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"Entretien exclusif : Alexandre Benalla livre ses vérités"

Pour la première fois depuis le déclenchement de l’affaire qui porte son nom, Alexandre Benalla
parle. Barbe rasée pour ne pas être importuné, l’ancien chargé de mission de l’Elysée, accusé
d’avoir molesté deux manifestants en marge des manifestations du 1er-Mai, a accepté de répondre
longuement aux questions du Monde.
L’entretien, que nous n’avons pas fait relire, s’est déroulé à Paris, mercredi 25 juillet, au domicile
de Marc Francelet, un ancien journaliste reconverti dans les affaires qui se présente aujourd’hui
comme « communicant ». Lors de la séance photo, réalisée en fin de journée, est apparue Michèle
Marchand, figure de la presse people et très proche du couple Macron. Preuve que dans la tempête,
M. Benalla n’est pas un homme seul.
Estimez-vous avoir « trahi et déçu » Emmanuel Macron ? Ce sont ses mots…
Ce sont des déclarations que je comprends. Parce que s’il y a un problème autour du président de la
République, il ne doit pas être provoqué par un collaborateur. C’est quelqu’un qui avait – et qui a
toujours, je pense – confiance en moi, dans mon action au quotidien. Mais au vu de ce que cette
histoire a déclenché, je ne vois pas quels autres termes il aurait pu employer pour qualifier la
situation. Donc forcément qu’il y a de la déception, forcément qu’il doit y avoir un sentiment de
trahison…
Moi, je n’ai pas le sentiment d’avoir trahi le président de la République, j’ai le sentiment d’avoir
fait une grosse bêtise. Et d’avoir commis une faute. Mais cette faute, elle est plus d’un point de vue
politique : je n’aurais jamais dû aller sur cette manifestation en tant qu’observateur, puis j’aurais,
peut-être, dû rester en retrait.
Reprenons du début. Comment apparaissez-vous dans l’entourage de M. Macron ?
Au départ, à l’été 2016, un copain m’appelle et me dit : « Alexandre, Emmanuel Macron va sans
doute se lancer dans la bataille pour la présidentielle. » On est à une période, après sa démission le
30 août, où le gouvernement lui refuse de pouvoir conserver ses officiers de sécurité. Or, c’est une
personnalité quand même exposée. Progressivement, je m’oriente vers de nouvelles fonctions :
directeur de la sûreté et de la sécurité du mouvement En marche ! Il y a les premiers meetings à
monter, Strasbourg, Le Mans… En fait, mes fonctions, c’est de l’organisation pure et simple, car les
gens d’En marche ! sont inexpérimentés.
Mais avez-vous la compétence pour ça ?
Oui, je l’ai apprise, sur le terrain, au Parti socialiste, dont j’ai été membre du service d’ordre de
2009 à 2012, avec Eric Plumer [chef du service d’ordre de l’époque], qui m’a formé et tout appris…
J’ai fait la campagne de Hollande.
Quel est votre premier contact avec Macron ?
Très amical. Amical au sens large du terme, Macron est quelqu’un de très facile d’accès, qui a un
charisme. Avec lui, vous êtes à l’aise tout de suite. J’ai rencontré pas mal de « bêtes » politiques,
mais chez lui, il y a quelque chose de plus qui se dégage. Je l’ai toujours vouvoyé, il est président
de la République, pas de familiarité entre lui et moi. Après, lui, il peut donner du « tu », du « vous »,
ça dépend de la situation, mais moi, je l’ai toujours vouvoyé.
Avant l’élection, êtes-vous armé ?
Je fais une première demande au ministère de l’intérieur, fin 2017. On me répond que ce n’est pas
possible. Mais il y a deux cents personnes qui bossent au QG, représentant une « cible molle »,
comment les protéger de la menace terroriste ou même d’un fou ? Donc on fait la demande
d’acquérir et détenir des armes dans le QG. Et on obtient finalement de la Préfecture de police
l’autorisation de détenir des armes, des Glock 17 de mémoire, mais dans le QG uniquement.
N’êtes-vous jamais sorti avec ?
Non, jamais. On n’est pas mabouls, il y a un risque pour la réputation du candidat…
Avez-vous les compétences pour porter une arme ?
Bien sûr ! Je suis inscrit dans un club de tir depuis des années et je suis un réserviste de la
gendarmerie. Il n’y a pas d’amateurisme là-dedans, au contraire. Et si le préfet de police a accordé
l’autorisation, c’est qu’il estimait bien qu’il y avait une menace.
Comment se passe la suite, notamment l’intronisation de Macron au Louvre ?
Déjà, c’est moi qui trouve le lieu, le Louvre, parce qu’on cherchait un endroit facile à sécuriser et
simple d’accès, sachant que la maire de Paris nous refuse absolument tout !
Après la passation des pouvoirs, que se passe-t-il ?
Le soir de la passation, Patrick Strzoda [directeur de cabinet du président] vient me trouver et me dit
: « Le chef m’a expliqué que vous étiez un mec bien, j’ai quelque chose à vous proposer, faudra
qu’on se voie dans les jours à venir… » Et je m’installe à la chefferie de cabinet, au 1er étage.
Strzoda me convoque quelques jours après, me dit : « Vous avez un profil sécurité, on m’a dit que
vous étiez un génie de l’organisation, je vous vois bien à la chefferie de cabinet, ça vous va ? » Et
j’entre donc officiellement avec le titre de « chargé de mission auprès du chef de cabinet du
président de la République ».
Un contrat de combien de temps, pour quel montant ?
Un contrat sur toute la durée du mandat, donc cinq ans, rémunéré 6 000 euros net, c’est le salaire de
tous les chargés de mission.
Quel va être votre rôle ?
Moi, je dois m’occuper des affaires privées du président de la République, parce qu’il a une vie à
côté de ses fonctions, avec Brigitte Macron, celle d’un Français normal. Il va au théâtre, au
restaurant, part en vacances… Je suis toujours présent, avec le groupement de sécurité de la
présidence de la République (GSPR) et le service privé du président.
Y avait-il besoin d’une personne comme vous, en plus des membres du GSPR ?
Mais le GSPR, ils ne sont pas du tout dans l’organisation. Eux ne prennent en compte que la
sécurité. Par exemple, si le président va au théâtre, moi je vais tenir compte de la tranquillité du
couple présidentiel, de l’image du président, etc.
Vous avez 25 ans, et vous vous retrouvez à donner des ordres à des policiers expérimentés…
En fait, tout à l’Elysée est basé sur ce que l’on peut vous prêter en termes de proximité avec le chef
de l’Etat. Est-ce qu’il vous a fait un sourire, appelé par votre prénom, etc. C’est un phénomène de
cour.
Mais vous-même, vous considérez-vous proche du président ? Au Touquet, par exemple vous aviez
les clefs de sa maison…
Non, c’est complètement bidon, ça. Je n’ai jamais détenu les clefs ! Elles sont à disposition du
GSPR. Après il peut arriver qu’il y ait un truc à récupérer, donc il m’est arrivé de les avoir en main,
mais je ne les ai jamais détenues, ni eues chez moi.
Il y a eu des frictions entre vous et le GSPR…
Des frictions, oui, mais sous forme de non-dits. Moi, j’ai toujours fait les choses, non pas pour ma
personne, mais dans l’intérêt du président. Mais il y a des gens qui sont formatés d’une autre façon.
On fait le sale boulot. Et on s’expose forcément. Et quand on s’expose face à ce type de personnes,
ils vous disent « oui » avec un sourire, mais ils n’oublient pas… Je ne fais pas partie du club. Je le
ressens mais je dois en faire abstraction, car la seule chose qui compte c’est que le président soit
bien.
On vous taxe d’arrogance…
Non, je n’ai pas le melon. La vérité, c’est que ma nomination à ce poste, ça a fait chier beaucoup de
gens. Parce qu’un gamin de 25 ans, qui n’a pas fait l’ENA, qui n’est pas sous-préfet – parce que je
suis le seul à ne pas l’être dans l’équipe, je suis l’extraterrestre de la bande ! –, et en plus qui dit les
choses, là où il n’y a que des non-dits, évidemment, ça suscite des rancœurs…
Avez-vous un logement de fonction ?
On met un appartement attribué « par nécessité absolue de service » à ma disposition. Le 8 ou 9
juillet, on me remet les clefs. J’avais demandé au directeur de cabinet du président, Patrick Strzoda,
s’il était possible d’avoir un appartement, et il m’avait dit « bien sûr, vu les contraintes liées à vos
fonctions, il y a un appartement qui est en train d’être rénové, je vous l’attribue… » Oui, un
appartement de 80 mètres carrés, pas 300 comme ça a été dit.
On a parlé de la carte d’accès à l’hémicycle de l’Assemblée comme d’un passe-droit…
Moi je ne considère pas ça comme un passe-droit. C’est une demande de ma part, cette carte. J’en
avais bénéficié d’une avant Emmanuel Macron, en tant que collaborateur parlementaire bénévole.
Je l’ai demandée tout simplement parce que j’aime aller à la salle de sport de l’Assemblée. C’est
peut-être un caprice de ma part, je l’admets.
Une fois à l’Elysée, faites-vous une demande de port d’arme ?
Oui, je la fais, auprès du ministre de l’intérieur. Par courrier. Mais elle est refusée, car d’un point de
vue administratif, celle que j’avais déposée du temps d’En marche ! est encore en cours d’étude, à
la Direction générale de la police nationale (DGPN). Je vois alors qu’on peut faire la demande en
passant par le cabinet du préfet de police, en passant par la voie hiérarchique, c’est-à-dire Patrick
Strzoda. Il la transmet, sans l’appuyer. Après enquête, et considérant que ma fonction est exposée,
on m’autorise à acquérir un Glock et à le détenir dans l’exercice de ma mission.
Les policiers ne vous ménagent pas…
Les syndicats de police ne disent que des conneries, ils ont trouvé le moyen d’exister alors qu’ils
sont très affaiblis au sein de la police nationale. Ca ne me touche pas.
Vous étiez suspendu, rétrogradé, mais vous avez pourtant géré le retour des Bleus en juillet, ou
encore l’hommage à Simone Veil ?
Parce que toutes les missions délicates sont pour moi, mais je ne participe plus aux déplacements du
président. S’agissant du bus des Bleus, j’ai monté les réunions préparatoires mais je n’ai pas donné
l’ordre d’accélérer le rythme du bus ! Je suis juste là pour informer l’Elysée s’il y a un problème. Et
je ne m’occupe pas des bagages des joueurs !
Pourquoi étiez-vous habilité secret défense ?
On a accès à des informations sensibles quand on approche le président. J’ai eu droit à une enquête
très poussée de la DGSI, j’ai une habilitation secret défense, mais je n’ai pas les codes nucléaires !
Les plans de l’Elysée, c’est classifié, les notes de services le sont, et je produis des documents qui
sont classifiés, notamment la future direction de la sécurité de la présidence de la République
(DSPR), à la conception de laquelle j’ai participé. Au cabinet, tout le monde est habilité.
Vous avez voulu réorganiser le service de protection du président ?
Deux entités concourent à la même mission : le commandement militaire, la gendarmerie, et de
l’autre, le GSPR. Le GSPR c’est l’enfant terrible de l’Elysée. Il y a des incohérences qui, pour moi,
sont complètement incroyables. Si demain il y a une cohabitation, vous avez la sécurité qui est sous
la main du ministre de l’intérieur.
Le Service de la protection de la personne (SDLP), qui coiffe administrativement le GSPR, n’a pas
accès aux déplacements du président de la République, c’est leur rêve, ils nous appellent dix fois
par jour pour être dans l’avion avec le président. Ils n’ont qu’un pouvoir de nuisance qu’ils savent
mettre en œuvre si vous ne leur donnez pas ce qu’ils veulent, le SDLP. Ce n’est pas la création
d’une garde prétorienne, le président ne va pas avoir à son service des mercenaires ou des
barbouzes… On avait bien avancé, mais on avait en face un ministère de l’intérieur qui refusait de
participer à l’élaboration de cela. Je n’aurais eu aucun rôle dans la future structure. Je n’avais aucun
intérêt à quitter le cabinet.
Vous imaginez être victime de règlements de comptes internes à la police ?
Je fais plus qu’imaginer : on a essayé de m’atteindre, de me tuer, et c’était l’opportunité aussi
d’atteindre le président de la République. Les faits, je les assume, je ne suis pas dans la théorie du
complot, c’est la réalité. Sur ce qui s’est passé après, je suis beaucoup plus réservé. Il y avait en
premier une volonté d’atteindre le président de la République, c’est sûr et certain. Et je suis le
maillon faible, je le reconnais. Et en même temps, il y a énormément de gens qui se frottent les
mains en se disant “ça y est, on s’est débarrassé de lui, il ne va plus nous emmerder, c’est fini”. Les
gens qui ont sorti cette information sont d’un niveau important.
Au ministère de l’intérieur ? Des fonctionnaires ?
Des politiques et des policiers. Et je ne pense pas à Collomb en qui j’ai confiance, je ne suis
personne pour lui. Mais il y a des gens qui travaillent autour de lui qui auraient pu…
Son directeur de cabinet, le chef de cabinet ?
Le chef de cabinet, j’ai une entière confiance en lui. On s’est servis de mon affaire pour régler des
comptes, ça a pris des proportions… Je dis pas que j’ai servi de fusible, je dis juste que ça a servi
plusieurs intérêts, un intérêt pour atteindre le président de la République, à un moment pas mal pour
lui, une bonne séquence, et voyant que ça avançait pas mal de mon côté et que j’emmerdais pas mal
de monde alors que je faisais juste mon travail. Et faire son travail, c’est surtout ce qu’il ne faut pas
faire, sauf si vous avez un statut particulier ou que vous faites partie de la bande. Ce n’était pas mon
cas.
Pensez-vous être victime d’un complot ou d’un règlement de comptes visant Emmanuel Macron ?
C’est une façon d’attraper le président de la République par le colbac. J’étais le point d’entrée pour
l’atteindre, le maillon faible. Au bout d’un an, il y a des inimitiés qui se créent, il y a des gens qui ne
supportent pas que vous ne fassiez pas partie du club, que vous ne soyez pas énarque, sous-préfet…
Je pense que si j’avais eu un tel statut et qu’il s’était passé ce qui s’est passé le 1er mai, les choses
auraient été différentes.
C’est vous qui demandez à être présent le 1er mai ?
Je ne demande pas à être observateur. Je suis invité à être sur place par Laurent Simonin, chef
d’état-major à la Préfecture de police. Il me dit un jour : “Je te propose de participer sur le terrain au
service en tant qu’observateur…” Ce sont eux qui me le proposent. Contrairement à ce que dit le
préfet de police, quand il parle de copinage malsain, je n’ai jamais pris une bière ou mangé au
restaurant avec Laurent Simonin.
Le 26 mars, je reçois le SMS de Simonin, puis le 27 avril, je reçois un appel de Simonin qui me
demande toutes mes mensurations. Ensuite je vais voir le directeur de cabinet, Patrick Stzroda, je lui
dis que j’ai été invité. Il me dit “c’est très bien, c’est une bonne expérience”. En aucun cas Stzroda
ne sait que je vais me retrouver avec un casque sur la tête, à deux pas des casseurs, place de la
Contrescarpe.
Vous dénoncez une sorte d’amateurisme dans la réalisation de cette mission ?
Même si j’ai été surpris, je ne m’y suis pas opposé. La réalité des choses, c’est que la préparation et
l’encadrement de cette mission d’observation, elle n’a pas été au niveau. Il n’y a pas de copinage
malsain. Quand on fait venir un magistrat ou un journaliste, il y a trois policiers autour de lui.
Même s’il est habillé en policier.
D’où provient l’équipement de policier que vous utilisez ?
L’officier de liaison de l’Elysee vient deux jours avant la manifestation avec un sac qu’il me remet,
avec un casque, un ceinturon en cuir, un masque à gaz, un brassard police et une cote bleue marquée
police et un grade de capitaine dessus. L’équipement reste dans mon bureau. Puis, j’ai un kit
oreillette et le porte radio. On me procure ensuite des rangers et une radio. Je n’y connais rien, déjà
je suis surpris. Je mets le brassard dans ma poche au cas où ça camphre, je prends la radio pour
savoir ce qui se passe, dans la salle, je n’ai pas parlé à la radio, vous pouvez chercher c’est
enregistré, je n’ai aucune légitimité à parler.
Comment cela se passe-t-il le 1er mai ?
Je laisse tout dans le coffre, on descend en salle de commandement pour commencer la
présentation. Je salue Laurent Simonin, le directeur adjoint Eric Belleut qui me parle pendant dix
minutes, même s’il l’a oublié, apparemment. Ils me présentent le dispositif. Et on part avec le
major, pris en charge dans une Ford Mondeo équipée police, avec le gyrophare. Je demande ce que
je fais de mes affaires. Le major me dit “t’as pas besoin de ça, prends juste ton brassard et la radio”.
Le black bloc commence à se former au niveau du pont. Ils descellent les pavés, ils avancent,
mettent le feu au Mc Do. Je recule. C’est la confusion la plus totale, on se retrouve sur un côté. Les
CRS arrivent. Un policier me dit “t’as un brassard, ils savent pas si t’es un collègue”, je le mets, j’ai
une radio dans la main.
Que se passe-t-il place de la Contrescarpe ?
Une cinquantaine de jeunes sont au milieu de la place, avec des lunettes de piscine, je pense pas
qu’ils avaient piscine, des masques de chantier, je ne pense pas qu’ils travaillaient sur des chantiers,
des sacs à dos, des casquettes coquées, c’est un lieu de regroupement donné sur les réseaux sociaux.
Les lunettes, ça sert à échapper aux lacrymos. Je prends le casque dans le coffre de la voiture car le
major me dit “on ne sait pas ce qui peut se passer et je le dissimule sous ma chemise”. Ils se
déchaînent, ils envoient les verres sur les CRS, on est en retrait, on est isolés, c’est de la guérilla
urbaine, des gens masqués, avec des bras d’honneur, les CRS ne savent pas qui on est, personne
n’est au courant.
A un moment, je vois ces deux personnes, ce couple qui s’enlaçait tendrement au milieu de la place
cinq minutes avant. Ils avaient insulté avant, on les avait repérés, c’était les plus agités de la bande,
la fille essaie de saisir une table, elle n’y arrive pas, elle jette une chaise, son copain, se met au
milieu de la place, il jette une bouteille qui arrive sur la tête d’un CRS, elle reprend des bouteilles,
ça arrive sur l’épaule d’un CRS, elle fait des bras d’honneur… On les voit sur la vidéo, elle est
hystérique et lui aussi.
Et vous décidez d’intervenir, violemment…
Ce qui se passe dans ma tête, c’est “si on reste là à rien faire, on va être isolés, et en plus, il faut
donner un coup de main, on ne va pas laisser faire des délinquants », jeter des projectiles sur un
CRS, c’est violences volontaires, c’est un délit puni d’emprisonnement, c’est très clair dans ma tête.
Et la faute que je commets à ce moment-là, c’est d’y aller. Et de laisser de côté mes fonctions à
l’Elysée. C’est la faute pour laquelle je suis puni ensuite, ce n’est pas parce que j’ai commis un
délit, c’est parce que j’ai fait une faute politique, d’image, on peut qualifier cela comme on veut, et
de faire abstraction des fonctions qui sont les miennes.
Et si vous n’étiez pas collaborateur à l’Elysée, vous étiez en droit de le faire ?
Bien sûr. Article 73 du Code de procédure pénale : tout citoyen a qualité pour appréhender l’auteur
d’un délit. Je ne considère pas avoir fait une arrestation, j’ai appréhendé quelqu’un et l’ai remis aux
policiers. Les gens ont des agissements délictueux, ils cassaient en toute impunité, il faut le vivre, et
moi, c’est ma nature, je suis trop engagé. Si je n’étais pas collaborateur de l’Elysée, je referais la
même chose. Collaborateur de la présidence, je ne le referais pas.
Avez vous avez usurpé une identité de policier ?
Le casque m’est donné, rien ne m’interdit de le porter. Je ne nie pas que l’on a l’apparence de
policiers, mais le casque, on me dit de le porter, c’est pour ma sécurité personnelle. Quand je le fais
c’est clair, ce sont des situations auxquelles j’ai déjà été confronté. J’ai interpellé des personnes
auteurs de délits flagrants, il y a très longtemps, en Normandie. Des personnes se faisaient agresser,
j’ai interpellé l’auteur des faits et je l’ai remis aux policiers, c’est le devoir du citoyen.
On insiste, les images de votre intervention sont violentes…
Il n’y a aucun coup. C’est vigoureux. Je conçois que c’est une scène qui peut paraître violente, mais
les policiers y sont confrontés des dizaines de fois par jour. Le mec a une force qui est décuplée, il
est dans l’adrénaline, il est excité, il a été gazé, il ne veut pas se laisser faire. D’ailleurs, si vous
regardez la vidéo, à cinq CRS, équipés et formés à ce type de situation, pendant plus de trente
secondes, ils n’arrivent pas à le maîtriser. C’est des débiles, les mecs en face, lui y compris.
Je passe ma main gauche sous son aisselle, et la deuxième au niveau de son cou, et j’essaie de le
lever pour l’emmener vers le major Mizerski et un autre policier. C’est exactement le même geste
que j’ai fait à Emmanuel Macron quand il a pris un œuf au Salon de l’agriculture : il n’a pas déposé
plainte pour violence et il n’a eu mal au cou plus que ça le lendemain !
Quand avez-vous réalisé que vous étiez filmé ?
Je sais depuis le début de la manifestation que je suis filmé. Je ne me cache pas.
Lorsque vous intervenez, où se trouve le policier qui vous accompagnait ?
Il est en retrait. Je me mets à sa place : c’est un major de police, il y a un collaborateur du président
de la République avec lui, il ne va pas m’attraper par le cou et me mettre par terre. Ce n’est pas lui
qui est fautif. Ce qui a été sous-dimensionné, ce n’est pas son action à ce moment-là, c’est le
dispositif qui était censé encadrer un collaborateur du président venant sur ce type d’événement.
Que se passe-t-il ensuite ?
On s’en va à pied avec le major Mizerski, je remets mon casque dans le coffre de la voiture, on part
à la Préfecture de police et on redescend en salle de commandement. Dans la salle, grosse surprise,
Gérard Collomb est présent, avec le préfet de police de Paris, avec le DOPC Alain Gibelin, le
cabinet du ministre et celui du préfet. Je me mets dans un coin. Ils sont en train de faire une
présentation à Collomb. Quand il sort, il vient me voir et me serre la main : “Ça va ? Qu’est-ce que
tu fais là ?”
Le ministre de l’intérieur vous tutoie ?
Il me tutoie, il me vouvoie, il alterne, mais là en l’occurrence, il me tutoie. Gérard Collomb
m’identifie visuellement, il sait que je travaille à la présidence de la république. Je peux le croiser
deux, trois, quatre fois par semaine sur des déplacements ou quand il vient à la présidence. Alors,
est-ce qu’on se connaît ? Visuellement, oui. Est-ce qu’il sait qui je suis et ce que je fais
exactement ? Je n’en suis pas sûr.
Lors de ses auditions à l’Assemblée nationale et au Sénat, il a en tout cas assuré ne pas vous
connaître…
Je me mets à sa place. Je pense que la connerie vient d’un échelon qui reste à déterminer à la
préfecture de police. Il pense que ce n’est pas sa connerie à lui, tout le monde est en train de
l’attaquer, il fait des réponses maladroites.
Pourtant, il vous tutoie…
Il est courtois.
Que se passe-t-il après le départ du ministre ?
Dans la salle de commandement, je vois le major Mizerski et un sous-directeur de la préfecture
partir dans le fond de la salle à gauche, où il y a deux opérateurs en civil qui sont sur les réseaux
sociaux, et en l’occurrence sur Twitter. Il y a des images de la place de la Contrescarpe, une heure et
demie après. On me dit que c’est problématique, je regarde le truc. Moi, je ne vois toujours pas ce
que j’ai fait de mal. Je ne comprends pas l’ampleur que ça va prendre, et c’est là justement mon
erreur. Je connais donc l’existence de cette vidéo le soir même. Le lendemain, je reçois un coup de
téléphone de Patrick Strzoda : “Alexandre, qu’est-ce que c’est que cette histoire de vidéo, est-ce que
vous pouvez venir me voir ?” C’est là que je comprends que j’ai fait une faute. Il m’annonce qu’il
va prendre une sanction à mon égard.
Est-ce qu’il considère que c’est une faute morale ou une faute pénale ?
La faute, c’est d’avoir exposé la présidence de la République. C’est un préfet qui a l’expérience du
maintien de l’ordre. Il sait très bien qu’il n’y a pas de délit. Il n’y a pas de tabassage, comme ont pu
le dire certains journalistes. C’est un citoyen qui appréhende un délinquant, point à la ligne. Je
n’étais pas d’accord avec la sanction, mais je l’ai acceptée. Patrick Strzoda me rappelle dans la
journée. Il me dit : “J’ai vu Alexis Kohler [secrétaire général de l’Elysée], on va vous mettre quinze
jours de suspension sans traitement et on verra quelles seront vos fonctions quand vous rentrerez.”
En avez-vous parlé avec le président ?
Non, parce qu’il était en Australie à ce moment-là et que je ne vais pas le déranger avec ça, ce n’est
pas mon rôle. Je n’ai jamais eu le président au téléphone pendant ma suspension. Le vendredi, je
prends ma voiture et je pars en Bretagne avec ma femme. J’y reste du 4 au 15 mai, je rentre à Paris
le 15 et je ne remets pas les pieds à la présidence avant le 22.
Alain Gibelin, le directeur de l’ordre public et de la circulation (DOPC), a affirmé aux députés vous
avoir croisé lors de réunions pendant ces deux semaines de suspension, avant de se rétracter.
Pourquoi ?
Parce qu’il ment, et c’est même la deuxième fois qu’il ment. Il dit qu’il n’a appris que le 2 mai que
j’étais présent à la manifestation la veille. Ce n’est pas vrai. On a déjeuné quelques jours avant avec
le général Bio-Farina [commandant militaire de l’Elysée], au 2 rue de l’Elysée. C’était une réunion
de travail à propos des policiers qui font la sécurité autour du palais. A la fin de ce déjeuner, il m’a
demandé si je venais toujours le 1er mai et si j’avais reçu l’équipement que je devais recevoir.
Pourquoi mentirait-il ?
Il y a des gens qui pensent à leur carrière et qui se défaussent. Je n’ai participé à aucune réunion, ni
à la présidence de la République, ni par email, ni par téléphone. Je pense qu’Alain Gibelin s’en veut
de ne pas avoir prévenu le préfet de police. Je pense sincèrement que le préfet n’était pas au courant
de ma venue ce jour-là au cœur de la manif. Il était réellement surpris quand il m’a vu dans la salle
de commandement. Alain Gibelin, lui, était parfaitement au courant et n’en a pas rendu compte à sa
hiérarchie.
Que se passe-t-il à votre retour à l’Elysée après votre suspension ?
J’ai un rendez-vous avec Patrick Strzoda et le chef de cabinet, qui me disent qu’on ne va pas
pouvoir faire comme avant. J’ai déjà été puni, je suis surpris. Ils me disent : “Tu es trop dedans, il
faut que tu prennes un peu de recul, tu ne vas t’occuper que des événements qui se passent au palais
de l’Elysée.” Je le vis comme une humiliation.
A l’intérieur du Palais, vous êtes forcément amené à croiser Emmanuel Macron. Vous parle-t-il de
l’affaire ?
Quelques jours après mon retour, à l’occasion d’un événement dans le palais, il me prend à part et il
me dit les choses. Il me dit : “C’est une faute grave, ça va être compliqué et il faut assumer.” Il
m’explique que ça n’enlève pas la confiance qu’il a en moi mais que j’ai fait une grosse bêtise.
D’où vient la vidéo que la justice vous reproche d’avoir détenue ?
Moi, je ne l’ai pas demandée. Après la publication de l’article du Monde sur Internet, je reçois un
appel vers 22 heures de quelqu’un à la préfecture de police, dont je ne citerai pas le nom :
“Alexandre, on a la vidéo du gars et de la fille en train de jeter des projectiles sur les CRS, est-ce
que tu la veux pour te défendre ?” Bien sûr que ça m’intéresse, si on peut prouver que les gens en
face ne sont pas de simples passants mais des casseurs. Je ne sais pas d’où viennent ces images. Je
suis en train de dîner dans un restaurant près du Palais et quelqu’un vient me donner un CD. Il n’y a
rien écrit dessus, ni “préfecture de police”, ni “vidéosurveillance”. Ce CD, je ne le regarde pas et je
le remets à l’Elysée à un conseiller communication. Ces images n’ont pas été diffusées.
Avez-vous demandé ensuite au service communication de l’Elysée ce qu’il avait fait de ces vidéos ?
Je crois qu’ils ont essayé de la diffuser et de la fournir à des gens, pour montrer la réalité des faits."

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