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http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=CEP&ID_NUMPUBLIE=CEP_051&ID_ARTICLE=CEP_051_0007
2006/2 - n° 51
ISSN 0154-8344 | ISBN 2-2960-2657-5 | pages 7 à 25
Stéphane LONGUET1
à Michel ROSIER
à Hélène BUSTOS
Une telle question de définition peut être abordée de deux manières, d'un point
de vue contextuel, d'un point de vue analytique. La première option renvoie à la
mise en évidence de la genèse historique d'un courant, d'une tradition, à l'analyse de
sa formation, de ses ramifications, de ses influences. La seconde invite à étudier la
structure des théories, la formation des concepts et les positions défendues, considé-
rées dans leur contenu ou dans leur mode de validation. Même si ces deux options
sont loin d'être exclusives, et si la réflexion analytique passe nécessairement par une
réflexion sur le contexte intellectuel, voire historique, les articles qu'on lira dans ce
numéro développent avant tout une approche analytique.
Tout devrait opposer ces deux courants, d'un côté des auteurs dont certains se-
ront les défenseurs acharnés du libéralisme, de l'autre des critiques radicaux du ca-
pitalisme ; d'un côté des adeptes de la théorie de la valeur travail, de l'autre des
défenseurs d'un concept d'utilité marginale4. La liste des oppositions pourrait être
longue et elle serait lassante. Il semble plus intéressant de reformuler la question
initiale à la lumière de ces nouvelles indications : les économistes autrichiens ont-ils
des traits communs qui les singularisent malgré leurs claires différences ?
auteurs qui, tout en se situant dans la filiation de Menger, adoptent la théorie du capital de Böhm-
Bawerk dénoncée par Menger.
3. La naissance de l'austromarxisme peut être datée de la création par Max Adler des Marx Studien, en
1904 et de celle de la revue Der Kampf, créée en 1907 par Otto Bauer, mais aussi de la création, en
1903 de l'association Zukunft qui va ouvrir un collège ouvrier et mettre en œuvre de nouvelles prati-
ques pédagogiques.
4. Comme l'a souligné E. Kauder (Kauder, 1970), l'opposition sur la théorie de la valeur n'était pas si
tranchée et O.Bauer et K. Renner cherchaient à concilier théorie de la valeur travail et théorie de la va-
leur utilité en distinguant leurs domaine de validité. Mises va dans le même sens, se disant convaincu
de l'évolution de Bauer sur la théorie de la valeur (Mises, 1978).
5. Cf. W. Johnston (1972, 1985).
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Les économistes autrichiens (1870-1940)
critique que de l'anathème. Karl Renner, en 1893, avait étudié l'économie avec
Menger. Hilferding et Otto Bauer ont de leur côté assisté au séminaire de Böhm-
Bawerk. Ce dernier a pris la peine d'entreprendre une critique méticuleuse du texte
de Marx lui-même, lui accordant ainsi le statut d'un économiste à prendre en consi-
dération et non d'un pamphlétaire à négliger. Il faudra attendre le débat sur le socia-
lisme dans les années 20 et 30, et l'option libérale de plus en plus affirmée de Mises
et Hayek, pour voir disparaître tout véritable échange entre mengériens et marxistes.
Ainsi se pose la question de rapprochements éventuels que l'on peut repérer en-
tre des auteurs qui relèvent de traditions différentes6. Une question comparable
émerge à l'égard d'économistes dont la démarche est à priori plus proche de celle
des mengériens. Schumpeter doit-il être rapproché de ces derniers ? Qu'en est-il de
l'un des fondateurs de la théorie des jeux, Oskar Morgenstern, qui participait aussi
bien au séminaire de Mises qu'à celui du cercle de Vienne ? L'influence autri-
chienne chez celui-ci, en effet, comme le montre Christian Schmidt, n'est pas ab-
sente, mais elle se situe d'abord dans la position critique qu'il adopte à l'égard des
mengériens en utilisant des connaissances en logique et philosophe analytique ac-
quises au contact de membres du Cercle de Vienne ; ensuite, bien plus tard, on la
décèle dans l'interprétation sociale de la théorie des jeux en termes de "standards de
comportement".
Nous nous limiterons donc ici à repérer plusieurs traits communs, susceptibles
de singulariser les Autrichiens malgré la différence de cadres théoriques : le premier
concerne la méthode de l'analyse économique, le second renvoie à la dimension co-
gnitive des processus économiques, le troisième à la représentation d'une économie
monétaire fondée sur une structure de production.
6. La question se pose d'autant plus qu'à l'intérieur de chaque approche des différences importantes
peuvent apparaître entre les auteurs. Gilles Dostaler souligne ce point important pour la tradition men-
gérienne et étudie le rapport complexe entre cette tradition et les autres courants de ce que l'on a appe-
lé la "révolution marginaliste". Les austromarxistes se divisent aussi après la première guerre
mondiale mais pour des raisons qui sont plus politiques. Ils adoptent néanmoins une position, par rap-
port à l'orthodoxie du marxisme de cette époque, qui manifeste leur originalité.
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Stéphane Longuet
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Les économistes autrichiens (1870-1940)
volonté de mettre l'accent sur le taux de croissance plus faible des salaires par rap-
port à celui de la richesse sociale. Cette position oublie, selon Max Adler, les "ten-
dances agissantes pures" au sein des phénomènes empiriques. La science ne peut se
contenter d'une telle position car "c'est après tout le chemin universel et unique de la
science que de devenir exacte" ; elle ne peut, ajoute Adler, identifier les lois de ses
objets qu'en les isolant par la pensée (Adler, cité par Mozetic, 1987, p.66). La
hausse des salaires est un phénomène empirique qui relève en cela de causes multi-
ples, dont, en particulier, l'action même de la social-démocratie. Seule la théorie
pure permet d'identifier des lois qui, certes n'existent que dans l'abstraction, mais
qui n'en permettent pas moins d'appréhender la logique profonde du capitalisme.
Dès ses premiers ouvrages, Wieser met en avant une telle démarche. Elle s'ins-
crit chez lui dans le cadre de la méthode d'"abstraction décroissante". Sans entrer
dans l'évaluation de cette position, nous soulignerons que le point de départ de
l'analyse correspond au niveau le plus abstrait. L'économie centralisée, planifiée, est
donc une "supposition" qui permet de faire abstraction, dans un premier temps, des
caractéristiques plus concrètes de l'économie. Considérer la façon dont cette démar-
che est mise en œuvre permet de révéler comment se déploient des problématiques
différentes.
Chez Wieser, cette économie planifiée est une économie simple. Cela signifie
que le commandement est opéré par un agent rationnel, susceptible d'appliquer le
calcul économique. La fiction d'une économie planifiée permet de distinguer cette
méthode d'une simple robinsonnade, c'est-à-dire de la réduction de cette première
étape à un simple préalable microéconomique7. Il s'agit d'envisager la coordination
d'une "nation entière" (p.9) dotée d'un appareil productif complet. On suppose, ce-
pendant, que les problèmes de coordination sont simplifiés car on considère "un
7. A plusieurs reprises, Wieser souligne ce point ; cf. p.9, mais aussi p. 19 : " Mais nous n'avons pas à
l'esprit l'économie d'un ménage isolé. Nous envisageons plutôt une économie qui a l'ampleur d'une
économie nationale avec toute sa richesse, sa connaissance technique et ses problèmes de calcul éco-
nomique. Mais cette large économie est guidée par un esprit unique".
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peuple dirigeant ses grandes forces vers quelque but commun" (ibid.) et doté "d'un
directeur qui prévoie les fins, soupèse sans erreur ni passion et maintient une disci-
pline qui assure que tous les ordres sont exécutés avec la précision et la compétence
la plus élevée sans perte d'énergie" (p.20). L'analyse de l'économie complexe, opé-
rée par un dépassement de l'abstraction fictive de l'économie simple, concerne une
économie dans laquelle la coordination d'agents séparés passe par la prise en
compte des contrats, de la monnaie mais aussi des relations de pouvoir.
Hayek est sans doute l'économiste autrichien qui a le plus explicitement adopté
cette démarche dans The Pure Theory of Capital (1941). Reprenant la distinction
entre économie simple et économie concurrentielle, il les articule, comme Wieser,
autour d'une différence de niveau d'abstraction8. Cette démarche permet alors de
décliner plusieurs concepts pour penser la coordination partant de l'équilibre assuré
par un commandement central, passant à l'équilibre concurrentiel entre agents indé-
pendants pour aboutir, dans la dernière période de son œuvre, au concept d'ordre
spontané au contenu le moins "fictif".
Cette méthode permet bien de distinguer les problèmes essentiels pour chaque
auteur. Il en est ainsi de Schumpeter qui utilise la fiction d'une économie socialiste
pour développer, comme le souligne Odile Lakomski, l'idée de comptabilité sociale
à partir de laquelle il va avancer sa propre conception de la monnaie. En particulier,
Schumpeter insiste sur la possibilité d'établir une unité de compte de manière dis-
crétionnaire ce qui est, souligne-t-il, "le cœur de l'institution monétaire de l'écono-
mie de marché" (Schumpeter, 2005, p.143).
Si cette référence au socialisme constitue pour lui une étape nécessaire, l'utili-
sation de cette référence semble quelque peu différente de ce qu'elle est chez Wieser
et Hayek. Schumpeter oscille en effet, malgré la cohérence de sa démarche, entre
une référence simplificatrice et méthodologique – ce qui le rapproche en cela de
Wieser et Hayek- et l'analyse élémentaire d'un type particulier de système économi-
que, ce dont témoignent les références éparses au débat sur le socialisme.
En cela il se situe entre les mengériens et les marxistes. Si l'on considère en ef-
fet Le Capital financier de Hilferding (1910) ou le texte d'Otto Bauer traduit dans
ce volume (1913), on constate que le raisonnement, chez ces deux auteurs, utilisait
déjà la référence au socialisme pour faire ressortir les traits considérés comme es-
sentiels d'une économie capitaliste. Hilferding ouvre son ouvrage par la distinction
entre les deux types de communautés. Dans la première, existent des organes qui
8. " Cette transition vers un ensemble d'hypothèses qui sont un peu plus étroitement reliées aux phé-
nomènes réels ne signifie pas, cependant, que nous entreprendrons d'expliquer le processus réel sur un
marché concurrentiel […]. La transition de l'étude de l'équilibre dans une économie simple à celle de
l'équilibre dans une économie concurrentielle signifie ici passer des plans d'un individu à l'analyse de
la compatibilité des plans indépendants de nombre d'individus » (1941, p.247).
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Les économistes autrichiens (1870-1940)
D'une manière plus ramassée encore dans le cadre d'un article, la référence au
socialisme a aussi, chez Otto Bauer, une fonction économique importante. Le pro-
blème qui l'occupe est celui du rapport entre croissance de la population et accumu-
lation. Comme chez Hilferding, le socialisme se caractérise par le caractère
conscient avec lequel les ajustements économiques sont réalisés. L'organe de plani-
fication "veille à ce que l'expansion de la capacité productive du stock de biens de
subsistance progresse au même rythme que l'accroissement de la population" (p.4).
La société capitaliste manque d'une telle instance consciente, et la question se pose
alors de savoir si, en son absence, une accumulation du capital fondée sur les déci-
sions privées des capitalistes peut permettre de satisfaire durablement les besoins
d'une population croissante.
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Stéphane Longuet
Cette dimension cognitive, déjà présente chez Carl Menger, a souvent été oc-
cultée et David Versailles montre qu'il faut en rechercher l'une des origines dans la
seconde édition des Grundsätze par son fils Karl. Membre du cercle de Vienne, ce-
lui-ci a affadi le texte de Menger en réduisant ses aspects cognitifs. Wieser, en
1914, définissait de son côté la tradition dont il se réclamait comme l' "école psy-
chologique", parce que "[…] la théorie prend son point de départ de l'intérieur, de
l'esprit de l'homme économique" (p.3). Pourtant, il ne faut pas s'y tromper souligne
Wieser, ce serait une illusion de considérer que la théorie économique pourrait s'ap-
puyer sur la psychologie scientifique car "les tâches [de ces] deux branches de la
connaissance sont entièrement distinctes" (p.3).
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Les économistes autrichiens (1870-1940)
prendre les autres acteurs, c'est-à-dire que les actions des autres sont intelligibles
pour chacun. Cette nécessaire compréhension impose de réfléchir aux conditions
d'intelligibilité. De ce point de vue, l'analyse de l'épistémologie et de la méthodolo-
gie nous renseigne sur les processus cognitifs. La notion d'a priori, défendue pour-
tant de manière bien plus extrême par Mises et Rothbard peut être envisagée de
manière plus fructueuse comme condition d'intelligibilité, comme condition permet-
tant la compréhension de l'action des autres, comme nous y invite Maurice La-
gueux : il ne s'agirait plus d'utiliser cette notion pour affirmer le caractère
universellement valable de la théorie économique, mais pour souligner que la com-
préhension de l'action repose sur certaines conditions qui précèdent l'expérience.
Si la notion d'a priori nous renvoie à l'influence kantienne présente dans les
pays de langue allemande à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, la notion de
compréhension, de Verstehen est associée, plus précisément, à l'œuvre de Max We-
ber. L'attention à l'égard des processus cognitifs conduit à une interrogation sur les
relations entre la tradition mengérienne et la sociologie wébérienne. La critique de
Weber développée par Mises dans "Sociologie et histoire" (Mises 1929, in Mises,
1981), pourrait faire penser qu'une ligne de fracture profonde divise les deux appro-
ches. La relation est pourtant bien plus complexe car, d'une part Weber lui-même
avait été influencé par Menger et l'on sait qu'il avait mis comme condition de sa
participation au Grundrisse der Sozialökonomie que Wieser se voit attribuer la sec-
tion principale sur la théorie économique (W.C. Mitchell, 1927). Les critiques de
Mises, d’autre part, ont ouvert une discussion sur l'apport de Weber dans son propre
séminaire. Alfred Schütz [1899-1959], par exemple, a entrepris une relecture criti-
que de l'œuvre de Weber à l'aide de la phénoménologie husserlienne et il s'est net-
tement démarqué des critiques de Mises (A.Schütz, 1932). Finalement, et sans
entrer dans les relations complexes entre les deux approches, la sociologie wébé-
rienne semble fournir une source d'inspiration possible au moins partielle pour une
analyse des processus cognitifs qui ne s'adosserait pas à la psychologie. Loin de ne
concerner que la méthodologie, les travaux d'A. Schütz peuvent offrir une telle ap-
proche renouvelée des processus cognitifs.
Cette attention portée aux problèmes de cognition n'est sans doute guère éton-
nante de la part d'un courant qui s'est lui-même défini comme subjectiviste. On
pourrait s'attendre, dès lors, à ce que les marxistes, attentifs aux contraintes de re-
production qui pèsent sur les individus, ne soient conduits à négliger totalement ces
problèmes. Or ce n'est pas le cas et les austromarxistes s'intéressent aux processus
cognitifs qu'ils essaient de replacer dans un contexte social et économique.
Karl Renner l'avait souligné en 1929 : "Aucun économiste n'a décrit la psycho-
logie des agents de production aussi subtilement que Marx, aucun n'a analysé les
motivations économiques des volontés individuelles à chaque stade de production
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Stéphane Longuet
aussi prudemment et avec autant de perspicacité". Il faut, dès lors, pour Karl Ren-
ner, récuser l'opposition entre les méthodes objectiviste et subjectiviste qui empê-
cherait de percevoir que l'opposition réelle se situe entre une théorie générale des
motivations individuelles et une théorie qui replace fermement les motivations dans
un cadre précis. Ainsi Karl Renner précise-t-il, dans une phrase où l'on retrouve
cette volonté de démarquer l'analyse économique de la psychologie : "La méthode
de Marx diffère de celle de Menger en ce qu'elle n'est pas une méthode de psycho-
logie individuelle mais de psychologie sociale quoiqu'en aucune manière une mé-
thode purement psychologique" (Karl Renner, 1929, 1949, p.95).
Cette défense de Marx conduit à des positions assez surprenantes si l'on songe
aux développements de la pensée d'auteurs mengériens. Ainsi, l'approche préconi-
sée ne semble guère éloignée d'une forme d'individualisme méthodologique enri-
chie : "La sociologie […] doit chercher et trouver la société là ou toute expérience
est seule possible, à savoir dans la conscience individuelle. De ce fait, même la
science sociologique ne peut pas partir d'une totalité mais doit commencer avec
l'individu" (Max Adler, in Bottomore, 1978 p.75). Ce n'est que dans cette perspec-
tive individualiste que le concept de société peut avoir un sens : "En conséquence,
le point de départ pour Marx n'est pas la société qui en elle-même est une abstrac-
tion vide si ce n'est une hypothèse métaphysique" (ibid, p.65) et la "causalité so-
ciale" n'est réalisable "qu'à travers les jugements et les aspirations humains" (ibid.,
p.72). L'effet des tarifs douaniers par exemple ne peut s'interpréter uniquement
comme la relation mécanique entre deux variables, mais ne peut que faire intervenir
les motivations des individus (socialisés). Ainsi Max Adler apparaît plus éloigné de
l'universalisme d'Othmar Spann que de l'individualisme des mengériens. Cela sem-
blerait, finalement, donner raison à Spann qui, dans sa vaste fresque de l'histoire de
la pensée économique, opposant universalistes et individualistes, rangeait Marx
parmi les individualistes comme nous le montre Jean-Jacques Gislain.
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Les économistes autrichiens (1870-1940)
Il est alors assez logique que l'on soit conduit, chez Max Adler, à un rappro-
chement avec la sociologie wébérienne. La sociologie, accepte Adler, est une
science interprétative (p.70) mais encore faut-il préciser les contours d'une notion
acceptable d'interprétation car le sens que lui donne Weber est trop proche de la
psychologie. Il est nécessaire de montrer que "l'association sociale est déjà trans-
cendentalement donnée comme catégorie de connaissance de la conscience [car]
[t]oute compréhension repose sur ce caractère transcendantal social de la cons-
cience " (p.70). Max Adler s'appuie donc sur Kant pour reprendre Weber à travers
une critique du concept d'interprétation, comme Alfred Schütz utilisera plus tard
Husserl pour reformuler le concept de sens subjectif de Weber, afin de rendre ac-
ceptable sa méthodologie aux mengériens.
Sans doute l'ensemble de la pensée de Max Adler n'est-elle pas reprise par tous
les austromarxistes. Elle témoigne bien, cependant, de la volonté d'approfondir
l'analyse du comportement individuel et d'en faire un élément central. On peut dès
lors comprendre pourquoi on a pu soutenir que les freudo-marxistes (Wilhem Reich
[1897-1957], Otto Fenichel [1897-1946], Siegfried Bernfeld [1892-1953]) sont is-
sus des milieux austromarxistes (Glaser, 1982, p .28).
L'attention portée aux processus cognitifs et la réflexion sur les effets qu'ils ont
sur l'analyse de l'économie et de la société, constituent bien des caractéristiques qui
rapprochent, plus qu'on ne pouvait le penser, mengériens et marxistes. Même la di-
mension sociale de l'action individuelle est interrogée par les mengériens, comme
nous l'avons vu dans le cas de Menger et Wieser. Plus généralement, l'hostilité au
psychologisme, présente dans les deux courants, témoigne de la volonté de déve-
lopper une analyse des processus cognitifs à partir des problématiques propres aux
sciences sociales et non comme une simple application des découvertes de la psy-
chologie théorique.
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La relation entre monnaie et production est un élément essentiel des deux types
de représentation de l'économie.
Il n'en demeure pas moins que, pour tous les auteurs, la monnaie apparaît cen-
trale. Elle est indissociable du marché chez Wieser par exemple car la monétarisa-
tion de l'économie conduit à la disparition de l'individu "autosuffisant" et, en
conséquence, au recours accru au marché, d'abord pour obtenir les biens désirés, en-
suite pour acquérir un revenu monétaire. On ne peut alors comprendre le fonction-
nement et la dynamique du capitalisme sans prendre en compte la monnaie.
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Les économistes autrichiens (1870-1940)
La monnaie, bien que centrale, ne fournit pas à elle seule une représentation
complète du système économique. Wieser met sur la voie lorsqu'il s'interroge sur ce
qui fait "l'unité" de l'économie. C'est pour lui la production, et, sans doute, l'ensem-
ble des Autrichiens, mengériens ou marxistes, se reconnaîtrait dans une telle posi-
tion. Avec des différences importantes selon les auteurs, tous vont s'attacher à
étudier la structure de la production. Les marxistes s'appuient sur un modèle bisec-
toriel pour étudier les relations entre la section qui produit des biens de consomma-
tion et celle qui produit des biens de production. Comme le souligne Christian
Tutin, cette approche en sections productives fera place, à partir des années 30, à un
modèle agrégé.
On peut dès lors concevoir que des rapprochements puissent être effectués sur
les analyses des déséquilibres économiques et en particulier des crises.
Les auteurs en effet en viennent tous à mettre l'accent sur la monnaie de crédit.
Le déséquilibre qu'elle provoque n'est pas nécessairement négatif comme le révèle
la théorie de Schumpeter. C'est la monnaie de crédit qui, en facilitant les innova-
tions mises en œuvre par l'entrepreneur, permet de sortir du circuit stationnaire et
d'engager l'économie dans le développement. Chez Hilferding, le rôle du crédit est
fondamental et ambivalent. Il facilite l'accumulation du capital en desserrant la
contrainte de la monnaie or. En cela Hilferding préfigure non seulement Schumpe-
ter mais aussi le Hayek de Monetary Theory of the Trade Cycle (1929). Ensuite, il
est aussi un des éléments de la crise en favorisant la production sans doute, mais
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Stéphane Longuet
aussi les marchés financiers. La monnaie de crédit est à la fois un facteur de déve-
loppement et une source d'instabilité. Elle est bien la "monnaie spécifique du capita-
lisme" (Christian Palloix). C'est pourtant sur le seul aspect déstabilisant
qu'insisteront Mises et Hayek (1931) dans des analyses qui cherchent à montrer l'ef-
fet néfaste de l'élasticité de l'offre de monnaie.
On pourrait, dès lors, confronter deux à deux des auteurs de traditions différen-
tes en ce qui concerne l'analyse des mouvements du capitalisme.
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Les économistes autrichiens (1870-1940)
Il semble bien qu'une confrontation fructueuse puisse être opérée entre les ap-
proches mengérienne et austromarxiste, confrontation susceptible de renouveler les
interprétations des auteurs. Les thèmes que nous avons évoqués ici ne sont, bien
sûr, pas exhaustifs, et nous aurions tout aussi bien pu, par exemple, étudier la façon
dont s'articulent processus économiques et institutions ou comparer les approches
mengérienne et austromarxiste avec certains aspects du courant keynésien ou avec
les analyses contemporaines évolutionnistes et institutionnalistes.
9. Ces journées ont pu se tenir grâce aux financements des Universités de Picardie et de Paris VIII.
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mais aussi convivial et cordial, qui reste dans le souvenir des participants. Il souhai-
tait voir aboutir cette publication. Elle lui est dédiée.
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Les économistes autrichiens (1870-1940)
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