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Jacques Rancière
ce qu'il y a penser sous ce nom, déià bi-centenaire et encore si en même temps, c'est la restitution d'un esPâce haptique :- un
obscur, d'esthétique. espace de connexion du voir et du toucher sur un--!P" plan.
partirai de âeux formulations deleuziennes, dont l'écart me Ctest cet espace qui caractérise, selon Riegl, le bas-relief égyptien.
Je
semblè fixer exemplairement les pôles, aPParemmen! antago- Seulement, dans cet esPace, le contour a Pour fonction d'essen-
nistes, entre lesquels s'inscrit la pensée deleuzienne de l'æuvre. tialiser la figure.qu'il g""9I.1.: Le.problème est.alors de définir
Le première sé trouve dans Qu'est'ce-que la pbihsopbie.?: un espace qur aif la planéité haptique, mais qui soit délivré de
o L'èuvre d'art est un être de sensation et rien d'autre : elle existe cette fonction essentialisante.
en soi (...) L'tniste crée des blocs de percepts et d'affects, mais la Ce problème est résolu formellement Par une opération qui
I porte sur le contour. Sa ligne vient s'identifier, chez Bacon, à une
seule loi ée la création, c'est que le compo# doit tenir tout seul '
La seconde figure dans Loglqrcs fu k sensation ;. Avec la.peinture, àotre ligne, appartenant à la logique d'une eutre forme : la ligne
l'hystérie devient art. Ou plitôt, avec le peintre,l'hystérie devient gothiqul septentrionde de Wôrringer, cette ligne qui s'incurrre,
peinture r2. Je brise, se brouille, change de direction. Cette ligne inorganique
La première formule, à première vue, énonce ce -qui semble désorganise la fonction du contour essentialisant Elle- le plo-nge
être le iéquisit de toute esthétique entendue comme discours sur dans [e monde de I'accidentel Pour en faire un lieu de tension,
l'art : il 'j e un mode d'être spécifique, celui de l'æuvre d'art- d'affrontement, de déformation des autres éléments. La surface
L'æuvre-d'art est telle en tent qu'elle tient toute seule, Elle est baconienne se définira alors comme une combinaison spécifique
I'objet qui est en face de nous, qui n'a pas besoin de nous mais de formes : I'espace haptique. égyptien r de Riegl désorganisé par
p.rjirt. itt de sa propre lôi d'unité d'une forme et d'une I'identification de sorlcontour à la ligne septentrionale de'Tflôr-
matière, de ".rt,t
parties et deleur assemblage. Ce Peu! être la tragédie, ringer.
-On
comme Aristote la définit; la calme idéalité de la statue grecque peut ainsi définir une formule de tableau dans une gram-
chez Hegel; le roman sur rien de Flauben qui tient qar la seule maire générale des formes. Mais comment comPrendre-alors que
force du sryle ; la surface de taches colorées Par laquelle Maurice cet agencement de plans et de lignes, défini Per -d-es critères sty-
Denis définit la peinture; etc... C'est bien ainsi que Deleuze sem- listiques prenne le nom d'une maladie mentale : fhysté1ie. Je dis
ble nous mettre Ln face de l'æuvre sous la forme d'un : . voilà ce . maladii mentele '. Mais il y a toute une tradition de pende
qu'il y e r. Ainsi commence exemPlairement dans LogQue dê h pour laquelle I'hystérie n'est Pes une maladie quetgogqge- Elle
t**iion la description de ce que nous présente un tableau de àst, specifiquement, la maladie qui s'oppose au travail de l'æuvre,
Bacon: . {Jn rond délimite souvent le lieu où est assis le Person- qui ltempêche d'exister comme chose autonome, en retenant pri-
nage, c'est-àdire la Figure '3. [Jn rond, un oyale, des cercles, de! sonnières dans le corps de I'artiste les puissances qui devaient
ptocédntes plastiques, un espace bien délimité et caractéri#, ainsi objectiver et autonomiser l'æuvre. ie pense ici à ce qrre Flaubert
beleuze noùs déciit-il ( ce qu'il y en face de nous, sur la surface dit de son Saint Antoine : la puissance qui devait faire consister
plane et autonome de l'æuvre. Et^,. ce qu'il y a\Peut se décrire le bloc de marbre de l'æuvre a inver# sa direction. Elle est allée
à*r les termes d'une sorte de grammaire des formes. Ainsi la vers l'intérieur au lieu d'dler vers I'extérieur. Et, en allant vers
surface du tableau de Bacon peut-elle se décrire comme la stricte I'intérieur, elle s'est liquéfiée. Elle a coulé en Flaubert comme
combinaison de deux formes identifiées par les historiens et théo- maladie nerveuse. Ainsi I'hystérie est ProPrement I'anti-auvre.
riciens de l'art.Tout d'abord, la coexistence sur le tableau de la Elle est la passion ou I'effusion neneuse qui s'oppose à la puis-
figure, de I'aplat qui fait fond et du rond qui les unit et les sépare sance athlétique et sculpturde des muscles.
Commeni comprendre alors que le < se tenir en soi ' de
1. G. Deleuze et F. Guattari : Qt'at-ce qte h plilosophic l, Editions de Minuit, l'æuvre puisse s'idéntifier à I'hystérie ? Retournons, pour cela,
o.
' 155. aux premières lignes de Loglqrc de h selrsation. Le rond, I'ovale,
2. G. Deleuze, Lqq* de h sensation, Editions de La différence' t. l, p.37-
le parallélépipèdà formels oni en fait une fonction bien précise:
t.IM., p.9.
528 Gilles Deleuze. Une vie philosophQue Gilles Deleuze. (Jne vie pbilosophQue 529
isoler la figure: I'isoler non Pas Pour l'essentialiser, comme le signification des analyses de \Uôrringer-..Chez celui-ci, la ligne
contour égyptien, non pas Pour la spiritualiser comme la man- Ctiit iaé"[té, puiss*rl d'otdre. Même la ligne gothique avait une
dorle byzantine, mais pour I'empêcher d'entrer en contact avec double fotr.iiott. Elle traduisait une angoisse et un désordre- mais
d'autrei figures, de devenir l'élément d'une histoire. Et il y a deux aussi elle les corriqeait en manifestant une puissance vitale idéale.
manières de devenir élément d'une histoire: il y a le rapport Ch.; Deleuze, à liinverse, la ligne devient la puissance du chaos '
externe de ressemblance, le rapport du personnege figuré à ce di .;rî"e toute forme, la puiiance du devenir-animal qui défait '
.ttttttophe de I'espace {iguratif' Le
qu'il représente. Et il y a les liens que, sur -la surface même de Ëiigrr. humaine, la mise .tt
rottio,tt dessine alors un champ clos au centre,d'une-double pous-
ltæuvrg une figure entretient avec d'autres figures. vers la figure puissances
sée : autour de lui, I'aplat fait monter les-
Ces deux manières définissent en fait les deux faces d'un même
modèle: le modèle représentatif aristotélicien, tel que le fixe la du chaos, les forces non-humaines, non-org13iques, la vie non-
PoétQue. Représenter veut en effet dire deux choses. Première- organiquâ d.. choses, qui viennenj qifl9r la figure. En son inté-.
mend l'æuvie est imitation d'une action. Elle fait reconnaitre Per ,ieir, la fig.tr. elle-même cherche à- stéchapper, à se désorganiser,
sa ressemblance quelque chose qui existe endehors d'elle. Deuxià
t r. tid.t"p* se tête Pour devenir corpl-sans organes .et aller
mement, l'æuvrè esi I'action de représenter. Elle est enchaîne- ,.ioittdt .Ë,r. vie nonàrganique. Ainsi Ë . se tenir en soi ' apol-
ment ou sy$ème d'actions, agencement de parties quislordonnent linien de l'æuvre est bien pluiôt une hystérie-dionysiaque: non
dans le corps de I'artiste
selon un modèle bien défini : l'agencement fonctionnel des parties f", l,é.o,tlement des puissances d'æuvredonnées figuratives que
d'un organisme. L'æuvre est vivante en tant qu'elle-est un o-rql- mais l'écoulement dans l'æuvre des
nisme. Ôela veut dire que la telehnè de l'æuvre est à l'image de la l'æuvre a pour travail de défaire.
nature, de la puissance qui trouve dans I'organisme vivant en L'. hvitérie r de l'æuvre définit le travail de dêfiguration Pro''
générd, et dans l'organisme humain en Particulier, son accom- pr. à l'*our. dans une double opposition.I'lle s'oppose explici-
plissement i.*.ttt à une esthétique organique du beau. Mais ce n'est-pT Pg.uT
- i" i.*pl.ter par une esthéiique .négative du.sublime,. de l'iné galité
Le modèle classique de I'autonomie de l'æuvre consiste à dis-
socier le modèle aristotélicien, à faire iouer la consistance organi- à",.""iUle ài'Idée. Q.* ce cômbaiengage, à travers ladescription
que de l'æuvre contre sa dépendan99 ryiTétique, la,n_ature PYt:- de l'æuvre, le stetut de la pensée en général, c'est c9 gue mo.tttTe
rào.. d'æuvre contre la nature modèle de figuration. Un véritable f:"*t.-tto. donné par Dàleuz.e èombat hystérique-.de la
^tt '
affranchissement de l'æuvre suPPose alors la destnrction de cette aJfij"t.,ion : il l'appelle iuqice.-E1 à la iustice elle-même, il dolne
organicité qui est la seconde ressource de la représentation-.Tyo un nouyeau nom t it t'"pp.lle désen. C'est ainsi que le chapitre
tér-iser l'æuvre, ou faire cuvre de l'hystérie, voudra dire défaire 5 de Logiqrc dc td xnv{ion décrit le terme du mouvement PT
cette organicité latente dans la définition même de l'. autonomie ' lequel li figot s'échappe vers la structure moléculaire de la
de l'æuvre. Cela voudra dire rendre malade cette nature qui a mitière , .Ii faudra ailéiiusque-tà afin que règne une iustice qui
l'autonomie organique comme telos. L'æuvre picturale devra ,"r" plus que Couleur ou Lumière, un gspa:e qlli ne. sera plus
". Sahara D 1. L'Guvre rend iustice et la iustice s'origine.en un
que
alors être pensée comme une maladie de la nature organique et
de la figurition qui imite sa puissance. Ce que les éléments de la àr,"i" lieu. Même si I'association de la iustice et du désert évoque
grammâre formèlle évoquée constituent, c'est en fait une mise à,abord l'Antigone de Hôlderlin, Il me semble impossible de ne
àn crise, la maladie d'une nature. Ils dessinent la scène d'un pas enrendre iËi l'écho d'un aurre discours sur la j_loj.: el:on
combat ou d'une crise. Le contouq baconien est ainsi une piste, iieu. fe veux parler bien sr de Platon et du livre Yu {.. la RQa'
un ring, un tapis de gymnastique. Il est le lieu d'un combat: le UtùrL . A qùoi s'agit-il, chcz.Deleuze comme chez Platon, de
combai de la pèintureiontre la iiguration. Aussi bien les éléments ,.ridr. justicl ? On f..tt répondre : au sensible comme tel.Il s'agit
du . code formel > ont-ils été soigneusement tordus par Deleuze
pour organiser ce ring. Témoin la manière dont il change la l.Ibid-, p.23.
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s30 Gilles Deleuze. [Jne aie philosopbQue Gilles Deleuze. [Jne rie pbilosophi4ue
dans
de dire quelle est sa vraie mesure. Chez Platon la mesure vraie d'une conversion. Son hystérie est schizophrénie maintenue
Ë..Jr. où elle fait encore æuvre et allégorie du travail de l'æuvre-
s'appelle-Idée et I'idée a un ennemi : les doxaî - La doxa, c'est la --
Èr, un sens, le livre sur Bacon n'ei qrre cela: une vaste
allé-
justii. que le sensible se rend à lui-même dans I'ordre courant des de
nor[-d' tra*raii de l'æuvre. Le privilège de Bacon, le privilège
choses. ll faut donc sortir de la caverne, de la doxa, du sensible
i
picturalg deleu-
pour atteindre le lieu d'où le sensible reçoit sa mesure, quitte à i';il;;;"i;;; au sens.latç datts festhétique
,i. qu'il s'y évanouisse. Or chez Deleuze [a iustice a même ,i.no. est de montrer et d'allZgoriser le moment de la métamor-
'ennËmi r li doxa, I'opinion, la figuration. Pas plus que I'esprit ohose. de montrer I'ar[ .o ttait de se faire - hystériquement -
chez Platon, la toile ôu peintre n'est blanche, en attente de ce qli il;;;;;b* tt.. l.t données figuratives. L'æuvre est d'abord
doit la remplir. la toile est surPeuplée, recouverte Par les données ii* Deleuze allégorie de l'æuvre-. Elle montre son telos, son
mouvement et ,, .".a.rrrre. La figure chez lui est en même
temPs
figuratives,-c'e$-àdire pas simplement les codes figuratifs pictu-
li formolrd'une transformation et son allégorie. Et son irlge.ment
tru* mais les clichés, la doxa, le monde des ombres sur le mur.
Les . données figuratives ) ou la doxa, qu'est-cenue c'est ? C_'est ;1î ftgtr; ; lié à sa capacité de deveniiformule etde effigig e3i
la fuite
le découpage settsori-moteur et signifiant drg monde perceptif tel ;ê;; .l Afei"iit ." *ê-. remps le mouvement
que I'organise l'animd humain lorsqu'il se fait centre du monde; retenue.
lôrsqu'il transforme sa position d'image parmi les images 9n On peut penser ici à la manière dont, dans le livre sur le
cogin, en centre à panir àe quoi il découpe les images du mondg. ia limit. de l'image-mouYement -et -la genèse de I'image .-
.irrérn",'r;emblématisent
leJ. données figuratives r, ctest aussi le découpage du visible ; du i"t"ot i.trr deux effigies,- deux visages ,a:
signifiant, du croyable tel que l'organisent les empires, en tant ;;il*, à;-;i"ïi;t ' : le visage de la femme dy FoY .co'4P?ble
qu'actualisations collectives de cet impérialisme du sui9t.- Le tra- e;Hir.h;ock, interprétée p"tï.t" Miles et celui d'Irène dans
vail de l'aft est de défaire ce monde de la figuration ou de la doxa, E;r"p" ti J. n"s.tlini, inîerprêtée par {ng:rid Bergman- L'un et
de dépeupler ce monde, de nettoyer ce qui est Pâr avance sur t';;;; "it"g. témoignent de i..p1"1g: '.lt f9mn1e lY t"* ?"P1'
toute toile, sur tout écran, de fendre la tête de ces images Pour y bh quirotribt dans-la schizophrénie à la suite de l'iniuste_ rncul-
patiàn de son mari et la gàoa. bourgeois_9 tEyrope 5I, qui
mettre un Sahara. "do
î
il;t*, f"ft. ' "u* yeux tnottde déserte. pour les
Aller vers la justice, c'est dler vers ce qui donne la vraie -qu-'elle
mesure du sensible, le monde de .l'Idée '. Et, bien sûr, chez o,r*rriar.t et les prostiiuées' se retirent di l'univers de la doxa et
Deleuze, la vérité n'est pas I'idée derrière ou au dessus du sensible. ;;i;Fi... gffÀ vont ".., l'.wre iustice, celle du désen, d'An1i-
La vérité est le sensible pur, le sensible inconditionné qui s'oppose ;;;;l de la pétrifi."tion et de I'eniermement- Seulement Hitch-
aux ( idées, de la doxa. le sensible inconditionné est ce qui :;È, l,;i6,iicien, se dérobe à ce passege de l'auge-fable çôJ{ g"i
et de la bien
s'appelle justice ou désert. L'æuvre est marche au désert. Seule- æilt. Ëiltédifice de l'irnage-mouvem:ni qu'appelle
m.ttl le désen justicier atteint, le terme de l'æuvre, c'est I'absence constnrit.. n"rt tiini, lui, francËit le pas, fait le cinéma
d'Guvre, la folie. " Il faudra aller iusque là, dit Deleuze. Mais, à ce visage.
la vérité, là où le désert justicier, le terme de l'æuvre, est atteint, Mais comment est{e que Deleuz€ marque le pass"çt.?. F}
ce qui se présente en fait, c'est l'absence d'æuvre, la folie- .Il faisant d'Irène une effigie allégorique. Toute la puissance de l'ettt-
lrène, revenant de l'usine :
faudra allei jusque là r. Mais l'æuvre n'irait iusque là qu'à s'annu- Ë;h* e; les mots que pronottce devient l'dlégorie de
ler. Le théâtre de l'æuvre est alors celui d'un mouvement retenu :i,;i ; voi,. d.".ondr-nés '. qui elle
Par là
l';;it u : celui qrri .tt allé au désert, a vu la vision itoP fort!, i
sur place, d'une tension et d'une station - au sens aussi où I'on
parlè des stations d'un chemin de croix. L'æuvre est le chemin insoutenable etiui nê sera, dès lors, pÎus iamais accordé au monde '
àe croix de la figuration que manifeste la figure giflée comme un J. i, ..ftCr.ot"tiorr. Deleuze ne nous montre pas l-'imge-.timP:'
christ aux outrages. Mais justement elle retient sur place la figure if-i""r'aésigne un visage qui allégolise ç qu'elfg.signifie: le
giflée et qui veui s'enfuir. L'æuvre est une station sur le chemin désaccoàrtti.ot deJ données sensibles. Tout se
""nâ."ra,"t.
532 Gilles Deleuze. [Jne oie pbilosopbique Gilles Deleuze. Une aie pbilosophique 533