Professional Documents
Culture Documents
DEPARTEMENT D’HISTOIRE
Par :
Apollinaire NDAYISENGA
DEDICACE
A nos chers parents
SIGLES ET ABREVIATIONS
AMPCI : Association pour la Mémoire contre les Crimes Internationaux
ARRO : Arrondissement
LDGL : Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs
REMERCIEMENTS
Ce travail est le fruit des efforts de plusieurs personnes morales et physiques qui nous ont aidé
pour qu’il puisse voir le jour et prendre sa forme actuelle.
Nos sincères remerciements s’adressent à tous nos instituteurs de l’école primaire, à tous nos
enseignants du secondaire et à tous les professeurs de l’Université du Burundi en l’occurrence
ceux du département d’Histoire. Parmi ces derniers, un accent particulier est mis sur le
professeur Nicodème Bugwabari : par sa rigueur scientifique et critique, ses sages conseils et
différentes remarques d’une grande pertinence, il nous a éclairé pour orienter notre sujet. Qu’il
trouve ici l’expression de notre profonde gratitude.
Nos remerciements s’adressent aussi au CENAP, par son soutien matériel et moral avec son
accompagnement au cours de nos recherches sur terrain, qu’il considère ce travail comme le
résultat de ses inlassables efforts.
En outre, nous voudrions remercier nos parents qui se sont sacrifiés pour mener à bonne fin
notre éducation et faire de nous ce que nous sommes pour le moment. Qu’ils trouvent dans ce
travail l’expression du couronnement de leurs efforts.
Enfin, je suis reconnaissant envers mon frère-aîné Protais Nkurunziza pour sa sympathie et son
précieux apport.
Apollinaire NDAYISENGA
iv
Résumé
Le présent travail intitulé « La crise de 1972 en province de Muyinga » s’articule sur trois
chapitres. Au cours de notre travail, nous avons décrit la situation sociopolitique de la province
de Muyinga avant l’éclatement des massacres de 1972.
En effet, les crises sociopolitiques burundaises qui ont précédé celle de 1972 ont contribué à la
structuration de la « haine ethnique » surtout entre les deux composantes sociales majoritaires.
A cela s’ajoute l’impact du « modèle rwandais » lié au mouvement des réfugiés rwandais au
Burundi.
Après l’attaque du 29 avril 1972 des rebelles hutu dans le Sud du pays, la province de Muyinga
a été victime de la répression qui s’en est suivi. Cette dernière a eu pour conséquences : des
pertes de nombreuses vies humaines, des pertes des biens matériels, des veuves, des orphelins
tandis que d’autres personnes ont été contraintes à l’exil. S’agissant des corps des victimes de
cette crise, ils ont été déversés dans les fosses communes.
Quant aux diverses actions visant le retour de la paix, elles furent interrompues par l’attaque de
mai 1973 dans la commune de Busoni, une attaque préparée par les Hutu réfugiés au Rwanda,
cause de renouvellement des violences. Les conséquences liées à cette attaque furent entre
autres, le nouveau départ des réfugiés burundais vers le Rwanda et l’occupation des terres des
réfugiés et des victimes.
En fin de compte, sur cette crise, de par le silence imposé par le pouvoir et le refus de tout acte
mémoriel, les composantes sociales ont gardé des mémoires controversées.
vii
O. INTRODUCTION GENERALE
Au lendemain de l’indépendance, plusieurs problèmes s’abattent sur beaucoup de pays
africains : le régionalisme, l’ethnisme, le népotisme, l’autoritarisme, corruption, etc. ; ainsi
des guerres civiles sont fréquentes. Toutes ces difficultés constituent une déception pour les
peuples qui venaient de « se débarrasser du joug colonial » et qui entamaient leurs premiers
pas de la marche vers la prise en main de leur destin.
Dans la même perspective, depuis son accession à l’indépendance, le Burundi a aussi été
caractérisé par des conflits répétitifs à caractère « interethnique ». Ces derniers vont marquer
l’évolution sociopolitique du pays surtout à partir de la crise de 1965 jusqu’à nos jours.
Le Burundi compte quatre catégories sociales à savoir les Baganwa, les Bahutu, les Batutsi et
les Batwa. Suite à l’idéologie coloniale, des étiquettes ont été collées à chacune de ces
catégories, les rendant ainsi « des ethnies antagonistes» : les Bahutu dominés seraient
exploités par les Batutsi dominants et dont les premiers cherchent à se libérer. D’autres
critères stéréotypés ont été utilisés toujours pour différencier une catégorie de l’autre :
caractères physiques et moraux. Mais, paradoxalement, ce qu’on trouve chez telle catégorie
peut être trouvé chez l’autre.
De surcroît, dans leur politique de diviser pour régner, les Belges n’avaient pas hésité à
favoriser une catégorie au détriment de l’autre chaque fois que les circonstances l’obligeaient
pour renforcer leur pouvoir et le faire durer longtemps. Tout cela nous permet de conclure
que les crises qui ont ravagé le Burundi plongent leurs racines dans l’histoire coloniale.
Toutefois, il est difficile de justifier les véritables causes de ces différentes crises d’autant plus
qu’au Burundi les ethnies n’existent pas au vrai sens du terme. En effet, toutes les
composantes sociales considérées comme ethnies se trouvent soumises à une même autorité,
ont les mêmes pratiques culturelles, religieuses ; parlent la même langue. Ainsi, selon Marcel
Niemegeers, « il existe des Hutus riches, des Tutsis pauvres. Souvent, dans les régions les
plus défavorables, les Tutsi partagent la pauvreté de leurs maigres ressources avec leurs
voisins Hutus »1. Par ailleurs, elles vivent ensemble sur un même territoire.
1
NIEMEGEERS, M., Les trois défis du Burundi. Décolonisation-Démocratie-Déchirure, Paris, L’Harmattan, 1995,
p. 63
2
Le « conflit ethnique » qui éclate en 1965 entre les deux composantes sociales majoritaires
(Hutu et Tutsi) atteint son point culminant au niveau national en 1972. Cette crise de 1972 qui
fait l’objet de notre étude constitue des « animosités ancestrales » entre les « deux ethnies ».
De même, cette crise mérite une étude assez approfondie parce qu’elle va marquer l’évolution
politique du Burundi et les relations futures entre les deux « ethnies antagonistes ».
Effectivement, malgré le silence imposé par le pouvoir en place, il y a eu une transmission du
récit des événements de génération en génération à l’intérieur de chaque catégorie sociale,
parfois avec déformation de ce qui s’est réellement passé. Ainsi, chaque catégorie sociale a
cherché à se considérer comme victime d’un génocide orchestré par une autre catégorie.
Donc, cette étude contribue à l’étude de l’histoire du Burundi en général et à l’éclaircissent
des zones d’ombres des événements de 1972 en particulier.
2. Problématique
Un des éléments marquant la crise de 1972 est l’attaque des rebelles hutu au sud du pays dans
les provinces de Bururi et de Bujumbura. Cette attaque a duré presque une semaine car avec
l’intervention défensive de l’armée nationale, les rebelles qui ne furent pas tués ont rebroussé
chemin vers la Tanzanie et le Congo (R.D.C.). Mais cette attaque fut suivie par une répression
dans toutes les provinces du pays. C’est la généralisation de la crise au niveau national. Cela
nous pousse à nous poser certaines questions :
Est-ce que les attaques du sud du pays ont occasionné une méfiance entre les Hutu et
les Tutsi résidents de la province de Muyinga ?
Va-t-il y avoir des conséquences visibles de cette crise ?
Dans ce travail, nous nous efforcerons de trouver des réponses à ce questionnement. Notre
objectif principal est de procéder à une analyse du déroulement des événements, le
comportement adopté par l’une ou l’autre des personnes résidant à cette époque dans la
province de MUYINGA et son incidence.
3. Hypothèses
Débutée par une attaque des rebelles hutu au sud du pays, la crise de 1972 fut caractérisée par
une répression qui se serait répandue dans tout le pays.
Enfin, la crise de 1972 aurait déterminé l’évolution des relations entre les deux catégories
sociales. Avec le débat interdit sur les événements de 1972, chaque composante sociale aurait
gardé sa propre mémoire dont la manifestation correspondrait à l’éclatement des crises de
1988 et de 1993.
Notre travail couvre l’ancienne province de Muyinga qui, en 1972, comprenait l’actuelle
province de Kirundo et l’actuelle province de Muyinga. Les deux provinces constituaient en
1972 deux arrondissements à savoir l’arrondissement de Kirundo et l’arrondissement de
Muyinga.
2
PERRAUDIN J. Chronique de l’Eglise catholique au Burundi après l’indépendance, Bologna, Editrice Missionaria
Italiana, 1996, p. 58
4
5. Sources et méthodologie
Pour aborder ce travail, nous avons utilisé les sources écrites qui comprennent les ouvrages
généraux, les thèses, les mémoires de licence, les bulletins officiels du Ruanda-Urundi et du
Burundi, les synthèses des rapports des administrateurs communaux, les périodiques, les
articles de journaux et documents divers.
Ensuite et surtout, la nature du travail nous pousse à utiliser les sources orales. Ici, il s’agit de
mener des enquêtes dans toute la province, commune par commune. Ceci est dû d’une part à
l’insuffisance des documents écrits et certains de ces deniers ont besoin d’un complément
oral. D’autre part, la période que nous étudions n’est pas trop ancienne, des témoins oculaires
sont encore en vie. Cela nous a donné une opportunité de faire des enquêtes orales dans toute
notre région d’étude.
6. Articulation du sujet
Notre travail s’articule en trois chapitres complémentaires. Le premier chapitre présente une
étude de l’évolution de la province de Muyinga et développe l’impact du « modèle rwandais »
sur cette province. Aussi, ce chapitre décrit la situation qui régnait dans la province de
Muyinga à la veille de l’éclatement de la crise.
Le troisième et dernier chapitre présente les différentes actions qui ont été mises en œuvre
pour le retour de la paix. Il montre comment ce processus visant le retour au calme fut
interrompu par l’attaque de 1973 dans la commune de Busoni, une attaque préparée par les
Hutu réfugiés au Rwanda ; ce qui a occasionné de nouvelles violences. Enfin, ce chapitre
présente les mémoires controversées sur la crise et ce que sont devenues les relations entre les
Hutu et les Tutsi.
5
7. Difficultés rencontrées
Au cours de ce travail, nous nous sommes heurté à un certain nombre de problèmes. Parmi
ces derniers, nous retenons le refus de certaines personnes qui refusent d’être enregistrées sur
la liste des informateurs. A notre avis, ce refus trouverait sa justification dans le fait que notre
période d’enquête coïncide avec la mise en place de la Commission Vérité-Réconciliation.
Ainsi, ils pouvaient penser que cette enquête s’inscrivait dans cette logique.
Aussi, le climat politique troublé depuis le mois d’avril 2015 a provoqué la peur chez certains
habitants de la province de Muyinga ; d’où ils acceptaient difficilement de nous livrer des
informations, en particulier celles se rapportant à la politique malgré l’éloignement de la
période étudiée. D’autres habitants de certaines communes de la même province avaient quitté
le pays suite à ce climat politique non prometteur.
Une autre catégorie d’informateurs exigeait un rafraichissement avant de nous donner des
informations, ce qui n’était pas facile compte tenu de nos moyens financiers. Toutefois, il
nous paraît important de souligner la fierté qu’éprouvent certains informateurs qui, au
moment de notre prise de contact avec eux, procédaient à l’identification d’autres
informateurs et ainsi nous facilitaient la tâche.
Un autre problème est lié à la rareté des anciens administratifs ou d’autres personnes proches
du pouvoir local de cette époque qui auraient pu nous fournir des informations enrichissant
davantage notre travail. On nous disait qu’ils venaient de décéder.
Enfin de compte, le mauvais état des archives provinciales ne nous a pas facilité la recherche
car n’ayant pas été rangées suivant un certain ordre, il fallait des efforts considérables pour
trouver le document recherché.
6
8. Etat de la question
La crise que le discours politique a, par euphémisme, désignée sous le nom d’événements de
1972, reste incontestablement la plus dramatique puisqu’elle a porté les divisions ethniques à
leur paroxysme. Certains Burundais ont adopté pour désigner la même crise le qualificatif
d’ikiza3, qu’on pourrait approximativement traduire par cataclysme ou fléau. En fait, l’année
1972 est considérée dans certains milieux burundais comme une date fatidique.
Cette tragédie renvoie d’une part, aux massacres perpétrés par les éléments de la rébellion
hutu contre leurs frères tutsis entre le 29 avril et les premiers jours du mois de mai 1972. Cette
rébellion avait pour objectif de tuer hommes, femmes, enfants et vieillards tutsi et de prendre
le pouvoir. Ceci se produisit dans la région du sud du pays (surtout Rumonge et Nyanza-Lac)
qui subit les premières attaques. D’autres bandes de gens armés de machettes attaquent
Bujumbura à l’Ouest, Gitega au centre, et Cankuzo à l’Est. En plus de ces régions cibles des
attaques, l’année 1973 allait connaître deux nouveaux foyers de tensions à savoir les
communes actuelles de Bukemba et de Busoni se trouvant respectivement dans les provinces
de Rutana et de Kirundo.
D’autre part, elle désigne la répression qui s’en suivit et qui toucha presque exclusivement la
population masculine adulte hutu au cours des mois de mai et de juin 1972 puis mai et juin
1973 pour les deux derniers foyers de tensions.
Cependant, on constate qu’il n’existe pas sur les événements de 1972 beaucoup de
publications. La crise de 1972 a été depuis son éclatement considérée comme un sujet tabou.
En effet, sur le plan intérieur, le déclenchement de la crise coïncide avec la suspension, cela
faisant déjà sept jours, du bimensuel catholique « Ndongozi ». A l’époque la presse
indépendante était totalement absente. Et la presse gouvernementale était représentée
essentiellement par «Flash-Info » qui allait couvrir les événements car le bimensuel
« Ubumwe » restait sans importance.
Sur le plan extérieur, ce n’est qu’à la mi-mai qu’en Europe on a pu être informé des massacres
des Tutsi du Burundi par les bandes armées dont on ignorait l’origine. C’est par là que la
presse étrangère a commencé à parler de l’existence de génocide surtout La Croix (19 mai) et
d’autres allaient suivre comme Le Soir (25 mai), et Le Monde (27 mai).
3
Laurent Kavakure dans son ouvrage Le conflit burundais II. La tragédie de 1972, Genève, Centre Ubuntu, p. 19
évoque d’autres images pour désigner la même crise : la pluie (imvura), le déluge (isegenya), l’érosion
(inkukura), le vent (umuyaga), l’orage (igihuhusi). Dans l’église catholique, on a parlé du « chemin de croix » :
voir PERRAUDIN, J., Op.cit., p. 53
7
Malgré cet effort de restitution des événements d’une extrême cruauté, la presse nationale est
restée totalement muette sur le coût de la répression. Ainsi des spéculations n’ont pas tardé
car la presse étrangère s’est lancée à publier des chiffres exagérés sur les pertes en vies
humaines. Ce long silence imposé par le pouvoir en place allait se poursuivre au cours de la
deuxième République. Quant au régime politique en place, « il ne savait répondre que par la
terreur et le silence4 ». Pour ce régime « une parole ambiguë, une critique même voilée, peut
valoir une convocation chez l’autorité, une amande, un emprisonnement sans jugement ou
pire une disparition5 » au moment où celui de la deuxième République se caractérisait par
une « Burundité » extrême.
La fin de ce long silence date de la fin de 1988 avec la mise sur pied de la Commission
chargée d’étudier la question de l’unité nationale6. C’est tout juste après les événements de
Ntega et Marangara. Sinon il a fallu attendre plus de trente ans pour avoir les premiers
ouvrages des historiens à savoir celui de Jean Pierre Chrétien et Jean François Dupaquier :
Burundi 1972. Au bord des génocides publié chez Karthala à Paris en 2007 et celui de
Ngayimenda Evariste : Histoire du conflit politico-ethnique burundais. Premières marches du
calvaire publié chez les éditions la Renaissance à Bujumbura en 2004.
L’importance de ces principaux ouvrages reste déterminante dans la mesure où ils couvrent
tout le territoire national, ce qui donne au lecteur une vue synthétique sur les événements. Le
premier ouvrage a le mérite d’avoir confronté des témoignages recueillis à l’époque de la
crise de manière confidentielle et ceux plus récents7 qui se complètent avec les sources
écrites8. Un autre élément de grande importance est que ces deux ouvrages font état des crises
antérieures à 1972 : il s’agit des antécédents historiques. Ils sont intéressants du moins du fait
qu’un élément de plus de l’un complète le vide de l’autre. Ceci se voit dans la description de
l’attaque du sud du pays dont les Tutsi paient un lourd tribut.
4
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Burundi 1972. Au bord des génocides, Paris, Karthala, 2007, p. 9
5
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Op.cit., p. 466
6
De cette Commission, il ressort le Rapport de la commission chargée d’étudier la question de l’Unité
nationale(1989)
7
Les récents témoignages datent de 1999 à 2002, à peu près trente ans après les événements.
8
Ici il s’agit des périodiques, de presse et magazines d’actualité ainsi que des archives.
8
Ces événements font une certaine coïncidence : révocation des membres du gouvernement et
le secrétaire exécutif du parti UPRONA (29 avril 1972). A la même date, un meeting
d’information devait se tenir à Rumonge en présence du ministre d’information Albert
Shibura et du secrétaire exécutif du parti unique André Yanda. Le 30 avril, par décret
présidentiel, les gouverneurs civils des provinces furent remplacés par les gouverneurs
militaires. Au même moment, Cyrille Nzohabonayo est nommé procureur de la République et
la radio annonce la mort de l’ex-roi Ntare V.
Pendant la première semaine, « tous les ministres hutu (...) ont été saisis, tous les officiers
supérieurs, comme Martin Ndayahoze, mais aussi Marcien Burasekuye. Puis suivirent les
différents fonctionnaires hutu dans les différents ministères et dans le secteur privé 9 ». Enfin
de compte, des opérations similaires allaient s’observer dans les jours suivants dans les
provinces avant que débutent des démarches visant un appel au calme. Mais malgré des
efforts pour établir un bilan des victimes, les chiffres restent controversés car chacun des
camps cherche à surestimer ses victimes.
Cependant, des lacunes ne manquent pas. En effet, les deux ouvrages concentrent leurs
enquêtes au sud et sud-ouest du pays quoique cela puisse être en peu compréhensible dans la
mesure où cette région serait la plus menacée par la crise. De même, ils présentent un manque
notoire de spécificités régionales soit au niveau provincial, communal, voire collinaire.
Celles-ci s’avèrent plus indispensable du fait que même si les responsables de l’administration
et d’autres personnes investis d’un certain pouvoir s’arrogeaient le droit d’arrêter et de tuer en
toute impunité, ils ne le faisaient pas de la même manière et au même degré.
En plus, il faut souligner l’importance du livre de Laurent Kavakure qu’il a intitulé : Le conflit
burundais II∙ La tragédie de1972. Dans cet ouvrage, l’auteur donne beaucoup d’informations
inédites sur le déroulement de la crise après avoir décrit les causes de ce conflit. Avec d’autres
auteurs, une unanimité apparaît dans la description de l’aspect rudimentaire de l’armement de
la rébellion : « L’ensemble des sources disponibles, tant orales qu’écrites, s’accordent sur le
niveau d’armement constitué de machettes, de lances, exceptionnellement de quelques armes
à feu10 ». Mais à l’encontre de certains auteurs tels que Evariste Ngayimpenda, l’auteur
présente un manque d’organisation et d’idéologie.
9
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Op.cit., p. 152
10
NGAYIMPENDA, E., Histoire du conflit politico-ethnique burundais. Les premières marches du calvaire,
Bujumbura, Editions de la Renaissance, 2004, p.412
9
Il établit les responsabilités selon les différentes catégories d’hommes et d’organisations puis
identifie des victimes après quoi il décrit les méthodes d’arrestations et d’exécution des
victimes. Néanmoins, ces dernières diffèrent d’une région à une autre car les méthodes
utilisées au Sud du pays diffèrent de celles mises en œuvre au Nord. Enfin, il fait un long
bilan non exhaustif des victimes du fait que les données de certaines régions ne sont pas
disponibles en raison de l’absence d’une enquête.
A côté de ces ouvrages, il existe d’autres écrits qui traitent la crise de 1972 en association
avec d’autres événements antérieurs à 1972 mais qui fournissent des informations non
négligeables11.
11
CHRETIEN, J.P., Burundi : l’histoire retrouvée. 25 ans de métier d’historien en Afrique, Paris, Karthala, 1993 ;
CHRETIEN, J.P., L’Afrique des grands lacs : deux mille ans d’histoire, Paris, Aubier, 2000 ; MUNTUNUTWIWE, J.S.,
La violence politique au Burundi : Essai d’analyse explicative, thèse de doctorat en Sciences Politiques, Uppa,
Pau, 2009 et République du Burundi, Rapport de la commission chargée d’étudier la question de l’Unité
nationale, Bujumbura ,1989
12
République du Burundi, Livre blanc sur les événements survenus aux mois d’avril et de mai 1972 en
République du Burundi, Bujumbura, Ministère de l’Information, 1972
13
MANIRAKIZA, M., Burundi : De la révolution au régionalisme : 1966-1976, Bruxelles, Le Mât de Misaine,
1990 ; SHIBURA, A., Témoignages, Bujumbura, RPP, 1993 et NIEMEGEERS, M., Les trois défis du Burundi.
Décolonisation-Démocratie-Déchirure, Paris, L’Harmattan, 1995
14
NKEZINDAVYI, Th., La crise politico-ethnique de 1972-1973 en province Makamba, Bujumbura, mémoire
U.B., 2001 et NDAYIRUKIYE, A., La crise politico-ethnique de 1972 en commune de Vyanda : Essai d’analyse,
Bujumbura, mémoire U.B., 2007
15
NDAYISABA,S., L’Eglise catholique face aux conflits politiques du Burundi(1965-1972), Bujumbura, mémoire
U.B., 2008 ; NAYABAGABO , J.C., Les lectures conflictuelles des événements de 1972 et 1988 par les acteurs
politiques burundais, Bujumbura, mémoire U.B., 2008 et NIYONKURU, E., Les crises politico-ethniques en
communes Nyanza-Lac, Bujumbura, mémoire U.B., 20012
10
D’une façon générale, on voit que les monographies sur la crise de 1972 sont quasi
inexistantes, car à côté de celles traitant cette crise en province de Makamba, en commune de
Nyanza-Lac et de Vyanda, il n’y a aucune autre. Ceci donne une pertinence à mon sujet que
j’ai intitulé : La crise de 1972 en province de MUYINGA. Pour ce qui concerne les
événements de 1972, la province de Muyinga est encore presque vierge. Jean Pierre
CHRETIEN, dans son ouvrage Burundi 1972. Au bord des génocides, revient sur cette
province dans un court paragraphe où il fait un petit bilan des victimes. Ailleurs, la situation
de cette province est évoquée dans des bribes de phrases.
Ainsi donc, une recherche minutieuse s’avère nécessaire sur cette province pour combler ce
manque et pouvoir répondre aux différentes interrogations sur cette crise surtout que les
«travaux existants sont controversés ou interprétés différemment19». Pour parvenir aux
meilleurs résultats, la nature du travail nous oblige à faire recours aux sources orales par des
enquêtes où il sera question de recueillir les différents témoignages grâce aux focus groups et
aux interviews. Ces témoignages seront confrontés entre eux grâce aux sciences auxiliaires à
l’Histoire puis aux écrits existants malgré leur rareté.
16
NGAYIMPENDA, E., Op.cit., p. 379
17
Ibdem, p. 564
18
Ibidem
19
Centre d’Alerte et de Prévention des Conflits, Guide documentaire sur l’Histoire du conflit burundais,
Bujumbura, 2013, p. 15
11
On peut se demander ce qui mériterait d’être l’objet d’étude en province de Muyinga pour
approfondir une connaissance locale sur la crise de 1972. Il s’agira d’abord de situer cette
province dans son contexte sociopolitique avant les événements de 1972. Ceci nous amènera à
nous interroger sur l’apport du «modèle rwandais» et celui des crises antérieures, c’est-à-dire
de 1965 à 1971 au Burundi. De même, connaitre la situation sociopolitique de Muyinga
revient à examiner comment était organisée l’administration locale de cette province,
caractériser l’état du voisinage et les relations sociales dans les milieux religieux.
Nous aurons ensuite l’occasion de faire une description du déroulement des événements dans
cette province. Il importe ici de montrer des rôles et des responsabilités. Il paraît aussi
pertinent de mettre en lumière les modes d’arrestations et d’exécutions des victimes, de
localiser géographiquement les massacres sans oublier les fosses communes et faire un bilan
matériel et humain.
Enfin, en troisième et dernier lieu, il sera question de montrer les différentes actions visant le
retour à la paix qui furent interrompues par l’attaque de mai 1973 dans la région de Kirundo.
Malgré le silence imposé par le pouvoir, la crise de1972 a laissé des mémoires controversées
méritant une description laquelle sera complétée par une étude des relations entre Hutu et
Tutsi à la fin de la crise.
12
Depuis le 21 août 1925, par une loi qui unissait administrativement le Ruanda-Urundi à la
colonie du Congo belge, le territoire du Ruanda-Urundi faisait partie d’un Vice-gouvernement
général. Celui-ci dépendait d’un Gouvernement général installé à Léopoldville. A l’intérieur,
il y avait en fait deux Résidences : Ruanda et Urundi.
L’arrêté royal du 29 juin 1933 divisait la Résidence de l’Urundi en 9 territoires et l’un d’entre
eux est le territoire de Muyinga. Chaque territoire était divisé en chefferies ayant à leur tête
des chefs. Mais ces chefferies allaient être regroupées durant la réorganisation administrative
inscrite en tête du programme politique des autorités belges en 192920 mais entamé en1923.
L’une des innovations de la Tutelle (1949-1962) fut la suppression des chefferies qui furent
remplacées par les provinces par l’ordonnance législative no 221/253 du 26 septembre 1960.
Avec cette même ordonnance, le Burundi comprenait 9 territoires dont le territoire de
Muyinga constitué par deux provinces à savoir Muyinga et Kirundo. La province était
administrée par un administrateur de province, un administrateur de province adjoint et un
secrétaire21. Le territoire de Muyinga sera connu comme province à partir du 1er mars 1962
par une loi qui divisait le Royaume du Burundi en provinces dirigées chacune par un
gouverneur de province. Désormais, par la même loi, la province de Muyinga comprenait
deux arrondissements (Muyinga et Kirundo) à la tête desquels il y avait des commissaires
d’arrondissements et chaque arrondissement était subdivisé en plusieurs communes22.
20
GAHAMA. J., Le Burundi sous l’administration belge. La période du mandat (1919-1939), Paris, Karthala, 1983,
p. 57
21
Idem
22
Au total, la province de Muyinga regroupait 21 communes.
13
Arrondissements Communes
Muyinga Muyinga
Buhinyuza
Gasorwe
Butihinda
Muyange˗Gashoho
Kirundo Ntega
Busoni
Bwambarangwe
Kirundo
Vumbi˗Bukuba
Durant toute cette période, s’agissant du personnel administratif surtout communal, certaines
autorités étaient semi-illettrées, d’autres illettrées ayant une tendance politique prétentieuse en
l’occurrence à partir des années 1965. Certaines autorités croient être à la hauteur de
n’importe quelle fonction politique du pays, d’autres sont des valets inconscients des grands
leaders politiques24.
23
Archives Nationales du Burundi, doc. cité
24
Idem, R.A./ARRO. p. 8
14
Ces événements se sont soldés par l’exil de nombreux Rwandais tutsi estimés à 150 000 en
1963. La plupart était partie en Ouganda et au Burundi26. Selon les statistiques officielles du
début de 1965, le Burundi comptait 72 977 dont environ 52 000 Tutsi originaires du
Rwanda27.
Le Burundi allait-il échappait à ce raid que subissait son voisin, le Rwanda ? Selon Melchior
Mbonimpa, le destin de ce pays et celui de son voisin du Nord sont si liés que parler de l’un,
c’est parler de l’autre28. Avec l’arrivée massive des réfugiés rwandais, le Burundi va être
entaché par la contagion de cette mobilisation « ethnique » rwandaise. Ce pays avait pu,
depuis longtemps, garder sa spécificité : le pouvoir monarchique dominé par les Ganwa, une
famille dirigeante qui n’était ni hutu ni tutsi, avait pu laisser plus de place à ces deux
composantes sociales majoritaires. Le nombre élevé des réfugiés rwandais au Burundi
pourrait-il expliquer ce phénomène nouveau au Burundi ?
Quand on lit les archives de la province de Muyinga des années 1964-1965, on constate que le
nombre des réfugiés rwandais était tellement élevé comparablement à d’autres étrangers
séjournant dans la province.
25
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Op.cit., p. 18
26
Idem, p.19
27
KAVAKURE, L., Le conflit burundais I. Op.cit., 2002, p. 68
28
MBONIMPA M., Hutu, Tutsi, Twa : Pour une Société sans Castes au Burundi, Paris, L’Harmatan, 2002, p. 13
16
Seul l’arrondissement de Kirundo hébergeait 10850 réfugiés installés dans le camp de Murore
dans la commune Busoni. Le tableau suivant nous donne une idée sur la présence des
Rwandais dans cet arrondissement en 1964.
Comme on le voit dans le tableau-ci haut, le nombre de Rwandais est plus élevé par rapport à
celui des Congolais et des Ougandais. L’ensemble d’autres étrangers résidant dans cet
arrondissement dont les provenances n’ont pas été mentionnées ici sont nombreux du fait
qu’ils proviennent de plusieurs pays. Donc, au cas où on prendrait chaque pays à titre
individuel, on allait remarquer que chacun de ces pays n’est représenté que par quelques
dizaines d’individus.
29
Archives Nationales du Burundi, Op.cit., p.7
30
Idem, p.8
17
Parfois, leur vie n’était pas trop différente de celle des Burundais selon les propos de Louis
Marie Niyibimenya :
Cette idée de l’intégration des Rwandais dans la société burundaise a été aussi soutenue par
Laurent Kavakure qui confirme qu’̕ ils étaient intégrés dans l’armée, le commerce, les
banques, l’administration.32
Du point de vue politique, à Murore, avant de les déplacer vers le camp de Buhinyuza et
Mishiha, les Rwandais organisaient des activités politiques à l’intérieur du camp et avait une
armée « Inyenzi » (cafards). Dans le camp de Murore, ils détenaient même des armes à feu et
faisaient des incursions au Rwanda. Mais chaque fois, ils étaient repoussés par l’armée
rwandaise. De même, les militaires rwandais entraient dans les régions frontalières surtout de
Busoni et de Bugabira à la recherche des réfugiés rwandais. Sur leur passage, ils tuaient un ou
deux rwandais mais également des Burundais pouvaient en être victimes. Sur ce propos
Augustin Mariro écrit :
31
NIYIBIMENYA, Louis Marie, Muyinga, le 25/8/2015
32
KAVAKUREA, L., Op.Cit. p. 69
18
Salvator Rwasa, un habitant de Busoni, nous a rapporté que ces incursions réciproques avaient
donné naissance à une guerre des médias. Selon André Guichaoua :
Comme on le voit, avec l’arrivée des Rwandais au Burundi, la haine entre les Hutu et les Tutsi
se transpose sur le terrain politique burundais et s’ancre dans l’esprit des élites. Ainsi, on
rejoint l’idée d’Augustin Mariro :
33 ère
MARIRO, A., Burundi 1965 : La 1 crise ethnique, Paris, L’Harmattan, 2005, p. 136
34
GUICHAOUA A., Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique centrale et orientale, Karthala, Paris, 2004, p.221
35
NIYIBIMENYA, Louis Marie, Muyinga, le 25/8/2015
19
De même, dans les milieux ruraux ce sont toujours les élites : administratifs, fonctionnaires,
commerçants, notables qui ont été les porteurs de ce « virus ethnique » s’apparentant « au
modèle rwandais ». Car celles-ci pouvaient intérioriser plus facilement cette idéologie,
accéder aux médias pouvant propager, accélérer, et amplifier la tension « ethnique ».37
Du point de vue social, la présence des Tutsi rwandais au Burundi, qui venaient d’esquiver les
troubles dans leur pays et qui se retrouvaient encore à côté des Hutu burundais presque
semblables à ceux du Rwanda, ne pouvait passer inaperçu. Elle a favorisé le développement
d’un « esprit communautariste ». En effet, d’une part, les Tutsi rwandais vivant au Burundi
pouvaient être confondus avec ceux du Burundi. Dans une situation pareille, pour sauver leurs
vies et éviter l’état fugitif sans fin, ils optaient pour s’allier aux « Tutsi extrémistes ». Cette
alliance entre la composante tutsi du Rwanda et celle du Burundi s’est soldée par une
solidarité « ethnique »38. D’autre part, après le forfait révolutionnaire, chacun des deux camps
se mettait dans la place des Hutu et des Tutsi du Rwanda. Le transfert du pouvoir de la
dynastie Nyiginya vers le Parmehutu au Rwanda donnait confiance à certains membres de
l’élite hutu du Burundi que l’exploitation de la même voix leur permettrait de parvenir à la
conquête du pouvoir39. Tandis que l’accueil des réfugiés rwandais par les Tutsi du Burundi
avait provoqué une peur chez ces derniers menacés de subir le même sort que leurs
semblables du Rwanda. En effet, le succès des Hutu rwandais qui avait réussi à prendre en
mains la direction du pays et à la garder contribuait également à renforcer les craintes des
Tutsi burundais40.
36
MARIRO, A., Burundi. De la nation aux ethnies ou naissance d’une élite tribalisée, Dakar, UNESCO, 1998, p. 20
37
NDAYONGEJE, N., Essai d’analyse du phénomène de contagion des crises politiques rwandaises et
burundaises : 1959-1997, Bujumbura, U.B., 2000, p. 2
38
Idem, p. 134
39
Idem
40
PERRAUDIN, J., Op.cit., p. 60
20
De toute façon, on voit que « le modèle rwandais » va plonger ses racines dans la société
burundaise après 1959. En lisant la lettre du commissaire d’arrondissement de Muyinga
Nicaise Karengwa adressée au vice-premier ministre et ministre de l’Intérieur en 1964, on
constate que les premiers signes d’un conflit font leur irruption dans l’arrondissement de
Kirundo en commune Butarugera.
En effet, ce commissaire portait à sa connaissance des faits malheureux qui s’étaient produits
en commune Butarugera où des propagandistes de l’UPRONA avaient été arrêtés depuis le 18
mai 1964 par Monsieur Victor Mvuruma, bourgmestre de cette commune. Le pire encore,
leurs huttes avaient été incendiées pendant la nuit du 1941. Le commissaire d’arrondissement
s’est rendu sur les lieux et a trouvé qu’effectivement la hutte de Mugemankiko avait été
incendiée. Au moment où Mugemankiko demanda au bourgmestre pourquoi il était arrêté, le
bourgmestre pour toute réponse lui dit : « Je vous emprisonne parce que je suis bourgmestre,
aussi longtemps que je suis bourgmestre, je vous emprisonnerai et quand vous serez
bourgmestre à votre tour, vous n’avez que m’emprisonner»42. Ce bourgmestre accusait
Mugemankiko d’avoir tenu une réunion à Tangara sans autorisation ; ce que niait le détenu.
Mais, au moment de l’interrogatoire que le commissaire d’arrondissement fait à Mvuruma, ce
dernier affirme qu’il l’avait emprisonné parce qu’il avait commissionné de semer le racisme
en excitant les Bahutu contre les Batutsi43.
Sur cette même affaire, le bourgmestre accusait le gouverneur de province d’être complice
des faiseurs du trouble. Dans une enquête politique menée par le bourgmestre Mvuruma le 25
mai 1964, le problème ethnique transparaît à travers la question qu’il a posée à un certain du
nom de Hilaire Nibizi :
41
Archives Nationales du Burundi, doc.cité
42
Idem
43
Idem
44
Archives Nationales du Burundi, Enquête y’ivyerekeye politique mbi, Tangara, le 25mai 1964
21
Dans cette question, le bourgmestre commence par rappeler ce qu’aurait dit Mugemankiko le
jour de la réunion. Aussi, à voir la formulation de cette question, on remarque qu’il s’agit
d’une enquête d’abord effectuée le 15 mai 1964 mais que le même Mvuruma refait le 25 mai,
cette fois-ci en présence des notables qui ont apposé leurs signatures sur cette enquête comme
témoins. Ne s’agirait-il pas d’une manipulation faite par le bourgmestre le 15 mai pour la
mettre par écrit le 25 mai en présence des notables ?
La même question « ethnique » apparaît dans les rapports après la campagne électorale. Cela
est visible dans une lettre que le commissaire d’arrondissement Sévérin Ndayishinguje a
adressé au Directeur Général du ministère de l’Intérieur datant du 23 juin 1965 relatant la
situation à Kirundo. Cette lettre évoque l’emprisonnement d’un certain François Karikurubu
qui menait une mauvaise politique ("racisme") depuis le début de la campagne électorale. Le
même commissaire explique l’origine du différend qu’il a avec le gouverneur :
« Il me poursuit parce que j’ai bien surveillé des personnes dangereuses qui
voulaient exercer une mauvaise politique raciale (racisme) qui sont les
siennes d’ailleurs et lui à la tête pendant la période électorale 1965. Il me
poursuit à cause des documents que j’ai saisis des personnes qui voulaient
semer des troubles pendant la même campagne »45.
Il a ajouté enfin que le gouverneur cherchait sa mutation pour avoir l’occasion de fonder le
parti P.P.46 avec les siens qui était tombé dans les oubliettes depuis l’écrasante victoire de
l’UPRONA de septembre 1961.
En peu de mots, on voit qu’avant les crises débutées en 1965, le « virus ethnique » est déjà
présent dans le comportement des Burundais en général et dans la province de Muyinga en
particulier, une des provinces ayant accueilli les réfugiés rwandais. L’exemple de
l’arrondissement de Kirundo nous a montré que le sentiment « communautariste » l’emporte
sur le sentiment national. Avant d’entamer la crise de 1972, la période de 1965-1971 nous
semble déterminante pour cette question.
45
Archives Nationales du Burundi, doc.cité
46
P.P. (Parti du Peuple) réapparait à la veille des élections légistratives de 1965. Le fondateur de ce parti Albert
Maus défendait une représentation séparée et garantie des Hutu. En d’autres termes, le P.P. était supposé être
le représentant des intérêts hutu. Ici, on se met dans la logique qu’évoque Jean Pierre Chrétien selon laquelle
peuple=Hutu=Bantous.
22
Cette course aboutit enfin au conflit « ethnique » entre Hutu et Tutsi. C’est avec les élections
légistratives du 10 mai 1965 qu’on peut conclure que le problème entre Hutu et Tutsi avait été
déplacé de l’Etat jusqu’aux collines.
Cependant, les élections de 1965 donnent encore une fois à l’UPRONA une victoire avec 21
sièges sur les 33 sièges. Mais, entre temps, le grand schisme devient évident avec la
nomination de Léopold Biha (Ganwa) par le roi comme formateur du gouvernement. Cette
nomination est perçue dans les milieux hutu comme une sorte d’usurpation de pouvoir par le
roi en collaboration avec les Tutsi. C’est dans ce contexte que s’inscrit le coup d’Etat du 19
octobre 1965 : attaque de la cour du roi par un groupe de gendarmes à la tête duquel se
trouvait un commandant hutu Antoine Serukwavu et les massacres de Busangana suivis d’une
répression. Selon le rapport de la LDGL48, dans ces deux communes, le bilan fut lourd ;
environ 400 personnes tuées, alourdi par les victimes des affrontements, à savoir 10 mutins et
4 militaires loyalistes. Quant à la répression des auteurs de cet acte, le 22 octobre 1965, 34
militaires sont condamnés à mort et exécutés, le 26 du même mois 9 nouveaux mutins sont
exécutés. Le 25 octobre 1965, 11 personnalités politiques marquantes dans la vie du pays
accusés d’être à la tête du complot sont condamnées à mort excepté Léonard Ncahoruri
condamné à la servitude pénale à perpétuité.
Après ces événements, le Burundi évolua dans un climat de haine, de méfiance, de suspicion
et de peur généralisée entre les deux composantes sociales majoritaires.
47
NDAYISHIMIYE, P., Tentatives d’explication des crises des régimes politiques africains post-coloniaux (1961-
1995) : cas du Burundi, Bujumbura, U.B, 1996, p.17
4848
Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs, Burundi : Quarante ans d’impunité, Kigali,
2005, p. 43
23
Pour le cas qui nous concerne, les habitants de Muyinga ne sont pas restés indifférents face à
cette crise, pour plusieurs raisons. D’abord, la crise de 1965 a été précédée par l’assassinat du
premier ministre Pierre Ngendandumwe originaire de Kirundo (à Kanyinya) et surtout que,
nous dit notre informateur, certaines élites disaient que Ngendandumwe avait été assassiné
parce que Hutu49. Ensuite, le commandant Antoine Serukwavu à la tête de l’attaque était lui
aussi originaire du même arrondissement, cela aurait fait que quelques-uns se seraient alliés à
lui. Le rapport de l’arrondissement de Kirundo (à Mukenke) l’explique mieux : « Tous ceux
qui ont occasionné quelques difficultés administratives ce sont les conséquences du coup
d’Etat manqué. Des mesures ont été prises à temps au détriment des acolytes de Serukwavu,
Mukenke étant son fief »50.
Quant à la population locale qui considérait ces événements comme une déception, elle
rassembla quelques tonnes de haricots pour aider les victimes des massacres. Le rapport
annuel de l’arrondissement de Kirundo revient sur ce geste :
I. 1. 2. 2. Le complot de 1969
Après une année au pouvoir, Micombero se fit l’objectif de marquer le premier anniversaire
de la proclamation de la République par les actes de clémence. Dans le but de réaliser la
réconciliation nationale et la mobilisation de tous les citoyens à la cause de la révolution du
28 novembre 1966, une amnistie générale est proclamée pour les prisonniers politiques, en
particulier ceux de 1965. Cette mesure concernait notamment les auteurs d’infractions,
supposées ou réelles d’atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat52.
49
NIYIBIMENYA Louis Marie, Muyinga, le 25/8/2015
50
Archives Nationales du Burundi, R.A. / ARRO. p.9
51
Idem
52
BOB 2/6,1969, p.51 cité par NIYONKURU, E., Les crises politico-ethniques de 1972 et de 1993 en commune
NYANZA-LAC, Bujumbura, U.B., p.30
24
Toutefois, malgré ces efforts du régime au courant de l’année 1968, les divisions restent
vivaces. Des plaintes et des rumeurs circulaient autour de la question « ethnique ». Selon les
propos de Marc Manirakiza sur l’entourage de Micombero : « SIMBANANIYE et SHIBURA
avaient la réputation de ne pas aimer les Tutsi de Muramvya et surtout d’être anti-hutu »53.
C’est cette situation de méfiance qui évolua jusqu’à ce qu’elle débouchât à la préparation
d’une tentative de coup d’Etat en 1969. En septembre 1969, des réunions se succédèrent chez
Barnabé Kanyaruguru qui avait pris la tête du mouvement54. D’autres sources évoquent des
réunions qui se tenaient dans la vallée de la rivière Nkaka d’où le complot de 1969 est parfois
désigné sous l’appellation du « plan Nkaka »55. Le procès sur ce complot déboucha à la veille
de Noël 1969 sur l’exécution de 21 hutu dont 19 étaient militaires.
Relativement à ce complot, nous ne voyons pas directement son impact sur l’évolution des
relations sociopolitiques de la province de Muyinga faisant l’objet de notre étude. Certains
auteurs comme Laurent Kavakure qualifient ce complot comme l’un « des événements peu
connus56 » par l’opinion. Ce complot peu connu sera suivi par celui de 1971.
I. 1. 2. 3. Le complot de 1971
En juillet 1971, les autorités révélèrent l’existence d’un complot tutsi contre le chef de l’Etat.
Coup monté ou non par les faucons du régime, qui voulaient se débarrasser une fois pour
toutes de leurs opposants ? L’affaire reste mystérieuse. Des personnalités burundaises en vue
furent arrêtées (…) : ministres, gros commerçants, hauts fonctionnaires, tous tutsis
emprisonnés par les Tutsis57 ! Pour le moment, ce sont les personnalités de la province de
Muramvya qui furent arrêtées, accusées d’atteinte à la sûreté de l’Etat et la tentative de
renversement des institutions.
Selon la LDGL58, le 6 juillet 1971 furent arrêtées les sept premières personnalités, au cours du
mois de septembre de nouvelles arrestations d’autres personnalités sont opérées. Le 6 octobre
1971, commence le procès contre les prévenus, qui est aussitôt suspendu, officiellement pour
le complément d’enquête.
53
MANIRAKIZA, M., Burundi : De la révolution au régionalisme (1966-1976), Paris/Bruxelles, Le Mât de
Misaine, pp.40-41
54
Idem, p.41
55
NGAYIMPENDA, Op.cit., p.334
56
KAVAKURE, L., Op.cit., p.167
57
NIEMEGERS, M., Les Trois Défis du Burundi : Décolonisation-Démocratie- Déchirure, Paris, L’Harmattan, 1995,
p.92
58
Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs, Op.cit., pp. 41-42
25
Le 10 octobre 1971, de nouvelles arrestations sont opérées, suivies d’une autre vague
d’arrestations au mois de novembre. De lourdes condamnations sont prononcées : 9 à la peine
capitale, 7 à l’emprisonnement à perpétuité, trois à vingt ans de prison, une à cinq ans de
prison et six acquittements59.
Pour cette affaire, face aux pressions multiples60, le président a fait usage de son droit de
grâce pour les inculpés et allégé les peines prononcées. L’usage de son droit de grâce va-t-il
conduire les Burundais vers la voie de la réconciliation ? Chacune de ces deux composantes le
perçoit de sa façon.
Pour tout dire, on voit que le complot de 1971 comme celui de 1969, à la différence de la crise
de 1965, n’a pas eu des répercussions directes sur l’évolution sociopolitique de la province de
Muyinga. Cette fois-ci, ceci serait dû à l’éloignement de la province et le fait que les
personnalités concernées par l’affaire étaient surtout de Muramvya. Mais la période de 1965 à
1971 est plus déterminante en ce qui concerne « l’ethnisation » et la régionalisation du
pouvoir ainsi que l’évolution sociopolitique future de la province jusqu’à la veille de la crise
de 1972.
En plus, notre informateur nous fournit une liste d’une seule composante dans
l’administration de la zone Giteranyi : « Chef de zone : Salvator Ndabambarire ; les chefs de
secteurs : Bahama (Rusenyi), Dominique Basomingera (Giteranyi), le Rwandais Tharcisse
Mugabo (Buhangara), Babwababwa (Rumandari), Gatamba (Mugano)»61.
59
Ibidem., p. 42
60
Pressions internes et pressions internationales tels que le président Mobutu et le Saint-Siège qui auraient
plaidé en faveur des condamnés. Sur ce sujet, voir aussi Ngayimpenda, E., Op.Cit., p. 361
61
NIYIBIMENYA Louis Marie, Muyinga, le 25/8/2015
26
Jusqu’ici, nous pouvons nous permettre de parler d’une monopolisation du pouvoir par les
Tutsi avant même la période d’exception depuis le 29 avril avec la nomination des
gouverneurs militaires. En effet, dans son article 2, le décret de nomination des gouverneurs
militaires précisait que pendant cette période troublée, les gouverneurs civils allaient exercer
leurs fonctions sous le contrôle et la supervision des gouverneurs militaires. Ainsi, pour la
province de Muyinga, on nomma le commandant Ferdinand Ntawumenya. Que seraient les
conséquences de cette nomination ? A l’analyse, écrit Evariste Ngayimpenda, ces différents
actes de nomination renforcent la régionalisation d’un pouvoir déjà ethniquement monopolisé,
cela dans un contexte d’exception62.
Comment la crise qui éclate au Sud où les Tutsi ont été massacrés par les rebelles hutu aurait
entamé la province de Muyinga, une province éloignée du foyer des événements ? Cela
s’expliquerait par un acte de vengeance : les Tutsi du Sud ont voulu venger leurs parents et
leurs enfants massacrés par les rebelles hutu dans la province de Bururi. Notre informateur
donne cette explication de ce phénomène :
Cette régionalisation et monopolisation du pouvoir par une seule composante sociale débute
avec la mort du Premier ministre Ngendandumwe puisque l’opinion rendait les Tutsi
responsables de l’assassinat du Premier ministre64. Après la victoire de l’UPRONA lors les
élections de septembre 1961, le pouvoir était encore inclusif en faveur de toutes les
composantes. Mais, petit à petit, les tensions« ethniques » se sont accrues. A un certain
moment, il y a eu des mécontentements entre les Hutu et les Tutsi jusqu’à l’exclusion des
Hutu dans l’administration.
62
NGAYIMPENDA, E., Op.cit. p.464
63
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015
64
Idem
27
Ces Tutsi de Bururi confessaient également qu’au Nord, il n’y avait pas de Tutsi et que ceux
qui pourraient l’être étaient des Rwandais selon toujours les propos de Salvator Rwasa :
« Ils disaient qu’à Kirundo ne vivaient pas de Tutsi ; que tous étaient Hutu.
Celui qu’on pouvait appeler Tutsi, était un Rwandais. Même
l’administrateur a risqué la mort là où on allait défricher la brousse pour y
chercher les rebelles hutu parce qu’on n’avait pas confiance en lui ; il a été
sauvé par le gouverneur »66.
65
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
65
Idem
66
Idem. Si ces autorités originaires de Bururi n’avaient pas confiance à celles originaires de Muyinga, ces
dernières n’auraient-elles pas pu s’allier aux premières dans le but de maintenir leurs places dans
l’administration ?
28
Ces frustrations se rencontrent aussi dans les milieux hutu où on se demandait si à Bururi
n’existait pas aussi bien des Hutu que des Tutsi. Pourquoi seuls les Tutsi de Bururi couvraient
l’administration ? L’absence des Hutu signifierait-elle que ceux-ci n’existaient pas à Bururi ?
Pour Jean Berchmans Karikurubu :
« Les paysans ne comprenaient pas grand chose. Mais cela avait provoqué
une frustration chez les intellectuels qui n’avaient pas de choix. Et eux
(administratifs) administraient avec arrogance et avec terreur pour leur
montrer qu’ils n’ont pas de valeur devant eux pour qu’ils ne puissent plus
les affronter. Mais ces lamentations se faisaient en cachette surtout que ces
intellectuels étaient encore peu nombreux et le plus souvent des enseignants.
Et l’enseignant ne pouvait s’approcher du commissaire d’arrondissement
détenant le pouvoir d’emprisonner. D’ailleurs aucun lien entre eux»68.
Mais, d’autres le prenaient comme tel. Ils croyaient que le pouvoir devait être ainsi. Un
gouverneur de Bururi était remplacé par un autre de Bururi69.
67
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome de Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 8 octobre 2015
68
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke I, le 14 octobre 2015
69
NIVYABANDI Joseph, chef de secteur en commune Vumbi, 85 ans, Gasura, le 12 octobre 2015
29
Malgré cette frustration, on ne pouvait pas dire quoi que ce soit, même un petit mot ; puisque
à cette période dire le mot « umututsi », on vous prenait pour « raciste » et on vous traînait
dans la justice où les juges étaient des Tutsi70.
Le tableau suivant nous donne une idée sur le recouvrement de l’administration communale
en province de Muyinga :
Comme on le voit dans le tableau ci-haut, on ne pourrait pas parler d’une monopolisation de
l’administration par des gens de Bururi si le commissaire d’arrondissement et le commandant
de brigade de Kirundo et le gouverneur ne provenaient pas de Bururi, car les administrateurs
communaux proviennent de 5 provinces.
Salvator Rwasa, un Ganwa de Busoni, explicite le sort des Ganwa après la prise du pouvoir
par « leurs anciens ennemis» hima de Bururi et reconnaît également la non existence des Tutsi
originaires de la région de Kirundo :
70
KARIKURUBU Jean Berchmans, agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
30
« Après la prise du pouvoir par les "Banyabururi", nous les Ganwa,on nous
a assimilés aux Tutsi puisque ceux qui dirigeaient étaient des Tutsi hima
originaires de Bururi, ennemis parce qu’on disait que les Hima étaient des
porte-malheurs. Donc autrefois, ils ne pouvaient pas traire la vache d’un
Muganwa. Ici(Busoni), il n’y avait pas de Tutsi. Ils venaient d’ailleurs : qui
ne venait pas de Muramvya venait du Rwanda »71.
Beaucoup de gens reconnaissent que cette administration n’était pas inclusive : les Hutu
n’avaient pas grand chose à dire et le critère de choix était l’appartenance « ethnique ». Voici
ce que dit l’ancien comptable de la commune Muyinga qui fut aussi chauffeur du Petit
Séminaire de Muyinga :
D’une façon générale, on voit que le pouvoir était dans les mains des Tutsi
originaires du sud. Cette situation était à l’origine des frustrations tant chez les Hutu
que chez les Tutsi originaires de Muyinga. La suspicion au sein du clergé du diocèse
de Muyinga s’apparenterait-elle à ces frustrations ?
71
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
72
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
73
NGAYIMPENDA Evariste, Op.cit. p.564
31
Pour le premier cas, ce conflit est lié à une logique de domination économique et culturelle du
clergé autochtone par les missionnaires. Pour le second cas, il s’agit d’un conflit de
leadership. C’est ce dernier qui dégénéra en conflit ethnique lors de la course pour l’épiscopat
entre l’abbé Michel Kayoya et ses confrères.
Arrivé dans le jeune diocèse de Muyinga en juillet 1970, prêtre du diocèse en qualité
d’Econome Générale, Michel Kayoya avait une mission particulière d’en redresser la situation
financière alors très critique. Il s’acquitta de cette fonction avec brio mais non sans susciter de
jalousies74. A Muyinga, au-delà du domaine matériel, ce prêtre avait entreprit la formation de
jeunes filles burundaises à une vie religieuse solidaire de la condition des masses paysannes
de leur pays. Mais, il n’acheva pas cette dernière mission comme on le lit dans la préface et la
présentation faites par Mgr Joachin Ntahondereye dans livre écrit par ce prêtre : « Seulement,
à peine avait amorcé cette action que les jalousies qui couvaient à son endroit se
déchaînèrent avec une force d’intrigue. L’évêque du lieu résilia unilatéralement son contrat
et l’éloigna du diocèse »75.
Avant même de muter son vicaire général, Monseigneur Bihonda avait adressé au Président
Micombero une correspondance dénonçant l’activisme76 de certains prêtres hutu. Celle-ci
concernait tant des prêtres nationaux qu’étrangers. Ainsi, le Père Van Straeten, cité par Jean
Perraudin, juge très sévèrement l’évêque de Muyinnga en ces termes :
Selon, Laurent Kavakure, ce conflit trouverait ses racines dans le complexe d’origine de ce
prélat parce qu’il était issu de père hutu et de mère tutsi. Voici ce qu’écrit cet auteur :
74
KAYOYA, M., Entre deux mondes : d’une génération à l’autre, Bologna, EMI, p. 6
75
Ibidem, p. 7
76
Le Dictionnaire Universel définit l’activisme comme étant une doctrine qui prône le recours à l’action
violente pour faire triompher une idée politique
77
PERRAUDIN, J., Op.cit., p. 62 cité par Van Straeten in National Democratic Institute for International Affairs
32
I. 2. 3. L’état du voisinage
Dans le Burundi ancien, les contes, les chants et les proverbes évoquent un état du voisinage
parfait. Même à travers certains discours, on remarque que le voisinage finit par créer une
sorte de famille, « les voisins deviennent parents ».
Toutefois, à cette période, il y avait une sorte de différenciation sociale entre les composantes
sociales connue sous le nom de « kunena » en Kirundi, qui signifierait refuser par mépris de
boire ou de manger avec quelqu’un79. Cette pratique consistait en un refus de partager le
même plat, le même verre, le même chalumeau (tube de paille à boire)80. En fait, cela signifie
qu’ils ne pouvaient pas boire au même chalumeau et à la même calebasse ; ou bien on leur
réservait leurs outils ou bien ils les portaient avec eux. Notre informateur nous explique
combien cette pratique avait été intégrée dans la culture burundaise et ajoute qu’elle ne
constituait pas un problème :
De même, à Busoni, régnait un bon voisinage sauf qu’on ne partageait pas des ustensiles de
nourriture. Pascal Mukezangango, un Hutu, habitant de la commune de Busoni, affirme que
cette pratique aurait disparu avec la crise de 1972 :
J’avais 10 ou 11 ans comme ça. Ceci a pris fin avec la crise de 1972
puisque moi j’ai quitté le pays, à mon retour, ils partageaient ces
objets ̎sans couper le chalumeau de quelqu’un"»82.
Ici, c’est au moment de la pratique d’« ugutereka » qui consiste à offrir de la bière en grande
quantité. Ce fait de couper cette partie supérieure du chalumeau aurait-il donné naissance à
l’expression « gucira umukenke » qui signifie simplement kunena en Kirundi ? Une autre
forme de cette pratique consistait à essuyer la partie supérieure du chalumeau que le Hutu
avait employé83. On peut se demander si cette pratique ne serait pas liée à la question de
prudence et d’hygiène ?
Jusque-là, au niveau de la couche paysanne, on ne voit pas de grand problème. Mais quelque
chose d’anormal commence à se révéler dans les échelons montants à partir des notables de
collines ainsi que dans les milieux intellectuels avec des mots d’injures entre les Hutu et les
Tutsi. Voici ce que dit un notable tutsi de la colline Gatongati s’adressant au chauffeur hutu
du Petit Séminaire au moment où celui-ci gagnait à pied son domicile à Rugari :
A l’approche des événements, les deux composantes sociales accusent une sorte de
« communautarisme »85 où le comportement de l’une suscitait des doutes chez l’autre
composante. A l’école ménagère de Gisanze, on nous signale des mouvements nocturnes
douteux effectués par l’administrateur communal Louis Nahimana et son chauffeur rwandais
Roger :
82
MUKEZANGANGO Pascal, cultivateur et petit commerçant, 64 ans, Murore, le 12 octobre 2015
83
MIBURO Epitace, cultivateur, 62 ans, Kimeza, le 14 octobre 2015
84
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
85
Doctrine visant à l’organisation de la société sous forme de communautés de personnes partageant la même
identité culturelle, ethnique ou religieuse. Ici, nous voulons signifier qu’il y avait eu une cassure de la société
burundaise qui constituait auparavant une seule communauté ayant même identité culturelle, ethnique et
religieuse.
34
Si cette enseignante hutu de Gisanze évoque ces mouvements de nuit, le Tutsi de Gasura en
commune Vumbi nous annonce l’existence des rumeurs sur une guerre où les Hutu allaient
massacrer les Tutsi. En plus de ces rumeurs, selon le même informateur, des réunions ont eu
lieu chez Jean Barazikiriza, un infirmier hutu originaire de Bururi :
De même, dans les milieux intellectuels se remarquait quelque chose d’anormal. On pouvait
constater que les Hutu et les Tutsi ne coopéraient qu’avec réserve. De plus, les Hutu
n’appréciaient pas le pouvoir de Micombero. Ainsi, à travers leur comportement, on pouvait
déceler un besoin de changement. A la rencontre d’un Tutsi, le Hutu pouvait lui dire que les
Tutsi sont venus de l’Ethiopie, que les Hutu étaient des Burundais et qu’il fallait y retourner88.
A la veille des premières arrestations, on évoque une soirée dansante qui était organisée à
Kirundo mais qui n’eut pas lieu à cause de l’attaque du sud. Cette soirée dansante aurait été
organisée dans le but de massacrer les Tutsi89. Salvator Rwasa, affirme aussi que les Hutu
avaient ordonné une soirée dansante dans tout le Burundi90. Mais cette affirmation est à
critiquer du fait qu’ailleurs nos informateurs nous disaient que les Hutu n’avaient plus de
pouvoir. Si ceci fut le cas, comment les Hutu auraient-ils donné cet ordre ? Le voisin de
Salvator Rwasa qui avait participé à un match de football qui opposait la commune
Bwambarangwe à Busoni, ajoute qu’après le match, l’Arabe du nom d’Abdallah leur a
informé qu’on avait disponibilisé les machettes pour les lyncher. Voici ce qu’il dit :
86
NDABARUSHIMANA Marie, enseignante de Gisanze, 71 ans, Muzingi, le 8 octobre 2015
87
NIVYABANDI Joseph, chef de secteur en commune Vumbi, 85 ans, Gasura, le 12 octobre 2015
88
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
89
Focus group, Burara, le 3 février 2016
90
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
35
Pour clore ce chapitre, nous avons remarqué que le « modèle rwandais » a eu des
répercussions sur l’évolution sociopolitique du Burundi en général et de la province de
Muyinga en particulier en créant une psychose chez les Tutsi craignant de subir le sort des
Tutsi rwandais qu’ils avaient accueillis. Ce problème a été aggravé par les crises s’intercalant
entre 1965 et 1971. Pour la province de Muyinga, celles-ci nous semblent plus déterminantes
en ce qui concerne l’évolution sociopolitique future de cette province jusqu’à la crise de 1972.
D’une façon générale, les événements survenus depuis 1965 ont créé les conditions objectives
pour le déclenchement de la catastrophe de 197292. Les Hutu et les Tutsi vivaient un monde
de suspicion liée à une méfiance à laquelle s’ajoute le refus des Tutsi de manger ou de boire
avec les Hutu interprété comme signe de mépris. Chacun pointait du doigt à l’autre de tenir
des réunions à son insu. En tout cas, si au niveau de la masse paysanne régnait un meilleur
climat, il n’en était pas ainsi dans les milieux intellectuels. C’est donc dans cet état de choses
qu’éclate la crise de 1972.
91
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015. Ici, il le
dit en Swahili « Watawachincha, watawachincha kama mti mama yangu ».
92
Ligue des Droits de la personne dans la région des Grands Lacs, Op.cit., p. 43
36
Cette répression va gagner tout le pays ainsi que les provinces comme celle de Muyinga
même s’il n’y avait pas eu de troubles. La répression proprement dite à l’échelle nationale
débutera un peu plus tard après avoir ramené l’ordre dans les zones cibles de l’attaque du 29
avril. Elle fut en principe chapeautée par les représentants des pouvoirs publics. Dans les faits,
elle appelait des actions conjointes de l’administration et des forces de l’ordre, qui
s’adjoignaient la collaboration de la population, notamment des éléments de la JRR. Une des
dimensions importantes de cette répression et qui explique en partie ses nombreux
débordements est qu’elle s’organise dans un contexte d’extrême resserrement ethno-régional
du pouvoir, en particulier de son appareil répressif95.
93
NGAYIMPENDA E., Op.cit., p.467
94
MANIRAKIZA M., Op.cit., p.129
95
NGAYIMPENDA E., Op.cit., pp. 46 3-464
37
Dans les premiers jours, du 30 avril au 4 mai, dans les provinces du nord, les arrestations
auraient touché des gens qui avaient déjà été identifiés par la Sûreté nationale tandis que dans
les jours suivants ce serait à l’administration de s’occuper du reste. Dorénavant, on a
commencé à utiliser des listes que les notables de collines avaient constituées sous l’ordre des
administratifs. « Ce sont les notables de collines qui emmenaient des listes », nous dit un des
administratifs communaux. Toute personne ayant un rôle à jouer dans l’administration
pouvait arrêter les victimes ; que ce soit le personnel provincial, que ce soit les commissaires
d’arrondissement, ainsi que le personnel communal : « Ils étaient arrêtés par les agents
communaux. Dans mon entourage c’était le personnel communal »97. Ils se faisaient aider par
des anciens soldats et les secrétaires communaux. Ils ne manquaient pas des gens pour les
ligoter, nous dit un habitant de Mekenke. N’étaient-ils pas aidés par les policiers
communaux ? Quand on t’intimait l’ordre de ligoter, tu exécutais sans demander pourquoi98.
Les administrateurs communaux pouvaient même envoyer les policiers communaux en leur
absence comme le témoigne un autre habitant de Mukenke : « On déléguait les plantons qui,
arrivés au domicile de la victime avec un message de se présenter à la commune mais, arrivés
là, on la liait avec des cordes»99.
A côté de cet acte de constituer des listes des personnes à arrêter, les notables des collines, les
chefs des secteurs ou les chefs des zones pouvaient pointer du doigt les personnes à arrêter.
Damien Ntahondi affirme qu’on aime dire que le chef de zone de Giteranyi Salvator
97
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
98
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
99
MIBURO Epitace, cultivateur, 62 ans, Kimeza, le 14 octobre 2015
38
Ndabambarire Alias Gakofero aurait joué un grand rôle en pointant du doigt les Hutu instruits
et aux commerçants hutu100.
Cela est aussi confirmé par un informateur de Buhinyuza qui ne connaît chez lui aucune
intervention des militaires, pas même un coup de fusil : « Ils étaient arrêtés par les autorités
administratives civiles. Nous n’avons vu aucun militaire ici. C’étaient le gouverneur et le
responsable provincial du parti, les deux… Pas même un coup de fusil sur la colline101 ».
Balthazar Bukuru, voisin de cet informateur que nous venons de citer, ajoute que ce sont ces
mêmes administratifs qui ordonnaient aux hommes et aux jeunes gens de barricader les routes
et les sentiers pendant la journée et de faire les rondes nocturnes après les événements du 29
avril : « puis on nous donna l’obligation de barricader les routes. Nous passions la nuit là en
nous chauffant au feu»102.
Le rôle capital de l’administration locale est également confirmé par les archives relatives aux
événements de 1972 où nous voyons justement les habitants de Busoni porter plaintes à
travers la pétition datant du 11 Août 1972 adressée au Premier ministre dont voici une partie
du contenu :« Les conseillers et les agents communaux en ont profité en tuant des gens
injustement à cause de leur aisance matérielle pour s’emparer de leurs richesses104 ».
Dans cette même province, une veuve de Murore évoque le nom du secrétaire communal qui,
selon elle, avait acquis une sorte de célébrité dans les tueries : « Le secrétaire communal
Gaëtan était méchant dans les tueries. Même maintenant, on s’extasie de lui»105.
100
NTAHONDI Damien, 66 ans, Bisiga, le 4 octobre 2015
101
Anonyme, 71 ans, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
102
BUKURU Balthazar, 61 ans, Kibimba, le 6 octobre 2015
103
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
104
Archives provinciales : La pétition est écrite en Kirundi, c’est nous qui faisons cette traduction. Vous
trouverez ce document en annexe.
105
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août
39
Enfin, dans les procès-verbaux de fin d’instruction, les magistrats instructeurs, dans leur
relation des faits, reviennent sur un rapport administratif rédigé au préalable par l’autorité
communale de Butihinda qui leur a permis de constater que le nommé Baruzanye, un Hutu de
Butihinda, présentait un comportement suspect, d’où on avait procédé à son arrestation. Mais
paradoxalement, dans les mêmes procès-verbaux, on se contredit en affirmant que Baruzanye
résidait à Mukenke, pour dire dans la commune Bwambarangwe. On ajoute encore que le
groupe de Baruzanye bénéficiait d’un soutien extérieur de Serukwavu, ex-commandant de la
gendarmerie « qui a été souvent aperçu par la population au domicile de Baruzanye »108. Ici,
on peut se demander pourquoi on n’a pas procéder à l’arrestation de Serukwavu, poursuivi par
la justice depuis 1965, alors qu’on le voyait souvent. Tout de même, dans cette note de fin
d’instruction, on décrit Baruzanye comme un Hutu, habitant de Butihinda. Mais, malgré qu’il
fût originaire de cette commune, à cette époque, il vivait à Mukenke où il travaillait en qualité
de technicien médical.
Ainsi donc, la justice aurait joué un rôle complémentaire à celui des administratifs comme le
relate un enseignant pensionné chef de la JRR à l’époque de la commune :
« La justice a joué un rôle parce qu’on nous disait qu’ils sont à Vumbi pour
leur constituer des procès-verbaux. On demandait aux victimes leurs noms,
quelque chose pour tromper l’opinion. On les accusait d’avoir tenu
illégalement des réunions pour tuer les Tutsi mais c’étaient des affirmations
106
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
107
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
108
Archives Nationales du Burundi, Note de fin d’inscription du 9 mai 1972
40
Comme on le voit cet informateur va à l’encontre de ce qu’on lit dans les procès-verbaux
cités ci-haut où on accusait les inculpés de tenir « des réunions en vue des massacres qui
élimineraient tous les Tutsi en province de Muyinga »110.
Dans les premiers jours surtout, les militaires pouvaient accompagner les administratifs au
moment où on arrêtait les enseignants et d’autres fonctionnaires sur leurs lieux de travail. Les
militaires venaient avec leurs véhicules ou camions, surnommé « Mafumafu ou Ngeringeri».
A Murore, nous dit la veuve Geneviève, on chargeait les victimes les unes au-dessus des
autres, les plus lourdes en dessous des plus légères, et après les avoir couvertes de hisse, les
militaires se plaçaient au-dessus d’elles, puis on les conduisait vers le chef-lieu de la
commune Vumbi112.
Le mot « militaire » revient toujours dans beaucoup de témoignages. En effet, pour les captifs
gardés dans le cachot de la commune Gasogwe, on adressait une lettre au lieutenant de
Muyinga pour venir avec le camion afin de les acheminer vers Muyinga113. Ici, on attendait la
nuit pour les exécuter, puis à la tombée de la nuit, ils étaient mis dans les camions dont le
chauffeur était accompagné par les militaires pour les déverser dans les fosses communes114.
Enfin, dans l’arrondissement de Kirundo, sur le « Pro-justitia-PV d’arrestation », on voit
109
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83 ans, Burara, le 11 octobre 2015
110
Archives Nationales du Burundi, doc. Cité
111
Archives Nationales du Burundi, Pro-justitia-PV d’arrestation
112
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015
113
BANCAKO Zacharie, brigadier à Gasogwe, 81 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
114
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
41
II. 1. 3. La JRR
Pierre Gallay écrivait dans La Croix du 31 mai : « La police est faite par des bandes
appartenant en principe à la jeunesse du parti (JRR), mais où il ya souvent de vrais bandits
qui n’ont d’autre but que de tuer et de piller »116. J.B. Karikurubu déjà cité, lui-même
appartenant à cette jeunesse, précise le rôle de la JRR en ces mots :
« Ce sont les JRR tutsi de 1972 qui tuaient parce qu’ils avaient un surnom
d’ "Indyamunyu". Moi j’étais un JRR. J’ai même été un chef de la JRR.
Mais après avoir entendu cela, je m’en suis retiré. On a commencé à
écarter les Hutu pour qu’ils ne découvrent pas leur secret. On les appelait
"Indyamunyu" parce qu’ils savaient tuer ou "Inshigwarimenetse". C’étaient
ceux-là qui allaient mobiliser les victimes »117.
Dans les régions à « dominance hutu » où les JRR étaient essentiellement des Hutu, ces
derniers n’ont pas hésité à exécuter les ordres des chefs des secteurs. Tel fut le cas dans la
commune de Gasorwe comme l’a vu un habitant de cette commune :
115
Vous verrez en annexe un exemplaire de ce document
116
Note de CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p.297
117
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015. Ici le mot
Indyamunyu signifie probablement invincible tandis que le mot Inshigwarimenetse signifierait audacieux. Le
sigle JRR pour signifie : Jeunesse Révolutionnaire Rwagasore. Mais, pour chercher des facilités en Kirundi, on le
met au pluriel ou au singulier d’où, par traduction nous écrivons les JRR.
118
GAHUNGU Youssouf, cultivateur de Gasogwe, 64 ans, Karira, le 9 octobre 2015
119
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo rescapé, 65 ans, Kabuye-Shororo,le 12 octobre 2015
42
« Ils passaient par ici (à son domicile) mais allant ailleurs. Les JRR à cette
période exécutaient. On leur disait "soulevez, mettez dedans (dans le
camion), si vous refusez, vous subissez le même sort". Alors que tu pouvais
ligoter ton semblable (Hutu) ciblé et après avoir accompli cet acte, l’autre
JRR venait pour te ligoter à ton tour et te mettait dans le camion »120.
De même‚ les biens des victimes arrêtées étaient chargés dans les véhicules par les membres
de la JRR. Ces derniers, eux-mêmes avaient acquis un certains pouvoir, s’ils ordonnaient de
ligoter les gens, il ne fallait plus hésiter ou demander des explications au risque d’être abattu.
On voit que l’exécution de ces ordres par les JRR hutu répond à un objectif selon les propos
de mes informateurs. C’est le besoin de sauver leur propre vie. Ainsi donc, dans ces
circonstances, le Hutu pouvait être plus virulent que le Tutsi. Car le refus d’un Hutu pouvait
provoquer son arrestation. Donc, pour sauver sa vie, il fallait le faire avec toute sa force121.
En effet, ceux qui ont accompli cet acte constituent une catégorie à part d’acteurs ayant
participé au sauvetage. Cependant, la crise de 1972 est présentée parfois comme étant un
événement spontané ayant surpris beaucoup de Burundais, voire incompréhensible ; c’est ce
que confirme notre informateur déjà cité :
« Ça n’était pas facile à connaître sauf pour quelqu’un qui avait été terrifié
et qui n’avait pas de bonnes relations avec les autorités administratives.
Ceux qui pouvaient le remarquer étaient moi et Abbé Martin Gakwavu
parce qu’on nous intimidait et nous constations qu’ils nous regardaient un
120
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
121
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
122
République du Burundi, Rapport de la commission nationale chargée d’étudier la question de l’unité
nationale, Bujumbura, 1989, p.95
43
Il arrivait même que d’autres croyaient en l’opinion selon laquelle les hommes arrêtés allaient
être jugés, ce qui provoquait une autre confusion pour beaucoup de Burundais. D’autres
encore disaient que les arrestations constituaient une rançon des crimes124 commis par les
Hutu. MIBURO Balthélémy, un habitant de l’ancienne zone de Giteranyi, souligne cette
incompréhension en ces mots :
« Ils étaient arrêtés pendant la nuit par les policiers et les militaires en
provenance de la commune. Puis, pendant la journée, on ne pouvait pas
constater que la rafle avait eu lieu. Tandis que ceux qui ne le comprenaient
pas concevaient qu’il fallait les laisser partir que c’est la rançon de leurs
crimes ».125
A cette période, il existait une opinion selon laquelle, certains Hutu auraient volé
l’argent de l’Etat126. Ceci s’ajoutait au fait, évoqué ci-haut, de tenir des réunions dans le
but de massacrer les Tutsi. Nos informateurs confirment que ces rumeurs étaient
répandues dans la province. Mais, ils disent en même temps qu’ils ont fini par découvrir
que c’étaient des prétextes, plutôt qu’il s’agissait d’une question « ethnique ».
Ce sont ces quiproquos qui empêchèrent l’une ou l’autre « des victimes potentielles » de
s’évader étant donné que les bourreaux avaient inventé un système consistant à culpabiliser
les victimes en les dénommant « des Bamenja » qui vient du verbe kumenja qui signifie se
révolter contre son roi, se rendre coupable d’un crime de lèse-majesté127. Donc, le mot
«umumenja » signifie révolté ou rebelle ; il peut également signifier régicide. En fait, c’est
plus simple dans la tradition burundaise que de telles personnes soient mises à mort. Peut-être
que les administratifs étaient les seuls détenteurs de ce secret que ces prévenus ne
reviendraient plus.
123
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
124
Ici, les rumeurs circulaient que les Hutu arrêtés sont ceux qui ont spolié l’argent de l’Etat ou ceux qui
tenaient des réunions ayant le but de massacrer les Tutsi, ce qui auraient légitimé les arrestations et les
exécutions aux yeux de la population.
125
MIBURO Barthélémy, Mika, le 30/8/2015
126
Anonyme, Ntega, le 30/1/2016
127
RODEGEM, F-M, Op. Cit., p. 557
44
Paradoxalement, ce sont ces mêmes administratifs seuls qui étaient aptes à accomplir cet acte
de sauvetage. Celui-ci était fonction de la personnalité de l’administratif sauveteur ou des
liens particuliers que ce dernier avait entretenus avec l’homme cible d’arrestation.
En d’autres termes, il fallait qu’il y ait une sorte de motivation surtout que c’était un acte à
risque. Gérard Rugambarara, à l’époque comptable de la commune Busoni raconte son
aventure pendant la crise :
« On m’a envoyé à Gitobe pour arrêter les Hutu. Je n’ai amené personne.
En partant, j’étais avec un chauffeur rwandais nommé Nkusi. A mon retour,
je leur ai dit que je n’ai trouvé personne sauf un vieillard qui s’appelle
Ntahondi. Ils m’ont demandé pourquoi je n’avais pas amené celui-là.
C’était vraiment grave. Moi-même j’ai immédiatement quitté cet endroit
parce qu’ils pouvaient me tuer. Imaginez-vous si quelqu’un vous dit que cet
homme n’était pas destiné à être domestiqué ("n’ubundi ntiyari uwo
gutunga") mais qu’il était voué à la mort ("yari uwo kwicwa") ! C’est
Ndabaneze qui me l’a dit»128.
D’autres cas semblables aux précédents sont évoqués par nos informateurs dans la même
commune de Busoni. Ils ont retenu certains noms comme celui d’un Ganwa Salvator Rwasa
mais à cette époque considéré comme Tutsi : « Sauf un Tutsi Salvator Rwasa qui avait un bon
cœur ; il donnait conseils à ses compères de ne pas tuer. Il y mettait de l’humanisme»129. Cet
enseignant lui-même le reconnaît ainsi, mais nous explique combien cet acte était risquant :
Un autre cas pareil a été repéré dans la zone de Rugari administrée par Simon Nyabirungu qui
menaça le gouverneur de démissionner au moment où le petit peuple commençait à être
arrêté. Ce chef de zone lui-même le témoigne de la manière suivante:
128
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015.
Ndabaneze était le commandant de la brigade de Kirundo.
129
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015
130
RWASA Salvator, ancien chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
45
Ce chef de zone revenait chaque fois dans la bouche de plusieurs informateurs de cette région.
Polycarpe Matinti déjà cité connaît deux personnes sauvées par cet administratif. La première
était un enseignant à qui Nyabirungu aurait créé une occasion de s’enfuir. Le second était un
infirmier de Kinazi : le même responsable l’aurait défendu devant ceux qui le rejoignaient au
lieu de son travail pour l’arrêter. Tels sont quelques cas connus d’autres restent inconnus,
précise notre informateur132. Aussi, un jeune garçon de 11 ans à cette époque qui avait
accompagné son père convoqué au chef-lieu de la zone nous fait un témoignage semblable :
Pour sauver tous ces gens, Nyabirungu avait exploité son autorité car il se montrait
responsable devant ses supérieurs ou ses compères. En d’autres mots, il était bien écouté.
Voici un exemple de mots qu’il employait pour défendre certaines gens : « Mais par exemple
celui-ci n’est pas coupable. Vraiment celui-ci je le connais, il n’est pas coupable. Non… 134».
En fait, c’étaient des mots pouvant susciter des sentiments de pitié chez les bourreaux : « En
vérité, cet homme est un innocent, je le connais moi-même. Il n’en sait rien du tout135 ».
131
NYABIRUNGU Simon, ancien chef de zone de Rugari, 80 ans, Rugari, le 8 octobre 2015
132
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
133
KAJABWAMI Valentin, enfant d’un père rescapé, 54 ans, le 7 octobre 2015
134
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
135
Idem
46
A côté de cette motivation liée à la bonté et à l’humanisme, on décèle d’autres mobiles liés à
quelque chose d’autre pouvant avoir préalablement tissé des liens entre le bourreau et la
victime. Simon Ndururutse, un ancien boy de Kirundo abonde dans ce sens :
Enfin de compte, le même administratif pouvait prendre les deux faces à la fois : sauveteur et
bourreau ; tout dépendait des liens que celui-ci entretenait avec la personne qu’on allait
arrêter. Tel fut le cas de Simon Bimonogoje, administrateur de la commune Gasorwe, qui
changeait comme un caméléon. Il sauvait quiconque il voulait et laissait mourir celui qu’il ne
voulait pas137. Mais d’une façon globale, que ce soit le notable de colline, que ce soit le chef
de zone ou n’importe qui ayant une certaine responsabilité dans l’administration, il pouvait
dire « non » devant une arrestation éventuelle.
136
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015
137
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
47
En second lieu, l’arrestation massive par malhonnêteté pour les instituteurs surtout. Cela
faisait longtemps sans que les fonctionnaires de l’Etat ne percevaient pas leurs salaires. On en
a profité en les trompant que leur argent était disponible. Voici ce que raconte un témoin
oculaire de cette arrestation :
« Ce jour-là est venu un véhicule sur lequel était écrit "Amini Mungu" et ceux
qui étaient dans ce véhicule ont dit aux enseignants de Muramba,"souvenez-
vous qu’il y a plusieurs mois sans salaires, mais pour le moment Dieu vient de
vous faire grâce. Nous venons pour vous transporter parce que du fait que
vous aurez beaucoup d’argent, y aller à pied ou à vélo, c’est s’exposer aux
bandits qui peuvent vous voler ou vous tuer.
138
KAVAKURE Laurent, Op.cit., p.75
139
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
140
CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p.139
48
Pour cette raison, nous vous permettons un déplacement d’aller et retour ". Ils
sont partis en dansant mais personne n’est revenu »141.
Ce fut un cas pareil dans la commune de Muyinga où après les avoir appelés au chef-lieu de la
province pour récupérer leur argent, juste à leur arrivée à la porte, on leur signala l’existence
d’un problème à régler qu’il fallait attendre toujours étant au travail. Au moment où ils
retournaient au travail, une veuve enseignante de Muyinga affirme avoir vu de ses propres
yeux des véhicules qui les poursuivaient pour arrêter les leurs y compris son mari142.
En troisième lieu, on a des arrestations par barrières dressées sur les axes principaux, les
routes d’intérêt secondaire voire différents sentiers sillonnant les paysages dans les
communes. Pour ce cas-ci, on parlait de « vigilances » pour désigner les rondes nocturnes
auxquelles étaient soumis tous les hommes et jeunes hommes pour arrêter ceux qui pouvaient
fuir. Il devenait très difficile de fuir étant donné que partout on avait dressé des barrières. Cela
signifie que partout où on pouvait trouver un passage mêmes les simples sentiers étaient
barrés et les gens passaient toute la nuit sur ces barrières143. Ainsi donc, pour quitter une
province à une autre ou une commune à une autre, on exigeait des laissez-passer livrés par le
gouverneur de province.
Là encore, des gens en « vigilance » eux-mêmes ont été arrêtés sur ces barrières. En effet, au
moment des contrôles, les administratifs sélectionnaient parmi ces gens. Il suffisait que
quelqu’un vous calomnie pour être arrêté sur place. Selon les propos de notre informateur de
Gasorwe déjà cité, la barrière aurait constitué un pur et simple moyen d’arrestation :
« En faisant les rondes de nuit en 1972 et en 1973, nous avions des lieux de
rencontre et étions plus nombreux avec des massues. Mais là en étant même
JRR, ils venaient en disant qu’ils ont besoin de tel et celui-ci était arrêté sur
place»144.
141
BUKURU Balthazar, 61 ans, Kibimba, le 6 octobre 2015
142
MUNYANGARI Marie-Madeleine, veuve enseignante à Muyinga, Rugerero, le 8 octobre 2015
143
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015
144
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
49
A propos de ces barrières, on prétendait qu’elles servaient à capturer les rebelles145. Ce que
nient certains de ceux qui ont participé à la vigilance et qui ont fini par découvrir que c’était
un moyen d’arrêter les fugitifs selon les propos de l’informateur de Nyarunazi déjà cité. Lui-
même, dans les premiers jours, il ne comprenait par le sens des événements:
Après l’attaque du 13 mai 1973, certaines gens ont été arrêtés pendant les activités de
défrichage de la brousse de Murehe effectuées par les militaires, les administratifs et les civils
conjointement. Ceux-ci ont été abattus sur place, on le verra dans le dernier chapitre. D’autres
ruses ont été utilisées pour arrêter les victimes. Les administratifs envoyaient les policiers
avec des convocations sous formes d’invitations que ces derniers donnaient aux victimes en
leur disant qu’il fallait se présenter chez l’administrateur. Sans lire le message, pour ne pas
salir la feuille, la victime plaçait ce papier sur ce qu’on appelle en Kirundi « inengo » (petit
bois qui pince le nez) et se présentait librement au bureau commune mais ne revenait
plus147.Une autre ruse se voit à partir de cette anecdote que raconte Youssouf Gahungu déjà
cité:
Dans quelques communes de la province de Muyinga, des filles intellectuelles ont aussi été
appréhendées. Tel fut le cas dans la commune Muyange-Gashoho où une enseignante de
Gisanze alors qu’elle rentrait chez elle venant d’une messe dominicale matinale. Elles étaient
au nombre de quatre : une enseignante Marie Ndabarushimana, une surveillante à l’école
ménagère de Gisanze, Matride Gisimbo et une directrice du nom de Béatrice Nahimana. Mais
145
Dans la plupart des communes de cette province, on employait le mot diminutif d’uturoberi pour montrer
qu’ils n’avaient pas de force. Dans la commune Gasorwe, on parlait aussi de Twamujeri pour dire : petits chiens
malingres.
146
Anonyme, 71 ans, Nyarunazi, le 6 octobre, 2015
147
Focus group, Burara, le 3 février 2016
148
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
50
celles-ci ont été relâchées après une nuit de cachot passées à Muyinga149. Un cas semblable a
été évoqué à Ntega où, un certain jour, on procédait à l’arrestation de tous, les filles et les
femmes comprises. Notre informateur énumère quelques noms retenus des
enseignantes tuées: « Angèle, Cécile, Ningeza Geneviève, Nyabenda Thérèse,…»150. De
même, une veuve de Murore, Geneviève Nyawakira, enceinte à cette époque, fut arrêtée trois
jours successifs et torturée : « Moi-même j’ai été emmenée à Rusarasi trois fois successives
pour être tuée. On m’emmenait et me retournait puisque j’étais enceinte et les jours de
l’accouchement étaient proches »151.
Quelques Tutsi ont aussi été victimes de ces arrestations. On les arrêtait parfois parce qu’on
pouvait se tromper sur leur taille. Pour cette scène, on a retenu un nom de Michel, enseignant
de Murore mais qui, par après a été libéré parce que un de ses bourreaux l’avait défendu qu’il
s’agissait d’une erreur due à sa taille puis, on est revenu avec lui152. Un autre cas eut lieu le
jour où on arrêta un notable de la colline Gisozi qui avait épousé une fille d’un Tutsi, son
beau-père tutsi réclama d’aller ensemble avec son beau-fils parce que ayant été trompé qu’il
s’agissait d’une simple participation à une réunion. Mais les Tutsi présents sur cet endroit qui
savaient qu’il ne s’agissait pas d’une réunion lui avaient fait un clin d’œil : « Laisse-le partir
seul parce que cela ne te concerne pas ». Et lui de répliquer : « Celui-ci ne connaît rien que
moi je ne connais pas ». Les Tutsi se sont dit que s’ils continuaient à insister d’autres Hutu
pourraient se révolter et ils le laissèrent partir153. A ce moment, le camion était plein de
captifs. Pour trouver une place de ce Tutsi, on a été obligé de faire sortir du camion un
Hutu comme le témoigne lui-même : « Arrivés à Nkomane, on m’a fait sortir mais avec des
coups de frappe de fusil dont voici les cicatrices (il expose sa poitrine) »154.
Des véhicules avaient été disponibilisés pour cet effet. Laurent Kavakure déjà cité les appelle
« des camions de la mort ». A Gasorwe, ils auraient été surnommés « Baramuntumye » pour
dire que chaque fois qu’il venait, il devait charger au moins un. Dans toutes les communes de
la province, l’administration avait saisi des véhicules des commerçants. Seuls les militaires
utilisaient des camions appartenant à l’Etat.
149
Ces quatre filles de Gisanze n’ont pas été tuées. Dans toute la province de Muyinga, la seule commune qui a
fait exception est celle de Ntega où les filles arrêtées ont été exécutées.
150
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre, 2015
151
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015
152
Idem
153
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015. Ici, les Tutsi ont évité de
dévoiler que ces Hutu chargés dans le camion, au lieu de participer dans une réunion, allaient mourir. C’est
pourquoi ils ont préféré de sacrifier ce Tutsi qui réclamait de monter dans le camion.
154
Focus group, Burara, le 3 février 2016
51
Vers la fin des événements, même un « petit mot » pouvait provoquer une arrestation en
l’occurrence pour les veuves et les descendants des « Bamenja » car ceux qui avaient saisi les
biens des victimes pensaient toujours à une éventuelle poursuite judiciaire. Tharcisse
Mbonabuca, un habitant de Mukenke, se souvient du nommé Pascal Nsabimana arrêté étant
seul alors que d’autres l’étaient en masse aux environs de 10 ou de 15. Celui-ci fut victime
des paroles prononcées par sa mère, veuve d’un mari ayant mis son capital ensemble avec
Ngabonziza, le comptable de la commune Bwambarangwe pour faire le commerce de
cabaret. La mère de Nsabimana revendiqua la part de son mari décédé au cours de la crise et
le comptable de lui dire « Qu’avons-nous en commun avec ce régicide ? ». En colère, la
femme répliqua que son fils se vengerait de ce comptable mujiji parce que son fils lui aussi
était mujiji. C’est après avoir entendu ces mots qu’on se précipita à arrêter ce jeune homme
alors que ce comptable était un Hutu qui s’était assimilé aux Tutsi156 par la pratique
d’« ukwihutura » c’est-à-dire une façon de changer son identité « ethnique », de Hutu en
Tutsi.
Nous clorons ce point en signalant que la manière dont les victimes étaient déplacées de leur
lieu de capture vers la commune, d’une commune à une autre ou à la province pouvait
constituer un des moyens d’exécution.
155
Tanzanien provenant de la tribu des Haya ou Bahaya
156
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
52
« En les ligotant, on les liait les pieds puis les bras et on jetait dans le
véhicule. Nous avons remarqué qu’il ne s’agit plus d’une enquête mais
qu’on les avait déjà tués. Il y en a qui ont même claqué parce que tellement
serrés par les cordes »157.
Partout dans la province de Muyinga, on avait adopté cette pratique. Des fois, comme ce fut
dans la commune de Kirundo et de Busoni, on les emballait dans les sacs pour les acheminer
vers certains chefs-lieux des communes. Peut-être que c’est pour cette raison qu’on les
appelait « Twamagunira » pour faire allusion à cette pratique d’emballage.
En effet, tous les détenus de différentes communes étaient rassemblés dans trois communes :
Muyinga, Vumbi et Buhinyuza. Mais ceci ne signifie pas que tout détenu était enfermé dans le
cachot de sa commune, loin de là, plutôt il existait une sorte de transfert ou d’échange des
captifs.
Au passage des véhicules, on entendait des hurlements et pour ceux qui avaient eu des
claquages, le sang laissait des traces sur la route159. Donc, le transport lui-même pouvait
constituer un autre mode d’exécution selon le commentaire de notre informateur de Busoni :
157
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
158
Anonyme, 71 ans, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
159
KARIKURUBU Jean Berchmans, agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
53
Puis encore, on les couvrait avec une hisse étant encore vivants et les
militaires se plaçaient au-dessus d’eux. Ils mouraient en cours de route.
C’est ce qui s’est passé que j’ai vu de mes propres yeux, ce n’est pas ce
qu’on m’a raconté»160.
Parmi ceux-ci, les uns étaient abattus à coup de massue à Vumbi, d’autres acheminés à
Buhinyuza. Il est rapporté qu’à Vumbi existait un endroit qu’on pourrait considérer comme un
« abattoir ». En effet, à cet endroit, le sang s’était accumulé jusqu’à se transformer en « sang
stagnant ». Pour entrer dans le bureau communal, on y avait placé dessus un plancher (sous
forme de pont)161. D’autres étaient tués à coup de marteau. Un rescapé qui aurait vu ce genre
d’exécution a eu des troubles mentaux selon les propos de Tharcisse Mbonabuca :
D’autres ont été tués à la baïonnette comme ceux qui arrivaient à Muyinga (Mukoni) étant
encore en vie. On attendait le soir vers 21h pour les faire sortir du cachot de Mukoni et on les
faisait coucher dos contre la terre. Puis, un militaire poignardait au niveau du cœur à partir de
la gauche, l’autre de la droite et se rencontraient au milieu163. Ainsi tous étaient mis à mort.
D’une façon générale, peu de victimes ont été abattues par fusillade mais il est rapporté qu’on
pouvait faire recours aux balles en cas de fuite ou de tentative de fuite. Nos informateurs qui
vivaient au voisinage de la commune Vumbi ont confirmé qu’ils entendaient quelques fois des
coups de fusil. Ce refus de fusiller les gens aurait constitué aussi un autre moyen stratégique
de ne pas éveiller les esprits pour stimuler les Hutu à fuir. Quelques cas de fusillades se sont
produits au milieu de marées de gens dans les marchés de Mukenke et de Muyinga.
160
MUKEZANGANGO Pascal, cultivateur et petit commerçant, 64 ans, Murore, le 12 octobre 2015
161
Idem
162
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
163
BANCAKO Zacharie, brigadien à Gasogwe, 81 ans, Masasu, le 9 octobre 20115
54
Le docteur Bonnet coopérant à Kinazi cité par J.P. Chrétien et J.F. Dupaquier rapporte
l’histoire suivante :
A Muyinga, le comptable communal a été fusillé au milieu du marché ; le corps a été soulevé
par les prisonniers et jeté dans un buisson de Mukoni. Dans cette même commune, J.B.
Karikurubu fut témoin d’une autre fusillade au milieu du même marché faite par le
commissaire Barthélémy :
164
Entretien avec le Dr Bonnet, Bujumbura, juin 1972 cité par CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p.201.
Ici, même si ces auteurs parlent de l’adolescent, c’est la façon de dire qu’il était encore plus jeune, sinon c’était
ce jeune homme qui était l’adjoint de l’administrateur communal. C’est celui-ci qui a abattu cette personne qui
disait qu’on tuait beaucoup de gens.
165
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
55
D’autres ont été tués par piétinements dans les camions. Modeste Ruzovahandi témoigne un
cas d’un enseignant de Ntega qui tentait de sauter du camion et qui, après avoir été rattrapé,
fut ligoté et piétiné par les militaires. A son arrivée à Muyinga, il avait claqué166. Certains
mouraient même à l’intérieur du cachot comme le témoigne Expert Karorero, rescapé de
Buhinyuza qui, arrêté et ligoté, fut jeté dans les corps des gens morts à l’intérieur du cachot de
Buhinyuza167.
Les habitants de Giteranyi racontent ce qui concerne la fosse commune de Nzove à quelques
3 à 4 km du lac Rweru. Un certain dimanche, toute la zone de Giteranyi a été mobilisée pour
creuser les deux fosses séparées l’une de l’autre de quelques centaines de mètres. Puis,
pendant la nuit, ils entendaient des bruits des véhicules allant vers ces fosses, parfois même
des coups de fusil. Après quelques jours, le commissaire d’arrondissement Rwantabana mit en
place une interdiction de visiter cet endroit en ces termes :
« Quiconque voudra connaître ce que nous avons mis dans cette fosse ou ce
que nous y avons fait, il faudra venir nous demander. Sinon nous fixons une
interdiction de ne pas s’y rendre, celui que vous verrez, il faudra nous
l’envoyer »169.
C’était en pleine brousse. Mais, après le feu de brousse, en cachette, les chasseurs de cette
région ont pu constater que les fosses creusées avaient été remplies et couvertes de terre. Mais
après l’occupation de ces terres par des gens en provenance de Kayanza au cours des années
1980 qui ont défriché ces brousses, pour le moment les fosses se localisent au milieu des
champs de cultures. Ce qui peut laisser croire l’existence des fosses, c’est la forme un peu
concave à l’endroit où se localisent les fosses. D’autres corps étaient jetés dans le buisson de
Nyarutongo sur la colline de Mika où jusque dans les années 1980, on pouvait retrouver des
crânes qui trimbalaient là170.
166
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
167
KARORERO Expert, Muramba, 60 ans, 25 août 2015
168
Voir aussi les photos en annexes
169
Anonyme, Nzove, le 5 octobre 2015
170
NIYIBIMENYA Louis-Marie, Muyinga le 25 août 2015
56
Dans ce même arrondissement de Kirundo, la deuxième fosse commune se localise tout près
des bâtiments communaux de Vumbi derrière l’ancienne prison qui, actuellement, a été
renouvelée et transformée en une « maison pour la réconciliation des Burundais »171. A cet
endroit, il existe deux fosses séparées l’une de l’autre par une dizaine de mètres. Dans ces
fosses, on y aurait déversé beaucoup de corps humains parce que les témoignages récoltés
dans toutes les communes qui constituaient l’arrondissement de Kirundo ont confirmé
qu’après les avoir rassemblés dans leurs communes respectives, leur destination était
immédiatement Vumbi. C’est là qu’ils ont été tués et on les a enterrés dans ces fosses derrière
la prison actuellement couverte d’eucalyptus. Voici ce que dit Simon Ndururutse à propos de
ces fosses :
Sur le nombre de ces fosses communes, nos informateurs ne sont pas unanimes. Les uns
parlaient de 2 fosses, d’autres de 8 fosses et d’autres encore de 14 fosses. Mais, ici, force est
de constater que la plupart des victimes de Kirundo auraient été déversées dans les fosses
communes de Vumbi, ce qui peut signifier que le nombre de ces fosses doit forcément être
supérieur à deux. Aussi en témoigne l’expression « Bamutwaye i Vumbi » répandu dans toute
la région de Kirundo.
Un des chefs de secteurs dans la commune Vumbi nous a informés que dans les premiers
jours, un certain nombre de victimes étaient transportées vers Gitega après avoir subi une
sorte d’interrogatoire. Mais ceci n’a pas duré longtemps ; peut-être que Gitega était plein de
cadavres. Ainsi les bourreaux de Gitega auraient demandé à ceux de Kirundo si dans cette
région n’y avait pas de cimetière173.
171
Sur ce bâtiment est écrit : « IKIGO CO KUNYWANISHA ABANYAGIHUGU»
172
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015
173
NIVYABANDI Joseph, ancien chef de secteur en commune Vumbi, 85 ans, Gasura, le 12 octobre 2015
57
D’autres auraient été acheminés à Ngozi car parmi les notes de fin d’instruction trouvées dans
les Archives Nationales, il y en a qui a été signé à Ngozi alors que tous les prévenus étaient
originaires de Muyinga174.
Une autre localisation des massacres se situe dans la commune Busoni vers la frontière
rwandaise175. Les habitants de cette localité et ceux qui s’y sont rendus au moment des
activités de défrichement de la brousse de Murehe après l’attaque de 1973 rapportent qu’il
existe plusieurs fosses. D’abord, les premiers corps ont été déversés dans la petite vallée de
Rugando dans une fosse creusée par l’eau de ruissellement. Dans cette vallée, pendant les
périodes de pluies, l’eau courante déterrait les os qu’elle déplaçait vers les bas-fonds des
collines. Des corps, surtout ceux des gens originaires de Kayanza (on y reviendra dans le
dernier chapitre) ainsi que d’autres, rassemblés pour aller défricher les buissons de Murehe,
après l’attaque de 1973 mais qui, à leur tour, ont été tués, ont été jetés là. Ces fosses avaient
été creusées par une entreprise d’un Blanc reconnu sous le surnom de Kigubire qui exploitait
le gisement de cassitérite de Murehe. Voici ce qu’a vu Epitace Miburo au moment du
défrichage : « Je m’y suis rendu pour défricher la brousse de Murehe. Nous trouvions des
corps des enseignants avec les montres sur les bras. C’était à peu près 8 fosses »176. Dans
cette même commune, à Gisenyi, se trouve une autre fosse commune dans laquelle on a
enterré 46 rebelles tués au moment de l’attaque de mai 1973.
Dans cette même province, une autre fosse est située au chef-lieu de la province, précisément
à Mukoni. Celle-ci avait été creusée tout près d’un cimetière à l’époque. Mais petit à petit, on
a agrandi le cimetière, donc pour le moment c’est en plein cimetière et aucune trace ne peut
prouver l’existence d’une fosse. Beaucoup d’autres témoignages relatent l’existence de cette
fosse. A Rugari, un chauffeur du camion qui déversait les corps dans cette fosse l’aurait
raconté à ses amis de cette région. Du reste, d’autres corps ont été acheminés vers la rivière
Ruvubu qui avant d’entrer en Tanzanie passe à la frontière de la commune Buhinyuza. Ici, on
a retenu l’abbé Martin Segakwavu, Recteur du Petit Séminaire de Muyinga, tué avec 100
autres victimes177.
174
Les magistrats instructeurs étaient du Parquet de Ngozi : Déogratias Ntavyo et Fidèle Ntirushwa. Parfois, il
mentionnait « fait à Muyinga ou fait à Ngozi »
175
Ici c’est sur la colline de Gatete que se situe la brousse de Murehe et la petite vallée de Rugando.
176
MIBURO Epitace, cultivateur, 62 ans, Kimeza, le 14 octobre 2015
177
NENO Contran, MCCJ, N’abo barabarasa ! Abihebey’Imana 58 mu Burundi barishwe : Abapatiri, Abafrera,
Ababikira, Nairobi, Paulines Publications Africa, 1996, pp. 15-23
58
Enfin, d’autres fosses dans l’arrondissement de Muyinga sont situées dans l’ancienne
commune de Buhinyuza. L’une à quelques mètres des bâtiments de la commune, derrière
l’ancien cachot. On les amenait dans ce cachot pour montrer ou signifier qu’ils étaient
emprisonnés mais à un certain moment comme le soir, on les tuait et les déversait dans cette
fosse178. A la différence des autres fosses, il est remarquable que celle-ci fût cimentée puisque
même actuellement, on retrouve des blocs. Dans cette même commune, dans le Parc National
de la Ruvubu, dans la partie faisant partie de l’actuelle commune de Mwakiro, à côté de la
colline Rurtyazo, se trouvent deux fosses communes de formes rectangulaires parallèles
d’environ 7m sur 1m chacune.
178
BUKURU Balthazar, 61 ans, Kibimba, le 6 octobre 2015
59
Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
60
Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
61
Source : Nous-Même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
62
Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
63
Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
64
Source : Nous-même (réalisée à partir de la carte des limites administratives établies par
l’IGEBU, service cartographique)
65
Il est rapporté aussi que ceux qui avaient pourchassé les Hutu dans le seul objectif de les
dépouiller de leur argent ou qui les avaient obligés de signer des chèques en blanc cherchaient
toujours à les faire disparaître pour vider leurs comptes en banque. En même temps, les Hutu
qui avaient échappé à ces massacres ne pouvaient plus aller récupérer leur argent. J.B.
Karikurubu, agronome de la commune Butihinda déjà cité, fut accusé d’avoir déserté le travail
depuis le mois de mai alors qu’il avait remis son rapport mensuel de ce mois.
A côté de l’argent des fonctionnaires de l’Etat, tout autre objet jugé « de valeur » a été saisi au
cours des événements. Ils entraient dans la maison d’une veuve pour prendre : frigos, radios,
armoires,…Il s’agissait d’une compétition, le plus rapide prenait l’objet le plus valeureux
tandis la veuve gardait silence pour au moins sauver sa vie180. Même un étranger pouvait être
victime de la crise et on pouvait saisir ses biens au cas où sa morphorgie le rapprochait plus
des Hutu. Tel fut le cas d’un Tanzanien haya du nom d’Apollinaire dont le véhicule saisi
servait au transport des détenus.
179
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre, 2015
180
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
66
Presque toute sorte de biens ont été saisis jusqu’aux biens immobiliers comme les propriétés
foncières181 et les maisons. Une veuve, Modeste Ruzovahandi, qui travaillait à Muyinga à
cette époque, nous dit qu’elle a été forcée de vendre ses biens à des prix non insignifiants par
rapport à la valeur connue. C’était un autre moyen de saisir les biens car les « acheteurs »
s’improvisaient chez le « vendeur », choisissaient des biens dont ils avaient besoin et
imposaient eux-mêmes le prix.
Il n’y avait pas de secret puisque le Premier ministre, secrétaire exécutif du parti et ministre
de l’Intérieur Albin Nyamoya reconnaît l’existence des objets qui ont été saisis au cours des
événements. Dans sa correspondance adressée au gouverneur de Muyinga dont l’objet est
«Objets saisis au cours des événements» datant du 12 août, il ordonne aux administratifs de
procéder à la remise de ces objets. Voici un extrait de cette lettre :
Cette lettre qui suivait une autre du 31 juillet et complétée par celle du 30 septembre rappelait
de respecter le délai de cette remise. La lettre du 12 août faisait suite à une pétition des
habitants de Busoni datant du 11 du même mois dénonçant les abus des autorités
administratives « qui tuent injustement des innocents pour avoir l’occasion de saisir leur
biens »183.
181
Jusqu’actuellement la question des propriétés foncières n’a pas été complètement résolue dans la
commune de Busoni. Il existe toujours des propriétés qui font objet de litiges même au sein de la CNTB. On y
reviendra dans le dernier chapitre.
182 o
Archives provinciales de Muyinga : Lettre n 530/184 du 30 juillet 1972. C’est l’auteur de la lettre qui
souligne.
183
Archives provinciales de Muyinga : Pétition des habitants de Busoni du 11 août 1972
67
Voici quelques listes des biens dressées de quelques communes en réponse à la lettre du
Premier ministre :
184 o
Archives provinciales de Muyinga : Lettre n 531.612/217/1972
185
Archives provinciales de Muyinga : Lettre de substitution des biens saisis du 25 octobre 1972
68
RUVUMBAGU 1 bar
NDUMBAGU Joseph 1 bar+1 machine à coudre
RWASA Ildéphonse 1 boutique
BARINAMENYO Sévérin 1 bar
NSEKAMBABAYE Joseph 1 magasin+13 vaches
KARUHIJE 1 bar+6 vaches
BUKURU Papias 1 bar
BUNYAKAMWE Nicodème 2 vaches
KARENZO-BUHOMA 1 machine à coudre
NTAKAMURENGA 1 vache
MACUMI Léopold 2 vaches
MUNYENTAMA Mathieu 1 vache
MUSORO Paul 1 bar
SENDEGEYA Louis 1 bar
69
186
Archives provinciales de Muyinga : Liste des bénéficiaires des biens saisis
70
Toutefois, même si les tableaux ci-haut sont intitulés « substitution des biens saisis », aucun
informateur ne reconnaît un cas des biens mobiliers qui auraient été restitués à cette période
surtout que même la lettre du Premier ministre contenait une sorte de contradiction interdisant
la remise des véhicules.
A côté de ces biens qui ont été pillés par pure et simple saisie, les veuves ont été forcées de
« vendre » leurs biens comme les maisons à des prix très réduits fixés par « ces acheteurs ».
Un habitant de l’arrondissement de Kirundo assimilé cet acte à un autre réciproque qui eut
lieu dans la commune Giteranyi à l’époque de Ntidendereza. Celui-ci forçait les habitants de
cette région à acheter de la viande qu’il vendait contre le café. Voici ce qu’il dit :
« Après quelques jours, les veuves se sont vues forcées de vendre leurs
maisons. Une maison ayant une valeur de 20.000F, on l’achetait à 8.000F
ou à 10.000F. Il n’existe plus une entente pour vendre sa maison (.. .). Les
acheteurs reçoivent des documents en provenance de Ngozi qu’on qualifie
de "Contrat de vente" »187.
Dans cet arrondissement de Kirundo, dans la région de Busoni en particulier, des situations
semblables à la précédente sont évoquées. La situation qui précède la crise fut caractérisée par
de nombreux abus. Les administratifs locaux pouvaient faire payer des amendes aux
commerçants mais sans justifier pourquoi. Les percepteurs d’impôts rassemblaient de l’argent
sans donner des papiers justificatifs.
187
NDONGOZI Y’UBURUNDI no 21, 15 octobre 1974, p.8 : Cette personne du nom de Ndabirorere intervievée à
cette période n’évoque pas des cas des acquéreurs de bonne fois mais peut-être qu’il en existe.
71
De par toutes ces injustices, les habitants de cette région, enfants et adultes, ont changé même
leur salutation. Arrivé là, on vous dit qu’au lieu de les saluer : « Ayez la paix », il faut leur
dire : « L’injustice »188.
Selon J.P. Chrétien et J.F. Du paquier dans leur ouvrage déjà cité, dans la province de
Muyinga, environ 80% des enseignants ont été tués. Parmi le personnel de santé (techniciens
médicaux, assistants sanitaires, infirmiers et aide infirmiers), on compte 23 « disparus » sur un
effectif total de 54 personnes dans cette province190. Un jeune garçon de la commune
Gasorwe qui venait d’abandonner l’école primaire nous dit que tous ses enseignants ont été
tués sauf un seul Hutu qui s’appelle Bwengebuke191. Il ajoute que tous les enseignants de
l’école officielle de Kiremba ont été tués excepté les femmes. Quant au jeune homme Simon
Ndururutse de Vumbi, déjà cité, il témoigne que sa famille a perdu 25 personnes qui
semblaient les plus valeureuses : un prêtre, 2 commerçants (dont l’un s’est électrifié après
avoir vu ce carnage), un frère du prêtre avec son oncle, d’autres étaient des enseignants.
Jusqu’ici, nous pouvons conclure que certaines familles ont perdu un grand nombre de leurs
membres comme nous le montre le témoignage de Simon Ntamwana, grand séminariste
originaire de Mukenke qui était en Europe à cette période dont la famille a perdu 54
individus :
188
Idem
189
NGAYIMPENDA. E., Op.cit., p.483
190
CHRETIEN, J.P. et DUPAQUIER, J.F., Op.cit., p.193
191
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
72
« (Silence). Vers le 15 mai de cette année, j’ai reçu une lettre de mon curé
de Mukenke. Une liste de 54 personnes de ma famille qui avaient été tués. Je
n’en revenais pas. Mon père, mon petit frère Michel, des oncles, des tantes,
presque tous ceux qui savaient lire et écrire. A ce moment-là, nous étions
une famille assez intellectuelle. Ce sont 54 personnes qui ont disparu. En 15
jours… »192.
Quant à l’Eglise catholique du Burundi, 25 consacrés, frères et prêtres ont été massacrés dont
4 du diocèse de Muyinga193 : Martin Gakwavu, Recteur du Petit Séminaire de Muyinga, le 15
août 1972 ; Paul Ntirampeba de la paroisse de Gisanze tué le même jour que le précédent ;
Protais Ruhaya de la paroisse de Gisanze arrêté le 29 mai; frère Jean Bosco Ngendakumana
de Scheppers à l’école pédagogique de Rugari ; Frère Joseph Muke de Scheppers de l’école
pédagogique de Rugari, le 13 mai 1972.
192
KABURAHE, A. et NTAMWANA, S., Soyons les serviteurs de la vie, Bruxelles, Le Roseau Vert, 2005, p. 54
193
NENO Contran, MCCJ, Op.Cit., pp 15-23
73
Le tableau ci-haut illustre la gravité de la crise dans la zone de Rugari. Ce tableau comporte
des victimes qui travaillaient et vivaient à Rugari. Mais, du fait qu’il s’agit d’une liste des
disparus à qui on a célébré une messe funéraire dans la paroisse de Rugari le 18 mai 2014,
dans ce tableau, on y a enregistré d’autres gens originaires de cette zone mais qui, à cette
période, ne vivaient ou ne travaillaient plus à Rugari. Sur cette liste, ne figure pas les noms
d’une trentaine d’élèves de l’ancienne Ecole Pédagogique Moyenne de Rugari qui, en fuite,
ont été arrêtés sur la barrière de la colline Bunywana, non loin de cette école. A côté de cette
première liste, trois autres listes constituées à partir des trois collines de la commune
Buhinyuza, nous donne une idée sur le nombre des victimes.
75
N° Victimes
1 Louis (Militaire)
2 RUSENDEZA Thomas
3 BENDANTOHERA
4 NAMURAGARA
5 BIJANJAGU
6 BINYO Pierre
7 NDARUSAMBURE
8 NSANZE
9 MANTAZI
10 NTAMANZUYE
11 SINZOBAKWIRA
Source : Nous-même, à partir de nos enquêtes
N° Victimes Fonction
1 BUTOYI Cyprien Cultivateur
2 MUGEREZA Paul Enseignant
3 HABIMANA Jean Secrétaire paroissial
4 NTIBAZONKIZA Philippe Enseignant
5 NTIMPIRANGEZA Fidèle Enseignant
6 KAVABUHA Bonaventure Etudiant
7 NIBIGIRA Isidore Elève
Source : Nous-même, à partir de nos enquêtes
N° Victimes Fonction
1 BANCEKURE Jean Enseignant
2 TUMAGU Zosime Maçon
3 NZOGERA Alexandre Commerçant
4 MISAGO Cyrille Agriculteur
5 NZAKAHA Philippe Enseignant
6 SENDEGEYA Patrice Etudiant
7 HABIYAMBERE Protais Commerçant
8 NAHIMANA Tharcisse Cultivateur
9 SEMAPFA Originaire de Ruyigi
Source : Nous-même, à partir de nos enquêtes
76
Même si il est difficile de connaître le nombre exact des victimes emportées par la crise dans
la province de Muyinga, on peut avoir une certaine idée en lisant une partie du commentaire
qui accompagnait la liste des prévenus inscrits sur une note de fin d’instruction du parquet de
Ngozi datant du 17 mai 1972 :
On voit que cette note suit trois autres à savoir celle du 9 mai 1972 comportant 149 prévenus,
celle du 10 mai avec une liste de 20 prévenus, et celle comportant 65 prévenus. Sur toutes ces
listes apparaissent des identités195 presque complètes des prévenus. De ces identifications, il
en résulte que les gens arrêtés provenaient de tous les coins du pays mais résidents à Muyinga
à cette période. Parmi ces victimes, le plus jeune avait 18 ans et aucun nom d’une femme ou
fille n’apparaît. Mais ces gens provenaient de toutes les professions : directeurs d’écoles,
instituteurs, infirmiers, juges, cultivateurs, commerçants, percepteurs d’impôt, douaniers,
chauffeurs, etc.
Toutes ces pertes en vies humaines innombrables se sont répercutées sur le plan économique
car suite à ces événement, le pays a été privé grand nombre de ses cadres et d’une forte main
d’œuvre. Dans le secteur public, c’est évident qu’il y a eu un manque réel de cadres
techniques et autres travailleurs tandis que les activités commerciales ont fortement baissé
étant donné qu’un grand nombre de commerçants avaient été éliminés au cours de la
répression. Ceci poussant certaines personnalités à réagir.
194
Archives nationales du Burundi (Fonds de la province de Muyinga, 1970-1972): Note de fin d’instruction du 17
mai 1972
195
Par exemple : KARIKURUBU Rénovant fils de RUMENAMPURI (dcd) et de INAMIHORORO (dcd), originaire de
la colline et commune Matongo, arrondissement de Kayanza, province Ngozi, résident à la colline Gasorwe
faisant profession de Juge du tribunal de Résidence.
77
Ce n’est qu’après ces deux démarches que le président donne son premier message d’appel
au calme qui pouvait prêter à confusion car il affirme que l’ennemi attrapé doit être remis aux
autorités administratives et judiciaires, ce qui ne s’éloigne pas des arrestations en cours dans
les provinces, étant donné que ce sont ces dernières qui prenaient part aux arrestations.
Charles Bitariho reconnaît l’intervention des notables tutsi modérés auprès du président pour
qu’il se décide de reprendre la situation en main197.
A propos de cet acte d’apaiser les esprits brouillés par la crise, il existe des controverses. Dans
certains milieux, on confirme que pour ramener la paix, les tournées de ces autorités ont
contribué à grand-chose alors que d’autres affirment le contraire :
196
CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p. 259
197
Idem, p. 264
78
« les arrestations ne s’arrêtent qu’après avoir constaté qu’il ne restait aucune personne
intéressante dans les milieux hutu ». Ici, l’appréciation d’un habitant de la commune de
Bwambarangwe semble plus pertinente :
« Ils sont arrivés quelque part et ont constaté que les cibles d’arrestations
avaient été tuées et que leur soif avait été satisfaite puisque d’autres avaient
fui vers Mutabira en Tanzanie et au Rwanda…Après avoir satisfait leur soif,
Micombero a prononcé un discours d’apaisement (Ijambo ry’ihumure) »198.
Tout de même, un habitant de Kirundo, cité par J.P. Chrétien et J.F. Dupaquier renforce cette
idée : « A Kirundo, on a arrêté de tuer seulement parce qu’il n’y avait plus de richesse à
prendre, plus personne d’intéressant à exterminer. On n’a pas touché le petit peuple,
seulement les gens qui avaient des biens »199.
Dans cette même logique de démarche vers le retour à la paix, « l’Eglise catholique du
Burundi ne s’est pas tue devant la violence »200. Presque tout au début, la réaction des
évêques se fit entendre mais chacun dans son diocèse à cause de l’impossibilité de se réunir,
faute de sécurité. C’est dans ce contexte que Mgr Nestor Bihonda, évêque de Muyinga,
envoya un court message aux paroisses invitant au calme et à la confiance en la Vierge Marie
puisque c’était le mois du Rosaire201.
Il a fallu attendre le 24 mai pour que les évêques diffusent une lettre commune sur les
événements. Dans cette lettre, avant de condamner, les évêques commencent par la
description des événements. La lettre met en garde ceux qui voulaient profiter des troubles
pour piller et pour tuer. Les évêques concluent leur message par des recommandations
évangéliques dont l’idée-force était le commandement d’amour et du pardon. Mais, Jean
Chrysostome Minani écrit que ce message manquait d’éclairage, car le dire ça ne suffit pas
et se pose la question de savoir « Comment vivre ce commandement en pareille
situation ? »202.
198
NIYIBIMENYA Louis-Marie, Muyinga, le 25 août 2015
199 199
Témoignage de H.G., Tutsi de Kirundo, Kigali, 12 août 2006 cité par CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F.,
Op.cit., p.267
200
Ici, nous reprenons le titre de l’ouvrage de l’Abbé Emmanuel Ndayizeye
201
NDAYIZEYE, E., L’Eglise catholique du Burundi ne s’est pas tue devant la violence, Ascoli Piceno (Italie),
Tipografia Liena Grafica, 2010, p. 42
202
MINANI, J.C., Op.cit., p. 115
79
De plus, la lecture de cette lettre pastorale des évêques du Burundi n’aurait pas été respectée
dans le diocèse de Muyinga. En effet, certains prêtres tant nationaux qu’étrangers n’en
auraient présenté au peuple que des bribes de phrases, d’autres auraient omis toute lecture de
la lettre. Voici une partie de cette lettre :
« J’ai appris que dans certaines paroisses de mon diocèse confiées aux
Pères Blancs et aux prêtres Fidei Donum, la lettre pastorale des évêques à
leurs fidèles et à tous les habitants du Burundi désireux de la paix dans la
justice, n’aurait pas été respectée : - certains n’en auraient présenté au
peuple de Dieu que certaines phrases à leur goût, tirées malheureusement
du contexte, ou se seraient contentés d’en faire une interprétation et
combien fantaisiste ; - d’autres auraient même eu l’inqualifiable audace
d’en omettre purement et simplement la lecture »203.
Comme on l’avait vu, à la veille de la crise, Mgr Nestor Bihonda avait accusé certains prêtres
de son diocèse qui, par après ont été tués, du « racisme » ; pour le moment, il les accuse
de « trahison à la pensée de l’Eglise et d’empoisonnement des esprits de leurs peuples »204.
Ceci se faisant, à côté des membres du clergé auxquels étaient destinés ce message, d’autres
destinataires étaient : les gouverneurs de Muyinga et de Gitega, les commissaires
d’arrondissements de Kirundi, de Muyinga et de Karusi. Ce message ne pouvait-il pas
troubler les relations entre ces prêtres et ces autorités administratives ?
Avant de terminer cette lettre, l’évêque de Muyinga intime l’ordre de lire cette lettre dans les
termes suivant : « Je vous intime de nouveau l’ordre de lire intégralement ou de relire
purement et simplement, cette lettre pastorale pendant toutes les messes du dimanche qui
suivra la réception de la présente circulaire »205.
Bien que les pasteurs semblent anticiper la condamnation des événements, ils ne furent pas
écoutés par les autorités du pays. Elles s’adonnèrent à une répression sanglante.
203
BIHONDA, N., Respecter lettre pastorale des évêques du Burundi du 24 mai au sujet des événements actuels,
Kanyinya, le 23 Juin 1972 cité par CARBO, C., Colonialismo e neocolonialismo. La vicenda stonca del Rwanda e
del Burundi, Palemo (Italie), ARACNE, 1974, pp. 291-292
204
Idem
205
Idem
80
Ceci amena les Supérieurs majeurs des congrégations masculines et féminines à s’en prendre
à l’épiscopat afin qu’il sorte une condamnation plus énergique de cet acte 206. Ces
missionnaires sollicitaient également la révision de la pastorale en fonction de ces événements
pour pouvoir réévangéliser en profondeur. L’Archevêque de Gitega a accueilli avec amertume
cette réaction des missionnaires qu’il accuse de vouloir semer des divisions entre le clergé
missionnaire et le clergé local d’une part, et d’autre part diviser le clergé local:
Mgr Makarakiza explique aussi pourquoi le message n’a pas eu des effets sur ce qui se
passait en montrant que la capacité de l’Eglise avait des limites : « …Mais autre chose est de
demander, autre chose est d’obtenir ! L’Eglise n’est pas, comme vous le pensez, si "puissante
sur le plan temporel" »208
A notre avis, les messages de l’Eglise catholique n’auraient pas eu un impact sur la réaction
des bourreaux peut-être parce que, au sein du clergé même, il existait certaines divergences
sur la position à prendre. En effet, si certains missionnaires et prêtres avaient été accusés du
racisme par Mgr Nestor Bihondo, les Supérieurs majeurs des missionnaires accuseront plus
tard les évêques d’avoir donné un message ambigu.
206
NDAYIZEYE, E., Op.cit. pp.47-48 voir aussi MINANI, J.C., Op.cit., pp.145-146 et PERRAUDIN J., La chronique de
l’Eglise catholique du Burundi, pp.64-65
207
MAKARAKIZA, A., Réponse à la note confidentielle adressée à l’épiscopat du Burundi au sujet des événements
actuels, 7 juin 1972
208
Idem
81
Aussi, un habitant de Busoni, qui a pris part à ces réunions, nous dit que les administratifs
avaient parfois honte de dire de quoi il s’agissait. A titre d’exemple, voici ce qu’il a pu
retenir :
Comme on le voit, jusqu’au mois d’août, les sensibilisations continuaient. En dépit de ces
efforts, certains habitants de Muyinga considèrent ces démarches comme étant inefficaces :
« Il est suivi des réunions de pacification, mais pour quelqu’un qui a perdu le sien, il ne
pouvait pas se sentir en paix. On était obligé de se taire malgré soi »210.
209
Focus group, Burara, le 3 février 2016
210
NTABANGANYIMANA Salvator, Gaturanda, le 1 octobre 2015
82
D’autres considèrent ces messages comme des « malédictions » (amahumigwe) parce que
quand vous avez tué des gens vous ne pourriez plus venir adresser un message
d’apaisement211. Ceci montre que les cœurs des habitants de cette province n’étaient pas
apaisés. Même les chrétiens étaient plein de désespoir et se demandaient : « Où allons-nous
alors après la disparition de nos enfants intellectuels ? »212.
Malgré ce manque de paix dans leurs cœurs, ils étaient obligés de passer un certain temps en
chantant les qualités exceptionnelles du président Micombero213.
Mais, en dépit de tous ces efforts de pacification, quelques cas d’arrestations isolées ont eu
lieu alors que la catastrophe semblait prendre fin. Ce sont surtout des cas de règlement de
comptes. De telles situations ont été évoquées à Kizi dans la commune de Gasorwa où les
frères de Joseph Miburo qui avaient de la jalousie contre lui à propos des propriétés foncières
l’ont fait arrêter214.
211
Focus group, Burara, le 3 février 2016
212
NIBOYE André, secrétaire de la paroisse de Rugari en 1972, 65 ans, Rutoke, le 14 février 2016
213
Focus goup, Burara, le 3 février 2016. Nos informateurs nous ont donné quelques morceaux de ces chants
dont nous donnons la traduction en Français : « Le Burundi allait s’effondrer mais Micombero le rattrapa. Vive
Micombero … », « Viens. Je t’attends avec impatience, Lieutenant Général Micombero, tu as amené la paix au
Burundi …» et « Ce vaillant au Burundi, Micombero …».
214
BANCAKO Zacharie, brigadier à Gasogwe, 81 ans, Masasu, le 9 octobre 20115
215
Archives provinciales de Muyinga : Rapport mensuel du mois de septembre 1973 pour l’arrondissement
Kirundo
83
De plus, les abus des administratifs locaux perturbaient le processus de retour au calme. En
effet, le rapport administratif sur la situation politique de la commune Ntega (surtout dans le
secteur du conseiller communal Karekezi) signale des cas des gens qui prenaient fuite vers la
République rwandaise en nombre assez élevé. En fait, par son imprudence, au cours de la
réunion tenue le 2 avril 19973, Karekezi aurait déclaré que les gens de son secteur étaient
indisciplinés, désobéissants et racistes et que, par conséquent, ils se verraient punis
impitoyablement d’autant plus qu’ils étaient au mois d’avril, le mois auquel les événements
de l’année précédente avaient éclaté dont personne n’ignorait les conséquences fâcheuses que
la plupart ont subies216.
A côté de ces abus, nous constatons une sorte de suspicion dans la province de Muyinga
poussant les administratifs à vouloir mener une enquête sur les enseignants de certaines
paroisses. Dans le rapport mensuel de novembre 1972 de la commune Bwambarangwe, le
commissaire d’arrondissement le précise dans une lettre confidentielle adressée au
commissaire d’arrondissement-adjoint chef du secteur administratif : « J’ai l’honneur de vous
demander de mener une enquête minutieuse sur les enseignants des paroisse Mukenke-
Giteranyi et Ruyenzi qui manifesteraient les activités politiques pouvant engendre la haine
raciale entre les enfants »217.
On voit que plusieurs démarches ont été mises en œuvre mais elles seront interrompues par
l’attaque de mai 1973.
216
Archives provinciales de Muyinga : Rapport administratif sur la situation politique de la commune Ntega, le 6
avril 1973
217 o
Archives provinciales de Muyinga : lettre confidentielle n 531.61/368, le 9 décembre 1972
218
GUICHAOUA A., Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique centrale et orientale, Paris, Karthala, 2004, p. 221
84
En guise de préparation de cette attaque, les réfugiés ont d’abord effectué une enquête pour
se rendre compte des Burundais tutsi détenant des armes dans les communes frontalières avec
le Rwanda. Un étudiant de l’Université Officielle du Burundi, un des membres de la
commission de cette enquête nous fait un témoignage :
« Nous avons effectué cette mission, nous étions au nombre de trois. Nous
nous sommes rencontrés avec les Burundais venus au marché au-delà de la
frontière, mais une région du Rwanda très proche de Busoni. Puis nous
nous sommes informés auprès d’eux puisqu’en nous envoyant, on nous avait
dit que là nous allions y trouver des gens en provenance du Burundi. C’est à
partir de cette enquête sur les armes qu’on a préparé alors cette
attaque »219.
Cette tentative d’attaque fut anéantie car les forces de sécurité rwandaises qui avaient suspecté
ce rassemblement de machettes et ces gens ont été arrêtés sur place. On les emprisonna une
semaine puis on les libéra. Mais, si cette attaque fut anéantie, celle du 13 mai 1973 menaça la
commune Busoni. Beaucoup d’informateurs rapportent que cette offensive aurait duré entre
un et deux jours seulement. A leur retour au Rwanda, les rebelles rapportaient qu’à leur
arrivée au Burundi, ils auraient tiré quelques coups de fusils dans les ménages de Busoni.
219
Interview d’un ancien étudiant d’U.O.B., réfugié au Rwanda, Giteranyi, le 4 octobre 2015
220
Idem
85
Mais, au moment où ils voulaient retourner au Rwanda, ils auraient été surpris par
l’embuscade des militaires burundais. Benoît Ciza, un habitant de Gisenyi, affirme avoir
entendu ces coups de fusil :
Salvator Rwasa qui était à la tête de la JRR dans la commune Busoni est l’un des civils ayant
intervenu à Gisenyi avec les militaires. Il nous rapporte que pour mater les rebelles, ils ont
envoyé devant les JRR tutsi comme appât pour les inciter et les militaires se camouflant
derrière eux. Au moment où les rebelles allaient s’attaquer aux JRR, les militaires ont ouvert
le feu et personne n’est resté222. A côté de ces rebelles de Gisenyi, d’autres s’étaient éparpillés
dans les collines de Murehe, Gatare, Gatete, Marembo et Kigeri. Un jeune garçon, Shaban
Kwizera résidant dans cette région à l’époque, nous a informé que ces rebelles avaient été
presque affaiblis par les militaires et qu’en attaquant le chantier de Kigubire, un Blanc qui
exploitait la cassitérite de Murehe, que c’était pour se procurer de l’argent.
« Ceux qui ont été appelé rebelles (Uburoberi), après leur dispersion dans
les différentes collines, ils ont attaqué chez Kigubire pour voir s’ils
pouvaient y trouver de l’argent. Il semble qu’ils avaient été affaiblis par les
militaires burundais, puis s’en sont retournés au Rwanda. Ceux qui ont
attaqué ne tuaient pas des civils, ils affrontaient les militaires parce qu’ils
ont passé par ici chez nous et nous ont demandé de leur offrir du manioc, je
me rappelle qu’ils nous ont dit : "Komera Gahutu !", nous ont-ils salué.
Mon père leur a apporté du manioc. Ils l’ont obligé de les déposer par terre
puis ils ont ramassé et s’en sont allés »223.
A côté de cette salutation, nos informateurs évoquent d’autres expressions qui sortaient de
leurs bouches, parfois des expressions confuses ou imagées.
221
CIZA Benoît, 60 ans, Gisenyi, le 13 octobre, 2015
222
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83 ans, Burara, le 11 octobre 2015
223
KWIZERA Shaban, Gwibikara, le 13 octobre 2015
86
Daniel Rwasa, un habitant de Gisenyi raconte ce qui suit : « Ils (rebelles) sont venus en disant
" amazi masa ", " maye mulele", "Gahutu ja imbere tugwane", pour dire combattre les
Tutsi »224. Une femme de cette région ajoute :
« Ensemble, tuez les antilopes, ne tuez pas les porcs parce que leur tour
viendra après. Et nous, nous pensions que c’étaient des chasseurs de
Nzogera (administrateur) qui parlaient des animaux. Ce qui m’a affligé
c’est que le Hutu qui voulait me lyncher m’a laissée en disant " On nous a
envoyés pour tuer les antilopes non pas les porcs. C’est par là que j’ai
constaté que porcs signifiaient les femmes "»225.
Quant à l’armement de ces rebelles, un témoin oculaire affirme que certains d’entre eux
avaient des fusils, d’autres des machettes mais en tenue civile. Concernant les victimes de
cette attaque, on a retenu le nom de Bigwabari, commerçant de Kirundo qui avait accompagné
le commissaire d’arrondissement Mévin Budigoma dans l’opération militaire et le gendarme
Mirenzo. Tandis que Benoît Ciza, un habitant de cette région, ajoute que même Budigoma
aurait eu une blessure du coup de machette sur le bras mais aurait pu se sauver. Ces rebelles
passaient dans les habitants en tuant comme le témoigne une femme de cette région dont le
mari et ces deux enfants ont été tués et elle, elle a été tellement blessée :
«Ils m’ont demandé si j’étais Hutu ou Tutsi. Moi j’ai répondu "Je suis
Hutu" et ils ont refusé. Ils m’ont blessée alors à coup de machette sur le cou
et sur la tête, puis ils ont tué mon mari et mes deux enfants. Ils m’ont jetée
dans la brousse et j’ai été récupérée par un Hutu du nom de Rwarinda »226.
Avec l’intervention des militaires, les rebelles se sont dispersés dans la brousse de Murehe.
Ainsi, toute la province de Muyinga a été mobilisée ; les habitants de cette province ont été
obligés de recommencer la vigilance. Cependant, pour le moment, la vigilance consiste à aller
défricher la brousse de Murehe pour y chercher les rebelles qui se cacheraient là. Bien qu’on
les tue immédiatement, même ceux qu’on a trouvés n’avaient plus de force, faute de
nourriture227. Parmi les rebelles, il y en avait qui ressemblaient plus aux gens de l’Imbo
224
Rwasa Salvator, Gisenyi, le 6 février 2016. Ce mot Mulelé trouve son origine au Congo où après la mort de
LUMUMBA, Mulele Pierre qui était ministre de l’éducation a voulu perpétrer son héritage. Cette étiquette a été
accolée aux rebelles qui ont attaqué le sud du pays le 29 avril 1972. Sur ce sujet voir Niyonkuru EddY, Op.Cit.,
pp.44-46
225
Focus group, Burara, le 3 février 2016
226
Idem
227
MBONABUCA Tharcisse, enseignant, 65 ans, Mukenke, le 14 octobre 2015
87
(Ababo) avec des dents qui n’étaient plus couvertes de lèvres, déformés peut-être à cause de
la faim228. Certains témoignages affirment aussi que parmi les rebelles on pouvait y déceler
des gens ressortissants de Busoni : « Ce qui m’a affligé c’est que un Hutu qui voulait mon tuer
m’avait laissé. Son compagnon lui dit " Dis, si nous ne la tuons pas, elle nous dénoncera et
nos familles seront exterminées" »229.
D’autres rebelles ont été abattus à Nkomane, entre Rusarasi et Murore. Ceux-là avaient des
machettes et avaient pris des drogues et ainsi, ne craignaient plus rien230. Ils ont été attrapés
par les habitants de cette région. Ils avaient passé par Gatare, c’était en plein champs de
sorgho en floraison.
A cette période, cette partie de la commune Busoni attaquée par des rebelles étaient habitée
par des « immigrants » en provenance de la province de Ngozi, en particulier les gens
originaires de Kayanza, appelés dans la région des « Banyakayanza ou Banyaruguru »231.
Dans cette région, ceux-ci avaient reçu des terres de la commune sous l’agronome communal
Bwampamye : « C’était jadis une brousse. Avec l’attaque de la mouche tsétsé, c’était dans les
années 1960, à l’époque du Premier ministre Pierre Ngendandumwe, l’Etat y a installé ces
gens pour défricher cette brousse »232. Mais ces derniers avaient une meilleure cohabitation
avec les « autochtones » de Busoni. A ces Banyakayanza, on a imputé une collaboration avec
les rebelles. En effet, le commissaire d’arrondissement Mévin Budigoma, qui avait été blessé
à la machette sur le bras, les avait accusés d’avoir collaboré avec les rebelles :
« Budigoma Mévin fut alors blessé mais il n’a pas été tué. C’est lui-même
qui nous a accusés de l’avoir lynché, " Les rebelles qui ont attaqué ont
collaboré avec les Banyakayanza. Ce sont eux qui m’ont pointé du doigt en
disant que je suis commissaire". A cette période, ici c’était en brousse sauf
ces Banyakayanza qui s’y étaient établis »233.
228
RWASA Salvator, chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015 ; Lui aussi comme la plupart de
nos informateurs emploie le mot « uturoberi » en Français petits « rebelles ». Il nous dit que c’était leur façon
de les désigner pour les mépriser.
229
Focus group, Burara, le 3 février 2016
230
RUGAMBARARA Gérard, comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015
231
Ce nom fait allusion à leur origine. Cette région de Kayanza se situe en haute altitude par rapport à région
de Muyinga et de Kirundo. Dans cette région, ce nom montre que ces gens ont une autre provenance ; d’où
une sorte de méfiance. On les accuse de tous les méfaits : vol, sorcellerie, racisme, brutalité, etc.
232
Focus group, Burara, le 3 février 2016
233
CIZA Benoît, 60 ans, Gisenyi, le 13 octobre 2015
88
De plus, ces gens ont été accusés d’avoir donné abri aux rebelles parce que dans leurs
maisons, on y a trouvé plusieurs lits ce qui pouvait prouver qu’ils y auraient passé
quelques jours. Voici ce que témoigne un de ceux qui allaient défricher la brousse de
Yanza : « Nous sommes allés défricher la brousse de Yanza. Dans une maisonnette, on
trouvait trois ou quatre lits. De plus, même en attaquant, ces rebelles sont venus en
provenance de Yanza. Ce sont eux (Banyakayanza) qui leur ont donné abri »234.
Ces gens originaires de Kayanza, victimes de cette répression, ont été enterrés par les
habitants des autres communes telles que celle de Vumbi qui allaient défricher la
brousse de Murehe.
234
Focus group, Burara, le 3 février 2016
235
Idem
236
KWIZERA Shaban, Gwibikara, le 13 octobre 2015. Ici, les gens dont parle cet informateur sont des
Banyakayanza puisque lui-même vivait dans cette région occupée par ces derniers.
89
Ce sont ces derniers qui, transportés par des camions, à leur retour, apportaient des
livrets d’impôt des victimes qu’ils jetaient dans la route pour signifier que ces gens
n’étaient plus en vie237.
C’est surtout la partie de Nyabisindu qui a été touchée tandis que ceux de Kibondo qui
restaient ont été contraints de prendre fuite vers le Rwanda. La cause de cette fuite était liée
au fait que leur notable de colline les avait obligés de payer 1500 fBu, argent introuvable à
cette période étant donné que le kg de haricot coûtait 1f ; cela pour ne pas se faire inscrire sur
la liste (rapport) des Banyakayanza que le chef de secteur lui avait obligé de faire comme le
relate Benoît Ciza :
Pour ceux qui ont pris fuite dans les premiers jours de la rébellion, ils rapportent qu’ils ont été
poursuivis par un hélicoptère burundais aussitôt qu’ils arrivaient déjà tout près de la frontière
rwandaise et qu’ils ont été sauvés par les militaires rwandais. Mais pour ceux qui étaient
restés à l’intérieur du pays, l’utilisation de l’hélicoptère aurait constitué un moyen de les
terrifier pour les faire retourner dans leurs ménages respectifs. Avec cette utilisation de
l’hélicoptère, c’était l’intervention du président Micombere en personne qui, lui aussi fut
accusé d’avoir fusillé la population qui avait pris refuge dans la brousse de Yanza239.Tous
ceux qui ont vécu au camp de Rilima confirment cette poursuite des réfugiés. Les militaires
burundais faisaient leurs incursions au Rwanda.
Ils ajoutent aussi que l’hélicoptère burundais qui avait dépassé la frontière aurait été
bombardé sur le sol rwandais :
237
RWASA Daniel, Gisenyi, le 6 février 2016
238
CIZA Benoît, 60 ans, Gisenyi, le 13 octobre, 2015
239
Focus group, Burara, le 3 février 2016
90
A cette période, les relations diplomatiques entre les deux pays n’étaient pas bonnes. Même le
rapport d’arrondissement du 31 août 1973 sur la situation politique de la commune Busoni
annonce que la situation frontalière était troublée. En effet, en date du 28 août 1973, les
réfugiés burundais du Rwanda avaient franchi encore une fois les frontières jusqu’à Gatete
pendant la nuit et la plupart avaient des lampes-torches. Ils sont montés jusqu’à Murehe. Pour
ce fait, les travailleurs de la SOMIKA qui faisaient la garde à Gatete avouent les avoir vu
mais accusés de ne les avoir pas dénoncés, ils étaient gardés à Kirundo pour subir des
interrogatoires241. C’est dans ce contexte que le camp de Rilima a été déplacé vers la région
de Nyagatete non loin de l’Ouganda pour éviter que les réfugiés burundais ne reviennent plus
attaquer au Burundi et que les militaires burundais ne refassent plus leurs incursions au
Rwanda à la recherche des réfugiés burundais.
Quel a été le sort des biens des victimes et réfugiés de l’attaque dans la commune Busoni ?
Après le coup, les propriétés des victimes et des réfugiés ont été saisis par les autorités
administratives pour les faire exploiter à leur profit, d’autres ont été distribuées d’abord aux
Rwandais, puis aux Burundais.
Cette attaque se situe dans une période de la récolte du haricot et du sorgho. Ainsi, les
administratifs envoyèrent les membres de la JRR, de l’UFB et les autres membres du parti
provenant de 5 zones pour procéder à la récolte avec une promesse de mettre l’argent, après la
vente de ces récolte, dans les caisses de ces mouvements. Mais, paradoxalement, les
administratifs s’en ont approprié. Celui qui tentait de demander la finalité de ces récoltes était
accusé de divisionniste242.
En effet, dans le rapport administratif du 31 août déjà cité, on voit apparaître que les
Rwandais étaient « nouvellement installés dans la région de Gatete, Gasenyi et Kigeli »243.
Mais, d’une façon générale, les Rwandais se localisaient dans la partie située plus au nord de
la commune Busoni, cible de l’attaque et jadis occupée par les Banyakayanza.
240
MUKEZANGANGO Pascal, cultivateur et petit commerçant, 64 ans, Murore, le 12 octobre 2015
241
Archives provinciales de Muyinga : Rapport sur la situation politique en commune Busoni, le 31 août 2015
242
NDONGOZI Y’UBURUNDI, Op. Cit. p.8
243
Idem
91
Quant aux administratifs, notre informateur énumère des noms retenus des administratifs qui
occupaient des terres :
« Puis, ils occupèrent nos terres. La nôtre fut occupée par Mévin ; l’autre
fut occupée par l’administrateur de Busoni ; l’autre terre, Basomingera
Jean Baptiste, à l’époque, gouverneur de Gitega mais originaire de
Kirundo. Ils y ont installé leurs "vassaux" pour récolter les champs et nos
troupeaux ont été rassemblés »244.
Dans les terres qui restent, on y installa les réfugiés rwandais en provenance de Mishiha et de
Nyarunazi. Ceux-ci ont d’abord occupé les Maisons des Banyakayanza et ont exploité leurs
bananeraies. Par après, les Rwandais ont construit leurs maisons dont les vestiges seraient
encore visibles. Alors, c’est ainsi qu’est né un problème d’un conflit foncier245 lié à l’attaque
de mai 1973 dans la région de Busoni. Au moment où les réfugiés burundais hutu
commençaient à regagner leur pays, toutes leurs terres étaient occupées ou bien par les
Rwandais ou bien par les administratifs voire les simples paysans burundais. Ayant regagné
son pays en 1974, notre informateur nous confie qu’il ne reçoit une partie de ces terres qu’en
1978 avec le processus de la suppression d’ « ubugererwa » sous la deuxième République.
Cependant, ce problème aurait été une question casse-tête chez les autorités locales à Kirundo.
On peut le remarquer à travers la lettre que le commissaire d’arrondissement-adjoint Stanislas
Rwantabana adressa au gouverneur de Muyinga le 24 septembre 1973 dont voici une partie du
contenu :
244
CIZA Benoît, 60 ans, Gisenyi, le 13 octobre, 2015
245
La plupart des réfugiés de 1973 commune Busoni ne reviendront que trop tard et ne regagneront surtout
leur propriétés qu’avec l’avènement de la CNTB
246
Archives provinciales de Muyiga : Lettre nº 531.61/403, le 24 septembre 1973
92
Bien qu’il fournit plusieurs explications, le problème foncier reste primordial car un message
semblable avait été envoyé au gouverneur par la même autorité le 21 août de la même année,
lui demandant de donner des instructions aux administrateurs communaux de ne plus délivrer
des laisser-passer aux personnes chassées pour revenir dans la commune de Busoni247.
Cependant, certaines de ces terres ont commencé à être libérées au cours de cette même
année de 1973. Le rapport mensuel de l’arrondissement de Kirundo de septembre 1973
explique que dans la commune de Busoni, les réfugiés rwandais installés dans les terres
inoccupées partaient en nombre croissant à destination de leur pays d’origine ou en Tanzanie.
Selon ce rapport, ce départ résultait en grande partie de la politique du nouveau régime au
Rwanda qui, semble-t-il, favorisait tout ressortissant rwandais sans distinction d’ethnie.
Néanmoins, le départ ne sera effectif qu’à partir 1994.
Après ce départ des Rwandais, ces terres ne restèrent pas libres, non plus ne furent pas
restituées à leurs propriétaires dont quelques-uns d’entre eux étaient encore au Rwanda, tandis
que les femmes et les enfants des victimes restaient toujours à Ngozi. Au contraire,
l’agronome communal Bwampamye qui avait distribué les terres aux Banyakayanza, procéda
à une autre subdivision comme dans les paysannats : 150 m sur 350 m parce que, disait-il, ces
terres étaient mal subdivisées248.
Avec le départ des Rwandais, les terres libres ont été redistribuées aux Burundais. Pour
acquérir ces terres, les bénéficiaires disent qu’ils se rendaient à la commune pour demander
l’autorisation d’occupation et que le plus souvent la réponse était favorable. Pour les anciens
propriétaires, ces terres étaient distribuées par les administratifs communaux contre une sorte
de pot-de-vin telle qu’une certaine somme d’argent ou un veau :
247
Archives provinciales de Muyinga : Lettre nº 531.61/334, le 21 septembre 1973. Ici, il précise qu’il s’agit des
femmes réfugiées au Rwanda, originaires de la province Ngozi. Laisser-passer parce qu’il y a encore des
barrières. On ne passe pas d’une commune à l’autre sans ce document.
248
BUKURU Pascal, l’un des bénéficiaires des terres des Banyakayanza après le départ des Rwandais, 70 ans,
Marembo, le 13 octobre 2015
93
Cette question fut résolue partiellement par la CNTB après plusieurs années d’exploitation par
les résidents. Pascal Bukuru, l’un des bénéficiaires de ces terres, affirme avoir exploité la terre
reçue pendant 9 ans, mais qu’à la dixième année, avec l’avènement de la CNTB, une fille
d’un « Munyakayanza » revint pour réclamer la terre de son père et fut obligé de céder une
partie de la terre reçue. Il rapporte sa discussion avec le chef de zone Sarvator Rwasa au
moment où il allait céder une partie de sa terre :
Comme on le voit, certains de ceux qui ont repris leurs terres en passant par la CNTB, ont
obtenu une partie de leur propriété. De même, l’informateur que nous venons de citer
confirme que plusieurs des rapatriés qui se sont plaints auprès de la CNTB ont reçu une partie
de leurs terres. D’autres pouvaient en bénéficier en totalité. Tel fut le cas de Shaban Kwizera
retourné au Burundi en 2006 : il reçoit en totalité sa terre qui était occupée par Saburegeya.
Cependant, pour une autre terre de Shaban Kwizera occupée actuellement par dix familles, les
plaintes sont encore à la CNTB.
Une autre répercussion de cette attaque sur la province, est que la situation restera presque
tendue jusqu’au mois d’octobre 1973. En effet, une foule nombreuse se rend toujours dans la
commune de Busoni et spécifiquement dans les zones plus frontalières en vue d’éclaircir
certains endroits en procédant au défrichage de la brousse. Ceci signifie que la vigilance reste
maintenue. Même au cours du mois de novembre, le rapport mensuel apprécie l’activité de la
JRR consistant à garder les frontières bien qu’elle soit une activité bénévole251. Tandis que
dans la commune voisine de Bwambarangwe, les barrières avaient été supprimées au mois
d’août.
249
KWIZERA Shaban, Gwibikara, le 13 octobre 2015
250
BUKURU Pascal, l’un des bénéficiaires des terres des Banyakayanza après le départ des Rwandais, 70 ans,
Marembo, le 13 octobre 2015
251
Archives provinciales de Muyinga : Rapport mensuel du mois de novembre 1972 pour l’arrondissement de
Kirundo
94
Entre temps, les abus des autorités administratives locales débutés en 1972 continuent. Dans
la commune de Ntega, on évoque en l’occurrence le nom de Nicodème Rwasa, conseiller
communal qui terrifie les travailleurs de la paroisse de cette commune en ces termes : « Tous
les travailleurs de la paroisse de Ntega se gonflent parce qu’ils ont beaucoup d’argent,
l’heure a sonné, disait-il, un véhicule viendra vous prendre à la maison et vous conduire où
les autres sont allés »252.
A partir de ce qui précède, l’on comprend qu’avec la crise de 1972, deux situations sont en
présence. Ceux qui abusent de leur pouvoir en faisant rappel à la gravité des arrestations
de1972 et à la probable reproduction de la catastrophe au détriment des riches, d’une part.
D’autre part, l’accentuation d’une psychose faisant qu’une seule parole suffit pour vous faire
quitter votre pays. Pour le premier cas, arrêter et piller étaient devenus une « coutume », car
même un simple agent communal s’était arrogé le droit d’arrêter et de piller. Dans cette année
1973, un habitant de Vumbi, affirme avoir été arrêté par un planton communal alors qu’il
venait de son champ récolter la banane ; pour être relâché, il dût céder son vélo :
« Ainsi, il m’a dit "moi alors pour pouvoir t’excuser, donne-moi le vélo-là."
Nous nous sommes convenu un lieu de rencontre pour lui donner le vélo.
Mais, il ajoute "je sais que la chambre-à-air est abimé, il faut m’en acheter
une autre". La chambre-à-air s’achetait avec un billet de 50 (à 50 f). Je lui
ai donné cet argent et j’ai ajouté 30 f pour payer un mécanicien pour la
réparation »253.
Dans ces mêmes jours, ce jeune homme a été arrêté en cours de route par un dactylographe
communal qui l’assimilait à un élève alors qu’il était jadis un boy. Arrivé au bureau de la
commune, le dactylographe lui a donné une feuille de papier et lui ordonna d’écrire sa
provenance, sa destination et sa profession pour vérifier si réellement le jeune homme en
question était un élève. Se rendant compte qu’il ne savait pas écrire, il le laissa partir254.
On voit que les abus du pouvoir restaient monnaie courante jusqu’en 1973 ; ce qui aboutit à
des arrestations individuelles éventuelles alors qu’auparavant elles se faisaient en masse.
252
Archives provinciales de Muyinga : Lettre nº 531.614/137 : Travailleurs de la paroisse en fuite, le24 juillet
1973
253
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65 ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015
254
Idem
95
Certains de nos informateurs rapportent que dans cette province, les arrestations auraient duré
trois ans tandis qu’il y a d’autres qui vont jusqu’à dire que des arrestations isolées ne
s’arrêtent qu’avec l’avènement de la deuxième République.
255
BARUTWANAYO, A-J., Le droit et le devoir de mémoire au Burundi : 1962-2014, mémoire de master en droit
international, Université Espoir d’Afrique, Bujumbura, 2014, p. 25
256
BURGUIERE A., (dir.), Dictionnaire des sciences historiques, Paris, PUF, 1986, p. 448
257
CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p. 465
96
Modeste Ruzovahandi, une enseignante de Ntega, fut convoquée par le secrétaire communal à
cause de sa pitié en vers les victimes :
« Même un seul mot "Yooo ! Tel a été arrêté !" Toi aussi tu partais. Moi-
même j’en ai été victime. Moi, j’aimais rester calme sauf que je blaguais
avec mes écoliers. A cause de ces événements, quand je me retrouvais étant
seule, on me voyait désespérée. Puis quand quelqu’un me demandait
pourquoi, je répondais "Dis, laisse-moi. Moi je suis affligée à cause de ces
gens qui partent et qui ne reviennent pas". Eeh, j’ai subi un interrogatoire !
C’était chez le secrétaire communal et il m’a dit "Toi tu peux dire yooo en
déplorant des gens !" Tu n’as pas honte ? Les régicides (Abamenja) ! » 258.
Tu ne pouvais pas dire « Mon homme, mon homme ! » Directement on te demandait « Ton
homme ! Et toi qu’est-ce que tu es ? »259. A partir de cette période, avant de parler, on devait
être attentif en regardant ici et là.
Non seulement qu’il était interdit de dire un mot mais aussi, il était interdit de pleurer. Ainsi,
on adopta la rectification de certains mots ou expression. Au lieu de dire qu’il a été arrêté
pour être tué, on disait qu’on l’a « emmené à Vumbi » (Bamutwaye i Vumbi). On utilisait
aussi le mot « gushwabura » qui peut signifier « enlever », un autre moyen de dire qu’il n’était
plus en vie (Bamushwabuye). En même temps, toute cérémonie liée à la mort était interdite.
Pas de deuil, pas de lever de deuil voire une messe funéraire. Il fallait faire semblant de
continuer à vaquer à ses occupations le plus normalement possible260.
A cette période, personne n’a vu le corps du sien ; ce qui pousse quelques-uns à penser après
43 ans au retour des leurs : « Nous n’avons vu aucun corps de ceux qui ont été tués en 1972.
Même actuellement nous attendons peut-être qu’ils retournent. On nous disait également
qu’on les emmenait à Rumonge là où les hommes ont été exterminés »261.
A cette période, les enfants ne comprenait pas ce qui s’était passé. Dans la commune de
Busoni, un enfant de 11 ans qui avait l’habitude de vendre du bois de chauffage aux
commerçants de Bunyari fut surpris par l’absence de ces derniers et on lui disait qu’ils étaient
dans la réunion.
258
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre, 2015
259
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, RUGARI, le 8 octobre 2015
260
KABURAHE, A. et NTAMWANA, S., Op.,Cit., p.55
261
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
97
Mais ces parents finirent par lui dire que ceux-là avaient spolié l’argent de l’Etat, opinion
répandue à l’époque. Cet enfant leur posa la question : « S’ils ont spolié cet argent, n’ont-ils
pas gardé quelques pièces pour acheter le bois de chauffage ? »262. Le même enfant,
catholique, raconte ce qui lui arriva dans la période de pâques : « J’étais un catholique. Nous
chantions la chanson "Le Seigneur Jésus, ressuscité, a assujetti les régicides, louons-le". Et
moi je disais "C’est Jésus qui a tué ceux qui achetaient mon bois de chauffage, je le trouve
ici encore ?" »263.
Même les orphelins attendent le retour de leurs pères tandis que les mères adaptaient leurs
enfants à ce climat de deuil mais qui ne s’appelle pas deuil. C’est ce que raconte le fils d’un
transporteur de Kirundo cité par J.P. Chrétien et J.F. Dupaquier que l’on a assassiné pour lui
prendre sa camionnette Chevrolet :
« Ses cinq enfants - dont l’aîné, Clotilde à 14 ans- attendent toujours leur
papa. Déjà deux d’entre eux, ont arrêté leurs cours, Monsieur Charles et
Madame Sophie, leurs instituteurs, étant "indisponibles". Ernest le plus
jeune, ne comprend pas ce qui se passe. Sa maman, fille d’un ancien
mutware du Nord, pleure, alors qu’elle n’est pas battue. Ce qui intéresse
Ernest, c’est pouvoir jouer. Sa mère supporte mal cette réalité familiale
indicible :"Tu dois apprendre à t’arrêter de jouer de temps en temps. Il faut
que tu restes ici. Pourquoi maman ?
-C’est comme ça, ne me pose plus d’autres questions" »264.
Malgré l’étouffement de cette mémoire, celle-ci reste toujours vivace ; les orphelins et ceux
qui ont perdu leurs frères qui étaient à l’école estiment avoir perdu ceux qui pouvaient leur
apporter un soutien matériel. Non seulement ce soutien potentiel à l’époque mais aussi, les
orphelins éprouvent le chagrin de n’avoir pas profité des biens des leurs qui ont été saisis.
Epitace Miburo est un orphelin de 1972, son frère qui faisait le Grand Séminaire a été tué. Au
moment de son témoignage, il a failli pleurer alors que 43 ans nous séparent des événements :
262
Focus group, Burara, le 3 février 2016
263
Idem
264
CHRETIEN J.P. et DUPAQUIER J.F., Op.cit., p.465
98
surgir dans mes yeux ? S’il vous plaît, vraiment, vraiment (il se répète deux
fois), ce que vous me demander est quelque chose qui m’a beaucoup affligé
(Ici, il commence à bégayer et exprime son mécontentement en claquant la
langue) »265.
A côté du mot « umumenja », d’autres mots ont été utilisés pour désigner le régicide ou pour
annoncer sa mort. Il s’agit des mots ou des noms parfois dégradants désignant quelque chose
de peu d’importance ou ayant une certaine répugnance dans la société burundaise.
GAHUNGU Youssouf déjà cité revient sur ces mots :
On peut trouver une catégorie de gens qui cherchent à mettre entre parenthèse le passé en
s’efforçant de l’oublier et disent : « Moi je l’ai oublié »268. D’autres, quand ils acceptent de
faire un témoignage, ils parlent qu’il s’agit d’ « ukuzimura » qui signifie en gros « déterrer ce
qui est déjà pourri ».
Concernant le mot « umumenja » que porte les victimes et leurs familles, lui aussi provoquait
une affliction car la veuve s’appelait femme d’un régicide et l’orphelin, enfant d’un régicide.
En fait, il s’agit du « changement de l’identité ».
265
MIBURO Epitace, cultivateur, 62 ans, Kimeza, le 14 octobre 2015
266
GAHUNGU Youssouf, 62 ans, Masasu, le 9 octobre 2015
267
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015
268
Focus group, Burara, le 3 février 2016
99
Cette nouvelle identité est collée à toute la famille du disparu. Cela étant, les veuves sont
restées longtemps craintes dans la société. Il ne fallait plus se rapprocher de la femme d’un
rebelle. Là encore, autre chose plus ou moins cachée, le maintien du silence sur le viol dont
les veuves ont été victimes. Des remariages plus ou moins forcés ont eu lieu entre les veuves
hutu et les hommes tutsi, mais cet acte restait caché à cause de ce problème de tenir à l’écart
les veuves. Modeste Ruzovahandi dit qu’il s’agissait d’un mariage de raison :
Une veuve enseignante de Muyinga, Marie-Madaleine Munyangari, qui venait de perdre son
mari et qui venait d’être forcé de vendre ses biens à un prix fixé par les bourreaux de son
mari, ne pouvait plus que pleurer:
Les rescapés de 1972 gardent un regret de leurs pertes matérielles et humaines. Simon
Ndururutse affirme non seulement qu’il a perdu ses biens mais également, il a été perturbé,
voire interrompu dans ses projets de développement. Ainsi donc, il garde actuellement un
complexe d’infériorité et se considère comme paria lorsqu’il se retrouve en présence des gens
aisés et lui sans chaussures.
De plus, ce qu’il avait vu en prison a provoqué une psychose en lui de telle sorte que même
dans les années qui ont suivi, il n’est plus retourné au centre de Kirundo où il fut arrêté271.
269
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
270
MUNYANGARI Marie-Madeleine, veuve enseignante à Muyinga, Rugerero, le 8 octobre 2015
271
NDURURUTSE Simon, ancien boy de Kirundo, 65ans, Kabuye-Shororo, le 12 octobre 2015. Il ne se retournera
à Kirundo après 5 ans.
100
Ici nous rejoignons l’idée de Binion Rudolph de « traumatisme psychique qui pousse à être
revécu à tout prix, autant dans la fantaisie que dans la réalité »272.
Les rescapés qui ont quitté le pays, à leur retour, en plus des atrocités de la crise qu’ils avaient
vue, ont eu un autre traumatisme dû à la solitude. Polycarpe Matinti, réfugié en Tanzanie en
1972, chauffeur au Petit Séminaire de Muyinga à l’époque, constate à son retour que tous ses
pairs n’étaient plus. Voici ce qu’il raconte :
« Autre chose qui m’afflige, c’est ce fait de vivre en solitude. Tous mes pairs
avec lesquels nous avons partagé le bonheur et les malheurs avaient
disparu. Après quelques années en dehors du pays, je suis retourné mais je
me suis retrouvé étant presque seul ici à Rugari. Je constatais que tous ceux
qui restaient étaient de petits enfants et que aucun de mes pairs avec
lesquels nous avons partagé la bière ne restait »274.
Cette solitude le pousse toujours à se souvenir de ses amis comme le Recteur du Petit
Séminaire de Muyinga, l’Abbé Gakwavu. Beaucoup d’autres rescapés ont souffert de cette
solitude aggravée par « le silence imposé » et une surveillance stricte de tout acte et de tout
geste en la mémoire des disparus.
272
BINION R., Introduction à la psychohistoire, Paris, PUF, 1982, p. 43
273
Ecole de l’Eglise catholique dont les enseignants sont les catéchistes qui dispensent un enseignement
religieux avec quelques rudiments de lecture.
274
MATINTI Polycarpe, ancien chauffeur du Petit Séminaire de Muyinga, 75 ans, Rugari, le 8 octobre 2015
101
Tandis les réfugiés au Rwandais avaient été contraints de vivre dans la misère et de mener une
vie de mendicité dans le camp. Pascal Mukezangango, un jeune homme de Murore à
l’époque, réfugié au Rwanda, fut obligé d’abandonner son père souffrant d’un handicap
physique et de vivre à l’étranger où il menait une vie de mendicité :« Aussi, j’allais être
orphelin alors que j’avais des parents à la maison. J’ai mendié auprès de la Croix Rouge
alors que nous avions chez nous ce qui pouvait nous faire vivre »275.
Les rescapés ont la psychose d’avoir été des « candidats » à la mort à cette période. A ce
propos, Jean Berchmans Karikurubu, un agronome de Butihinda, se classe jusqu’actuellement
parmi ceux qui sont morts en 1972 étant donné qu’il figurait sur la liste de ceux qui devaient
mourir :« Je suis rescapé, je suis parmi ceux sont morts en 1972, moi j’y suis (il insiste) ;
parce qu’ils avaient le registre de ceux qui allaient mourir. C’est un Ganwa mutare, chef
d’équipe agronome comme moi qui me l’a dit »276.
Beaucoup souffrent à cause des moyens mis en œuvre au cours de l’arrestation et d’exécution.
Au moment où on ligotait les victimes, on le faisait à la vue de tout le monde. Plusieurs
témoins confirment que ces actes ne peuvent pas s’effacer, que ça reste toujours alarmant
puisque les victimes subissaient des claquages au niveau de la poitrine à leur vue sur place.
Pire encore, dans les cachots communaux, lieux d’escales pour les victimes, qui attendaient
leur transfert, liées avec des cordes aux bras et aux jambes, ces victimes faisaient leurs
besoins naturels (grands ou petits besoins) à l’intérieur de la prison et sur elles-mêmes parce
que ligotées. Un brigadier à la commune Gasorwe nous fait ce témoignage :
« Après les avoir mis en prison, ils ne pouvaient pas dire " Je vais aller au
lieu d’aisance." Quand il voulait faire le grand besoin, il se soulageait sur
place jusqu’à ce qu’ils viennent les déplacer. Arrivés, ils les prenaient et les
jetaient dans les camions comme on le fait pour les sacs de haricot. Dire, je
veux aller à la toilette, je veux aller au petit besoin n’existait pas »277.
Par ailleurs, les gens ont gardé en tête ces événements parce qu’ils ont vu les leurs
partir et mourir sans jugement. Ils entendaient que tel est parti sans savoir où. C’est
cela qui n’a pas disparu même dans les années ultérieures aux événements. Les
bourreaux gardaient un silence pudique de culpabilité, les victimes et les rescapés du
275
MUKEZANGANGO Pascal, cultivateur et petit commerçant, 64 ans, Murore, le 12 octobre 2015
276
KARIKURUBU Jean Berchmans, ancien agronome à Butihinda, 75 ans, Gasorwe, le 9 octobre 2015
277
BANCAKO Zacharie, brigadier à Gasogwe, 81 ans, Masasu, le 9 octobre 20115
102
Dans le discours officiel adressé par Micombero à la nation, il reconnaît que ceux qui ont
attaqué sont « ceux qui ont été trompés » par les étrangers qu’il ne nomme pas du tout. Ce
même discours revient dans la lettre que les évêques catholiques du Burundi ont adressée à
leurs fidèles et à tous les Burundais dans les mêmes jours :
278
NYAWAKIRA Geneviève, veuve enseignante de Murore, 67 ans, Murore, le 28 août 2015. En Kirundi, elle
dit : «Nitwahamvye, imitima yacu yahindutse imva ».
279
KABURAHE,A. et NTAMWANA, S., Op. Cit., p. 55
280
BAMPORIKI Joseph, Rugari, le 6 février 2016
281
Anonyme, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
282
Lettre pastorale des Evêques du Burundi à leurs fidèles et à tous les habitants du Burundi désireux de la paix
dans la justice, le 24/5/1972
103
On aurait entendu que les Hutu avaient commencé à tuer les Tutsi dans les provinces du sud.
Puis, Micombero aurait eu un chagrin parce que les Hutu avaient fixé un rendez-vous dans
tout le pays pour se débarrasser de l’ennemi, même dans les ménages, on avait préparé une
fête qui se déroulerait parmi les élites. Certains milieux tutsi reconnaissent que les Hutu
surtout les intellectuels et d’autres plus ou moins éclairés étaient informés des préparatifs des
massacres :
« Ils avaient préparé la fête qui serait célébrée pour se réjouir après avoir
fait disparaître l’ennemi ; le jour était connu. On pouvait trouver un Hutu
en possession d’un poste de radio avec des écouteurs. On les leur a
achetés »284.
En écoutant ces postes de radios, ils attendaient le signal pour s’attaquer aux Tutsi. Joseph
Nivyabandi déjà cité confirme cet avis : « Ce qui concerne les massacres s’était répandu à
travers tout le pays. Quelques-uns d’ici chez nous en savaient et propageaient ces
enseignements »285.
De tout ce qui précède, on en déduit que les Hutu qui ont été emportés par la crise ne seraient
pas des innocents. Car, ceux qui ont été tués étaient des gens informés de la situation et qui
auraient participé dans les réunions de préparation des massacres. A ce propos, notre
informateur éclaircit :
283
Anonyme, Burara, 71 ans, le 6 octobre 2015
284
Idem
285
Anonyme, Burara, 71 ans, le 6 octobre 2015
104
Dans cette perspective, du fait que les Hutu étaient informés, « celui qui était arrêté, était
ligoté et emmené à la commune. Puis, on l’emprisonnait et par après, il subissait un jugement
corollaire. J’entendais par ouï-dire qu’on les tuait »287. Mais, cette dernière idée nous pousse
à se poser la question de savoir pourquoi l’entendre par ouï-dire alors que cette greffière
travaillait au tribunal de résidence de Vumbi, situé à quelques 15 m des bâtiments
communaux. Peut-être qu’il lui a été difficile de témoigner ce qu’elle aurait vu.
« Baruzanye, au cours de ces derniers mois, a tenu des réunions en vue des
massacres qui élimineraient tous les Tutsi en province de Muyinga. Il aurait
déjà formé une bonne équipe qu’il finançait, dont la plupart, inculpés dans
ce dossier … Comme force extérieure, il comptait sur Monsieur Serukwavu
ex-commandant en chef de la Gendarmerie du Burundi, et réfugié au
Rwanda lors des événements d’octobre 1965. Il semble que ce dernier a été
souvent aperçu par la population au domicile de Baruzanye. Néanmoins,
l’autorité locale n’a jamais pu mettre la main sur le condamné en fuite »288.
Toutefois, la mémoire des Tutsi de cette province présente deux facettes. L’une se
rapprochant de la version officielle et l’autre plus ou moins proche de celle des Hutu. Pour
ce second cas, les Tutsi restent affligés par « le ratissage » dont les Hutu ont été victimes ou
les tueries sélectives des innocents dont le seul crime était d’être Hutu. En effet, la province
de Muyinga située à l’extrême nord-est du pays n’avait aucun contact avec ces provinces du
sud, organisatrices de ce coup d’Etat contre le pouvoir de Micombero. Ni les intellectuels, ni
les élites, ni les autres gens semi-lettrés, n’étaient au courant de ce complot. Même les crises
ultérieures surtout celle de 1993 sont fonctions des tueries injustifiées de 1972289. Les Tutsi,
comme les Hutu, ont été bouleversés étant donné que les disparus étaient leurs compagnons,
leurs camarades d’écoles et leurs pairs ; d’où s’inscrivent-ils en faux contre cette répression.
287
MBAREMPORE Thérèse, ancienne greffière au tribunal de résidence à Vumbi, Gasura, le 27 août 2015
288
Archives provinciales de Muyinga : Note de fin d’instruction
289
Anonyme, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
105
Cette deuxième mémoire des Tutsi « modérés » se rapproche de celle des Ganwa jugeant
l’hécatombe de 1972 comme des tueries sans nom. Selon Salvator Rwasa :
Ainsi, pour les Ganwa, ces massacres leur semblaient scandaleux de telle façon que certains
d’entre eux ont risqué leur vie en raison de leur dénonciation des tueries à l’endroit des Hutu.
Gérard Rugambarara relate le comportement des Ganwa face à ces massacres :
« Après les événements, les Tutsi sont restés méfiants envers les Hutu. Ils
nous ont même invitées le 1er juillet, au défilé, ils nous disaient : "Voilà
comment marchent ces femmes des Bamenja. On dirait qu’ils savaient
comment les événements allaient se passer. On les a laissées toutes étant
engrossées et celle qui met au monde, enfante un garçon". Ce qui sonne de
cette manière, pourrait-il te plaire, demande notre informateur ? »292.
290
RWASA Salvator, ancien chef de la JRR à Busoni, 83ans, Burara, le 11 octobre 2015
291
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015
292
MUNYANGARI Marie-Madeleine, veuve enseignante à Muyinga, Rugerero, le 8 octobre 2015
106
Ainsi, les Hutu ont gardé une sorte de peur et ne se sentaient plus libres de parler car ils ont
été amenés à soigner leur langage pour qu’un mot ne puisse s’interpréter par un autre293, ce
qui leur coûterait cher. En tout cas, dans les premiers jours, la société burundaise avait été
bouleversée car les Hutu et les Tutsi ne s’assayaient plus sur un même banc dans les cabarets
pour partager la bière. De même, les Hutu accédaient difficilement à certains services
publics :
« Après, ce qui a suivi est que le Hutu n’entrait plus facilement chez
l’administrateur. C’était impossible. On ne pouvait plus asseoir sur un
même banc avec des enfants des Tutsi riches parce qu’ils disaient "Vous
assayez ensemble avec les enfants des régicides ?". Ainsi, nous avons
intériorisé que les Hutu étaient des régicides »294.
Mais, avec le temps, on pouvait remarquer un léger mieux par rapport à la fin de la crise 295.
L’obligation de vivre en commun n’aurait-il pas amené les deux camps à vivre une hypocrisie
caractérisée par un silence sur les événements ? Un habitant de la commune Buhinyuza
reconnaît cette hypothèse et considère la crise de 1972 comme une endémie :
Toutefois, les relations entre les deux composantes dépendaient du comportement adopté par
l’un ou l’autre au cours des événements. Ceux qui s’étaient beaucoup démarqués dans ces
mauvais actes, il leur était difficile de se réconcilier avec les Hutu. Le bon voisinage s’était
détérioré mais les uns entretenaient des bonnes relations et d’autres non. Alors ceux-là qui ne
ouvaient plus vivre le bon voisinage, c’étaient des Tutsi qui avaient spolié les biens des
Hutu297. Donc, les Hutu ont gardé une rancœur.
293
RUZOVAHANDI Modeste, enseignante à Ntega, 67 ans, Kavogero, le 14 octobre 2015
294
Focus group, Burara, le 3 février 2016
295
BUKURU Balthazar, 61 ans, Kibimba, le 6 octobre 2015
296
Anonyme, Nyarunazi, le 6 octobre 2015
297
RUGAMBARARA Gérard, ancien comptable communal à Busoni, 76 ans, Burara, le 11 octobre 2015
107
CONCLUSION GENERALE
Ce travail se proposait d’étudier dès le début la crise de 1972 dans la province de Muyinga à
partir de la question de savoir si l’évolution historique de cette province a comme
soubassement les événements de 1972, en passant par son déroulement, jusqu’à son impact
dans la province.
Dans notre démarche, il nous a semblé important de revenir sur l’évolution historique de la
province en y incluant la question des réfugiés rwandais qui a provoqué un mouvement des
réfugiés rwandais au Burundi et qui a contribué à la structuration de la « haine ethnique ».
Cette province, étant à la frontière rwandaise, n’était pas à l’abri du « modèle rwandais ».
Cela étant, les Tutsi du Burundi avaient la psychose de subir le sort de leurs frères du
Rwanda.
Dans cette perspective, ce chapitre nous a introduit dans l’analyse de l’impact des crises
antérieures à 1972 sur la province de Muyinga. De façon directe, la crise de 1965 s’est
répercutée sur la vie de la province étant donné que le commandant Antoine Serukwavu se
trouvant à la tête de la tentative de coup d’Etat était originaire de cette région. D’autres crises
comme celles de 1969 et de 1971 n’ont pas eu des conséquences directes sur la région. Mais,
si l’on considère le pays comme un corps dont la tête est la capitale, nous serons proches de la
vérité si nous admettons que les crises de 1969 et de 1971 ont eu des répercutions indirectes
sur la province car si la tête d’un corps souffre, tout le reste endure.
298
MANIRAKIZA M., Op.cit., p.109
108
Pour le bilan humain, jusqu’actuellement, le nombre exact n’est pas connu sauf quelques
estimations. Mais ce dont on est sûr, c’est que certains services restaient quasiment dépourvus
de personnel, tel que l’enseignement et les services sanitaires. En plus des gens tués, s’ajoute
le départ des réfugiés vers l’extérieur du pays surtout au Rwanda où ils s’organiseront pour
revenir attaquer le pays en 1973.
En outre, du point de vue matériel, les biens des veuves et des orphelins ont été saisis.
D’autres veuves ont été forcées de vendre leurs biens à un prix voulu par les bourreaux de
leurs maris. Avec cette spoliation des biens, les survivants mènent une vie miséreuse. Dans le
même sens, certains ayant une certaine aisance matérielle auraient été tués pour saisir leurs
biens. Avec cet appât des biens, même un simple agent de l’administration s’adonna à
l’arrestation pour pouvoir piller.
Le troisième et dernier chapitre nous a introduits dans l’analyse des démarches mises en
œuvre pour retrouver la paix. En effet, du côté du pouvoir politique, on a organisé des
tournées de sensibilisation annonçant la fin de la répression. Ces tournées furent complétées
par les messages que les évêques catholiques ont adressés aux chrétiens de différentes
paroisses. On peut admettre que les deux messages ne furent pas écoutés, car le calme ne fut
qu’éphémère en raison de l’attaque de mai 1973 qui provoqua le renouvellement des
violences localisées dans l’arrondissement de Kirundo.
109
Cette attaque engendra d’autres fronts des réfugiés vers le Rwanda. Ainsi, le climat restera
longtemps mauvais, en témoigne le qui-vive sur lequel étaient les JRR.
Les conséquences liées à cette crise furent entre autres, l’occupation des terres des réfugiés
burundais et des victimes, surtout les gens originaires de Kayanza qui s’étaient établis dans
cette région de Busoni très proche du Rwanda. Après 42 ans comptés à partir de 1973, les
séquelles de cette attaque, en l’occurrence les conflits fonciers, existent encore.
En plus, la crise de 1972-1973 a encore une fois restructuré la « conscience ethnique ». Flou
tout au début, mais avec le temps, les Hutu ont fini par constater que la culpabilité d’être des
régicides aurait été un « crime forgé » ou un prétexte pour légitimer ce que René Le
Marchand appelle le « génocide sélectif » des Hutu. Ainsi, à travers la mémoire hutu, on
décèle une sorte de chagrin qui reste toujours d’actualité : interdiction de pleurer les morts,
pas d’ensevelissement des morts, les survivants entachés d’identité « d’abamenja » et des
tortures diverses.
On peut admettre que les mémoires sont en partie controversées. La mémoire des Hutu est
opposée à celle d’une partie des Tutsi, alors qu’une autre partie des Tutsi a une mémoire
proche, mais pas totalement, de celle des Hutu. Peut-on également admettre que la mémoire
des Ganwa pourrait être qualifiée d’intermédiaire à celles des deux composantes sociales
majoritaires ?
Enfin de compte, à la fin de la crise, les relations entre Hutu et Tutsi ont été mises en mal. La
cassure entre les deux composantes sociales fut presque totale à la fin de la crise. Mais les
rapports sociaux reprendront petit à petit malgré la persistance de certaines traces comme la
méfiance de l’école chez les Hutu psychotiques du carnage des intellectuels.
Avant de mettre un point final à cette étude, signalons que cette dernière ouvre des
perspectives. Le temps et les moyens dont nous disposions ne nous ont pas permis de faire un
comptage des victimes colline par colline. La poursuite de cette recherche s’avère donc
indispensable. Ainsi, les victimes déversées dans les fosses communes ne provenaient pas des
mêmes régions. Ne faudrait-il pas mener des fouilles archéologiques là-dessus pour savoir qui
et combien ont été déversées là-dedans ?
110
BIBLIOGRAPHIE
1. OUVRAGES GENRAUX
1. BINION R., Introduction à la psycohistoire, Paris, PUF, 1982
2. BURGUIERE, A., (dir.), Dictionnaire des sciences historiques, Paris, PUF, 1986
3. CARBO, C., Colonialismo e neocolonialismo. La vicenda stonca del Rwanda e del
Burundi, Palemo (Italie), ARACNE, 1974
4. CHRETIEN, J.P., L’Afrique des grands lacs, deux mille ans d’Histoire, Paris, Aubier,
2000
5. CHRETIEN, J-P. et DUPAQUIER, J-F., Burundi 1972. Au bord des génocides, Paris,
Karthala, 2007,
6. CHRETIEN, J-P. et PRUNIER, G., Les ethnies ont une histoire, Paris, Karthala;1989
7. GAHAMA, J., Le Burundi sous l’administration belge. La période du mandat (1919-
1939), Paris, Karthala, 1983
8. -GUICHAOUA, A., Exilés, réfugiés, déplacés en Afrique centrale et orientale, Paris,
Karthala, 2004
9. KABURAHE A. et NTAMWANA, S., Soyons les serviteurs de la vie, Bruxelles, Le
Roseau Vert, 2005
10. KAYOYA, M., Entre deux mondes : d’une génération à une autre, Bujumbura,
Presses Lavigerie, 2007
11. LE GOFF, J., Histoire et mémoire, Paris, Gallimard, 1988
12. MANIRAKIZA, M., La fin de la monarchie Burundaise 1962-1966, Bruxelles, Le
Mât de Misaine, 1990
13. MANIRAKIZA, M., De la révolution au régionalisme : Burundi (1966-1967),
Bruxelles, Le Mât de Misaine, 1992
14. MARIRO, A., Burundi 1965 : La 1ère crise ethnique, Paris, L’Harmattan, 2009
15. MARIRO, A., Burundi : De la nation aux ethnies ou la naissance d’une élite
tribalisée, Paris, L’Harmattan, 2002
16. MBONIMPA, M., Hutu, Tutsi, Twa : Pour une société sans caste, Paris,
L’Harmattan, 1993
17. MWOROHA, E., Peuples et rois de l’Afrique des lacs. Le Burundi et les royaumes
voisins au 19è siècle, Dakar-Abidjan, les Nouvelles Editions Africaines, 1977
111
18. NDAYIZEYE, E., L’Eglise catholique du Burundi ne s’est pas tue devant la violence,
Ascoli Piceno (Italie), Tipografia Liena Grafica, 2010
19. NENO Contran, MCCJ, N’abo barabarasa ! Abihebey’Imana 58 mu Burundi
barishwe : Abapatiri, Abafrera, Ababikira, Nairobi, Paulines Publications Africa,
1996
20. NGAYIMPENDA, E., Histoire du conflit politico-ethnique burundais, Les premières
marches du calvaire (1960-1988), Bujumbura, Librairie des Lettres et Sciences
sociales, 2004
21. NIEMEGEERS, M., Les trois défis du Burundi. Décolonisation-Démocratie-
Déchirure, Paris, L’Harmattan, 1995
22. NSANZE, A., Le Burundi contemporain. L’Etat-nation en question (1956-2002),
Paris, L’Harmattan, 2003
23. REPUBLIQUE DU BURUNDI, Livre blanc sur les événements survenus au mois
d’avril et mai 1972, Bujumbura, Ministère de l’Information, 1972
24. RODEGEM F.M., Dictionnaire Rundi-Français, Tervuren, Annales du Musée royal
d’Afrique centrale, 1970,
25. SHIBURA, A., Témoignages, Bujumbura, 1993
2. THESES ET MEMOIRES
1. BARUTWANAYO, A-J., Le droit et le devoir de mémoire au Burundi : 1962-2014,
mémoire de master en droit international, Université Espoir d’Afrique, Bujumbura,
2014
2. MUNTUNUTWIWE, J.S., La violence politique au Burundi : Essai d’analyse
explicative, thèse de doctorat en Sciences Politiques, Uppa, Pau, 2009
3. NAYABAGABO, J-C., Lecture conflictuelle des événements de 1972 et 1988 par les
acteurs politiques burundais, U.B, Bujumbura, 2008
4. NDAYIRUKIYE, A., La crise politico-ethnique de 1972 en commune de VYANDA :
essai d’analyse, U.B. Bujumbura, 2007
5. NDAYISABA S., L’Eglise catholique face aux conflits politiques du Burundi, 1965-
1972, U.B., Bujumbura, 2008
6. NDAYISHIMIYE, P., Les tentatives d’explication des crises des régimes politiques
africains post-coloniaux (1960-1995) : cas du Burundi, U.B. Bujumbura, 1996
7. NDAYONGEJE N., Essai d’analyse du phénomène de contagion dans les crises
politiques rwandaises et burundaises : 1959-1997, U.B. Bujumbura, 2000
112
ANNEXES
114
Questionnaire d’enquête
I. UMWIDONDORO W’UWUBAZWA
AMAZINA :
IMYAKA :
IGITSINA :
UBWOKO (CANKE UMURYANGO) :
AKAZI :
UMUTUMBA :
IKOMINE :
INTARA
II. IBIBAZO
1. Intambara y’amoko yabaye mu Rwanda imbere y’ukwikukira muracayibuka ?
2. Integuro z’ugutembagaza ubutegetsi zabaye ku ntwaro ya Mwambutsa be n’iya Micombero
muyiziko iki ?
3. Imbere yuko ico kiza co 1972 kiba, mwari mutwawe gute?
4. Imbere yuko ico kiza co 1972 kiba, amoko yari abanye gute? Abihebeye Imana bo?
5. Ico kiza cagenze gute? Ni bande bari babifisemwo uruhara ?
6. Abishwe bahambwa gute ? Hehe ?
7. Hoba hari abantu bahunze ?
8. Icokiza hari ibintu cahitanye (ivyasahuwe, ivyibwe, ivyasambuwe) ?
9. Hoba hari abantu bakingiye abandi ?
10. Ni iki cakozwe kugira amahoro agaruke aha iwanyu ?
11. Igitero cabereye i Busoni inyuma yo 1972 cagenze gute?
12. Muri ico kiza co 1972, ni igiki cakubabaje utigera wibagira ?
13. Inyuma y’ico kiza, umubano hagati y’amoko wari wifashe gute ?
14. Ni igiki cabagoye mukugarukana amahoro ?
15. Mbega intara ya Muyinga hoba hari ico yisangije mu vyerekeye urwo rwimo rwo 1972 ?
Fosse commune de Gisenyi Fosse commune de Nzove
Documents divers
Cher confrères,
J’ai appris que dans certaines paroisses de mon diocèse confiées aux Pères Blancs et aux
prêtres Fidei Donum, la lettre pastorale des évêques du Burundi désireux de la paix dans la
justice, n’aurait pas été respectée : -certains n’en auraient présenté au Peuple de Dieu que
certaines phrases à leur goût, tirées malicieusement du contexte, ou se seraient uniquement
contentés d’en faire une interprétation et combien fantaisiste ; -d’autres auraient même eu
l’inqualifiable audace d’en omettre purement et simplement la lecture.
La lettre pastorale des évêques, parce qu’elle met en évidence l’unité à restaurer malgré tout,
la justice et le pardon, n’aura sans doute pas satisfait votre état d’esprit divisionniste par
excellence, que la note de vos supérieurs aux évêques du Burundi vient de trahir une fois de
plus ; et pour cette raison, vous avez réservé à notre lettre l’accueil fait à un vieux papier
d’emballage.
Pour que à tout prix notre mission actuelle de travailler à la réconciliation, à la pacification, et
au pardon mutuel, rappelée par la lettre commune des évêques du Burundi, en date du 24 mai
1972 soit accomplie, je vous intime de nouveau l’ordre de lire intégralement ou de relire
purement et simplement, cette lettre pastorale pendant toutes les messes du dimanche qui
suivra ma réception de la présente circulaire.
121
S’il vous reste encore quelque brin de prudence et surtout d’obéissance, aux chefs de l’Eglise
du Burundi que vous êtes venus épauler dans leur tâche de bons pasteurs, j’ose espérer que
vous mesurerez toutes les fâcheuses conséquences qu’entraînerait pour vous toute nouvelle
prise de position, de votre part, contraire au contenu de ce rappel à une collaboration franche
et en même temps condamnation de toute forme de désolidarisation.
+ Nestor Bihonda
Pour information :
Nonciature