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GRANDS ENJEUX DE L’ACTUALITÉ FINANCIÈRE

QUELLE ARCHITECTURE
POUR LE SYSTÈME MONÉTAIRE
ET FINANCIER INTERNATIONAL ?
CHRISTIAN DE BOISSIEU*

L
a crise intervenue dans certaines 1994-1995 et surtout la crise financière
zones émergentes (Asie, Russie, internationale ouverte en Asie depuis juillet
Amérique Latine...), et l’instabilité 1997, en Russie et dans certains pays
financière persistante ont, une fois de plus, d’Amérique Latine.
rouvert le débat sur la réforme du système L’objet de cet article est d’aborder cer-
monétaire international. D’ailleurs, il est tains aspects du débat sur « l’architecture »
désormais question de système monétaire du SMFI, terme à la mode pour évoquer
et financier : avec l’essor des marchés en fait un thème récurrent. Trois ques-
de capitaux, la déréglementation et la tions sont successivement présentées : les
globalisation des systèmes bancaires et débats sur la libéralisation financière
financiers, les « murailles de Chine » qui et leur portée ; le régime de change souhai-
existaient entre le monétaire et le finan- table et/ou concevable ; certains aspects
cier sont tombées. La frontière entre la institutionnels (rôles respectifs du FMI, de
monnaie et les autres actifs financiers la Banque mondiale, de la Banque des
est encore plus conventionnelle et délicate règlements internationaux, de la Banque
qu’il y a vingt ans, à cause des nouvelles centrale européenne...).
technologies et des innovations financiè-
res. La progression phénoménale des
instruments dérivés (contrats à terme, LA LIBÉRALISATION
options, swaps, etc.), qui véhiculent tous FINANCIÈRE :
de forts effets de levier, a également contri- QUE PENSER DU DÉBAT ?
bué à donner à la finance une autre dimen-
sion que celle constatée au début des an-
nées 1970. Les conséquences de la parfaite
La réforme du Système monétaire et mobilité des capitaux : nouvelles
financier international (SMFI) est de moins opportunités, nouvelles contraintes
en moins de la compétence exclusive des
pays développés et des plus puissants d’en- La libéralisation financière intervenue
tre eux rassemblés dans le G7. On en avait depuis une vingtaine d’années, plus ou
déjà pris conscience dans les années 1980, moins vite selon les pays, s’est traduite par
avec la crise de l’endettement internatio- plusieurs phénomènes relativement bien
nal initiée par la défaillance du Mexique identifiés : une accélération de l’innova-
en août 1982. Cette conscience s’est enra- tion financière ; une ample déréglementa-
cinée, avec la seconde crise mexicaine de tion ; la globalisation financière ; l’essor

* Professeur à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)


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RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE - 1999

des marchés de capitaux, reflétant une ten- viennent à proposer de remettre en cause
dance à la désintermédiation des finance- la parfaite mobilité des capitaux elle-
ments. De tout cela a découlé la parfaite même.
mobilité des capitaux, accentuée par les
nouvelles technologies bancaires et finan-
cières (électronisation des flux monétaires, Résister à la tentation du contrôle
Internet...). Qu’il soit désormais possible des changes
de déplacer des fonds d’une place à l’autre,
d’un produit financier à l’autre, en temps Face à la crise financière, certains pays
réel et en supportant des coûts de tran- ont activé (exemple de Hong Kong) ou
saction de plus en plus faibles crée des durci le contrôle des changes (Malaisie,
opportunités nouvelles à la fois pour les Russie...). Alors que, traditionnellement,
emprunteurs et les épargnants. Ainsi, les ce contrôle est destiné à lutter contre la
systèmes bancaires et financiers fonction- fuite des capitaux, il est, plus qu’avant,
nent de façon beaucoup plus efficiente suggéré pour limiter les entrées de capi-
qu’il y a vingt ans. taux « d’aujourd’hui » susceptibles d’ali-
La médaille a son revers. D’abord, la menter les sorties « demain ».
parfaite mobilité des capitaux alimente Par-delà leurs nombreuses différences,
l’instabilité, car elle nourrit la prise de les crises financières touchant le Mexique
positions spéculatives et le mimétisme des (1994-1995), l’Asie (depuis juillet 1997),
opérateurs, provoquant des configurations la Russie (à partir d’août 1998), etc. ont
de « surréaction » des taux de change et eu en commun d’avoir été nourries par
des cours d’actifs financiers à la hausse ou un « cocktail » potentiellement explosif :
à la baisse. Ensuite, la libéralisation finan- la surévaluation de la monnaie nationale -
cière vient forcément limiter les marges avérée objectivement ou ressentie comme
de manoeuvre pour les autorités et les telle, subjectivement, par les investisseurs
politiques nationales. Un résumé en est non résidents - combinée au poids de la
fourni par le « triangle d’incompatibilité » dette externe à court terme. A un moment
mis en évidence par Robert Mundell puis donné, les non-résidents créanciers ven-
par Tomaso Padoa-Schioppa : on ne peut dent leurs titres pour éviter des pertes de
pas combiner des changes fixes, une par- change et, ce faisant, ils provoquent
faite mobilité des capitaux et des politi- l’effondrement du taux de change. Tel
ques monétaires nationales autonomes. est le scénario à répétition dans nombre
Au mieux, deux éléments parmi les trois de pays émergents ou en transition, par
précédents peuvent être conciliés. En vertu exemple en Russie avec la fuite devant
de ce triangle, la libéralisation financière les GKO (bons du trésor) à partir d’août
implique soit des changes flottants - ou, 1998.
du moins, fréquemment ajustés - dans le La France a proposé d’étendre au plan
cas où les politiques nationales souhai- mondial les clauses de sauvegarde incorpo-
teraient conserver une certaine dose rées dans les traités européens (possibilité,
d’autonomie, soit une coordination dans certaines circonstances, d’introduire
internationale étendue des politiques un contrôle des mouvements de capitaux à
monétaires nationales afin de contenir court terme pour une période n’excédant
l’instabilité des changes. pas six mois). Une telle initiative soulève
A la suite de la crise financière inter- plusieurs problèmes : le temporaire risque
nationale ouverte en juillet 1997, certains de devenir permanent, comme l’a montré
ne se limitent pas à cette interprétation l’expérience de certains pays membres du
du « triangle d’incompatibilité » ; ils en SME dans les années 1980 ; les capitaux à
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court terme ne sont pas toujours sépara- tions de change à encourager et celles à
bles des autres flux de capitaux ; etc. décourager parce qu’exclusivement
Le contrôle des changes était déjà en spéculatives ? Jusqu’à présent, aucune
partie contourné, et donc d’efficacité méthode crédible n’a été proposée pour
toute relative, il y a vingt ans. Que devient opérer une telle partition. Enfin, dans la
son impact avec la monnaie électro- vie quotidienne des banques, une telle
nique et Internet ? Forcément marginal. mesure serait très délicate à mettre en
L’expérience du Chili sur la période 1991- oeuvre.
1998, toujours citée comme « modèle » de Dans les débats franco-français sur la
contrôle des entrées de capitaux (au moyen réforme du système monétaire internatio-
de réserves obligatoires non rémunérées nal, la taxe Tobin a été abordée également
sur ces entrées), débouche en fait sur un sur un autre terrain, celui de la redistribu-
bilan mitigé. En pratique, la taxe a été tion des ressources : les sommes collectées
contournée par des procédés désormais en taxant les opérations de change seraient
éprouvés. affectées à l’aide au développement. On
En outre, toute mesure un peu étendue pourrait bien sûr envisager un tel recy-
de protection financière risquerait de clage. Cependant James Tobin lui-même
nourrir le protectionnisme commercial, ne manque pas une occasion de rappeler
avec les inconvénients que l’on sait. que, dans son esprit, cette fonction de
redistribution était très seconde par
rapport à l’objectif central, l’introduction
La taxe Tobin n’est pas la solution « d’un grain de sable dans les rouages de la
finance internationale ».
La taxation des opérations de change
proposée par James Tobin dès 1978 est
séduisante, puisqu’elle fournirait un Le resserrement nécessaire
moyen, moins contraignant que les du dispositif prudentiel
mesures de contrôles des changes et plus
conforme à la logique de l’économie de Le dispositif prudentiel est de nature
marché, de freiner la mobilité des capitaux préventive et se distingue des actions cura-
en décourageant les aller et retour pure- tives à entreprendre une fois que la crise
ment spéculatifs. Mais, même envisagée à est déclarée (intervention éventuelle du
un taux modique, elle paraît impraticable, « prêteur en dernier ressort »...). Les ris-
comme le rappelle opportunément le ques traités par la politique prudentielle
rapport Davanne1, et ce pour plusieurs sont variés puisqu’ils englobent le défaut
raisons. D’abord, elle nécessiterait une de paiement des emprunteurs (risque de
application généralisée, allant bien au-delà signature), les risques de marché (résultant
du périmètre du G7. Or, il y aura toujours des mouvements non anticipés des taux
au moins un paradis fiscal pour susciter d’intérêt, des taux de change...), le risque
des phénomènes de délocalisation. En d’illiquidité, etc.
second lieu, il n’y a aucune raison de Plutôt que de remettre en cause la libé-
taxer l’ensemble des opérations de change. ralisation financière, il faut l’accompagner
Tout pousse à exempter celles qui, directe- d’un resserrement adapté de la politique
ment ou indirectement, sont liées au prudentielle. Evoquer la libéralisation trop
financement du commerce mondial, in- rapide intervenue dans tel ou tel pays émer-
dispensable pour promouvoir la croissance gent, ça n’est pas poser des problèmes de
économique. Comment concrètement vitesse dans l’absolu mais bien dans le
séparer le bon grain de l’ivraie, les opéra- relatif : dans nombre de cas, l’instabilité
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est venue d’un écart notable entre la rapi- de la garantie des dépôts dans un certain
dité impressionnante de la libéralisation nombre de pays développés (exemple de
financière et la lenteur de l’ajustement dans la France en 1999) et la mise en place
le dispositif prudentiel et les réglementa- d’une telle garantie dans nombre de pays
tions bancaires et financières. Le sujet émergents ou en transition ne peuvent
abordé nécessite plusieurs précisions. être séparés de l’aggiornamento indis-
D’abord, l’exigence du renforcement du pensable du contrôle prudentiel. Pour la
dispositif prudentiel concerne les pays garantie des dépôts comme pour la
émergents, mais aussi les pays déjà émer- politique prudentielle, deux questions
gés. Ceux-ci seront d’autant plus crédibles communes dominent : quel est le système
aux yeux de ceux-là qu’ils auront su eux- d’incitations qui permet d’améliorer
mêmes « balayer devant leur porte ». Un l’efficacité à moyen-long terme des
exemple spécialement important : les auto- dispositifs, en réduisant en particulier
rités japonaises ont eu du mal à faire passer l’aléa moral (moral hazard) ? Jusqu’où, au
aux pays d’Asie du Sud-Est des messages plan mondial (Comité de Bâle et autres
crédibles sur la consolidation nécessaire instances de concertation) comme en
du Système bancaire et financier tant qu’el- Europe, peut-on et faut-il pousser la
les n’ont pas réussi elles-mêmes à sortir les coordination internationale ? Ces thè-
banques et autres intermédiaires financiers mes, et quelques autres, interpellent les
japonais de la détresse constatée depuis des économistes comme les décideurs. La
années. pratique tranche d’une manière ou d’une
Ensuite, les pays émergents doivent autre, mais les études normatives devraient
s’aligner sur les normes prudentielles être approfondies.
internationales arrêtées à Bâle (Banque Enfin, il ne suffit pas d’avoir un dispo-
des règlements internationaux (BRI) et sitif moderne et adapté à l’état de la so-
Comité de Bâle) et à Bruxelles (Commis- phistication financière actuelle, encore
sion européenne). Ces normes pruden- faut-il l’appliquer pleinement. Pour nom-
tielles ne sont pas fixées une fois pour bre de pays émergents ou en transition
toutes, mais elles doivent faire l’objet vers le marché subsiste encore un grand
d’une mise à jour fréquente. Le écart entre les normes prudentielles affi-
« reprofilage » du ratio de solvabilité (ra- chées et la pratique, autrement dit un
tio Cooke), amorcé depuis quelques mois, manque d’effectivité de la réglementa-
est un exercice de première importance. tion.
Car il s’agit tout à la fois de changer le
système de pondération initial, de moins
en moins adapté avec l’entrée de certains QUEL RÉGIME DE CHANGE ?
pays émergents ou en transition à l’OCDE
(l’appartenance à la zone OCDE est,
jusqu’à présent, un critère utilisé pour Le régime de change occupe forcément
pondérer le risque de signature...), d’amé- une place privilégiée dans les débats sur
liorer la transparence des engagements, « l’architecture » du SMFI. Nous ne som-
de renforcer les dispositifs de contrôle mes pas prêts de revenir à Bretton-Woods,
interne, de s’interroger sur les méthodes et il sera difficile d’étendre au plan mon-
de valorisation des engagements (faut- dial la fixité des changes introduite dans la
il ou non généraliser la comptabilité zone euro. Mais peut-on pour autant
aux prix de marché ?), etc. On le voit, se satisfaire de la volatilité actuelle des
le champ d’investigation est large, marchés des changes, et des risques qui
d’autant plus que les réformes en cours l’accompagnent ?
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Leçon à tirer de la crise financière (Argentine, Hong Kong, certains Etats


internationale baltes...). Appliquée strictement, elle crée
de fortes rigidités puisqu’elle ajoute à
La conjugaison d’une surévaluation du l’ancrage du taux de change une stricte
taux de change et d’un fort endettement dépendance de la masse monétaire interne
extérieur à court terme a été déterminante vis-à-vis des réserves de change. Entendue
dans les crises asiatique et russe. Les pays dans cette conception stricte, le conseil
d’Asie du Sud-Est avaient ancré leur mon- monétaire fait figure de version moderne
naie au dollar américain, avec une exces- de l’étalon-or, avec bien sûr des différences
sive rigidité (un peg strict). Tant que le notables entre l’un et l’autre. Le conseil
dollar était bas ou en baisse, cet ancrage monétaire peut être une façon pour un
procurait de la compétitivité-prix par le pays d’acquérir de la crédibilité et de
taux de change, même s’il n’aidait pas la compter sur des mécanismes automati-
désinflation. Lorsque le dollar s’est mis à ques, mais au prix d’ajustements parfois
monter (1996 et une partie de 1997), l’an- aveugles et souvent très coûteux (pour la
crage est devenu un boulet. D’où, dans le croissance et l’emploi...).
sillage du baht thaïlandais, le décrochage C’est pourquoi, il faut, en règle géné-
l’une après l’autre de nombre de devises de rale, privilégier d’autres approches. Pour
la région. A partir de là, on est passé d’un nombre de pays émergents ou en transi-
extrême à l’autre, de l’excessive rigidité au tion, deux axes devraient désormais guider
flottement intégral des taux de change. la politique de change :
Avec, à la clef, la réalité ou du moins la - l’ancrage de la monnaie nationale non
menace de dévaluations compétitives, au plus à une seule monnaie (concrètement,
moyen desquelles chaque pays cherche à se au dollar), mais à un panier de monnaies
créer un avantage éphémère vis-à-vis de ses dans lequel le dollar et l’euro pourraient se
voisins mais, au bout du compte, n’exis- trouver rapidement sur un pied d’égalité.
tent que des perdants. Pour la nouvelle Compte tenu des rôles respectifs des
« architecture » financière internationale, devises et de la structure des balances des
il va donc falloir trouver, pour les pays paiements, on peut imaginer pour des
émergents, l’équilibre convenable et sou- pays comme la Thaïlande, la Corée du
tenable à moyen-long terme, entre la Sud, l’Indonésie, etc., un panier dans
rigidité et la flexibilité. lequel le dollar et l’euro auraient, chacun,
un poids de 40 %, le reste étant représenté
par le yen et éventuellement, dans une
La mise en oeuvre de régimes moindre proportion, par des devises plus
de change intermédiaires locales. Mais l’option du panier devrait
également être envisagée par d’autres
Il faut distinguer la situation des pays pays émergents, ceux d’Afrique qui n’ap-
émergents et des pays développés, sans pour partiennent pas à la zone franc (certains
autant nier leur interdépendance et les d’entre eux, avant même l’arrivée de l’euro,
nécessaires cohérences à respecter dans un ont déjà mis en oeuvre une politique de
monde de globalisation financière. panier), voire certains pays d’Amérique
Latine actuellement totalement immergés
Les pays émergents dans la zone dollar (on peut toujours
rêver !).
La formule du conseil monétaire - la mise en place d’un ancrage mobile
(currency board) a donné des résultats (crawling peg) vis-à-vis d’un panier de
contrastés dans les différents cas de figure référence, déjà pratiqué par certains pays.
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Comme indiqué, il faut éviter d’accumu- indiscutable (l’usage du dollar ne fait que
ler des différentiels d’inflation non corri- favoriser son usage, selon un principe de
gés par le change et de la surévaluation, car base de la théorie des réseaux).
tôt ou tard les marchés imposent des Le rééquilibrage à l’intérieur du
corrections, dans la précipitation et dans SMFI ne garantit pas, en soi, plus de sta-
la douleur. Les travaux effectués par John bilité des changes au plan mondial.
Williamson et quelques autres économis- Certains économistes, dans le sillage de
tes sur les taux de change réels « d’équili- la théorie du leadership proposée par
bre » peuvent fournir ici des repères utiles. Ch. Kindleberger, prétendent même que
Ceci dit, l’expérience récente suggère que plus de symétrie pourrait engendrer plus
le taux de change d’équilibre envisagé d’instabilité. Sans prendre ces conclusions
du point de vue des flux de commerce pour argent comptant, il faut constater
international et de la compétitivité-prix que la question demeure ouverte. Il faut
ne correspond pas toujours au taux de s’attendre à une assez grande volatilité du
change d’équilibre défini dans l’optique taux de change dollar/euro, dont les pays
des mouvements de capitaux et des choix tiers, spécialement les pays émergents, vont
de portefeuille. Un exemple parmi d’au- être les spectateurs engagés.
tres : si les non résidents ont vendu à En second lieu, les discussions sur la
partir d’août 1998 leurs GKO russes et nécessité et la possibilité de mettre en place
le rouble, ça n’était pas pour des raisons des zones-cibles (target zones) entre le dol-
liées au solde commercial et à la compé- lar, l’euro, le yen... sont périodiquement
titivité-prix de la Russie, mais pour des rouvertes. En Allemagne, les autorités se
motifs plus strictement financiers. D’où la sont, avec l’arrivée de G. Schröder, rap-
nécessité, dans la pratique, de mêler des prochées des thèses françaises exprimées
considérations commerciales et financiè- depuis des années. Du côté des Etats-Unis
res pour mettre en oeuvre un ancrage et du Royaume-Uni, et des banques
mobile. centrales en général, le scepticisme reste
la règle. Il faut reconnaître que l’expé-
Les pays développés rience des zones-cibles à la suite de
l’Accord du Louvre (février 1987) n’a pas
Il faut tenir compte de plusieurs élé- été très concluante : ces zones-cibles ont
ments centraux. Tout d’abord, l’arrivée été respectées pendant seulement quelques
de l’euro devrait à terme permettre de mois, et la volatilité réduite sur le marché
rééquilibrer le Système monétaire interna- des changes a eu tendance, par le jeu des
tional, en faisant déboucher sur un duopole vases communicants, à se reporter vers les
monétaire dollar/euro plutôt que sur une marchés de capitaux. Le retour de zones-
véritable triade dollar/euro/yen. Car la zone cibles entre le dollar, l’euro, le yen...
yen n’est pas vraiment une réalité, même supposerait le respect de deux conditions
pour les pays asiatiques, et le SMFI va être pour l’instant non satisfaites :
organisé dans les années qui viennent - la réduction des déséquilibres interna-
autour du couple dollar/euro. Un rééquili- tionaux, en l’espèce des déficits extérieurs
brage qui, a priori, devrait s’opérer plus américains et des excédents extérieurs du
rapidement dans la sphère des transactions Japon et de la zone euro. Car il serait
financières que pour la facturation du difficile de faire respecter des zones-cibles
commerce mondial. Le dollar facture dans une configuration où les déséquili-
aujourd’hui environ 45 % de ce commerce, bres internationaux peuvent, à plus ou
et la monnaie qui fait la course en tête va moins lointaine échéance, nourrir des
continuer à bénéficier d’un avantage corrections de taux de change.
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GRANDS ENJEUX DE L’ACTUALITÉ FINANCIÈRE

- l’amélioration de la coordination in- d’un forum de concertation et de coopéra-


ternationale des politiques économiques, tion qui doit permettre de mieux impli-
en particulier dans le cadre du G7, est quer les pays émergents ou en transition
nécessaire, elle n’est pas suffisante. Le res- dans des décisions qui les concernent aussi.
pect d’un système de zones-cibles entre les Il faut laisser au G20 le temps de trouver
pays les plus développés nécessiterait un sa place et d’asseoir sa crédibilité. Mais,
pilotage autrement plus ambitieux et plus déjà, se profilent les tensions probables :
efficace que celui pratiqué depuis la créa- comment maintenir un groupe relative-
tion du G7. ment restreint sans susciter la frustration
Comme indiqué, on ne pourra pas des pays out, qu’ils soient développés (Pays-
complètement dissocier les solutions Bas, Suède...) ou émergents (Indonésie,
appliquées aux divers types de pays. Les Malaisie...) ? Comment concrètement le
pays du G7 devront déployer des trésors G20 va-t-il s’articuler avec les autres ins-
d’habileté et de conviction pour inciter les tances de coordination déjà en place ? Ces
pays émergents ou en transition à appli- questions ne sont pas insurmontables. On
quer des systèmes de zones-cibles ou bien peut espérer aussi que le large champ sus-
d’ancrage mobile (crawling peg) qu’eux- ceptible d’être traité dans le cadre du G20
mêmes, pour des motifs variés, ne seraient aide à surmonter la séparation artificielle
pas en mesure de respecter. entre différents sujets : les taux de change,
la coordination des politiques macroéco-
nomiques, la croissance du commerce
QUELLES RÉFORMES mondial et des PIB nationaux, etc.
INSTITUTIONNELLES ?

Quel rôle pour le FMI ?


L’amélioration
de la coopération internationale Depuis quelques mois, il est courant
- et le trait se retrouve dans les récentes
Le bilan plus que mitigé du G7 néces- propositions faites par le gouvernement
site aujourd’hui de le relancer sur des bases français - de suggérer d’étendre les compé-
nouvelles. Non seulement il faut tirer tences du FMI. Il est même question de
toutes les conséquences pour son fonc- charger le FMI de missions relatives à la
tionnement de l’arrivée de l’euro, mais il supervision bancaire. A mon sens, il ne
convient aussi d’associer plus étroitement faut pas élargir les compétences du Fonds,
les pays émergents et leurs représentants à mais plutôt faire en sorte qu’il remplisse
la concertation internationale. Des efforts mieux celles qui lui ont été confiées par les
sont amorcés dans cette direction, avec la accords de Bretton-Woods et les textes
mise en place du G20 décidée à Washing- ultérieurs : le soutien financier à court
ton en septembre 1999. terme, en cas de déséquilibres de balances
Le G20 permet d’associer sur les grands des paiements et/ou de crises de change,
débats touchant à l’architecture du SMFI, assorti de diverses conditions (la fameuse
non seulement les pays du G7, quelques conditionnalité).
autres pays développés (Australie, Arabie Il serait particulièrement dangereux de
Saoudite), certains pays émergents tirer argument des débats suscités par
(Argentine, Brésil, Mexique, Inde...) ou les crises asiatique et russe et le rôle du
en transition (Russie, Chine...). Aux dix- FMI, avant et pendant ces crises, soit
huit pays membres viennent se joindre le pour rejeter l’intervention du FMI en se
FMI et la Banque mondiale. Il s’agit là débarrassant du « bébé » (le FMI) avec
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RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE - 1999

l’eau du bain, soit en sens inverse, pour L’articulation entre le FMI


pratiquer une sorte de « fuite en avant », et et la Banque mondiale
étendre les missions de l’organisme inter-
national au risque que chacune d’entre La gestion de certaines crises récentes à
elles devienne moins bien exercée. Le FMI répercussion potentiellement ou effective-
dispose de la conditionnalité, mais pas ment systémique dégage un sentiment de
vraiment des compétences juridiques et en malaise. Car la logique de concurrence
personnel pour s’impliquer sur une large entre les divers organismes internationaux
échelle dans le contrôle et la supervision l’emporte trop souvent sur la logique de
bancaires. coopération. Les défis nécessitent de trai-
Pour des crises « classiques » annoncées ter les questions à l’articulation du court et
par une détérioration des fondamentaux du long terme, de l’économie financière et
habituels (déficits extérieurs, déficits de l’économie « réelle » (croissance, inves-
publics...), il est clair que le FMI doit tissement, emploi...). Une exigence, parmi
continuer à jouer le rôle essentiel, interve- d’autres : il faut multiplier les passerelles
nant comme « prêteur international en entre le FMI et l’OMC, car l’expérience
dernier ressort ». Mais, pour d’autres types montre que la libéralisation du commerce
de crises marquées par un assèchement mondial est souvent mise à mal par la
brutal de la liquidité susceptible de se trans- volatilité des changes et la tentation des
former tout aussi rapidement en crise d’in- dévaluations compétitives.
solvabilité, le FMI n’est pas le bon prêteur Les relations entre le FMI et la Banque
en dernier ressort international. N’étant mondiale illustrent spécialement bien
pas une vraie banque centrale - et l’on l’équilibre à trouver entre la logique de
retrouve ici le débat du début des années partenariat et la logique de concurrence,
1940 entre le Plan Keynes et le Plan White au coeur des relations entre les organismes
- il n’a pas la faculté de modifier, très vite internationaux.
et sans condition, le volume de ses engage- Au départ, avec Bretton-Woods, la
ments. Il n’a pas non plus la possibilité de division du travail était claire : au FMI
jouer de l’« ambiguité constructive », si d’aider à la résolution de certaines crises
nécessaire pour limiter les phénomènes monétaires et financières à court terme, à
d’aléa moral associés à l’intervention du la Banque mondiale de mettre l’accent sur
prêteur en dernier ressort. C’est pourquoi, les ajustements réels pour le moyen-long
avec Michel Aglietta, nous avons proposé terme (à travers essentiellement le finance-
que dans le cas des nouvelles crises de ment de projets). Depuis vingt ans, est
marchés caractérisées par un effondrement intervenue une sorte de convergence insti-
brutal de la liquidité, la fonction de prê- tutionnelle : le FMI a étendu l’horizon de
teur en dernier ressort international soit sa conditionnalité et son contenu aux ques-
exercée par le club des grandes banques tions non financières, alors que dans le
centrales intervenant de concert2. C’est même temps, la Banque mondiale déve-
une autre façon de dire qu’il convient d’ac- loppait des programmes (et plus seule-
tiver la composante « banques centrales » ment des projets) et introduisait dans sa
du G7, mais aussi que la Banque centrale propre conditionnalité de plus en plus de
européenne (BCE) devra, à côté de la composantes financières et bancaires, y
Réserve fédérale américaine, de la Banque compris dans une perspective de court
du Japon, etc., prendre sa part dans la terme. D’où le recouvrement progressif
gestion des crises financières à répercus- des compétences, générateur de concur-
sion potentiellement ou effectivement rence mais qui appelle aussi plus de coopé-
mondiale. ration. Les efforts dans ce sens depuis
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GRANDS ENJEUX DE L’ACTUALITÉ FINANCIÈRE

quelques années sont significatifs (par- L’Europe et le SMFI


ticipation systématique du FMI aux mis-
sions de la Banque mondiale et inverse- L’Europe, en tant que telle, a été beau-
ment, coordination des programmes et coup trop absente face à la crise asiatique
des conditionnalités...). Ils doivent cepen- puis à la crise russe. Certes, les pays euro-
dant être multipliés si l’on veut améliorer péens ont été lourdement mis à contribu-
l’efficacité des organismes de Bretton- tion via leurs parts dans les interventions
Woods. du FMI, de la Banque mondiale... Mais,
l’impression dominante est celle d’une
Europe traversée par certaines divergences
Et la BRI ? et des conflits d’intérêts potentiels.
L’écart persistant entre les ambitions de
A l’opposé du FMI, la BRI a les compé- l’Europe à travers l’Union économique et
tences nécessaires pour coordonner l’ac- monétaire et ce qui doit l’accompa-
tion des superviseurs bancaires nationaux gner dans le domaine de la coopération
rassemblés dans le Comité de Bâle. Mais politique, et une réalité insuffisamment
elle n’a pas de conditionnalité puisqu’elle coopérative, doit absolument disparaître.
n’accorde pas de financements. Les propo- Si la supervision bancaire reste claire-
sitions découlent de ce constat : ment de la compétence nationale en vertu
1) il faut rapidement élargir l’accès des du traité de Maastricht, il faudra conti-
pays émergents à la BRI. L’entrée récente nuer à rapprocher les réglementations et
de neuf d’entre eux (Corée du Sud, Russie, pratiques nationales, grâce à de nouvelles
etc.) doit être suivie rapidement de nou- directives arrêtées à Bruxelles et grâce à
velles adhésions ; une coopération élargie entre les autorités
2) les nouvelles adhésions à la BRI de- réglementaires de chaque pays membre.
vront se traduire, sans trop de décalage, Compte tenu des interdépendances
par l’élargissement concomitant du croissantes entre les systèmes nationaux,
Comité de Bâle. Cette évolution facilitera une crise bancaire ou financière, sauf à être
la supervision consolidée des conglomé- très ponctuelle, a toutes les chances de
rats financiers et des banques universelles concerner plusieurs pays membres, voire
mondialisées ; l’ensemble de la zone euro. Sur la solution
3) à partir de là, il faudra envisager des de ce type de crise, le traité de Maastricht
interventions conjointes FMI-BRI (sans est (volontairement ?) ambigu. L’ambi-
oublier la Banque mondiale) : le Fonds guïté en question n’est pas nécessairement
apporterait des concours avec, parmi les « constructive ». Je pense qu’il est dans la
conditions, la nécessité de resserrer le dis- logique à la fois des marchés financiers et
positif prudentiel (y compris les procédu- de l’UEM d’envisager la possibilité pour
res de contrôle interne) sous l’attention la Banque centrale européenne (BCE)
vigilante de la BRI. Voilà une manière d’intervenir comme « prêteur en dernier
d’articuler le financement et le prudentiel, ressort », dans l’hypothèse d’une crise de
et de faire la jonction entre le soutien à liquidité impliquant plusieurs systèmes
court terme et les réformes structurelles ; bancaires et financiers nationaux. Par-delà
4) pour renforcer sa contribution, la les défis à relever dans la zone euro, la
BRI pourrait se charger d’une double mis- participation de la BCE à la résolution des
sion : l’observation et l’analyse détaillées crises de liquidité à implication globale,
du risque systémique ; la formation des aux côtés des autres grandes banques cen-
superviseurs bancaires des nouveaux pays trales du G7 et en particulier de la Réserve
adhérents. fédérale américaine, s’inscrirait dans la
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RAPPORT MORAL SUR L’ARGENT DANS LE MONDE - 1999

coopération nécessaire des principales du SMFI. Il faudra qu’elle assume aussi,


banques centrales du monde. L’Europe à côté des avantages de la monnaie de
a des ambitions légitimes pour le rôle réserve, les responsabilités et les sujétions
international de l’euro et le rééquilibrage qui en découleront.

NOTES

1. Olivier Davanne, Instabilité du Système Financier International, Conseil d’Analyse Economique, n°14, La Documentation
Française, 1998.
2. « Le prêteur international en dernier ressort », dans Architecture Financière Internationale, Conseil d’Analyse Economique,
n° 18, La Documentation française, 1999.

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