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marseillais
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volontairement à un public qui correspondait, par ses origines culturelles et
sociales, au profil théorisé par les discours publics des siffleurs du stade. Le
sifflement de la Marseillaise constitue un point de départ idéal pour la pièce et pour
les entretiens : il rappelle l’Histoire – les Vêpres marseillaises ont été déclenchées en
1881 par des sifflements italiens de la Marseillaise chantée par des soldats français
revenus de Tunisie où ils disputaient le protectorat à l’Italie ; en outre, en 1881
comme en 2001, il met en scène la même logique rhétorique d’un raisonnement
d’exclusion bâti sur un cas particulier ou comment généraliser le comportement
d’un petit nombre de personnes pour stigmatiser une communauté entière (Noiriel,
2008).
Les onze entretiens réalisés auprès de jeunes adolescents et d’adultes des quartiers
nord et du centre-ville de Marseille réveillent ces contradictions, étouffées par
l’Histoire enseignée à l’école ; et révèlent, tel un négatif, les tensions identitaires
incorporées dans les représentations et les comportements des personnes
interrogées sur leur place dans ce « nous » national et républicain. Ces entretiens
s’engageaient à donner la parole à ces « siffleurs » potentiels et à nourrir l’écriture
de la pièce La marseillaise etc. En retour, l’œuvre fictionnelle, avec ses personnages
aux origines italienne, russe, juive et allemande, s’offrait comme rappel historique
de ces enfants d’immigrés dont on ne parle plus (d’autres vagues d’immigrations les
ont supplantés) mais dont les origines ont aussi servi de pion pour les échiquiers
politiques aux moments forts des crises économiques lors desquelles ils servaient
de main-d’œuvre disponible.
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Français : « Pour moi c’est facile pour s’intégrer car mon père est marocain mais ma
mère est vraiment française ». Il distingue le vraiment français des autres français ; il
fait passer directement l’origine devant la nationalité, son père n’est plus français
d’origine marocaine mais il est marocain face à sa femme vraiment française. Et il se
distingue de ses camarades dont aucun des parents n’est vraiment français. Nous
avons donc quatre échelles de Français qui complexifient la qualité de Français telle
qu’ils la revendiquent pourtant lorsqu’ils sont interrogés sur leurs origines. Un autre
encore a francisé le prénom de sa fille pour lui assurer un avenir. Puis il y a ces
multiples « nous » : ils s’incluent tantôt dans un « nous les musulmans », tantôt dans
un « nous les étrangers », tantôt dans le « nous les immigrés », tout en s’identifiant
comme Français. L’unicité de la nationalité Française se noie dans la multitude des
identifications. Mes interlocuteurs s’avouent parfois se sentir étrangers partout ou
« être suspendus ». Dans le pays de leurs parents, ils sont considérés comme des
étrangers ; en France, ils ne se sentent pas regardés comme de simples français. Ils
sont comme une identité hésitante, incertaine.
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population à dominer, on pose pas de problème, le jour où on passe de l’autre coté avec
tout ce que çà veut dire de droits, de luttes et que tu le revendiques et ben c’est
problématique ».
Ce qui ressort de leurs propos, c’est le paradoxe entre l’évidence de leur qualité de
français et la complexité de l’être dans leur quotidien, dans leur accès aux principes
républicains : égalité, liberté, fraternité ; et dans leurs représentations qu’ils ont
d’eux-mêmes, ponctuées d’ambivalences (ils sont français ET étrangers) et de
contradictions (ils sont fiers de leurs origines MAIS honteux en même temps).
Bibliographie :
Fassin, Eric ; Fouteau, Carine ; Guichard, Serge ; Windels Aurélie, Roms et riverains.
Une politique municipale de la race, La Fabrique, Paris, 2014
Noiriel, Gérard, « Le « modèle français » d’immigration : intervention à
l’Assemblée Nationale », 2011, http://noiriel.over-blog.com/article-le-modele-fran-
ais-d-immigration-intervention-a-l-assemblee-nationale-70370129.html
Noiriel, Gérard, « L’immigration : naissance d’un « problème (1881-1883) » in revue
Agone, http://revueagone.revues.org/63 2008, n.40
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Noiriel, Gérard, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle) -
Discours publics, humiliations privées, Fayard, Paris, 2007
Yacine-Titouh, Tassadit, Chacal ou La ruse des dominés, aux origines du malaise
culturel des intellectuels algériens, La Découverte, Paris 2001
Marie Beschon est doctorante en anthropologie à l’EHESS Paris. Elle est rattachée au
Laboratoire d’Anthropologie Urbaine (LAU) de l’Institut Interdisciplinaire
d’Anthropologie du Contemporain à Paris.