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COLLECTION TRAVAIL & ACTIVITÉ HUMAINE

D I R I G É E PA R F R A N Ç O I S D A N I E L LO U , G I L B E R T D E T E R S S A C & Y V E S S C H WA R T Z

André Ombredane Jean-Marie Faverge


(1898-1958) (1912 -1988)

L'analyse du travail,
ruptures et évolutions
Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-Fassina
(coordinateurs)
Groupe de recherche et d'étude sur l'histoire
du travail et de l'orientation (GRESHTO)

www.octares.com
André Ombredane (1898 - 1958)
Jean-Marie Faverge (1912 - 1988)
L’analyse du travail
Ruptures et Evolutions

Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-Fassina


(coordinateurs)

Groupe de recherche et d’étude sur l’histoire du travail


et de l’orientation (GRESHTO)

CRTD - CNAM
Maquette et couverture : F. Daniellou,
avec l'aide de C. Gasbarri, G.N. Impressions – 31430 Villematier

Tous droits de traduction, d’adaptation et de reproduction par tous procédés réservés pour tous
pays. La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part
que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non desti-
nées à une utilisation collective » et d’autre part que les analyses et les courtes citations dans un
but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle,
faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (ali-
néa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit,
constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.

© 2015, Octarès Éditions


Octarès Éditions
24, rue Nazareth, 31000 Toulouse, France,
www.octares.com
ISBN : 978-2-36630-041-3
Liste des auteurs

Yves Clot
Professeur titulaire de la chaire de Psychologie du travail
Equipe de Psychologie du travail et de Clinique de l’activité, Centre de
Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD) – Conservatoire
National des Arts et Métiers

yves.clot@cnam.fr

Xavier Cuny
Professeur honoraire titulaire de chaire au CNAM
Groupe de Recherche et d’Etude sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation
(GRESHTO), Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD)
– Conservatoire National des Arts et Métiers

x.cuny@free.fr

Jean-Marie Faverge (1912-1988)

Gabriel Fernandez
Chercheur associé
Equipe de Psychologie du travail et de Clinique de l’activité, Centre de
Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD) – Conservatoire
National des Arts et Métiers
fernandez@cnam.fr
2

Guy Karnas
Professeur des Universités émérite
Université Libre de Bruxelles – Belgique
guy.karnas@ulb.ac.be

Anne Lancry
Professeur des Universités émérite
Equipe Psychologie de l’Orientation, Groupe de Recherche et d’Etude sur
l’Histoire du Travail et de l’Orientation (GRESHTO), Centre de Recherche
sur le Travail et le Développement (CRTD) – Conservatoire National des Arts
et Métiers
anne.lancry@cnam.fr

Marianne Lacomblez

Professeur des Universités

Faculdade de Psicologia e de Ciências da Educação, Universidade do Porto -


Portugal

lacomb@fpce.up.pt

Jacques Leplat
Directeur honoraire de l’Ecole Pratique des Hautes Etudes
Groupe de Recherche et d’Etude sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation
(GRESHTO), Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD)
– Conservatoire National des Arts et Métiers
jacques.leplat@wanadoo.fr

André Ombredane (1898-1958)


3

Régis Ouvrier-Bonnaz

Chercheur honoraire CNAM

Groupe de Recherche et d’Etude sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation


(GRESHTO), Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD)
– Conservatoire National des Arts et Métiers

regis.ouvrier_bonnaz@cnam.fr

Catherine Teiger

Chercheure honoraire CNRS et CNAM

Groupe de Recherche et d’Etude sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation


(GRESHTO), Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD)
– Conservatoire National des Arts et Métiers

moufcat@gmail.com

Annie Weill-Fassina

Chercheure honoraire CNAM

Groupe de Recherche et d’Etude sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation


(GRESHTO), Centre de Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD)
– Conservatoire National des Arts et Métiers

weill.fassina@orange.fr
4
5

Sommaire

« L’analyse du travail » d’Ombredane et Faverge au fil du temps 7


Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-Fassina

Première partie - « L’analyse du travail », une perspective


historique
Organisons la psychotechnique 39
André Ombredane (†)

L’analyse du travail : deux auteurs, une histoire, une actualité 55


Jacques Leplat

Jean-Marie Faverge en Amérique (1952) : Préludes à L’Analyse du


travail (1955) 65
Catherine Teiger

André Ombredane, Jean Marie Faverge et le behaviorisme 103


Marianne Lacomblez

De l’analyse du travail à l’analyse des données : un héritage


de J.-M. Faverge 111
Guy Karnas

Deuxième partie - « L’analyse du travail », une histoire en


développement
L'analyse du travail 125
Jean-Marie Faverge (†)

Le travail en herbe : l’analyse du travail en situation scolaire 137


Anne Lancry-Hoestlandt
6

Propositions de signaux, propositions de gestes : quels


développements actuels ? 161
Xavier Cuny

Gestes, action et analyse du travail 169


Gabriel Fernandez

Le travail en tant qu’activité de récupération 187


Jean-Marie Faverge (†)

L’attrait de l’œuvre de J.-M. Faverge 197


Yves Clot

Bibliographie générale 203


L’Analyse du travail d’Ombredane et Faverge
au fil du temps

Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-Fassina

L’ouvrage que nous proposons à votre lecture repose, en grande


partie, sur le séminaire organisé par le Groupe de Recherche et d’Etude
sur l’Histoire du Travail et de l’Orientation (GRESHTO) du Centre de
Recherche sur le Travail et le Développement (CRTD) du Conserva-
toire National des Arts et Métiers, consacré au livre d’André Ombre-
dane et Jean-Marie Faverge publié en 1955 : L’Analyse du travail. Facteur
d’économie humaine et de productivité. Avec cette nouvelle publication,
nous poursuivons le travail engagé sur l’histoire de l’Institut National
d’Etude du Travail et d’Orientation Professionnelle (INETOP) du
« 41 de la rue Gay Lussac » et des institutions proches pour la confronter
à l’histoire de la psychologie de l’orientation et du travail en France
et à l’étranger. Comme pour la première publication Suzanne Pacaud
(1902-1988). De la psychotechnique à l’ergonomie. L’analyse du travail en
question, l’objectif est de retrouver pour les présenter et les discuter
les  traces susceptibles d’expliquer les  faits constitutifs de cette histoire
et leur organisation pour mieux comprendre dans le champ du travail
et de l’orientation professionnelle tout à la fois :
- l’histoire des femmes et des hommes qui ont créé et fait vivre ces
institutions,
- l’histoire des idées, des théories et des méthodes qui ont supporté
les activités de recherches dans ces institutions et leur circula-
tion dans la communauté scientifique de référence.
8

1. L’Analyse du travail, une perspective historique


Il s’agit pour nous de poser un regard historique sur L’Analyse du
travail en questionnant la place prise par cette publication dans l’émer-
gence et le développement de l’analyse du travail et de l’orientation
à la fin de la deuxième guerre mondiale. Comme le souligne Jacques
Leplat dans son article, L’Analyse du travail : deux auteurs, une histoire,
une actualité, ce livre doit beaucoup à la présence d’Ombredane (1898-
1958) et Faverge (1912-1988) au Centre d’Etude et de Recherche
Psychotechnique (CERP) créé le 1er décembre 1946 sous les auspices
du ministère du Travail et de la Sécurité sociale dirigé par Ambroise
Croizat. Catherine Teiger, qui resitue le livre dans le contexte français
et international de l’époque, va dans le même sens quand elle précise
dans un ouvrage récent que « les études menées au CERP durant les
années cinquante ont été, en quelque sorte, la couveuse des premiers manuels
francophones d’une ergonomie francophone qui ne disait pas encore son nom »
(Teiger & Lacomblez, 2013, p. 17).  En décembre 1946, date de créa-
tion du CERP, un peu plus d’un an après la fin de la deuxième guerre
mondiale, l’urgence est de former une main-d’œuvre qualifiée suscep-
tible d’aider à la reconstruction d’un pays durement touché par cinq
années de guerre et de gagner la bataille de la production engagée
avec l’appui des grandes centrales ouvrières : 80 centres de formation
professionnelle d’adultes regroupant 7000 stagiaires vont être créés
dans un premier temps et l’ouverture de 96 centres supplémentaires
programmée. Le problème du recrutement des stagiaires et de leur
formation se pose avec acuité. Le contexte favorable aux innovations
concernant l’amélioration des conditions de travail et l’entrée dans la
vie professionnelle incite aux remises en cause. Pour soutenir l’effort
engagé, le Commissariat au Plan est créé le 3 janvier 1946 pour moder-
niser l’appareil de production et favoriser la relance économique en
la planifiant. Jean Monnet (1888-1979), commissaire général jusqu’en
1952, est l’instigateur du traité du 8 avril 1951 qui institue la Commu-
nauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA).

1.1 Le CERP, un laboratoire d’idées

Le CERP à sa création est placé sous la cotutelle du ministère du


Travail et d’un organisme fondé le 10 octobre 1946, l’Association pour
la Formation Rationnelle de la Main-d’Œuvre (AFRMO), née de la
9

fusion du Centre Scientifique de la Main-d’Oeuvre (CSMO)1 ouvert


sous l’impulsion du Front populaire en 1938 et de l’Institut National
de Formation des Cadres Professionnels (INFCP), ancien Centre de
Formation des Cadres professionnels (CFCP). Ce dernier plus connu
sous le nom de « Centre de la rue Dareau » fonctionnait depuis le 1er
décembre 1940 sous l’égide du Secrétariat général à la jeunesse (SGJ)
pour former les moniteurs intervenant dans les Centres de formation
professionnelle (CFP), élaborer des progressions d’exercices et des
programmes de cycles d’éducation et d’apprentissage professionnels
ainsi que les documents pédagogiques qui s’y rapportent. Il formait
parallèlement, en quelques semaines, les « sélectionneurs » intervenant
dans les Centres d’orientation et de formation professionnelles2. Dans
une période où le SGF se veut, selon la formule de son premier diri-
geant G. Lamirand (1899-1994), secrétaire d’Etat à la Jeunesse, « le fer
de lance de la Révolution Nationale » voulue par le gouvernement de
Vichy, les cadres de « la rue Dareau » vont s’efforcer de maintenir leurs
activités au sein d’une logique exclusivement professionnelle. Cepen-
dant, « opposer la seule valeur professionnelle aux idéologues du Secrétariat
de la Jeunesse eut été peu réaliste sans le recours à un instrument de résis-
tance approprié. Et c’est précisément à l’élaboration de cet instrument que s’at-
tachent en priorité les responsables du CFPC lorsqu’ils dotent les enseignants
professionnels d’une méthode rationnelle de formation qui, face à l’hétérogé-
néité des enseignements dispensés par les éducateurs du Secrétariat Général à
la Jeunesse, va constituer un élément essentiel du processus de professionnali-
sation des CFP »3 (Bonnet, 1999, p. 67).

Dans ce contexte, les formateurs du centre de formation des cadres


professionnels (CFCP), décident de s’appuyer sur une méthode de

1. Ce centre est créé le 1er décembre 1939 par transformation du Centre d’Etude du Travail
(CET), association fondée le 8 avril 1938 et agréée par le ministère du Travail le 9 avril 1938
avec pour responsables scientifiques Henri Laugier (1888-1973) et J.-M. Lahy (1872-1943).
2. Une circulaire du Commissaire Général à la Jeunesse du 10 mars 1944 aux Délégués-Com-
missaires Régionaux de la Jeunesse précise : « est sélectionneur toute personne qui a assisté à
une session de Formation de Sélectionneurs d’une durée variant de quatre à six semaines dans une
école technique du Commissariat Général à la Jeunesse, soit le Centre des Cadres Professionnels, 14
rue Dareau, Paris, ou l’école de Formation de Moniteurs Professionnels de Belle Ombre, à Clermont-
Ferrand » (Service du Travail des Jeunes – Bureau de la Formation et de l’Orientation Profes-
sionnelle - n° 7640 - n° G1 de circulaire 609).
3. La méthode choisie est inspirée largement de la méthode Carrard. Voir l’analyse que
B. Bonnet (1999) fait de cette méthode dans La formation professionnelle des adultes, p. 67-84.
10

sélection dite méthode Carrard (1889-1948), du nom d’un ingénieur


suisse fondateur en 1927 de la Fondation suisse pour la psychotech-
nique. Cette méthode retenue pour le recrutement et la formation des
stagiaires lie de manière empirique sélection et apprentissage. Cette
méthode qui valorise l’observation directe repose sur la cotation d’un
certain nombre de variables prises en compte lors de la passation de
tests directement traduisibles en pronostics d’utilisation profession-
nelle et sur la description des caractéristiques individuelles physiques
et physiologiques du candidat. La démarche préconisée, destinée à
déterminer l’ensemble de la personnalité, se décompos en trois phases :
impression générale produite par la personne, analyse de ses compo-
santes (structure psychologique de la personne), synthèse compte tenu
des réactions de la personne au contact du monde ambiant. L’approche
est essentiellement qualitative bien que le compte rendu d’examen soit
contraint par une feuille de notation standardisée permettant d’établir
un pronostic de réussite selon cinq possibilités : « totalement inapte, a
des difficultés à réussir, réussit normalement, réussit très bien, a des
possibilités supérieures ». Pour Carrard et ses collaborateurs (1953), la
psychotechnique appliquée n’est pas une science exacte, la qualité
du travail psychotechnique dépendant en grande partie de l’art du
psychotechnicien. Charles Haurez dans un ouvrage publié en 1947, La
formation professionnelle de la jeunesse ouvrière, dont la plupart des pages
ont été écrites au cours des années 1941 et 1943 alors qu’il travaille au
Commissariat au travail des jeunes4 va dans le même sens. Dans cet
ouvrage, préfacé par Alfred Carrard, « destiné aux équipes d’hommes et
de jeunes hommes qui se penchaient alors sur les problèmes angoissants de
la jeunesse ouvrière française » (1947, p. 9), il précise, « c’est encore un des
mérites du Dr Carrard et de ses collègues des Instituts de psychologie appliquée
suisses d’avoir été parmi les premiers à porter l’accent sur l’observation du
caractère et des manifestations affectives du sujet dans l’accomplissement des
tests ». « L’esprit avec lequel l’école, dite de Zurich, demande que soit conduit
l’examen psychologique place l’examinateur et l’examiné sur un plan tel, que
ce sont souvent les tendances les plus profondes, les plus intimes, les plus
dérobées qui apparaissent. L’homme vrai jaillit brusquement de derrière son
masque. C’est, quelquefois, le début d’une libération » (ibid, p. 79). L’ap-
proche de Carrard se démarque ainsi de celle de l’école française de

4. Ce secrétariat est instauré par le décret du 9 décembre 1940 et placé sous la tutelle du Secré-
tariat Général à la Jeunesse.
11

psychotechnique préconisée par J.-M. Lahy et de celle privilégiée par


le Service des tests de l’Institut d’Orientation Professionnelle (INOP)
qui avait été associé au recrutement des moniteurs et des stagiaires
des premiers Centres de reclassement en 1938. Plusieurs critiques sont
faites à la méthode Carrard : sa démarche trop empirique, sa défini-
tion peu précise des comportements et des performances et surtout
son absence de validation statistique. Ce qui est reproché à Carrard,
c’est moins l’empirisme de sa méthode, approche obligée des sciences
humaines et sociales qui permet de soumettre les premières hypothèses
à la réalité des faits, que l’absence de mise à l’épreuve de ces hypothèses
dans un dispositif de validation et de recherche. A l’instar de J.-M.
Lahy, pour les tenants de l’école française de psychotechnique, faire
de la psychotechnique, c’est avant tout faire de la recherche. Comme le
préconisent très tôt celui-ci et Suzanne Pacaud, « lorsqu’on a déterminé
les attitudes mentales et motrices du sujet pendant qu’il exécute son travail, il
faut les exprimer en langage psychologique. Or il n’y a pas de correspondance
rigoureuse entre chacune de ces attitudes et les "fonctions" qui, suivant les
données de la psychologie classique, "morcellent" l’individu » (1931, p. 133).
Si ces derniers sont prudents, ils n’en restent pas moins attachés à une
analyse psycho-physiologique centrée sur la correspondance stricte
entre les aptitudes individuelles et les métiers dont le caractère scien-
tiste commence à être l’objet de remises en cause.

1.1.1 André Ombredane et André Morali-Daninos au CERP

A la Libération, les docteurs André Ombredane (1998-1958) et


André Morali-Daninos (1909-1985) sont désignés par le ministère du
Travail pour procéder à une enquête sur les méthodes utilisées dans les
Centres de sélection et de formation du Centre Scientifique de la Main-
d’œuvre (CSMO). Les deux hommes choisis par la Direction générale
du Travail sont tous deux médecins psychiatres, mais leur parcours et
les raisons de leur nomination sont différents.

André Morali-Daninos est à Alger à la déclaration de la guerre, exclu


de toute activité professionnelle en raison des lois raciales de Vichy,
il s’engage très tôt dans le combat contre les Allemands. Il y prépare
de matière active, en organisant les réseaux de la Résistance, le débar-
quement des alliés en Afrique du Nord le 8 novembre 1942. Arrêté le
30 décembre 1942 après l’assassinat du général Darlan, envoyé en rési-
12

dence surveillée dans le sud algérien, il réussit à rejoindre Londres dès


février 1943. Affecté dans les Forces Navales Françaises Libres (FNFL), il
se voit confier la charge de la sélection du personnel du Centre médical
des FNFL implanté dans cette ville5. Son expérience de la psychotech-
nique, si elle est bien réelle, est assez limitée. Comme en témoignent les
soutiens d’Henri Wallon et de Paul Le Rolland, directeur de la Direction
de l’Enseignement Technique, lors de sa candidature au cours de sélec-
tion et d’orientation professionnelles créé le 1er janvier 1948 au CNAM
(décision du CA du 14 juin 1946)6, sa désignation auprès d’Ombredane
s’inscrit dans le jeu des influences politiques de l’après-guerre et du
rôle joué alors par le Parti communiste. Après l’échec de sa candidature
au CNAM et le refus de la direction de la main-d’œuvre du ministère
du Travail, dans le cadre de réorganisation du CERP, de le maintenir
à la tête de l’établissement où il assure la direction par intérim après la
démission d’Ombredane (CA du 27 octobre 1948) et son départ à l’Uni-
versité Libre de Bruxelles, Morali-Daninos quitte le CERP et travaillera
jusqu’à sa retraite comme médecin-conseil au Service de Documenta-
tion Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE).

Il publie en 1956 un ouvrage intitulé La psychologie appliquée dont la


troisième partie (p. 212-338) est consacrée à ce qu’il nomme la « psycho-
logie professionnelle  ». Dans cette partie composée de dix chapitres,
il insiste sur l’importance du facteur humain dans la vie profession-
nelle et étudie, dans une perspective médicale, l’origine psychologique
de la fatigue, des accidents et des maladies (Demangeon, 1957). Bien
qu’il tente d’analyser les conflits de buts auxquels les travailleurs sont
confrontés dans l’exécution de la tâche, précisant par ailleurs que l’acte
qui n’a pu être exécuté peut entraîner des troubles fonctionnels, son
approche de l’analyse du travail et de l’orientation professionnelle, arti-
culée sur le repérage des grandes fonctions psychologiques, se diffé-
rencie peu des approches classiques de la psychotechnique de l’époque.
Par la suite, André Morali-Daninos poursuivra des recherches interdis-
ciplinaires dans le domaine de la médecine psychosomatique en parti-
culier sur la psychologie et la sociologie des relations sexuelles (1968).
Dans ce cadre, il s’intéresse à l’utilisation des méthodes projectives dans

5. Fiche Français libre (2010) Un français libre parmi 51811, André Morali-Daninos. Les fran-
çais libres de juin 40 à Juillet 1943 http://www.francaislibres.net/liste/fiche.php?index=86387
6. Voir sur ce sujet  l'article de Ouvrier-Bonnaz (2014).
13

la pratique clinique  et écrit en 1963, un article intitulé La Société française


du Rorschach et les méthodes projectives avec Nella Canivet, psychologue
formée à Genève, pionnière en France dans le domaine des techniques
projectives et spécialiste de la littérature américaine sur le sujet, colla-
boratrice d’Ombredane au début des années trente au laboratoire de
psycho-biologie de l’enfant dirigé par Wallon. En 1974, il organise avec
le Docteur Timsit le premier congrès de Médecine psychosomatique
dont les actes sont publiés dans le Bulletin de la Société Française du Rors-
chach (Rausch de Traubenberg, 2006).

Le parcours d’André Ombredane, né le 19 novembre 1898 à


Parthenay dans le département des Deux-Sèvres, plus classique, est
celui d’un universitaire de la première moitié du XXe siècle. Après
l’obtention de son baccalauréat, Ombredane est mobilisé d’avril 1917 à
février 1919. Affecté au front dans l’aviation comme observateur jusqu’à
l’armistice signé le 11 novembre 1918, il obtient la croix de guerre avec
deux citations. Rendu à la vie civile, il prépare et réussit le concours
spécial d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm, réservé
à la session de 1919 aux soldats de la Grande Guerre qui viennent d’être
démobilisés. Il réussit l’agrégation de philosophie en 1922 et, comme
l’avait fait son maître Georges Dumas (1866-1946), dont il sera l’assis-
tant à la chaire de psychologie expérimentale de la Sorbonne de 1930 à
1933, il s’engage dans des études médicales. Interne à l’hôpital psychia-
trique Henri Rousselle à Paris de 1927 à 1930, il présente sa thèse de
médecine en 1929, Les troubles mentaux de la sclérose en plaques pour
laquelle il obtient le prix de thèse. En phase avec le milieu intellectuel
d’avant-garde, curieux des nouveautés de son temps, il participe en
1924 à côté de surréalistes, de médecins, d’écrivains et de psychologues
à un numéro spécial de la revue Disque vert éditée par la Nouvelle Revue
Française (NRF) consacrée à Sigmund Freud et la psychanalyse. Dans
un article intitulé Critique de la méthode d’investigation psychologique de
Sigmund Freud, il mobilise un thème qu'il ne cessera de questionner : le
langage et les fonctions symboliques7. De 1931 à 1933, il bénéficie d’une
allocation d’étude de la Caisse Nationale des Sciences et entreprend en

7. Le 11 mars 1923, il participe au côté de Daniel Berthelot, Président de la Ligue de l’Ensei-


gnement, de Jean-Maurice Lahy, Vice-président du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de
France, de Ferdinand Buisson, d’Anatole France, à l’hommage rendu à Ernest Renan « gloire
des lettres et de la pensée française  » pour le centenaire de sa naissance. Le texte de son
discours est consultable dans les archives de J.-M. Lahy conservées à Sainte-Anne. Renan,
14

collaboration avec le professeur de neurologie Théophile Alajouanine


(1890-1980), la création à l’hôpital de Bicêtre d’un laboratoire de patho-
logie du langage. Parallèlement, avec l’accord du recteur de l’Aca-
démie de Paris, il conduit une enquête dans les écoles parisiennes
pour repérer les élèves présentant des troubles du développement du
langage et organise avec le directeur de l’Institut de Phonétique des
cours de rééducation pour les enfants reçus en consultation à Bicêtre.
Pendant cette période, il mène une activité de recherche importante qui
le familiarise avec la rigueur expérimentale (construction de tests et
d’appareils de mesure, étalonnages …) dans le cadre de recherches sur
la pathologie des gestes et du langage. En mai 1933, il est nommé direc-
teur-adjoint du laboratoire de Psycho-biologie de l’enfant de l’Ecole
Pratique des Hautes Etudes dirigé par Henri Wallon (1879-1962), où il
conduit un ensemble de recherches sur les problèmes des aptitudes à l’âge
scolaire et les inadaptés scolaires, avant de partir en mission au Brésil en
1939 où il se trouve au moment de la déclaration de la Seconde Guerre
mondiale. Il y reste jusqu’à l’armistice comme enseignant de psycho-
logie à l’Université du Brésil à Rio de Janeiro. Durant ces vingt années,
il publie de nombreux articles, participe à la rédaction de plusieurs
traités de psychologie dont le Nouveau Traité de psychologie de Georges
Dumas en 1933 et le tome VIII de l’Encyclopédie Française consacré à
La vie mentale coordonné par Henri Wallon en 1938. Il rédige plusieurs
ouvrages en particulier Gestes et action  en 1943, où il étudie la désorga-
nisation symbolique de l’activité et les relations de ces désordres avec
les désorganisations spatiales et temporelles. C’est un chercheur connu
et reconnu qui devient en 1946 le premier directeur du CERP, André
Morali-Daninos en assurant la sous-direction.

1.1.2 André Ombredane, de la critique de l’aptitude à l’analyse du


travail

André Ombredane est directeur adjoint du laboratoire de psycho-


biologie de l’enfant quand il conduit, en classe de quatrième dans une
école secondaire parisienne, de janvier à juillet 1935, une étude médico-
psychologique (examen somatique, examen psychiatrique et examen
par tests) auprès d’élèves en provenance d’autres établissements, jugés

agrégé de philosophie, publie en 1848  L’origine du langage. Paris : Imprimerie Bonaventure et


Ducessois.
15

« inaptes » à la poursuite de la scolarité secondaire. Cette étude permet


à Ombredane de préciser sa conception de la sélection scolaire et profes-
sionnelle. Pour lui, comme il l’indique dans l’avant-propos de son livre
consacré au Problème des aptitudes à l’âge scolaire, « s’il est rationnel de ne
pas contester la validité de son principe, il est sage de déterminer d’abord les
possibilités et les limites des procédés actuellement utilisés et utilisables à cet
effet » (1936a, p. 4). Dans ce cadre, il interroge longuement la notion
d’aptitude et son utilisation en appui sur les travaux de psychologues
français et étrangers et de ses propres travaux sur l’aphasie. L’ana-
lyse d’Ombredane, l’une des premières du genre en France, mérite-
rait d’être longuement discutée, nous n’en développons que quelques
points utiles à notre présentation en lien avec L’Analyse du travail. Après
avoir précisé que la mesure d’une aptitude relative, par exemple, à la
mémoire ou à l’attention n’avait pas beaucoup de sens compte tenu des
différentes formes possibles de mémoire ou d’attention, il insiste sur la
notion de compensation. Prenant plusieurs exemples, il indique qu’à
« l’idée épiphénoméniste, selon laquelle le comportement résulte directement
de la moyenne des dispositions, s’oppose l’idée psychologique selon laquelle le
comportement est fonction de l’attitude que l’individu adopte vis-à-vis de ses
capacités et de ses insuffisances naturelles » (idem, p. 9). Si la détermination
d’une aptitude par le rendement (réussite ou échec global) est adaptée
aux fins pratiques de la sélection professionnelle, « elle se désintéresse
des mobiles qui portent l’individu et des moyens qu’il met en jeu dans sa
conduite. En d’autres termes, elle se désintéresse du pourquoi et du comment
de la réussite et de l’échec  ». Du coup, la mesure des aptitudes par le
rendement ne permet pas de savoir si l’exécution d’un travail peut être
assurée par des processus différents, et « si les différences de rendement
d’individu à individu ne peuvent pas provenir aussi bien de la diversité
des processus mis en jeu que d’une inégale capacité à tirer parti des mêmes
processus » (idem, p. 19). Dans la mesure où « à chaque tâche proposée
correspond un type évolutif de conduite capable de meilleur rendement », il
précise que toutes les tâches ne relèvent pas du même cheminement.
« Il y a des tâches auxquelles il est préférable de s’adapter par dressage ; il y a
des tâches qui ne dépassent pas l’appel au concret singulier ; il y a des tâches
qui ne relèvent que d’un cheminement suivi avec précaution ; il y a des tâches
qui admettent des schématisations mais ne comportent pas de solution logique ;
on peut même dire qu’il y a des tâches où l’intervention de procédés logiques
est une source d’erreurs et d’inadaptation » (idem, p. 23). En conclusion de
16

l’ouvrage Les inadaptés scolaires (1936b) qui rend compte des travaux
empiriques conduits en appui sur cette approche, il constate que
« pendant longtemps, la discrimination des aptitudes s’est inspirée d’un point
de vue sensualiste et associationniste » et que « l’on a abusé des distinctions
entre types visuels, auditifs, moteurs, verbo-moteurs ... » (1936 b, p. 82).
Pour lui, « une aptitude est essentiellement fonction du niveau évolutif des
conduites que l’individu est capable de mettre en œuvre, dans l’un ou l’autre
des domaines sensoriels et praxiques […] ces conduites évolutives de niveau
différent viennent s’intégrer dans les conduites d’adaptation de l’adulte, cette
intégration pouvant être caractérisée par un cycle d’élaboration extemporanée
où se retrouvent les divers stades évolutifs, et par l’emploi des conduites de
détour » (idem, p. 82). Il définit l’aptitude par « la capacité de mettre en
jeu, avec le minimum de rapidité nécessaire, le type évolutif de conduite qui
est le plus adéquat aux exigences de la tâche, ou, à son défaut, des conduites
de détour qui suffisent à assurer un rendement-seuil » (idem, p. 82). Il attire
notre attention sur la nécessité de faire une distinction entre ce qui est
demandé dans la réalisation de la tâche dont la mesure de l’aptitude est
censée rendre compte et l’activité mise en œuvre par l’individu. Celui-
ci, en situation de réaliser une tâche qu’elle soit scolaire ou profession-
nelle, peut adopter des conduites d’économie ou de détours. Dans cette
distinction apparaît déjà la différenciation opérée vingt ans plus tard
entre le quoi et le comment du travail. Tous les ingrédients utilisés par
Ombredane pour écrire en 1955 l’introduction de L’Analyse du travail 
sont déjà présents. Ce travail critique est repris à son retour du Brésil
dans un article Organisons la psychotechnique paru en 1946.

1.2 La psychotechnique et l’analyse du travail, un regard nouveau

Un décret promulgué le 9 novembre 1946 réorganise les Centres


de formation professionnelle accélérée dont Ombredane et Morali-
Daninos viennent d’examiner le fonctionnement. C’est le moment
choisi par Ombredane pour publier dans la revue du ministère
du Travail et de la Sécurité Sociale, La revue Française du Travail, un
article reproduit en tête de la première partie de cet ouvrage. Le titre
Organisons la Psychotechnique8 annonce clairement ses intentions. Pour

8. « Les ministères de l’Education nationale, du Travail, de la Défense nationale, de la Population, sont


directement intéressés à cette organisation. Sous le signe de l’Education nationale, l’Institut d’orienta-
tion professionnelle et tous les centres qui sont nés de lui constituent un premier monument d’organisa-
17

lui, « il y a en France un problème actuel de la Psychotechnique dont on ne


doit méconnaître ni l’ampleur ni l’importance […] un problème d’ensemble,
un problème de structure, qu’il faut résoudre en organisant rationnellement la
Psychotechnique comme une science expérimentale appliquée aux besoins de
notre économie et de nos travailleurs et cela signifie que la Psychotechnique
doit :
- mériter le nom de science,
- se développer comme une science expérimentale vivante,
- voir son application organisée selon une conception rationnelle qui
respecte l’homme,
- voir les institutions nationales engager leur responsabilité dans
cette organisation » (1946, p. 552).

Aux fonctions habituelles de sélection et d’orientation attribuées


à la Psychotechnique, il ajoute deux fonctions : l’accommodation des
conditions de travail aux travailleurs en mettant en évidence les amélio-
rations qu’il convient d’apporter à l’aménagement du travail et l’adap-
tation de la formation professionnelle aux possibilités de l’homme en
définissant les procédés de formation les plus pertinents. Comme Lahy
et Pacaud l’avaient déjà défendu pour étudier les aptitudes de l’homme
à un travail, il faut d’abord étudier ce travail. Si Ombredane reprend à
son compte cette nécessité, il en précise les conditions : « il faut décrire les
conditions d’un travail en termes de travail et non en termes de psychologie »
(idem, p. 556). Pour illustrer son propos, il prend l’exemple du « métier
de conducteur de train de fer métropolitain » qu’il reprendra dans
l’introduction de L’Analyse du travail. Alors que dans leur étude sur
le mécanicien de locomotive Lahy et Pacaud avaient privilégié une
analyse psychologique, il s’attache à définir le métier par des « facteurs
invariables ». Ainsi, selon lui dire que le métier de conducteur comporte
une « attention constante » aux signaux est ambigu. Le travail de conduc-
teur réclame « l’observation » des signaux, « quelle que que soit l’attitude
de l’homme qui les observe, que ce soit avec ou sans effort d’attention ». Pour
lui, d’ailleurs, « l’idéal est même l’élimination de l’effort, l’automatisation
de ce qu’on appelle attention » (idem, p. 557) – automatisation des gestes

tion » (1946, p. 564). Ce travail d’organisation à vocation à s’inscrire dans le cadre des travaux
de la commission créée par Maurice Thorez, vice-président du Vonseil, chargé de la réforme
administrative ayant pour but l’harmonisation de l’activité des différents ministères.
18

efficaces en situation dont Leplat (2005) rappelle, soixante ans après


Ombredane, les avantages liés à la faiblesse de coût cognitif de l’auto-
matisation de la conduite.

Quelles que soient les situations de travail observées, il n’est pas


facile d’analyser et de décrire les conduites humaines en fonctions
psychologiques élémentaires et il est encore moins facile de créer des
épreuves qui ne fassent appel qu’à une seule fonction à la fois, d’où
son constat : « je crois qu’il est hasardeux de définir des tests d’aptitudes par
les fonctions mentales à la mesure desquelles on prétend les destiner, comme
seraient : test d’attention, test de mémoire brute, test de mémoire logique, test de
compréhension, etc. Je pense qu’il est plus sage de définir les tests en termes de
comportement, comme on a défini les professions en termes de travail […]. Dès
l’instant où l’on définit les activités professionnelles en termes de travail et les
épreuves en termes de comportement, on peut assortir les épreuves aux activités
professionnelles sans passer par l’intermédiaire des fonctions psychologiques
hypothétiques qui seraient requises individuellement pour la réussite dans
telle épreuve d’une part et dans telle activité professionnelle d’autre part »
(idem, p. 560-561). Cette précaution méthodologique ne dispense pas
d’une étude statistique des résultats qui, pour être sérieuse, ne peut
reposer sur le jugement subjectif des examinateurs comme le préconise
« la méthode Carrard » utilisée dans les Centre de formation profes-
sionnelle accélérée. Fort de cette analyse, nommé directeur du CERP,
l’une de ses premières tâches est de recruter un professeur agrégé de
mathématiques, en poste à l’Institut National Pédagogique où il exerce
la fonction de chargé d’étude, Jean-Marie Faverge, pour conduire une
analyse critique de cette méthode9.

L’étude conduite par Faverge et Baud porte sur la valeur des appré-
ciations fondées sur l’observation du comportement propre à la méthode
Carrard pendant le passage des tests. Soixante-douze stagiaires candi-
dats à l’entrée en formation ont été examinés, chacun par deux psycho-
logues opérant séparément et donnant une note (+) ou (-) lors de la
passation de quatre tests choisis dans une batterie de huit épreuves
appareillées quatre à quatre pour dix variables complexes directement

9. Pour plus de détails sur la biographie et la carrière de Faverge, on peut se reporter à l’article
de Jacques Leplat et à l’hommage qui lui est rendu par Guy Karnas et Pierre Salengros dans
le numéro jubilaire du Travail humain qui lui est consacré en 1982 (Tome 45, n°1, p. 5-12). Cet
hommage est suivi de la liste des publications de Faverge.
19

traduisibles en pronostic professionnel : sociabilité, rythme du travail,


agilité manuelle, rapidité d’adaptation, adaptation à la monotonie,
exécution minutieuse, opérations conjuguées, activité intellectuelle,
initiative, persistance.

Les résultats de cette étude rassemblés dans un article Etudes


d’appréciations fondées sur l’observation du comportement paru en 1950
dans Le travail humain sont sans appel, « un accord significativement
valable ne pouvait être retenu que pour quatre variables, mais avec de
si fortes intercorrélations entre ces variables qu’on peut penser que les
psychotechniciens n’ont jugé qu’un seul facteur » (1950, p. 45). Ces constats
conduisent à l’abandon de la méthode Carrard dès 1948, le ministère
du Travail entérinant cette décision dans une circulaire du 15 février
1950 envoyée à l’ensemble des services de sélection : « Les études faites
depuis deux ans par le CERP ont conduit à l’abandon pur et simple de la
méthode dérivée de la technique de Carrard, précédemment employée par les
centres de sélection […]. Tous les organismes mondiaux qui s’occupent de
sélection ont peu à peu abandonné les procédés de sélection basés sur l’étude
exclusive du comportement apparent »10.

Dès lors, comme l’avait souhaité Ombredane dès 1946, une refonte
de la formation des psychotechniciens s’impose pour accompagner cette
évolution, elle sera initiée dans un premier temps au CERP. En France,
contrairement à ce qui s’est passé entre les deux guerres en Angleterre,
en Allemagne ou aux Etats-Unis, il n’y pas eu de création d’une véri-
table profession de psychotechnicien, à l’exception du diplôme délivré
par l’Institut de psychologie de l’Université de Paris créé en 1921 par
Henri Piéron (1881-1964), des cours dispensés à l’Institut d’Orientation
Professionnelle et au CNAM dans le cadre de la chaire de physiologie
du travail, d’hygiène industrielle et d’orientation professionnelle créés
en 1928. Cet état de fait, dû en grande partie au fait que la psychotech-
nique en France se développe d’abord en dehors des entreprises dans
des laboratoires souvent organisés sous l’égide des pouvoirs publics,
confère une responsabilité particulière au CERP. Le premier stage
de formation de psychotechnicien est organisé par le CERP en 1949

10. Faverge (1972) remarque cependant « que malgré tout, la validité des pronostics avancés à cette
époque par cette méthode n’était pas négligeable (de l’ordre de .40)  ; il semble qu’un niveau général
d’intelligence concrète était correctement appréhendé » (p. 168).
20

(26 septembre 1949 - 18 mars 1950) et les conditions d’accès à la forma-


tion précisées en 1951 : les candidats à la formation de psychotechnicien
du ministère du Travail doivent posséder la licence de psychologie, la
licence de philosophie, le diplôme de psychologie appliquée de l’Ins-
titut de Psychologie de l’Université de Paris ou le diplôme de conseiller
d’orientation scolaire et professionnelle délivré par l’INETOP à Paris
et l’Institut de Biométrie Humaine et d’Orientation Professionnelle
(IBHOP) à Marseille. Il faudra attendre 1953 pour voir la création du
diplôme d’Etat de psychotechnicien (décret du 13 mars 1953) après une
lutte d’influence entre le ministère du Travail et le secrétariat d’Etat à
l’Enseignement Technique du ministère de l’Education nationale11. Le
titre de psychotechnicien est alors délivré après un cursus d’enseigne-
ment universitaire sous la responsabilité de l’Institut de Psychologie de
l’Université de Paris et du Conservatoire National des Arts et Métiers.
Parallèlement à la délivrance de ce diplôme, la commission d’équiva-
lence placée sous la direction du directeur du CNAM qui fonctionnera
de 1953 à 1970 ne délivre le diplôme de psychotechnicien par équiva-
lence qu’aux seuls diplômés des centres de formation des conseillers
d’orientation, de l’Institut de Psychologie et de la licence de psycho-
logie créée en 194712.

1.3 L’alliance du clinicien et du statisticien dans l’analyse du travail,


l’affirmation d’une nouvelle approche du travail

Le plan expérimental initié par Faverge et Baud et le traitement


statistique d’une grande rigueur justifient a posteriori l’embauche d’un
« mathématicien-statisticien » tel que Faverge. Les travaux engagés au
CERP sous sa responsabilité vont favoriser progressivement le déta-
chement de la psychotechnique de ses bases physiologiques, en repre-
nant la remise en cause de la notion d’aptitude initiée par Ombredane
dès 1935. Faverge attribue à l’analyse factorielle le mérite de permettre

11. Voir à ce sujet la thèse de Thomas Le Biannic (2005), Les ingénieurs des âmes. Savoirs aca-
démiques, professionnalisation et pratiques des psychologues du travail de l’entre deux guerres à nos
jours. Thèse pour le doctorat de sociologie. Université d’Aix-Marseille II.
12. Le diplôme d’Etat de psychotechnicien comprend trois étapes, un certificat d’étude psy-
chotechnique (CEP) préparé en une année, un stage d’un an dans un service psychotechnique
d’entreprise agréé par la Direction de l’Enseignement Technique du ministère de l’Education
nationale, un travail personnel sous forme de thèse présenté devant un jury. Entre 1953 et
1970, une soixantaine de DE complet sont délivrés et environ 400 CEP (Archives du CNAM
4CC/1et 2).
21

de regrouper les tâches en fonction de leur signification. Il ne sépare


pas analyse clinique et analyse statistique. Dans L’Analyse du travail, il
revient à plusieurs reprises sur la validation des tests, sur les relevés
et les traitements statistiques des données observées. C’est dans cette
perspective qu’il enseigne la statistique, les aspects psychologiques de
la formation professionnelle à l’INOP et à l’Institut de Psychologie à
Paris jusqu’en 1959. Il publie un ouvrage de statistique en trois volumes,
Méthodes statistiques en psychologie appliquée (1950b, 1964, 1965). En 1972,
il revient sur l’examen du personnel et l’emploi des tests proposant dans cet
ouvrage à caractère pédagogique, d’analyser les situations singulières
dans lesquelles se situe l’examen afin d’expliciter les variables perti-
nentes, insistant sur le fait que l’on peut réussir dans un emploi avec
des styles divers et qu’ « ainsi l’examen consistera à évaluer l’homme dans
les conduites qu’il privilégie naturellement […] ».

Guy Karnas discute dans sa contribution, De l’analyse du travail à


l’analyse des données : un héritage de J.-M. Faverge, le lien entre l’analyse
clinique et l’analyse statistique à partir de l’étude du travail d’opéra-
teurs ayant en charge la bonne marche des installations énergétiques et
thermiques d’un institut de radio-télévision. Il fait le constat que l’ana-
lyse du travail et l’analyse des données chez Faverge se complètent et
entretiennent des interactions qui donnent du sens l’une à l’autre. Dans
ce cadre, la méthode de l’analyse binaire utilisée par Faverge permet de
dégager des axes d’interprétation faisant le lien entre les données rela-
tives au sujet et celles relevant de la variabilité des situations à partir de
« facteurs » considérés comme des variables indépendantes concrétisant
la réponse des sujets à une question. Comme le précise Karnas (1982,
p. 85), cette méthode de l’analyse binaire est « née de l’interaction entre
des considérations mathématiques et psychologiques, d’un va-et-vient entre
l’analyse et son objet, d’un dialectique du réel et de l’abstraction, du concret
et de l’abstrait, du théorique et du pratique ». Dans ce domaine, Faverge
ne manquait pas de préciser ce qu’il devait à Ombredane : « Bien que
n’étant pas mathématicien de formation, le Professeur Ombredane attribuait à
la statistique une très grande importance et ses vues étaient particulièrement
justes dans le choix et l’utilisation des techniques de calcul » (1959, p. 11).
Comme le rappelle Paul Bertelson, élève puis collègue d’Ombredane
à l’Université Libre de Bruxelles à la même époque, dans un papier
consacré à l’œuvre de ce dernier à Bruxelles, « c’est pour le goût de la
preuve qu’il s’était dirigé vers l’expérimentation et qu’il s’était progressive-
22

ment convaincu de la nécessité du recours à la statistique » (1959, p. 3). « Cette


police bien faite de l’observation et de l’expérimentation » comme il l’écrit
dans l’Introduction aux méthodes statistiques en psychologie de Faverge
paru en 1950, cette alliance peu commune réalisée par Ombredane des
meilleures qualités du clinicien et de l’exigence du contrôle, Faverge l’a
faite sienne.

Marianne Lacomblez revient sur les choix épistémologiques d’Om-


bredane et Faverge. L’intérêt de son article André Ombredane, Jean-Marie
Faverge et le béhaviorisme tient d’abord au choix qu’elle fait de mettre en
scène les événements qui l’ont poussée à fréquenter la pensée d’Om-
bredane et Faverge et l’influence de cette fréquentation pour expliquer
son propre positionnement dans le champ de l’analyse du travail. Elle
nous rappelle l’importance que l’étude du comportement prend chez
nos deux auteurs, l’objectif de l’analyse du travail étant de favoriser
l’observation précise de « ce qui est réellement fait et de le transcrire le plus
objectivement possible ». Il s’agit de privilégier les critères de comporte-
ment dont la validité peut être contrôlée par l’observation et la mesure
des faits. Comme Naville (1904-1993) l’avait fait auparavant à propos
de la psychologie (1942), Ombredane et Faverge voient dans le béha-
viorisme la possibilité de réfléchir à une nouvelle approche épistémolo-
gique concernant la compréhension de ce qui se joue dans les activités
de travail. Pour cela, il est nécessaire de ne pas s’en tenir à une vision
trop étroite de la conception de Watson, les comportements devant être
étudiés « dans un ensemble de durées significatives » (Rolle, 1997, p. 230).
Pour Lacomblez, c’est à cette condition que l’on peut comprendre
la perspective des travaux présentés dans L’Analyse du travail et ce
qu’elle nomme comme relevant chez Faverge d’un « néo-béhaviorisme »
pouvant être défini « dans la confrontation aux caractéristiques technico-
organisationnelles de la situation de travail et à la dynamique qui lui est
propre, dans une activité de régulation qui est celle d’une activité engagée
dans la situation, inscrite dans le temps de l’action ». Dès lors, comme
elle le précise en conclusion de son article, pour Faverge, « l’échange
entre opérateurs et analystes du travail se devait d’être construit dans une
confrontation de savoirs sans hiérarchie prédéfinie ». Jacques Curie (2005)
dans une conférence prononcée à l’Université Libre de Bruxelles, le
rappelle, les réflexions engagées par Ombredane et Faverge dans
L’Analyse du Travail, au plus près des comportements observés en situa-
tion et en faisant confiance à l’expertise des travailleurs eux-mêmes,
23

permettent de dépasser les deux réductionnismes longtemps domi-


nants, à savoir :
- d’un côté la réduction de travail à ses conditions internes, le
travail étant considéré comme une fonction des caractéris-
tiques de celui qui l’exécute et en particulier de ses aptitudes
mesurées par des tests ;
- de l’autre une réduction de l’activité à ses conditions externes,
le travailleur étant censé exécuter les prescriptions.

Dès lors, les modèles interactionnistes vont s’imposer, ainsi pour


Wisner, en recréant la tâche en fonction de ses propres caractéristiques,
« l’opérateur est le créateur répété de sa tâche » (1995, p. 153).

2. « L’analyse du travail », une histoire en développement


Au sortir de la deuxième guerre mondiale, comme l’indique
Catherine Teiger, une grande effervescence règne dans tous les
domaines et spécialement dans ceux touchant au travail, en raison
des impératifs de modernisation et de productivité jugés nécessaires
à la reconstruction  des pays européens dévastés. Cette conjoncture,
qui est également celle de la concrétisation du projet d’une intégration
européenne, ouvre les portes à la création de nombreux organismes
qui joueront un rôle important dans le développement de l’approche
de l’analyse du travail et de l’ergonomie : l’OECE (Organisation Euro-
péenne de Coopération Economique, 1948), la CECA (Communauté
Européenne du Charbon et de l’Acier, 1951) et l’AEP (Agence Euro-
péenne de Productivité, 1953). Ces nouvelles institutions directement
associées au Plan Marshall d’aide économique des USA facilitent les
échanges avec le continent américain dans le cadre de missions dites
« de productivité » qui regroupent les chercheurs européens. Une
première mission diligentée par le Comité National de la Productivité
se rend du 12 octobre au 24 novembre 1952 aux Etats-Unis ; six cher-
cheurs sont désignés par le ministère du Travail pour y participer, dont
Jean-Marie Faverge.
24

2.1 Faverge, une reprise de la critique de l’aptitude

La même année 1952, Faverge rédige dans le bulletin du CERP qui


vient d’être créé un article intitulé Analyse et structure du travail que
Catherine Teiger commente assez longuement. L’idée, déjà avancée par
Wallon (1947), que les aptitudes ne représentent rien en dehors de la
signification de la tâche proposée y prend corps. Elle ouvre un champ de
recherche nouveau. L’article de Faverge ,reproduit pratiquement mot
pour mot dans le chapitre V de L’Analyse du travail, reprend la critique
de la théorie des aptitudes amorcée par Ombredane dès 1936 sous la
responsabilité scientifique de Wallon. La remise en cause de Faverge
est tout entière dans l’article présenté, elle s’appuie dans une première
partie sur une critique des méthodes utilisées dans le cadre de la ratio-
nalisation du travail par l’analyse des temps issue du taylorisme et du
fordisme de la première moitié du XXe siècle et plus particulièrement
sur la motion and time measurement (MTM). Cette méthode décompose
chaque geste réalisé par un exécutant et le codifie en lui attribuant une
lettre, par exemple la lettre R pour l’action qui consiste à « atteindre »
(19 codes sont ainsi utilisés). Pour Faverge, «  atteindre un objet a une
signification et on risque de faire un mauvais découpage si on sépare le geste
de son objet » (1952, p. 2). L’action ne naît pas de rien. Ce point de vue
implique une distinction conceptuelle : l’objet de l’opération et l’objet
de l’action ne se superposent pas. Il n’y a pas d’action sans intention,
sans représentation consciente du résultat à atteindre. Il part de ce point
de vue pour étayer sa remise en cause de la notion d’aptitude. Il appuie
sa critique sur l’exemple du profil-type de la mécanicienne en chemi-
serie homme (profil donné dans l’article p. 6) : « Ne nous arrêtons pas
pour sourire du souci de précision dans les degrés d’aptitude, n’insistons pas
pour connaître la population de référence pour laquelle les pourcentages sont
valables, ne demandons pas si les variables sont quantitatives et appréciables
en degrés, etc. Examinons seulement les deux rubriques « coup d’œil » et
« sûreté gestuelle » ����������������������������������������������������
que l’auteur considère comme particulièrement impor-
tantes pour ce poste de travail ». Faverge interroge : « Qu’entend-on par
coup d’œil  ?  ». Il répond en s’appuyant sur l’apprentissage de l’opé-
ration de briquetage qu’il a lui-même conduit (idem, p. 3) précisant
ainsi, sans s’y appesantir, l’importance de l’apprentissage du métier
ou de certains gestes du métier en situation pour le psychologue du
travail. Faverge est lucide, il se méfie du dogme de l’expérience immé-
diate, « nos premières observations, lorsque nous apprenons un métier pour
25

le comprendre, sont souvent peu importantes, quel que soit l’intérêt que nous
ayons mis à les noter, parce que la nature du travail change ensuite et qu’elles
ne correspondent qu’à un moment très vite évanoui de l’apprentissage »
(idem, p. 3). Ainsi de la tâche qui consiste à monter un mur de briques :
« un beau jour… nous avons constaté que nous posions bien et rapidement
nos briques, et que nous avions mis de côté toutes les recommandations,
nous contentant de placer notre brique franchement en l’orientant grâce à
une visée dans le coin de droite, formé par l’arête verticale de notre brique
et l’arête horizontale de la brique de rang inférieur ». Faverge en déduit
que la réussite de l’activité de visée n’est pas liée à la possession d’une
aptitude spécifique, mais à une compétence acquise progressivement
qui consiste à placer son œil au bon endroit. Dans la même cohérence,
il prend en fin d’article (idem, p. 8) l’exemple d’une tâche de soudage
pour montrer les dangers d’une analyse sommaire qui conduirait à une
identification erronée de la difficulté critique de l’activité. Pour Clot et
Leplat (2005, p. 296), Faverge semble bien avoir été l’un des premiers
à voir « l’intérêt de la méthode clinique dans l’analyse du mode d’acquisition
de l’expérience et dans l’analyse des compétences tacites ou incorporées ». De
la prise en compte de cette signification liée à la résolution de la tâche,
Faverge tire un constat : aucune activité n’est semblable à une autre.
Cette diversité induit le choix de l’angle d’observation et de l’approche
méthodologique.

2.2 Objectifs et méthodologie de « l’analyse du travail »,


de nouvelles perspectives

Dans son hommage à Faverge, de Montmollin (2008) résumait la


situation en concluant que la démarche proposée par L’Analyse du travail 
« rompait complètement avec les principes et les pratiques de la psychologie
différentielle appliquée […]. Le travail n’était plus considéré comme la mise en
œuvre par l’opérateur d’une panoplie d’aptitudes et de capacités dont l’iden-
tification constituait l’essentiel de le tâche de l’analyste, le plus souvent dans
une perspective de sélection. Le travail était désormais envisagé comme un
dialogue entre l’opérateur et son environnement, une communication régulée
d’informations entre l’homme et la machine ».

Ce point de vue est développé dans les deux articles de Faverge


reproduits en début et en fin de la seconde partie de cet ouvrage : ils
encadrent, entre 1954 et 1979, le développement de la conception du
26

travail de Faverge dont plusieurs publications marquent l’évolution de


ses préoccupations, sous-tendues par les problèmes d'organisation dut
travail.

Le premier article, intitulé Analyse du travail, publié dans la Revue


de Psychologie Appliquée un an avant le livre portant le même titre, fait
suite à l’article Analyse et structure du travail (1952). Faverge le présente
comme un compte rendu de la mission aux USA au cours de laquelle
il a découvert les objectifs assignés à l’analyse du travail et ses insertions
en entreprise par différents psychologues américains (connaissance de
fonctions, préparation de programmes d’enseignement, classification
des emplois, organisation du travail et des communications, constitu-
tion d’un instrument de placement). Il en retient aussi diverses techniques
d’analyse, en termes de rubriques, d’opérations, de variables d’organisa-
tion, réservant pour un autre chapitre (Faverge, 1954b) les analyses de
Human Engineering « ayant pour objet principal l’amélioration des dispositifs
de contrôle et de commande ». Il faut souligner l’intérêt, original pour
l’époque, que Faverge manifeste pour les enregistrements filmés, les
possibilités d’observations et d’interprétations différentes qu’ils offrent
selon qu’on les regarde en accéléré ou au ralenti ; il ouvrait ainsi la voie
à une méthode de relevé et d’interprétation des données comportemen-
tales qui sera largement utilisée par les ergonomes et les psychologues
du travail. On comprend déjà que les intérêts de Faverge pour l’en-
semble des fonctions de l’entreprise, pour l’observation du travail réel
et de ses conditions du point de vue de ceux qui le réalisent, la préci-
sion des critères utilisés, l’apport d’expérimentations contrôlées et des
approches statistiques, visaient à faire de l’analyse du travail, comme
il le soulignera dans le sous-titre de l’ouvrage de 1955, « un facteur
d’économie humaine et de productivité ». Au retour, il développe ce qu’il
caractérisera plus tard comme « une ergonomie des activités motrices »
fondée sur l’analyse du travail en termes d’étude des mouvements et
des gestes et « une ergonomie informationnelle » fondée sur l’analyse du
travail en termes d’étude du langage des communications (Faverge,
1966a). C’est l’époque de la recherche d’indices pour comprendre le
coup d’œil des maçons, le tour de main des soudeurs, les erreurs dans
la transmission des informations. Dans cette ligne, il publiera en 1959
avec Leplat et Guiguet, L’adaptation de la machine à l’homme. 
27

2.3 Le travail en termes de régulation

Cette même année, Faverge est nommé Directeur du Laboratoire de


Psychologie de l’Université Libre de Bruxelles. Il y conduit un ensemble
de recherches, dont celles financées par la Commission Européenne du
Charbon et de l’Acier en lien avec des équipes italiennes, allemandes,
anglaises et françaises. Dans L’ergonomie des processus industriels,
Faverge (1966a) en retient l’idée de nouvelles approches de « l’analyse
du travail en termes de régulation et de prévision », ce qui implique une vue
systémique de l’entreprise « comme un ensemble d’unités fonctionnelles en
interrelations ». Il définit la régulation comme étant « le maintien entre
certaines limites constantes de caractéristiques physiques ou chimiques des
tissus ou organes ou la préservation d’un équilibre entre ces caractéristiques »
(p. 37). C’est une conception inspirée de la biologie et de la cyber-
nétique. Tout en proposant dans les derniers chapitres de l’ouvrage
une formalisation de tels processus, il appuie, à titre d’exemple, ses
réflexions sur des observations détaillées concernant la prise et le trai-
tement des informations intervenant dans les décisions de contrôle de
processus et de produit dans des laminoirs. Il s’agit bien ici de modes
de régulation du système homme-machine dont il établit une typologie
d’après les comportements observés. Dans le même temps, il ouvre la
voie à l’émergence d’une ergonomie cognitive préoccupée de représen-
tations des situations et de stratégies.

2.4 La fiabilité humaine et la fiabilité des systèmes

En articulation avec la régulation des processus, Faverge déve-


loppe les concepts de sécurité et de fiabilité. Il en avait jeté les bases dès
1955 dans L’Analyse du travail, en pensant peut-être plus aux erreurs
qu’aux accidents dans le contexte de formation professionnelle où il
était alors : « L’adaptation du comportement de travail aux exigences de la
tâche peut être plus ou moins bonne. Cela dépend de deux ordres de facteurs :
d’une part de la nature et du degré des exigences de la tâche ou en termes
plus simples, des difficultés offertes par la tâche et, d’autre part, des disposi-
tions comportementales dans lesquelles se trouve l’homme chaque fois qu’il
aborde la tâche, donc d’une part, un facteur structural lié à l’objet et d’autre
part un facteur dispositionnel lié à l’homme ». En 1967, dans Psycho-socio-
logie des accidents, il rejette, comme Suzanne Pacaud avant lui, l’idée de
prédisposition aux accidents, rompt avec la dichotomie classique entre
28

facteur humain et facteur technique et adopte une logique systémique


cohérente avec la régulation des processus de travail : l’accident devient
un dysfonctionnement du système, une conséquence non voulue de
l’interdépendance entre ses composants humains, techniques, environ-
nementaux, organisationnels. Il en résulte le postulat de la pluricau-
salité des accidents, qui sera au principe de la Méthode de l’arbre des
causes développée au Laboratoire de Psychologie du travail de l’Ecole
Pratique des Hautes Etudes sous la Direction de J. Leplat et à l’Institut
National de Recherches sur la Sécurité (Cuny & Weill-Fassina, 2012).
L’idée d’un homme agent d’infiabilité et de fiabilité dans le système
homme-machine (Faverge, 1970) a largement marqué les ergonomes,
psychologues du travail et sociologues préoccupés de fiabilité humaine
et de fiabilité des systèmes (Leplat & De Terssac, 1990).

2.5 L’activité dans la dynamique des systèmes de travail

En 1970, dans L’organisation vivante, Faverge et son équipe élar-


gissent encore leur point de vue sur l’analyse du travail, en proposant
d’insérer les objectifs de modifications ergonomiques dans « la vie
des organisations  pour tenir compte des aspects dynamiques de la situation
présente et de l’appréciation qu’en donne la connaissance des modes d’évolution
des entreprises » (p. 8). Il traite « de la vie des organisations, des changements
qui s’y produisent, des évolutions des structures, des processus d’ajustement
aux contraintes internes et externes ». Ainsi, il introduit et justifie une
dimension temporelle dans une discipline dont on dit souvent qu’elle
est axée sur « ici et maintenant », dimension qu’il traitera avec des
méthodes historique, diachronique ou longitudinale pour comprendre
les processus de transformation, l’introduction d’innovations, les résis-
tances aux changements. Les tentatives de formalisation, sont soutenues
par l’analyse dans les domaines agricoles et industriels, de plusieurs
exemples « d’effets boules de neige » d’une modification locale qui en
entraîne d’autres, techniques ou structurelles. Le problème des opéra-
teurs dans ces situations, est que les évolutions, les mutations techno-
logiques ou organisationnelles ne tiennent pas compte des exigences
réelles du travail qui s’ensuivent. Cet ouvrage, accueilli à son époque
avec perplexité dans le milieu ergonomique, trouve des résonances
dans la tradition ethnologique de Leroy-Gourhan (1973, par exemple),
qui lie les évolutions du milieu technique et du milieu de vie. Il trou-
29

vera également des échos dans les tentatives d’Alain Wisner (1985) avec
quelques collaborateurs (1997) pour développer l’Anthropotechnologie
en s’interrogeant sur les possibilités, les conditions et les résultats de
transferts de technologie à la fois du point de vue économique, social et
humain. Nous avons nous-mêmes décrit, dans le domaine ferroviaire,
sur trois décades, comment l’enchaînement des interactions entre chan-
gements des orientations de la société, des règles de l’organisation de
l’entreprise, du système technique, introduisaient des modifications
de tâches et d’activités au poste de conduite et dans la vie personnelle
des conducteurs et comment cela pouvait devenir sources de conflits
d’objectifs et de mal-être au travail (Weill-Fassina & Valot, 1998). Ces
dernières années, à un moment où l’intensification du travail, les
changements techniques et organisationnels sont reconnus comme
« facteurs de risques psychosociaux », il serait pertinent de repenser
à observer concrètement la dynamique des organisations vivantes et
leurs effets sur les travailleurs. C’est bien la question sociale du travail
qui a été posée par Faverge et reste posée avec acuité.

2.6 La régulation, une activité de récupération ?

L’article Le travail en tant qu’activité de récupération publié en 1979,


reproduit dans cet ouvrage, semble être le dernier du genre dans sa
bibliographie, et à ce titre peut être considéré comme son « article-
testament ». Rappelant ses critiques des méthodes d’analyse des apti-
tudes, les analyses que nous venons d’évoquer en termes d’activités de
production et de prévention, il en arrive à la conclusion que « l’activité
de récupération  est constituante essentielle du travail humain ». « Récupérer
n’est pas seulement réparer … Mais aussi ajuster, réguler, c’est à dire ramener
à la norme » (p. 203). On peut penser qu’il s’agit de normes techniques
propres au fonctionnement des processus industriels, car dans certains
cas et d’autres secteurs, la récupération consiste à permettre au système
de continuer à fonctionner dans des zones de tolérance acceptables.
«  L’activité de récupération n’est pas entièrement définie par la tâche,  elle
dépend du travailleur, de sa conception du travail, de son style et, déjà, de ce
fait est au cœur de l’analyse psychologique » (idem, p. 203). Il s’agit donc de
tâche effective, de marges de manœuvre construites avec l’expérience,
mises en œuvre pour compenser une diversité de dysfonctionnement
ou de risques (défauts de conception du système, de l’automatisation
30

des dispositifs, dégradation des matériels). Il s’agit, comme l’indique


Yves Clot « d’initiative » ; on pourrait dire d’autonomie en référence à
la dynamique sociale dans lesquelles ces conduites s’inscrivent. Mais
il s’agit aussi d’astreintes, d’anxiété, de surcharge et de stress lié aux
risques d’erreurs et à la pression temporelle, termes inattendus dans
leur appel à la subjectivité, en tout cas peu courants dans les autres
textes de Faverge dont l’image est plus orientée vers le behaviorisme.

3. Extension et diversification des points de vue et des


méthodes en analyse du travail, l’influence d’Ombredane
et Faverge
Les textes des auteurs présentés dans la deuxième partie ne portent
pas directement sur l’ouvrage d’Ombredane et Faverge, mais, en
retiennent dans son prolongement quelques idées qu’ils ont intégrées,
discutées ou approfondies dans leurs propres recherches, ainsi du texte
d’Anne Lancry-Hoestland qui dans le prolongement de l’œuvre de
Faverge s’intéresse à l’analyse psychologique de travail situé dans un
milieu particulier – l’école – et aux liens entre tâche, milieu de travail
et changement dans l’organisation (Lancry-Hoesland, 1989 ; 2000). Les
textes de Xavier Cuny et Gabriel Fernandez reviennent sur l’analyse de
l’activité centrée sur les informations et les gestes en en systématisant
l’approche.

3.1 De la formation professionnelle à l’ergonomie scolaire

Anne Lancry-Hoestland dans son texte Le travail en herbe propose


trois focales d’analyse qui zooment de plus en plus près sur l’activité de
l’élève en situation scolaire. Elles retiennent successivement :
- la structure par blocs des principaux éléments du système
scolaire en interaction entre eux et susceptibles d’intervenir
plus ou moins directement sur l’activité de l’élève,
- les couplages entre la tâche et ses conditions, l’opérateur
et ses caractéristiques, l’activité qu’il déploie et ses consé-
quences.
- le déroulement du processus du travail scolaire de la concep-
tion de la tâche par l’enseignant à sa réalisation par l’élève,
31

figuré dans la ligne du schéma d’un système de communi-


cations proposé par Faverge articulé à celui des étapes de
réalisation de la tâche proposé par Poyet (1990).

En référence aux textes de Faverge, chacun de ces trois modèles


permet respectivement d’analyser l’institution scolaire comme une
« organisation vivante », avec ses contraintes, ses conflits de valeurs, de
buts, de moyens, ses changements qui influencent le travail des élèves
et de tous les acteurs qui y participent, d’analyser les régulations du
processus de travail par les élèves à l’échelle des conditions de travail
dans la classe, d’analyser les communications enseignant-élève, leurs
stratégies et les difficultés d’enseignement et d’apprentissage. De cet
ensemble d’approches, Anne Lancry dégage des indicateurs de fiabilité
dont la classification s’inspire des facteurs définis par Faverge et dont
les interactions sont devenus un classique de l’ergonomie, facteurs liés
aux difficultés de la situation (dits « facteur structural ») et facteurs liés
aux « dispositions comportementales de l’homme au moment où il réalise la
tâche » (dits « facteurs dispositionnels »).

Sur la base de ces différents points de vue, différentes possibi-


lités d’intervention en milieu scolaire pourraient trouver leur place et
davantage se coordonner. Sans compter les problèmes d’orientation
des élèves, l’ergonomie scolaire pourrait être partie prenante en ce qui
concerne les aspects techniques, matériels, physiques, temporels de la
situation. Les dimensions sociales et psychologiques des rapports aux
savoirs qui marquent les attitudes et les relations entre enseignants et
élèves et des élèves entre eux, pourraient être davantage du ressort de
la pédagogie dans la mesure où elle propose des réflexions plus ou
moins pragmatiques sur l’organisation de la classe, les méthodes et
pratiques de transmission des savoirs (actives, participatives, etc.).
Enfin, comme le fait remarquer Leplat dans son article les recherches
en didactique sont en cohérence avec l’analyse du travail : elles sont
fondées sur une réflexion concernant les connaissances et les concepts
à transmettre, sur leurs modalités d’intégration par les élèves en fonc-
tion de leur niveau de formation, sur les processus d’enseignement à
mettre en œuvre et « vise plus particulièrement l’aménagement des objets
du savoir pour les rendre accessibles aux élèves » (Lenoir & Mayen, 2012).
32

3.2 Du codage des informations à la sémiologie

En ce qui concerne les informations, Ombredane et Faverge (1955)


avaient trouvé commode « �������������������������������������������������
de distinguer quatre systèmes : celui de l’infor-
mation symbolique ou verbale, celui de l’information par schémas, celui de
l’information extéroceptive fournie par les aspects de la chose travaillée, celui
de l’information proprioceptive fournie par le jeu des régulations toniques du
corps de l’homme au travail » (chap. VIII, p. 159) 

Le texte de Xavier Cuny intitulé Propositions de signaux, propositions


de gestes se présente comme une réflexion sur les informations utili-
sées dans le travail. A ses débuts, dans les années 60, Xavier Cuny,
psychologue de formation, a largement participé, en tant que membre
de l’équipe de Leplat, aux recherches dans les aciéries et les laminoirs,
financées par la CECA. Dans la ligne des propositions d’Ombredane et
Faverge sur « le langage des communications », il a multiplié les obser-
vations sur le terrain, plus spécifiquement sur « l’élaboration et l’utilisa-
tion des systèmes non verbaux chez les adultes », indices, signaux schémas,
gestes, peu étudiés jusqu’alors. Il en analyse le codage et la présenta-
tion, la signification, la compréhension et l’exploitation en travail indi-
viduel et collectif. Les enjeux portent sur la qualité du travail, la sécu-
rité, la fiabilité des systèmes. En 1981, il en propose une synthèse dans
sa thèse La fonction sémique dans le travail. Dépassant la classification en
fonction des supports d’information, il développe les concepts de base
des communications non-verbales (symbolique et extéroceptive donc)
en les situant dans le cadre théorique de la sémiologie. Il en reprend
ici quelques idées en contrepoint des propositions d’Ombredane et
Faverge.

Cette approche l’amène en particulier à réfléchir sur le statut du


geste dans le travail, élément clef de l’observation du comportement
mais aussi objet de discussion encore actuel. Nous avons déjà rappelé
les reproches qu’adressaient Ombredane et Faverge à la description et
à l’évaluation des gestes en terme d’aptitudes et de « sûreté gestuelle »,
trop globale, et à différentes formes de « décomposition des processus en
opérations élémentaires » (p. 105) morcelant arbitrairement le travail. Ils
ont donc cherché dans leurs analyses à comprendre l’ajustement de l’ac-
tion (réalisée par le geste) à l’information interprétée dans le langage
des communications. Les liens forts établis entre informations et gestes
33

les ont conduits à considérer «  les bons signaux », ceux qui permet-
traient d’orienter ou de guider le geste pertinent aux exigences de la
production. Dans cette ligne, Karine Chassaing (2012), par exemple, a
mis en évidence la diversité des indices en interaction dans la situation
de travail dont un maçon apprend à tenir compte pour développer une
gestuelle adaptée aux multiples exigences du lissage du béton.

Cuny a montré que ce lien pouvait s’inverser : l’action, l’opération,


la posture, le geste d’un opérateur peuvent devenir indices, pour un
collègue, de l’action ou du moment de l’action qu’il doit accomplir. En
s’inspirant du vocabulaire de Leplat (2012) sur la pluri-fonctionnalité
des gestes, on peut dire que Cuny a mis en évidence à côté des « gestes-
actions » traditionnellement pris en considération, les gestes-signes que
constituent les codes gestuels formels ou normalisés, dont l’usage est
prescrit et les gestes-indices informels utilisés par un opérateur qui lui
attribue valeur d’information. On peut compter avec l’expérience pour
introduire une dynamique entre ces codes gestuels formels et infor-
mels.

Par ailleurs, Ombredane et Faverge font état pour le quatrième


système d’information (1955, Chap. VIII, p. 154-158) de l’utilisation par
les opérateurs « de signaux proprioceptifs […] qui proviennent à chaque
instant d’attitudes prises par le corps dans des conditions de repos ou de
mouvement et qui entraînent des réactions de fixation de l’attitude (réactions
statiques) ou des réactions de redressement (réactions cinétiques). Il s’agit
essentiellement d’un mécanisme de régulation du tonus musculaire qui accorde
les positions respectives des différents segments du tronc et des membres dans
unse condition posturale optimale, dite d’équilibre…Ils assurent l’ajustement
du geste aux repères et limites définis par l’information extéroceptive ». Cette
information reconnue par l’opérateur est donc liée au mouvement d’ac-
complissement du geste. Elle met en même temps en cause les liens
entre geste et mouvement. Problème difficile à approfondir à l’époque
en situation de travail, ne serait-ce que pour des raisons techniques
mais dont l’enjeu porte sur la santé au travail et les risques de maladies
professionnelles.
34

3.3 Des indices aux indicateurs, supports de réflexions collectives

Gabriel Fernandez est médecin du travail. Ses intérêts sont


orientés vers les pathologies liées aux contraintes sociales du travail
(Fernandez, 2009). Membre de l’équipe d’Yves Clot, il développe des
recherches en clinique de l’activité. Le texte théorique et méthodolo-
gique qu’il présente ici, Gestes, action et analyse du travail (Chap. 10) fait
partie d’une étude interdisciplinaire visant la prévention des divers
troubles musculosquelettiques (TMS) développés par de nombreuses
opératrices d’une blanchisserie industrielle située dans l’emprise d’un
groupe hospitalier. Cette vaste étude aborde «  au sein d’une même
unité psycho-socio-physiologique, le geste, les automatismes et le mouve-
ment » (Tomàs, 2013). Gabriel Fernandez, sur la base d’une revue de
question engageant principalement Leontiev (1903-1979) et Wallon,
dans un contexte de théorie de l’activité, décrit d’abord un cadre théo-
rique qui relie les trois plans du geste du point de vue physiologique,
psychologique et affectif : l’observation des modes opératoires ne peut
suffire à analyser les caractéristiques de l’action si l’on ne considère pas
les mouvements impliqués dans le geste. Il revient alors aux techniques
de la physiologie pour décrire les phénomènes qui résultent de l’activa-
tion de l’appareil moteur et détecter les astreintes qui peuvent conduire
pour partie à l’apparition de troubles musculosquelettiques. L’analyse
des enregistrements électromyographiques des mouvements synchro-
nisés avec l’enregistrement des modes opératoires, permet un relevé
systématique des observables. Le traitement des données met en relief,
sous forme graphique, une variabilité intra et interindividuelle des
liens entre sollicitations musculaires et évolution de l’effort engendrées
par une série apparemment analogue de gestes. Ce résultat surpre-
nant laisse supposer une pénibilité différenciée et ouvre la voie à une
discussion du point de vue subjectif des agents sur leur travail. Selon
nous, comme aurait pu le remarquer Faverge, les aspects descriptifs
de ces résultats semblent objectivement peu discutables, moyennant
les nuances nécessaires au protocole scientifique d’observations. Mais
pour comprendre les relations inattendues mises en évidence, l’inter-
prétation de la part des agents devient essentielle et donc discutable
(objet de discussion) en autoconfrontation quand ils réfléchissent à
leurs façons de faire, confrontent leurs modes opératoires et cherchent
les possibilités qu’ils auraient d’agir autrement de manière plus écono-
mique pour eux. On peut peut-être avancer que l’analyse proposée est
35

une aide à l’explicitation de certains indices proprioceptifs que décri-


vaient Ombredane et Faverge.

4. « L’analyse du travail » toujours à recommencer 


C’est justement sur « l’interprétation » qu’insiste entre autres Yves
Clot dans le voyage dans quatre textes qu’il nous propose pour souli-
gner en conclusion L’attrait de l’œuvre de Faverge. Pour lui, en discutant
le bien-fondé théorique de la psychotechnique, les travaux de Faverge
portent une vraie rupture au cœur même de l’histoire de la psychologie
du travail. Dans l’introduction de L’Analyse du travail, Ombredane, en
s’appuyant sur la conduite du métropolitain et le respect des signaux
par le conducteur, marque clairement cette rupture en différenciant « le
quoi » et le « comment » du travail : « Deux perspectives sont à distinguer
dès le départ dans une analyse du travail : celle du Quoi et celle du Comment.
Qu'est-ce qu'il y a à faire et comment les travailleurs que l'on considère le
font-ils ? D'une part, la perspective des exigences de la tâche et d'autre part,
celle des attitudes et séquences opérationnelles par lesquelles les individus
observés répondent réellement à ces exigences » (1955, p. 55).

Comme le précise Clot, cette différenciation commentée par Leplat


dans son article conduit nos deux auteurs à faire dans un premier
temps « un éloge de la tâche », l’activité du travailleur étant « contenue
en puissance dans la tâche qu’il réalise ». Le vieux conducteur rumine
librement ses soucis et ses joies et freine et repart machinalement sans
précipitation ni retard à l’appel des signaux, il serait bien en peine de
dire s’il fait ou non attention, mais le respect des signaux est assuré
sous une forme optimale, c’est ce qu’exige la tâche. Pour autant est-ce
que le respect des signaux exige l’attention, s’interroge Ombredane ?
Face à une psychologie des fonctions qui lie étroitement attributs du
sujet et réalisation, Ombredane, dont le rôle a bien souvent été sous-
évalué dans la rédaction de L’Analyse du travail et les choix de Faverge,
en excentrant les sources du comportement, opère un véritable retour-
nement épistémologique dont se sont emparés les ergonomes et les
psychologues du travail.

Dès lors, retrouver la complexité de l’activité sous ce que l’on a pu


observer du comportement est «  faire œuvre d’interprétation  » pour le
psychologue. Mais  la variabilité des conduites face aux tâches prévues
36

montrent aussi « la multiplicité des interprétations d’un même phénomène »


par les opérateurs dont on veut comprendre l’activité. Cette multipli-
cité d’interprétations recouvre des « conflits de critères quant à la qualité
du travail », qui marquent l’importance de la subjectivité au travail et
s’inscrivent dans le jeu social de l’entreprise. Comprendre et dénouer
ces conflits de critères pour faciliter le développement de l’activité en
situation de travail est un objectif propre à la clinique de l’activité (Clot,
2008). Dans ce cas, l’analyse et son interprétation par les sujets sont
orientées vers le développement de leur pouvoir d’agir, tandis que l’er-
gonomie vise d’abord à adapter les conditions de travail pour que les
opérateurs puissent travailler efficacement, en sécurité en développant
leurs compétences. Avoir rendu possible cette double orientation est à
porter au crédit de L’Analyse du travail.

Pour terminer, citons la conclusion de l’article de Clot : « Le moins


qu’on puisse dire est que la conception des rapports entre tâche, activité et –
dans notre vocabulaire – subjectivité est loin ici du cognitivisme étroit par
lequel on définit trop souvent la tradition que Faverge a inaugurée. Au bout
du compte, si on devait se demander comment expliquer l’attrait que cette
œuvre exerce encore sur nous, on pourrait peut-être dire que c’est en raison du
fait qu’elle est inachevée ». C’est à développer cette œuvre que les auteurs
réunis dans cet ouvrage se sont attachés.

« L’analyse du travail, c’est Sherlock Holmes », disait Faverge l’œil


pétillant de curiosité. C’est à la recherche des indices et des traces
qui ont fondé et permis le développement de son œuvre et de celle
d’Ombredane que nous vous invitons. Une façon, pour nous, de ne pas
oublier ce que nous devons à ceux qui nous ont précédés.
Première partie

L’Analyse du travail, une perspective historique


Organisons la psychotechnique13

Dr André Ombredane

Professeur agrégé de l’Université

Comme dans tous les pays du monde, il y a en France un problème


actuel de la Psychotechnique dont on ne doit méconnaître ni l’ampleur
ni l’importance. A vrai dire, il y a dans ce champ toute une gamme
de problèmes qui admettent une certaine indépendance les uns vis-
à-vis des autres, depuis les problèmes généraux des buts jusqu’aux
problèmes limités de la réalisation technique. Mais pour les esprits
constructeurs qui cherchent l’articulation essentielle d’un ensemble et
veulent savoir où l’on doit appliquer d’abord le levier, je dirai qu’il y
a bien un problème d’ensemble, un problème de structure, qu’il faut
résoudre en organisant rationnellement la Psychotechnique comme
une science expérimentale appliquée aux besoins de notre économie et
de nos travailleurs, et cela signifie que la Psychotechnique doit :

1. mériter le nom de science,

2. se développer comme une science expérimentale vivante,

3. voir son application organisée selon une conception ration-


nelle qui respecte l’homme,

4. voir les institutions nationales engager leur responsabilité


dans cette organisation.

13 Article paru en 1946 dans la Revue Française du Travail, 7, 552-565. Revue qui a pris le titre
de Revue Française des Affaires Sociales. Reproduit avec l’autorisation de la revue.
40

La Psychotechnique est née du souci d’adapter l’homme au travail,


mais ses résultats n’ont pas tardé à faire naître un autre souci : celui
d’adapter le travail à l’homme. Entre ces deux soucis, il y a eu et il y a
encore des contradictions, des conflits dont la solution n’est pas sans
comporter souvent quelques pièges.

En principe le but de la Psychotechniques est double : d’une part


déterminer les composantes du comportement humain, en présence
d’une situation donnée, par des procédés qui éliminent l’appréciation
subjective. et qui introduisent la mesure, cette condition indispensable
de toute science objective ; d’autre part prévoir à partir des résultats
obtenus dans sa première démarche, ce que sera le comportement des
individus en présence d’une situation qui n’est pas donnée actuelle-
ment, et introduire encore une appréciation quantitative dans cette
prévision, c’est-à-dire prévoir le rendement du comportement humain
dans une situation possible.

On peut imaginer la plus grande diversité des situations possibles


pour lesquelles la Psychotechnique est utilisable : quelle est la probabi-
lité que je fasse le tour du monde avec cinq sous utilement en poche ou
quelle est la probabilité qu’un aviateur gagne un pari en passant avec
un appareil de dimensions données, sous l’Arc de Triomphe. Mais il y
a des situations d’intérêt collectif pour lesquelles la Psychotechnique
est d’un emploi plus raisonnable et généralement admis, encore qu’il
ne soit pas déraisonnable de demander à la Psychotechnique des indi-
cations insolites comme serait la probabilité que tel homme fût capable
de faire un bon père de famille. Les rendements probables à la détermi-
nation desquels la Psychotechnique est ordinairement employée sont :
le rendement scolaire, le rendement professionnel, le rendement militaire,
le rendement sportif.

Dans de tels cas, l’utilité de la Psychotechnique éclate aux yeux de


tous : dois-je engager mon enfant dans des études qui dureront plusieurs
années, s’il doit, à cause d’une insuffisance de capacités, échouer aux
examens ? Quel intérêt y a-t-il à engager un adolescent dans l’appren-
tissage d’un métier s’il ne doit y faire qu’un artisan médiocre ? Dans
quel autre métier a-t-il des chances d’avoir un meilleur rendement  ?
Parmi les hommes d’un contingent, quels sont ceux qui feront les meil-
leurs télémétristes ou les meilleurs éléments d’une troupe de choc  ?
41

Quels hommes doit-on choisir pour leur confier la conduite d’un train
ou d’un avion où quelque incapacité, quelque négligence, met en un
instant la vie de tous en danger ?

On peut penser qu'il suffit de mettre l’enfant à l’école, l’apprenti au


métier, le pilote à sa machine, et l’on verra si son rendement est bon
ou mauvais. Oui, mais les années d’étude sont longues et coûteuses,
changer de métier n’est pas facile, la faute de pilotage ne pardonne
guère, et le soldat de la troupe de choc ne fera ses preuves qu’à l’heure
où l’événement est impitoyable pour les erreurs dans le choix des
hommes.

En principe, la Psychotechnique permet : l) de choisir les individus


les plus aptes a une activité définie (sélection) ; 2) de diriger les individus
vers les activités dans lesquelles ils trouveront leur meilleur rendement
(orientation), et cela au moyen d’épreuves réduites, applicables en un
temps limité, spécialement étudiées pour que les résultats autorisent
un pronostic, permettent de prévoir le rendement dans des activités
plus complexes où la responsabilité des individus est engagée.

Mais de la comparaison des conditions du travail et des capacités


de l’individu ressort toujours la nécessité d’accommoder les conditions
du travail aux possibilités du travailleur. La Psychotechnique entraîne
toujours une évidence des améliorations qu’il convient d’apporter à l’aména-
gement du travail : réduction, voire suppression complète, des risques de
traumatisme ou d’intoxication, simplification des mouvements, adap-
tation des rythmes de travail à la fatigabilité du travailleur, perfection-
nement de l’outillage non pas seulement dans le sens d’une production
plus grande, mais dans celui d’une manipulation plus facile.

Une autre fonction de la Psychotechnique est d’adapter aux possi-


bilités de l’homme la formation professionnelle, de définir les procédés
les meilleurs de formation professionnelle. On pourrait croire et l’on
a cru longtemps que l’ouvrier découvre lui-même, à la faveur de l’ex-
périence, les attitudes, les procédés de travail les plus économiques.
Cela n’est vrai qu’en partie. Il suffit, pour s’en rendre compte, de penser
à la technique qu’un individu tend spontanément à acquérir quand
il se met tout seul, sans maître ni indication spéciale, à la machine a
écrire : il tape avec deux doigts seulement, les deux index, et il surveille
42

constamment du regard le clavier. Cela est peut-être d’un apprentis-


sage plus économique, cela n’est pas du meilleur rendement.

Je citerai une autre application de la Psychotechnique qui n’est après


tout qu’un aspect de l’orientation mais qu’il importe de mentionner
a part, parce qu’elle réclame actuellement une organisation systéma-
tique : la récupération fonctionnelle des malades guéris.

Ainsi donc, sélection, orientation, récupération, aménagement des


professions, aménagement de la formation professionnelle, telles sont
actuellement les principales fonctions de la Psychotechnique.

J’ai parlé tout à l’heure de contradictions, de conflits entre le souci


d’adapter l’homme au travail et le souci d’adapter le travail à l’homme. Il
y a là un point qu’il importe de bien éclairer quand on parle des buts de
la Psychotechnique. Les ouvriers en sont encore souvent à considérer la
Psychotechnique avec méfiance, comme une manière d’exiger d’eux le
maximum d’efforts, comme une manière de ne plus leur pardonner les
défaillances et de les renvoyer à des emplois moins rémunérés quand
ils ont passé l’âge où l’on se prête volontiers aux «  examens  ». Cette
méfiance n’est pas née d’un facteur de hasard. elle répond à la tech-
nique de sélection telle que la concevait, il y a un demi-siècle, le fameux
Taylor. Ecoutez ce qu’en dit, dans un livre récent, le psychotechnicien
suisse Léon Walther :
« Si, dans plusieurs questions d’organisation du travail, Taylor a été
un précurseur, dans le domaine de la sélection il a encore suivi tout à fait la
pratique que nous venons de rappeler, en en aggravant même les défauts par
les caractères de l’esprit américain. Il a été maintenu dans cette attitude par
l’abondance de la main-d’œuvre que lui fournissait l’immigration. 
Taylor arrêtait la tâche ouvrière en chronométrant le meilleur des ouvriers.
Les autres, de force moyenne, devaient accomplir la même tâche sous la menace
d’être renvoyés. C’est ainsi qu’il a procédé pour organiser la manutention de
la fonte dans la Betlehem Steel Co. En outre, Taylor ne se contentait pas d’éli-
miner tous les ouvriers qui ne pouvaient gagner un salaire de base très élevé,
mais il procédait à des sélections réitérées, rejetant au bout de quelques années
de travail les ouvriers usés par le labeur intensif qui leur avait été imposé.
Comme, d’autre part, il s’adressait surtout à des immigrants qui ne passaient
en Amérique que quelques années, les meilleures de leur vie, il n’est pas éton-
43

nant qu’il ait pu arriver à des rendements très élevés. Son expérience la plus
connue dans ce genre de travaux a porté sur les vérificatrices des billes de
bicyclettes : il augmenta le salaire de celles qui triaient le plus de billes tout en
commettant le moins d’erreurs, diminua le salaire des vérificatrices moyennes
et congédia les mauvaises, simplement parce qu’elles ne possédaient pas les
qualités exigées de perception et d’action réflexe. Bien qu’elles fussent, comme
le dit Taylor lui-même "parmi les plus intelligentes, les plus travailleuses et les
plus consciencieuses". Cette dernière constatation suffit à démontrer l’insuffi-
sance scientifique et morale de ce système de sélection : on prive de travail des
sujets de premier ordre, sans avoir cherché à découvrir leurs capacités et à les
mettre en valeur ».

J’ai parlé aussi de « pièges » dans les solutions qu’on s’efforce d’ap-
porter au conflit entre le souci d’adapter l’homme au travail et le souci
d’adapter le travail a l’homme. Le système des « primes » au rende-
ment est de cet ordre, et je sais des professions dans lesquelles la prime
compte pour 50 % dans le salaire normal. Dans son livre publié en 1914,
un américain ingénieux, Dill Scott, recommande des procédés, destinés
à développer « l’amour de l’ouvrier pour son travail » qui sont en tous
points comparables aux procédés humoristiques qu’imagine Aldous
Huxley dans son roman Le meilleur des mondes. Élimination discrète des
ouvriers qui, travaillant aux pièces, se contentent de gagner ce dont ils
ont besoin pour leur entretien, installation des meilleurs ouvriers de
telle sorte qu’ils soient vus par tous les autres, création de primes au
rendement, affichage du rendement journalier de l’ouvrier, concours
parmi les ouvriers avec prix, concours entre ateliers, etc. Il est parti-
culièrement intéressant que des mesures telles que l’assainissement
des salles de travail, l’élimination des bruits inutiles, l’installation de
douches, de salles de lecture, de places de sport, sont envisagées par
Dill Scott sous le seul angle de « l’augmentation du rendement de l’ouvrier
en garantissant si possible la paix sociale à l’intérieur de l’usine ».

La Psychotechnique que nous voulons répond à un autre esprit :


celui de concilier le meilleur rendement du travail avec l’intérêt et la
dignité du plus grand nombre possible de travailleurs. Nous voyons
bien actuellement qu’il y a des circonstances où il n’est pas besoin
de ruser avec les travailleurs pour leur faire entendre la nécessite du
rendement maximum, et la création des Comités d’entreprise apporte
au problème de la production une première solution morale.
44

Quoi qu’il en soit la Psychotechnique vient au secours de l’ouvrier


dans l’aménagement du travail par le fait que pour elle le rendement
normal n’est pas, comme il était pour Taylor, le rendement du meilleur
ouvrier, il est essentiellement le rendement moyen de part et d’autre duquel
se répartissent les rendements supérieurs et les rendements inférieurs.
Et c’est toujours par rapport au rendement moyen que la tâche ouvrière
doit être calculée.

Si l’on veut déterminer les aptitudes de l’homme à un travail, il faut


d’abord étudier ce travail, savoir en quels éléments de travail il peut
être analysé. La Psychotechnique doit commencer par l’étude des profes-
sions ou, selon l’expression courante, par l’étude des postes de travail.
De nombreuses monographies ont été déjà réalisées en tous pays mais
il reste beaucoup à faire dans ce domaine, ne serait-ce qu’à cause du
nombre surprenant des professions différenciées et de la variation
qu’introduit sans arrêt, au sein de chaque profession, la modification
des outillages et des techniques. J’ai entre les mains le remarquable
Dictionnaire des titres professionnels qui a été édité aux Etats-Unis en
1939 et qui est depuis lors tenu à jour. Les métiers y sont analysés et
discriminés. Leur nombre monte à une trentaine de mille !

L’examen de monographies récentes me conduit à rappeler avec


insistance un principe qui me paraît trop souvent négligé dans ce genre
d’étude. Il faut décrire les conditions d’un travail en termes de travail et non
en termes de psychologie. Voici un exemple : j’entends dire que le métier
de conducteur du chemin de fer métropolitain comporte une « atten-
tion constante » aux signaux qui jalonnent le parcours. Je dirai que cette
définition est mauvaise parce que le terme « attention » est ambigu. Si
l’on entend par là que le conducteur doit constamment mettre en jeu
l’effort de concentration, d’inhibition des pensées parasites, par lequel
on peut définir subjectivement l’attention, on commet une erreur. En
effet, si un tel effort peut être requis dans les débuts du métier, il est
certain qu’il est appelé à s’atténuer sinon à disparaître ; le conducteur
entraîné ne fait plus les mêmes efforts. L’idéal est même l’élimina-
tion de l’effort, l’automatisation de ce qu’on appelle «  attention  », et
peut-être n’a-t-on plus le droit alors de parler d’attention. Il ne faut
pas définir un travail par une conduite qui est appelée à se modifier
au cours de l’adaptation du travailleur au travail. Le travail doit être
défini objectivement par des facteurs invariables. Nous dirons donc
45

que le travail de conducteur réclame l’observation des signaux, quelle


que soit l’attitude de l’homme qui les observe, que ce soit avec ou sans
effort d’attention. Et cette observation des signaux sera spécifiée par le
nombre de signaux différents, par la fréquence de leur apparition, par
leur coefficient de prévisibilité, par la valeur moyenne du délai dans
lequel l’individu peut réagir au signal, etc.

L’analyse du travail est une des meilleures parties de l’œuvre de


Taylor et de ses disciples, principalement Frank et Lilian Gilbreth. Le
travail a été décomposé par ces auteurs en mouvements élémentaires.
Chacun d’eux constitue ce qu’on appelle un « therblig » (anagramme du
nom de Gilbreth). Les therbligs seront par exemple : chercher, trouver,
choisir, saisir, transporter, placer, assembler, séparer, lâcher, etc.
Quand on a défini la nature, le nombre, l’enchaînement des therbligs
qui constituent un travail, on peut alors chercher les conduites psycholo-
giques les plus économiques qui permettent d’assurer la réalisation des
opérations étudiées.

Je signale aussi l’intérêt considérable que comporte la technique


préconisée par Gilbreth, celle du filmage des mouvements du travail-
leur. Elle permet de comparer le comportement de l’homme au début
de l’apprentissage et celui auquel il parvient quand il est devenu
expert ; elle permet de voir sur quels éléments de la série de mouve-
ments doit porter l’économie, quels mouvements inutiles sont appelés
à être éliminés. Mais évidemment tous les métiers ne se prêtent pas
également au film cinématographique. Le film ne nous renseignera
guère sur la structure du métier de médecin ou de comptable.

Les tests ou épreuves-réduites dont les résultats indiquent la proba-


bilité avec laquelle un individu peut être considéré comme apte ou
inapte à une activité professionnelle définie sont de plusieurs sortes.
Les plus communs et les plus anciennement étalonnés sont les tests dits
de niveau mental, dont l’échelle métrique de l’intelligence, due à Binet
et Simon, est le type. Ce sont des échantillonnages, des pots-pourris
d’épreuves, aussi disparates que possible, qui sont classés par ordre
de difficulté croissante. On détermine empiriquement, statistiquement,
les âges successifs de l’enfant, les niveaux successifs du développement
mental, auxquels correspondent les degrés de difficulté de ces épreuves.
On dira qu’un groupe d’épreuves correspond à un âge donné lorsque
46

75 % des sujets de cet âge sont capables de résoudre lesdites épreuves.


Ensuite, on définit le niveau mental d’un individu quelconque par
la comparaison de son âge réel et de l’âge qui, dans l’échelle du test,
correspond aux épreuves les plus difficiles auxquelles il est capable de
satisfaire. On apprécie ainsi l’avance ou le retard du développement
mental d’un individu examiné. Des tests de ce genre peuvent être
constitués par des problèmes qui font appel au langage, au calcul, à des
connaissances courantes., à des opérations abstraites, ils peuvent être
aussi bien constitués par des problèmes pratiques, par des problèmes
de manipulation d’objets. Les discriminations que permettent ces tests
sont en général très sûres parce que les épreuves qui ont été groupées
en niveaux d’âge sont très variées, prises en quelque sorte au hasard
et que, de ce fait, les évaluations portant sur des facteurs communs de
développement se renforcent alors que les évolutions portant sur des
capacités spéciales se neutralisent les unes les autres. C’est bien une
valeur de développement mental général à laquelle on arrive.

Mais on voit tout de suite que l’application de tels tests demeure


très limitée. Elle peut nous permettre de définir l’aptitude à des acti-
vités professionnelles quand ces activités correspondent à des niveaux
de développement mental différents ; elles ne nous disent rien quand
il s’agit de définir l’aptitude à des activités de nature différente qui
exigent vraisemblablement un développement mental égal, comme il
peut en être de l’activité de l’ingénieur et de celle du médecin, du méca-
nicien-ajusteur et du comptable. Au demeurant, on aperçoit l’arbitraire
d’une méthode qui assimile le comportement d’un sujet de 12 ans d’âge
réel qui, avec trois ans de retard, présente un niveau mental de 9 ans,
au comportement d’un sujet de 9 ans réel qui a le niveau mental normal
de son âge. Le dynamisme mental, les capacités d’apprendre ne sont
évidemment pas les mêmes chez ces deux sujets, et pourtant ce sont les
capacités d’apprendre qui intéressent le plus le verdict du psychotech-
nicien.

Nous sommes donc amenés à chercher des épreuves qui discri-


minent non pas le niveau du développement mental global mais les
capacités qui peuvent varier d’un individu a l’autre, pour un même
niveau de développement mental, autrement dit, il nous faut des
épreuves d’aptitudes spéciales.
47

A vrai dire un premier problème se pose : de telles aptitudes


spéciales existent-elles réellement ? Dans quelle mesure le même indi-
vidu n'est-il pas capable de faire un aussi bon médecin qu’avocat, un
aussi bon comptable que mécanicien-ajusteur ? Ne seraient-ce pas les
goûts de l'individu, sa vocation, plutôt que ses aptitudes qui le portent
à telle profession plutôt qu'à telle autre ? Et tout ne se réduirait-il pas à
des questions de développement mental général ? Des travaux statis-
tiques considérables, entrepris par l'anglais Spearman et ses émules,
ont montré que le facteur développement mental général avait une
importance beaucoup plus grande qu'on ne le pense ordinairement
dans la constitution des aptitudes, mais ces travaux ont montré aussi
qu'il existe un petit nombre de facteurs spéciaux d'aptitude à certaines
activités, du moins des facteurs spéciaux d'aptitude à certains groupes
d'activités. Il y a des différences certaines entre l'aptitude à faire un
musicien et l'aptitude à faire un comptable.

Mais il n'est pas facile d'analyser les conduites de l'homme en


fonctions psychologiques élémentaires ; il n'est pas facile de créer des
épreuves qui ne fassent appel qu'à une seule fonction à la fois, car toute
la personnalité de l'individu entre en jeu dans chacune de ses actions.
Il y a quelques années, deux psychologues, Gamsa et Salkind, ont
comparé les résultats de cinq tests classiques d'attention ; ils ont trouvé
que si la corrélation de ces tests les uns avec les autres était positive,
elle était très faible, ce qui veut dire que si ces tests mesuraient quelque
chose de commun, chacun d'eux mesurait aussi bien d'autres choses.
Si l'on fait appel a la « mémoire brute » d'un sujet intelligent, on ne
pourra pas l'empêcher de compenser les insuffisances possibles de sa
« mémoire brute » par quelque procédé dont lui-même ne se rend pas
toujours exactement compte. Vous pensez qu’un individu normal peut
retenir, dans l’ordre où ils sont donnés, les noms de sept à dix objets,
mais qu’il ne peut guère aller au-delà ? Eh bien, je puis vous enseigner
des «  trucs  » très simples qui vous permettront de retenir des séries
de 40 à 50 noms d’objets et même de dire immédiatement le nom qui
est le vingt-troisième ou le trente-septième de la série. D’une manière
générale, on peut dire que plus le développement mental général est
grand, plus les ressources de compensation des insuffisances d’apti-
tudes sont grandes et plus il est difficile d’isoler des activités psycholo-
giques élémentaires.
48

Aussi bien dans cette complicité des activités psychologiques


élémentaires, dans ces efforts de compensation d’une aptitude à l’autre,
il est évident que les intérêts, l’affectivité, le caractère du sujet, jouent
un rôle fondamental. Tout test d’aptitude, qu’il s’adresse à une fonc-
tion dite intellectuelle, ou à une fonction dite d’habileté manuelle, ou
à un mode quelconque du comportement, fait intervenir le tempérament
et le caractère du sujet, en des proportions variables. Et dans le carac-
tère viennent évidemment jouer des facteurs d’histoire individuelle,
des désirs ou des aversions, des facilitations ou des inhibitions, qu’il
est utile de connaître pour corriger l’appréciation du rendement brut
d’une épreuve.

Au demeurant, pour qu’il soit objectif, le rendement du test d’apti-


tude doit être déterminé statistiquement, étalonné sur un grand nombre
de sujets, ce que ne manquent jamais de faire les psychotechniciens
sérieux, mais il serait souhaitable que ces rendements bruts répartis
statistiquement fussent comparés avec des tableaux de variation
d’autres facteurs, surtout de facteurs caractériels, qui peuvent exercer
sur le rendement d’un sujet, dans une épreuve, des influences dont
l’importance étonne. En d’autres termes, je crois qu’il est hasardeux
de définir des tests d’aptitude par les fonctions mentales à la mesure
desquelles on prétend les destiner, comme serait : test d’attention, test
de mémoire brute, test de mémoire logique, test de compréhension, etc.
Je pense qu’il est plus sage de définir les tests en termes de compor-
tement, comme on a défini les professions en termes de travail. Par
exemple, au lieu de test d’attention diffuse ou test d’attention concen-
trée, on dira test de réaction à des excitations multiples et imprévues,
test de réaction à une excitation élective, sans préjuger les moyens que
le sujet peut mettre en œuvre dans ses réactions. Et l’on établira, empi-
riquement, par une confrontation des cas normaux et des cas patho-
logiques, les types humains globaux (définis par l’interréaction des
capacités sensorielles, du développement mental, du tempérament,
du caractère), qui donnent les meilleurs résultats dans tel ou tel type
d’épreuve. Ainsi on verra si l’individu extraverti, sensible à toutes les
excitations extérieures, d’une plus grande labilité affective. ne donnera
pas de meilleurs résultats dans des épreuves de réaction à des excita-
tions multiples et imprévues que dans des épreuves de réaction à des
excitations électives. Ce serait l’inverse pour le sujet introversif, d’affec-
tivité plus stable.
49

D’ailleurs, dés l’instant où l’on définit les activités professionnelles


en termes de travail et les épreuves en termes de comportement, on
peut assortir les épreuves aux activités professionnelles sans passer
par l’intermédiaire de fonctions psychologiques hypothétiques qui
seraient requises individuellement pour la réussite dans telle épreuve
d’une part et dans telle activité professionnelle d’autre part.

J’ajouterai une remarque importante : tout test est inévitablement


un test d’apprentissage. Je veux dire qu’en présence d’une épreuve
quelconque, le sujet est naturellement appelé à mettre en œuvre des
conduites d’adaptation, qu’il ne parvient pas du premier coup à son
meilleur rendement possible, qu’il doit éliminer d’abord des compo-
santes d’émotivité, qu’il est appelé à essayer des tactiques différentes,
qu’il peut témoigner dans ces changements de tactique une viscosité
ou au contraire une liberté plus ou moins grandes. Ce qui importe, ce
n’est pas tant le rendement de la première ou des premières épreuves,
que la pente de l’amélioration des réponses et la limite à laquelle se
heurte, en un temps suffisamment large, cette amélioration. Pour faire
un pronostic de rendement professionnel après apprentissage, ce qui
importe c’est d’apprécier l’éducabilité d’un sujet. Je pense que bien des
épreuves psychotechniques doivent être actuellement modifiées dans
ce sens.

Au demeurant, quand on soumet un sujet à une épreuve, on ne peut


guère savoir à quel moment de l’apprentissage on le prend. Car le sujet
a pu, sans qu’il soit facile d’en juger, se livrer à des activités qui ont
créé une sorte d’apprentissage pour la tâche qu’on lui propose dans
l’épreuve. Le rendement dans les tests de puzzle de Pintner peut être
favorisé par des jeux de nature analogue auxquels le sujet a pu se livrer
dans son enfance. Des épreuves qui comportent des visées peuvent être
facilitées par le fait que le sujet a chassé des moineaux au lance-pierre.
Un sujet qui n’aurait jamais fait des exercices de ce genre peut avoir,
dans un premier temps, un rendement moindre, mais être capable
d’une éducabilité plus grande que d’autres sujets déjà « débrouillés »
par leurs jeux anciens.

Les remarques précédentes ne tendent qu’à souligner l’idée que


voici : les procédés qui sont actuellement employés en Psychotech-
nique doivent être maintenus constamment en expérience ; beau-
50

coup d’échecs ou de résultats médiocres de cette science nouvelle des


rendements humains ne sont pas dus à l’impuissance de principe de la
Psychotechnique, ils ne sont dus qu’à l’imperfection actuelle des tech-
niques employées, et il est indispensable de prévoir, dans une orga-
nisation d’ensemble, la possibilité d’une étude systématique et continue,
des méthodes, la possibilité d’une réforme progressive des techniques en
application.

Je voudrais maintenant revenir aux quatre propositions que j’ai


énoncées au début de cet article, et d’abord aux deux premières, à savoir
que la Psychotechnique doit mériter le nom de science, et qu’elle doit
se développer comme une science expérimentale vivante. Je n’hésite pas à
dire que ces deux propositions ont pour raison la constatation des riva-
lités qui se présentant aujourd’hui, en France, entre plusieurs écoles de
Psychotechnique. On oppose dans des écrits polémiques les méthodes
«  dites psychologiques  » aux méthodes «  dites scientifiques  », on
oppose à une tradition plus ancienne et plus académique où les études
statistiques jouent un grand rôle, une tradition plus récente, rattachée
aux enseignement de l’ingénieur suisse Carrard, où l’observation du
comportement passe au premier plan. Les partisans des méthodes
nouvelles dites psychologiques, reprochent à leurs anciens dans la
Psychotechnique de juger les individus d’après le résultat brut d’un
test, d’après un chiffre qui exprime le degré de leur réussite ou de leur
échec, sans qu’aucune indication soit donnée sur le comportement des
sujets au cours de l’épreuve ; et cela a conduit les nouveaux venus de
la Psychotechnique à négliger l’étude statistique des résultats de leurs
épreuves pour donner plus d’importance à l’observation directe des
attitudes et des conduites du sujet au cours de l’épreuve, méthode
plus clinique si je puis dire. Aussi leur reproche-t-on d’introduire,
dans leurs appréciations, l’arbitraire du jugement personnel non seule-
ment dans l’interprétation mais encore dans la simple constatation des
modes de comportement du sujet. On leur reproche aussi de confier
ce genre d’observation à des examinateurs sans bases psychologiques
suffisantes, trop rapidement formés.

Tout conflit a sa vérité. Je veux dire qu’il y a une sagesse dans la


réaction qui s’est faite contre la Psychotechnique académique, mais
qu’on a raison de protester contre le subjectivisme des procédés actuel-
lement employés dans « l’étude du comportement », procédés qui
51

constituent une sorte de « Psychotechnique facile et distrayante à la


portée de tous ».

J’ai dit tout l’arbitraire qu’on introduit dans les tests quand on
prétend tester séparément telle ou telle fonction psychologique ; j’ai dit
l’inconvénient qu’il y a à se contenter du premier rendement d’un test,
exprimé par un chiffre, sans se soucier de transformer le test d’apti-
tude en test d’éducabilité ; j’ai dit comment le caractère avec ses compo-
santes multiples influe sur le rendement des tests d’aptitude ; j’ai dit
qu’il convenait de tester non pas des fonctions psychologiques mais des
individus. D’où l’intérêt qu’il y a à noter la manière dont un sujet réagit
à un test, la nature des erreurs qu’il a commises, les changements qu’il
manifeste dans ses méthodes de travail, la rapidité avec laquelle il est
parvenu à mettre en œuvre la méthode qui lui a permis de réussir, mais
ces notations ne doivent en aucun cas être laissées au libre jugement de
l’examinateur, elles doivent être assurées par la structure même du test,
elles doivent ressortir d’un protocole d’enregistrement objectif des résultats.
Par exemple, dans le test du tourneur, au lieu de se borner à une appré-
ciation faite « de chic » du comportement, on étudiera les variations
du tracé après avoir déterminé, sur un grand nombre de cas, à quels
ordres de comportement correspondent ces variations. Evidemment
nous aurons là des indications beaucoup plus profitables que celles qui
sont fournies par le compteur totalisateur des écarts, dans le dispositif
classique où le crayon est remplacé par un stylet de contact électrique.
Mais ces indications profitables auront été recueillies par un procédé
objectif qui ne diffère en rien des procédés de la Psychotechnique clas-
sique.

Quant à l’étude statistique des résultats, elle demeure le pivot de


la Psychotechniqne : sans elle aucun jugement objectif n’est possible et
son défaut justifie toutes les méfiances du travailleur. Encore n’a-t-on
pas le droit d’appeler traitement statistique des résultats une technique
qui consisterait à traiter statistiquement des résultats établis dans un
premier temps par le jugement subjectif de l’examinateur. Faire une
statistique sur des répartitions de sujets en très bons, bons, mauvais,
très mauvais, quand ces répartitions ont été faites d’après l’apprécia-
tion subjective du comportement, cela ne signifierait rien. La Psycho-
technique doit mériter le nom de science : elle doit se plier avec la plus
grande rigueur aux techniques objectives dans la recollection des faits
52

et dans le traitement statistique de leur répartition. Si pénible que cela


soit pour certains, le psychotechnicien doit inéluctablement se mettre à
la statistique. La Psychotechnique doit se développer comme une science expé-
rimentale vivante : elle doit avoir la liberté de s’engager dans des voies
nouvelles, qu’il s’agisse d’étude du comportement, de morphologie,
de graphologie, à condition que les faits soient recueillis par des procédés
objectifs et traités ensuite statistiquement.

J'en viens aux deux dernières propositions : la Psychotechnique doit


voir son application organisée selon une conception rationnelle qui
respecte l'homme et elle doit voir les institutions nationales engager
leur responsabilité dans cette organisation. Organiser les applications
de la Psychotechnique, cela veut dire d'abord coordonner les efforts
qui se développent actuellement en France dans les secteurs les plus
divers, publics et privés. Et coordonner, c'est permettre la liaison dans
l'étude et la discussion des méthodes. Quand de telles liaisons s'éta-
blissent entre gens d'esprit honnête, une harmonie finit toujours par
se faire dans l'orientation rationnelle de recherches, chacun profite de
l'expérience des autres, et ce sont toujours les techniques les plus objec-
tives qui sont adoptées parce qu'elles sont en fin de compte les plus
fécondes.

Organiser les applications de la Psychotechnique, c'est faciliter la


recollection et la confrontation des résultats d'un certain nombre de
procédés, élaborés en commun ou séparément, dans un même esprit
d'objectivité et de désintéressement.

Organiser les applications de la Psychotechnique, c'est faciliter 1a


formation des spécialistes pour tous le besoins auxquels on est actuel-
lement appelé à répondre, une formation sérieuse, édifiée sur une base
suffisamment solide, comportant des enseignements d'ordre général
et d'ordre pratique ainsi que des stages dans des centres différemment
orientés.

Organiser les applications de la Psychotechnique, c’est créer un


statut de la profession de psychotechnicien, qui soit une garantie de
sécurité à la fois pour le psychotechnicien et pour les travailleurs qu’il
est appelé à examiner. En effet les investigations de la Pychotechnique
sont nécessairement appelées à pénétrer fort loin dans la personna-
53

lité des sujets examinés. On se trouve immédiatement amené en face


du problème de l'indépendance de jugement du psychotechnicien, en
face d'un problème de secret professionnel en tous points comparable
au problème du secret médical. Ce problème justifie au premier chef
la méfiance des travailleurs vis-à-vis des examens psychotechniques
auxquels on prétend les soumettre. L'idéal serait que le psychotech-
nicien eût une formation médicale et l'on peut souhaiter qu'il en soit
ainsi dans l'avenir, mais cette solution est loin d'être applicable actuel-
lement. Car d'une part la plupart des psychotechniciens actuellement
en titre n'ont pas eu de formation médicale, et la plupart des médecins
qui sont appelés à diriger des services psychotechniques n'ont pas de
formation psychotechnique suffisante, je dirai même qu'ils manifestent
souvent un dédain injustifiable pour la Psychotechnique et son appa-
reil statistique.

Dans ces conditions, je dis que les institutions d'Etat doivent


engager leur responsabilité dans l'organisation de la Psychotechnique.
Les ministères de l’Education nationale, du Travail, de la Défense natio-
nale, de la Population, sont directement intéressés à cette organisation.
Sous le signe de l’Education nationale, l'Institut national d'orienta-
tion professionnelle et tous les centres qui sont nés de lui constituent
un premier monument d’organisation publique. Mais les champs de
travail sont plus étendus. L'armée, la Marine, l’Aéronautique ont entre-
pris leurs sélections et leurs orientations. Et voici que les services du
Travail et de la Main-d’Œuvre se trouvent en présence de problèmes
nouveaux de sélection, d'orientation, de récupération, qui ne peuvent
être éludés ni abandonnés aux initiatives privées, et qui exigent une
réforme des procédés de sélection hâtive encore en cours.

Il faut construire le moulin là où passe la rivière. Je veux dire qu'il


est normal que des ministères différents organisent, chacun pour ses
besoins propres, des services psychotechniques différents, assurant,
dans une étroite unité, l'étude scientifique des méthodes et leur appli-
cation en masse d'une part, la formation des techniciens et l'entretien
de leur instruction d'autre part. Mais il faut qu'entre les divers services
psychotechniques publics une coordination étroite soit assurée. C'est
évidemment à la Recherche Scientifique, avec toutes les garanties
qu'offre son contrôle, qu’incombe cette tâche.
54

Au demeurant, entre tous les ministères, je vois celui du Travail et


de la Main-d'Œuvre prendre une responsabilité toute particulière dans
une telle organisation d'ensemble, aussi bien à cause du volume excep-
tionnel des problèmes de travail dont il s’occupe qu'à cause du contrôle
qu'il exerce sur le corps des médecins du travail. Et je verrais volontiers
la Psychotechnique enseignée aux médecins du travail, dans tout son
détail et toute son ampleur, comme une spécialité qui demande autant
d'attention, d'étude et de compétence que toute autre spécialité médi-
cale.

L’analyse du travail : deux auteurs, une histoire,


une actualité

Jacques Leplat

L’Analyse du travail était en préparation quand j’ai commencé ma


carrière au CERP en étant rapidement intégré à l’équipe dont s’occu-
pait directement Faverge. Ce livre a donc marqué les débuts de ma
carrière de chercheur et, en le relisant pour préparer cet article, j’ai vu
resurgir de multiples souvenirs de cette époque. Mais ce n’est pas d’eux
que je dois vous parler ! Je voudrais situer les articles qui vont suivre en
donnant quelques informations sur les deux auteurs de l’ouvrage, puis
sur l’histoire de celui-ci et enfin sur l’actualité qu’il a conservée.

Les deux auteurs


Il n’est pas question de proposer une biographie des deux auteurs,
mais de présenter brièvement ceux-ci pour permettre de mieux éclairer
l’ouvrage. Le professeur André Ombredane (1898-1958) était agrégé de
philosophie et docteur en médecine. Il fut assistant de George Dumas
à la chaire de psychologie expérimentale de la Sorbonne, puis de 1939
à 1945, professeur de psychologie expérimentale à Rio de Janeiro. De
1946 à 1951, il dirigea le Centre d’Etudes et Recherches Psychotech-
niques (CERP). En 1948, il fut nommé professeur de Psychologie à
l’Université Libre de Bruxelles. Il est l’auteur de nombreuses publi-
cations. Retenons-en seulement deux : avec Wallon (1937) Le problème
56

des aptitudes à l’âge scolaire. En 1951, L’aphasie et l’élaboration de la pensée


explicite. Il s’est fait également connaître par ses recherches sur le travail
coutumier des congolais (années 1950).

Jean-Marie Faverge (1912-1988) était agrégé de mathématique et


diplômé de l’Institut de Psychologie de l’Université de Paris. En 1945,
il exerce les fonctions de directeur du groupe de psychométrie péda-
gogique au Centre de Recherche et d’Etudes Pédagogiques de l’Educa-
tion Nationale. En 1947, il devient chargé d’étude au Centre d’Etudes
et Recherches Psychotechniques (CERP) auprès du professeur Ombre-
dane et, au départ de celui-ci en 1948 pour Bruxelles, il lui succédera
comme directeur du service de recherche. Il enseignera également la
statistique à l’Institut de psychologie de l’Université de Paris et de l’Ins-
titut National d’Orientation Professionnelle. En 1959, après le décès du
Professeur Ombredane, il prendra sa succession comme directeur du
Laboratoire de Psychologie de l’Université Libre de Bruxelles pour y
développer un enseignement de psychologie industrielle. Il y restera
jusqu’à son départ à la retraite en 1980. On pourra trouver la liste de ses
publications et des détails sur sa carrière scientifique dans un hommage
qui lui a été rendu dans un numéro spécial du Travail humain, 1982,
tome 45, (p. 1-136).

1. Une histoire
Dans cette partie, nous évoquerons le contexte général dans lequel
est né ce livre, le contexte plus particulier dans lequel il a été composé,
enfin, les suites qui lui ont été données.

Le contexte général

L’analyse du travail est une activité qui n’a pas attendu de devenir
elle-même un objet d’étude pour exister. On en a un petit aperçu dans
l’introduction du livre de Laville (1976) sur l’ergonomie. On s’arrêtera
ici à l’analyse du travail telle qu’elle était conçue dans la psychologie
appliquée de l’époque. Une formulation en a été donnée par Lahy et
Pacaud (1948) (cadre 1). Cette conception avait été mise en œuvre par
Lahy, puis Pacaud, notamment dans le cadre de la sélection profession-
nelle et plus précisément pour l’élaboration des tests, instruments de
cette sélection.
57

L’analyse du travail est la chose la plus longue et la plus difficile, car c’est
elle qui pose avec précision le problème scientifique. Prétendre pouvoir
résoudre un problème de cet ordre sans analyse préalable du travail revien-
drait à prescrire des médicaments à un malade sans l’avoir examiné ou
encore à vouloir perfectionner une machine sans connaître ni sa construc-
tion, ni son fonctionnement. […] Celui qui s’engage dans une étude de
cette sorte sans savoir où il va ne trouvera rien que par hasard, ce qui est la
négation même de la méthode scientifique.

Cadre 1. Un commentaire de Lahy et Pacaud (1948, p. 2)


sur l’analyse du travail.

Mais, dans la pratique, la place de cette analyse était devenue de


plus en plus réduite. En 1954, Pacaud notait, dans un diagnostic alar-
miste, que « Nous assistons aujourd’hui précisément à ce fait inquiétant que
l’extension extrêmement rapide des applications psychotechniques aboutit
à l’abandon par certains ‘psychotechniciens’ de l’analyse du travail. […] La
plupart des applicateurs s’en affranchissent en portant ainsi préjudice aussi
bien à l’enrichissement des connaissances dans le domaine de la psychologie
du travail qu’à l’efficacité des techniques psychologiques pour l’industrie qui
les utilise » (cité par Clot [1999], p. 20, dans un paragraphe qui évoque
ces « dérives »).

C’est à un constat de ce genre que Faverge aboutit en relatant ce


qu’il a vu au cours de sa mission aux Etats-Unis. Dans son rapport, il
notait que la place de l’analyse du travail dans la méthodologie de l’éla-
boration des tests tenait une place qui tendait à se réduire. Il en faisait
le diagnostic suivant : « il est possible que le passage de l’analyse du travail
aux hypothèses du testing par l’intermédiaire des aptitudes ait été la source
d’échecs et de désillusions » (Faverge, 1954a, p. 55).

Comment s’inscrit l’analyse du travail de nos auteurs dans ce


contexte ? On notera avec surprise que ces derniers semblent ignorer
l’analyse du travail pratiquée par Lahy et Pacaud, qui ne sont jamais
cités dans leur ouvrage (sauf une fois dans les références du chapitre
VIII). Cette absence s’explique mal. Ombredane a certainement connu
Lahy et Faverge connaissait bien Pacaud. J’ai hérité du livre L'Ana-
lyse du travail de Madame Pacaud qui porte la dédicace suivante de
58

Faverge : « En hommage respectueux à Madame Pacaud qui a eu une si


profonde influence sur le développement de l’analyse psychologique du travail
en France ». On ne peut qu’émettre des regrets sur ce hiatus dans l’his-
toire. Une prise en compte de ces recherches qui avaient précédé les
leurs aurait permis d’enrichir ces dernières tout en faisant ressortir leur
originalité.

Le contexte proche

Au moment de la rédaction de cet ouvrage, Ombredane était


professeur à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Faverge dirigeait
depuis 1947 le service de recherche du CERP dont la vocation générale
était la conception et le contrôle des examens psychologiques auxquels
étaient soumis les candidats à un stage de formation professionnelle.
Le CERP était le département d’un organisme qui allait devenir l’Asso-
ciation pour la Formation Professionnelle des Adultes (AFPA). Faverge
exerçait là ses compétences pour la validation statistique des examens
psychologiques. Faverge avait aussi une fonction pour la formation des
psychologues chargés des examens des candidats. Le livre qui comporte
9 chapitres est depuis bien longtemps épuisé et c’est bien dommage,
mais heureusement, il en circule des copies largement exploitées. Il
s’ouvre par une longue introduction d’Ombredane14. Faverge a signé
seul neuf chapitres et co-signé un important chapitre sur L’analyse du
travail en termes du langage des communications. Cet apparent déséqui-
libre des contributions à l’ouvrage commun explique sans doute aussi
qu’on parle communément de L’Analyse du travail de Faverge et peu
de L'Analyse du travail d’Ombredane. Le déséquilibre apparent du rôle
de ces deux auteurs est trompeur quant à la part qu’ils y ont jouée.
Avant d’être nommé professeur à l’ULB, Faverge allait y faire des cours
dans le Laboratoire d’Ombredane et je me rappelle qu’il rédigeait
quelques pages qu’il nous communiquait quelquefois au CERP. Ces
cours donnaient lieu à des discussions auxquelles participait Ombre-
dane et dont il nous faisait quelquefois part. Je pense donc que ces deux
auteurs se sont réciproquement influencés. Ombredane, qui était l’aîné
et avait une grande expérience de la recherche, a eu vraisemblablement
un rôle moteur dans la conception de cet ouvrage et dans son orienta-

14 Cette introduction a été reproduite dans le livre de J. Leplat (coordinateur), (1992), L’analyse
du travail en psychologie ergonomique, recueil de textes, Toulouse : Octarès Editions.
59

tion. On peut souligner aussi qu’il était original de voir associés à un


même ouvrage deux auteurs de formation si différente.

La composition du livre

Il ne s’agit pas ici de faire une analyse détaillée du livre, mais d’en
dégager quelques traits essentiels. L’introduction mérite tout à fait son
nom, car elle définit bien la perspective dans laquelle est finalisé et
organisé le livre et quelles sont les questions auxquelles il se propose
de répondre. On y voit, dès le début, soulignée une distinction fonda-
mentale qui constituera un des piliers de l’analyse du travail (cadre 2).
On aurait pu la retrouver, implicite, dans d’autres analyses, mais nulle
part explicitée avec autant de clarté. La suite de l’introduction apporte
un commentaire très précieux des différents chapitres.

Deux perspectives sont à distinguer dès le départ dans une analyse du


travail : celle du Quoi et celle du Comment. Qu’est-ce qu’il y a à faire et
comment les travailleurs que l’on considère le font-ils ? D’une part la pers-
pective des exigences de la tâche et d’autre part celle des attitudes et sé-
quences opérationnelles par lesquelles les individus observés répondent
réellement à ces exigences.

Cadre 2. Deux perspectives à distinguer dans l’analyse du travail.


Extrait de l’introduction d’Ombredane à L’Analyse du travail (p. 2).

Le premier chapitre fixe la place de l’analyse du travail dans la


résolution des problèmes qui se posent dans les quatre grands champs
d’intervention qui intéressent la psychologie du travail : « 1) Sélec-
tion, orientation et promotion professionnelle. 2) Formation profession-
nelle. 3) Qualification du travail. 4) Aménagement du travail » (p. 19). Les
trois chapitres suivants traitent des problèmes d’évaluation à diffé-
rents niveaux des interventions, en lien avec la notion de critère. Les
chapitres VI et VII sont bâtis autour de ce que les auteurs appellent le
langage des communications. « Nous nous fondons sur l’idée que le travail
peut être décrit en termes de communications entre l’homme et la machine, ou,
plus généralement entre un ensemble d’hommes et de machines » (p. 113). Ce
langage est opposé à celui des aptitudes. Il est censé réduire le danger
de « sombrer dans le journalisme » (p. 113). En effet, il permet la quanti-
60

fication et oriente vers l’expérimentation. Faverge en donne plusieurs


exemples (p. 132 sqq.).

Le chapitre VII rédigé par les deux auteurs commence par cette
phrase souvent reprise, « tout travail est un comportement acquis par
apprentissage et tenu de s’adapter aux exigences d’une tâche » (p. 138). Ce
chapitre est sans doute le plus original de l’ensemble. Il commence par
l’analyse des signaux du travail et se poursuit par une partie très riche
sur « la structure de l’ajustement à l’information des actions du travail »
(p. 162). Ensuite une partie traite du mécanisme des fautes et, enfin,
la dernière partie esquisse une typologie des exigences du travail.
Les deux derniers chapitres donnent des conseils et des exemples
répondant à la question : « Comment mener une analyse du travail ? » ;
ils indiquent comment celle-ci peut apporter des solutions aux types
d’interventions évoqués au premier chapitre.

Les suites données par Faverge à l’ouvrage

Une suite très directe donnée par Faverge à cet ouvrage est le
chapitre qu’il a écrit en 1972 dans le Traité de Psychologie Appliquée de
Reuchlin. Ce long chapitre (55 pages) intitulé aussi L’analyse du travail
est introduit par un court historique de l’évolution du travail dont l’au-
teur a inféré quatre dimensions selon lesquelles pouvait s’opérer cette
analyse : en termes d’activité gestuelle, d’information, de régulation et
de processus de pensée. Pour chacune, il a proposé des modèles et des
méthodes d’analyse de manière très opérationnelle.

L’analyse du travail est présente de manière plus ou moins explicite


dans tous les grands textes de Faverge, en particulier dans ceux qu’il a
écrits sur des problèmes de sécurité. Ainsi, son livre sur la psychologie
des accidents du travail (1962) comporte un chapitre sur « le travail-
leur et sa tâche » dans lequel il propose une classification des fonctions
et activités des opérateurs : fonctions et activités de production, de
prévention, de récupération (p. 59). Il a également montré l’intérêt de
la distinction entre tâche principale et tâches auxiliaires (p. 63 sqq.). Il
insiste toujours sur le fait que ces distinctions représentent des points
de vue et que leur articulation est essentielle à une bonne compréhen-
sion de l’activité. Toutes les recherches dont il a été le coordinateur
dans le cadre des programmes organisés par la CECA apportent aussi
61

de multiples témoignages de l’importance qu’il accordait à l’analyse du


travail du niveau élémentaire à celui des organisations.

Dans la préface d’un livre collectif qu’il a dirigé sur L’ergonomie des
processus industriels (1966), il écrivait : « il nous a semblé que l’ergonomie
devait commencer par la chasse aux problèmes, c’est-à-dire par l’analyse
du travail qui débouche sur le diagnostic accompagné d’une évaluation des
déficiences » (p. 7).

L’analyse du travail après Ombredane et Faverge

Si l’analyse du travail n’a pas été créée par ces auteurs, ils auront, en
tout cas, contribué à sa diffusion en en montrant l’intérêt. Cette diffusion
s’est accompagnée d’une spécialisation selon la discipline privilégiée.
Ainsi, les ergonomes parlent d’analyse ergonomique du travail. Une
autre transformation s’est opérée avec l’apparition de la dénomination
analyse de l’activité. Les psychologues peuvent évoquer la définition de
Wallon (1946) : « le travail est une activité forcée » à la première page de
son livre Principes de psychologie appliquée. Première partie : la psychologie
du travail. La dénomination s’est généralisée aussi en ergonomie (sur ce
dernier cas, on pourra lire les commentaires de Guérin et al., 1997, p. 23
sqq.). Ce choix tient au fait que ce qui intéresse au premier chef les deux
disciplines mentionnées est le rôle de l’homme dans le travail. L’étude
de l’activité implique d’ailleurs celle de la tâche à laquelle elle répond,
c’est-à-dire des conditions qui définissent le travail.

La psychologie russe, dont l’influence sur la psychologie du travail


et l’ergonomie a été importante à partir de 1972 avec les traductions qui
ont été faites de ses auteurs principaux, a donné un statut majeur à la
notion d’activité en considérant le travail comme « une activité humaine
fondamentale » (Leontiev, 1972, p. 257).

L’analyse du travail a aussi inspiré les chercheurs en didactique


professionnelle. Pastré (1999) a bien perçu tout le bénéfice qui pouvait
être tiré de l’analyse du travail telle que la concevaient les deux auteurs
précédents, si bien qu’il a pu décrire « la didactique professionnelle comme
l’analyse du travail en vue de la formation » (p. 13). Cette parenté perçue a
entraîné un renouvellement réciproque des perspectives adoptées par
chacun et un enrichissement au bénéfice de tous. Le livre de Pastré
62

sur la simulation (Pastré, 2005) illustre bien l’évolution conjointe de


ces deux types de traditions – ergonomique et didactique – en même
temps qu’il donne une base plus large et plus pratique à la conception
en matière d’ergonomie et de formation. Il me semble qu’Ombredane
et Faverge auraient particulièrement apprécié les recherches de Pastré
dans la plasturgie et dans les situations nucléaires (1995, 1999).

Dans les pays de langue anglaise, l’analyse de l’activité telle qu’elle


a été conçue ci-dessus s’est développée autour de la notion de tâche
(Annett et Stanton, 2000 ; Patrick, 1992 ; Shepherd, 2001), tâche pres-
crite et tâche pertinente au sujet qui l’exécute (c’est-à-dire tâche redé-
finie correspondant à l’activité (Leplat, 1997).

Il faudrait aussi avoir le temps de noter en quoi bon nombre d’idées


développées par Suchman (1987) et ceux qui s’en sont inspirés, autour
de la notion d’action située et des communications homme-machine,
rejoignent celles défendues par Ombredane et Faverge. On ne peut ainsi
que regretter que le livre de nos deux auteurs n’ait pas été traduit en
son temps et conduire ainsi à une meilleure coordination de recherches.

2. L’actualité de l’analyse du travail d’Ombredane et Faverge


Après cet examen de quelques traits de la genèse de l’ouvrage,
il est instructif de se demander dans quelle mesure il peut être bon
de relire ce dernier. Bien entendu, cet ouvrage, comme tous ses
semblables, n’échappe pas au vieillissement et il ne serait pas écrit de
la même manière : en 55 ans, le paysage de la psychologie du travail
a changé, comme le montre bien le livre de Karnas sur la psychologie
du travail. Elle s’est enrichie sur le plan des méthodologies et des pers-
pectives théoriques dans lesquels les problèmes peuvent être abordés,
mais je soutiens volontiers que la lecture ou la relecture de ce livre est
toujours enrichissante. J’en ai fait moi-même l’expérience en prépa-
rant cet exposé : on ne perd jamais son temps à consulter ce livre. Je
voudrais, en terminant, dégager quelques thèmes sur lesquels il a mis
l’accent et nous invite à réfléchir sachant que toute analyse n’est jamais
complète, jamais achevée et toujours limitée par la perspective adoptée
par son auteur. Les limites aperçues à celle d’Ombredane et Faverge
nous aideront, peut-être, à mieux cerner celles qui sont attachées aux
63

nôtres. Voyons donc quelques-unes des questions sur lesquelles les


deux auteurs invitent à mettre l’accent.

L’importance du rôle des composantes perceptives de l’activité

L’accent mis sur ces composantes était nouveau pour l’époque, mais
reste toujours valable actuellement. Dans le texte, il apparaît surtout
par la place donnée à la notion de signal qu’on peut interpréter comme
la signification donné à un élément perçu. Les belles pages qui lui ont
été consacrées, notamment dans l’introduction, sont toujours utiles à
relire avec les recommandations qu’en dégage Ombredane pour l’ana-
lyste. On n’aura jamais fini d’exploiter cette propriété du signal souli-
gnée par cet auteur : « Le signal s’intègre dans un moment préparatoire et
anticipateur du comportement » (p. 8).

L’importance des articulations entre les éléments perceptifs


et moteurs de l’action

Elle est fortement soulignée et analysée à différentes pages du texte


qui ont gardé toute leur valeur. On n’oublie pas les pages consacrées
aux propositions de signaux et aux propositions de gestes avec le prin-
cipe de chevauchement si bien illustré et exploité avec l’analyse de
l’activité de la plieuse de bonbons. Certes, cette tâche a disparu, mais
dans combien des multiples activités dites manuelles, anciennes et
nouvelles, rencontrées dans le travail de telles analyses trouveraient
leur utilité.

L’importance accordée aux problèmes de l’évaluation

Celle-ci a été abordée à travers l’étude des critères. Elle est corréla-
tive de l’insistance mise à la définition préalable des buts de l’activité,
buts officiels et buts redéfinis par l’opérateur ou le groupe.

En conclusion, on peut estimer que l’analyse du travail d’Ombre-


dane et Faverge est un ouvrage qui vaut encore d’être lu, relu ou
consulté. On y trouvera développés des points de vue multiples avec
des méthodes variées. Mais surtout on y relèvera une attention aux
problèmes de terrain, ce souci de ne pas les traiter trop vite dans le
cadre de modèles tout faits, mais de les analyser avec une attention
64

ouverte aux faits et aux acteurs. On peut illustrer cette attitude par une
anecdote rapportée par De Keyser :

J’ai revu ces travailleurs (après une visite de Faverge). Et ils m’affir-
maient tous :
« Voilà un homme intelligent !
- A quoi vous remarquez cela ?
- Parce que nous, on a l’habitude des visiteurs, même des professeurs d’uni-
versité, il en vient plein…
- « Alors, on fait un test.
- « On leur dit quelques trucs, mais pas tout… Et on attend. Si à ce mo-
ment-là ils font semblant de comprendre, on sait que ce sont des imbéciles.
Parce que ce n’est pas possible de comprendre seulement avec ça. Nous, il y
a vingt ans qu’on est ici, et on ne sait pas encore tout : alors eux qui sortent
de leurs laboratoires !
- Mais lui, votre type, … eh bien ! il n’avait pas l’air de comprendre du
tout ! »
Cadre 3. L’attitude d’un analyste (d’après De Keyser, 1982, p. 94).

Cet aperçu rapide est bien incomplet, mais j’espère en avoir assez dit
sur cet ouvrage pour justifier qu’il mérite de figurer parmi les grands
classiques de l’ergonomie comme de la psychologie du travail.
Jean-Marie Faverge en Amérique (1952) :
Préludes à L’Analyse du travail (1955)

Catherine Teiger

« Ce numéro spécial de la Revue de Psychologie Appliquée (1954a,


t. 4, n° 1) est constitué par le rapport de six psychologues désignés par le
ministre du Travail et envoyés par le Comité National de la Productivité
pour étudier les méthodes et les perspectives de la psychologie industrielle
américaine ».

Ainsi débute la Préface du professeur de psychologie Paul Fraisse


pour ce numéro spécial qui, d’emblée, dresse le décor, celui de l’une
des 55 Missions de Productivité15 aux USA (réalisées dans les années 50’
sous l’égide du ministère du Travail et de la Sécurité sociale), dispositif
associé au Plan Marshall d’aide économique des USA à la reconstruc-
tion et à la modernisation des pays européens dévastés par la seconde
guerre mondiale. P. Fraisse poursuit :

« Notre voyage de six semaines s’est déroulé entre le 12 octobre et


le 24 novembre 1952. Préparé par le National Management Council,
notre itinéraire passait par New York, New Haven, Detroit, Chicago, La
Fayette, Columbus, Washington, Baltimore, Philadelphie, Boston. Nous
avons pu rencontrer chaque jour les psychologues travaillant dans l’indus-
trie ou pour l’industrie dans le cadre des Universités, des Ecoles d’ingé-

15. Selon Paula Cristofalo (2008), le ministère du Travail a organisé 55 Missions de Productivi-
té parmi les 209 qui ont été effectuées entre 1949 (date de la première) et 1952, période du plein
essor de ce dispositif qui se prolongera jusqu’en 1959, comptant alors environ 500 missions et
5000 personnes concernées de toutes origines sociales et professionnelles.  
66

nieurs, des firmes psychologiques, des entreprises, des services publics


civils et militaires. Ces psychologues, professeurs ou praticiens, nous
ont, sans marchander leur temps, exposé leurs travaux, leurs problèmes
et leurs recherches. Nous avons pu avoir, avec eux, de longs échanges de
vues et ils nous ont remis une abondante documentation. […] Notre vœu
commun est que ce rapport16 serve à la compréhension internationale et
attire l’attention des responsables des entreprises et des services publics
dans les domaines où la psychologie industrielle permet de mieux utiliser
les richesses humaines de la nation. Aux psychologues nous essayons d’in-
diquer les tendances actuelles de leurs collègues américains moins sur le
plan des méthodes qui sont les mêmes ici et là-bas que sur leur manière de
poser et de résoudre leurs problèmes. Nous voulons aussi souligner que la
fécondité de la psychologie américaine s’explique par la liaison étroite qui
existe entre la pratique et la recherche, entre les praticiens et les universi-
taires.17 »

Qui étaient donc ces « missionnaires » choisis pour représenter la


psychotechnique-psychologie appliquée18 française ?

Outre P. Fraisse, chef de la mission (directeur à l’Ecole Pratique des


Hautes Etudes-EPHE, sous-directeur de l’Institut de Psychologie de
l’Université de Paris-IPUP), les autres psychologues sont Jean Bonnaire
(Chef du Service Psychotechnique de la Régie Nationale des Usines
Renault-RNUR), Jean-Marie Faverge (Chargé d’études au Centre
d’Etudes et de Recherches Psychotechniques – CERP du ministère du
Travail, assistant d’André Ombredane à l’IPUP, chargé de conférences
à l’université de Bruxelles), Hélène Gavini, (Chargée de Recherches au
Centre National de la Recherche Scientifique – CNRS, Chef du labora-

16. Selon l’historien américain Richard, F. Kuisel (1988), environ les deux tiers des missions
étudièrent les problèmes industriels, le tiers restant se consacrant presque exclusivement à
l’agriculture. Assez peu de voyages d’étude eurent pour objet le commerce de détail, l’arti-
sanat et les services. Chaque «  Mission  » était suivie d’un rapport officiel mi-propagande,
mi-compte-rendu factuel « traduit » ensuite dans un Cahier publié par la SADEP (Société auxi-
liaire de diffusion des éditions de productivité de l’AFAP-Agence Française pour l’Accrois-
sement de la Productivité) et diffusé à des milliers d’exemplaires. On peut faire l’hypothèse
que, dans le cas de cette publication-ci dans une revue scientifique, l’expression des « mission-
naires » est plus proche de leurs opinions réelles.
17. Sous-entendu : ce qui n’est pas le cas en France !
18. Les deux appellations semblent se valoir à l’époque, comme en témoigne le titre du XI°
Congrès international de Psychotechnique (Psychologie appliquée) tenu à Paris en 1953, dont il sera
question ci-après.
67

toire de Psychotechnique du Centre de Recherches scientifiques, indus-


trielles et maritimes de Marseille), Suzanne Pacaud (directrice-adjointe
de l’EPHE, chargée d’enseignement pratique à l’IPUP, Maître de
Recherches au CNRS, Chef des travaux scientifiques des Laboratoires
Psychotechniques de la Société Nationale des Chemins de Fer Français-
SNCF) et Pierre Rennes, (Chef du Département Etudes au Centre de
Psychologie Appliquée – CPA). Soit un praticien, un universitaire pur
et quatre enseignants-chercheurs engagés dans des domaines d’appli-
cation de la psychologie. On constate aussi la place qu’avait l’Institut de
Psychologie de l’université de Paris19.

Mais c’est la présence de Jean-Marie Faverge, en tant que membre


du CERP et futur membre fondateur de la Société d’Ergonomie de
Langue Française – SELF qui nous importe ici. Cet article se focalise
en effet sur la période d’incubation de l’ergonomie européenne et fran-
çaise (pré-International Ergonomics Association – IEA et pré-SELF) :
du début des années cinquante au début des années soixante20. Nous
visons à analyser l’avant et l’après 1952 avec l’hypothèse que, pour
J.-M. Faverge, et par contrecoup pour André Ombredane (ancien direc-
teur du CERP), les deux auteurs de L’Analyse du travail parue en 1955
avec son sous-titre explicite (et daté) « Facteur d’économie humaine et de
productivité », cette « Mission » de 1952 constituera un point tournant
dans leur évolution conceptuelle et, dans une moindre mesure, métho-
dologique (comme le note P. Fraisse « […] moins sur le plan des méthodes
qui sont les mêmes ici et là-bas21 que sur leur manière de poser et de résoudre
leurs problèmes ») ; ce qui donnera en partie le ton de l’ouvrage. En effet
on peut supposer, à la relecture contemporaine de certains des docu-
ments publiés par les uns et les autres, que le CERP était le théâtre
d’une réflexion active sur les liens entre l’analyse du travail et l’amélio-

19. L’Institut de Psychologie est créé en 1920 alors que la licence de psychologie, détachée de
la philosophie, n’existe que depuis 1947, en partie grâce à Daniel Lagache qui, en 1945, rédige
un rapport pour le ministère de l’Instruction publique dans lequel il écrit : « Le besoin de psy-
chologues est plus pressant dans un pays comme la France qui, rompant avec le passé immédiat, cherche
à organiser rationnellement son avenir. »
20. A ce moment, seule l’Angleterre a formalisé la nouvelle discipline (née de la réunion de
psychologues, de physiologistes et d’ingénieurs et dénommée Ergonomics – par Hywell Mur-
rell – pour désigner « l’étude globale du travail humain »), en créant en 1949, l’Ergonomics Re-
search Society (devenue Ergonomics Society).
21. Cette affirmation ne s’avèrera pas tout à fait exacte, comme on le verra dans la suite du
texte.
68

ration de la formation professionnelle, étant un des lieux où se jouait


alors la mise en œuvre de la politique de modernisation et de perfec-
tionnement de la formation professionnelle des adultes, un des enjeux
sociaux et scientifiques majeurs de l’après-guerre22. En effet, en 1955, au
moment où paraît l’œuvre commune d’A. Ombredane et J.-M. Faverge,
Jacques Leplat publie, dans le Bulletin du CERP, Analyse du travail et
formation.

Cette question théorico-pratique du rapport entre analyse du travail


et formation avait été déjà abordée aussi par J.-M. Lahy et S. Pacaud
qui travaillaient dans d’autres contextes scientifiques et profession-
nels mais nécessitant également des solutions concrètes aux problèmes
posés par l’orientation et la formation d’une main-d’œuvre bien réelle.
Mais, comme le rappelle J. Leplat (1996), il n’y avait pratiquement pas
de contacts entre les équipes de psychologues des diverses institutions,
bien qu’ils aient presque tous été à un moment ou à un autre ensei-
gnants à l’Institut de Psychologie de l’université de Paris, bien que
S. Pacaud ait fait partie de la même « Mission » que J.-M.Faverge et
qu’elle publie également en 1954 : Analyse psychologique et psychophysio-
logique du travail, un chapitre du tome 3 du Traité de Psychologie Appli-
quée coordonné par Henri Piéron et al., intitulé L’utilisation des aptitudes.
Orientation et sélection professionnelles (Pacaud, 1954b) et, enfin, bien que
ses travaux sur les téléphonistes et sur les facteurs enregistrants soient
cités dans L'Analyse du travail de 1955 (p. 220 et 234).

Nous avons donc choisi de borner une période d’une dizaine d’an-
nées centrée autour de 1955, l’année de parution de L’Analyse du travail 
d’A. Ombredane et J.-M. Faverge qui nous occupe ici – par l’année
1952 d’un côté, année de la Mission Psychotechnique et par l’année 1961
de l’autre, date de la création de l’IEA et de la réunion décisionnelle
de la création de la « branche francophone » qui sera fondée en 1963
sous le nom de SELF. On considère parfois que le point de départ de
l’ergonomie dite francophone est sa création officielle en 1963, il n’en
est rien ; c’est au contraire l’aboutissement de tout un travail concep-
tuel et méthodologique qui a profité de diverses opportunités pour se
constituer peu à peu comme un courant de recherches et de pratiques

22. Cf. Faverge, 1950a et, pour plus de détails sur les enjeux et partis pris de cette période,
Teiger et Lacomblez, 2013.
69

original, en rassemblant des champs et des personnalités éloignées au


départ. Durant cette période, les événements marquants, de notre point
de vue, sont les contacts officiels organisés avec les USA (entre autres
par ces Missions de Productivité déjà évoquées), les publications qui s’en-
suivent et se répondent parfois les unes aux autres et, enfin, le parcours
de quelques-unes des personnalités qui ont marqué la discipline dont
ils sont des membres fondateurs. On respectera la chronologie réelle
des événements, les dates des publications ayant obligatoirement un
décalage temporel par rapport à ce dont il est question, et, autant que
possible, l’expression langagière des auteurs sera conservée.

1. Rappel du contexte - Le maître-mot de l’après-guerre en


Europe : la Productivité
Avant d’analyser les choses de plus près, un rappel est néces-
saire : dans la foulée du plan Marshall (1948-1952), un Comité National
de Productivité est chargé, entre autres, d’organiser des « Missions
de Productivité ». Ces missions spécialisées dans divers domaines
réunissent en général des représentants de quatre composantes de la
société : chefs d’entreprise ou cadres, des représentants syndicaux,
scientifiques et fonctionnaires sous la responsabilité des divers minis-
tères concernés. Elles sont destinées à établir des contacts et à faire
découvrir les multiples facettes des ressorts de la productivité améri-
caine, que certains souhaiteraient comme modèle pour l’Europe. Ces
deux objectifs sont accompagnés d’une tentative de réduction des
tensions et conflits sociaux et d’incitation des ouvriers et de leurs repré-
sentants à participer à cet effort de reconstruction23. Enfin, le «  tout
formation » et les « relations humaines » dont nous ne parlons pas
ici plus avant mais qui sont présentes dans le rapport de la Mission
Psychotechnique (voir les interventions de P. Fraisse et de S. Pacaud, en
1954, puis d’A. Ombredane dans son Introduction à L’Analyse du travail
en 1955) sont citées communément comme des notions marquantes
importées en France à cette époque24.

23. Cet objectif ne fait pas l’unanimité : la Confédération Générale du Travail-CGT, en particu-
lier, s’oppose à l’importation des méthodes américaines, cette « entreprise de catéchisation de
la classe ouvrière » (Brucy, 2001).
24. Pour plus de détails, voir Tanguy, 2001.
70

Un exemple : la conférence de Pierre Goguelin25 au XIe Congrès inter-


national de Psychotechnique (Psychologie appliquée) en 1953 : Les facteurs
psychologiques susceptibles d’accroître la productivité dans l’entreprise. On
peut considérer comme une trace de l’importance sociale du thème de
la productivité dans les différents milieux de l’époque cette conférence
donnée en séance plénière de la Section Psychologie du travail lors de ce
congrès tenu à Paris du 27 juillet au 1er août 1953. Se situant dans la
ligne des travaux de l’américain Elton Mayo (décédé en 1949) – qui était
membre de cette communauté internationale des psychotechniciens –
et, surtout, dans le contexte où « le concept de productivité est devenu à la
mode ces dernières années », l’auteur se propose de définir ce concept en
se référant :

« au document de base de l’OECE paru dans La productivité de


J. Fourastié (1952) » – et de « faire ressortir les facteurs susceptibles
d’accroître la productivité dans l’entreprise. Autrement dit […] essayer
de passer en revue les méthodes, les techniques qui permettent de faciliter
par leur retentissement sur le plan psychologique, les accroissements de
productivité […] esquisser les possibilités du psychologue du travail en
cette matière et […] en tirer les conclusions pratiques sur l’orientation à
prévoir pour sa formation » (Goguelin, 1954, p. 13).

Dans la suite du texte, P. Goguelin oppose le cas de l’URSS et celui


des USA, où, selon lui, « chose curieuse, la productivité n’apparaît pas
comme ayant été pensée et voulue mais comme ayant naturellement résulté
d’un état d’esprit ». Faisant allusion, « comme source d’information, aux
récits des voyageurs de toute condition » (les « missionnaires » envoyés
aux Etats-Unis) et aux rapports de missions dans lesquels « les facteurs
de productivité ne sont pas clairement dégagés mais restent baignés dans cette
notion de climat », il restitue les résultats d’un sondage par question-
naire auprès des participants aux 128 premières Missions de Productivité
(dont la majorité sont des ingénieurs). Il retient les 528 réponses – sur

25. Pierre Goguelin (1922-2003). Entré à l’Ecole Navale en 1942 et diplômé de l’Institut de Psy-
chologie de Paris en 1947, il quitte la Marine Nationale en 1948 pour commencer une carrière
professionnelle privée et publique. Psychosociologue conseil à EDF-GDF de 1947 à 1976 et à
la RATP de 1973 à 1980. Chargé d’enseignement à l’Institut de Psychologie de l’Université de
Paris de 1953 à 1975, chef de travaux vacataire et chargé de cours de 1949 à 1976 au CNAM, il
est nommé professeur titulaire de la Chaire de Psychologie du Travail (1976-1989). Il a égale-
ment assuré des enseignements à l’Institut National d’Orientation Professionnelle (1965-1974)
et à l’Université Paris 10 Nanterre (1980-1989).
71

les 1206 membres des seules missions industrielles et sociales – à partir


desquelles il établit un classement par ordre d’importance des princi-
paux facteurs de productivité estimés (facteurs techniques et facteurs
humains) :

« Sur les 6 facteurs les plus importants figurent d’une part les méthodes
(amélioration des postes de travail, simplification), le matériel et l’équipe-
ment, la manutention, qui ressortissent aux facteurs techniques – encore
que l’amélioration des méthodes résulte à peu près uniquement d’une atti-
tude psychologique – et, d’autre part, la formation et l’information du
personnel, les relations humaines en général, le bénéfice de la producti-
vité pour le personnel qui ressortissent aux facteurs humains » (op. cit.
p. 15-16).

L’auteur souligne ensuite que la formation des futurs psychologues


doit être en rapport avec les missions qui sont attendues d’eux dans
l’entreprise et qui ne sont pas la sélection ou l’orientation profession-
nelle comme on pourrait le croire :

« Il importe de remarquer le point suivant : aucune des personnes touchées


par le questionnaire […] n’a parlé de la sélection ou de l’orientation profes-
sionnelle comme d’un facteur susceptible d’accroître la productivité, elles
n’ont pas même été mentionnées comme facteur de facilitation de l’adap-
tation, de la formation, voire des relations humaines. Ce fait doit nous
conduire à une première conclusion : le psychologue du travail qui entend
borner son activité à une tâche de sélection a peu de chances d’être adopté
dans l’entreprise et ceci quel que soit l’échelon hiérarchique considéré« (op.
cit. p. 19).

Revenant alors sur ces « activités traditionnelles du psychologue du


travail » en France, dont celle de la sélection à l’embauche, P. Goguelin
aborde le sujet qui nous occupe principalement ici, soit l’analyse du
travail, en mettant en valeur la recherche de critères objectifs :

« De toutes façon, le psychologue industriel doit, avant de définir une


batterie de tests pour un poste de travail donné, analyser ce poste de travail
[c’est-à-dire] :

- connaître parfaitement l’ambiance du travail à analyser (machines,


termes du métier, données du chronométrage, atmosphère de l’ate-
72

lier […] ; il ne sera adopté par [les techniciens] que le jour où lui-
même sera devenu un peu technicien et usera de méthodes et d’un
langage analogue aux leurs ;

- dégager de plus en plus l’analyse du poste du jargon psychologique


(par exemple "dire d’une tâche, pour la décrire, qu’elle nécessite
de la rapidité est un non-sens"). […] De plus en plus le psycho-
logue se tournera vers les techniques de l’organisation scientifique
du travail qui permettront, par une description plus objective, la
détermination de familles de travaux présentant entre eux des va-
riations continues  ;

- non seulement avoir pour but de constater un état de fait mais


aussi de suggérer aux services compétents toute modification pou-
vant améliorer le confort du travailleur ou la méthode de fabrica-
tion et […] prévoir une formation rationnelle pour ce poste ;

- sans écarter la validation d’étude à partir des cotations


professionnelles d’un groupe de gens en place [faire une valida-
tion] a posteriori sur des critères objectifs (rendement, rac-
courcissement des délais de formation, suggestions …) »
(op. cit. p. 21-22).

On remarquera l’allusion à l’amélioration du confort du travailleur.


Ceci ne sera jamais le cas dans les publications de J.-M. Faverge (1954a
et b) qui parle essentiellement de l’efficacité des dispositifs analysés
mesurée par la performance et parfois néanmoins signale des mesures
de fatigue. Enfin pour illustrer la prégnance du contexte économique
européen, nous pouvons évoquer encore l’ouvrage du psychologue
anglais, Sir Frederic C. Bartlett, Men, machine and productivity paru en
1947 et cité par J. Leplat (1953a).
73

2. Les évolutions
2.1. L’avant Mission Psychotechnique 
2.1.1 L’année 1952 au CERP, la Mission Emploi de Frédéric Simon :
« la formation professionnelle, un impératif catégorique ! »

Ces années cinquante montrent, comme on l’a dit, une grande effer-
vescence dont le CERP est un des acteurs, durant l’année 1952 parti-
culièrement. Début 1952, avant la Mission Psychotechnique, le premier
numéro de la nouvelle formule du Bulletin du CERP paraît avec un
Avant-propos de Frédéric Simon26 (1952, p. II-IV), rédigé depuis New
York où il dirige, à ce moment, sur la demande du ministère du Travail
et de la Sécurité sociale, une Mission de Productivité consacrée à l’étude
de l’organisation et du fonctionnement des Services de l’Emploi aux
Etats-Unis. Ceci qui l’amène avec ses collègues – mandatés les uns
par le gouvernement, les autres par les organisations patronales et
ouvrières – à parcourir « l’est de ce pays, de Washington à la Louisiane et de
la Nouvelle-Orléans à Detroit et la frontière canadienne ». En présentant ce
premier Bulletin du CERP, il évoque les changements dans l’orientation
du CERP : dégagement des tâches administratives et accent mis davan-
tage sur l’exploitation des résultats obtenus par les Centres de Sélec-
tion de la FPA, l’élaboration d’une doctrine et la dimension recherche
pour une meilleure formation du personnel de ces Centres. Il signale
avoir été « frappé par l’importance donnée, dans les Services américains
de l’Emploi, à la formation professionnelle du personnel, qui se traduit au
plan quantitatif, par 5 % du temps hebdomadaire de travail, soit 2 heures par
semaine au moins ». Mais il suggère pudiquement qu’il ne s’agit peut-
être, là, que d’un « palliatif sans doute indispensable » à des conditions de
travail désastreuses :

« Largement décentralisée, incombant dans les bureaux locaux aux chefs de


ceux-ci, cette formation se poursuit à plusieurs échelons et son organisation
constitue un devoir essentiel de la Direction des Services […] dans ce
continent où tout apparaît à la fois un et extraordinairement opposé, la

26. Frédéric Simon est alors directeur à l’Association Nationale Interprofessionnelle pour la
Formation Rationnelle de la Main-d’œuvre-ANIFRMO dont dépend le CERP ; il sera directeur
de l’AFPA-Association pour la Formation Professionnelle des Adultes créée en 1966 suite à la
FPA-Formation Professionnelle Accélérée, créée en 1936 pour le reclassement des chômeurs.
74

formation du personnel dans les affaires privées comme dans les services
publics, paraît être un impératif catégorique : c’est sans doute le plus grand
dénominateur commun des Etats-Unis d’Amérique avec l’accent donné
aux relations publiques qui unissent l’entreprise et les bénéficiaires de son
activité, et le soin apporté aux relations humaines dans l’entreprise. C’est
là un palliatif sans doute indispensable aux conditions de travail que font
peser sur l’homme de métier, la mécanisation présente et l’extrême division
des tâches : une civilisation mécanique ne se rendra digne de poursuivre
son évolution que dans la mesure où elle saura substituer à l’intérêt de
l’homme pour sa tâche quotidienne, intérêt souvent déjà disparu dans une
industrie hautement diversifiée, un intérêt plus large qui ne peut s’appuyer
que sur une connaissance approfondie des buts généraux et des moyens
d’action de l’entreprise. »

Après avoir rappelé la « noble tâche des psychotechniciens aux prises


chaque jour avec des problèmes nouveaux, difficiles et passionnants, ceux qui
consistent à scruter l’intelligence humaine et à substituer à des jugements
qualitatifs des notions mesurables », F. Simon termine en adressant ses
« remerciements sincères à tous les collaborateurs du CERP et de ce Bulletin,
groupés autour de M. Faverge » et en souhaitant de « poursuivre longtemps
encore côte à côte [nos] efforts pour faciliter la tâche de tous ceux qui s’occupent
de la formation professionnelle des adultes et de la sélection de ses candidats et,
au-delà de ce premier travail, de tous les artisans de cet ensemble que constitue
le travail social ».

2.1.2 L’article de J.-M. Faverge (1952) Analyse et structure du travail


(Bulletin du CERP, n° 1, 1-8) : structuration et signification

On trouvera une analyse approfondie de ce texte de J.-M. Faverge


(publié dans ce même Bulletin du CERP nouvelle formule) et de son
contexte dans l’article de Régis Ouvrier-Bonnaz (2011). Nous nous
bornons donc ici à souligner quelques points qui annoncent déjà de
quel point de vue l’auteur abordera ses découvertes des USA (le CERP
étant en recherche de l’élaboration d’une « doctrine » selon F. Simon,
1952, cf. supra). D’emblée il fustige la méthode analytique, qui :

« appliquée à l’observation des comportements humains peut être


dangereuse. Elle risque de détruire certaines structures, certaines unités,
disons certaines molécules pour rappeler une analogie avec la chimie.
75

L’inventaire des fragments ainsi obtenus ne permet plus de rendre compte


du comportement réel et ne peut donner naissance qu’à du verbalisme »
(1952, p. 1).

Il en appelle à la théorie de la forme, regrettant qu’elle n’ait « pas


toujours pénétré dans les différents domaines où l’on pratique l’analyse du
travail ». En cinq lignes, tout est dit et il va montrer différents exemples
concrets à l’appui de son analyse qui concerne trois aspects :

a) L’analyse des temps dans le travail : J.-M. Faverge dénonce la


« tendance actuelle » à remplacer les méthodes directes de
chronométrage par des méthodes analytiques (méthodes
américaines dont le Motion and Time Measurement-MTM de
Maynard, Stegemerten & Schwab (1948) très utilisée par
l’Organisation Scientifique du Travail-OST) dont « le danger
est précisément de briser les structures à l’intérieur desquelles
les temps ne s’additionnent pas ». En recomposant artificielle-
ment les gestes du travail par addition d’éléments considé-
rés comme universels (les therbligs)27, on oublie qu’avec la
vitesse d’exécution ou l’apprentissage, l’enchaînement des
gestes se modifie et une « altération des therbligs se produit par
chevauchement, simultanéité, anticipation, etc. » J.-M. Faverge
conclut : « Pratiquement, dans l’analyse du travail, la notion de
structuration se confond avec celle de signification. Un élément
tel que atteindre ou tourner a une signification et on risque de
faire un mauvais découpage si on sépare le geste de son objet » (op.
cit. p. 2).

b) L’apparition des structures dans l’apprentissage : J.-M. Faverge


note sa propre évolution, se prenant lui-même comme
exemple au cours de son auto-apprentissage de la pose de
briques : « A la première difficulté d’importance, et malgré toute
l’attention portée sur tous les points recommandés par le moniteur »,
on « passe par une période de désorientation souvent longue où
[l’on] ne progresse plus » […] puis, « un beau jour, un peu comme
nous nous apercevons brusquement que nos bébés marchent ou
parlent, nous avons constaté que nous posions bien et rapidement

27. Anagramme de Gilbreth, Franck et Lilian (1917), les inventeurs de la méthode des therbligs.
76

nos briques […] grâce à une visée dans le coin de droite formé par
l’arête verticale de notre brique et l’arête horizontale de la brique
de rang inférieur » (op. cit p. 3). Des phénomènes analogues
se produisant pour d’autres apprentissages (lecture, dactylo-
graphie etc.), l’auteur poursuit : « Des structures apparaissent
ainsi au cours de l’apprentissage et il serait absurde de ne pas
les reconnaître ou de les détruire dans l’analyse psychotechnique
du travail ». Une des conclusions méthodologiques en est
que l’on doit être prudent dans l’extrapolation à partir des
observations faites par des chercheurs lors de tout auto-
apprentissage « d’un métier pour le comprendre » parce que « la
nature du travail change ensuite et elles ne correspondent qu’à un
moment très vite évanoui de l’apprentissage » (op. cit  p. 3).

c) La critique de l’analyse en termes d’aptitudes : c’est le che-


val de bataille de J.-M. Faverge. Prenant pour exemple le
profil-type de la mécanicienne en confection de chemises
d’hommes qui utilise les aptitudes du Dr. Carrard28 – publié
dans ce même numéro du Bulletin par R. Saint-Just (1952) –
J.-M. Faverge ironise et recommande : « Ne nous arrêtons pas
pour sourire du souci de précision dans le degré d’aptitude… » En
effet pas moins de 47 rubriques sont listées parmi lesquelles
J.-M. Faverge s’attarde sur « coup d’œil » et « sûreté gestuelle »
pour démontrer que pour le premier, très souvent invoqué
par les professionnels, « il est assez difficile de préciser ce qu’on
entend par "coup d’œil" » [et que] « vraisemblablement [l’auteur]
a pensé [sans le mentionner] aux indices visuels qui guident le
travail de la mécanicienne ». Tandis que pour la « sûreté ges-
tuelle », « on peut répéter ici ce qu’on vient de dire à propos du
"coup d’œil"  ». En réalité, et il insiste : « il ne s’agit pas ici
de précision dans les mouvements ou les conduites mais dans
le résultat du travail. Ce n’est pas une aptitude qui fait l’unité
entre ces épreuves mais la signification du résultat à atteindre »
(op. cit. p. 7). Pour finir, il réitère : « Ainsi donc nous pouvons
avancer que les fameuses aptitudes ne peuvent être isolées de
certaines structures, qu’en le faisant, on détruit les molécules dont

28. Pour plus de détails sur cette méthode de formation en entreprise, voir Faverge, Browaeys
& Leplat (1956).
77

nous avons parlé et qu’une analyse du travail en termes d’aptitudes


n’est que verbalisme » (op. cit. p.8).

Une anecdote appuie enfin ces démonstrations, s’agissant d’un


moniteur de soudure, excellent professionnel à son poste de soudure
mais incapable de réussir l’épreuve du test imaginé pour évaluer les
candidats à cette formation selon les critères construits au CERP ! :

« Nous en avons conclu que nous avions encore une fois été victime de cette
notion, enracinée en nous, d’aptitude, aptitude à effectuer des mouvements
fins de la main gauche, qui ne représente rien en dehors de la signification
de la tâche proposée » (op. cit. p. 8).

J.-M. Faverge nous donne, ici, modestement, une bonne leçon sur la
difficulté à changer de paradigme !

2.2. Le « point tournant » de l’année 1952


2.2.1. J.-M. Faverge et la Mission Psychotechnique de 1952 :
une autre manière de poser et de résoudre les problèmes !

A la relecture des publications des différents acteurs de cette période,


on a bien l’impression que cette Mission Psychotechnique a marqué un
point de non retour dans leur évolution. Non pas que tout ait semblé
admirable aux USA comme on va le voir dans les détails rapportés qui
montrent que J.-M. Faverge, en tout cas, avait gardé un sérieux sens
critique. Mais il s’agit de la découverte d’un « autre monde » où « tout
est possible », qui offre, selon la formule de Sartre (1943), « une ouverture
conceptuelle et imaginaire vers un autre possible » assortie de moyens
matériels jamais même imaginés par des universitaires français au
sortir de la guerre. De plus, il apparaît que le domaine des recherches
appliquées – qui est aussi celui du CERP – n’est pas en butte, là-bas, au
mépris des intellectuels « purs » mais que l’idée de l‘utilité sociale des
recherches est, au contraire, non seulement recherchée mais valorisée.
Une sorte de fascination mais toutefois pas d’adhésion aveugle29. Les

29. Selon R. F. Kuisel (1988), il semblerait que nombre des « missionnaires » français aux USA
aient manifesté ce type d’ambivalence : fascination et méfiance devant les nouvelles valeurs de
cette « société de consommation ».
78

comptes rendus touchent à trois domaines en fonction desquels se joue


la répartition des rôles de chacun pour cette publication :

1. la formation des psychologues industriels et l’organisation de la


profession, avec un article de P. Fraisse sur La Formation des Psy-
chologues Industriels et un autre de S. Pacaud sur La Déontologie et
l’Organisation de la Profession ;

2. les aspects techniques de la psychologie industrielle, avec les


deux articles de J.-M. Faverge sur lesquels nous reviendrons
plus longuement, l’un sur L’analyse du travail, le second sur ���
Hu-
man Engineering, et deux articles concernant la sélection, celle
des ouvriers et des employés par P. Rennes, celle des agents de
maîtrise et des cadres par J. Bonnaire ;

3. les aspects sociaux de la psychologie industrielle, avec L’intégra-


tion du Travailleur dans l’entreprise et Les Perspectives des Relations
Humaines par P. Fraisse, La Formation Psychologique des Cadres
par S. Pacaud, Le « Counseling » par H. Gavini.
Si nous citons l’ensemble des titres pour mémoire, c’est pour bien
saisir le contexte intellectuel dans lequel s’élaborait L’Analyse du
travail de 1955, ainsi que les principaux thèmes des découvertes faites
de l’autre côté de l’océan qui sont apparus novateurs aux « mission-
naires » en fonction des préoccupations de chacun. Les deux articles de
J.-M. Faverge, notamment, auront une postérité ; ils seront en effet repris
quasi in extenso dans sa publication commune avec A. Ombredane en
1955 et inspireront nombre de travaux ultérieurs. Ces deux articles ont
un ton très différent.

2.2.2.1 L’analyse du travail (1954a, 9 pages)

L’article expose d’emblée le malentendu que recouvre ce terme aux


USA :

«  Pour le psychotechnicien français, le titre "Analyse du travail"


pourrait tout aussi bien, et d’une façon équivalente, être "Etude de
poste" ou "Monographie professionnelle". D’une manière un peu
stricte, il entend par là l’étude faite d’enquêtes et d’observations, dans
laquelle on décrit les opérations de travail, l’ambiance et les conditions
de travail et où l’on formule les exigences dans le langage des aptitudes ;
79

cette étude est l’étape préparatoire au choix d’une batterie d’épreuves


destinée à la sélection et à l’orientation » (op. cit. p. 55).

Mais, de fait, J.-M. Faverge déclare qu’au cours du voyage on leur


a montré peu d’analyses du travail préparatoires au choix des tests car
il semble que les recherches en psychologie appliquée soient orientées
vers d’autres objectifs. Certains tests sont conservés sans remise en
cause, comme si l’on pensait que « le plafond de validité » a déjà été
atteint et J.-M. Faverge va puiser de nouveaux arguments pour appuyer
son « combat » contre la théorie des aptitudes. Il suggère l’hypothèse
(qui va dans son sens) qu’il « est possible que le passage de l’analyse du
travail aux hypothèses du testing par l’intermédiaire des aptitudes ait été la
source d’échecs et de désillusions. Nous avons eu quelques échos de ces échecs »
(op. cit. p. 55).

Il décline ensuite les différents objectifs assignés à l’analyse du


travail à l’américaine et les méthodes utilisées selon les personnalités et
lieux visités en utilisant une méthode d’exposition fondée sur une série
d’exemples.

Les objectifs, au nombre de cinq, vont de « la connaissance d’une fonc-


tion », telle que celle du contremaître de production avec « l’immense
étude » de W.L. Wallace (The Psychological Corporation) qui conclut qu’il
« y aurait intérêt à savoir en quoi consistait le travail réel du contremaître »
pour « rattacher les opinions et les affirmations à la réalité quotidienne » (op.
cit. p. 56), à la « constitution d’un instrument de placement » basé sur des
« analyses du travail ou monographies professionnelles » réalisées par le
Service de l’Emploi pour être classées et consultées, comme le Bureau
Universitaire de statistiques-BUS le fait en France où « la méthode a déjà
été transposée » (op. cit. p. 57-58). Trois autres objectifs sont encore cités :
la « préparation d’un programme d’enseignement » (par exemple pour les
spécialistes de la marine par N. Friedmann de Purdue University), la
« classification des emplois », toujours à l’ordre du jour (par exemple, celle
des emplois de bureau par C.H. Lawshe de Purdue University et celle
de l’ensemble des emplois par R.L. Thorndike de Columbia University
« permettant de mettre en parallèle les activités professionnelles et les capacités
de la population », (« but très audacieux » pour J.-M. Faverge !) ; l’organisa-
tion du travail enfin, principalement sous l’aspect des communications
qui est le plus intéressant pour lui. L’analyse, dans ce cas, porte « prin-
80

cipalement sur les rapports et les communications entre les postes » (avec le
Yale Labor and Management Center de Yale University et R.M. Stogdill
de l’Université de l’Etat d’Ohio), ce qui montre que :

« l’on assiste ainsi à une pénétration de l’esprit de la psychologie indus-


trielle dans le domaine de l’organisation du travail et en même temps que
les méthodes expérimentales et statistiques tendent à remplacer des concep-
tions de l’organisation fondées sur la recherche de ce qui apparaît rationnel
et logique » (op. cit. p. 57).

Au plan des méthodes, le texte laisse transparaître une certaine


déception et, à la fois, un intérêt pour des approches nouvelles desti-
nées à « savoir ce qui se passe réellement ».

« On voit comment des problèmes pratiques importants ont conduit à


l’étude du travail. Malheureusement, les méthodes d’analyse n’ont pas
toujours progressé de façon à être à l’abri des critiques. Quelques techniques
ont cependant apparu hors des ornières habituelles et sont prometteuses
pour l’avenir » (op. cit. p. 58).

J.-M. Faverge est donc assez critique sur l’emploi de méthodes très
sophistiquées mathématiquement et manipulant d’énormes quantités
de données — telle la « liste du Dr. Thorndike » —, mais qui, pour lui,
reposent sur des bases fragiles (enquêteurs non professionnels, emploi
de termes « empruntés à la psychologie des facultés et au langage des apti-
tudes »). Il s’interroge donc :

« Le lecteur averti du danger de l’emploi de tels termes pourra être inquiet
et même sceptique sur la valeur d’études conduites à partir de telles bases
[…] N’y-a-t-il pas là une démarche qui choque un esprit scientifique ? Il
en est de même pour l’Analyse des opérations de « travail réel » des
contremaîtres du Dr. Wallace, qui recueille durant ses 15 mois d’enquête,
4000 situations où le contremaître a agi, qu’il faut classer et évaluer » (op.
cit. p. 58).

Il conclut :

« La méthode […] n’est pas sans danger et l’interprétation des résultats est
difficile […] ; dans un souci d’objectivité et par réaction contre les juge-
ments et les langages d’aptitudes, on ne veut recueillir que des données ob-
81

jectives, on décompose les processus opératoires et on note ce que l’homme


a fait. Notre opinion est qu’on n’est pas ainsi à l’abri d’erreurs lorsqu’on
désire interpréter les résultats. »

Quant à l’étude des emplois de bureau avec un questionnaire de


139 questions, J.-M. Faverge la juge toujours aussi sévèrement : « En
fait, on a retrouvé ce qu’on avait mis au départ […] de toute façon, on n’a rien
appris ».

Seule trouve grâce à ses yeux, l’analyse des variables d’organisation,


tentative pour introduire d’autres variables que les aptitudes et les
opérations de travail, qui sont intéressantes et semblent « ouvrir une voie
pour sortir de certaines impasses ». On en a un exemple dans les études
d’organisation psychologique (menées par le Yale Labor and Manage-
ment Center) où la théorie des communications apporte des idées pour
définir des rubriques. L’objectif n’est pas de « recueillir les informations
des bureaux des méthodes » mais de :

« savoir ce qui se passe réellement ; l’expérience montre que c’est en général


très différent de ce que croit la direction ou le bureau des méthodes. C’est
l’étude de l’organisation réelle qui permet de diagnostiquer ce qui ne va pas
dans le “comportement” de l’organisation » (op. cit. p. 61).

On trouvera un écho de cette perspective dans des travaux ultérieurs


de J.-M. Faverge sur l’ergonomie des processus industriels (Faverge
et al., 1966) et même dans sa conception systémique des accidents du
travail (Faverge, 1967). Il poursuit : « Les différences entre l’organisation
réelle et l’organisation fictive peuvent souvent être décrites en tenant compte
des diverses sortes de tâches ou d’actions » qu’il énumère en concluant
qu’à « chacune des rubriques correspondent des communications. […] Les
problèmes techniques qui se posent sont ceux qui ont trait à la définition de
variables de communication et à la représentation des communications ». On
voit là, déjà, se manifester l’intérêt de J.-M. Faverge pour rechercher,
dans le travail, « des existences insoupçonnées derrière les façades », ce qui
« est une constante dans son œuvre » selon Grisez (1982).

Pour finir, quelques autres méthodes sont mentionnées dont


certaines sont déjà connues en France, comme l’échelle de Gutman,
mais qui sont détournées et utilisées dans un autre objectif, plus inat-
82

tendu, pour mesurer la fatigue par exemple. La memo-motion (cinéma


au ralenti) est aussi utilisée à l’inverse de l’usage habituel (une prise
de vue en accéléré afin que la projection soit au ralenti pour étudier
des mouvements répétitifs rapides), c’est-à-dire avec une prise de vue
au ralenti et une projection en accéléré. On peut ainsi étudier l’effet du
travail prolongé, ou « si l’on consent à employer ce vocable de sens douteux,
la fatigue ». J.-M. Faverge avoue que « l’effet est saisissant, le contraste est
profond entre le début et la fin du film et il y a là une méthode expérimentale
particulièrement valable » (op. cit. p. 63).

En résumé, l’auteur note en général une extension des objectifs de


l’analyse du travail à un ensemble de postes, une augmentation des
problèmes posés par les besoins pratiques qui fait que, et c’est le statis-
ticien qui parle, l’« on répond à la demande en utilisant des méthodes clas-
siques qui sont loin d’être sans critiques. En particulier l’utilisation de l’analyse
factorielle est très fréquente. Elle n’a pas été faite pour cela et son application
est souvent discutable ». Cependant il souligne que de nouvelles façons
de penser et des techniques prometteuses apparaissent, en particulier
grâce aux « emprunts faits au langage et à la théorie des communications »
(op. cit p. 63). Thème que l’on retrouve dans l’article suivant.

2.2.2.2 Human Engineering (1954b, 11 pages)

Le deuxième article-bilan, intitulé simplement Human Engineering,


est en fait sans doute, avec le recul, le plus important dans l’évolution
conceptuelle et méthodologique de J.-M. Faverge et de son équipe au
CERP. La première réaction est un effet de surprise – avoué par lui-
même – provoqué par l’équipement sophistiqué des laboratoires de
psychologie expérimentale qui font penser à ceux des laboratoires de
sciences, en France du moins :

« Le visiteur des laboratoires de psychologie des universités améri-


caines est particulièrement surpris de se trouver au milieu de radars et
d’appareillages électroniques complexes. L’universitaire qui enseigne la
psychologie après avoir approfondi les grands problèmes philosophiques
et métaphysiques ne pourrait croire un instant qu’il n’est pas dans une
salle de travail de physique de la faculté des sciences. Il s’agit pourtant
d’un lieu où on étudie une branche de la psychologie appliquée particuliè-
rement intéressante et riche en utilisation que l’on appelle Human Engi-
83

neering. Ce terme est difficile à traduire, nous n’en connaissons pas de


traduction et c’est pourquoi dans la suite nous continuerons à utiliser la
langue anglaise, le meilleur titre français serait encore Adaptation de la
machine à l’homme » (Faverge, 1954b).

N’oublions pas aussi que ce « rapport » succinct est « accompagné »


de l’ouvrage de Chapanis, Garner & Morgan (1949) : Applied Experi-
mental Psychology. Human Factors in Engineering Design, rapporté par
J.-M. Faverge qui le confie à J. Leplat30 pour traduction et analyse. Si l’on
veut apprécier l’impact collectif de cette Mission Psychotechnique, il faut
lire en complément de l’article de J.-M. Faverge la présentation critique
de cet ouvrage par J. Leplat (1953a) – évoquée ci-après –, qui s’en fera
l’écho plus tard en citant cette introduction de l’article de J.-M. Faverge
et en la commentant ainsi : « Il est revenu avec ça ! ».

Ça, c’est « la » découverte, sans savoir pourtant le nommer, de ce


champ nouveau : « Le Human Engineering [qui] est probablement une
des techniques qui a le plus intéressé les membres de la mission (Faverge
1954b, p. 74) et dont l’objectif général peut se résumer ainsi : “Replacer
les conditions du travail à l’intérieur des limites humaines” ». J.-M.
Faverge,  fidèle à sa méthode d’exposition, passe par des exemples
qui « montreront mieux qu’une définition quelle est la nature des problèmes
posés ». La plupart de ces exemples proviennent du monde de l’avia-
tion (au Laboratory of Aviation Psychology of Ohio State University à
Colombus ou à la Johns Hopkins University à Baltimore, avec Alphonse
Chapanis et son équipe), dont la sophistication technique risquait sans
cesse de dépasser « les limites humaines ».

Les découvertes portent à la fois sur les objectifs des recherches,


sur les moyens mis à disposition des équipes, sur la démarche et les
méthodes, enfin sur les modèles interprétatifs. Il explique :

« Le Human Engineering réalise la fusion entre psychologie expéri-


mentale et psychologie appliquée », « c’est le perfectionnement des tech-
niques qui a donné naissance au Human Engineering […]. Il arrive que
ce sont les limites humaines d’ordre psychophysiologique qui empêchent

30. Voir Entretien avec Jacques Leplat  par M. Pottier et A. Laville (2002) retranscrit en partie dans
le film de Ch. Lascaux (2012) Histoires d’Ergonomie – le temps des pionniers. Toulouse : Octarès. 
84

seules d’augmenter encore le rythme des performances des machines. C’est


alors qu’intervient le Human Engineering pour replacer les conditions
du travail à l’intérieur des limites humaines. On voit toute la différence
avec la rationalisation et la simplification du travail dont l’objectif est l’aug-
mentation de la productivité quel que soit le travail, techniques qui ont des
résultats d’autant plus spectaculaires que le travail est plus archaïque »
(op. cit. p. 67).

L’« aménagement du travail », c’est-à-dire le fait d’envisager la possi-


bilité de transformer les dispositifs techniques et non plus de subir
l’obligation de les prendre comme immuablement « déjà là » repré-
sente, pour l’époque, un véritable bouleversement de l’objectif de la
« psychologie appliquée », domaine du CERP. La possibilité d’expé-
rimenter avec des moyens matériels importants laisse manifestement
rêveur le chercheur français en psychologie, discipline considérée
encore comme littéraire, qui peut se croire dans une « salle de travail de
physique de la faculté des sciences », mais avec la contrepartie de l’obliga-
tion de travailler sur commande extérieure du fait que « les problèmes
sont soumis aux Universités par les Services de l’Armée de l’air », et, le cas
échéant, soumis au secret militaire, ce qui est frustrant en tout cas pour
les visiteurs.

En revanche, de nombreuses méthodes d’enquête et d’expérimenta-


tion apparaissent novatrices, par exemple : le Répertoire des fautes (Fitts
et Jones avec leurs 624 pilotes et 227 erreurs de pilotage classées) ; le
Relevé de « travail réel » par discussion de groupe et non par observation
directe (J. Barmack) à propos de la transmission des renseignements à
l’équipe de pilotage ou du relevé du travail et des besoins réels exprimés
par les différents membres d’équipage dont les intérêts sont souvent
opposés, ou encore l’étude sur les préférences des usagers (Dunlap &
Associates) ; l’utilisation de la technique de la recherche opérationnelle et
de la mathématique des opérations (Morse & Kimball, 1951) pour analyser
les éléments recueillis ; l’expérimentation après l’enquête (Fitts et Simon
à l’Université de l’Etat d’Ohio  : comparaison de plusieurs dispositifs
pour étudier le maintien de deux aiguilles simultanément sur deux
repères (op. cit. p. 72).

Toujours sensible aux méthodes statistiques utilisées, par exemple


celles de Fisher pour la planification des expérimentations et l’analyse
85

de la variance pour l’exploitation statistique (op. cit. p. 73), J.-M. Faverge


est, de plus, séduit par l’usage de la théorie de l’information (Shannon
& Weawer, 1949) et du langage des communications, à la fois pour
exprimer sa pensée et pour expérimenter (la quantité d’informations
étant la variable étudiée). Par exemple, pour élaborer des règles afin
de faciliter la prise de l’information (op. cit. p. 67-69), comme dans les
expériences de l’équipe de la Johns Hopkins University sur la valeur
de divers systèmes de signalisation : celle d’A. Chapanis (épreuve de
poursuite longuement exposée) ou celle de Hake et Garner (nombre
minimum de graduations à porter sur une échelle sans perdre d’in-
formation). On verra que cette dernière «  découverte  » – la théorie de
l’information – influencera directement le travail futur de J.-M. Faverge
et de ses collaborateurs, notamment car ils y trouvent des arguments
définitifs contre l’interprétation par les aptitudes.

L’article se conclut par une réflexion sur la place de la recherche


dans la société : «  La recherche scientifique est orientée par les besoins
pratiques et non plus seulement motivée par le désir de comprendre ». D’où
une autre conception des dispositifs d’organisation et de financement
de la recherche, faite désormais sous contrats et avec l’aide financière
de l’armée ou de grandes organisations. J.-M. Faverge regrette que ces
méthodes ne soient « malheureusement pas utilisées en France où la solu-
tion des problèmes est laissée à l’empirisme » et il préconise trois étapes
pour les y introduire :

1. former des psychologues industriels capables d’aborder ces


recherches, ce qui « implique une plus grande collaboration entre
enseignements de psychologie expérimentale et de psychologie appli-
quée » ;

2. attirer l’attention des ingénieurs sur l’intérêt de ces études « en


introduisant, si possible, dans leur formation un cours sur le Human
Engineering » ;

3. « intéresser à ces recherches, nécessairement assez coûteuses, de grandes


entreprises ou des services publics » (op. cit. p. 74).
86

Parmi tous les lieux visités par cette Mission Psychotechnique, nous
retiendrons la Johns Hopkins University31 dans laquelle travaille
Alphonse Chapanis (35 ans alors), un des pères fondateurs de l’ergo-
nomie (on le surnommera plus tard « le Dieu le père des Human Factors
et de l’Ergonomie »). Il restera en contact avec les futurs ergonomes fran-
çais dont il recevra une autre délégation en 1956, la « Mission 335 ou
L’adaptation de l’homme au travail », celle qui est plus directement liée à
la création de l’IEA et de la SELF et que nous évoquerons plus loin. En
1956 encore, il publiera dans la Revue de Psychologie Appliquée, un article
sur L’adaptation de la machine à l’homme. L’étude des relations homme-
machine dans lequel, en guise d’explication aux lecteurs sur ce que sont
les Human factors in Engineering Design, il cite « l’excellent article » de
J.-M. Faverge – Human Engineering – publié de retour de la Mission
Psychotechnique de 1952 dans la même Revue de Psychologie Appliquée
(1954), article dont nous venons de parler ici. Enfin, il est l’un des
auteurs de l’ouvrage rapporté par J.-M. Faverge et analysé par J. Leplat
comme on va le voir ci-après.

2.2.2 Traduction et analyse par Jacques Leplat de Applied


Experimental Psychology. Human Factors in Engineering Design 
(1949) de Alphonse Chapanis, Wendell R. Gardner & Clifford T.
Morgan.

J. Leplat, alors chargé d’études au CERP, publie en 1953 dans


L’année psychologique une analyse critique de l’ouvrage de l’équipe
d’Alphonse Chapanis à la Johns Hopkins University (Applied Expe-
rimental Psychology. Human Factors in Engineering Design) qu’il
traduit par « Travaux récents de "Technologie Humaine" (Human Engi-
neering) » (Leplat, 1953a). Parmi « l’abondante documentation » dont
parle Fraisse dans sa Préface de 1954, figure ce texte emblématique que
J.-M. Faverge remet à J. Leplat au retour de sa « mission » de 1952. Plus
tard, ce dernier racontera avec humour la façon dont lui a été confié cet
ouvrage pour traduction et « petit compte rendu » :

« Je me rappelle, il avait ramené Applied experimental psychology,


il me l’a mis sur ma table et m’a dit : “Tenez, vous allez regarder ça et vous
viendrez m’en parler, me faire un petit compte rendu”. Alors je me suis

31. Université privée, fondée en 1876 par un Quaker de Baltimore, Maryland.


87

mis là-dedans avec une certaine peine, parce qu’il était question d’oscillos-
copes, de choses comme ça, je n’avais jamais vu ça, c’était vraiment un
autre monde32. Ce qui serait intéressant, c’est d’avoir ce chapitre qu’il a
écrit sur l’Human Engineering33, parce qu’on ne savait pas encore ce
qu’était l’ergonomie, ce n’était pas encore passé dans la langue. » (Leplat,
in Pottier & Laville, 2002).

Selon les trois auteurs de l’un des ouvrages pionniers du domaine,


pendant des années « les psychologues expérimentalistes ont étudié avec
soin dans les laboratoires académiques les capacités humaines à percevoir,
travailler et apprendre, et très doucement ils ont poussé à utiliser les faits
recueillis et les méthodes dans la vie quotidienne, en particulier dans le
domaines des machines de la technologie moderne. La récente guerre a mis les
projecteurs sur le manque de connaissances dans ce domaine et a encouragé
les recherches ».

Avant de rentrer dans le vif de leur sujet, les auteurs donnent


quelques définitions utiles à la compréhension du champ ; ils insistent
aussi sur la nécessité de faire des efforts délibérés pour utiliser un
langage adapté aux publics qu’ils veulent convaincre : « des mots
"petits" plutôt que des "grands" mots, des phrases directes plutôt que des
indirectes, des expressions communes plutôt que des phrases académiques et
techniques ». Ils déclarent aussi que pour eux « ce livre est une aventure
dans un nouveau champ de science appliquée et d’aventure dans un nouveau
style d’écriture d’un manuel » (Chapanis, Garner & Morgan, 1949 p. VI).

J. Leplat précise qu’il s’agit d’un des rares ouvrages consacrés à


une mise au point générale des travaux de Human Engineering (terme
qu’il ne sait pas trop comment traduire), cette nouvelle discipline « au
confluent de trois lignes de développement tout à fait distinctes : les études des
ingénieurs des temps et mouvements, la sélection professionnelle et enfin la
psychologie expérimentale » (Leplat, 1953a, p. 517). On retrouvera évidem-
ment dans l’article de J.-M. Faverge (1954b) des éléments de l’analyse
de J. Leplat ; ce sont les mêmes travaux qui leur ont semblé originaux.
Un double objectif oriente ce nouveau champ de recherches : étude des

32. Rappelons que longtemps la psychologie n’a été qu’une branche de la philosophie et qu’elle
ne s’est autonomisée à l’université qu’en 1947 avec la création de la licence puis, en 1958, du
doctorat de 3e cycle.
33. Il s’agit bien de l’article de J.-M. Faverge (1954b) présenté ici.
88

possibilités et limitations humaines d’un côté, étude des plans d’équi-


pement de l’autre. Et « ce qui fait leur unité fondamentale, c’est qu’à plus
ou moins brève échéance les études entreprises se traduiront dans le domaine
pratique par une amélioration des relations entre l’homme et la machine »
(op. cit. p. 20). Faverge fera explicitement référence à cet ouvrage dans
L’Analyse du travail de 1955 (p. 39), au chapitre 1 qu’il signe seul : La
place de l’analyse du travail dans la résolution des problèmes de psychologie
industrielle, comme à l’un des « deux livres fondamentaux sur l’aménage-
ment du travail ».

Après avoir décrit un grand nombre de ces « études qui ne constituent


que quelques repères dans ce champ de recherches si vaste du Human Engi-
neering », J. Leplat en souligne quelques caractères essentiels. Parmi
ceux-ci, l’intérêt et l’originalité lui semblent résider dans « une nouvelle
manière d’aborder certains problèmes du travail » qui, jusqu’alors étaient
« envisagés souvent d’une manière unilatérale ». Or se donner comme but
l’étude de la notion nouvelle de système homme-machine permet une
influence réciproque et bénéfique de la psychologie et de la technique,
ce qui lui paraît, comme l’avenir le démontrera, « quelque chose d’extrê-
mement important quelle que soit, d’ailleurs, la signification que l’on puisse
lui donner » (op. cit. p. 534). Poursuivant l’analyse des étapes nécessaires
pour définir « le système le meilleur », J. Leplat nuance son propos :

« Mais cette recherche des optima, si elle est nécessaire, reste insuffi-
sante. Nous avons vu en effet que, pratiquement, ce sont des solutions de
compromis qui doivent être adoptées34. Aussi au-delà des optima, faut-il
chercher à déterminer des fonctions. Celles-ci permettront de définir, dans
des conditions qui ne sont pas idéales, l’efficacité que l’on peut attendre
d’un dispositif. »

Et il termine en rappelant que Human Engineering est une discipline


jeune qui n’en est qu’à ses débuts mais que son intérêt principal est
ailleurs :

« Là comme dans beaucoup d’autres domaines, le Human Enginee-


ring réalise un renversement de perspective. Au lieu de former les hommes

34. A ces phrases de J. Leplat fait écho la sentence réaliste de l’équipe d’Ivar Oddone (1977),
25 ans plus tard : « L’étendue du pensable est extrêmement réduite par l’étroitesse du possible ! »
89

à vaincre les difficultés d’utilisation des machines (ce qui est un des buts de
l’apprentissage), on essaie d’éliminer ces difficultés elles-mêmes. Quant à
celles qui persistent, on en a une idée plus claire qui permet de les surmonter
plus facilement » (op. cit. p. 535).

On peut concevoir combien ces découvertes percutaient de plein


fouet tout le système sur lequel était basée la formation professionnelle
des adultes et donc le travail du CERP. Mais les leçons seront vite tirées
car le terrain était déjà préparé par la mise en question des aptitudes et
des méthodes de formation en vogue, type Carrard ou TWI35 (Training
Within Industry). Soixante ans plus tard, on peut mesurer les avancées
mais, en même temps, dans certains domaines, ce renversement doit
encore advenir36.

2.2.3 La mise en chantier d’un Guide de conception en Human Engi-


neering aux USA

Un autre événement à signaler dans le contexte de cette année


1952 se passe aux USA. Il nous est rapporté dans la Préface de l’ou-
vrage Human Engineering Guide to Equipment Design37 dont la réalisa-
tion a réuni pendant 11 années 23 chercheurs, dont encore Alphonse
Chapanis. En mai 1952, le Panel of Human Engineering Committee on
Human Resources, Research and Development Board du Département de la
Défense recommande que les trois branches des Services armés déve-
loppent conjointement un Human Engineering Guide to Equipment Design.
Un memorandum, soumis aux Secrétaires des Départements de l’Armée
de terre, de la Navy et de l’Air Force par le Research and Development
Board en octobre de la même année, recommande que des spécialistes
des deux disciplines Design Engineering et Human Engineering soient
inclus dans un Joint Services Steering Committee pour le Guide38. L’objectif
était donc de fournir un Guide en Human Engineering que les concep-
teurs pourraient utiliser, comme on le fait avec un manuel dans les
autres domaines, pour les aider à résoudre les problèmes de concep-

35. Pour plus de précisions sur ces méthodes de formation en entreprise, voir Faverge, Bro-
waeys & Leplat (1956).
36. Pour plus de détails sur cette histoire, voir Teiger & Lacomblez, 2013.
37. Ouvrage coordonné par C.T. Morgan, A. Chapanis, J.S. Cook, & M.W. Lund.
38. La Navy accepta la responsabilité de la coordination confiée au Dr. H., A. Imus de l’Office
de la Recherche Navale.
90

tion lorsqu’ils se posent… L’accent serait mis en premier dans le Guide


sur les principes et pratiques de conception recommandés plutôt que
sur une compilation de résultats scientifiques. Pourtant des résultats
de recherches pourraient être inclus, si nécessaire, comme moyens de
conforter ou de clarifier les recommandations de conception (Morgan
et al., 1963, p. VII).

La première réunion eut lieu en février 1953, le plan de l'ouvrage fut


arrêté en décembre 1953, le travail a débuté en mars 1954 et fut publié
en 1963, treize ans plus tard, ce qui indique la complexité d’un projet
d’une telle ampleur. Il s’est agi d’une entreprise d’importance dont les
collaborateurs avaient la consigne de rédiger dans un langage « simple,
clair et concis ». Les domaines couverts par cette publication sont  : le
système Homme-Machine, la présentation visuelle de l’information, la
présentation auditive de l’information, la communication par la parole,
la dynamique Homme-Machine, la conception des contrôles, l’aména-
gement des postes de travail, l’organisation des groupes d’hommes et
de machines, la conception pour la facilité de la maintenance, les effets
de l’environnement sur la performance humaine, l’anthropométrie.

Nous évoquons ici cette entreprise à titre d’élément du contexte des


préoccupations scientifiques de l’époque et aussi parce que A. Chapanis
en est l’un des auteurs-coordonnateurs.

2.3 L’après Mission Psychotechnique : des traces diversifiées chez


J.-M. Faverge, le CERP et les autres

Au travers de diverses publications, nous avons tenté d’exposer


les découvertes et désillusions provoquées par le contact des USA des
années cinquante. Elles tournent, comme nous l’avons montré, autour
de la place de la recherche – notamment en psychologie appliquée –
dans la société, à l’objectif de ces recherches, aux méthodes utilisées et
aux modèles théoriques sous-jacents à la conceptualisation et à l’inter-
prétation des données. En résumé, elles tiennent en ces quelques cita-
tions extraites des publications abordées ici (non exhaustives !) :

- un enjeu socio-scientifique : « la formation du personnel, un impé-


ratif catégorique : c’est sans doute le plus grand dénominateur commun
des Etats-Unis d’Amérique... et un palliatif sans doute indispensable
91

aux conditions de travail que font peser sur l’homme de métier la méca-
nisation présente et l’extrême division des tâches » (Simon, 1952 : III) ;

- la place de la recherche dans la société : « La recherche scientifique


est orientée par les besoins pratiques et non plus seulement motivée par
le désir de comprendre » (Faverge, 1954b, p. 74) ;

- un renversement de perspective, une « façon nouvelle de poser et


résoudre les problèmes » (Fraisse, 1954a, p. 3) : par exemple, « au
lieu de former les hommes à vaincre les difficultés d’utilisation des
machines (ce qui est un des buts de l’apprentissage), on essaie d’éli-
miner ces difficultés elles-mêmes. Quant à celles qui persistent, on en
a une idée plus claire qui permet de les surmonter plus facilement »
(Leplat, 1953a, p. 535).

- un nouvel objectif de recherche : « Replacer les conditions du travail


à l’intérieur des limites humaines » (Faverge, 1954b, p. 67) ;

- une théorie qui permet d’expérimenter et d’exprimer les résul-


tats : la théorie de l’information de Shannon ;

- des méthodes et des moyens matériels modernes et conséquents :

• « l’universitaire qui enseigne la psychologie après avoir approfondi


les grands problèmes philosophiques et métaphysiques ne pour-
rait croire un instant qu’il n’est pas dans une salle de travail de
physique de la faculté des sciences » (Faverge, 1954b, p. 64).

• l’usage de techniques d’enregistrement sophistiquées (memo-


motion, etc.)

• une expérimentation systématique dont « l’analyse se soucie


constamment de soumettre ses hypothèses aux contrôles de la statis-
tique, cette police bien faite de l’expérimentation » (Ombredane,
1955, p. 16) que J.-M. Faverge, en mathématicien et statisti-
cien qu’il était, avait pu apprécier à sa juste valeur.

Parmi les nuances et relatives désillusions exprimées, figure préci-


sément le recours abusif aux statistiques, dans certains cas non justi-
92

fiés et aux échantillons énormes, ce qui semble un peu à J.-M. Faverge


prendre les moyens pour la fin et se munir d’un marteau-pilon pour
écraser une mouche. Une autre restriction lui semble être une trop
grande dépendance vis-à-vis des bailleurs de fonds qui imposent le
secret, comme dans le cas des recherches sur la demande des forces
armées."

Ces « découvertes » seront ré-utilisées dès le retour de la Mission


Psychotechnique dans l’enseignement et dans les publications de
J.-M. Faverge et de ses collègues (A. Ombredane, J. Leplat entre autres)
puis ultérieurement sous diverses modalités comme on va le voir39.

2.3.1 L’enseignement au Séminaire d’Analyse du travail de l’Univer-


sité de Bruxelles (ULB) : 1953-1954

Sur la demande d’A. Ombredane40, nommé professeur à l’ULB


en 1948, J.-M. Faverge inaugure en 1953-54, au Séminaire d’analyse du
travail, un cycle de conférences intitulé : Analyse du travail en termes du
langage des communications. A. Ombredane (1955, Introduction, p. 18) en
parle ainsi :

« J’ai gardé très vif le souvenir d’une matinée où, devant les problèmes
des démouleurs de sucre que lui soumettait Houyoux (1952), M. Faverge
en est venu à l’idée qu’un schéma de Shannon rendrait l’expression des
données expérimentales plus facile. Au Séminaire d’analyse du travail de
l’Université de Bruxelles, il a consacré ses conférences de 1953 et 1954 à
l’analyse du travail en termes du langage des communications. L’intérêt
ne lui a pas été ménagé par un auditoire d’élite dans lequel se trouvaient,
à côté des "jeunes”, des collègues de l’Université, des médecins du travail,
des psychotechniciens, et des ingénieurs en fonction dans divers milieux
industriels, particulièrement dans celui des Sucreries tirlemontoises
(Belgique : Brabant) dont l’accueil compréhensif nous a beaucoup aidés.
J’espère que les perspectives développées dans le présent ouvrage, quelque
imparfaite que soit encore leur élaboration, retiendront l’attention de ceux

39. Le travail de recherche des « traces » de cette « mission » dans l’œuvre des autres partici-
pants n’a pas été fait.
40. En 1959, J.-M. Faverge remplacera A. Ombredane décédé en 1958, laissant la direction du
CERP à J. Leplat.
93

qui se soucient de l’économie humaine dans l’amélioration de la producti-


vité. »

Parallèlement, J.-M. Faverge crée un enseignement d’analyse du


travail dans le Diplôme de psychologie industrielle de l’Institut de Psycho-
logie de l’université de Paris. Et il écrit.

2.3.2 Répercussions sur les publications ultérieures

2.3.2.1 La ré-utilisation dans la rédaction de L’Analyse du travail.


Facteur d’économie humaine et de productivité d’A. Ombredane &
J.-M. Faverge (1955)

Cet ouvrage resté emblématique pour l’ergonomie « francophone »


dite de l’activité, se propose d’aider à résoudre quatre problèmes de
Psychologie industrielle, enjeux de l’époque dans le contexte déjà
évoqué de l’amélioration de la productivité : sélection, orientation et
promotion professionnelles ; formation professionnelle ; qualification
du travail ; aménagement du travail. Il est bien dans l’air du temps mais
va bien au-delà.

Dans l’Introduction, rédigée par lui seul, A. Ombredane fait allusion


avec une certaine envie à l’Amérique qui a su introduire des « perspec-
tives humaines » dans la culture des techniciens :

« Tout Institut de Technologie, toute Ecole d’Affaires a inclus dans


son programme des cours un large enseignement de psychologie appliquée.
Cette tendance à élargir la culture des techniciens vers des perspectives
« humaines » est encore très récente en Europe. Il n’en est plus de même
en Amérique où l’on commence par la formation des jeunes ingénieurs »
(Ombredane & Faverge, 1955, p. 1).

D’emblée on constate aussi, dans cette Introduction, qu’A. Ombredane


s’est bien approprié les « découvertes » de J.-M. Faverge, notamment le
langage de la théorie de l’information, dont il parle à propos du Sémi-
naire donné à l’ULB en 1953-54 par J.-M. Faverge, mentionné supra et
aussi dans une communication qu’il effectue seul en 1953 sur Perception
et information au Congrès des psychologues de Langue Française à Louvain.
Dans la suite de l’ouvrage commun, le chapitre VII – l’analyse du travail
94

en termes du langage des communications – sera le seul cosigné par les


deux auteurs. Par ailleurs, pour A. Ombredane, il existe deux perspec-
tives : le quoi et le comment et il met l’accent sur l’utilisation des infor-
mations dans le travail. Il ne parle pas encore vraiment d’activité mais
d’attitudes et de «  séquences opérationnelles effectivement mises en jeu  »
ou encore des « exigences et conditions réelles de la tâche avec toutes leurs
variations prévues et imprévues » qui doivent figurer dans une analyse
du travail bien menée (op. cit. p. 18). D’où l’importance de l’élabora-
tion des séquences opérationnelles liées étroitement au problème de
l’utilisation des informations (op. cit p. 12). L’auteur cite de nombreux
exemples d’informations informelles de toutes sortes prises par les
travailleurs au cours de l’apprentissage, mais aussi dans le cours quoti-
dien de leur travail (ce que tous les ergonomes ont observé depuis !) :
celui d’une presse à découper des lamelles pour la fabrication de
moteurs électriques, dont le graissage régulier de l’emporte-pièce pour
éviter que les plaques collent est réglementé, mais que l’opérateur fait
systématiquement à son rythme propre grâce à un « bruit ténu d’aspira-
tion » qu’il entend bien que le hall soit très bruyant), ou celui du sens
du laminage repéré à la paume de la main par un léger bombé de la
plaque, et encore celui du « vieux conducteur du métro » :

« [qui] rumine librement ses soucis et ses joies et freine et repart machi-
nalement sans précipitation ni retard à l’appel des signaux. Il serait bien en
peine de dire s’il a fait ou non attention. Ce dont il est normalement assuré,
c’est qu’il a respecté les signaux » (op. cit. p. 6).

Enfin, l’auteur conclut en resituant leur publication dans la perspec-


tive socio-politico-scientifique d’alors : « J’espère que les perspectives déve-
loppées dans le présent ouvrage, quelque imparfaite que soit encore leur élabo-
ration, retiendront l’attention de ceux qui se soucient de l’économie humaine
dans l’amélioration de la productivité ».

Le tableau 1 ci-après, montre, sans rentrer dans les détails, les


ré-utilisations faites dans le cours de l’ouvrage lui-même, chapitre par
chapitre, aussi bien à propos des méthodes et des nombreux exemples
récoltés qu’à propos des aspects théoriques de l’interprétation. On
constate, en particulier dans le dernier chapitre (IX), Conséquences
normatives de l’analyse du travail, rédigé par Faverge seul (p. 222-234),
qu’il a pris du recul vis-à-vis du Human Engineering par rapport à son
95

enthousiasme de 1954, mais qu’en revanche, il mise beaucoup sur l’ap-


port de la théorie de l’information pour donner du sens aux résultats
de l’analyse du travail et pouvoir « fournir une méthode d’aménagement
du travail » :

« On reste souvent dérouté et insatisfait par le manque d’élaboration


des données de la simplification du travail et du Human Engineering.
On compare des cadrans, des graduations, on introduit des guides, des
suspensions d’outils, etc., mais ceci apporte des résultats fragmentaires,
mal reliés les uns aux autres. Nous allons montrer comment la conception
de l’analyse du travail en termes du langage des communications permet de
regrouper des résultats épars, d’expliquer la signification des procédés de
simplification et de fournir une méthode d’aménagement du travail » (op.
cit. p. 226-227).

L'Analyse du travail Analyse du Human


travail Engineering
Ombredane & Faverge, 1955
Faverge, Faverge,
1954a 1954b
A) Introduction : travail de Houyoux idem (57)
interprété avec le schéma de Shannon
(Ombredane : 18) 
Ch 1. La place de l’analyse du travail dans la résolution des problèmes de psy-
chologie industrielle

(Faverge : 19-39)
1a) Ch 1. § IV: Problèmes d’aménagement idem (64-66)
du travail : Exemples d’études sur sauf § tour
l’aviation (32-34) : altimètre gradué
1b) Ch 1. § IV. Analyse du travail et idem (72-73)
aménagement du travail : 5 étapes (34-
38) 
Ch. V. Critiques de méthodes communément adoptées dans l’analyse du tra-
vail

(Faverge : 98-112)
96

B1) Ch. V. § La liste de Thorndike (130 idem (58-59)


items : 101-105)
B2) Ch. V. § L’analyse du travail par idem (59-61)
décomposition en opérations. Etude des
postes de maîtrise de Wallace (105-107)
Ch. VI. Le langage des communications

(Faverge : 113-137)
C) Ch. VI. Le langage des communications mention de la
(Faverge : 113-137) théorie (57)
Ch. VII. L’analyse du travail en termes du langage des communications

(Ombredane & Faverge : 138-196)


D) Ch. VII. L’analyse du travail en mention de la
termes du langage des communications théorie (57)
(Ombredane & Faverge : 138-196)
2) Ch. VII. § Travail et communication : idem (68-70)
§ Le mécanisme des fautes ; § Expérience
d’A. Chapanis : description de l’épreuve
de poursuite (177-181)
Ch. VIII. Comment mener une analyse

(Faverge : 197-222)
E) Ch. VIII. § L’utilisation d‘appareils idem (63)
d’enregistrement (212) : l’utilisation du
cinéma
Ch. IX. Conséquences normatives de l’analyse du travail

(Faverge : 222-234) :
3a) Ch. IX. § L’aménagement du travail Renvoi fait à
(226) cet article en
général
3b) § Règles pour l’aménagement du idem (67)
travail (226-227) ; §1. Règles pour faciliter
la prise de l’information : redondance…

Tableau 1. Ré-utilisations de Analyse


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du travail (Faverge, 1954a) et Human Enginee-
ring (Faverge, 1954b) dans L’Analyse du travail (Ombredane & Faverge, 1955)
97

2.3.3 D’autres publications et de nouvelles études au CERP

On peut repérer quelques autres effets très directs des découvertes


américaines (la théorie de l’information de Shannon & Weawer surtout)
dans la façon nouvelle d’aborder les questions dont J.-M. Faverge était
responsable au CERP, en tant que mathématicien-statisticien, en parti-
culier celle de l’étalonnage des tests : ainsi la communication Recherche
sur la notation des épreuves composées de questions en vue d’améliorer la
validité (présentée avec J. Patin en 1953 au même XIe Congrès interna-
tional de Psychotechnique (psychologie appliquée) de Paris que P. Goguelin
mentionné supra) dans laquelle les auteurs déclarent s’écarter fonda-
mentalement des méthodes classiques :

« On verra que nous nous écartons fondamentalement des méthodes


classiques. Dans celles-ci on valide les questions d’une épreuve en les consi-
dérant isolément, on ne cherche pas à valider des ensembles de questions.
Notre méthode au contraire consiste dans la recherche de tels ensembles
particulièrement valides » (Faverge & Patin, 1954, p. 86) ;

et encore :

« Les caractéristiques de la méthode utilisée sont les suivantes : abandon


des indices de corrélation  et utilisation de la quantité d’information trans-
mise (R) telle qu’elle a été définie par Shannon dans sa théorie mathé-
matique de l’information ; calcul progressif de l’information ; contre-
validation du sous-ensemble retenu » (op. cit., 1954, p. 87).

Une autre étude de J. Leplat (1953b) au CERP, intitulée Etude expéri-


mentale du travail qui porte sur le test du tourneur est citée dans L’Ana-
lyse du travail (Ombredane et Faverge, 1955 p. 232) comme exemple
d’une analyse novatrice en termes du langage des communications :

«  Afin de réaliser l’association adéquate entre test et travail, on est


amené à analyser, non seulement le travail mais aussi le test. Ainsi la tâche
demandée au sujet dans une épreuve peut être étudiée au moyen des prin-
cipes et des méthodes de l’analyse du travail. Un exemple typique est celui
du test du tourneur par J. Leplat, étude utilisant un enregistrement des
mouvements des manivelles par rotapots. L’analyse des tests peut être faite
en termes du langage des communications ; en particulier, on peut consi-
98

dérer une épreuve comme une voie de communication entre l’auteur de


l’épreuve et le sujet ».

C’est encore en 1955, la même année de parution de L’Analyse du


travail d’ Ombredane et Faverge, que J. Leplat (1955) fait paraître Analyse
du travail et formation dans le Bulletin du CERP, où il défend l’idée de
la nécessité d’une analyse du travail à effectuer – de ses exigences en
particulier –, préalablement à l’élaboration de tests de sélection pour
la formation à ce type de travail. Le CERP est alors toujours considéré
comme spécialiste des questions de formation professionnelle et, à ce
titre, il est chargé du volet français d’une Enquête [européenne] sur les
programmes de formation existant au sein des entreprises qui sera publiée
en 1956 par J.-M. Faverge, R. Browaeys et J. Leplat.

2.3.4. Répercussions plus larges ou plus lointaines : « l’invention »


de l’ergonomie

Des recherches à finalité ergonomique se déroulent au CERP avec


trois types de matériels installés dans la cave (continu à filer, cabines
de pelle mécanique, fraiseuse) dans une perspective de simulation des
tâches. Dans cette nouvelle optique d’aménagement du travail et du
Human Engineering se situe aussi la parution en 1958 de l’ouvrage de
J.-M. Faverge, J. Leplat et B. Guiguet, intitulé L’adaptation de la machine
à l’homme, fondé sur leurs travaux au CERP et sur leurs interventions
dans des séminaires de deux jours organisés dans les Centres de produc-
tivité de douze villes françaises41 sous l’égide de l’Agence Française
pour l’Accroissement de la Productivité (AFAP). Cette campagne d’in-
formation des milieux industriels avait été suscitée par Paul Albou,
alors responsable de ce domaine au Commissariat général au plan et à
la productivité, qui coordonnera la publication collective de ces inter-
ventions en 1962 (Albou et al., 1962). Il contribua très efficacement à la
création de la SELF et au financement d’études confiées à un certain
nombre de ses membres.

En effet, entre 1956 et 1959, s’élabore progressivement l’institution-


nalisation de la nouvelle approche de l’aménagement du travail. Une

41. On en trouvera un exemple chez Grisez (1956), à propos d’une méthode de formation en
matière de sécurité.
99

autre Mission de productivité, européenne celle-ci42 (composée essentiel-


lement de physiologistes, d’ingénieurs et d’un responsable syndical
européen, le seul participant français étant le physiologiste Bernard
Metz), aura lieu en 1956 (du 5 septembre au 3 novembre). Le rapport
collectif paraîtra en 1959 sous le titre : Adaptation du travail à l’homme.
Recherches américaines et européennes sur les conditions de travail dans
l’industrie. Selon J. Leplat « cette Mission du projet 335 de l’Agence Euro-
péenne de Productivité avait provoqué, sur l’initiative conjointe du minis-
tère du travail et du Commissariat général au plan et à la productivité, la
rencontre de personnes susceptibles d’apporter des contributions françaises à
ce projet : en 1957, lors d’un Séminaire international à Leyden (Pays-Bas),
et en 1959 lors d’une Conférence internationale tripartite (patronat, syndi-
cats, spécialistes des sciences appliquées au travail humain) sur L’adapta-
tion du travail à l’homme, tenue à Zurich43 » (Pottier & Laville, 2002).
S’ensuivront les décisions de création d’une Association internationale
d’ergonomie (IEA) en 1961 puis d’une Société d’ergonomie de langue
française (SELF) en 1963.

On retrouve J.-M. Faverge participant aux manifestations constitu-


tives de l’ergonomie, en tant que président de la 2e session technique
Présentation de l’information du Séminaire de Leyde, puis avec J. Leplat,
parmi les membres fondateurs de la SELF désignés lors d’une réunion
tenue les 3-4 novembre 1961 dans le cadre des Journées sur les conditions
requises en vue d’extrapoler aux situations de travail réelles les résultats
obtenus dans des situations expérimentales organisées par le Commissa-
riat français au Plan. Cette Réunion sur les problèmes d’organisation de
la Société de Recherches Ergonomiques (future SELF) visait à constituer
une sous-commission chargée de l’élaboration du premier programme
d’action de la Société et, éventuellement, de ses statuts en prévision de
sa création en 196344.

42. Cette « mission » était composée de sept membres envoyés par l’Allemagne, l’Autriche,
la France, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume Uni, d’un représentant des syndicats
libres européens d’1 secrétaire de mission de l’Agence Européenne de Productivité et d’un
conseiller, H. S. Belding, professeur de climatologie physiologique à l’université de Pittsburgh
qui avait fait le tour des pays européens pour recueillir les questions et préparer le programme.
43. Dans le cadre du « Projet 335 dont le but final est une conférence internationale tripartite com-
prenant des savants, des employeurs et des travailleurs », le Congrès de Zurich, en 1959, sur L’adap-
tation du travail à l’homme visait bien à rassembler tous les interlocuteurs concernés par cette
question.
44. Outre J.-M. Faverge et J. Leplat, les membres sont Simon Bouisset, le Dr. Gillon, Bernard
100

Conclusion
On voit qu’à la fin des années cinquante, début des années soixante,
il est quasiment inconcevable pour les « pères et mères fondateurs-
trices » de l’ergonomie que l’on puisse construire des connaissances
et faire de la recherche hors du laboratoire, directement à partir de
données du terrain. La grande question est toujours celle du « transfert
des connaissances scientifiques au monde de l’industrie » posée en 1959 par
l’ingénieur psychologue anglais K.F.H. Murrell, rapporteur général de
la Mission du projet 335 :

« Les ingénieurs connaissent parfaitement le fonctionnement des


machines qu’ils construisent, mais les biologistes connaissent encore rela-
tivement peu de choses sur le fonctionnement de la machine humaine. Il
reste encore à exprimer nombre des connaissances acquises sous une forme
utilisable, en sorte qu’elles puissent être “vendues” aux industriels, car
ceux-ci doivent être convaincus que le maximum d’efficience et le bien-être
humain ne peuvent être atteints qu’en considérant le complexe homme-
machine comme une unité. Le Projet 335 constitue une étape très impor-
tante pour arriver à ce but final » (Murrell, 1959, p. 8).

C’est encore le thème de la réunion préparatoire à la création de la


SELF en 1961 sur Les conditions requises en vue d’extrapoler aux situations
de travail réelles les résultats obtenus dans des situations expérimentales45.
Pourtant « la liaison étroite qui existe entre la pratique et la recherche » aux
USA avait été notée par les « missionnaires » comme un facteur favori-
sant le développement des connaissances (Fraisse, 1954a, p. 3).

Mais le contexte socio-économique va faire bouger les lignes. A


partir de la création de la CECA (Communauté Européenne du Charbon
et de l’Acier) en 1951 et du programme de recherches ergonomiques

Metz, Jean Scherrer, Alain Wisner et deux représentants étrangers  : Georges Coppée (Bel-
gique) et Etienne Grandjean (Suisse).
45. Ce thème sera abordé quelques années plus tard, lors de trois manifestations scientifiques :
un débat organisé par la Section de psychologie expérimentale de la Société française de Psy-
chologie en mars 1975 (Psychologie Française, 1976, t. 21  n°4) ; un séminaire des équipes de la
IIIe Section de l’EPHE La recherche psychologique en laboratoire et sur le terrain (Le Travail humain,
n° 2/1978, t. 41), et dans un numéro spécial du Bulletin de Psychologie sur la Psychologie du
Travail, coordonné par J. Leplat en 1979-80.
101

sur la sécurité du travail lancé en 195746 dans lequel J.-M. Faverge et


J. Leplat, entre autres, ont été fortement impliqués, l’intérêt du terrain
s’est imposé malgré les difficultés des aspects méthodologiques de
ce type de recherche. En particulier J.-M. Faverge et son équipe vont
explorer les concepts de sécurité et de fiabilité dans l’entreprise et
aboutir à une représentation révolutionnaire de l’accident considéré
comme le témoin d’un dysfonctionnement de l’organisation dans une
vision systémique de l’entreprise (Faverge, 1967) et non plus seulement
comme une faute de l’opérateur. Avec sa traduction méthodologique
dans l’Arbre des causes, cette conception novatrice va influencer les
nouvelles dispositions légales en matière de protection du travail dans
la loi française (1976) et dans le Règlement général de Protection du
travail en Belgique47.

Pour conclure schématiquement, disons qu’à partir de cette période,


et au-delà du Human Engineering, c’est « l’activité vécue » qui va surtout
intéresser dorénavant J.-M. Faverge (selon son expression de 1981) qui
prend de la distance vis-à-vis du Human Engineering. Ce qui se traduira
par l’objectif de la « chasse aux problèmes » ou « analyse du travail »
et par la méthode de « la politique du regard », exprimés comme suit.

« La chasse aux problèmes » est déclarée dès le début de l’ouvrage


collectif de 1966 sur L’ ergonomie des processus industriels (Faverge et al.,
1966, p.1) :

« Il existe de bons manuels d’ergonomie classique. On y trouve des


chapitres sur la vision ou l’audition… On y apprend à dessiner et à disposer
des cadrans ou des pédales. Mais on a l’impression, après consultation
de ces livres, qu’on a surtout présenté des renseignements servant dans
la dernière phase de l’intervention ergonomique, phase d’aménagement,
de transformation du poste ; la charrue marche devant ou plutôt sans les
bœufs qui figurent, dans cette image, le travail d’exploration, le diagnostic
des problèmes et l’évaluation de leur importance ; à quoi nous sert d’étudier
finement le dessin des graduations d’une échelle si le travail permet de lire
en toute sérénité. […] Pour de telles raisons, il nous a toujours semblé
que l’ergonomie devait commencer par la chasse aux problèmes, c’est-à-dire

46. Recherches destinées à utiliser les fonds prévus par l’article 55 du traité de la CECA.
47. Pour plus de détails, voir Teiger & Lacomblez, 2013.
102

par l’analyse du travail qui débouche sur le diagnostic, accompagné d’une


évaluation des déficiences ».

« La politique du regard » est l’expression utilisée par Véronique


De Keyser (1982) dans sa contribution à l’« Hommage à Jean-Marie
Faverge » dans Le Travail humain :

« J’ai vu Faverge arpenter les usines, avec sur le visage une telle stupeur
et une telle ingénuité qu’à la moindre question les travailleurs le prenaient
en sympathie, et lui expliquaient patiemment, comme à un enfant, non
pas le processus, mais leur processus, leur machine, leur monde. Et, en les
écoutant, Faverge avait des étincelles dans les yeux… Cette face cachée
des choses, qui attirait Faverge, c’était aussi l’extraordinaire créativité
des travailleurs et des formes subtiles de transgression. C’était les yeux
brillants qu’il parlait de catachrèse – cette utilisation informelle d’un outil
formel, ce détournement de la règle établie – comme signe de l’ingéniosité
des travailleurs. »

Néanmoins J.-M. Faverge restera fidèle jusqu’au bout à la théorie de


l’information qu’il présentera encore dans le chapitre dix-sept Travail et
prise d’information (p. 473-483) de la deuxième édition du traité Physio-
logie du travail - Ergonomie (Scherrer, 1981), publiée après son départ en
retraite en 1980.
André Ombredane, Jean Marie Faverge et le behaviorisme

Marianne Lacomblez

L’analyse qui suit, suscitée par une relecture de la publication d’Om-


bredane et Faverge (1955), n’est pas indépendante de mon parcours
académique. Le regard que je pose, aujourd’hui, sur l’approche de cette
Analyse du travail en est sans aucun doute le produit, m’ayant amenée à
y décrypter ce qu’autrefois je n’avais pas discerné – à savoir des traces
de behaviorisme.

1. Psychologie et sociologie du travail


Je suis psychologue du travail et l’assume à présent. Mais ce n’a
pas toujours été le cas. Car, après avoir suivi les enseignements de
Jean Marie Faverge à l’Université Libre de Bruxelles (ULB), dans un
premier temps, je fus davantage séduite par la sociologie du travail. Il
faut bien dire que Faverge, avec l’air de ne pas y toucher, nous amenait
à ne jamais négliger l’histoire du travail. Il nous parlait, notamment,
de Pierre Naville – dont il rapportait principalement quelques-uns des
travaux publiés dans Vers l’automatisme social  ? (Naville, 1958 ; 1963).
Faverge en a d’ailleurs fait la synthèse dans son texte L’analyse du travail
en termes de régulation (Faverge, 1966a), en reprenant ce qu’avaient
signifié, jusqu’à cette époque, les grandes phases de l’évolution tech-
nologique et l’abandon progressif d’activités par l’Homme au profit
de la machine. J’ai appris entretemps que Faverge avait collaboré
aux traitements statistiques des données recueillies lors des premiers
programmes de recherches dirigés par Naville au sein du Centre
104

d’Etudes Sociologiques, ce premier laboratoire de sociologie du CNRS.


La proximité entre les deux hommes avait donc été réelle – même s’il
était évident que Faverge s’inscrivait dans le cadre d’un projet scienti-
fique distinct.

Mon détour par la sociologie du travail – en Belgique mais égale-


ment dans le tourbillon qu’ont traversé les sciences sociales au Portugal
dans les années 70, après la révolution démocratique – m’a donné, à
la fois, une meilleure connaissance de l’histoire de cette discipline, la
découverte de quelques-uns de ses auteurs principaux, mais égale-
ment la volonté de revenir à ma formation de base, de « revisiter » la
psychologie du travail, d’essayer de mieux la comprendre aussi – et
d’en débattre. C’est sans doute une autre conception de la recherche
empirique qui me manquait – ou plutôt  : la volonté de tester diffé-
rentes postures envisageables. Et je me dois de rendre ici un hommage
soutenu à Ivar Oddone, Alessandra Re et Gianni Briante, pour avoir
écrit Redécouvrir l’expérience ouvrière (Oddone, Re & Briante, 1977), utile-
ment préfacé par Yves Clot (1981), qui fut, dans ces années de doute
théorico-méthodologique, un de mes livres de chevet.

2. Retour sur le behaviorisme de Pierre Naville


J’étais toutefois loin de penser alors que ce parcours allait me
conduire à associer André Ombredane et Jean Marie Faverge au beha-
viorisme – qui correspondait plutôt, pour moi et pour la large majorité
de mes collègues, à un moment de l’histoire de la psychologie dont on
voulait se distinguer48.

C’est, en vérité, Pierre Naville qui m’y a conduite. Et Pierre Rolle, à


qui on doit d’avoir aidé à mieux saisir l’œuvre de Naville – tous deux
ayant été psychologues dans un premier temps, sociologues du travail
ensuite, tout en considérant ne pas avoir changé d’objet d’analyse.

48. Emportés, sans en avoir vraiment conscience, par des « tentatives multiples pour présenter le
comportementalisme comme un simulacre de théorie »  – tentatives qui ont, en vérité, contribué à
justifier d’avance une psychologie qui disait s’y opposer et, dans ce contexte, s’est autorisée à
« forcer la porte ». Rendre justice à Watson « ce serait sans doute obliger les auteurs qui se prévalent
de le contredire à mieux expliciter leurs fondements » (Rolle, 1997, p. 232 et 233).
105

Naville m’a menée à ce rapprochement car, on ne le sait pas toujours,


il a été un behavioriste convaincu – et il l’est resté, même s’il admettait
que, comme toute proposition théorique, celle de Watson avait suscité
des critiques fondées, justifiant des compléments, des révisions et des
nuances.

En fait, alors qu’il était encore psychologue, Naville avait voulu


contribuer à une bonne compréhension du behaviorisme dans le monde
francophone, et à sa diffusion, en publiant en 1942, sur base des deux
ouvrages principaux de Watson (Watson, 1919/1929 ; Watson, 1930), La
Psychologie, science du comportement : Le behaviorisme de Watson (Naville,
1942). Il s’agit de la lecture attentive effectuée par Naville de l’ensemble
des textes de Watson, articulée sur de nombreux et larges morceaux
traduits (sans usage de guillemets – ce qui, à l’époque, semble banal).
Une nouvelle édition en est publiée en 1963, enrichie d’une introduc-
tion et complétée de deux annexes.

La première édition de 1942 constitua une source essentielle pour


André Ombredane, lorsque, dans les années 50, il enseigna à l’ULB
un cours qui eut pour intitulé La psychologie science du comportement.
Il y développait, bien sûr, une analyse de l’œuvre de Watson (Ombre-
dane, sans date), en procédant du reste comme Naville l’avait fait : sauf
exception, pas de reproduction intégrale, pas de guillemets non plus,
mais une « réécriture » (du texte de Naville), souvent au mot-à-mot,
tout en complétant cela des critiques qu’il jugeait bon d’émettre, sans
néanmoins mettre en cause l’essentiel du paradigme. C’est d’ailleurs le
registre de ces critiques (qu’Ombredane n’a évidemment pas été le seul
à formuler) dont Naville voudra tenir compte dans sa préface et dans
les annexes de l’édition de 1963.

3. Le behaviorisme et l’analyse du travail


Jean Marie Faverge en avait gardé une certaine réserve dans la
façon de faire référence à cette approche-là de la psychologie. Il y voyait
cependant un support théorique potentiel pour ce projet scientifique
qui était devenu le sien : celui d’un mathématicien résolument tourné
vers les questions que posait alors le travail et décidé à développer
des outils statistiques appropriés. J’ai retrouvé ceci, dans mes notes
106

de cours, en guise d’introduction de l’une de mes premières leçons en


psychologie industrielle :

« Les problèmes de mesure commencent quand on commence à être béha-


vioriste – S_O_R -, quand on considère _O_ comme une boîte noire (que ce
soit un homme, une organisation, une machine, un processus). A travers
les réponses _R_ manifestes, on désire atteindre les interactions S_O que
nous convenons d’appeler entités psychologiques » (Faverge, 1966/67).

Mais qu’est donc ce behaviorisme-là ?

Il dépasse évidemment une conception étroite d’un behaviorisme


qui ne contiendrait rien d’autre qu’un déterminisme mécaniste. Watson
lui-même s’en défendait.

Il ne s’identifie pas non plus, évidemment, au relatif angélisme


de Watson lorsque celui-ci tenait à défendre l’idée d’une « science qui
prépare les hommes et les femmes à comprendre les principes de leur propre
comportement […] veut faciliter aux hommes et aux femmes la réorganisa-
tion de leur propre existence […] montrer comment nous ferions un riche et
merveilleux individu de tout enfant bien portant, si seulement nous pouvions
le former convenablement et lui fournir un univers où son organisation puisse
s’exercer ».

Mais il s’apparente à ce que Naville y avait perçu : le dépassement


d’une psychologie sociale fondée sur la perception que les individus
se font de leurs besoins et des moyens de les satisfaire. Naville y avait
même vu une formulation plus proprement psychologique d’une
nouvelle épistémologie (Rolle, 1997).

Notons que, dans le cadre de cette conception du comportement


pour laquelle seule vaut la connaissance des conditions dans lesquelles
sont créées les habitudes et l’expérience, ces mêmes conditions sont en
réalité tenues pour être le résultat d’une adaptation active des individus.
Ici, les rôles et les relations au sein du fonctionnement social ne déri-
vent donc pas de la définition de caractéristiques qui seraient intrin-
sèques aux individus. Dit en termes behavioristes, mais systématisés
par Rolle : « il y a circulation du stimulus et de la réponse, chacun n’existant
que par l’autre » et le comportement n’est de ce fait « ni imposition au
107

monde d’un sens originel, ni réception passive de ce monde », tout comme


« l’apprentissage ne constitue ni un développement programmé d’avance, ni la
révélation de fonctions psychologiques jusqu’alors en réserve » (Rolle, 1997,
p. 228).

La controverse soutenue est de la sorte définie face à une psycho-


logie introspective, où la notion de conscience a une place centrale.
Watson insistait : la conscience « n’est un concept ni défini ni utilisable »
et il alimente une psychologie qui « ne découvre jamais que ce qu’elle a
mis dans ses analyses […] sensations […] images […] éléments affectifs […]
éléments conatifs […] ». Rappelons néanmoins que Naville avait jugé
bon de reprendre, dans son édition de 1942, la position d’Henri Wallon,
qui pondérait quelque peu celle de Watson : « Il est vain de vouloir, avec
le behaviorisme de Watson, ignorer l’introspection et la conscience. La science
tout entière n’est que la prise de conscience par l’homme de l’univers. Mais
le contrôle expérimental en est la condition de tous les instants. Si l’intros-
pection ne peut servir de fondement à la psychologie, comme d’aucuns le
voudraient encore, c’est qu’elle est un simple témoignage, une simple mani-
festation psychique parmi beaucoup d’autres plus directes et plus spontanées ;
elle doit, par suite, être encadrée dans un appareil expérimental et critique
d’autant plus rigoureux » (La vie mentale, Encyclopédie Française, Tome
VIII ; cité in Naville, 1942, p. 245).

Et alors, là, on commence à admettre qu’Ombredane et Faverge


aient pu être séduits par le behaviorisme.

Car le défi est, résolument, d’ordre méthodologique : il consiste à ne


pas travailler essentiellement sur des données livrées par la conscience
individuelle – en refusant de tenir, comme l’a écrit Christophe Dejours,
le monde concret pour un « décor » (Dejours, 1995). Le risque de l’en-
tretien, s’il constitue le seul recours méthodologique, est effectivement
d’hypostasier la conscience, alors que les comportements doivent
nécessairement être observés. Sans oublier qu’ils doivent toujours
l’être, comme l’avait souligné Naville et l’a rappelé Rolle, « dans un
ensemble de durées significatives » (Rolle, 1997, p. 230).

C’est la raison pour laquelle Naville, partant de la dynamique que


Watson avait soulignée dans la relation entre le stimulus et la réponse,
tenait à se concentrer sur l’opération (Alaluf, 1997) en refusant de se
108

limiter à l’analyse des pôles qui la définissent – à savoir : les caractéris-


tiques particulières de l’individu ou celles du poste de travail.

On situe mieux, ainsi, la perspective des travaux repris dans


L’Analyse du travail d’Ombredane et Faverge (1955), base d’une tradi-
tion scientifique qui n’a cessé de s’enrichir : l’opération y est effecti-
vement l’objet de l’étude, dans ce qu’elle révèle de l’évolution de la
relation entre un individu et une situation de travail et dans ce qu’elle
donne à voir lorsque la temporalité de l’analyse n’est point enfermée
dans le présent..

En relisant cette œuvre de 1955, on retrouve donc les ingrédients de


ce behaviorisme-là, dans chaque chapitre, qu’il ait été écrit par l’un ou
par l’autre, ou par les deux.

La tradition favergienne : d’un néo-behaviorisme …


Faverge a cependant eu le temps d’aller plus loin dans la précision
et les nuances de l’approche. Il fut aidé en cela par une équipe qui,
tout en ne considérant jamais que les débats étaient clos49, a contribué à
asseoir une tradition de la psychologie du travail dont les fondements
sont de l’ordre de ce que je nommerais volontiers un « néo-behavio-
risme » – même si ce référentiel sera élargi à des perspectives nova-
trices, dégagées des controverses antérieures.

Il reste néanmoins que, dans le cadre de cette tradition de la psycho-


logie du travail, l‘expérience de l’adulte est définie dans la confronta-
tion aux caractéristiques technico-organisationnelles de la situation de
travail et à la dynamique qui lui est propre, dans une activité de régu-
lation qui est celle d’une activité « engagée » dans la situation, inscrite
dans le temps de l’action (Faverge, 1966 ; Lacomblez, 2007). Un argu-
ment de poids a toujours été que l’analyse de cette activité de régula-
tion est justifiée par l’importance accordée à l’observation face à ce que
des grilles de lecture pré-établies occulteraient (Grisez, 1982). Et, ne
l’oublions pas, la finalité des études entreprises relève de la catégori-

49. « Nul n’a autant que [Faverge] aimé la scène humaine, nul n’a été autant que lui fasciné par le spec-
tacle de ceux qui, se jetant dans le feu de l’action et de la discussion, se mettaient à découvert, se livraient
et se dévoilaient, nul n’a su mieux que lui, trouver dans ces débordements matière à critique, peut-être,
mais surtout, de quoi alimenter, guider sa propre analyse. » (De Keyser, 1982, p. 93)
109

sation de situations et non du classement des individus : la conviction


est qu’il y a bien plusieurs manières d’être efficace mais l’analyse diffé-
rentielle développée est ramenée aux facteurs situationnels (Delahaut,
1966). Ce qui conduira Faverge et plusieurs des chercheurs de son
laboratoire à avancer la notion de style : « le style d’une personne engagée
dans une activité correspond à la conception qu’elle se fait de cette activité
déterminant les modalités de son comportement. On pourrait aussi bien parler
d’idée opératoire si l’on voulait suggérer que le style est créé et construit dans
l’exercice de l’activité en même temps qu’il est la source et l’expression des
modes d’action de l’homme » (Faverge, 1974, p. 93, cité par Karnas, 1982).
Ainsi que Guy Karnas le rappelle dans sa contribution à cet ouvrage,
la méthode de l’analyse binaire classique a réussi cette performance
consistant à faire émerger d’un ensemble de données, des axes d’inter-
prétation qui deviendront les éléments de jonction entre celles relatives
aux sujets et celles qui relèvent de variables de situations. Il s’agit, sans
nul doute, du couronnement de ce projet d’un développement d’outils
statistiques appropriés à une compréhension de l’opération de travail,
dépassant l’analyse segmentée des caractéristiques particulières de
l’individu et de celles du poste de travail.

… à une posture d’avant garde


Dans son hommage à Faverge, André Houyoux disait avoir décou-
vert qu’il n’était pas « un statisticien entré en psychologie mais le maître en
méthodologie qui élucide le travail des hommes » (Houyoux, 1982, p. 80).
Sans rapprochement excessif avec « l’angélisme» de Watson, il est sans
doute vrai que pour Faverge, la question du développement poten-
tiel de l’Homme, de « l’action de travail », qu’il admirait et respectait
tant, tout en étant centrale, était ramenée aux conditions qui devraient
permettre un exercice plus serein et moins dangereux de son activité au
sein de l’entreprise.

Soulignons toutefois ici que, pour Faverge et ceux qui ont intégré
ses enseignements et son équipe, en particulier, l’échange entre opéra-
teurs et analystes du travail se devait d’être construit dans une confron-
tation de savoirs sans hiérarchisation prédéfinie. La posture allait ainsi
au-delà du néo-behaviorisme et on peut dire aujourd’hui qu’elle était
d’avant-garde. C’est assurément ce qui est sous-jacent à la participation
de plusieurs étudiants et chercheurs de Faverge à des actions de forma-
110

tion syndicale (Olivier, 2013) et à la proximité établie avec l’expérience


du mouvement ouvrier italien (De Keyser, 1976) telle que définie dans
Ambiente di lavoro (FLN, 1969). Par ailleurs, l’importance qu’ont eue,
pour certains, les développements théorico-méthodologiques exposés
dans Oddone, Re et Briante (1981) n’y est pas étrangère et contribue à
expliquer que se soit construite depuis une «  communauté scientifique
élargie » à d’autres pays et continents (Teiger et Lacomblez, 2013).
De l’analyse du travail à l’analyse des données :
un héritage de J.-M. Faverge.

Guy Karnas

Il est fréquent d’opposer l’analyse clinique – à laquelle j’associerai


ici l’analyse du travail50 – à l’analyse statistique. Pour les défenseurs
de l’analyse clinique, cette vision s’inspire de l’idée que cette dernière
serait respectueuse de la complexité de la réalité, alors que l’analyse
statistique, en considérant les « tendances » gommerait en quelque
sorte cette complexité, et donc passerait « à côté » des éléments perti-
nents à la compréhension des choses analysées. Cette opinion n’est pas
dénuée de pertinence si l’on considère une certaine conception de la
statistique. Mais ce n’est pas nécessairement le cas.

Mon propos dans cette communication, est de montrer que l’analyse


du travail et l’analyse des données proposée par Faverge échappent à
cette distinction. Plus concrètement, je souhaite montrer que l’analyse
binaire classique développée par Faverge participe en fait du même
projet que celui sous-jacent à l’analyse du travail présentée dans l’ou-
vrage d’Ombredane et Faverge (1955). Et donc, que dans le cas précis,
il n’y a pas, d’un point de vue conceptuel, opposition entre analyse
(clinique) du travail et analyse (statistique – ou mathématique) des
données (notamment de données traitant du travail).

J’étaierai mon propos principalement sur un vécu : celui d’un ancien


élève de Jean-Marie Faverge. Je tenterai ainsi de montrer comment le
point de vue que je développe ici me paraît dans le droit fil des ensei-

50. Voir par exemple Faverge, 1968, à ce propos.


112

gnements que Faverge a dispensés à l’Université Libre de Bruxelles ;


enseignements que j’ai eu la chance de suivre, avant de devenir docto-
rant et chercheur dans son équipe, puis son assistant.

J’illustrerai cette thèse par un court exemple montrant, dans cette


optique, comment l’analyse du travail et l’analyse des données se
complètent et entretiennent des interactions qui donnent du sens l’une
à l’autre.

Plus concrètement, mon objectif est de montrer comment Faverge


me semble exprimer dans ses propositions formulées concernant l’ana-
lyse des données, d’une part, et l’analyse du travail, d’autre part,  des
préoccupations qui peuvent être considérées comme « analogues » 51;
soit dans les deux cas, le souci :

- d’adapter la méthode à son objet (et il faudrait préciser à son


« objet réel » !) ;

- de garantir la pertinence de la méthode d’analyse par rapport


à la finalité de l’analyse ;

- de «  préserver l’objet analysé  » (y compris les différences


individuelles, la relation sujet/objet).

Le vécu de l’étudiant de deuxième cycle universitaire (1965-


1968).
Ce qui m’a le plus frappé dans les enseignements de Faverge que
j’ai suivis et qui ont marqué de manière forte ma propre conception de
la psychologie du travail et de l’analyse de ses objets – voir par exemple
Karnas, 1970 ; Karnas, 1975 ; Karnas et Salengros ; 1983 ; Karnas, 2011 –,
ce sont les caractéristiques suivantes :

- l’intégration de développements « statistiques » dans les


enseignements de psychologie du travail (appelée à l’époque
en Belgique « psychologie industrielle ») ;

51. Pour ce qui a trait à l’analyse des données, je me réfère ici principalement à des écrits de
Faverge datant de 1973, 1974, et 1975.
113

- l’intégration des différentes approches – des différents cadres


de référence scientifique ou d’intervention – de la psycho-
logie du travail : psychologie du personnel, psychologie des
organisations, ergonomie ;

- l’accent mis sur les situations concrètes et sur leur analyse


(et cela quel que soit le cadre de référence ou d’action consi-
déré) ;

- le respect du sujet, de l’objet de l’analyse (respect comme


exigence de pertinence, de rigueur scientifique soucieuse de
refléter toutes les facettes de la réalité  ; mais aussi respect
inspiré d’une réelle estime pour le travailleur) ;

- et donc, dirais-je, une attention particulièrement marquée à


la problématique du sens.

Le vécu du chercheur débutant (1968-1970)


Après mes études de deuxième cycle en psychologie du travail,
j’ai travaillé sous la direction de Faverge comme chercheur. Durant
ces années, j’ai participé aux études menées sous l’égide de la CECA
(études relatives à la fiabilité, la sécurité, et l’organisation du milieu de
travail) et de l’OBAP (Office Belge pour l’Accroissement de la Produc-
tivité ; études concernant le contrôle de processus). Ces études furent
l’occasion pour Faverge de conceptualiser, dans le contexte de l’époque,
le passage de l’ergonomie des systèmes (cf. études en matière de sécu-
rité et de fiabilité) à l’ergonomie heuristique (prémices de l’ergonomie
cognitive ; cf. études sur le contrôle de processus) – voir par exemple
Faverge, 1972, à ce sujet. Ces différentes recherches contribuèrent égale-
ment à affirmer les rapports entre psychologie du travail et statistique,
et à montrer l’intérêt de l’analyse des traces comme « outil » essentiel
en analyse du travail52.

52. Les travaux dirigés par Faverge à cette époque et dans les années précédentes montrent
l’importance pour lui de compléter l’analyse du travail (« clinique ») par une analyse quan-
titative, statistique – ou par une modélisation mathématique – susceptible de consolider les
analyses cliniques préalables, les données de l’observation (voir par exemple Faverge et al.,
1966 ou Karnas, 1970).
114

Le vécu du doctorant, puis de l’assistant (1971-1980)


A l’occasion de mon travail de thèse (Karnas, 1976), puis de l’accom-
pagnement de ses enseignements en tant qu’assistant, ainsi que dans
la réalisation de recherches personnelles sous sa direction, Faverge
m’a amené à considérer deux aspects essentiels dans la recherche en
psychologie du travail (qu’elle soit orientée vers l’application ou qu’elle
soit l’occasion d’un développement des connaissances générales en
psychologie, ou plus particulièrement de connaissances utiles en
psychologie du travail) :

- l’intérêt de l’analyse des données comme outil de compa-


raison de modes opératoires (de pensée, d’action) au travers
de leurs traces ou de leurs « corrélats » : soit l’idée de l’analyse
des traces par le recours à l’analyse des données ;

- l’importance de la prise en compte des différences indivi-


duelles dans l’étude des phénomènes psychologiques en
général et en psychologie du travail en particulier (compor-
tements, attitudes, conceptions, etc.) – ce que propose en
général l’analyse du travail ; ce qui conduit à considérer
l’importance : (1) de la notion de typologie, et (2) de l’ana-
lyse des données par l’analyse des interactions, et donc des
correspondances (au sens premier du terme) entre les sujets
et les caractéristiques des situations (traces, variables, etc.) ;
les sujets considérés pouvant être des sujets singuliers ou
des sujets « idéalisés » notamment au travers des notions de
styles ou de types.

Les différents éléments évoqués précédemment «  expriment  »


selon moi un cheminement dans les propositions méthodologiques
de Faverge, traduisant un enchaînement conceptuel que l’on pourrait
traduire de la manière suivante :
115

- l’importance de la problématique du sens :

• l’importance (dès lors) de l’analyse du travail (de l’ac-


tivité) ;

• l’importance (qui en découle) et afin de ne pas inter-


férer avec l’activité dont on entend privilégier l’ana-
lyse, d’une analyse du travail qui recourt à l’analyse
des traces ; les réponses à un questionnaire bien conçu
pouvant éventuellement être considérées comme
l’expression de traces – provoquées – de l’activité (du
moins de sa représentation, ou de son souvenir)53 ;

- ces options étant prises, l’idée d’analyser les traces par le


recours à l’analyse des données, afin de garantir une forme
d’objectivité à l’étude concernée ;

- enfin, l’idée de l’analyse des données par le recours à l’ana-


lyse des correspondances (au sens d’une méthode d’analyse
des données particulière) entre « sujets » (ou sujets « idéa-
lisés » : styles ou types) et « traces » (traduisant des variables
« comportementales » : activités, réponses à un question-
naire ad hoc, etc.).

Il me semble légitime de considérer que c’est sur la base d’une


sorte d’enchaînement conceptuel de ce type, en grande partie sous
l’influence de l’analyse factorielle des correspondances proposée par
Benzécri (1973), que Faverge va développer l’analyse binaire classique,
établissant, dans cette méthode et les propositions d’application qu’il
en fournit, ce qui apparaît à mes yeux comme une continuité concep-
tuelle entre l’analyse du travail et l’analyse des données.

L’analyse binaire classique développée par Faverge


Faverge introduit sa proposition d’analyse binaire classique, dans
la plupart des présentations qu’il en propose, comme outil d’ana-
lyse de questionnaires. Les propositions d’application de la méthode

53. Même si, comme je le conçois, cette dernière option peut (doit) être discutée.
116

concernent principalement l’étude de concepts de style par le biais


d’échelles bipolaires (concernant les styles professionnels et les styles
des étudiants – voir Faverge, 1973, 1974, 1975a).

Pour Faverge, ceci est également l’occasion d’affirmer l’importance


de la notion de «  typologie des sujets » : la notion de style le conduit
à la notion de type et au recours à l’analyse typologique permettant
d’isoler des profils de sujets en quelque sorte « idéalisés », tout en étant
le reflet de la réalité des réponses (ou comportements des sujets réels).
Il s’agit en l’occurrence, au départ de l’interaction entre sujets et situa-
tions (variables), de définir des regroupements de sujets sur base de
leur similitude de « conduites » face aux situations (de leurs réponses
aux questions, de la similitude de leurs profils dans les variables) – voir
Karnas, 1982 (article duquel sont reprises la plupart des idées expri-
mées ici).

Vient alors l’analyse des correspondances proprement dite. Un


élément important introduit par l’analyse des correspondances, et
plus particulièrement par l’analyse binaire classique, est à considérer
par rapport à l’analyse factorielle. Et ce point me paraît fondamental
au regard de mon propos. Ainsi, dans l’analyse factorielle, il y a une
« dissymétrie » de « statut » entre les sujets et les variables (les sujets
sont considérés comme des éléments aléatoires, permettant de calculer
les corrélations entre les variables et ainsi de déterminer les facteurs
« constitutifs » des variables, facteurs dans lesquels les sujets « ont des
scores »). Par contre, dans l’analyse des correspondances proposée par
Faverge, il existe une « symétrie » de « statut » des sujets et variables
(conduisant à l’idée de dimensions communes entre sujets et variables :
les sujets sont ici traités comme des entités propres, au même titre que
les variables)54.

L’apport de Faverge par rapport à Benzécri a été de proposer une


variante de l’analyse des correspondances (l’analyse binaire classique)
basée sur la distance euclidienne (applicable à des scores définis sur

54. Ceci est par ailleurs « légitimé » tantôt par le passage au « sujet type » (au travers de
l’analyse typologique), tantôt par l’affirmation de la pertinence de considérer le sujet dans son
individualité (cf. ce que propose aussi en général l’analyse du travail classique).
117

des échelles intervalles ou variables assimilables), alors que l’analyse de


Benzécri se fonde sur la distance du Chi2 (applicable à des fréquences).

Les propositions de Faverge peuvent être résumées ainsi :


1) le cadre d’analyse est défini par l’interaction entre deux
univers : celui des sujets et celui des variables ;

2) le sujet n’est pas considéré comme une « variable aléatoire » :


il appartient à un « type » ou est pris en compte individuel-
lement, dans sa singularité (comme « entité légitime » pour-
rait-on dire) ;

3) l’analyse vise à proposer des variables explicatives (dimen-


sions) qui ont un sens pour les deux univers mis en corres-
pondance ; ces dimensions communes établissent la « jonc-
tion » entre ces deux univers ; elles « expliquent » ces deux
univers et leur interaction.

La méthode : l’analyse binaire classique d’un tableau de correspon-


dance entre lignes et colonnes.

L’analyse considère comme point de départ un tableau Z des


zi,j. Tableau de « scores » exprimant la correspondance entre deux
ensembles : les éléments i (considérons-les en lignes) appartenant à
l’ensemble I (sujets, groupes de sujets, types), et les éléments j (consi-
dérons-les en colonnes) appartenant à l’ensemble J (variables, situa-
tions, caractéristiques de situations, questions, etc.). Les valeurs des
zi,j doivent être telles que l’on puisse considérer qu’elles expriment la
« force du lien » entre l’élément i de I et l’élément j de J.

L’idée de base est de représenter les i et les j dans un espace commun


en « respectant » les distances euclidiennes entre les éléments i de I et
les éléments j de J55. On pourra dès lors, tout en appliquant un principe

55. La distance est calculée sur base de l’ensemble J pour les éléments i de I, et inversement. Il
faut noter que, comme évoqué plus haut, cela implique que les données analysées sont « sup-
posées » définies sur une échelle intervalle. Cette hypothèse est forte mais on notera qu’elle
doit être assumée dans toute application de la statistique paramétrique (ou de méthodes ba-
sées sur des paramètres qui en sont issus ; comme c’est le cas de l’analyse factorielle classique
118

d’économie dans la détermination du nombre de dimensions de l’es-


pace de représentation, exprimer, et expliquer, la « correspondance »
entre les ensembles I et J par ces dimensions.

Les étapes « mathématiques » de la méthode

On peut décrire « verbalement » les étapes de la méthode de la


manière suivante56 :

1) considérer que l’on peut représenter les éléments i (resp. j)


par des points dans un espace défini par l’ensemble J (resp.
I), espace dont les dimensions sont définies par les éléments
j (resp. i).

2) déterminer les axes principaux de l’ensemble des points


représentant les lignes (i) dans l’espace sous-tendu par les
colonnes (j) ;

3) déterminer les axes principaux de l’ensemble des points


représentant les colonnes (j) dans l’espace sous-tendu par les
lignes (i) ;

4) obtenir un espace commun de représentation par superpo-


sition des origines et axes principaux successifs définis en 2.
et 3. ;

5) on limitera la représentation à celle obtenue dans les deux


ou trois premiers axes principaux – principe d’économie –
pour peu que ce nombre restreint de dimensions fournisse
une approximation satisfaisante des distances, dans cet
espace réduit, entre les points figuratifs des éléments i, et
des éléments de j, respectivement, par rapport aux distances
calculées sur le tableau de départ.

par exemple).
56. Pour une présentation mathématique, on se reportera par exemple à Faverge, 1975 b.
119

Un exemple d’application : contribution de l’analyse binaire


classique à l’étude des représentations des incidents chez
des opérateurs d’une salle de contrôle
Je voudrais terminer en présentant un exemple concret de contri-
bution de l’analyse binaire classique à l’analyse du travail, illustrant
ainsi mon propos concernant la continuité, la communauté de préoccu-
pation, entre l’analyse du travail proposée par Ombredane et Faverge
d’une part, et l’analyse des données proposée par Faverge (plus parti-
culièrement dans l’analyse binaire classique) d’autre part.

Cet exemple a trait à l’évaluation d’incidents dans un poste de


contrôle. Il est repris à un article déjà ancien publié au Travail humain
(Karnas et Salengros, 1983). Dans l’étude à laquelle il est fait allusion
ici, les opérateurs en charge du contrôle des installations sont respon-
sables de la bonne marche des installations énergétiques et thermiques
d’un institut de radio-télévision. Ils ont été amenés à évaluer des inci-
dents, présentés sous forme verbale, en termes de divers critères tels
que la « fréquence » ou la « gravité » des incidents, selon le moment
de leur survenue (en journée, le soir, le week-end, etc.). La liste des
incidents a été établie sur la base d’observations de l’activité, d’entre-
tiens avec les opérateurs, et de l’étude de relevés statistiques des inci-
dents. Dans l’étude initiale, plusieurs conditions ont été envisagées.
L’exemple présenté ici concerne l’évaluation par les opérateurs de « la
gravité » des incidents présentés, sous l’hypothèse que ces incidents
surviennent le week-end.

Le tableau 1 qui suit présente quelques exemples d’incidents à


évaluer.
120

1) Le tableau d’optique et le scrutateur électronique signalent une alarme niveau


bas sur la bâche eau glacée, ce qui signifie que les pompes de distribution s’arrêtent
automatiquement ; mais alors la température de l’eau dans le circuit de répartition
et de circulation s’élève et la demande de froid n’est plus satisfaite.
2) Une alarme signale le déclenchement du disjoncteur basse tension d’un des
transformateurs qui alimentent les trois grands studios.
3) Une alarme niveau bas apparaît à la chaudière n° 1.
4) Vous recevez une alarme de niveau bas sur la bâche-dégazeur, vous actionnez
la pompe de remplissage. Environ dix minutes après le niveau a encore diminué.

Tableau 1. Exemples d’incidents à évaluer

L’analyse binaire classique  a été appliquée ici au tableau de corres-


pondance entre les opérateurs (individuels) et les incidents, permet-
tant par la suite de localiser des fonctions particulières « dans l’espace
de représentation des incidents ». Les résultats mettent ainsi en évidence
les perceptions différenciées (et différentielles) de la gravité de ces inci-
dents s’ils surviennent le week-end, selon la fonction (et la formation)
des opérateurs concernés en référence aux « dimensions fondamentales »
que cette analyse permet d’identifier (voir fig. en annexe – le n° de la
figure est celui dans l’article d’origine). Ces dimensions déterminent
quatre quadrants qui apparaissent comme quatre catégories d’inci-
dents définies par les perceptions de la gravité de ces derniers par les
opérateurs. Il ne s’agit donc pas de catégories a priori mais bien d’une
catégorisation issue en quelque sorte de l’expérience de l’activité des
opérateurs eux-mêmes. La lecture de ces résultats a permis de déter-
miner les difficultés spécifiques de gestion de ces incidents par les diffé-
rents opérateurs, compte tenu de leur formation et donc de la maîtrise
perçue par eux des incidents en question (pour plus de détails, on se
référera à l’article original).

En guise de conclusion.
Dans cette contribution, j’ai tenté de vous convaincre de l’existence
d’une communauté (ou continuité) de préoccupation entre l’analyse du
travail proposée par Ombredane et Faverge d’une part, et l’analyse des
données proposée par Faverge d’autre part. Pour me résumer, il me
paraît évident qu’une telle communauté existe dans la mesure où l’on
peut affirmer que dans ces deux approches l’« analyse » est comprise
121

et conçue comme observation, compréhension, « dissection » du réel ;


que dans ces deux approches, l’accent est mis sur l’interaction entre
l’individu et l’objet, entre l’homme et le travail (ou plus généralement
le monde) ;  la conception sous-jacente étant d’ailleurs dans les deux cas
que ce dont traite la psychologie (en général, la psychologie du travail
en particulier) doit être analysé au travers de cette interaction. Les
méthodes d’analyse doivent donc être adaptées à cette nécessité, tout
en préservant autant que faire se peut l’intégrité de la réalité qu’elles
visent à appréhender. J’espère avoir montré que si c’est bien le cas pour
ce qui concerne l’analyse du travail – ce qui ne doit plus, je crois, être
démontré –, c’est aussi le cas des propositions de Faverge concernant
l’analyse binaire classique et ses applications.
122

Annexe

Les losanges représentent les incidents à évaluer, les triangles, les catégo-
ries d’opérateurs.
Deuxième partie

« L’analyse du travail »,

une histoire en développement


L’analyse du travail57

Jean-Marie Faverge

Pour le psychotechnicien français, le titre « Analyse du travail » pour-


rait tout aussi bien, et d’une façon équivalente, être « Étude de poste » ou
« Monographie professionnelle ». D’une manière un peu stricte, il entend
par là l’étude faite d’enquêtes et d’observations, dans laquelle on décrit
les opérations de travail, l’ambiance et les conditions du travail et où
l’on formule les exigences dans le langage des aptitudes ; cette étude
est l’étape préparatoire au choix d’une batterie d’épreuves destinée à la
sélection et à l'orientation.

Dans ce chapitre, nous ne nous placerons pas à un point de vue


aussi restrictif ; au cours de notre voyage, on nous a montré peu d’ana-
lyses du travail préparatoires au choix de tests ; la raison suivante nous
paraît une explication valable.

Sans abandonner la méthode des tests pour la sélection du personnel


et bien que les applications dans ce domaine soient faites sur une vaste
échelle, on a orienté les recherches en psychologie appliquée vers
d’autres objectifs. Les tests sont choisis dans un arsenal classique et
limité, ils sont la plupart du temps du type « collectif papier-crayon »,
une exception est faite en faveur d’épreuves de dextérité consistant à
placer des tiges dans des trous. On les retient en vertu de résultats anté-
rieurement acquis, comme si l’on pensait que le plafond de la validité a

57. Article paru en 1954 dans la Revue de Psychologie appliquée, 4, 1, 55-63. Revue qui ne paraît
plus. Pour comprendre le contexte de la rédaction de cet article, voir l'article supra de C. Teiger.
126

déjà été atteint. D’autre part, il est possible que le passage de l'analyse
du travail aux hypothèses du testing par l’intermédiaire des aptitudes
ait été la source d’échecs et de désillusions. Nous avons eu quelques
échos de ces échecs.

Objectifs de l’analyse du travail


Les objectifs de l'analyse du travail sont autres. Ne parlons pas
ici des études de Human Engineering qui ont pour objet principal des
dispositifs de contrôle et de commande : le prochain chapitre est tout
entier consacré à cette importante question. Mais développons quelques
exemples qui nous ont été présentés.

a) Connaissance d’une fonction

On désire non pas des informations sur un poste de travail tel qu’il
est organisé dans une entreprise mais sur une fonction en général au
niveau inter-entreprise. On veut décrire une sorte de « moyenne ».
Dans l’exemple dont nous allons parler, il s’agira de la fonction de
contremaître de production en général. On trouve le souci d’obtenir
des renseignements utilisables pour une large application. Ce souci a
peut-être pour origine les divergences constatées et même les contra-
dictions résultant d’études partielles, peut-être aussi l’intérêt commer-
cial d’une plus vaste diffusion.

Le Dr W.L. Wallace de The Psychological Corporation a entrepris une


immense étude, l’enquête préliminaire a duré 14 mois. Depuis quelques
années, on a reconnu l’importance toute spéciale de la maîtrise dans
la bonne marche d’une usine. La promotion à la maîtrise, la forma-
tion des contremaîtres sont devenues des chapitres particulièrement
essentiels de la psychologie industrielle. On a beaucoup écrit sur ce
que devait être la fonction du contremaître, insisté sur l’opinion qu’il
ne devait plus seulement être considéré comme un technicien trans-
metteur d’ordres, mais aussi comme un « moniteur » pour ses ouvriers,
un organisateur du travail de l’atelier, un « leader » sachant maintenir
un climat dans lequel l’homme sera satisfait, comprendre l’ouvrier,
résoudre les conflits et les oppositions. Le Dr Wallace a estimé qu’il « y
aurait intérêt à savoir en quoi consistait le travail réel du contremaître ». Cette
connaissance permettrait de faire disparaître une certaine confusion
127

régnant actuellement et de rattacher les opinions et les affirmations à


la réalité quotidienne. L’objet de l’étude est d’éclairer sur l’activité du
contremaître de production en général.

b) Préparation d’un programme d’enseignement

L’objectif visé ici n’est pas l’élaboration d’une progression pour la


formation à un métier déterminé, il est de nature plus générale et est
apparenté à celui du Dr Wallace, comme notre exemple le montrera.

Cet exemple nous a été présenté par le Dr N. Friedman de Purdue


University. Le problème posé est le suivant : on désire organiser de façon
rationnelle la formation des spécialistes de la marine. Les spécialités à
bord d’un navire de guerre sont multiples, les fonctions sont variables
d’une unité à l’autre. Sur un petit bâtiment, la division du travail est,
moins poussée, les tâches d’un spécialiste sont plus étendues. Une
certaine polyvalence est utile, sinon indispensable. On désire, après
inventaire des activités sur les divers bâtiments de la flotte, définir les
sections d’apprentissage et leur programme.

c) Classification des emplois

Le problème de la classification des emplois est toujours à l’ordre


du jour. Les deux exemples dont nous parlerons sont les suivants.

Exemple du Dr C.H. Lawshe de Purdue University, de classification


des emplois de bureau. Dans certaines entreprises, telles que les
banques, les compagnies d’assurance, on rencontre une multiplicité
d’emplois, variables d’ailleurs d’une entreprise à une autre. Faire un
répertoire de ces postes serait une tâche à la fois très longue, jamais
achevée et inutilisable. Il est indispensable pour des buts pratiques
de posséder une classification fournissant des catégories, des groupe-
ments dans lesquels on peut placer facilement tout poste donné.

Exemple du Dr R.L. Thorndike de Columbia University qui


recherche une classification de l’ensemble des emplois permettant de
mettre en parallèle les activités professionnelles et les capacités de
la population. Atteindre ce but très audacieux de confrontation du
recensement des besoins et des disponibilités sur un plan très général,
128

voire national, permettrait d’éclairer une politique de main-d’œuvre,


de prévoir et d’organiser au moment d’un changement dans l’état des
besoins, bref de mettre chacun à la place la plus profitable pour la réali-
sation de l’ensemble des tâches.

d) Organisation du travail, principalement sous l’aspect


des communications

On cherche à étudier un ensemble de postes constituant un chaînon


de la production, un service ou, d’une façon générale, une « unité »
d’organisation et de direction. L’ana1yse porte principalement sur
les rapports et les communications entre les postes. Nous donnerons
comme exemples les méthodes du Yale Labor and Management Center
de Yale University et l’étude d’un état-major de la marine faite par le
Dr R.M. Stogdill de l'Université de l'Etat d’Ohio.

On assiste ainsi à une pénétration de l'esprit de la psychologie indus-


trielle dans le domaine de l’organisation du travail en même temps que
les méthodes expérimentales et statistiques tendent à remplacer des
conceptions de l’organisation fondées sur 1a recherche de ce qui appa-
raît rationnel et logique.

e) Constitution d’un instrument de placement

Citons enfin ces analyses de travail ou monographies profession-


nelles destinées à éclairer le placier qui propose un emploi ou un réem-
ploi à un demandeur. Elles ont été constituées par l'U.S. Employement
Service et mise sur papier cartonné sous une forme commode pour être
classées et consultées. Nous ne nous étendrons pas sur ce sujet puisque
la méthode a déjà été transposée en France par le Bureau Universitaire
de Statistique et puisque les cartes du B.U.S. sont connues et utilisées.

Méthodes de l’analyse du travail


On voit comment des problèmes pratiques importants ont conduit
à l’étude du travail. Malheureusement, les méthodes d’analyse n’ont
pas toujours progressé de façon à être à l’abri des critiques. Quelques
techniques ont cependant apparu, hors des ornières habituelles, et sont
prometteuses pour l’avenir. Nous allons rendre compte de ce que nous
129

avons vu, en examinant principalement la méthodologie des exemples


dont nous avons parlé plus haut.

a) La liste du Dr Thorndike

Dans son étude de classification des postes de travail, le Dr Thorn-


dike a recherché toutes les rubriques utilisées dans l’analyse du travail
par les auteurs américains. A ce titre, les 130 termes de référence qu’il
a relevés comme étant les plus fréquemment rencontrés ont une valeur
documentaire puisqu’ils reproduisent la physionomie des tendances
actuelles. On y trouve un peu tout :
- des opérations objectives mais en très petit nombre, par exemple :
actionner des commandes, s’exprimer verbalement ;
- le matériel sur lequel ou avec lequel on travaille, exemple :
machines et outils à main, langage... ;
- des rubriques sur les responsabilités ;
- des modes d’activité, exemple : travailler vite et pendant long-
temps, effort physique, etc. ;
- mais surtout une très grande majorité de termes empruntés
à la psychologie des facultés et au langage des aptitudes : dextérité
manuelle, facilité d’élocution, aptitude spatiale, objectivité, conscience,
rapidité de perception, courage, mémoire visuelle, contrôle émotionnel,
enthousiasme, etc.
Le lecteur averti du danger de l’emploi de tels termes pourra être
inquiet et même sceptique sur la valeur d’études conduites à partir
de telles bases. Des élaborations statistiques complexes utilisant une
machinerie à calculer perfectionnée sont faites sur ces données fragiles.
N’y a-t-il pas là une démarche qui choque un esprit scientifique ?

Voici ce qui a été fait dans l’étude de Thorndike : les 130 rubriques
ayant été choisies, on demande à des gens de la profession de remplir
le canevas. Ceci a été fait pour 150 postes de travail de l’Armée de l’Air.
On calcule ensuite les 8 385 coeffficients d’intercorrélation. L’exploita-
tion statistique de cette matrice monumentale est en cours.
130

Ajoutons encore une réserve : les canevas ont été remplis non pas
par des psychologues industriels après étude du poste, mais par des
gens de métier, n’ayant pas étudié la psychologie. On sait que, dans de
telles conditions, la moisson de renseignements comporte surtout des
lieux communs et des idées toutes faites, des opinions influencées par
un souci de prestige projeté sur son propre métier, des interprétations
personnelles du langage des aptitudes, des conceptions livresques et
non pas réelles de l’activité dans la situation de travail.

b) L’analyse des opérations de travail

Pour connaître le travail réel du contremaître de production, le


Dr Wallace a fait observer chaque contremaître pendant une demi-
journée et relever les activités manifestées pendant la durée de l’obser-
vation. On a ainsi obtenu, durant les 15 mois d’enquête, 4 000 situations
différentes où le contremaître a agi. Il reste à exploiter maintenant les
matériaux recueillis, à classer les 4 000 activités, à déterminer celles
qui sont particulièrement cruciales, celles à partir desquelles on pourra
juger l’homme. Voici une première conclusion.

Contrairement à l’opinion courante, l’activité du contremaître est


plus orientée vers la production que vers le personnel ; le tiers de
ses fonctions a trait aux machines et au matériel, un autre tiers au
programme de production ; moins de 10 % de ses activités se rapportent
à des problèmes de discipline de l’atelier.

La méthode du Dr Wallace n’est pas sans danger et l’interprétation


des résultats est difficile. Est-ce que la fréquence d’une activité rend
compte de son importance ? Ainsi le temps passé à donner des expli-
cations et à former l’ouvrier est faible. Est-ce à dire qu’il n’a pas une
importance aussi grande que le temps beaucoup plus long passé sur les
bons de travail ? Le Dr Wallace ne mettra peut-être pas 14 mois à inter-
préter ses résultats numériques, c’est cependant la partie essentielle de
l’étude.

D’autre part, les actes apparents rendent-ils compte de l'activité ?


Une action peut être routinière, une autre peut avoir demandé une
longue préparation, beaucoup de réflexion, qui ne se sont traduites par
aucun acte apparent à l’enquêteur.
131

Enfin, la classification des activités en catégories distinguant ce qui


a trait aux machines de ce qui a trait au personnel ou au programme
de production est factice dans une grande mesure. Tout en s’occupant
d’une machine, le contremaître peut trouver l’occasion d’instruire ses
hommes ou rechercher des améliorations des conditions de travail de
l’ouvrier qui utilisera la machine.

On met le doigt sur les grandes difficultés d’interprétation des


résultats obtenus par l’analyse en opérations de travail. Dans un souci
d’objectivité et par réaction contre les jugements ou les langages d’ap-
titudes, on ne veut recueillir que des données objectives, on décom-
pose les processus opératoires et on note ce que l’homme a fait. Notre
opinion est qu’on n’est pas ainsi à l’abri d’erreurs lorsqu’on désire inter-
préter les résultats.

Examinons sous le même angle l’étude des emplois de bureau du


D Lawshe. Il a préparé un questionnaire comprenant 139 questions.
r

Chaque question comporte la description d’une opération. On répond


en indiquant si l’opération fait partie du travail. Voici des exemples.

Question 1 - Faire des calculs simples tels que addition ou sous-


traction avec ou sans l'aide d’une machine.

Question 6 - Recopier sur un registre ou sur un bordereau.

Question 20 - Consulter des documents tels que livres, catalo-


gues, manuels pour répondre à la demande d’un renseignement.

Question 38 - Contrôler des chiffres en reprenant les calculs avec


ou sans l'aide de machines.

Question 60 - Dactylographier des notes prises en sténographie.

Question 75 - Répondre au téléphone.

Question 92 - Ouvrir des enveloppes en utilisant un ouvre-


lettres.

Dans une des études, on a fait remplir le questionnaire pour 115


postes. On a calculé les intercorrélations et utilisé la méthode de Tryon
132

pour rechercher comment les questions pouvaient être regroupées. On


a obtenu 8 groupes que l'on a nommés de la façon suivante :

1) Dactylographier.
2) Copier et collationner.
3) Communiquer des renseignements.
4) Préparer le travail et le diriger.
5) Remplir des imprimés.
6) Faire et expédier des paquets.
7) Travail de routine.
8) Calculer.
On conçoit comment un travail de bureau peut être décrit au moyen
de ces composantes.

On peut cependant faire quelques observations.

Les groupes dépendent des rubriques du questionnaire. Si au lieu


d’une seule rubrique « répondre au téléphone » l’auteur en avait intro-
duit une dizaine portant sur l’activité téléphonique, par exemple :
donner des renseignements au téléphone, rechercher dans l’annuaire,
appeler un correspondant, prendre note d’une communication, etc.
l’analyse de Tryon aurait fourni un nouveau groupe contenant ces
rubriques. En fait, on a retrouvé ce qu’on avait mis au départ. Nous
ne disons nullement que ce soit sans intérêt puisqu’on ne savait peut-
être pas très bien ce qui était contenu dans les 139 questions initiales,
et, à ce titre, on a obtenu des éléments pour apprécier le questionnaire
de départ. Mais, de toute façon, on n’a rien appris sur les postes d’em-
ployés de bureau puisqu’un auteur qui connaitrait bien comment opère
la méthode de Tryon pourrait construire un questionnaire fournissant
un groupement donné à l’avance.

c) L’analyse des variables d’organisation

Les tentatives faites pour introduire dans l’analyse d’autres variables


que les aptitudes et les opérations de travail sont intéressantes et ouvrent
vraisemblablement une voie pour sortir de certaines impasses. On en a
133

un exemple dans les études d’organisation psychologique où la théorie


des communications apporte des idées pour définir les rubriques.

Voici quelques aspects essentiels des méthodes du Yale Labor and


Management Center. On distingue sept chapitres dans l’étude d’une
organisation :

1) Déroulement du travail. – On peut établir les fameuses


« flow-charts ». Si, par exemple, on veut décrire une banque,
on demandera l’aide de quelqu’un qui connaisse l’ensemble
de la banque et on dressera les graphiques d’acheminement
du travail.

2) Postes comportant les activités de coordination et de supervision.


– L’identification de ces postes est essentielle et, pour tout
poste, on doit se demander dans quelle mesure il comporte
de telles activités.

3) Etude de ce qui stimule les gens. – Ceci doit être vu dans un


sens très large à partir des motivations et de la psychologie
des travailleurs.

4) Etude des processus de « perpétuation » – Comment les maté-


riaux de travail arrivent-ils à l'homme, comment le travail
est-il distribué ?

5) Etude des communications. – D’où viennent les informations,


qui les émet, qui les transmet, qui les reçoit ?

6) Qui donne les règles, les standards et les normes de travail, quelles
sont ces règles pour chaque poste ?

7) Comment les travailleurs connaissent-ils l’ensemble de l’organisa-


tion, savent-ils quel est leur rôle dans l’ensemble et les buts
de l’organisation ? ... Cette rubrique s’appelle « intégration »
ou « identification ».

Alors que la première rubrique est étudiée avec l'aide d’une


personne connaissant l’ensemble de l’organisation, les autres le sont
134

par observation des gens qui travaillent et entretien avec eux. Il ne s’agit
pas, en effet, de recueillir les informations des bureaux de direction. Il
faut savoir ce qui se passe réellement ; l’expérience montre que c’est, en
général, très différent de ce que croit la direction ou les bureaux des
méthodes. C’est l’étude de l’organisation réelle qui permet de diagnos-
tiquer ce qui ne va pas dans le « comportement de l’organisation ».

Les différences entre l’organisation réelle et l’organisation fictive


vue par la direction peuvent souvent être décrites en tenant compte des
diverses sortes de tâches ou d’actions. On distingue :

1) les tâches formulées qui ont trait au travail proprement dit


tel qu’il est défini par la direction.
2) les tâches organisationnelles, tâches qui sont inspirées par
les buts de l’organisation.
3) les tâches modifiées ; elles sont modifiées de façon à s’adapter
aux intérêts de l’organisation et aux aspirations du travail-
leur.
4) les tâches de groupe ; ce sont des tâches modifiées de façon
à être adaptées aux intérêts et aspirations du groupe auquel
appartient le travailleur dans l’entreprise.
5) les actes personnels, qui ont trait au comportement que
désire avoir l’individu pour lui-même.
6) les actes de groupes, qui sont des actes personnels de l’indi-
vidu en tant que membre du groupe de travail.

Les tâches des catégories 1 et 2 rendent compte du comporte:


ment officiel, les autres du comportement non officiel. Le centre de
Yale recherche systématiquement les défauts de l’organisation qui
proviennent d’un manque de fusion entre le comportement officiel et le
comportement non officiel.

A chacune des rubriques correspondent des communications. On


pourra ainsi avoir à décrire les communications liées à l'acheminernent
du travail, aux activités de supervision, à la psychologie du travailleur,
à la distribution du travail, aux informations, aux règles du travail, à la
connaissance de l’entreprise. Les problèmes techniques qui se posent
135

sont ceux qui ont trait à la définition de variables de communications


et à la représentation des communications.

Comme exemple de variables très globales donnons celles utilisées


par le Dr Stogdill de l’Université de l’Etat d’Ohio pour son étude des
fonctions dans un état-major de la marine. Ce sont :

1) mentions : nombre de personnes qui mentionnent l’officier


dont la fonction est étudiée comme partenaire de travail.
2) mentions dans l’Unité : nombre de personnes de la même
unité que l’officier qui le mentionnent comme partenaire de
travail.
3) mentions hors de l’Unité.
4) mentions de supérieurs : nombre de personnes supérieures en
grade qui mentionnent l’officier comme partenaire de travail.
5) mentions d’égaux.
6) mentions d’inférieurs.
7) mentions réciproques  : nombre de personnes qui le mentionnent
et qui sont mentionnées par lui.

Ces variables sont associées à d’autres variables relatives à la fonc-


tion de cet officier. Les intercorrélations sont calculées et on fait une
analyse factorielle des fonctions d’Officier d’Etat-major.

d) Quelques techniques

En dehors de ces méthodes générales, nous avons eu connaissance


de quelques techniques utilisées dans l’analyse du travail que nous
rappelons à cause de leur intérêt, bien que certaines soient sans doute
déjà connues de nombreux lecteurs.

Utilisation d’une échelle de Guttman pour définir et mesurer le


sentiment de fatigue. Un questionnaire de « sensation de fatigue »
établi par le Dr E.-J. Mac Cormick de Purdue University. Il est intradui-
sible car il comporte essentiellement des termes ou des expressions du
langage populaire pour exprimer combien on se sent fatigué. Il a été
étudié par la méthode de Guttman et on a retenu les questions formant
136

une échelle à une dimension. Le coefficient de reproductibilité est élevé


et il semble que par ce procédé on puisse aborder d’une façon plus
sérieuse l’étude de l’aspect psychologique de la fatigue.

La « memo-motion » . En général, on utilise le cinéma dans l’analyse


du travail pour étudier des postes à mouvements répétitifs rapides. La
prise de vue se fait à l’accéléré afin que la projection soit au ralenti. On
adopte à Purdue University le procédé inverse. La prise de vue est au
ralenti, la projection à l’accéléré. Ainsi, pour fixer les idées, un travail
durant deux heures sera projeté pendant un quart d’heure. On obtient
alors des projections d’un type particulier permettant d’étudier l’effet
d’un travail prolongé ou, si l’on consent à employer ce vocable de sens
douteux, la fatigue.

A vrai dire, l’objet du film qui nous a été projeté appartenait au


chapitre du Human Engineering. Il s’agissait de comparer du matériel
scolaire (chaises, tables). L’effet est saisissant, le contraste est profond
entre le début et la fin du film et il y a là une méthode expérimentale
particulièrement valable.

En conclusion de ce chapitre, nous soulignerons l’extension des


objectifs de l’analyse du travail qui, la plupart du temps, a pour but
l’étude d’un ensemble de postes. On répond naturellement à la demande
en utilisant des méthodes classiques qui sont loin d’être sans critiques.
En particulier l’utilisation de l’analyse factorielle est très fréquente. Elle
n’a pas été faite pour cela et son application est souvent discutable.
Cependant, de nouvelles façons de penser et de nouvelles techniques
apparaissent déjà et doivent se préciser et se développer dans l’avenir.
Citons, en particulier, les emprunts faits au langage et à la théorie des
communications.
Le travail en herbe :
l’analyse du travail en situation scolaire

Anne Lancry-Hoestlandt

Dès 1955, dans L’Analyse du travail, Facteur d’économie humaine et de


productivité – écrit avec Ombredane – Faverge insiste sur l’importance
de l’observation des travailleurs en situation de travail pour la mise
au point des formations professionnelles en entreprise (en formation
d’adultes et en centres d’apprentissage pour les 14-15 ans) et pour l’amé-
nagement du travail et de ses conditions d’exercice. En fait, en 1952, une
mission commandée par le Comité National de la Productivité, menée
par P. Fraisse (accompagné de Mmes Pacaud et Gavini et MM. Bonnaire,
Faverge et Rennes) avait été envoyée aux Etats-Unis pour étudier les
méthodes et les perspectives de la psychologie industrielle améri-
caine. Dans le rapport de cette mission, publié en 1954 dans la Revue de
Psychologie Appliquée, Faverge mentionne, dans le chapitre consacré à
l’analyse du travail, une étude menée à la Purdue University effectuant
une comparaison de matériel scolaire (différentes chaises et tables)  ;
la méthode utilisée est le cinéma, avec une prise de vue au ralenti et
une projection en accéléré, ce qui permet de constater sur les élèves les
modifications comportementales dues aux effets du travail prolongé.
Nous avons pu nous même constater au cours de recherches menées
avec la même méthode, quelques années plus tard, que le contraste
entre les comportements des élèves entre début et la fin du film est
important et même surprenant dans certains cas (Lancry-Hoestlandt,
1988, 1989). Les travaux concernant l’analyse du travail développée
en situation scolaire sont principalement des développements et des
prolongements des recherches sur l’analyse du travail et de l’activité
développées par Ombredane et Faverge puis par Leplat et les diffé-
138

rents chercheurs du courant francophone de l’analyse du travail. Les


analyses présentées ici se rattachent à ce courant de pensée fécond et
mettant l’homme (ou l’élève) au travail à sa juste place : la plus impor-
tante…

L’expression « ergonomie scolaire et éducative » apparaît pour


la première fois dans un document officiel en 1977 dans un arrêté du
ministère de l’Education nationale proposant au Département de la
Recherche Médicale de l’Institut National de Recherche Pédagogique le
thème suivant : « L’analyse des caractéristiques des postes de travail de l’élève
en situation d’étude ou d’apprentissage sous l’angle de l’ergonomie scolaire ».
Lambert & Pascal (1983) définissent l’ergonomie scolaire universitaire
et éducative comme « …une méthode d’action qui se propose d’optimiser
l’ensemble du processus éducatif. Elle fait appel nécessairement à la biologie
humaine et à la psychologie dans une perspective anthropologique. Englobant
l’ensemble des facteurs du processus éducatif, son objet est constitué à la fois
par les rapports au travail de l’élève et de l’enseignant, par l’équipement et
le matériel utilisé, par le milieu, mais aussi par les conditions temporelles et
sociales dans lesquelles les projets éducatifs se déroulent ». Cette approche
est en cohérence avec la définition générale de l’ergonomie telle qu’ac-
ceptée par l’International Ergonomic Association en 2008 : « discipline
scientifique qui vise la compréhension fondamentale des interactions entre les
humains et les autres composantes d’un système … en vue d’optimiser le bien-
être des personnes et la performance globale des systèmes ». La démarche
ergonomique dans le champ scolaire présente trois spécificités : elle
est pluridisciplinaire, participative et globale ; elle concerne la grande
majorité des situations, aux différents niveaux de l’organisation et de
l’institution et s’adresse à tous les individus ayant des fonctions et des
niveaux de développement différents, enfants, adolescents, adultes.
Cet aspect participatif, constitutif des méthodologies d’intervention,
implique nécessairement la maîtrise méthodologique des investiga-
tions.

1. Analyse du travail en situation scolaire


Le travail ne prend sens que par rapport aux personnes qui le
prescrivent, qui le font ou l’exercent, qui l’attendent, qui le rejettent
éventuellement, qui en souffrent ou le subissent ou qui en bénéficient
et s’en trouvent bien. Et ceci pour des cas de figures différents  : que
139

l’on soit dans une situation de conception, de création, de fabrication,


d’exécution, de mise ou maintien en fonctionnement, de régulation,
d’assistance, d’aide, de transmission, d’écoute, d’apprentissage, etc. Si
l’on considère la personne au travail comme élément majeur de l’ana-
lyse, cela signifie qu’elle constitue le cœur de la cible de cette analyse
et que les autres analyses pouvant être menées à propos de son travail
(aspects environnementaux ou organisationnels par exemple) le seront
à la fois avec leurs méthodes propres mais, in fine, en se rapportant à la
personne ou aux personnes concernées par l’étude.

La situation scolaire est caractérisée par une diversité d’environne-


ments, d’acteurs et de temporalités. Elle est typiquement une situation
à déterminations multiples : les nombreuses situations de travail qui la
composent peuvent être analysées de diverses manières, renvoyant à
des niveaux d’approches différents et des démarches méthodologiques
variées. L’approche ergonomique analyse la situation de travail pour
pouvoir ensuite lui proposer des transformations améliorant la rela-
tion et le résultat du couple « travailleur-travail ». Dans cette optique la
psychologie n’est qu’une des dimensions, qui peut-être selon les situa-
tions secondaire ou principale.

1.1. Une diversité d’environnements

La figure 1 ci-après présentant la démarche utilisée pour le milieu


scolaire montre que l’élève est le cœur de cible, mais qu’on ne peut faire
l’économie pour une étude un peu détaillée d’une analyse des diffé-
rents niveaux de la cible.
140

Figure 1 : Les différents contextes intervenant dans la situation scolaire


(A. Lancry-Hoestlandt, adapté de Lancry-Hoestlandt, 1989,
Niveaux d’approches dans la démarche d’ergonomie scolaire)

Dans le cas de figure présenté ici, le point de départ de l’analyse


est l’élève. Dans les différents contextes intervenant dans sa situation
de travail, le plus proche de lui est son poste de travail, puis celui de
son environnement relationnel immédiat, et de son environnement
physique et matériel. Son environnement institutionnel et son environ-
nement familial et social englobent des domaines aussi différents que
l’organisation des temps de vie, des programmes scolaires ou des déci-
sisons architecturales ou des choix de mobiliers.
141

Cet enfant ou cet adolescent est donc considéré comme un travail-


leur, mais un travailleur en constante évolution et maturation physio-
logique, cognitive, affective, devant réaliser certaines tâches prescrites
par l’enseignant dans un milieu de travail complexe et changeant
(locaux divers aux ambiances physiques différentes), dans des cadres
temporels rigides mais aux unités de temps variées (heure, semaine,
quinzaine, trimestre, semestre), et aux charges de travail inégalement
réparties. Il doit en outre exercer une partie de son activité de travail
chez lui. Nous évoquons là principalement le système éducatif français
qui nous est le plus familier.

Etant donné la variété et les particularités des environnements en


présence (architecture, ambiances physiques, mobiliers, qualité des
matériaux, organisation du temps et des contenus d’enseignement
etc…), l’analyse d’une situation de vie ou de travail complexe implique
nécessairement une approche pluridimensionnelle difficile à mener
et peu développée jusqu’à présent dans le milieu scolaire. En d’autres
termes l’analyse des difficultés ou dysfonctionnements ressentis par
l’élève ou révélés par l’enseignant sont appréhendables par une analyse
ergonomique et une analyse fine des conduites au travail. Le travail de
l’élève met en jeu de nombreux facteurs cognitifs et conatifs, et l’ana-
lyse psychologique du travail alliée à l’analyse ergonomique va aider à
choisir les actions d’améliorations.

A titre illustratif, prenons une situation courante : comment décider et choisir


un mobilier de classe qui soit parfaitement adapté aux besoins des élèves ?
La première approche consiste à analyser avec les enseignants quel usage
est fait du mobilier, selon les activités pédagogiques pratiquées. Le mobilier
est-il fixe ou au contraire mobile selon les travaux en petits groupes ? Est-il
préférable que le siège soit solidaire de la table, et si oui pour quels types de
tâches, dans quels locaux ? Certains sols sonores peuvent créer de mauvaises
conditions d’écoute avec des chaises mobiles raclant fréquemment le sol. Il
est en outre raisonnable de prévoir un mobilier résistant à une utilisation
informelle : on s’asseoit sur les tables ou sur les dossiers de chaises, on se
balance sur sa chaise...

Privilégier l’aspect postural permet de respecter en partie les exigences


physiologiques (si celles-ci ne sont pas maintenues trop longtemps) et assure
donc à l’élève de meilleures conditions d’écoute et de disponibilité à l’action
142

ce qui peut l’aider à parvenir à une meilleure qualité de travail. Mais est-on
sûr que la prise en compte de ce seul critère suffise à améliorer la situation ?
A certains âges et chez certains enfants et adolescents, la différence perçue et
ressentie entre son corps et le corps de l’autre peut être vécue comme margi-
nalisante par rapport au groupe de pairs de référence, ce qui est affective-
ment coûteux et va nécessiter une mobilisation d’énergie importante pour
réduire ce décalage. Attribuer d’autorité un mobilier adapté aux caractéris-
tiques anthropométriques peut avoir comme signification psychologique
pour certains élèves de marquer publiquement leur différence d’une manière
qui sera vécue négativement. Le confort physiologique et les bonnes condi-
tions de perception peuvent s’accompagner d’un inconfort voire d’un malaise
psychologique qui rendra l’élève indisponible pour le travail. Ceci ne signifie
pas qu’il ne faille rien faire, puisque de toutes façons cela ne conviendra pas à
tout le monde, mais cela démontre l’intérêt de prendre en compte les aspects
psychologiques tant dans la phase d’investigation que dans celle d’interven-
tion c’est-à-dire de concrétisation des propositions d’aménagement.

Cet exemple illustre la nécessité de s’interroger sur les significations


accordées individuellement à toute situation et à tout changement de
situation. A l’échelle d’une ou de plusieurs classes cet effet joue égale-
ment et a rapidement des retombées très positives et sensibles dans
le fonctionnement général de l’établissement. Il faut noter également
qu’un concours de circonstances extérieures à l’enfant et dépendant
des facteurs de travail (le bruit, la mauvaise visibilité, les consignes
mal transmises, par exemple) peut contribuer à installer ou confirmer
des difficultés d’ordre cognitif ou psycho-social. En d’autres termes, il
s’agit de montrer que les circonstances de l’exercice d’une tâche ont une
influence sur la tâche elle-même, sur l’activité engagée pour l’effectuer,
et sur ses résultats. (Par exemple : en classe de 6e, la donnée des consignes
des travaux à effectuer à la maison est souvent reléguée à la fin des
séquences d’enseignement, pour ne pas empiéter sur les tâches prin-
cipales du cours. Les conditions auditives et ou visuelles de saisie de
ces consignes sont le plus souvent dégradées du fait même de la fin du
cours. Certains élèves n’ont donc pas accès à la totalité des instructions
et il peut également ne pas comprendre la signification des consignes
temporelles du message. Ils seront donc considérés comme défaillants
pour la réalisation de la tâche, tout comme l’élève qui avait compris
les instructions d’exécution et de remise du travail, sans parvenir à y
répondre correctement pour diverses raisons. Les noter de la même
143

façon n’a donc pas le même sens). L'ergonome-psychologue du travail


à l'école doit donc à la fois étudier les conduites des acteurs en présence,
identifier les facteurs cognitifs, développementaux et psycho-sociaux,
rechercher les facteurs de dysfonctionnement et leurs diverses mani-
festations et mettre en place la possibilité de modifier les facteurs de
travail aux effets perturbateurs.

1.2 Une diversité d’acteurs

L’établissement scolaire est un lieu de vie abritant des situations


de travail et des catégories de personnes très variées. Les analyses de
travail centrées sur les sujets peuvent avoir comme point de départ
des acteurs et des opérateurs différents (personnels administratifs et
techniques, enseignants ou élèves), intervenant dans des locaux diffé-
rents (cuisines, ateliers, couloirs, salles de sport, laboratoires, classes,
etc..), avec des objectifs de travail différents (gestion, entretien, répara-
tion, enseignement, apprentissage, compréhension de raisonnements
nouveaux, mémorisation, etc.).

Lorsque le point de départ de l’analyse est un adulte, salarié, mais


non affecté à une activité d’enseignant ou d’éducateur, les méthodes
d’analyse ne varient guère par rapport aux analyses ergonomiques en
milieu industriel ou de services. De ce point de vue, le contexte des
activités salariées en milieu scolaire présente des ressemblances avec
d’autres milieux professionnels. Si le point de départ est l’enseignant,
l’analyse psychologique de son travail et de ses échanges et interactions
avec les différentes classes d’élèves aura une importance toute parti-
culière. Cette approche peut se compléter de l’analyse des décalages
perçus entre la profession ou la carrière souhaitée et imaginée et le
cursus réel. De même il est important d’analyser l’écart entre la repré-
sentation qu’il se fait des élèves et de ce qu’il souhaite réaliser avec eux,
avec ce qu’il réalise effectivement. Lorsque l’élève est le point central
de l’analyse, l’écolier est considéré comme un travailleur et la situa-
tion d’apprentissage dans laquelle il se trouve comme une situation de
travail que l’on peut analyser avec les concepts de l’analyse psycholo-
gique du travail. La situation de travail dans laquelle l’écolier (ou le
collégien, le lycéen, le jeune en apprentissage professionnel) se trouve,
peut-être abordée puis analysée à différents niveaux.
144

1.3 Les différents niveaux d’analyse

La nécessité d’envisager des niveaux d’analyse différents est


imposée par la diversité des environnements et des acteurs gravitant
autour de l’élève en situation scolaire.

Niveau d’analyse Objet d’étude


Travailleur-élève - aspects individuels psychologiques, cogni-
tifs et affectifs
- tâche, poste de travail, activité
Environnement relationnel - enseignant, groupe-classe, autres adultes
de l’établissement, notamment ASEM pour
les plus jeunes
Environnement physique - types de constructions, locaux et matériels
- ambiances physiques (éclairage, perception
visuelle, bruit, perception auditive, ambiance
thermique, toxique)
Environnement institutionnel - décisions architecturales
- choix de matériels et mobiliers
- 
aménagement du temps ; calendrier
scolaire ; formation des maîtres ; programmes
scolaires ; acteurs de santé scolaire
Environnement social et familial - trajets, habitat, repas, sommeil, vie
familiale et fratrie etc.

Figure 2 : Niveaux d’analyse et objets d’étude en ergonomie scolaire.


(A. Lancry-Hoestlandt, adapté de Lancry-Hoestlandt, 1989,
Niveaux d’approches dans la démarche d’ergonomie scolaire)

Les aspects individuels, propres à chaque élève, apparaissent de


façon évidente lorsqu’on appréhende les processus psychologiques,
cognitifs, affectifs et physiologiques (y compris les handicaps éven-
tuels) d’un enfant confronté à une tâche précise. L’activité de l’élève est
évidemment fonction de la nature du travail, des ambiances physiques,
des conditions matérielles et institutionnelles dans lesquelles elle s’ef-
fectue et des caractéristiques individuelles. Le coût physiologique et
psychologique résultant de cette activité est donc variable selon les
145

élèves, de même que les résultats et les gains58. Les aléas ou imprévus,
les évènements vécus négativement et les dysfonctionnements présen-
tent aussi des variations inter et intra-individuelles qui peuvent de ce
fait être perçues par l’enseignant comme pouvant surgir à tout moment.

L’activité de l’élève est également variable selon des aspects chrono-


biologiques et chronopsychologiques. Les rythmes chronobiologiques
entraînent pour chaque individu en fonction du moment de la journée,
de la nuit, de la semaine, de la saison, des variations dans les taux de
fabrication ou d’excrétion de certaines hormones, par exemple indui-
sant des modifications dans la disponibilité à l’action. De la même façon
les variations chronopsychologiques affectent la disponibilité à l’action
selon le type de tâche en jeu.

2. Relations tâche(s), activité, opérateur


Pour appréhender cette diversité, le paradigme de couplage « tâche
x opérateur à activité » est le mieux adapté. Karnas, ancien élève et
collaborateur de Faverge, (1987) a proposé un schéma fonctionnel résu-
mant les relations entre tâche, activité et opérateur, qui vise à modéliser
les relations dynamiques intervenant dans le déroulement de l’activité
d’un opérateur.

Nous nous permettons de lui apporter quelques ajouts qui nous


semblent adapter ce schéma à la situation scolaire. Ces ajouts sont
signalés en pointillés et en italique (voir figure 3). En paraphrasant la
définition de Leplat (1997, p. 5), l’idée principale de ce schéma est que
« l’activité de l’élève, la tâche effective qu’il réalise dépendent du couplage entre
les conditions internes (caractéristiques de l’élève, but de la tâche à réaliser) et
les conditions externes de son exécution (caractéristiques des autres acteurs,
facteurs psychologiques et psycho-sociologiques intervenant dans le processus
de travail, conditions de travail, physiques, relationnelles, institutionnelles) ».
Les liens entre l’opérateur et ses caractéristiques personnelles, les

58. Les gains désignent ce que l’élève a acquis ou est en train d’acquérir pour l’ensemble des
compétences cognitives et conatives mises en jeu, et non seulement le strict résultat d’une
tâche évaluée par l’enseignant
146

caractéristiques de la tâche, les autres acteurs et l’activité apparaissent


en boucle de rétroaction, ce qui illustre les difficultés rencontrées dans
la mise en place de changements éventuels. L’activité de l’élève a des
conséquences sur le fonctionnement du groupe (en italique et poin-
tillé sur le schéma) (Lancry-Hoestlandt, 2000). En boucle de rétroac-
tion, sont aussi suggérés les liens de l’activité avec les caractéristiques
personnelles de l’opérateur, celles des autres acteurs et les facteurs
psychologiques et psychosociologiques. Des actions en retour de l’ac-
tivité et de la tâche effective sur les conditions de travail et la tâche
prescrite peuvent avoir lieu plus ou moins directement à différentes
échelles en tenant compte des résultats des élèves du groupe et du
système. La complexité de ce fonctionnement laisse entrevoir la multi-
plicité des sources de difficultés rencontrées dans la mise en place de
changements éventuels.

On remarque également qu’il n’y a pas, en l’état actuel des choses


d’action directe en retour de l’activité et de la tâche effective sur les
conditions de travail et la tâche prescrite. En revanche l’activité déployée
et la tâche effective jouent un rôle sur les facteurs psychologiques et
psychosociologiques par les représentations qui y sont associées.
147

Figure 3 : Schéma récapitulatif des relations entre tâche, activité et opérateur d’après
Karnas (1987). Ajouts en italique et traits pointillés (Lancry-Hoestlandt, 2000)

Ce schéma ne fait pas apparaître le concept d’évolution temporelle.


Des variations périodiques physiologiques et psychologiques affectent
l’activité de l’élève, sa manière de faire face aux tâches à réaliser, son
efficience. Ces manifestations et variations ont des rythmes internes,
c’est-à-dire propres à chacun, mais des facteurs sociaux ou socio-
écologiques peuvent en contrarier l’expression et entraîner des pertur-
bations de l’activité. L’évolution temporelle recouvre deux aspects
différents :
- le plus évident fait référence à la dynamique des situations
de travail variant très fort d’un moment à l’autre, selon les
acteurs, les consignes, les conditions externes et internes ;
- l’autre aspect concerne le modèle souvent dominant de l’évo-
lution des activités et des performances de l’enfant dans le
temps. Le système éducatif a une capacité relativement faible
de traitement des écarts individuels à la norme standardisée.
Or ces écarts ne sont parfois au départ qu’une différence
dans les vitesses de progression, d’acquisition et d’évolution.
Certains enfants sont plus lents que d’autres. On est donc
148

tenté de traiter en dysfonctionnement individuel ce qui n’est


qu’évolution temporelle différente. Cette caractéristique
individuelle ne serait pas traduite en termes de dysfonction-
nement si le système éducatif se donnait les moyens de gérer
et traiter les différences (Lancry-Hoestlandt, 1989).

3. Spécificité des tâches et modèle en situation scolaire


Par analogie avec l’analyse d’un processus de travail, la figure 4
schématise les étapes de transformations de la tâche à partir de l’ob-
jectif que se fixe l’enseignant lors de sa conception et de la prescription
qu’il donne à l’élève à la tâche effective que celui-ci réalise. Ce schéma
est centré sur la réalisation d’une tâche prescrite et non sur un point
de vue didactique qui viserait l’explication d’une tâche, « l’établisse-
ment d’une progression à enseigner ou la façon d’enseigner » (Ombredane
& Faverge, 1955, p. 25). Cette analyse, située à un niveau clinique, a
pour but de comprendre quel modèle de sa propre tâche se forge tel
enseignant particulier pour décider d’une tâche à prescrire, et à quels
observables de l’activité des élèves il peut le rapporter pour juger de
l’éventuel écart au modèle consruit à un moment donné.

Le choix de la tâche prescrite (ou d’un ensemble de tâches) par l’en-


seignant dépend de son objectif didactique et pédagogique. Il suppose
a minima une double représentation de sa part :

- un modèle du fonctionnement de l’élève idéal rapporté à une


représentation du fonctionnement des élèves de sa classe :
niveau, hétérogénéité, niveau à atteindre, programme,
temps disponible etc., estimation de ce qu’ils sont suscep-
tibles de savoir, de savoir-faire, de comprendre, les « diffi-
cultés » qu’ils peuvent rencontrer dans la compréhension de
tel ou tel phénomène ou dans la résolution de tel problème.
Cela signifie que l’enseignant pense que l’élève est capable,
à partir de ses seules indications, de se faire une représenta-
tion correcte de l’objectif final poursuivi, des caractéristiques
précises des exigences attendues, des étapes procédurales
nécessaires et suffisantes, et une représentation de l’anticipa-
tion requise pour la réalisation de cette tâche dans le respect
des échéances.
149

- un modèle de réalisation de la tâche prescrite qui permet de


rendre compte de la structure des contenus enseignés, de la
manière dont on peut passer d’un état initial où la tâche est
à faire à l’état final où elle est accomplie, des étapes néces-
saires et suffisantes pour réaliser ou faire réaliser une tâche
en fonction des objectifs qu’il s’est assigné.

Rappelons les principales définitions des concepts auxquels nous


nous référons pour ces analyses.

La tâche peut être définie comme étant la réalisation d’un but à


atteindre dans des conditions déterminées. Il y a toujours une idée de
prescription, que celle-ci soit explicite ou implicite, formelle ou infor-
melle, exprimée ou sous-entendue (Leplat, 1986). Le but est l’état final
évalué par divers critères pouvant notamment définir la performance.
La difficulté vient de ce que d’une part les critères d’évaluation de la
réussite n’expliquent pas comment on y parvient, et que d’autre part
les buts peuvent s’accompagner de critères différents selon que l’on est
le prescripteur ou le réalisateur.

Les compétences définies par M. de Montmollin (1984), « sont – en


ce qui concerne l’intelligence de la tâche – des structures mentales où
s’articule tout ce avec quoi l’opérateur réalise une tâche (ici considérée
sous ses aspects cognitifs) : les connaissances sur le fonctionnement
et sur l’utilisation des « machines »..., les représentations, mais aussi
les savoir-faire, c’est-à-dire les types de raisonnements (agglomérés
parfois en routine), ainsi que les schémas stratégiques de planification
des activités. »

L’activité est l’ensemble des processus et des démarches mis en jeu


par l’individu pour réaliser cette tâche. « Elle est soumise à des contraintes
plus ou moins strictes selon les conditions de la tâche prises en compte par le
sujet » (Leplat, 1985). Karnas (1987) présente une synthèse très claire de
l’évolution historique de ces deux notions dans l’analyse du travail. Il
explique que l’acception actuelle de ces termes distingue la tâche pres-
crite (tâche conçue par celui qui en commande l’exécution) de la tâche
effective (correspondant à ce que fait effectivement le sujet). Ceci évite
une erreur d’analyse qui assimile le « comment » au « quoi », l’activité à
la tâche, l’effectif au prescrit. Plusieurs types de variations peuvent être
150

introduits par l’élève entre la tâche réelle et la tâche effective (Poyet,


1990 ; Leplat, 1997). Notamment, la tâche redéfinie est « le modèle de la
tâche pour l’opérateur qui s’approprie et se redéfinit les prescriptions en fonc-
tion de ses représentations, stratégies, adhésion aux critères et consignes »
(Poyet, 1990, p. 212). Les buts peuvent s’accompagner de critères diffé-
rents selon que l’on est le prescripteur ou le réalisateur. La tâche actua-
lisée « tient compte de l’instanciation de la particularisation du modèle en
fonction des aléas et contraintes de la situation » (op. cit, p. 234). Nous en
avons esquissé précédemment quelques-uns liés aux environnements,
à la structure et au fonctionnement de la situation de travail. Nous
allons y revenir à propos de la fiabilité du système. La tâche réalisée est
marquée par les différentes étapes d’exécution de la tâche réelle.

Nos analyses des situations de travail scolaire dans divers établis-


sements (écoles primaires, différents collèges en externat et internat)
nous ont montré la nécessité d’introduire des distinctions dans l’appré-
hension de la tâche. Il faut distinguer puis confronter la tâche prescrite
explicite et la tâche prescrite implicite, quelle que soit la tâche : apprentis-
sage , évaluation, organisation du travail ou de la vie de groupe, usages
sociaux, etc.

La tâche prescrite explicite renvoie à une explication formelle, claire et


compréhensible de toutes les procédures, consignes et étapes permet-
tant la réalisation de la tâche.

La tâche prescrite implicite ne fait référence qu’à l’exigence finale, en


masquant le déroulement des étapes supposé connu. Il est aussi inté-
ressant de rappeler qu’en situation scolaire l’enseignant a très fréquem-
ment tendance à ne valoriser dans les instructions et consignes de
travail que le résultat attendu pour la tâche principale (ex : rendre un
devoir), sans penser que le simple fait d’accéder à cette tâche principale
(sans même parler de la résoudre), sous-entend la compréhension puis
la réalisation de plusieurs tâches secondaires (secondaires car ce n’est
pas sur elles que se portera l’évaluation).

La tâche principale peut être considérée dans le domaine scolaire


comme étant la tâche prescrite par l’enseignant et dont il attend la réali-
sation par l’élève : c’est la tâche qui sera évaluée ou validée, qui sert
d’indicateur de la « performance ».
151

La tâche secondaire est un pré-requis ou un préalable à la compré-


hension et réalisation de la tâche principale. Ce n’est pas sur elle que
porte l’évaluation ou la validation du travail de l’élève. Elle est souvent
considérée comme implicite, allant de soi et donc méconnue.

Des tâches principales de même type peuvent, selon les professeurs


s’accompagner de tâches secondaires différentes.

Par exemple : la tâche de prendre en note les éléments importants


peut signifier :

- ne noter que ce qui est répété, ce qui implique de savoir


reconnaître la redondance d’un message oral, même exprimé
avec des expressions synonymes, ou

- ne noter que ce qui est inscrit au tableau, ce qui implique de


savoir repérer spatialement le dernier message inscrit, ou

- ne noter que ce qui est nouveau par rapport au livre, ce qui


implique de savoir repérer des éléments semblables ou diffé-
rents sémantiquement, exprimés avec des supports senso-
riels différents (oral et écrit).

Une même tâche secondaire peut servir deux tâches principales


avec des significations opposées.

Par exemple : souligner d’une certaine couleur et uniquement


de cette couleur peut servir deux tâches principales, selon les
professeurs (dans l’une la couleur aura, en termes de compré-
hension ou de signal d’action, une signification différente voire
opposée à celle qu’elle prendra dans l’autre).

L’élève doit en outre ne pas oublier les actions en cours s’il est inter-
rompu, tout en suivant le déroulement du travail affiché par l’ensei-
gnant. Ceci sous-entend un modèle de l’élève de la part de l’enseignant.
Un modèle est construit à partir, entre autres, des représentations. Il
intègre plusieurs catégories de représentations. Une représentation
à elle seule ne permet pas d’expliquer la planification d’actions. Le
152

modèle de la tâche permet de rendre compte comment on va passer


d’un état initial où la tâche est à faire à l’état final où elle est accomplie.

La notion de modèle s’applique à la manière dont l’enseignant ou


l’élève va prévoir les étapes nécessaires et suffisantes pour réaliser ou
faire réaliser une tâche en fonction des objectifs qu’il s’est assignés ou
qu’il a compris. Les étapes signifient un déroulement chronologique
plus ou moins rigide, d’une part selon la tâche en cours et les acteurs
en présence, et d’autre part selon la durée totale impartie pour la réali-
sation de cette tâche. Les contenus des étapes peuvent se traduire en
raisonnements et actions. La recherche du modèle va consister à savoir
si le sujet a prévu pour la réalisation de son travail les étapes néces-
saires et suffisantes et comment il explique l’adéquation entre l’objectif
qu’il se représente et la planification de son action. On ne cherche donc
pas d’emblée dans cette optique le modèle de fonctionnement du sujet-
enseignant en situation réelle (trop de variabilités sont en jeu), mais on
cherche à comprendre quels modèles de sa propre tâche cet enseignant
se forge et à quelles observations d’activités on peut les rapporter.

Un schéma peut résumer cette description (page suivante).

On voit par là que cette manière de saisir et de décrire le travail


scolaire donné comme tâche à réaliser par l’élève est conforme à l’ob-
jectif du professeur qui a le souci de faire faire des réalisations en
conformité avec le programme général établi. L’élève réussissant le
mieux dans ce cas de figure est celui qui parvient à se représenter puis
à se glisser dans ce modèle, prévu pour lui, mais prévu sans lui. Cette
dernière affirmation peut paraître sévère, lorsque l’on connaît l’impor-
tance accordée par les pédagogues, les éducateurs et les enseignants
aux méthodes d’enseignement.

Il faut donc analyser les situations de travail scolaire de façon à


permettre aux acteurs principaux (notamment les enseignants) de
comprendre, détecter et agir sur les facteurs précoces de dégradation
de la situation de travail. La recherche d’indicateurs de la fiabilité est
donc nécessaire.
153

Figure 4 : relations entre l’objectif de l’enseignant et tâche effective de l’élève


(A. Lancry-Hoestlandt, 1996)

4. La fiabilité dans l’analyse du travail en situation scolaire


Dès 1955, Faverge notait, sans employer le terme de fiabilité, que
« L’adaptation du comportement de travail aux exigences de la tâche peut être
plus ou moins bonne. Cela dépend de deux ordres de facteurs : d’une part
de la nature et du degré des exigences de la tâche ou en termes plus simples,
154

des difficultés offertes par la tâche et, d’autre part, des dispositions comporte-
mentales dans lesquelles se trouve l’homme chaque fois qu’il aborde la tâche,
donc d’une part, un facteur structural lié à l’objet et d’autre part un facteur
dispositionnel lié à l’homme. » Cette réflexion issue d’analyses du travail
en milieux industriels s’applique tout autant au milieu scolaire. Les
exigences de la tâche sont plus ou moins comprises ou accessibles
pour l’élève et ses conditions d’exercice plus ou moins facilitantes.
De même, pour l’élève, les dispositions à l’action ou plus exactement
à cette action attendue d’apprentissage sont sujettes à de nombreuses
variations inter et intra individuelles. En continuant et rapprochant ces
analyses des études sur la fiabilité technique de sytèmes de production,
Faverge (1970) a exposé, dans un article qui a fait date, son approche
de la fiabilité humaine dans les sytèmes de production, allant jusqu’à
expliquer le rôle de l’homme en tant qu’agent de fiabilité ou d’infia-
bilité du processus industriel. Nous avons repris cette approche pour
l’appliquer en milieu scolaire et apporter un éclairage nouveau dans la
compréhension de certains écueils et dysfonctionnements du système
scolaire.

Il y a deux approches complémentaires pour l’étude de la fiabilité


humaine. La fiabilité humaine est la science de l’étude des facteurs
d’infiabilité et de fiabilité des systèmes de travail homme x tâches.
L’homme est à la fois, pour lui-même et pour le système, agent d’infia-
bilité et ou de fiabilité (lorsqu’il compense ou récupère les défaillances
des systèmes instables) (Faverge, 1970).

- La fiabilité humaine comme propriété, qualité de l’homme :


«  C’est la capacité de l’homme à accomplir une fonction requise
dans des conditions données pour une période donnée » (Leplat,
1985). En milieu scolaire ce peut-être par exemple la capa-
cité de l’élève à prendre en note les devoirs à effectuer à la
maison dans des conditions de visibilité et d’écoute plus ou
moins dégradées.

- La fiabilité humaine en tant que discipline  :  « Etude des


facteurs (des modalités de mise en œuvre et d’élaboration des
compétences) propres à l’amélioration de la qualité du couplage
hommes x tâches » (Leplat & De Terssac, 1990). En milieu
scolaire il s’agira de répérer les facteurs ou la combinaison de
155

facteurs favorisant, empêchant ou compliquant la réalisation


de la tâche prescrite ou des tâches secondaires. Ce sont ces
derniers aspects qui sont présentés ci-après.

4.1 Quels indicateurs pour la fiabilité ?

Les éléments du modèle sont repris et illustrés par des exemples


de dysfonctionnements et de sources de dysfonctionnements. On parle
d’indicateurs de la fiabilité lorsque l’acteur (ex. : l’élève, l’enseignant ou
tout autre travailleur) peut par son action propre accentuer ou provo-
quer une situation infiable ou à l’inverse apporter des éléments correc-
teurs qui optimisent la situation et inhibent les effets négatifs générant
les erreurs et dysfonctionnements, c’est-à-dire lorsqu’il devient agent
de fiabilité pour lui-même ou pour la structure.

La figure 4 détaille un aspect du modèle et présente un aspect de la


situation d’interaction enseignant/élève.

L’élève dont la prestation se trouve être non conforme à la tâche


prescrite ou attendue par l’enseignant peut à terme se sentir ou être mis
en difficulté. Le décalage entre les objectifs de l’enseignant et la tâche
effective de l’élève est un révélateur de dysfonctionnements possibles
et potentiels à chacune des étapes indiquées.

4.2 Où et comment repérer les indicateurs de la fiabilité.

Si on reprend l’idée de Faverge d’une analyse de l’activité en termes


de « langage des communications », un certain nombre d’indicateurs
de la fiabilité se rapportent à la chaîne de prise de l’information, de
son traitement et de son utilisation, donc aux interactions entre carac-
téristiques de la situation et modalités de régulations par les différents
acteurs du système scolaire. Un premier indicateur de la fiabilité relève
des conditions physiques et matérielles, en lien avec la qualité de récep-
tion et de traitement de l’information nécessaire pour accéder à la tâche
prescrite.
156

4.2.1 Conditions physiques et matérielles

Les ambiances physiques défavorables ou dégradées peuvent avoir


des incidences sur la fiabilité à deux niveaux :

1) dégradation ou suppression de la perception des signaux, ce


qui rend le traitement et le tri des informations pertinentes
difficiles ou impossibles. (mauvaises conditions d’écoute ou
mauvaise audition, mauvaise visibilité ou vision…). Tous
les élèves de tous niveaux et spécialités peuvent être touchés
par ces phénomènes. Le problème est que l’évidence d’un
mauvais traitement de l’information pertinente n’est pas
forcément immédiat. Les causes réelles d’une non-réussite à
une épreuve peuvent être temporellement éloignées de celle-
ci ;

2) atteintes à la santé ou à l’intégrité physique (notamment


certains ateliers de lycées professionnels et techniques) qui
altèrent les capacités sensorielles et professionnelles de l’élève
sorti de l’école ou du professeur qui y exerce (ex. : surdité
acquise à cause du bruit dans les ateliers). Exemple : un bruit
intermittent excessif peut empêcher l’écoute des consignes de
travail données oralement par le professeur : la tâche effec-
tive ne pourra pas être réalisée correctement, conformément
aux attentes du professeur. Il est donc souhaitable dans ce
cas, d’une part, de réduire le bruit à sa source dans la mesure
du possible et d’autre part de favoriser la redondance dans la
transmission des consignes par la répétition et l’association
de plusieurs domaines sensoriels pour une même significa-
tion (conditions de travail dégradées  mauvaise prise de notes de
consignes de travail  devoir non rendu au bon moment ou non
conforme aux consignes explicites ou implicites de l’enseignant 
mauvaise évaluation  risque élevé d’attribution causale erronée
de cette situation).

L’indicateur de la fiabilité est donc le lien entre les conditions physiques


et matérielles d’exercice de la tâche avec la qualité du traitement de
l’information nécessaire pour accéder à la tâche prescrite.
157

4.2.2. Les conditions institutionnelles

L’aménagement du temps : pour l’élève, les synchroniseurs sociaux


et organisationnels structurant l’aménagement du temps de travail
entrent en conflit avec ses propres variations chronobiologiques et
chronopsychologiques, lesquelles affectent sa disponibilité à l’action et
à certains types de tâches. En effet, l’efficience n’est pas la même en
fonction des moments de la journée selon que l’on a à réaliser des tâches
contrôlées (complexes, nouvelles, demandant un traitement simultané
de plusieurs informations à la fois) ou à réaliser des tâches automatisées
(simples, routinières, aux procédures quasi automatiques).

L’indicateur de fiabilité peut donc être l’adéquation ou l’inadéquation


entre : synchroniseurs externes/ rythmes personnels/ type de tâche/ âge
de l’opérateur.

Les indices peuvent être relatifs aux comportements ou à l’efficience


au travail.

Exemple : des séquences de travail prolongé dans la même posture


assise peuvent entraîner des comportements de somnolence ou d’agi-
tation, une mobilisation musculaire progressive de bas en haut, signe
d’un besoin de récupération musculaire statique. La non-satisfaction
de cette exigence s’accompagne le plus généralement d’une perte de
l’attention et de la centration sur la tâche prescrite.

4.2.3 Les conditions relationnelles : interactions entre les différents


acteurs de la classe et résultat de la tâche.

La situation collective d’une part, l’évolution psychosociale et iden-


titaire des élèves d’autre part, font que les interactions entre élèves –
(liées ou non à la tâche) – revêtent une importance essentielle dans
leurs constructions et progressions personnelle (cognitive, sociale).
Ces interactions et échanges peuvent se dérouler notamment pendant
le temps réservé aux séquences de cours. Elles sont constitutives de
la progression des élèves. Ignorer ce fait revient à placer les élèves et
le professeur dans une situation de dysfonctionnement induit par le
respect d’un modèle erroné des interactions entre le professeur et les
élèves.
158

Dans un modèle où les autres interactions ne sont théoriquement


pas prévues, l’enseignant manque alors de repères et d’indicateurs lui
permettant d’apprécier d’après leurs comportements le degré de satu-
ration des élèves. Il n’introduit pas la nécessaire détente posturale et les
indispensables moments d’échanges entre leurs élèves et eux-mêmes.
L’indicateur de fiabilité est donc la confrontation entre le modèle de la
tâche de l’enseignant et sa réalisation effective par les élèves.

4. Les étapes de réalisation de la tâche en relation


avec la prescription (explicite et implicite)
Lorsque l’on introduit les notions de tâche explicite et implicite,
tâche principale et secondaire, modèle, pour l’analyse de l’activité, on
dispose de trois indicateurs de fiabilité.

1) Le lien entre le type et la nature de l’implicite, les caractéris-


tiques de l’opérateur et les facteurs psychologiques et psycho-
sociologiques intervenant dans le processus de travail.

Exemple : on suppose implicitement que l’élève de 6e


comprend les consignes temporelles d’une tâche à rendre
ultérieurement et qu’il sait à quel matériel on fait réfé-
rence pour cette même tâche. Cet implicite est source de
non-compréhension et de non-réalisation de la tâche, donc
facteur d’infiabilité.

2) Le décalage entre les exigences attendues, le prescrit expli-


cite et implicite et la tâche effective.

Exemple : l’enseignant attend une réalisation en fonction


d’exigences académiques (en termes de réussite ou d’échec)
sans avoir identifié réellement les étapes, acquis, prépara-
tions, vérifications, compréhensions, habiletés manuelles et
cognitives différentes pour réaliser et effectuer la tâche.

3) La qualité des représentations de l’action à entreprendre et


de représentation de soi dans l’action, de soi dans la finalité
de l’action. Son absence empêche tout aussi bien l’élève de
cours préparatoire de comprendre les opérations possibles
159

sur les chiffres que le lycéen de terminale de vivre au quoti-


dien les exigences de la préparation d’un diplôme en igno-
rant, ou en hésitant sur son orientation de l’année suivante.
Ceci requiert des capacités d’anticipation fondées sur une
bonne construction des perspectives temporelles.

Conclusion
Cette présentation, évidemment non exhaustive, souligne que
chacun des aspects évoqués peut agir sur la fiabilité de la situation
scolaire. Mais l’acteur (enseignant ou élève) de la situation n’est à cet
égard pas neutre, et il peut lui-même compenser, par sa conduite, un
indicateur négatif (selon son âge et ses facilités). Un enfant mal assis,
trop longtemps, dans un milieu trop bruyant et mal éclairé, peut mani-
fester une implication à une tâche même très complexe (construction
d’une maquette par exemple) qui le rend capable de supporter les
conditions défavorables beaucoup plus longtemps que pour une tâche
pour laquelle son rôle et le sens final de la tâche ne sont pas compris.
Ces possibilités de régulations individuelles ne doivent cependant pas
faire oublier l’importance des actions et optimisations dépendant des
régulations systémiques.

Ces études ont certes toutes un caractère monographique inévi-


table. Toutefois leur intérêt réside aussi dans le fait qu’une généralisa-
tion notamment en termes de fiabilité et de prévention est possible. En
cela nous rejoignons ce que disait Faverge (1970) : « Les études sont bien
locales, effectuées dans un contexte technologique particulier, monographiques
en apparence, mais les résultats recherchés sont décantés et indépendants de
ce contexte particulier. Il y a généralisation permise parce que ces résultats
concernent les modes de relation entre l’homme et l’environnement et parce
qu’ils prennent en considération les schèmes d’activité généraux de l’homme,
indépendants des particularités techniques. »

Pour V. De Keyser (1982), « c’est la dynamique des relations que le


travailleur entretient avec son milieu de travail qui l’intéresse et leurs pertur-
bations éventuelles. Respect de l’individu, absence de toute manipulation,
laisser remonter l’informel : le psychologue n’est qu’un catalyseur. » « Nous
ne trouvons rien » disait Faverge. « Nous n’avons jamais rien trouvé. Nous
nous contentons de faire apparaître ce qui était dans l’ombre. » 
160

Mais cette manière de faire apparaître ce qui était dans l’ombre,


basée sur des analyses monographiques précises, détaillées et pensées a
eu la très grande qualité de permettre au lecteur de nourrir sa réflexion
et de trouver une généralisation ou à tout le moins une extension trans-
posable à d’autres contextes de travail très différents du milieu indus-
triel.
Propositions de signaux, propositions de gestes :
quels développements actuels ?

Xavier Cuny

Le contexte d’emploi des deux expressions – propositions de


signaux et propositions de gestes – dans le livre L’Analyse du travail 
concerne le point de vue des deux auteurs, Ombredane et Faverge, sur
l’apprentissage d’un travail considéré principalement comme un déve-
loppement dynamique de l’interaction entre information et action.
Cette interaction qui obéit à un principe d’élaboration économique, se
traduit par une tendance à grouper les signaux élémentaires en « propo-
sitions de signaux » et les gestes, d’abord fragmentaires, en « propositions
de gestes ». Ces deux expressions sont une illustration d’un usage récur-
rent, chez les deux auteurs, de termes et de tournures avec des signifi-
cations figurées. Cependant celles citées sont reprises dans le texte en
termes sans doute plus prosaïques, ainsi : « Les signaux sont appréhendés
par unités de signification de plus en plus larges et les actions sont lancées par
séquences gestuelles structurées » (p. 169). Ailleurs, en différentes parties
de l’ouvrage et dès l’introduction, apparaissent avec une notable
fréquence, des expressions à considérer comme spécifiques, telles que :
« séquences opérationnelles » ou  « chaînes opérationnelles ». Toutefois le
terme « proposition » y sera utilisé à plusieurs reprises et bien sûr aussi
ceux de « signaux » et de « gestes ».

1. Analyse de quelques termes utilisés dans L’Analyse du


travail
Dans les sciences du langage, une proposition est un assemblage
de mots qui y assurent différentes fonctions. En va-t-il de même avec
162

le groupement de signaux et de gestes ? Voyons d’un peu plus près les


significations données à ces trois termes dans l’ouvrage.

Si on considère le terme « signal/signaux », il y prend trois grandes


acceptions :

- la première est celle choisie par Ombredane dans l’introduc-


tion. Elle appartient au domaine des « signalétiques » (de la
SNCF et du Métro : les signaux destinés aux conducteurs) ;

- la deuxième est empruntée au vocabulaire de la théorie


de l’information qui renvoie à une définition du signal en
physique, plus générale ;

- la troisième correspond à l’acception courante du mot


« indice ».

Dans l’ouvrage, signal et indice sont interchangeables. A l’époque


on parlait peu de sémiologie ou de sémiotique. Aujourd’hui il faut tenir
compte de la terminologie examinée dans les travaux de spécialistes
tels que Buyssens (1967), Prieto (1966 ; 1975), Eco (1988) et plus récem-
ment de Klinckenberg (2000), Boutaud (1998), etc. Il existe aujourd’hui
un consensus entre sémioticiens sur l’importance de distinguer entre
signaux « naturels », appelés aussi indices, d’une part, et signaux
« construits » formellement (les codes, conçus par un organisme pres-
cripteur) ou informellement (au cours d’une pratique d’usagers, « la
langue des signes » par les sourds), d’autre part. Une certaine poly-
sémie était cependant reconnue par les auteurs. Deux adjectifs la corri-
geaient partiellement. Comme le précisent Ombredane et Faverge, il y
a lieu de distinguer les signaux primaires qui sont des indices naturels,
pris directement sur la tâche, et les signaux secondaires, émis par des
dispositifs spécifiques d’indicateurs.

Si on prend le terme « proposition » : en linguistique classique ce mot


correspond à ce qui est considéré comme un « énoncé minimal ». Celui-
ci combine un certain nombre d’éléments ayant une fonction gramma-
ticale (sujet, verbe, compléments divers) et qui portent des marques
morphologiques (singulier, pluriel, présent, futur, etc.) Quand les
auteurs évoquent « l’agencement propositionnel de l’information au cours
163

d’un travail » (p. 169) il semble bien que leur propos soit de l’ordre de
l’image visant à décrire un phénomène de succession de signaux dont
l’arrangement dépend étroitement de la structure de la tâche exécutée.

Le terme « geste(s) », dans l’expression qui figure dans le titre de


l’exposé, est opposé dans l’ouvrage à « signal » dans l’idée, semble-t-il,
que le domaine de l’action est à bien distinguer de celui de l’informa-
tion. Ce point de vue révèle deux problèmes signalés par les auteurs :
- se trouve exclue la situation où le geste est lui-même un
signal ;
- avec l’apprentissage, ainsi que le mentionnent les auteurs,
certains signaux extéroceptifs sont abandonnés et la conti-
nuité et la régulation de l’action sont assurées par des signaux
proprioceptifs.

En outre, l’observation de l’activité de personnes expérimentées


tend à révéler :
- que les signaux extéroceptifs initialement différenciés ne
sont pas nécessairement regroupés ou transférés mais qu’un
certain nombre sont bien délaissés et que ne sont utilisés que
ceux jugés cruciaux pour la réussite de la tâche ;
- que les gestes participant à une activité physique (saisir,
tirer, pousser, poser, soulever, etc.) interviennent souvent
à titre de signaux au regard de collègues ou de chefs. A ce
propos on remarquera que l’ouvrage ne traite que peu ou
prou du travail en équipe.

2. Evolution des concepts utilisés par Ombredane et Faverge


Parmi les pistes ouvertes par les travaux d’Ombredane et Faverge
et les incidences de ces travaux sur ceux qui ont suivi ou qui se pour-
suivent, nous parlerons de l’une d’elles jugée importante, le dévelop-
pement de l’analyse ergonomique du travail (l’AET pour reprendre le
sigle adopté par Alain Wisner [1996]), qui vise à mettre du lien entre
les déterminants propres à la situation de travail, l’activité de celui qui
travaille et les effets de cette activité sur la production. Wisner décrit
ainsi la méthodologie de l’AET, qui « comprend en principe l’analyse de la
164

demande, l’examen des conditions techniques, économiques et sociales, l’analyse


des activités, élément central de l’étude, le diagnostic, les recommandations,
une simulation du travail sur dispositif modifié, une évaluation du travail
dans la nouvelle situation » (Wisner, 1994/1995, p. 143)

La vision nouvelle sur le travail, introduite par l’œuvre d’Ombredane


et Faverge, a mis entre autres en évidence la question de la dualité entre
modes opératoires formels et modes opératoires informels illustrée
notamment par le constat de l’altération des therbligs : « la décomposition
de la tâche en therbligs n’est valable, est-il écrit, que lorsque le travail est
effectué lentement, anormalement lentement..., comme cela peut se faire au
début d’un apprentissage... » (p. 105) Les auteurs soulignaient ainsi que
le mode informel, défini a priori en termes d’écart à une instruction
ou à une norme, ne peut être dissocié des processus d’apprentissage,
au double sens d’initiation et de progression opérationnelle. L’exercice
d’une fonction par un opérateur humain engendre généralement une
évolution comportementale durable au cours d’une carrière : après
l’apprentissage se gagne l’expérience, puis parfois aussi malheureuse-
ment, l’enroutinement au sens que lui donne Emile Zola dans La Terre
(1887/1974, p. 452-453) dans la bouche du maître d’école Lequeu compa-
rant l’activité des paysans beaucerons à celle des paysans américains :
« Et vous espérez lutter avec vos outils de quatre sous […] vous qui ne savez
rien, qui ne voulez rien, qui croupissez dans votre routine ! ».

L’analyse ergonomique du travail ne pouvait ignorer de tels phéno-


mènes. Ombredane a écrit : « l’analyseur du travail est appelé à définir
l’ensemble des indices qui peuvent, à chaque moment de travail, informer
le plus utilement le travailleur sur les exigences de sa tâche et réduire au
maximum son incertitude » (p. 15). Oui, mais l’étude du travail sur le
terrain a montré, tant pour le travail manuel individuel que pour le
travail de contrôle de processus ou de qualité, que les indices utiles,
voire nécessaires, n’ont rien d’absolu mais varient parfois beaucoup
d’un opérateur à l’autre, en particulier en fonction de l’expérience et
de quelques inclinations personnelles, comme par exemple celles d’un
contrôleur de laminage de barres d’acier : celui-ci était auditivement,
plus que visuellement, attentif à la mélodie produite au moment du
passage simultané de plusieurs barres entre les rouleaux d’une cage,
pour déceler « la fausse note » annonciatrice d’un incident. Autrement
dit, avec son expérience dans cette tâche, ayant vu et entendu, au cours
165

de nombreux « postes », le passage correct ou incorrect de ces ensembles


de barres d’acier, ce contrôleur avait acquis une faculté particulière. Il
prévoyait précocement et seulement à l’audition du bruit produit, le
passage sans ou avec incident du jeu de barres.

Certaines parties de l’ouvrage d’Ombredane et Faverge peuvent


être comprises a posteriori comme un appel à l’AET ; ainsi, par
exemple, leurs observations à propos de l’exigence de rapidité d’exécu-
tion (p. 190) : les signaux utilisés deviennent de plus en plus sommaires
et précoces, la prise d’information s’effectue par unités plus larges, la
prise d’information et l’exécution tendent à se chevaucher, les informa-
tions proprioceptives prennent le pas sur les signaux extéroceptifs avec
une tendance à l’automatisation dangereuse du comportement.  N’est-
ce pas déjà préconiser une perspective ergonomique qu’Alain Wisner,
des années plus tard présentait comme « une vision du travail qui n’est
pas ce que l’on croit et qui s’oppose à l’application de normes relatives au
travail prescrit, comme solutions convenables pour le travail effectif ».

Lors d’étude du travail en équipe, des phénomènes analogues à


ceux que l’ouvrage rapporte à propos de l’activité individuelle ont pu
être retrouvés. Ils ont présenté l’intérêt de permettre d’observer sur les
comportements mêmes les évolutions informationnelles et opération-
nelles en lien avec l’augmentation de l’expérience : ainsi les échanges
de signaux gestuels ou sonores diminuent jusqu’à disparaître, passant
par une phase de dégradation de l’expression de ces signaux. Lorsque
la tâche de l’équipe est répétitive, les protagonistes ne s’informent plus
que par indices pris sur le comportement des collègues et sur les chan-
gements de la situation environnante. L’augmentation du risque d’acci-
dents et d’accrochages, identifiée par Ombredane et Faverge avec l’au-
tomatisation de l’activité, est sensible dans le cas d’un travail en équipe
routinier : des essais de modification de signaux consistant à ordonner
l’opération inverse de celle qui était habituellement commandée au
même stade d’exécution, n’ont eu aucun effet : c’est l’opération habi-
tuelle qui, en réponse, a été exécutée. Le sens tiré du signal a été restreint
à l’indication du moment d’opérer.
166

3. Pour conclure, la notion de situation en question


L’importance accordée à la référence à la situation de travail ne
saurait être contestée actuellement en ergonomie. On lit dans l’ou-
vrage par exemple page 145 : « Prendre l’information utile dans le travail
c’est percevoir la situation d’une manière fonctionnelle, sous l’angle d’une
conduite d’utilisation ». Aujourd’hui les ergonomes, qui dans l’ensemble
semblent apprécier l’expression « d’activité située » en ont valorisé la
prise en compte et, en outre en ont affiné le concept en distinguant les
notions connexes « d’environnement » et de « contexte » commentées
notamment par Jacques Leplat dans son ouvrage : Repères pour l’analyse
de l’activité en ergonomie (2008). C’est dans la situation réelle de travail et
non au laboratoire, que se découvrent et s’élaborent les signaux néces-
saires à l’activité d’une personne déterminée.

Certains sémioticiens, que ne pouvaient à l’époque connaître


Ombredane et Faverge, font à l’opposé de ceux-ci une franche distinc-
tion entre « signal » et « indice ». Ils définissent le premier comme la
forme, verbale ou non, sous laquelle est réalisé le signifiant (qui est
une classe) d’un signe, expressément conçu pour fournir de l’infor-
mation. Le signal comprend donc les dispositifs indicateurs cités dans
l’ouvrage mais aussi toute manifestation qui peut être reconnue par
quelqu’un comme un moyen de signifier quelque chose. Le second,
l’indice qui peut être qualifié de naturel (par exemple le bruit de la pluie
cité par Prieto) est : toute apparence, ayant une relation naturellement
établie et reconnue empiriquement avec ce qu’elle indique. L’expres-
sion « situation-signal », utilisée par Ombredane et Faverge (p. 193) à
propos de l’exigence d’opportunité d’une intervention, relèverait ainsi
davantage de l’indice qui peut être partiel ou global.

Aujourd’hui, en ergonomie de l’information et de la communica-


tion dans le travail, on ne peut plus se satisfaire de la polysémie, méta-
phorique ou non, des termes-clés choisis par Ombredane et Faverge.
Les considérations des sémioticiens, bien que ceux-ci se défendent de
tout psychologisme, ne peuvent être ignorées. Que le travail analysé
soit individuel ou collectif, il présente toujours une exigence de compé-
tence sémiotique acquise par un apprentissage formel ou informel. Le
surveillant d’une installation de chauffage de produits, nouvellement
affecté, dispose d’un écran pour voir l’intérieur d’un four où il ne peut
167

entrer. Au début il ne voit sur cet écran que des taches plus ou moins
lumineuses et colorées. Ce n’est qu’après beaucoup d’indications d’un
contremaître et d’un collègue qu’il structure peu à peu cet ensemble
de taches pour y discerner l’équipement intérieur du four et y situer et
reconnaître les produits qui s’y trouvent. On pourra parler de forma-
tion, mais en quoi consiste celle-ci ? Essentiellement, estimons-nous, en
ce que l’on peut nommer une sémiotisation progressive des tâches, pièces
du patchwork d’abord perçu sur l’écran. Dans ce cas on ne parlera plus
avec Ombredane et Faverge de signaux, mais plus proprement peut-
être de groupement d’indices dont l’ensemble des éléments constitue
un système sémiotique.
Gestes, action et analyse du travail

Gabriel Fernandez

La lecture de l’ouvrage de 1955 d’ Ombredane et Faverge, L’Analyse


du travail, suscite l’admiration du fait de la qualité des observations de
terrain, précises et minutieuses. Comme l’indique De Keyser (2006),
ce sont des mois passés à observer un poste de travail et à colliger des
résultats répondant à des critères statistiques précis. Les observations
rapportées dans l’ouvrage ne font pas qu’illustrer les principes théo-
riques de l’analyse du travail, elles sont surtout la source et l’étayage de
ces principes. Mais, l’admiration tient aussi en partie au constat d’une
certaine rupture avec la psychotechnique de l’aptitude, impasse dans
laquelle s’était alors engagée la psychologie du travail, ainsi que le fait
remarquer Yves Clot (1999).

Pourtant, cette admiration est teintée d’embarras lorsqu’on perçoit,


ici ou là, que ces résultats, aussi rigoureux soient-ils, ont une portée
normative pour le milieu de travail, mais définie de l’extérieur de
ce milieu, ce qui, a priori, en obère l’efficacité. En tant qu’analyste du
travail, on ne peut que souscrire aux recommandations qu’on trouve
dans le livre, notamment aux chapitres 8 et 9. Mais, à mon sens, il
convient de prolonger ces recommandations dans le même esprit que
celui des auteurs, afin d’en tirer le meilleur parti au bénéfice de l’action
des travailleurs sur leur travail.

Dans la suite de ce texte, je tente de développer ce point de vue


en confrontant ma lecture de l’ouvrage de Ombredane et Faverge à
une action de prévention des troubles musculosquelettiques (TMS)
170

conduite dans le cadre de mon activité médicale du travail dans une


blanchisserie industrielle. C’est une action de prévention centrée sur
le développement des gestes professionnels, prenant appui sur une
co-analyse du travail menée par l’équipe médicale et les professionnels
concernés par les TMS.

1. La situation de travail
Ces derniers sont donc des blanchisseurs. L’établissement indus-
triel est spécialisé dans le linge hospitalier : linge de lit, chemises des
malades, vêtements des soignants. Les opérateurs sont, pour la plupart,
des agents titulaires de la fonction publique hospitalière. La blanchis-
serie est composée de deux usines, dont l’une est sise dans l’emprise
d’un groupe hospitalier parisien. Le travail est le même dans les deux
usines. Ce sont quarante à cinquante tonnes de linge qui sont blanchies
et livrées chaque jour par approximativement quatre cents agents de
production, ligne hiérarchique d’atelier comprise.

Le processus de production est un enchaînement de quatre


séquences : le tri du linge sale provenant des hôpitaux ; le lavage du
linge sale ; le séchage du linge propre ; l’emballage et l’expédition
du linge. C’est le tri et le séchage qui occupent le plus grand nombre
d’opérateurs. Ce sont aussi les séquences les plus nocives pour les
organismes, singulièrement pour l’appareil musculosquelettique. Au
tri, les agents doivent distribuer le linge dans des alvéoles selon la caté-
gorie de linge : draps, alèses, couvertures, vêtements. Au séchage, d’un
côté on engage le linge plat dans des trains de séchage, de l’autre les
vêtements dans des tunnels de séchage. La cadence imposée y est en
moyenne de trois cents pièces à l’heure. Chaque cycle consiste à saisir
une pièce sur un tapis d’approvisionnement, à la contrôler visuellement
tout en la déployant afin de l’engager, soit dans les pinces du train de
séchage, soit sur les cintres du tunnel de séchage. Pour tenir la cadence,
chaque cycle de travail ne doit pas excéder douze secondes. En réalité,
sur la chaîne d’engagement des vêtements de travail, la moyenne pour
chaque cycle est d’environ neuf secondes. Le temps restant est consacré
à réorganiser périodiquement le tapis d’approvisionnement ou à déblo-
quer le système de convoyage des cintres.
171

Rien de surprenant par conséquent d’apprendre que les maladies


professionnelles (MP) reconnues sont nombreuses dans cet établisse-
ment. Les chiffres sont éloquents. Sur les quatre cents agents de produc-
tion, soixante-quinze d’entre eux sont porteurs d’un ou de plusieurs
TMS reconnus (tableau 1) pour un total de 111. Il s’agit de TMS des
épaules, des canaux carpiens, du coude et de la main (tableau 2).

Nombre Nombre de MP Pourcentage de


d'agents MP
Ayant 1 TMS 54 54 49 %
reconnu
Ayant 2 TMS 12 24 22 %
reconnus
Ayant 3 TMS 3 9 8%
reconnus
Ayant 4 TMS 6 24 22 %
reconnus
Total 75 111 100 %
Tableau 1

Épaule Canal carpien Coude Main Total


Nombre 53 29 15 14 111
de MP
Pourcentage 48 % 26 % 13 % 13 % 100 %

Tableau 2

Depuis quinze ans, il y a en moyenne chaque année sept nouveaux


TMS reconnus pour l’établissement. L’âge moyen de survenue d’une
MP reconnue est de quarante-deux ans et l’ancienneté moyenne au
poste est de dix-huit ans. Plus inquiétant, ces deux dernières valeurs
ont tendance à diminuer. Autrement dit, les MP atteignent les agents
plus rapidement et concernent donc des agents plus jeunes auxquels il
reste encore une longue carrière à faire.

La direction de l’établissement est donc confrontée à un problème


majeur : celui d’organiser la production avec presque 20 % de l’effectif
en restriction d’aptitude. Elle doit donc faire face à un gros effort de
172

formation et de reclassement en même temps que la prévention devient


vitale pour éviter les nouveaux cas qui s’annoncent.

2. L’action de prévention
C’est dans ce contexte que le service de santé au travail (un médecin
du travail et deux infirmières du travail) a été sollicité. Le CHSCT
souhaitait savoir sur quels paramètres des conditions de travail faire
porter prioritairement l’effort avec une très forte contrainte : maintenir
le niveau de production à effectif constant.

Nous avons choisi de mettre en œuvre dans le cadre de notre acti-


vité en santé au travail la méthodologie d’analyse du travail en clinique
de l’activité. Pour ce faire, nous avons procédé à des observations
longues et répétées des modes opératoires et des gestes sur chaîne,
ainsi qu’à une étude préalable avec trois agents volontaires. Cela
nous a convaincus que l’enregistrement vidéo de l’activité des agents,
synchronisé avec celui des paramètres cinématiques et électromyogra-
phiques, aux postes de travail, pourrait nous permettre de répondre
à la demande pour autant que nous trouvions le moyen d’associer les
opérateurs à l’analyse de leur activité. Cette préoccupation, commune
à bien d’autres démarches en clinique du travail, répond aussi à celle
que manifeste Faverge quand il indique que pour être complète, l’ana-
lyse du travail doit, dans l’un de ses moments, épouser le point de
vue de l’opérateur. Rapportant l’analyse de Houyoux sur le poste de
démouleur d’une raffinerie sucrière, il signale l’existence de critères
chez l’ouvrier lui-même, ajoutant qu’ « en général, les critères ainsi créés
par l’ouvrier ne sont pas des critères de rendement mais de qualité » (p. 199).

Notre souhaitions également évaluer la nocivité de certains gestes


afin de pouvoir en proposer de moins nocifs, et même d’étudier les
postures afin de comparer les solutions trouvées par les agents eux-
mêmes. Ce faisant, notre analyse suivrait les recommandations de
Faverge évoquées en fin d’ouvrage (p. 230).

Enfin, les enregistrements vidéo de l’activité, couplés à ceux des


paramètres physiologiques, nous permettraient de conserver des docu-
ments objectifs. C’est là aussi une recommandation que l’on trouve dans
l’ouvrage (p. 213). Mais, contrairement à la proposition de Faverge sur
173

ce point, loin de considérer ces documents comme indiscutables, c’est


précisément pour solliciter et organiser leur discussion entre les profes-
sionnels et avec nous, ou contre nous, que nous souhaitions recueillir
avec le plus grand soin ces traces de l’activité. L’une des difficultés a
consisté pour nous à trouver une forme d’objectivation des résultats les
rendant discutables aux blanchisseurs. Nous reviendrons sur ce point
plus bas, après avoir brièvement exposé le modèle de développement
des gestes que nous avons mobilisé pour construire cette action de
prévention.

3. Le modèle de développement des gestes


Cette action repose entièrement sur une conception singulière du
développement des gestes professionnels, développée par l’équipe de
clinique de l’activité. Elle se propose de distinguer trois plans psycho-
physiologiques dans le geste, qui pour être distincts n’en sont pas moins
toujours unis dans la réalité. La distinction est utile dans la mesure
où les rapports fonctionnels réciproques entre le psychologique et le
physiologique sont différents sur chacun des plans. C’est en exploi-
tant ces différences que le cadre dialogique en clinique de l’activité, en
faisant passer le geste d’un plan à l’autre, permet son développement.

Nous avons appelé ces plans celui du mouvement, celui des auto-
matismes et celui du geste, par analogie avec le modèle de l’activité de
Leontiev (1984) qui distingue respectivement l’activité, les opérations
et l’action. Le choix lexical adopté pour désigner ces plans distincts
n’est pas exempt de défauts. Les mots « geste » et « mouvement » sont
en effet très souvent utilisés comme des synonymes en physiologie,
biomécanique, neurologie, psychoneurologie ou psychomotricité. En
psychologie, Meyerson (2000) distingue le geste du mouvement, mais
dans une acception toute différente de la nôtre. Par ailleurs, le mot
« automatisme » est sémantiquement proche de « réflexe », « routine »
ou « machinal ». Pour notre part, nous utilisons ce mot pour désigner
le résultat du processus d’automatisation du geste que décrit Berns-
tein (1996), résultat dont les propriétés sont éloignées de la répétition à
l’identique. Nous avons donc à préciser le contenu de ces notions.
174

3.1. Le plan du mouvement

Pour Wallon (1982), les contractions, principalement isométriques,


des muscles squelettiques anti-gravitaires réalisent la posture. Celle-ci
est le support du geste, lui fournissant une base pour la précision, la
puissance et la dextérité. Cependant, loin de simplement accompagner
ou supporter le geste, la posture peut s’y opposer, et même, lorsque le
geste est suspendu, s’y substituer.

En outre, les contractions musculaires posturales ne sont pas mono-


valentes. Destinées à assurer le maintien de la position verticale, elles
concernent massivement les muscles axiaux. A ce titre, elles intègrent
des contractions relevant de la catégorie des réactions préprogram-
mées, certaines anticipatoires, d’autres compensatrices, organisées en
synergies posturales bien décrites par Bernstein (1996). Ces contrac-
tions mettent ainsi en jeu bien d’autres muscles et articulations que
ceux concernés par la seule activité posturale.

Mais les contractions posturales sont aussi saisies par les compo-
santes neurovégétatives des réactions émotionnelles, se résolvant
par là en attitude signifiante en lien avec des sentiments faisant suite
aux émotions. Il y a là une véritable lutte entre tendances affectives et
contraintes gravitationnelles pour s’emparer du tonus musculaire.

Nous appelons «  mouvement  » cette synthèse conflictuelle des


contractions posturales avec celles des déplacements segmentaires,
gouvernée par les affects qu’elle reflète. Le mouvement est ainsi toujours
adressé à quelqu’un ou à quelque chose, voire aux deux simultané-
ment. Par conséquent, sur le plan du mouvement nous sommes au plus
près de ce qui est subjectif et social dans la motricité, c’est-à-dire au
plus près de l’influence du processus de subjectivation du social et de
l’externalisation du subjectif. C’est sur ce plan que la lutte entre les buts
de l’action et les mobiles de l’activité contextualise le geste. C’est égale-
ment sur ce plan qu’à l’instar des fonctions psychiques supérieures,
ce qui est nouveau dans le geste s’oppose à ce qui est déjà là, et de
ce conflit naît une forme supérieure caractérisée par une réorganisa-
tion du tout. Le conflit y est potentiellement productif, ce que nous
tentons de mettre à profit dans l’action de prévention que nous avons
construite.
175

3.2 Le plan des automatismes

Sans renoncer à la notion d’automatisme, Wallon semble préférer


celle de fonction générale d’automatisme, capable des variations les plus
diverses, de telle sorte que les contractions musculaires parviennent à
se modeler sur la profusion des actions possibles. A contre-courant de
la conception ordinaire, il reconnaît aux automatismes la fonctionnalité
consistant à rendre disponible l’activité musculaire en la dégageant des
entraves qui s’y opposent.

L’activité des groupes neuronaux formant les ganglions de la


base, situés dans le mésencéphale à l’étage sous-cortical, est le subs-
trat organique de cette fonction générale. Massivement connectés au
cortex moteur, soit directement soit après un relais dans le thalamus,
lequel reçoit également des afférences sensorielles, notamment kines-
thésiques, les ganglions de la base sont aussi reliés au système extra-
pyramidal avec relais dans le cervelet.

Pour Wallon, ces liens structuraux sont seconds au regard des rela-
tions fonctionnelles à l’origine de la fonction générale d’automatisme.
Ainsi, la formation d’un automatisme résulte de la substitution progres-
sive aux images les plus objectives d’autres plus personnelles car, avec
l’exercice et la répétition, le sujet entre dans « l’esprit du mouvement »,
pour reprendre la terminologie de l’auteur. Parlant de l’enfant, il note
qu’ainsi il « se fait cheval, locomotive ou singe, et c’est en se laissant posséder
tour à tour par les êtres sur lesquels il éprouve le besoin d’accommoder ses
attitudes qu’il complète son éducation motrice  », montrant ainsi les liens
intimes entre les dimensions psychique et physiologique.

On peut affirmer, si l’on suit Bernstein (1996), que cette fonction


générale que Wallon décrit chez l’enfant, est encore opérante chez
l’adulte. Comme physiologiste et biomécanicien, Bernstein élabore
un modèle de fonctionnement des automatismes. Rejetant l’idée de
programmes moteurs immuablement inscrits dans l’architecture céré-
brale, il décrit une structure fonctionnelle neuronale compatible avec la
plasticité synaptique, aujourd’hui bien documentée. Le modèle est bâti
autour d’un comparateur où les afférences sensitives et sensorielles
sont simulées puis comparées à celles qui, de la périphérie, abou-
tissent réellement au thalamus. Il y a donc anticipation des effets du
176

geste sur les organes de perception interne, et correction du décalage


entre la perception attendue et la perception réalisée. Il s’agit donc d’un
contrôle proactif.

Bernstein observe que l’accumulation d’expériences motrices, qu’il


qualifie de répétitions sans répétition, répond à une complexité crois-
sante des problèmes moteurs que la vie propose à chacun, aboutissant
au développement de classes de corrections sensitives qui sont autant
de façons de regrouper entre elles les diverses sensations motrices. Les
modalités perceptives à l’origine desdites corrections sont elles-mêmes
réorganisées en retour. Selon ce modèle, tout progrès de l’automatisa-
tion accroît les possibilités de contrôle du geste, la gamme des mouve-
ments qu’il rend alors possible s’en trouvant à son tour réorganisée.

Critiquant «  l’organisation scientifique du travail  », Bernstein lui


reproche de s’attacher trop exclusivement à l’efficience des gestes sans
tenir compte des contraintes de leur construction. Il observe qu’il est
toujours possible de décrire la succession des contractions musculaires
configurant un geste, mais que le langage est impropre à communi-
quer la structure dynamique des afférences sensitives, de leur compa-
raison puis de leurs transformées que sont les corrections motrices.
Ainsi défini, l’automatisme est une structure dynamique singulière,
construite par imitation et répétition dans des contextes variés. C’est la
définition que nous retenons.

A quel type d’activité cérébrale peut-on rattacher cette structure


fonctionnelle  ? Edelman (2001) a proposé un modèle qu’il baptise
« théorie sélective des groupes neuronaux ». Pour rendre compte des
phénomènes conscients il faut supposer que le système nerveux est le
siège d’une activité hautement différenciée et considérablement inté-
grée. Le sélectionnisme, qui associe variation et sélection, est le meil-
leur candidat pour décrire le principe d’organisation de cette activité.

D’une part, la génétique et l’épigenèse expliquent comment biologie


et expérience sociale opèrent une sélection singulière dans le maillage
des connexions synaptiques. D’autre part, des influx massivement
ré-entrants, parcourant ces connexions réciproques, regroupent dyna-
miquement des neurones situés dans des aires cérébrales éparses, assu-
rant ainsi la différenciation des patrons d’activité cérébrale. Ce faisant,
177

ils rendent aussi les modifications synaptiques locales dépendantes du


contexte général de cette activité, assurant de ce fait son intégration.

Edelman peut dès lors proposer l’hypothèse du noyau dynamique


pour décrire l’activité cérébrale qui supporte l’expérience consciente :
cette activité résulte du regroupement fonctionnel dynamique de
groupes neuronaux par le biais d’interactions réentrantes dans le
système thalamo-cortical, produisant un haut niveau d’intégration
très différencié d’une durée de quelques centaines de millisecondes.
A côté de ces regroupements, il y a simultanément d’autres regrou-
pements fonctionnels dont l’activité, n’affectant pas les interactions du
noyau dynamique, n’est pas elle-même le support d’une expérience
consciente. Les automatismes font partie de cette classe d’activité neuro-
nale qui n’est pas associée à une expérience consciente. Pour autant elle
a bien un lien fonctionnel avec le noyau dynamique conscient, comme
le prouve le fait qu’un geste perturbé pendant son exécution est immé-
diatement consciemment contrôlé.

Ainsi, loin de renvoyer à des processus routiniers ou machinaux,


faits de blocs immuables, les automatismes, tels que nous venons d’en
exposer notre conception, sont des processus dynamiques, plastiques,
dont la fonctionnalité principale est d’assurer l’adaptation du geste
à son contexte d’exécution et à ses variations. Ils sont l’aspect opéra-
tionnel du geste. A l’opposé de celui du mouvement, le plan des auto-
matismes est celui où le social et le subjectif exercent leurs influences
sur l’organique. S’agissant de l’organisme, il est plus approprié de
parler de fonctionnalité plutôt que de fonction car nous avons dans ce
cas affaire à des systèmes fonctionnels au sens que Luria (1985) a donné
à ce concept.

3.3 Le plan du geste

Le geste est la dimension motrice de l’action. Des contractions


musculaires focales ou segmentaires, dont nous avons dit qu’elles sont
toujours mêlées à celles de la posture, réalisent le geste. Ces contrac-
tions sont elles-mêmes sous le contrôle des automatismes. Cependant,
il faut noter que le geste n’est disponible en tant que tel qu’en s’extir-
pant de la synthèse avec la posture. C’est en rendant le mouvement
178

d’origine indépendant du premier contexte que le geste devient dispo-


nible pour un travail d’entraînement.

Le contexte est défini, selon Leplat (2000), par les ressources et les
contraintes externes au sujet autant que par celles qui lui sont internes.
Au nombre de ces dernières, celles qui sont de nature affective jouent
un rôle décisif. Damasio (2010) a montré qu’au plan physiologique, le
support de l’activité cérébrale associée à tout acte perceptivo-moteur
est l’assemblée de plusieurs groupes neuronaux. Les noyaux sous-
corticaux et les cortex impliqués dans les réactions neurovégétatives et
les sentiments d’émotions participent toujours à cette assemblée. Leur
activité possède une valeur biologique s’exprimant par la libération de
molécules chimiques provoquant le déclenchement d’émotions. Dans
le contexte de l’activité cérébrale, la valeur biologique guide l’exécution
de l’acte moteur. Au plan psychologique, le sentiment est la percep-
tion consciente d’un état organique plus l’idée qui l’accompagne. Le
geste est orienté par le but conscient de l’action et contrôlé par le senti-
ment qu’il contribue à générer, lequel se résout en affect au niveau du
mouvement.

Le problème, c’est qu’il n’y a pas de situation sans contexte, de


sorte que l’entraînement consiste à reproduire le geste dans une multi-
tude de mouvements différents, correspondant chacun à un contexte
distinct. La décontextualisation consiste donc à varier les contextes
d’exécution, ce qui revient, dans notre vocabulaire, à faire en sorte que
le même geste réalise une multitude de mouvements différents les uns
des autres. Le mécanisme de ce processus, ainsi que Bernstein l’a établi,
consiste à réaliser des « répétitions sans répétition » (1996, p. 204).

3.4 Rapports entre les plans et développement

Mouvement, geste et automatismes sont donc trois plans d’une


seule réalité. Les distinguer permet d’en suivre le développement. Un
même mouvement, par exemple un mouvement de préhension, peut
donner lieu à des gestes différents qui tous le réalisent. A l’inverse,
un même geste, par exemple l’extension du poignet, peut réaliser
des mouvements très différents comme tirer sur un manipulateur de
frein ou prendre appui sur une portière de voiture pour y insérer une
coulisse. De leur côté, les automatismes sont les moyens de la réalisa-
179

tion du geste. Il y a donc une dimension opérationnelle des automa-


tismes expliquant que les mêmes automatismes puissent réaliser des
gestes différents.

Le geste passe ainsi d’un plan à l’autre selon que le sujet est en
recherche d’efficience ou de sens. L’efficience est en rapport avec le
développement des automatismes, tandis que le sens est lié à la diver-
sité des contextes d’exécution, c’est-à-dire, des mouvements à chaque
fois différents. Le passage du geste d’un plan à l’autre est l’opéra-
teur principal de son développement, notamment du fait qu’avec ces
passages ce sont aussi les émotions, les sentiments et les affects qui
participent à cette dynamique que nous cherchons à exploiter en auto-
confrontation croisée.

En effet, l’organisation de controverses portant explicitement sur


les gestes de l’activité ordinaire réalise un dialogue gestuel lorsque
la verbalisation butte sur la partie indicible des gestes. Ces derniers
sont alors reproduits à blanc dans le cours du dialogue, changeant
ainsi de fonction, puisque de source du dialogue ils deviennent une
ressource pour argumenter. A cette occasion, les professionnels cher-
chant à re-sentir leurs gestes, en font une expérience différente à toutes
les précédentes. Le mouvement dans lequel est alors pris le geste est
adressé à de nouveaux destinataires, ce qui favorise la déliaison des
affects liés. En retour, le geste entre dans une zone de développement
potentiel susceptible de modifier jusqu’au sentiment qui l’accompagne
autant que les corrections sensitivo-motrices des automatismes.

4. Les traces de l’activité


Une fois exposée notre conception du développement des gestes,
nous pouvons revenir à l’exposé de notre action de prévention qui
répond en grande partie aux recommandations de Faverge. Ainsi, pour
faire suite à la demande du CHSCT au sein duquel la direction de l’éta-
blissement et les représentants du personnel étaient d’accord pour faire
cette étude, nous avons travaillé avec huit agents volontaires, œuvrant
tous dans le secteur du séchage des vêtements de travail.

Après un long temps d’observation, nous les avons filmés à leur


poste sur une séquence de travail de trente minutes. Au préalable, nous
180

les avons équipés de capteurs bipolaires pour enregistrer l’électromyo-


gramme (EMG) de surface sur les muscles deltoïde et trapèze, à droite
et à gauche. En effet, l’EMG global reflète les processus de recrute-
ment des unités motrices musculaires ainsi que les caractéristiques de
leurs potentiels d’action. De tous les gestes effectués pour engager les
vêtements de travail, l’observation préliminaire nous avait convaincus
que le geste de retournement des pantalons de travail avant leur enga-
gement dans la pince dont sont dotés les cintres, était sinon le geste
le plus nuisible pour les tendons de la coiffe des rotateurs, du moins
l’un des gestes les plus pénibles aux dires des opérateurs. La pénibilité
est probablement liée à la manière dont il faut tenir à bout de bras le
pantalon pour le retourner, car ce sont les muscles des plans superfi-
ciel et profond de l’épaule qui sont ainsi sollicités. Parce qu’ils sont les
muscles les plus superficiels et ceux dont la masse l’emporte sur celle
des autres muscles de l’épaule, en EMG de surface avec les électrodes
dont nous disposions, seuls le trapèze et le deltoïde sont enregistrables.

Après l’enregistrement vidéo et électrophysiologique, nous avons


invité individuellement les agents volontaires à voir les images de
leur activité tout en les commentant. Puis nous les avons réunis deux
à deux en autoconfrontation croisée, séance au cours de laquelle ils ont
discuté leurs façons de travailler. Nous avons systématiquement solli-
cité des commentaires portant sur les gestes qu’ils se voyaient faire ou
qu’ils voyaient faire à leur collègue, en les invitant à se comparer sur le
plan de l’efficience. Pour favoriser cette comparaison nous leur avons
présenté, au début de la séance d’autoconfrontation croisée, les résul-
tats des enregistrements EMG sous la forme de deux indices quantita-
tifs formant un plan permettant de localiser graphiquement chacun des
huit agents.

4.1 Le signal EMG global.

Nous avons enregistré le signal EMG à une fréquence d’échan-


tillonnage de 1000 Hz comme il est habituel de le faire pour ce signal
qui ne comporte pas de fréquences significatives au-delà de 350 Hz.
Le signal a été synchronisé avec l’image vidéo enregistrée à 25 images
par seconde, soit à 25 Hz. Sur les trente minutes d’enregistrement les
agents ont engagé approximativement cent cinquante vêtements, dont
70 à 90 pantalons. Pour engager un pantalon il faut aux agents le saisir
181

par la ceinture sur le tapis de convoyage, rassembler les deux jambes


du pantalon, le retourner pour le tenir par le bas des deux jambes, puis
l’engager dans la pince du cintre. Nous avons repéré tous les moments
où les agents retournent un pantalon. Il leur faut de 7 à 8 secondes pour
engager un pantalon, dont à peu près 3 secondes pour le retourner. Pour
chaque agent nous disposons donc de 70 à 90 tracés EMG d’une durée
de trois secondes en moyenne correspondant au geste de retourne-
ment. L’EMG global (figure 1) étant difficile à interpréter pour un non-
spécialiste, nous avons choisi d’en extraire deux indices plus suggestifs
du niveau de l’effort que réalisent les agents pendant le travail.

Figure 1. Signal EMG global.


L’axe horizontal est celui du temps exprimé en millisecondes.
L’axe vertical est celui du voltage exprimé en millivolts.

4.2 La transformation du signal : les deux indices

Nous avons choisi d’utiliser les indices le plus fréquemment retenus


en électromyographie de surface. Le premier quantifie la sollicitation
musculaire. Il est calculé à partir du tracé EMG global. Le second quan-
tifie la fatigabilité du muscle enregistré. Il est calculé sur le spectre des
fréquences du signal EMG global obtenu en calculant une transformée
de Fourier. Les deux indices sont calculés après normalisation sur la
base d’un EMG global obtenu au cours d’un effort maximal volontaire.
182

Les indices sont calculés sur la totalité des tracés normalisés de chaque
agent. On utilise ensuite la moyenne arithmétique de chaque indice.

4.2.1 Le RMS

Le premier indice est le RMS (pour Root Mean Square), ou racine


carrée de la valeur moyenne du carré du signal myoélectrique à un
instant t. Il est une mesure de sa valeur efficace (au sens physique du
terme), pendant l’intervalle de temps T écoulé, exprimée en millivolts.
Sa formule est la suivante :

On sait qu’il n’y a pas de relation simple entre cette valeur et la


force développée par les muscles enregistrés, car d’autres paramètres
tels que la vitesse de raccourcissement ou la longueur du muscle
influencent l’EMG global. Il est cependant établi que la valeur du RMS
augmente linéairement avec la force externe du muscle. Cet indice peut
donc être pris comme indicateur de la sollicitation musculaire.

4.2.2 La fréquence moyenne.

La fréquence moyenne, ou MPF (pour Mean Power Frequency) est le


centre de gravité du spectre des fréquences correspondant au signal
EMG global. Son expression est complexe :

où Fi est la fréquence centrale de la classe i et DSPi l’énergie totale


contenue dans cette classe. Or, l’évolution du spectre au cours de la
fatigue se caractérise par une augmentation continue de la puissance
du signal dans les fréquences basses, ce qui augmente le poids relatif
des basses fréquences et par conséquent fait baisser la valeur de la
fréquence moyenne.
183

4.3 Le plan de comparaison

A l’aide de ces deux indices, nous avons construit un plan où nous


portons la valeur du RMS sur l’axe horizontal et celle de la MPF sur
l’axe vertical. Chaque agent peut être représenté par un point du plan.
Au début de la séance d’autoconfrontation croisée, nous indiquons aux
agents l’interprétation que l’on peut faire de la lecture du diagramme
(figure 2). Plus on est à droite sur le diagramme, plus les gestes exécutés
pour retourner les pantalons sollicitent les muscles des épaules. Plus on
est en bas du diagramme, plus les gestes adoptés fatiguent les muscles
des épaules.

Figure 2

Nous n’ignorons pas que cette interprétation est très discutable


du point de vue biomécanique et physiologique. Cependant, au-delà
de la qualité scientifique de l’objectivation des gestes, nous cherchons
à favoriser la comparaison des façons de faire des blanchisseurs. En
184

effet, l’objectivation que nous avons présentée ici, bien que rigoureu-
sement construite, n’est pas conforme aux exigences de la production
de connaissances à caractère scientifique. Elle a d’emblée été pensée
comme un artéfact susceptible de devenir un instrument de l’activité
d’analyse du travail des agents de la blanchisserie. C’est au mieux un
instrument de l’action de prévention des TMS qu’a proposée le service
de santé au travail, pour favoriser le dialogue gestuel.

C’est ainsi qu’il a fonctionné en situation. Nous avons présenté et


commenté le diagramme en début de chaque séance d’autoconfronta-
tion croisée. Il n’est dès lors pas surprenant de voir les agents, dès le
début des séances, s’emparer du graphique et chercher à expliquer les
différences qu’ils y voient en fonction des gestes qu’ils font. Ils attendent
ensuite que nous confirmions les explications ainsi trouvées, ce que
nous nous gardons de faire, profitant de la complexité de la relation
entre la sollicitation et la fatigue musculaires59, afin de laisser leur inter-
prétation en suspens. Plus avant dans le dialogue, lorsque les agents
se voient faire des gestes précisément identifiés sur les images, nous
reprenons systématiquement l’interprétation première pour inviter les
agents à faire des corrélations, non plus en termes généraux, mais en
fonction de leurs propres modes opératoires.

L’objectivation produite nous a donc servi à maintenir ouverte la


question de la pénibilité ressentie des gestes, autrement dit, à la rendre
théoriquement indécidable et pratiquement résoluble grâce à la contro-
verse.

5. Conclusion
C’est à dessein que nous ne mentionnons pas les résultats observés
après la mise en œuvre par le service de santé au travail de l’action de
prévention des TMS dans une blanchisserie industrielle. Nous voulions
seulement illustrer l’ambivalence des sentiments provoqués à la lecture
du livre d'Ombredane et Faverge. Il est des analyses du travail rappor-
tées dans le livre qui fait l’objet de ce colloque, à l’occasion desquelles

59. Si cette relation était linéaire, RMS et MPF seraient inversement proportionnels et les points
du graphique correspondants aux agents devraient alors se répartir selon une droite à pente
négative. Or, ce n’est visiblement pas le cas, ce qui signifie que cette relation est plus complexe
qu’une simple relation linéaire.
185

on lit des formulations laissant penser que ces analyses ont pour visée
l’élaboration de normes pour la sélection de la main-d’œuvre. On peut
le voir comme le tribut dû à l’esprit de l’époque.

En effet, nous sommes en 1955, dix ans après la fin de la seconde


guerre mondiale, en pleine reconstruction et renouvellement des appa-
reils productifs détruits lors du conflit. La bataille de la productivité
du travail a conduit tous les acteurs sociaux à adopter aveuglément le
modèle tayloriste d’organisation du travail. En psychologie, le compor-
tementalisme y est dominant car il est, selon B. Trentin (2012), la théorie
qui correspond le mieux à ce modèle d’organisation. Il inspire gran-
dement la psychotechnique, notamment en France où son inspiration
première n’était pas celle-là, occupée à définir les critères d’aptitude
des travailleurs.

Mais bien plus nombreuses sont les formules qui dans le livre
tournent le dos à cette tendance, montrant que l’analyse du travail,
pour se faire précise, doit viser un tout autre objectif. Ces formules sont
une critique du psychologisme consistant à réduire le sujet à des fonc-
tions psychologiques, permettant ainsi de voir que l’activité d’un sujet
au travail possède un empan allant bien au-delà de la simple exécution
d’une tâche. Les auteurs montrent de surcroît, sans le formuler de cette
façon, que c’est dans ce qui déborde la tâche que gisent les sources de
créativité au travail, donc de sa qualité.

Raison pour laquelle nous pensons que, soixante ans après sa publi-
cation, la lecture de L’Analyse du travail d'Ombredane et Faverge est
toujours stimulante pour les cliniciens du travail, quel que soit d’ail-
leurs leur discipline académique d’origine. Nous avons voulu montrer
ici comment nous avons fait de l’analyse du travail, en milieu industriel,
un moyen de prévention des TMS en rendant discutable l’objectivation
des traces de l’activité, reprenant une recommandation de Faverge sur
l’objectivité indiscutable de telles traces.
Le travail en tant qu’activité de récupération60

Jean-Marie Faverge

Il y a bien des façons d’analyser un travail, celle de l’organisateur


ou de l’agent des méthodes débouchant sur des rationalisations et des
amplifications, celle de l’ergonomie propre à suggérer des aména-
gements dont l’homme bénéficiera, celle du technicien en termes de
processus et d’opérations de transformation du produit, celle de
l’ouvrier qui manifeste ses difficultés, sa fatigue et ses plaintes, celle
de l’économiste faisant bilan des gains et des coûts et enfin celle du
psychologue qui nous intéresse seule ici, où activités et conduites infor-
ment sur la façon dont le travailleur vit son travail.

Il y a déjà longtemps (Ombredane et Faverge, 1955) nous avons


critiqué les méthodes d’analyse en termes d’aptitudes et d’opérations,
alors pratiquement les seules employées par les psychologues ; l’ana-
lyse dans le langage des aptitudes n’est souvent que verbalisme, celle
en opérations est purement descriptive de la tâche, mais ne dit rien sur
la façon dont le travailleur la ressent.

Plus tard, nous avons proposé d’analyser le travail en les trois


activités de production, de prévention et de récupération : le premier
exemple a été obtenu dans les mines de fer de Lorraine (Leplat et
Faverge, 1969), nous avons également montré l’existence d’un risque
accru d’accident au cours de la récupération (Faverge, 1969 ; voir aussi
Faverge, 1977).

60. Article paru en 1979 dans le Bulletin de Psychologie, Tome XXXIII, 203-206. Reproduit avec
l’autorisation du Bulletin de Psychologie.
188

Enfin, nous nous sommes penchés sur l’analyse du travail en termes


des activités de production et de prévention en insistant sur les régu-
lations et interactions qui apparaissent lorsqu’elles sont présentes en
même temps dans la tâche (Faverge, 196661 et 1968).

Aujourd’hui, je voudrais examiner de façon plus particulière l’acti-


vité de récupération au cours du travail, et même donner à la récupéra-
tion une place privilégiée dans l’analyse psychologique, allant jusqu’à
considérer le travail de l’homme comme étant bien souvent surtout fait
de récupération.

Définition de l’activité de récupération


Récupérer, c’est œuvrer pour remettre à la valeur qu’elle doit avoir
une variable qui s’en écarte, pour rétablir sur ses rails un processus qui
tendrait à dérailler, pour faire disparaître des dysfonctionnements, des
perturbations, ou des déviations, pour remettre en marche après une
panne ou un incident.

Récupérer n’est pas seulement réparer (un organe tombé en panne),


mais aussi ajuster, réguler c’est-à-dire ramener à la norme. Aussi, l’acti-
vité de récupération est-elle constituante essentielle du travail humain.

E. Quinot dit : « Pratiquement aucun système ne fonctionne normalement


au sens strict : des vibrations accompagnent la rotation d’un moteur, le bruit
perturbe les communications, une voiture ne suit pas la ligne idéale parallèle
aux abords de la route. Le système a d’ailleurs été prévu pour “récupérer” ces
écarts de fonctionnement : les paliers absorbent les vibrations, les signaux sont
remis en forme pour être déchiffrés, le conducteur corrige la trajectoire de son
véhicule. On peut dire que l’état de dysfonctionnement est permanent mais
qu’il passe, en général, inaperçu ». Nous ajouterons que c’est la plupart
du temps un ou des hommes qui sont prévus pour « récupérer » le
système.

Seuil de récupération : Le signal initiateur d’une activité de récupé-


ration peut être une divergence plus ou moins grande de l’état normal,

61. La bibliographie de ce texte de Faverge est intégrée dans la bibliographie générale. A la


référence 1966 dans le texte correspondent les deux références de 1966 dans la bibliographie
générale (1966 a et b).
189

il s’agira quelquefois d’une panne qui met en arrêt la fabrication, mais


aussi d’un déréglage ou d’une perturbation manifesté sur un cadran
par une déviation plus ou moins accusée de l’index ; il arrivera même
qu’on prenne en considération des signes avant-coureurs de perturba-
tions éventuelles ou des signes indirects de perturbations difficiles à
observer directement.

Le niveau-seuil du signal déclencheur est subjectif, dépend de


l’opérateur, comme s’il existait une tolérance individuelle au dysfonc-
tionnement ; l’activité de récupération n’est pas entièrement définie par
la tâche, elle dépend du travailleur, de sa conception du travail, de son
style et, déjà, de ce fait est au cœur de l’analyse psychologique.

Dans la mémoire de licence d’un de nos étudiants (Piette, 1968), on


trouve une étude de ces seuils d’intervention pour les opérateurs d’une
chaîne d’agglomération en sidérurgie. Chaque opérateur a, en ce qui
regarde un paramètre (ici il s’agit de températures), un intervalle de
normalité centré sur la valeur idéale à l’intérieur duquel il n’intervient
pas ; cet intervalle est emboîté dans un deuxième intervalle ; lorsque la
variation du paramètre déborde l’intervalle de normalité pour entrer
dans cette nouvelle zone, apparaissent des interventions dont l’effet est
rapide, à efficacité limitée dans le temps enrayant le dysfonctionnement
sans en supprimer la cause (par exemple modification de la vitesse de
la chaîne) ; à l’extérieur de ce deuxième intervalle, les interventions
des opérateurs tendent à agir sur la cause du dysfonctionnement (par
exemple la composition du mélange) ; elles sont à effet tardif et néces-
sitent souvent des réglages en chaîne. L’auteur, définit aussi un seuil
temporel différenciant les opérateurs ; il s’agit du temps que ceux-ci
laissent s’écouler entre le début du dérèglement et leur intervention.

Cet exemple suggère et illustre une méthode d’analyse différen-


tielle du travail à partir de la définition et la mesure sur les travailleurs
de divers seuils de récupération (ici on en définit trois).

Genèse de l’activité de récupération


Je ne veux pas ici et d’ailleurs je ne saurais passer en revue les
origines de tout dysfonctionnement initiateur d’une activité de récu-
pération.
190

Mais j’aimerais dire quelques mots de deux facteurs amenant cette


activité, en raison de l’insistance avec laquelle ils se sont manifestés au
cours de nos observations.

L’automatisation – En voulant automatiser à tout prix, on crée


souvent des postes de récupération, non prévus à l’avance, rendus
nécessaires par l’infiabilité des mécanismes. Un exemple typique a
été relevé dans une enquête récente de notre laboratoire (J. Rofessart,
rapport Obap).

Un ingénieur qui avait conçu une machine pour sa firme


(machine à faire des petits fusibles) a expliqué ainsi l’histoire de sa
réalisation :

« Au moment où on fait une machine comme celle-là, on fait une machine
automatique. Ça fonctionne tout seul. Alors, dès le départ, consciemment
ou inconsciemment, on éjecte le problème de personnel. C’est une machine
automatique, il n’y aura personne. Donc ce n’est pas la peine d’y penser.

Je dis consciemment ou inconsciemment parce qu’il y a déjà suffisam-


ment de problèmes techniques pour construire une machine comme ça pour
ne pas se mettre dans les pieds des problèmes hypothétiques de personnel
qu’on croit ne pas se poser au départ.

Et puis, on se rend compte que ce n’est pas si simple que ça, qu’au lieu
d’avoir une machine en une partie, il faut la couper en deux et avoir un
stock-tampon entre ces deux, parce que si l’on ne fait pas cela elle est tout
le temps en panne. Donc, il faudra bien mettre une personne au centre de
la machine et puis une deuxième parce qu’il y a un alimenteur automatique
qui ne fonctionne pas bien, puis une troisième parce qu’un organe n’est pas
fait tout de suite et viendra dans un an, et pour finir il y a 12 personnes
autour de la machine.

Au départ, on s’était dit : “Il ne faut pas se préoccuper des problèmes de


bruit, d’odeurs, de température, etc., puisqu’il n’y aura personne autour”.
Aujourd’hui, le bruit de la machine est un problème aigu qu’on n’aurait
pas eu si l’on avait opté pour un procédé hydraulique au lieu d’un système
mécanique; mais le procédé hydraulique était plus lent et plus coûteux à
réaliser. »
191

Ainsi, outre des activités de récupération inattendues, l’auto-


matisation imparfaitement réussie a engendré des nuisances dans
l’exercice de ces activités.

On a rencontré des exemples semblables dans l’industrie pape-


tière (mémoire de licence de Baeckens, 1969) ; sur une coupeuse-
trieuse très moderne et récemment introduite, un homme doit être
placé pour récupérer les bourrages ; un bourrage est une perturba-
tion au poste d’empilage en nappe, une feuille est bloquée, se met
de travers ou se froisse et constitue un obstacle pour les feuilles
suivantes qui se froissent au fur et à mesure qu’elles sont éjectées :
l’opérateur apprend par expérience à interpréter les bourrages et à
diminuer leur fréquence (par des réglages appropriés, en modifiant
l’humidité du papier, etc.).

La dégradation – L’état du matériel se dégrade, les machines


se fatiguent, des jeux, des frottements apparaissent, les poignées
usées sont plus difficiles à actionner, on trouve des pivots décen-
trés, des vis qui se coincent, des filetages élimés, des chevilles qu’on
n’arrive pas à placer, etc. J.-L. Leblanchet (1975) avance qu’il existe
des dégradations en chaîne : « Outre l’usure de la force ouvrière, ce
travail surchargé d’incidents qui ne sont pas résolus entraîne une détério-
ration rapide de l’installation. Elle entraîne à son tour des incidents sur
d’autres parties de l’installation, incidents qui seront encore surmontés
par des efforts supplémentaires exigés des ouvriers. Par la suite, lorsqu’un
incident survient, même pour la première fois, l’ouvrier sait d’avance que
l’effort qu’il fournit sur le moment pour que se poursuive le travail, sera
institué comme faisant partie de son travail ».

Ainsi, il y aurait présence d’incidents qui se répètent suivant le


même scénario. L’auteur en donne de nombreux exemples sur la coulée
en continu où il travaille comme ouvrier.

Par exemple : « Pour la manœuvre du contrepoids, souvent, en appuyant


sur le bouton de commande, le contrepoids ne descend pas ; l’ouvrier prend
alors un tube et s’en sert comme levier (récupération par catachrèse). L’opéra-
tion qui, à l’origine, demandait seulement d’appuyer sur un bouton, nécessite
maintenant, le plus souvent, de peser sur un bout de tube ».
192

J. Laporta (1965), dans son mémoire de licence, compare deux chan-


tiers d’abattage du minerai de fer et constate : « Ce qui se passe en fait
dans un mauvais chantier, c’est que les conditions ne restent pas stables, mais
se dégradent rapidement au cours du temps. De ce fait, tout résultat des acti-
vités de prévention peut être remis en question à tout moment.
Par exemple, si l’on vient de purger, rien ne dit que dans une demi-heure il
ne faudra pas recommencer ; le chantier est boulonné, mais il faudra peut-être
rajouter des boulons. »

Les astreintes des conduites de récupération


Les conduites de récupération s’accompagnent généralement de
risques et d’astreintes pour le travailleur ; j’ai traité ailleurs du risque
accru dans les situations de récupération (Faverge, 1967, 1977) ; je
voudrais ici donner deux aspects de l’astreinte de récupération :

L’anxiété associée à l’activité de récupération


Voici un exemple emprunté au mémoire de licence de P. Haumont
(1977). Il s’agit des surveillants de la salle. de contrôle des installations
d’un organisme de radio-télévision ; on leur a demandé de classer
par ordre d’importance dix dysfonctionnements en supposant qu’ils
se produiraient pendant le week-end, alors que ces surveillants sont
seuls (un électricien et un technicien de la thermique) et que les ateliers
techniques chôment. L’analyse factorielle binaire des rangs (tableau
surveillants x dysfonctionnements) fournit un axe apposant des inci-
dents moins incertains au point de vue récupérabilité (il y a un événe-
ment qui se produit et qui cause la panne, on sait donc où agir et
comment faire) aux incidents plus incertains et donc plus anxiogènes
(l’appareil est en panne, mais je ne sais pas comment agir car rien de
manifeste ne s’est produit).

Ainsi, il y a une astreinte (stress) devant l’incertitude de la récu-


pérabilité et les gens y sont inégalement sensibles. Un surveillant dit :
« L’incident X est très grave, car il risque d’empêcher la poursuite des émis-
sions, mais aussi parce que je risque de ne pas savoir le récupérer vu que je ne
sais pas très bien par où commencer mes investigations ».
193

Certains auteurs soviétiques (Gurevitch et V. Matveev, cités


par G. Cristian, 1969), décrivent des comportements anxieux allant
jusqu’à un état de déroute chez certains sujets pendant des recherches
d’avarie dans des installations énergétiques. L’anxiété et la tension
qui engendrent la charge de récupération se comprennent aisément
puisque cette charge est la responsabilité de l’incertitude latente dans
la situation et le processus de travail.

La surcharge de récupération
J.-L. Leblanchet (1975) a insisté sur la surcharge de travail causée
par les incidents : « Si un incident survient, l’activité de l’ouvrier doit se
compléter d’un effort supplémentaire pour atteindre son but utile. Cet effort
fait partie de son travail, s’il ne le faisait pas la production s’arrêterait. C’est
précisément ce qui distingue le travail d’un ouvrier, du travail mécanique de
la machine ».

Cet effort supplémentaire n’est pas toujours reconnu surtout lorsque


le travail a été très rationnalisé.

Les travaux de l’Institut national de Recherche et de Sécurité


(G. Krawsky, D. Lievin, J. Szekely, 1975 et 1976) ont bien mis en
évidence la surcharge mentale due aux perturbations pour des méca-
niciennes en confection en bonneterie (on évalue cette astreinte par la
méthode de la tâche ajoutée). Contentons-nous de citer une phrase des
auteurs : « L’effet chargeant des perturbations dans le déroulement du travail
se confirme d’une expérience à l’autre... Toute irrégularité perturbatrice se
révèle un facteur de charge : preuve qu’un travail voulu très rationalisé par
l’organisateur reste très sensible au moindre aléa, plus peut-être qu’un travail
moins rigidement organisé, autorisant une certaine auto-régulation ».

D’une façon qui peut être mise en parallèle, on a reconnu récem-


ment les gênes accrues dont souffre le personnel auquel on attribue
un terminal d’ordinateur pour répondre à la demande de la clientèle,
gênes se manifestant dans les activités de récupération.

En particulier, la « correction des erreurs » du terminaliste se


complique selon le degré de perfectionnement du logiciel sous-jacent :
194

- dans certains cas, l’employé est obligé de poursuivre toute


la procédure jusqu’au bout, avant de l’annuler et puis de la
recommencer ;
- dans d’autres cas, il peut l’annuler immédiatement, mais il
doit reprendre toutes les opérations depuis le début ;
- enfin, il se peut qu’il soit obligé de faire appel à des procé-
dures spéciales de correction qui peuvent être longues même
si l’erreur est minime et ces procédures elles-mêmes peuvent
être la source de nouvelles erreurs » (Patesson, 1978).

De la même façon, l’introduction de machines de bureau à mémoire


(machines à écrire) non pourvues d’écran rendent très difficiles les récu-
pérations et augmentent 1a charge mentale de l’opératrice. On parlera
encore ici de difficulté de récupérabilité des erreurs et incidents.

La récupération au cœur du travail humain


De ce qui précède ressort déjà que la récupération est au cœur du
travail humain. Pour le confirmer encore et aussi pour conclure sur
l’objet même de cet article, j’avancerai les propositions suivantes.

- Dans le partage des tâches entre l’homme et la machine, la machine


recevra préférentiellement les tâches de production et l’homme les
tâches de récupération.
• En général, les activités de production s’apprennent au cours
de l’apprentissage, les activités de récupération par expé-
rience.
• Les tentatives dites de « rationalisation du travail » (O.S.T.)
vont souvent dans le sens d’une diminution ou d’une mécon-
naissance de la récupération, c’est-à-dire de l’homme dont le
travail se rapproche alors de celui de la machine.
• On sait que lorsqu’on veut juger l’homme dans son activité
(notation professionnelle) ou lorsqu’on veut analyser son
travail on examine la façon dont il récupère les incidents
(technique des incidents critiques).
• Le technicien des méthodes analyse le travail en termes
d’une succession d’opérations, l’ergonome classique en
195

termes des contraintes présentes dans ces opérations, l’ou-


vrier en termes des incidents, des difficultés de les récupérer,
des moments particuliers où ils se produisent, bref en termes
du vécu de la récupération ; de beaux exemples comparatifs
d’analyse ont été donnés par Odescalchi (1975).

L’ouvrier pense (Mothe, 1959) que l’atelier s’arrêterait de tourner


sans les initiatives de récupération qu’il prend.

Pour revenir enfin à mon point de départ, j’espère que cet exposé
aura contribué à montrer que l’analyse en les trois activités de produc-
tion, de prévention et de récupération est une forme qui peut être
féconde d’analyse psychologique du travail.
L’attrait de l’œuvre de J.M. Faverge

Yves Clot

Ce qui suit vise surtout à établir, par un voyage dans des textes,
l’équivocité de l’œuvre de J.-M. Faverge qui reste une source d’inspira-
tion si importante dans le moment d’histoire où se trouve actuellement
l’analyse psychologique du travail.

1. La force des exemples


On partira d’un exemple qui montre comment Faverge était attentif
à la pratique et comment surtout il savait réfléchir à partir des obstacles
qu’il y rencontrait. Tirant les enseignements d’une expérience où il s’est
trouvé devoir mettre au point un test destiné à pronostiquer l’aptitude
à la soudure, il constate qu’il fut impossible d’y parvenir en utilisant
les critères retenus après une analyse du travail : réussir le test n’im-
pliquait nullement de savoir souder. « Nous avions encore une fois été
victimes de cette notion, enracinée en nous, d’aptitude, aptitude à effectuer
des mouvements fins, de la main gauche, qui ne représente rien en dehors de la
signification de la tâche proposée » (1952, p. 3).

Avec Ombredane, il en tirait des conclusions classiques mainte-


nant sur les rapports entre situation réelle et aptitude. Ainsi de l’at-
tention. C’est une question qu’ils abordaient ensemble ainsi à propos
des conducteurs de train « Que faut-il entendre par attention ? De par son
étymologie même, ce terme désigne un état d'attente, de tension vers quelque
chose qui peut se présenter, d'inhibition des préoccupations en cours, de prépa-
ration à une réaction éventuelle, avec un taux plus ou moins grand d'inquié-
tude propre aux situations d'alerte. Une promptitude excessive à réagir et des
anticipations erronées sont au demeurant à craindre dans cet état. Une telle
198

disposition est sans doute présente chez le conducteur novice, mais elle s’at-
ténue jusqu’à disparaître progressivement avec la routine. Le vieux conduc-
teur rumine librement ses soucis et ses joies et freine et repart machinalement,
sans précipitation ni retard à l’appel des signaux. Il serait bien en peine de
dire s’il a fait ou non attention. Ce dont il est normalement assuré c’est qu’il a
respecté les signaux. Il est facile de voir qu’on ne peut pas définir une exigence
permanente d’une tâche par une disposition réactionnelle de l’homme sujette à
de telles fluctuations et à un tel amortissement. Ce que la tâche exige ce n’est
pas de l’attention, mais le respect des signaux sous une forme optimale entre
certaines limites de tolérance, quelle que soit la disposition du conducteur qui
les a respectés. A partir de cette notion de respect des signaux, des spécifica-
tions doivent être introduites dans la définition que ce respect comporte » et
ils en fournissaient la longue liste (1955, p. 7).

2. Le pourquoi et le comment
Au bout du compte, c’est finalement à la conception et à la définition
de la tâche qu’il faut faire confiance comme source indirecte d’atten-
tion. Il vaut mieux éviter de regarder cette dernière comme un attribut
de la personne et seulement du point de vue de ses fonctions psycholo-
giques. En un sens, dans cette perspective, les sources de la conduite et
du comportement sont excentrées du côté de la situation. D’où l’une des
premières formulations dans L’Analyse du travail de la différence entre
tâche et activité, même si ce dernier mot n’y est pas : « Deux perspectives
sont à distinguer dès le départ dans une analyse du travail : celle du Quoi et
celle du Comment. Qu’est-ce qu’il y a à faire et comment les travailleurs que
l’on considère le font-ils ? D’une part, la perspective des exigences de la tâche
et d’autre part, celle des attitudes et séquences opérationnelles par lesquelles
les individus, observés répondent réellement à ces exigences » (1955, p. 55).

Une fois admise la critique de la notion d’aptitude qui débouche sur


un éloge de la tâche, on pourra toujours considérer que cette concep-
tion de l’activité réelle comme répondant seulement aux exigences de
la tâche mérite aussi d’être critiquée. Il m’est arrivé bien souvent de
le faire (Clot, 1995, par exemple). Et d’autres chercheurs, plus proches
de Faverge, l’ont fait également encore récemment, comme J. Leplat à
propos d’un texte de A. Savoyant : lorsqu’on écrit que l’activité est ce
que fait un sujet pour répondre à la tâche et à ses exigences, il faut s’in-
terroger sur le « ses » qu’on vient d’écrire. Désigne-t-on ainsi seulement
199

les exigences de la tâche ou aussi celles du sujet ? (Leplat, 2010, p. 28).


L’opérateur qui réalise le « Comment » est aussi un travailleur et une
personne qui a aussi ses « Quoi ». Une certaine psychologie compor-
tementaliste n’est jamais loin quand on oublie que le sujet a également
ses exigences à lui, elles-mêmes nourries de celles du collectif au sein
duquel il se situe et qui lui sert de ressource pour son activité propre.

3. L’interprétation
Pourtant Faverge ne craint pas le paradoxe. D’un côté l’activité du
sujet semble contenue en puissance dans la tâche qu’il réalise. Mais de
l’autre, le travailleur est bien toujours à l’initiative. Et le clinicien du
travail retrouve beaucoup de ses préoccupations dans la manière dont
cet auteur se confronte à la pratique de l’analyse du travail. V. De Keyser
(1982) a donné un exemple de ce que nous voulons désigner ici, dans
l’hommage qu’elle a rendu à notre auteur : « Faverge, casqué, s’assied à
côté d’un travailleur. Il lui montre ce qui, de toute évidence, est une paire de
gants de protection, et s’informe : "Tiens, qu’est-ce que c’est ?" Incrédulité du
mineur qui se rassure bientôt : la mine naïve de Faverge – pour ne pas dire plus
– témoigne de sa bonne foi. Et le travailleur de lui expliquer longuement que
ce sont des gants de protection, mais qu’il ne les utilise pas car ils le gênent ;
que par contre, lorsqu’on arrive dans telle ou telle phase critique de la tâche,
il lui arrive de les porter. En quelques instants, la variabilité du processus de
travail a surgi, ses contraintes aussi, et le compromis entre les exigences de
production et de sécurité » (p. 93).

Et même la définition de la psychologie que donne Faverge ne


craint pas de porter contradiction à une psychologie « de surface » trop
pauvre à son goût : « D’une façon très générale, l’objet de la psychologie est
la compréhension des conduites fondées sur la problématique humaine que
n’atteint pas l’observation, mais qu’on tente d’expliquer par une réflexion ;
les craintes sont devinées sous les critiques, l’affectivité sous les arguments
rationnels ; des censures conscientes ou inconscientes s’opèrent ; de façon très
générale il y a transformation et changement de nature dans le passage de
l’activité psychologique à l’expression manifeste de cette activité sous forme de
comportement ; retrouver l’activité est oeuvre d’interprétation » (1970, p. 33).

Allons plus loin. Sollicité dans le cadre d’un numéro du Bulletin de


psychologie consacré à la psychologie clinique, Faverge a tenté de définir
200

une démarche clinique en psychologie industrielle. Cette fois il revenait sur


la question de l’interprétation dans sa dimension sociale. Il le faisait
ainsi à partir de son expérience d’intervenant et il faut citer un peu
longuement : « Aussi certains rêvent-ils de modes de pensée univoques et
partagés par tous les membres de l’entreprise, d’une congruence naturelle entre
les représentations et les expériences que les psychologues auraient à définir et
à maintenir. Nous ne devons pas nous étonner de trouver dans les entreprises,
en général au niveau de la direction, des constructeurs de systèmes qui tentent
de les imposer à tous ; nous avons rencontré de tels directeurs, entouré de leurs
“cardinaux”, comme disait l’un d’entre eux, développant des formules qui,
selon leurs désirs, devaient former l’“ossature” des schémas d’exécution de tous
les membres de l’organisation ; on retrouverait l’unité de l’esprit dont provient
la structure de l’entreprise, on aurait établi une communication valable parce
qu’empruntant les mêmes interprétations et le même langage ; l’entreprise
serait système et non pas assemblage en raison de ce postulat d’unité. Mais il y
a peut-être là la pente vers la dictature, des hommes divers ont des vues diverses
et l’on a reconnu qu’est permise une multiplicité d’interprétations d’un même
phénomène » (1968, p. 907). On aura remarqué la date de publication
de cet article. L’époque avait dégrisé beaucoup d’esprits. Mais c’est là
un texte très moderne qui décrit encore très bien nombre de situations
actuelles auxquelles le psychologue du travail doit se mesurer.

4. Conflit de critères et qualité du travail


J.-M. Faverge ne fait donc pas preuve de naïveté sociale. Mais,
pour autant, son point de vue n’est jamais idéologique. Le conflit est
d’abord pour lui un conflit de critères dans le réel du travail, situé dans
le monde avant d’être «  dans la tête  » de chacun, un conflit presque
indépendant des personnes. Et ce, d’abord entre les ouvriers. Ecou-
tons le  commenter l’étude du poste de démouleur en raffinerie du
sucre faite en 1952 par son élève André Houyoux : « s’adressant aux
ouvriers démouleurs eux-mêmes, Houyoux dut constater qu’ils n’étaient
d’accord ni sur les facteurs de difficulté de la tâche ni sur les causes des fautes
ou erreurs commises (la casse des plaquettes étant considérée comme telle),
et qu’ils étaient bien embarrassés devant la justification des tours de main
différents qu’ils employaient. » Et ce, en l’absence d’un « effort systématique
d’expérimentation et de comparaison » (1955, p. 10).
201

Pourtant Faverge soulignait la puissance d’un phénomène identifié


également par Naville exactement à la même époque dans son Essai
sur la qualification du travail. Citons d’abord ce dernier aussi en 1955 :
« l’homme possède le goût du travail efficace et déteste les efforts inutiles. Il a le
sens des avantages de la fonctionnalité et de la compétence ainsi que celui des
inconvénients de l’absurdité, du gaspillage ou de l’incompétence » (Naville,
1955/2012, p. 18)62. Et maintenant Faverge : « L’usine tournait au ralenti
avec chômage général plusieurs jours par mois. Aussi exigeait-on un nombre
minimum de cuves démoulées par jour bien inférieur au nombre que chacun
aurait pu atteindre. La casse des plaquettes n’avait pas d’importance puisque les
plaquettes cassées étaient utilisées à la production du sucre bluté. Cependant,
même dans un tel cas, on constate souvent le phénomène surprenant au
premier abord de l’existence de critères chez l’ouvrier lui-même. Dans l’atelier,
on savait que le bon démouleur est celui qui ne casse pas et chacun s’efforçait
d’être un bon démouleur. En général, les critères ainsi créés par l’ouvrier ne
sont pas des critères de rendement, mais de qualité. En valorisant le travail, ils
valorisent l’homme. Les professionnels se jugent les uns les autres, s’estiment,
selon des critères de qualité de travail, même si les exigences de la fabrication
ne portent pas sur ce degré de qualité » (1955, p. 128). En lisant Faverge, on
retrouve toujours le souci de ne pas laisser l’individu seul mais de le
situer dans le groupe social dont il est membre par l’intermédiaire du
travail.

5. L’initiative
Si l’on jette maintenant un regard sur la fin de la trajectoire de
J.-M. Faverge, on se convainc tout à fait de son apport à une analyse du
travail méfiante à l’égard du fétichisme de l’observation des comporte-
ments. Dans son bel article sur Le travail comme activité de récupération,
il rappelle ses critiques contre le verbalisme du langage des aptitudes.
Mais le nouveau est là : pour lui il n’y a pas de production possible
sans l’initiative de « récupération » qui est au cœur du travail humain.
Récupérer une situation, n’est pas seulement réparer mais réguler,
« remettre sur ses rails un processus qui tendrait à dérailler » (1979, p. 203).
L’activité de récupération n’est justement pas définie entièrement par
la tâche : « elle dépend du travailleur, de sa conception du travail, de son style
et, déjà, de ce fait est au cœur de l’analyse psychologique » (ibid, p. 203). Elle

62. Naville emprunte le propos à T. Veblen.


202

ne s’apprend pas dans les cours d’apprentissage mais par l’expérience


individuelle et collective et non sans passer par l’anxiété éprouvée dans
les responsabilités exercées (ibid, p. 205). Du coup, pour juger celui qui
travaille le mieux est de regarder la « façon dont il récupère les incidents »
(p. 206). Car c’est là que se trouve le point de vue original des opérateurs
sur leur travail. Et il est différent de celui des experts : « Le technicien des
méthodes analyse le travail en termes de succession d’opérations. L’ergonome
classique en termes de contraintes présentes dans ces opérations, l’ouvrier en
termes d’incidents, de difficultés à les récupérer, de moments particuliers où ils
se produisent, bref en termes de vécu de la récupération […]. L’ouvrier pense
que l’atelier s’arrêterait de tourner sans les initiatives de récupération qu’il
prend » (ibid, p. 206).

Le moins qu’on puisse dire est que la conception des rapports entre
tâche, activité et – dans notre vocabulaire – subjectivité est loin ici du
cognitivisme étroit par lequel on définit trop souvent la tradition que
Faverge a inaugurée. Au bout du compte, si on devait se demander
comment expliquer l’attrait que cette oeuvre exerce encore sur nous, on
pourrait peut-être dire que c’est en raison du fait qu’elle est inachevée.
Surtout au plan théorique. Au total on la trouvera robuste, composite et
inachevée. Mais les trois sont sans doute nécessaires pour susciter des
vocations. On sait que ce fut le cas et c’est peut-être le plus grand mérite
de J.-M. Faverge.
203

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potechnologie : vers un monde industriel pluridisciplinaire. Toulouse :
Octarès Editions.
Zola, E. (1887/1974). La Terre. Paris : Le Livre de Poche.
Cet ouvrage, coordonné par Régis Ouvrier-Bonnaz et Annie Weill-Fassina,
a pris forme à l’issue d’un séminaire organisé en 2011 par le Groupe de
recherche et d’étude sur l’histoire du travail et de l’orientation (GRES-
HTO) du Centre de recherche sur le travail et le développement (CRTD)
du Conservatoire national des arts et métiers. Cet ouvrage centré sur le
livre L’Analyse du travail. Facteur d’économie humaine et de productivité
d’André Ombredane (1898-1958) et Jean-Marie Faverge (1912-1988), édité
en 1955, est à la fois un hommage aux auteurs et une réflexion sur leurs
apports respectifs.

Ce livre qui contribua, pour une part essentielle, à la naissance de


l’ergonomie de langue française, a non seulement influencé de nombreux
chercheurs et professionnels spécialistes du domaine mais est aussi à l’ori-
gine de bien des études et des recherches actuelles, dans le domaine de
l’ergonomie, de la psychologie et de la sociologie du travail, de la forma-
tion et de l’orientation professionnelle. Les contributions présentées se
rattachent à ces différents champs disciplinaires. Certains auteurs ont colla-
boré directement aux travaux d’Ombredane et Faverge au Centre d’étude
et de recherche psychotechniques (CERP) dont le rôle fondateur est rappelé
et à l’Université Libre de Bruxelles, d’autres ont suivi leurs enseignements,
tous en ont tiré bénéfice pour leurs propres travaux.
A côté de cet ensemble de textes figurent un texte peu connu d’Ombredane
paru en 1946, Organisons la psychotechnique, et deux textes de Faverge,
L’analyse du travail publié en 1954 dans la Revue de Psychologie appliquée suite
à la mission psychotechnique française aux Etats-Unis et Le travail en tant
qu’activité de récupération publié dans le Bulletin de Psychologie en 1980 dans
un numéro spécial consacré à la psychologie du travail. La publication de
ces trois textes permet d’établir des liens avec les différents textes proposés
dans l’ouvrage et ainsi de mieux saisir l’apport de ces deux auteurs.
Cette publication intéressera tous ceux, chercheurs, professionnels,
étudiants, qui souhaitent mieux appréhender les enjeux théoriques et
pratiques qui ont traversé le champ de l’analyse du travail et de l’orien-
tation professionnelle au fil du temps et ainsi mieux comprendre les défis
auxquels les incertitudes du monde du travail les confrontent aujourd’hui.

ISBN : 978-2-36630-041-3 Diffusion gratuite, ne doit pas être vendu

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