dans Types of rédemption, pp, I30 - 143,
Nous y retrouvons les étapes du mythe s le vide total initial,' l'Un incons
cient, la, 3olitu.de qui prend conscience d'elle-même, le désir de procréa,- -
tion, la créa,tion, comme acte sacrificiel et démembrement du corps, le dés-
intéresseiaont' des créatures et l'inceste qui exprime non la création cos-^
mique mais un second moment auprès la "faute originante" du sacrifice pri-
mordial. Voir pp,_^133 - 139 avec références nombreuses.
En fécond.ant, Pra.1apa.ti no peut fa^talemont que pénétrer une créature issue
de lui. L'inceste pourrait s'expliquer en fonction de différents motifs,
soit 1) un type anthropomorphe d'amour où le Créa^teur tombe aiïioureux de sa
fille; 2) le désir de donner vie à un être créé imis encore inerte; 3) la
volonté de ramener les créatures vers leur fin; et 4) aussi faire partici
per la créature à la fécondité divine, où, autrement dit, élever la créa,-
t^•lre au rang de partenaire pour que le monde continue, dans le sens d''.une
"divinisa,tion dsnianique", p, 139. Le tabou de l'inceste pourrait ainsi
être expliqué, bien que n'étant pas universel, par l'interdiction d'imiter
l'ante même de l'Absolu, p, 143. Sur les trois éta,pes : solitude, sanri-
fice et intégration, voir aussi The Vedic Expérience, pp. 51-54 et 78.
142
(1) On le retrouve résumé dans E, PAtmaLlE, Morale du mythe, pp. 562 - 363.
l'iême scénario dans Phe silence of the word, pp. I60 - 162.
(2) R. PANIKEAR, La faute originante, p. 84; feyâ e Apocalisse, pp. 80s.;
Création and Nothingness, pp. 344 - 352.
(5) PANIKKAR, La fa,ute originante, p. 85; Le mythe comme histoire ssnroe,
pp. 267 - 269.
(4) R. PANIKKAR, La faute originante, p. 86.
(5) R. PANIKI{7iR, La faute nriginante, p. 85.
(6) R. PANIKKAR, Eor an Intégration of Roality. p. 20
145
Une telle pensée semble intéressante sur plus d'un point. N'est-on
pas séduit par ce mythe progressif ? N'est-on pas séduit par l'idée et la
clarté de ce cheminement en trois étapes ; celle de la solitude, celle du
sa,orifice, celle de l'intégration ?
§ 10 - M HSIOÎT G0SÎ40THEM1I)RIQ,IJE
I, Le moment oecTJmeniq'ae
L'homme affirme alors qu'il faudrait user de la. nature plus raison
nablement, Naît un nouveau logos : c'est l'écologie. Elle veut réconci
lier l'homme a.vec la nature. L'homme ne se considère plus comme un monar
que absolu, dit notre Auteur, mais comme un "monarque constitutionnel" (2).
On parle alors de relation "anthropocosmique" (5)« On pourrait introduire
ici le concept de "techniculture" pour désigner la nouvelle conscience de
la relation homme—monde, pour exprimer la nouvelle sensibilité par rapport
au corps, à la matière, à la société et au monde,
Dans cette perspective, pas de Dieu sans le monde, pas d';5me sons
corps, pas de monde sans dimension divine ni dimension de conscience. Dieu
ne sero,it pas sans ma,tière ou sans espace. Si Dieu était soustrait do sa
créa,ture, celle-ci s'évanouirait. Ainsi, le lien entre les choses fait
exister les êtres. Pa,s de monde sans créateur. Si le théiste peut penser
in a,bstraoto un Dieu sa,ns créatrire, ce Dieu n'existerait pa,s car il n'exis
te pas, puisque ce qui existe en fait est un Dieu avec créature.
/
Isvara serait le Créatetœ, la grâce, la connaissance de Brahman, le
Seigne-ur, Il est Brahman, et il le sait. Il est le Bien qui agit et au
quel on aspire. Il fonde et la transcendance et l'immanence de Brahman (1 ),
Pour l'Auteur, dans ce passage, on aurait un Brahman nirguna, sans lien,
immuable, unique, simple; ensuite le monde, susceptible de changements,
multiple, composite, doté d'attributs. ^
Entre le Brahman nirguna et ce mon-
—• - '• '• • !
L'Absolu désignerait le Père qui n'a pas d'être, en ce sens que l'être
du Père est le Eils. Le Eils serait l'identité du Père (3) et ce Fils
"ne peut influencer l'apophatisme de l'être du Père" (4). Dans l'Esprit,
l'home serait uni à Dieu^ Il serait un avec le Eils et atteindrait la
divinité sans toutefois accéder à la fusion avec le Père, La transcendance
divine serait sauvée et "la îtcinité chrétienne est ici la garantie pour la
distinction appropriée sans séparation" (5), Aux yeux de l'Auteur, advaita
et Trinité ne sont pas des antipodes. Les deux dogmes cherchent à sug
gérer 1'ineffabilité du mystère ultime (6). Ce qui nie la Trinité, c'est
la négation de la Trinité, dit—il, et non 1'advaita et ce qui nie 1*advaita,
ce ne serait pas la Trinité mais la négation de 1'advaita (7).
(1) Nous y reviendrons au chapitre 5, paragraphe 10, Disons simplement ici '
que l'Auteur appelle théologie "indienne-chrétienne" une théologie chré
tienne traditionnelle et occidentale qui s'efforce de s'adapter au mi
lieu de l'Inde, par un travail de traduction ou d'indigénation, et qu'il
appelle théologie "hindoue-chrétienne" une théologie qxii part directe
ment du topos de l'Inde, ce qiii est assez nouveau et suscite un intérêt
et un a priori favorable, nous senble-t-il,
(2) R, PANIKEIiR, Rtatattva, pp, 37 - 39»
(3) L'Auteur souligne son attachement à une interprétation orthodoxe et
ecclésiale comme il le dit dans The Trinity and the Religions Expérience,
p. 6,
158
(l)ïïous suivrons ici The Trinity and the Religious Expérience of lyian, paru
en 1973 et 1975 et revoyant The Trinity and ¥orld Religions. Icon,
Person. Fystery, publié à iMadras en 197O. Voir aussi,de notre Auteur,
Tovifard an Bcumenical Theandric spirituality, pp. 507 - 554.
159
(t) li* PANIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, pp. 1*1 —15,
Israël sera,it le champion de la, vraie idolâtrie contre la fausse, dit
l'Auteur, car "l'ioÔne ne doit pas toujours être représnntée iconographi—
quement", p, 18,
(^)R, panikkar, The Trinity and the Religions Expérience, pp. 15 - 16.
(5) R. PANIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, pp. 19 - 20, Les
Juifs n'ont pu reconnaître Dieu dans le fils d'un artisan, dit l'Auteur,
dans Humanisme y Gruz, p, 275,
160
(l) H, PANIEKAR, Thg Trinity and the Religious E;rperienoe, pp. 27 - 28^
The theandric vocation, p, 73; Los dioses y el Seïior, pp. 13, 31 ;
Voir aussi Humanismo y Cruz, pp. 257 - 268, Le christianisme ne con
naîtrait-il pas la crise de Job, p. 263?
162
L'Absolu n'est pas, alors, un Créateun fa,oe à des fils et à des créatures,
mais l'atna,n, le Soi, le Soi de tout (l). Dans cette perspective, la priè
re n'est plus une denande ou -une louange, elle est la prière de quoiqu'un
q\ii ne sait pas qu'il prie. C'est ce que l'Inde appelle le quatrième
état (2),
(1) E, PAWIKIOIR, Tfae Trinity and the Beligious Ebroerience. p. 33^ souligne
que ceci n'est pas spécifique à l'hindouisme des ïïpanisad mais qu'il
y a des ra,pprochôments possibles avec des expériences mystiques dans
le judaïsme, le christianisme et l'islam. Cette approche peut poser
quelques questions. D'abord, poj? exemple, si la mystique désigne
l'expérience de Dieu qui s'unit à nous et non pas le désir profond de
l'homme de se sa,isir du divin ou une expérience psychologique paj:ticu-
lière sa,ns référence à la révélation du mystère dn Dieu, on peut se de
mander 4ans quelle m.osure une spiritualité non-personnaliste débouche
sur la mystique authentique. Le problème est complexe. Yoir
L, BGUTilîB, dictionnaire théologiquo, article ILvstique et mysticisme.
pp. 449 —452. De meme, si la théologie est une médita,tion des mystè
res ou une critique des concepts tolérables, arrivant à une synthèse
élaborée, soucieuse de clarté, do fidélité et de foi, 1'escpérience du
quatrième état dans le projet upanisadique peut—il déboucher sur une
théologie ? Bous nous permettons donc, au passage, de stiggérer une
grande jorudence pour la comparaison entre 'hystique upa,nisadique" et
mystique chrétienne.
(2) La lecture des ïïpanisad montre l'obsession de l'immanence, la convic
tion profonde de l'intimité divine avec Braliman. Arriver au Sujet pur
du sujet mène au Soi ptir de Brahman dit la Katha-ïïpanigad, II, 11-13,
p. 11; III, 2, p. 13; TV, 1 - 2, pp. I4 - lé; Y, 9 -_11, p. I6. On
retrouve l'idée de salut pa,r l'identification entre atman individuel et
âtman universel dans 1'Aitereya ïïpanisad, p. 9, Introd. de L. SILBÏÏIÏÏT4
voir Y, 1 - 4, p. 27; voir aussi la iîaitry ïïpanisad. II, 2, p. 15,
Ohandogra ïïpanigad. III, I4, 3-4, PP. 39 - 40; 10:11, 3 - 4, p. 111;
YIII, 7, p. 114; la Kaivalyopanisad. I, I6, p. 5; II, 24, p. 9 ;
"Tout entier témoin, exempt d'être et de non-être, on va vers la forme
pure de l'Atman Suprême", Ce serait l'enseignement de la.
Bralimabindupanisad. d'après B. TÏÏBIIO!, voir v, 7, p. 15 ; "par la pri
se de conscience silencieuse on a^tteint l'Stre". Dieu réside en nous
pour 1'Atharvasira ïïpamisad. Y, p. 11. Recherche de la» même identité
dans la Brhad-Aranvaka ïïpanisad^. lY, 4-5, p. 80; Y, 1, 1, p. 92.
Dieu est en nous pour la l'fcha Harâyana ïïpanisad.71. 231 - 232, 259,
p. 63, "dans la caverne du coeto?", XII, 469, pp. II6 - 117. L'intimi
té communiante serait acquise non pas d'abord par le raisonnement (iCatha
ïïpanisad. section 2, 8-9, P» IO), ni par l'exégèse ou bea,ucoup d'étu-
(lén-tha ïïpanisa.d. II, 23, p. 12) mais par la médita.tion
(iCaivalyopanigad.1. 2, p. 5) et le quatrième état. Les quatre éiats sont
vaisvana.ra. (etat de veille avec pensées), taija.,sa (sommeil avec rêve),
prajna (sommeil sans rêve) et turva ; l'état "où s'abolit toute discri
mination, toute connaissance, y compris celle qiii ne comportait plus de
différences, évanouissement total dans un absolu inexprimable, impen
sable ... Cet étai dernier ... c'est le Brahman suprême, celui de qui
l'on ne peut dire que non ! non ! Le Soi du Soi"..."spiritualité
absolue" écrit E. LESHLPLE, Introduction à la Eandiôkya ïïpanisad. p. 4.
164-
(l) E, PAÎTIKK/lIl, T^e Trinity and the lieligious Expérience, p. 54» H est
souvent question de ces quatre états dans les Upanisad. Voir, par exem
ple, la mndulqya ïïpanisad, 5-5, 9-12, p. 19; l&rika, I, 1 - 5,
10 - 18, 22; la Ghandogya ïïpanisad, VIII, 10, 1, p. 116, VIII, 11, 1,
p. 117; la Brhad-Aranyaka -ïïpanisad, IV, 5, 17-21, pp. 74 - 75; IV, 4,
2, p. 79l la Conapati ïïpmigad, III, 6, p. 10; la Kaivalyopanigad, I,
12-15, 17, p. 5; la Saryâsaropanipad, préface de B, TUBUTI, pp. 5-4,
6. Voir la préface du nôme auteur à la Brahmabindûpanisad, p. 5,voir
V. 4 et 7, p. 15 : "par la prise de conscience silencieuse on atteint
l'Etre". Arriver à l'état où "la raison ne bouge plus" et qui est la.
voie suprême, scvns pensées, sans paroles et sans regards, comme dit la
Katha ïïpa.nisad, VI, 10, 10 et 12, pp. I9 - 20 etc.
L'état"divinisant" et purifiart est le quatrième, l'état de veille sans
ponsee, là où l'on acquiert la. ma.îtrise du mental (Atna.pujopa,nisa.d, p.6),
l'immobilisation de la pensee et où se réalise l'ava.ncée vers les trois
degrés de la contemplation : celle d'me divinité manifestée dans le
cosmos, celle du Dieu créa.teur et celle de l'Absolu non-manifesté
(Atmapujopanisad, p. S). On est débarrassé des fluctuations mentales
(Atna.pujopa.nisad, p. 9) et "la rencontre du Soi universel n'est rien
d'autre quie l'abolition de toute mutiplicité" dit L. IOlP/ATI, dans le
conneneonont de 1 'Atma,pu.joponigad, p. 12 (auteur a,uquel nous nous réfé
rons ici pour cette Upanipa.d).
Si la Gita ne distingue pas toujours clairement les quatre états, elle
s'attache tout spécialement au quatrième où s'épanouit la, paix du men
tal : II, 68, p. 71; IV, 59, p. 115; VI, 24-27, p. 155; VIII, 9-10,
p. 164; 12-15, p. 165. n est question de l'ascèse du mental en XVII,
16, p. 280, Ifeppelons que nous citons la Oitâ dans la version de
S. ABEOBIUDO.,présentée pa,r J, HEIlBEHT. La, méditation y joue m rôle
capital. G-ita,, XII, 12, p. 222, "Cette connaissance vient par me mé
ditation intérieure a tra,vers quoi le Moi étemel devient pour nous
appaxont dans notre existence propre", XIII, 25, p. 255, assurant la,
maîtrise intérieure du mental, GÎtâ^, XVIII, 55, p, 296,
165
L'Auteur suggère que l'homme est ainsi appelé à recourir non seulement
a sa raison mais aussi à d'autres facultés comme l'expérience, l'intuition,
la foi, la révélation, le don (3). On serait près de la réalisation quand
on sent que tout est en Dieu mais qu.o Dieu n'est pas dans les choses (4).
(1) E, PAlIKKAlî, The Trinity and the Religions Expérience, p. 35,
(2) R. PMIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, p, 36,
(3) R« P/iRIKKAR, The Trinity and the Religions Expérience, p. 37,
(4) R. PARIIŒAIi, The Trinity and the Religions E}q)erience, p, 37. L'Auteur
se réfère ici à la GÏtâ, IX, 4-5. Nous pourrions relire ce livre. La
'Otta vise "la situation comminiante" entre l'homme et le divin (il, 50-
51, p. 64; II, 71-72, p. 711 VI, 27-28, p. 135), le divin auquel on
se consacre totalement (il, 6l, p, 69), auquel le yoga nous unit (VI,23,
p. 1345 VI, 27, p, 135), que le yoga nous fait connaître (VII, 1, p, 141,
3, p. 142). L'Un est inconnaissable (il, 29, p. 46) mais l'étemel est
en nous (il, 30, p. 47)» H n'y a pas de coupure Entre Dieu et les
êtres, "Sur Moi tout ce qui est on ce monde est enfilé comme des per
les sur un fil" (VI, 7, p. 145). "Par Moi tout cet univers a été éten
du dans l'ineffable mystère de Mon être; toutes les existences sont si
tuées en Moi, et non Moi en elles" (iX, 4> p. 175, passage cité au dé
but do cette note par R, PAÏÏIKKAR), "Toutes choses éternellement repri
ses en son unité" (XIII, I7, p. 233). Dieu n'est-il pas dans le coeur
(XIII, 18, p, 233; EU, 15v p. 253) ? On peut en approcher en retrou
vant 1'atman en nous (il, 55» p. 66), par un retour au Moi (lll, I7,
p, 8I), Il faut tendre à l'extinction du soi dans le "RTTihmnn (v, 24,
p. 123) dans lequel on prend refuge (il, 7, p, 41), Animé du désir de
voir Dieu (XI, 3-4, p. 202), l'homme trouve sa plénitude dans labhakti,
ajoute la GÏta (VII, I7, pp, 154-155), pouvant obtenir ainsi la purifi
cation par une'Ascension vers le Moi profond" (XVIII, 53 -54, pp, 313-
314) mais débouche sur la, dévotion et l'amour éperdu de l'Absolu qui
constitue le sommet du discours à Arjuna (XVIII, 55, p, 315, 57, p, 518,
58, p, 319 et toute la fin du chapitre 18 jusqu'à la page 329),
166
dGpuis "bonjoursj presGiit dans les Ecritures Saintes etj pour les ôhrétienS}
manifesté en Jésus-Christ (l). Le Christ serait alors le Seigneur -un
Seigneur que les 6hrétiens ne peuvent monopoliser- un Christ connu et in
connu, cache ou non, seul lien entre le créé et 1'incréé, entre la terre
et le ciel, entre le temporel et l'étemel, unique médiateiu? entre les detix
pôles du réel, comme Isvara en Inde. Grâce au Fils, le personnalisme ne
serait donc pas dans l'erreur en pojrlant de relation avec un Dieu person
nel.
(1) R. PAETKKAR, The Trinit^r and the Religious Expérience, pp. 51 - 53.
(2) R, PAITIKKAR, The Trinity and "bhe Religious Expérience, p. 54. H
ajoute, p. 68, que le Père nous appelle a.vec le même appel que le Fils
car en Dieu il n'y a pas deux appels, il n'y a pas de multiplicité.
Chaque être est une christophanie appelée à participer avec le Logos,
(5) R. PAIîIKKAR, The Trinity and the Religious Expérience, p. 57.
(4) R. PMIKEAR, The Trini"by and the Religious Expérience, p. 58,
(5) S» PAMIIOGIR, The Trinity and the Religious Expérience, p. 58,
(6) R, PAITIKKAR, The Trinity and the Religious Exqjerience, p. 59.
169
6. Convaincu que dans le mystère trinitaire peut être trouvée une conver
gence entre les grandes religions, l'Auteur souligne la transcendance
apophatique du Père, 1'ex-pression du mystère primordial dans le Logos,
dans le monde et dans l'home, ces deux derniers étant christophaniques,
ainsi que le retour de chaque être dans le Tout.
7. Chaque être apparaît corne engoué dans le processus divin. L'home est
en Lieu, divinisé, en voie de retour vers sa source. Le péché est "la
suffocation dans le fini". Pa,r rapport à l'Occident, cette perspective
lui paraît normale. Il ne recule pas devant elle. Son univers est
uni-vers. Sa Weltanschauung est essentiellement religieuse.
Il peut aîrriver^ chez le lecteur noïi habituéj d'être étonné par des expres
sions insolites, conme le couple sat-asat, être et non-être, qui en Inde
ont une autre résonance que chez nous lorsqu'il s'agit d'approcher l'inex
primable, Nous pouvons aussi comprendre l'hésitation de R, PaniMcar
face au concept de personne appliqué au divin et qui entraîne notamment
une approche nettement différente du Père, Mais, en même temps, nous
percevons la difficulté d'exprimer la Trinité en dehors des sentiers chré
tiens qui l'ont méditée à partir de Jésus Christ et du Nouveau Testament,
2. Ace sujet, nous sentons que l'Auteur "tire" le Père vers le. Brahman,
et même peut-être plus vers le Brahman neutre que vers le ^atanan masculin
dont nous avons parlé antérieurement, plutôt qu'il ne "tire" le Brahman
vers le Père de la théologie chrétienne traditionnelle, Be même, il"tire"
le Christ vers Isvara et vers le logos, plus qu'il ne "tire" Isvara vers le
Christ manifesté en Jésus. Bom? mieux situer sa pensée dans le topos hin
dou, nous avons jugé utile d'introduire des notes sur les Upanisad et sur
le quatrième état car il nous semble que l'obsession hindoue de l'immanen
ce, surtout au niveau upanisadiquo, conduit l'Auteur à s'exprimer de façon
personnelle,
4. Nous nous posons donc des questions, après avoir écouté le disco\n:s
panikkaxien sur le %stère trinita,ire. Ne faut-il pas "tirer" le Père
vers la révélation néotestamentaire de l'amour plus que vers le asat ?
L'homme ne peut-il dire "tu" au Père et à l'Esprit, prier le "No^"père"
et chanter le Veni creator ? N'y a-t-il pas, dans certaines expressions,
le risque d'une confusion entre la génération du Eils, vrai Dieu né du vrai
Dieu, et la création du cosmos et de l'homme ? Si l'homme est le "tu" de
Dieu, l'est-il au même titre que le Fils étemel ? Ou, pour en parler
simplement, avec un jeu de mots qui est plus qu'un jeu de mots, voit-on
toujours nettement la différence entre fils de Dieu et Dieu le Fils ?
Enfin, si le Fils est présent dans l'hindouisme et dans les autres reli
gions du monde, si le Christ parle et agit partout, le fait-il et 1'est-il
identiquement que dans le christianisme ?
172
CONCLÏÏSIOITS
Dans le concert immense des, quêtes de l'Etemel, nous sommes tous des
pelerins, comme en exode vers une Jérusalem qui n'est pas eneore construite
dans sa plénitude, L'Auteur remet en valeur la théologie négative et l'a-
pophatisme, lesquels sont des remèdes au triomphalisme possible de nos af
firmations, de nos énoncés et de nos systèmes.
Non sans courir le risque possible aux yeiox de certains, d'un certain
fidéisme ci?yptogano qu'il rejette toutefois, R, Panikkar postule que. Dieu
étant omniprésent, rien n'est seulement naturel et que nul n'est a-thée,
La valorisation de la soif d'Absolu paraît reposer sur des données objecti
ves et ropérables, tant en nous qu'autour de nous.
176
Dans cette même analyse du désir, l'Auteur vaJorise le rêle dos Ecri
tures sacrées quelles qu'elles soient. Elles alimentent le désir de con
naître l'Autre, Elles notis empêchent de reconstruire: "la tour qui va
jusqu'au ciel", de coaliser les Titans da,ns l'ascension de l'Olympe, de
nous sentir seuls dans la, contemplation des nébuleuses, de suffoquer da^ns
le fini et la"mégamachine'.'
Dans les acquis marquants, nous voyons encore la. foi coimne question
plus que comme réponse. Sans ignorer les problèmes soulevés, il est inté
ressant de sentir la. différence entre une ouverture dynamique et une posses
sion d'énoncés qui pourrait être dévitalisée, car a,utre chose est de possé
der la vérité et a.utre chose en être possédé. Sans porter atteinte au mes
sage que l'Eglise proclame et dont elle veut vi^vre, il faut insister sur
le dynamisme profond de l'homme vers "de l'Autre", dynamisme qui porte en
lui toutes les potentialités humaines et qui constitue un lien entre tous
ceux qui, provisoirement, ne se retrouvent pas encore dans une convergence
178
Il nous semble que l'Auteur est marqué, d'une part, par sa réaction
face a.u logos occidental dont le substrat philosophique ne correspond pas
aux structures inquisitives de l'Inde et, d'autre part, par la religion de
l'Inde qui est plus obsédée d'expérience religieuse et de mystique que E'exr
pression claire d'un contenu repérablo de la croyance, Nous connaissons
quelquefois un problème analogue chez certains en Occident aujourd'hui.
Mais, à force de miser sur le dynamisme profond de l'homme qui est une pré
disposition à la foi et à l'expérience religieuse, ne court-on pas le ris
que de minimiser l'importance du contenu de cette foi ? Il ne paraît pas
évident que le dynamisme précité puisse tout de go être considéré comme la
foi ! En effet, s'il en était ainsi il n'y aurait plus, à la limite, ni
erreur, ni magistère, ni incroyance et l'on serait en peine pour parler
d'orthodoxie et même, éventuellement, pour parler d'orthopraxie, IT'jr a-
t-il pas une confiance excessive dans l'homme, dans l'individu, dans la
créativité personnelle ? Me sent-on pas le danger du relativisme, du mini-
malisme horizontalisant et d'un salut venant "d'en bas" ? C'est peut-être
ce qu'exprimait J, Brun lorsqu'il disait, à R, Panildcar lui-même, qu'il
craignait "une sorte de pélagianisme atmosphérique" ? (l),
La même année, notre Auteur disait que "le discours sur la religion
n'est pa,s de l'archéologie" (2), Mais est-on archéologue en partageant la
foi de Micée, d'Ephèse, ou, tout simplement, de l'ère apostolique ? Que
devient, dans ce contexte, la valeur de la tradition apostolique d'un dépôt
basai et quel critère va nous guider ?
(1) E, PAHIKKAE# .en -19é3, disait : "Pour ceux qui croient à In, réalité
plus qu'à la raison. Dieu est immédiatement présent", Yoir L'athéisme
tentation du monde réveil dos chrétiens ? p, 53, Il ajoutait, p, 56,
"ÏTous assistons peut-être à l'apparition d'une génération, d'une cultu
re, d'une civilisation qui professe l'athéisme pour la première fois
depuis que l'homme est sin? la terre",
(2) R, PiJJIZKAR, Morale du mytho, p, 377*
(3) Comme le dit E,C, ZAEHtffiR, dans Inde, Israël, Islam, p, 63, le chré
tien peut comprendre plus facilement les religions prophétiques que
les religions mystiques. Par exemple, le Vedânta non-dualiste peut-il
être compris par quelqu'un qui est parqué p;?.r la Bible ?
(4) J, RIES le rappelle dans les conclusions du livre L'expression du sacré
dans les grandes religions, pp, 3O6 - 307,
(5) h# PAUIKKAR, La foi dimension constitutive de l'homme, p, 18,
(6) M, ELIADE, Histoire des croyances et des idées religieuses, I, p, 33,
182
sainte qui est celle des interventions d'Adonal, histoire relatée dans des
livres qui, même historiques, sont aussi prophétiques (l), histoire célé
brée dans des fêtes liturgiques qui constituent autant des rappels des
hauts faits de Dieu que la célébration de l'actualité de l'alliance et de
la présence divine.
Avec Abraham se manifeste nn Dieu qui fait irruption dans la vie d'un
homme. Des moments théophaniques sont repérables et difficiles à nier (2).
Dans l'hindouisme, par contre, on perçoit moins la place accordée a l'ir
ruption d'un Dieu personnel dans l'histoire, d'un Je absolu dans la vie
d'un homme, pour le desinstaller, pour le manda,ter, pour en fa^ire le por
teur d'une parole qui aura valeur de droit divin intangible. L'hindouisme
mise davantage sur la relation mystérieuse entre l'Absolu et l'âme indivi
duelle, On y rencontre des textes de tendance déiste, parfois des passa
ges plus théistes (3).
La Bible nous propose des théoi^hanies dépassa,nt les hiérophanies an
térieures (4) et allant plus loin que la, relation mystérieuse avec la trans
cendance dont parlent les TJpanisad, Le moment théophanique privilégié est
évidemment, pour le christianisme, la personne du Christ manifestée en
Jésus de Kazareth, mort et ressuscite, dont la parole reste par les
Evangiles et dont l'agir continue dans les sacrements, par l'Eglise, et
tout spéôialement dans l'Eucharistie,
Si l'on entend que tous ne considèrent pas le mot Dieu comme un sym
bole universel (l), on observe, chez nous aussi, que bien des gens admettent
un Etre Suprême, un Absolu, tout en hésitant à lui donner le nom de Dieu,
lequel est chargé d'une spécvilation philosophique et théologique dans la
quelle ils n'entrent pas, lequel est aussi parfois déformé par des malen
tendus et par de ma,uvais63 présenta.tions. Le Bouddhiste lui-même aurait
quelque difficulté à nous dire s'il croit en Dieu ou non, sans pour antant
accepter d'être considéré comme un athée au sens occidentai dti mot (2),
Influencé par l'Inde, R, Pa.nilckar nous semble privilégier fondamenta
lement l'immanence de l'Absolu sans rien nier de sa transcendance (3).
On peut être frappé, en effet, par le lien qu'il souligne entre le Dieu in
connu, le Dieu q^li se donne, le réel qui se montre à nous et nous qui sommes
au coeur du réel. On peut être frappé par son cosmothéandrisme ou par ce
qu'il a,ppelle aussi le "théanthropocosmisme",
(1) M, BLfiRDEAU, Clefs pour la pensée hindoue, pp. 23 - 24, dit que "Dieu",
pour l'Occident, est un terme qui retient la transcendance et la sainte
té de l'Adonal biblique, tandis que pour l'Inde, deux termes désignent
l'Absolu, Brahman neutre, qui est l'Etre pur, la Qonscience pure et la
Béatitude, Le corrélat humain de l'Absolu est l'âtman, soit "le princir-
pe immortel qtii, dans l'homme, est appelé à se délivrer du corps, de
tout corps, pour atteindre enfin â la parfaite identité avec le
Brahman", p. 25.
(2) D'où la question de R, PAtLEIŒAR : "Est-ce que cela a encore un sens de
parler de Dieu, quand on a compris ce que le Bouddha a dit ? Peut-on
considérer le nom de Dieu comme une étape de la prise de conscience de
Dieu ? Peut-on croire sans objet ? "Yoir L'analyse du langage théolo-
gique, p. 134,
(3) Cette imm.anenoe, à ses yeux, frapperait moins l'Occident, Voir
R, PANIKKAR, Der zerbrochono Krug, p, 56I,
184
CHAPITRE III
lOT/JiA
LE LOGOS
LE CHRIST
JESUS LE NAZIiRETH
187
IFTBDDUGTION
A. Introduction
B, Perspectives de R, Panilckar
(1) Notre Auteur ne cite pas ici les auteurs auxquels il pense et se réfère.
Il renvoit aux contributions des assemblées générales du Concile
Oecuménique des Eglises dans The Ecumenioal Eevieu sans plus de préci
sions, Voir La sécularisation de l'herméneutique, p, 220, note 21,
Nous ne pouvons, dans le cadre restreint d'une monographie, résumer les
approches multiples qui furent faites du Christ aux 19èmeet 20 ème siè
cles, notamment par les historiens des religions ou par les sociologues,
par les psychologues, les pej^-chanalystes, par des mouvements sociaux,
par des écrivains, voire même par des cinéastes,
(2) R. P/lîIKK/Jl, La sécularisation de l'herméneutique, p, 221,
(3) L, BODYER, Le Eils étemel, résume la problématique. On la retrouve
aussi dans CH. DUQUOC, Christologie, essai dogmatique, l'homme Jésus,
vol, 1, et Le Messie^vol, 2.
195
R. Panikkar constate qu'il n'existe pas une théologie valable pour toup
ies hommes et povir tous les temps, ainsi que pour toutes les cultures. Il •
affirme qu'elle n'existera pas aussi longtemps que tous les hommes n'yadhé-^
reront pas. Au-delà donc d'une "théologie mondiale" qui n'existe pas, on
pourrait sans doute partir des données fondamentales de la conscience humair-
ne, plus qtie du Jésus de l'histoire ou du Jésus de la foi (1 ),
(1) Cela ne signifie pas que chacun doive se libérer toutefois d'un langage
pour dire sa foi,. Si un mot fait écran, un autre peut -être un pont, en
sorte qu'un nouveau langage percera l'éventuelle opacité du premier. Il
nous semble qu'une herméneutique dia,topique se réalise aussi par le lan
gage, par un langage. On conviendra de la nécessité d'une ouverture du
système de pensée, non de sa disparition. Une approche respectueuse de
deux univers mentaux peut et doit se faire. Ri l'un ni l'autre ne doit
mourir et, s'ils se fécondent mutuellement, n'est-ce pas pour engendrer
un nouveau système au moins in potentia, tel uin enfant qui naît d'un
homme et d'une femme différents et gui se sont aimés ?
(2) R, PARIKKAR, La faute originante, p, 69.
(3) R» PARIKEfAR, La sécularisation de l'herméneutique, p, 245.
200
(1) 'Nous pensons à une phrase de Vatican 1 ; "Le Saint-Esprit n'a pas été
promis aux successeurs de Pierre pour qu'ils fassent connaître sous sa
révélation, •une nouvelle doctrine, mais pour qu'avec son assistance ils
gardent saintement et exposent fidèlement la révélation transmise par
les Apôtres, c'est-à-dire le dépôt de la foi". Voir G, DTOîEIGE, La
foi catholique, p, 291, Nous souihaitons, bien sûr, que le mot "conserva-
te'ur" soit bien compris. Il ne doit aucunement nous orienter vers le
fixisme ou le statisme, il ne doit pas freiner la recherche théologique
et mystique,
(2) Luc 19 ! 12 - 27| ou line autre parabole parallèle en Mat, 25 ! 14 - 50.
(5) Jean 15 s 1 - 5»
205
toi esprit analytique de type grec, moins orienté par l'histoire de Jésus,
plus soucieux de mystique, plus frappé d'une omniprésence de l'Absolu que
par son irruption dans le temps, à des moments théophaniques privilégiés,
auxquels la Bible nous a davantage habitués. Il tient à s'ouvrir à toutes
les christologies, à ce qu'on pourrait appeler des christologies "par en
haut" et '^ar en—bas", traditionnelles et modernes. Il ne vient pas suppri
mer une herméneutique pour la remplacer par une autre, il n'est pas à clas
ser dans les iconoclastes faisant table rase du passé. Il propose une ouverf
ture, par l'herméneutique diatopique, en vue d'une approche plus large du
Christ,
(1) iî, DHAVAtîCEY, L'hindouisme moderne, pp. 69-111, siu?tout pp. ICI-IC4.
(2) M, DHAYAMCNY, L'hindouisme moderne, pp. ICI -1Q2, Pour le dernier au
teur il se réfère à Phe Gospel of Ramakrishna, pp. 3CC-3C1,
(3); M.DMVAMCNY, L'hindouisme moderne, pp. 1C2-1C3, où l'Auteur se réfère
à$he complété 1/forks of Swâmi Yivekananda, vol, lY, pp. 188-2CC,
(4) M, DHAYMCFÏ", L'hindouisme moderne, p, 1C3, Référence à Hindu vie^ir of
Christ, p. 56.
(5) M, DHAYAMCNY, L'hindouisme moderne, p, 1C3. Référence à The Message of
Jesus-Christ, pp. 1C8 et ss,
(6) M, DHAYAMCNY, L'hindouisme moderne, pp. 1C3-1C4. Référence à
East and Mest in Religion, pp. 59 et sa.
205
§ 2 - LA THEOLOGIE DU LOGOS
A, Introduction
3° Ce Logos est aussi Lieu, Il n'est pas question d'un Logos créé, mais
Logos qui est Lieu. Ceci constitue une ébauche de théologie trini-
taire, ébauche en ce sens que l'Esprit n'est pas signalé dans le passage.
"Il n'y a qu'm seul Lieu; mais en Lieu, le Père se distingue du Seul
Engendré, qui est aussi son Verbe, sa Parole" (4).
4° Ce Logos créateur, tourné vers Lieu et en même temps Lieu, vienb pro
gressivement vers la créature (5)» Il était dans le monde depuis toujours
de par son activité créatrice, en tant que principe créateur, mais d'une
présence cachée. Il était aussi en tout homme, éclairant sa raison pour
lui indiquer comment vivre selon la loi divine (6), ce qui amène Jacques
à dire ; "accueillez avec douceur la parole plantée en vous et capable de
vous sauver" (7). Cette Parole est en nous dès le moment où l'acte créa
teur de l'Absolu nous permet d'être dans le monde.
(1 Sir. 24 î 6b - 8,
(2 M,E. BOISMAED et A, LAMOUILLE, L'Evangile de saint Jean, p, 77»
(3 Ex, 26; 31 : 7; 40 : 34 - 35, etc.
(4 L, BOUYER, Le Fils étemel, pp. 58 - 60.
(5 Voir H, LE SAUX, Sagesse hindoue, mystique chrétienne., p, 37»
(é Jean 1 s 18,
(7 Ex, 33 ; 20,
(8 Ex. 33 s 11.
(9 Ex. 33 ; 20.
(10 I Rois 19 : 12 - 13.
(11 Jean 6 : 46; 8; 38,
(Ê Jean 14:6-11.
209
par rapport à son Incarnation en Jésus, 1' tiniversalité du don, par le Logos
à Inhumanité, de la vie, de la limiière, du saltit et l'attirance vers le Père
par le Pils.
B, Perspectives de R, Panikkar
La vâo indienne peut être rapprochée du Logos chrétien sans lui être to
talement identifiée, de même qvi'il reste à élucider la relation entre sabda
et Logos (l ).
Il semble intéressant aussi de signaler le lien entre Logos et
Prajâpati. "Prajâpati était le Tout (l'Un), Eidam, 'ce' sous son aspect in
déterminé 3 vâc étant sen second.
Prajapati s'omit à vac. Vao conçut, liîlle s'éloigna de lui et engendra les
créatures. Puis elle revint dans le sein de Prajapati" (l). Aux yeux de
notre Auteur, serait l'instrument de Prajapati, son expression, sa pro
jection, sa parole, plus que sa compagne. Ce qoii l'intéresse est que
Prajapati cree avec et à partir du Logos et que cela rend possible le retour
à l'Un, Le sacrifice divin s'accomplit par des paroles, ce qui rend possible
le sacrifice des hommes (2),
Le professeur de Santa Barbara voit aussi le Logos comme "eïkôn",
L' eïkônn'est pas une copie du Père, et "l'image" n'est ni inférieure, ni
étrangère à celui-ci, mais son ex-pression, son image ad intra, son Fils (3),
"Si le Logos est le symbole du Père, le Logos fait chair est le symbole absoÀ
lu de Dieu dans le monde, l'humanité du Christ le symbole réel du Logos "(4)^
"Le Christ est eï^n autant que Logos", image autant que Parole (5),
Conscient, comme saint Jean, du réalisme de l'Incarnation, l'Auteur sait
aussi l'importance de voir en Jésus le Logos, le Verbe de Dieu, la Parole de
Dieu, iîais, en tant que Parole de Dieu, le Christ ne peut être limité à
Jésus de Nazareth, c'est—à—dire que Jésus est le Christ mais que le Christ
précède Jésus, Le Christ est étemel (6) et est partout à l'oeuvre (7), car
le hojgos est créateur de l'univers (s),
"A prendre très au sérieux le primat du Christ, ainsi que son règne uni^
versel et temporel, il est normal et même souhaitable que la Figure ait eu
des préfigurations, que Celui qui doit venir'ait eu des précurseurs et des
hérauts',,. Si le Christ est ce Premier, ce Parfait, il faut admettre qu'il
ait pu non seuLement se frayer les voies, mais encore être la cause ontolo
gique de tout ce qui trouve dans le fait clirétien son actualisation suprême
et son terme" (l).
Le Christ n'est donc pas seulement messie pour Israël ni pour les deux
mille ans de christianisme. "Il ne faut ... pas s'arrêter à la personne de
Jésus, ni la laisser s'évanouir, il faut plutôt croire au Christ révélé par
Jésus ... C'est le Seigneur qui opère partout, qu'il faut découvrir" (2). :
Il est le Pantocreator apparu en Jésuis pour achever une oeuvre commencée
depuis le commencement du monde" (5), "Il opérait avant Abraham, il disait
avoir des ouailles qui n'appartiennent pas aux Apôtres, et en plus il a dé-r
claré être le principe et la fin, l'alpha et 1'oméga, le premier né de la
création, ..." (4). L'universalité .serait ainsi moins le fait du christia/p
nisme -religion que celui du Christ libérateiJr universel, présent et effip
cace dans toutes les religions (5)j si bien qu'il peut y avoir des actes •
libres, spontanés, pleinement humains qui soient religieux, réels et chré
tiens, môme s'ils ne s'adaptent pas extérieurement à la doctrine chrétien
ne (6),
Libérateur universel de toute chaîne, principe de notre propre liberté,
le Christ est aussi Christ intérieur qui permet à tout homme de poser un
acte libre, spontané et pleinement humain.
(1) R, PANIKEAR, Relation of christians, p. 525. Même vue chez C.B. Papali,
Védisme et hindouisme classique, p. 44» J»A. CUTTAT, La rencontre des
religions, p. 61. Voir aussi R, PAÎÎIKKAR, Spiritualita indu, p. 55.
(2) R. PANIKEAR, Le mystère du culte, p. 198,
(5) R, PANIKEAR, Herméneutiquie de la liberté de la religion, pp. 82 -85,
(4) R. PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 82;
Relation of christians, p. 525; The Trinity and the Religions Experiende,
p. 50.
(5) R» PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p.85 .
R.C. ZAEHNER, dans Inde, Israël, Islam, p. 290 dit aussi "Jésus-Christ
n' accomplit pas seulement la loi et les prophètes d'Israël, mais aussi» • •
les sages de l'Inde".
(6) R, PANIKKAR, Herméneutique de la liberté de la religion, p. 85.
214
Il ©si: venu nous dire que nous devons Juger pour notre compte^ prendre nos
responsabilitésj faire fructifier les talents donnés^ savoir pardonner"(l),
Ainsi, a,u nom du Jugement, de la sincérité^ de la fidélité à soi-même et à
la liberté, certains ont résisté au christianisme comme religion, comme élé
ment lie au coloïïialisme. Ils ont alors —la déduction est logique - choisi
le Christ, fondamentalement, le Christ intérieur, le Christ présent en eux.
Il les a pousses à choisir la liberté et ce choix impliquait pour eux, à ce
moment-là de l'histoire, le rejet du christianisme qui tentait de s'imposer
à eux (2), Il y aurait donc à établir une distinction entre le christianis
me - religion et la foi qu'on peut appeler chrétienne en tant qu'elle abou
tit au Christ (5) et 'Cest la foi et non pas la religion qui sauve" (4).
Le Christ ne pourrait donc être monopolisé par l'Eglise-institution(5)
et l'Hindou peut le rejoindre par son hindouisme (6), le Christ n'abolissant
pas celui—ci, pas plus que l'Ancien Testament (7)« La sruti serait ainsi un
livre intelligible sur le Christ (s). Celui-ci, au coeur de l'hindouisme,
reste la lumière de tout homme, celui qui parle de Dieu "quelle que soit la
forme que prendra la croyance ou la pensée de celui qTii est ainsi le *patient'
du divin"(9)» Par l'Esprit présent au coeur du monde et au coeur de chacun,
le Logos parvient à tous (IO), .
Chaque homme, dans sa religion, est donc animé par le Logos, et la rencontre
avec un tel homme de bonne volonté par un croyant apparaît ou peut apparaî
tre comme un acte religieux, Plus qu'une comparaison entre des religions,
autre chose qu'une conquête intellectuelle, autre chose aussi qu'une querel
le dialectique, cet acte religieux ne vient pas créer un système nouveau
mais surtout un esprit nouveau, où la foi sera plus dépouillée,l'espérance
plus pirce et l'amour plus surnaturel.
Le mot "Christ" aurait ses avantages surtout si l'on pense au "Christ cos
mique" (l) mais il aurait peut-être trop une coloration chrétienne (2).
Le terme "Logos" posséderait moins cette coloration, il pourrait présenter
une certaine "analogie ontologique" (5) avec les termes yâc et saMa dans
l'hindouisme (4), mais il présenterait le risque de négliger le fait de son
Incarnation. C'est le terme "Seigneur"j Lord, qui réunirait mieux les suffra
ges, bénéficiant d'une certaine neutralité confessionnelle. Cependantj la
dimension Logos revenant à l'avant-plan, ne pourrait être négligée (5)*
Dans la perspective d'un dialogue entre le christianisme et l'hindouis-,
me, R, Panikkar nous invite à ne pas identifier trop tôt Logos et Kerygma(6).
y ^ ' -5 . ,
Sans rappeler présentement la comparaison entre sruti et Bible ou Coran dont
il fut question antérie'urement, disons que, à ses yeux, la symbiose entre le
christianisme et l'hellénisme a interprété le Logos comme Image, comme Icône
du Père, comme Parole exprimée et imagée, soit visible et qu.'en Occident on a
parlé de Parole écrite, dans la Bible et à l'intérieur de nos coeurs. Le
Bogos risquait alors de devenir le Verbe intelligible, "le verbum mentis,
l'intelligibilité pure et même, plus tard, la ratio de la scolastique" (7).
Notre Auteur juge pouvoir en déduire que tout était alors comme si le Logos
avait parlé une fois pour toutes, comme pour nous laisser orphelins par après,
excepté lorsqu'il intervenait dans l'Eglise pour nous aider à comprendre cor
rectement ce qu'il avait dit au temps jadis. Par contre, "le Logos de
l'Hindouisme est sonore, matériel, Parole prononcée, écrite, vivante et spiri
tuelle" (0)
(1) R, PANIKKAR, The category of growth, p. 127.
(2) R, PANIKKAR, The category of growth, p. 128.
(3) R» PANIKKAR, The category of grovrth, p. 118,
(4) R. PANIKKAR, The category of growth, p. 128. Une théologie de labbaRti
préférerait "Christ" et une spiritualité "jnâna" opterait potir Logos ou
^0, p. 129.
(5) R. PANIKKAR, The category of growth, p. 13O, Sur la préférence pour le
terme "Seigneur" ou "Lord" voir aussi, The Vedic Expérience, p. 134,
The Trinity and the Religions Expérience, p. 53,
(6) R, PANIKKAR, Sur l'herméneutique de là tradition, p. 347. M. DHAVAMONY,
dans L'hindouisme moderne, p. 110 dit que ce que nous avons à communi
quer "c'est la personne et le message de Jésus-Christ" et que, p. IO9,
"la vraie humilité dans nos rapports avec les Hindous, consiste à ne
rien revendiquer pour nous-mêmes mais seulement pour le Christ".
(7) R. PANIKKAR, Sur l'herméneutique de la tradition, pp. 357-358,
(8) R, PANIKKAR, Sur l'he3miéneutique de la tradition, p. 358.
217
C, Appréciation provisoire
Si nous pouvons novis permettre une autre observation qui ne manque pas
d'intérêt, nous semble-t-il, nous dirons aussi que le "Logocentrisme" panik-
karien rejoint l'herméneutique nicéenne alors que l'Auteur avait paru, un
moment, marquer une préférence povir une herméneutique plus "moderne". Nous
voulons dire que le "Christ - Logos" est davantage perçu dans son lien avec
l'Absolu que comme "l'homme parfait" ou celui des petits et des déshérités,
0'est dans le même sens d'une pensée ou d'une recherche essentialiste, sur
la nature de Jésus et du Christ, qu'il développe, dans notre paragraphe sui
vant, le rapport entre Jésus et Melchisédech, le prêtre de l'alliance cos
mique.
Nous constatons donc que notre Auteior respecte toutes les données bi
bliques et spécialement les précisions johanniques. Nous prendrons acte de
ce que la théologie du Logos ne fait pas du Christ im être vaporeux, éthéré,
totalement spirituel, qui serait vide à force de pure intériorité ou en ver-r
tu de sa présence universelle et étemelle (l), La théologie du Logos sem
ble solide, non-détotalisante et utile potir le "dialogue dialogique".
(l) Est-ce à dire que tout est résolu ? Tant s'en faut. Nous nous permet
tons de rappeler au passage le problème déjà soulevé des relations entre
ce que nous avons appelé le "reçu" et le "construit". Il y a du "reçu"
et du "construit" dans le christianisme comme dans l'hindouisme et dans
§ 3 - MELCHI3EDECPI ET LE CHRIST
A. Introduction
Dans la rencontre entre ces deux hommes, le premier, celui qui bénit
et reçoit tribut, est le principal, bien que n'étant pas prêtre hébreu.
Le patriarche occupe le second rang, bien qu'étant, par Isaac, Jacob et
Lévi, l'ancêtre du sacerdoce lévitique (2),
(5) Hébr, 9
(6) Hébr,„ 9 28
(7) Hébr. 5 1 - 4.
(8). Hébr. 7 1 - 5.
(9) Hébr, 7 4 - 10.
225
B, Perspectives de R. Panikkar
Le Christ agit avant Abraham et, depuis le début, dans toute la création
"Adam était déjà dans l'ordre entier et surnaturel" (l) Melchisédech, par
rapport à lui, est un homme d'après le péché et, à ce titre, son sacerdoce
est celui du prêtre cosmique au sein d'une création qui attend le salut. A
travers lui. Dieu transmet le sacerdoce à tous ses frères païens de toutes
les époques jusqu'aujovird'hui. Le Christ, dans cet ensemble, Itii qui est
fondamentalement le se\il prêtre, vient dans la lignée de la première allian-^
ce cosmique et ferme la succession du sacerdoce lévitique. Il a le sacerdo4
ce de Melchisédech, Comme tous les bons prêtres de toutes les religions du.
monde ont part au sacerdoce de Melchisédech, le Christ, par les prêtres catho
liques, à chaque Eucharistie, offre un sacrifice immaculé dans lequel sont ;
réunis tous les sacrifices et toutes les prières des diverses religions du
monde (2),
Le sacrifice, en soi, opère un retour du monde dans sa source, c'est-
à-dire en Lieu, En participant au sacrifice eucharistique, le ehrétien fait
une démarche pour louer le Seigneur, pour chanter en communion avec ses frèr
res, pour accomplir, aussi, un devoir religieux, mais, en plus, pour offrir,
le sacrifice qui libère, "le sacrifice qui sauve le monde et povir lequel le
monde a été créé, le sacrifice qui inaugure le retour du cosmos et commence
à former déjà des deux nouveaux et une terre nouvelle", et ce sacrifice
eucharistique soutient le monde dans son ensemble, ce qui est possible dan?
la mesure où le Christ "est finalement lui-même l'unique liturge et prêw ^
tre" (3).
En résumé de ce qui précède, disons que R. Panikkar distingue trois al
liances ! l'alliance cosmique, l'alliance abrahamique et l'alliance dans le
Fils. La seconde n'abolit pas la première, qui est universelle, adamique
et noachique (4), Melchisédech assurant le lien entre l'une et l'autre.
En lui sont incluses toutes les religions du monde. Le Christ est agent
dans la première et dans la seconde, dès la création et, après le péché, dans
un monde qui attend le salut. Son sacerdoce n^est ni lévitique ni donc pro
visoire, Il est le sacerdoce du Eils et, à ce titre, son sacrifice inaugure
la restauration définitive (l).
(1) Ajoutons quelques remarques. Abraliam, en quelque sorte, avait mis fin
aux sacrifices humains (Gen, 22 ; 1 - I4). Les prêtres juifs en faisant
crucifier le Christ n'ont pas voulu procéder à un sacrifice. Sa mort
est explicable pour d'autres raisons analysées par exemple par
J.L. CHORDAT, Jésus devant sa mort, J , JEREMIAS, Le message central du
Nouveau Testament, pp. 5I •" 35» BENOIT, Passion et résurrection du
Seigneur, pp. 10 - 253| OH, DUQUOC, Ghristologie, vol. I, pp, 111, 198, '
etc. C'est Jésus q^li a lui-même perçu le sens des événements : voir
J. GUILLET, Jésus devant sa vie et sa mort; P.R. REGAl'IEy, La croix du
Christ et celle du chrétien, voir Jean 6 : 51, 60, 67; Luc 12 ; 5O; 13 ;
33, etc. Le sacrifice du Christ, sur le coup, déroute ses proches et
dépasse les vues humaines de Pierre (lyiat, I6 ; 21 - 23) et de Thomas
(jean 11 : 16). Jésus préfère les pensées de Dieu (Mat. I6 : 23), Il
sait que "le voile du Temple va se déchirer", comme déjà il annonçait à '
la samaritaine le dépassement du culte de Jérusalem (Jean 4 ; 20 - 24).
Ce sacrifice est plus qu'une erreur judiciaire car il est celui du Pils,
un sacrifice qui a valeur cosmique,, portée universelle, conséquence pla
nétaire, Il porte non setilement les péchés du monde, comme le
Serviteur Souffrant (is, 53 s 4'-6, 8, 11), mais aussi toutes les litur
gies du monde. C'est en un sens, comme le remembrement de Prajâpati.
Sur la présence du Christ à travers tout l'Ancien Testament, Hébreux 11
est particulièrement intéressant,
(2) Nostra Aetate, n° 2, cité par R. PANIKKAR dans Christ, Abel and
Melchisedech, p. 391.
227
Sans développer ici les idées de notre Auteur sur l'Eglise, nous vou
drions, dans l'esprit de ce chapitre, voir ce qu'il dit à propos du Christ,
Dans sa réflexion, des textes néotestamentaires sont cités ;
§ 4 - ISVAEA ET LE CHRIST
Srahman serait, dit notre Auteur, abstrait, général et commun à tous (l),
ens commune, quiddité essentielle de tous les êtres, structure universelle
et condition de tout(2), tandis que Lieu serait un Absolu concret et vivant,
personnel, fin de tout, et qui appelle à l'union (3), ens reale, ens realis-
simum^ source de tout être, réalité qui est en tout mais qui reste également
au-desuus de tout (4).
Isvara serait plus près du Lieu suprême et personnel que le terme
Brahman (5) •
Etant donné l'importance du thème abordé, nous proposons une présenta
tion des étapes de la pensée de notre Auteur.
Lès 1961» R« Panikkar distingue aussi un Brahman neutre qui est base et
origine de tout et un Brahman masculin qui serait plus proche, à ses yeux,
de l'idée indienne de Lieu (1). Il faut, pour l'Inde^ sauvegarder la transn
cendance de Brahman mais sans déduire que lui et le monde seraient de\uc cho
ses. Brahman est l'être caché, la vie transcendante (2), mais, pour l'Auteur,
ce n'est pas Quelqu'un de silencieux, ce n'est pas "setilement le Père", mais
/
Isvara, le Logos, le Christ.
Si cette perspective dépasse les écrits de l'Inde, l'Autein? argue que beau
coup d'écrits philosophique et theologiques recèlent souvent im. sens plus
cache (l). En deçà du monisme sankarien où le monde n'est pas perçu dans
sa densité et où -Isvara, par voie de conséquence^ est plus perçu en Dieu
setd, sans être non plus strictement râmânujien avec les risques de compré
hension panthéiste, l'Auteur croit pouvoir trouver un sensus plénior aux
écrits védantins et présente un Isvara divin mais qui est le Tu absolu de
1 Absolu, se rapprochant ainsi davantage d'une théologie trinitaire sans re
nier les racines hindoues de sa personne (2),
Isvara apparaît donc nécessaire et pour penser Dieu et pour unir Dieu au
monde (3). Cette place est tenue par le Christ, dans le christianisme, sur
tout si l'on part du Logos johannique plus que du seul Christ historique re-
pérable en Jésus de Nazareth et ce "Logocentrisme" serait souhaitable dans
la perspective d'une relation dialogique entre le christianisme et l'hindouis
me (4),
y
•un Dieu personnel } Isvara, proche d^Adonaï» du KurioSy du Domlnus. Le
dogme d*Is'yara est mis en e"videnoe par la bhakti, dans laquelle métaphysique
et ascèse peuvent se fondre. Il reconnaît la nécessité d'un lien entre
l'Absolu et le Dominus crpateur et Seigneurî Le Brahman étant indépendant
du monde, le Christ ou le Logos serait la divinité comme unie au monde,
Isvara est le Christ étemel, celui vers lequel tendent toutes les religion^
1'oméga mais aussi 1'alpha qui fait que déjà toutes les religions sont les
oeu-vres actuellement d'Isvara, de la Parole, du Logos, du Christ (l).
On voit le cosmos qui respire le Logos. C'est un point de -vue qui in
téresse l'Inde (2), Il est conclu que Brahman est et l'Absolu et Isvara,
En 1970, réfléchissant sur le temps , le professeur de Santa Barbara
écrit que l'homme est auteur du temps et qu'il coopère au retoixr des choses
en Dieu, le culte étant "l'action théandrique où l'homme et la divinité s'emr-
ploient ensemble à continuer le monde, à rapprocher effectivement le méso-
cosme de l'univers divin" (5),,, "se libérer du temps consti-tue un des buts
majeurs de la spiritualité hindoue classique. Tout comme I^ara échappe à
la limite du temps, ainsi tout homme qui veut atteindre la perfection, c'est-
à-dire parvenir au véritable accomplissement final, a-t-il besoin de trans
cender le temps" (4)» Isvara apparaît comme échappant au temps, ce à quoi
nous sommes nous-mêmes appelés. Il est notre modèle, le type de l'homme,
celui qui réalise l'accomplissement ou la plénitude vers lesquels nous mon
tons, tels des pèlerins,
Il est "le Seignetir qui opère partout", et il faut reconnaître "cette rela»
tion particulière entre le Christ et toutes les figures du Seigneur" (l).
Il constate, toutefoisj que ce qui attire l'Hindou "est moins le Jésus de
l'histoire, qu'on tient toujours pour un simple avatar à côté de tant d'au
tres, que le Christ vivant, au-dessus de l'histoire^ qui vit dans le coeur de
ceux qui l'aiment" (2). L'Hindou, dit-il, "n'aurait que faire d'un Dieu
abstrait, ni d'un Homme-Dieu qui resterait prisonnier de l'histoire" (3)«
Nous rappelons que l'Auteur affirme sans ambage que Jésus n'est molle- ,
ment un avatar, La figure "incarnation" et la figure "avatar" n'ont rien à
voir l'une avec l'autre (4). Il n'y a pas d'incarnations multiples, par exemr-
ple, mais il y a multiplicité d'avatar. Au fond, en catégories occidentales,
1'avatar est docète. Ce n'est pas l'humain à proprement parler mais'homme
une forme humaine" et qui, de plus, n'étant pas pleinement humaine, n'est
pas non plus mortelle, comme tout ce qui est pleinement humain,
S'il n'apparaît pas dans le culte, coirane Visnu, Kxsna, Govind, Harl et Siva,
• 9 """"yoT'o* -—•-••• •
Po-ur celui-ci, I^ara est plus du côté de Brahman alors que, pour lui, il
est davantage toiimé vers le laystère du Christ (l).
Est-ce à dire qu'on povœrait admettre une identification entre Isvara et
le Christ ? Pas précisément, A plusieurs reprises, il nous met en garde
concernant cette identification, "Une comparaison entre Isvara et le Christ
peut s'avérer non seulement dangereuse, mais inadéquate" (2), Il ne se contre
dit pas, croyons—nous, Il repère l'évolution d'Isvara dans les textes hin
dous ainsi que dans leurs interprétations successives et se livre à une exégè
se personnelle, qui ne rend pas compte servilement de l'école des maîtres corn-
me Sankara et Ramânuja.
y
La recherche de R. Panikkar sur Isvara l'amène inévitablement à aborder
le mystère de la Irinité,
"La plupart des religions, écrit-il, "butent sur le fait que ,,, elles
ne sauraient admettre qu'il puisse y avoir en Dieu une division (la théolo
gie chrétienne dirait : vine relation) sans compromettre la simplicité et
l'aséité de Dieu, Le Verbe de Dieu est Dieu^ le symbole de la Divinité est
la Divinité, l'image de Dieu est Dieu et non seulement divine. Toutefois,
il faut bien qu'on admette une distinction. Si le Logos de Dieu n'était
rien d'autre que Dieu, on glisserait dans le polythéisme ou dans le monismej.
s'il ne comportait pas la distinction qui pour nous n'apparaît que par le
dogme de la Trinité, on ne verrait plus que deux échappatoires ; celle qui
consiste à abstraire le verbe du verbe et à ne considérer que son contenu
théorique -et c'est la porte ouverte à l'humanisme et à l'athéisme-, ou celr-
le qui consiste à tenir le Verbe pour Dieu, le symbole pour la réalité - et
c'est bientSi le monisme et le panthéisme. Seul le mystère théandrique (du
Christ), lequel n'est à sa place que dans la foi en la Trinité, peut emprun
ter une voie moyenne qui évite l'exclusivisme de deux extrêmes" (l).
Sans ambage, l'Auteur écarte le "bi-théisme", le monisme, l'humanisme.,
l'athéisme et le panthéisme, La foi en la Trinité est donc la clé qui résout
le conflit entre les extrêmes. Nous dirons aussi que l'Auteur semble se mé
fier . de la dialectique qui évacuerait le mystère, car "la dernière vé
rité est inexprimable" (2), Le Père n'est pas vu sur terre, ni le Pils con-t
nu parfaitement (5). Il refuse donc vine identification ptire et simple entre
y _ •
Brahman et le Père, comme entre Isvara et le Christ (4)» comme entre lavac
indienne et le Logos (5)» Il sait qu' "unDieu que l'on poiirrait comprendre,
qtii serait simplement com-préhensible, ne serait plus Dieu" (6),
§ 5 - LE CHRIST SAITTEUR
drique que seul peut accomplir un homme divin ou un Dieu incamé" (8),
On voit donc le Christ qui enseigne et qui agi-tr et dont l'action est'
aussi un rite ou un sacrifice. Il vient faire la volonté du Père, il vient
s'incarner, mourir et ressusciter, soit "accomplir cette sainte action théan-r
drique où l'homme -et la création- imite Dieu ontologiquement, c'est-à- ;
dire fait retoxir à Dieu" (l).
Après avoir souligné que le Christ est le rédempteur universel et uni
que, 1, Panikkar a ajouté que le salut ne vient pas du seul homme mais qu'il,
est un don de Dieu, un don, toutefois, qui atteint l'Hindou non pas malgré
son hindouisme mais en lui. Nous avons observé l'hindouisme disposé à admet
tre un Intermédiaire entre Brahman et le monde. La théologie d'Isvara pour
rait être enrichie par xuie bonne compréhension du Christ,
"Si le Logos est le symbole du Père, le Logos fait chair est le symbole
absolu de Dieu dans le monde^ l'himianité du Christ le symbole réel du
Logos" (1), A force de souligner ce "primat du Christ, ainsi que son règne
universel et temporel, il est normal et même souhaitable que la Figure ait
eu des préfigurations" qu'il se soit frayé des voies antérieures à Jésus de
Nazareth et on doit admettre qu'il puisse "être la cause ontologique de tout
ce qui trouve dans le fait chrétien son actualisation suprême et son ter
me" (2)i De même, après le "séjour visible" de Jéstis, le Chrétien, aujour+-
d'hui, prend conscience, en participant à la Messe que "par le sacrifice
chrétien chacun s'unit au Christ pour sauver le monde, assurer l'équilibre
cosmique, maintenir l'Eglise vivante, prendre part à tous les actes divins,
création comprise" (3)«
Nous disions que, souvent, l'Auteur voit le Christ toujours sauveur plus
que le Christ Jésus sauvant à un moment donné et pour toujours, dans un
Evénement historique à portée cosmique» On comprend alors qu'il dise que le
christianisme a voulu avoir le monopole du Christ et que les autres religions
"voulaient avoir le bénéfice d'.un Christ sans son historicité incarnée" (4),
Pour-éclairer ces perspectives, R. Panikkar revient, ici encore, aux
catégories d'hétéronomie.,d'autonomie et d'ontonomie . La liberté, dit-
il, n'est pas de faire n'importe quoi mais celle de se faire soi-même (5).
"En termes chrétiens, poursuit-il, le Christ ne nous sauve pas par un acte
hétéronomique en nous offrant un salut étranger à nous, mais en devenant
chair et sang:afin de pouvoir être mangé, assimilé, et par ce métabolisme di
vin, nous transformer nous aussi en fils de Dieu ,,. Soulignons que dans la
conception chrétienne le salut ne vient ni par 1'hétéro—rédemption (par un
autre), ni par auto-rédemption (par soi-même), le Christ étant à la fois vrai
Homme et vrai Dieu" (6).
Il exclut l'idée que Dieu pourrait nous sauver sans nous, autant que
celle que nous puissionsnous sauver sans lui. Le texte que nous venons de
citer contient aussi des expressions nettement eucharistiques, La Messe
passe pour un sommet, ce qui lui faisait dire un jour : "en tant que reli
gion historique, le christianisme a la révélation divine 'en dernière analy
se' parce qu'il possède l'Eucharistie" (l).
Tout n'est pas encore dit sur la pensée panildcarienne concernant le
Christ sauveur. Ainsi, si notre Auteur n'exclut nullement le Christ historir-
que, il insiste plus sur le Christ étemel, ainsi que, ajoutons-le, sur le
Christ intérieur. Si l'hindouisme petit être bloqué par l'historicité, s'il
n'assimile pas comme nous le sub Pontio Pilato, s'il n'est pas marqué par la
primordialité de ce que nous appelons l'Evénement qui engendra les communau
tés chrétiennes et qui remplaça le shabbat par le dimanche, s'il ne souligne
pas notre Pâques au lendemain de la Pâque juive, nous comprenons que l'intui
tion du Christ intérieur soit prépondérante, La rédemption par un autrui re-
pérable dans le temps et que nous appelons Jésus-Christ ne sera donc pas pri
vilégiée par la pensée hindoue, L'Auteur ne nie pas cette primordialité pour
lui, -il est prêtre catholique- mais il a le souci de s'exprimer en fonc
tion du topos de l'Inde.
Par conséquent, "là où est la liberté, là est le Christ. C'est lui qui est
le libérateur de toute chaîne, de toute douleur, de toute angoisse, et pour
quelques une il est aujourd'hui le libérateur de toute religion au sens
restreint du mot" ... il est "le principe de liberté qui réside en chacun
de nous, il est venu nous dire qvie nous devons juger pour notre compte, pren
dre nos responsabilité, faire fructifier les talents donnés, savoir pardon
ner ..." (1),
Tout cela n'est pas, certes, sans soulever quelques questions. Dans
le dialogue qtii suivit son exposé à Rome, en 1968, E. Panikkar ajouta î
"^appelle 'religion' tout ce qui a la prétention de libérer l'homme" (2).
Il veut critiquer une conception trop juridique du IV^ystère de la rédemption
et de la médiation du Christ (3), distinguer le "christianisme - religion"
et la foi qu'on peut appeler chrétienne en tant qu'elle aboutit au Christ (4).
Ainsi, "dans l'actuelle prise de conscience de l'humanité tout acte authen- ^
libre est considéré et vécu comme un acte religieux, donc sauveur •
si on a foi en lui" (5), Dieu serait ainsi, en quelque sorte, passé dans
les mains de hommes "les prêtres de l'univers" (6). La rédemption par au
trui" ne serait pas une expression heureuse. Le Christ reste mon frère et
mon supérieur mais il se fait un avec moi pour me libérer (7).
Notre Auteur marche, parfois, comme sur une corde tendue. Tantôt sa
pensée —c'est très clair —n'exclut pas le sub Pontio Pilato mais refuse de
le privilégier, tantôt il parle du sauveur intérieur mais il le fait sans
écarter le sauveur historique. Nous entendons alors la réaction de J. Brun
qui croit sentir "une sorte de pélagianisme atmosphérique" (s). N'y aurait-il
pas, en d'autres mots, une odeur pélagienne dans des expressions comme "actQ
qui sauve si on a foi en lui" ?
Ou lorsque l'Auteur affirme "je crois qu'im homme en bonne foi (comme dit
le langage commun) se sauve" (l), d'où la réaction de J, Bruaire "la reli
gion devient équivalente à la non-religion"(2), Ces réactions, toutefois,
sont des réactions à un exposé particulier et ce dernier ne peut être coupé
de l'ensemble de la recherche panikkariennei
De plus, le respect exacerbé pour 1' "hoimne de bonne foi" ne peut-il ame
ner à un minimalisme relativiste ? Ne peut-il isoler l'homme de la guidan-
ce des institutions ? N'y a-t—il pas une trop grande confiance dans chacun
coiame centre d'auto-oompréhension et un risque de simplifier le jeu complexe
de la conscience î Ou bien ces questions viennent-elles chez ceux qui au^
raient "trop" fait confiance aux institutions ?
et ressuscité, dit-il, pour tous les hommes, avant et après lui" (l). Son
caractère de sauvein: universel pepose non seulement sur le fait qu'il est
"rédempteur historique" mais aussi sur le fait qu'il est'Pils unique de
Dieu" (2), tout en sachant donc que le salut passe aussi par la Croix et la
Résurrection (3). "Le Christ est mort et ressuscité pour tous les hommes..,
et sa Rédemption est universelle et unique" (4).
Le Chrétien est aussi quelqu'un qui est sauvé en Christ, C'est vrai,
mais il fa^^t ajouter que le salut est offert à toute personne qui vient en
ce monde. Dans cet ensemble, "un chrétien est simplememt un collaborateur
conscient avec le Christ dans sa triple fonction de création, de rédemption ;
et de glorification du monde" (l), A côté donc de cette collaboration cons— ,
ciente, il existe une collaboration ontique du fait que tout homme de bonne
volonté est ontologiquement uni au Christ et collabore avec lui en tant que
co-rédempteur et co-créateur. Le Chrétien est "un homme qui a reçu un don
libre qui est un appel personnel du Christ pour faire avec lui, réellement
en lui, la tâche de rédemption du monde" (2),
"Le Christ rédemptetir n'est pas différent du Christ à travers lequel
tout a été fait et en qui toutes choses subsistent" (3), Si tout est alors
christophanie, il n'y a pas contradiction pour le Chrétien entre sa vocation
personnelle et sa vocation de créature. Tout le monde est en Dieu et de
Dieu, Notre acte de foi, d'espérance et de charité atteint et le Dieu trans-r
cendant _et notre relation au monde. L'union avec l'Absolu inclut "le rela
tif de l'Absolu" que sont le monde, l'espace, le temps, le cosmos. Le monde
n'est pas un être en lui—même. Il est le corps de Dieu.
Temps fort aussi que celui où le Chrétien reçoit le sacrement, poior Itii-
même et pour le monde, surtout "le sacrement des sacrements, l'Eucharistië'@,
car, "la comn^ion n'est pas simplement une dévotion privée, ni un acte indi
viduel exclusif des chrétiens, mais un acte cosmique" (4). "Tout ceci cul-;
mine dans ce métabolisme divin et sumat-urel par lequel en mangeant la chair
et en buvant le sang du Christ ... le chrétien reçoit la vie étemelle et
est assimilé dans le Christ, I^Iais ceci n'est pas tout. Ce processus d'as-'
similation divine descend vers le peuple qui ne croit pas explicitement dans
le Christ à travers l'action sacramentelle du chrétien qui a reçu le Christ,
lequel est reçu, en conséquence, par les autres" (5).
CONCLUSIONS .
On pourrait peut-être dire que par lui l'unité existe et que le tout
est d'en prendre conscience. De plus, s'il "tire" l'_Isvara védantin plus
du côté du Christ, comme il l'admet lorsqu'il parle d'une exégèsepe-rsconelle,
c'est parce qu'il sait que le Christ caché dans l'hindouisme s'est manifesté;
en Jésus de Nazareth. Ici, il souligne le dynamisme du "symbole Jésus" qui
survit a toutes les herméneutiques. Il pose alors l'acte religieux de res
pecter celles-ci, dans un esprit pastoral, dans un souci dialogique, fondés
l'un et l'autre sur une conviction et une expérience de foi (l).
Nous voulons donc souligner, dans ce troisième point de nos conclusions,
que la démarche du professem? de Santa Barbara est celle d'un croyant, celle
d'un monothéiste. C'est dans la foi qu'il interprète l'évolution d'Isvara
dans les écrits hindous, c'est dans la foi qu'il nous propose de ne pas li
miter le Christ à Jésus de Nazareth, tout en sachant, toujouj?s dans la foi,
que son travail n'est qu'une étape de la recherche de l'himianité vers
l'Absolu et que, sur terre, nous ne pourrons jamais connaître parfaitement
le Christ. C'est dans la foi toujours qu'il souhaite que le Christ ne soit
pas monopolisé par les Chrétiens,
4» Nous avons montre que R, Panikkar voit le Christ toujours sauveur et pas
seulement le Christ sauvant a un moment précis de l'histoire et pour tou
jours. Nous l'avons entendu dire, d'une part, que, pour l'Hindou, la pierre
d'achoppement apparaissait quand le christianisme identifiait Jésus, Fils de
Marie, avec le Christ et, d'autre part, que, pour lui, il faut reconnaître •.
dfue le Christ est "la cause ontologique de tout ce qvii trouve dans le fait
chrétien son actualisation suprême et son terme". Il y a donc une actuali
sation suprême et xzn terme dans le fait chrétien. Serions-nous devant un
dilemme ? Ou bien l'identification, ou bien la non-identification. Sort-on
de l'impasse en disant qu'il existe une convergence d'intuitions ? Notre
Auteur, certes, n'est pas dans l'impasse lui-même, ni dans sa vie, ni dans
ses écrits. Tout ce qu'il atteste est conforme au contenu, à l'essence de
la foi chrétienna , il n'y a aucune détotalisation de la totalité.
Aucvin doute n'est permis. Mais comment pourra-t-il, demain, en Inde, expli
quer les déductions logiques de la primordialité de la manifestation du Fils
dans Jésus ?
Cette parabole nous semble utile pour comprendre que E. Panildcar ne par
le pas d'hétéro-rédemption magique, ni d'auto-rédemption sans Lieu, mais d'une
collaboration libre et consciente entre l'homme et son principe intérieur,
Nous pouvons aussi, à partir de cette pacabole, deviner l'intérêt d'une re
cherche sur la conception panilckarienne du culte ou de la démarche de convei^
gence entre le divin et l'humain. '