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Revue d'histoire de l'Église de

France

Pour refaire la « Gallia Christiana ». Chronologie et biographies


épiscopales
Victor Carrière

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Carrière Victor. Pour refaire la « Gallia Christiana ». Chronologie et biographies épiscopales. In: Revue d'histoire de
l'Église de France, tome 19, n°83, 1933. pp. 206-218.

doi : 10.3406/rhef.1933.2652

http://www.persee.fr/doc/rhef_0300-9505_1933_num_19_83_2652

Document généré le 19/10/2015


Pour refaire la « Gallia Christiana i

CHRONOLOGIE

ET BIOGRAPHIES ÊPISCOPALES

I. La Liste épiscopale. — § 1. Des origines aux environs de l'an mil. —


Catalogues épiscopaux. -— Documents hagiographiques. — De
quelques fautes à éviter. -— § 2. Du xie siècle à nos jours. — Catalogues et
-

répertoires de l'épiscopat.
II. Les Biographies épiscopales. — Les notices episcopates de la Gallia.
— Trois modes de présentation, : l'inscription, la notice, le portrait
historique.

Les problèmes que pose la réfection de la Gallia ont été


étudiés à plusieurs reprises ici même, notamment par feu l'abbé
Degert1 et par M. Albert Dufourcq2. Nous voudrions ajouter à
ces données quelques suggestions nouvelles et, croyons-nous,
opportunes.
Les auteurs de la Gallia Christiana ont adopté pour l'histoire
des Églises le plan biographique. Qu'il s'agisse des évêchés
ou des monastères à la nomination du roi, les notices s'y
ordonnent' chronologiquement, soit par épiscopat, soit par ab-
batiat ou priorat. Cette présentation littéraire, qui rappelle
l'ordonnance des anciens catalogues épiscopaux, s'est élargie
au cours des derniers siècles jusqu'à intégrer dans le cadre
des biographies d'évêques les institutions et la vie religieuse
régionales. Aussi, le type de la monographie diocésaine sem- %
ble-t-il définitivement arrêté aujourd'hui : on n'imagine plus
l'histoire d'une Église particulière autrement que sous le
signe de ses évêques. Il y a là une méthode étrange, un
manque foncier d'imagination créatrice, et, si l'on en juge par le
peu d'attrait que présentent tels ouvrages, un procédé qui
a fait faillite, — d'où l'urgence de réagir.
L'histoire d'un diocèse se conçoit naturellement telle une
monographie. Son but est, en effet, l'étude d'un. cas
particulier pris comme type de toute une série de faits ou situations
similaires à fin de généralisation. Or, le plan biographique,
appliqué à l'histoire diocésaine, s'oppose à cette fin par trois
raisons :

1. Pour refaire la « Gallia Christiana » : Nécessité, voies et moyens,


t. VIII (1922), p. 281-301.
2. Comment concevoir l'histoire d'un diocèse, t. XII (1926), p. 5-15.
CHRONOLOGIE ET BIOGRAPHIES BPÏSCOPALES 207

1° II porte l'auteur à concentrer son attention sûr les


personnages et à laisser dans l'ombre une part plus ou moins
considérable des institutions et de la vie religieuse d'autrefois;
2° II fragmente l'histoire en périodes arbitraires, délimitées
par les deux dates de l'élection (ou nomination) et de la mort
du titulaire, périodes parfois de durée très courte ;
3° II oblige de suivre, à l'intérieur de chaque période,
l'ordre chronologique des événements, ce qui n'est pas sans
occasionner un défaut d'équilibre, ni faire obstacle à l'ordre
logique qui seul permet de grouper les faits et de les
expliquer dans un effort de synthèse.
On évitera ces inconvénients en substituant au système
biographique un plan tout différent. Celui-ci aurait nos
préférences qui concevrait l'histoire d'un diocèse en deux parties,
indépendantes l'une de l'autre, mais liées indissolublement
comme les pièces d'une construction unique : l'une,
biographique, serait consacrée exclusivement à la série des pontifes
qui ont occupé le siège episcopal; l'autre, monographique ou
synthétique, traiterait de la vie et des institutions religieuses
du « pays », d'après l'ordre chronologique, suivant des paliers
étages, définis par des états de civilisation3, par des stades
d'évolution répondant à des périodes4. Ce plan, que nous
rappelons ici, n'est à nos yeux le meilleur que parce qu'il se
réfère au projet d'une « France épiscopale et diocésaine »,
dont la Société d'histoire ecclésiastique de la France avait
jeté les bases dès 1924. On peut ne pas s'y rallier.
Quel que soit le parti qu'on adopte, la chronologie et les
biographies épiscopales restent parmi les sujets essentiels de
toute monographie diocésaine. Nous nous y arrêterons donc
un instant. De là deux paragraphes où seront indiqués les
ouvrages qui sont pratiquement les plus importants pour
l'établissement de la série épiscopale et la rédaction des notices.
Nous signalerons aussi quelques causes d'erreur, les plus
fréquentes en ces matières*et qu'il est bon d'éviter.

3. Il faut entendre par là les phases diverses du développement


historique des institutions religieuses et sociales, que traduisent si bien dans
le passé le respect de la tradition joint au désir de réforme dans l'ordre.
4. On modifiera la méthode selon que l'exigera la pénurie des
documents. Ou bien l'on adoptera le plan chronologique par paliers, ou bien
l'on procédera par concentration, en étudiant à part, dans leur
développement logique, les différents aspects de la vie diocésaine (Voir Albert
Dufourcq, Comment concevoir l'histoire d'un diocèse, dans la Revue
d'histoire de l'Église de France, t. XII, p. 5-15). Le seul inconvénient de
cette méthode, et l'on devra y prendre garde, c'est d'isoler les questions
les unes des autres, sans marquer toujours» l'interdépendance des faits-
entre eux.
"208 REVUE D'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE FRANCE

/. — LA LISTE ÉPISCOPALE.

Pour être complète, la liste présentera le nom de chaque


évêque, ses antécédents, les dates de la naissance, de
l'élection ou nomination, du sacre, celles de la prise de possession;
de la résignation ou du décès. Ces renseignements, on ne les
obtiendra pas sans peine. Mais sont-ils bien tous nécessaires?
Jusqu'à quel point est-il utile de produire un état civil
complet de personnages dont plusieurs n'ont tenu qu'un rôle
discret ou semblent voués à l'oubli ? Il serait regrettable qu'on
perdît un temps précieux pour tel ou tel détail sans
importance. Sachons prendre notre parti de lacunes inévitables, en
songeant que ceux-là dont la mémoire doit vaincre le temps
rencontreront bien, d'aventure, un biographe pour leur
assurer la survie qu'elle mérite.
La chronologie des évêques peut se diviser pour les anciens
diocèses en deux périodes, assez mal définies du reste, suivant
que les documents d'archives font défaut ou abondent : celle
des origines aux environs de l'an mil, l'autre jusqu'à nos jours.

§ 1. — Des origines aux environs de l'an mil.

C'est une époque stérile et fort embrouillée. Les documents


sont rares, le plus souvent de date tardive et apocryphes. Les
catalogues de la Gallia vhristiana présentent pour ces temps
révolus des séries de noms, les uns authentiques, d'autres créés
arbitrairement ou transmis par la tradition et partant
invérifiables. Ce n'est plus médire de ces listes que d'accuser leur
insuffisance et leur à peu près; mais il faut souhaiter qu'on
les reprenne en sous-œuvre pour chaque diocèse. A ce point
de vue, le Recueil des actes concernant les évêques d'Antibes
par M. Georges Doublet est un bel exemple4*.
Trois sortes de documents, tous d'origine ecclésiastique,
aideront plus que d'autres à dresser une chronologie certaine,
sinon toujours complète, des titulaires de nos anciens évê-
chés. Ce sont : les catalogues épiscopaux, les passions ou vies
de saints, les martyrologes.

Catalogues épiscopaux. — La revision des listes de la Gallia


Christiana, entreprise sans grande méthode dans la plupart
des diocèses, a été renouvelée à la fin du siècle dernier par

4*. L'ouvrage va des origines à 1244 {Collection des textes pour servir
à l'histoire de Provence, publiée sous les auspices de S. A. S. le prince
Albert Ier de Monaco). Paris, 1915, in-8°.
CHRONOLOGIE ET BIOGRAPHIES ÉPISCOPALES 209

Mgr Duchesne « en ce qui regarde la plus ancienne moitié


des séries épiscopales ». Son ouvrage, les Fastes épiscopaux
de l'ancienne - France", apporte à la question des éléments
nouveaux. Aux textes déjà connus, il joint les catalogues
épiscopaux, c'est-à-dire les listes d'éveques primitivement inscrits
sur les diptyques des églises cathédrales et lus au canon de
la messe. « Aucun des anciens diptyques de nos églises ne
nous est parvenu en original; mais beaucoup d'entre eux nous
sont représentés par des textes dont la rédaction remonte
souvent à l'époque carolingienne. Toutes ces listes n'offrent
pas les mêmes caractères d'authenticité : il en est qui ont été
dressées pour ainsi dire au jour le jour, et qui méritent la
plus entière confiance. D'autres, au contraire, ont été refaites
et complétées après coup, souvent à l'aide de textes suspects
ou mal interprétés". » Duchesne discute la valeur de ces
textes, il en fait ressortir les anachronismes, montre en quoi
leur rédaction contredit les documents historiques qui nous
ont été conservés, et s'attache à dater chacun des
personnages à l'aide d'autres sources, conciles, vies de saints,
diplômes....
La critique si ferme de Duchesne ne saurait dispenser les
érudits d'en vérifier les conclusions, encore moins d'apporter
a l'exposé du maître quelque développement exhaustif7.
Duchesne n'a pas fait la critique de tous les textes qu'il a
utilisés. Il s'en est remis parfois, pour leur datation, aux
précisions fournies par Leopold Delisle dans son mémoire sur les
Anciens catalogues des évêques... de France. Certaines de ces
assertions ne sont toujours que des hypothèses. Par ailleurs,
des séries épiscopales, comme celle d'Auch et d'Antibes, sont
incomplètes. Si Duchesne a raison en gros, il a pu s'égarer
dans le détail. Lui-même l'a reconnu en se corrigeant
volontiers d'une édition à l'autre des Fastes. En ce qui" concerne les
origines de l'évêché de Metz, par exemple, il a cru tout
d'abord que la liste épiscopale de cette Église n'offrait pas un
point d'attache certain avant l'année 535\ En 1907 cependant,
revenant sur cette affirmation première, il déclare ne voir

5. L. Duchesne, Fastes épiscopaux de l'ancienne France. Paris, 1894-


1915, 3 vol. in-8°. Une seconde édition corrigée du tome Ier a paru en 1907.
6. L. Delisle, Anciens catalogues des évêques des Églises de France,
dans l'Histoire littéraire de la France, t. XXIX (1885), p. 386.
7. Tel l'excellent commentaire que l'abbé Houtin a consacré, après
Duchesne, à la légende de saint René, dont le nom avait été introduit
par interpolation dans la liste épiscopale d'Angers (Les origines de
l'Église d'Angers. La légende de saint René. Laval, 1901).
8. Fastes épiscopaux, t. I (éd. 1894), p. 12.
14
210 REVUE D'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE FRANCE

aucun obstacle à porter la fondation de ce siège « au déclin


du ine siècle9. » Et cette hypothèse n'est pas la dernière à
laquelle on puisse s'arrêter, puisque, dans son tome troisième,
il laisse entendre qu'on pourrait reporter les origines de l'é-
vêché messin « aux environs de l'an 25010 ».

Documents hagiographiques. — Le culte traditionnel des


fondateurs d'évêchés a donné naissance à une -foule de
légendes que l'on est tenté d'interroger pour connaître les origines
chrétiennes d'un diocèse. Il y a peu de chance qu'un examen
critique de ces récits tourne au profit des personnages qu'on
y présente comme les premiers évangéiisateurs des cités11. Ce
sont d'abord les passions ou vies de saints, qui constituent
les sources hagiographiques proprement dites. Elles
remontent à une époque tardive; quelques-unes, par exception, sont
antérieures au ixe siècle; toutes accusent des déformations
qui n'ont pas eu nécessairement la piété pour motif. C'est le
cas de la Passio sancti Saturnini, rédigée aux environs de 450
et qui fut défigurée, au siècle suivant, pour soutenir les
prétentions hiérarchiques de l'évêque d'Arles à la primatie des
Gaules. Ces sources sont à étudier néanmoins, dans la
mesure où les textes peuvent corroborer ou déprécier une liste
épiscopale.
Il y a lieu de recourir également aux martyrologes qui
consacrent, plus ou moins développées, fantasiées, les traditions
relatives aux martyrs et aux fondateurs des Églises.
Rappelons ici les principaux martyrologes : le martyrologe hiéro-
nymien, attribué à saint Jérôme et complété à la fin du vie
siècle par l'accession d'un grand nombre d'évêques et autres-
saints de la Gaule; — et les martyrologes historiques, dont
les notices sont empruntées aux vies de saints : tels le
martyrologe de Bède, interpolé au ixe siècle; le martyrologe d'Adon,
écrit entre 850 et 860, qui est un développement fâcheux du
précédent, et le martyrologe d'Usuard, composé vers 875, dont
la rédaction est un abrégé de celui d'Adon de Vienne12.

9. Tome I (éd. 1907), p. 13.


10. Tome III, p. 9.
11. Voir la démonstration de M. l'abbé Ledru, à propos de saint
Julien que la légende, du début du vne siècle au plus tôt, désigne comme
fondateur de l'Église du Mans et contemporain des apôtres (Les premiers
temps de l'Église du Mans. Légende et histoire. Les origines. Le Mans,
1913, in-8°).
12. Dom Quentin a mis en évidence l'importance des emprunts faits
aux vies de saints par les martyrologistes du ixe siècle et l'insuffisance
des éditions critiques qu'on a données jusqu'ici de leurs œuvres. Voir les
Martyrologes historiques du Moyen Age. Paris, Champion, 1908.
CHRONOLOGIE ET BIOGRAPHIES ÉPISCOPALES 211

De quelques fautes à éviter. — Listes épiscopales, vies de


saints, martyrologes, ces diverses sources que nous venons
d'énumérer, sont à la base de toute enquête sur la chronologie
des chefs religieux de nos diocèses avant l'an mil. Elles
demandent à qui les manie des connaissances d'histoire générale
et de droit ecclésiastique ancien, et aussi un esprit dégagé de
tout système. Faute de quoi, l'on s'exposerait à retomber dans
les mêmes errements que par le passé. D'aucuns, d'ailleurs,
sont assez généralisés pour qu'on tire de leur fréquence
même une raison de prudence : Cave ne cadas.
Trouverait-on, de nos jours, un chapitre de chanoines où
la thèse de l'apostolicité des Églises de France recruterait
une majorité de partisans ? Nous ne le croyons pas. Mais
l'habitude s'est prise de faire intervenir ici une question
d'orthodoxie, et aussitôt les têtes s'échevèlent. On n'y attacherait
pas d'importance si l'on n'y voyait que le fait d'ignorants.
Mais l'esprit de clocher ou, plus justement, la crainte de
porter le trouble dans certaines âmes, motive trop souvent de la
part des gens qui savent des attitudes, des réserves qui sont
tout profit pour l'erreur. Voue, souvient-il du discours de
réception de l'abbé Bremond à l'Académie française ?
Succédant à Mgr Duchesne, dont on connaît la thèse sur la venue
en Provence des saints de Béthanie, il n'osa par courtoisie
heurter de front les traditions légendaires de ses
compatriotes et laissa, comme on dit, la question pendue à la perche.
Et c'était l'abbé Bremond, un homme qui s'inquiète peu de
penser tout haut. Rappelons également que M. l'abbé Mourret,
l'auteur de la plus volumineuse Histoire de l'Église qui ait paru
depuis le commencement du siècle, a cru devoir, lui aussi,
adopter sur ce point la position indécise de ceux qui
cherchent encore. Preuve nouvelle, chez les plus en vue, de cet
état d'esprit si préjudiciable au progrès historique et qui
arrachait à l'un dès maîtres éminents de notre enseignement
supérieur, M. l'abbé Saltet, cet affligeant aveu : « Les
travailleurs ecclésiastiques sont passés, depuis quelques années,
d'un extrême à l'autre : de trop de confiance à la
pusillanimité. » La sagesse consisterait à changer de méthode. « Des
devoirs difficiles s'imposent à eux. S'ils reculaient devant des
questions aussi simples que celle qui est traitée ici, c'est
qu'ils seraient incapables de prendre part à la discussion
religieuse telle qu'elle se pose aujourd'hui11. »
Toute question d'indépendance ou de courage mise à part,

13. L. Saltet, le Commencement de la légende de saint Saturnin, dans


le Bulletin de littérature ecclésiastique [de Toulouse], an. 1922, p. 34.
212 revue d'histoire de l'église de France

on aurait profit également à se rappeler l'enseignement du


P. de Smedt touchant la tradition orale, que celle-ci soit
d'Église ou simplement populaire14. Sur ce point encore, les
écrivains ecclésiastiques commettent force méprises et bévues.
Pour les évêques honorés du titre de saints, on croit, ou
du moins on raisonne comme si l'on croyait que
l'hagiographie, d'après les principes de la théologie catholique, est
couverte et garantie par la « tradition orale » à peu près au
même titre que les dogmes eux-mêmes. On se figure — et
c'est une autre erreur — que l'autorité ecclésiastique a
toujours surveillé de très près la rédaction des calendriers, et
d'asrez près la rédaction des martyrologes et des vies de
saints15. Or, au Moyen Age, l'hagiographie a surtout souffert
de deux sortes d'ennemis : d'une part, comme le savait bien
Bellarmin1", l'ignorance et l'imagination populaires; d'autre
part, la demi-science des hagiographes eux-mêmes. Ceux-ci,
d'ailleurs, appartenaient à un milieu social où l'aptitude à la
dialectique et le souci de la dogmatique l'emportaient de
beaucoup nur l'esprit scientifique. Il suffit, pour s'en
convaincre, de comparer à la Somme, de saint Thomas, je ne dis pas
la Légende dorée, mais le curieux Speculum historiale de
Vincent de Beauvais, l'œuvre d'histoire la plus considérable qu'ait
produite le xmc siècle. On verra, par cet exemple, comment
l'imagination populaire a fait souvent invasion, sans
rencontrer de résistances sérieuses, dans l'hagiographie et, en
général, dans l'histoire ecclésiastique. Ne nous lassons pas de
le répéter : des fables comme l'histoire de la papesse Jeanne
ou le baptême romain de Constantin, et des faux comme les
Fausses Décrétâtes se sont fait une place au grand jour, dans
les collections les plus autorisées, sous les'yeux de l'autorité

14. P. Ch. De Smedt, Principes de la critique historique (1883),


chapitre x : De la tradition orale; chapitre xi : Autorité de la tradition
populaire.
15. .Les livres liturgiques ne font pas exception, même de nos jours.
La légende de saint Sernin, différente dans les bréviaires d'Auch et de
Toulouse, en est une preuve. D'après le propre du diocèse d'Auch, cette
ville aurait ^été évangélisée par saint Sernin au Ier siècle de notre ère. Le
propre du diocèse de Toulouse (édition de 1883) se garde, au contraire,
de préciser quoi que ce soit touchant la date de l'apostolat de saint
Sernin. S'inspirant d'un texte bien connu de Sulpice Sévère, il dit même :
« tardo processu in regionibus nostris apostolorum praedicatio corus-
cavit ». Notez que le Saint-Siège a également approuvé l'un et l'autre
office.
16. Bellarmin était opposé à l'entreprise des Acta sanctorum, de peur
que la publication des textes originaux ne mît au jour toutes sortes
d'inepties : « Ne forte in originalibus historiis multa sint inepta, levia, im-
probabilia, quae risum potius quam aedificationem pariant » (H. Delehaye,
l'Œuvre des Bollandistes (1920), p. 13.)
CHRONOLOGIE ET BIOGRAPHIES' ÉPISCOPALES 213

ecclésiastique. Si des énormités pareilles ont été tolérées,


acceptées par les papes, on devine facilement ce qui a dû arriver
dans tel ou tel diocèse de la chrétienté.
Troisième cause d'erreur. On confond trop souvent ce qui
regarde l'existence même du saint et la légitimité de son culte
avec ce qui regarde la confiance méritée par les écrits de sa
vie. La légitimité du culte, sauf quelques rares exceptions, est
suffisamment établie par une possession séculaire : ici,
comme en droit civil et dans tous les faits qui touchent à la vie
pratique, possession vaut titre, du moins jusqu'à preuve
positive du contraire. C'est le point de vue auquel se place la
Congrégation des rites lorsqu'elle autorise le culte d'un vieux
saint local. Mais pour tout ce qui touche les dates et les
détails de la biographie du saint, ceci ne relève plus que de la
critique historique, et c'est à celui qui affirme qu'incombe le
devoir de fournir la preuve.

§ 2. — Du xie siècle à nos jours.

Les archives ecclésiastiques remontent en général au • xie


siècle. A partir de ce moment, les sources d'ordre
diplomatique vont toujours croissant en nombre et assurent à la
succession des évêques une base chronologique plus solide et
continue. Quelques siècles encore, une abondante littérature,
jointe à un appareil plus massif de documents, permettra
d'esquisser des notices biographiques.

Catalogues et répertoires de Vépiscopat. — Pour la partie


chronologique, on aura recours tout d'abord à la Series epis-
coporum de Gams17. L'ouvrage offre un tableau des évêques
de la catholicité des origines à l'an 1885. Tous les diocèses
y figurent par nation et suivant l'ordre alphabétique. Les
noms d'évêques sont précédés de la date de leur avènement
(élection, provision, consécration) et suivie de la date de leur
départ (décès, translation, démission). L'auteur indique ses
sources par diocèses, mais il ne s'agit que d'ouvrages
imprimés, d'une érudition fragile et souvent dépassée.

17. P. B. Gams, O. S. B., Series episcoponim Ecclesiae catholicae quot-


quot innotuerunt a beato Petro aposlolo. Ratisbonne, 1873, in-4°. Le
volume s'arrête à l'année 1865; la France y occupe les pages 476 à 658.
Deux suppléments ont paru dans le même format, l'un en 1879, l'autre
en 1885.
214 REVUE D'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE FRANCE

Moins étendu, mais plus solide est le répertoire du P.


Conrad Eubel, Hierarchia catholica, édité en trois volumes in-4018.
Nous avons là une œuvre imposante, une refonte de la Series
episcoporum de Gams pour la période qui s'étend du
pontificat d'Innocent II (1198) à celui de Clément VIII (1592). Ce
qui donne à cet ouvrage un prix inestimable, c'est qu'il
s'appuie sur un vaste dépouillement fait sur fiches des registres
du Vatican, où sont consignées depuis la fin du xne siècle
les nominations d'évêques par la Curie. Les registres les plus
fréquemment cités sont les copies des bulles de provision qui
donnent la date de- l'avènement et les Lib ri obligationum qui
font connaître la taxe due à la Chambre apostolique par les
évêques nouvellement nommés. Renseignements uniques,
auxquels on a joint en note, d'après la bulle de chaque titulaire,
l'indication de la dignité qu'il occupait avant son élévation.
Deux choses sont à noter cependant : 1 " Le fonds consulté
par le P. Eubel présente çà et là des lacunes, notamment
pour la période de la Pragmatique Sanction, pendant laquelle
la plupart des évêchés de France furent pourvus par l'élection
exclusive des chapitres des cathédrales : à ces lacunes, le
docte conventuel remédie en reproduisant simplement les
indications de Gams. 2° Les références aux registres
d'ordinaire suffisantes, laissent à désirer pour le tome III, où l'on
s'aidera, à fin de contrôle, des tableaux de concordance et
d'interprétation des sigles dressés par M. Vidal19.
Pour l'époque moderne, nous avons trois catalogues rai-
sonnés des titulaires d'évêchés.
Le premier en date est celui du P. Armand Jean, de la
Compagnie de Jésus, les Évêques et les archevêques de France
depuis 1682 jusqu'à 180Î20. Ce travail prend pour point de
départ l'Assemblée du Clergé de 1682, et nous donne la
chronologie des prélats depuis cette date jusqu'en 1801, époque du
Concordat. Les listes sont établies avec soin. On s'est attaché
ensuite à définir le rôle de chaque évêque, en esquissant une
courte appréciation de son caractère et de ses vertus. C'est la
partie la plus discutable de l'ouvrage. Seuls, les évêques ul-
tramontains reçoivent des éloges; lès autres, ceux-là surtout

18. Conradus Eubel, O. M. C, Hierarchia catholica Medii Aevi, Sum-


morum pontificum, S. R. E. cardinalium, Ecclesiarum antistitum
series... 1898-1910, 3 vol. in-4°. La seconde édition du tome I, parue en
1913, présente une documentation plus étendue, appuyée sur de
nombreux dépouillements d'ouvrages imprimés.
19. Les références aux Actes consistoriaux dans le troisième volume de
la « Hierarcha catholica » de Van Gulik et Eubel, dans les Mélanges
d'archéologie et d'histoire, t. XXXI (1911), p. 3-9.
20. Paris, 1891, in-8°.
CHRONOLOGIE ET BIOGRAPHIES ÉPISCOPALES 215

<jui se montrèrent hostiles à l'égard des Jésuites, sont traités


par prévention avec moins d'indulgence.
Il n'entrait pas dans les vues du P. Jean de parler des évê-
ques « jureurs ». Cette tâche, M. Paul Pisani s'en est acquitté
fort doctement dans son Répertoire biographique de Vêpisco-
pat constitutionnel (1781 -'1802Y1. Chaque notice forme un
schéma où sont esquissées les grandes lignes de la vie des
personnages d'après les Annales de la religion, qui étaient
l'organe officiel des Constitutionnels, et d'après les papiers
de l'abbé Grégoire mis à la disposition de l'auteur par leur
.ancien propriétaire, M. Gazier.
Vient finalement VÉpiscopat français depuis le Concordat
jusqu'à la Séparation, qui embrasse la période concordataire
de 1802 à 190522. Le millésime de cette publication marque le
couchant de l'ancienne Église de France. On a voulu en fixer
les dernières lueurs dans une galerie de portraits. Quatre-
vingt-dix collaborateurs — un par diocèse — ont été chargés
de rédiger une notice biographique sur chacun des titulaires
xies nouveaux évêchés. Chaque notice est suivie de l'indication
des armoiries, de la bibliographie des œuvres du prélat, des
biographies et des monuments qui lui ont été consacrés.
L'ensemble est bon.
Les différentes compilations que nous venons de
mentionner fournissent les jalons indispensables pour une première
exploration. Elles ne donnent pas, les dernières surtout, les
références indispensables à la connaissance immédiate des
détails. Il reste à contrôler par d'autres documents les
renseignements qu'elles apportent, à les rectifier, le cas échéant,
-et surtout à leur apporter les compléments nécessaires.
Toutes choses qui supposent l'examen détaillé des grandes
collections imprimées (recueils de diplômes, inventaires
d'archives...) et des sources historiques locales (obituaires,
chroniques religieuses...).

//. — LES BIOGRAPHIES ÉPISCOPALES.

Les fastes épiscopaux d'un diocèse de France seront autre


-chose qu'un catalogue ou une liste des pontifes qui l'ont
gouverné au long des âges. Ils devront grouper les éléments de
biographie essentiels. La tâche apparaîtra différente selon les
moments, les hommes. Pour la période des origines, les moin-

21. Paris, 1907, in-8°.


22. Ouvrage publié sous la direction de la Société bibliographique. Pa-
jris, 1907, in-8°.
216 REVUE D'HISTOIRE DE l/ÉGLISE DE FRANCE

dres textes prendront forcément de l'importance. Plus tard,


lorsque les renseignements augmenteront, il faudra opérer
un tri dans ces richesses, s'en tenir à une sélection.

Les notices de la Gallia. — Les Bénédictins ont fourni


l'archétype des notices episcopates de forme savante. Leur
méthode de commémorer les morts, sans apprêt, mais concise et
solide, ne retient de la vie des personnages que les actes
les plus expressifs de leur activité. Plus les documents sont
personnels, plus les traits se précisent et font saillie. On ne
peut établir de comparaison entre ces notations abstraites,
extraits d'actes officiels, et une biographie de forme littéraire
écrite avec art. Ces esquisses ont néanmoins un air de qualité
qui tient généralement à distance toute intention de
panégyrique; et Mgr Allou, dans sa Chronique des évêques de
Meaux13, s'en est inspiré fort heureusement pour condenser
l'activité religieuse et morale de ses prédécesseurs.
Ne pourrait-on pas cependant faire autre chose et mieux ?

Trois modes de présentation. — Appréhendé sous l'angle


d'une « France épiscopale et diocésaine », j'imaginerais
volontiers une série de biographies d'évêques, telle une galerie
où seraient représentés à leur rang, tantôt par une inscription,
plus souvent par une notice ou un croquis rapide, lès prélats
qui se sont succédé à la tête d'une Église particulière. On
éluderait de parti pris toute étude historique et critique, avec
références à l'appui, pour s'en tenir à l'essentiel. Ce serait ici,,
dans un cartouche, un nom et les dates d'un épiscopat; là,
une notice synthétiserait un ensemble de faits typiques,
minutieusement recueillis, juxtaposés; sur un autre feuillet,
traité avec art, on aurait dessiné un portrait. A l'historien de
raisonner son choix.
Ces trois modes de présentation dépendent à la fois des
matériaux dont on dispose et du talent personnel de
l'écrivain. Le premier mode, l'inscription, ne convient pas
seulement aux personnages peu connus, lointains ou de relief
imprécis; on l'emploiera aussi chaque fois que le titulaire d'un
siège episcopal, comme le cas se présente pour maint évêque
italien de France, onques de sa vie ne frappa de la crosse en
son diocèse.
La notice biographique suppose une documentation plus
étendue. Mais à mesure que les faits s'accumulent, il devient
moins facile d'historier l'action des évêques, de signaler la
notoriété de leurs actes, sans évoquer les événements d'un.

23. Meaux, 1867, in-8°. . '


CHRONOLOGIE ET BIOGRAPHIES ÉPISCOPALES- 217

caractère général auxquels ils ont été mêlés. Là gît recueil.


Le biographe risque de faire la part trop belle à l'historien.
Il devra choisir entre les textes qui caractérisent plus
pleinement le personnage dans l'exercice de sa charge pastorale ;
il s'attachera à les grouper autour de ces deux points : quelle
idée monseigneur se faisait de son Église et comment il l'a
servie. Servir les âmes, magnifique idéal pour un pasteur !
Combien par contre ne furent dans leurs bergeries que
desloups dévorants ? Qu'on y prenne garde cependant, qu'on se
défie. Les éléments d'appréciation qui • frapperont davantage
ne sont nécessairement pas les plus profonds, ni les plus-
vrais24. Bergson dit quelque part que l'âme ne pouvant pas
être connue de l'extérieur, mais seulement du dedans, il ne
faut pas faire de la psychologie comme des mathématiques..
On usera donc de sagesse en s'interdisant tout jugement. '
Autre mode de présentation : le médaillon ou portrait his<-
torique. Plusieurs évêques ont brillé d'un éclat particulier.
Un Richelieu, un Bossuet ont dû à leur génie d'avoir pour
biographes des écrivains de marque. D'autres attendent
encore, qui cependant ont tenu une première place dans l'Église
et l'État tout ensemble : tels le cardinal Duprat et le cardinal
de Tournon au xvie siècle. Comment traiter ces personnages ?"
Il serait banal de répéter à leur propos un livre déjà fait-
Il faut le lire, mais lui préférer les documents originaux. On
ne saurait, d'autre part, exiger de l'historiographe diocésain
qu'il nous donne sur telle illustre mémoire l'étude qui nous
manque. Mais le lecteur, qui connaît déjà par les manuels la
carrière des grands hommes, trouverait agrément et profit à
la fois si l'on en renouvelait par une forme nouvelle la
matière biographique. Le problème de la notice du coup se
rétrécira. Aux documents on substituera de petites eaux-fortes.
Qui s'en plaindrait, s'il en résulte un enrichissement du
sujet, une œuvre d'art.
Pour cela, envisagez le modèle avec une entière liberté
d'esprit, sans recherche ni contrainte morale. Les biographies
episcopates sacrifient trop aux formules onctueuses, à
l'hiératisme. On a gâté ainsi plus d'un sujet. Se bien convaincre
que la piété n'intéresse pas plus qu'elle n'édifie chez les gens
d'église, à cause du minimum de religiosité qui leur est
largement assuré d'avance. Ne sacrifiez pas à la banalité, au

24. Se rappeler que Guichard, évêque de Troyes, fut accusé d'avoir eu


pour père un démon, un incube. Sa naissance était démoniaque, disait-
on. C'est un cas, intéressant entre tous, des croyances puériles du Moyen
Age en matière de satanisme; elles devaient aboutir au procès de
Guichard, à la condamnation des Templiers et au supplice de Jeanne d'Arc-
"218 REVUE D'HISTOIRE DE L'ÉGLISE DE FRANCE

conformisme. Faites appel à la spontanéité de l'esprit. Sachez


lire et comprendre vos documents. Un biographe ne doit pas
ignorer l'époque, ni lé milieu de son personnage, ni la vie
mystérieuse et la complexité de l'être humain, ni ses
changeants aspects. Pensez votre héros en historien, récréez-le en
artiste. Méditez ses actions, ses attitudes, ses mots. Ne
négligez rien de ce qui peut traduire un certain aspect
physique. Lorsque Saint-Simon écrit de l'évêque de Noyon, Claude
d'Aubigné, qu'il est « homme de très saintes mœurs et vie, ...
mais butor, crasseux et huileux à merveille »2\ peut-on
dire qu'il enlaidisse le personnage ? Tout défaut, s'il est loyal,
^devient sympathique. Votre vision intérieure serait-elle
fragmentaire, inadéquate au personnage tel qu'il fut dans sa
vérité psychologique ? L'important est que, transmise en image,
elle réalise et fixe en notre esprit un aspect essentiel de la
physionomie du prélat à un moment donné de sa vie.
Terminons ces brèves réflexions.
Nous ne croyons pas qu'il y aurait grand intérêt à faire
suivre les notices de la liste des écrits ou mandements des
évêques. A supposer qu'on ait précédemment signalé, car
l'omission serait impardonnable, l'ouvrage ou les travaux les
plus caractéristiques de chacun d'eux, leur bibliographie
complète, pour finir, n'ajouterait rien à la connaissance des plus
illustres; elle serait sans portée pour les autres. En revanche,
on reproduira les armoiries des personnages; on en donnera
l'explication et la description héraldique; on indiquera leur
biographie, j'entends les vies diverses écrites sur chacun
d'eux; enfin leur iconographie, en y joignant, s'il est
possible, la reproduction de quelques belles œuvres.

Victor Carrière,
professeur à l'Institut catholique de Paris*.

25. Saint-Simon, Mémoires, -éd. Boislisle, t. VIII, p. 77.

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