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des femmes
Capitalism e, racialisation,
fém inism e
Albin Michel
Bibliothèque Idées
LE V E N T R E DES FEM M ES
Françoise Vergés
Albin Michel
Collection « Bibliothèque A lbin M ichel Idées»
dirigée p a r Hélène Monsacré
© Éditions A lb in M ich e l, 2 0 1 7
«La décolonisation est un processus historique \ »
Frantz Fanon
, . .
••
:
Introduction
1 . Dans les colonies esclavagistes, une des premières mesures fut d’inter
dire les relations sexuelles entre Noir-e-s et Blancs/Blanches. Les enfants nés
de ces relations n’avaient pas le statut de «Blanc». Voir Françoise Vergés,
Monsters and Revolutionaries. Colonial Fam ily Romance and Métissage,
Durham, Duke University Press, 199 9 .
2. Ces privilèges sont toujours d’actualité: voir les rapports de l’Obser
vatoire des inégalités et du Défenseur des droits sur les discriminations à
la couleur de peau: http://www.inegalites.fr/spip.php?page=recherche&id_
article=l 469&recherche=racismeet http://www.defenseurdesdroits.fr/fr/actus/
actualites/discrimination-lembauche-resultats-de-lappel-temoignage.
3. Voir Nancy Leong, «Racial Capitalism», Harvard Law Review,
juin 20x3, vol. 12 6 , n° 8, p. 2 1 5 3 - 2 2 2 6 ; Evelyn Nakano Glenn, Unequal
Freedom: How Race and Gender Shaped American Citizenship and Labor,
Cambridge, Harvard University Press, 2 0 0 2 ; David Théo Goldberg, The
Ihreat o f Race: Reflections on Racial Neoliberalism, Malden, M A , Wiley
Blackwell, 2009 ; Jodi Melamed, « Racial Capitalism », Critical Ethnie Studies,
2 0 15 , vol. 1, n° 1, p. 76 -8 5 ; Cedric J. Robinson, BlackM arxism . TheMaking
o f a Black Radical Tradition, Chapel Hill, The University o f Carolina Press,
19 8 3. L’ouvrage de Robinson reste une référence de cette école du capita
lisme racial. Les références sont en majorité nord-américaines, les critiques du
capitalisme en France n’ayant pratiquement pas abordé la question raciale.
Introduction 19
Blancs peuvent posséder des êtres humains qui ont été racisés
(des Noirs), et seuls des corps racisés comme «nègres» sont
esclavagisés (les Blancs ne peuvent posséder de Blancs et des
Libres de couleur qui possèdent des esclaves noirs n’acquièrent
jamais les mêmes droits que les Blancs). Les débats autour de
la «Déclaration des droits de l’homme et du citoyen» pour
définir la propriété distinguent: la propriété de forme indi
viduelle (liberté personnelle), la propriété de forme collective
(le bien commun) et la « propriété de forme individuelle non
universelle, le droit de propriété de biens matériels1 ». Ces dis
tinctions permettent de comprendre pourquoi la modernité
politique consécutive à la Révolution française ne provoque
pas de crise éthique du processus de racisation - reconnaître le
droit à la propriété de biens matériels laisse la porte ouverte au
maintien du droit de propriété sur un être humain transformé
en meuble. Rappelons que le pic de la traite transatlantique
(le nombre d’Africains noirs déportés) passe de 20000/30000
par an au xvn e siècle à 70000/90000 par an au tournant des
xvm e et xixesiècles. Dès lors que la « propriété de biens maté
riels est conçue comme l’espace dans lequel s’exerce la liberté
naturelle de l’homme», qu’elle «devient le territoire naturel
de l’homme»12, les propriétaires peuvent être les seuls à être
appelés citoyens, ce qui est contraire au principe d’égalité mais
qui adviendra sous la poussée des propriétaires d’esclaves3.
Autrement dit, une chaîne relie la racisation du travail servile,
le droit à la propriété, le Blanc et la citoyenneté.
moment mà, pas moin que la voulu. Mon mari quand lu la vu,
lété en colère... Covindin la fait coupe à m oin... C ’est là que
moin la écrit au préfet... Le docteur [Ladjadj] mi arpoursuiv à
lu. Lu la dit à moin “Je ne peux pas donner un certificat pour
un truc pareil!” ... Moin la dit a lu “Ou la tué mon zenfant.
Ou lé pas un docteur, ou lé pas rien. Ou c’est un criminel” 1. »
Première à se porter partie civile, elle est suivie en septembre
par Mme G. R. qui rend publique la lettre quelle a adressée
au juge12. Agée de trente-huit ans, mère de six enfants, elle
a consulté pour une douleur au côté droit alors quelle était
enceinte de trois mois. Son médecin l’a envoyée à la clinique
de Saint-Benoît. Admise pour huit jours, elle y est restée
quinze jours. On lui a dit quelle avait été opérée de l’appen
dicite, alors qu’en réalité elle avait été avortée et avait subi une
ligature des trompes. «Monsieur le juge», écrit-elle, «je porte
plainte contre les responsables de la clinique de Saint-Benoît
pour avoir tué mon bébé âgé de trois mois et pour m’avoir
trompée sur le sens de l’opération qu’on m’a fait subir»3.
D e nouveaux chiffres paraissent dans la presse sur le nombre
d’avortements à la clinique: il y en aurait eu 1 300 en 1968
et 1 500 en 1969. Le journaliste du Nouvel Observateur, René
Backmann, constate: «en un an, plusieurs milliers d’avorte
ments, plus du quart de ceux qui sont pratiqués dans l’île »
se pratiquent dans cette clinique; et il ajoute: «L’opération
a parfois été faite sur des femmes enceintes de six, sept ou
huit mois. On trouve dans le dossier un témoignage sur un cas
où le fœtus a dû être découpé et extrait morceau par morceau.
Après l’avortement, le médecin stérilisait souvent la patiente
1. Ibid.
2. «Victim e de la clinique et stérile aujourd’hui. M m e G . R., à son
tour, porte plainte et se constitue partie civile contre la S A R L clinique de
St Benoît et ses gérants», Témoignages, 1 2 septembre 19 7 0 , p. 5.
3. Ibid.
32 Le ventre des fem m es
sans lui avoir demandé son avis. Les plaintes pour avortement
suivi de stérilisation sont les plus nombreuses dans le dossier
du juge d’instruction»1.
Fin septembre, les administrateurs du Conseil d’adminis
tration de la Caisse générale de sécurité sociale admettent
l’existence de détournements de fonds, mais le bureau et la
direction refusent toujours de porter plainte. Pourtant, le
5 septembre précédent, Témoignages avait révélé le contenu
d’une note des Renseignements généraux datant de 19 57 , où
il était dit que les « Renseignements généraux confirment que
D avid Moreau faisait bien de la “médecine commerciale” , que
son cabinet avait facturé 1 948 bons de consultation et visites
à l’A M G alors qu’ il était à Maurice, etc. etc.» et qu’en i960
«un rapport officiel du docteur L. avait tout confirm é»12. En
octobre, un procès-verbal du bureau du Conseil d’adminis
tration de la Caisse générale de sécurité sociale parvient au
journal Témoignages: pour la seule année 1969, 2 962 interven
tions chirurgicales, 4 670 consultations et 4 5 1 1 surveillances
d’hospitalisations ont été attribuées au docteur Ladjadj, qui a
pratiqué en outre 844 interruptions de grossesse, soit trois par
jour, et toutes ces opérations lui ont été remboursées3. Le jour
nal fait aussi savoir que l’avortement était facturé 1 000 francs
C F A pour une assurée et 500 pour une femme relevant de
l’A M G . Des accouchements étaient facturés deux fois, l’un par
une sage-femme, l’autre par un médecin.
1. Ibid.
2. «Ladjadj déclare: Tout le monde savait. Si j’ai agi ainsi, c’est parce
que j ’étais couvert. Seul l’avortement peut sauver ce pays!», Témoignages,
Ier mars 1 9 7 1 , p. 1.
38 L e ventre des fem m es
1. Ibid.
2. Ib id.
3. Ib id.
4. Témoignages, 4 février 1 9 7 1 , p. 1 -4 .
5. « Une atmosphère typique de pays colonial. M épris de classe et mépris
de race», Témoignages, 1 7 février 1 9 7 1 , p. 1.
6. « C o u p de théâtre. Plein d ’ assurance et d ’arrogance, Ladjadj, devant
un dossier accablant, avoue et plaide coupable, mais se défend en mettant
L ’île du docteur Moreau 39
1. Sitianlati Daroussi, « U n com bat mené par des femmes pour toutes
les femm es», Témoignages., 2 7 janvier 2 0 0 5 , http://www.temoignages.re/
social/d roi ts-h um ains/un-com bat-m ene-par-des-fem m es-pour-toutes-les-
femm es ,73 1 2.htm l.
L'île du docteur Moreau 43
1. Ibid., p. 3 0 5 .
2. C ité par Gilles G au v in , «A p p ro ch e de l’ identité réunionnaise par
l’étude d ’une culture p olitiq u e: le R . R R à l’ île de L a R éunion», art. cité,
p. 3 1 0 .
3. Tém oignage de D . H ., habitant de Sain t-B en o ît, 3 1 décembre 2015.
L ’île du docteur Moreau 49
1. Ibid., p. 38.
2. Cité par Serge Bouchers dans sa contribution «Femmes et associa
tions dans les années Debré» au colloque «Les années Debré», Université
de La Réunion, 2 0 1 3 . Voir https://www.canal-u.tv/video/universite_de_la_
reunion_sun/femmes_et_associations_dans_les_annees_debre. 13 3 4 9 .
54 L e ventre des fem m es
i. Ibid., p. 8.
56 L e ventre des fem m es
1. http://www.charles-de-gaulle.org/pages/l-hom m e/accueil/discours/
pendant-la-guerre- 1940- 1946 /discours-de-brazzaville- 30-janvier- 1944.php
2. Ibid.
L ’im possible développem ent 63
1. http://www.comite-valmy.org/spip.phpParticlel3
64 L e ven tre des fem m es
1 . Le rapport est publié dans son intégralité dans R aoul Lucas et M ario
Serviable, L ’E ncastrement dans la France. Regards croisés sur la départem en
talisation de La Réunion, Saint-D enis de La Réunion, Editions A R S Terres
Créoles, 2 0 1 6 , p. 2 3 - 7 2 .
2. C ité par Raoul Lucas et M ario Serviable, op. cit., p. 2 6 -2 7 •
3. Ib id., p. 28.
4. Ib id ., p. 29.
5. Ib id., p. 30.
6. Ib id., p. 68.
L ’impossible développement 7i
1 . Ibid., p. 3 5 5 .
2. Ibid., p. 2 9 3.
3. L’histoire du communisme réunionnais reste à faire: ses leaders; les
raisons qui ont mené des dizaines de milliers de femmes et d’hommes de
toutes conditions à le rejoindre, à le défendre, à se battre, à aller en prison,
à perdre leur travail pour en défendre les idées ; ses relations avec Moscou,
Pékin et les mouvements de libération nationale dans la région océan Indien
et ailleurs; son vocabulaire; sa presse; les causes de son déclin; l’ intense
répression qu’ il a subie.
4. Gilles Gauvin, «Approche de l’identité réunionnaise par l’étude
d’une culture politique: le R. P. F. à l’île de La Réunion», art. cité, p. 3 1 3 .
gg Le ventre des fem m es
1. http://www.fxgpariscaraibe.com/article-alain-plenel-ancien-vice-recteur-
de-la-martinique-1 1 1 9 3 8427.htm l ; http://blogs.mediapart.fr/blog/ edwy-plenel/
2 4 1 1 1 3/memoriam-alain-plenel-i922-20i3.
90 L e ventre des fem m es
1. Ibid.
2. Gilles Gauvin, «Approche de l’identité réunionnaise par l’étude
d’une culture politique: le R. P. F. à l’île de La Réunion», art. cité, p. 308.
92 L e ventre des fem m es
i. L ’Intrépide, 1 5 juillet 1 9 7 1 .
«L ’im possible développem ent » 93
1. Ibid.
2. N ed et Constance Sublette, The Am erican Slave Coast. A History ofthe
Slave-Breeding Industry, Chicago, Lawrence Hill Books, 2 0 1 5 . Voir aussi:
Gregory O ’Malley, F in a l Passages. The Intercolonial Slave Trade o f British
Am erica, 16 19 -18 0 7 , Chapei Hill, University o f North Carolina Press, 2014,
qui s’intéresse à la circulation de la main-d’œuvre servile entre colonies.
L’esclave étant considéré comme une commodité, il pouvait «être circulé»
comme de la monnaie grâce aux réseaux capitalistes et aux contournements
des lois sur la distribution de marchandises.
3. Les femmes captives étaient violées dans les baraquements des ports
négriers sur les côtes africaines et dans les bateaux négriers, une femme
enceinte ayant plus de valeur marchande, comme l’enfant à naître.
L e ven tre des fem m es noires ioi
1. Ibid.
L e ven tre des fe m m e s noires 1 07
1 . Ib id .
L e ven tre des fem m es noires 111
2 2 avril 2 0 x 5]. Voir aussi les textes des déclarations des conférences mon
diales sur la population de l’ U N F P A , http://www.unfpa.org/.
1. http://www.un.org/en/development/desa/population/events/confe-
rence/index.shtml
116 L e ventre des fe m m e s
D ans ce débat, les fém inistes du tiers-m onde ont com battu
à la fois le patriarcat nationaliste — qui fait de la croissance de
la population une nécessité de la nation en devenir — et les
politiques occidentales de contrôle des naissances. Loin d ’être
opposées au « droit individuel des gens de couleur au contrôle
des naissances», les fém inistes noires, chicanas ou indigènes
font la critique de la «stratégie raciste de contrôle des popu
la tio n s» 1. Elles prônent l’accès à l’éducation et à l’autonomie
pour les femmes et m ilitent pour que celles-ci puissent exercer
un contrôle sur leur corps, mais elles rejettent les politiques
d ’experts, décidées du haut vers le bas, qui servent l’ impéria
lism e et le capitalism e. La force du discours sur la surpopu
lation, expliquent-elles, réside dans sa capacité à réunir des
grands thèmes de la m odernisation : droits des femmes, sexua
lité, reproduction et progrès.
C ette idéologie contribue à faire des femmes racisées des
fem m es mineures qu’il faut sauver et protéger. Les moyens
déployés pour établir de manière durable la corrélation entre
taux de naissance et pauvreté sont m ultiples, mais la publi
cité, en particulier, joue un rôle central. « La publicité pour la
contraception et la stérilisation com m e m éthode de contrôle
des naissances a conduit à la conclusion que la surpopulation
est la cause principale de la pauvreté dans les pays sous-déve
loppés», a écrit C han dra Talpade M o h an ty12. Rappelons néan
m oins que des féministes et des nationalistes anti-impérialistes
ont pu prôner l’avortem ent et la stérilisation. Etudiant le cas
portoricain, devenu em blém atique des critiques des politiques
1. Ibid.
134 ven tre des fem m es
I. Ibid.., p. 87.
« L ’a v e n ir est a ille u rs » 139
1. Ibid.
2. Cité dans Les Oubliés de la décolonisation française. Départements
d ’Outre-Mer, Territoires d ’Outre-Mer, Parole et Société, op. cit., p. 205.
3. Voir Françoise Vergés, «Blancs sur Noires», in Des femmes en mou
vements, 1 9 8 1 . C e mouvement concerna aussi des jeunes femmes mauri
ciennes, voir Martyne Perrot, «M igration des femmes mauriciennes en
milieu rural français. Stratégie migratoire contre stratégie matrimoniale»,
Annuaire des pays de l ’Océan indien, 19 80 , vol. 7, p. 2 4 7 -2 5 5 .
1 46 L e ven tre des fe m m e s
1. http://www.lalere.fr/ 20 l 4/02/19
2. Voir Jean-Jacques Martial, Une enfance volée, Paris, Les Quatre
Chemins, 2003, http://www.lalere.fr/20 l 4/02/ 19/nous-allons-pouvoir-vivre-
et-m ourir-en-paix-dit-jean-jacques-m artial-au-lendem ain-du-vote-de-1-
assemblee-123733.html.
3. Voir http://www.outre-mer.gouv.fr/Pcp-installation-de-la-commission-
des-enfants-de-la-creuse.html). En mars 2 0 16 , une commission alternative
a été créée (http://laiere.francetvinfo.fr/une-commission-alternative-pour-
ies-reunionnais-de-la-creuse-344907.html). La commission ministérielle a
rendu ses premières conclusions - dont le rectificatif sur le nombre d’enfants
victimes d’enlèvement - , elle espère pouvoir constituer un tableau nominatif
complet, encore qu’il soit difficile de retrouver des adultes enlevés à 8 mois
car ils ne se souviennent peut-être pas de leur départ. Le 12 août 20 15,
des associations s’étaient constituées en fédération. «Les associations Rasinn
L ’a v e n ir est a illeu rs 1 55
1. Ibid.
2. Ib id., p. 1 3 .
3. Ib id., p. 3.
L ’a v e n ir est a illeu rs 157
victimes des mêmes abus. J ’ai très souvent entendu que «la
race» n’existait pas, que la France n’avait jamais eu de poli
tique ouvertement raciale; je devais expliquer que, même en
l’absence d’ une politique de la race, les processus et pratiques
de racialisation existent. Autrement dit, les lois de ségrégation
ne sont pas les seuls dispositifs par lesquels un État discrimine
sur une base raciale, il le fait en diffusant des images négatives
d’un groupe, en le déclarant inassimilable, en minorant ses
apports, en dévalorisant sa culture ou sa religion.
Aux yeux des inspecteurs de l’action sociale, ce qu’ils
s’obstinent à appeler, de manière purement administrative,
la «migration des pupilles» n’a été qu’«un des aspects d’une
réponse organisée pour faire face à l’urgence des besoins des
populations et aux évolutions économiques et sociales prévi
sibles»1. L’utilisation des termes «urgence», «prévisible» ou
de l’expression «besoins des populations» oppose un voca
bulaire raisonnable aux protestations qui se firent entendre
à La Réunion, lesquelles, bien entendu, ne traduisent qu’un
mouvement d’émotion ou une volonté d’instrumentalisation.
C ’est finalement, selon les inspecteurs, grâce aux progrès de
la « politique de Planning familial impulsée avec vigueur dès
le début des années i960» par le gouvernement, qui «limite
fortement le nombre de naissances non désirées, lesquelles
conduisent souvent à des difficultés éducatives (au rang des
quelles on peut placer les abandons) et donc diminuent le
nombre des mineurs admis à l’aide sociale de l’enfance» que
la «migration des pupilles» s’arrête12. Ils oublient en passant
les nombreuses protestations locales, les rapports inquiets de
responsables et d’inspecteurs de l’action sociale qui remontent
jusqu’au ministère des Affaires sociales. Quant à la «vigueur»
1. Ibid.
2. Ibid., p. 29.
158 L e ven tre des Jern m cs
Cécité du féminisme.
Race, colonialité, capitalisme
1. h ttp ://gilles.p ich avan t.p agesp erso -o ran ge.fr/ih scgt76/n u m 14/n u m -
14p age3.h tm
2. Vanessa C o d accio n i, « (Dé)Politisation du genre et des questions
sexuelles», art. cité, p. 3 2 .
3. Ibid., p. 4 2 .
4. Ibid., p. 4 1 .
1 76 Le ven tre des fe m m e s
1. Ibid.
2. V o ir Raphaëlle Branche et Fabrice V irg ili (éd.), Viols en temps de
guerre, Paris, Payot, 2 0 1 1 .
3. Propos de Gisèle H alim i recueillis par Vanessa C o d accio n i, in «(D é)
Politisation du genre et des questions sexuelles», art. cité, p. 36.
4. L’arm ée française refusa aux tribunaux la possibilité de les poursuivre.
5. Ch ristelle Taraud, « L e supplice de D jam ila B o u p ach a», L'Histoire,
janvier 2 0 1 2 , n° 3 7 1 , p. 64.
C écité du fém in ism e. Race, colon ialité, capitalism e 177
i. S u r la r e c o n f ig u r a t io n d e la v i r g i n i t é d e s fille s m u s u l m a n e s d a n s
la F r a n c e p o s t c o l o n ia le , v o i r S a r a S k a n d r a n i, M a l i k a M a n s o u r i e t M a r ie -
R o s e M o r o , « L a v ir g i n i t é , u n a lib i p o s t - c o l o n i a l ? » , L ’A utre, 2008, v o l . 9, 3,
p. 3 2 5 - 3 3 1 -
i8 z L e ventre des fem m es
1. La recherche sur cet aspect vient plus tard, dans les années 19 8 0 .
x88 L e ven tre des fe m m e s
1. Ibid., p. 19 6.
2. Les débats autour du communisme et de l’Union soviétique vont
compter dans la formation de nouvelles gauches auxquelles des féministes
vont participer. L’appel de D avid Rousset, le 1 2 novembre 19 4 9 , à dénoncer
le goulag et toutes les formes d’ univers concentrationnaire en est le déclen
cheur. En outre, les débats sur la condition des femmes dans les pays de
l’Est enrichissent la critique féministe. C ’est en cela que ces éléments sont
à intégrer à l’histoire du féminisme, car ils vont contribuer à une «européa
nisation » des théories de l’émancipation. Sur la dénonciation du stalinisme
chez David Rousset, voir Jean-René Chauvin, «D avid Rousset et les camps
de concentration au x x e siècle», Lignes, 2/2000, n° 2, p. 9 0 -10 9 .
3. Le P C F prétendra que le rapport était un faux fabriqué par les services
secrets américains. Les partis communistes des outre-mer ne se prononce
ront pas publiquement.
190 l.e ventre des fem m es
1. V o ir le te x te c o m p le t d e la le t t r e s u r h t t p :/ / l m s i .n e t / L e t t r e - a - M a u r i c e -
’lh o r e z .
2. À ce sujet, voir aussi le documentaire de Dani Kouyaté, Souvenirs
encombrants d'une fem m e de ménage (20 0 8), qui retrace la vie de dhérèse
Bernis I’arise, née en 19 2 0 au (îosier, en G uadeloupe: «Séduite, maltraitée
puis abandonnée par les hommes, mère de six enfants nés au gré des ren
contres, Parise s’est battu et toute sa vie pour vaincre la pauvreté. Fuyant les
C écité du fém in ism e. Race, colon ialité, capitalism e 191
Elles sont à pein e une dizaine, m ais les journalistes sont pré
venus et le lieu sym b o liq u e au possible. À peine sorties du
métro, elles d ép lo ien t leurs banderoles : “ U n hom m e sur deux
est une fem m e” , “ Il y a plus in con n u encore que le so ld at: sa
femme” . A laquelle elles destinent une superbe gerbe. M ais la
police intervien t déjà et les photographes n’ont que le temps
de fixer l’événem ent avant q u e lle s ne soient em m enées, pour
vérification d ’ identité. [ ...] Il est né ce M ouvem en t que la
presse baptise “ de L ib ératio n de la Fem m e” ou m ême “de la
femme française” l . »
Pourquoi l’A rc de T riom phe ? Pourquoi avoir choisi ce
m onument, souhaité par N apoléon Ier et inauguré en 18 3 6 par
le roi Lou is-Philippe, qui le dédie aux armées de la Révolution
et de l’Em pire ? C ’est un lieu m arqué par la généalogie militaire
de la form ation de l’ Etat national-im périal, un lieu sacralisé
par l’Etat, où ce dernier met en scène les célébrations d ’une
France éternelle et unie représentée par ses armées. Le groupe
de femmes veut rendre visible ce qui est effacé dans le récit
de la nation : les fem m es. M ais leur geste trace aussi l’espace
de leurs luttes — l’H exagone et la N ation — et une tem pora
lité —l’histoire nationale. L’A rc de Triom phe met en scène une
conception norm ative et virile de la nation. La modernité, dont
se réclame cette historiographie de la nation —la Révolution et
l’Empire —est m ascu lin e*2. En choisissant ce lieu, ce groupe de
femmes propose une géographie et une temporalité qui n’ef
facent pas les fem m es, mais qui cependant continuent à effacer
la présence non blanche. Car, dans l’histoire militarisée de la
nation que représente l’A rc de Triom phe, l’absence des soldats
de l’empire colonial est frappante. Les féministes françaises ne
1. http://re-belles.over-blog.com/pages/_le_torchon_brule_nO_integra-
lite-l 475584.html, p. 5-6.
200 L e ven tre des fem m es
1. Ibid., p. 196.
2. Ibid., p. 201-202.
3. Ibid., p. 202. Il s’agissait de l’affaire de la clinique du D r Moreau.
4. Ibid., p. 302-303.
204 ventre des fem m es
que leur viol ait été requalifié en simples coups et blessures par
un tribunal de Marseille, elles contactent Gisèle H alim i qui
prend leur défense au nom du collectif juridique «C h o isir» 1.
Une grande campagne nationale contre le viol débute. Le pro
cès se tient en 1978 à Aix-en-Provence. Halimi, qui veut en
faire un grand « procès-tribune » contre le viol, obtient d’abord
que le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence se déclare
incompétent pour juger les trois agresseurs — ceux-ci feront
annuler cette décision. Le procès se tient finalement, dans
une atmosphère tendue où les partisans des violeurs insultent
victimes et témoins. De nombreux groupes féministes sont
présents devant le tribunal; des femmes députées de tous
horizons politiques témoignent. L’avocat des accusés, Gilbert
Collard, plaide un contexte culturel qui ne fait pas du viol
un crime, les magistrats persistent à soupçonner les victimes
d’avoir provoqué leur viol et le président de la cour d’assises
refuse de donner la parole à certains témoins. Des années plus
tard, Tonglet et Castellano reviendront sur leur combat, sur la
misogynie et la lesbophobie qui régnaient à l’époque12. Leur
refus de céder à la pression sociale contribua à ouvrir le débat
sur la caractérisation du viol comme crime. Cependant, nous
ne pouvons éluder certaines questions que pose la manière
dont fut encadré le débat sur le viol, d’une part avec le choix
d’un féminisme punitif, de l’autre, avec la disparition du viol
comme outil de guerre dans l’empire colonial français.
1. Ibid., p. 15 4 .
2. Ibid.
3. Ibid., p. 1 5 5 . L’auceure prône la non-mixité des groupes de femmes
noires, car la structure inhérente des pratiques mixtes est le fascisme, les
pratiques mixtes étant dominées par l’idéologie phallocrate.
4. Coordination des femmes noires, juillet 19 7 8 , archive personnelle.
5. Ibid., p. 12 .
Cécité du fém inism e. Race, colonialité, capitalisme 209
1. Ibid., p. 17 .
2. Ibid., p. 36.
3. Et il faudra attendre les années 2000 pour que les textes de féministes
s’ identifiant à la théorie postcoloniale ou décoloniale interrogent la théorie
féministe et les mouvements français dans le but de faire reconnaître les
processus de racisation. Voir Félix Boggio Ewanjé-Epée et Stella Magliani-
Belkacem, Les Féministes blanches et l ’empire, Paris, La Fabrique, 2 0 1 2 ; Eisa
Dorlin, Black Feminism. Anthologie du féminisme africain américain iç t g -
2000, Paris, L’Harmattan, 200S, et La Matrice de la race. Généalogie sexuelle
et coloniale de la Nation française, op. cit. ; Nacira Guénif-Souilamas et Eric
Macé, Les Féministes et le garçon arabe, La Tour-d'Aigues, L'Aube, 2 0 0 4;
Jules Falquet et Azadeh Kian (éd.), « Intersectionnalité et colonialité». Les
Cahiers du C F D R E F , 2 0 1 3 , nJ 2 0 ; Paola Bacchetta, Jules Falquet et Norma
Alarcôn (éd.), « Ihéories féministes et queers décoloniales», Les Cahiers du
C E D R E F, 2 0 1 1 , n° 1 8 ; Azadeh Kian (éd.), «Genre et perspectives décolo
niales», Les Cahiers du C E D R E F , 2 0 10 , n° 17 .
2io L e ventre des fem m es
Repolitiser le féminisme
1. http://www.reunion.gouv.fr/la-delegation-regionale-aux-droits-des-
femmes-et-a-a1487.html
2. http://www.femmes974.info/conseil-femmes974.html
3. Voir l’« Association féminine de l’Est contre tristesse, tyrannie, trauma
tisme» (l’A F E C T ) , l’association «Femmes des Hauts, Femmes d’Outre-Mer»,
l’association «Femmes Sol id’Air ! », et l’ Union des Femmes Réunionnaises.
L’association «Judo Club de l’Amitié» offre par contre aux femmes des stages
d’auto-défense.
4. http://www.femm cmag.re/portrait/les-associations-interrogent-la-
ministre
22 6 Le ventre des fem mes
Introduction............................................................................... 9
2. «L’impossible développement»........................................ 59
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