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UNIVERSITE DU BURUNDI

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES

DEPARTEMENT D’HISTOIRE

LA CRISE DE 1972 EN PROVINCE DE MUYINGA

Par :

Apollinaire NDAYISENGA

Mémoire présenté et défendu


Sous la direction de :
publiquement en vue de l’obtention
Pr. Nicodème BUGWABARI
du grade de licencié en Histoire
Option : Enseignement et Recherche

Bujumbura, Juin 2016


i

DEDICACE
A nos chers parents

A nos frères et sœurs

A tous ceux qui nous sont chers

A toutes les victimes des événements de 1972


ii

SIGLES ET ABREVIATIONS
AMPCI : Association pour la Mémoire contre les Crimes Internationaux

ARRO : Arrondissement

CENAP : Centre d’Alerte et de Prévention des Conflits

CNTP : Commission Nationale des Terres et autres Biens

JRR : Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore

LDGL : Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs

Op.cit. : Opera Citato

Parmehutu : Parti du mouvement de l’émancipation des Bahutu

R.A. : Rapport Annuel

RDC : République Démocratique du Congo

SOMIKA : Société Minière de Katanga

UFB : Union des Femmes Burundaises

UPRONA : Union pour le Progrès National

IGEBU : Institut Géographique du Burundi


iii

REMERCIEMENTS
Ce travail est le fruit des efforts de plusieurs personnes morales et physiques qui nous ont aidé
pour qu’il puisse voir le jour et prendre sa forme actuelle.

Nos sincères remerciements s’adressent à tous nos instituteurs de l’école primaire, à tous nos
enseignants du secondaire et à tous les professeurs de l’Université du Burundi en l’occurrence
ceux du département d’Histoire. Parmi ces derniers, un accent particulier est mis sur le
professeur Nicodème Bugwabari : par sa rigueur scientifique et critique, ses sages conseils et
différentes remarques d’une grande pertinence, il nous a éclairé pour orienter notre sujet. Qu’il
trouve ici l’expression de notre profonde gratitude.

Nos remerciements s’adressent aussi au CENAP, par son soutien matériel et moral avec son
accompagnement au cours de nos recherches sur terrain, qu’il considère ce travail comme le
résultat de ses inlassables efforts.

En outre, nous voudrions remercier nos parents qui se sont sacrifiés pour mener à bonne fin
notre éducation et faire de nous ce que nous sommes pour le moment. Qu’ils trouvent dans ce
travail l’expression du couronnement de leurs efforts.

Enfin, je suis reconnaissant envers mon frère-aîné Protais Nkurunziza pour sa sympathie et son
précieux apport.

Apollinaire NDAYISENGA
iv

Liste des tableaux


Tableau 1 : Les communes de la province de Muyinga depuis 1965 .................................................. 13
Tableau 2 : Population étrangère non immatriculée ni inscrite :.......................................................... 16
Tableau 3 : Effectif des réfugiés rwandais au 31 décembre 1972 ........................................................ 17
Tableau 4 : Le recouvrement de l’administration communale en province de Muyinga en 1972 ....... 29
Tableau 5 : Liste des biens remis en commune Bwambarangwe :....................................................... 67
Tableau 6 : Liste des biens remis dans la commune Ntega :................................................................ 67
Tableau 7 : Liste des biens remis en commune Kirundo :.................................................................... 69
Tableau 8 : Liste des victimes dans la zone de Rugari ......................................................................... 72
Tableau 9 : Liste des victimes sur la colline Nyaruhengeri ................................................................. 75
Tableau 10 : Liste des victimes sur la colline Rugazi .......................................................................... 75
Tableau 11 : Liste des victimes sur la colline Muramba ...................................................................... 75
Tableau 12 : Agenda de tournées d’information .................................................................................. 81
v

Liste des cartes


Carte 1 : Organisation administrative de la province de Muyinga .....................................................14
Carte 2 : Commune Giteranyi ............................................................................................................59
Carte 3 : Commune Vumbi ................................................................................................................60
Carte 4 : Commune Mwakiro .............................................................................................................61
Carte 5: Commune Muyinga ..............................................................................................................62
Carte 6 : Commune Busoni ................................................................................................................63
Carte 7 : Commune Buhinyuza ..........................................................................................................64
vi

Résumé
Le présent travail intitulé « La crise de 1972 en province de Muyinga » s’articule sur trois
chapitres. Au cours de notre travail, nous avons décrit la situation sociopolitique de la province
de Muyinga avant l’éclatement des massacres de 1972.

En effet, les crises sociopolitiques burundaises qui ont précédé celle de 1972 ont contribué à la
structuration de la « haine ethnique » surtout entre les deux composantes sociales majoritaires.
A cela s’ajoute l’impact du « modèle rwandais » lié au mouvement des réfugiés rwandais au
Burundi.

Après l’attaque du 29 avril 1972 des rebelles hutu dans le Sud du pays, la province de Muyinga
a été victime de la répression qui s’en est suivi. Cette dernière a eu pour conséquences : des
pertes de nombreuses vies humaines, des pertes des biens matériels, des veuves, des orphelins
tandis que d’autres personnes ont été contraintes à l’exil. S’agissant des corps des victimes de
cette crise, ils ont été déversés dans les fosses communes.

Quant aux diverses actions visant le retour de la paix, elles furent interrompues par l’attaque de
mai 1973 dans la commune de Busoni, une attaque préparée par les Hutu réfugiés au Rwanda,
cause de renouvellement des violences. Les conséquences liées à cette attaque furent entre
autres, le nouveau départ des réfugiés burundais vers le Rwanda et l’occupation des terres des
réfugiés et des victimes.

En fin de compte, sur cette crise, de par le silence imposé par le pouvoir et le refus de tout acte
mémoriel, les composantes sociales ont gardé des mémoires controversées.
vii

Table des Matières


DEDICACE .......................................................................................................................................... i
SIGLES ET ABREVIATIONS ........................................................................................................... ii
REMERCIEMENTS .......................................................................................................................... iii
Liste des tableaux ............................................................................................................................... iv
Liste des cartes .....................................................................................................................................v
Résumé ............................................................................................................................................... vi
Table des Matières ............................................................................................................................ vii
O. INTRODUCTION GENERALE .....................................................................................................1
1. Choix et intérêt du sujet ...................................................................................................................2
2. Problématique...................................................................................................................................2
3. Hypothèses .......................................................................................................................................3
4. Délimitation spatiale et temporelle ..................................................................................................3
5. Sources et méthodologie ..................................................................................................................4
6. Articulation du sujet .........................................................................................................................4
7. Difficultés rencontrées .....................................................................................................................5
8. Etat de la question ............................................................................................................................6
CHAPITRE I. CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE DE LA PROVINCE DEMUYINGA AVANT
LA CRISE DE 1972 ...................................................................................................12
I. 1. Historique de la province de Muyinga ........................................................................................12
I. 1. 1. Une province à la portée du « modèle rwandais » ..................................................................15
I. 1. 2. La province de Muyinga face aux crises de 1965 à 1971 .......................................................22
I. 1. 2. 1. La crise de 1965 ..................................................................................................................22
I. 1. 2. 2. Le complot de 1969 ............................................................................................................23
I. 1. 2. 3. Le complot de 1971 ............................................................................................................24
I. 2. La province de Muyinga à la veille de la crise de 1972 : signes avant- coureurs ..............25
I. 2. 1. Une administration régionalisée et « monoethnisée » ............................................................25
I. 2. 2. Suspicion dans le milieu religieux ..........................................................................................30
I. 2. 3. L’état du voisinage .................................................................................................................32
CHAPITRE II. DEROULEMENT DE LA CRISE DE 1972 DANS LA PROVINCE DE
MUYINGA................................................................................................................36
II. 1. Des acteurs divers ......................................................................................................................37
II. 1. 1. Les autorités administratives .................................................................................................37
II. 1. 2. Les militaires .........................................................................................................................40
viii

II. 1. 3. La JRR ...................................................................................................................................41


II. 1. 4. Les sauveteurs........................................................................................................................42
II. 2. Modes d’arrestation et d’exécution des victimes ......................................................................47
II. 2. 1. Modes d’arrestation ...............................................................................................................47
II. 2. 2. Modes d’exécution ................................................................................................................52
II. 3. Les fosses communes ................................................................................................................55
Cartes de la violence de 1972-1973 et les fosses communes ...........................................................59
II. 4. Bilan matériel et humain de la crise de 1972 dans la province de Muyinga .............................65
II. 4. 1. Bilan matériel ........................................................................................................................65
II. 4. 2. Bilan humain..........................................................................................................................71
CHAPITRE III. LA PROVINCE DE MUYINGA VERS LE RETOUR AU CALME ET LA
NOUVELLE MENACE ..........................................................................................77
III. 1. Différentes actions visant le retour à la paix ............................................................................77
III. 2. Attaque de 1973 en région de Kirundo : conséquence de 1972 ...............................................83
III. 3. Développement d’un sentiment d’appartenance à une « communauté ethnique » ..................95
III. 3. 1. Des mémoires controversées ................................................................................................95
III. 3. 1. 1. Mémoire des Hutu dans la province de Muyinga ............................................................95
III. 3. 1. 2. Mémoires des Tutsi et des Ganwa de la province de Muyinga ......................................102
III. 3. 2. Relations entre Hutu et Tutsi ..............................................................................................105
CONCLUSION GENERALE ..........................................................................................................107
BIBLIOGRAPHIE ...........................................................................................................................110
ANNEXES .......................................................................................................................................113
1

O. INTRODUCTION GENERALE
Au lendemain de l’indépendance, plusieurs problèmes s’abattent sur beaucoup de pays
africains : le régionalisme, l’ethnisme, le népotisme, l’autoritarisme, corruption, etc. ; ainsi
des guerres civiles sont fréquentes. Toutes ces difficultés constituent une déception pour les
peuples qui venaient de « se débarrasser du joug colonial » et qui entamaient leurs premiers
pas de la marche vers la prise en main de leur destin.

Dans la même perspective, depuis son accession à l’indépendance, le Burundi a aussi été
caractérisé par des conflits répétitifs à caractère « interethnique ». Ces derniers vont marquer
l’évolution sociopolitique du pays surtout à partir de la crise de 1965 jusqu’à nos jours.

Le Burundi compte quatre catégories sociales à savoir les Baganwa, les Bahutu, les Batutsi et
les Batwa. Suite à l’idéologie coloniale, des étiquettes ont été collées à chacune de ces
catégories, les rendant ainsi « des ethnies antagonistes» : les Bahutu dominés seraient
exploités par les Batutsi dominants et dont les premiers cherchent à se libérer. D’autres
critères stéréotypés ont été utilisés toujours pour différencier une catégorie de l’autre :
caractères physiques et moraux. Mais, paradoxalement, ce qu’on trouve chez telle catégorie
peut être trouvé chez l’autre.

De surcroît, dans leur politique de diviser pour régner, les Belges n’avaient pas hésité à
favoriser une catégorie au détriment de l’autre chaque fois que les circonstances l’obligeaient
pour renforcer leur pouvoir et le faire durer longtemps. Tout cela nous permet de conclure
que les crises qui ont ravagé le Burundi plongent leurs racines dans l’histoire coloniale.

Toutefois, il est difficile de justifier les véritables causes de ces différentes crises d’autant plus
qu’au Burundi les ethnies n’existent pas au vrai sens du terme. En effet, toutes les
composantes sociales considérées comme ethnies se trouvent soumises à une même autorité,
ont les mêmes pratiques culturelles, religieuses ; parlent la même langue. Ainsi, selon Marcel
Niemegeers, « il existe des Hutus riches, des Tutsis pauvres. Souvent, dans les régions les
plus défavorables, les Tutsi partagent la pauvreté de leurs maigres ressources avec leurs
voisins Hutus »1. Par ailleurs, elles vivent ensemble sur un même territoire.

1
NIEMEGEERS, M., Les trois défis du Burundi. Décolonisation-Démocratie-Déchirure, Paris, L’Harmattan, 1995,
p. 63
2

Le « conflit ethnique » qui éclate en 1965 entre les deux composantes sociales majoritaires
(Hutu et Tutsi) atteint son point culminant au niveau national en 1972. Cette crise de 1972 qui
fait l’objet de notre étude constitue des « animosités ancestrales » entre les « deux ethnies ».

1. Choix et intérêt du sujet


Plusieurs raisons ont motivé le choix de ce sujet. En effet, des travaux se sont intéressés à la
vie sociopolitique du Burundi. Mais, depuis longtemps, certains événements sont restés
tabous. C’est notamment la crise de 1972 en général sauf dans quelques communes du sud du
pays où elle fut objet d’étude pour les mémoires de licence. Concernant alors cette crise, la
province de Muyinga fait partie des provinces qui ne furent pas étudiées.

De même, cette crise mérite une étude assez approfondie parce qu’elle va marquer l’évolution
politique du Burundi et les relations futures entre les deux « ethnies antagonistes ».
Effectivement, malgré le silence imposé par le pouvoir en place, il y a eu une transmission du
récit des événements de génération en génération à l’intérieur de chaque catégorie sociale,
parfois avec déformation de ce qui s’est réellement passé. Ainsi, chaque catégorie sociale a
cherché à se considérer comme victime d’un génocide orchestré par une autre catégorie.
Donc, cette étude contribue à l’étude de l’histoire du Burundi en général et à l’éclaircissent
des zones d’ombres des événements de 1972 en particulier.

2. Problématique
Un des éléments marquant la crise de 1972 est l’attaque des rebelles hutu au sud du pays dans
les provinces de Bururi et de Bujumbura. Cette attaque a duré presque une semaine car avec
l’intervention défensive de l’armée nationale, les rebelles qui ne furent pas tués ont rebroussé
chemin vers la Tanzanie et le Congo (R.D.C.). Mais cette attaque fut suivie par une répression
dans toutes les provinces du pays. C’est la généralisation de la crise au niveau national. Cela
nous pousse à nous poser certaines questions :

 Comment la crise de 1972 a-t-elle affecté la province de Muyinga, province très


éloignée des provinces cibles des attaques ?
 Quelle est la réaction de ceux qui voient les leurs partir après convocation ou sans
convocation pour ne plus revenir ?
 Quel est le comportement de la Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore (J.R .R .) ?
 Quelle est la réaction des autorités locales ?
3

 Est-ce que les attaques du sud du pays ont occasionné une méfiance entre les Hutu et
les Tutsi résidents de la province de Muyinga ?
 Va-t-il y avoir des conséquences visibles de cette crise ?
Dans ce travail, nous nous efforcerons de trouver des réponses à ce questionnement. Notre
objectif principal est de procéder à une analyse du déroulement des événements, le
comportement adopté par l’une ou l’autre des personnes résidant à cette époque dans la
province de MUYINGA et son incidence.

3. Hypothèses
Débutée par une attaque des rebelles hutu au sud du pays, la crise de 1972 fut caractérisée par
une répression qui se serait répandue dans tout le pays.

De plus, au moment de la crise, il se serait créé une situation où chaque organisation ou


individu investi d’un certain pouvoir s’arrogeait les droits d’arrêter, de piller et de tuer. C’est
le cas de la Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore (J.R.R.) qui, selon Perraudin, aurait
constitué une « organisation auxiliaire de l’armée »2.

Enfin, la crise de 1972 aurait déterminé l’évolution des relations entre les deux catégories
sociales. Avec le débat interdit sur les événements de 1972, chaque composante sociale aurait
gardé sa propre mémoire dont la manifestation correspondrait à l’éclatement des crises de
1988 et de 1993.

4. Délimitation spatiale et temporelle

Notre travail couvre l’ancienne province de Muyinga qui, en 1972, comprenait l’actuelle
province de Kirundo et l’actuelle province de Muyinga. Les deux provinces constituaient en
1972 deux arrondissements à savoir l’arrondissement de Kirundo et l’arrondissement de
Muyinga.

Quant à la délimitation temporelle, la borne inférieure de ce sujet correspond à 1972 car la


crise commence avec les attaques localisées au sud du pays à partir du 29 avril de cette année.
Pour approfondir l’étude des conséquences de cette crise, nous avons été obligé d’inclure
quelques années postérieures à 1972 ; d’où la borne supérieure de 1976 correspondant à la fin
de la première République.

2
PERRAUDIN J. Chronique de l’Eglise catholique au Burundi après l’indépendance, Bologna, Editrice Missionaria
Italiana, 1996, p. 58
4

5. Sources et méthodologie
Pour aborder ce travail, nous avons utilisé les sources écrites qui comprennent les ouvrages
généraux, les thèses, les mémoires de licence, les bulletins officiels du Ruanda-Urundi et du
Burundi, les synthèses des rapports des administrateurs communaux, les périodiques, les
articles de journaux et documents divers.

Ensuite et surtout, la nature du travail nous pousse à utiliser les sources orales. Ici, il s’agit de
mener des enquêtes dans toute la province, commune par commune. Ceci est dû d’une part à
l’insuffisance des documents écrits et certains de ces deniers ont besoin d’un complément
oral. D’autre part, la période que nous étudions n’est pas trop ancienne, des témoins oculaires
sont encore en vie. Cela nous a donné une opportunité de faire des enquêtes orales dans toute
notre région d’étude.

6. Articulation du sujet
Notre travail s’articule en trois chapitres complémentaires. Le premier chapitre présente une
étude de l’évolution de la province de Muyinga et développe l’impact du « modèle rwandais »
sur cette province. Aussi, ce chapitre décrit la situation qui régnait dans la province de
Muyinga à la veille de l’éclatement de la crise.

Le deuxième chapitre développe le déroulement de la crise de 1972 dans la province de


Muyinga en étudiant d’abord les rôles et les responsabilités de divers acteurs. Puis, il donne
une étude détaillée des procédés mis en œuvre au moment des arrestations et des exécutions.
C’est dans ce chapitre également qu’on trouve une localisation des fosses communes. Et
enfin, il s’intéresse de façon synthétique au bilan matériel et humain de cette crise.

Le troisième et dernier chapitre présente les différentes actions qui ont été mises en œuvre
pour le retour de la paix. Il montre comment ce processus visant le retour au calme fut
interrompu par l’attaque de 1973 dans la commune de Busoni, une attaque préparée par les
Hutu réfugiés au Rwanda ; ce qui a occasionné de nouvelles violences. Enfin, ce chapitre
présente les mémoires controversées sur la crise et ce que sont devenues les relations entre les
Hutu et les Tutsi.
5

7. Difficultés rencontrées
Au cours de ce travail, nous nous sommes heurté à un certain nombre de problèmes. Parmi
ces derniers, nous retenons le refus de certaines personnes qui refusent d’être enregistrées sur
la liste des informateurs. A notre avis, ce refus trouverait sa justification dans le fait que notre
période d’enquête coïncide avec la mise en place de la Commission Vérité-Réconciliation.
Ainsi, ils pouvaient penser que cette enquête s’inscrivait dans cette logique.

Aussi, le climat politique troublé depuis le mois d’avril 2015 a provoqué la peur chez certains
habitants de la province de Muyinga ; d’où ils acceptaient difficilement de nous livrer des
informations, en particulier celles se rapportant à la politique malgré l’éloignement de la
période étudiée. D’autres habitants de certaines communes de la même province avaient quitté
le pays suite à ce climat politique non prometteur.

Une autre catégorie d’informateurs exigeait un rafraichissement avant de nous donner des
informations, ce qui n’était pas facile compte tenu de nos moyens financiers. Toutefois, il
nous paraît important de souligner la fierté qu’éprouvent certains informateurs qui, au
moment de notre prise de contact avec eux, procédaient à l’identification d’autres
informateurs et ainsi nous facilitaient la tâche.

Un autre problème est lié à la rareté des anciens administratifs ou d’autres personnes proches
du pouvoir local de cette époque qui auraient pu nous fournir des informations enrichissant
davantage notre travail. On nous disait qu’ils venaient de décéder.

Enfin de compte, le mauvais état des archives provinciales ne nous a pas facilité la recherche
car n’ayant pas été rangées suivant un certain ordre, il fallait des efforts considérables pour
trouver le document recherché.
6

8. Etat de la question
La crise que le discours politique a, par euphémisme, désignée sous le nom d’événements de
1972, reste incontestablement la plus dramatique puisqu’elle a porté les divisions ethniques à
leur paroxysme. Certains Burundais ont adopté pour désigner la même crise le qualificatif
d’ikiza3, qu’on pourrait approximativement traduire par cataclysme ou fléau. En fait, l’année
1972 est considérée dans certains milieux burundais comme une date fatidique.

Cette tragédie renvoie d’une part, aux massacres perpétrés par les éléments de la rébellion
hutu contre leurs frères tutsis entre le 29 avril et les premiers jours du mois de mai 1972. Cette
rébellion avait pour objectif de tuer hommes, femmes, enfants et vieillards tutsi et de prendre
le pouvoir. Ceci se produisit dans la région du sud du pays (surtout Rumonge et Nyanza-Lac)
qui subit les premières attaques. D’autres bandes de gens armés de machettes attaquent
Bujumbura à l’Ouest, Gitega au centre, et Cankuzo à l’Est. En plus de ces régions cibles des
attaques, l’année 1973 allait connaître deux nouveaux foyers de tensions à savoir les
communes actuelles de Bukemba et de Busoni se trouvant respectivement dans les provinces
de Rutana et de Kirundo.

D’autre part, elle désigne la répression qui s’en suivit et qui toucha presque exclusivement la
population masculine adulte hutu au cours des mois de mai et de juin 1972 puis mai et juin
1973 pour les deux derniers foyers de tensions.

Cependant, on constate qu’il n’existe pas sur les événements de 1972 beaucoup de
publications. La crise de 1972 a été depuis son éclatement considérée comme un sujet tabou.
En effet, sur le plan intérieur, le déclenchement de la crise coïncide avec la suspension, cela
faisant déjà sept jours, du bimensuel catholique « Ndongozi ». A l’époque la presse
indépendante était totalement absente. Et la presse gouvernementale était représentée
essentiellement par «Flash-Info » qui allait couvrir les événements car le bimensuel
« Ubumwe » restait sans importance.

Sur le plan extérieur, ce n’est qu’à la mi-mai qu’en Europe on a pu être informé des massacres
des Tutsi du Burundi par les bandes armées dont on ignorait l’origine. C’est par là que la
presse étrangère a commencé à parler de l’existence de génocide surtout La Croix (19 mai) et
d’autres allaient suivre comme Le Soir (25 mai), et Le Monde (27 mai).

3
Laurent Kavakure dans son ouvrage Le conflit burundais II. La tragédie de 1972, Genève, Centre Ubuntu, p. 19
évoque d’autres images pour désigner la même crise : la pluie (imvura), le déluge (isegenya), l’érosion
(inkukura), le vent (umuyaga), l’orage (igihuhusi). Dans l’église catholique, on a parlé du « chemin de croix » :
voir PERRAUDIN, J., Op.cit., p. 53
7

Malgré cet effort de restitution des événements d’une extrême cruauté, la presse nationale est
restée totalement muette sur le coût de la répression. Ainsi des spéculations n’ont pas tardé
car la presse étrangère s’est lancée à publier des chiffres exagérés sur les pertes en vies
humaines. Ce long silence imposé par le pouvoir en place allait se poursuivre au cours de la
deuxième République. Quant au régime politique en place, « il ne savait répondre que par la
terreur et le silence4 ». Pour ce régime « une parole ambiguë, une critique même voilée, peut
valoir une convocation chez l’autorité, une amande, un emprisonnement sans jugement ou
pire une disparition5 » au moment où celui de la deuxième République se caractérisait par
une « Burundité » extrême.

La fin de ce long silence date de la fin de 1988 avec la mise sur pied de la Commission
chargée d’étudier la question de l’unité nationale6. C’est tout juste après les événements de
Ntega et Marangara. Sinon il a fallu attendre plus de trente ans pour avoir les premiers
ouvrages des historiens à savoir celui de Jean Pierre Chrétien et Jean François Dupaquier :
Burundi 1972. Au bord des génocides publié chez Karthala à Paris en 2007 et celui de
Ngayimenda Evariste : Histoire du conflit politico-ethnique burundais. Premières marches du
calvaire publié chez les éditions la Renaissance à Bujumbura en 2004.

L’importance de ces principaux ouvrages reste déterminante dans la mesure où ils couvrent
tout le territoire national, ce qui donne au lecteur une vue synthétique sur les événements. Le
premier ouvrage a le mérite d’avoir confronté des témoignages recueillis à l’époque de la
crise de manière confidentielle et ceux plus récents7 qui se complètent avec les sources
écrites8. Un autre élément de grande importance est que ces deux ouvrages font état des crises
antérieures à 1972 : il s’agit des antécédents historiques. Ils sont intéressants du moins du fait
qu’un élément de plus de l’un complète le vide de l’autre. Ceci se voit dans la description de
l’attaque du sud du pays dont les Tutsi paient un lourd tribut.

4
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Burundi 1972. Au bord des génocides, Paris, Karthala, 2007, p. 9
5
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Op.cit., p. 466
6
De cette Commission, il ressort le Rapport de la commission chargée d’étudier la question de l’Unité
nationale(1989)
7
Les récents témoignages datent de 1999 à 2002, à peu près trente ans après les événements.
8
Ici il s’agit des périodiques, de presse et magazines d’actualité ainsi que des archives.
8

Ces événements font une certaine coïncidence : révocation des membres du gouvernement et
le secrétaire exécutif du parti UPRONA (29 avril 1972). A la même date, un meeting
d’information devait se tenir à Rumonge en présence du ministre d’information Albert
Shibura et du secrétaire exécutif du parti unique André Yanda. Le 30 avril, par décret
présidentiel, les gouverneurs civils des provinces furent remplacés par les gouverneurs
militaires. Au même moment, Cyrille Nzohabonayo est nommé procureur de la République et
la radio annonce la mort de l’ex-roi Ntare V.

Pendant la première semaine, « tous les ministres hutu (...) ont été saisis, tous les officiers
supérieurs, comme Martin Ndayahoze, mais aussi Marcien Burasekuye. Puis suivirent les
différents fonctionnaires hutu dans les différents ministères et dans le secteur privé 9 ». Enfin
de compte, des opérations similaires allaient s’observer dans les jours suivants dans les
provinces avant que débutent des démarches visant un appel au calme. Mais malgré des
efforts pour établir un bilan des victimes, les chiffres restent controversés car chacun des
camps cherche à surestimer ses victimes.

Cependant, des lacunes ne manquent pas. En effet, les deux ouvrages concentrent leurs
enquêtes au sud et sud-ouest du pays quoique cela puisse être en peu compréhensible dans la
mesure où cette région serait la plus menacée par la crise. De même, ils présentent un manque
notoire de spécificités régionales soit au niveau provincial, communal, voire collinaire.
Celles-ci s’avèrent plus indispensable du fait que même si les responsables de l’administration
et d’autres personnes investis d’un certain pouvoir s’arrogeaient le droit d’arrêter et de tuer en
toute impunité, ils ne le faisaient pas de la même manière et au même degré.

En plus, il faut souligner l’importance du livre de Laurent Kavakure qu’il a intitulé : Le conflit
burundais II∙ La tragédie de1972. Dans cet ouvrage, l’auteur donne beaucoup d’informations
inédites sur le déroulement de la crise après avoir décrit les causes de ce conflit. Avec d’autres
auteurs, une unanimité apparaît dans la description de l’aspect rudimentaire de l’armement de
la rébellion : « L’ensemble des sources disponibles, tant orales qu’écrites, s’accordent sur le
niveau d’armement constitué de machettes, de lances, exceptionnellement de quelques armes
à feu10 ». Mais à l’encontre de certains auteurs tels que Evariste Ngayimpenda, l’auteur
présente un manque d’organisation et d’idéologie.

9
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Op.cit., p. 152
10
NGAYIMPENDA, E., Histoire du conflit politico-ethnique burundais. Les premières marches du calvaire,
Bujumbura, Editions de la Renaissance, 2004, p.412
9

Il établit les responsabilités selon les différentes catégories d’hommes et d’organisations puis
identifie des victimes après quoi il décrit les méthodes d’arrestations et d’exécution des
victimes. Néanmoins, ces dernières diffèrent d’une région à une autre car les méthodes
utilisées au Sud du pays diffèrent de celles mises en œuvre au Nord. Enfin, il fait un long
bilan non exhaustif des victimes du fait que les données de certaines régions ne sont pas
disponibles en raison de l’absence d’une enquête.

A côté de ces ouvrages, il existe d’autres écrits qui traitent la crise de 1972 en association
avec d’autres événements antérieurs à 1972 mais qui fournissent des informations non
négligeables11.

Aussi en 1972, le pouvoir a donné sa version des événements12. D’autres documents se


présentent sous forme de témoignages13

Enfin, du côté académique, on connaît certaines initiatives. Il y a deux mémoires de fin


d’étude traitant la crise de 1972 sous forme de monographies14 respectivement sur la province
de Makamba et sur la commune de Vyanda. Ces mémoires décrivent cette crise dans leurs
régions d’étude dès le moment des préparatifs présentés comme des signes avant-coureurs,
puis le déroulement et enfin de compte les conséquences de la crise présentées sous différents
angles. D’autres mémoires associent dans leurs objets d’étude la crise de1972 à d’autres
crises15.

11
CHRETIEN, J.P., Burundi : l’histoire retrouvée. 25 ans de métier d’historien en Afrique, Paris, Karthala, 1993 ;
CHRETIEN, J.P., L’Afrique des grands lacs : deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, 2000 ; MUNTUNUTWIWE, J.S.,
La violence politique au Burundi : Essai d’analyse explicative, thèse de doctorat en Sciences Politiques, Uppa,
Pau, 2009 et République du Burundi, Rapport de la commission chargée d’étudier la question de l’Unité
nationale, Bujumbura ,1989
12
République du Burundi, Livre blanc sur les événements survenus aux mois d’avril et de mai 1972 en
République du Burundi, Bujumbura, Ministère de l’Information, 1972
13
MANIRAKIZA, M., Burundi : De la révolution au régionalisme : 1966-1976, Bruxelles, Le Mât de Misaine,
1990 ; SHIBURA, A., Témoignages, Bujumbura, RPP, 1993 et NIEMEGEERS, M., Les trois défis du Burundi.
Décolonisation-Démocratie-Déchirure, Paris, L’Harmattan, 1995
14
NKEZINDAVYI, Th., La crise politico-ethnique de 1972-1973 en province Makamba, Bujumbura, mémoire
U.B., 2001 et NDAYIRUKIYE, A., La crise politico-ethnique de 1972 en commune de Vyanda : Essai d’analyse,
Bujumbura, mémoire U.B., 2007
15
NDAYISABA,S., L’Eglise catholique face aux conflits politiques du Burundi(1965-1972), Bujumbura, mémoire
U.B., 2008 ; NAYABAGABO , J.C., Les lectures conflictuelles des événements de 1972 et 1988 par les acteurs
politiques burundais, Bujumbura, mémoire U.B., 2008 et NIYONKURU, E., Les crises politico-ethniques en
communes Nyanza-Lac, Bujumbura, mémoire U.B., 20012
10

D’une façon générale, on voit que les monographies sur la crise de 1972 sont quasi
inexistantes, car à côté de celles traitant cette crise en province de Makamba, en commune de
Nyanza-Lac et de Vyanda, il n’y a aucune autre. Ceci donne une pertinence à mon sujet que
j’ai intitulé : La crise de 1972 en province de MUYINGA. Pour ce qui concerne les
événements de 1972, la province de Muyinga est encore presque vierge. Jean Pierre
CHRETIEN, dans son ouvrage Burundi 1972. Au bord des génocides, revient sur cette
province dans un court paragraphe où il fait un petit bilan des victimes. Ailleurs, la situation
de cette province est évoquée dans des bribes de phrases.

En ce qui concerne l’ouvrage d’Evariste Ngayimpenda, celui-ci consacre quelques pages à


cette province en y introduisant un élément nouveau qui apparaît comme une conséquence de
la crise de 1972 : c’est la nouvelle attaque de mai 1973 dans l’actuelle commune de Busoni.
Selon cet auteur, cette province restera en état de crise même les jours suivant le mois de mai
comme cela a été aussi le cas dans «les régions de Nyanza-Lac et Mabanda qui resteront
soumises à une violence endémique jusqu’ en 197416». Dans la même perspective, le même
auteur revient sur le climat de méfiance qui régnait entre les prêtres et l’évêque de Muyinga,
Mgr Nestor Bihonda, où un «confit au départ économique et de leadership épousera
ultimement des contours ethniques »17. Ceci conduit cet évêque à adresser une
correspondance au président de la République dénonçant «l’activisme ethnique dans les rangs
de ses prêtres nationaux et étrangers 18». Lui non plus comme le premier, ne dit pas grand
chose sur la période de la répression.

Ainsi donc, une recherche minutieuse s’avère nécessaire sur cette province pour combler ce
manque et pouvoir répondre aux différentes interrogations sur cette crise surtout que les
«travaux existants sont controversés ou interprétés différemment19». Pour parvenir aux
meilleurs résultats, la nature du travail nous oblige à faire recours aux sources orales par des
enquêtes où il sera question de recueillir les différents témoignages grâce aux focus groups et
aux interviews. Ces témoignages seront confrontés entre eux grâce aux sciences auxiliaires à
l’Histoire puis aux écrits existants malgré leur rareté.

16
NGAYIMPENDA, E., Op.cit., p. 379
17
Ibdem, p. 564
18
Ibidem
19
Centre d’Alerte et de Prévention des Conflits, Guide documentaire sur l’Histoire du conflit burundais,
Bujumbura, 2013, p. 15
11

On peut se demander ce qui mériterait d’être l’objet d’étude en province de Muyinga pour
approfondir une connaissance locale sur la crise de 1972. Il s’agira d’abord de situer cette
province dans son contexte sociopolitique avant les événements de 1972. Ceci nous amènera à
nous interroger sur l’apport du «modèle rwandais» et celui des crises antérieures, c’est-à-dire
de 1965 à 1971 au Burundi. De même, connaitre la situation sociopolitique de Muyinga
revient à examiner comment était organisée l’administration locale de cette province,
caractériser l’état du voisinage et les relations sociales dans les milieux religieux.

Nous aurons ensuite l’occasion de faire une description du déroulement des événements dans
cette province. Il importe ici de montrer des rôles et des responsabilités. Il paraît aussi
pertinent de mettre en lumière les modes d’arrestations et d’exécutions des victimes, de
localiser géographiquement les massacres sans oublier les fosses communes et faire un bilan
matériel et humain.

Enfin, en troisième et dernier lieu, il sera question de montrer les différentes actions visant le
retour à la paix qui furent interrompues par l’attaque de mai 1973 dans la région de Kirundo.
Malgré le silence imposé par le pouvoir, la crise de1972 a laissé des mémoires controversées
méritant une description laquelle sera complétée par une étude des relations entre Hutu et
Tutsi à la fin de la crise.
12

CHAPITRE I. CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE DE LA PROVINCE DE


MUYINGA AVANT LA CRISE DE 1972
I. 1. Historique de la province de Muyinga

Depuis le 21 août 1925, par une loi qui unissait administrativement le Ruanda-Urundi à la
colonie du Congo belge, le territoire du Ruanda-Urundi faisait partie d’un Vice-gouvernement
général. Celui-ci dépendait d’un Gouvernement général installé à Léopoldville. A l’intérieur,
il y avait en fait deux Résidences : Ruanda et Urundi.

L’arrêté royal du 29 juin 1933 divisait la Résidence de l’Urundi en 9 territoires et l’un d’entre
eux est le territoire de Muyinga. Chaque territoire était divisé en chefferies ayant à leur tête
des chefs. Mais ces chefferies allaient être regroupées durant la réorganisation administrative
inscrite en tête du programme politique des autorités belges en 192920 mais entamé en1923.

L’une des innovations de la Tutelle (1949-1962) fut la suppression des chefferies qui furent
remplacées par les provinces par l’ordonnance législative no 221/253 du 26 septembre 1960.
Avec cette même ordonnance, le Burundi comprenait 9 territoires dont le territoire de
Muyinga constitué par deux provinces à savoir Muyinga et Kirundo. La province était
administrée par un administrateur de province, un administrateur de province adjoint et un
secrétaire21. Le territoire de Muyinga sera connu comme province à partir du 1er mars 1962
par une loi qui divisait le Royaume du Burundi en provinces dirigées chacune par un
gouverneur de province. Désormais, par la même loi, la province de Muyinga comprenait
deux arrondissements (Muyinga et Kirundo) à la tête desquels il y avait des commissaires
d’arrondissements et chaque arrondissement était subdivisé en plusieurs communes22.

L’arrêté-loi no 001/767 du 1er septembre 1965 réorganisa les communes du Burundi en


ramenant leur nombre de 181 à 78. Avec cet arrêté-loi, la province de Muyinga comptait
dorénavant 10 communes regroupées en deux arrondissements (Muyinga et Kirunndo).

20
GAHAMA. J., Le Burundi sous l’administration belge. La période du mandat (1919-1939), Paris, Karthala, 1983,
p. 57
21
Idem
22
Au total, la province de Muyinga regroupait 21 communes.
13

Tableau 1 : Les communes de la province de Muyinga depuis 196523

Arrondissements Communes
Muyinga Muyinga
Buhinyuza
Gasorwe
Butihinda
Muyange˗Gashoho
Kirundo Ntega
Busoni
Bwambarangwe
Kirundo
Vumbi˗Bukuba

Durant toute cette période, s’agissant du personnel administratif surtout communal, certaines
autorités étaient semi-illettrées, d’autres illettrées ayant une tendance politique prétentieuse en
l’occurrence à partir des années 1965. Certaines autorités croient être à la hauteur de
n’importe quelle fonction politique du pays, d’autres sont des valets inconscients des grands
leaders politiques24.

23
Archives Nationales du Burundi, doc. cité
24
Idem, R.A./ARRO. p. 8
14

Carte 1 : Organisation administrative de la province de Muyinga

Source : Nous-mêmes (Fond de la carte établie par GAHAMA Joseph in Organisation


territoriale du Burundi, cours de la Première Licence, Département d’Histoire, Bujumbura,
U.B., 1991, p. 650).
15

I. 1. 1. Une province à la portée du « modèle rwandais »


Ce mot « modèle rwandais » fait allusion d’abord à ce que certains auteurs comme René
Lemarchand ont appelé « révolution sociale ». Il s’agit en fait des événements sanglants
survenus au Rwanda en 1959, c’est-à-dire avant que celui-ci n’accède à son indépendance, à
commencer par le renversement du pouvoir monarchique dominé par le clan tutsi des
Nyiginya, puis la proclamation de la république. Jean Pierre Chrétien et Jean François
Dupaquier décrivent ces événements qu’ils qualifient aussi de « 1789 rwandais » :

« Ce pays connaît, de novembre en 1959 à septembre en 1961, une


révolution dite "sociale" : attaques des enclos tutsi par des bandes armées
hutu, destitution de plus de la moitié des autorités coutumières tutsi,
remplacées par des bourgmestres hutu sous le contrôle politique et militaire
de l’administration belge, renversement de la monarchie et proclamation de
la République par Grégoire Kayibanda leader du Parmehutu, le Parti du
mouvement de l’émancipation des Bahutu25».

Ces événements se sont soldés par l’exil de nombreux Rwandais tutsi estimés à 150 000 en
1963. La plupart était partie en Ouganda et au Burundi26. Selon les statistiques officielles du
début de 1965, le Burundi comptait 72 977 dont environ 52 000 Tutsi originaires du
Rwanda27.

Le Burundi allait-il échappait à ce raid que subissait son voisin, le Rwanda ? Selon Melchior
Mbonimpa, le destin de ce pays et celui de son voisin du Nord sont si liés que parler de l’un,
c’est parler de l’autre28. Avec l’arrivée massive des réfugiés rwandais, le Burundi va être
entaché par la contagion de cette mobilisation « ethnique » rwandaise. Ce pays avait pu,
depuis longtemps, garder sa spécificité : le pouvoir monarchique dominé par les Ganwa, une
famille dirigeante qui n’était ni hutu ni tutsi, avait pu laisser plus de place à ces deux
composantes sociales majoritaires. Le nombre élevé des réfugiés rwandais au Burundi
pourrait-il expliquer ce phénomène nouveau au Burundi ?

Quand on lit les archives de la province de Muyinga des années 1964-1965, on constate que le
nombre des réfugiés rwandais était tellement élevé comparablement à d’autres étrangers
séjournant dans la province.

25
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Op.cit., p. 18
26
Idem, p.19
27
KAVAKURE, L., Le conflit burundais I. Op.cit., 2002, p. 68
28
MBONIMPA M., Hutu, Tutsi, Twa : Pour une Société sans Castes au Burundi, Paris, L’Harmatan, 2002, p. 13
16

Seul l’arrondissement de Kirundo hébergeait 10850 réfugiés installés dans le camp de Murore
dans la commune Busoni. Le tableau suivant nous donne une idée sur la présence des
Rwandais dans cet arrondissement en 1964.

Tableau 2 : Population étrangère non immatriculée ni inscrite :

Nationalité Hommes Femmes Garçons Filles Total


Rwandaise 652 2290 2571 2845 8358
Congolaise 6 5 7 14 32
Tanganyikaise - - - - -
Ugandaise 9 4 2 9 20
Autres 663 2299 2600 2868 8878
Source : Archives Nationales du Burundi,R.A./ARRO. p.7

Comme on le voit dans le tableau-ci haut, le nombre de Rwandais est plus élevé par rapport à
celui des Congolais et des Ougandais. L’ensemble d’autres étrangers résidant dans cet
arrondissement dont les provenances n’ont pas été mentionnées ici sont nombreux du fait
qu’ils proviennent de plusieurs pays. Donc, au cas où on prendrait chaque pays à titre
individuel, on allait remarquer que chacun de ces pays n’est représenté que par quelques
dizaines d’individus.

Quant à l’arrondissement de Muyinga, on observe une situation presque semblable à la


précédente : le nombre de réfugiés rwandais présents à la fin de 1965 est de 765929.
Auparavant le gouvernement s’était toujours chargé de les entretenir à tout point de vue :
nourriture, habillement, soins médicaux, scolarité,…mais au courant de l’année 1965, ils
vivent du fruit de leur labeur30. Ceci a poussé les Rwandais qui n’étaient pas habitués à
cultiver à mener une vie errante pour chercher là où le gouvernement distribuait encore des
vivres. Mais à côté de cette catégorie des réfugiés vivant dans les camps, une autre catégorie
vivait parmi la population nationale.

29
Archives Nationales du Burundi, Op.cit., p.7
30
Idem, p.8
17

Tableau 3 : Effectif des réfugiés rwandais au 31 décembre 1972

Nationalité Hommes Femmes Garçons Filles Total

Rwandais 1557 1781 2516 2727 8581

Source : Archives provinciales de Gitega

Parfois, leur vie n’était pas trop différente de celle des Burundais selon les propos de Louis
Marie Niyibimenya :

« Plusieurs de ceux avec lesquels nous avons cohabité s’étaient installés


définitivement. On dirait qu’ils étaient des citoyens burundais…ils avaient
des propriétés foncières et enseignaient même. Même parmi les enseignants
que je connaissais, il y avait des Rwandais ainsi que des conseillers
(collinaires) à cette époque de 1972. D’autres étaient des fonctionnaires de
l’Etat. Je me rappelle que parmi eux pouvait se déceler ceux qui
connaissaient des travaux de traçage des routes, d’autres faisaient du
commerce et pratiquaient l’élevage »31.

Cette idée de l’intégration des Rwandais dans la société burundaise a été aussi soutenue par
Laurent Kavakure qui confirme qu’̕ ils étaient intégrés dans l’armée, le commerce, les
banques, l’administration.32

Du point de vue politique, à Murore, avant de les déplacer vers le camp de Buhinyuza et
Mishiha, les Rwandais organisaient des activités politiques à l’intérieur du camp et avait une
armée « Inyenzi » (cafards). Dans le camp de Murore, ils détenaient même des armes à feu et
faisaient des incursions au Rwanda. Mais chaque fois, ils étaient repoussés par l’armée
rwandaise. De même, les militaires rwandais entraient dans les régions frontalières surtout de
Busoni et de Bugabira à la recherche des réfugiés rwandais. Sur leur passage, ils tuaient un ou
deux rwandais mais également des Burundais pouvaient en être victimes. Sur ce propos
Augustin Mariro écrit :

« Le 28 janvier 1964, Pierre Ngendandumwe envoie un second télégramme


au président rwandais, protestant vigoureusement contre les violations
répétées du territoire burundais et contre les massacres et les incendies

31
NIYIBIMENYA, Louis Marie, Muyinga, le 25/8/2015
32
KAVAKUREA, L., Op.Cit. p. 69
18

perpétrés sur les populations burundaises frontalières. Le Premier ministre


donne les détails de ces violations, notamment dans la région de Kirundo,
sur les collines Kigeri et Marembo, où l’armée rwandaise a traversé la
frontière pour semer la désolation »33.

Salvator Rwasa, un habitant de Busoni, nous a rapporté que ces incursions réciproques avaient
donné naissance à une guerre des médias. Selon André Guichaoua :

« Les relations entre le Rwanda et le Burundi furent dominées par des


représentations ethniques transfrontalières. Depuis la « révolution sociale »
de 1959 et l’arrivée au Burundi des réfugiés tutsi du Rwanda, puis les
attaques répétées des « inyenzi » durant les années 1963-1964 depuis le
territoire burundais, les relations entre le pouvoir radical hutu de
KAYIBANDA et le pouvoir radical tutsi de MICOMBERO ne cessèrent de se
détériorer jusqu'à l’arrivée d’HABYARIMANA au pouvoir en juillet
1973 »34.

Quant à l’impact de la présence des réfugiés rwandais au Burundi, c’est l’exacerbation de la


tension « ethnique » qui existait peut-être mais pas au même degré qu’au Rwanda. C’est ce
qu’Augustin Mariro appelle « internationalisation de la crise rwandaise ». Sur ce point, Louis
Marie Niyibigira ne mâche pas les mots :

« Dire qu’elle (la présence des Rwandais) ne changeait rien serait un


mensonge. Si les simples paysans banalisaient l’affaire, les élites avaient
remarqué pourquoi ces hommes avaient pris fuite, que c’était à cause de la
guerre, une question politique liée à l’ethnisme. Alors à cette période, au
Rwanda c’était terrible »35.

Comme on le voit, avec l’arrivée des Rwandais au Burundi, la haine entre les Hutu et les Tutsi
se transpose sur le terrain politique burundais et s’ancre dans l’esprit des élites. Ainsi, on
rejoint l’idée d’Augustin Mariro :

33 ère
MARIRO, A., Burundi 1965 : La 1 crise ethnique, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 136
34
GUICHAOUA A., Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique centrale et orientale, Karthala, Paris, 2004, p.221
35
NIYIBIMENYA, Louis Marie, Muyinga, le 25/8/2015
19

« Le fait que les conflits ethniques et régionaux sont nés et se sont


développés dans les zones urbaines au sein des élites scolarisées avant que
celles-ci ne tentent de les transférer dans les zones rurales montre que le
rôle des élites dans la production des conflits a été déterminant au
Burundi »36.

De même, dans les milieux ruraux ce sont toujours les élites : administratifs, fonctionnaires,
commerçants, notables qui ont été les porteurs de ce « virus ethnique » s’apparentant « au
modèle rwandais ». Car celles-ci pouvaient intérioriser plus facilement cette idéologie,
accéder aux médias pouvant propager, accélérer, et amplifier la tension « ethnique ».37

Du point de vue social, la présence des Tutsi rwandais au Burundi, qui venaient d’esquiver les
troubles dans leur pays et qui se retrouvaient encore à côté des Hutu burundais presque
semblables à ceux du Rwanda, ne pouvait passer inaperçu. Elle a favorisé le développement
d’un « esprit communautariste ». En effet, d’une part, les Tutsi rwandais vivant au Burundi
pouvaient être confondus avec ceux du Burundi. Dans une situation pareille, pour sauver leurs
vies et éviter l’état fugitif sans fin, ils optaient pour s’allier aux « Tutsi extrémistes ». Cette
alliance entre la composante tutsi du Rwanda et celle du Burundi s’est soldée par une
solidarité « ethnique »38. D’autre part, après le forfait révolutionnaire, chacun des deux camps
se mettait dans la place des Hutu et des Tutsi du Rwanda. Le transfert du pouvoir de la
dynastie Nyiginya vers le Parmehutu au Rwanda donnait confiance à certains membres de
l’élite hutu du Burundi que l’exploitation de la même voix leur permettrait de parvenir à la
conquête du pouvoir39. Tandis que l’accueil des réfugiés rwandais par les Tutsi du Burundi
avait provoqué une peur chez ces derniers menacés de subir le même sort que leurs
semblables du Rwanda. En effet, le succès des Hutu rwandais qui avait réussi à prendre en
mains la direction du pays et à la garder contribuait également à renforcer les craintes des
Tutsi burundais40.

36
MARIRO, A., Burundi. De la nation aux ethnies ou naissance d’une élite tribalisée, Dakar, UNESCO, 1998, p. 20
37
NDAYONGEJE, N., Essai d’analyse du phénomène de contagion des crises politiques rwandaises et
burundaises : 1959-1997, Bujumbura, U.B., 2000, p. 2
38
Idem, p. 134
39
Idem
40
PERRAUDIN, J., Op.cit., p. 60
20

De toute façon, on voit que « le modèle rwandais » va plonger ses racines dans la société
burundaise après 1959. En lisant la lettre du commissaire d’arrondissement de Muyinga
Nicaise Karengwa adressée au vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur en 1964, on
constate que les premiers signes d’un conflit font leur irruption dans l’arrondissement de
Kirundo en commune Butarugera.

En effet, ce commissaire portait à sa connaissance des faits malheureux qui s’étaient produits
en commune Butarugera où des propagandistes de l’UPRONA avaient été arrêtés depuis le 18
mai 1964 par Monsieur Victor Mvuruma, bourgmestre de cette commune. Le pire encore,
leurs huttes avaient été incendiées pendant la nuit du 1941. Le commissaire d’arrondissement
s’est rendu sur les lieux et a trouvé qu’effectivement la hutte de Mugemankiko avait été
incendiée. Au moment où Mugemankiko demanda au bourgmestre pourquoi il était arrêté, le
bourgmestre pour toute réponse lui dit : « Je vous emprisonne parce que je suis bourgmestre,
aussi longtemps que je suis bourgmestre, je vous emprisonnerai et quand vous serez
bourgmestre à votre tour, vous n’avez que m’emprisonner»42. Ce bourgmestre accusait
Mugemankiko d’avoir tenu une réunion à Tangara sans autorisation ; ce que niait le détenu.
Mais, au moment de l’interrogatoire que le commissaire d’arrondissement fait à Mvuruma, ce
dernier affirme qu’il l’avait emprisonné parce qu’il avait commissionné de semer le racisme
en excitant les Bahutu contre les Batutsi43.

Sur cette même affaire, le bourgmestre accusait le gouverneur de province d’être complice
des faiseurs du trouble. Dans une enquête politique menée par le bourgmestre Mvuruma le 25
mai 1964, le problème ethnique transparaît à travers la question qu’il a posée à un certain du
nom de Hilaire Nibizi :

« Le 15 mai 1964, vous m’avez dit que la cause de l’impunité (des


coupables) même s’ils auraient des fautes c’est parce que ce sont des
Bahutu, même maintenant vous l’affirmez que Mugemankiko l’a dit ? Je
vous donnerai la réponse en assemblée comme on était tous là, sinon on
dirait que je mens »44.

41
Archives Nationales du Burundi, doc.cité
42
Idem
43
Idem
44
Archives Nationales du Burundi, Enquête y’ivyerekeye politique mbi, Tangara, le 25mai 1964
21

Dans cette question, le bourgmestre commence par rappeler ce qu’aurait dit Mugemankiko le
jour de la réunion. Aussi, à voir la formulation de cette question, on remarque qu’il s’agit
d’une enquête d’abord effectuée le 15 mai 1964 mais que le même Mvuruma refait le 25 mai,
cette fois-ci en présence des notables qui ont apposé leurs signatures sur cette enquête comme
témoins. Ne s’agirait-il pas d’une manipulation faite par le bourgmestre le 15 mai pour la
mettre par écrit le 25 mai en présence des notables ?

La même question « ethnique » apparaît dans les rapports après la campagne électorale. Cela
est visible dans une lettre que le commissaire d’arrondissement Sévérin Ndayishinguje a
adressé au Directeur Général du ministère de l’Intérieur datant du 23 juin 1965 relatant la
situation à Kirundo. Cette lettre évoque l’emprisonnement d’un certain François Karikurubu
qui menait une mauvaise politique ("racisme") depuis le début de la campagne électorale. Le
même commissaire explique l’origine du différend qu’il a avec le gouverneur :

« Il me poursuit parce que j’ai bien surveillé des personnes dangereuses qui
voulaient exercer une mauvaise politique raciale (racisme) qui sont les
siennes d’ailleurs et lui à la tête pendant la période électorale 1965. Il me
poursuit à cause des documents que j’ai saisis des personnes qui voulaient
semer des troubles pendant la même campagne »45.

Il a ajouté enfin que le gouverneur cherchait sa mutation pour avoir l’occasion de fonder le
parti P.P.46 avec les siens qui était tombé dans les oubliettes depuis l’écrasante victoire de
l’UPRONA de septembre 1961.

En peu de mots, on voit qu’avant les crises débutées en 1965, le « virus ethnique » est déjà
présent dans le comportement des Burundais en général et dans la province de Muyinga en
particulier, une des provinces ayant accueilli les réfugiés rwandais. L’exemple de
l’arrondissement de Kirundo nous a montré que le sentiment « communautariste » l’emporte
sur le sentiment national. Avant d’entamer la crise de 1972, la période de 1965-1971 nous
semble déterminante pour cette question.

45
Archives Nationales du Burundi, doc.cité
46
P.P. (Parti du Peuple) réapparait à la veille des élections légistratives de 1965. Le fondateur de ce parti Albert
Maus défendait une représentation séparée et garantie des Hutu. En d’autres termes, le P.P. était supposé être
le représentant des intérêts hutu. Ici, on se met dans la logique qu’évoque Jean Pierre Chrétien selon laquelle
peuple=Hutu=Bantous.
22

I. 1. 2. La province de Muyinga face aux crises de 1965 à 1971


I. 1. 2. 1. La crise de 1965
Au courant de la période 1961-1965, le Burundi traverse une crise institutionnelle qui débute
avec la crise de succession à la direction du parti UPRONA après l’assassinat du prince Louis
Rwagasore le 13 octobre 1961. Celle-ci opposait Paul Mirerekano à André Muhirwa. La crise
de succession fut le détonateur d’une crise institutionnelle généralisée qui affecta le
parlement, le gouvernement, la cour et bien sûr le parti UPRONA47. Ce conflit de personnes
au sein du parti finit par donner naissance au conflit politico-idéologique entre Casablanca
(progressistes) et Monrovia (modérés).

Cette course aboutit enfin au conflit « ethnique » entre Hutu et Tutsi. C’est avec les élections
légistratives du 10 mai 1965 qu’on peut conclure que le problème entre Hutu et Tutsi avait été
déplacé de l’Etat jusqu’aux collines.

Cependant, les élections de 1965 donnent encore une fois à l’UPRONA une victoire avec 21
sièges sur les 33 sièges. Mais, entre temps, le grand schisme devient évident avec la
nomination de Léopold Biha (Ganwa) par le roi comme formateur du gouvernement. Cette
nomination est perçue dans les milieux hutu comme une sorte d’usurpation de pouvoir par le
roi en collaboration avec les Tutsi. C’est dans ce contexte que s’inscrit le coup d’Etat du 19
octobre 1965 : attaque de la cour du roi par un groupe de gendarmes à la tête duquel se
trouvait un commandant hutu Antoine Serukwavu et les massacres de Busangana suivis d’une
répression. Selon le rapport de la LDGL48, dans ces deux communes, le bilan fut lourd ;
environ 400 personnes tuées, alourdi par les victimes des affrontements, à savoir 10 mutins et
4 militaires loyalistes. Quant à la répression des auteurs de cet acte, le 22 octobre 1965, 34
militaires sont condamnés à mort et exécutés, le 26 du même mois 9 nouveaux mutins sont
exécutés. Le 25 octobre 1965, 11 personnalités politiques marquantes dans la vie du pays
accusés d’être à la tête du complot sont condamnées à mort excepté Léonard Ncahoruri
condamné à la servitude pénale à perpétuité.

Après ces événements, le Burundi évolua dans un climat de haine, de méfiance, de suspicion
et de peur généralisée entre les deux composantes sociales majoritaires.

47
NDAYISHIMIYE, P., Tentatives d’explication des crises des régimes politiques africains post-coloniaux (1961-
1995) : cas du Burundi, Bujumbura, U.B, 1996, p.17
4848
Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs, Burundi : Quarante ans d’impunité, Kigali,
2005, p. 43
23

Pour le cas qui nous concerne, les habitants de Muyinga ne sont pas restés indifférents face à
cette crise, pour plusieurs raisons. D’abord, la crise de 1965 a été précédée par l’assassinat du
premier ministre Pierre Ngendandumwe originaire de Kirundo (à Kanyinya) et surtout que,
nous dit notre informateur, certaines élites disaient que Ngendandumwe avait été assassiné
parce que Hutu49. Ensuite, le commandant Antoine Serukwavu à la tête de l’attaque était lui
aussi originaire du même arrondissement, cela aurait fait que quelques-uns se seraient alliés à
lui. Le rapport de l’arrondissement de Kirundo (à Mukenke) l’explique mieux : « Tous ceux
qui ont occasionné quelques difficultés administratives ce sont les conséquences du coup
d’Etat manqué. Des mesures ont été prises à temps au détriment des acolytes de Serukwavu,
Mukenke étant son fief »50.

Quant à la population locale qui considérait ces événements comme une déception, elle
rassembla quelques tonnes de haricots pour aider les victimes des massacres. Le rapport
annuel de l’arrondissement de Kirundo revient sur ce geste :

« Cela fut une grande déception de la part de la population en apprenant


que les gens appelés à la guider et la promouvoir avaient cherché à faire
sombrer le pays dans la misère, dans le chaos, dans l’anarchie. La
population de cette province fut tellement émue qu’elle rassembla 7 tonnes
de haricots pour aider les sinistrés de Muramvya 51».

I. 1. 2. 2. Le complot de 1969
Après une année au pouvoir, Micombero se fit l’objectif de marquer le premier anniversaire
de la proclamation de la République par les actes de clémence. Dans le but de réaliser la
réconciliation nationale et la mobilisation de tous les citoyens à la cause de la révolution du
28 novembre 1966, une amnistie générale est proclamée pour les prisonniers politiques, en
particulier ceux de 1965. Cette mesure concernait notamment les auteurs d’infractions,
supposées ou réelles d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat52.

49
NIYIBIMENYA Louis Marie, Muyinga, le 25/8/2015
50
Archives Nationales du Burundi, R.A. / ARRO. p.9
51
Idem
52
BOB 2/6,1969, p.51 cité par NIYONKURU, E., Les crises politico-ethniques de 1972 et de 1993 en commune
NYANZA-LAC, Bujumbura, U.B., p.30
24

Toutefois, malgré ces efforts du régime au courant de l’année 1968, les divisions restent
vivaces. Des plaintes et des rumeurs circulaient autour de la question « ethnique ». Selon les
propos de Marc Manirakiza sur l’entourage de Micombero : « SIMBANANIYE et SHIBURA
avaient la réputation de ne pas aimer les Tutsi de Muramvya et surtout d’être anti-hutu »53.

C’est cette situation de méfiance qui évolua jusqu’à ce qu’elle débouchât à la préparation
d’une tentative de coup d’Etat en 1969. En septembre 1969, des réunions se succédèrent chez
Barnabé Kanyaruguru qui avait pris la tête du mouvement54. D’autres sources évoquent des
réunions qui se tenaient dans la vallée de la rivière Nkaka d’où le complot de 1969 est parfois
désigné sous l’appellation du « plan Nkaka »55. Le procès sur ce complot déboucha à la veille
de Noël 1969 sur l’exécution de 21 hutu dont 19 étaient militaires.

Relativement à ce complot, nous ne voyons pas directement son impact sur l’évolution des
relations sociopolitiques de la province de Muyinga faisant l’objet de notre étude. Certains
auteurs comme Laurent Kavakure qualifient ce complot comme l’un « des événements peu
connus56 » par l’opinion. Ce complot peu connu sera suivi par celui de 1971.

I. 1. 2. 3. Le complot de 1971
En juillet 1971, les autorités révélèrent l’existence d’un complot tutsi contre le chef de l’Etat.
Coup monté ou non par les faucons du régime, qui voulaient se débarrasser une fois pour
toutes de leurs opposants ? L’affaire reste mystérieuse. Des personnalités burundaises en vue
furent arrêtées (…) : ministres, gros commerçants, hauts fonctionnaires, tous tutsis
emprisonnés par les Tutsis57 ! Pour le moment, ce sont les personnalités de la province de
Muramvya qui furent arrêtées, accusées d’atteinte à la sûreté de l’Etat et la tentative de
renversement des institutions.

Selon la LDGL58, le 6 juillet 1971 furent arrêtées les sept premières personnalités, au cours du
mois de septembre de nouvelles arrestations d’autres personnalités sont opérées. Le 6 octobre
1971, commence le procès contre les prévenus, qui est aussitôt suspendu, officiellement pour
le complément d’enquête.

53
MANIRAKIZA, M., Burundi : De la révolution au régionalisme (1966-1976), Paris/Bruxelles, Le Mât de
Misaine, pp.40-41
54
Idem, p.41
55
NGAYIMPENDA, Op.cit., p.334
56
KAVAKURE, L., Op.cit., p.167
57
NIEMEGERS, M., Les Trois Défis du Burundi : Décolonisation-Démocratie- Déchirure, Paris, L’Harmattan, 1995,
p.92
58
Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs, Op.cit., pp. 41-42
25

Le 10 octobre 1971, de nouvelles arrestations sont opérées, suivies d’une autre vague
d’arrestations au mois de novembre. De lourdes condamnations sont prononcées : 9 à la peine
capitale, 7 à l’emprisonnement à perpétuité, trois à vingt ans de prison, une à cinq ans de
prison et six acquittements59.

Pour cette affaire, face aux pressions multiples60, le président a fait usage de son droit de
grâce pour les inculpés et allégé les peines prononcées. L’usage de son droit de grâce va-t-il
conduire les Burundais vers la voie de la réconciliation ? Chacune de ces deux composantes le
perçoit de sa façon.

Pour tout dire, on voit que le complot de 1971 comme celui de 1969, à la différence de la crise
de 1965, n’a pas eu des répercussions directes sur l’évolution sociopolitique de la province de
Muyinga. Cette fois-ci, ceci serait dû à l’éloignement de la province et le fait que les
personnalités concernées par l’affaire étaient surtout de Muramvya. Mais la période de 1965 à
1971 est plus déterminante en ce qui concerne « l’ethnisation » et la régionalisation du
pouvoir ainsi que l’évolution sociopolitique future de la province jusqu’à la veille de la crise
de 1972.

I. 2. La province de Muyinga à la veille de la crise de 1972 : signes avant-


coureurs
I. 2. 1. Une administration régionalisée et « monoethnisée »
Avant l’éclatement de cette crise, un nouveau phénomène avait vu le jour au Burundi : le
régionalisme et la « monoethnisation » du pouvoir. Dans certains milieux, on rapporte que
tout avait commencé avec la crise de 1965 et avait été accentué surtout avec la prise du
pouvoir par le président Michel Micombero.

Ainsi, à l’approche de 1972, la province de Muyinga avait pour gouverneur Jean


Barahinduka, originaire de Bururi.

En plus, notre informateur nous fournit une liste d’une seule composante dans
l’administration de la zone Giteranyi : « Chef de zone : Salvator Ndabambarire ; les chefs de
secteurs : Bahama (Rusenyi), Dominique Basomingera (Giteranyi), le Rwandais Tharcisse
Mugabo (Buhangara), Babwababwa (Rumandari), Gatamba (Mugano)»61.

59
Ibidem., p. 42
60
Pressions internes et pressions internationales tels que le président Mobutu et le Saint-Siège qui auraient
plaidé en faveur des condamnés. Sur ce sujet, voir aussi Ngayimpenda, E., Op.Cit., p. 361
61
NIYIBIMENYA Louis Marie, Muyinga, le 25/8/2015
26

Jusqu’ici, nous pouvons nous permettre de parler d’une monopolisation du pouvoir par les
Tutsi avant même la période d’exception depuis le 29 avril avec la nomination des
gouverneurs militaires. En effet, dans son article 2, le décret de nomination des gouverneurs
militaires précisait que pendant cette période troublée, les gouverneurs civils allaient exercer
leurs fonctions sous le contrôle et la supervision des gouverneurs militaires. Ainsi, pour la
province de Muyinga, on nomma le commandant Ferdinand Ntawumenya. Que seraient les
conséquences de cette nomination ? A l’analyse, écrit Evariste Ngayimpenda, ces différents
actes de nomination renforcent la régionalisation d’un pouvoir déjà ethniquement monopolisé,
cela dans un contexte d’exception62.

Comment la crise qui éclate au Sud où les Tutsi ont été massacrés par les rebelles hutu aurait
entamé la province de Muyinga, une province éloignée du foyer des événements ? Cela
s’expliquerait par un acte de vengeance : les Tutsi du Sud ont voulu venger leurs parents et
leurs enfants massacrés par les rebelles hutu dans la province de Bururi. Notre informateur
donne cette explication de ce phénomène :

« Seulement l’année 1972 a connu des catastrophes. Il y a eu une crise.


Ainsi les Tutsi ont été massacrés à Rumonge mais cette crise s’est répandue
dans tout le pays. Au Burundi, les Hutu victimes des massacres de Rumonge
ont été tués. Et ici dans le Nord, l’administration était dominée par les gens
du sud, ainsi l’hécatombe du Sud se répandait partout. Ça a été de la
vengeance. C’était pour se venger puisque le gouverneur était du Sud ; le
commissaire d’arrondissement, originaire du Sud ; ainsi que le
commandant de brigade. Même les administrateurs comme Damas
Mpangaje de Kirundo était originaire du Sud»63.

Cette régionalisation et monopolisation du pouvoir par une seule composante sociale débute
avec la mort du Premier ministre Ngendandumwe puisque l’opinion rendait les Tutsi
responsables de l’assassinat du Premier ministre64. Après la victoire de l’UPRONA lors les
élections de septembre 1961, le pouvoir était encore inclusif en faveur de toutes les
composantes. Mais, petit à petit, les tensions« ethniques » se sont accrues. A un certain
moment, il y a eu des mécontentements entre les Hutu et les Tutsi jusqu’à l’exclusion des
Hutu dans l’administration.

62
NGAYIMPENDA, E., Op.cit. p.464
63
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015
64
Idem
27

On peut dire que c’est la conséquence de la crise de 1965 (massacres de Busangana et


l’attaque du Palais royal). Désormais, dans son poste, le Hutu était remplacé par le Tutsi en
l’occurrence de Bururi comme nous l’a suggéré Gérard Rugambarara déjà cité. La même
hypothèse est soutenue par beaucoup de nos personnes ressources et ajoutent que cette
régionalisation du pouvoir avait provoqué des mécontentements tant chez les Hutu que chez
les Tutsi de la province de Muyinga.

« Après la révolte des Hutu, on réduisit leur nombre dans l’administration.


Ici chez nous les intellectuels étaient seulement des enseignants ; puis les
administratifs étaient originaires de Bururi, du comptable communal
jusqu’au planton qui hisse le drapeau national ici à Kirundo étaient de
Bururi. Moi étant enseignant de dire “Ces affaires des Banyabururi, ces
affaires des Banyabururi (il insiste). Que nous soyons administrés par les
gens de Bururi jusque même à cet agent gardien de la barrière, qu’il soit de
Bururi !"»65.

Ces Tutsi de Bururi confessaient également qu’au Nord, il n’y avait pas de Tutsi et que ceux
qui pourraient l’être étaient des Rwandais selon toujours les propos de Salvator Rwasa :

« Ils disaient qu’à Kirundo ne vivaient pas de Tutsi ; que tous étaient Hutu.
Celui qu’on pouvait appeler Tutsi, était un Rwandais. Même
l’administrateur a risqué la mort là où on allait défricher la brousse pour y
chercher les rebelles hutu parce qu’on n’avait pas confiance en lui ; il a été
sauvé par le gouverneur »66.

Même actuellement, notre informateur (ganwa) se lamente qu’il aurait été


administrateur depuis longtemps : ce sont ses propos qui le lui auraient empêché car
ils ont été acheminés chez le gouverneur Jean Barahinduka lui-même de Bururi. Ceci
veut dire que ce régionalisme avait provoqué des frustrations.

65
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
65
Idem
66
Idem. Si ces autorités originaires de Bururi n’avaient pas confiance à celles originaires de Muyinga, ces
dernières n’auraient-elles pas pu s’allier aux premières dans le but de maintenir leurs places dans
l’administration ?
28

Ces frustrations se rencontrent aussi dans les milieux hutu où on se demandait si à Bururi
n’existait pas aussi bien des Hutu que des Tutsi. Pourquoi seuls les Tutsi de Bururi couvraient
l’administration ? L’absence des Hutu signifierait-elle que ceux-ci n’existaient pas à Bururi ?
Pour Jean Berchmans Karikurubu :

« Tout cela commence au moment où on a constaté que les Hutu s’étaient


opposés au pouvoir en place. Ainsi les Tutsi ont décidé de fermer les portes
aux Hutu. Dorénavant, on pouvait leur donner le secrétariat et autres postes
techniques, on pouvait même les intégrer dans l’armée en leur refusant
des grades supérieurs. Les Hutu croient qu’à cette période aucun Hutu ne
pouvait avoir un poste de grande importance surtout dans l’administration,
il y avait une sorte d’interdiction pour les Hutu d’entrer dans
l’administration »67.

Si les intellectuels de la province se lamentaient à propos de cette régionalisation du pouvoir,


il n’en était pas ainsi chez les paysans de la région : ceux-ci restaient indifférents devant cet
état de choses. Certains allaient jusqu’à penser que c’était le pouvoir qui, depuis le temps des
Ganwa, avait passé dans les mains des Tutsi. Pour tourner la situation en leur faveur, ces
administratifs devenaient trop arrogants vis-à-vis des administrés pour marquer leur
différence. Notre informateur l’exprime en ces mots :

« Les paysans ne comprenaient pas grand chose. Mais cela avait provoqué
une frustration chez les intellectuels qui n’avaient pas de choix. Et eux
(administratifs) administraient avec arrogance et avec terreur pour leur
montrer qu’ils n’ont pas de valeur devant eux pour qu’ils ne puissent plus
les affronter. Mais ces lamentations se faisaient en cachette surtout que ces
intellectuels étaient encore peu nombreux et le plus souvent des enseignants.
Et l’enseignant ne pouvait s’approcher du commissaire d’arrondissement
détenant le pouvoir d’emprisonner. D’ailleurs aucun lien entre eux»68.

Mais, d’autres le prenaient comme tel. Ils croyaient que le pouvoir devait être ainsi. Un
gouverneur de Bururi était remplacé par un autre de Bururi69.

67
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome de Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 8 octobre 2015
68
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke I, le 14 octobre 2015
69
NIVYABANDI Joseph, chef de secteur en commune Vumbi, 85 ans, Gasura, le 12 octobre 2015
29

Malgré cette frustration, on ne pouvait pas dire quoi que ce soit, même un petit mot ; puisque
à cette période dire le mot « umututsi », on vous prenait pour « raciste » et on vous traînait
dans la justice où les juges étaient des Tutsi70.

Le tableau suivant nous donne une idée sur le recouvrement de l’administration communale
en province de Muyinga :

Tableau 4 : Le recouvrement de l’administration communale en province de


Muyinga en 1972

Nom et prénom de Commune Origine Composante


l’administrateur administrée sociale
RUCUMUHIMBA Laurent Buhinyuza Ruyigi Tutsi
NZOGERA Joseph Busoni Muyinga Tutsi
KAMECA Adrien Bwambarangwe Ngozi Tutsi
BIBONOGOJE Simon Gasorwe Mwaro Tutsi
MPANGAJE Damas Kirundo Bururi Tutsi
NAHIMANA Louis Muyange-Gashoho Ngozi (Kayanza) Tutsi
BASABOSE Muyinga Bururi Tutsi
MAKO Sébastien Ntega Muyinga Ganwa
GAHIMA Vumbi-Bukuba Muyinga Tutsi
NDISABIYE Jacques Butihinda Muyinga Tutsi
Source : Nous-même

Comme on le voit dans le tableau ci-haut, on ne pourrait pas parler d’une monopolisation de
l’administration par des gens de Bururi si le commissaire d’arrondissement et le commandant
de brigade de Kirundo et le gouverneur ne provenaient pas de Bururi, car les administrateurs
communaux proviennent de 5 provinces.

Salvator Rwasa, un Ganwa de Busoni, explicite le sort des Ganwa après la prise du pouvoir
par « leurs anciens ennemis» hima de Bururi et reconnaît également la non existence des Tutsi
originaires de la région de Kirundo :

70
KARIKURUBU Jean Berchmans, agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
30

« Après la prise du pouvoir par les "Banyabururi", nous les Ganwa,on nous
a assimilés aux Tutsi puisque ceux qui dirigeaient étaient des Tutsi hima
originaires de Bururi, ennemis parce qu’on disait que les Hima étaient des
porte-malheurs. Donc autrefois, ils ne pouvaient pas traire la vache d’un
Muganwa. Ici(Busoni), il n’y avait pas de Tutsi. Ils venaient d’ailleurs : qui
ne venait pas de Muramvya venait du Rwanda »71.

Beaucoup de gens reconnaissent que cette administration n’était pas inclusive : les Hutu
n’avaient pas grand chose à dire et le critère de choix était l’appartenance « ethnique ». Voici
ce que dit l’ancien comptable de la commune Muyinga qui fut aussi chauffeur du Petit
Séminaire de Muyinga :

« L’administration était défavorable parce que discriminatoire. Quand on


était Hutu, on n’avait pas de considération. Même Basabose
(administrateur), n’était-il pas comptable comme moi ? N’étions-nous pas
partis ensemble pour Muramvya dans la formation en comptabilité alors
qu’il était un infirmier auparavant ? Mais cela n’a pas empêché qu’il soit
choisi comme administrateur alors qu’existaient des Hutu plus compétents
que lui»72.

D’une façon générale, on voit que le pouvoir était dans les mains des Tutsi
originaires du sud. Cette situation était à l’origine des frustrations tant chez les Hutu
que chez les Tutsi originaires de Muyinga. La suspicion au sein du clergé du diocèse
de Muyinga s’apparenterait-elle à ces frustrations ?

I. 2. 2. Suspicion dans le milieu religieux


La montée du clergé autochtone voit se développer un conflit interne à la hiérarchie
ecclésiastique mettant l’Eglise dans une sorte de contradiction. Ce conflit revêt deux
dimensions : d’une part, il oppose le clergé autochtone aux missionnaires Pères Blancs, et de
l’autre, il revêt des allures ethniques73.

71
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
72
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
73
NGAYIMPENDA Evariste, Op.cit. p.564
31

Pour le premier cas, ce conflit est lié à une logique de domination économique et culturelle du
clergé autochtone par les missionnaires. Pour le second cas, il s’agit d’un conflit de
leadership. C’est ce dernier qui dégénéra en conflit ethnique lors de la course pour l’épiscopat
entre l’abbé Michel Kayoya et ses confrères.

Arrivé dans le jeune diocèse de Muyinga en juillet 1970, prêtre du diocèse en qualité
d’Econome Générale, Michel Kayoya avait une mission particulière d’en redresser la situation
financière alors très critique. Il s’acquitta de cette fonction avec brio mais non sans susciter de
jalousies74. A Muyinga, au-delà du domaine matériel, ce prêtre avait entreprit la formation de
jeunes filles burundaises à une vie religieuse solidaire de la condition des masses paysannes
de leur pays. Mais, il n’acheva pas cette dernière mission comme on le lit dans la préface et la
présentation faites par Mgr Joachin Ntahondereye dans livre écrit par ce prêtre : « Seulement,
à peine avait amorcé cette action que les jalousies qui couvaient à son endroit se
déchaînèrent avec une force d’intrigue. L’évêque du lieu résilia unilatéralement son contrat
et l’éloigna du diocèse »75.

Avant même de muter son vicaire général, Monseigneur Bihonda avait adressé au Président
Micombero une correspondance dénonçant l’activisme76 de certains prêtres hutu. Celle-ci
concernait tant des prêtres nationaux qu’étrangers. Ainsi, le Père Van Straeten, cité par Jean
Perraudin, juge très sévèrement l’évêque de Muyinnga en ces termes :

« Quelques mois avant l’insurrection, ce prélat avait chassé de son diocèse


et accusé, par lettre, de préjugés raciaux, quatre prêtres de sa propre race
qui défendaient à juste titre leurs frères hutu. Probablement dans le but de
faire bonne impression, il envoya au gouvernement une copie de cette lettre.
Sur base de ces preuves, les quatre prêtres ont été exécutés plus tard sans
nul procès »77

Selon, Laurent Kavakure, ce conflit trouverait ses racines dans le complexe d’origine de ce
prélat parce qu’il était issu de père hutu et de mère tutsi. Voici ce qu’écrit cet auteur :

74
KAYOYA, M., Entre deux mondes : d’une génération à l’autre, Bologna, EMI, p. 6
75
Ibidem, p. 7
76
Le Dictionnaire Universel définit l’activisme comme étant une doctrine qui prône le recours à l’action
violente pour faire triompher une idée politique
77
PERRAUDIN, J., Op.cit., p. 62 cité par Van Straeten in National Democratic Institute for International Affairs
32

« De père Hutu et de mère Tutsi, Monseigneur Nestor Bihonda paraissait


très gêné à propos de ses racines. Il est également accusé aux côtés de ses
confrères (…) A. Makarakiza et M. Ntuyahaga, d’avoir participé activement
aux événements de 1972 contre ses propres frères »78.

Ceci serait-il plus tard la cause de son écartement de la charge épiscopale ?

I. 2. 3. L’état du voisinage
Dans le Burundi ancien, les contes, les chants et les proverbes évoquent un état du voisinage
parfait. Même à travers certains discours, on remarque que le voisinage finit par créer une
sorte de famille, « les voisins deviennent parents ».

Toutefois, à cette période, il y avait une sorte de différenciation sociale entre les composantes
sociales connue sous le nom de « kunena » en Kirundi, qui signifierait refuser par mépris de
boire ou de manger avec quelqu’un79. Cette pratique consistait en un refus de partager le
même plat, le même verre, le même chalumeau (tube de paille à boire)80. En fait, cela signifie
qu’ils ne pouvaient pas boire au même chalumeau et à la même calebasse ; ou bien on leur
réservait leurs outils ou bien ils les portaient avec eux. Notre informateur nous explique
combien cette pratique avait été intégrée dans la culture burundaise et ajoute qu’elle ne
constituait pas un problème :

« Ceux qui n’ont pas la même ethnie ne partageaient pas (nourriture et


boisson). Laver le verre pour lui était plus simple. Dire que tel était Hutu,
était plus simple. Mais partager, on ne partageait pas (il insiste). Même
pour la boisson de sorgho, on lui réservait son propre chalumeau 81».

De même, à Busoni, régnait un bon voisinage sauf qu’on ne partageait pas des ustensiles de
nourriture. Pascal Mukezangango, un Hutu, habitant de la commune de Busoni, affirme que
cette pratique aurait disparu avec la crise de 1972 :

« Chez nous on préparait de la bière et on les invitait. Mais, quand le Hutu


avait utilisé un chalumeau, pour le donner au Tutsi, on devait couper la
partie supérieure du chalumeau que le Hutu avait employée. Je l’ai vu.
78
KAVAKURE, L., Op.cit., p. 208
79
RODEGEM F.M., Dictionnaire Rundi-Français, Tervuren, Annales du Musée royal d’Afrique centrale, 1970,
p278
80
MINANI, J.C., La vérité et l’amour : un défi moral pour la réconciliation d’un peuple divisé, Bujumbura, Les
Presses Lavigerie, 2012, p.56
81
MIBURO Barthélémy, Giteranyi, le 30/8/2015
33

J’avais 10 ou 11 ans comme ça. Ceci a pris fin avec la crise de 1972
puisque moi j’ai quitté le pays, à mon retour, ils partageaient ces
objets ̎sans couper le chalumeau de quelqu’un"»82.

Ici, c’est au moment de la pratique d’« ugutereka » qui consiste à offrir de la bière en grande
quantité. Ce fait de couper cette partie supérieure du chalumeau aurait-il donné naissance à
l’expression « gucira umukenke » qui signifie simplement kunena en Kirundi ? Une autre
forme de cette pratique consistait à essuyer la partie supérieure du chalumeau que le Hutu
avait employé83. On peut se demander si cette pratique ne serait pas liée à la question de
prudence et d’hygiène ?

Jusque-là, au niveau de la couche paysanne, on ne voit pas de grand problème. Mais quelque
chose d’anormal commence à se révéler dans les échelons montants à partir des notables de
collines ainsi que dans les milieux intellectuels avec des mots d’injures entre les Hutu et les
Tutsi. Voici ce que dit un notable tutsi de la colline Gatongati s’adressant au chauffeur hutu
du Petit Séminaire au moment où celui-ci gagnait à pied son domicile à Rugari :

« Eh dis, si tu veux, continue à marcher à pied sinon vous serez victime de


ce véhicule, dit le notable. Je l’ai pris comme si… (Il ne prononce pas
certains mots). Mais, haa ! C’était vers la fin de 1971. Je ne savais pas
qu’on préparait quelque chose mais on nous suivait dans nos parcours. Je
(le chauffeur) lui ai répondit : " si je serai victime de ce véhicule, je l’ai
conservé". Et lui (le notable) d’ajouter : "oui va-t’en, nous te verrons
encore étant dedans” »84.

A l’approche des événements, les deux composantes sociales accusent une sorte de
« communautarisme »85 où le comportement de l’une suscitait des doutes chez l’autre
composante. A l’école ménagère de Gisanze, on nous signale des mouvements nocturnes
douteux effectués par l’administrateur communal Louis Nahimana et son chauffeur rwandais
Roger :

82
MUKEZANGANGO Pascal, cultivateur et petit commerçant, 64 ans, Murore, le 12 octobre 2015
83
MIBURO Epitace, cultivateur, 62 ans, Kimeza, le 14 octobre 2015
84
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
85
Doctrine visant à l’organisation de la société sous forme de communautés de personnes partageant la même
identité culturelle, ethnique ou religieuse. Ici, nous voulons signifier qu’il y avait eu une cassure de la société
burundaise qui constituait auparavant une seule communauté ayant même identité culturelle, ethnique et
religieuse.
34

« Il y avait des enseignants domiciliés à l’internat de l’école et parmi ceux-


là nous y avions des amis. La veille, on nous disait que Louis avec son
chauffeur rwandais venaient prendre quelques-uns et partaient avec eux. Il
les retournait en pleine nuit et ceci a eu lieu plusieurs fois»86.

Si cette enseignante hutu de Gisanze évoque ces mouvements de nuit, le Tutsi de Gasura en
commune Vumbi nous annonce l’existence des rumeurs sur une guerre où les Hutu allaient
massacrer les Tutsi. En plus de ces rumeurs, selon le même informateur, des réunions ont eu
lieu chez Jean Barazikiriza, un infirmier hutu originaire de Bururi :

« Si ce qu’on dit arrivait, où est-ce que je te cacherai puisque nous sommes


des amis, demande l’infirmier ? Et moi je lui ai répondu qu’il s’agit des
rumeurs seulement. Mais je le voyais, même chez lui, des réunions avec des
gens hutu étrangers dans cette région y étaient tenues. Et nous, ses
compagnons étions écartés»87.

De même, dans les milieux intellectuels se remarquait quelque chose d’anormal. On pouvait
constater que les Hutu et les Tutsi ne coopéraient qu’avec réserve. De plus, les Hutu
n’appréciaient pas le pouvoir de Micombero. Ainsi, à travers leur comportement, on pouvait
déceler un besoin de changement. A la rencontre d’un Tutsi, le Hutu pouvait lui dire que les
Tutsi sont venus de l’Ethiopie, que les Hutu étaient des Burundais et qu’il fallait y retourner88.

A la veille des premières arrestations, on évoque une soirée dansante qui était organisée à
Kirundo mais qui n’eut pas lieu à cause de l’attaque du sud. Cette soirée dansante aurait été
organisée dans le but de massacrer les Tutsi89. Salvator Rwasa, affirme aussi que les Hutu
avaient ordonné une soirée dansante dans tout le Burundi90. Mais cette affirmation est à
critiquer du fait qu’ailleurs nos informateurs nous disaient que les Hutu n’avaient plus de
pouvoir. Si ceci fut le cas, comment les Hutu auraient-ils donné cet ordre ? Le voisin de
Salvator Rwasa qui avait participé à un match de football qui opposait la commune
Bwambarangwe à Busoni, ajoute qu’après le match, l’Arabe du nom d’Abdallah leur a
informé qu’on avait disponibilisé les machettes pour les lyncher. Voici ce qu’il dit :

86
NDABARUSHIMANA Marie, enseignante de Gisanze, 71 ans, Muzingi, le 8 octobre 2015
87
NIVYABANDI Joseph, chef de secteur en commune Vumbi, 85 ans, Gasura, le 12 octobre 2015
88
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
89
Focus group, Burara, le 3 février 2016
90
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
35

« Puis, après le match, nous sommes allés changer de vêtements pour


prendre part à la soirée dansante. C’est l’Arabe Abdallah qui a vu ces
choses et nous a dit " Haaa ! Vous avez terminé à changer de vêtements
pour participer à la soirée, les machettes sont déjà là. On va vous abattre,
on va vous abattre comme les arbres. Un camion est plein de
machettes"(…). Et nous, on nous a dit de rentrer »91.

Pour clore ce chapitre, nous avons remarqué que le « modèle rwandais » a eu des
répercussions sur l’évolution sociopolitique du Burundi en général et de la province de
Muyinga en particulier en créant une psychose chez les Tutsi craignant de subir le sort des
Tutsi rwandais qu’ils avaient accueillis. Ce problème a été aggravé par les crises s’intercalant
entre 1965 et 1971. Pour la province de Muyinga, celles-ci nous semblent plus déterminantes
en ce qui concerne l’évolution sociopolitique future de cette province jusqu’à la crise de 1972.
D’une façon générale, les événements survenus depuis 1965 ont créé les conditions objectives
pour le déclenchement de la catastrophe de 197292. Les Hutu et les Tutsi vivaient un monde
de suspicion liée à une méfiance à laquelle s’ajoute le refus des Tutsi de manger ou de boire
avec les Hutu interprété comme signe de mépris. Chacun pointait du doigt à l’autre de tenir
des réunions à son insu. En tout cas, si au niveau de la masse paysanne régnait un meilleur
climat, il n’en était pas ainsi dans les milieux intellectuels. C’est donc dans cet état de choses
qu’éclate la crise de 1972.

91
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015. Ici, il le
dit en Swahili « Watawachincha, watawachincha kama mti mama yangu ».
92
Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs, Op.cit., p. 43
36

CHAPITRE II. DEROULEMENT DE LA CRISE DE 1972 DANS LA


PROVINCE DE MUYINGA
Pour le présent chapitre, il ne s’agit pas des combats au vrai sens du terme entre l’armée et les
rebelles mais plutôt d’une répression suite à l’attaque du sud du pays par les rebelles Hutu qui
ont massacré les Tutsi. En effet, ces combats ne se déroulent en réalité que le long de la plaine
côtière du lac et au sud du pays sur un espace couvrant approximativement 10 communes
actuelles de la région. C’est dans les provinces actuelles de Bujumbura, et surtout de Bururi et
Makamba qu’on enregistre les combats les plus violents93. Selon Marc Manirakiza :

« Les Hutu payèrent cher leur tentative. Ils avaient eu le malheur de


commencer leurs massacres dans la province de Bururi qui totalisait le
grand nombre des militaires tutsis. Ceux-ci avaient presque perdu un ou
plusieurs membres de leurs familles. Une sorte de hutuphobie se répandit
dans tout le pays »94.

Cette répression va gagner tout le pays ainsi que les provinces comme celle de Muyinga
même s’il n’y avait pas eu de troubles. La répression proprement dite à l’échelle nationale
débutera un peu plus tard après avoir ramené l’ordre dans les zones cibles de l’attaque du 29
avril. Elle fut en principe chapeautée par les représentants des pouvoirs publics. Dans les faits,
elle appelait des actions conjointes de l’administration et des forces de l’ordre, qui
s’adjoignaient la collaboration de la population, notamment des éléments de la JRR. Une des
dimensions importantes de cette répression et qui explique en partie ses nombreux
débordements est qu’elle s’organise dans un contexte d’extrême resserrement ethno-régional
du pouvoir, en particulier de son appareil répressif95.

93
NGAYIMPENDA E., Op.cit., p.467
94
MANIRAKIZA M., Op.cit., p.129
95
NGAYIMPENDA E., Op.cit., pp. 46 3-464
37

II. 1. Des acteurs divers


II. 1. 1. Les autorités administratives
Dans la province de Muyinga, la répression s’inscrit dans ce que J.P. Chrétien appelle
« extension systématique du massacre des Hutu »96 à partir du 5 mai. Selon cet auteur, une
semaine après le début des événements, l’écrasement définitif de la rébellion peut laisser
croire que la répression est sur le point de s’achever au moins dans les régions restées à l’
écart des troubles, mais il n’en est pas ainsi.

Dans les premiers jours, du 30 avril au 4 mai, dans les provinces du nord, les arrestations
auraient touché des gens qui avaient déjà été identifiés par la Sûreté nationale tandis que dans
les jours suivants ce serait à l’administration de s’occuper du reste. Dorénavant, on a
commencé à utiliser des listes que les notables de collines avaient constituées sous l’ordre des
administratifs. « Ce sont les notables de collines qui emmenaient des listes », nous dit un des
administratifs communaux. Toute personne ayant un rôle à jouer dans l’administration
pouvait arrêter les victimes ; que ce soit le personnel provincial, que ce soit les commissaires
d’arrondissement, ainsi que le personnel communal : « Ils étaient arrêtés par les agents
communaux. Dans mon entourage c’était le personnel communal »97. Ils se faisaient aider par
des anciens soldats et les secrétaires communaux. Ils ne manquaient pas des gens pour les
ligoter, nous dit un habitant de Mekenke. N’étaient-ils pas aidés par les policiers
communaux ? Quand on t’intimait l’ordre de ligoter, tu exécutais sans demander pourquoi98.
Les administrateurs communaux pouvaient même envoyer les policiers communaux en leur
absence comme le témoigne un autre habitant de Mukenke : « On déléguait les plantons qui,
arrivés au domicile de la victime avec un message de se présenter à la commune mais, arrivés
là, on la liait avec des cordes»99.

A côté de cet acte de constituer des listes des personnes à arrêter, les notables des collines, les
chefs des secteurs ou les chefs des zones pouvaient pointer du doigt les personnes à arrêter.
Damien Ntahondi affirme qu’on aime dire que le chef de zone de Giteranyi Salvator

97
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
98
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
99
MIBURO Epitace, cultivateur, 62 ans, Kimeza, le 14 octobre 2015
38

Ndabambarire Alias Gakofero aurait joué un grand rôle en pointant du doigt les Hutu instruits
et aux commerçants hutu100.

Cela est aussi confirmé par un informateur de Buhinyuza qui ne connaît chez lui aucune
intervention des militaires, pas même un coup de fusil : « Ils étaient arrêtés par les autorités
administratives civiles. Nous n’avons vu aucun militaire ici. C’étaient le gouverneur et le
responsable provincial du parti, les deux… Pas même un coup de fusil sur la colline101 ».

Balthazar Bukuru, voisin de cet informateur que nous venons de citer, ajoute que ce sont ces
mêmes administratifs qui ordonnaient aux hommes et aux jeunes gens de barricader les routes
et les sentiers pendant la journée et de faire les rondes nocturnes après les événements du 29
avril : « puis on nous donna l’obligation de barricader les routes. Nous passions la nuit là en
nous chauffant au feu»102.

Les mêmes responsables de l’administration assuraient le contrôle en vérifiant si les gens


avaient répondu à l’appel de se présenter aux barrières respectives comme en témoigne un
des chefs de secteur à Vumbi : « C’est moi qui allais contrôler si les gens avaient respecté
l’appel à la vigilance pendant la nuit en me faisant accompagner des JRR ». Mais d’autres
contrarient cette idée en considérant que les rondes nocturnes constituaient un moyen efficace
pour rassembler les gens pour pouvoir procéder à la rafle de certains d’entre eux sans
difficulté103.

Le rôle capital de l’administration locale est également confirmé par les archives relatives aux
événements de 1972 où nous voyons justement les habitants de Busoni porter plaintes à
travers la pétition datant du 11 Août 1972 adressée au Premier ministre dont voici une partie
du contenu :« Les conseillers et les agents communaux en ont profité en tuant des gens
injustement à cause de leur aisance matérielle pour s’emparer de leurs richesses104 ».

Dans cette même province, une veuve de Murore évoque le nom du secrétaire communal qui,
selon elle, avait acquis une sorte de célébrité dans les tueries : « Le secrétaire communal
Gaëtan était méchant dans les tueries. Même maintenant, on s’extasie de lui»105.

100
NTAHONDI Damien, 66 ans, Bisiga, le 4 octobre 2015
101
Anonyme, 71 ans, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
102
BUKURU Balthazar, 61 ans, Kibimba, le 6 octobre 2015
103
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
104
Archives provinciales : La pétition est écrite en Kirundi, c’est nous qui faisons cette traduction. Vous
trouverez ce document en annexe.
105
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août
39

D’autres situations non loin de la précédente s’observent d’abord à Ntega où notre


informateur n’hésite pas à dire que c’est le secrétaire communal Xavier et l’administrateur
communal Mako qui ont fait des ravages dans cette commune106.

Puis, dans la commune de Muyinga, l’administrateur Basabose, le responsable provincial du


parti Kibwa et quelques deux policiers avec leur véhicule rejoignaient les enseignants à
l’école ou ailleurs pour les cultivateurs107. Puis encore, les Rwandais auraient intervenu dans
les événements surtout les chauffeurs des véhicules qui transportaient les personnes arrêtées.
Ici, on aime évoquer les chauffeurs de la commune de Busoni, Nkusi et de Muyange-
Gashoho, Roger.

Enfin, dans les procès-verbaux de fin d’instruction, les magistrats instructeurs, dans leur
relation des faits, reviennent sur un rapport administratif rédigé au préalable par l’autorité
communale de Butihinda qui leur a permis de constater que le nommé Baruzanye, un Hutu de
Butihinda, présentait un comportement suspect, d’où on avait procédé à son arrestation. Mais
paradoxalement, dans les mêmes procès-verbaux, on se contredit en affirmant que Baruzanye
résidait à Mukenke, pour dire dans la commune Bwambarangwe. On ajoute encore que le
groupe de Baruzanye bénéficiait d’un soutien extérieur de Serukwavu, ex-commandant de la
gendarmerie « qui a été souvent aperçu par la population au domicile de Baruzanye »108. Ici,
on peut se demander pourquoi on n’a pas procéder à l’arrestation de Serukwavu, poursuivi par
la justice depuis 1965, alors qu’on le voyait souvent. Tout de même, dans cette note de fin
d’instruction, on décrit Baruzanye comme un Hutu, habitant de Butihinda. Mais, malgré qu’il
fût originaire de cette commune, à cette époque, il vivait à Mukenke où il travaillait en qualité
de technicien médical.

Ainsi donc, la justice aurait joué un rôle complémentaire à celui des administratifs comme le
relate un enseignant pensionné chef de la JRR à l’époque de la commune :

« La justice a joué un rôle parce qu’on nous disait qu’ils sont à Vumbi pour
leur constituer des procès-verbaux. On demandait aux victimes leurs noms,
quelque chose pour tromper l’opinion. On les accusait d’avoir tenu
illégalement des réunions pour tuer les Tutsi mais c’étaient des affirmations

106
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
107
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
108
Archives Nationales du Burundi, Note de fin d’inscription du 9 mai 1972
40

gratuites, sans fondement. Je ne l’ai jamais vu, insiste notre


informateur »109.

Comme on le voit cet informateur va à l’encontre de ce qu’on lit dans les procès-verbaux
cités ci-haut où on accusait les inculpés de tenir « des réunions en vue des massacres qui
élimineraient tous les Tutsi en province de Muyinga »110.

Quant au Pro-justitia-PV d’arrestation, on lit qu’ils étaient accusés d’ « atteinte à la Sûreté de


l’Etat »111.

II. 1. 2. Les militaires


Le rôle des militaires a été déterminant au moment des arrestations, de la conduite des
victimes vers les cachots communaux ou provinciaux jusqu’aux fosses communes où l’on
jetait les cadavres. De plus, la responsabilité des militaires est évoquée au moment des
exécutions. Ceci expliquerait-il pourquoi le régime d’exception avait mis en place les
gouverneurs militaires supervisant toute activité des gouverneurs civils ?

Dans les premiers jours surtout, les militaires pouvaient accompagner les administratifs au
moment où on arrêtait les enseignants et d’autres fonctionnaires sur leurs lieux de travail. Les
militaires venaient avec leurs véhicules ou camions, surnommé « Mafumafu ou Ngeringeri».
A Murore, nous dit la veuve Geneviève, on chargeait les victimes les unes au-dessus des
autres, les plus lourdes en dessous des plus légères, et après les avoir couvertes de hisse, les
militaires se plaçaient au-dessus d’elles, puis on les conduisait vers le chef-lieu de la
commune Vumbi112.

Le mot « militaire » revient toujours dans beaucoup de témoignages. En effet, pour les captifs
gardés dans le cachot de la commune Gasogwe, on adressait une lettre au lieutenant de
Muyinga pour venir avec le camion afin de les acheminer vers Muyinga113. Ici, on attendait la
nuit pour les exécuter, puis à la tombée de la nuit, ils étaient mis dans les camions dont le
chauffeur était accompagné par les militaires pour les déverser dans les fosses communes114.
Enfin, dans l’arrondissement de Kirundo, sur le « Pro-justitia-PV d’arrestation », on voit
109
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83 ans, Burara, le 11 octobre 2015
110
Archives Nationales du Burundi, doc. Cité
111
Archives Nationales du Burundi, Pro-justitia-PV d’arrestation
112
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015
113
BANCAKO Zacharie, brigadier à Gasogwe, 81 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
114
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
41

apparaître la signature du Lieutenant Laurent Ndabaneze, commandant de la brigade de


Kirundo115.

II. 1. 3. La JRR
Pierre Gallay écrivait dans La Croix du 31 mai : « La police est faite par des bandes
appartenant en principe à la jeunesse du parti (JRR), mais où il ya souvent de vrais bandits
qui n’ont d’autre but que de tuer et de piller »116. J.B. Karikurubu déjà cité, lui-même
appartenant à cette jeunesse, précise le rôle de la JRR en ces mots :

« Ce sont les JRR tutsi de 1972 qui tuaient parce qu’ils avaient un surnom
d’ "Indyamunyu". Moi j’étais un JRR. J’ai même été un chef de la JRR.
Mais après avoir entendu cela, je m’en suis retiré. On a commencé à
écarter les Hutu pour qu’ils ne découvrent pas leur secret. On les appelait
"Indyamunyu" parce qu’ils savaient tuer ou "Inshigwarimenetse". C’étaient
ceux-là qui allaient mobiliser les victimes »117.
Dans les régions à « dominance hutu » où les JRR étaient essentiellement des Hutu, ces
derniers n’ont pas hésité à exécuter les ordres des chefs des secteurs. Tel fut le cas dans la
commune de Gasorwe comme l’a vu un habitant de cette commune :

« Ils exécutaient l’ordre de chef du secteur. Quand il leur ordonnait


d’amener tel, ils l’amenaient. Les JRR tutsi étaient peu nombreux ici chez
nous à Gasorwe. Ils étaient envoyés pour les arrêter et ils les amenaient
»118.
Même ceux qui passaient la nuit aux barrières étaient des JRR, ajoute un autre informateur.
Mais, seul le Tutsi avait un mot à dire. Et quand celui-ci avait un conflit particulier avec le
Hutu, il pouvait le calomnier119. De plus, les Hutu adhérents à la JRR ont été rapidement
marginalisés et sont devenus eux-mêmes des victimes de la répression comme le relate un
rapatrié, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga à cette époque :

115
Vous verrez en annexe un exemplaire de ce document
116
Note de CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p.297
117
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015. Ici le mot
Indyamunyu signifie probablement invincible tandis que le mot Inshigwarimenetse signifierait audacieux. Le
sigle JRR pour signifie : Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore. Mais, pour chercher des facilités en Kirundi, on le
met au pluriel ou au singulier d’où, par traduction nous écrivons les JRR.
118
GAHUNGU Youssouf, cultivateur de Gasogwe, 64 ans, Karira, le 9 octobre 2015
119
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo rescapé, 65 ans, Kabuye-Shororo,le 12 octobre 2015
42

« Ils passaient par ici (à son domicile) mais allant ailleurs. Les JRR à cette
période exécutaient. On leur disait "soulevez, mettez dedans (dans le
camion), si vous refusez, vous subissez le même sort". Alors que tu pouvais
ligoter ton semblable (Hutu) ciblé et après avoir accompli cet acte, l’autre
JRR venait pour te ligoter à ton tour et te mettait dans le camion »120.

De même‚ les biens des victimes arrêtées étaient chargés dans les véhicules par les membres
de la JRR. Ces derniers, eux-mêmes avaient acquis un certains pouvoir, s’ils ordonnaient de
ligoter les gens, il ne fallait plus hésiter ou demander des explications au risque d’être abattu.

On voit que l’exécution de ces ordres par les JRR hutu répond à un objectif selon les propos
de mes informateurs. C’est le besoin de sauver leur propre vie. Ainsi donc, dans ces
circonstances, le Hutu pouvait être plus virulent que le Tutsi. Car le refus d’un Hutu pouvait
provoquer son arrestation. Donc, pour sauver sa vie, il fallait le faire avec toute sa force121.

II. 1. 4. Les sauveteurs


Au début de l’attaque du sud, l’immense majorité de la population a refusé de prendre part
aux massacres. Nombre de Bahutu ont préféré mourir plutôt que de massacrer leurs frères
Batutsi122. Réciproquement, au sommet des représailles certains Tutsi ont généreusement
sauvé la vie de leurs voisins de l’autre ethnie.

En effet, ceux qui ont accompli cet acte constituent une catégorie à part d’acteurs ayant
participé au sauvetage. Cependant, la crise de 1972 est présentée parfois comme étant un
événement spontané ayant surpris beaucoup de Burundais, voire incompréhensible ; c’est ce
que confirme notre informateur déjà cité :

« Ça n’était pas facile à connaître sauf pour quelqu’un qui avait été terrifié
et qui n’avait pas de bonnes relations avec les autorités administratives.
Ceux qui pouvaient le remarquer étaient moi et Abbé Martin Gakwavu
parce qu’on nous intimidait et nous constations qu’ils nous regardaient un

120
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
121
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
122
République du Burundi, Rapport de la commission nationale chargée d’étudier la question de l’unité
nationale, Bujumbura, 1989, p.95
43

avec un air méchant. D’autres vaquaient à leurs activités comme à


l’accoutumée en toute ignorance»123.

Il arrivait même que d’autres croyaient en l’opinion selon laquelle les hommes arrêtés allaient
être jugés, ce qui provoquait une autre confusion pour beaucoup de Burundais. D’autres
encore disaient que les arrestations constituaient une rançon des crimes124 commis par les
Hutu. MIBURO Balthélémy, un habitant de l’ancienne zone de Giteranyi, souligne cette
incompréhension en ces mots :

« Ils étaient arrêtés pendant la nuit par les policiers et les militaires en
provenance de la commune. Puis, pendant la journée, on ne pouvait pas
constater que la rafle avait eu lieu. Tandis que ceux qui ne le comprenaient
pas concevaient qu’il fallait les laisser partir que c’est la rançon de leurs
crimes ».125

A cette période, il existait une opinion selon laquelle, certains Hutu auraient volé
l’argent de l’Etat126. Ceci s’ajoutait au fait, évoqué ci-haut, de tenir des réunions dans le
but de massacrer les Tutsi. Nos informateurs confirment que ces rumeurs étaient
répandues dans la province. Mais, ils disent en même temps qu’ils ont fini par découvrir
que c’étaient des prétextes, plutôt qu’il s’agissait d’une question « ethnique ».

Ce sont ces quiproquos qui empêchèrent l’une ou l’autre « des victimes potentielles » de
s’évader étant donné que les bourreaux avaient inventé un système consistant à culpabiliser
les victimes en les dénommant « des Bamenja » qui vient du verbe kumenja qui signifie se
révolter contre son roi, se rendre coupable d’un crime de lèse-majesté127. Donc, le mot
«umumenja » signifie révolté ou rebelle ; il peut également signifier régicide. En fait, c’est
plus simple dans la tradition burundaise que de telles personnes soient mises à mort. Peut-être
que les administratifs étaient les seuls détenteurs de ce secret que ces prévenus ne
reviendraient plus.

123
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
124
Ici, les rumeurs circulaient que les Hutu arrêtés sont ceux qui ont spolié l’argent de l’Etat ou ceux qui
tenaient des réunions ayant le but de massacrer les Tutsi, ce qui auraient légitimé les arrestations et les
exécutions aux yeux de la population.
125
MIBURO Barthélémy, Mika, le 30/8/2015
126
Anonyme, Ntega, le 30/1/2016
127
RODEGEM, F-M, Op. Cit., p. 557
44

Paradoxalement, ce sont ces mêmes administratifs seuls qui étaient aptes à accomplir cet acte
de sauvetage. Celui-ci était fonction de la personnalité de l’administratif sauveteur ou des
liens particuliers que ce dernier avait entretenus avec l’homme cible d’arrestation.

En d’autres termes, il fallait qu’il y ait une sorte de motivation surtout que c’était un acte à
risque. Gérard Rugambarara, à l’époque comptable de la commune Busoni raconte son
aventure pendant la crise :

« On m’a envoyé à Gitobe pour arrêter les Hutu. Je n’ai amené personne.
En partant, j’étais avec un chauffeur rwandais nommé Nkusi. A mon retour,
je leur ai dit que je n’ai trouvé personne sauf un vieillard qui s’appelle
Ntahondi. Ils m’ont demandé pourquoi je n’avais pas amené celui-là.
C’était vraiment grave. Moi-même j’ai immédiatement quitté cet endroit
parce qu’ils pouvaient me tuer. Imaginez-vous si quelqu’un vous dit que cet
homme n’était pas destiné à être domestiqué ("n’ubundi ntiyari uwo
gutunga") mais qu’il était voué à la mort ("yari uwo kwicwa") ! C’est
Ndabaneze qui me l’a dit»128.

D’autres cas semblables aux précédents sont évoqués par nos informateurs dans la même
commune de Busoni. Ils ont retenu certains noms comme celui d’un Ganwa Salvator Rwasa
mais à cette époque considéré comme Tutsi : « Sauf un Tutsi Salvator Rwasa qui avait un bon
cœur ; il donnait conseils à ses compères de ne pas tuer. Il y mettait de l’humanisme»129. Cet
enseignant lui-même le reconnaît ainsi, mais nous explique combien cet acte était risquant :

« Je me suis rendu chez l’administrateur et je lui ai demandé s’il ne nous


exposait pas au danger. Il m’a répondu que s’il ne le faisait pas ainsi que
lui-même serait tué. Et d’ajouter," même ce que vous me dites doit être
gardé jalousement sinon on risque de vous abattre"130.

Un autre cas pareil a été repéré dans la zone de Rugari administrée par Simon Nyabirungu qui
menaça le gouverneur de démissionner au moment où le petit peuple commençait à être
arrêté. Ce chef de zone lui-même le témoigne de la manière suivante:

128
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015.
Ndabaneze était le commandant de la brigade de Kirundo.
129
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015
130
RWASA Salvator, ancien chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
45

« J’ai réagi au moment où on commençait à arrêter les gens parmi le petit


peuple. Je me suis rendu chez le gouverneur à Muyinga et je l’ai menacé de
démissionner. Il me posa la question de savoir pourquoi. Je lui ai répondu
que c’était à cause de ces rafles et que les choses pouvaient un jour
changer, que lui étant de Bururi, il pouvait y retourner. Mais moi où irai-je
me cacher? Après ces paroles, il a convoqué l’administrateur et lui a
ordonné de ne plus arrêter une personne dans ma zone sauf celle que
j’aurai livrée »131.

Ce chef de zone revenait chaque fois dans la bouche de plusieurs informateurs de cette région.
Polycarpe Matinti déjà cité connaît deux personnes sauvées par cet administratif. La première
était un enseignant à qui Nyabirungu aurait créé une occasion de s’enfuir. Le second était un
infirmier de Kinazi : le même responsable l’aurait défendu devant ceux qui le rejoignaient au
lieu de son travail pour l’arrêter. Tels sont quelques cas connus d’autres restent inconnus,
précise notre informateur132. Aussi, un jeune garçon de 11 ans à cette époque qui avait
accompagné son père convoqué au chef-lieu de la zone nous fait un témoignage semblable :

« Moi j’avais accompagné mon père convoqué à la zone. Puis en faisant


l’appel sur la liste, ils se plaçaient sur une surface surélevée. Le chef de
zone tenait cette liste à la main et l’administrateur procédait à l’appel.
Arrivés sur le nom de mon père, j’ai vu le chef de zone dire quelque chose à
l’administrateur en murmurant, puis retournant vers mon père et de dire à
haute voix "toi tel tu es venu ici pour quoi faire ? Rentre". En rentrant, nous
avons passé par le bas fond de peur d’être arrêté dans la route133 ».

Pour sauver tous ces gens, Nyabirungu avait exploité son autorité car il se montrait
responsable devant ses supérieurs ou ses compères. En d’autres mots, il était bien écouté.
Voici un exemple de mots qu’il employait pour défendre certaines gens : « Mais par exemple
celui-ci n’est pas coupable. Vraiment celui-ci je le connais, il n’est pas coupable. Non… 134».
En fait, c’étaient des mots pouvant susciter des sentiments de pitié chez les bourreaux : « En
vérité, cet homme est un innocent, je le connais moi-même. Il n’en sait rien du tout135 ».

131
NYABIRUNGU Simon, ancien chef de zone de Rugari, 80 ans, Rugari, le 8 octobre 2015
132
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
133
KAJABWAMI Valentin, enfant d’un père rescapé, 54 ans, le 7 octobre 2015
134
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
135
Idem
46

A côté de cette motivation liée à la bonté et à l’humanisme, on décèle d’autres mobiles liés à
quelque chose d’autre pouvant avoir préalablement tissé des liens entre le bourreau et la
victime. Simon Ndururutse, un ancien boy de Kirundo abonde dans ce sens :

« Au moment où j’entrais (dans le cachot), il y avait un militaire plus ou


moins âgé ayant un grade de caporal. C’est celui-ci qui est venu demander
si j’étais là. Ce courage de venir me voir trouvait sa motivation dans le fait
que je disposais une maisonnette en annexe dans la clôture de mon patron
que j’avais l’habitude de laisser aux prostitués en me payant 10F chacun.
Mais lui, il ne me payait pas ; il venait faire gratuitement tout ce qu’il
voulait et s’en allait parce que j’avais peur de lui…Après trois jours, il est
revenu et m’a dit de rentrer…»136.

Dans la même perspective, Barthélémy Miburo, un habitant de l’ancienne zone de


Giteranyi, affirme avoir été sauvé par Gatamba, un conseiller collinaire de Mugano. En
effet, Barthélémy Miburo se présentait comme un serviteur de ce conseiller par des
services qu’il lui rendait au moment de rassembler des impôts et de faire des
recensements.

Enfin de compte, le même administratif pouvait prendre les deux faces à la fois : sauveteur et
bourreau ; tout dépendait des liens que celui-ci entretenait avec la personne qu’on allait
arrêter. Tel fut le cas de Simon Bimonogoje, administrateur de la commune Gasorwe, qui
changeait comme un caméléon. Il sauvait quiconque il voulait et laissait mourir celui qu’il ne
voulait pas137. Mais d’une façon globale, que ce soit le notable de colline, que ce soit le chef
de zone ou n’importe qui ayant une certaine responsabilité dans l’administration, il pouvait
dire « non » devant une arrestation éventuelle.

136
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015
137
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
47

II. 2. Modes d’arrestation et d’exécution des victimes


II. 2. 1. Modes d’arrestation
Pendant la crise de 1972, les arrestations arbitraires des Hutu138se faisaient d’une façon
générale sur base des listes préalablement préétablies. Certains pensent que ces listes auraient
été constituées par les administrateurs. « On leur avait ordonné de constituer des listes des
personnes à éliminer », affirme J.B. Karikurubu. Celui-ci énumère les personnes visées :
« tous les intellectuels, tous les commerçants ou riches hutu et d’autres Hutu ayant une
certaine aisance matérielle »139. Selon les propos de l’un des administratifs, les notables de
collines pouvaient eux aussi emmener des listes au bureau communal. J.P. Chrétien et J.F.
Dupaquier écrivent qu’il s’agit d’une extermination des élites Hutu140où l’extermination des
professeurs, instituteurs, infirmiers, moniteurs, surveillants ou cadres administratifs semblent
la règle même si apparaissent certaines exceptions.

On distingue plusieurs modes d’arrestations. D’abord des simples arrestations individuelles


par convocation : de nombreuses personnes furent appréhendées à leurs domiciles
généralement dans la soirée à la faveur du couvre-feu. Pour le présent cas, on pouvait même
apporter une convocation écrite ou simplement dire à l’oral que l’objectif de la convocation
vous sera communiqué à votre arrivée à la commune. Les JRR et les notables de collines
intervenaient pour ce type d’arrestation. Mais au poste de travail pour les intellectuels,
c’étaient le plus souvent des militaires ou l’autorité administrative.

En second lieu, l’arrestation massive par malhonnêteté pour les instituteurs surtout. Cela
faisait longtemps sans que les fonctionnaires de l’Etat ne percevaient pas leurs salaires. On en
a profité en les trompant que leur argent était disponible. Voici ce que raconte un témoin
oculaire de cette arrestation :

« Ce jour-là est venu un véhicule sur lequel était écrit "Amini Mungu" et ceux
qui étaient dans ce véhicule ont dit aux enseignants de Muramba,"souvenez-
vous qu’il y a plusieurs mois sans salaires, mais pour le moment Dieu vient de
vous faire grâce. Nous venons pour vous transporter parce que du fait que
vous aurez beaucoup d’argent, y aller à pied ou à vélo, c’est s’exposer aux
bandits qui peuvent vous voler ou vous tuer.

138
KAVAKURE Laurent, Op.cit., p.75
139
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
140
CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p.139
48

Pour cette raison, nous vous permettons un déplacement d’aller et retour ". Ils
sont partis en dansant mais personne n’est revenu »141.

Ce fut un cas pareil dans la commune de Muyinga où après les avoir appelés au chef-lieu de la
province pour récupérer leur argent, juste à leur arrivée à la porte, on leur signala l’existence
d’un problème à régler qu’il fallait attendre toujours étant au travail. Au moment où ils
retournaient au travail, une veuve enseignante de Muyinga affirme avoir vu de ses propres
yeux des véhicules qui les poursuivaient pour arrêter les leurs y compris son mari142.

En troisième lieu, on a des arrestations par barrières dressées sur les axes principaux, les
routes d’intérêt secondaire voire différents sentiers sillonnant les paysages dans les
communes. Pour ce cas-ci, on parlait de « vigilances » pour désigner les rondes nocturnes
auxquelles étaient soumis tous les hommes et jeunes hommes pour arrêter ceux qui pouvaient
fuir. Il devenait très difficile de fuir étant donné que partout on avait dressé des barrières. Cela
signifie que partout où on pouvait trouver un passage mêmes les simples sentiers étaient
barrés et les gens passaient toute la nuit sur ces barrières143. Ainsi donc, pour quitter une
province à une autre ou une commune à une autre, on exigeait des laissez-passer livrés par le
gouverneur de province.

Là encore, des gens en « vigilance » eux-mêmes ont été arrêtés sur ces barrières. En effet, au
moment des contrôles, les administratifs sélectionnaient parmi ces gens. Il suffisait que
quelqu’un vous calomnie pour être arrêté sur place. Selon les propos de notre informateur de
Gasorwe déjà cité, la barrière aurait constitué un pur et simple moyen d’arrestation :

« En faisant les rondes de nuit en 1972 et en 1973, nous avions des lieux de
rencontre et étions plus nombreux avec des massues. Mais là en étant même
JRR, ils venaient en disant qu’ils ont besoin de tel et celui-ci était arrêté sur
place»144.

141
BUKURU Balthazar, 61 ans, Kibimba, le 6 octobre 2015
142
MUNYANGARI Marie-Madeleine, veuve enseignante à Muyinga, Rugerero, le 8 octobre 2015
143
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015
144
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
49

A propos de ces barrières, on prétendait qu’elles servaient à capturer les rebelles145. Ce que
nient certains de ceux qui ont participé à la vigilance et qui ont fini par découvrir que c’était
un moyen d’arrêter les fugitifs selon les propos de l’informateur de Nyarunazi déjà cité. Lui-
même, dans les premiers jours, il ne comprenait par le sens des événements:

« Nous l’avons découvert par après au moment où nous fûmes ordonnés


d’aller passer des nuits sur les barrières pour arrêter les rebelles. Mais
ceux-là étaient des gens qui étaient parvenus à connaître le secret qui
fuyaient en passant par des sentiers ou des buissons»146.

Après l’attaque du 13 mai 1973, certaines gens ont été arrêtés pendant les activités de
défrichage de la brousse de Murehe effectuées par les militaires, les administratifs et les civils
conjointement. Ceux-ci ont été abattus sur place, on le verra dans le dernier chapitre. D’autres
ruses ont été utilisées pour arrêter les victimes. Les administratifs envoyaient les policiers
avec des convocations sous formes d’invitations que ces derniers donnaient aux victimes en
leur disant qu’il fallait se présenter chez l’administrateur. Sans lire le message, pour ne pas
salir la feuille, la victime plaçait ce papier sur ce qu’on appelle en Kirundi « inengo » (petit
bois qui pince le nez) et se présentait librement au bureau commune mais ne revenait
plus147.Une autre ruse se voit à partir de cette anecdote que raconte Youssouf Gahungu déjà
cité:

« Il y avait un policier communal. Envoyé par l’administrateur, il a


accompagné les détenus avec une liste sur laquelle lui-même figurait. Arrivé
à Muyinga, il voulait retourner et de lui demander où il voulait aller alors
qu’il était sur cette liste. On l’obligea de rester là. Il fut abattu ensemble
avec d’autres détenus»148.

Dans quelques communes de la province de Muyinga, des filles intellectuelles ont aussi été
appréhendées. Tel fut le cas dans la commune Muyange-Gashoho où une enseignante de
Gisanze alors qu’elle rentrait chez elle venant d’une messe dominicale matinale. Elles étaient
au nombre de quatre : une enseignante Marie Ndabarushimana, une surveillante à l’école
ménagère de Gisanze, Matride Gisimbo et une directrice du nom de Béatrice Nahimana. Mais
145
Dans la plupart des communes de cette province, on employait le mot diminutif d’uturoberi pour montrer
qu’ils n’avaient pas de force. Dans la commune Gasorwe, on parlait aussi de Twamujeri pour dire : petits chiens
malingres.
146
Anonyme, 71 ans, Nyarunazi, le 6 octobre, 2015
147
Focus group, Burara, le 3 février 2016
148
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
50

celles-ci ont été relâchées après une nuit de cachot passées à Muyinga149. Un cas semblable a
été évoqué à Ntega où, un certain jour, on procédait à l’arrestation de tous, les filles et les
femmes comprises. Notre informateur énumère quelques noms retenus des
enseignantes tuées: « Angèle, Cécile, Ningeza Geneviève, Nyabenda Thérèse,…»150. De
même, une veuve de Murore, Geneviève Nyawakira, enceinte à cette époque, fut arrêtée trois
jours successifs et torturée : « Moi-même j’ai été emmenée à Rusarasi trois fois successives
pour être tuée. On m’emmenait et me retournait puisque j’étais enceinte et les jours de
l’accouchement étaient proches »151.

Quelques Tutsi ont aussi été victimes de ces arrestations. On les arrêtait parfois parce qu’on
pouvait se tromper sur leur taille. Pour cette scène, on a retenu un nom de Michel, enseignant
de Murore mais qui, par après a été libéré parce que un de ses bourreaux l’avait défendu qu’il
s’agissait d’une erreur due à sa taille puis, on est revenu avec lui152. Un autre cas eut lieu le
jour où on arrêta un notable de la colline Gisozi qui avait épousé une fille d’un Tutsi, son
beau-père tutsi réclama d’aller ensemble avec son beau-fils parce que ayant été trompé qu’il
s’agissait d’une simple participation à une réunion. Mais les Tutsi présents sur cet endroit qui
savaient qu’il ne s’agissait pas d’une réunion lui avaient fait un clin d’œil : « Laisse-le partir
seul parce que cela ne te concerne pas ». Et lui de répliquer : « Celui-ci ne connaît rien que
moi je ne connais pas ». Les Tutsi se sont dit que s’ils continuaient à insister d’autres Hutu
pourraient se révolter et ils le laissèrent partir153. A ce moment, le camion était plein de
captifs. Pour trouver une place de ce Tutsi, on a été obligé de faire sortir du camion un
Hutu comme le témoigne lui-même : « Arrivés à Nkomane, on m’a fait sortir mais avec des
coups de frappe de fusil dont voici les cicatrices (il expose sa poitrine) »154.

Des véhicules avaient été disponibilisés pour cet effet. Laurent Kavakure déjà cité les appelle
« des camions de la mort ». A Gasorwe, ils auraient été surnommés « Baramuntumye » pour
dire que chaque fois qu’il venait, il devait charger au moins un. Dans toutes les communes de
la province, l’administration avait saisi des véhicules des commerçants. Seuls les militaires
utilisaient des camions appartenant à l’Etat.

149
Ces quatre filles de Gisanze n’ont pas été tuées. Dans toute la province de Muyinga, la seule commune qui a
fait exception est celle de Ntega où les filles arrêtées ont été exécutées.
150
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre, 2015
151
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015
152
Idem
153
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015. Ici, les Tutsi ont évité de
dévoiler que ces Hutu chargés dans le camion, au lieu de participer dans une réunion, allaient mourir. C’est
pourquoi ils ont préféré de sacrifier ce Tutsi qui réclamait de monter dans le camion.
154
Focus group, Burara, le 3 février 2016
51

En guise d’exemple, à Mukenke c’était le véhicule d’un Arabe Saleh, à Muyange-Gashoho


celui d’un Haya155. D’une façon générale, c’étaient des véhicules militaires, des camions des
particuliers réquisitionnés de force par l’armée ou parfois des véhicules appartenant aux
victimes préalablement exécutés.

Vers la fin des événements, même un « petit mot » pouvait provoquer une arrestation en
l’occurrence pour les veuves et les descendants des « Bamenja » car ceux qui avaient saisi les
biens des victimes pensaient toujours à une éventuelle poursuite judiciaire. Tharcisse
Mbonabuca, un habitant de Mukenke, se souvient du nommé Pascal Nsabimana arrêté étant
seul alors que d’autres l’étaient en masse aux environs de 10 ou de 15. Celui-ci fut victime
des paroles prononcées par sa mère, veuve d’un mari ayant mis son capital ensemble avec
Ngabonziza, le comptable de la commune Bwambarangwe pour faire le commerce de
cabaret. La mère de Nsabimana revendiqua la part de son mari décédé au cours de la crise et
le comptable de lui dire « Qu’avons-nous en commun avec ce régicide ? ». En colère, la
femme répliqua que son fils se vengerait de ce comptable mujiji parce que son fils lui aussi
était mujiji. C’est après avoir entendu ces mots qu’on se précipita à arrêter ce jeune homme
alors que ce comptable était un Hutu qui s’était assimilé aux Tutsi156 par la pratique
d’« ukwihutura » c’est-à-dire une façon de changer son identité « ethnique », de Hutu en
Tutsi.

Nous clorons ce point en signalant que la manière dont les victimes étaient déplacées de leur
lieu de capture vers la commune, d’une commune à une autre ou à la province pouvait
constituer un des moyens d’exécution.

155
Tanzanien provenant de la tribu des Haya ou Bahaya
156
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
52

II. 2. 2. Modes d’exécution


Certains des victimes étaient ligotées sur le lieu d’arrestation. On liait avec des cordes les
jambes et les bras sur le dos, puis on les jetait dans le camion comme on « le fait pour les sacs
de haricot ». Sur ce propos, Polycarpe Matinti considère que c’était déjà une façon de les
tuer :

« En les ligotant, on les liait les pieds puis les bras et on jetait dans le
véhicule. Nous avons remarqué qu’il ne s’agit plus d’une enquête mais
qu’on les avait déjà tués. Il y en a qui ont même claqué parce que tellement
serrés par les cordes »157.

Partout dans la province de Muyinga, on avait adopté cette pratique. Des fois, comme ce fut
dans la commune de Kirundo et de Busoni, on les emballait dans les sacs pour les acheminer
vers certains chefs-lieux des communes. Peut-être que c’est pour cette raison qu’on les
appelait « Twamagunira » pour faire allusion à cette pratique d’emballage.

En effet, tous les détenus de différentes communes étaient rassemblés dans trois communes :
Muyinga, Vumbi et Buhinyuza. Mais ceci ne signifie pas que tout détenu était enfermé dans le
cachot de sa commune, loin de là, plutôt il existait une sorte de transfert ou d’échange des
captifs.

Un informateur de la commune Buhinyuza nous a révélé que le cachot de sa commune


enfermait des victimes provenant des autres communes y compris celles de l’arrondissement
de Kirundo158.

Au passage des véhicules, on entendait des hurlements et pour ceux qui avaient eu des
claquages, le sang laissait des traces sur la route159. Donc, le transport lui-même pouvait
constituer un autre mode d’exécution selon le commentaire de notre informateur de Busoni :

« On envoyait le policier pour dire à la future victime que l’administrateur


avait besoin d’elle. Pendant ce temps, le camion était prêt à la commune. A
son arrivée, elle était directement ligotée jambes et bras derrière puis jetée
dans le camion comme on le fait pour les nattes pliées. On rangeait ces
détenus les uns au-dessus des autres jusqu’à ce que le camion soit rempli.

157
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
158
Anonyme, 71 ans, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
159
KARIKURUBU Jean Berchmans, agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
53

Puis encore, on les couvrait avec une hisse étant encore vivants et les
militaires se plaçaient au-dessus d’eux. Ils mouraient en cours de route.
C’est ce qui s’est passé que j’ai vu de mes propres yeux, ce n’est pas ce
qu’on m’a raconté»160.

Parmi ceux-ci, les uns étaient abattus à coup de massue à Vumbi, d’autres acheminés à
Buhinyuza. Il est rapporté qu’à Vumbi existait un endroit qu’on pourrait considérer comme un
« abattoir ». En effet, à cet endroit, le sang s’était accumulé jusqu’à se transformer en « sang
stagnant ». Pour entrer dans le bureau communal, on y avait placé dessus un plancher (sous
forme de pont)161. D’autres étaient tués à coup de marteau. Un rescapé qui aurait vu ce genre
d’exécution a eu des troubles mentaux selon les propos de Tharcisse Mbonabuca :

« Arrivés là, on les exécutait à coup de marteau. Un homme qui s’appelle


Massoud était arrivé à cet endroit pour être abattu mais ses bourreaux ont
eu pitié de lui et il a été libéré. Peut-être parce qu’il avait vu la mort de ses
compagnons, à son retour, il avait eu un trouble mental»162.

D’autres ont été tués à la baïonnette comme ceux qui arrivaient à Muyinga (Mukoni) étant
encore en vie. On attendait le soir vers 21h pour les faire sortir du cachot de Mukoni et on les
faisait coucher dos contre la terre. Puis, un militaire poignardait au niveau du cœur à partir de
la gauche, l’autre de la droite et se rencontraient au milieu163. Ainsi tous étaient mis à mort.

D’une façon générale, peu de victimes ont été abattues par fusillade mais il est rapporté qu’on
pouvait faire recours aux balles en cas de fuite ou de tentative de fuite. Nos informateurs qui
vivaient au voisinage de la commune Vumbi ont confirmé qu’ils entendaient quelques fois des
coups de fusil. Ce refus de fusiller les gens aurait constitué aussi un autre moyen stratégique
de ne pas éveiller les esprits pour stimuler les Hutu à fuir. Quelques cas de fusillades se sont
produits au milieu de marées de gens dans les marchés de Mukenke et de Muyinga.

160
MUKEZANGANGO Pascal, cultivateur et petit commerçant, 64 ans, Murore, le 12 octobre 2015
161
Idem
162
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
163
BANCAKO Zacharie, brigadien à Gasogwe, 81 ans, Masasu, le 9 octobre 20115
54

Le docteur Bonnet coopérant à Kinazi cité par J.P. Chrétien et J.F. Dupaquier rapporte
l’histoire suivante :

« A Mukenke, il y a eu des problèmes avec l’adjoint de l’administrateur


communal, un adolescent de 18 ans. Il s’est comporté de façon hystérique
pendant tous les événements, ce qui lui a valu son surnom de "monstre". Un
dimanche au marché de Mukenke, quelqu’un s’avise de dire "Il y a
beaucoup d’arrestations, on tue beaucoup de gens". Evidemment, il se
trouve un dénonciateur pour se précipiter à la commune. Dix minutes après,
l’adjoint arriva en voiture au milieu du marché : "Tu as dit qu’on tue trop
de monde ? Eh bien, monte dans la voiture" – Non… L’adjoint de
l’administrateur a alors sorti un pistolet et l’a abattu »164.

A Muyinga, le comptable communal a été fusillé au milieu du marché ; le corps a été soulevé
par les prisonniers et jeté dans un buisson de Mukoni. Dans cette même commune, J.B.
Karikurubu fut témoin d’une autre fusillade au milieu du même marché faite par le
commissaire Barthélémy :

« A ce moment, le commissaire fusilla un enseignant de Rugari qui


s’appelait Antoine Bandiye venu à Muyinga pour récupérer son salaire. Il
lui avait ordonné de passer dans son bureau. Mais, l’enseignant après avoir
retiré son argent, il passa d’abord au marché et le commissaire le poursuit
et de lui dire «on t’a dit de passer dans mon bureau. Pourquoi ne l’as-tu
pas fait ?" Il lui répondit qu’il voulait prendre du thé d’abord avant de s’y
rendre. D’une façon spontanée, le commissaire répliqua "Monte (dans sa
voiture)"."Comment puis-je monter alors que j’ai mon vélo ici ?" Demande
l’enseignant. Celui-ci tenta de pédaler et on a entendu le bruit "Paaa !". Au
milieu du marché (insiste-il) »165.

164
Entretien avec le Dr Bonnet, Bujumbura, juin 1972 cité par CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p.201.
Ici, même si ces auteurs parlent de l’adolescent, c’est la façon de dire qu’il était encore plus jeune, sinon c’était
ce jeune homme qui était l’adjoint de l’administrateur communal. C’est celui-ci qui a abattu cette personne qui
disait qu’on tuait beaucoup de gens.
165
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
55

D’autres ont été tués par piétinements dans les camions. Modeste Ruzovahandi témoigne un
cas d’un enseignant de Ntega qui tentait de sauter du camion et qui, après avoir été rattrapé,
fut ligoté et piétiné par les militaires. A son arrivée à Muyinga, il avait claqué166. Certains
mouraient même à l’intérieur du cachot comme le témoigne Expert Karorero, rescapé de
Buhinyuza qui, arrêté et ligoté, fut jeté dans les corps des gens morts à l’intérieur du cachot de
Buhinyuza167.

II. 3. Les fosses communes168


Ce sont des fosses dans lesquelles on a jeté plusieurs corps des victimes mais dont jusqu’à
présent personne ne précise le nombre exact. Dans ces fosses de 2 à 5m comme celles de
Vumbi, des corps y étaient jetés en vrac.

Les habitants de Giteranyi racontent ce qui concerne la fosse commune de Nzove à quelques
3 à 4 km du lac Rweru. Un certain dimanche, toute la zone de Giteranyi a été mobilisée pour
creuser les deux fosses séparées l’une de l’autre de quelques centaines de mètres. Puis,
pendant la nuit, ils entendaient des bruits des véhicules allant vers ces fosses, parfois même
des coups de fusil. Après quelques jours, le commissaire d’arrondissement Rwantabana mit en
place une interdiction de visiter cet endroit en ces termes :

« Quiconque voudra connaître ce que nous avons mis dans cette fosse ou ce
que nous y avons fait, il faudra venir nous demander. Sinon nous fixons une
interdiction de ne pas s’y rendre, celui que vous verrez, il faudra nous
l’envoyer »169.

C’était en pleine brousse. Mais, après le feu de brousse, en cachette, les chasseurs de cette
région ont pu constater que les fosses creusées avaient été remplies et couvertes de terre. Mais
après l’occupation de ces terres par des gens en provenance de Kayanza au cours des années
1980 qui ont défriché ces brousses, pour le moment les fosses se localisent au milieu des
champs de cultures. Ce qui peut laisser croire l’existence des fosses, c’est la forme un peu
concave à l’endroit où se localisent les fosses. D’autres corps étaient jetés dans le buisson de
Nyarutongo sur la colline de Mika où jusque dans les années 1980, on pouvait retrouver des
crânes qui trimbalaient là170.

166
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
167
KARORERO Expert, Muramba, 60 ans, 25 août 2015
168
Voir aussi les photos en annexes
169
Anonyme, Nzove, le 5 octobre 2015
170
NIYIBIMENYA Louis-Marie, Muyinga le 25 août 2015
56

Dans ce même arrondissement de Kirundo, la deuxième fosse commune se localise tout près
des bâtiments communaux de Vumbi derrière l’ancienne prison qui, actuellement, a été
renouvelée et transformée en une « maison pour la réconciliation des Burundais »171. A cet
endroit, il existe deux fosses séparées l’une de l’autre par une dizaine de mètres. Dans ces
fosses, on y aurait déversé beaucoup de corps humains parce que les témoignages récoltés
dans toutes les communes qui constituaient l’arrondissement de Kirundo ont confirmé
qu’après les avoir rassemblés dans leurs communes respectives, leur destination était
immédiatement Vumbi. C’est là qu’ils ont été tués et on les a enterrés dans ces fosses derrière
la prison actuellement couverte d’eucalyptus. Voici ce que dit Simon Ndururutse à propos de
ces fosses :

« Ce bâtiment, c’est une maison de la réconciliation des Burundais. A cette


période, c’était la prison, mais on l’a transformée en mettant à son intérieur
des chambrettes. A côté de cette maison, il y avait deux fosses. On les
enfermait dedans et après les avoir tués, on les déversait dans les fosses qui
mesuraient approximativement 2m sur 5m chacune. Vers 1976, j’étais un
chef de secteur de 3 collines, on ne nous surveillait plus et on pouvait y aller
voir. Elles étaient concaves »172.

Sur le nombre de ces fosses communes, nos informateurs ne sont pas unanimes. Les uns
parlaient de 2 fosses, d’autres de 8 fosses et d’autres encore de 14 fosses. Mais, ici, force est
de constater que la plupart des victimes de Kirundo auraient été déversées dans les fosses
communes de Vumbi, ce qui peut signifier que le nombre de ces fosses doit forcément être
supérieur à deux. Aussi en témoigne l’expression « Bamutwaye i Vumbi » répandu dans toute
la région de Kirundo.

Un des chefs de secteurs dans la commune Vumbi nous a informés que dans les premiers
jours, un certain nombre de victimes étaient transportées vers Gitega après avoir subi une
sorte d’interrogatoire. Mais ceci n’a pas duré longtemps ; peut-être que Gitega était plein de
cadavres. Ainsi les bourreaux de Gitega auraient demandé à ceux de Kirundo si dans cette
région n’y avait pas de cimetière173.

171
Sur ce bâtiment est écrit : « IKIGO CO KUNYWANISHA ABANYAGIHUGU»
172
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015
173
NIVYABANDI Joseph, ancien chef de secteur en commune Vumbi, 85 ans, Gasura, le 12 octobre 2015
57

D’autres auraient été acheminés à Ngozi car parmi les notes de fin d’instruction trouvées dans
les Archives Nationales, il y en a qui a été signé à Ngozi alors que tous les prévenus étaient
originaires de Muyinga174.
Une autre localisation des massacres se situe dans la commune Busoni vers la frontière
rwandaise175. Les habitants de cette localité et ceux qui s’y sont rendus au moment des
activités de défrichement de la brousse de Murehe après l’attaque de 1973 rapportent qu’il
existe plusieurs fosses. D’abord, les premiers corps ont été déversés dans la petite vallée de
Rugando dans une fosse creusée par l’eau de ruissellement. Dans cette vallée, pendant les
périodes de pluies, l’eau courante déterrait les os qu’elle déplaçait vers les bas-fonds des
collines. Des corps, surtout ceux des gens originaires de Kayanza (on y reviendra dans le
dernier chapitre) ainsi que d’autres, rassemblés pour aller défricher les buissons de Murehe,
après l’attaque de 1973 mais qui, à leur tour, ont été tués, ont été jetés là. Ces fosses avaient
été creusées par une entreprise d’un Blanc reconnu sous le surnom de Kigubire qui exploitait
le gisement de cassitérite de Murehe. Voici ce qu’a vu Epitace Miburo au moment du
défrichage : « Je m’y suis rendu pour défricher la brousse de Murehe. Nous trouvions des
corps des enseignants avec les montres sur les bras. C’était à peu près 8 fosses »176. Dans
cette même commune, à Gisenyi, se trouve une autre fosse commune dans laquelle on a
enterré 46 rebelles tués au moment de l’attaque de mai 1973.

Dans cette même province, une autre fosse est située au chef-lieu de la province, précisément
à Mukoni. Celle-ci avait été creusée tout près d’un cimetière à l’époque. Mais petit à petit, on
a agrandi le cimetière, donc pour le moment c’est en plein cimetière et aucune trace ne peut
prouver l’existence d’une fosse. Beaucoup d’autres témoignages relatent l’existence de cette
fosse. A Rugari, un chauffeur du camion qui déversait les corps dans cette fosse l’aurait
raconté à ses amis de cette région. Du reste, d’autres corps ont été acheminés vers la rivière
Ruvubu qui avant d’entrer en Tanzanie passe à la frontière de la commune Buhinyuza. Ici, on
a retenu l’abbé Martin Segakwavu, Recteur du Petit Séminaire de Muyinga, tué avec 100
autres victimes177.

174
Les magistrats instructeurs étaient du Parquet de Ngozi : Déogratias Ntavyo et Fidèle Ntirushwa. Parfois, il
mentionnait « fait à Muyinga ou fait à Ngozi »
175
Ici c’est sur la colline de Gatete que se situe la brousse de Murehe et la petite vallée de Rugando.
176
MIBURO Epitace, cultivateur, 62 ans, Kimeza, le 14 octobre 2015
177
NENO Contran, MCCJ, N’abo barabarasa ! Abihebey’Imana 58 mu Burundi barishwe : Abapatiri, Abafrera,
Ababikira, Nairobi, Paulines Publications Africa, 1996, pp. 15-23
58

Enfin, d’autres fosses dans l’arrondissement de Muyinga sont situées dans l’ancienne
commune de Buhinyuza. L’une à quelques mètres des bâtiments de la commune, derrière
l’ancien cachot. On les amenait dans ce cachot pour montrer ou signifier qu’ils étaient
emprisonnés mais à un certain moment comme le soir, on les tuait et les déversait dans cette
fosse178. A la différence des autres fosses, il est remarquable que celle-ci fût cimentée puisque
même actuellement, on retrouve des blocs. Dans cette même commune, dans le Parc National
de la Ruvubu, dans la partie faisant partie de l’actuelle commune de Mwakiro, à côté de la
colline Rurtyazo, se trouvent deux fosses communes de formes rectangulaires parallèles
d’environ 7m sur 1m chacune.

178
BUKURU Balthazar, 61 ans, Kibimba, le 6 octobre 2015
59

Cartes de la violence de 1972-1973 et les fosses communes

Carte 2 : Commune Giteranyi

Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
60

Carte 3 : Commune Vumbi

Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
61

Carte 4 : Commune Mwakiro

Source : Nous-Même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
62

Carte 5: Commune Muyinga

Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
63

Carte 6 : Commune Busoni

Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
64

Carte 7 : Commune Buhinyuza

Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
65

II. 4. Bilan matériel et humain de la crise de 1972 dans la province de


Muyinga
II. 4. 1. Bilan matériel
La crise de 1972 a été l’occasion de la satisfaction des motivations diverses de la part surtout
des administratifs. Cette boulimie matérielle suffit-elle pour expliquer pourquoi cette crise a
touché les gens les plus aisés ? Ce qui est sûr dans la province de Muyinga est que les biens
des victimes ont été immédiatement saisis dès les premiers jours de la répression à
commencer par les rétentions des salaires pour les fonctionnaires de l’Etat. En effet, même les
enseignants qui ont été mis dans les véhicules parce que trompés d’aller retirer leurs salaires
avec leurs arriérés ne sont pas revenus. Modeste Ruzovahandi, une enseignante de Ntega, fait
ce témoignage :

« On les déplaçait à bord des véhicules jusqu’au bureau de la Poste.


Arrivés là, on les faisaient signer seulement sous prétexte qu’on allait
procéder à la distribution de l’argent après cet acte. Puis, on les ligotait et
on les mettait dans les véhicules tandis que l’argent, ce sont eux (les
administratifs) qui le percevaient »179.

Il est rapporté aussi que ceux qui avaient pourchassé les Hutu dans le seul objectif de les
dépouiller de leur argent ou qui les avaient obligés de signer des chèques en blanc cherchaient
toujours à les faire disparaître pour vider leurs comptes en banque. En même temps, les Hutu
qui avaient échappé à ces massacres ne pouvaient plus aller récupérer leur argent. J.B.
Karikurubu, agronome de la commune Butihinda déjà cité, fut accusé d’avoir déserté le travail
depuis le mois de mai alors qu’il avait remis son rapport mensuel de ce mois.

A côté de l’argent des fonctionnaires de l’Etat, tout autre objet jugé « de valeur » a été saisi au
cours des événements. Ils entraient dans la maison d’une veuve pour prendre : frigos, radios,
armoires,…Il s’agissait d’une compétition, le plus rapide prenait l’objet le plus valeureux
tandis la veuve gardait silence pour au moins sauver sa vie180. Même un étranger pouvait être
victime de la crise et on pouvait saisir ses biens au cas où sa morphorgie le rapprochait plus
des Hutu. Tel fut le cas d’un Tanzanien haya du nom d’Apollinaire dont le véhicule saisi
servait au transport des détenus.

179
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre, 2015
180
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
66

Presque toute sorte de biens ont été saisis jusqu’aux biens immobiliers comme les propriétés
foncières181 et les maisons. Une veuve, Modeste Ruzovahandi, qui travaillait à Muyinga à
cette époque, nous dit qu’elle a été forcée de vendre ses biens à des prix non insignifiants par
rapport à la valeur connue. C’était un autre moyen de saisir les biens car les « acheteurs »
s’improvisaient chez le « vendeur », choisissaient des biens dont ils avaient besoin et
imposaient eux-mêmes le prix.

Il n’y avait pas de secret puisque le Premier ministre, secrétaire exécutif du parti et ministre
de l’Intérieur Albin Nyamoya reconnaît l’existence des objets qui ont été saisis au cours des
événements. Dans sa correspondance adressée au gouverneur de Muyinga dont l’objet est
«Objets saisis au cours des événements» datant du 12 août, il ordonne aux administratifs de
procéder à la remise de ces objets. Voici un extrait de cette lettre :

« Au cours des événements qui viennent d’endeuiller le pays, certaines


autorités locales ont procédé à la saisie des biens (maisons, bétail etc.…) des
personnes qui étaient impliquées dans le dernier coup d’Etat génocide. Ces
mêmes autorités ont procédé à la saisie des biens des parents (père, frères) des
inculpés. De plus, certains administrateurs communaux sont allés jusqu’à
distribuer des propriétés, à vendre aux enchères le bétail ou en faire cadeau à
leurs amis sans aucune décision du Ministre de la justice ou celui de
l’Intérieur. Aussi avant que le gouvernement ne se penche sur la question,
veillez noter ce qui suit : Tous les biens saisis, sauf les véhicules doivent être
remis à leurs propriétaires ou à leurs ayant-droits… »182.

Cette lettre qui suivait une autre du 31 juillet et complétée par celle du 30 septembre rappelait
de respecter le délai de cette remise. La lettre du 12 août faisait suite à une pétition des
habitants de Busoni datant du 11 du même mois dénonçant les abus des autorités
administratives « qui tuent injustement des innocents pour avoir l’occasion de saisir leur
biens »183.

181
Jusqu’actuellement la question des propriétés foncières n’a pas été complètement résolue dans la
commune de Busoni. Il existe toujours des propriétés qui font objet de litiges même au sein de la CNTB. On y
reviendra dans le dernier chapitre.
182 o
Archives provinciales de Muyinga : Lettre n 530/184 du 30 juillet 1972. C’est l’auteur de la lettre qui
souligne.
183
Archives provinciales de Muyinga : Pétition des habitants de Busoni du 11 août 1972
67

Voici quelques listes des biens dressées de quelques communes en réponse à la lettre du
Premier ministre :

Tableau 5 : Liste des biens remis en commune Bwambarangwe184 :

No Noms de l’ayant-droit Désignation des objets remis Emplacement


1 BARAGONDOZA 1 maison Giteranyi
2 MIBURO NTANDAZI 1 magasin+1 bascule Giteranyi
3 Mme MIBURO Etienne 1 magasin+1 bascule Giteranyi
4 Mme NKERAGUHIGA Abraham 1 vache +1 taurillon Buhoro
5 Mme RWASA Jonathas 1 magasin+1 bascule Giteranyi
6 Mme CITURANYA Protais 5 vaches+1 vélo Butegana
7 Mme MIBURO Etienne 2 vaches Kimeza
8 Mme RWISHIKE Zacharie 1 poste de radio +1 tondeuse Kimeza

Tableau 6 : Liste des biens remis dans la commune Ntega185 :

Nom du propriétaire Objets saisis


MISAGO Melchior Bar+parcelle
SERUCUNDWE André 1 vache
TOYI Mathias 7 vaches
MAKOBERO Kizito 4 vaches+bar
MAVUGABANDI Agapit 1 bar
NKURIYINGOMA Sylvestre 1 génisse +1vache
NGENDAHAYO Philippe 2 vaches
KABARUNDI Joas 1 vache
MIGERERO André 2 vaches
RUBERANZIRA Elias 1 magasin
SEBUSA Marc 1magasin
RWASA Stanislas une maison en construction
RWASA Paul 1bar
RWASA Pancras 2 vaches+1 magasin
NKENGEREZA Dominique 1 vache+1bar

184 o
Archives provinciales de Muyinga : Lettre n 531.612/217/1972
185
Archives provinciales de Muyinga : Lettre de substitution des biens saisis du 25 octobre 1972
68

RUVUMBAGU 1 bar
NDUMBAGU Joseph 1 bar+1 machine à coudre
RWASA Ildéphonse 1 boutique
BARINAMENYO Sévérin 1 bar
NSEKAMBABAYE Joseph 1 magasin+13 vaches
KARUHIJE 1 bar+6 vaches
BUKURU Papias 1 bar
BUNYAKAMWE Nicodème 2 vaches
KARENZO-BUHOMA 1 machine à coudre
NTAKAMURENGA 1 vache
MACUMI Léopold 2 vaches
MUNYENTAMA Mathieu 1 vache
MUSORO Paul 1 bar
SENDEGEYA Louis 1 bar
69

Tableau 7 : Liste des biens remis en commune Kirundo186 :


Nom du bénéficiaire Biens restitués
Madame NCAMIHIGO 10 vaches
Madame NTIRWONZA 17 vaches
Madame RUGEGENE 3 vaches
Madame MISAGO 1 Vache
Madame MIBURO Etienne 2 Vaches
Madame KITANUKE 1 radio
Madame BIBABANA 1 radio
Madame SIBOMANA Une maison
Madame KADASHIRA 1 radio
Madame FENGURE Pascal 1 radio
Madame KABARUNDI 1 radio
Madame Daniel 3 vaches
Madame Modesta 3 Vaches
Madame MUYONDE 6 vaches
Madame NYAMUKANDA 1 vache
Madame NSIGAYAHAGA 6 vaches+7 chèvres
Madame RWASA 1 mouton
Madame GIKEBERO 7 chèvres
Madame NTUKAMAZINA 2 vaches
Madame KAGUGUZA 1 boutique +kombokombo
Madame NTAKIMAZI 1 radio
Madame KAREKEZI Kombokombo
Madame RWASA 1 boutique
Madame SOGORORE 4 chèvres
Madame BACAMURWANKO 1 frigo+moteur électrique
Madame BANIGWA 1 boutique+radio
Madame NDIMURWANKO Vélo
Madame SERWENDA 2 vaches
Madame SEMAPFA 2 vaches
Madame MASABO 1 boutique +frigo
Madame GAPIRIPIRI 1 radio
Madame NIBOYE 4 vaches
Madame MAGORWA 1 vache+1 maison
Madame KINGUNGWE 4 Vaches
Madame RUGUMBU 3 Vaches
Madame NTAGATUGU 1 Vache
Madame SERWENDA 16 Vaches
Madame MIKA 4 Vaches

186
Archives provinciales de Muyinga : Liste des bénéficiaires des biens saisis
70

Madame RWASA 2 maison+ balance+ radio


Madame SEBURIRI 1 radio
Madame KINGUNGWE 2 vélos
Madame NTAGATUGU 2 vaches
Madame SEMAPFA 1 vélo
RUSHIMANTWARI (sa femme) 1 boutique+radio+1060 Frs
BANYUGUZA 1 radio
Madame KARENZO 1 vélo
Madame BUKERO 1 vélo+ Taurion
Madame BUKERO 2 vaches

Toutefois, même si les tableaux ci-haut sont intitulés « substitution des biens saisis », aucun
informateur ne reconnaît un cas des biens mobiliers qui auraient été restitués à cette période
surtout que même la lettre du Premier ministre contenait une sorte de contradiction interdisant
la remise des véhicules.

A côté de ces biens qui ont été pillés par pure et simple saisie, les veuves ont été forcées de
« vendre » leurs biens comme les maisons à des prix très réduits fixés par « ces acheteurs ».
Un habitant de l’arrondissement de Kirundo assimilé cet acte à un autre réciproque qui eut
lieu dans la commune Giteranyi à l’époque de Ntidendereza. Celui-ci forçait les habitants de
cette région à acheter de la viande qu’il vendait contre le café. Voici ce qu’il dit :

« Après quelques jours, les veuves se sont vues forcées de vendre leurs
maisons. Une maison ayant une valeur de 20.000F, on l’achetait à 8.000F
ou à 10.000F. Il n’existe plus une entente pour vendre sa maison (.. .). Les
acheteurs reçoivent des documents en provenance de Ngozi qu’on qualifie
de "Contrat de vente" »187.

Dans cet arrondissement de Kirundo, dans la région de Busoni en particulier, des situations
semblables à la précédente sont évoquées. La situation qui précède la crise fut caractérisée par
de nombreux abus. Les administratifs locaux pouvaient faire payer des amendes aux
commerçants mais sans justifier pourquoi. Les percepteurs d’impôts rassemblaient de l’argent
sans donner des papiers justificatifs.

187
NDONGOZI Y’UBURUNDI no 21, 15 octobre 1974, p.8 : Cette personne du nom de Ndabirorere intervievée à
cette période n’évoque pas des cas des acquéreurs de bonne fois mais peut-être qu’il en existe.
71

De par toutes ces injustices, les habitants de cette région, enfants et adultes, ont changé même
leur salutation. Arrivé là, on vous dit qu’au lieu de les saluer : « Ayez la paix », il faut leur
dire : « L’injustice »188.

II. 4. 2. Bilan humain


Depuis 1972, il a été difficile de fixer le nombre exact des victimes de cette crise. Plusieurs
versions différentes existent. D’abord, celle du gouvernement qui publie un bilan de 50.000
victimes mais ce chiffre fut amplifié par le président Micombero par la suite d’abord à
100.000, puis 120.000, mais où 50.000 restaient invariablement des Tutsi, une estimation à
tout le moins excessive189. Quant au FRODEBU, il estime le nombre de victimes à 300.000
auxquelles s’ajoutent 300.000 réfugiés, soit un total de 600.000. D’une façon globale, on voit
que le chiffre exact n’est pas connu même au niveau national. Mais, ici chacun des groupes à
tendance de gonfler les pertes de son propre camp.

Selon J.P. Chrétien et J.F. Du paquier dans leur ouvrage déjà cité, dans la province de
Muyinga, environ 80% des enseignants ont été tués. Parmi le personnel de santé (techniciens
médicaux, assistants sanitaires, infirmiers et aide infirmiers), on compte 23 « disparus » sur un
effectif total de 54 personnes dans cette province190. Un jeune garçon de la commune
Gasorwe qui venait d’abandonner l’école primaire nous dit que tous ses enseignants ont été
tués sauf un seul Hutu qui s’appelle Bwengebuke191. Il ajoute que tous les enseignants de
l’école officielle de Kiremba ont été tués excepté les femmes. Quant au jeune homme Simon
Ndururutse de Vumbi, déjà cité, il témoigne que sa famille a perdu 25 personnes qui
semblaient les plus valeureuses : un prêtre, 2 commerçants (dont l’un s’est électrifié après
avoir vu ce carnage), un frère du prêtre avec son oncle, d’autres étaient des enseignants.

Jusqu’ici, nous pouvons conclure que certaines familles ont perdu un grand nombre de leurs
membres comme nous le montre le témoignage de Simon Ntamwana, grand séminariste
originaire de Mukenke qui était en Europe à cette période dont la famille a perdu 54
individus :

188
Idem
189
NGAYIMPENDA. E., Op.cit., p.483
190
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Op.cit., p.193
191
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
72

« (Silence). Vers le 15 mai de cette année, j’ai reçu une lettre de mon curé
de Mukenke. Une liste de 54 personnes de ma famille qui avaient été tués. Je
n’en revenais pas. Mon père, mon petit frère Michel, des oncles, des tantes,
presque tous ceux qui savaient lire et écrire. A ce moment-là, nous étions
une famille assez intellectuelle. Ce sont 54 personnes qui ont disparu. En 15
jours… »192.

Quant à l’Eglise catholique du Burundi, 25 consacrés, frères et prêtres ont été massacrés dont
4 du diocèse de Muyinga193 : Martin Gakwavu, Recteur du Petit Séminaire de Muyinga, le 15
août 1972 ; Paul Ntirampeba de la paroisse de Gisanze tué le même jour que le précédent ;
Protais Ruhaya de la paroisse de Gisanze arrêté le 29 mai; frère Jean Bosco Ngendakumana
de Scheppers à l’école pédagogique de Rugari ; Frère Joseph Muke de Scheppers de l’école
pédagogique de Rugari, le 13 mai 1972.

Tableau 8 : Liste des victimes dans la zone de Rugari

N° Nom et prénom Fonction Colline


1 HAKIZIMANA Astère Curé de la paroisse -
2 BAKARABE Tharcisse Prêtre Gatongati
3 NGONZI Anatole Prêtre Gatongati
4 BAKAME Oscar Consacré Kinazi
5 FURUGUTU Antoine Consacré Kinazi
6 BUBIRIZA Pascal Ministre Bunywana
7 RUNDITSE Pierre Directeur d’école Ruyivyi
8 SENTAVYO Pierre Clever Enseignant Rutoke
9 BUHINNJA François Enseignant Muyinga
10 NTARUKONDO Jacques REGIDESO (Aéroport) Rugari
11 RUGURANE Pascal Commerçant Bunnywana
12 MURANGA Michel Directeur d’école Gatongati
13 BAKIRE Maurice Directeur d’école Rutoke
14 BAKIRE Antoine Enseignant Rutoke
15 BAKIRE Pascasie Enseignant -
16 BAKIRE Jean Footballeur -

192
KABURAHE, A. et NTAMWANA, S., Soyons les serviteurs de la vie, Bruxelles, Le Roseau Vert, 2005, p. 54
193
NENO Contran, MCCJ, Op.Cit., pp 15-23
73

17 NDARUSEHERE Pascal Infirmier Gatongati


18 RWASA Antoine Enseignant Gatongati
19 NTIBATINGESO Joseph Enseignant Kinazi
20 BUGERERE Martin Enseignant Rugari
21 KARIMA Tharcisse Enseignant Gahororo
22 RUSHATSI Joseph Enseignant Muramba
23 KARIMA Isaac Enseignant Gahororo
24 SEBUBWA Fulgence Enseignant Ruyivyi
25 NYABENDA Rogatien Commerçant Kinazi
26 MISAGO Alphonse Enseignant Gatongati
27 MISAGO Marie Ange Elève Gatongati
28 BANDIYE Antoine Caissier paroissial Rugari
29 GITURANYA Protais Enseignant Mukenke
30 MANISHE Joseph Enseignant Rutoke
31 RUGWAGUZA Charles Enseignant Bunywana
32 NGOZI Pascal Directeur d’école Gatongati
33 MINANI Martin Enseignant Ruyivyi
34 KANYEJERI Liboire Enseignant Gatongati
35 RUVYOGO Fulgence Enseignant Bunywana
36 MAGANYA Joseph Enseignant Ruyivyi
37 BANCAKO Elie Commerçant Bunywana
38 MAHEMBE Boniface Militaire(Officier) Rugari
39 BATANDA Zéphirin Grand Séminariste Gatongati
40 BUBWA Nicodème Agronome Bunywana
41 NDIKUMUGONGO Gaspard Enseignant Gatonngati
42 MAGARA Apollinaire Commerçant Rugari
43 TUMAGU Martin Commerçant Kinazi
44 NYABENDA Joseph Enseignant Gahororo
45 BIRANKITSE Martin Enseignant Kirundo
46 MAHEMBE Fidèle Enseignant Ruyivyi
47 BARUZANYE Martin Commerçant Kobero
48 BISABWA André Enseignant Rusengo (Ruyigi)
49 BASEKE Augustin Travailleur communal Rugari
74

50 BUKURU Cléophace Elève Bunywana


51 MAGARA Cultivateur Rutoke
52 RUHAYA Protais Prêtre Rugari
53 SINDIMWO Hyppolyte Grand Séminariste Ruyivyi
54 BENDARUMIRA Joseph Travailleur de la BRARUDI Kavumu
55 BUKURU Mathias Militaire Kavumu
56 GISHAHU Athanase Commerçant Ruyivyi
57 BARANDABIYE Perpétue Commerçant Ruyivyi
58 BICITSE Abraham Mécanicien de vélos Rutoke
59 KABEBA Joseph Enseignant Rutoke
60 SEMAPFA Corneille Enseignant Kirundo
61 MASUDI Mathieu Enseignant Rugari
62 NIYONGAMO Célestin Enseignant Rugari
Source : Membre de l’AMPCI GIRUBUNTU dans la commune de Muyinga

Le tableau ci-haut illustre la gravité de la crise dans la zone de Rugari. Ce tableau comporte
des victimes qui travaillaient et vivaient à Rugari. Mais, du fait qu’il s’agit d’une liste des
disparus à qui on a célébré une messe funéraire dans la paroisse de Rugari le 18 mai 2014,
dans ce tableau, on y a enregistré d’autres gens originaires de cette zone mais qui, à cette
période, ne vivaient ou ne travaillaient plus à Rugari. Sur cette liste, ne figure pas les noms
d’une trentaine d’élèves de l’ancienne Ecole Pédagogique Moyenne de Rugari qui, en fuite,
ont été arrêtés sur la barrière de la colline Bunywana, non loin de cette école. A côté de cette
première liste, trois autres listes constituées à partir des trois collines de la commune
Buhinyuza, nous donne une idée sur le nombre des victimes.
75

Tableau 9 : Liste des victimes sur la colline Nyaruhengeri

N° Victimes
1 Louis (Militaire)
2 RUSENDEZA Thomas
3 BENDANTOHERA
4 NAMURAGARA
5 BIJANJAGU
6 BINYO Pierre
7 NDARUSAMBURE
8 NSANZE
9 MANTAZI
10 NTAMANZUYE
11 SINZOBAKWIRA
Source : Nous-même, à partir de nos enquêtes

Tableau 10 : Liste des victimes sur la colline Rugazi

N° Victimes Fonction
1 BUTOYI Cyprien Cultivateur
2 MUGEREZA Paul Enseignant
3 HABIMANA Jean Secrétaire paroissial
4 NTIBAZONKIZA Philippe Enseignant
5 NTIMPIRANGEZA Fidèle Enseignant
6 KAVABUHA Bonaventure Etudiant
7 NIBIGIRA Isidore Elève
Source : Nous-même, à partir de nos enquêtes

Tableau 11 : Liste des victimes sur la colline Muramba

N° Victimes Fonction
1 BANCEKURE Jean Enseignant
2 TUMAGU Zosime Maçon
3 NZOGERA Alexandre Commerçant
4 MISAGO Cyrille Agriculteur
5 NZAKAHA Philippe Enseignant
6 SENDEGEYA Patrice Etudiant
7 HABIYAMBERE Protais Commerçant
8 NAHIMANA Tharcisse Cultivateur
9 SEMAPFA Originaire de Ruyigi
Source : Nous-même, à partir de nos enquêtes
76

Même si il est difficile de connaître le nombre exact des victimes emportées par la crise dans
la province de Muyinga, on peut avoir une certaine idée en lisant une partie du commentaire
qui accompagnait la liste des prévenus inscrits sur une note de fin d’instruction du parquet de
Ngozi datant du 17 mai 1972 :

« Subsidiairement à nos précédents dossiers, nous transmettons pour


fixation devant le Conseil de Guerre, le présent dossier en cause. Ministère
Public contre les 101 dont l’identité ci-dessus comme nous l’avons signé et
signalé dans nos précédentes notes de fin d’instruction. Ce dossier n’est
qu’une suite des trois dossiers antérieurs »194.

On voit que cette note suit trois autres à savoir celle du 9 mai 1972 comportant 149 prévenus,
celle du 10 mai avec une liste de 20 prévenus, et celle comportant 65 prévenus. Sur toutes ces
listes apparaissent des identités195 presque complètes des prévenus. De ces identifications, il
en résulte que les gens arrêtés provenaient de tous les coins du pays mais résidents à Muyinga
à cette période. Parmi ces victimes, le plus jeune avait 18 ans et aucun nom d’une femme ou
fille n’apparaît. Mais ces gens provenaient de toutes les professions : directeurs d’écoles,
instituteurs, infirmiers, juges, cultivateurs, commerçants, percepteurs d’impôt, douaniers,
chauffeurs, etc.

Toutes ces pertes en vies humaines innombrables se sont répercutées sur le plan économique
car suite à ces événement, le pays a été privé grand nombre de ses cadres et d’une forte main
d’œuvre. Dans le secteur public, c’est évident qu’il y a eu un manque réel de cadres
techniques et autres travailleurs tandis que les activités commerciales ont fortement baissé
étant donné qu’un grand nombre de commerçants avaient été éliminés au cours de la
répression. Ceci poussant certaines personnalités à réagir.

194
Archives nationales du Burundi (Fonds de la province de Muyinga, 1970-1972): Note de fin d’instruction du 17
mai 1972
195
Par exemple : KARIKURUBU Rénovant fils de RUMENAMPURI (dcd) et de INAMIHORORO (dcd), originaire de
la colline et commune Matongo, arrondissement de Kayanza, province Ngozi, résident à la colline Gasorwe
faisant profession de Juge du tribunal de Résidence.
77

CHAPITRE III. LA PROVINCE DE MUYINGA VERS LE RETOUR AU


CALME ET LA NOUVELLE MENACE
III. 1. Différentes actions visant le retour à la paix
La gravité de la répression et la virulence de ses partisans n’ont pas empêché les élites tutsi
« modérées » de réagir. La première réaction fut l’œuvre de Raphaël Remezo, directeur
général de l’Agriculture et de l’Elevage, qui fait le bilan des dégâts causés d’une part par la
rébellion et d’autre part par la répression. Cette démarche a suscité la colère de Micombero
bien qu’il ait la fonction de directeur général et soit Tutsi196. Le lendemain le 16 mai, il fut
appréhendé. Une autre réaction du 15 mai fut celle du secrétaire général de la JRR dénonçant
les exactions des bandits prétendant agir au nom de la JRR. Selon J.P. Chrétien et J.F.
Dupaquier, cette réaction déclenche une facile accusation en miroir du groupe des
extrémistes.

Ce n’est qu’après ces deux démarches que le président donne son premier message d’appel
au calme qui pouvait prêter à confusion car il affirme que l’ennemi attrapé doit être remis aux
autorités administratives et judiciaires, ce qui ne s’éloigne pas des arrestations en cours dans
les provinces, étant donné que ce sont ces dernières qui prenaient part aux arrestations.
Charles Bitariho reconnaît l’intervention des notables tutsi modérés auprès du président pour
qu’il se décide de reprendre la situation en main197.

Mais, il a fallu attendre le 27 mai, moment où les médias internationaux en l’occurrence


occidentaux ont fait état des informations alarmantes qui provenaient du Burundi. C’est à
partir de cette date que les médias de l’Etat ne cesseront d’affirmer que la répression était
terminée. Dans la même perspective, « la commission des sages » fut mandatée par le
président dans le but de mettre fin aux arrestations échappant à tout contrôle. Youssouf
Gahungu, un habitant de la commune Gasorwe, affirme avoir vu ces tournées effectuées par
Albin Nyamoya, dans sa province, ayant pour but d’apaiser les esprits. Partout dans la
province, ces tournées sont évoquées.

A propos de cet acte d’apaiser les esprits brouillés par la crise, il existe des controverses. Dans
certains milieux, on confirme que pour ramener la paix, les tournées de ces autorités ont
contribué à grand-chose alors que d’autres affirment le contraire :

196
CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p. 259
197
Idem, p. 264
78

« les arrestations ne s’arrêtent qu’après avoir constaté qu’il ne restait aucune personne
intéressante dans les milieux hutu ». Ici, l’appréciation d’un habitant de la commune de
Bwambarangwe semble plus pertinente :

« Ils sont arrivés quelque part et ont constaté que les cibles d’arrestations
avaient été tuées et que leur soif avait été satisfaite puisque d’autres avaient
fui vers Mutabira en Tanzanie et au Rwanda…Après avoir satisfait leur soif,
Micombero a prononcé un discours d’apaisement (Ijambo ry’ihumure) »198.

Tout de même, un habitant de Kirundo, cité par J.P. Chrétien et J.F. Dupaquier renforce cette
idée : « A Kirundo, on a arrêté de tuer seulement parce qu’il n’y avait plus de richesse à
prendre, plus personne d’intéressant à exterminer. On n’a pas touché le petit peuple,
seulement les gens qui avaient des biens »199.

Dans cette même logique de démarche vers le retour à la paix, « l’Eglise catholique du
Burundi ne s’est pas tue devant la violence »200. Presque tout au début, la réaction des
évêques se fit entendre mais chacun dans son diocèse à cause de l’impossibilité de se réunir,
faute de sécurité. C’est dans ce contexte que Mgr Nestor Bihonda, évêque de Muyinga,
envoya un court message aux paroisses invitant au calme et à la confiance en la Vierge Marie
puisque c’était le mois du Rosaire201.

Il a fallu attendre le 24 mai pour que les évêques diffusent une lettre commune sur les
événements. Dans cette lettre, avant de condamner, les évêques commencent par la
description des événements. La lettre met en garde ceux qui voulaient profiter des troubles
pour piller et pour tuer. Les évêques concluent leur message par des recommandations
évangéliques dont l’idée-force était le commandement d’amour et du pardon. Mais, Jean
Chrysostome Minani écrit que ce message manquait d’éclairage, car le dire ça ne suffit pas
et se pose la question de savoir « Comment vivre ce commandement en pareille
situation ? »202.

198
NIYIBIMENYA Louis-Marie, Muyinga, le 25 août 2015
199 199
Témoignage de H.G., Tutsi de Kirundo, Kigali, 12 août 2006 cité par CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F.,
Op.cit., p.267
200
Ici, nous reprenons le titre de l’ouvrage de l’Abbé Emmanuel Ndayizeye
201
NDAYIZEYE, E., L’Eglise catholique du Burundi ne s’est pas tue devant la violence, Ascoli Piceno (Italie),
Tipografia Liena Grafica, 2010, p. 42
202
MINANI, J.C., Op.cit., p. 115
79

De plus, la lecture de cette lettre pastorale des évêques du Burundi n’aurait pas été respectée
dans le diocèse de Muyinga. En effet, certains prêtres tant nationaux qu’étrangers n’en
auraient présenté au peuple que des bribes de phrases, d’autres auraient omis toute lecture de
la lettre. Voici une partie de cette lettre :

« J’ai appris que dans certaines paroisses de mon diocèse confiées aux
Pères Blancs et aux prêtres Fidei Donum, la lettre pastorale des évêques à
leurs fidèles et à tous les habitants du Burundi désireux de la paix dans la
justice, n’aurait pas été respectée : - certains n’en auraient présenté au
peuple de Dieu que certaines phrases à leur goût, tirées malheureusement
du contexte, ou se seraient contentés d’en faire une interprétation et
combien fantaisiste ; - d’autres auraient même eu l’inqualifiable audace
d’en omettre purement et simplement la lecture »203.

Comme on l’avait vu, à la veille de la crise, Mgr Nestor Bihonda avait accusé certains prêtres
de son diocèse qui, par après ont été tués, du « racisme » ; pour le moment, il les accuse
de « trahison à la pensée de l’Eglise et d’empoisonnement des esprits de leurs peuples »204.
Ceci se faisant, à côté des membres du clergé auxquels étaient destinés ce message, d’autres
destinataires étaient : les gouverneurs de Muyinga et de Gitega, les commissaires
d’arrondissements de Kirundi, de Muyinga et de Karusi. Ce message ne pouvait-il pas
troubler les relations entre ces prêtres et ces autorités administratives ?

Avant de terminer cette lettre, l’évêque de Muyinga intime l’ordre de lire cette lettre dans les
termes suivant : « Je vous intime de nouveau l’ordre de lire intégralement ou de relire
purement et simplement, cette lettre pastorale pendant toutes les messes du dimanche qui
suivra la réception de la présente circulaire »205.

Bien que les pasteurs semblent anticiper la condamnation des événements, ils ne furent pas
écoutés par les autorités du pays. Elles s’adonnèrent à une répression sanglante.

203
BIHONDA, N., Respecter lettre pastorale des évêques du Burundi du 24 mai au sujet des événements actuels,
Kanyinya, le 23 Juin 1972 cité par CARBO, C., Colonialismo e neocolonialismo. La vicenda stonca del Rwanda e
del Burundi, Palemo (Italie), ARACNE, 1974, pp. 291-292
204
Idem
205
Idem
80

Ceci amena les Supérieurs majeurs des congrégations masculines et féminines à s’en prendre
à l’épiscopat afin qu’il sorte une condamnation plus énergique de cet acte 206. Ces
missionnaires sollicitaient également la révision de la pastorale en fonction de ces événements
pour pouvoir réévangéliser en profondeur. L’Archevêque de Gitega a accueilli avec amertume
cette réaction des missionnaires qu’il accuse de vouloir semer des divisions entre le clergé
missionnaire et le clergé local d’une part, et d’autre part diviser le clergé local:

« Certaines phrases équivoques, écrites probablement sous le coup de


l’émotion, au lieu d’être un baume pour panser les cœurs endoloris,
risquent de creuser davantage le fossé que vous voudriez combler. Non
seulement l’affirmation précitée oppose les Bahutu à la hiérarchie, mais un
autre passage de votre note oppose d’une part, le clergé missionnaire au
clergé local et d’autre part, les prêtres batutsi au reste du clergé, et ce sur
la base d’une interprétation partiale des impressions »207.

Mgr Makarakiza explique aussi pourquoi le message n’a pas eu des effets sur ce qui se
passait en montrant que la capacité de l’Eglise avait des limites : « …Mais autre chose est de
demander, autre chose est d’obtenir ! L’Eglise n’est pas, comme vous le pensez, si "puissante
sur le plan temporel" »208

A notre avis, les messages de l’Eglise catholique n’auraient pas eu un impact sur la réaction
des bourreaux peut-être parce que, au sein du clergé même, il existait certaines divergences
sur la position à prendre. En effet, si certains missionnaires et prêtres avaient été accusés du
racisme par Mgr Nestor Bihondo, les Supérieurs majeurs des missionnaires accuseront plus
tard les évêques d’avoir donné un message ambigu.

Quant aux administratifs de la province de Muyinga, en réaction à ce mot d’ordre de retour


au calme, ils ont tenu des réunions de sensibilisation dans les différentes communes. Dans
leurs allocutions, comme celle du gouverneur de Muyinga dont le résumé de son contenu
nous est livré par un des participants, à cette époque, chef de secteur dans la commune
Vumbi, ils juraient que les arrestations étaient terminées.

206
NDAYIZEYE, E., Op.cit. pp.47-48 voir aussi MINANI, J.C., Op.cit., pp.145-146 et PERRAUDIN J., La chronique de
l’Eglise catholique du Burundi, pp.64-65
207
MAKARAKIZA, A., Réponse à la note confidentielle adressée à l’épiscopat du Burundi au sujet des événements
actuels, 7 juin 1972
208
Idem
81

Aussi, un habitant de Busoni, qui a pris part à ces réunions, nous dit que les administratifs
avaient parfois honte de dire de quoi il s’agissait. A titre d’exemple, voici ce qu’il a pu
retenir :

« Premièrement venait le gouverneur. Celui-ci donnait à l’administrateur


l’ordre de rassembler les habitants de sa commune. Puis, il leur adressait
un message d’apaisement en ces termes" Ce qui est arrivé, je pense que
vous l’avez vu vous aussi, comment les gens sont disparus sans être
coupables, il osait le dire ainsi, ayez alors la retenue pour garder la
solidarité" »209.

On le remarque aussi à travers la correspondance que le commissaire d’arrondissement Mévin


Budigoma adressa aux administrateurs pour les informer de son agenda de tournées
d’information :

Tableau 12 : Agenda de tournées d’information

Dates Heure Commune

Mercredi le 16/8/72 09.00 heures Giteranyi

Mercredi le 16/8/72 11.00 heures Mukenke

Jeudi le 17/8/72 10.00 heures Murore

Samedi le 19/8/72 10.00 heures Vumbi

Lundi le 21/8/72 10.00 heures Kuntega

Mercredi le 23/8/72 10.00 heures Kirundo

Source : Archives provinciales de Muyinga : Lettre no531.61/226 du 9 août 1972

Comme on le voit, jusqu’au mois d’août, les sensibilisations continuaient. En dépit de ces
efforts, certains habitants de Muyinga considèrent ces démarches comme étant inefficaces :
« Il est suivi des réunions de pacification, mais pour quelqu’un qui a perdu le sien, il ne
pouvait pas se sentir en paix. On était obligé de se taire malgré soi »210.

209
Focus group, Burara, le 3 février 2016
210
NTABANGANYIMANA Salvator, Gaturanda, le 1 octobre 2015
82

D’autres considèrent ces messages comme des « malédictions » (amahumigwe) parce que
quand vous avez tué des gens vous ne pourriez plus venir adresser un message
d’apaisement211. Ceci montre que les cœurs des habitants de cette province n’étaient pas
apaisés. Même les chrétiens étaient plein de désespoir et se demandaient : « Où allons-nous
alors après la disparition de nos enfants intellectuels ? »212.

Malgré ce manque de paix dans leurs cœurs, ils étaient obligés de passer un certain temps en
chantant les qualités exceptionnelles du président Micombero213.

Mais, en dépit de tous ces efforts de pacification, quelques cas d’arrestations isolées ont eu
lieu alors que la catastrophe semblait prendre fin. Ce sont surtout des cas de règlement de
comptes. De telles situations ont été évoquées à Kizi dans la commune de Gasorwa où les
frères de Joseph Miburo qui avaient de la jalousie contre lui à propos des propriétés foncières
l’ont fait arrêter214.

Après ces tournées, les rapports administratifs communaux et d’arrondissements du mois


d’octobre et de novembre signalent une bonne situation politique dans la province et le retour
de quelques personnes quittées le pays pendant les événements sanglants. Les mêmes rapports
reviennent sur le déroulement dans un climat apaisé de la fête du sixième anniversaire de la
proclamation de la République où des manifestations populaires avaient été organisées et
présentées par les écoliers, les membres de la JRR, UFB et Upronistes dans le secteur
administratif de Mukenke, à la commune Busoni et au chef-lieu de l’arrondissement
Kirundo215. En dépit de ce calme qui règne dans la province, des traces de la crise restent tel
que le rôle policier de la JRR qui n’a pas encore disparu. Ceux-ci ont reçu du commissaire
d’arrondissement Mévin Budigoma l’ordre de ne pas laisser partir librement les réfugiés
rentrant du Rwanda ou de l’Ouganda. Il fallait d’abord les conduire à la commune, puis il
revenait à l’autorité communale de les acheminer à la province pour quelques renseignements
intéressant peut-être la Sûreté nationale. En d’autres termes, la « vigilance » continuait surtout
à la frontière avec le Rwanda.

211
Focus group, Burara, le 3 février 2016
212
NIBOYE André, secrétaire de la paroisse de Rugari en 1972, 65 ans, Rutoke, le 14 février 2016
213
Focus goup, Burara, le 3 février 2016. Nos informateurs nous ont donné quelques morceaux de ces chants
dont nous donnons la traduction en Français : « Le Burundi allait s’effondrer mais Micombero le rattrapa. Vive
Micombero … », « Viens. Je t’attends avec impatience, Lieutenant Général Micombero, tu as amené la paix au
Burundi …» et « Ce vaillant au Burundi, Micombero …».
214
BANCAKO Zacharie, brigadier à Gasogwe, 81 ans, Masasu, le 9 octobre 20115
215
Archives provinciales de Muyinga : Rapport mensuel du mois de septembre 1973 pour l’arrondissement
Kirundo
83

De plus, les abus des administratifs locaux perturbaient le processus de retour au calme. En
effet, le rapport administratif sur la situation politique de la commune Ntega (surtout dans le
secteur du conseiller communal Karekezi) signale des cas des gens qui prenaient fuite vers la
République rwandaise en nombre assez élevé. En fait, par son imprudence, au cours de la
réunion tenue le 2 avril 19973, Karekezi aurait déclaré que les gens de son secteur étaient
indisciplinés, désobéissants et racistes et que, par conséquent, ils se verraient punis
impitoyablement d’autant plus qu’ils étaient au mois d’avril, le mois auquel les événements
de l’année précédente avaient éclaté dont personne n’ignorait les conséquences fâcheuses que
la plupart ont subies216.

A côté de ces abus, nous constatons une sorte de suspicion dans la province de Muyinga
poussant les administratifs à vouloir mener une enquête sur les enseignants de certaines
paroisses. Dans le rapport mensuel de novembre 1972 de la commune Bwambarangwe, le
commissaire d’arrondissement le précise dans une lettre confidentielle adressée au
commissaire d’arrondissement-adjoint chef du secteur administratif : « J’ai l’honneur de vous
demander de mener une enquête minutieuse sur les enseignants des paroisse Mukenke-
Giteranyi et Ruyenzi qui manifesteraient les activités politiques pouvant engendre la haine
raciale entre les enfants »217.

On voit que plusieurs démarches ont été mises en œuvre mais elles seront interrompues par
l’attaque de mai 1973.

III. 2. Attaque de 1973 en région de Kirundo : conséquence de 1972


La crise de 1972 a provoqué un important mouvement de réfugiés surtout en direction du
Rwanda, de la Tanzanie, du Congo et de l’Ouganda. Jusqu’ en 1977, la question des réfugiés
ne fut jamais abordée par le gouvernement du Burundi sauf pour demander au gouvernement
du président Habyarimana du Rwanda d’éloigner des frontières burundaises ou de contrôler
ceux qu’il considérait comme des « rebelles »218. Les réfugiés du Rwanda commencent alors à
s’organiser pour faire des incursions au Burundi.

216
Archives provinciales de Muyinga : Rapport administratif sur la situation politique de la commune Ntega, le 6
avril 1973
217 o
Archives provinciales de Muyinga : lettre confidentielle n 531.61/368, le 9 décembre 1972
218
GUICHAOUA A., Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique centrale et orientale, Paris, Karthala, 2004, p. 221
84

En guise de préparation de cette attaque, les réfugiés ont d’abord effectué une enquête pour
se rendre compte des Burundais tutsi détenant des armes dans les communes frontalières avec
le Rwanda. Un étudiant de l’Université Officielle du Burundi, un des membres de la
commission de cette enquête nous fait un témoignage :

« Nous avons effectué cette mission, nous étions au nombre de trois. Nous
nous sommes rencontrés avec les Burundais venus au marché au-delà de la
frontière, mais une région du Rwanda très proche de Busoni. Puis nous
nous sommes informés auprès d’eux puisqu’en nous envoyant, on nous avait
dit que là nous allions y trouver des gens en provenance du Burundi. C’est à
partir de cette enquête sur les armes qu’on a préparé alors cette
attaque »219.

Avant de s’infiltrer au Burundi, dans la région de Nemba au Rwanda où on exploitait la


cassitérite, non loin de la frontière burundaise, les rebelles ont saisi un véhicule d’un Blanc
qui faisait exploiter ces minerais. Ils l’ont terrifié et l’ont dépouillé de son fusil qu’il utilisait
pour sa sécurité. Mais, entre temps, notre informateur se souvient d’une autre tentative
d’attaque qui fut stoppée par les Rwandais :

« Après être arrivé à Butare, il y a eu une autre tentative d’attaquer le


Burundi. C’était dans le mois de mai (1973), semble-il que c’était presque
dans les mêmes jours que la première. Ceux qui étaient dans le camp et
dans la région de Butare sont venus acheter des machettes dans les
magasins. On les voyait demander "Combien de machettes avez-vous ici ?".
Et ils mettaient dans les sacs. Ils entraient dans une autre boutique et
faisaient de même ».220

Cette tentative d’attaque fut anéantie car les forces de sécurité rwandaises qui avaient suspecté
ce rassemblement de machettes et ces gens ont été arrêtés sur place. On les emprisonna une
semaine puis on les libéra. Mais, si cette attaque fut anéantie, celle du 13 mai 1973 menaça la
commune Busoni. Beaucoup d’informateurs rapportent que cette offensive aurait duré entre
un et deux jours seulement. A leur retour au Rwanda, les rebelles rapportaient qu’à leur
arrivée au Burundi, ils auraient tiré quelques coups de fusils dans les ménages de Busoni.

219
Interview d’un ancien étudiant d’U.O.B., réfugié au Rwanda, Giteranyi, le 4 octobre 2015
220
Idem
85

Mais, au moment où ils voulaient retourner au Rwanda, ils auraient été surpris par
l’embuscade des militaires burundais. Benoît Ciza, un habitant de Gisenyi, affirme avoir
entendu ces coups de fusil :

« Moi à ce moment-là, j’allais à Murehe pour vendre la bière de banane


dans les chantiers de Murehe. Nous avons entendu que les rebelles étaient
entrés (au Burundi). C’était un certain dimanche. Nous avons entendu des
coups de fusil en provenance de Mwiyanza. Des gens ont été tués : un
commerçant et un gendarme »221.

Salvator Rwasa qui était à la tête de la JRR dans la commune Busoni est l’un des civils ayant
intervenu à Gisenyi avec les militaires. Il nous rapporte que pour mater les rebelles, ils ont
envoyé devant les JRR tutsi comme appât pour les inciter et les militaires se camouflant
derrière eux. Au moment où les rebelles allaient s’attaquer aux JRR, les militaires ont ouvert
le feu et personne n’est resté222. A côté de ces rebelles de Gisenyi, d’autres s’étaient éparpillés
dans les collines de Murehe, Gatare, Gatete, Marembo et Kigeri. Un jeune garçon, Shaban
Kwizera résidant dans cette région à l’époque, nous a informé que ces rebelles avaient été
presque affaiblis par les militaires et qu’en attaquant le chantier de Kigubire, un Blanc qui
exploitait la cassitérite de Murehe, que c’était pour se procurer de l’argent.

« Ceux qui ont été appelé rebelles (Uburoberi), après leur dispersion dans
les différentes collines, ils ont attaqué chez Kigubire pour voir s’ils
pouvaient y trouver de l’argent. Il semble qu’ils avaient été affaiblis par les
militaires burundais, puis s’en sont retournés au Rwanda. Ceux qui ont
attaqué ne tuaient pas des civils, ils affrontaient les militaires parce qu’ils
ont passé par ici chez nous et nous ont demandé de leur offrir du manioc, je
me rappelle qu’ils nous ont dit : "Komera Gahutu !", nous ont-ils salué.
Mon père leur a apporté du manioc. Ils l’ont obligé de les déposer par terre
puis ils ont ramassé et s’en sont allés »223.

A côté de cette salutation, nos informateurs évoquent d’autres expressions qui sortaient de
leurs bouches, parfois des expressions confuses ou imagées.

221
CIZA Benoît, 60 ans, Gisenyi, le 13 octobre, 2015
222
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83 ans, Burara, le 11 octobre 2015
223
KWIZERA Shaban, Gwibikara, le 13 octobre 2015
86

Daniel Rwasa, un habitant de Gisenyi raconte ce qui suit : « Ils (rebelles) sont venus en disant
" amazi masa ", " maye mulele", "Gahutu ja imbere tugwane", pour dire combattre les
Tutsi »224. Une femme de cette région ajoute :

« Ensemble, tuez les antilopes, ne tuez pas les porcs parce que leur tour
viendra après. Et nous, nous pensions que c’étaient des chasseurs de
Nzogera (administrateur) qui parlaient des animaux. Ce qui m’a affligé
c’est que le Hutu qui voulait me lyncher m’a laissée en disant " On nous a
envoyés pour tuer les antilopes non pas les porcs. C’est par là que j’ai
constaté que porcs signifiaient les femmes "»225.

Quant à l’armement de ces rebelles, un témoin oculaire affirme que certains d’entre eux
avaient des fusils, d’autres des machettes mais en tenue civile. Concernant les victimes de
cette attaque, on a retenu le nom de Bigwabari, commerçant de Kirundo qui avait accompagné
le commissaire d’arrondissement Mévin Budigoma dans l’opération militaire et le gendarme
Mirenzo. Tandis que Benoît Ciza, un habitant de cette région, ajoute que même Budigoma
aurait eu une blessure du coup de machette sur le bras mais aurait pu se sauver. Ces rebelles
passaient dans les habitants en tuant comme le témoigne une femme de cette région dont le
mari et ces deux enfants ont été tués et elle, elle a été tellement blessée :

«Ils m’ont demandé si j’étais Hutu ou Tutsi. Moi j’ai répondu "Je suis
Hutu" et ils ont refusé. Ils m’ont blessée alors à coup de machette sur le cou
et sur la tête, puis ils ont tué mon mari et mes deux enfants. Ils m’ont jetée
dans la brousse et j’ai été récupérée par un Hutu du nom de Rwarinda »226.

Avec l’intervention des militaires, les rebelles se sont dispersés dans la brousse de Murehe.
Ainsi, toute la province de Muyinga a été mobilisée ; les habitants de cette province ont été
obligés de recommencer la vigilance. Cependant, pour le moment, la vigilance consiste à aller
défricher la brousse de Murehe pour y chercher les rebelles qui se cacheraient là. Bien qu’on
les tue immédiatement, même ceux qu’on a trouvés n’avaient plus de force, faute de
nourriture227. Parmi les rebelles, il y en avait qui ressemblaient plus aux gens de l’Imbo

224
Rwasa Salvator, Gisenyi, le 6 février 2016. Ce mot Mulelé trouve son origine au Congo où après la mort de
LUMUMBA, Mulele Pierre qui était ministre de l’éducation a voulu perpétrer son héritage. Cette étiquette a été
accolée aux rebelles qui ont attaqué le sud du pays le 29 avril 1972. Sur ce sujet voir Niyonkuru EddY, Op.Cit.,
pp.44-46
225
Focus group, Burara, le 3 février 2016
226
Idem
227
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
87

(Ababo) avec des dents qui n’étaient plus couvertes de lèvres, déformés peut-être à cause de
la faim228. Certains témoignages affirment aussi que parmi les rebelles on pouvait y déceler
des gens ressortissants de Busoni : « Ce qui m’a affligé c’est que un Hutu qui voulait mon tuer
m’avait laissé. Son compagnon lui dit " Dis, si nous ne la tuons pas, elle nous dénoncera et
nos familles seront exterminées" »229.

D’autres rebelles ont été abattus à Nkomane, entre Rusarasi et Murore. Ceux-là avaient des
machettes et avaient pris des drogues et ainsi, ne craignaient plus rien230. Ils ont été attrapés
par les habitants de cette région. Ils avaient passé par Gatare, c’était en plein champs de
sorgho en floraison.

A cette période, cette partie de la commune Busoni attaquée par des rebelles étaient habitée
par des « immigrants » en provenance de la province de Ngozi, en particulier les gens
originaires de Kayanza, appelés dans la région des « Banyakayanza ou Banyaruguru »231.
Dans cette région, ceux-ci avaient reçu des terres de la commune sous l’agronome communal
Bwampamye : « C’était jadis une brousse. Avec l’attaque de la mouche tsétsé, c’était dans les
années 1960, à l’époque du Premier ministre Pierre Ngendandumwe, l’Etat y a installé ces
gens pour défricher cette brousse »232. Mais ces derniers avaient une meilleure cohabitation
avec les « autochtones » de Busoni. A ces Banyakayanza, on a imputé une collaboration avec
les rebelles. En effet, le commissaire d’arrondissement Mévin Budigoma, qui avait été blessé
à la machette sur le bras, les avait accusés d’avoir collaboré avec les rebelles :

« Budigoma Mévin fut alors blessé mais il n’a pas été tué. C’est lui-même
qui nous a accusés de l’avoir lynché, " Les rebelles qui ont attaqué ont
collaboré avec les Banyakayanza. Ce sont eux qui m’ont pointé du doigt en
disant que je suis commissaire". A cette période, ici c’était en brousse sauf
ces Banyakayanza qui s’y étaient établis »233.

228
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015 ; Lui aussi comme la plupart de
nos informateurs emploie le mot « uturoberi » en Français petits « rebelles ». Il nous dit que c’était leur façon
de les désigner pour les mépriser.
229
Focus group, Burara, le 3 février 2016
230
RUGAMBARARA Gérard, comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015
231
Ce nom fait allusion à leur origine. Cette région de Kayanza se situe en haute altitude par rapport à région
de Muyinga et de Kirundo. Dans cette région, ce nom montre que ces gens ont une autre provenance ; d’où
une sorte de méfiance. On les accuse de tous les méfaits : vol, sorcellerie, racisme, brutalité, etc.
232
Focus group, Burara, le 3 février 2016
233
CIZA Benoît, 60 ans, Gisenyi, le 13 octobre 2015
88

De plus, ces gens ont été accusés d’avoir donné abri aux rebelles parce que dans leurs
maisons, on y a trouvé plusieurs lits ce qui pouvait prouver qu’ils y auraient passé
quelques jours. Voici ce que témoigne un de ceux qui allaient défricher la brousse de
Yanza : « Nous sommes allés défricher la brousse de Yanza. Dans une maisonnette, on
trouvait trois ou quatre lits. De plus, même en attaquant, ces rebelles sont venus en
provenance de Yanza. Ce sont eux (Banyakayanza) qui leur ont donné abri »234.

A ce moment de la rébellion, on avait dû demander l’intervention des militaires de Ngozi


ainsi que le commandant Semujangari et toute la population environnante était présente à la
zone de Gisenyi ; c’était un lieu de refuge. Sur cette place même, on a obligé à tous les
Banyakayanza présents de monter dans les camions militaires pour aller voir leurs propriétés
et défricher la brousse de Murehe où pouvaient se cacher les rebelles. Ils ont monté dans les
camions. « C’était pendant la journée. A partir des enfants ayant 15 ou 18 ans jusqu’aux plus
âgés, personne n’est resté »235.Tous ceux qui sont partis ont été tués sauf un seul blessé qui a
été atteint par trois balles et qui, par chance, se serait caché à côté d’un cadavre. Aussi, des
Tutsi qui ont monté dans ces camions ne sont pas revenus. Quant aux femmes et enfants des
Banyakayanza, ils ont été obligés de se retourner dans leur province d’origine. Un autre
habitant de cette région ajoute ce qui se passa dans son voisinage où des gens ont été tués à la
baïonnette :

« Est venu à la maison un homme qui s’appelle Muhararukwa et nous dit de


fuir et que le rescapé était lui seul. Nous avons couru. Et d’ajouter que tous
étaient morts. Ils sont venus très tôt le matin, on les tuait à la baïonnette (il
répète), pas de coups de fusil. Ce sont les soldats de Micombero qui les
tuaient en collaboration avec les paysans tutsi. Après avoir couru, on nous
poursuivant avec des tirs. C’était la période de floraison de sorgho. Nous
avons passé par les champs de sorgho, ceux qui sont morts sont morts »236.

Ces gens originaires de Kayanza, victimes de cette répression, ont été enterrés par les
habitants des autres communes telles que celle de Vumbi qui allaient défricher la
brousse de Murehe.

234
Focus group, Burara, le 3 février 2016
235
Idem
236
KWIZERA Shaban, Gwibikara, le 13 octobre 2015. Ici, les gens dont parle cet informateur sont des
Banyakayanza puisque lui-même vivait dans cette région occupée par ces derniers.
89

Ce sont ces derniers qui, transportés par des camions, à leur retour, apportaient des
livrets d’impôt des victimes qu’ils jetaient dans la route pour signifier que ces gens
n’étaient plus en vie237.

C’est surtout la partie de Nyabisindu qui a été touchée tandis que ceux de Kibondo qui
restaient ont été contraints de prendre fuite vers le Rwanda. La cause de cette fuite était liée
au fait que leur notable de colline les avait obligés de payer 1500 fBu, argent introuvable à
cette période étant donné que le kg de haricot coûtait 1f ; cela pour ne pas se faire inscrire sur
la liste (rapport) des Banyakayanza que le chef de secteur lui avait obligé de faire comme le
relate Benoît Ciza :

« Je me rappelle que c’était le 28 mai 1973, il nous a dit de lui donner


1500 f par ménage. A cette période, 1500 f ! Alors que le kg de haricot
coûtait 1 f… Etant cultivateur, sans d’autres moyens, sans d’autres
produits à vendre, nous nous sommes rendu compte que c’était
impossible de trouver cet argent. Le 28 mai 1973, nous avons foncé la
nuit jusqu’au Rwanda personne n’est resté »238.

Pour ceux qui ont pris fuite dans les premiers jours de la rébellion, ils rapportent qu’ils ont été
poursuivis par un hélicoptère burundais aussitôt qu’ils arrivaient déjà tout près de la frontière
rwandaise et qu’ils ont été sauvés par les militaires rwandais. Mais pour ceux qui étaient
restés à l’intérieur du pays, l’utilisation de l’hélicoptère aurait constitué un moyen de les
terrifier pour les faire retourner dans leurs ménages respectifs. Avec cette utilisation de
l’hélicoptère, c’était l’intervention du président Micombere en personne qui, lui aussi fut
accusé d’avoir fusillé la population qui avait pris refuge dans la brousse de Yanza239.Tous
ceux qui ont vécu au camp de Rilima confirment cette poursuite des réfugiés. Les militaires
burundais faisaient leurs incursions au Rwanda.

Ils ajoutent aussi que l’hélicoptère burundais qui avait dépassé la frontière aurait été
bombardé sur le sol rwandais :

237
RWASA Daniel, Gisenyi, le 6 février 2016
238
CIZA Benoît, 60 ans, Gisenyi, le 13 octobre, 2015
239
Focus group, Burara, le 3 février 2016
90

« L’Etat burundais a préparé une attaque du camp des réfugiés burundais.


Même leur hélicoptère a été bombardé à Kanombe là où on appelle
Nyirakayenzi. C’était sous le règne de Kayibanda, il en tenait compte, nous
étions des Hutu réfugiés chez les Hutu »240.

A cette période, les relations diplomatiques entre les deux pays n’étaient pas bonnes. Même le
rapport d’arrondissement du 31 août 1973 sur la situation politique de la commune Busoni
annonce que la situation frontalière était troublée. En effet, en date du 28 août 1973, les
réfugiés burundais du Rwanda avaient franchi encore une fois les frontières jusqu’à Gatete
pendant la nuit et la plupart avaient des lampes-torches. Ils sont montés jusqu’à Murehe. Pour
ce fait, les travailleurs de la SOMIKA qui faisaient la garde à Gatete avouent les avoir vu
mais accusés de ne les avoir pas dénoncés, ils étaient gardés à Kirundo pour subir des
interrogatoires241. C’est dans ce contexte que le camp de Rilima a été déplacé vers la région
de Nyagatete non loin de l’Ouganda pour éviter que les réfugiés burundais ne reviennent plus
attaquer au Burundi et que les militaires burundais ne refassent plus leurs incursions au
Rwanda à la recherche des réfugiés burundais.

Quel a été le sort des biens des victimes et réfugiés de l’attaque dans la commune Busoni ?
Après le coup, les propriétés des victimes et des réfugiés ont été saisis par les autorités
administratives pour les faire exploiter à leur profit, d’autres ont été distribuées d’abord aux
Rwandais, puis aux Burundais.

Cette attaque se situe dans une période de la récolte du haricot et du sorgho. Ainsi, les
administratifs envoyèrent les membres de la JRR, de l’UFB et les autres membres du parti
provenant de 5 zones pour procéder à la récolte avec une promesse de mettre l’argent, après la
vente de ces récolte, dans les caisses de ces mouvements. Mais, paradoxalement, les
administratifs s’en ont approprié. Celui qui tentait de demander la finalité de ces récoltes était
accusé de divisionniste242.

En effet, dans le rapport administratif du 31 août déjà cité, on voit apparaître que les
Rwandais étaient « nouvellement installés dans la région de Gatete, Gasenyi et Kigeli »243.
Mais, d’une façon générale, les Rwandais se localisaient dans la partie située plus au nord de
la commune Busoni, cible de l’attaque et jadis occupée par les Banyakayanza.

240
MUKEZANGANGO Pascal, cultivateur et petit commerçant, 64 ans, Murore, le 12 octobre 2015
241
Archives provinciales de Muyinga : Rapport sur la situation politique en commune Busoni, le 31 août 2015
242
NDONGOZI Y’UBURUNDI, Op. Cit. p.8
243
Idem
91

Quant aux administratifs, notre informateur énumère des noms retenus des administratifs qui
occupaient des terres :

« Puis, ils occupèrent nos terres. La nôtre fut occupée par Mévin ; l’autre
fut occupée par l’administrateur de Busoni ; l’autre terre, Basomingera
Jean Baptiste, à l’époque, gouverneur de Gitega mais originaire de
Kirundo. Ils y ont installé leurs "vassaux" pour récolter les champs et nos
troupeaux ont été rassemblés »244.

Dans les terres qui restent, on y installa les réfugiés rwandais en provenance de Mishiha et de
Nyarunazi. Ceux-ci ont d’abord occupé les Maisons des Banyakayanza et ont exploité leurs
bananeraies. Par après, les Rwandais ont construit leurs maisons dont les vestiges seraient
encore visibles. Alors, c’est ainsi qu’est né un problème d’un conflit foncier245 lié à l’attaque
de mai 1973 dans la région de Busoni. Au moment où les réfugiés burundais hutu
commençaient à regagner leur pays, toutes leurs terres étaient occupées ou bien par les
Rwandais ou bien par les administratifs voire les simples paysans burundais. Ayant regagné
son pays en 1974, notre informateur nous confie qu’il ne reçoit une partie de ces terres qu’en
1978 avec le processus de la suppression d’ « ubugererwa » sous la deuxième République.

Cependant, ce problème aurait été une question casse-tête chez les autorités locales à Kirundo.
On peut le remarquer à travers la lettre que le commissaire d’arrondissement-adjoint Stanislas
Rwantabana adressa au gouverneur de Muyinga le 24 septembre 1973 dont voici une partie du
contenu :

« (…) A mon avis je vous suggérerais Monsieur le Gouverneur, si vous le


permettez, de bien vouloir autoriser l’installation de ces gens dans une
commune éloignée de celle de Busoni par exemple à Buhinyuza où ils
n’auraient pas le contact avec les habitants du Rwanda et surtout avec leurs
complices qui y sont restés. En outre, cette mesure ne leur permettra pas de
revendiquer leurs anciennes propriétés »246.

244
CIZA Benoît, 60 ans, Gisenyi, le 13 octobre, 2015
245
La plupart des réfugiés de 1973 commune Busoni ne reviendront que trop tard et ne regagneront surtout
leur propriétés qu’avec l’avènement de la CNTB
246
Archives provinciales de Muyiga : Lettre nº 531.61/403, le 24 septembre 1973
92

Bien qu’il fournit plusieurs explications, le problème foncier reste primordial car un message
semblable avait été envoyé au gouverneur par la même autorité le 21 août de la même année,
lui demandant de donner des instructions aux administrateurs communaux de ne plus délivrer
des laisser-passer aux personnes chassées pour revenir dans la commune de Busoni247.

Cependant, certaines de ces terres ont commencé à être libérées au cours de cette même
année de 1973. Le rapport mensuel de l’arrondissement de Kirundo de septembre 1973
explique que dans la commune de Busoni, les réfugiés rwandais installés dans les terres
inoccupées partaient en nombre croissant à destination de leur pays d’origine ou en Tanzanie.
Selon ce rapport, ce départ résultait en grande partie de la politique du nouveau régime au
Rwanda qui, semble-t-il, favorisait tout ressortissant rwandais sans distinction d’ethnie.
Néanmoins, le départ ne sera effectif qu’à partir 1994.

Après ce départ des Rwandais, ces terres ne restèrent pas libres, non plus ne furent pas
restituées à leurs propriétaires dont quelques-uns d’entre eux étaient encore au Rwanda, tandis
que les femmes et les enfants des victimes restaient toujours à Ngozi. Au contraire,
l’agronome communal Bwampamye qui avait distribué les terres aux Banyakayanza, procéda
à une autre subdivision comme dans les paysannats : 150 m sur 350 m parce que, disait-il, ces
terres étaient mal subdivisées248.

Avec le départ des Rwandais, les terres libres ont été redistribuées aux Burundais. Pour
acquérir ces terres, les bénéficiaires disent qu’ils se rendaient à la commune pour demander
l’autorisation d’occupation et que le plus souvent la réponse était favorable. Pour les anciens
propriétaires, ces terres étaient distribuées par les administratifs communaux contre une sorte
de pot-de-vin telle qu’une certaine somme d’argent ou un veau :

« Au moment où Rubiga se défendait dans la CNTB, moi-même à un certain


moment il finit par me le révéler, ayant 40000 f, tu te rendais chez le chef de
zone ou l’administrateur pour lui dire "je connais un endroit où il y a une
terre de ceux qui ont pris fuite, voici la bouteille (de bière)".

247
Archives provinciales de Muyinga : Lettre nº 531.61/334, le 21 septembre 1973. Ici, il précise qu’il s’agit des
femmes réfugiées au Rwanda, originaires de la province Ngozi. Laisser-passer parce qu’il y a encore des
barrières. On ne passe pas d’une commune à l’autre sans ce document.
248
BUKURU Pascal, l’un des bénéficiaires des terres des Banyakayanza après le départ des Rwandais, 70 ans,
Marembo, le 13 octobre 2015
93

Il te demandait cet endroit et tu l’orientais. La veille, il venait visiter cette


terre et dire que désormais la terre t’appartenait »249.

Cette question fut résolue partiellement par la CNTB après plusieurs années d’exploitation par
les résidents. Pascal Bukuru, l’un des bénéficiaires de ces terres, affirme avoir exploité la terre
reçue pendant 9 ans, mais qu’à la dixième année, avec l’avènement de la CNTB, une fille
d’un « Munyakayanza » revint pour réclamer la terre de son père et fut obligé de céder une
partie de la terre reçue. Il rapporte sa discussion avec le chef de zone Sarvator Rwasa au
moment où il allait céder une partie de sa terre :

« Je ne lui donne pas ½ ha comme tel. Le chef de zone de me dire "Non


vous lui donneriez une petite bande de terre, ajoutez 10 m pour faire 60 m
(de large sur 350 m)". Je l’ai entendu et je ne pouvais pas me ressaisir et
j’ai dit" qu’elle prenne". D’ailleurs cette terre n’était pas très fertile. Je
vivrai grâce à la partie qui me reste »250.

Comme on le voit, certains de ceux qui ont repris leurs terres en passant par la CNTB, ont
obtenu une partie de leur propriété. De même, l’informateur que nous venons de citer
confirme que plusieurs des rapatriés qui se sont plaints auprès de la CNTB ont reçu une partie
de leurs terres. D’autres pouvaient en bénéficier en totalité. Tel fut le cas de Shaban Kwizera
retourné au Burundi en 2006 : il reçoit en totalité sa terre qui était occupée par Saburegeya.
Cependant, pour une autre terre de Shaban Kwizera occupée actuellement par dix familles, les
plaintes sont encore à la CNTB.

Une autre répercussion de cette attaque sur la province, est que la situation restera presque
tendue jusqu’au mois d’octobre 1973. En effet, une foule nombreuse se rend toujours dans la
commune de Busoni et spécifiquement dans les zones plus frontalières en vue d’éclaircir
certains endroits en procédant au défrichage de la brousse. Ceci signifie que la vigilance reste
maintenue. Même au cours du mois de novembre, le rapport mensuel apprécie l’activité de la
JRR consistant à garder les frontières bien qu’elle soit une activité bénévole251. Tandis que
dans la commune voisine de Bwambarangwe, les barrières avaient été supprimées au mois
d’août.

249
KWIZERA Shaban, Gwibikara, le 13 octobre 2015
250
BUKURU Pascal, l’un des bénéficiaires des terres des Banyakayanza après le départ des Rwandais, 70 ans,
Marembo, le 13 octobre 2015
251
Archives provinciales de Muyinga : Rapport mensuel du mois de novembre 1972 pour l’arrondissement de
Kirundo
94

Entre temps, les abus des autorités administratives locales débutés en 1972 continuent. Dans
la commune de Ntega, on évoque en l’occurrence le nom de Nicodème Rwasa, conseiller
communal qui terrifie les travailleurs de la paroisse de cette commune en ces termes : « Tous
les travailleurs de la paroisse de Ntega se gonflent parce qu’ils ont beaucoup d’argent,
l’heure a sonné, disait-il, un véhicule viendra vous prendre à la maison et vous conduire où
les autres sont allés »252.

A partir de ce qui précède, l’on comprend qu’avec la crise de 1972, deux situations sont en
présence. Ceux qui abusent de leur pouvoir en faisant rappel à la gravité des arrestations
de1972 et à la probable reproduction de la catastrophe au détriment des riches, d’une part.
D’autre part, l’accentuation d’une psychose faisant qu’une seule parole suffit pour vous faire
quitter votre pays. Pour le premier cas, arrêter et piller étaient devenus une « coutume », car
même un simple agent communal s’était arrogé le droit d’arrêter et de piller. Dans cette année
1973, un habitant de Vumbi, affirme avoir été arrêté par un planton communal alors qu’il
venait de son champ récolter la banane ; pour être relâché, il dût céder son vélo :

« Ainsi, il m’a dit "moi alors pour pouvoir t’excuser, donne-moi le vélo-là."
Nous nous sommes convenu un lieu de rencontre pour lui donner le vélo.
Mais, il ajoute "je sais que la chambre-à-air est abimé, il faut m’en acheter
une autre". La chambre-à-air s’achetait avec un billet de 50 (à 50 f). Je lui
ai donné cet argent et j’ai ajouté 30 f pour payer un mécanicien pour la
réparation »253.

Dans ces mêmes jours, ce jeune homme a été arrêté en cours de route par un dactylographe
communal qui l’assimilait à un élève alors qu’il était jadis un boy. Arrivé au bureau de la
commune, le dactylographe lui a donné une feuille de papier et lui ordonna d’écrire sa
provenance, sa destination et sa profession pour vérifier si réellement le jeune homme en
question était un élève. Se rendant compte qu’il ne savait pas écrire, il le laissa partir254.

On voit que les abus du pouvoir restaient monnaie courante jusqu’en 1973 ; ce qui aboutit à
des arrestations individuelles éventuelles alors qu’auparavant elles se faisaient en masse.

252
Archives provinciales de Muyinga : Lettre nº 531.614/137 : Travailleurs de la paroisse en fuite, le24 juillet
1973
253
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65 ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015
254
Idem
95

Certains de nos informateurs rapportent que dans cette province, les arrestations auraient duré
trois ans tandis qu’il y a d’autres qui vont jusqu’à dire que des arrestations isolées ne
s’arrêtent qu’avec l’avènement de la deuxième République.

III. 3. Développement d’un sentiment d’appartenance à une « communauté


ethnique »
Il s’agit d’une autre conséquence de la crise de 1972. En effet, la crise de 1972 a porté les
divisions de la société burundaise à leur paroxysme. Les Tutsi n’auraient-ils pas constitué une
solidarité à cause de la vengeance probable des Hutu ? Il aurait fallu les surveiller de près.
Tandis que les Hutu survivants de la crise s’enferment dans une « communauté » caractérisée
par la frustration, la peur et la haine. Ceux deux situations se remarquent à travers des
mémoires controversées et les relations entre Hutu et Tutsi.

III. 3. 1. Des mémoires controversées


Pierre Nora définit la mémoire comme étant «le souvenir d’une expérience vécue, portée par
des groupes vivants, ouverte à toutes les transformations, inconsciente de ses déformations
successives, vulnérable à toutes les manipulations, susceptible de longues latences et de
brusques réveils»255. On voit donc que la mémoire est sélective, se caractérise par l’oubli et
reste intimement liée avec le présent. Selon André Bruguière, «elle apparaît lorsque les
mêmes souvenirs, vécus ou transmis, reviennent de façon répétitive et qu’ils sont présentés
comme spécifiques de la communauté…L’oubli est donc constitutif de la mémoire ; mais cet
oubli peut être volonté de se limiter à l’essentiel»256. Cela étant, on distingue après la crise de
1972 plusieurs mémoires qui se diversifient en fonctions des composantes sociales.

III. 3. 1. 1. Mémoire des Hutu dans la province de Muyinga


Les années 1972 et 1973 marquent une cassure de la société burundaise. Les Hutu sont
contraints de vivre un silence de peur. Un silence de peur parce qu’il resta très longtemps
interdit d’en parler. Une parole ambiguë, une critique même voilée peut valoir une
convocation chez « l’autorité », une amende, un emprisonnement sans jugement ou pire, une
« disparition »257. Les cadres administratifs, les policiers, les JRR avaient reçu du pouvoir
Micombero la consigne d’y veiller d’une façon scrupuleuse.

255
BARUTWANAYO, A-J., Le droit et le devoir de mémoire au Burundi : 1962-2014, mémoire de master en droit
international, Université Espoir d’Afrique, Bujumbura, 2014, p. 25
256
BURGUIERE A., (dir.), Dictionnaire des sciences historiques, Paris, PUF, 1986, p. 448
257
CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p. 465
96

Modeste Ruzovahandi, une enseignante de Ntega, fut convoquée par le secrétaire communal à
cause de sa pitié en vers les victimes :

« Même un seul mot "Yooo ! Tel a été arrêté !" Toi aussi tu partais. Moi-
même j’en ai été victime. Moi, j’aimais rester calme sauf que je blaguais
avec mes écoliers. A cause de ces événements, quand je me retrouvais étant
seule, on me voyait désespérée. Puis quand quelqu’un me demandait
pourquoi, je répondais "Dis, laisse-moi. Moi je suis affligée à cause de ces
gens qui partent et qui ne reviennent pas". Eeh, j’ai subi un interrogatoire !
C’était chez le secrétaire communal et il m’a dit "Toi tu peux dire yooo en
déplorant des gens !" Tu n’as pas honte ? Les régicides (Abamenja) ! » 258.

Tu ne pouvais pas dire « Mon homme, mon homme ! » Directement on te demandait « Ton
homme ! Et toi qu’est-ce que tu es ? »259. A partir de cette période, avant de parler, on devait
être attentif en regardant ici et là.

Non seulement qu’il était interdit de dire un mot mais aussi, il était interdit de pleurer. Ainsi,
on adopta la rectification de certains mots ou expression. Au lieu de dire qu’il a été arrêté
pour être tué, on disait qu’on l’a « emmené à Vumbi » (Bamutwaye i Vumbi). On utilisait
aussi le mot « gushwabura » qui peut signifier « enlever », un autre moyen de dire qu’il n’était
plus en vie (Bamushwabuye). En même temps, toute cérémonie liée à la mort était interdite.
Pas de deuil, pas de lever de deuil voire une messe funéraire. Il fallait faire semblant de
continuer à vaquer à ses occupations le plus normalement possible260.

A cette période, personne n’a vu le corps du sien ; ce qui pousse quelques-uns à penser après
43 ans au retour des leurs : « Nous n’avons vu aucun corps de ceux qui ont été tués en 1972.
Même actuellement nous attendons peut-être qu’ils retournent. On nous disait également
qu’on les emmenait à Rumonge là où les hommes ont été exterminés »261.

A cette période, les enfants ne comprenait pas ce qui s’était passé. Dans la commune de
Busoni, un enfant de 11 ans qui avait l’habitude de vendre du bois de chauffage aux
commerçants de Bunyari fut surpris par l’absence de ces derniers et on lui disait qu’ils étaient
dans la réunion.

258
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre, 2015
259
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
260
KABURAHE, A. et NTAMWANA, S., Op.,Cit., p.55
261
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
97

Mais ces parents finirent par lui dire que ceux-là avaient spolié l’argent de l’Etat, opinion
répandue à l’époque. Cet enfant leur posa la question : « S’ils ont spolié cet argent, n’ont-ils
pas gardé quelques pièces pour acheter le bois de chauffage ? »262. Le même enfant,
catholique, raconte ce qui lui arriva dans la période de pâques : « J’étais un catholique. Nous
chantions la chanson "Le Seigneur Jésus, ressuscité, a assujetti les régicides, louons-le". Et
moi je disais "C’est Jésus qui a tué ceux qui achetaient mon bois de chauffage, je le trouve
ici encore ?" »263.

Même les orphelins attendent le retour de leurs pères tandis que les mères adaptaient leurs
enfants à ce climat de deuil mais qui ne s’appelle pas deuil. C’est ce que raconte le fils d’un
transporteur de Kirundo cité par J.P. Chrétien et J.F. Dupaquier que l’on a assassiné pour lui
prendre sa camionnette Chevrolet :

« Ses cinq enfants - dont l’aîné, Clotilde à 14 ans- attendent toujours leur
papa. Déjà deux d’entre eux, ont arrêté leurs cours, Monsieur Charles et
Madame Sophie, leurs instituteurs, étant "indisponibles". Ernest le plus
jeune, ne comprend pas ce qui se passe. Sa maman, fille d’un ancien
mutware du Nord, pleure, alors qu’elle n’est pas battue. Ce qui intéresse
Ernest, c’est pouvoir jouer. Sa mère supporte mal cette réalité familiale
indicible :"Tu dois apprendre à t’arrêter de jouer de temps en temps. Il faut
que tu restes ici. Pourquoi maman ?
-C’est comme ça, ne me pose plus d’autres questions" »264.

Malgré l’étouffement de cette mémoire, celle-ci reste toujours vivace ; les orphelins et ceux
qui ont perdu leurs frères qui étaient à l’école estiment avoir perdu ceux qui pouvaient leur
apporter un soutien matériel. Non seulement ce soutien potentiel à l’époque mais aussi, les
orphelins éprouvent le chagrin de n’avoir pas profité des biens des leurs qui ont été saisis.

Epitace Miburo est un orphelin de 1972, son frère qui faisait le Grand Séminaire a été tué. Au
moment de son témoignage, il a failli pleurer alors que 43 ans nous séparent des événements :

« C’est cela que je me rappelle et qui me blesse profondément. Et alors, je


risque de pleurer. Même m’appeler un enfant d’ « umumenja » me laisse
une fracture. Tu ne vois pas même maintenant que des pleurs commencent à

262
Focus group, Burara, le 3 février 2016
263
Idem
264
CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p.465
98

surgir dans mes yeux ? S’il vous plaît, vraiment, vraiment (il se répète deux
fois), ce que vous me demander est quelque chose qui m’a beaucoup affligé
(Ici, il commence à bégayer et exprime son mécontentement en claquant la
langue) »265.

A côté du mot « umumenja », d’autres mots ont été utilisés pour désigner le régicide ou pour
annoncer sa mort. Il s’agit des mots ou des noms parfois dégradants désignant quelque chose
de peu d’importance ou ayant une certaine répugnance dans la société burundaise.
GAHUNGU Youssouf déjà cité revient sur ces mots :

« Même la manière de le dire était blessante. Le Tutsi considérait


l’autre (de l’autre ethnie) comme si ce n’était plus un homme. Si l’on
disait par exemple : « des escargots se sont écrasés », comment te
sens-tu ? L’escargot était le Hutu mort. On disait également : ce sont
des "Ibidogeza", pour dire quelque chose sans importance »266.

Dans la même perspective, d’autres se vantaient d’avoir bénéficié de certains


privilèges grâce à la mort de leurs collèges décédés. Geneviève Munyangari nous
rapporte ce qu’a dit le collègue de son mari tué :

« Il a dit : "Je ne pourrais pas enseigner la cinquième année si


Baranyizigiye n’était pas mort". Et ce dernier était mon mari. Puis Michel
composa une chanson évoquant la manière dont les Bamenja ont été
emmenés. C’est par là que nous avons constaté que les cibles de ces tueries
étaient des Hutu »267.

On peut trouver une catégorie de gens qui cherchent à mettre entre parenthèse le passé en
s’efforçant de l’oublier et disent : « Moi je l’ai oublié »268. D’autres, quand ils acceptent de
faire un témoignage, ils parlent qu’il s’agit d’ « ukuzimura » qui signifie en gros « déterrer ce
qui est déjà pourri ».

Concernant le mot « umumenja » que porte les victimes et leurs familles, lui aussi provoquait
une affliction car la veuve s’appelait femme d’un régicide et l’orphelin, enfant d’un régicide.
En fait, il s’agit du « changement de l’identité ».

265
MIBURO Epitace, cultivateur, 62 ans, Kimeza, le 14 octobre 2015
266
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
267
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015
268
Focus group, Burara, le 3 février 2016
99

Cette nouvelle identité est collée à toute la famille du disparu. Cela étant, les veuves sont
restées longtemps craintes dans la société. Il ne fallait plus se rapprocher de la femme d’un
rebelle. Là encore, autre chose plus ou moins cachée, le maintien du silence sur le viol dont
les veuves ont été victimes. Des remariages plus ou moins forcés ont eu lieu entre les veuves
hutu et les hommes tutsi, mais cet acte restait caché à cause de ce problème de tenir à l’écart
les veuves. Modeste Ruzovahandi dit qu’il s’agissait d’un mariage de raison :

« Les femmes ont été forcées de se remarier. C’était un moyen de se


rapprocher de leurs richesses en prétextant qu’il s’agit d’un soutien alors
qu’ils voulaient profiter de leurs biens. Elles acceptaient ce remariage à
cause de la peur. Ce sont les Tutsi qui ont épousé ces femmes. Mais, ces
Tutsi le faisaient en cachette de peur d’être assimilés aux régicides. Sinon
les Tutsi en faisaient des concubines »269.

Une veuve enseignante de Muyinga, Marie-Madaleine Munyangari, qui venait de perdre son
mari et qui venait d’être forcé de vendre ses biens à un prix fixé par les bourreaux de son
mari, ne pouvait plus que pleurer:

« Ce qui m’a fortement affligée, c’est exactement le veuvage de cette


période. J’étais dans la quatrième année de mon mariage. Je me suis mariée
en 1968. Puisque j’étais orpheline, il ne me reste rien. Ne suis-je pas
habituée aux difficultés ? (Il le dit avec colère). Il ne me restait qu’à m’en
remettre à Dieu »270.

Les rescapés de 1972 gardent un regret de leurs pertes matérielles et humaines. Simon
Ndururutse affirme non seulement qu’il a perdu ses biens mais également, il a été perturbé,
voire interrompu dans ses projets de développement. Ainsi donc, il garde actuellement un
complexe d’infériorité et se considère comme paria lorsqu’il se retrouve en présence des gens
aisés et lui sans chaussures.

De plus, ce qu’il avait vu en prison a provoqué une psychose en lui de telle sorte que même
dans les années qui ont suivi, il n’est plus retourné au centre de Kirundo où il fut arrêté271.

269
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
270
MUNYANGARI Marie-Madeleine, veuve enseignante à Muyinga, Rugerero, le 8 octobre 2015
271
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015. Il ne se retournera
à Kirundo après 5 ans.
100

Ici nous rejoignons l’idée de Binion Rudolph de « traumatisme psychique qui pousse à être
revécu à tout prix, autant dans la fantaisie que dans la réalité »272.

Ces « traumatismes de la mémoire étouffée » se seraient exprimés à travers certains noms.


Un parent qui engendra un fils en 1972 lui donna le nom de Ntahokagiye pour dire que le
danger reste proche en les guettant. Ainsi, ce danger étant toujours proche, l’école devint
ennemie d’un enfant hutu étant donné que la crise avait beaucoup touché ceux qui savaient
lire et écrire. Les Hutu abandonnèrent l’école pour faire l’école « Yaga Mukama »273. A titre
illustratif, parmi les 62 victimes de la liste de la zone Rugari, seulement, quelques enfants de
11 victimes ont pu continuer à faire l’école. Quant à ceux qui se sont forcés de rester à l’école,
dans les milieux hutu, on rapporte que, dans la plupart de fois, seuls les Tutsi avançaient de
classe. Ainsi, après quelques trois ans, les enfants hutu quittèrent l’école et restèrent à la
maison et leurs parents disaient : « seuls les enfants de tel ont étudié et toi tu perds ton temps
(Ugiye kwitwenga) ». Quand l’on demande à un Hutu qui n’a pas continué ses études en 1972,
s’il se souviendrait de quelque chose à propos de cette année, il ne donne qu’une simple
réponse : « Puis-je ignorer 1972 alors que c’est la cause de mon abandon de l’école ? ».

Les rescapés qui ont quitté le pays, à leur retour, en plus des atrocités de la crise qu’ils avaient
vue, ont eu un autre traumatisme dû à la solitude. Polycarpe Matinti, réfugié en Tanzanie en
1972, chauffeur au Petit Séminaire de Muyinga à l’époque, constate à son retour que tous ses
pairs n’étaient plus. Voici ce qu’il raconte :

« Autre chose qui m’afflige, c’est ce fait de vivre en solitude. Tous mes pairs
avec lesquels nous avons partagé le bonheur et les malheurs avaient
disparu. Après quelques années en dehors du pays, je suis retourné mais je
me suis retrouvé étant presque seul ici à Rugari. Je constatais que tous ceux
qui restaient étaient de petits enfants et que aucun de mes pairs avec
lesquels nous avons partagé la bière ne restait »274.

Cette solitude le pousse toujours à se souvenir de ses amis comme le Recteur du Petit
Séminaire de Muyinga, l’Abbé Gakwavu. Beaucoup d’autres rescapés ont souffert de cette
solitude aggravée par « le silence imposé » et une surveillance stricte de tout acte et de tout
geste en la mémoire des disparus.

272
BINION R., Introduction à la psychohistoire, Paris, PUF, 1982, p. 43
273
Ecole de l’Eglise catholique dont les enseignants sont les catéchistes qui dispensent un enseignement
religieux avec quelques rudiments de lecture.
274
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, Rugari, le 8 octobre 2015
101

Tandis les réfugiés au Rwandais avaient été contraints de vivre dans la misère et de mener une
vie de mendicité dans le camp. Pascal Mukezangango, un jeune homme de Murore à
l’époque, réfugié au Rwanda, fut obligé d’abandonner son père souffrant d’un handicap
physique et de vivre à l’étranger où il menait une vie de mendicité :« Aussi, j’allais être
orphelin alors que j’avais des parents à la maison. J’ai mendié auprès de la Croix Rouge
alors que nous avions chez nous ce qui pouvait nous faire vivre »275.

Les rescapés ont la psychose d’avoir été des « candidats » à la mort à cette période. A ce
propos, Jean Berchmans Karikurubu, un agronome de Butihinda, se classe jusqu’actuellement
parmi ceux qui sont morts en 1972 étant donné qu’il figurait sur la liste de ceux qui devaient
mourir :« Je suis rescapé, je suis parmi ceux sont morts en 1972, moi j’y suis (il insiste) ;
parce qu’ils avaient le registre de ceux qui allaient mourir. C’est un Ganwa mutare, chef
d’équipe agronome comme moi qui me l’a dit »276.

Beaucoup souffrent à cause des moyens mis en œuvre au cours de l’arrestation et d’exécution.
Au moment où on ligotait les victimes, on le faisait à la vue de tout le monde. Plusieurs
témoins confirment que ces actes ne peuvent pas s’effacer, que ça reste toujours alarmant
puisque les victimes subissaient des claquages au niveau de la poitrine à leur vue sur place.
Pire encore, dans les cachots communaux, lieux d’escales pour les victimes, qui attendaient
leur transfert, liées avec des cordes aux bras et aux jambes, ces victimes faisaient leurs
besoins naturels (grands ou petits besoins) à l’intérieur de la prison et sur elles-mêmes parce
que ligotées. Un brigadier à la commune Gasorwe nous fait ce témoignage :

« Après les avoir mis en prison, ils ne pouvaient pas dire " Je vais aller au
lieu d’aisance." Quand il voulait faire le grand besoin, il se soulageait sur
place jusqu’à ce qu’ils viennent les déplacer. Arrivés, ils les prenaient et les
jetaient dans les camions comme on le fait pour les sacs de haricot. Dire, je
veux aller à la toilette, je veux aller au petit besoin n’existait pas »277.

Par ailleurs, les gens ont gardé en tête ces événements parce qu’ils ont vu les leurs
partir et mourir sans jugement. Ils entendaient que tel est parti sans savoir où. C’est
cela qui n’a pas disparu même dans les années ultérieures aux événements. Les
bourreaux gardaient un silence pudique de culpabilité, les victimes et les rescapés du

275
MUKEZANGANGO Pascal, cultivateur et petit commerçant, 64 ans, Murore, le 12 octobre 2015
276
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
277
BANCAKO Zacharie, brigadier à Gasogwe, 81 ans, Masasu, le 9 octobre 20115
102

chagrin. Certaines expressions employées par les orphelins et les veuves en


témoignent. Geneviève Nyawakira, une veuve de Murore, nous dit : « Nous n’avons
pas enseveli (les nôtres), nos cœurs se sont transformés en tombeaux »278. Et Simon
Ntamwana ajoute : « En 1972, c’était le silence de fer. L’oubli. C’était terrible. Les
survivants ne pouvaient pas même faire le deuil, pleurer les morts. Ils devenaient des
tombeaux vivants »279.C’est l’oubli parce qu’on a peu de photos de ceux qui ont été
tués du fait qu’elles ont été brûlées par les veuves à cause de la souffrance280.

III. 3. 1. 2. Mémoires des Tutsi et des Ganwa de la province de Muyinga


Le premier trait de la mémoire des Tutsi est que celle-ci ne s’éloigne pas du discours rapporté
par le pouvoir de l’époque. A la première vue d’un Tutsi, avant de parler de 1972 dans sa
province, il commence par l’attaque du sud décrit comme l’élément ultime de la crise. Les
Hutu de ces provinces ont voulu combattre le pouvoir de Micombero ; des combats ont eu
lieu dans ces régions281. C’est cela que l’on considère comme un génocide des Tutsi préparé
et perpétré par les Hutu.

Dans le discours officiel adressé par Micombero à la nation, il reconnaît que ceux qui ont
attaqué sont « ceux qui ont été trompés » par les étrangers qu’il ne nomme pas du tout. Ce
même discours revient dans la lettre que les évêques catholiques du Burundi ont adressée à
leurs fidèles et à tous les Burundais dans les mêmes jours :

« (…) Il s’avéra vite que les bandes armées composées de nationaux et de


quelques éléments étrangers étaient appuyés par certains Burundais (…)
Heureusement, le temps de la panique a passé, le Chef de l’Etat a
proclamé : "A ceux qui ont été trompés par les traîtres à la Nation, je
demande de se ressaisir" »282.

278
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015. En Kirundi, elle
dit : «Nitwahamvye, imitima yacu yahindutse imva ».
279
KABURAHE,A. et NTAMWANA, S., Op. Cit., p. 55
280
BAMPORIKI Joseph, Rugari, le 6 février 2016
281
Anonyme, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
282
Lettre pastorale des Evêques du Burundi à leurs fidèles et à tous les habitants du Burundi désireux de la paix
dans la justice, le 24/5/1972
103

Notre informateur va en peu plus loin :

« L’ethnisme débute en 1972. Pourquoi ? A cause de ceux qui avaient des


liens avec les autorités rwandaises. Il y en a qui se sont rendu au Rwanda
pour apprendre l’ethnisme. Les Hutu ont appris au Rwanda comment se
débarrasser des Tutsi. C’est comme ça que nous le comprenons »283.

On aurait entendu que les Hutu avaient commencé à tuer les Tutsi dans les provinces du sud.
Puis, Micombero aurait eu un chagrin parce que les Hutu avaient fixé un rendez-vous dans
tout le pays pour se débarrasser de l’ennemi, même dans les ménages, on avait préparé une
fête qui se déroulerait parmi les élites. Certains milieux tutsi reconnaissent que les Hutu
surtout les intellectuels et d’autres plus ou moins éclairés étaient informés des préparatifs des
massacres :

« Ils avaient préparé la fête qui serait célébrée pour se réjouir après avoir
fait disparaître l’ennemi ; le jour était connu. On pouvait trouver un Hutu
en possession d’un poste de radio avec des écouteurs. On les leur a
achetés »284.

En écoutant ces postes de radios, ils attendaient le signal pour s’attaquer aux Tutsi. Joseph
Nivyabandi déjà cité confirme cet avis : « Ce qui concerne les massacres s’était répandu à
travers tout le pays. Quelques-uns d’ici chez nous en savaient et propageaient ces
enseignements »285.

De tout ce qui précède, on en déduit que les Hutu qui ont été emportés par la crise ne seraient
pas des innocents. Car, ceux qui ont été tués étaient des gens informés de la situation et qui
auraient participé dans les réunions de préparation des massacres. A ce propos, notre
informateur éclaircit :

« En 1972, les autorités se sont convenus d’arrêter des gens qui


travaillaient dans les bureaux, comme à la commune, à la zone et sur la
colline là où on pouvait trouver un homme éclairé qui aurait participé à ces
réunions. Les uns ont été tués, les autres se sont évadés »286.

283
Anonyme, Burara, 71 ans, le 6 octobre 2015
284
Idem
285
Anonyme, Burara, 71 ans, le 6 octobre 2015
104

Dans cette perspective, du fait que les Hutu étaient informés, « celui qui était arrêté, était
ligoté et emmené à la commune. Puis, on l’emprisonnait et par après, il subissait un jugement
corollaire. J’entendais par ouï-dire qu’on les tuait »287. Mais, cette dernière idée nous pousse
à se poser la question de savoir pourquoi l’entendre par ouï-dire alors que cette greffière
travaillait au tribunal de résidence de Vumbi, situé à quelques 15 m des bâtiments
communaux. Peut-être qu’il lui a été difficile de témoigner ce qu’elle aurait vu.

Ces idées ne s’écartent pas de la version de l’administration locale et des procureurs


instructeurs sur la crise de 1972 dans cette province. Dans la commune de Butihinda, on voit
apparaître, dans la relation des faits de la note de fin d’instruction, des réunions tenues par
Baruzanye en collaboration avec Antoine Serukwavu. Voici une partie du contenu de cette
note :

« Baruzanye, au cours de ces derniers mois, a tenu des réunions en vue des
massacres qui élimineraient tous les Tutsi en province de Muyinga. Il aurait
déjà formé une bonne équipe qu’il finançait, dont la plupart, inculpés dans
ce dossier … Comme force extérieure, il comptait sur Monsieur Serukwavu
ex-commandant en chef de la Gendarmerie du Burundi, et réfugié au
Rwanda lors des événements d’octobre 1965. Il semble que ce dernier a été
souvent aperçu par la population au domicile de Baruzanye. Néanmoins,
l’autorité locale n’a jamais pu mettre la main sur le condamné en fuite »288.

Toutefois, la mémoire des Tutsi de cette province présente deux facettes. L’une se
rapprochant de la version officielle et l’autre plus ou moins proche de celle des Hutu. Pour
ce second cas, les Tutsi restent affligés par « le ratissage » dont les Hutu ont été victimes ou
les tueries sélectives des innocents dont le seul crime était d’être Hutu. En effet, la province
de Muyinga située à l’extrême nord-est du pays n’avait aucun contact avec ces provinces du
sud, organisatrices de ce coup d’Etat contre le pouvoir de Micombero. Ni les intellectuels, ni
les élites, ni les autres gens semi-lettrés, n’étaient au courant de ce complot. Même les crises
ultérieures surtout celle de 1993 sont fonctions des tueries injustifiées de 1972289. Les Tutsi,
comme les Hutu, ont été bouleversés étant donné que les disparus étaient leurs compagnons,
leurs camarades d’écoles et leurs pairs ; d’où s’inscrivent-ils en faux contre cette répression.

287
MBAREMPORE Thérèse, ancienne greffière au tribunal de résidence à Vumbi, Gasura, le 27 août 2015
288
Archives provinciales de Muyinga : Note de fin d’instruction
289
Anonyme, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
105

Cette deuxième mémoire des Tutsi « modérés » se rapproche de celle des Ganwa jugeant
l’hécatombe de 1972 comme des tueries sans nom. Selon Salvator Rwasa :

« Comment les habitants si éloignés de la capitale comme ceux de Muyinga


participeraient aux préparatifs d’un coup d’Etat, se demande notre
informateur. Et d’ajouter, moi ce que je dis à propos de cette crise, c’est
que cette crise se serait caractérisée par des injustices en culpabilisant
toute une masse et on a sanctionné les uns à la place des autres »290.

Ainsi, pour les Ganwa, ces massacres leur semblaient scandaleux de telle façon que certains
d’entre eux ont risqué leur vie en raison de leur dénonciation des tueries à l’endroit des Hutu.
Gérard Rugambarara relate le comportement des Ganwa face à ces massacres :

« Nous les Ganwa ça nous semblait scandaleux mais à notre rencontre, on


en discutait. Et d’ailleurs Rwasa Salvator avait l’habitude de le dénoncer
"Cessez, cessez de tuer ces hommes. Nous ne pouvons pas cohabiter en
spoliant des biens". Nous nous en parlions et ça nous choquait mais on
manquait à qui adresser notre gémissement »291.

III. 3. 2. Relations entre Hutu et Tutsi


Sur le plan social, le bilan de la crise fut lourd. Tous les liens à la base existant entre les Hutu
et les Tutsi ont été mis à mal. L’enfant et la femme qu’on a appelés des régicides ont gardé
cette « nouvelle identité » de telle sorte que les Tutsi procédèrent à l’agression des veuves en
public. Marie-Madeleine Munyangari a assisté à cette scène dont elle-même était la cible :

« Après les événements, les Tutsi sont restés méfiants envers les Hutu. Ils
nous ont même invitées le 1er juillet, au défilé, ils nous disaient : "Voilà
comment marchent ces femmes des Bamenja. On dirait qu’ils savaient
comment les événements allaient se passer. On les a laissées toutes étant
engrossées et celle qui met au monde, enfante un garçon". Ce qui sonne de
cette manière, pourrait-il te plaire, demande notre informateur ? »292.

290
RWASA Salvator, ancien chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
291
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015
292
MUNYANGARI Marie-Madeleine, veuve enseignante à Muyinga, Rugerero, le 8 octobre 2015
106

Ainsi, les Hutu ont gardé une sorte de peur et ne se sentaient plus libres de parler car ils ont
été amenés à soigner leur langage pour qu’un mot ne puisse s’interpréter par un autre293, ce
qui leur coûterait cher. En tout cas, dans les premiers jours, la société burundaise avait été
bouleversée car les Hutu et les Tutsi ne s’assayaient plus sur un même banc dans les cabarets
pour partager la bière. De même, les Hutu accédaient difficilement à certains services
publics :
« Après, ce qui a suivi est que le Hutu n’entrait plus facilement chez
l’administrateur. C’était impossible. On ne pouvait plus asseoir sur un
même banc avec des enfants des Tutsi riches parce qu’ils disaient "Vous
assayez ensemble avec les enfants des régicides ?". Ainsi, nous avons
intériorisé que les Hutu étaient des régicides »294.

Mais, avec le temps, on pouvait remarquer un léger mieux par rapport à la fin de la crise 295.
L’obligation de vivre en commun n’aurait-il pas amené les deux camps à vivre une hypocrisie
caractérisée par un silence sur les événements ? Un habitant de la commune Buhinyuza
reconnaît cette hypothèse et considère la crise de 1972 comme une endémie :

« C’est cela qui reste endémique jusqu’aujourd’hui. Ne vois-tu pas que je ne


réside plus à mon lieu de naissance ? Ça s’est reproduit en 1988 à Ntega et
à Marangara. Les plus éclairés à ce sujet disent que, ce qui a été
interrompu à Ntega et à Marangara, a éclaté en 1993. Cela signifie que la
crise de 1993 constituait une vengeance »296.

Toutefois, les relations entre les deux composantes dépendaient du comportement adopté par
l’un ou l’autre au cours des événements. Ceux qui s’étaient beaucoup démarqués dans ces
mauvais actes, il leur était difficile de se réconcilier avec les Hutu. Le bon voisinage s’était
détérioré mais les uns entretenaient des bonnes relations et d’autres non. Alors ceux-là qui ne
ouvaient plus vivre le bon voisinage, c’étaient des Tutsi qui avaient spolié les biens des
Hutu297. Donc, les Hutu ont gardé une rancœur.

293
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
294
Focus group, Burara, le 3 février 2016
295
BUKURU Balthazar, 61 ans, Kibimba, le 6 octobre 2015
296
Anonyme, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
297
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015
107

CONCLUSION GENERALE
Ce travail se proposait d’étudier dès le début la crise de 1972 dans la province de Muyinga à
partir de la question de savoir si l’évolution historique de cette province a comme
soubassement les événements de 1972, en passant par son déroulement, jusqu’à son impact
dans la province.

Dans notre démarche, il nous a semblé important de revenir sur l’évolution historique de la
province en y incluant la question des réfugiés rwandais qui a provoqué un mouvement des
réfugiés rwandais au Burundi et qui a contribué à la structuration de la « haine ethnique ».
Cette province, étant à la frontière rwandaise, n’était pas à l’abri du « modèle rwandais ».
Cela étant, les Tutsi du Burundi avaient la psychose de subir le sort de leurs frères du
Rwanda.

Dans cette perspective, ce chapitre nous a introduit dans l’analyse de l’impact des crises
antérieures à 1972 sur la province de Muyinga. De façon directe, la crise de 1965 s’est
répercutée sur la vie de la province étant donné que le commandant Antoine Serukwavu se
trouvant à la tête de la tentative de coup d’Etat était originaire de cette région. D’autres crises
comme celles de 1969 et de 1971 n’ont pas eu des conséquences directes sur la région. Mais,
si l’on considère le pays comme un corps dont la tête est la capitale, nous serons proches de la
vérité si nous admettons que les crises de 1969 et de 1971 ont eu des répercutions indirectes
sur la province car si la tête d’un corps souffre, tout le reste endure.

De la même manière, à la veille de la crise de 1972, les habitants de la province, en


l’occurrence les intellectuels, vivaient un climat de méfiance et de suspicion. Cette méfiance
est due à la régionalisation du pouvoir, source de mécontentements chez les Tutsi de la région
étant donné que seuls les Tutsi de Bururi contrôlaient l’administration, sans parler de la
méfiance entre les Hutu et les Tutsi en général. On voit donc qu’à côté de « l’ethnisme », il y
a le régionalisme qui, selon Marc Manirakiza, consiste à diviser les Tutsi ou les Hutu suivant
les régions298. Depuis lors jusqu’aujourd’hui, les deux camps s’accusent réciproquement qu’à
cette période chacun tenait des réunions à l’insu de l’autre pour préparer les massacres. Par
ailleurs, le petit peuple ignorait tout. Ce qui aurait suscité des difficultés était le refus des
Tutsi de manger et de boire avec les Hutu, mais celui-ci avait été presque intégré dans la
coutume. Seulement cette pratique constituait une sorte de différenciation sociale.

298
MANIRAKIZA M., Op.cit., p.109
108

Le deuxième chapitre nous a permis d’analyser le déroulement de la crise dans la province de


Muyinga. Ici, force a été de constater que le carnage de 1972 dans cette province est considéré
comme une conséquence de l’attaque du sud et mériterait le qualificatif de massacres car les
représentants de l’administration locale, les militaires et les représentants du parti UPRONA
ont chapeauté cet acte. En même temps, ces derniers ont participé au sauvetage, en fonction
des liens préexistants entre sauveteur et victime ou simplement par humanisme et bonté.

Avec le relèvement des modes d’exécution et d’arrestation, on peut se permettre d’affirmer


que la répression s’est caractérisée par diverses violences inouïes : ligoter les victimes
jusqu’au claquage, les jeter dans les camions comme les sacs de haricots, les couvrir avec les
hisses, s’asseoir au-dessus d’eux, les emprisonner en grand nombre toujours étant liés avec
des cordes… Parfois, certains de ces actes se faisaient à la vue du public comme à l’école, au
lieu du travail et dans les familles. Quant aux corps des victimes, ceux qui n’ont pas été
déversés dans les fosses communes, ont été jetés dans la rivière Ruvubu et d’autres dans les
buissons à la portée des carnivores.

Pour le bilan humain, jusqu’actuellement, le nombre exact n’est pas connu sauf quelques
estimations. Mais ce dont on est sûr, c’est que certains services restaient quasiment dépourvus
de personnel, tel que l’enseignement et les services sanitaires. En plus des gens tués, s’ajoute
le départ des réfugiés vers l’extérieur du pays surtout au Rwanda où ils s’organiseront pour
revenir attaquer le pays en 1973.

En outre, du point de vue matériel, les biens des veuves et des orphelins ont été saisis.
D’autres veuves ont été forcées de vendre leurs biens à un prix voulu par les bourreaux de
leurs maris. Avec cette spoliation des biens, les survivants mènent une vie miséreuse. Dans le
même sens, certains ayant une certaine aisance matérielle auraient été tués pour saisir leurs
biens. Avec cet appât des biens, même un simple agent de l’administration s’adonna à
l’arrestation pour pouvoir piller.

Le troisième et dernier chapitre nous a introduits dans l’analyse des démarches mises en
œuvre pour retrouver la paix. En effet, du côté du pouvoir politique, on a organisé des
tournées de sensibilisation annonçant la fin de la répression. Ces tournées furent complétées
par les messages que les évêques catholiques ont adressés aux chrétiens de différentes
paroisses. On peut admettre que les deux messages ne furent pas écoutés, car le calme ne fut
qu’éphémère en raison de l’attaque de mai 1973 qui provoqua le renouvellement des
violences localisées dans l’arrondissement de Kirundo.
109

Cette attaque engendra d’autres fronts des réfugiés vers le Rwanda. Ainsi, le climat restera
longtemps mauvais, en témoigne le qui-vive sur lequel étaient les JRR.

Les conséquences liées à cette crise furent entre autres, l’occupation des terres des réfugiés
burundais et des victimes, surtout les gens originaires de Kayanza qui s’étaient établis dans
cette région de Busoni très proche du Rwanda. Après 42 ans comptés à partir de 1973, les
séquelles de cette attaque, en l’occurrence les conflits fonciers, existent encore.

En plus, la crise de 1972-1973 a encore une fois restructuré la « conscience ethnique ». Flou
tout au début, mais avec le temps, les Hutu ont fini par constater que la culpabilité d’être des
régicides aurait été un « crime forgé » ou un prétexte pour légitimer ce que René Le
Marchand appelle le « génocide sélectif » des Hutu. Ainsi, à travers la mémoire hutu, on
décèle une sorte de chagrin qui reste toujours d’actualité : interdiction de pleurer les morts,
pas d’ensevelissement des morts, les survivants entachés d’identité « d’abamenja » et des
tortures diverses.

On peut admettre que les mémoires sont en partie controversées. La mémoire des Hutu est
opposée à celle d’une partie des Tutsi, alors qu’une autre partie des Tutsi a une mémoire
proche, mais pas totalement, de celle des Hutu. Peut-on également admettre que la mémoire
des Ganwa pourrait être qualifiée d’intermédiaire à celles des deux composantes sociales
majoritaires ?

Enfin de compte, à la fin de la crise, les relations entre Hutu et Tutsi ont été mises en mal. La
cassure entre les deux composantes sociales fut presque totale à la fin de la crise. Mais les
rapports sociaux reprendront petit à petit malgré la persistance de certaines traces comme la
méfiance de l’école chez les Hutu psychotiques du carnage des intellectuels.

Avant de mettre un point final à cette étude, signalons que cette dernière ouvre des
perspectives. Le temps et les moyens dont nous disposions ne nous ont pas permis de faire un
comptage des victimes colline par colline. La poursuite de cette recherche s’avère donc
indispensable. Ainsi, les victimes déversées dans les fosses communes ne provenaient pas des
mêmes régions. Ne faudrait-il pas mener des fouilles archéologiques là-dessus pour savoir qui
et combien ont été déversées là-dedans ?
110

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mémoire de master en droit international, Université Espoir d’Afrique, Bujumbura,
2014
2. MUNTUNUTWIWE, J.S., La violence politique au Burundi : Essai d’analyse
explicative, thèse de doctorat en Sciences Politiques, Uppa, Pau, 2009
3. NAYABAGABO, J-C., Lecture conflictuelle des événements de 1972 et 1988 par les
acteurs politiques burundais, U.B, Bujumbura, 2008
4. NDAYIRUKIYE, A., La crise politico-ethnique de 1972 en commune de VYANDA :
essai d’analyse, U.B. Bujumbura, 2007
5. NDAYISABA S., L’Eglise catholique face aux conflits politiques du Burundi, 1965-
1972, U.B., Bujumbura, 2008
6. NDAYISHIMIYE, P., Les tentatives d’explication des crises des régimes politiques
africains post-coloniaux (1960-1995) : cas du Burundi, U.B. Bujumbura, 1996
7. NDAYONGEJE N., Essai d’analyse du phénomène de contagion dans les crises
politiques rwandaises et burundaises : 1959-1997, U.B. Bujumbura, 2000
112

8. NDIKUMANA, G., Essai d’analyse de certaines crises majeures du Burundi


contemporain à travers les représentations mémoriales dès 1961 à nos jours, U.B.
Bujumbura, 2010
9. NIMUBONA,J., Analyse des représentations du pouvoir politique. Le cas du Burundi,
Paris, Presses Universitaires de Septentrion, 1998
10. NIYONKURU, E., Les crises politico-ethniques de 1972 et 1993 en commune
NYANZA-LAC, U.B. Bujumbura, 2012
11. NKEZINDAVYI, T., Les crises politico-ethniques de 1972-1973 en province
MAKAMBA, U.B. Bujumbura, 2001

3. ARTICLES DE REVUE ET JOURNAUX


1. BOB no6/72, 1972
2. FLASH-INFOR no446-695, Mai-Juin 1972
3. NDONGOZI Y’UBURUNDI, no 21, le 15 octobre 1974

4. RAPPORTS ET AUTRES DOCUMENTS


1. Archives nationales du Burundi (Fonds de la province de Muyinga, 1970-1972)
2. Archives nationales du Burundi (Fonds de la province de Muyinga, 1962-1964)
3. Archives nationales du Burundi (Fonds de la province de Muyinga, 1962-1969)
4. BIHONDA N., Message de l’évêque de Muyinga, le 5 mai 1972
5. GAHAMA, J., Organisation territoriale du Burundi, cours de la Première Licence,
Département d’Histoire, Bujumbbura, U.B., 1991
6. Lettre des Evêques du Burundi, Gitega, le 13 juin 1973
7. Lettre pastorale des évêques du Burundi à leurs fidèles et à tous les habitants du
Burundi désireux de la paix dans la justice, le 24 mai 1972
8. Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs, Burundi : Quarante
ans d’impunité, Kigali, 2005
9. MAKARAKIZA, A., Réponse à la note confidentielle adressée à l’épiscopat du
Burundi au sujet des événements actuels, Gitega, le 7 juin 1972
10. Note de Supérieurs majeurs à l’épiscopat du Burundi au sujet des événements actuels,
le 27 juin 1972
11. NTUYAHAGA M., Message d’apaisement adressé aux Burundais lors des
événements des mois d’avril-mai 1972, le 5 mai 1972
12. REYNTJENS, F.(dir), L’Afrique des Grands Lacs, Annuaire 2012-20013, Paris,
L’Harmattan
113

ANNEXES
114

LISTE DES INFORMATEURS

 Pour les interviews

Nom et prénom Commune Colline Qualité ou Composa-


fonction en 1972 nte sociale
NTAHONDI Damien Giteranyi Bisiga Réfugié au Rwanda Hutu
Anonyme Giteranyi Nzove Cultivateur Hutu
MIBURO Barthélémy Giteranyi Mika cultivateur Hutu
Anonyme Buhinyuza Nyarunazi Maçon Tutsi
BUKURU Balthazar Buhinyuza Kibimba Sans Hutu
RUGAMBARARA Gérard Busoni Burara Comptable Ganwa
communal
Anonyme Busoni Burara Platon au SDS Tutsi
NYAWAKIRA Géneviève Busoni Murore Veuve enseignante Hutu
RWASA Salvator Busoni Burara enseignant Ganwa
MUKEZANGANGO Pascal Busoni Murore Cultivateur Hutu
CIZA Benoît Busoni Gisenyi Petit commerçant Hutu
BUKURU Pascal Busoni Marembo Agronome Tutsi
communal
Anonyme Busoni Burara - Tutsi
KWIZERA Shabani Busoni Gwibikara Sans Hutu
BANCAKO Zacharie Gasorwe Masasu Brigadier Hutu
GAHUNGU Youssouf Gasorwe Karira Cultivateur Hutu
RWINTWARI Révérien Gasorwe Karira Cultivateur Tutsi
KARIKURUBU Gasorwe Masasu Agronome à Hutu
J.Berchmans Butihinda
MATINTI Polycarpe Muyinga Rugari Chauffeur, rescapé Hutu
réfugié
NTIRUHUNGWA Gabriel Muyinga Rugari Vétérinaire Tutsi

KAJABWAMI Valentin Muyinga Rugari Enfant d’un rescapé Hutu


NYABIRUNGU Simon Muyinga Rugari Chef de Zone Tutsi
MUNYANGARI Marie- Gashoho Rugerero Veuve enseignante Hutu
Magdaleine
NDABARUSHIMANA Marie Gashoho Muzingi Enseignante Hutu
TUBANYEMBAZI Fortuna Gashoho Muzingi Enseignant Tutsi
115

RUZOVAHANDI Modeste Kirudo Kavogero Veuve enseignante Hutu


RUCEKE Ananie Kirundo Runanira II Percepteur d’impôt Tutsi
BUKERA Jean Baptiste Kirundo Runanira II - Ganwa
NDURURUTSE Simon Vumbi Kabuye-Gashoro Boy rescapé Hutu
NIVYABANDI Joseph Vumbi Gasura Chef de secteur Tutsi
MBAREMPORE Thérèse Vumbi Gasura Greffière du Tutsi
tribunal de
résidence
Anonyme Vumbi Gasura Sans, orpheline Hutu
Tharcisse Bwambar- Mukenke Enseignante Tutsi
angwe
MIBURU Epitace Bwambar- Kimeza Cultivateur Hutu
angwe
NYABENDA Isidore Bwambar- Mukenke Cultivateur Hutu
angwe
NIYIBIMENYA Louis-Marie Muyinga Muyinga - Hutu
RWASA Charles Busoni Gisenyi Commerçant Hutu
RWASA Daniel Busoni Gisenyi
NTABANGANYIMANA Bugabira Gaturanda Elève Hutu
Salvator
BURARAMA Abraham Bugabira Nyabikenke Cultivateur Tutsi
MACUMI Bénoît Ntega Monge Cultivateur Hutu
Anonyme Ntega Ntega Enseignant Tutsi
Anonyme Ntega Ntega Cultivatrice Tutsi
KANYESHAMBA Sylvestre Kirundo Runanira II Cultivateur Twa
NIBOYE André Muyinga Rutoke Secrétaire Hutu
paroissial
BAMPORIKI Joseph Muyinga Rugari - Hutu
MACUMI Gabriel Muyinga Mukoni Cultivateur Hutu
116

 Les participants au Focus Group :

Nom et prénom Composante Origine


sociale

MUYOMBANYI Gaspard Hutu Burara


DUDAGI Calinie Hutu Rutabo
HASHAZINKA Rose Tutsi Kibonde
RUKIZANTWARI Anatole Tutsi -
MPANGAJE Simon Hutu Nyakizu
SEROMBA Jean Hutu Kinyangurube (Kirundo)
NKEZABAHIZI Canisius Tutsi Gitobe
MIBURO Muhammed Hutu -
SAFARI Marie Hutu Gatare
RIRANYURA Adélaïde Tutsi Burara
117

Questionnaire d’enquête

I. UMWIDONDORO W’UWUBAZWA
 AMAZINA :
 IMYAKA :
 IGITSINA :
 UBWOKO (CANKE UMURYANGO) :
 AKAZI :
 UMUTUMBA :
 IKOMINE :
 INTARA
II. IBIBAZO
1. Intambara y’amoko yabaye mu Rwanda imbere y’ukwikukira muracayibuka ?
2. Integuro z’ugutembagaza ubutegetsi zabaye ku ntwaro ya Mwambutsa be n’iya Micombero
muyiziko iki ?
3. Imbere yuko ico kiza co 1972 kiba, mwari mutwawe gute?
4. Imbere yuko ico kiza co 1972 kiba, amoko yari abanye gute? Abihebeye Imana bo?
5. Ico kiza cagenze gute? Ni bande bari babifisemwo uruhara ?
6. Abishwe bahambwa gute ? Hehe ?
7. Hoba hari abantu bahunze ?
8. Icokiza hari ibintu cahitanye (ivyasahuwe, ivyibwe, ivyasambuwe) ?
9. Hoba hari abantu bakingiye abandi ?
10. Ni iki cakozwe kugira amahoro agaruke aha iwanyu ?
11. Igitero cabereye i Busoni inyuma yo 1972 cagenze gute?
12. Muri ico kiza co 1972, ni igiki cakubabaje utigera wibagira ?
13. Inyuma y’ico kiza, umubano hagati y’amoko wari wifashe gute ?
14. Ni igiki cabagoye mukugarukana amahoro ?
15. Mbega intara ya Muyinga hoba hari ico yisangije mu vyerekeye urwo rwimo rwo 1972 ?
Fosse commune de Gisenyi Fosse commune de Nzove

Site des fosses communes


118

Fosse commune de Rugando Fosse commune de Vumbi


Fosse commune de Buhinyuza
Fosse commune du parc national de la Ruvubu

Site des fosses communes


119

Fosse commune de Mukoni


120

 Documents divers

RESPECTER LA LETTRE PASTORALE DES EVEQUES DU BURUNDI DU 24 MAI AU


SUJET DES EVENEMENTS ACTUELS

Kanyinya, le 23 Juin 1972

Cher confrères,

J’ai appris que dans certaines paroisses de mon diocèse confiées aux Pères Blancs et aux
prêtres Fidei Donum, la lettre pastorale des évêques du Burundi désireux de la paix dans la
justice, n’aurait pas été respectée : -certains n’en auraient présenté au Peuple de Dieu que
certaines phrases à leur goût, tirées malicieusement du contexte, ou se seraient uniquement
contentés d’en faire une interprétation et combien fantaisiste ; -d’autres auraient même eu
l’inqualifiable audace d’en omettre purement et simplement la lecture.

Je voudrais m’interdire, charitablement, de croire que de telles attitudes de trahison à la


pensée de l’Eglise du Burundi et d’empoisonnement des esprits de nos populations, en des
moments délicats, n’eurent pas lieu. Cependant, je ne veux pas, a priori exclure totalement la
possibilité, surtout après la lecture de la note soi-disant confidentielle de vos responsables
religieux à l’épiscopat du Burundi au sujet des événements qui viennent d’endeuiller notre
pays, et à laquelle Mgr. A. Makarakiza, en tant que président de l’Assemblée épiscopale a
répondu le 7 juin 1972.

La lettre pastorale des évêques, parce qu’elle met en évidence l’unité à restaurer malgré tout,
la justice et le pardon, n’aura sans doute pas satisfait votre état d’esprit divisionniste par
excellence, que la note de vos supérieurs aux évêques du Burundi vient de trahir une fois de
plus ; et pour cette raison, vous avez réservé à notre lettre l’accueil fait à un vieux papier
d’emballage.

Pour que à tout prix notre mission actuelle de travailler à la réconciliation, à la pacification, et
au pardon mutuel, rappelée par la lettre commune des évêques du Burundi, en date du 24 mai
1972 soit accomplie, je vous intime de nouveau l’ordre de lire intégralement ou de relire
purement et simplement, cette lettre pastorale pendant toutes les messes du dimanche qui
suivra ma réception de la présente circulaire.
121

S’il vous reste encore quelque brin de prudence et surtout d’obéissance, aux chefs de l’Eglise
du Burundi que vous êtes venus épauler dans leur tâche de bons pasteurs, j’ose espérer que
vous mesurerez toutes les fâcheuses conséquences qu’entraînerait pour vous toute nouvelle
prise de position, de votre part, contraire au contenu de ce rappel à une collaboration franche
et en même temps condamnation de toute forme de désolidarisation.

+ Nestor Bihonda

Pour information :

Nonciature

NN.SS. les Evêques du Burundi, de Brescia, de Veneto,

Régional des Pères Blancs


Gouverneurs des provinces de Muyinga et Gitega
Commissaires de Kirundo-Muyinga-Karusi.
122
123

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