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Gaston Gross
Laboratoire de Linguistique Informatique
Université Paris 13

UN OUTIL POUR LE FLE : LES CLASSES D'OBJETS

Pour les linguistes non spécialistes du domaine, les colloques de FLE


peuvent être l'objet d'un certain étonnement. A côté de plaintes concernant la
non-reconnaissance par l'institution de l'enseignement de la didactique, on
perçoit la souci de se réclamer d'une discipline inspiratrice. Après avoir mis
tous ses espoirs dans la "linguistique appliquée", la pratique du FLE s'en
détourne radicalement en ne mettant l'accent que sur la psychologie. Faut-il
ainsi osciller d'un extrême à l'autre ? L'enseignement du français comme langue
étrangère comme tout enseignement s'il ne doit pas négliger les conditions
concrètes de l'apprentissage d'une langue, ne peut se passer des régularités que
la description linguistique permet de dégager. Nous voudrions montrer que la
recherche linguistique permet d'apporter à l'enseignement des outils efficaces
dont on ne voit pas pourquoi il se passerait.

1. Description linguistique et traits syntactico-sémantiques

Les auteurs qui se sont souciés de fonder une grammaire formelle ont
mis l'accent sur le fait que "toutes les combinaisons de mots n'appartiennent pas
à l'ensemble des discours" et que "les discours ont des vraisemblances
d'occurrence différentes, ce qui revient à dire que l'appartenance à l'ensemble
des phrases est graduelle" (Z.S. Harris 1976:13). La calculabilité de cette
appartenance à l'ensemble des phrases se fait sur la base de la relation entre
opérateurs et arguments. Un opérateur donné a un domaine d'arguments qui lui
est propre.
Pour rendre compte de cette relation et des contraintes qui la définissent,
les linguistes ont sous-catégorisé les arguments, c'est-à-dire les substantifs, à
l'aide de traits syntactico-sémantiques comme humain, concret, abstrait, locatif,
animé, etc. Cette démarche est, à des variantes près, adoptée par tous les
linguistes qui se sont réclamés de la grammaire transformationnelle. La plupart
des dictionnaires récents se servent aussi de ces traits pour rendre compte des
différents emplois des prédicats. Ainsi, distingue-t-on deux verbes voler selon
la nature de leurs arguments : l'emploi caractérisé par un sujet "animal"
(L'oiseau vole) et celui où le sujet est humain, et, dans ce cas, la syntaxe sépare
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deux constructions différentes (Luc a volé un cahier à son voisin ; Ce pilote


vole sur Airbus). Ce que nous venons de dire est une illustration du principe
général selon lequel le verbe sélectionne ses arguments (1). Même si l'on met
l'accent essentiellement sur les conditions d'apprentissage et sur l'aspect
psychologique de l'acquisition d'une langue seconde, on ne voit pas comment
on pourrait se passer des indications qu'on vient de mentionner pour chaque
emploi verbal. Il se peut qu'elles soient insuffisantes ; elles sont cependant
indiscutablement nécessaires, indépendamment de tout formalisme.

On observera d'autre part, dans une perspective de traitement


automatique, que les traits syntaxiques qu'on vient de mentionner, s'ils sont
susceptibles de reconnaître une construction dans le cadre d'une analyse
automatique, ne permettent pas, à eux seuls, de générer automatiquement des
phrases correctes. Prenons, en guise d'exemple, le verbe titrer dans une phrase
comme :

Ce vin titre onze degrés

Si l'on se sert des traits syntactico-sémantiques dont nous venons de


parler pour décrire cet opérateur, on dira que le sujet de ce verbe est un concret
et l'objet un abstrait. Ces informations sont cependant insuffisantes pour
construire toutes les phrases correctes possibles avec ce verbe et seulement
celles-là. La description que nous venons de donner est trop riche dans la
mesure où elle est susceptible de générer une foule de phrases non acceptables.
N'importe quel concret ne peut être le sujet ni n'importe quel abstrait l'objet de
cet emploi de titrer :

*La table titre de la gentillesse


*Le vélo titre de la rapidité

Les traits syntaxiques sont des outils trop généraux pour rendre compte,
de façon précise et univoque, des emplois des opérateurs.
On peut donner de cette constatation une autre illustration. Deux verbes
comme regarder et manier seraient, dans ces conditions, décrits de façon
identique comme ayant des sujets humains et des objets concrets. Or, le sens de
ces deux verbes est très différent. Regarder peut avoir pour objet n'importe quel
concret, ce qui n'est pas le cas de manier, qui sélectionne parmi les concrets
seulement des outils, compte tenu d'emplois éventuellement métaphoriques (Luc
manie bien ces concepts). On en conclura que les traits syntaxiques ne sont pas
des critères suffisamment discriminants pour décrire les opérateurs avec la
précision voulue.

2. La notion de "classes d'objets"

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emarquons que ces distinctions ne peuvent être opérées, pour un verbe morphologique donné, que si les traits
sont différents : humain vs inanimé concret, par exemple. Quand deux emplois verbaux ont les mêmes arguments
comme apprendre et réciter avec un objet comme leçon les traits syntaxiques ne sont d'aucune utilité.
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Si nous nous fixons comme objectif de décrire les verbes avec la rigueur
requise pour éviter à l'apprenant toute ambiguïté ou pour générer
automatiquement toutes les phrases possibles avec un opérateur et rien que
celles-là, nous n'affirmons pas que l'existence même des traits est inutile. En
effet, un grand nombre de verbes se contentent de ceux-ci pour leur description.
Le verbe peindre, dans son emploi le plus fréquent, a comme complément un
concret : tout objet concret peut être peint. Une telle indication se justifie donc,
même si ce verbe peut avoir d'autres emplois, définis par des arguments
différents. Un des sens du verbe cacher peut être illustré par l'existence de deux
arguments concrets, compte non tenu de conditions pragmatiques disant que le
sujet doit être plus grand que l'objet. On pourra dire alors :

Cet immeuble cache le garage d'en face

Mais si l'on a affaire au verbe habiter, il ne suffit pas de dire que l'objet est un
concret : tout concret n'est pas habitable. On sera obligé de recourir à des
classes plus précises, en l'occurrence des classes comme <habitation> ou encore
des locatifs comme <ville> ou <pays>. Nous appelons ces sous-ensembles des
classes d'objets.

L'établissement de ces classes ne peut faire l'objet d'une description a


priori. La plupart des arbres de description sémantiques ont fait l'objet d'une
telle élaboration. Or, il se trouve qu'une classification intuitive est sans intérêt
dans la description des arguments si l'on a en vue le traitement automatique des
langues. Remarquons que les conditions mêmes de l'apprentissage d'une langue
seconde ne sont pas si éloignées qu'on le pense du traitement automatique des
langues dans la mesure où, dans les deux cas, les informations doivent être
totalement explicites. On ne peut pas se fonder sur une connaissance préalable,
comme c'est le cas dans l'apprentissage de la langue maternelle. A quoi s'ajoute
aussi les erreurs possibles venant de l'interférence, dans le FLE, avec la
première langue.

Un des arbres de description les plus sophistiqués a été mis au point


pour le système de traduction automatique SYSTRAN. Le monde y est divisé en
six grandes sphères : choses, actions, états, qualités, lieux, positions relatives.
A l'intérieur de chaque taxinomie, à chaque division correspond un "noeud" et
un code qui ne couvre qu'un seul concept. On obtient un treillis d'une extrême
complexité. Les hiérarchies sont tributaires de la vision du monde de l'auteur de
l'arbre sémantique. Les inclusions hiérarchiques exigent qu'à un noeud ne
corresponde qu'un seul concept. Or les descriptions linguistiques montrent que
les propriétés sont croisées. Le mot une cotte de maille peut être considéré
comme un vêtement ou comme un objet métallique susceptible de rouiller.

Si l'on regarde le nombre des mots qui ont été effectivement codés en
vue de l'analyse, on est surpris de voir qu'il s'agit de moins de 10% de l'effectif.
Les codeurs sont la plupart du temps dans l'impossibilité de choisir pour un mot
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donné le noeud adéquat de l'arbre de description, tant il y a de possibilités


empiriques différentes.

Il se trouve que le découpage du réel que propose l'auteur d'un tel arbre
n'a rien à voir avec les nécessités de la description des opérateurs linguistiques.
La démarche doit donc être celle des sciences expérimentales. Partant des traits
syntaxiques évoqués plus haut, on les sous-catégorisera en fonction des besoins
de la description des opérateurs réels. Ainsi, si l'on veut rendre compte du verbe
titrer dont nous venons de parler, nous aurons besoin de mettre en évidence, en
position de sujet un sous-ensemble des concrets comme <boisson alcoolisée>,
d'un ensemble comprenant deux éléments (degré ou volume) pour rendre
compte de l'objet et de l'indication que le déterminant de cet objet est un
cardinal entre 1 et 100. Dans ces conditions, on est en mesure de générer toutes
les phrases construites autour de ce verbe titrer. L'objectif de notre travail sur
les classes d'objets est de mettre en évidence celles qui sont nécessaires à la
description des relations opérateurs-arguments pour la reconnaissance et gé-
nération automatique des phrases. Nous verrons plus loin que les exigences de
précision que requiert le traitement automatique est un avantage dans le cas de
l'enseignement du français langue étrangère.

3. Les classes d'humains

Les dictionnaires électroniques codent à l'heure actuelle les traits


syntaxiques. Ils codent ainsi, entre autres, les substantifs humains. Mais il est
clair que cette information, toujours utile, est insuffisante dès lors qu'il s'agit de
rendre compte de relations distributionnelles. En fait, les traits syntaxiques
constituent un ensemble de classes de moindre extension que nous avons
appelés classes d'objets. Comme nous l'avons dit plus haut, certains verbes sont
définis avec suffisamment de précision quand on dit qu'ils ont pour sujet un
humain. Ainsi tout humain peut pleurer, être déçu, réfléchir, rêver. Ces
prédicats ne sont pas réservés à des humains spécifiques. En revanche, en
position d'objet second du verbe élire, on ne peut pas mettre n'importe quel
humain mais seulement un substantif humain désignant une fonction :

On a élu Paul (maire, député, représentant, sénateur,...)

Nous allons énumérer une première liste de classes d'humains. On peut


ainsi mettre en évidence des :

humains proprement dits : hommes, gens, type


humains relationnels : frère de, voisin de
professions : médecin, cordonnier
fonctions : député, doyen, ministre
locatifs : parisien, allemand
locatifs par métonymie : rue, salle
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collectifs : régiment, classe, troupe


"qualités" : traître, génie
malades : tuberculeux, cancéreux
"appellatifs" : sire, monsieur
"théories" : platonisme, néo-réalisme
"oeuvres" : l'Illiade, la Bible
instrumentistes : violoniste, pianiste
moyens de transport : 2 CV, Citroën
ethnies : peuls, Kurdes, Sioux
races : blancs, noirs, jaunes
prédicatifs : rieur, travailleur

Quand nous disons qu'il faut ranger dans la catégorie des humains une
classe d'objets comme <moyens de transport >, nous voulons prévoir le cas où
ces substantifs sont des sujets possibles de certains verbes à sujet "humain" :

Cette 2CV conduit imprudemment


La voiture bleue cherche à nous doubler
La voiture derrière fait mine de dépasser

Notre délimitation des classes est fondée sur la grammaire. Nous allons
proposer quelques exemples de définitions syntaxiques de classes. Prenons les
substantifs humains relationnels, comme le mot voisin. Ils ont, entre autres, les
propriétés suivantes :

- ces substantifs ont des arguments , on ne peut pas les employer seuls :

*Je suis (E + le) frère


Je suis le frère de Luc

L'emploi sans complément au pluriel n'est pas un vrai contre-exemple :

Luc et Jean sont frères

puisque cette phrase doit être considérée comme une sous-structure de :

Luc et Jean sont frères l'un de l'autre

- Ce que nous venons de dire explique que le possessif (transformation d'un


complément en de N) soit naturel :

Luc est son frère

On comprend donc que ces substantifs ne peuvent pas être employés au


singulier sans complément :
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*Luc est frère

- On peut ajouter que certains d'entre eux sont réciproques et que d'autres ne le
sont pas :

Luc et Jean sont frères (l'un de l'autre)


*Luc et Jean sont fils (l'un de l'autre)

Les noms de profession, en revanche, sont susceptibles d'être employés sans


article :

Luc est médecin

même s'ils peuvent aussi avoir des compléments :

Luc est le médecin de mon père

On peut noter, d'autre part, les paraphrases suivantes :

Luc est médecin de profession


Luc est médecin de son métier
Luc exerce la médecine
Luc exerce le métier de médecin
Luc pratique la médecine

Les noms de "qualités" comme traître sont ainsi définis :

a) ils peuvent figurer en position d'attribut

Luc est un traître

b) ils sont susceptibles d'être employés au vocatif :

Traître !

c) ils figurent après des expressions comme espèce de :

Espèce de traître

c) ils figurent dans des constructions inverses :

Traître que tu es !
Ce traître de Luc

d) ce sont des arguments naturels, en position de N2, d'un verbe comme traiter
N1 de N2 :
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Luc a traité Jean de traître

Prenons l'exemple des <oeuvres>. Il existe un certain nombre de verbes à sujets


humains qui peuvent voir figurer en cette position un élément de cette classe :

La Bible parle souvent de querelles fratricides

La Manifeste Communiste prétend que les sociétés sont


régies par la lutte des classes
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4. La notion d'opérateurs appropriés

Une classe d'objets, du fait qu'elle constitue un sous-ensemble d'un trait


syntaxique donné, peut avoir deux types d'opérateurs : ceux qui sont spécifiques
de la classe générale définie par ce trait (que nous appelons opérateurs
généraux) et ceux qui lui sont propres (que nous appelons opérateurs
appropriés). Ainsi un élément de la classe des <moyens de transport routiers>
peut être considéré comme un concret. De ce fait, il peut être sujet de verbes qui
s'appliquent à cet ensemble : être de couleur (adj), peser N(poids), avoir
N(dimension), etc. En revanche, les opérateurs appropriés à cette classe
seraient, en position d'objet : prendre, rouler en, conduire, louer, garer, etc. et
en position de sujet : rouler, être en stationnement, caler, dépasser, ralentir,
faire un tête-à-queue, faire (un + des) tonneau(x), déraper sur une plaque de
verglas, etc. Ce sont les opérateurs appropriés qui définissent les classes
d'objets. Si nous délimitons, par exemple, les éléments de la classe constituée
des <moyens de transports en commun ferroviaires> par rapport aux <moyens
de transports (individuels) routiers>, nous voyons que les opérateurs
spécifiques à chacune des classes forment des ensembles bien disjoints. Si l'on
se contente de prendre un seul verbe comme prendre, on peut avoir l'illusion
qu'il s'agit d'une même classe :

Luc a pris le train


Luc a pris la voiture

Observons d'abord que nous ne sommes pas en mesure de dire si nous


avons affaire, dans ces deux phrases, au même verbe prendre. Mais, si nous
dressons la liste des verbes qui fonctionnent dans l'un et l'autre cas, la différence
apparaît immédiatement. Le verbe emprunter est un synonyme de prendre avec
train mais non avec voiture, où il signifierait plutôt voler qu'enfourcher.
Observons encore :

J'ai attrapé (le dernier train + *la dernière voiture)


(Le train + *la voiture) dessert les gares de N et de N
(Le train + *la voiture) accuse un retard de x minutes
(Le train + *la voiture) a déraillé
(Le train + *la voiture) pour Marseille
(Le train + *la voiture) est formé(e)
(Le train + *la voiture) de 8h47 a du retard

On peut continuer et montrer que ce n'est qu'à un <moyen de transport


en commun ferroviaire> que s'appliquent à la fois les prédicats suivants : être
en partance, accuser un retard de, être à destination de, être à quai, (avoir +
rater) son N.
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Les opérateurs appropriés d'une classe comme <vêtement> seraient :


porter, mettre, changer de, enlever, être élimé. Soulignons qu'en cas de verbe
comme porter, nous ne pensons ici qu'à un seul de ses emplois, celui qui est
traduit par l'anglais wear et non carry. Il est clair que les classes d'objets sont le
lieu naturel du traitement des expressions figées. En effet, la combinaison
verbe-complément peut-être compositionnelle comme dans les phrases qui
précèdent. Il faudrait opposer à cela les cas où cette relation n'est pas calculable,
comme cela se passe, par exemple, avec des expressions figées mettant en jeu
des noms de vêtements : prendre une veste, porter le chapeau, porter le
pantalon, avoir la tête près du bonnet, retourner sa veste, etc.
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5. Intérêt de la notion de classes d'objets

Nous allons montrer dans ce qui suit les utilisations possibles de la


notion de classes d'objets dans l'enseignement du français. Nous verrons que ce
concept permet de mettre à la disposition des enseignants des outils plus fins en
vue de la description et de l'enseignement de la langue, tout comme c'est le cas
du traitement automatique.

5.1. Description des opérateurs

La polysémie que l'on constate dans les langues naturelles se manifeste


d'abord dans le domaine des prédicats. Dans la langue générale, rares sont les
verbes qui ont un seul emploi. Cette situation pose des problèmes
particulièrement délicats dans le domaine de l'enseignement. La description d'un
verbe comme prendre fait l'objet de difficultés du fait de sa polysémie. Si l'on se
sert de traits comme concret ou abstrait comme le font tous les dictionnaires,
les distinctions ne peuvent pas être établies car les compléments d'objets
"concrets" correspondent en l'occurrence à des emplois très différents. Les
classes d'objets sont capables de réduire ces ambiguïtés :

prendre <aliment> : prendre un steak


prendre <boisson> : prendre de la bière
prendre <moyen de transport en commun> : prendre l'avion
prendre <voie> : prendre l'autoroute, un sentier
prendre <coup> : prendre un coup de pied
etc.

Si l'on dresse la liste des éléments de chacune de ces classes, le système


couplé à un dictionnaire électronique qui serait à la disposition des étudiants,
après avoir localisé le verbe, cherchera le complément à sa droite. S'il rencontre
le mot gifle, qui fait partie de la classe des <coups>, il le reconnaîtra comme tel
et interprétera le verbe prendre comme recevoir (recevoir, prendre une gifle) et
non comme manger comme ce serait le cas avec un substantif comme steak au
poivre qui fait partie de la classe des <aliments>. Il faut remarquer cependant
que cette description est neutre du point de vue de l'emploi de l'informatique. Ce
que nous venons de dire peut être tout aussi bien mis en oeuvre dans le cadre de
dictionnaires ou de grammaires "papier".
.
Voici d'autres exemples de désambiguïsation à l'aide de classes d'objets :

jouer <jeu> : jouer aux billes


jouer <sentiment> : jouer l'indifférence
jouer <air> : jouer la Marseillaise
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jouer de <instrument> : jouer de la mandoline


jouer <spectacle> : jouer le Cid
jouer à <sport> : jouer au football

faire <instrument de musique> : faire du violon


faire <sport> : faire de la natation
faire <langue> : faire de l'allemand
faire <matière enseignée> : faire de la physique
faire <monument> : faire le musée du Louvre
faire <maladie (infectieuse)> : faire une bronchite
faire <cultures> : faire du maïs
faire <prix> : faire cent francs
faire <poids> : faire soixante kilos

être en <matière> : être en bois


être en <moyen de transport en commun> : être en avion
être en <matière enseignée> : être en géographie
être en <pays> : être en France
être en <vêtement> : être en veste

Cette description peut s'appliquer aussi aux opérateurs adjectivaux.

sévère <sanction> : punition sévère


sévère <look> : aspect sévère
sévère <échec> : défaite sévère

aigu <son> : sifflement aigu


aigu <maladie infectieuse> : bronchite aiguë
aigu <douleur> : souffrance aiguë

tendre <aliment> : haricots tendres


tendre <couleur> : vert tendre
tendre <musique> : chanson tendre
tendre <végétation> : feuilles tendres

6. Traitement de la synonymie

L'utilisation des classes d'objets nous a permis de décrire avec une


précision accrue la nature des opérateurs. Cette opération a comme premier
avantage de nous permettre des dresser des listes de substantifs qui constituent
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chacune de ces classes. Ainsi, il est possible d'énumérer tous les noms qui
réfèrent à des <boissons alcoolisées>, des <aliments>, des <maladies>, etc. Les
classes que nous avons déjà réalisées montrent que cette opération est faisable
et non pas chimérique. L'utilité de ces listes est évidente d'abord dans le
domaine de la documentation. Mais, en linguistique, les classes nous permettent
de traiter de façon efficace le problème de la synonymie. Voici quelques
exemples :

prendre <aliment> : manger


prendre <boisson> : boire
prendre <moyen de transport> : emprunter, voyager en
prendre <voie> : emprunter, s'engager (sur, dans)
prendre <coup> : recevoir
prendre <ville, place forte> : s'emparer de
prendre <temps> : durer

passer <légumes> : mixer


passer <vitesse> : mettre en
passer <examen> : subir
passer <grade> : être nommé
<couleur> passer : devenir pâle
<temps> passer : s'écouler

filer <textile> : tisser


<police> filer <suspect> : suivre
filer <maladie infectieuse> : transmettre
filer <coup> : donner, allonger
<navire> filer <x noeuds> : faire
<tricot> filer : démailler

donner <coup> : asséner


donner <prix> : attribuer
donner <fête> : organiser
donner <spectacle> : monter
<arbre> donner <fruits> : produire
<troupe> donner : attaquer

Semblable travail peut être fait sur les adjectifs.

aigu <son> : strident, grinçant


aigu <maladie infectieuse> : grave
aigu <douleur> : vive

tendre <aliment> : fondant


tendre <couleur> : pâle, délicat
tendre <musique> : douce
tendre <végétation> : fraîche
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frais <aliment> : comestible, du jour, non avarié


frais <fruit, légumes> : non séché
frais <vêtement> : non fripé

grave <maladie> : sérieuse


grave <note> : basse
grave <voix> : profonde
grave <danger> : grand

Les descriptions que nous venons de faire ne s'appliquent qu'à des


adjectifs prédicatifs, ceux qui forment avec le substantif un sens
compositionnel, c'est-à-dire calculable. Elles ne concernent pas ceux des
adjectifs qui figurent dans des ensembles figés : noms composés (cercle vicieux,
cordon-bleu, grand-père), adverbes composés (de plein fouet, de haute lutte),
etc.

7. Intérêt pour la traduction

Dès lors que l'on a décrit les opérateurs comme nous venons de le faire,
c'est-à-dire en notant avec la précision maximale le domaine des arguments, il
devient assez facile, dans un dictionnaire électronique ( ou dans des manuels),
de proposer des équivalents pour la traduction. On aura ainsi :

prendre <aliment>/E:to have, eat/D: essen, nehmen


prendre <boisson>/E:to have,drink/D:trinken, nehmen
prendre <moyen de transport>/E:to take, go by/D:benützen
prendre <coup>/E:to get/D:kriegen
prendre <ville>/E:to capture/D:einnehmen
prendre <maladie infectieuse>/E:to catch/D:holen

jouer <sentiment>/E:to affect/D:mimen


jouer <air>/E:to play/D:spielen
jouer <instrument>/E:to play/D:spielen
jouer<spectacle>/E:to act/D:aufführen
jouer à <sport>/E:to play/D:spielen

piloter <avion>/E:to fly/D:fliegen


piloter <voiture>/E:to drive/D:fahren
piloter <bateau>/E:to pilot/D:lotsen

faire <instrum de mus>/E:to play/D:spielen


faire <sport>/E:to play/D:treiben, spielen
faire <langue>/E:to study/D:studieren,lernen
faire <matière enseignée>/E:to do/D:studieren
faire <maladie infectieuse>/E:to have/D:haben
faire <prix>/E:to cost/D:kosten
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<contenant> faire <volume>/E:to hold/D:fassen


faire <poids>/E:to weigh/D:haben

8. Traitement des prépositions

Le traitement des prépositions constitue, en traduction automatique de


même que dans l'enseignement, particulièrement d'une langue seconde, un des
chapitres les plus compliqués. Dans un échantillon de textes traduits en France
par Minitel, elles font l'objet d'environ un tiers des fautes de traduction. Les
classes d'objets permettent d'éviter une grande partie de ces fautes. Le fait
d'établir la liste des éléments lexicaux correspondant à chaque classe permet à
des logiciels de didactique de reconnaître les emplois et, par là, de proposer la
bonne analyse pour la préposition. Voici quelques exemples :

à <N temps ponctuel> : à deux heures


à <ville> : à Marseille
à <ingrédients> : à l'ail, au poivre
à <cardinal> : à trois, à quatre
à <lieu de travail> : au bureau, au labo
à <combustible> : au mazout, à l'électricité
à <monnaie> : à cent francs
à <moyen de transport animal> : à cheval, à chameau
etc.

avec <outil> : avec un marteau


avec <sentiment> : avec gentillesse
avec <phénom météo> : avec la pluie, avec le verglas
avec <N temps> : avec le soir

en <matière> : en fer, en plastique


en <vêtement> : en pyjama, en veste
en <pays> : en France, en Allemagne
en <année> : en 1992
en <saison> : en été, en automne
en <mois> : en avril, en mai
en <moyen de transport en commun> : en avion, en train
en <N forme> : en poire, en banane
en <couleur> : en rouge, en violet
en <langue> : en français, en allemand
en <qualité> : en connaisseur, en savant

sous <dirigeant> : sous de Gaulle


sous <médicament> : sous antibiotiques
sous <"couverture"> : sous enveloppe, sous papier gras
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sous <durée> : sous deux jours


sous <"gouvernement"> : sous le règne de Louis XIV

Ces descriptions sont pour le moment très lacunaires. Il faudra par la


suite indiquer le type de phrases où ces emplois peuvent apparaître et noter en
particulier si l'on a affaire à des compléments de verbes ou à des compléments
circonstanciels. Nous pensons qu'il n'y a pas d'autre moyen de constituer des
aides informatiques à l'apprentissage des prépositions.

Conclusion

La démarche que nous avons suivie consiste à ne pas séparer syntaxe et


sémantique comme relevant de niveaux totalement distincts. Nous n'avons pas
posé des primitifs sémantiques ni fait des calculs de nature purement
sémantique. Les classes que nous avons construites l'ont été par un recours
constant aux propriétés syntaxiques. Cette façon distributionnelle de procéder
permet de mettre en évidence des règles reproductibles dans la mesure où les
propriétés de l'hyperonyme s'appliquent automatiquement à tous les éléments de
la classe. Nous considérons la notion de classes d'objets comme un outil qui
permet de mettre au point des logiciels d'apprentissage du français langue
étrangère.

REFERENCES

GROSS, G., 1989, Les constructions converses du français, Droz, Genève-


Paris.
GROSS,G., 1992, "Forme d'un dictionnaire électronique", L'environnement
traductionnel. La station du traducteur de l'an 2001, Presses de l'Université du
Québec.
HARRIS, Z.S., 1976, Notes du cours de syntaxe, Le Seuil, Paris

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