Pour mémoire : Dans le sillage de L'autre individualisme – Une anthologie (Les Belles Lettres,
octobre 2016), le Nouvel 1ndividualiste soutenait la cause anti-collectiviste d'une coopération
volontaire entre individus responsables (d'eux-mêmes mais aussi des conditions de possibilité d'une société de liberté), tous également souverains sur eux-mêmes et respectueux de la souveraineté des autres…
L'autre « en même temps » : fin de partie…
Loin de seulement pourfendre le règne généralisé de l'anti-individualisme primaire, le propos majeur du Nouvel 1ndividualiste était de défendre et illustrer l'« individualisme bien compris », tout spécialement sous la forme de l'individualisme libéral qui en est la meilleure traduction sociétale et politique. Et par suite d'engager une réflexion sur l'inscription de la souveraineté responsable de l'individu dans une société à la fois ouverte et enracinée : un autre « en même temps », dénué de toute ambiguïté à la différence de celui qu'on sait. Il s'agissait donc de vouloir (r)établir la primauté de la responsabilité individuelle, d'une liberté d'expression non soumise à la tyrannie médiatique et judiciaire du « politiquement correct », d'un « à chacun selon ses efforts, ses initiatives et sa créativité », du libre choix de son assurance pour la maladie et la retraite, du respect du droit de propriété étendu aux revenus, de la coopération volontaire, de la liberté de concurrence, du droit de vivre en paix dans une société laïcisée* sous l'autorité d'un État minimal fort… et en même temps d'être attaché à l'ancrage patrimonial et la cohésion culturelle de la nation, à la défense de ses frontières dans le cadre européen, à une justice pénale à tolérance double zéro punissant impitoyablement toute violation des droits individuels, à une instruction soucieuse de transmettre les disciplines du savoir dans la discipline des comportements. Cette perspective conjointe d'ouverture et de continuité historique procède d'une volonté cohérente de réaffirmation des conditions d'exercice de la liberté individuelle : plus doit s'ouvrir une société libérale, et plus il faut en resserrer les boulons et solidement l'arrimer aux héritages civilisationnels fondamentaux qui lui ont permis de se développer. Mais force est bien de prendre acte que dans l'actuel contexte politico-idéologique français, un tel souci se heurte à une alternative qui en fait une mission impossible. Ou bien, du côté de l'ouverture (ligne Le Monde/"Libé"), on se retrouve forcément en la mauvaise compagnie des partisans du multiculturalisme communautariste (culte de la « diversité »), des complices de l'invasion migratoire islamisée sous la bannière du « padamalgam », de la discrimination positive, des adeptes du pédagogisme et de l'orthographe inclusive, de la culture de l'excuse, du laxisme pénal de type Taubira (prisons ouvertes, pseudo-peines aménagées ou toujours réduites), d'une bienveillance hypertolérante… Ou bien, du côté de l'enracinement, il faut se compromettre avec les nostalgiques d'un ordre moral maurrassien/pétainiste et reconfessionnalisé (ligne Buisson-Zemmour), d'une « Tradition » composée de traditions liberticides, de l'appartenance close à des communautés organiques, d'un Bien commun sacrificiel, et d'admirateurs de l'autoritaire modèle sociétal poutinien**… Le nouvel 1ndividualiste n° 6 – mai-juin 2018 p. 1 Or du point de vue de l'individualisme libéral, c'est un « Ni-ni » qui s'impose face à cette alternative calamiteuse : Ni un « progressisme » échevelé combinant social-technocratie et gaucho-libéralisme culturel, relativisme et bougisme perpétuel, élargissement sans fin de l'Union européenne et pro-islamisme sociétal (vive le burkini, haro sur la déchéance de nationalité et l'état d'urgence !) Ni un ultra-conservatisme, ce collectivisme moral prêchant désormais une répugnante « union des droites et de l'extrême droite » (avec donc une Le Pen national-social-étatiste pro-État providence et soutenant la grève gaucho-stalinienne de la SNCF !) et devenu le nouveau « parti de Moscou » anti-OTAN. Entre ces deux répulsifs symétriques, il n'y a plus de place pour les orphelins de Jean-François Revel. Et, à la fois « bouteille à la mer » et « cri dans le désert », la petite musique atypique et non- alignée du Nouvel 1ndividualiste est condamnée à demeurer inaudible : il ne lui reste donc plus qu'à se taire, tandis que prospèrent en toute impunité de fait hordes du fascisme rouge (Black Blocs, NDDL) et territoires occupés par le salafisme dans les prétendus « quartiers populaires »… * Face aux grotesques fariboles de l'actuelle doxa (où se rejoignent significativement « progressistes » et ultra-cons) opposant une « laïcité libérale » forcément ouverte et « positive » à une « laïcité à la française » non moins forcément revancharde, rigide et accusée de racisme, il faut rappeler que dans l'histoire du libéralisme classique (le contraire du « liberalism » à l'américaine), nombre de grandes figures ont été favorables à la laïcité au sens « français » : Turgot (qui s'abstenait ostensiblement d'aller à la messe, ce qui a compté dans son limogeage), Jefferson (premier artisan de la séparation entre Église et État), J.S. Mill autant que Spencer (tous deux agnostiques militants), Yves Guyot (grand soutien de la loi de 1901), Alain, I. Berlin, Karl Popper (encore un agnostique notoire), Aron, Ayn Rand (une athée qui tenait les papes pour des ennemis personnels), le libertarien Nozick, Jean-François Revel et actuellement Vargas Llosa (que l'hostilité de l'Église catholique a empêché d'être élu à la présidence du Pérou). L'authentique laïcité libérale ne se résume pas à la neutralité de l'État : elle appelle l'intervention active de celui-ci pour juguler les menées des groupes de pression théocratiques qui œuvrent à la reconfessionnalisation forcée de la société. Elle voit dans la religion une affaire purement privée (personnelle ou associative) qui doit se garder de se politiser et vouloir peser sur la sphère publique au nom de Dieu : il serait en effet paradoxal de prôner autant de privatisation que possible, et de n'en exclure que la religion ! ** La Russie poutinienne, c'est la militarisation de toute une société avec embrigadement au sein de « jeunesse patriotiques » dès l'enfance, la réhabilitation des années Staline (interdit de critique), des élections truquées, le retour du KGB sous l'appellation FSB, l'étranglement et l'embastillement de la véritable opposition libérale (Alexeï Navalny), la transformation des médias d'État en grossières officines de propagande gouvernementale, l'interdiction de manifester contre le régime et des films qui ne conviennent pas au pouvoir, la persécution officielle des homosexuels, la confiscation de l'économie par les oligarques acquis à Poutine et les mafias, la corruption généralisée, le culte puéril de la personnalité du nouveau tsar avide de s'exhiber en surhomme, l'absence de garanties juridiques pour la propriété privée des entreprises, les menaces militaires grandissantes sur les États baltes et scandinaves… (Pour plus de précision, cf. l'excellente mise au point de la grande spécialiste universitaire Françoise Thom dans son tout récent Comprendre le poutinisme (Desclée de Brouwer)). Quand aux amateurs de géostratégie en chambre exigeant « qu'on parle avec Poutine puisqu'on l'a bien fait avec Staline », on rappellera le dur prix à payer de Yalta : la tyrannie soviétique sur l'Europe orientale et centrale pendant quatre décennies ! Ce qui n'empêche pas que Poutine soit devenu l'idole de toutes les extrêmes droites européennes, dont il est l'hôte et le financier complaisant…
Le nouvel 1ndividualiste n° 6 – mai-juin 2018 p. 2