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La violence, les religions, l’islam et le Coran

L’islam n’est pas le contenu plus ou moins développé du Coran, mais une suite
d’interprétations et de surinterprétations du texte coranique que les aléas de
l’histoire (notamment les enjeux politiques des moments abbassides et
omeyyades) ont promulguées au rang de religions orthodoxes ou hétérodoxes
selon le point de vue de chacun, car il existe de nombreux islams. L’on peut
effectivement faire un choix interprétatif personnel en la nébuleuse des propos
de l’islam.

La violence aveugle lorsqu’elle s’abat, meurtrit les êtres et les cœurs, frappe
l’imaginaire et sidère les consciences. Pour autant, il est légitime tout comme urgent
de s’interroger sur les causes de la violence. Violence politique, économique, sociale,
écologique, morale, les formes sont multiples mais, de manière aiguë, la violence
religieuse. Plus exactement, celle qui se justifie au nom de la religion et y puise sa
légitimité. Que l’on soit croyant ou non, quelle que soit sa religion ou ses convictions,
nous sommes tous au pied du même mur de terreur, réagir est nécessaire, comprendre
plus encore.

Quand bien même il y aurait fort à dire sur les diverses causes de l’actuelle violence,
je ne suis guère qu’un exégète et un théologien. Et, si des théologiens ont fourni et
fournissent encore aux feux de la guerre qui le bois qui l’huile, d’autres veulent
éteindre l’incendie dont la rouge lueur des flammes est prise pour la Lumière de
Dieu.

De manière générale, l’on a coutume de dire que le monothéisme est un concept


porteur en soi de violence, puisque n’admettant plus la présence des dieux de l’autre,
il refuse l’altérité. Cette posture dogmatique contient potentiellement le germe de
toute forme de violence à l’encontre de celui que l’on considère alors impie, au pire
impur, au mieux égaré. Ce raisonnement est juste, sauf que l’on ne peut l’imputer à
l’idée du monothéisme, mais bien à la constitution des religions monothéistes. Ici, le
pluriel s’impose, et les trois sœurs ennemies : le judaïsme, le christianisme et l’islam,
partagent en la matière les mêmes croyances. Non point quant au Dieu auquel ils
croient, mais s’agissant du Peuple élu, de la Nation élue ou de la Communauté
élue, juifs, chrétiens et musulmans ont tous fondé, de par la Sainte-Alliance entre
théologie et pouvoir, leur religion sur la suprématie de leur confession respective.

Nous voici au cœur du problème, le fondement des luttes d’expansion des uns et des
autres et la cohorte des violences et oppressions faites à l’autre, ce que l’on nomma
les guerres de religion. Ce lourd bagage commun repose sur trois postulats
intrinsèques à ces trois religions, à savoir : le refus de l’universalité de la foi, la
prétention à l’exclusive du Salut, la non-reconnaissance de la pluralité des religions
et des croyances. Plus précisément, car je ne cherche pas à faire là le procès des
religions, mais parce que je suis musulman, je traiterai de l’islam. Cet objet toujours
étranger à nos yeux d’Occidentaux, mais qui ces dernières décennies, et plus encore
depuis les événements récents, a été projeté sur le devant de la scène, là où
maintenant l’horreur le dispute à l’incompréhension. Or, la peur et
l’incompréhension ne peuvent qu’enfanter la haine.

Quant à l’islam donc, le refus de l’universalité de la foi, premier des trois ingrédients
toxiques que nous avons identifiés, est une croyance sûre, une certitude qui porte à
bout de bras la foi des musulmans. Mais croire que sa propre foi est seule à être vraie
a pour corollaire que la foi de l’autre ne peut l’être ; ce dont l’islam, à l’instar du
judaïsme et du christianisme, ne doute pas.

Par voie de conséquence, la prétention à l’exclusive du Salut devient un dogme aussi


cohérent que nécessaire : en dehors de moi point de Salut. Si seule ma foi est juste,
Dieu ne peut accorder son Salut en l’au-delà qu’à ceux qui la partagent.

Tout aussi logiquement, la non-reconnaissance de la pluralité des religions et des


croyances est alors une évidence. Ma foi étant celle de l’islam, et l’islam étant la
religion qui l’exprime, les autres religions ou croyances ne peuvent que représenter
une foi égarée et sont donc en matière de vérité nulles et non avenues.

Comment briser ce cercle herméneutique mortel ?

Il faut et il suffit qu’un des éléments de ce credo soit invalidé. Je ne dis pas rejeté,
car cela relève de la bonne intention de chacun, et tous les discours des âmes bien
pensantes ne sauraient avoir en islam de valeur. Seules les sources scripturaires y
font autorité, et si ce sont les textes de l’islam qui ont sécrété cette croyance
mortifère, alors, pour ceux qui s’interrogent quant à leur rapport avec cette religion,
la leur ou pas, ne reste que la question décisive : qu’en dit le Coran ? Pourquoi le
Coran ? Parce qu’il est l’ultime arbitre des musulmans, et donc l’aune à laquelle les
non-musulmans doivent juger, non pas l’islam, mais les musulmans. Or, en la
matière, le propos du Coran n’est pas celui de l’islam. Pour preuve, nous
examinerons quelques énoncés coraniques quant aux trois constituants que nous
avons mis en cause.

 Concernant le refus de l’universalité de la foi, le Coran dit : « Quiconque


abandonne entièrement son être à Dieu, tout en étant bienfaisant, aura sa
récompense auprès de son Seigneur. Et nulle crainte pour eux, ils ne seront
point affligés. » S2.V112. Le message est explicite, la foi est universelle, elle
concerne l’Homme.

 Corollairement, les religions ne sont que des expressions diverses de ladite foi
« …à chacun d'entre vous, Nous avons assigné une voie générale et un chemin
spécifique et, si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une unique
Communauté [religieuse]… » Ceci suppose obligatoirement que toutes les
religions monothéistes aient même grâce aux yeux de Dieu, le même verset le
précise : « …Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une Communauté
religieuse unique, mais c’est afin de vous éprouver en ce qu’Il vous a donné.
Rivalisez donc en bonnes œuvres, c’est vers Dieu que vous retournez tous
ensemble, et Il vous informera quant à ce sur quoi vous divergiez. » S5.V48.
Notons que la finalité spirituelle de cette pluralité est « rivalisez donc en bonnes
œuvres, c’est vers Dieu que vous retournez tous ».

 Universalité de la foi et égalité de ces religions forment ainsi un système


théologique cohérent, aussi lisons-nous : « En vérité, ceux qui croient : les
judaïsés, les chrétiens et les sabéens – qui croit en Dieu et au Jour Dernier et
œuvrent en bien – ceux-là auront leur récompense auprès de leur Seigneur. Et
nulle crainte pour eux, ils ne seront point affligés. » S2.V62. En ce verset, le
Salut divin n’est pas l’apanage de certains au détriment des autres, les seuls
critères pour l’obtenir sont : croire en Dieu et agir en bien.

 Le message du Coran concernant les trois prétentions que nous avons


identifiées n’a rien de commun avec ce que l’islam – en tant que construction
théologique et historique datée – soutient. L’islam, mais aussi les deux autres
grandes religions monothéistes, et par anticipation le Coran le leur rappelle : «
Ce ne sont point vos désirs [vous musulmans] ni ceux des Gens du Livre [les
juifs et les chrétiens principalement] mais quiconque œuvre en mal en sera
rétribué et il ne trouvera pour lui en dehors de Dieu ni allié ni secoureur, et
qui œuvre en bien, homme ou femme, en étant croyant, ceux-là entreront au
Paradis et ne seront en rien lésés.» S4.V123-125.

C’est pleinement inscrit dans ce contexte textuel dense que se comprend le célèbre
propos coranique : « Point de contrainte en religion », S2.V256, en lequel le terme
dîn/religion peut au demeurant tout aussi bien signifier foi.

Par ailleurs, nous avons mentionné en introduction la notion de "Communauté élue",


les musulmans donc, que le Coran qualifierait de « meilleure communauté suscitée
parmi les hommes ». Ceci serait effectivement en contradiction avec l’ensemble des
postulats coraniques que nous venons succinctement d’évoquer. De manière
caractéristique, nous avons là le parfait exemple d’une manipulation exégétique du
Coran, car le verset ainsi mis au service du point de vue de l’islam dit précisément :
« Vous étiez la meilleure communauté suscitée parmi les hommes, vous ordonniez le
bien et condamniez le blâmable et vous croyiez en Dieu. Si les Gens du Livre
croyaient vraiment, cela serait meilleur pour eux, il y a parmi eux des croyants et
nombre de déviants. » S3.V110. À l’évidence, ce verset parle des juifs et des
chrétiens et les appelle à revenir à la voie droite qui avait fait d’eux la meilleure
communauté de croyants ! Peu avant dans cette sourate, ce rappel est aussi adressé
aux musulmans : « Qu’il y ait parmi vous une communauté qui appelle au bien et
condamne le blâmable, car ce sont eux les bienheureux », v104. Ce sont donc en
réalité selon le Coran les croyants de ces trois religions qui sont invités à agir
vertueusement au nom de leur foi en Dieu, telle est leur égalité et aucun ne forme
une quelconque communauté élue. Au final, le message du Coran invite tous les
croyants à revenir à la notion d’un Dieu Unique et à abandonner l’erreur de toutes
les religions pour lesquelles Il est seulement et uniquement leur Dieu.

Nous l’aurons constaté, sur des points aussi essentiels, le Coran n’est pas l’islam, la
confusion herméneutique règne et il y a loin de la coupe aux lèvres. Le Dieu de
l’islam n’est pas le Dieu du Coran. L’islam n’est pas le contenu plus ou moins
développé du Coran, mais une suite d’interprétations et de surinterprétations du texte
coranique que les aléas de l’histoire (notamment les enjeux politiques des moments
abbassides et omeyyades) ont promulguées au rang de religions orthodoxes ou
hétérodoxes selon le point de vue de chacun, car il existe de nombreux islams. L’on
peut effectivement faire un choix interprétatif personnel en la nébuleuse des propos
de l’islam. C’est une première solution, il y a un islam de tempérance, de miséricorde,
de tolérance, un islam spirituel, un islam rituel, un islam des lumières, un islam de
guerre, un islam de patience et un islam de violence. Mais face à ces barbares
nihilistes qui massacrent et nous massacrent au nom de l’islam, il ne peut que
demeurer un espace de doute. Une zone d’ombre qui taraude la conscience des
musulmans refusant cette horreur, sans pour autant pouvoir se prouver et prouver que
leur religion en quelques de ses méandres textuels ne fournisse pas d’argument à ces
légions de criminels. Afin de crever l’abcès qui les gangrène, les musulmans doivent
parcourir le chemin qui les amènera à une relation au monde, aux autres, purgée de
ce doux poison qui bu jusqu’à la lie provoquera dans d’effroyables affres la mort de
leur religion comme celle des autres. Et, pour ce faire, l’ultime recours est donc bien
le Coran qui sur ces points diffère radicalement. Rappelons-le, pour le Coran il n’y a
pas d’élection divine, pas d’exclusive du Salut, et la pluralité des religions et des
croyances n’a pour autre finalité que d’encourager toutes les sensibilités humaines à
adorer Dieu et à agir en bien.

Dr. C. A. Moreno, dit Al Ajamî ; Médecin, exégète et théologien.

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