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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

L’habitat scandinave

architecture, espace, environnement


Yann Biedziński

2012 – 2013

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Sous la direction de M. le professeur Sylvains Briens.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Table of Contents
Remerciements ......................................................................................................................... 4
Introduction ............................................................................................................................... 5
La Scandinavie et ses maisons en bois ........................................................................... 12
Maisons en bois debout, maison en bois couché .................................................................. 12
La construction en rondins ..................................................................................................................... 14
Autour de la maison en bois ................................................................................................................... 18
Construire en bois debout ....................................................................................................................... 21
Les manoirs paysans, splendeur et savoir-faire scandinave ........................................... 23
Le lieu : Norden ....................................................................................................................... 32
Le Norden, la nature fédératrice de l’identité scandinave ................................................ 32
Les paysages du Norden, unicité et diversité ......................................................................... 41
Architecture et écologie ................................................................................................................ 56
La préservation du lieu, une préoccupation historique. ............................................................. 57
Vie urbaine scandinave et harmonie avec la nature ..................................................................... 65
Enjeux du marché de la construction en bois .............................................................. 73
Le marché de la construction en bois ....................................................................................... 73
Des projets synonymes d’harmonie.......................................................................................... 80
Conclusion ................................................................................................................................ 84
Bibliographie .......................................................................................................................... 87
Sources INA ........................................................................................................................................ 88
Annexes ..................................................................................................................................... 89

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Remerciements

Je souhaite remercier M. Sylvain Briens, qui a orienté et accepté de diriger


mes recherches. Son soutien ainsi que ses conseils ont été d’une aide précieuse tout
au long des recherches bibliographiques et de la rédaction de mon mémoire. C’est
aussi grâce à M. le professeur Sylvain Briens que j’ai pu rencontrer M. Cremnitzer,
architecte dont les recherches sur la typologie de l’habitat scandinave en bois ont
grandement inspiré mon travail. Mme Annette Marsan, cadre chez Schwörer Haus
KG, a aussi inspiré mon travail de recherche.

Je remercie également M. le professeur Antoine Guémy dont les cours sur le


la relation scandinave « Natur & Kultur » ont influencé mes recherches
bibliographiques.

Enfin, plusieurs ouvrages ont contribué à l’enrichissement de la bibliographie


de cette étude et de mes connaissances de l’architecture scandinave. Ces ouvrages
m’ont été conseillés par Marina Heide, doctorante en études scandinaves et libraire
à la libraire La Hune à Paris. Je l’en remercie chaleureusement.

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Introduction

« P
arallèlement aux techniciens de la société, allaient naître les
techniciens de la nature, avançant masqués en défenseurs de ceci
et de cela, dont la mesure et le contrôle était la raison d’être – de
l’agriculture à la nature et tous les milieux ambiants. Il y’a lieu de penser que, dans
un proche avenir, la nature ne sera plus combattue, à la manière des pionniers de
l’Ouest et des capitaines d’industrie lancés dans une exploitation violente, frontale
et sans issue. Elle sera plutôt incluse, englobée, dans les projets des planificateurs de
l’espace, désormais convaincus qu’ils doivent intégrer montagnes et littoraux, bois
et forêts, friches et déserts dans leur gestion du monde au moyen d’un gigantesque
design écologique. » 1

Ainsi les techniciens de la nature et techniciens de la société doivent


désormais laisser la place aux planificateurs de l’espace. 2 Ils deviendront ainsi, bien
que certains le soient déjà, les propagateurs de l’approche qui ne se repose plus sur
la rupture infligée par l’industrialisation et par la mondialisation. Cette rupture qui
éloigne les individus de leur environnement. Cette tendance de plus en plus visible
au sein de nos sociétés se caractérise par une volonté de rapprocher l’Homme de la
nature. Se rapprocher de la nature ce n’est pas faire marche arrière et tenter
d’effacer ou de camoufler les erreurs du passé mais plutôt de changer et d’adapter
les modes de vie à ce qui s’avère être une nécessité. Lorsque que l’on évoque
l’Homme, la nature et l’environnement, nos yeux européens se tournent
immédiatement vers l’Europe du Nord : l’Allemagne, La Scandinavie, les Pays-Bas…
La naissance des consciences environnementales n’est pas le fruit d’un mythe que
l’Europe aurait développé ces dernières décennies pour en faire un argument

1 CORNUAULT Joël, Thoreau, Dandy crotté, Éditions du Sandre, Paris, 2013, p. 71.
2 Ibid.

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touristique ou pour séduire les investisseurs étrangers. Notre regard s’oriente vers
le Nord pour de vraies raisons.

Depuis la fin des années 70, un certain nombre d’individus s’est découvert un
intérêt particulier pour la préservation des ressources naturelles, la prise en compte
des retombés négatives de quelques facettes de la mondialisation et la transmission
des richesses terriennes. Cet intérêt se matérialise dans deux sphères : une sphère
politique qui nécessite la mobilisation des forces gouvernementales
démocratiquement élues et une sphère privée : que faire, en tant que citoyen, pour
modifier le rapport de force que l’homme entretient avec la Nature ? 3 Changer de
comportement implique une remise en question de la manière dont les individus
subviennent, en partie, à l’assouvissement de leurs besoins et désirs : se nourrir, se
loger… Bien que la structure de la pyramide de Maslow ait été pratiquement
totalement réfutée, la nécessité de se loger pour se protéger et se reposer semble
être un besoin humain absolu. Ainsi, l’organisation de l’habitat est l’un des éléments
sur lequel les sociétés contemporaines se penchent lorsqu’il s’agit des enjeux des
rapports que les habitants d’un lieu entretiennent avec leur environnement.

Ce cheminement est la charnière sur laquelle s’articule l’élaboration de la


problématique de cette étude : les spécificités de l’habitat de l’aire scandinave d’une
part et le maintien des caractéristiques du lieu au sein de cet espace
géographiquement délimité d’autre part. Se borner à l’espace scandinave ne dépend
pas exclusivement d’un choix géographique. Au delà d’un espace délimité, la
Scandinavie est une aire culturelle que l’auteur se permettra de traiter d’une
manière homogène. Une telle démarche a bien entendu ses limites et il est clair que
les exemples et les illustrations de cette étude ne se limiteront pas à un seul pays
scandinave. L’enjeu de ce travail reste de traiter la sphère scandinave et ses
particularités architecturales et environnementales comme un tout, en dégager les

3 Je mentionne ici la relation de l’Homme à la nature selon Adorno. « Le conflit entre


l’homme et la nature, tel qu’il résulte de la tendance à dominer la nature qui se prolonge
ensuite dans la domination des hommes par d’autres homme […] ».
ADORNO Theodor, Prismes : critique de la culture et de la société, Payot, Paris 2003, p.

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spécificités régionales et nationales et mettre en valeur ces éléments dans une


optique européenne. Le lecteur constatera que l’espace culturel scandinave ne peut
être isolé du tout européen et que l’affirmation de l’identité scandinave passe aussi
par l’attestation de l’appartenance des populations scandinaves à cet espace
culturel. Définir la Scandinavie en tant qu’espace homogène architectural constitue
le fil directeur de cette étude. Une telle perspective ne se limite pas qu’à
l’architecture et aux politiques environnementales. Considérer l’homogénéité de la
Scandinavie peut être étendu à de nombreux domaines de recherche : littérature,
sciences exactes, sciences politiques, design, archéologie, histoire…

Puisque les champs d’application sont nombreux, la spécificité de la méthode


que l’auteur souhaite mettre en œuvre réside dans la diversité des panoramas en
lien avec les deux axes de la majeure partie de l’étude. Ainsi, l’étude de l’habitat et
des spécificités architecturales ouvre la voie à des panoramas historiques, sociaux,
politiques et économiques qui permettront d’aborder les réalités
environnementales nord européennes dans un contexte global. C’est une approche à
360 degrés. Elle permettra d’étayer la réponse à la problématique de la présente
étude. Justifié, le rapport entre la relation à l’habitat et la préservation du lieu ouvre
la voie à cette approche à 360 degrés : le maintient du lien individus/nature se
manifeste ailleurs qu’en architecture - la littérature scandinave peut elle aussi être
mise en relation avec cette logique de sauvegarde. Ainsi, le travail sur l’architecture
d’une aire culturelle et sur la manière dont elle influence la relation à
l’environnement des individus est une fraction d’un terrain similaire applicable à
d’autres champs de recherche comme la littérature ou les science exactes.

La mise en avant d’un « style scandinave » architecturale passe par la


définition d’une typologie propre à la Scandinavie. Typologie de l’habitat en majeure
partie influencée par les matériaux de construction, le bois, mais aussi par d’autres
éléments plus subtils à cerner. Pour cela, l’auteur s’intéressera aussi à l’influence du
lieu. Définir le lieu sera un moyen de mettre en relation le lieu, ses ressources et son
influence sur les individus qui l’occupent. Cet aspect de la construction s’appuiera

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sur plusieurs textes dont un ouvrage de référence : Nattlandene : om byggekunst i


Norden de Christian Norberg-Schulz qui met en avant l’importance de
l’environnement naturel en tant que facteur déterminant dans la construction de
l’identité architecturale scandinave. L’école de Christian Norberg-Schulz sera étayée
de différents ouvrages sur les particularités techniques de l’architecture scandinave.
La présente étude n’est pas un travail d’architecture à proprement dit. Les
spécificités techniques et artistiques seront traitées d’une manière très globale. La
technicité de la construction en bois, du travail de l’architecte, du menuisier et du
charpentier ne sera abordée qu’à titre d’exemple.

Cette définition approfondie du « style scandinave » ouvre la voie à une


réflexion sur les enjeux actuels de l’écologie et sur les spécificités des politiques
environnementales scandinaves de ces dernières années. Les perspectives
politiques et économiques liées à l’architecture en bois permettent au lecteur
d’articuler cette étude autour d’une problématique intégrée aux réalités
contemporaines mondiales : Quelles leçons peut on tirer des traditions et des
avancées architecturales scandinaves dans le cadre des enjeux environnementaux
actuels ?

La réponse à cette problématique émanera d’un plan en trois parties. La


typologie de l’architecture scandinave introduit la réflexion de l’auteur sur le lieu
scandinave et ses caractéristiques. Articulation qui ouvre la voie à l’observation des
manœuvres politiques et sociales scandinaves face aux enjeux environnementaux de
notre époque.

La nature des ouvrages consultés a démontré que cette image d’un style
associé à la construction en bois reflète une unicité des formes et des technicités
mais aussi une capacité à s’adapter aux évolutions du temps. L’analyse de cette
faculté d’évolution des techniques et de la relation à l’habitat au gré des
changements sociaux et politiques est complémentaire à « l’approche 360 degrés »
de cette étude : l’architecture n’est pas définie à partir d’une photographie prise à un
instant T mais est considérée telle une porte d’entrée à la relation Natur & Kultur.

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Liée aux caractéristiques architecturales de l’espace scandinave, l’illustration de la


notion très scandinave du Natur & Kultur fait partie intégrante de la trame de cette
étude. L’une des plus importantes maisons d’éditions suédoise de manuels scolaires
ne s’appelle-t-elle pas « Natur & Kultur bokförlaget » ? Maison d’édition fondée en
1922 dont l’identité graphique – un pommier fleuri – résume en quelques coups de
crayon ce rapprochement unique en Europe.

À l’heure de la dématérialisation des frontières, ouvrir une fenêtre


européenne dans le cadre de ce travail de recherche universitaire sera fait dans le
cadre de la mise en avant des échanges européens supranationaux. Échanger et
importer les concepts d’Europe du Nord s’inscrit dans une logique double : celle du
modèle « de bien être » que les suédois tendent à vouloir exporter d’une part et celle
de la construction européenne basée sur les échanges culturelles et économiques
d’autre part. L’auteur souhaite ici souligner la démarche globale et internationale de
ce travail : penser les échanges culturelles et politiques sans pour autant adopter un
angle d’analyse ethno centré.

La dynamique de la dernière partie de ce travail repose sur l’aspect concret


de ce qu’est la construction en bois aujourd’hui : le marché de la construction en
bois. Une partie plus pragmatique donc, qui illustre l’impact de l’architecture et de la
construction en bois sur l’évolution des consciences écologiques en France.
Comprendre le marché de la construction en bois sera aussi une critique, à la fois
positive et négative, de l’état des lieux en France. Rappelons que cette dynamique
est planétaire mais qu’elle a aussi ses limites : certains pays sont plus avancés que
d’autres en ce qui concerne l’évolution de la construction face aux bouleversements
industriels et environnementaux des quarante dernières années. L’analyse de ce
marché révèlera les limites économiques et politiques de l’activité. Comme tout
autre marché, celui de la construction en bois est tributaire de l’offre, de la demande
et de la compétitivité et le manque de souplesse administrative freine parfois son
développement. Cet examen du marché de la construction en bois a été réalisé à

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

partir de nombreux ouvrages techniques et de plusieurs entretiens avec des


professionnels : architectes, sociétés de construction…

La bibliographie de cette étude est évolutive, c’est en quelques sortes une


progression « en entonnoir ». L’auteur a voulu partir de la notion relative aux
caractéristiques du lieu et arriver à la construction moderne en bois et ce qu’elle
représente aujourd’hui économiquement en passant par les différentes typologies
des maisons en bois. Inclure une approche à 360 degrés de ce qu’est réellement la
construction en bois est un moyen d’aspirer à une meilleure mise en œuvre d’un
matériau naturel et de ce qu’il représente pour les Hommes et leur relation
harmonieuse à leur environnement. Chaque nouveauté a ses limites et ses dangers,
connaître les racines des techniques de la « construction bois », leurs répercussions
sur les cultures et les sociétés ne peut être que bénéfique pour tous les citoyens et
les acteurs d’une société harmonieuse.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

« Un bâtiment est comme un instrument, il doit absorber toutes les influences


positives et intercepter toutes les influences négatives qui pourraient affecter
l’homme. Un bâtiment ne peut atteindre ce but que si il est nuancé avec autant de
finesse que l’environnement dans lequel il se dresse. »

- Alvar Aalto

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

La Scandinavie et ses maisons en bois

I
l s’agit à présent de procéder à une brève typologie des maisons en
bois en Scandinavie. Histoire, techniques de construction et
illustrations seront pour le lecteur un moyen de se familiariser avec
une architecture avec laquelle il n’entretient pas un rapport quotidien. D’un point de
vue chronologique le lecteur découvrira les maisons faites en rondins de bois ainsi
que les « manoirs paysans du 18ème siècle, dont la structure à la fois massive et
élégante, abritait, comme le faisait la villa romaine, une « gens » suédoise ou
finlandaise d’une quarantaine de personnes bien souvent. » 4 Cette contrainte
chronologique que l’auteur impose n’est pas une omission volontaire des méthodes
employées par les Vikings et leurs prédécesseurs mais plutôt une manière d’illustrer
un savoir faire scandinave moderne qui concerne désormais le reste de l’Europe
tant par ces avantages pratiques que par une volonté de rompre avec les méthodes
architecturales et urbanistes en Europe de l’après-guerre. Ce sentiment de nostalgie
est, selon l’architecte Christian NORBERG-SCHULZ, non pas un retour en arrière
mais plutôt un moyen de préserver le savoir-faire et un processus qu’il définie
comme « préservation créatrice », préservation qui fait écho aux « eco-crisis » 5 que
les habitants de la planète traversent aujourd’hui.

Maisons en bois debout, maison en bois couché

Le bois est en Europe, tout du moins était, un matériau facilement disponible.


C’est lui qui a façonné les premières habitations et c’est « à partir de ces
constructions simples que l’architecture en bois a évolué dans plusieurs directions

4 Ibid., p.10
5 NORBERG-SCHULZ, Christian Nattlandene…, op. cit., p. 21

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

en fonction des conditions locales, telles que le climat, les différentes essences de
bois disponible, les caractéristiques sociales et culturelles » 6.

Ces « conditions locales », le lecteur les découvrira dans le chapitre suivant. Elles
seront une réponse à l’élaboration de la typologie des constructions de bois en
Scandinavie.

Dans le Nord de l’Europe, à travers toute la Scandinavie (même en Islande


où les arbres ne poussent pas), jusqu’en Russie, en Pologne et en Europe centrale,
dans la ceinture de conifères au Nord du 55ème parallèle, le bois reste le matériau de
construction favori, parce qu’il est le mieux adapté au climat à l’environnement. 7

Bien qu’il soit indispensable pour les constructeurs de maisons en bois de maitriser
les qualités et caractéristiques des « différentes essences » utilisées, la description
des espèces d’arbre ne sera pas largement abordée dans cette étude. La coupe des
arbres concerne plutôt l’évolution de l’industrie sylvicole et répond à une démarche
environnementale de sauvegarde de la biodiversité des forêts.

Comme le souligne l’auteur Jean-Marc Bresson, il est clair que la construction en


bois ne se limite pas à la Scandinavie et il est intéressant de ne pas mettre de coté le
reste de l’Europe dans le cadre de la définition de « l’identité bois » scandinave.

Dans l’architecture religieuse, les plus beaux exemples (de construction de


bois) sont les églises en bois de l’Europe de l’Est et des pays nordiques. Les formes
et les principes structurels des constructions traditionnelles ont parfois également
été adaptés à l’architecture moderne. 8

6MENTU Sakari, « Typologie des constructions de bois en Europe », Naturopa, n°96,


septembre 2011, p. 20.

7BRESSON, Jean-Marie, Thérèse, Maisons de bois : architectures scandinaves, Dunod, Paris,


1986, p. 22.

8 Ibid.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Pour traiter la construction de bois dans une perspective globale,


l’architecture religieuse sera traitée de la même manière et en même temps que
l’architecture populaire en bois. La finalité de cette première partie, plus technique
que les autres, est de dresser une liste exhaustive des méthodes de construction et
non de traiter chaque type de construction en bois en Scandinavie. Bien que les
formes architecturales et que les principes de construction varient d’une région
européenne à une autre, deux méthodes construction peuvent diviser d’une manière
générale l’habitat en bois d’Europe : la construction à poteaux – poutres et la
construction en rondins. Le lecteur gardera en mémoire le fait que ces deux
méthodes ont coexisté. Ainsi, « Méthodes de construction coexistent dans une
région, parfois même dans un même bâtiment » 9 et à la même époque. La
construction à poteaux n’est pas en soi une évolution de la construction en bois.

Toujours d’actualité, les méthodes modernes qui consistent à combiner les


deux techniques de construction seront abordées dans la dernière partie de cette
étude.

La construction en rondins

La construction en rondins (blockwork, blockbau, chalet) est le principal type


de construction utilisé dans l’Est du continent européen, depuis la région arctique
jusqu’à a chaine des Carpates et aux Alpes. Elle nécessite un bon approvisionnement
en bois d’œuvre long et rectiligne et convient donc aux régions dotées d’abondantes
ressources en conifères. Les madriers qui constituent les murs d’une maison en
rondins, qu’ils soient ronds ou taillés, se croisent et se chevauchent le plus souvent à
chaque angle du bâtiment. 10

Cette méthode de construction n’est pas « simpliste » et elle est aujourd’hui


encore beaucoup utilisée dans la construction des chalets, des abris de jardin et

9MENTU Sakari, « Typologie des constructions de bois en Europe », Naturopa, n°96,


septembre 2011, p. 21.
10 Ibid.

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surtout des saunas en Finlande. Il est assez rare de rencontrer cet type de
construction dans les villes européennes – à moins que la structure en rondins ne
soit recouverte d’un bardage en bois – et les plus beaux exemples historiques de
maisons en bois construites selon la technique du laft subsistent sous une forme
particulière dans un des régions abordées dans cette étude : le Télémark en
Norvège. Les régions de Norvège où les maisons en madriers sont encore préservées
sont nombreuses et ce serait une erreur de se focaliser sur une seule région de ce
pays mais l’état de conservation des stabbur du Télémark en fait un exemple
particulièrement parlant pour l’étude de l’évolution de la maison en rondins. Enfin,
comme le fera remarquer l’auteur dans « le lieu : Norden » la diversité des paysages
des régions norvégiennes fait partie intégrante dans la construction de l’identité
architecturale du pays et le Télémark est considéré comme le berceau de cette
identité populaire norvégienne.

Afin de faciliter l’étude des constructions de bois en rondins, l’analyse des


différentes variantes de cette technique commence par les formes les plus
classiques du style et s’achève par l’évocation des formes plus « exotiques » et
caractéristiques de la Scandinavie.

Les troncs d’arbres écorcés, à peine équarris 11, s’entassent horizontalement


les uns sur les autres, sans clous, sans vis, sans chevilles. Les interstices sont remplis
de mousse et de boue. Le toit est fait d’écorce de bouleau, quatre ou cinq couches
posées sur des chevrons, parfois recouvertes de terre sur laquelle pousse du gazon,
parfois enduites de poix ou quadrillées de perches qui empêchent le vent
d’éparpiller une couverture de chaume. Les angles des murs sont joints par des
ajustements à mi-bois 12. 13

11 ÉQUARRIR [ekaʀiʀ] v. tr. ⟨2⟩- 1640 ; esquarrir XIIIème ; var. de équarrer ⟐ latin
populaire ∘ exquadrare « rendre carré » Rendre carré, tailler à angles droits. – COUR.
Équarrir une poutre.
12 Le mi-bois est un assemblage entre deux pièces de bois qui se chevauchent.
13 BRESSON, Jean-Marie, Thérèse, Maisons de bois : architectures scandinaves, Dunod, Paris,

1986, p. 30.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

C’est l’assemblage à mi-bois qui, dans notre imaginaire européen, permet


l’identification de la maison en rondins. C’est de cette manière que l’on se
représente le plus souvent un chalet. Dans le dictionnaire, chalet vient du suisse
romand, du latin cala « abri » et désigne une maison de bois des pays européens de
montagne. Au Canada c’est une maison de campagne située près d’un lac ou d’une
rivière. 14 La Norvège, La Suède ou la Finlande sont-ils des pays considérés comme
étant des pays de montagne ? L’aspect inachevé des paysages scandinaves et des
montagnes norvégiennes abordé dans le chapitre suivant recentre le
« chalet scandinave » et la construction en madriers vers une définition et une
évolution différente de cette technique. Ce recentrage démontre la diversité de la
typologie des constructions de bois en Europe et la difficulté d’établir un inventaire
« général des typologies générales ». 15

Cette façon « d’empiler » les troncs d’arbre équarris, les norvégiens l’appellent
« laft ».

Laft – et. – el. – er▵ laftet hjørne i hus ; veggflate i laftet hus : vinden tok så de pep og
knaket i alle l. [egetl. ‘hjørne’] ® lafte – et ; - ing felle sammen vannrett liggende
tømmerstokker i hjushjørne : l. veggstokker ; bygge tømmerhus : l. en hytte laftehus
hus med laftede vegger laftplank –en (koll.) grove planker bruk til lafting laftevatt
isolerende glassvatt el. steinull som legges mellom laftestokkene

Si le substantif laft est illustré dans ce qui pourrait être la version norvégienne du
Petit Larousse illustré français – la version suédoise d’un Larousse illustré est quand
à elle publiée par Natur & Kultur – ce n’est pas un hasard. De plus, si l’on prend en
compte l’attachement que défendent les scandinaves à leur situation linguistique,
illustrer un technique de construction comme celle-ci n’est pas non plus un hasard.
Par extension le terme « mi-bois » n’est défini ni dans le Petit Robert, ni dans le Petit
Larousse.

14 Le Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, le


Robert, DL 2011, p, 389.
15 MENTU Sakari, « Typologie des constructions de bois en Europe », Naturopa, n°96,

septembre 2011, p. 21.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

« Lafter » c’est donc empiler des pièces de charpente, des poutres, des madriers.
C’est aussi une manière de désigner les murs de ce « chalet » qui n’en est pas un. Le
« laftvatt » est la laine de verre que l’on utilise alors que l’on construit en bois
couché…exclusivement. Dans la langue français, le verbe le plus proche de å lafte
serait enter 16.

ENTER [ɑ̃te] v. tr. ⟨1⟩- 1155 ⟐ latin populaire ∘ imputare, de putare « tailler, émonder », avec
influence du grec emphuton « greffe » ▪ 1 Greffer en insérant un scion. Enter un prunier. Enter
en écusson, en fente, en œillet. ▪ 2 FIG. ET VX « Ils entent sur cette extrême politesse un esprit de
règle » LA BRUYERE. ˃ greffer. – MOD. ET LITTER. « Faux raisonnements entés l’un sur
l’autre » SAINT-SIMON. ▪ 3 TECHN. Enter deux pièces de bois d’une charpente, les assembler
bout à bout. ˃ abouter. ▪ HOM. Hanté, hanter. Entassions : entassions (entasser) ; entèrent :
enterrent (enterrer) ; entant : entend (entendre).

Il est intéressant de souligner l’authenticité scandinave de cette technique


architecturale au travers de la richesse des verbes des langues germaniques et
surtout scandinaves : å lafte n’a pas d’équivalent exact en français. Å lafte c’est
empiler des madriers à l’horizontal, qu’il s’agisse d’une charpente ou non.

Qu’il s’agisse d’une maison en rondins ou d’une maison en bois debout les
maisons scandinaves ont très rapidement été dotées d’un porche couvert. Porche
que l’on retrouve aujourd’hui encore dans la plupart des maisons individuelles
scandinaves, petite pièce où l’on se déchausse et range ses souliers pour ne pas salir
les pièces intérieures de la maison de neige et de boue. C’est aussi le meilleur moyen
de ne pas laisser échapper l’air chaud accumuler par « l’âtre central ». 17 La maison
scandinave en bois a évolué (et continue son évolution) depuis que les premiers
habitants du nord de l’Europe – les Sames – commencèrent à s’abriter sous des
huttes et que les Vikings construisaient leurs demeures aussi habilement qu’ils
construisaient leurs navires. L’étude des évolutions des techniques de construction,
de chauffage et d’aménagement est un sujet vaste qui doit faire l’objet d’un ouvrage

16 Le Petit Robert : dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Paris, le


Robert, DL 2011, p, 885.
17 BRESSON, Jean-Marie, Thérèse, Maisons de bois : architectures scandinaves, Dunod, Paris,

1986, p. 36.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

spécialisé, centré sur les améliorations architecturales et techniques de l’habitat


humain en Scandinavie.

Les maisons en rondins ne sont certes pas exclusivement scandinaves mais


font cependant référence à un imaginaire particulier, celui de la nature et de la vie
en forêt. Elles renvoient à une vision romantique que le voyageur associe de nos
jours très fréquemment aux montagnes, à la vie en « hauteur », aux plaines
recouvertes de neige l’hiver et transformées l’été. Elles ne renvoient pas seulement
à la Suède ou à la Forêt Noire mais aussi à l’Amérique du Nord, au Canada, aux
étendues du Saskatchewan. La maison en bois tel que je l’aborde est un héritage
européen que les scandinaves ont très naturellement exporté dès leur arrivée sur le
nouveau continent et dont les caractéristiques techniques ont parfaitement été
transposées à leur nouvel environnement.

Les scandinaves et les immigrants d’Europe du Nord se sont naturellement tournés


vers le bois et les techniques de construction dont ils sont toujours les détracteurs
mais il existe une particularité associée à la maison en bois que les scandinaves ont
« laissé chez eux » : l’organisation de la société autour de la maison en bois.

Autour de la maison en bois

Le groupement des habitations en Scandinavie, du Moyen Age jusqu’au


début des temps modernes, est tout à fait différent de celui de l’Europe centrale et
méridionale de la même époque. Les paysans avaient, dans la société, un statut plus
indépendant. Le servage, comme résultat de l’ordre féodal ou simplement de la
grande propriété n’existait, en Suède et en Norvège, que de façon sporadique, et
était inconnu en Finlande. La communauté paysanne ne dépendait pas des nobles et
de leurs châteaux, et n’avait pas à se grouper autour d’eux pour payer de leur travail,
la protection qui leur était assurée. La famille tout entière, parents, enfant, gendres
et brus, petits-enfants, domestiques et servantes vivaient dans une ferme dont
l’ensemble formait un véritable hameau. Le mot norvégien tun qui désignait la
ferme, n’a-t-il pas la même origine que l’anglais town, ville ? En Norvège surtout, les

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

vallées, au fond desquelles s’étendaient les propriétés, séparées par de hautes


montagnes, avaient peu de relations les unes avec les autres. Les échanges matériels
ou spirituels étaient rendus difficiles, voire même impossible par le manque de
moyens de communications, et par la neige qui recouvre le pays pendant huit mois
de l’année. Les paysans vivaient donc en autarcie parfaite, sans compter sur le voisin
ou le spécialiste, et devait savoir tout faire, à commencer par les demeures. 18

Ce hameau s’organisait d’une manière spécifique autour des maisons en bois dont
les murs ne pouvaient pas excéder une certaine longueur – celle des troncs des
arbres abattus… « Certaines fermes importantes possèdent jusqu’à trente-cinq
bâtiments différents » et chaque bâtiment remplissait une fonction spécifique :
l’habitation, la cuisine, la réserve…

Trois bâtiments, au minimum, composent la ferme : l’habitation proprement


dite, la cuisine, la réserve. La maison d’habitation, eldhuset en suédois, aarestue en
norvégien, pirtii ou tupa en finnois, où brûle le feu et où sont préparés les aliments,
est le premier bâtiment de la ferme et sert de salle commune. Dans la « cuisine », la
maîtresse de maison fait le pain, le fromage, la bière ; dans la réserve, le fermier
entrepose céréales et aliments. […] Les greniers (loft, luft, luhti) à un étage abritent à
la fois les pièces de stockage et les chambres à coucher. Les granges se spécialisent :
on bat le grain dans certaines, dont le plancher, lisse et sans interstices est conçu à
cette intention, on entrepose les céréales dans d’autres, le foin dans une troisième.
Dans les celliers, bur ou stabbur, sont disposées des étagères pour les produits
d’alimentation et des coffres à grains. Les « kölna » servent à sécher le maïs, les
« bastu » le blé, le lin ou la viande de porc.

Il est une fois de plus captivant de souligner la spécificité scandinave de ces


constructions au travers de ces réserves que l’on confond avec nos greniers. Grenier
d’habitation ou simple cellier, stabbur, loft, härbre ; le fait de ne pas trouver
d’équivalent sémantique dans d’autres langues souligne une fois de plus la
singularité de l’architecture en bois scandinave.

18BRESSON, Jean-Marie, Thérèse, Maisons de bois : architectures scandinaves, Dunod, Paris,


1986, p. 102.

19
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

stabbur s –et arkit grenier m sur pilotis (des fermes norvégiennes)


stabbur m 19

loft s –et grenier m 20

härbre subst. ~t ~n • förrådshus som hör till bondgård 21

Ces différences sémantiques rapprochent la richesse du vocabulaire des langues


scandinaves à l’originalité de la typologie des constructions en bois. L’abondance du
vocabulaire de l’architecte est aussi un agent d’unicité de l’aire scandinave.

Les stabburs du Télémark ont un double intérêt dans le cadre de la


catégorisation de l’habitat en bois scandinave : emblématique du patrimoine bois de
la Scandinave, leur localisation géographique (le Télémark) est aussi déterminant
dans l’expression des traits artistiques norvégiens et scandinaves. Dans son ouvrage
sur les architectures en bois scandinaves, Thérèse et Jean-Marc Bresson appellent le
grenier loft et traduisent stabbur par « cellier » alors que d’autres définitions
comparent les stabburs aux « greniers norvégiens ».

Cette tradition des constructions en bois debout et des constructions en


rondins se trouve mêlée dans les stabburs, ces greniers à provisions médiévaux,
dont le socle est plus étroit que l’étage. Ces petites dépendances attenantes à la
ferme étaient bâties sur pilotis, à 1 mètre du sol, pour conserver les aliments durant
l’hiver et permettre à l’air de circuler sous le plancher afin de limiter l’humidité de la
pièce mais aussi d’empêcher les rongeurs d’y entrer. Le stabbur ne dispose pas de
fondation et se trouve toujours supporté par des piliers de grosses pierres ou des
poteaux en bois. Les rondins sont disposés selon la technique du laft en norvégien,

19 OTTO GRUNDT, Lars ; i hovedredaksjonen de BAECKER GRUNDT Micheline, JACOBSEN


Tover, Unversitetsforlag, Oslo, 1994, p. 510.
20 Ibid. p, 300.
21 Norstedts svenska ordbok, Norstedt, 1995, Stockholm, p, 404. trad. : Réserve rattachée à

la maison du paysan.

20
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

qui consiste à empiler des rangées verticales de rondins dans un cadre réalisé avec
des poutres horizontales. Ces rondins sont de forme ovale, les troncs ayant été
grossièrement dégarnis de leur écorce et entaillés à leur extrémité. Seul le cœur du
bois, plus dur et plus résistant, est conservé. Les rainures sont comblées par de la
terre et de la mousse. 22

On remarque que l’emploi du terme laft suscite encore des divergences et son
utilisation semble ici être erroné. Pour la journaliste Frédérique Sallier, le laft
désigne le fait d’amonceler des rondins verticaux dans un cadre fait de madriers
posés à l’horizontale alors que cette méthode s’apparente plutôt au skiftesverk,
lavegg, Ständerbohlenbau, Bohlenständerbau. 23

La construction à ossature bois (skiftesverk, Bohlenwerk) est également


basée sur des poteaux verticaux reposant contre une ossature en bois avec des liens
en croix. Les poutres et les planches horizontales constituant les murs sont fixées
dans des rainures creusées dans les poteaux verticaux. 24

Construire en bois « couché » ne dépend pas exclusivement des critères liés à


l’intégration du bâtiment dans le paysage. C’est un facteur prépondérant dans la
construction de l’identité architecturale scandinave mais l’érection d’un bâtiment en
bois résulte aussi de la quantité et de la qualité du matériau disponible. Il est clair
que « l’abondance et la qualité des ressources forestières du royaume de Norvège
ont largement contribué à développer l’architecture bois » 25 mais certaines régions
– en Norvège aussi – ont adapté la construction à l’exploitation sylvicole.

Construire en bois debout

22SALINIER, Frédérique, « Norvège : du bois dont on fait les témoins », Maisons Bois à Vivre,
n°36, mars-avril 2013, p. 60.
23 THINIUS-HÜSER, Klaus, Historische Holzkonstruktionen, Karlsruhe, 1998, p, 131.
24 MENTU Sakari, « Typologie des constructions de bois en Europe », Naturopa, n°96,
septembre 2011, p. 21.
25 SALINIER, Frédérique, « Norvège : du bois dont on fait les témoins », Maisons Bois à Vivre,

n°36, mars-avril 2013, p. 58.

21
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Autre méthode de la construction en bois, le « bois debout » est tout aussi


déterminant dans la construction de l’identité architecturale scandinave.

La construction à poteaux – poutres, stave building, Stabbau – sous sa forme


simple semble avoir une origine préhistorique et on la retrouve sous sa forme la
plus évoluée dans les premières églises de bois de Norvège (stavkirker). L’ossature
utilise d’énormes poteaux de bois d’œuvre reliés par des poutres horizontales. Les
murs sont formés de surfaces planes verticales, montées sur une sablière basse et
fermées par une sablière haute 26. […] En tant que style populaire, la construction à
pans de bois a été très répandue en Europe centrale, notamment dans les territoires
germaniques et anglo-saxons. Dans l’Europe du Nord de la Scandinavie méridionale,
cette nouvelle méthode de construction a remplacé au début du Moyen-Âge les
édifices en rondins du fait de la raréfaction du bois d’œuvre. Une structure à pans de
bois peut être construite avec des morceaux de bois relativement petits et
polymorphes et est donc bien adaptée aux régions ayant des ressources forestières
limitées. 27

La technique de construction stav s’emploie surtout dans les plaines, où les


forêts sont rares : elle demande moins de bois, et elle est utilisée pour l’édification
des bâtiments nécessitant une moins grande isolation du froid, comme ceux où on
entrepose nourriture et vêtements. 28

L’assemblage horizontale du bois d’œuvre n’est donc pas « la seule


habitation-type des pays scandinaves des années 1100 – 1200 » 29 et « les deux
méthodes ont été employées conjointement dès le début, bien qu’elles soient
difficiles à combiner, car le bois, matériau vivant, ne se tasse pas de la même
manière selon qu’il est disposé horizontalement ou verticalement ». 30Comme le font

26 SABLIÈRE [s ɑ b l i j ɛ ʀ] n. f. – 1346 ⟐ de sable ▪ 1 (parce que les poutres soutiennent le

mortier et le sable) TECHN. Grosse poutre horizontale qui supporte d’autres pièces. – Ferme (3)
d’un comble.
27 MENTU Sakari, op. cit., p. 20.
28 BRESSON, Jean-Marie, Thérèse, Maisons de bois : architectures scandinaves, Dunod, Paris,

1986, p. 84.
29 Ibid.
30 loc. cit.

22
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

remarquer les sources consultées, les stavkirker sont les constructions qui illustrent
le mieux ce procédé d’assemblage.

Les plus beaux exemples de construction en bois debout qui ont échappé aux
injures du temps, sont les églises norvégiennes ou suédoises du 11ème ou 12ème
siècle, les « stavkirker », comme celle de Gol (Hallingdal), Norvège, an 1200, ou celle
de Santa Maria de Lund (Suède) qui date de 1020. Les premières églises en bois du
8ème ou 9ème était fort simples et copiaient sans nul doute les habitations des paysans
de l’époque : la maison de Dieu était bâtie sur le même modèle que la maison de
l’homme, c’est dans cette optique qu’elles nous intéressent spécialement. Elles
comprenaient une seule nef et un chœur, légèrement décalé par rapport à la nef. […]
Les murs consistaient en des poteaux fichés en terre, dont la base reposait sur des
pierres pour éviter le pourrissement, et dont les intervalles étaient remplis par une
paroi en treillis et en planches. 31

L’apparition de la scie, l’abandon progressif de la hache et surtout la


mécanisation des ateliers de découpe entame l’utilisation de « planches débitées au
lieu de rondins équarris ou non » 32. Ces planches débitées permettent de réduire la
quantité de bois nécessaire et commencent à être utilisées pour des raisons
esthétiques. Désormais, les maisons en rondins sont habillées d’un bardage peint et
les doubles parois de maisons en bois debout assureront une meilleure isolation.

Alors que l’organisation sociale de la population paysanne et bourgeoise en


Scandinavie illustre la fonction et les spécificités de la construction en bois,
l’évolution des techniques de construction et les changements sociétaux –
aristocratie terrienne, enrichissement des paysans – des pays scandinaves fait
apparaître une habitation-type nouvelle : le manoir paysan.

Les manoirs paysans, splendeur et savoir-faire scandinave

31 loc. cit.
32 loc .cit.

23
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Cet aspect de la construction en bois est emblématique de la Scandinavie. Les


manoirs paysans de Suède et de Finlande reflètent un savoir-faire unique et
l’attachement profond des Scandinaves au bois, à la nature et au lieu qu’ils occupent.
Point d’orgue de l’évolution des techniques d’assemblage et de construction
scandinaves en bois, ces grandes demeures incarne l’héritage « Natur, Kultur » de
l’Europe du Nord.

Outre les familles des propriétaires, y vivaient les domestiques, hommes et


femmes ; un total de trente-cinq à quarante personnes n’était pas rare, et ce chiffre
pouvait être doublé au temps des foins et de la moisson. […] Les murs sont en
rondins de taille respectable, assemblés par empilage, ajustés aux angles par
emboitage, et recouverts ou non d’un habillage vertical. 33

Husen uppfördes i liggtimmer men panelades oftast med locklist redan från
början. 34

C’est ce que les suédois appellent les herrgård, dont l’aspect et le nombre a
augmenté au 19ème siècle lorsque les roturiers, roturières et autres maîtres de forge
devinrent des herr, des messieurs. C’est l’avènement de la bourgeoise suédoise.

Under 1800-talets första år blev det möjligt för ofrälse – det vill saga icke-
adel – att köpa eller på annat sätt förvärva herrgårdar och säterier. Detta
resulterade i att högt uppsatta inom näringslivet blev 1800-talets stora
herrgårdsbyggare. Herrgårdar och säterier kom också att ligga inom räckhåll för
duktiga lantbrukare, mjölnare och handelsmän. I hela vårt land kan man se exempel
på bonder som vid denna tid ägnar sig åt imponerande bostadsprojekt på sina
gårdar. Mangårdsbyggnader som snarare vittnar om stärkt självkänsla än om
faktiska utrymmesbehöv. Man kan tala om en boom av timrade
tvåvåningsbyggnader som inte står högadelns slottsliknande stenhusbyggen under

33BRESSON, Jean-Marie, Thérèse, op. cit., p. 126.


34SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, Svenska Trähus, Bokförlaget Prisma, Stockholm, 2002, p.
16. Trad. : Les premières (grandes) maisons était construites en rondins mais étaient déjà
recouvertes d’un bardage en bois.

24
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

stormaktstiden långt efter. Och liksom hos högadeln var det i huvudsak exteriören
som räknades. Man ville helt enkelt göra intryck. 35

Les herrgård ne datent cependant pas du 19ème siècle et la construction de


ces « manoirs bourgeois en bois » est directement liée à un bouleversement de
l’économie et de la société suédoise de cette époque : les débuts de l’industrie de
l’acier.

Sörby herrgård ligger i Mosjö socken i Narre. Den kvarvarande


mangårdsbyggnaden bör kunna dateras till andra hälften av 1600-talets. Den har
höjts några stockvarv under 1700-talets mitt och fått nya, förstorade
fönsterkammar. 36

På 1600-talets tillkom en betydande faktor i det svenska samhället :


järnbruket. 37

Le 17ème siècle marque l’avènement de la Suède. L’économie du pays se


transforme et c’est aussi l’époque des conflits armés tels que la guerre de Trente Ans
qui projettent le pays sur la scène internationale. La Réforme, les échanges culturels
et diplomatiques influencent l’architecture suédoise et scandinave. Tout comme le

35 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 142. Trad. : Dès le début du 19ème siècle il devint

possible pour les roturiers – non issus de la noblesse suédoise – d’acheter ou de devenir par
quelques autres moyens propriétaire d’un manoir. Ce bouleversement donna naissance à
une nouvelle catégorie d’architectes qui n’étaient autre que les constructeurs au service de
l’élan économique suédois. Ces manoirs vinrent aussi à la portée de mains d’ambitieux
agriculteurs, meuniers et commerçants. À travers tout notre pays, l’on peut admirer l’œuvre
des paysans qui se sont consacrés à d’impressionnants travaux de construction. Des fermes
qui répondent à une logique ostentatoire plus qu’à une nécessité d’agrandir l’espace. On
peut parler d’un boom de la construction de bâtiments en bois à deux étages qui n’ont rien à
envier aux châteaux de pierre de la noblesse de l’époque de l’empire suédois du 17ème. Tout
comme chez les nobles, c’est le règne de l’apparence. Il faut avant tout faire bonne
impression.
36 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p,. Trad. : Le manoir de Sörby se trouve à Mosjö,

comme de Närke. La partie restante du manoir date du 17ème siècle et a été rehaussé de
plusieurs « rondins » vers 1750. Les fenêtres ont aussi été agrandies à cette époque.
37 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 8. Trad. : Au 18ème siècle apparaît un facteur

important dans la société suédoise : l’acier.

25
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

herrgård de Sörby, les châteaux de Läckö, de Gripenberg, de Bordsjö et Skogaholm


sont d’autres matérialisation architecturales qui illustrent le lien qui unit tous les
scandinaves au bois.

L’histoire et l’architecture de ces chefs d’œuvre du patrimoine architectural


suédois font l’objet d’ouvrages spécialisés et ce ne sont que les détails liés à leur
héritage bois que l’auteur met ici en avant.

Ända fram till trettiåriga kriget bodde de flesta svenskar – även ädelsman – i
omålade, torvtäcka timmerhus på medeltida. Borgar hade dock uppförts under
medeltiden, riksfästen som slottet Kalmar och Stockholm ; även Sveriges katolska
biskopar lät uppföra borgar och befästa hus, sådana reformationen förvandlades till
just riksfästen eller kungahus eller helt sonika revs. En dylik biskopsborg var Läckö
slot på en udde i Vänern i Västergötland. 38

Après avoir appartenu à l’Église, le château de Läckö revient au maréchal


Jacob De La Gardie. C’est en se référant à la première résidence de Jacob De La
Gardie et de son épouse Ebba Braher, maitresse de Gustav Adolph II, que
l’ambassadeur de France en Suède dit que celle-ci lui rappelle les maisons
paysannes (en bois) des faubourgs de Paris. Un tel commentaire eu pour
conséquence immédiate la construction d’une demeure en pierre. Aujourd’hui le
château Ulriksdal à Solna au nord de la ville de Stockholm.

38 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 46. Trad. : Jusqu’à la fin de la guerre de Trente

Ans la plupart des suédois – y compris la noblesse – vivaient dans maisons en bois,
recouverte de tourbe, construites au Moyen-Âge. Des châteaux avaient pourtant été
construits à cette époque, celui de Kalmar et de Stockholm par exemple. Même les évêques
catholiques suédois avaient fait ériger des châteaux et des places fortifiées mais la Réforme
a tout simplement fait détruire ces maisons royales. Le château de Läckö, siège de
nombreux évêques, situé sur l’une des îles du lac Vänern dans le Västergötland, est un
témoin de cette période cruciale de l’histoire de la Suède.

26
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Paret De La Gardie och Brahes första lantställe utanför Stockholm –


Jacobsdal – uppfördes i liggtimmer, och enligt en fransk ambassadör som uppehöll
sig i Sverige påminde det honom om bondgårdar utanför Paris. 39

Le lecteur comprend au travers de cette anecdote que la plupart des suédois de


cette époque, fortunés ou non, n’étaient pas « passés à la culture de la pierre »,
héritage classique emblématique des architectures du « sud » de l’Europe.

Le château de Gripenberg, les manoirs de Bordsjö et de Skogaholm ont quand


à eux résisté à l’affront des « sud européens » et de la stenkultur 40. Préservées, ces
constructions sont aujourd’hui des preuves vivantes du savoir faire scandinave en
charpenterie et en menuiserie. Gripenberg est aujourd’hui le château en bois le
mieux conservé en Suède.

Carl Gustaf Wrangel byggde även timmerslott – inalles tre stycken.


Gripenberg nära Tranås i Småland finns ännu kvar i sin barockgestalt och torde vara
Sveriges mest uttrycksfulla träslott. Gripenberg påbörjades vintern 1663 – 1664 och
vid den tidpunkten var uppförandet av Skokloster ännu inte klart. Huvudbyggnaden
är ett H-format timmerhus i två våningar. 41

Bordsjö et Skogaholm sont des manoirs du 17ème siècle, respectivement


originaire du Småland et de la région de Närke. Le herrgård en bois de Skogaholm
est certainement le plus connu des étrangers et des suédois puisqu’il se trouve
désormais au Skansen, célèbre musée en plein air de Stockholm.

39 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 51. Trad. : La première résidence du couple De
La Gardie, Brahes avait été en construite en bois, aux abords de Stockholm et c’est lors d’un
séjour auprès de la cour royale suédoise qu’un ambassadeur de France compara leur
demeure à une ferme paysanne des faubourgs de Paris.
40 Culture de la pierre. Par opposition à la träkultur, culture du bois.
41 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 57. Trad. : Carl Gustaf Wrangel construisit aussi

des châteaux en bois – trois au total. Celui de Gripenberg, près de Tranås dans le Småland,
dont le style baroque est intacte, semble être le château en bois le plus éloquent de Suède.
Les travaux de Gripenberg furent entamés pendant l’hiver 1663 – 1664 et à ce moment, la
construction de Skokloster n’était pas encore achevée. Le bâtiment principal est une
structure en bois en H à deux étages.

27
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Bordsjö herrgård i Askeryds socken i Småland har en timrad huvudbyggnad


i en våning från 1600-talet. Före ombyggnaden på 1700-talet hade den rödfärgade,
väl synliga timmervägar och påminde – i sin indelning i två salar – om Gripenberg. 42

Den i Sverige och utomlands mest kända timrade herrgården från 1600-talet
är en envånings huvudbyggnad från Skogaholms järnbruk i Närke. Sedan ett
sjuttiotal år tillbaka star den på Skansen i Stockholm. Huset med sitt höga säteritak
var ursprungligen rödfärgat. Vid 1700-talets slut blev byggnaden reveterad och
gulfärgad med kalkbruk som täckte timmerstommen. Revetering – putsning av
timrad stomme – eller inklädning med stående panel blev mycket vanligt under
1700-talets senare del, både när det gällde nyuppforda herrgårdar och vid
modernisering av äldre byggnader. 43

Avec l’expansion et le développement de la Suède, le travail des charpentiers


et des menuisiers et la « tradition bois » scandinave ne s’éteint pas. Les nouveaux
propriétaires et les riches paysans suédois continuent de perpétuer le savoir faire
des artisans du bois. Les demeures des industriels, telles que celle de Johan Nyberg,
illustrent l’expérience suédoise qui allie tradition et modernité.

Johan Nyberg var en industriman som i Ångermanland gjorde karriär inom


trävaruindustrin. Redan under 1840-talet utvecklade han en lång rad sågverk och
skaffade därtill en handelsflotta som kunde transportera hans byggmaterial från
den ångermanländska kusten till underleverantörer i Europa, Asien och Amerika.
Han gjorde stora förtjänster och kunde bygga sin egen herrgård, Johannesberg i
Bollstabruk. Herrgårdsbyggnaden i två våningar av kärnvirke anses ha uppförts år

42 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 60. Trad. : Le bâtiment principal du manoir de
Bordsjö, dans la commune de Askeryds, Småland, est en bois et date du 17ème siècle. Avant
les travaux de reconstruction du 18ème, les murs en bois saillants étaient peints en rouge et
n’étaient pas sans rappeler ceux de Gripenberg.
43 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 60. Trad. : Le plus connus des manoirs en bois en

Suède et à l’étranger est le manoir à un étage de la fabrique d’acier de Skogaholm à Närke.

28
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

1842. Utvändigt är huset panelat och gråmålat. Bottenvåningens träpanel har


formen av stenblock, medan övervåningen är slätpanelad. 44

Alors que l’industrialisation du pays se poursuit et que les échanges culturels


pénètrent les nouvelles classes de la population suédoise, exhiber les apports des
échanges commerciaux internationaux devient monnaie courante chez les hommes
d’affaire. C’est dans ce contexte que les menuisiers deviennent sculpteurs et arrivent
à transformer le bois en pierre. Ainsi, les planches de bois du premier étage de
Johannesberg imitent volontairement les formes et les contours de la pierre (formen
av stenblock) et c’est à cette époque que nait ce que les suédois ont appelé le
snickarglädje, littéralement « la joie du menuisier ».

« La joie du menuisier » s’est développée à partir de la moitié du 19ème siècle


grâce, entre autres, aux avancées techniques des scieries et est emblématique de la
capacité des scandinaves « débrouillards » à combiner les savoir-faire. La mode des
förstukvistar, sorte de « perron couvert », est révélatrice de la maitrise du travail du
bois des suédois.

Vid 1800-talets mitt utvecklades en snickeritradition som uppstod i motet mellan


allmogens husbyggande och den alltmer avancerade sågverksindustrin, särskilt,
förefaller det längs Ångermanlands kustområden. Här byggdes åtskilliga stora
liggtimmerhus som panelades och försågs med en formvärld som hämtats från
stenarkitekturen. I norra Sverige ägnar man vid denna tidpunkt – från 1800-talets
mitt och framåt – ett särskilt intresse åt entré-portalen och förstukvistar, Och det är

La maison, dotée d’un toit mansardé, signe d’appartenance à la noblesse, était à l’origine
peinte en rouge et a été recouverte à la fin du 18ème de chaux pour couvrir la charpente en
bois. Crépir les charpentes de bois ou les revêtir d’un bardage de bois était devenu une
pratique commune à cette époque, qu’il s’agisse de rénovation ou de construction.
44 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 153. Trad. : Johan Nyberg était un industriel du

Ångermanland qui avait fait fortune dans le négoce de bois. En 1840, il transforma sa
scierie, se dota d’une marine marchande et exporta ses machines vers les sous traitants
d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Sa fortune lui permit de construire son propre manoir :
Johannesberg à Bollstabruk. Le manoir en bois de deux étages semble avoir été construit en
1842. Il est recouvert d’un bardage gris. Le bardage du rez-de-chaussée imite la pierre alors
que le premier étage est lisse.

29
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

först vid sekelskiftet 1900 som modet med glasverandor når längre norrut än
Hälsingland. I Mellansverige fanns förstukvistar med sadeltak redan på 1600-talet,
inte minst på bergsmansgårdarna. Vid sekelskiftet 1900 är idén med förstukvistar
spridd i hela landet. Den variant som då var mest populär var den med tresidigt tak
och lövsågsornamentik – det sistnämnda uttryck för vad man brukar benämna
« snickarglädje ». 45

Les transformations de la société suédoise liées à l’industrialisation du pays et la


construction de grandes demeures par des commerçants ne modifient donc pas les
fondements de la construction des maisons suédoises. Bien que certains châteaux de
la noblesse suédoise aient été construits en pierre, le territoire suédois reste dédié à
la construction en bois et ceux malgré les tentatives des monarques et des autorités.

Eldfaran var 1700-talets stora problem såväl i städerna så på landsbygden.


Men myndigheternas försök att uppmunta folk att bygga i sten hade inte endast
bransäkerhetsaspekter. Stenhuset som sådant hade ett starkt symbolvärde, dels var
det beständigt, dels hade det hög status internationellt sett. Men trots de bästa
intentioner blev resultatet av myndigheternas « kampanj » klent. I Landskrona, för
att ta exempel, bjöd staten den som ville bygga hus – efter Carl Hårlemans ritningar
– på såväl byggnadssten som kalk ; trots dette byggdes inte mer än några tiotal
stenhus i Landskrona under 1700-talet. I Sverige var man van att bygga i timmer ;

45 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 156. Trad. : À partir de 1850 s’est développé un
savoir-faire qui est né de la rencontre des traditions architecturales populaires et de
l’avancée techniques de la menuiserie. Tout particulièrement le long de la côte du
Ångermanlands où les suédois construisent de nombreuses maisons en rondins dont le
bardage en bois et les formes s’inspirent des constructions en pierre. Dans le nord de la
Suède, les constructeurs se consacrent dès cette époque aux prés hauts et aux porches
d’entrée et c’est à partir de 1900 que cette mode se répand plus au nord, dépassant la
région du Hälsingland. Plus au sud, l’on pouvait voir ces porches en bois dès le 17ème, à
l’entrée des manoirs tout du moins et c’est à partir du début du 20ème siècle que cette mode
se répand à toute la Suède. Le style le plus à la mode à cette époque était le perron à toit à
trois cotés décoré à la « scie à découper » - les « décorations faites à la scie à découper » sont
ce que l’on appelle « la joie du menuisier ».

30
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

dessutom hade inte husen i liggtimmer samma problem med kyla och fukt som
stenhusen. Man forsatte alltså att bygga hus i trä, men med stenhusets formspråk. 46

Les constructions en bois et les techniques de construction issues de


« l’héritage bois » font partie intégrante de l’héritage culturelle scandinave. Qu’il
s’agisse des maisons en rondins des paysans « libres », des églises norvégiennes ou
des demeures des riches familles suédoise, l’habitat scandinave est étroitement lié à
la nature. Cette typologie des constructions en bois en Scandinave, articulée
chronologiquement autour de l’évolution des caractéristiques techniques et
esthétiques des bâtiments, souligne la persistance de l’utilisation du bois.
L’adaptation du matériau aux évolutions sociétales et architecturales, notamment en
Suède, n’est pas seulement liée à la disponibilité du matériau et aux rendements de
l’industrie sylvicole, elle vient d’un désir profond des scandinaves de garder un lien
immédiat avec la nature et leur environnement.

Les raisons d’un tel attachement à la nature et la matérialisation de ce lien en


architecture s’inscrivent dans la continuité de cette première partie, véritable état
des lieux des techniques et des évolutions du savoir-faire des artisans du bois en
Scandinavie.

46SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, op. cit., p, 110. Trad. : Les risques d’incendie étaient un
problème majeur au 18ème siècle, autant en ville qu’à la campagne et les tentatives des
autorités visant à pousser la population à construire en pierre ne concernaient pas
uniquement la sécurité de la population face aux incendies. Les constructions en pierre
avaient une symbolique forte, elles véhiculaient une image de stabilité et avaient un statut
plus haut placé à l’échelle internationale. Malgré certaines tentatives, les résultats de la
campagne menée par les autorités suédoises furent maigres. À Landskrona par exemple, la
ville invita les habitants à construire, selon les plans de Carl Hårlemans, des maisons en
pierre mais seulement quelques dizaines de maisons furent érigées dans ce matériau au
18ème siècle. En Suède, la population était habituée à construire en bois puisque les
structures en bois ne souffraient pas et ne souffrent pas du froid et de l’humidité comme le
font les maisons en pierre. On continua donc à construire en bois mais en imitant les formes
des maisons en pierre.

31
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Le lieu : Norden

Le Norden, la nature fédératrice de l’identité scandinave

«S
lik folkarkitekuren fremtrer i forskjellige regioner, er den
knyttet till bestemte byggemåter. Disse er ikke bare et
resultat av materialtilgang og lokal teknologi, men også av
ønsket om att byggeverket skal « passe » i stedsmessig sammenheng ». 47 C’est par
ces mots que Christian Norberg-Schulz, architecte phénoménologue norvégien,
définie l’architecture en tant qu’élément indissociable du « sted », autrement dit du
lieu. L’art de construire est lié aux caractéristiques propres et immuables de
l’environnement dans lequel il s’inscrit.

Dès ses premiers pas sur les terres du Norden, région du nord de l’Europe
dotée d’un caractère particulier et d’une identité forte 48, le voyageur averti est saisi
par ce qu’il aperçoit et distingue au loin. La végétation, saisissante, à la fois éparse et
dispersée, comparable à une armature en treillis 49, interpelle. C’est aussi ce que
l’Homme a érigé au milieu de ces étendues qui trouble celui ou celle à qui le rouge
de Falun ou Falunröd, traditionnelle et scandinave peinture rouge à base des
pigments de minéralisation issus de l’extraction du cuivre 50, n’évoque rien. Après
s’être attardé sur ces bâtisses habilement disposées les unes à coté des autres,
l’observateur doute : Quelles sont les raisons qui ont poussé les peuples du nord de

47 NORBERG-SCHULZ Christian, Nattlandene : om byggekunst i Norden, Gylendal, Oslo,


1993, p. 5. Trad. : L’architecture populaire transparait dans diverses régions tel le résultat
des techniques et matériaux utilisés. Ces méthodes ne sont pas exclusivement des réponses
technologiques liées à la disponibilité du matériau mais naissent aussi de désir d’intégrer le
bâtit dans un contexte local.
48 NORBERG-SCHULZ Christian, Nattlandene…, op. cit., p. 11.
49 « Vegetasjonen er ikke preget av karakteristiske enkelvekster slik som pinje og sypress, men

er flettverk og tykning. » Ibid., p. 11.


50 PIEL Jean-Marc, Les maisons suédoises de la reconstruction en Normandie, Cahiers du

Temps, Cabourg, 2008, p. 9.

32
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

l’Europe à s’adapter ainsi à l’environnement qui les entoure ? Entretiennent ils un


rapport différent du notre à la nature ? à l’espace ? En a-t-il toujours été ainsi ?
L’explorateur fait-il face à des facteurs historiques, politiques ou sociaux? Ces
facteurs sont-ils ancrés depuis des siècles dans la culture scandinave ou ne s’agit-il
en réalité que d’une mode? Si « l’étranger» atteste la singularité des paysages sur
lesquelles l’Homme s’est établi en Europe du Nord, la clef de l’originalité ne se
trouve pas exclusivement dans l’aspect technique de l’architecture et de la
construction mais aussi dans l’étude des liens qui unissent le « nordique » à son
histoire, au lieu, au climat et aux forces de la nature. Déchiffrer l’intérêt qui existe en
Scandinavie pour le « chez soi » fait partie intégrant de l’approche à « 360 degrés »
de l’auteur. La construction et le rapport des Hommes à leur habitat c’est ce que
Martin Heidegger appelle le « Bauen, Wohnen, Denken. » 51

Proches, et pour la plupart membres de l’Union Européenne, les pays scandinaves


sont « exotiques » lorsqu’il s’agit de les comparer aux autres pays du continent
européen. Si c’est au début du XXIème siècle que le voyageur se rend en Scandinavie,
ses premières impressions ne seront certainement pas immédiatement tournées
vers le lien nature/culture du pays par lequel il pénètre en Scandinavie. Réussite
économique et sociale en ligne de mire, ce sont sans doutes les aspects matériels de
la vie moderne en Europe du Nord qui captivent en premier lieu l’européen de
passage. Ce n’est pas une erreur que de commencer par cet aspect. L’étude à 360
degrés citée au préalable tend à démontrer les liens qui existent entre l’avancée
économique, sociale, environnementale scandinave et le rapport à la nature des
populations. Peu importe son origine, l’étranger en Scandinavie doit admettre que
c’est justement sa posture de « sud européen » qui permet l’étude de ce qu’est
réellement la Scandinavie en Europe. Le Nord existe grâce au Sud, le Sud existe
grâce au Nord. Étudier le rapport à l’habitat en Scandinavie est inenvisageable dans
un contexte local. Comprendre le Norden c’est aussi comprendre la relation qu’il
entretient avec le sud du continent auquel il appartient. La prise en compte de cette
relation est primordiale dans n’importe quel champ de recherche. Les grands noms

51 HEIDEGGER Martin, Essais et Conférences, Gallimard, Paris, 1958, p. 170.

33
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

de littérature scandinave n’ont-ils pas tous entrepris voyages et séjours vers le


« sud » pour mieux s’imprégner de leur identité européenne et scandinave ? Tel
August Strindberg installé à Paris à l’Hôtel Orfila, l’explorateur européen est un
canal qui relie le Nord au Sud et le Sud au Nord, un artisan qui forge les identités et
fait circuler les idées. Le philosophe austro anglais Ludwig Wittgenstein n’est-il pas
allé en Norvège construire une cabane pour se consacrer entièrement à ses
recherches ?

Quant à la préférence de Wittgenstein pour la Norvège, que Pinsent a bien


sentie, elle correspondait sans doute au fond à un désir d’être seul, et d’avoir la
possibilité de continuer de travailler. 52

Maintenant que le lecteur s’est familiarisé avec les formes et les contours des
techniques des constructions traditionnelles scandinaves, il s’agit pour l’auteur de
définir l’environnement nordique, autrement dit le « lieu scandinave ». L’étude des
caractéristiques esthétiques, presque géographique, de l’Europe du Nord révèlera
les raisons qui ont poussé les « barbares du Nord » à un tel rapport à l’art de bâtir.

Au delà de la végétation, il y’a un autre élément du lieu qui distingue le nord


du sud et qui interpelle l’esprit du voyageur: la lumière. « Her i nord star ikke solen i
zenit, men streifer tingene på skrå og løser opp formene i et spill av lys og skygge.
Landet består ikke av klare masser og rom, men fortaper seg som fragment og
repetisjon i det ubegrensede.» 53 La lumière du nord réduit les contours et place le
spectateur, qu’il soit né ou non parmi ces formes diffuses, à une place telle, que sa
manière d’appréhender l’environnement et les formes diffère d’un monde où la
lumière du soleil fixe et définie les lignes. Dans une telle démarche, isoler la lumière
du soleil – « lyset » – c’est se tourner vers le climat et ses valeurs qualitatives.

52McGUINESS Brian, Wittgenstein, 1. Les années de jeunesse 1889-1921, op. cit., p,224.
53NORBERG-SCHULZ ,Christian Nattlandene…, op. cit., p. 11. Trad. : Ici au nord, le soleil n’a
pas sa place au zénith. Il écorche les formes et libère les contours dans un jeu de lumière et
d’ombres. Le paysage n’est pas composé de masses claires et d’espaces délimités, il se
disperse en fragments indéfiniment répétés.

34
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Le climat incarne les précipitations, la sècheresse, le froid, les tempêtes, le


beau temps, tout ce que nous apportent les quatre saisons et les éléments que l’on
essaie de prévoir du jour au lendemain. Ce sont ces éléments dont notre quotidien
dépend. Puisque la lumière est diffuse et que les formes se perdent, il y’a bien
quelque chose d’incertain dans l’air du Nord. « Lyset er knyttet till været, og i
Norden er været viktigere enn i Sydens mer stabile verden.» 54

Si l’atmosphère elle même est incertaine, quel espace sur terre peut incarner à la
fois l’agitation, l’incertitude et l’inconstance des contours mieux que la forêt ? La
forêt c’est la personnification par excellence du Norden : « Slik er alltså Nordens
rom : en uoversiktlig mangfoldighet av steder som aldri har noen fast grense og en
klar, geomestrisk form. Er det bare mørket som kan samle denne mangfoldigheten
til en enhet, eller finnes det også en annen sammenheng ? Med ordene « flettverk »
og « tykning » har vi antydet at en slik finnes. Når tingene ikke trer frem som
individer, men flettes sammen, befinner vi oss i en tillstand som virkelig kan
betegnes som anti-klassisk. […] Derfor er skogen det best bilde på Nordens
verden.» 55 C’est donc dans les bois que se réalise le Norden, les forêts faites d’arbres
et de bois.

Comment à présent ne pas se tourner vers le « pays de milles lacs » et à ses


formes incomplètes sur lesquelles se superposent les cimes des arbres ? Paysages
finlandais qui reflètent le regard de l’Homme du nord sur son environnement :
inachevé, inquiétant et inévitable. Ce rapport aux forces environnantes est bien
valable pour tous les pays nordiques. C’est cet environnement, par opposition aux
caractéristiques géographiques et philosophiques du « sud », que Christian Norberg-

54 NORBERG-SCHULZ ,Christian Nattlandene…, op. cit., p. 13. Trad.: La lumière est


dépendante du temps. En Europe du Nord la météo est plus importante qu’au Sud où le
monde est plus stable.
55 NORBERG-SCHULZ ,Christian Nattlandene…, op. cit., p. 15. Trad. : Tel est le lieu nordique :

une multitude d’endroits sans frontières, sans formes géométriques claires. Est-ce
seulement la nuit qui abat cette diversité au nom de l’unicité ou il y’a-t-il un autre procédé
permettant d’accéder à l’intégralité spatiale? Les mots « toile » et « fourré » incarne cette
situation. Là où les objets ne peuvent apparaître individuellement mais sont entrelacés, les
individus occupent un espace anticlassique. Ainsi, la forêt est l’espace qui incarne
parfaitement le monde nordique.

35
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Schulz définit comme anti-classique. Cette donnée « anticlassique » entraine notre


cheminement « nature/culture » vers l’une des différences les plus fondamentales
entre le Nord et le Sud : l’art de bâtir. « Den klassiske arkitekturen fastholder og
fremstiller Sydens verden som definiert, homogent rom, karakteristisk plastik form,
og som disktinkt gestalt, og stenmaterialet gir omgivelsene den ønskede
bestandighet. Sydens kulturer er således « stenkulturer », mens Nordens er
« trekulturer ». » 56 Ainsi, les caractéristiques climatiques et naturelles qui depuis
des siècles régentent la vie des Suédois, des Norvégiens, des Danois, Des Finlandais
et des Islandais sont désormais clairement identifiées comme facteurs déterminant
dans l’affirmation d’un art de bâtir scandinave. Tel est dorénavant l’enjeu de
l’auteur : démontrer que l’architecture reflète l’identité de l’environnement qu’elle
intègre. Dans notre cas, le cadre de la « Northern Light » 57.

Wittgenstein a participé à la construction de l’identité scandinave au travers


des échanges nord-sud évoqués auparavant mais cet exil volontaire reflète aussi ce
que procure la nature du Norden. Pour le philosophe, le départ en Norvège n’est pas
un hasard. Il ne s’agit pas d’un désert choisi parmi d’autres espaces européens
vierges et reculés. Les propriétés esthétiques du Norden participent au
rapprochement de l’homme et de la nature, au maintient de ce lien. Puissants,
calmes, mystérieux, paradoxales, les paysages norvégiens facilitent la fusion de
l’individu et de la nature. La force des fjords et du vent, de la pluie et de la neige
éveille immédiatement en nous le lien qui nous unit à la nature.

À notre connaissance, le hasard seul l’a mené dans ce lieu en particulier


(Skjolden). Même si il était déjà allé en Norvège auparavant, ce fut son premier
séjour à Skjolden, d’après les souvenirs de ses amis de là-bas. Ce village allait lui

56 NORBERG-SCHULZ ,Christian Nattlandene…, op. cit., p. 13. Trad. : L’architecture classique

maintient et représente le Sud comme un espace défini et homogène. La plastique et le


gestalt sont emblématiques du lieu et l’architecture en pierre matérialise la durabilité. Le
« culture de la pierre » symbolise le Sud et celle du bois représente le Nord. Christian
NORBERG-SCHULZ introduit cette notion dès les premières lignes du premier chapitre de
Nattlande… « Dessuten er de gjerne av tre, et materiale som savner stenens bestandight.»
57 VARNEDOE Kirk, Northern Light. Realism and Symbolism in Scandinavian

Painting 1880-1910, Brooklyn Museum, New York, 1982.

36
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

servir d’ermitage tout au long de sa vie. C’était une petite commune située sur l’anse
la plus éloignée du plus grand fjord de Norvège. Au-delà, il n’y avait plus que les
montagnes et le grand glacier. Tous ceux qui connaissaient ces lieux dépeignent le
contraste entre le noir des eaux du grand fjord et les bleus ou les verts des lacs et
des criques. Les montagnes vierges descendent en longues pentes jusqu’au bord de
l’eau. Là où le terrain était plat, se trouvaient des conifères, des maisons dispersées,
alors en bois pour la plupart, et, lorsque venait le surprenant été de cette latitude, de
riches pâturages et des arbres fruitiers abondants. Dans ses lettres de Norvège,
Wittgenstein ne se lasse pas d’évoquer le paysage. Engelmann considère d’ailleurs
ce séjour en Norvège avant la guerre comme un moment unique dans sa vie où
l’environnement a beaucoup compté pour lui, et en 1936 Wittgenstein écrivit à
Moore 58 : Je ne peux imaginer que j’aurais pu travailler ailleurs comme je le fais ici.
C’est le calme et, peut-être, le merveilleux paysage ; je veux dire sa gravité paisible
(LW à GEM, octobre 1936). 59

Si Ludwig Wittgenstein ne se lasse pas d’évoquer dans ses lettres le paysage qui
l’entoure c’est pour expliquer et souligner la puissance que les éléments exercent
sur son esprit et son travail.

Ludwig Wittgenstein ne s’est pas contenté de vivre en Norvège. Il a certes


occupé un certain temps la chambre d’un hôtel dans la région du Sognfjord mais
c’est aussi le fait de construire seul sa résidence en bois qui l’a rapproché de la
nature et des forces qui lui ont permis d’entamer l’écriture de Logik, prédécesseur
de Tractarus60.

Après que Moore eut regagné l’Angleterre en avril, Wittgenstein resta à


Skjolden jusqu’à ce que commence la saison touristique, qu’il voulait à tout prix
éviter. […] Wittgenstein semble ainsi avoir employé le reste de ce temps passé en

58 ENGELMANN PAUL, Letters from Wittgenstein with a Memoir, Horizon Pr., 1974, p.60 :

Engelmann sous-estime peut-être l’importance de l’environnement naturel pour


Wittgenstein. Son amour pour les prairies inondables de Cambridge et de Vienne, son choix
de vivre dans une tour, ses voyages dans des parties reculées de l’Irlande illustrent son goût
pour la tranquillité.
59 McGUINESS Brian, Wittgenstein, 1. Les années de jeunesse 1889-1921, op. cit., p,247.
60 Saint Andrews University, O’CONNOR John Joseph, 26 mai 2013, http://www-

history.mcs.st-andrews.ac.uk/Biographies/Wittgenstein.html,

37
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Norvège (la fin du printemps et le début de l’été) à se remettre. Il commença à


envisager d’y revenir pour un séjour encore plus long, d’une durée indéterminée
peut-être. A quelque distance au-dessus du fjord, se situait un lac, bordé d’un coté
par une route et de l’autre par une montagne. C’est sur celle-ci – à laquelle on ne
pouvait accéder qu’en traversant le lac en bateau – que Wittgenstein se construisit
lui-même une maison, « à des kilomètres du tout être humain » (in der Ensamkeit)
comme il dit à Russel. Son plant, que Wittgenstein avait dessiné pour Moore, est
reproduit dans les éditions de ses lettres. C’était une maison en bois, d’environ huit
mètres sur sept, située à une centaine de mètres du lac. A un certain moment (car il
y vécût aussi plus tard), Wittgenstein fixa un système de levage avec des cordes et
des poulies pour monter directement du lac à la maison l’eau et les autres
provisions. L’entrée, abritée par un auvent, était située sur le cotée opposé au lac et
donnait sur un salon ; sur la droite, en pénétrant dans cette pièce, se trouvaient une
chambre et la cuisine. De là-haut, une vie magnifique s’étendait sur le lac et le fjord
au sud-ouest, et, lorsqu’en été la petite maison était recouverte de plantes
grimpantes et entourée de verdure, elle avait elle aussi une allure assez plaisante.
Mais il fallait un tempérament d’ermite, de stylite même, pour y vivre tout l’hiver :
du courage aussi – Wittgenstein était de naturel si inquiet qu’un jour de tempête où
il avait pris son petit bateau pour le traverser, il cracha dans le lac pour mettre la
chance de son côté. 61

En bois et dont les formes et les contours correspondent exactement aux techniques
de construction des maisons norvégiennes en bois, la maison de Wittgenstein est un
lien qui assure la continuité de l’influence de l’environnement naturel sur l’esprit du
philosophe. Qu’il soit à bord de son embarcation au milieu du fjord ou à l’intérieur
de sa hut, l’occupant expérimente la force qu’exerce la nature sur lui.

Lors de la lecture de la biographie de Ludwig Wittgenstein, le lecteur est fasciné par


l’emprise qu’exerce la nature sur le philosophe. Au delà des moments passés à
rédiger et à correspondre, l’exécution des tâches quotidiennes façonne et maintient
la relation entretenue entre l’homme et la nature.

61McGUINESS Brian, Wittgenstein, 1. Les années de jeunesse 1889-1921, Seuil, Paris, 1991, p.
247.

38
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

De nouvelles routes permettaient d’y accéder un peu plus facilement ; mais,


lorsque Moore rendit visite à Wittgenstein, en mars 1914, ils prirent un train de
Bergen à Myrdal, puis allèrent à skis jusqu’à « Fua » ( il s’agit peut-être de Flåm, car
ils y passèrent la nuit dans un hôtel resté ouvert spécialement pour eux !) ; ils
prirent ensuite un bateau à vapeur pour Sogndal, et de là gagnèrent Solvron à skis,
puis Skjolden en canot à moteur. 62

Il existe donc bien une relation étroite entre les formes et les contours du
paysage et les formes et les contours de l’architecture de la Norvège et du Norden.
Les maisons en bois s’inscrivent dans la continuité des lacs, de la lumière, des fjords
et de la flore du climat du Norden.

« Derfor ubryter sydlendingene nesten forskrekket : « Men her er jo husene


av tre ! ». 63 Tel est bel et bien la réaction des « étrangers » lorsque le détail des
manoirs, des habitations et des granges se révèle à eux. Ce détail captive « du Détroit
de Davis au Golfe de Finlande, sur le granit groenlandais, les volcans d’Islande, les
six mille îles d’Åland dispersées sur la mer de Botnie, entre Suède et Finlande,
comme les pierres d’un gué géant, sur les branches étendues balayées par le
blizzard des trois Laponie scandinaves » 64 celui dont le logis ne respecte pas les
particularités du lieu qu’il occupe.

62 McGUINESS Brian, Wittgenstein, 1. Les années de jeunesse 1889-1921, op. cit., p,224.
63 NORBERG-SCHULZ ,Christian Nattlandene…, op. cit., p. 11. Trad. : Ainsi s’étonne presque
effrayé le visiteur venu du Sud : « Regarde ! Ici les maisons sont en bois ! »
64 BRESSON Jean-Marie & BRESSON Thérèse, Maisons de bois : architectures scandinaves,

Dunod, Paris, 1986, p. 9.

39
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

« Europeiska filosofer och tänkare har i hundratals år framfört synpunkter på hur det
optimala livet ska te sig, inte bara med avseende på livstil och umgängvanor utan också på
hur vi ska bo. » 65

65 SJÖBERG Lars & SNITT Ingalill, Svenska Trähus, Bokförlaget Prisma, Stockholm, 2002, p.
8. Trad. : Les philosophes et les penseurs européens ont travaillé depuis des siècles sur la
manière dont la vie devait se dérouler. Ils ne se sont pas uniquement penchés sur la pensée
et nos vies en société mais aussi sur la manière dont on devait habiter.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Les paysages du Norden, unicité et diversité

« Bosetningen og de bygningene den (le lieu) består av, lever ikke i isolasjon,
men er deler av en sammenheng som de både « fremstiller» og
« komplementerer ». 66

Le Norden est un lieu uni et unique. Ses formes et ses contours constituent un
environnement dont les caractéristiques physiques sont remarquables sur le
continent européen.

Impliquer les caractéristiques géographiques du lieu dans la construction


d’une identité culturelle et architecturale n’est pas réservé à l’espace nordique.
Comme l’auteur l’a expliqué, les caractéristiques du lieu définissent la Scandinavie
en tant qu’ensemble mais la Scandinavie est aussi définie par la multiplicité de ses
paysages. Définir l’identité culturelle d’une aire géographique passe par l’étude du
lieu et par l’étude des différents lieux qui composent ce lieu. Les architectures de la
planète peuvent être définies et étudiées avec comme point de départ la définition
des caractéristiques physiques du lieu. Tout au long de ce chapitre, l’auteur identifie
l’impact des caractéristiques des différents espaces d’un seul lieu sur la construction
de l’identité culturelle et de l’identité architecturale de la population.

Dans le cadre de la Scandinavie, les caractéristiques naturelles du lieu ne


sont pas les seuls facteurs d’homogénéité. Lorsque l’architecte Christian Norber-
Schulz fait référence au Norden, la démarcation spatiale de la zone étudiée n’est pas
exclusivement lié à l’environnement. En ce sens que, la constitution du Norden a
aussi été assujettie à des éléments historiques, politiques et économiques.
L’affirmation de l’identité d’une aire culturelle peut emprunter des chemins
différents que ceux emprunté par les pays d’Europe du Nord. L’auteur tente ici de
démontrer que, bien que regroupés sous une même étiquette, les différentes zones
géographiques peuvent elles-mêmes présenter des caractéristiques physiques qui

NORBERG-SCHULZ Christian, Nattlandene : om byggekunst i Norden, Gylendal, Oslo,


66 66

1993, p. 31. Trad. : L’implantation et les bâtiments qui le compose (le lieu) ne sont pas isolés
mais sont des éléments d’un environnement qu’ils représentent et complètent.

41
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

leurs sont propres. Un espace peut présenter à la fois des traits d’unicité et des
caractéristiques physiques uniques des lieux qui le composent.

C’est par ce procédé d’étude de la géographie au cas par cas que l’observation
de la nature des pays scandinaves participe à l’émergence d’une architecture
scandinave à la fois homogène et régionale. C’est la réalisation de la nature dans
l’architecture. Cette réalisation, c’est l’assimilation par le constructeur des formes
simples et descriptibles qui l’entourent. Un champ lexical précis révèle l’élaboration
du questionnement méthodique nécessaire à la réalisation de l’énoncé
nature/architecture, nature/culture.

Hvordan kan arkitekturen fastholde og fremstille den danske omverden ? 67

Hvordan fastholder og fremstiller arkitekturen så den norske omverden ? 68

Hvordan omsettes så Sveriges sammensatte natur i arkitektur? 69

I vår egen tid har finnene kanskje bedre enn noen andre lykkes i å omsette
sin omverden i en meningsfylt og overbevisende byggekunst? 70

Plutôt que de se pencher exclusivement sur l’aspect esthétique de l’architecture


scandinave, ces questions impliquent l’incidence de la nature sur l’architecture des
pays concernés.

La réponse à ces questions est construite en temps deux : la contemplation


de la nature et sa pénétration dans l’architecture. Comme l’auteur l’a souligné, la
nature du Norden est à la fois homogène et changeante. Fédérée par des éléments
applicables à tous les pays du Norden, la nature scandinave est faite de paysages

67 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 33. Trad. : Comment est-ce que l’architecture
maintient elle et représente elle le lieu danois ?
68 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 37. Trad. : Comment est-ce que l’architecture

représente elle et maintient elle le monde norvégien ?


69 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 41. Trad. : Comment est-ce que la nature

composée suédoise est-elle réalisée dans l’architecture ?


70 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 45. Trad. : Les finlandais ont certainement mieux

que tous réussi à traduire leur environnement en une architecture réfléchie et


représentative.

42
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

variés qui ont forgé les identités des pays d’Europe du Nord. Cette diversité fait la
force de l’identité nordique.

Le travail de description est indispensable à l’étude des traits culturels


régionaux. Alors que les paysages défilent de Tromsø à Århus et de Turku à
Umeå, l’observation de la nature entame le travail du discernement de
l’architecture.

Cet exercice de constatation passe par le voyage et par l’étude des cartes.

Kartet er en av våre viktigste kilder til stedforståelse. Det forteller


oss om naturgitte stedene som skal gi rom for menneskelivet, og også om
bosetningens « svar » på naturfoholdene gjennom lokalisering og fordeling. […]
Bosetningen og de bygningene den (le lieu) består av, lever ikke i isolasjon, men er
deler av en sammenheng som de både « fremstiller» og « komplementerer » . 71

C’est lorsque le lecteur contemple une carte de l’Europe qu’il s’engage dans
l’étude de ce que la Scandinavie a d’européen et de spécifique. Le fait que l’espace
scandinave soit « en périphérie » du continent européen est décisif
dans l’appréciation de sa nature et de la culture des pays qui le compose.

Le « cas » de la Norvège est certainement celui qui semble être le plus


adéquat pour commencer l’étude de l’impact de la nature sur les méthodes de
construction des Hommes. Étendue sur plus de 2 500 km, le Norvège offre au
voyageur une diversité paysagère unique. « Ses régions sont plus variées que la
plupart des autres pays du globe et ce n’est pas un hasard si ces régions ont été
baptisées d’après les quatre points cardinaux : Østland, Sørland, Vestland, Nordland.
Deux régions échappent à cette classification, Trøndelag et Finnmark.» 72 Chacune

71 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 31. Trad. : La carte est l’une de nos plus précieuses
ressources pour comprendre le lieu. Elle nous renseigne sur l’espace naturel offert à la
implantation humaine ainsi que sur la réponse de celle-ci à l’environnement grâce à sa
localisation géographique et de sa distribution. L’implantation et les bâtiments qui le
compose (le lieu) ne sont pas isolés mais sont des éléments d’un environnement qu’ils
représentent et complètent.
72 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 35.

43
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

des ces régions est définie par un élément distinctif : vallées et bois de l’Østland,
côtes et ports du Sørland, fjords étroits du Vestland et nature indomptée du
Nordland. 73 Malgré ces différences la Norvège n’en est pas moins un « gigantesque
rocher parsemé de rivières et de vallées » 74 Ces montagnes, ou plutôt cette
montagne, définissent l’espace « nordenien » qu’est la Norvège. En Norvège, la
« nature inachevée » est caractérisée par les montagnes qui « élèvent » de façon
presque permanente les habitants. Contrairement aux pics des Alpes, les fjell en
Norvège n’ont pas l’air de sortir de terre de manière abrupt mais plutôt de s’étendre
indéfiniment jusqu’à ce que la mer les arrête. Cette interruption caractérise surtout
les fjords et la région des Lofoten.

I Lofoten er hav og høyfjell sammen ; plutselig et himmelen her nede, ikke


som forløsende ro, men som en villskap som understrekes av fjellenes spisse og
takkede konturer og av deres nakne sider fulle av sprekker og ur, som ofte virker
som kaskader av stenblokker. Slik reiser fjellene seg med voldsomhet samtidigt son
de raser ned. Ville og på samme tid urokkelige har de ennå ikke funnet sin art, og det
syntes som om skapelsen et blitt stanset på halvveien. Her er jord og himmel
forenet, øyet faller aldri til ro, og den nordiske « vei » blir identisk med naturen selv.
Det ubestandinge ligger også i det stadig skiftende været, med dis og regn, hagl og
sne, med skyer som ustanselig kommer og går, åpner og lukker seg mens lyset
bryter igjennom og forsvinner. En verden i evig bevegelse, og som dog forblir den
« samme ». 75

73 Ibid.
74 Ibid.
75 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 37. Trad. : Au Lofoten, les monts et la mer sont

complémentaires. Soudain, le ciel est proche. Il n’est plus calme et rédempteur mais
sauvage, amplifié par les monts acérés, leurs contours agressifs, leurs visages nus, marqués
par les crevasses. Les éboulis qui semblent être parfois des cascades de pierre. Ainsi, les
montagnes s’élèvent et chutent violement, simultanément. Sauvages et indomptables, elles
résistent à toute catégorisation et leur modelage a l’air d’avoir été arrêté au beau milieu de
la Création. Ici, le ciel et la terre sont accolés, nos yeux ne se reposent jamais et le nordique
devient inséparable de la nature. L’instabilité dépend aussi d’un temps constamment en
mouvement : brouillard et pluie, grêle et neige, nuages perpétuellement en mouvement, tels
des portes ouvertes puis fermées alors qu’essaie d’entrer la lumière. Un monde qui change
sans arrêt mais pourtant reste le même.

44
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Bien que la région des Lofoten ne recouvre pas la totalité du territoire


norvégien et que les régions les plus peuplées – et donc les plus construites – se
trouvent plus au sud, ces paysages « extrêmes » influencent l’architecture
norvégienne et nordenienne dans son ensemble.

Comme je l’ai expliqué précédemment, les contours de l’habitat sont, en


Scandinavie, aussi spécifiques que les formes d’implantation. En d’autres termes, les
formes de la « colonie ». L’organisation sociale autour d’un gård, et d’un tun (cour de
ferme) reflète cette nécessité de s’implanter sûrement dans un espace naturel
sauvage.

I ett utstrakt land med spred befolkning er gården grunnenheten snarere


enn landsbyen, og den overtok tidligere så si byens rolle. Betegnelsen tun uttrykker
dette ; et ord som har samme rot som det engelske town og det tyske Zaun. Således
er gården et inngjerdet og hegnet sted i den omgivende natur, og i sitt vesen en
« rydning ». Men et tun kan organiseres på flere måter. Generelt finner vi tre
grunntyper i Norge : klyngetunet, rekketunet og den mer eller mindre sluttede
firkant. 76

Selon Christian Norberg-Schulz l’organisation du tun est adaptée aux différentes


régions de la Norvège. C’est aussi le cas dans d’autres régions du globe. Dans le
Vestland, l’étroitesse des sites nécessite une organisation libre des constructions
alors que les plaines du Trøndelag permettent l’organisation rectangulaire de la
« colonie ». Ainsi, le tun – town – complète l’espace donné (« naturgitte sted» 77) et
son organisation reflète les caractéristiques physiques de cet espace.

Det dreier seg altså om et alment « språk » som skal brukes i


overensstemmelse med stedet. Nettop dette skjet i Norge […] Som rydning og

76 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 37. Trad. : En ces terres étendues dont la

population est éclatée, c’est le gård (ferme, cour de ferme) qui importe plus que le village.
C’est lui qui représente la ville. Le substantif norvégien tun est représentatif de ce
phénomène : il a la même racine que l’anglais town (ville) et l’allemand Zaun (clôture). Le
gård est ainsi un espace délimité et protégé d’un environnement naturel donné mais le tun
peut-être organisé de plusieurs manières différentes. En Norvège, il existe trois tun
différent : l’amas, le rang et le rectangle.
77 Ibid.

45
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

innhengning komplementerer tunet det naturgitte sted, mens typevalget fremstiller


det foreliggende rom. 78

Compte tenu de la singularité du lieu dans son ensemble, le cas de la Norvège


se prête aisément à l’approfondissement de l’organisation des constructions entre
elles. Cependant, l’objet principal de cette étude reste la manifestation du lieu dans
les techniques de la construction scandinave. Nous avons d’ores et déjà décrit les
différents aspects des constructions en bois et il s’agit maintenant de cerner la
manière dont la nature se manifeste dans ce que les norvégiens ont construit et
continuent à construire.

Cette manifestation ne se fait pas exclusivement au travers du matériau de


construction. Bien que le bois soit historiquement et techniquement – isolation,
froid, humidité – le matériau de prédilection des constructions scandinaves,
déterminer la manière dont l’esthétique du lieu se manifeste lors de la construction
d’un bâtiment ne passe pas strictement par l’utilisation d’un matériau extrait du dit
lieu. Les autres matériaux naturels et synthétiques peuvent aussi maintenir et
refléter la nature du lieu entre quatre murs.

Les travaux des deux architectes norvégiens ci-dessous reflètent cette idée
de matérialisation et de réflection de la perception de la nature. Le fait d’intégrer
harmonieusement les constructions dans le lieu se fait automatiquement si le
constructeur écoute, ou plutôt regarde, le message révélé par les formes et les
contours qui l’encerclent. Harmonie et matérialisation opèrent ainsi conjointement
et leur exécution est dans ce cas
réussie.

Lorsque l’on observe ce croquis de


l’architecte Magnus Poulsson la
réalisation architecturale du lieu est

78NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 37. Trad. : En tant que zone démarquée et
protégée, le tun complète l’espace offert par la nature alors que son organisation représente
cet espace.

46
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

évidente. Qu’elle soit en bois ou en pierre, la construction que le lecteur distingue au


dernier plan incarne clairement la tension créée par les parois du fjord.

Cette réalisation inspirée de l’architecture populaire norvégienne, Magnus Poulsson


Magnus
la défend dans de nombreux projets. Ses travaux sont orientés vers la
réappropriation de l’architecture norvégienne populaire du 17ème et 18ème siècle. 79
De même, les loft dont les caractéristiques esthétiques ont déjà été abordées,
incarnent l’âme du lieu. Les poutres horizontales sont un abri et les pièces de bois
verticales rappellent la « tension entre la terre et le ciel » évoquée par Christian
Norberg-Schulz.

C’est aussi ce qu’incarnent les


stabburs, loft et kirker de Jarand
Åsmundsson Rønjom.

Jarand Åsmundson Rønjom, fødd


1750 (nøyaktig fødselsdato er ikkje kjend) i
Åmotsdal i Seljord, Telemark; død 1822
(nøyaktig dødsdato er ikkje kjend) i Seljord,
var ein særprega byggmeister og ein allsidig
kunsthandverkar som dreiv som
klokkemakar, treskjærar, sølvsmed og
rosemålar i Vest-Telemark. […] Ved sida av

79 Store Norske Leksikon. 10 mai 2013. <http://snl.no/Magnus_Poulsson>

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

dei mange stover og stabbur bygde Jarand tre kyrkjer: Åmotsdal kyrkje, Vinje kyrkje
og kyrkja på Rauland. […] Jarand var ikkje berre den gode handverkaren, han var
arkitekt og planleggjar også. 80

Architecte et constructeur populaire norvégien, Jarand Rønjom est détracteur des


techniques de construction qui unissent le lieu au bâtiment. Comme l’auteur l’a fait
remarqué précédemment, le Télémark est, plus que les autres régions de Norvège,
révélatrice de la culture populaire norvégienne. Le Télémark est à la Norvège ce que
le Dalarna est à la Suède. C’est dans ces régions que l’union de la nature au bâtit se
révèle immédiatement au voyageur.

Enfin, ces maisons, églises et constructions en bois ne laissent pas indifférent


l’amateur de littérature scandinave. Elles renvoient directement à l’une des pièces
du plus célèbre des dramaturges norvégiens : Solness le Constructeur de Henrik
Ibsen.

Dans cette pièce Solness est un constructeur, un architecte. Il construit des maisons,
des églises et c’est autour du clocher d’une des ses églises que se construit l’intrigue
du drame. Michel Vittoz résume le thème de Solness le Constructeur au travers d’un
conte perse de Hakim Nâsser Khosrow Ghobâdiâni, philosophe et poète du 11ème
siècle. Alors qu’un aigle se sent assez fort pour toucher le soleil et « atteindre le
centre de la lumière, voir tout ce qui est sur la terre, jusqu'à la plus petite parcelle
du fond des mers » un chasseur manque la cible qu’il visait et atteint l’une des ailes
de l’aigle. Pendant sa chute, l’aigle déloge la flèche de son aile et une fois à terre
soupire : « de quoi nous plaindre puisque nous sommes à l’origine de tous les maux
qui nous atteignent » 81. Ce n’est pas un hasard, si Henrik Ibsen illustre la réalisation

80 Store Norske Leksikon. 10 mai 2013.


<http://snl.no/.nbl_biografi/Jarand_Åsmundsson_Rønjom/utdypning> Trad. : Jarand
Åsmundson Rønjom, né en 1750 (date exact de naissance inconnue) à Åmotsdal, Seljord
dans le Télémark, mort en 1822, était un artisan polyvalent et un « constructeur » dont
l’œuvre incarne le caractère populaire norvégien. Constructeur de clochers, graveur sur
bois, orfèvre et « peintre à la rose » du Vest-Télémark, il bâtit greniers et églises : Åmotsdal,
Vinje kyrkje et Rauland. C’était un « constructeur » et un architecte de renom.
81 VITTOZ, Michel, Décembre 2012, à partir du livret de Solness le Constructeur, mise en

scène Alain Françon, texte français de Michel Vittoz, p,7.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

de soi-même et de ses propos « se réaliser soi-même c’est là, je pense, le plus haut
auquel un homme puisse atteindre. Cette tâche nous l’avons tous. » 82 au travers de
Solness, le constructeur d’église. La tour de l’église en bois de Solness c’est le décor
de la pièce, indispensable à la livraison de la pièce.

Le champ lexical de la pièce est aussi une référence à la nature du Norden et à ce que
représente la Norvège en tant que lieu. Ce que je veux souligner ici c’est
l’omniprésence de la relation qui peut exister entre la nature et la culture. Qu’il
s’agisse de littérature ou d’architecture, l’aire scandinave n’est pas envisageable
sans ce lien.

Le « Sol » de Solness en norvégien veut dire « Soleil », Hilde vient de


Lysanger, là-haut dans les montagnes et « Lys » veut dire « Lumière » et c’est à
Lysanger que Solness, à midi, est monté au sommet de la tour tandis que sa chute se
produit au coucher du soleil d’équinoxe – très exactement le 20 septembre. 83

Comme l’auteur l’a d’ores et déjà défini, la lumière est le deuxième élément
caractéristique du Norden et les références explicites d’Henrik Ibsen à la « lumière
nordique » rappellent qu’il est impossible de définir le Nord sans passer par la
nature et la lumière.

Endelig må vi spørre hvordan arkitekturen kan fastholde det norsk lys. […],
og (vi) har allerede fremholdt at de bare er i vinternatten at himmelen blir stor og
hel, fylt av et « mørkt lys ». 84

Et ce sont bien ces églises en bois, stavekirker, qui maintiennent et reflètent la


lumière du Nord si chère aux scandinaves. L’intérieur des stavekirker est sombre
mais décoré et peint « de roses ». Le Rosemaling retient la lumière et la vie estivale

82 FRANÇON, Alain, mars 2013, à partir de Henrik Ibsen et le problème de l’autoréalisation


dans l’art, BINSWANGER, Ludwig, 1ère éd., De Boeck Supérieur, 1996.
83 VITTOZ, Michel, op. cit. , p. 8.
84 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 39. Trad. : Enfin, nous devons nous demander

comment l’architecture maintient la lumière norvégienne. Et (nous) avons déjà affirmé que
ce n’est que la nuit que le ciel est large et entier, plein de « lumière noire ».

49
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

alors que les mats boisés et la charpente clairsemée de petites lucarnes rondes
illumine l’intérieur sombre et révèle la signification du monde nocturne. 85

Rosemåling og dekorativ måling er synonyme omgrep for den bygdenorske


målarkunsten på 1700-og 1800-talet. Ordet rosemåling var frå gammalt bruk som
fellesnemnar. Både ornamentikk, bildemotiv, marmorering og geometriske mønster
høyrde naturleg med til denne frodige greina av folkekunsten, den rosene, med
akantus og blomar som samarbeidande hovudmotiv, utgjet den viktigaste delen. 86

Cette volonté d’associer l’art de construire au lieu et à ce qu’évoque le lieu


aux occupants d’un édifice est aussi définie par Howard Davis. L’architecte, cite
Christian Norberg-Schulz, et qualifie cette relation par l’expression « The Culture
Context of Building ».

On one hand, buildings exist as stand-alone artifacts and on the other, they
are artifacts that express the deep meanings, aspirations, and social order of a
culture. Like the building culture that produces them, they are at the same time
autonomous and interdepedant with the culture at large.

Just as the motivation for building reinforces cultural tendancies, the


architectural form of buildings reinforces and expresses the aesthetic sensibilities of
the culture as a whole. A culture is characterized by a particular aesthetic sensibility,
over and above the specific building types that are usually ascribed to it ; the crisp
and functional sensibility of Danish design ; the explicitness of parts and
connections in objects manufactured in France ; the precision and clear visual lines

85NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 38.


86ELLINGSGARD, Nils, Norsk Rosemåling – dekorativ måling i folkekunsten, det norske
samlaget, Oslo, 1999, p, 10. Trad. : Rosemåling et dekorativ måling sont des termes
synonymes qui désignent l’art norvégien du 18ème - 19ème siècle de la décoration intérieure
des maisons. Le terme rosemåling ne se limitaient pas aux motifs floraux. Les dessins
imagés, marbrés et les formes géométriques appartenaient naturellement à cette forme
d’art populaire. Les roses et autres formes florales constituent cependant la partie la plus
importante de cette art.

50
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

of things Japanese. The understanding is a tacit one, hard to put into words, but we
know it when we see it. 87

Le schéma constructif des habitations norvégiennes – et scandinaves – est


bien celui évoqué par les deux architectes : les constructions traditionnelles et
contemporaines reflètent la culture du Norden, elle même pénétrée par le lieu et la
nature.

Le « cas » de la Norvège a été traité en premier compte tenu du caractère


spectaculaire du lieu. Les constructions norvégiennes révèlent immédiatement la
continuité de la nature en architecture. La diversité des paysages concentrée au sein
d’un espace uni dote d’exemples concrets le Natur & Kultur scandinave. Le degré de
révélation de la nature dans l’architecture des pays scandinaves sera à partir de
maintenant plus manifeste et transparent.

Encerclée par la Norvège à l’ouest, la Finlande à l’est et le Danemark au sud,


la Suède est située au centre du monde nordique. La Suède est un rappel des
éléments qui unissent le Norden : les montagnes du Dalarna évoquent le « rocher »
norvégien, les forêts du Norrland rappellent les bois de Finlande et les contours des
plaines de Scanie réveillent le paysage danois. De cette diversité est née une
tradition architecturale propre aux Suédois. Comme le souligne Christian Norberg-
Schulz, les formes et les contours ne sont jamais exclusivement locales mais
représente une synthèse « des possibilités de base ».

Vel, en grunnform er aldri utelukkende lokalt betinget, men representerer


en spesiell syntese av grunn-leggende muligheter.

87DAVIS, Howard, The Culture of Building, Oxford University Press, New York, 1999, p, 95.
Trad. : Les bâtiments existent en tant qu’éléments autonomes mais ce sont aussi des
éléments qui expriment le sens profond, les aspirations et l’ordre social d’une culture
donnée. Ils sont, comme les techniques de construction dont ils sont issus, à la fois
autosuffisants et dépendants de leur culture au sens large. Comme les besoins auxquels
répond le processus de construction, les formes des bâtiments renforcent les valeurs
esthétiques d’une culture en tant que tel. Chaque culture est caractérisée par une sensibilité
esthétique et l’architecture issue de l’aire culturelle en question est assujettie à celle ci :
subtilité et fonctionnalisme danois, détail français, précision et netteté japonaise. Difficiles à
définir, ces traits sont plus ou moins compris de tous.

51
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Men da den er syntetisk, virker den umiddelbart « hjemlig ». 88

Ainsi, les bases architecturales d’un endroit sont fréquemment le résultat de


l’influence général du lieu. Compte tenu de la localisation géographique de la Suède,
les formes suédoises sont communes à la scandinave mais ponctuées de détails
révélateurs. Le fragment le plus emblématique des traditions architecturales
suédoises est un toit mansardé (gambrel en anglais, brutet tak ou mansardtak en
suédois), marque de fabrique des migrants suédois en Amérique du Nord. Il souligne
« l’espace fermé ». 89

Moins spectaculaire mais tout aussi essentiel, la plastique des paysages


danois et finlandais est indissociable de l’identité culturelle des ces deux autres pays
du Norden. L’impact du lieu sur les formes et les techniques de construction au
Danemark et en Finlande est plus subtil mais constitue toujours une partie
intégrante du travail des architectes. Séparés par la mer Baltique, les paysages
danois et finlandais ont pourtant un point commun : la topologie du terrain. Elle est
à la fois uniforme au Danemark et en Finlande mais différente à cause des formes de
l’environnement.

Det fremgår av vår beskrivelse at Finland ikke omfatter så forskjelligartede


landsdeler som Norge, eller Sverige for den saks skyld. Det er langt mer ensartet, og
forsåvidt beslektet med Danmark, dog med vesentlige forskjell at
omverdenskarakteren er helt annen ! 90

Le Danemark est à la fois un petit et un grand pays, petit à cause de sa


superficie mais grand grâce aux quelques 500 iles qui le bordent. Le pays par lequel
on entre ou sort du Norden s’inspire lui aussi de la nature du lieu en architecture.

88 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 41. Trad. : Une forme de base n’est jamais

conditionnée localement mais représente une synthèse des possibilités de base. C’est parce
qu’elle est synthétique qu’elle est immédiatement familière.
89 Ibid.
90 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 43. Trad. : Il en ressort que la Finlande ne possède

pas autant de différences régionales que la Norvège ou la Suède. Le pays est bien plus
uniforme est ainsi semblable au Danemark mais cependant doté d’un environnement très
différent.

52
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

L’approche architecturale est clairement inspirée par la sensation de proximité


qu’évoque la nature danoise. Plaines ouvertes et vastes espaces côtiers se
manifestent dans les formes architecturales du pays. Ces caractéristiques
esthétiques sont encore plus perceptibles dans le design danois, art dans lequel les
danois (et les scandinaves) sont désormais mondialement reconnus. Décorer son
intérieur est devenue l’une des occupations majeures de français certes, mais « ce
gout pour la décoration est relativement nouveau en France alors cela fait belle
lurette que les scandinaves ont compris qu’un logis plus beau était forcement plus
chaud ». 91Ainsi, le design danois incarne les valeurs de la nature, de la proximité
qu’entretiennent les danois avec celle-ci. Lotte Sillehoved, architecte d’intérieur
danoise, remarque que ces valeurs sont incarnées par le fonctionnalisme danois.
Courant architecturale très nordique, il reflète la manière avec laquelle il est
possible de combiner nature, vie moderne et vie urbaine. Ces formes sont aussi
l’incarnation des valeurs du modèle politique de bien être scandinave. Les
architectes et les designers sont partis prenantes de la social-démocratie et ont su
produire les objets et les bâtiments qui reflètent cette idée du « bien être de
chacun ».

Cette vision de l’architecture est aussi mise en avant par l’architecte danoise
Dorte Mandrup qui par le biais des ses constructions collectives met en avant
l’importance de l’interactivité entre le bâtiment et le lieu. Ainsi l’espace en hauteur
de la Kvarterhuset de la Jemtelandsgade à Cophenhague dont la charpente apparente
reflète la lumière parfois absente en Scandinavie, fait rimer architecture avec nature
et matérialise la dépendance des formes au lieu.

Pour Dorte Mandrup, le plus beau compliment que l’on puisse faire à un architecte
c’est lui dire que l’on a compris les lieux que l’on occupe. 92

91 France 3, D’ANGELY Olivier et AUGER Véronique, 2012. « La déco en Europe », émission


de la série Avenue de l’Europe, Paris.
92 Arte, DE NADAILLAC Laure, 2005. « Danemark : Architecture et Liberté », émissions de la

série Chic!, Paris, Issy les Moulineaux.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Copenhague est une ville où les architectes déploient des trésors de


modernité et leurs créations sont « entièrement tournées vers la mer, la nature et la
ville. » 93 Dans le quartier de la bibliothèque, un nouveau quartier d’habitation a été
crée. Bien que très modernes et éloigné des petites maisons scandinaves à
l’ambiance chaleureuse, les nouvelles formes d’habitation sont tout autant
connectées à la nature que le sont les formes architecturales anciennes. Les
appartements lumineux sont orientés vers le lieu grâce aux très nombreuses baies
vitrées qui donnent sur les canaux de Copenhague. Les occupants de ces nouveaux
appartements soulignent l’impact positif qu’exerce la proximité visuelle de l’eau du
port. Cette proximité crée de l’harmonie. Tout aussi surprenant, les projets
architecturaux de l’architecte danois Bjarke Ingels. L’immeuble VM (en forme de V et
de M) est un bâtiment dont les appartements bénéficient d’une vue sur le paysage
sans vis à vis : « des appartements très ouverts qui laissent rentrer la nature dans
l’habitat.» 94 Ainsi, l’architecture danoise est bien à l’image de ses habitants,
audacieuse, communautaire, ouverte sur les autres et sur la nature. 95

La Finlande est quand à elle, selon les propos de Christian Norber-Schulz, le


plus nordique des pays nordiques. C’est pour cela que la Finlande clôture cette
réflexion sur la place de la nature et du lieu dans les formes et les techniques des
constructions scandinaves.

Finland har ingen daler og i det indre ingen åpne sletter ; her har baken
topologisk sammenheng uten begynnelse og ende. 96

Puisque que le Norden est défini en tant que lieu inachevé, un espace dans
lequel le lien entre nature et les Hommes doit constamment être maintenu, les

93 Arte, PERDRIAU Tania, 2005. « Danemark : Architecture et Liberté », émissions de la série


Chic!, Paris, Issy les Moulineaux.
94 Arte, PERDRIAU Tania, 2005. « Danemark : Architecture et Liberté », émissions de la série

Chic!, Paris, Issy les Moulineaux.


95 Ibid.
96 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit., p, 43. Trad. : La Finlande n’a pas de vallées, pas de

plaines. Ici, le lieu est continu, sans commencement ni fin. L’eau et la terre sont séparées
mais constamment reliées.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

architectes finlandais ont su tirer le meilleur parti de cette relation complexe entre
le lieu naturel « donné » et l’espace artificiel construit. La dépendance entre les
habitants de la Finlande et la nature a été (re)révélée dès l’entre deux guerres par
l’un des architectes les plus célèbres du Norden : Alvar Aalto. Architecte
contemporain, il a su révéler l’espace finlandais et ses formes au travers de ses
constructions et est ainsi devenu une figure importante du « new regionalism ».
Pour l’architecte Kenneth Frampton, auteur de « Towards a Critical Regionalism : Six
points of an architecture of résistance » c’est l’une des figures clefs de l’architecture
contemporaine. Le régionalisme critique est essentiel pour les enjeux de la
construction individuelle et collective contemporaine : savoir combiner modernité
et traditions. Enjeux que l’on retrouve dans de nombreuses autres
sphères artistiques, politiques voir même économiques. Cette volonté de vouloir
respecter la topologie du terrain, les propriétés physiques du lieu tout en sachant
être moderne est incarnée par les murs de la mairie de Säynätsalo dessinée par
Alvar Aalto.

La mairie du village de Säynätsalo dont l’économie est clairement basée sur


l’exploitation sylvicole de la région est en briques rouges et repose au milieu des
bois. Malgré l’utilisation d’un autre matériau que le bois, les formes, les contours
ainsi que les contours du complexe s’intègrent parfaitement dans le lieu. La
composition de l’architecte reflète clairement une volonté d’organisation naturelle
des volumes pour ne jamais rompre avec l’harmonie du lieu.

La ville de Säynätsalo est noyée dans la forêt. […] Pour Alvar Aalto l’enjeux
est double : affirmer la supériorité des bâtiments civiques sur les bâtiments
commerciaux […] et bâtir au milieu des arbres un monument urbain inspiré par la
cité idéale de l’Italie de la Renaissance. Alvar Aalto : - « La Finlande centrale me
rappelle souvent la Toscane, le berceau des villes construites sur les collines. Pour
moi, la ville sur une colline est devenue une religion, une maladie, une folie. La ville
sur la colline est la plus pure des formes, la forme unique et naturelle de l’urbanité. »
[…] Alvar Aalto crée une colline artificielle qu’il entoure de quatre corps de
bâtiment. Il aplanie ce monticule et constitue un patio central surélevé. Une tour

55
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

carrée surplombe ce quadrilatère. […]Du coté de la grande rue, un large escalier de


granite, l’entrée majestueuse des locaux de l’hôtel de ville, de l’autre coté un escalier
de terre planté d’herbe. AA : - « Un bâtiment est comme un instrument, il doit
absorber toutes les influences positives et intercepter toutes les influences
négatives qui pourraient affecter l’homme. Un bâtiment ne peut atteindre ce but que
si il est nuancé avec autant de finesse que l’environnement dans lequel il se dresse. »
[…] (À Säynätsalo) L’architecte n’édifie pas seulement un fragment de ville, il
construit un paysage où la nature compte autant que le bâti. […] Pour Alvar Aalto, la
nature et le bâtiment sont les deux ingrédients d’un seul paysage, ils ne s’opposent
pas, ils sont perméables, ils composent. Par les matériaux et les couleurs bien sûr,
mais aussi dans la progression des espaces. Alvar Aalto fait du land art avant la
lettre, une savante gradation de la nature. La forêt est gardée dans son état d’origine
qui entoure le centre communal, l’escalier, d’herbe et de terre qui invente une
nature maitrisée. Le patio plantée de gazon avec les deux pavages de briques. Le
bassin qui rappelle le lac. Et pour finir, les plantes en pot qui créent un jardin d’hiver
dans les deux couloirs qui longent le patio. Ces couloirs largement ouverts à
l’extérieur permettent aux citoyens d’accéder aux bureaux de la mairie. C’est un
espace public généreux, protégée du vent, de la neige et du froid. 97

Comme le constate le lecteur, la mairie de Säynätsalo illustre les outils dont


disposent les architectes pour bâtir en harmonie avec le lieu et la nature. Cette
harmonie que ressentent les occupants du lieu, ceux qui le traversent, le visitent ou
l’investissent temporairement est une répercussion immédiate de la qualité de
l’exécution du travail de l’architecte et du constructeur. La constatation visuelle de
l’harmonie fait partie intégrante de la construction de l’harmonie dont ont besoin
les occupants du lieu. Harmonie qu’ils véhiculent par la suite au sein du groupe.

Architecture et écologie

97Arte, COPANS Richard, NEUMANN STAN, HORN Olivier, COMPAIN Frédéric, ADDA
Catherine, 2003. « Le centre municipal de Säynätsala», émissions de la série Architecture =
Baukunst, Paris, Issy les Moulineaux.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Être en harmonie avec la nature est donc l’un des éléments le plus important
du cahier des charges de l’architecte scandinave. Ce rapprochement résulte des
spécificités du lieu du Norden. La singularité des caractéristiques esthétiques et
naturelles des paysages d’Europe du Nord est à l’origine de l’identité culturelle et
architecturale scandinave.

Bien que le sujet de cette étude repose essentiellement sur les traits architecturaux
scandinaves, l’approche à 360 degrés présentée dans l’introduction renvoie le
voyageur européen à une perspective plus large du sujet traité : Est-ce uniquement
l’architecture qui parvient à maintenir le rapprochement du citoyen scandinave à la
nature? Cette question ouvre la voie à une approche plus large de l’étude du rapport
qu’entretiennent les scandinaves avec la nature. Les champs d’application liés à la
sensibilité environnementale des pays d’Europe du Nord sont nombreux et une
brève approche historique du cas scandinave permettra au lecteur de mieux
comprendre l’interpénétration des problématiques liées à la préservation du lien
entre les citoyens et la nature au delà de la question architecturale.

La préservation du lieu, une préoccupation historique.

Au 19ème siècle, le peuple et la nature scandinave captivaient déjà les


historiens et scientifiques. Cet intérêt peut être considéré comme étant le début des
préoccupations environnementales liées à l’agriculture, aux forêts, à la préservation
de l’eau et des paysages. Des décennies se sont écoulées avant que la légitimité
environnementale scandinave ne soit affirmée en 1972 lors de la participation
active de la Suède à la conférence environnementale des Nations Unies et en 1987
lors de la parution du rapport du ministre norvégien Gro Harlem Brundtland, « Our
Common Future ». Cet attachement historique à la volonté de préserver le lieu et
l’héritage de la nature est l’une des caractéristiques principales de l’aire culturelle
scandinave et des méthodes de construction de pays du Norden. Situer dans le
temps l’aventure environnementale scandinave et le passage de la préservation de
la nature à ce que l’on appelle aujourd’hui, souvent à tort, « le développement

57
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

durable » est indispensable au lecteur pour envisager dans sa globalité l’étendue de


l’équation « Natur & Kultur ».

La situation environnementale actuelle ne descend pas des revendications


sociales et environnementales des années 70.

Contrairement à ce que l’industrie de la communication et du


divertissement, cinéma et système d’éducation accouplé, laisse supposer au public,
le sentiment et la pensée de la nature ne sont pas nés dans les années 1970. 98

Le terme adopté en réaction au début de l’industrialisation des sociétés reflète plus


une volonté de protéger la nature plutôt que de combiner le développement
économique et la sauvegarde des ressources. La Scandinavie a été très rapidement
influencée par le modèle allemand du botaniste Hugo Conwentz, plutôt que par les
modèles américains de Gifford Pinchot ou de John Muir. Ce modèle s’est répandu
pendant le second empire germanique et les recommandations de Hugo Conwentz
sont directement influencées par l’industrialisation éclaire de l’Allemagne et par la
construction de l’état nation allemand :

- La nature doit être protégée pour des raisons « récréatives ».


- Les espèces menacées doivent être protégées pour des raisons morales et
scientifiques.
- La nature bafouée mine la loyauté du peuple envers la nation allemande.
- La pollution industrielle met en danger la santé du peuple allemand.
- Toutes les générations ont un devoir moral vis à vis des générations
futures. 99

Jusqu’à ce qu’éclate la deuxième guerre mondiale, institutions privées et


gouvernementales, telle la ligue de préservation de la nature de Bavière, sont nées

CORNUAULT Joël, Thoreau, Dandy crotté, Éditions du Sandre, Paris, 2013, p. 59.
98
99WHITET Tamara, Northern Europe : An Environmental History, ABC Clio, Nature and
Human Societies, Santa Barbara, Californie, 2005, p, 189.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

de ces nouvelles revendications. Institutions pour la plupart composées de


scientifiques et de membres de la nouvelle classe moyenne allemande.

En Scandinavie, les recommandations pratiques de Conwentz n’ont pas


toutes été suivies à la lettre mais les revendications essentielles du scientifique
allemand ont trouvé échos : création de la société suédoise et norvégienne pour la
préservation de la nature respectivement en 1908 et 1914 et ouverture de neufs
parcs nationaux en Suède en 1909 – décisions allant à l’encontre des consignes de
Conwentz pour qui la protection de certains panoramas et de certaines espèces
végétales étaient plus concrètes que la création de grands parcs protégés. En
Norvège, pour des raisons liées à la croissance économique du pays, la décision
d’ouvrir un parc national ne fut pas aussi immédiate qu’en Suède mais les
répercussions négatives des croisières le long de la côte norvégienne ont éveillé les
consciences environnementales et … politiques des Norvégiens. Comme en Suède –
où faire de chaque citoyen un ambassadeur de la nature sauvage suédoise fut aussi
un moyen de limiter l’émigration galopante du début du siècle – et en Allemagne, la
protection des paysages naturelles pénétra la vie politiques norvégienne : la
sauvegarde de la nature fait partie intégrante de la construction d’un état nation et
de son rayonnement culturel.

Following these events in the northern part of Norway, scientists advocated


new nature conservation initiatives. Like their German and Swedish counterparts
they viewed nature conservation as part of the construction of nation’s culture and
civilization. 100

L’avancée environnementale significative date en Norvège de 1910 lorsque le


gouvernement norvégien signa den første loven om naturfredning 101 qui autorise le

100 WHITET Tamara, Northern Europe : An Environmental History, op. cit., p, 191. Trad. : À la
suite de ces événements dans le nord de la Norvège, des scientifiques ont pensé à nouvelles
initiatives relatives à la préservation de la nature. Comme leurs homologues allemands et
suédois, ils envisagèrent la persévération des espaces naturels comme partie intégrante de
la construction de l’identité culturelle du pays.
101 Trad. : première loi relative à la protection de la nature.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

roi à décréter comme protégées différentes zones dont la faune et la flore doivent
être sauvegardées.

L’interdépendance des revendications politiques et environnementales est


aussi essentielle dans la naissance de l’identité finlandaise. Déchirée à l’Est par les
velléités expansionnistes russes et à l’Ouest par les colonies suédoises, les
Finlandais se sont alliés à la protection de la nature de leur pays pour lutter contre
la russification de leur identité culturelle. L’une des figures de proue de cette
mouvance liée au désir d’indépendance finlandaise est le professeur d’histoire Ernst
G. Palmén.

Au Danemark, les revendications environnementales ont, comme les


spécificités architecturales, des origines différentes qu’en Norvège et en Suède. Plus
proche géographiquement de l’Allemagne, les danois ont profité à plusieurs reprises
des interventions de Conwentz lors de plusieurs rassemblements universitaires et
politiques. Frappé par la déforestation causée par l’industrialisation du pays, le
Danemark et les quotidiens danois de tous bords relayèrent les propos de
Conwentz : le journal Politiken, défenseur des valeurs sociale-démocrates, défend la
préservation et l’accès publique aux côtes et aux forêts danoises alors que le
quotidien plus conservateur Berlingske Tidende rappelle que la protection de la
nature ne doit pas être un frein au développement économique du pays. 102

L’entre deux guerres marque une période de ralentissement pour les


mouvements défenseurs de la protection du lieu. En Allemagne et au Danemark, les
revendications environnementales furent récupérées par les idéologies populistes.
Assimilée aux partis réactionnaires et aux mouvances national romantiques
allemandes, la protection de la nature représente pour une majeure partie de la
population un ennemi politique. Les associations de défense de la nature restèrent
élitistes et certaines, comme celle de Norvège, eurent à leurs commandes des
dirigeants nazis. Il faudra attendre la fin de la deuxième guerre mondiale et les

102 WHITET Tamara, Northern Europe : An Environmental History,p, 193.

60
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

années 50 avant que quelques voix ne se manifestent à nouveaux et réincarnent le


désir de maintenir le lien entre les citoyens et la nature.

Ces voix s’élevèrent en Scandinavie et aux Etats-Unis : Georg Borgström,


Rachel Carson (Silent Spring, 1962), Hans Palmstierna (Plundring, svätt, förgiftning,
1967), Rolf Edberg (Spillran av et moln, 1966). Ce n’est qu’à partir des années 1960
que le mouvement de sauvegarde de la nature fut entièrement revitalisé. C’est aussi
à cette période que certains scientifiques et politiciens commencent à employer le
terme de « protection de l’environnement » dont le sens est plus large : la science
des rapports qu’entretiennent les humains avec la nature et la santé.

En Suède, Hans Palmstierna fut l’évêque d’une approche à la fois scientifique,


anthropocentriste et politique : l’espèce humaine menacée par la pollution et par
une démographie galopante doit avoir foi en l’état. L’État social-démocrate est la
seule force capable de faire face aux problèmes environnementaux du monde
moderne. Cette démarche entame le rapprochement « scientificopolitique »
suédois : l’approche environnementale scandinave est basée sur la relation
complémentaire des politiciens et des scientifiques. L’influence de Hans Palmstierna
fut matérialisée en 1967 par la création du Naturvårdsverket (SEPA, Swedish
Environmental Protection Agency).

Membre du parlement norvégien, Rolf Edberg ne suit pas la voie de


Palmstierna et ne défend pas le rapport entretenu par la sociaux-démocrates avec le
développement des nouvelles technologies dans le but de réformer les pratiques
nuisibles à l’environnement des espèces. La vision d’Edberg, bien plus « globale »,
reçue plus d’attention de la part des politiciens suédois quelques années plus tard.

Enfin, l’un des acteurs incontournables de la scène environnementale


scandinave et mondiale est le philosophe Arne Næss, fondateur de la « Deep
Ecology » (écologie profonde) et membre de différentes ONG impliquées dans la
défense des cours et chutes d’eau en Norvège. Son ouvrage Økologi, Samfunn of
livstil et son article « The Shallow and the Deep, Long Range Ecology Movement : A

61
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Summary » publié en 1973 sont les références du biocentrisme et de « l’écologie


profonde » introduite en France par Catherine Larrère en 1997.

Le terme d’ « écologie profonde » a été utilisé pour la première fois dans l’article de
1973. En opposant l’écologie profonde à l’écologie superficielle, Arne Næss oriente le
lecteur vers une nouvelle dimension de l’écologie éloignées de celle qui défend la
santé et l’opulence des pays développés. Sensibiliser le lecteur à cette opposition a
pour but d’orienter la lecture des parties précédentes et suivantes de cette étude :
l’architecture et la construction peuvent et doivent s’inscrire dans une logique
profonde, celle du « rejet de l’homme-au-sein-de-l’environnement ». 103

L’une des raisons pour laquelle « l’école » d’Arne Næss intéressera le lecteur
de cette étude réside, entre autres, dans son approche citoyenne.

Donner au progrès de nouveaux objectifs implique de mieux comprendre le


fonctionnement de cette machinerie, (la crise incontrôlée, l’incapacité des sciences
écologiques à dénoncer un processus tel que le lessivage des sols des forêts
tropicales) tâche à laquelle doivent s’atteler non seulement les élites au pouvoir,
mais aussi de manière plus générale les citoyens. Ces derniers devraient participer
autant que possible à la fois à la formation d’objectifs nouveaux et à l’élaboration
des moyens permettant de les atteindre. 104

La participation du citoyen dans « l’invention » d’une nouvelle forme de


perception de la terre est indispensable à la réalisation de l’harmonie entre les
hommes et la nature.

Trois éléments caractérisent l’entrée de nos sociétés modernes dans


« l’environnementalisme moderne » : la parution en 1962 de Silent Spring de Rachel
Carson, la conférence des Nations Unies sur l’environnement, aussi connue sous le
nom de conférence de Stockholm de 1972 et la crise nées des chocs pétroliers qui

103 NÆSS, Arne, The Shallow and the deep. Long-range ecology movements. A summary,
traduction d’Hicham-Stéphane Afeissa Le superficiel et le profond. Le mouvement écologique
de longue portée. Un résumé, dans Éthique de l’environnement, Paris, Vrin, 2007, p. 51-60.
104 NÆSS, Arne, Écologie, Communauté et Style de Vie, Éditions Dehors, Bellevaux, 2013.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

démontre que la croissance économique n’est pas le remède à tous les maux. 105En
Suède, le retour au pouvoir des sociaux-démocrates est en partie du au programme
environnemental du parti. Programme basé sur la protection de l’air et de l’eau, le
contrôle des émissions chimiques, le recyclage et la sauvegarde de l’environnement
naturel suédois.

L’ampleur des revendications environnementales des norvégiens déborda sur le


débat de l’adhésion de la Norvège à l’Union européenne : effrayés par les lobbies
industriels et par la pression de l’urbanisation sur la diversité de l’habitat et des
ressources de leur pays, les norvégiens disent non à l’entrée dans l’UE en 1972.
Parallèlement aux débats pro- et eurosceptiques de ‘72, les norvégiens
s’exprimèrent aussi sur le développement de l’énergie nucléaire.

Le terme « développement durable » pris les proportions que le lecteur


connait dans les années 80 lors de la publication du rapport de la commission
Brundtland. Avec ce rapport, l’idée d’une gérance globale vit le jour. Cette nouvelle
direction vise à orienter les décisions vers des objectifs à long terme, une plus
grande coopération des pays industrialisés avec les pays émergents et une
articulation tri partite (écologique, sociale et économique) des politiques
environnementales. La publication de ce rapport semble être le prologue aux
mesures environnementales que vont prendre les pays scandinaves dans les années
90 : la coalition gouvernementale de tous les partis du parlement en 1991 a donné
naissance au miljöbalken 106 (The Swedish Environmental Code) appliqué le 1er janvier
1999 et la participation du pays au sommet de la Terre à Rio en 1992 souligne son
statut de meneur mondial en ce qui concerne les problématiques
environnementales actuelles.

La participation de tous les gouvernements locaux suédois à la mise en


œuvre des agendas 21 locaux est un exemple de la détermination de l’ensemble de

105 WHITET Tamara, Northern Europe : An Environmental History, op. cit., p, 198
106Sveriges Riksdag, 26 mai 2013, http://www.riksdagen.se/sv/Dokument-
Lagar/Lagar/Svenskforfattningssamling/Miljobalk-1998808_sfs-1998-808/

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

la population face aux enjeux énergétiques et environnementaux du 21ème siècle.


L’Agenda 21 ou Action 21 est un plan d’action adopté lors du sommet de Rio qui
accentue le rôle des collectivités territoriales et locales (Agenda 21 local) dans le
développement des projets concrets liés au développement rationnelle des activités
économiques, sociales, culturelles et environnementales.

Three years after Rio, more than a half of Swedish muninipalities had
employed so-called LA21 coordinators. They organized information campaigns
about Agenda 21, gave seminars or courses, and launched such projects as free
buses or environmentally friendly tourism. Many municipalities soon introduced a
range of activities relating to environmental education and new forms of
participation. Major fiscal innovations have helped promote energy efficiency and
increased use of renewable recourses, in line with efforts to create new jobs. […] As
in Sweden and Norway, the Finns have focused on sustainable development at the
local level. The LA21 process has been crucial in Finland, as in the other
Scandinavian countries, and in order to stimulate LA21 work, the environmental
administration underwent reforms in 1995. Regional authorities acquired more
responsibility in supporting municipalities seeking to integrate environmental
concerns. More than 60 percent of all municipalities have initiated an LA21 process,
but of course the level of activity varies. 107

Lorsqu’en en 1994, le premier ministre Göran Persson déclare que la Suède


doit être considéré comme un modèle de la construction d’une société fondée sur le

107 WHITET Tamara, Northern Europe : An Environmental History, op. cit., p. 201. Trad. :
Trois ans après la conférence de Rio, plus de la moitié des municipalités suédois avaient
employé des coordinateurs LA21. Ces coordinateurs organisèrent des séminaires et des
formations articulées autour de l’agenda 21 et lancèrent des campagnes environnementales
telle que la mise à disposition gratuite des transports en commun et incitèrent à la
promulgation du tourisme « responsable ». De nombreuses villes prirent part à
l’information et à l’éducation de la population en matière d’écologie. De nombreuses
innovations fiscales permettent désormais les économies d’énergie, l’utilisation des
énergies renouvelables et la création d’emploi. Les Finlandais ont, comme les Suédois et les
Norvégiens, aussi lancer la réforme environnementale à l’échelle locale. Le processus LA21
a été crucial dans l’élaboration de cette réforme et des restructurations administratives ont
été adoptées dès 1995. La marge de manœuvre des autorités régionales a été élargie pour
permettre aux municipalités d’être plus autonome face aux problématiques
environnementales. Plus de soixante pourcent des communes ont lancé le processus LA21
mais le niveau d’application peut parfois varier.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

développement d’un environnement durable, il réaffirme l’une des valeurs de la


social-démocratie suédoise : celle de servir d’exemple. Une telle annonce rappelle le
fait que la société de bien être est indissociable des politiques environnementales,
de la protection de la biodiversité et d’un développement économique contrôlé et
raisonnable.

Ces mesures politiques ne font pas de la Scandinavie une société


anticonsumériste à la limite de la décroissance. Comme dans toutes les sociétés de
consommation, la plupart des actions environnementales sont des mesures
politiques inculquées par « le haut ». Malgré cette contradiction, la Scandinavie reste
en avance sur le reste de l’Europe et bénéficie d’une société civile politiquement
active qui facilite la création rapide d’institutions environnementales. La flexibilité
des administrations scandinaves favorise l’assimilation des enjeux
environnementaux par la population et la classe politique.

Vie urbaine scandinave et harmonie avec la nature

Alors que l’on parle aujourd’hui en France de démocratie participative, la


contribution de la population scandinave au maintien du lien qui unit le citoyen à la
nature est visible que l’on se trouve en ville ou en zone rurale. Le fait que l’agenda
21 local soit mis en œuvre par la totalité des collectivités locales en Suède et par
plus de 70% des collectivités au Danemark rapproche le citoyen des décisions
gouvernementales et permet à celui-ci de s’associer d’avantage aux changements et
aux évolutions de la ville, des quartiers et de son lieu d’habitation. Il est ainsi
membre « d'un public actif, capable de déployer une capacité d'enquête et de
rechercher lui-même une solution adaptée à ses problèmes ». 108Il n’est pas étonnant
que le cadre de vie des scandinaves soit l’un des aspects du nord de l’Europe les plus
évoqués à l’étranger : aménagement du territoire, urbanisme, environnement, le
caractère local des politiques scandinaves est révélateur de l’aspiration de la

108 DEWEY, John, Le Public et ses problèmes, Gallimard, Paris, 2010.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

population à sa participation à la construction du lieu dans lequel le lien avec la


nature est maintenu.

Le lecteur a découvert jusqu’à présent les raisons et les manifestations de la


continuité du lien qui unit le citoyen scandinave aux caractéristiques physiques du
lieu et c’est surtout au travers d’images rurales et bucoliques qu’a été définie
l’architecture scandinave. Bien que moins densément peuplée que le « reste » de
l’Europe, la Scandinavie compte plusieurs grandes villes dont les activités
participent au rayonnement culturel des pays qu’elles représentent. Le maintient du
lien « Natur & Kultur » n’est pas un privilège du monde rural. Il est tout aussi fort et
influant à la campagne qu’en ville, où la modernité côtoie les traditions et
l’attachement des scandinaves à leur nature.

La ville de Stockholm et la topographie du lieu stockholmois illustrent très


exactement l’importance qu’accordent les citadins à leur cadre de vie et donc à la
préservation du lieu qu’ils occupent.

L’extension de Stockholm pose des difficultés sérieuses de communications,


à cause de la topographie du lieu. En effet, l’agglomération stockholmoise est
construite sur un archipel sillonné par un delta de cours d’eau importants. Le centre
de la ville est le théâtre d’une concentration intense de la circulation, exigeant des
voies coûteuses qui détruisent lentement – mais surement, hélas – le trésor
historique et architectural du vieux Stockholm. 109

C’est à partir de cette particularité esthétique de la ville de Stockholm que l’auteur


compte démontrer qu’en ville, préserver le lien qui unit l’Homme, les citoyens et le
bâtisseur à la nature est concevable.

« C’est que la nature – arbres et rochers mis en valeur, perspective d’une


nappe d’eau ou d’un rideau forestier – y est l’élément architectural dominant. ».

CIMON, Jean, Suède, pays de l’urbanisme, Les presses universitaires Laval, Québec,
109

Canada, 1955, p. 38.

66
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

« Cette sensation de repos, de fraîcheur et d’harmonie qu’on ressent dans la plupart


des quartiers d’habitation du nouveau Stockholm, s’implante par une implantation
« instinctive » des bâtiments, implantation qui s’harmonise d’instinct avec le
paysage environnant et avec la topographie immédiate du terrain ».

« Le sol à Stockholm est rocheux et accidenté et les Suédois savent en tirer parti
pour créer de la beauté. Le nouveau Stockholm – situé à la périphérie immédiate des
quartiers centraux de Norrmalm, Södermalm et Kungholmen – compte à peine 3 ou
4 types d’immeubles collectifs standardisés et malgré cette uniformité peut-être
poussée trop loin, les urbanistes ont réussi le plus souvent à éviter la monotonie et
la banalité dans ces nouveaux quartiers immergés volontairement dans les forêts de
conifères qui entourent le centre de la ville ».

« Espace, verdure, calme, air pur et sensation de bien-être sont le lot quotidien des
familles habitant les maison-lamelles de la périphérie de Stockholm.

« Whatever criticisms may be levelled at Swedish housing – and this invariablitity


centers and overcrowding – the indubitable fact remains that Sweden has provided
its citizens with a higher standard of multiple dwelling than any other country in the
world.».

« Sweden housing, in spite of its repute, has not reached its position by sole virtue of
its architectural excellence. Whereas much of it is very capably designed, the
majority is only well designed in a relatively standardized pattern. Its excellence lies
in the intégration of housing and planning, in the building and land policy. Only an
enthusiastic program of municipal land ownership, extending back almost fifty
years, has made possible the housing position of Sweden today. This as the major
cities grew (Stockholm has approximately doubled in population since the policy
was inaugurated), there was always land available, with superb, water-laced, tree-
filled natural settings preserved unspoiled ». 110

KIDDER SMITH, G.E, Sweden builds, The Architectural Press, London & Albert Bonnier,
110

New York & Stockholm, 1950.

67
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

« D’où vient cette qualité majeure de l’urbanisme suédois ? Pour moi, elle est
l’extériorisation d’un amour profond et raisonné de la nature, amour qui existe non
seulement chez les urbanistes, mais chez le peuple suédois tout entier ». 111

Ces citations du sociologue-urbaniste canadien Jean Cimon illustrent mieux que des
photos le cadre de vie des stockholmois. Le lecteur saisit immédiatement
l’omniprésence d’éléments naturels « gardés » et la manière dont ils s’intègrent dans
les plans de la ville. L’ouvrage de George Everard Kidder Smith Stockholm Builds,
issu d’une série de livres sur l’étude du modernisme architectural de quelques
« aires » représentatives, insiste lui aussi sur la « disponibilité » d’éléments naturels
lors de l’extension de l’agglomération stockholmoise. Alors que la ville de Stockholm
continue de s’agrandir, les urbanistes suédois incorporent la nature dans leurs
cahiers des charges.

C’est peut-être cette sensibilité « naturelle » que le classicisme sud européen


tend à laisser de coté lors des réaménagements des villes et des quartiers. Poussées
par la nécessité de construire vite pour loger les victimes de la seconde guerre
mondiale, les urbanistes et architectes du « sud » ont toujours tendance à travailler
dans la continuité de la reconstruction d’après-guerre. Les agglomérations
continuent à s’étendre en Europe et il en est de même sur la quasi-totalité du globe.
Hélas, beaucoup de projets continuent « l’écueil si fréquent de la monotonie, de la
laideur et d’une mauvaise orientation ». 112 C’est ce que l’architecte Le Corbusier
appelle l’ «immense gaspillage des temps modernes ».

« Voici la petite maison et son petit jardin : « mon chez moi ». Il suffit de
beaucoup de territoire et d’une infinité kilométrique de routes, de tramways, de bus,
de métros, de canalisations de toutes sortes, de cantonniers, de policiers. Multipliez
par 10 000 ou 100 000, et vous avez l’immense gaspillage des temps modernes. Et

111 CIMON, Jean, Suède, pays de l’urbanisme, Les presses universitaires Laval, Québec,
Canada, 1955, p. 23.
112 CIMON, Jean, Suède, pays de l’urbanisme, op. cit., p. 29.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

cela coûte combien ? Et les heures de trajet des banlieusards font tant plaisir, on le
sait ! » 113

En tant qu’expert, Jean Cimon rappelle les qualités d’un bon urbaniste. Un
parfait urbaniste doit s’avoir se faire oublier pour que l’occupant des lieux ressente
l’harmonie qui l’unit à son milieu. Ce que Christian Norberg-Schulz définit comme le
« maintien » de la nature en architecture, Jean Cimon le définit en tant qu’harmonie.
Pour les urbanistes, les architectes et aussi pour le lecteur, habitant des villes, des
campagnes et autochtone du lieu, cet harmonie est un critère difficile à quantifier
mais pourtant facile à cerner. Les notions d’harmonie et de maintient sont
impalpables mais semblent être pourtant universelle.

Comme le lecteur vient de le voir, le « chez soi » ne se limite pas uniquement


aux quatre murs d’une maison mais s’étend aux limites d’un quartier, d’un
arrondissement, d’une ville et peut même aller au delà des limites d’un pays. C’est le
cas de la Scandinavie. Partout en Scandinave l’européen du nord se sent chez soi, de
l’arrivée à l’aéroport de Karlstrup jusqu’aux paysages changeants des Lofoten. 114
Dès leur apparition, les formes et les contours du lieu et des constructions qui le
composent agissent sur la représentation de l’espace dans lequel les individus
évoluent. Cette perception influence notre conception de l’harmonie. Travailler sur
l’habitat c’est aussi se pencher sur l’implantation des construction et l’évolution de
cette implantation.

« Le but final de l’urbanisme n’est-il pas de réaliser l’harmonie entre les


hommes et leur milieu ? Quand on sent cette harmonie – difficile à définir – dans un
quartier urbain ou dans une ville toute entière, on peut dire que l’urbanisme a
accompli parfaitement sa tâche, qu’il a épousé le milieu physique et humain au point
de se confondre avec lui. Alors, on a l’impression que cette réussite est l’effet du
hasard ou de circonstances naturelles, et qu’elle n’est pas l’œuvre de l’urbaniste
parce qu’on n’y décèle aucune trace de plan. »

113 LE CORBUSIER, L’unité d’habitation de Marseille, No 38 (1950) de la revue « Le Point »,


Mulhouse, France, p.6.
114 NORBERG-SCHULZ Christian, op. cit,, p. 11.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

« Or cette qualité si rare d’un urbanisme qui sait se faire oublier, on la


rencontre à Stockholm et ailleurs en Suède. Et le plaisir esthétique ressenti devant
une telle réussite, une telle harmonie spontanée, est aussi intense que la joie plus
intellectuelle que l’on ressent, par exemple, devant cette admirable perspective
depuis les Jardin des Tuileries jusqu’à l’Arc de Triomphe. Et pour essayer de dégager
ce que je vois de personnel et de précieux dans l’urbanisme suédois, il faut
précisément y opposer des exemples d’urbanisme classique, tels que les places
royales en France et les jardins de Versailles qui servirent longtemps de modèles à
l’Europe entière, la Suède comprise ». 115

L’épanouissement du citoyen ne dépend certes pas exclusivement des qualités


urbaines et architecturales de l’espace qu’il occupe et il est dangereux pour le
scandinaviste d’idéaliser les échantillons sur lesquels il travaille mais il est clair que
les pays scandinaves ont su incorporer la modernité à leur culture et à leurs savoir-
faire régionaux pour développer un espace où les citoyens se sentent « chez eux».
C’est ce que les suédois appellent folkhemmet.

« Le climat spirituel si nécessaire à la santé morale d’un individu, d’une


famille, d’un quartier, d’une ville, est le fait d’une certaine harmonie de la matière et
de l’esprit. Il est certain que les villes-tentaculaires nées de la révolution industrielle
ont été jusqu’aujourd’hui un élément perturbateur de cette harmonie
nécessaire. » 116

Le fait d’introduire brièvement l’urbanisme après avoir développé les


procédés architecturaux par lesquels les architectes et les constructeurs
incorporent les caractéristiques du lieu à leurs projets a pour but d’accompagner le
lecteur dans ce travail de discernement du rapport « natur & kultur » scandinave.
Habitué des villes ou proche des ressources naturelles, le lecteur peut désormais
être capable de percevoir la force qu’exerce lieu sur son cadre de vie en toute
circonstance. Cette force s’exprime par le biais de la nature et notre capacité à

115 CIMON, Jean, Suède, pays de l’urbanisme, Les presses universitaires Laval, Québec,
Canada, 1955, p. 46.
116 CIMON, Jean, Suède, pays de l’urbanisme, Les presses universitaires Laval, Québec,

Canada, 1955, p. 47.

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

évoluer au même rythme qu’elle. Associer notre environnement à la modernité tel


que nous la construisons est un facteur décisif d’une vie harmonieuse.

« [...] il sied de répéter que la vertu majeure de Stockholm, c’est l’harmonie


du paysage est des constructions de l’homme, qu’à su préserver et mettre en valeur
un urbanisme discret et amoureux de la nature. Car Stockholm est une très belle
ville pour autant que la nature y règne dans sa splendeur originelle. […] Partout où
la nature est intacte, c’est-à-dire là où les nouveaux quartiers d’habitation ont
épousé le paysage au lieu de le supprimer, Stockholm est harmonie. Car pour les
urbanistes suédois, il s’agit – plus que du simple respect de la nature – de saisir
l’âme du paysage. Ponts, routes, maisons, eau, arbres et rochers apparaissent alors
comme les éléments naturels d’un ensemble harmonieux. » 117

Bien que Paris et Marseille ne soient pas construits sur un archipel d’où les passants
admirent les étendus d’eau de la Baltique, ces villes bénéficient aussi de
caractéristiques physiques et esthétiques particulières qui, une fois comprises et
respectées, participent à l’émergence de l’état d’harmonie entre les habitants et
l’espace qu’ils remplissent. Le lieu scandinave n’est pas supérieur aux autres
espaces européens, ce qui y est unique c’est le rapport harmonieux dont il bénéficié.

« Ce sens de la nature, c’est un peu le sens inné de l’urbanisme ! L’urbaniste ne


compose-t-il pas avec l’air pur, le soleil et la verdure afin de redonner à la ville santé,
joie et beauté, ces autres éléments naturels que le citadin semble avoir oubliés ?
L’exemple de Stockholm est une grande leçon d’urbanisme. » 118

Le rapprochement à la nature est peut-être ce qui manque aux citadins des


grandes villes européennes et mondiales. La croissance physique et économique
nécessaire au développement des villes et de leurs ressources n’est pas une facette
obligatoirement négative de l’enrichissement des économies, mais cette « croissance
a tout prix » s’effectue désormais à un rythme tel que des données moins
quantifiables liées au développement finissent par être oubliées. C’est souvent le cas

117 CIMON, Jean, Suède, pays de l’urbanisme, op. cit., p. 48.


118 Ibid.

71
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

de l’harmonie entre les individus, leur lieu de vie et le maintient du lien qui unit les
citoyens à la nature.

72
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Enjeux du marché de la construction en bois

La dernière partie de cette étude présente un aspect plus pragmatique des


éléments abordés précédemment. Après avoir approché l’architecture scandinave et
le maintient du lien entre les hommes et la nature qui s’exprime par le biais du
rapport bâtit/lieu, le lecteur trouvera ici une application immédiate de ces notions
au travers des évolutions du marché de la construction en bois en France. Le but
d’une telle démarche est de permettre au lecteur de juger la pertinence des
transformations de la société française face aux enjeux environnementaux actuels.

L’enjeu de cette brève étude de marché n’est pas de démarcher des clients ou
d’éclairer une entreprise désireuse d’adapter une stratégie sur le marché de la
maison en bois mais plutôt de juger le poids des transformations des attentes des
acquéreurs.

La dernière partie de ce travail est basée sur deux études de marché


récentes : les études Xerfi et Eurostaf. Après un état des lieux du marché, le lecteur
sera apte à qualifier les démarches des acteurs économiques et politiques d’un
marché directement lié aux consciences environnementales des citoyens.

Le marché de la construction en bois

L’autre mode de distribution de plus en courant repose sur des franchises.


Ces dernières se concentrent sur la vente de maisons « clefs en main » d’entrée et de
milieu de gamme, le haut de gamme restant l’apanage des maisons sur mesure,
conçues ou non avec le concours d’un architecte. 119

119 Europe stratégie analyse financière, Le marché français de la maison en bois: les atouts
économiques et environnementaux du bois poussent au dynamisme et à la structure du
secteur, Paris, Eurostaf, 2012.

73
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Les promoteurs immobiliers disposent d’une offre spécifique sur l’habitat


bois et consolident leurs partenariats avec les fournisseurs et les constructeurs dans
une logique de plus en plus interrégionale, voire nationale. 120

Dès la synthèse, l’étude de marché eurostaf assure que « l’avenir du secteur se


dessine autour de la réalisation d’une mutation considérable du marché » et que
l’une de ces mutations repose sur le développement des franchises dont l’offre se
limite apparemment aux maisons « clefs en main » d’entrée et de milieu.
Constructions qui ne requièrent pas l’intervention d’un architecte, professionnel
dont le savoir faire assure aussi l’intégration harmonieuse du bâtit dans le lieu. Si le
concours d’une architecte n’est pas indispensable dans ce cas, à qui sera dédiée cette
tâche dans ce cas?

Nous verrons plus tard que dans certains cas les acteurs économiques des
marchés nationaux et internationaux défendent l’harmonie des formes du bâtit et du
lieu. Cet aspect de la construction en bois sera illustré au travers de la société
allemande Schwörerhaus KG. De même, les partenariats entre constructeurs et
fournisseurs sont ils orientés dans cette démarche responsable ? Les
développements stratégiques interrégionaux et nationaux prennent ils en compte la
notion du new regionalism évoquée précédemment ou ne s’agit-il que d’une logique
globale qui n’envisage pas le travail sur la relation qu’entretient la modernité avec
les spécificités régionales ?

Ainsi, les caractéristiques esthétiques d’une maison en bois doivent être adaptées
n’ont pas seulement aux formes et aux contours du lieu mais aussi aux législations
locales en matière d’urbanisme. Les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) et les Plans
d’Occupation des Sols (POS) sont un cadre légal pour l’architecte et le constructeur
d’une maison en bois. Les créations contemporaines en bois s’adaptent à ces cadres

120 Europe stratégie analyse financière, Le marché français de la maison en bois: les atouts
économiques et environnementaux du bois poussent au dynamisme et à la structure du
secteur, Paris, Eurostaf, 2012.

74
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

légaux qui doivent eux aussi tenir des comptes des évolutions des techniques de
construction nouvelles.

Une maison contemporaine en bois est une maison dont les murs porteurs
sont construits en bois. La structure du bâtiment est constituée de membrures de
bois espacées de 40 ou 60 cm entre lesquelles sont placées les matériaux isolants.
Comme le lecteur a pu le constater lors de l’étude de la typologie des constructions
en bois scandinaves, un bâtiment en bois n’a pas forcément l’aspect d’une maison en
bois traditionnelle, dès le 18ème siècle les constructeurs ont commencé à utiliser
bardages et revêtements variés pour travailler sur les caractéristiques esthétiques
du bâtit. Cette tendance est toujours d’actualité et les évolutions des techniques du
secteur de la construction permettent l’utilisation de revêtements toujours plus
innovants : pierre, acier, verre, crépi…

Les techniques de construction n’ont pas changé et l’offre est partagée entre
trois techniques constructives modernes issues du savoir faire des menuisiers et des
charpentiers : maison à structure poteau-poutre, maisons à ossature bois et maisons
en madriers appelées maisons en bois massifs. Ces constructions en bois s’intègrent
dans différents types d’habitation : maisons individuelles ou en lotissements,
logements collectifs « construits à l’initiative de promoteurs immobiliers ou de
bailleurs sociaux, pouvant aller d’un à trois étages, voire huit étages » et les
constructions destinées au tertiaire non résidentiel (immeubles de bureau, hôtels,
écoles). L’une des études consultées fait aussi appel à ce que le lecteur a découvert,
ou redécouvert, lors de l’interprétation du travail de l’architecte danoise Dorte
Mandrup. Le maintient du lien « natur & kultur » s’exprime en ville et c’est ainsi
qu’en Scandinavie (et aussi au Royaume-Uni) « il existe même déjà des immeubles
en bois allant jusqu'à 10 étages ».

En France, le marché de la construction en bois est un marché qui progresse très


vite. Avec 12 000 maisons construites en 2009 et 15 000 maisons construites en
2010, la construction en bois est bien plus dynamique que celle de la maison neuve

75
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

traditionnelle. 121 Hélas, le marché est très hétéroclite d’une région à l’autre, avec
« une surreprésentation dans les régions montagneuses et le Grand Ouest. Seule le
pourtour méditerranéen et l’Ile de France ne présentent pas de couverture
significative de ces constructions. » Quelles sont les initiatives des conseils
régionaux et des citoyens français dans leur engagement vis à vis de l’application de
L’Agenda Local 21 ? Il semble que des régions telles que l’Alsace ou la région Rhône-
Alpes soient bien plus avancées que d’autres à ce sujet. L’étude APCE de 2012
n’hésite pas à orienter les acteurs du marché – constructeurs, créateurs et
consommateurs – vers les marchés voisins : « l’Allemagne et la Suède ont 10 ans
d’avance sur nous (le France) pour la construction de maison passive ». 122 Les
citoyens sont aussi des acteurs du marché et l’offre des professionnels est influencée
par leurs préférences mais aussi par les décisions de l’élite politique.

Jusqu’en 2008 les acheteurs de maison en bois appartenaient à une catégorie


de consommateurs ciblés. Une cible niche désireuse de faire l’acquisition d’un
habitat sur mesure, facteur de différenciation. La tendance s’inverse depuis quatre
ans et ce sont les « primo accédants » informés issus des classes moyennes qui se
tournent vers les techniques de construction modernes en bois. De plus en plus
soucieux de l’harmonie qui émane de leurs styles de vie, construire une maison en
bois semble correspondent à leurs attentes. Cette évolution est aussi due à
l’implication des politiques publiques françaises : prêt à taux zéro, exonération de
taxe foncière, surpression du permis de construire pour « des opérations d’isolation
par l’extérieur de bâtiments existants à base de bois ».

121 Ibid.
122 source : Prebat, Programme de recherche sur l’énergie dans le bâtiment

76
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

À partir de cette tendance le bureau d’étude FIBRA a réalisé en 2009


l’étude« Perspective Bois ».

Motivation des accédants pour


construire une maison en bois
30
25
20
15
10
5
Motivation des accédants pour
0 construire une maison en bois

Il est à la fois clair et rassurant de constater que les motivations principales


des futures propriétaires sont principalement « affectives » (cf. harmonie entre
l’occupant et son milieu et maintient du lien qui unit l’Homme à la nature) :
l’esthétique et l’intégration de la construction dans son environnement. Ces
motivations sont associées à l’implication des citoyens dans les nouvelles logiques
environnementales.

Parallèlement à ces leviers, les freins associés aux difficultés liées à la


construction en bois n’ont rien à avoir avec les formes et les contours des projets. La
plupart des abandons des « projets bois » sont liés aux « faiblesses de la structure de
l’offre », aux problèmes administratifs et au prix.

77
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Raisons d'abandon du projet


25
20
15
10
5
0 Raisons d'abandon du projet

C’est lors de la comparaison de la situation du marché français avec d’autres


marchés étrangers que le lecteur envisage la marge de manœuvre dont peuvent
bénéficier les acquéreurs et les constructeurs de maisons en bois en France. Il est
important de rappeler que la maison en bois n’est pas une fin en soi mais qu’il s’agit
plutôt d’une porte d’entrée vers une refonte des processus liés à la construction des
sociétés. Construire en bois c’est intégrer l’architecture et l’urbanisme dans la
réinvention des rapports humains avec le given natural space dans lequel il évolue.

En Suède, 95% du marché global des maisons individuelles et 15% des


immeubles collectifs sont en bois. Cette part de marché s’élève à 94% aux U.S.A et au
Canada. Bien que la part des maisons en bois soient très élevés dans ces deux pays,
l’attitude des ces pays n’est pas la même face aux enjeux environnementaux des
temps modernes. C’est pour cela que l’exemple de la Suède reflète l’articulation que
représente les maisons en bois : construire en bois est une partie du processus
évolutif environnementale. Cette intégration du bois dans les manœuvres
environnementales des citoyens et de l’élite politique se manifeste au travers de
nombreux aspects qui vont au delà des techniques de construction des charpentiers

78
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

et des menuisiers. Les bâtiments publics en bois (écoles, parking, infrastructures


sportives) sont présents dans plus de 170 villes suédoises. Pour un pays dont la 4ème
plus grande ville compte un peu plus de 300 000 habitants, ces 170 villes
représentent une partie significative du parc urbain suédois. La réglementation
thermique actuelle est plus drastique qu’en France : tous les logements construits
doivent présenter une consommation énergétique inférieure à 60 kWh/m²/an. Ce
seuil passera dans les prochaines années à 30 kWh/m²/an… Évoquées
précédemment, les réformes environnementales de 1995 ont impacté directement
le secteur du bâtiment : autorisation de la construction en bois d’immeuble en bois
pouvant aller jusqu’à 8 étages, lancement en 2009 du projet « Wooden Cities 2012 ».
Cofinancé par l’État et les collectivités locales, ce projet doit « répandre à horizon de
3 ans les connaissances sur les utilisations dans les zones urbaines et notamment
sur les infrastructures non résidentielles.»

De telles réformes et évolutions voient le jour dans d’autres pays comme la Grande-
Bretagne ou la Belgique mais la Scandinavie et le Suède restent des « exemples à
suivre ».

Outre les caractéristiques esthétiques et architecturales du matériau, le bois


présente des avantages inégalés sur le plan du développement harmonieux : les
labels PEFC et FSC garantissent une gestion raisonnable des exploitations
forestières, le bois – même abattu – continue à capter le CO2 responsable du
réchauffement climatique et les performances du bois en matière d’isolation
thermique sont incomparables à celles des autres matériaux. Un mur de 10
centimètres d’épaisseur isole tout autant que 60 centimètres de briques, 1,2 mètres
de béton, 35 mètres d’acier et 150 mètres d’aluminium. En ce sens, la performance
énergétique des constructions en bois assure le respect des normes
environnementales récentes (BBC Effinergie, Haute Performance Environnementale
HPE etc.). Parallèlement à l’introduction de normes environnementales par les élites
politiques, les chantiers des constructions en bois ne nécessitent pas autant de

79
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

moyens que les chantiers maçonnés et la livraison des projets s’effectuent plus
rapidement.

Enfin, « le rôle prépondérant du lobby béton en France a longtemps freiné


les tests sur d’autres matériaux constructifs » et c’est à la fois le comportement des
acteurs concurrents et le cadre légal de l’industrie du bâtiment qui doit permettre
une vision nouvelle de l’industrie.

En comparaison avec d’autres pays, le système français doit prouver et valider


chaque élément au terme de procédures très longues. Ce n’est pas le cas dans des
pays comme l’Allemagne ou les pays du Nord. Les experts du secteur considèrent
que c’est un réel frein à l’innovation technique. 123

Frein à l’innovation technique, ces comportements sont aussi un frein à l’implication


de l’ensemble des citoyens dans des projets ayant un impact réel sur les rapports
qu’entretient la population avec la nature. La participation des citoyens au
processus révolutionnaire environnementale appuyé par Arne Næss nécessite un
changement de mentalité des tous les acteurs de tous les secteurs d’activité.

Des projets synonymes d’harmonie

• Heikki Sirén à Boussy-Saint-Antoine

Le quartier résidentiel de Boussy-Saint-Antoine pensé par l’architecte


finlandais Heikki Sirén illustre l’influence des qualités esthétiques du bâtit
contemporain et son intégration dans l’environnement sur la construction d’un
cadre de vie harmonieux. Lors de la conception du projet, l’architecte a insisté sur la
nécessité de déconstruire le jardin privatif de chaque pavillon pour fusionner ces
espaces délimités et de les transformer en un dédale de chemin où l’occupant est
entouré d’arbres qui dépassent largement la hauteur des structures d’habitation
faites de bois et de béton. La construction de ce quartier d’inspiration finlandaise

123 Europe stratégie analyse financière, Le marché français de la maison en bois, op. cit. p, 23.

80
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

s’est achevé en 1969 et démontre les bénéfices d’une architecture travaillée et


adaptée au milieu : l’occupant comprend et construit des rapports harmonieux avec
le lieu qu’il occupe.

• Green Growth et Nordic Built Challenge

Les avancés de la Suède ne sont pas exclusivement orientés vers la


construction en bois et les manœuvres environnementales des élitiques politiques
encouragent l’évolution du secteur de la construction au delà du niveau national.
Ainsi, le conseil nordique est activement impliqué dans la transformation de tous les
secteurs dont les restructurations bousculeront les systèmes productifs actuels.

Grâce à des publications telles que Green Growth et des financements tels que
le Nordic Built Challenge, la coopération des pays nordiques impacte la perception
des citoyens des processus décisionnel de l’élite politique. Le but est de d’impliquer
la population dans le processus de développement « raisonnable ».

Nordic Built Challenge är en öppen, interdisciplinär designtävling för renovering av


en existerande byggnad i varje nordiskt land. Syftet med tävlingen är att stimulera
innovation och utveckling av hållbara, genomförbara och skalbara
renoveringskoncept för de vanligaste byggnadstyperna i Norden – med Nordic Built
Charter som utgångspunkt.

De fem vinnarna av Nordic Built Challenge får ett konsultavtal med fastighetsägarna
och möjligheten att förverkliga sina projekt. Dessutom deltar de i tävlingen om
Nordic Built Challenge Award och ett pris på 1 000 000 norska kronor.

Nordic Built är ett av de så kallade fyrtornsprojekt som lanserades i samband med


det nya nordiska samarbetsprogrammet för innovation och näringspolitik som de
nordiska näringsministrarna enades om i oktober 2011. Projektet finansieras av
Nordiska ministerrådet och Nordisk Innovation, och sistnämnda bidrar även till
genomförandet av programmet tillsammans med de fem nordiska länderna. 124

124Norden, Här är finalisterna i Nordic Built Challenge, 25 mai 2013,


http://www.norden.org/en/news-and-events/news/haer-aer-finalisterna-i-nordic-built-

81
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Cet exemple reflète la volonté des pays nordiques à être impliqués à un niveau
supranational dans le processus de construction des liens entre les citoyens et le
gouvernements : puisque l’architecture et l’urbanisme sont des éléments essentiels
dans l’émergence de l’harmonie des individus avec le lieu qu’il occupe, l’implication
à l’échelle nationale et supranationale des élites dans de tels projets participe au
rapprochement des individus entre eux et aux lieu qu’ils ont choisi pour s’implanter.

• Schwörerhaus KG

Schwörehaus KG est une entreprise allemande fondée en 1950 et basée à


Stetten Upper. Schwörerhaus KG est un fabriquant de « maisons finies »,
Fertighaushersteller en allemand. La traduction française la plus adéquate du mot
serait « fabricant de maisons préfabriquées » mais compte tenu des connotations
négatives impliquées l’auteur préféra l’expression « maison finie ».

L’une des particularités de l’entreprise Schwörerhaus KG est la richesse de son


catalogue. Comme le souligne cette étude, l’intégration architecturale des
constructions, qu’elles soient individuelles ou collectives, doit être l’un des points
les plus importants du cahier des charges du constructeur, de l’architecte, des
autorités et aussi de l’habitant. Cette qualité indispensable à la réalisation
harmonieuse de la vie en société est clairement résumée par le titre d’un des
catalogues de Schwörerhaus : « Architekturvielfalt für jede Region, für jeden
Geschmack ». 125 Avec 60 maisons modèles en Allemagne et en Suisse, la société
répond aux attentes des acquéreurs éclairés et conscients de l’importance de
l’intégration de l’habitat dans son lieu : constructions ultramodernes et
traditionnelles sont associées aux qualités environnementales et économiques du
bois. Dans cette optique « d’intégration » la firme allemande propose même un

challenge. Trad. : Nordic Built Challenge est un concours ouvert à tous, il récompense les
projets de rénovation de chaque pays nordique. L’objectif d’un tel concours est de
promouvoir et de stimuler les projets durables lors de la rénovation des constructions
simples du Norden. Les cinq gagnants se voient attribués la somme de 1 000 000 de
couronnes et travailleront avec les autorités compétentes dans le cadre de leurs projets de
rénovation.
125 Trad. : Diversité architecturale pour chaque région, pour chaque préférence.

82
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

modèle « Schwedenndrot », Falunröd ou rouge suédois, qui correspond au traits


régionaux évoqués tout au long de cette étude.

83
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Conclusion

Emblématique de l’architecture vertueuse, le bois est avant tout un matériau


de construction originel dont les techniques n’ont jamais cessé d’évoluer. L’étude
des caractéristiques architecturales scandinaves et de leur relation étroite avec la
nature souligne le fait que l’utilisation du bois n’est pas qu’un étendard à la mode.
L’utilisation du bois dans la construction s’est diversifiée, le bois n’est plus l’apanage
des constructions traditionnelles des régions montagneuses d’Europe ou
d’Amérique du Nord. Traiter « à 360 degrés » la construction en bois en Scandinavie
n’a donc pas pour objectif d’établir une chronologie des techniques de construction,
une telle approche éclaire plutôt le lecteur sur la relation existante entre l’histoire
de la construction en bois et les problématiques environnementales
contemporaines. Comprendre la construction en bois dans son intégralité c’est
entrer par une autre porte dans l’écologie.

Le lecteur a tout au long de cette étude suivi un cheminement qui l’a


transporté des montagnes « inachevées » du nord de la Norvège jusqu’aux centre
culturels et construction ultra modernes urbaines danoises. Ce voyage matérialise la
relation entre la Nature et la Culture, relation que l’auteur a mis en avant dans cette
étude dans le but de souligner le poids universel qu’elle détient dans la construction
d’une société harmonieuse. Incarnée par l’architecture et la réalisation des formes
de la nature dans le bâtit, l’harmonie est une des notions charnières de cette étude
et la réalisation de ce lien est désormais évidente en Scandinavie.

Les techniques de construction en bois en Scandinavie ainsi que l’influence


du matériau bois dans les formes architecturales d’Europe du Nord a mené le
lecteur vers une réflexion plus philosophique du lien qui unit les occupants d’un lieu
à l’espace qu’ils occupent. L’originalité et la particularité du « lieu scandinave »
illustrent l’envie et le besoin qu’éprouvent les individus de maintenir le lien qui les

84
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

rapproche de l’environnement par lequel ils sont encerclés. Le maintient de ce lien


implique une modification du rapport de force qu’entretiennent les occupants de
l’espace avec les « objets naturels » avec lesquelles ils composent, créent et
développent leurs compétences. Refléter au travers de l’architecture scandinave, la
remise en question de ce rapport violent entre les Hommes et la nature est une des
trames de cette étude. Ces trois « fils conducteurs » incarnent le cheminement que
l’auteur a voulu mettre en avant : architecture, lieu, environnement.

Le bois incarne la nouvelle relation que les citoyens et les élites politiques
scandinaves et nord européennes sont en train de construire. Parallèlement aux
constructions traditionnelles en bois, l’architecture contemporaine soucieuse de la
situation environnementale de la planète met en œuvre « avec simplicité et
éloquence » les caractéristiques chaleureuses des formes architecturales issues des
projets bois dont la clarté et l’humilité de la structure sont un hommage au paysage
qui l’entoure.

Ce travail sur les formes et les contours de l’architecture scandinaves est une
réflexion sur un aspect particulier de l’aire culturelle scandinave et il est aussi une
ouverture sur une vision plus globale de l’écologie en Scandinavie et en Europe. De
nombreux points de cette étude sont aussi des recommandations. Sans pour autant
exagérer certains aspects du cadre de vie scandinave, l’auteur, à la fois scandinaviste
passionné et citoyen européen conscient des problématiques liées à
l’industrialisation constante des sociétés, oriente au travers de cette étude le lecteur
vers une nouvelle vision de la construction et de l’urbanisation des paysages
européens et mondiaux.

Alors que le marché de la construction en bois est en pleine expansion en


France certains acteurs de la vie économique ont toujours tendance à détourner les
caractéristiques de l’utilisation du bois à des fins qui s’éloignent du cheminement de
cette étude : manne financière pour certains la construction en bois ne doit pas être
détournée. Matériau ancien, emblématique des traditions de nombreuses régions du
monde, le bois est depuis longtemps le support de l’éveil artistique de l’homme. Les

85
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

arbres dont sont issus les madriers, les planches et les chevrons symbolisent
l’appartenance des êtres humains à un tout. Ce tout est fait des formes et des autres
habitants du lieu. Apprendre à composer raisonnablement avec la flore n’est autre
que le prologue à l’accomplissement de la relation des être humains avec les objets
du tout.

La Scandinavie est à la fois européenne et scandinave, c’est une aire


culturelle dont les traits régionaux sont assumés et revendiqués au sein d’une
sphère culturelle européenne plus globale. L’identité des pays scandinaves n’a de
périphérique que la localisation géographique. Elle s’est construite tout en étant en
contact avec les activités culturelles, économiques, politiques et sociales de ses
voisins européens. Cette relation consentie, les Scandinaves en sont conscients.
Comme le reflètent les recommandations de ce travail, ne serait-ce pas aux
européens et aux Scandinaves de continuer le développement de cette
interdépendance fondatrice, nécessaire à l’expression d’une identité européenne
construite autour de l’harmonie des citoyens et du lieu?

86
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

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L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Annexes

Barfrø stue, une maison en rondins (cf. p. 13) ferme en rondins recouverte d’un
bardage en bois, Närpiö, Finlande (cf.
p. 14)

laft, illustration du dictionnaire norvégien (cf. p. 15) stabbur norvégienne (cf. p. 20)

89
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

église en bois de bout, stavkirke de Gol (cf. p. 21) manoir de Sörby (cf. p. 24)

manoir en bois de Bordsjö (cf. p. 25) perron couvert, förstukvist (cf.p. 29)

90
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

la maison de Wittgenstein à Skjolden Snickaglädje (cf. p. 26)

(cf. p. 35)

construction en bois debout à fjell « inachevé » en Norvège (cf. 32)

Akkerhaugen en Norvège (cf. p. 21)

91
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

paysage finlandais (cf. p. 32) rosemåling (cf. p. 50)

Solness le constructeur (cf. p. 48) Weir Farm dans le Connecticut, ex.


d’un brutet tak. (cf. p. 52)

92
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

Kvarterhus de Dorte Mandrup (cf. p. 54) L’immeuble VM de l’agence BIG (cf. p. 54)

Mairie de Säynätsalo (cf. p. 55) une maison « rouge » du catalogue de


Schwörerhaus KG (cf. p. 74)

93
L’habitat scandinave – Yann Biedziński

pavillon du quartier du Menhir à Boussy-Saint-Antoine (cf. p. 80 )

le château en bois de Gripenberg (cf. p. 25)

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