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KANT

CRITIQUE DE LA RAISON PURE

II. THÉORIE TRANSCENDANTALE DE LA MÉTHODE


CHAPITRE III. ARCHITECTONIQUE DE LA RAISON PURE

[1384] J’entends par architectonique l’art des systèmes. Comme l’unité systématique est ce qui
transforme en science la connaissance commune, c’est-à-dire ce qui d’un simple agrégat de ces
connaissances fait un système, l’architectonique est donc la théorie de ce qu’il y a de scientifique dans
notre connaissance en général, et ainsi elle appartient nécessairement à la méthodologie.
Sous le gouvernement de la raison nos connaissances en général ne peuvent former une rhapsodie,
elles doivent au contraire former un système, et c’est seulement dans ce système qu’elles peuvent
soutenir et favoriser les fins essentielles de la raison. Or, j’entends par système l’unité des diverses
connaissances sous une idée. Cette idée est le concept rationnel de la forme d’un tout, en tant que,
grâce à ce concept, la sphère du divers aussi bien que la position respective des parties sont
déterminées a priori. Le concept scientifique de la raison contient donc la fin et la forme du tout qui
[1385] concorde avec cette fin. L’unité de la fin à laquelle se ra portent toutes les parties, en même
temps qu’elles se rapportent les unes aux autres dans l’idée de cette fin, fait que l’absence de toute
partie peut être remarquée lorsqu’on connaît les autres, et qu’aucune addition accidentelle, ou aucune
grandeur indéterminée de la perfection, qui n’ait pas ses limites déterminées a priori, ne peuvent avoir
lieu. Le tout eét donc un système articulé (artiou/az‘io) et non pas seulement
un amas (ooaoervatio) ,' il peut bien croître dedans (per inthwoeptionem), mais non du dehors (per
appositionem), semblable au corps d’un animal auquel la croissance n’ajoute aucun membre, mais,
sans changer la proportion, rend chaque membre
plus fort et mieux approprié à ses finsl.
L’idée, pour être réalisée, a besoin d’un Johe‘me,
c’est—à—dire d’une diversité et d’une
des parties qui soient essentielles et déterminées
a priori d’après le principe de la fin. Le schème qui
n’eS‘t pas esquissé d’après une idée,
partir de la fin capitale de la raison, mais empiri— quement,
suivant des buts qui se présentent acci— dentellement (dont on ne peut savoir d’avance le nombre),
donne une unité technique ,' mais celui qui provient d’une idée (où la raison fournit apriori les fins et
ne les attend pas empiriquement), celui-là fonde une unité arohitefiorzigue. Ce que nous nommons
science ne peut naître technique— mentz, par suite de la similitude du divers ou de l’emploi
accidentel de la connaissance in oonereto à toutes sortes de fins extérieures et arbitraires, mais
architeétoniquement, en vertu de l’affinité des par- ties et de leur dérivation d’une unique fin
suprême et interne, qui rend d’abord possible le tout; et son sche‘me doit renfermer conformément à
l’ide’e, c’eSt—à-dire a priori, l’esquisse (monogramma) du tout et son articulation en [A 854/B 6’62]
parties, et le distinguer sûrement et suivant des principes de tous les autres.
' Personne ne tente de constituer une sc1ence
sans avoir une idée pour fondement. Mais, dans l’e’laboration de cette science, le sche‘me et même
ordonnance
c’est—à—dire à
du
1386
Critique de la ration pure
la définition que l’on donne dès le début de cette
111. 54°
relle des parties qu’il a rassemblées. On trouve alors en effet que l’auteur et souvent même ses
derniers successeurs se trompent au sujet d’une idée qu’ils n’ont pas réussi à se rendre claire our eux-
mêmes, et que, par suite, ils ne peuvent (fêter- miner le contenu propre, l’articulation (l’unité
systémati ue) et les limites de la science.
science correspondent très rarement à son idée; car celle-ci réside dans la raison comme un germe où
toutes les parties restent cachées, étant encore très enveloppées et à peine identifiables pear l’obser-
vation microscopique. C’est pourquoi, s sciences étant toutes conçues du oint de vue d’un certain
intérêt universel, il faut es définir et les détermi- ner, non pas d’après la description qu’en donne leur
auteur, mais d’après l’idée qu’on trouve fon- dée dans la raison même, à partir de l’unité natu—
Il est âcheux que ce ne soit qu’éparès avoir passé beaucoup de temps, sous la dire ion d’une idée
restant cachée en nous, à rassembler rhapsodi— quement, comme autant de matériaux, nombre de
connaissances relatives à cette idée, beaucoup de temps surtout pendant lequel nous les avons
enchaînées [A Æjj/B 6’65] de façon techni ue, qu’il nous est enfin possible, our la première ois, de
voir l’idée dans un jour plpus clair et d’esquisser architeétoniquement un tout d’après les fins de la
raison. Les systèmes semblent s’être formés, comme des vers, par une generatio aequivom, d’une
simple conjonétion de concepts réunis : d’abord tronqués, complets avec le temps; et pourtant ils
avaient tous leur schème, comme un germe pri— mitif, dans la raison qui se développe simplement
elle-mêmel. Aussi non seulement chacun d’eux est—il en soi articulé suivant une idée, mais, en outre,
ils sont tous à leur tour unis entre eux de manière finale, comme autant de membres
d’un tout, dans un système de la connaissance humaine, et ils permettent une architeétonique de tout
le savoir humain, qui, aujourd’hui que beaucoup de matériaux sont déjà rassemblés ou peuvent être
tirés des ruines d’anciens édifices écroulés, non
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Théorie transcendantale de la méthode
seulement serait possible, mais même ne
guère difficile. Nous nous contenterons ici d’ache— ver
notre œuvre, c’eSt—à-dire d’esquisser simple- ment l’arcbz'tefîom'que de toute connaissance prove-
nant de la ration pure, et nous artirons du point où la racine commune de notre lPaculté de connaître
se divise, pour former deux branches, dont l’une en la rau'onl. Mais j’entends ici par raison tout le
pouvoir supérieur de connaître, et j’oppose par conséquent le rationnel à l’empirique.
Si je fais abS‘traétion de tout contenu de la connaissance, considérée objeétivement, toute
connaissance est alors, subjeétivement, [A 836/
B 6’64] ou historique ou rationnelle. La connais—

sance historique est cognz'tz’o ex dan} ,‘ et la connais-
sance rationnelle, cognz'tz'o exprz'mpiz'u'.
Une connais-
sance peut bien être donnée originairement, d’où
que ce soit, elle est pourtant
historique chez celui
qui la possède, quand il ne connaît rien que dans
la mesure où cela lui eSÏ
donné d’ailleurs, et rien
de plus que ce qui lui a été donné, qu’il l’ait appris
par l’expe’rience
immédiate, ou par un récit, ou même par le moyen de l’instruétion (des connais— sances générales).
Aussi celui qui a proprement III, 54x
appru' un syätème de philosophie, par exemple le système de W015, eût—il dans la tête tous les
prin— cipes, toutes les définitions et toutes les démons-
trations, ainsi que la division de toute la doétrine, et fût-il en état de tout dénombrer sur le bout des
doigts, celui-là n’a pourtant qu’une connaissance bifiorz'que complète de la philosophie de Wolfi'; il
ne sait ni ne juge rien de plus que ce qui lui a été donné. ConteS‘tez—lui une définition, il ne sait où
en prendre une autre. Il s’eât formé d’après une raison étrangère, mais le pouvoir d’imitation n’est
pas le pouvoir de création, c’eSt-à-dire que la connaissance n’eét pas résultée chez lui de la rai- son, et
que, bien qu’elle soit sans doute, objeétive- ment, une connaissance rationnelle, elle n’est touc jours,
subjec‘livement, qu’une connaissance hiS‘to- tique. Il l’a bien saisie et bien retenue, c’eSt-à-dire bien
apprise, et il n’est que le masque d’un homme vivant. Les connaissances de la raison, qui le sont
serait
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Critique de la ration pure
5
HI. s42
des concepts; la première s’appelle philosophique, et la seconde, mathématique. J’ai déjà traité dans le
premier chapitre de la différence intrinsèque de ces deux connaissances. Une connaissance peut donc
être objeéh'vement philosophique et cepen- dant hi'Storique subjeêtivement, comme chez la plupart
des écoliers et chez tous ceux qui ne voient jamais plus loin que l’école et demeurent toute leur vie
écoliers. Mais il est cependant remarquable que la connaissance mathématique, alors même qu’on l’a
(faprise, peut avoir aussi subjeêtivement la valeur ’une connaissance rationnelle, et qu’il n’y a pas lieu
d’y faire la même disrinâion que dans la connaissance philosophique. La cause en est que les sources
de connaissances, où seul le maître peut puiser, ne résident que dans les prin— cipes essentiels et
vrais de la raison, et que par conséquent ils ne peuvent être tire’s d’ailleurs par l’élève ni contestés
d’aucune façon, et cela parce que l’usage de la raison n’a lieu ici qu’in oomreto, bien qu’a priori,
c’eS‘t-à-dire dans l’intuition pure et par là même infaillible, et qu’il exclut ainsi toute illusion et toute
erreur. Entre toutes les sciences rationnelles (a priori), il n’y a donc que la mathématique ui puisse
être apprise, mais jamais la philosop ie (à moins que ce ne soit hiS’toriquement) z en ce qui concerne
la raison, on ne peut Bpaprendre tout au plus qu’à pbi/osop/Jerz.
prendre obje ivement, si l’on entend par là le modèle qui permet d’apprécier toutes les tenta— tives
de philosopher, appréciation qui doit servir
objeé’civement (c’eSÏ-à-dire qui ne peuvent résul— ter originairement que de la propre raison de
l’homme), ne peuvent porter aussi ce nom subjec- tivement que quand elles ont été puisées aux
sources [A 837/B 86;] communes de la raison, d’où peut aussi résulter la critique et même la décision
de rejeter tout ce que l’on a appris, c’est-à—
dire que quand elles sont tirées de principesl.
Or, toute connaissance de la raison est une
connaissance par concepts ou par la conS‘truâion
[A 838/ 866] Or, le système de toute connais— sance philoso hique est la philosophe. On doit la
Théorie tramcendanta/e de la méthode
1389
à juger toute philosophie subjective, dont l’édifice est souvent si divers et si changeant. De cette
manière la philosophie eS’t la simple idée d’une science possible, qui n’eS‘t donnée nulle part in
concreto, mais dont on cherche à se rapprocher par différentes voies, jusqu’à ce que l’on ait
découvert l’unique sentier qui y conduit, mais que faisait dévier la sensibilité, et que l’on réussisse,
autant qu’il eSt permis à des hommes, à rendre la copie, jusqu’à présent manquée, semblable au
modèle. Jusque-là on ne eut apprendre aucune philoso—
phie; car où est—elle P. Qui la possède P et à quoi la reconnaître P On ne peut qu’apprendre à
philoso- pher, c’eS‘t—à—dire à exercer le talent de la raison dans l’application de ses principes
universels à certaines tentatives qu1 se présentent, mais tou— jours avec cette réserve du droit qu’a la
raison d’examiner ces principes jusque dans leurs sources et de les confirmer ou de les rejeter.
Mais jusque—là le concept de la philosophie n’eSt qu’un concept sco/afiique, à savoir celui d’un
système de la connaissance, qui n’eSt cherché que comme science, sans que l’on ait pour but quelque
chose de plus que l’unité systématique de ce savoir, et par conséquent la perfection logique de la
connais— sance. Mais il y a encore un concept coxmz'que (conceptm cor/221cm) qui a toujours
servi de fonde— ment à cette dénomination, surtout quand on le
personnifiait en quelque sorte [A on/B 6’67] et qu’on se le représentait comme un modèle dans
l’idéal du phi/oropbel. Dans cette perspective, la philosophie est la science du rapport de toute
connaissance aux fins essentielles de la raison humaine (te/eo/ogz'a ratiomà bumanae), et le philo—
sophe n’eSî: pas un artiste de la raison, mais le législateur de la raison humaine. Dans un pareil sens, il
serait très orgueilleux de s’appeler soi—même un philosophe, et de prétendre que l’on est parvenu
à égaler un modèle qui n’existe que dans l’idée. Le mathématicien, le physicien, le logicien, quelque
éclatant succès que puissent avoir les uns en général dans la connaissance rationnelle et les
autres en particulier dans la connaissance philoso—
1390 Critiquedelamùonpure
phique, ne sont toutefois que des artistes de la rai- son. Il y a encore un maître dans l’idéal, qui les
emploie tous, et se sert d’eux comme d’instruments
HI.S43 pour avancer les fins essentielles de la raison humaine. C’est celui-là seul que nous devrions
appeler le philosophe; mais, comme lui—même ne se rencontre nulle partl, tandis que l’idée de sa
législation se trouve partout dans toute raison humaine, nous nous en tiendrons simplement à la
dernière, et nous déterminerons avec plus de pré— cision ce que la philosophie prescrit, d’après ce
concept .cosmique*, du point de vue des fins,
[A 84o/B 6’68] pour l’unité systématique.
Les fins essentielles ne sont pas encore pour cela les fins
suprêmes : il ne peut y en avoir qu’une seule (dans la parfaite unité systématique de la raison). Par
conséquent elles sont ou le but final, ou les fins subalternes qui sont nécessairement requises pour ce
but à titre de moyens. Le premier n’est autre que la destination totale de l’homme, et la philosophie
qui porte sur cette destination
s’appelle morale. C’est à cause de cette préémi— nence de la philosophie morale sur toute autre
aspiration de la raison que chez les anciens aussi on entendait toujours en même temps et surtout,
sous le nom de philosophe, le moraliäte; et même aujourd’hui encore, l’apparence extérieure de la
maîtrise de soi—même grâce à la raison fait que,
selon une certaine analogie, on nomme quelqu’un philosophe, malgré son savoir borné.
La législation de la raison humaine (la philoso— phie) a deux objets : la nature et la liberté; et par
conséquent elle comprend la loi de la nature aussi bien que la loi des mœurs, d’abord en deux sys-
tèmes particuliers, et puis enfin en un système philosophique unique. La philosophie de la nature
porte sur tout ce qui efl; celle des mœurs seule— ment sur ce qui doit être.
* Le concept cosmique eSt ici celui qui concerne ce qui intéresse nécessairement chacun; par
conséquent, je déter— mine le but d’une science suivant des concept: :colafliqun, quand je ne la
considère que comme une des aptitudes pour certaines fins arbitraires.
._ in. , lmhm-n .4.
Théorie transcendantale de la méthode I391
Toute philosophie eS‘t ou une connaissance venant de la raison pure, ou une connaissance
rationnelle provenant de principes empiriques. La première .s’appelle philosophie pure, et la seconde
philosophle empirique.
[A (941/13 6’69] La philosophie de la raison pure
est ou une propédeutique (un exercice préliminaire) qui examine le pouvoir de la raison par rapport à
toute connaissance pure a priori, et elle s’appelle alors critique, ou elle eS‘t, en second lieu, le sys-
tème de la raison pure (la science), toute la connaissance philosophi ue (vraie aussi bien qu’apparente)
venant de a raison pure dans un enchaînement systématique, et elle s’adpopelle méta-
III. s44
pjbrique, encore que ce nom puisse être nne’ aussi à l’ensemble de la philosophie pure, y compris la
critique, pour embrasser ainsi aussi bien la recherche de tout ce qui peut jamais être connu a priori
que l’exposition de ce qui constitue un système de connaissances philosophiques pures de cette
espèce, mais se distingue de tout usage empirique, ainsi que de l’usage mathématique de la raisonl.
La métaphysique se divise en métaphysique de l’usage fpe’eu/atfi et métaphysique de l’usage pra—
tique de la raison pure, et elle est ainsi ou une ine’tapjbrique de la nature, ou une rnétapjlasique de:
mœurs. La première contient tous les principes purs de la raison qui, par de simples concepts
(à exclusion par conséquent de la mathématique), portent sur la connaissance tbéorique de toutes
choses; la seconde contient les principes qui déterminent a priori et rendent nécessaires le faire et le
nepasfaire. Or, la moralité est l’unique légalité des aétes qui puisse être dérivée tout à fait apriori
de principes. Aussi la métaphysique des mœurs est-elle proprement la morale pure, où l’on ne prend
pour fondement aucune anthropologie (aucune condition [A 842/B 6’70] empirique). La
métaphysique de la raison spéculative eS‘t donc ce
ue l’on a coutume de nommer métaphysique an: le sen: p/ue e’troit du ter/ne ,' mais, en tant que la
pure doétrine des mœurs appartient néanmoins à
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Critique de la rau'on pure
III, s45
d’une telle science est aussi ancienne que la raison spéculative de l’homme, et quelle raison ne spécule
pas, soit à la manière scolaS‘tique, soit à la manière populaire P Il faut pourtant avouer que la distinc-
tion des deux [A 843/B 6’71] éléments de notre connaissance, dont l’un eS‘t en notre pouvoir tout à
fait aprz'orz', tandis que l’autre ne peut être tiré qu’a
pofîeriorz' de l’expérience, est toujours
très obscure, même chez les penseurs de profession, et que,
par conséquent, ni la détermination des limites d’une espèce particulière de connaissances, ni, par
suite, la véritable idée d’une science qui a si longtemps et si fort occupé la raison humaine n’ont
jamais pu être réalisées. Quand on disait : La métaphysique est la science des premiers prin- cipes de
la connaissance humaine, on ne marquait point par là une espèce entièrement particulière de
princ1pes, mais seulement un rang élevé eu égard à la généralité, et l’on ne pouvait donc les disn‘n-
guer nettement par là de l’empirique; car, même parmi les principes empiriques, il y en a quelques—
1a branche particulière de la connaissance humaine, et certes philosophique, qui vient de la_ raison
pure, nous lui conserverons cette dénomination, bien que nous la mettions ici de côté, comme ne se
rapportant pas afiuellement à notre but.
Il est de la plus haute imäortance d’u'o/er des connaissances qui sont distin es d’autres connais-
sances par leur espèce et leur origine, et d’empê- cher soigneusement qu’elles ne se mêlent et ne se
confondent avec d’autres, avec lesquelles elles sont ordinairement liées dans l’usage. Ce que fait le
chimiste dans la séparation des matières, le mathé- maticien dans la théorie pure des grandeurs, le
philosophe eS‘t encore bien plus tenu de le faire, afin de pouvoir déterminer sûrement la part qu’une
espèce particulière de la connaissance a dans l’usage courant de l’entendement, sa valeur propre et
son influence. Aussi la raison humaine, dCÂJUÎS qu’elle a commencé à penser ou plutôt à re’ échir,
n’a—t-elle jamais pu se passer d’une méta— physique, bien qu’elle n’ait pas pu la présenter suf—
fisamment épurée de tout élément étranger. L’idée
demeurée
Tbe’orie transcendantale de la rne’tbode
première partie de la dernière, et s membres supé- rieurs des membres subordonnés P Q_ue dirait-on
si la chronologie ne pouvait désigner les époques
1393
uns qui sont plus généraux et par conséquent plus e’levés que d autres, et dans la série d’une telle
subordination (où l’on ne distingue pas ce qui est connu tout à fait a priori de ce qui n’est connu qu’a
pofîeriori), où faire la coupeure qui sépare la
du monde qu’en les partageant en premiers siècles et en siècles suivants P On pourrait demander si le
cinquième, si le dixième siècle, etc., font aussi
partie des premiers. je demande de même concept de ce qui est étendu appartient-il à
: Le la métaphysique P Oui! répondez-vous. Eh bien, et celui du corps aussi? Oui. Et celui du corps
fluide P Vous [A 844/B 6’72] êtes m'terdits, car si
cela continue ainsi, tout appartiendra à la méta— hysique. On voit par là qhue le simple degré de i;
subordination (le particu 'er sous le général) ne
peut déterminer les limites d’une science, mais que dans notre cas il nous faudptour cela
l’hétérogénéité totale et la différence ’originel. Mais ce qui obscurcissait encore d’un autre côté l’idée
fonda— mentale de la métaphysique, c’était qu’elle montre, comme connaissance a priori, une
certain'e simili—
tude avec la mathématique. Cette simih'tude indique bien une parenté entre les deux sciences, en ce
qui concerne l’origine a priori; mais, pour ce qui eS‘t du mode de connaissance qui, dans l’une, a lieu
par concepts, tandis que dans l’autre il consiS‘te à juger simplement par la construétion des concepts
a priori, et par suite pour ce qui est de la différence entre une connaissance philoso— phique et la
connaissance mathématique, il se manifeste entre elles une hétérogénéité si de’cisive qu’on l’a
toujours sentie en quelque sorte, bien qu’on n’ait jamais pu la ramener à des critères évi—
dents. Or, par là, il est arrivé que les philosophes III, 546
mêmes
ayant échoué dans le développement de l’idée de leur science, leurs travaux ne purent avoir aucun
but déterminé ni aucune direétion sûre, et qu’avec un plan si arbitrairement tracé, ignorant le chemin
qu’ils avaient à prendre, et
I3094
Critique de la razJ'on pnre
toujours en désaccord sur les découvertes que chacun d’eux pensait avoir faites sur sa propre route,
ils rendirent d’abord leur science me’pri— sable aux autres et allèrent enfin jusqu’à la mépri-
forme donc, grâce au pouvoir de connaître parti- culier ou‘ elle a exclusivement son siège, une unité
particulière et la métaphysique eéî: la philosophie qui doit présenter cette connaissance dans cette
unité systématique. La partie spéculative de cette science, qui s’eét particulièrement approprié ce nom,
à savoir celle que nous appelons me’tapjbxz'que de la nature, et qui examine tout, par des concepts a
priori, en tant qu’il et? (et non pas ce qui doit être), se divise donc de la manière suivante.
Ce qu’on appelle me’taphysi ue, dans le sens étroit de ce mot, se com ose de a philosophie trans—
cendantale et de la PUJJ'ÏOïogie de la raison pure. La première ne considère que l’entendement et la
raison même dans un système de tous les concepts et de tous les principes qui se rapportent à des
objets en général, sans admettre des objets qui :eraient donné: (ontologia) ,' la seconde considère la
nature, c’est-à-dire l’ensemble des objets donné: (qu’ils soient donnés aux sens, ou, si l’on veut, à une
autre e835e‘ce d’intuition), et elle est ainsi une pj/J— :io/ogie mais uniquement rationnelle). Or,
l’usage de la raison dans cette considération rationnelle de la nature eSt soit physique, soit
hyperphysique,
ser eux—mêmes.
[A 84j/B 87;] Toute connaissance pure a priori
ou mieux soit z'lnnzanent, soit tranJeendant. Le pre—
mier porte sur la nature, en tant que
sance en peut être appliquée dans l’expérience (in eonereto) ,°
le second s’occupe de cette liaison des objets de l’expérience qui dépasse [A 846/B 874] toute
expérience. Cette
a donc pour objet soit une liaison interne, soit une liaison externe, mais qui, l’une
et l’autre, dépassent
physiologie transcendante
l’expérience possible; elle eét ainsi ou la physiolo— gie de toute la nature, c’est-à-dire la tonnazàxanee
tranJeendantale du monde, ou celle de l’union de
toute la nature avec un être au—dessus de la nature, c’eS‘t—à—dire la eonnan'sanee tranreendantale
de Dienl.
la connais-
Tbe’orie transcendantale de la rne’tbode
lesquelles elle peut nous être donnée en général. Or, il n’y a que deux espèces d’objets des sens : 1°
ceux. des sens extérieurs, ar suite l’ensemble de ces objets, la nature corporel}: ; 2° l’objet du sens
interne, l’âme, et, suivant les concepts fondamen-
pybsique, mais Pj/Jîique rationnelle, puisqu’eFle doit renfermer que les principes de la connaissance
apriori de la nature. La métaphysique de la nature pensante s’appelle pjrebo/ogie ,‘ mais, ar la même
raison, il ne faut entendre ici que Ipa tonnaùyanee
I395
La physiologie immanente considère au contraire la nature comme l’ensemble de tous les objets des
sens, par conséquent telle qu’elle nom est donnée, mais seulement d’après des conditions apriori sous
111,547
taux de l’âme en général, la nature lplenxante. La métaphysique de la nature corpore e s’a pelle
rationnelle de l’âme.
D’après cela, le système entier de la méta hy-
sique se compose de quatre parties rincipa es : 1° l’ontologie ,° 2° la pjbsiologie rationne{e ,' 3° la
coy-
nzologie rationnelle ; 4° la théologie rationnelle. La seconde partie, c’eS‘t-à-dire la théorie de la nature
comme théorie de la raison pure, renferme deux
[A 847/B 87j] divisions : la pjbsiqne rationnelle* et la pathologie rationnelle.
L’idée originaire d’une philosophie de la raison pure prescrit elle—même cette division; elle est donc
arebiteâ'oniqne, conforme aux fins essentielles de la raison, et non pas seulement technique, établie
* Qu’on ne pense as que j’entende par là ce qu’on nomme ordinairement a pybxique gen’e’rale
(pbjxiea generalu'), et qui eSt plutôt mathematique que philosophie de la nature. En effet la
métaphysique de la nature se distingue comflplètement de la mathématique; et si elle est loin d’avoir à
orir des vues aussi étendues que celle-ci, elle n’en est pas moins très importante au point de vue de la
criti ue _de la connaissance pure de l’entendement e’n général ans son application à la nature. Faute
de cette metaphysoique, les ma- t ematiciens eux—mêmes, en s’attachant .à certains conce ts
vulgaires, mais métaphysiques en réalité, ont, sans ‘s en apercevoir, chargé la doétrine de la nature
d’hypothèses, qui s’évanouissent devant une critique de ces princ1pes, sans que pourtant l’on fasse ar
là le momdrç tort à l’usage des mathématiques dans ce c amp (usage qui est tout a fait indispensable).
ne
j.
al ».‘ i
En second lieu, où se place donc la pjsobo/ogie empirique, qui a toujours défendu sa place dans la
métaphysique, et dont on a attendu de notre temps de si grandes choses pour l’e’claircissement de
cette science, après avoir perdu l’espoir de rien réaliser de bon a priori P Je réponds : Elle vient là où
doit être placée la théorie de la nature propre-
I396
Critique de la rau'onpure
d’après des affinités accidentellement perçues et tracée en quelque sorte au hasard; et c’est aussi
pourquoi elle est immuable et législative. Mais il y a ici quelques points qui pourraient exciter des
doutes et affaiblir la conviôzion de sa légitimité.
D’abord, comment puis—je attendre une connais- sance a priori, par conséquent une métaphysique,
d’objets qui sont donnés à nos sens, et partant apofieriori 2 Et comment eSÏ-il possible de connaître
suivant des principes a priori la nature [A 848/ B 6’76] des choses, et d’arriver à une physiologie
rationnelle 9. La réponse eSt que nous ne prenons de l’expérience rien de plus que ce qui est néces—
saire pour nous donner un objet, soit du sens extérieur, soit du sens interne, et cela se fait, dans le
premier cas, au moyen du simple concept de matière (étendue impénétrable et sans vie), dans le
second, au moyen du concept d’un être pensant (dans la représentation empirique interne : je pense).
Nous devrions d’ailleurs nous abs‘tenir entièrement, dans toute la métaphysique de ces objets, de
tous les principes empiriques qui pour- raient ajouter encore au concept quelque expé- rience,
servant à porter un jugement sur ces objets.
m, 548
ment dite (la théorie empirique de la nature), c’eS’t—à—dire du côté de la philosophie appliquée,
dont la philosophie pure contient les principes a priori, et avec laquelle par conséquent elle doit
certes être unie, mais non pas confondue. La psy- chologie empirique doit donc être entièrement
bannie de la métaphysique, et elle en eSÏ déjà entièrement exclue par l’ide’e de cette science.
Cependant on devra lui,accorder là, pour se conformer à l’usage de l’Ecole, encore une petite place
(bien qu’à titre d’épisode uniquement),
Théorie transcendantale de la méthode
[A 849/B 6’77] et cela pour des motifs d’écono- mie, parce qu’elle n’est pas encore assez riche pour
constituer une étude à elle seule, et qu’elle eSÏ cependant trop importante pour qu’on puisse la
repousser entièrement ou l’attacher quelque art où elle aurait encore moins d’affinité qu’avec l;
métaphysique. Elle n’eS‘t donc qu’une étrangère admise depuis bien longtemps, à laquelle on accorde
un séjour temporaire, jusqu’à ce qu’elle puisse établir son domicile propre dans une anthro— pologie
précise et détaillée (formant le pendant de
I397
la théorie empirique de la nature).
Telle est donc l’idée générale de la métaphy— sique, de cette science qui a fini par tomber dans un
discrédit général, parce qu’après en avoir
d’abord attendu plus qu’on ne pouvait raisonna— blement en exiger, et s’être longtemps bercé des
plus belles espérances, on s’est vu trompé dans son attente. On se sera suffisamment convaincu dans
tout le cours de notre critique que, quoique la métaphysique ne puisse pas être la base de la religion,
elle doit pourtant en reS‘ter toujours comme le rempart, et que la raison humaine, déjà dialeétique par
la tendance de sa nature, ne pourra jamais se passer d’une telle science, qui lui met un frein, et qui,
par une connaissance scientifique et pleinement lumineuse de soi—même, prévient les dévastations
qu’une raison spéculative privée de lois ne manquerait pas sans cela de produire dans la morale aussi
bien que dans la religion. On peut donc être sûr que, si de’daigneux et si méprisants que puissent être
ceux qui jugent [A on/B 6’78] une science, non pas d’après sa nature, mais seulement d’après ses
effets acciden- tels, on reviendra toujours à la métaphysique, comme à la bien-aimée avec laquelle on
s’était brouillé, parce que, comme il s’agit ici de fins essentielles, la raison doit travailler infatigable-
ment soit à l’acquisition de vues solides, soit au ren- versement des vues excellentes qui exiêtaient
déjà.
La métaphysique, celle de la nature aussi bien que celle des mœurs, et surtout la critique d’une rai-
son qui se hasarde à voler de ses propres ailes,
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Critique de la rau'au pure
critique qui précède comme exercice préliminaire
(comme plrope’deutique), constituent donc propre— ment à e es seules ce que nous pouvons
nommer philosophie dans le véritable sens de ce mot. Celle—ci rapporte tout à la sagesse, mais par
le chemin de la science, le seul qui, une fois frayé, ne se referme pas et ne permette aucune erreur. La
mathématique, la physique, même la connais-
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l’ordre, la concorde générale, et même le bon état de la république scientifique, et qui empêche ses
travaux hardis et féconds de se détourner de la fin capitale, le bonheur universel.

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