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ISBN : 978-2-200-60253-6
Sommaire
Introduction
1. Figures de la ville
1. La rencontre
2. La mosaïque
3. La centralité
4. La cité et ses institutions
5. Personnalité urbaine ou cultures citadines ?
2. Approches du monde urbain
1. Populations
2. Espaces
3. Systèmes
4. Processus
3. Différenciations, divisions, distances
1. La division sociale de l’espace urbain
2. Ségrégations
3. Manières d’habiter et usages de la ville
4. Peuplement et mobilités
1. Les mécanismes du tri urbain
2. Mobilité des ménages et évolution du parc immobilier
3. Mobilités et trajectoires de vie
5. Intégration et socialisation
1. Territoires sous contrôle
2. L’intégration à la ville comme processus d’assimilation
3. Identités et mobilités
4. La ville, espace de socialisation
6. Transformation des espaces urbains et politiques de la ville
1. Agents et acteurs
2. Enjeux
3. Procédures d’intervention et processus de changement
4. Les cités à l’épreuve de l’internationalisation
Conclusion
Bibliographie
Index des auteurs
Introduction
Dans la France métropolitaine d’aujourd’hui, plus de trois personnes sur quatre
(77,5 %) habitent en ville. Si l’on considère plus largement « le nouveau zonage en
aires urbaines » construit par l’INSEE en 2010, c’est, au total, près de 95 % de la
population française (hors Mayotte) qui se trouve distribuée dans des espaces « sous
l’influence des villes »1.
La réalité territoriale du fait urbain se brouille. En tant que configuration socio-
spatiale, la ville contemporaine s’inscrit bien encore, pour l’essentiel, dans la continuité
de quelques images fortes : concentration du peuplement, primat du cadre bâti sur
l’environnement naturel, etc. Mais, en tant que processus, l’urbanisation tend à affecter
de façon beaucoup plus large l’ensemble des activités sociales, des populations et des
espaces. Ce mouvement en voie de généralisation imprègne les conditions d’existence,
les manières de vivre et les mentalités, jusque dans les rares communes rurales que l’on
peut encore qualifier de « traditionnelles ».
Il n’y aurait donc pas grand sens à délimiter le domaine de compétence de la
sociologie urbaine sur la base d’un partage qui devient lui-même de plus en plus
incertain entre « les villes » et « les campagnes ». D’une certaine manière, la ville est
aujourd’hui partout, sinon dans sa matérialité, du moins comme fait de société. La
sociologie urbaine n’est pas pour autant la sociologie de tout « ce qui se passe dans la
ville ». Elle s’interroge sur la manière dont les divers aspects de la vie sociale se
déploient, s’agencent et interagissent dans un contexte urbanisé que tous ensemble
concourent à façonner, mais qui leur est en même temps une sorte d’enveloppe
commune. Elle s’interroge, d’autre part, sur la manière dont la ville-milieu est aussi
constituée en objet d’enjeux qui structurent de façon spécifique les rapports entre les
acteurs, les institutions et les groupes sociaux.
À l’image des délimitations territoriales, les frontières entre les disciplines ne sont
pas toujours très opérantes lorsqu’il s’agit de parler de la ville. Les pages qui suivent
donneront plusieurs exemples de convergences ou d’ajustements avec d’autres sciences
sociales (en particulier la géographie, l’économie, l’histoire et la science politique).
Mais elles s’efforceront, aussi, de situer la perspective et les démarches qui sont propres
à la sociologie. Elles montreront, en particulier, que les savoirs sociologiques produits
sur l’urbain tendent de plus en plus à s’enrichir à la faveur de multiples croisements
avec les recherches sur la famille, l’éducation, le logement, la socialisation, les
sociabilités, l’immigration, les relations dites « interethniques », le travail, les politiques
publiques… Réciproquement, ces diverses spécialités de la sociologie ont été largement
nourries, au cours des dernières décennies, par une meilleure prise en compte de la
dimension spatiale, et notamment urbaine, de leurs objets d’étude.
L’extrême diversité des formes urbaines dans l’histoire et dans le monde, l’abondance
des travaux qui leur ont été consacrés, imposaient des choix très contraignants. C’est ici
la France contemporaine qui a été retenue comme principal cadre de référence. Cette
nouvelle édition mentionne toutefois quelques publications récentes qui illustrent
l’essor actuel des comparaisons internationales.
Aussi restreint soit-il, le champ ainsi couvert demeure encore très large. Faire leur
part à toutes les écoles, toutes les approches et tous les thèmes, c’était se résigner à
réduire leur présentation à un pur et simple inventaire. C’est pourquoi il a paru
préférable de prolonger et d’étayer le cadrage général des grandes orientations de la
sociologie urbaine par un nombre limité de développements plus étoffés. Cette sélection
comporte forcément une grande part d’arbitraire. Elle n’a d’autre visée que de montrer,
sur la base de quelques exemples significatifs, comment des concepts et des modes
d’analyse familiers au sociologue peuvent être mobilisés pour l’étude des phénomènes
urbains.
Un court chapitre liminaire s’attachera à définir, sinon de véritables invariants de la
citadinité, du moins quelques-uns des traits les plus typiques de la ville, par-delà
l’extrême diversité de cette forme d’organisation socio-spatiale. Le deuxième chapitre
est plutôt d’ordre méthodologique. Il distingue des « entrées » ou des échelles d’analyse
qui définissent autant de modes d’investigation spécifiques, tout en dessinant l’espace
des croisements possibles entre ces différentes approches du monde urbain.
Chacun des chapitres suivants est centré sur une famille particulière de processus. La
vie urbaine sera ainsi saisie dans les tensions qui la travaillent et qui la constituent :
tensions entre la distance et la proximité, entre la localisation et la mobilité, entre
l’hétérogénéité et l’intégration, entre les lignes de force qui commandent le devenir des
villes et la gestion collective des enjeux de la cité.
Ces tensions existent depuis qu’il y a des villes. Mais elles prennent aujourd’hui des
formes nouvelles, qui alimentent régulièrement l’actualité et les débats de société
propres à notre temps.
L’accroissement des mobilités, qui est souvent célébré comme le signe même de la
modernité, consacre-t-il le déclin inexorable des ancrages territoriaux et des liens de
proximités ? Avec ses « quartiers sensibles », ses quartiers « gentrifiés », ses espaces
résidentiels « sécurisés », la ville d’aujourd’hui tend-elle au contraire à se structurer de
façon dominante selon des logiques et des processus de ségrégation ? Comment
s’organisent concrètement de nos jours les coexistences en milieu urbain ? La ville fait-
elle encore société ?
Sur ces différents sujets, de très nombreux travaux ont été publiés au cours des toutes
dernières années. Cette nouvelle édition leur accorde une large place. Elle montre en
particulier combien nos connaissances sur les comportements résidentiels se sont
enrichies, en situant mieux les individus et les ménages dans l’univers plus large des
constellations familiales qui les entourent et dans le temps long des biographies
personnelles ou intergénérationnelles. Elle montre, aussi, comment la dimension
politique, inhérente à la ville jusque dans son étymologie, se redéfinit actuellement
autour de nouveaux modes d’intervention et de nouveaux concepts, par exemple celui
de « gouvernance urbaine ».
1 Voir INSEE-Première no 1364 (2011), 1374 (2011) et 1483 (2014), et infra chapitre 1.
1
Figures de la ville
La ville est à la fois territoire et population, cadre matériel et unité de vie collective,
configuration d’objets physiques et nœud de relations entre sujets sociaux. On peut
décider de s’intéresser plus particulièrement à l’un plutôt qu’à l’autre de ces deux
ordres de réalités. Mais ils n’en demeurent pas moins indissociables. Et c’est bien
leur interaction même qu’il convient de considérer si l’on veut s’accorder sur une
définition générale de la ville, ou du moins sur ses traits les plus significatifs et les
plus constants.
1. La rencontre
La ville se présente toujours à l’observation immédiate comme un regroupement de
populations et d’activités durablement stabilisées sur un territoire restreint. La proximité
physique permet aux êtres sociaux d’entrer en relation, et favorise le développement de
nouvelles relations. Dans la mesure où elle concentre dans un même lieu un grand
nombre de ces processus cumulatifs de rencontre, on a parfois cru pouvoir définir la
ville comme le dispositif le mieux approprié aux divers rapports d’échange et de
coopération qui s’instaurent entre les hommes. C’est en tout cas bien en milieu urbain,
par excellence, que se nouent, s’amplifient et se démultiplient les interactions de tous
ordres qui sont au principe de la vie sociale. Pour employer le langage de Durkheim, la
densité « dynamique » ou « morale » de cette vie sociale se traduit d’ordinaire par une
« densité matérielle » qui lui fournit en retour son principal aliment :
« Les villes résultent toujours du besoin qui pousse les individus à se tenir d’une manière constante en
contact aussi intime que possible les uns avec les autres. Elles sont comme autant de points où la masse
sociale se contracte plus fortement qu’ailleurs. Elles ne peuvent donc se multiplier et s’étendre que si la
densité morale s’élève1 ».
2. La mosaïque
La condensation de la vie sociale, qui est au principe de l’urbanisation, implique
simultanément que cette vie sociale se complexifie et se différencie. La ville rassemble
des activités et des populations qui ne se distribuent pas de façon uniforme sur son
territoire. Le processus global d’agglomération se démultiplie au contraire en
d’innombrables processus localisés d’agrégation et de séparation qui inscrivent dans
l’espace urbain diverses lignes de partage plus ou moins tranchées.
Au début du XXe siècle, les sociologues de l’École de Chicago ont volontiers utilisé
l’image de la mosaïque pour qualifier la distribution résidentielle des groupes sociaux et
des communautés ethniques en milieu urbain4. Les villes, et tout particulièrement les
grandes villes nord-américaines en pleine croissance qui leur servaient de
« laboratoires », sont faites de secteurs, de quartiers, d’unités de voisinage parfois très
typés, voire cloisonnés. Robert Park y voyait autant de « régions » ou d’« aires »
urbaines, qu’il qualifiait tout à la fois de « naturelles » (pour autant qu’elles ne résultent
pas de découpages institués) et de « morales » (au sens où chacune d’elles exprime et
tend à conforter dans leur singularité les manières d’être et les manières de vivre
propres à une composante particulière de la population d’une ville).
L’image de la mosaïque pourrait tout autant s’appliquer à la physionomie du cadre
bâti. À l’échelle de la ville, mais aussi en chacun de ses quartiers, se juxtaposent des
formes d’emprise et des types de construction souvent hétérogènes, voire hétéroclites.
Les opérations d’urbanisme ont certes pour effet (et souvent aussi pour objectif)
d’introduire dans le paysage urbain des éléments de cohérence et de lisibilité. Mais elles
peuvent, tout aussi bien, surimposer en même temps à ce paysage façonné par
l’urbanisation « spontanée » de nouvelles lignes de rupture et de cloisonnement. C’est
ainsi par exemple que la logique de la percée urbaine, typique de
l’« haussmannisation », fut productrice de contrastes inédits entre l’ancien tissu urbain
et les caractéristiques (tant architecturales que sociales) des immeubles édifiés en
bordure des nouvelles avenues. Des effets particuliers de rupture découlent, aussi, des
multiples formes d’intervention qui raisonnent en termes de circonscriptions, de
secteurs constructibles et non constructibles, de périmètres à sauvegarder, de zones à
aménager, etc.
3. La centralité
La ville n’est pas que la somme de ses parties. « Elle crée une situation (…) où les
choses différentes adviennent les unes aux autres et n’existent pas séparément, mais
selon des différences5 ». En son sein s’agencent des activités et des groupes humains
qui ne sont pas seulement juxtaposés mais sont aussi, dans une large mesure,
interdépendants. Le phénomène urbain met toujours en jeu des processus, fussent-ils
conflictuels, d’organisation de cette diversité. Aussi a-t-il nécessairement partie liée
avec la figure de la centralité. Centralité du marché qui permet et régule les échanges
économiques ; centralité du pouvoir qui contrôle, redistribue, et institue des règles de
coexistence entre les groupes sociaux ; centralité des dispositifs qui organisent la
division technique et sociale du travail ; centralité, aussi, des lieux de culte, de loisirs, et
plus généralement de tous les « services » offerts par la ville.
Les propriétés géométriques de l’espace, l’antériorité historique du noyau initial à
partir duquel la ville s’est étendue, les représentations symboliques qui lui sont
associées, sont autant d’éléments qui tendent à faire du cœur géographique de
l’agglomération le principal point d’appui et le lieu emblématique d’un grand nombre
de fonctions centrales.
La ville n’est certes plus définie aujourd’hui dans sa matérialité par la coupure, jadis
forte, avec les faubourgs et le plat pays environnant. Mais les définitions statistiques
n’en assument pas moins, d’ordinaire, une représentation concentrique qui conserve
d’ailleurs une part de pertinence. C’est ainsi que, pour chaque agglomération
multicommunale, l’INSEE identifie un « centre ». Si une commune représente plus de
50 % de la population urbaine, elle est seule ville-centre. Dans le cas contraire, toutes
les communes qui ont une population supérieure à la moitié de la population de la
commune la plus importante, ainsi que cette dernière, sont considérées comme villes-
centres. Les communes urbaines qui ne sont pas des villes-centres constituent la
banlieue de l’unité urbaine.
Au-delà de l’agglomération proprement dite, définie comme on l’a vu par un critère
de continuité de l’habitat, le tissu « périurbain », en plein essor depuis quelques
décennies, participe aussi du processus d’urbanisation qui affecte aujourd’hui des
territoires moins densément peuplés. Le zonage en aires urbaines (ZAU) de l’INSEE,
instauré en 1990 et redéfini en 2010, qui décline le territoire français en trois catégories
d’espaces à dominante urbaine (l’espace des grandes aires urbaines, l’espace des autres
aires et les autres communes multipolarisées) et une catégorie d’espace à dominante
rurale (les communes isolées hors de l’influence des pôles), correspond à ce concept
plus extensif qui tient compte notamment du niveau des migrations quotidiennes
domicile-travail et de l’importance de la population non agricole6.
Dominée par l’opposition entre le centre et la périphérie, cette nomenclature de
portée générale peut être relayée dans tel ou tel cas d’espèce par diverses subdivisions
qui, sur le même principe, conduisent à distinguer par exemple l’« hypercentre » du
reste de la ville-centre, ou encore plusieurs « couronnes » au sein de la banlieue.
La distribution territoriale des différentes composantes de la centralité urbaine est
cependant incertaine, comme le montre par exemple le développement des centres
commerciaux multiservices à la périphérie des villes. Les contraintes de proximité
s’exercent très inégalement selon les activités, et les avantages de la centralité
géographique sont relativisés par d’autres logiques de localisation/délocalisation, en
raison de la fluidité croissante des circuits d’échange et de communication. La ville
polarise des flux (d’hommes, de marchandises, d’informations…) qui la lient à d’autres
espaces et à d’autres villes. C’est en cela qu’elle est centre, quels que soient les modes
d’inscription spatiale des diverses forces d’attraction, de rayonnement ou de domination
qui rythment son devenir.
1 De la division du travail social (1893), Paris, PUF, « Quadrige », 2013, cit. p. 239.
2 Les Règles de la méthode sociologique (1895), PUF, « Quadrige », 2013, cit. p. 113.
3 Explorer la ville (1980), traduit et présenté par Isaac Joseph, Minuit, 1983, cit. p. 154.
4 Voir notamment les textes traduits et présentés par Yves Grafmeyer et Isaac Joseph dans L’École de Chicago.
Naissance de l’écologie urbaine (1979), Paris, Flammarion, « Champs Essais », 2009.
5 Henri Lefebvre, La Révolution urbaine, Gallimard, coll. « Idées », 1970, cit. p. 158.
6 Voir INSEE-Première no 1374 (2011).
7 Marcel Roncayolo, La Ville et ses territoires, Paris, Gallimard, 1990, citation p. 145.
8 La Ville (1921), préfacé et traduit par Philippe Fritsch, Paris, Les Belles Lettres, 2013.
9 « Le phénomène urbain comme mode de vie » (1938), trad. française dans L’École de Chicago, op. cit.
2
Approches du monde urbain
La ville rassemble en un même lieu des populations différenciées, qui tout à la fois
coexistent et interagissent au sein de cet espace commun. Certaines analyses se
centrent plutôt sur les populations, d’autres au contraire sur les espaces. Mais elles ne
peuvent éviter de s’interroger, dans un cas comme dans l’autre, sur les modes
d’articulation entre ces deux aspects du monde urbain. D’autres analyses portent plus
particulièrement sur les divers phénomènes d’interdépendance qui traversent les
activités, les populations, les institutions et les territoires de la ville. Elles peuvent
mobiliser à cet effet des approches qui raisonnent en termes de systèmes, ou encore
en termes de processus.
1. Populations
Dans l’article déjà cité, Louis Wirth1 proposait d’aborder le phénomène urbain selon
plusieurs perspectives liées : comme structure matérielle, comme système
d’organisation sociale, comme ensemble d’attitudes et d’idées, et aussi comme
« constellation de personnes s’impliquant dans des formes types de comportement
collectif ».
Pour préciser ce dernier point, l’auteur écrivait :
« C’est largement à travers les activités de groupes volontaires, que leurs objectifs soient économiques,
politiques, éducatifs, religieux, culturels ou de loisir, que le citadin exprime et développe sa personnalité,
acquiert son statut et peut exercer l’ensemble des activités qui constituent le cours de sa vie. Cependant,
on peut en déduire aisément que le cadre organisationnel appelé par ces fonctions hautement différenciées
n’assure pas de lui-même la cohérence et l’intégrité des personnalités dont il prend en charge les
intérêts ».
1.1 Positions
Si l’on veut étudier une population particulière, il faut se donner les moyens
d’identifier les personnes concernées. Une première façon de procéder consiste à
délimiter a priori un sous-ensemble présentant une relative homogénéité au regard d’un
critère que l’on juge pertinent compte tenu de l’objectif de la recherche :
– ce critère peut être d’ordre démographique : par exemple l’âge, si l’on s’intéresse à
la décohabitation des jeunes ; ou encore la structure du ménage, si la recherche porte sur
les « solos », les concubins, les familles monoparentales, etc. ;
– dans d’autres cas, le critère retenu sera celui de la position socioprofessionnelle (les
ouvriers, les couches moyennes salariées du secteur public…) ou plus précisément du
métier (les architectes, les gardiens d’immeubles…) ;
– les contours de la population étudiée peuvent aussi être cernés en fonction de
l’origine géographique ou ethnoculturelle ;
– on peut encore se fonder sur la nature de la résidence au moment de l’enquête : les
« pavillonnaires », les habitants des grands ensembles…
Ce ne sont là que des exemples, choisis parmi les plus courants. Mais on peut tout
aussi bien constituer, sur le même principe, une population de propriétaires-bailleurs,
d’étudiants, d’élus municipaux, ou de militants de la défense du cadre de vie. Dans tous
les cas, il s’agit d’identifier un groupe de personnes présentant une relative communauté
de position par rapport à un critère donné. Il va de soi que les ensembles ainsi délimités
peuvent fort bien apparaître très hétérogènes sous d’autres aspects. C’est d’ailleurs bien,
d’ordinaire, l’un des enjeux de la recherche que d’apprécier les ressorts et les effets de
cette diversité interne. On se demandera, par exemple, comment l’action des élus
municipaux en matière d’urbanisme varie selon leurs engagements partisans, selon leurs
rôles respectifs dans le jeu politique local ou national, mais aussi selon leurs
caractéristiques sociales et culturelles.
Les populations peuvent aussi être construites par croisement de deux ou de plusieurs
critères : ouvriers non qualifiés issus du monde paysan, commerçants maghrébins
établis dans des quartiers résidentiels du centre-ville, familles monoparentales vivant en
HLM, jeunes lycéens nés de parents immigrés, etc. À la faveur de ces croisements se
dessinent alors des configurations plus pertinentes, peut-être plus homogènes, en tout
cas moins exclusivement tributaires d’un point de vue particulier. Les personnes y sont
en effet d’emblée caractérisées par un faisceau de traits associés. Du coup, l’âge, la
profession, l’origine, la résidence…, risquent moins d’être érigés en autant de
« variables explicatives » artificiellement isolées par l’analyse. On est au contraire
invité à envisager ces divers éléments dans leur interdépendance, afin de déterminer
plus précisément les propriétés sociales des personnes, les ressources qu’elles peuvent
mettre en œuvre, et les champs de possibilité qui s’offrent à elles.
1.2 Relations
En toute rigueur, les populations ainsi définies ne sont que des unités d’observation
construites par le chercheur pour les besoins de son analyse. Les personnes
sélectionnées présentent une ou plusieurs caractéristiques communes. Mais cela ne veut
pas dire pour autant qu’elles se connaissent, ni qu’elles ont le sentiment de faire partie
d’un même groupe. Cela reste vrai même lorsqu’on fait intervenir un critère de
proximité géographique (ce qui est fréquent dans les études de sociologie urbaine). Les
habitants d’une même cité HLM ont-ils de riches relations de voisinage, ou bien ont-ils
plutôt tendance à s’ignorer ? Les nouvelles couches moyennes salariées qui ont choisi
de s’installer dans telle commune périurbaine de la région parisienne adoptent-elles un
mode de vie centré sur la cellule familiale et la fréquentation de la capitale ? Ou bien
développent-elles dans leur commune de résidence d’intenses activités d’ordre
associatif et politique ? La réponse peut être au cœur de la recherche, mais elle n’est pas
contenue dans le principe de sélection des enquêtés.
Il en va autrement dans les études de réseaux, qui prennent délibérément le parti de
sélectionner les points en fonction des lignes qui les relient, les individus en fonction
des liens sociaux qui les unissent2. En ce cas, c’est en dévidant les fils du réseau que
l’on construit progressivement la population touchée par l’enquête. Les études de ce
type se déploient souvent à petite échelle, soit en raison même de la taille restreinte du
réseau ainsi identifié, soit encore parce que l’analyse se veut intensive plutôt
qu’extensive, si bien que sa qualité tient surtout à la richesse des informations obtenues
auprès d’un nombre relativement réduit d’enquêtés.
Il n’y a cependant pas de raison qu’il en aille toujours ainsi. On peut aussi repérer des
milieux relativement larges, qui n’impliquent sans doute pas forcément une
interconnaissance généralisée, mais dont les membres sont néanmoins unis de proches
en proche par divers liens (de parenté, d’amitié, de solidarité, d’affinité…). Diverses
sources documentaires portent témoignage de ces logiques de milieux, contribuent dans
une certaine mesure à leur efficacité, et se révèlent par là même des instruments utiles
pour l’exploration des réseaux sociaux. C’est le cas, par exemple, des annuaires qui
répertorient les membres d’un club, les anciens élèves d’une grande école, ou encore les
familles appartenant à une bourgeoisie citadine. Ces derniers types d’annuaires, en
particulier, montrent bien toute l’importance des liens de parenté, d’alliance et de
sociabilité qui donnent à un milieu local fortement interconnecté des éléments de
cohérence et de cohésion que la position professionnelle ou le niveau de fortune ne
sauraient suffire à lui conférer3.
Complémentaire de la précédente, cette deuxième façon de définir des populations
produit plusieurs effets de connaissance.
1. En déplaçant le regard des positions aux relations, des catégories de classement
aux formes de lien, elle permet de considérer autrement le jeu des proximités et des
distances entre les êtres sociaux. Elle conduit à prendre une vue plus exacte des
propriétés et des ressources sociales de chaque individu, en situant celui-ci dans toute la
constellation formée de sa famille, de ses proches, et de l’ensemble de ses réseaux. Ces
différents types de liens s’imbriquent eux-mêmes de façon variable. On peut d’ailleurs
caractériser socialement des personnes, voire des milieux, par la configuration et
l’étendue des relations interindividuelles. Quelle part y prennent respectivement le
groupe domestique, la parenté, les amis, les sociabilités de voisinage ou de travail ? Ces
divers réseaux ont-ils plutôt tendance à se recouper, ou bien au contraire à structurer des
univers relationnels plus ou moins dissociés ?
2. Cette approche est également précieuse pour analyser les modes de
territorialisation des individus et des groupes4. Dans quelle mesure, et pour quels types
de citadins, les liens familiaux et sociaux sont-ils tributaires de la proximité
géographique ? Les parentèles et les réseaux de sociabilités sont-ils dispersés, ou
concentrés dans l’espace ? Quel est le rôle joué par ces réseaux dans le jeu des mobilités
résidentielles, dans la constitution de filières migratoires ?
1.3 Trajectoires
Les populations urbaines ont été jusqu’ici envisagées de manière statique. Mais la
position occupée par chaque individu peut se modifier au cours du temps, de même que
la configuration des liens qui l’unissent à d’autres individus.
Cette mobilité peut être considérée dans ses diverses composantes (familiale,
professionnelle, sociale, résidentielle…). Mais elle doit aussi s’entendre de façon plus
générale comme capacité des êtres sociaux à redéfinir au cours de leur existence le sens
des situations auxquelles ils se trouvent confrontés, et les enjeux qui leur importent. La
biographie des citadins n’est pas seulement une succession socialement réglée de
positions dans le cycle de vie. Elle est souvent faite de ruptures dans les appartenances,
de réorganisations des attitudes et des conduites, de changements d’espace de vie.
Par opposition à l’approche transversale qui observe une population à un moment
donné, l’approche longitudinale s’attache à reconstituer (ou à suivre au cours du temps)
la succession d’états et d’événements qui affectent chacun des membres de cette
population. Quand l’observation porte sur un grand nombre d’individus, il peut être
utile de comparer les destinées de cohortes homogènes par rapport à un événement
initial (année de naissance, période d’entrée dans la vie active, date d’arrivée dans une
ville ou dans un quartier, etc.).
Le raisonnement longitudinal est aussi au principe des histoires de vie, qui prennent
en compte le sens que les personnes elles-mêmes accordent aux expériences qu’elles
ont connues et au déroulement de leur propre existence. En se fondant à la fois sur les
récits des enquêtés et sur diverses sources documentaires, l’étude intensive de
biographies personnelles ou familiales permet ainsi de reconstituer des trajectoires, ou
encore des carrières, si l’on adopte plutôt le terme d’Howard Becker5.
À la limite, l’analyse approfondie d’un seul cas peut enrichir considérablement la
connaissance des processus sociaux dont cette histoire singulière porte témoignage.
William Thomas, l’un des fondateurs de l’école de sociologie urbaine de Chicago, avait
inauguré cette voie en étudiant les tribulations d’un jeune Polonais immigré aux États-
Unis6.
La méthode biographique n’est cependant pas incompatible avec la recherche de
régularités et la comparaison systématique de nombreuses histoires individuelles
caractérisées par une certaine communauté de destin. La notion de population intègre
alors cette dimension dynamique : on considère non plus les positions instantanées,
mais la manière dont elles s’enchaînent et se redéfinissent au fil des existences. Les
populations construites par le chercheur se présentent alors comme des faisceaux
relativement cohérents, et parfois entremêlés, de trajectoires singulières.
2. Espaces
Les espaces de la ville entretiennent des rapports complexes avec la vie sociale qui
les a façonnés, qui s’y déploie et qui parfois les prend pour enjeu. Ils peuvent aussi
offrir au sociologue des cadres d’observation et d’analyse de cette complexité.
4. Processus
L’approche systémique n’est pas toujours exempte de dérives idéologiques qui
peuvent conduire à privilégier la question des équilibres et des « régulations » au
détriment des crises, des fractures et des conflits qui font, eux aussi, partie intégrante de
la vie urbaine.
D’autre part, la distinction entre le système et son environnement est toujours relative
à l’échelle des phénomènes auxquels on s’intéresse. Par exemple, si l’on prend pour
objet d’étude une agence d’urbanisme, celle-ci sera analysée pour elle-même en tant
qu’organisation caractérisée par des missions spécifiques, par des moyens matériels, par
un ensemble de règles définissant les compétences et les rôles de ses membres, par des
rapports déterminés avec son « environnement » (municipalité et autres acteurs de la vie
urbaine). Mais on peut aussi considérer cette agence comme un élément particulier du
système politico-administratif local au sein duquel interagissent élus municipaux,
techniciens, notables et représentants de l’État. Si, enfin, on s’intéresse plutôt au
mouvement de « reconquête » des centres-villes par les catégories aisées, l’intervention
de l’agence d’urbanisme ne sera alors envisagée que comme une composante
particulière d’un processus social qui met en jeu tout un ensemble de populations et de
systèmes d’action particuliers.
On donnera dans les chapitres qui suivent divers exemples de processus. Cette notion
privilégie, comme celle de système, l’idée d’interdépendance, mais en l’envisageant
dans une perspective à la fois plus ouverte, plus dynamique, et moins directement
attachée à la recherche de structures d’interaction relativement stables.
L’analyse d’un processus ne doit cependant pas être confondue avec la description
d’un changement.
D’abord, parce que la reproduction à l’identique (d’un milieu local, de la composition
sociale d’un quartier, du fonctionnement d’une organisation) est aussi le résultat d’un
processus qui mérite d’être expliqué au même titre que leur transformation.
Ensuite, parce que l’analyse d’un processus passe par la mise en évidence des
logiques qui permettent de rendre compte des évolutions observées. Supposons, par
exemple, que l’on observe à la périphérie immédiate d’un quartier rénové divers
phénomènes tels que la dégradation physique des immeubles, la baisse des valeurs
locatives, le recul des activités commerciales et l’installation de nouvelles populations
en situation de précarité économique. La description statistique de ces changements ne
suffit pas. Encore faut-il rendre raison d’une évolution qui, après tout, ne va pas de soi,
puisqu’on aurait aussi bien pu imaginer que la rénovation d’un quartier produise des
effets d’entraînement sur les secteurs qui lui sont contigus. Peut-être, d’ailleurs, en ira-t-
il bien ainsi à terme. Mais, dans l’immédiat, les propriétaires n’ont pas intérêt à
continuer d’assurer l’entretien régulier d’immeubles vétustes qui risquent d’être à leur
tour démolis. D’autre part, l’intervention préventive de la puissance publique peut
aboutir à geler provisoirement les transactions immobilières, accentuant ainsi la
dévalorisation économique et sociale d’un site dont l’avenir est encore incertain. Par
ailleurs, quand les propriétaires bailleurs habitent eux-mêmes sur place, ils sont
conduits à arbitrer de diverses manières entre leurs intérêts économiques à court terme,
leurs préférences en matière de voisinage, et leurs espoirs de plus-values. Au total, la
physionomie de ce tissu urbain en attente de transformation est l’effet agrégé d’un
grand nombre de décisions individuelles dont on peut restituer la logique, et dont la
combinaison produit un résultat collectif qui n’était peut-être souhaité par personne en
particulier.
1 « Le phénomène urbain comme mode de vie » (1938), in L’École de Chicago, op. cit.
2 Pour une présentation des méthodes d’analyse des réseaux, voir Alain Degenne et Michel Forsé, Les Réseaux
sociaux, Paris, Armand Colin, 2e édition, 2004 et plus récemment Pierre Mercklé, Sociologie des réseaux
sociaux, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 3e édition, 2011.
3 Voir par exemple Yves Grafmeyer, Quand le Tout-Lyon se compte. Lignées, alliances, territoires, Lyon, Presses
universitaires de Lyon, 1992.
4 Sur cette question des rapports entre les réseaux sociaux et les territoires urbains, voir l’article fondateur de
Barry Wellman et Barry Leighton (1979), trad. française « Réseau, quartier et communauté. Préliminaire à
l’étude de la question communautaire », Espaces et sociétés, no 38-39, 1981, p. 111-134.
5 « La carrière désigne les facteurs dont dépend la mobilité d’une position à une autre, c’est-à-dire aussi bien les
faits objectifs relevant de la structure sociale que les changements dans les perspectives, les motivations et les
desseins des individus » (Howard S. Becker, Outsiders (1963), trad. française rééditée en 2012, Paris, Métailié).
6 William I. Thomas, Florian Znaniecki, Le Paysan polonais en Europe et en Amérique (Chicago, 1918-1920,
5 vol.), traduction française du vol. 3 : « Récit de vie d’un migrant », Paris, Nathan, coll. « Essais et recherches »,
1998.
7 Voir les pages 12 à 14 des Règles de la méthode sociologique, op. cit.
8 Pierre Bourdieu, « Effets de lieu », in Pierre Bourdieu (dir.), La Misère du monde (1993), Paris, Seuil, coll.
« Points Essais », 2012.
3
Différenciations, divisions,
distances
Les sociétés humaines ne sont pas des entités amorphes, mais des ensembles
différenciés et structurés. La ville est la configuration socio-spatiale qui correspond
aux formes les plus poussées de cette différenciation des activités et des individus.
Depuis le XIXe siècle, l’industrialisation a induit de nouveaux modes de division
technique et sociale du travail. Aussi a-t-elle été l’un des principaux moteurs de
l’urbanisation moderne, tant par ses effets de concentration territoriale que par ses
incidences sur les structures urbaines et les usages de la ville.
Si les deux processus sont historiquement associés et interdépendants, ils ne doivent
cependant pas être confondus. Non seulement parce que les villes ont précédé
l’industrie et que leurs destins ont été inégalement tributaires de son essor. Mais aussi
parce que la production industrielle n’est qu’une des composantes possibles de la
complexité urbaine. En particulier, une agglomération de population dominée par une
seule industrie peut, à bien des égards, être considérée comme beaucoup moins
urbanisée qu’une ville de taille comparable, mais où les fonctions sociales sont variées
et complexes. Le premier cas de figure est bien illustré par les villes minières, telles
celles du Pas-de-Calais décrites par l’historien Philippe Ariès1. Pendant toute une phase
de son développement, le « Pays noir » est ce lieu « où vivent des masses ouvrières
vouées au même métier, livrées à la même monstrueuse entreprise, [où l’on] ne
dénombre qu’une opinion, qu’une classe, qu’un mode de vie ». À la même époque, une
ville comme Blois présente au contraire l’aspect d’une petite capitale au tissu social
beaucoup plus diversifié, fait d’un « arc-en-ciel d’opinions et de manières d’être, où
chacun met sa fierté à accuser sa différence ».
À taille égale, les villes peuvent donc être inégalement « urbanisées », si l’on retient
comme critère dominant de l’urbanisation cette différenciation des manières d’être et
des manières d’agir qui, au sein même de l’espace urbain, se traduit par un jeu
compliqué de proximités et de distances entre les citadins.
2. Ségrégations
Quand on parle de ségrégation urbaine, c’est d’ordinaire pour qualifier les formes les
plus tranchées de division sociale de l’espace. Mais cette manière de parler est aussi une
manière d’interpréter les principes explicatifs et la signification sociale des faits que
l’on observe3.
Au sens étymologique, la ségrégation est action de séparer, de mettre à l’écart. Mais
il y a beaucoup de manières d’entendre cette idée. Les choses se compliquent encore du
fait que, dans les sociétés dominées par des valeurs d’égalité, le terme de ségrégation
est toujours entouré de connotations péjoratives. Il renvoie implicitement à la norme (ou
à l’idéal) d’un monde meilleur où triompheraient au contraire la mixité, l’assimilation,
l’intégration…
Pour éviter ces interférences avec des jugements de valeur, certains préfèrent réserver
le terme aux sociétés où la séparation physique des groupes (sociaux, ethniques,
religieux…) est institutionnalisée et autoritairement préservée en tant que principe
fondateur de l’organisation sociale. Mais cet usage restrictif ne fait pas l’unanimité. Il se
trouve en porte-à-faux avec la place qu’occupe aujourd’hui cette notion, au sein de nos
propres sociétés, tant comme objet de discussion entre spécialistes que comme enjeu de
débats publics. À la fois outil d’analyse et référence pour l’action, le terme donne lieu à
des usages multiples, qui engagent des points de vue différents aussi bien sur les formes
prises par la ségrégation urbaine que sur les processus qui la produisent.
Mais, si cette capacité à maîtriser les distances, à jouer sur plusieurs espaces,
demeure inégalement distribuée selon les groupes sociaux, elle tend globalement à
s’accroître. Vecteur d’ajustement à la complexité urbaine, la mobilité sous ses diverses
formes fait de plus en plus partie intégrante de l’expérience citadine.
1 Histoire des populations françaises (1948), rééd. Seuil, 1971, citations p. 100-101.
2 « La croissance de la ville » (1925), trad. dans L’École de Chicago, op. cit.
3 Voir Yves Grafmeyer, « Regards sociologiques sur la ségrégation », in Jacques Brun et Catherine Rhein (dir.),
La Ségrégation dans la ville, Paris, L’Harmattan, 1994, p. 85-117.
4 Voir par exemple Edmond Préteceille, « La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? La métropole parisienne
entre polarisation et mixité », Sociétés contemporaines, no 62, 2006, p. 69-93.
5 Pour une présentation de ces travaux et un bilan de ce courant de recherche, voir Michel Amiot, Contre l’État,
les sociologues. Éléments pour une histoire de la sociologie urbaine en France (1900-1980), Paris, Éditions de
l’EHESS, 1986, rééd. 1995.
6 Cyprien Avenel, Sociologie des « quartiers sensibles », Paris, A. Colin, coll. « 128 », 2010.
7 François Dubet, Didier Lapeyronnie, Les Quartiers d’exil (1992), Paris, Seuil, 1999.
8 Voir par exemple Pierre Gilbert, « “Ghetto”, “relégation”, “effets de quartier”. Critique d’une représentation
des cités », Métropolitiques, 9 février 2011.
9 Traduction de Micromotives and macrobehavior (1978), Paris, PUF, 1980.
10 Voir Douglas Massey et Nancy Denton, American apartheid (1993), trad. française (préfacée par Sophie
Body-Gendrot) en 1995 sous ce même titre, Paris, Descartes & Cie.
11 Philippe Ariès, op. cit., citation p. 132.
12 Voir Catherine Bidou-Zachariasen, « La prise en compte de “l’effet de territoire” dans l’analyse des quartiers
urbains », Revue française de sociologie, vol. XXXVIII, 1997, p. 97-117.
13 « Proximité spatiale et distance sociale : les grands ensembles et leur peuplement », Revue française de
sociologie, vol. XI, no 1, 1970, p. 3-33.
14 Claire Bidart, L’Amitié, un lien social, Paris, La Découverte, 1997.
15 Voir Norbert Elias et John L. Scotson, The Established and the Outsiders (1965), trad. française en 1997 sous
le titre Logiques de l’exclusion, Paris, Fayard.
16 Voir par exemple Guénola Capron (dir.), Quand la ville se ferme. Quartiers résidentiels sécurisés, Paris,
Bréal, coll. « D’autre part », 2006.
17 Voir Christine Lelévrier, « La mixité dans la rénovation urbaine : dispersion ou re-concentration ? », Espaces
et Sociétés, no 140-141, 2010, p. 59-74.
18 Paris et l’agglomération parisienne, 2 vol., Paris, PUF, 1951 et 1952.
19 Voir Famille et habitation, 2 vol., Paris, Éditions du CNRS, 1959 et 1960.
20 Jean Remy et Liliane Voyé, La Ville : vers une nouvelle définition ?, Paris, L’Harmattan, 1992, cit. p. 73.
21 Muriel Tapie-Grime, La Leçon de l’éternel étudiant : présentation de soi et pratiques résidentielles des
nouvelles couches moyennes, Paris, Plan Construction et Architecture, 1987.
22 Patrick Prado, Georges Mattout, Guy Barbichon et Jean-Noël Retière, La Ville en partage. Sociabilités,
identités, territoires dans une ville moyenne, Paris, Centre d’ethnologie française, CNRS-MNATP, 1985.
23 Voir Henri Raymond et alii., L’Habitat pavillonnaire (1966), préface de Henri Lefebvre, Paris, L’Harmattan,
2003 ; et aussi : Nicole Haumont, Les Pavillonnaires. Étude psycho-sociologique d’un mode d’habitat (1966),
Paris, L’Harmattan, 2003.
24 Voir par exemple Agnès Villechaise-Dupont, Amère banlieue. Les Gens des grands ensembles, Paris,
Grasset/Le Monde, 2000.
25 Voir Émile Durkheim, Les Règles de la méthode sociologique, op. cit.
26 Voir sur ce point Yves Grafmeyer, Habiter Lyon. Milieux et quartiers du centre-ville, Lyon, Presses
universitaires de Lyon/CNRS/PPSH, 1991.
27 François Héran, « Comment les Français voisinent », Économie et statistique, no 195, 1987, p. 43-59.
28 Jean-Yves Authier (dir.), Bernard Bensoussan, Yves Grafmeyer, Jean-Pierre Lévy, Claire Lévy-Vroelant, Du
domicile à la ville. Vivre en quartier ancien, Paris, Anthropos, coll. « Villes », 2001.
4
Peuplement et mobilités
En un sens, la distribution des activités et des populations dans la ville peut se lire
comme l’effet collectif des choix opérés par une multitude d’agents particuliers
(habitants, entreprises, institutions, etc.). Mais, réciproquement, ces données
structurelles préexistent aux décisions individuelles dont elles délimitent le champ
des possibles.
La question du logement et celle des mobilités se situent tout particulièrement au
carrefour de ces deux registres, celui des structures urbaines et celui des comportements
citadins.
Dans l’article d’où sont extraites ces lignes, l’auteur note que l’interaction entre ces
deux dynamiques est encore assez mal connue, en raison de la complexité même de la
question. Il propose un cadre conceptuel préalable, et distingue plusieurs méthodes
d’observation qui se situent à différentes échelles.
La première consiste à identifier des types d’habitat, c’est-à-dire des configurations
associant des caractéristiques physiques des logements et des caractéristiques
sociodémographiques d’occupants. Quand ils sont appliqués aux données nationales des
Enquêtes logement de l’INSEE, ces types expriment les rapports que les divers groupes
sociaux entretiennent avec leur habitat dans l’ensemble de la France contemporaine.
Grâce à des enquêtes complémentaires conduites sur des territoires plus ciblés (le
département de la Seine-Saint-Denis, la commune de Pantin, l’agglomération de
Douai…), l’auteur a pu analyser aussi la dynamique de ces rapports à l’habitat de façon
plus précise et plus différenciée, en mettant en évidence :
– les effets de contexte (les formes locales d’agencement et de hiérarchisation des
types d’habitat, les marquages sociaux des territoires…) ;
– les circulations des ménages entre des espaces sociorésidentiels qui n’en sont pas
moins structurés en « filières » relativement cloisonnées.
Une autre façon de mettre en relation les mobilités résidentielles des ménages et les
évolutions affectant le parc immobilier consiste à reconstituer les « chaînes de
vacance » induites par chaque changement d’occupation d’un logement. « Une enquête
auprès du nouvel occupant permet d’obtenir son ancienne adresse. L’enquête est alors
renouvelée auprès de son remplaçant, et ainsi de suite, les enquêtes se reproduisant
jusqu’à l’arrêt de la chaîne » (J.-P. Lévy, ibid.). Généralement appliquée à l’échelle de
l’agglomération, une telle méthode a le très grand avantage d’établir un lien concret
entre les mobilités résidentielles effectuées par différents ménages. Et elle permet
d’aller au plus près de la rencontre entre l’histoire résidentielle des ménages et celle de
l’occupation des logements. Mais, de l’une et de l’autre, elle ne saisit par définition
qu’une séquence temporelle particulière : pour le ménage, celle qui est comprise entre
deux domiciles successifs, le précédent et l’actuel ; pour le logement, celle qui va de
l’arrivée de l’occupant précédent jusqu’à l’emménagement du nouveau. Sur plus longue
période, les deux lignes d’observation se disjoignent inévitablement : il faut alors
choisir, et centrer l’analyse :
– soit sur un suivi longitudinal de logements ou d’immeubles, en retraçant tout à la
fois l’évolution de leur peuplement et les éventuelles transformations de leur structure
physique (cf. ci-dessous) ;
– soit sur des biographies d’individus, de ménages, voire de réseaux, en mettant les
parcours résidentiels des personnes étudiées en relation avec les autres dimensions de
leur vie sociale (voir la section suivante).
1 La ville comme laboratoire social » (1929), L’École de Chicago, op. cit., p. 175.
2 Préface à Paul Cuturello (dir.), Regards sur le logement. Une étrange marchandise, Paris, L’Harmattan, 1992.
3 Voir Dominique Desjeux, Anne Monjaret et Sophie Taponier, Quand les Français déménagent, Paris, Presses
universitaires de France, 1998.
4 Voir Anne Gotman, « Familles, générations, patrimoine : une question urbaine ? », Les Annales de la recherche
urbaine, 1989, no 41, p. 87-96.
5 Loïc Bonneval, Les Agents immobiliers. Pour une sociologie des acteurs des marchés du logement, Lyon, ENS
Éditions, 2011, cit. p. 6.
6 Cf. Yves Grafmeyer, Habiter Lyon, op. cit.
7 « Proximité spatiale et distance sociale », article cité.
8 Ayants droit et territoire. L’attribution des logements sociaux dans le champ de l’expérimentation, Plan
Construction et Architecture, 1987.
9 Voir par exemple l’ouvrage collectif En marge de la ville, au cœur de la société : ces quartiers dont on parle,
La Tour d’Aigues, L’Aube, 1997.
10 Catherine Bourgeois, « Les associations face aux nouvelles politiques du logement : entre
“instrumentalisation” et innovation sociale », Les Annales de la recherche urbaine, no 89, 2001, p. 133-139. Voir
aussi, du même auteur, L’Attribution des logements sociaux : politique publique et jeu des acteurs locaux, Paris,
L’Harmattan, 1996.
11 Voir Anaïs Collet, « Le loft : habitat atypique et innovation sociale pour deux générations de “nouvelles
classes moyennes” », Espaces et Sociétés, no 148-149, 2012, p. 37-52.
12 Jean-Pierre Lévy, « Dynamiques du peuplement résidentiel », Sociétés contemporaines, no 29, 1998, p. 43-72.
13 Claire Lévy-Vroelant, « Quartiers mixtes d’autrefois : la fonction du logement », in Yves Grafmeyer et
Francine Dansereau (dir.), Trajectoires familiales et espaces de vie en milieu urbain, Lyon, Presses universitaires
de Lyon, 1998.
14 Juliette Hontebeyrie et Paul-André Rosental, « Ségrégation sociale de l’espace et dynamiques longues de
peuplement : la rue Wacquez-Lalo à Loos (1866-1954) », ibid.
15 Thierry Debrand et Claude Taffin, « Les changements de résidence : entre contraintes familiales et
professionnelles », Données sociales, INSEE, Paris, 2006.
16 Voir par exemple : Yves Grafmeyer, Les Gens de la banque, Paris, PUF, 1992 ; Cécile Vignal, « Logiques
professionnelles et logiques familiales : une articulation contrainte par la délocalisation de l’emploi », Sociologie
du travail, 2005, vol. 47-2, p. 153-169.
17 Cf. Isabelle Bertaux-Wiame, « Profession, résidence et famille : analyse de quelques configurations
résidentielles des indépendants », in Catherine Bonvalet, Anne Gotman, Yves Grafmeyer (dir.), La Famille et ses
proches : l’aménagement des territoires, coll. « Travaux et documents », Paris, INED/PUF, 1999.
18 Voir par exemple Sylvie Fol, La mobilité des pauvres. Pratiques d’habitants et politiques publiques, Belin,
2009.
19 Voir Anne Lambert, « Tous propriétaires ! » L’envers du décor pavillonnaire, Seuil, 2015.
20 Voir par exemple Yves Lequin et Jean Métral, « Une mémoire collective : les métallurgistes retraités de
Givors », Annales ESC, janvier/février 1980.
21 Voir Catherine Bonvalet, Éva Lelièvre (dir.), De la famille à l’entourage – L’enquête Biographies et
entourage, INED Éditions, Paris, 2012.
22 Anne Laferrère, « Quitter le nid : entre forces centripètes et centrifuges », Économie et statistique, no 381-382,
2005, p. 147-175.
23 Thierry Blöss, Alain Frickey et Francis Godard, « Cohabiter, décohabiter, recohabiter. Itinéraires de deux
générations de femmes », Revue française de sociologie, 1990, 31-4 ; Catherine Villeneuve-Gokalp, « Les jeunes
partent toujours au même âge de chez leurs parents », Économie et Statistique, no 337-338, 2000, p. 61-80.
24 Voir Claude Martin, L’Après-divorce : lien familial et vulnérabilité, Rennes, Presses universitaires de Rennes,
1997.
25 Virginie Cristel, « Trajectoires résidentielles des personnes âgées », Données sociales, INSEE, 2006.
26 Voir Isabelle Mallon, Vivre en maison de retraite : le dernier chez-soi, Rennes, Presses universitaires de
Rennes, 2005.
27 Catherine Bonvalet, Anne Gotman et Yves Grafmeyer (dir.), La Famille et ses proches : l’aménagement des
territoires, op. cit.
28 Voir François de Singly et Clotilde Lemarchant, « Belle-mère et belle-fille : la bonne distance », in Martine
Segalen (dir.), Jeux de familles, Paris, Presses du CNRS, 1991.
29 Philippe Bonnin et Roselyne de Villanova (dir.), D’une maison l’autre. Parcours et mobilités résidentielles,
Paris, Creaphis, 1999.
30 Voir Jean-Yves Authier, Catherine Bonvalet, Jean-Pierre Lévy (dir.), Élire domicile. La construction sociale
des choix résidentiels, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2010.
5
Intégration et socialisation
Au sens le plus général, le terme d’intégration désigne aussi bien :
– le processus qui fait entrer un élément dans un ensemble ;
– l’état de cohérence ou d’interdépendance résultant de ce processus.
Tout processus d’urbanisation comporte une dimension intégratrice pour autant qu’il
agence en un certain ordre des populations, des activités et des espaces. Différenciation
et interdépendance : le concept durkheimien de morphologie1 associe ces deux aspects
complémentaires d’un même phénomène. La cité antique, la commune médiévale, la
ville industrielle, forment ainsi autant de configurations typiques dont chacune
représente une manière particulière de faire tenir ensemble des groupes et des
institutions sur un même territoire. Leurs structures morphologiques sont les
manifestations les plus « cristallisées » et les plus stables des formes de vie sociale qui
les ont engendrées.
Ces structures n’en sont pas moins soumises aux tensions qui traversent toute société,
et notamment les sociétés urbaines. Les sociologues de l’École de Chicago ont été
particulièrement sensibles aux processus permanents de désorganisation/réorganisation
qui scandent le devenir de la grande ville moderne. Aussi, leur approche écologique
s’est-elle efforcée de penser la double face de ces processus. D’un côté, ils ont montré
comment les quartiers, les unités de voisinage, les « régions morales » dont se compose
la ville pouvaient servir de cadre au développement de solidarités locales et à l’insertion
des citadins dans des territoires et des réseaux. D’un autre côté, l’agglomération qui leur
servait de « laboratoire social » était par excellence celle de l’immigration, du
déracinement, de la désintégration des appartenances et des liens sociaux, de l’extrême
hétérogénéité sociale et culturelle. C’est pourquoi ils ont aussi accordé une attention
privilégiée aux figures de l’étranger, du migrant, de l’« homme marginal »2. Et ce sont
ces figures qui leur ont servi d’analyseurs pour une anthropologie du citadin qu’ils
plaçaient essentiellement sous le signe de la rupture, de la mobilité et de la crise.
À bien des égards, l’urbanisation contemporaine se situe dans le droit fil de ces
tendances contrastées. Les mégalopoles diffuses connaissent un étalement désordonné
de tissus urbains inégalement structurés ; les villes sont travaillées par des évolutions
qui mettent en jeu des échelles spatiales de plus en plus larges3 ; les rapports sociaux
hérités de l’âge industriel se recomposent, mais en laissant aussi place à diverses formes
d’exclusion.
Aussi, la notion d’intégration est-elle à la fois multiforme et problématique. Comme
les multiples contraires qu’on peut lui opposer (l’anomie, la désagrégation, la
ségrégation…), elle n’est pas toujours exempte de jugements de valeurs. Pour lui
donner un contenu plus précis, il faut au minimum distinguer les différentes échelles
selon lesquelles peuvent s’apprécier les éventuels effets intégrateurs des processus qui
façonnent le monde urbain.
2. L’intégration à la ville
comme processus d’assimilation
On peut aussi concevoir l’intégration par référence à l’échelle globale d’une société,
c’est-à-dire d’une entité collective définie à la fois par une culture nationale, une
structure socio-économique et un ensemble d’institutions. Ainsi entendue, la
problématique de l’intégration est souvent invoquée à propos des populations
migrantes. Elle tend alors à rejoindre celle de l’assimilation, c’est-à-dire du processus
conduisant à faire de l’autre un « semblable », qui partage les mêmes modèles culturels,
trouve sa place dans un système national d’activités interdépendantes, et participe en
tant que citoyen aux institutions qui structurent la vie publique.
Les villes se nourrissent en permanence de nouveaux apports issus de leurs arrière-
pays, d’autres régions ou d’autres contrées. Pour une partie au moins de ces migrants,
c’est au travers de l’expérience de la vie urbaine que s’opère leur progressive
intégration sociale et culturelle.
3. Identités et mobilités
Les deux exemples qui viennent d’être présentés diffèrent tant par le contexte
national que par les situations migratoires qu’ils étudient. Dans le second, les
migrations sont internes à l’Italie et même, pour l’essentiel, à la région piémontaise. Les
démarches sont cependant très comparables : la problématique de l’intégration alimente
un dispositif de recherche qui s’attache à suivre des parcours individuels et familiaux
portant témoignage d’une réorganisation progressive des conditions de vie, des attitudes
et des pratiques.
Leur perspective est donc complémentaire de celle évoquée précédemment. Le
premier type d’analyses se centrait en effet sur les processus qui favorisent la
reconduction de groupes sociaux fortement articulés à des territoires urbains. Ici,
l’accent est mis sur les phénomènes de mobilité qui assurent, au fil des carrières
professionnelles, des alliances matrimoniales et des générations successives, un jeu
réglé de circulations entre des groupes et entre des territoires. D’un côté, on s’intéresse
à des configurations socio-spatiales fortement typées, mais qui ne sont pas
incompatibles avec une rotation élevée des personnes qui s’y agrègent ou s’y
« intègrent » pour un temps. De l’autre, à des faisceaux de trajectoires aux destins plus
ou moins divergents, à des milieux qui tantôt se reconfigurent tout en conservant leurs
liens et certains traits de leur identité d’origine, tantôt se dispersent en parcours plus
nettement différenciés au sein de l’espace social et physique de la ville. La logique des
lieux se trouve alors subordonnée à celle des populations qui les investissent, les
quittent, les mémorisent ou les convoitent…
La dimension proprement urbaine de la question de l’intégration se situe au
croisement de ces deux lignes d’analyse. Les sociétés urbaines se nourrissent de la
diversité des origines et des appartenances, elles les réaménagent, les dissolvent parfois,
mais produisent aussi de nouvelles formes de différenciation. Le cycle d’intégration
urbaine (ou tout autre concept équivalent) doit dès lors être considéré comme un
instrument de mise en ordre de l’infinie diversité des destins individuels et familiaux.
Mais il ne signifie pas pour autant que, à l’horizon de ces destins, se trouve à tout coup
une inéluctable fusion dans une société, dans une culture nationale, ou dans une classe
moyenne urbanisée.
Les processus d’intégration-assimilation étudiés tant par Wirth que par Gribaudi
illustrent excellemment les très nombreux cas où l’adoption de nouveaux modèles
culturels tend à aller de pair avec l’élargissement de l’éventail des métiers exercés, des
statuts sociaux accessibles et des possibilités de choix en matière de résidence. Mais il
n’en va pas toujours ainsi. Les populations les plus défavorisées, qu’elles soient ou non
issues de l’immigration, peuvent être confrontées à de forts décalages entre les attentes
nées de l’adhésion aux modèles culturels nationaux et l’échec des tentatives d’insertion
dans le monde du travail et dans la vie citadine. La question de l’intégration est donc
complexe. Elle l’est d’abord dans la mesure où elle comporte plusieurs aspects qui sont
parfois dissociés (assimilation culturelle, insertion économique et sociale, participation
à la vie publique…). Elle l’est aussi parce qu’elle impose dès lors de différencier, au
sein de catégories sociales ou de communautés ethniques apparemment homogènes, des
trajectoires d’insertion et des trajectoires d’exclusion. Loin de conforter la vitalité d’un
groupe particulier, ou d’assurer une fonction de relais sur la voie de l’intégration, la
concentration territoriale de ces trajectoires d’exclusion peut alors fort bien représenter,
en dépit des apparences, une figure inversée du quartier ouvrier traditionnel, ou même
du ghetto au sens strict du terme15.
La problématique même de l’intégration peut d’ailleurs devenir un obstacle à
l’analyse dès lors qu’on en fait une fin en soi. Pour les nouveaux arrivants comme pour
des citadins de longue date, la capacité à jouer sur plusieurs territoires et sur plusieurs
appartenances peut fort bien représenter durablement une ressource, tant pour la
maîtrise des lieux investis que pour l’entretien de l’identité du groupe. Dans l’étude déjà
citée, Gribaudi montre que la vie turinoise de certains des immigrés piémontais ne
prenait sens que par rapport à des enjeux matériels et symboliques essentiellement
définis ailleurs et autrement, dans le village d’origine où parfois ils sont revenus finir
leurs jours16. Parler d’« échec » de l’intégration reviendrait à imposer à ce type de
migrants une norme de vie qui à aucun moment ne fut la leur.
Des analyses comparables ont été conduites pour diverses situations migratoires plus
contemporaines. Ainsi, chez les sidérurgistes lorrains réemployés à Fos-sur-Mer, chez
les Maghrébins de Marseille comme chez les provinciaux installés aux portes de
Tunis17, les usages de l’espace et les rythmes des mobilités s’inscrivent dans des
logiques distinctes de celles qui structurent les sociétés locales ou inspirent les projets
des aménageurs. Les étapes qui jalonnent les parcours individuels ne se comprennent
que par référence aux réseaux qui entretiennent les liens familiaux et sociaux, et à des
couloirs migratoires qui se déploient sur de larges espaces nationaux ou transnationaux.
Assurant une juxtaposition sans assimilation, cette tension entre la mobilité et la
sédentarité rend précaire l’inscription dans des territoires, mais favorise en même temps
l’aptitude à en investir de nouveaux. Dès lors, ce qui apparaît au premier abord comme
« enclave » peut se révéler porteur de centralités spécifiques (d’ordre économique,
commercial, culturel…)18. Ces dernières se logent dans les interstices de la ville, et ne
sont intelligibles que par référence à des logiques qui lui sont extérieures. Mais elles
n’en concourent pas moins à infléchir sa dynamique interne et la configuration des flux
qui l’unissent à d’autres villes et à d’autres espaces.
Cette tension entre mobilité et sédentarité, ou entre mobilité et ancrage, n’est pas
propre aux populations migrantes. Elle caractérise plus largement les nouveaux modes
de spatialisation des citadins19, impliqués dans des processus pluriels de socialisation.
Par définition, il n’est pas appropriable par un groupe particulier qui s’en réserverait
un usage privatif. Son caractère problématique vient de ce qu’il n’est pas défini une fois
pour toutes, mais fait au contraire l’objet d’une construction permanente au fil
d’interactions qui font se rencontrer des citadins aux identités différentes dans des lieux
de libre accessibilité. Expression emblématique de la citadinité, l’espace public est par
excellence ce qui fait de la ville autre chose qu’une mosaïque de quartiers et un simple
agrégat de petits mondes étanches. Aussi peut-on comprendre qu’il devienne un enjeu
décisif face aux forces qui jouent dans le sens d’une ségrégation des groupes sociaux,
d’un affrontement des communautés, ou d’une séparation des sexes34. La question de
l’espace public est donc, aussi, une question politique.
1 Voir supra chap. 2, § 2 ; et aussi Jean Baechler, « Le concept de morphologie », Revue du MAUSS, no 7, 1990.
2 Voir par exemple Nels Anderson, The Hobo. The Sociology of the Homeless Man (1923), trad. française en
1993 et rééd. en 2011 : Le Hobo. Sociologie du sans-abri (introduit par A.-M. Arborio et P. Fournier, postface
d’O. Schwartz), Paris, Armand Colin.
3 Voir Françoise Dureau, Véronique Dupont, Eva Lelièvre, Jean-Pierre Lévy, Thierry Lulle (coord.), Métropoles
en mouvement. Une comparaison internationale, Paris, Anthropos, coll. « Villes », 2000.
4 Voir Michael Young et Peter Willmott, Family and Kinship in East London (1957), trad. française : Le Village
dans la ville. Famille et parenté dans l’Est londonien, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2010.
5 Voir Herbert J. Gans, The Urban Villagers : group and class in the life of Italian-Americans, New York, Free
press of Glencoe, 1982.
6 Voir par exemple Sonia Lehman-Frisch, « “Like a village” : les habitants et leur rue commerçante dans Noe
Valley, un quartier gentrifié de San Francisco », Espaces et sociétés, no 108-109, 2002, p. 47-69.
7 Voir sur ce point Yankel Fijalkow, « Construction et usages de la notion de quartier-village. Village de
Charonne et Goutte d’Or à Paris », in Jean-Yves Authier, Marie-Hélène Bacqué, France Guérin-Pace (dir.), Le
Quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, La Découverte, 2006, p. 75-85.
8 Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot, Dans les beaux quartiers, Seuil, 1989.
9 François Dubet et Didier Lapeyronnie, op. cit.
10 Voir Marie-Hélène Bacqué et Sylvie Fol, Le Devenir des banlieues rouges, Paris, L’Harmattan, 1997 ; Marie-
Hélène Bacqué et Yves Sintomer, « Affiliations et désaffiliations en banlieue, réflexions à partir des exemples de
Saint-Denis et d’Aubervilliers », Revue française de sociologie, no 42-2, 2001, p. 217-249.
11 Voir Stéphane Beaud, 80 % au bac… et après ? Les Enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La
Découverte, 2002 ; Michel Kokoreff, La Force des quartiers. De la délinquance à l’engagement politique, Paris,
Payot, 2003.
12 Le Ghetto (1928), trad. par P. Rojtman, Presses universitaires de Grenoble, 1980.
13 La même image se retrouve chez Gérard Noiriel, Le Creuset français. Histoire de l’immigration, XIXe-
e
XX siècle, Paris, Seuil, « Points Histoire », 2006.
14 Itinéraires ouvriers. Espaces et groupes sociaux à Turin au début du XXe siècle, Paris, Éditions de l’EHESS,
1987.
15 Voir ci-dessus le chapitre 3.
16 Voir aussi les travaux récents de Jennifer Bidet sur les rapports au pays d’origine des descendants d’immigrés
algériens installés en France, construits et entretenus par les séjours de vacances « au bled » (Jennifer Bidet,
« Vacances au bled et rapports aux origines : l’espace comme support concret des identités », in Jean-Yves
Authier, Alain Bourdin, Marie-Pierre Lefeuvre (dir.), La Jeune sociologie urbaine francophone. Retour sur la
tradition et exploration de nouveaux champs, Presses universitaires de Lyon, 2014, p. 33-49).
17 Pour ces trois exemples, voir Alain Tarrius, Geneviève Marotel et Michel Peraldi, L’Aménagement à contre-
temps. Nouveaux territoires immigrés à Marseille et Tunis, Paris, L’Harmattan, 1988.
18 Voir Alain Tarrius, « Territoires circulatoires et espaces urbains », Les Annales de la recherche urbaine, no 59-
60, 1993, p. 51-60.
19 Voir Monique Hirschhorn et Jean-Michel Berthelot (dir.), Mobilités et ancrages. Vers un nouveau mode de
spatialisation ?, Paris, L’Harmattan, 1996.
20 Au sens littéral : « entrée en relation sociale » (parfois aussi traduit par « sociation »).
21 Voir Henri Raymond, « Urbain, convivialité, culture », Les Annales de la recherche urbaine, no 37, 1988.
22 Voir Mark S. Granovetter, « The strength of weak ties » (1973), trad. française sous le titre « La force des
liens faibles », in Mark S. Granovetter, Le Marché autrement, Paris, Desclée de Brouwer, 2000, p. 45-74.
23 « La sociabilité », Économie et statistique, no 132, 1981 ; « La fréquence des relations de sociabilité :
typologie et évolutions », L’Année sociologique, vol. 43, 1993.
24 Voir François Ascher, Métapolis ou l’avenir des villes, Paris, Odile Jacob, 1995.
25 « Espace multiculturel et construction du rapport à l’autre : figure du jeune isolé et relations entre les
générations », Espaces et sociétés, no 108-109, 2002, p. 71-88.
26 Voir Azouz Begag et Reynald Rossini, Du bon usage de la distance chez les sauvageons, Paris, Seuil, 1999.
27 Voir par exemple Alain Degenne, « Un langage pour l’étude des réseaux sociaux » in Collectif, L’Esprit des
lieux. Localités et changement social en France, Paris, Éditions du CNRS, 1986, p. 291-312 ; et plus récemment
Claire Bidart, L’Amitié. Un lien social, op. cit.
28 « Métropoles et mentalité » (1903), in L’École de Chicago, op. cit., citations, p. 67-68.
29 Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province, Lyon, Presses universitaires de Lyon,
1985.
30 « La société partagée. Relations interethniques et interclasses dans un quartier en rénovation, Belleville,
Paris XXe », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 68, 1995, p. 161-190.
31 Voir Bernard Haumont et Alain Morel (dir.), La Société des voisins, Paris, Éditions de la Maison des sciences
de l’homme, 2005.
32 Bonjour-bonsoir ? La gestion publique des espaces privés dans les HLM de Nantes, thèse de doctorat de
sociologie, Université de Nantes, juin 1993.
33 Le Passant considérable. Essai sur la dispersion de l’espace public, Paris, Librairie des Méridiens, 1984 (cit.
p. 40). Voir aussi, du même auteur, La Ville sans qualités, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube, 1998 ; et les
contributions réunies dans le volume no 57-58 des Annales de la recherche urbaine, « Espaces publics en ville »,
1993.
34 Voir Jacqueline Coutras, Crise urbaine et espaces sexués, Paris, Armand Colin, 1996.
6
Transformation des espaces
urbains et politiques de la ville
Dans les chapitres précédents, la ville a été surtout envisagée du point de vue du
citadin qui l’habite, la parcourt et se l’approprie. On se centrera ici, au contraire, sur
les agents et les processus qui concourent à la production même des espaces urbains.
Plutôt que de production, il vaut d’ailleurs mieux parler de transformation puisque,
sauf exception, la ville est déjà là. Ces agents opèrent donc habituellement dans des
contextes urbains qui préexistent à leur action, la rendent possible, tout en en marquant
les limites.
D’autre part, les espaces urbains seront considérés tant dans leur structure matérielle
que dans leur affectation et leur usage, le lien entre les deux étant justement l’un des
enjeux autour desquels se nouent les processus de transformation de la ville.
1. Agents et acteurs
Pour la clarté du vocabulaire, on réservera le terme d’acteur aux cas où la personne
est engagée dans des relations de rôles avec un ou plusieurs autres protagonistes. On
parlera d’agent dans les autres cas1.
Faire construire un immeuble sur telle parcelle plutôt que telle autre est une action
qui s’inscrit dans un contexte général (marché foncier et immobilier, marché des
capitaux, compétition entre promoteurs…), et qui produit des effets en retour sur ce
contexte. Cette décision est donc bien prise dans un système objectif d’interaction avec
les décisions émanant d’un très grand nombre d’autres intervenants. Mais tous ces
individus en interdépendance peuvent très bien s’ignorer mutuellement, et ne sont en
tout cas pas liés par des relations de rôles les uns vis-à-vis des autres. Le promoteur
immobilier sera donc considéré, de ce point de vue, comme un agent. En revanche,
quand ce même promoteur négocie la délivrance d’un permis de construire, ou quand il
anime une association professionnelle, il se trouve impliqué comme acteur dans un jeu
de rôles avec d’autres acteurs (représentants de la municipalité, confrères, etc.).
Sous sa forme la plus générale, la notion d’agent peut désigner une personne
physique, mais aussi une entité collective (ménage, entreprise, administration,
association) elle-même faite d’acteurs individuels qu’elle met en interaction.
2. Enjeux
Sous sa forme la plus générale, la planification urbaine peut être définie comme
l’ensemble des démarches que les collectivités publiques mettent en œuvre pour exercer
un contrôle sur la configuration des espaces urbains, sur leurs usages, et plus largement
sur le devenir des villes.
3. Procédures d’intervention
et processus de changement
Sous des formes diverses, les quelques processus de changement présentés ici à titre
d’illustrations engagent tous la puissance publique. Ils peuvent donc être considérés
comme autant d’exemples d’interventions politiques sur la ville, ou plus précisément
sur des périmètres urbains particuliers. Les acteurs de ces interventions n’ont cependant
qu’une maîtrise partielle des changements qu’ils suscitent ou qu’ils s’efforcent
d’infléchir.
Dans quelle mesure les intentions proclamées se traduisent-elles alors dans la réalité
du devenir urbain ? Ainsi formulée, la question tend logiquement à susciter des
réponses qui s’énoncent d’ordinaire en termes de décalages, de dérives, voire d’échecs
ou d’« effets pervers ». L’ampleur de ces décalages dépend bien sûr des contextes
étudiés, de l’ambition des objectifs définis par les intervenants, et des moyens dont ils
disposent pour les mettre en œuvre. Mais l’appréciation comptable des écarts entre les
objectifs et les résultats de l’action publique ne représente qu’un des points de vue
possibles sur les changements constatés. D’autres parties prenantes dans les mêmes
changements pourraient d’ailleurs porter sur ceux-ci un tout autre regard, selon les
bénéfices ou les préjudices qu’ils leur ont apportés. On peut certes attribuer une inégale
dignité à ces différents points de vue, par exemple au nom du primat de l’intérêt général
ou d’une certaine idée de la ville. Cependant, si l’on quitte le registre des jugements de
valeur pour celui de l’analyse objective, la problématique du décalage se relativise.
Dans le temps même où il se « réalise », le projet urbanistique compose nécessairement
avec les objets urbains qui lui préexistent, et avec tous les projets individuels ou
collectifs auxquels il se trouve confronté.
B
Bacqué 1, 2, 3
Baechler 1
Barbichon 1, 2
Beaud 1
Becker 1, 2
Begag 1
Bensoussan 1, 2, 3
Bertaux-Wiame 1
Berthelot 1, 2
Besson 1
Bidart 1, 2, 3
Bidou-Zachariasen 1, 2, 3
Blanc 1
Blöss 1
Body-Gendrot 1
Bonnin 1, 2
Bonvalet 1, 2, 3, 4, 5
Boudon 1
Bourdieu 1
Bourdin 1, 2, 3, 4, 5
Bourgeois 1, 2
Bozon 1, 2
Brun 1, 2
Burgess 1, 2
C
Capron 1
Castells 1, 2
Chamboredon 1, 2, 3
Champy 1
Choay 1, 2
Chombart de Lauwe 1, 2
Coing 1, 2, 3
Coutras 1
Cristel 1
Cuturello 1
D
Dansereau 1, 2
Debrand 1
Degenne 1, 2
Denton 1
Desjeux 1
Donzelot 1
Dourlens 1
Dubedout 1
Dubet 1, 2, 3
Dupont 1
Dureau 1
Durkheim 1, 2, 3, 4, 5, 6
E
Elias 1, 2
Estèbe 1
F
Faure 1
Fijalkow 1
Fol 1, 2, 3, 4
Forsé 1, 2
Fournier
Francq 1, 2
Frickey 1
Fritsch 1, 2
G
Gans 1
Godard 1
Gotman 1, 2, 3, 4
Grafmeyer 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16
Granovetter 1
Gribaudi 1, 2, 3
Guérin-Pace 1
H
Halbwachs 1, 2, 3, 4, 5
Hannerz 1, 2
Haumont B.
Haumont N.
Haussmann
Héran 1
Hontebeyrie 1
J
Joseph 1, 2, 3, 4, 5, 6
K
Kokoreff 1
L
Laferrère 1
Lapeyronnie 1, 2, 3, 4
Lefebvre 1, 2, 3, 4
Le Galès 1, 2
Lehman-Frisch 1
Leighton 1
Lelièvre 1, 2
Leloup 1
Lemaire 1, 2, 3
Lemarchant 1
Lequin 1
Lévy (Jean-Pierre)
Lévy (Jean-Paul)
Lévy-Vroelant 1, 2, 3
Lulle 1
M
Mallon 1, 2
Marotel 1
Martin 1
Massey 1
Mattout 1
Mercklé 1
Métral 1
Monjaret 1
Morel 1
N
Neveu 1
Noiriel 1
O
Oberti 1
P
Park 1, 2, 3, 4
Pasquier 1
Peraldi 1
Pinçon 1, 2, 3
Pinçon-Charlot 1, 2, 3
Prado 1
Préteceille 1, 2, 3
R
Raymond 1, 2, 3, 4, 5
Remy 1, 2
Retière 1, 2
Rhein 1, 2
Rojtman 1, 2
Roncayolo 1, 2, 3, 4, 5
Rosental 1
S
Saint-Raymond 1
Sassen 1
Schelling 1
Schwartz 1
Scotson 1
Segalen 1
Simmel 1, 2, 3
Simon 1
Singly de
Sintomer 1
T
Taffin 1
Tapie-Grime 1, 2
Taponier 1
Tarrius 1, 2, 3, 4
Thomas 1, 2, 3
Tissot 1, 2, 3, 4
Topalov 1, 2, 3, 4, 5
V
Vidal-Naquet 1
Vignal 1, 2
Villanova
Villechaise-Dupont 1, 2
Voyé 1, 2, 3
W
Weber 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Wellman 1
Willmott 1, 2
Wirth 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Y
Young 1, 2
Z
Znaniecki 1