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Institut de Stratégie Comparée, Commission Française d'Histoire


Militaire, Institut d'Histoire des Conflits Contemporains

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Dossiers :

. Théorie de la stratégie

. Cultures stratégiques AVANT-PROPOS


. Histoire militaire

. Géostratégie

. Pensée maritime
La stratégie américaine ne se laisse pas facilement
. Pensée aérienne
décrypter. L’observateur est souvent étourdi par la
. Profils d'auteurs profusion des opinions, des déclarations, des rapports,
. Outils du chercheur qui donnent l’image d’une juxtaposition de services et
. BISE d’intérêts qui poursuivent des objectifs concurrents,
sinon antagonistes. Les rivalités entre les armées
. Bibliographie stratégique
atteignent aux États-Unis une intensité inégalée, au
point qu’un commentateur, mi-sérieux, mi-ironique, a
Publications de référence pu dire que l’ennemi principal de l’US Navy n’avait
jamais été la marine soviétique mais plutôt l’US Air
Stratégique
Force. Les erreurs de l’une sont dénoncées par l’autre
sans guère de considération pour un intérêt commun.
Histoire Militaire et Stratégie

Correspondance de Napoléon Cette vision est difficilement évitable en raison de la


RIHM tradition de la démocratie américaine qui a sciemment
encouragé l’émergence de foyers de pouvoir multiples.
C’est pourtant par une fâcheuse erreur de perspective
que l’on prétend en conclure que les États-Unis
n’auraient ni stratégie ni politique étrangère. John
Lewis Gaddis a réagi avec éclat contre cette
interprétation simpliste dans son livre classique
Strategies of Containment (1982). Il a montré que,
malgré les divergences partisanes et l’instabilité
gouvernementale, la politique étrangère américaine
était d’une remarquable cohérence. Bruno Colson
reprend aujourd’hui cette démonstration pour l’étendre
à l’ensemble de la stratégie américaine.

Il part d’un modèle théorique, celui de la stratégie


intégrale telle qu’elle a été définie par le général
Lucien Poirier. Cette stratégie intégrale s’organise
autour de trois axes que sont la stratégie générale
économique, la stratégie générale militaire et la
stratégie générale culturelle. Ces trois secteurs sont en
interrelation constante au sein d’un ensemble que les
Américains appellent aujourd’hui stratégie nationale de
sécurité. Au-delà de la diversité des acteurs et de la
vivacité des débats, il est ainsi possible de discerner
une stratégie qui met en œuvre les différents leviers
de la puissance pour maintenir une position
hégémonique.

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Celle-ci est aujourd’hui incontestée. Tel sociologue


célèbre préfère oublier le livre qu’il consacrait au Mal
américain en 1980. Le syndrome du Viêt-nam a cédé
la place à un optimisme qui s’est transformé en
triomphalisme après la démonstration de la guerre du
Golfe. Le débat sur la révolution dans les affaires
militaires est la dernière manifestation de cette
confiance retrouvée : le but est de montrer que les
États-Unis sont les seuls à maîtriser la chaîne
complète des nouvelles techniques et qu’ils
constituent, plus que jamais, le modèle sur lequel les
autres doivent s’aligner.

La démonstration de Bruno Colson, qui constitue le


deuxième volet du programme de recherches de l’ISC
sur les stratégies des grandes puissances, est
exemplaire. Elle met en valeur la richesse heuristique
d’un modèle théorique jusqu’ici insuffisamment utilisé.
Elle fait justice d’une critique qui a parfois été
adressée à la stratégie intégrale selon laquelle elle
supposerait une organisation politique totalitaire. Enfin,
elle montre que cette stratégie intégrale américaine
existe, qu’elle est pensée avant d’être mise en œuvre.
Mise en œuvre d’autant plus efficace qu’elle a été
précédée d’une réflexion systématique. Voilà une leçon
dont nous ferions bien de nous inspirer.

Hervé Coutau-Bégarie
Président de
l’Institut de Stratégie Comparée

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Dossiers :

INTRODUCTION
. Théorie de la stratégie
. Cultures stratégiques

. Histoire militaire

. Géostratégie
Depuis 1945, le rapport entre la guerre et la stratégie est inversé. La stratégie
ne se situe plus uniquement dans la guerre. Celle-ci est devenue un des
. Pensée maritime
modes, de moins en moins utilisé par les pays "développés", d’une stratégie
. Pensée aérienne qualifiée de totale ou d’intégrale. Pour le général Beaufre, la stratégie totale
. Profils d'auteurs est "chargée de concevoir la conduite de la guerre totale. Son rôle est de
. Outils du chercheur
définir la mission propre et la combinaison des diverses stratégies générales,
. BISE
politique, économique, diplomatique et militaire" 1. Considérant à juste titre
que cette définition était encore trop liée à celle de guerre, Lucien Poirier a
. Bibliographie stratégique
proposé le concept de stratégie intégrale. "Théorie et pratique de la
manœuvre de l’ensemble des forces de toute nature, actuelles et potentielles,
Publications de référence résultant de l’activité nationale, elle a pour but d’accomplir l’ensemble des fins
définies par la politique générale". Elle se décompose en trois stratégies
Stratégique générales, économique, culturelle et militaire 2. Notons que ces trois stratégies
générales correspondent à ce que certains politistes considèrent comme les
Histoire Militaire et Stratégie
trois articulations de la politique. Talcott Parsons avait discerné trois axes dans
Correspondance de Napoléon la domination politique de l’Empire romain : un axe militaire, un axe culturel,

RIHM un axe économique. Reprenant ce schéma, Dominique Colas estime qu’il peut
servir à analyser de façon universelle la domination politique en tant qu’elle
est toujours une action utilisant certains moyens et organisant des rapports
sociaux. La politique est articulée et elle articule. Elle occupe une place dans
différents types de pratiques ou de processus et, en même temps, sa place lui
est donnée par différentes pratiques, différents processus : modes de
production, modes de destruction et modes de communication 3. Ils
correspondent aux trois stratégies générales, économique, militaire et
culturelle.

L’extension du concept de stratégie a été pressentie dès la fin du XIX e siècle,


notamment par l’amiral Mahan qui estimait que la stratégie navale était aussi
nécessaire en temps de paix qu’en temps de guerre. La Première Guerre
mondiale, après les désillusions de 1914 et l’enlisement dans les tranchées,
amena les belligérants à travailler à une mobilisation économique sans
précédent. La stratégie économique apparaissait aux côtés de la stratégie
militaire, sans que l’on sache quand la prise de conscience théorique de cette
mutation a réellement eu lieu. L’Américain Edward Mead Earle et le
Britannique Liddell Hart ont, en tout cas, été parmi les premiers à parler de
grand strategy à propos de la Seconde Guerre mondiale, pour rendre compte
de la mise au service des buts de guerre de toutes les ressources de la
nation4. Depuis, la grand strategy a été également appelée national security
strategy par les Américains. "Elle reflète des décisions politiques au plus haut
niveau couvrant toutes les activités de l’État. Elle gère, coordonne et, si c’est
nécessaire, crée des instruments appropriés pour mettre en œuvre la politique
de l’État, en drainant tous les éléments de la puissance nationale, incluant la
pression diplomatique, la force militaire, les ressources industrielles, la
position commerciale, la base technologique, les données du renseignement,
l’attrait idéologique et la cohésion politique. Alors que la stratégie militaire
s’occupe d’abord de l’utilisation de la puissance militaire dans la guerre, la
grande stratégie guide l’emploi de toute la gamme des instruments de la
politique dans la paix comme dans la guerre. La " grande stratégie " fait donc

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référence au développement et à l’application coordonnée des instruments


politiques, économiques et militaires de la puissance pour défendre les intérêts
et les objectifs nationaux dans toutes les circonstances" 5. La grande
stratégie, ou stratégie nationale de sécurité, est l’équivalent de la stratégie
intégrale de Lucien Poirier.

N’est-ce pas désigner, en d’autres termes, la politique étrangère ? De même


que, pour Lucien Poirier, la stratégie est, d’une certaine manière, la "politique-
en-acte" parce qu’elle implique notamment une structuration des voies-et-
moyens correspondant aux finalités de la politique, la définition américaine de
la grande stratégie implique de déterminer non seulement des priorités mais
aussi des modes d’action spécifiques. La "guidance stratégique" décrit ce qui
est nécessaire au succès et préconise une approche pour rencontrer les
objectifs-clefs. C’est une question de choix en fonction de coûts et d’allocation
des ressources. Une grande stratégie reflète aussi la perception collective des
conditions qui devraient exister pour que la nation connaisse la sécurité et la
prospérité 6. Les Américains font peut-être un usage immodéré du concept de
stratégie pour désigner leur politique. Il leur arrive d’utiliser des concepts de
stratégie militaire opérationnelle comme la manœuvre ou l’attrition pour
désigner des options de politique étrangère7. User de la métaphore en la
matière est parfaitement légitime et n’est pas propre, en soi, aux Américains
mais, d’après Stanley Hoffmann, il y a plus que cela. D’après lui, la réduction
de la politique étrangère à la stratégie est due à une approche managériale et
technique typiquement américaine qu’il appelle skill thinking. L’utilisation du
concept de stratégie donnerait l’illusion de l’"objectivité" et de la rationalité
dans une société fascinée par la technique et peu encline à la réflexion
philosophique8. La stratégie est alors envisagée comme "une méthode de
pensée permettant de classer et de hiérarchiser les événements, puis de
choisir les procédés les plus efficaces" 9. Le concept de stratégie évoque aussi
pour les Américains une vision à long terme, un cadre d’analyse permettant de
guider la politique, celle-ci impliquant, lorsqu’elle est traduite par policy, une
gestion au jour le jour en réaction aux événements10.

Le concept de stratégie intégrale peut être légitimement utilisé pour désigner


la politique étrangère si l’on veut bien admettre que les études stratégiques
ont leur spécificité au sein de la science politique. Étudier la politique
étrangère en termes de stratégie, c’est non seulement la comprendre en
termes de rapports de force mais c’est aussi s’efforcer de déceler une
approche "intégrée" des différents champs d’action. C’est voir si des liens sont
établis, explicitement ou implicitement, par exemple entre les intérêts
militaires et les intérêts économiques. La stratégie militaire reste au cœur de
la stratégie intégrale comme la violence reste le moyen spécifique de la
politique11. Des trois stratégies économique, culturelle et militaire, c’est la
dernière qui dépend le plus de l’État. Les dirigeants politiques sont
entièrement maîtres des activités militaires, ils ne le sont pas des activités
économiques et culturelles. L’économie et la culture ne se pensent pas
uniquement en termes de stratégie. Des trois dimensions de la stratégie
intégrale américaine, c’est la stratégie militaire qui est la plus précisée. Elle
l’est d’autant plus que, depuis la fin de la Guerre froide, les États-Unis ont
une prédominance militaire mondiale incontestée.

Les pages qui suivent voudraient appliquer le concept de stratégie intégrale


aux États-Unis dans l’après-Guerre froide et plus particulièrement à leur
politique européenne. Le but n’est pas ici d’analyser l’ensemble des relations
transatlantiques mais d’essayer de rassembler les composantes de l’approche
américaine de l’Europe. Il faut entendre par celle-ci l’Europe occidentale et
avant tout l’Union européenne en tant que telle. Les pays d’Europe centrale et
orientale, la Russie et les pays du sud de la Méditerranée sont moins
concernés mais ils le seront tôt ou tard à des degrés divers, surtout les
premiers qui sont appelés à rejoindre à terme l’Union européenne.

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Cette étude se fonde essentiellement sur une analyse du discours américain à


destination de ou sur l’Europe, qu’il émane des dirigeants politiques et
militaires ou des experts en stratégie et en politique étrangère. Comme il sied
à une grande démocratie, ce discours est abondant, largement accessible et
même systématiquement diffusé, au prix d’une dépense d’énergie qui n’a pas
son pareil en Europe. L’Amérique donne généreusement aux chercheurs
européens les moyens de porter sur elle un regard critique, de la prendre au
piège de ses propres contradictions. Au-delà des paroles lénifiantes sur la
solidarité transatlantique, il s’agira en effet de dépister les implications
politiques de la stratégie américaine en utilisant le critère "ami-ennemi" cher à
Carl Schmitt, auquel Lucien Poirier préfère substituer la distinction "même-
autre". Ce travail relève de la science politique dans la mesure où c’est la
dimension proprement politique de la stratégie américaine qui est privilégiée.

________

Notes:

1 André Beaufre, Introduction à la stratégie, 3 e éd., Paris, Armand Colin,


1965, pp. 24-25.

2 Lucien Poirier, Stratégie théorique II, Paris, Economica, 1987, pp. 113-116.

3 Dominique Colas, Sociologie politique, Paris, PUF, 1994, pp. 253-255.


4 Hervé Coutau-Bégarie, Introduction à la stratégie, Paris, Collège
Interarmées de Défense, 1995-1996, I, pp. 39-40.
5 John J. Kohout III et al., “Alternative Grand Strategy Options for the United
States”, Comparative Strategy, vol. 14, 1995, pp. 362-363.
6 Ibid., pp. 363-364.
7 David M. Abshire, “U.S. Global Policy : Toward an Agile Strategy”, The
Washington Quarterly, vol. 19, 1996-2, pp. 45-46.
8 Stanley Hoffmann, Gulliver’s Troubles, or the Setting of American Foreign
Policy, New York, McGraw-Hill, 1968, pp. 148-161.
9 A. Beaufre, op. cit., p. 11.
10 Zalmay Khalilzad, “U.S. Grand Strategies : Implications for the United
States and the World”, Strategic Appraisal 1996, sous la dir. de Z. Khalilzad,
Santa Monica, RAND Corporation, 1996, p. 15.
11 Max Weber, Le savant et le politique, traduit de l’allemand, Paris, Plon,
1971, pp. 219-221.

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Dossiers :

. Théorie de la stratégie

. Cultures stratégiques L’AMÉRIQUE ET LE MONDE


. Histoire militaire DE L’APRÈS-GUERRE FROIDE :
. Géostratégie Le débat conceptuel
. Pensée maritime

. Pensée aérienne La Guerre froide permettait à la politique étrangère américaine de se fonder


sur trois paradigmes simples : "endiguer" (contain) l’Union soviétique,
. Profils d'auteurs
empêcher la diffusion du communisme, promouvoir une croissance économique
. Outils du chercheur
globale, sous direction américaine. Depuis 1989, les États-Unis doivent
. BISE réévaluer leur place dans le monde, penser à nouveau leur politique
. Bibliographie stratégique extérieure, "repartir à zéro"12. D’une certaine manière, depuis l’attaque
japonaise sur Pearl Harbor le 7 décembre 1941, la politique étrangère
Publications de référence
américaine n’a été formulée qu’en réponse à une menace posée par des
ennemis. L’engagement actif à l’extérieur n’a jamais cessé depuis. Quand les
armes se taisaient, la confrontation se poursuivait sous d’autres formes.
Stratégique L’après-Guerre froide devrait redonner aux États-Unis une véritable liberté de
Histoire Militaire et Stratégie choix. Le regard se porte, dans un réflexe compréhensible devant l’inconnu,

Correspondance de Napoléon sur ces années cruciales où avaient été définies les grandes options vis-à-vis
de l’extérieur. On va rechercher certaines études des années 1945-1949. On
RIHM
interroge à nouveau George Kennan, Robert Strausz-Hupé, Dean Acheson13.
La référence à l’histoire oblige même à remonter à la seconde décennie du
XIX e siècle, lorsqu’un "nouvel ordre mondial", arrêté au Congrès de Vienne,
avait mis un terme aux guerres napoléoniennes14. Même si la compétition
entre les puissances continue, la crainte d’une domination globale par la force
semble avoir disparu, et avec elle, au fond, la première caractéristique de la
politique internationale au XXe siècle. Les Américains ont toujours aimé utiliser
des expressions-clés, des concepts significatifs d’une vision du monde et du
rôle de leur pays. Le "nouvel ordre mondial" préconisé par George Bush au
moment de la guerre du Golfe est le plus connu de ces concepts d’après-
Guerre froide. Il n’est pas le seul. D’autres sont apparus, dans la même
mouvance d’un "internationalisme triomphant" ou dans celle, bien connue, de
l’isolationnisme : thèse et antithèse. L’administration Clinton semble avoir
recherché une sorte de synthèse en avançant la notion d’"élargissement".

LE NOUVEL ORDRE MONDIAL

Les États-Unis sont naturellement triomphants pour les analystes qui s’étaient
spécialisés dans l’étude de la menace soviétique et plus généralement pour
ceux qui considèrent la dimension militaire comme le fondement ultime de la
puissance. Il en a été de même pour l’administration Bush, qui avait un intérêt
politique évident à engranger les bénéfices de la "victoire" mais dont les
conceptions fondamentales insistaient aussi sur le rôle de commandant en

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chef du Président15. Pour ceux qui sont davantage sensibles aux aspects
économiques de la puissance et qui font des comparaisons avec le Japon et
l’Allemagne, le triomphe des États-Unis paraît plus modeste. D’une manière
générale, l’option internationaliste triomphante est celle de la continuité dans
la politique étrangère, mais avec cette caractéristique, pour certaines variantes
du moins, que l’instant est à saisir, que l’Amérique doit profiter au maximum
de sa position actuelle d’unique superpuissance.

Le 11 septembre 1990, George Bush présentait l’instauration d’un "nouvel


ordre mondial" comme le cinquième des objectifs à atteindre dans
l’affrontement avec l’Irak de Saddam Hussein. Mais c’est après la fin des
hostilités, en avril 1991, qu’il donna une signification précise au concept :
celui-ci voulait décrire la nouvelle responsabilité que leurs propres succès
imposaient aux États-Unis. C’était une nouvelle façon de travailler avec les
autres nations pour dissuader toute agression, assurer la stabilité, la
prospérité et la paix. Dans le cas de l’invasion du Koweït par l’Irak, les Nations
unies avaient pu fonctionner comme cela avait été prévu par leurs fondateurs
et des nations du monde entier s’étaient coalisées contre l’agresseur 16. Le
Président ajouta cependant que la recherche d’un nouvel ordre mondial restait
en grande partie un défi : il fallait y œuvrer pour écarter les dangers de
désordre. Le monde restait dangereux et avait besoin du leadership américain.
Les États-Unis ne pouvaient rester en retrait 17.

En fait, il n’y avait rien de très nouveau dans le nouvel ordre mondial de
George Bush. Le secrétaire d’État James Baker n’a pas donné de contenu
véritable au concept en dehors d’un souci constant de la "stabilité" 18. Il y a,
dans la responsabilisation des États-Unis, une continuité certaine avec la
pratique de la Guerre froide mais la clé du nouvel ordre mondial semble bien
n’être que le maintien du statu quo. C’est la vision d’un monde qui n’aurait
pas réellement changé. Les dangers évoqués sont l’instabilité et l’incertitude19.
L’Amérique deviendrait alors le principal gardien de la stabilité et de l’ordre,
contre tout État menaçant la tranquillité du système international 20. Il y
aurait un leadership global, qui agirait dans le cadre d’une réponse collective.
Les États-Unis seraient en quelque sorte le catalyseur, la conscience des
démocraties.

Le concept de nouvel ordre mondial a donné lieu à de nombreuses analyses


critiques, d’autant plus qu’il avait eu l’occasion d’être "mis en œuvre" avec le
conflit du Golfe. En dehors de la volonté de punir l’agression, un autre objectif
est apparu dans ce conflit : la nécessité de détruire la machine militaire
irakienne. L’argument, lié au concept de nouvel ordre mondial, n’était pas
éloigné de la justification d’une guerre préventive 21. Les bombardements dont
l’Irak fit encore l’objet en janvier 1993, dans les derniers jours du mandat de
George Bush, sont venus renforcer cet aspect du concept de nouvel ordre
mondial. Pour d’aucuns, la guerre dans le Golfe n’a pas créé les conditions
d’une paix meilleure. Les États-Unis joueraient un rôle impérial en se
déchargeant des devoirs classiques qui incombent à un empire, à savoir
ramener la paix et l’ordre civil après la guerre. Cette disjonction entre
puissance et responsabilité mettrait en doute la capacité de la nation
américaine à veiller militairement à l’instauration d’un nouvel ordre mondial22.
Les limites de cette étude - dont l’objet n’est pas la politique étrangère de
George Bush - ne permettent pas d’épiloguer pour savoir si le concept de
nouvel ordre mondial est mort à Sarajevo, comme l’a dit Pierre Hassner23. Il
faut toutefois mentionner que l’opération Restore Hope menée en Somalie à
partir de décembre 1992 a apporté une dimension supplémentaire. Cette fois,

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il s’est agi d’une intervention purement "humanitaire", où les États-Unis


n’avaient apparemment aucun intérêt stratégique ou économique en jeu. Il y
avait cependant un point commun avec l’engagement dans le Golfe : le
déploiement militaire était impressionnant mais l’objectif politique à long terme
n’était pas clairement défini. Le nouvel ordre mondial semble décidément très
lié à une capacité militaire opérationnelle. En effet, s’il a été décidé
d’intervenir plus rapidement en Somalie qu’en Bosnie par exemple - où
l’intervention n’a eu lieu qu’une fois la paix imposée d’ailleurs - c’est parce
que les militaires ont estimé que c’était beaucoup plus "faisable" dans le
premier cas 24.

Le sénateur Malcolm Wallop (Républicain, Wyoming) a plaidé pour une


interprétation plus activiste du concept de nouvel ordre mondial. Ronald
Reagan avait qualifié l’URSS d’"empire du mal". Wallop n’hésite pas à qualifier
les États-Unis d’"empire du bien25. C’est, selon lui, l’unique pays dévoué aux
notions universelles de liberté et de justice et cela lui donne des
responsabilités mondiales. La géographie contraint l’Amérique à rester
engagée et active au dehors. Cela doit se faire par la puissance maritime et,
surtout, par la maîtrise de l’espace. Ce deuxième champ stratégique est du
même type que le premier : les espaces intersidéraux sont les mers du futur.
La maîtrise de l’espace est le nouveau challenge pour les Américains, la
"nouvelle frontière"26.

En mars 1992, une version du Defense Planning Guidance du Pentagone, qui


n’était pas destinée à être rendue publique, est dévoilée par le New York
Times et provoque une certaine sensation par son interprétation du concept de
nouvel ordre mondial. Le texte a été rédigé par des fonctionnaires du
département d’État et du Pentagone, sous la direction du sous-secrétaire à la
Défense chargé des Affaires politiques, Paul D. Wolfowitz, et en liaison avec le
Conseil national de sécurité. Le rapport Wolfowitz affirme la volonté des États-
Unis de garder leur statut de superpuissance unique. Il souligne le rôle
privilégié, à cette fin, de la puissance militaire. Celle-ci devra éventuellement
être utilisée de façon unilatérale par les États-Unis car l’ordre international
est, en définitive, garanti par eux. L’Europe et le Japon devront être empêchés
de porter ombrage à la domination américaine. L’OTAN, véhicule des intérêts
américains en Europe, doit rester le premier garant de la sécurité sur le vieux
continent27.

La presse reprocha au Pentagone de chercher à définir un agenda politique


pour l’après-Guerre froide et d’attribuer brutalement aux États-Unis ce rôle de
"gendarme du monde" qu’on les soupçonne souvent de vouloir jouer. Mais si
ce rapport fut rédigé, c’est à cause de l’absence de directive en provenance de
la Maison Blanche ou du Congrès 28. Le nouvel ordre mondial n’étant pas
suffisamment défini par les autorités politiques, certaines autorités militaires
crurent bon de préciser leur propre vision des intérêts américains. Celle-ci
correspondait à un "unilatéralisme global", position soutenue par certains
conservateurs qui croient que les États-Unis doivent agir seuls pour imposer la
paix au monde.

unipolaritÉ ET GESTION DE L’INTERDÉPENDANCE

Pour le journaliste Charles Krauthammer, le monde de l’après-Guerre froide


est unipolaire et les États-Unis sont la superpuissance incontestée. Dans une
génération, d’autres grandes puissances auront émergé et pourront rivaliser

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avec eux mais, en attendant, c’est l’"instant unipolaire" 29. Si les États-Unis
sont prééminents, c’est parce qu’ils sont le seul pays dont les atouts soient à
la fois militaires, diplomatiques, politiques et économiques. Cela leur permet
d’être le joueur décisif dans n’importe quel conflit partout dans le monde. La
guerre du Golfe, comme celle de Corée, a été l’occasion d’un pseudo-
multilatéralisme. En réalité, les États-Unis ont réagi seuls mais, pour sacrifier
à l’autel de la sécurité collective, ils ont recruté des alliés et ont cherché à
obtenir l’aval du Conseil de sécurité. L’Amérique, comme la Grande-Bretagne
auparavant, est une nation commerçante, maritime, échangiste, qui a besoin
d’un environnement mondial ouvert et stable. Si elle abdique et que le monde
se peuple de Saddams Husseins, son économie sera gravement atteinte. Les
engagements extérieurs sont une charge mais aussi une nécessité. La stabilité
internationale n’est jamais donnée. Si l’Amérique la veut, elle devra la créer
car personne ne le fera à sa place.

Le concept d’unipolarité offre une alternative à la politique étrangère


américaine. Il implique la reconnaissance, au centre du système mondial,
d’une confédération occidentale où, comme dans la construction européenne,
des abandons progressifs de souveraineté seraient prévus. Le G-7, sorte de
comité occidental des finances, en est une préfiguration. Autour de cette
confédération occidentale tourneraient des cercles concentriques : celui des
États est-européens, qui deviendraient progressivement des membres
associés, celui des États en développement, dont certains (Corée du Sud,
Brésil, Israël) pourraient s’attacher davantage au centre 30. L’objectif est
d’arriver à un marché commun mondial, ce que décrivait Francis Fukuyama
dans son célèbre essai sur la "fin de l’histoire" 31. L’universalisme des Nations
unies postulait que les structures allaient produire la communauté mais cela
s’est avéré une erreur. Il faut au contraire partir de la communauté
démocratique occidentale. La périphérie s’adaptera d’elle-même. Le premier
objectif est l’unification de l’Ouest industrialisé. Voilà à quoi doivent travailler
les États-Unis.

Robert L. Bartley, du Wall Street Journal, n’est pas loin de Krauthammer


lorsqu’il traite du rôle des États-Unis dans un monde de plus en plus
interdépendant. Il faut, selon lui, travailler non pas à un gouvernement
mondial mais à ce que le monde évolue pas à pas vers une plus grande unité,
surtout sur le plan économique, comme on le voit en Europe avec l’Union
européenne. Il faudra un nouveau Bretton Woods et une amplification des
accords forgés au sein du G-7 32. La gestion de l’interdépendance
transnationale par les États-Unis semble un des thèmes majeurs de
l’internationalisme triomphant. Pour Joseph Nye, cela doit se faire par des
instruments variés comme le GATT, le Fonds monétaire international, le Traité
de non-prolifération nucléaire, l’Agence internationale de l’énergie atomique 33.
Pour lui aussi cependant, la guerre du Golfe a renversé l’idée que la puissance
économique s’était désormais substituée à la puissance militaire. L’Amérique
conserve, en matière de puissance, une gamme de ressources plus vaste que
celle de n’importe quel autre pays. Elle dispose en particulier des atouts de la
puissance "dure" et de ceux de la puissance "douce". La première est la
capacité de commander à autrui, en se servant de moyens matériels comme la
force militaire ou la force économique. La seconde est la capacité d’obtenir la
coopération des tiers plutôt que leur obéissance, en les amenant à faire ce qui
est demandé. Elle est associée à des ressources immatérielles comme la
culture, l’idéologie et le recours aux institutions internationales. Dans la crise
du Golfe, il était capital d’acheminer rapidement des troupes en Arabie
Saoudite, mais il était tout aussi important d’obtenir des Nations unies une
résolution condamnant l’intrusion de l’Irak au Koweït comme une violation du

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droit international 34. Pour Joseph Nye, les États-Unis ne doivent pas être les
gendarmes du monde si l’on précise "à eux seuls". Les États-Unis doivent
prendre la tête de la communauté internationale car le monde est confronté
aujourd’hui à des problèmes transnationaux. "Gérer l’interdépendance", voilà
la principale raison pour laquelle l’Amérique doit s’employer à assurer le
leadership mondial et en faire le noyau de sa politique étrangère.

L’Amérique peut alors devenir le "grand arrangeur" 35. Le concept évoque


d’une part un rôle d’arbitre bienveillant ou d’"honnête courtier" et, d’autre
part, le jeu traditionnel de la Grande-Bretagne qui, aux XVIII e et XIX e siècles,
tenait la balance de l’équilibre en Europe. Il y eut d’autres grands arrangeurs
dans l’histoire : l’Athènes des guerres médiques jusqu’à la veille de la guerre
du Péloponnèse, quand sa prééminence se mua en impérialisme ; la papauté
des XIIe et XIII e siècles ; l’Autriche de 1812 à 1818. Le signe distinctif du
grand arrangeur est sa capacité à faire correspondre ses intérêts nationaux
avec ceux d’autres États et avec les aspirations de la société internationale.
Dans un monde où les différentes sociétés et le système international lui-
même évoluent dans des directions nouvelles, les États-Unis devront arriver à
"gérer" le changement et l’instabilité de façon à ce que les valeurs et les
intérêts américains essentiels ne soient pas lésés. Chez certains analystes, la
gestion de l’interdépendance transnationale peut prendre des formes plus
précises encore.

fÉDÉralisme mondial ET NOUVELLE "DESTINÉE MANIFESTE"

Dans son effort de réflexion sur le rôle mondial des États-Unis après la Guerre
froide, la revue Orbis est allée rechercher la pensée de son père fondateur,
Robert Strausz-Hupé36. En 1957, celui-ci avait repris, pour la première
livraison d’Orbis, le thème de sa dissertation doctorale parue en 1945 :
"l’équilibre de demain" 37. Strausz-Hupé écrivait sans ambage qu’il s’agissait
pour les États-Unis d’unifier le globe sous leur leadership en l’espace d’une
génération. L’établissement de cet ordre universel était devenu la seule
alternative à l’anarchie. Pour lui, l’État-nation était une odieuse invention de
l’idéologie française et "la force la plus rétrograde du vingtième siècle". Elle
n’avait produit que violences et dictatures. Strausz-Hupé se faisait l’apôtre
d’un fédéralisme mondial. Il voyait l’histoire du XXe siècle comme celle d’une
lutte entre le "pouvoir fédératif" et le nationalisme en tant que principes
organisateurs de la politique mondiale. Les États-Unis étaient les seuls vrais
dépositaires du principe de la puissance fédérative. En 1957, Strausz-Hupé
prévoyait que, dans leur duel avec l’URSS, les États-Unis l’emporteraient
grâce à la supériorité de leur système. Le rêve américain allait devenir
universel. Le pouvoir fédératif américain consistait déjà en trois éléments : son
centre, les États-Unis eux-mêmes, avec son contrôle de facto sur l’hémisphère
occidental et la région du Pacifique ; ensuite l’alliance euro-américaine ; enfin
le leadership à l’ONU. L’OTAN, où Strausz-Hupé fut ambassadeur, représentait
pour lui le noyau du processus fédératif mondial38. La mission du peuple
américain était d’"enterrer" les États-nations. Ainsi s’accomplirait le nouvel
ordre mondial, novus orbis terrarum 39.

Il est étonnant que Strausz-Hupé, qui a fui les nazis et les a combattus, ne
puisse s’empêcher de leur emprunter la nécessité d’une représentation
globale, une Weltanschauung, pour que l’Amérique puisse exercer sa poussée
impérialiste au dehors. Il ne s’est pas contenté de l’internationalisme libéral de

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Franklin Roosevelt. Il a fallu qu’il articule une vision géopolitique. Pour Robert
Strausz-Hupé, l’esprit d’ouverture et d’accueil des Américains les rend aptes à
devenir les architectes d’un empire sans impérialisme. La culture anglo-
saxonne peut servir de pont idéal entre les anciennes cultures et la nouvelle
culture mondiale qui doit émerger 40. L’idée d’un fédéralisme mondial a été
reprise par Strobe Talbott dans le magazine Time 41. Pour lui aussi, d’ici une
centaine d’années, la nationalité telle que nous la connaissons sera devenue
"obsolète" ; tous les États reconnaîtront une seule autorité globale. Pour lui
aussi, l’OTAN a été l’expérience la plus ambitieuse, la plus durable et la plus
réussie de sécurité collective et de dilution des souverainetés nationales. Les
institutions financières multilatérales, GATT et FMI, sont pour lui les "proto-
ministères" du commerce, des finances et du développement d’un monde
unifié42. Le fédéralisme mondial n’est pas encore, cependant, le concept le
plus surprenant de l’internationalisme triomphant de l’après-Guerre froide.

Pour Ben J. Wattenberg, vice-président de Radio Free Europe et de Radio


Liberty et membre de l’American Enterprise Institute, les États-Unis doivent
reconnaître leur "nouvelle destinée manifeste" 43. Il reproche à l’unipolarité de
Charles Krauthammer de déprécier la souveraineté et ne voit pas quel est
l’objectif de la gestion de l’interdépendance transnationale préconisée par
Joseph Nye 44. Cet objectif doit être la promotion de la démocratie de type
américain. L’Amérique peut vivre avec des démocraties sociales de type
européen mais elle peut essayer d’en "déterminer l’évolution". Le numéro un
de demain sera celui qui déterminera la culture démocratique globale et, pour
Wattenberg, seuls les Américains ont le sens de la mission dans ce domaine.
C’est leur "destinée manifeste". Ils ont les meilleures armes culturelles : le
monde du spectacle et des médias, la langue anglaise, l’immigration, le
tourisme, les universités, les systèmes d’information. Il faut donc encourager
la diffusion des programmes télévisés américains, des films, de l’anglais, la
venue des touristes et des étudiants aux États-Unis. Il faudra inclure
l’entertainment business dans les négociations du GATT ! L’information fait
partie de la politique étrangère, comme la force armée, la diplomatie, le
renseignement, et son importance s’accroît. Wattenberg le dit explicitement :
un monde unipolaire, c’est une bonne idée, "si l’Amérique est réellement le
seul pôle" 45.

LE NÉO-ISOLATIONNISME

Pour les néo-isolationnistes, les États-Unis ne peuvent plus se permettre une


politique étrangère internationaliste à base de prouesses militaires et
économiques. Un budget de la Défense qui, dans les années 1990,
approcherait encore les 300 milliards de dollars par an, ce n’est plus
supportable pour un pays où le poids de la dette ne fait que s’accroître, où
l’infrastructure est dégradée, où le système d’éducation est en faillite, où le
taux d’épargne est des plus bas et où manque la volonté pour investir à long
terme46.

Dans l’histoire des États-Unis, l’isolationnisme n’a jamais signifié une volonté
d’isolement total du reste du monde. Les relations économiques avec l’outre-
mer devaient être poursuivies. C’est sur le plan politique que les
isolationnistes préconisaient le détachement. Rejetant la sécurité collective et
les alliances nécessaires au maintien de l’équilibre des forces, l’isolationnisme
résidait essentiellement dans une volonté de non engagement, un refus de
faire des promesses en matière de sécurité qui puissent enlever à l’Amérique

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sa totale liberté d’action47. Avant la Seconde Guerre mondiale,


l’isolationnisme, un mouvement surtout républicain, voulait que les États-Unis
se tiennent à l’écart de l’Europe et de ses conflits et, en même temps, qu’ils
empêchent toute intervention européenne dans les affaires du continent
américain, suivant en cela la "doctrine Monroe". Avec la Guerre froide, la
plupart des Républicains isolationnistes se muèrent en croisés de l’anti-
communisme. Dans les années 1960, l’intervention au Viêt-nam suscita un
deuxième isolationnisme, opposé à la guerre mais favorable à l’Alliance
atlantique et à la coopération internationale 48. Depuis 1989-1991, la première
tendance se retrouve dans le néo-isolationnisme nationaliste et "populiste" de
Patrick Buchanan.

Patrick Buchanan, ancien assistant des présidents Nixon et Reagan et


commentateur sur CNN, fut le candidat isolationniste de la droite du Parti
républicain aux primaires présidentielles de 1992 et de 1996. Rejetant le
concept d’unipolarité de Charles Krauthammer, il voulait d’abord soumettre
tous les objectifs de la politique étrangère américaine à une question : se
battrait-on pour cela ? Il prônait un retrait total des forces américaines
d’Europe, de Corée et d’Asie mais pas un désarmement. Il était favorable à un
système de défense anti-missiles et n’admettait pas que l’US Navy négocie sa
primauté. Les États-Unis devaient rester la première puissance sur les mers,
dans les airs et dans l’espace49. Toute intervention n’était donc pas exclue
mais elle ne serait pas terrestre. Buchanan s’était opposé à l’expédition dans
le golfe Persique. Il pensait que l’altruisme américain avait été suffisamment
exploité. Il voulait revenir à la doctrine Monroe et, tout en reconstruisant
l’infrastructure économique des États-Unis, étendre les relations commerciales
avec le reste du continent américain. Il appelait ses compatriotes à un
renouveau patriotique et nationaliste 50. Au fond, les vues de l’isolationnisme
populiste pourraient rejoindre celles des unilatéralistes globaux du Pentagone
dans leur désir d’une Amérique hégémonique, si l’hégémonie ne coûtait pas si
cher 51. Sans atteindre au populisme de Buchanan, les arguments néo-
isolationnistes n’ont pas manqué pour que les États-Unis déposent ou, à tout
le moins partagent, leur fardeau.

DÉpÔt du fardeau et PRÉALABLE DU RENOUVEAU INTÉRIEUR

Pour Ted Galen Carpenter, directeur d’études au Cato Institute, les États-Unis
ont besoin d’une stratégie indépendante, libérée des engagements de sécurité
obsolètes, coûteux et dangereux 52. Ils ne doivent plus porter, comme le géant
Atlas dans la mythologie, le poids du monde sur leurs épaules. Il faut définir
avec plus de précision les intérêts vitaux et s’abstenir du réflexe
interventionniste. Les conflits locaux en Europe, comme celui dans l’ex-
Yougoslavie, ne menacent pas les intérêts américains et ne valent pas la peine
de risquer des vies américaines. Le système des alliances est dépassé. L’OTAN
a vécu 53. Il faut cependant garder un certain rôle, même une activité certaine
dans les domaines économique, culturel et diplomatique. Mais vouloir
maintenir une présence militaire significative en Europe réduit à un sens
étroitement militaire l’influence américaine et, de plus, est choquant pour les
Européens, qui partagent un même héritage démocratique et culturel. Le
Japon exerce bien une influence sans passer par l’instrument militaire. En fait,
les valeurs américaines sont en elles-mêmes une source d’influence
considérable. Il faut revenir aux paroles de John Quincy Adams : "L’Amérique
souhaite la liberté et l’indépendance pour tous mais elle n’en est le champion

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et le justicier que pour elle-même" 54. Carpenter admet que le système


international est pour l’instant unipolaire mais selon lui cela ne durera pas :
c’est un "mirage qui s’évanouira bientôt". Le désir des Européens de constituer
un front commun sur les questions de sécurité n’est encore qu’à l’état
embryonnaire mais le mouvement est visiblement amorcé 55.

Robert W. Tucker adopte une position similaire. Les raisons qui ont poussé
l’Amérique à jouer un si grand rôle pendant un demi-siècle ne sont plus
valides. Dans le monde de l’après-Guerre froide, la sécurité des États-Unis, au
sens étroit comme au sens large, n’est plus vraiment menacée56. Le
leadership américain ne survivra pas à la Guerre froide. Il serait beaucoup plus
compliqué pour les États-Unis - et aussi moins attrayant pour la nation
américaine - d’assurer l’ordre que de défendre la liberté. Et le reste du monde
ne manquerait pas de se défier du nouveau gendarme du monde, avec un
sentiment mêlé d’ingratitude et de ressentiment.

Il est temps d’être modeste ! Il fallait bien combattre le nazisme puis le


communisme. Mais maintenant ? Quel besoin de maintenir l’OTAN ? La force
de l’inertie. Il faut revenir au message d’adieu de George Washington,
renoncer aux alliances "empêtrantes" (entangling alliances). L’exemple
américain suffit. Il ne faut plus maintenir des armées dans le monde entier57.
L’âge des superpuissances est révolu. Celles-ci doivent s’adapter. Les leçons
de la guerre du Golfe sont trompeuses. Il y aura encore des crises mais elles
auront en elles-mêmes une capacité d’auto-limitation, étant donné la nouvelle
fragmentation de la puissance. La politique américaine s’adaptera en
conséquence. Elle veillera à maintenir en quarantaine la violence régionale, à
compartimenter l’instabilité régionale, sans intervenir activement 58. Tout au
plus l’Amérique pourra-t-elle encourager les équilibres régionaux. Le monde
n’a plus besoin des États-Unis comme en 1945 59. Les temps sont redevenus
"normaux", écrit Jeane Kirkpatrick, ancien ambassadeur à l’ONU et professeur
à l’université Georgetown. Les États-Unis ont le droit de redevenir eux aussi
un pays "normal". La Guerre froide a donné trop d’importance aux affaires
étrangères. Aujourd’hui les objectifs de l’Amérique sont d’abord d’ordre
domestique. Il faut reconstruire une société meilleure 60.

La puissance est devenue essentiellement économique et c’est sur ce plan que


va se dérouler la principale compétition. Les États-Unis doivent se dégager de
l’outre-mer et faire du renouvellement intérieur leur priorité. Il n’y a plus de
réels ennemis mais il n’y a plus de vrais alliés 61. Car l’Europe et le Japon ne
resteront pas simplement des puissances économiques mais deviendront aussi
des puissances militaires. Il faut rejeter l’illusion qu’une politique étrangère
globaliste conduira à un monde modelé sur les valeurs américaines. Au
contraire, à vouloir jouer à tout prix la superpuissance, l’Amérique ne fera que
s’épuiser davantage. La guerre du Golfe a déjà levé un coin du voile sur cette
nouvelle configuration où les États-Unis loueraient leurs mercenaires pour
défendre la communauté mondiale, révélant ainsi l’état désastreux de leur
économie. L’Amérique doit mettre de l’ordre chez elle, non seulement sur le
plan économique mais aussi sur le plan socio-culturel car le développement
séparé des communautés et le maintien des ségrégations pourraient conduire
à une balkanisation sociale 62. Quand le renouveau intérieur aura été opéré,
mais alors seulement, l’Amérique pourra réfléchir au maintien d’une certaine
collégialité globale qui ne viendrait toutefois qu’en deuxième position après les
intérêts nationaux américains.

Au XIX e siècle, l’isolationnisme fut, pour les États-Unis, une stratégie réaliste

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et adaptée. Au début du XXe , diverses pressions intérieures continuèrent à le


soutenir, en dépit des conditions nouvelles qui en faisaient une dangereuse
illusion. Il est permis d’avoir des doutes quant à la similitude de situation avec
le XIX e siècle, même si la menace de l’adversaire hégémonique désigné a
disparu. Les États-Unis sont-ils capables d’avoir une politique étrangère sans
avoir un "rôle" ? L’isolationnisme n’est pas une option sérieuse. Les États-Unis
ont été fondés sur des principes universels et veulent rester un exemple pour
l’ensemble du monde. Ils ne pourraient abandonner leur vocation universaliste
sans se renier eux-mêmes et, plus grave encore, sans risquer de se dissoudre
en une cacophonie de tribus rivales : Noirs, Hispaniques, fondamentalistes
chrétiens, etc. 63.

NOUVEL INTERNATIONALISME ET SÉCURITÉ MULTILATÉRALE

L’internationalisme pratique pourrait bien être, selon Richard Gardner, le


concept unificateur de la politique étrangère américaine pour l’après-Guerre
froide 64. Ce concept veut éviter les extrêmes que sont l’isolationnisme,
l’unilatéralisme global et le multilatéralisme utopique. Il envisage, pour les
États-Unis, un rôle de leadership dans l’édification, avec d’autres nations, d’un
ordre de paix, par l’intermédiaire d’organisations internationales qui
fonctionnent 65. Les institutions internationales organisant la défense (OTAN)
ou la sécurité collective (ONU, CSCE à un niveau moindre) peuvent être des
"multiplicateurs de force" pour la politique américaine, spécialement quand la
situation ne demande pas une solution militaire immédiate66. Il y a intérêt à
étendre, par l’intermédiaire des Nations unies, le règne du droit international.
Cela contribuera à fournir un point de référence dans un monde qui, depuis la
fin de la Guerre froide, manque de certitudes. Cela peut rendre les
événements internationaux plus "prévisibles". L’Amérique a toujours eu besoin
d’une dimension morale dans sa politique étrangère. Le soutien des institutions
internationales vouées à la sécurité collective et au maintien de la paix
pourrait redonner à la politique étrangère américaine sa dimension morale,
tout en servant les intérêts nationaux. Selon James Chace, le nouvel
internationalisme doit conduire les États-Unis à renforcer l’Organisation des
Nations unies, comme c’était leur objectif après la Deuxième Guerre mondiale.
Ils doivent aussi prendre la tête dans la recherche de nouvelles structures de
préservation de la paix et d’accroissement de la prospérité 67.

La "sécurité multilatérale" est un des concepts qui ont inspiré la politique


extérieure de l’administration Clinton. Selon cette doctrine, parfois identifiée
au secrétaire d’État-adjoint pour les Affaires politiques Peter Tarnoff, les États-
Unis n’utiliseraient plus la force que dans un contexte multilatéral, à moins
que certains de leurs intérêts vitaux soient en jeu. L’accent serait mis non
seulement sur les mécanismes de la sécurité collective mais aussi sur une
politique de "sécurité coopérative". Celle-ci, plutôt que de contrer les
menaces, s’efforcerait de les prévenir, par une extension des accords
bilatéraux et multilatéraux de maîtrise des armements. Les sévères critiques
reçues par l’administration Clinton pour son premier traitement des crises
bosniaque et somalienne ont conduit le Président et son équipe à abandonner
quelque peu leur concept de sécurité multilatérale 68. Ils ont tenu à rappeler
que l’action unilatérale était toujours à envisager, que le multilatéralisme était
un moyen, non une fin en soi 69.

L’indépendance stratégique et le maintien de l’équilibre des forces

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Lié à la possibilité d’une action multilatérale, le concept d’"indépendance


stratégique" a fait son apparition pour désigner la posture de "balancier au
large" (offshore balancer) que devraient adopter les États-Unis dans un
monde multipolaire 70. Au cœur du concept d’endiguement se trouvait la
volonté d’empêcher que l’Eurasie soit dominée par une puissance
hégémonique. Cet objectif resterait inchangé mais, au lieu d’assumer la
responsabilité première pour contenir la montée d’un "hégémon", les États-
Unis s’appuieraient sur un réseau d’équilibres globaux et régionaux des
puissances. L’indépendance stratégique mise sur les avantages géopolitiques
inhérents aux États-Unis : leur insularité, leur dotation en armes nucléaires,
leur éloignement des théâtres de crise potentiels, leurs capacités militaires.
Dans un système multipolaire, une grande puissance insulaire jouit de la plus
large gamme d’options stratégiques. Elle peut aussi bénéficier des rivalités
entre les autres puissances. C’est ainsi qu’au milieu des années 1890,
l’Amérique tirait parti de l’instabilité européenne, comme la Grande-Bretagne
l’avait fait auparavant 71.

Voilà du vieux vin dans de nouveaux fûts : l’indépendance stratégique ne fait


que reproduire le vieux concept de maintien de l’équilibre des forces. Pour
l’Amérique, il s’agirait d’empêcher la guerre en faisant rapidement contrepoids
face aux agresseurs potentiels. Il serait plus difficile de mobiliser l’opinion car
le but serait de préserver la paix plutôt que de contrer une puissance
hégémonique, ce qui était plus facile à expliquer au public 72. On ne s’étonnera
pas de retrouver le concept d’équilibre des forces sous la plume d’Henry
Kissinger. Pour lui, le monde dans lequel nous entrons sera infiniment plus
compliqué que celui de la Guerre froide. Les États-Unis devront
obligatoirement admettre qu’ils ne pourront s’occuper de tous les problèmes à
la fois : ils devront opérer une sélection. Certaines menaces nécessiteront une
intervention américaine unilatérale, d’autres seront seulement traitées de
façon multilatérale, enfin certaines ne concerneront pas les intérêts américains
et ne mériteront pas une intervention militaire. Il ne faut pas espérer édifier
un ordre mondial basé sur un sens de la communauté qui répondrait aux
attentes américaines. L’objectif doit être plus limité et Kissinger applaudit à la
création d’une zone américaine de libre-échange débutant avec le Mexique, le
Canada et les États-Unis. D’une façon générale, l’Amérique doit travailler au
maintien de l’équilibre des forces, particulièrement au Moyen-Orient, en Asie
et en Europe. Une telle politique connaît peu d’ennemis et d’amis
permanents73.

Le monde de l’après-Guerre froide donnera l’occasion d’appliquer ce système


avec davantage de souplesse. Il y aura davantage de puissances de niveau
égal et les différences idéologiques s’estompant, les alignements seront moins
rigides. L’équilibre des forces restera le seul jeu possible et les États-Unis
seront l’indispensable "balancier" 74. En jouant ce rôle, l’Amérique jouera celui
de l’Angleterre au XIX e siècle. La Pax Britannica a permis la paix parce qu’une
puissance, sans dominer vraiment, servait de leader, veillait au respect des
règles et avait la volonté d’intervenir, au besoin par la force, pour maintenir la
stabilité du système 75. Les États-Unis sont dans la position de l’Angleterre
après 1815 76. Ils peuvent jouer le rôle de l’"honnête courtier" - si tant est que
l’Angleterre a vraiment joué ce rôle en 1815 : elle a d’abord veillé à ses
intérêts77.

Splendide isolement et engagement global sélectif

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La ressemblance avec les vues britanniques au lendemain des guerres


napoléoniennes va jusqu’à l’adoption possible, pour certains, du concept de
"splendide isolement". Vainqueur incontestable de la lutte gigantesque contre
la France et puissance aux intérêts mondiaux, l’Angleterre de 1815 avait
décidé de ne pas trop s’impliquer dans les affaires européennes et de se
concentrer sur l’accroissement de sa richesse par l’expansion de son empire
colonial. Pour les tenants américains de ce type de politique, il faut maintenir
une forte marine pour projeter la puissance autour du globe ; il ne faut pas
stationner de grandes unités terrestres outre-mer ; il faut réduire le nombre
et la dimension des bases aériennes en Europe, dans le Pacifique et l’océan
Indien. La plupart des crises régionales devraient être résolues par les
puissances régionales et les États-Unis n’interviendraient militairement qu’en
dernier recours, quand cela servirait leurs intérêts vitaux, particulièrement
économiques 78. L’argument est étayé par le constat de la "nouvelle insularité"
des États-Unis. La fin de la menace soviétique a réintroduit la distance qui
séparait traditionnellement l’Amérique des conflits mondiaux. Il en résulte une
plus grande liberté d’action79.

La contribution américaine à la sécurité globale sera, pour Zbigniew Brzezinski,


"plus subtile". Les conditions sont trop complexes et la santé intérieure des
États-Unis trop précaire pour que soit mise en place une Pax Americana
mondiale. La sécurité globale sera assurée de plus en plus par des formes de
coopération régionales, appuyées par des engagements américains sélectifs et
proportionnés. Même avec une présence militaire diminuée, l’Amérique restera
ainsi le principal pôle de dissuasion nucléaire et la garantie ultime que tout
perturbateur aura à faire face à une coalition écrasante. Ceci permettra aux
États-Unis de se concentrer davantage sur leur renouveau intérieur, qui à son
tour étayera leur capacité de maintenir à long terme une politique
internationaliste80.

Le concept d’engagement global sélectif suppose aussi que les États-Unis


accepteront l’émergence de nouvelles puissances militaires. Ils veilleront
cependant à développer les forces et les technologies qui leur assureront le
maintien de leurs avantages comparatifs, c’est-à-dire qu’ils devront mettre
l’accent sur les forces navales et aériennes. Ils ne doivent plus considérer
l’Europe et le Japon dans l’optique d’un partenariat automatique pour des
objectifs globaux clairement définis. Les intérêts intérieurs des États-Unis ne
seront plus nécessairement en synchronie avec ceux "des puissances avec
lesquelles ils se sont alliés dans le passé" 81. A la fin de la Seconde Guerre
mondiale, les États-Unis étaient déjà prêts à adopter une stratégie
d’engagement sélectif en continuité avec leur histoire et en accord avec leur
position géographique, comme la Grande-Bretagne avant eux. Le concept
d’engagement global sélectif permettra aussi à l’Amérique de s’adapter à la
dure compétition économique internationale. L’époque est à l’antagonisme
économique global, à la mise en place de blocs régionaux politico-économiques
et à la diminution des affinités politiques. Les grandes puissances vont
redécouvrir leurs intérêts propres de politique étrangère. Les États-Unis
devront en faire autant. Ils s’engageront financièrement ou militairement dans
les seules situations où se manifestera une menace claire et imminente pour
leurs intérêts, ou bien lorsque l’intervention aura toutes les chances de n’être
ni coûteuse ni sanglante. L’administration Clinton a fait sien ce concept
d’engagement sélectif pour tout usage de la force, dont les opérations de
maintien de la paix 82.

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Les variations sur le thème sont nombreuses. David M. Abshire a prôné une
"stratégie agile", c’est-à-dire une nouvelle souplesse, une capacité à agir
rapidement pour tirer parti des nouvelles opportunités ou à se retirer tout
aussi rapidement devant de nouveaux dangers, le tout en fonction d’une vision
à long terme, ce qu’implique à lui seul le mot "stratégie" 83. Une stratégie agile
prendrait des éléments à toutes les grandes écoles de pensée des relations
internationales. Le réalisme fournirait les fondements. Le courant idéaliste, si
lié à la démocratie américaine, apporterait sa pierre, l’école institutionnelle
aussi.

L’élargissement : promouvoir la démocratie et l’économie de marché

L’engagement global sélectif n’est pas le seul concept de l’après-Guerre froide


qui offre une alternative au dilemme isolationnisme-internationalisme. La
promotion des valeurs américaines peut constituer un nouvel axe de politique
étrangère. James Baker avait suggéré le 30 mars 1990 que le principal
objectif pourrait être "la promotion et la consolidation de la démocratie" à
travers le monde84. L’administration Clinton a fait de ce thème le troisième
pilier de sa politique étrangère, après la croissance économique et le maintien
d’une défense solide85. Plutôt que de faire contrepoids aux ennemis, il faudrait
cultiver les amis. Cela se ferait par une politique de préservation et
d’expansion de la "communauté libérale"86. Le conseiller de Bill Clinton pour la
sécurité nationale, Anthony Lake, a lancé à ce propos le concept
d’"élargissement", qui succéderait ainsi à celui d’endiguement. Il n’est pas
question de s’embarquer dans une croisade pour la démocratie mais de
pratiquer une stratégie défensive, pragmatique et sélective, là où ce sera le
plus utile aux États-Unis. Il faudra cibler les efforts sur les États qui affectent
les intérêts stratégiques américains, c’est-à-dire d’abord l’ancienne Union
soviétique, les nouvelles démocraties d’Europe centrale et de l’est, les pays
asiatiques du Pacifique 87.

L’Amérique ne peut se permettre, pour reprendre l’expression de John F.


Kennedy, de "payer n’importe quel prix, supporter n’importe quel fardeau"
pour promouvoir la démocratie88. Mais les États démocratiques pourraient se
regrouper en une vaste organisation de sécurité qui définirait et coordonnerait
les intérêts communs, mettrait en place une gamme de "récompenses" et de
"punitions". L’OTAN est évidemment l’organisation idéale "pour que continue
derrière l’élargissement des démocraties de marché une sécurité collective
essentielle" 89. La promotion de la démocratie ne signifierait donc pas son
"exportation". Il s’agirait d’offrir un soutien moral, politique, diplomatique et
financier aux individus et aux organisations qui luttent pour la libéralisation
des régimes autoritaires. Il s’agirait également d’encourager la diffusion de
l’économie de marché. Un monde plus démocratique serait plus sûr, plus sain
et plus prospère, et ce serait tout à l’avantage des États-Unis. Tous les
courants de pensée trouveraient leur compte dans la promotion de la
démocratie : les "libéraux" soucieux des droits de l’homme, les conservateurs
préoccupés par l’ordre mondial et les internationalistes des deux camps,
désireux de voir se poursuivre, pour les uns l’engagement, pour les autres le
leadership des États-Unis dans le monde90. Les entreprises privées
représentent un allié naturel des tentatives faites en vue du renforcement des
économies de marché, a dit Anthony Lake. Il a également précisé que la
stratégie d’élargissement devrait viser à atténuer les capacités des "États
réactionnaires" qui se défendent contre les "forces libératrices" de la

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démocratie et du marché91.

La sécurité économique

Déjà présente dans d’autres concepts tels que le préalable du renouveau


intérieur ou la promotion de l’économie de marché, la dimension économique
doit être érigée pour certains en thème central de la politique étrangère
américaine. Le bien-être économique pourrait bien prendre le pas sur la
"sécurité" et la projection des valeurs 92. La primauté de l’économique
correspond aux intérêts américains des années 1990. A la place de deux
superpuissances militaires, le noyau du système mondial se constitue
désormais de trois superpuissances économiques. Une tripolarité remplace la
bipolarité de la Guerre froide. Pour Stephen J. Solarz, ancien représentant
démocrate de l’État de New York devenu ensuite collaborateur de Bill Clinton,
le premier défi dans le domaine de la sécurité nationale est désormais la
compétition économique avec l’Europe et le Japon93. La confrontation
idéologique entre la capitalisme et le communisme cède la place à une
compétition entre trois versions de l’économie de marché. Les alliances
s’adapteront à cette évolution et donneront lieu à des regroupements
régionaux "plus naturels"94. Dans ce contexte, les objectifs américains seront
de maintenir les marchés ouverts pour le commerce et les investissements
internationaux et de restaurer la force compétitive des États-Unis. Il s’agira
encore de pratiquer un endiguement mais cette fois au niveau des risques de
conflits entre les superpuissances économiques. Car la poursuite des intérêts
économiques poussera souvent les États-Unis à affronter l’Union européenne
ou le Japon et cela nuira à leurs relations.

La politique étrangère américaine aura tout avantage cependant à promouvoir


des systèmes de leadership collectif dans les questions d’économie et de
sécurité. Les États-Unis ont maintenu des relations plus étroites avec les
Européens d’une part et les Japonais d’autre part que ceux-ci n’en ont entre
eux. Les États-Unis sont donc dans une meilleure position pour mettre en
place de nouveaux arrangements internationaux qui protégeraient leurs
intérêts. Si un tel leadership collectif ne se met pas en place, on verra
émerger des blocs régionaux de plus en plus restrictifs et exclusivistes et ce
serait contraire aux intérêts américains. Pour cela, l’Amérique ne doit pas se
retirer prématurément de ses engagements de sécurité. L’interdépendance est
trop grande sur le plan économique pour que les États-Unis puissent
contempler un repli isolationniste. La seule alternative véritable serait un effort
désespéré pour maintenir l’hégémonie, en suivant les plans prévus par le
Pentagone et divulgués en mars 1992. Mais cela coûterait beaucoup trop cher.
Mieux vaut travailler à un certain nombre d’"arrangements"95.

Les questions économiques font bien partie des préoccupations de sécurité de


l’après-Guerre froide. Le secrétaire d’État Warren Christopher a déclaré que la
"sécurité économique" était le premier objectif de la politique étrangère de
l’administration Clinton96. Le département d’État s’est attaché à développer
une "diplomatie pour une compétitivité globale" et a recyclé son personnel
dans les questions économiques et commerciales 97. Si les observateurs ont
longtemps eu du mal à discerner un concept central dans la politique
extérieure de Bill Clinton, ils se sont rendu compte, fin 1993, que l’intérêt
porté au commerce en tenait lieu. La promotion de la démocratie, la protection
des droits de l’homme, l’interventionnisme humanitaire, tous ces beaux projets
du début du premier mandat de Bill Clinton sont passés au second plan.

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Anthony Lake a été jusqu’à déclarer que les intérêts américains exigeraient
parfois de nouer des liens d’amitié avec des États non démocratiques et même
de les défendre, pour des raisons de "bénéfice mutuel". Comme l’avait dit le
président Calvin Coolidge dans les années 1920, "the business of America is
business" 98. La puissance économique de l’Europe et du Japon ne leur confère
pas encore une puissance militaire comparable à celle des États-Unis mais elle
les autorise à tendre vers une plus grande influence politique, avec la
possibilité d’arriver à des positions autonomes en matière de sécurité. Nous
sommes entrés dans une nouvelle ère de sécurité, où la puissance
économique pourrait assurer une plus grande influence politique. Sans la force
modératrice exercée par la Guerre froide et par le besoin de la protection
américaine, les conflits de politique commerciale et industrielle pourraient
devenir plus prononcés 99. Or l’économie américaine ne se distingue plus
suffisamment par les proportions de son marché intérieur et le caractère
avancé de ses technologies pour que la politique étrangère en tire
avantage 100. Si l’on assiste à l’émergence d’une tripolarité économique, il sera
donc dans l’intérêt des États-Unis d’intégrer au maximum les questions de
géoéconomie dans un contexte géopolitique plus vaste, où ils conservent
encore les meilleures cartes101. Pour cela, il faut pousser au maximum à
l’intégration de la communauté internationale, à un système commercial global
et ouvert. Les États-Unis, selon le secrétaire d’État-adjoint Strobe Talbott,
devront veiller à ce que les groupements régionaux ne contrecarrent pas ces
objectifs qui expriment l’intérêt supérieur des États-Unis 102.

Un nouvel internationalisme, pragmatique et sélectif, réalise donc la synthèse


des différentes visions du rôle des États-Unis dans le monde de l’après-Guerre
froide et semble fournir une certaine base conceptuelle à la politique étrangère
de l’administration Clinton. De l’internationalisme triomphant, on garde l’idée
d’un leadership américain indispensable, qui ferait jouer au maximum les
mécanismes de la sécurité collective mais se réserverait toujours la possibilité
d’une intervention militaire unilatérale. La reconnaissance de la nature
insulaire, maritime et commerçante de la puissance américaine et la
comparaison avec la Grande-Bretagne au XIX e siècle se retrouvent dans
toutes les analyses. A ce sujet, il semble n’y avoir qu’une différence de ton
entre les internationalistes triomphants et les néo-isolationnistes : tous
s’accordent pour préserver les capacités d’intervention américaines,
principalement aériennes et maritimes, pour maintenir un environnement
mondial ouvert et stable. Sous les concepts d’unipolarité, de gestion de
l’interdépendance transnationale, de fédéralisme mondial ou de nouvelle
destinée manifeste, apparaît également une aspiration américaine quasiment
unanime à une sorte d’américanisation économique et culturelle du monde,
notamment par l’intermédiaire du G-7, du GATT et du FMI. Les véritables
arguments néo-isolationnistes concernent d’abord les engagements américains
en matière de sécurité. A cet égard, le "dépôt du fardeau" est intégré par le
nouvel internationalisme dans le concept d’engagement global sélectif : il ne
faudra pas s’attendre à voir les États-Unis intervenir ailleurs que dans les
régions où leurs intérêts seront directement menacés. En fait, seule la lutte
contre le nazisme et le communisme a jamais pu amener les États-Unis à
intervenir davantage. Enfin, l’insistance néo-isolationniste sur le renouveau
intérieur des États-Unis se retrouve dans le concept de sécurité économique
avancé par les néo-internationalistes de l’administration Clinton. Le secrétaire
d’État Warren Christopher s’est refusé à faire entrer la politique étrangère
américaine "dans la camisole de force d’une doctrine élégamment taillée" 103.
Le rapport Changing Our Ways, dont s’est beaucoup inspiré la première
administration Clinton à ses débuts, avait déjà renoncé à proposer un concept

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unificateur pour la politique et la stratégie des États-Unis 104. Pour Edward


Luttwak, il n’y a pas beaucoup de contenu dans la présentation conceptuelle
d’Anthony Lake et Warren Christopher est ce que l’on pourrait appeler un
"anticonceptuel"105. Pour David M. Abshire, s’il y a effectivement un vide de
pensée sur le rôle exact des États-Unis dans le monde et sur les stratégies
afférentes, c’est normal dans une période de transition. Ce serait une erreur
de s’enfermer dans une doctrine rigide106. Une stratégie nationale de sécurité
a cependant été formulée par l’administration Clinton.

________

Notes:

12 Robert E. Hunter, “Starting at Zero : U.S. Foreign Policy for the 1990s”,
The Washington Quarterly, vol. 15, 1992-1, pp. 27-29.

13 George F. Kennan, “America and the Russian Future”, Foreign Affairs, avril
1951, extraits reproduits dans Foreign Affairs, vol. 69, 1990-2, pp. 157-166.

14 Terry L. Deibel, “Strategies Before Containment. Patterns for the Future”,


International Security, vol. 16, 1992-4, p. 80.
15 “Aucune fonction, aucun des chapeaux du Président, selon moi, n’est plus
important que son rôle de commandant en chef” a dit George Bush à
l’académie de West Point, le 5 janvier 1993 (“Bush Says U.S. Military Power
Must Help Promote Peace”, Bruxelles, Ambassade des États-Unis, US
Information Service, 7 janvier 1993, p. 1). Les références à ces documents
diffusés par l’Ambassade des États-Unis à Bruxelles apparaîtront désormais
sous la forme abrégée USIS.
16 The White House, National Security Strategy of the United States,
Washington, D.C., Government Printing Office, août 1991, p. V.
17 Ibid., pp. V, 1-2.
18 Garry Wills, “The End of Reaganism”, Time, 16 novembre 1992, p. 73 ;
Richard Lacayo, “Boldness Without Vision”, Time, 9 mars 1992, pp. 20-21.
19 The White House, op. cit., p. 25.
20 James Chace, The Consequences of the Peace. The New Internationalism
and American Foreign Policy, New York-Oxford, Oxford University Press, 1992,
pp. 10-12.
21 David C. Hendrickson, “The End of American History : American Security,
the National Purpose, and the New World Order”, Rethinking America’s
Security. Beyond Cold War to New World Order, sous la dir. de Graham Allison
et Gregory F. Treverton, New York, Norton, 1992, pp. 397-398.
22 Ibid., pp. 399-401 ; Alain Joxe, L’Amérique mercenaire, Paris, Stock, 1992,
pp. 401-402.
23 Time, 8 juin 1992, p. 25.
24 Time, 14 décembre 1992, p. 25. Il y aurait eu aussi “l’effet CNN” : les
scènes d’horreur en Somalie ternissaient, aux yeux du public américain, les
derniers jours d’une présidence qui avait appelé à un nouvel ordre mondial (Le
Monde, 5 décembre 1992, p. 3).
25 Malcolm Wallop, “The Ultimate High Ground”, America’s Purpose. New
Visions of U.S. Foreign Policy, sous la dir. d’Owen Harries, San Francisco, ICS
Press, 1991, p. 98.

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26 Ibid., pp. 100-105.


27 Paul-Marie de la Gorce, “Washington et la maîtrise du monde”, Le Monde
diplomatique, avril 1992, pp. 1 et 14-15.
28 Christopher Ogden, “Globocop Glop”, Time, 23 mars 1992, p. 14.
29 Charles Krauthammer, “The Unipolar Moment”, Foreign Affairs, vol. 70,
1990/1991-1, pp. 23-33.
30 Charles Krauthammer, “Universal Dominion”, America’s Purpose…, pp. 9-
11.
31 ”… the common marketization of the world” (Ibid., p. 12). Francis
Fukuyama, “The End of History ?”, The National Interest, n° 16, été 1989,
pp. 3-18.
32 Robert L. Bartley, “A Win-Win Game”, America’s Purpose…, pp. 76-77.
33 Joseph S. Nye, Jr., Bound to Lead, New York, Basic Books, 1990.
34 Joseph S. Nye, Jr., “De nouveaux défis pour l’Amérique”, Dialogue, n° 94,
1991-4, p. 34.
35 Alberto R. Coll, “America as the Grand Facilitator”, Foreign Policy, n° 87,
été 1992, pp. 47-65.
36 Né à Vienne en 1903, il fut courtier à Wall Street, écrivain, professeur,
ambassadeur, conseiller à la Maison Blanche et apologiste de la politique
américaine durant la Guerre froide. Considéré comme un “faucon” réaliste par
les adversaires de l’engagement au Viêt-nam, il fut aussi, à l’université de
Pennsylvanie, un des fondateurs de la discipline des “relations internationales”.
37 Robert Strausz-Hupé, The Balance of Tomorrow : Power and Foreign Policy
in the United States, New York, G.P. Putnam’s Sons, 1945 et “The Balance of
Tomorrow”, Orbis, vol. 1, 1957-1, pp. 10-27.
38 Robert Strausz-Hupé, “The Balance of Tomorrow”, Orbis, vol. 36, 1992-1,
pp. 5-9.
39 De là le nom de la revue Orbis.
40 Ibid., p. 20.
41 Strobe Talbott est devenu le numéro deux du département d’État dans
l’administration Clinton.
42 Strobe Talbott, “The Birth of the Global Nation”, Time, 20 juillet 1992,
pp. 54-55.
43 Le concept de “destinée manifeste” (manifest destiny) est apparu dans les
années 1840, au milieu des débats sur la guerre contre le Mexique. Il peignait
les États-Unis comme une république dynamique et les Américains comme les
messagers particuliers de la liberté et du progrès humain (Michael H. Hunt,
Ideology and U.S. Foreign Policy, New Haven, Yale University Press, 1987, p.
30).
44 Ben J. Wattenberg, “Neo-Manifest Destinarianism”, America’s Purpose…, p.
108.
45 Ibid., pp. 112-114.
46 J. Chace, op. cit., p. 8.
47 T. L. Deibel, art. cit., p. 92.

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48 William Pfaff, “New or Old, Isolation Won’t Do”, International Herald


Tribune, 14-15 mars 1992.
49 Patrick Buchanan, “America First - and Second, and Third”, America’s
Purpose…, pp. 24-29.
50 Ibid., pp. 30-34.
51 W. Pfaff, “New or Old...”.
52 Ted Galen Carpenter, A Search for Enemies. America’s Alliances after the
Cold War, Washington, D.C., Cato Institute, 1992.
53 Ted Galen Carpenter, “An Independent Course”, America’s Purpose…,
pp. 82-87.
54 Ibid., p. 87.
55 Ted Galen Carpenter, “The New World Disorder”, Foreign Policy, n° 84,
automne 1991, pp. 27-29.
56 Robert W. Tucker, “1989 and All That”, Sea-Changes : American Foreign
Policy in a World Transformed, sous la dir. de Nicholas X. Rizopoulos, New
York, Council of Foreign Relations Press, 1990, pp. 232-237.
57 Nathan Glazer, “A Time for Modesty”, America’s Purpose…, pp. 134-141.
58 Earl C. Ravenal, “The Case for Adjustment”, Foreign Policy, n° 81, hiver
1990-91, pp. 3-8.
59 Michael Vlahos, “Culture and Foreign Policy”, Foreign Policy, n° 82,
printemps 1991, p. 68.
60 Jeane J. Kirkpatrick, “A Normal Country in a Normal Time”, America’s
Purpose…, p. 156.
61 Michael Vlahos, “To Speak to Ourselves”, America’s Purpose…, pp. 44-50.
62 M. Vlahos, “Culture...”, pp. 70-71, 78.
63 Nathan Tarcov, “If this Long War is Over...”., America’s Purpose…, pp. 17
et 21.
64 Le professeur Richard Gardner, de l’université Columbia, a contribué à
définir les premières options de politique étrangère de Bill Clinton (Michael
Kramer, “Clinton’s Foreign Policy Jujitsu”, Time, 30 mars 1992, p. 28).
65 Richard N. Gardner, “Practical Internationalism”, Rethinking…, pp. 267-268.
66 R. E. Hunter, art. cit., p. 40. Après avoir été directeur des Etudes
européennes au Center for Strategic and International Studies de Washington,
Robert E. Hunter a été choisi par Bill Clinton pour être l’ambassadeur
américain auprès de l’OTAN.
67 J. Chace, op. cit., pp. 176-179 et 185.
68 Charles Krauthammer, “The U.N. Obsession”, Time, 9 mai 1994, p. 52.
69 Mark T. Clark, “The Future of Clinton’s Foreign and Defense Policy :
Multilateral Security”, Comparative Strategy, vol. 13, 1994, pp. 181-195.
70 Christopher Layne, “The Unipolar Illusion : Why New Great Powers Will
Rise”, International Security, vol. 17, 1993-4, p. 47.
71 Ibid., pp. 48-49.
72 John J. Mearsheimer, “Disorder Restored”, Rethinking…, pp. 214-237.

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73 Henry A. Kissinger, “Balance of Power Sustained”, Rethinking…, pp. 238-


248.
74 T. L. Deibel, art. cit., pp. 83-86.
75 Elliott Abrams, “Why America Must Lead”, The National Interest, n° 28, été
1992, p. 58.
76 Samuel P. Huntington, “America’s Changing Strategic Interests”, Survival,
vol. 33, 1991-1, p. 12.
77 Andrew C. Goldberg, “Selective Engagement : U.S. National Security Policy
in the 1990s”, The Washington Quarterly, vol. 15, 1992-3, p. 16.
78 Donald E. Nuechterlein, America Recommitted. United States National
Interests in a Restructured World, Lexington, Ky., University Press of
Kentucky, 1991, pp. 241-242.
79 Andrew C. Goldberg, “Challenges to the Post-Cold War Balance of Power”,
The Washington Quarterly, vol. 14, 1991-1, pp. 52-53.
80 Zbigniew Brzezinski, “Selective Global Commitment”, Foreign Affairs, vol.
70, 1991-4, pp. 1-20.
81 A. C. Goldberg, “Selective...”., pp. 16-17.

82 “Perry Calls for “Very Selective Use” of Military Force”, USIS, 1 er avril
1994 ; “Peacekeeping Directive Designed to Impose More Discipline”, USIS,
9 mai 1994.
83 David M. Abshire, “U.S. Global Policy : Toward an Agile Strategy”, The
Washington Quarterly, vol. 19, 1996-2, pp. 41-61.
84 James Baker, “Democracy and American Diplomacy”, discours devant le
World Affairs Council, Dallas, Texas, 30 mars 1990 (S. P. Huntington, art. cit.,
p. 7).
85 Warren Christopher, “Economy, Defense, Democracy to be U.S. Policy
Pillars”, USIS, 14 janvier 1993, p. 7.
86 Michael W. Doyle, “An International Liberal Community”, Rethinking…,
pp. 318-331.
87 Anthony Lake, “L’engagement des États-Unis à l’étranger : une nécessité”,
discours prononcé le 21 septembre 1993 à la Johns Hopkins’ School of
Advanced International Studies, USIS, 1993, pp. 39-41.
88 Carl Gershman, “Freedom Remains the Touchstone”, America’s Purpose…,
p. 38.
89 A. Lake, art. cit., p. 41.
90 Larry Diamond, “Promoting Democracy”, Foreign Policy, n° 87, été 1992,
pp. 25-31.
91 A. Lake, art. cit., p. 42. Voir l’analyse critique de Jacques Decornoy, “La
chevauchée américaine pour la direction du monde”, Le Monde diplomatique,
novembre 1993, pp. 8-9.
92 T. L. Deibel, art. cit., p. 99.
93 Stephen J. Solarz, “Of Victory and Deficits”, America’s Purpose…, pp. 90-
92.
94 C. Fred Bergsten, “The Primacy of Economics”, Foreign Policy, n° 87, été
1992, pp. 3-7.

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95 Ibid., pp. 8-24.


96 W. Christopher, art. cit., p. 6. Voir aussi Bill Clinton, “A Democrat Lays Out
his Plan”, USIS, 13 novembre 1992, pp. 6-7.
97 Audition de Strobe Talbott, secrétaire d’État-adjoint, devant la Commission
des relations extérieures du Sénat le 8 février 1994, USIS, 9 février 1994, p.
2.
98 Michael Kramer, “Putting Business First”, Time, 6 décembre 1993, p. 37.
99 Stanley Hoffmann, “A New World and Its Troubles”, Sea-Changes…, p. 285.
100 Michael Borrus et John Zysman, “Industrial Competitiveness and National
Security”, Rethinking…, pp. 164-169.
101 R. E. Hunter, art. cit., p. 41.
102 Audition de S. Talbott…, p. 4.
103 W. Christopher, art. cit., p. 6.
104 François Géré, “Aux sources de la nouvelle grande stratégie des États-
Unis. Le rapport Changing Our Ways et ses prolongements”, Politique
étrangère, 1993-2, p. 463.
105 Edward Luttwak, “États-Unis : le prix du repli”, Politique internationale, n
° 62, hiver 1993-94, p. 94.
106 D. M. Abshire, art. cit., pp. 44-45.

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Institut de Stratégie Comparée, Commission Française d'Histoire


Militaire, Institut d'Histoire des Conflits Contemporains

Etudes
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stratégiques

Dossiers :

. Théorie de la stratégie

. Cultures stratégiques LA STRATÉGIE NATIONALE DE SÉCURITÉ


. Histoire militaire
En février 1995, la Maison Blanche publia un document, préfacé par le
. Géostratégie
président Clinton, exposant la stratégie américaine de sécurité 107. Les
. Pensée maritime
versions précédentes avaient été celles de Ronald Reagan en janvier 1988 et
. Pensée aérienne de George Bush en août 1991. Le texte de février 1995 reprend les deux
. Profils d'auteurs notions d’engagement et d’élargissement pour les traduire en termes
. Outils du chercheur stratégiques dans les trois dimensions militaire, économique et culturelle. Il
s’agit désormais de préciser un certain nombre de modes d’action spécifiques
. BISE
traduisant les finalités politiques, bien que celles-ci - c’est paradoxal - n’aient
. Bibliographie stratégique pas fait l’objet d’une formulation aussi explicite.

Publications de référence LA TRADUCTION STRATÉGIQUE DE L’ENGAGEMENT ET DE L’ÉLARGISSEMENT

Stratégique
Histoire Militaire et Stratégie
La stratégie américaine de sécurité se fixe trois objectifs : renforcer la sécurité
Correspondance de Napoléon des États-Unis en dissuadant tout agresseur, promouvoir la prospérité
RIHM intérieure en ouvrant les marchés extérieurs et encourager la démocratie dans
le monde. Le caractère "intégral" de cette stratégie ressort non seulement de
l’imbrication des trois dimensions militaire, économique et culturelle mais aussi
de l’effacement, souligné par le président Clinton, de la distinction entre les
politiques intérieure et extérieure108. C’est ceci qui donne le ton et la mesure
de l’engagement : la stratégie américaine est valable pour le monde entier.
Pour Bill Clinton, l’"objectif chéri" des États-Unis est "un monde plus sûr où la
démocratie et les marchés libres ne connaissent pas de frontières" 109. La
recherche d’une plus grande communauté d’États démocratiques n’est pas une
fin en soi, elle est l’élément principal d’un système international plus favorable
à la sécurité et à la prospérité des États-Unis. Le soutien à la démocratie et
aux droits de l’homme n’est qu’une considération parmi d’autres et n’empêche
pas que la Chine soit vue comme un partenaire commercial. De plus, la
stratégie de l’engagement et de l’élargissement est sélective : elle concerne
d’abord les zones présentant quelque intérêt pour les États-Unis 110.

Le dynamisme induit par la mondialisation de l’économie donne de grands


espoirs à l’Amérique. Il est perçu comme le moteur d’une transformation
positive du monde, non seulement en matière de commerce mais aussi de
culture et de politique. Pour le professeur Eliot Cohen, de l’université Johns
Hopkins, il ne faut pas que l’Amérique nourrisse de trop grandes illusions : au
niveau culturel notamment, la diffusion des valeurs américaines dans le
monde aurait déjà atteint son niveau maximum 111. Mais dans le discours
officiel il y a toujours un "challenge" et le moralisme des Pères fondateurs est
toujours bien présent : il s’agit, selon Bill Clinton, d’un "combat entre la
liberté et la tyrannie", d’une "lutte séculaire entre l’espoir et la crainte" 112.

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L’idéalisme se teinte cependant de réalisme lorsque l’extension de la


démocratie est justifiée par des raisons commerciales : les démocraties créent
des marchés libres et font des partenaires commerciaux plus fiables. L’intérêt
des États-Unis est dans l’élargissement de la communauté des sociétés libres
et ouvertes… aux produits américains. Seul le leadership global des États-Unis
peut forger des relations politiques stables et un commerce ouvert. Il y a là
une très grande insistance sur laquelle il faudra revenir. L’accord entre
Démocrates et Républicains est en tout cas total sur ce point : Robert Dole,
candidat malheureux à l’élection présidentielle de novembre 1996, a souligné
plus franchement encore que l’Europe ne pouvait pas assumer ce
leadership 113.

STRUCTURE ET MISSIONS DES FORCES ARMÉES

Le choix d’une stratégie d’engagement et d’élargissement a des implications


au niveau des forces armées. Pour le général Odom, ancien patron de la
National Security Agency, il s’agit de prolonger une pratique que les États-
Unis connaissent bien : celle de l’économie des forces et des avantages
comparatifs. Elle a toujours caractérisé la participation américaine à l’OTAN,
où les États-Unis disposaient d’abord du glaive, à savoir les armes nucléaires,
les Européens fournissant le bouclier, c’est-à-dire l’essentiel des forces
conventionnelles. Le général Odom estime qu’il faut encore accentuer, dans
l’environnement de l’après-Guerre froide, les avantages comparatifs des États-
Unis, basés sur leur position géographique privilégiée, leur technologie
avancée et leur capacité supérieure à organiser des opérations de grande
envergure, tant au point de vue du renseignement que du transport
"stratégique"114. Les alliés contribueraient davantage et auraient plus à dire
mais le budget de la défense pourrait être modérément réduit et l’entretien de
forces de réserve serait moins nécessaire.

La restructuration des forces a fait l’objet de la "revue de bas en haut"


(Bottom-Up Review ou BUR), réalisée sous feu le secrétaire à la Défense Les
Aspin. Comme toute entreprise de ce genre, elle a été l’objet de nombreuses
critiques. Pour Eliot Cohen, on se prépare à des guerres semblables à celle du
Golfe en utilisant un style d’analyse hérité de la Guerre froide 115. Cela
s’explique, selon Colin Gray, par le fait que Les Aspin a été formé à l’école du
Pentagone au moment de la guerre du Viêt-nam, quand Robert McNamara
avait introduit la pratique de l’analyse de systèmes. L’accent est donc mis sur
la méthodologie analytique, alors que le fond relève, qu’on le veuille ou non,
de la conjecture 116. La BUR ferait aussi l’impasse sur la politique étrangère :
on passe directement d’une évaluation de l’après-Guerre froide à la
formulation d’une stratégie de défense. Le rôle des États-Unis dans le monde
est considéré comme allant de soi. Il n’y a aucune discussion à ce sujet 117.
L’exercice justifierait la continuation des pratiques habituelles du Pentagone :
business as usual. Il y aurait là un phénomène typique de permanence
bureaucratique, où l’on essaie de ne pas modifier ses habitudes alors que
l’environnement extérieur a radicalement changé.

Quoi qu’il en soit, la stratégie nationale de sécurité se base sur la BUR pour
définir les tâches des forces armées. Il y a là un paradoxe qui amène le
niveau proprement politique à se trouver encore une fois escamoté. C’est la
restructuration des forces qui devrait être fonction de la définition de la
stratégie nationale. Les tâches assignées aux forces armées sont au nombre
de cinq118. La première consiste à dissuader et défaire une agression dans

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deux conflits régionaux majeurs. Ces conflits impliqueraient des puissances


telles que la Corée du Nord, l’Iran ou l’Irak. La guerre du Golfe sert
évidemment de référence. On peut objecter qu’à l’époque de la Guerre froide
les États-Unis n’ont jamais été confrontés à deux conflits semblables en même
temps, alors que l’adversaire global qu’était l’Union soviétique aurait pu
précisément orchestrer deux conflits régionaux simultanés. Au début des
années 1950, l’adversaire soviétique n’a pas profité de l’engagement des
États-Unis en Corée pour pousser ses pions dans une autre région du monde.
La deuxième tâche est la fourniture d’une présence outre-mer crédible. Un des
objectifs est ici d’assurer un environnement international favorable au bien-
être économique et à la sécurité des États-Unis. Il est précisé que la présence
outre-mer doit se traduire par des programmes d’entraînement commun et
une assistance de sécurité incluant "de judicieuses ventes militaires à
l’étranger" 119. Il faut ensuite combattre la prolifération et l’utilisation des
missiles et des armes de destruction massive. La maîtrise des armements
(arms control) est considérée comme une des stratégies dans ce domaine. En
cas d’échec des efforts diplomatiques, il faudra être prêt à dissuader, à
prévenir et à se défendre contre de telles armes. La quatrième tâche est de
contribuer à des opérations de paix multilatérales. La participation américaine
se ferait surtout au niveau du soutien logistique, du renseignement et des
communications. Des troupes ne seraient engagées qu’en situation d’extrême
nécessité et en fonction des critères très rigoureux de la Directive
présidentielle 25 120. Jamais le Président des États-Unis n’abandonnera son
autorité sur les forces américaines. Les opérations de paix ne sont pas une
stratégie en soi. Elles peuvent seulement être un moyen de soutenir la
stratégie américaine de sécurité. La première mission des forces armées n’est
pas de participer à ce type d’opérations mais de dissuader et, si nécessaire, de
se battre et de gagner 121. Enfin, il faudra soutenir les luttes anti-terroristes et
anti-drogue et les autres objectifs de sécurité nationale.

USAGE DE LA FORCE ET RISQUE D’AUTO-DISSUASION

Pour la Maison Blanche, il n’est pas sage de spécifier à l’avance toutes les
limitations que les États-Unis placeront quant à l’usage de leurs forces. Les
déclarations imprudentes du Département d’État sur l’absence d’intérêts
américains en Corée en 1950 sont toujours présentes à la mémoire. Il faut
cependant être aussi clair que possible sur un certain nombre de points. Il y a
trois catégories d’intérêts nationaux : les intérêts vitaux, comme ceux qui ont
suscité l’opération Desert Shield-Desert Storm dans le golfe Persique ; les
intérêts importants mais non vitaux (Haïti) ; les intérêts humanitaires
(Rwanda) 122. Pour le sénateur Bob Dole, les vies américaines ne doivent être
risquées que pour les intérêts vitaux 123. Un critère, approuvé par Bob Dole,
pourrait être de s’engager seulement dans les situations où les États-Unis
peuvent promouvoir à la fois leurs intérêts nationaux et leurs idéaux. La
définition des uns comme des autres n’est évidemment pas chose aisée. On
peut néanmoins suggérer que ce qui est fondamental concerne les liens avec
les puissances majeures, donc avec l’Europe et l’Asie orientale 124. Quant aux
conditions précises d’usage de la force, elles restent influencées par la
"doctrine Weinberger" 125. La mission est-elle clairement définie et réalisable ?
Y a-t-il une stratégie de sortie ? Si la force doit être utilisée, il faudra des
moyens permettant d’atteindre les objectifs de façon décisive. Il faudra être
en harmonie avec les objectifs politiques. Le soutien de l’opinion publique sera
nécessaire.

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A ce propos, la stratégie américaine de sécurité se préoccupe de ce que


certains ont appelé l’"auto-dissuasion". Le réflexe de rappeler les troupes
aussitôt que des pertes surviennent met en danger autant les objectifs
américains que les troupes elles-mêmes 126. Le sujet est devenu tellement
préoccupant que la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des
représentants s’est fait préparer un rapport sur la question. Celui-ci a conclu
que depuis le milieu de 1991 les États-Unis étaient devenus de plus en plus
auto-dissuadés, c’est-à-dire réticents à user de la force militaire et donc
incapables de menacer de façon crédible d’y recourir pour soutenir leurs
objectifs de politique étrangère. Cette auto-dissuasion tiendrait notamment à
l’incertitude touchant le caractère "vital" de certains intérêts américains. Elle
serait due aussi à l’affirmation des militaires que, si la force est utilisée, elle
doit l’être massivement pour que le succès soit garanti. Il faudrait aussi
incriminer les faux espoirs de l’administration Clinton dans la capacité des
organisations internationales et des alliés à relever les États-Unis d’une partie
de leurs charges militaires et la répugnance des membres du Congrès à
soutenir des réponses militaires multilatérales, que ce soit au moyen de forces
américaines ou en finançant des forces non américaines 127. Parmi les
conséquences négatives de cette auto-dissuasion américaine, le rapport
signale que certains alliés des États-Unis (Israël, l’Arabie Saoudite, la Corée
du Sud, le Japon, l’Europe) pourraient être davantage tentés de développer
leurs propres capacités militaires et en particulier leurs propres armes de
destruction massive.

LA STRATÉGIE ÉCONOMIQUE AU CENTRE


DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE

Dans la stratégie américaine, les intérêts économiques et les intérêts de


sécurité sont de plus en plus inséparables. "Notre prospérité intérieure dépend
d’un engagement actif à l’extérieur", dit la Maison Blanche 128. "Les
composantes économiques et sécuritaires de notre politique étrangère doivent
aller la main dans la main si chacune des deux veut réussir" a dit Nancy
Soderberg, conseiller-adjoint du Président Clinton pour les questions de
sécurité nationale129. Le secrétaire d’État adjoint pour les affaires européennes
et canadiennes, Richard Holbrooke, l’a dit et répété, notamment à propos de
l’élargissement de l’OTAN : "Nous pensons que les questions de sécurité et
d’économie sont indivisibles, tout comme nous espérons que l’Europe sera
indivisible" 130. Après l’objectif de la sécurité physique des États-Unis, qui va
de soi pour tout État et qui semble donné aujourd’hui, la prospérité
économique est probablement devenue, étant donné la fin de la Guerre froide,
le principal objectif de la stratégie intégrale des États-Unis. Ceci ressort des
déclarations du secrétaire d’État Warren Christopher. La priorité est pour lui de
mettre sur pied le système commercial global le plus ouvert de l’histoire 131.
Cette priorité est parfois formulée autrement : assurer la compétitivité et la
sécurité économique des États-Unis 132. Les deux objectifs sont équivalents.
Ce qui est au cœur de la politique étrangère de l’administration Clinton, c’est
d’ouvrir les marchés étrangers aux produits et services made in USA. Le
successeur de Warren Christopher, Madeleine Albright, a repris le programme
à son compte : "Nous devons, a-t-elle déclaré, continuer à façonner un
système économique global qui travaille pour l’Amérique" 133.

Pour cela, les stratégies sont multiples. Il faut d’abord stimuler la


compétitivité américaine en réduisant le déficit fédéral, en restructurant la

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recherche-développement de défense pour mettre l’accent sur les technologies


duales, qui répondront non seulement aux besoins militaires mais aussi aux
critères de la compétition économique. Le partenariat avec le monde des
affaires et du travail est fondamental. L’État fédéral doit se faire l’avocat des
intérêts du business américain, préparer le terrain sur les marchés
internationaux, afin que les exportations américaines atteignent le trillion de
dollars à la fin du siècle, ce qui créera au moins six millions d’emplois
nouveaux. L’accès aux marchés étrangers doit s’étendre : les accords de libre-
échange doivent se multiplier, sur le modèle de la Coopération économique
Asie-Pacifique (APEC), du GATT, de l’accord-cadre avec le Japon, du North
American Free Trade Act (NAFTA). Partout il faut étendre "le royaume du
libre-échange" 134. Il faudra aussi renforcer la coordination macro-économique
dans le cadre du G-7, assurer la sécurité énergétique. La dépendance des
États-Unis vis-à-vis des ressources pétrolières extérieures ira croissante. Les
États-Unis auront un intérêt vital à pouvoir accéder sans restriction à ces
ressources. Enfin il faudra promouvoir un développement qui respecte
l’environnement. La stabilisation de la croissance démographique en fait
partie135.

Voici donc le projet politique pour lequel doivent concourir toutes les
composantes de la stratégie américaine 136. Comme l’a écrit Eliot Cohen, il n’y
a, et il ne peut y avoir de projet global pour la politique étrangère américaine
si ce n’est la promotion, au niveau mondial, d’un ordre ouvert en matière de
commerce et de communication 137. La notion d’élargissement s’applique à cet
objectif. Une étude de vocabulaire consacrée à ce qu’en dit la Maison Blanche
montrerait que l’expression "libre marché" (free market) est autant présente
que celle de "démocratie", si bien que les deux finissent par être constamment
associées sous le terme market democracies. Un objectif éminemment
politique est ainsi raccroché, voire assimilé à un objectif économique138. La
Maison Blanche précise qu’il ne s’agit pas d’une croisade pour la démocratie
mais d’un engagement pragmatique à soutenir et consolider les démocraties
de marché là où les intérêts stratégiques américains sont les plus concernés.
Comme l’a écrit Bob Dole, la tradition américaine consiste à combiner intérêts
et idéaux 139. Cela s’applique donc aux États représentants de grands enjeux
économiques, à ceux situés en un endroit critique, à ceux dotés d’armes
nucléaires, à ceux pouvant générer des flots de réfugiés. Sont importants : la
Russie, l’Ukraine, l’Europe centrale et orientale, la région Asie-Pacifique, le
continent américain, l’Afrique du Sud. L’économie semble prendre le pas sur la
politique, tant la dimension du "marché" préoccupe les dirigeants américains.
Au fil du discours, market democracies devient facilement market economies.
Les entreprises privées sont vues comme "des alliés naturels" à cet égard 140.

DIMENSION CULTURELLE ET STRATÉGIE


DE L’INFORMATION

Il n’y a pas de stratégie culturelle américaine définie en termes explicites par


la Maison Blanche. D’une certaine manière, le culturel est à la remorque de
l’économique, il y est intégré. La dimension culturelle de la stratégie intégrale
américaine apparaît particulièrement dans un secteur économique en pleine
expansion, celui de l’information. Le terme "information" recouvre beaucoup de
choses, et notamment le domaine des renseignements. Ici la Maison Blanche
précise sa position. Les renseignements sont un élément critique de la
puissance nationale ; il faut "traquer" les développements politiques,
économiques, sociaux et militaires dans les régions du monde où les intérêts

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américains sont les plus engagés. L’Europe n’y échappe évidemment pas. Au
sein de l’OTAN, la dépendance des Européens envers les renseignements
américains est énorme. La solidarité joue fort peu à ce niveau. Pour le général
Odom, "les capacités américaines peuvent soutenir la cohésion des alliances et
rendre les équilibres régionaux plus aisés" 141. La prédominance américaine
dans le domaine du renseignement s’appuie sur une maîtrise de l’espace.
Celle-ci est jugée indispensable au maintien du leadership global des États-
Unis 142. D’autre part, l’Agence américaine d’information (U.S. Information
Agency) poursuit plus que jamais, malgré les restrictions budgétaires de
l’après-Guerre froide, ses campagnes de promotion de la bienveillante
puissance américaine, en diffusant on ne peut plus généreusement brochures,
documents officiels, ouvrages, etc. Quantité de décideurs et d’universitaires
européens ont ainsi à leur disposition une information distillée, pré-emballée,
dont ils ont parfois bien du mal à trouver l’équivalent au niveau national ou
européen. Contrairement à l’Union européenne, les États-Unis diffusent un
point de vue unique à propos de toutes les dimensions de la politique
étrangère et de sécurité. Ils ne manquent d’ailleurs pas de souligner à
l’occasion les faiblesses et les incohérences de l’Union européenne en face de
la superbe machine que représente l’OTAN, où la prédominance américaine
fait la différence143.

Dans un article capital, deux anciens membres de l’administration Clinton ont


dévoilé ce que pourrait être la stratégie américaine en matière d’information,
une stratégie qui combinerait la prédominance américaine dans le domaine du
renseignement avec les possibilités qu’offrent les nouvelles technologies aux
entreprises américaines 144. Le pays qui sera le premier dans l’actuelle
"révolution de l’information" sera le plus puissant. Ce pays, c’est les États-
Unis. Ils sont déjà très puissants sur les plans militaire et économique mais
leur véritable avantage comparatif, qui ne fera que croître dans les prochaines
années, c’est leur capacité à récolter, à traiter, à manipuler (act upon) et à
diffuser l’information. Cela leur permettra de dissuader ou de défaire des
agressions militaires à un coût peu élevé. Cela renforcera les liens entre leur
politique étrangère et leur puissance militaire. La puissance informationnelle
des États-Unis leur a permis, en 1995, de contraindre les parties belligérantes
à signer les accords de Dayton. Au moyen de cartes virtuelles à trois
dimensions, ils ont montré que les troupes américaines connaissaient
parfaitement le terrain en Bosnie et qu’elles feraient respecter le cessez-le-
feu. Les capacités américaines pourront donner des résultats formidables pour
lutter contre le terrorisme, le crime international, le trafic de drogue, la
prolifération des armes de destruction massive et la dégradation de
l’environnement.

L’information offrira aussi aux États-Unis de nouvelles possibilités pour


maintenir leur leadership dans les alliances et les coalitions. Leurs nouvelles
capacités en matière d’information leur confèrent un moyen de pression sur
leurs alliés du même type que celui offert par la dissuasion nucléaire étendue.
Le parapluie nucléaire fondait la structure de coopération avec les alliés
européens. Maintenant que la Guerre froide est terminée, c’est l’information
qui permettra aux États-Unis d’exercer leur chantage. Ils pourront partager
leurs informations avec qui ils voudront et créeront ainsi une sorte de
"parapluie de l’information" qui contraindra les alliés à agir dans le sens
souhaité par les États-Unis. Une relation de ce type existe déjà en matière
militaire, en ce qui concerne la "prise de conscience situationnelle" (situational
awareness). Les Britanniques ont eu besoin des capacités de renseignement
américaines pendant la guerre des Malouines en 1982. En 1996, les États-Unis
ont fourni l’essentiel de la "couverture situationnelle" de l’Implementation

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Force en Bosnie. Comme la dominance nucléaire a été la clef du leadership


américain durant la Guerre froide, la dominance informationnelle sera la clef
des rapports avec les alliés au XXI e siècle.

L’avantage informationnel agira comme un multiplicateur de force de la


diplomatie et de la "puissance douce" (soft power) des États-Unis. Joseph Nye
avait défini celle-ci comme la capacité d’atteindre les buts désirés dans les
affaires internationales par l’attraction ou la persuasion plutôt que par la
coercition. Cela consiste à convaincre les autres de suivre ou d’accepter les
normes et les institutions qui produisent le comportement désiré. La puissance
douce repose sur l’attrait des idées américaines ou la capacité des États-Unis
à déterminer l’agenda d’une façon qui agit sur les choix des autres. Le tout est
de rendre la puissance américaine légitime aux yeux des autres et d’établir
des institutions internationales qui poussent les autres à canaliser ou à limiter
leurs activités 145. La question de l’information n’est pas un jeu à somme
nulle. Ce que les États-Unis voudront bien divulguer ne représentera pas une
perte pour eux et un gain pour les autres. Pour empêcher les autres,
notamment les alliés, de chercher à concurrencer les capacités américaines,
les États-Unis partageront de façon sélective leurs informations. Ce sera pour
eux le meilleur moyen de conduire les alliances et de maintenir leur
supériorité militaire. Le paysage politique et technologique de cette fin de
millénaire est idéal pour que les États-Unis profitent des formidables atouts de
leur "puissance douce", pour qu’ils projettent leurs idéaux, leur idéologie, leur
culture, leur modèle économique, leurs institutions politiques et sociales, pour
qu’ils tirent avantage de leurs réseaux d’affaires internationaux et de moyens
de télécommunications. La culture populaire américaine, avec ses accents
libertaires et égalitaires, domine les industries du cinéma, de la télévision et
des communications électroniques. L’enseignement supérieur américain attire
chaque année 450 000 étudiants étrangers. Même si tous les aspects de la
culture américaine ne sont pas attirants, en particulier pour les musulmans, le
leadership américain dans la révolution de l’information a considérablement
accru l’ouverture aux valeurs américaines. Les capacités américaines de
communiquer directement par satellite avec les publics étrangers,
littéralement par-dessus la tête de leurs gouvernants, ouvrent de grandes
possibilités pour répandre la démocratie de marché à travers le monde.
Certains Républicains voudraient, par souci budgétaire, laisser le soin de
gagner les cœurs et les esprits au secteur privé. Joseph Nye et l’amiral
Owens, de l’administration Clinton, rétorquent que cela ne peut suffire à
rencontrer tous les objectifs de la politique étrangère des États-Unis. Ils
plaident donc pour un financement adéquat de l’U.S. Information Agency et de
la Voice of America.

Concluons ce chapitre. La stratégie nationale de sécurité définie par la Maison


Blanche est d’abord consacrée à la définition des tâches des forces armées et
aux conditions de leur utilisation. La maîtrise de l’instrument militaire reste le
premier atout du politique, la pierre d’angle de la stratégie intégrale. Mais
celle-ci associe très étroitement la prospérité économique aux questions de
sécurité et d’engagement à l’extérieur. La stratégie nationale de sécurité
prévoit des modes d’action spécifiques, des "stratégies" pour assurer la
sécurité économique américaine. Elles tournent toutes autour d’un même
objectif : la mise sur pied du système commercial global le plus ouvert de
l’histoire, dont l’Amérique ne peut que retirer des avantages. Par défaut, ceci
semble constituer l’essentiel des ambitions américaines sur la scène
internationale. Même lorsqu’il est question de promouvoir la démocratie, c’est
d’abord la dimension du libre marché qui est mise en avant. Enfin, même si la
Maison Blanche n’en parle pas, la composante culturelle de la stratégie
intégrale américaine acquiert une importance croissante avec les nouvelles

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technologies de l’information. Certaines voix n’hésitent pas à prôner en la


matière l’instauration d’une domination américaine globale. Il existe bel et
bien une stratégie intégrant les dimensions militaire, économique et culturelle
de la puissance américaine. La stratégie nationale de sécurité exposée par la
Maison Blanche laisse pourtant l’analyste sur sa fin. Elle en dit trop et pas
assez. Avant d’approfondir son contenu à propos de l’Europe, arrêtons-nous à
la stratégie militaire nationale qui, elle aussi, fait l’objet d’une présentation
officielle.

________

Notes:

107 The White House, A National Security Strategy of Engagement and


Enlargement, Washington, D.C., Government Printing Office, février 1995.

108 Ibid., p. I.

109 Ibid., p. II.


110 John J. Kohout III et al., “Alternative Grand Strategy Options for the
United States”, Comparative Strategy, vol. 14, 1995, p. 374.
111 Eliot Cohen, “What to do About National Defense”, Commentary,
novembre 1994, pp. 21-32.
112 The White House, op. cit., p. 2.
113 Bob Dole, “Shaping America’s Global Future”, Foreign Policy, n° 98, 1995,
p. 35.
114 William E. Odom, America’s Military Revolution : Strategy and Structure
after the Cold War, Washington, D.C., American University Press, 1993, p. 23.
115 E. Cohen, art. cit.
116 Colin S. Gray, “Off the Map : Defense Planning After the Soviet Threat”,
Strategic Review, vol. 22, 1994-2, p. 28.
117 Ibid., p. 31.
118 The White House, op. cit., pp. 8-12.
119 Ibid., p. 10.
120 Anthony Lake, “Peacekeeping Directive Designed to Impose More
Discipline”, USIS, 9 mai 1994.
121 The White House, op. cit., p. 17.
122 Ibid., p. 12.
123 B. Dole, art. cit., p. 41.
124 Hans Binnendijk et Patrick Clawson, “New Strategic Priorities”, The
Washington Quarterly, vol. 18, 1995-2, pp. 118-119.
125 Caspar W. Weinberger, “U.S. Defense Strategy”, Foreign Affairs, vol. 64,
1986-4, pp. 675-697.
126 The White House, op. cit., p. 13.
127 Congressional Research Service, The United States and the Use of Force
in the Post-Cold War World : Toward Self-Deterrence ? Washington, D.C.,
Government Printing Office, août 1994, pp. 3-5.

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128 The White House, op. cit., p. 19.


129 “Soderberg Says U.S. Leadership Makes “ Vital Difference ”, USIS,
21 octobre 1996, p. 4.
130 “Holbrooke Says There is no Timetable for NATO Expansion”, USIS, 27
février 1995, p. 1.
131 “Christopher Cites Key Principles, Agenda for Foreign Policy”, USIS,
Foreign Policy, 23 janvier 1995, p. 1.
132 Richard Moose (secrétaire d’État adjoint), “U.S. Foreign Aid to Focus on
Prosperity, Democracy, Peace”, USIS, 4 février 1994, p. 1.
133 “Madeleine Albright Statement before SFRC Jan. 8”, USIS, 9 janvier 1997,
p. 8.
134 The White House, op. cit., p. 20.
135 Ibid., pp. 19-22.
136 Stephen P. Ferris et Timothy H. Jackson, “Economic Influences on the
Development of U.S. Policy and Military Strategy”, Strategic Review, vol. 22,
1994-4, p. 52.
137 E. Cohen, art. cit.
138 The White House, op. cit., pp. 22-24.
139 B. Dole, art. cit., p. 35.
140 The White House, op. cit., p. 24.
141 W. E. Odom, op. cit., p. 122.
142 Steven Lambakis, “The United States in Lilliput : The Tragedy of Fleeting
Space Power”, Strategic Review, hiver 1996, pp. 31-42.
143 La brochure Security and Integration in Europe diffusée par l’U.S.
Information Agency à Bruxelles début 1994 a représenté à cet égard un
modèle du genre. Rassemblant une série d’articles précédemment parus dans
des revues de politique internationale, elle débutait de manière significative
par “Why NATO is Still Best” et se terminait par les trois titres suivants : “Why
Maastricht Will Fail”, “The EC’s Democracy Deficit” et “Integration after the
Crisis of 1992 : Is Maastricht Dead ?”.
144 Joseph S. Nye, Jr., et William A. Owens, “America’s Information Edge”,
Foreign Affairs, vol. 75, 1996-2, pp. 20-36. Le premier a été président du
Conseil national des renseignements et secrétaire adjoint à la Défense.
L’amiral Owens a été le vice-président des chefs d’état-major intégrés.
145 Joseph S. Nye, Jr., Bound to Lead : The Changing Nature of American
Power, New York, Basic Books, 1990.

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Neve, Joseph Henrotin

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Militaire, Institut d'Histoire des Conflits Contemporains

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stratégiques

Dossiers :

. Théorie de la stratégie

. Cultures stratégiques LA STRATÉGIE MILITAIRE NATIONALE


. Histoire militaire
La stratégie nationale de sécurité ou stratégie intégrale, définie par le
. Géostratégie
politique, a fourni aux forces armées le cadre d’élaboration de la stratégie
. Pensée maritime
militaire. Celle-ci va dire comment utiliser au mieux les capacités américaines
. Pensée aérienne pour atteindre les objectifs nationaux. En fonction du nouvel environnement
. Profils d'auteurs mondial et de ses dangers, la stratégie militaire américaine se fixe pour
objectif de promouvoir la stabilité et d’écarter les agressions. Trois stratégies
. Outils du chercheur
militaires sont définies à cette fin : l’engagement en temps de paix, la
. BISE
dissuasion et la prévention des conflits et enfin, combattre et gagner.
. Bibliographie stratégique
DES STRATÉGIES POUR LA PAIX ET POUR LA GUERRE
Publications de référence

Stratégique
Deux "concepts stratégiques" s’appliquent aux trois stratégies militaires, en
Histoire Militaire et Stratégie temps
de paix comme en temps de guerre. Le premier est la présence outre-
Correspondance de Napoléon mer : elle n’a pas pour but de soulager des alliés qui ne feraient pas leur

RIHM devoir mais de soutenir les intérêts américains fondamentaux. Cette présence
permet de garder disponible et prête l’infrastructure mise en place depuis
1945, ce qui indique bien la volonté de continuité, malgré la fin de la menace
soviétique. Le deuxième concept est la projection de la puissance, capable
d’exercer une fonction dissuasive essentielle. Son importance croît en
proportion de la réduction de la présence outre-mer. Ces deux concepts
stratégiques sont d’origine maritime. La stratégie maritime, définie à la fin du
XIX e siècle par l’amiral Mahan, demeure le premier fondement historique et
culturel de la stratégie nationale des États-Unis 146.

Détaillons quelque peu la stratégie militaire d’engagement en temps de paix.


Elle comprend notamment les contacts de militaires à militaires, "un des
instruments les plus efficaces parmi nos efforts pour créer un ordre de sécurité
plus stable" 147. Comme l’a écrit Alain Joxe, "c’est bien par la création
d’intérêts militaires professionnels péétablis que les États-Unis ont toujours
compensé les faiblesses juridiques et politiques des alliances formelles" 148. Ce
qu’il appelle "la fidélisation infra-politique par la gestion d’accoutumances
techniques" a fait ses preuves au sein de l’OTAN. Les États-Unis voudraient
l’étendre à toutes les régions où ils ont quelque intérêt. Le "Partenariat pour la
paix" avec les anciens membres du Pacte de Varsovie s’inscrit évidemment
dans cette stratégie car l’Europe centrale et orientale fait partie des zones
prioritaires. Le programme d’enseignement et d’entraînement militaire
international (IMET) a vu ses crédits doubler depuis l’année fiscale 1994.
Chacun des petits États baltes, par exemple, a fait l’objet d’une dépense de
410 000 dollars en 1996 149. Le centre d’études George Marshall établi à
Garmish (Allemagne) et le Centre Asie-Pacifique pour les études de sécurité

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d’Hawaii jouent le même rôle d’éducation des militaires et de promotion des


contacts. L’objectif déclaré est que la promotion de la "tradition militaire
libérale" induite par ces contacts contribue à élargir la communauté
démocratique 150. Mais il s’agit aussi de "plates-formes pour répandre
l’influence des États-Unis" 151. Autre aspect de la stratégie militaire
d’engagement en temps de paix, l’assistance de sécurité consiste à fournir
l’entraînement et les systèmes d’armes made in U.S.A., ce qui améliore l’accès
des militaires américains à différentes régions du monde et y accroît leur
influence. L’ambition semble ici d’enseigner les techniques militaires
américaines au monde entier - du moins une partie d’entre elles - afin, tout
simplement, d’américaniser le monde dans ce domaine essentiel qu’est celui
des armes et de le rendre dépendant des États-Unis à cet égard. Le but avoué
n’est pas seulement d’enseigner des techniques mais d’élargir "l’appréciation
des valeurs et des perspectives américaines" 152. Sous ce rapport, le gain
serait de loin supérieur au coût. En Europe centrale et orientale, les militaires
américains sont les bienvenus parce que, comme l’a dit le général Joulwan, ils
ne portent "aucun fardeau historique" 153. Pour les militaires américains, il
s’agit évidemment que "les autres" avec qui il faudra éventuellement pouvoir
coopérer, se familiarisent avec la doctrine américaine 154. Le mouvement est à
sens unique. Ainsi tend à se développer une "pensée unique" dans ce
domaine, comme il s’en développe dans les deux autres composantes de la
stratégie intégrale : l’économique et le culturel.

Les stratégies militaires sont, à côté de l’engagement en temps de paix, la


dissuasion et la prévention des conflits d’une part, combattre et gagner d’autre
part. La première comprend non seulement la dissuasion nucléaire mais aussi
les alliances régionales, les réponses à des crises, la maîtrise des armements,
les mesures de confiance, les opérations d’évacuation de non-combattants,
d’imposition de sanctions et d’imposition de la paix. Ces dernières ne pourront
être mises en œuvre que sous commandement américain ou OTAN, ce qui
revient au même155. Les stratégies de combat et de victoire ressortissent à la
stratégie opérationnelle. Il nous faut auparavant aborder les stratégies qui
tournent autour de l’arme nucléaire.

VERS UNE DÉVALORISATION DE L’ARME NUCLÉAIRE ?

Les chefs d’états-majors ont réaffirmé la nécessité de la triade stratégique,


c’est-à-dire des systèmes de lancement de missiles nucléaires
intercontinentaux à partir du sol, de l’air et de la mer. Pour le général Odom,
ce sera toujours une mission centrale de maintenir une capacité de dissuasion
nucléaire envers un État russe résiduel ou une confédération de républiques
ex-soviétiques en possession de l’arsenal nucléaire soviétique, même si le
niveau de forces requis ne sera plus le même qu’auparavant156. On assiste
pourtant, aux États-Unis, à un mouvement de fond qui semble dévaloriser
considérablement la place des armes nucléaires dans la stratégie militaire. Un
groupe de réflexion, comprenant d’anciens militaires et diplomates de haut
rang tels que Paul Nitze, Robert McNamara et le général Andrew Goodpaster,
en a appelé à une nouvelle posture "évolutive" en matière d’armes nucléaires
qui, au-delà de l’application du traité START II, réduirait prudemment le
nombre des armes, jusqu’à leur élimination complète. Une fois la menace des
armes nucléaires écartée, les États se tourneraient, pour leurs besoins de
défense, vers les organisations de sécurité régionales et globales. De toute
façon, les États-Unis maintiendront une avance technologique avec des
moyens non nucléaires qui leur permettra de rencontrer tous les types de

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menace157. En fait, les Américains n’ont jamais aimé la dissuasion nucléaire et


ont toujours été tentés de la dépasser, soit par le bas avec les armes
nucléaires tactiques ou la dissuasion conventionnelle, soit par le haut avec
l’Initiative de défense stratégique158. Si cette tendance se confirme, cela
pourrait engendrer un certain nombre de tensions avec les alliés européens, et
singulièrement la Grande-Bretagne et la France.

Il n’empêche que la communauté stratégique américaine reste suffisamment


vaste et diverse pour que certains s’expriment en sens contraire et plaident
notamment pour le maintien des armes nucléaires. Celles-ci doivent, selon
eux, servir à dissuader des États "renégats" comme l’Irak ou la Corée du
Nord. Malgré l’utilisation d’une force conventionnelle massive contre Saddam
Hussein, celui-ci n’a pas été définitivement "dissuadé" par les États-Unis 159.
La dissuasion doit rester une des stratégies de lutte contre la prolifération des
armes de destruction massive. Des doutes sont émis sur la capacité dissuasive
des armes conventionnelles. Aucune munition conventionnelle n’est capable de
détruire un site nucléaire enfoui dans un silo renforcé du type Guerre froide
ou au creux d’une montagne. Un simple coup d’œil sur la topographie de la
Corée du Nord suffit à valider la possession par les États-Unis d’armes
nucléaires. L’Irak, la Syrie, l’Iran et même la Libye ont un relief qui leur
permet l’invulnérabilité vis-à-vis de n’importe quelle arme conventionnelle. De
plus, la dissuasion nucléaire, basée sur des capacités de représailles déjà
existantes, est aussi la moins coûteuse par rapport aux systèmes qui
pourraient la remplacer.

PREMIÈRE LIGNE DE DÉFENSE : LA LUTTE CONTRE


LA PROLIFÉRATION ET LA DÉFENSE ANTI-MISSILES

En 1996, le Pentagone a déclaré pour la première fois que "la dissémination


globale d’armes nucléaires, chimiques et biologiques pose la menace
prééminente pour la sécurité nationale des États-Unis dans le monde de
l’après-Guerre froide" 160. Le secrétaire à la Défense William Perry a repris
une expression autrefois appliquée à l’US Navy pour qualifier de "première
ligne de défense" la prévention de cette prolifération par des mesures de
maîtrise des armements, des traités de non-prolifération, des contrôles des
exportations et des sanctions. La deuxième ligne de défense consiste à
dissuader les utilisateurs éventuels en maintenant d’imposantes forces
conventionnelles et nucléaires, avec la volonté de riposter. Une troisième ligne
sera mise en place grâce à un programme de systèmes anti-missiles 161. La
menace est envisagée du court au long terme. Il existe un premier niveau,
celui des missiles de théâtre à courte portée, du type SCUD. Ils peuvent
menacer les troupes américaines déployées outre-mer ou terroriser les alliés.
Pour les contrer, les missiles Patriot devront être améliorés et la marine
développera une nouvelle génération de missiles défensifs. En deuxième lieu
émerge une menace de missiles de théâtre à plus longue portée (1 000 km).
Cela permettrait par exemple à la Corée du Nord d’atteindre Tokyo ou à la
Libye de frapper l’Europe. La réponse américaine consiste à développer une
nouvelle génération de missiles défensifs de théâtre mais cela doit se faire en
concertation avec Moscou, étant donné les interdictions du traité sur les
missiles anti-balistiques (ABM) de 1972. Enfin il se peut qu’à l’avenir certains
États renégats, non susceptibles d’être dissuadés, obtiennent des missiles
intercontinentaux capables de menacer les États-Unis. A cette menace sont
associés des tirs non autorisés ou accidentels en provenance de la Russie ou
de la Chine. L’Amérique se doit d’y parer en développant un système national

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de défense anti-missiles. Il ne serait pas d’une ampleur comparable à celui


prévu par l’Initiative de défense stratégique dans les années 80 mais inclurait
tout de même un ensemble de satellites capables d’identifier et de suivre les
missiles intercontinentaux et, au sol, des radars et des missiles
d’interception 162.

Pour Henry F. Cooper, ancien directeur de la Strategic Defense Initiative


Organisation (SDIO) sous l’administration Bush, il faut qu’émerge une autre
logique que celle de la destruction mutuelle assurée (MAD). Dans le monde de
l’après-Guerre froide, les États-Unis devraient s’entendre avec la Russie pour
préférer les systèmes de défense aux concepts de la dissuasion. Henry
Kissinger et William Perry sont du même avis : la dissuasion nucléaire n’est
plus une stratégie crédible ; la maîtrise des armements est au mieux un
moyen de ralentir la prolifération ; une défense anti-missiles est donc
nécessaire pour protéger les États-Unis, leurs troupes outre-mer et leurs
alliés 163. Un consensus national semble se former sur ce point. Le débat porte
sur le rythme de déploiement d’un tel système de défense. Pour Henry
Cooper, il faut coopérer avec les Russes pour que tombent les restrictions
imposées par le traité ABM mais, comme l’autorise l’article 15 du traité, les
États-Unis peuvent estimer que leurs intérêts suprêmes sont menacés, donner
un préavis de six mois et se retirer du traité si les Russes ne se montrent pas
coopérants164. Les Républicains sont partisans d’un déploiement rapide et
insistent sur l’urgence de la menace165. Ils se font, plus que les Démocrates,
les porte-parole d’une population pour laquelle le sentiment de vulnérabilité
est culturellement insupportable. L’administration Clinton dépense néanmoins
trois milliards de dollars par an pour le développement et le déploiement de
défenses anti-missiles. La défense contre les missiles de théâtre a été
décrétée prioritaire et un programme de défense contre les missiles
intercontinentaux a été lancé, avec un déploiement possible vers 2003 166.

LA NÉCESSITÉ D’UNE STRATÉGIE OPÉRATIONNELLE COMBINÉE

Au niveau des forces conventionnelles, la nécessité d’une stratégie


opérationnelle combinée est devenue un leitmotiv au Pentagone ces dernières
années et a donné lieu à quantité de rapports et de réflexions. L’accord de Key
West de 1948 sur les missions de chaque force est dépassé. Il faut aujourd’hui
travailler davantage à un objectif commun : des opérations militaires unifiées
efficaces, où les efforts de tout le système y tendent dès le départ 167. La
guerre du Golfe, dit un rapport du Pentagone, a démontré que les capacités
militaires de chaque armée étaient individuellement superbes mais qu’elles ne
travaillaient pas bien ensemble. Chaque service a sa vision des opérations
combinées. Il faut développer une vision centrale.

La loi Goldwater-Nichols de 1986 a renforcé les pouvoirs du Président des


chefs d’état-major intégrés et lui a donné la responsabilité de développer une
doctrine pour l’emploi combiné des forces. Depuis, une première génération de
doctrine interarmées est apparue mais c’est à bien des égards un assemblage
de concepts rivaux et parfois incompatibles. La pratique a consisté à désigner
chaque fois un "service leader". Il est maintenant recommandé de désigner
une agence interarmées pour guider le processus. Il existe, depuis juin 1994,
un Joint Warfighting Center mais de nombreux efforts de rapprochement
restent à faire. Le Pentagone estime que les capacités communes à développer
doivent notamment porter sur l’attaque en profondeur et sur le soutien aérien
rapproché. Il est de plus en plus indispensable de combattre du plus loin

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possible, en dehors du rayon d’action de l’ennemi, étant donné l’existence


d’armes de destructions massives et les systèmes sophistiqués de défense
aérienne. Il faudra réfléchir à la juste proportion entre missiles balistiques
lancés à partir de la terre, missiles de croisière lancés de la mer et armes de
précision lancées par avion, en menant notamment des études coût-efficacité.
Le soutien aérien rapproché est aujourd’hui assuré par les quatre forces et le
Pentagone approuve l’existence de ces capacités multiples. Il faudra
cependant, précise-t-il, accroître l’entraînement commun entre les pilotes des
quatre forces et les forces terrestres. Le corps des Marines ne doit pas
posséder les capacités d’une deuxième armée de Terre ; il faudra mieux
intégrer les diverses compétences. Enfin le Pentagone envisage de tabler
davantage sur la compétition entre les entreprises privées, voire de confier
plus de tâches assumées jusqu’ici par l’État au secteur privé168.

Les recommandations du Pentagone ne font pas l’unanimité. Pour le professeur


Eliot Cohen, longtemps lié à l’US Air Force, il est vrai, la différence de culture
entre les forces est inévitable et désirable. Il est bon qu’il y ait compétition
pour assurer des missions comme la contre-insurrection ou la défense anti-
missiles de théâtre 169. Pour le général Odom par contre, les réformes
envisagées sont insuffisantes : il propose d’abolir le comité des chefs d’état-
major intégrés, de créer un état-major intégré qui serait l’état-major du
secrétaire à la Défense, avec un chef à sa tête. Les secrétariats d’État des
différentes forces verraient aussi leur dimension réduite. Cet état-major
intégré serait responsable de l’élaboration d’une doctrine combinée170.

L’ADAPTATION NÉCESSAIRE DE LA CULTURE STRATÉGIQUE AMÉRICAINE

Pour le général John Shalikashvili, Président des chefs d’état-major intégrés, il


y a un nécessaire "regain d’intérêt" pour la relation entre la diplomatie et la
force. Il faut de nouveau penser à cette relation. Le général Shalikashvili veut
dire que la culture stratégique américaine, l’American Way of War, doit
s’adapter aux incertitudes du nouvel environnement mondial. Les militaires,
reconnaît-il, sont plus à l’aise quand les objectifs sont clairs et précis. Lorsque
la force est utilisée, ils ont une forte préférence pour que son usage ait pour
résultat ce qu’on appelle la victoire, ainsi que l’avait dit le général MacArthur
devant le Congrès : "Il n’y a pas de substitut à la victoire". Lorsque l’on
combat, dit le général Shalikashvili, le premier réflexe est d’appliquer une
force écrasante pour obtenir une conclusion rapide et décisive. C’est dû non
seulement au fait que des vies sont en jeu mais aussi à ce que, une fois que
la diplomatie laisse la place à la force, la rationalité est remplacée par
l’émotion et l’imprévisibilité171. Pour Eliot Cohen, la culture stratégique
américaine doit aujourd’hui privilégier la défensive plutôt que l’offensive. La
défensive est aussi une tradition stratégique américaine : la fortification
côtière a connu un grand essor de l’indépendance à 1815 puis dans les années
1840 et 1880. C’est durant la Guerre froide que la balance a penché de façon
décisive en faveur de l’offensive. Les forces armées ont développé une culture
presque exclusivement offensive. A bien des égards, l’orientation offensive est
jugée plus simple et plus gratifiante 172.

L’approche américaine de la guerre, qui met l’accent sur la masse et la


puissance de feu en appliquant une force écrasante, n’est pas adaptée aux
défis du nouvel environnement mondial. C’est là un thème rebâché depuis
longtemps, et qui n’est d’ailleurs pas étranger à la traditionnelle compétition
entre les forces. Le corps des Marines justifie depuis longtemps sa raison

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d’être face à l’armée en insistant sur l’approche différente qui doit caractériser
les "conflits de faible intensité" et en portant un intérêt particulier au tiers
monde173. Il n’empêche que la structure des forces prévue dans la Bottom-Up
Review (BUR) n’aborde pas vraiment le changement de nature de la guerre
dans l’après-Guerre froide et qu’à bien des égards l’approche américaine reste
la même. Les conflits sont vus comme "militaires" lorsque les forces armées
sont utilisées au combat et comme "politiques" lorsque la diplomatie supplante
la force armée. Les Américains auraient encore trop tendance à réduire les
nouveaux types de conflit à de la contre-insurrection. La dichotomie entre les
grandes guerres où il s’agit de défaire un ennemi clairement identifié et les
petites guerres plus ambiguës caractérise toujours la culture stratégique
américaine. Malgré les hommages rendus à Clausewitz ces dernières années,
les Américains continueraient à voir la guerre non comme une extension de la
politique mais comme le résultat de sa faillite. Lorsqu’ils utilisent leurs forces
armées comme un instrument de leur politique étrangère, ils appellent cela
des "opérations autres que la guerre"174.

Pour le professeur Steven Metz, de l’US Army War College, Clausewitz ne doit
plus être le saint patron des stratèges américains, en ce sens que la stratégie
opérationnelle classique et toute la culture qu’elle induit doivent céder la
première place à une autre approche, basée sur la prévention-dissuasion
(deterrence) du conflit sans qu’il y ait guerre. Les forces armées américaines
devraient devenir plus sophistiquées, surtout en matière de psychologie
culturelle. Le renseignement est l’élément vital qui permettra de prévenir un
conflit. Il faudra connaître et comprendre la psychologie d’une énorme
quantité de terroristes et d’opposants potentiels. Sun Zi sera à cet égard plus
utile que Clausewitz. C’est lui qui doit devenir la première référence des
stratèges américains 175. Sun Zi connaît un regain d’intérêt pour une autre
raison : sa subtilité pourrait valoriser le rôle stratégique potentiel des
nouvelles technologies de l’information. Il faut, à ce sujet, distinguer
l’Information War qui ne désigne que l’utilisation à la guerre de ces nouvelles
technologies, celles-ci servant alors de simples multiplicateurs de forces, de
l’Information Warfare, qui peut constituer une stratégie militaire en soi. Elle
consiste à essayer d’influencer des hommes et leurs décisions, à utiliser
l’information pour créer une telle confusion chez l’adversaire que, comme
dirait Sun Zi, sa stratégie serait défaite avant que ses premières forces soient
déployées ou que ses premiers coups soient tirés176. Dans ce domaine
essentiel, la culture stratégique américaine devra aussi s’adapter et résister à
la tentation d’utiliser les nouvelles technologies comme de simples
multiplicateurs de force.

LA FIN DE LA STRATÉGIE NAVALE ?

Au niveau de la stratégie opérationnelle, l’adaptation la plus radicale est peut-


être celle qui concerne l’US Navy. La stratégie militaire nationale lui confie une
mission toujours très classique : assurer la liberté des mers et le contrôle des
points de passage stratégiques de manière à garantir une liberté de
manœuvre177. Mais le livre blanc exposant la nouvelle doctrine navale, From
the Sea, présente une rupture radicale avec la tradition navaliste de la Navy,
instaurée il y a un siècle 178. Tant que subsistait l’adversaire soviétique, les
révolutions techniques apportées par l’aviation, les sous-marins et même
l’arme atomique ont pu se greffer sur la vieille tâche de maîtrise de la mer.
L’effondrement de l’URSS a rendu caduque la Maritime Strategy des années
80, juste au moment où celle-ci allait atteindre son objectif d’une flotte de

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600 navires 179. Aujourd’hui, le contrôle des mers ne doit plus être la priorité
de la Navy : il est donné, on n’a plus à s’en soucier. La marine va se focaliser
sur les zones littorales des océans, les zones proches des terres. Elle va être
redessinée pour devenir un instrument de gestion des crises et pour soutenir
les forces qui opéreront sur la terre des zones littorales. Ce fut le rôle de la
Royal Navy pendant près d’un siècle après la défaite de Napoléon et après les
deux guerres mondiales. Ce fut aussi celui de l’US Navy après la seconde.
Alors même que ses concepts stratégiques, son entraînement, sa tactique, ses
armes étaient fonction d’un éventuel conflit sur mer avec la flotte soviétique,
son rôle quotidien fut de projeter son effet moral et d’influencer les
événements dans le tiers monde. Le livre blanc From the Sea est sans
précédent en ce sens qu’il définit explicitement les opérations littorales pour
contenir des crises ou soutenir les forces terrestres dans des "petites
guerres", comme la tâche première des marines dans le proche avenir. Jamais
auparavant une grande marine n’avait relégué le contrôle des mers et la
préparation d’une grande guerre sur mer au rang de considérations
secondaires. La raison en est qu’aujourd’hui, pour la première fois depuis des
siècles, la flotte la plus puissante du monde n’a pas de compétiteur effectif ni
prévisible en haute mer.

From the Sea marque donc la fin du courant dominant de la pensée navale
depuis la fin du XVI e siècle, la fin de cette stratégie navale codifiée au
tournant de ce siècle par Corbett, Colomb et Mahan. Dans la mesure où la
stratégie navale était uniquement préoccupée du combat pour le contrôle des
communications maritimes, il s’ensuit qu’une fois celui-ci résolu, la stratégie
navale pure prend fin. La flotte victorieuse a rempli sa mission navale et peut
désormais tourner son attention vers d’autres objectifs, c’est-à-dire contribuer
à des opérations combinées avec les forces terrestres. Dans ce domaine, la
marine revendique une part aussi large que possible 180. Tout l’héritage de
Mahan n’a cependant pas disparu. La stratégie navale n’est qu’une partie
seulement de la stratégie maritime des États-Unis. La disponibilité des forces
navales et leur souplesse d’utilisation comme instrument de la politique
continuent d’assurer des missions essentielles, de donner un signal ou de
dissuader181. Mahan avait souligné ces avantages des forces navales. Selon
lui, la stratégie maritime était aussi nécessaire en temps de paix qu’en temps
de guerre, tout simplement pour fonder, soutenir et augmenter la puissance
des États-Unis 182.

LA DOCTRINE DE L’ARMÉE : UNE RÉNOVATION PERMANENTE

Les forces terrestres ont pour mission "d’entrer en force en saisissant


l’initiative, d’aller au contact des forces ennemies et de les détruire par des
manœuvres synchronisées et des feux de précision dans toute la largeur et
toute la profondeur de la zone de bataille" 183. Ces missions, assignées par la
stratégie militaire nationale, semblent encore inspirées par la doctrine AirLand
Battle des années 1980. La dernière version du manuel FM 100-5, datant de
juin 1993, renferme cependant quelques évolutions significatives184. Une des
principales réside dans le chapitre sur les "opérations autres que la guerre",
allusion aux missions de type onusien de maintien ou d’imposition de la paix.
La prolifération des armes de destruction massive est prise en compte,
d’autant plus que ces armes pourraient être utilisées sur des champs de
bataille où seraient déployés des soldats américains. Étant donné le
recentrage des forces armées sur le territoire américain et l’abandon de
nombreuses bases extérieures, la projection de puissance fait l’objet d’une

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attention accrue. Enfin la notion de profondeur a subi une notable mutation


depuis AirLand Battle. Elle ne désigne plus seulement la frappe de l’ennemi
loin derrière la ligne de front mais aussi l’ensemble des phases préparatoires
et des missions de gestion postérieures au combat, celui-ci ne définissant plus
à lui seul la durée de l’engagement. La guerre du Golfe a illustré cette notion,
la "profondeur" de l’opération ayant contrasté avec la courte durée du combat
terrestre proprement dit185.

Comme il est de coutume, la doctrine a fait l’objet de réflexions et de critiques


dans les périodiques de l’armée 186. L’actuel FM 100-5 tient-il suffisamment
compte du nouvel environnement mondial ? Le maintien du concept
clausewitzien de "centre de gravité" a fait l’objet de critiques. Les centres de
gravité seraient aujourd’hui multiples et changeants. A l’âge de l’information,
l’essentiel ne résiderait plus dans les masses mais dans les réseaux 187. De
plus, le FM 100-5 distingue artificiellement trois environnements où les buts et
les opérations militaires sont par trop compartimentés : le temps de paix, le
conflit et la guerre. La notion de conflit, où joue notamment la dissuasion, est-
elle vraiment distincte de celle de guerre, où le but est "de se battre et de
gagner" ? Parmi les forces armées des États-Unis, l’Army a la plus forte
tradition doctrinale. L’actuelle version du manuel FM 100-5 porte la marque
d’une époque de transition. On peut croire que, dans un proche avenir, des
notions telles que les "opérations autres que la guerre" seront davantage
éclaircies188.

Pour Edward Luttwak, la mentalité militaire est toujours dominée par la


conception napoléonienne et clausewitzienne de la guerre, alors que le
contexte a profondément changé. La guerre napoléonienne acceptait un certain
taux de pertes que la démographie des sociétés préindustrielles et du premier
âge industriel pouvait tolérer dans une certaine mesure. La guerre romaine
offre, selon Luttwak, une meilleure analogie avec le souci contemporain de
limiter au maximum les pertes 189. Les légionnaires romains étaient des
professionnels carriéristes, qui laissaient leurs adversaires se retirer sur une
position et entamaient ensuite un siège minutieux, patient, où ils prenaient
grand soin de se protéger eux-mêmes au maximum. Aujourd’hui, pense
Luttwak, les embargos comm

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Neve, Joseph Henrotin

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Institut de Stratégie Comparée, Commission Française d'Histoire


Militaire, Institut d'Histoire des Conflits Contemporains

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stratégiques

Dossiers :

. Théorie de la stratégie

. Cultures stratégiques
. Histoire militaire PARTICULARITÉS RÉGIONALES D’UNE STRATÉGIE
. Géostratégie GLOBALE
. Pensée maritime
Dans la vision globale des États-Unis, l’Europe, à laquelle est associée
. Pensée aérienne
l’Eurasie, fait l’objet d’une "approche régionale intégrée" , avant mais au
. Profils d'auteurs même titre que quatre autres régions du monde : l’Asie orientale-Pacifique,
. Outils du chercheur l’hémisphère occidental, le Moyen-Orient/Asie du sud et du sud-ouest,
. BISE l’Afrique. Face à ces cinq ensembles, les États-Unis se posent comme la
"puissance globale originale", c’est-à-dire unique. Ils développent pour chaque
. Bibliographie stratégique
région du monde ce qu’ils appellent une stratégie, qui consiste à intégrer la
défense et la promotion de leurs intérêts culturels, économiques et militaires.
Publications de référence La Maison Blanche a exposé cette stratégie intégrale, censée selon elle
représenter les objectifs généraux et la "poussée" (thrust) des États-Unis,
Stratégique plutôt qu’une liste exhaustive de leurs politiques et de leurs intérêts198. Voilà
Histoire Militaire et Stratégie qui nous éclaire quelque peu sur la conception américaine de la stratégie :
celle-ci donne un sens général , elle indique une direction où la force peut
Correspondance de Napoléon
s’exercer.
RIHM

UN LIEN "STRATÉGIQUE" ENTRE LA SÉCURITÉ


ET L’ÉCONOMIE

L’objectif américain en Europe est clair et se conjugue d’emblée sur un double


registre. Il s’agit que l’Europe soit stable et sûre pour que les soldats
américains n’aient plus à y verser leur sang. Il s’agit aussi que les économies
européennes soient en suffisamment bon état pour offrir des possibilités
d’investissement et pour créer des emplois aux États-Unis. Tout cela sera
possible avec une Europe démocratique intégrée et coopérant avec les États-
Unis. Il y a une institution centrale capable d’assurer la sécurité de l’Europe
mais aussi de promouvoir son "intégration" : l’OTAN. Celle-ci a toujours été
plus qu’une réponse transitoire à une menace temporaire. Elle a été une
garantie de la démocratie en Europe et une force pour la stabilité 199. La
Maison Blanche ne peut cependant exalter les mérites de l’OTAN qu’en
évoquant sa structure militaire intégrée. L’argument d’efficacité militaire, les
habitudes de coopération entre les forces armées, les entraînements communs
sont mis en avant. Si la "camaraderie entre nos guerriers" contribue
incontestablement à une forme de paix, n’est-ce pas encore une fois un
prétexte pour évacuer la dimension politique de l’Alliance ? On peut s’étonner
de trouver des arguments aussi élémentaires dans un document émanant de
la plus haute instance politique américaine. La communauté de racines et de
valeurs avec l’Europe ne semble guère entrer en ligne de compte. Il semble
n’être question que de domination et d’influence. Ainsi la présence militaire

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américaine en Europe est jugée nécessaire aux alentours de 100 000 hommes,
niveau suffisant pour "préserver l’influence des États-Unis et leur leadership
dans l’OTAN". A l’égard de l’Europe centrale et orientale, le Partenariat pour la
paix lancé par l’OTAN en janvier 1994 est censé prolonger la "stratégie
d’intégration européenne" pratiquée par l’OTAN depuis plus de quarante ans en
Europe occidentale. Le Partenariat n’est qu’une étape préparatoire à
l’expansion de l’OTAN vers l’est, à laquelle aucun pays non membre de l’OTAN
ne pourra opposer son veto. Pour amadouer la Russie et laisser quand même
un petit rôle à une autre institution que l’OTAN, les États-Unis se sont
engagés à renforcer quelque peu l’Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE) dans ses missions "soft" de prévention des
conflits et de maintien de la paix.

Le deuxième élément de la stratégie américaine en Europe est d’ordre


économique. Il s’agit, dit la Maison Blanche, de construire des économies de
marché "vibrantes" et ouvertes, de renforcer le partenariat avec l’Union
européenne "en soutien de nos objectifs économiques". L’Union européenne,
absente des questions de sécurité où l’OTAN occupe toute la scène, apparaît
ici en tant que partenaire économique obligé. Nulle part n’apparaît le rôle
politique que peut jouer l’Union européenne ou que jouent les États
européens. L’expression des objectifs sécuritaires et économiques américains
en termes de "stratégie" semble un prétexte pour faire l’impasse sur la
dimension politique des relations transatlantiques. Quant aux réformes
économiques à l’est, et notamment en Russie, la formule est simple et,
comment c’est souvent le cas, elle flatte l’oreille anglo-saxonne : "more trade
than aid" 200. C’est à ce propos qu’apparaissent les liens étroits qui unissent
la sécurité et l’économie aux yeux de Washington. En effet, l’OTAN s’ouvrira à
de nouveaux membres pourvu qu’ils soient des "démocraties de marché
engagées dans des politiques de sécurité responsables et capables d’apporter
une contribution à l’Alliance" 201. Le traité de l’Atlantique nord, dans son
préambule, insiste davantage sur les valeurs politiques qui unissent Américains
et Européens, à savoir "la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et
leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés
individuelles et le règne du droit". Il est vrai que l’article 2 stipule que les
parties "s’efforceront d’éliminer toute opposition dans leurs politiques
économiques entre chacune d’entre elles ou entre toutes".

A un journaliste hongrois qui lui demandait si, dans le raisonnement


stratégique américain, l’expansion de l’OTAN était liée au type de coopération
économique existant entre l’Europe occidentale et les États-Unis, Richard
Holbrooke, le parrain des accords de Dayton, a avoué que la question était un
véritable piège. Il a dû reconnaître que juridiquement et formellement il n’y
avait pas de lien mais qu’en réalité il y en avait un : "L’OTAN, a-t-il ajouté,
est une association d’économies de libre marché, de démocraties de libre
marché" 202. Le secrétaire adjoint au Commerce Stuart Eizenstat, auparavant
ambassadeur des États-Unis auprès de l’Union européenne, a lié explicitement
les objectifs économiques des États-Unis en Europe à leurs objectifs de
politique étrangère 203. Les experts américains en matière de sécurité le disent
encore plus franchement : un effacement progressif de l’OTAN ferait un tort
considérable aux intérêts vitaux des États-Unis, réduirait leur puissance et leur
influence en Europe, cruciales pour la sécurité et la prospérité du pays ; cela
accroîtrait les différences entre Européens et Américains, surtout en matière
de commerce et de finances204. Lorsque Richard Holbrooke parle d’étendre à
l’est "les habitudes de coopération" existant à l’ouest, il désigne les deux
aspects de la stratégie intégrale des États-Unis en Europe : la sécurité et
l’économie. Nonobstant la disparition de la menace soviétique, les intérêts

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américains en Europe restent les mêmes : empêcher que le continent soit


dominé par une puissance ou une combinaison de puissances hostile aux
États-Unis ; disposer de partenaires prospères ouverts aux idées, aux produits
et aux investissements américains ; former une communauté de valeurs qui
s’étend le plus loin possible en Europe et qui facilite la coopération avec les
États-Unis dans un nombre croissant de dossiers au niveau mondial ; veiller à
ce que l’Europe ne retombe pas dans des déchirements qui nécessiteraient des
dépenses extraordinaires de la part des États-Unis 205.

L’OBSESSION DU PRIMAT DE L’OTAN

Comme l’a dit Warren Christopher, l’OTAN est vraiment "au cœur de la
stratégie européenne" des États-Unis 206. L’engagement des États-Unis dans
l’OTAN n’est pas une question d’altruisme ; c’est un intérêt américain vital,
selon le secrétaire adjoint à la Défense Walter Slocombe 207. L’approche
américaine de la sécurité en Europe se déploie dans six directions dont les
principales concernent l’OTAN. Il y a d’abord l’admission de nouveaux
membres dans l’Alliance atlantique. Cet objectif est prioritaire car il justifie le
maintien de l’OTAN en lui donnant un nouveau souffle. Il faudra ensuite
chercher à établir une coopération plus étroite entre l’OTAN et la Russie. Le
troisième objectif est la bonne coopération entre l’OTAN et les pays du
Partenariat pour la paix. Le quatrième concerne l’intégration croissante et
l’élargissement de l’Union européenne : les deux processus "complètent la
croissance des autres institutions et l’élargissement de l’OTAN". Les deux
dernières directions, les moins importantes, consistent d’une part à accroître
les liens entre les États-Unis et l’Union européenne, d’autre part à renforcer
l’OSCE 208. L’acceptation par leurs alliés européens du principe de
l’élargissement de l’OTAN est considérée par les Américains comme une
grande victoire diplomatique. Ils applaudissent au rapprochement opéré par la
France, et notamment à son acceptation de construire une identité européenne
de sécurité et de défense au sein de l’OTAN. Il y a là "une appréciation plus
sérieuse des limites à propos de ce que l’Europe peut faire elle-même" et,
ajoute Alexander Vershbow, conseiller du président Clinton, "en même temps,
il y a des raisons de se demander si la théorie d’une identité européenne de
sécurité et de défense au sein de l’OTAN deviendra une réalité dans la
pratique" 209.

La détermination du Conseil de l’Atlantique nord réuni à Berlin en juin 1996 de


développer cette identité européenne et de permettre notamment "la création
de forces militairement cohérentes et efficaces, capables d’opérer sous le
contrôle politique et la direction stratégique de l’UEO" ne serait-elle qu’une
concession de façade210 ? Les commentaires qu’en donnent les responsables
américains le laissent penser. Pour le secrétaire adjoint à la Défense Walter
Slocombe, "le but de l’adaptation de l’OTAN est de permettre à tous les alliés
de travailler ensemble de manière plus efficace, pas de trouver une façon pour
l’Europe de gérer une situation sans les États-Unis". C’est l’OTAN qui planifiera
toutes les opérations conduites par l’UEO. Elles auront lieu sous
commandement européen et dépendront normalement de l’UEO quant à leur
direction politique. Mais les infrastructures de l’OTAN ne seront disponibles
qu’avec l’accord du Conseil de l’Atlantique nord et celui-ci supervisera
l’utilisation qui en sera faite. L’OTAN aura donc parmi ses nouvelles tâches de
préparer ces opérations éventuelles de l’UEO. "Tout cela devrait être fait au
sein de l’Alliance et au sein de sa structure de commandement militaire
intégrée, pas dans une structure séparée ni séparée de fait ni parallèle, ou par

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des éléments qui seraient uniquement européens, sans Américains" 211. Le


personnel et les structures de l’OTAN auront des responsabilités
supplémentaires liées aux opérations UEO. Sur tous ces points, les
responsables américains se targuent d’avoir l’accord de leurs alliés européens,
y compris, insistent-ils, celui de la France.

Comment interpréter l’argument de Walter Slocombe selon lequel l’adaptation


de l’OTAN doit "répondre au mouvement grandissant vers l’intégration
européenne" ? La conception américaine de l’intégration européenne est
surprenante. Pour Richard Holbrooke, l’intégration européenne s’est réalisée
avec succès au sein de l’OTAN. Pourquoi alors l’UEO créerait-elle des
structures parallèles 212 ? En d’autres termes, l’OTAN "socialise" les militaires
et les diplomates européens qui y travaillent, elle les détache de leur pays
respectif, dont elle leur fait oublier les intérêts nationaux 213. De là toute
l’importance de la structure militaire intégrée, considérée comme étant au
cœur du succès de l’OTAN. Les nouveaux membres devront évidemment en
faire partie214. "La magie de l’OTAN (NATO’s magic) a toujours été
institutionnelle : elle a fourni une organisation structurée, disciplinée et un
ensemble de procédures établies, de routines au travers desquelles les
disputes européennes pouvaient être contrôlées et à partir desquelles une voix
transatlantique plus uniformisée pouvait émerger" 215. L’OTAN dénationalise la
politique de sécurité de ses membres, sauf évidemment celle des États-Unis.
Le premier secrétaire général de l’OTAN, Lord Ismay, aurait un jour décrit le
rôle de l’OTAN comme étant de "garder les Américains dedans, les Russes
dehors et les Allemands en bas". La Guerre froide terminée, les dirigeants
américains pourraient très bien utiliser l’OTAN pour garder l’Union européenne
en bas216. Devant les commissions du Congrès, les responsables américains
donnent souvent une version des faits dépourvue des précautions
diplomatiques d’usage vis-à-vis des alliés. Ils doivent aussi justifier en termes
de strict intérêt national les crédits qu’ils réclament, surtout lorsque la
majorité au Congrès est peu favorable aux dépenses extérieures. Le
commandant en chef des forces de l’OTAN en Europe, le général Joulwan, a
ainsi rappelé que les États-Unis devaient rester engagés comme leader de
l’OTAN, pour "aider à façonner les événements pour qu’ils correspondent à leur
objectif national" 217. L’implication tardive des États-Unis dans le conflit ex-
yougoslave visait en premier lieu à raffermir le leadership américain au sein
de l’OTAN. Lorsque certains dirigeants européens se prennent à craindre un
désengagement des États-Unis, ils ne voient pas qu’il s’agit là d’un simple
épouvantail brandi devant leurs yeux naïfs afin de leur arracher davantage
d’abandons. Les États-Unis ne sont pas près de se désintéresser de l’OTAN et
de se retirer militairement de l’Europe.

LA RECONNAISSANCE ACCRUE D’UNE CERTAINE EUROPE

Depuis 1989, les États-Unis ont commencé à reconnaître davantage la


Communauté européenne, au point d’envisager des consultations euro-
américaines dans un autre cadre que celui de l’OTAN. Les bouleversements
géopolitiques induits par la chute du Mur de Berlin et les travaux préparatoires
au traité de Maastricht ont poussé les États-Unis à considérer la Communauté
puis l’Union européenne autrement que comme un simple partenaire
commercial. C’est le discours du secrétaire d’État James Baker à Berlin le 12
décembre 1989 qui a précisé cette nouvelle orientation de la politique
américaine. Ce discours capital débutait néanmoins par une insistance sur le
rôle central de l’OTAN avant d’aborder celui de la Communauté européenne.

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Celle-ci, précisait James Baker, devait rester "ouverte à la coopération avec


les autres" et le marché qu’elle représente devait en particulier devenir encore
plus ouvert. La Communauté européenne avait un rôle essentiel à jouer dans
la reconstruction des économies est-européennes. Mais, insistait-il, "nous
voulons que notre coopération transatlantique aille de l’avant en même temps
que l’intégration européenne et avec la réforme institutionnelle" 218. Il
proposait donc un renforcement des liens institutionnels et consultatifs entre la
Communauté et les États-Unis, sous forme d’un traité par exemple. Tout effort
des Européens visant à renforcer leurs liens devait être contrebalancé par un
renforcement des liens transatlantiques. En d’autres termes, les États-Unis
entendaient couper l’herbe sous le pied à la constitution d’un véritable
ensemble politique européen. Dès que sortirent les premières propositions
franco-allemandes en vue d’établir une Politique étrangère et de sécurité
commune (PESC), Washington fit clairement savoir aux Européens que celle-ci
ne devait pas se développer au détriment de l’OTAN. Des pressions furent
exercées en ce sens auprès des alliés les plus atlantistes, la Grande-Bretagne,
les Pays-Bas et le Portugal, qui ne manquèrent pas de défendre le point de
vue américain durant la conférence intergouvernementale sur le
développement de la PESC 219.

La proposition berlinoise de James Baker a abouti à l’adoption, en novembre


1990, d’une "Déclaration sur les relations entre la Communauté européenne et
les États-Unis". Pour Washington, ce texte doit doubler le projet européen
d’une PESC. On trouve en effet de nombreux points communs dans les
objectifs affichés dans la Déclaration et dans le traité de Maastricht (Titre V,
Article J.1). La Déclaration euro-américaine comporte toutefois un objectif
supplémentaire qui est de "promouvoir les principes du marché, repousser le
protectionnisme, élargir, renforcer et poursuivre l’ouverture du système
commercial multilatéral" 220. La coopération économique est mise en évidence
beaucoup plus qu’une coopération politique qui, si elle est affirmée, est
formulée en termes beaucoup plus vagues. Un mécanisme de consultations
régulières a été mis en place mais l’administration Clinton a jugé qu’il fallait
aller plus loin. Le 3 décembre 1995 fut signé à Madrid un document intitulé
"Nouvel agenda transatlantique" (NAT). Il prétend aller au-delà des relations
économiques et commerciales et engager, pour la première fois, l’Union
européenne en tant que partenaire politique. Il prévoit "la possibilité pour les
États-Unis et l’Union européenne de travailler comme des partenaires
politiques égaux avec des responsabilités partagées dans une vaste gamme de
domaines politiques et diplomatiques" 221.

Le NAT réaffirme l’indivisibilité de la sécurité transatlantique, dont l’OTAN est


la pièce maîtresse. Son adaptation devra se poursuivre pour mieux refléter la
gamme de ses missions et le développement d’une entité européenne de
sécurité et de défense, toujours qualifiée de "pilier européen de l’Alliance". Le
NAT établit un lien entre les relations de sécurité et les relations économiques,
considérées comme se soutenant mutuellement222. Pour Stuart Eizenstat, le
NAT traduit la conception de l’administration Clinton selon laquelle l’économie
et la diplomatie entreront de plus en plus dans la définition de la sécurité
nationale des États-Unis 223. Le NAT contribue ainsi à définir la stratégie
intégrale des États-Unis. Il semble par ailleurs constituer une étape importante
dans l’établissement d’une relation plus égalitaire entre les États-Unis et
l’Union européenne. L’administration Clinton est incontestablement plus
favorable à ce développement que l’administration Bush. Mais la
reconnaissance politique de l’Europe est encore bien timide. Il faut dire qu’à
l’origine du NAT on trouve principalement, du côté européen, les commissaires
sir Leon Brittan et Martin Bangemann, soucieux de libéraliser au maximum,

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mais de façon progressive, le commerce transatlantique. Le département


américain du Commerce et le Conseil économique national ont poussé dans la
même direction, voyant dans le NAT un moyen supplémentaire de réduire les
tarifs douaniers et les obstacles au commerce, en particulier dans le domaine
des technologies de l’information où les États-Unis sont très compétitifs. Le
NAT prévoit la conclusion d’un accord dans ce domaine224. Malgré les
affirmations sur la reconnaissance politique de l’Union européenne, celle-ci est
avant tout traitée comme une zone d’expansion commerciale pour les firmes
américaines ou, si l’on veut, c’est seulement une certaine Europe qui est
reconnue, celle de Sir Leon Brittan. De même que les États-Unis préfèrent
traiter avec une présidence néerlandaise du Conseil européen qu’une
présidence française, ils trouvent que la Commission, comparée au Conseil, a
des perspectives plus compatibles avec les intérêts des États-Unis sur les
affaires internationales. Dans la mesure où les États-Unis recherchent un
partenaire commercial ouvert à leurs perspectives de libéralisation et où les
questions de sécurité relèvent exclusivement de l’OTAN, dotée éventuellement
d’un "pilier" européen, la Commission leur apparaît comme l’interlocuteur
idéal, permettant de passer au-dessus de la tête des États européens, trop
prisonniers de leur passé aux yeux de Washington. La Commission leur paraît
beaucoup plus capable de développer ce qu’ils appellent une "mentalité
globale". La Commission, on le sait, incarne l’approche de Jean Monnet, qui
aimait tellement les États-Unis que le Battle Hymn of the Republic fut joué à
ses funérailles en 1979 225.

Ce qui plaît aux Américains dans l’évolution de l’Europe, c’est qu’elle est
beaucoup plus ouverte aux entreprises américaines et plus favorable au
système commercial multilatéral qu’il y a une dizaine d’années. En 1994,
l’association des industriels américains a souligné que l’Europe était le
principal marché pour les investissements américains à l’étranger et qu’elle le
resterait "indéfiniment" 226. La mise en place du marché unique a été pour eux
extrêmement positive. Cela justifie de reconnaître l’Union européenne comme
une force non seulement économique mais politique. De toute façon, l’Union
doit encore prouver qu’elle est une force politique. Les États-Unis le savent.
Pour eux, l’Union doit s’élargir vers l’est pour y introduire l’économie de
marché, de façon à ce que se constitue le plus vaste marché européen
possible 227. Peu importe la dilution de l’Europe politique qui pourrait en
résulter. Les Américains ne croient pas vraiment en une Europe politique.
L’Union économique et monétaire européenne (UEM) leur cause cependant du
souci. Bien qu’il s’agisse d’un développement économique, certains voient les
avantages politiques que l’Union européenne pourrait en retirer, à commencer
par une position renforcée lors des négociations commerciales 228. Le positif
l’emporte néanmoins pour d’autres économistes, dans la mesure où l’UEM
aurait pour résultat d’accroître les échanges commerciaux entre l’Europe et les
États-Unis, même si c’est au prix de l’affermissement d’un bloc européen en la
matière 229.

L’Europe que reconnaît de plus en plus Washington transparaît derrière la


nouvelle relation privilégiée qui s’ébauche depuis 1989 avec l’Allemagne. Si la
"relation spéciale" anglo-américaine persiste, c’est davantage dans le cœur de
Londres que dans celui de Washington. Dès avril 1989, George Bush proposait
à l’Allemagne un partnership in leadership. Surtout, Washington réalisa bien
avant Londres, Paris ou Moscou que la réunification allemande était inévitable
et soutint le processus, dans l’espoir d’y obtenir une influence décisive230.
L’Allemagne est devenue le relais idéal de la puissance américaine en Europe
car, depuis 1945, elle a dû rompre avec son passé et abandonner le
symbolisme militaire constitutif de toute conscience nationale. A la différence

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de la Grande-Bretagne et de la France qui ont l’habitude de n’entrer dans des


formes de coopération internationale que selon leurs propres termes,
l’Allemagne fédérale a dû se subordonner de façon directe et inconditionnelle.
Pour elle, l’entrée dans l’OTAN a été un moyen de regagner une certaine
expression militaire nationale231. L’Allemagne a toujours été au sein de l’OTAN
le "bon élève obligé". Le surcroît de puissance qu’elle a tiré de sa réunification
ne peut que convenir aux États-Unis dans la mesure où cela conforte l’OTAN.
Pour le général Odom, le lien germano-américain, "ancré dans l’OTAN", donne
sa stabilité à la région. Il permet de prévenir une guerre mieux qu’un lien
privilégié avec la France ou la Grande-Bretagne, qui permettrait seulement de
gagner une guerre232. Si l’Allemagne est l’allié à privilégier, c’est aussi parce
qu’elle seule peut fournir un contrepoids indispensable face à la Russie. Mais à
ce propos il s’agira aussi d’empêcher l’Allemagne de tomber dans une position
intermédiaire entre l’Est et l’Ouest et a fortiori de l’empêcher de conclure une
alliance avec la Russie, bon gré mal gré 233. Pour Warren Christopher,
l’Allemagne doit être le modèle et le catalyseur de l’intégration européenne
telle que la souhaite Washington234.

LES RELATIONS ÉCONOMIQUES : STRATÉGIE PUBLIQUE ET STRATÉGIES


PRIVÉES

Les relations économiques entre l’Union européenne et les États-Unis ont


atteint un très haut niveau d’interpénétration et de complexité. L’ancien chef
de la mission américaine auprès de l’Union européenne Stuart Eizenstat a dit
très clairement quel avait été son rôle sur ce plan : il s’agissait de se faire le
champion de la cause des entreprises américaines en brisant les barrières
tarifaires et non tarifaires sur le marché européen 235. Il y a donc une
stratégie économique publique d’accompagnement des entreprises privées.
L’administration fédérale aide celles-ci à pénétrer au maximum les marchés
extérieurs. Cette stratégie publique est au service des stratégies privées, au
point de permettre à celles-ci de peser sur le cadre institutionnel des relations
euro-américaines. En avril 1995 fut lancé le "Dialogue transatlantique des
affaires" (Transatlantic Business Dialogue ou TABD), à l’initiative des
commissaires européens Sir Leon Brittan et Martin Bangemann et du
secrétaire au Commerce américain Ronald H. Brown, qui le premier en avait
émis l’idée en 1994. Les 10 et 11 novembre 1995, une centaine de dirigeants
d’entreprises des deux côtés de l’Atlantique se réunirent à Séville et
adoptèrent soixante-dix recommandations qui furent transmises à la
Commission européenne et au gouvernement américain. Lorsque fut signé, le
3 décembre suivant, le Nouvel agenda transatlantique (NAT), on fit une
référence explicite au TABD et plusieurs de ses recommandations furent
incorporées au "plan d’action" accompagnant le NAT. En juin 1996, le TABD
"presse" l’Union européenne et les États-Unis de "promouvoir de façon
agressive le retrait des coûteuses barrières régulatrices à l’efficacité
économique et à l’accès aux marchés". Le ton est à l’urgence, à
l’ultimatum236. L’administration américaine a ainsi initié un processus de
consultations où les hommes d’affaires ont la possibilité de donner leurs
recommandations, voire de dicter leurs demandes aux politiques, si tant est
que l’on puisse ranger la Commission européenne parmi ces derniers. Car
c’est évidemment là que l’Europe doit savoir à qui elle confie ses intérêts. Du
côté américain, l’administration soutient par principe les aspirations du secteur
privé. C’est une question de culture politique mais c’est aussi un phénomène
récent dont certains Américains sont conscients.

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Selon Leslie Gelb, ancien correspondant du New York Times devenu président
du Council on Foreign Relations de New York, la superpuissance américaine
est de plus en plus une superpuissance sans cause ou sans politique
étrangère, étant donné l’importance croissante des organisations non
gouvernementales et spécialement du monde des affaires face à
l’administration fédérale. "Au cours de l’histoire des relations diplomatiques,
les gouvernements, avec leurs ministres des Affaires étrangères, ont dominé
le paysage stratégique. C’est de moins en moins vrai aujourd’hui. (…) Les
femmes et les hommes d’affaires ne conduisent plus seulement leurs affaires,
ils sont impliqués dans presque tous les aspects de nos intérêts nationaux à
l’étranger" 237. S’il fallait citer la force principale qui a émergé sur la scène
mondiale depuis la fin de la Guerre froide, a écrit David Abshire, ce devrait
être le pouvoir exorbitant des marchés financiers mondiaux, des marchés qui
sont aujourd’hui largement au-delà du contrôle des banques centrales et des
gouvernements238. Loin de s’en inquiéter, les responsables de l’administration
Clinton semblent s’en réjouir. Pour le directeur du Policy Planning Staff au
Département d’État, James Steinberg, le rôle croissant des acteurs non
gouvernementaux, et notamment des hommes d’affaires, est largement positif
car il contribue à pénétrer les sociétés civiles étrangères par-dessus la tête
des États-nations, dont le rôle s’étiole de plus en plus239. La stratégie
culturelle et la stratégie économique des États-Unis se rejoignent. La mise en
place d’une culture globale de l’information dominée par les réseaux
américains va de pair avec l’ouverture des marchés. Cela doit permettre aux
entreprises américaines de toucher directement les consommateurs européens
sans passer par des négociations commerciales avec la Commission
européenne 240. Ici se place le projet d’un marché commun transatlantique.

VERS UNE UNION ATLANTIQUE ?

Le projet d’un accord de libre-échange transatlantique (Transatlantic Free


Trade Agreement ou TAFTA) entre l’Union européenne et les pays signataires
de l’accord de libre-échange nord-américain (NAFTA) a pour objectif
d’empêcher la constitution de deux blocs économiques adverses, l’un en
Europe, l’autre en Amérique. Comme l’a souligné le professeur Marcello de
Cecco, de l’Université de Rome, le projet est typiquement anglo-saxon en ce
sens qu’il apparaît au moment où les Européens avancent sérieusement vers
l’Union économique et monétaire (UEM) 241. C’est le même scénario que dans
les années cinquante, quand l’Association européenne de libre-échange (1959)
avait suivi de peu le traité de Rome (1957). La conclusion d’un tel accord de
libre-échange, où la question des normes de fabrication serait entièrement
laissée aux forces du marché, aboutirait inévitablement à l’adoption monotone
des standards américains dans toute l’Europe. N’importe quelle loi antitrust
s’opposerait à une telle perspective car il n’est pas du tout certain que les
standards américains soient supérieurs aux européens. Ils s’imposeraient par
la simple force de l’énorme marché américain, unifié depuis longtemps, face à
un marché européen qui n’est pas encore pleinement intégré. Depuis de
nombreuses années, les firmes multinationales américaines ont créé des
millions d’emplois en Europe. Mais, ici, il s’agit de tout autre chose. Les États-
Unis pourraient, au travers d’un TAFTA, imposer leurs réglementations en
matière de production. Les producteurs américains en retireraient d’énormes
bénéfices en pénétrant le marché européen directement à partir des États-
Unis, sans avoir à investir pour créer des emplois en Europe242.

Le projet de TAFTA participe bien d’une stratégie intégrale à l’égard de

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l’Europe. Le secrétaire américain adjoint au Commerce Jeffrey Garten voit le


traité comme renforçant le lien euro-américain en matière de sécurité, quelque
peu affaibli avec la fin de la Guerre froide. En juillet 1995, Henry Kissinger a
exprimé la même idée devant une commission du Congrès et le porte-parole
de la Chambre des représentants Newt Gingrich a explicitement accueilli l’idée
de renforcer les liens au sein de l’OTAN en englobant ses membres dans une
zone de libre-échange243. Le projet a un caractère éminemment politique. Il
vient sur la table au moment où les Européens sont empêtrés dans les
travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG) chargée de réviser le
traité de Maastricht, exactement comme le "Rapport des trois sages" était
intervenu, en 1956, pour étendre les compétences de l’OTAN, parallèlement
aux négociations qui allaient mener au traité de Rome. Aux yeux d’Ernest
Preeg, du Center for Strategic and International Studies de Washington, le
TAFTA regrouperait les démocraties industrielles au centre de l’ordre mondial.
Les États "renégats" comme la Corée du Nord ou la Libye feraient beaucoup
plus facilement l’objet d’une approche commune, débarrassée des
considérations géopolitiques traditionnelles propres aux Européens. Cela
empêcherait aussi la Russie et l’Ukraine de conclure des accords commerciaux
préférentiels avec l’Union européenne, une perspective redoutée par
Washington244.

Le TAFTA est en fait la pièce principale d’un projet plus vaste d’Union
atlantique, dont Charles A. Kupchan a tracé l’esquisse la plus complète 245.
L’Union européenne et l’OTAN fusionneraient dans une Union atlantique.
L’Union européenne abandonnerait ses aspirations fédérales en faveur d’une
extension de son marché unique vers l’est et vers l’ouest. En abandonnant ses
rêves de monnaie unique et de banque centrale, elle s’intégrera mieux à
l’économie globale. L’OTAN serait la branche armée de l’Union atlantique et
deviendrait une organisation de sécurité collective, ouverte aux nouvelles
démocraties d’Europe centrale. L’Union européenne ne peut espérer se doter
d’une Politique étrangère et de sécurité commune en même temps qu’elle
s’élargit à vingt, peut-être trente États. Le projet d’une Europe fédérale ne
peut se réaliser qu’au détriment de son élargissement. De même
l’élargissement de l’OTAN ne se ferait pas en étendant les garanties de l’Article
V du traité de Washington. Il est fort douteux que le Sénat américain ratifie la
promesse de défendre les pays d’Europe centrale et orientale. Les dirigeants
occidentaux, américains comme européens, doivent revoir leurs ambitions à la
baisse et resserrer les rangs en traitant désormais les questions de
géopolitique et de géoéconomie dans un cadre commun : l’Union atlantique.
Celle-ci serait d’abord un marché unique. Les États-Unis seraient le pivot
d’une économie globale intégrée qui comprendrait l’Union européenne, les
pays du NAFTA et ceux de la zone économique Asie-Pacifique (APEC). L’idée
d’une Europe fédérale sans les États-Unis est insupportable. Un concert
informel des principales puissances forgerait le consensus au sein de l’Union
atlantique. Le Parlement européen s’élargirait en un Parlement atlantique.
Celui-ci se chargerait notamment d’harmoniser les politiques sociales et de
développer des lois et règlements pour l’Union. Tous les types de contact
seraient promus entre les deux rives de l’Atlantique, qu’ils soient
économiques, religieux, culturels, etc. Enfin, l’Union atlantique serait le moteur
de la libéralisation globale des échanges. Face à un tel bloc, les autres régions
du monde seraient bien forcées d’ouvrir leur marché pour pouvoir accéder à
celui de l’Union atlantique. La marche géopolitique vers la régionalisation
céderait la place à la marche géoéconomique vers la globalisation.

Ceci n’est pas entièrement de la politique-fiction. En signant le Nouvel agenda


transatlantique, les Européens ont déjà accepté la création d’un "nouveau

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marché transatlantique" et le renforcement des échanges culturels avec les


États-Unis 246. Comment ces échanges pourraient-ils s’effectuer autrement
qu’à sens unique des États-Unis vers l’Europe, quand on compare la puissance
uniforme et uniformisatrice de la culture américaine à la diversité et à
l’éparpillement des cultures européennes, à moins de laisser à celles-ci la
place réservée aux folklores locaux en voie d’extinction ? Le thème d’une
"nouvelle communauté atlantique" a été officiellement exposé par Warren
Christopher en septembre 1996. On y retrouve certains traits du projet de
Charles Kupchan. L’Amérique du nord développerait un partenariat plus
approfondi avec une Europe plus large et plus intégrée, pour mener davantage
d’actions communes en Europe et dans le monde. L’OTAN serait le pilier
central de cette nouvelle communauté en matière de sécurité. Les économies
américaine et européenne seraient de plus en plus intégrées et florissantes,
grâce à la mise en place d’un marché transatlantique qui s’étendrait à l’Europe
centrale et orientale, y compris à la Russie. Celle-ci deviendrait un partenaire
de la communauté atlantique, sans toutefois en faire partie. Elle entrerait dans
une forme de coopération avec l’OTAN, exprimée dans une "charte" formelle.
La nouvelle communauté atlantique veillerait à la bonne marche du système
économique international et au fonctionnement des institutions telles que le
FMI, la Banque mondiale, l’Organisation mondiale du commerce247. Une fois
de plus, l’Union européenne est escamotée en tant qu’entité politique. Elle est
vue seulement comme un espace de marché susceptible de s’étendre à l’est
pour le plus grand profit du commerce international. Le volet "sécurité" est
entièrement pris en charge par l’OTAN, y compris dans la relation avec la
Russie. Le politique n’apparaît plus dans la relation euro-américaine.

L’EUROPE POLITIQUE : AMBIVALENCE ET SCEPTICISME

D’après Stanley Sloan, du service de recherche du Congrès, le soutien


américain à l’Union européenne est plus mitigé depuis la fin de la Guerre
froide. Maintenant que l’Europe dépend de moins en moins de la puissance
militaire des États-Unis pour sa sécurité, certains se préoccupent des
conséquences d’une plus grande autonomie européenne et de la diminution du
leadership américain. Officiellement, les États-Unis se disent en faveur d’un
"pilier" européen au sein de l’Alliance atlantique mais ils ne veulent pas d’un
"bloc" européen. Il est pourtant difficile d’imaginer un "pilier" qui n’ait pas au
moins certains des attributs d’un "bloc". L’attitude américaine face à l’Europe
est tiraillée entre trois tendances. Une école "traditionaliste" se montre
favorable à l’Europe et à son intégration. Une deuxième tendance voit dans
l’Union européenne un partenaire qui, en prenant de plus grandes
responsabilités, pourrait décharger les États-Unis d’une partie de leur fardeau.
Un troisième courant se montre plus soucieux des seuls intérêts économiques
et politiques des États-Unis et voit dans l’intégration européenne des
conséquences négatives pour ceux-ci. La politique américaine de la fin des
années 1990 reflète ces trois approches. La première domine toujours la
rhétorique officielle mais la deuxième a acquis plus de poids dans la
formulation de la politique et la troisième a gagné une influence croissante
depuis la disparition de la menace soviétique 248.

L’émergence d’une entité politique européenne est vue comme une menace
pour les intérêts américains par Samuel Huntington. Il considère que les
États-Unis doivent limiter la nouvelle puissance allemande en encourageant
l’implication de l’Allemagne dans l’OTAN et les autres organisations
internationales, travailler avec le Royaume-Uni et la France pour restreindre le

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contrôle de ces organisations par l’Allemagne, et surtout "promouvoir


l’évolution de la Communauté européenne vers une entité lâche, purement
économique, avec des membres plus nombreux, plutôt que vers une entité
politique solide dotée d’une politique étrangère intégrée" 249. Quand le général
Odom propose que l’Allemagne devienne l’alliée privilégié des États-Unis en
Europe, il ne s’écarte pas de la position de Huntington. L’Amérique
embrasserait l’Allemagne pour mieux l’étouffer. La position sur l’Union
européenne est la même. La relation franco-allemande, le développement de
l’Union européenne et de l’UEO vont à l’encontre des objectifs américains pour
l’Allemagne. L’option de l’intégration européenne est plus illusoire que réelle.
Elle ne donnerait à l’Allemagne qu’un rôle régional. Seul un lien avec les
États-Unis lui donnerait un rôle mondial à sa mesure, un second rôle bien
sûr 250. Quand le service de recherche du Congrès se penche sur l’hésitation
croissante des États-Unis à recourir à la force, il voit la possibilité que l’Union
européenne "comble le vide" comme une conséquence négative. Il ne faut pas
que l’Europe développe ses propres capacités de défense, en particulier dans
le domaine nucléaire 251.

A côté de cela, des voix américaines s’élèvent pour souhaiter un certain


partage des tâches avec l’Europe. Plusieurs membres du Congrès estiment
que les conflits gréco-turcs en mer Egée devraient être réglés par la PESC. Le
général Odom pense que la France pourrait s’occuper de l’Afrique occidentale
et sub-saharienne252. D’une manière générale, l’Europe pourrait intervenir
davantage en dehors de la zone OTAN pour préserver des intérêts occidentaux
vitaux, dans le golfe Persique par exemple 253. Mais dans la plupart de ces
projets, l’Europe n’agirait qu’en sous-ordre, au service d’une politique
déterminée principalement par les États-Unis. La reconnaissance de l’Union
européenne comme entité politique est recommandée par certains experts qui
prônent à cette fin la conclusion d’un traité euro-américain. Ils voient l’Union
européenne comme une puissance en train de s’affirmer petit à petit. Étant
donné les liens multiples que l’Europe entretient dans différentes régions du
monde, ils estiment que les États-Unis ne peuvent agir comme s’ils étaient la
seule superpuissance mondiale 254. Une telle attitude semble cependant
minoritaire, même si le discours officiel tend à l’accréditer. Les voix prônant la
fermeté face aux Européens s’élèvent sans nuance et sont parfois d’une
étonnante brutalité. Il faudrait, par exemple, que pour le bon développement
de l’OTAN en tant que pilier central de la sécurité européenne, les
gouvernements européens se fassent à l’idée que la construction européenne
a été jusqu’ici plus un problème qu’une solution ! Elle aurait perpétué, parmi
les pays d’Europe occidentale, une approche "étroite et égoïste" de la politique
mondiale. Les chimères de Maastricht devraient être abandonnées au profit de
la construction d’une nouvelle union libérale transatlantique, basée sur les
valeurs de la démocratie et du libre marché255. Sans commentaire…

S’il y a une région du monde où les États-Unis développent une stratégie


intégrale, c’est bien l’Europe. Plus qu’ailleurs, ils y voient un lien "stratégique"
entre la sécurité et l’économie. En termes simples, l’OTAN est là pour
chapeauter une association d’économies de marché essentielles aux intérêts
américains. L’extension de l’OTAN vers l’est s’inscrit dans la perspective
prometteuse de nouveaux marchés pour les produits américains. Les États-
Unis ont tout fait pour que l’identité européenne de sécurité et de défense ne
se développe pas en dehors de l’OTAN, où ils se montrent même sceptiques
sur sa réalisation. C’est au sein de l’OTAN que les Américains voient l’essentiel
du processus d’"intégration européenne". A côté, ils reconnaissent de plus en
plus le rôle important de la Commission européenne, dont l’ultralibéralisme va
dans le sens de leurs intérêts. Malgré les affirmations du Nouvel agenda

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transatlantique, les États-Unis gardent une position pour le moins ambivalente


à propos de la personnalité politique de l’Union européenne. Pour eux, celle-ci
est essentiellement un partenaire économique et commercial envers lequel il
faut déployer une stratégie économique de destruction des barrières et
d’ouverture des marchés. Sur ce point, les entreprises américaines ne sont
pas loin de dicter leurs revendications aux départements d’État et du
Commerce. Si elle voyait le jour, l’instauration d’une Union atlantique basée à
la fois sur l’OTAN et sur une zone de libre-échange euro-américaine,
représenterait le couronnement de ces efforts et ôterait toute raison d’être à
l’Union européenne. La mise sous tutelle de l’Europe serait alors complète.

________

Notes:

198 The White House, op. cit., p. 25.

199 Ibid., p. 26.

200 Ibid., p. 28.


201 Warren Christopher cité par William Perry, “NATO Enlargement”, USIS,
NATO, 23 mars 1995, p. 1.
202 “Eurosec : Holbrooke Says there is no Timetable for NATO Expansion”,
USIS, NATO, 27 février 1995, p. 2.
203 “Eizenstat on Emerging Markets, U.S.-European Trade”, USIS, 20 juin
1996, p. 2.
204 Ronald D. Asmus, Robert D. Blackwill et F. Stephen Larrabee, “Can NATO
Survive ?”, The Washington Quarterly, vol. 19, 1996-2, p. 86.
205 “Holbrooke Discusses the Future of NATO”, USIS, NATO, 6 avril 1995,
pp. 1-2.
206 “Christopher Speech in Stuttgart Sept. 6 as Prepared for Delivery”, USIS,
New Atlantic Community, 9 septembre 1996, p. 4.
207 “Slocombe 6/14 Speech at Atlantic Council on NATO Policy”, USIS, NATO
Policy, 24 juin 1996, p. 2.
208 Chris Dell, “The U.S. Approach to European Security”, U.S. Foreign Policy
Agenda, An Electronic Journal of the U.S. Information Agency, vol. 1, 1996-4,
p. 16. Chris Dell travaille au département d’État.
209 “Vershbow Remarks at Atlantic Council NATO Conference”, USIS, NATO,
18 juin 1996, pp. 2-3.
210 “Conseil de l’Atlantique nord réuni en session ministérielle, Berlin, 3 juin
1996”, Revue de l’OTAN, vol. 44, 1996-4, p. 31.
211 “Slocombe 6/14 Speech...”., p. 3.
212 Richard Holbrooke, “America, A European Power”, Foreign Affairs, vol. 74,
1995-2, p. 47.
213 John S. Duffield, “NATO’s Functions after the Cold War”, Political Science
Quarterly, hiver 1994-95, p. 775.
214 U.S. Department of Defense, United States Security Strategy for Europe
and NATO, Bruxelles, US Information Agency, automne 1995, pp. 2, 10.
215 D. M. Abshire, art. cit., p. 54.

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216 David Garnham, “Ending Europe’s Security Dependence”, The Journal of


Strategic Studies, vol. 17, 1994-4, p. 129.
217 “Joulwan Says...”, p. 1.
218 James Baker, “Une nouvelle Europe, un nouvel atlantisme : architecture
pour une ère nouvelle”, Berlin-Ouest, 12 décembre 1989, cité dans Memento
défense-désarmement 1990, Bruxelles, GRIP, 1990, p. 155.
219 Pour plus de détails sur cette période, voir notre ouvrage Europe :
repenser les alliances, Paris, Economica-ISC, 1995, pp. 109-142.
220 “Déclaration sur les relations entre la Communauté européenne et les
États-Unis”, Rome, 23 novembre 1990, cité dans Vers un nouveau partenariat.
Les relations Europe/États-Unis dans l’après-guerre froide, sous la dir. de
Nanette Gantz et John Roper, Paris, Institut d’études de sécurité de l’UEO,
1993, p. 224.
221 “Wayne Address on New Transatlantic Agenda July 4”, USIS, The
Transatlantic Agenda, 8 juillet 1996, p. 2. Anthony Wayne est chargé d’affaires
à la mission diplomatique américaine auprès de l’Union européenne.
222 The New Transatlantic Agenda, Bruxelles, US Mission to the European
Union, Public Affairs Office, p. 10.
223 Stuart Eizenstat, “A Strong European Union is in the U.S. Interest”, USIS,
European Union, 28 mai 1996, p. 2.
224 The New…, p. 39.
225 George Ball, préface à François Duchêne, Jean Monnet : The First
Statesman of Interdependence, New York, Norton, 1994, p. 9.
226 Stephen Cooney, American Industry and the New European Union,
Washington, D.C., National Association of Manufacturers, 1994, p. 8.
227 “Christopher Speech in Stuttgart...”., p. 5.
228 C. Randall Henning, “Europe’s Monetary Union and the United States”,
Foreign Policy, printemps 1996, pp. 83-100.
229 Murli D. Buluswar, “The EMU : Should the U.S. Worry ?”, American
Business Review, janvier 1996, pp. 67-72. Un ancien membre du National
Security Council, Anthony Gardner, a confié lors d’un colloque à Bruxelles en
décembre 1996 que les entreprises américaines pourraient bien être les
premières bénéficiaires d’une monnaie unique européenne, comme elles l’ont
été du marché unique. A méditer…
230 Robert D. Blackwill, “German Unification and American Diplomacy”,
Aussenpolitik, vol. 45, 1994-3, pp. 211-225.
231 Ulf Hedetoft, “National Identity and Mentalities of War in Three EC
Countries”, Journal of Peace Research, vol. 30, 1993-3, pp. 289-290, 294.
232 W. E. Odom, op. cit., p. 34.
233 Ibid., p. 37.
234 “Christopher Speech...”., p. 3.
235 “Eizenstat on...”., p. 2.
236 “EU-U.S. Summit Urged to Endorse Product Mutual Recognition Pacts”,
USIS, EU-U.S. Summit, 11 juin 1996.
237 Leslie Gelb, “Superpower Without a Cause (or a Foreign Policy)”, New

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Perspectives Quarterly, hiver 1996, p. 14.


238 D. M. Abshire, art. cit., p. 43.
239 James Steinberg, “Foreign Policy Without the Nation State”, New
Perspectives Quarterly, hiver 1996, p. 17.
240 Ben Wildavsky, “Culture Clashes”, National Journal, 23 mars 1996, p. 651.
241 “Policy Forum : Transatlantic Free Trade”, The Washington Quarterly, vol.
19, 1996-2, p. 123.
242 Ibid., pp. 126-127.
243 Paula Stern et Raymond Paretzky, “Engineering Regional Trade Pact to
Keep Trade and U.S. Prosperity on a Fast Track”, The Washington Quarterly,
vol. 19, 1996-1, pp. 217-218, 222.
244 “Policy Forum...”., pp. 108-109.
245 Charles A. Kupchan, “Reviving the West”, Foreign Affairs, vol. 75, 1996-3,
pp. 92-104.
246 The New Transatlantic Agenda…, pp. 11, 18.
247 “Christopher Speech...”., pp. 3-5.
248 Stanley R. Sloan, “U.S.-West European Relations and Europe’s Future”,
Europe and the United States. Competition and Cooperation in the 1990s,
sous la dir. de Glennon J. Harrison, Armonk, N.Y., Sharpe, 1994, pp. 163,
171-172. Cette étude a été réalisée pour la commission des Affaires
étrangères de la Chambre des représentants.
249 Samuel P. Huntington, “America’s Changing Strategic Interests”, Survival,
vol. 33, 1991-1, p. 13.
250 W. E. Odom, op. cit., pp. 34, 36, 37.
251 Congressional Research Service, op. cit., p. 5.
252 W. E. Odom, op. cit., p. 45.
253 R. D. Asmus et al., “Can NATO...”., p. 80.
254 Lily Gardner Feldman, “The EC in the International Arena : A New
Activism ?”, Europe and the United States…, pp. 158-159.
255 Douglas T. Stuart, Can Europe Survive Maastricht ?, Carlisle Barracks,
U.S. Army War College, Strategic Studies Institute, 4 février 1994, pp. 39-40.

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Neve, Joseph Henrotin

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Institut de Stratégie Comparée, Commission Française d'Histoire


Militaire, Institut d'Histoire des Conflits Contemporains

Etudes
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stratégiques

Dossiers :

. Théorie de la stratégie

. Cultures stratégiques LES FONDEMENTS DE LA STRATÉGIE INTÉGRALE


. Histoire militaire DES États-Unis EN EUROPE
. Géostratégie

. Pensée maritime
La stratégie intégrale des États-Unis en Europe ne peut être vraiment
comprise en fonction de la seule conjoncture des années 1990. Elle repose sur
. Pensée aérienne
certains fondements ancrés dans une plus longue durée. Il faut remonter à
. Profils d'auteurs 1945 pour découvrir que la stratégie de l’après-Guerre froide découle de
. Outils du chercheur l’expérience américaine des deux guerres mondiales. Cette expérience a été
. BISE synthétisée dans une conception géopolitique particulière qui, forgée dans les
années 1940, s’impose toujours aux dirigeants américains. La mondialisation
. Bibliographie stratégique
de l’économie, si elle caractérise les années 1990, s’inscrit en fait dans le
cadre d’une stratégie poursuivie par les États-Unis depuis la crise de 1929, où
Publications de référence l’Europe est considérée comme un débouché vital pour les produits américains.
Enfin la stratégie américaine repose sur des fondements culturels propres à la
Stratégique
société américaine et à son système de valeurs. Il existe au fond plusieurs
méthodes pour aborder la stratégie américaine dans la longue durée. Chacune
Histoire Militaire et Stratégie
privilégie une explication particulière en fonction d’une des disciplines voisines
Correspondance de Napoléon tant de l’histoire que des études stratégiques : les relations internationales, la

RIHM géographie politique, l’économie, la sociologie.

FONDEMENTS DIPLOMATIQUES

La vision américaine de l’Europe est toujours marquée, au plus profond, par


l’expérience coloniale d’avant l’indépendance et les discours fondateurs d’un
George Washington, d’un Thomas Jefferson et d’un James Monroe. Depuis
longtemps, les Américains nourrissent envers les Européens une attitude
ambivalente où la volonté de maintenir des liens étroits basés sur la parenté
culturelle est contrebalancée par le désir de rompre avec les origines pour
rebâtir un monde meilleur. Dans Le Papier fédéraliste n° 11, Alexander
Hamilton appelait les treize États qui formaient alors une confédération à
s’accorder en une indissoluble Union "pour former un grand système américain
au-dessus du contrôle de toute force ou de toute influence européenne, qui
leur permette de dicter les termes des relations entre l’Ancien et le Nouveau
Monde" 256. L’ambivalence a toujours caractérisé la diplomatie américaine à
propos de la construction européenne. Initialement, le soutien des États-Unis
au processus était clair mais il n’était pas tellement question, dans les années
cinquante, de construire une entité politique autonome. Dès 1945, l’idée
américaine était, selon les mots de Simon Serfaty, d’"enfermer les États-
nations européens dans une communauté d’États au sein de laquelle ils
pourraient se reconstruire mais dont ils ne pourraient pas s’échapper" 257. Le
président Truman voulait que la souveraineté des États-nations d’Europe soit
réfrénée par les obligations découlant de leur participation à un ensemble

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commun. Celui-ci ne devait pas aller trop loin sur le plan politique.
Suffisamment puissant pour contrer l’autonomie des États-nations, il ne devait
pas s’ériger lui-même en une force politique susceptible de traiter d’égal à
égal avec les États-Unis. En somme la construction européenne a été
soutenue dès ses origines par les États-Unis dans la mesure où l’entreprise
était essentiellement d’ordre économique. Encore la politique agricole
commune a-t-elle amené Washington à se poser de sérieuses questions.
Chaque fois que l’Europe prétendait, surtout par la voix de Paris, se définir
politiquement, les sourcils américains se fronçaient.

Les États-Unis veulent garder un contrôle politique de l’Europe. Avec ou sans


menace soviétique, ils sont convaincus que les États européens livrés à eux-
mêmes sont incapables d’organiser une alliance militaire efficace et que le
système des États européens tend à ne générer qu’égoïsmes nationaux et
guerres. Telle était la conviction de Jefferson, de Woodrow Wilson, de Franklin
Roosevelt 258. Le problème, c’est que, depuis 1945, beaucoup d’Européens
partagent aussi cette conviction259. L’intégration européenne a d’abord été
vue comme un moyen de gérer ce que John Foster Dulles appelait "le
problème allemand" 260. Mais il s’agissait aussi de briser les mauvaises
habitudes de tous les autres pays européens. Pour Dulles, même si la menace
soviétique disparaissait, il faudrait encore que les États-Unis empêchent les
Européens de se détruire eux-mêmes261. L’administration Kennedy affirmait
son soutien enthousiaste à l’intégration européenne et, d’une autre main,
poussait la Grande-Bretagne à entrer dans la Communauté européenne pour
rendre celle-ci compatible avec les intérêts américains, c’est-à-dire en faire
une simple zone de libre-échange. Washington faisait aussi pression sur Bonn
pour que l’Allemagne n’entre pas dans une forme de coopération plus étroite
avec la France, comme le souhaitaient Charles De Gaulle et Conrad
Adenauer 262.

Le cas d’Henry Kissinger est intéressant car il a souvent été appelé "le plus
européen" des diplomates américains. Né à Fürth en Allemagne, puis
naturalisé américain, il a toujours éprouvé un sentiment de supériorité
intellectuelle "européenne" sur son nouvel environnement. A l’université de
Harvard, il avait présenté en 1954 une thèse de doctorat remarquée sur
l’histoire diplomatique de l’Europe entre 1812 et 1822 263. Jointes à son
expérience personnelle d’émigré juif ayant fui le nazisme, ses études avaient
conféré à Henry Kissinger une connaissance de l’histoire et un sens du
tragique qu’il considérera toujours comme des qualités "européennes" par
opposition à l’innocence et à l’inexpérience américaines 264. Lorsqu’il était
professeur à Harvard, Henry Kissinger avait plaidé pour que les États-Unis
fassent preuve de plus de compréhension à l’égard de l’Europe. En 1965, dans
un essai sur l’état des relations transatlantiques, il mit le doigt sur la cause
fondamentale des malentendus entre l’Europe et les États-Unis. D’après lui,
les Américains pensaient qu’en politique la bonne volonté et une dose
suffisante d’expertise pouvaient résoudre tous les problèmes. "Quant aux
Européens, disait-il, ils vivent sur un continent couvert de ruines attestant la
faillibilité des prévisions humaines" 265. Il estimait que les mémoires des alliés
européens devaient être prises en compte par les États-Unis. Il comprenait la
volonté d’"indépendance" du général De Gaulle et s’opposait aux efforts des
administrations Kennedy et Johnson visant à empêcher la réalisation du
programme nucléaire français. D’après lui, les Américains avaient trop
longtemps cherché, pour renforcer l’OTAN, à rendre leur position dominante
psychologiquement plus acceptable pour les Européens. Ils n’étaient pas
suffisamment sensibles aux prérequis psychologiques d’une consultation réelle.

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Kissinger souhaitait une plus grande autonomie de l’Europe. Si l’Alliance


atlantique ne servait qu’à faire passer les décisions américaines, les Européens
ne seraient plus incités à agir de manière responsable 266. Une fois entré en
politique dans l’administration Nixon, Kissinger semble malheureusement,
comme l’a dit André Fontaine, avoir "cessé de comprendre ce qu’il expliquait si
bien quand il n’était que professeur à Harvard" 267. En 1973, il proposa
l’élaboration d’une "nouvelle Charte atlantique". Mais les Européens
retiendraient surtout une phrase de Kissinger où il avait déclaré que les États-
Unis avaient des responsabilités et des intérêts mondiaux, tandis que l’Europe
avait seulement des intérêts régionaux268. Durant tout le temps où il fut
secrétaire d’État, Kissinger veilla à maintenir l’hégémonie des États-Unis sur
leurs alliés européens. George Liska estime qu’il pratiqua à leur égard un
système "metternichien" : comme l’Autriche de Metternich dans l’Allemagne
post-napoléonienne, l’Amérique était la puissance dominante en Europe
occidentale 269. Les deux suprématies étaient soutenues par l’incapacité ou la
répugnance des États, respectivement allemands et européens, à s’unir
davantage autour du plus dynamique d’entre eux : la Prusse dans le premier
cas, la France gaullienne dans le second.

Il est intéressant de comparer les réactions américaines aux avancées


européennes à la fin des années cinquante et au début des années soixante
avec la fin des années quatre-vingt et le début des années quatre-vingt-dix.
En 1992, les États-Unis approuvèrent le Marché unique mais en soulignant,
dans une campagne savamment orchestrée, qu’il ne pouvait donner naissance
à une "forteresse Europe". Washington s’efforça aussi de nouer des liens
politiques plus étroits avec Bruxelles au moment où les Européens se
rapprochaient les uns des autres. Lorsque Bonn et Paris avancèrent l’idée d’un
forum européen sur les questions de défense qui permettrait à la Communauté
de parler d’une seule voix au sein de l’Alliance atlantique, Washington fit
rapidement savoir qu’il ne pouvait en être question. Son argument était
qu’une telle structure serait incapable d’agir dans une situation d’urgence. Sa
crainte non avouée était peut-être que cela marche éventuellement trop bien.
Comme en 1963, Washington cherche à casser l’axe Paris-Bonn, dont tout le
monde sait qu’il est le fondement même de la construction européenne. Celle-
ci semble décidément incompatible avec l’hégémonie à laquelle Washington
s’est accoutumée depuis 1945.

À côté de l’ambivalence américaine, il faut reconnaître qu’il y a aussi


ambivalence du côté européen. Malgré la fin de la Guerre froide, les pays
d’Europe occidentale et les anciens satellites de Moscou semblent préférer le
leadership et la protection des États-Unis à l’alternative d’une Union
européenne impliquant de réels abandons de souveraineté dans le domaine de
la défense et de la politique étrangère et la dilution de leur relation directe
avec Washington. La conséquence, c’est que les relations transatlantiques
impliquent toujours trois cadres européens différents pour ce qui est de la
sécurité, du commerce et de la diplomatie. La sécurité est traitée dans le
cadre de l’OTAN, le commerce fait intervenir l’Union européenne, la diplomatie
traditionnelle concerne les différentes capitales nationales. L’interlocuteur
européen varie suivant chaque domaine, ce qui permet à Washington de
régner. L’ambivalence américaine quant à la construction européenne, visible
depuis les années cinquante, s’explique peut-être par ce que Ronald Pruessen
appelle la "diplomatie intellectuelle du bord du gouffre" (intellectual
brinkmanship) 270. Les dirigeants américains, Dulles, Eisenhower, Kennedy,
Nixon, Kissinger, ont toujours tenu des discours favorables à la construction
européenne mais chaque fois que celle-ci débouchait sur des résultats
concrets, ils réagissaient avec méfiance et ressentiment. Autrement dit, ils se

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rendaient compte que l’Amérique avait intérêt à avoir à ses côtés une Europe
plus autonome et plus responsable mais ils se révélaient, en fin de compte,
incapables de suivre ce que cette analyse leur suggérait. A la fin, les
dirigeants américains confrontés à une Europe dynamique n’ont ni la volonté
ni la capacité de ménager une transition élégante avec la position
d’hégémonie qui est la leur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le
désir de garder les revenants-bons d’un pouvoir sans égal vient régulièrement
saper la finesse de leur jugement.

FONDEMENTS GÉOPOLITIQUES

Lorsque l’administration Clinton, en février 1995, définit la stratégie nationale


de sécurité et son application à cinq régions du monde, elle associe l’Europe à
l’Eurasie, sans préciser quelle distinction elle opère entre les deux271. Depuis
la fin de la Guerre froide, on trouve de nombreuses références à l’Eurasie,
notamment chez Samuel Huntington et Henry Kissinger 272. Pour celui-ci, "la
domination par une seule puissance d’une des deux principales sphères de
l’Eurasie - l’Europe ou l’Asie - constitue encore une bonne définition du danger
stratégique pour l’Amérique, Guerre froide ou pas Guerre froide" 273. Ce
thème a été repris en 1996 par un groupe de réflexion "bipartisan", qui
s’intitule lui-même "Commission pour les intérêts nationaux de l’Amérique", et
qui compte parmi ses membres les sénateurs démocrates Sam Nunn et Bob
Graham, le sénateur républicain John McCain et le représentant républicain Pat
Roberts. En dehors de la prévention d’une attaque nucléaire, biologique ou
chimique, ce groupe estime que la prévention de "l’émergence d’un hégémon
hostile en Europe ou en Asie" est le premier des quatre intérêts vitaux des
États-Unis 274. Le général Odom fait état d’une préoccupation similaire lorsqu’il
évoque le rôle primordial de l’Allemagne dans la nouvelle Europe. Pour lui, les
États-Unis doivent empêcher l’Allemagne de retomber dans une position
intermédiaire entre l’Est et l’Ouest ou de refaire une alliance avec la
Russie 275.

La référence à l’Eurasie et la crainte de sa domination par une puissance


hégémonique marquent le grand retour de la géopolitique dans les
préoccupations des dirigeants américains de l’après-Guerre froide. Depuis le
président James Monroe et sa "doctrine" relative à l’hémisphère occidental, les
Américains ont toujours montré un grand intérêt pour la géographie appliquée
à la politique. Les théories de la "frontière" et de la "destinée manifeste", les
écrits de l’amiral Mahan s’inscrivent aussi dans ce souci particulier de l’espace,
compréhensible dans une nation de pionniers. Au cours de la Seconde Guerre
mondiale, la Geopolitik allemande suscita naturellement la curiosité. On lui
attribuait les succès militaires d’Hitler. Les géographes américains se mirent
au service du gouvernement d’une manière et sous une forme encore plus
structurées qu’en Allemagne 276. On réédita à New York en 1942 l’ouvrage où
le Britannique Sir Halford Mackinder exposait la menace que représentait la
"terre centrale" (Heartland), dominée par la trop forte garnison allemande ou
russe. Le cauchemar pour les Anglo-Saxons était que cette terre centrale
unisse l’Europe entière sous sa férule et se dote d’une invincible puissance
maritime277. Le professeur Nicholas John Spykman nuança la thèse de
Mackinder en distinguant l’"anneau des terres" ou Rimland pour désigner les
péninsules de l’Eurasie. Les mers qui séparent l’Eurasie des grandes îles
extérieures (Grande-Bretagne, Japon, Afrique, Australie) forment un ensemble
de voies maritimes unissant isthmes et péninsules du Heartland. Au cours des
deux guerres mondiales, l’Allemagne et ses alliés ont essayé d’occuper ce

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Rimland et c’est là que se sont livrées les batailles décisives. Mackinder avait
dit : "Celui qui contrôle l’Europe de l’est domine la terre centrale ; celui qui
domine la terre centrale domine l’île mondiale ; celui qui domine l’île mondiale
domine le monde". Spykman reprenait : "Celui qui contrôle l’anneau des
terres domine l’Eurasie ; celui qui domine l’Eurasie contrôle les destinées du
monde" 278. Spykman précisa aussi quelle stratégie les États-Unis devraient
adopter après la fin des hostilités. Ils devraient s’opposer à la création d’une
sorte de fédération des États européens rassemblant vainqueurs et vaincus.
Cela affaiblirait la position des États-Unis. Ceux-ci avaient par contre intérêt à
pratiquer la politique séculaire de la Grande-Bretagne, consistant à "équilibrer"
les États européens, abaissant les grands, renforçant les petits, afin qu’aucun
ne domine les autres 279.

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les responsables américains de la


Défense, militaires et civils, établirent officiellement, bien que secrètement,
que toute puissance ou tout groupe de puissances qui essayerait de dominer
l’Eurasie devrait être considéré par les États-Unis comme potentiellement
hostile280. Bien que le père de la doctrine du containment, George Kennan,
n’ait reconnu aucune influence de Mackinder ou de Spykman, les États-Unis
n’en ont pas moins, depuis 1945, porté leur ligne de front en Eurasie281.
Fondée sur les leçons des deux guerres mondiales, cette stratégie vise à
établir un équilibre des forces sur le vieux continent et non plus seulement
entre le domaine de la puissance de la mer et celui de la puissance de la terre.
Aux distances politiques et militaires que la doctrine de Monroe entendait
mettre entre l’Amérique et l’Europe, la stratégie d’endiguement pratiquée
depuis 1945 substitue le contact aux frontières de la puissance eurasiatique
potentiellement rivale282. Celle-ci fut évidemment l’Union soviétique et
demeure, dans une large mesure, la Russie. Mais, comme le disait Spykman,
le danger peut aussi venir, pour les États-Unis, d’une fédération d’États
européens. Pour Henry Kissinger, il ne faut pas que l’Europe soit dominée par
une seule puissance : "Un tel regroupement, en effet, aurait la capacité de
surpasser l’Amérique économiquement et, à la fin, militairement. Ce danger
devrait être contré, même si la puissance dominante était apparemment
bienveillante, parce que si les intentions changeaient, l’Amérique se
retrouverait avec une capacité de résistance effective grandement diminuée et
une incapacité croissante à imprimer une direction aux événements" 283.
Henry Kissinger suggère, de manière à peine voilée, que les États-Unis ont
intérêt à s’opposer au développement d’une Union européenne capable d’agir
comme un acteur politique unique. Il rejoint le projet secret de Defense
Planning Guidance dont un journaliste avait eu vent en mars 1992 et qui
précisait que les États-Unis devraient "empêcher l’émergence de toute
superpuissance rivale en Europe occidentale, en Asie ou sur le territoire de
l’ex-Union soviétique" 284. Le fondement de ce type de discours est toujours la
géopolitique de Spykman, où l’émergence d’une fédération d’États européens
est jugée dangereuse pour l’Amérique.

FONDEMENTS ÉCONOMIQUES 1 : INTERDÉPENDANCE


ET OUVERTURE DES MARCHÉS

De même que la stratégie intégrale américaine repose sur des fondements


géopolitiques remontant aux années 1940, elle s’appuie sur des fondements
économiques établis juste après la Seconde Guerre mondiale. L’économie
américaine avait connu des transformations radicales entre la fin de la
Première Guerre mondiale et les années 30. Une croissance formidable

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caractérisa alors les grandes entreprises à gros capitaux et à technologie


avancée, les banques d’investissement et les banques commerciales orientées
vers l’étranger, qui toutes avaient pris le marché mondial comme champ
d’action. Pour les artisans de la politique étrangère américaine au sortir de la
Seconde Guerre mondiale, qui provenaient quasi exclusivement des milieux
d’affaires et de la finance de la côte est, l’économie internationale représentait
l’avenir de l’Amérique 285. Ils croyaient que les États-Unis pourraient, en
utilisant des instruments tels que le GATT et les arrangements monétaires
négociés à Bretton Woods, construire et gérer une nouvelle économie
politique, libérale et globale, où le commerce et les capitaux passeraient au-
dessus des frontières pour répondre uniquement aux lois de l’offre et de la
demande. Dans un tel univers, bien sûr, les États-Unis tireraient d’énormes
bénéfices, puisqu’ils dominaient l’économie internationale, mais le reste du
monde en profiterait aussi. Ces aspirations étaient renforcées par la mémoire
traumatisante de la grande dépression des années 30. Pour éviter un retour
de celle-ci, il n’y avait qu’une solution. Le secrétaire d’État Dean Acheson le
répétait : il ne pouvait y avoir de plein emploi et de prospérité aux États-Unis
sans les marchés étrangers. La politique étrangère et spécialement l’intérêt
des États-Unis pour l’Europe depuis 1945 ne peuvent se comprendre en
dehors de cette véritable obsession de maintenir une économie globale
ouverte.

Comme l’a remarqué l’économiste Robert Gilpin, "ce que nous appelons
aujourd’hui l’interdépendance économique internationale va tellement à
l’encontre de ce que l’humanité a généralement connu que seuls des
bouleversements extraordinaires et des circonstances radicalement nouvelles
ont pu conduire à sa mise en place et à son triomphe sur les autres modes
d’échange économique" 286. En fait plusieurs historiens et sociologues ont
constaté que le capitalisme international n’avait connu que deux âges d’or : la
période qui a suivi les guerres napoléoniennes et celle qui a suivi les deux
guerres mondiales 287. Dans les deux cas, une puissance prépondérante a pris
en charge les problèmes sécuritaires d’autres États afin qu’ils ne ressentent
point le besoin de poursuivre des politiques autarciques et qu’ils ne forment
pas des blocs commerciaux cherchant à améliorer leur position relative. Cette
sorte de suspension de la politique internationale par l’hégémonie est sans
doute le but principal de la politique extérieure des États-Unis depuis 1945. Il
s’est agi non seulement de résister à la menace soviétique mais surtout
d’essayer d’imposer une vision économique spécifique à un monde récalcitrant.
Cette politique a d’abord été subie par les deux principales puissances
d’Europe et d’Asie que les États-Unis avaient vaincues : l’Allemagne et le
Japon, qui ont pu développer ainsi, sans trop se soucier de leur défense, leur
puissance économique. Au-delà, c’est toute l’Europe occidentale qui a été
concernée par l’hégémonie américaine. Quant à la menace soviétique, qui était
réelle mais exagérée, elle était brandie pour justifier un engagement en
Europe aux yeux d’une opinion publique et d’un Congrès aux tendances
toujours isolationnistes288.

La place exacte de l’URSS dans la stratégie intégrale américaine était précisée


dans le rapport NSC-68, le document du National Security Council qui, dès
1950, a défini tout le comportement des États-Unis durant la Guerre froide.
Ce document est accessible depuis 1975. Principalement rédigé par Paul Nitze,
il reflétait les idées de Dean Acheson 289. Il y était dit que la politique
américaine de développement d’"une communauté internationale saine" serait
poursuivie "même s’il n’y avait pas de menace soviétique" 290. Une
communauté internationale saine signifiait la restauration d’une économie
mondiale ouverte où les biens et les capitaux pourraient circuler par-dessus

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les frontières nationales, pour répondre aux forces du marché. Les rédacteurs
du NSC-68 liaient néanmoins l’ordre économique international à la rivalité
avec l’Union soviétique. D’abord, les nations qui tomberaient sous l’influence
soviétique ne contribueraient certainement pas à édifier cet ordre économique
international. Ensuite, l’échec de la mise en place de celui-ci pourrait amener
au pouvoir en Europe des régimes de gauche qui verraient l’Union soviétique
avec plus de sympathie. Une politique de réarmement présentait l’avantage de
répondre aux deux défis. A court terme, les rédacteurs du NSC-68
entretenaient la confusion entre les motivations politico-militaires et les
motivations économiques, afin d’obtenir l’assentiment du Congrès. Ils tenaient
cependant à garder à l’esprit la distinction, "pour des objectifs stratégiques à
long terme" 291. Les dirigeants américains craignaient par-dessus tout que
l’Europe, dont la position économique s’était détériorée par rapport à l’avant-
guerre, ne s’isole de l’économie américaine et qu’elle n’organise le commerce
avec ses colonies ou ex-colonies d’Asie et d’Afrique d’une manière bilatérale
qui découragerait la pénétration américaine dans ces régions. En 1947, les
importations de produits américains en Europe avaient déjà décliné par
manque de moyens pour financer les achats et le contrôle de l’économie était
en passe de s’intensifier. C’est dans ce contexte que fut lancé le plan Marshall.
Celui-ci permit aux Européens de continuer à acheter américain. Mais pour
convaincre le Congrès, il fallut brandir la menace soviétique, en l’exagérant
quelque peu. Les dirigeants américains soutinrent les efforts d’intégration
européenne pour accroître l’efficacité des nouveaux investissements et,
surtout, pour que cette intégration serve d’étape intermédiaire à la
participation des Européens à une économie mondiale ouverte. La construction
européenne légitimait aussi l’objectif américain, controversé à l’époque, de
restauration industrielle de l’Allemagne, indispensable pour la participation
future de l’Europe à une économie mondiale ouverte.

En 1949 l’Union soviétique faisait exploser sa première bombe atomique. Alors


que les Européens ne désiraient pas que la tension monte entre l’URSS et les
États-Unis, ceux-ci se mirent à craindre une "finlandisation" de l’Europe, et en
particulier une neutralisation de l’Allemagne. Les dirigeants américains
s’efforcèrent alors d’inclure l’Allemagne de l’Ouest dans une alliance
occidentale et le secrétaire d’État Dean Acheson n’accepta de négocier une
réduction des tensions qu’en position de force. Le NSC-68 proposait justement
de créer cette position de force par une politique de réarmement massif. Les
dépenses militaires américaines seraient multipliées par trois et les pays alliés
recevraient une aide susbstantielle pour se réarmer eux aussi.

FONDEMENTS ÉCONOMIQUES 2 : UN KEYNESIANISME MILITAIRE

Il semble que les rédacteurs du NSC-68 aient été influencés par la pensée de
John Maynard Keynes et qu’ils aient vu les dépenses militaires comme un
moyen de stimuler l’activité économique292. La logique du NSC-68 était
simple. Pour résoudre le problème du capitalisme mondial et les difficultés de
créer une économie mondiale ouverte, un expédient à court terme consistait à
tout subordonner à la riposte au défi militaire soviétique. Certaines voix
s’opposèrent à cette stratégie, notamment celle de George Kennan, qui n’était
pas des moindres. Mais la guerre de Corée vint donner une puissante
justification aux orientations du NSC-68. La politique de réarmement prit tout
son sens dans le contexte tendu des années cinquante. Elle biaisa toutefois la
politique étrangère américaine pour des générations en la militarisant.
L’héritage du NSC-68 a pesé sur les administrations Kennedy et Carter

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lorsque, confrontées à de sérieux obstacles dans leurs initiatives de politique


intérieure et à une détérioration des relations avec les alliés européens, elles
ont remilitarisé la politique étrangère en accroissant le budget de la défense et
en adoptant un ton plus ferme envers Moscou. Depuis les années cinquante,
l’Alliance atlantique agit comme une structure créée en grande partie par le
NSC-68 qui empêche les dirigeants américains de trop s’éloigner du
keynesianisme militaire. Au fur et à mesure que l’Europe occidentale a
développé sa puissance économique, les conflits d’intérêt potentiels se sont
multipliés avec les États-Unis et ceux-ci ont de plus en plus mis en avant le
caractère indispensable de leur protection militaire, au point d’en convaincre la
majeure partie des élites européennes. La fin de la Guerre froide aurait dû
mettre fin à cette pratique. Mais les États-Unis ont tout fait pour qu’il n’en soit
rien, allant jusqu’à raviver les tensions avec Moscou en lançant le programme
d’élargissement de l’OTAN.

Le keynesianisme militaire est en contradiction avec la théorie économique


libérale, dont la stratégie américaine accepte, en matière de libre-échange, les
implications économiques mais pas les implications politiques. Plutôt que de
souscrire à la conception libérale classique selon laquelle le libre-échange crée
automatiquement une harmonie d’intérêt naturelle entre les États, ce qui
conduit à la paix, la stratégie intégrale des États-Unis confie à l’instrument
militaire la tâche d’imposer l’harmonie pour que le libre-échange puisse
fonctionner. Les engagements américains en matière de sécurité sont
considérés comme indispensables au bon fonctionnement de l’interdépendance
économique. Plutôt que de stimuler la paix, celle-ci est à son tour invoquée
pour justifier une présence militaire américaine en Europe après la Guerre
froide, et notamment une intervention en ex-Yougoslavie. Alors que la fin de
la Guerre froide pourrait entraîner une baisse substantielle des dépenses de
défense, une pression énorme s’est développée dans plusieurs États
américains pour que le Pentagone ne ferme plus de bases militaires et pour
qu’il ne réduise plus ses commandes. Une bonne partie de l’emploi, aux États-
Unis, dépend des industries de défense. L’OTAN sert souvent d’alibi au
maintien d’un niveau élevé de dépenses militaires et beaucoup ne tiennent pas
à ce que les Européens dépensent davantage pour leur défense car cela
amènerait ceux-ci à développer davantage leurs propres industries
d’armement 293. Tout se passe comme si la guerre ou sa préparation
continuelle était nécessaire à la prospérité économique américaine.

La logique de l’interdépendance économique conduit à la multiplication des


engagements de sécurité américains, ce qui fait réagir certains "réalistes" 294.
Qu’il s’agisse d’un empire du libre-échange ou d’un empire par invitation,
ceux-ci considèrent que le rôle impérial des États-Unis en Europe étend les
frontières de l’insécurité. Si l’Union européenne était obligée de pourvoir à sa
propre sécurité, avec des forces conventionnelles accrues et ses propres armes
nucléaires, elle émergerait en tant que grande puissance et se conduirait
comme un acteur politique indépendant. Les stratèges américains estiment
qu’une telle "renationalisation" - qui serait aussi une "européanisation" -
détruirait le cadre de réassurance et de stabilité censé assurer les intérêts
américains. Tout ce qui peut menacer l’interdépendance économique a
remplacé le marxisme-léninisme au titre de bête noire globale de l’Amérique.
On dirait que la "théorie des dominos" est passée du domaine politique au
domaine économique. Tout risque d’instabilité, même dans une région de peu
d’importance économique comme l’ex-Yougoslavie, est censé pouvoir infecter
d’autres régions réputées essentielles - en l’occurrence l’Europe. Pour cette
"stratégie de prépondérance", l’Union soviétique était, en quelque sorte,
l’adversaire idéal. Sans être suffisamment puissante pour être vraiment
dangereuse, elle était cependant assez menaçante pour que les Européens se

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blottissent dans les structures sécuritaires et économiques construites par les


Américains après 1945. Celles-ci forment un tout et, pour beaucoup
d’Américains, en retirer un élément équivaudrait à faire s’écrouler tout
l’édifice.

FONDEMENTS ÉCONOMIQUES 3 : L’INDISPENSABLE LEADERSHIP

La stratégie intégrale mise en place dans les années cinquante est toujours
valable. Selon des experts de la RAND Corporation, elle a tellement bien réussi
aux États-Unis qu’il serait folie d’en changer 295. Cinquante ans avant Bill
Clinton, le secrétaire d’État James Byrnes soulignait déjà que, pour les États-
Unis, la politique internationale était inséparable de la politique intérieure et
que les relations extérieures affectaient l’emploi aux États-Unis. D’après cette
équation, plus faible est la croissance économique américaine, plus l’Amérique
doit poursuivre avec énergie la stabilisation du monde. Le sénateur républicain
Richard Lugar l’a dit très clairement en juillet 1993 lorsqu’il en a appelé à un
leadership américain pour revitaliser l’OTAN. Selon lui, la capacité américaine
d’exporter sur les marchés extérieurs dépend du degré de stabilité et de
sécurité dans l’environnement international, que seuls la puissance et le
leadership des États-Unis peuvent assurer.

L’OTAN joue le premier rôle dans cette stratégie 296. Un rapport récent du
Pentagone confirme qu’"un aspect souvent ignoré de l’importance de l’Europe
pour la sécurité nationale des États-Unis est le bénéfice économique énorme
que les Américains retirent de leur relation de coopération avec cette région
prospère et dynamique" 297. Les liens développés avec les alliés à l’intérieur
de la "zone de stabilité" défendue par l’OTAN génèrent des emplois pour les
travailleurs américains, des investissements et des profits pour le monde
américain des affaires 298. On est tenté de dire qu’avec la disparition de la
menace soviétique, les dirigeants américains se sentent obligés de recourir
publiquement à de tels arguments ou qu’ils se sentent tenus, enfin, de dire
toute la vérité. On comprend toute l’importance de l’extension vers l’est de la
"zone de stabilité" et donc de l’OTAN : il s’agit là d’un "investissement de
sécurité" susceptible de rapporter les mêmes bénéfices économiques. Pour les
Américains, l’OTAN est une de ces institutions de coopération globale et
régionale qu’il faut revitaliser au même titre que le Fonds monétaire
international, la Banque mondiale ou l’OCDE, car elle assure également, ainsi
que l’a dit Warren Christopher, la continuité de ce "mouvement historique vers
des sociétés ouvertes et des marchés ouverts" 299. Le Pentagone affirme, dans
un rapport largement diffusé auprès du public spécialisé européen, qu’une
OTAN préservée et renforcée continuera à être le vecteur principal du
leadership américain sur l’Europe300. Si les États-Unis restent engagés en
Europe, c’est qu’ils en tirent d’énormes bénéfices en tant que leader. Pour le
général Joulwan, cela aide les États-Unis "à imprimer une direction aux
événements pour qu’ils rencontrent les objectifs nationaux américains" 301.
Pour le général Shalikashvili, le leadership "nous a donné l’influence pour
redessiner l’ordre économique mondial d’une manière convenant à nos propres
système et nécessités économiques" 302. En exerçant notre puissance militaire
en Europe au travers de l’OTAN, confiait un jour un diplomate américain, nous
sommes capables "de dicter aux Européens ce que nous voulons dans toute
une série de domaines : le commerce, l’agriculture, le Golfe, n’importe
quoi" 303.

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L’OTAN a finalement dû prouver qu’elle était capable d’agir dans l’interminable


conflit yougoslave, elle a dû être validée en tant qu’instrument de sécurité
pour l’Europe de l’après-Guerre froide, sinon toute la stratégie américaine en
Europe risquait de se trouver en porte-à-faux. Le général Odom a clairement
indiqué, en novembre 1992, que les impératifs économiques dictaient aux
États-Unis d’intervenir militairement avec l’OTAN dans l’ex-Yougoslavie. "Seule
une OTAN forte, disait-il, avec au centre l’implication des États-Unis, peut
empêcher l’Europe occidentale de dériver vers l’esprit de clocher national et
une éventuelle régression par rapport à son niveau actuel de coopération
économique et politique… Cette tendance au désordre affectera non seulement
les intérêts de sécurité des États-Unis mais aussi leurs intérêts économiques.
Notre interdépendance économique avec l’Europe occidentale crée un très
grand nombre d’emplois aux États-Unis. Ainsi, la Yougoslavie constitue un test
du ressort de la communauté atlantique. C’est en fait un défi stratégique
majeur pour le leadership américain" 304.

La notion de leadership est évidemment centrale dans la stratégie intégrale


américaine. Elle est tout simplement jugée indispensable pour la bonne
marche du capitalisme mondial. L’économiste Jeffrey Sachs, de l’université de
Harvard, estime qu’il existe une opportunité sans précédent de créer un
système international prospère mais qu’il faut absolument éviter un
affaiblissement du leadership américain et "des relations fractionnées entre les
démocraties industrielles" 305. Si l’on suit ce raisonnement, il implique, comme
le disait le Defense Planning Guidance de 1992, de "décourager les nations
industrielles avancées de mettre en cause le leadership américain ou même
d’aspirer à un rôle global ou régional plus important" 306. Les États-Unis
doivent donc protéger les intérêts de pratiquement toutes les grandes
puissances afin que celles-ci n’acquièrent pas les capacités de se protéger
elles-mêmes, c’est-à-dire qu’elles n’agissent pas comme des grandes
puissances, car cela dérangerait l’hégémonie américaine, cruciale pour la
stabilité du monde307. Le commentateur Walter Russell Mead s’est fait l’écho
de la solution adoptée par les États-Unis à propos de ce véritable dilemme de
la politique de sécurité. Car il a souvent prôné une réduction des engagements
américains à l’extérieur et une relation plus coopérative que dominatrice avec
les alliés. Il ne peut s’empêcher pourtant d’être effrayé par les conséquences
qu’aurait pour les États-Unis un abandon de leur leadership. Selon lui, les
États-Unis ne peuvent même pas permettre à leurs "partenaires" d’assumer la
responsabilité première pour les questions d’instabilité qui affectent pourtant
en premier lieu ces partenaires. Il considère qu’une Europe fermée
économiquement serait "un pistolet braqué sur le cœur de l’Amérique" : "Dans
un effort bien intentionné pour stabiliser l’Europe orientale, l’Europe
occidentale, conduite par l’Allemagne, pourrait établir quelque chose comme le
système continental prévu par Napoléon. L’Europe de l’est et l’Afrique du nord
fourniraient les matières premières, certains produits agricoles et une main
d’œuvre industrielle bon marché. L’Europe de l’ouest fournirait le capital et
abriterait les industries de pointe et à haute valeur ajoutée… Une telle Europe
placerait inévitablement la majeure partie de son capital dans sa propre
arrière-cour et fermerait ses marchés à ses compétiteurs du reste du monde.
Elle produirait ses magnétoscopes en Pologne plutôt qu’en Chine ; elle
achèterait son blé en Ukraine plutôt que dans les Dakotas" 308.

Le débat sur le rôle des États-Unis dans l’après-Guerre froide a tourné autour
de généralités sur l’unipolarité, l’isolement ou l’engagement. Pour Benjamin C.
Schwarz, ces discussions passent à côté de l’essentiel. Les Américains doivent,
comme l’avait fait George Kennan dans les années cinquante, faire face au
dilemme inhérent à la définition de leur prospérité en termes de sécurité

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économique à l’extérieur. Kennan se demandait à propos de cette "stratégie


de sécurité nationale" quelle en était le but véritable. La continuation de
l’expansion économique ? Mais celle-ci ne pourrait aller encore plus loin sans
créer de nouveaux problèmes de sécurité nationale plus rapidement que les
États-Unis ne pourraient les résoudre 309. En fait tout changement significatif
dans cette stratégie nécessite des changements radicaux dans l’économie et le
mode de vie des Américains.

FONDEMENTS CULTURELS

La politique étrangère américaine s’est toujours drapée de légalisme et de


moralisme. Les Américains ont, depuis les origines de leur nation, considéré
celle-ci comme une terre d’élection, une "cité sur la montagne". Ils se sont
toujours senti un zèle missionnaire pour répandre à travers le monde, et
notamment dans la vieille Europe corrompue et cynique, les bienfaits de la
démocratie, de la liberté et du progrès. Tout ce prêchi-prêcha n’a jamais
empêché les dirigeants américains de mener une politique réaliste, basée sur
la géopolitique et les intérêts économiques 310. Parmi les caractéristiques de la
culture stratégique américaine, la dimension de la conviction morale mérite
que l’on s’y attarde. Jean Barréa a analysé la stratégie nucléaire américaine,
et plus spécialement le concept de "destruction mutuelle assurée", en fonction
de la célèbre distinction de Max Weber entre éthique de conviction et éthique
de responsabilité 311. Celui qui agit selon l’éthique de conviction dirait, dans un
langage religieux : "Le chrétien fait son devoir et, en ce qui concerne le
résultat de l’action, il s’en remet à Dieu". Celui qui agit selon l’éthique de
responsabilité dirait par contre : "Nous devons répondre des conséquences
prévisibles de nos actes" 312. Si les conséquences de son action s’avèrent
fâcheuses, celui qui agit par conviction en attribuera la responsabilité au
monde, à la sottise des hommes ou à la volonté de Dieu. Il ne se remettra
pas lui-même en question. Il ne se sentira responsable que de la nécessité de
veiller sur la flamme de la pure doctrine afin qu’elle ne s’éteigne pas. Max
Weber notait que le partisan de l’éthique de conviction faisait "brusquement
volte-face", qu’après avoir prêché la doctrine de l’"amour opposé à la force", il
devenait souvent un "prophète millénariste" faisant appel à l’ultime force pour
aboutir à l’anéantissement final de toute violence. En fait on peut dire que
cette caractéristique culturelle n’explique pas seulement la stratégie des
"représailles massives" et de la destruction mutuelle assurée. Elle se trouve au
cœur de la stratégie intégrale des États-Unis et elle explique en particulier leur
façon de traiter l’Europe.

L’expansion de l’OTAN vers l’est relève manifestement de l’éthique de


conviction. Elle est vue comme un problème moral, sans considération de la
situation réelle en Europe centrale et orientale 313. L’argument avancé est
double. Il s’agit d’une part d’étendre un système qui a fait ses preuves en
Europe occidentale : ici réside le fondement de la conviction. Les dirigeants
américains préviennent ensuite que personne ne pourra apposer son veto au
projet d’élargissement. La force de leur conviction les empêche de voir toutes
les conséquences de leur acte et leur permet d’esquiver la question de la
responsabilité. Celle-ci est, par avance, imputée à l’adversaire du projet. Dans
la stratégie de destruction mutuelle assurée, l’Amérique poussait sa liberté à
l’égard d’elle-même jusqu’à être suicidaire et à entraîner son adversaire avec
elle. Le projet d’expansion de l’OTAN est peut-être moins risqué mais il refuse
lui aussi de prendre en compte les conséquences d’un regain de tension avec
Moscou. Celui qui est sans doute le plus grand spécialiste américain des

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questions de sécurité liées à la Russie, le professeur Raymond L. Garthoff, a


bien résumé le problème en concluant de la sorte un de ses derniers
ouvrages : "Les États-Unis, avec leur forte tradition de se voir un rôle
missionnaire pour la démocratie dans le monde, tendance renforcée par la fin
de la Guerre froide et la chute du communisme et, au moins pour l’instant,
leur nouveau rôle d’unique superpuissance, pourraient chercher à dominer la
relation américano-russe plus qu’ils ne devraient" 314.

Ce n’est pas la première fois que son éthique de conviction emprisonne la


stratégie américaine dans un tel "dilemme de la sécurité". En 1948-1949 déjà,
les dirigeants politiques et militaires américains se rendaient compte que leurs
initiatives visant à reconstruire l’Europe occidentale et à assurer sa sécurité, à
"combler le vide" en Méditerranée et à restaurer le Japon pouvaient être
perçues comme menaçantes par les Soviétiques. Un fonctionnaire du
département d’État, Llewellyn Thompson, confiait début 1949 : "Les mesures
que nous avons l’intention de prendre vont certainement accroître le danger
que les Russes puissent trouver désirable de frapper avant qu’elles deviennent
effectives" 315. Bien sûr les dirigeants américains ne souhaitaient pas la
guerre ; ils voulaient la paix et la sécurité. Mais ils réalisaient que leur
conception de la sécurité pourrait être incompatible avec celle de l’Union
soviétique, parce que cette conception impliquait la remise sur pied des
ennemis de la Russie, l’établissement de bases américaines sur la périphérie
de la Russie et la création d’une alliance militaire occidentale. Les dirigeants
américains étaient convaincus qu’ils n’avaient pas d’alternative parce que leur
conception de la sécurité nationale impliquait nécessairement le contrôle du
"Rimland" eurasiatique et de son marché. Si cela signifiait que la guerre
devenait plus probable, il était alors nécessaire de s’assurer de plus grandes
capacités militaires, ce qui se traduisit par une augmentation considérable du
budget américain de la défense.

Il semble bien que nous soyons là en présence de quelques uns des


fondements culturels de la stratégie américaine. D’après Alastair Iain
Johnston, la référence empirique essentielle d’une culture stratégique est une
gamme limitée et hiérarchisée de préférences stratégiques constantes à
travers le temps 316. On peut conclure à l’existence d’une culture stratégique si
l’on trouve une constance dans la hiérarchisation des préférences sur une
longue durée. La fin des années 1940 est l’époque où s’est formée la stratégie
intégrale des États-Unis telle qu’elle existe encore à la fin des années 1990.
Nous l’avons constaté à propos des fondements diplomatiques, à propos des
fondements géopolitiques, à propos des fondements économiques. Un certain
nombre de croyances et de règles de décision se sont imposées aux dirigeants
américains confrontés depuis 1945 à des responsabilités mondiales qu’aucun
pays n’avait connues auparavant. S’est alors constituée une culture
stratégique dont la "dimension intégrale" incorporait avant tout une série de
considérations diplomatiques, géopolitiques et économiques. Pour Alastair Iain
Johnston, si une culture stratégique peut affecter un comportement, c’est en
limitant les options. C’est bien ce qui se produit depuis 1945. Les dirigeants
américains semblent prisonniers d’une gamme très limitée de choix.

________

Notes:

256 Bernard E. Brown, L’État et la politique aux États-Unis, traduit de


l’américain, Paris, PUF, 1994, p. 43.

257 “Policy Forum...”., p. 119.

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258 John Lamberton Harper, American Visions of Europe. Franklin D.


Roosevelt, George F. Kennan, and Dean G. Acheson, Cambridge, Cambridge
University Press, 1994, p. 338.
259 Josef Joffe, “Europe’s American Pacifier”, Foreign Policy, n° 54, printemps
1984, pp. 64-82.
260 Ronald W. Pruessen, John Foster Dulles : The Road to Power, 1888-1952,
New York, The Free Press, 1982.
261 Déclaration devant le Conseil de l’Atlantique nord, le 14 décembre 1953
(U.S. Department of State, Foreign Relations of the United States, 1952-1954,
vol. V, pp. 461-468).
262 J. L. Harper, op. cit., p. 339.
263 Henry A. Kissinger, A World Restored, New York, Universal Library Edition,
1964, traduit en français sous le titre Les chemins de la paix, Paris, Denoël,
1972.
264 Bruce Mazlish, Kissinger, portrait psychologique et diplomatique, traduit
de l’américain, Bruxelles, Complexe, 1977, pp. 232-233.
265 Henry A. Kissinger, The Troubled Partnership : A Re-Appraisal of the
Atlantic Alliance, New York, McGraw-Hill, 1965, pp. 23-24.
266 Ibid., pp. 233-234.
267 André Fontaine, Le dernier quart de siècle, Paris, Fayard, 1976, p. 23, cité
par Alfred Grosser, Les Occidentaux. Les pays d’Europe et les États-Unis
depuis la guerre, Paris, Fayard, 1978, p. 343.
268 Henry A. Kissinger, Les années orageuses, traduit de l’américain, 2 vol.
Paris, Fayard, 1982, I, p. 172.
269 George Liska, Beyond Kissinger : Ways of Conservative Statecraft,
Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1975, pp. 64-65, 87.
270 R. W. Pruessen, op. cit.
271 The White House, op. cit., p. 25.
272 S. Huntington, art. cit., pp. 11-13.
273 Henry A. Kissinger, Diplomacy, New York, Simon and Schuster, 1994, p.
813.
274 “New Group Seeks to Revive Attention to Foreign Policy Issues”, USIS,
U.S. Foreign Policy, 19 juillet 1996. Les autres intérêts vitaux sont : prévenir
l’émergence d’une grande puissance hostile sur les frontières des États-Unis
ou au contrôle des mers ; prévenir une catastrophe dans un des grands
systèmes globaux : commerce, marchés financiers, approvisionnement en
énergie, environnement ; assurer la survie des alliés des États-Unis.
275 W. E. Odom, op. cit., p. 37.
276 Marco Antonsich, “De la Geopolitik à la Geopolitics. Transformation
idéologique d’une doctrine de puissance”, Stratégique, n° 60, 1995-4, pp. 53-
87.
277 Halford F. Mackinder, Democratic Ideals and Reality : A Study in the
Politics of Reconstruction, Londres, Constable, 1919.
278 Nicholas J. Spykman, The Geography of the Peace, New York, Harcourt,
Brace and Company, 1944.

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279 Nicholas J. Spykman, America’s Strategy in World Politics. The United


States and the Balance of Power, New York, Harcourt, Brace, 1942.
280 Melvyn P. Leffler, “The American Conception of National Security and the
Beginnings of the Cold War, 1945-48”, American Historical Review, vol. 89,
1984-2, p. 356.
281 Michael P. Gerace, “Between Mackinder and Spykman : Geopolitics,
Containment and After”, Comparative Strategy, vol. 10, 1991-4, pp. 347-364.
282 Pierre M. Gallois, Géopolitique. Les voies de la puissance, Paris, Plon-
FEDN, 1990, p. 404.
283 H. A. Kissinger, Diplomacy, p. 813.
284 Cité par Ronald D. Asmus, “Le nouveau débat sur la stratégie
américaine”, Vers un nouveau partenariat…, p. 112.
285 Benjamin C. Schwarz, “Cold War Continuities : US Economic and Security
Strategy Towards Europe”, The Journal of Strategic Studies, vol. 17, 1994-4,
p. 85.
286 Robert Gilpin, War and Change in World Politics, Cambridge, Mass.,
Cambridge University Press, 1981, p. 130.
287 Arthur A. Stein, “The Hegemon’s Dilemma : Great Britain, the United
States and the International Economic Order”, International Organization, vol.
38, 1984-2, pp. 355-386 ; Immanuel Wallerstein, Geopolitics and Geoculture :
Essays on the Changing World-System, Cambridge, Cambridge University
Press, 1991.
288 B. C. Schwarz, art. cit., pp. 86-87.
289 Bruce Cumings, “Kennan, Containment, Conciliation : The End of Cold War
History”, Current History, novembre 1995, p. 361.
290 Fred Block, “Economic Instability and Military Strength : The Paradoxes of
the 1950 Rearmement Decision”, Politics and Society, vol. 10, 1980-1, p. 38.
291 Ibid., p. 41.
292 Ibid., p. 47.
293 David Garnham, “Ending Europe’s Security Dependence”, The Journal of
Strategic Studies, vol. 17, 1994-4, p. 138.
294 Christopher Layne et Benjamin Schwarz, “American Hegemony - Without
an Enemy”, Foreign Policy, n° 92, automne 1993, p. 13.
295 R. D. Asmus et al., art. cit., p. 86.
296 Richard Lugar, “NATO : Out of Area or Out of Business”, USIS,
8 juillet 1993, pp. 3-4.
297 U.S. Department of Defense, United States Security Strategy for Europe
and NATO, Bruxelles, USIS, automne 1995, p. 2.
298 Le général Joulwan, commandant suprême allié en Europe, a utilisé les
mêmes arguments devant la Commission sur la sécurité nationale de la
Chambre des représentants (“Joulwan says U.S. Must Remain Involved in
Europe”, USIS, 6 mars 1995, p. 3). L’ambassadeur Richard Holbrooke a parlé
dans le même sens devant une sous-commission du Sénat (“Holbrooke
Discusses the Future of NATO”, USIS, 6 avril 1995, p. 1).
299 “Christopher Cites...”., p. 3.

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300 U.S. Department of Defense, op. cit., p. 4.


301 “Joulwan Says...”., p. 1.
302 John Shalikashvili, “U.S. Military Strategy for the 1990’s”, USIS, 18 mars
1994, p. 3 (discours prononcé à la National Defense University, à
Washington).
303 John S. Duffield, “NATO’s Functions After the Cold War”, Political Science
Quarterly, hiver 1994-1995, pp. 785-786.
304 Cité par C. Layne et B. Schwarz, art. cit., p. 11.
305 Jeffrey D. Sachs, “Consolidating Capitalism”, Foreign Policy, printemps
1995, p. 52.
306 The New York Times, 8 mars 1992.
307 B. C. Schwarz, art. cit., p. 89.
308 Walter Russell Mead, “An American Grand Strategy : The Quest for Order
in a Disordered World”, World Policy Journal, vol. 10, printemps 1993, p. 21.
309 B. C. Schwarz, art. cit., p. 97.
310 Bruno Colson, “La culture stratégique américaine”, Stratégique, n° 38,
1988-2, pp. 18-21, 29.
311 Jean Barréa, “Cultures politico-stratégiques de “conviction” et de
“responsabilité” : essai d’analyse non stratégique de données militaires”,
Stratégique, n° 45, 1990-1, pp. 49-84.
312 Max Weber, Le savant et le politique, traduit de l’allemand, Paris, Plon,
1959, pp. 172-174.
313 Certains Américains le disent avec franchise en dehors des cercles
“officiels” : le professeur John Peterson l’a affirmé lors d’une table-ronde
organisée par l’Université libre de Bruxelles le 3 mai 1996 et a été approuvé
par Paul Gallis, du Congressional Research Service.
314 Raymond L. Garthoff, The Great Transition. American-Soviet Relations and
the End of the Cold War, Washington, D.C., The Brookings Institution, 1994,
p. 793.
315 Cité par M. P. Leffler, art. cit., p. 397.
316 Alastair Iain Johnston, “Thinking about Strategic Culture”, International
Security, vol. 19, 1995-4, pp. 32-64.

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stratégiques

Dossiers :

. Théorie de la stratégie

. Cultures stratégiques CONCLUSION


. Histoire militaire
Les États-Unis ont une stratégie intégrale, même si leur politique étrangère ne
. Géostratégie
se définit plus que par les concepts assez flous de l’engagement et de
. Pensée maritime
l’élargissement. Cette stratégie intégrale s’appelle "stratégie nationale de
. Pensée aérienne sécurité" et elle est définie par la Maison Blanche. Elle se fonde d’abord sur
. Profils d'auteurs les multiples capacités militaires des États-Unis. La stratégie militaire reste le
noyau dur de la stratégie intégrale. C’est la seule qui fasse l’objet d’une
. Outils du chercheur
définition supplémentaire et plus approfondie, de la part du président des
. BISE
chefs d’état-major intégrés. L’exécutif américain définit donc la stratégie
. Bibliographie stratégique intégrale et il maîtrise d’abord la stratégie militaire. Il définit aussi une
stratégie économique. En un certain sens, celle-ci est d’abord l’affaire du
Publications de référence
secteur privé mais les autorités fédérales s’efforcent de lui préparer le terrain,
essentiellement pour lui permettre d’exporter dans les meilleures conditions.
L’administration Clinton a particulièrement insisté sur cette dimension de la
Stratégique stratégie nationale de sécurité. Il n’y a pas de stratégie culturelle américaine
Histoire Militaire et Stratégie définie explicitement par la Maison Blanche en dehors d’une volonté de faire

Correspondance de Napoléon progresser la démocratie dans le monde. Mais une stratégie culturelle
transparaît derrière les puissants moyens mis à la disposition de l’Agence
RIHM
américaine d’information. Les nouvelles technologies de la communication et
de l’information offrent à cet égard des possibilités accrues.

Les Européens, et spécialement leurs forces armées, ont l’habitude depuis les
années 1940 de suivre attentivement les évolutions de la stratégie militaire
américaine. Ils sont peut-être moins nombreux à percevoir l’imbrication des
intérêts militaires et économiques des États-Unis sur le vieux continent. Les
fondements de la stratégie intégrale des États-Unis remontent eux aussi aux
années 1940 et ils combinent des motivations diplomatiques, géopolitiques et
économiques qui ont pris un tel aspect de permanence et de limitation des
choix qu’elles définissent une véritable culture stratégique américaine. Les
dirigeants américains, en cette fin de millénaire, font constamment référence à
l’après-1945, dont ils entendent bien prolonger les avantages retirés par les
États-Unis. Les continuités l’emportent donc sur les ruptures, malgré la chute
du Mur de Berlin et l’implosion de l’Union soviétique. La stratégie militaire
américaine le proclame officiellement 317. C’est aussi l’avis de Bob Dole : la fin
de la Guerre froide n’a pas changé les intérêts centraux de l’Amérique318. Les
intérêts domestiques qui se sont constitués autour du système d’endiguement
à la fin des années 1940 restent dominants aux États-Unis. L’endiguement
s’adressait non seulement à l’ennemi mais aussi aux alliés. Il était de plus
doublé d’un autre système, celui de l’hégémonie, qui donnait aux États-Unis
des moyens de pression sur leurs concurrents économiques. Les deux
systèmes sont toujours en place319. Les Européens ne parviennent pas à
imposer des alternatives car ils comptent en leur sein des forces favorables au
statu quo qui paralysent constamment celles qui voudraient aller de l’avant.

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Tout le monde aura reconnu la Grande-Bretagne. Certaines voix américaines


soulignent pourtant que la stratégie de la Guerre froide ne peut plus être
suivie étant donné la dilution et en même temps l’extension des frontières de
l’insécurité. L’élargissement de l’OTAN et les nouvelles missions qui lui sont
confiées signifient, en fait, une multiplication des responsabilités de
Washington, ce qui vient contredire la volonté de déposer ou au moins
d’alléger le fardeau pour revenir aux problèmes intérieurs. En matière d’ordre
économique international aussi, les États-Unis sont placés devant un dilemme
caractéristique de la puissance hégémonique et que met en évidence le
Congrès, chaque fois que certains de ses membres sont tentés par un
protectionnisme commercial qui contredit les professions de foi de
l’administration en un système mondial ouvert 320.

Alors qu’il n’y a plus de menace soviétique, la dépendance des Européens vis-
à-vis des États-Unis en matière de sécurité relève d’un anachronisme patent.
L’inertie en est la cause mais de puissantes motivations de politique intérieure
y contribuent aussi. Si l’énorme industrie américaine des armements a intérêt
à ce que l’OTAN subsiste telle quelle et se trouve de nouvelles missions, la
pression qui s’exerce en Europe va plutôt dans le sens d’une réduction des
dépenses militaires car, plus qu’aux États-Unis, celles-ci entrent en
concurrence avec les dépenses sociales. La présence militaire des États-Unis
en Europe permet à la plupart des pays européens de limiter leurs forces
armées. Aux yeux de nombreux gouvernements, ceci vaut bien de laisser aux
Américains le leadership dans l’OTAN. Seuls les États-Unis, pense-t-on
également, sont assez puissants pour jouer un rôle de balancier interne en
Europe. Et comme c’est une puissance non continentale, elle ne suscite pas la
crainte d’une domination militaire 321. Ces arguments sont sans doute
pertinents mais il faut alors expliquer clairement quelles en sont les
conséquences et oser dire que la première de celles-ci en est l’incapacité de
l’Union européenne à exister stratégiquement et politiquement. Loin de
diminuer, l’influence américaine en Europe n’a fait, au contraire, que
s’accroître depuis la fin de la Guerre froide, de l’aveu même de John
Kornblum, un des meilleurs spécialistes des questions européennes au
département d’État322. A la veille de prendre ses fonctions comme secrétaire
d’État, Madeleine Albright a remercié son prédécesseur et le président Clinton
d’avoir, par leurs efforts, établi sur du solide le leadership américain en
Europe323. John Kornblum a précisé sa pensée le 8 octobre 1996 : "Au cours
des trois dernières années, nous avons mis en place une stratégie d’action qui
nous permettra d’imprimer une direction à ces événements plus que jamais
auparavant. Pour cela nous utiliserons les grandes ressources de nos relations
traditionnelles. Le rôle des États-Unis sera central" 324.

Ce qui est peut-être le plus inquiétant dans cette approche américaine de


l’Europe, c’est une certaine mise à l’écart du politique. D’une manière
générale, on peut constater une sorte d’évacuation de la politique dans
l’élaboration, la formulation et l’application de la stratégie américaine en cette
fin du XXe siècle. La National Security Strategy, on l’a vu, est formulée de
façon plus explicite que la politique étrangère, alors qu’elle est censée traduire
celle-ci en modes d’action spécifiques. Qui plus est, la stratégie nationale de
sécurité se base sur un document qui redéfinit les tâches des forces armées,
la Bottom-Up Review. Au lieu de partir des finalités politiques, la Maison
Blanche s’est tout compte fait basée sur les missions que pourraient remplir
les forces armées dans le monde de l’après-Guerre froide. Le politique s’efface
aussi devant l’économique. L’administration Clinton a affirmé que l’objectif
prioritaire de sa politique étrangère était la mise sur pied du système
commercial global le plus ouvert de l’histoire. La notion d’élargissement

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recouvre davantage une réalité économique qu’une réalité politique : l’objectif


est que se multiplient, si possible les démocraties de marché, à défaut les
économies de marché. Les nouvelles technologies en matière d’information
peuvent aussi contribuer à évacuer la politique car elles permettent de
communiquer directement et instantanément avec les publics étrangers, par-
dessus la tête des gouvernements nationaux. Enfin l’OTAN, qui est au cœur de
la stratégie américaine en Europe, se résume trop souvent dans le discours
américain à la structure militaire intégrée. La dimension politique est sous-
évaluée dans l’Alliance, comme elle l’est dans la vision américaine de l’Union
européenne. Celle-ci est vue comme une simple entité économique, sans
identité politique. Les questions politiques européennes, liées aux États-
nations, à leur histoire, à leur culture, ont toujours agacé les dirigeants
américains, qui préfèrent réduire le dialogue transatlantique à sa dimension
sécuritaire, traitée par l’OTAN, et à sa dimension économico-commerciale, où
le partenaire privilégié est la Commission européenne, un organe dépourvu de
légitimité politique au sens propre du terme. Washington entretient
évidemment des relations diplomatiques bilatérales avec les alliés européens
mais, chaque fois que l’Europe apparaît comme telle, c’est soit dans un cadre
militaire, l’OTAN, soit dans un cadre économique, celui des négociations
commerciales. En privilégiant d’une part la structure militaire intégrée, d’autre
part la Commission européenne, les États-Unis tendent à évacuer au
maximum la dimension proprement politique de leurs relations avec l’Europe,
pour qu’émerge bon gré mal gré un "consensus" qu’ils sont seuls capables
d’orchestrer. L’approche consensuelle implique le conformisme et le rejet du
politique. Il y a là une tendance profonde de la société américaine et, plus
précisément, de la conception américaine de la politique en cette fin du XXe
siècle 325. C’est paradoxal pour la patrie de la Déclaration d’indépendance et
de la Constitution de 1787, qui "inventa la république"326. Mais le paradoxe
n’est peut-être qu’apparent. Il n’affecte pas l’autonomie politique des États-
Unis. Comme l’a remarqué Lucien Poirier, les États européens sont "captifs de
systèmes d’alliances dont ils ne peuvent et ne veulent s’évader" et "sont
irréversiblement engagés dans un délicat processus d’organisation
transnationale", tandis que les États-Unis conservent l’ancien statut d’État-
nation bénéficiant d’une complète autonomie de décision327.

________

Notes:

317 U.S. Joint Chiefs of Staff, op. cit., p. 20.

318 B. Dole, art. cit., p. 35.

319 B. Cumings, art. cit., p. 363.


320 Arthur A. Stein, “The Hegemon’s Dilemma : Great Britain, the United
States and the International Economic Order”, International Organization, vol.
38, 1984-2, pp. 355-386.
321 J. S. Duffield, art. cit., p. 777 ; Charles L. Glaser, “Why NATO is Still Best.
Future Security Arrangements for Europe”, International Security, vol. 18,
1993-1, p. 22.
322 “U.S. Outlines Elements of European Security Architecture”, USIS,
Defense, 25 janvier 1995.
323 “Madeleine Albright...”., p. 4.
324 “Kornblum 10/8 Remarks at the Atlantic Council”, USIS, U.S. & Europe,

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29 octobre 1996, p. 5.
325 Pierre Birnbaum, La fin du politique, Paris, Seuil, 1975 ; nouvelle édition
augmentée d’une postface, Hachette-Pluriel, 1995.
326 Denis Lacorne, L’invention de la république : le modèle américain, Paris,
Hachette, 1991.
327 Lucien Poirier, La crise des fondements, Paris, ISC-économica, 1994,
p. 122.

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stratégiques

Dossiers :

. Théorie de la stratégie

. Cultures stratégiques Orientation bibliographique


. Histoire militaire

. Géostratégie

. Pensée maritime
Deux documents officiels américains sont d’un intérêt fondamental. Le premier
. Pensée aérienne est diffusé par la Maison Blanche : A National Security Strategy of
. Profils d'auteurs Engagement and Enlargement, Washington, D.C., Government Printing Office
. Outils du chercheur (GPO), février 1995. Le second émane du Président des chefs d’état-major :
National Military Strategy of the United States of America. A Strategy of
. BISE
Flexible and Selective Engagement, Washington, D.C., GPO, février 1995. On
. Bibliographie stratégique ajoutera un important rapport du Pentagone sur les directions à donner à la
réforme des forces armées : Directions for Defense. Report of the Commission
Publications de référence on Roles and Missions of the Armed Forces, Washington, D.C., GPO, 1995. Les
discours et conférences de presse des membres de l’administration et des
hauts responsables militaires sont diffusés à partir des ambassades
Stratégique
américaines par l’U.S. Information Agency.
Histoire Militaire et Stratégie

Correspondance de Napoléon Plusieurs ouvrages sont déjà parus sur les nouvelles orientations de la
RIHM politique étrangère américaine depuis la fin de la Guerre froide mais il s’agit
davantage d’analyses prescriptives que descriptives. On retiendra James
Chace, The Consequences of the Peace. The New Internationalism and
American Foreign Policy, New York, Oxford University Press, 1992, et plus
encore Rethinking America’s Security. Beyond Cold War to New World Order,
sous la dir. de Graham Allison et Gregory F. Treverton, New York, Norton,
1992. L’essai de Joseph S. Nye, Jr., Bound to Lead :The Changing Nature of
American Power, New York, Basic Books, 1990, reste intéressant. À propos des
nouvelles relations avec la Russie, il faut consulter le kremlinologue américain
le plus chevronné Raymond L. Garthoff, The Great Transition. American-Soviet
Relations and the End of the Cold War, Washington, D.C., The Brookings
Institution, 1994. Les changements stratégiques et la nouvelle "révolution
militaire" sont abordés par le général William E. Odom, America’s Military
Revolution : Strategy and Structure after the Cold War, Washington, D.C.,
American University Press, 1993. Eliot Cohen a donné un point de vue
différent dans la revue Commentary (novembre 1994) : "What to do about
National Defense". Le regard porté par Alain Joxe sur la guerre du Golfe,
L’Amérique mercenaire, Stock, 1992, reste intéressant pour éveiller la
sensibilité critique des Européens vis-à-vis de la superpuissance américaine.
La place de l’Europe dans la politique étrangère américaine depuis 1945 a fait
l’objet d’un excellent ouvrage de John Lamberton Harper, American Visions of
Europe. Franklin D. Roosevelt, George F. Kennan, and Dean G. Acheson,
Cambridge, Cambridge University Press, 1994.

Parmi les articles de revues les plus importants de ces dernières années, on
retiendra d’abord un numéro spécial du Journal of Strategic Studies sur
l’avenir de l’OTAN (vol. 17, n° 4, décembre 1994) et singulièrement la

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contribution de Benjamin C. Schwarz, "Cold War Continuities : US Economic


and Security Strategy Towards Europe". On notera aussi : Charles A.
Kupchan, "Reviving the West" (Foreign Affairs, vol. 75, 1996-3), Christopher
Layne et Benjamin Schwarz, "American Hegemony - Without an Enemy"
(Foreign Policy, n° 92, automne 1993), Joseph S. Nye, Jr. et William A.
Owens, "America’s Information Edge" (Foreign Affairs, vol. 75, 1996-2). Bien
que datant de 1984, l’article d’un historien ayant consulté certaines archives
longtemps inaccessibles demeure fondamental pour comprendre l’après-Guerre
froide à la lumière de l’après-1945 : Melvyn P. Leffler, "The American
Conception of National Security and the Beginnings of the Cold War, 1945-
48", American Historical Review, vol. 89, 1984-2.

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