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BIBLIOTHÈQUE D'HUMANISME ET RENAISSANCE
organe d'Humanisme et Renaissance

(association régie par la loi de Juillet 1901)

PRÉSIDENT :

Abel Lefranc
Membre de Г Institut

COMITÉ DE RÉDACTION :

A. Chastel, F.'Desonay, E. Droz, Michel François, J. Frappier


J. Lavaud, R. Marichal, Pierre Mesnard, Ch. Perrat,
V. L. Saulnier, E. Telle, A. Vernet

REVUE paraissant trois fois par an, publiée par la Librairie E. DROZ
Tome XIV - Mars 1952

Abonnement annuel: 22 francs suisses ou $ 6.50

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BIBLIOTHEQUE D'

HUMANISME
ET

RENAISSANCE

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Copyright by E. Droz, Geneve (Switzerland)

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LISTE DES SOUSCRIPTEURS

ACHIMOTA, University College Library, Gold Coast.


ADLER (Alfred), professeur au Central Michigan College.
AKATEEMINEN KIRJAKAUPPA, Helsinki.
AMHERST, College Library.
ALGER, Bibliothèque universitaire.
AMIENS, Bibliothèque municipale.
ANGERS, Bibliothèque municipale.
ANNANDALE ON HUDSON, Bard College Library.
ARGENCES (H. d'), Paris.
ARGENCES (d'), libraire, Melun.
AURORA, Wells College Library.
AUSTIN, University of Texas Library.
BÂLE, Bibliothèque de l'Université.
BALKEMA, libraire, Cape Town.
BARCELONE, Institut d'cstudis catalans.
BATAILLON (Marcel), professeur au Collège de France.
BATON ROUGE, Louisiana State University.
BAUERMEISTER, libraire, Edimbourg.
BEDARIDA (Henri), professeur à la Sorbonne.
BELFAST, Queens University Library.
BERNE, Bibliothèque de la ville.
BERTHOUD (Mlle Gabrielle), Neuchâtel.
BESANÇON, Bibliothèque de l'Université.
BLACKWELL, libraire, Oxford, 16 souscriptions.
BLOIS, Bibliothèque du Château.
BLOOMINGTON, Indiana University Library.
BOGOTÁ, Instituto Caro y Cuervo.
BONN a. Rh., Séminaire roman de l'Université.
BORDEAUX, Bibliothèque de la Ville.
BORDEAUX, Bibliothèque de l'Université.
BOTTEGA D'ERÄSMO, libraire, Turin.
BOWES & BOWES, libraires, Cambridge.
BRUNSWICK, Bowdoin College Library.
BRUXELLES, Ecole royale des Cadets
BRYN MAWR, College Library.
BUCHHOLZ, libraire, Lisbonne, 5 souscriptions.
BUDAPEST, Bibliothèque de l'Université.
CAEN, Bibliothèque de l'Université.
CAMBRIDGE, Harvard College Library.
CAMBRIDGE, University Library.

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XXXII LISTE DES SOUSCRIPTEURS

CARDIFF, University College of South Wales and Monmouthshire.


CARPENTRAS, Bibliothèque Inguimbertine.
CHAMBURE (Mme H. de), Paris.
CHAMPAGNAC (A.), Brives.
CHAPLAIN (R.), Bayeux.
CHARLIER (G.), professeur à l'Université, Bruxelles.
CHASTEL (André), professeur à Г Ecole des Hautes Etudes, Paris.
CHIAPPELLI (F.), professeur à l'Université, Lausanne.
CHICAGO, Newberry Library.
CHICAGO, University Library.
CHINON, Mairie.
CINCINNATI, University Library.
CITÉ DU VATICAN, Bibliothèque apostolique vaticane.
CLAEYS-YERHEUGHE, libraire, Gand.
COLOGNE, Séminaire roman de l'Université.
COLUMBIA, LTniversity Library of Missouri.
COLUMBIA, University of South Carolina Library.
COLUMBUS, Ohio State University Library.
COOK (A. L.), Victoria College, Toronto.
CURTIUS (Ernst Robert), Bonn.
DE GRÈVE (Marcel), Bruxelles.
DEMOGÉ (Mme L.), Paris.
DESONAY (F.), professeur à l'Université, Liège.
DETROIT, University Library.
DIETRICH, libraire, Bruxelles.
DIJON, Bibliothèque universitaire.
DOUCHIN (Jacques), agrégé de l'Université, Paris.
DRAGHI, libraire, Padoue.
DROZ (E.), Genève.
DUPRAT (Mrae C.), Paris.
EAST LANSING, Michigan State College Library.
EDIMBOURG, University Library.
ERLANGEN, Séminaire roman de l'Université.
EUGENE, University of Oregon.
EVANSTON, Northwestern University Library.
Б' AUS (К.), professeur d'Université, Paris.
F AWT 1ER (R.), membre de l'Institut, Paris.
FLORENCE, Biblioteca Facoltà di Magistero.
FLORENCE, Biblioteca Medicea Laurenziana.
FLORENCE, Biblioteca Marucelliana.
FORGET (Mireille), archiviste paléographe, Toulon.
FOYER S. BENOÎT, Corbières, Fribourg.
FRANCKÉ, libraire, Berne, 3 souscriptions.
FRANÇOIS (Michel), secrétaire général du Comité international
des sciences historiques, Paris.

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LISTE DES SOUSCRIPTEURS XXXIII

FRANÇON (Marcel), prof, à Harvard University, Cambridge, Mass.


FRANKLIN (В.), libraire, New- York.
FRAPPIER (Jean), professeur à la Sorbonne.
FRIBOURG, Bibliothèque de Г Université.
FRIBOURG en Br., Bibliothèque de l'Université.
FRIBOURG en Br., Séminaire roman de l'Université.
GANSHOF (F. L.), professeur à l'Université, Gand.
GARIN (Eugenio), professeur à l'Université, Florence.
GENÈVE, Archives d'Etat.
GENÈVE, Bibliothèque publique et universitaire.
GENÈVE, Musée historique de la Réformation.
GÖTEBORG, Stadsbibliotek.
GOTHIER (F.), libraire, Liège.
GRENOBLE, Bibliothèque de l'Université.
GROŇINGUE, Bibliothèque de l'Université.
GUIGHARD (C.), Paris.
HAENTZSGHEL, libraire, Göttingeil.
HAMBOURG, Bibliothèque de la Ville.
HEFFER & SONS, libraires, Cambridge.
HEIDELBERG, Bibliothèque de l'Université.
HEIDELBERG, Séminaire roman de l'Université.
HELBING & L ICHTENHAHN, libraires, Bâle.
HOUSTON, Rice Institute Library.
HUTTON (James), professeur à Cornell University, Ithaca.
KIEL, Bibliothèque de l'Université.
INTERNATIONAL UNIVERSITY BOOKSELLERS, Londres,
2 souscriptions.
IOWA CITY, State University Library.
ITHACA, Cornell University Library.
JACKSON SON, libraire, Glasgow.
JERUSALEM, The Jewish and National Library.
KINGSTON, Queen's University.
KLINCKSIECK, libraire, Paris, 10 souscriptions.
LAFONTAINE (abbé G.), Villance-Libin.
LAUGHLIN (Fr. I. M. O.), Hobart & William Smith Colleges,
Geneva, N.Y.
LAUSANNE, Bibliothèque cantonale et universitaire.
LAUSANNE, Bibliothèque de la Faculté de théologie de l'Eglise libre.
LAVAL, Bibliothèque de la Maison Saint-Michel.
LAVAUD (Jacques), professeur à l'Université, Poitiers.
LAV OC AT, libraire, Paris.
LAWRENCE, University of Kansas Library.
LEBÈGUE (R.), professeur à la Sorbonne.
LECLER (le R. P.), Paris.
LECOY (Félix), professeur au Collège de France.

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XXXIV LISTE DES SOUSCRIPTEURS

LEEDS, Bibliothèque de l'Université.


LEFRANC (Abel), membre de l'Institut, Paris.
LE GENTIL (P.), professeur à la Sorbonne.
LE SAULCHOIR-ETIOLLES, Bibliothèque des Facultés domini-
caines.
LEWISBURG, Bucknell University Library.
LEXINGTON, University of Kentucky Library.
LEYDE, Bibliothèque de l'Université.
LEYENBERGER, libraire, Bruxelles.
LILLE, Bibliothèque universitaire.
LILLE, Faculté des Lettres de l'Université.
LIMOGES, Bibliothèque municipale.
LINCOLN, University of Nebraska Library.
LISBONNE, Institut français au Portugal.
LONDRES, Birkbeck College Library.
LONDRES, Queen Mary College.
LONDRES, University Library.
LONDRES, Warburg Institute.
LOS ANGELES, University of Southern California Library.
LOUNZ (G.), libraire, New-York.
LOUVAIN, Bibliothèque de l'Université.
LUBRANO (A.), libraire, Naples.
LUCQUES, Biblioteca governativa.
LUND, Bibliothèque de l'Université.
LYON, Bibliothèque de l'Université.
LYON, Bibliothèque de la Ville.
LYON, Bibliothèque des Facultés catholiques.
MADISON, University of Wisconsin Library.
MAÏER (Mlle I.), professeur agrégée, Paris.
MAISON DU LIVRE ITALIEN, Paris, 2 souscriptions.
MARCEL (abbé R.), Paris.
MAREDSOUS, Bibliothèque de l'Abbaye.
MARGUERON (Claude), Paris.
MARINELLI (Guido), Paris.
MARINIS (T. de), Florence.
MARSEILLE, Bibliothèque municipale.
MAURY (P.), professeur agrégé de l'Université, Paris.
MAYENCE, Séminaire roman de l'Université.
MESNARD (Pierre), professeur à l'Université, Alger.
MEYLAN (Henri), professeur à l'Université, Lausanne.
MILAN, Biblioteca dell'Università cattolica.
MILAN, Biblioteca nazionale Braidense.
MILAN, Università Bocconi.
MINNEAPOLIS, University Library of Minnesota.
MONFRIN (Jacques), Ecole française, Rome.

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LISTE DES SOUSCRIPTEURS XXXV

MONTPELLIER, Bibliothèque universitaire.


MONTRÉAL, Bibliothèque de la Ville.
MONTRÉAL, Institut d'études médiévales.
MORETUS (le R.P.), Facultés Notre-Dame de la Paix, Namur.
MOREUX (J. Ch.), Paris.
MORGANTOWN, West Virginia University Library.
MOSCOU, Bibliothèque de l'Académie.
MOULINS, Archives départementales de l'Allier.
MULLER (chanoine A.), professeur à l'Institut catholique, Paris.
MUNICH, Bayerische Staatsbibliothek.
NAEF (H.), conservateur du Musée gruérien, Bulle.
NANCY, Bibliothèque de l'Université.
NANTES, Bibliothèque municipale.
NAPLES, Istituto italiano di Studi storici.
NAVILLE, libraire, Genève.
NEUCHÂTEL, Bibliothèque publique.
NEUCHÂTEL, Séminaire d'italien de l'Université.
NEW BRUNSWICK, Rutgers University Library.
NEWCASTLE UPON TYNE, King's College Library.
NEW-YORK, Columbia University Library.
NEW-YORK, Fordham University Library.
NEW- YORK, Washington Square Library.
NIJHOFF, libraire, La Haye, 14 souscriptions.
NIK LAUS (Robert), professeur à l'Université, Manchester.
NORDISKA BOKHANDELN, Stockholm.
NORMAN, University of Oklahoma Library.
NORTHAMPTON, Smith College Library.
NOTRE DAME, University Library.
OBERLIN College Library.
ORLÉANS, Bibliothèque municipale.
ORR (Dr H. Winnett), Lincoln.
OXFORD, Bodleian Library.
PAATZ (W.), professeur à l'Université, Heidelberg.
PÀLLASSE (Dr E.), Lyon.
PARIS, Archives nationales.
PARIS, Bibliothèque de la Sorbonne.
PARIS, Bibliothèque historique de la Ville.
PARIS, Collège de France.
PARIS, Ecole nationale des Chartes.
PARIS, Ecole normale supérieure.
PARIS, Ecole normale supérieure de jeunes filles.
PARIS, Institut de français de la Sorbonne.
PARIS, Institut catholique.
PARIS, Institut de recherche et d'histoire des textes.
PARKER (The Rev. T. M.), Oxford.

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XXXVI LISTE DES SOUSCRIPTEURS

PERRAT (Ch.), professeur à l'Ecole nationale des Chartes.


PERRIN (Ch. Edmond), professeur à la Sorbonne.
PÉZARD (André), professeur au Collège de France.
PINTAR!) (René), professeur à la Sorbonne.
PISE, Biblioteca della Scuola normale superiore.
POITIERS, Bibliothèque de l'Université.
POITIERS, Musées.
POUGHKEEPSIE, Vassar College Library.
PROVIDENCE, Brown University Library.
PROVOST (Ch.), Paris.
PULLMAN, State College of Washington Library.
RAU (Arthur), Paris.
RAYMANN (P.), libraire, Paris.
REICHNER (H.), libraire, New- York.
RENNES, Bibliothèque de l'Université.
RENOUVIN (P.), membre de l'Institut, Paris.
RICHTER (Bodo), Philadelphie.
ROME, Biblioteca storia moderna e contemporanea.
ROME, Institut suisse.
ROTTERDAM, Bibliothèque de la Ville.
ROUEN, Bibliothèque municipale.
RUCHON (François), docteur ès lettres, Genève.
SAINT LOUIS, Washington University Library.
SARRAILH (Jean), recteur de l'Académie de Paris.
SARREBRUCK, Bibliothèque universitaire.
SAULNIER (V.-L.), professeur à la Sorbonne.
SCHALK (F.), professeur à l'Université, Cologne.
SCHELER (Lucien), Paris.
SCHIFF-WERTHEIMER (D1 Suzanne), Paris.
SCHWEINITZ (MUe M. de), Vassar College, Poughkeepsie.
SCHWEIZERISCHES VEREINSSORTIMENT, Ölten, 3 souscript.
SEATTLE, University of Washington Library.
SEIVER (George О.), professeur à l'Université, Philadelphie.
SILVER (I.), professeur à University of Connecticut, Storrs.
STANFORD, University Library.
STATE COLLEGE, Pennsylvania State College Library.
STECHERT-HAFNER, libraires, New- York.
STELLING-MICHAUT (S.), professeur à l'Université, Genève.
STEVENS (Linton С.), professeur à l'Université, University, Ala.
STRASBOURG, Bibliothèque nationale et universitaire.
STRASBOURG, Institut de littérature française de la Faculté des
Lettres de l'Université.

SUWE-ER1CSSON (L), docteur ès lettres, Östersund.


SWARTHMORE, College Library.
SWETS ET ZEITLINGER, libraires, Amsterdam, :> souscriptions.

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LISTE DES SOUSCRIPTEURS XXXVII

SYRACUSE, University Library.


TAFFIN-LEFORT (Jean), Lille.
TANNER, libraire, Bále.
TELLE (E. V.), professeur à l'Université, Lincoln.
THIN, libraire, Edimbourg, 2 souscriptions.
THOMPSON (Craig R.), professeur à Lawrence College, Appleton.
THOMSON (S. H.), professeur à l'Université, Boulder.
TO FF AN ÍN (Guiseppe), professeur à l'Université, Naples.
TORONTO, Bibliothèque de l'Université.
TOULOUSE, Bibliothèque de la Ville.
TOULOUSE, Bibliothèque universitaire.
TOULOUSE, Institut catholique.
TOURS, Archives départementales.
TOURS, Bibliothèque de la Ville.
TRENKLE (G.), libraire, Planegg, 2 souscriptions.
TUCSON, University of Arizona Library.
TUEBINGEN, Bibliothèque de l'Université.
TURIN, Biblioteca Facoltà di Magistero.
TURIN, Biblioteca nazionale.
TYLER (Mlle A. E.), Somerville College, Oxford.
UNIVERSITY, Ala, University Library.
UPSAL, Bibliothèque de l'Université.
URBANA, University Library of Illinois.
YAN CAMPENHOUT, libraire, Bruxelles.
VANCOUVER, Bibliothèque de l'Université.
VERNET (André), secrétaire de l'Ecole nationale des Chartes.
VERSAILLES, Bibliothèque de la ville.
WASHINGTON, Catholic University library.
WELLESLEY, College Library.
WILKINSON (Tudor), Paris.
WILL (Samuel F.), professeur à l'Université d'Indiana, Bloomington.
YZEURE, Bibliothèque du Scolasticat.
ZELLER (Gaston), professeur à la Sorbonne.
ZINK (К.), libraire, Munich.
ZURICH, Zentralbibliothek.

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Mélanges

AUGUSTIN RENAUDET

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UN HISTORIEN DE L'HUMANISME:

AUGUSTIN RENAUDET

En manière d'envoi:

Ce que représente, mon cher ami, de conquêtes pour


l'histoire, je ne dirai pas ton œuvre : elle n'est point terminée,
et nous attendons tous ton Dante humaniste comme un fruit
nouveau de ta fécondité ; précisons, si tu veux, la partie de
ton œuvre qui déjà est tombée dans l'usage commun - on
a bien voulu me demander de le dire en tête de ce recueil,
composé par quelques-uns de tes pairs et de tes disciples.
On a eu raison.
Non parce que je t'aime bien : tu le sais, et je le sais,
depuis la rentrée d'octobre 1897 à Louis-le-Grand, qui nous
fit voisins sur les bancs de la « Rhétorique supérieure » -
mais ces sentiments-là ne regardent que nous deux. On a eu
raison parce que, contemporains à quelques mois près et
pénétrant fraternellement dans les jardins assez mal tenus
de Clio, nous n'avons point tardé à y rencontrer, devant nous
un même mur compact de préjugés solidaires. Et nous
l'avons troué, ce mur ; nous l'avons percé largement ; nous
avons fait passer nos idées à travers les brèches : si complè-
tement que personne aujourd'hui, des hommes plus jeunes
qui nous suivent, ne peut se représenter avec exactitude ni
ce que furent les obstacles qu'il fallut surmonter, ni ce qui,
dans la victoire commune, doit porter ton nom : mais c'est
le sort paradoxal de toute conquête dans l'histoire des idées.
Ou bien les conceptions neuves ne triomphent pas - et
volontiers on les laisse pour compte à leur auteur en conti-
nuant à les désigner de son nom ; ou bien elles séduisent,
persuadent, se font adopter et puis transformer : les voilà
sur l'heure qui deviennent classiques - c'est-à-dire anonymes.
L'histoire ignore les chasses réservées. De ce qu'elle
s'approprie dans l'œuvre d'un auteur, par ce qu'elle y recon-
naît quelque nouvelle approche de la fuyante vérité, elle fait
aussitôt un bien de tous et de personne : res nullius. Et c'est
la récompense des bons historiens - mais l'amitié veut plus.
Plus de justice individuelle. Et voilà pourquoi c'était à moi
sans doute - à moi le premier, le plus ancien témoin de ton

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VIII LUCIEN FEB VRE

labeur d'historien - q
nous as apporté d'esse
veux dire, d'adapté au
Laisse-moi donc quitte
tant usé, jadis, quand
travers le passé. Je te
quelles dettes les histo
et de ton labeur aujou

Il y a quarante-deux ans, dans une Revue d'apparence maussade


(le soleil de la Réformation se levait bien sur sa couverture, mais
sans parvenir à l'illuminer) - un article paraissait, si copieux qu'on
eût pu le qualifier de « Mémoire ». Titre : Jean Standonck, un Réfor-
mateur catholique avant la Réforme . Signature : Augustin Renaudet.
Et certes, les jeunes gens avides de savoir qui, entre 1897 et 1900,
tournaient en rond dans la grande cour du lycée Louis-le-Grand
ou, plus tard, 45, rue d'Ulm, discutaient d'idées avec passion dans
les turnes enfumées du rez-de-chaussée ou dans les salles fraîches
de la Bibliothèque - tous savaient déjà ce que ce nom représentait
d'espérances. Les autres non. Le public cultivé (à supposer qu'il ait
une autre existence que celle de la Licorne ou du Gatoblépas) -
outre qu'il ne fréquente guère ce Bulletin de la Société de l'Histoire
du Protestantisme français - qui, par cette cascade même de génitifs,
semble rompre en visière avec tout souci d'élégance formelle - ce
fameux public n'est jamais que le rassemblement fortuit de quelques
ouvriers de la onzième heure. Aussi ne fûmes-nous pas très nombreux,
dans les revues du temps, à célébrer comme il convenait cet événe-
ment toujours émouvant : le début encore un peu gêné, mais plein
de promesses, d'un historien digne de ce beau nom г.

*
* *

Un historien. Et de fait, en 1908, de par la vertu de l'agrégation,


le sort en était jeté. Renaudet était historien classé, catalogué et
patenté. Constatation qui ne paraît point appeler d'autres commen-
taires. Nous sommes modestes, nous, les ouvriers des Sciences
humaines. La « poétique », au sens où l'entendait Valéry quand il en
discourait devant les auditoires de notre vieux Collège - la poétique

1 Cf. mon article de la Revue de Synthèse Historique , t. XVII, 1908, pp. 199-205 :
La Préréforme catholique en France ďaprés M. Augustin Renaudet.

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AUGUSTIN RENAUDET IX

ne nous semble point faite pour nous. On entre à l'Ecole Normale,


à la Sorbonne, à la Faculté de Droit, à l'Ecole des Chartes : on en
sort avec, en poche, un certificat d'agrégé ou un diplôme d'archiviste
paléographe ; que chercher de plus ? Cependant, toute une science
reste à créer, une science des affinités d'idées et de sentiments qui
déterminent les « vocations » - affinités dont aucun psychologue ne
se soucie d'examiner les racines ni d'établir les connexions.
En fait, était-il nécessaire qu'Augustin Renaudet pensât, rédigeât
et signât Préréforme et Humanisme , Machiavel et les Etudes Er as-
miennes, plutôt qu'une thèse sur Zénon d'Elée, j'imagine ; ou de
savantes recherches sur le Concile de Nicée ; ou quelque gros livre
sur la perspective chez les peintres du Quattrocento ? 1 - « Oui,
certes, puisqu'il le voulut ainsi ». - J'entends. Mais d'abord, un
homme, même de premier plan, peut se tromper sur sa vocation.
Michelet enseignait à l'Ecole Normale l'histoire et la philosophie.
Quand il apprit qu'on allait dédoubler sa chaire et le cantonner dans
le seul... et modeste enseignement de l'histoire universelle - il fut
très ému. Et protesta en haut lieu, avec vigueur mais, heureusement
sans succès, qu'il était créé et mis au monde pour enseigner et pro-
mouvoir en France la philosophie écossaise. Or, pour le jeune Renau-
det des années 1900, l'histoire n'était pas la seule possible des acti-
vités intellectuelles. Il y avait en lui, notamment, un goût, un sens,
une curiosité de la Grèce - peut-être en partie héritée - qui pouvait
lui faire prédire une belle carrière d'helléniste ? Il y avait en lui,
pareillement, un goût, un sens, une curiosité des antiquités chré-
tiennes qui, s'alliant à ses moyens d'helléniste, pouvait fort bien
l'entraîner sur des chemins peu fréquentés par les Français d'alors.
Et enfin, il y avait la Renaissance : tout spécialement la Renaissance
italienne, ses hommes d'Etat, ses doctrinaires et surtout ses artistes.
Nous lûmes côte-à-côte Rurckhardt, si j'ai bonne mémoire, dans la
médiocre traduction qu'en avait donné chez Pion en 1885 un profes-
seur de Condorcet : un Rurckhardt déjà alourdi par d'intempérantes
notes de Geiger. Mais nos cœurs bondissaient à la pensée qu'un jour,
nos pas à nous aussi sonneraient sur les larges dalles des rues flo-
rentines. On ne saura jamais combien, en 1900, la Culture de la
Renaissance en Italie pouvait exciter l'esprit de jeunes Français
avides de remonter aux sources de leur civilisation et de leur
esthétique...
Seulement - tout cela devait se traduire, inexorablement, en
termes universitaires. Je veux dire, tout cela mettait un jeune

1 Notons que, pour faire de l'histoire de l'art, en ces temps où les jeunes chercheurs
étaient loin de bénéficier des moyens matériels d'étude que l'organisation de la Recherche
Scientifique leur assure aujourd'hui, il fallait jouir d'une large aisance qui permît, de
pays à pays, de musée à musée, les déplacements multipliés sur quoi fonder la connais-
sance comparée des œuvres, des milieux et des techniques. Je relis, dans une lettre du
7 octobre 1903, cette phrase de Renaudet, qui dit tout : « L'histoire de l'art peut donner
des renseignements de même ordre, mais je sais qu'elle m'est fermée ».

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X LUCIEN F EB VRE

normalien de la vieille école devant une série de choix préalables -


à la fois simples, logiques, et brutaux. Agrégation d'histoire ou des
lettres ? Par delà, Ecole d'Athènes, Ecole de' Rome, ou Fondation
Thiers? Renaudet choisit comme j'avais moi-même choisi. Et
d'abord il opta pour l'agrégation d'histoire : il lui fallut du courage
pour le faire. L'enseignement que nous dispensait à Louis-le-Grand,
en rhétorique supérieure, ce maître irréprochable qui, à la première
réquisition, s'avérait capable de réciter « par cœur » de Mahomet à
Abdul Hamid, la liste au grand complet des Commandeurs des
Croyants, avec les dates - ou celle des Papes de saint Pierre à
Léon XIII, ou celle des Empereurs de Charlemagne à François-
Joseph - cet enseignement exemplaire semblait fait tout exprès
pour écarter de l'histoire, à jamais, les plus intrépides des historiens-
nés. Je figurais parmi ces derniers, authentiquement - et cependant,
quand j'entrai rue d'Ulm, je me fis inscrire d'abord à la Section des
Lettres. Augustin Renaudet n'alla pas si loin dans ses réactions. Mais,
comme moi, pendant des semaines et des mois, il douta.
Après quoi, sous la pression de la vie, il se détacha des études
grecques. C'était renoncer à l'Ecole d'Athènes - qui lui parut
représenter des années de labeur bénédictin sous la conduite de
maîtres un peu vétilleux peut-être. Le prestige de Pallas Athéné
demeurait grand parmi nous ; mais les horizons de Delphes ou de
Délos, à la longue, ne risquaient-ils point de nous paraître un peu
bornés ?

Origines chrétiennes alors ? Mais tout de suite se posait l'épineuse


question de l'hébreu. On ne s'improvise point hébraïste. Et quant
aux guides, ils n'abondaient certes pas dans la France savante d'alors.
Chose curieuse, ce goût pour les origines chrétiennes ne devait pas
survivre chez Renaudet à un contact à Rerlin en 1905 avec l'ensei-
gnement de Harnack. Non certes que cet enseignement lui eût
paru médiocre. Mais d'abord, si libre d'esprit fut-il, le grand Harnack
n'en était pas moins pris dans les liens d'une confesssion - et son
intérêt allait aux théologiens qui voulaient s'aider d'histoire, plutôt
qu'aux historiens soucieux de se procurer quelque teinture de théo-
logie... Et puis, théologie... De toutes les littératures, la théologique
(patristique et scolastique) est sans doute la plus riche et la plus
abondante qui soit, un océan sans rives ; pour les plus endurants
des navigateurs, il y a quelque chose de décourageant dans cette
immensité.
Finalement, quand l'heure fut venue d'arrêter un sujet de
« diplôme » ; quand, au cours des visites rituelles aux bons maîtres,
Gabriel Monod eut suggéré à Renaudet de passer un an à étudier,
au choix, les faits, gestes et performances de l'excellent M. de la
Popelinière, ou bien le procès de l'amiral Chabot, ou encore les Etats
Généraux de 15 88 ; quand notre bon Chrétien Pfister lui eut proposé.

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AUGUSTIN RENAUDET XI

à son tour, de faire plus de lum


rattachante figur du Président de Bellièvre - (vieilles connais-
sances : les mêmes maîtres m'avaient, deux ans auparavant, proposé
déjà de m'y intéresser) - Renaudet repoussa ces « beaux sujets »
avec la même courtoise fermeté que moi-même. Il avait fait son choix.
«Au fond, m'écrivait-il le 7 octobre 1903, l'histoire proprement dite
ne m'intéresse pas beaucoup. Il y a des gens qui considèrent que,
connaître exactement le fonctionnement d'une institution comme la
dîme en Sicile à l'époque de Gicéron, c'est une fin en soi. J'aimerais
presque autant lire les faits divers du Petit Journal . L'histoire n'a
pour moi qu'un intérêt psychologique : c'est pourquoi j'ai choisi
l'histoire religieuse - et n'en sortirai pas ».
Une dernière tentation se dressa cependant sur son chemin. En
1904, Renaudet dut suivre en Sorbonne les cours de Vidal-Lablache ;
il lut en même temps sa Description de la France qui sortait alors des
presses. L'impression fut profonde. Renaudet entrevit, au contact
d'un homme supérieur, ce que pouvait être une science des rapports
de la terre avec l'Homme, de l'accommodation de la vie au sol et du
sol à la vie. « Science plus profonde peut-être, fut-il tenté de penser
un instant, plus vraie et plus efficace » que cette histoire intellectuelle
si proche de l'histoire littéraire traditionnelle - et même que cette
étude des âmes religieuses qui, finalement, avait pris son cœur et son
esprit. « Je t'envie de trouver cela 1 - entendez, les voix qui montent,
le soir, d'une terre connue et bien aimée - je t'envie de trouver cela
dans ton sujet de thèse», m'écrivait-il encore. Et il ajoutait ces mots
émouvants, qui n'ont pas besoin de signature pour être identifiés :
« Les cours de Vidal et les réflexions qu'ils m'ont inspirées n'ont guère
fait que préciser un besoin dont je n'avais pas la notion exacte mais
que je portais en moi depuis bien des années, et dont je ne sais trop
où je l'ai pris - moi qui, en somme, n'ai pas de souvenirs d'enfance
ou d'éducation dans quelque province natale... Amour de la terre, des
forces silencieuses qui ont donné leurs formes aux choses locales, je
ne sais trop comment dire ; je ne pense pas cela par concepts ; et si,
voilà deux ans, j'ai choisi l'histoire religieuse - c'est que j'y trouvais,
dans une certaine mesure, une expression de ces forces silencieuses
que je ne savais pas définir ».
L'inquiétude dura peu. Au fond, la vraie patrie de Renaudet,
c'était bien la patrie des idées. C'était elle qu'il aimait. Et il avait
besoin d'aimer pour travailler ; il avait besoin, lorsqu'il étudiait,
de chercher et d'appréhender dans sa plénitude une idée ou un
sentiment dont quelque reflet atténué se posât encore sur sa propre
personne. En se dédiant à l'histoire des origines de la Réforme, il
satisfaisait à la fois un mépris, fondamental en lui, de toute ortho-

1 Philippe II et la Franche-Comté - qui comportait dans mon esprit une large


introduction géographique.

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XII LUCIEN FEBVRE

doxie 1 ; un goût raffiné


classicisme ressuscité avec un christianisme en quête de rénovation -
et, par delà, de nobles leçons de vie libre et belle : celles d'un jeune
Luther, appelant à s'épanouir toutes les possibilités des hommes 2 -
ou celles d'un Lefèvre nourrissant en lui une tristesse virile, un
mysticisme mâle et fort, un sentiment grave et contenu des limites
de l'humaine condition.

II

L'article d'une sobre tenue qu'hébergeait le Bulletin du Protes-


tantisme de 1908 était neuf, vraiment neuf. La vaste érudition dont
il témoignait ne se mettait pas au service de thèses périmées. Du
premier coup, un jeune homme discret, d'allures un peu timide,
mais fort d'une héroïque lecture de textes monotones et souvent
décevants - renversait sans fracas comme sans ménagements
l'édifice branlant des vieilles certitudes.
La passivité, l'inertie des dirigeants du Christianisme, à la fin
du XVe et pendant les premières années du XVIe siècle, en face du
péril montant d'une Réforme que tout faisait prévoir : c'était alors
un dogme qui ne trouvait pas d'hérétiques. Il fallait que l'Eglise
(on ne parlait que d'elle ; les historiens ne s'occupent pour ainsi dire
jamais de la religion ; ils n'ont d'yeux que pour ses conseils d'admi-
nistration) - il fallait que l'Eglise sombrât dans « les abus », irré-
médiablement, pour que le coup de théâtre de Luther pût produire
son effet et que la Réforme fût ainsi « expliquée ». Dérèglement des
clercs ; misère intellectuelle dés docteurs ; désaffection des fidèles
pour une religion de menues pratiques qui dégénérait en superstition :
tout s'abîmait dans un gouffre d'excès, de scandales et d'inepties
contre quoi personne ne s'avisait de réagir - jusqu'au jour où,
brusquement, une flamme d'incendie surgissant des décombres
tentait de réveiller les torpeurs quiètes. Trop tard ! L'habitude était
prise. On subissait. Et d'une passion violente, Martin Luther, moine
révolté, pouvait impunément déchirer à pleines mains la tunique sans
couture.
Or, voici que, sans bruit, mais avec une puissance irrésistible
de démonstration, l'auteur de Jean Standonck nous apprenait des

1 « Je n'estime pas beaucoup les historiens qui étudient des parties de l'histoire
où ils n'aiment et ne haïssent rien. Monsieur Seignobos et Monsieur Langlois affirment
qu'un historien et un chimiste sont une seule et même chose. Ces bonnes gens ont
l'esprit scientifique et ils traitent les faits historiques comme des séries d'équations
qui s'alignent, se multiplient et se détruisent jusqu'à l'infini... Si l'histoire n'avait pas
d'autre contenu, elle ne m'attirerait guère. Pour moi, je lui vois avant tout un intérêt
psychologique ; j'y cherche la formation et l'évolution des idées et des motifs de civi-
lisation au milieu desquels nous vivons... ; et dès lors, je ne suis plus un chimiste ; ce
que j'étudie excite en moi non seulement l'intelligence critique, mais le sentiment et
la volonté » (2 février 1903).
2 « Je lis beaucoup de Luther, le bon Luther est décidément mon homme » (3 mars
1903).

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AUGUSTIN RENAUDET XIII

choses qu'on ne soupçonnait pas.


Le fils d'un pauvre cordonnier
Frères de la Vie Commune, des m
sorbonniques, touché par surcr
calabrais, François de Paule, que
afin qu'il opérât le miracle de s
venu en France pour faire un m
l'ordre et la discipline, faire jail
une ceinture nouvelle de sources vivifiantes : maistre Jehan Standonck
qui, en novembre 1495, « par le commandement du Roi », présentait à
une commission de prélats et de théologiens tout un plan de réforme
officieuse de l'Eglise ; maistre Jehan Standonck qui, s'installant
à Montaigu, y groupait en congrégation des jeunes gens très pauvres
mais laborieux : entreprise charitable, sans doute, d'un homme qui
se souvenait des détresses d'une enfance famélique - mais qui, aux
« pouilleux de Montaigu » imposait l'inhumaine rigueur d'un ascétisme
sans joie ; interrogeons Erasme, interrogeons Rabelais, pleins, l'un
de rancœur, l'autre d'indignation contre la barbarie d'une maison
remplie de jeunes gens : mais personne n'y riait, n'y courait, n'y
sautait ; on y vivait mains jointes, les yeux baissés, dans la laideur,
la crasse et la gêne, sous le poids d'une règle d'autant plus impla-
cable qu'elle s'inspirait d'intentions plus droites...
Mais alors, l'inertie, la résignation des « dernières générations
du Moyen Age » ? Leur indifférence fainéante et passive aux maux du
Christianisme, à la décadence des mœurs cléricales, aux fameux
« abus » ? Ces hommes, voilà qu'Augustin Renaudet nous les montrait
pleins d'ardeur et de zèle pour la réformation religieuse : qu'il s'agît
des grandes et des grands de ce monde, dépensant leur temps, leurs
soins, leur argent à porter remède à tant de maux - ou de ces parle-
mentaires qui, sur leur siège, par de continuelles interventions
juridiques ou disciplinaires, secondaient les efforts des réformateurs
catholiques - ou de ceux-ci enfin, de ces chanoines réguliers de
Saint-Augustin, de ces frères de Windesheim, attirés des Flandres
en France par Standonck et qui, tour à tour, peinaient à réformer
le gros monastère de Château-Landon, la célèbre abbaye parisienne
de Saint-Victor, le couvent de Livry-en-Launois, celui de Cysoing
au diocèse de Tournai, vingt autres largement dispersés : tout cela
sérieux, patient, volontaire et suivi.
« Mais finalement inutile, et alors la Vulgate n'avait pas si tort
qui dénonçait l'irrésistible glissement du clergé (et d'abord du clergé
régulier) dans le désordre et dans l'inaction ?» - Vous croyez ? Dès
1908, Renaudet repoussait l'objection. Standonck et ses compagnons,
hommes noirs, hommes durs, hommes laids, rudes et inhumains : les
précurseurs des hommes de Meaux, des ouailles de Briçonnet le bon
évêque, que déborderont bientôt les sectateurs de Farei ? En aucune

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XIV LUCIEN F EB VRE

façon. - Et encore, ces ascète


ďun mouvement de rénovation intellectuelle qu'éclairait le soleil
d'Italie ? Moins encore. Mais « inutiles », je veux dire voués à l'abîme
sans fond d'où nul ne revient jamais ? Allons donc 1 Entre les géné-
rations successives il n'y a pas qu'une seule chaîne d'esprits qui se
tende et se noue. Standonck et les siens : autant de maillons d'une
très forte chaîne qui, par-dessous les humanités de l'Erasmisme et les
simples leçons de l'Evangélisme paulinien, relie à la piété romantique
et théâtrale des contre-réformateurs, l'ascétisme sans sourire de ces
moines du Nord - qui n'avaient point encore inventé, certes, de
fleurir les autels.
Vue toute nouvelle en 1908 1. Ce n'était pas Renaudet qui en
soulignait lui-même la nouveauté. Gomme toujours, il posait sur la
table, devant son lecteur, des aliments bien sains, bien épluchés,
bien mondés - et puis il s'effaçait : « faites votre menu vous-même ;
s'il n'est pas réussi, tant pis pour vous, vous serez des maladroits ;
moi, j'ai fait mon office de ravitailleur... » - Et depuis le temps où
il nous procurait ainsi des nourritures insolites sans crier sur les toits
qu'elles n'étaient point dans le commerce - nous nous sommes
familiarisés avec ces conquêtes d'une histoire, peut-être discrète à
l'excès. Raison de plus pour insister sur ce qu'elle nous apportait
d'excitant et de salubre. Je veux dire deux choses :
L'une, la liaison souterraine, le cheminement caché des idées
et des sentiments qui explique en grande partie, sans doute, la vio-
lence' et la soudaineté avec laquelle, en cinquante ans - disons entre
1530 et 1580 - tant de positions qui semblaient acquises se trouvè-
rent renversées, et comment, pour ne point parler d'autre chose, les
femmes de France qui aspiraient, au temps du jeune roi François -
disons, plus précisément, aux beaux temps de la reine de Navarre,
Marguerite - à une réforme de la religion fortement influencée par
le paulinisme luthérien - se retrouvèrent au temps d'Henri III en la
personne de leurs filles et de leurs petites-filles, vais-je dire dans
l'autre camp, celui d'Ignace de Loyola et de sa Compagnie de Jésus ?
Mauvaise formule, qui nous ramènerait en deçà du travail de notre
génération, en deçà du travail même de Renaudet : disons, dans le
camp d'une Réforme qui n'était pas- la même, mais où Standonck
et les siens finalement, après un moment d'hésitation et de stupeur,
se seraient retrouvés fort à l'aise, n'en doutons point ; car c'est

1 N'oublions pas qu'un homme aussi averti que Gabriel Monod pouvait écrire
à Renaudet, au moment où celui-ci commençait à réunir les matériaux de sa thèse de
diplôme, embryon d'une thèse future de doctorat - que l'objet de ce travail devait se
définir ainsi : « Se faire une idée aussi exacte que possible de ce qu'était dans le dernier
quart du XVe et le premier du XVIe siècle, ce monde des congrégations religieuses qui
a été le vrai foyer de la Réforme ». Renaudet m'écrivait au contraire, le 3 mars 1903 :
t Les moines ne sont à aucun degré les précurseurs de la Réforme ; je crois même que c'est
parmi eux, dans les couvents réformés, que la Réforme trouva dès l'abord ses premiers
et plus conscients adversaires. On aurait pu réformer indéfiniment les monastères sans
arriver à la Réforme ». - Voilà un point de départ (Gabriel Monod) et un point d'arrivée
(Augustin Renaudet) qui se trouvaient séparés d'assez radicale façon.

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AUGUSTIN RENAUDET XY

d'elle, de cette Réforme-là, et non de la Réforme luthérienne qu'ils


furent les précurseurs et les préparateurs.
Et puis, derrière l'article de 1908, il y avait autre chose encore.
Une manifestation de cet état d'esprit qui conduisait alors les plus
avancés des historiens à réviser, à nuancer, à modifier leurs opinions
sur le moyen âge : celles dont ils avaient hérité de leurs professeurs,
de leurs manuels et, par delà, de leurs vrais maîtres, du Michelet
de la seconde manière notamment ; celles qui voulaient que, pendant
des siècles, l'humanité eût dormi stupidement - et cessé de se laver.
Notre génération, à la suite de celle qui l'a immédiatement
précédée, aura entrepris et mené à bien dans tous les secteurs de la
civilisation médiévale, un immense travail de prospection, de res-
tauration, de réhabilitation. Travail qui commença par les arts, et
d'abord par l'architecture, puis par la sculpture : nos devanciers
nous laissèrent le soin de restituer la peinture et la musique : chose
faite. Après quoi vint la littérature. Et puis la Science : songeons
à une œuvre comme celle de Duhem. Et puis la philosophie scolas-
tique, et ces vastes cathédrales d'idées qu'une véritable armée
d'archéologues de la raison entreprit de restituer dans leur puissance
synthétique. Cependant qu'Henri Pirenne, pour résumer en un seul
nom tout un gros travail international, nous révélait un Moyen Age
opérant des concentrations de capitaux déjà considérables relati-
vement, pratiquant le monopole et le dumping, spéculant sur les
monnaies et les changes - tout cela bien avant les temps prescrits,
je veux dire bien avant cette fameuse « éclosion des Temps Modernes »
et donc des forces d'argent que, depuis si longtemps et avec l'accord
puissant de Karl Marx, on datait de la « Renaissance », en toute
sérénité... C'était, jetée à bas, l'idée d'un capitalisme surgi du néant
par une sorte de miracle sur les débris d'une économie médiévale
fermée et fragmentaire - enlisée pendant dix siècles dans sa pauvre
routine. Restait à jeter à bas l'idée d'un autre miracle - celui d'un
monde spirituel nouveau surgissant, lui aussi, à l'appel de Luther,
du néant total. Or, ce néant, voilà précisément que l'auteur de Jean
Standonck le peuplait. Voilà qu'il nous révélait quel immense désir
de renouveau travaillait la chrétienté entre les deux dernières décades
du XVe et les deux premières du XVIe siècle. Période pleine, et
non vide : si pleine qu'il fallait un nom pour la désigner. Et ce nom,
l'historien de ces années inquiètes le lançait dans la circulation,
lorsqu'en 1916 il intitulait sa thèse : Préréforme et Humanisme à
Paris pendant les premières guerres d'Italie ? Titre qui alliait la
novation à la tradition. Pour toujours, je ne sais 4 Pour la durée
d'une ou deux générations, j'en suis témoin.

1 Ce n'est point le lieu d'ouvrir une discussion, en effet, sur le concept de Pré-
réforme. Pré - Réforme, au départ, signifie avant la Réforme : notion chronologique.
Mais un glissement de sens s'opère : « Pré - Réforme = qui prépare la Réforme ». Quelle
Réforme ? Celle qu'annonce, que met en train Luther. Mais si - comme Renaudet l'a

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XVI LUCIEN FEBVBE

III

Dans son article de 1908, Renaudet ne rencontrait pas que Jean


Standonck et ses émules. Б rencontrait également un homme qu'il
ne devait plus quitter dès lors : Érasme de Rotterdam. Et de cette
première rencontre jaillissait un flot de nouveautés.
Il faut bien se rappeler qu'au temps où nous commencions nos
études, disons en 1900, Érasme, dans la commune opinion, demeurait
sans plus un « sceptique ». Immortalisé par Holbein, son sourire
préfigurait, pour les fabricants de parallèles, le « hideux sourire » du
Voltaire de Houdon... vu par Musset. Inutile d'objecter ses profes-
sions de foi : autant de paratonnerres, répondait-on, dressés par un
homme qui n'avait pas la vocation du martyre...
Nos pères, en vérité, abusaient du qualificatif de sceptique.
Nous nous divertissions fort, à Louis-le-Grand, de cette belle formule
dénichée dans le dictionnaire de Franck : « les trois sceptiques,
Pascal, Énésidème et Kant ». Il fallut toute une thèse, celle d'Edouard
Droz (et qui causa quelque scandale en Sorbonne aux environs
de 1886) pour faire l'examen critique de ce fameux scepticisme
pascalien, si longtemps tenu pour un dogme. Le scepticisme d'Érasme,
lui, demeurait incontesté. Et quant à la biographie intellectuelle de
l'auteur de Y Enchiridion Militis Christiani , comment l'établir sur
des bases solides? L 'Opus Epistolarum Erasmi des Allen n'avait
point encore procuré aux historiens du XVIe siècle et aux exégètes dè
l'érasmisme l'instrument de travail qui leur rend facile leur tâche x.
A part le vieux Burigni et la thèse inexistante de Feugère, on n'avait
rien en français (et bien peu de chose en anglais) pour connaître le
vrai visage, intellectuel et religieux, de l'homme de Rotterdam:
disons, moins ambitieusement, pour définir ses activités parisiennes
et d'abord fonder le point de départ de l'humaniste.
Du pieux humaniste, dont Renaudet nous disait les débuts dans
son article de 1908. Lié dès 1495 avec Robert Gaguin, avec Fauste
Andrelin et leurs amis - le futur auteur des Adages se manifestait
déjà сощте un latiniste remarquable. Mais « l'éducation critique de
sa claire intelligence était à peine commencée ». Il n'avait renoncé,
à cette date, ni aux menues pratiques fie la piété romaine, ni, en
dépit de son expérience personnelle de Stein, à sa croyance dans la
vertu de l'institution monastique. Aussi dévot que Standonck à

montré - les réformateurs de 1490-1520 étaient par avance des « Contre-Réformateurs »,


des préparateurs non de la Réforme luthérienne mais de la Réforme catholique des
années 70-80, dite « Contre-Réforme » : quel embarras ! Voilà la période de 1490-1520
qui devient la Pré-Contre-Réforme, au moins autant que la Pré-Réforme? - Ce qui
veut dire, une fois de plus : personne n'est le maître des mots. Ce sont les mots qui nous
dominent et nous entraînent finalement.
1 Seules les deux études de Max Reich (1896) et de Nichols (1901) rétablissaient
un peu d'ordre chronologique dans les débuts de la Correspondance. L'aide n'était pas
négligeable - mais combien limitée ?

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AUGUSTIN RENAUDET XVII

sainte Geneviève, il la remerciait e


quarte dont il souffrait. Il se prenait de passion pour l'œuvre des
Windesheimiens. Et cependant ? Déjà il avait fui la direction ascé-
tique de Standonck. Déjà il avait fui sa chambre morose, humide
et glaciale de Montaigu. Déjà s'opérait ainsi en lui, qu'il en eût
ou non la claire conscience, le départ entre l'esprit de la Renaissance
littéraire et religieuse - et l'esprit de ses premiers maîtres : esprit
d'ascétisme monacal, d'orthodoxie aveugle et de piété soumise.
Par là s'éclairait à nouveau de nuances plus variées le gros pro-
blème que posait l'article de 1908. Lutte contre les « abus » ; restau-
ration difficile et laborieuse de la discipline monastique dans de gran-
des abbayes ; installation en France et injection dans la sensibilité
d'une petite élite tout au moins, de fortes doses de mysticisme et
d'ascétisme d'origine flamande et rhénane : tout cela qu'approuvait
Erasme en principe, tout cela qui était l'œuvre héroïque et labo-
rieuse de Standonck et des grandes missions Windesheimiennes -
convenait -il de l'inscrire, par avance, à un compte provisionnel de la
Réforme ? - Remise en ordre du Collège de Montaigu, rédaction d'un
plan d'études nouveau, distribution gratuite aux pauvres d'un ensei-
gnement efficace : tout cela, qui était également l'œuvre de Stan-
donck et que le jeune Erasme, du dehors, pouvait paraître appuyer
- tout cela, convenait-il de l'inscrire, à son tour, au compte-courant
de la Renaissance intellectuelle ? Non. Car Erasme déjà, dans un
grand besoin de raison indulgente et de liberté, rêvait de la simplicité
du christianisme primitif et d'humaniser le dur système médiéval
en conciliant le symbole byzantin avec le spiritualisme antique.
Mais Standonck ? Il demeurait, au seuil de la Renaissance, le maître
de la vie morose et mortifiée. Il fut, écrivait Renaudet, résumant
sa pensée en deux mots, « un contreréformateur avant la Réforme ». -
C'était poser et résoudre à la fois un gros débat. Et par avance,
lancer sur la vraie voie une étude attentive d'Erasme et de
l'Erasmisme.

*
* *

Ainsi l'esquisse précoce de 1908 posait dans leurs termes exacts


bien des questions. Ce n'était qu'une esquisse, sans doute. Et son
auteur se reprochait à lui-même d'avoir tenté cette gageure : insérer
dans le cadre d'une monographie biographique le tableau de toute
une époque intellectuelle et religieuse. Mais quelle promesse de bon,
loyal, intelligent travail ne nous apportait-elle point - en ce temps
où, sans doute, des œuvres qui visaient au grand, sinon au grandiose,
nous donnaient de parfaits exemples de ce qu'il ne faut pas faire ?
1906, premier tome d'un ambitieux ouvrage, au titre plus ambi-
tieux encore : Les Origines de la Réforme , par P. Imbart de la Tour.

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XVIII LUCIEN F EB VRE

Les origines de la Réforme, com


contemporaine, et les Origines d
Réforme qui encadraient entre leur tome Ier (La France moderne)
et leur tome II (L'Eglise, la Grise et la Renaissance, 1909) le mémoire
de Renaudet : mais j'étais bien obligé, en deux gros articles de la
Révue de Synthèse 2, de faire les plus vigoureuses réserves sur ces
grandes bâtisses improvisées avec témérité par un homme qui sem-
blait mal connaître les difficultés de l'entreprise et qui, dans le second
de ses tomes, édifiant de toutes pièces un tableau de « l'humanisme
chrétien » prétendait ramener à l'unité toutes les manifestations
(si prodigieusement diverses) de la Renaissance intellectuelle et
religieuse dans tous les pays d'Europe. Gomme si la Renaissance
n'était pas un ensemble d'aspirations vers, non pas un seul, mais
plusieurs idéaux contradictoires. Disons mieux : comme si la Renais-
sance existait - et non pas des Renaissances ?
Finalement du reste - et paradoxalement - ce travail brillant
et rapide se trouvait servir une cause qui n'était pas la sienne : la
cause de l'érudition. Il attirait l'attention des chercheurs sur tant de
lacunes énormes que dissimulaient mal d'ambitieuses formules. Il
justifiait par avance le travail prodigieusement consciencieux, scru-
puleux et patient que Renaudet devait poursuivre jusqu'à l'appari-
tion de son livre monumental : sa thèse de 1916, un classique.
Aucune concession à la rhétorique académique. Aucun rêve
romancé de Léon X laissant, « des Loggie à peine terminées du
Vatican » errer son rêve sur le monde, et tout à tour évoquant « l'hu-
manité pensante qui se prosterne », l'ange de la paix « qui déploie ses
ailes », l'union de l'Europe « prélude de la Croisade », la réconciliation
des systèmes « garantie de la vérité » (?), Aristote et Platon, Colomb
et Vasco de Gama3, que sais-je? - Et puis, tout à coup, «des
rumeurs montent du large ». Léon X tend l'oreille : « Qu'est-ce
donc ? ». M. Imbart de la Tour le renseigne de son mieux, mais le
Pape reste troublé : « Qu'est-ce encore ?» - « Ce n'est rien. C'est
Luther ». - Et nos vingt ans gamins de ponctuer l'évocation :
Soudain, joyeux, il dit : Grouchy î - C'était Blucher...
Le style de Renaudet : admirablement correct, précis et sobre.
Aucun effet facile. Aucune image superflue. Un style d'analyse
intellectuelle sans complaisance ni défaillance. La recherche de la

1 Sur la vogue et le sens trouble de ce mot « origines », voir de judicieuses remarques


de Marc Bloch dans Métier ďhistorien.
2 La France à la veille de la Réforme d'après M. P. Imbart de la Tour , Revue de
Synthèse Historique, t. XII, 1906, p. 76 sqq. - L'humanisme chrétien , la Renaissance
et l'Eglise , Ibid., t. XX, 1910, p. 159 sqq. - Autre construction improvisée, la thèse
de Delaruelle sur Budé, d'où également (ibid., t. XV, 1907, p. 255 sqq), Guillaume
Budé et les origines de l'Humanisme français . - Renaudet réagit de son côté aux deux
volumes ď Imbart, dans la Revue d'Histoire Moderne .
3 Voir toutes ces belles choses, et d'autres avec, dans le tome II des Origines de la
Réforme, Paris, 1909, pp. 578-79.

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AUGUSTIN RENAUDET XIX

simplicité est poussée si loin,


chacune des trois parties, des trois tranches chronologiques qui
se succèdent de 1494 à 1517, comporte invariablement les mêmes
subdivisions : I. Réformateurs et Réformes ; II. Les Doctrines - ce
qui permet de suivre les idées et les hommes dans leur développement
chronologique - mais ce qui a Г inconvénient de tronçonner, de
sectionner à la fois les idées et les hommes : Erasme en quatre mor-
ceaux, Lefèvre en cinq, Budé en trois. - Ici encore, le lecteur se voit
offrir tout ce dont il a besoin pour bâtir un Erasme, un Lefèvre, un
Budé ; mais à lui de le construire. Renaudet, par scrupule, ne s'y
applique point. Pas plus qu'à conclure longuement, ni à souligner ses
intentions, ses trouvailles, ses positions. En revanche, quelle
nouveauté !
Le tableau de renseignement parisien qui ouvre le volume - il
faut être du métier pour savoir ce qu'il représente de travail, de
recherches et d'intuition. Et l'on est confondu de voir avec quelle
aisance Renaudet fait se mouvoir sur cette toile de fond, la troupe
la plus bigarrée et la plus hétéroclite de « réformateurs » et d'« huma-
nistes », tous caractérisés (mais uniquement du point de vue intel-
lectuel) avec une étonnante sûreté et une érudition prodigieuse :
érudition de première main, sortant des innombrables dossiers
d'archives dépouillés par l'auteur à Rome, à Florence, à Bâle, à
Sélestat - et, naturellement dans tous les dépôts importants de
Paris : liasses des Ordres et des Congrégations, registres du Parlement
de Paris, archives de l'Université - et tous les fonds ecclésiastiques
de la Nationale, de la Mazarine, de la Bibliothèque Sainte-Geneviève,
de l'Arsenal : un monde. Aussi, combien de « spécialistes » peuvent-ils
dire comme moi ; voilà 35 ans que nous nous servons de ce livre
capital ; nous avons eu, à maintes reprises l'illusion que nous allions
apporter à son information un menu supplément ou un correctif :
en vain. Nous retrouvions toujours à leur due place, connus déjà,
mentionnés, interprétés, ces menus faits que nous étions fiers d'avoir
récolté. - Ce livre est imbattable.

*
❖ *

Et du reste : Renaudet se dispense volontiers de construire


ses personnages. Même ceux qu'il connaît le mieux. Même Erasme.
Mais est-il si diffìcile, après tout, de se construire un Erasme, son
Erasme, quand on a devant soi les Etudes Erasmiennes ?
Erasme, le prince des humanistes ; le représentant de l'homme
et qui toujours prétend parler au nom de l'homme : mais de quel
homme ? De l'homme qui, par un violent et perpétuel travail de soi
sur soi cherche perpétuellement à se dépasser lui-même ? - Point.
Je n'ai jamais relu sans malaise, pour ma part, ni sans quelque

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XX LUCIEN F EB VRE

secrète irritation, l'Eloge de la Folie. S'il s'agit d'y trouver des nota-
tions intéressantes sur tel ou tel des problèmes qui se posaient au
regard de l'honnête homme d'alors, bien : je mets volontiers en
fiche mon Encomium Moriae . Mais s'il s'agit de lire d'un trait ce
livre d'une accablante sagesse, cette perpétuelle référence à l'homme
tout court, à l'homme sans ambition, sans imagination ni chimère,
à l'homme qui fuit l'aventure et s'en détourne d'instinct, avec la
prestesse un peu basse d'un Panurge ou d'un Tournebroche - cette
invincible « moyenneté », à la longue, me fatigue et m'humilie. C'est
une Marseillaise de la crainte. Un hymne aux pantoufles.
Crainte de tout ce qui est nouveau, de tout ce qui sort de l'ordi-
naire ; crainte de tout risque, de toute exaltation, de toute « folie »
pour reprendre le mot. Sainte-Beuve, l'homme des coteaux modérés,
des altitudes moyennes - l'homme que ne dépasse jamais de son
plein gré la ligne des 200 mètres (mais, entre 100 et 200, comme ii
respire à l'aise, comme il s'épanouit ?) - Sainte-Beuve n'a, je crois,
rien écrit sur Erasme. Je ne suis pas bien sûr que ce grand liseur l'ait
jamais lu. Et c'est dommage. S'il l'eût fréquenté une bonne fois, à
usage de Lundi , comme il en eût parlé avec sympathie, avec perti-
nence, avec pénétration. Notez bien qu'en lui, non plus qu'en
Erasme, la prudence, la modération, la crainte de tout envol et de tout
dépassement n'excluent pas le moins du monde une forme de courage
assez rare : celle de rompre avec son milieu, et les gens de son milieu
ou de son «monde» quand il le faut: pour défendre, par exemple,
contre les clameurs du Sénat Impérial, Ernest Renan, sa vie de Jésus
et la liberté d'écrire ce qu'on pense (quand on est Renan et qu'on
écrit comme lui). - Mais j'imagine les deux hommes surpris par un
grondement insolite, levant le nez en l'air, et constatant que leurs
contemporains ont réussi à voler ; qu'Icare désormais ne s'abime
pas plus nécessairement dans les flots qu'il ne s'écrase sur les peupliers
de la route quand il conduit une de ces « absurdes » voitures sans
chevaux créées par lui dans le même temps : le rappel à la raison qui
s'ensuivrait chez « l'ami de la modération » du XIXe siècle comme
chez l'apôtre de «l'homme moyen » du XVIe - ce rappel serait bien
difficile à supporter pour nous ? Mais imaginez par contre l'enthou-
siasme de Léonard devant une telle conquête de l'humanité ? Et
je dis Léonard. C'est faire la partie belle, puisqu'il n'a cessé de rêver
cet affranchissement du terrien. Pourquoi ne pas dire simplement,
tout près de nous, Rabelais? Songeons à ce qu'on peut appeler ses
chapitres de voyant ?
Non, il ne suffit pas, pour incarner l'humanisme, de déclarer
qu'on parle au nom de l'homme moyen. Ou plutôt, ce n'est qu'un
aspect, qu'une variété de l'humanisme. Car il y a aussi ceux qui
parlent au nom de l'homme qui s'ennuie d'être moyen , qui a honte de
la médiocrité : au nom de l'homme qui veut se dépasser, au nom de

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AUGUSTIN RENAUDET XXI

l'homme qui laisse flotter devant lui l'image du surhomme. Huma-


nisme de la Renaissance? Lequel? Celui d'Erasme, ou celui de
Rabelais, de l'Erasmien Rabelais, aussi amoureux de l'Italie
qu'Erasme l'était peu (et ceci est le bon réactif, le bon critère pour
distinguer deux familles d'esprits). Dans les contrats de mariage,
au XVIe siècle, la jeune mariée promettait d'apporter des vêtements
et des parures « selon sa condition ». L'homme d'Erasme entend, lui
aussi, vivre, agir (et donc être respecté et considéré) selon sa condition.
Qui est la commune condition des hommes. Sans la folie de s'élever,
d'escalader les cimes, de transformer ses rêves en machines diabo-
liques. Sans la nostalgie du péché qui surpasse les péchés, la nostalgie
et le secret désir, le désir inavoué mais violent de cette chute au fond
des abîmes qu'évoque le Pecca fortiter de Luther qui, lui non plus
n'est pas, ne se place pas sur le plan d'Erasme ' Ni, naturellement,
sur celui de Vinci. Encore, s'écarterait-il moins, peut-être, de ce
dernier que de l'autre - de celui qu'il flétrissait, un jour d'exaspé-
ration, en consignant sur les marges d'un livre cette équation :
Erasmus, id est Ratio. Avec par avance quelque chose du ton de Karl
Marx flétrissant Proudhon du qualificatif de «petit bourgeois»...
En fait, le problème que pose Luther n'est en rien celui qui pré-
occupe Erasme. Il ne se soucie pas de l'homme , lui, de l'homme mem-
bre de son espèce. Il s'occupe du Moi . De son Moi à lui, Luther
(Martin), l'individu Luther qu'il imagine toujours seul en face de
Dieu seul. Et qui ne se réfère pas à la commune condition, à la com-
mune misère de l'homme. Pas « un homme », mais Luther. Un pécheur,
qui veut se sauver. Un pécheur et ses péchés, dont il porte seul le
poids, la responsabilité. S'en décharger sur l'Homo communis ,
l'espèce et ses nécessités : solution impensable. Et tentative vaine.
Voilà qui nous sort de l'humanisme. Je veux dire, des deux
humanismes. Celui de l'homme qui marche à pas mesurés. Celui de
l'homme qui vole, toujours plus vite et toujours plus haut.

IV

Il conviendrait peut-être de parler, maintenant, de Renaudet


l'italianisant - parti à Florence il y a tant d'années pour répondre
à un appel de Julien Luchaire et meubler de son labeur austère
et de sa verve émancipée, tout à la fois, notre jeune Institut français
de Florence. Ainsi se trouvait exaucé un des plus chers vœux de sa
jeunesse.
Je n'ai pas besoin d'ajouter que la publication d'un gros recueil
de textes sur le Concile gallican de Pise et d'un Inventaire copieux

1 Sur ceci, cf. Lucien Febvre, Un Destin , Martin Luther , lre édition, Paris, 1928,
pp. 269-70 - 3e édit., Paris, 1951, p. 184-185.

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XXÏI LUCIEN F EB VRE

des Documents de l'Archivio d


tement l'histoire de la France - rejoignait utilement les préoccupa-
tions de l'auteur de Préréforme et Humanisme et augmentait encore
le trésor de son érudition franco-italienne. Mais en même temps,
à prendre possession des œuvres d'art et des émouvants paysages
de la Toscane ou, par delà, de l'Ombrie - à s'emplir les yeux de
visions émerveillées capables de réchauffer jusqu'à son terme une
vie de Nordique, non seulement Renaudet élargissait encore son
horizon intellectuel : il se préparait à nous donner toute une série
d'oeuvres, exquises comme toujours au sens vrai du mot : du Laurent
de Médicis de 1936 au Machiavel de 1942. Mais d'abord, je leur ai
consacré au fur et à mesure de leur apparition de copieux comptes
rendus 1 que je ne saurais guère que reprendre ; et puis, ce sont les
apports fondamentaux de Renaudet à l'histoire générale qu'il s'agit
de signaler et d'apprécier dans ces quelques pages liminaires. Or,
le Laurent et le Machiavel s'inscrivent heureusement dans une
belle tradition, mais sans la bouleverser ni la détruire. Quant aux
travaux dantesques de Renaudet, s'ils étaient parus, je remettrais
à de plus compétents que moi le soin de les présenter : mais nous
les attendons ou, comme on disait joliment dans le vieux français
populaire, « nous les espérons ».
Et encore : les grands et admirables manuels de la Collection
Peuples et Civilisations ? Surtout ceux qui, de l'étonnante vigueur
d'érudition de Renaudet, de sa pénétration subtile des œuvres, de
l'équité et de la finesse de ses sobres jugements de goût rapprochent
l'art subtil et franc d'Henri Hauser, brossant avec une élégance et
une prestesse sans rivales le tableau des politiques et des économies :
mais qu'ajouter à ce que j'en ai dit naguère 2, dans la Revue Critique
et ailleurs ? L'évocation de ces réussites me conduirait naturellement
à parler de Renaudet professeur ; encore une fois, ce serait sortir
du cadre de cette étude. Et à quoi bon du reste insister sur ce que
tout le monde sait en France - je veux dire sur l'éminente valeur
du plus solide, du plus consciencieux, du plus pur des enseignements ?
Finalement, il y aurait Renaudet l'homme. - Mais on m'auto-
risera, à sa manière propre, après avoir posé devant le lecteur quelques
éléments de portrait, à laisser à chacun le soin de le brosser. J'y
éprouverai moins de gêne et de scrupule. Je me bornerai simplement
à signaler, une fois de plus, parce que la remarque s'inscrit dans
le cadre d'une psychologie générale du savant, ce que j'appellerai
le contraste des deux Renaudets : l'écrivain, toujours grave, si sobre,

1 Cf. notamment dans les Mélanges d'Histoire économique et sociale , 1943, IV,
p. 21 sqq, l'étude intitulée : Le Machiavel d'A. Renaudet - à rapprocher d'Augustin
Renaudet et ses Etudes Erasmiennes, dans les Annales d'Histoire Sociale , t. I, 1939,
p. 407 sqq.
¿ Par exemple, dans la Revue de Synthèse , III, 1932, p. 212 sqq : La fin du Moyen
Age dans la collection Peuples et Civilisations.

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AUGUSTIN RENAUDET XXIII

sans sourire et d'un atticisme perpétuellement irréprochable - et


ie Renaudet devisant librement entre amis, poussant sa pointe,
arrêtant un propos nourri de substantificque moelle rabelaisienne
pour imiter, impayablement, les discours de tel ou tel autre... De
ce côté savoureux et gamin, qui a survécu en lui, heureusement, à
tant d'événements mûrissants et douloureux d'une vie qui ne connût
point que des félicités - il me paraît toujours curieux que rien
n'apparaisse dans ses écrits soutenus et classiques. Mais nous, puis-
sions-nous longtemps encore confronter les deux Renaudets, le
parlant et l'écrivant, l'ami et le maître, le savant et le cher compa-
gnon de route : on me laissera terminer ces quelques pages par ce
souhait - que formule en toute simplicité le plus ancien de ses
camarades de combats, au nom des amis, des disciples et des obligés
d'un des rares maîtres-historiens de ce temps...

Lucien Febvre

Professeur au Collège de France


Membre de V Institut

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BIBLIOGRAPHIE
DES PUBLICATIONS D 'AUGUSTIN RENAUDET

1. 1908. Jean Standonck , un réformateur avant la Réforme , in Bulle-


tin de la société de l'histoire du protestantisme français,
t. LVII, p. 81 et s.
2. - Les débuts et tes premiers livres de Guillaume Budé d'après
un ouvrage récent, ibid., p. 87 et s.
3. 1909. Les origines de la Réforme française d'après un ouvrage
récent, in Revue d'histoire moderne et contemporaine,
mai-juillet, p. 257-273.
4. 1912. Erasme , sa vie et son œuvre jusqu'en 1517 d'après sa corres-
pondance, in Revue historique, t. CXI, p. 225-262 ;
1913. (Suite) ibid., t. CXII, p. 241-274.
5. 1916. Préréforme et Humanisme à Paris pendant les premières
guerres d'Italie (1494-1517), Bibliothèque de l'Institut
français de Florence, série I, tome VI. Paris, Champion,
in-8.

6. - Les sources de l'histoire de France aux Archives d'Etat de


Florence , des guerres d'Italie à la Révolution (1494-
1789). Paris, Champion, in-8.
T. 1919. Erasme , Œuvres choisies , collection des cent chef-d'œuvres
étrangers. Paris, La Renaissance du Livre, in-12.
8. - C. R. de Carnahan, The " ad Deum vadit " of Jean Gerson,
in Revue historique, t. CXXXI, p. 317-319.
C. R. de Mustard, The Eclogues of Faustus Andrelinus,
ibid., p. 320-321.
% 1922. Le Concile gallican de Pise-Milan ; documents florentins
(1510-1512), Bibliothèque de l'Institut français de
Florence, série I, tome VII. Paris, Champion, in-8.
10. - La légation du Cardinal Morone près l'Empereur et le
Concile de Trente , avril-décembre 1562, d'après une
publication récente, in Bulletin de la société de l'his-
toire du protestantisme français, t. LXXI, p. 131-143.
11. 1923. C. R. de Bûché, Quellen Schweizergeschichte, in Revue
historique, t. CXLIII, p. 255-258.
12. 1924. C. R. de H. Busson, Les Sources et le développement du
rationalisme dans la littérature française de la Renais-
sance (1533-1601), in Revue d'histoire littéraire de la
France, juillet-septembre, p. 536-546.
13. 1925. C. R. de The Eclogues of Antonio Geraldini, edited by
Wilfred P. Mustard, in Revue des études anciennes,
t. XXVII, p. 71-73.

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XXVI BIBLIOGRAPHIE

14. 1925. С. R. de Smith, Erasmus, in Revue historique, t. GXLIX,


p. 90-92,
15. - С. R. de Alazard, Le portrait florentin..., ibid ., t. CL,
p. 96-102.
et de Gonstantinescu-Bagdat, La Querela Pacis d'Erasme,
ibid., p. 248-249.
16. - Les influences orientales dans la Divine Comédie et dans la
peinture toscane , à propos de deux livres récents, in
Revue de synthèse historique, t. XL (N.S. XIV),
p. 85-103.
17. - G. R. de M. B. Maw, Buddhist Mysticism, in Bulletin His-
panique, t. XXVII, 3, p. 259 et s.
18. 1926. Erasme , sa pensée religieuse et son action d'après sa corres-
pondance (1518-1521), Bibliothèque de la Revue His-
torique. Paris, Alean, in-8.
19. - G. R. de I. Pusino, Ficinos und Picos religiös-philoso-
phische Anschauungen (Zeitschrift für Kirchenge-
schichte, t. XL IV), in Revue d'Histoire moderne, juin-
juillet, p. 228-229.
20. - G. R. de Bûché, Quellen zur Schweizergeschichte, III, 2,
in Revue historique, t. CLII, p. 265.
21. - G. R. de G. Parra Perez, Miranda et la Révolution fran-
çaise, in Bulletin Hispanique, t. XXVIII, 2, p. 203.
22. 1927. G. R. de Hyma, The christian Renaissance, in Revue
Historique, t. GLV, p. 408-409.
23. - C. R. de H. W. Beyer, Die Religion Michelangelos, in
Revue d'Histoire moderne, mai-juin, p. 69-72.
24. - G. R. d'Erasme et Juan Valdès, d'après une publication
récente, in Bulletin Hispanique, t. XXIX, juillet-
septembre, p. 293-298.
25. - G. R. de P. S. Allen, Opus epistolarum Erasmi Roterodami,
t. VI, in Revue critique d'Histoire et de Littérature,
1er août.

26. 1928. C. R. de Gasquet, Cardinal Pole and his early friends,


in Revue d'Histoire moderne, juillet-août, p. 319,
et de J. Alazard, Pérugin, biographie critique, ibid., sep-
tembre-octobre, p. 393.
- Les débuts de Г âge moderne: la Renaissance et la Réforme ,
(en collaboration avec Henri Hauser), collection
« Peuples et Civilisations », t. VIII. Paris, Alean, in-8,
réédition 1938.
28. 1929. C. R. de L. Feb vre, Un destin, Martin Luther, in Revue
Historique, t. GLIX, p. 372-375,
et de H. de Vocht, Monumenta Humanística Novaniensia,
ibid., p. 375-378,
et de Cassirer, Individuum und Kosmos, ibid., t. CLX,
p. 136-138,
et de Kalkoff, Die Stellung deutscher Humanisten, ibid.,
p. 138-142.

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BIBLIOGRAPHIE XXVII

29. 1929. С. R. de P. Paris, La peinture espagnole depuis les origines


jusqu'au début du XIXe siècle, in Bulletin Hispanique,
t. XXXI, 4, juillet-décembre, p. 369-371,
et de T. Legrand, Histoire du Portugal, ibid., p. 371.
30. 1930. C. R. de P. S. Allen, Opus epistolaram Erasmi Roterodami,
t. VII, in Revue critique d'Histoire et de Littérature,
juillet.
31. - C. R. de Monglond, La France révolutionnaire et impé-
riale, in Revue Historique, t. GLXV, p. 190-192.
32. - C. R. de Moore, La Réforme allemande, et Buchholz,
Die Lehr- und Wandeljahre, ibid., p. 359-361.
33. - Une Œuvre maitresse de Benedetto Croce, in Annales d'His-
toire économique et sociale, t. II, p. 258-266.
34. - C. R. de R. Konetzke, Die Politik des Grafen Arand, in
Bulletin Hispanique, t. XXXII, 3,
et de C. Parra Perez, Cartera del Coronel de Adleserentz,
ibid., p. 84.
35. - С. R. de L. Strachey, Elisabeth et le Comte d'Essex,
in Revue d'Histoire moderne, n° 29, p. 390.
36. - Une synthèse de l'Histoire économique française, in Revue
de synthèse historique, t. L (N.S. XXIV), décembre.
37. 1931. C. R. de J. Sarrailh, Un homme d'état espagnol, Martinez
de la Rosa, et Lacontre, Révolution sous la Régence
de Madrid, in Bulletin Hispanique, t. XXXIII, 1,
janvier-mars, p. 82-83,
et de A. Fugier, La Junte supérieure des Asturies et l'in-
vasion française, ibid., 4, p. 363.
38. - C. R. de Fugier, Napoléon et l'Espagne, in Revue histo-
rique, t. CLXVI, p. 142-144.
39. - Marguerite de Navarre, à propos d'un livre récent, in
Revue du seizième siècle, t. VIII, p. 272-308.
40. - La Fin du Moyen Age : La désagrégation du monde médié-
val ( 1285-1453) ; L'Annonce des temps nouveaux (1453-
1492) (en collaboration avec H. Pirenne, R. Perroy,
M. Handelsmann, L. Halphen), collection « Peuples et
Civilisations », VII. Paris, Alean, 2 vol. in-8.
41. 1932. C. R. de Stadelmann, Vom Geist des ausgehenden Mit-
telalters, in Revue Historique, t. CLXX, p. 296-297,
et de Monglond, La France révolutionnaire et impériale,
ibid., p. 316-317.
42. 1933. Une analyse de l'intelligence italienne, in Annales d'His-
toire économique et sociale, t. V, p. 90-92.
43. - C. R. de N. Rodo vico, Carlo Alberto, principe di Carignano,
in Revue d'Histoire moderne, janvier-février,
et de H. O. Evennett, The Cardinal of Lorraine and the
Council of Trent, ibid., mai-juillet, p. 381-382,
et de L. Pastor, Histoire des Papes, t. XIII, ibid., août-
octobre, p. 372-373.

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XXVIII BIBLIOGRAPHIE

44. 1933. L'Europe au seizième


tuelles, in Revue de Synthè
45. - G. R. de W. P. Mustard, The Eclogues of Henrique Cayadi,
in Revue des études anciennes, t. XXXV, p. 97-98.
46. 1934. P. Villey, Annuaire de la Fondation Thiers, janvier.
47. - C. R. de Gerardi Magni Epistolae, ed. Muller, in Revue
Historique, t. CLXXIV, p. 576-577,
et de Maison, Erasme, ibid., p. 577,
et de Schottenloher, Erasmus in Rongen, ibid., p. 577-578,
et de Erasmus, Ausgewählte Werke, ed. Holborn, ibid.,
p. 579,
et de Mann, Erasme et les débuts de la Réforme française,
ibid., p. 579-581,
et de Scharten, Les voyages et séjours de Michelet en
Italie, ibid., p. 591-593.
48. - C. R. de A. Girard, Le commerce français à Séville et à
Cadix au temps des Habsbourg, in Bulletin Hispanique,
t. XXXVI, 3, p. 383-384,
et de A. Girard, La rivalité commerciale de Séville et
Cadix jusqu'à la fin du XVIIIe siècle, ibid., p. 384-385.
49. - C. R. de C. Parra Perez, El Regimen español en Venezuela,
ibid., p. 514-515.
50. 1935. С. R. H. de Vocht, Monumenta Humanistica Novaniensia,
in Revue Historique, t. CLXXVI, p. 556-559.
51. - C. R. de M. Bulard, Le Scorpion, symbole du peuple
juif, in Journal des Savants, juillet-août, p. 171-175.
52. - C. R. de P. Rassow, Die Kaiseridee Karls V, in Bulletin
Hispanique, t. XXXVII, p. 512-513.
53. 1936. Laurent le Magnifique , dans le recueil : Hommes d'Etat.
Paris, Desclée De Brouwer, 3 vol. in-8, t. II, p. 405-507.
54. - Erasme économiste, dans : Mélanges offerts à M. Abel
Lefranc. Paris, E. Droz, in-8, p. 130-141.
55. - C. R. de Eloge de la Folie, trad. P. de Nolhac, in Revue
Historique, t. CLXXVIII, p. 136,
et de Hughes, Saint John Fisher, ibid., p. 146,
et de Gandilhon, La Nation germanique de l'Université
de Bourges, ibid., p. 345-346.
et de Benoist, Le Machiavélisme, t. III, ibid., p. 350.
et de Arici, Bona di Savoia, ibid., p. 350-351.
et de Kratz, Intorno a Clemente XIV, ibid., p. 352.
56. - С. R. de A. Coville, Gontier et Pierre Col, in Le Moyen
Age, t. XL VI (N.S., VII), p. 56-60.
57. - C. R. de E. Lewalter, Spanisch- jesuitische und deutsch-
lutherische Metaphysik der 17. Jahrhunderts, in
Bulletin Hispanique, t. XXXVIII, p. 399-400.
58. 1938. С. R. de Bataillon, Erasme et l'Espagne, à propos d'un
livre récent, in Revue Historique, t. CLXXXII,
p. 97-104.

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BIBLIOGRAPHIE XXIX

59. 1939. Etudes Erasmiennes (1521-1529). Paris, E. Droz, in-8.


60. - С. R. de Ritter, Erasmus und der deutsche Humanisten-
kreis. Gedenkschrift zum 400. Todestag des Erasmus,
et de P. S. Allen, Opus epistolarum Erasmi Roterodami,
t. IX, in Revue Historique, t. CLXXXY, p. 360-367.
61. - С. R. de Daxhelet, Adrien Barlandier, humaniste belge,
in Revue Historique, t. GLXXXVI, p. 186-187.
et de Polet, Une Gloire de l'humanisme belge, Petrus
Nannius, ibid., p. 187-188,
et de Kibre, The Library of Pico della Mirandola, ibid.,
p. 188,
et de В. Croce, Contributo a un edizione delle opere di
Antonio Galateo, ibid., p. 188-189,
et de J. de Valdês, Alfabeto cristiano, ibid., p. 189-190,
et de Lynn, A College Professor of the Renaissance, Nucio
Marineo Siculo, ibid., p. 190-191.
(il 1942. Machiavel , Etude d'histoire des doctrines politiques, Paris,
Gallimard, in-8.
63. 1945. Autour d'urie définition de l'Humanisme, in Bibliothèque
d'Humanisme et Renaissance, t. VI, p. 7 (1949).
64. 1946. C. R. de A. Pézard, Dante sous la pluie de feu, in Biblio-
thèque d'Humanisme et Renaissance, t. VII, p. 172-182.
65. - Nécrologie : Henri Hauser (1866-1946), in Revue Histo-
rique, t. CXCYI, p. 498-502.
66. 1947. Le problème historique de la Renaissance française, in
Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, t. IX,
p. 21-36.
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et Louis XIII, in Revue Historique, t. CXVII, p. 263-
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XXX BIBLIOGRAPHIE

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ENGLAND AND THE DECREE
OF THE COUNCIL OF VIENNE
ON THE TEACHING OF GREEK,
ARABIC, HEBREW, AND SYRIAC
by Robert Weiss

During the year 1312 the General Council of the Church assembled
at Vienne, issued a decree quite remarkable in its scope and outlook.
This decree 1 enacted that teaching posts in Hebrew, Chaldaean,
by which was meant the Syriac language, Arabic, and Greek 2,
should be established forthwith at the Papal Court and at each of the
four principal ' studia generalia ' of Christendom, that is to say at
Paris, Oxford, Bologna, and Salamanca. Each of these places was
to have two teachers for each of these tongues, whose duties were to
be not only lecturing, but also preparing Latin versions of writings
in the language they were professing. Needless to say, some financial
arrangement was essential to actuate the provisions of such a scheme.
This was not, however, overlooked by the Council, which duly ruled
that the necessary sums were to be provided by the Roman Curia
for the masters teaching there, and by the King of France for Paris.
As for Oxford, Bologna, and Salamanca, the necessary funds were
instead to be raised through ecclesiastical taxation, and prelates,
monasteries, chapters, exempt and non exempt colleges, and rectors
of churches, were to be liable to it.

1 The text of the decree may be found in Corpus Iuris Canonici , ed. E. Friedberg,
vol. II (Lipsiae, 1881) cols. 1179-1180 ; Chartularium Universitatis Parisiensis , ed.
H. Denifle and E. Chatelain, vol. II, pt. 1 (Parisiis, 1891), pp. 154-155 ; C.J. Hefele,
Histoire des Conciles , vol. VI, pt. 2 (Paris, 1915), pp. 688-689, etc.
2 The printed texts of the decree, on which cf. supra , n. 1, have only " viri catholici
sufficientem habentes Hebraice, Arabice et Chaldee linguarum notitiam.". There are,
however, texts which read instead " viri catholici habentes Hebraice, Grece, Arabice
et Chaldee linguarum notitiam cf. Corpus Iuris Canonici, vol. II, col. 1179, n. 7 ;
Chartularium Universitatis Parisiensis , vol. II, pt. 1, p. 155, n. 1. That " Grece "
should be in the text is proved by the fact that the letter sent by John XXII to the
Bishop of Paris in 1326 to enquire whether the Vienne decree was being enforced,
on which cf. Ibid., vol. II, pt. 1, pp. 293-294 ; M. Viller, La question de Vunion des
Eglises entre grecs et latins , Revue d'histoire ecclésiastique , XVII (1921), p. 294, n. 2,
includes Greek among the languages mentioned. This language is also included in the
orders issued by the Bishops of Lincoln and Winchester to raise the tax connected with
the decree in their dioceses, cf. infra , p. 4 ; which shows that ' Grece ' was in the texts
at their disposal, this being also the case with Worcester Priory, cf. ibid., p. 4. In his
commentary on the Clementines, Giovanni d'Andrea, who was writing during the first
half of the fourteenth century, said in connexion with this passage : " Hebraice in
originali habuimus hebraice grece arabice etcetera et illud grece in ipso originali erat
cancellatum et forte propter litteram que est... " cf. CONstituciones Clementis Pape
Quinti una cum apparatu Johannis Andree (Venice, 1479) ff. F 2 r-v. The original
mentioned by Giovanni d'Andrea is doubtless the copy of the Clementines sent to the
University of Bologna by Pope John XXII in 1317, on which cf. Corpus Iuris Canonici ,
vol. II, p. 1131.

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2 ROBERT WEISS

In due course the Council's decree was inserted into the Clemen-
tines 1, thus becoming part of the Corpus Iuris Canonici. Yet in
spite of this, it was hardly enforced at once at the various places
affected by it. In fact it is quite certain that this enactement, which
gave legal force to the missionary ideals of many members of the
Western Church, proved, surprisingly enough, somewhat of a failure.
The motives which led to the passing of this decree, are not without
interest. Let it be said at once, that they were not exactly of a
humanist nature. What moved the Council to take such a step, was
not a desire to spread knowledge for its own sake. It was instead
missionary enthusiasm, that enthusiasm developed during the
thirteenth century, which had in Roger Bacon and Raymond Lull
its most prominent spokesmen. The conversion of the infidel and
the advancement of biblical exegesis 2, these were the two conside-
rations which prompted the Council's action. It may be noted in
connexion with the decree's provisions, that what the Roman Court
and the four ' studia generaba ' were now expected to do, had already
been done to some extent by the Mendicant Orders 3. Which obviously
means that the Council, well aware of the value of the prescribed
languages, intended that now their knowledge should be spread
very widely, instead of hardly straying beyond Franciscan and
Dominican circles, as had hitherto been the case. This idea of bringing
in the Universities, to assist in advancing the linguistic knowledge
required for missionary purposes, was not new either. In 1286 Pope
Honorius IV had written to the Chancellor of Paris about some
clerks " in Arabica lingua et in ceteris partium orientalium linguis
eruditi, qui Parisius mittebantur " 4, while in 1298 Raymond Lull
had sent a letter to the University of Paris, advocating the founda-
tion of a " studium Arabicum, Tartaricum et Grecum.5" The study
of the first and third of these languages, as well as Hebrew, had also
been strongly advocated by Roger Bacon 6 and Humbert of Romans 7.
And these were actually languages for which there was now some
demand. So much so that in 1310, but two years before the passing
of the Vienne decree, the General Chapter of the Dominicans assem-

1 Lib. V, tit. I, cap. 1


2 This is quite plain from the text of the decree, on which cf. supra , p. 1, n. 1.
8 Cf. G. Golubovich, Biblioteca Bio-Bibliografica della Terra Santa e dell'Oriente
Francescano , vol. I (Quaracchi, 1906), p. 365 ; C. Douais, Essai sur l'Organisation des
Études dans l'Ordre des Frères Prêcheurs (Paris, Toulouse, 1884), pp. 135-140 ; R. P.
Mortier, Histoire des Maîtres Généraux de l'Ordre des Frères Prêcheurs , vol. I (Paris,
1903), pp. 518-532.
4 Chartularium Universitatis Parisiensis , vol. I, pp. 638-639.
5 Ibid., vol. II, pt. 1, pp. 83-84. About the project of an Oriental College in Paris
cf. С. Jourdain, Un Collège oriental à Paris au XIIIe siècle , Revue des Sociétés Savantes ,
ser. 2, VI (1861) pp. 66-73 ; H. Omont, Supplique de l'Université au Pape pour la fon-
dation d'un Collège oriental à Paris , Bulletin de la Société de l'histoire de Paris et de
l'Ile-de-France , XVIII (1891), pp. 164-165.
6 Fr. Rogeri Bacon Opera quœdam hactenus inedita , ed. J. S. Brewer, (Rolls Series,
London, 1859), p. 433.
7 Mortier, op. cit., vol. I, p. 518.

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ENGLAND AND THE DECREE OF THE COUNCIL OF VIENNE 3

bled at Piacenza, had asked the Master General that Hebrew, Greek,
and Arabic, should be taught in the Order As we saw, it was these
very languages together with Syriac, which was rightly considered
essential for biblical studies, that had been selected by the Council.
Whether they were all taught at the appointed places soon after the
publication of the decree is, however, highly doubtful. In 1320 a
converted Jew, Master John Salvati of Villeneuve, was teaching
Hebrew in Paris and money was being collected then in the Diocese
of Langres to pay him 2. But nothing is heard about the other lan-
guages. Nor, for that matter, do we hear much of what was happening
elsewhere 3.
As far as England was concerned, nothing appears to have been
done to comply with the Council's orders 4 until 1320, when Arch-
bishop Walter Reynolds began to act 5. It was during that year that
the matter wTas fully discussed, and decisions taken accordingly, at
the meeting of the Canterbury Convocation assembled at West-
minster. Needless to say, the most immediate problem was the
raising of the necessary money. As we saw, the Vienne decree had
allowed special taxation to be passed for the purpose. Accordingly,
Convocation sanctioned a tax of one farthing in the pound, to be
levied from ecclesiastical goods in the Canterbury Province, for the
stipend of the convert " docentis Oxon. linguam hebraicam " and
"pro negotiis communibus ecclesie". Richard de Wymbish 6,
Prior of the Conventual Church of the Holy Trinity within Aldgate
in London, was especialy appointed for the collection of this revenue,
while the first Saturday in Lent in 1321, was fixed as the last day
by which the money raised was to reach the collector 7.
Soon after this decision had been passed, letters were issued
to the Bishops, directing them to see that the Convocation's decisions
1 Douais, od. ciť., p. 138, п. 6.
2 Chartularium Universitatis Parisiensis , vol. II, pt. 1, p. 237. Already on February
24th, 1319, Pope John XXII has asked the Bishop of Paris to see that Master John
should teach Hebrew and translate from that language in Paris, cf. ibidy vol. II, pt. 1,
pp. 228-229.
3 It should be noted that Petrarch's friend, Barlaam of Seminara, was actually
teaching Greek at the Papal Court at Avignon in 1342, this being shown by the follow-
ing payment made to him by the Pope : " 1342 Aug. 7 de mandato pape ad relationem
d. camerarii fr. Barlan abbati S. Salvatoris Constantinopol. in curia legenti grecum,
ratione helemosine pro 81 diebus 53 fi. 20 s. mon. A vin." cf. K.H. Schäfer , Die Ausgaben
der apostolischen Kammer unter Benedikt XII , Klemens VI , und Innocenz VI (Paderborn,
1914), p. 198. This passage is already quoted in G. Mercati, Se la versione dall'ebraico
del codice veneto greco VII sia di Simone Atumano arcivescovo di Tebe (Roma, 1916),
p. 28, n. 2.
4 On the effect of the Vienne decree in England cf. so far A. G. Little, Studies
in English Franciscan History (Manchester, 1917), pp. 216-8 ; H. Rashdall, The
Universities of Europe in the Middle Ages9 ed. F.M. Powicke & A.B. Emden, vol. Ill
Oxford, 1936), pp. 161-2. The little about it in G.R. Stephens, The Knowledge of
Greek in England in the Middle Ages (Philadelphia, 1933), p. 90, is far from reliable.
5 Interest in the decree was awakened by the publication of the Clementines , which
included it, cf. supra , p. 2, by John XXII in 1317, on which cf. infra , p. 7. n. 4.
6 He was Prior from 1316-1325, cf. W. Dugdale, Monasticon Angličanům , vol. VI,
pt. 1, (London, 1846), p. 151.
7 The decisions of Convocation are known from the circular letter of Archbishop
Reynolds, on which cf. infra , p. 4.

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4 ROBERT WEISS

were enforced in their dioceses. Two identical copies of this circular,


addressed by Archbishop Reynolds from Croydon on November
25th, 1320, to Hamo Hethe, Bishop of Rochester г, and Henry
Burghersh, Bishop of Lincoln 2, have reached us. In these the Bishop
was asked to see that the money was gathered and special collectors
appointed for the purpose, who were to forward the amounts raised
to London within the prescribed date.
How far the Archbishop's orders were succesful, is not so certain
now. It is, however, quite certain that they were swiftly complied
with in more than one diocese. At Lincoln for instance, the Bishop
obeyed the archiépiscopal instructions at once. So much so, that as
early as December 10th, 1320, he issued from his Manor of Liddington
a mandate addressed to the archdeaconal officials of the Diocese 3.
The mandate quoted the provisions of the Council decree as well as
the decision of Convocation, and ordered the officials concerned to
collect the tax and transmit it to the Prior of the Church of the Holy
Trinity within the fixed date. A few months later, on February
15th, 1321, a similar order was issued by Rigaud de Acheri, Bishop
of Winchester 4, who instructed in it his Commissary to see that the
tax was levied in his Diocese by the 'officiates' of the Archdeacons
of Surrey and Winton without delay. Also in this case the order was
that the money should be collected as soon as possible and forwarded
to the collector in London within the appointed period. Once all
this had been done, the Bishop was to be informed accordingly.
How far these instructions worked out in practice is not known.
We do, nevertheless, know this : that the tax was certainly paid
at any rate in some parts of the Canterbury Province in 1320-21,
and that there is at least one instance of its still being levied in 1325.
The Computus Rolls of Worcester Priory for the period 30 September,
1320 to 30 September, 1321, show in fact that the tax was paid there ;
this being obvious from the entry " et magistro grecorum Oxonie
12d ", that is to say the payment of one shilling, among the " Decime
Liberate " 5. It is even more interesting to see how this tax was still
being levied in the Diocese of Lincoln in 1325, when the Rural Dean
of Rutland, acting on behalf of the Archdeacon of Northampton's

1 Diocesan Registry, Rochester, Register of Rishop Hethe, f. 49^. Cf. also Diócesis
Rossensis Registrum Hamonis Hethe , pars prima (Canterbury and York Society, London,
1914), p. 89.
2 Lambeth Palace, London, Register of Archbishop Reynolds, ff. 98v-99v ; the text
of the circular is printed from it in D. Wilkins, Concilia Magnœ Britanniœ ei Hiber-
niœ , vol. II (Londini, 1737), pp. 499-500.
3 Cf. infra , Appendix I.
4 Printed in The Registers of John de Sandale and Rigaud de Asserio Bishops of
Winchester (A.D. 1316-23 j, ed. F. J. Baigent (London, 1897), p. 389.
5 Cf. Early Computus Rolls of the Priory of Worcester , ed. J.M. Wilson & C. Gordon
(Worcestershire Historical Society, Oxford, 1908), p. 7. The roll is printed as being
of 1286-1287 but is of 1320-1321, this being correctly stated in Documents illustrating
Early Education in Worcester 685 to 1700, ed. A. F. Leach (Worcestershire Historical
Society, London, 1913), p. 42.

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ENGLAND AND THE DECREE OF THE COUNCIL OF VIENNE 5

official, received 17 y2d from the Yicar of the Church of All Sain
at Oakham, for the expenses of the masters lecturing in the Hebre
Greek, Arabic, and Chaldean languages at Oxford *-â
This instance from Oakham is the last one we know of concernin
the levy of the tax for the support of language teachers at Oxford.
The silence about it after 1325 is naturally ominous, and can only
suggest that eventually the scheme broke down altogether. This is,
moreover, confirmed by a literary source, a passage in the Philobi-
blon of Richard de Bury 2, where the author explains why the orders
of the Council of Vienne had failed in England, the reason given by
him being that the prelates concerned had neglected to see that the
decree was observed. It was obviously this, the indifference and half
hearted efforts of those concerned in its execution, that had made its
success impossible. It is therefore not without interest to see in
connexion with this, how Richard de Bury had intended to fulfil in
part the provisions enacted by the Council of Vienne, since the hall
which he was planning to set up at Oxford, and unfortunately never
materialised, was to be endowed with copies of Roger Bacon's Greek
and Hebrew grammars 3, as well as other works useful for learning
those tongues. What these other writings were we do not know, but
it seems quite probable that what Richard had in mind were bilingual
texts, such as Graeco-Latin and Hebrew-Latin Psalters 4 or Bibles,
those texts in fact which were to prove such popular instruments for
learning Greek and Hebrew until the Renaissance 5.
More than a century had passed since the publication of the
Vienne decree, when it was re-issued in 1434 by the 19th session
of the Council of Basle 6. Nothing more is, however, heard about it
again in England until the sixteenth century. During this century
we hear once more of it in 1517, when the Statutes of Corpus Christi
College, Oxford, issued on June 29th of that year by Richard Fox,
Bishop of Winchester, laid down that the Reader of the Grecists

1 Cf. infra , Appendix II.


2 Philobiblon , ch. 10. For the question of authorship of this treatise cf. Richard
d'Aungerville of Bury, Fragments of his Registerand other Documents (Surtees Society,
Durham, 1910), pp. XXXVII-XLI ; J. de Ghellinck, Un Evêque bibliophile au
XIVe siècle - Richard Aungerville de Bury (1345), Revue d'Histoire Ecclésiastique ,
XVIII (1922), pp. 301-302 ; N. Denholm- Young, Collected Papers on Medieval Sub-
jects (Oxford, 1946), p. 19.
3 Philobibloiiy ch. 10. The Greek grammar and a fragment of the Hebrew grammar
are printed in The Greek Grammar of Roger Bacon and a Fragment of his Hebrew
Grammar , ed. E. Nolan & E. Hirsch (Cambridge, 1902).
4 A list of Graeco-Latin psalters may be found in D.A. Wilmart, Le Psautier de
la Reine N. XI. Sa provenance et sa date , Revue Bénédictine , XXVIII (1911), p. 350,
n. 6, to which may be added one now at Holkham Hall, MS. 22, written and decorated
in the Eastern Empire during the thirteenth century. For Hebrew-Latin psalters
cf. В. Smalley, Hebrew Scholarship among Christians in Thirteenth Century England ,
as illustrated by some Hebrew-Latin Psalters (Society for Old Testament Study, Lectio
n° 6, London, 1939).
5 For the use of bilingual texts in order to learn Greek cf. R. Sabbadini, Il metodo
degli umanisti (Firenze, 1922), pp. 18-20.
6 Cf. P. Labbei & G. Cossartii, Sacrosancta Concilia , vol. XII (Lutetiae Pari-
siorum, 1672), col. 547.

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6 ROBERT WEISS

should be appointed in comp


of Vienne x. There is no doubt that Fox knew of the decree from the
Clementines. And from this same source Sir Thomas More
doubtless acquired his knowledge of it, which is revealed in a letter
in defence of the study of Greek written on March 28th, 1518, from
Abingdon to the authorities of Oxford University 2 and again in one
written to a now unknow Monk in 1519-1520 3.
As we have already seen, the necessary machinery to implement
the wishes of the Council of Vienne was set into motion in 1320, and
there is evidence that the tax to provide for the teaching posts was
actually levied in 1321-1325. What we must now ask ourselves is
this : were the lectureships actually established at Oxford ? If we
are to judge from the passage in the Philobiblon mentioned above 4,
it would seem that this was not so. It is therefore unfortunate that
the records of Oxford University, by no means plentiful for this
period, should throw no light whatsoever on this subject. All we can
hope to know about it, has thus to be derived from the few epis-
copal and monastic records which have already been mentioned.
Let us see what they can tell us. Archbishop Reynolds's circular to
the Bishops of Lincoln 5 and Rochester 6 says merely " pro stipendiis
conversi docentis Oxon. linguam Hebraicam ". Now this seems an
obvious indication that in 1320 someone was already teaching that
language in Oxford. Moreover, the absence of any mention of the
other languages included in the Council's order, suggests that only
Hebrew was then being taught in Oxford, as was also the case in Paris
during the same year 7. The passage " pro stipendiis conversi docentis
Oxonie linguam Ebraicam atque Grecam" in the Bishop of Winches-
ter's order 8 suggests, on the other hand, that the convert teaching
at Oxford was lecturing on Greek as well as Hebrew. And this is
also suggested by the passage in the order issued by the Bishop of
Lincoln which reads, "pro stipendiis cuiusdam conversi catholici nunc
docentis Oxonie linguam Ebraicam atque grecam" 9 and by the refer-
ence to a " magister grecorum ' ' in the Worcester Priory accounts 10. Now
this is all the evidence from which we can draw any conclusions. And
these cannot go, unfortunately, any further than this : that money
was certainly collected in some parts of the Canterbury Province

1 Cf. Statutes of the Colleges of Oxfordy vol. II (London, 1853), Statutes of Corpus
Christi Colleae , Oxford , p. 49.
2 The Correspondence of Sir Thomas More , ed. E. F. Rogers (Princeton, 1947), pp. 118.
3 Ibid., p. 185.
4 Supra , p. 5, n. 2.
ö Ibid., p. 4.
6 Ibid. y loc. cit.
7 Ibid ., p. 3.
8 Ibid ., p. 4. For the mention of Greek in this document and in that in Appendix II
cf. infra , p. 8, n. 1.
9 Ibid., p. 8.
1U Supra, p. 4, n. 5.

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ENGLAND AND THE DECREE OF THE COUNCIL OF VIENNE 7

between 1321-1325, but that it is not quite certain whether the


Council's orders were complied with any further than that. Our
evidence certainly suggests very strongly that a converted Jew was
teaching Hebrew and perhaps Greek at Oxford from 1320, but strong
as this evidence is, it cannot be accepted as conclusive proof that such
teaching was actually taking place. What is instead quite certain,
is that the provisions of the decree were not popular at Oxford, and
that the eventual failure of the scheme was no doubt largely due to
the lukewarm support of the prelates connected with it г. Although
the Oxford Grey Friars had a valuable collection of Greek texts in
their library, bequeathed to them by Robert Grosseteste, Bishop of
Lincoln 2, Greek studies did not exactly flourish in Oxford during the
first half of the fourteenth century. The University curriculum had
no room for either Greek or Hebrew or missionary efforts, which
were probably deemed to be the concern of Religious Orders. Little
wonder then, that only during the sixteenth century were the Coun-
cil's wishes put into practice at Oxford.

APPENDICES

Lincoln Diocesan Record Office, Reg. 5, fï. 268v-269r 3. Order


of Henry Burghersh, Bishop of Lincoln, to the archdeaconal officials
of his diocese, Liddington, December 10th, 1320.
(f. 268v) Henricus permissione divina Lincolniensis episcopus
universis et singulis archidiaconorum officialibus per nostram dio-
cesim constitutis salutem gratiam et benedictionem. felicis recorda-
cionis Clemens papa quintus iam pridem sacro approbante Consilio 4
scolas in linguarum generibus subscriptarum ubicunque Romana
curia residere contingeret nec non in Parisiensi Oxoniensi Bononiensi

1 It may be noted that there is no evidence of any steps about obeying the Vienne
decree either in the York Province or Scotland, Wales or Ireland. According to the
Council's decree, on which cf. supra , p. 1. n. 1., also Scotland, Wales, and Ireland were
to be responsible for the support of the teachers at Oxford.
2 For the library of the Oxford Grey Friars and Grosseteste's benefactions to it
cf. A.G. Little, The Grey Friars in Oxford (Oxford Historical Society, Oxford, 1891),
pp. 55-62 ; W. Pronger, Thomas Gascoigne , English Historical Review , LIII (1938)
pp. 621-623 ; S. Harrison Thomson, The Writings of Robert Grosseteste (Cambridge,
1940), pp. 25-36 ; N.R. Ker, Medieval Libraries of Great Britain - A list of Surviving
Books (Royal Historical Society Guides and Handbooks, London, 1941), p. 79.
3 I reproduce here the text as given in the Register without any emendations.
The punctuation is that of the original.
4 Concilio is actually meant. The text from sacro approbante Consilio to in hoc
casu reproduces that of the decree, on which cf. supra , p. 1, n. 1, with occasionally
slightly different readings and without the passage dealing with the instructions for
the application of the decree at the Roman Court, Paris, Bologna, and Salamanca.
The inclusion of " Grece " on which cf. supra , p. 1. n. 2, shows of course that the text of
the decree at the Bishop's disposal contained this reading. It seems very likely that
he knew this text from the Clementines , which had been published by John XXII on
October 25th, 1317, cf. Hefele, op. cit., vol. VI, pt. 2, p. 665.

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8 ROBERT WEISS

et Saramatinensi studiis providit et statuit eligendas ut in quolibet


locorum ipsorum teneantur viri catholici sufficienter habentes
Ebraice Grece Arabice et Caldee linguarum noticiara duo videlicet
unius cuiusque lingue periti qui scolas regant inibi et libros de linguis
ipsis fìdeliter transférant in latinům et alias singulas linguas ipsas
solliciti doceant eorumque periciam studiosa in illos instruccione
transfundant ut sic instructi et edocti sufficienter in linguis huius
fructum speratum possint deo actore perducere fìdem propagatius
salubriter in populos infideles quibus pro studio Oxoniensi moraturis
per Anglie Scocie Hibernie ac Wallie prelatos monasteria capitula
conventus collegia exempta et non exempta et ecclesiarum rectores
in stipendiis competentibus et sumptibus fore decrevit et statuit
provideri contribucionis onere singulis imponendo iuxta suarum
exigenciam facultatum privilegiis et exempcionibus quibuscunque
contrariis nequaquam obstantibus in hoc casu Cumque deliberacione
concordum et unanimi prelatorum provincie Gantuariensis modo tarde
Londoniarum coadunatorum conductum extitit et consensum quod
pro stipendiis 1 cuiusdam conversi catholici nunc docentis Oxonie
linguam Ebraicam atque grecam et pro negociis communibus ecclesie
unus quadrans de libra qualibet bonorum ecclesiasticorum provincie
Cantuariensis in singulis diocesibus iuxta taxacionem ultimam colle-
gatur et collecta inde pecunia citra primam dominicam quadragesime
per deputatos singulos collectores Londonias transmittantur Priori
sánete Trinitatis ibidem ea occasione electo communiter receptori
solvenda. Quocirca vobis omnibus et singulis committimus et man-
damus quatinus prefatum quadrantem pro singulis libris benefìciorum
et bonorum ecclesiasticorum prout vobis singillatim subesse noscuntur
iuxta taxacionem ultimam nunc currentem ab Abbatibus Prioribus
et magistris exemptis et non exemptis Rectoribus vicariis et aliis
personis ecclesiasticis quibuscunque que decimam hactenus aucto-
ritate apostolica impositam persolverunt exigatis recipiatis omni
sollicitudine qua poterit et levet et ipsam pecuniam per vos singilla-
tim sic collectam prefato Priori sánete Trinitatis citra diem assi-
gnatum tamen fìdeliter transmittatis Ad que omnia et singula exe-
quenda vobis et cuilibet vestrum insolidum vices nostras committimus
cum cohercionis canonice potestate. Et quid inde feceritis quantum-
que per vos singulos levatum fuerit et transmissum de pecunia ante-

1 As the text from quod pro stipendiis to Quocirca vobis is a quotation from Archbi-
shop Reynolds's circular, it may be assumed that the copy of it which reached the
Bishop of Lincoln included the words atque grecam in this passage, although these
words do not occur in the copy of the circular sent to Lincoln entered in the register
of Archbishop Reynolds, and in that sent to the Bishop of Rochester, on both of which
cf. supra , p. 4. That this must have been so is also shown by the mandate issued
by the Bishop of Winchester, on which cf. ibid., p. 4, n. 4, where the words atque grecam
occur also in a similar quotation from the aforementioned circular. The reference to a
magister grecorum in the accounts of Worcester Priory, cf. ibid., p. 4, n. 5. shows that the
order issued by the Bishop of Worcester must also have included a reference to the
Greek language.

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ENGLAND AND THE DECREE OF THE COUNCIL OF VIENNE 9

dicta priori predicto et a quibus personis levatura fuerit Nos citra


medium quadragesime (f. 269r) singuli vestrum certifìcent, per suas
litteras harum seriem continentes. Datum apud Lydinton 1 III idus
Decembras anno domini millesimo cccmo xxtJ.

II

Westminster Abbey, London, Muniment Room, no. 29465.


Acquittance from the Rural Dean of Rutland to the Abbot of West-
minster's Yicar of the Church at Oakham for 17 y2d for the expenses
of teachers lecturing in Hebrew, Greek, Arabic and Ghaldaean at
Oxford. Oakham, September 28th, 1325 2.
Pateat universis per presentes quod ego Decanus Roteland
collector quadrantum libralium de beneficiatis dicti Decanatus 3
pro expensis magistrorum in lingua ebraica, greca, arabia 4, et
caldea in universitate Oxoniensi legencium, per dominum Officialem
domini Archidiaconi Northamptonensis 5 dictorum quadrantum in
Archidiaconatu Northamptonensi collectorem principálem, per vene-
rabilem patrem dominum Henricum 6 dei gracia Lincolniensem
Episcopum in hac parte constitutum et deputatum recepi de pre-
pósito domini Abbatis Westmonasteriensis Londoniensis pro ecclesia
sua de Ocham 7 septemdecem denarios et obolum pro expensis
dictorum magistrorum. In cuius rei testimonium sigillum officii mei
presentibus apposui. Datum apud Ocham iiij Kalendas Octobris.
Anno domini millesimo. ccc°. vicésimo Quinto 8.

1 Liddington was one of the episcopal manors of the Bishop of Lincoln in County
Rutland.
2 The document in the Westminster Muniment Room is the original, written o
a narrow strip of parchment. Only fragments of the green seal remain now. I reproduce
the test without any emendations and with its punctuation.
3 The Rural Deanery of Rutland within the Archdeaconry of Northampton,
which included then the whole of County Rutland, cf. The Victoria County History of
the County of Rutland , ed. W. Page, vol. I (London, 1908), p. 158.
4 Obviously a mistake for arabica. The list of languages is doubtless derived from
the document in Appendix I.
5 The Rural Dean of Rutland was acting here as collector on behalf of the Arch-
deacon of Northampton's Official.
6 Henry Burghersh, Bishop of Lincoln.
7 The Church of All Saints at Oakham in County Rutland had been secured by
the Monks of Westminster early in the thirteenth century, cf. The Victoria County
History of the County of Rutland , vol. I, p. 144. On it cf. ibid, vol. II, pp. 18-25.
0 I would like to record here my grateful thanks to Miss Irene Churchill, Mr. H.N.
Grimwade, Mr. Laurence Tanner, and Miss Dorothy Williamson, without whose kind-
ness I would not have had access to several important documents.
ADDITIONAL NOTE. For the decree of 1311 cf. also B. Altaner, Ra.ymundus
Lullus und der Sprachenkanon (Can. 11) des Konzils von Vienne (1312), Historisches
Jahrbuch , LUI (1933), pp. 190-219. Altaner shows in this article that 4 Chaldaean '
means 4 Syriac % cf. ibid. pp. 217-218. For the effect of the decree of 1311 at the
Papal Court cf. В. Altaner, Die Durchführung des Vienner Konzilsbeschlusses über
die Errichtung von Lehrstühlen für orientalische Sprachen , Zeitschrift für Kirchengeschichte ,
LII (1933), pp. 227-231. For the study of Oriental languages and Greek among the
Religious Orders cf. the bibliographical indications in R. Loenertz, La Société des
frères pérégrinants (Roma, 1937), p. 29, п. 59. It is interesting to note that in 1324
the Chapter of Chartres gave a sum of money 4 4 pro eo qui legit Parisius Chaldeum
cf. A. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge (Chartres, 1895), p. 393, and that
the decree of 1311 was mentioned by Jacobus Latomus during the second decade of
the sixteenth century, cf. Theologorum Neerlandicorum Disputationes contra Lutherum ,
ed. F. Pijper (Hagae-Comitis, 1905), pp. 48-49.

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RENCONTRES DE DANTE
ET DE STACE

par André Pézard

1. Stace au Purgatoire. La terre, tout à coup, le corps entier de la


« montagne sainte », tressaille sous les pieds de Dante et de Virgile.
Le cri d'une foule d'âmes s'élève, qui se prolonge en un chant de
jubilation, Gloria in excelsis Deo. Puis l'hymne et le tremblement de
terre cessent ensemble ; Dante et son guide reprennent leur montée
au flanc du purgatoire. Alors, comme apparut aux pèlerins d'Emmaüs
le Christ surgi du sépulcre, une ombre se dresse à leurs côtés, et leur
souhaite la paix de Dieu. Elle dit son nom ; c'est Stace, le poète
latin г.
Ainsi Dante fait de Stace un chrétien, en route vers le paradis.
Stace, disciple de Virgile, peut bien par l'élégance de sa poésie, par
la décence de ses mœurs et par les douces affections qui remplissent
sa vie, nous sembler digne de l'estime et de l'amour d'un poète chré-
tien ; mais ses biographes anciens seraient fort étonnés si dans l'autre
monde ils apprenaient sa tardive profession de foi ; pour nous, les
œuvres qui révèlent Stace, la Thébaïde ou V Achilléide, n'expriment
pas d'autres sentiments religieux que ceux du paganisme traditionnel.
Faute du moindre document historique attestant la prétendue
conversion de Stace, on a cherché à tirer de ses épopées quelque
vague indice de mysticisme, en les sollicitant de vingt façons. Ce
sont des tentatives qui ne sauraient convaincre. Le christianisme de
Stace dans la Divine Comédie reste une thèse énigmatique, et l'on ne
voit guère ce qui la distingue d'une invention arbitraire. Dante, en
sauvant Stace, fait preuve tout au moins d'une merveilleuse hardiesse.
Il sait de cette âme pénitente bien d'autres choses presque aussi
étonnantes. S'il lui est donné de la rencontrer au cinquième cercle
du purgatoire, c'est parce que Stace y devait expier le plus grave de
ses péchés : la prodigalité, qu'il avoue à Virgile déconcerté. Même
si nous nous faisons à l'idée que la prodigalité est pour Dante aussi
condamnable que l'avarice, nous restons plus déconcertés encore que
Virgile. Nous pourrions imaginer qu'un des contemporains de Stace,
un chroniqueur ou poète satirique, a dû citer quelque folie commise
par un Stace trop fortuné. Mais personne ne conte rien de tel. Au
contraire Juvénal dit à peu près que Stace, auteur de chefs-d'œuvre,

1 Ритд. xx-xxi.

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STACE 11

était pauvre et a souffert de la faim. Où l'Alighieri a-t


Tidée d'une faute aussi impraticable ?
2. La couronne poétique. Cependant les critiques se sont moins
tourmentés de la deuxième « invention » de Dante que de la première,
qui a juste raison pouvait faire pâlir celle-ci. Il ne leur reste plus guère
d'étonnement à user lorsqu'ils arrivent à d'autres menues trouvailles,
que Dante accumule sans se lasser : il est bien décidé à faire de Stace
un personnage unique de sa Comédie. Voici par exemple un détail
exceptionnel qu'il fait mentionner par Stace dans le récit de sa vie :
- Si doux fut mon chant, dit-il, que m'appelant à elle, Rome voulut
me décerner la couronne poétique x.
Et cette fois, le fait se trouve attesté par plusieurs textes. Mais
Fétrangeté des connaissances infuses en Dante prend ici une forme
nouvelle : s'il n'a pas « inventé », il est impossible qu'il ait « su » ;
historiquement impossible. Tous les passages, fort clairs, où il s'agit
d'une couronne accordée à Stace, se trouvent dans les Silves , écrites
par Stace lui-même. Or ce recueil d'épîtres, odes et poèmes commémo-
ratifs, publié sans doute à un très petit nombre d'exemplaires, a
disparu de fort bonne heure, et n'a été retrouvé qu'en 1417 par Poggio
Bracciolini : un siècle après Dante 2. Gela est si vrai, que sur les trois
douzaines de témoignages touchant la carrière de Stace qu'on a pu
recueillir avant la Renaissance, pas un seul, du Scholiaste antique de
Juvénal à Sidoine Apollinaire ou de Fulgence à Vincent de Beauvais,
ne fait mention d'un couronnement. Ils se copient d'ailleurs tous et
les plus proches de Stace ne savent rien de sa fortune. Nous-mêmes
devons tout tirer des Silves : les anciens étaient encore moins avancés
que nous. Pétrarque, en faveur de qui le 8 avril 1341 fut restauré
l'honneur de la couronne poétique, oublié depuis des siècles, Pétrarque
ne parle pas à ce propos de Stace ; ni davantage Boccace, dans son
chapitre Du laurier concédé aux poètes , inspiré par quelques vers du
Paradis , ou dans ses Genologise Deorum 3. On dirait que Boccace
et Pétrarque ont oublié l'étrange allusion du Purgatoire à la couronne
de Stace.

Ce tercet glorieux, les interprètes de la Comédie ne s'y arrêtent


guère ; et même les interprètes postérieurs à la fièvre humaniste le
sautent volontiers, ou comme Torraca se débarrassent de la difficulté
par une supposition faite en passant : puisque les Silves étaient
inconnues du moyen âge, l'Alighieri dut avoir sous les yeux quelque
biographie antique de Stace, perdue depuis comme un tas de compi-
lations anonymes. - C'est une chance bien curieuse...

1 Voir Purg . XXI, 88-90.


2 Voir H. Frère, Introduction à l'édition des Silves avec notes critiques et tra-
duction (Paris, les Belles Lettres 1944), p. xxxv.
3 Trattatello in laude di Dante , XI (Guerri : XXIII-XXIV) ; cf. Par. I, 2t>-33
et XXV, 8-9. - Genol. Deor. V, xxv, VII, xxix.

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12 ANDRÉ PÉZARD

Je crois qu'une question de méthode se pose ici. Les dantologues


aiment mieux réserver leurs commentaires à l'invention de la prodi-
galité de Stace et surtout à celle de son christianisme, parce qu'elles
intéressent en effet l'art de Dante ; elles ont des conséquences esthé-
tiques et doctrinales énormes ; elles retentissent sur la structure même
de la Comédie ; elle font rêver longuement les amants de la poésie,
discuter plus longuement encore certains autres, de façon désespérée.
A côté d'elles, une donnée biographique comme le couronnement
de Stace semble un accident sans poids.
Mais est-il raisonnable de s'attaquer de front à de grands problèmes
à première vue bien scabreux, et de se lancer dans le criticisme,
l'esthétisme, l'historicisme, à corps perdu ? Il semblerait plus sage
de commencer par ces devinettes périphériques qu'on néglige de
parti pris, qui peuvent être résolues à meilleur marché, de façon plus
sûre, et dont le mot enfin donné - sait-on jamais ? - pourrait jeter
un rayon imprévu sur les grandes énigmes centrales.
Tout lecteur consciencieux, en confrontant notre tercet avec les
Silves , aurait pu depuis longtemps s'apercevoir de ceci : sans compter
les couronnes qu'il désira en vain, Stace parle de deux ou trois cou-
ronnes solennellement reçues ; une couronne d'épis décernée aux
jeux de Naples 1 ; une couronne d'or, façonnée en feuilles d'olivier,
décernée aux jeux albains 2 ; enfin une couronne de lauriers - qui
peut-être n'est pas le prix d'un concours 3. - Or la couronne qu'il
« mérita à Rome » selon Dante serait faite de myrte :

... mertai le tempie ornar di mirto.

La couronne romaine, la vraie - une couronne de chêne instituée


dans les jeux capitolins de 86 - lui fut refusée ; et il le dit très clai-
rement 4. Quant au myrte, pas un historien, pas un archéologue ne
signale qu'il ait été décerné dans des solennités vouées aux muses :
pas plus dans les panathénées que dans les jeux helléniques, ou plus
tard les concours de poésie « césaréens ». Le myrte est le feuillage de
Vénus, les poètes d'amour s'en parent librement, comme d'autres se
couronnent de verveine, de jacinthes ou de pampres. Stace, fidèle à
la tradition des lyriques latins, Horace, Tibulle, Ovide, prétend ceindre
à l'occasion ses tempes d'un myrte plus ou moins allégorique :
Nunc ab intonsa capienda myrto
serta... 5

1 Silv . Y, III, 225.


2 Silu. III, v, 28 (cf. note 1 de l'éditeur) ; IV, v, 22-24 ; V, m, 226-231.
3 II ne dit pas où il l'aurait reçue, et elle semble plutôt symbolique : V, m, 9 ;
V, v, 28, lauriers mêlés de lierre ; v. aussi IV, n, 9, où il n'y a rien de plus qu'un jeu
de l'imagination.
4 Silv. V, in, 231-235.
5 Silv. IV, vu, 10-11. - De même pour les fêtes il se parera de lierre ou d'if, et
pour les deuils il déposera ces couronnes joyeuses : I, и, 249, IV, v, 29-30.

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STAGE 13

Un compilateur de l'âge classique ou post-classique n'a pu s'y


méprendre ; un « biographe » comme celui que suppose Torraca
devait savoir avec tous ses contemporains que les prix littéraires en
usage consistaient en couronnes de lauriers, de chêne, ou d'olivier,
à quoi pouvaient se mêler des épls. Ce n'est donc pas dans un texte
ancien qu'a pu naître la confusion dont on voit l'effet chez Dante.
Cette méprise au contraire est toute naturelle au moyen âge, chez un
lecteur qui pour se renseigner n'aurait que les allusions et périphrases
des Silves , rapprochées un peu trop vite ; un lecteur nécessairement
tardif : plus récent que les trois douzaines d'auteurs qui parlent de
Stace sans rêver à ses couronnes.

3. La fortune des « Silves ». Nous avons un tel souci de méthode


et de chronologie que, plus un examen critique comporte de dates
ordonnées, plus il nous fera impression. L'histoire des Silves , selon
l'hypothèse de Torraca, se construit ainsi : - 1. Les Silves sont
publiées par Stace à la fin du siècle d'Auguste. 2. Elles fournissent
à un inconnu les éléments d'une biographie précise de Stace. 3. A
peine a-t-on compilé cette unique biographie, que les Silves disparais-
sent sans laisser de traces. 4. Dante rencontre la précieuse biographie,
qu'il utilise dans la Comédie. 5. Aussitôt, la biographie disparaît à
son tour, 6. Au bout d'un siècle, Poggio Bracciolini retrouve les
Silves. - Ce ballet est savamment réglé. Mais il n'y a d'utile que le
« premier sujet », d'indiscutable que son « entrée » au lever du rideau
et sa rentrée du finale , après une sortie sur la pointe des pieds. Dans
l'intervalle, il y a la Divine Comédie et cela suffit. Pourquoi encombrer
la scène d'un second sujet bien gauche, et qu'il faut enfin chasser?
Economisons les hypothèses. Je me représenterais fort bien les
choses ainsi : - Les Silves , pièces de circonstance que l'auteur même
donne pour un simple exercice littéraire ' tombent bientôt dans
l'oubli ; elles sont éclipsées par le rayonnement de la Thébaïde , dont
la fortune devient immense au moyen âge : mais elles ne sont pas
perdues, et l'un des rares manuscrits, le dernier si l'on veut, parvient
aux mains de Dante. Le cas extraordinaire que Dante fait de Stace
ne suffit pas pour imposer à l'attention des lettrés un recueil que d'ail-
leurs il ne désigne pas 2. On peut donc considérer qu'après Dante
les Silves dorment dans un tel abandon qu'elles sont pratiquement
perdues. Ainsi le Pogge peut fort bien les retrouver en 1417 ; la critique
ne sait même plus, d'ailleurs, dans quel fonds poussiéreux, en quelle
ville ou nation il les a dénichées ... 3 Ici, je passe sous silence une
autre hypothèse, qui serait trop piquante.
Un fait est certain : personne, et pour cause, n'a jamais écrit :
« C'est en telle année que s'est effacée toute trace des Silves de Stace ».
1 Silv. I, Epist. 7-10 ; IV, Epist. 34-36.
¿ Je me contente ici d une lormule sommaire.
3 H. Frère, Introd., j>š xxxv.

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14 ANDRÉ PÉZARD

Les imaginations ont beau jeu. Qu'une suprême copie ait été conservée
par je ne sais quel ser Martino, biographe providentiel, plutôt que
par Dante lui-même, je ne vois guère ce qu'on y gagne en vraisem-
blance. Au contraire ! On ne peut pas prouver a priori que ser Martino
ait existé pour lire les Silves ; et il n'est pas impossible a priori de
prouver que Dante les a lues. Nous n'aurions pour cela qu'à indiquer
dans les Silves non plus deux passages insignifiants et disjoints comme
l'allusion à la couronne d'or et l'allusion à la couronne de myrte, mais
un passage tenant debout à lui tout seul, un vers où tout mot porte,
qui serait la justification, cachée jusqu'ici, d'un épisode capital de la
Comédie : d'une invention sur laquelle les interprètes se sont épuisés
de siècle en siècle, et que son mystère même rend poétique. Une telle
rencontre, il est vrai, c'est une fortune qu'on n'ose pas espérer.
Nous pourrions nous contenter à moindres frais : il nous suffira
de trouver dans les Silves la source d'une comparaison typique,
comme celles que Dante emprunte à l'Enéide , aux Métamorphoses
ou à la Pharsale. Je veux dire une image qui n'existe que chez Stace
et chez Dante, et que nécessairement on a crue jusqu'ici jaillie du
seul génie de Dante ; la plus harmonieuse de ses similitudes - ou
peut-être au contraire la plus bizarre et déplaisante, s'il arrive à
Dante, comme au bon Homère, de sommeiller.
C'est encore beaucoup demander. Une preuve moins éclatante,
non méprisable cependant, serait à chercher peut-être non plus dans
le domaine des images et idées que l'on risque toujours de solliciter
et déformer si l'on est habile, si le hasard a bien combiné les choses ;
mais dans une rencontre d'expression, une alliance de mots si hardie
qu'elle soit visiblement le fait d'une volonté consciente, créatrice
chez l'ancien, imitatrice chez le moderne.
Il est vrai que Stace écrivant en latin et Dante en italien, la
traduction va fausser les symétries ; le parallélisme ne serait parfait
que si l'on pouvait confronter au latin de Stace le latin même de
Dante : à un hapax antique un hapax médiéval. Cette preuve sera
d'un mécanisme un peu élémentaire, mais commençons par là.
4. La tête du Latium. Dans son Epître aux Cardinaux , XI, 22,
Dante appelle Rome Latíale caput. Stace, dans V Epithalame de Stella,
écrit :
... mœnia Romse,
imperii Latíale caput... ( Silv . I, и, 191-2).

En nulle autre pièce il ne répète l'expression. Nul avant lui, nul


après lui ne l'a employée. Sans doute garde-t-il dans l'oreille quelques
syllabes de Lucain, latiare caput (I, 535). Mais il a modifié la forme de
l'épithète, et il a transformé du tout au tout le sens du substantif
comme celui de l'adjectif. Car Lucain voulait désigner, selon For-
cellini, « la tête du Jupiter latin », selon d'autres « un sommet des

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STACE 15

monts Albains », aujourd'hui encore appelés colli Laziali. Stace au


contraire, et Dante à sa suite, visent en ces deux mots la capitale
du Latium et de l'empire.

5. Les joues noires. On peut considérer comme un pur latinisme


encore l'usage de l'adjectif atro dans un vers curieux du Purgatoire
(XXX, 54) : latinisme de forme dont il y a d'autres exemples chez
Dante ; mais surtout latinisme de sens, unique chez Dante comme il
était caractéristique chez Stace.
L'entrée de Dante au paradis terrestre est l'épisode le plus émou-
vant de son voyage d'outre-monde. A l'instant même où il retrouve,
après dix ans de deuil et d'erreur, Béatrice belle et redoutable, voici
que Virgile sans qui jamais il n'eût revu Béatrice, Virgile, maître
bien-aimé et vrai père spirituel, dolcissimo pâtre , disparaît. Dante
reste sans voix ; il se met à pleurer, et ses joues deviennent « noires
de larmes », lacrimando... atre. D'une noirceur si visible que le poète
l'égale au noir dont les fumées de l'enfer avaient couvert sa face ;
et Virgile, au sortir de l'abîme, avait dû avec la rosée matinale laver
ces tristes joues. Les voici donc non pas « devenues » mais « redeve-
nues » noires, torn[ate ] atre. C'est à peine si, en regard d'un souvenir
aussi concret, on songe à poser la présente image comme une expres-
sion figurée, comparable à cet autre essai de Dante, un atto bruno
{Pur д. XXIV, 27), ou à la mamma scura - Marie pleurant Jésus -
de Jacopone da Todi (XCIII, 51). Les commentateurs ne font même
pas ces rapprochements d'ailleurs bien peu topiques.
Et maintenant, voici deux vers de Stace. Il décrit - c'est à peu
près la relation sentimentale inverse - un père adoptif en deuil de
son enfant, et qui se livre au désespoir :

... non ssevius atros


nigrasset planetu genetrix tibi salva lacertos.

Nous savons, nous, qu'il faut traduire : « Moins furieusement


la mère, si elle eût vécu, aurait noirci de coups ses bras maculés » 1 :
c'est l'immanquable allusion aux violences théâtrales à quoi se
livraient non seulement les pleureuses à gages, mais les proches les
plus sincères. Dante, homme du XIIIe siècle, semble sans effort
oublier le sens antique de planctus , « coups », « meurtrissures », pour
se souvenir seulement du pianto italien, «pleurs», c'est-à-dire «larmes»,
ainsi qu'il en use ailleurs 2. Et voilà comment l'eau des larmes peut
noircir un visage. Cependant est-il juste de soupçonner chez le poète

1 Silv. II, VI, 82-83 ; trad H. J. Izaac. - Cf. Thébaïde VI, 474-6, où Jocaste
apparaît, truces oculos sordentibus obsita canis // exsanguesque... genas , et brachia planetu
// nigra ferens.
2 Inf. XX, 23 ; XXIII, 60, cf. 97-98 ; XXXIII, 94-99 ; XXXIV, 53 ; Purg. XXII,
84, etc. - Il n'aurait pas hésité je pense, s'il avait eu à traduire cet autre passage
des Silves (III, ni, 176-7) : Heu quantis lassantem brachia vidi ,// pianeti bus...

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16 ANDRÉ PÉZARD

une erreur d'interprétation ? Il trouverait à sa hardiesse bien des


encouragements chez Stace lui-même, qui le premier exploite les mots
latins : par exemple quand il écrit canitiem ni gram pour dépeindre,
dans la Thébaïde (VIII, 243), les cheveux blancs d'Œdipe accablé
par le destin.
Or l'alliance de termes le guance atre , dont nous n'avons commenté
que l'adjectif, pourrait bien sortir essentiellement d'un autre pas-
sage des Silves , d'un nouveau portrait d'homme en deuil :

... tantum... gense...


noctis habent... (Y, i, 219)

On voit le substantif « joues » ressortir par l'effet de l'enjambe-


ment, avec sa qualification de couleur, sans que la cause ou le moyen
soient définis cette fois : ni larmes, ni meurtrissures non plus. Dante
est libre de choisir, et même de ne pas choisir.
Nous attribuons volontiers au goût du moyen âge, de l'école
provençale, sicilienne ou bolonaise, certains assemblages de vocables,
certaines images heurtées, dont nous n'osons pas faire reproche à
Dante personnellement. Il ne faut pas l'en rendre responsable en
effet ; mais ce goût qu'il partage avec ses contemporains lui vient
assez souvent des rhéteurs latins, de Lucain et de Stace. Et puis,
l'habitude nous fait accepter bien d'autres choses aussi bizarres :
si nous disons avec les Latins et les Italiens « vertes années», « verte
vieillesse », pourquoi ne pas dire « des joues noircies de larmes »? 1

6. Béatrice en « amiral ». L'exemple qu'on vient d'analyser est


un peu maigre et en somme tout formel. En voici un autre où le
développement de la pensée est plus ample et intéressant. Youdra-t-on
noter qu'il prend place immédiatement après le tercet des « joues
noires » ?

- Ne pleure pas, Dante, pour le départ de Virgile î s'écrie alors


Béatrice ; je vais te faire pleurer pour de bien autres peines 1 - Ici,
nous traduirons en abrégeant, après avoir rappelé que Béatrice est
apparue sur un char triomphal à la romaine :

Pareille à l'amiral qui va de la poupe à la proue pour surveiller,


sur les autres bâtiments, la manœuvre des équipages, et qui les encou-
rage à bien faire, je vis ma dame sur le bordage de son char, qui
dirigeait les yeux vers moi. ( Purg . XXX, 58-66).

Cette comparaison ne semble pas d'un goût parfait. Luigi Ven-


turi, après l'avoir louée puisqu'elle est de Dante, avoue : « On ne
peut dire qu'elle soit l'une des plus heureuses du poème. » Même en nous

1 J'ai expliqué ailleurs pourquoi il était nécessaire à l'allégorie du poème que


Dante eût par deux fois les joues noires ; v. dans la Revue des Langues romanes , n° 1950,
mon article Dante et Vénus , § 9.

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STACE 17

débarrassant du gênant arsenal d'images qu'entraîne avec lui le


mot ammiraglio , nous avons envie de sourire. Et puis - ceci Venturi
ne le dit pas - le parallèle est inachevé ; aux détails du premier
terme, indiscrètement développé, rien ne répond par la suite. Béatrice
veille, debout sur son char comme l'amiral sur la nef capitane ;
fort bien ; mais où reconnaîtrons-nous, sur leurs « autres bâtiments »,
les équipages qu'elle regarde et encourage ? S'agit-il de Dante? Il est
bien seul, le pauvre ; il n'a rien à manœuvrer : Béatrice, elle, n'a rien
à surveiller, et sans marcher de long en large sur le pont, elle va
plutôt décourager, par ses mordants reproches, l'homme qui reste à
terre. Vraiment, il n'y avait pas besoin, pour illustrer l'affliction du
poète et sa honte, de mobiliser toute cette marine au sommet de la
montagne sainte.
Oui, mais ammiraglio a pu changer de valeur ; et déjà Dante à
l'occasion l'emploie comme synonyme d'« adjudicataire », « entre-
preneur », « directeur de travaux » ( Purg . XIII, 154). Du moins c'est
le sens donné par les plus vieux commentateurs. De même si dans
Villani ou Compagni l'on traduisait caporale par « caporal », on ferait
un contresens. L'usage moderne a limité peut-être indûment l'emploi
de tels mots. « Amiral » vient d'une racine arabe qui veut dire « chef »,
civil aussi bien que guerrier, sur terre aussi bien que sur mer.
Je le traduirais ici par « maître d'équipage », et me le représente
comme ce marin armé du porte-voix qui distribue les commandements
à grand bruit : les siens s'il est patron lui-même, ou ceux d'un capi-
taine si le vaisseau est important et l'équipage nombreux. Venturi
observait, sans en tirer les conséquences voulues, que Dante emploie
dans le Banquet une image analogue à celle de Y ammiraglio Béatrice :
«... e questo è lo nocchiero , a la cui voce tutti obedire deono. » ( Conv . IV, iv, 5).
Le « nocher », le nauclerus des Latins et d'abord des Grecs, c'est
tantôt 1'« armateur », tantôt le « pilote », tantôt le « patron », vieux
titre encore en usage ; ne nous montrons pas trop pointilleux. Il y a
un autre équivalent purement latin, c'est : magister. Et voici son
portrait : Stace, dans le Propempticon composé pour le départ d'un
ami très cher, Maecius Geler, décrit l'appareillage du navire, et prie
les dieux de lui assurer un bon voyage.
Ma prière est entendue. Zéphyre lui-même appelle le vaisseau et
gourmande les matelots trop lents. Et voici que je sens mon cœur
défaillir, glacé de crainte, et que je ne puis retenir les larmes qui
perlent au bord de mes yeux. Déjà le câble est détaché, le marin
a séparé le navire du rivage et précipité dans les flots l'étroite passe-
relle. Sans pitié, du haut de la poupe, le maître met fin par un long cri
aux embrassements ; il désunit les lèvres fidèles, et l'on ne peut plus
s'attarder au cou d'un être chéri 1.

1 Silu. III, il, 50-58 ; trad. H. J. Izaac. - Pour le vers 56, Sœvus et e puppi longo
clamore magister 1 1 dissipât amplexus... je me demande s'il n'aurait pas mieux valu
traduire : « par un son prolongé de sa trompe ». Le maître d'équipage, dans le tableau

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18 ANDRÉ PÉZARD

Qu'est-ce qui peut, dans cette p


se comparer ? Moins à Stace lui-
t-il. C'est Dante qui s'apprête à quitter la terre, laissant en arrière
Virgile son ami. Dante, matelot ou passager, est par Béatrice appelé
pour un voyage miraculeux, à travers « une mer qui jamais ne fut
courue » par un être vivant ; il va bientôt s'embarquer sur « le
grand vaisseau qui navigue en chantant »,

... il legno che cantando varca.

Le moment venu, il nous montrera même ce grand vaisseau escorté


de nefs plus petites ou de barques, navigi, picciolette barche : celle des
âmes qu'enhardit son exemple. De cette flottille idéale, Béatrice se
trouvera donc le guide désigné. N'oublions pas que la prudence
conseille de naviguer en convoi, « sans s'écarter du sillage » tracé « sur
la mer profonde » 3.
C'est ainsi qu'éclairant la route commune, le « navire élevé » qui
emporte Celer précède la flotte des voiliers (21-23), les «poupes»
dociles et les «carènes audacieuses» (1, 47) dirigées vers les rivages
du Levant.
Et voilà je crois justifiée, par la suite de la Comédie comme par
le Propempticon de Stace, l'allusion aux « autres embarcations »,
altri legni , que l'imagination de Dante groupe autour de la nef capi-
tane, et dont après coup nous cherchions en vain l'équivalent autour
du char de Béatrice.

Mais le poète, au début du Paradis , nous invitera à bien nous


assurer de nos forces avant de nous risquer sur ses traces. Il se sou-
vient que la glorieuse aventure d'abord lui fut amère. Revenons au
Purgatoire , au moment où il se trouve en face de Béatrice. Que se
passe-t-il alors ? Non sans cruauté - le poète ne dit pas sseva, mais
proterva (70) - Béatrice « gourmande » un homme « glacé de crainte »,
comme disait Stace ; elle rudoie Dante « qui ne peut retenir ses lar-
mes », qui voudrait « s'attarder au cou d'un être chéri »...
Selon moi, l'objet de cette réminiscence figurative où l'on se perd
un peu n'est point de peindre la grave beauté de Béatrice que nous ne
connaissons pas encore, mais de nous faire deviner tout ce qui s'agite
dans le cœur de Dante : au moment où il perd le plus précieux des
amis, Béatrice ne lui apparaît pas comme la bien-aimée dont la
douceur console de tout, mais, pour un long moment encore, comme
un arbitre impitoyable de son destin. A ben far l'incora, elle l'arrache

symétrique tracé par Martial (X, 104), est appelé tumidus magister : l'épithète fait
allusion, je pense, aux joues gonflées du maître qui sonne le départ ; la sculpture antique
a souvent représenté de telles figures (E. Espérandieu, Ree. gén. des bas-reliefs de la
Gaule rom., t. I. fig. 807). En poésie aussi c'est un thème d'école, et Stace ne peut
ignorer Martial : Jam tumidus vocat magister // castigatque moras... // Navem , seis
puto , non moratur unus... - Cependant, tumidus peut signifier « gonflé de colère »,
colère réelle ou de commande. Le sœvus de Stace, alors, serait inspiré de ce tumidus.
1 Par. II, 1-3, 10-15.

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STACE 19

à ses erreurs terrestres ; mais aussi à ses affections terrestres. Dante


pourtant Га cherchée au prix d'efforts affreux à travers les menaces,
les tortures et les épouvantes de l'enfer ; il a gravi en haletant les
flancs abrupts de la montagne ; il vient, pour retrouver ses amours
juvéniles, de se jeter dans un brasier plus brûlant que du verre en
fusion. Dans les épreuves infernales, Virgile l'avait soutenu, sauvé ;
dans la suprême épreuve, c'est Virgile encore qui Га engagé à franchir
la barrière de feu - au delà de laquelle son « fils » allait lui être enlevé
à jamais, tandis que lui-même, il le savait bien, serait renvoyé dans
la seconde mort. Et l'on voudrait que Dante, oubliant tant d'amour
et d'abnégation, ne pleurât pas au moment de l'adieu, et d'un adieu
qui lui est volé ?
J'ai tâché d'analyser ce que notre poète suggère dans ses vers ;
mais le trop-plein des émotions diverses, les événements qui se préci-
pitent : apparition de Béatrice, abandon de Virgile, courroux de
Béatrice, sont tels qu'on ne saurait exprimer cela en quelques mots.
D'où le caractère imparfait, troublant par là-même, de la comparai-
son : tout reste ébauché ; l'image de V ammiraglio ne satisfait pas, à
moins qu'on ne la complète par celle des voyageurs ou des matelots
qui s'arrachent aux bras de leurs amis tandis que mugit la conque
marine : par tous les détails que Stace, lui, développe avec trop de
soin peut-être et de loisir.
S^it-on pourquoi Dante a pris le parti de les retrancher avec la
deuxième moitié de sa similitude ? C'est qu'au début de son voyage
à travers le purgatoire, il avait eu besoin déjà d'exprimer la mélancolie
des embarquements :
Era già l'ora che volge il disio
ai navicanti e 'ntenerisce il core
lo dì c'han detto ai dolci amici addio... ( Purg . Vili, 1-3).
Il n'y a pas lieu, pour fonder cet admirable prélude, d'invoquer
autre chose que l'humaine expérience du poète ; et l'on ne demande
pas aux commentateurs de supposer partout des « sources » classi-
ques. Et puis l'allusion à l'angelus du soir, qui vient prolonger le
thème, entraîne ailleurs notre rêverie. Mais ce thème des adieux était
d'une poésie si pénétrante que Dante ne pouvait songer à la banaliser
par une redite à la fin du Purgatoire. Et du coup il nous a laissés en
suspens : nous risquons de mal juger l'épisode de V ammiraglio :
dans ces vers-là, c'est ce qui n'est pas dit qui compte.
Ne pourrait-on penser que Dante, même, a fait exprès de laisser
inachevée son image pour mieux rendre son sentiment de désarroi
et de désolation ? De façon analogue, dans la Vita nuova , alors qu'il
pleurait la mort de Béatrice, il avait fait en sorte, par un artifice
de composition, que « la canzone parût rester plus veuve ». La Comédie
à son tour « paraît veuve » en cet épisode : comme l'âme du poète
est veuve de Virgile.

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20 ANDRÉ PÉZARD

L'âme des deux poètes, devrais-je dire : Stace et Dante. Car


Dante par une pensée touchante associe à son deuil ce compagnon
taciturne, Stace, qui dans ses propres œuvres a montré tant d'amour
en effet pour Virgile
... Ma Virgilio n'avea lasciati scemi
di sé...

« Virgile nous avait laissés veufs de lui », écrit Dante. C'est à Stace
encore qu'il emprunte cette idée, et son expression même. Stace
disait de la nef où monte Msecius Geler : « Elle s'apprête à faire fran-
chir les ondes à plus de la moitié de mon âme », animas partem nostras
majorem 2. L'Alighieri a reconnu dans ce vers une parole plus ancienne
et illustre : quand Stace pleure le départ de son ami, il imite Horace,
qui ne pouvait « les yeux secs » voir s'embarquer pour Athènes
Virgile, « la moitié de son âme » : il disait, mieux que Stace, dimidium
animas meas (Od. I, ni, 8). Dante sait gré à Stace de lui remettre en
mémoire Horace et l'ode Sic te diva potens... grâce à qui la figure de
Virgile, autrement intéressante que celle de Mœcius Geler, pourra
dignement se parer d'un dernier reflet poétique en quittant la scène
du paradis terrestre. Mais Horace à lui seul n'offre pas de quoi
nourrir l'inspiration de l'Alighieri en ce chant où la Comédie change
de figure. Pour illustrer sa pensée, si riche de résonances sentimentales,
Dante a besoin des compléments que Stace donne au motif à peine
indiqué de l'ode à Virgile.
En tout cas le scemi du vers dantesque ne saurait mieux se justifier
que par le dimidium d'Horace. Les glossateurs se bornent à dire :
scemi , « privés » ; c'est faible. Scemo vient de semus qui signifie
« réduit à une moitié » ou « à demi vide » : et c'est pour ceci que je le
traduisais par « veuf », viduus : qui a perdu sa « moitié ».

7. Trivia . Mais confronter des mots, des images, des sentiments


pris chez deux ou trois poètes, n'est pas prouver l'imitation ; surtout
quand il s'agit d'un tumulte de pensers et d'affections difficiles à
emprisonner dans le vers. Et puis ce que Dante bâtit est une sorte
de parabole : son modèle lui présentait une scène peinte au vif.
Enfin, là où Stace se montre parfaitement explicite, les intentions
de Dante n'apparaissent qu'après un travail incertain d'exégèse.
On sera plus frappé peut-être de trouver une comparaison formelle
et bien filée de Stace reprise à peu près sans changement par Dante.
La chance veut que cette comparaison, sous sa forme italienne, soit
universellement considérée comme l'une des plus personnelles et des
plus mélodieuses, comme la plus belle peut-être de la Comédie. Venturi,
qui en a étudié six cents, a dit de celle-ci : è proprio un riso celeste .

1 Cf. Ригд. XXI, 97-102 et les commentaires.


2 Silv. III, и, 7-8 ; trad. H. J. Izaac.

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STAGE 21

Comparetti, dans son Virgile au moyen âge (I, 268) l'égalait aux plus
belles réussites du lyrisme antique. Et chez nous Louis Gillet ne
manquait pas une occasion de la citer en exemple de Г art dantesque.
Au huitième ciel, Dante voit resplendir le Triomphe du Christ :
la voûte bleue s'éclaire de myriades de flammes, qui sont les élus ;
et au milieu d'elles apparaît un soleil - Jésus - de qui chacune
reçoit sa clarté.
Quale ne' plenilunii sereni
Trivia ride tra le ninfe etterne
che dipingon lo ciel per tutti i seni,
vidi sopra migliaia di lucerne
un sol che tutte quante l'accendea,
come fa il nostro le viste superne 1.
Il y a ici, ce qui est rare, une comparaison double, ou si l'on veut
une similitude renforcée d'une proportion : - Autant la lune fait
pâlir les étoiles, le ninfe etterne , autant l'éclat du Christ passe la
clarté des saints qui le reflètent.
Voici le modèle profane offert par Stace dans Y Epithalame de
Stella et Violentala. Vénus vante à l'Amour l'éclat charmant de la
jeune épouse :
Je l'ai reçue à sa naissance, je l'ai réchauffée sur mon sein... Je
l'ai vue avec joie grandir à ma ressemblance. Contemple la fière beauté
de son front et l'édifice de ses tresses. Mesure de combien elle l'emporte
sur les dames romaines : tout autant que la fille de Latone domine
les nymphes, et que moi-même je surpasse les néréides.
Latias metire quid ultra
emineat maires : quantum Latonia nymphas
virgo premit , quantumque egomet nereidas exto.
Celle-ci elle était digne de jaillir avec moi des flots azurés, et de
prendre place dans ma conque ; et si elle avait pu s'élever jusqu'aux
demeures de flamme et pénétrer dans notre séjour, vous-mêmes vous
vous y tromperiez, Amours 2.
Les dantologues jusqu'ici ont mis en regard du tableau de Dante
une demi-ligne de У Ecclésiastique et deux vers insignifiants d'Horace 3.
Mais c'est seulement chez Stace que Dante a pu trouver ces « nym-
phes » célestes qui sont aussi des « flammes », chez lui seul ce mou-
vement de pensée qui entrecroise les traits pittoresques et les rapports
géométriques si j'ose dire.
Cette image de la lune parmi les étoiles, Stace la reprend deux ou
trois fois encore dans ses Silves , pour la parfaire. A son ami Rutilius

1 Par. XXIII, 25-30. « Telle, dans les nuits sereines de pleine lune, Diane rit
parmi les nymphes éternelles dont le ciel s'enlumine en toutes ses profondeurs : tel
je vis resplendir par dessus des milliers de lampes un soleil qui les enflammait toutes,
comme notre soleil allume là-haut les planètes. »
2 Silv. I, il, 110-120 ; trad. H. J. Izaac.
3 Eccli. L, 6 : Quasi luna plena in diebus suis lucet. - Epod. XV, 1-2 : Nox erat
et cœlo fulgebat luna sereno // inter minora sidera.

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22 ANDRÉ PÉZARD

Gallicus, orateur et semble-t-il


quelques vers de congratulation : « Quoique ton éloquence soit plus
haute et que ta sublime parole abonde en ressources, ne dédaigne
pas d'être honoré par une lyre moins puissante. La lune errante a un
cercle d'étoiles », vaga cingitur astris luna 1. Nous n'avons ici qu'une
esquisse.
Mais voici comment Stace représente une gracieuse fillette entre
ses frères ; telle que la blanche Hélène entre les Dioscures, astres chers
aux navigateurs :

Qualis inaternis Helene jam digna palustris


inter Amyclseos reptabat candida fratres ;
vel qualis cseli facies, ubi nocte serena
admovere jubar medias duo sidera lunse 2.

Ici Stace laisse au lecteur le soin de se rappeler que la lune est plus
brillante que les étoiles. Ailleurs, son ongle appuie au contraire : il
s'agit par exemple de montrer un bel enfant - le petit esclave favori
de Flavius Ursus - dont la grâce éclipse tous ses compagnons, mais
ne saurait atteindre pourtant à la beauté parfaite de son maître :
Qualis eras I procul en cunctis puerisque virisque
pulchrior, et tantum domino minor ! Illius unus
ante decor, quantum procedit clara minores
luna faces , quantumqiie alios premit Hesperus ignés 3.

Il est bien évident que si Stace a devancé Dante en imaginant de


telles « comparaisons comparées », s'il les a, par des essais répétés,
marquées comme sa création propre et indiscutable, ce mérite ne
suffît pas à faire de lui un plus grand poète que Dante. Le talent de
Stace est aimable et ingénieux, un peu facile : les musiques de Dante
nous plongent dans le délice. Pourtant Comparetti sans le vouloir
attribuait à Dante plus que son dû et ne réservait pas assez les pri-
vilèges secrets de Stace, quand il louait Dante de savoir « forger de
toutes pièces » des images pareilles : coniar di suo. Dante montre en
tout son poème un sens exquis de la beauté antique « sans jamais
être ce qu'on appelle un imitateur... » - Certes ; mais il ne dédaigne
pas de choisir un modèle précis et reconnaissable ; l'honneur qu'il
fait à Stace en prenant chez lui son bien nous invite à estimer le
poète latin jusque dans ses œuvres mineures.

1 Silv. I, IV, 36-37 ; trad. H. J. Izaac.


2 Silv. IV, vin, 28-31. « Telle, digne déjà des palestres de la cité maternelle, Hélène
radieuse rampait entre ses frères Amycléens ; tel le spectacle du ciel, quand par une
nuit sereine deux astres, de part et d'autre, ont approché leur lumière de la lune. »
(Trad. H. J. Izaac). - Il était inutile, je pense, de souligner nocte serena.
3 Silv. II, vi. 34-37. « Comme tu étais beau ! beaucoup plus beau, certes, que tous
les autres, garçons et hommes ; et ne le cédant qu'à ton maître ! Son éclat seul surpassait
le tien, comme la lune brillante l'emporte sur les astres moindres, et comme Hesperos
efface les autres feux du ciel. » (Trad. H. J. Izaac).

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STACE 23

8. Ulysse perdu en mer. Ce n'est pas seulement par sa fraîcheur


de source vive que la poésie du Florentin remporte sur celle de son
inspirateur : l'Alighieri sait transfigurer les thèmes de Stace par la
puissance de son imagination. Et alors même qu'il tombe, en lisant
Stace, dans le contresens, on voit son art tirer de là, par un rebondis-
sement soudain, un mythe qui sera la merveille de Y Enfer. Un contre-
sens, c'est exprès que je choisirai ce cas singulier. Ici la liaison entre
Stace et Dante va se marquer dans la matière, au moment précis ou
l'esprit, par son erreur même, par son arbitraire magnifique, va
s'affranchir de tout soupçon de servitude. C'est encore de navigation
qu'il s'agit.
Le dernier voyage d'Ulysse tel que Dante le conte a soulevé des
étonnements qui, pour être pieux, n'en portent pas moins à faux. Le
naufrage du héros dans les mers australes est contraire, certes, à
toute tradition classique. S'il y a des mythographes, et même des
philosophes, et même des géographes î pour admettre qu'Ulysse osa
franchir les colonnes d'Hercule, fendre les flots de l'Océan, fonder des
cités sur les côtes d'Europe ou d'Afrique, nul n'a jamais dit qu'Ulysse
fût mort englouti par la mer des antipodes. Même sans avoir lu
Y Odyssée, qui sur ce point ne l'aurait guère éclairé, Dante doit savoir
par Hygin, sinon par Ovide et ses gloses (17*. I, 1, 114), qu'Ulysse a
été tué par Télégone, le fils qu'il eut de Circé.
Mais si Dante a jugé bon de noyer Ulysse, je ne vois pas qu'il ait
besoin d'autorités et d'excuses. C'est le droit du génie de rebâtir
à sa guise les légendes qui sont le patrimoine de l'humanité ; c'est
même le droit du premier venu. Le conte du Chaperon rouge a deux
conclusions, l'une pour les hommes, l'autre pour les enfants sages
que leur nourrice ne veut pas faire pleurer. Il s'agit que l'œuvre
nouvelle vaille la peine d'être écrite.
Si le naufrage d'Ulysse, donc, est une invention de Dante, il n'y
a pas à s'en montrer surpris : le drame neuf est plus beau que le
drame antique. Mais ce qui est vraiment surprenant, et qui ne semble
surprendre personne, c'est la façon dont le poète parle de cette chose
qui est sienne. Il la mentionne comme une chose qui serait à tout
le monde, connue depuis toujours et allant de soi. Il met un discours
bien inattendu dans la bouche de Virgile, qui doit mieux que personne
savoir de quoi il retourne : Virgile ayant reconnu la flamme qui
enveloppe Ulysse et Diomède leur adresse pour le compte de Dante
cette prière : « Que l'un de vous dise où il est allé se perdre et mourir. »
Ce n'est pas Diomède qui peut répondre : il n'y a pas de perdition
dans son histoire telle que YEnéide la rapporte. On sait fort bien
qu'il règne en Apulie, qu'il ne tient pas le moins du monde à en sortir
pour guerroyer, et qu'il y meurt à un âge avancé г. - On « sait »

1 Cf. Servius , ad Mn. XI, 271.

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24 ANDRÉ PÉZARD

donc, de même science, qu'Ulysse s'est perdu avec son navire ? Mais
qui Га dit ? Il semble, au ton de Virgile, que nous devrions « savoir »
aussi en quel livre la chose est écrite. La seule incertitude qu'on nous
permette est celle du lieu et des conditions de ce naufrage ; et ce serait
dans ces limites imposées que s'exerce le bon plaisir de Dante.
Il y a un texte en effet où Dante a cru lire que la nef d'Ulysse
s'était abîmée en haute mer ; et ce texte se trouve dans les Silves.
Dante a même dû penser de bonne foi que le garant de Stace était le
grand Homère, et que tous ceux qui jadis avaient pu lire l'Odyssée
savaient la perdition d'Ulysse.
Dans son Eucharisticon , Stace pour chanter dignement la gloire
de Domitien souhaite posséder la lyre de Virgile « qui conduisit Enée
aux champs Laurentins », ou la lyre d'Homère, « qui épuisa en
courses sur les flots Ulysse revenant de guerre »,
sequore qui multo reducem consumpsit Ulixem 4
Pour nous il n'y a guère qu'une façon d'entendre ce vers 2. Mais
un bachelier peut s'y tromper, et Dante parfois interprète de façon
bien curieuse certains vers de Virgile : c'est justement à Stace lecteur
de Virgile qu'il prête ses élucubrations 3. Ses vues sont à coup sûr
moins aventureuses ici.
Le verbe consumpsit, sans qu'on le presse le moins du monde, peut
signifier « il fit périr » ; et même périr corps et biens.
Reducem tient lieu pour Stace d'un participe présent : c'est
« tout au long de son retour » qu'Ulysse est victime de la fortune.
Mais l'adjectif a aussi souvent le sens d'un participe passé : « une fois
rentré ». Il n'est pas interdit, même, de l'étayer sur une opposition :
« alors qu'Ulysse avait pu revenir » d'une guerre de dix années et
d'un fatal voyage de dix autres années, il alla chercher la mort dans
une aventure gratuite 4.
Quant à multo qualifiant œquore, on peut lui attribuer la valeur
particulière d'intensité ou de violence que cet indéfini prend aisément,
en prose comme en vers : chez Gicéron multa nox veut dire « nuit
épaisse », et chez Pline multus sol « gros soleil » ; Stace lui-même dans
les Silves écrit multus dies , « vive clarté » (I v 45) ; multo fratre ,

1 Silv. IV, il, 4. - Pour plus de symétrie, H. J. Izaac faisait de reducem son verbe
principal, ajoutait un lieu d'arrivée, et réduisait consumpsit à une épithète : «... qui
ramena à son foyer Ulysse épuisé par ses courses sur les flots ». - C'est trop songer
à l'épisode final de l'Odyssée.
2 Quicherat pourtant traduisait : « chanta le retour d'Ulysse (épuisa le sujet
d'Ulysse) ».
3 Purg. XXII, 40-41.
4 Je ne crois pas utile de prétendre, comme on le fait souvent, que Dante a ignoré
ou « supprimé » le retour d'Ulysse à Ithaque. Le vers Quando mi dipartii da Circe peut
se prendre largement : « Une fois que je me fus séparé de Circé » pour rentrer au foyer.. .
Il put alors se croire libre ; mais un charme mortel jeté par la magicienne empoisonna
lentement le cœur du héros et finit par l'arracher aux siens. Dante abrège, à l'accou-
tumée. - Mais si l'on préfère entendre que selon Dante le retour même fut interrompu,
cela ne change rien à mon interprétation générale.

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STACE 25

« forte beuverie » ou même « ébriété » d'Hercule - qui


Bacchus - (III, i, 41) ; ictus... Hyperione multo : « sous les coups d'un
soleil accablant » (III, i, 53) x. Ainsi œquor multum représente à volonté
« une mer gonflée par la tempête » ou « un fort coup de mer », « une
lame énorme ». Dante n'a plus qu'à jeter ce flot tout-puissant sur la
nef d'Ulysse, qu'une autre pièce des Silves , le Genethliacon Lucani,
appelle puppem temerariam , pour la faire soudain tournoyer, la dresser
vers le ciel, suprême et dérisoire symbole de défi :
tre volte il fè girar con tutte l'acque,
alla quarta levar la poppa in suso...
- après quoi le gouffre se referme sur la folie du Grec.
Il convient maintenant de citer tout entière la phrase du Genethlia-
con où Stace voulait noter la banalité de certains thèmes littéraires
tels que les voyages d'Ulysse. Il disait à Lucain 2 :
Alii...
... tardi reducis vias Ulixis
et puppem temerariam Minervœ
trita vatibus orbita sequentur.

« Chemins battus », « ornières où se traînent les poètes » : ces


définitions de la fable odysséenne, rapprochées du vers consumpsit
œquore multo , étaient bien faites pour convaincre Dante que l'ima-
ginaire naufrage d'Ulysse traînait lui-même parmi les lieux communs.
Voilà, je pense, pourquoi le Virgile de la Comédie en parle d'un ton
si naturel. Dante s'est cru en face de deux traditions divergentes :
celle des mythographes - meurtre d'Ulysse par Télégone - et celle
de Stace. Il a choisi la plus belle histoire, celle du « vol fou ».
Au vers 49 du Genethliacon , l'épithète tardi Ulixis mérite aussi
qu'on s'arrête une minute. Stace ne sait guère nommer Ulysse sans
la répéter : casus tarde remeantis Ulixis ; tardi reditus... Ulixis ;
quam tardus Ulixes ... 3 Cette épithète, Dante le relève, et la met sur
les lèvres d'Ulysse lui-même :
« Io e' compagni eravam vecchi e tardi... »
Dans une telle remarque placée précisément en ce point, je vois
une arrière-pensée aux racines profondes ; et le texte des trois pièces
de Stace que je viens de citer va nous en faire saisir le cheminement.
Ces pièces ont des points de départ comparables, et c'est par une
même pente sentimentale que chacune rencontre sur sa route le
souvenir d'Ulysse.
Dans l'une (II, i), Atedius Melior, père en deuil, pleure l'enfant
qu'il a perdu. Il se souvient de sa gentillesse, de son intelligence, de

1 Cf. Silv. IV, iY, 27, nimio Hyperione : « par un soleil trop ardent » ; imité de
Lucain : nimius Titan (IX, 384).
2 Silu. II, vu, 48-51.
3 Silv. II, i, 118 ; II, vi, 57 ; V, m, 148.

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26 ANDRÉ PÉZARD

sa voix touchante quand il « redisait les épreuves d'Ulysse et son


tardif retour » 1.
Dans la seconde pièce (II, vi), c'est un adolescent que pleure
Flavius Ursus plus tendre qu'une mère et plus accablé de douleur.
L'aimable enfant, naguère, « s'attristait et riait » avec lui : il ne vivait
que pour son maître, dont il reflétait sur son visage les moindres
sentiments, dont il supportait l'absence avec peine et guettait lon-
guement le retour : « Ce n'est pas d'un cœur plus fidèle et souffrant
qu'Eumée espéra le retour d'Ulysse, d'Ulysse qui tardait tant. 2 »
Enfin, dans le plus long poème des Silves , Stace lui-même pleure
son père bien-aimé, poète avant lui et qui fut son maître de poésie ;
qui lui fit connaître « les malheurs de Troie et les retards d'Ulysse »,
et qui maintenant l'abandonne : « Sans toi mon navire vacille sur une
route incertaine, et ma voile s'embrume sur la carène orpheline »...
« Tu m'es ravi, mon père, à un âge qui n'est point prématuré... Mais
l'amour (pietas) et la douleur ne veulent pas de tels comptes, ô toi
qui méritais de dépasser les ans du Pylien Nestor » et du vieux
Priam 3.

Ne trouve-t-on pas là, mêlées à diverses images navales, les senti-


ments que l'Ulysse de Dante a étouffés dans son cœur, dolcezza di
figlio ou pièta del vecchio padre ? Dante semble dire que lorsqu'on
atteint l'âge d'Ulysse et de ses compagnons, vecchi e tardi, le moment
est venu de renoncer aux longs voyages, et de faire retraite au port
des affections paisibles. Il le dit formellement ailleurs : « Dans la
vieillesse... il convient donc d'être prudent, c'est-à-dire sage... -
О misérables et vils, vous qui, les voiles hautes, courez à ce port où
vous devriez trouver le repos, qui faites naufrage par l'impétuosité
du vent, et qui vous perdez vous-mêmes après avoir tant navigué I » 4
On devine très bien le retour que fait le poète sur sa propre aven-
ture quand il raconte le dernier voyage d'Ulysse. N'oublions pas
que Dante est le même homme que nous avons vu pleurer une amitié
rompue, au moment où il s'apprêtait pourtant, en compagnie de sa
Dame, à s'embarquer pour le paradis : la « patrie céleste » ! - Com-
ment excuser Ulysse ? Voilà un homme, semble dire l'Alighieri,
qui avait désiré vingt ans revoir sa patrie, sa famille, et qui avait
enfin réalisé son rêve. Devenu vieux, il se montre plus emporté qu'un
jeune homme, s'exile volontairement et meurt au bout du monde.

1 Au cours de la même pièce le nom d'Ulysse - sans épithète - accuse encore


le thème de l'innocente enfance qui attendrit les cœurs les plus durs. Comment, dit
Stace, la Parque a-t-elle pu frapper ce charmant petit être ? Si Astyanax lui eût
ressemblé, « Ulysse, malgré sa haine pour les cendres d'Hector et pour Troie, Ulysse
eût pleuré au moment de le précipiter du haut des tours phrygiennes. » ( Silv . II, i,
137-145.)
2 Je m'écarte un peu de la traduction H. J. Izaac.
3 Silv. V, in, 237-8, 252-6. - Même observation que ci-dessus.
4 Conv. IV, XXVII, 5 et xxvin, 7. Il cite en exemple Guy de Montefeltro : le
voisin d'Ulysse en enfer.

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RENCONTRES DE DANTE ET DE STACE 27

Et moi, vieux aussi, exilé à mon corps défendant, battu des flots
de la fortune, « navire sans voile et sans gouvernail » *, que ne don-
nerais-] e pas au contraire pour retrouver ma patrie, et mes enfants,
si mes parents sont morts !
Nous avons semblé négliger l'allusion faite aussi à Famour
conjugal,
il debito amore
lo qual dovea Penelopè far lieta.

Ge trait plein de force apparaîtra plus intéressant encore si nous


relevons chez Stace, toujours liée au symbole odysséen, une inspira-
tion sentimentale qui devait aller au cœur de Dante. Stace, n'osant
parler, adresse un poème à sa femme Claudia. Elle est tendre et Adèle,
mais triste ; pourquoi ces soupirs ? « Si moi-même, arraché aux rives
de ma patrie, après vingt ans de guerres et de voyage sur mer, j'errais
encore, tu repousserais mille prétendants sans te laisser toucher ».
Le poète voudrait l'emmener loin de Rome ; elle hésite. « Mais
quelles sont les mers à travers lesquelles je cherche à t'entraîner ?... »
- Ce n'est que la terre de mes aïeux, dit-il 2 ; elle est belle et le voyage
est court. « Avec joie Pénélope eût pris le chemin des demeures
troyennes - rien n'effraie ceux qui aiment - si Ulysse l'avait
permis...»3
Comme l'Ulysse de la Comédie , Stace se dit « vieux » et « las » 4 ;
sa Claudia, comme la Pénélope de Dante, a un sens profond des graves
joies du mariage : quies et sordida nunquam gaudia ; mais mieux
encore l'expression teintée de regret isset Penelope gavisa 6 annonce
le vain amour chanté par Dante, l'amour qui « aurait dû » rendre
joyeuse l'épouse : dovea 1... cet imparfait plein de doute répond à
l'irréel isset , et surtout au si passus Ulixes : - Ulysse « ne permet
pas », semble dire le poète latin. Et Dante trouve ici une raison
nouvelle de croire que la séparation définitive fut voulue également
par le héros impitoyable.
Que le mariage de l'Alighieri ait été malheureux, comme le
prétend Boccace dont le témoignage est suspect, et que l'époux exilé
ait caressé dans ses nostalgies un rêve deux fois impossible, ou que la
pauvre Gemma Donati ait été irréprochable, on voit que les trois
amours qui émeuvent Dante au chant XXVI, et avec eux l'amour du
sol natal, se trouvaient déjà évoqués par Stace autour du nom de ce
même Ulysse 6. De même que ces amours font toute la vie de Stace,

1 Conv. I, ni, 5.
2 Euboicos penates (12) : Dante n'a pas dû comprendre qu'il s'agissait de Naples,
colonie de Chalcis.
3 Silv. III, v, 6-10 ; 18 ; 46-47.
4 Fessus (12) : senium componere (13) ; in senium (24).
5 Vers 17-18 ; 46-47.
6 J'ajoute qu'en nul autre passage des Silves il n'est plus question d'Ulysse.

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28 ANDRÉ PÉZARD

ils emplissent le cœur de Dante


l'affection et l'admiration qu'il p

9. Le secret de Stace. A supposer que les pages ci-dessus aient


éveillé chez quelques lecteurs l'impression que Dante pourrait en
effet avoir connu les Silves , je ne me dissimule pas que les fragments
latins envisagés ne touchent que des épisodes épars de la Comédie.
C'est bien peu par rapport à l'édifice entier du poème, par rapport
même à l'assemblage plus léger et plus libre des Silves. Nous en tenir
là, et pis encore prolonger cette cueillette parmi d'innombrables
fiches (... cosi al vento nelle foglie levi si perdea la sentenza di Sibilla !),
ce serait rendre plus redoutables une ou deux objections majeures,
prêtes à surgir depuis longtemps, sans doute : - Si Dante a connu
les Silves , pourquoi n'en parle-t-il pas, pourquoi son Stace ne les
nomme-t-il pas à côté de la Thêbaide et de Y Achilléide 1 ? Et surtout,
quand on pèse le rôle exceptionnel attribué à Stace dans l'économie
du poème - l'étrangeté de son apparition dans l'ombre de Virgile,
le double secret de sa prodigalité et de son baptême, découvert par
l'Alighieri seul - l'unique nouveauté dont nous ayons souci et qui
puisse ébranler les sceptiques, ne serait-ce pas de dire justement : ce
péché des « mains trop largement ouvertes », cette légende dorée d'un
Stace pleurant les martyrs, tout cela s'explique par les Silves ?
Or on peut, selon moi, le dire désormais.

Mais ce n'est pas l'affaire d'un article. Il me suffira d'avoir aujour-


d'hui posé une question qui intéresse l'histoire de l'humanisme : à
titre spéculatif surtout ; car en pratique, dans les écoles littéraires,
la découverte de Dante reste sans effet. Ainsi le service rendu par
le Pogge demeure entier : si en l'an 1300 les Silves n'étaient pas encore
tout à fait perdues, elles l'étaient bel et bien, depuis un siècle, en
1417, et sans doute à jamais. Je dirai donc que ce service rendu aux
lettres est plus grand que ne pouvaient l'imaginer les premiers huma-
nistes. Définitive, la perte des Silves eût été deux fois déplorable,
puisque non seulement nous ignorerions une œuvre antique d'un
accent très personnel, mais nous devrions renoncer à l'espoir de
trouver, en confrontant Stace et Dante, la clef d'une passionnante
énigme.

1 Purg. XXI, 92.

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SVILUPPO DELL'ARTE
E DEL PENSIERO DI DANTE
di Bruno Nardi

Nello sviluppo tanto dell'arte quanto del pensiero filosofico di


Dante noi possiamo fin d'ora fissare, così all'ingrosso, tre periodi о
momenti, rappresentati rispettivamente, nell'ordine della successione,
dalla Vita Nuova, dal Convivio e dalla Commedia.

Il primo periodo è quello della lirica stilnovistica, dai diciotto ai


venticinque anni. A diciotto anni avvenne il secondo incontro con
Beatrice. Nella primavera avanzata del 1290 il poeta compiva, a
venticinque anni, la prima età della sua vita, l'età « fervida e pas-
sionata », ch'egli chiama adolescenza, ed antrava in quella « tem-
perata e forte », che egli chiama giovinezza. Possiamo dire, dunque,
che il primo periodo, nello sviluppo della sua arte, va dalla seconda
apparizione di Beatrice alla morte di lei, l'8 giugno 1290. Con la
morte della giovane donna si spegnevano sul labbro del poeta i
canti dell'adolescenza, ed egli si raccoglieva nella meditazione,
cercando conforto nella filosofia.
Fino a questo momento, per sua espressa ammissione, egli non
aveva fatto studi filosofici, ma soltanto studi di grammatica, ed
aveva appreso l'arte del dire in versi, togliendo a modello le liriche
di Guido Guinizelli, ch'egli saluta padre suo nell'uso delle « rime
dolci e leggiadre », e quelle di Guido Cavalcanti, che ben quattro
volte chiama suo « primo amico ». Si può ritenere appartengono a
questo periodo, oltre ai componimenti in verso accolti nella Vita
Nuova , tutti quelli che formano il secondo libro delle Rime nell'edi-
zione di Michele Barbi. In essi, infatti, non v'è niente di propria-
mente filosofico che ci obblighi a pensare a studi che Dante stesso ci
assicura di non avere ancor fatto.
E qui occorre subito notare, che altro sono le rime del periodo della
Vita Nuova e altro è il racconto nel quale le rime stesse più tardi
sono state о non sono state inserite.
Le rime svolgono temi comuni alla lirica dello « stil nuovo » ;
e quello che Dante vi mette di suo è un maggiore approfondimento
di quei temi, grazie all'osservazione diretta ed attenta dei palpiti
del proprio cuore, ossia di quel che egli andava notando dei moti

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30 BRUNO NARDI

dell' animo sotto la signoria dell'amore. Mentre egli s'appropria la


tecnica dell'arte del dittare, comune agli altri rimatori, ascolta la
voce di quel che « ditta dentro ». E questa interiore armonia egli
esprime in versi di delicata e sottile fattura, pieni di musicalità e
simili al suon d'un flauto. I canti di questo periodo stanno alla grande
sonfonia della Commedia come i Bucolici Carmi di Virgilio stanno
ali 'Eneide.

E come per Virgilio era giunto il momento di congedarsi dai


canti pastorali : « Ite domum saturse, venit Hesperus, ite, capellse »,
così per Dante viene il momento di congedarsi dai canti d'amore della
sua adolescenza. Mentre il Guinizelli, il Calvalcanti e Gino non fanno
che variare alcuni temi fondamentali, ma in fondo restano prigio-
nieri della loro arte, Dante dà a quest'arte uno sviluppo imprevisto
dopo la morte di Beatrice.
La morte di Beatrice coincide col passaggio della vita di Dante
dall'adolescenza all'età matura. Raccolto nel suo dolore, il poeta
cerca e trova conforto nella filosofìa. Egli stesso ci narra in quali
circortanze e in quali condizioni del suo animo prese a frequentare le
scuole de'religiosi e le disputazioni de'fìlosofanti. Qualche tempo
dopo la morte della donna amata, che possiamo calcolare a pochi
mesi, quindi nell'autunno del 1290, tolse in mano il De consolatione
di Boezio, che egli riteneva un libro « non conosciuto da molti »
(Conv. II, XII, 2), ed inoltre il De amicitia di Cicerone. Ed egli stesso
non esita a confidarci, che gli era duro nella prima entrare nella loro
sentenza, digiuno com'era di studi filosofici. Pure, giovandosi
dell'arte di grammatica che aveva appreso, e del suo ingegno, vi
penetrò tanto che « molte cose, come sognando, già vedea, sì come ne
la Vita Nuova si può vedere» (ib., 3-4). Dunque, la Vita Nuova fu
scritta quando il suo autore aveva iniziato lo studio della filosofia
e molte cose di questa già vedea come sognando. Se non erro,
questa indicazione ci obliga a ritenerla scritta fra il 1291 e il 1292.
Infatti, la lettura di Boezio e di Cicerone lo indussero a frequentare
le scuole de li religiosi, forse di S. Maria Novella o di S. Croce od
altra, e le disputazioni de li filosofanti, « sì che in picciol tempo, forse
di trenta mesi », egli cominciò a prender tal gusto per la filosofìa,
« che lo suo amore discacciava e distruggeva ogni altro pensiero »
( Conv ., II, XII, 7), ed egli si sentiva « levare dal pensiero del primo
amore a la virtù di questo » (ib., 8). Dante stesso fìssa a tre anni, due
mesi e alcuni giorni dalla morte di Beatrice, quindi all'agosto del
1293, la vittoria del secondo amore sul primo. Questa precisione di
date, sulla quale egli insiste, mi sembra vada messa in rapporto a un
fatto determinato, del quale l'autore del Convivio s'adopra a mettere
in rilievo l'importanza : la composizione della canzone Voi che'nten-
dendo il terzo ciel movete , con la quale appunto si celebra la vittoria
del secondo amore sul primo, ed aveva inizio il ciclo delle rime filo-

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 31

sofìche, come si legge nel sonetto Parole mie, che per lo mondo siete
(. Rime , LXXXIV, 1-4).
Alle prese con le difficoltà che lo studio della filosofìa gli poneva
innanzi, e allettato in pari tempo dai nuovi orizzonti che quella gli
andava scoprendo, quanto più s'impegnava per la nuova via, egli
trovò non solamente rimedio alle sue lacrime, « ma vocaboli d'autori
e di scienze e di libri » (Сопи., II, xii, 5), sì che in breve tempo, rac-
colto nello studio di questi, sentì nascere nel suo animo una gagliarda
passione per il nuovo mondo che andava scoprendo, mentre il mondo
poetico della sua adolescenza si velava d'oblio ( Conv ., II, n, 4).
La Vita Nuova fu scritta da Dante sul punto di dare l'addio ai
canti dell'adolescenza, che avevano per argomento centrale, anche
se per avventura non unico, l'amore per Beatrice ; ossia al mondo
poetico dello « stil nuovo ». La differenza tra le rime del periodo della
Vita Nuova e il libretto della Vita Nuova è questa : le rime furon
composte quando il poeta era ancora digiuno di cultura filosofica ;
il racconto invece nel quale più tardi furono inserite, fu steso quando
egli aveva già preso a frequentare le scuole di filosofia e aveva varcato
da qualche anno la soglia dell'età « temperata e forte », ossia, com'egli
dice, « all'entrata della sua gioventù », riferendosi specialmente alla
narrazione della morte di Beatrice e a quel ch'egli fece per conso-
larsene.
In una autocitazione che Dante, nel secondo trattato del Convivio,
fa del libretto giovanile, ci fa sapere che la fine di esso era assai
diversa da quella che ora vi leggiamo. Secondo l'esplicita attestazione
del Convivio, che non v'è ragione di mettere in dubbio, la Vita Nuova
finiva col racconto dell'apparizione della donna gentile, del contrasto
fra il pensiero di Beatrice, che teneva ancora la rocca della mente del
poeta, e il nuovo amore, e infine della vittoria di questo nuovo amore,
« che era virtuosissimo sì come virtù celestiale », e con la ripetuta
confessione di Dante, che il suo « beneplacito fu contento a dispo-
sarsi a quella imagine » della pietosa consolatrice (Conv., II, n, 1-5).
Invece nella Vita Nuova quale è giunta a noi, dopo la morte di
Beatrice appare, sì, una donna che tenta di sedurre il poeta e di
guadagnarne l'amore « contra la costanzia de la ragione » ; ma
questi resiste al « malvagio pensiero » e, fugata l'immagine della ten-
tatrice, parla di quella mirabile visione della morta amica rapita alla
gloria del cielo, e delle cose che lo indussero nel proposito di non
dire più di questa donna benedetta, finché non potesse degnamente
trattare di lei (Vita Nuova, XL II, 1).
Il confronto fra la precisa ed esplicita attestazione del Convivio
e il racconto che si legge alla fine della Vita Nuova, quale è giunta a
noi, ci pone innanzi non una semplice dissonanza fra due interpre-
tazioni che in momenti diversi Dante potesse dare di uno stesso
avvenimento, ma la mancanza di corrispondenza tra la citazione

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32 BRUNO NARDI

circostanziata ed estesa che l'autore fa d'una sua opera e quello che


nell'opera stessa si legge! Per eliminare una così aperta, strana e
irriducibile contradizione, non v'è altro modo che ammettere con
Luigi Pietrobono, se non propio un rifacimento dell'opera giovanile,
un rimaneggiamento di essa e un rifacimento dei capitoli finali.
Secondo l'attestazione del Convivio , scritto sicuramente prima
d'aver concepito il disegno della Commedia , la Vita Nuova si conclu-
deva col racconto dell'apparizione della donna gentile e del modo
come il poeta « ad esser suo consentisse », « sì come è ragionato
nello allegato libello ». Il Convivio , nato dall'amore per la donna
gentile, come giustificazione ed esaltazione di questo amore, riprende
appunto e sviluppa il motivo col quale la Vita Nuova si concludeva,
sì che lungi dal derogare in parte alcuna a questa, vuol esserne anzi
la continuazione.
Più tardi, interrotto il Convivio e concepito il disegno della Com-
media , il poeta dovette riprendere in mano la Vita Nuova e modificar
la fine, per farne un preludio al poema, mentre nella prima redazione
era un preludio alla trattazione filosofica.
Si dirà : e perchè, modificando la fine della Vita Nuova , non pensò
a modificare anche la citazione del Convivio ? Perchè per modificare
questa citazione bisognava rifare il trattato filosofico : tanto essa è
essenziale. Ora Dante, nonché rifare il Convivio , lo interruppe, e non
pensò mai a riordinarlo per la pubblicazione.
A questa conclusione si giunge, mi pare, senza far violenza ai
testi, accordando alle esplicite dichiarazioni dell'autore quella fiducia
che taluni critici esitano ad accordargli. Alla tesi del rifacimento
della Vita Nuova , sostenuta dal Pietrobono con ragioni non sempre
inoppugnabili, s'oppose energicamente Michele Barbi. Nella discus-
sione che ne seguì, furono addotti da una parte e dall'altra argomenti
che mettevano in giuoco l'interpretazione del pensiero filosofico
dantesco ; e invece di attenersi alle dichiarazioni di Dante, si contri-
buì a svalutarle.
Tanto il Pietrobono che il Barbi sono d'accordo, per esempio,
nel negar fede a Dante, quando questi ci assicura e protesta nel modo
più risoluto, che la donna gentile della fine della Vita Nuova non era
donna reale, bensì figurazione allegorica della filosofica, di cui il
poeta aveva preso a invaghirsi e alla quale aveva finito per darsi con
ardore. Ora se così non fosse, avrebbero avuto ragione quelli che il
poeta aveva previsto l'avrebbero ripreso di « varietade » e di « le-
vezza d'animo », per essersi mutato dal primo amore e lasciato
dominare da una nuova passione per donna mortale. Che la Vita
Nuova si concludesse con l'accenno all'amore germogliato nell'animo
di Dante per la filosofia, nella quale il poeta aveva trovato conforto
dopo la morte di Beatrice, è cosa che non suona affatto offesa
alla memoria dell'amica morta. Ma non sarebbe più così, se al posto

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 33

della donna allegorica vi provate a mettere un'altra donna reale.


Tuttavia il mio bravo e caro amico André Pézard, così benemerito
degli studi danteschi, in un recente saggio sugli « Avatars de la donna
gentile » (nel primo numero del « Bulletin de la Société d'Etudes
Dantesques du Centre Universitaire Méditerranéen »), m'osserva :
« C'est... manquer gravement à la révérence due à Béatrice, créature
de chair descendue du ciel pour persuader aux vivants d'aimer toutes
sortes de biens spirituels : la paix du cœur et de l'esprit, la douceur,
la vertu, la sagesse, l'amour, la foi - c'est être bien cavalier que de
croire qu'avec tous ces attributs attachés à son exquise humanité,
elle puisse être mise en balance et en conflit avec un fantôme comme
la philosophie, et que ce fantôme ose attenter à sa puissance dans son
propre temple, dans le livre qui célèbre ses « miracles ».
Rispondo all'amico Pézard che nel Convivio Dante ha proprio
messo « en balance et en conflit » il suo amore per Beatrice e quello
per la filosofìa, ed ha confessato che il suo amore per la filosofia
« cacciava e distruggeva ogni altro pensiero » e com'egli si sentisse
« levare dal pensiero del primo amore a la virtù » del secondo. Se in
tutto questo v'è, come ritiene il Pézard, « autant d'inconsistance que
d'inconvenance », il rimprovero va mosso a Dante, che così ha pro-
spettato la cosa nel Convivio , con parole che non lasciano adito a
dubbio, almeno per quel che concerne il racconto del Convivio. Ma
l'autore di questo ci assicura che gli stessi avvenimenti ricordati
nel Convivio son quelli narrati « ne la fine de la Vita Nuova ». Se
questa «inconvenance » fosse reale dovrebbe essere nell'una e nell'altra
opera.
Ma è poi reale questa « inconvenance » ? Se Beatrice fosse donna
vivente e la filosofia un « fantôme », 1'« inconvenance » segnalata dal
Pézard sarebbe innegabile. Ora la filosofia può essere bene un « fan-
tòme » per taluni filologi italiani e francesi che han tutta l'aria di
burlarsene e di deriderne i cultori. Ma non per Dante, non per Cice-
rone, non per Boezio. Per Dante, come per tutti coloro che alla filo-
sofia si son dedicati, non per svago о per passatempo, ma con serietà,
per amore del vero, la ricerca filosofica è una funzione dello spirito
umano altrettanto reale quanto quella di dar vita ad un mondo
poetico. E se reale è il mondo poetico al cui centro vive Beatrice,
nata e foggiata dalla fantasia creatrice del poeta che di lei canta
« per isfogar la mente » (l'esistenza di una Bice di Folco Portinari,
che mi guardo bene dal negare, non interessa la critica dantesca),
non vedo perchè non debba dirsi reale, di realtà spirituale, s'intende,
il mondo filosofico nel quale Dante s'aggirava, quando, varcato il
limitare dell'età temperata e forte, distolse il suo pensiero dalla
contemplazione della bellezza femminile e lo rivolse all'indagine
del vero, intorno ai problemi accennati nel Convivio. Reale è dunque
la donna gentile quanto Beatrice : l'una di realtà poetica, l'altra di

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34 BRUNO NARDI

realtà poetico-fìlosofìca, poiché in Dante il fervore poetico prevale


senza dubbio sull'ardore della ricerca filosofica, e questa, come
provano le più belle pagine della prosa del Convivio , non si disgiunge
mai in lui dall'abito del numero poetico : « Quidquid temptabam
dicere versus erat ».
A render conto perchè, sì nella fine della Vita Nuova sì nella
canzone Voi che' ntendendo il terzo ciel movete , anzi che palesare in
modo chiaro e aperto il suo intento, fece uso dell'allegoria della
donna gentile, Dante stesso, stretto ancora dal pregiudizio che non
si potesse rimare « sopra altra materia che amorosa, con ciò sia cosa
che cotale modo di parlare fosse dal principio trovato per dire d'amore »
( Vita Nuova, XXY, 6), c'informa com'egli ritenesse che della filo-
sofìa « non era degna rima di volgare alcuna poetare » ( Conv ., II,
XII, 8), e che, d'altra parte, gli auditori delle sue rime non « erano
tanto bene disposti, che avessero sì leggiere le [non] fittizie parole
apprese» (ib.).
Queste due ragioni spiegano a sufficienza perchè egli, poetando in
volgare per un pubblico ignaro di filosofìa, s'indusse, per esprimere il
suo pensiero, a far uso della figurazione allegorica, per la quale non
aveva le prevenzioni del Pézard, smaliziato dall'estetica crociana.
A far così, anzi, il poeta era incitato dallo stesso esempio di Boezio,
al quale la filosofìa era apparsa nel carcere sotto le sembienze di
« mulier reverendi admodum vultus, oculis ardentibus et ultra
communem hominum valentiam perspicacibus, colore vivido atque
inhesausti vigoris ». E del resto pittori e scultori avevano popolato
chiese e altri pubblici edifìci di simboli e allegorie sacre e profane,
delle virtù teologali e di quelle cardinali, nonché delle sette arti
liberali, rappresentandole sotto forma di belle fanciulle in diversi
atteggiamenti e con espressione piena di vita. La figurazione allego-
rica della pietosa consolatrice alla fine della Vita Nuova era, dunque,
perfettamente conforme alla tecnica artistica del tempo.
Dirò di più : della Sapienza di cui il fedele di Beatrice s'era inna-
morato dopo la morte di questa, esisteva già la personificazione nei
libri sacri, e precisamente nel libro dei Proverbi , ricordato da Dante
(Conv., III, XV, 16), proprio là dove della donna gentile tesse la « mas-
sima laude » : « E però disse Salomone in quello de' Proverbi (VIII,
23-32) in' persona de la Sapienza : ' Quando Iddio apparecchiava
li cieli, io era presente ; quando con certa legge e con certo giro
vallava li abissi, quando suso fermava [l'etera] e suspendeva le
fonti de l'acque, quando circuiva lo suo termine al mare e poneva
legge a l'acque che non passassero li suoi confini, quando elli appen-
deva li fondamenti de la terra, con lui e io era, disponente tutte le
cose, e dilettavami per ciascuno die ' ».
Quella che parlava così, non era certamente per Dante un « fan-
tome », e poteva ben suscitare nell'animo di lui una passione non

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 35

meno ardente di quella per Beatrice che, pur « venuta di cielo in


terra a miracol mostrare », era donna mortale, mentre la donna di
cui il poeta innamorò « appresso lo primo amore, fu la bellissima e
onestissima figlia de lo imperadore de lo universo » (Сопи., II, xv, 12).

II

E ve la suscitò infatti. Con la canzone Voi che' ntendendo Dante


inaugura un nuovo ciclo di rime : le rime filosofiche, annunciate alla
fine della Vita Nuova primitiva, nel momento stesso in cui prendeva
congedo dalle rime dell'adolescenza. A età diverse della vita non si
confanno gli stessi costumi e gli stessi pensieri. All'età « fervida e
passionata » convenivano i flebili e gioiosi gorgheggi dell'usignolo che
parevano sconvenienti all'età « temperata e forte ». A questa età
s'addice con Enea partirsi da Didone, « per seguire onesta e laudabile
vita e fruttuosa » e affidarsi alla guida della Sibilla « a intrare ne lo
Inferno a cercare de l'anima di suo padre Anchise» (Сопи., IV, xxvi,
8-9). La Sibilla di Dante fu la filosofia.
In vaghi concetti filosofici egli s'era già imbattuto, meditando
sulla canzone del Guinizelli Al cor gentil repara sempre amore ; ed
egli li aveva riecheggiati, senza approfondirli, nel sonetto Amore e
cor gentil sono una cosa , con espresso riferimento al « dittare »
del « saggio » bolognese. Ben più dura a intendere, a lui che non
aveva ancora preso a frequentare « le scuole de li religiosi e le dis-
putazioni de li filosofanti », doveva parere la canzone Donna me
prega di Guido Cavalcanti, intesa a definire per via di « naturai
dimostramento » che cosa è amore. Ma egli che aveva la fortuna di
leggerla in un testo meno sconcio di quello pervenuto fino a noi,
poteva giovarsi del commento dell'autore stesso. E certo la fami-
liarità col suo «primo amico » che, al dire del Boccaccio, «fu uno de'
migliori loici che avesse il mondo ed ottimo filosofo naturale », dovette
giovargli non poco ad avviarlo allo studio della filosofia. La canzone
cavalcantiana Donna me prega , se non è, come pretendon taluni, un
trattato sull'amore, è per altro un saggio notevole di filosofia intorno
alla natura della passione amorosa, che il poeta della Mandetta si
studia di definire per mezzo della psicologia averroistica. Il misti-
cismo che è parso a taluni di scorgere nella dottrina svolta dal Caval-
canti, è frutto soltanto di scarsa conoscenza del vocabolario filosofico
da lui usato. Questo saggio insolito di poesia filosofica, nel quale il
volgare è piegato ad esprimere concetti piuttosto ardui, dovette
costituire per l'autore della Vita Nuova un forte incitamento a
tentare una forma di poesia più complessa che non fossero le rime
amorose.

Egli non precisa quali scuole di religiosi presse a frequentare e a


quali disputazioni di filosofanti intervenne. S'è parlato di Pier di

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36 BRUNO NARDI

Giovanni Olivi ; ma s'è commesso un grosso anacronismo, poiché


questo francescano aveva insegnato nelle scuole di S. Croce prima
del 1290. S'è parlato anche delle scuole domenicane di S. Maria
Novella, ove insegnava Remigio de' Girolami ; ma il tomismo di
questo s'accorda assai poco coll'eclettismo filosofico del Convivio.
Del resto, nè Pier di Giovanni Olivi nè Remigio de' Girolami sono
stati certamente i soli maestri nelle rispettive scuole. E, d'altra
parte, altri ordini religiosi avevano in Firenze le loro scuole con i
loro maestri che avevano studiato a Parigi e a Bologna.
Quest'ultima città, poi, non era così lontana da Firenze, che i
giovani fiorentini dovessero ignorarla. A Bologna insegnava allora da
trentacinque anni, il vecchio Taddeo Alderotto, fiorentino, e vi aveva
commentato gli Aforismi e i Pronostici di Ippocrate, la Tegni di
Galeno e l'Isagoge di Ioannitius, dimostrando spiccate tendenze
averroistiche. E dal Chartularium studii bononiensis risulta che fra gli
alunni e i conoscenti dell'Alderotto v'erano non pochi fiorentini.
A Bologna pare altresì abbia professato medicina, prima di rendersi
monaco, maestro Torrigiano, rimatore e medico e autore d'un famoso
Plusquam commentimi sulla Tegni di Galeno. A Bologna parimente
professò medicina il fiorentino Dino del Garbo commentatore di
Avicenna e della canzone cavalcantiana sull'amore. Ed a Bologna gli
occhi dell'adolescente poeta, forse non ancora ventiduenne, avevano
mirato « la Garisenda torre co'risguardi belli » {Rime, LI, 3-4).
Ma dovunque Dante abbia compiuti i suoi studi filosofici, è certo
che la sua cultura filosofica, quale ci è attestata dal Convivio è visibil-
mente eclettica : col qual carattere saliente mal s'accordano i
tentativi di taluni commentatori dell'opera dantesca, di cercarne
la fonte principale nelle opere di S. Tommaso. Ben più che gli scritti
dell'Aquinate, hanno influito sulla formazione del pensiero filosofico
di Dante i commenti aristotelici di Alberto Magno e gli opuscula che
Alberto stesso ne trasse come digressioni о trattazioni a parte. Dal
modo di procedere d'Alberto derivano anche le frequenti digressioni
che l'Alighieri introduce nei suoi trattati e che talora interrompono
la linea dritta dell'esposizione e rendono non sempre agevole il
seguirlo. Da Alberto derivano pure alcune doxo grafie e alcune dottrine
filosofiche accolte da Dante, segnatamente quella intorno all'origine
dell'anima umana, esposta nel quarto trattato e, più tardi, anche
nella Commedia . Quest'ultima dottrina è assai vicina a quella che
Sigieri di Brabante difende nella prima delle Qusestiones super tertio
de anima del Merton College di Oxford, cod. 292, fol. 357-358, nelle
Quœstiones de anima intellectiva e nel Tractatus de intellectu scritto
in risposta a quello di S. Tommaso contro gli averroisti. Tommaso
conosce bene la tesi d'Alberto e di Dante e la combatte come assurda
ben cinque volte.
Ma non è questo il solo caso dell'influenza esercitata dall'averroismo

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 37

sul pensiero di Dante. E se egli, più tardi, farà esaltare nel cielo del
sole, proprio per bocca di frate Tommaso, la « luce eterna di Sigieri »,
avrà ben ragione di farlo, e mi sembra strano che si vadano cercando
attenuanti per perdonargli l'ardimento.
Certo egli tenne nel debito conto anche frate Tommaso, del
quale ricorda più volte la somma Contra gentiles. Ma io ho molte
ragioni per dubitare che sia andato abbastanza a fondo nella conos-
cenza del pensiero tomistico. L'opera di Tommaso sulla quale Dante
mostra d'aver più a lungo meditato, è il commento all' Etica nico-
machea nella traduzione di Roberto Grosseteste, ritoccata da Guglielmo
di Moerbeke.
Questo eclettismo della cultura del Convivio appare anche per
un altro verso. Non soltanto trae profitto da dottrine filosofiche
le più varie, ma tende a mescolarle con concetti teologici, come
quando dice che per le tre donne che, secondo il Vangelo di Marco,
si recarono al sepolcro di Cristo, « si possono intendere le tre sètte
della vita attiva, cioè li Epicurei, li Stoici e li Peripatetici» ( Conv .,
IV, XXII, 15) ; e quando afferma che par le tre virtù della fede, della
speranza e della carità « si sale a filosofare a quelle Atene celestiali,
dove li Stoici e Peripatetici e Epicurei, per la luce della veritade
etterna, in uno volere concordevolmente concorrono » (Ib., III,
XIV, 15). Sicuro : anche gli Epicurei, dei quali Alberto Magno, nel
De natura et origine animae (II, c. 11), opera ben nota a Dante,
aveva detto che insieme ai Peripatetici, agli Stoici, agli Accademici
e a Bragmani, « concorditer ab ipsa veritate coacti, animam post
dissolutionem corporis immortaliter vivere tradiderunt ». Pare che
l'autore del Convivio non sapesse ancora che « Epicuro e i suoi
seguaci... l'anima col corpo morta fanno». Allo stesso modo, la filosofìa
di cui si celebran le lodi nel terzo trattato dello stesso Convivio è iden-
tificata con la Sapienza dei libri salomonici e col Logos del quarto
Vangelo, per una contaminazione del primo libro della Metafisica
aristotelica col libro dei Proverbi.
Se poi ci fermiamo a considerare i problemi che occuparono
l'animo del poeta in questo secondo periodo dello sviluppo della
sua arte e del suo pensiero, non è difficile vedere che il problema al
quale dapprima rivolse l'acume della sua mente, « forse trenta mesi »,
dopo ch'egli s'era dato allo studio della filosofìa ed era fuggito dalla
pastura del vulgo, fu quello della verità e di ciò che costituirse il
supremo bene dell'uomo !
La canzone Voi che'ntendendo vuol dimostrare che amore umano
non è soltanto quello che accende in noi la bellezza muliebre ; v'è
un'altra specie d'amore che va oltre le fattezze sensibili e il corruscar
degli occhi di donna mortale, ed ha per oggetto la contemplazione
del vero eterno. Oltre al piacere che suscita nel cuore la vista della
bellezza, v'è il piacere virile che desta nella mente la scoperta della

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38 BRUNO NARDI

verità. Aristotele nel decimo de


appunto : « Sommamente dile
quella che è data dall'acquis
anche la filosofia procaccia piaceri mirabili per purezza e stabilità ».
Questo nuovo amore che lo aveva mutato dal primo, non procedeva
dunque da « levezza d'animo », come potevano ritenere taluni di
quei che Dante ormai s'era lasciato indietro, e come pare ritengano
ancora alcuni moderni che a Dante non prestano fede ; ma procedeva
da « virtù celestiale », e perciò era virtuosissimo.
Chiarire qual fosse questa « virtù celestiale » che, movendo
da Dio, attraverso le intelligenze motrici dei cieli, aveva svegliato
nella mente del poeta la passione per la filosofia è appunto l'oggetto
del secondo e terzo trattato del Convivio.
Nella ballata pietosa Voi che savete ragionar d'Amore , la donna
gentile è rappresentata ancora allegoricamente come « fera e disde-
gnosa », a significare le difficoltà incontrate per intendere le persua-
sioni e le dimostrazioni della filosofia che da poco il poeta aveva
preso a studiare ( Conv ., III, xv, 19). Ma l'ardore ch'egli mise a supe-
rarle, non tardò a scoprirgli, sotto le altere sembianze, un volto
divino, nei cui occhi splendenti e nel cui dolce sorriso apparivano
bellezze paradisiache, mai prima intraviste per la debolezza dell'intel-
leto umano, simile a quella dell'occhio del pipistrello non assuefatto
alla luce del giorno.
E nella gioia di questa apparizione, mentre il mondo della filosofìa
gli apriva giorno per giorno arcani inesplorati e insospettati, ecco
sgorgargli dall'animo l'entusiastica canzone Amor che ne la mente mi
ragiona , rievocata dall'amoroso canto di Casella, in un suggestivo
panorama mattinale, dinanzi al tremolar della marina, sulla spiaggia
dell'isola ove s'erge la montagna del Paradiso terrestre.
Anche questa canzone è allegorica ; ma nemmeno i commentatori
più indiscreti, i quali pretendono di sapere che la prima canzone
del Convivio fu composta per una donna « reale », com'essi amano
esprimersi, osano tanto per la canzone del terzo trattato ; chè sarebbe
preso per pazzo chi dicesse d'una donna mortale, anche in preda
alla più esasperata passione erotica, quello che Dante dice della
donna della sua mente. Il velame allegorico è divenuto ormai così
trasparente che l'intelligenza del lettore quasi lo nota e passa senza
sforzo del segno verbale alla cosa significata. Chi potrebbe ingannarsi
sull'intento del poeta, quando l'ode affermare che in questa donna,
oggetto, del suo amore « discende la virtù divina sì come face in angelo
che '1 vede », che nell'aspetto di lei appaion cose « che soverchiam lo
nostro intelletto », e infine che « costei pensò chi mosse l'universo » ?
Orbene, quando l'allegoria è così trasparente, essa è ormai inutile
e può esser messa in disparte. E infatti, di lì a poco, col sonetto
Parole mie che per lo mondo siete il poeta prende improvvisamente

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 39

congedo dal simbolo della donna gentile, per la ragione che con lei
«non v'è amore». Il che parrebbe significare che, come Dante si fu
addentrato nel mondo della filosofìa, e il linguaggio di questa gli
parve meno astruso di quel che gli pareva in principio, trovò l'alle-
goria ingombrante, e da quel punto decise di lasciare in disparte la
« bella menzogna », per trattare apertamente, « con rima più sottile »
il vero che sotto il velame dell'allegoria si nascondeva.
A prendere questa decisione il poeta dev'essere stato condotto
anche da un'altra considerazione. La soluzione dei problemi filosofici
toccati nel secondo e terzo trattato del Convivio , e specialmente negli
ultimi capitoli del terzo, esigeva chiarezza e precisione di concetti,
sia nell'enunciazione dei problemi stessi, sia nel metterne in evidenza
le difficoltà, sia nella critica delle opinioni giudicate false ; ed alla
chiarezza e precisione dei concetti doveva corrispondere nel linguaggio
esattezza ed evidenza di parole. Ora è risaputo che i filosofi, da Pla-
tone, che del resto fu il poeta della filosofia, ai nostri tempi, ogni
volta che si sono trovati in qualche serio imbarazzo, se la son cavata
con un bel paragone ; per esempio, quello dell'idea eterna come
suggello della cera mortale. Dai paragoni raccorciati è venuta fuori la
metafora, e questa ha suggerito l'uso dei simboli, delle allegorie,
delle favole e delle parabole. Se non che, il paragone e la metafora
traggono valore dalla scoperta di una qualche somiglianza о analogia
che sono ben lontane dall'esser perfette e totali. Se i traslati danno
vivacità espressiva al linguaggio, quando sono giustificati da un'effet-
tiva somiglianza, a lungo andare diventano causa d'errore, in quanto
sviano l'intelletto da quello che costituisce la vera difficoltà di un
problema e dal rigore dei procedimenti logici.
Come sappiamo, all'allegoria Dante aveva fatto ricorso, perchè
pensava ancora che della filosofia « non era degna rima di vulgare
alcuna palesemente poetare » ; e questo perchè riteneva che il volgare
non potesse manifestare, come può il latino molte cose concepite
dalla mente (cfr. Conv.9 I, v, 12). Liberarsi dall'allegoria e usare
il volgare come lingua capace di esprimere i più alti concetti della
mente era tutt'uno. Prima di accingersi a scrivere il quarto trattato
del Convivio , il pregiudizio della superiorità del latino sul volgare
era già caduto dal suo animo come una foglia inaridita, ed egli doveva
già aver posto mano a quel libello di Volgare Eloquenza , a cui già
pensava nel primo trattato, quando, pur dibattendosi ancora nella
rete di quel pregiudizio, già auspicava alla nascente lingua italiana
le più superbe fortune.
La canzone Le dolci rime d'amor e il quarto trattato del Convivio ,
che n'è il commento, ci conducono ormai a contemplare la filosofia
« revelata facie ».
Veramente Dante aveva tentato di svelarcene le divine sem-
bianze nei due precedenti trattati e specialmente sulla fine del terzo.

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40 BRUNO NARDI

Ma qui egli era incappato in u


medievale : se la filosofìa ci dimostra esservi cose che soverchiano
il nostro intelletto e lo abbagliano sì che non le può guardare e appres-
sarsi alla loro conoscenza se non come sognando, in che modo la
filosofìa può compiere il desiderio che l'uomo ha d'esser beato, dal
momento che, secondo Aristotele, la beatitudine consiste nel completo
appagamento del nostro bisogno di sapere ? Per risolvere questo
difficile problema, Dante limita il desiderio umano di sapere « in
questa vita, a quella scienza che qui avere si può» ( Conv ., III, xv, 9),
mettendosi in aperto contrasto con S. Tommaso e con quei teologi, i
quali dall'infinità del desiderio umano e dall'impossibilità di soddis-
farlo in questa vita, avevano ricavato un argomento per dimostrare il
bisogno della rivelazione.
Anzi che una sola faccia, la filosofìa ne ha due : una esteriore
che ci mostra, e una interiore « quasi velata ». Questo doppio volto
della donna gentile non è scevro d'inconvenienti, tanto sotto l'aspetto
della figurazione poetica, quanto sotto quello del significato filosofico.
Dante non tardò a rendersene conto ; e nella Commedia , alla donna
simbolica dal duplice aspetto verranno sostituite due personifi-
cazioni gemelle : Virgilio, personificazione della ragione umana e della
filosofia ; Beatrice, personificazione della ragione illuminata dalla
fede, ossia della teologia.
Così la donna gentile s'acclissava alla coscienza poetica e filosofica
di Dante, con « atti disdegnosi e feri », che chiudevano a lui la « via de
l'usato parlare », e lo contringevano a dichiarare apertamente che
« con lei non v'è amore ».
Fra i problemi filosofici sui quali la donna gentile ebbe a tras-
mutargli « un poco i suoi dolci sembianti », Dante ne ricorda uno, che
non era certamento il solo, quello cioè « se la materia de li elementi
era da Dio intesa ». Per quanto alcuni si siano adoprati ad attenuare
la gravità di questo dubbio, è ormai sicuro che esso si connette con
una dottrina averroistica esposta anche da Sigieri nelle Questiones
in Metaphysicam , edite di recente dal P. Cornelio A. Graifì (lib. У,
qq. 10-11, pp. 298-305). La dottrina averroistica con la quale si
ricollega quel problema, è quella della derivazione degli esseri da
Dio per via d'intermediari, della quale resta una profonda traccia
perfino nella terza cantica della Commedia.
Ma assai più di questi intricati problemi metafisici, urgevano
nella coscienza di Dante i problemi morali, e fra questi uno più degli
altri : quello della vera nobiltà. La soluzione di questo problema era
già stata data dal Guinizelli nella canzone Al cor gentil repara sempre
amore . Il poeta bolognese, a giustificare la sua identificazione
dell'amore con la nobiltà, aveva detto che questa non deriva dalla
schiatta, bensì dalla virtù. Non di meno a Firenze e negli altri
comuni, i nobili non la intendevano così, e anzi che sul valore fon-

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 41

davano la loro nobiltà sulF antichità del lignaggio e sui privilegi


feudali attestati da diplomi imperiali. Anzi attribuivano a Federico II
una definizione della nobiltà che, per quanto traesse origine da quella
aristotelica, pareva a Dante filosoficamente assurda.
Il quarto trattato del Convivio è una serrata e concitata critica
del concetto feudale della nobiltà e una vigorosa difesa della tesi
guinizelliana, approfondita e dimostrata col sussidio di principii
logici e metafìsici, psicologici ed etici. L'argomento è discusso sotto
tutti i suoi aspetti teorici e pratici, e mentre Fautore procede diritto
a definire il concetto della vera nobiltà e delinea il ritratto del vero
nobile in ciascuna delle quattro età della vita umana, non perde
di vista la realtà sociale, così difforme dall'ideale filosofico ch'egli
vien costruendo, e già amare rampogne gli sfuggon dalla penna, che
diventeranno nella Commedia dardi roventi.
Il quarto trattato del Convivio è un modello di vigorosa prosa,
nel quale l'ardore filosofico avviva lo schema logico delle consuete
scialbe disquisizioni scolastiche e illumina di poesia la ricerca del
vero. Il volgare illustre capace, non meno del latino, di esprimere
qualsiasi cosa concepita nella mente, è già in atto, e a guisa di sole
che s'è levato all'orizonte, dà lume a coloro che sono in tenebre e in
oscurità.
Dal fervore filosofico che anima quest'ultimo trattato del Convivio
è germinata, nella mente di Dante, anche l'idea centrale della Monar-
chia , cui non può aver tardato a por mano. Nei capitoli quarto e
quinto il trattato politico è già delineato chiaramente, per quel che
si riferisce alla necessità d'una sola monorchia che s'estenda a tutta
la terra ed assicuri la pace all'intera umanità, e per quel che concerne
il destino provvidenziale dell'impero romano nell'apparecchiare la
« plenitudo temporis » alla venuta di Cristo. L'imperatore è il caval-
catore dell'umana volontà, e nella filosofia ha la sua norma. L'incontro
con Virgilio, prima che sulla piaggia deserta, è avvenuto nelle soli-
tarie meditazioni del Convivio , ove la storia d'Enea appare già,
come nel secondo libro della Monarchia e dipoi nella Commedia ,
storia sacra, e non semplice finzione poetica.
Anzi, prima che nel quarto trattato del Convivio , l'incontro di
Dante con Virgilio era avvenuto nel De vulgari eloquentia. Ma ivi
il poeta mantovano era apparso, insieme a Ovidio a Stazio e a Lucano,
maestro di « poesia regolata » e di « bello stile » che raggiunge il più
alto grado di perfezione nella canzone, di cui Dante si compiace di
ricordare i più bei modelli ; ma non è ancora il « divinus poeta noster »,
il « noster vates » della Monarchia (II, in, 6, 12). E qui mi permetto
di esprimere la mia meraviglia nel constatare come, non ostante la
conoscenza che Dante aveva dell'Eneide, delle Metamorfosi , della
Farsalia, della Tebaide e dell' Achilleide, nel De vulgari eloquentia
egli abbia limitato lo studio della tecnica poetica alla canzone, e

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42 BRUNO NARDI

non lasci ancora intravedere la possibilità di forma di poesia più


complessa, quaFè il poema. Si dirà che l'autore del De vulgari elo-
quentia ha voluto deliberatamente arrestarsi alle forme poetiche già
esistenti nella lingua volgare. Ma allora dobbiamo ammettere che la
trattazione veniva a perdere molto del suo valore, il giorno in cui
all'autore di essa fosse balenata l'idea del poema sacro. E quel giorno
venne presto.

III

Il cammino percorso da quando Dante disse addio ai canti della


sua adolescenza, al giorno in cui interrompeva il De vulgari eloquentia
e il Convivio , intrapreso con la fiducia di risollevare un poco la sua
fama, che giaceva sotto i colpi dell'avversa fortuna, è un cammino
assai lungo e faticoso. E le cime conquistate avevano dischiuso alla
sua arte e al suo pensiero un orizzonte più vasto che non fosse il mondo
poetico del Guinizelli e del Cavalcanti.
A quest'ultimo, anzi, la concezione averroistica della vita e
dell'amore sembrava inibire i voli della poderosa fantasia dantesca.
Chiuso nel suo pessimismo e nella sua miscredenza, il poeta di Monna
Vanna e della Mandetta si contentava di cogliere fugaci apparizioni
della bellezza femminea e s'abbandonava alla potenza del dolce
tormento d'amore, con l'animo pieno di tristezza al pensiero della
morte che lo perseguita in tutte le sue più soavi effusioni melodiche.
Che il disdegno di Guido fosse per Virgilio, ovvero, come preferiscono
alcuni, per Beatrice, poco importa : certo è, che aveva fama di
tenere alquanto dell'opinione degli Epicurii, e tra la gente volgare si
sussurrava che le sue speculazioni filosofiche « eran solo in cercare se
trovar si potesse che Iddio non fosse » (Boccaccio, Decam ., VI, 3).
Un uomo di tal sentire non avrebbe davvero potuto unirsi a Dante
nel viaggio ultramondano.
Era di moda nel secolo scorso (ma non è del tutto passata) cercare,
nella letteratura medievale, quelle che sono state chiamate le fonti
della Divina Commedia ; e alcune vecchie leggende di viaggi pei
regni dell'oltre tomba sono state riesumate e spolverate con questo
proposito. E certamente queste ricerche hanno messo in luce docu-
menti del lavorio della fantasia poetica medievale per rappresentarsi
e dar forma plastica alle credenze religiose intorno all'inferno, al
purgatorio e al paradiso. Nel 1919, il dotto arabista spagnolo Miguel
Asín Palacios, nel suo volume sulla Escatologia musulmana en la
Divina Comedia (la seconda edizione con aggiunte è del 1943) faceva
conoscere un importante materiale sulla leggenda arabica dell'ascesa
di Maometto al cielo e, insistendo su talune somiglianze col viaggio
dantesco, poneva ai dantisti il problema di una possibile, e per
l'Asìn molto probabile, conoscenza della leggenda maomettana da

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 43

parte di Dante. E per confortare la sua tesi egli s'era dato dattorno
facendo varie congetture sui tramiti pei quali quella leggenda poteva
essere resa nota al poeta fiorentino. Oggi finalmente noi possiamo
leggerla per intero nella traduzione latina e in quella francese, fatte
entrambe, per ordine di re Alfonso il Savio, da Bonaventura da
Siena, notaio del re, nel 1264, un anno prima della nascita di Dante.
Enrico Cerulli, che ne ha curata l'edizione critica (Il ' Libro della
scala ' e la questione delle fonti arabo-spagnole della Divina Commedia.
Città del Vaticano, 1949. Un'altra edizione ne ha curato contempo-
raneamente J. Muñoz Sendino, Madrid 1949), ha trattato ampia-
mente a con ricca documentazione della diffusione dell'opera
nell'Occidente latino dal secolo XIII al XV. Ma la conclusione a cui
egli è giunto è molto guardinga e riservata, per ciò che si riferisce
all'influenza diretta della leggenda islamica sul pensiero e sull'arte
dantesca.
A mio modo di vedere, tutte queste ricerche dimostrano una cosa
sola : che il superbo edifìcio del « poema sacro », non è sorto in un
deserto poetico, e che nel canto dantesco echeggiano voci di molte
generazioni di credenti, come nel canto omerico la Voce di molti
lontani aedi, come nella Chanson de Roland la voce di tutta la Francia
cristiana nel periodo glorioso della lotta contro i Mori ; ma non
spiegano quel carattere personalissimo e inconfondibile, onde la
Divina Commedia , al pari dei poemi omerici e della Chanson de Roland ,
ci appare, nella sua particolare struttura, creazione individuale
dell'onnipotente fantasia di Dante. La cui erudizione è meno vasta di
quel che i dantisti non credono. Basta ricordare che egli ignora il
ritorno di Ulisse a Itaca, la perdita di tutti i compagni e la morte di
lui per mano di Telegono. Il che significa che egli ignorava, non che
l'Odissea, il Roman de la rose e tutte le storie romanzesche alimentate
dal De bello troiano di Ditti e Darete. È forse strano che egli ignorasse
la leggenda dell'ascensione di Maometto, così diversa e lontana dal
modo di concepire di lui ?
Egli stesso, del resto, ci ha indicato, fin dal secondo canto
dell 'Inferno, le due fonti essenziali della sua poetica ispirazione : il
sesto libro dell'Eneide e la visione di S. Paolo :

Tu dici che di Silvio il parente,


corruttibile ancora, ad immortale
secolo andò, e fu sensibilmente...
Andovvi poi lo Vas d'elezione,
per recarne conforto a quella fede
ch'è principio alla via di salvazione.
Ma io perchè venirvi ? о chi '1 concede ?
Io non Enea, io non Paulo sono ;
me degno a ciò nè io nè altri crede.
Così, sensa parere, Dante mette in evidenza la somiglianza del
viaggio propostogli da Virgilio dietro preghiera di Beatrice, con la

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44 BRUNO NARDI

discesa d'Enea all'averno e col rapimento di Paolo al paradiso, ove


l'Apostolo udì, al par di Dante, « cose che ridire nè sa nè può chi di là
su discende », cioè quegli « arcana verba quse non licet homini
loqui » (II, Cor., XII, 4).
Ben più che dalle povere e disordinate visioni medievali, cristiane
о musulmane, la Divina Commedia è nota da una felice contamina-
zione del l'Eneide con la Bibbia .
Dal poema virgiliano, principalmente, e, in misura minore dalle
Metamorfosi , dalla Farsalia, dalla Tebaide e dall' Achillei de derivano
alcuni dei personaggi che popolano il mondo dantesco : Elettra, la
ninfa amata da Giove e madre di Dardano, Ettore il difensore di
Troia, Camilla e la Pentesilea, l'augure Euripilo e il falso Sinon greco
da Troia, Ulisse e il grande Achille con la madre Teti, Deidamia
con le sorelle, il superbo Gapaneo e il tebano Tiresia con la figlia
Manto ; dall'Eliso virgiliano son presi i colori per dipingere i verdi
smalti del limbo, ove Dante ha radunato gli spiriti magni dell'anti-
chità pagana, con grande sdegno di S. Antonino vescovo di Firenze,
e la mirabil primavera del paradiso terrestre ; dall'oltretomba vir-
giliano derivano i fiumi infernali, mentre il Leté è stato trasportato
nell'Eden. Che più ? Le divinità dell'averno pagano, mostri e per-
sonaggi mitologici riappaiono nell'inferno dantesco trasfigurati in
demoni dall'aspetto terribile : Caron dimonio con occhi di bragia,
nella sua funzione di nocchiero dell'Acheronte, il trifauce Cerbero,
Minos, Pluto, Flegias, le tre Furie, l'anguicrinita Medusa, i Centauri,
le brutte Arpie, Gerione, sozza immagine di froda, i giganti e, infine,
Dite, identificato col Lucifero cristiano precipitato dal cielo al centro
del mondo. Negli dei falsi e bugiardi del paganesimo Dante credeva :
li giudicava falsi e bugiardi, ma ci credeva, come credeva alla verità
storica dei casi d'Enea, e perfino alla discesa di lui nel regno dei
morti. Ed eccolo, come se quanto abbiamo detto non bastasse,
collocare un pagano, che aveva rifiutato la vita per la libertà, a guardia
del Purgatorio, e l'anima del troiano Rifeo nel paradiso celeste,
per vituperio dei principi cristiani venuti meno ai loro doveri.
Ma l'ardimento del poeta cristiano si spinge ancora più in là,
nel suo culto per il mondo classico. Se falsi e bugiardi son gli dei del
paganesimo, questo deve intendersi delle divinità demoniache del
mondo sotterraneo, non delle divinità planetarie addette al movi-
mento dei cieli. Nelle divinità celesti, cui appartiene il governo degli
avvenimenti terreni e perfino della storia umana, Dante ha riconos-
ciuto spiriti angelici preposti da Dio a regolare e temperare gli
eventi cosmici ed umani, e degni perciò d'essere pregati e invocati
anche dal cristiano.
Questo spirito umanistico che palpita in tutta la Divina Commedia ,
culmina nella scelta di Virgilio a guida del viaggio attraverso i
primi due regni d'oltretomba.

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 45

Ma Virgilio è messo ed araldo di Beatrice. Così l'umanesimo


virgiliano s'informa, nella visione dantesca, della luce ch'emana
dalle pagine dei libri sacri. La Divina Commedia non è romanzo
teologico, nè il viaggio di Dante a secolo immortale è finzione poetica,
ossia « bella menzogna » che. sotto il velo dell'allegoria, celi un signi-
ficato recondito da scoprire. Qua e là, com'era da aspettarsi in un
poema così complesso, vi sono, sì, anche particolari allegorici ; ma
abbastanza rari, per fortuna, e sufficentemente intelligibili. Nel suo
complesso la narrazione ha, prima di tutto, un senso « istoriale »,
come dicevano i commentatori medievali della Bibbia. La visione
dantesca è visione profetica, concessa a Dante per un singolare
privilegio di Dio, come ai profeti dell'Antico Testamento, come a
S. Paolo, come al calavrese abate Gioachino, come a tutti coloro che
Dio aveva suscitato nel passato e poteva suscitare ad ogni momento,
per palesare agli uomini i suoi disegni, quando l'umanità fuorviata
avesse bisogno del suo diretto intervento.
Dante non fu soltanto poeta e uomo di pensiero ; fu anche uomo
d'azione che partecipò attivamente alla vita agitata del suo comune.
E quando Firenze lo cacciò dal suo seno, costringendolo ad andar
ramingo in quasi tutte le parti d'Italia, sì da sentirsi ormai cittadino
del mondo, « nos cui patria est mundus, velut piscibus aequor », -
anch'egli, come il suo Ulisse, diverne « del mondo esperto e de li
umani vizi e del valore», conobbe da vicino le cause delle guerre fratri-
cide che dell'Italia, già donna di provincie, avevan fatto un bordello,
spinse lo sguardo a scrutare oltre i confini d'Italia, a nella eupidigia,
scatenata tra gli uomini dall'invidia di Lucifero, scorse la cagione
« che il mondo ha fatto reo », e nell' usurpazione dell'autorità impe-
riale da parte della Chiesa la causa prima di tutti i disordini.
E mentre egli si attardava in queste meditazioni politico-morali
e si mostrava severo nel giudicare gli uomini che di questi disordini
eran maggiormente responsabili, non risparmiava se stesso e i propri
errori. Lo smarrimento nella salva, i sette P che l'angelo gl'incide in
fronte e che debbono essere cancellati col pentimento e l'espiazione,
il grave memorar della sua tenzone con Forese, i rimproveri che
Beatrice gli rivolge sulle rive del Leté seguiti dalla confessione di lui,
son chiare ed esplicite ammissioni di traviamenti, dei quali Dante
non esita ad attribuirsi la responsabilità, e dei quali è deciso a fare
ammenda.
Errore era stato anche il tentativo di rientrare in Firenze con la
forza e più l'essersi unito alla compagnia malvagia e scempia. Poiché
se ne fu separato ed ebbe fatto parte per se stesso, mentre ogni via
del ritorno pareva chiusa e inibita ormai ogni attività politica, nel
roccoglimento e nella solitudine udì una voce chiamarlo a una nuova
forma d'azione che non fosse quella dell'uomo di parte, ghibellino о
guelfo, bianco о nero. Nacque così in lui la coscienza d'una missione

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46 BRUNO NARDI

« a pro' del mondo che mal vive ». La certezza che Dio stesso gli
avesse mostrata la vera cagione del disordine che regnava nel mondo
e gFimponesse di levar la sua voce per denunciarla, facendosi ban-
ditore di una riforma politica e religiosa, col ristabilimento dell'auto-
rità imperiale e col ritorno della chiesa alla sua missione evangelica,
prendeva forma e consistenza di visione profetica, ed egli sentiva
incombere su di sè un fato divino, sì che nessun impedimento poteva
arrestare il suo « fatale andare ».
Nell'atto di consacrarsi alla missione impostagli, Dante si
accingeva a compiere una purificazione di tutto se stesso : della sua
arte, del suo pensiero, della sua vita. Aveva varcato da poco la qua-
rantina, e F« età temperata e forte » volgeva al declino. Anche dopo
la morte di Beatrice, anche quando il suo animo era stato preso dalla
passione del sapere, non sembra egli fosse divenuto insensibile
agli allettamenti della bellezza muliebre ; le rime petrose e verosimil-
mente qualche altra son fortemente passionate di desideri erotici.
Ora conveniva purificare la fantasia da ogni passione peccaminosa.
Ed anche l'amore per la donna gentile non era scevro di desideri
peccaminosi, se Beatrice nel paradiso terrestre può ricordargli quella
dottrina che egli aveva seguitato e che dista dalla via divina quanto
la terra dal cielo cristallino. E che questa brama di sapere, come il
folle volo d'Ulisse, fosse veramente qualcosa di peccaminoso, è
provato dal fatto che l'acqua del Letè glie ne cancella il ricordo.
Conveniva dunque purificarse anche l'intelletto.
Di nessuma purificazione invece, aveva bisogno l'amore per
Beatrice, l'angiola giovanissima della sua adolescenza, « venuta di
cielo in terra a miracol mostrare » e poi ritornata a vivere nella luce
di Dio. Togliendo in mano il libretto della Vita Nuova , parve all'autore
che la conclusione di esso, ora che l'immagine della donna gentile
s'era dileguata dalla sua mente, ed egli aveva abbandonata l'impresa
del Convivio , non s'addicesse più all'ordine d'idee in cui entrato.
E la mutò, sì tosto che gli apparve quella mirabile visione, in seguito
alla quale egli decise di non parlare più di Beatrice finché non potesse
più degnamente trattare di lei, nella fiducia di potere un giorno dir di
lei quello che non fu mai detto d'alcuna donna. Così il libretto gio-
vanile diventava preludio alla Commedia , cui s'accenna in modo da
non lasciare adito a dubbio nell'ultimo capitoletto di esso. E per
tranquillità di coloro che forse non avevano dimenticato la donna
gentile, Dante accenna all'apparizione di lei, come ad una breve
seduzione superata.
Dicevo che la Divina Commedia è nata dalla contaminazione
dell'arte virgiliana con la poesia biblica. L' Eneide e la Bibbia , che
apparentemente sembrano estranee l'una altra, si son fuse in modo
mirabile nel poema dantesco. La lettura dei libri sacri aveva svegliato
in Dante la coscienza profetica con la quale s'accinse all'immenso suo

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sviluppo dell'arte e del pensiero di dante 47

ultimo lavoro. Ma quella lettura era fatta da un uomo che sapeva


già tutta quanta YEneide ed era siffattamente preso dalla bellezza del
mondo classico che non si sentiva di ripurdiarla. L'Eneide e la Bibbia
rappresentavano per lui due momenti della sua arte e del suo pensiero,
inseparabili fra loro, eppure inconfondibili, come l'Impero e la Chiesa.
Nell'Eneide aveva già scoperto il libro sacro dell'Impero ; la Bibbia
era il libro sacro al quale la Chiesa attinge i divini insegnamenti per
condurre gli uomini alla vita eterna. L 'Eneide e la Bibbia , l'Impero e
la Chiesa, Virgilio e Beatrice : ma quello messo ed araldo di questa.
Qui è il punto : nella grande arte virgiliana, Dante ha saputo
scoprire il passaggio ad una più ardua poetica ascesa : alla poesia
religiosa dei canti biblici intrecciata coi motivi più belli della poesia
classica. Messosi sulle orme d'Enea nella discesa ali averno, egli ha
raggiunto Paolo nel ratto all'Empireo.
Poiché, a differenza di Virgilio che narra la gesta fatale dell'eroe
troiano, senza prendervi parte se non con la fantasia del narratore,
Dante è narratore e protagonista della grande visione, come i profeti
d'Israele, profeta egli stesso, com'essi suscitatto da Dio perchè scri-
vesse e annunziasse quello che gli era stato mostrato, senza paura e
senza vergogna.
Ed ormai il suo stile è ben altra cosa da quello regolato della
canzone secondo i canoni del De vulgari eloquentia. Le più ardite
immagini dei salmi e dei cantici della Bibbia s'intrecciano con le
reminiscenze classiche, e danno allo stile della Commedia qualcosa
di solenne e di arcano, quai si conviene ad un poema socro al quale
han posto mano e cielo e terra. Dante stesso ha piena coscienza della
novità della sua impresa, e ne avverte coloro che, senza preparazione
adequata, si accingono a seguirlo :

О voi che siete in piccioletta barca,


desiderosi d'ascoltar, seguiti
dietro al mio legno che cantando varca,
tornate a riveder li vostri liti :
non vi mettete in pelago, chè, forse,
perdendo me rimarreste ismarriti.
L'acqua ch'io prendo già mai non si corse :
Minerva spira e conducemi Apollo,
e nove Muse mi dimostran l'Orse.
Voi altri pochi che drizzaste il collo
per tempo al pan de li angeli, del quale
vivesi qui ma non sen vien satollo,
metter potete ben per l'alto sale
vostro navigio, servando mio solco,
dinanzi a l'acqua che ritorna equale.

Egli non fa dell'arte о della letteratura per diporto. La sua poesia


è ormai una cosa sola col suo pensiero e con la sua fede. La sua poesia
è la sua religione ; la sua vita è tutta e soltanto nel suo canto.

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DANTE E PETRARCA
DI FRONTE
AL SACRO ROMANO IMPERO

di Giuseppe Toffanin

1. Quel generico contrasto, lasciatoci in eredità dalle ideologie


ottocentesche, tra un Dante ultimo uomo del Medioevo e un Petrarca
primo uomo del Rinascimento, oggi non tiene più se non sul punto
delle loro opinioni politiche ; e tiene solo in quanto s'ammetta che
l'entusiasmo dell'uno per l'Impero coincida con uno stato d'animo
medievale, e quello dell'altro per la Repubblica con uno stato d'animo
umanistico.
Ma fino a che punto si potrebbero accettare queste coincidenze ?
Questione complessa, che non qui s'avrebbe il modo e il tempo di
trattare per disteso, come pur meriterebbe che si facesse il Maestro
insigne a cui queste pagine sono offerte. Potessimo almeno impostarla
nella luce delle ultime indagini, liberata da alcuni pregiudizi tra-
dizionali e tenaci.

2. Quando si vuol vedere in risalto quella crisi del sentimento


agostiniano della romanità, per cui, un po' largamente ritagliato, il
secolo XIII, che la rappresenta, può inserirsi tra le due età con il
nome di « senza Roma », si pensa ai fisici arabizzanti e averroizzanti
d'allora, e alle loro famose fobie per la tradizione latina ; si rifugge
invece dai giuristi che, per aver sempre ragionato del Sacro Romano
Impero, e optato per esso già a Roncaglia (1158), sembrerebbero, se
mai dimostrare il contrario. Non per nulla dalla storia civile essi furono
bollati con la taccia di traditori dei Comuni, ma riscattati dalla
storia letteraria con la gloria di precursori e iniziatori dell'umanesimo.
E non furono né l'uno né l'altro. Fola il loro tradimento ; ma quale
conto fare poi del loro culto di Roma, giuridico e scolastico ? Se in
esso rappresentassero proprio i cugini segreti dei fisici1, e in qualche
tratto fossero avvicinabili più al Beccaria e al Voltaire, che al
Petrarca e ad Erasmo ? Nel loro unico problema : adoperare Papato
ed Impero per una sistemazione unitaria del mondo, l'istituzione
imperiale era un punto più di arrivo che di partenza, più un corollario
che una premessa. E molte soluzioni s'offrivano ad essi, ma special-

1 Dante stesso, del resto, li escludeva dal novero dei Sapienti. « Né si dee chia-
mare vero filosofo colui che è amico di Sapienza per utilitate , siccome sono li legisti,
medici e quasi tutti li religiosi, che non per sapere studiano, ma per acquistare moneta
o dignitade. » Convivio, III, xi, 10.

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DANTE E PETRARCA 49

mente gradita, anche ai benpensanti d'allora, era quella totale


indipendenza dell'una autorità dall'altra che, mutatis mutandis , ha
il suo corrispettivo nella formula ottocentesca 'libera Chiesa in
libero Stato', e che sarebbe forse in ogni tempo di facile applicazione
se poi anche i due territori a quella subordinati - la felicità celeste
e la felicità terrena - si potessero separare con lo stesso taglio. Ma
separare non si potevano : onde il gran vantaggio del pensiero aver-
roista sul pensiero tomista. Perchè, è vero, a una separazione delle
due felicità, piena di lievito razionalista, Averroè e San Tommaso
egualmente aspiravano, né Aristotele offriva meno all'uno che
all'altro il punto d'appoggio della rivendicata ragione ; ma c'era tra
i due casi la gran differenza che lo sforzo di San Tommaso veniva
subito limitato dal « non est igitur possibile quod ultima felicitas
hominis sit in hac vita » ; e allora le virtù cardinali già cominciavano
a far segno di collusione con le virtù teologali e quindi con il Papa,
a spese del loro imperiale tutore ; e nel « theologia debet omnibus
aliis scientiis imperare », il nascente stato laico già odorava d'incenso ;
laddove in Averroè allo Stato era assai più facile intendersi con una
Chiesa corredata da una giurisdizione enorme ma soltanto simplice :
la felicità celeste.
Così, una volta
disgiunto
dall'anima il possibile intelletto,

quest'anima i suoi conti non doveva più renderli al Cielo. Non le re-
stava quindi che cercare il suo fine e la sua eternità nella terra, cioè
nella comunità degli individui raziocinanti, costituiti in una sola
ragione perpetua, e perpetuamente progressiva, da una specie di
divinità terrena, lo Stato.
Miscredente о no, in questo, sul piano storico, il razionalismo dei
giuristi attira al secolo XIII l'appellativo di averroista, quasi quanto
il naturalismo dei fisici : che ebbe molti effetti in comune con esso,
e certo infuse nel concetto di Stato quel valore di autosufficienza che
finiremo a ritrovare nel moderno concetto di Stato Etico, e a risentire
negli inni d'oggi, come il seguente : « О repubblica santa ! »

3. Ma, con tutto il suo statalismo, a chi più vicino Dante ? A San
Tommaso о ad Averroè ?
L'inchiesta parrebbe perfino indiscreta a carico del poeta che
attraversa l'oltretomba con il pensiero fisso all'Empireo, e contro il
separatore dell'umana ragione dall'Intelletto Possibile leva la sua
protesta nell'ultima balza del Purgatorio.
E ciò non pertanto, chi più intensamente di lui inteso alla quadra-
tura del cerchio, cioè a separare i due poteri senza separare le due
felicità che ne dipendono ? Si trattava di togliere di mezzo l'eredità

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50 GIUSEPPE TOFFANIN

d'odi, di vendette, di comunali esilii conseguita alla donazione di


Costantino. Ed egli pensò che si potesse farlo scansando Averroè,
sebbene non questo paresse poi ai suoi due critici, il padre domenicano
Guido Yernani da Rimini e Bertrando del Poggeto.
La formula adottata da Dante in sé non era nuova ; covata nelle
scuole ghibelline, consisteva nel concepire l'Impero così direttamente
creato da Dio e quindi in così diretta comunicazione con Lui, da non
aver più nulla a spartire con il Papa, perché quel tanto di divino, o,
se volete, di teologico, senza cui non avrebbe potuto guidare l'uomo
nel tempo, esso lo portava dentro di sè ab initio , e non aveva quindi
bisogno di chiederlo a chicchessia.
Chi sa come Dante oggi si sorprenderebbe all'udire che un tale
Stato, tutto dipendente da Dio, somiglia stranamente al moderno
Stato emancipato da Dio, e che in questo estremo trascendentalismo
uno storico del diritto italiano, il compianto Ercole, nel più pregevole
forse dei suoi studi critici 1 non aveva trovato difficoltà a ritrovare una
vera e propria concezione naturalistica. Ma gli estremi si toccano
sempre ; e ad uno Stato già di per sè così divino, che cosa restava da
chiedere al Vicario di Cristo in terra, oltre una generica benedizione ?
Quella appunto di cui parla il Monarchia : « Sic ergo dico , quod
regnum temporale non recipit esse a spirituali , пес virtutem , quse est
eius auctoritas , пес etiam operationem simpliciter ; sed bene ab eo
recipit , ut virtuosius operetur per lucem gratin, quam in cœlo et in terra
benedictio summi Ponti ficis infundit Uli. » (Mon., III, 4). 2 Nienťaltro :
chi poi nella Divina Commedia ha creduto trovar meglio difesi i diritti
del Papa, non so a qual passo si riferisse.3 Sia pure che Beatrice «fa
andare » prima Virgilio ; ma il suo atto incide forse nell'allegoria
politica ? Non pare. Il Santo Segno è tale prima e dopo la Rivelazione ;
e in questo assolutamente identico al Segno della Chiesa, la Croce, che
neppur esso può venir menomato dalle colpe e dagli errori di chi lo
rappresenta : Niccolò III resta pari alle sue funzioni di Papa,
nonostante la simonia, come Federico II alle sue funzioni imperiali
nonostante l'eresia : e la colpa del terzo Cesare è tutta illuminata
dalla luce della Provvidenza. E' vero che in un primo tempo Dante
pensò solo a un'imitazione cristiana del virgiliano oltretomba, e che
con l'espressione « poema sacro » intese significare solo il Paradiso ?

1 F. Ercole, Le tre fasi del pensiero politico di Dante , in Giornale Storico della
Letteratura Italiana , suppl. 1921, pp. 397 sgg.
2 E' il corollario della glossa d'Accursio, come osserva il Pézard, interessante
sempre, anche dove non s'accetta : « A ce point précis, la Glose d'Accurse formule un
corollaire imprévu : * Est-ce que, selon ce texte, il s'entend que quiconque veut être
jurisprudent ou jurisconsulte doit lire la théologie ? Je réponds que Non ; car toutes
choses sont contenues dans le Corpus Juris même. » A. Pézard, Dante sous la pluie de
feu , Paris, 1950, p. 182.
3 Non certo ai versi del VI del Purgatorio :
Ahi gente che dovresti esser divota
E lasciar seder Cesar nella sella ;
che non rappresentano se non una perifrasi di questo passo del De Monarchia.

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DANTE E PETRARCA 51

Osterebbero a quest'opinione, non foss'altro, i già iniziali richiami


di Virgilio a Beatrice ; ma nell'allegoria politica - dice benissimo
l'Ercole - Virgilio non aspetta nessuna Beatrice *. E Marsilio da
Padova non è andato più in là.

4. Ma a chi attinge Dante ? Attinge ai giuristi delle ultime gene-


razioni, nei quali il sentimento della romanità è diventato puro
concetto giuridico, e all'età che fu loro non ne rimane che confer-
mato il nome di « secolo senza Roma».2 Medioevo e Rinascimento non
risaltano mai tanto nella continuità del pensiero latino, come quando
li tramezza, anch'esso in risalto, il secolo XIII, che a questa conti-
nuità è estraneo anche là dove sembra essere più romano, cioè nel
culto del diritto. Ma perchè vogliamo insistere nella pur romantica
e seducente imagine d'un Medioevo ancora ignaro che la persistente
luce di Roma venisse da un pianeta spento ? Quali che potessero
essere i miti delle folle remote, il Medioevo pensante visse tutto
nell'antitesi di S. Agostino : « Roma è morta, Roma non può morire »,
quale puoi ritrovarla nel Sermone LXXXI : « Roma non è in quest'am-
masso di pietre e di tavole, in quest'alte isole di case, in quest'ampia
cintura di bastioni. Tutto ciò non fu costruito che per crollare un
giorno. Quando l'uomo elevò queste costruzioni, egli non fece che
metter pietra su pietra. Il cielo e la terra passeranno. C'è dunque
da maravigliarsi che una città cessi d'esistere ? Supponiamo che l'ora
della sua rovina non sia ancora giunta : essa verrà certamente un
giorno. »
Queste le parole su cui puntarono i secoli oscuri per trasfigurare
in spirituali i valori politici di Roma ; e la trasfigurazione si fuse
con l'agostiniana filosofìa della storia, e quanto essa durò. Poi le
si armò tacitamente contro il corrosivo razionalismo scolastico, e un
bel giorno la storia, invece che nella fatalità di Roma, si trovò imper-
niata nella fatalità degli astri. Ne nacque e si divulgò uno stato
d'animo nuovo, al quale ancor oggi, per amplificazione, usa dare il
nome di averroistico, sebbene non tutti certo allora fossero averroisti
о miscredenti, perché in quell'esaurirsi della religione della romanità,
ch'ebbe la sua espressione più cruda nella filosofia averroistica, poco
0 molto parteciparono tutti.
Anche i giuristi ?
Ecco la verità che gli storici dell'Ottocento cominciarono a ricu-
sare quando cominciarono a fraintendere i giuristi di Roncaglia. Dalla
futura riscossa umanistica quei giuristi in fondo erano lontani quanto
1 fisici : la Roma ch'essi difendevano non era quella dichiarata da
S. Agostino immortale ; era l'istituto giuridico di Roma, per il quale
1 F. Ercole, op. cit., p. 495.
2 Per la conoscenza che Dante ebbe dei giuristi cfr. A. Pézard, op. cit., p. 173
e sgg. ; p. 191 e p. 355 ; e F. Ercole, Il Pensiero Politico di Dante , Alpes, Milano 1928,
t. II, pp. 13 e sgg., p. 28 e nota 3.

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52 GIUSEPPE TOFFANIN

S. Agostino si sarebbe infervorato assai poco. Quello solo di Roma


nella loro fredda logica di scolastici essi scoprivano necessario all'unità
e alla pace del mondo ; e come tale lo difendevano, del tutto indiffe-
renti al particolare che la corona di Cesare cingesse ora la fronte di
un imperatore barbarico. E' vero : la notte di Natale del 1175 Federico
Barbarossa sui campi di Marengo sfolgorò in faccia alla lombarda
Lega che lo assediava il vessillo imperiale ; ma la sua vittoria fu del
diritto di Roma, non della romanità, come parve al Quinet. Non per
nulla ad entusiasmarsene dovettero venire i romantici ; gli umanisti
non se n'erano mai entusiasmati.
E Dante?
Non c'è dubbio : senza indagare per quali influssi questo avveni
Dante poeta è il primo a immettere nella logica fredda degli scola
la filosofìa della storia di S. Agostino ; e al suo tocco dalla tradizione
di Roma riscaturisce la poesia della romanità. E' lui a riscoprire
veramente dopo quasi un secolo di quarantena Virgilio (fioco per
lungo silenzio), a riscoprire all'antichità i suoi poeti-profeti e i suoi
eroi-santi, a trovare nell'Eneide imparata a memoria (« ben lo sai
tu che la sai tutta quanta ») la prima riscossa contro il formalismo
stilistico, a dare all'umanesimo un impulso senza il quale forse
Petrarca non sarebbe stato. Non per nulla gli umanisti li affratella-
rono ; sentirono le due Rome armonizzare quasi egualmente nella
Divina Commedia e пе''' Africa, e non si scandalizzarono, no, quando
Dante aveva bisogno d'una specifica smentita
(E là dov'io fermai cotesto punto,
non s'ammendava per pregar difetto,
perché il prego da Dio era disgiunto.
Purg ., VI, 40-42).

per persuadersi che nell'Eneide, nonostante il


Desine fata deum flecti sperare precando,
non era presagita perfine la comunione dei Santi ; о anticipava a
Marsilio Ficino la speranza di porter purgare Platone anche dalla
menda di far tornare l'anime alle stelle

(forse sua sentenza è d'altra guisa


che la voce non suona, ed esser puote
con intenzion di non esser derisa
Par., IV, 51-3).

Chi più ricco di misticismo romano e quindi più umanista ? Dante


о il Petrarca ? E' diffìcile dire. Anche la più accettata delle differenze
fra i due, che l'ideale politico per l'uno fosse l'Impero, per l'altro la
Repubblica, se implicasse nel primo il disconoscimento di certi ideali
assoluti di giustizia, reggerebbe male, chi pensi che neppur Cesare,
lucanescamente evocato « con gli occhi grifagni », sfugge al giudizio

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DANTE E PETRARCA 53

morale, ed è assolto solo in cambio della condanna di Curione, cioè


con un compromesso ; che evidentemente Bruto e Cassio son con-
dannati più per aver levato la mano contro i decreti di Dio che
contro l'uomo ; che Valerio Massimo, apologeta della vecchia Roma,
non ebbe lettore più candido di Dante ; che Livio, nella frase « che
non erra », proprio da Dante fu consegnato agli umanisti come
evangelista delle virtù repubblicane, insieme ai Fabrizi, ai Cincinnati,
alle Cornelie. C'è di più. Quando non teorizzava circa lo Stato,
questo esaltatore degli Svevi era ripreso dall'orgoglio razziale fino
a disperarsi dello spurio sangue fìesolano entrato a Firenze nella
« semenza santa » di Roma.
Ma guai se passava alla politica militante. Allora il problema
dell'universalità spirituale di Roma si trasformava in quello dell'unità
giuridica del mondo per entro a un'istituzione che prendeva nome da
Roma, cioè in puro problema giuridico, e subito, nell'anticipatore del
quindicesimo, si risvegliava il figlio del tredicesimo secolo. Dante
poeta e Dante giurista : due mondi : l'agostiniano da una parte, lo
scolastico dall'altra. Si potrebbe dire anche di più. Nel pensiero
politico degli scolastici le premesse, s'intende, restano agostiniane
(« si homo stetisset in statu innocentise, in quo a Deo factus est, talibus
directivis non indiguisset », Mon. III, 4) ; senonchè, negli scritti
politici di Dante, e segnatamente nelle Epistole , l'affiato lirico rimane
come una pesante e inutile sovrastruttura. Chi parlasse di forma agos-
tiniana e di contenuto scolatico non andrebbe molto lontano dal vero.
E force bisgona pensare a questo contrasto tra forma e contenuto per
intendere nell'allegoria tutta politica degli ultimi canti del Purgatorio
quell'improvviso impoverirsi e irrigidirsi il sentimento della roma-
nità, e proprio là dove parrebbe dover culminare. Fuori le fiamme,
dentro il gelo. Il cuore non c'entra più. In una così ampollosa apo-
logia di Roma neppur ti sorprendi che il romano imperatore non
abbia che vedere con lei e sia un barbaro.

5. Esattamente il contrario di quanto avviene nel Petrarca, che,


anche sul terreno politico, favorì ai grandi motivi patristici l'ultima
riscossa contro il razionalismo giuridico degli scolastici. E chi volesse
dar modo di misurare in una sola mossa la portata del suo progresso
verso l'umanesimo, più ancora che all'orrore per i fisici, in Dante
temperato о annullato dalle illusioni scientifiche del tomismo, più
che alle stesse scoperte dei codici, in Dante non oppugnate ma non
praticate, dovrebbe pensare a quel suo sdegno per i giuristi e per
la loro
arte
di vender parolette, anzi menzogne,

e per il Corpus Juris medesimo ; il solo sdegno che Dante non avrebbe
né partecipato né capito. E donde l'attinse il Petrarca ? Esattamente

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54 GIUSEPPE TOFFANIN

noi conosciamo solo il modello su cui lo ricalcò : le Confessioni di


S. Agostino (« deliberai di sopprimere il mio insegnamento d'elo-
quenza dal mercato delle ciance, ... studio di folli menzogne »),
quello stesso su cui veniva ricalcando i suoi grandi dissidi fra terra e
cielo, fra spirito e carne, fra gloria ed eternità ; ma sempre in modo
che da coteste costrizioni uscissero ingigantite la sua stessa originalità
e la sua forza di trasmettersi ispiratore e coordinatore a due secoli
di umanesimo. I quali ereditarono da lui questo sentimento della
sapienza antica, epurato dalla reverenza al formalismo giuridico. E
quando vi torneranno, verso la metà del Cinquecento, noi storici
diremo che allora finisce l'umanesimo del Petrarca e comincia quello
del Gravina.
Ma nella romanità del Petrarca come s'espresse dunque, per
concludere, questa agostiniana rivolta ai giuristi ?
Gli esegeti di lui non sono mai arrivati a mettersi d'accordo ;
e ancor oggi si possono dividere in due schiere, dipendenti, per restare
in Italia, l'una dal vecchio Zumbini *, che vedeva nel suo poeta il
continuatore dell'imperialismo dantesco, appena raffreddato dalle
avverse circostanze, come nei versi dell'Africa :

semper vocabitur uno


nomine Romanům Imperium 2 ;

l'altra dipendente dal vecchio Steiner 3, che, con alla mano versi
sull'istituto imperiale dello stesso poema :
vincetur ab annis
rimosoque situ paulatim fessa [Roma] senescet
et per frusta cadet... 4

lo faceva assurgere a profeta, о quasi, del moderno concetto di nazione.


Tra i contrastanti argomenti, nei più restava l'immagine di un
Petrarca incerto, ondeggiante, contradittorio e un tantino avventato.
Incerto e ondeggiante può essere ; contradittorio no ; о solo d'una
contradizione, molto coerentemente fondata sulla grande contra-
dizione agostiniana « Roma è morta, Roma non può morire ».
Intendiamoci : i famosi versi della canzone All'Italia :

Non far idolo un nome


vano, senza soggetto ;

con qualche probabilità vanno riferiti a « Ludovico il Bavaro, imperatore


di fatto ma non di diritto, non per buona elezione né per consacrazione

1 B. Zumbini, Studi sul Petrarca , Firenze, 1891.


2 Africa, L. II, vv. 288-9.
3 G. Steiner, La fede nell'impero e il concetto della patria italiana nel Petrarca ,
Firenze, 1906.
4 Africa , L. II, vv. 301-2.

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DANTE E PETRARCA 55

del Pontefice, il quale lo aveva anzi scomunicato e deposto » ; rap-


presentano, se mai, un atto d'ossequio all'istituzione imperiale.
Tuttavia, neppure espressi contro di essa disconverrebbero al figlio
sempre imperialista d'un compagno d'esilio di Dante, il quale,
urgentibus iam fatis , continuò a camminare sulle tracce paterne, con
il far buon viso perfino al velleitario Carlo IV, con il non mescolare
sentimenti ribelli al mistico entusiasmo per Cola di Rienzo ; rien-
trerebbero ancora e sempre in quella gigantesca antitesi agostiniana
dove lo spirito eterno di Roma ha bisogno di differenziarsi da tutte
le sue incarnazioni caduche, compreso l'Impero.
E l'Impero Petrarca disprezzò come cosa da non confondere con
Roma eterna, ma non rinnegò mai. E se è vero che in ultimo egli
vagheggiò erede integrale della romanità (compreso l'Impero dunque)
piuttosto il Papato, e parve inconsapevolmente profetare i Papi
imperiali dell'umanesimo, Giulio II e Leone X, ciò fece non per
dispetto degli imperatori, ma per l'impossibilità di contare sul loro
interessamento, come si vede nell'Epistola metrica a Benedetto XII,
dove del rivolgersi soltanto a lui

solus eras per quem poteram formosa manere 1

Roma si giustifica con l'irraggiungibilità dell'altro tutore :

solabar ut uno
lumine dum poteram ; sic nunc orbata duobus
non possum tacitas ultra perferre tenebras 2 ;

e pone poi il suo correttivo nella profezia di Giove nell' Africa :

Hanc [Romam] penes impérium simul et mea maxima sedes


semper erit 3.

Si sa bene ; per certe uscite, come quella ad Andrea Dandolo in


una lettera del 1351 : « Debellato, vacillante e per poco non direi
disfatto del tutto l'Impero Romano » 4, non sarebbe occorsa, no, la
punterella anarchica dell'agostinismo ; bastava l'evidenza dei fatti ;
ma non altrettanto si potrebbe dire di certe mosse prechateau-
briandiane, come il lamento della citata Epistola a Benedetto XII,

Mcesto interea sub murmure nomen,


Roma erat , insonuit 6,

о del compianto della terza delle Sine titulo per l'eternità dell'Impero

1 Petrarca, Poemata minora , Milano 1834, vol. III, p. 114.


2 Poem. min. у vol. III, p. 126.
8 Africa, VII, v. 718-9.
4 Farn. III, 35.
5 Poem, min., vol. III, p. 126.

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56 GIUSEPPE TOFFANIN

fatta profetare a Giove da Virgilio, sebbene egli stesso l'avesse


imitata nei versi citati più su, e fosse ben lungi dall'essersene dimen-
ticato. Un compianto che li involge dunque ambedue.
E come d'origine agostiniana in tutta l'opera del Petrarca quell'al-
tro contrasto, così travisato dagli storici, fra un consenso quasi
aggressivo alla forza guerriera di Roma quale si ritrova nel volgare
della canzone All'Italia :

Cesare taccio, che per ogni piaggia


fece l'erbe sanguigne
di lor vene, ov'il nostro ferro mise.

о nel latino degli esametri a Enea Tolomei :

Cur gentibus esse


ludibrium domitis miseri properamus et orbis
fabula? Felicem populum, quem libera dudum
et victrix condebat humus. Nos vilia busti
barbaríeis pedibus iam iam calcanda superbis
expectant

e, d'altra parte, le immediate sconfessioni di esso nel

Virtù contra furore


prenderà l'armi

e, peggio, in quell' attribuire la caduta di Roma al suo militarismo :

Olim regnorum iniusta cupido


urbibus Hesp erise ci vilia bella, nefasque
quorsum abiit ? 2

In effetti, nessun contrasto. Chi vince è sempre S. Agostino, quello che


nella lettera al Conte Dario ammonisce : « Guai se alle guerre tocca
di prevalere sul Verbo (Verbo bella occidere) ». (Perché io non credo
che il virtù della canzone All'Italia esprima solo valentìa militare.)

6. Tra le prospettive dello storicismo moderno, specialmente


prestigiosa è quella d'una medievalità di Dante (in contrasto con una
modernità del Petrarca) ricavata dal presupposto che tutta medievale
fosse la fede nell'Impero. Ma quella fede, com'è sentita da Dante,
rispecchia invece una modernità del secolo XIII alla quale non s'arriva
se non passando fra le spine dello storicismo. E non la ritrovi più nel
suo successore. Il Petrarca nell'azione pratica poteva essere accorto e
spregiudicato e mobile al vento delle contingenze ; ma nella sua teoria
la Roma spirito di S. Agostino si sostituiva di colpo alla Roma fatto

1 Poem, min., vol. II, p. 42-44.


2 Poem, min., vol. II, p. 44.

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DANTE E PETRARCA 57

dei giuristi. E allora il Corpus Juris non dava più impaccio : si


tornava a disputare se all'unità del mondo avesse più contribuito Cesare
con la sua spada о Cicerone con il suo latino ; se non fosse da tenere in
sospeso il giudizio sulla dubbia natura dell'azione di Cassio ; se fosse
sopportabile un imperatore barbaro :

Proh fata ! Pudendis


angimur imperiis, patimurque in viscera passim
nostra triumphatos fractosque accingier enses 1 ;

se, nell'assenza dell'imperatore, il Papa avesse о no il diritto di con-


giungere con il pastorale la spada.
A questa stregua come sorprenderci che in tutti i suoi scritti,
anche nei più specificamente politici, l'interna polemica agostiniana
si risolva in una continua evasione dalla realtà ? Non v'illudano certe
esteriori analogie fra Dante e Petrarca : il lirismo profetico che nel
primo è sempre sovrapposto al fatto e da esso scindibile, nel secondo
è fine a se stesso. Pur nella canzone All'Italia le allusioni ai fatti
contemporanei non risulterebbero così problematiche e indecifra
se il particolare non svariasse di continuo nell'universale. Consape-
volmente о no, questa sostituzione di valori che avveniva in lui,
Petrarca la trasferì nello straniero che discende « sublimis ab Alpe...
minax animo », e tuttavia, a certo punto, da che resta placato e
umiliato ? Da Roma in quanto sede dell'Impero ? dai segni della
sua forza passata ? dalla maestà sempre presente del suo diritto ?
No : dalle due Rome miracolosamente ricongiungentisi nella gloria di
quel romanesimo rinascente come puro spirito, che i posteri chiame-
ranno umanesimo :

Alma
sed nihil in patria magis admirabile cernit,
quam studium mores hominumve, habitataque multo
corda Deo, ignaros segre passura tyrannos.
Нэес facies rerumque decor dulcedine captum
impellunt, glomerantque avido sub pectore flammam,
incenduntque sitim. Nihil ilium sacra videndi
corpora : nihil patrům tumulos, nil sanguine tincta
innocuo loca movit amor. Terrena supernis
sceptra etenim potiora putans, extendere fines
tegmine sub pacis rabidus lupus incubât. Alte
crescere ab exiguis radicibus orta cupressus,
perniciesque solet. Non hie, mihi crede, quiescet :
longius aspirat funesta iniuria, quae nunc
invasit vere deserta mœnia Lucse.
Quid loquor ? Ah demens I Forsan patet una salutis
hsec via : quae mores referát iam sera vetustos.
Certe animo spes una sedet : fors impia, bella

1 Poem. min., vol. II, p. 36.

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58 GIUSEPPE TOFFANIN

cessabunt, subitum pigeat dum cernere regem ;


nam gládios ас pila tenet quis terruit orbem
Itala posteritas exemplis dives avorum 1.

Ripetiamolo : anche Dante ha parole sublimi, profetiche, bibliche,


quando parla dell'imperatore « cum sit Csesar et maiestas eius de
fonte defluat pietatis » 2, quando parla dell'Impero, voluto « seterni
pia Providentia Regis, qui dum cœlestia sua bonitate perpetuai,
infera nostra despiciendo non deserit, sacrosancto Romanorum
imperio res humanas disposuit gubernandas, ut sub tanti serenitate
prsesidii genus mortale quiesceret, et ubique* natura poscente,
civiliter degeretur » 3.
Ma è un sublime, un profetico, un biblico, da cui nel processo della
trattazione si può anche prescindere. Ciò che non avviene mai con il
Petrarca.

Il quale, come prevedesse la nostra ottocentesca ostinazione a


vedere nella canzone All'Italia , una profezia delle moderne nazioni,
scagliò contro di queste, nella quarta delle Sine Nomine , una maledi-
zione più che dantesca. E dovrebbe bastarci. Ricordatela :
« Monstruosum est enim omne animal biceps : quanto magis hor-
rendiim et immane prodigium est animai mille capitum diversorum
seseque mordentium invicemque pugnantium ! Quodsi capita plura
sint, unum tamen quod cuneta compescat atque omnibus presit esse
debere non ambigitur, ut totius corporis pax inconcussa permaneat » 4.
Senonchè la dimostrazione della necessità politica di un solo
potere, Roma, non s'appoggia mai ad argomenti giuridici ; è tutta
agostiniana.

« Id sane supremum caput velie se Deus omnipotens non aliud


esse quam Romam multiplicibus declaravit indiciis quam belli pacisque
gloria quamque mirabilis sine exemplo virtus tanta preeminentia
dignam fecit » 5. E la chiusa è eroica :
« Imp er atores igitur vagi esse possunt : stabile fixumque semper
impérium est. Nec de temporali statu , sed de perpetuitate imperii
dixisse credendus est Maro ubi ait :

Dum domus Aeneœ Capitola immobile saxum


Accolet, imperiumque pater Romanus habebit.
Neque enim hec dicens centum aut mille annorum , sed immortalem
illis duobus gloriam spondebat » 6.

1 Poem. min. , vol. II, p. 48.


2 Ep. Vili, 3.
3 Ep. X, 1.
4 P. Piur, Petrarcas « Buch ohne Namen » und die Päpstliche Kurie (Halle, Nie-
meyer, 1925), p. 175-176.
ö Id., p. 176.
6 Id p. 177.

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PETRARCH'S "AVERROISTS" :
A NOTE ON THE HISTORY OF ARISTOTELIANIAM IN VENICE,
PADUA, AND BOLOGNA

by Paul Oskar Kristeller

Petrarch's De sui ipsius et multorum ignorantia is perhaps one of


the best known of his Latin works г. Written between 1368 and 1370
as an invective against four unnamed former friends with whom he
had had an unpleasant encounter during his stay in Yenice in 1366 2,
the treatise has been considered not only as an expression of Petrarch's
own philosophical thought 3, but also as an important document of a
philosophical school against whose representatives it was supposedly
directed : Paduan Averroism. In Renan' s classical account of the
history of Averroism, the school of Padua began with Peter of Abano
early in the fourteenth century, and Petrarch's invective, written in
the second half of that century, allows us to bridge the chronological
gap between Peter and the Paduan philosophers of the fifteenth and
sixteenth centuries and to assume the unbroken continuity of the
school. This view has often been repeated up to recent years and may
still be considered as the communis opinio on the matter 4.
With due regard to Renan' s merits in this field of studies, it must
be said that his views call for a thorough revision on many points.
His concept of Averroism itself which comprises the use of Averroes'

1 Pétrarque, Le traité De sui ipsius et multorum ignorantia , ed. L. M. Capelli,


Paris, 1906. This edition is based on the autograph manuscript, Vat. lat. 3359, which
carries the following subscription : " Hunc libellum ante biennium dictatum et alibi
scriptum a me ipso scripsi hic iterum manu mea et perduxi ad exitům Arquade inter
colles Euganeos 1370, Jun. 25 vergente ad occasum die " (ibid., p. 4). The other
autograph was discovered and described by P. Rajna, Il codice Hamiltoniano 493
della Reale Biblioteca di Berlino , Rendiconti della Reale Accademia dei Lincei , Classe
di Scienze Morali , Storiche e Filologiche , Ser. V, vol. XVIII, 1909, 479-508. A careful
English translation with an introduction and notes by Hans Nachod is included in
the volume, The Renaissance Philosophy of Man (ed. E. Cassirer, P. О. Kristeller and
J. H. Randall Jr., Chicago, 1948, p. 47-133).
2 On the episode that gave rise to the treatise, see G. Koerting, Geschichte der
Litteratur Italiens im Zeitalter der Renaissance , I (Leipzig, 1878), 414 ff. G. Voigt,
Die Wiederbelebung des classischen Alterthums , 3rd ed., I (Berlin, 1893), 87 ff.
N. Sapegno, II Trecento (Milan, 1934), 189 f.
3 G. Gentile, La filosofia (Milan, n. d.), 166 ff.
4 E. Renan, Averroes et V Averroïsme (3rd ed., Paris, 1866, p. 322 ff., esp. p. 334 ff.).
M. M. Gorce, " Averroisme ", Dictionnaire d'Histoire et de Géographie ecclésiastiques f
V (Paris, 1931), coli. 1076 ff., esp. 1077 : " Sur le triomphe absolu de l'averroïsme
à Padoue au milieu du XIVe siècle, nous avons une source savoureuse de documenta-
tion, le poète Pétrarque... C'est tout le thème de sa satire De sui ipsius et multorum
ignorantia." M. Grabmann, Mittelalterliches Geistesleben , II (Munich, 1936), 240 :
" Dafuer, dass an der Artistenfakultaet der Universitaet Padua der Averroismus
eine beherrschende Stellung eingenommen hat, ist Petrarca in seiner Schrift De sui
ipsius et multorum ignorantia ein Hauptzeuge."

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60 PAUL OSKAR KRISTELLER

commentaries on Aristotle as well as the adherence to such specific


doctrines as the unity of the intellect has been the cause of conside-
rable confusion that is still apparent in the most recent utterances on
the subject г. On the other hand, although Padua undoubtedly was
a vital center of Aristotelian teaching especially in the fifteenth and
sixteenth centuries, the " school of Padua " possessed no institutional
or doctrinal unity as compared with other Italian centers, and
Renan himself had to make many qualifications on this point 2 that
were often forgotten by those who relied primarily upon his source
material. It would be beyond the scope of this paper to discuss these
general problems at greater length. We shall merely examine the
question whether the opponents criticized in Petrarch's De ignorantia
may rightly be called " Paduan Averroists ".
Whether these opponents should be called Averroists will largely
depend on the meaning that we give to that rather hazy term. We
know from other writings of Petrarch that he strongly disliked Averroes
and his followers 3, but we have no reason to connect these other
statements with the specific incident in Venice that was the occasion
for his writing the De ignorantia . In this work, the name of Averroes
occurs only twice and rather incidentally 4, whereas the crucial
Averroist doctrine of the unity of the intellect is not mentioned at
all. The main points which Petrarch attacks are the emphasis on
natural science as against literature and moral philosophy 5, the
blind submission to the authority of Aristotle 6, the acceptance of
such Aristotelian doctrines that are incompatible with Christian
teaching as the attainment of happiness in the present life 7 and the
eternity of the world as against creation from nothing 8, and finally
the so-called theory of double truth that conceals a secret disbelief
in the teachings of Christianity 9. Even if we assume that Petrarch's
account of the opinions of his opponents is correct, which we may
doubt especially for the last point, it will be safer to classify them
as Aristotelians rather than as Averroists.
Yet the second aspect of the common view that connects Petrarch's
Venetian opponents with the philosophical traditions of the Universit

1 E. Troilo, " L'Averroismo padovano Società Italiana per il Progresso delle


Scienze , Atti della XXVI Riunione (Venice, 1937), vol. III (Rome, 1938), 253-86.
G. ToFFANiN, Per Г Averroismo padovano , Rinascita , II, 5 (1939), 56-72. E. Troilo,
Per l'Averroismo Padovano о Veneto , Atti del Reale Istituto Veneto di Scienze , Lettere
ed Arti , XCIX (1939-40), pt. II, 273-98.
2 Op. cit., p. 325.
3 Epistolas sine titulo , 18 ; Senil. V, 2 (Náchod, i.e., p. 140 fï.).
4 Ed. Capelli, p. 72 and 73.
5 P. 25 ff.
6 P. 30 f. and passim.
7 P. 40.
8 P. 58.
9 P. 58 ff.

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petrarch's « averroists » 61

of Padua seems to be subject to even mor


no positive evidence whatsoever, except the preconceived notions of
the continuity of " Paduan Averroism " and upon Renan' s suggestive
aperçu that Padua was nothing but the " quartier latin " of Venice 1
and that Venetian intellectuals must necessarily have received their
philosophical training in the neighbouring university. The remark
is obviously true for the period after 1405 when Padua became a
Venetian subject city and its university a Venetian state university
which all citizens henceforth were obliged by law to attend ; it is
anachronistic for the fourteenth century when Padua in spite of
its proximity to Venice was independent and often hostile, and
when a citizen of Venice was likely to pursue his studies at other more
distant universities as well as at Padua 2. We also might wonder
why Petrarch after he left Venice out of disgust with " Paduan
Averroism " in 1368 should have retired, after a short stay in Pavia,
among all places to Padua where he actually spent the remaining
years of his life. The suspicion arises that the " Paduan Averroism "
which he encountered in Venice might not have been Paduan at all.
Fortunately, there is enough biographical and documentary
evidence concerning his four Venetian opponents that allows us to
doubt whether they had any connection with Padua and to assert
on the contrary that their philosophical ideas were linked with other
university centers, and especially with Bologna. Strangely enough,
although some of this evidence has been known since the eighteenth
century, it has not been properly utilized by Petrarch scholars or
by the historians of Aristotelianism or of the universities of Padua and
of Bologna. Additional documents brought to light more recently
will I hope allow us to prove the point beyond any reasonable doubt.
Whereas Petrarch intentionally failed to give the names of his
four " Averroist " friends and opponents, their names have been
preserved in two glosses of a contemporary manuscript in Venice.
The first gloss was published by Degli Agostini in 1752, the second
in 1830 by Cicogna ; both scholars were able to identify the four
persons and to gather some further information about them 3. The

1 P. 326.
2 For example, Giovanni Contarmi studied liberal arts and theology at Oxford
and Paris between 1392 and 1408 (G. Dalla Santa, Uomini e fatti dell'ultimo Trecento
e del primo Quattrocentoy Nuovo Archivio Veneto , N. S. XXXII, pt. I, 1916, 5-105).
3 G. Degli Agostini ( Notizie istorico-critiche intorno la vita e le opere degli
Scrittori Viniziani I, Venice, 1752, p. 5 f.) published from a manuscript, then at
SS. Giovanni e Paolo in Venice, the following marginal note, added to Petrarch's
words " Veniunt ad me de more amici illi quatuor " (ed. Capelli, p. 19) : " Hii erant
Dominus Leonardus Dandolo : Thomas Talentus : Dominus Zacharias Contareno
omnes de Venetiis : Quartus Magister Guido de Bagnolo de Regio. Primus miles,
secundus simplex mercator, tertius simplex nobilis, quartus medicus physicus."
E. Cicogna ( Delle Inscrizioni Veneziane , III, Venice, 1830, p. 362 ff.) added that
the same manuscript, then at the Marciana, identifies the four persons in another
passage : " Ita tarnen ut primus (Leonardus Dandalo) literas nullas sciât, nota tibi

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62 PAUL OSKAR KRISTELLER

names are : Leonardo Dandolo, Tommaso Talenti, Zaccaria Contarmi,


and Guido da Bagnolo. The first, Leonardo Dandolo, was the son of
the Doge Andrea. The third, Zaccaria Contarmi, probably studied
law at Paris. Both were members of famous Venetian families 1.
More interesting, however, are the other two. Tommaso Talenti was
a Venetian citizen and wealthy merchant whose family had come
from Florence. His epitaph and parts of his testament have been
published, and his bequests reflect both his piety and his intellectual
interests 2. He endowed the church of S. Elena where he was buried
after his death in 1403, and left a large amount of money, as well as
his library of 105 scientific books to a monastery of the Olivetani 3.
In the event that the latter would not comply with his stipulations*
he left the books and the money for the foundation of a college in
Bologna that was to receive at least sixteen students of the liberal
arts and theology from Venice, Florence and Forlì 4. We do not know
whether this provision for Bologna which was not actually executed
denotes any personal connection between Talenti and that city, or
whether in this point he merely imitated the testament of his friend
Guido da Bagnolo of which we are going to speak. Furthermore,
Talenti left an income of 50 ducati per year for the salary of a public
lecturer of logic and philosophy in the city of Venice, and we know
that this chair to whose salary the city authorities added another
150 ducati was occupied in the fifteenth century by such famous
scholars as Paulus Pergulensis and Dominicus Bragadinus and was
still held in the early sixteenth century by Antonius Justinianus

loquor, secundus (Thomas Talentus) paucas, tertius (Zacharias Contarenus) non


multas, quartus (Magr. Guido de Regio) vero non paucas..." (cf. ed. Capelli, p. 24).
The manuscript, Marc. lat. VI 86, is described by G. Valentinelli ( Petrarca e
Venezia , Venice, 1874, p. 106-09 ; Valentinelli does not mention the glosses in the
short description of the same manuscript in his Bibliotheca Manuscripta ad S. Marci
Venetiarum IV, Venice, 1871, p. 182). Agostini was utilized by G. Tiraboschi who
added much further material concerning Guido da Bagnolo ( Storia della letteratura
italiana V, Rome, 1783, 163 ; Biblioteca Modenese I, Modena, 1781, p. 134-37)
and by Renan (p. 335). Agostini and Cicogna were summarized incompletely by
G. Fracassetti, the source of most later Petrarch scholars ( Lettere di Francesco Petrarca
delle cose familiari , II, Florence, 1892, 56 fl.). The documentary material of Agostini,
Tiraboschi and Cicogna was substantially increased by R. Livi, Guido da Bagnolo
medico del Re di Cipro, Atti e Memorie della R. Deputazione di Storia Patria per le
provincie Modenesi , Ser. V, vol. XI, 1918, 45-91) whose material seems to have remained
unnoticed.
1 Both identifications, suggested by Agostini and confirmed by Livi, were rejecte
on unconvincing grounds by Fracassetti.
2 For Tommaso Talenti, see the studies of Agostini, Cicogna and Livi, quoted
above. His epitaph and part of his testament are given by Cicogna, another part of
the latter by Livi. It is dated Sept. 22, 1397.
3 "Omne s meos libros scientificos numero circiter centum quinqué volumina "
(Cicogna, Le.),
4 " Quod fiat unum collegium scolarium in ci vitate Bononie in artibus et in
theologia, in quo quidem collegio expendantur similiter ducati septem millia auri...
In quo quidem collegio recipiantur saltem sexdecem studentes scolares... inter quos
esse debeant duodecim Veneti cives si tot poterunt apte reperiri, et reliqui... esse
debeant Fiorentini vel districtuales aut Forlivenses cives ", or, if not so many can
be found from those cities, " ex aliis nationibus ytalicis " (Livi, p. 76 f).

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petrarch's « averroists » 63

and Sebastianus Foscarinus Talenti thus laid the ground for a


tradition of philosophical teaching in Yenice several years before the
university of Padua became a Venetian institution, and this explains
why Venice retained its chair of philosophy even after the conquest
of Padua, though from that time on the Venetian professors obviously
came under the influence of the university of Padua 2.
The intellectual leader of the four " Averroist " opponents of
Petrarch was Guido da Bagnolo, a physician 3. Guido who was from
the city of Reggio Emilia was for several years the personal doctor
of King Peter I of Cyprus and served that king also as ambassador
and political councillor on important occasions. He died in Venice
in 1370 and his epitaph hints at his interests in medicine, philosophy,
astronomy and history. The only writing of his that is mentioned is
a lost chronicle. The list of his books that has been published 4
reveals his prevailing interest in medicine, natural philosophy,
astronomy, astrology, mathematics and related fields. Moral philo-
sophy and literature are not represented, except for Aristotle's
Rhetoric . Aristotle and his commentators including Averroes,
constitute a notable part of the list 5. Of special interest is again
Guido's testament, made in Nicosia, Cyprus, in 1362 6. It provides
that a certain amount of his money should be invested in real estate
in the neighborhood of Bologna, to serve as a dowry for his natural
daughter, Alisia, who at the age of 11 was to marry a Bologna univer-
sity student from Reggio 7. If Alisia should die before that age, the
income from the grounds was to be distributed among the poor

1 Marino Sanuto (I Diarii , vol. XXXI, Venice, 1891, col. 198) 'reports on Aug. 9,
1521, that at that time a substitute was to be named during the absence of the occupant,
Sebastiano Foscarini, in Cyprus. On this occasion, mention is made of the testament
of Tommaso Talenti, stating " che per li Procuratori, di prò de la Camera d'Imprestedi,
sia pagato ducati 50 a l'anno a uno letor leze in loycha et philosofìa ", and that the
government had always added 150 ducati per year to that salary. It further appears
that on August 7, 1455, Domenego Bragadin was named to suceed Paulo di la Pergola
as occupant of that chair, and that when Bragadin was old, Antonio Corner was
appointed as his substitute and future successor (this document is cited in part by
Cicogna, I.e.). Cicogna also informs us (op. cit. V, 1842, p. 63) that after the resigna-
tion of Antonio Giustinian, in June, 1505, a concorso was issued for the cattedra di
filosofìa in patria , in which Vincenzo Querini took part and which was won by Sebastiano
Foscarini.
2 It is known, for example, that Paulus Pergulensis was a pupil of Paulus Venetus,
an influential professor at Padua during the first decades of the fifteenth century.
3 For Guido da Bagnolo, see Agostini (who gives his epitaph) ; Tiraboschi (who
utilizes his testament of 1362 and other documents, first published by N. Tacoli,
Memorie storiche della Città di Reggio , II, Parma, 1748, p. 251 ff.) ; Livi.
4 Livi, p. 83-91.
5 In his testament, he stipulates the return of a volume of Averroes to a Fran-
ciscan monastery from which he had borrowed it (" Item vollo et ordino quod dentur
comenta Averois que habeo conventui fratrum minorum de Nicosia qui ea mihi con-
cesserunt Livi, p. 54).
6 It was first published by Tacoli, Z.c., and again by Livi, p. 52-56.
7 " Possessiones duas in districtu sive territorio Bononie... ut cum fuerit undecim
annorum ipsa Allisia nubeat allicui scolari Begino studenti Bononie si supervixerit "
(ibid. p. 53).

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64 PAUL OSKAR KRISTELLER

students from Reggio at Bologna 1 who also were to receive his


books 2. These facts, plus the circumstance that Guido names a
Bolognese professor of medicine among his executors 3, make it
almost certain that Guido received his education in philosophy and
medicine at the University of Bologna 4. Actually, after his death,
the money left for the poor students from Reggio was used for the
foundation of a College at Bologna, called the Collegio Reggiano
which was still in existence in the seventeenth century and of which
some traces have been found as late as 1807 when it was suppressed
along with other similar institutions by the Napoleonic government 5.
The conclusions that we may draw from these facts are fairly
obvious. At least two of Petrarch's opponents were of greater impor-
tance than has been commonly realized since they influenced through
their foundations the scholarly traditions at Venice and Bologna for
centuries. As far as their background is concerned, there is not the
slightest trace that would connect any of the four people with Padua 6.
One may have studied at Paris, one shows a definite interest in
Bologna, and Guido, intellectually the most important of all, was
almost certainly educated at Bologna. Petrarch's De Ignorantia
is thus, if anything, a document, not of " Paduan Averroism " but
of Bolognese Aristotelianism in the fourteenth century.
This result, aside from correcting an interesting detail in Petrarch's
biography, affects the general picture of the intellectual history of
Padua and Bologna in the fourteenth century, and it fits in with
the most recent findings of other scholars in this field. Through the
study of unpublished and of neglected printed sources, chiefly by
Grabmann, Nardi and Anneliese Maier, it has been shown that
" Averroist " and Aristotelian tendencies, partly derived from Paris,
appeared at the University of Bologna before the end of the thir-
teenth century and were carried on without interruption throughout

1 Ibid.
2 " Item vollo et ordino quod libri mei de medizma et artibus portentur Bononiam
et dispensentur ibi pauperibus scolaribus..." (ibid., p. 54). In the sentence of 1380
concerning the estate of Guido, mention is made of " eius libri in artibus et medicina
qui fuerunt portati Bononiam and it is decided " inter ipsos scolares (i.e., de Regio
in Bononia commorantes) dictos libros distribui et errogari debere " (ibid. ,p. 83 f.
and 91).
3 " Magistrum Fabianům de Zancariis doctorem medicine ", who received his
degree in 1349 and was professor of medicine to 1365. Reference is also made to another
copy of the testament made " in presentia Gozzadini de Bononia " (Livi, p. 55).
Fabiano Zancari's father, Alberto Zancari, was a famous professor of medicine at
Bologna and might have been Guido's teacher.
4 This conclusion was also drawn by Livi (p. 60).
5 G. Fantuzzi (Notizie degli Scrittori Bolognesi III, Bologna, 1783, p. 184 f.)
mentions a document of 1471 in which the college is said to have nine students whom
he lists. Tiraboschi (Biblioteca Modenese I, p. 134 ff.) cites a document proving its
existence in 1657. Livi (p. 58-60) shows that it existed until 1807 and that at least
an attempt to reestablish it was made in 1814.
6 In the documents published for the period by A. Gloria (Monumenti dell'Uni-
versità di Padova , 1318-1405, 2 vol., Padua, 1888), only the name of Zaccaria
Contarmi appears in a political capacity in 1369 and 1381.

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petrarch's « averroists » 65

the first half of the fourteenth century 1


when Guido da Bagnolo most probably was a student in that uni-
versity. On the other hand, it has become increasingly doubtful
whether Peter of Abano, traditionally considered as the father of
44 Paduan Averroism ", was an Averroist at all 2. Since the gap that
always seemed to exist in the history of 44 Paduan Averroism "
between Peter of Abano and the end of the fourteenth century 3 can
no longer be filled by Petrarch's " Averroists ", we must conclude on
the basis of material now available that during most of the fourteenth
century philosophical and Aristotelian studies did not flourish at
Padua to the extent that has usually been assumed, and that the
continuous tradition of Paduan philosophy did not begin before the
last decades of that century. The great fame of Paduan philosophy
after that period, and the considerable importance of Padua in law,
medicine and literature throughout the thirteenth and fourteenth
centuries should not blind us to the fact that from the last decades
of the thirteenth to the middle of the fourteenth century the chief
center of Aristotelian and 44 Averroist " philosophy in Italy was the
arts faculty of the University of Bologna.

1 M. Grabmann, Studien ueber den Averroisten Taddeo da Parma , in his Mittel-


alterliches Geistesleben II (Munich, 1936), 239-60. Id ., Der Bologneser Averroist Angelo
d'Arezzo , ibid., p. 261-71. Id ., Gentile da Cingoli , ein italienischer Aristoteleserklaerer
aus der Zeit Dantes , Sitzungsberichte der Bayerischen Akademie der Wissenschaften ,
Philosophisch-Historische Abteilung , Jahrgang 1940, No. 9 (published 1941). Anneliese
Maier, Eine italienische Averroistenschule aus der ersten Haelfte des 14. Jahrhunderts ,
in her Die Vorlaeufer Galileis im 14. Jahrhundert , Rome, 1949, 251-78. В. Nardi,
L'averroismo bolognese nel secolo XIII e Taddeo Alderotto, Rivista di Storia della Filo-
sofia IV, 1949, 11-22.
2 B. Nardi, La teoria dell'anima e la generazione delle forme secondo Pietro d'Abano ,
Rivista di filosofìa Neo-Scolastica IV, 1912, 723-37. Id ., Intorno alle dottrine filosofiche
di Pietro d'Abano , Nuova Rivista Storica IV, 1920, 81-97 ; 464-81 ; V, 1921, 300-13.
C. Giacon, Pietro d'Abano e l'Averroismo Padovano , Società Italiana per il Progresso
delle Scienze , Atti della XXVI Riunione (Venice, 1937), III (Rome, 1938), 334-39.
3 It must be questioned whether Marsilius of Padua had any, connection with
the university of his native city. Even Peter of Abano received his training at Paris
and seems to have taught at Padua for a comparatively short time. Jean de Jandun
had no connection with Padua, except for his personal acquaintance with Marsilius
and Peter, and for the later influence of his writings and teachings, which was not
limited to Padua.

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SACCHETTI AND BARTOLUS

by Charles Mitchell

4 4 O sventurati ordini della cavalleria, quanto siete andati al


fondo ! " Sacchetti' s 153rd novella is regularly quoted 1 to show the
depths to which chivalry had sunk in Italy, and especially in Flo-
rence, by the end of the fourteenth century. Chivalry was come to
the stable and the pig- sty. Sacchetti' s contemporaries had witnessed
the knighting of mechanics and bakers, even of usurers and barrators.
In the learned professions judges, unless they were knights, could
not be appointed to office in provincial towns, while dubbed notaries
sheathed their clerkly quills in gilded scabbards. What splendid
martial exercises ! Of the traditional and noble obligations of knight-
hood these latter-day cavaliers knew nothing. Chivalry was dead.
Among other of Sacchetti's novelle on the same theme, No. 150
strikes a lighter note. It tells of a knight of the Bardi family, small
in stature, without skill in arms and scarcely able to ride a horse, who
was elected podestà of Padua. He set about providing himself with
the requisite knightly accoutrement for his post, and his friends
advised him to wear a towering crest to enhance his dignity, as ladies
wore high heels to increase their height. A crest was accordingly
procured, painted with the device of a rampant bear and the motto :
" Don't tease the bear if you don't want to be bitten ". Thus equipped
the new podestà took road for Padua. In Bologna (among the
lawyers) he displayed his " orrevoli cose " without incident ; but in the
square at Ferrara they caught the eye of one of the Este marquis's
men-at-arms, a gigantic German knight called Scindigher. He rose
up and proudly demanded, in his own language, who this was wearing
his own crest of a rampant bear ; then he shouted to his squire for
horse and armour, intending to challenge the wretched Florentine to
battle. The latter meanwhile retired to his inn, where Scindigher' s
seconds visited him offering the alternative of giving up the crest or
accepting Scindigher' s gage. He mildly replied that he had not come
to Ferrara to fight, but was merely passing through on his way to
take up office as podestà of Padua. All men, he protested, were his
friends and brothers, and that was all he had to say. The seconds
returned with this answer to Scindigher, who was now armed to the
teeth and in a ranting rage. But they again pacified him sufficiently

1 Cf. Burckhardt, Kultur d. Renaissance , Pt. V, Chap. 1 ; Salvemini, Dignità


cavalleresca nel Comune di Firenze (1896), 33.

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SACCHETTI AND BARTOLUS 67

to hasten back to the inn to entreat the podestà to come quickly


to terms, since Scindigher' s blood was up. The Bardi knight was still
obstinately calm : " Let him arm himself and do what he likes ;
I'm not a fighting man and I don't mean to fight". Finally, after a
good deal of talk, he proposed his own terms : " Let's make it a finan-
cial arrangement, and leave honour out of it. If Scindigher is willing
for me to continue my journey, as I came in, I will proceed without
delay. If he asserts that I should not bear his crest, I swear by God's
holy gospels the crest is mine ; I ordered it from Luchino the painter
and paid him five florins for it. If he would like to give me five florins
for the crest, I will hand it over ". Scindigher proved not unwilling
to close the bargain, and despatched his servant, who paid the money
and returned with the crest decently concealed under his cloak.
Scindigher triumphed as if he had won a city. But the Bardi knight
now had to search Ferrara high and low for a fresh crest. At last
he found one in a painter's shop bearing the image of a yellow demi-
ape brandishing a sword ; and this, slightly altered, suited him admi-
rably. The adventure thus ended to the podestà' s complete satis-
faction : his new crest had cost him about a florin, getting his shield
repainted cost another, and he now had his proper complement of
knightly gear for holding office - and, in addition, he had made
three florins profit. Nevertheless, Sacchetti added in a postscript,
he might have succeeded even more neatly if he had done what another
man did in a like case. This man's crest was a horse's head. He also
encountered a German who claimed the crest as his, insisting that
he either surrender it or fight. " But what crest is it that the valiant
gentleman is wearing?" "A horse's head", replied the German.
"Ah ! yes ", rejoined the other, " but you see mine is a mare's head ;
so it has nothing whatever to do with yours". This subtle answer
saved the Italian from a duel, while it contented the German, who
had little stomach for a fight any way.
This lively story was not, as has been supposed ' simply in an
oral tradition, withoijt a specific written source. It was a dramatised
version of certain arguments formulated some forty years earlier by
the renowned legist Bartolus of Sassoferrato in his Tractatus de insi-
gnii s et armis 2, a work which Sacchetti may well have consulted
professionally in the course of his judicial duties during one of his
own numerous terms of offices as a podestà. In Chapter 5 Bartolus
posed the very question at issue in Sacchetti' s tale : whether one man,
wanting to adopt arms or insignia already used by another man,

1 Di Francia, Franco Sacchetti Novelliere in Ann . d. R. Scuola Norm. d. Pisa


XVI (1902), 200 ; see also the same, Novellistica I (1924), 273 ff.
2 I have used the ed. of F. Hauptmann, Bonn, 1883. The tractatus has recently
been discussed by A. T. Sheedy, Bartolus on Social Conditions in the Fourteenth Century
(1942), 111 ff.

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68 CHARLES MITCHELL

could be prohibited. From passages in the Digest it appeared that


he could not, as also that several men might bear the same device
concurrently. Against this, however, another text stated that what
was ours could not be taken from us sine facto nostro. But this objec-
tion did not hold for two reasons. First, the rule applied to things
incapable of being held jointly, whereas arms and insignia were things
for common use like streets, baths and theatres, to which another
rule of law applied. And secondly, the two devices were not one and
the same : despite their looking alike, they were distinct ( Prœterea
signum , quod portât alius, non est unum et idem , immo sunt diversa ,
habentia tarnen eandem similitudinem). This fine philosophical
distinction, for which Bartolus quoted no authority in Roman law,
sounds very like the origin of Sacchetti' s quibbling story of a cavallo
and a cavalla in his postscript г. That Bartolus 's treatise was in fact
Sacchetti' s direct source becomes quite clear when we follow the
argument further.
For - having decided that a man's adoption of an existing device
could be prohibited if it was injurious to others - Bartolus proceeded
in Chapter 6 to examine the situation paralleled in the main body of
Sachetti's tale : where a man assumes another's family arms without
thereby doing him any hurt. And, by way of illustration, Bartolus
put precisely the case of a dispute between an Italian and a German.

His prsemissis in questione prsemissa distinguitur, quod, si unus


assumit arma, quse alius portavit ab antiquo, et illius non interest,
пес ex hoc verisimiliter lsedi potest. Exemplum : Unus Theutonicus
tempore indulgentiae (se. 1350) ivit Romam, ubi reperit quendam
Italicum portantem arma antiquorum suorum et insignia. Voleb at
de hoc conqueri ; certe, non poterat.

The reasons, moreover, why in this case the Italian could not
be prohibited from using the German's ancestral arms were exactly
those implied in the Bardi knight's first answer to Scindigher's
seconds, when he protested that he was simply passing through
Ferrara on his lawful occasions to take office in Padua.

Tanta est enim distantia inter utrumque locum sive domicilium,


quod ex hoc ille primus lsedi non posset, et in his, in quibus quadam
publica facúltate quis occupât sibi usum, non licet conqueri nisi ex
magna causa ; ut ff. ne quid in fiumi, pubi. L. 1 § sunt autem , qui
putavit.

Such were the dry legal bones which Sacchetti clothed in breathing
flesh and blood.

1 Di Francia (F. S. Nov., loc. cit.) noted that S. 's postscript was apparently
imitated by Poggio in his Facetia XX, where a Frenchman and a Genoese take the
part of the German and the Florentine, and an ox and a cow the part of the horse
and mare.

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SACCHETTI AND BARTOLUS 69

But Sachetti and Bartolus were each - in their different spheres -


imaginatively exercised by the same spectacle of decadent chivalry.
Both, like others of their time, might regret the good old days, when
knightly virtue had been wedded to generous prowess in arms, and
Sacchetti, in one mood, could echo Boccaccio's jibe that knighthood
no more suited civic officials than a " sella al porco ". But at the
same time both knew that in contemporary Italy the code of irres-
ponsible fighting men was an intolerable nuisance, and that the
ornaments of chivalry were not necessarily dishonoured in the
peaceful hands of the merchants, lawyers, scholars and craftsmen
who had taken them up 1. Bartolus applied to the problem his keen
legal intelligence. On one occasion, for example, he had to give a
consilium on a dispute of honour between a German and an Italian
noble, which the former wanted to settle by a duel 2. His decision
that duelling was repugnant to law - divine, canon and civil - was a
victory for humane reason over counsels of violence. Again, when
Charles IV made him a grant of arms, he was not only flattered by
an ancient honour ; he was prompted to speculate on current heraldic
usage. The serious consideration he gave to the insignia of elected
officials and to manufacturer's trademarks in his Tractatus de insigniis
et armis sounded a note of practical relevance not always heard
in subsequent heraldic treatises. Sacchetti, for his part, chose the
arguments of wit and laughter. His little commercial podesta might
be a comic, rather pompous, figure ; but Scindigher was a blusterer
and a bully and, at bottom, a coward. Beneath Sacchetti' s easy good
humour runs the burden of Italia mia - an impatient contempt for
" la tedesca rabbia " and a cry for " Pace, pace, pace ". Far estranged
from Petrarch's passionate intensity, the ridiculous Bardi knight,
with his brave pacific replies to threats of force, still spoke with the
voice of reason and civilization.

1 Salvemini, 37 and 12-38 passim.


2 Bartolus, Opera omnia X, 183r - cons. Ill, 1 ; see Sheedy, 109-10.

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PROBLEMI DI RELIGIONE
E FILOSOFIA
NELLA CULTURA FIORENTINA
DEL QUATTROCENTO
di Eugenio Garin

Racconta Domenico di Bandino, non senza commozione, come


nel 1399 egli vedesse ogni strada d'Italia riempirsi di turbe infinite di
pellegrini, e non soltanto popolani, ma ricchi mercanti e signori, tutti
vestiti di bianco e segnati da una rossa croce, che andavano di chiesa
in chiesa pregando e salmodiando « per l'amore di Dio » Il 28 agosto
di quell'anno il ricchissimo. Francesco Datini da Prato, settantenne,
pochi giorni dopo la morte del suo caro Guido del Palagio, decise
anch'egli « d'andare in pellegrinaggio, vestito tutto di tela bianca, e
scalzo ». All'alba, movendosi dalla sua dimora fiorentina, si recò a
Santa Maria Novella dove si comunicò, e poi da San Gallo a Santa
Croce, in Oltrarno, a Ripoli, a Figline, a Montevarchi, ad Arezzo, e
così via per tutti i santuari di Toscana. Nel mese d'agosto del 1410,
ottantenne, ritornò al suo Dio, ancorché gli sembrasse «maraviglia
avec lui a morire ». Poco prima, l'ultimo giorno di luglio, quel « dis-
creto e onorevole... cittadino e mercantante fiorentino » faceva
stendere dall'amico ser Lapo Mazzei il suo testamento solenne con
cui lasciava eredi universali i poveri, i malati, i dolenti, « per l'amore
di Dio » 2.
La storia di quell'anima ci hanno conservato le lettere di Lapo
Mazzei, nelle quali ritroviamo i nomi così di Luigi Marsili come di
Coluccio Salutati, mentre al Datini si rivolgevano la Beata Chiara
Gambacorti e il Beato Giovanni Dominici ; e il pio Giovanni delle
Celle affettuosamente l'esortava : « mentre che'l sole t'allumina,
cammina verso Dio » 3. Ci si fanno innanzi, insieme uniti, motivi di

1 Ms. magliab. (Bibl. Naz. Firenze), IX, 127, c. 7 : « Non posses ferme capere
intellectu quantum et quale misterium tunc apparuit viventium oculis. Vidi quidem,
vidi quasi per universam Italian infinita virorum millia, nec erant plebei tantum,
sed mixti mercatores cum urbium principibus et plebeis. Hii omnes erant induti saccis,
cincti cordulis, rúbea cruce signati, post vexillum Crucifìxi... » (cfr. Ser Lapo Mazzei,
Lettere di un notaro a un mercante del secolo XIV con altre lettere e documenti per cura
di Cesare Guasti, Firenze 1880, vol. II, p. 360).
2 Lapo Mazzei, Lettere , II, p. 273-310.
3 Lapo Mazzei, Lettere , II, p. 315. A proposito dell'eloquenza del Salutati il Mazzei
arriverà a scrivere una volta : « s'io avesse ser Coluccio nel petto... » (Leí/ere, I, p. 373).

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PROBLEMI DI RELIGIONE E FILOSOFIA 71

profonda pietà e di umana compostezza, misura di saggio uomo


d'affari e religione sincera : il vivere, insomma, di « un savio e
discreto mercatante ». Era, questa, la forma raggiunta da una
civiltà matura, che alla scuola dei sapienti antichi (« favoleggiava
con la sua famiglia de' Troiani, di Fiesole e di Roma ») aveva imparato
una regola capace di comporre in dignità ogni turbamento, poiché
chi sia « uso con Tullio come ser Coluccio » sa che non v'è cosa « sì
ispiacevole, che con la forma del dire e col modo, e con la reverenza
e amore, non si faccia piacevole ». Cicerone e Seneca si uniscono al
Vangelo in una meditazione che colloca consapevolmente Topera
terrena nell'orizzonte di una speranza di redenzione. La misura
predicata dai sapienti pagani si illumina alla luce della fede cristiana ;
i tesori dell'antica saggezza civile si incontrano col messaggio della
salvazione che dà uno sfondo d'eternità a quell'opera temporale. La
compostezza di tanta parte della cultura fiorentina del Quattrocento
è, appunto, in quella armonia terrestre sentita come il segno di una
destinazione divina. Il mondo non è nè respinto nè condannato ; ma
il valore del mondano non significa in alcun modo rifiuto del sopra-
mondano. Il quale, anzi, è sentito presente proprio nella misura che
caratterizza l'assunzione umana delle cose terrene. L'impronta
divina si manifesta nell'ordine con cui l'uomo vive la propria vita ;
la testimonianza di Dio si trova nel suo perenne rivelarsi attraverso
l'opera umana 1.
Di questo atteggiamento, che fu caratteristico degli uomini che
fecero la storia fiorentina del secolo XV, bisogna tenere conto per
intendere la cultura filosofica a Firenze nel Quattrocento. I grandi
nomi della quale non sono di maestri universitari, ma di uomini
politici, di mercanti e di banchieri, di magnifici signori. E le opere
non sono trattati sistematici о corsi di lezioni cattedratiche, ma dia-
loghi eleganti, lettere che equivalgono ora a confessioni ed ora a
manifesti politici, orazioni, liriche, poemi : scritti, insomma, non
scolastici, indirizzati ad un largo e diverso pubblico. Onde non è
casuale la disputa quasi obbligata sullo stile, e la polemica costante
contro il gergo barbaro dei professionisti. Essa indica il carattere non
accademico di questa produzione, e ne accentua il valore pratico, lo
scopo prammatico, che la fa oscillare dal campo politico-morale fino
al terreno del profetismo religioso 2.

1 Sui grandi mercanti fiorentini sono da vedere soprattutto gli scritti fondamentali
del Sapori ; ma cfr. anche Gino Luzzatto, El mercader italiano del siglo XIV ,
« Jornadas del centro de cultura italiana en la republica Argentina », I, 1948, p. 21-32.
La più profonda e singolare espressione sul terreno culturale di questa posizione noi
troviamo nel Salutati, la cui opera va dall'ascetico de sœculo et religione all'esaltazione
dell'attività mondana delle lettere e del de nobilitate legum et medicinae.
2 La critica della forma scolastica, che col suo tecnicismo respingeva il lettore,
così aspra in Leonardo Bruni, diventerà un luogo comune nella letteratura filosofico-
retorica della seconda metà del 400, tutta intenta a scrivere dialoghi di imitazione
platonica. Leonardo da Pisa, che fu in relazione col Ficino, nei suoi dialoghi sull'amore

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72 EUGENIO GARIN

Il filosofare fu così, in tale amb


di proposito il tecnicismo della
piano etico-retorico nel senso più
ma cercò in una certezza morale le radici della fede ; non discusse
sull'unità e sulla « congiunzione » dell'intelletto, ma sull'immortalità
dell'anima ; respinse in blocco la problematica degli universali, e
mentre irrideva il terminismo nominalistico approfondiva il signifi-
cato della retorica ; rifiutò i procedimenti razionali della teologia
scolastica invocando i colloqui in interiore homine dell'anima con
Dio. E mentre al medico che la pretendeva a filosofo ricordava il suo
compito esclusivamente pratico, poneva al centro dei propri interessi
la condotta dell'uomo nella società e il senso della sua missione
terrena. In tal modo la filosofìa intesa come filosofìa « morale » si
accordava, pacificandosi, con un cristianesimo ridotto a pura norma
di vita.
Per ch'ogni obiecto di fedel christiano
Gonvien si faccia per due capi forte,
Cioè ch'ai miserere apra la mano
E di giustizia pigli un ramuscello
Il qual è di pietà nome sovrano. 1

La Nicomachea e la Politica d'Aristotele furono lette e commen-


tate con amore particolare come le espressioni compiute di una
perfezione naturale nella condotta terrena, rispetto a cui la Repub-
blica di Platone diverrà un compimento ed un coronamento, ideal-
mente incontrandosi con la visione cristiana della Città di Dio.
Giannozzo Manetti «usava dire - racconta Vespasiano da Bisticci -
avere tre libri a mente, per lungo abito : l'uno era l'Epistole di santo
Pagolo, l'altro era Agostino de ciuitate Dei , e de' gentili У Etica d'Aris-
totele » 2. Matteo Palmieri, che largamente illustra la classificazione
plotiniana delle virtù e l'ascesa liberatrice, vede la realtà concreta della
vita cittadina ritratta perfettamente in Cicerone, laddove Platone è
venuto delineando la città ideale, quella repubblica che, invano
sospirata in terra, si attua invece nella celeste Città di vita.

(ms. Magliab. XXI, 115) oppone nettamente duo disserendi genera: liberale et iucundum
il primo ; breve , aridum , argutum , il secondo, che per essere inteso ha bisogno sibyllis
et oraculis. Perfino Niccolò Tignosi da Foligno, medico ed aristotelico, maestro del
Ficino, nella sua difesa contro i detrattori (Laur. plut. 48, 37 ; Naz. Conv. soppr. C.
8. 1800) si scaglia contro lo stile contorto ed involuto degli scolastici, cui addita a
modelli il Bruni, il Manetti, l'Acciaiuoli (nullaque sit nisi aperta et enucleata locutio).
1 Bastiano Foresi, Triumphus virtutum ad Laurentium Medicem , cap. XVI (dal
ms. Palat. 345 della Naz. di Firenze, c. 35 v). In una nota marginale del codice si legge :
« Tutta l'opera della Christiana religione consite in misericordia e pietà ». Il poema
del Foresi, giova ricordarlo, fu presentato a Lorenzo dal Ficino, amico del Foresi
stesso (sul Foresi cfr. F. Palermo, I manoscritti palatini di Firenze , Firenze, 1853,
vol. I, p. 606-611 ; A. Della Torre, Storia delV Accademia Platonica di Firenze , Firenze,
1902, p. 793-4 ; V. Rossi, Il Quattrocento , Milano, 1938, p. 260.
2 Vespasiano da Bisticci, Vite , Firenze, 1938, p. 467- Sulla lettura delle opere
di Aristotele nel 400 fiorentino mi sia concesso rinviare alle mie ricerche negli Atti
dell* Accademia » Colombaria «, Firenze 1950, e nel volume offerto a Rodolfo Mondolfo
dall'Università di Tucuman.

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PROBLEMI DI RELIGIONE E FILOSOFIA 73

Però non puote in popol ch'è corrotto


Star la comunion che Plato intese
In popol giusto, sapiente e dotto.
Per questo Tullio tal cittade prese
Quale esser puote governata e recta
Dal senno, manca delle ingiuste offese.
Non l'ordinò com'esser può perfecta
In quella mente che appetendo figne,
Ma come in terra dar si può più necta.
Così Г un fìnse e l'altro, la dipigne,
L'un la disia e l'altro móstra quella
Già fu nel globo che la terra cingne г.

La restituzione di Aristotele è la riaffermazione di un Aristotele


maestro di vita, educatore in morale, in politica e in economia, in
intimo accordo con l'alata idealità del « divino » Platone e di Plotino ;
Aristotele e Platone si incontrano con un Cristianesimo senza dogmi,
espressione massima della religione dell'umanità intera. I temi della
pax philosophica e della docta religio vengono compenetrandosi in una
cultura universalmente umana, impegnata ad accentuare piuttosto
la concordia che la discordia, le linee comuni dell'uomo, costanti nel
variare dei tempi e dei luoghi. Sotto il segno della humanitas sembra
levarsi una corale invocazione di pace, sia essa l'alato inno di Pico
per un incontro di tutta la famiglia umana pensante, о il verso umile
del poeta :
Ogni buona opra per questa si face
Son venerati da' figli i parenti
Ogni governo di guerra si tace.

Ed in questa direzione sembra muoversi anche la preghiera


dell'eroe morente :

Io dico pace dopo lunga guerra.

Alla filosofìa si vuole assegnare così un compito preciso di edu-


cazione umana ; la filosofìa deve essere meditazione sulla convergenza
degli uomini, presa di coscienza di quella umanità profonda in cui si
avvia il colloquio oltre ogni distanza e ogni barriera, in quella sinfonia
di spiriti a cui Dio è sempre presente. Contro l'arido tecnicismo di
scuola, contro le dispute che nel puntiglio verbale hanno dimenticato

1 Matteo Palmieri, La città di vita, III, 22 (ed. M. Rooke ; ma seguo il ms. Naz.
II, 11, 41, corretto dall'Autore). E' interessante rilevare come la classificazione ploti-
niana delle virtù venga imponendosi nella letteratura moralistico-politica fiorentina
della seconda metà del 400. Lo schema dell'Enneade I, 2, consegnato da Macrobio
al pensiero medievale (In somn. Scip. I, vili, 5 ; cfr. H. van Lieshout, La théorie
plotinienne de la vertu. Essai sur la genèse d'un article de la Somme Théologique de
saint Thomas , Fribourg, 1926 ; P. Henry, Plotin et l'Occident, Louvain, 1934, p. 248
sgg.) si diffonde ancor prima che Ficino lo faccia suo nei luoghi ben noti. Così lo tro-
viamo nelle opere del Palmieri, nelle orazioni di Pier Filippo Pandolfini (ms. Naz. II,
IV, 192, c. 215 sgg.) ; lo seguirà il Foresi nel Trionfo delle virtù .

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74 EUGENIO GARIN

quel che solo conta, si invocala res


socratica e della poetica teologia
filosofìa umana, ossia un filosofare come richiamo costante alla
umanità d'ogni sforzo, al senso profondo d'ogni ricerca, perchè
l'uomo non dimentichi mai d'esser tale. « Compito vostro - dice
Petrarca ai medici - è la cura dei corpi ; lasciate ai veri filosofi, agli
oratori, la cura e l'educazione delle anime ». Il poeta о l'artista,
quando abbiano coscienza del loro creare, ossia della sostanza pro-
fonda del loro mirabile giuoco, si trovano più vicini al filosofo vero del
logico e del fisico che abbiano staccato parole e cose dalla prima
sorgente di vita.
Di qui l'importanza del colloquio, e il valore esemplare della
parola, e il suo religioso mistero ; perchè nella parola, per mezzo della
parola, si celebra l'incontro umano, e l'antico è fra noi, maestro e
fratello г. E parola è anche il Verbo divino, e la parola è, insieme,
mistero impenetrabile e sublime rivelazione, vincolo umano, fonda-
mento civile, comunione con Dio. La celebrazione della filosofia come
morale e retorica ha un significato molto più notevole di quanto
talora si sia creduto : essa indica veramente un orientamento nuovo
nella filosofia, e cioè un concetto diverso dell'uomo e del suo compito.
Il richiamo a Socrate, che è quasi un luogo comune dal Salutati al
Ficino, è consapevolezza che filosofare è scoprire il paese dell'anima,'
ossia quella dimensione in cui ogni assenza si risolve in presenza, e la
miseria si scopre ricchezza, e la fortuna cede a virtù, e la guerra si fa
concordia, e vita la morte, e l'uomo Dio : e filosofia, ossia umana
sofferente ricerca e dolorosa speranza, si fa religione, ossia fiducioso
amore. Alla dispersione nei molti, ossia allo smarrimento nelle cose,
alla divergenza del disputare, si oppone il richiamo all'unità, a quel
punto focale che l'uomo reca vivente in se stesso 2. Onde questa civile
e morale e umana filosofia è anche sempre divina, ossia religiosa-
mente ispirata. Ma, perciò stesso, lontana dalla teologia come ridu-
zione logica del divino, e negazione larvata di esso in obbiettivazioni
che lo disperdono e lo snaturano.
Non a caso la cultura filosofica fiorentina si era venuta rinnovando
sotto l'influenza di Petrarca, il quale venne costantemente ricercando
nella comunione spirituale degli uomini la presenza di Dio, dando un
valore così preciso di temporalità concreta all'istanza umanistica, e
facendo singolarmente convergere il senso del divino e quello
dell'umano nel trapasso dalla dispersione spaziale alla vera vita dello
spirito, ritraducendo nella ricchezza di una durata che in sè peren-

1 Vedere in proposito le osservazioni di Francesco Flora, Umanesimo , « Lette-


rature moderne », 1950, p. 19-29.
2 Nell'orazione ben nota sull'uomo Giovanni Pico insiste sul movimento verso
l'uno come movimento verso l'interiorità, come ascesa e rinascita morale e religiosa,
attraverso l'interpretazione del mito di Iside e di Osiride.

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PROBLEMI DI RELIGIONE E FILOSOFIA 75

nemente si avviva la parvenza illusoria della successione. C


rileggere nelle Familiares quelle sue lettere agli spiriti ma
età, con i quali giova il discorso ( iuvat vobiscum colloqui ), e
tarsi reciproco ( certe ego quotidie vos loquentes attentius
possit audio , forte non improbe ut ipse a vobis semel audiar o
Qui Petrarca precisava la scoperta umanistica dell'altro uo
sua definita schiettezza - nunc tandem quis tu tibi esses a
era non solo scoperta del senso moderno della storia, ma a
vamento di una umanità comune, e comprensione del rapporto fra
la verità di Cristo e la millenaria fatica degli uomini. Perchè se non è
filosofo chi non è vero cristiano {verum philosophum non nisi verum
esse Christianům) questo avviene perchè la parole di Dio è vita vivente
(vivus est enim Dei sermo , et efftcax, et penetrabilior omni gladio anci-
piti ), ed è quella vera vita nel cui foco, che è la stessa sapienza ( phi -
losophiam... artem vitse), si determinano i rapporti fra gli uomini di
ogni età. La vicinanza e, insieme, la distanza di ogni « parola » si
misura solo in quella « viva parola » 2. « Denique sic philososphemur,
ut, quod philosophie nomen importât, sapientiam amemus. Vera
quidem Dei sapientia Cristus est ; ut vere philosophemur, Ille nobis
in primis amandus atque colendus est. Sic simus omnia, quod ante
omnia cristiani simus ; sic philosophica, sic poetica, sic historias
legamus, ut semper ad aurem cordis Evangelium Cristi sonet ; quo
uno satis docti ас felices ; sine quo quanto plura didicerimus, tanto
indoctiores atque miseriores futuri sumus ; ad quod velut ad summam
veri arcem referenda sunt omnia ; cui, tanquam uni literarum verarum
immobili fundamento, tuto superedificat humanus labor, et cui
doctrinas alias non adversas studiose cumulantes, minime reprehen-
dendi erimus » 3. II divino è così l'orizzonte della vita spirituale ed il
suo centro ; ma il divino è presente solo se l'uomo « civilmente »
discorre con l'altro uomo, e vede se stesso in rapporto con l'altro.
Solo la sapienza di Cristo dà senso all'umanità completa ; ma solo
una compiuta consapevolezza dell'umanità e delle relazioni umane
sembra dare consistenza concreta alla Parola di Dio.
Il motivo della pia philosophia come docta religio si afferma con
Petrarca ; la stessa condanna delle scienze della natura non è che la
condanna della naturalizzazione dell'uomo, della dimenticanza
dell'uomo ; e va di pari passo con la polemica contro l'astrattezza
logica e l'astrattezza teologica, o, sul piano politico, contro quelle
forme della gerarchizzazione eccleciastica che significhino oppressione

1 Petrarca, Familiari , XXIV, 5 (Ad Anneum Senecam), ed. Rossi - Bosco,


Firenze, 1942, vol. IV, p. 231. Basta rileggere queste epistole per intendere il senso di
sè che ebbe Petrarca di fronte all'antichità, dissipando tutti i dubbi che qualche
espressione polemica di tono retorico può far sorgere (cfr. Gilson, La Philosophie au
Moyen Age , Paris, 1944, p. 728).
2 Petrarca, Familiari , XXIV, 3 (vol. IV, p. 225-6) ; XVII, 1 ; VII, 2.
3 Petrarca, Familiari , VI, 2 (vol. II, p. 56-5).

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76 EUGENIO GARIN

della coscienza del credente. La scoperta dell'uomo come afferma-


zione dei valori positivi dell'uomo tende ad accentuare con estremo
vigore l'aspetto umano della religione nella misura stessa in cui
celebra il valore divino dell'uomo. Il divino è l'umanità profonda,
il vincolo unificante, il tessuto che congiunge tutti gli uomini, la
loro parola più intima, il loro incontro oltre i tempi e i luoghi. Il
divino è il senso della positività dell'uomo, della fondatezza del suo
operare e del suo sperare.

II

Questo moto di pensiero, che tende a sottolineare la religione come


sfondo e tono della « vita civile », nell'atto stesso in cui congiunge la
filosofia con gli studia humanitatis, è una caratteristica costante della
cultura fiorentina dal Salutati al Ficino, ed è accompagnato da una
rivalutazione della vita mondana che poggia insieme su una polemica
antiascetica e su una accentuazione dell'eccellenza dell'uomo. Troppo
noto per insistervi ancora è il richiamo del Salutati alla dignità
dell'opera nella città, cui faranno seguito col Bruni e il Palmieri tutti
i rappresentanti dell'umanesimo civile fiorentino. Troppo noto è
l'accento posto da San Bernardino da Siena su una fede che si sos-
tanzia di carità e si celebra nella costruttiva vita cittadina, « nello
esercizio di te, della tua famiglia, della tua città » ' Ma chi, forse
meglio d'ogni altro, sottolineò inizialmente la positività della vita,
mutando il rapporto tradizionale fra terra e cielo, fu Giannozzo
Manetti, il cui libro, estremamente modesto, è tuttavia sommamente
significativo soprattutto nella parte critica che, partendo dalla
demolizione dello stoicismo classico, sbocca in una radicale polemica
antiascetica ed antipessimistica, le cui conseguenze, probabilmente,
oltrepassavano di gran lunga quello che l'autore stesso intendeva.
Perchè il termine della sua dimostrazione è la conclamata bontà
del mondo e della vita, e la positività finale del bilancio che l'uomo
venga a proporsi, anche se si mettano nel conto la morte, i dolori, i
peccati. Vivere è bello ; e c'è sempre un'immensa eccedenza di gioia.
La vita è mirabilmente feconda, e l'opera dell'uomo ricchissima di
utilità e splendidissima di bellezza. L'uomo è un essere meraviglioso,
miracoloso e felice, che dopo avere goduto la vita completerà nella
visione di Dio la sua destinazione gloriosa 2.

1 S. Bernardino da Siena, Le prediche volgari , ed. Cannarozzi, vol. III (Firenze,


1940), p. 237 sgg. Ma questo senso non manca neppure nella Regola del governo di cura
familiare del Dominici, cosi vivace critico del « volontarismo » del Salutati.
¿ Del de dignitate et excellentia hominis del Manetti si è in genere esagerata l'impor-
tanza dopo che il Gentile l'ebbe a segnalare nel 1916 (Il pensiero italiano del Rinasci-
mento , Firenze, 1950, p. 90 sgg.). Si tratta in realtà di un'opera molto modesta (« umile »
diceva il Cassirer), che spesso si riduce a un florilegio di testi. Il suo valore sta tutto
nell'avere dato sistematicità a motivi correnti.

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PROBLEMI DI RELIGIONE E FILOSOFIA 77

L'opera del Manetti che fa centro nell'esaltazione erm


perfezione umana derivata in parte da Lattanzio, gravit
quella sua parte finale in cui la polemica contro i negat
indirizzata insieme contro la Bibbia e contro la tradizione ascetica
cristiana quasi personificata dal pessimismo retorico di Innocenzo III.
Ed è singolarmente notevole che la testimonianza delle Sacre Scritture
venga minutamente discussa con una non comune perizia storico-
filologica alimentata da una buona conoscenza della lingua e della
letteratura ebraica, giungendosi fino a prospettare la non autenticità
di scritti come l'Ecclesiaste, la cui visione appare al Manetti del tutto
aliena da una concezione religiosa della vita, in qualsiasi modo
connessa al Cristianesimo. Il quale consiste proprio nel trasformare
in certezza la speranza dell'uomo ; nel garantire un valore positivo
all'opera terrena ; nell'assicurare una vita dopo la morte ; nel rendere
ragione della mirabile gioia e perfezione del mondo x.
Non è stato notato abbastanza che il De dignitate et excellentia
hominis corre per tanta parte quasi parallelo al De voluptate del
Valla, nè si è sottolineato come conveniva l'incontro fra Valla e
Manetti anche nell'impegno criticò davanti al testo sacro. Il Manetti,
esperto di greco e di ebraico, non esitava ad iniziare una revisione
critica del testo e delle versioni scritturali, nuova ed ardita nella sua
impostazione. Il documento divino è sottoposto a un esame storico e
filologico ; le difficoltà delle versioni vengono affrontate attraverso
un ritorno all'originale rigoroso e spregiudicato.
Contemporaneamente la religione cristiana viene sgombrata
dall'ombra del pessimismo stoicizzante ; natura e umanità sono
riscattate ; alla storia degli uomini si dà il valore di un'ascesa ; il
piacere è la benedizione congiunta con l'esplicazione di ogni attività.
La città umana è l'annuncio nel tempo della città celeste, ove una
felicità completa trasfigurerà la nostra felicità. Nè diversamente dal
Valla il Manetti presenta quella Vita come piacere ; ma, insieme,
secondo la tradizione « civile » fiorentina, come « colloquio », come
« incontro » 2.
La religione, così, non è certo vista come esaurita in una esperienza
mondana, ma il punto di partenza umano è fortemente rivalutato

1 Sugli studi ebraici del Manetti U. Cassuto, Gli Ebrei a Firenze nell'età del
Rinascimento , Firenze, 1918, p. 275-77 ; U. Cassuto, I manoscritti palatini ebraici
della Biblioteca Apostolica Vaticana e la loro storia , Città del Vaticano, 1935, p. 45-7 ;
sui suoi studi biblici S. Garofalo, Gli umanisti italiani del sec. XV e la Bibbia , « Biblica»,
XXVII, 1946. I luoghi del Manetti a cui qui si allude si trovano tutti nel quarto libro
(ed. Basilea 1532 ; ms. Urb. lat. 5, cc. 143v-159v). Nell'opera del Manetti si coglie
molto bene la connessione dei due motivi, critico e dell'esigenza di interiorità, tanto
lucidamente lumeggiati da D. Cantimori nei suoi Eretici italiani (Firenze, 1939).
2 Scrive il Manetti : « se infatti l'amicizia è così dolce e soave in questo mondo
umano dove tanti sono i sospetti, tante le frodi, tali e tanti i pericoli che quoti-
dianamente incombono, qual soavità e dolcezza pensiamo debba essere in quella divina
e mutua e reciproca carità, dove regna una pace suprema senza inganni e senza diffe-
renze ? ».

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78 EUGENIO GARIN

nel momento stesso in cui si nega che il peccato abbia spezzato del
tutto il rapporto con Dio, mentre il finito è posto come un infinito
contratto e capace di riscattarsi ascendendo all'infinito. Il battere
con tanta insistenza sulla divinità dell'uomo, sulla sua vocazione, sulla
sua libertà, sulla positività della vita ; l'insistere sull'interiorità del
divino ; sulla presenza universale del Verbo ; il presentare il Cristia-
nesimo come l'anima e il coronamento trionfale della storia dell'uma-
nità : tutti questi motivi sottintendono una riafïermazione del
valore del mondo, di cui Dio è il compimento e la religione rivelata
una conferma. Del quale completamento taluno può anche dubitare
- insegni in proposito quella amara venatura che percorre tante
pagine d L.B. Alberti - senza che per questo la vita terrena cessi di
essere la base ferma e positiva di ogni sforzo umano, senza che
tramonti la fiducia nella validità e nel significato dell'attività umana,
la quale acquista il senso di una vera e propia teofania, anzi dell'unica
vera teofania г.
D'altra parte la coscienza di un divenire storico delle religioni,
qualla sottintesa tendenza a ricondurre nei confini dell'umano
l'esperienza religiosa, non significa affatto una esclusione del divino,
ma una iscrizione di esso al centro di tutta la realtà mondana ; una
conferma del valore dell'uomo e della vita.
Il tema costante di una perenne rivelazione, che è tutt'uno con
una perenne filosofia ; di una luce che vive nella mente degli uomini
tutti, dacché sono uomini ; l'accordo delle fedi e il loro culminare nel
Cristianesimo che tutte le risolve ; sono, questi, motivi che vanno ad
incontrare quelli della divinità dell'uomo, della sua libertà, del suo
creare come poetare, del suo essere microcosmo che incentra in un
nodo solo tutto l'universo. E sono motivi che giustificano il ridursi
di tutta la filosofia a filosofìa dell'uomo, « morale » e « civile ». Attra-
verso la mediazione umana la contrazione nella finitezza torna peren-
nemente a dilatarsi nell'infinito divino, la natura viene a svelare nel
suo intimo la sopranatura. Alla divergenza e incommensurabilità fra
finito e infimo si tende a sostituire la convergenza ; attraverso l'uomo
il finito si risolve di continuo in infinito e Dio si svela intimo a noi più
di noi stessi.
Di qui una serie di trascrizioni e traduzioni importantissime :
come quelle dei temi magico-astrologici che vengono riscattati da
ogni empietà e collocati in una visione ove i cieli - per essere divini
e viventi - narrano la gloria di Dio ; e le stelle simboleggiano i segni
e le persone più sante, la Vergine e la Croce ; e in ogni sfera del mondo,
in ogni regno, in ogni settore, tutto - il divino come l'umano, fra
loro inscindibili - è presente e operante. Di qui uno spogliarsi di

1 A proposito dell'Alberti e del suo atteggiamento, mi sia concesso di rimandare


a quanto ne ho scritto in Dal Medioevo al Rinascimento , Firenze, 1950, p. 66 sgg.

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PROBLEMI DI RELIGIONE E FILOSOFIA 79

significato e di drammaticità dei contrasti religiosi, un pacificarsi


delle fedi, un colloquio fra tutti e con tutti, una universale pace.
E denominatore comune di questa pace, centro di questo mondano
incontro e araldo di una totale convergenza per una comprensione
totale, l'uomo concepito come possibilità senza limiti, come apertura
senza confini *.

III

Siamo giunti così a quelli che sono stati i punti essenziali del
pensiero fiorentino della seconda meta dell Quattrocento : l'immagine
ermetica dell'uomo, la dichiarazione di una pia philosophia coincidente
con una docta religio , l'annuncio del secolo nuovo, ossia del regno della
spirito, in cui uno sarà il gregge ed uno solo il pastore (come già nel
titolo del sintomatico opuscolo del fìciniano e pichiano e savonaro-
liano Giovanni Nesi, predicatore laico celeberrimo ai suoi giorni) 2.
I temi ermetici dell'uomo divino e del logos rivelatore serpeggiano
dal Salutati al Manetti, che li attinge largamente a Lattanzio, ma
s'impongono con una fortuna mirabile dopo la versione ficiniana del
Pimandro che, unitamente all' Asclepio, viene esercitando un'influenza
larghissima. Traccie di letture ermetiche, a un certo momento, si
trovano un po' dappertutto. Perfino nel Protesto di Pier Filippo
Pandolfini del 13 luglio 1475 noi troviamo che Ermete ha sostituito
le sue sacre testimonianze a quelle consuete di Aristotele e San Tom-
maso ; e al Trismegisto si rifa, nei suoi così diffusi discorsi ufficiali,
il Dati senese 3. L'ermetismo assume il tono di una nuova religione,
0 almeno di una maniera nuova di interpretare il Cristianesimo e la
sua funzione universale nella storia dell'umanità. La fortuna dell'erme-
tismo fìciniano anticipa quella ancora più grande della cabala di
Giovanni Pico. Una ininterrotta tradizione fondata su un perenne
rivelarsi di Dio ; una continua presenza del divino nell'uomo e nell'in-
tera realtà ; una partecipazione dell'uomo alla vita del tutto : ecco
1 temi caratteristici di questo insegnamento. Il quale apriva la possi-
bilità a intendere l'intima armonia di ogni credo, l'incontro imman-

1 E* inutile ricordare qui i nomi del Ficino, il commento del Pico al Salmo « caeli
enarrant... », ì'Heptaplus tutto fondato sulle corrispondenze fra le varie sfere della
realtà. Per quanto si è detto dei simboli e dei rapporti con le costellazioni v'è appena
bisogno di indicare nel De vita del Ficino il terzo libro de vita cœlitus comparanda .
Più importante sarebbe invece insistere sulla trasfigurazione dell'uomo microcosmo
di tipo magico nell'immagine pichiana dell'uomo che non è tutto, ma si può fare tutto,
che in atto non è alcuna cosa, ma che può divenire tutto perchè è assoluta possibilità.
2 UOraculum de novo s século di Giovanni Nesi fu stampato in Firenze nel 1496.
3 Sulla diffusione della versione ficiniana del Pimander cfr. Р. O. Kristeller,
Supplementum ficinianum (Fior. 1937), I, p. LVII-VIII ; ma molto ancora vi sarebbe
da dire sulle influenze che anteriormente sono pur frequenti e derivano, oltre che
dsdì'Asclepius, dalle citazioni presso i Padri. Il Protesto del Pandolfini è nel Riccardiano
2204, c. 33r e sgg. Le orazioni del Dati sono comprese nella edizione delle opere, Senae,
1503.

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80 EUGENIO GARIN

cabile del pensiero razionale con la fede, la continuità dei sacri


misteri. « L'eterna Sapienza di Dio ordinò che i misteri divini almen
ne' principi della religione da loro solamente fussino tractati i quali
erano veri amatori della sapienza vera », onde presso gli antichi il
filosofo si identificava col sacerdote e col mago (« appresso agli
antichi i medesimi uomini le cagioni delle cose ricercavano e ancora
amministravano i sacrifici di Colui il quale è somma cagione delle
cagioni »). In ogni contrada del mondo, dovunque furono uomini, vi
fu culto religioso di Dio (« il culto divino quasi così agli uomini è
naturale come agli uccelli il volare ») ; ed ogni rapporto religioso
dell'uomo con Dio reca seco una qualche scintilla di verità, perchè
« la divina provvidenzia non permette essere in alcun tempo regione
del mondo alcuna d'ogni religione interamente spogliata, benché
permetta in diversi luoghi e tempi varii modi d'adorazione obser-
varsi », quasi volendo che « questa varietà dell'universo per l'ordine
divino partorisca ornamento ». Il Cristianesimo è la luce pura di
quella Verità, che si é presentata in progressiva e varia rivelazione e
che ha dominato in molteplici forme, ma con una sostenza unica, le
meditazioni degli antichi saggi ( una priscse theologize undique sibi
consona seda). Il Cristianesimo non fa che concludere in pienezza di
luce quel progressivo illuminarsi della coscienza degli uomini che è il
ritrovamento medesimo che l'uomo fa di sè, e in sè della propria
verità e di Dio. « Sicut enim Sol sine Sole non cernitur, et sicut aere
sine aere non auditur, ac plenus lumine oculus videt lumen, piena
aëre auris audit aërem resonantem, itaque neque Deus sine Deo
cognoscitur. Sed animus Deo plenus tantum in Deo erigitur quantum
a divino lumine illustratus agnoscit Deum, et divino calore accensus
sitit eum. Non enim ad id quod supra est et infinitum, nisi virtute
superioris infinitique attollitur » К
L'apologetica ficiniana della Religione cristiana , che troverà una
conferma nella Theologia platonica, facendo centro nella continuità
e solidarietà del pensiero umano e nella comunione degli uomini
sboccava anch'essa in un appello alla pace religiosa, in cui il regno
dello spirito si sarebbe perfettamente attuato. E si incontrava così
col tema della pace esaltata dal Pico trasfigurando il motivo e l'appello
della mite predicazione di San Bernardino da Siena. Pace significava
ormai l'unità spirituale ritrovata oltre le divisioni delle visioni
parziali arbitrariamente considerate come assolute ; pace significava
l'incontro degli uomini nella loro umanità profonda e nella certezza
del valore di questa umanità. Pace significava, oltre le concettualiz-
zazioni astratte, il ritrovamento dell'unità fontale attraverso la

1 I luoghi qui citati e riassunti sono tratti dal Ficino, Della religione cristiana
(ed. 1474) e dalla redazione latina della stessa opera, uscita in Firenze con ogni proba-
bilità nel 1476.

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PROBLEMI DI RELIGIONE E FILOSOFIA 81

più alta virtù cristiana, la carità, che « sola l'anime beate nella
celeste patria accompagna, dove all'altre sono serrate le porte » К
Nella pace religiosa l'apologetica fìciniana si conciliava mirabil-
mente con la posizione, così diversa nelle origini, di quanti leggevano
nelle stelle un prossimo incontro, oltre ogni setta e ogni legge, di tutti
gli uomini. Erano essi empi « averroisti » ed astrologi che attendevano
i resultati di una qualche grande congiunzione (« però che Marte
angulare è in Scorpio //E perchè meglio intenda, in ascendente //Si
ritrova congiunto con Saturno // Nella revoluzion tanto potente... »),
sovvertitrice di regni e di religioni. Era il platonico Giorgio Gemisto
Pletone che nella prossima fine dell'Ebraismo, dell'Islamismo e del
Cristianesimo presentiva imminente il trionfo della religione della
ragione per il completo riscatto degli uomini tutti 2. Luigi Pulci
metteva in bocca al diavolo Astarotte conclusioni molto vicine a
quelle del suo avversario Ficino :

Forse che'l vero dopo lungo errore


Adorerete tutti di concordia
E troverete ognun misericordia...
Ma nota che la porta è sempre aperta
E insino a quel gran dì non fìa serrata,
E chi farà col cor giusta l'offerta,
Sarà questa olocausta accettata...

Iddio volle diverse e molteplici le leggi ; chi tenga la propria legge


osservando la volontà di Dio sarà salvato.

Mentre lor cerimonie e divozione


Con timore osservarono i Romani,
Piaceva al Ciel questa religione
Che discerne le bestie dagli umani...
Dico così che quella gente crede
Adorando pianeti adorar bene ;
E la giustizia, sai, così concede
Al buon remunerazio, al tristo pene ;
Sì che non debbe disperar mercede
Chi rettamente la sua fede tiene...

Pulci sembrava portare al limite la sua posizione, fin là dove


l'illuminazione fìciniana poteva quasi arrivare a confondersi con i

1 Johannis Nesii de caritate (25 febr. 1477), ms. Riccardiano 2204, p. 157v. Come
è ben noto Y Oratio del Pico doveva in origine intitolarsi carmen de pace .
2 Sulla teoria delle grandi congiunzioni nel 400 mi sia lecito rimandare, per brevità,
a quanto ho scritto nel commento alle Disputationes del Pico (Firenze 1946). Del
Pletone Giorgio di Trebisonda scriveva nella Comparatio (III, 20) : « audivi ego ipsum
Fiorenti® (venit enim ad Concilium cum Grsecis) asserentem unam religionem uno
animo, una mente, una prsedicatione universum orbem paucis post annis esse sus-
cepturum. Cumque rogassem Christine an Machumeti - neutram, inquit... Percepì
etiam a nonnullis Grsecis, qui ex Peloponneso hue profugerunt, palam dixisse ipsum
anteaquam mortem obiisset... non multis annis post mortem suam et Machumetum
et Christum lapsum iri et veram in omneš orbis oras veritatem perfulsuram... »

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82 EUGENIO GARIN

toni dell' illuminismo averroista Ma il motivo fondamentale era


uno solo ; la speranza che la comune umanità si imponesse come
vincolo di tutti gli uomini oltre ogni divisione, nel culto di quel vero
Dio che è il Logos fatto uomo. La fiducia umanistica nella positività
dell'uomo si traduce in un fiducioso annuncio del prossimo avvento
del Regno. Giovanni Nesi, ficiniano e piagnone, discepolo del Platone
fiorentino e del « Socrate ferrarese », amico di Giovanni Pico e del
Benivieni, rinnova accenti gioachimiti nell'annuncio del riscatto immi-
nente. « Che significa questo secolo nuovo se non la conversione e il
rinnovamento della chiesa militante ?... Ecco ormai io ti chiamo in
nome di Dio attraverso le molte vicende al secolo nuovo. Ecco, dopo
tanti casi, io ti suscito a quell'età d'oro... Chiunque è seguace di
Cristo venga nel regno di Cristo... Volete un profeta ? eccolo veridico
nelFannunciare il futuro, ammirabile sempre e dovunque... L'Italia
sarà devastata dai barbari... Roma giungerà alla rovina... ma la
Chiesa si salverà per soccorso divino e trionferà ; i Maomettani ben
presto si convertiranno alla fede cristiana. E, finalmente, unico
sarà il gregge e uno solo il pastore » 2.
Non a caso il dotto e pio frate Paolo Orlandini congiunse nella
gloria della salvazione Ficino e Savonarola 3. L'umanesimo fiorentino,
rimasto civile anche qundo fu più platonico, combattè perchè la città
terrena fosse immagine vera della città celeste ; pose una pia philo -
sophia al servizio di una docta religio perchè il filosofare da sterile
giuoco di sillogismi si facesse operoso programma onde la pace
scendesse fra gli uomini nel secolo nuovo.

1 I versi del Pulci sono tratti dal Morgante , XXV, ottave 233-36. Sulla posizione
del Pulci cfr. E. Walser, Lebens- und Glaubensprobleme aus dem Zeilalter der Renais-
sance. Die Religion des Luigi Pulci , ihre Quellen und ihre Bedeutung , Marburg a.d.
Lahn, 1926. Sul problema stesso cfr. Cassirer, Individuo e Cosmo nella filosofia del
Rinascimento , trad, it., Firenze, 1935. Ma un'analisi che vada a fondo dei vari aspetti
e dei vari atteggiamento pratici e di pensiero, sviluppando per l'Italia i temi già lucida-
mente indicati dal Renaudet ( Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières
guerres d'Italie , Paris, 1916), manca ancora.
¿ Cosí il Nesi nell 'Oraculum. Sui toni gioachimiti, e sulle loro fonti nascoste, ha
fatto assai giuste osservazioni G. Spini, Introduzione al Savonarola , « Belfagor », III,
1948, p. 419. Sul profetismo piagnone dopo il Savonarola sarebbe da studiarsi Francesco
da Meleto, servendosi, oltre che dei suoi scritti, della minuta confutazione di Paolo
Orlandini, finora sfuggita, e contenuta nella sua enorme opera apologetica,
YEptathicum (ms. Naz. Firenze II, i, 158).
3 L'esaltazione del Savonarola accanto al Ficino è fatta dall' Orlandini in un
poemetto scritto poco dopo il supplizio del Domenicano. Esso è conservato nel ms.
originale a Firenze, presso la Bibi. Naz. Conv. G. 4.826.

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UN TRATTATO INEDITO

DI ERMOLAO BARBARO :

IL DE CŒLIBATU LIBRI

di Vittore Branca

Neil' epistola autobiografica diretta nel 1485 ad uno dei suoi più
ardenti ammiratori lontani, Arnoldo de Waernewynck, Ermolao
Barbaro così inizia l'enumerazione dei suoi scritti : « Octavo decimo
setatis anno De cœlibatu libros duos pueriliter conscripsimus » *-é
Si direbbe che in questa notizia di sé e dei suoi studi, così profonda-
mente segnata dell'ammirazione devota per l'avo Francesco, Ermolao
abbia voluto in qualche modo legare alla memoria e alle suggestioni
dell'autore del De re uxoria gli inizi della sua animosa carriera di
eroe della cultura, di « altra colonna degli studi » accanto al Poliziano 2.
Nonostante questa citazione del De cœlibatu in una delle pagine più
rilevate del suo epistolario, nonostante che l'epistola ad Arnoldo sia
tra le pochissime che abbiano avuto la fortuna di stampe fin dal
Cinquecento 3, il primo scritto sistematico del Barbaro è rimasto
completamente ignorato. Citato non senza fraintendimenti ed equivoci

1 Ermolao Barbaro, Epistolœ , Orationes et Carmina , edizione critica a cura di


Vittore Branca, Firenze, 1942, ep. LXXII, p. 92. Strano l'accenno ai « duos libros »
di cui si comporrebbe il trattato, che invece è diviso, come vedremo, in quattro libri.
Si tratta probabilmente di un lapsus del codice di Lucca (o di un suo antigrafo), unica
fonte dell'epistola ad Arnoldo ; a meno di voler credere a un'altra redazione - magari
anche solo intenzionale - in cui l'operetta fosse divisa soltanto in due libri. Su Arnoldo,
monaco al Carmelo di Gand (1450-1499), amico del Gaguin, Erasmo, ecc. cfr. : De
Viliers, Biblioteca carmelitana , s.l.n.d., I, p. 198 ss. ; Ziegelbauer, Historia rei
litterariœ ord. S. Benedicti , Augusta Vind., 1754, III, p. 270 e 311 ; Swertius, Athenœ
Belgicœ , Antuerpiae, 1728, p. 140 ss. ; e soprattutto R. Gaguin, Epistolœ et orationes
par L. Thuasne, Parigi, 1904, I, p. 312 e 386 ss. ; P. S. Allen, Opus Epistolarum Des.
Erasmiy Oxford, 1906-1913, I, p. 168 ; A. Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris
pendant les premières guerres d'Italie , Parigi, 1916, p. 120, 133 ecc.
2 Cosi Marco Parenti nella sua Cronaca : «...l'altra colonna delli studii ruinó,
chè dua dire si poteano sostentatrici delle buone lettere, Ermolao Barbaro e Angelo
Poliziano » (I. del Lungo, Florentia , Firenze, 1897, p. 270). Del resto questa mitizza-
zione dei due Dioscuri del rinnovamento letterario (cui alcune volte è unito il Pico)
era comune, sulla suggestione anche delle affermazioni stesse dei due umanisti (Barbaro,
Epistole LVI, CXXV, CXL ; Poliziano, Miscellanea XC, Epistole XII 1 ecc.) : cfr.
p. es. Pietro Crinito, De honesta disciplina , Ludguni, 1543, I 7, p. 11 ; Niccolo' Burzio,
Musarum Nympharumque epitomata , Bologna, 1498, c. ultima ; P. Bembo, Epistola
ad Beroaldum , in Opera , Venezia, 1729, IV, p. 189 ; Erasmo, Adagiorum collectanea,
Parigi, 1500, p. 293.
3 Come è noto, prima della raccolta da me curata, soltanto qualche decina di
epistole del Barbaro erano state stampate (op. cit. p. XXIX ss.) ; ma la LXXII si
poteva leggere nelle Epistolœ clarorum virorum selectœ , Venezia, 1568, p. 116a, e poi
in parte anche in A. Zeno, Dissertazioni uossiane , Venezia, 1752, I, p. 349 ss. ;
A. Ferriguto, Almorò Barbaro , in « Miscellanea di Storia Veneta della R. Deputa-
zione di Storia Patria », S. III, XV, 1922, p. 380 ss.

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84 VITTORE BRANCA

dal Trithème e poi dallo Zeno ' fu spe


dell'avo Francesco, persino da chi ebbe la ventura di averne tra le
mani l'unico manoscritto superstite 2. Messo sulla buona strada anche
questa volta dall'amico Paolo Oskar Kristeller ho potuto identificare
- come già indicai fin dal '42 3 - l'operetta in un manoscritto
della Ariostea di Ferrara ; e ne offro ora per la prima volta una rapida
analisi, mentre sto preparando l'edizione del trattato per la Nuova
Collezione di Testi Umanistici inediti о rari dell'Editore Olschki.
Il manoscritto del De cœlibatu - l'unico ancora esistente a quanto
risulta alle indagini mie e del Kristeller - appartiene alla Biblioteca
Comunale Ariostea di Ferrara con la segnatura attuale II 9 : ma sulla
c.Ia figura una vecchia segnatura, 9 Na 1. Il codice è pergamenaceo,
scritto a piena pagina, di mm. 235x155, di cc. 121 non numerate
oltre 1 al principio e 2 alla fine bianche, legato in assi ricoperte di
marocchino impresso a freddo, col dorso rifatto malamente in cuoio.
Sulla c.lb è scritto in oro : « Transcripsit // Antonius Florentinus »,
e sotto, in corsivo, di mano posteriore, « Est conventus S. Dominici
de Ferrara ex dono domini Gelii Calcagnini » : nota che è ripetuta in
identico carattere nel recto della prima delle due carte bianche che
sono alla fine del codice. Sulla guardia finale : « ali philosophie e
logica », solita indicazione di classificazione dei manoscritti aragonesi.
Difatti la nota finale conferma la provenienza del manoscritto
dalla raccolta aragonese 4 : « Antonius Sinibaldus Florentinus //
Ferdinandi regis scriba ne// apoli hoc opus trascripsit // Anno
domini MccccLXXiii ultimo Madij ». Siamo di fronte cioè ad uno dei
più eleganti codici esemplati da quel raffinato copista che fu Antonio
Sinibaldi 5 : a una copia del trattato del prodigioso figlio dell'amba-
sciatore veneto 6 fatta eseguire da Ferdinando I d'Aragona, pochi
mesi dopo che l'operetta era stata compiuta (explicit : « Kalendis
Februarij mcccclxxii » 7). Ricchi e fini motivi ornamentali incor-
niciano le iniziali dei quattro libri in cui è divisa l'opera, mentre le

1 J. Trithemius, De scriptoribus ecclesiasticis, Basilea, 1494, p. 127 cita il De


cœlibatu , ma poi anche un De гз uxoria « metrice », di cui non si ha altra notizia :
probabilmente si tratta di una indicazione « contaminata ». Lo Zeno (op. cit. p. 385 ss.)
ripete il Trithème e dà notizia del De Coelibatu dalla epistola ad Arnoldo ; lo Sthickney,
De Hermolai Barbari vita atque ingenio , Parigi, 1903, p. 16 indica il trattato come
perduto ; il Ferriguto non ne parla ; e cfr. anche D. Fava, La Biblioteca Estense , Modena,
1925, p. 26 : « Il copista Biagio Bosoni copiava... il De re uxoria di Ermolao Barbaro ».
2 G. Mazzatinti, La Biblioteca dei Re d'Aragona, Roma, 1896, p. 176 e LXXIX :
confuse l'operetta con il De re uxoria di Francesco Barbaro e a lui l'attribuì : ma
l'esame del ms. era stato fatto da Nicola Zingarelli.
3 Epistolœ , cit., p. VIII ; Repertorio degli Umanisti italiani. Fascicolo di saggio,
Firenze, 1943, p. 3. E cfr. ora anche T. de Marinis, La biblioteca napoletana dei Re
d'Aragona , Milano, 1947, II, p. 181.
4 Cfr. G. Mazzatinti e T. de Marinis, opp. e locc. citt.
5 Vedi G. Mazzatinti, op. cit., p. 187 ; J. W. Bradley, A dictionary of miniaturist
ecc., Londra, 1889, III, p. 244 ss ; T. De Marinis, op. cit., I, pp. 52 ss.
6 Zaccaria Barbaro era stato Oratore della Repubblica a Napoli nel 1470 1471.
7 L'anno è indicato secondo lo stile veneto о del 1 marzo.

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UN TRATTATO DI ERMOLAO BARBARO 85

iniziali delle varie parti dei libri stessi sono, con semplice eleganza,
distinte con colori e oro. Il manoscritto tuttavia non appare compiuto
e rifinito in tutti i suoi particolari : sono ancora in bianco i tratti
corrispondenti a parole о a frasi greche, e non mancano in certe
pagine spazi vuoti destinati probabilmente a miniature о fregi
ornamentali.
Ma proprio la straordinaria eleganza fu fatale a questa operetta
e al manoscritto. Dopo la dispersione della Biblioteca Aragonese,
venuto - come indica la nota sopra riportata - nelle mani di Celio
Calcagnini 1 e da lui donato al Convento di S. Domenico in Ferrara,
il codice passò, con la soppressione dei Conventi, all'Ariostea ; ma in
questi passaggi о probabilmente - come possono indicare i tronconi
di pergamena e i tagli - in tempi più recenti (e certo prima del 1895,
quando lo esaminò per il Mazz atinti lo Zingarelli) fu vandalicamente
mutilato. Sono state tagliate e asportate la carta iniziale - certo
riccamente miniata - con il titolo del trattato e l'inizio della dedica
al padre ; la carta terza contenente Finizio del primo libro ornato
evidentemente con lettera iniziale preziosamente miniata ; la carta
compresa fra le attuali 81 e 82 nel libro terzo dell'opera (forse conte-
nente una miniatura dell'Olimpo ?)
Le mutilazioni iniziali privando il manoscritto del nome dell'au-
tore e del titolo facilitarono naturalmente e le confusioni e l'oblio
fino ai giorni nostri.


* *

Il trattatello, compilato da Ermola


paterna presso la Corte di Napoli e dopo l'ammissione al Maggior
Consiglio (26 settembre 1471), rappresenta la prima esperienza
letteraria ed impegnativa del grande umanista veneto. Soltanto
qualche carme encomiastico e un'epistola scritta « anno setatis 17 »
segnano il periodo precedente 2. Con la stesura del De cœlibatu il
Barbaro sembra invece già offrire un saggio - pienamente valido -
di quella vasta cultura classica, di quella capacità intuitiva e pene-
trativa, di quella eleganza umanistica che caratterizzano, poco più di
un anno dopo, le sue prime grandi e tipiche opere : il Compendium
ethicorum librorum e la parafrasi di Temistio 3.
Il De cœlibatu , diviso in quattro libri, fin dall'affettuosa dedica al
padre Zaccaria si pone in stretto rapporto col De те uxoria di Francesco

1 II quale fu un ammiratore del Barbaro : cfr. Opera , Basilea, 1544, p. 51.


2 Epistolœ , cit., I, p. 3 ss. ; II, p. 123 ; e cfr. I, p. CV ss.
3 Epistolœ, cit., I, p. XXXV e 4 ss. Per il Temistio, pubblicato solo nel 1480
(e nel 1482 stampato a Treviso), vedi quanto Ermolao scrive nella citata lettera ad
Arnoldo : « unde vigésimo (anno) Themistium convertimus, vigésimo sexto edidimus ».

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86 VITTORE BRANCA

Barbaro 1 : « In his autem voluminibus nihil erit quod prodesse


possit tibi : non enim instituuntur ii qui aut uxorem ducturi sunt
aut qui iam, ut tu, duxerunt, nam in ea re paterni commentari te
adiuvare potuerunt : haec mihi fortasse proficient si id a te impetra-
vero quod, ut honestum est, ita me spero a te prsesertim facile conse-
quuturum ». Il De cœlibatu non rappresenta cioè una presa di posi-
zione polemica contro il De re uxoria , ma quasi un necessario compi-
mento : forma col trattato di Francesco in certo modo un dittico, del
tipo di quelli così amati dall'età precedente e ancora dal nostro
Umanesimo. Ma pur in questa posizione non polemica Ermolao è
fin dal principio conscio ed entusiasta della novità del suo assunto :
« Quaecumque sunt a maioribus tradita ordine, universis et singulis,
pertractemus ; in quo, quemadmodum non pudebit fateri ea esse ab
aliis fortasse non prsetermissa, ita etiam illud ingenue audemus polli-
ceri : nos esse rem his libris tractaturos quae a nemine, quod sciam,
um quam assumpta est ».
Tutto il primo libro è dedicato all'esame e alla contrapposizione
tra il celibato e lo stato matrimoniale : cioè tra la vita contemplativa
e la vita attiva. Le due forme, dichiara Ermolao, sono necessarie
tutte e due, hanno tutte e due una loro alta dignità : ma quella
contemplativa riproduce in certo modo più fedelmente la vita divina.
... Animi nostri vim quemadmodum et Dei ex operibus eius elicimus.
Quamvis enim hunc neque videamus unquam neque sentiamus, ex
rerum tamen memoria plurimarum et inventione motusquo celeritate
divinam quandam potestatem inesse nobis et virtutem agnoseimus.
Ex quo etiam, quom multiplex sit illius vis, eam esse prsecipuam
existimandum est quse, quom nos a beluis separet, rerum omnium
naturas discendo aut inveniendo, ut Aristoteli videtur, potest
amplecti, vel, ut Platoni placet, Ínsitas et consignatas in animis
rationes et occulta vestigia recordatur : mentem dico atque illam
ipsam animi sublimitatem quse rationis eiusdem cum diis nos immor-
talibus sotios fecit. Nam csetera quidem, ut corporis magnitudo
vires firmitas patientia velocitas, prsestantiora longe in mutis esse
quam in hominibus iudicantur, adeo ut solo hoc a reliquis animantibus
difìeramus, quia eam animi partem sumus assequuti quse nos in
rerum maximarum cognitionem atque illius ipsius causse immortalis
intellectum ducit. Quae quom ita sint, palam esse quis dubitat eam
esse anteponendam vitam quse prsestantiorem sibi animi partem
vendicai ? Nam activi hominis virtus in appetitu, qui cum ratione non
est, et sensu, qui rationi parcet, proculdubio consistât est necesse.
Hoc enim et a peripateticis maxime et ab eorum, ut aiunt, coryphseo
et principe, in his libris quos ad Nicomachum de moribus scripsit,
multis in locis approbatur. Contemplativi vero mens omnis atque
opus in intelligendo et sciendo consumitur. Quare concluditur ratio :
quanto inferior est appetitus ratione tanto activus vincitur a contem-
plativo (cc.l4b - 15b).

1 Tengo presente sempre l'edizione di P. Gothein (Berlino, 1935) ; e del Gothein


stesso Fr. Barbaro , Berlino, 1932. Si noti che il trattato di Francesco ha anch'esso
tutto il carattere di un'esercitazione scolastica : ché l'autore, quando lo scrisse nel
1416, non era ancora sposato.

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UN TRATTATO DI ERMOLAO BARBARO 87

Questa vita contemplativa, proprio per il suo afflato divino, non


può essere una vita chiusa ed egoistica, ma deve avere come meta
ideale il bene altrui.

Yitse negotiativse fìnem Peripatetici, quorum inexpugnabiles


rationes sunt, honestam actionem posuerunt : contemplativse vero
summum et simplicissimum bonum cognitionem. Gontemplatores
autem illos existiman voluerunt non qui se intra domésticos parietes
lucem et radium formidantes continerent, aut qui vitam in tenebris
et latebris more ferarum exigerent, sed qui se a popularibus auris
secernentes et curis gravioribus liberarentur et veritatis solicita
inquisitione beatius et fcelicius viverent. Intolerabile siquidem esset
et inhumanum si ccetus hominum odissemus et opem aliquam hones-
tam petenti negemus. Ast unum id hac in re ab iis est requirendum :
ne se rerum privatarum publicarumve ministeriis obligent si contem-
plari perfecte voluerint (cc. 9a-b). Quis enim est qui pietatem plus
colat et iustitise partes sciat quam qui semper in altissima sit rerum
consideratione versatus? Vir enim bonus sit est necesse qui se huiusce-
modi studio alligavit (cc. IOa-b).

Per questo non è vero che la vita contemplativa sia sterile e manchi
di gioie : ne ha di profonde e intime, e certo ha meno dolori di quella
matrimoniale.

Confutate nel primo libro le obiezioni contro la vita contem-


plativa, cioè il celibato, il Barbaro nel secondo libro viene ad esami-
narne i presupposti. Partendo da una definizione platonica del
celibato (« Ccelibatus est viri boni ab omnis coniugij et congressus
genere constans et voluntaria cautio ad contemplandam sine molestia
natura potestatem inventa : quare quia caelestis qusedam est virtus
eorum et maxime divina... 1 grseci, hoc est deo similes, appellaverunt » :
c. 24a), Ermolao pone come esempio massimo di tale vita proprio
Platone, il più venerato e costante « autore » in questo trattato :
« (Plato) vero non solum uxorem non duxit, sed etiam, ut plerique
censuerunt, perpetuam pudicitiam conservavit... tanta vir prsestantia
fuit ut non minus ingenii quam doctrinas desiderari nihil in eo homine
possit ».
E movendo da preoccupazioni platoniche sull'educazione dei
fanciulli, delinea le cure speciali che devono esser dedicate fin dai
primi anni a chi è destinato al celibato : particolarmente da parte dei
genitori stessi « unum ex liberis Deo similem reddituros ». Essi non
si devono fidare troppo delle capacità morali dei maestri e degli inse-
gnamenti dei sapienti antichi :

Nam habuit setas illa, quse post Socratem est subsequuta, máximos
scelerum et libidinis fautores. Quo fìt ut mirari interdum soleam
eos fuisse philosophos publice nuneupatos, qui a nulla re tantum

1 Qui, come nei simili casi seguenti, indico con puntini gli spazi lasciati in bianco
nel codice in corrispondenza a parole greche.

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88 VITTORE BRANCA

quantum a sapientia abhorrerent, quique ab exoletis ebrietate


tantum haberentur, ut studere nulli virtuti possent. Ut autem verbo
complectar, usque adeo depravati illius temporis mores sunt ut, sive
a Theodoři scholis quem... appellabant defluxisse ea vitia videantur,
sive ab ilio ipso Socrate prseceptore ut minus culpa vacante vitium
sumpserit voluptatis assertio, nihil minus a grsecis expectetur
quam virtutis et probitatis exemplum. Pudet referre quantum in
perdocendo vitam cuiusque coinquinarit philosophorum impuritas,
adeo ut nullus omnium vitio vacare et impietate visus est (cc.
31b-32a).

I genitori, oltre « quse de liberis optime educandis sunt a veteribus


pertractata », devono principalmente badare a tre cose : a educare in
casa il figlio per mezzo di un precettore fidato e morigerato 1 ; a farlo
curare specialmente nell'adolescenza da servi onesti e probi ; e soprat-
tutto a dargli una salda educazione religiosa.

Primum est ut, a puero, liberi, qui vitam cœlibem amabunt,


religiosorum et proborum hominum consuetudine utantur, a quibus
non modo nihil ñeque dietu ñeque factu turpe proveniat, sed etiam
multa de Deo et eius cultu dicantur. Quorum exemplo in prima
statim infantia Deum vereri assuescant imbibantque eam de omni
religione et sanctimonia opinionem quam vel sine ulla ratione fir-
missimam habeant et tueantur. Qua propter, ut pleraque alia in
nostra civitate preclare viget apud quosdam parentes mos, qui,
quom a studiis vacandum liberis est, eos aut in urbe aut extra urbem
secum ad templům aliquod, quod spatiosum et amplum sit, advehunt,
ubi et iocundissime cum sanctis hominibus diversentur et voluptate
simul aliqua, quse setati illi egrediendo et expatiando vel maxima est,
abunde perfruantur. Fit enim hoc pacto ut ab ea maxime quam
improbamus vivendi luxuria declinare animus possit et ad tempe-
rantiam pudicitiamque amplectandam incendi. Gavendum est enim
iis ante omnia, ne luxu et deliciis prsepediti a vitse innocentia et
puritate abducantur. Nulla nanque res est, nullum vivendi genus
quod despicientiam voluptatum plus quserat quam cœlibatus ;
contra cœlibatus nihil tantum expostulat quantum despicientiam
voluptatum. Нэе obsidentibus adversantibusque tandem cedunt
quos veluti sui contemptores primum impugnare cceperant : quo
fit ut si semel iis dederis manus facile expugnari possis (cc. 33a-34a).

1 Mi pare interessante quanto Ermolao afferma a questo proposito : « Alterum,


quod erat prsecipiendum a nobis, est ut domi habeant prseceptorem et illum quidem
et senem et quam probatissimum. Nam doceri in scholis ad eos pertinet qui sunt inde
ad forum traducendi ; et alioqui multa in tanto ccetu dicuntur, multa fìunt quibus
adesse tuto non potest is qui est vel a minima etiam turpitudine revocandus. Domi
quoque facilior cura morum erit et pauciores admonendi ne malo exemplo sint ei
puero quem educabunt ; in ludis vero publicis tot varia ingenia sunt ut necesse sit
fieri aliqua inhoneste. Demum peccare in scholis multi possunt ; domi vero ubi unus
docendus est puer unus tantum potest. Gum prseceptore vero ñeque dormiant unquam,
ñeque cum alio quopiam, sed vel cum patře vel etiam soli : nam romano quidem more
neque cum soceris generi lavabuntur. Scio quam notam infligam œtati nostrae, sed
id quidem invitus facio. Nihil enim obticendum ei fuit qui ad bene vivendum aliqua
praecipiebat : in ea praesertim cura qua nihil est difficilius. Verum, quia satis est quod
intelligitur, non ultra quid facto opus sit explicabo, iuditio et id parentum relicturus
quos esse prudentíssimos volo » (cc. 34a-b). Si possono confrontare queste pagine del
De cœlibatu con la sollecitudine mostrata in casi simili nelle Epistola; , p. es. XLVII,
CXXII.

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UN TRATTATO DI ERMOLAO BARBARO 89

Naturalmente presupposti essenziali per una vita tutta dedita


alla contemplazione, sono delle condizioni finanziarie che rendano il
celibe veramente libero e lo sollevino da ogni preoccupazione materiale
(« Quod necessariae sunt facultates ei qui a puero ad vitam ccelibem
comparabit ») 1 ; e una salute ferma, che non lo faccia mai schiavo dei
suoi bisogni e delle sue debolezze, ma gli consenta invece dedizione
assoluta e assidua al lavoro (« Quod ad eum perfìciendum hominem
qui cselebs sit futurus valitudo in primis requirat »). Ma, com'è logico,
ben più importante di queste condizioni materiali è il temperamento,
l'indole : che deve essere informata soprattutto alle virtù della
dedizione, dell'umiltà, della mitezza.

Nobis autem ii placent ex omnibus maxime qui vilescere sese


arbitrantur. Quom rerum humanarum utpote humilium et cadu-
carum curam ullam suscipiunt, in his et latum cor et patentissimse
fìbrse et animorum multitudo per totum corpus difïunduntur. Ex quo
effìcitur ut una hsec et oculis subiecta omnia aspernentur et suprema
atque sublimia semper cupiant attrectare. Hos si capessere negotia
iusseris, non modo non ferent, sed aut negligenter rebus utentur
publicis aut labore non sibi conveniente frangentur. Fit enim quam
ssepissime ut ea quse nostro ingenio minora sunt diffìcilius peragantur
quam ea ad quse, etiam si maiora sint, ultro tamen accedimus.
Effluit enim atque dilabitur animi vis indignanturque inani studio
fatigari, ut magna sit pars mentis ociosa iis qui a contemplatione ad
aliud munus revocantur. Nam et ollee clepsydrseque ea natura est, ut
referatis oris, ad dimidium oppletse, quicquid infunderis statim
emittant : ad summum vero refertse liquorem intra se teneant.
Intervertitur quoque animse in speculando concitatus vigor, quum
quis optime ad id natura compo situs in inferiorem veluti gradum
dignitatis retorquetur. Laborant procera corpora si in angustis
et curtis hostiis summittantur, et capacissima quseque domus paucis
incolentibus squalorem ducit et situm » (cc. 48a-b).

E dopo avere ampliato e sfaccettato con affettuosa cura questo


ritratto ideale, il Barbaro conclude il capitolo con un'alta
ammonizione :

1 La questione però è ripresa anche sulla fine del IV libro, per concludere che la
povertà è solo un ostacolo, non un impedimento assoluto alla vita contemplativa :
« Succensebunt mihi fortasse viri pauperes atque infortunati quod se, ut ex iis quae
dicta sunt patere potest, ita omisimus atque contempsimus ut eos tantum instituere
videretur qui et locupletes essent et opulenti. Quibus ita velim responsum sit omnibus :
non consulto me illos despexisse sed ea tantum voluisse ut tractarentur quae, meliori
via et breviori ad eam metam quam fìgebamus perducebant. Nunc, vero, ut etiam
vobis faciamus satis, viri inopes atque egeni, ne vestram probitatem, quse plerumque
maxima sub vestris palliis latere solet, omnino aspernemur, brevissime ea complecti
poterimus quae requirere haud iniuria a nobis videmini. Primum igitur id vobis ante
oculos sit ut vestrum ingenium cognoscatis. Si prompti eritis ad contemplandum, si
fortes ad resistendum voluptati, aut non longe a fine eritis aut ad finem proculdubio
pervenietis : sed maiore difficultate, grandiore periculo, laboribus etiam vehementius
arduis. Quod si stadium iam percurreritis, tum vos latissime vobis ipsis opem fere tis,
tum vobis omnia abunde suppeditabunt. Quo pacto, inquies ? quia mediusfidius Deus
est nunquam defuturus vobis, quom sui causa viderit tot esse labores a vobis perlatos,
tot difficultates toleratas : quin etiam, ut vobis ampliorem spem faciamus, merito
vestro perinde ac maiore et laudabiliore movebitur ut vos esse in tuto possitis » (cc.
120b-121b). Dove è interessante notare specialmente l'esplicita fiducia, il naturale
ricorso a Dio e alla sua provvidenza.

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90 VITTORE BRANCA

« Utinam mihi puer is detur, qui simplicissimus quum sit et


magni animi, glorise nullius amore capiatur I Hune seducere a
contemplando tantum se sciat pater sceleris admissurum quantum si
factum ex filio turpe mancipium ssevissimse genti venundaret (c. 49b).

Il terzo libro , dopo una rapida distinzione fra la castità del celibe
e la castità dell'ammogliato, è tutto dedicato ai modi e alle condi-
zioni di facilitare la vita del celibe. Ermolao indugia ad esaminare
minutamente il regime di vita ideale, tutto regolato da una grande
temperanza, da una minuta vigilanza sui sensi : scende a classificare
minuziosamente i cibi, le vesti, gli spettacoli, i contatti le abitudini
le commozioni da evitare ; e quindi per contrapposizione enumera
« quae adhibenda sunt ad pudicitiam in cœlibatu conservandam »,
cioè la frugalità, le continue occupazioni, la semplicità nelle vesti
e nelle cure del corpo, la fuga degli onori e della vita pubblica, gli
alti e religiosi pensieri.

L'entusiasmo morale di cui è avvivato tutto il De coelibatu , ma


che si era ottuso e disperso in questa minuta e dilagante casistica,
giunge alla sua più alta eloquenza nel' ultimo libro , il quarto : « Quse
sit defìnitio contemplationis quseque res subieetse sint speculari
volentibus ». Escluso ogni studio « negotiosus », ogni ricerca utilitaria,
è fissata chiaramente l'alta meta del nobile celibato vagheggiato
dall'autore : « finis... esse debet divinissimœ rei cognitio summse
fœlicitati et voluptati coniuncta... Quis enim alius est laboris nostri
terminus quam intelligentia et Veritas ? » (cc. 98b e 102b). Per questo
il celibe, mentre deve coltivare tutte quelle discipline che sviluppano
nelle anime l'armonia e il culto della verità (geometria, aritmetica,
musica), deve rifuggire - secondo un diffuso canone umanistico -
dall'eloquenza come contraria alla semplicità e come troppo « nego-
tiosa » : « Non erit omnino in ccelibe eloquentia expectanda : verum
ita loquetur ut natura doctus non arte videri eruditus possit » (c.lOOa).
Persino la dialettica deve essere appresa con molta prudenza :

Nam et hanc ipsam Dialecticam, quum disputandi ars esset, non-


nulli in minutulas argutiunculas contraxerunt, quorum tamen
studium aliquanto fortasse tolerabilius est, quia ad acuendum inge-
nium repertum esse videatur. Sed metus est, et iam in multis patent
experimenta, ne fractus hoc usu animus in pertinaciam quandam
illiberalitatemque consenescat ; quare se abstineat quantum potest
ab ista tenuitate non solum vir sed etiam puer quum erit et adolescens.
Scire enim debemus in ostentationem et fastum cessurum esse potius
hoc disceptandi genus et ad superbiam altas radices immissurum
(cc. 102b-103a).

In questa educazione ideale un posto loro proprio vogliono la


poesia e la storia, non tanto per se stesse quanto per il loro valore
« esemplare », morale : cioè

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UN TRATTATO DI ERMOLAO BARBARO 91

quod profectum aliquam créant ex sententiarum varietate in


ea prsesertim setate quœ puerorum est. Sed historise minus trepidse
sumi in manibus debent, quia hinc cognitio quam ex cseteris maior ab
experimentis exemplisque ducitur : quo fit ut ad maiora quandoque
ilia nobis suppetant exque illis interdum velut initiis ad altiora venia-
tur. Sed ñeque poetas omnis ñeque oratores sicut ñeque historíeos
legisse velit : plerique enim ex iis libris, quos nostra iuventus in sinu
gerit, ita impuri impudicique soient circumferri ut non modo non
sint aperiendi aut legendi, sed ne nominandi quidem (c. 101b).

Le sole discipline veramente proprie al celibe, perchè essenziali alla


vita contemplativa, sono la scienza della natura e la filosofia morale.
Naturalem vero disciplinam, quam in duo genera intelligi volumus
separatam, in divinarum scilicet et mortalium rerum cognitionem, tanto
studio complectatur quanto fieri maximo potest. Hinc enim proximus
erit ad metam gradus et fini contiguus. Yereri enim et colere et admirari
opificem Deum finem esse diximus feelieitatis : id autem tunc plane
assequi possumus, quum opera illius ingentia usui nostro fabricata
fuisse cognoscimus. Id autem nobis prsestat ea scientia quae de natura,
hoc est causis efïectibusque rerum omnium, abunde pertractat. Hanč
itaque, ut maxime peculiarem, sibi is vendicet qui contemplari
volet (cc. 103b-104a). Quoniam vero quseri etiam solet utrum ea quae
ad mores attinet disciplina pertineat etiam ad studium contem-
plando quum sit tota in actione collocata, necessarium, ut arbitror,
est ne pars illa tractatus prsetermittatur, in qua per singulas percur-
rendo virtutes liquebit quse sint cœlibi nostro potissimum requi-
rendse. Non solum enim animi contemplatione beati esse poterimus,
nisi etiam et probi simus et iusti et reliquis, quae ad honestatem
pertinet, offitiorum virtutibus informati. Quod autem virtutes haec
cadant in sapientem, idem est autem cœlebs et sapiens, latissime
patet ea ratio quod hanc vitam sibi videtur is iccirco delegisse ut esse
posset Deo quam simillimus. Deum autem virtutum omnium fontem
et caput qui negat esse ex eo numero hominum est qui non solum impie
sed etiam inconsiderate loquuntur. Primum itaque a Iustitia quse,
ut inquit Plato, Regina et princeps est omnis honestatis incipiamus
probemusque inesse hanc ei hominum generi oportere, qui se a civi-
libus etiam rebus abduxerunt (cc. 105b-106a).

Questa conoscenza dei sommi veri, questa sapienza del bene e del
male, i celibi, « naturae divinitatique proximi» (c.l07b), devono tra-
durla in virtù attive : nella liberalità, nella prudenza, nella fortezza.
Per questo Ermolao osa affermare « utilitatis publiese neminem esse
tantum servatorem quantum eum qui ita cœlebs est et contem-
plator » : perchè quelle stesse tre somme virtù, che possono fiorire
anche negli uomini dediti alla vita attiva, raggiungono la loro pie-
nezza solo nei sacerdoti della vita contemplativa.

Quamobrem duplicem prudentiam colligemus : una quse in rerum


corpore agendarum ratione versatur, altera quse in rerum mente con-
ceptarum dexteritate consistit. .¿Eque et iustitiam duplicem et forti-
tudinem liberalitatemque faciemus, ut unum scilicet genus sit earum
virtutum quse ad contemplativum, alterum quse ad activum et admi-
nistrativum attineant. Utraque autem eodem nomine vocabuntur

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92 VITTORE BRANCA

quoniam et utrarumque effectus eiusdem erunt nuncupationis. Nam


et iustum et liberale et forte et prudens prsestabit offitium et qui
aget et qui speculabitur : plenius autem atque perfectius id omne
erit quod a contemplante quam quod a res gerente nascetur. Osten-
sum est enim illius virtutem excellere et potestatem, qui secundus
et proximus diis est : is autem erit qui ita, ut prseceptum est, vixerit
in cœlibatu (cc. llla-b).

E questa superiorità morale, questa elevatezza umana non potrà


non tradursi anche in un aspetto esterno luminoso e sereno, lontano
da quella ostentata gravità di cui troppo spesso si ammanta la falsa
virtù.

Sunt enim nonnulli, et boni interim viri, qui nunquam supercilia


de ruga moveant, sed tristi ore, tristioribus oculis et quasi plagis
csesi uno habitu semper videantur (grseci... vocant mœrentes maxime
et subabsurdos). His risisse nunquam aut facetius aliquid dixisse
prseclarum est. Nescio an Socrates hac in re plurimum sit laudandus
quoius uxor Xantippe gloriata interdum dicitur, quod virum eum
fuisset nexa quem nunquam alio vultu domo egredientem alio domum
redeuntem vidisset. Mihi profecto non probatur tanta austeritas, in
eo prsesertim qui sit in maxima volu.ptate constitutus, qualem esse
cœlibem nostrum ex multis probavimus locis. Huic enim esse alium
contemplanti habitům, alium alloquenti, alium comedenti, alium
ambulanti velim. Sed ñeque satis idonea ad negotium nostrum eius
natura videbitur qui ita sit tristis... Nunc vero, quia non prohibetur
ullus ut rideat, ut lsetetur, hilaritatem exegimus ut his, habita tem-
poris ratione, modo gaudere palam videatur, modo alium vultum
induere, non animum, et ad mediocritatem demum omnia referre
meminerit. Ita enim fìet ut quum in opere contemplandi versabitur
habitům oris intentissimum prsestent, et quum ab eo studio per inter-
missionem cessabit, una cum cogitationibus remittat etiam vultum
aliquantisper subcissivique illius temporis aliam habeat rationem.
Quom itaque vacaverit, amicorum fruetur consuetudine : hos autem
habere debebit, si licuerit, coniunctissimos, quibuscum, quoniam
solus non facile vixerit, honestissime iucundissimeque confabuletur...
(cc. 114a-116a).
Così, proprio la conclusione del trattato delinea questa figura
serena e umana di sapiente, quasi a suggellare con una limpida
visualizzazione le ragioni studiosamente e appassionatamente svolte
nelle pagine precedenti.
*
* *

Come è evidente da questa rapida esposizione, il De cœlibatu , più


che nella trattazione del problema proposto nel titolo x, si risolve in

1 Per questo mi pare necessario, come accennerò nelle pagine seguenti, vedere e
studiare il De coelibatu nel quadro di una tradizione diversa da quella discesa da
Giovenale, dall' Adversus Iovinianum al Petrarca ( Familiares XXII 1) e al Boccaccio
(specie nel Corbaccio) ecc. ; e che anche in quel periodo non era spenta (cfr. p. es. le
satire V e VI di Antonio Vinciguerra, un amico del Barbaro ; la Sylva nuptialis di
Andrea Nevizzano ; l'epistola In nuptias di Filippo Beroaldo ; e nel Barbaro qualche
spunto rapido e sempre scherzoso p. es. nelle epistole LXXIII e GV). Anche per il
Della Casa, come vedremo, converrà riferirsi al Barbaro, a proposito non dell' An uxor
sit ducenda ma se mai del Galateo.

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UN TRATTATO DI ERMOLAO BARBARO 93

un giovanile e vagheggiato ritratto del sapiente, in cui si intrecciano


lineamenti riflessi da quel nostro Umanesimo e dalle convinzioni
più caratteristiche e personali del Barbaro.
La tradizione tutta ascetica о antifemminista dei trattati « celi-
batari » del medioevo e ancora di vari testi umanistici, non trova
nessuna rispondenza in queste pagine : anzi con novità e audacia di
posizione il Barbaro ammette all'ideale vita contemplativa anche le
donne, su di un piano di parità assoluta cogli uomini г. Il problema del
celibe, cioè del sapiente, è per il Barbaro in massima parte un pro-
blema di formazione, di educazione : e difatti il quadro vasto degli
studi, concepito secondo le convinzioni umanistiche, occupa gran
parte del trattato. E' questo un problema, anche nell'impostazione,
del tutto umanistico sì, ma difficilmente concepibile al di fuori della
cultura veneta. Di fronte alla ricca tradizione fiorentina che vedeva
nella famiglia l'armonico alto compimento dell'individuo (e basti
ricordare i trattati dell'Alberti e di Matteo Palmieri), in Venezia, dove
lo Stato era tutto, dove l'onniprensenza della Repubblica dominava
anche la vita famigliare, il celibato poteva divenire un ideale, una
condizione identificabile con la più prudente sapienza. E'una posi-
zione che le epistole successive approfondiranno e svilupperanno 2 :
ma che già nelle pagine del De cœlibatu è chiaramente implicita.
A questo problema fondamentale, a questa trattazione generale,
si intrecciano profondamente le discussioni più tipiche nella trattati-
stica di quel periodo : il confronto fra la vita contemplativa e quella
attiva, l'opposizione delle arti liberali all'oratoria forense e alla
medicina, la graduazione di valore delle varie discipline, il rapporto
tra metafìsica e morale ecc. E tutte queste « ragioni », queste « di-
spute » sono dirette, vegliate, confermate continuamente dall'autorità
dei grandi spiriti antichi (« nihil est enim a nobis aut admonendum
aut prsecipiendum quod non sit a summis illis viris et in omni vir-
tutum genere et scientiarum prsestantissimis institutum ») : fra i quali
grandeggia, senza possibilità di paragone, supremo maestro di pen-
siero e di vita, « divinus ille Plato ».

1 « Quum itaque foemina homo sit et rationis particeps animai et intelligentise


capax, sui etiam arbitrii et mali et boni non ignarum, quorum alterum ad sciendum
satis est alterum ad pudice vivendum idoneum, haud sane intelligo quor eripere illi
sexui hanc gloriam debeamus. Si mihi ea virgo de tur quales Sibillae traduntur, qualis
Lala Sizicaena quae perpetuam pudicitiam adamavit, nonne sperandum erit posse
eas ad finem quem praescripsimus pervenire ? Negari nequit esse id saltem opinabile
at que possibile ; quod si de tur, iam tunc non licebit f cerninas pellere. Quod si iccirco
illas abigendas esse putaremus quia difficile videremur hanc virtutem cadere posse
in fœminam, viros etiam non liceret admitiere, quia esset et id viris perquam difficile.
Quamvisque minus laboriosum sit, ut inquit Aristoteles, omne negotium masculis,
non tamen prorsus est id fœminis intolerabile. Nam et faeminœ esse possunt quas
plerunque non secus atque viros ad hoc vitie genus videtur natura procreasse : has
ego magno animo ut ad castitatem et contemplationem incumberent hortatas esse
voluerim » (cc. 119a-b). « Caetera cum viris debent habere communia, ut quemad-
modum illi ex hac vita quam simillimi Deo fient, ita et fœminis evenire posse concessum
sit ut Deo proximae efficiantur » (c. 120b).
2 Basti vedere, per esempio, le epistole LXXVI, CVIII, CXXIX.

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94 VITTORE BRANCA

E' questo Túnico motivo che distin


diciottenne autore del De cœlibatu , ancora tutto preso dall'entu-
siasmo letterario per Platone г9 all'ostinato e pugnace autore dei
commenti e delle interpretazioni aristoteliche. In generale invece le
note più personali, che si affacciano di tra le pieghe scolastiche del
trattato, non sono che presentimenti sicuri delle posizioni umane e
umanistiche che segneranno più tipicamente Topera del Barbaro ;
e che saranno documentate soprattutto dall'epistolario , in cui più
spiegata è Timpronta originale della sua personalità. Quell'aspira-
zione a una vita completamente dedita agli studi, che tuttavia non
aborrisca da larghi interessi umani ma anzi solleciti esperienze e contatti
diversissimi, colorirà di sè costantemente, e spesso con espressioni
molto simili, tutta una serie di epistole 2 ; quella rigida distinzione
fra studi « negotiosi » e ricerche disinteressate sarà il tema di varie
di quelle pagine 3 ; quella finezza psicologica - qualche volta
dilagante in casistica - che gli fa cogliere i riflessi spirituali di parti-
colari materiali nell'educazione dei giovani, si aprirà nella delica-
tezza con la quale sono trattati problemi d'anima e di coscienza 4.
Ma soprattutto due motivi, che si impenneranno vigorosamente
nell'appassionato umanesimo del Barbaro, trovano nel De cœlibatu
già voce risoluta : la convinzione che alla scienza del vero non si
giunge senza una profonda adesione alla scienza dei costumi, cioè
senza una rigida purezza di vita 5, senza una profonda umiltà 6 ;
e la consapevolezza che la sapienza antica, l'alta scuola dei classici ha
il suo compimento, necessario e risolutivo, nella nuova realtà cri-
stiana 7. Dalla prima posizione discende la reazione sdegnosa e vee-

1 Forse un'influenza in questo senso poteva aver esercitato quella tradizione


platonica che dall'Argiropulo e dal Bruni, attraverso i frequenti rapporti con la cultura
fiorentina e specialmente il Manetti, era discesa a Napoli ; e si rifletteva chiaramente
per esempio in uno degli amici più intimi e autorevoli di Ermolao nel periodo napo-
letano, cioè Antonio Galateo (cfr. Ferriguto, op. cit., p. 284 ss. ; Scalingi, L'epistola
inedita del Galateo a Ermolao Barbaro , Foligno, 1928).
2 Si leggano, per esempio, le epistole XXXVIII, XLV, XLVI, LXVII, LXXIX,
CXLI, CXLVI, CLII, CLIV ; il carme IX ecc. ; non sarebbe diffìcile trovare persino
dei contatti verbali.
3 P. es. le epistole XLII e GXLV.
4 Si tenga soprattutto presente la delicata epistola CXXIX a un giovane, Giovanni
Stefano Cotta, sul problema della castità : e anche le CXXIL CXXIX.
5 Due affermazioni, a parte i continui accenni nelle Epistolœ , mi sembrano
particolare valore perchè fatte in occasioni e in momenti solenni : quella nelFOraiio
ad discípulos (II, p. 109 : « Cœterum tacere nolo unum, quod ego maximum et ргэе-
cipuum ad studia philosophic comperi : quod quidem qui sequi volet, nemo est
ingenio tam re tuso, tam hebeti, qui evadere non possit ad huius apicem doctrinœ.
Quœritis quid hoc sit ? Absolvo breviter : voluptatum fuga ») ; e quella nel Carme
programmatico a Pontico Faccino (II, p. 125 : « Nec doctrina sat est, nisi sint probi-
tasque fìdesque / Vitaque non ullis contaminata malis. / Musa maios odit, Musae
improbitate fugan tur, / Musas et vitium non capit una domus. / Si mihi in alterutrum
ius esse vel optio posset, / Quamlibet indoctus quam malus esse velim. / Simplicitas
per se prodest : sine moribus artes / Exitium multis perniciesque fuit. / Iudice me
primum est bene vivere, scire secundum : / Asserì tur cœlo, si quis utrumque potest.»)
6 Si vedano per esempio - oltre i testi citati nelle note precedenti - le posizioni e
affermazioni risolute in questo senso nelle epistole LXXII, LXXVI, XCIX, CXLV,
CXLVI, CXLVIII, CLII, CLIII, ecc.
7 Cfr. per questo il passo citato a p. 88 e l'epistola XCIX.

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UN TRATTATO DI ERMOLAO BARBARO 95

mente contro le deviazioni morali antiche e moderne degli uomini di


cultura 1 ; dalla seconda - cioè da quella « philosophie savante et
chrétienne » che il Lefèvre tanto ammirava in Ermolao - l'esplicito
insistente posto fatto nell'ideale educativo del Barbaro non solo alla
dottrina cristiana ma al culto stesso 2.
Sulla suggestione di queste convinzioni, l'ideale tutto letterario
di uomo e l'abbandono alla contemplazione d'un mondo individuale
in cui domini la rinnovata coscienza della dignità e del vigore dello
spirito umano, si pongono fin dal De cœlibatu come i motivi più
vagheggiati dall'umanesimo appassionatamente « retorico » del Bar-
baro. Quando dodici anni più tardi, nella famosa disputa col Pico 3,
spingerà fino all'estremo le ragioni delle « litterse », Ermolao non farà
in certo senso che difendere quel suo ideale di compostezza artistica
e umana, di finezza interiore riflessa nell'eleganza esteriore : negan-
dolo gli pareva che si negasse l'essenza stessa di quella civiltà e di
quella cultura di cui egli e il Poliziano erano acclamati come i massimi
campioni.
Questa convinzione è quasi visualizzata dal De cœlibatu nella
ricerca continua di una rispondenza tra la realtà interiore del sapiente
e il suo aspetto esteriore, tra la limpida armonia delle facoltà morali
e il luminoso decoro della persona. A chiudere il suo trattato, anzi, il
Barbaro non pone un'affermazione о una conclusione astratta, ma,
come abbiamo visto, un ritratto luminoso del suo uomo ideale.
Era un'inclinazione, questa del Barbaro, in cui sembrava del resto
raccogliersi una tradizione culturale e letteraria tipicamente veneta :
quella che accanto al de hominis dignitate di tipo fiorentino, tutto
affidato a « ragioni d'anima », viene delineando un ideale più concreto,
più quotidiano di uomo, in cui il gesto, il contegno, il decoro sono parti
essenziali della dignità, specchio di nobiltà interiore, rivelazione di
eccezionale compostezza d'anima. Ancor prima che si sviluppasse in
tutta la sua ricchezza artistica e civile, i nostri umanisti avvertivano
quasi visivamente il fascino umano e umanistico di questo « decoro »
veneto : dall'alta presentazione di Bernardo Bembo nel De nobilitate
del Landino all'ammirata raffigurazione della nobiltà dei veneziani
nel De educatione del Galateo (un devoto amico di Ermolao proprio
negli anni napoletani), dalle stupite impressioni del Poliziano nelle

1 « ... mirari interdum soleo eos fuisse philosophos publice nuncupatos qui a
nulla re tantum quantum a sapientia abhorrerent, quique ab exoletis ebrietate
tantum haberentur, ut studere nulli virtute possent... Nihil minus a grsecis expectetur
quam virtut.is et probitatis exemplum. Pudet referre quantum in perdocendo adeo
nullus omnium vitio vacare et impietate visus est... Quor non magno animo asseramus
graecorum doctrinam non mores, et verba non facta imitare oportere ? Sed quantum,
dii boni, aberravimus ? aut quor non potius ad viam revertamur ? » (cc. 32a-b).
2 Già sono stati citati alcuni passi significativi a questo proposito a pp. 88, 89, 93.
E per lo studio e l'ammirazione professata dal Lefèvre per Ermolao cfr. A. Renaudet,
op. cit ., p. 138 ss. e passim.
3 Cfr. Epistoles LXVIII, LXXX, LXXXI.

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96 VITTORE BRANCA

lettere da Venezia all'arioso ritratto di Gerolamo Donato nel De


cardinalati i del Cortesi.
Quelle intuizioni trovano nel Barbaro una coscienza più spiegata,
una consapevolezza tutta umanistica. Le convinzioni giovanili, ma
già risolute del De cœlibatu , riprese nelle Epistolas1, si comporranno
in certo modo, quindici anni dopo, nelle linee più sobrie ma ormai
sicure e nette del De officio legati (1489-90) 2. Rotta decisamente
la tradizione dei trattati tecnici e giuridici sugli ambasciatori e le
ambascerie 3, Ermolao risolverà i problemi connessi a questo tema
in una raffigurazione concreta : delineerà ancora пе1Г ambasciatore
perfetto il suo alto ideale di uomo in cui tutte le facoltà interiori
concorrono a un decoro insieme d'anima e di gesto.
I miracolosi « ritratti d'anima » della più grande pittura veneta -
così legata in quel periodo alla cultura umanistica e al Barbaro
stesso 4 - trovano dei suggestivi « pendants » letterari in queste
pagine. E a queste stesse pagine sembra in parte ispirarsi quell'alta
tradizione letteraria che agli ideali umanistici darà forma estrema
nell'eleganza del « cortegiano », e le cui espressioni più limpide e
raffinate brilleranno proprio nelle pagine di scrittori fortemente legati
alla cultura veneta, al circolo umanistico del Barbaro stesso 6.

1 Si veda soprattutto l'autoritratto ideale nella XLV epistola.


2 II De officio legati è pubblicato, ma non completamente, nella Thiara et purpura
veneta , Roma, 1750, p. 99 ss. ; e con molte inesattezze ed errori nel volumetto : V. E.
Hrabar, De legatis et legationibus , Dorpat, 1906, p. 65 ss. E' contenuto nei mss.
Ambrosiano 24 sup., Vaticano lat. 5392, Marciano lat. XIV 230, Marciano it. VII
1233, Magliabechiano II IV 661, cod. del Museo Correr di Venezia PD 397, cod.
della Biblioteca Angelica di Roma 2019. Su tali manoscritti ho preparato il testo del
trattai elio che insieme al De coelibatu sarà stampato nella « Nuova Collezione di Testi
Umanistici » dell'Editore Olschki. Cfr. anche E. Cerruti, in « Nuovo Archivio Veneto »,
XLIII, 1917.
3 Basti confrontare p. es. lo Speculum iuris (cap. De legato) di Guglielmo Durando
di Beziers, citato dall'Alberti nel suo Pontifex ; VAmbasciator Brevilogus di Bernardo
di Rosier ; il Tractatus de Cardinalibus legatis a latere di Andrea Barbazza da Messina
(in Tractatus Universi Juris , Venezia, 1584) ; il Tractatus de legatis di Martino Garrato
(in Solemnes et quotidiani ac practicabiles tractatus , Lugduni, 1530) ; il Tractatus de
legato di Gondissalvo di Villadiego (in Tractatus Universi Juris , cit.) ; YAmbaxiator
di Giovanni Bertacchino (in Repertorium , Roma, 1481), ecc.
4 Cfr. p. es. Ferriguto, op. cit., e Attraverso i misteri di Giorgione , Castelfranco,
1933, passim , e in « Atti R. Istituto Veneto », XCVIII, p. II, 1939 ; CU, p. II, 1943.
5 II Castiglioni, per esempio, fu a Milano allievo di uno dei più cari amici e ammi-
ratori di Ermolao, Giorgio Merula, e forse ancora fanciullo potè, attraverso i suoi
maestri, conoscere il Barbaro durante la sua legazione presso Lodovico il Moro (1488-
1489) ; il Bembo fu, come abbiamo già indicato, fervido ammiratore del Barbaro (cfr.
p. es. De Virgili culice et Terentii fabulis liber ; l'epistola al Beroaldo in Opera , Venezia,
1729, IV, p. 189), e fu probabilmente mediatore della conoscenza e dell'ammirazione
del Della Casa.

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UN TRATTATO DI ERMOLAO BARBARO 97

ADDENDA

In questa prima occasione di riparlare di Ermolao Barbaro dopo


la mia edizione del'42, mi sia permesso segnalare rapidamente qualche
aggiornamento di maggior rilievo che sono venuto raccogliendo in
questi anni. Anzitutto alcuni dati su qualche manoscritto che,
come avvertivo, non potei allora rivedere per le misure di sicurezza
prese in seguito alla guerra : nel cod. Marciano lat. XII 211 anche le
parti non scritte dal Sañudo sono di mano contemporanea e riunite
in volume dal Sañudo stesso ; nel cod. Marciano lat. XIV 214 Y ex libris
a lettere intrecciate, nella membrana di guardia, è da leggere certa-
mente Ludovicus Campanea (Campagna) notarius Veronerisis ; nel
Marciano it. VII 287 le cc. 145 ss. (ep. GLIY del Barbaro ed epistola
del Merula sulla morte del Barbaro) appaiono di mano degli inizi del
sec. XVI о forse anche della fine del XV. Circa gli autografi del
Barbaro (cfr. pp. LU ss.) - oltre quelli che segnaleremo più sotto a
proposito del Catullo di Ermolao - importante è quello che ha ora
illustrato O.P. Kristeller, Un codice padovano di Aristotele postillato
da Francesco e Ermolao Barbaro , in « La Bibliofilia », L, 1948 ; un
codice di Lucrezio forse del Barbaro stesso ha segnalato F. Pelle-
grini, Le codex Pomponii Romani , in « Latomus », VII, 1948. Per le
EPISTOLA: LXXXVI : cfr. per il Meia Copinger 3963 e 3964 e
Reichling V 192 (per la descrizione del Y Enchiridion), Hain 5542 e
Reichling I 131 (deiica al Meia « mantovano », A. Bertolotti in
« Il BIBLIOFILO » IX, 1888, p. 36 (per una lettera del 1507 in cui
si parla di una vita della Beata Osanna Andreasi scritta dal Meia) ;
CXXXII bis : non è probabilmente del Barbaro ma va attribuita verisí-
milmente a Girolamo Donato, come ha mostrato G. Mercati, Ultimi
contributi alla storia degli umanisti , Città del Vaticano, 1940, II, pp. 73
ss. ; CXXXIV : non è del Barbaro ma di Sebastiano Priolo (Mercati,
op. e loc. citt.) ; CXXXVII : è anche nel Monacense lat. 10781 с. 53,
senza varianti che non siano errori di copista ; Epistole attribuite I :
cfr. G. B. Picotti, in « Giornale Storico della Letteratura Italiana »
LXV, 1914, p. 299 e LXVI, 1915, pp. 87 ss., Pesenti, in «Athe-
naeum », III, 1915, p. 289 a conferma delFattribuzione al Poliziano
da me prospettata nelle pp. XÇIII ss. Per le ORATIONES : IV :
cfr. l'importante articolo di F. Masai, Le ms. 10 de Gand et l'édition
incunable par Thierry Maertens du discours de Barbaro pour l'élection
de Maximilien in « Scriptorium » III, 1949. Per i CARMINA : oltre
quelli da me pubblicati ne era già stato stampato un altro in un
opusculo assai raro e sfuggito all'attenzione degli studiosi (ma non a
quella dell'amico Augusto Campana che me lo ha segnalato) :
F. Orioli, Epistolse in C. Valerium Catullum, Bononise, 1822 (e cfr.
recensione di Vincenzo degli Antoni in « Giornale Arcadico », ottobre
dicembre 1822, in cui si ricorda l'epigramma « di Ermolao Barbaro
a Gregorio (sic l) Merula scritto in buono stile ed in mal costume »).
E'un carme che figura nel Catullo già di Francesco e poi di Ermolao
Barbaro, il quale sull'interno della legatura scrisse di suo pugno una
noia <!i и ÍHSťió in snrh1 í.ari v. dpi гшНрр rmiiot orioni, con-
getture, segni della sua attenta lettura. Il codice è ora nella Biblioteca
Universitaria di Bologna, n. 2621 (cfr. Catullo ed. Ellis, Oxford
1878 2, p. LIII ; L. Frati, in «Studi Italiani di Filologia classica»,
XVII, 1909, p. 74). Ac. 53b, cioè sulla pergamena finale di guardia,
è il carme :

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98 VITTORE BRANCA

Ad Georgium Merulam
Noster villicus ille, quem, Georgi,
Nosti ; villicus ille cui puellas
Famosus Muto vastitasque penis
Omnes conciliatque venditatque ;
Ob quem tu viduasque frigidasque
Solus ssepe jaces agisque noctes ;
Noster villicus ille nuntiavit
Factum te mihi derepente summum
Pœtam ас celebrem ; simulque versus
Noctu condere plurimo s diuque.
Gaudete et virides parate laurus
Colles Euganei, diesque festos
Tempestivo agite et novo p cet se.
At tu, villula nostra, villa dulcis,
Plurimum tibi gratulamur omnes,
In qua tam subiti exeunt pœtse.
Tu qui tam bona nuntia attulisti
Nobis, villice, nil quod apprecemur
Est majus, quam uti te sequantur unum
Cunni, unum cupiant p étant que et ipsum
In solo Merulam sinant grabato
Versus concinere : ut dolore vero
Condiscat miseras plicare voces
Naeniasque elegumque luctuosum.
herm. Barbar.

Un distico, posto insieme a versi del Pontano sulla tomba di


Roberto Caracciolo, attribuì al Barbaro D. de Angelis, Le vite
de' letterati salentini , Firenze, 1710, I, p. 15 :
Ille Robertus hic est Christi, quo Prsesule, vatum
Nemo post Paulum clarior orbe fuit ;
ma l'attribuzione è assurda perchè Roberto Caracciolo mori il
6 maggio 1495, cioè dopo il Barbaro (il rilievo già fu fatto dal « Gior-
nale de' Letterati d'Italia», XIII, 1713, p. 269, come mi segnala
ancora A. Campana cui devo la notizia).
Oltre quelle già segnalate nella mia edizione delle Epistolœ cit.,
sono interessanti tre altre testimonianze di contemporanei, cioè di
G. A. Flaminio ( Epistolœ familiares , Bologna, 1744, III, 10 : è una
lettera indirizzata al Barbaro), di G. A. Questenberg (cfr. G. Mercati,
Opere Minori , Città del Vaticano, 1937, IV, pp. 440 ss., 456 ss.),
di Coppo Fantini (G. Della Santa, Uria vicenda della dimora di
Ermolao Barbaro a Roma nel 1492 in In memoria di Giovanni Monti-
colo , Venezia, 1915).
Osservazioni importanti sulla mia edizione hanno fatto : E. Garin,
in « La Rinascita » VI, 1943, pp. 418 ss. (segnalando anche il cod. di
Monaco) ; Р. O. Kristeller, in « Journal of Philosophy » 1946 e
in « Journal of the History of Ideas » 1947 ; F. Masai, art. cit. [Sul
Catullo del Barbaro vedi ora : Catulli codex Bononiensis 2621 . Typis
describendum curavit J. B. Pighi, Bologna, 1950].

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG
IN DER KUNST

DER ITALIENISCHEN RENAISSANCE

von Georg Weise

Für die kunstgeschichtliche wie für die geistesgeschichtliche Be-


trachtung kann die Renaissance heute nicht mehr als eine nur in
Italien herangereifte und ausschliesslich von Italien ausgehende
Bewegung gelten, die sich den anderen Völkern erst in allmählicher
Ausbreitung und als fertiges Ergebnis mitgeteilt hätte. Wenn wir
Augustin Renaudet und die zahlreichen wertvollen Arbeiten feiern,
die wir seinem langen gelehrten Wirken verdanken, so geschieht dies
nicht nur um des Beitrags willen, den er mit ihnen zur Kenntnis des
speziell italienischen Phänomens, der italienischen Literatur der
Renaissance, ihrer bedeutendsten Persönlichkeiten und ihrer politi-
schen und kulturellen Umwelt gegeben hat. In seinen Forschungen
kommt zugleich die grundsätzliche Wandlung des Standpunktes zur
Geltung, wie sie für die neuere Auffassung bezeichnend ist. Schon in
ihren Anfängen erscheint uns die Renaissance nicht mehr als isoliertes
Phänomen, sondern zeigt sie sich mit der humanistischen Bewegung
Frankreichs im 12. Jahrhundert, mit der Diesseitigkeit der frühen
ritterlichen Kultur sowie mit der allgemeinen Tatsache eines Ein-
flusses der Antike auf den Aufschwung der künstlerischen Tätigkeit
im späteren 12. und im 13. Jahrhundert verbunden. Ohne den Anstoss,
der von den Aristoteles-Studien der Pariser Scholastik, von Ockam
und den Nominalisten, von den Naturwissenschaftlern des 14. Jahr-
hunderts und den Legisten Philipps des Schönen ausgegangen ist,
lässt sich der Sieg der neuen Verbundenheit mit der Wirklichkeit
und der zur Neuzeit führenden konkret-realistischen Behandlung
aller Dinge nicht vorstellen. Der Frühhumanismus und das Sehnen
nach kirchlicher und religiöser Erneuerung haben auch nördlich der
Alpen eine bedeutsame Rolle gespielt und lassen die Entwicklung
sich im 15. Jahrhundert in ständiger Berührung mit dem Süden und
in gegenseitigem Austausch vollziehen. Die Vorstellung zweier streng
voneinander gesonderter Welten, von denen die eine alle Keime der
Neuzeit in unentwegter Folgerichtigkeit zur Reife gebracht hätte,
während die andere in der Überlieferung des Mittelalters befangen
blieb, lässt sich heute nicht mehr aufrechterhalten. Zum mindesten
hinsichtlich des Durchbruchs des neuen Wirklichkeitssinnes, als des

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100 GEORG WEISE

ersten entscheidenden Faktors der Abkehr vom Mittelalter und der


Begründung der für die Neuzeit massgebenden Auffassung der Natur
und des Menschen, wird man dem Norden weitgehend eine Gleich-
berechtigung neben Italien zugestehen müssen.
Die Tatsachen der Kunstgeschichte vermögen, wie ich bereits an
anderer Stelle darzulegen versuchte x, die Verhältnisse vielleicht am
besten zu beleuchten. Bis in die Frühzeit des Quattrocento, bis zu
Lorenzo Monaco und Fra Angelico, zu Ghiberti und zu den Anfangs-
stadien eines Donatello, Nanni di Banco oder Quercia, hat sich auch
in Italien der transzendentale Idealstil der Hochgotik behauptet,
wie er sich, unter dem erneuten Einfluss spiritualisierender Tendenzen,
aus der Protorenaissance des « premier art gothique » entwickelt
hatte und wie er, in einem Prozess der zunehmenden Gotisierung,
im ganzen Abendland als internationale Stilgrundlage Verbreitung
fand 2. Mit der Flächigkeit gotischer Bildgestaltung, der schwebenden,
körperlosen Zartheit der Gestalten und der abstrakten, der Entwirk-
lichung dienenden Melodik der Kurven und Schwingungen haben sich
bis in den Anfang des 15. Jahrhunderts die Regungen realistischer
Beobachtung der Umwelt und das Streben nach einem reicher
ausgestalteten, anschaulichen Erzählen verbunden, wie sie als Vor-
boten der neuen Wendung zum Diesseits aufkamen. Erst gegen 1430,
in Italien mit den Fresken Masaccios in der Brancaccikapelle und den
gleichzeitigen Schöpfungen Donatellos und Ghibertis, in den Nieder-
landen mit dem Genter Altar des Hubert und Jan van Eyck, im
südlichen Deutschland mit den Arbeiten eines Lucas Moser, Multscher
und Konrad Witz, ist nördlich wie südlich der Alpen die prinzipielle
Wandlung, die Begründung der neuen, auf der vollen Bejahung der
Wirklichkeit beruhenden künstlerischen Anschauung erfolgt. Oft noch
in unmittelbarem zeitlichem Nebeneinander stehen sich in den
entscheidenden Jahren um 1430 die Nachwirkungen transzendentaler
gotischer Verklärtheit und Linienschönheit sowie die ersten pro-
grammatischen Bekundungen der neuen Verbundenheit mit der
Wirklichkeit gegenüber. An die Stelle einer Bereicherung und Zer-
setzung gotischer Linearität und Flächigkeit, wie sie die zunehmende
Einfügung von « Detailrealismen » und das Aufkommen eines mehr
körperhaft-plastischen Empfindens gebracht hatten 3, ist der konse-
quente Anschluss an die Wirklichkeit, in der Fülle der auf Natur-

1 Vgl. Weise, Der doppelte Begriff der Renaissance , Deutsche Viert eljahrsschrift
f. Literaturwissenschaft u. Geistesgeschichte XI (1933), S. 501 ff. sowie Der Realismus
des 15. Jahrhunderts und seine geistigen Voraussetzungen und Parallelen , Die Welt
als Geschichte 8 (1942), S. 135 ff.
2 Vgl. die ausführlicheren Darlegungen in meiner Geistigen Welt der Gotik , Halle,
1939, S. 11 ff.
3 Auch Slut er, der ein neues Gefühl für plastisches Volumen und eine grössere
Intensität der psychologischen Charakterisierung mit dem Festhalten an dem dekora-
tiven Faltenreichtum des « Weichen Stils » verbindet, gehört nördlich der Alpen zu
den Vertretern dieses Detailrealismus.

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG 101

beobachtung beruhenden Einzelheiten wie in dem Erfassen drei-


dimensionaler, körperhafter und räumlicher Realität getreten. Kein
prinzipieller Unterschied lässt sich hinsichtlich des neuen Verhältnisses
zur Wirklichkeit zwischen der Kunst Italiens und derjenigen des
Nordens machen. Dem konsequenteren Bemühen um die perspektivi-
schen Gesetze der Raumdarstellung und um die plastische und all-
seitige Wiedergabe des menschlichen Körpers, wie es für das italie-
nische Quattrocento bezeichnend ist, stehen im Norden die reichere
Ausgestaltung der landschaftlichen Szenerie, das Interesse am
genrehaften Detail, die grössere Eindringlichkeit individueller, physio-
gnomischer Charakterisierung sowie die allgemeine Tendenz eines
mehr malerischen Erfassens der Umwelt als gleichberechtigte, auch
von den Zeitgenossen anerkannte Vorzüge und als Äusserungen der
selben realistischen Gesinnung gegenüber. Nur um Nüancen, nicht
um eine grundsätzliche Verschiedenheit hat es sich in dem Bereich
der neuen Bejahung der Wirklichkeit gehandelt. Sofern sich die
Definition der Renaissance auf den Realismus bezieht, wie er im
frühen 15. Jahrhundert die neuen Grundlagen der künstlerischen
Darstellung schuf, und wenn sie, um die Formel Michelets und Burck-
hardts zu gebrauchen, « die Entdeckung der Welt und des Menschen »
als das entscheidende Faktum in den Vordergrund stellt, lässt sich
mit der gleichen Berechtigung wie von der italienischen Renaissance
auch von einer « renaissance settentrionale » reden. Als bezeichnend
für den Wandel der Anschauungen und für die Anerkennung der
auch in Italien im 14. Jahrhundert noch vorherrschenden Formen-
und Vorstellungswelt der Gotik kann andererseits die Tatsache gelten,
dass auch die neuere italienische Forschung die Renaissance im Be-
reiche der Kunst erst mit dem frühen Quattrocento, mit der Über-
windung der internationalen Stilrichtung der Gotik und mit dem
vollen Durchbruch der neuen Diesseitigkeit und Anerkennung der
Wirklichkeit einsetzen lässt г.
In der Gemeinsamkeit des neuen Interesses am Diesseits, in dem
Erwachen des Sinnes für das Individuell-Charakteristische und für die
Mannigfaltigkeit der von der umgebenden Welt gebotenen Erschei-
nungen zeigen sich Italien und die Länder des Nordens bis um die
Mitte des 15. Jahrhunderts verbunden. Auch die Antike muss sich
südlich der Alpen zunächst noch dem realistischen Bemühen und dem
Streben nach allseitiger und umfassender Beherrschung der Wirklich-
keit einordnen. Die zu Beginn des Quattrocento, bei Masaccio oder
in den Quattro Coronati des Nanni di Banco begegnenden Ansätze
zu klassischer Idealität und Formengrösse finden zunächst keine
Fortsetzung, sondern sind erst von der Kunst der Hochrenaissance,
gegen Ausgang des Jahrhunderts, wieder aufgenommen worden. Den

1 Vgl. etwa Salmi, L'arte italiana , Bd II, Firenze, 1942, S. 149 f.

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102 GEORG WEISE

Resten antiker Skulptur entnim


den eigenen naturalistischen A
Starrheit und Gewichtslosigkeit, dem Ringen um eine allseitigere
und gelöstere Wiedergabe des menschlichen Körpers und des Reich-
tums seiner Ansichten und Bewegungen dienen konnte. In ihrem
Wirklichkeitsfanatismus, wie er am bezeichnendsten in der künst-
lerischen Entwicklung und in dem beherrschenden Einfluss Donatellos
seinen Ausdruck findet, stürmt die Zeit über jede Möglichkeit einer
Berührung mit den klassischen Idealen des Masses und der Schönheit
hinaus, um immer ausschliesslicher sich an der Verherrlichung des
Individuellen und Charakteristischen zu inspirieren. Die Ablösung
des stoischen Tugendpathos' des Coluccio Salutati durch die natür-
lichere, freiere Lebensansicht der jüngeren Humanisten, ebenso aber
auch die Verdrängung seines majestätischen und sentenzenreichen
Lateins durch eine gelenkigere, mit Anleihen aus dem Volgare
durchsetzte Ausdrucksweise geben auf sprachlichem und literarischem
Gebiet die Parallele. Erst gegen Ausgang des 15. Jahrhunderts, mit
dem Übergang zur Hochrenaissance, ist auf die anfängliche Phase,
der die Antike vornehmlich das Hilfsmittel zur Befreiung aus mittel-
alterlicher Gebundenheit und zur Erschliessung und vollen Beherr-
schung der Wirklichkeit gewesen war, eine zweite Periode gefolgt,
in der aus wahlverwandtem Empfinden der Sinn für die Werte klas-
sischer Idealität und Schönheit erwachte, und die in Anlehnung an
die Überreste antiker Skulptur einen neuen Stil der edlen, geläuterten
Formen, repräsentativer Würde und erhabener Grösse schuf. Gerade
auch die Behandlung antiker Stoffe, die Wiedergabe von Gestalten
und Ereignissen aus dem Altertum lässt die Verschiedenheit der
Orientierung erkennen. Die mittelalterliche, ritterlich-gotische Ein-
kleidung und die von dem Naturalismus gebrachte Anpassung an
das Kostüm und die scenische Umwelt der eigenen Zeit werden seit
etwa 1500 durch eine antikisch-heroische Stilisierung ersetzt, wie sie
den neuen Vorstellungen von Würde und Erhabenheit entsprach und
bis zum Ausgang des Barock, ja bis zum frühen 19. Jahrhundert,
die beherrschende Form der Interpretation von Geschehnissen aus
der Welt des Altertums bleiben sollte.
Mit der Ausbildung der Klassischen Kunst der Hochrenaissance
und mit der in ihr triumphierenden, vom Humanismus geweckten
Vorstellungswelt, deren Grundzug der Sinn für das Grosse und Er-
habene, für edle, beherrschte Würde und das Normativ-Allgemein-
gültige bildet, ist Italien aus der dem gesamten Abendland gemein-
samen Erscheinung der quattrocentistischen Diesseitigkeit und Wirk-
lichkeit sbejahung herausgewachsen. In der neuen, klassisch-hero-
ischen 1 Formen- und Vorstellungswelt, die für ganz Europa während

1 Das Wort « heroisch » wird von mir im Sinne der Terminologie der Zeit, zur
Bezeichnung einer über das Mass des Alltäglichen und Allgemeinmenschlichen hinaus-
gehenden Vollendung und Erhabenheit der körperlichen Erscheinung wie des geistigen

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG 103

des Ablaufs von abermals mehreren Jahrhunderten, bis zum Beginn


des technisch-naturwissenschaftlichen Zeitalters, massgebend bleiben
sollte, kommt zugleich der Einfluss der Antike als das spezielle, nur
in Italien wirksame und nur von hier in die Entwicklung der Renais-
sance eingreifende Element in einem neuen, entscheidenden Sinne
zur Geltung : der Einfluss der Kunst und der Literatur des Altertums
nicht mehr als Begleitfaktor, gewissermassen, und als Hilfsmittel
bei dem zu Ausgang des Mittelalters erwachten allgemeinen Streben
nach Yerdiesseitigung und nach intensiverem Erfassen der Wirklich-
keit, sondern als die Quelle der Inspiration der für das kommende
Zeitalter bezeichnenden künstlerischen und ethischen Anschauungen,
als das stilbildende, formgebende Element bei der Überwindung des
Naturalismus und seiner Betonung des Individuellen und Charak-
teristischen, bei der Begründung einer neuen, durch die Begriffe von
Mass und Würde, Schönheit und Grösse bestimmten geistigen und
künstlerischen Synthese. Im Gegensatz zu der Entwicklung, die der
Begriff der Renaissance seit Burckhardt genommen hat, und die
die Bedeutung der Antike mehr und mehr zurücktreten liess, möchte
ich gerade in dem Anschluss an das klassische Altertum und in der
allgemeinen Verbreitung der von den Humanisten ausgebildeten
antikisch-heroischen Vorstellungswelt, wie sie sich um 1500 vollzog,
die entscheidende Tatsache sehen, die Italien über das gesamt-
europäische Phänomen der neuen Diesseitigkeit und Wirklichkeit s -
bejahung hinaushob, und auf der seine Ausnahmestellung und das
Umsichgreifen seines Einflusses beruhen. Bezeichnend ist jedenfalls,
dass während des 15. Jahrhunderts, solange Italien und der Norden
gleichberechtigt auf dem Boden des Naturalismus nebeneinander
standen, noch kaum, wenigstens auf dem Gebiet der Kunst, von einer
Einwirkung Italiens auf die Länder des Nordens die Rede sein kann,
dass dagegen seit dem frühen 16. Jahrhundert dieser Einfluss als
allgemeine und umwälzende Tatsache einsetzt, die überall einen
Gegensatz gegen die einheimische Tradition des ausgehenden Mittel-
alters begründete und diese selbst zum Absterben brachte. Von dem
Naturalismus aus, wie er noch um die Mitte des 15. Jahrhunderts
Italien und den Norden verband, lässt sich jener Bruch nicht begreifen.
Er kann nur darin seine Ursache haben, dass in Italien seit dem
Ende des Quattrocento etwas Neues von grundsätzlicher Verschieden-
heit herangereift war, das die Voraussetzungen der kommenden
Epoche schuf, und dem wir bei dem Versuch der begrifflichen Um-
grenzung und der historischen Wertung der Renaissance die wesent-
liche Bedeutung zuschreiben müssen1.

Wesens verwendet. Eine ausführlichere geistesgeschichtliche Untersuchung über


diesen Begriff and über seine Bedeutung für die Renaissance hoffe ich demnächst
veröffentlichen zu können.
1 Um ein ähnliches Phänomen hat es sich im späteren 12. und im 13. Jahrhundert
bei dem Heranreifen der « Gotik » aus der allgemeinen Bewegung der neüen Dies-
seitigkeit und der ritterlich-höfischen Kultur gehandelt.

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104 GEORG WEISE

Jedoch nicht nur das allmähliche Heranreifen der klassischen


Kunst der Hochrenaissance und der ihr zu Grunde liegenden antikisch-
heroischen Vorstellungswelt ist die Ursache des Auseinandergehens
der Entwicklung südlich und nördlich der Alpen gewesen und hat im
Norden zu der künstlerischen und geistigen Krise geführt, die durch
die Ausbreitung der italienischen Renaissance in der Frühzeit des
16. Jahrhunderts hervorgerufen wurde. Auch von sich aus war der
Norden in einen wachsenden Gegensatz zu der Entfaltung der Kräfte
der Renaissance getreten, wie sie in Italien in geradlinigerer Folge-
richtigkeit zur Reife gelangten. Für die zweite Hälfte des 15. Jahr-
hunderts und für das Problem der künftigen Auseinandersetzung mit
der Renaissance wird die Tatsache von Bedeutung, dass sich von der
Basis der neuen Diesseitigkeit aus Italien und der Norden verschie-
denen Möglichkeiten der Stilgestaltung zuwenden, dass der konse-
quenteren Fortbildung der Renaissance und der Formung der für die
Zukunft massgebenden Ideale, wie sie Italien mit dem Übergang zur
Hochrenaissance vollzieht, in den nördlichen Ländern schon nach
wenigen Jahrzehnten andere Kräfte gegenübertreten, die auf einer
stärkeren Verbundenheit mit dem Mittelalter beruhen, und die der
Kunst und der Kultur den Spätcharakter einer zu Ende gehenden
Periode verleihen. Den wesentlichen Anstoss zu einem Erfassen der
von der Renaissance abweichenden Entwicklung des Nordens und
der Spätzüge mittelalterlicher Lebensstimmung, wie er sie vor allem
in dem niederländisch-nordfranzösischen Raum beobachten konnte,
hat Huizinga in seinem « Herbst des Mittelalters » gegeben. In
stärkerer Einschränkung auf den Bereich der bildenden Kunst soll
im Folgenden versucht werden, das Phänomen jener « Spätgotik »
herauszuarbeiten, in der das Wiederaufleben mittelalterlicher, speziell
gotischer Züge seinen sichtbarsten Ausdruck findet und in der das
Ausklingen des Mittelalters in den Ländern nördlich der Alpen viel-
leicht am deutlichsten sich in seinem Gegensatz zu den neuen Formen
und Vorstellungen der Renaissance offenbart. Für eine Würdigung
und für das geschichtliche Verständnis der auch in Italien, als Neben-
strömung, auftretenden Erscheinungen, in denen sich eine innere
Verwandtschaft mit dem spätgotischen Ideal des Nordens bekundet,
wird damit zugleich die Grundlage geschaffen.
Die Verschiedenheit der Entwicklung, die der Norden und Italien
von der Grundlage der um die Mitte des 15. Jahrhunderts erreichten
Beherrschung der Wirklichkeit aus genommen haben, könnte man
durch die Gegenüberstellung zweier annähernd gleichzeitiger Gemälde
von ähnlichem repräsentativem Charakter, Melozzo da Forlis Fresko
der Stiftung der Vatikanischen Bibliothek und des einen der beiden
Gerechtigkeitsbilder des Dirk Bouts im Rathaus zu Löwen, mit
symptomatischer Bedeutung veranschaulichen. Beide Werke haben
den abstrakten Idealstil des 14. Jahrhunderts mit seiner Unter-

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG 105

drückung von Raum und Körperlichkeit und mit seiner t


talen Linienmelodik überwunden. Sie stehen auf dem Boden des neuen,
durch das Quattrocento errungenen Anschlusses an die Wirklichkeit
und lassen vor allem auch in der individuell-charakteristischen Durch-
bildung der Gesichtszüge die realistischen Absichten erkennen. Die
Gemeinsamkeit der nördlich wie südlich der Alpen durch den Naturalis-
mus des 15. Jahrhunderts errungenen Stilgrundlagen tritt deutlich
zu Tage und lässt beide Werke alsÄusserung der gleichen, durch die
neue Diesseitigkeit bestimmten Gesinnung erscheinen. Und doch wird
sich das Empfinden dagegen sträuben, auch angesichts der Tafeln
des Dirk Bouts von « Renaissance » zu reden. An die Stelle der freien
Natürlichkeit der Wiedergabe der Wirklichkeit ist bei Bouts der
Zwang einer gleichsam von aussen an die Dinge herangetragenen
Stilisierung getreten, die die Gelöstheit und natürliche Entfaltung
der Bewegungen einer verkrampften Steifheit und preziösen Eckigkeit
unterwirft, für die Körper das Ideal einer betonten Magerkeit und
Schlankheit bevorzugt und im Empfindungsgehalt eine eigenartige
Gebundenheit und verdrossen-müde Passivität vorherrschen lässt.
Durch die verschiedensten Gegenüberstellungen italienischer und
deutscher oder niederländischer Werke der zweiten Hälfte des
15. Jahrhunderts liesse sich der gleiche Gegensatz veranschaulichen.
Die mehr voraussetzungslose Bejahung und Aufnahme der Wirklich-
keit sowie der Zug zum Grossen und Bedeutenden, in denen wir in
der italienischen Kunst des Quattrocento ein wesentliches Kennzeichen
der zur Renaissance führenden Entwicklung erblicken dürfen, sind
in den nördlichen Ländern seit der Jahrhundertmitte mehr und mehr
einer Stilisierung gewichen, die den bereits vollzogenen Anschluss
an die Wirklichkeit in das umgrenztere Phänomen einer nachträg-
lichen « Gotisierung » umbiegt, und deren Andersartigkeit gegenüber
der Renaissance wohl am besten in dem Terminus « Spätgotik »
ihren Ausdruck findet.
Von einer « Wiederkehr des Gotischen », einer « Regotisierung »
und von einer « zweiten Gotik » 1 ebenso wie von einer « Neogotik des
15. Jahrhunderts » 2 hat man gesprochen, um jenes Wiederaufleben
mittelalterlicher Elemente zu kennzeichnen ; der « unbefangenen
universellen Anschauungsweise » 3, dem « primitiven Naturalismus » 4,

1 Vgl. Pinder, Die deutsche Plastik vom ausgehenden Mittelalter bis zum Ende
der Renaissance , Wildpark-Potsdam, 1924, S. 245 u. 372 sowie Die Kunst der ersten
Bürgerzeit , Leipzig, 1937, S. 283.
2 Vgl. Hamann, Geschichte der Kunst von der altchristlichen Zeit bis zur Gegenwart ,
Berlin, 1933, S. 431 ff.
3 Vgl. Winkler, Die altniederländische Malerei , Berlin, 1924, S. 70.
4 Vgl. Dehio, Geschichte der deutschen Kunst , Bd II, Berlin u. Leipzig, 1930,
S. 209.

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106 GEORG WEISE

der « naturalistischen Welle » 1 der Zeit bis um die Jahrhundertmitte


wird der Übergang zu einer « wesentlich enger umgrenzten » 2 Stil-
erscheinung gegenübergestellt, für die sich in der deutschen Kunst-
wissenschaft allgemein die Bezeichnung « Spätgotik » eingebürgert hat.
Prinzipiell zu unterscheiden ist diese « Spätgotik » von dem, was die
Italiener « tardo gotico » nennen. Während dort an die noch vor dem
Naturalismus liegenden letzten Auswirkungen des internationalen
Idealstiles der Hochgotik und seiner abstrakten Linienmelodik
gedacht wird, wie sie etwa bei Gentile da Fabriano, Lorenzo Monaco
oder Fra Angelico vorliegen, an ein Stilstadium also, das dem
« Weichen Stil » der nördlichen Länder zeitlich wie in seinem künst-
lerischen Wesen entspricht, bildet für die « Spätgotik » gerade die
Ausbreitung und allgemeine Herrschaft des Naturalismus die Vor-
aussetzung. Von einem völlig neuen Ansatzpunkt ist die Entwicklung
ausgegangen. Sie vollzieht sich, als ein Prozess der Reaktion und der
Umwandlung, auf dem Boden jener Bejahung der Wirklichkeit und
ihrer dreidimensionalen, körperhaften wie räumlichen Realität, durch
die in der Frühzeit des 15. Jahrhunderts der Zusammenhang mit
der Tradition des hochgotischen Idealstiles durchbrochen und alles
künstlerische Schaffen auf die neuen, bis zur Gegenwart massgebenden
Grundlagen gestellt worden ist.
Formale und geistige Momente wird man bei dem Versuch einer
genaueren Wesensanalyse der Spätgotik unterscheiden müssen. In
formaler Hinsicht scheint mir eine grundlegende Tatsache in dem
Wiedererstarken linearer Tendenzen zu bestehen, wie sie in der Zeit
der Hochgotik in der Malerei und in der Plastik die Herrschaft be-
sessen hatten, und wie sie um die Mitte des 15. Jahrhunderts in dem
gesamten Abendland erneut in den Vordergrund treten und abermals
den Stil der künstlerischen Darstellung bestimmen. Allenthalben
lässt sich beobachten, wie eine grössere Schärfe der linearen Inter-
pretation und einer detaillierenden Umgrenzung an die Stelle weicher
Modellierung und eines mehr malerischen Erfassens der Wirklichkeit
treten, wie in härteren Kontrasten die Farben unverbunden neben
einander gesetzt werden, wie in der Plastik die Wiedergabe der Falten
den Charakter gratiger Verhärtung und zackiger Brüchigkeit annimmt.
Auch die Reduktion zu einer mehr flächigen Auffassung und das
Nachlassen des Strebens nach dreidimensionaler Intensität der
körperhaften und räumlichen Wirkung können als allgemeiner
Grundzug der Entwicklung gelten. Zugleich aber melden sich die
Tendenzen abstrakter, die Wirklichkeit umbildender Stilisierung und
einer kalligraphisch-dekorativen Ausdeutung des Linienwesens, wie

1 Pinder, Die deutsche Plastiky S. 245 redet von der « naturalistischen Welle »
der Zeit bis zu der Jahrhundertmitte im Gegensatz zu der « zweiten Gotik » der späteren
Periode.
2 Vgl. Winkler, a. a. O., S. 70.

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG 107

sie schon im Mittelalter hervorgetreten waren, erneut zum Wort.


Wie sehr das Element abstrakter, kalligraphischer Linienführung und
Linienwillkür auf spätgotischen Tafelgemälden in der kompositio-
nellen Verflechtung der Figuren und in den kapriziösen Brechungen
ihres Konturs zur Geltung kommt, braucht nicht eigens hervor-
gehoben zu werden. Vor allem in der Ausdeutung der Gewandung,
in der für die Spätgotik bezeichnenden « knittrigen » Faltengebung
mit ihrer Neigung zu ornamentaler Selbstherrlichkeit linearer Ver-
zweigung und Zerklüftung, mit ihrer Vorliebe für das Eckige, Zackige
und Vielteilig-Gebrochene, wird man den Ausdruck jener abstrakt-
dekorativen Tendenzen erblicken dürfen, die in dem allgemeinen
Phänomen linearer Verhärtung und Verfestigung ihre Veraussetzung
haben und die zu einem erneuten Abrücken von der Wirklichkeit
führen. An das Sichregen verwandter Prinzipien in allen Spätstadien
deutscher und nordischer Kunst, in der Tier- und Bandornamentik der
Wikingerzeit, dem « zackigen » Stil als letzter Phase der romanischen
Kunst in Deutschland sowie in dem deutschen Barock des 17. und
18. Jahrhunderts, hat man mit Recht erinnert г. Das Wieder-
aufleben mittelalterlicher, gotischer Stilelemente in der zweiten
Hälfte des 15. Jahrhunderts hat durch die Verbindung mit den
künstlerischen Merkmalen einer ausgesprochenen Spätperiode die
für das Ausklingen des Mittelalters bezeichnende, im engeren Sinne
« spät »gotische Gestaltung erfahren.
Den Spätcharakter und das abermalige Hervortreten der Über-
lieferung des Mittelalters, wie sie in zunehmendem Masse einen
Gegensatz gegen die fortschreitende Verwirklichung der Renaissance
begründen, gibt die Kunst der Länder nördlich der Alpen aber auch
im Bereich des Geistigen, in der Auffassung und Wiedergabe des
Menschen zu erkennen. Ganz allgemein lässt sich seit der Mitte des
15. Jahrhunderts erneut die Vorliebe für Gestalten von zierlicher
Schlankheit und hagerer, asketischer Gebrechlichkeit und Zartheit
der Körperbildung feststellen. Ein deutlicher Gegensatz besteht
gegenüber den Anfangsstadien der neuen Bejahung der Wirklichkeit,
die kraftvollere, untersetzte Figuren von gedrungenerem Wuchs und
derberen Formen der Glieder bevorzugt hatten. Ebenso wie in der
Wahl der Proportionen scheint in dem Sinn für das Feine, Gebrechliche
und Zierliche das Ideal der Hochgotik mit seiner Verbindung körper-
verneinender Durchgeistigung und weltlicher, höfischer Preziosität
wiederaufzuleben. Mit der Schlankheit und Zartheit des Körpertypus
vereinigt sich die künstlich-gezierte, eckig-gespreizte oder gewundene

1 Vgl. meine eigenen Ausführungen in dem Aufsatz Das gotische oder barocke
Stilprinzip der deutschen und der nordischen Kunst , Deutsche Vierteljahrsschrift für
Literaturwissenschaft und Geistesgeschichte 10 (1932), S. 206 ff.

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108 GEORG WEISE

und gepresste Stilisierung der Bewegungen x, die Vorliebe für Ge-


stalten von betonter Jugendlichkeit und Herbheit oder von greisen-
hafter, asketischer Magerkeit und Abgezehrtheit, das Vorherrschen
eines dekadent-überfeinerten oder leidbeladenen und verdrossenen
Wesens. Eine « Wiederbelebung der späten Gotik des 14. Jahrhunder
mit all ihren Zierlichkeiten, Empfindsamkeiten und ihrem Prunk »
hat sich nach Hamann 2 auf dem Boden des Naturalismus vollzogen.
Auf das Wiederanknüpfen an die religiösen Gefühlsgehalte und an die
Ausdrucksformen der Kunst des Mittelalters, durch das Roger van
der Weyden vor allem weitgehend die künstlerische Entwicklung des
Abendlandes bestimmte 3, auf den Grundcharakter « seelischer Passivi-
tät », auf die « durch ein metaphysisches Seelengesetz umgelenkten
Gebärden », auf das Wiederaufleben der gotischen Pondération und
schwebenden, vom Erdboden losgelösten Haltung bei Riemenschnei-
der und allgemein in den Schöpfungen der religiösen Kunst des aus-
gehenden Mittelalters, wurde von anderer Seite verwiesen 4. Der
Erhöhung des natürlichen Seins, der Verherrlichung von Kraft und
Willensstärke, dem Kultus des Einfachen, Mächtigen und Klaren,
wie sie in der italienischen Kunst, im Fortschreiten von Masaccio zu
den Meistern der Hochrenaissance, ihren Ausdruck gefunden haben,
tritt in der Spätgotik, von der gleichen Basis des Naturalismus aus,
das Wiederaufleben des körpernegierenden, gebrechlich-zarten Men-
schenideals des späteren Mittelalters, die Neigung zu verkünstelnder
Stilisierung, zum Verzwickten, Komplizierten und Absonderlichen
gegenüber. Nicht nur im Bereich des Formalen, in dem Gegensatz
zwischen dem Streben nach dem Einfachen und Klaren und dem
Stilideal einer verrätselnden Verkünstlichung und Komplizierung -
auch hinsichtlich der Wiedergabe des Menschen, des sie beherrschen-
den Vorstellungsideals und der in ihr zum Ausdruck gelangenden
Lebensstimmung, spitzt sich im Norden die von dem Naturalismus
eingeleitete Entwicklung in der zweiten Hälfte des 15. Jahrhunderts
immer mehr zu einem Gegensatz gegen die Ziele der Renaissance zu,
offenbart sich der Spätcharakter einer in wachsender Entfremdung
von der Wirklichkeit und von schlichter Natürlichkeit zu Ende
gehenden Periode. Nur von diesem Antagonismus aus wird die oben
hervorgehobene Cäsur verständlich, zu der in den Ländern nördlich
der Alpen die Ausbreitung der Renaissance führen sollte.
Aber auch nach Italien hat die spätgotische Stilrichtung über-
gegriffen. Auch in Italien verläuft die Entwicklung nicht so eindeutig

1 Das Wiederaufleben mittelalterlicher Stilisierung der Wiedergabe des Menschen


versuchte ich in dem Aufsatz Spätgotisches Schreiten und andere Motive spätgotischer
Ausdrucks- und Bewegungsstilisierung , Marburger Jahrbuch für Kunstwissenschaft 14
(1949), S. 163 ff. zu kennzeichnen.
2 а. а. O., S. 431 f.
3 Vgl. etwa Burger, Roger van der Weyden, Leipzig, 1923.
4 Vgl. Schrade, Tilman Riemenschneider , Heidelberg, 1927, S. 9, 27 f., 43 u.s.w.

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG 109

und geradlinig, wie es die landläufige Vorstellung vo


der Renaissance und wie es die üblichen Versuche einer begriff-
lichen Definition des geschichtlichen Phänomens wahrhaben wollen.
Den Gegensatz, der zwischen dem Naturalismus und der klassischen
Grundhaltung besteht, und die Notwendigkeit, in der letzteren mit
viel grösserer Ausschliesslichkeit das entscheidende Faktum und eine
Gegenbewegung gegen die naturalistische Orientierung der Anfangs-
stadien zu sehen, hat schon Huizinga mit gebührendem Nachdruck
betont 3. Noch verstärkt wird die Divergenz zwischen der sich vor-
bereitenden Hochrenaissance und dem Naturalismus dadurch, dass
dieser auch in Italien, seit der Mitte des 15. Jahrhunderts, sich viel-
fach mit den Stileigentümlichkeiten der Spätgotik verbindet. Genau
wie nördlich der Alpen beruhen im Süden diejenigen Erscheinungen,
die von einer « Spätgotik » zu reden erlauben, auf dem bereits er-
folgten Durchbruch der neuen Anerkennung der Wirklichkeit und
bildet die allgemeine Tendenz einer wiedererstarkenden Linearität
die Grundlage. In Übereinstimmung mit der Spätgotik der nörd-
lichen Länder lässt sich auch in Italien die Neigung zu abstrakt-
dekorativer Interpretation der Gewandung beobachten, die zu hart-
brüchiger Knitterung und kleinteiliger Brechung der Falten, ja
stellenweise bis zu der Aufgewühltheit und selbstherrlichen, brodeln-
den Bewegtheit eines spätgotischen Barock führt. Weitgehende
Verbreitung hat auch in der italienischen Kunst des späteren Quattro-
cento das Wiederaufleben des gotischen Körperideals, die Ver-
drängung der stämmigeren und untersetzteren Formen der Früh-
zeit des Jahrhunderts durch Gestalten von betonter, ja oft seltsam
übertreibender Schlankheit und Zartheit der Körperbildung gefunden.
Mit ähnlicher Bedeutung wie Roger van der Weyden hat in Italien
Donatello, mit entscheidender Wirkung auf die Plastik und die Malerei,
dem Naturalismus die Wendung zur Wiederaufnahme der religiösen
Gefühlsgehalte des Mittelalters 2, zur Abwandlung des Menschen-
typus im Sinne körperverneinender, asketischer Hagerkeit, zu oft
mürrischer, griesgrämiger Verdrossenheit des Ausdrucks, ja zur
Ausprägung eines « asketischen Übernaturalismus » 3 gegeben. Mit
der religiös-asketischen Komponente vereinigt sich auch in Italien
in zahlreichen Erscheinungen der Kunst des späteren 15. Jahrhunderts
das weltlich-höfische Element einer Betonung des Feinen und Zarten,
die affektierte, preziös-manierierte Geziertheit eines eckig-gespreizten
oder empfindsam gedrückten und gewundenen Gehabens. Mit den
gleichen formalen und geistigen Wesenszügen wie nördlich der Alpen,

1 Vgl. Huizinga, Das Problem der Renaissance und Renaissance und Realismus :
Wege der Kulturgeschichte , München, 1930, S. 89 ff. und 140 ff.
¿ Vgl. vor allem die Hinweise bei Kauffmann, Donatello, Berlin, 19,35, b. 145 i.
und 179 ff.

3 Vgl. Planiscig, Donatello , Wien, 1939, S. 17.

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110 GEORG WEISE

wobei die Frage der Selbständigkeit oder einer Beeinflussung vor-


läufig unerörtert bleiben mag, hat die spätgotische Stilrichtung, zum
mindesten als Nebenströmung, auch in der italienischen Kunst des
späteren Quattrocento Bedeutung erlangt und tritt in ihr eine
nachträgliche Abwandlung und verengende Zuspitzung des Naturalis-
mus zu Tage.
Eine dringende Aufgabe der Kunstgeschichte wäre es, die wohl
vereinzelt schon bisher gewürdigten Erscheinungen des italienischen
Quattrocento, in denen sich jenes « spätgotische » Wiederaufleben
mittelalterlicher Formen und Vorstellungsgehalte bekundet, in ihrem
ganzen Umfang zu erfassen und als Gesamtphänomen im Rahmen des
Problems der Renaissance zu erforschen. Wohl am nachhaltigsten
bestimmen in Oberitalien die mit der Spätgotik verwandten Stil-
eigentümlichkeiten das Bild der kunstgeschichtlichen Entwicklung.
Nicht nur an ausgesprochene Spätgotiker wie die Ferraresen Cosimo
Tura und Ercole de' Roberti, wie Crivelli, Bartolomeo Yivarini,
Montagna, Macrino d'Alba und so viele andere Maler der zweiten
Hälfte des 15. Jahrhunderts oder an Bildhauer wie Amadeo und
Mantegazza ist dabei zu denken. Die weite Verbreitung und die grund
legende Bedeutung eines Auflebens der der Spätgotik verwandten
Züge kommt selbst bei Mantegna in der betonten Härte linearer
Interpretation und in der Neigung zu abstrakt-dekorativer Gestaltung
des Faltenwesens zur Geltung г. Ganz allgemein nimmt in Oberitalien
die Wiedergabe der Gewandung im späteren Quattrocento eine hart-
brüchige Knitterung und dekorative Eigengesetzlichkeit an, die
stellenweise bis in das 16. Jahrhundert und bis in die Zeit des wer-
denden Barock ihre Fortsetzung gefunden hat. Dem heroisch-
athletischen Körperideal, das sich mit der Hochrenaissance
durchsetzen sollte, steht bei jenen Meistern des ausgehenden 15. Jahr-
hunderts die Vorliebe für hagere, asketisch-dürftige, gelegentlich bis
zu übernatürlicher Schlankheit gestreckte Körperformen gegenüber.
Mit den zackigen Linienbrechungen des Konturs und des Körper-
aufbaus verbinden sich die eckig-gespreizte Stilisierung der Haltung
und der Bewegungen sowie der oft greisenhafte, morose Ernst der
Züge. Nicht nur als formaler Gegensatz, sondern mindestens ebenso
stark als Kontrast der Lebensstimmung tritt in den Schöpfungen der
Kunst die sich um 1500 vollziehende, zu der Hochrenaissance führende
Wandlung in Erscheinung.
Während für Oberitalien der Gedanken an das Hereinspielen nörd-
licher Einflüsse nahe liegt, müssen der Umfang und die Bedeutung
überraschen, die auch in Mittelitalien die spätgotische Stilströmung

1 Mit dem in Oberitalien weit verbreiteten Einfluss deutscher und niederländischer


Spätgotik wird auch von Seiten neuerer italienischer Betrachtung (vgl. Ojetti, Piu
vivi dei vivi , Milano, 1938, S. 57) die schon von Vasari dem Mantegna vorgeworfene
« maniera un pochetto tagliente » sowie die detaillierende Art der Darstellungsweise
(« un che di sillabato come se tutto ugualmente importasse ») in Verbindung gebracht.

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG 111

besessen hat. Auf dem Gebiet der Malerei pflegen bei Bo


der Spätgotik verwandten Züge bereitwillig hervorgehoben
die Bedeutung der ausdrucksbetonten Linie und das Wogen linearer
Rhythmen, die seinen Stil kennzeichnen *, die Vorliebe für über-
schlanke, gebrechliche Gestalten, für ein Körperideal, das « die Negie-
rung jedes Gefühls der Kraft » bedeutet 2, die Einschränkung des
Empfindungsgehaltes auf « lyrische Passivität », auf « eine allem
Brutalen und Alltäglichen entrückte Empfindsamkeit » 3 usw. Als
« der am meisten humanistische und zugleich der am meisten gotische
Maler des ausgehenden 15. Jahrhunderts » 4 erweist sich Botticelli
gerade in seinen mythologischen Bildern, auf denen er den antiken
Vorwürfen eine noch durchaus von den mittelalterlichen Idealen
des Feinen und Zierlichen beherrschte, von der künftigen pomphaft-
heroischen Auffassung der Hochrenaissance wie von der Körper-
vorstellung Masaccios oder der « Quattro Coronati » weit entfernte
Stilisierung verleiht. Das Wiederaufleben des Mittelalterlichen lässt
Botticelli nicht minder deutlich in der Gestaltung der religiösen
Vorwürfe erkennen. Die Wiedergabe der Madonna, die Filippo Lippi
- und ganz allgemein die Kunst der Mitte des 15. Jahrhunderts -
allzusehr « in nüchterne Erdenhäuslichkeit hinabgezogen » hatte,
erfüllt sich bei ihm wieder stärker mit jenseitiger, verklärender
Hoheit 5. Die harmlos-idyllische Verherrlichung des Mutterglücks
wird durch eine ernstere, tragische Auffassung, durch den Hinweis
auf das künftige Leiden, durch eine verdüsternde Vorahnung der
Passion verdrängt 6 ; der Typus der Madonna selbst, dürfen wir hinzu-
fügen, bringt mit der zunehmenden Betonung gotischer Schlankheit
und Zartheit die Tatsache einer « Regotisierung » zur Geltung. Vor
allem in der Spätzeit, die unter dem Einfluss der von Savonarola
ausgehenden religiösen Erregung stand, hat die Entwicklung Botti-
cellis zu einem immer ausgesprocheneren Gegensatz gegen die bereits
im Anbruch befindliche klassische Phase geführt, müssen seine Bilder
als « Ausläufer einer Kunst, die damals schon überholt war » 7, als
Äusserung eines Versagens gegenüber der neuen, optimistisch-selbst-

1 Vgl. Hamann, a. a. O., S. 436 oder Dvořák, Geschichte der italienischen Kunst
in Zeitalter der Renaissance , Bd I, München, 1929, S. 156. Im gleichen Sinne werden
von Mesnil, Botticelli , Paris, 1938, S. 118 u. 134 « la ligne expressive » als « préoccu-
pation essentielle » Botticellis und « l'eurythmie de ses lignes ondoyantes » hervor-
gehoben.
2 Vgl. Mesnil, a. a. O., S. 29 u. 111 f. sowie Pittaluga, Masaccio , Firenze, 1935,
S. 85.

3 Vgl. Dvořák, a. a. О., Bd. I, S. 154.


4 Vgl. Bruhns, Die italienische Renaissance (Die Meisterwerke Bd. V), Leipzig,
1928, S. 162.
5 Vgl. Bruhns, a. a. O., S. 122.
6 Vgl. Mesnil, a. a. O., S. 106 ff.
7 Vgl. Dvořák, a. a. О., Bd. I, S. 156.

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112 GEORG WEISE

bewussten Anschauung des Lebens erscheinen die mit der Hoch-


renaissance triumphieren sollte.
Gegenüber einer häufig noch festzustellenden Abneigung gegen die
Ausdehnung des Stilbegriiïes der « Spätgotik » auch auf Italien er-
schien es mir wichtig, am Beispiel Botticellis, auf Grund der schon
genugsam von anderen hervorgehobenen Tatsachen, etwas eingehender
die Übereinstimmung mit den für die Entwicklung im Norden mass-
gebenden Kriterien zu veranschaulichen. In dem bei allen Künstlern
der späteren Jahrzehnte des Quattrocento wahrnehmbaren Be-
mühen, « über den reinen Naturalismus ihrer Lehrer hinauszugehen » 2,
auf naturalistischer Grundlage die Möglichkeiten einer neuen Vergei-
stigung, Beseelung und veredelnden Idealität zu gewinnen, hat auch
in Italien, nur dass es hier nicht den Hauptstrom der Entwicklung
bestimmt, das Wiederanknüpfen an die geistigen Triebkräfte und an
die formalen Werte der Vergangenheit eine bedeutsame Rolle ge-
spielt. Spätgotiker sind, unter dem Gesichtspunkt des Rückfalls in
lineare Härte, einer abstrakten, dekorativ-knittrigen Interpretation
der Gewandung, des Wiederauflebens asketischer Hagerkeit und
Überschlankheit, eckig-manierierter Stilisierung der Bewegungen und
eines oft mürrischen, schwerlebigen Ernstes des Ausdrucks, die Mehr-
zahl der Sienesen sowie der in Umbrien tätige Niccolò Alunno.
Bereits gegen 1450, nachdem gerade erst der Realismus sich in voller
Konsequenz durchgesetzt und die alleinige Herrschaft errungen
hatte, treten in Florenz die ersten Anzeichen der für die Spätgotik
bezeichnenden Formgesinnung hervor. Filippo Lippi lässt auf der
zwischen 1441 und 1447 entstandenen Marienkrönung der Uffizien,
von der Tradition des « Weichen Stils » ausgehend, schon deutlich
die Tendenz zu linearer Verhärtung und einer mehr eckig-knittrigen,
kleinteiligen Brüchigkeit der Faltengebung erkennen ; bei seinem
Mitarbeiter Pesellino kommt in den nämlichen 40er Jahren die gleiche
Eigentümlichkeit noch in verstärktem, fast an die Wirkung holz-
geschnitzter Plastik gemahnendem Masse zur Geltung. Auch auf
Gozzolis Fresken in Montefalco und auf andere Arbeiten seiner
früheren Periode wäre zu verweisen, die in den speziellen Formen
der Knitterung und spitzwinkligen Zerklüftung der Gewandung eine
auffallende Übereinstimmung mit der Faltengebung des Jan van Eyck
zeigen. Auch in dem Figurenstil Gozzolis, in der Vorliebe für hagere
Gestalten, eckige, etwas krampfig-gespreizte Bewegungen und einen
schwermütigen Ernst der Züge scheinen sich mir Berührungen mit
niederländischer Kunst zu offenbaren. Kaum einer der toskanischen
Meister der zweiten Jahrhunderthälfte bleibt von der immer stärker
hervortretenden Gotisierung unberührt, sei es, dass es sich um die

1 Vgl. Mesnil, а. а. O., S. 187.


2 Vgl. Dvořák, а. а. О., Bd. I, S. 155.

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG 113

Annahme der sich wie eine Mode ausbreitenden knittri


Interpretation der Gewandung handelt, sei es um we
einstimmung in der Schlankheit der Körperbildung, im
gehalt und in der Ausdrucksstilisierung. Stärkste Impulse sind, wie
bereits angedeutet wurde, von der Spätzeit Donatellos ausgegangen.
In weitestem Umfang lässt sich bei seinen Schülern und Nachfolgern
- einem Mino da Fiesole, Matteo Civitali, Desiderio da Settignano,
Antonio Rossellino, Verrocchio und Antonio Poliamolo - die Neigung
zu linearer Verhärtung, zu sperriger Gebrochenheit der Linienführung
feststellen, als Grundlage einer Formgebung, die das Spröde und
Eckige, die Herbheit jugendlich-zarter Körper oder die asketische
Abgezehrtheit greisenhafter Gestalten bevorzugt. Noch über Botti-
cellis weibliche Figuren gehen die Beispiele übertreibender Schlankheit
der Proportionen hinaus, wie sie Baldovinettis Verkündigung in den
Uffizien, Mino da Fiesoles Caritas vom Grabmal des Markgrafen
Hugo von Andersburg, Filippino Lippis Madonna mit vier stehenden
Heiligen in den Uffizien, Poliamolo s Marienkrönung in S. Gimignano
oder die allegorischen Gestalten an seinem Grabmal Sixtus IV.
zeigen. Weite Verbreitung hat in der Kunst des späteren Quattro-
cento auch die manierierte Eckigkeit und Gespreiztheit der Be-
wegungen, das affektierte und preziose Gebahren gefunden, das sich
als Motiv der Ausdrucksgestaltung auf das Fortleben mittelalterlich-
gotischer Stilisierung zurückführen lässt г.
Auch hinsichtlich Italiens - das sollten meine Ausführungen nahe-
legen - muss man sich hüten, das geistige und künstlerische Werden
in allzu vereinfachender Geradlinigkeit zu sehen, muss man dem
Reichtum der geschichtlichen Wirklichkeit in der Mannigfaltigkeit
der Erscheinungen und Strömungen Rechnung tragen. Die italienische
Kunst wird nicht ausschliesslich von der zur Hochrenaissance füh-
renden Entwicklung beherrscht, sondern auch hier hat in der zweiten
Hälfte des 15. Jahrhunderts das Wiederaufleben mittelalterlicher
Tendenzen, mehr als modische Bereicherung freilich, denn in grund-
legender Wandlung der Substanz, noch einmal Bedeutung gewonnen.
Wie unmittelbar sich das Alte und Neue, oft am gleichen Ort und nur
durch eine geringe zeitliche Spanne getrennt, gegenüberstehen, mag
man sich in Rom an dem Gegensatz der allegorischen weiblichen
Gestalten an Pollaiuolos 1490-93 entstandenem Grabmal Sistus IV.
und der Sibyllen klarmachen, die Michelangelo um 1508-12 an der
Decke der Sixtinischen Kapelle gemalt hat. Spätgotik im vollsten
Sinne sind jene überschlanken, hageren Frauenfiguren Pollaiuolos
mit ihren eckigen, gespreizten Bewegungen und der kleinteiligen,
knittrig-bewegten Fältelung der Gewandung ; zu letzter Künstlichkeit
und Überfeinerung, im Gegensatz zu dem kraftvollen Wuchs und der

1 Vgl. Weise, Spätgotisches Schreiten , S. 163 fï.

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114 GEORG WEISE

monumentalen Fülle des neuen heroischen Körperideals, ist in ihnen


alles Mittelalterliche und Gotisch-Preziöse gesteigert. Der Gegensatz
zwischen dem Naturalismus des Quattrocento und der klassischen
Kunst der Hochrenaissance, den Wölfflin herausgestellt hat, spitzt
sich gerade dadurch zu seiner besonderen Schärfe zu, dass sich auch
in Italien Elemente einer wiederauflebenden Gotik mit der immer
weiter getriebenen Beherrschung der Wirklichkeit verbinden. In der
Bewertung der retrospektiven Elemente wird man nicht so weit
gehen dürfen, wie es Pinder gelegentlich getan hat ' wenn er, auch
für Italien, die Berechtigung des Terminus « Frührenaissance »
überhaupt in Zweifel zieht, da auch dort das künstlerische Geschehen
des späteren 15. Jahrhunderts «überwiegend nicht die Vorstufe,
sondern der Gegensatz der klassischen Kunst » sei und weit mehr den
Charakter einer Spätstufe trage 2. Man wird aber auch nicht, wie es
gern von italienischer Seite geschieht 3, den Kontrast zwischen Hoch-
renaissance und quattrocenteskem Naturalismus prinzipiell abstreiten
können, um in der gesamten künstlerischen Entwicklung des 15. Jahr-
hunderts nur ein einheitliches, auf die Renaissance orientiertes
"Werden zu sehen, wobei der Spätgotik, auch nördlich der Alpen, nur
die Bedeutung der Überwindung einer anfänglichen Derbheit des
Naturalismus durch die differenziertere und verfeinertere Auflassung
des Menschen zukommen soll. Wenn auch in Italien in zahlreichen
Erscheinungen der Kunst des späteren Quattrocento sich weit mehr
ein Gegensatz zu der künftigen klassischen Haltung der Hochrenais-
sance denn eine unmittelbare Vorbereitung derselben zu erkennen
gibt, und wenn auch dort das Einsetzen der klassischen Phase in
weitgehendem Masse eine Umkehr und grundsätzliche Wandlung
bedeutet, so ist die Ursache auch südlich der Alpen in jenem teilweisen
Wiederaufleben mittelalterlicher Elemente zu erblicken, das sich,
zum mindesten in einer Unterströmung, mit der Steigerung des
Naturalismus zu extremer Bejahung des Individuellen und Charakte-
ristischen verbindet. Verschieden vom Norden bleibt dabei zweifellos
das Kräfteverhältnis, in dem die Elemente des Alten und des Neuen
auftreten, ebenso wie die Tatsache, dass trotz aller Rückschläge und
archaisierenden Tendenzen die zur Hochrenaissance führende Rich-
tung in Italien doch immer die entscheidende Bedeutung behält.

1 Vgl. Pinder, Die Kunst der ersten Bürgerzeit , S. 304.


2 Von der Beurteilung der religiösen Entwicklung aus hat Huizinga, Herbst des
Mittelalters , München, 1924, S. 370 f., auf die Tatsache verwiesen, dass mit der Kunst
der van Eyck « die malerische Darstellung der heiligen Gegenstände einen Grad der
Detaillierung und des Naturalismus erreicht, der vielleicht, streng kunsthistorisch
genommen, ein Anfang genammt werden kann, kulturhistorisch jedoch einen Abschluss
bedeutet », und hat er auf die Notwendigkeit verwiesen, den Naturalismus des 15.
Jahrhunderts, « den man gewöhnlich in der Kunstgeschichte für ein die Renaissance
ankündigendes Element anzusehen pflegt, viel eher als völlige Entfaltung des spät-
mittelalterlichen Geistes zu betrachten ».
3 Vgl. etwa die Besprechung von Hamann, Geschichte der Kunst , durch Salvini,
Studi Germanici I (1935), S. 427.

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DIE SPÄTGOTISCHE STILSTRÖMUNG 115

Vor allem, dass in Italien Kunst und Leben in engerer Fü


der Wirklichkeit und einer rein diesseitigen Natürlichkeit d
bleiben, wird man als durchgehenden Charakterzug hervorheben
können. Bezeichnend ist in diesem Sinne, dass trotz weitgehender
Annahme des gotischen Körperideals und trotz aller Erneuerung
der religiösen und spiritualistischen Interessen die italienische Kunst
des späteren Quattrocento dem Hinüberspielen der Wirklichkeit ins
Transzendente nicht Raum gegeben hat, wie es die deutsche Spätgotik
in der S-förmigen Schwingung und in der schwebenden Haltung der
Figuren sowie in den sonstigen Zügen abstrakter Diesseitsferne und
verklärender Erhöhung offenbart г.
Yon der Anschauung, dass die Tatsachen der Kunstgeschichte zu
einer Klärung des Gesamtproblems der Renaissance und speziell
der geistigen und literarischen Entwicklung dienen könnten, liess ich
mich bei meinem Beitrag zu der Huldigung an einen der Meister
geistesgeschichtlicher und literarhistorischer Forschung leiten. Auf
die Parallelen zu der spätgotischen Stilströmung, die sich im Bereiche
der Literatur und des geistigen Lebens feststellen lassen, darf vielleicht
zum Schluss noch hingewiesen werden. Hat nicht in der epischen
Dichtung, von Pulci über Boiardo und Francesco Cieco da Ferrara
bis zu Ariost, Luigi Alamanni und den beiden Tasso, das Wieder-
aufleben des Mittelalterlichen, in den ritterlichen Stoffen wie als
Ideal höfischer Feinheit der Sitten, eine ähnliche bedeutende Rolle
gespielt, wie sie das Fortwirken gotischer Stilisierung im Quattrocento
und noch im Manierismus zu erkennen gibt ? In der Lyrik steht der
Spätgotik die petrarkisierende Richtung mit ihrer spiritualisierenden
Grundtendenz und der cerebralen Künstlichkeit der Antithetik zur
Seite, ja haben diese mittelalterlichen Elemente, in Analogie zu
den Erscheinungen eines spätgotischen Barock, gerade in den letzten
Jahren des Quattrocento die Steigerung zu einem « secentismo
anticipato » gefunden 2. Selbst bei Polizian wird man von einem
Hereinspielen gotisierender Zierlichkeit und Unwirklichkeit reden
können 3. Mehr noch hat man in der neueren Forschung den mittel-
alterlich-retrospektiven Zug, die Verbundenheit mit den Idealen und
der Lebensstimmung des späteren Mittelalters, das Nachwirken der
Tradition des Dolce stil nuovo bei Lorenzo de' Medici und bei Boiardo

1 Es sei vor allem auf die Charakterisierung dieser spätgotischen Wesenszüge


bei Schrade, Tilman Riemenschneider verwiesen.
2 Vgl. u. a. D'Ancona, Studi sulla letteratura italiana de ' primi secoli , Ancona,
1884, S. 151 fì. ; Rizzi, L'animo del Cinquecento e la lirica volgare , Milano, 1928, S. 23 ;
Carducci, Il Poliziano e l'umanesimo (Opere di Carducci, Edizione Nazionale, Bd.
XII), S. 160 f. Auf die verwandten Erscheinungen eines « precoce secentismo » in
der lateinischen Rhetorik des ausgehenden 15. Jahrhunderts verweist Santini, Firenze
e i suoi oratori^ Milano, 1922, S. 110 ff.
3 Vgl. u.a. Rho, La Urica d'Agnolo Poliziano , Bd I, Torino, 1923, S. 23 ff u. 120 ;
De Robertis, Saggi , Firenze 1939, S. 9 f u. 20 ; Momigliano, Storia della letteratura
italiana , Messina, 1938, S. 122 ; Vaccarelli, Poliziano , Torino 1925, S. 44fï ; Sapeono,
Il sentimento umanistico e la poesia del Poliziáno9 Nuova Antologia 73 (1938), S. 249 f.

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116 GEORG WEISE

betont г. Aber auch die Regungen des religiösen Interesses, eines


Sehnens nach religiöser Vertiefung und einer Reaktion gegegen die
prosaische Befangenheit und diesseitsnahe, verstandesmässige Nüch-
ternheit der Frömmigkeit des früheren 15. Jahrhunderts, zum mindes-
ten soweit sie den Charakter eines Wiederauflebens mittelalterlicher
Vorstellungen und Gefühlsgehalte angenommen haben, gehören zu den
geistigen Parallelen der sich ausbreitenden Spätgotik 2. Nicht nur an
Savonarola ist dabei zu denken. Bei Ficino wird der Zug asketischer
Frömmigkeit hervorgehoben 3, Polizian gehört zu den Bewunderern
des Mönches von Ferrara und lässt sich in der Kutte der Dominikaner
begraben 4, Pico della Mirandola, der die Scholastik und die Philo-
sophie des Altertums zu einem Ausgleich zu bringen suchte, wird
von der asketischen Strömung immer mehr ergriffen 5. Von Plato
und dem Neuplatonismus geht in der zweiten Hälfte des 15. Jahr-
hunderts eine Bewegung aus, die mit glühendem Interesse um die
Probleme des Religiösen ringt und die sich mit tiefster christlicher
Frömmigkeit verbindet 6. Vor allem auch wird man in der Musik
und in der auch für Italien bezeichnenden Vorherrschaft der Nieder-
länder und der im wesentlichen von ihnen bestimmten Polyphonie
des ausgehenden Mittelalters die Parallele zu der Verbreitung der
spätgotischen Stilrichtung erblicken dürfen 7. Nicht nur eine kunst-
geschichtliche Aufgabe, sondern zugleich auch ein geistesgeschicht-
liches und literarisches Problem wird der Erforschung der Renaissance
mit dem Hinweis auf die Notwendigkeit eines Erfassens der retro-
spektiven, dem gesamten abendländischen Spätmittelalter gemein-
samen Wesenszüge gestellt, in denen sich das Fortwirken, ja eine
erneute Belebung mittelalterlicher, gotischer Formelemente und der
ihnen zu Grunde liegenden geistigen Gehalte offenbart.

1 Vgl. u.a. Garsia, Il Magnifico e la Rinascita , Venezia, 1S28, S. 86 ff, 96 ff u.


181 f ; Lipari, The dolce stil nuovo according to Lorenzo de Medici , New Haven, 1936.
2 Den Zusammenhang zwischen der mystischen und spiritualistischen Strömung
im geistigen Leben des ausgehenden 15. Jahrhunderts upd dem « renouveau gothique »,
der sich in der Florentiner Kunst um 1460-1490 bemerkbar macht, betont Chastel,
Art et religion dans la Renaissance italienne , Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance
VII (1945), S. 59.
3 Vgl. u.a. Geiger, Renaissance und Humanismus in Italien und Deutschland ,
Berlin, 1882, S. 114.
4 Vgl. Chiaroni, Le ossa del Poliziano , La Rinascita II (1939), S. 476 ff.
5 Vgl. u.a. Vignal, Pie de la Mirandole , Paris, 1937, sowie Anagnine, G. Pico
della Mirandola , Bari 1937.
6 Vgl. in erster Linie die Hinweise bei Walser, Gesammelte Studien zur Geistes-
qeschichte der Renaissance , Basel, 1932, S. 61 f, 114 ff u. 287 f.
7 Vgl. Weise, « Spätgotik » als Stilbezeichnung im Bereich der Musikgeschichtey
Kunstgeschichtliche Studien (Festschrift für Dagobert Frey), Breslau 1944, und die
dort angegebene Literatur.

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LES « DÉCOUVERTES » D'ÉRASME
EN ANGLETERRE

par Raymond Marcel

Dans le très bel ouvrage qu'il nous a laissé sur Thomas More,
R.W. Chambers introduisant Erasme dans la vie de son personnage
a intitulé son paragraphe : « Erasmus finds England and himself ».
C'est vrai. En débarquant sur le sol britannique, à l'automne de
1499, Erasme a non seulement découvert l'Angleterre, ce qui paraît
assez simple, mais il n'a pas tardé à se découvrir lui-même, ce qui
pour tout homme, et à fortiori pour un Erasme, est assez compliqué.
Il avait alors trente ans, était entré au couvent, semble-t-il, pour
assurer sa tranquillité, avait reçu les ordres pour accompagner à
Rome un évêque qui ne s'y rendit jamais et, depuis quatre ans, il
allait de Cambrai à Paris, de Paris à Cambrai, meublant de ci de là
son esprit insatiable et commençant à donner de la voix. A vingt
ans, à l'âge des illusions, il avait écrit - et je ne crois pas « sans
conviction » - un de Contemptu Mundi pour faire l'éloge de la vie
monastique, ouvrage qui, d'ailleurs, ne devait paraître qu'en 1521
avec des additions et des réserves. Puis s'étant «frotté et limé la
cervelle à celles d'autrui » comme dira Montaigne, il avait composé
son Antibar barum Liber et ses premiers Colloques . On y voit déjà
ses illusions s'effeuiller, mais il faut reconnaître que, dans leur première
rédaction du moins, ces textes étaient le témoignage sincère d'une
âme droite et courageuse qui voulait s'affranchir pour aller au vrai
et dénonçait les méthodes, les superstitions et les abus qui entravaient
sa marche ou altéraient son idéal. Mais à quoi bon critiquer, si l'on
ne remplace pas ce que l'on veut détruire. Or manifestement Erasme,
qui voulait construire, en a trouvé les moyens en découvrant l'Angle-
terre où ceux qui l'attendaient l'ont aidé plus ou moins consciemment
à orienter son génie et à mesurer ses forces, c'est-à-dire à se connaître
lui-même.
Qu'il fût attendu, nous en avons une preuve qui éclaire singu-
lièrement notre sujet. C'est une lettre de John Colet, lui souhaitant
la bienvenue :

Vous m'avez été déjà doublement recommandé, d'abord par la


réputation dont jouit votre nom et par le témoignage de vos propres
écrits. Quand j'étais à Paris, Erasme était un nom que j'entendais
souvent dans la bouche des gens instruits. Mais ce qui est pour moi
la meilleure recommandation, c'est que le vénérable Prieur (de St

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118 RAYMOND MARCEL

Mary's College, qui n'était autre que


combien à son avis, votre valeur était grande et votre bonté distin-
guée... S'il est quelque chose en quoi, selon mes petits moyens, je
puisse vous être agréable ou utile, je me mettrai aussi vite et aussi
volontiers à votre service que vos mérites l'imposent. Je suis heureux
que vous veniez maintenant en Angleterre, j'espère que notre pays
pourra être pour vous une source de grand plaisir mais je suis sûr
que votre science sera pour lui la source d'un grand profit.

Erasme répondit et sa réponse n'est pas moins suggestive :

Si l'Angleterre, dit-il, n'avait pour m' attirer que votre œuvre et


votre valeur, cela suffirait pour que je m'y rende, car, en fait de recom-
mandation, même sans la dignité de votre caractère, votre science
suffirait à vous mériter l'admiration de tous et même si cette science
vous manquait, la sainteté de votre vie vous assurerait l'amour et la
vénération de chacun.

Ainsi, de part et d'autre le terrain était admirablement préparé


pour faire de cette première rencontre un heureux événement dans
l'histoire de l'Humanisme. Nul cependant ne pouvait en soupçonner
les répercussions. Alors que Colet pensait que le voyage d'Erasme
serait pour l'Angleterre une source de profit, il est bien évident
que c'est le contraire qui s'est produit. Erasme qui jusqu'à cette
époque avait mis tout son talent au service de la défense des belles-
lettres, pourra bientôt dire qu'il a « sacrifié bien des avantages à son
amour pour les études sacrées». L'homme qui baillait aux cours de
Gryllard, parce qu'on y « oubliait » tout ce qu'on avait puisé sur
l'Hélicon, cet homme, sans laisser altérer sa plume, se fera théologien
et passera le meilleur de sa vie à étudier les Pères de l'Eglise et à
publier ■< ces livres où, disait-il, la parole céleste vit et respire encore » :
Les Evangiles. Il écrivait à Colet en 1504 : « Je ne puis dire de quelle
passion je me sens entraîné vers les lettres sacrées et quel ennui
m'inspire tout ce qui m'en détourne ou me retarde dans leur étude. Je
veux y consacrer le reste de mon âge». Or cette orientation nouvelle
de sa vie, Erasme la doit aux humanistes anglais qui lui ont permis
de se connaître lui-même, en lui révélant à quelle source ils avaient
eux-mêmes puisé leur science : l'Italie.
Evidemment, avant de se rendre en Angleterre, Erasme connais-
sait déjà quelque chose de l'Italie. Agrícola lui en avait vanté la
science, il avait non seulement lu Pogge, Filelfe et Valla, mais à 18
ans, il avait même résumé les Elegantiœ de ce dernier et nous savons
combien son désir était grand de rendre visite aux humanistes ita-
liens. Or le 5 décembre 1499, il écrivait à Robert Fisher : « J'ai trouvé
(en Angleterre) tant d'humanité, une science si élégante, si profonde,
si exacte et une telle richesse d'érudition grecque et latine que je ne
chercherai plus guère en Italie que le plaisir du voyage ». C'est dire
à quel point cette découverte de l'Angleterre l'avait impressionné.

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LES « DÉCOUVERTES » D'ÉRASME 119

On dira peut-être que ce sont des éloges de circonstance. Non, les


faits sont là. Erasme, à partir de ce moment, a considéré l'Angleterre
comme une seconde patrie, sa patrie intellectuelle, et bien qu'il ait
cherché plus tard en Italie autre chose que le plaisir du voyage,
il n'en a pas moins écrit au prince de Carpi : « En arrivant en Italie
je savais mieux le grec et le latin que je ne les sais maintenant. Je
ne dois rien à l'Italie de mon instruction dans les lettres. Je voudrais
lui devoir beaucoup. Certes, il y avait dans ce pays plusieurs hommes
auprès desquels j'aurais pu apprendre, mais il s'en trouvait de pareils
en Angleterre, en France et en Allemagne ». Or ces hommes, en
Angleterre, quels étaient-ils ? Erasme dans sa lettre à Fisher, répond
à cette question : « Lorsque j'entends Colet, je crois entendre Platon
lui-même », et il ajoute : « Quelle science encyclopédique chez Grocyn !
Quel esprit pénétrant, plus délicat et plus élevé que celui de Linacre
et la nature a-t-elle formé une intelligence plus facile, plus aimable et
plus heureuse que celle de Thomas More?» More était l'ami dont il
disait : « Il m'est si cher que je lui obéirais sans débat, même s'il me
commandait de danser ou de jouer au cheval de bois ». Mais ceux qui
nous intéressent au premier chef, ce sont ceux qui tout en étant ses
amis étaient avant tout ses maîtres, car il est temps de préciser dans
quelle mesure ils ont pu lui révéler l'Italie qu'il ne pouvait plus con-
naître : celle du Quattrocento.
Tout d'abord rétablissons, si j'ose dire, l'ordre d'entrée en scène :
Linacre, Grocyn, Colet et même remontons plus haut pour découvrir
l'origine de ce mouvement qui orienta ces hommes vers l'Italie.
Linacre, le premier nommé, avait eu pour maître un moine de
Cantorbery : William Shelling, qui dès 1464 était parti pour l'Italie
avec un de ses confrères : William Hadley. Or ce Shelling, qui était
devenu docteur en théologie à Bologne, avait profité de son séjour
dans la péninsule, non seulement pour apprendre le grec, mais pour
y acheter de précieux manuscrits, qui, à l'époque d'Erasme, étaient
encore le joyau de la bibliothèque royale. Il nous reste un Commen-
taire de saint Basile sur Isaïe, un Synésius, un Homère et un Euripide
qui a fort bien su servir à Erasme pour faire sa traduction d'Hécube
et ď I phi génie. Il y avait, en outre, certainement un saint Jean
Chrysostome, puisque le British Museum conserve un de ses sermons
traduit par Shelling en 1488.
Quoiqu'il en soit, ce premier maillon de la chaîne des humanistes
anglais n'est pas à négliger. Il l'est d'autant moins que de retour
en Angleterre, Shelling est devenu prieur de son couvent de Cantor-
bery que fréquentait Linacre. C'est lui qui en 1480 l'envoie à Oxford,
où nous le trouvons encore en 1486 à All Soul's College. Cette même
année, Shelling nommé ambassadeur près d'Innocent VIII, non
seulement emmena Linacre avec lui, mais à son passage à Florence le
présenta et le confia à Politien, alors chargé de l'éducation des enfants

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120 RAYMOND MARCEL

de Laurent de Médicis. Quelle aubaine ! Au latin de Politien, Linacre


ajouta bientôt le grec de Ghalcondylas et quand on sait quels hommes
gravitaient à cette époque autour de Laurent, on devine aisément
quel profit le jeune Anglais en put tirer. Au reste, nous en avons les
preuves, car non seulement Linacre se distingua en son art, la méde-
cine, mais se fit un nom dans les lettres latines et grecques. Il composa
une syntaxe latine : De emendata structura latini sermonis, collabora
chez Aide Manuce, à l'édition princeps d'Aristote et de retour en
Angleterre, exposa le traité des Météores de ce même Aristote,
traduisit le traité de la Sphère de Proclus et le de Temperamentis de
Galien qu'il devait dédier comme « Tobole de la veuve » au pape
Léon X qu'il avait connu, en écoutant les leçons de leur maître
commun : Politien.
Quand More nous dit, dans une lettre à Golet, que Linacre fut le
maître de ses études, on devine déjà tout ce qu'il lui doit. Il aurait
pu d'ailleurs en dire tout autant de Grocyn qu'il nous présente
comme « le maître de sa vie », entendons son confesseur, car lui aussi
avait des titres à faire valoir dans la lignée des humanistes.
Shelling en introduisant Linacre dans le cercle florentin avait,
pour ainsi dire, fait coup double, car trois ans plus tard (1489) et
peut-être sur son initiative, Grocyn avait rejoint Linacre pour
se mettre lui aussi à l'école des Latins et des Grecs. A rencontre
de Linacre, qui n'était alors qu'un étudiant, Grocyn avait déjà fait
ses preuves. Il était un de ceux qui avaient suivi les leçons de Cor-
nelius Vitelli, le premier professeur de grec que Thomas Chandler,
recteur de Wykeham College, avait fait venir à Oxford. Puis en 1481,
il était devenu professeur de théologie au Magdelen College et c'est
de là que nous le voyons partir pour l'Italie, pour en revenir deux ans
plus tard (1491) et devenir le véritable introducteur de la langue et de
la littérature grecques en Angleterre. C'est lui, en effet, qui le premier
fit un cours public de grec et il suffît de citer les noms de ses princi-
paux élèves à Oxford ou à Londres pour juger de la valeur de son
enseignement : Latimer, More, Tunstall, Fisher, Lily et celui qui nous
a vanté sa science encyclopédique : Erasme. Le grec n'était d'ailleurs
pour Grocyn qu'un moyen de parfaire sa science théologique, aussi ne
faut-il pas s'étonner de le voir en tirer profit pour exposer à Saint-
Paul de Londres les œuvres de Denys l'Aréopagite qu'il se refusait
à considérer comme un contemporain de l'apôtre saint Paul. Ce
simple fait en dit long sur son sens critique et quand on sait que John
Colet fut son élève au Magdelen College pendant des années, on est
moins surpris de voir ce dernier se faire le champion d'une méthode
d'interprétation uniquement fondée sur la critique des textes.
Mais, avec John Colet, le problème se présente sous un angle
différent. Le mot d'Erasme suffirait à nous en convaincre : « Quand
j'entends Colet je crois entendre Platon lui-même » et chose, à pre-

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LES « DÉCOUVERTES » D'ÉRASME 121

mière vue étrange, ce Platon interprète les Epitres de saint Paul,


l'œuvre des six jours et compose un De compositione sancii corporis
Christi mystici sur le type des Hiérarchies de Denys. En lisant le
mot d'Erasme, on pense naturellement à Marsile Fie in, et la lecture
des œuvres de Golet pose immédiatement la question de l'influence
du philosophe florentin sur le théologien anglais. Assurément, elle
est indéniable, mais comment a-t-elle pu s'exercer ? Tous les biogra-
phes de Golet, d'Erasme à Mariott, nous disent qu'après ses études
à Oxford, durant lesquelles il avait dévoré « avidissime » les œuvres
de Gicéron et lu « non oscitanter » les livres de Platon et de Plotin
(sans doute dans la traduction de Ficin), Golet était parti pour la
France et l'Italie «comme un marchand à la recherche de bonnes
marchandises », mais de dates, point et aucun indice sérieux nous
permettant de savoir où il avait séjourné en Italie et quels person-
nages il avait pu y rencontrer. Erasme se contente, en effet, de nous
dire qu'il s'était délecté en lisant les Pères de l'Eglise et qu'il avait
lu de nombreux traités d'histoire « se prœparans ad prœconium
sermonis Evangelii » et qu'il avait rencontré « quosdam monachos
vere prudentes ac pios ». Naturellement, sur ces données, on a formulé
bien des hypothèses. Les uns l'ont vu près de Politien et de Pic de la
Mirandole, les autres en ont fait un disciple de Savonarole et, pour ma
part, j'avais la quasi-certitude qu'il avait dû rencontrer Ficin. Désor-
mais, cette dernière hypothèse se trouve confirmée. Nous avons des
dates et des textes. Nous savons d'une part que Colet était à Rome
en avril et mai 1493. Nous avons, en effet, une lettre de Golet adressée
de Rome le 1er avril de cette même année à l'aumônier d'Henri VII,
Christophe Urswick, qui était lui-même un humaniste. Il avait
séjourné en Italie et en particulier à Rome à une date que l'on peut
situer entre le 3 novembre 1492, date à laquelle il se trouve à Etaples
pour la signature du traité, et le 23 avril 1493, où nous le retrouvons
en Ecosse négociant la prolongation de la trêve avec Jacques IV.
Nous savons qu'il était en relation avec Barbaro et Guarino et la
lettre de Golet nous révèle qu'il s'intéressait aux œuvres de ce temps.
Elle annonce, en effet, l'envoi de Y H istoria Bohémica ď Eneas Sylvius,
qu'Urswick avait cherchée en vain pendant son séjour à Rome «quam
cognovi te Romae valde desideravisse » et Golet ajoute : « Prœterea,
si qui hic libri manus meas venerint quo s arbitror tuis studiis et
lectione dignos esse et apud vos istic reperiri non posse, eos durabo ut
habeas ». En se mettant au service de son correspondant, Colet nous
indique manifestement qu'il n'est pas seulement de passage à Rome.
En fait, un manuscrit de la Confrérie de l'English Hospice à Rome
nous révèle que Colet fut reçu dans cette Confrérie, au titre de « came-
rarius » le 3 mai 1493. Nous voilà donc fixé sur une date et sur une
étape de ce voyage d'Italie. Par ailleurs, nous savons qu'à son retour,
Colet a rencontré à Paris Robert Gaguin, qui venait de recevoir les

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122 RAYMOND MARCEL

compliments d'Erasme pour son De origine et gestis Francorum ,


qui fut édité les premiers jours d'octobre 1495. Nous pouvons donc
en inférer qu'il revint en Angleterre à la fin de cette même année
ou au plus tard dans les premiers mois de 1496, et nous avons ainsi
l'assurance que Golet a passé au moins deux ans en Italie.
Reste à savoir si pendant ce séjour il a cru bon de se rendre
à Florence pour y rencontrer les maîtres de l'Humanisme. Linacre
et Grocyn n'avaient certainement pas manqué de le lui recom-
mander. Laurent de Médicis était mort (8 avril 1492) et, en 1494,
Politien (24 septembre) et Pic de la Mirandole (17 novembre) devaient
disparaître à leur tour, mais Ficin était toujours là, et Colet n'ignorait
pas que des hommes comme Lefèvre d'Etaples, Reuchlin et tant
d'autres lui avaient déjà rendu visite. Son séjour à Florence s'impo-
sait. Etant donné ses goûts et le rôle qu'il s'apprêtait à jouer, il devait
par conséquent, lui aussi, s'arrêter à Florence et il n'y a pas manqué.
En voici, sinon la preuve formelle, du moins de sérieux éléments
qui nous permettent de dépasser le domaine des conjectures. Nous
sommes désormais certain que Colet a connu Ficin.
Nous avons eu, en effet, la bonne fortune de découvrir à Oxford
deux lettres de Ficin à John Colet qui sont d'une importance capitale
et qui fixent pour nous un point d'histoire jusqu'alors obscur. Ces
lettres se trouvent copiées sur les pages de garde d'un exemplaire
de la correspondance de Ficin qui, selon toute vraisemblance, a
appartenu à Colet lui-même. La date même de l'édition de ce livre,
qui parut à Florence le 14 décembre 1494, n'est pas à négliger, car
il est fort possible qu'elle coïncide avec le séjour de Colet près du
maître de l'Académie florentine. Quoiqu'il en soit, nous nous conten-
terons présentement de tirer argument des lettres elles-mêmes. L'une
d'elles étant incomplète et nécessitant une étude approfondie, nous
ne pouvons actuellement que publier la première et il nous est par-
ticulièrement agréable de le faire en hommage à M. Renaudet, qui
nous a déjà ouvert tant d'horizons. En voici les termes :

Marsilius Ficinus Florentinus Johanni Colet colenti pariter ac colendo.


Solent amantes amati vulti vultum vera facie pulchriorem in
se ipsis efiìngere. Vis enim amoris est, non solum amantem trans-
formare mirabiliter in amatum, sed etiam amati formam apud se
in melius reformare. Siquidem naturalis amor est generationis et
augmenti principium. Tu, igitur, amantissime, mi Joannes quam-
primum spiritus nostri lucem in scriptis ferme sicut Lunam in aquis
lucem intuitus es, quasi tuo spiritui congruam ardentius amavisti
ex amore captus subito Solem accepisti pro Luna. Itaque me Solem
vocas. Solem quidem tibi pariter ac amantibus coeteris, vero Luna
felix mihi plane tua haec opinio, mi Colette, pulchriorem videlicet
Marsilii tibi reddens quod aspexerit. Felicissime certe fores si ceteris
reddiderit aeque pulchrum. Utinam ardens et elegans tua epistola
ita piacere aliis atque mihi ut ego ita placeam aliis atque tibi.
Yale, amantissime pariter et amatissime, mi Colete.

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LES « DÉCOUVERTES » D'ÉRASME 123

A vrai dire, cette lettre est suffisamment éloquen


de commentaires. Néanmoins deux questions se posent à son propos :
en quelle année fut-elle écrite et peut-on en inférer que Colet avait
vu Ficin ? A la première question, nous pouvons répondre que cette
lettre pourrait être datée de 1494, époque où Ficin adressait à ses
correspondants sa nouvelle rédaction du de Sole , et il ne manquait
jamais dans ses lettres de dédicace, comme il le fait dans celle qu'il
adresse à Golet, de faire intervenir le Soleil et la Lune pour justifier
une comparaison flatteuse. Ce n'est qu'une hypothèse, mais elle
n'est pas invraisemblable.
Quant à la seconde question : Golet avait-il vu Ficin ? Une seule
chose est certaine : c'est qu'il en avait le désir. Je n'en veux pour
témoignage que ce brouillon de lettre que l'on peut lire au verso
de la page de garde sur laquelle est transcrite la lettre que je viens
de citer. Voici ce qu'on en peut déchiffrer : « Tuos libros legens...
quanto magis te videns viverem, vidende ac colende, Mar sile... Te
si possem videre...» C'est peu, mais c'est assez pour juger des inten-
tions de son auteur, et étant donné la valeur de nos conjectures et
le ton de la lettre de Ficin, je crois que le doute n'est plus permis.
Quoiqu'il en soit, nous savons désormais quelle estime ils avaient
l'un pour l'autre et cela éclaire singulièrement les coïncidences sur
lesquelles on fondait naguère leur parenté spirituelle. Qu'il suffise de
les rappeler. L'un et l'autre ont traduit et commenté Denys l'Aréo-
pagite. L'un et l'autre, et à la même époque, ont entrepris le Com-
mentaire de l'Epître aux Romains et c'est sans doute à son propos
que fut écrite la seconde lettre que nous ne tarderons pas à publier.
Faut-il ajouter que Colet a commenté les quatre premiers chapitres
de la Genèse à une époque où l'Angleterre lisait la vie de l'auteur
de V Heptaplus, Pic de la Mirandole ? Ce serait une nouvelle preuve
de l'influence de Florence.
Tout cela appelle une étude très approfondie pour déterminer
exactement ce que les humanistes anglais, et par eux Erasme, doivent
aux platoniciens florentins. C'est déjà quelque chose de pouvoir
prouver par des faits qu'ils se connaissaient et, qui plus est, qu'ils
s'aimaient.
Désormais quand nous lirons dans Erasme : « Sunt enim Londini
quinqué aut sex in utraque lingua exacte docti, quales opinor ne
in Italia quidem in prsesentiarum habet », nous pourrons facilement
en établir la liste. Et puis nous comprendrons mieux ce qu'il voulait
dire en écrivant : « Goletům meum cum audio Platonem ipsum mihi
videor audire », et ce sera une preuve de plus qu'en découvrant
l'Angleterre, il a aussi découvert l'Italie du Quattrocento et que
c'est à ces lumières qu'il doit de s'être connu lui-même.

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L'APOCALYPSE EN 1500

LA FRESQUE DE L'ANTÉCHRIST
À LA CHAPELLE SAINT -BRICE D'ORVIETO

par André Chastel

L'histoire du chef-d'œuvre de Signorelli à Orvieto n'est pas mal


connue : l'artiste travaillait au grand cycle de la vie de saint Benoît
pour les moines de Monte-Oliveto depuis 1497, quand le chapitre de
la cathédrale d'Orvieto, déçu par Pérugin, fit appel à lui. Dans le
contrat du 5 avril 1499, il n'est question que de l'achèvement des
peintures de la voûte que Fra Angelico avait abandonnées en cours
d'exécution un demi-siècle plus tôt. Le maître de Cortone n'était plus
jeune : avec les fresques de la Sixtine, les tableaux de Pérouse et de
Volterra, les compositions « humanistes » exécutées à Florence vers
1490, il avait derrière lui une œuvre déjà considérable : il possédait
un style ferme, métallique, autoritaire, d'une sonorité qui maintenait
« l'aria virile » de la grande tradition toscane, en face des suavités
fades des nouveaux maîtres ombriens, tels que le Pérugin. Il dut
s'imposer vite aux bourgeois cultivés d'Orvieto, puisque, un an plus
tard, la décoration de la voûte étant terminée, le conseil de fabrique
de la cathédrale examine la proposition du maître « de peindre les
parties restantes de la Chapelle de compositions de sa main », et le
27 avril 1500 un contrat très précis fixe les conditions de ce vaste
travail x. L'initiative de l'œuvre est donc venue de l'artiste lui-
même 2 ; il est possible qu'il ait tenu compte d'un vieux plan de dé
ration de la chapelle. Mais il a conscience de la grandeur et de l'ori-
ginalité de l'œuvre qu'il entreprenait. Une peinture sur tuile (au
musée d'Orvieto) le représente en buste auprès de son commanditaire,
Niccolo Franceschi, et l'inscription au verso, datée des derniers jours
de l'année 1500, revendique pour eux l'immortalité 3.

1 R. Vischer, Luca Signorelli und die italienische Renaissance , eine kunsthistorische


Monographie , Leipzig, 1879, p. 346, donne le texte des documents, également analysés
par L. Fumi, Il duomo di Orvieto e i suoi restauri , Rome, 1891, p. 406-9 (voir aussi
du même : Orvieto (Italia artistica, n° 83), Rergame, s.d.) et dans l'excellente biographie
de G. Mancini, Vita di Luca Signorelli , Florence 1903.
2 L. Fumi, op. cii., p. 408 : « magister Lucas de Cortonio pictor offert earn finire
et fingere totam juxta designům per ipsum ostensum » (délibération du 23 avril 1500).
3 « Lucas Signorellus natione Ytalus, Patria Cortonensis, arte picture eximius,
merito Apelli conparandus, sub regimine et stipendio Nicolai Franceschi ejusdem
nationis, patrie urbe ve tane, camerarii fabrica, hu jus basylice sacellum hoc virgini
dedicatum judicii finalis ordine figurandum perspicue pinsit, cupidusque immortalitatis
utriusque effigiem a tergo litterarum harum naturalita mira effinsit arte, alexandro
sixto pon. max. sedente et maximiliano III imperante anno salutis MoGCGCC, tertio
Kalendas januarias » (i.e. 30 décembre 1500).
Texte reproduit dans : Signorelli , des Meisters Gemälde , éd. L. Düssler (Klassiker
der Kunst), Rerlin et Leipzig, 1927, p. 206 ; le tableau, pl. 120.

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l'apocalypse en 1500 125

L'ensemble consacré, selon l'expressio


fine del mondo , obéit à une ordonnan
chapelle comprenait deux travées : deux fresques latérales et une
au-dessus de la porte d'entrée ornèrent la première ; deux autres
fresques latérales et une composition encadrant la fenêtre, la seconde.
Le petit édifice s'ouvrait ainsi en deux moitiés complémentaires,
respectivement dominées par le thème de la fin du monde à l'entrée,
et, en face, celui du Jugement : l'Antéchrist, la Fin du Monde, la
Résurrection des morts constituent le premier ensemble ; le Jugement
Dernier entre la vision du Paradis et celle de l'Enfer, constituent le
second. Cette articulation des vieux motifs eschatologiques était,
en 1500, à la fois inédite et surprenante. Une autre nouveauté, non
moins intéressante, fut la division verticale continue en deux étages ;
par l'introduction, sous les storie d'un haut zoccolo ou soubassement,
peint dans l'esprit des marqueteries ; avec sa savante distribution
de portraits et de médaillons sur un champ de grottesche proprement
hallucinant, ce décor est l'interprétation expressionniste et géniale
d'un motif ornemental tout récemment mis à la mode *, subordonné
à une mise en scène si ample, si calculée avec sa galerie de poètes
antiques et modernes, qu'elle fait l'effet d'une profession de foi
« humaniste ».
L'innovation la plus singulière de l'Apocalypse signorellienne
est la place faite à l'Antéchrist : elle demande explication. Cette
figure étrange n'appartient pas au livre de saint Jean : il suffit de
comparer au cycle d'Orvieto, la grande suite de l'Apocalypse presque
exactement contemporaine de Dürer (1498) 2 : sur ses 14 feuilles,
seuls, quelques détails de la foule prosternée devant la « Prostituée de
Babylone » peuvent faire un peu penser à la fresque de Signorelli
et aux scènes qu'il a si hardiment déployées. Le mythe de l'Anté-
christ assez informe dans l'Ecriture, s'est précisé au Moyen-Age,
chaque fois que des désordres ou des malheurs inouïs faisaient pré-
sager la fin du monde 3. Il prend de la couleur au XIIe siècle 4, et
revient de façon plus obsédante encore au cours du XVe siècle dans
la crise des grandes structures politiques et religieuses, comme pour

1 La vieille étude de A. Schmarsow, Der Eintritt der Grottesken in die Dekoration


der italienischen Renaissance , in Jahrb. der klg. pr. Kunsts. II (1881), p. 131-144,
serait à réviser en attribuant à Giuliano da Sangallo, à Filippino Lippi et à Signorelli
lui-même, un rôle plus important dans la genèse du motif dont on fait généralement
honneur à Pinturricchio : voit G. Mancini, op. cit ., p. 122.
2 W. Neusz, Die ikono graphischen Wurzeln von Dürers Apokalypse , in Volkstum
und Kulturpolitik, Aufsätze G. Schreiber gewidmet, Cologne 1932.
H. Wölfflin, Die Kunst Albrecht Dürers , 6e éd., Munich, 1943, p. 64 et ss.
3 Les sources théologiques ont été confusément compilées par : Tommaso Mal-
venda, de AntichristOy Rome, 1604 (3e éd. 1647). E. Waldstein, Die eschatologische
Ideengruppe: Antéchrist , Weltsabbat , Weltende und Weltgeschichte , Leipzig, 1896.
4 E.g. dans le poème joachimiste et patarin SulVavento dell' Anticristo d'Uguccione
da Lodi, étudié par E. Levi, U. da L., Florence, s.d.

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126 ANDRÉ CHASTEL

donner un sens au désarroi généra


importance particulière au momen
première fois l'Antéchrist est le
limiter sa diffusion aux pays du n
indiquent que les théologiens et la
aussi dans Fattente de cette irrup
jamais très bien si elle se manifesterait par une créature unique
d'apparence humaine, ou par des légions démoniaques incarnant
l'Antéchrist mystique. Au début du XVe siècle, comme l'Espagnol
Vincent Ferrer dans sa lettre à Benoît XIII, le dominicain Manfred
de Yerceil, puis Francesco de Insulis, affirment que l'Antéchrist
est déjà là 2. Ces hantises n'ont pas toujours non plus été étrangères
aux milieux cultivés de l'humanisme. L'illustre épigraphiste véronais
Felice Feliciano - à qui on a, d'ailleurs à tort, voulu attribuer la
paternité de 1'« Hypnerotomachia » - a transcrit vers 1475 un
opuscule anti- sémite intitulé pronosticum astronomicum de adventu
antichristi, pseudo messie ac prophete hebreorum (dédié à l'évêque de
Trente par un certain Jean de Lübeck), qui témoigne des mêmes
obsessions 3.
Un texte familier à tous fournissait le scénario de l'épisode fan-
tastique si redouté ; on lit chez Jacques de Voragine, à la date de
l'Avent, comment l'imposture de l'Antéchrist se manifestera 1) par
une fausse exposition des Ecritures, 2) par l'accomplissement de
miracles, 3) par la distribution de présents, 4) par l'infliction de sup-
plices 4. Les représentations de « mystères », tels que ceux de Feo
Belcari à Florence, avaient contribué à populariser ces croyances et
à les fixer dans l'imagination, en Italie comme ailleurs 5. Son intro-
duction au théâtre est une des preuves intéressantes de la vitalité
de la légende, mais il serait arbitraire de chercher dans le « sacre
reppresentazioni », comme on l'a tenté parfois, la source directe de
la fresque d'Orvieto, sous le prétexte qu'elle est disposée en une suite
plus ou moins bien coordonnée de scènes pareilles à des tableaux
vivants 6. On ne trouve aucune figuration des « fatti » de l'Antéchrist
dans la peinture italienne avant Signorelli 7 ; il y a tout au plus

1 H. Preuss, Die Vorstellungen vom Antéchrist im späteren Mittelalter bei Luther


und in der konfessionellen Polemik , Leipzig, 1906.
2 E. Waldstein, op. cit., p. 86.
H. Preuss, op. cit., p. 27. L'auteur ajoute malheureusement sans assez de nuances
que « man im humanistischen Lager hierfür bloss Spott hatte ».
3 G. Gerola, Codicetto trentino del 1475 a fregi silografati , dans Accademie e Biblio-
teche d'Italia, Vili (1934), 1-4.
4 Les Leggende di tutti li santi ont été imprimées à Venise en 1475 : on en compte
au moins dix rééditions de 1425 à 1494 (G. Mancini, op. cit., p. 106).
5 Feo Belcari : « del Di del Giudizo », dans : A. d'Ancona, Origini del teatro in
Italia, Florence, 1877, vol. I, p. 121-155.
6 R. Vischer, op. cit., p. 172 et s.
7 К. Künstle, Ikonographie der christlichen Kunst, Fribourg en Br., 1926, p. 524.

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l'apocalypse en 1500 127

quelques séries d'estampes de l'extrême


médiocre x, à mettre en parallèle avec
français qui se multiplient si curieusement autour de 1500 2. Si déjà
son ampleur et sa place d'honneur dans le cycle des Fins dernières,
ne suffisaient à mettre à part l'ouvrage de Signorelli, un seul trait
obligerait à réfléchir sur son originalité : aucune des miniatures ou des
gravures où paraît l'Antéchrist ne lui donnent, comme la fresque
d'Orvieto, les traits de Jésus lui-même. Bref, il n'y a aucun précédent
connu pour cette description grandiose et si vigoureusement « actua-
lisée ».

L'angoisse de la fin du monde et la préoccupation de l'Antéchrist


qui en est le premier signe, étaient-elles donc si intenses en Italie
autour de 1500 ? Florence venait de connaître avec le drame de Savo-
narole un ébranlement sans précédent, qui avait atteint à la fois les
fondements de la société politique, de la vie morale et de l'ordre
chrétien. L'Italie entière en retentissait encore : le Prophète vaincu
était monté sur son bûcher le 23 mai 1498. Un an à peine en séparait
la venue de Signorelli à Orvieto, deux ans, le commencement de son
« Apocalypse ». Et l'on n'a pas manqué de saisir l'écho de ces troubles
inouïs dans l'épopée de la chapelle Saint-Brice ; elle est certainement
à cet égard un témoignage irremplaçable. Sur la trame fournie par les
légendes pieuses et les souvenirs de l'Ecriture, Signorelli, nous dit-on,
aurait travaillé l'imagination remplie d'images de Dante et l'esprit
hanté par les annonces terribles et l'éloquence pathétique de Savo-
narole 3, mais il y a, sous cette évidence générale que nous imposent
la conception et le style même de l'œuvre, une relation plus précise
aux événements contemporains que l'admiration commune à tous les
historiens pour le génie de Savonarole les a empêchés d'apercevoir :
dans le schéma traditionnel des « fatti dell'Anticristo », Signorelli
a introduit terme à terme le rappel des événements récents dont
Florence avait été le théâtre. La première fresque de son cycle est
la condamnation la plus implacable de l'entreprise du Dominicain,

1 P. Kristeller, Die lombardische Graphik der Renaissance , Berlin, 1913, p. 74-


75, signale une série de 20 planches de gravure sur bois s.d. (Vatican) sur le thème de
l'Antéchrist, reprise par Philippo Cassano et Alexandre de Pilizonis en 1496 (Brera)
et plusieurs fois copiée par la suite.
2 En France, L'art de bien vivre et mourir , Paris, Vérard, 1492 (avec les 25 signes
de la fin de monde), La vie du mauvais Antéchrist , Lyon, 1499 ; et en Allemagne, Der
Antéchrist , avec ses 39 planches, vers 1476, signalé par Eastlake, Handbook of paint-
ing Londres, 1891, p. 183, comme « source » de Signorelli.
4 R. Vischer, op. cit., insiste beaucoup sur l'atmosphère apocalyptique de l'époque
entretenue par la prédication de Savonarole : « er (Signorelli) nicht ohne Anregungen
Savonaroles blieb » (p. 287),
A. Venturi, Luca Signorelli , Florence, 1923, insiste davantage sur l'inspiration
« dantesque » de Signorelli.
Nous laisserons, naturellement, de côté ici le problème Savonarole pris en lui-
même ; il faut pourtant signaler que les travaux « classiques » de Villari et de Schnitzer
partent de points de vue également périmés, comme l'a montré Panella, Alla ricerca
del vero Savonarola , dans Pegaso , III (1931), n° 12, p. 655-667. Mise au point utile
par R. Palmarocchi, Savonarola , Enciclopedia italiana , XXX (1936), ad verbum.

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128 ANDRÉ CHASTEL

qui venait de périr si tragiquement, quelques mois auparavant. Et


c'est cette incarnation historique de l'Antéchrist qui prouve l'immi-
nence de la Fin du Monde. Si on peut lire dans la storia du faux Christ,
celle du prophète de saint Marc, c'est que l'Apocalypse est maintenant
en marche. Pour Francesco de Insulis, l'Antéchrist était déjà né parmi
les hommes et allait brusquement découvrir son horrible visage de
mensonge et de corruption. Pour l'artiste de 1500, l'épisode terrifiant
vient d'avoir lieu. Mais il convient de procéder d'abord à l'analyse
méthodique de la fresque, pour examiner ensuite si chacun de ses
éléments admet ou, mieux, exige cette référence contemporaine,
et pour esquisser enfin l'horizon politique et moral qui l'explique.
Signorelli s'est placé 1 avec l'Angelico, dans l'angle de gauche
où la fresque de l'Antéchrist s'enchaîne à celle de la Fin du Monde :
sur le mur qui tourne derrière lui, des jeunes gens regardent l'effon-
drement de la terre sous le feu du ciel que leur désigne le Prophète
enturbanné des Ecritures. S'ils faisaient un pas en arrière, ils ren-
contreraient le peintre et son calme compagnon ; l'index levé, celui-ci
insiste doucement sur l'importance de l'événement que son continua-
teur a figuré.
Un sinistre carnage, qui a lieu auprès des deux témoins appa-
ramment indifférents, ouvre la storia : un forcené étrangle sa victime
à la corde, des cadavres jonchent le sol, un Dominicain, le crâne
fendu (évoquant curieusement les tableaux de saint Pierre martyr),
vient de tomber ; sur une civière on aperçoit derrière le spadassin à
costume mi-parti, un mort portant, lui aussi, la robe monacale. Tout
commence dans le sang et les couvents ne sont pas épargnés. A la
violence succède la grande scène de séduction : le héros de la fresque,
avec son étrange visage de Christ diabolique, est debout sur un
piédestal, où l'on voit le bas-relief du cheval qui emporte son cavalier,
vieux symbole de la Superbia 2. Le faux messie prêche à une foule
compacte, passive et comme subjuguée à gauche, plus agitée à
droite ; docile aux conseils du démon qui l'inspire, il se désigne impé-
rieusement au peuple d'une main, l'autre, abaissée, semble enjoindre
quelque commandement. Que peut-il ordonner ? Les vases de bronze,

1 La comparaison avec le portrait à inscription cité supra ôterait toute espèce


de doute à ce sujet : Vasari dit d'ailleurs expressément « ritrasse Luca nella sopra-
detta opera molti amici suoi e se stesso (ed. G. L. Ragghianti, Milan, 1945, p. 966).
La figure de l'Angelico - manteau noir et robe blanche des Dominicains - n'est, pas
moins précise.
2 Vieux motif iconographique : ainsi au portail central de la façade ouest de Notre-
Dame, le premier médaillon des Vices figurés sous les statues est « l'Orgueil monté sur
un cheval fougueux qui le jette à la renverse » (M. Aubert, Notre-Dame de Paris ,
2e éd., Paris, 1945, p. 138). Le motif a été fixé par Villard de Honnecourt, dans son
fameux Livre de Pourtraicture. Comme le cavalier de Signorelli ne semble pas effective-
ment trébucher, on pourrait penser à un autre thème : l'un des cavaliers de la vision
de saint Jean envoyés pour dépeupler le monde, comme le montre une célèbre figure
du même portail, au bas de la seconde voussure de droite (ibid., p. 135 et du même
auteur : La sculpture française au Moyen-Age , Paris, 1946, p. 247) mais cette seconde
interprétation est peu probable.

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l'apocalypse en 1500 129

les pièces d'or, les vaisselles précieuses qu


lui ne sont-ils pas ce qu'il réclame au p
main à un riche marchand qui lui compte des pièces : pourquoi
ce geste ? Veut-elle verser sa part au trésor que se fait livrer le pré-
dicateur, ou cherche-t-elle à extorquer un don au banquier récalci-
trant ? La manipulation des richesses, d'après les vieux auteurs, doit
marquer, en même temps que les massacres, le règne de l'Anté-
christ ; il doit arracher aux peuples et distribuer aux siens, d'immenses
trésors 1. Cette opération est évoquée ici avec une précision qui semble
insister sur quelque événement contemporain.
Vasari l'a senti et bien d'autres sans doute avant lui : aussi
s'est-il efforcé d'identifier un certain nombre de spectateurs ; en répé-
tant, comme il lui arrive souvent, des interprétations locales, il
désigne dans la foule les portraits des Baglioni et des Vittelli, les
seigneurs de Pérouse et de Città di Castello, si fidèles à la cause des
Borgia, jusqu'au moment où la crainte - bien légitime - des excès
du Valentinois les amenèrent à conspirer contre lui (septembre 1502) 2 .
On s'est étonné de leur présence parmi la foule qui écoute l'Anté-
christ 3. Mais s'il est vrai que le vieillard chauve qui détourne la tête
dans le groupe de droite est Pandolfo Petrucci, le tyran de Sienne,
l'un des plus grands clients du peintre, il n'est pas douteux que celui-ci
a voulu montrer les seigneurs en vue de son temps pris dans les remous
de la tragédie. C'est une manière d'accroître sa valeur universelle,
tout en faisant honneur à quelques seigneurs en vue : toute l'époque
est présente, et tous les vivants sont témoins de la dernière entreprise
de Satan. Le profil de Dante apparaît dans la foule de droite, pour
inviter - si c'est bien lui - à penser aussi à la cité florentine.
La storia se développe en profondeur à droite en trois scènes
nettement isolées qui se relient à celles du premier plan par une
composition en X, et que domine la masse énorme d'un temple
environné de moines et de soldats. C'est moins un décor de théâtre
à compartiments 4, que la combinaison la plus simple des épisodes
attendus. Le groupe central placé derrière le séducteur, montre la
discussion des Ecritures : un moine dominicain lit la Bible, un autre
désigne le ciel dont on attend les signes décisifs, aux auditeurs sérieux
et incertains, presque tous des moines. C'est l'aspect théologique de
la carrière du faux Christ qui est ici représenté 5. Au troisième plan

1 Malvenda, op. cit., VII, ch. 11 : avaritia, rapacitas , divitae.


2 Vasari, éd. Milanesi, III, p. 690 ; ed. С. L. Ragghianti, p. 966.
L. Pastor, Histoire des Papes , trad. fr. VI, 6e éd., Paris, 1932, p. 114.
3 G. Mancini, op. cit., p. 110.
4 L. Düssler, op. cit., p. XXXVI.
5 L. Düssler, ibid., p. XXXIV, propose sans conviction d'y voir le groupe des
fidèles du Christ serrés autour de l'Ecriture. G. Mancini, op. cit., p. 109, dit justement :
« nel gruppo di dodici figure quasi tutte in vesti monacali due frati consultano libri,
un terzo concitato gesticola, gli altri si mostrano incerti d'oppugnare e favorire il
Seduttore ».

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130 ANDRÉ CHASTEL

sont décrites - à gauche - la scène du faux miracle, la résurrection


d'une morte par l'imposteur, et - à droite - celle des exécutions
capitales : un vieillard en loques va être décapité par la soldatesque,
une autre victime a déjà été massacrée *, qui doivent également
marquer la carrière de l'Antéchrist. Une autre victime est amenée
par les troupes qui cernent le temple. Au milieu de leurs silhouettes
sombres, devant Tune des colonnes du portique, la figure encapu-
chonnée d'un moine semble surveiller cette suite d'événements
déroutants et odieux.
Le vaste édifice à plan central, dont la coupole peut évoquer
l'œuvre de Bramante à Saint Satire de Milan, mais dont le noyau
cubique fait plutôt penser aux créations de Francesco di Giorgio,
figure évidemment le Temple de Jérusalem, symbole de l'Eglise, à
laquelle attente l'imposture de l'Antéchrist. L'accent est mis une
fois de plus sur l'occupation par la force : des gardes armés de lances
ont envahi les portiques.
La punition divine survient à gauche : l'Antéchrist renversé en
un raccourci impressionnant est culbuté du haut du ciel par saint
Michel. Foudroyé, il tombe au milieu des rayons de feu sur ses parti-
sans en désordre, désarçonnés, abattus. L'horizon léger de la plaine
où se déroule le drame, montre, au pied des rochers, une ville silen-
cieuse ; les cadavres des fanatiques vaincus s'entassent dans un pli
de terrain qui rejoint du premier plan, le groupe de leurs victimes,
derrière les deux figures impassibles placées sur la marge de la scène,
comme les metteurs en scène au bord du plateau. Ainsi est rempli le
cycle des abominations dont l'Antéchrist est le grand acteur, au pied
du Temple de l'Eglise : la poursuite des richesses, la discussion des
Ecritures, le miracle et les exécutions. Le schéma général de la fresque
est fidèle au cadre fourni par le dominicain Jacques de Voragine et
la tradition popúlaire.
Mais la disposition de l'ensemble et la vision concrète de chaque
épisode sont entièrement neuves, et il faut encore demander si l'insis-
tance évidente sur certains détails, le choix de certaines figures n'y
introduisent pas un jeu de références convergentes au grand drame
de l'époque, conformément à une pratique de la peinture d'histoire,
qui guidera, par exemple, Raphaël, à la Chambre d'Héliodore. Un
certain nombre d'épisodes récents ne s'imposaient-ils pas au peintre ?
Si fra Angelico paraît aux côtés de Signorelli, c'est qu'il l'a précédé
à Orvieto, mais n'est-ce pas aussi parce qu'il fut, avant Savonarole,
le prieur de Saint-Marc, et n'est-ce pas à lui, gloire de l'ordre de Saint-

1 Della Valle, Storia del Duomo d'Orvieto , Rome, 1791, p. 213, a avancé l'idée
qu'il s'agissait là d'Enoch et Elie destinés, d'après l'Evangile de Nicodème, que cite
longuement Jacques de Voragine, à la date de Pâques, à « attendre la venue de l'Anté-
christ, à combattre avec lui, à être tués par lui, et le troisième jour, à être élevés dans
les nuages ». Cette interprétation a souvent été répétée depuis.

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l'apocalypse en 1500 131

Dominique, de désigner les forfaits où,


les moines dominicains, à en croire la fresque même, ont eu une si
grande part ? 1
Les textes parlent de la dilapidation des trésors par l'Antéchrist.
Mais ne pense-t-on pas aux collectes multipliées des piagnoni , aux
impôts nouveaux comme ce « décime progressif » de 1497, qui avait
aliéné à la république puritaine de Francesco Valori tant de ses pre-
miers partisans, et sans doute aussi au gaspillage insensé de richesses
qu'avait été les deux bracciamenti delle vanità , aux bijoux, aux vases
précieux arrachés dans les demeures cossues de Florence par les
équipes des jeunes fanatiques du nouvel ordre moral ? 2
L'Antéchrist de Signorelli n'est pas seulement préoccupé des
richesses ; là où il n'use pas de son éloquence, il a avec lui la force
armée. Et c'est sans doute une autre allusion précise à Savonarole.
Associant la révolution politique à la réforme religieuse et morale,
la carrière du Frère avait sans cesse été accompagnée d'actes de
violence, dont n'étaient pas seulement responsables ses partisans
frénétiques. Née de l'émeute anti-médicéenne et favorisée par les
armes de l'envahisseur français, la république chrétienne de Florence
avait toujours été casquée. Elle fait parfois penser au « Christ empis-
tolé » que Ronsard aperçoit chez les Calvinistes : c'est ainsi en tout cas
qu'elle devait apparaître à ses adversaires médicéens et romains.
« Dans un de ses sermons (Savonarole) se laisse emporter par le
fanatisme politique jusqu'à demander, le crucifix en main, la peine
de mort pour tous ceux qui travaillaient à la restauration de la tyran-
nie à Florence » 3. Dès 1495, la Judith tyrannicide sanglante de Dona-
tello devenait, grâce à une inscription explicite, le symbole de la
nouvelle Florence républicaine 4. Florence avait vu en cinq ans plus
d'agitation de rue qu'en un siècle ; et quelle vision que celle de ce cou-
vent plein d'armes, la bataille finale autour du cloître, les portes
incendiées, le tocsin et les coups de feu à Saint-Marc, qui avaient
précédé la défaite du Dominicain, chef d'Etat ? Le plus grave de tout,
l'acte de violence le plus difficile à oublier, avait été bien entendu,
l'exécution des cinq conjurés médicéens, le 21 août 1497, dans la
cour du Bargello, après une journée pleine de trouble et de mouve-
ments de troupe. Le premier d'entre eux n'était rien moins que Ber-
nardo del Nero, l'ancien gonfalonnier, vieillard de soixante-quinze
ans, dont Signorelli semble avoir voulu évoquer le souvenir, en

1 Certains auteurs ont accusé Savonarole d'avoir détruit les fresques de Fra
Angelico : Ranalli et Marchese, d'après J. Schnitzer, Savonarole , Munich, 1924,
vol. II, p. 814. Cette accusation remonterait-elle aux adversaires du Dominicain?
2 P. Villari, La storia di Girolamo Savonarole , Florence, 1898, 2e éd., vol. I,
p. 500 et ss.
3 L. Pastor, op. cit., p. 3.
4 Les déplacements successifs de la statue sont rapportés par un témoin oculaire,
Landucci : P. Villari, op. cit., t. I, p. 313-314, etc.

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132 ANDRÉ CHASTEL

montrant dans le groupe des exécutions capitales un vieillard à


longue barbe, mis à mort par les sbires de l'Antéchrist. Sans doute
il ne paraît pas que Savonarole ait eu une part directe dans cette
affaire décisive et spectaculaire, mais elle était l'œuvre de ses parti-
sans, et les accusateurs du parti adverse ne pouvaient qu'englober
dans la même haine le prédicateur de Saint-Marc et les tribunaux
réunis par Francesco Valori pour la défense de la nouvelle république г.
L'artiste a pu spontanément nourrir sa vision de ces épisodes tout
proches, mais ces détails n'atteignent pas l'essentiel : l'ascendant
merveilleux du faux Christ, l'origine infernale de sa manifestation.
Pour se représenter l'Antéchrist dans toute son action, pour concevoir
l'ensemble de ce spectacle hallucinant, Signorelli devait-il encore
laisser s'imposer à son imagination le souvenir récent du dominicain
de Saint-Marc ? Quelques traits frappants invitent à le supposer.
Le secret de l'Antéchrist, c'est qu'il possède toutes les séductions
de la sainteté : il trompe la foule et les sages par sa piété, son ascé-
tisme, ses vertus, il a, en un mot, le visage même du Christ. Or, c'est
ce qu'indique précisément la rétractation signée par les moines de
Saint-Marc, le 21 avril 1498 : « l'honnêteté de sa conduite, la sainteté
de ses mœurs, l'ardeur de sa piété hypocrite, le prestige qu'il avait
acquis dans Florence en réprimant les mauvaises mœurs... » 2 C'est
ce qu'étaient contraints de reconnaître les pires adversaires du Frère,
le Pape Borgia tout le premier, en dépit des abominables calomnies
que faisaient circuler les Arrabiati.
Non seulement un saint, mais, ce qui, au XVe siècle, en est presque
inséparable, un prophète, un homme doué de dons surnaturels. Et
c'est là peut-être le nœud de l'affaire. Dès le début de sa prédication,
dans le fameux carême où il déclare que l'arche va bientôt être fermée
avant le déluge universel, Savonarole annonce d'épouvantables
malheurs à Florence et à l'Italie ; et la mort prématurée de Laurent,
l'invasion de Charles VIII l'ont immédiatement justifié. La grande
autorité du Frère lui est venue de cette prodigieuse éloquence qui,
du haut de sa chaire, lui permettait, à travers des symboles et des
images saisissantes, d'ouvrir les portes de l'avenir. Tout le monde l'a
cru prophète, que ce don vînt du ciel ou de Satan 3. Et toute sa carrière
est enveloppée d'un débat sur les « signes surnaturels » que l'on croit
saisir ou que l'on attend. Le Dominicain ne cesse de les annoncer :

1 P. Villari, op. cit., II, p. 47 et ss.


C'est l'opinion de Fr. Ricciardi da Pistoja, Marino Sañudo, Nerli... cités par
J. Schnitzer, Bartolomeo Cerretani (Quellen und Forschungen zur Geschichte Savona-
rolas, n° 3, Munich, 1904) p. 49, п. 1. Cerretani, honnête chroniqueur « neutre », insiste
longuement sur le retentissement de ce procès.
2 L. Pastor, op. cit., p. 46.
3 Cette question centrale de la « prophétie » est étudiée par P. Villari, op. cit .,
t. I, p. 323 et ss. (ch. 6 : le profezie e li scritti profetici di Savonarola). Après avoir
justifié le prédicateur de l'accusation de fraude, l'auteur parvient à cette conclusion
bizarre que chez Savonarole, l'héritage des superstitions médiévales le dispute à une
anticipation géniale de « l'esprit moderne ».

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l'apocalypse en 1500 133

deux mois avant sa mort, le saint sacrement en main, il adressait au


ciel la fameuse prière de le foudroyer s'il mentait, qui a paru un
épouvantable blasphème à tous ceux qui ne l'admiraient plus aveu-
glément. L'absurde épreuve du feu est la conséquence naturelle de
cet état d'esprit qui, chez les « piagnoni » comme chez leurs adversaires
recherchait presque uniquement des signes merveilleux et des inter-
ventions surnaturelles *. Et l'on sait que les discussions sur les dons
surhumains du Frère sur des miracles se sont longtemps poursuivies
après sa mort. Les « piagnoni » fanatiques lui avaient attribué depuis
longtemps le pouvoir de faire des miracles : au dire de Giovanni
Pico et de Burlam acchi, ses reliques en ont plus tard opéré beaucoup 2.
Qu'il fût un envoyé de Dieu ou l'émanation de Satan, Savonarole
avait toutes les apparences d'un saint et d'un thaumaturge. La seule
attitude permise à ceux qui ne l'avaient pas suivi, ou à ceux qui,
après l'avoir admiré, avaient cessé de le croire au service de la Vérité
et de l'Eglise, était de voir en lui une manifestation diabolique
particulièrement subtile et dangereuse. Un texte un peu postérieur
résume les accusations que portaient contre sa mémoire, ceux qui le
condamnaient : « Altri affermavano, che egl'era superbo, di mala vita,
ambisioso, suvertitore di popoli, introductore di schandoli, bugarddo,
inchantatore e che per profetia et astrologia prediceva le cose future...
e tutto si riduceva se haveva maculato lo'intellato о no, perchè e
senssi erano nettissimi...»3. Tel est l'ensemble de traits dont pouvait
se dégager une image satanique de grande envergure ; il suffisait
de les ordonner conformément à un schéma concluant, dont le point
de départ ne pouvait être que la tare d'un orgueil luciférien. Le seul
caractère où se trahit en effet, sous ses apparences merveilleuses, la
trouble inspiration du personnage, c'est sa superbia. On sait que c'est
essentiellement sa rébellion qui a entraîné la perte de Savonarole.
Alexandre VI qui ne trouvait rien à redire à ses mœurs et à sa doctrine,
ne put tolérer qu'il bravât directement l'autorité pontificale, avant et
après l'excommunication qui avait été prononcée contre lui ; mais
dès lors comment ne pas rapprocher cette prestigieuse et complexe
figure, du mythe familier de l'Antéchrist ? Si l'assimilation a été
faite avant Signorelli et autour de lui, la portée actuelle de son ouvrage
devient tout à fait probable.
Il semble qu'on n'y soit pas parvenu tout de suite. Le bref du
26 février 1498 adressé aux Florentins traite Savonarole de « fils de
l'Esprit malin » ; c'était la réponse aux sermons de carême où le
Frère affirmait que « quiconque s'obstine à m'opposer l'excommuni-

1 J. Schnitzer, Savonarola und die Feuerprobe (Quellen und Forschungen zur


Geschichte Savonarolas, n° 2), Munich 1904, a groupé tous les témoignages sur cette
affaire, qui démontre assez l'extravagante excitation d'esprit de tous.
2 J. Schnitzer, Savonarola , op. cit., ch. XXXVII, Die Verehrung des Toten.
3 В. Cerretani, op. cit. (éd. J. Schnitzer), p. 82.

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134 ANDRÉ CHASTEL

cation... parle contre le royaume du Christ et pour le royaume de


Satan » К Le texte décisif, où Savonarole est considéré comme une
émanation de l'Antéchrist, et qui nous fournit ainsi une base sûre
pour l'interprétation de la fresque d'Orvieto, est cette « Apologie
adressée par Marsile Ficin au Collège des Cardinaux pour les nombreux
Florentins abusés par l'Antéchrist Jérôme de Ferrare, le souverain
hypocrite », que nous traduisons en appendice, où le vieil humaniste
platonicien présente, semble-t-il, pour la première fois, une inter-
prétation systématique du cas Savonarole, et, si ne nous abusons, le
traite exactement déjà, dans le même esprit que Signorelli 2.
Beaucoup d'historiens considèrent ce pamphlet envoyé quelques
semaines après la mort du Dominicain comme déshonorant pour
Ficin : quelques-uns voudraient bien le croire apocryphe, mais rien
ne permet de mettre sérieusement en question l'authenticité de ce
document 3. Au moment où Pic avait amené Savonarole à Florence
et l'avait en quelque sorte imposé à Laurent, Ficin - son texte
l'avoue clairement - avait été fort sensible à l'éloquence magnifique
et à la « fureur poétique » du Frère. La lettre du 12 décembre 1494 à
Jean Cavalcanti, que l'on cite toujours pour affirmer les sympathies
du philosophe de Careggi pour le mouvement « piagnone », nomme bien
le dominicain « virum sanctimonia sapientiaque prœstantem divinitus
electum » 4, mais elle porte avant tout sur la réalisation des prophéties
de Savonarole, c'est-à-dire l'arrivée des troupes étrangères et la
révolution. Elle appartient à ce moment, où, saisi par le délire col-
lectif, Ficin a été lui aussi subjugué par l'ascendant du prophète et
a cru à sa mission divine 5. Aussi est-il abusif, comme l'ont fait la
plupart des écrivains savonaroliens, de compter Ficin parmi les
adhérents actifs du nouvel ordre au même titre que Pic qui n'en
vit que les prémices et que Benivieni et Giovanni Nesi, qui ont
d'ailleurs toujours associé dans leur admiration le maître du Plato-
nisme et le prédicateur de Saint-Marc 6. Mais comme un autre per-
sonnage de son groupe, Ugolino Verino 7, Ficin s'en est rapidement

1 L. Pastor, op. cit., p. 26 et p. 23.


2 La pièce, contenue dans un mss. du XVIe siècle (Magi. VIII, 1443, f° 144 et ss.)
a été publiée par Passerini dans Giornale storico degli archivi toscani , III (1859), puis
par Р. О. Kristeller, Supplementum ficinunum , Florence, 1937, vol. II, p. 76-78.
3 Elle a été contestée par E. Sanesi, Vicari e canonici fiorentini e il caso Savonarola ,
Florence, 1932. Mais toutes les raisons sont au contraire pour l'authenticité, comme
l'expose clairement P. O. Kristeller, op. cit ., I, p. CXLI.
4 Ficini, Opera , éd. Bâle, 1561, I, p. 963.
5 Cerretani inclut Ficin parmi les auditeurs admiratifs des « prediche » dans une
page qui correspond à la date de 1494, op. cit., p. 9.
6 Comme le rappelle E. Garin dans l'essai inclus dans ce recueil, en nous permet-
tant d'ajouter au groupe des « piagnoni » platoniciens le frère poète Paolo Orlandini,
p. 79, note 2.
7 Ugolino Verino, après avoir admiré le réformateur, a confessé lui aussi sa décep-
tion : P. Villari, op. cit., II, p. 250, note 3. Comme Ficin, c'est le prophète qui l'a
fasciné puis déçu.

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l'apocalypse en 1500 135

détaché, soit par fidélité aux Médicis,


encore parce que l'entreprise du Dominicain lui semblait dissocier
et rendre vaine toute la synthèse humaniste élaborée à Gareggi.
Dès 1495, il était en contact avec les adversaires du nouveau régime
Une lettre de 1497 à Aide Manuce montre clairement que le vieux
philosophe déteste le nouveau régime, ses violences et sa vague
d'hypocrisie 2. L'Apologie ne peut donc guère passer pour l'œuvre
d'un pleutre, accablant un ami vaincu pour s'assurer les faveurs des
puissants ; c'est, en un sens, la mise au point d'un observateur qui
cherche une revanche intellectuelle, après s'être laissé subjuguer.
L'extraordinaire aventure du Frère est expliquée dans les termes
habituels de la « psychologie » ficienne qui se meut entre les influx
célestes et les interventions occultes ; la frénésie du prédicateur, son
assurance prophétique, son appel incessant aux « signes » d'en haut
sont analysés avec application, pour aboutir à la seule conclusion
possible qui les rapporte à l'inspiration diabolique. En le présentant
comme l'incarnation de l'Antéchrist, Ficin retourne contre Savonarole
les traits même qui ont fait son prestige et son inoubliable séduction.
L'annonce des temps nouveaux, du siècle d'or où la « paix philoso-
phique » régnerait sur le monde, remplissait la littérature humaniste 3 :
l'immense déception qui semble avoir ruiné toutes ces espérances,
oblige à substituer au mythe de la rénovation prochaine, le mythe
inverse de la catastrophe finale. Telle est l'atmosphère des derniers
mois qui ont précédé 1500, et où Signorelli a conçu son œuvre.
Dès la fin du printemps de 1498, Ficin interprète donc les « fatti
di Savonarola » par le thème théologique de l'Antéchrist. Peut-être
a-t-il même été le premier à donner ainsi au drame de Florence une
signification universelle ; celle-ci s'est d'autant mieux imposée que les
désordres de l'Eglise et de l'Italie ne faisaient que continuer. Sans
être expressivement la « source » de l'épopée de la fin du monde que
Signorelli allait figurer à Orvieto, l'Apologie de Ficin apporte l'arti-
culation précise, qui permettrait de fondre l'une dans l'autre la car-
rière de l'Antéchrist et celle de Savonarole. Elle montre comment et
pourquoi, aux yeux des contemporains fidèles à Rome, elles se lisaient
immédiatement l'une dans l'autre, et fournit une clef vraisemblable
pour l'intelligence de l'œuvre exceptionnelle (ne l'oublions pas) de
Signorelli : elle en contient à peu près le programme.
Il n'est pas douteux en effet que le jugement de Ficin ait été
celui du chapitre et des fabriciens d'Orvieto qui ont fait exécuter le

1 Burlamacchi, Vita del P. F. Girolamo Savonarola , Lucca, 1764, p. 69.


2 P. de Nolhac, Les correspondants d'Aide Manuce , Paris, 1887, p. 247 et P. O.
Kristeller, op. cit., I, p. 95.
3 L'enthousiasme spécifiquement platonicien pour l'imminence des saturnia
regna , tel que l'exprime, par exemple, Egide de Viterbe dans sa fameuse lettre à Ficin
(P. O. Kristeller, Suppl. Fie ., op. cit ., II, p. 315-316, E. Garin, Filosofi italiani
del quattrocento , Florence, 1942, p. 532-533), suppose la mission providentielle du
nouveau Platon, en concurrence, en somme, avec celle que s'attribuait Savonarole.

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136 ANDRÉ CHASTEL

cycle des « Fins dernières ». La ville


à la cause d'Alexandre VI г. Signorell
les sermons de Savonarole ne pouvaient qu'inspirer défiance et
aversion, et son indépendance paraître une abominable rébellion.
Il n'y a aucune raison de supposer que tel n'ait pas été le sentiment
personnel de l'artiste, car il fut toujours attaché à la cause médicéenne.
En 1512, au moment où, sous la pression de Léon X, la famille, après
dix-huit ans d'exil, rentre à Florence, Signorelli sera le délégué que
Gortone envoie à Florence pour les féliciter de leur restauration 2 ;
pendant toutes les années de la dernière décade du XVe siècle, il
s'est tenu en contact avec les personnalités les moins capables d'ap-
prouver le mouvement du réformateur florentin. Mais ce qui importe
surtout, c'est que cette disposition d'esprit a permis à Signorelli de
faire œuvre de visionnaire ; dans le milieu ombrien où les nouvelles
de Florence dessinaient peu à peu la figure effrayante d'un grand
perturbateur, lui seul a su, par une grandiose opération de l'imagina-
tion picturale, projeter sur le plan poétique les jugements frénétiques
d'un parti. Et il a enveloppé sa vision d'un riche ensemble de figu-
rations « humanistes », qui le montrent obstinément fidèle à cet
accord de l'antiquité et du monde chrétien, où l'on peut voir le legs
essentiel de l'âge de Laurent.
Loin de chercher à Orvieto l'écho attentif et on ne sait quelle adhé-
sion lointaine à la prédication du maître de Saint-Marc, il faut donc
pratiquement retourner l'interprétation commune 3 : le cycle de
Signorelli est la grande exposition d'une Apocalypse anti-piagnone ,
née sous l'impression directe de l'échec et de la confusion du faux
prophète. Il évoque sa carrière comme une manifestation si excep-
tionnelle et si tragique, qu'elle semble définir à elle seule, le premier
degré du drame final. Le peintre génial a ainsi situé le drame de Flo-
rence dans l'ordre de la malédiction, avec une éloquence et une auto-
rité, qui sont seules dignes de la puissance fulminante de l'orateur
et du réformateur vaincu.

1 L. Fumi, Alessandro VI e il Valentino in Orvieto , Sienne, 1877, rappelle les


séjours du Pape à Orvieto et le bienfait qu'en a tiré la cité.
G. Mancini, op. cit., p. 110, note 3, signale même qu'en août 1503, Orvieto décréta
des prières « pro anima felicis recordationis Alexandři pape VI ».
2 G. Mancini, op. cit., p. 112.
3 Les meilleurs interprètes de Signorelli sont restés aux prises avec d'inextricables
contradictions, dont ce passage donne bien l'idée :
« Mit dem Fanatismus eines Savonarola und der erschütternden Wucht der Worte
des Busspredigers wird das Ungeheuerliche, Unaufhaltsame vor Augen gestellt. Aber
eine eigentlich innere Beziehung zu dem Dominikanermönch wäre hier vergebens
zu suchen. Dem christlichen Moment ist in der Bilderfolge keine entscheidende Rolle
eingeraümt ; vielmehr zeigt es sich in jener eigentümlichen Vermischung mit heid-
nischen Elementen, die am Beginn der Hochrenaissance nicht verwunderlich erscheinen».
L. Düssler, op. cit. y p. XLIV.

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l'apocalypse en 1500 137

APPENDICE

Apologie adressée par Marsile Ficin au Collège des Car


pour les nombreux Florentins abusés par l'Antéchrist Jérôme
le Souverain Hypocrite

Je sais, vénérables Pères, que la plupart des membres du Sacré


Collège s'étonnent que l'Hypocrite de Ferrare ait pu à lui seul abuser
tant de Florentins par ailleurs pleins d'intelligence et de savoir,
pendant près d'un lustre. Ils ont raison, s'ils croient qu'un seul homme
a pu circonvenir par sa seule action, une foule d'hommes de mérite.
Mais il ne s'agit pas d'un simple mortel, il s'agit d'un démon des plus
rusés, et même pas d'un démon unique, mais d'une troupe diabolique
qui a assailli les malheureux mortels par les ressorts les plus subtils
et les a séduits par d'extraordinaires machinations.
Nul ne considère plus avec étonnement, tout le monde admet sans
discussion, que nos premiers parents qui étaient comme les enfants de
Dieu, armés de la puissance et de la sagesse divines, établis au paradis,
instruits par les anges, ont été abusés par un esprit diabolique. Quoi
d'étonnant à ce que les Florentins, à une époque comme la nôtre,
aient eu l'excessive infortune d'être mystérieusement assaillis et
entraînés par une troupe nombreuse de démons sous le masque
angélique? N'admet-on pas que l'Antéchrist doit séduire de façon
surprenante un grand nombre d'hommes éminents en sagesse et en
honnêteté ? Et il y a finalement de multiples raisons qui prouvent que
Jérôme, le prince des Hypocrites, était conduit par un esprit moins
humain que diabolique, pour nous séduire en usant contre nous
non seulement de ruse mais encore de violence.
Cet Antéchrist possédait une astuce absolument incomparable
pour simuler la vertu et dissimuler le vice avec une constance par-
faite ; un vaste esprit, une audace implacable, l'art de se faire valoir
sans fondement, un orgueil luciférien, le don de soutenir partout ses
mensonges les plus impudents par des imprécations et des serments,
un visage, un ton, une parole qui étincelaient souvent dans le discours
en imposant aux auditeurs une conviction qui naissait moins de la
persuasion que de la violence. Souvent en effet au cours d'un débat,
il poussait soudain des vociférations, s'enflammait, grondait, et
s'emportait exactement comme ceux qui sont la proie des démons et
de la « fureur » que décrivent les poètes.
De plus, il s'adonnait souvent à la prophétie, en y mêlant des
mensonges, de telle sorte que, après avoir facilement abusé et entraîné
la foule, grâce à quelques prédictions - peu importe lesquelles -

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138 ANDRÉ CHASTEL

il a finalement été confondu par ses mensonges et ses mauvaises


actions. Ce n'est pas le moment d'exposer pour quelles raisons astro-
logues et Platoniciens ont présagé que Finspiration de Savonarole
était le résultat de multiples influences astrales, particulièrement
maléfiques. Mais, en quelques mots, peut-être les astrologues ont-ils
su présager avec les Platoniciens, d'après de nombreuses actions et
conjonctions astrales défavorables, qui ont au moins valeur de signes,
que Savonarole, ou pour mieux dire SevoNerole était soumis
à un ensemble de mauvais démons. Qu'il leur ait été soumis par ces
effets merveilleux ou que, plutôt, il se soit soumis aux mauvais
esprits par son orgueil et sa malignité, les démons et les influences
concordantes ont insufflé dans son âme comme dans leur laboratoire
ce poison peu à peu amassé, et ils ont infecté et conduit avec lui à leur
perte tous ceux qui l'approchaient en quelque façon et le peuple
trop crédule qui s'est confié à lui. On rapporte qu'Apollonius de Tyane
a décelé et éloigné un semblable malheur dont un sordide vieillard
possédé par des démons malins menaçait Ephèse. Moi-même je l'ai
décelé depuis longtemps dans ce SevoNerole, et si, au début, quand,
en pleine révolution, l'arrivée des Français agitait Florence de mille
terreurs, moi-même j'ai été, comme le peuple, la proie terrifiée de je ne
sais quel démon et ai été abusé un instant, je suis vite revenu à moi,
et depuis bientôt trois ans d'ordinaire clandestinement, mais souvent
aussi en public et non sans péril, j'ai averti beaucoup de personnes
de ma connaissance de fuir ce monstre empoisonné né pour le
malheur de notre peuple.
Je ne parle pas des révoltes, des haines mortelles, de l'oubli du
bien public, des gaspillages et des graves préjudices qui en ont résulté.
Le pire de tout est que la majorité, ou bien s'est laissé contaminer
par son orgueil et son obstination hérétique, ou bien a perdu l'esprit
et a été électrisée comme par le poisson qu'on appelle torpille, digne
fruit à coup sûr d'une semence diabolique. Que cela soit possible,
que cela soit fréquent, c'est ce que nous atteste l'autorité de l'Apôtre
Paul adressant ses objurgations aux Galates: «O Galates insensés, qui
vous a fascinés, pour ne pas (croire) à la vérité ? » (ad Gai. 3, 2).
Et cela ne se fait pas sans quelque opération mystérieuse, d'empêcher
de croire à la vérité ; ceux qui, fascinés par des corrupteurs, se sont

1 Ce jeu de mots vaguement étymologique veut mettre en évidence dans le nom


même de Savonarole la puissance de l'Antéchrist, qui a toujours été mis en rapport
avec Néron, le grand persécuteur : Sœvus ou sevus Nero , devient Sevo-nero-la. Cette
association se retrouve quelques années plus tard dans un sonnet écrit à la mort de
Jules II où l'on peut lire :
E la sconjuration ancora sciolta
Haverei di Nerón et Anticristo.
(J'aurais de nouveau brisé l'enchantement
de Néron et de l'Antéchrist)
Cf. F. Hartt, The Stanza d'Eliodoro and the Sistine Ceiling , dans The Art ■ Bulletin ,
XXXII (1950), p. 123.

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l'apocalypse en 1500 139

imprudemment abandonnés à Terreur, ne sont pas seulement privés


de la lumière de vérité, ils deviennent plus défiants à l'égard de la
vérité x. Il faut donc avertir tous ceux qui écoutent des orateurs
sacrés abominables ou fanatiques, d'avoir toujours présente aux yeux
et aux oreilles de l'esprit cette parole de l'Evangile : « Gardez-vous
des faux prophètes. Ils viennent à vous sous des vêtements de brebis,
mais au dedans ce sont des loups ravissants. Vous les reconnaîtrez à
leurs fruits ? » (Matthieu, 7, 15) Et Paul lui-même donne finalement
sa conclusion à toute l'affaire dans la seconde Epître aux Corinthiens :
« Ces gens-là- sont de faux apôtres, des ouvriers pleins d'astuce qui se
déguisent en apôtres du Christ. Et ne vous en étonnez pas ; Satan lui-
même se déguise en ange de lumière. Il n'est donc pas étrange que
ses ministres aussi se déguisent en ministres de justice. Leur fin sera
selon leurs œuvres. » (ad Cor. II, II, 13).
En conclusion de cette brève Apologie, on ne doit pas être étonné
que beaucoup de Florentins, mais pas tous - car un certain nombre
d'entre eux avait décelé depuis longtemps la malice de ce SevoNerole
et de ses satellites - que beaucoup aient été séduits par sa tromperie
diabolique, et que quelques-uns ont été amenés à la même malice
par l'œuvre du démon, d'autant plus que Florence n'eut pas à lutter
avec un seul démon, mais, comme l'atteste également l'Evangile
(Matthieu, 8, 39), avec une cruelle légion de démons groupés autour
de ce SevoNerole.
La Bonté divine, la prévoyance du souverain Pontife et votre
diligente action, viennent de nous délivrer de ce fléau, grâce à la
céleste inspiration du séraphique François, l'aide du Collège des
Chanoines de notre cathédrale, l'intervention de quelques citoyens
notables de notre cité et avant tout l'énergie de Jean Canacci. Ce
n'est pas contre les dieux, comme firent, dit-on, sans le savoir, Enée
et ses compagnons, que nous avons pris les armes, pour devoir nous
écrier ensuite : « Hélas, on ne peut pas compter sur des dieux ennemis »
(Enéide, II, 403), mais c'est contre l'Enfer et les monstres du Tartare,
comme Orphée pour l'amour d'Eurydice et Hercule pour celui de la
gloire, que pour assurer la liberté de Florence et celle de l'Eglise
entière, nous avons lutté avec la faveur de Dieu, et nous pouvons
chanter après le combat : Dieu est ressuscité et, avec l'Antéchrist, a
dispersés ses ennemis ; tous ceux qui haïssent Dieu, ont fui de Sa
face ; ils se sont évanouis comme la fumée ; comme la cire en présence
du feu, les hypocrites et les pécheurs orgueilleux ont péri en présence
de Dieu. Car le Tout-Puissant qui résiste aux superbes et donne sa
grâce aux humbles, a fait sentir la force de son bras et, avec Lucifer,
il a voulu disperser les orgueilleux. Dieu renvoie souvent au jugement
dernier la punition des autres péchés, mais d'ordinaire il foudroie

1 Le texte, comme le signale l'apparat de O. P. K., op. cit., ad locum , est peu sûr.

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140 ANDRÉ CHASTEL

par un jugement immédiat l'orgueil impie, la pire des pestilences.


Quoi de plus manifeste que cette intervention miraculeuse ? Dieu
supporta avec assez d'indulgence ce sacrilège, tant qu'il se servit
seulement du nom et de la croix du Christ pour abuser le peuple,
en charlatan ; mais, dès qu'il alla jusqu'à tenter de souiller publique-
ment dans l'épreuve du feu le corps même du Christ qui est dans
l'Eucharistie, Dieu le Tout-Puissant, secouant soudain le ciel de pluie,
d'éclairs et de tonnerre, dévoila son orgueilleuse et folle impiété,
et invita aussitôt son peuple à le brûler par ce même feu. Après la
première grâce que nous devons à Dieu, c'est au souverain Pontife
et à votre Sacré Collège que nous en exprimons notre reconnaissance
et recommandons humblement le peuple de Florence et le chapitre
de la cathédrale fidèlement dévoué à l'Eglise romaine.

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J. L. VIVÈS
RÉFORMATEUR DE LA BIENFAISANCE

par Marcel Bataillon

On ne peut plus commettre aujourd'hui Terreur de prendre le


De subventione pauperum de Yivès pour la source du règlement de
charité d'Ypres et pour l'origine de tout un mouvement réformateur.
Il est démontré 1 que la réforme d'Ypres (1525), qui devance d'environ
six mois le livre de Vivès, a pour précédents immédiats celles des
villes de l'Ouest germanique, Nuremberg (1522) et surtout Strasbourg
(1523). Pour peu qu'on y réfléchisse, il n'est pas naturel que des villes
habituées à se gouverner elles-mêmes restent aveugles à un problème
d'intérêt vital jusqu'à ce qu'il se trouve un philosophe disposé à leur
servir de Lycurgue. Les villes marchandes, à cette époque où l'Etat
royal moderne a encore bien peu de prise sur la société, assument des
fonctions multiples. Elles vont de l'avant. Sur leur initiative en
matière de réforme de la bienfaisance, nous avons un témoignage
contemporain de premier ordre, mais trop peu remarqué, celui
d'Erasme. On sait comment le recueil de ses Colloques a grossi au
gré des événements et des discussions du moment. Les années 1523
et 1524 ont été à cet égard particulièrement fécondes. Or, parmi les
six colloques nouveaux ajoutés en août 1524, la Птсо^оХоуьа (Dialogue
des mendiants) qui amuse à la façon d'un roman picaresque, se réfère
à la grande offensive en cours contre la mendicité 2.
Le mendiant Irides (dont le nom évoque l'ancêtre homérique et
les titres de noblesse de la corporation) hésite à reconnaître son
ancien Misoponus (l'Ennemi du travail) tant il a changé de costume
et d'aspect.

I. Quand tu étais des nôtres, tu étais tout couvert d'ulcères.


M. J'ai eu recours à un médecin de mes bons amis.
I. Lequel ?
M. Moi-même. Quel meilleur ami veux-tu que j'aie?
I. J'ignorais tes connaissances médicales.
M. Je m'étais collé moi-même cette garniture, à grand renfort
de couleurs, d'encens, de soufre, de résine, de glu, de linge et de sang.
Quand je l'ai jugé à propos, j'ai ôté ce que j'avais collé.

1 Cf. P. Bonenfant, Les origines et le caractère de la réforme de la bienfaisance


publique aux Pays-Bas sous le règne de Charles-Quint (Revue Belge de Philosophie et
d'Histoire, t. V (1926, 2, p. 887-904) et VI (1927, 1, p. 207-230).
2 Cf. Preserved Smith, A Key to the Colloquies of Erasmus (Harvard Theological
Studies, XIII), Cambridge, 1927, p. 36.

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142 MARCEL BATAILLON

Misoponus justifie sa métamorphose. Ayant amassé en mendiant


un petit capital de quatre ducats d'or, il s'est mué, grâce aux leçons
d'un compère, en alchimiste escroc. Belle industrie que d'apprendre
aux gens, moyennant finance, à fabriquer de l'or ! Mais Irides n'est
pas ébloui. Il trouve le métier de mendiant professionnel encore plus
beau.

I... Que ce soit la guerre ou la paix, nous vivons en sûreté. Nous


ne sommes pas enrôlés pour le service militaire ; nous ne sommes pas
appelés aux charges publiques ; nous ne sommes pas recensés : quand
le peuple est écorché d'impôts, personne ne s'occupe de nous. Si nous
commettons un méfait, qui daignerait traduire un mendiant en
justice ? Même si nous frappons quelqu'un, on rougit de se colleter
avec un mendiant. Les rois n'ont de bon temps ni dans la paix ni dans
la guerre : plus ils sont grands, plus ils ont d'ennemis à craindre. Nous,
comme par une consécration divine, le peuple se fait scrupule de nous
offenser.
M. Mais avec cela vous pourrissez dans vos haillons et vos
cahutes.
I. Qu'importe à la vraie félicité ? Ces choses dont tu parles sont
extérieures à l'homme. Nous devons notre félicité à ces haillons.
M. Mais je crains qu'elle ne soit bientôt fort compromise !
I. Comment cela ?
M. Déjà les villes préparent dans l'ombre un régime où les men-
diants n'auront plus liberté de vagabonder où il leur plaît, mais où
chaque ville nourrira ses propres mendiants, et où ceux qui sont
valides seront contraints au travail.
I. Pourquoi machinent-elles cela ?
M. Parce qu'elles constatent que de grands forfaits sont perpétrés
derrière le paravent de la mendicité. Et puis, que de sérieux dommages
sont imputables à votre corporation.
I. J'ai souvent entendu ce genre d'histoires. On verra cela aux
calendes grecques.
M. Peut-être plus tôt que tu ne voudrais.

Ce mot de la fin a une signification bien claire. Erasme, par le


truchement de Misoponus, se fait l'écho de la grande menace des
civitates contre les vagabonds. Non, décidément, ce ne sont pas les
méditations d'un philosophe qui ont donné le branle aux réformes
des édiles. Mais ceci reconnu, il faut encore revenir à Yivès comme à
un interprète exceptionnel de l'esprit des villes qui se remuent alors
pour organiser la bienfaisance publique et traquer les mendiants
suspects. En lui se rencontrent les trois composantes que l'analyse
magistrale de Pirenne discernait dans la genèse de ce mouvement
aux Pays-Bas x. Yivès, le grand Espagnol transplanté à Bruges,
dédie le De subventione pauperum à la municipalité de sa patrie
d'élection. Hommage plein de sens. Il incarne mieux que personne,
avec son maître Erasme et son ami Thomas More les aspirations de

1 H. Pirenne, Histoire de Belgique , t. III.

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J. L. VIVES 143

rhumanisme chrétien, si vivace dans ce milieu, à une réforme intel-


lectuelle, morale et religieuse. D'autre part, son esprit puritain et
laborieux est celui de la bourgeoisie marchande dans laquelle il a
pris femme à Bruges même ; il est en intelligence avec le capitalisme
naissant qui ne peut développer ses entreprises sans main-d'œuvre
et qui rêve de prospérité par le travail. Enfin, sans être un légiste au
service de la « république », il a un assez vif sentiment de l'Etat
municipal pour sympathiser avec les édiles qui aspirent à contrôler
certains intérêts particuliers pour le bien commun.
On ne doit point perdre de vue cette position de Vivès si l'on
veut aborder convenablement son livre. Il est plus novateur au fond
que révolutionnaire de ton. Le lecteur moderne trouve ses pages
inofïensives et peut s'étonner qu'elles aient senti le fagot. Le fait est
là. Le De subventione pauperum avait été assez bien accueilli en 1526
pour être réimprimé au bout de peu de mois avec une lettre et des
annotations du Chartreux Jean Moyard. Mais en 1527, il est attaqué.
Vivès écrit le 16 août à son ami Granevelt : « L'Evêque de Sarepta,
vicaire de l'évêque de Tournai, homme savant ès lettres latines et
très versé dans l'ancienne littérature de notre religion, déchire à grand
renfort de critiques mon petit livre sur les pauvres. Il le déclare
hérétique, suppôt de la faction luthérienne ; il le menace, semble-t-il,
de dénonciation » *. L'accusateur s'appelle Fr. Nicolas de Bureau.
Ce savant homme, assez redoutable adversaire, porte l'habit fran-
ciscain. Est-ce, en lui, le moine mendiant qui s'est ému de la réforme
de l'aumône et qui s'est ensuite rassuré ? On ne sait trop. En tout cas,
il lâche prise, et Vivès respire. Dieu merci, son livre est prudent !
« Sauf erreur, je ne vois pas un seul passage de ce livre qui puisse
donner prise même au calomniateur le plus impudent et devant les
plus malveillants des juges. J'avais pris toutes mes précautions pour
éviter ce qui pouvait contrarier le bénéfice que j'en attendais pour
de nombreux milliers d'hommes » 2. ... Id cavi seduto. Pour qui
connaît ses lettres intimes à Granevelt, il apparaît en effet que Vivès
a pris une précaution radicale. Lui qui n'aime guère «les sempiter-
nels moines mendiants » (ol £lw6ótsç áòsXcpol ттг w^ot) 3, il s'est soi-
gneusement abstenu de lier au problème de la mendicité en général
celui de la mendicité monastique. Pareille circonspection contraste
avec le manque d'égards d'un Corneille Agrippa dans son traité
De V incertitude et vanité des sciences et des arts, pourtant publié en
pays catholique (Anvers 1530). Cet aventurier de l'esprit dénonce
les mendiants vagabonds, leurs impostures, leurs escroqueries ; il
donne ensuite leur paquet aux bohémiens ; mais il ne clôt pas son

1 H. de Vocht, Liter œ virorum eruditorum ad Franciscum Craneveldium (1522-


1528J, Louvain, 1928, p. 633.
2 Ibid., p. 636 (1er oct. 1927).
3 Ibid., p. 616.

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144 MARCEL BATAILLON

chapitre des mendiants sans que les moines aient eu leur tour. Et
quel impitoyable réquisitoire contre les moines quêteurs, colporteurs
de reliques et d'indulgences, contre les moines intrigants qui captent
la confiance des familles, régnent sur la chaire, s'imposent même aux
Papes et aux rois ! Agrippa, en nommant Richard ď Armagh, évoque
la grande campagne du XIVe siècle contre les ordres mendiants 1.
Mais il dessine lui-même sur le vif, non sur une tradition livresque.
Et il était diffìcile de traiter avec plus de joviale férocité « cette
religieuse et dévote bélîtrerie » 2.
Le mutisme de Yivès le prudent sur cette matière suffit-il à rendre
son livre rassurant ? Le fait qu'il ne dit même pas un mot des moines
pour les mettre hors de cause n'est-il pas fortement suspect ? C'est
de l'hérétique Allemagne, nous le savons, que part le mouvement
dont il se fait le champion. Ici encore les Literas ad Crarieveldium
nous aident à rétablir l'ambiance dans laquelle Vivès écrit. Le Néer-
landais Gérard Geldenhouwer raconte au pensionnaire de Bruges
les sujets d'admiration que lui a réservés sa visite à Strasbourg
quelques mois à peine après la publication du De subuentione pau-
perum. La grande cité alsacienne sur laquelle Ypres, semble-t-il,
prend partiellement modèle, est alors le plus brillant foyer de la réforme
luthérienne. L'humanisme trilingue y fleurit. L'Evangile est enseigné
quotidiennement, dans toute sa simplicité, par Capiton, Gaspar
Hedion, Mathieu Zell, Othon Brunfels, Martin Butzer. François
Lambert d'Avignon vient de passer par là, et aussi Lefèvre d'Etaples.
Or Strasbourg offre à Geldenhouwer d'autres nouveautés : « Là,
personne ne mendie ; les pauvres itinérants sont hébergés un jour et
une nuit aux frais de la commune ; puis, à moins qu'une maladie de
les en empêche, ils sont contraints de partir avec un blanc de viatique.
Quant aux pauvres de la ville ils reçoivent juste de quoi vivre décem-
ment selon la situation de chacun ; et tout cela est administré de bonne
foi sur des fonds publics. Les blasphèmes, les jurons, les ripailles,
l'ivresse, le jeu de dés sont prohibés par édit » 3.
Suppression de la mendicité, organisation de la bienfaisance,
réforme des mœurs, prédication de l'Evangile... tout se tient dans
cette expérience concrète. N'enchanterait-elle pas un Vivès autant
qu'un Geldenhouwer ? Osons poser la question et reconnaître que
tant de nouveautés liées constituaient une révolution profonde. Il se
peut que ni les bourgeois d'Ypres et de Bruges ni leur porte-parole
Vivès n'aient conçu la suppression du mendiant comme entraînant

1 Cf. G. Meerseman, O. P., La défense des ordres mendiants contre Richard Fitz
Ralph , par Barthélemy de Bolsenheim , O. P. (1357), (Archivům Fratrum Prsedica-
torum, t. V (1935), p. 124 sq.).
2 Comme dit le traducteur français de Corneille Agrippa, L. de May erne Turque t
(éd. s. 1., 1608 ; voir tout le long passage sur les moines mendiants, fol. 217 v° sq. La
lre éd. de cette traduction est de 1582).
3 H. de Vocht, op. cit., p. 515.

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J. L. VIVES 145

la disparition du moine mendiant. Il se peut qu'ils n'aient pas conçu


la réforme des mœurs comme exigeant la fin du célibat obligatoire
des prêtres. Il se peut aussi que ces corollaires, tranquillement accep-
tés par Erasme 1, ne les aient pas non plus effarouchés. Quel que fût
leur souci de se désolidariser de l'hérésie, tous s'acheminaient vers
ce qu'on peut appeler un état de choses protestant.
Dans le De subventione pauperum, les propositions fondamentales
arrondissent si bien leurs angles, elles s'entourent si bien de considé-
rations générales et de dispositions de détail qu'elles risquent de ne
pas ressortir avec la netteté nécessaire 2. L'expérience de Strasbourg
les éclaire et aussi les récriminations des orthodoxes. Nul doute que
des propositions concrètes ne soient la raison d'être de ce livre. La
question qu'il abordait - l'extinction du paupérisme, comme dira
le XIXe siècle - allait certes assez loin pour mettre en cause la
structure économique de la société en même temps que sa morale.
Yivès consacre toute sa première partie au devoir d'entr'aide et de
bienfaisance des chrétiens, et nous verrons quelle portée il donne à
ce thème par sa volonté de le traiter selon la philosophie et l'Ecriture,
non selon la casuistique de l'aumône. Il n'arrive à son plan de réforme
municipale qu'après des considérations sur le besoin, la division du
travail, la répartition des biens, la monnaie, les différentes façons de
tomber à la pauvreté. Mais il s'en tient sur tout cela à des remarques
sommaires. Yivès, qui, traitant des obligations du chrétien, critique
les méfaits de la distinction du mien et du tien, et parle de la commu-
nauté des biens naturels, ne fonde nullement sur ces bases une concep-
tion socialiste ou communiste. Plus tard, dans le De communione
rerum apud Germanos inferiores , il fera même le procès en règle
du communisme à l'occasion de la révolution anabaptiste de Munster.
Ici, où il fait impartialement le procès des riches et des pauvres, il
se contente de signaler le danger de guerre civile que constitue la
rancœur des pauvres sans ressources pour nourrir leurs petits affamés
tandis que les riches insolents regorgent de tout pour leurs bouffons,
leurs concubines, leurs chiens, leurs mules et leurs chevaux 3. Mais
s'il évoque ainsi, à l'arrière plan, tout le problème de la justice sociale,
on s'aperçoit vite que les principaux personnages auxquels il pense

1 Sur la liberté du mariage pour les prêtres, admise par Erasme dans son Epistola
apologetica de interdicto esu carnium (1522), cf. A. Renaudet, Etudes érasmiennes
(1521-1529), Paris, 1939, p. 41. Voir pourtant les ironies amères d'Erasme au sujet
du mouvement des bons prédicateurs évangéliques de Strasbourg vers le mariage
(Lettre à Gaspar Hedion, 1524), dans Allen, Opus Epistolarum Erasmi ,• Ep. 1459,
1. 86-101, t. V, p. 482-3. Erasme y discute aussi le cas des moines défroqués (1. 109-110) :
« Certe muitos alebat cuculla, qui nunc veniunt in periculum ne magistra egestate
discant tollere unde non oportet ».
2 Elles sont noyées dans l'analyse de A. Bonilla, Luis Vives y la Filosofia del
Renacimiento, Madrid, 1903, p. 493-509.
3 Nous renvoyons à l'édition Mayans de Vivês, Opera , t. IV, p. 420-494. Voir
p. 465.

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146 MARCEL BATAILLON

sont les mendiants des rues, avec, accessoirement, les hôtes de l'hos-
pice ; il est bien plus bref sur les pauvres honteux.
Nullus ibi mendicai , écrivait Geldenhouwer réconforté par le
spectacle de Strasbourg réformée. Un des traits qui se dégage le
mieux du De subventiorte pauperum c'est l'horreur morale et physique
ressentie par Yivès en face de la mendicité professionnelle. Les
mendiants sont, à ses yeux, les pires ennemis de la bienfaisance.
Gomment leurs vices ne dégoûteraient-ils pas le peuple chrétien de
l'aumône ? Engeance ingrate dont les enfants, même s'ils ont été
recueillis tout jeunes par de bonnes âmes, lèvent le pied en volant leur
bienfaiteur, ou bien payent ses bienfaits par l'insolence. Mendiants
importuns, effrontés, qui quêtent pendant la messe, troublant jus-
qu'au recueillement de l'élévation. Mendiants répugnants qui insi-
nuent dans la foule serrée des fidèles l'horreur et la puanteur de
leurs ulcères. Mendiants simulateurs qui entretiennent avec art des
plaies repoussantes, qui traînent avec eux des enfants empruntés
ou volés pour inspirer la compassion. Mendiants riches par leur
industrie, qui demandent l'aumône à de bien plus pauvres qu'eux, et
qui, comme l'Irides d'Erasme, ne changeraient de métier pour rien
au monde. Mendiants avares qui thésaurisent et dont on retrouve
par hasard, après leur mort, les magots bien cachés. Mendiants
prodigues et débauchés, dont les femmes se prostituent ; piliers de
cabarets, goinfres qui, pour s'offrir des chapons, des poissons de choix
et de bons vins, dépensent plus facilement un doublon que les riches
un réal. Mendiants grossiers dont les repas sont plus bruyants que des
querelles de rufians et de filles publiques. Mendiants voleurs et
assassins. Mendiants impies qui n'ont que Dieu et les saints à la
bouche, qui se vantent d'être les «pauvres de Jésus-Christ», mais
qu'on ne voit jamais suivre la messe ni écouter un sermon 4
Quand Vivès attire l'attention des magistrats sur cet abcès
purulent qu'est le monde des pauvres professionnels, il y a là plus
qu'une métaphore. Certes, c'est le puritanisme bourgeois qui exprime
par lui son indignation devant l'immoralité d'une racaille cent fois
plus avide de jouissances que les possédants, cyniquement gaspilleuse
d'un argent qu'elle n'a pas gagné par son travail. Yivès traduit aussi
son angoisse devant un grave danger pour la santé publique, son
dégoût devant un spectacle qui soulève le cœur. « Faut-il que les
jours de fête on ne puisse accéder à l'église qu'entre deux haies ou deux
escadrons serrés de maladies, de tumeurs putrides, de plaies et
d'autres maux dont les noms mêmes sont intolérables, et que ce soit
le seul chemin par où doivent passer enfants, jeunes filles, vieillards
et femmes enceintes ? » Il faudrait une résistance de fer, gémit le
sensible Yivès, pour supporter cette vue sans défaillir, surtout quand

1 Vives, ed. cit., p. 434-6.

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J. L. VIVES 147

on arrive à jeun pour recevoi


s'étalent non seulement sous vos yeux, mais contre votre nez et votre
bouche, qu'ils touchent presque г.
Yivès a éprouvé ce haut-le-cœur de tous ses nerfs d'homme
délicat. Le docteur Marañón diagnostique rétrospectivement en lui
un tempérament d'arthritique pris entre l'attrait des bonnes choses
et la nécessité de s'en abstenir. Il paraît que cette oscillation entre
«vouloir et ne pas pouvoir» est propice à l'humour 2. Mais l'humour de
Vivès - qui se fait jour ailleurs que dans notre livre - broche sur
un fond de mélancolie presque douloureuse qui transparaît bien dans
son meilleur portrait 3. Les délicats sont malheureux. On souffre
quand on est doué d'une sensibilité très exigeante en matière de
propreté 4, facilement blessée par les bruits, les odeurs, les subtiles
influences de l'air et de la lumière. Repoussé par la « crasse » univer-
sitaire, que ce fût celle de Louvain ou d'Alcala, incapable de se faire
aux climats tristes d'Oxford et de Londres, Vivès n'avait trouvé son
équilibre qu'à Bruges, la ville « amie de l'homme », la cité marchande
déjà frappée à mort par la concurrence d'Anvers et baignée de silence
par ses canaux, sous un ciel où les brumes font la paix avec le soleil 4.
Il semble n'avoir été dans son élément que dans le monde cossu et
austère du commerce cosmopolite auquel il appartenait par son
mariage. L'Espagnol brugeois a parlé dans le De subventione pauperum
au nom de ces êtres bien moins jouisseurs que scrupuleux, partagés
entre les affaires et la piété, mirant dans leurs logis bien astiqués cette
méticuleuse propreté de linge et d'âme qui évoquent leurs portraits
par Van Eyck et Quentin Metsys.
Comment se résume l'opération de nettoyage qui va purifier la
ville ? Alors que les indigents qui ont un logis avouable doivent être
inscrits sur un registre dans la paroisse de leur domicile avec tous les
renseignements désirables sur leurs besoins et leurs antécédents, les
mendiants des rues, ceux de la cour des miracles, sont appelés à un
grand conseil de révision que Yivès ne conçoit qu'à l'air libre, une
telle tourbe ne pouvant être admise à infecter l'Hôtel de Ville de
sa présence. On enregistrera d'un côté les mendiants valides, de l'autre
les malades qui, pour couper court aux simulations, passeront devant
une commission assistée d'un médecin 5. Au reste, pour tous, la solution
du problème social qu'ils posent sera la même : la mise au travail.

1 Ibid., p. 466.
2 G. Maranón, Españoles fuera de España (Col. Austral n° 710), Madrid, 1947,
p. 99-110.
3 Le portrait gravé par Ph. Galle (cf. M. Bataillon, Ph. Galle et Arias Montano ,
Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance, t. II, Paris, 1942, p. 141).
4 Cf. M. Bataillon, Du nouveau sur J. L. Vivès , Bulletin Hispanique, t. XXXII
(1930), p. 99-102.
5 Vivès, ed cit., p. 470.

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148 MARCEL BATAILLON

« Adigantur ad laborem », disait Erasme. Exigence plus sévère


à l'égard des pauvres descendus à la misère par la pente du vice : à
ceux-là on réservera les travaux les plus pénibles et les moins bien
payés, afin de soumettre leurs passions à une cure d'ascétisme. Mais
exigence sans exception, dont ne sont exclus ni les infirmes, ni les
incurables, ni les vieillards. Yivès énumère avec une complaisance
visible les multiples travaux dont peuvent s'acquitter des aveugles.
Non seulement certaines études et la musique leur sont ouvertes, mais
les hommes peuvent manœuvrer des tours ou des presses, actionner
des soufflets de forge, confectionner des boîtes, des cages, des paniers ;
les femmes peuvent filer et dévider г.
Il y a chez Yivès comme une utopie du travail, mais bien différente
de celle de Thomas More. Celui-ci imagine un ordre socialiste qui
éliminerait, certes, l'oisif, mais réduirait le fardeau de chaque citoyen
à six heures de travail par jour pour la communauté, laissant une
ample marge au travail libre ou à l'activité désintéressée du corps et
de l'esprit. L'ordre conçu par Vivès, d'inspiration plus pessimiste,
s'attache à la loi du travail, comme à la fois conforme à la malédiction
de la Genèse, au précepte de saint Paul, et à l'intérêt de la nature
humaine déchue. L'oisiveté du pauvre est à ses yeux le grand péril,
et si l'on peut parler à son sujet d'utopie, les illusions dont il se berce
consistent à espérer que l'abcès de l'oisiveté mendiante se résorbera
par le travail forcé, à postuler un équilibre facile entre la main-
d'œuvre utilisable et les besoins de la libre entreprise : « que les
ateliers ne manquent pas de bras et que les pauvres ne manquent pas
d'ateliers » 2.
En tout ceci le champion de la morale semble être aussi le porte-
parole de l'artisanat, et plus particulièrement de l'industrie textile
des Pays-Bas. Celle-ci ne sera pas menacée de chômage par la mise au
travail des inutiles. « Les lainiers d'Armentières, ou, pour mieux dire,
la plupart des corporations se plaignent de la rareté des ouvriers.
Ceux qui tissent les soieries à Bruges prendraient n'importe quels
gamins rien que pour actionner des tours et des rouets, et payeraient
à chacun un stuiver par jour environ, plus la nourriture ». Ces lignes
sonnent comme une offre d'embauche. C'est, en tout cas, le résumé
d'une situation à laquelle Vivès ne voit pas d'issue hors de l'abolition
de la mendicité : « on ne peut trouver d'enfants pour ce travail
parce que, comme disent les parents, ils rapportent plus d'argent à la
maison quand ils mendient ».
Les autorités devraient placer chez chaque artisan un certain
nombre de pauvres hors d'état d'avoir un atelier à eux. Les bons
1 Ibid., p. 474.
2 Ibid., p. 472-3. Cette formule, qui dégage l'intention des mesures préconisées
par Vivès, a été ajoutée par le traducteur espagnol du XVIIIe siècle (Traduction
réimprimée dans la Biblioteca de Autores Españoles de Rivadeneyra, t. LXV, Obras
escogidas de fdósofos , p. 282b).

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J. L. VIVES 149

travailleurs deviendront à leur tour des artisans. Pour assurer du


travail aux ateliers nouveaux et à ceux qui emploient de la main-
d'œuvre placée par la Ville, il faudrait leur réserver les multiples
commandes municipales : celles-ci sont très variées et concernent
depuis les confectionneurs d'habits et les imagiers jusqu'aux entre-
preneurs de travaux publics construisant « égouts, latrines, fossés et
bâtiments ». Tous les travaux nécessaires aux hospices devraient aussi
être inclus dans ce secteur, de telle sorte que l'argent des pauvres
fasse vivre les pauvres au travail.
L'organisation esquissée implique, entre les ateliers et les hospices,
une institution sur laquelle Vivès ne s'étend guère, mais qui fait
penser aux « dépôts de mendicité » créés par Napoléon, et que
Stendhal 1 nous montre, sous la Restauration, exploités par les
suppôts du régime : « Ceux qui ne seront pas encore placés chez un
patron seront nourris quelque part, pendant un temps limité, sur les
aumônes récoltées. Mais entre tant, qu'ils ne s'abstiennent pas de
travailler, de peur que l'oisiveté ne les conduise à la paresse. Dans la
même maison on servira des repas aux vrais pauvres valides qui seront
de passage et on leur donnera un petit secours pour la route, juste
de quoi gagner la ville la plus proche sur leur itinéraire ». On reconnaît
dans cette deuxième fonction du dépôt de mendicité un trait qui avait
frappé Geldenhouwer dans l'organisation strasbourgeoise. Le grand
triage des mendiants doit non seulement permettre à la Ville de
discerner les pauvres légitimes des pauvres abusifs, mais de discerner
ses fils des intrus. Les mendiants valides qui ne sont pas du pays doi-
vent être renvoyés dans leur ville ou leur village d'origine. Cette
expulsion, note Vivès, est conforme au droit civil. Remettre aux
partants un modeste viatique, est un devoir d'humanité en même
temps qu'une mesure de sagesse car il ne faut pas réduire ces gens à
devenir voleurs de grands chemins. Mais la Ville a le droit et le devoir
de s'en débarrasser. A cet égoïsme sacré, Vivès ne signale qu'une
restriction : le devoir d'accueil aux réfugiés des villages ravagés par
la guerre 2.
Cette organisation est bien celle que le Misoponus d'Erasme
annonçait en quelques sobres formules : « ne mendicis liberum sit
quolibet evagari, sed unaquœque civitas suos alat mendicos, et in his
qui valent adigantur ad laborem ». Tout le système exposé par Vivès
tend sans qu'il le dise nulle part de façon nette et agressive 3, à la
suppression radicale de la mendicité. Il implique, avec la loi sévère du

1 Dans Le rouge et le noir .


2 Vivès, éd. cit., p. 471. Sur ce point comme sur d'autres sans doute, Vivès semble
s'inspirer du règlement d'Ypres, dont Fr. Domingo de Soto discutera la disposition
générale interdisant l'entrée de la ville aux pauvres du dehors (cf. Bonilla, op. cit.,
p. 508).
3 Sauf peut-être dans une courte phrase de sa conclusion (Vivès, ed. cit., p. 492 :
« Decus civitatis ingens, in qua nemo visetur mendicus »).

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150 MARCEL BATAILLON

travail pour tous, une réforme non moins


dire des hospices. Dans le grand débat séculaire, particulièrement
vif au XVIe siècle, qui oppose adversaires et défenseurs de la mendicité,
Vivès est rangé à bon droit parmi les premiers, qui voulaient enfermer
les invalides et incurables sans ressources entre les murs d'un hôpital,
ou du moins leur interdire la liberté mendiante à laquelle Irides
trouvait tant de charmes. Les historiens espagnols voient volontiers
dans Fauteur du De subventione le précurseur des Miguel Giginta et des
Cristobal Pérez de Herrera, fondateurs d'hospices originaux pour
mendiants. Mais (on l'oublie ou on l'ignore) ces hospices n'interdiront
pas la mendicité à leurs hôtes : donnant asile à des pauvres légitimes,
ils organisent leur mendicité, soit qu'ils laissent à chacun le produit
de sa quête, soit qu'ils le fassent quêter avec un tronc pour la commu-
nauté. Rien de tel n'a pu être imaginé par Vivès, qui visait à la
suppression de la mendicité, non à son épuration. Si les hospices qu'il
concevait n'étaient pas des prisons, c'étaient des logis d'où l'on sortait
pour aller à l'atelier. On ne voit pas qu'il se mette fort en peine de les
multiplier. Tout au plus envisage-t-il qu'on fonde quelques hôpitaux
nouveaux pour les pauvres malades, surtout pour les contagieux.
Une ville, en procédant ainsi, imite la nature ou les constructeurs
de navires qui disposent un cloaque ou une sentine pour isoler les
déchets. Le malade qui guérira sortira de la sentine sociale pour
reprendre sa place au travail, à moins qu'il ne veuille rester parmi ses
frères d'infortune pour les servir *.
La thèse générale de Vivès est que les hospices existants doivent
suffire aux besoins des pauvres authentiques. Le De subventione
pauperum tranche par là sur les règlements et les projets de son
époque pour la réforme de la bienfaisance. Alors qu'un peu partout
on se soucie de récolter le plus d'argent possible par une sorte de
souscription permanente destinée à remplacer l'aumône tradition-
nelle, Vivès admet seulement, comme un expédient temporaire, des
troncs placés certaines semaines dans les principales églises. Il semble
que cet appel discret doive être d'autant mieux entendu qu'il sera
inhabituel. Les hommes charitables déposeront là ce qu'ils voudront.
Vivès est persuadé que les Brugeois donneront plus volontiers dix
stuivers à une assistance bien organisée que deux liards aux mendiants.
Nous verrons à quelle conception répond cette volonté de ne jamais
pousser à fond la collecte 2. L'optimisme apparent de Vivès, qu'on
pourrait imputer à naïveté, couvre en réalité plusieurs idées assez
hardies, et d'abord celle-ci : que les ressources des fondations chari-

1 Vives, ed. cit., p. 475.


2 Ibid., p. 481. Il faut noter que Vivès envisage aussi des dons ou des prêts faits
à l'organisation de bienfaisance soit par les riches soit par la ville (celle-ci devant se
procurer des ressources en rognant sur les dépenses somptuaires telles qu'entrées de
souverains). L'idée des emprunts, comme celle des troncs temporaires, est bien signi-
ficative.

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J. L. VIVES 151

tables existantes sont considérables, et qu'on s'en apercevra si elles


sont prises en mains par une organisation municipale souveraine
pour en assurer le meilleur emploi. Geldenhouwer, résumant le système
strasbourgeois d'assistance, ajoutait : « et omnia hsec bona fide e
publico administrantur ». Ne nous étonnons pas si la mise des hôpi-
taux sous contrôle municipal est apparue avec le temps comme le
trait révolutionnaire par excellence des conceptions de Vivès.
C'est à Bruges, précisément, que, vingt ans après la mort de Yivès,
se ranimera la querelle de la bienfaisance. Un édit de Philippe II
ayant rendu aux nécessiteux le droit de mendier et porté ainsi un
coup fatal aux efforts des villes contre la mendicité et le vagabon-
dage, Bruges met sur pied un nouveau plan de réforme, et le pension-
naire Gilles Wyts le justifie dans un livre qui en dégage l'esprit
dès le titre : De continendis et alendis domi pauperibus et in ordinem
redigendis validis mendicanti bus (Anvers 1562). Alors se lève pour
défendre la conception traditionnelle de l'aumône un moine espagnol
de l'ordre de saint Augustin, agent secret de Philippe II dans les
Flandres, prédicateur appointé de la ville de Bruges, beau spécimen
de ce tout-puissant monachisme mendiant qui indignait Corneille
Agrippa Or, dans son traité De œconomia sacra circa pauperum
curam (Anvers 1564) Fr. Lorenzo de Villavicencio prélude à la critique
du livre de Wyts 2 en dénonçant celui de Vivès comme l'origine
lointaine de l'hérésie municipaliste en matière de bienfaisance. Car
pour lui c'est une véritable hérésie que de dire aux Conseillers de
Bruges que toute institution intéressant l'existence de leur ville est
soumise au regard de leur Conseil 3. Procéder, comme le réclame
Vivès, à un double inventaire municipal des ressources et des charges
de l'ensemble des hôpitaux pour les équilibrer au mieux, c'est une
inadmissible intrusion de l'élément profane dans le domaine ecclé-
siastique. Il s'agit là de fondations particulières, de fondations pieuses,
gérées par des prêtres. Leur contrôle par la Ville serait une victoire
facile pour les séculiers. Mais où conduirait ce premier pas ? On
imagine les gens d'Eglise écartés des fondations charitables comme
étant des administrateurs infidèles, les Conseillers se substituant aux
ecclésiastiques, la municipalité s'arrogeant des prérogatives qui sont
d'Eglise essentiellement. Les prêtres et les moines seront tout juste
bons, dans ce système nouveau, pour faire appel, du haut de la chaire,
à la charité chrétienne, au profit de la caisse de ces Messieurs 4.
Mais dans quelle situation se trouveront les biens d'Eglise en général ?

1 Cf. A. Journez, Notice sur Fray Lorenço de Villavicencio agent secret de Philippe II
(dans P. Fredericq, Université de Liège, Travaux du cours pratique d'histoire natio-
nale, 2e fascicule, p. 43-77, Gand-La Haye, 1884).
2 Villavicencio, De œconomia , ed. cit., p. 139-175.
3 Ibid., p. 160.
4 Ibid., p. 145-146. Fr. Lorenzo dénonce cette tendance comme allant vers le
luthéranisme ou le paganisme (« qui Lutheranismo vel Ethnicismo favent »).

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152 MARCEL BATAILLON

Vivès avait esquissé une petite histoire de la bienfaisance chré-


tienne que Fr. Lorenzo critique sévèrement : « Jadis, quand le sang
du Christ était encore chaud, tous jetaient leurs richesses aux pieds
des Apôtres pour qu'elles fussent distribuées par ceux-ci selon les
besoins de chacun ; les Apôtres se déchargèrent ensuite de ce soin,
considéré comme indigne d'eux, car il leur convenait mieux de prêcher,
d'enseigner l'Evangile, que de récolter ou distribuer de l'argent, et
cette charge fut confiée aux diacres. Mais eux-mêmes ne la gardèrent
pas longtemps, si grand était le zèle d'enseigner, de promouvoir la
piété, de gagner au plus vite les biens éternels par une belle mort ;
c'est pourquoi, sur l'argent réuni, les laïques de la communauté
chrétienne donnaient à chacun ce dont il avait besoin. Mais la chré-
tienté s'étendant, l'immoralité y gagnant du terrain, certains com-
mencèrent à se montrer administrateurs infidèles : les évêques et les
prêtres poussés par leur amour des pauvres, reprirent le soin de ces
richesses qui avaient été réunies pour soulager les indigents. Les évê-
ques méritaient alors une confiance absolue, comme on le voit chez
saint Jean Ghrysostome... Depuis, la charité s'est refroidie de plus en
plus. L'Eglise a été envahie par un esprit d'ostentation et de jouissance
tout profane. Poussés par leurs besoins d'argent, certains évêques
et prêtres ont converti en leur propre bien et revenu ce qui avait été
d'abord le bien des pauvres » г.
Vivès va-t-il conclure que cette vaste usurpation justifie une
grande sécularisation ? Non pas. Les ecclésiastiques, dit-il, ont charge
des corps en même temps que des âmes. Ils secourraient les indigents
sur les revenus de leur bénéfice s'ils avaient eux-mêmes cette confiance
en Dieu qu'ils prêchent aux pauvres. La masse des revenus d'Eglise
est telle que les prêtres, abbés et autres prélats pourraient, s'ils le
voulaient, soulager la plupart des misères. Tant pis pour eux s'ils ne
le font pas. Le Christ sera leur juge. Mais nul accaparement du bien des
pauvres, si grave qu'il soit, ne saurait justifier une révolution 2. Que
les pauvres se contentent d'avoir le bon lot, d'être morts au monde et,
semble dire Vivès, d'être pauvres en esprit comme ils le sont en fait,
comme devraient l'être ces ecclésiastiques qui ne font pas ce qu'ils
prêchent. Au même endroit où Vivès propose que les hôpitaux
réservent leurs travaux à la main-d'œuvre récupérée afin que l'argent
des pauvres ne sorte pas des mains des pauvres, il suggère que les
évêques, les chapitres et les abbés observent la même règle 3. A cela se
borne toute la menace que Vivès fait peser sur la masse des biens
d'Eglise. Conjurer délibérément le spectre de la révolution séculari-

1 Vivès, op. cit., p. 479.


2 Ibid., p. 480.
3 Ibid. y p. 473. Vivès annonce là une sorte de lettre ouverte adressée aux digni-
taires ecclésiastiques sur ce sujet (« sed alias ad hos scribemus »). Si elle fut écrite,
elle n'est pas parvenue jusqu'à nous.

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J. L. VIVES 153

satrice était sans nul doute une de ces précautions dont Yivès se
louait.
Il reste qu'il Га un instant évoqué, et que ses considérations
sur les biens des pauvres transformés abusivement en biens d'Eglise
servent d'introduction à son exigence du contrôle municipal sur les
biens des hôpitaux : « Qu'on fasse le compte des revenus annuels des
hôpitaux ; et il n'est pas douteux que si l'on donne du travail aux
pauvres valides, ces revenus suffiront non seulement pour les pauvres
hospitalisés mais permettront encore des distributions à ceux du
dehors. On me dit que les richesses des hôpitaux, en chaque ville,
sont telles que, si elles sont bien administrées , elles donnent largement
de quoi subvenir à tous les besoins des citoyens tant aux besoins
ordinaires qu'aux imprévus et extraordinaires » x.
Si recte dispensentur ... Mais nous commençons à voir clair dans
Г« optimisme » de Yivès. Il a lui-même prédit que sa réforme aurait
deux sortes d'ennemis : d'une part, les pauvres qui préfèrent leur
oisiveté vicieuse à une vie de sobriété et de travail ; de l'autre, les
administrateurs parasites des fondations pieuses. Ces derniers s'indi-
gneront très fort d'un contrôle qui, disent-ils, déroge aux dernières
volontés des fondateurs. Mais le Conseil de Ville ne doit pas s'arrêter
à leurs criailleries. Qu'il lui suffise de respecter l'intention générale
des fondations : le soulagement des pauvres 2. Yivès lance tout uni-
ment ce rappel à l'ordre qui scandalisera fort Fr. Lorenzo de Villa-
vicencio : « Que les prêtres en aucun cas ne s'approprient l'argent des
pauvres sous prétexte de piété et de messes ; ils sont assez nantis
et n'ont pas besoin de plus » 3. Peut-être notre réformateur a-t-il
voulu dénoncer des prélèvements parfaitement arbitraires opérés
par les chapelains sur les revenus d'un hôpital. C'est ce qu'insinue
Fr. Lorenzo, qui voit là une calomnie gratuite 4. Mais peut-être
Vivès s'en prend-il même aux chapellenies prévues par le fondateur
et dont il admettrait aisément le retour à la masse du bien des pau-
vres. Il n'a qu'une médiocre révérence pour les testaments des hommes
riches qui attendent leur heure dernière pour faire du bien aux misé-
rables, et qui, même alors, se soucient plus de leur lignage et de leur
gloire que des pauvres. Il veut qu'on exhorte les riches à rogner
sur le luxe de leurs funérailles et de leurs chapelles pour grossir
la part des nécessiteux - à penser aux « temples vivants de Dieu »
plus qu'aux temples de pierre 5. Si un défunt, par gloriole, a prévu des
distributions de vivres à des gens nommément désignés, qu'on respecte
cette disposition lors de l'enterrement, et à la rigueur lors de la messe

1 Ibid., p. 480.
2 Ibid., p. 488-90.
3 Ibid., p. 482.
4 De œconomia ... ed. cit., p. 170.
5 Vives, ed. cit., p. 441 et 449.

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154 MARCEL BATAILLON

de bout de Fan. Mais qu'après cela les d


réglées par les administrateurs municipa
Que Yivès ait conçu les hôpitaux comme assez riches pour se
passer d'une collecte régulière à domicile et de troncs permanents
comme en instituaient un peu partout les réformateurs de la bien-
faisance, on ne le comprendra que si Ton pense à une impitoyable
réforme de la gestion des fondations pieuses, à l'élimination de ceux
que Yivès appelle les frelons des hôpitaux : hommes qui, de serviteurs
et de fonctionnaires se sont érigés en seigneurs et maîtres, servantes
des pauvres converties en belles dames douillettes et coquettes 2.
Mais il faut penser aussi à une gestion étrangement pénétrée d'esprit
de pauvreté et d'insouciance évangélique, toujours en garde contre
la thésaurisation. Vivès semble avoir prévu la surprise que pourrait
causer son idée de ne placer des troncs dans les églises que temporai-
rement, et pour faire face à des besoins momentanés. Il insiste sur
ce point que la bienfaisance ne doit pas avoir beaucoup d'argent
devant elle, ou que, lorsqu'elle en a, elle doit s'en alléger en envoyant
ses excédents là où il y a de grands besoins. Plus les réserves sont
importantes, plus l'avarice induit à les augmenter : on distribue
alors des secours plus parcimonieux que si elles étaient modestes.
Sans vouloir porter de jugement sur ce qui se passe aux Flandres, le
prudent Yivès rapporte les propos qu'il a recueillis en Espagne de la
bouche des vieillards. Là-bas, maints administrateurs, prétendant
accroître les revenus des hôpitaux ont, en fait, accru démesurément
leurs propres fortunes. Tandis que leurs maisons prospéraient, leurs
hôpitaux se vidaient de pauvres. Contre cette tendance fatale, Yivès
préconise la plus draconienne précaution : interdire à l'administration
des hôpitaux les achats de biens fonds et les placements de capitaux.
On coupera court, de la sorte, aux prévarications des administrateurs
et à la thésaurisation qui affame les pauvres d'aujourd'hui sous
prétexte d'assurer l'avenir 3. Il est peu probable que le gendre des
Yaldaura fût, sur le plan familial, ennemi de toute prévoyance et de
toute épargne. Mais son idéal, sur le terrain de la charité publique,
a été la confiance dans le lendemain recommandée par l'Evangile.
Le Père Céleste nourrit et habille des êtres qui ne sèment ni ne récol-
tent, qui ne filent ni ne tissent. Pareil à ces êtres, les pauvres qui ne
travaillent pas doivent ne pas s'habituer à faire des provisions ;
mieux vaut qu'ils se fient au Christ seul. Yivès propose aux gens de
Bruges l'exemple de leur école des pauvres. Elle a commencé pau-
vrement avec dix-huit élèves dont on ne savait trop comment on les
nourrirait. Dix ans plus tard, on nourrit une centaine d'enfants

1 Ibid., p. 481.
2 Ibid., p. 473.
3 Ibid., p. 481.

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J. L. VIVES 155

et on peut faire face à toutes les arrivées imprévues. Les œuvres


chrétiennes doivent grandir ainsi par la foi plus que par le calcul г.
Enfin cet idéal d'une bienfaisance pauvre, côtoyant sans cesse le
déficit, s'accorde à une conception puritaine de l'existence. Sans
hypocrisie, semble-t-il, Yivès a proclamé que les pauvres vivaient
selon la vérité chrétienne et il n'a pas songé un seul instant à leur
faire cadeau du dangereux confort des riches. La règle du travail pour
tous a pour complément la règle de l'austérité. Les enfants trouvés, à
l'hospice, apprennent tout petits à mener une vie sobre et pure.
Les hôpitaux, en général, peuvent vivre avec peu d'argent parce
que leurs hôtes, sans connaître la famine, se contentent de peu 2.
Et de même que Vivès 3 a démontré sa sympathie au sexe faible en
accordant à sa faiblesse une protection plutôt sévère, il a voulu
secourir les humbles en les protégeant contre eux-mêmes. Ce moraliste
puritain confie la surveillance des mœurs des pauvres à deux censeurs
choisis chaque année dans le conseil de Ville. Leur contrôle s'étendra
à tous les âges. Il sera particulièrement vigilant à l'égard des vieilles
Célestines, maîtresses des arts de sorcellerie et de prostitution. On
semoncera les piliers de tripot et de cabaret, et, si cela ne suffit pas,
on les punira selon un système pénal approprié aux temps et aux
lieux. L'oisiveté et la paresse seront pourchassées. Sous une forme
un peu moins catégorique, Yivès propose que la compétence des
censeurs s'étende non seulement aux mœurs des pauvres, mais à
celles des jeunes gens riches 4. Cette réforme des mœurs par initiative
municipale, n'est-ce pas encore un trait qui rappelle la réforme
strasbourgeoise admirée de Geldenhouwer ? Ne fait-elle pas penser
au tableau que le même voyageur esquisse, par ouï-dire, de la ville
de Zurich transformée sous Zwingli ? « Les citoyens et les dames
renoncent à toute superfluità dans leur mise et se sont rangés à une
vie si frugale que cette grande ville a l'air d'un grand couvent, si
tant est qu'il ait existé quelque part un couvent pareil » 5. L'austérité
des mœurs n'a certes pas été le monopole du protestantisme. Le
cardinal Henri de Portugal pourchassera l'immoralité dans la catho-
lique Evora avec le concours des Jésuites, devançant l'œuvre d'un
saint Charles Borromée à Milan. Pourtant c'est bien dans les pays
du Nord conquis ou tentés par le protestantisme que l'austérité de
style genevois s'est imposée. Et comment ne pas être frappé du lien

1 Ibid., p. 483.
2 Ibid., p. 476 et 474 (« sed delicise, unde possent facile maie assuefieri »).
3 Dans YInstitutio fœminœ christianœ et le De officio mariti.
4 Vives, ed. cit., p. 477.
5 De Vocht, op. cit., p. 520. Cf. supra, p. 150 n. 2, l'empressement avec lequel
Vivès suggère aux villes de faire des économies sur le budget des fêtes, des réceptions
dispendieuses.

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156 MARCEL BATAILLON

qui s'établit, à Bruges comme à Strasbourg, entre la réforme de la


moralité et la réforme de la bienfaisance acharnée à en finir avec le
mendiant ?
Ne sous-estimons pas le radicalisme réformateur de Yivès, ou,
si Ton préfère, de la bourgeoisie cosmopolite dont il est l'interprète.
Comprenons plutôt qu'il en a émoussé exprès le tranchant. Au reste,
si le point inquiétant pour certains a été la question de savoir si la
bienfaisance serait ou non sécularisée par les villes, la volonté de
supprimer le mendiant avait une bien autre portée sociale, morale et
religieuse : c'était amorcer une révolution si difficile que quatre siècles
n'ont pas suffi à en venir à bout dans les pays catholiques. Bientôt
le grand théologien espagnol Fr. Domingo de Soto ' à propos des
tentatives de quelques villes d'Espagne pour extirper la mendicité,
va prendre résolument la défense du mendiant, de sa liberté, de son
rôle dans l'économie de la sanctification et du salut. Yivès, examinant
les critiques suscitées par la réforme de la bienfaisance, relève le
reproche de « supprimer les pauvres ». Les naïfs entendent cette
suppression comme une expulsion inhumaine. Ceux qui se piquent
de théologie invoquent la parole du Christ: «Vous aurez toujours
des pauvres parmi vous ». - Yivès répond : « Nous ne chassons pas
les pauvres, nous les tirons de leur abjection, nous leur restituons
leur qualité d'hommes et les rendons ainsi dignes de l'aumône. Nous
ne supprimons pas la pauvreté, nous la soulageons. Si, par impossible,
nous faisions disparaître la pauvreté d'argent, il resterait toujours
des êtres pauvres de force, de santé ou de raison qui auraient besoin
de notre secours. Mais ce sont bien des pauvres d'argent que nous
assistons, soit à l'hospice soit dans leur triste logis » 2. Yivès, sans
faire ressortir vigoureusement le contraste entre les pauvres profes-
sionnels et les pauvres honteux, se penche sur le sort de ces derniers,
et avec d'autant plus d'intérêt qu'ils sont, le plus souvent, tombés à
l'indigence sans qu'il y eût de leur faute. La misère qui ne mendie
pas doit être décelée et secourue discrètement à domicile. Ce sera la
tâche la plus délicate des délégués paroissiaux 3. Car ce domaine
confidentiel de la bienfaisance, Yivès l'a conçu comme relevant
aussi de l'organisation municipale et alimenté par sa caisse. C'est
aux pauvres honteux qu'il pense quand il dit que les richesses des
fondations pieuses suffiraient, si elles étaient bien gérées, pour les
pauvres des hospices et pour les autres.
Enfin on ne doit pas oublier que la bienfaisance publique est, aux
yeux de Yivès, une fonction de salubrité sociale qui n'épuise pas,
tant s'en faut, le devoir d'entr'aide des chrétiens. La première partie

1 Deliberación en la causa de los pobres , Salamanca, 1545. Il existe une réimpression,


malheureusement très incorrecte, faite à Vergara en 1926.
2 Vives, ed. cit., p. 486-7.
3 Ibid., p. 484-85.

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J. L. VIVES 157

du De subventione pauperum
du bien, formulé non sans précision par les philosophes, s'élargit à
l'infini dans la doctrine du Christ, celle-ci se ramenant au double
précepte d'amour de Dieu et du prochain. Il faut donner sans compter,
selon ses moyens, et ne pas évaluer ses moyens en partant du principe
que le riche a droit au luxe - encore moins calculer chichement la
part du pauvre sur une fortune mal acquise. Il faut faire du bien à
tous en appréciant les besoins respectifs de nos semblables et l'usage
qu'ils sauront faire de notre don ; il faut tenir compte de leur valeur
morale ou intellectuelle plus que des liens de parenté, de voisinage
ou de service qui les unissent à nous. Il faut donner joyeusement. Il
faut donner vite. Il faut donner sans vaine gloire, sans autre témoin
que Dieu, et de telle sorte que la main gauche ignore ce que la droite
a donné.
Admirable programme, digne du Sermon sur la Montagne, et très
proche d'une perfection chrétienne absolument désintéressée. Il y
a un abîme entre cet idéal de pure charité et la tradition de l'aumône
pratiquée comme une œuvre ayant valeur expiatoire à l'égal du jeûne,
de l'aumône qui s'adresse normalement au mendiant comme à un
destinataire indigne peut-être, mais commode. Yivès ne fait pas bien
mesurer cet abîme. Est-ce prudence encore ? ou n'a-t-il pas conscience
de tout ce qu'implique la suppression du mendiant ? C'est sans doute
une faiblesse du De subventione pauperum que de proposer l'idéal de
charité le plus exigeant sans trop le confronter avec la pratique rou-
tinière qui tient dérisoirement lieu de charité. L' Enchiridion d'Erasme
a porté, il a eu un retentissement considérable parce qu'il a formulé
son idéal de christianisme intérieur en l'opposant sans relâche aux
dévotions formalistes que cet idéal devait remplacer ou transmuer.
Le De subventione pauperum n'est pas un livre de même accent. Mais
la réforme de la bienfaisance n'a pas suscité de livre comparable à ce
que fut У Enchiridion pour la réforme de la piété. Et, tel qu'il est, le
De subventione reste le meilleur plaidoyer de son époque en faveur des
volontés réformatrices des villes. En 1531,Ypres gagne une première
bataille en obtenant que la Sorbonne approuve son règlement qui
supprime la mendicité (toute sécularisation des biens d'Eglise étant
exclue et le cas des moines mendiants étant, bien entendu, mis hors
de cause) 1 ; ses échevins et son bourgmestre s'occupent bientôt de
faire traduire le livre de Yivès en flamand 2. C'est donc qu'ils pré-

1 Cf. Nolf, La réforme de la bienfaisance publique à Ypres au XVIe siècle , Gand,


1915, p. 121 (Recueil de trav. pubi, par la Fac. de Phil, et Lettres, fase. 45).
2 Bonilla, op. ciť., p. 779, mentionnait d'après Vanden-Bussche une traduction
« hollandaise » faite par ordre des magistrats de Bruges et vraisemblablement imprimée
à Bruges vers 1526. L'édition flamande qui a donné lieu à cette indication hypothé-
tique a été heureusement retrouvée par M. Aznar Casanova. L'unique exemplaire
connu, qui porte l'ex-libris de Van der Haeghen, appartient à la Bibliothèque de l'Uni-
versité de Gand. Le livre est imprimé à Anvers par Willem Vorst erman, sans date.

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158 MARCEL BATAILLON

tendent procurer à leur réforme une l


qui n'y était pas encore bien préparé. La modération calculée du
De subventione pauperum était peut-être favorable à cet usage. La
même année 1533 où paraît, semble-t-il, l'édition flamande, une édition
allemande s'élabore : le traducteur n'est autre que Gaspar Hedion,
le professeur d'Ecriture sainte de Strasbourg '

Mais il contient au début l'autorisation donnée au bourgmestre et aux échevins d'Ypres


pour son impression, le 23 mars 1532 (avant Pâques = 1533), ce qui permet de le
dater de 1533 avec vraisemblance. Il a été reproduit en fac similé aux éditions Valero
& Fils, de Bruxelles (Reproductie der origineele uitgave Secours van den Жгтеп
Gedrukt te Antwerpen 1533 Brüssel [1943]). - La Bibliothèque Royale de Bruxelles
possède une autre traduction flamande du même ouvrage, due à Henri Geldorp et
imprimée à Anvers en 1566 (cf. Bibliographie générale de l'ouvrage De subventione
pauperum , en appendice à Vives, De l'assistance aux pauvres , traduit du latin par
R. Aznar Casanova et L. Caby, Bruxelles (Valero), 1943).
1 Le British Museum possède : Vom Almüsen geben: zwey biìchlin Ludovici Vivès.
Auff diss new XXXIII Jahr durch D. Caspar Hedion verteiitscht , s.l.n.d. Bonilla (op. cit.,
p. 780) suppose avec vraisemblance que l'édition est de Strasbourg, 1533.

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L'ÎLE DES ALLIANCES
(QUART LIVRE, CHAP. IX)

OU L'ANTI-THÉLÈME
par Emile Y. Telle

Huit jours après le départ de Thalasse (Saint-Malo), la flotte


pantagruélirie fait relâche à Fîle Ennasin ou île des Alliances, dont
la forme est identique à celle du nez des indigènes : triangulaire,
comme un as de trèfle ; triangulaire aussi comme la Sicile et d'une
superficie à peu près égale. Les Ennasiens, hommes, femmes et
enfants ressemblent tous aux Poitevins anciens : rouges comme eux,
ils ont toutefois le nez épaté. Ils ne pratiquent pas le mariage et en
tirent gloire. Ils n'ont donc ni père ni mère et pourtant la population,
loin de diminuer, s'accroît démesurément. Bien qu'il n'y ait chez eux
aucune union légitime - hormis de poire et de fromage, de botte et
de brodequin, d'escafignon et de pantoufle - les Allianciers se vantent
d'être tous parents et alliés. Ils le font savoir en se donnant publi-
quement de petits noms d'amitié d'un goût fort douteux et souvent
ordurier.

Voilà les seuls renseignements et traits de mœurs relevés par nos


navigateurs en route par le passage du Nord-Ouest vers «l'Indie
supérieure » : maigres, indications de la part « de gens studieux et
amateurs de peregrinité » (chap. XI), et qui nous assurent avoir
« bien curieusement consydéré l'assiette de l'isle et mœurs du peuple
Ennasé... », mais détails suffisants pour Rabelais et le lecteur contem-
porain, qui savaient, eux, ce que parler voulait dire. Si les procédés
d'invention comique sont évidents et même simplistes г, le sens et le
but de cette invention échappent au lecteur moderne. Où donc Maître
Alcofribas veut-il en venir? On peut rire certes sans trop savoir
le pourquoi de sa gaieté, et le médecin sera satisfait de sa thérapeu-
tique, mais l'historien, toujours un peu abstracteur de quintessence,
désire connaître la nature des ingrédients qui entrent dans la drogue,
au risque même de moins rire. L'intention du texte est pour nous

1 « Les « Allianciers » qui peuplent l'isle Ennasin sont des termes, que le langage
allie dans des locutions usuelles : la mie et la croûte, la poire et le fromage, la paële
et le fourgon, l'huître et l'écaillé, le pois et sa gousse, etc. Toute l'invention de Rabelais
consiste à personnifier chaque terme de ces couples de substantifs et à supposer entre
ces individus des rapports de parenté. » J. Plattard, Le Quart Livre de Rabelais
(édition dite partielle, Lyon, 1548), texte critique avec une introduction (publication
de la Société des Etudes Rabelaisiennes), Paris, H. Champion, 1910, p. 29.

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160 ÉMILE V. TELLE

des plus obscures 1 et pourtant, a


partielle du Quart Livre, à Lyon, à
il n'y avait rien de moins mystéri
Disons-le tout de suite : le peuple Ennasé alliancier, c'était évi-
demment les gens mal « nez » 2, à savoir tous ceux au nez desquels
Frère Jean avait fermé la grande porte d'entrée de son Abbaye de
Thélème : les hypocrites quels qu'ils fussent et, au premier chef, les
hypocrites de profession, moines, moinesses et moinillons, tous ces
gens mal faits de corps et d'esprit (réplique européenne des Esqui-
maux et Cannibales), les cafards, les tordus, les maléficiés et tarés
qui, incapables de saisir l'Evangile « en sens agile » ( Thélème , Gar-
gantua , chap. LIY), s'infligent volontairement une règle et des vœux.
Du même coup, même les bien nés perdent la notion de Liberté
évangélique et sont incités à convoiter ardemment ce qu'ils se sont
eux-mêmes dénié, par orgueil de vouloir passer outre leur humanité 8.
Dans l'esprit de Rabelais, l'Ile des Alliances devait être le pendant
antithétique du Château de Thélème. On va le voir.


* *

Les Ennasés sont naturellement rouges comme les Peaux-Rouges


ou bien ont la face peinte en rouge comme les Pietés. Ce détail a
pu être suggéré à Rabelais par les récits de voyageurs 4, mais il

1 Les érudits contemporains restent silencieux ou perplexes devant ce chapitre


dont ils n'ont su comprendre le symbolisme. A. Tilley donne sa langue au chat : «... the
humour of this chapter is not very intelligible to the modern reader » (in Fr. Rabelais ,
Philadelphia and London, 1907, p. 205). Villey ne découvre aucune intention philo-
sophique dans l'édition partielle du Quart Livre qui contient (chap. IV) l'épisode des
Allianciers ( Les Grands Ecrivains du 16e siècle. Marot eť Rabelais, Paris, Champion,
1923, p. 278). Morçay pose la question à laquelle la présente étude répondra : « Que
signifie au juste l'isle des Alliances et ces singulières parentés qui n'ont l'air d'être là
que pour amener une collection bizarre d'expressions faubouriennes ? » La Renais-
sance, Paris, de Gigord, 1935, p. 217. Plattard (op. cit., p. 29-30) s'est borné, comme
Lefranc ( Les Navigations de Pantagruel, Paris, 1905, p. 108), à souligner les rapports
de la descente dans Ennasin avec les expéditions maritimes du XVIe siècle.
2 Le jeu de mots bien connu prêtait alors à toutes sortes de développements à
la fois facétieux et sérieux. V. Gargantua, chap. XL, éd. Plattard, 1929, p. 141 et la
note 12 qui cite Caelius Rhodiginus, Antiquœ Lectiones, XIV, 60 : « Dicuntur nasati
viriliores, ac belle mutoniati. » Saint Thomas More aimait aussi rappeler qu'il était
bien « nez » : « Non est, mi Croce, quod meum nasum velut elephantis promuscidem
reformides ». To Richard Croke (1519), n° 71, 1. 18-20 in the Correspondence of Sir
Thomas More, ed. by Elisabeth Fr. Rogers, Princeton Univ. Press, 1947. Voir aussi
la tirade du nez dans le colloque d'Erasme Pamphagus , Cocles, LB, I, 640 E-F que
Cyrano de Bergerac ne fera qu'amplifier.
3 FAY CE QUE VOULDRAS
« parce que gens liberes, bien nez, bien instruietz, conversane en compaignies honnestes,
ont par nature un instinct et aguillon qui tous jours les poulse à faietz vertueux et
retire de vice, lequel ils nommoient honneur. Iceulx, quand par vile subjection et con-
traincte sont desprimez et asserviz, détournent la noble affection, par laquelle à vertuz
franchement tendoient, à déposer et enfraindre ce joug de servitude ; car nous entre-
prenons tousjours choses deferidues et convoitons ce que nous est dénié » ( Gargantua ,
chap. LVII).
4 Cf. Lefranc, op. cit., p. 108 ; Tilley, Rabelais and Geographical Discovery
dans Studies in the French Renaissance, Cambridge, 1922, p. 49 (ou Modern Language
Review, III, p. 213).

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l'ile des alliances 161

Га fait sien pour bien marquer q


par la forme du nez et leur teint des Poitevins actuels 1 et surtout
parce que la couleur rouge symbolise la mauvaise humeur, l'empor-
tement, la hargne et l'envie, J 'opposé même du blanc et du bleu,
couleurs préférées des Français 2. Les moines passaient en effet
auprès de leurs ennemis pour des êtres irascibles, injustes, querelleurs,
envieux, incapables d'entendre raison. On les tenait généralement
pour des gens fardés, de vrais diables rouges. « Fagoteurs de tabus 3 »,
on les accusait d'être à l'origine de tous les maux du temps ou presque.
De plus, le teint enluminé n'est-il pas celui de l'homme sensuel qui
ne vit que pour sa panse et pour tromper le pauvre monde, c'est-à-dire
celui du moine ?

Le mot Ennasé ou Enassien (Enassian) n'est autre que l'ana-


gramme d'Essénien (Essenian 4), nom d'une secte juive célèbre, dont
Flavius Josèphe avait énuméré les caractéristiques rigoristes avec
force complaisance dans La Guerre des Juifs (Livre II, chap. 8) et
Les Antiquités des Juifs (Livre XVIII, chap. 1), et que les critiques
du monachisme aimaient comparer aux religieux du XVIe siècle, en
particulier aux Prêcheurs, Dominicains et surtout Franciscains de
la stricte observance. C'est un fait que les ennemis des moines s'effor-
çaient alors de découvrir l'origine de l'institution monastique dans les
traditions juives, mauvaises ou bonnes, pour lui ôter tout prestige
et jusqu'à sa raison d'être. Assimiler (soit franchement soit par biais
ou insinuations) les « sectes » monastiques aux Sadducéens, Scribes,

1 L'étymologie populaire de Poitiers était, d'après Jean Bouchet, ami de Rabelais,


Pictavis , « face paincte ». V. n. 7, p. 64 de Féd. critique du Quart Livre , p. p. R. Marichal,
Textes Littéraires Français, 1947. Une face peinte est bien entendu un hypocrite et
un calomniateur. Rabelais, pour ne pas faire tort à ses nombreux amis Poitevins,
précise que les Allianciers ressemblent aux Pietés anciens et non aux Poitevins de son
temps.
2 « De ce qu'est signifié par les couleurs blanc et bleu ». Gargantua , chap. X.
3 Thélème, Gargantua , chap. LIV. - Dans le chapitre XVI du Quart Livre (VI
de l'éd. partielle), le Chicanou le plus entreprenant et aussi le plus roué de coups est
« Rouge-Museau », sans doute un sergent de l'officiai.
4 Marichal indique qu'« Esséniens est presque l'anagramme d'Ennassins », op. cit.,
n. 8, p. 65. C'en est tout à fait l'anagramme ; le lecteur de 1548 ne pouvait s'y tromper.
Marichal note comme origine possible de l'idée d'« alliances » un passage du Livres
dou Trésor où Brunetto Latini mentionne les Essènes. Mais Rabelais connaissait les
œuvres mêmes de Josèphe, très lues des humanistes qui se passionnaient pour tout
ce qui touchait au judaïsme. L'historien juif eut un des plus grands succès de librairie
à l'époque de la Réforme, v. les catalogues de la Bibliothèque Nationale de Paris et
du British Museum. Un abrégé de Josèphe avait paru chez Josse Bade en 1510 par les
soins de Lefèvre. Cf. Renaudet, Préréforme et Humanisme..., p. 599 et le n° 366 de
la bibliographie.
L'idée d'alliance n'est d'ailleurs suggérée nulle part chez Josèphe ni chez B. Latini.
Froben publia en 1534 un Josèphe latin après collation du ms. de La Guerre des
Juifs appartenant à Jean de Pins, manuscrit que Rabelais fit porter à Erasme, accom-
pagné d'une lettre où il lui faisait savoir ce qu'il lui devait, à savoir : tout. V. Allen,
Opus Epistolarum Erasmi , nos 2569 (t. IX), et 2743 (t. X).
Les Essènes pratiquaient le célibat par souci de pureté rituelle et d'ataraxie
mentale ; aussi parce qu'ils ne croyaient pas à la chasteté et à la fidélité de la femme.
Les ressemblances entre eux et les premiers Chrétiens font ressortir d'autant, ce qui
les séparait de la doctrine du Christ. Cf. La guerre des Juifs , II, 8, § 2 et 13 ; Antiquités...,
XVIII, 1, § 5. - J. Le Breton, History of the Primitive Church (translation), N. Y.,
Macmillan, 1949 ( The Essenes, t. I, p. 66-68).

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162 EMILE V. TELLE

Pharisiens, Esséniens ou à tout autre adversaire du Christ, était


monnaie courante au début du XVIe siècle. On croyait avoir décou-
vert l'argument péremptoire et « scientifique » qui ôterait aux moines
ce nimbe de sainteté qu'ils voulaient inhérent à leur profession et
qu'ils s'étaient octroyés si facilement ; ainsi pensait-on démontrer
aux plus zélés d'entre eux que le Christ n'avait jamais été, ni rêvé
d'être, le premier « abbé » de ses douze Apôtres, que l'institution ne
remontait pas plus au Christ qu'à saint Paul ni même à saint Augus-
tin x9 qu'en fait le monachisme n'était qu'un retour pur et simple
à de vaines simagrées et pratiques condamnées spécifiquement par
saint Paul 2. Les macérations, les jeûnes, l'abstinence de mariage
légitime, la règle, toutes ces «petites (i.e., ridicules) inventions
humaines », disait-on alors, où chaque « religion » (i.e., secte) s'atta-
chait à dépasser l'autre par la complexité de ses statuts et une ascèse
rigoureuse, n'allaient plus paraître d'aucune valeur évangélique aux
réformistes, qui peu à peu n'y discernèrent que corruption de la vraie
piété et chute verticale et irrémédiable dans le judaïsme, au sens
propre et ignominieux du terme.
Lefèvre d'Etaples qui, dans ses Commentaires sur les Epîtres
de saint Paul 3, de 1512, ne s'était élevé que contre l'extrême variété

1 Josse Clichtowe de Newport, le futur adversaire de Luther et d'Erasme, s'applique


dans le De laude monásticas religionis opusculum , Paris, H. Estienne, 1513, à prouver
l'antiquité du monachisme en cherchant les origines dans l'Ancien (cap. II) et le Nou-
veau Testament (cap. III). Ses bonnes intentions l'entraînent à de remarquables bévues
sur les Esséniens qui n'échapperont pas aux ennemis des moines : « In ipso quoque
novae legis vestibulo atque introitu, non minus designata est religionis monastic®
commendatio et observantia. Et primum quidem per Essenos (quos alli vulgo Esseos
nuncupant)... (f° 7 v° - В. N., D 5826). Etablir une parenté entre Esséniens et moines,
c'était faire tort à ceux-ci : Clichtowe n'avait pas la clairvoyance de Lefèvre d'Etaples,
son maître d'alors. Cf. infra , p. 164, note 1.
Luis de Carvajal, dans l'Apologia monasticœ religionis diluens nugas Erasmi ,
Salamanque, 1528, laisse de côté cette ascendance compromettante. Il trouve confirma-
tion évangélique de l'institution à laquelle il appartenait dans le fait que les Ordres
incarnent le règne de l'Esprit : « Haec est immaculata religio quae descendens a pâtre
luminum per eius filium apostolis tradita, quae et demum per spiritimi sanctum beato
Francisco inspirata, totius in se quasi contine t mystérium Trinitatis. Haec est cui,
attestante Paulo (cf. note suivante), nemo de cœtero debet esse puolestus, quam
Christus passionis suae stigmatibus confìrmavit ». (f° 6 v°. B. N., m/21844 D). Cf. M.
Bataillon, Erasme et l'Espagne, Paris, Droz, 1937, p. 348 sq. et Erasme, Opera
Omnia , Leyde, t. X, col. 1674A.
Le De Integritate (1505) avait mis les Augustine en émoi parce que Jacob Wim-
pheling de Sélestat y soutenait que saint Augustin n'avait pas été moine « régulier ».
Les Litterœ obscurorum uirorum (II, 51) classeront l'humaniste alsacien (malgré qu'il
en eût) parmi les ennemis des moines, en compagnie de Reuchlin, Erasme, Pirck-
heimer, Herman Busch, Sébastien Brandt. Cf. éd. par Fr. G. Stokes, London, 1909,
p. 214.
2 Les réformés se serviront en particulier de II, Tim., 3 et I, Tim., IV. Cf. par
exemple, Luther, De abroganda missa privata (1521), éd. Weimar, t. VIII, p. 431
(trad, allemande, ibid., p. 505). - Themata de uotis (1521), thèses 133-139, ibid.,
p. 329. - De Votis monasticis (1521), éd. Otto Clemen, II, p. 214. Erasme, Paraphrase
sur I, Tim., IV, 1-3 (1519), Opera, t. VII, col. 1046F-1047D. - Colloque Virgo miso-
gamos (1523), t. I, col. 700 A : « Catharina : Atque hoc ipsum ajunt eximii meriti, si
quis se sponte debit in hanc servitutem. Eubulus : Ista vero doctrina Pharisaica est.
Paulus contra docet, ut qui liber vocatus sit, ne velit fieri servus sed potius operam
det, ut fiat liber. »
Les italiques sont miens partout dans cette étude.
3 « Qui Christiani sunt : idem sentire debent, eadem mente, intelligentia, senten-
tiaque vivere. Et id quidem maxime in iis quœ religionem respiciunt. Unica enim est
religio, unicum religionis fundamentum et unicus religionis scopus, unicumque caput

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l'ile des alliances 163

et le nombre même des ordres religieux sans s'opposer au principe


monastique en soi n'hésitait plus, dix ans plus tard, à mettre en cause
l'idéal monastique et à déclarer sans détours, dans les Commentarii
initiatorii in quatuor Evangelia , qu'il ne devait plus exister de sectes
puisque, de par leur nature même, elles se séparent de l'ordre chrétien
qui n'est qu'un et qu'elles ne peuvent absolument rien ajouter à la
loi de Dieu sinon lui ôter de sa vigueur, l'obscurcir et engendrer
l'hypocrisie. Sans doute se gardait-il de mentionner les mots de « moi-
nes » ou de « religions », mais le lecteur du temps savait bien de quoi
et de qui il retournait quand on faisait mention des Pharisiens (v. saint
Matthieu, XXIV, 24) et Esséniens. C'était le secret de Polichinelle.
Il est étonnant même que nous n'ayons pu jusqu'à aujourd'hui
identifier les Ennasiens de Rabelais, puisque notre Tourangeau parle
de cordelier au cours de ce chapitre et à la fin de « pescheur », là où
il entendait « prescheur » 1.
Erasme, plus hardi, avait osé affirmer dès 1518 que prêtres et
moines ne faisaient manifestement qu'emboîter le pas à la secte des
Esséniens, puisqu'ils perpétuaient le célibat pour transformer en loi
immuable ce qui n'avait été qu'une concession de courte durée, une
permission exceptionnelle accordée seulement aux Apôtres par le
Christ, pour leur faciliter dans le sens exclusivement matériel la
prédication de la Bonne Nouvelle 2. Le mépris, rétrospectif et tant
soit peu factice éprouvé par tel groupe d'humanistes pour les pra-
tiques puériles des Esséniens, ne le cédait en rien à celui qu'ils res-
sentaient au fond du cœur pour le moine, l'homme, ses cérémonies et
l'essence même de sa profession. A leurs yeux, les premiers étaient
plus estimables que leurs émules du XVIe siècle : parmi les soixante-
douze traits propres à la secte essénienne, Lefèvre ne manquait pas
d'en relever quelques-uns qui faisaient ressortir la supériorité des
moines d'avant le monachisme sur les moines contemporains. Par
exemple, celui-ci : Les Esséniens étaient remarquablement doux et
tolérants envers leurs ennemis (« Erant adversorum tolerantissimi »,
cf. La Guerre des Juifs , II, 8, § 10), ce qui certes n'était pas le péché
mignon des Franciscains au temps de Rabelais.

Christus Jhesus superbenedictus in saecula. Sunt tarnen religionis diversi status et


gradus. Nam hi in saeculo manent Christo servientes. Hi : sœculum fugientes antris
claustrisque se propter Christum occludunt. Omnes tarnen seu saeculo manentes, at
non secundum saeculum viventes, seu saeculo fugam arripientes et solitudinibus se
occludentes : religiosos Christi se nominare debent... Alioqui vestra religio non erat
religio sed superstitio quœdam ». I, Cor., I, 10, f° 106 et v°. (В. N., Vélins 89).
1 Ed. Marichal, p. 70, 1. 145 : «... pource qu'elle estoit bonne robe, en bon poinct
et grasse à profìct de mesnaige, voyre feust ce pour un pescheur ». Les éditions de 1548
et de 1552 portent intentionnellement toutes les deux pescheur.
2 « Quid tu Apostolicum institutum sequeris, ab Apostolico muñere longe alienis-
simus, homo nimirum et prof anus et privatus ? Illis hoc veniae datum est, ut vacent
a conjugii muñere, quo magis vacaret copiosiorem prolem Christo gignere. Sit istud
Sacerdotum ac Monachorum privilegium, quos apparet in Essenorum institutum suc-
cessisse: Tui status alia ratio est». Encomium Matrimonii , LB., t. I, col. 419B-C.
V. aussi note sur I, Cor. VII, 42, t. VI, col. 695D et Paraphrase sur saint Matthieu,
XIX, 12 t. VII col. 104A.

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164 ÉMILE V. TELLE

Mal « naturés », impuissants ou frénétiques (1) mal « nez »), colé-


riques, goinfres et faux (2) rouges, Picta vis), fervents adeptes de
cérémonies innombrables, insipides et futiles qui éteignent la lumière
évangélique (3) esséniens), les moines étaient donc pires que les Juifs.

La secte, si sainte qu'elle paraisse , n'ajoute que quelque chose


d'humain à la chose divine. Autrement elle ne serait pas secte.
Comment ce qui, en soi et au départ, est imparfait pourrait-il parfaire
et ajouter à la Perfection ? A la lumière on ne peut rien ajouter. Le
Divin, c'est la lumière ; or ce qui est humain n'est pas lumière... Qui
a de bons yeux verra clairement que les ordonnances des Essènes
ou des Pharisiens, en tant que telles, ne sont d'aucun prix, qu'il
faut donc vivre de Foi et s'en remettre à la Parole de Dieu » x.

Le quatrième aspect marquant de l'Ile Ennasin consiste dans


le nombre même de sa population. Le conteur fait dire au Podestat
du lieu sur un ton méprisant : « Vous aultres, gens de l'aultre monde,
tenez pour chose admirable que d'une famille romaine... sortirent
trois cens six hommes de guerre tous parens... De ceste terre, pour
un besoing , sortiront plus de trois cens mille, tous parens et d'une
famille ». La population de cette île, femmes, enfants, vieillards y
compris, doit donc atteindre le chiffre d'environ un million d'âmes.
Terre surpeuplée, s'il en est 1 II est vrai que sa surface est égale à celle
de la Sicile... Evidemment, Alcofribas Nasier infère en 1548 la répu-
tation toujours solide du monachisme, malgré la campagne menée
contre lui depuis plus d'un demi-siècle. Car le sentiment anti-
monastique concomitant à l'agitation réformatrice ne tarit pas tota-
lement le recrutement des novices. Certaines vocations purent résister
au discrédit qui s'abattit sur l'institution. D'aucuns, qui s'étaient
d'abord sentis attirés par les idées nouvelles et surtout par l'attitude
indifférente ou hostile au formalisme religieux, regagnèrent progres-
sivement l'orthodoxie du fait du scandale causé par les prétendus
mariages de moines et nonnains et la condamnation des vœux par
Luther (nov. 1521). En août 1518, dans la fameuse épître dédicatoire
à Paul Yolz, abbé du couvent bénédictin de Hugshofen en Alsace,
Erasme constatait avec autant d'amère ironie que de triste dégoût
que « vu la grande variété des tempéraments, les moines n'avaient
lieu de craindre de ne pas voir se propager la race des Esséniens : il
n'est rien en effet de si absurde qui ne fasse des adeptes » 2.
La cinquième et dernière caractéristique des Ennasés, la plus
importante, c'est qu'ils sont tous parents et alliés, non seulement
parce qu'appartenant à la même engeance monastique, mais parce

1 Commentarii Initiatorii..., Meaux, Simon de Colines, juin 1522. Matth., III, 7,


f° 13-14v° (B. N., Rés. A. 1162). Ici, Lefèvre répond à Clichtove, v. supra , p. 162, note 1.
2 Cf. éd. Crahay et Delcourt, Droz, 1938, p. 101, 1. 642-645. Erasme fait écho
à l'observation de Brunetto Latini : « Et ja soit que nus n'i naisse, la multitude des
gens n'i faut », citée par Marichal, op. cit., p. 65, n. 8.

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l'ile des alliances 165

qu'ils sont tous unis les uns aux autres par des liens d'affinités « spi-
rituelles » г. Pour cette raison, cette contrée connue autrefois sous le
nom d'Ile Ennasin s'appelle maintenant Ile des Alliances. Ici, Rabe-
lais s'en donne à cœur joie. A dire vrai, il lui eût été pénible de ne pas
succomber à la tentation.

*
* *

Je l'ai déjà fait remarquer 2, le


même de « faire alliance », coutume héritée du moyen âge qui avait
rapidement dégénéré en mode parmi les courtisans, grâce à la vogue
intense du ficinisme amoureux. Cette mode avait fini par se répandre
dans toutes les classes de la société et jusque dans les milieux villa-
geois et paysans. Mais il y a plus : l'engouement de contracter au vu
et au su de tous une amitié spirituelle avait pénétré même dans les
couvents. Les religieux voulaient-ils obtempérer à l'exhortation de
saint Jean (I, Epître, IV, 11-12) ? Ces traits de satire, insoupçonnés
des commentateurs de Rabelais, donnent à ce chapitre un caractère
unique tant la valeur du document dépasse pour l'historien la qualité
de l'invention comique, qui sent trop le petit grimaud.
L'antiplatonisme du moine, tout à fait dans la tradition des Jean
de Meung, est flagrant dans son œuvre. Par parti-pris raisonné plutôt
que par manque foncier d'idéalisme, il ne rate jamais l'occasion de
décocher une flèche à toute doctrine, soit théologique soit philoso-
phique, qui lui semble s'écarter de la mediocritas, et surtout à celle
qui encourage les errements des sentiments. Partant, il ne fait aucune
concession aux dogmes platoniciens à la mode, encore moins aux abus
et dévergondages qu'ils suscitent et favorisent. Il n'épargnera pas plus
l'Antiphysis catholique que l'Antiphysis protestante, son essence
fût-elle matérielle ou spirituelle. Ainsi comprenons-nous sa haine de
Calvin, son mépris pour les tenants de la stricte orthodoxie, surtout
en ce qui touche les fondements du monachisme et son enjouement
goliard lorsqu'il est question d'amoureux transis 3. Mais quand il
voit «les cafïars empatouflez » ( Thélème , Gargantua , chap. LIY)
s'aviser de faire mixture d'hypocrisie judaïque et de tartufferie
platonicienne, c'en est trop pour Rabelais. Encore faut-il ajouter ici
qu'il n'est pas le premier à soumettre à l'attention de l'opinion
publique le scandale des amourettes entre moines et nonnains.
Un de ses compatriotes, vraisemblablement Tourangeau de Tours,
et ancien franciscain comme lui, avait déjà dévoilé ce « mystère »,

1 Dont certains sont inimaginables chez les gens « de l'autre bord », comme disent
les Canadiens d'aujourd'hui.
2 Les Amours ďalliance dans mon Œuvre de Marguerite d'Angoulême, reine de
Navarre et la Querelle des Femmes , Toulouse, 1937, p. 299-311.
3 Cf. Pantagruel , chap. XXI-XXII. Il nous manque encore une étude sur Rabelais
et le Platonisme, cf. Telle, op. cit., p. 191 et note 23 ; p. 293 et note 83.

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166 EMILE V. TELLE

comme disaient alors les monachophobes désireux de laisser soup-


çonner les pires crimes quand il s'agissait d'évoquer la vie au sein
des couvents. Tout un chapitre de sa Déclaration de la reigle et estât
des Cordeliers composée par ung jadis de leur ordre et maintenant de
Jésus Christ , publiée bien entendu sans nom d'auteur et d'imprimeur,
est en fait le chapitre IX (4 de l'édition partielle) avant la lettre du
Quart Livre, l'hermétisme rabelaisien en moins. En voici un extrait :

Du mariage et lignage spirituel


Les bons religieux et religieuses, moynes et nonnains font ensemble
des mariages et lignages spirituelz : comme ilz dient : et s'entreappel-
lent ma fille, mon pere, ma tante, mon nepveu, ma niepce, mon
oncle, ma femme, mon тагу, ma cousine, mon cousin, ma filleule,
mon parrein, mon liz, ma rose, mon romarin, ma marjolaine, mon
soubzhait, ma fascheuse, mon ennuy, ma contenance, mon désir,
mon souvenir, mon amy, m'amye, mon mignon, ma mignonne. Et
tout plein d'autres petites amytiez que font ces bons freres avec les
devotes seurs, qui n'est souvent sans grande jalousie, envie et hayne
tant sont rassottez l'ung de l'autre. Et telles amytiez sont entretenues
par dons, presens, or, argent, bouquetz de soye liez de cheveulx, par
doulx parlers (qu'on appelle robiner) a la grisle, quand on n'entre
pas dedans, par gracieuses lettres escriptes a poinct de soye picquée,
quelque foys de sang, aucunes foys d'encre seulement, autresfoys de
quelque liqueur si subtile que qui ne scait le secret on n'y void que le
papier blanc. Elles sont toutes farcies et remplies de Jesus Maria,
de monsieur S. Francoys, de madame S. Giere, S. Dominique, S. Cathe-
rine de Sene, S. Benoist, S. Scholastique, S. Radegonde, ce n'est
que toute saincteté et devotion. Mais Venus avec son filz Cupido se
cachent quelquefoys derrière le tapiz, qui regardent par ung pertuys
les affaires : et si bien jouent leur personnage que de telz mariages
et accointances spirituelles, il en vient des enfans de chair et d'os г.

Ce passage savoureux aide à comprendre pourquoi Ennasin est


surpeuplée. Notre cordelier - émule de François Lambert d'Avignon,
dont les Commentaires sur la règle des Franciscains 2 l'ont visiblement
inspiré - fut peut-être connu de Rabelais ; qui sait même, un de ses
amis et anciens confrères de Fontenay-le-Comte ? Il devait exister
alors une « sodalitas » de moines défroqués, et ces élucubrations ne
pouvaient guère passer inaperçues d'un confrère en irrégularité.
On peut supposer que Rabelais a eu en mains le pamphlet de son
« pays » et qu'il en a fait son profit. De toute façon, les deux Touran-
geaux purent se rencontrer en 1536 à Rome, où l'auteur de la Décla-

1 Déclaration... p. 232-233. La deuxième édition à la Bibliothèque Nationale


(Rés. H 2098) porte la date de 1542. «...je t'ay voullu advertir (puisqu'il plaist au
Seigneur que pour la seconde foys soit imprimé ce present petit œuvre) que sans
grand cause, je n'ay attente d'escripre de la reigle et estât des Cordeliers : laquelle, et
aux ongles et au bec, j'ay longtemps def endue, mais persuadé d'aucuns bons person-
nages au commencement que fuz au païs de liberté Evangelicque... » Prologue , f° A3.
Le pamphlet a été écrit, et sans doute publié, en Suisse.
2 Cf. mon article dans Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance , t. XI (1949),
et n. 2, p. 52, ibid.

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l'ile des alliances 167

ration... dit se trouver quand le pape Paul III « fit treize ou quatorze
cardinaux » г.
La seule originalité de Rabelais se réduit donc à avoir placé dans
une île, à huit jours de mer de Saint-Malo 2, ces « mal plaisans Allian-
ciers » (chap. X ; Y de l'éd. partielle) dont se gaussait déjà son frère
en religion. Et encore n'est-il pas certain que notre romancier n'ait pas
emprunté cette idée à un autre. « Il y a tant d'autres folies et meschan-
cetez qu'on ne scauroit escripre la disme (se lamentait l'ex-cordelier) :
mais ilz sont tant communs et congneuz qu'il n'est besoing en emplir
le papier » 3. Et c'est grand dommage pour nous, car ce qui sautait
aux yeux des hommes de 1550 paraît bien embrumé à l'historien
d'aujourd'hui. On aimerait avoir plus de lumière sur les prétendus
secrets et débauches des monastères. Ah î si nous avions les propos
de table d'un Rabelais, d'un Erasme !... Ce que nous savons avec
certitude, c'est que pour les réformateurs de la première heure, la
Réforme devait se limiter ou eût pu se limiter surtout et avant tout
à la restauration de la discipline dans les couvents. Mais certains
abandonnèrent tout espoir de réforme dans le cadre exclusivement
monastique pensant que le retour à la stricte discipline rendrait aux
moines un prestige dont ils n'étaient pas fâchés de les voir déchus 4.
Ils proposèrent de transformer les monastères en séminaires d'abbés
ou de prêtres 5, tout en en conservant quelques-uns à l'usage des
forcenés et des amateurs d'ascétisme suranné. Ces institutions
n'eussent plus été que des asiles réservés aux « aliénés » ... de l'Evan-
gile. D'autres envisagèrent d'en faire de simples écoles et même des
écoles préparatoires à la vie matrimoniale 6. D'autres enfin (Rabelais
est de ceux-là), les moins patients, conseillaient de les raser ou bien
d'attendre que la gent monastique mourût de sa belle mort. Chez

I Déclaration..., p. 200. La nomination eut lieu sous le pontificat de Paul III, le


22 décembre 1536. On voudrait savoir qui était ce Franciscain. Peut-être un spécialiste
de l'histoire de l'ordre pourra-t-il l'identifier. A la fin du livre, notre Cordelier s'adresse
à frère Mathurin Dassyes (sans doute son ancien prieur, « pour cest heure ministre
provincial des cordeliers en Touraine » (p. 265) et. l'adjure, au nom de la respectueuse
affection qu'il lui a conservée, de jeter le froc aux orties comme lui.
II aime les digressions, surtout celles qui lui permettent de parler de son pays de
Touraine (Saint-Pierre des Corps, p. 77 ; Tours, p. 187).
2 Faut-il placer cette île dans les parages du Groënland, comme le suggère Lefranc ?
Rabelais aurait alors passablement rétréci l'Atlantique Nord. Qu'importe ! Sa « géo-
graphie » est fantaisiste et de nature anti-monastique plutôt que géographique.
3 Déclaration ..., De la chasteté , p. 232.
4 « ... pour la première fois Erasme, complètement affranchi de ce respect de l'idéal
conventuel que l'exemple de Mombaer lui a pendant quelques mois imposé, dit sans
réticence ni hésitation ce qu'il pense de la vie monastique : « le sel de la terre a perdu
sa saveur... » ( Enchiridion , 1501), Renaudet, op. cit., p. 432. Cette position, Lefèvre
ne l'atteindra que vingt ans plus tard. V. supra , p. 164, note 1.
5 Cf. Luther, Lettre à la noblesse allemande , § 13, éd. O. Clemen, I, p. 395. Thema
de Votis , thèses 99-100 : « Ferenda, imo utilia erant et hac ratione monasteria, si peda-
gogia essent ut pueri ad tempus erudirentur in eis ad Christum et fidei libertatem »,
éd. de Weimar, t. VIII, p. 327. Mélanchthon, Opera, Wittenberg, 1580, t. I, f° 35-37
et J. Le Plat, Monumentorum ad historiam Concilii Tridentini..., t. II, p. 785-787.
6 C'est là l'idée la plus originale de la Thélème de François Lambert. Cf. supra ,
p. 166, note 2.

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168 ÉMILE V. TELLE

tous, on trouve l'idée fixe de se débarrasser d'une manière ou d'une


autre des moines. Gomment y arriver?
La découverte des Terres Neuves ne tombait-elle pas à point
pour résoudre ce problème ? Pourquoi ne pas déporter dans les
îles toute la race pharisaïque des mal nés, toutes ces « faces non
humaines» (Thélème), ces faces peintes (Pictse vis) antipathiques
aux Français qui « par nature... sont joyeux, candides, gratieux
et bien amez » ( Gargantua , X). Ce projet de transfert en masse fut
mis à exécution dès la première édition du Quart Livre qui, ne conte-
nant ni l'escale à Médamothi (chap. II, III et IY de l'éd. de Paris,
1552) ni l'anecdote du Seigneur de Basché (incluse dans le chapitre
des Ghicanous, ibid., chap. XIII, XIV et XV) et s'arrêtant abrupte-
ment au moment où Pantagruel débarque dans l'île des Macraeons
(chap. XI de l'éd. de 1548 et XXY de l'éd. définitive), visait indénia-
blement les moines : le Chinonais, qui auparavant ne les avait assaillis
que prudemment et incidemment, engageait dès lors une lutte franche
avec eux. Un coup d'œil d'ensemble sur la brochure lyonnaise de
1547-48 permettrait de s'en rendre compte aussitôt. La mer Océane
n'était-elle donc sillonnée que de navires chargés de moines (chap. II,
éd. de Lyon : Les Lanterniers ; chap. VIII, ibid., rencontre avec une
orque chargée de moines) et semée d'îles peuplées de Saintongeais,
Poitevins ou Tourangeaux encapuchonnés ? Pourquoi Rabelais
tenait-il à retrouver dans le Nouveau Monde les êtres qu'il détestait ?
Fantaisie, certes, comme toujours, mais camouflant une intention
sérieuse. L'idée de défaire ainsi l'Europe de ces « pestes », Rabelais
la doit peut-être à Erasme qui avait en effet proposé, en riant certes,
mais plus sérieusement qu'il n'y paraissait de prime abord, que l'on
amalgamât les couvents d'hommes et de femmes, que l'on mariât
ensemble nonnes et moines et que, du fruit de ces épousailles, on
constituât une armée pour combattre les Turcs. Enfin - et c'est ce
qui montre le peu de cas que les humanistes faisaient de la décou-
verte de l'Amérique - que l'on colonisât les terres nouvelles de ces
couples réprouvés 1. Ainsi l'île des Alliances n'est autre qu'une île
du Diable réservée aux seuls moines et moinesses

Vieux matagotz, marmiteux, borsouflez,


Torcoulx, badaulx... » (Thélème)

1 « Quoties in conviviis impérium transtulimus in Julium Pontificem, et summum


Pontificium in Maximilianum Caesarem? Deinde Collegia Monachorum matrimonio
copulavimus collegiis Monacharum. Mox descripsimus ex illis exercitum adversus
Turcas. Deinde colonias ex iisdem in novas Insulas. Breviter universum Orbis statum
vertebamus » Spongia adversus Adspergines Hutteni (été 1523), LB., t. X, col. 1653F.
Dès le couvent (1492), Erasme aurait souhaité être transporté au fin fond des Indes
pour y fuir tout contact avec les Barbares, c'est-à-dire les moines : «... quis non malit
vel in ultimas Indiae solitudines profugere, quam hos literatorum simios ferre », Liber
Antibarbarorum , éd. A. Hyma dans son The Youth of Erasmus , Ann Arbor, Michigan,
1930, p. 251-252. Puis il jugea plus expédient d'y dépêcher tous les singes et syco-
phantes encapuchonnés y compris les Théologiens opposés à la Philosophia Christi :

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l'ile des alliances 169

tous frères « frappars et cafïars »


tartuffiés, puisque ce sont de fau
de platonisme : les deux Religions de la Renaissance. Cette terre est
véritablement l'Anti-Thélème, bonne seulement « pour ung besoin »,
c'est-à-dire celui de faire des soldats (la pire espèce après celle des
moines !) pour lutter contre les Turcs '
Si les Thélémites cultivent les alliances sincères et éthérées en
vue du mariage , les « mal plaisans Allianciers », eux, persistent à
afficher dans leur île lointaine, comme jadis sur le continent, le même
dédain obstiné du septième sacrement : « Vous aultres gens de Yaultre
monde... gens bottez de foin... c'est parenté de votre monde », insiste
orgueilleusement le « Potestat » (i.e. le Prieur) de cette île moinante
où les explorateurs n'arrivent à découvrir ni père, ni frère, ni sœur, ni
oncle, ni tante, ni cousin, ni neveu, ni gendre, ni bru, ni parrain, ni
marraine, c'est-à-dire aucun degré de consanguinité jusqu'au troi-
sième en ligne directe ou collatérale, ni aucune affinité spirituelle
issue du sacrement de baptême. A croire que les moines-allianciers
ne pratiquent plus le Christianisme mais la promiscuité charnelle,
à la façon des anabaptistes polygames de Münster, ou bien suivaient-
ils tel avis aventuré de Platon ? 2 L'allusion ne pouvait échapper
au lecteur du XVIe siècle, lettré ou non. Rabelais soulignait abon-
damment la partialité des Ennasés pour la cognatio spiritualis due
à l'amitié amoureuse ou au rut, au détriment et à l'exclusion de tout
lien réel créé par la vraie parenté. Dans l'île, il n'y a qu'un seul
grand vieillard qui soit le « père » d'une fillette de quatre ans : c'est
l'unique exemple d'adoption chez les Allianciers invétérés 3. On
sait que Yadoptio était un empêchement dirimant de mariage, mais
qu'à cela ne tienne dans le cas de ce père et de sa fille ! La différence
d'âge offre une protection suffisante contre le mariage...

« O miserum, inquiebas, Erasmum, qui in illam furiam inciderit, et о pestilent em


ilium senem, in extremas Indise solitudines deportandum ! » Allen, I, n° 61 (août
1497), p. 187, 1. 239-40.
Rien de plus honteux pour une fille que de se marier avec un prêtre, à plus
forte raison avec un moine : « Why, Knave, thinkest thou, if I had been an honest
woman, I would have ever married with thee ? », Nicholas Harpsfield, A Treatise on
the Pretended Divorce between Henry VIII and Catharine of Aragon , p. by N. Pocock,
Camdem Society, 1878, p. 276. « Si quis filiam elocavit Franciscano, quanta abominatio,
quanta deploratio male collocatae virginis !.. » AyafAOÇ yá[/.oç sive Conjugium impar ,
LB, t. I, col. 829A.
1 C'est ce que veut dire le « pour ung besoin ». « At qui his ipsis quibus tant opere
placet virginitas, non displicet bellum adversus Turcarum gentem, qui numero tot
partibus nos superaut : quorum si rectum est judicium, consequetur, ut in primis
rectum et honestum habeatur, pro virili liberis gignendis operam dare, et juventutem
in belli usum sufficere. Nisi forte bombardas, tela, naves, ad hoc apparandas putant,
viris opus esse non putant. » Encomium Matrimonii , LB. t. I, col. 420B. Argument
spécieux repris dans l'épître à Volz, éd. Crahay, p. 81, 1. 100 sq. Rabelais s'en est
souvenu : il lui a suffi de remplacer juventutem par monachos.
2 Cf. A. Renaudet et H. Hauser, Les débuts de Vâge moderne , Paris, Alean,
1929, p. 208-209. - Platon, La République , Livre V.
3 Rabelais fait allusion à la coutume de l'adoption de très jeunes enfants prati-
quée par les Esséniens. Cf. La Guerre des Juifs , II, 8, § 2.

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170 EMILE V. TELLE

*
* *

Pourtant, il est des mariages « à la mode du pays » dans cette


île remarquable *. Pantagruel et sa suite entrent dans un cabaret
pour se rafraîchir ; ils y assistent d'abord aux noces « d'une poyre,
femme bien gaillarde, toutesfoys ceulx qui en avoient tasté la disoient
estre mollasse», c'est-à-dire d'une fille publique avec «un jeune
fromaige à poil follet, un peu rougeastre » 2 ; puis aux noces d'une
vieille botte avec un frisquet brodequin ; enfin à celles d'un bel escar-
pin avec une vieille pantoufle. Pour les gens « de l'aultre monde » -
pour parler comme le Podestat du lieu - aucune de ces unions ne
serait un véritable mariage : la première, parce que la prostituée ne
peut convoler en justes noces ; les deux autres parce qu'elles sont
absurdes et contraires à la loi divine et humaine : « Nse tu mihi
nuptias loqueris prorsus inauspicatas et á0é<oç, seu potius aya^ov yájj
déclarait Erasme dans le Mariage qui n'est pas mariage 3 (1528),
colloque qui est à la fois un plaidoyer en faveur de l'eugénisme et
une éloquente diatribe contre les mariages mal-assortis, particu-
lièrement contre les accordailles entre un vieux honhomme pourri
de maladies et une jeune fille saine ou vice versa. Qu'ici Rabelais
réitère en sourdine les récriminations si souvent entendues au cours
de la Renaissance sur le thème des mariages dont l'unique but est
l'intérêt, il n'y a pas de doute. Fidèle à son habitude de mélanger
les symboles évoquant des questions d'actualité immédiate, le
poète se fait encore, outre l'attaque contre le monachisme, incluse
dans la boîte à Silènes étiquetée « alliance », le héraut des doléances
des légistes et réformateurs quant aux abus provenant des empê-
chements de mariage, notamment des excès de la législation canonique
qui avait étendu outre raison le concept de l'affinité spirituelle
découlant du sacrement de baptême et de la confirmation au simple
contrat d'amitié et de protection mutuelle entre particuliers. Saint
Thomas d'Aquin ne dit mot de ce genre d'empêchement que les
oificialités durent adopter à la fin du moyen âge pour raffiner sur la
Cognatio spiritualis et YAdoptio 4. Par exemple : ayant contracté
alliance avec Marie de Gournay, Michel de Montaigne devenu veuf
n'aurait pu épouser sa « fille d'alliance », et de plus, la fille de Mon-
taigne n'eût pu contracter mariage avec un fils de Mlle de Gournay.
Certains canonistes étendaient l'affinité jusqu'au quatrième degré,

1 Rabelais se réfère ici à l'observation de Josèphe, ibid., II, 8, § 13, sur la seconde
catégorie d'Esséniens qui, d'accord en tous points avec la première, ne pratiquaient
le mariage que dans le seul dessein de perpétuer la race.
2 Le romancier, on le voit, insiste ad satis sur la couleur rouge des « faces peintes ».
3 ZJ3., t. I, col. 827A. Cf. Pr. Smith, A Key to the Colloquies of Erasmusf Cambridge,
Harvard Theological Studies, t. XIII, 1927, p. 47. Cf. LB è, Institutio Matrimonii ,
t. V. col. 648E-649E.
4 Un historien du droit canon pourrait apporter ici des précisions que je n

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l'ile des alliances 171

au même titre que le parrainage К


et perpétuer sans raison des attaches fictives et sentimentales que
nous tenons aujourd'hui pour d'excellentes prémices à des mariages
heureux, puisque toute notre sympathie va au mariage d'inclination.
En fait, Etienne de la Boétie épousa son amie d'alliance, sa « Sem-
blance », l'appelait-il. L'empêchement n'était pas dirimant, c'est-à-
dire qu'un mariage entre «cousins spirituelz » 2 - on appelait ainsi
les allianciers du temps - ne pouvait être cassé par le tribunal
ecclésiastique, mais on pouvait l'empêcher. Qui ? Certainement
les parents toujours hostiles aux unions par amourettes. Comme
il fallait nécessairement avoir recours aux officialités pour donner
sanction officielle à l'opposition paternelle et que ces tribunaux se
faisaient payer, nous entendons les réformateurs pousser les hauts
cris contre cet aspect et combien d'autres de la législation touchant
les affaires matrimoniales.
Luther partit en guerre contre les extravagances de ce purita-
nisme légal, source de revenus, dans Vom ehelichen Leben 3 (1522).
Erasme revint à la charge dans Y Institutio matrimonii Christiani
(1526). Le passage où il traite de la Publica honestas (la bienséance)
créée par le contrat d'amitié spirituelle est d'un appoint précieux
pour le commentateur du chapitre des Alliances, car il oblige à
prendre au sérieux ce qu'on avait considéré jusque-là comme déver-
gondage d'imagination et facétie érotique chez Rabelais. Erasme
y dit en substance que le moine même pouvait, tout en étant moine,
faire alliance et que de cette alliance naissait un empêchement
valable jusqu'au quatrième degré 4. Ainsi, saisissons-nous parfai-

1 Dans les milieux polis, on se plaisait à prendre au grand sérieux cette parenté
spirituelle : l'alliance de Mlle de Gournay avec Montaigne fit de la fille de Montaigne
sa sœur, et des seigneurs de la Brousse et de Mattecoulon ses frères. Cf. Telle, op.
cit. y p. 302, note 4.
2 Calvin, Institution de la religion chrétienne , éd. Lefranc, Pannier et Chatelain,
t. II, p. 706, 1. 20-21. - Le « cousin » d'alliance pouvait aussi s'appeler tout bonne-
ment « amy ». La Mondainne de la Comédie jouée au Mont de Marsan (1548) de la
reine de Navarre dit en parlant de son corps, dont elle est amoureuse : C'est mon amy ,
c'est mon afin ; (mon allié par cognatio spiritualis ) / C'est mon Tout, mon Dieu, mon
idolle. Vers 214-215, éd. V. L. Saulnier, Textes Littéraires français, Droz, 1946, p. 283.
3 Die Vierde ursach / ist die welltliche freundschafft / nemlich / wenn eyn frembd
kind tzum son odder tochter wirtt auffgenomen / das kan sich darnach nicht ver-
heyraten / mitt desselbigen mansz odder weybs kinder / odder seyne welltliche
geschwister nemen / Das ist auch eyn menschen thand und nichts werd. Darumb
hallt es / ob dichs gelüstet / es ist widder deyn mutter noch deyn schwester fur gott /
da du frembds blutt bist / doch es dienet auch ynn die kuchen / und gibt gellt / darumb
es auch verpotten ist. » ... « Die siebend / heyssen sie publica honestas / die Erbar-
keyt / Nemlich / wenn myr meyn brautt stirbt / ehe ich sie heym hole / szo thar ich
nicht nemen yhre schwester / bisz ynnsz Vierde gelyd / Darumb das den Bapst dunckt
und scheynbarlich trewmet / es sey feyn uñ erbarlich / das ichs nicht thu / ich gebe
denn gelt / szo ist die erbarkeyt nicht mehr. Aber droben hastu gehört / das ich meyns
weybs schwester un alle freuden nemen mag nach yhrem todt / on yhre mutter und
tochter / da bleyb bey uñ lasz die narzen faren. » éd. Otto Clemen, Bonn, 1912, t. II,
p. 342 et 343. Dans la Lettre à la noblesse allemande (juin 1520), § 25, ibid., t. I, p. 414,
Luther avait déjà proposé que l'on se défît de tout le droit canon et surtout des
Décrétales.
4 « Undecimum impedimentum dicitur publica honestas , quod potissimum ind
tum est a Pontificibus ad imitationem affinitatis, quemadmodum spiritualis cognatio

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172 ÉMILE V. TELLE

tement l'intention du romancier lorsqu'il composa ce chapitre du


Quart Livre. Son but était d'annoncer que les moines et moinesses
déportés dans les « terres inconnues » se liaient d'amitié dite spiri-
tuelle (I), de cognée à manche, de couenne à lard, de croûte à mie, de
cheville à trou, ou d'écaillé à huître, etc..., à seule fin de susciter cette
Publica honestas si commode, et de s'exonérer légalement du pur et
saint mariage. De la sorte, ils auraient emporté avec eux leur mépris
du mariage en même temps que tous les livres du droit canon dont
Luther avait souhaité la destruction dès sa Lettre à ta noblesse alle-
mande (juin 1520). Dans leur île, ils observaient à la lettre la loi
canonique, pour se livrer impunément et à qui mieux mieux à la
lasciveté et à la production de bâtards. Incorrigible espèce I intimait
Fex-franciscain.
D'une pierre, il faisait deux coups : d'un côté, il déversait l'oppro-
bre et le ridicule haineux sur les moines ; de l'autre, il frappait au
cœur le judaïsme platonisant des allianciers qu'ils fussent de couvent
ou de cour. Choisissant à dessein des noms d'amitié qui accouplés
suggéraient le jeu de la bête à deux dos, noms qui parodiaient vul-
gairement les termes hypocoristiques que nous fait connaître si à
propos l'auteur de la Déclaration de la reigle et estât des Cordeliers ,
Rabelais lançait à la face des moines une accusation terrible : vous
êtes bien pires que les Esséniens ; vous n'êtes pas clignes de leur être
comparés ; vous êtes les ennemis jurés du Christianisme.
Je ferai remarquer enfin que tout en mettant à mal la gent et
l'institution monastiques, Rabelais - comme cela se devait en ce
temps - brisait une lance en faveur du mariage légitime. On sait
assez que c'est un enthousiasme plus philosophique que chrétien
qui anime en fin de compte les pèlerins en quête de l'oracle de la
Dive Bouteille. Cet oracle demeure, qu'on ne l'oublie pas, l'objet des
traversées périlleuses du bon Pantagruel dans le Quart Livre . N'ayant
reçu aucune réponse satisfaisante au cours de l'enquête menée dans
le Tiers Livre , le fils du roi Gargantua, bravant tous les dangers,
« monte sur mer », non par désir de lucre comme un Dindenault
ordinaire - il en sera puni - mais en tant que philosophe évangé-
lique. Au demeurant, ce n'est pas femme qu'il cherche, mais la raison
de justifier la décision qu'il a prise librement d'entrer en l'état de
mariage dès réception de la lettre de son père ( Pantagruel , 1532,
chap. VIII) et non en religion. Car pour lui, il ne s'est jamais agi
de débattre pro et contra les avantages de la vie active et ceux de la

imaginatur propinquitatem sanguinis, eoque dirimit matrimonium usque ad quartum


gradům quemadmodum affinitas.
Tantumque tribuitur huic impedimento, ut Monachus etiam dicatur habere con-
sensum ad contrahendum (Erasme veut dire contracter une amitié et non un mariage
bien entendu) et ex hoc contractu nascitur publica ' honestas , dirimens Matrimonium
juxta quorundam opinionem, quae quidem originem ducit ex sponsalibus puris ac
certis quae contracta sunt, sive per verba prsesentis temporis, sire futuri, Matrimonio
nondum consummato. » LB., V, col. 640D-E.

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l'ile des alliances 173

vie contemplative : de cette controverse, il n'est nullement question


dans toute l'œuvre du moine Rabelais. Le problème avait été résolu
depuis longtemps, et par d'autres que lui. Le ton indubitablement
philogamique de l'épître de Gargantua ( Pantagruel , chap. VIII)
instruisait par inférence le procès du vœu de chasteté ; les chapitres,
sur l'Abbaye de Thélème reprenaient deux ans plus tard la procédure
cette fois ouvertement. De retour chez lui, Pantagruel épousera la
fille que son père lui aura choisie en son absence {Tiers Livre , 1546,
chap. XLVIII). En attendant, la préoccupation du mariage, sous-
jacente dans Gargantua et affleurant dans Pantagruel , devient le
fil conducteur du Tiers Livre et la cause déterminante des voyages
au long cours du Quart Livre . Au fond, il n'y a rien là que de normal
et d'inévitable presque chez un homme de la génération de Rabelais
et de plus moine lui-même, pour qui le dégoût foncier de ses confrères
et de l'institution se traduisait fatalement en une béate admiration
de la vocation matrimoniale, nonobstant le mépris du mâle et du
moine pour la femme.
Chez un franciscain irrégulier, médecin, humaniste et célèbre,
bien vu en cour, et en cour de Rome malgré son irrégularité, le mariage
et toutes les questions connexes servaient alors d'arme d'assaut contre
les défenseurs de la théologie traditionnelle. Ses plus ardents cham-
pions, les plus tenaces et les plus redoutables se comptaient parmi
les frères en religion de Rabelais. Ils ne lui pardonnèrent jamais sa
désertion bien qu'entérinée par la Curie. Ce furent ces hommes, sans
aucun doute, qui poussèrent la Sorbonne à condamner Pantagruel
et Gargantua ; moins à cause de ce qu'ils disaient explicitement
contre le monachisme qu'en raison de ce qu'ils inféraient et suggé-
raient. Au moment même où le Chinonais composait le Quart Livre ,
il avait derechef maille à partir avec l'autorité ecclésiastique qui
venait de censurer le Tiers Livre. A son habitude, Rabelais préféra
prendre le large. Paris n'était plus sûr. A Metz, en terre d'Empire, il
rédigea ou bien assembla ce qui devait être la première version du
Quart Livre. Il en remit une partie (11 chapitres, c'est-à-dire grosso
modo les 25 premiers chapitres du Quart Livre définitif moins Méda-
mothi et l'anecdote du Seigneur de Basché) à son imprimeur de Lyon
(Pierre de Tours) alors qu'il se rendait une dernière fois (été 1547)
à Rome, pour reprendre auprès du Cardinal du Bellay ses fonctions
de médecin-secrétaire. Il n'eut pas le loisir de la corriger К Pourquoi
ce tirage hâtif ? « Faulte d'argent » évidemment et aussi désir de s'en
prendre aux moines responsables de ses déboires. Le chapitre faisant
suite à celui des Ennasés (V de l'éd. de 1548 ; X et XI de l'édition de
1552) fixait encore l'attention du lecteur sur la gourmandise légendaire

1 Sur les circonstances de la publication et de la rédaction du Quart Livre tronqué


de 1547-1548, v. Plattard, op. cit., p. 4-7 et 22. - Revue des Etudes Rabelaisiennes
1905, t. III, p. 1, 6, 268, 359; 1912, t. X, p. 123-131.

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174 ÉMILE V. TELLE

de ces ventres insatiables et sur leur dénuement spirituel. Rabelais


rappelait de nouveau, quarante ans après Erasme, que la rencontre
d'un moine passait pour signe de mauvais augure, a fortiori lorsqu'on
tombait sur toute une flotille 1 : les malheurs de Dindenault, sa mort
et le déchaînement des éléments sont provoqués en effet par la présence
en haute mer des Lanterniers et de ces vaisseaux surchargés de
moines... « Les voyant, Panurge entra en excès de joye ... », alors que
l'avisé Pantagruel, prévoyant un cataclysme, « restoit tout pensif et
melancolic » (chap. VIII, éd. de 1548). Pouvait-on montrer plus de
malice à l'égard de tous les ordres et plus de témérité aussi, d'autant
que Rabelais venait de les attaquer de front au chapitre IV (éd. de
1548) ? Sans doute, y a-t-il autre chose dans l'édition de Lyon du
Quart Livre que la seule préoccupation de prendre l'offensive contre
la moinerie ; d'accord 1 Mais c'est peu, et il n'en est pas moins vrai
que c'est là le souci dominant et continuel du livret.
Cette observation n'a pas encore reçu des rabelaisants l'attention
qu'elle exige et cela faute d'avoir saisi le sens véritable et la portée
multiple du chapitre des Alliances 2. La preuve flagrante que l'édition
de 1548 du Quart Livre est un pamphlet antimonastique, nous la
trouvons dans le fait que ce livret venait à peine de sortir des presses
lorsqu'un moine de Fontevrault et docteur de la Faculté de Paris,
Gabriel de Puy-Herbault, prit feu immédiatement contre son confrère
Rabelais, le chargeant lui et ses livres de tous les crimes. Il lui infli-
geait à son tour «les opprobes, injures et maledictions » ( Gargantua ,
chap. XL) dont Rabelais avait si libéralement abreuvé ses frères depuis
vingt ans, par ses écrits et ses paroles. Il l'accusait d'être pire que
les Genevois. En somme, il lui en voulait à mort d'avoir déversé
« un poison qui se répand de long en large dans tous les pays et lancé
la calomnie et l'injure sur tous les ordres indistinctement ... » 3. Qu'il
y ait eu querelle de clocher entre les Sainte-Marthe et les Rabelais,
et que ce moine de Fontevrault ait épousé dans une certaine mesure
la cause de Gaucher de Sainte-Marthe, médecin de l'abbesse de Fonte-
vrault, Abel Lefranc l'a bien prouvé 4. Mais n'entendre dans l'invec-
tive furieuse de ce moine qu'un simple écho de la rivalité entre

1 « Il n'y a rien si vrai que le froc et la cogule tire à soy les opprobres, injures et
maledictions du monde...» ( Gargantua , XL), cf. Erasme, Enchiridion , LB., t. V,
col. 47E. - « Leur espèce est universellement exécrée, au point que leur rencontre
fortuite passe pour porter malheur, et pourtant ils ont d'eux-mêmes une opinion
magnifique ». Eloge de la Folie , trad, de Nolhac, éd. Garnjer, p. 129.
2 « ...personne, sans doute, n'ayant rien eu à incriminer dans la première édition
du Quart Livre », Plattard, op. cit., p. 59. « Il ne s'y rencontre (dans le Quart Livre )
ni attaque ni trait de satire à l'adresse de la Sorbonne ou des moines », Vie de Rabelais
du même auteur, Paris-Bruxelles, 1928, p. 192. Lucien Romier non plus (R. E. R .,
t. X, p. 130), dont l'opinion sur le caractère de l'édition partielle du Quart Livre diffère
de celle de Plattard, n'a pas relevé la signification anti-monastique du livret.
3 Lefranc, R. E. R., t. IV, 1906, p. 339-340. La traduction est de Heulhard,
Rabelais , ses voyages en Italie , p. 265.
4 Lefranc, introduction à l'édition magistrale du Gargantua , 1913, p. LXX-
LXXII.

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l'ile des alliances 175

Grandgosier (Antoine Rabelais) et Pichrochole (Gaucher de Sainte-


Marthe), et ne voir en Rabelais qu'une victime, innocente et imma-
culée, de la frénésie de Putherbe, c'est évidemment faire fausse route
et donner à un litige mesquin entre les deux familles des proportions
hors de saison à la date de 1549 x. Rabelais s'était suscité des ennemis
dans tous les couvents ; à Fontevrault, comme ailleurs. Il l'avait
voulu ainsi, et la diatribe contenue dans le Theotimus de « l'enraigé
Putherbe » (éd. définitive du Quart Livre , XXXII), il ne l'avait pas
« volée ». Certes, il fallait s'attendre à ce qu'elle vînt de son « pays de
vache », là où on se rappelait le jeune François, novice, frère profès,
puis moine franciscain, devenu bénédictin pour finir dans la médecine
et l'apostasie. Il paraît très surprenant, somme toute, que d'autres
champions de l'orthodoxie ne soient pas partis publiquement en
campagne, bien avant 1549, pour défendre par livre imprimé la cause
des moines et du monachisme contre ce Rabelais que Calvin, l'année
suivante, vomissait de son côté (Traité des Scandales ). Le tirage
lyonnais du Quart Livre et surtout le chapitre sur les « mal plaisans
Allianciers » ne fut-il pas la goutte qui fit déborder le vase ?
Les religieux, Puy-Herbault comme les autres, ne se tracassaient
guère de ne pas avoir accès à Thélème, mais ils ne pouvaient tolérer
sans mot dire d'être expédiés outre-mer de cette façon outrageante.
Nous ne pouvons leur en faire grief.

1 C'est l'erreur de Lefranc ( R . E. R., t. IV, p. 344) reprise par Plattard, Vie
de Rabelais , p. 192, L. Febvre, Le problème de l'incroyance au XVIe siècle . La religion
de Rabelais , p. 134-136, et Marichal, op. cíí., introd ., p. XIV.

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RABELAIS ET LA RÉFORME
DE LA JUSTICE

par Robert Marichal

Ce serait méconnaître la portée de l'œuvre de Rabelais que de


se borner aux côtés anecdotiques. Bien souvent le conte n'est chez
Rabelais que l'illustration d'une thèse, avouée ou latente, et même
lorsqu'il ne conte que pour le plaisir de conter, ses convictions intimes
sont si pressantes - surtout dans le Quart Livre - sa culture est si
vaste, son amour de la vie si intense que le récit s'insère toujours
de lui-même dans un univers d'une richesse et d'une profondeur
hors de pair. Si nous voulons atteindre le vif de sa pensée, il faut
essayer de saisir ses intentions secrètes.
Ce n'est évidemment pas seulement pour assouvir quelque ran-
cune de village que, dans le Quart Livre, Rabelais consacre au prieur
de Saint-Laurent et à ses appariteurs quatre longs chapitres ; der-
rière eux, il vise quelqu'un d'autre, mais qui exactement ? Il est
moins facile qu'on ne le croirait de répondre à cette question car,
à l'examen, l'attaque paraît confuse et désordonnée, mais il ne faut
pas oublier que l'épisode a été écrit à deux époques différentes :
en 1548 et en 1552 et que les points de suture entre les deux morceaux
ont laissé des traces.
Au premier abord, il semble que Rabelais fasse pleuvoir ses
flèches sur les sergents, les huissiers, les procureurs et d'une façon
générale tous les auxiliaires subalternes de la justice. Nous avons
rappelé quelle haine ils amassaient parfois sur leur tête г. Peu de
gens ont été traités par Rabelais avec un pareil mépris : ils sont mis
sur le même pied que les spadassins romains qui gagnent leur vie
« à empoisonner, à batre et à tuer » 2.
Mais si les Ghicanous sont au premier plan, ce ne sont pas, cepen-
dant, les seuls qui soient en butte à la colère de Rabelais.
On se rappelle qu'en 1548 il n'a pas encore décrit les noces de
Bâché ; l'escale, fort brève, en Chicanourrois se borne à l'essai que
frère Jean fait du naturel des Ghicanous. Mais, déjà, derrière eux,
accessoirement, Rabelais atteint la cause première du mal : l'esprit
processif des « moines, prebstres, usuriers ou advocats » 3.

1 Cf. Bibl. d'Humanisme et Renaissance , t. XI (1949), p. 129.


2 Chap. XII, 11.
3 Ib ., 23.

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RABELAIS ET LA RÉFORME DE LA JUSTICE 177

L'énumération n'est pas exhaustive, cependant on est un peu


étonné, lorsqu'on a parcouru les registres du Parlement, que Rabelais
n'ait pas fait aussi une petite place à la noblesse, tout aussi chica-
nière que les gens de finance ou de « pratique ». Or, au contraire,
dès cette époque, il n'a que pitié pour les pauvres gentilshommes
offensés par les Ghicanous. On surprend dans ces lignes comme
l'écho d'une réaction aristocratique contre l'exorbitant privilège
que la justice du roi accordait à ces manants en leur permettant
d'importuner impunément les « chevalereux » gentilshommes.
En 1552, quand les longs chapitres consacrés à Bâché nous ont
montré avec tant d'intensité le comportement de cette innocente
noblesse, un scrupule saisit Rabelais ; lorsque Panurge a achevé
son récit, car, notons-le, c'est Panurge, le cruel et vindicatif Panurge,
à qui Rabelais a confié le soin de raconter la vengeance de Bâché,
et la personnalité du conteur enlève à l'anecdote beaucoup de son
importance, Pantagruel fait gravement observer : « Geste narration
sembleroit joyeuse ne feust que davant nos oeilz fault la craincte
de Dieu continuellement avoir » x. Mais ne nous hâtons pas de croire
que Rabelais va passer condamnation sur les procédés du débon-
naire Bâché, le sage Epistémon nous détromperait aussitôt : « Meil-
leure seroit, explique-t-il, si la pluie des jeunes guanteletz feust
sus le gras Prieur tombée, il dependoit pour son passe-temps argent
- cet argent, nous le savons maintenant, qu'il dérobait à la pitance
de ses moines - part à fascher Basché, part à veoir ses Ghiquanouz
daubbez : coups de poing eussent aptement atourée sa teste rase...
en quoy offensoient ces paouvres diables Ghiquanous ? » Ge sont,
encore une fois, les « prebstres, usuriers, advocats » qui ont tous les
torts, ce sont eux qui portent la responsabilité de tous les procès,
Bâché, et avec lui la paisible noblesse, bénéficie d'un non-lieu.
Or, tout à coup, Epistémon conclut par ces paroles surprenantes :
« attendue l'enorme concussion que voyons huy entre ces juges
pedanées soubs l'orme ».
Cette fois, avouons-le, nous ne comprenons plus.
Les juges pedanées ce sont « les juges de village qui ne relèvent
point du roy et qui ne resortissent aux justices royales, écrit Loyseau
cinquante ans plus tard 2, selon leur vray pouvoir ils se rapportent
presque entièrement aux juges pedanées du droit romain : quœdam
sunt ne gotia (dit la loy derniere C. de pedan, judie.) in quibus super -
fluum est moderátorem exspectare Provincie, ideoque pedáneos judices
(hoc est qui negotia humiliora disceptant) constituendi damus Prsesi-
dibus potestatem et, pour ce que leur pouvoir estoit au commence-
ment limité ad quinquaginta solidos , L. /. Cod. de defens. civitat.9

1 Chap. XVI, 1 sq.


3 De l'abus des justices de village , p. 4, col. 2.

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178 ROBERT MARI CH AL

les anciens praticiens, n'entendans pas bien la signification du mot


solidus, ont limité aussi les basses justices à soixante sols.
Aussi les juges pedanées n'estoient selon le Droit ni magistrats,
ni officiers, mais simples commissaires et juges deleguez par les
magistrats... et au lieu que les magistrats jugeoient pro tribunali ,
ceux-cy de lano seu plano pede judicabant et inde dicti sunt pedanei
a Grœcis id est humi judicantes ainsi qu'en France
nous les appelons juges sous l'orme ».
En 1552 donc c'est finalement sur les juges seigneuriaux que
Rabelais fait tomber tout le poids de ses invectives.
11 y a là, il faut le reconnaître, un changement de front qui pro-
voque une certaine gêne : le conte et la morale que Rabelais en
tire sont en porte-à-faux ; l'impression qui se dégage du récit - même
sans tenir compte de l'identification que nous proposons et qui
reste, d'ailleurs, valable dans tous les cas - c'est que le prieur de
Saint-Louand agit en demandeur et non en juge et, de fait, même
si c'est devant son propre tribunal qu'il fait citer Bâché, on ne peut
valablement lui appliquer le nom de juge pédanée ; ce n'est pas
lui-même qui tient son tribunal, c'est l'officier qu'il a désigné pour
cela, c'est celui-là qui seul s'appelle « juge sous l'orme » et c'est lui
seul qui peut se rendre coupable de concussion. De quelque côté
qu'on la retourne la conclusion est boiteuse. Rabelais a effectué
un brusque transport de tir dont il néglige de nous avertir.
Cette volte-face nous déconcerte d'autant plus que, cette fois,
les coups atteignent aussi indirectement le pauvre Bâché, car il
a, lui aussi , son auditoire et son juge.
Il faut donc le reconnaître il y a dans ces lignes, rédigées, il est
vrai, en 1552 pour raccorder le récit des noces de Bâché à la suite
du chapitre de 1548, quelque chose de contradictoire.
Rabelais semble attaquer les Chicanous et soudain il les excuse.
Il s'en prend à l'esprit de chicane du clergé, des gens de négoce,
des praticiens, e.t se montre plein de compassion pour la noblesse
persécutée, et tout à coup il lance contre sa justice la plus cinglante
apostrophe. Il fait, enfin, retomber à l'improviste la responsabilité
de tous ces « excès » sur les juges pédanées dont il n'a pas parlé
une seule fois dans tout le cours du récit.
Ces contradictions se résolvent si l'on se rappelle les milieux
que Rabelais a fréquentés et le rôle qu'il joue en 1552.
Son milieu familial n'est pas très éloigné de celui auquel appar-
tient le seigneur de Bâché. Il n'y a pas grande différence entre un
avocat estimé comme Antoine Rabelais et un petit seigneur comme
René du Puy : des liens de parenté, nous l'avons vu, existent entre
eux et l'arrêt du Parlement de 1546 nous a révélé combien était
mouvante cette société où des familles comme les la Trémoille, les
du Puy du Fou, les Gouffier, les Chasteigner, qui marchent de pair

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RABELAIS ET LA RÉFORME DE LA JUSTICE 179

à la Cour avec la plus haute noblesse, ont des alliances toutes


de la roture. Dans l'espace de deux ou trois générations, dans la
même famille, tandis que les uns, par l'achat de fiefs ou d'offices,
par l'exercice de certaines charges privilégiées, accèdent à la noblesse,
d'autres, retournés à la culture directe de la terre ' retombent au
rang des manants. Le bon Du Fail s'en indigne, se plaignant, lui
aussi, des abus de la chicane, il conclut : « ... de là est survenue la
desolation aux bonnes maisons, la ruine des anciennes races et familles,
pour avoir esté contraints les pauvres plaideurs, après y avoir employé
et mangé leur substance, marier leurs enfans avec telles sangsues,
faisant par là une infinie confusion d'ordres, bigarrure de conditions
et qualitez, marians et assemblane l'espervier avec la huppe, la
colombe avec le milan et en consequence une telle difformité en ce
royaume que tout s'en iroit sens dessus dessous qui n'y mettra
ordre...2 »
Rabelais ne s'est point fait l'écho de ces préjugés de classe qui
remontent aux origines mêmes de notre littérature 3. Il a recommandé
simplement les mariages assortis et on peut penser qu'il n'a point
voulu faire de la noblesse le pri'ilège de la naissance, puisque les
compagnons de Pantagruel sont tous gens de basse extraction. Mais
il ne nous a pas caché ses préférences pour ces gentilshommes cam-
pagnards qui vivent avec bonhomie sur leurs terres, régissent
paternellement leurs « domestiques » et leurs paysans et à qui une
honnête médiocrité et l'absence de toute ambition donnent le loisir
d'orner leur vie d'un certain luxe et d'une certaine culture. C'est
au fond à cette classe qu'appartiennent ses héros de prédilection
Grandgousier, Gargantua, Bâché et son père Antoine Rabelais, à
la Devinière. L'abbaye de Thélème est essentiellement construite
pour les « gens liberes et bien nez ».
L'éclat des du Bellay, des Chastillon, des Montmorency, d'un
côté, les querelles d'une Jacquette du Puy du Fou et les crimes
de ceux que Rabelais appelle, du nom vengeur que leur donnait
le peuple, les « genspillehommes » 4, d'autre part, ne doivent pas
nous dérober la réalité de cette classe intermédiaire qui connaît
précisément alors, comme 011 l'a dit 5, son « âge d'or ».
Or, il semble bien qu'en fait les tracas d'une affaire judiciaire
effarouchaient ces braves gens plus habitués aux armes, aux chevaux,

1 Cf. édit d'Aumale, 4 avril 1540 (Isambert, XII, p. 671) contre les nobles qui
« prennent à ferme... plusieurs fermes et censes... esquels ils font et exercent le fait
d'agriculture et labourage et tous autres actes méchaniques et roturiers ».
2 Eutrapel , éd. Courbet, I, p. 79.
3 Cf. par exemple, Guiot de Provins dans Langlois, La Vie en France au Moyen
Age , II (moralistes), Paris, 1925, p. 61.
4 Quart Livre , Prol,, 424.
5 A. Lefranc, La vie quotidienne au temps de la Renaissance , Paris, 1938, p. 107 ;
P. de Vaissière, Gentilhommes campagnards de Vancienne France , Paris, 1904. Sur
la culture cf. le sire de Gouberville, ses lectures des Amadis , ses rudiments de grec
dans Lefranc, p. 111 et 119 et Du Fail, II, 97-98.

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180 ROBERT MARICHAL

aux chiens et aux faucons, voire même à la charrue, qu'au manie-


ment de la plume. Eutrapel, dans du Fail, nous avoue qu'« estant
une fois adjourné, vingt et quatre heures après, il fut tous jours en
fiebvre et eust voulu estre au ventre d'une chevre tant il apprehendoit
les fumées de justice et aymeroit beaucoup mieux faire raison à
celuy qui lui demanderoit injustement quelque chose à beaux coups
d'espée, comme Ton faisoit jadis presqu'en toute l'Europe » 1. Et,
comme ces honnêtes gens, comme les Thélémites, « ont par nature
un instinct et aiguillon qui tousjours les poulse à faictz vertueux
et retire du vice, lequel ils nommoient honneur » 2, on comprend
que cet « honneur » les « contraigne », « s'ils ne sont paralytiques
de sens » à « donner bastonnades et coups d'espée sus la teste » au
Chicanous qui les «injurie impudentement, suyvant son records et
instruction » 3, car ils n'ont pas l'habitude des gentillesses « cicero-
niannes » en usage au Palais.
Tel est en 1552 le seigneur de Bâché. Rabelais, s'il voit bien que
son attitude appelle des réserves, ne se sent pas le cœur de le
condamner.
Mais Rabelais appartient aussi au monde judiciaire : par son
père, avocat et « assesseur et expédiant la juridiction du siège de
Chinon en l'absence des lieutenants général et particulier » de 1524
à 1527 au moins 4, par ses relations avec le petit groupe de juristes
de Fontenay-le-Comte et avec André Tiraqueau 5. On a justement
insisté sur le rôle décisif qu'a joué dans sa formation la fréquentation
du « cénacle » de Fontenay. On a montré comment, à l'exemple de
Budé, un Tiraqueau s'efforçait « de rénover les études juridiques...
en éclairant les textes par une connaissance plus sûre de la langue
grecque ainsi que des institutions, de la littérature, de l'histoire et
de la philosophie des anciens » 6. Mais on a trop néglié de rappeler
que, si dans leurs méthodes ils se montraient des novateurs, dans
leur doctrine même, inspirée par le Corpus juris civilis , ils conti-
nuaient la grande lignée des légistes qui depuis Pierre Flote et Guil-
laume de Nogaret, « imprégnés des traditions impérialistes des glos-
satemi bolognais » 7, appliquaient à étendre l'autorité du roi les
maximes du droit romain et restauraient en France l'idée de sou-
veraineté. Sur ce point l'accord était parfait entre les officiers du
roi et les humanistes.

1 Ib., I, p. 87.
2 Gar g., LVII.
3 Quart Livre , XII, 26.
4 A. Lefranc, R.E.R. , III, p. 63 et R. Marichal, Mélanges Lefranc, p. 191.
5 J. Plattard, L'adolescence de Rabelais en Poitou , Paris, 1923.
6 Ib., p. 128.
7 Ch.-V. Langlois dans E. Lavisse, Histoire de France , III, 2, p. 126.

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RABELAIS ET LA RÉFORME DE LA JUSTICE 181

Or, au moment où Rabelais écrit le Quart Livre, il n'a pas rompu


avec ce milieu, bien au contraire ; en Piémont, auprès de Guillaume
du Bellay, où il n'exerçait pas exclusivement, sans doute, les fonctions
de médecin, puisqu'un autre médecin figure dans la suite du seigneur
de Langey à l'heure de sa mort S il s'était mêlé à la politique et à la
haute administration. Il avait eu l'occasion d'appliquer et d'éprouver
les connaissances juridiques qu'il avait acquises à Fontenay-le-
Comte. Il avait fréquenté des légistes occupant les plus hautes charges
de la magistrature et, parmi eux, François Erraut, seigneur de Che-
mant, qui devait tenir les sceaux du 11 juin 1543 au 28 avril 1545 2.
Ce n'est certainement pas un hasard si les considérations juri-
diques tiennent tant de place dans le Tiers Livre qu'il rédige alors.
On a déjà remarqué que l'attaque à laquelle il se livrait contre les
mariages clandestins correspondait à l'une des préoccupations de
la politique royale 3. On a magistralement commenté l'immortel
épisode de la comparution du vieux Bridoye, qui jugeait les procès
au sort des dés, devant le Parlement de Myrelingues 4. Peut-être
n'en a-t-on pas encore dégagé toute la signification. Ce n'est pas,
on va le voir, nous écarter du Quart Livre que de nous y arrêter
un instant.
Le passage est d'importance : au chapitre XL III, lorsqu'il raconte
à ses compagnons la façon dont s'est déroulée cette mémorable
scéance, véritable « lit de justice » où il a été reçu comme un « dau-
phin » 5, Pantagruel conclut : « Je ne vouldrois penser ne dire, aussi
certes ne croy je, tant anomale estre l'iniquité et corruptele tant
evidente de ceulx qui de droict respondent en icelluy parlement
myrelinguois en Myrelingues, que pirement en seroit un procès
décidé par ject des dez, advint ce que pourrait, qu'il est passant
par leurs mains pleines de sang et de perverse affection, attendu,
mesmement que tout leur directoire en judicature usuale a esté
baillé par un Tribunian, homme mescreant, infidele, barbare, tant
maling, tant pervers, tant avare et inique qu'il vendoit les loix,
les editz, les rescriptz, les constitutions et ordonnances, en purs
deniers, à la partie la plus offrante, et ainsi leurs a taillé leurs mor-
seaulx par ces petitz boutz et eschantillons des loix qu'ilz ont en
usaige, le reste supprimant et abolissant qui faisoit pour la loy
totale, de paour que, la loy entiere restante et les livres des antiques
jurisconsultes veuz, sus l'exposition des douze tables et edictz des
praeteurs, feust du monde apertement sa meschanceté congneue » 6.
»

1 Quart Livre , XXVII, 58.


2 Quart Livre , ib.
3 Ed. Lefranc, ch. XLVIII, n. 37.
4 Jb., Introduction , p. LXXXVIII-XCIII.
5 Ib., p. XCI.
6 Tiers Livre , XLIIII, 58 sq.

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182 ROBERT MARICHAL

M. Lefranc a montré que ce Parleme


lingues est évidemment le Parlement de
y respondent » les magistrats du Parlement *. Notons-le, en 1546
Rabelais n'a pas encore eu maille à partir avec le Parlement ; cette
violente diatribe ne laisse donc pas de surprendre, surtout de la part
d'un écrivain qui vivait alors dans l'entourage immédiat du roi, et
du chancelier, chef suprême de la Justice 2. Imagine-t-on de nos
jours le chef de cabinet du Garde des Sceaux attaquant avec cette
violence la Cour de Cassation ?
Nous savons, grâce à M. Doucet 3, que les rapports de François
et du Parlement n'ont pas toujours été cordiaux, tant s'en faut,
pendant la première partie du règne, mais dans l'attente de son pro-
chain livre sur les rapports du roi et du Parlement de 1527 à 1547,
nous ne sommes guère en mesure d'apprécier si cette attaque entre
dans les vues du pouvoir et exploite l'un des nombreux différents
qui semblent avoir opposé jusqu'à sa mort le roi et ses magistrats.
Cependant, on ne peut s'empêcher de remarquer qu'au moment
même où Rabelais écrivait le Tiers Livre , se déroulait un procès sensa-
tionnel dont le retentissement n'était sans doute pas encore éteint
au début de 1546, lors de la parution du livre : le procès du chan-
celier Poyet, qui s'ouvrit par la brusque arrestation de celui-ci le
2 août 1542 et s'acheva par sa condamnation à une forte amende
et à la privation de son office le 23 avril 1545 4.
Le personnage, on le sait, n'était pas sympathique : sa chute fut
« accueillie avec une grande joie parmi le peuple » 5 et le roi se montra
fort irrité de la modération de la sentence prononcée contre lui, il
déclara que « la peine n'estoit condigne aux crimes et delitz dont
Poyet est oit convaincu et qu'il avo it ouï dire que un g chancelier
perdant son office devoit perdre la vie » 6. Or, on n'a pas remarqué
que les crimes dont Rabelais charge les Parlementaires, s'appliquent
avec exactitude à Poyet. Il leur reproche «leurs mains pleines de
sang et de perverses affections » - et M. Lefranc y voit, avec vrai-
semblance, une allusion aux procès contre les hérétiques : la rigueur
de Poyet à leur égard est bien connue 7. Le ministère public, que le
roi soutint de sa propre déposition, accusait le chancelier d'avoir
trafiqué des arrêts de justice, annulant, par exemple, pour 10.000
écus un arrêt du Parlement de Toulouse, d'avoir vendu des charges

1 Le contexte nous paraît comme à M. Lefranc, ib., p. XCII, п., imposer cette
interprétation. «
л Cf. notre article Rabelais fut-il maître des Requetes 7
3 Etude sur le gouvernement de François Ier dans ses rapports avec le Parlement
de Paris , I (1515-1525), II (1525-1527), Paris, 1922 et 1926.
4 Cf. Ch. Porée, Un parlementaire sous François Ier: Guillaume Poyet , Angers,
1898 (extr. de la Revue d* Anjou).
° Ib., p. 120.
ö Ib., p. 119.
1 Ib., p. 70-71.

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RABELAIS ET LA RÉFORME DE LA JUSTICE 183

à son profit, substitué ses propres arrêts aux arrêts des juges, bref,
comme le dit Rabelais, d'« avoir vendu les loix, les editz, les rescriptz,
les constitutions et ordonnances, en purs deniers à la partie la plus
offrante ». Et, ce qui est grave, c'est que ces accusations ne semblent
que trop fondées ; le dernier historien de Guillaume Poyet s'est vu,
en effet, obligé de conclure : « il abuse de sa puissance pour s'enrichir
malhonnêtement. Hypocrite, ingrat, vénal, telles sont les épithètes
dont la postérité Га flétri. Nous avions pensé, en commençant ce
travail, que peut-être elles étaient injustes, que Poyet était un
méconnu que nous pourrions, que nous devrions réhabiliter. En
conscience nous ne le pouvons pas ». La sévérité de ce jugement
explique et justifie la rigueur de François Ier découvrant tout à
coup les friponneries d'un ministre en qui il avait eu si longtemps
confiance. Elle expliquerait et justifierait aussi bien l'indignation de
maître François Rabelais.
Cependant, de bons esprits comme Sadolet ont refusé de croire
à la culpabilité du chancelier. Y a-t-il quelques probabilités que
Rabelais eût pu partager leur illusion ?
Il ne pouvait ignorer Poyet, non seulement parce que l'impor-
tance de ses fonctions attirait sur lui tous les regards et que Guil-
laume du Bellay s'était trouvé en Piémont sous ses ordres, mais
encore parce que celui-ci était un compatriote, appartenant à une
famille angevine. Par une rencontre curieuse c'est un Poyet, François,
dont nous ignorons les liens exacts de parenté avec le chancelier,
prieur de Ďueil, religieux de Saint-Florent de Saumur, qui fut l'insti-
gateur de l'élection de Jacques Le Roy en 1518 1.
D'autre part, Rabelais n'a pas pu ne pas suivre le procès du
chancelier ; c'est, en effet, son ami François Erraut qui fut chargé
avec François Olivier, futur chancelier, d'instruire le procès de
Poyet et c'est encore lui qui, comme garde des sceaux, eut à désigner
les membres de la Commission extraordinaire qui, par dérogation
à tous les précédents - le chancelier devait comparaître devant
toutes les chambres du Parlement assemblées - fut chargée de le
juger et lui refusa l'assistance d'un avocat en vertu de l'Ordonnance
de Villers-Cotterets que Poyet avait lui-même promulguée, répon-
dant à ses protestations : Patere legem quam ipse tulisti 2. Nul doute
que le garde des sceaux n'ait suivi lui-même cette affaire si impor-
tante et approuvé, sinon imposé, une procédure si rigoureuse. Rabe-
lais, qui avait pour lui tant d'admiration 3, pouvait-il, en lui-même,
le désavouer ?

1 Dom Huynes, f° 415. Cf. Bibl. d'Humanisme et Renaissance , t. XI (1949), p. 152.


2 Ch. Porée, op. cit., p. 108.
3 Plattard, François Rabelais , p. 238.

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184 ROBERT MARICHAL

Enfin, il ne faut pas oublier que Marguerite d'Angoulême, à


qui est dédié le Tiers Livre , passait ouvertement pour nourrir des
sentiments hostiles à l'égard de Poy et et que la chute du chancelier
fut précisément provoquée par d'« aigres propos » que celui-ci lui
tint « au sujet de l'ingérence des femmes dans les affaires de l'état »
à l'occasion d'un différent qu'il avait avec la duchesse d'Etampes '
Rien ne permet donc de penser que Rabelais ait pu avoir quelques
doutes sur la culpabilité du chancelier ou des raisons de le ménager.
Mais il pouvait avoir ses raisons de ne point l'attaquer ouverte-
ment : Claude Chapuys, dans son Discours de la Court , écrit au début
du procès et lorsque l'indignation publique était à son comble, n'ose
pas, lui non plus, le nommer, il se borne à quelques « malignes allu-
sions » 2. Il connaissait, dit M. Porée, les brusques « revirements de
la faveur royale » ; Rabelais les connaissait aussi bien que lui.
Or, Poyet, qui y fut vingt ans avocat, cinq ans avocat du roi,
quatre ans président, avait fait toute sa carrière au Parlement ou
dans son entourage immédiat. Bien qu'il ait parfois été dur pour ses
anciens collègues, il pouvait passer pour l'un d'eux - son historien
n'a pas trouvé de qualificatif plus juste pour le caractériser que
celui-ci : « un parlementaire sous François Ier ». Compromettre avec
lui tout le Parlement, c'était à la fois sauvegarder l'avenir, assouvir
de vieilles rancunes et entrer dans les vues du roi qui avait dit, en
apprenant la condamnation trop bénigne à son gré de son chancelier,
qu'on ne faisait justice suffisante « à ceux de robe longue » et qu'« il
avoit très mauvaise estime des gens de sa justice » 3.
Le travestissement ne risquait même pas d'égarer les lecteurs,
puisque des vers satiriques contre Poyet l'avaient déjà comparé
- et ceci nous semble devoir lever tous les doutes sur les intentions
profondes de Rabelais - à « Tribunian corrompu d'avarice » qui
« vendoit des lois les expositions » 4. Le rapprochement, on le voit,
venait tout naturellement à l'esprit.
Cette identification permet en outre d'expliquer la correction que
Rabelais apporte à ce passage en 1547, correction d'autant plus
remarquable qu'elle ne va pas sans une certaine gaucherie 5 : la
diatribe contre le Parlement n'est plus dans la bouche de Pantagruel,
elle est dans celle d'Epistémon, tout comme la condamnation des
juges pédanées dans le Quart Livre. Comme l'a bien vu M. Lefranc 6,
le sens de cette correction n'est pas douteux : plus il avance dans
la composition de son roman, plus Rabelais semble vouloir placer

1 Ch. Porée, op. cit., p. 105.


2 Ib., p. 120.
3 Ib., p. 119.
4 Ib., p. 140.
5 Comparer Tiers Livre , ch. XLIII, 63 sq., XLIV, 4 sq. et 35 sq.
6 Ib., p. XCII, n. I.

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RABELAIS ET LA RÉFORME DE LA JUSTICE 185

Pantagruel au-dessus de l'humanité courante. Il évite de le mêler


aux scènes triviales : au début du chapitre des moutons de Panurge,
celui-ci, dans l'édition de 1548, disait à Pantagruel et à frère Jean :
« Retirez vous icy un peu à l'escart et joyeusement passez le temps
à ce que voirez » г. En 1552, c'est à Epistémon et à frère Jean seuls
qu'il fait cette confidence. Lors du combat contre les Andouilles,
frère Jean ironiquement s'écrie : « Ce sera icy belle bataille de foin...
Ho le grand honneur et louange magnifiques qui seront en nostre
victoire. Je vouldrois, dit-il à Pantagruel, que dedans vostre nauf
feussiez de ce conflict seulement spectateur 2 ». En Papimanie,
Pantagruel ne peut souffrir qu'on batte devant lui les petits enfants 3,
et, chez messere Gaster, écœuré de sa goinfrerie, il veut se retirer 4.
Dans l'épisode des Ghicanous, enfin, en 1548, lorsque frère Jean,
ne pouvant se tenir de faire l'expérience de leur naturel, descend à
terre dauber Rougemuzeau pour vingt écus, Pantagruel l'accom-
pagnait ; en 1552, il reste sur sa « nauf » : pareil spectacle est indigne
de la majesté du prince 5.
Visiblement, donc, Rabelais prend de plus en plus conscience
de l'importance et du sérieux de Pantagruel, ses gestes, ses paroles
sont soigneusement calculés, - et c'est un trait dont on devrait
tenir le plus grand compte dans l'exégèse de son œuvre - il ne
veut pas l'engager à la légère, aussi malgré la réserve « je ne vouldrois
penser ne dire, aussi certes ne croy je », sans doute a-t-il pensé, en
1552, que cette « critique si acerbe » du Parlement « mise sur les
lèvres du prince offrait une portée et une signification trop grande » 6.
Mais il faut aussi observer qu'en 1546 un pasquil nous représente
Poyet comme « ressuscitant » - déjà le 11 juillet 1545 le roi lui avait
fait grâce des cinq années d'emprisonnement qu'il avait encourues -
et le 14 avril 1548, il devait obtenir un arrêt du Parlement «autori-
sant la révision, à ses riques et périls, de son procès » 7. Il convenait
donc, en 1547, de redoubler de prudence.
Si on admet le bien-fondé de ces remarques, on excusera leur
longueur, puisqu'elles nous permettent de voir à quel point Rabelais
est attentif aux vicissitudes de la politique et informé de tout ce
qui se trame dans les hautes sphères de l'administration.
Par une rencontre significative, les dernières lignes de la diatribe
de Pantagruel-Epistémon contre le Parlement vont nous montrer

1 Quart Livre , VI, I sq.


2 Ib., XXXIX, 5.
3 Ib., XLVIII, 84.
4 Ib., LX, I sq.
5 Ib., XVI, 82. C'est ce que nous avons voulu indiquer dans notre Index nominimi,
verbo Pantagruel, sous les mots, énigmatiques par excès de concision : manières de
grand seigneur.
6 Lefranc, loc. cit.
7 Porée, op. cit., p. 124.

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186 ROBERT MARICHAL

une seconde fois cette connivence, si Ton ose dire, entre Rabelais
et les ministres du roi : pour conclure, Pantagruel déclare, en efïet :
« Pourtant seroit ce souvent meilleur (c'est à dire moins de mal en
adviendroit) es parties controverses marcher sus chausses trapes
que de son droict soy deporter en leurs responses et jugemens, comme
souhaitoit Caton de son temps et conseilloit que la court judiciaire
feust de chausses trappes pavée » 1.
Or, trois ans plus tard, dans une circonstance solennelle qui
rappelle la visite de Pantagruel au Parlement myrelinguoys, lorsque
Henri II vint, pour la première fois depuis son avènement, honorer
sa Court de Parlement de sa présence, le, mardi 2 juillet 1549, le
chancelier Olivier, celui-là même qui avait assuré avec François
Erraut l'instruction du procès Poyet, disait aux magistrats :
Prenez garde que les loix et ordonnances du Roy ne soient point
comme tissus d'araignée ou il n'y a que les mousches qui soient prises...
gardez que d'un arrest ne naissent plus de procès que auparavant
et qu'au lieu d'en sortir les parties ne se retrouvent en plus grand
travail et despense que auparavant, ce qui est advenu souvent et
dont maintes bonnes maisons sont ruinées. Il n'y a rien qui tant
face desestimer la justice et les ministres. Pour ceste cause, Caton,
qui fut surnommé Censorius, homme grave et de grande auctorité,
si comme on deliberoit au Senat de faire orner magnifiquement les
Cours et auditoires de Rome et construire des galeries pour tenir
à couvert les parties, il fut d'opinion qu'on debvoit paver de chausses
trappes toutes les cours et auditoires, afin que nul n'en approchast,
non plus que d'un dangereux rocher.2

Ne croirait-on pas que François Rabelais a tenu la plume du


chancelier ?
Certes nous ne pouvons pas affirmer que François Olivier se
soit ici souvenu du Tiers Livre - encore qu'il soit naturel que cet
ancien chancelier de la Reine de Navarre, qui inclinait d'ailleurs
au protestantisme, ait été un lecteur de Rabelais - car il a eu mani-
festement recours au texte même de Pline 3, mais même si la ren-
contre est fortuite, je dirais même, surtout si elle est fortuite, elle
n'en est pas moins suggestive, puisqu'elle prouve que dans les mêmes
circonstances, les mêmes idées évoquaient dans la mémoire de
Rabelais et dans celle d'Olivier le souvenir des mêmes lectures.
Or, l'une des préoccupations constantes du pouvoir fut, au sei-
zième siècle, la réforme de la justice.
François Ier et Henri II semblent bien avoir eu sur ce point
- en dépit de défaillances passagères - un sentiment élevé de

1 Tiers Livre , loc. cit.


2 Arch. nat. U 425, f° 81 v°.
3 Hist, nat., XIX, 6. Il le déforme d'ailleurs, ce n'est pas du vivant de Caton qu'on
fit couvrir le forum, c'est sous Auguste et c'est Pline qui rappelle les paroles de Caton.
Budé dans les Forensia , éd. R. Estienne, 1544, in f°, p. 267 et 268, y faisait aussi allu-
sion, mais sans les détails que donne Olivier.

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RABELAIS ET LA RÉFORME DE LA JUSTICE 187

leur devoir, ils semblent avoir été profondément pénétrés de cette


idée que, comme le dit encore Olivier : « La vraye et solide gloire
du Roy est soumettre sa hauteur et majesté à justice. Dieu même
ne promet point chose qui ne soit equitable et droituriére et ne se
retiendrait plus le nom de Dieu s'il faisoit autrement, partant ne
peuvent les rois faire chose plus haute, plus royale et plus divine,
outrepassants les vertus communes, que de se conformer à Dieu le
plus qu'ils peuvent au fait de ladite administration de la justice » x.
Dans cette tâche ils ont été bien servis par leurs chanceliers :
si, pendant les vingt années où Duprat tient les sceaux, l'activité
législatrice en ce domaine est médiocre, il n'en va pas de même
lorsque, avec Dubourg, Poyet, puis Olivier, ils passent aux mains
de jurisconsultes éprouvés ; de 1535 à 1547 on ne compte pas moins
de quatorze grandes ordonnances ou édits sur le fait de la justice,
parmi lesquels cette Ordonnance de Villers-Cotterets, surnommée
la Guillelmine , dont l'influence fut si profonde et qui a assuré à
Poyet, malgré ses fautes, une place de choix parmi les grands ministres
de la justice.
Certes, tout n'est point pur dans les intentions de ces législa-
teurs : les historiens leur reprochent, à juste titre, d'avoir introduit
la fâcheuse habitude, plaie de l'ancien régime, de faire de la vénalité
des offices l'une des ressources du Trésor 2, mais ils s'accordent, cepen-
dant, à reconnaître qu'ils ont obéi aussi à des idées plus élevées.
Or, elles tendent toutes à deux fins : « améliorer le personnel de la
magistrature, rendre la justice plus expéditive » 8.
Le préambule de Y Edit d'érection des sièges présidiaux dans toute
l'étendue du royaume, de janvier 1552, qui est comme la conclusion
naturelle de toute l'œuvre entreprise depuis 1535, expose mieux
que nous ne le saurions faire quelles ont été à cet égard les intentions
du pouvoir :

Henry, etc. Savoir faisons à tous présens et advenir, que nous,


considérans le grand soin et diligence dont nos prédécesseurs, roys
de treshonneste memoire, ont usé, et nous consécutivement depuis
nostre advénement à la couronne, pour l'établissement, ordre et
conduite de la justice, et pour la faire promptement administrer à
nos sujets, ayons sur ce fait plusieurs ordonnances bonnes, utiles
et nécessaires, pour l'abbréviation des procez sans ce que jusques
icy l'on en ait pu tirer le fruict que nosdits predecesseurs et nous en
avions espéré. Mais au contraire par la mesme foy des parties, et
souvent pour l'excessif gain et profit qu'en tirent les ministres et
suppôts de la justice, par les mains desquels il faut passer, les dites
ordonnances, quelques bonnes qu'elles soient, semblent quasi avoir

1 Isambert, Recueil général des lois françaises , XIII, p. 98.


2 Laurain, Etude sur les présidiaux , Nouvelle revue historique de droit français et
étranger , 1895, p. 370. En 1527, déjà, le roi en constate les inconvénients (Isambert,
op. cit., XII, p. 280).
3 PORÉE, Op. Clí., p. 81.

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188 ROBERT MARIGHAL

produit et donné moyen de plus grande longueur ausdits procez,


pour les subtilitez et involutions que Ton a exquis et trouvé à pro-
longer l'expédition d'iceux et pervertir l'ordre et formalité de la
justice : de sorte que la pluspart de nos sujets, delaissans et abandon-
nans leur forme et manière de vivre avec leurs arts, industrie et
tous autres vertueux et notables exercices, ausquelz ils sont appelez,
employent le temps de leur vie à la poursuite d'un procez, sans en
pouvoir voir la fin et consacrent leurs meilleurs ans, avec leurs biens
et facultez et substances, en chose si serve et illiberale, qu'est ceste
occupation comme chacun sçait.
Davantage, venant à noter que nos cours souveraines ont esté
principalement establies pour juger des grandes matières dont y
auroit appel interjecté, et qu'en autres moindres l'on acquiesçoit
communément aus jugemens des premiers juges, sans en provoquer
ny appeller : chose qui demonstre assez que l'usage de plaider n'estoit
si commun ne frequent qu'il est de présent et usoient nosdits sujets
les uns avec les autres de meilleure foy, ne craignans moins d'encourir
le nom de plaideurs et estre tenus et estimez pour tels que d'estre
accusez et atteints de crime notoire : et tout au contraire nosdits
sujets font si grande coustume et habitude de plaider que univer-
sellement ils se destruisent, de manière que c'est une maladie qui
a prins si grand cours par tous les endroits de nostre royaume que
l'un refuse à tout propos faire raison à l'autre, s'il n'y est contraint
par justice...1

On ne saurait trouver texte officiel qui s'accorde mieux avec


les arrière-pensées, latentes ou avouées, de Rabelais : désir d'abréger
la procédure, condamnation de l'esprit de chicane, sévérité à l'égard
des « suppôts » de la justice, éloge de la loyauté du temps des « hauts
bonnets » dont Bâché reste un fidèle représentant.
Mais l'accord entre Rabelais et les chanceliers ne se borne pas
à ces généralités, il se continue dans le détail des diverses ordon-
nances : comme Rabelais, ils sont sévères pour les Chicanous. Les
Ordonnances réglementent strictement les devoirs et les prérogatives
des huissiers et sergents et menacent les délinquants de les «punir
grifvement » 2. Mais ce sont gens de trop peu d'importance pour
que les préambules des Ordonnances leur consacrent une place
spéciale. Les procureurs, au contraire, retiennent davantage l'atten-
tion des ministres du roi ; ils y voient - à juste titre, semble-t-il,
car ce sont eux qui mettent en branle les sergents : « en quoy, dit
Epistémon, ofïensoient ces paouvres diables Chicanous?» - l'un des
ferments de cette prolifération de l'esprit de chicane qui les inquiète
à bon droit. Mais Rabelais, on l'a dit, les a confondus dans la même
réprobation que les sergents et ce n'est évidemment que parce que
ceux-ci offraient à ses coups une cible plus pittoresque qu'il les a
mis en scène de préférence aux « procultous » ; ce qu'il dit des uns
peut valablement s'appliquer aux autres.

1 Isambert, op. cit., XIII, p. 248 sq.


2 Isambert, loc. cit., XII, p. 471 ; il en est naturellement question dans toutes les
Ordonnances réformatrices, cf., par exemple, p. 605, 638, 718.

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RABELAIS ET LA RÉFORME DE LA JUSTICE 189

Or, par un synchronisme remarquable, c'est précisément lorsque


François Erraut tient les sceaux que le roi semble s'apercevoir tout
à coup des conséquences fâcheuses du foisonnement des offices qu'il
a multipliés à plaisir dans les années précédentes, les procureurs
« n'ayant la pluspart d'entre eux autre moyen de vivre fors leurs
estât et practique, sont contraincts, avoue-t-il, nourrir, multiplier
et prolonger les procès » 1 ; Olivier ne fait que reprendre l'œuvre de
son prédécesseur lorsqu'il publie l'édit de Moulins sur la réduction
des offices de judicature, la page la plus sévère du siècle sur les
praticiens :

Gomme il nous soit venu par cy devant et vienne encores conti-


nuellement infinies plaintes de la part de tous les estats de nostre
royaume, tant de la multiplication des procez et la pluspart desquelz
procez sont fondez en pures cavillations, les autres en choses quasi
de néant, qu'aussi semblablement des longueurs et embrouillemens
qui s'y font, par le dol et malicieuses inventions des praticiens, qui
tiennent comme une banque de tromperie et mauvaise foy, et consti-
tuent le principal de leur art à prolonger et obscurcir les procez,
introduire et multiplier incidens sur incidens... qui mettent quelque-
fois les pauvres parties au bout de trente ans en plus grande contro-
verse et involution qu'elles ne furent oncques, dont advient que la
principale substance de tous nosdits subjects, soit de ceux qui
obtiennent, comme de ceux qui succombent, finalement est fondue
et consumée es mains des juges, procureurs et advocats, qui par tels
moyens s'enrichissent des miseres, despens, travail et vexation de
nosdits subjects où communément ils se trouvent estre encourus
par l'avarice et malice des ministres et instrumens de justice plus
que par leur propre faute...
parquoy avoir le tout bien pensé et considéré, il se cognoist
tout clairement que la principle cause de la multiplication et lon-
gueur des procès et l'extresme despense qui s'y fait, ensemble de
tout le desordre estant au faict de la justice est procédée tant par la
multitude d'avarice et peu de devoirs des officiers de justice,
... qu'aussi pour le nombre efïrené des procureurs et practiciens
et la malice de plusieurs dudit estât, n'ayans un seul grain de probité,
et constituans leur principale fin forger plusieurs difîerens et procez
les uns sus les autres et y jecter le plus de tenebres que ils peuvent,
desquels (combien que notoirement ils facent profession de tromperie
et mauvaise foy) il ne s'est jamais faict aucune punition...2

Rappelons-nous le procès de Bridoye, les explications que donne


du naturel des Chicanous le truchement de Pantagruel, Rabelais,
dans un meilleur style et avec moins de violence, n'a pas tenu un
autre langage, or, ne l'oublions pas, son ami François Erraut rédige
l'édit d'Arqués au mois d'octobre 1544, au moment où lui-même
écrit le Tiers Livre , et l'édit de Moulins paraît au mois d'août 1546

1 Ib., 883, Arques, 16 oct. 1544, cf. aussi, édit cité plus bas, p. 913, l'aveu du roi ;
« lesquelz, encores qu'ils ayent esté par nous creez et augmentez pour l'urgente nécessité
de nos affaires, à nostre tres grand regret et desplaisir ».
2 Ib ., p. 912.

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190 ROBERT MARICHAL

pendant qu'il compose le Quart Livre. Ces chapitres en apparence


si révolutionnaires ne sont que la paraphrase et la mise en « gestes »
de la politique du chancelier et du roi.
Mais, en 1552, ce ne sont plus les Chicanous qui sont à Tordre
du jour. Pendant que Rabelais écrit son Epistre liminaire au Cardinal
de Chastillon, le garde des sceaux Bertrand met la dernière main
à son édit sur Y érection des sièges présidiaux. Or, si l'objectif prin-
cipal de cet édit est de créer des cours souveraines plus proches des
justiciables que ne le sont les Parlements, et s'il ne porte en appa-
rence aucune atteinte aux droits des seigneurs justiciers, ni les histo-
riens, ni les contemporains ne s'y sont trompés, ils y ont vu une
nouvelle offensive contre les prérogatives des justices locales. « Depuis
trois cents ans en ça, écrivait un peu plus tard le bon Coquille, les
Cours de Parlement et les gens du Roy ont eu pour cabale et loy
non escrite d'observer et exécuter tous moyens pour abbaiser l'au-
thorité et jurisdiction des seigneurs et accroistre celle du Roy...
ç'a esté pratiqué encores de plus grande ardeur quand toutes sortes
d'estats royaux ont esté faits vénaux afin qu'on tirast plus d'argent
quand la pratique seroit plus grande » г.
Coquille, avocat à Nevers et qui avait trente ans à l'époque,
ne s'est pas trompé : Poyet, qui eut, outre la responsabilité de la
justice, la superintendance des finances, et ne se fit pas faute de
trafiquer des charges de judicature 2, a été aussi un adversaire décidé
des justices domaniales. En février 1540, six mois après la grande
Ordonnance de Villers-Cotterets qui rognait un peu plus les ailes
aux justices ecclésiastiques (art. I sq.) et assujettissait, en matière
criminelle, les juges seigneuriaux à la surveillance des officiers royaux
(art. 141 sq.), son édit de Dourlens 3 qui unissait au domaine de la
couronne les justices seigneuriales de la ville de Paris, portait une
condamnation générale : « Comme pour obvier à involutions et
longueur de procez... et pour tollir et oster par tous moyens possibles
les occasions dont iesdits procez sortent et pulullent, procédans
souvent, comme nous en sommes bien advertis, de pluralité et multi-
tude de justices et jurisdictions que plusieurs gens d'esglise, de
main-morte, communautez et autres particuliers, nobles et non-
nobles, maintiennent avoir et s'esforcent d'exercer en tous degrez
en mesme ville et lieu... sans avoir certitude de leurs fins, limites
et personnes justiciables redevables, choses qui ne peuvent produire
en un corps politique que tout desordre et confusion, contentions,
questions, debatz, impunité d'homicides, crimes et délits contraires
à tout droit naturel et société civile... »

1 Hist, du Nivemois, Paris, 1612, p. 364, dans Laurain, op. cit., p. 356.
2 Porée, op. cit., p. 76.
3 ISAMBERT, op. cit. y p. 665.

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RABELAIS ET LA RÉFORME DE LA JUSTICE 191

L'édit d'érection des présidiaiix s'inspirait tacitement des mêmes


idées : l'établissement d'un ressort définitif si proche de ses justices
atteignait indirectement la noblesse, notamment en donnant un
champ plus large à la prévention 1. Les officiers du roi ne se firent
pas faute d'en profiter. C'est donc assurément pour appuyer leur
action que Rabelais fait, en 1552, dévier ses coups vers les juges de
village.
Ses convictions de juriste et de romaniste l'emportent sur sa
prédilection pour la noblesse rurale dépossédée d'un de ses droits
les plus anciens. On aurait tort d'ailleurs de croire qu'il y ait eu sur
ce point chez lui scrupule de conscience. Le bon du Fail nous a laissé
du gentilhomme campagnard un portrait idyllique : « Un homme
retiré aux champs, écrit-il, gouvernant et reiglant ses sujets en
amiable et gracieux police ressemble un sainct ou un prince philo-
losophe : il sait, il estudie, instruisant et conseillant son lourd et
grossier voisinage, le retenant en paix et sans procès ne trouble » 2.
Comme Perrin Dendin 3, il appoincte lui-même à la taverne les diffé-
rents de ses vassaux. Le portrait ressemble trop aux héros de pré-
dilection de Rabelais pour qu'on puisse croire qu'il se fût refusé
à le signer. Il n'a certes pas voulu enlever à René du Puy cette espèce
de juridiction paternelle, sans auditoire et sans procédure, où il
devait exceller. Ce n'est pas, il faut y insister, le seigneur rendant
lui-même la justice que Rabelais attaque, c'est l'officier auquel le
seigneur, se dérobant à ses devoirs ou parce qu'il s'agit de causes
exigeant des connaissances techniques, confie son tribunal. Or, dès
l'enfance, par son père que ses fonctions appelaient à les surveiller
et à les conseiller 4, Rabelais a été à même d'apprécier les insuffi-
sances et les « concussions » de ces « juges pédanées soubs l'orme ».
Les juristes du XVIe siècle ne considéraient plus la justice
comme portion intégrante du fief ; apanage de la souveraineté, elle
n'est pour eux qu'une concession du prince à charge d'appel et de
contrôle 5. Le roi ne leur cause donc aucun préjudice en la leur
enlevant.

Mais le jeu de Rabelais est peut-être ici plus fin qu'il n'en a l'air.
En laissant croire au lecteur non prévenu que les juges pédanées
sont la cause des vexations que subit le seigneur de Raché, n'essaye-t-il
pas de persuader habilement la noblesse qu'elle aurait elle-même
intérêt à la disparition de ces officiers fripons et importuns, source
de tous les procès ? Peut-être est-ce excès de subtilité, mais il nous

1 Laurain, op. cit., p. 391-2 ; en outre il dépouillait presque complètement les


baillis, qui étaient gentilshommes, de l'administration de leur province.
2 Eutrapel, II, p. 97.
3 Tiers Livre , XLI.
4 Cf. notre article des Mélanges Lefranc , p. 191.
5 A. Giffard, Les justices seigneuriales en Bretagne , Paris, 1903, p. 3 sq. (Bibl.
de la Fondation Thiers, fase. I).

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192 ROBERT MARICHAL

semble que cette façon cauteleuse d'a


renoncer eux-mêmes à des privilèges dont il tiraient plus de vanité
que de profit n'est pas sans analogie avec l'attitude du pouvoir à
leur égard. Le 19 juin 1536 l'édit de Grémieux accordait «aux baillis
et juges présidiaux » le droit de prévention sur les « prévôts, châte-
lains et autres juges inférieurs » ; l'édit ne précisant pas quels étaient
ces « juges inférieurs », les juges présidiaux s'empressèrent d'exercer
le droit de prévention à l'égard des justices seigneuriales. Les gentils-
hommes protestèrent ; le roi par une déclaration du 24 février 1537
assura qu'il n'avait « voulu et entendu aucunement prejudicier à
leur justice et exercice d'icelle, mais au contraire privilégier et favo-
riser sesdits vassaux, mesmes les nobles, vivans noblement, comme
dit est » et déclara formellement que les dispositions de l'édit ne
sauraient leur être appliquées.
Or, après l'érection des présidiaux, la même manœuvre se répète :
le 16 janvier 1556, le roi rappelle ses officiers à l'observation de la
déclaration du 24 février 1537.

On peut certes admettre que le chancelier, averti du zèle exces


que déployaient les juges royaux, ait loyalement entendu y mettr
un frein, mais lorsqu'on connaît ses arrière-pensées, cette « cabale
et loi non escrite » dont parle Coquille, on a quelque raison de dou
qu'il en fût sincèrement affligé.
On peut donc se demander s'il n'y a pas, plus ou moins con-
sciemment, dans la haute administration de la justice, une sorte de
duplicité : on prend des mesures très générales contre les juges
« inférieurs » ; on omet, à dessein, de préciser qu'elles ne s'appliquent
point aux justices seigneuriales et on attend la réaction, si elle est
trop vive, on bat en retraite... jusqu'à la prochaine occasion.
Est-ce pure illusion de voir dans ce mélange de hardiesse et de
prudence quelque chose qui rappelle l'ambiguité des procédés de
Rabelais ?
Si l'on estime que c'est aller trop loin dans la voie de la conjec-
ture, il n'en reste pas moins qu'en 1546, au moment où la Chancellerie
réduit le nombre des offices de procureurs, Rabelais donne de la
voix contre les Chicanous et qu'en 1552, quand elle porte une nou-
velle atteinte aux justices seigneuriales, il ajoute à son texte une
virulente apostrophe contre les juges de village. Ce faisant, une fois
de plus, prenant peut-être dans la réalité un minuscule incident,
Rabelais le grossit à plaisir, l'anime, le transforme en une espèce
d'affiche de propagande, pittoresque et haute en couleur, au service
de la politique royale.
Si le procédé était ici plus difficile à déceler que dans les chapitres
consacrés aux Papimanes, son analyse, par cette difficulté même,
nous faisait pénétrer plus avant dans l'esprit de l'auteur. Ce sera
notre excuse pour nous être attardé si longtemps en la compagnie
du seigneur de Bâché.

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RABELAIS ET LA PARODIE

par Raymond Lebègue

Lorsqu'on a rapproché les romans de Rabelais des écrits populaires,


des plaisanteries cléricales, et du théâtre comique des farces et soties,
on a découvert d'indéniables influences. Aujourd'hui je me propose
de montrer ce qu'il doit à la parodie.
Commençons par résumer à grands traits l'histoire de ce genre
spécial. S'il n'a, en soi, qu'une valeur secondaire, du moins peut-il
se vanter de sa lointaine origine et de son grand développement.
On a conservé le nom de poètes grecs qui ont composé des parodies,
entre autres celui de Matron, qui avait appliqué des milliers de vers
d'Homère aux provisions de bouche et à la cuisine. Parée du grand
nom d'Homère, la parodie épique intitulée la Batrachomyomachie
était éditée en France dès 1507, traduite en 1540 par Antoine Macault,
alléguée par Du Bellay, annotée par Mélanchthon et par H. Estienne.
Aristophane a souvent parodié les vers de poètes grecs, et particu-
lièrement ceux d'Euripide. Certains dialogues de Lucien, surtout
l'Histoire vraie et Jupiter tragédien , ont une saveur parodique. On
attribuait à Virgile une pièce satirique, parodiée du Phaselus Ule
de Catulle. Les admirateurs de Sénèque (en particulier, Malherbe)
lisaient son pamphlet parodique de l 'Apokolokyntose. Dans le traité
Comment il faut lire les poètes, Plutarque cite des sentences, dont on
modifie complètement le sens en y changeant quelques mots *.
Au Moyen Age, la parodie fleurit dans le monde des clercs. On
a édité, de nos jours, un grand nombre de poèmes latins, où des textes
liturgiques, bibliques, ou grammaticaux sont parodiés de manière
à chanter la bonne chère, les bons vins et l'amour physique. Ce jeu
se répandit dans la littérature en langue vulgaire ; les sermons joyeux
que l'imprimerie diffusa pendant la première moitié du XVIe siècle,
popularisaient les vies et les martyres fantaisistes de S. Jambon,
Ste Andouille, S. Ognon, S. Hareng, S. Raisin ; d'autres sermons,
comme celui de S. Billouart, œuvre du chanoine Molinet, sont copieu-
sement obscènes.
Pendant la Renaissance, les parodies d'inspiration humaniste
s'ajoutent à celles de tradition médiévale. On imprime Aristophane,
Lucien, la Batrachomyomachie , et les centons virgiliens avec lesquels
Juvencus et Proba Falconia avaient traité des sujets chrétiens.

1 Cf., sur l'imitation plaisante et sur la paronomase, Cicéron, De Oratore II ,


LXII-LXIV.

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194 RAYMOND LEBÈGUE

On publie, en 1544, sous le titre de Pasq


satiriques, parmi lesquelles se trouvent des parodies. La parodie,
le pastiche sont employés dans les écoles, comme auxiliaires de
l'enseignement de la rhétorique. En 1553, plusieurs des Folastries
de Ronsard sont de plaisantes parodies de poèmes antiques ou néo-
latins. Dix ans plus tard, ses adversaires protestants parodièrent
plusieurs de ses pièces 1. Dans le théâtre tragique en latin ou en langue
vulgaire, le dialogue stichomythique oppose généralement une
sentence à une autre sentence ; souvent, la seconde est partiellement
calquée sur la première, tout en exprimant un sens contraire. Notre
principal dramaturge, Robert Garnier, a réussi des parodies, où le
changement d'un mot ou d'une lettre crée un sens opposé au premier :

Beatrix
Rien n'y est si requis que leur contentement,
Aymon
Rien n'y est si requis que mon consentement.

La Royne
Voire mais un chacun l'esperance reçoit
Amital
Voire mais un chacun l'esperance déçoit

Deux humanistes français se sont particulièrement intéressés à la


parodie : Jules-César Scaliger et Henri Estienne. Le premier a accordé,
en 1562, un chapitre de sa Poétique aux centons et un autre à la
parodie. Il remonte aux origines antiques de la parodie, mais il passe
sous silence l'histoire de ce genre au Moyen Age. Il cite une parodie du
début de l'Enéide que ses camarades et lui avaient composée, aux
Jours Gras :
Pršela merumque cano ...

et une qu'il avait faite du Phaselus ille, où fur Doletus remplaçait


post phaselus.
Plus tard, Henri Estienne réimprima les centons d'Homère et de
Virgile. Et surtout, en 1575, il publia un livre intitulé Parodisi
morales ; protestant convaincu, il se garde d'utiliser les textes bibli-
ques ; il prend un vers d'un poète latin, et y change un ou plusieurs
mots. Par exemple, il tire cinquante-quatre rédactions nouvelles de
la sentence d'Horace :

Quicquid délirant reges, plectuntur Achivi ;

1 Cf. mon Ronsard , Paris, Boivin, pp. 39 et 84.

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RABELAIS ET LA PARODIE 195

il remplace d'abord Achivi par egeni, ou par regis amici ; puis il


s'écarte davantage du texte primitif :
Quod délirât conjux, id plectitur uxor.
Quicquid délirant medici, plectuntur id segri, etc...

Non content de ces 54 parodies, il invente quelques imitations


libres de ce vers. Les rectos du livre sont en blanc, pour que le lecteur
y inscrive des parodies de son cru. C'est le même Estienne qui donnait
cent-six traductions différentes d'un distique de Y Anthologie ! Dans
un appendice, il cite les centons virgiliens que L. Gapilupi avait
appliqués aux moines, ceux de Proba Falconia, quatre parodies
modernes du Phaselus ille9 et une du Donec gratus eram.
Nous ne nous étendrons pas sur les développements ultérieurs de ce
genre, qui, en France, se haussa, avec le Lutrin , au style épique et qui
envahit la scène. Depuis la fin du XVIIe siècle, les théoriciens
français s'efforcèrent de le définir, de le distinguer d'autres procédés
d'imitation, d'en classer les espèces. Quant à nous, puisque notre
propos concerne le XVIe siècle, nous donnerons de la parodie une
définition très large ; à cette époque, c'est l'imitation consciente et
voulue d'une œuvre littéraire (ou du langage propre à un genre
ou à une discipline), pas absolument fidèle, mais assez précise pour
évoquer dans l'esprit d'un lecteur instruit le texte (ou le genre, ou
la discipline) imité. Entre ce lecteur et l'auteur s'échange un clin
d'œil complice. A la différence des parodies dramatiques du XVIIIe
siècle et de la période romantique, les parodies de la Renaissance
n'impliquent pas forcément une dérision ou une satire du texte
parodié. Et, bien que Paul Lehmann, historien de la parodie médié-
vale, assigne à ce genre le but d'amuser le lecteur, cet élément n'est
pas nécessaire : parmi les parodi sa morales ď Estienne, les jocosœ
sont une faible minorité.
Avant d'étudier dans les œuvres de Rabelais l'influence de la
parodie, nous devons préciser sa position. Moine (d'abord dans un
ordre populaire) et humaniste, il est au confluent de deux courants
parodiques. D'une part, il connaît tous les thèmes et tous les procédés
des parodies de textes bibliques ou liturgiques par lesquelles se
récréaient, sans aucune pensée impie, les moines et les curés de son
temps ; il n'est pas moins au courant des sermons joyeux et de cette
parodie de l'auteur des Proverbes qui fut répandue, dès le Moyen Age,
sous le titre de Dialogues de Salomon et Marcoul :
- Qui ne se adventure,
N'a cheval ny mule.
- Qui trop se adventure,
Perd cheval et mule 1

1 Nous avons choisi ces deux dictons de Salomon et de Marcoul, parce que Rabelais
les a introduits dans le conseil de guerre de Picrochole.

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196 RAYMOND LEBÈGUE

D'autre part, sa culture d'humaniste Га familiarisé avec la


parodie des œuvres de l'antiquité payenne. Sa « librairie » contenait
les Moralia de Plutarque, Aristophane, et Lucien, à qui il doit tant К
Quelle que soit la date de sa naissance 2, ses rapports avec l'Université
se sont poursuivis jusqu'à une époque tardive : il obtint le titre de
docteur en médecine seulement en 1537, et professa son cours de doc-
torat l'année suivante. A Montpellier, et peut-être aussi dans d'autres
villes universitaires, il participa, sans aucun doute, avec ses camarades,
à ces jeux parodiques auxquels se plaisaient les membres de la « res-
publica scholastica » ; du reste, dans le dernier de ses livres authenti-
ques, il insérait la parodie d'un vers d'Horace qui avait été faite,
vingt-cinq ou trente ans plus tôt, contre un régent du collège de
Montaigu :
Hórrida tempestas montem turbavit acutum.

Voici les différentes espèces de parodies qu'il affectionne :


1. Mettons au bas de l'échelle des valeurs la parodie- jeu de mots .
Plusieurs des titres burlesques de la « librairie » de Saint-Victor paro-
dient des titres authentiques d'ouvrages sérieux et édifiants. Des célè-
bres Lunettes des Princes Rabelais a tiré les Lunettes des Romipètes . Le
récent Eperon de discipline de l'ami Du Saix a probablement fourni,
et l'Eperon de fromage , et te Culot de discipline . On soupçonne, derrière
l'Ars pettandi , un Ars precandi , et, derrière Des poys au lart, un De
ponderi bus. Aucun doute pour Y Invention Sainte-Croix , à six per-
sonnages, jouée par les clercs de Finesse : Rabelais introduit un calem-
bour dans le titre d'un mystère qui était joué à cette époque. Dans
le Quart Livre (XIX), il parodie l'expression courante si oncques feut
homme de bien en si oncques feut homme de bren. Plus ingénieuse est la
transformation du proverbe on ne sait qui meurt ni qui vit en on ne
sait qui mord ne qui rue ( Tiers Livre , II).
2. Voici, maintenant, les parodies issues de la tradition médiévale.
Nous renvoyons aux travaux de Plattard, Gilson et Febvre pour les
parodies monacales de textes bibliques ou liturgiques qui abondent
dans les livres de Rabelais. On notera dans le chapitre XXVII de
Pantagruel l'application à trois interlocuteurs du procédé des Dia-
logues de Salomon et Marcoul ; le géant y prononce un dicton guerrier :
il ríest umbre que ď estandartz... ; Epistémon le parodie sur le mode
gastronomique : il n'est umbre que de cuisine..., et Panurge sur le
mode érotique : il n'est umbre que de courtines...

1 Aristophane, Lucien : ces deux noms sont réunis dans le bel éloge que le jeune
Du Bellay fit du protégé de son cousin : « Geluy qui fait renaître Aristophane, et faint
si bien le nez de Lucian...»
2 Aux objections que les critiques modernes font à la date de 1483, j'ajoute ceci :
celles des aventures amoureuses de Rabelais que l'on connaît, se placent, l'une à Paris,
au plus tôt en 1528-29, l'autre à Lyon, probablement vers 1539. J'hésite à croire qu'à
l'époque de ses trois paternités il eût de 45 à 56 ans.

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RABELAIS ET LA PARODIE 197

3. Passons aux parodies estudiantines. Et d'abord les étymologies.


Au XVIe siècle, comme au Moyen Age, les savants eurent la manie
d'en faire sérieusement (elles sont, souvent, d'un comique involon-
taire). A leur suite, les clercs se plurent à composer des étymologies
bouffonnes. Rabelais n'y a pas manqué. Dans le Pantagruel il pratique
l'étymologie grivoise : après avoir expliqué les noms de la Beauce et
de Paris par des calembours, il en vient à Lutèce, Leucèce , « c'est-à-dire,
en grec, Blanchette , pour les blanches cuisses des dames dudict lieu ».
L'âge ne l'a pas assagi : dans le Quart Livre, il s'amuse à faire dériver
les cabirotades (capilotades, grillades de chevreaux) du nom des
dieux Cabires, et le nom de maquerelle des Macrœons.

4. La « verbocination latiale » était pratiquée sérieusement par


les Grands Rhétoriqueurs ; en prose, comme en vers, ils y recouraient
pour les sujets élevés : cela faisait partie du style noble. Après eux, des
écrivains plus jeunes l'avaient cultivée, comme une élégance. Les
étudiants s'amusèrent, sans doute, à l'appliquer à des sujets vulgaires.
C'est ce que fait, depuis son séjour au Quartier latin, l'écolier limousin ;
les épisodes les plus communs de la vie estudiantine sont narrés
par lui en un français écorché du latin :
...Gauponizons es tabernes méritoires de la Pomme de Pin..., belles
spatules vervecines perforaminées de petrosil... Nous dimittons nos
codices et vestes opignerées... Nous invisons les lupanares, et en
ecstase venereique, etc...

5. Rabelais tire des effets comiques de la parodie des exercices


scolaires : syllogismes, soutenances de thèses, disputes pro et contra .
Dans sa harangue, magister noster Janotus de Bragmardo ébauche
un syllogisme aboutissant à un triomphal ergo glue ; comme le faisaient
les régents des collèges (et, plus tard les pédants des comédies), il
entremêle le latin scolaire et la langue vulgaire, en les agrémentant
de lapsus et de solécismes. Panurge, au Tiers Livre , soutient avec des
arguments en forme le paradoxe des dettes. La dispute pro et contra,
si répandue dans les écoles du XVIe siècle, est renouvelée, dans le
Pantagruel, grâce à l'argumentation par signes que Rabelais a emprun-
tée à une glose d'Accurse ou à quelque autre texte.

6. Le vocabulaire de la scolastique 1 est parodié en quelques


endroits, et particulièrement dans le discours de Janotus : la substan-
ti fique qualité de la complexion elementaire ... la terresteritê de leur nature
quidditative.

7. De nombreux passages parodiques concernent les procès et


l'éloquence judiciaire, et semblent écrits par quelque étudiant en droit

1 Cf. sur la scolastique dans l'œuvre de Rabelais, Et. Gilson, Les idées et les
lettres , p. 201 sq.

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198 RAYMOND LEBÈGUE

ou basochien. Références au Digeste, employées de façon bouffonne.


Expressions juridiques, lancées par Fun des bien-ivres. Procès cocasses,
« causes grasses », comme les actions intentées aux vidangeurs, aux
mules des présidents, ou bien aux hauts collets des demoiselles К
Plaidoyer de Bridoye, fondé sur des jeux de mots concernant la langue
juridique. Procès de Baisecul et Humevesne, agrémenté par remploi
du coq-à-l'âne.

8. Au tour de l'étudiant en sciences naturelles et médicales . Rabe-


lais a lu chez les naturalistes que les choses corrompues peuvent
engendrer des êtres vivants, petits et imparfaits. De cette théorie
scientifique il fait une parodie adaptée au roman de géants. Donc, elle
est scatologique : ici, ce qui corrompt Fair, c'est un pet et une vesse
de Pantagruel. Et hyperbolique : ces vents, qui émanent d'un géant,
donnent naissance à cinquante-trois mille nains et à cinquante-trois
mille femmes accroupies. Les « carabins » aiment les cas scabreux,
discutés scientifiquement : Rabelais établit, à grand renfort d'anec-
dotes antiques, de citations de Pline, d'Aristote et d'Hippocrate, et
de passages du Digeste, que Gargamelle a pu être enceinte pendant
onze mois. Tout cet étalage scientifique aboutit à une conclusion
goguenarde :

Moiennans lesquelles loys, les femmes vefves peuvent franchement


jouer du serrecropiere à tous enviz et toutes restes, deux moys après
le trespas de leurs mariz 2.

Parmi de nombreux passages médicaux, citons quelques textes où


la précision pseudo-scientifique fait un savoureux contraste avec
l'invraisemblance, l'absurdité du fait imaginé par Rabelais. Premier
exemple : la résurrection d'Epistémon.

Adoncq nettoya très bien de beau vin blanc le col et puis la teste,
et y sinapiza de pouldre de diamerdis qu'il portoit tousjours en une
de ses fasques ; après, les oignit de je ne sçay quel oignement, et les
afusta justement, veine contre veine, nerf contre nerf, spondyle
contre spondyle, affin qu'il ne feust tortycolly... Ce faict, luy fist à
l'entour quinze ou seize points de agueille...

Comparez ce récit au passage des Quatre fils Aymon qui a servi de


modèle 3. L'originalité de Rabelais à l'égard de Fauteur de ce roman
réside dans les détails chirurgicaux, qu'il rapporte avec le plus grand

1 Pantagruel , XVII.
2 En marge de ce texte, on a rappelé que, quelques années après la publication
de Gargantua , l'ambassadeur Pellicier consulta très sérieusement M0 Fr. Rabelais
sur la légitimité d'un enfant italien qui était né cinq mois et demi après les premiers
rapports conjugaux.
3 Signalé par Emile Besch, il a été reproduit par L. Febvre dans sa Religion de
Rabelais , p. 232.

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RABELAIS ET LA PARODIE 199

sérieux г. Et puisqu'il ne s'agit plus d'une opération réalisable (recou-


dre les intestins de Richard), mais de la résurrection d'un décapité, la
parodie chirurgicale produit un irrésistible effet comique 2.
Dans le récit du fabuleux combat de frère Jean, Rabelais introduit
dès précisions anatomiques, dignes d'un procès-verbal de médecine
légale : spondyles, omoplates , ischies , fauciles , commissure lambdoïde.
L'étrange stratagème qui donne la victoire à Pantagruel, comporte
l'emploi du lithontripon, du nephrocatarticon, du coudinac canthari-
disé et d'autres diurétiques. Le récit de la naissance de Gargantua
commence dans le plus pur style d'accoucheur : feurent au dessus
relaschez les cotyledons de la matrice , et aboutit, avec une grande
exactitude anatomique 3, à la fantaisiste sortie de l'enfant par l'oreille
senestre.

9. Nous avons fini avec les divertissements d'étudiants. Attar-


dons-nous, un instant, au genre littéraire du roman de chevalerie ,
auquel le roman de géants est apparenté. Grand lecteur de romans de
chevalerie, Rabelais a étoffé l'histoire de Gargantua et celle de son fils
avec des réminiscences tirées des Quatre fils Aymon , de Fierabras ,
etc... ; pour le détail, je renvoie à l'article de Besch et aux livres de
Schnéegans, de Plattard et de Lote 4. Du reste, Rabelais invitait
spontanément le lecteur à rapprocher le batailleur frère Jean de
l'ermite Maugis, pourfendeur de Sarrasins. Besch n'exagérait pas
beaucoup, quand il appelait les deux premiers livres de Rabelais
une parodie des romans de chevalerie. Mais il avait tort d'attribuer
à leur auteur l'intention de ridiculiser le genre qu'il parodiait ;
l'épisode de la résurrection d'Epistémon n'est pas plus une critique
des Quatre fils Aymon qu'une raillerie dirigée contre les Evangiles.
10. Arrivons aux parodies où se reflète l'esprit humaniste de la
Renaissance. Rabelais a mêlé à la parodie des romans de chevalerie
celle de Y épopée antique ; les critiques modernes n'ont pas assez insisté
là-dessus. L'exemple lui était donné par l'épopée parodique et bur-
lesque du Baldus de Folengo, dont - nous le savons depuis longtemps
- il s'est souvent inspiré. Il a introduit dans le genre populaire du
roman « gigantal » le style de l'épopée antique :
О qui pourra maintenant racompter comment se porta Pantagruel
contre les troys cens geans ! О ma muse, ma Calliope, ma Thalie,
inspire moy à ceste heure, restaure moy mes esperitz...

1 Mais le mot diamerdis, s'il possède un préfixe authentiquement pharmaceutique,


contient, comme le Cambremer de Marcel Proust, un élément incongru.
2 Ce comique, Edmond About a essayé de le ressaisir dans le Nez d'un notaire .
3 Plattard observe, dans sa thèse, p. 134 : « Le plus singulier, c'est que cette route
existe réellement dans l'anatomie des contemporains ».
4 L'épisode burlesque de frère Jean suspendu au noyer par son casque, emprunte
aux romans de chevalerie son très sérieux préambule : Or s'en vont les nobles champions
à leur adventure , bien deliberez d'entendre quelle rencontre fauldra poursuyvre et de quoy
se fauldra contregarder , quand viendra la journée de la grande et horrible bataille.

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200 RAYMOND LEBÊGUE

Ici, le comique est produit par le contras


l'épisode burlesque du déluge urinai qui p
Seize ans plus tard, Rabelais fait le mêm
matif et de la mythologie dans les propos
au début de la tempête :

О que troys ou quatre foys heureulx sont ceulx qui plantent


chous 1 O Parces, que ne me filiastes vous pour planteur de chous !
О que petit est le nombre de ceulx à qui Juppiter a telle faveur porté
qu'il les a destinez à planter chous 1

Là, le contraste comique existe entre l'apostrophe aux divinités,


le style éloquent, la formule traditionnelle ter quaterque beati , et la
clausule triviale planter choux ; et, plus loin, entre l'expression
pompeuse manoir dei fleque et seigneurial et la périphrase populaire
plancher des vaches .
Rabelais invente des aventures qui, vraisemblablement, lui ont
été inspirées par les plus célèbres épisodes des épopées antiques, et il
a soin de suggérer au lecteur le rapprochement. Deux parodies sont
faciles à reconnaître : celle de la consultation de la Sibylle de Gumes
par Enée, et celle du cheval de Troie. Dans le Tiers Livre , Panurge
tient la place d'Enée, et à la Sibylle italienne est substituée la vieille
roupieuse de Panzoust ; pour que nul lettré ne s'y trompe, Epistémon
parle du rameau d'or. Mais le thème est repris sur un ton beaucoup
moins noble : comparez à Y antrum immane ce que Panurge appelle
« le trou de la Sibylle »... Quant au cheval de Troie, il est remplacé, dans
la guerre contre les Andouilles, par la grande truie, où s'enferment
les « preux et vaillans... cuisiniers ».
L'intention parodique est douteuse dans l'épisode de Dindenault,
qui est emporté par son mouton, comme Ulysse l'avait été - avec
plus de bonheur - par celui de Polyphème. En revanche, elle est
manifeste au début de l'épisode de la tempête. Puisque les épopées
antiques et le poème de l'Arioste contenaient des récits de tempêtes,
il en fallait une dans le voyage maritime de Pantagruel. Le récit
commence sur un ton épique : Soubdain la mer commença s'enfler ... ;
les termes techniques et les adjectifs pathétiques s'accumulent ; une
évocation du Chaos primitif renforce l'effet dramatique. Mais, comme
dans le Baldus, il se produit bientôt un brusque et comique changement
de ton : Panurge prend la parole, après avoir donné à manger aux
« poissons scatophages » ; de même, le Cingar de Folengo « laschoit
son ordure en ses chausses ».

11. Réelle ou légendaire, Y histoire de Г Antiquité pay enne a fourni


à Rabelais la matière d'autres parodies. En décrivant la mort de
frère Tappecoue, il s'est probablement souvenu de celle d'Hippolyte,
dont le corps traîné par les chevaux fut mis en morceaux ; mais,

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RABELAIS ET LA PARODIE 201

contrairement à son habitude, il ne nous propos


il n'y a donc pas d'intention parodique. Par contre, les Apophtegmes
de Plutarque, traduits par Erasme, qui comptaient parmi les livres
préférés de Rabelais, lui ont fourni, non seulement de nombreuses
citations, mais des thèmes à parodier. Lorsqu'il rapproche du geste
héroïque de femmes asiatiques le geste obscène de la vieille de Pape-
figuière, n'esquisse-t-il pas une parodie ? Au chapitre XV de Panta-
gruel , l'intention est certaine ; à première vue, l'idée que Panurge y
développe, est fantaisiste et étrange : ces murailles faites de sexes
féminins et masculins. Mais Pantagruel révèle l'origine de cette
bizarre et grossière invention. C'est la parodie bouffonne d'une
anecdote des Apophtegmes qui, au XVIe siècle, était souvent citée :
Agésilas avait confiance dans la solidité des murailles de Sparte, car,
disait-il, elles étaient faites des corps et des courages de ses compa-
triotes. L'imagination parodique de Rabelais est passée des corps
masculins aux pudenda féminins.
Parmi les usages antiques qui sont mentionnés par Rabelais, celui
des trophées de guerre et des inscriptions triomphales a donné matière
à un épisode sérieux et à un épisode bouffon ; leur juxtaposition et
leur exacte symétrie accentuent le caractère parodique du second.
Après sa première victoire, Pantagruel élève un trophée militaire,
conforme aux usages des Anciens, et inscrit un poème commémoratif ;
Panurge, aussitôt, dresse un trophée de chasse, avec chaudron,
lardoire et gobelet, et improvise sur les propres rimes de Pantagruel
un poème de mangeaille et de beuverie. Ainsi cet ancien étudiant
prolonge, en usant de la langue française, et avec un modèle profane,
la tradition parodique des Goliards.

12. Signalons enfin, dans un épisode amoureux (si l'on peut dire),
la parodie du grand style de la galanterie . Une dame de Paris reçoit
fort mal la cynique déclaration que lui adresse Panurge. Changeant
alors de style, il recourt aux adunata , à la mythologie, aux images les
plus suaves, aux apostrophes et exclamations :
Plus tost la terre monteroit ès cieulx et les plus haulx cieulx
descendroyent en l'abisme... Ce n'est que miel, ce n'est que sucre, ce
n'est que manne celeste de tout ce qu'est en vous. C'estoit à vous à
qui Paris debvoit adjuger la pomme d'or... О dieux et deesses celestes,
que heureux sera celluy à qui ferez celle grace de ceste су accoller...

Et, comme ailleurs, le comique est produit par un brusque


contraste ; ce beau discours retombe tout d'un coup dans la vulgarité
de fond et de forme : frotter son lart , bouttepoussenjambions .

C'est dans son premier roman, semble-t-il, que Rabelais, frais


émoulu de l'Université, a fait de ce procédé l'usage le plus varié.

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202 KAYMOND LEBÈGUE

C'est le seul où un chapitre soit presque entièrement composé de


parodies. Ce chapitre est bien connu : Du dueil que mena Gargantua
de la mort de sa femme Bade bec ; mais aucun éditeur ou commentateur
ne semble en avoir signalé les intentions parodiques. Devant sa femme
morte et son fils nouveau-né, Gargantua est tiraillé entre deux
sentiments de force égale, tout comme Fâne de Buridan Tétait entre
deux appétits :

... Ne sçavoit que dire ny que faire... D'un costé et d'aultre, il


avoit argumens sophisticques 1 qui le sufïocquoyent, car il les faisoit
très bien in modo et figura ; mais il ne les pouvoit souldre.

Puis viennent deux monologues, Г un justifiant et exprimant


sa tristesse, l'autre sa joie. Ils ne sont pas construits symétriquement,
mais sont reliés l'un à l'autre par une comparaison à deux parties
plaisamment antithétiques :
Et ce disant pleuroit comme une vache, mais tout soubdain rioit
comme un veau.

Le premier morceau contient la parodie d'un genre cher aux


Rhétoriqueurs (et Rabelais, tant en vers qu'en prose, a demandé aux
Rhétoriqueurs plus d'un conseil de style) : la déploration funèbre 2.
Cette parodie est à la fois fidèle et originale, car Rabelais s'est amusé
à intercaler une phrase très prosaïque, avec son double decrescendo :
Ha, Badebec, ma mignonne, m'amye, mon petit c..., ma tendrette,
ma braguette, ma savate, ma pantofle,

dans un développement de noble et emphatique rhétorique :


... Ce m'est une perte inestimable. О mon Dieu, que te avoys je
faict pour ainsi me punir ? Que ne envoyas tu la mort à moy premier
que à elle, car vivre sans elle ne m'est que languir ?
Ha pauvre Pantagruel, tu as perdu ta bonne mere, ta doulce
nourrisse, ta dame très aymée ! Ha, faulce mort, tant tu me es mali-
vole, tant tu me es oultrageuse de me tollir celle à laquelle immor-
talité appartenoit de droict.

Ces tirades éloquentes sont rehaussées de mots savants : malivole ,


immortalité.
Après la thèse et l'antithèse, le débat intérieur se résout bientôt
dans une bouffonne oraison funèbre, inspirée par Folengo 3. Mais

1 Cet adjectif prouve que Rabelais a voulu parodier les discussions scolastiques.
Il n'y a pas d'intention parodique dans le passage de l'Aida de Guillaume de Blois
qu'Emile Roy a rapproché de ce chapitre et dans lequel Ulfus pleure la mort de sa
femme et se réjouit de la naissance de sa fille.
2 Cf. Lemaire de Belges, La plainte du désiré , éd. Yabsley, p. 25-30 ; H. Guy,
Histoire de la poésie française , I, p. 121 et passim ; V. L. Saulnier, Scèue , I, 100 et
II, 55.
3 Cf. L. Thuasne, Etudes sur Rabelais , p. 209.

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RABELAIS ET LA PARODIE 203

Gargantua ne se tient pas pour quitte avec la défunte : après la


déploration , il faut songer à Yépitaphe . Voici donc un huitain, où,
comme dans la déploration rabelaisienne, alternent le sérieux et le
bouffon. Cinq vers semblent tirés des épitaphes officielles rédigées
par les poètes du temps ; selon l'usage, ils contiennent une prière
à Dieu et un éloge de la défunte. Mais trois autres nous font voir un
corps grotesque, et terminent le poème funèbre par une calinotade :
Car elle avoit visaige de rebec,
Corps d'Espaignole et ventre de Souyce...
Et mourut l'an et jour que trespassa.

Les exemples que nous venons de donner, prouvent que, chez


Rabelais, la parodie a presque toujours 1 pour but l'amusement du
lecteur 2 ; elle fournit au comique rabelaisien de nombreux éléments.
Elle est extrêmement variée : nos souvenirs de lecture nous ont permis
de citer des exemples appartenant à une quinzaine d'espèces ; une
étude exhaustive des quatre livres allongerait sensiblement ce cata-
logue.
La tradition des goliards, qui se prolongeait, au XVIe siècle, parmi
les moines et les étudiants, se reconnaît dans ces fréquentes appli-
cations de textes sérieux à la mangeaille et à la boisson, à la grivoi-
serie et à l'obscénité.
Dans les œuvres de Rabelais, la parodie s'accompagne d'amu-
santes dissonances : contraste entre le titre sérieux d'un livre authen-
tique et le titre bouffon du livre imaginé, entre le procédé savant de
la vèrbocination latiale et les vulgaires occupations de l'écolier, entre
la précision anatomique ou chirurgicale et l'impossibilité de l'opé-
ration, - alternance du style noble ou épique et des bouffonneries
ou trivialités, etc...
Les bonnes gens, sachant seulement leur Croix de par Dieu, qui,
à la vue du titre de Pantagruel, de ses caractères gothiques, et de son
format, achetèrent ce livret d'aspect populaire, durent être bien
étonnés. Sans doute, les caractéristiques extraordinaires et les exploits
du héros, et, çà et là, les grosses obscénités leur rappelaient les Grandes
et inestimables chroniques , et autres ouvrages « de même billon ».
Mais, d'une part, la lettre de Gargantua, si savante, dépassait leur
entendement ; d'autre part, ce comique de parodie, issu des jeux des
étudiants et des moines, mais largement diversifié par Rabelais, était
beaucoup moins accessible au gros public que le comique tiré des
farces, des soties, des contre-pèteries, etc... Par là, Me Alcofribas

1 Par exception, au chapitre XXIX de Pantagruel , Rabelais a parodié sérieuse-


ment le Hoc signo vinces de Constantin ; d'ailleurs, dans son récit, la voix céleste se
fait entendre après une émouvante et vibrante prière du géant.
2 Mais, le plus souvent, Rabelais ne cherche pas à ridiculiser et attaquer le texte,
le genre, ou la discipline qu'il parodie.

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204 RAYMOND LEBÈGUE

Nasier rénovait le roman « gigantal » : tou


les procédés de ce genre populaire, l'an
Montpellier, le docte correspondant de Budé trouvait dans ses sou-
venirs d'école et de moinage et dans sa culture d'humaniste les moyens
d'amuser un public lettré. Nul doute qu'il y ait réussi. Et aujourd'hui
encore, la plupart de ses parodies ont, pour le lecteur instruit, gardé
leur sel.

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L'ÉYANGÉLISME DE PIERRE DU VAL
ET LE PROBLÈME DES LIBERTINS SPIRITUELS

par Y.-L. Saulnier

Parmi les formes de croyance religieuse qui se sont révélées


sous le règne de François Ier, les plus attachantes pour nous sont chez
les esprits qui, sous le coup de la grande révolution érasmienne,
cherchent leur voie entre la Sorbonne et Calvin, entre la fidélité la
plus stricte et la Réforme. Distinguer les aspects très variés de l'évan-
gélisme, essayer de définir des familles d'âmes : ce sont les efforts qui
s'imposent ; car l'affaire est loin d'être entendue, et la matière reste
bien confuse.
C'est parmi les « libertins spirituels » que l'on classe actuellement
Pierre du Val, au moment décisif de sa carrière. Or, à regarder de plus
près l'ensemble de ses libelles, il semble qu'il y ait lieu de réviser une
telle formule. Esquisser avec quelque précision l'évolution de cet
esprit, où nous voyons l'un des plus curieux de son époque, et reposer
à son propos le problème des « libertins spirituels », dont la doctrine
est souvent confusément aperçue : tel est le dessein du présent article.

I. - L'évolution de Pierre du Val

On sait fort peu de chose de notre Pierre du Val, le Rouennais 1.


Il se signale à Rouen, depuis l'année 1533 jusqu'environ 1547, en
collaborant à un certain nombre de palinods ou autres concours.
Puis à Londres, en 1552, comme « humble membre de l'Eglise de
Jésus-Christ ». Enfin - avait-il suivi, d'Angleterre en Frise, l'exode
des réfugiés protestants dont Jean Utenhove nous a donné le récit ? -
on le retrouve à Emden, en Frise orientale, au cours de l'année 1554 ;

1 Voir surtout E. Picot, Théâtre mystique de Pierre du Val et des libertins spirituels
de Rouen au XVIe siècle , 1882 ; F. Lachèvre, Bibliogr. des recueils collectifs du XVIe
siècle , p. 59-76. - On ne confondra pas notre auteur avec Pierre du Val, évêque de
Séez (cf. Bull. soc. hist, protest ., XIX-XX, 524 ; sur l'évêque : Haag, France protest
1™ éd., IV, 1853, p. 521 ; 2e éd., V, 1886, p. 1090 ; Du Bellay, Regrets , CLXXXVI).
On n'a guère le droit de confondre notre homme avec le Pierre du Val, trésorier des
menus plaisirs, nommé dans la fameuse liste de suspects de 1534 (cf. Cronique de
Francoys premier , éd. Guiiîrey, p. 131), ni avec l'anabaptiste Du Val, jugé à Paris
en 1540 (voir Bull. soc. prot.t XXXII, 378). Sur Pierre du Val, chanoine de Notre-
Dame, maître au collège de Navarre, qui est parmi les chefs de la réforme parisienne
vers 1505, voir Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris... (1916), p. 455, 619,
647, 649. Le Catalogue Rothschild signale encore un autre Pierre du Val, bourgeois de
Caen (cf. index).

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206 V.-L. SAULNIER

il reste pasteur du lieu (« minister ecclesia peregrinorum gallicse


linguae », dit-il lui-même ; « ministre de la parolle », dit un autre
document) jusqu'à sa mort, survenue l'été 1558. Mais si l'on ignore
le détail de sa biographie, c'est son itinéraire spirituel qui surtout
nous intéresse : or, il laissait assez d'écrits pour qu'une analyse chro-
nologique nous permette de l'apercevoir. Et si telle matière est
particulièrement mouvante, on est en droit, semble-t-il, de distinguer
quatre étapes.

1. Une âme catholique . - Le premier état où nous puissions saisir


cette âme nous est fourni par la contribution de Pierre du Yal à
deux concours des palinods rouennais *. Nous sommes en 1533, et
dans l'une des années suivantes, vers 1540. Que trouvons-nous ?
Des hommages répétés à la Vierge, le « baume » de suprême « vertu
préservative », qui nous sauve de la mort, à laquelle nous avait
soumis l'humain péché :
... Dont il appert que la Vierge très-munde
Le vray basme est qui nous peut préserver.

Marie a su racheter la faute d'Eve, elle représente « concept et


grâce impossible à Nature ». Sans doute, tout cela restait dans la
tradition des puys de Rouen : et l'on sait que sur tel propos, un Guil-
laume Crétin se montrait intarissable 2. Mais à cette tradition, Pierre
du Val ne refuse pas de s'associer. Il semble qu'il n'en faille pas
davantage pour l'inscrire, disons vers 1535, au nombre des pieux
catholiques. Je ne vois pas que le pire sorbonagre, et le plus éclairé,
ait pu trouver en ses dires autre chose que la bonne parole, et dans
quelques-unes de ses assertions décisives 3.

2. Amour mondain , amour profane . - Nous retrouvons notre


homme, plusieurs années plus tard, en 1543-1544. Il collabore main-
tenant à quelques recueils imprimés : après les Questions probléma-
tiques 4, c'est le Puy du souverain amour 5, puis le Cercle d'amour 6.

1 B. N., Mss., fds fr. 1715 et 24408 ; et cf. Picot, op. cit., p. 20-31.
2 Voir ses pièces, dont plusieurs présentées à Rouen : Œuvres poétiques de G. C.,
p. p. K. Chesney, 1932. - Sur les concours palinodiques, cf. A. Tougard, Les trois
siècles palinodiques , 1898, et Eug. de Beaurepaire, Les puys de palinod de Rouen et
de Caen , 1907.
3 Hommages à Marie, culte des saints (« Dieu en ses sainctz, ainsy que David
signe, / A sa puissance et son bras estendu »). On opposera les idées de Calvin : cf.
notamment Les articles de la sacrée faculté de Théologie... avec le remède contre la poison
(texte de 1544), rééd. Genève, 1941, p. 48 et suiv.
4 Les questions problématiques du pourquoy d'amours , Paris, Alain Lotrian, 1543.
B. N., Rés. Ye 1604.
5 Le Puy du souverain amour tenu par la déesse Pallas , Rouen, Nie. de Burges,
1543 (impr. de Jean Petit). Reprod. en fac-similé, avec introd. de Le Verdier, Rouen,
1920 (Soc. des biblioph. normands, n° 78), B. N. Rés. p Z 358.
6 Le Cercle d'amour , s.l. (Rouen, impr. de Jean Petit), 1544. B. N. Rés. Ye 1600.
Voir E. Picot, Les Jean Petit , libraires à Rouen , dans Rev. des liv. anciens, 1913 :
cf. p. 3.

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L'ÉVANGÉLISME DE PIERRE DU VAL 207

Ici se présente toute une série de dizains très remarquables, parce


qu'au lieu de suivre des habitudes faciles (celles des maro tiques ou
des rhétoriqueurs attardés), l'auteur développe incontestablement
une pensée personnelle. Il convient donc de nous y attarder.
Des Questions problématiques , retenons le dizain de présentation :

Amys lecteurs, ce présent opuscule


Ne traicte en soy de Mars ny de Bellonne,
Mais d'amour vif les questions calcule
Soubz un g secret qui l'œuvre en soy couronne.
Car chose n'est au monde qui soit bonne
Sans cest amour, lequel, join et avec foy,
Ne pique ou mord, mais faict tout bien de soy.
Doncques amys, en lysant cest escript,
Ayez en cueur, pour triumpher sur Loy,
Amour et foy dessoubz ung mesme esprit x.

Si l'on tient compte que l'opuscule, dans la tradition des « ques-


tions d'amour », traite apparemment de l'amour mondain (discutant
des pâleurs, des insomnies, des courroux des amants), et sans même
exclure telle allusion un peu verte 2, le dizain cité prend toute sa
valeur. Ce n'est pas assez de dire qu'il s'élève, pour sa part, au niveau
de l'amour pur, dans le domaine profane. Il semble bien, au vrai,
prétendre qu'il est une clef (un « secret ») pour lire le livret ; et c'est
au sens mystique qu'il faut sans doute comprendre cette alliance, sous
un même Esprit, de l'Amour et de la Foi, qui sait triompher de la Loi.
On propose donc d'entendre sur le plan de l'amour divin ce que les
Questions proposeront sur celui de l'amour profane. Du Val, dans cette
présentation, exposait-il la vraie pensée de l'auteur, ou glosait-il à
sa manière ? On ne peut guère décider. Sur un nouvel aspect de son
âme, nous tenons du moins un témoignage.
Nous sommes, en effet, en 1543. Il est donc tout à fait évident que
les Questions représentent l'écho de discussions, méditations et
débats suscités, peut-être à Rouen, dans l'entourage de Du Val, à la
suite de la querelle bien connue d'Héroët et de La Borderie : la
Parfaite Amie est de 1542. Il n'est pas moins évident que notre poète,
habitué à chanter Notre-Dame, et venant ici à méditer le problème
de l'amour humain, s'empresse de l'interpréter dans son orientation
mystique : dans l'amour profane, il ne veut voir qu'une forme ou le
symbole de l'autre. Et sa religion apparaît du coup, du moins dans
sa formule essentielle : car les deux derniers vers du dizain articulent
avec fermeté le principe même de la foi des Evangélistes. On n'en
peut toutefois dire plus sans solliciter le texte.

1 Questions , fol. A2 r°. Signé « Rien sans l'esprit ».


2 Le repas qui finit par panse pleine. Cf. la chanson de Guillot Martin, musique
de Claudin de Sermisy : Trente et une chansons musicales (recueil d'Attaignant), 1529.
(Voir sur ce texte : J. Rollin, Les chansons de Cl. Marot, 1951, p. 177.)

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208 V.-L. SAULNIER

Vient maintenant le Puy du souverain amour . Il s'agit cette


fois d'un concours, et d'un ouvrage, dont Du Val semble avoir été
le principal organisateur 1. Ce dont il tire une certaine satisfaction
d'auteur : du moins le dizain final tient-il à exprimer une ambition
littéraire ; le fait est assez rare dans l'œuvre de Du Val pour valoir
d'être retenu :

Cela qui peult plus esmouvoir la plume


De l'orateur qui son sçavoir descœuvre,
C'est quand il voit que maintz prennent coustume
Par passetemps de visiter son œuvre.
Car par ce point plus hardiment il œuvre,
Et traicte myeulx cent foys le sien ouvrage,
Pour la raison que luy croist le courage,
Yoiant qu'on ha de luy bon jugement.
La plume dort à cil qu'on descouraige,
Mais l'autre veille au doulx contentement 2.

Pareille ambition trahit un attachement au monde qui n'est sans


doute pas d'un mystique authentique. Mais voici mieux, pour préciser
le portrait. Plusieurs pièces de Du Val semblent bien, dans ce recueil
où les poètes rouennais se sont donné pour tâche d'exalter l'amour
humain le moins grossier, en évoquer poliment les satisfactions
physiques. Celle-ci parlera du baiser et de ses suites :

L'espoir nourrist dessoubz l'umbre d'atente


Le vray amant secret en dictz et faictz :
Et d'ung baiser bien souvent se contente,
Tant sont d'amour les siens espris refaictz.
Si n'esse pas qu'il ne porte ung grand fais
D'ardant désir pour le bien espéré
Qu'en soy luy a le baiser conféré.
Car peu luy vault l'espoir d'esjouissance :
Yeu qu'à son gré, quoy qu'il est différé,
La fin d'espoir, c'est d'avoir jouissance 3.

Dira-t-on que de tels vers peuvent se traduire, comme étant de


langage mystique? En voici, sur un propos analogue, qui restent
délibérément sur terre :

Quand 1' aliance a confermé deux cœurs


En vray Amour constant et véritable,
Et que l'amant nourry de ses liqueurs
Envers la Dame est bien doulx et traictable,

1 Du Val se signale par l'anagramme de son nom (le vrai perdu) et sa devise :
rien sans l'esprit. Picot a réédité la préface du recueil ( Théâtre mystique , 84-97). Le
concours fut organisé à l'occasion du mariage de Catherine Vétier.
2 Le Puy , fol. К 4 v°.
3 Ibid., fol. I 4 r°. Le vers final (imposé dans le sujet du concours du dizain) est
tout près d'un texte important de Du Bellay (cf. A une dame , ou Contre les Pétrar-
quistes , vers 135-136). L'aurait-il vaguement inspiré ? Du Bellay connaissait les con-
cours de Rouen, dont il dit son mépris dans la Deffence.

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l'évangélisme de pierre du val 209

S'ensuit-il pas, que par debvoir notable


L'amant jouisse, et obtienne de faict
Le fruict d'amour qu'il espère parfaict?
Doubter n'en fault, si amour a puissance :
Veu qu'au seul bien de l'amoureux effect,
La fin d'espoir, c'est d'avoir jouissance *.

Ne disons pas que, de l'époque des Questions à celui du Puy9


Du Val est descendu du ciel sur la terre : il faut faire leur part, dans
la genèse de tous ces vers, aux circonstances occasionnelles. Conten-
tons-nous de voir se préciser le visage de l'auteur, la nature d'une
âme complexe.
Plus riche et plus variée, la contribution du poète au Cercle
ď amour , qui date de 1544 2, va la préciser davantage. Ce qui frappe
d'abord, c'est l'effort du poète pour renoncer aux attachements du
monde et se consacrer uniquement à Dieu ; un beau dizain l'avoue :

Par vive foy unie en charité,


Au cueur me touche heureuse sapience,
Soubz qui mon âme obtient l'intégrité
D'amour parfaict en pure conscience.
Devant mon œil est toute aultre science,
Dont bien souvent j'ay contemplé l'escript :
Mais une seule, espouse à Jésus-Christ,
M'est souefve au cueur comme miel en bouche.
Ainsi par grâce au bien de mon esprit
Toutes à l'œil, mais une au cueur me touche 3.

Et sans doute, avec le monde il sent encore bien des liens. Et c'est
bien d'humain attachement que vont parler d'autres vers. Mais
qu'on remarque cette sorte de délicatesse cendrée avec laquelle il y
touche ; ce serait n'avoir point d'oreille, que de reconnaître, à tels
accents, tout à fait le même poète que celui du Puy précédent :

Lors que la lune en parfaisant son cours


Perd du soleil la clarté et lumière,
Elle s'esclipse et se met au rebours
De la splendeur de sa beaulté première.
Tout en ce poinct la dame est coustumière,
Par long ennuy qui maint regret consent,
Changer plaisir pour son amy absent
Dont el requiert la tant doulce présence :
Car sur tout mal, qui d'aultre mal descent,
Il n'est ennuy que d'amoureuse absence 4.

1 Ibid., fol. к 4 г».


2 On remarquera que certains vers de Du Val sont assez proches de 1 accent de
Maurice Scève, sans qu'on puisse, semble-t-il, parler d'influence, d'un poète à l'autre.
- Sur le Cercle , on peut voir W. A. R. Kerr, Le cercle d'amour , PMLA, 1904, p. 33.
3 Cercle , fol. В 7 r°.
4 Ibid., fol. D 5 v°.

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210 V.-L. SAULNIER

C'est que la notion même d'amou


saurait plus être que secondaire, entre l'humain et le divin) s'inscrit
dans une méditation d'ensemble, à la fois évangélique et plato-
nicienne ou platonisante. Et c'est bien, sinon une théorie cosmique,
du moins toute une esquisse d'un système du monde, qu'offre, en
raccourci, un simple dizain de ce genre :

Le ciel conserve en sa haulte structure


Par mouvementz le discours de la terre.
Et ceste terre exhibe par nature
Ses fruictz et fleurs au bien de l'humain gerre.
Tout en ce poinct la foy pour certain erre
Conserve amour qui grâce au cueur consent.
Foy est du ciel, amour du ciel descend :
L'un avec l'autre ont suprême efficace.
Voilà comment par effect condescent
Foy garde amour, et amour donne grâce *.

De là qu'ils se présentent comme ambigus, tous les termes qu'on


serait immédiatement tenté de lire dans leur sens mondain. Amour
divin, amour des créatures, parlent désormais la même langue exacte.
Ami, amant, amour : aucun de ces mots qu'on puisse entendre avec
simplicité. La même où il est question de « deux cœurs », bien des
notions entrant en jeu - la Foi, la Grâce - empêchent qu'on se
contente de lire la pièce dans son texte le plus apparent :

La foy que j'ay à mon amant parfaict


Garde l'amour que nous avons ensemble.
Et cest amour rend de grâce l'effect
Qui noz deux cueurs par loyaulté assemble.
Jamais d'amour ma foy ne désassemble,
Entant que grâce en espoir la maintient.
Foy vient de grâce, et grâce d'amour vient.
Amour par foy persiste en toute place :
Car soubz l'espoir, qui désespoir prévient,
Foy garde amour, et amour donne grâce 2.

Si nous avons tenu à citer plusieurs des dizains de Pierre du


Val 3, ce n'est pas seulement pour la rareté des textes, ni - ce qui
mérite bien considération - parce qu'ils recèlent, sinon de belles
pièces, du moins de fort beaux vers : et sur ce point, l'auteur a tota-
lement échappé à l'attention. C'est surtout parce qu'ils aident
éminemment à comprendre cette âme obscure. Une âme qu'on aurait
mieux comprise, si l'on n'avait pas regardé ces dizains de si haut.

1 Ibid., fol. E 1 r°.


2 Ibid., fol. E 2 r°. Dans les dizains cités du Cercle , le dernier vers était donné,
comme sujet du concours.
3 Nous laissons de côté le Printemps de Madame Poésie (Rouen, 1547) : les pièces
de Du Val qui y figurent étant simplement reprises du Cercle d'amour (cf. Lachèvre,
p. 74).

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L'ÉVANGÉLISME DE PIERRE DU VAL 211

3. Le théâtre d'un spiritualiste. - Vers 1545, peut-être x, nous


abordons, dans la carrière de Pierre du Val, un épisode un peu mieux
connu. De ses deux essais dramatiques, tentons d'extraire ce qui peut
nous éclairer sur la religion de l'auteur 2.
Л première vue, le Dialogue du contemnement de la Mort 3 ne
paraît pas donner matière à une bien patiente exégèse. Nous sommes
en présence de trois personnages : l'Indiscret, qui, croyant l'homme
entièrement mortel, déplore un ami défunt ; le Discret, qui lui montre
son erreur ; Amour (l'amour de Dieu pour sa créature), qui intervient
lui-même pour convertir l'indiscret à la foi. Le thème : il n'est pas
permis de trop se lamenter sur la mort,

Lamenter n'est point reproché,


Mais la plaincte trop véhémente :
De plorer Nature nous tente,
Mais Raison et Foy nous restrainct ;

la mort nous délivre en effet des peines corporelles, elle nous enseigne
à ne pas vivre pour le monde, mais à miser sur la vie éternelle de
l'âme. Il nous faut « recourir en Dieu » : par son amour « parfaict,
pudicq et saint », « divin et pasiphique », le Créateur nous donnera la
foi, qui fait tout comprendre :

El vient de luy et en est roy ;


Il la donne au moyen d'amour.

Donc, un sujet bien connu 4. Mais la religion de l'auteur ? Le


détail du texte permet d'en donner au moins une définition sommaire.
Ce n'est pas la foi des Réformés : Du Val refuse ici la doctrine de la
Prédestination ; pour lui, les élus sont ceux qui consentent seulement
à refuser le monde, et la conversion semble une affaire de bonne
volonté 5. Ce n'est pas davantage la pure foi traditionnelle : sans être
ici de toute netteté, le texte apparaît bien comme pénétré de l'idée

1 La date de la moralité dont nous parlerons est incertaine, mais la pièce semble
être de ce moment.
2 Pour situer ces pièces dans leur moment, on verra : Petit de Julleville, R
toire du Théâtre comique en France au moyen âge , 1886, p. 32-103 ; E. Picot, Les
moralités polémiques ou la controverse religieuse dans l'ancien théâtre français , dans
le Bull. soc. hist, prot., XXXVI (1887), p. 169, 225, 337 et suiv. ; XLI (1892), p. 561,
617 et suiv. ; R. Lebègue, La tragédie religieuse (1929), p. 83-85 ; P. Jourda, dans :
de Moreau, Jourda, Janelle, La crise religieuse du XVIe siècle (Hist, de l'Eglise,
XVI), 1950, p. 246. Aussi Fritz Holl, Das politische und religiöse Tendenzdrama ..., 1903.
3 Publié en 1547, à Rouen, à la suite de Deux dialogues de Platon (rééd. de VAxio-
chus et de VHipparque de Dolet). Reprodu't par Picot, Théâtre mystique , p. 121 sq.
- On sait le détail célèbre sur lequel YAxiochus de Dolet avait été censuré en 1544
(cf. Copley Christie, Etienne Dolet , trad, fr., 1886, p. 443).
4 Inspiration assez voisine de celle de Marguerite de Navarre, dans sa comédie
du Trépas du Roy (1547).
5 L'Indiscret demandant si le bonheur éternel est pour tous - « sy touts y vont,
bons et maulvais » - le Discret réplique : « L'homme piain de parversité / Se damne
en pertinacité, / Et l'humble au ciel s'en va en paix ». Et il suffit que l'Indiscret accepte
d'aimer, d'invoquer l'amour, pour se voir sauvé.

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212 V.-L. SAULNIER

de la justification par la foi ; des sa


Paul. Enfin, c'est, de toute évidence, une forme d'évangélisme
mystique : suffit à le montrer cette apologie de l'amour, seule voie
de foi et de raison, et plus encore cet être allégorique, Amour, conçu
comme étant, au fond, le seul intercesseur г.
C'est une tendance très analogue que va nous montrer la Morallité
à six personnages 2. Nature, par la faute du péché, est tombée dans
le mal, la misère, et sous le coup de la malédiction. La voici, pleine
de « cent mile maulx », et damnée par Loy de Rigueur. Pourtant,
grâce à Amour, Divin Pouvoir, maître souverain des destinées
humaines, substitue à Loy de Rigueur la nouvelle règle, Loy de Grâce,
et la créature est sauvée : ce miracle est celui de l'Incarnation, par
l'office de la Vierge très pure. Telle est la ligne de l'action. Mais, de
nouveau, l'intérêt est ailleurs, dans le détail du texte. Sur un point
d'importance, puisqu'il s'agit de la prédestination, l'auteur semble
bien se rapprocher des idées de la Réforme 3 : pour s'assurer qu'il est
bien loin d'avoir franchi le pas, il n'est que de relire ces longs cantiques
de la Vierge qui forment le couronnement de l'œuvre. Mais c'est
dans le sens d'un fidéisme de plus en plus détaché des formalités
que l'évolution s'indique. Plusieurs signes le font assez connaître :
cet écrasement de la créature aux pieds de la majesté suprême, Divin
Pouvoir ; surtout, l'affirmation des droits absolus, et comme uniques,
de la foi - « un Dieu que foy donne seul à congnoistre » 4 - et
d'autre part cette idée précise, si particulièrement familière aux Evan-
gélistes qu'elle devient caractéristique de leurs penchants, selon
laquelle bonheur et salut sont surtout promis aux petits, aux médio-
cres, aux humbles de cœur :

Orgueil j'abaise et les humbles j'extolle...


Car qui s'estime un petit rien
Est faict grand : c'est un diet notable.

4. Un moraliste réformé. - C'est alors, vers 1550, la conversion


à la Réforme : le départ de France, le passage par Londres, l'installa-
tion du pasteur à Emden. Et c'est bien un polémiste, ou du moins
un moraliste converti aux nouvelles idées que suffit à nous montrer,

1 « Sa loy n'est que de charité ». Le langage de cette mystique explique assez,


sans être interprété à ce signe comme celui d'un libertin spirituel, l'embarras premier
de l'Indiscret : « Tu m'inbues de motz couvers / Que je ne puis au vray entendre ».
2 Recueil La Vallière (B. N. Mss. fr. 24341), fol. 256. Picot, Théâtre mystique ,
p. 137.
3 Divin Pouvoir déclare : « Que ceulx qui sont en nous prédestinés / Sont apelés
et jà intermynés / Au bien de grâce et au doulx fruict de gloire. » (vers 174-176). Sur
la Prédestination, je renvoie p. ex. au Catéchisme français de Calvin (1537), rééd.
Genève, 1878, p. 33.
4 Vers 108 ; ne faudrait-il pas lire : « seule » ? - Ici encore, l'affirmation des droits
souverains de l'amour ; si Amour délaissait Nature, « peu luy vauldroit faire aucune
prière ».

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l'évangélisme de pierre du val 213

en 1555, le Petit dialogue d'un consolateur ' La vertu est persécutée,


il semble que les méchants triomphent. Nos ennemis ? « les grantz et
espouvantables géans avec leurs satrapes fiers, à savoir le pape,
ses cardinaux, archevesques, evesques, mitrez, crossez, et croisez,
tonnantz et bruyantz de leurs tiltres, sanctissimes, colendissimes,
révérendissimes, observantissimes », avec leurs alliés des pouvoirs
temporels, « les Césars invictissimes ». Nos amis : « l'humble de cœur
et craignant Dieu », tous ces croyants, « ceux qui tiennent le party
de Jésus-Christ », persécutés, « chassez, fouettez, bannis, essorillez,
morfondus, deschirez, lassez, travaillez, tenaillez, déboutez, empri-
sonnez, garrottez, enferrez... » En France, en Italie, en Espagne, en
Flandre, en Angleterre (c'est l'époque de Marie Tudor), la vraie foi
se voit poursuivie.
La prise de position est nette 2. On peut même préciser davantage.
Deux témoignages - celui de Pierre du Val lui-même, hostile à
l'esprit de secte 3, et celui de Calvin, qui semble bien s'être méfié du
pasteur d'Emden 4 - nous invitent à penser que du Val se faisait
le héraut d'un christianisme très spiritualisé, et sans doute très
libéral, dans un désir de regrouper tous les tenants de la foi pure.
Adepte d'une nouvelle église, il n'avait pas dépouillé le vieil homme.

II. - Du Val, evangeliste ou libertin

De Rome à Genève, on voit donc assez bien les deux termes


de l'évolution. Ce qui fait problème, c'est l'attitude ondoyante de
cet esprit, au cours de la période qui va de 1540 à 1550. Il ne serait
pas sans prix, pour la connaissance de Du Val, mais aussi pour l'his-
toire des idées, de définir exactement la nature de cette étape. Est-ce
bien par l'intermédiaire du libertinage spirituel que s'est fait le
passage : ne serait-ce pas plutôt par une forme plus générale de l'évan-
gélisme ? ce qui le guidait, à cette heure de transition, est-ce bien

1 Petit dialogue d'un consolateur consolant l'Eglise en ses afflictions , tiré du pseaume
С XX IX, s. 1., 1555 ; reproduit dans le Bull. soc. hist, prot., XIX-XX, p. 354, 417,
524 et suiv. - Le livret fut traduit en anglais, par Robert Pownoll, dès 1556. - A
la même période prend place un autre écrit de Du Val, qu'il donne lors de son séjour
en Angleterre, Le Triomphe de vérité , où sont monstrez infinis maux commis soubz la
tyrannie de l'Antéchrist (s. 1., peut-être Londres, 1552), qui est de même inspiration.
2 II paraît superflu d'insister sur l'importance de ce milieu du siècle, dans l'histoire
des rattachements à la foi réformée. C'est à la suite de sa crise de 1548 que Bèze, par
exemple, gagne Genève. Cf. P. F. Geisendorf, Théodore de Bèze , Genève, 1949,
p. 28 sq.
3 « Je dy notamment l'Eglise de Christ, la congrégation des fidèles, en quelque
part qu'ilz soyent, esleuz de Dieu à la vie éternelle : et non point la synagogue judaïque,
ne la bande mahométique, ne tout le flot papistique, ne les sectaires hérétiques. » ( Petit
dialogue ; loc. cit., p. 358.)
4 Lettre du 24 mai 1557 à l'église d'Emden ; cf. Picot, Théâtre myst ., p. 77. -
Rappelons que nous sommes maintenant aux années où la discipline calviniste, pour
imposer sa rigueur, connaît de durs combats. Sur les suites de l'affaire Servet, voir
notamment Castellion, Traité des Hérétiques (rééd. Olivet, Genève, 1913), et
F. Buisson, Sébastien Castellion , 1892, chap. XI et suiv.

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214 V.-L. SAULNIER

le mysticisme des Quintiniens : ne serait-ce pas une direction


érasmienne ?
Et sans doute, la foi des Libertins spirituels (disons le Liberti-
nisme) est, à sa manière, une forme de l'Evangélisme ; ces gens suivent,
à leur manière, la voie ouverte par Erasme et Lefèvre. Encore
convient-il de préciser un peu les positions. Si le libertinisme est
avant tout une mystique, et partant un faisceau d'aspirations et non
de dogmes, il s'en faut qu'il ne puisse se reconnaître à plus d'une
opinion précise. Posons le problème dans ses grandes lignes.
Pour connaître la doctrine des Libertins spirituels, on ne dispose
guère que de quelques écrits de polémique, que l'on peut ainsi classer :
a) Plusieurs opuscules de Calvin, des années 1544-1550. Celui
qu'il dirige Contre les Anabaptistes *, l'Excuse aux Nicodémites ,
le Traité des Scandales , offrent des allusions. Mais on tiendra compte
surtout de l'instruction Contre les Libertins spirituels, que vient
compléter une lettre à Marguerite de Navarre 2.
b) Les pièces provoquées par l'affaire du cordelier (1546-1550).
Un ancien cordelier avait prêché à Rouen le libertinisme. Il est
mis en prison. Calvin compose contre lui YEpistre contre un certain
cordelier . Relâché, le cordelier rétorque par un Bouclier de défense ,
opuscule auquel Farei riposte à son tour dans son Glaive de la Parolle 3.
c) En 1562, les réformés de Hollande envoient à Calvin le traité
d'un Libertin, qui suscite du Réformateur la Response à un certain
Hollandais 4.

Mais, en dehors de cette littérature polémique, toujours dange-


reuse ou suspecte par son dessein même, comment connaître les
Libertins ? On a, depuis moins d'un siècle, attiré l'attention sur
diverses petites compositions où ils révéleraient, sans autre préoc-
cupation, leurs idées. Ce sont :
a) huit petits traités, des années 1547-1549, dont Jundt avait

1 Calvin considérait (à tort) les Libertins comme une variété d'anabaptistes. -


Antoine Fumée faisait allusion à la diffusion du libertinisme en France, dans son
fameux rapport à Calvin de 1542. Aussi Bucer, dans une lettre de 1538 à Marguerite
de Navarre : cf. Jundt, cité infra.
2 Le Contre les Libertins est de 1545 (voir sur cet écrit, notamment, F. Wendel,
Calvin , sources et évolution de sa pensée religieuse , 1950, et bibliogr.; p. 59, п., et 132-134).
Marguerite de Navarre s'étant sentie visée, Calvin lui écrivit pour mettre les choses
au point, en avril 1545 : « Mon intention n'a pas esté d'attoucher vostre honneur... »
Voir Lettres de J. Calvint éd. J. Bonnet, t. I, p. 111 sq. ; et cf. P. Jourda, Répertoire
de la correspondance de Marguerite d'Angoulême, n° 995.
3 L'épître au cordelier (1547) fut publiée avec une réédition du texte du Contre
les Libertins. Cf. Contre la secte phantastique et furieuse des libertins qui se nomment
spirituelZy avec une épistre de la mesme matière , contre un certain cordelier supposi de
la secte , lequel est prisonnier à Roan , s. 1., 1547, in-8°, B. N. Rés. D2 15964. - Le Glaive
fut publié en 1550.
4 Vers la même époque, une lettre de Calvin (éd. Bonnet, II, 320) atteste la pré-
sence du libertinisme darçs l'église de Corbigny (Nivernais). La date de 1560 (environ)
semble marquer le déclin définitif du libertinisme.

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l'évangélisme de pierre du val 215

publié l'un 1, dont Charles Schmidt donnait l'ensemble 2, œuvre


d'un certain « J.F. » où Emile Picot voudrait voir Jean Ferré, Tun des
poètes des concours rouennais 3.
b) quatre petits traités, tous ou non genevois, de la même époque
(environ 1548-1554), et qui furent révélés par Jaujard 4, dans une
étude qui se fondait aussi sur les traités de Schmidt.
c) les six œuvres dramatiques, extraites (sauf la première) du
manuscrit La Yallière, que Picot attribuait aux « libertins spirituels »
de Rouen ; deux seules (dont nous avons parlé) sont certainement de
Pierre du Val, qui serait Г un d'entre eux.
Or, remarquons combien le problème est délicat. Rattacher au
libertinisme des œuvres dont les auteurs ne se proclament pas eux-
mêmes Libertins, c'est ce qu'il ne faut pas faire trop vite. Car c'est
dans les opuscules polémiques (et notamment le Contre les Libertins)
que se rencontrent les seuls exposés expressément signifiés comme
étant ceux du Libertinisme ; c'est par référence à eux, en laissant
la marge de l'exagération polémique, que l'on colle sur tels autres
opuscules l'étiquette de libertin. Mais alors, si l'on s'avise de définir
d'après ceux-ci le libertinisme authentique, et d'opposer ensuite
cette doctrine aux dires du Contre les Libertins , pour déclarer que
Calvin a déformé cette religion, est-on loin de la pétition de principe ?
Et ce n'est pas tout. Il est plus que probable que Calvin (dont la satire
demeure un texte de base) n'a pas tout dit de la doctrine, et ne l'a pas
rapportée dans son intégrité ; mais il n'est pas plus douteux que les
Libertins, dont une certaine discrétion est la règle de conduite, n'ont
pas dans leurs écrits (quels qu'ils soient) tout avoué. D'où la prudence
nécessaire, dans l'examen des ouvrages qui paraissent fleurer le
libertinisme. Naturellement, si nous attendons qu'ils soient d'accord
avec le patron de Calvin, nous ne trouverons plus de livres libertins.
Mais si, sous prétexte que Calvin a exagéré le portrait, nous nous
contentons d'un spiritualisme répandu, assez vague mais décidé, pour
crier au libertinisme, nous risquons de le trouver partout, chez les
Evangélistes. Et justement, à propos de Du Val, la question se pose.
1 Auguste Jundt, Histoire du panthéisme populaire au moyen âge et au seizième
siècle , Strasbourg, 1875, p. 292, publiait le Traicté du commencement pour pervenir
de plaire à Dieu par le moyen de son filz Jésus Christ.
2 Les Libertins spirituels: Traités mystiques écrits dans les années 1547 à 1549 ,
p. p. C. Schmidt, Bâle-Genève-Lyon, 1876.
3 Sans doute Jean Ferré, vicomte de Domfront, secrétaire de Marguerite de
Navarre dès 1524 : cf. A. Lefranc et J. Boulenger, Comptes de Louise de Savoie et
de Marguerite d'Angoulême , 1905, p. 105 ; il l'était encore en 1548 : cf. La Ferriêre-
Percy, Marguerite ď Angoulême, son livre de dépenses , 1862, p. 176 et 223. On trouve
un Jean Ferré, à la même époque, élu d'Alençon : Picot, Théâtre mystique , p. 67.
4 G. Jaujard, Essai sur les libertins spirituels de Genève , Paris, 1890. Des quatre
traités, sans doute imprimés à Genève (cf. Bull. soc. hist, prot., XLIII, 497), deux
sont à l'Arsenal ; les deux autres sont entrés, depuis la thèse de Jaujard, à la biblio-
thèque de la Société d'hist. du protestantisme français. Le plus important, pour la
définition du libertinisme, nous paraît être dans les Colloques chrestiens de trois person-
nages (Genève, 1548).

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216 V.-L. SAULNIER

Du libertinisme, on aperçoit les origines *. On sait, d'autre part,


que la Normandie fut, tout au long du règne de François Ier, tra-
vaillée par les idées nouvelles en matière de religion. C'est, vers 1515,
le milieu fabrisien de Г Université de Caen, autour de Guillaume de la
Mare et de Pierre des Prez ; vers 1530, la même Université abrite
un foyer d'érasmisme 2. Les idées de la Réforme se propagent ; et si,
vers 1540, on s'efforce de faire rentrer dans le rang les « malsentans
de la foy », c'est dans la clandestinité que colporteurs et prédicants
continueront leur tâche 3. Le libertinisme, enfin, y paraît : l'affaire du
cordelier suffit à le faire connaître 4.
Que Rouen ait été le centre d'une fermentation des esprits,
comme d'autres grandes villes, la chose est sûre. Et de cette agitation,
Pierre du Val porte témoignage. Que son mysticisme toutefois
(puisqu'ici nous ne parlons que de lui) soit celui d'un Libertin, c'est
ce qui n'apparaît guère. Du véritable libertinisme, on peut tout de même
dégager quelques croyances précises, qui doivent servir de pierre de
touche 5. Ce sont précisément celles qu'on ne trouve pas chez Du Val.

1 On eut parfois tendance, dans l'étude de la pensée française de l'époque, à sous-


estimer l'importance du mysticisme nordique, au profit de l'influence italienne et néo-
platonicienne.' Du mysticisme flamand, une voie est assez bien repérée : la propagande
des Frères de la vie commune (cf. Albert Hyma, The christian Renaissance , a history
of the Devotio moderna , Grand Rapids, 1924). C'est aussi du nord qu'est venu le Liber-
tinisme, issu d'Eckart et de Ruysbroeck par l'intermédiaire des sectes apostoliques
du XIVe et du XVe siècle (Fraticelles, Frères du libre esprit, Hommes de l'intelligence,
Turlupins). Voir Jundt et Jaujard. - C'est vers 1530 que le libertinisme se signale
en France, à Lille, avec Coppin. Puis, en 1534, Quintin vient le prêcher (du Hainaut
ou de Picardie) : il est, avec Antoine Pocque, le grand nom du libertinisme français.
(On en sait quelques autres : Bertrand des Moulins, Claude Parceval). Après divers
voyages (Quintin à Paris, Pocque à Strasbourg et Genève), les deux hommes sont
accueillis en 1543 à Nérac, à la cour de Marguerite de Navarre, sur qui leur influence
est nette. Quintin sera condamné à mort à Tournai en 1546, pour mauvaises mœurs
tandis qu'on perd la trace de Pocque. - Sur l'érasmisme, voir en dernier lieu M. Mann,
Erasmus and the Northern Renaissance , Londres, 1950.
2 H. Prentout, La Réforme en Normandie et les débuts de la réforme à l'Université
de Caen , dans la Rev. histor., CXIV (1913). Evêque de Bayeux, Lodovico Canossa est
aussi un Erasmien.
3 N. Weiss, Note sommaire sur les débuts de la Réforme en Normandie (1523-15
dans : Congrès du Millénaire de la Normandie , Rouen, 1912, 2 vol., I, 193-215. -
Voir encore : Prentout, Renouatio ac reformatio in uniuersitate cadomensi per XVI.
saeculum , Caen, 1901.
4 Sur la pénétration du luthéranisme (cf. W. G. Moore, La réforme allemande et
la littérature française , Strasbourg, 1930), et sa répression notamment à Rouen, cf.
de Moreau, Jourda, Janelle, op. cit., p. 141-142. Sur les progrès de l'hérésie à Rouen
dans les années 1535-1545 : cf. Oursel, La Réforme en Normandie : les placards de
Marcourt à Rouen en 1535, Paris, 1912 (Bull. hist, et philol., 1911), et cf. son livre
cité infra (les fameux « placards » sont répandus à Rouen le 27 janvier 1535) ; aussi
Imbart de La Tour, Origines de la Réforme, IV, 287 (place éminente de Rouen dans
la diffusion par le théâtre des idées sympathiques à la Réforme). Sur la diffusion, à
Rouen, des idées des libertins spirituels, on sait en revanche peu de chose : cf. C. Oursel,
Notes pour servir à Vhistoire de la Réforme en Normandie au temps de François Ier,
principalement dans le diocèse de Rouen, Caen, 1913, p. 134-135.
5 Après Jundt, Histoire du panthéisme populaire, p. 119-162, Jaujard (op. cit.)
a donné un exposé d'ensemble de la doctrine. Et voir aussi H. Busson, Les sources
et le développement du rationalisme dans la littér. franç. de la Renaissance, 1922, p. 315 sq.
- Ce n'est pas sans nuances que Schmidt (Les libertins spirituels, introd., p. VII-
XIII) proposait de voir un « libertin » dans l'auteur de ses traités. Mais c'est avec
beaucoup plus de raideur qu'Emile Picot annexe Pierre du Val au libertinisme ( Théâtre
mystique, cf. notamment p. 62 et suiv.). - J'ai essayé de dégager, du libertinisme, les
convictions décisives, dans mon Théâtre Profane de Marguerite de Navarre (Droz,
1946, p. 246-249). Bien entendu, je ne prétends pas que ces idées fondamentales forment
un catéchisme rigide, ni qu'on doive exiger de les trouver toutes réunies dans un écrit
pour le dire « libertin ».

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l'évangélisme de pierre du val 217

De certaines d'entre elles, on ne trouve pas trace valable. Du Val


plaide pour l'élan d'amour : mais sans donner à croire que l'amour
rende absolument inutile ni la science ni les œuvres. Surtout, nous
sommes avec lui en présence d'un Dieu qui sauve sa créature, sans que
l'être humain, par une inspiration qui l'assimile au divin Esprit,
atteigne cet état d'innocence où, comme par définition, il n'est plus de
péché. Nulle allusion à une distinction possible entre le Christ selon
la chair et le Christ selon l'esprit. Rien enfin qui indique, même
avec discrétion, une autre exigence fondamentale du Libertinisme, la
prudence conformiste dans le comportement extérieur.
Il y a mieux : et sur deux points, c'est tout le contraire de la
doctrine libertine que proclament les vers rouennais de Du Val. A
la croyance des Libertins à la loi des trois âges (suivant laquelle
on abordait maintenant le règne de l'Esprit), Du Val semble bien
opposer la vision traditionnelle des deux âges : loi de rigueur avant
la Rédemption, loi de grâce depuis le sacrifice du Christ. Au terme de
leur effort, les Libertins atteignent un état d'indifférence au mal : et
le Discret de Du Yal est un convertisseur.
Au vrai, la religion de Pierre du Val, entre sa période catholique
et sa conversion protestante ' se définit essentiellement par deux
termes. C'est un culte de l'Esprit : la devise du poète, « Rien sans
l'esprit », le rappelle en toute netteté. C'est une dévotion christique,
pour laquelle le miracle de l'Incarnation représente la grande chose
admirable, la majestueuse merveille. Mais on ne saurait lui imposer
nulle étiquette. Elle est, de façon caractéristique, la recherche d'une
âme qui, se détachant de la foi traditionnelle, et avant de gagner
l'autre bord, parcourt une mer où toutes les tentations la séduisent.
Du Yal, à l'époque que nous considérons, si ses convictions ou ses
rêves subissent toutes les contaminations (celle du libertinisme ;
celle du protestantisme, dont nous avons indiqué des signes), reste
très nettement dans le cercle de l'humanisme érasmien 2. Son effort
d'affranchissement, qui libère la foi de ses entraves, ne suppose
nullement qu'il soit, à cette heure, allé plus loin que les Erasmiens de
la première saison, que les catéchumènes d'un Gérard Roussel 3.
1 Ces années (1540 et suivantes) sont justement celles de crises importantes,
dans la diffusion du calvinisme (retour de Calvin à Genève, organisation de l'Eglise),
dans les relations entre les deux Eglises (tentatives catholiques pour faire rentrer
dans le bercail les brebis égarées ; cf. Epistre de Jaques Sadolet... avec la response de
Jehan Calvin , 1540, et rééd. Genève, 1860) ; dans l'histoire de la répression catholique
en France (cf. N. Weiss, La Chambre ardente , 1889, notamment p. XII et suiv. ; en
Normandie, activité de l'inquisiteur frère Laurentin ; édit de Fontainebleau, etc.).
2 Sur l'humanisme érasmien français, je ne puis que renvoyer à quelques études
capitales. Renaudet, Préréforme et humanisme ; Imbart de La Tour, op. cit., t. III
(L'Evangélisme), 1914 ; M. Mann, Erasme et les débuts de la Réforme française (1517-
1536), Paris, 1933. Sur la religion d'Erasme : J. B. Pineau, Erasme , sa pensée reli-
gieuse , 1924. Pour ne retenir qu'un signe, une déclaration de foi comme celle-ci (Erasme,
Paraclesis ; cité par Renaudet, Etudes érasmiennes , 1939, p. 133) : « Quid autem aliud
est Christi philosophia, quam ipse renascentiam uocat, quam instauratio bene conditse
naturae ? », ne pourrait-elle pas, dans sa richesse profonde, servir de principe suffisant
à un Pierre du Val, sans qu'on ait à l'habiller en Libertin ?
3 Rien de plus édifiant ici que le jugement de la Sorbonne condamnant la Familière
Exposition de Roussel (1550). Cf. Duplessis d'Argentré, Collectio iudiciorum de

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218 V.-L. SAULNIER

On comprend mieux, dès lors, que cet affranchissement marque,


en sa destinée, l'heure de transition entre le catholicisme et la Réforme.
Il est presque hors de doute que le libertinisme avait, sur lui, fait
son effet, l'invitant à une religion très déliée de l'Esprit. Mais
sans le faire verser pour ainsi dire au delà du calvinisme, dont le
vrai libertinisme débordait, sur l'autre frontière, l'émancipation.
Son libéralisme fidéiste demeurait en deçà : et c'est pourquoi il n'eut
qu'à continuer sa route, pour se faire ministre réformé. De ses velléités
réellement libertinistes (en eut-il, ce ne fut rien de plus), nous inclinons
à croire que le pamphlet de Calvin contre les Libertins fut pour lui
au moins l'occasion de se guérir : non sans maintenir sans doute au
centre de sa croyance une confiance en l'Esprit, dont Calvin devait
trouver certains épanchements phraséologiques abusifs.
Mais le Du Yal rouennais de l'époque intermédiaire n'est pas un
libertin : c'est un érasmien, à sa manière. Il est de ces âmes rares, qui
refusent de s'inscrire et de prendre parti, à l'heure même où le choix
est tout près d'être imposé. Une âme éprise de tentations, comme celle
de la grande Marguerite de Navarre. De ces âmes devant lesquelles
ne se présente nulle nécessité de régler, avec le compas d'une théorie,
quelque équilibre ou quelque conflit, entre la Nature et la Grâce, et
qui se trouvent plus prêtes à se satisfaire d'une grande vision
d'amour chrétien suffisant à former, entre ces deux notions ou puis-
sances, une sorte de mariage poétique. Ces vers d'un grand poète
beaucoup plus jeune, il les aurait sans doute signés :
Et l'arbre de la grâce et l'arbre de nature
Ont lié leurs deux troncs de nœuds si solennels,
Ils ont tant confondu leurs destins fraternels,
Que c'est la même essence et la même stature

On ne gagerait pas sans scrupule que Pierre du Yal ait été,


de la nouvelle église, un très sûr pasteur. Mais on s'assurerait volon-
tiers que, si la reine de Navarre put savoir quelque chose de lui,
elle lui donna sa meilleure pensée : car il était selon son cœur 2.
Qu'on veuille bien nous excuser : il n'en faudrait pas davantage pour
faire de Pierre du Yal, à nos yeux, un homme qui compte.

nouis erroribus , II, 161 ; et C. Schmidt, Gérard Roussel , prédicateur de la reine Marguerite
de Navarre , Strasbourg, 1845, p. 240 sq. - Je cite, des propositions condamnées, les
5e, 7e, 11e et 22e, non seulement pour leur importance, mais parce qu'elles me paraissent
définir aussi bien très suffisamment le credo de Pierre du Val (à l'époque considérée) :
« Ambrassons doncques d'une vive et ardente foy ung seul pour tout, sans nous divertir
ailleurs. » En Jésus est « l'entière somme de nostre salut, et toutes les partyes d'icelluy ».
« La foy évangélique n'est sans charité ». Dans l'état de foi vive, nous « povons et
debvons estre du tout persuadez et asseurez rien ne nous pouvoir défaillir, rien ne
nous pouvoir estre dényé ». - Sur les chemins de l'Evangélisme, de l'esprit de Meaux
aux Libertins, voir aussi l'essai de Schmidt, Le mysticisme quiétiste en France au début
de la Réformation sous François Ier (Bull. soc. hist, prot., t. VI), Paris, 1858.
1 Péguy, Eve. (Cf. Œuvres poétiques complètes , Bibliothèque de la Pléiade, p. 813.)
2 On n'a pas trace de contacts entre Du Val et Marguerite. Une transmission
reste possible.

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BELLUM JUSTUM
E BELLUM INJUSTUM NEL PENSIERO
DEL GIURECONSULTO
ANDREA ALCIATO

par Gianluigi Barni

L'impostazione mentale di Andrea Alciato, il suo modo di porsi


davanti ai problemi sia giuridici che storici, è proprio quella che,
mi pare, segna la sua grande importanza nella storia della giuris-
prudenza ; questa sua impostazione fu forse anche quella che rese
più facile il diffondersi del suo metodo nei paesi transalpini che in
Italia. Tale sua posizione diviene più facilmente comprensibile se
si tiene presente non solo la figura di Alciato giurista, ma anche
quella di Alciato umanista, di uno studioso cioè che inizia la sua
attività con raccolte di epigrafi e con rievocazioni storiche della
sua città.
Andrea Alciato (1492-1550) prima di dedicarsi agli studi del
diritto, aveva seguito anche corsi di greco, una materia che gli sarà
molto utile quando cercherà di restituire i testi greci della compila-
zione giustinianea ; ma questo suo occuparsi del mondo classico
attraverso il metodo umanistico lo aveva portato abbastanza vicino
ad Erasmo da Rotterdam anche in problemi non strettamente
giuridici. Se è pur vero che il metodo filologico era tale da togliere
quella convinzione e quel rispetto, se si può dire, verso una immu-
tabilità del diritto romano visto attraverso la giurisprudenza che
si era venuta formando dai tempi di Irnerio, in quanto tale diritto
veniva ora invece osservato come un fenomeno storico da inquadrarsi
nel tempo e quindi in una determinata società dotata di proprie
esigenze economiche e spirituali, è anche vero che tutto ciò era
sentito da gran parte del mondo culturale del principio del secolo
XYI quasi come una necessaria liberazione del pensiero umano che
cercava di trovare, forse, in sè stesso la giustificazione della storia
e di tutti i fenomeni che nella storia hanno vita, quasi un precorrere
la ricerca di una vera storicità e di una indissolubile problematicità
dei fenomeni sociali.
Il Toffanin 1 studioso del nostro rinascimento non ha esitato a
porre Andrea Alciato vicino a Nicolò Machiavelli propio per quel
desiderio che è nel nostro giurista di spogliarsi dai « pregiudizi sco-
lastici » e di rifarsi alle fonti pure del diritto, viste storicamente,

1 G. Toffanin, Machiavelli e il « tacitismo », Padova, 1921, p. 132.

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220 GIANLUIGI BARNI

anche se ciò poteva essere ritenuto almeno superfluo da chi nel


diritto romano vedeva solo le norme da usare nella vita pratica
dell'esercizio della profesione forense.
Può esser curioso notare come il Fassò 1 in un suo recente lavoro
su Gian Battista Vico ponga il nostro giurista fra quelli di cui il
filosofo napoletano doveva aver avuto conoscenza proprio per il
problema giuridico visto nella sua generalità ; infatti per la mente
del Vico le opere di Andrea Alciato, come quelle del Guiacio, dove-
vano essere quelle più interessanti in quanto più vicine ai problemi
che il Vico stesso sentiva in sè.

*
* *

Ci troviamo ora ad esamina


opere di Alciato ; si tratta dell
della guerra giusta e ingiusta. E' questione che ancor oggi ha il suo
interesse e che poteva averlo anche allora quando si pensava che
ad una guerra giusta mossa da una parte dovesse per necessità
contrapporsi una guerra ingiusta mossa dall'altra parte. Gome se
fosse facile о possibile separare nella vita umana giusto ed ingiusto
con un taglio netto. Alciato, nei suoi giovani anni fu attratto anche
da questo argomento, e come vedremo, si sentiva quasi orgoglioso
di poter affermare che egli solo poteva sostenere quanto tutti ave-
vano invece sempre negato ; tutti meno Fulgosio che egli espressa-
mente ricorda.
Il passo alciateo, che riporteremo più avanti, mi sembra poco
studiato da quanti, anche in epoca recente, hanno esaminato, sotto
Tuno о l'altro aspetto e per scopi anche lontano dal nostro quasto
problema del bellum iustum e del bellum iniustum.
Il Goyau 2 richiama S. Agostino e le opinioni successive della
chiesa ; Barcia Trelles 3 si occupa di Vitoria, ma pur accennando
a Baldo e ad Azo non ricorda il nostro giurista per quanto accenni 4
che il Covarrubias avanzava l'ipotesi della possibilità di una guerra
giusta per entrambe le parti se una di esse fosse stata nella condi-
zione di ignorare, come dire ?, la sua posizione ingiusta ; una specie
di ignoranza della propria situazione davanti al problema. Bour-
quin 5 ricorda Alberico Gentili e ricorda che Grozio poneva la possi-

1 G. Fasso, I « quattro autori » del Vico , Milano, 1949, p. 33, 116.


2 G. Goyau, L'église catholique et le droit des gens , in Académie de droit inter-
national, Recueil des cours, 1925, vol. XVI, p. 127, Parigi, 1926. R. Regout, La doc-
trine de la guerre juste de s. Augustin à nos jours . Paris, 1934. - Si può cfr. : G. Salvioli,
Il concetto di guerra giusta negli scrittori anteriori a Grozio , Napoli, 1915.
3 G. Barcia Trelles, Francisco de Vitoria et Г école moderne de droit international.
id., 1927, vol. XVII, p. 113, Parigi, 1928.
4 Id., p. 295.
5 M. BouRQuiN, Règles générales du droit de la paix , id., 1931, p. 174 sgg., Parigi,
1932.

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BELLUM JUSTUM E BELLUM INJUSTUM 221

bilità di distinzione tra bellum iustum e bellum iniustum solo nel


diritto naturate perchè pel diritto delle genti mancano spesso gli
indizi onde poter giudicare (De iure belli ac pacis, III, 4, 4). Il Suarez
è ricordato dal Wehberg г, e Grozio ancora dal Rutgers 2 ; ma il
punto può esser fatto leggendo ciò che scrive il Kraus : « Si Ton veut
caractériser la conception contemporaine en la ramenant à une forme
moyenne, on peut dire que l'on en est resté, au moins à cet, égard,
au point de vue formulé en particulier par s. Thomas d'Aquin sur la
base des conceptions de saint Augustin... que pour qu'une guerre
apparaisse comme justifiée ou morale, elle résulte d'une causa iusta,
c'est-à-dire que ceux à qui l'on fait la guerre l'aient méritée par
quelque faute, pour emprunter la formule d'une définition donnée
par s. Thomas d'Aquin. » 3 Del resto s. Agostino aveva anche visto
la guerra come un mezzo usato da Dio per la correzione dell'uomo 4,
concezione questa ripresa fra gli altri da Lutero contro il quale
Erasmo da Rotterdam scriveva come segue : « Nam cum his ago
quibus placet Lutheri dogma, quo censet eos qui belligerantur cum
Turcis rebellare Deo, per ilio s nostra scelera castiganti ».5 II Redslob,
che rammenta come la guerra fosse vista anche come un processo,
riporta nel suo lavoro un brano che pure a noi pare interessante ;
si tratta di un brano tolto dal Livre des faits d'armes et de chevalerie
di Christine de Pisan : « Et n'est aultre chose guerre et bataille qui
est faite à juste querelle ne mais la droit examination de justice pour
rendre le droit là où il appartient » 6 ; la guerra giusta sarebbe dunque
quella che ha per scopo la restituzione del diritto e solo questa sarebbe
guerre giusta.
Si tratta però sempre, come abbiamo potuto sia pur brevemente
vedere, di richiami о a principii provenienti dalla patristica о dai
dottori della chiesa, sia pure attraverso la sistemazione di s. Tomaso
d'Aquino, о ad autori posteriori al nostro. Par quasi che da questi
studiosi il problema sia stato visto a balzi ; ma probabilmente la
giustificazione di ciò è da ricercarsi nel fatto di esser partiti, dati
gli scopi che si proponevano, da Grozio о da Alberico Gentili per le
loro diverse premesse storiche.
Erano suprattutto inquadramenti formali ; gli autori richiamati e
che toccavano l'argomento si preoccupavano spesso di stabilire chi
avesse il potere e il diritto di dichiarare guerra e si voleva vedere

1 H. Wehberg, Le problème de la mise de la guerre hors la loi, id., 1928, p. 151 segg.,
Parigi, 1929.
2 V. Rutgers, La mise en harmonie du pacte de la Société des Nations avec le pacte
de Paris , id., 1931, p. 12 sgg., Parigi, 1932.
3 H. Kraus, La morale internationale , id., 1927, p. 520, Parigi, 1928.
4 Augustini, De civitate Dei , I, 1.
6 Erasmi Roterad., Explanatio Symboli , VI, in Op. Omnia , t. V, col. 1193 D,
Leida, 1704.
6 R. Redslob, Histoire des grands principes du droit des gens , Parigi, 1923.

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222 GIANLUIGI BARNI

un caso di bellum iustum, almeno riguardo ai popoli dipendenti,


nella guerra dichiarata da chi, giuridicamente, poteva dichiararla
(princeps superiorem non reconoscens, popolo che si trovava nelle
stesse condizioni, ecc.), oppure ci si attardava come Grozio e Molina 1
in lunghi elenchi di casi nei quali la guerra era da ritenersi giusta
of ingiusta, о meglio di casi nei quali la guerra può dirsi giustificata
perchè avente a base una causa iusta о ingiustificata nel caso
opposto.
Eppure era proprio questo l'aspetto del problema che più inte-
ressava ; già Azo, il celebre giureconsulto, nella sua Summa scriveva
un passo che può esser utile qui riportare in quanto illumina, sia
pure non direttamente, il problema che interessa :
Imperator autem ad hanc suam defïensionem... assignat duo
tempora ; unum bellorum, alteram pacis ; in tempore bellorum neces-
saria sunt ad summam reipublicse tuition em ista quatuor, arma,
usus armorum, victoria, triunphus ; in tempore vero pacis necessaria
sunt quatuor similia, leges, usus legum, calumniœ pulsio, iuris religio...
Illa ergo duo, arma et leges, pariter esse debent in principe... Bella
etiam etsi non iura dicantur, de iure tarnen gentium fìunt prsecepto
imperatoris vel populi romani...2

Funzione dunque dell'imperatore è condurre la guerra e far le


leggi, raggiungere la vittoria ed imporre il rispetto del diritto. Si
noti poi che anche per Azo è « ex iure gentium » la guerra indetta
dall'imperatore о dal popolo romano, concetto questo per il quale
si poneva la giustizia о la non giustizia di una guerra nel constatare
se chi la aveva iniziata potesse о meno giuridicamente fare questo.
Tale formalismo può sembrare a noi esser talvolta fuori della realtà,
ma esso trovava la sua giustificazione in un mondo giuridico che
sotto un certo aspetto continuava a vedere nell'imperatore la fons
legis e che almeno fino al grande movimento della riforma poteva
concepire ancora il suo essere dall'unum ius, unum impérium.
Questa ricerca sulla capacità di indire guerra è un motivo che
troviamo ricorrere in molti giuristi : senza voler dilungarci troppo
in una ricerca che non potrebbe aver qui la sua più opportuna siste-
mazione, possiamo ricordare Odofredo, il quale, commentando la
legge ex hoc iure del Digesto al titolo de iustitia et iure (. D . I, 1, 5),
osservava, in modo da render ben palese il suo pensiero su questo
punto, quanto segue : «... de bello licito et iusto et introducto a
populo romano vel a imperatore » 3. Mi pare dunque si possa facil-
mente dedurre come la sua opinione dovesse essere che la guerra
indetta dall'imperatore (il richiamo al populus romanus è un riflesso
dello studio sulla lex regia che la situazione reale portava a com-

1 L. Molina, De iustitia et iure , col. 384-386, Venezia, 1611.


2 Azonis Summa , In I lib. Institutionum , Venezia, 1584, col. 1044.
3 Odofredi, Super prima parte Dig. vet. comment ., Lione, 1550, f. 7, п. 2.

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BELLUM JUSTUM E BELLUM INJUSTUM 223

piere per spiegare i poteri dell'imperatore stesso) e quin


sa, da quei principi che non riconoscevano alcun superiore, dovesse
essere giusta. Bartolo nel medesimo punto si riportava alla glossa :
« dicit glossa bella licita sunt quando princeps vel populus romanus
indicit » 1, ma aggiungeva poco oltre che ciò riguardava solo il caso
di chi « indicere volebat » una guerra, poiché se si trattava di guerra
puramente difensiva la liceità era sempre palese ; lo stesso Bartolo
in un suo consiglio parla di guerra fatta da entrambe le parti per
reciproche e scambievoli offese, parrebbe che, messosi su questa
via egli dovesse trovare una nuova soluzione, per il problema nostro,
ma in realtà egli ne parla solo per indicare come con la reciproca
remissione delle offese si potrebbe giungere alla pace 2. Baldo in un
suo consiglio 3 afferma che una guerra per essere lecita non deve
esser dichiarata a causa di odii, ma deve avere a suo motivo una
ingiuria о un danno subito e deve essere indetta solo attraverso
l'autorità del principe : in caso differente si dovrebbe parlare di
latrocinium e non di bellum. Alberico da Rosciate 4 si attiene alla
medesima linea scrivendo che la guerra è lecita : « quando bellum
est indictum a populo romano vel a imperatore » ; anch'egli poi
aggiunge che la guerra é sempre ugualmente lecita « quando fit ad
violentiam vel iniurias propulsandas » quando cioè si tratta di guerra
difensiva.
Anche quei più tardi giuristi che si sono occupati in modo parti-
culare del problema della guerra e delle cose militari si trovano su
questo piano. Possiamo ricordare fra costoro Francesco Arias, Gio-
vanni Lupi, Pietro Bellini e Giavanni da Legnano. Il primo quando
deve dare la definizione di guerra giusta 5 si riporta a s. Agostino
e quindi nessun suo contributo vien dato alla risoluzione del pro-
blema in questione ; il secondo per la definizione di guerra ingiusta
si attiene alla solita casistica, a dopo aver detto che guerra giusta
è « sine dubio quod Deus imperat, qui novit quod cuique fieri debeat,
ut beatus Augustinus ait », determina appunto cinque casi di guerra
ingiusta : « Ratione rei..., ratione causae ut si voluntarie et non
necessario pugnet,..., tertio ex animo scilicet quando sit ad vin-
dictam..., quarto si non sit autore principe, quinto ratione personne,
quia ecclesiastica cui non est licitum effundere sanguinem... », anche
questo autore dunque porrebbe fra le guerre giuste quelle che sono
promosse « autore principe » 6. Pietro Bellini dopo aver premesso

1 Bartoli a Saxoferrato Super prima parte Dig. vet. comment ., Venezia, 1590,
f. 7 v.
2 Id., Consilia , cons. LXVI, Milano, 1479.
3 Baldi, Consilia , IV, cons. 439, Venezia, 1543.
4 Alberici a Rosciate, Super prima parte Dtg. vet., Lione, 1545, f. 14, n. 5.
5 F. Arias, De bello et eius iustitia, in Tract. Univ. Iuris , vol. XVI, f. 325, no 18.
6 Io. Lupi, De bello et bellatoribus , in Tract. Univ. Iuris , vol. XVI, f. 320 v, п. 1, 2.

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224 GIANLUIGI В ARNI

quasi a giustificazione del suo lavoro una professione di fede nella


impossibilità di un mondo senza guerra « neque esse hoc malum
destiturum donee orbis ipse defìciat » si attiene, per quanto ci
interessa, al solito schema, elenca i casi di guerra ingiusta ed anch'egli
vede liceità di guerra quando a dichiararla sia stato un principe о
un popolo che non riconosce superiore г. Anche Giovanni da Legnano
non va più in là : si sofferma ad esaminare la figura del principe per
vedere quando la guerra da costui dichiarata possa ritenersi lecita
riguardo ai poteri ed alla posizione giuridica del principe stesso 2.
Non possiamo dimenticare Cristoforo Castiglioni che riferendosi
alla « consuetudo Lombardise » vedeva giuste tutte le guerre « publice »
dichiarate.

*
* *

Giunti a questo punto dobbiamo soffermarci su alcuni autori


secondo noi di importanza per il nostro assunto. Sono quelli che
risentono in loro tutto il fenomeno storico e sociale del rinascimento.
Alciato stesso ci indica Fulgosio come Túnico giureconsulto che,
prima di lui, avrebbe affermato la liceità della guerra per entrambe
le parti contendenti. Raffaele Fulgosio si occupa infatti dell'argo-
mento, ma, prima di esaminare il passo che più è affine a quello di
Alciato, vorrei ricordare un'altro punto della sua opera. Si tratta
di un commento al Codice 3, dove si sente ancora riecheggiare l'impo-
stazione del problema quale è stata vista fin'ora : « Captus in bello
non publico non sit servus sed manet ingenuus..., bellum publicum
licitum indictum a principe vel a populo romano... » ; in effetti il
bellum non publicum non poteva neppure essere bellum licitum in
quanto lo si sarebbe meglio definito, come abbiamo visto, latroci-
nium. Per di più si proponeva qui una questione : era in corso una
guerra indetta dall'imperatore (e quindi, secondo quanto visto,
lecita), in questa guerra un tale era stato fatto prigioniero, ma nel
frattempo l'imperatore era venuto a mancare. Continua la guerra
ad essere bellum licitum о nò, e, di conseguenza, quale si trovava
ad essere la posizione di quel prigioniero ? alla obiezione di qualcuno
che affermava che il prigioniero « videbatur non iuste captum, quia
(mortuo imperatore) desiisset publicum bellum » Fulgosio rispon-
deva che la cosa non gli pareva esatta messa così « quia impérium
semper durât » ; è la visione di un impero visto separato dall'impe-
ratore e visto forse, se il nostro giudizio moderno non c'inganna, più

1 P. Bellini, De re militari , in Tract. Univ. Iuris, v ol.' XVI, f. 335 segg., tit. I,
п. 3; tit. III; tit. IV.
2 Io. de Legnano, Tractatus de bello , in Tract . Univ. Iuris , vol. XVI, f. 37
si cfr. l'edizione curata da Th. Erskine Holland, in Classics of International Law,
Washington, 1917.
3 R. Fulgosii, In sec. par. super Cod. comment Lione, 1547, f. 32.

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BELLUM JUSTUM E BELLUM INJUSTUM 225

come un fenomeno storico e vivente nel complesso dei problemi


della storia, che non come un'avvenimento cui si potessero letteral-
mente applicare le norme di un diritto sorte in tempi ben lontani.
Ho voluto presentare questa soluzione di Fulgosio per poter
meglio comprendere nel suo spirito il passo cui Alciato faceva rife-
rimento ; premesso dunque che « bellum iure gentium est intro-
ductum ut eo tamquam iudice dominia rerum aquirentur ubi inci-
disset dubium » il nostro giureconsulto entra nell'argomento 1 ricor-
dando che si diceva, per giustificare l'esistenza di guerre giuste ed
ingiuste, che «bella iusta ex iure gentium processisset... principaliter
permissive, iniusta vero accidentaliter et consecutive, et idem Bar-
tolus et Baldus, adiicens quod finis belli est ut quis ad debitum rationis
deducatur, et ideo bonum est, cuius finis bonus est, non consideratis
malis quae incidunt ». Altri però avevano osservato che non potevano
« bella iniusta ex iure gentium processisse », e allora, dice Fulgosio,
ne deriva la necessaria conseguenza che quando si parla di guerra
ammessa ex iure gentium si parla solo di bellum iustum e che la
guerra ingiusta proviene invece ex iniuria gentium. Ma, ed è qui
dove Fulgosio reca il suo apporto al problema nostro « cum ex utraque
parte bellantium contingant aquisitiones dominiorum et Servitutes
ut infra de captivis 1. postlim. in pr. ( D . XL IX, 14, 5, pr.), quomodo
ex ea parte quœ iniuste bellum agit contingit quod acquirat dominium
eorum quae capit iniustum agens ? » L'obiezione era indubbiamente
fondata. Come poteva la legge proteggere gli acquisti compiuti
proprio da coloro i quali agivano contro il diritto? non si trattava
dunque di un vero e proprio controsenso ? La rispota a queste do-
mande trovata da Fulgosio ci riporta a quel principio già visto
sopra, a quello cioè di considerare la guerra quasi come un processo ;
uno strano processo tuttavia, alla nostra mentalità, poiché si svolge-
rebbe senza mai ammettere il principio della cosa giudicata. Ecco
quanto scriveva Fulgosio :
Respondeo quod quia incertum erat utra pars iure bellum moveret,
nec erat iudex communis utrique superior, per quem id possit certum
civiliter effici, optima ratione constituerunt gentes, ut eius rei iudex
bellum foret, hoc est quod in bello vel per bellum caperetur, partis
capientis fieret, quasi sibi adiudicatum a iudice fuisset.

Il richiamo al fatto della mancanza di un giudice superiore ai


due contendenti ci richiama ancora alla concezione della guerra
dichiarata legittimamente da chi non riconosceva nessuna autorità
superiore alla propria. Infatti poco avanti Fulgosio scriverà ancora :
« Quomodo namque scire potest et quis eius rei iudex erit, ut pars
illa iuste, pars hsec iniuste bellum agat, cum utraque pars liber
populus aut rex sit liber... ? » Da tutto questo viene una conseguenza

1 Id., Super prima parte Dig. vet. comment ., Lione, 1554, f. 8, п. 1.

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226 GIANLUIGI В ARNI

che troveremo anche in Alciato, non nel passo dei suoi Paradoxa,
ma nel suo commento al tit. de iustitia et iure del Digesto, conse-
guenza che possiamo dire tragica e che richiama alla mente quanto
nel 1927 scriveva Politis : « La souveraineté a tué la théorie du
iustum bellum. La prétention des Etats de n'avoir à rendre aucun
compte de leurs actes les a portés à revendiquer le droit de faire de
leur force l'usage que bon leur semblait » 1 ; dice infatti Fulgosio :
«... Ego autem puto bellum de quo hic loquitur, ex quo sequuntur
captivitates et postliminia, esse illud solum quod est indictum inter
liberos populos vel reges..., non habita inquisitione qua ex causa
ad bellum ventum sit, пес cuius iustitise causa sit... » Quando dunque
le forme necessarie fossero state rispettate (e fra l'altro pur quella
della dichiarazione di guerra già richiesta anche dai romani 2) la
guerra poteva ritenersi lecita, con tutte le necessarie conseguenze
anche di diritto.
Il ragionamento di Fulgosio era logico : date le premesse da cui
egli partiva, e cioè che la legge, il diritto romano, trattava egual-
mente gli acquisti fatti da entrambe le parti, ne derivava la conse-
guenza della soluzione da lui data : siccome poi, come si è visto, la
guerra veniva anche considerata come un processo, quando tutte
le forme procedurali fossero state osservate e quando nelle parti
vi fosse stato, diremo, capacità di agire, nessuna differenza poteva
effettivamente esser vista fra le parti stesse. Già dunque in questo
giurista piacentino che morì nel 1427 pare che il problema morale
non sia sentito e passi quasi in seconda linea davanti alla inter-
pretazione della norma : il suo pensiero scenderà poi fino a Grozio,
quando costui scriverà che ove la guerra fosse stata condotta con
le debite forme dopo di esser stata anche dichiarata con le debite
forme, non vi poteva essere punizione per alcuno da parte degli
uomini, si poteva al massimo, continuava Grozio, parlare di un'even-
tuale punizione divina per chi avesse compiuto azioni di ostilità
per causa ingiusta 3 ; evidentemente però in questo modo il problema
usciva dalla valutazione umana per portarsi nel campo della meta-
fìsica dove il giurista non ha proprio alcun compito.
Il problema fu ripreso brevemente da Giason del Maino ; costui
può interessarci in modo particolare per esser stato fra i maestri
di Andrea Alciato : morì infatti nel 1519 all'età di ottantaquattro
anni, quando il nostro giurista iniziava la sua carriera. Alciato spesso
ricorda Giasone e, cosa curiosa, non solo per ragioni scientifiche,
ma pure, qualche volta, perchè era stato proprio Giason del Maino

1 N. Politis, Les nouvelles tendances du droit international , p. 100, Parigi, 1927.


2 В. Paradisi, Storia del diritto internazionale nel medio evo , Milano, 1940, p. 163 :
si veda l'importanza che il Paradisi dà al presentarsi nel т.е. di motivi di ordine spiri-
tuale per la valutazione morale di una guerra. Id., Il problema storico del diritto inter-
nazionale, Firenze, 1944.
3 H. Grotii, De iure belli ac pacis , III, 10, 3.

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BELLUM JUSTUM E BELLUM INJUSTUM 227

a raggiungere stipendi veramente ragguardevoli come docente,


stipendi che Alciato si vantava di aver superato. Ma ecco il passo
di Giason del Maino :

Odofredus quem originaliter vidi dicit quod imo de iure gentium


sunt tam bella licita quam illicita..., sed bella illicita sunt de iure
gentium occasionaliter, non dispositive... Fulgosius hic dubitat
multum de opinione doctorum quia secundum eum si populus roma-
nus vel papa inferat bellum hostibus ne dubium illi qui a nobis
capiuntur efficientur servi nostri, sed etiam illi qui capiuntur ab
hostibus de iure efficiuntur eorum servi...1

Il passo che, a ben vedere, nulla aggiunge a quanto abbiamo visto


in Fulgosio, ma piuttosto lo riassume, fu forse quello che portò
Alciato stesso a ricercare Fulgosio nel suo testo integrale e ad affron-
tare il medesimo argomento per commentarlo in un modo più vicino
alla sua sensibilità giuridica ed umanistica, e più vicino alla inter-
pretazione degli anni che egli viveva ? la cosa ci pare abbastanza
probabile. Anche Giason del Maino vede la necessità che la guerra
sia indetta da chi ha il potere di farla e ciò affinchè non si dia il nome
di guerra a quella che potrebbe essere una pura azione di scorreria
o un latrocinium о una vendetta privata 2.
Siamo così giunti ad Andrea Alciato. Il passo che ha fermato la
nostra attenzione si trova in una sua opera giovanile, in quei Para-
doxa che videro la luce per la prima volta a Milano, presso Alessandro
Minuziano, nel 1519. Erano anni di tumulto anche per le coscienze
degli uomini ; Alciato pure sentiva tutto questo movimento, proprio
airincirca in quel tempo aveva composto quella Epistola contra
vitam monasticham , la quale, pur riecheggiando elementi ormai noti
nella critica e nella satira antimonastica, sentiva anche quelle idee
che dovevano poi sfociare e farsi concrete nel movimento della
Riforma.

Bella utrinque licita esse et explicata qusestio doctorum antehac


pœne irresolubilis Fulgosiique opinio qusedam approbata.
Utrinque licita ne bella essent, tesi me non lateat quandoque
disputatum fuisse, nemo tarnen unus fuit, qui non dubitationem
hanc tamquam absurdam aversaretur. Si quidem probabilius dicere
is videri poterit, qui utrinque abhominanda profìtebitur. Sed cum
et hoc iure defendi non posse videretur, in eam communi calculo
itum est sententiam, ut Romanos iusta bella movere, eorum hostes
illicite agere crederentur. Verum nos aliter existiman dum censemus
et utraque parte optimo iure belli gerari arbitramur, nec tamen
usque contra omnium sententiam disputamus, ut rixas, turbas,
idque genus contentiones hoc numero admittendas putem ; sed de
his tantum bellis loquimur, quae cum exteris fìunt et evidentissime
iniustam causam non fovent ; nam illa dubitatio, qua hinc atque
hinc uter iustiora arma moveat, mens impellitur facit ut ea utrinque

1 Jasonis Maini In prima parte Dig. vet., f. 8, п. 1, Milano, 1590.


2 Id., п. 28.

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228 GIANLUIGI BARNI

licere profìtear. Nec iure quisquam dixerit, me pugnantia loqui,


quod si iusta arma quisquam induat, necesse sit eum qui contrarise
sit factionis iniustum esse, non sequitur hoc, nec absurdum est propter
ancipites sententias utrosque non iniuste belligerare, et, ut rem
exemplis legibus sumptis adiuvemus, nonne quilibet in liberali
causa conventus de statu suo transigere potest ? pacisci non potest ?
cur hoc ? nisi quoniam si evidens sit et manifestum aliquem esse
liberum, is paciscendo nequaquam conditionem suam mutare potest ;
si dubium sit, iura permittendum existimavere, videndum igitur
qusedam in dubiis concedi quae si alio casu tribuerentur, neque
lex neque ratio sineret. Duo coram iudice litigaturi ante latam sen-
tentiam iuste agunt, iuste excipiunt, prsesertim si per calumniam ea
non fieri iuratum sit, idem et in bellis esse quis merito ambigat ?
admittimus si constet absque ulla penitus ratione, aliquam partium
reluctari, eam non bella gerere, sed potius latrocinia existimandum.
Hinc Longobardorum lex qu se eum qui gladio hominem vulneravisset
duello fortunám experiri iubebat, si constaret, quis iure fecerat,
nullum habebat locum. Nec illud multum absimile eum scilicet
qui fidei causa emphiteoticum agrum possideat et tunc demum pro
domino arma capere tenetur, cum iuste contendit ; existimaverunt
recentiores, id ita intelligendum, ne cum palam et in confesso est
dominum inique decertare, ferat ei suppetias, nisi forte inquiunt
velit se defendere, nam quamvis hoc iniuste agat, tolerandum est ;
sed quid ad hsec paulo remotiora degredior? nonne hostes ipsi
ab eo dicti sunt quod utraque pars sequo iure pugnet ? hostimentum,
inquit Nonnius Marcellus, sequamentum est, unde et hostes dicti
qui ex iusta causa pugnam adeunt, hinc et hostire dicimus. Plauto
in Asinaria et hostimentum benefìcii pensatio Festo auctore, quibus
concors est Lucius Apuleius, nec ignobilis nec fastidiendus litterator
cum itaque ex ipsorum iurisperitorum sententia illud fortissimum
sit argumentum quod ex vocabuli ethymo deducitur, prsesertim
quando eius non répugnât defìnitio, verisimile est nostrum hoc
pronunciatum iure defendi ; nam qui contraria tuentur doctores
cum bella utrinque licita esse simul pugnare existiment, causam
ignorant, cur iure romano statuatur ut qui capti a suis hostibus
essent servitutis iura sortirentur, nam cum romani semper iusta
bella moveant, concertatores consequenter (ut opinantur) iniuste
prselia exagitant, cur igitur quos capiunt homines servos suos faciunt ?
eorumque dominium nanciscuntur ? nonne ex sua nequitia lucrum
acquirunt? quod tamen pluribus civilium legum sancionibus non
permitti plusquam certum est nonne romani propriis se telis iugu-
laverunt ? dum hac se ex nassa eximere legum interpretes volunt,
varii varias assignant rationes, quin potius ut ita dixerim misera-
biliter se torquent quidam iccirco factum dicunt, ne se libertatis
iura captivi retinerent, factio quoque testamenti eis salva esset,
quod si datum proponeretur, facile victoribus fuisset se eorum bonis
insinuare, fatua ratio, quasi prsetoris non extet edictum, quod vi
vel metus causa factum sit, id rescindi debere, at metum apud
victorem ipso iure prsesumi dicendum est, cum et minori plerumque
causa idem lex opinetur, veluti si filia coram patre etiam tacente
¿ereditati renuntiaverit, prsesumi legislator metu factum ; alii
novam se adducere rationem dicunt, id scilicet instituísse romanos
ut qui captivi essent servarentur, nam victores si ob eorum vitam
nihil se lucrari vidissent, facile in eam adducti forent immanitatem
ut existimarent trucidandos, utpote sibi inutilia mancipia, verum
qui hanc rationem receperit idem dicat de eo qui a latronibus capitur

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BELLUM JUSTUM E BELLUM INJUSTUM 229

necesse est, cum non minori sint in periculo qui ab huiusmodi nefa-
riis capiuntur, quam hi quos milites sua virtute et iusto bello acqui-
runt, cur ego negavere iura civilia a latrone captum, servorum iure
censeri ? in hoc igitur eos falsos esse non dubitem, quod quae servorum
ethymologia sit eandem et rationem esse cur serviant, opinati sunt.
Si igitur contra omnium quorum edita sit sentencia praeter Fulgo-
sium nostram hanc propositionem veram duxerimus, cum utrinque
bella licita sint, non est novum пес absque ratione, si tam romani
quam hostes inde lucrentur ex alterutra parte capti non iniuria
serviant, nam cum bella sint ex iure gentium orta, sequa lance eo
uti romanos cum aliis aequum fuit, tametsi enim iure civili nobiliores
redditi sint quirites, maioremque autoritatem inde comparaverint,
quoties tarnen de gentium iure agimus nulla inter eos et alienígenas
differentia est, tunc quippe id ius in usu est quod omnibus com-
mune, nulli proprium existimatur ; libet obiter referre barbari
hominis Brenni, qui Senonum regulus fuit, dicterium, is interrogan-
tibus romanorum legatis qua nam ratione Clusium iEtruriae urbem
obsidione premeret : « Iure, inquit, naturali hoc facio, quo is qui
minus fortis sit potentiori cedere iubetur, nam eo etiam pecudes et
bruta ammalia uti deprendimus, cum tauros, leones, aquilas caete-
raque animantia iccirco dominari videmus, quoniam alios viribus
praecellant, quod et vos romani secuti estis cum Fidenates, Ardeates,
Yeios, Yolscos non alia subegistis ratione, quam quod illis prsestan-
tiores virium virtute habebamini ». Quin et Aristides in oratione
quam ad Rhodios missit : « Lex, inquit, naturae est, a potentioribus
clarior facta, ut maioribus minores pareant, et qui propterea liber-
tatem tolli opinatur, hic a vero longe abest ». Nec aliud inde sequitur,
quam si homunciones nos conspiratione facta diis, gigantům more,
congrederemur, vel aemuli eos nullos esse crederemus et haec quidem
illi de pristino uti arbitrator naturali iure dixerunt, quae tarnen legibus
nostris consentanea esse fateri non ausim, cum eo iure quo nil ulte-
rius quam mera aequitas spectabatur, illicita fuisse omnia bella
magis verisimile est, idque ex Pauli verbis in tractatu de captivis
(j D. XL IX, 15, 19) probabile admodum videtur.

Teniamo presente non solo la preparazione giuridica, ma anche


quella storica ed umanistica di Alciato, teniamo presente la sua gio-
vane età e la sua coscienza di rappresentare qualcosa di nuovo e
di vivo in quella scienza giuridica cui poneva mano. Lo stesso inizio
del passo qui riportato, dove, quasi con orgoglio, si afferma di sapere
di dire qualcosa a cui tutti furono contrari è prova di ciò.
Non basta ormai più al nostro giurista il solo ragionamento di
Fulgosio, ma si adducono altre prove ; se è vero che la guerra è una
forma di processo donde si attende una decisione, non è forse altret-
tanto vero, egli dice, che quando due persone litigano davanti ad
un giudice entrambe litigano giustamente ? Poi la sua preparazione
storica lo porta a ricorrere non al solo diritto romano, ma anche
alla « Longobardorum lex ». A questo proposito è però necessaria
qualche osservazione proprio su questo richiamo alla legge longo-
barda. Egli stesso, nell'edizione che ho sott'occhio del 1518, a questo
punto segna, a guisa di glossa marginale «Bai. in C.i de pace ten.
in feu. ».

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230 GIANLUIGI BARN I

Attendiamo a venire ad una troppo rapida conclusione e vediamo


prima quale può esser stata la fonte diretta di Alciato, oltre Baldo.
In qual passo infatti delle leggi longobarde si fa accenno a quanto
è previsto nelle ipotesi alciatee ? in nessuno, mi pare. Qualcosa
invece troviamo se passiamo a vedere la Lombarda ; qui infatti '
come per necessità nel Liber Papiensis 2 è riportata una norma di
Enrico I imperatore che si può riallacciare in qualche modo al nostro
caso : « Qui vero intra treguam vel datum pacis osculum aliquem
hominem interfecerit et negare voluerit, pugnam per se faciat... »,
per quanto il passo potrebbe esser visto anche sotto l'aspetto solo
del divieto di combattere per campiones in questi casi. Questa norma
troviamo richiamata anche nella « Summula de pugna » di Ugo da
Porta Ravennate 3. Più tardi Alciato tornò ancora sull'argomento
del duello, e si potrebbe pensare di trovare in questa sua più tarda
opera « De singulari certamine » la spiegazione di questo suo richiamo
alla legge longobarda ; in realtà anche qui troviamo ben poco :
« Quamvis igitur iure iure civili et pontifìcum duellum prohibeatur,
quibusdam tamen gentium moribus receptům fuit. Ex quibus vestu-
stissimi longobardi..., sunt autem hi fere casus. Si lsesse maiestatis
reus quisquam delatus esset. Si homicidium quis intra induciarum
tempus fecisset... 4 » Lasciamo pur da parte la facile osservazione
che anche qui piuttosto che richiamarsi alle vere leggi del popolo
longobardo, ci si rivolge sempre alla Lombarda (il ricordo dell'omi-
cidio fatto dopo posta la tregua è il caso da noi già visto e non si
trova nelle leggi longobarde, tanto più che in Liutpr. 42 non si parla
assolutamente di pugna), ma dobbiamo ricordare un'altra fonte
alla quale Alciato può esser stato vicino e che ci ricollegherebbe alla
sua citazione marginale da noi su rammentata, si tratta della glossa
ai Libri Feudorum II, 27 dove si propone il caso di qualcuno che

1 Longobardorum leges , lib. I, De homicidiis, 1. 36, imp. Henricus I.


2 Liber Papiensis , Leges Henrici I, n. 3.
3 Hugonis de Porta Ravennate Summula de pugna , in Biblioth. Jur. Medii
Aevi , Scripta anedocta glossai orum, vol. 1, Bologna, 1888. Cf r. per questo argomento
F. Patetta, Le ordalie, p. 291 sgg., Torino, 1890.
4 A. Alciati, De singulari certamine liber , in Op. Omnia, Lione, 1560, f. 200 :
« Quamvis igitur iure civili et pontifìcum duellum prohibeatur, quibusdam tamen
gentium moribus receptům fuit. Ex quibus vestustissimi Longobardi, quoties coram
iudice integra probatione defectus quisquam esset, aliquidque ad plenam intentionis
fìdem praetori faciendam deesset, duellum multis casibus concedebant..., sunt autem
hi fere casus. Si laesa? maiestatis reus quisquam delatus esset. Si homicidium quis intra
induciarum tempus fecisset, vel parricidium causa hereditatis adipiscendse arguatur.
Si incendiarium te, vel periurium, vel depositi quod non minus XX aureis censeatur
abnegatorem, vel falsi documenti confectorem, violen temve compulsorem, vel rei a
servo tuo surreptse receptatorem dixero. Si parentis, cuius heres extitisti, aes alienum
dissolvere nolueris. Si cucullum me aut adulterum aut uxoris tuse attrectatorem prae-
dicaveris. In mulieres quoque huiusmodi provocationi eo iure locus est certamenque
pro eis propinquiores suscipiunt... Si enim maritus adulteram uxorem dixerit, pugnan-
dum est..., item si песет mariti eam procurasse adseveretur. Contra servum quoque
qui in libertatem provocaverit, adsertionis iudicium arbitratu domini per duellum
definitur. Sed et si malse fìdei possessorem te dixero, licebit tibi si quinquiennio posse-
deris, vel sacramento tuam causam tueri, vel duello. Quod si de dominio possessionisque
acquisitione ambigatur et ut erque priora iura praetendat, tum quoque singulari cer-
tamine locus est... »

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BELLUM JUSTUM E BELLUM INJUSTUM 231

rompa la pace uccidendo un uomo ; la glossa è troppo lunga perche


possa esser qui riportata e troppo ci porterebbe lontano dall'argo-
mento ; ma se si guarda quanto dice la glossa duellum e la successiva
vitam suam defendendo è facile, mi pare, vedere qui la prima fonte
di Alciato ; tanto più che Alciato nel passo da noi riportato pro-
segue con un'altra argomentazione (nec illud multum absimile...)
che è evidentemente anch'essa ispirata al diritto feudale (Lib. Feud.
И, 7).
E' dunque, si dovrebbe dire, uno strano modo di richiamarsi
alle leggi longobarde ; ma non bisogna dimenticare che Alciato vive
quando una coscienza storica sta appena formandosi, quando lo
studio dei testi di legge, come monumenti e documenti storici, è
appena iniziato e che con « lex longobardorum » si era sempre indicato
la bombarda.
La sua cultura negli altri campi ha modo poi di mostrarsi subito
dopo ; per sostenere la propria opinione, quella cioè della situazione
di parità, nel senso che a noi interessa, dei due belligeranti, egli
ricorre pure allo studio e all'esame filologico. Egli infatti, come
vedemmo, si chiede : « nonne hostes ipsi ab eo dicti sunt quod utraque
pars aequo iure pugnet ? » ; ecco che egli ci porta subito le prove di
questa sua asserzione, per la quale hostimentum vuol dire aequa-
mentum. E la dimostrazione è data non in base a testi giuridici,
ma in base a testi letterari, esempio ancora una volta di quella
impostazione umanistica del pensiero di Andrea Alciato, che fu
elemento prezioso per la sua vita scientifica che gli permise di essere
il fondatore di quella scuola culta о storica, la quale tanto doveva
poi fare nello svolgersi del diritto e nella conquista di tutto un nuovo
modo di pensare e di giudicare. Ecco dunque Nonio Marcello, gram-
matico del sec. IV 1, ecco Plauto, il massimo dei poeti comici latini 2,
e Pompeo Festo, erudito del II secolo che tanta fortuna ebbe nel
mondo medioevale attraverso l'epitome fatta della sua opera da
parte di Paolo Diacono 3, ed ecco Lucio Apuleio 4 ; il fenomeno
giuridico è dunque visto con uno sguardo ben differente da quello
dei giuristi dei secoli precedenti.
Vengono poi discusse le diverse ipotesi dei giureconsulti che sull'ar-
gomento avevano scritto e la conclusione cui arriva Alciato è sem-
plice : poiché le guerre sono sorte ex iure gentium è conseguente
che le due parti contendenti si trovino su di un medesimo piano.
Le ultime parti del passo, quelle riferenti l'aneddoto di Brenno e

1 Nonii Marcelli, De compendiosa doctrina , Teubner, 1903, p. 6 : « hostimen-


tum est aequamentum, unde et hostes dicti sunt qui ex apqua cusa pugnam ineunt ».
2 Plauti Asinaria , v. 172 : « par pari hostimentum datum est... »
3 S. Pompei Festi, De verborum si gnifì catione, Teubner, 1913, p. 9 : « hostimentum
beneficii pensât io ».
4 L. Apuleu, Metamorphoseon, VIII, 30, ecc.

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232 GIANLUIGI BARN I

la frase di Aristide, parti che pure si riattaccano al mondo classico,


sono di un forte realismo. Non si parla più di bellum iustum od
iniustum, licitum od illicitum, ma solo si enuncia quasi il principio
che colui che è meno forte deve sottostare al dominio di chi è più
forte. Anche qui la realtà storica, forse riflettentesi in lui attraverso
le guerre tra Francia e Spagna per il predominio d'Europa, gli aveva
preso la mano sul giudizio giuridico : d'altra parte se per più forte
si volesse intendere non solo chi detiene semplicemente la forza
materiale, ma chi sente l'universalità propria in una missione nel
mondo, la storia ha, almeno fino ad oggi, mostrato l'esattezza di
questa osservazione.
Alciato affrontò poi questo argomento anche in pagine di altre
sue opere, in pagine scritte in altri momenti della sua vita, nei quali
meno forse si facevano sentire (od egli sentiva meno ?) la violenza
e l'urgenza di certi problemi, più vivi in lui e più appariscenti nella
sua giovane età.
Sul problema della guerra vi sono varii suoi passi, di maggiore
о minore interesse. Così nei Parerga iuris nell'esaminare la Novella
XL II di Giustiniano per proporre una correzione nel testo dice :
« Sed sciendum est communem esse doctorum sententiam, nullum
bellum esse licitum, nisi denuntiatio, seu provocatio prsecesserit...
unde сЬс^ритгтоу videtur posse dici bellum, in quo nec tutus quidem
fecialibus sit accessus... » 1 ; in un'altro suo lavoro si trova a dover
esaminar se i prigionieri fatti nelle guerre fra cristiani possano diven-
tare schiavi di coloro che li hanno presi, egli esclude questa ipotesi
« quia hsec bella civilia videntur, omnes enim in Christo fratres sumus,
in civilibus autem non est locus regulse, sufficit ergo silytron, id est
redemptionis pretium cogantur persolvere » 2 ; parrebbe che vi fosse
qui quasi una visione diversa per le guerre che avvenivano fra i
cristiani e per quelle che avvenivano con popoli che cristiani non
erano.

Ma il passo più importante è quello che Alciato stese a c


di D. I. 5 cioè alla legge ex hoc iure 8. La sua prima osservazione
è diretta, a distinguere una causa prossima ed una causa remota
nell'origine della guerra :

... Unde ex hoc textu nota unum singulare dictum quod alii
non adverterunt, scilicet quod dictio ex dénotât causam ortus media-
tam, nam bella oriuntur ut propulset ur iniuria et ut nos nostraque

1 A. Alciati, Parerga iuris , lib. VIII, c. 18, in Op. omn., vol. VI, f. 161 r, Lione.
1560.

2 Id., De acquirenda ve! amittenda possessione , lex I, in Op. omn., vol. III, parte I,
f. 32 r, n. 14, Lione, 1560. Per le diverse conseguenze secondo che si tratti di bellum
hostile o di bellum civile cfr. Cuiacii Comment, in tit . XIV, De restitutione spoliœ , in
Op. omn., vol. VI, col. 828, Napoli, 1722.
8 A. Alciati, De iustitia et iure comment ., in Op. omn., vol. I, f. 1, n. 1 sgg., Lione.
1560.

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BELLUM JUSTUM E BELLUM INJUSTUM 233

tueamur... et sic propulsatici iniurise est causa próxima et imme-


diata, ista vero propulsatio iniurise orta est ex iure gentium (Z). I,
1, 3)... unde sequitur, quod tale ius gentium quoad bella est causa
causse et sie causa remota et mediata...

A questo punto sorge la questione della guerra lecita : Alciato


mostra come la glossa veda derivare dairius gentium solo le guerre
lecite e come su questa linea si trovino parecchi giuristi a lui prece-
denti, meno Fulgosio ; e qui oltre Odofredo, Bartolo e Baldo che
egli rammenta gli sarebbe stato assai utile aver potuto conoscere
quanto Giovanni Bassiano scriveva nella sua Lectura Institutionum 1
affermando che la guerra in sè non è un diritto « sed est prin-
cipium quoddam ex quo ius nascitur ». Alciato anche qui aderisce
all'opinione di Fulgosio, ma aggiunge qualcosa ancora a quanto
aveva scritto nei Paradoxa ; aderisce cioè anche all'opinione ful-
gosiana secondo la quale i popoli non dovevano avere il potere
di giudicare sulla liceità о meno della guerra indetta dal loro legit-
timo signore : « Confirmo (dice Alciato) istam opinionem, nam bellum
inductum a principe sive ex causa iniusta sive iusta semper dicitur
iustum quoad populos et quoad efïectus liciti belli. » Più avanti,
nel medesimo passo, al n. 44, con altre parole ripeterà ancora questo
concetto specificando che i sudditi « in dubio debent credere eum
(cioè il principe) iuste belligerare et sic in dubio obedire tenentur ».
Anche per Alciato dunque che aveva avuto la visione della pari
condizione giuridica dei belligeranti, si fa importante il problema
della legittimità di guerreggiare, legittimità vista solo attraverso la
posizione giuridica di chi fa la guerra, per cui al di fuori di questo
punto di vista formalistico (e si noti che la mancanza di legittimità
a proclamar la guerra da parte di uno dei belligeranti avrebbe trasfor-
mata la sua condotta in quella di chi compie un ladrocinio о una
rissa, togliendo evidentemente di mezzo così il problema che ci
interessa) le guerre vengono viste lecite da entrambe le parti solo
ratione dubietatis. Anche qui vi è poi il richiamo ancora al processo
dove le parti si trovano a discutere in parità di condizioni ; ma così
si torna al concetto della guerra vista come giudice e non come
giudice di valori universali ; ma come giudice della liceità о meno
di quella stessa guerra : portato all'estremo questo ragionamento si
dovrebbe concludere che chi vince si trova dalla parte della ragione.
Il suo più giovanile modo di vedere, modo che poteva proprio dar
luogo ad una valutazione storica del fenomeno bellico, valutazione
di pura forza se si vuole, ma che effettivamente aveva in se qualcosa
che sentiamo rivivere in noi stessi, come un problema affine a quelli
che il mondo di oggi deve risolvere, si era invece di nuovo inserito
nella corrente e nell'ambiente comune al suo tempo.

1 P. Torelli, Glosse preaccursione alle Istituzioni, Nota seconda : glosse di Bulgaro


da Riv. di Storia del diritto italiano, vol. XV, fase. 1, Bologna, 1942, pag. 9 dell'estratto

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234 GIANLUIGI BARNI

Sotto un certo punto di vista Erasmo da Rotterdam, l'uomo


che tanta influenza ebbe nei primi decenni del sec. XVI in tutta
Europa, aveva trovato per il problema della guerra parole più nuove.
Se anche il problema della guerra giusta e ingiusta non è da lui parti-
colarmente affrontato nel Institutio principis Christiani in quel
cap. XI che proprio si intitola « De bello suscipiendo » tuttavia in
altri punti ha accenti di una umanità commovente : « Sed ea bella
detestor, quibus iam seculum fere totum Christiani príncipes inter
se conflict a ntur. loco ne, an serio, incertum. Certe populo lusus non
est amabilis 1 » e in un'altra sua pagina scrive : « Nam si libido domi-
nando si ambitio, si privatus dolor, si vindicte cupiditas bellum per-
suasit, latrocinium esse constat, non bellum. Et quamquam christia-
norum principům prsecipue partes sunt bella gerere, tamen non oportet
rem omnium periculorissimam suscipere sine civitatum et patriae
consensu... 2 » Non possiamo fare a meno di rimarcare queste ultime
parole, quasi in contrasto col pensiero di coloro che vedevano la
liceità della guerra solo nel potere del principe. Ma per valutare
le diverse opinioni bisognerebbe tener presente le diverse società
in cui vivevano Alciato ed Erasmo : il discorso sarebbe troppo lungo,
e ci porterebbe troppo lontano da quanto volevamo segnalare sulle
diverse frasi del pensiero alciateo.

1 Erasmi Roter., Apologia ad blasphemias lac. Stunicœ , in Op. omn., vol. IX,
col. 360, Leida, 1704.
2 Id., Explanatio symboli , in Op. omn., vol. V, col. 354, Leida, 1704.

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BÈZE ET LES ITALIENS DE LYON
(1566)

par Henri Meylan

La controverse qui mit aux prises, en 1566, le réformateur de


^Genève avec un juriste italien, Lodoico Alamanni, lequel cherchait
à répandre ses idées dans FEglise réformée de Lyon, n'est qu'un bref
épisode dans la vie si chargée du successeur de Calvin. Il vaut la
peine néanmoins de s'y arrêter, car ce débat sera évoqué plus tard,
dans les synodes de La Rochelle et de Nîmes (1572) à propos du mot
« substance » inséré dans la Confession de foi , à l'article de la Cène,
et Pierre Ramus ne manquera pas d'en tirer argument dans ses
lettres à Bullinger. De plus, cette dispute au sein de la communauté
de Lyon a donné occasion à Claude de Saintes, le controversiste
catholique, d'attaquer violemment les Calvinistes. Enfin, dans sa
réponse à Alamanni, Bèze nous livre en quelques mots une confidence
sur son passé, qui me paraît être une véritable clef.

*
* *

Il y aurait un livre à écrire sur l'Eglise réformée de Lyon au


XVIe siècle. On a dit bien souvent l'importance de Lyon dans la
vie économique comme dans la vie littéraire de la France : Lyon,
la seconde capitale du royaume, la ville des banquiers et des mar-
chands, la ville des foires, où les idées et les livres s'échangent en
même temps que les marchandises, Lyon cosmopolite que Lucien
Romier, le grand connaisseur du XVIe siècle français, décrivait
une dernière fois dans les pages récemment publiées ici même *,
dans la Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance.
Lyon, « cette autre Corinthe » s'écrie Bèze, en 1564, dans une lettre
à Bullinger qu'il faut citer 2, car elle est l'introduction naturelle
de notre sujet. « Les frères italiens de l'Eglise de Lyon m'ont prié
instamment de t'écrire, pour tâcher d'obtenir notre Zanchi » en qualité

1 Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance , t. XI, 1949, p. 28-42.


Dès sa thèse soutenue à l'Ecole des Chartes sur Jacques d'Albon de Saint-André,
{Paris, 1909), Romier avait mis en lumière la part des étrangers à la prospérité de Lyon,
p. 224 et s.
2 Bèze à Bullinger, 22 avril 1564, Calvini opera , t. XX, col. 297, n° 4102. « Est
enim urbs ilia velut altera Corinthus... *

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236 HENRI MEYLAN

de pasteur. Le moment semblait b


le meilleur des disciples italiens de Calvin à mettre ses talents au
service des Réformés de Lyon ; las des chicanes incessantes que lui
faisaient les Luthériens de Strasbourg, Jérôme Zanchi, au retour d'un
voyage dans les vallées des Grisons, avait pris le parti de se fixer
comme pasteur à Chiavenna, en Valteline. Au même moment Viret
et les pasteurs de Lyon mirent tout en œuvre pour se rattacher.
Bèze, tout en observant une surprenante réserve à l'égard de ce projet,
ne cache pas à Bullinger le profit que l'Eglise de Lyon pourrait en
retirer. « Cette ville, écrit-il, est une autre Corinthe, où nous voyons
affluer beaucoup de ceux dont notre Eglise - entendez Genève -
ne peut ni ne veut tolérer l'esprit jamais en repos. Il est certain que
ces gens-là, dans ce lieu surtout, où l'on peut impunément incliner
soit d'un côté, soit de l'autre, se montreront pleins d'audace parmi
leurs compatriotes, qui n'aiment que trop les subtilités. Si on ne
leur oppose quelqu'un qui soit capable de tenir en bride ces esprits
trop curieux, on peut craindre à bon droit que l'audace des méchants
n'en vienne au point de compromettre les bons. C'est des Italiens
que je parle » ajoute Bèze - et cette précision est de nature à nous
intéresser - « car pour nos Français, bien qu'ils soient des hommes,
je pense que, grâce à Dieu, ils sont bien pourvus, en sorte que, malgré
les machinations de Satan, la vérité du Christ est vraiment bien assise
parmi eux ».
Malgré les instances des frères de Lyon, Zanchi refusa de quitter
les Grisons г, et les Italiens favorables aux idées nouvelles restèrent
sans pasteur, je veux dire sans pasteur qui pût parler leur langue
et entrer dans leurs subtilités. On en vit bientôt la conséquence
fâcheuse.
Parmi les « irrequieta ingenia » dont il parle à Bullinger, Bèze
faisait-il déjà allusion à cet Alamanni qui provoquera, au printemps
de l'année 1566, un débat dont on pouvait redouter les plus graves
conséquences et que les catholiques ne se feront pas faute d'exploiter?
Cela est possible, mais non certain, car nous manquons de renseigne-
ments précis sur le passé de ce personnage.
On ne le connaissait jusqu'ici que par les rares mentions qu'en
fait Bèze, en dehors de la grande épître théologique dont il le gratifia,
le 2 juin 1566, pour le ramener à la vraie doctrine de la Cène.
M. Delio Cantimori, le connaisseur des hérétiques italiens du
XVIe siècle, n'a pas manqué d'analyser cette pièce avec le soin
qu'elle mérite 2.

1 Voir les lettres de Zanchi à Bullinger publiées par Traugott Schiess, dansl a
Bullingers Korrespondenz mit den Graubündnern , (dans la coll. Quellen zur Schweizer-
geschickte , Bd. XXIII-XXV), t. II, p. 505.
2 Cantimori, Eretici Italiani del Cinquecento , Firenze 1939, p. 270 ss. La lettre
de Bèze à Alamanni se trouve dans les Epistolae theologicae de 1573, n° 5.

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BÈZE ET LES ITALIENS DE LYON 237

Mais il existe dans les trésors de la collection Dupuy, à la Biblio-


thèque Nationale de Paris, une lettre inédite, exactement contempo-
raine des événements. Elle a été envoyée à Bèze par un Italien de
Lyon, Cappone Capponi, pour défendre les idées et la personne
de celui qu'il considère comme un témoin de la vérité, injustement
attaqué par les pasteurs de Lyon г. Cette lettre a été copiée, il y a
bientôt un siècle, par Herminjard, mais ni sa copie, déposée au Musée
de la Réformation à Genève, ni l'original lui-même n'ont retenu
l'attention des spécialistes. Si ce document ne nous apprend que
peu de choses sur le débat théologique, il permet cependant d'entre-
voir quelque chose de l'âme et des intentions de ceux que Bèze
considère encore comme des frères égarés, et non des hérétiques
obstinés 2.
Que pouvons-nous savoir de ces deux hommes ? Alamanni est
juriste de métier 8, non théologien ; Bèze le lui fera bien sentir : il
n'est qu'un laïque. Laïque aussi, Capponi, mais de quelle profession,
je ne sais. On peut le rattacher, je crois, à cette grande famille des
Capponi, qui a joué un rôle de premier plan dans les destinées de
Florence, famille de marchands, de banquiers, de politiques, dont un
des derniers ressortissants, Gino Capponi, a écrit, au siècle dernier,
l'histoire de sa cité. Un rameau de cette opulente famille, hostile
aux Medicis, s'était fixé à Lyon, au début du XVIe siècle, et fit
souche en France 4.
Alamanni, non plus que Capponi, n'était pas un inconnu pour
Bèze ; il avait en effet passé par Genève, il y avait même séjourné
assez longtemps. Pour avoir énoncé entre amis des propos peu cano-
niques sur l'état des âmes séparées des corps, il se fit reprendre
dans la communauté italienne 5. L'imprudent s'en tira en déclarant
qu'il ne s'agissait que d'un entretien privé, et qu'il n'en parlerait
plus à l'avenir ; mais la crainte du Magistrat pouvait bien être pour

1 Paris, Bibliothèque Nationale, fonds Dupuy, vol. 104, fol. 48-51, original auto-
graphe.
2 Cinq ans plus tard, revenant sur ce débat dans une lettre à Bullinger, datée du
13 novembre 1571, Bèze les jugera plus sévèrement : « Abhinc quadriennium Lugduni
quidam Pedemontanus valde indoctus, sed admodum impudens, Alamanius nomine,
adjuncto sibi quodam Capone, Florentino, quem vertiginosum esse aliunde quoque
constabat, inter alia portenta spargere etiam coepit Corpus Christi absurde a nobis
constitui pro re sacramenti... » Cf. Cantimori, ouvr. cité , p. 271.
3 Notre Alamanni, piémontais, ne me paraît pas avoir le moindre rapport avec le
célèbre lettré de Florence, Luigi Alamanni, qui mourut en 1550.
4 L'aide très obligeante que m'ont apportée M® Jean Tricou, notaire à Lyon, et
mon confrère René Lacour, archiviste départemental, ne m'a pas permis de rattacher
de façon certaine l'ami d'Alamanni à la branche lyonnaise des Capponi de Florence,
mais cela me paraît extrêmement vraisemblable. Plusieurs personnages portant le
nom de Cappone Capponi, ou Cappone de Capponibus, paraissent dans les registres
des notaires lyonnais, entre 1560 et 1572. Cf. Charpin-Feugerolles, Les Florentins
à Lyon , Lyon, 1893, pp. 44 ss.
5 « Meministi, opinor, quum hic quoque in fratrum coetu reprehensus esses »,
lui écrit Bèze, cela pourrait s'entendre de la Compagnie des Pasteurs, mais j'ai cherché
en vain la moindre mention de cette affaire dans les registres.

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238 HENRI MEYLAN

quelque chose dans cette promesse,


n'avaient pas les mêmes raisons de veiller sur l'orthodoxie des
Réformés, Alamanni semble avoir pris sa revanche, jusqu'à se vanter
d'avoir fermé la bouche au réformateur de Genève.
Quant à Capponi, il doit avoir vécu en France depuis quatre
ans environ (1562) ; il dit avoir séjourné à Montauban, mais c'est
à Lyon qu'il a fait profession de la foi réformée et qu'il s'est rallié
aux idées de son ami.
La lettre de Capponi à Bèze est écrite en un français fortement
italianisé 1 ; c'est un véritable plaidoyer « pro domo » contre les in-
justes imputations des pasteurs de Lyon, qui n'ont pas voulu les
entendre. Nos Italiens se sentent seuls, et mal compris. Ils sont
pauvres ; pas question pour eux de faire le voyage de Genève 1 «Car
d'aller ou venir par devers vous, comme le vouldrions bien, ledit A
Lamanny et moi... en avons si peu de moyens et tant d'empesche-
ments qu'il nous est de tout impossible le pouvoir faire pour le
present ». Pour sa part, Capponi est affligé d'un frère puîné que Dieu
lui a baillé pour punition de ses péchés, « le plus cruel et barbare que
homme que feut et sera jamays en terre ». Ils sont en procès l'un
avec l'autre, « pour ce qu'il n'entreprend... que m'oster le pain de
bouche par tous moyens qu'il peult excogiter... seulement pour
me cuyder faire changer Religion ». Au point, ajoute-t-il, « que je
suys presque le pain querant».
Son ami Alamanni n'est pas mieux partagé ; il est pressé de toutes
sortes d'occupations « pour gaigner sa pouvre vie du jour au lendemain,
en sa profession de loix et cours civil ». Il est, au surplus, « dénué
de toutes autres commodités entièrement, n'ayant, je vous asseure,
en toute sa bibliothèque et Theologie, qu'une pouvre Bible seulement ».
Il ne se donne pas pour un docteur, « luy qui au reste ne se mesla
jamays de ce mestier, ne s'estimant rien plus qu'un simple apprentif,
venu nouvellement, com'il confesse, sans avoir jamays pensé de
venir en ung si grand combat et assaultz ou il se trouve ». Mais
c'est à Dieu qu'il a plu de le susciter et appeller, à « l'exemple de
plusieurs autres de nostre temps que Dieu a ainsi envoyés et reveillés.
Desquels, ainsi bas, humbles et contemptibles quant au monde,
il s'est miraculeusement servi et le fera, comme de tout temps est
advenu ».

1 Le fait d'écrire à Bèze en français, au lieu d'employer le latin, pourrait être l'indice
que Capponi est un marchand, non un universitaire. Capponi a écrit sa lettre, le 9 juin,
alors qu'il venait de prendre connaissance de la grande épître théologique de Bèze à
Alamanni, du 2 juin, apportée à Lyon par Messire Philippe Busticii. Il nous manque
malheureusement les lettres écrites trois semaines auparavant par nos deux Italiens au
réformateur de Genève, ainsi que la réponse de Bèze à Capponi. Le porteur peut être
identifié sans hésitation avec le médecin de Crémone, réfugié à Genève dès 1555, qui
fut le premier traducteur de la Bible protestante (Cf. Léon Gautier, La médecine
à Genève... p. 43 ss.).

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BÈZE ET LES ITALIENS DE LYON 239

Capponi ne craint pas de se porter garant de la pureté de vues


et de la droiture d'intention de son ami. « Je vous stipule bien pour
lui... qu'il le fera fidelement et rondement [Г examen des arguments
théologiques de Bèze], toute cavillation et sophisterie rejetée
et bannye de ses pappiers, com'ennemi mortel que je l'en ay toujours
cogneu ». Ce qu'il demande, c'est que la pure vérité de Dieu demeure,
sans qu'il y ait en lui la moindre passion non que haine ou appétit
de vengeance contre personne, même s'il arrivait que son intention
ne fut bien fondée, comme il le croit avec tous ceux qui lui adhérent.
En ce cas, il serait prêt à «confesser et déclarer qu'il a pu errer comme
homme et s'arranger, comme il a toujours offert publiquement
et moi aussi ». Mais il faudrait que leurs adversaires, « vos freres et
compaignons d'ici 1 » fussent dans les mêmes dispositions, au lieu
qu'ils ont recours à toute sorte « d'espouventemens, intimidations
et menasses, qu'ils nous font journellement ». Nos Italiens peuvent
invoquer à cet égard non seulement le témoignage du commun,
qui est prêt à dire la vérité, mais encore un grand personnage, qui
n'est autre que le gouverneur de Lyon, Monseigneur de Birago,
« qui en est entièrement et parfaitement certifié » et qui en sera,
pour le moins, cru.
On ne s'attendait guères à voir intervenir en cette affaire le trop
fameux Birague, qui mourra cardinal de la sainte Eglise romaine,
après avoir été garde des sceaux et chancelier de France, et dont la
statue en bronze, signée Germain Pilon, devait immortaliser la
figure 2. Sans doute est-ce comme compatriote d'Alamanni et de
Capponi que le gouverneur a prêté l'oreille à leurs doléances, car il
n'a jamais passé pour favoriser les huguenots au royaume de France !
« De ma part, continue Capponi, je ne craings rien la, Dieu
mercy, pour la fermeté que j'ay en la providence et aide sien, avec
l'asseurance de la vérité du faict et de ma bonne concience en cest
endroict, estant meshuy assés cogneu et assés approuvé par toutes
les meilleures et plus grandes maisons, indifféremment de ce Royaume
et aillieurs, tel que je sois ». D'avoir adhéré à l'opinion de M. Alamanni
ne lui a rien enlevé de l'estime dont il jouit auprès de ceux qui n'ont
ni passion ni intérêts particuliers en cette matière, quelle que soit
leur religion.

1 Les pasteurs de Lyon, plus nombreux que partout ailleurs, dès 1562, avaient
été successivement privés, au cours de l'année précédente, de Jacques Rufïy, un pro-
vençal, compromis dans l'émeute du 25 juin 1565, de Pierre Viret, le réformateur vau-
dois, et de David Chaillet, un neuchâtelois, bannis du royaume comme étrangers, en
août, de Christophe Fabri, enfin, rappelé à Neuchâtel en décembre, après la
mort de Farei. Restaient, si je vois bien, pour tenir tête à Alamanni, Jacques Langlois,
un normand, Jean Boulier dit La Roche, Payan et Pagès, Chassanion, du Velay ; et
Jean François Salluard, du val d'Aoste. (Cf. A. Puyroche, dans le Bulletin historique
et littéraire , publié par la Société d'Histoire du Protestantisme français, t. XII, 1863,
p. 480 ss., avec les corrections de Bernus, ibidem , t. XXXVII, 1888, p. 175.
2 M. Jean Babelon a publié dans La Gazette des Beaux Arts (mars-avril 1920) un
article sur le médaillon en bronze doré de Birague, exécuté par le même artiste, légué
à la Bibliothèque Nationale par le chevalier de Stuers.

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240 HENRI MEYLAN

Alamanni avait été dénoncé à Genève comme tenant et suivant


un « méchant » train. Son ami s'en indigne : « Car je vous puis asseurer,
Monseigneur, sur ma vie et sur mon honneur, qu'on vous a très mal
informé entièrement, et qu'il n'y a rien moins en luy par tout cecy,
voire par consequent la moindre soupçon d'en craindre rien... Car
quand il en seroit ainsi, je m'accuse coulpable avec luy, et vous
diz et confesse ingenuement que j'auroye, comme l'on diet, part
au gatteau. A quoy je ne voudroye en façon que ce feust avoir pensé,
Dieu m'en veuille garder, puys qu'il m'a faict la grace que ne suys
en ceste reputation jusques icy ». Mais, continue-t-il, « il ne nous est
pas besoing ny d'avoir faict ou comiz la moindre faulte, non que
mener telz trains, attendu que nous pouvons dire d'avoir au jourd'huy
plus d'ennemiz que de cheveux en teste, contre lesquels... le Seigneur
nous a miraculeusement gardez et preservez jusques icy... et nous
fera concister par sa misericorde, tant que tenderons a sa seule
gloire et a son pur service, selon l'Evangile de Jesus Christ, com'il
nous a faict ce grand honneur de nous y appeler et schoisir... estans
au surplus du tout paisibles et dociles, Dieu mercy, et non pas par
adventure moings bien vivans et gens de bien que plusieurs autres ».
On ne peut s'empêcher de ressentir un certain agacement à la
lecture de ces longues phrases, où l'orgueil spirituel perce sous les
formules de politesse et d'obséquiosité. Et, sans doute, Bèze déjà
l'aura senti. Mais il y a une autre chose, et qui a dû paraître d'emblée
suspecte au fidèle disciple de Calvin qu'il a été toute sa vie, depuis
le jour où il avait gagné Genève.
C'est la question de l'autorité du maître, que Capponi n'a pas
craint d'aborder. « Monseigneur, il faut que je vous dize une chose
que j'ay sur le coeur, car je vous suys trop serviteur affectionné
et obligé (comme je vous ay des ja escrit) pour la taiser ou dissimuler,
et a ceulx a qui cela peult attoucher. C'est que je deplore grandement
la condition de nostre siede, que ayant ouy, cogneu et frequentò
despuis quattre ans passés en ça, tant en ce lieu (ou j'ay, par la grace
de Dieu, faict profession de nostre Religion) que Montauban et en
ceste ville, un bon nombre d'espritz rares et excellens qui ont abban-
donné leurs biens et vies pour la gloire de Dieu et si bien et horeuse-
ment travaillé et prouffitté a planter l'Evangile en ce Royaume par
leur ministere, pour l'abbollition des erreurs et abbuz qui regnoient
et sont encores, estans doués de dons et graçes singulières pour faire
tant de bonnes choses pour la gloire de Dieu, l'édification de son
Eglise, a leur salut et de tous les esleuz, c'est, dis-je, qu'il faille
qu'ilz se perdent aujourd'huy et s'amusent si opiniastrement et se
bandent pour maintenir aucungs personnages qui ont escript et
enseigné de nostre temps, voulant faire et rendre eulx et telz escriptz
com'ung oracle, inferer et sustenir qu'ils n'ayent peu en rien errer,
ores ny pour l'advenir ; qu'est de tout impossible, si on regardera

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BÈZE ET LES ITALIENS DE LYON 241

bien les escriptures, et qu'en est de tout temps advenu, de ceulx


que leur ont esté predecesseurs, devanciers et enseignens, ainsi
que vos escriptz mesmes le contienent tout au long. »
Ce n'est rien de moins en effet que Г infaillibilité de Calvin que
Capponi dénonce de la sorte, et la rigidité de ses disciples à maintenir
la vraie doctrine du maître dans les Eglises réformées de France.
Mais il n'en a pas fini avec la requête qu'il adresse au successeur
de Calvin.
« Certainement, Monseigneur, je leur vouldroye bien faire entend
en tòutte humilité et selon ma petite capacité, qu'ilz n'en viendront
jamays a but, et que outre ce qu'ilz feront apertement resistence
a la vérité et parolle de Dieu, et la pluspart contre leur propre
concience, que encores ilz obscurcissent, voire anéantissent tant de
grands chiefz d'euvre qu'ilz ont faictz pour l'avancement de l'Evan-
gile, diminuent universellement la bonne oppinion qu'on a eu d'eulx
jusques icy et, qui piz est, sont en dangier que leur memoire ne
demeure a cause de çe, tout autre qu'on s'est imaginé et que je ne
vouldroye... s'ilz n'y veulent d'eulx mesmes scienment prejudicier. »
Ce n'est pas faute pourtant d'avoir été avertis que les pasteurs
de Lyon ont fermé l'oreille aux témoins de la vérité. « Je leur le ay
assés dit et escript aussi par quelque tracté ' qu'ilz ne peuvent
ignorer, et Dieu l'a volu contre mon gré et pensée. » Copponi supplie
Bèze d'y penser et songer d'un peu près, pour l'amour et fraternité
qu'il leur porte. « Car nous ne sommes pas si vieux que nous ne puis-
sions veoir quelque chose accompli de ceste miene prophetie fondee
par la vérité en tant d'exemples, veu com'il plaict au Seigneur
dispouser les affere et manifester ses secretz de eage en eage, selon
sa grande sagesse incomprehensible et providence en la vraye intel-
ligence et manifestation de sa volonté par sa parole, et sera en tout
temps jusque a la fin du monde, a l'exemple du passé. »

*
* *

Il est fort douteux que Bèze ait pu prendre en bonne part ce


que Capponi lui écrivait ainsi, pour le zèle qui le poussait, en s'excu-
sant de l'avoir fait si librement, « selon son naturel ». Nous ne connais-
sons pas plus la réponse qu'il fit à Capponi que la lettre antérieure
à laquelle celui-ci répondaitě Mais nous possédons fort heureusement
la lettre du 2 juin à laquelle Capponi faisait allusion dans sa réponse,
et où Bèze mettait Alamanni en demeure de renoncer à ses erreurs
théologiques. Cette pièce, à laquelle Bèze lui-même attribuait une
valeur durable, puisqu'il l'a insérée dans le recueil de ses Epistolae

1 Ce traité de Capponi semble perdu. Noter la mention d'une prophétie, cela


revient fréquemment chez les Italiens étudiés par M. Cantimori.

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242 HENRI MEYLAN

theologicae (1573), nous ramène s


plus des personnes, comme celle de Capponi. C'est vraiment l'ortho-
doxie calviniste qui est en cause
L'adresse déjà : « à Alamani, le troubleur de l'Eglise de Lyon »,
ne laisse aucun doute sur l'attitude que Bèze a prise à son égard.
L'absence de toute salutation, la brièveté de l'exorde, qui écarte
tout ce qui ne touche pas au sujet, ne sont pas moins significatifs.
« Sache seulement », écrit Bèze, en réponse, sans doute, à des protes-
tations de politesse, « que je suis tel que je fus, tel que tu m'as connu
jusqu'ici. Je me suis plaint à toi de ce que tu troublais l'Eglise où
tu résides. Mais moi, dis-tu, je ne l'ai pas fait ni pensé, jamais je
n'aurais voulu le faire. Ce que tu as pu penser et ce que tu penses
maintenant, je ne te le demande pas. Ou plutôt, comme le commande
la charité chrétienne, je te concède que ton propos n'a pas été de
troubler l'Eglise. J'affirme cependant que, de propos délibéré ou non,
tu as troublé l'Eglise. Si tu devais y persister, sans aucun doute tu sen-
tirais la main vengeresse de Dieu ; ce n'est d'ailleurs pas ce que je
souhaite, mais plutôt que tu te réconcilies avec l'Eglise, et que tu
passes en paix une vie heureuse. »
Deux questions se posent au sujet d'Alamanni, l'une de forme,
l'autre de fond, l'une de droit, l'autre de fait. Bèze les énonce suc-
cessivement à son interlocuteur avec une redoutable précision, afin
de le contraindre à s'avouer coupable. Son argumentation tend à
prouver qu' Alamanni n'a pas le droit de jeter le trouble dans la
communauté de Lyon, en y propageant ses idées personnelles. Avec
une rigueur de juriste, Bèze procède à sa démonstration : « Celui-là
est dit troubler, qui viole l'ordre sacré et fixé par les lois. Or tel
est l'ordre établi par le Fils de Dieu dans les Eglises et observé invio-
lablement par tous les vrais Prophètes et Apôtres, que nul n'enseigne
dans l'Eglise s'il n'a reçu vocation (« ut nemo nisi vocatus doceat
in Ecclesia »). La vocation d'enseigner l'Eglise est double, l'une est
ordinaire, l'autre extraordinaire. « Il te faut donc faire la preuve
de l'une ou de l'autre, ou t'avouer fauteur de trouble, toi qui par
tes doctrines particulières entres en conflit avec les ministres de
Lyon, de vive voix et par écrit. » D'alléguer une vocation ordinaire,
impossible ; une vocation extraordinaire, mais celle-ci n'a lieu que
là où il n'y a point ou presque point de ministre régulièrement appelés,
comme de notre temps dans la papauté où ceux-là mêmes qui le
seraient ne s'acquittent point de leur fonctions, soit qu'ils enseignent
le faux au lieu du vrai, soit qu'ils soient des chiens muets, soit qu'ils
déshonorent l'Eglise par leurs mauvaises mœurs. Mais, même en

1 L'original de Bèze a disparu ; mais le vol. 103 du fonds Dupuy contient, fol. 161
et 153, deux fragments de cette lettre, dès les mots : « Quaesivi ex te..., », qui dif-
fèrent fréquemment, mat sur des détails, du texte imprimé par Bèze dans ses
Epistolae theologicae.

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BÈZE ET LES ITALIENS DE LYON 243

ce cas, il n'y a pas lieu sans distinction à vocation extraordinaire ;


c'est à Dieu qu'il appartient, quand bon lui semble, d'appeler hors
de l'ordre, ainsi nombre de prophètes choisis hors de la tribu de
Levi, et le Christ lui-même, prêtre selon l'ordre de Melchisedech,
qui a enseigné la vérité dans le Temple contre les scribes et les
Pharisiens. Mais rien de tout cela ne peut être mis en avant par
Alamanni, car l'ordre légitime de la vocation est maintenant restauré
dans les Eglises chrétiennes. Et d'ailleurs, même aux débuts de la
Réforme, Luther et Zwingli pouvaient se prévaloir d'être l'un docteur
en théologie, l'autre curé ordonné dans l'Eglise du pape.
Le seul moyen de se justifier serait de prouver que les pasteurs
de Lyon, légitimement appelés, errent quant à la doctrine ; mais pour
se persuader cela, il faudrait qu'ils eussent un enseignement différent
de celui des autres Eglises de France, ou bien encore que toutes les
Eglises de France eussent défini leur doctrine à la légère ou sur l'auto-
rité de n'importe qui. Mais Alamanni ne peut ignorer que, sur le
point particulier qu'il soutient, il a contre lui les Eglises du monde
entier, aussi bien les Catholiques et les Luthériens que les Réformés.
C'est tout de même chose étonnante et presque incroyable qu'un
simple particulier dans l'Eglise, un élève, non un docteur, et qui sait
quels furent ceux qui ont instauré de notre temps tant d'Eglises,
puisse du premier coup se persuader à lui-même et veuille persuader
aux autres une doctrine manifestement contraire aux confessions
de foi de toutes les Eglises, à la Confession d'Augsbourg, à l'Accord
de Zurich entre les Eglises de Suisse et des Grisons, à la Confession
Helvétique.
A ces arguments qui définissent la position de l'orthodoxie calvi-
niste, Bèze ajoute des remarques de bon sens, au sujet de la dispute
publique que demandait Alamanni . Si, toutes les fois qu'un obstiné
a des doutes sur tel ou tel point, il fallait assembler toute l'Eglise
et instituer des disputes publiques, l'Eglise ne serait plus qu'une
fabrique de plaidoiries (« altercationum officina »).
Et Bèze de terminer la première partie de sa lettre en rappelant
à Alamanni sa mésaventure de Genève et en le replaçant devant le
dilemme inéluctable dont il avait énoncé les termes en commençant.

*
* *

Sur quoi donc portait l'opinion particulière que s'obstinait à


mettre en avant Alamanni ? C'était sur la notion de la présence
du corps du Christ dans la Cène, affirmée comme une présence maté-
rielle par les Catholiques et les Luthériens, comme une présence
spirituelle par les Réformés de Suisse, depuis le Consensus Tigurinus
de 1549. Alamanni, par contre, poussant à l'extrême la conception

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244 HENRI MEYLAN

symbolique de la Gène défendue pa


du corps et du sang dans la Gène,
spirituels accordés au fidèle.
Nous ne savons pas comment l'aff
avec les pasteurs de Lyon n'ont pa
t-il г, et c'est à un auteur catholique, Claude de Saintes, que nous
devons le texte des six thèses qu' Alamanni avait rédigées, sans doute
en vue d'une dispute publique avec les pasteurs de Lyon 2. Il importe
donc de les faire connaître :

1. Dans ce sacrement de la Gène, rien ne nous est donné à manger


ou à boire de la substance du corps de Christ.
2. Pas même par la foi, ou de manière incompréhensible, comme
ils disent.

3. Car tout cela est imaginaire et va contre la Parole de Dieu


la plus manifeste.
4. Cette manducation du corps et du sang de Christ, nous affir-
mons qu'elle est purement spirituelle.
5. Les fidèles doivent y apporter vraie foi et repentance, ainsi
que l'action de grâces pour les bienfaits que nous recevons de Dieu
par Christ.
6. Bien que le Christ ne soit point absent de ses fidèles, nous
affirmons sans varier que la substance de son corps n'est pas présente
dans cette Cène.

1 Nous en sommes réduits, sur ce point, au résumé quelque peu tendancieux qu'en
a fait Bèze dans sa réponse à Claude de Saintes (1567) : « Paucis tamen Lodovici illius
factum aperiam. Is licet sese lurisconsultum, non Theologům proflteretur, sed quod vere
possum ut de homine mihi non ignoto dicere, ut qui satis diu hic apud nos sit versatus,
majoris multae audaciae quam judicii, et eruditionis sane perexiguae vir, sive ut sese
venditaret alioqui valde egens (quod tamen in ipso limine reprehendo) sive hunc eum
pertrahente levitate quadam ac temeritate, coepit nonnulla inter imperitos quosdam
jactare de Coena Domini, iis non dissimilia quae Lutherus olim Zvinglio impingebat,
quasi videlicet a Coena omnem ipsius carnis et sanguinis Domini Kotvtovtav excluderet.
Vocatus ob earn causam de more ad Ecclesiasticum (juváÔptov suum dogma sex
illis thesibus comprehensum ob tulit. Ibi reprehensus f actus est pertinacior, ut istud
hominum genus solet, et sive vana confldentia elatus, sive ab hostibus nostris incitatus,
tum apud praefectum urbis [M. de Birague], tum etiam scriptis in aulam literis,
studuit erumpere quantum potuit. Hoc ubi est optimo illi Gardinali, et per ilium postea
Sorbonicis doctoribus nuntiatum, nihil fuit bonis patribus antiquius, quam ut hanc
scintillam quoquo modo possent accenderent. » (Réimprimé dans les Tractaius theologici ,
éd. de 1582, t. II, p. 306.)
2 « Has ergo positiones dedit puri Cinglianismi apud Lugdunenses Lodoicus restau-
rátor :
1. In hoc sacramento Coenae nulla nobis ad edendum aut bibendum datur substantia
corporis et sanguinis Christi.
2. Ñeque etiam per fldem, seu incomprehensibili modo, ut vocant.
3. Quia hoc totum imaginarium, et répugnât apertissimo Dei Verbo.
4. Hanc autem manducationem corporis et sanguinis Christi, spirituálem tantum esse
contendimus.
5. Ad quam pii veram fidem ac poenitentiam afierre debent gratiarumque actionem
beneflciorum quae accepimus a Deo per Christum.
6. Christus licet a suis fidelibus non sit absens, tamen illius substantiale corpus constan-
ter affirmamus non esse praesens in hac coena. ь
Claude de Saintes, Examen doctrinae Calvinianae et Bezanae , 1567, p. 16.

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BÈZE ET LES ITALIENS DE LYON 245

En s'exprimant ainsi, Alamanni ne faisait que reprendre certaines


thèses familières aux hérétiques d'Italie et d'Allemagne, qui voulaient
achever la Réforme commencée par Luther et Zwingli en tirant
les conséquences dernières de leurs principes, pour aboutir à un
spiritualisme intégral, conforme selon eux à la pure parole de Dieu '
Et, comme de juste, c'était dans le domaine des sacrements, baptême
et sainte Gène, que leur principe critique exigeait des applications
radicales.

On comprend sans peine la réaction des Réformés de Lyon en


face de cette doctrine qui sapait les affirmations essentielles de Calvin
sur la présence réelle mais spirituelle, ces affirmations que Bèze
avait si souvent fait valoir aux théologiens et aux princes luthériens
d'Allemagne lors de ses missions diplomatiques en faveur des Eglises
de France, et qu'il avait développées au colloque de Poissy, en présence
de la reine mère et de toute la cour.
Je renonce à m'engager ici dans la longue argumentation par
laquelle Bèze cherche à convaincre son interlocuteur a.
Les discussions suscitées par les idées d'Alamanni n'avaient pas
échappé à leurs adversaires catholiques. Informé de ce qui se passait
à Lyon, Claude de Saintes jugea le moment venu d'intervenir, afin
de mettre en pleine lumière les contradictions des Calvinistes de
Lyon et de leurs « rabbis »8... Il y voyait déjà l'amorce d'un schisme
et la preuve qu'il était impossible de maintenir l'unité de doctrine
hors de l'obédience romaine.

La lettre qu'il écrivit, le 30 mai 1566, au cardinal de Lorraine


laisse voir, non sans quelque naïveté, le profit qu'il escomptait de
cette dissidence parmi les Réformés de Lyon. Sur la requête instante
de ses amis, il consent à détacher du gros livre qu'il avait alors
en chantier sur la matière de l'Eucharistie, les pages dirigées contre
Calvin et Bèze, sous le titre : Examen doctrinae Calvinianae et Bezanae
de Coena 4.

1 Cf. Cantimori, ouvr. cité , passim.


2 La seconde partie de la lettre de Bèze est consacrée à cette discussion. Partant
de la distinction augustinienne du « sacramentum » et de la « res sacramenti », du signe
visible et de la grâce invisible, Bèze s'efforce d'amener son interlocuteur à reconnaître
que sous les signes matériels du pain et du vin, le corps même du Christ est donné au
fidèle pour sa nourriture, et que l'âme en ressent les effets spirituels. Pas plus que
l'organisme physique ne peut se nourrir s'il ne consomme des aliments, pas davantage
le fidèle ne peut-il avoir la vie s'il n'est uni au Christ mystérieusement, mais réelle-
ment.

3 Né en 1525, dans le Perche, chanoine régulier de Saint- Augustin à Saint-Chéron,


Claude de Saintes étudia au Collège de Navarre, à Paris, et obtint en 1555 le bonnet de
docteur en théologie. Il prit part au colloque de Poissy, avant d'être délégué par son
Université au Concile de Trente, et intervint à plusieurs reprises dans les controverses
du temps. Evêque d'Evreux (1574), il se jeta dans la Ligue et entra en conflit avec le
Parlement de Caen, pour avoir refusé les sacrements aux partisans catholiques d'Henri
de Navarre. Il n'existe pas, que je sache, d'étude récente sur ce personnage remuant,
qui mourut, dit-on, au château de Crèvecœur, en 1591, alors qu'il était sous le coup
d'une sentence capitale.
4 La lettre au cardinal de Lorraine ouvre ce volume.

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246 HENRI MEYLAN

On sait avec quelle vigueur Bè


prétendait, comme jadis Jean Eck
enfoncer le coin au cœur de Г arbre, et faire éclater Г inconsistance
doctrinale des disciples de Calvin et de leur maître. Une virulente
controverse s'ensuivit, avec répliques et dupliques 1.
Aux côtés de Bèze, Antoine de Chandieu, Tune des meilleures
têtes du protestantisme français 2, tint à dire son mot pour rabattre
la jactance du moine, en réduisant à sa juste mesure la proportion
des débats lyonnais 3. Loin d'avoir provoqué dans la communauté de
Lyon une dangereuse scission, note Chandieu dans sa Refutado ,
Alamanni était resté isolé. Il avait suffi aux pasteurs de Lyon de
faire suivre d'une brève réfutation les thèses du juriste italien sur
la Cène pour leur ôter toute efficacité ; personne ne l'avait suivi.
Et Chandieu de railler sans ménagement les espoirs fallacieux que
Claude de Saintes avait nourris. « L'Eglise est-elle déchirée parce
qu'on a tenté de la déchirer, renversée parce qu'on a tenté de la
renverser? Il y a loin, crois-moi, il y a très loin, de l'entreprise à
l'effet, surtout lorsqu'il s'agit de se dresser contre la vérité de Dieu ».

*
* *

Sur ce point-là Bèze et Chandieu avaient vu clair. L'Eglise de


Lyon ne semble pas avoir subi un grave préjudice du fait de ce juriste
qui s'improvisait théologien.
Frappé d'une sentence d'excommunication jusqu'à ce qu'il vînt
à résipiscence, Alamanni ne semble pas avoir tenté d'en appeler
au Synode général des Eglises réformées de France, qui se réunit
l'année suivant à Yertueil. Il prit le parti de s'en aller et de gagner
Constantinople, en compagnie d'un riche marchand de Lyon, de
la famille des Laurencin. C'est ce que nous apprend la note significative
que voici, ajoutée au dos de la lettre de Capponi à Bèze :
« Troubleur de l'Eglise de Lyon et depuys s'estant rendu juif
avec Laurensin, riche marchant de Lyon a Constatinople ».

1 Cf. Paul Geisendorf, Théodore de Bèze , Genève 1949, p. 274 s.


8 L'étude biographique d'Auguste Bernus, Antoine de Chandieu d'après son journal
inédit , dans le Bulletin , t. XXXVII, 1888 (et tirage à part, de 132 p.), a gardé
jusqu'à ce jour toute sa valeur, telles étaient l'étendue et la sûreté d'information de ce
très grand érudit. Mais il reste à faire une monographie sur l'œuvre écrite de Chandieu
qui me semble avoir contribué pour une large part à introduire chez les Réformés de
langue française les procédés de la logique aristotélicienne dans la tractation des
« lieux » théologiques. (Cf. mon essai sur Claude Aubery et l'affaire des Orationes (1588).
Université de Lausanne, IVe Centenaire. Publications de la Faculté de théologie,
1937.)
3 La Refutado libelli quem Claudius de Sainctes monachus edidit... (1567), dont je
n'ai pu voir l'édition originale, a été réimprimée dans les Opera theologica , publiés en
1592, après la mort de Chandieu (p. 331-342 de la 2e édition).

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BÈZE ET LES ITALIENS DE LYON 247

La réponse de Bèze à Claude de Saintes confirme ces données,


trop brèves au gré de notre curiosité x. Qu'est-ce à dire ! Alamanni se
serait-il converti au judaïsme, passant du temple à la synagogue,
pour n'avoir pu supporter ce qui chez Calvin et. ses disciples rappelait
encore l'affirmation catholique de la présence réelle ? Le refus du
dogme de l'Incarnation l'aurait-il ramené, par souci de spiritualisme
intégral, au culte de l'ancienne Alliance?
On serait tenté de spéculer là-dessus, si l'on ne se rappelait oppor-
tunément l'importance d'un courant judaïsant dans la chrétienté
orientale, dont l'influence s'est exercée précisément sur certains
tenants des idées antitrinitaires en Pologne et en Transylvanie,
comme l'a montré M. Stanislas Kot dans ses conférences du Collège
de France sur le Mouvement antitrinitaire aux XVIe et XVIIe siècles 2.
Est-il téméraire de supposer que notre Piémontais s'est laissé
enrôler sous cette bannière ? Ce qui est certain, c'est qu'on l'accuse
encore de « dogmatiser et prêcher la secte judaïque », lorsqu'il repa-
raît à Lyon, quelques années plus tard, en 1571. Mais cette fois-ci,
ce n'est plus le Consistoire réformé, c'est le Chapitre métropolitain
qui s'inquiète de cette propagande et qui ordonne d'y remédier,
en communiquant la chose aux gens de M. l'archevêque 3. Dès lors,
on perd complètement sa trace 4.

*
* *

Reste Bèze, ou plutôt un a


nesse qu'il importe de recu
ment inaperçu jusqu'ici. A
ne désespérait pas encore de

1 Ici encore Bèze est notre seule source d'information. « Repressus ille a Lug-
dunensibus publico etiam scripto, brevi quidem ilio, sed minime inepto, nemine prorsus
quantum intelligi potest ilium assentante, praeter unum quendam cui nemo sanus irasci
velit, tandem etiam, sic postulante ipsius pervicacia, ex Ecclesia ejectus, pro nullo
jam miser habitus donee resipisceret, ad Iudaismum, abducto in idem exitium locuplete
quodam ex ipsis quos vocant catholicis Lugdunensi mercatore, Constantinopolim
migravit. » Ad F. Claudium de Saínetes apologia prima (1567).
2 La remarquable synthèse de M. Stanislas Kot a été publiée ici-même, Humanisme
et Renaissance , t. IV, 1937, et tirée à part (105 pages). Sur le courant judaïsant,
cf. p. 112 ss.
3 Voici le texte des délibérations du chapitre Saint-Jean, que M. Lacour a bien voulu
transcrire pour moi sur le registre original, coté 10 G 130, au fol. 146 : « Le sieur doyen
a diet que, puys certain temps en ça, est arrivé ung nommé Ludovico Alamani qui
dogmatize et presche la secte judaïque, qu'est une chose dangereuse et scandaleuse
qui ne doibt estre tolleree ny permise, a requis et exhorté le chappitre d'adviser et
ordonner de remedier que cela ne soit permis ; a esté ordonné que de ce faict il sera
communiqué aux gens de Monsieur l'arche vesque. » (13 juillet 1571). Cité par l'abbé
Pierre Richard, Pierre d'Epinac, archevêque de Lyon (Paris, 1909, p. 47).
4 Si Pierre Ramus le mentionne en passant, dans sa lettre a Bullinger du 3 mars 1572,
c'est comme un exemple, et presque une victime des procédés autoritaires qu'il reproche
à Bèze, « damnatus est Lugduni quidam Alamannus qui vestram hac de re sententiam
tuebatur». Cf. Waddington, Ramus , Paris, 1855, p. 438, où le «Momannus» n'est
qu'une faute de transcription.

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248 HENRI MEYLAN

Bèze ajoutait ces mots d'un ton plus personnel : « Peut-être te sem-
blerais-je, moi aussi, parler avec trop d'assurance, mais je voudrais
que tu te souviennes que je parle au nom de Celui de qui j'ai reçu
le ministère et le pouvoir de parler, bien que je sois indigne et le
dernier des plus humbles pasteurs de l'Eglise. Ne vas pas penser
que je m'appuie sur je ne sais quelle autorité imaginaire, sache
plutôt que c'est par la grâce de Dieu que je crois ce que je dis ; et,
parce que j'ai passé par les mêmes sentiers d'erreurs où je te vois
errer, je puis discuter plus librement avec toi de ces sujets. »
« Quoniam per ea ipsa diverticula ambulavi, in quibus te errare
video 1... » ce simple membre de phrase jette quelque lumière sur
les idées qui furent celles de Bèze avant sa rupture définitive avec
l'Eglise romaine 2. Gagné très tôt, dès 1535, aux idées nouvelles,
chez Melchior Wolmar, à Bourges, par la lecture d'un traité du jeune
Bullinger, le De origine erroris in negotio Eucharistiae ac missae 3,
Bèze semble avoir rompu dès ce moment-là avec le dogme de la trans-
substantiation. Nous savons en outre, par son propre témoignage 4,
qu'il a suivi assidûment les sermons de Claude d'Espence, alors
que celui-ci prêchait à Paris, dans le sens novateur, avant
d'être contraint à se rétracter, tôt après le curé de Sainte-Croix,
François Landry, en juillet 1543. Mais Bèze n'avait pas pour autant
rompu avec l'Eglise officielle ; intérieurement détaché d'elle, il
lui restait extérieurement attaché, quand ce n'aurait été que
par ses bénéfices ecclésiastiques dont il continuait à toucher les
revenus.

La justification qu'il se donnait à lui-même de cette dualité,


qui fut celle de tant de Nicodémites à l'époque, ne serait-elle pas
à chercher précisément dans ce spiritualisme extrême appliqué à
la Cène, qui n'accordait d'importance qu'aux seuls fruits intérieurs
dont se nourrit la foi du fidèle ?

1 Y aurait-il chez Bèze un ressouvenir de la phrase d'Arnobe, « qui per


sectarum deverticula dissipati... » (Adversus Nationes II, 13^ ?
2 Je ne prétends pas ici, est-il besoin de le dire ? traiter le problème de la conversion
de Bèze, qui est à reprendre, mais seulement attirer l'attention sur un texte de Bèze
resté inaperçu, bien qu'il ait été mis dans le domaine public par le principal intéressé,
dès 1573.

3 La lettre de Bèze à Bullinger (18 août 1568) et la réponse de Bullinger (24


ont été publiées par Hippolyte Aubert, l'iniateur de la publication des Lettres de
Bèze, dans le Bulletin , t. 54, 1905, pp. 534 ss. Bèze donnait moins de précisions dans
sa lettre à Bullinger, la toute première, datée du 16 février 1550 ( Calvini opera , t. XIII,
col. 522, n° 1344;.
4 « Audivi te centies Lutetiae conci onantem quo tempore parochus a Sancta Cruce
turpem illam palinodiam cecinit. Audivi, inquam, iis temporibus de te multa, atque
utinam eum semper cursum tenuisses. Iam enim in portu consisteres, aut ab eo certe
propius abesses », écrit Bèze à Claude d'Espence, en 1550.
Ce témoignage de Bèze, qui semble avoir échappé à ses biographes, se trouve
également dans les Epistolae theologicae , n° 43. M. Evennett a eu le mérite de signaler
l'intérêt de cette pièce, Revue historique , t. 164, 1930, p. 41 note 2. M. Nathanael Weiss
avait retrouvé la confession de foi imposée à Claude d'Espence par ses juges : il ne
semble malheureusement pas qu'il ait pu la publier (cf. Bulletin , t. XXXVII, 1888,
p. 253).

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BÈZE ET LES ITALIENS DE LYON 249

Et ne serait-ce pas aussi le souvenir amer de ces « diverticula »


où il avait jadis erré, qui expliquerait la violence avec laquelle
Bèze, enfin converti, s'est tourné contre les tenants d'un certain
spiritualisme qu'il retrouvait en Suisse, un Sébastien Castellion,
par exemple ? Si cette hypothèse est fondée, on tiendrait, semble-t-il,
la clef psychologique de ce zèle de néophyte dont il a fait preuve,
à maintes reprises, contre tout ce qui s'écartait de la pure doctrine
du Réformateur de Genève, en qui il avait trouvé, après Bullinger,
un second père spirituel.

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES
DU XVIe SIÈCLE, EN FRANCE
par Fernand Desonay

Un des problèmes les plus débattus depuis deux ou trois décennies


est celui du « vrai siècle de la Renaissance », pour reprendre le titre
même d'un article aux allures de manifeste que signait, voici près
de vingt ans, Jacques Boulenger Auparavant, avec une singulière
véhémence - et, il faut bien le dire, une ignorance grave ou une
méconnaissance coupable de certains faits pourtant incontestés -
le professeur d'Upsala Johan Nordstrom, aux pages d'un livre publié
en suédois dès 1929, mais dont la traduction française n'a paru
qu'en 1933 sous le titre : Moyen Age et Renaissance : essai historique 2,
avait entrepris de montrer que le rôle prépondérant attribué à la
Renaissance italienne dans l'histoire de la civilisation n'est qu'une
légende accréditée par l'autorité de Burckhardt. Nordstrom devait
trouver le plus opiniâtre des contradicteurs en la personne d'Italo
Siciliano, dont le verveux essai Medio Evo e Rinascimento 3 est tout
entier consacré à la défense et exaltation de ce miracle italien qui,
de Pétrarque à Léonard et à Michel-Ange, en passant par tant de
savants, de penseurs, d'artistes, de poètes aimés des dieux, nous
propose, aujourd'hui encore, d'authentiques et rayonnants modèles.
A mi-chemin entre ces tendances extrêmes, et s'il s'agit de déter-
miner d'une façon plus précise la part qui revient à l'Italie dans la
tradition littéraire et artistique de la France, je me rangerais volon-
tiers à l'opinion, plus nuancée, de Renaudet : si la Renaissance du
XVIe siècle représente «l'aboutissement d'une lente évolution qui
prenait sa source au cœur du Moyen Age » 4, le mérite des humanistes
italiens du XVe est d'avoir retrouvé, dans la tradition inaugurée
par Pétrarque, ce qui était perdu : à savoir, la cité antique et la
culture antique 5.

1 II s'agit de l'article liminaire de la revue Humanisme et Renaissance , t. I (1934),


pp. 9-30 (Paris, Droz).
2 Paris, Stock.
3 Tome IX de la «Biblioteca della Rassegna », Milan -Gênes -Rome -Naples, Soc.
anon, editr. Dante Alighieri, 1936.
4 Cf. Le problème historique de la Renaissance italienne , in Bibliothèque d'Humanisme
et Renaissance, t. IX (1947), p. 25 (Genève, Droz).
6 Ibidem , p. 22.

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES 251

Il est bien entendu que je ne songe nullement à nier la valeur


historique de ces Traités médiévaux où ont été mis noir sur blanc
et en latin les principes de l'art d'écrire. Sur Les Arts poétiques du
XIIe et du XIIIe siècle , c'est-à-dire, somme toute, sur la doctrine
et sur la technique littéraires du Moyen Age présentées et commentées
par des théoriciens, M. Edmond Farai a publié, en 1923, un volume
qui demeure classique 1. Mais M. Farai lui-même convient de la
meilleure grâce du monde que les Mathieu de Vendôme, les Geofîroi
de Vinsauf, les Jean de Garlande, s'ils offrent un intérêt documen-
taire, ne font montre d'idées bien nettes ni sur le rôle des facultés
de l'intelligence, ni sur l'application de ces facultés aux fonctions
de l'art. Ce qui manque au Moyen Age, ce n'est pas la curiosité
pour ce qui, dans l'art d'écrire, ressortit proprement au métier 2 :
ce qui lui manque, - c'est-à-dire, ce qui caractérise la Renaissance, -
c'est une forme évoluée du sens et du goût de l'art d'écrire en rela-
tion avec une conception élargie de la dignité et du rôle de l'écrivain.
Comme l'a dit si joliment M. André Chastel à propos de l'art et de
la religion, « il ne s'agit plus », pour qui veut caractériser les théories
littéraires de la Renaissance par rapport à celles du Moyen Age,
« d'un problème de morphologie, mais d'un problème de syntaxe » 8.
Je dirais volontiers que ce problème de syntaxe n'est si passion-
nant, à nos yeux, que dans la mesure où, pour les gens du XVIe
siècle, il fut passionné. Les «manifestes littéraires»: c'est le titre
de cet article. Qui dit manifeste dit climat de fièvre. Voilà qui était
neuf. La Renaissance française n'a sans doute pas découvert le
monde antique, elle n'a pas inventé un idéal d'art fondé sur une
esthétique de l'harmonie universelle, pas plus qu'elle n'a brusque-
ment rompu, dans le domaine religieux, avec la pensée millénaire
du christianisme : mais les hommes de la Renaissance ont, joyeuse-
ment, fortement, audacieusement, affirmé leur originalité. C'est cela
qui compte. Une cassure, en histoire, est bien moins le fait des évé-
nement que le propos des hommes. J'espère montrer tout à l'heure
que des manifestes comme la Deffence et Illustration de la Langue
françoyse de Joachim du Bellay ou la Préface aux Quatre Premiers
Livres des « Odes » de Pierre de Ronsard n'eurent de réelle efficace
que dans la mesure où, signifiant une volonté exacerbée de faire
neuf, ils provoquèrent une tension du potentiel poétique, elle-même
génératrice d'orientations neuves.

*
* *

1 Paris, Champion.
2 Pour le dire en passant, il est he
cimenti dus à la plume de l'écrivain médiéval qui, d'une édition à l'autre, corrige son
manuscrit, combien était vif déjà le sentiment du style grammatical ou littéraire.
d Cf. Bibliothèque d'Humanisme et Renaissance , t. VII (1945), p. 18 (Paris, Droz).

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252 FERNAND DESONAY

Je m'attarderai un instant encore, cepe


Ils marquent la transition entre le mo
veau ; mais bien que leur succès se prolonge jusqu'au-delà de 1550,
ils apparaissent plutôt penchés vers le passé. On le voit bien dans
un texte comme La Concorde des deux Langages, publié au plus tard
en 1511 par Jean Lemaire de Belges '
Œuvre caractéristique de la Renaissance, a-t-on dit, transposition
poétique (surtout dans la description du Temple de Vénus) de l'atmo-
sphère lyonnaise au temps de Symphorien Champier et des premiers
cercles humanistes. Rien d'étonnant que la « concorde des deux lan-
gages » français et italien (le terme « langage » désignant, non seule-
ment la langue et la littérature, mais la culture propre à chacun
des deux peuples) ne puisse se réaliser dans un milieu plus favorable
que Lyon, ville frontière entre la France et la Savoie. Mais quoi
de plus médiéval, de plus banalement allégorisant que le songe tra-
ditionnel, que ce personnel d'abstractions personnifiées qui sort tout
droit du verger fameux du Roman de la Rose ? La mythologie elle-
même n'est guère exploitée à des fins plastiques ; et Jean Lemaire
de Belges ne nous donne presque jamais l'impression qu'il a pénétré
le sens profond de la Fable antique. Quant à la confrontation du
toscan et du français en tant que moyens d'expression, elle se borne
à une défense qui, très vite, tourne court de la langue qu'ont illustrée
Jean de Meun (encore !), Froissart, Maître Alain Chartier, Meschinot,
Arnoul et Simon Greban, Jacques Milet, Molinet, Chastellain, Octavien
de Saint-Gelais. Jean Lemaire rêve d'un utopique rapprochement
plutôt que d'une émulation féconde (à preuve, sa tentative de rimer
le Temple de Vénus en terza rima) ; il rêve surtout d'une union poli-
tique entre la France et l'Italie.
Sur le propos de la conception de la poésie, Jean Lemaire est
- heureusement - plus original. Il a déjà le sentiment des «grâces
infuses » et du « don celestin » impartis à celui qu'il appelle, non sans
ferveur, le « poète » 2. Faut-il y voir, avec M. Frappier, les premiers
linéaments de la doctrine de l'inspiration 3 ? Jean Lemaire connaît,
en tout cas, Marsile Ficin, ainsi qu'il résulte de deux passages des
Illustrations de Gaule... et d'une allusion de la Couronne Margari-
tique ; or chacun sait la place qu'accorde Ficin au « daïmôn » dans
sa synthèse néo-platonicienne.
De même, Jean Lemaire se rapproche déjà des doctrines de la
Pléiade quand il met l'accent, plutôt que sur les servitudes du métier
de « facteur » de vers, de « rimeur » à la fois patient et rebuté, sur la

1 M. Jean Frappier en a procuré une réédition récente, avec une excellente Intro-
duction et des Notes critiques, dans la Collection « Textes littéraires français » (Droz,
1947).
2 Cf. dens le Temple de Vénus , vers 265, 266 et 274.
3 Cf. l'Introduction à l'éd. crit. de La Concorde..., op. cit., pp. XLI-XLII.

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES 253

vertu de l'effort artistique ; bien que le curieux é


tage de Labeur historien » nous le montre surtout p
ce qu'il considère comme son maître livre : les Illustrations de Gaule
et Singularités de Troie .
Je ne crois pas, malgré la présence à la rime du mot « odes »,
au vers 296 du Temple de Vénus , qu'il faille faire, de Jean Lemaire,
un véritable novateur en matière de genres littéraires - nous y
reviendrons : les genres auxquels il reste fidèle sont le lai, le virelai,
la ballade, le rondeau, le chant royal, bien qu'il lui arrive de déco-
cher quelques traits aux amateurs attardés de
Tous vieulz fïajotz, guisternes primeraines,
Psalterïons et anciens decacordes1,

aux joueurs obstinés de « vieulx plectres et cordes » des « gens du


roy Clovis » 2.
Pour la même raison : absence d'intention polémique, manque
de cette volonté de créer du neuf à tout prix, nous négligerons des
ouvrages aussi mornes que 1 * Instructif de Seconde Rhétorique 8, qui
est de 1501, et le Grand et Vray Art de Pleine Rhétorique 4, publié
vingt ans plus tard par Pierre Fabri.
Faut-il donc souscrire à l'opinion qui veut que la Deffence et
Illustration ... constitue «le premier... des manifestes modernes»5?


* *

Depuis une quinzaine d'années, les Américains ont publié, sur


les théories littéraires en France au XVIe siècle, une série d'ouvrages
intéressants. Citons, dans l'ordre chronologique : Three centuries of
French poetic theory , a critical history of the chiefs Arts of Poetry in
France , 1328-1630 6, de Warner F. Patterson ; Renaissance literary
theory and practice : Classicism in the rhetoric and poetic of Italy ,
France and England , 1400-1600 7, de Charles S. Baldwin ; Critical
theory and practice of the Pléiade 8, de Robert J. Clements ; et, de
Vernon Hall, Renaissance literary criticism , a study of its social

1 Vers 248-249.
2 Cf. vers 251-252. - A noter, pourtant, que l'énumération des instruments de
musique est un lieu commun de la poésie médiévale.
3 Publié dans le Jardin de Plaisance et Fleur de Rhétorique (« Société des Anciens
Textes français », 1910 et 1924).
4 Edité par A. Héron, Rouen, 1889-1890, 3 vol.
6 C'est l'opinion que défend M. Verdun-L. Saulnier dans son récent Du Bellay:
l'homme et l'œuvre , Paris, Boivin, 1951, p. 49.
6 Ann Arbor, Univ. of Michigan, 1935, 2 vol.
7 New- York, 1939.
8 Cambridge, Harvard Univ. Press, 1942.

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254 FERNAND DESONAY

contents x. Il y a peu, Bernard Weinberg nous donnait, sous le


titre : Critical Prefaces of the Renaissance 2, un choix de préfaces
caractéristiques qui, à son sentiment, signifient quelque chose dans
le développement des idées littéraires en France, au XVIe siècle.
Je me servirai plus d'une fois des textes ainsi rassemblés sous une
forme particulièrement accessible.
Le terme « préface » est pris, par M. Weinberg, dans son sens le
plus général : c'est-à-dire qu'il englobe aussi bien les dédicaces (ainsi,
la dédicace à Jeanne de Foix, en 1559, de la seconde édition de
YHeptaméron, par Claude Gruget, valet de chambre de la reine
Marguerite) que les prologues.
Une dédicace d'auteur, comme celle de Symphorien Ghampier
à Melin de Saint-Gelais en tête de son Bayard (1525), ou une dédicace
de traducteur, comme celle qu'adresse Jacques Amyot à Henri II
au moment de publier les Vies de Plutarque (1559), ou une dédicace
d'adaptateur, comme celle de Pierre de Larivey à Monsieur d'Amboise
et qui prélude à l'édition des Six Premieres Comedies facecieuses
(1579), voire une dédicace d'éditeur, comme celle que mande à
Jérôme Châtillon Antoine de Harsy, libraire lyonnais, qui procure
en 1574 une édition des Œuvres Poétiques de Melin de Saint-Gelais,
peuvent offrir un réel intérêt. Mais il faut bien avouer qu'en général,
le ton de l'épître dédicatoire - et nous le retrouverons, ce ton, jusque
chez les classiques du XVIIe siècle - n'a guère varié depuis le Moyen
Age : il s'agit, avant tout, de quémander par le détour assez sordide
de la basse flagornerie. L'écrivain proteste qu'il est mille fois indigne
et de son sujet et, surtout, de l'excellence du mécène très illustre
sur lequel il a osé jeter les yeux.
Certes, en 1525, il y a quelque progrès depuis le temps qui n'est
pas si lointain (moins d'un siècle) où un Antoine de La Sale, s'adres-
sant à son élève Jean de Calabre, déclarait de lui-même, en toute
humilité : «... tel fait le mieulz qu'il puelt qui ne fait gueres bien » ;
Symphorien Champier se borne à prier son dédicataire Melin de
Saint-Gelais d'« excuser les faultes de ce petit livre (si aulcunes y
en a ») et de pardonner à celui qui ne s'est peut-être pas élevé, en
matière de « vraye rethoricque Françoyse », à la hauteur de la tra-
duction des « Epistres de Ovide » procurée par l'oncle Octavien et
imprimée par Vérard un quart de siècle plus tôt : il reste que l'inten-
tion est déclarée trop souvent - et sans la moindre vergogne -
de se ravaler, d'une part, de faire appel à la cassette du protecteur,
d'autre part.
La préface elle-même est un genre faux. A proprement parler,
elle n'est pas, au XVIe siècle, un genre littéraire. Mais elle doit être

1 New-York, 1945.
2 Evanston (Illinois), Northwestern Univ. Press, 1950.

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES 255

nettement distinguée de la dédicace, parce qu'elle n'a rien à voir


avec les rapports sociaux et le plus souvent intéressés qui unissent
le dédicateur au dédicataire. Un écrivain profite de la publication
d'un ouvrage pour développer, en manière de « préambule », ou de
« prologue », ou d'avertissement « au(s) lecteur(s) », des considérations
sur l'art littéraire ou sur la technique de tel genre. A partir de la
seconde moitié du XVIe siècle, en France, pareilles dissertations
deviendront de plus en plus nombreuses et plus étendues.


* *

Le manifeste, - j'y insiste, - c'est encore autre chose. C'est,


dans un climat de querelle littéraire, une prise de position, avec ce
quelque chose d'agressif qui semble inséparable des débats qu'allume
et qu'attise la race irritable des poètes.
Entendons-nous bien. Les querelles littéraires ne sont pas nées
avec la Renaissance. Un débat comme celui du Clerc et du Chevalier
remonte au moins au XIIe siècle, et il traversera toute la littérature
poétique du Moyen Age ; mais il s'exprime uniquement dans des
poèmes (latins ou français), ou dans des considérations juridiques.
Pareillement, la Querelle des Femmes, née du contraste entre le
féminisme de Guillaume de Lorris et la misogynie de Jean de Meun,
allait déclencher, à la charnière des XIVe et XVe siècles, une bagarre
où s'affronteront Christine de Pisan et Jean de Montreuil, Jean
Gerson et les frères Col ; encore une fois, il s'agit plutôt d'un pro-
blème social. Dans la première moitié du XVIe siècle même, des
querelles comme celle des Blasons anatomiques (après 1535) ou celle
des Amies (autour de 1540) n'excitent guère que la verve des faiseurs
de rimes. De même que le mouvement se prouve en marchant, c'est
en vers que l'on est délicat ou polisson, que l'on marque son rallie-
ment aux tenants de l'amour éthéré ou aux sectateurs de l'amour bas.
La première querelle littéraire où s'affrontent les théoriciens
est bien celle qui, à partir de l'Ari Poétique François x, de Thomas
Sebillet, daté de 1548, oppose violemment les champions passable-
ment excités du milieu du siècle.
Encore une fois, Sebillet n'est pas le premier à mettre en forme
ses réflexions sur l'art des vers. Dès 1539 a paru, à Toulouse, sous
la plume de Gracien du Pont, un Art et Science de rhetorique metrif-
flee ; mais, comme l'a fort bien vu Ferdinand Brunot et comme l'in-
dique le titre même de ce traité d'ailleurs peu connu, il s'agit, dans
la tradition du Jardin de Plaisance, voire d'Eustache Deschamps,

1 Ce texte a été publié par Félix Gaifle, en 1932 (« Société des Textes français
modernes », Paris, Droz).

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256 FERNAND DESONAY

de la « rhétorique » considérée comme un ensemble de recettes.


Pour passionner le gendelettre il fallait aborder le problème de plus
haut. C'est ce que va faire cet avocat au Parlement de Paris, Thomas
Sebillet, simple amateur au demeurant (il « s'amusoit plus à la poésie
françoise qu'à la plaidoirie »).
L'idée que se fait Sebillet de l'inspiration rejoint en droite ligne,
à travers Jean Lemaire, la notion platonicienne de l'origine divine
de la poésie. Si dans tous les arts brille comme une étincelle du feu
divin, dans l'art poétique surtout apparaît « ce que plus proprement
j'appelleroie divine inspiration » (Livre I, chap. ler)v Le poète lui-
même est l'enfant des dieux, doté par la Vertu divine de « quelque
don divin, et céleste prérogative» (ibidem). Le poète est distingué
du rimeur - toujours comme chez Jean Lemaire de Belges - et
il s'en distingue par l'invention, laquelle est le produit de 1'« enten-
dement et esprit divin » qui lui sont propres (I, 3). Si Dieu a refusé
à l'homme ce don gratuit, - Boileau ne fera que répéter cette opi-
nion qui se lit déjà chez Horace et chez Quintilien, - l'écrivain,
et singulièrement celui qui s'adonne à la poésie, « pour néant se
travaillera-il de dire ou faire en despit de Minerve» (ibidem).
Le problème de l'inspiration est ainsi nettement posé : à la
« nature » poétique, don divin, s'oppose 1'« art » (nous dirions plutôt :
la technique). Mais cette technique, pour Sebillet, « n'est rien que
la nue escorce de Poésie » (I, chap. 1er), et elle se confond - pra-
tiquement - avec « ce qu'on appelle Ryme » (nous dirions plutôt :
la versification).
Bien entendu, Sebillet, qui ne peut agir sur le plan du divin,
s'attachera presque uniquement aux questions de versification. Il
parle du rythme, de la rime, des modèles à suivre : les Grecs ; les
Latins ; parmi les Français, « les vieux Alain Chartier, et Jan de
Meun », et, plus proches, Clément Marot, Melin de Saint-Gelais,
Hugues Salel, Antoine Héroet et Maurice Scève.
Le Livre II sera consacré par Sebillet à montrer, selon ses propres
termes, « toutes les formes et differences dés Poèmes usurpées en
l'art Poétique François, et au passé, et au présent » (Préface) : c'est-
à-dire, somme toute, à une recension des genres. Marotique de
cœur, - on l'a vu, - théoricien, par conséquent, d'une époque de
transition, Sebillet fait de multiples concessions aux genres médié-
vaux. S'il pressent que le lai et le virelai sont condamnés, il s'en
occupe encore quelque peu (II, 13). Volontiers il maintiendrait les
différentes espèces de rondeaux, dont la « vertu premiére » - car
chaque genre a sa moralité ou « vertu » - « est de faire rentrer le
vers ou l'hémistiche tant proprement et tant à propos, qu'il ne
semble pas répété du commencement » (II, 3), la ballade (II, 4),
voire le chant royal (II, 5). Quand il rapproche le « cantique fran-
çois » du psaume (II, 6, lre partie), et s'il parle du blason (II, 10),

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES 257

c'est - évidemment - à Marot qu'il songe : au Marot traducteur


des Psaumes dès 1530 et, vers la fin de 1535, épigrammatiste heureux
du Beau Tétin.

Respectueux de la leçon des Anciens, Sebillet recommande l'épi-


gramme (II, chap. 1er), l'épître et l'élégie (II, 7), l'églogue, dont la
vertu doit être, selon lui, « le Décore dés personnes observé à l'ongle »
(И, 8).
A l'exemple des Italiens, il est partisan du sonnet (lï, 2).
Ce que lui reprocheront aigrement les jeunes théoriciens de la
Brigade, c'est d'avoir osé rapprocher l'indigent coq-à-l'âne de la
satire (II, 9), d'avoir tenté un rapprochement entre moralité et farce
françaises, d'une part, et tragédie grecque ou latine et comédie,
d'autre part (II, 8). Ce qu'ils ne supporteront surtout pas, ni du
Bellay ni Ronsard, c'est ce passage du chapitre 6 du IIe Livre (2e
et 3e parties) qui roule sur l'ode et la chanson. L'ode leur apparaît
comme une chasse réservée. Nul sujet n'a plus échauffé les esprits
que le droit de priorité sur l'invention de l'ode, genre souverain.
J'ai déjà dit ailleurs 1 pourquoi, à mon sentiment, l'Art Poétique
François de Sebillet le cède singulièrement, sous le rapport des réso-
nances, au manifeste-réplique de Joachim du Bellay. Il n'en reste
pas moins que, dépassant hardiment le cadre prosodique des Arts
de seconde rhétorique , l'avocat parisien avait porté le débat sur le
plan philosophique, sur le terrain de la dignité du poète. Si les jeunes
impatients de la Brigade, par la plume volontiers excessive de Joachim
du Bellay, répliquent si vite et par un plaidoyer dont le désordre
même trahit la précipitation, c'est qu'ils ont la sensation entre toutes
intolérable d'avoir été, sur quelques points essentiels, devancés
dans l'expression d'opinions révolutionnaires.
La Deffence et Illustration de la Langue françoyse est, à tout
prendre, une œuvre improvisée : avec tous les manques, les défauts,
les injustices aussi que suppose pareil factum , dû à l'ardeur un peu
maladive d'un jeune garçon de 27 ans qui, s'il a dans ses cartons les
cinquante premiers sonnets de L'Olive , VAnterotique de la vieille et
de la jeune amye et treize essais de « Vers lyriques nouvellement com-
posez », n'a rien publié encore qu'un obscur dizain encomiastique à
la ville du Mans 2.
D'où vient que le manifeste de du Bellay marque une date, et
que l'on a eu mille fois raison de célébrer, le 21 décembre 1949, dans
la grande salle du Palais Soubise, ancien hôtel de Guise qui mérita
d'être appelé « le Louvre des Guises », son quatrième centenaire ?

1 Cf. mon Introduction à la reproduction en fac-similé de Péd. orig. de La Deffence


et Illustration de la Langue françoyse , Lille, Giard - Genève, Droz, 1949.
2 I JEpitaphe de Clément Marot a dû être composée par du Bellay dès la mort de
l'exilé, à la fin de 1544 ou au début de 1545.

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258 FERNAND DESONAY

C'est, tout d'abord, que, contrairement à la dissertation de


Thomas Sebillet, le plaidoyer de Joachim du Bellay a de l'accent,
voire du souffle. Certaines invectives ne manquent pas d'éloquence :
« Que pensent doncq' faire ces Reblanchisseurs de murailles : qui
jour, et nuyt se rompent la Teste à immiter, que dy je immiter?
Mais transcrire un Virgile, et un Cicerón ? batissant leur[s] Poëmes
des Hemystyches de l'un, et jurant en leurs Proses aux motz et
sentences de l'autre : songeant (comme a diet quelqu'un) des Peres
concriptz, des Consulz, des Tribuns, des Commices, et toute l'antique
Rome... Ceux la certes meritent bien la punition de celui, qui ravy
au Tribunal du grand Juge, respondit, qu'il etoit Ciceronien » ; et
plus loin : « Ne pensez donques immitateurs, Troupeau servil, par-
venir au point de leur excellence » (il s'agit des Anciens) : « veu
qu'à grand'peine avez-vous appris leurs motz, et voilà le meilleur
de votre aage passé » (I, 11). Quelle chute digne de Bossuet ! Ou
encore : « О combien je desire voir secher ces Printems, châtier ces
Petites jeunesses, rabbattre ces Coups d'essay, tarir ces Fontaines,
bref, abolir tous ces beaulx tiltres assez suffisans pour degouter
tout Lecteur scavant d'en lire d'avantaige Í Je ne souhaite moins,
que ces Depourveuz, ces humbles Esperans, ces Banniz de lyesse,
ces Esclaves, ces Traverseurs soient renvoyés à la Table ronde : et
ces belles petites devises aux Gentilzhommes, et Damoyzelles, d'où
on les a empruntées. Que diray plus ? Je supplie à Phebus Apollon,
que la France après avoir été si longuement sterile, grosse de luy
enfante bien tost un Poëte, dont le Luc bien resonnant face taire
ces enrouées Cornemuses, non autrement, que les Grenoilles, quand
on jete une pierre en leur Maraiz » (II, 11).
« Puisse la France, grosse d'Apollon, enfanter bientôt un grand
poète » : voilà la vraie formule du manifeste littéraire qui passe à
la postérité, mais qui ne passe à la postérité que parce que la traite
que le théoricien tire ainsi sur l'avenir, les poètes l'ont honorée
au-delà des plus ambitieuses espérances. Les deux manifestes du
surréalisme d'André Breton resteront toujours dans une demi-
obscurité parce que, le surréalisme ayant assigné au langage une
fonction qui, sans doute, excède ses lois plus encore que ses forces,
nous avons déjà fini d'espérer le grand poète surréaliste, mort
- si l'on peut dire - de la propre illusion de son devenir. Tandis
que ces jeunes loups aux dents dures groupés sous l'enseigne de
la Brigade allaient donner, coup sur coup, L'Olive (1549), les Quatre
Premiers Livres des « Odes » (1550), les Amours à Cassandre (1552),
les Continuations des Amours (1555-56), les Regrets (1558).
Dans cette lutte sur trois fronts, qu'il mène, à la fois, pour la
langue française contre les humanistes latiniseurs, pour l'humanisme
contre les Français « si mal equipez », comme il dit, pour l'originalité
d'une poétique qui se veut originale contre un avocaillon de Sebillet

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES 259

insolemment précurseur, Joachim du Bellay défend surtout un


idéal qu'il n'illustre encore que dans la perspective de son espérance.
La langue française est perfectible, beaucoup plus qu'elle n'est
parfaite : c'est le leitmotiv. Rien que dans le 1er Livre, quatre cha-
pitres se terminent sur cette note d'espoir : « Le tens viendra (peut
etre) et je l'espere moyennant la bonne destinée Francoyse,... que
nostre Langue,... qui commence encor' à jeter ses racines, sortira
de terre, et s'eleverà en telle hauteur, et grosseur, qu'elle se poura
egaler aux mesmes Grecz et Romains... » (I, 3) ; « ... nostre Langue
n'a point eu à sa naissance les Dieux, et les Astres si ennemis, qu'elle
ne puisse un jour parvenir au point d'excellence, et de perfection
aussi bien que les autres » (III, 4) ; « Mais le Tens viendra para-
vanture (et je suplye au Dieu tresbon, et tresgrand, que ce soit
de nostre Aage) que quelque bonne Personne non moins hardie,
qu'ingenieuse, et scavante : non ambicieuse, non craignant l'envie,
ou hayne d'aucun, nous otera cete faulse persuasion » - savoir :
la supériorité des Grecs et des Romains - « donnant à notre Langue
la fleur, et le fruict des bonnes Lettres... » (I, 10) ; «... j'ose bien
asseurer, que si les scavans Hommes de notre Nation, la daignoint
autant estimer, que les Romains faisoint la leur, elle » - la langue
française - « pouroit quelsquefoys, et bien tost se mettre au rane
des plus fameuses » (I, 12) ; sans compter que tout le chapitre 9
de ce même Livre Ier roule sur le même thème de la perfectibilité
de la langue française et de l'espoir.
Son espoir, du Bellay le fortifie, non seulement par l'opinion
qu'il a de son génie et de ses amis, mais aussi - c'est là un trait
caractéristique de la Deff enee... et que je tiens à mettre en relief -
par la très haute conscience d'une vocation qui sert, en même temps
que les Muses et le propre renom du poète, la gloire de la patrie.
Qu'il veuille illustrer le nom des du Bellay, ce nom que quatre
frères de la branche cadette, des cousins germains de son père, et
singulièrement le cardinal Jean, ont rendu célèbre, il suffit, pour s'en
convaincre, de relire la dédicace de la Deff erice..., adressée, comme
chacun sait, par Joachim à son cousin le Cardinal К « Rien ne m'a
induyt... à te la dedier », cette œuvre, affirme le jeune Angevin,
« que la grandeur de ton nom ».
Mais l'épître dédicatoire comporte également ceci, qui doit être
souligné: «A l'entreprise de laqueie» - la Deffenee... - «rien ne
m'a induyt, que l'affection naturelle envers ma Patrie ». Ce propos
patriotique, vous le retrouveriez encore dans un passage significatif
du texte lui-même, et précisément tout au début du Livre II, là où

1 Et non à son oncle, comme on l'imprime encore communément. Il est vrai que
Ronsard lui-même a commis l'erreur quelque part (cf. vers 52-53 de l'ode XIV du
L. III). Joachim ne serait le neveu du cardinal Jean du Bellay qu'à la mode de Bretagne.

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260 FERNAND DESONAY

s'exprime « l'intention de l'Aucteur...


« ... pour le devoir en quoy je suys obligé à la Patrie ».
Dans mon Introduction à la reproduction en fac-similé de l'édi-
tion originale de 1549 de la Deffence..., j'ai longuement insisté sur
ce qui me paraît être l'intérêt capital d'un manifeste comme celui-là,
intérêt qui relève beaucoup plus, à mon sentiment, de la question
de l'influence, du retentissement, que du problème des sources, de
l'originalité. Que Joachim du Bellay ait emprunté au Dialogo delle
Lingue de Sperone Speroni défenseur de la langue de si certains
passages (et encore moins nombreux qu'on ne l'a prétendu) x, qu'il
se soit inspiré à plus d'une reprise de Quintilien, le fait n'est plus
contesté ; mais ce double plagiat n'a pas plus d'importance que n'est
important, pour qui veut approfondir le génie de Molière, le problème
des sources du Don Juan . L'élément littéraire que constitue, à l'avril
de 1549, le premier manifeste moderne, c'est que, tout retentissant
qu'il soit d'échos avoués ou non, c'est à demain qu'il songe, et non
pas à hier. Une fois de plus se vérifiait cette tendance propre à la
Renaissance de créer le roman de sa propre nouveauté par l'affirma-
tion, fût-elle tendancieuse, de cette nouveauté elle-même. M. Verdun
L. Saulnier l'a dit excellemment, à propos du Pantagruel : « Dans
l'histoire des idées, toutes les innovations, ou presque, ne sont
jamais que dans l'accent, déplacé ou affirmé » 2.

*
* *

Pierre de Ronsard devait publier, lui aussi, dix-huit ans après


l'Art Poétique François de Sebillet, et dix ans après Y Art poétique
de son ami Jacques Peletier du Mans, un Abbregê de l'art poétique
françois 3. S'il faut en croire le poète, il aurait bâclé cette esquisse
cúrrente cálamo (« en trois heures », précise-t-il) pour donner à un
étranger francisé quelques règles élémentaires sur des questions de
métier et attirer son attention sur la dignité de la poésie.
Le passage qui traite des « Muses... cheres et sacrées, comme les
filles de Juppiter » et qui se clôt sur ce conseil adressé au poète
« animé d'un gentil esprit » de ne rien laisser entrer en son entende-
ment « qui ne soit sur-humain et divin » n'est que le développement

1 Sur les 24 chapitres de la Deffence..., on n'en peut compter que 6 (chapitres 1er,
3, 9, 10 et 11 du L. I, et chap. 3 du L. II) qui, d'après Pierre Villey lui-même, accusent
de ces emprunts littéraux (cf. Les sources italiennes de la « Deffence et Illustration de
la Langue françoyse », Paris, Champion, 1908).
2 Introduction à l'éd. crit. de Pantagruel , p. XXXIX (Collection « Textes litté-
raires français », Paris, Droz, 1946).
3 Pour l'éd. crit. de cette œuvre, voir le t. XIV des Œuvres complètes de Pierre
de Ronsard pubi, par Laumonier (« Société des Textes français modernes », Paris,
Didier, 1949).

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES 261

de Г ode célèbre à Michel de l'Hospital où, dès 1552, Ronsard se


met délibérément à l'école de Platon et de Pindare.
Les considérations techniques s'attachent volontiers à l'union
de la poésie et de la musique (« car la Poësie sans les instrumens,
ou sans la grace d'une seule ou plusieurs voix, n'est nullement
agreable, non plus que les instrumens sans estre animez de la melodie
d'une plaisante voix »). Et ceci me paraît très important, d'autant
que, pour Ronsard, c'est cette alliance entre la poésie et la musique
qui fonde la loi de l'alternance des rimes masculines et des rimes
féminines dans les pièces à rimes plates, et la loi de la régularité
strophique dans les vers proprement lyriques dont se composent
les odes, les psaumes et les chansons.
Ronsard musicien : n'est-ce point le secret de l'originalité la plus
précieuse du plus harmonieux de nos lyriques ?
Pourtant, tournant le dos à cet ... Art poétique ... lacuneux, hâti-
vement troussé, confus par endroits, et qui devait d'ailleurs dispa-
raître des éditions collectives dès 1578, je voudrais revenir, à propos
de Ronsard, sur la célèbre préface aux Quatre Premiers Livres des
« Odes » 2, texte capital.
M. Henri Longnon a pu écrire récemment que (d'année 1550,
où Ronsard publia ses Odes pindariques , est la date la plus impor-
tante peut-être, la plus décisive à coup sûr, de notre histoire litté-
raire » 3.
La préface des Odes de 1550 s'éclaire, comme l'a très bien vu
Joseph Yianey 4, par l'ode XYI du Ier Livre : « A Joachim du Bellai,
Angevin ». C'est l'idée de Platon 5, reprise et condensée par Ovide 6 :
le poète est l'élu de Dieu ; le poète est omniscient, « sans nul travail » 7 ;
le poète, promis à l'immortalité, est donneur de gloire immortelle :
« et les doctes folies de poëtes survivront les innombrables siecles
avenir, criants la gloire des princes consacrés par eus à l'immor-
talité » 8.
Ce qui frappe surtout, dans la Préface de 1550 comme dans l'ode
à du Bellay, c'est l'orgueil magnifique de ce débutant sourdaud qui,
n'ayant derrière lui qu'un léger bagage et le souvenir encore cuisant
d'une vocation militaire entravée par l'infirmité, ose affirmer tran-

1 Cf. surtout l'épode 14 et la strophe 15 (in t. III des Œuvres complètes..., éd.
Laumonier, Paris, Hachette, 1921, pp. 145-146).
2 Pour le texte, voir pp. 43-50 du t. I de Г éd. Laumonier des Œuvres complètes...,
Paris, Hachette, 1914.
3 Phrase liminaire de l'art, intitulé Les déboires de Ronsard à la Cour (in Biblio-
thèque d'Humanisme et Renaissance , t. XII, 1950, p. 60).
4 Pour ce qui regarde ce rapprochement, voir Les « Odes » de Ronsard , Paris, Sfelt,
1946, pp. 10 et suiv.
5 Dans le Phèdre et l'Ion.
6 Dans l'Ars amatoria , III, 548-550.
7 Vers 28 de l'ode XVI du Livre I.
8 Phrase finale de la Préface aux Quatre Premiers Livres des « Odes ».

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262 FERNAND DESONAY

quillement, dès la 3e phrase de l'Ave


quand tu m'appelleras le premier au
tu me rendras ce que tu me dois ». R
de sa valeur en tant que poète lyriqu
sûr de lui. L'accuser, c'est condamner Pindare. Un seul passage
évoque encore les serviles dédicaces de l'âge antérieur : celui où
Ronsard déclare avoir refusé « maintesfois » de « faire imprimer ce
mien petit labeur » ; mais c'est pour souligner tout aussitôt combien
le zèle éclairé de ses amis, et surtout de son émule Joachim du Bellay,
a eu raison de faire taire de pareils scrupules.
On sait que le leitmotiv de la Préface de 1550 est celui-ci : moi
Ronsard, j'ai créé l'ode, le mot et la chose (« et osai le premier des
nostres, enrichir ma langue de ce nom Ode »). On sait aussi comment
Paul Laumonier, dans la préface de son Ronsard poète lyrique г9 a
montré, avec beaucoup d'érudition, et malgré son amour pour
Ronsard, comment cette prétention lui paraissait contredite par les
textes. Mais il faut savoir ce que parler veut dire. Remonter jusqu'à
Jean Lemaire de Belges (j'ai fait allusion tout à l'heure à ce vers 296
du Temple de Vénus) pour retrouver le terme odes , et le retrouver
chez Jean Bouchet (1520), chez Barthélemy Aneau (1541), chez
Jean Martin (1544), voire, en 1546, au chapitre XXXI du Tiers
Livre de Rabelais 2, aller jusqu'à relever la présence du mot odae
chez des poètes néo-latins comme Jean Second (en 1531) et Salmon
Macrin (en 1537), ce n'est pas prendre Ronsard en flagrant délit
de contre-vérité. Oui ou non, Ronsard est-il le premier à avoir intitulé
« ode », en 1547, les strophes à Jacques Peletier du Mans sur le thème :
« Des beautez qu'il voudroit en s'amie » ? Et quand bien même, en
1550, il retirait à cette première ode de 1547 son nom avec sa qualité
(«pour n'estre mesurée, ne propre à la lire, ainsi que l'Ode le
requiert »), Ronsard, à mon sentiment, garde le mérite d'avoir, le
premier, appliqué à un poème français publié noir sur blanc et non
pas imaginaire ce nom de ode.
Mais, objecte-t-on, Sebillet n'avait-il pas défini le genre de l'ode
en 1548, soit deux ans avant la Préface de 1550 ?
La vérité est que Sebillet, dans le chapitre 6 de son IIe Livre,
réunit le « Cantique François » (rapproché du Psaume), le « Chant
lyrique ou Ode » et la « Chanson » ; ce qui est l'indice d'une certaine
confusion dans les idées. La vérité est que, pour Sebillet, ce qui dis-
tingue l'ode de la chanson, c'est la matière traitée et c'est le nombre
des couplets, alors que, pour Ronsard, importe avant tout la diffé-
rence d'inspiration. La vérité est que Sebillet voit si peu clair que,

1 Paris, Hachette, 1909, pp. XXXI et suiv.


2 Où l'on voit Cupidon ôter son bandeau pour mieux voir les Muses et ouïr à son
aise « leurs plaisans chantz et odes Poëticques ».

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES 263

dans la conclusion de ce 6e chapitre, il avance que, s'il a séparé


« Cantique », « Chant lyrique ou Ode », et « Chanson », il eût pu tout
aussi bien les comprendre sous l'appellation générique de « Chanson »,
puisqu'ils sont faits tous trois «pour chanter, comme leurs noms
portent ».
Toute cette querelle autour de la priorité dans l'invention de
l'ode, querelle qui va rebondir avec la publication, en 1551, du
Quintil Horatian que publie, sous le voile de l'anonymat, ce ronchon
censeur de Barthélemy Aneau, me paraît, plus j'y songe, une mau-
vaise querelle que l'on cherche à Ronsard.
Sa bonne foi - et celle de ses amis - me paraît entière. Dans
la mesure, en tout cas, où des jeunes révolutionnaires (et c'est toute
l'explication - j'y reviens - de la Renaissance explosive) créent
l'illusion du neuf, à leurs yeux comme aux yeux des contemporains,
par l'affirmation passionnée de leur originalité foncière. C'est en
vivant intensément leur belle aventure que les jeunes poètes de la
Brigade ont créé le mythe de la Révolution littéraire de 1550 ; de
même que l'humanisme a créé la conception cyclique de l'histoire
en assignant au Moyen Age barbare, tueur de l'Age antique qui doit
renaître dans l'Age d'or, un rigoureux terminus ad quem.
Et la Préface des Odes pindariques de 1550 est surtout impor-
tante parce que Ronsard s'affirmait, dans les Odes elles-mêmes,
inspiré. Un poète était né, non seulement riche en thèmes : l'amour,
l'amitié, la mort, la nature, la gloire, mais riche surtout d'un tem-
pérament lyrique qui n'a peut-être point son égal - et je n'ai garde
d'oublier Hugo - dans la poésie française.
On l'entendit bien, du printemps de 1550 à décembre 1552, à
l'aigreur des réactions, aussi vives qu'immédiates. Prosper Blanche-
main a fait revivre cette scène 1 : Saint-Gelais le poète en titre du
roi, Saint-Gelais aumônier et bibliothécaire, Saint-Gelais le sexagé-
naire fêté mais qui s'est senti visé par les flèches décochées contre
les « courtizans », débitant devant Henri II en personne le Premier
Livre des Odes d'un ton si malignement emphatique et avec le dessein
si appuyé de faire crouler Ronsard sous le ridicule, qu'il s'attire
une cinglante réplique de Madame Marguerite, sœur du roi, outrée
qu'elle se sentait de tant de bassesse et de fiel.
Voilà, du moins, une querelle qui nous enseigne : plus que celle
de Marot et Sagon, où éclate seulement la fertilité d'esprit de Maître
Clément. Le jeune écuyer d'écurie de 25 ans attaqué publiquement
par le poète royal à l'apogée de sa carrière : le témoignage a toute
sa valeur.
*
* *

1 Dans la préface à l'éd. des Œuv


virienne).

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264 FERNAND DESONAY

Et c'est pourquoi je sacrifie sans trop de rem


théoriques comme l'Ari poétique de Jacques Peletier du Mans '
qui, vers les premiers mois de 1555, représente l'opinion de la Bri-
gade, laquelle, parce que, depuis 1553, elle groupe sept poètes, est
devenue Pléiade, de cette Pléiade qui, à partir de cette année 1555,
remplacera Des Autels par Peletier, de la Pléiade déjà assagie en
tout état de cause.
Il y aurait, cependant, des choses intéressantes à relever dans
ce texte : du point de vue, par exemple, de l'évolution des théories
littéraires. Jacques Peletier du Mans, ex-secrétaire de Févêque René
du Bellay, et que Joachim du Bellay aura probablement rencontré
à Poitiers, a écrit, dès 1545, à l'occasion d'un Avertissement à une
traduction en vers français de Y Art Poétique d'Horace, quelques
lignes qui annoncent déjà le thème essentiel de la Deffence et Illus-
tration... : si nous ne méprisons pas notre «langue domestique»,
raisonne-t-iî, nous la « voirrons de brief en bonne maturité » ; et de
faire confiance, pour cette tâche d'enrichissement et de perfection-
nement, à « notre Poesie Françoise ».
En 1555, il n'est plus besoin d'entreprendre : il n'est que de
persévérer. Jacques Peletier, plutôt humaniste que poète et plus
curieux des efforts d'autrui qu'attentif à sa production personnelle,
a passé de Poitiers à Lyon ; ce qui fait que Y Art poétique de 1555
doit refléter assez exactement l'opinion des milieux de province.
Il y est toujours question, bien entendu, de la « sainte fureur » des
poètes « interprètes des dieux ». Mais, sur le chapitre des admirations
littéraires, Peletier, qui fait voisiner Melin de Saint-Gelais et Ronsard 2,
ne rejette ni Héroet, ni Scève 3, ni - et ceci est plus révélateur -
Clément Marot, qu'il qualifie ainsi : « le poète français du plus heureux
naturel..., ayant pu tout ce qu'il a voulu..., inimitable en certaines
félicités ».

Quand il traite des « Ornemans de Poësie » (I, 9), Jacques Peletier


met surtout en avant la clarté ; par voie de corollaire, l'obscurité
lui semble « le premier vice » du poème. L'auteur - parfois ampoulé
- des Odes pindariques aura pu en prendre quelque ombrage... Il
est vrai qu'en 1555, Ronsard édite la Continuation des Amours,
passant lui-même du style « haut » au style « bas », et se faisant
l'écho, au second vers du sonnet liminaire de la Continuation ...,
de l'accusation qu'on portait contre lui d'être, « à son commence-
ment », « trop obscur au simple populaire ».

1 Le texte en a été publié par André Boulenger, en 1930 (Paris, Les Belles-Lettres).
2 La réconciliation entre les deux poètes est intervenue à la suite d'une « étrenne »
en forme d'ode savante, datée du jour de l'an 1553 et qu'adresse Ronsard au vieux
courtisan. On en trouvera le texte au t. V de l'éd. Laumonier des Œuvres complètes ...,
pp. 165-174 (Paris, Hachette, 1928).
3 Les trois noms : Héroet, Scève, Saint-Gelais figurent dans la Préface des Odes
de 1550.

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LES MANIFESTES LITTÉRAIRES 265

L 'Art poétique de Jacques Peletier du Mans a bea


ment plein d'intérêt sur révolution de l'esthétique
ce texte, purement théorique, n'a pas, comme la Deff
la Préface des Odes de 1550, la valeur du manifeste que sanctionne
l'expérience poétique. Ou, du moins, les Opuscules qui accompagnent
l'Art poétique de 1555 et l'Amour des Amours que publie la même
année Jean de Tournes apparaissent-ils lourdement didactiques,
franchement ennuyeux : la physique et l'astronomie n'auront inspiré
que médiocrement notre humaniste.

*
* *

Jean Paulhan a dénoncé, dans Les Fleurs de Tarbes , la grande


misère d'une littérature (la nôtre) qui, pour avoir prétendu rompre
avec un langage trop convenu, a fini par rompre avec tout le langage
humain.
Y a-t-il des lois du bien écrire ? Y a-t-il, de la pensée intérieure à
la pensée qui s'exprime, des rapports que des théoriciens (fussent-ils
ou non poètes) seraient capables de découvrir? Pour ce théoricien-
poète que fut Valéry, la question ne se pose même pas, s'il est vrai
- on se rappelle ce passage de L'Amateur de poèmes - que, « inco-
hérente sans le paraître, nulle instantanément comme elle est spon-
tanée, la pensée, par sa nature, manque de style ». Mais sans chercher
un exemple aussi frappant, n'est-il pas évident que tout écrivain,
même celui-là qui estime que l'écriture automatique est le dernier
mot de l'expérience poétique, se réfère, quoi qu'il en ait, à un parti
pris qui prend pour lui la valeur d'une norme ? Les manifestes litté-
raires peuvent se tromper du tout au tout sur le sens des valeurs ;
mais ils rendent témoignage - surtout s'ils sont signés par les poètes
- de cette croyance que nous entretenons, chevillée au plus intime
de notre être, que la littérature n'est pas une simple occupation
comme l'acte de marcher, de se moucher ou d'attendre le tramway.
Mais croire à des lois, fussent-elles mal définies, fussent-elles indéfi-
nissables, c'est exalter son sentiment d'appartenir à l'ordre universel.
Les manifestes littéraires : ou quelques-unes des expressions les plus
valables de notre dignité et - je songe à du Bellay et à Ronsard -
du légitime orgueil de quelques-uns.

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SIMON GOULART, ÉDITEUR DE MUSIQUE
par E. Droz

Pendant les premières années de son ministère à l'église Saint-


Gervais de Genève, le Senlisien Simon Goulart 1 consacra une partie
de son activité à la publication d'ouvrages musicaux, où il fît, comme
dans ses autres travaux historiques et littéraires, œuvre de diffuseur,
de remanieur et d'éditeur de textes d'autrui 2.
Il débute en 1576 par la publication du Thrésor de musique ď Or-
lande de Lassus , contenant ses chansons à quatre , cinq et six parties ,
imprimé à Genève, sans indication de lieu et de nom d'imprimeur 3.
C'est un petit in-12 oblong, au titre orné d'un encadrement avec
les vertus chrétiennes (10,8 sur 6,6), que nous retrouverons dans
le Meslange des pseaumes 4. L'ouvrage s'ouvre sur une dédicace de
Goulart à Philippe de Pas, gentilhomme français réfugié à Genève,
éditeur des vers de Montméja et autres poètes chrétiens. Elle vaut
la peine d'être reproduite, malgré ses longueurs, car elle expose
les intentions et le travail de l'éditeur :

Monsieur,
Il y a long temps que je vous ay ouy desirer ce que je vous
présente maintenant, asavoir les chansons d'Orlande de Lassus,
tellement changées, qu'on les peust chanter de la voix et sur les
instrumens, sans souiller les langues ni offenser les oreilles chres-
tiennes. Et pource que vous m'exhortastes d'y mettre la main, je
prins vostre désir pour commandement, et selon que la fantasie
me prenoit, je changeay en quelques unes ce qui me sembloit devoir
estre osté. Depuis, ceste entreprise demeura comme ensevelie, à
cause des terribles changemens que nous avons veus 5. Et comme
je pensois laisser là tout, un de mes amis m'envoya ceste musique
d'Orlande accommodée à une lettre spirituelle6, ce qu'aiant veu, je
reprins courage pour agencer ce que j'en avois commencé, en telle
sorte neantmoins que ce qui m'en a esté envoié par cest ami, avec

i Cf. L. C. Jones, Simon Goulart , sa vie et son œuvre , 1543-1628, Genève, 1916.
Thèse n° 30 de la Faculté des Lettres de l'Université de Genève.
2 Sauf, bien entendu, quand il publie ses propres vers à la suite des Poemes chres-
tiens de B. de Montméja, Genève, 1574.
3 № 9 de la Liste bibliographique dressée par L. C. Jones, p. 538. De ce Thrésor »
il existe des ex. à la Staatsbibliothek de Munich, Mus. Pr. 42, au British Museum,
A.337. h. & g. et à la Bibl. nat., Vm7 236 rés. L'ouvrage fut réimprimé en 1582, puis
en 1594 et 1595 à Cologny près Genève. Voir Douen, Clément Marot et le psautier
huguenot , t. II, p. 55.
4 Cf. nage 268.
5 La Saint-Barthélemy et ses conséquences.
6 Cf. p. 270.

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SIMON GOULART, ÉDITEUR DE MUSIQUE 267

les livres qui ont esté imprimez en Angleterre, m'a relevé de peine
en divers endroits.
L'ordre que j'ai tenu a esté tel : la lettre accomodée à la Musique
d'Orlande imprimée à Paris 1 et à Louvain 2, estoit sotte, lascive
et profane, presque en toutes les chansons. En ostant quelques mots
ou plusieurs, et les accommodant (au moins mal qu'il m'a esté pos-
sible) à la Musique, j'ai rendu ces choses honnestes et chrestiennes,
pour la pluspart. Quelques unes sont restées plus gayes (peut estre)
qu'aucuns ne desireroient, mais je pense qu'il n'y aura rien qui
puisse offenser les gens de bien. Je ne doute point que plusieurs ne
se plaignent que la musique aura perdu sa grace, d'autant que
Orlande l'avo it appropriée à la lettre, en quoi il est excellent (comme
en tout ce qui est de ceste science libérale) par dessus tous les musi-
ciens de nostre temps. Mais je m'asseure que ceste plainte ne par-
tira jamais que de la bouche de ceux dont le cœur est souillé de ces
puantises et lascivetez, que beaucoup de poètes François ont semées
pour infester le monde. Or je prens plaisir à déplaire à telles gens,
et si ces livres les faschent (comme j'en suis bien content), qu'ils
achèvent de se corrompre de tout par leur vilaine musique.
Il seroit bien à désirer qu' Orlande emploiast ces graces dont le
S.Esprit l'a orné par dessus tous, à reconoistre et magnifier celui
de qui il les tient, comme il l'a fait en quelques motetz et pseaumes
latins, et je desire grandement que ces chansons lui en puissent donner
la volonté, afin que nous aions une chaste musique françoise.
Cependant, jouissez de ceste-ci, qui pourra estre mieux changée
par quelques autres ci après, car il s'en faut beaucoup que j'aie
rendu l'œuvre accompli, comme je l'eusse bien voulu.
Au reste, si l'on estime ce temps plein de troubles, n'estre encore
du tout propre pour mettre ceci en lumière, et qu'il faudroit plutost
pleurer que chanter, je respondrai qu'il n'est point défendu aux gens
de bien de s'esjouir en Dieu, avec honneste moderation, pour adoucir
aucunement leurs ennuis, comme de ma part j'ai trouvé en la Musique,
d'Orlande spécialement, des remedes souverains contre diverses
blessures de l ame. D'entrer ici es louanges de la musique, et d'Orlande
aussi, ce seroit mal à propos, et me pourroit-on bien mettre au devant
ce qu'Antalcidas respondit à quelqu'un qui vouloit louanger Hercules,
et qui est-ce (dit-il) qui le blasme ? Qui est celui aussi, tant rude et
barbare soit-il, qui n'ait l'ame picquée et comme tirée doucement
du corps par les accords mélodieux d'une si belle musique que celle
d'Orlande ? A l'espreuve on orra si je di vrai ou non. Pourtant,
Monsieur, vous recevrez du bon oeil ce p/esent, et s'il vous contente,
il me chaut bien peu du jugement qu'en feront les envieux. Et si
les gens modestes et vertueux m'en savent gré, j'en serai bien aise,
car je n'aurai du tout perdu mon temps en désirant vous complaire 3.

Suit la Table des 61 chansons à 4 voix, des 38 à 5 voix et des


10 à 6 voix, soit un peu plus de cent chansons. Puis l'imprimeur
genevois 4 s'adresse aux musiciens :

i Paris, Ballard.
2 Louvain, Phalèse.
3 Ce texte figure au Bassus.
4 Je serais tentée d'y reconnaître Jean de Laon, l'imprimeur ami de Goulart,
qui publia les livres de musique de Pascal de L'Estocart en 1583. Cf. BHR, t. XIII
(1951), p. 312 ss.

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268 E. DROZ

Je pensois bien (Messieurs) vous fournir toutes les chansons


ďOrlande à cinq et six parties, comme celles à quatre, mais voyant
le livre assez gros, et pour un notable empeschement survenu, je
me suis contenté de vous donner ceste centaine, esperant à la seconde
édition (si Dieu le permet) vous presenter un Thresor acompli et
tout ce qui pourroit sembler non assez propre, si bien agencé qu'aurez
contentement. Vous m'excuserez, si je n'ai esté si clervoiant à bien
ordonner toutes choses, comme il y a trois ou quatre chansons trans-
posées à quoi toutesfois l'indice remédie. Item parmi celles à cinq,
il y en a deux de Philippes de Monté, lesquelles se sont glissées sans
que celui qui a corrigé la lettre s'en soit apperceu quHncontinent
après qu'elles ont esté imprimées. Ces deux sont : L'homme incons-
tant ne peut vaincre le monde et Las ! je n'ai point victoire sur le monde.
Au demeurant, je n'ai point mis l'indice des chansons profanes '
encor que je ne doute qu'aucuns ne veullent voir comment ceste-ci
ou ceste-là sont changées, car la musique demeure en son entier,
et est expédient qu'on ne se souvienne jamais plus de ceste lettre
lascive. Les deux chansons latines à six2, faisans la conclusion, ne
vous désagréront. Et si en plusieurs, la lettre est demeurée telle
qu'elle est es livres de Paris, cela est procédé de la volonté du cor-
recteur, qui ne s'est voulu ingerer de ragencer ce qui est passable.

Dans cette anthologie musicale, les chansons que l'on jugeait


ordes, lascives et puantes, nous parviennent édulcorées, châtrées
et méconnaissables, tandis que la musique du divin Orlando garde
toute sa beauté.
Vraisemblablement satisfait du résultat de cette première entr
prise, Simon Goulart publie en 1577 un remaniement intitulé :
Premier [et] Second livre du Meslange des pseaumes et cantiques à
trois parties, recueillis de la Musique ďOrlande de Lassus, & autres
excellens Musiciens de nostre temps. M.D.LXXVII, dont le seul
exemplaire connu est conservé à la Staatsbibliothek de Munich 3.
Pour les acheteurs, le titre évoquait les différentes éditions du
Melange ďOrlande de Lassus qui, depuis 1570, avaient paru à
Paris et Louvain 4. Le Premier livre contient six psaumes, dont un
seul (le XXIIe) est d'Orlande, et dix-sept cantiques d'auteurs divers.
Le Second livre reproduit des airs de Turnhout, Castro, Créquillon,
Cornet, Faignient, Goudimel et deux psaumes (les IIe et XXVIIIe)
du divin Orlande, dont le nom figure sur le titre pour attirer les
chalands 5.

* C'est-à-dire les incipit des chansons.


2 Surge amica mea et Concupiscendo concupiscit anima mea.
3 Mus. Pr. 43, signalé par Eitner, Musiksammelwerke , p. 190, ignoré de Douen.
* Voir Thibault & Perceau, Bibliographie des Poésies de P. de Ronsard, nos 41,
46, 47, 83 et 120.
5 Voici la table des psaumes et cantiques des deux livres :
Premier livre
Dieu est regnant. Pseau. XCIII Arcadet
Donne secours Pseau. XII Créquillon
Du fond de ma Pseau. GXXX G. Turnhout

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SIMON GOULART, ÉDITEUR DE MUSIQUE 269

Le 16 novembre 1576, la Vénérable Compagnie de Genève avait


désigné Goulart pour être pasteur de l'église de Feurs (Loire)
Il se mit immédiatement en route et, le 28, il se trouvait à Senlis,
où il rédigeait dans la maison de son frère, « de vostre maison », la
préface du petit volume qu'il lui dédiait :

A Jean Goulart , controlleur des aides pour le roi , en U eslection de Senlis


S. G. S.

Mon frère, entre les dons qu'il a pieu à Dieu communiquer aux
hommes pour les attirer à soi, et entretenir en sa crainte, j'estime

Laetatus sum in Pseau. GXXII Orlande


Hierusalem.. secunda pars
Quia illic sederunt tertia pars
Propter fratres meos quarta pars
Mon Dieu, mon Pseau. XII Arcadet
Pourquoi font Pseau. II G. Turnhout
Cantiques.
Change mon cœur I. de Castro
Du faux désir Crequillon
Las ! voulez-vous G. Turnhout.
Mon cœur se rend G. Turnhout
Mon cri, Seigneur Crequillon
О Dieu, ce qu'on peut Noe Faignient
О mort ! amere est ta -
Ouvre mes yeux, afin que -
Quand l'homme honneste I. de Castro
Que peut au fol Noe Faignient
Quand le fol rit seconde partie
Qui maintient les rois Goudimel
Resveillez-vous, douce G. Turnhout
Si quelque injure l'on vous Goudimel
Sur tous regretz I. de Castro
Susanne un jour d'amour -
- - - G. Turnhout
Ta voix, ô Dieu, avec -
Second livre
A qui me dois je G. Turnhout
Au monde vain je I. de Castro
Beati omnes qui... Pseau. XXVIII Orlande
Ecce sic bene dicetur secunda pars
Domine non est exaltatum. Pseau. II Orlande
Sicut ablactus est secunda pars
En languissant je Crequillon
Las, me fault il tant de Severin Cornet
Le rosignol plaisant I. de Castro
Mes pas, Seigneur -
Mon cœur redoutant -
Mon cœur se rend Severin Cornet
Ne permets plus I. de Castro
Peché me donne peine Noe Faignient
Peché, peché me fait I. de Castro
Pis ne me peut venir Noe Faignient
Revien a moi, ô mon I. de Castro
Sentant de peche la Crequillon
Si mon souspir Goudimel
Susanne un jour Severin Cornet
- - Noe Faignient
Sus, qu'un chacun Goudimel
Tout ce qu'on peut au I. de Castro
Toute gloire te G. Turnhout
Verbe eternel par Noe Faignient
Ta deité en nostre seconde partie
Sur nous tes serfs tierce partie
Prince Jesus, doux quarte partie
i Le 4 décembre, Goulart était de retour à Genève « car ceux, qui avoient promis
de créer la nouvelle église de Feurs, avaient manqué à leur parole ». Cf. Jones, Livre
cité , p. 16-17.

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270 E. DROZ

la musique ne devoir tenir le dernier lieu, comme aussi Platon a


bien sceu dire que la musique a esté donnée aux hommes par les
dieux pour rendre modestes, gracieux et bien conditionnez, non
pas pour delices, ni pour une volupté, ni un chatouillement d'oreilles.
Si ce payen en tenebres est approché du but de la vérité, que sera
ce de nous qui avons la vraie science qui nous apprend le droit usage
des benedictions du seul vrai Dieu ? Je ne di cela sans cause, pour
ce qu'au jourd'hui une partie de ceux qui aiment et cherissent ce
don excellent, le profanent puis après en trop de sortes en cerchant
une musique accommodee a je ne sai quelle lettre fade et meschante,
ne considerans pas que la musique lascive et les chansons dis-
solues rendent les moeurs des personnes desordonnées, leurs vies
lubriques et effeminées. Car s'il y a chose qui dompte et pourmene
nostre ame, c'est la musique, laquelle estant ainsi vilenee ne peut
que gaster et perdre celui qui en est afïollé. Or, désirant de mon
costé voir ce beau don de Dieu remis en sa splendeur, sans plus
blesser les langues et oreilles honnestes, j'ai désiré dès long temps
que les excellens musiciens de nostre aage quittassent ces lettres
folles et detestables pour approprier les beaux dons qu'ils ont receus
à un sujet qui en fust digne. Et pource que tous n'y ont pensé,
comme ils devoient, encores leur ai-je fait cest honneur de couvrir
leur honte en plusieurs de leurs chansons ausquelles j'ai accommodé
une lettre spirituelle, bannissant celles qui pour leur lasciveté sont
insupportables. Et pour commencement, après avoir publié quelques
chansons d'Orlande, je me suis mis à ces livres de chansons à trois
parties, lesquels je vous dedie, comme à celui qui aimez et favorisez
tels presens, afin que parmi les miseres de ceste vie, vous aiez quelque
remede pour vous soulager honnestement avec vos amis. Tousjours
les chantres ou les voix ne se rencontrent pas pour chanter à quatre
ou cinq parties, et pourtant j'ai désiré gratifier aux musiciens en
cest endroit. Si vous recevez ces livres de bon oeil, comme je m'as-
seure que ferez, gronde contre moi qui voudra. Vostre jugement
et nostre amitié fraternelle et tresentière me garentiront de l'effort
de tous envieux et mesdisans. Au reste, puis que Dieu nous a mis
de si pres, et donné aussi tant de volontez concurrentes, je desire
que de mesme coeur nous reconoissions la grace par une sainte
musique. A Dieu. De vostre maison, ce 28. jour de novembre 1576.

En remplaçant les paroles amoureuses des poètes de la Pléiade


par des textes chrétiens et chastes, Simon Goulart suivait l'exem-
ple donné en 1575 par Jean Pasquier. Celui-ci semble être le
premier à avoir exploité le renom d'Orlande de Lassus et la vogue
de ses chansons profanes à des fins d'édification en publiant 1 le
Mellange d'Orlande de Lassus contenant plusieurs chansons à 4 parties
desquelles la lettre profane a esté changée en spirituelle , La Rocheile,
Pierre Haultin, 1575. La musique y est précédée d'une préface
adressée par Pasquier à la fameuse Catherine de Parthenay qui,
depuis la mort de son premier mari, le baron du Pont, séjournait à
La Rochelle, où elle avait fait représenter son Holoferne et où elle
venait de se remarier avec René de Rohan, deuxième du nom.

1 Signalé par Douen, qui ne l'avait pas vu. Un exemplaire est conservé à la Bibl.
du protestantisme français, fonds André, un autre au British Museum A. 337. е.

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SIMON GOULART, ÉDITEUR DE MUSIQUE 271

Il vaut la peine de reproduire cette préface datée de La Rochelle,


le 20 octobre, pour comprendre combien les raisons, qui poussèrent
Simon Goulart à faire sa transposition spirituelle, étaient admises à
l'époque dans les milieux huguenots :

Madame, après m'estre retiré en ce lieu pour me sauver des miseres


et calamitez de ce temps tresdifficile et dangereux de peur que
je ne fusse trouvé oysif et inutile en l'eglise de Dieu, je me deliberay
y faire profession de la musique, offrant à mes freres l'usage du petit
talent que le Seigneur m'avoit commis pour le faire profiter à mon
possible. Et pource qu'entre tous les musiciens de nostre siecle,
Orlande de Lassus semble, et à bon droit, devoir tenir quelque bon
lieu pour l'excellence et admirable douceur de sa musique, voyant
icelle neantmoins employee a des chansons si profanes, si sales et
impudiques que les oreilles chastes et chrestiennes en ont horreur,
j'ay pensé que je ferois devoir de chrestien si, repurgeant ces tres-
gracieux et plaisans accords de tant de villenies et ordures dont
ilz estoient tous souillez, je les remettois sur leur vray et naturel
suject qui est de chanter la puissance, sagesse et bonté de l'Eternel.
Ayant donc solicité aucuns de mes amis et emprunté d'eux quelques
cantiques de tel argument au lieu de ces lascivetez et vaines res-
veries, je les ay accomodez à la musique, voire tellement que l'har-
monie de la voix respond à l'afïecttion de la parolle autant que faire
se peut. Or Madame, pource que entre plusieurs excellens dons,
desquelz la divine bonté vous a libéralement enrichie, vous estes
ornée de ceste douce et plaisante discipline et y prenez (comme je
scay) grande et singulière delectation, j'ay voulu et ay deu vous
presenter ceste petite reformation afin qu'estant recommandée de
vostre excellence, elle induise la jeunesse de nostre Eglise à s'y
exercer plus volontiers et puisse en general donner quelque rafraî-
chissement aux pauvres ames chrestiennes...

*
* *

Dans les trois années suivan


musicaux de format in-4, au
inspiré de celui des petits in-12.
D'abord en 1578, le Premier livre de chansons nouvelles à 4, à»,
6, 7 et 8 parties par Jean Servin, suivi du Second livre . Datés des
16 et 18 août 1578, ils auraient, dit le titre, été imprimés par Charles
Pesnot à Lyon. Nous reviendrons sur cette attribution, après avoir
identifié l'auteur de la musique. Le Premier livre 2, dédié à Guy-Paul
de Goligny, comte de Laval, fils aîné d'Andelot-Goligny 3, s'ouvre
sur un sonnet que je croirais volontiers rimé par le pasteur Goulart :

1 Allusion à la Saint-Barthélémy.
2 Munich, Staatsbibliothek, Mus. prat. 174 ; Cassel, Landesbibliothek 4.8.b. (com-
plet), photographies à la Bibl. nat., musique Fol. Vm° 23148(1).
3 A la Saint-Barthélemy, le comte de Laval se sauva en Suisse. Il rentra en France
en 1576 et se retira en Bretagne.

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272 E. DROZ

Servin, les beaux accords d'une douce musique


Enchantent mes soucis, me ravissent à moy,
Tirent au ciel mon ame, effacent cest esmoy
Et ce tourment cruel qui trop souvent nous pique.
Si des tons harmonies j'avoy la theorique,
Au lieu que nos François chantent je ne say quoy
Qui honte et repentir ameine quant et soy,
Du grand Dieu je ferois maint celebre cantique.
Tu as ores l'honneur d'avoir bien commencé
Jusques dedans les cieux ton vol s'est avancé
Et Dieu de sa faveur ta musique environne.
Puissent tendre à ton but les autres bons esprits,
Et de sainctes chansons sentir leurs cœurs espris,
Pour avoir avec toy l'immortelle couronne.
Dulcis amicus qui animan pascit.

Suivent de très curieux poèmes, écrits par Servin, semble-t-il,


où il évoque la vie des huguenots réfugiés à la cour de Renée de
Ferrare *, à Montargis 2, de 1564 à la mort de ]a princesse :

Petit trouppeau qui te tiens en ce lieu


Sous la faveur d'une telle princesse,
Que dois-tu faire, sinon de prier Dieu
Pour sa santé, sa grandeur et hautesse.
Haste-toi donc, prens coeur et hardiesse,
N'estant ingrat du bien dont tu jouis,
Resveille toy, que tes sens esblouis
Facent connoistre aux enfans de ta race
Que c'est la fille à ce bon Roy Loys
Qui te reçoit si tost que l'on te chasse.

ailleurs, le musicien dit les guerres de religion et leurs horreurs :

Allez mes vers faire horreur à ma France


Puisqu'en son mal n'a plus de sens ni d'yeux,
Faites qu'au moins sache son ignorance...

et plus loin, les regrets de l'émigré 3 :

Adieu France, adieu


Qui premièrement me vistes
Et premièrement ouistes
Mon gemissement
О mon doux pays
Je meurs loin de vous...

i Fille de Louis XII et d'Anne de Bretagne, 1510 à 1574.


2 La ville de Montargis était l'asile et la retraite des gens de la religion « où elle
a toujours fait faire et continuer l'exercice d'icelle publiquement jusques à la fin de
sa vie ». Sur cette période de la vie de la princesse, voir Jules Bonnet, Les réfugiés
de Montargis et l'exode de 1569 , in Bulletin de la Soc. de l'histě du prot.t t. 38 (1889),
p. 3 et 169.
3 Preuve que le musicien avait déjà quitté sa patrie, bien que la dédicace, et celle
des livres suivants, soit datée de Lyon.

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SIMON GOULART, ÉDITEUR DE MUSIQUE 273

Le livre se termine par Y Epitaphe de Goudimel, assassiné à Lyon,


à la Saint-Barthélemy :

Sous le penible faix de ce poudreux tumbeaux


Du mielleux Goudimel la cendre se repose...

Le Second livre est dédié à Henri de la Tour, vicomte de Turenne,


puis duc de Bouillon, protecteur des protestants comme les Goligny.
Ce volume, qui débute par un sonnet A Jean Servin , signé En atten-
dant , contient des psaumes, des proverbes, les commandements de
Dieu et les prières avant le repas.
Un troisième ouvrage de Jean Servin, Meslange de chansons
nouvelles à 4 parties 1, parut en cette même année, à Lyon, « par
Charles Pesnot ». Adressé à Monsieur de La Place, gentilhomme
françois, il contient : La fricassée des cris de Paris , Les regrets de
Didon , La piafe guerrière , Les badauts, Le mordant mordu , un canon :
Au plus envieux et un acrostiche sur le nom de Fauteur :

Serf j'ai esté non point en vain


Et le suis à tout homme honneste.
Rude vilain et deshoneste
Voir je ne puis, ni l'inhumain.
Je ne ferai donc jamais feste
Ni de lourdault ni de vilain.

Et voici le quatrième et dernier recueil musical de Servin : Psalm


Davidis a G. Buchanano versibus expressi : nunc primům modulis IV, У,
VI , VII et VIII vocum, a I. Servino decantati. Lugduni. Apud Caro-
lum Pesnot. M.D.LXXIX 2. Au v° du titre, vers latins de Corneille-
Bonaventure Bertram, le savant hébraïsant, qui s'était réfugié à
Genève en 1562 et y enseigna les langues orientales et la théologie.
Les Psalmi sont dédiés à Jacques VI, roi d'Ecosse 3, et datés de
Lyon, cal. d'août 1579.
Qui est Jean Servin ? Il semble originaire du Blésois. Son pre-
mier ouvrage a paru chez Louis Rabier à Orléans, en 1565 : Les
cent cinquante pseaumes de David composez a S parties dont l'une est
le chant commun separez par cinquantaines , a la fin desquelles y a
priere devant et après le repas*... Pendant les troubles des guerres
de religion, il se réfugia à Montargis, petite oasis de paix où il subsista
grâce à la duchesse Renée de Ferrare. L'exode de 1569 l'obligea
probablement à quitter la région. Peut-être a-t-il habité Lyon, où
Claude et Etienne Servin, père et fils, avaient été maîtres impri-
meurs avant de se réfugier à Genève. En tout cas, son nom ne se

i Munich, Staatsbibliothek, Mus. pr. 4°, 143.


2 Munich, Staatsbibliothek, Mus. pr. 4°, 194 et Londres, Brit. Mus.
3 Jacques VI, roi d'Ecosse (1566-1625), fils de Marie Stuart, fut l'élève de Buchanan.
4 Bibi. de la Soc. de l'histoire du prot. fr., fonds André.

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274 E. DROZ

trouve nulle part dan


tandis que nous le rele
« Item, Marye, femm
defluxion de cerveaux avec fieuvre continue agee de environ 68 ans,
ce 16 septembre 1584, vers le Grand Mesel ». La défunte avait une
vingtaine d'années de plus que son mari, qui se consola aisément
de sa perte en épousant Catherine 2, veuve d'Estienne Anastaize, le
jeudi 31 décembre 1584 à Saint-Pierre. De cette union naquit un
enfant « n'estant venu en lumière » le 5 novembre. Et le pauvre
homme eut la douleur de perdre sa seconde femme, « morte phtisique,
âgée d'environ 46 ans, ce 29 novembre 1585, en la rue des Cha-
noines ». La défunte, qui avait du bien, testa en faveur du musicien 3
et désavantagea son fils né de son premier mariage.
Jean Servin se maria pour la troisième fois le 20 mars 1586, à
Saint-Pierre, avec Marie Yaular, veuve de Luc Bertault, dont il
eut un fils, Louis, né en 1587, et une fille, Marie, « née mardi dernier,
morte par une defluxion chez sond. père en la rue de la Boullangerie »,
le 27 décembre 1592. Le fils ne survécut guère, et en 1596, nous
lisons que « Louys, fils de Jan Servin, musicien, habitant, âgé de
9 ans [est] mort par une defluxion et rougeole en leur mayson près
le soleil levant ».
Reste Charles Pesnot, dont le nom figure au titre de ces quatre
livres de musique. Ce fut, dit Julien Baudrier, un des grands libraires
lyonnais, associé puis successeur de Senneton. Il avait des comp-
toirs à Francfort, Medina del Campo et Genève, faisait imprimer
« à Francfort et Genève et souleva, de ce fait, les plaintes des com-
pagnons imprimeurs de Lyon. Pendant quelques années, il inclina
vers le protestantisme»...4 Il me semble que ces quelques lignes
donnent la clef du mystère. Ces livres de musique dont le papier,
les caractères et l'encadrement gravé sont genevois, dont les textes
chrétiens sont d'inspiration calviniste, ont été imprimés à Genève,
par les artisans qui travaillaient pour Pesnot 5. Ils font partie d'une
série de livres qui, munis d'une fausse adresse, étaient ensuite dirigés
vers la France à des fins de propagande religieuse.
Souhaitons qu'il se trouve un musicien pour mettre en partition
l'œuvre de Servin et pour l'étudier.

*
* *

i Communication de Me Jean Tric


dans la liste des réformés habitant
dans ses Notes et documents , ni dan
2 Fille de Robert Es tienne.
э Etude de Jean Jovenon, vol. 5, fol. 572.
4 Bibliographie lyonnaise , tome III, p. 123 (et p. 475, les impressions de Pesnot
faites à Genève).
5 Pesnot n'a signé aucun autre livre de musique.

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/';-=09 )(8* =-0/']

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276 E. DROZ

En 1578, Goulart publie les deux livres de Sonets chrestiens mis


en musique à quatre parties, par G. Boni l, de S. Flour en Auvergne ,
sans nom d'imprimeur. Mais au v° du titre, se trouve la marque
de l'imprimeur genevois Pierre de la Rovière 2, preuve de l'origine
du livre 3. Et Simon Goulart y donne libre cours à ses vers : sonnets
à Guillaume Boni, aux poètes chrétiens, à ses amis, à la musique,
aux musiciens.
Quelques mois plus tard, le pasteur met en vente les deux livres
de Sonets chrestiens mis en musique a quatre parties , par Antoin
de Bertrand de Fontanges en Auvergne , M.D.LXXX, sans lieu 4.
Ici encore, Goulart offre ses vers « Aux poètes et musiciens, A la
douce et sainte musique, A ses amis, A Antoine de Bertrand » 5.
Dans ces deux recueils, les doux vers de Ronsard sont remplacés
par les rimes édifiantes du Senlisien.
Et voici la dernière publication de cette série musicale : Theatrum
musicum Orlandi de Lassus , aliorumque praestantissimorum musicorum
selectissimas cantiones sacras, quatuor, quinqué & plurium vocum
representam. M.D.LXXX 6. Les cinq parties du Liber primus s'ouvrent
au v° du titre par des vers latins :

In Theatrum Musicum
Aerias Baylon jacet licet inclyta turres,
Pendula Mausolus laude sepulchra vehat,
Pyramidas Memphis, tu Caesaris Amphitheatrum
Roma tui, & celebri carmine, Marce, tona :
Maius opus surgit nostro hoc, mihi crede, Theatro,
Quod modulos solum spirat Apollineos.
Non est diversa huic suavis symphonia coeli,
Нас torsit vates ilumina Threïcius
Et ne longe abeam, divinum est hocce Theatrum,
At quod divinum est censeo maius opus.
I[ohannes] S[pondanus] M[auleonensis]

Ces premiers vers latins, publiés par Jean de Sponde peu après
son arrivée dans la cité de Calvin, prouvent que le jeune humaniste
avait trouvé un accueil dans le groupe littéraire réuni autour de
Simon Goulart.

1 Sur Boni, l'un des musiciens de Ronsard, voir mon art. dans les Mélanges de
musicologie offerts à M. L. de La Laurencie , 1933.
2 Ancienne marque de l'imprimeur parisien Jean Le Royer. Cf. Renouard,
Marques typographiques parisiennes , n° 656.
3 Cassel, Landesbibliothek, Mus. 4° 29 ; Bordeaux, Bibl. de la ville, musique 754
(ténor et contra), cet ex. porte, m'écrit-on. la date de 1579.
4 Cassel, Landesbibliothek, Mus. 4°, 8.
5 Sur Ant. de Bertrand, voir l'art, de G. Thibault, dans les Mélanges de musico-
logie offerts à M. L. de La Laurencie , 1933.
б Munich, Staatsbibliothek, Mus. pr. 4°, 143 ; Paris, Bibl. nat., mus. Vm* 221,
le ténor seul des deux livres.

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JEAN DE SPONDE, INGÉNIEUR
par François Ruchon

Jean de Sponde n'a pas fini de nous étonner. Nous l'avons vu


au cours de son aventureuse carrière tour à tour philosophe, hellé-
niste, alchimiste, juriste, théologien et magistrat soit au service du
Roi de Navarre, soit à celui du Roi de France К Faudra-t-il ajouter
à ses multiples talents ceux d'un homme versé dans les sciences
physiques et voir en lui un «ingénieur» féru d'inventions?. C'est
à quoi nous incline un document bien curieux qui jusque-là m'avait
échappé et sur la trace duquel j'ai été mis par une aimable communi-
cation de M. Paul Lorber, archiviste honoraire des Basses-Pyrénées
Dans les notes de l'édition des Œuvres de Bernard Palissy,
publiée par Faujas de Saint Fond et Gobet 2, figure un très curieux
document : des « Lettres patentes de Privilège exclusif », que les
commentateurs citent à propos d'un passage où Bernard Palissy,
dans son Traité des Eaux et fontaines , critique la façon dont l'architecte
de la Reine a procédé aux adductions d'eau à Saint-Cloud. Ces
« lettres patentes » sont citées pour montrer qu'il y avait de par le
monde d'habiles ingénieurs en hydraulique... ou qui se prétendaient
tels et en possession d'extraordinaires secrets. Et parmi ces person-
nages, on n'est pas peu surpris de trouver Jean de Sponde. Les
commentateurs dans leur commentaire introductif notent, cum
grano salis : « Quand ces gens-là n'auraient exécuté que la dixième
partie de leurs projets, ils auraient été dignes d'aller à la postérité;
aussi un plaisant de ce siècle, en lisant ces lettres, écrivit dessus,
merveilles soient possibles ou non 3 ». Voici maintenant le texte des
Lettres patentes :

LETTRES PATENTES DE PRIVILÈGE EXCLUSIF

HENRY par la grâce de Dieu, Roy de France et de Pologne,


a nos Amez et Féaux Conseillers tenant nos Grand Conseil, Cours
de Parlement, Baillifs, Sénéchaux et Prevosts, ou leurs Lieutenants :
et à tous nos autres Justiciers et Officiers qu'il appartiendra, SALUT
et dilection. Nos chers et bien amez Nicolas Wasser-Hun, Bourgeois
de Basle en Suisse, Jehan de Sponde et Paul la Treille, nous ont fait

1 Voir mon Essai sur la vie de Jean de Sponde , en tête de l'édition des Poésies , Genève,
Cailler, 1949, que j'ai publiées avec M. A. Boase.
2 Paris, chez Ruault, libraire, rue de la Harpe, 1777, in 4°.
3 Œuvres de B. Palissy, p. 674. Le commentateur signale que ce privilège a été
imprimé chez Frédéric Morel, in-12, en 1585.

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278 FRANÇOIS BUCHON

remonstrer, qu'après avoir longtemps cherch


lever les eaux d'un lieu bas et profond en haut, ils sont parvenus
par la grâce de Dieu à la cognoissance du vray secret.
Tellement qu'il ont le moyen de faire monter l'eau des puyts
aussi haut et en telle quantité qu'ils voudront.
Et faire de chacun puyts une fontaine courant continuellement,
et ce sans ayde d'homme ny d'animal quelconque, ains par soy.
Et si ont en outre moyen de faire de chacun puyts moulins à
bles, à draps, à tanneurs, à battre la poudre à canon, à faire du
papier, pour scier du bois, à faire jouer les soufflets de toutes forges,
martinets pour affiner le fer et le forger après la fusion ; Ensemble
toutes autres mines d'or et d'argent, et tous autres métaux qui ont
besoin de la violence de l'eau.
Davantage ils peuvent faire des fontaines par nostre bonne Vil
et Cité de Paris, en tous les endroits qu'il sera necessaire ; lesquelles
jetteront continuellement autant d'eau qu'on voudra et par le
moyen d'un canal qu'ils prendront de la rivière, laquelle eau sera plus
claire, nette et plus saine à boire que celle de la dite rivière ; chose
très utile et nécessaire en notre dite Ville de Paris, ensemble en
plusieurs de nos forteresses, lesquelles ont grand faute de fontaine,
et des moulins susdits, qui est souvent la cause qu'elles sont contraintes
à se rendre lorsqu'elles sont assiégées. Et pour ce que beaucoup de
gens promettent mesmes choses, se pourroyent estre présentez à
nous, sans toutes fois avoir seu effectuer leur entreprise, les dits
exposans offrent d'en faire la preuve à leurs propres cousts et despens,
qui est le vray moyen d'oster l'erreur et desfiance qu'on pourroit
avoir d'eux et leur invention.
Et davantage ils ont moyen de faire labourer plus de terre en un
jour avec deux chevaux ou autres animaux, qu'on a accoustumé
faire avec dix paires de bœufs.
Et aussi de mener et conduire tous chariots chargez à outrance,
plus aisément avec six chevaux, voire moins qu'on ne fait communé-
ment avec trente.
Et feront que un homme seul pourra lever plus pesant que ne
sauroyent faire cinquante hommes ensemble. Tellement que la
force d'un homme sera suffisante par leur engin pour lever un double
canon.

Et si feront monter bateaux chargez contre mont un fleuve ou


rivière, à deux tiers moins d'hommes et de chevaux, qu'on a accou-
tumé d'y employer maintenant, qui sera grande espargne, et cause
que toutes marchandises, tant celles qu'on conduit par eau, que
celles qu'on fait mener par terre, seront à meilleur prix.
Peuvent pareillement espargner la moitié du bois qu'on consume
aux teintures, aux buées et lexives, à faire cuire la bière, à la cuisine
et autres choses où l'on a accoutumé brusler beaucoup de bois.
Davantage ont trouvé le mouvement perpetuei, lequel peut
servir à une infinité de bonnes choses et très importantes [à] la
commodité de nous et nos subjets. Et combien qu'ils soyent une
partie de nos subjets et d'autre partie Allemans, et ayent esté requis
pour cet effet en plusieurs lieux d'Allemagne, comme à Auxbourg,
à Estrasbourg et autres endrois, néantmoins ceux d'entre eux qui
sont nos subjets ont toujours retenu leurs compagnons Allemans
si affectionnez à nostre service, qu'ils n'ont voulu communiquer leur
dite invention à aucun Prince, République ny Cité de l'Europe, que
premièrement ils ne se fussent offerts à nous pour embellir s'il nous
plaist tout « nostre dite bonne Ville et Cité de Paris, comme estant

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JEAN DE SPONDE, INGÉNIEUR 279

la premiere en nostredit Royaume, laquelle nous honorons de notre


séjour ordinaire, par le moyen des dites fontaines, pour estre tenue
beaucoup plus saine et nette qu'elle n'est à présent, que pour ce
que les habitants seroyent pourveus de bonnes eaux, desquelles ils
ont grand faute, plus que les autres Villes et lieux de nostre Etat ».
A raison de quoy, et des grands biens que la dite invention peut
amener en tout cedit Royaume, les dits exposans n'ayant esté
invitez à se présenter à nous que pour le devoir naturel qu'ils ont à
nostre service, ornement de leur patrie, et affection que tous ensemble
apportent au bien d'icelle : ils nous ont très humblement supplié et
requis leur permettre de ce faire, et à ceux qui d'eux auront charge
et puissance, et defendre à tous autres d'user de leur dite invention
en nos dits pays, terres et Seigneuries de nostre obéissance, pendant
le temps de trente ans directement ou indirectement en quelque
sorte que ce soit, sans leur congé ou permission, à peine de confis-
cation de corps et de biens applicable à eux, tant contre les ouvriers
qui auroyent sans leurdite permission fait et imité leur engin [leurs
engins [, que ceux qui s'en serviront, et les mettront en œuvre ; et à
ces fins leur octroyer nos Lettres à ce nécessaires. NOUS à ces causes
désirant aider les dits exposans en l'execution d'une si louable et
sainte volonté, leur avons en inclinant libéralement a leur supplication
et requeste, et pour aucunement les en remunerer, permis, accordé,
et octroyé, de nos grâces, special, pleine puissance et autorité Royale ;
leur permettons, accordons et octroyons, voulons et nous plaist par
ces presentes, que jusques à trente ans prochains venant à commencer
du jour et datte d'icelles, ils puissent, et ceux seulement qui d'eux
auront charge, pouvoir et puissance de faire et accomplir le contenu
ci-dessus par tous les lieux et endroits de cestuy nostre dit Royaume,
Pays, Terres et Seigneuries de nostre obéissance, que requis seront ;
sans que pendant le dit temps aucuns autres de quelque estât, qualité
et condition qu'ils soyent, puissent en quelque sorte que ce soit
imiter ou contrefaire leur dite invention, ne se servir d'icelle, directe-
ment ou indirectement, sans leurdite permission ; ce que nous leur
defendons tres-expressement sur peine, tant aux ouvriers qui auront
faits les engins et ouvrages servant aux choses ci-dessus, que ceux
qui les auront faits faire fabriquer, et mis ou voudront mettre en
œuvre et service en quelque sorte que ce soit, de confiscation de corps
et de biens applicables ausdits exposans par ces dites presentes, du
contenu desquelles, nous voulons, et vous mandons, que vous les
faites, souffrez et laissez jouir et user pleinement et paisiblement,
ainsi qu'il est dit ; cessans et faisant cesser tous troubles et empesche-
mens contraires, sans que les dits exposans soyent tenus pour
ce faire, obtenir verification et entérinement de ces dites presentes
ailleurs que en nostre dit grand conseil ; et laquelle-vérification qui
sur ce y interviendra, nous voulons en outre estre de telle vertu et
execution, que si faite estoit en toutes nos autres Cours. Et pour
ce que de ces dites presentes l'on pourroît avoir affaire en plusieurs et
divers lieux, nous voulons que au vidimus d'icelle Collationné
par l'un de nos Amez et Féaux, Notaires et Secretaires, foy soit
adjoustée comme au present original, car tel est nostre plaisir.
Donné à Paris, le premier jour de Mars, l'an de grace mil cinq
cent quatre vingt cinq. Et de nôtres Regne l'unziesme. Signé , par
le Roy en son Conseil,
Et scellé du grand scel en simple queue de cire jaune.
Et a costé,
Jörulart.

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280 FRANÇOIS RUCHON

Leues et publiées en V Audience du grand Consei


gistrées es Registres ďiceluy, ouy et ce consentant
du dit Seigneur , pour jouir par les impetrans de l
dites Lettres. Fait audit Conseil , à Paris , le septième jour de Mars ,
Van 1585 .
Signé , /Thielement.
Et plus bas est escrit , Extrait des Registres du Grand Conseil du Roy .

Nous n'avons aucune raison de douter de l'authenticité de ce


texte. La seule question qui puisse se poser est de savoir si le Jean
de Sponde des Lettres patentes est bien l'humaniste navarrais. A
l'époque, aucun document connu n'atteste l'existence d'un autre
Jean de Sponde que le nôtre. Le père de Jean a bien eu de son second
mariage avec Sauvade de Hosta un fils Jean-Jacques, né avant 1568,
mais de toute façon il était beaucoup plus jeune que Jean, et les
lettres patentes auraient certainement donné son prénom exact et
complet s'il s'était agi de lui, les deux éléments dont il se compose
formant un tout et ne se dissociant pas dans l'usage.
La raison - et elle me paraît avoir un certain poids - qui m'incline
à identifier le Jean de Sponde des Lettres patentes avec l'humaniste-
alchimiste est la présence à ses côtés du Bâlois Nicolas Wasserhun,
Jean de Sponde ayant séjourné à Bâle pendant près de quatre ans
(1580-1584) et ayant presque le même âge que le Bâlois. De plus, la
présence de Wasserhun est attestée à Bâle à l'époque même où Jean
de Sponde y résidait et y publiait ses travaux d'humaniste. Il est
tout à fait vraisemblable de penser que Sponde et Wasserhun ont
lié connaissance à Bâle, qu'ils sont partis ensemble de cette ville,
ou qu'ils se sont retrouvés à Paris, s'adjoignant un troisième
« compère » dans la personne du Français Paul La Treille (sur lequel
nous ne possédons aucun renseignement).
Nicolas Wasserhun est né à Bâle, le 5 janvier 1555 (il était donc
de deux ans plus âgé que Jean de Sponde). En 1582, il fut admis dans
la Corporation du Safran. Il est mort après 1603.
Jean de Sponde séjourna longuement à Bâle de 1580 1 jusqu'en
1584 2 et fréquenta les milieux savants et humanistes de la ville.
C'est à partir de 1584 que l'on perd sa trace pour la retrouver en 1588
lors de la publication de ses Méditations sur les Pseaumes ... avec un
Essay de quelques Poèmes Chrestiens 3. Les Lettres patentes de Privilège

1 La lettre de Sponde à Guarinus, éditeur bâlois, placée au début des Adriani


Turnebi Adversariorum Libri III est datée du 25 novembre 1580.
2 Date d'une lettre de Théodore de Bèze (25 juillet 1584). Voir mon Essai sur la
vie de Jean de Sponde , pp. 38-39.
3 J'ai publié dans le tome XIII de la Bibl. d'Humanisme et Renaissance une étude
sur cette œuvre importante qui nous révèle en Sponde un prosateur habile et un grand
poète et nous livre un texte authentique des Stances de la Cène , des Stances et Sonnets
de la Mort .

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JEAN DE SPONDE, INGÉNIEUR 281

exclusif de 1585 viennent nous apporter un nouveau point de


Les trois personnages qu'elles indiquent ont dû vraisemblabl
former une sorte d'association pour exploiter les « secrets » qu'ils
avaient trouvés. Sponde, à la fin de son séjour dans la cité rhénane,
était - nous le savons par ses propres aveux - fort à court d'argent,
l'alchimie - et Zwinger et ses mécènes - ne lui ayant pas apporté
les substantiels bénéfices qu'il en attendait ; avec son génie inventif
et parfois chimérique, il s'est lancé dans une autre voie et est allé
tenter fortune à Paris avec Wasserhun, qui était vraisemblablement
un ingénieur. On sait d'ailleurs qu'au XVIe siècle les ingénieurs
allemands étaient fort appréciés en France. Pendant qu'il s'occupait
d'alchimie à Bàie, Sponde a très bien pu faire quelques expériences
et découvertes pratiques en ce qui concerne la combustion des
corps et la purification des métaux, à quoi font allusion plusieurs
passages des Lettres patentes : « Espargner la moitié du bois qu'on
consume » et « faire jouer les soufflets de toutes forges, martinets
pour affiner le fer... ensemble toutes autres mines d'or et d'argent,
et tous les autres métaux qui ont besoin de la violence de l'eau ».
Tout cela était vraisemblablement dans les cordes d'un alchimiste
quelque peu habile.
Le trio s'est rendu à Augsbourg et à Strasbourg ; nous savons
par un texte de Florimond de Raimond, qui a intimement connu
Sponde à Bordeaux, que celui-ci a effectivement été en Allemagne *.
Quant à l'effarante allusion : « davantage ont trouvé le mouvement
perpétuel », elle nous laisse, certes, rêveur et l'on se demande si nos
trois « inventeurs » n'étaient pas un peu des charlatans. Quelques-unes
de leurs inventions et prétentions paraissent assez suspectes et
sujettes à caution. On ne sait pas pour le moment comment l'asso-
ciation Wasserhun-Sponde-la Treille a fini, mais il est certain que
Sponde a été quatre fois en prison, deux fois pour des motifs politiques
(à Paris et à Orléans) et deux fois pour des raisons que nous ignorons.
Il a fort bien pu être incarcéré pour charlatanerie et tromperie.
Peut-être eut-il alors l'occasion de constater la véracité de la sentence
d'Homère « Non recte succedunt mala opera » qu'il avait traduite
dans son édition de У Odyssée 2.
Je relevais dans mon étude sur les Méditations sur les Pseaumes
qu'il y a encore « bien des inconnues dans la vie de Sponde », que
c'est « un sujet ouvert et une matière encore fluide que seuls les
hasards de découvertes dans des archives et des bibliothèques permet-
tront de fixer ». Je ne pensais pas alors tomber si vite sur un document
de cette importance et de cet intérêt. Les Lettres patentes de 1585

1 Florimond de Raimond, Histoire de la Naissance , Progrès et Décadence de l'Hérésie


de ce siècle , Rouen, 1629, pp. 134-135.
2 Homeri Odysseae, Livre VIII, p. 106. Basileae, Henricpetri, édition de 1606.

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282 FRANÇOIS RUCHON

nous apportent, en effet, d'une façon antithétique, qui n'eût pas


déplu à Fénigmatique auteur des Sonnets de la Mort , à la fois des
clartés et des obscurités nouvelles qui, si elles satisfont le cher-
cheur, semblent nous révéler un aspect quelque peu inquiétant du
caractère de notre héros.

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