Professional Documents
Culture Documents
ET
LES CHRÉTIENS
PA R
FR A N Ç O IS M A U R IA C
DK L' AC A D K S I 1 E IBAXÇAI8E
R . P . D U C A T T IL L O N O. P .
N ICO LAS B E R D IA E F F
A L E X A N D R E MARC
D E N IS DE ROUGEMONT
D A N IE L -R O PS
S C D T o u rs - BU Droit
“ P R É S E N C E S 9’
LIB R A IR IE PLON
L E S P E T IT S -F IL S DE PLO N E T NOURRIT
Imprimeurs-Éditeurs, 8, ru© Garaneière, Paris, 6e.
19 3 7
fVjMHCM
TABLE DES MATIÈRES
Note.................................................
DILEMME DU CHRÉTIEN, par François M a u
riac, de l’Académie française.................................. 1
DOCTRINE COMMUNISTE ET DOCTRINE CA
THOLIQUE, par le R. P. Ducattillon, o. p__ 5
I. — Le matérialisme communiste................ 5
II. — La lutte des classes.............................. 49
III. — La conception communiste de la pro
priété...................................
IV. -— Le communisme et la religion.............. 119
LA MAIN TENDUE... EN U. R. S. S., par Alexandre
M arc .................................................................................... 152
265 48
PERSONNE HUMAINE ET MARXISME
par Nicolas B erdiaeff.
I
La relation entre le marxisme et le personnalisme,
de même que la relation entre le marxisme et l’huma
nisme, est plus complexe que l’on ne le pense généra
lement. p est extrêmement facile de démontrer le
caractère antipersonnaliste du marxisme. Ce dernier
est hostile au principe de la personne, ainsi que l’est
toute doctrine purement sociologique de l’homme, de
l’homme formé par la société. L’éeole sociologique de
Durckheim est également antipersonnaliste dans sa
conception de l’homme. Est hostile au principe de la
personne toute conception de l’univers n’embrassant
qu’un seul plan, et pour laquelle la nature de l’homme
est épuisée par le fait qu’il n’appartient qu’à ce plan
social de l’être, c’est-à-dire pour laquelle l’homme ne
possède pas de dimension en profondeur.
On oppose souvent Proudhon à Marx, parce que
le système social proudhonien est plus favorable au
personnalisme que le marxisme (1). Mais la doctrine
de Proudhon est elle-même entièrement sociale, elle
aussi, envisage la personne comme n’ayant pas de
fT^(l) Voir Max S cheler , « Der Formalismus in der Ethik und die
materiele Wertethik. #
transformations. Parfois aussi, c’est le contraire qui
arrive : l’homme que nous avons connu a tellement
changé qu’il nous donne l’impression d’être quelqu’un
d'autre ; il n’a pas seulement changé, il a été infidèle
à lui-même. L’unité de la personne est détruite, le
centre existentiel a été perdu. La personne est avant
tout unité du destin. Le destin est transformation,
histoire et conservation de l’unité, du centre existen
tiel. C’est le mystère de la personne ; celle-ci suppose
un être supérieur, supra-personnel qu’elle reflète,
des valeurs supra-personnelles qu’elle réalise et qui
forment la richesse de son contenu vital. La per
sonne ne peut se suffire à elle-même, elle doit
sortir d’elle-mème pour atteindre d’autres personnes,
la multiplicité humaine et cosmique, pour atteindre
Dieu.
L’égocentrisme, le repliement sur soi-même, l’absorp
tion en soi-même, détruisent la personne. Celle-ci se
réalise par une constante victoire sur l’égocentrisme,
sur ce qui veut être immuable et endurci. La réalisa
tion de la personne signifie qu’elle s’est emplie d’un
contenu universel, elle ne peut exister par sa seule
particularité. La personne est inachevée, elle se crée,
elle est posée comme un problème, elle est l’idée de
Dieu concernant chaque homme en particulier. La
réalisation de la personne suppose un processus créa
teur s’en allant dans l’infini. La personne est acte.
Scheler la définit comme l’unité concrète de tous les
actes. Mais à l’encontre de Scheler, ce n’est pas la vie,
mais l’esprit, le principe spirituel dans l’homme, qui
est actif, tandis que la vie est plutôt passive. Ce n’est
que l’acte créateur qui peut être nommé acte ; dans
l’acte quelque chose de nouveau se crée sans cesse,
quelque chose qui n’a pas existé ; le non-être devient
être. La personne suppose la nature créatrice de
l’homme, et la création suppose la liberté. La création
authentique est faite de liberté, elle est l’opposé de
l’évolution qui est détermination. Seul le sujet créa
teur est personne. Un être entièrement déterminé par
le processus naturel et social ne peut être nommé per
sonne, n’est pas encore devenu personne. Le Senne a
raison d’opposer l’existence (au point de vue de la
philosophie existentielle) à la détermination (1). La
personne se définit à l’extérieur par rapport à la
nature et à la société, mais cette définition s’opère de
l’intérieur ; elle est une résistance à la détermination
extérieure par la nature et par la société. Et celui-là
seul est personne qui triomphe de cette détermina
tion.
La personne ne prend pas naissance au sein du pro
cessus naturel et générique, et ne se forme pas au sein
du processus social; elle suppose une rupture, et
n’admet pas la continuité de l’évolution ; la personne
se crée par Dieu, et c’est là sa dignité suprême et la
source de son indépendance et de sa liberté. C’est
l’individu, dans lequel la personne doit se réaliser, qui
prend naissance dans le processus naturel et générique,
et qui se forme dans le processus social. La personne
est la résistance à la détermination, et par cela même
elle est douleur. L’affirmation, la réalisation de la
personne est toujours douleur. Le fait de renoncer à
cette douleur, la peur de l’éprouver, est un renonce
ment à la personne. Car la réalisation de sa dignité,
de son indépendance, sont des processus douloureux,
une lutte héroïque. La personne est lutte, renoncer à
la lutte, c’est renoncer à la personne, et l’homme y
consent souvent. La personne est l’opposé du confor
misme qu’exigent la société et la nature, et qu’elle
n’accepte pas. En tant qu’elle est un centre existentiel,
et suppose un organe sensible à la douleur et à la joie,
c’est une erreur d’appliquer la catégorie de personne
à une nation et aux autres entités suprapersonnelles,