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IOIZ Critique de la rau'on pure

111, 234 [A 293] Deuxième divu'iou

DIALECTIQ’UE TRANSCENDANTALE

Introduc‘îion

I. DE L’APPARENCE TRANSCENDANTALE

Nous avons nommé plus haut la dialeétique en


général une logique de l’appareueel. Cela ne veut pas
dire qu’elle soit une théorie de la probabilité, car la
probabilité2 est une vérité, mais une Vérité dont la
connaissance procède de raisons insuffisantes
aussi cette connaissance eS‘t—elle sans doute défec—
tueuse, mais elle n’est pas trompeuse pour cela, et
par conséquent ne doit pas être séparée de la partie
analytique de la logique. Encore moins peut—on
tenir pour la même chose le phénomène et l’oppo—
renoea. [B jjoj En effet, la Vérité ou l’apparence ne
sont pas dans l’objet en tant qu’il eS‘t intuitionné,
mais dans le jugement sur ce même objet, en tant
qu’il eét pensé. On peut donc dire très juâ‘tement
que les sens ne font pas d’erreur; mais ce n’est pas
pour cette raison qu’ils jugent toujours exaétement,
c’eêt parce qu’ils ne jugent pas du tout. Par consé—
quent, c’est uniquement dans le jugement“, c’eSt—a‘-
dire uniquement dans le rapport de l’objet à notre
entendement, qu’il faut placer la vérité aussi bien
que l’erreur, et partant aussi l’apparence, en tant
qu’elle nous inc1te à l’erreur. Dans une connais—
sance qui s’accorde complètement avec les lois de
l’entendement, [A 294] il n’y a pas d’erreur. Il n’y
en a pas non lus dans une représentation des sens
(parce qu’elei) ne contient aucun jugement).
Dia/efiique tramændanta/e 1013
Aucune force de la nature1 ne peut d’elle—même
s’écarter de ses ropres lois. Au831 ni l’entendement
par lui-même Fsans être influencé par une autre
cause), ni les sens par eux—mêmes ne se trompent.
L’entendement ne le peut pas parce que, dès qu’il'
n’agit que d’après ses propres ois, l’effet (le juge-
ment) doit nécessairement s’accorder avec elles.
C’est dans l’accord avec les lois de l’entendement
ue consiSte le formel de la vérité. Dans les sens,
il' n’y a absolument aucun jugement, ni vrai ni
faux. Comme nous n’avons point d’autre source
de connaissance que ces deux-là”, il suit que l’er- 111. 235
reur ne eut être produite que par l’influence ina-
perçue dPe la sensibilité sur l’entendement, par quoi
1l arrive que les principees subjeétifs du jugement
[B jjI] viennent se mê r avec les principes objec—
tifs, et les font dévier de leur deä‘tm'ation*. Il en est
ici comme d’un corps en mouvement : de lui-
me‘me, sans doute, il suivrait constamment la
h'gne droite dans la même direétion; mais vienne
à l’infl'uencer une autre force agissant dans une
autre direétion, il dévie en un mouvement dont la
trajeétoire décrit une ligne courbe. Pour bien dis—
t1n' uer l’aétion ropre [A 29;] de l’entendement
de a force qui s y mêle, il sera donc nécessaire de
considérer le jugement erroné comme la diagonale
entre deux forces qui de’termm'ent le jugement sui-
vant deux direétions différentes, qui enferment
pour ainsi dir'e un angle, et de re’soudre cet effet
composé en deux effets sim les, celui de l’enten-
dement et celui de la sensibiEtc”. C’eS‘t ce qui doit
se produire dans les jugements purs a priori par le
moyen de la réflexion transcendantale‘, qui (comme
nous l’avons déjà montré) assi ne à chaque repré-
sentation sa place dans la facuñe’ de connaître qui
lui est appropriée, et, par suite, ermet de distin-
guer aussi l’influence de la sensi il'ité sur l’enten-
dement5.

* La sensibilité, soumise à l’entendement comme l’objet


auquel celui—ci applique sa fonétion, eS‘t la source de connais-
sances réelles. Mais cette même sensibilité, en tant qu’elle
influe sur l’aéte même de l’entendement et le détermin'e à
juger, eSt le fondement de l’erreur.
1014 Critique de la rata'on pure
Notre objet n’est pas ici de traiter de l’apparence
empirique (par exemple des illusions optiques) que
résente [B 512] l’usage empirique des règles d’ail-
Feurs juätes de l’entendement, et ou‘_ le jugement est
égaré par l’influence de l’imagination; 11 ne .s’aglt
ici que de cette apparence transcendantale, qu1.1nfl_ue
sur des principes dont l’usage ne s’applique Jama1s
a‘ l’expérience, auquel cas nous aurions encore au
moins une pierre de touche pour en vérifier la
valeur, mais qui, malgré tous les avertissements
de la critique, nous entraîne tout a‘ fait hors de
l’usage empirique des catégories et nous abuse par
l’illusion d’une extension de l’entendementpur. Nous
nommerons les principes dont l’application se tient
entièrement dans les limites [A 296] de l’expé—
rience possible z'rnnzanenz‘s, mais ceux qui sortent
de ces limites, nous les appellerons transcendantx.
Je n’entends point par la‘ l’usage ou l’abus trans—
1H, 236 eendantal des catégories, qui est une simple faute
de notre faculté de juger lorsqu’elle n’est point
suffisamment bridée par la critique, et qu’elle ne
prête pas assez attention aux limites du seul ter—
rain où l’entendement pur ait la permission de
jouer son rôle; j’entends par la‘ des principes effec—
tifs, par lesquels nous sommes censés renverser
toutes ces bornes et nous arroger un domaine tout
nouveau où l’on ne reconnaît plus nulle part
aucune démarcation. Aussi le transeendanta/ et le
transcendant ne sont pas la même chosel. Les prin-
cipes de l’entendement pur que nous avons expo-
sés plus haut ne doivent avoir qu’un usage empi—
rique, et non un usage transcendantal, [B 313]
c’eSt-a‘—dire dépassant les limites de l’expérience.
Mais un principe qui repousse ces limites, et nous
enjoint même de les franchir, s’appelle un principe
transcendant. Si notre critique peut parvenir à
mettre au jour l’apparence de ces principes usurpés,
alors ceux qui n’ont qu’un usage empirique peur-
ront être nommés, par opposition a‘ ces derniers,
les principes z'lnrnanent: de l’entendement pur.
L’a parence logique, qui consiste simplement
dans l’imitation de la forme rationnelle (l’appa-
rence des paralogismes), re’sulte uniquement d’un
Dialeôîique tramændanta/e 1015
défaut d’attention à la règle logiquel. Aussi se dis—
sipe—t—elle complètement dès que cette règle est
appliquée au cas donné. [A 297] L’apparence
transcendantale, au contraire, ne cesse pas, lors
même qu’on l’a mise au jour, et qu’on en a clai—
rement reconnu la vanité grâce à la critique trans—
cendantale (par exemple, l apparence qu’offre cette
proposition : Le monde d01t avoir un commence-
ment selon le temps)”. La cause en est qu’il y a dans
notre raison (considérée subjeétivement comme un
pouvoir humain de connaître) des règles fonda—
mentales et des maximes" de son usage, qui ont
tout à fait l’apparence de principes objeétifs et qui
font que la nécessité subjeétive d’une certaine liai—
son de nos concepts, en faveur de l’entendement,
passe pour une nécessité objeétive de la détermi—
nation des choses en soi. C’est là une iflzm'on qu’on
ne saurait éviter, pas plus [B 5;.1] que nous ne
pourrions éviter que la mer ne nous paraisse plus
élevée au large qu’adpu re‘s du rivage, puisque nous
la voyons alors par es rayons plus élevés, ou as
plus que l’astronome lui-même ne peut empêc er
que la lune lui paraisse grande à son lever, bien
qu’il ne soit pas trompé par cette apparence‘.
La dialeâique transcendantale se contentera
donc de mettre au jour l’apparence des jugements
transcendants et en même temps d’empêcher
qu’elle ne nous trompe‘; mais que cette a parence III, 257

aussi se dissipe (comme le fait l’apparence ogique),


et qu’elle cesse d’être une apparence, c eS’t ce
qu’elle ne pourra jamais [A 298] obtenir. Car
nous avons afi'aire à une illwion nature/1e et inévi—
table, qui repose elle-même sur des principes sub-
jeétifs et les donne pour des principes objectifs,
tandis que la dialeétique logique, pour résoudre
les paralogismes, n’a affaire qu’à une faute dans
l’observation des principes, ou bien à une appa—
rence tout artificielle dans leur imitation. Il y a
donc une dialectique de la raison pure, naturelle
et inévitable : ce n’est pas celle où s’engage un
ignorant faute de connaissances, ni celle qu’un
Sophifle a inge’nieusement ima inée pour tromper
les gens raisonnables, mais ceäe qui est m'se’para—
1016 Critique de la razäon pure
blement liée à la raison humaine et qui, même
quand nous en avons découvert l’illusion, ne cesse
pas de se jouer d’elle et de la [B jjj] jeter à chaque
instant dans des erreurs momentanées, qu’il faut
constamment dissiperl.

II. DE LA RAISON PURE COMME SIÈGE DE


L’APPARENCE TRANSCENDANTALE

A. De la rau'on en général
Toute notre connaissance commence par les
sens, passe de là à l’entendement et finit par la rai—
son. Il n’eS‘t pas en nous de faculté au-dessus de
cette dernière, pour élaborer la matière de l’intui-
tion et pour la ramener sous la plus haute unité
[A 299] de la penséez. Comme il me faut ici don—
ner une définition de cette faculté suprême de
connaître, je me trouve dans un certain embarras.
Il y a d’elle, comme de l’entendement, un usage
purement formel, c’eS‘t—a‘—dire l’usage logique,
quand la raison fait abstraction de tout le contenu
de la connaissance; mais elle a aussi un usage réel,
puisqu’elle contient elle—même la source de cer—
tains concepts et de certains principes qu’elle ne
tire ni des sens, ni de l’entendement". Sans doute
le premier de ces pouvoirs a été défini depuis long—
temps par les logiciens, comme le pouvoir d’infé-
rer médiatement (par opposition a‘ celui d’inférer
immédiatement, comequentz’za' immediatza')‘, mais le
second qui produit lui—même des concepts n’eät
III, 238 pas encore expliqué par là. Puisqu’il se trouve donc
ici que la raison se partage en un pouvoir logique
et un pouvoir [B 3jâj transcendantal, il faut cher—
cher un concept plus élevé de cette source de
connaissances, un concept qui comprenne les deux
autres sous lui; cependant nous pouvons espérer,
d’après l’analogie avec les concepts de l’entende—
ment, que le concept logique nous donnera en
même temps la clef du transcendantal, et que le
tableau des fonêtions des concepts de l’entende‘
ment nous fournira en même temps la table généa-
logique des concepts de la raison.
Dialefiique transcendantale 1017
Dans la première partie de notre « Logique
transcendantale », nous avons défini l’entendement
comme le pouvoir des règlesl; nous distinguons
ici la raison de l’entendement en la nommant le
pouvoir des princzp'es.
[A 300] L’ex ression de princzp'e eS‘t équivoque
et d’ordinaire elie ne signifie qu’une connaissance
qui peut être emplloye’e comme principe sans être
un principe par e e-même et en sa propre origine.
Toute proposition universelle, fût-elle tirée de l’ex—
périence (par induétion), peut servir de majeure
dans un raisonnement; mais elle n’eSÏ pas pour cela
un principe. Les axiomes mathémati ues, par
exemple celui—ci qu’entre deux points il' ne peut
y avoir qu’une ligne droite, sont bien des connais-
sances universelles a priori et reçoivent a‘ juste titre
le nom de principes, relativement aux cas qui
peuvent être subsumés sous eux. Toutefois, je ne
puis pour cela dire que je connais en général,[B jj7]
et en elle—même à partir de principes, cette pro—
priété de la ligne droite; loin de la‘, je ne la connais
que dans l’intuition purez.
Je nommerai donc connaissance provenant de
principes celle où je reconnais le particulier dans
universel par concepts. Ainsi tout raisonnement
eSt une forme de l’aéte de dériver une connaissance
d’un principe. En effet, la majeure donne en tout
cas un concept qui fait que tout ce qui est subsurné
sous la condition de ce concept est connu à partir
de ce concept suivant un principe. Or, comme
toute connaissance universelle peut servir de
majeure dans un raisonnement, et que l’entende-
ment fournit des propositions universelles a priori
de ce genre, ces propositions peuvent aussi rece—
voir le nom de principes en considération de
l’usage qu’on en peut faire.
[A 301] Mais si nous considérons ces rincipes
de l’entendement pur en eux—mêmes, dpans leur
origine, ils ne sont rien moins que des connais-
sances par concepts. En effet, ils ne seraient même
{bras possibles a priori, si nous n’y introduisions
Intuition pure (c’eSÏ le cas de la mathématique),
Ou les conditions d’une expérience possible en
ror 8 Critique de la rau'on pure
111,39 général. Q__ue tout ce qui arrive a une cause, on
ne peut nullement le conclure du concept _de ce
qui arrive en général, c’eS‘t bien plutôt ce principe
ui nous montre comment nous pouvons tout
’abord avoir de ce qui arrive un concept d’expé-
rience détermin'é. _
L’entendement ne peut donc nous fournir de
connaissances synthétiques par concepts, et ces
connaissances sont [B 3j6’] proprement celles que
rappelle, au sens absolu, principes, bien ue toutes
es propositions universelles en géne’ra puissent
être appelées des rincipes par comparaison.
Il y a un vœu ien ancien et qui s’accomplira
peut—être un jour, mais qui sait après quelle
attente! C’est que l’on parvienne à découvrir à la
place de la variété sans fin des lois civiles les
permcipes de ces lois, car c’eS‘t la‘ seulement que gît
e secret pour simplifier, comme on dit, la légis—
lation. Mais les lois ne sont ici que des limitations
de notre liberté qui la restreignent aux conditions
qui lui permettent de s’accorder complètement
avec elle-même; par conséquent, elles concernent
quelque chose qui est tout à fait notre propre
ouvrage et dont nous pouvons être les causes par
le moyen de ces concepts mêmes. Mais demander
que les objets en soi, [A 302] la nature des choses
soient soumis a‘ des prin'cipes et doivent être déter-
min'és d’après de simples concepts, c’est, même s’il
n’y a là rien d’impossible, formuler pour le moins
une exigence très extravagante. (Luoi qu’il en soit
sur ce oint (car c’eéî: encore une recherche a‘ faire),
il' est claair au moins par là que la connaissance par
principes (prise en elle—même) eät quelque chose
de tout à fait différent de la simple connaissance de
l’entendement1 : celle—ci peut sans doute en pré-
céder d’autres dans la forme d’un principe, mais
elle ne repose pas en elle—même (en tant qu’elle eä’c
synthétique) sur la simple pensée, et ne renferme
as quelque chose d’universel par concepts.
B 319] Si l’entendement peut être défini comme
pouvoir de ramener les phénomènes à l’unite’ au
moyen de règles, la raison eâ le pouvoir de ramener
à l’unité les règles de l’entendement sous des prm"
Dia/eiîique tramændanta/e 1019
cipes. Elle ne se rapporte donc jamais immédia—
tement à l’expe’rlence ou a‘ quelque objet que ce
soit, mais à l’entendement, pour donner au divers
des connaissances de celui-ci une unité a priori
grâce à des concepts; cette unité peut être appelée
unité de raison, et diffère essentiellement de celle
qu’on peut tirer de l’entendement.
Tel est le concept général du pouvoir qu’eS‘t la
raison, dans la mesure où il eät possible de le faire
comprendre en l’absence totale des exemples qui
ne doivent être donnés que par la suite.

[A 303] B. De l’usage logique de la ration III, 240

On fait une diSÏiné’tion entre ce qui eSt immédia—


tement connu et ce ue nous ne faisons qu’inférer.
Q_ue dans une figure imitée par trois lignes droites,
il y ait trois angles, c’est là une connaissance immé-
diate; mais que ces angles pris ensemble soient
égaux a‘ deux droits ce n’eSt qu’une conclusion.
Comme nous avons constamment le besoin d’in-
fe’rer, et que pour cette raison cela devient en
nous tout à fait une habitude, nous finissons par
ne plus remarquer cette diétinétion et, comme il
arrive dans ce qu’on appelle les illusions des sens,
nous tenons souvent pour quelque chose d’immé—
diatement perçu ce que nous n’avons pourtant
fait que conclure. Dans toute inférence, [B 360] il y
a une proposition qui sert de principe, et une
seconde qui en eS‘t tirée, la conclusion, et enfin la
conse’cution (la conséquence) qui lie indissolu-
blement la vérité de la dernière a‘ celle de la pre—
mièreï. Si le jugement conclu est déjà renfermé
dans le premier, en sorte qu’il puisse en être tire’
sans la médiation d’une troisième idée, l’infe’rence
eêt dite alors immédiate (oomequemia iwr/zediata) ,°
"

j’aimerais mieux l’ap eler inférence d’entende—


“w

ment. Mais si, outre lpa connaissance qui sert de


principe, il est encore besoin d’un autre jugement
pour opérer la conclusion, alors on parle d’infé—
rence de raison (ou raisonnement). Dans cette
A, JIJI I" " " ‘

proposition : Tous les hommes sont mortels, sont


déjà renfermées ces propositions Q__uelques
1020 Critique de la rau'ou pure
hommes sont mortels, ou bien rien de ce qui est
immortel n’eSt [A 304] homme, et ces prÆo osi-
tions sont des conséquences immédiates e la
remière. Au contraire, cette proposition : Tous
l)es savants sont mortels, n’eSt pas renfermée dans
le premier jugement, car le concept de savant ne
s’y trouve pas du tout, et elle ne peut en_ê.tre tirée
qu’au moment d’un jugement intermédiaire.
Dans tout raisonnement, je conçois d’abord une
règle (raja'or) au moyen de l’entendement. Ensuite,
je subrume une connaissance sous la condition de
la règle (minor) au moyen de la faculté de jugerl.
Enfin je détermine ma connaissance par le prédicat
de la règle [B 361] (conclusio), et par conséquent
a priori, au m0 en de la rau'ou. Aussi le rapport
que représente {a majeure comme règle entre une
connaissance et sa condition2 constitue-t-il les
diverses espèces de raisonnements. Comme on
distingue trois sortes de jugements en considérant
la manière dont ils expriment le rapport de la
connaissance de l’entendement, il y a aussi trois
sortes de raisonnements : les cate’gariquex, les
jbpotbe’tique: et les du'jouflfifl.
Si, comme il arrive d’ordinaire, la conclusion se
présente sous la forme d’un ju ement donné, pour
voir si ce jugement ne de’couË pas de jugements
déjà donnés par lesquels un tout autre objet est
pensé, je cherche dans l’entendement l’assertion
de cette conclusion, afin de voir si elle ne se trouve
pas déjà dans l’entendement sous certaines condi—
tions d’après une règle générale“. Si je trouve une
[A jo;] telle condition, et si l’objet de la conclu—
sion se laisse subsumer sous la condition donnée,
cette conditions est tirée d’une règle qui vaut azmi
pour d’autre: ojb'etx de la canuausam‘e. Par où l’on
voit que la raison, dans 1e raisonnement, cherche à
ramener la grande variété des connaissances de
l’entendement au plus pletit nombre de principes
(de conditions universe es) et à y accomplir ainsi
la plus haute unité.
Dia/eflz'que tramændanta/e IOZI

[B 362] C. De l’usage pur de la rau'on


Peut-on isoler la raison, et en ce cas eS‘t-elle
encore une source propre de concepts et de juge-
ments qui ne proviennent que d’elle, et par lesquels
elle se rapporte a‘ des objets1 P Ou bien n’eSÏ-elle
qu’un pouvoir subalterne, celui d’apporter à des
connaissances données une certaine forme, que
l’on ap elle logique, et, par ce moyen, d’ordonner
entre elies les connaissances de l’entendement, et
de subordonner les règles inférieures à d’autres
plus élevées (dont la condition renferme dans sa
sphère celles des précédentes) autant qu’on peut le
faire en les comparant entre elles2 P Telle est la
queétion que nous avons maintenant a‘ traiter
seule, avant toute autre. Dans le fait, la diversité
des règles et l’unité des principes, voila‘ ce qu’exige
la raison pour mettre entendement en complet
accord avec lui-mêmea, de même que l’entende-
ment soumet a‘ des concepts le divers de l’intuition
et l’amène ainsi a‘ une liaison. [A joäj Mais un tel
principe ne prescrit nulle loi aux objets et il ne
contient pas le fondement de la possibilité de les
connaître et de les déterminer comme tels en
général. Il n’est qu’une loi subjeëtive de cette
économie dans l’usage des richesses de notre
entendement, qui consiSÏe à ramener l’usage III, 242

général des concepts de l’entendement au plus


petit nombre possible, par la comparaison qu’on
en fait, sans que l’on soit par la‘ autorisé à exiger
des objets eux—mêmes une harmonie si bien faite
pour [B 363] la commodité et l’extension de notre
entendement, et à attribuer a‘ cette maxime en
même temps une valeur objeétive. En un mot, la
question eS‘t de savoir si la raison en elle—même,
c’eSÏ-à-dire la raison pure, contient a priori des
principes et des règles synthétiques, et en quoi
ces principes peuvent consister.
Le proce’dé formel et logique de la raison dans
les raisonnements nous fournit a‘ ce sujet déjà une
Indication suffisante pour trouver le fondement
sur lequel devra reposer le principe transcendantal
1022 Critique de la rau'on pure
de cette faculté dans la connaissance synthétique
que nous devons à la raison pure.
D’abord, le raisonnement ne concerne as des
intuitions qu’il rame‘nerait sous des règles (Pcomme
fait l’entendement avec ses catégories), mais il
concerne les concepts et les jugements. Si donc, la
raison pure se rapporte aussi à des objets, elle n’a
ce endant pas de rapport immédiat a‘ ces objets et
à leur intuition, elle n’a un tel rapport qu’avec
l’entendement et ses jugements qui sont, eux,
direétement en contaét avec les sens [A 307] et
leur intuition, pour en déterminer l’objet. L’unite’
de raison n’est donc pas l’unité d’une expérience
possible, elle se diStingue au contraire essentielle-
ment de celle-ci, comme de l’unité d’entendement.
Le principe que tout ce qui arrive a une cause n’eSt
point du tout connu et prescrit par la raison. Il
rend possible l’unité de l’expérience et n’emprunte
rien à la raison qui, sans [B 364] ce rapport à une
expérience possible, n’aurait pu, a‘ partir de
simples concepts, imposer une unité synthétique de
ce genre.
En second lieu, la raison, dans son usage logique,
cherche la condition universelle de son jugement
(de la conclusion) et le raisonnement n’est lui-
même autre chose qu’un jugement que nous
formons en subsumant sa condition sous une
re‘gle générale (la majeure). Or, comme cette règle
est soumise a‘ son tour a‘ la même tentative de la
part de la raison et u’il faut ainsi chercher (par le
moyen d’un prosy logisme) la condition de la
condition, aussi loin qu’il eé‘t possible d’aller, on
voit bien que le principe propre de la raison en
général dans son usage logique est de trouver,
pour la connaissance conditionne’e de l’entende-
ment, l’inconditionné1 qui doit en achever l’unité.
Mais cette maxime logique ne peut devenir un
principe de la ration pure qu’autant u’on admet
que, si le conditionné est donné, est onne’e aussi
(c’eS‘t-à—dire contenue dans l’objet et dans sa liaison)
la série entière des conditions [A 308] subor-
dOflnéCS, laquelle eSÏ par conséquent elle—même
inconditionnéez.
Dia/efiique transcendantale 1023
Or, un tel principe de la raison est évidemment
jrnt/Je’tique, car le conditionné se rapporte analyti—
quement sans doute a‘ quelque condition, mais non
à l’inconditionné. De ce principe, il doit dériver
aussi diverses propositions synthétiques, dont
l’entendement pur [B 36;] ne sait rien, puisqu’il
n’a affaire qu’aux objets d’une expérience possible
dont la connaissance et la synthèse sont toujours
conditionnées. Mais pour ce qui eét de l’incondi-
tionné, s’il a réellement une place, nous pou—
vons vraiment l’examiner en particulier dans
toutes les déterminations qui le disringuent de
tout conditionné, et par suite il doit donner
matière a‘ maintes propositions synthétiques a
przorz.
Les propositions fondamentales qui dérivent de
ce principe suprême de la raison pure seront tram-
ændante: par rapport à tous les phénomènes, c’est—à-
dire qu’il sera toujours impossible d’en faire un
usage empirique qui lui s‘oit adéquat. Il se distin—
guera donc tout à fait de tous les principes de l’en—
tendement (dont l’usage eät parfaitement imma-
nem‘, puisqu’ils n’ont d’autre thème que la possi—
bilité de l’expérience). Ce rincipe, que la série
des conditions (dans la synt èse des phénomènes,
ou même de la pensée des choses en général)
s’élève jusqu’à l’inconditionne’, a-t-il ou n’a—t—il
pas de valeur objeé’cive, et quelles sont les consé—
quences qui en découlent relativement à l’usage
empirique de l’entendement P [A 309] Ou plutôt,
n’y aurait-il nulle part aucun principe rationnel de
ce genre ayant une valeur o jeétive, mais seule-
ment une prescription logique qui veut qu’en
remontant a‘ des conditions toujours plus élevées,
nous nous rapprochions de l’inte’gralite’ des condi—
tions, et qu’ainsi nous apportions dans notre
connaissance l’unité rationnelle la plus haute qui
soit possible pour nous P N ’est—ce pas, dis-je, que
ce besoin de la raison est tenu simplement par un
malentendu [B 366] pour un principe transcen—
dantal de la raison pure postulant te’mérairement
cette intégralité absolue de la série des conditions
dans les objets eux-mêmes P Et, dans ce cas,
1024 Critique de la mùon pure
quelles sont les fausses interprétations et les illu-
sions ui peuvent se glisser dans les raisonnements
dont a majeure eSt tirée de la raison pure (et
peut-être est plutôt une pétition qu’un postulat),
et qui s’élèvent de l’expérience à ses conditions?
Voila‘ ce que nous avons a‘ examiner dans la
« Dialeâique transcendantale », qu’il s’agit main—
tenant de développer en partant de ses sources,
lesquelles sont profondément cachées dans la rai-
son humaine. Nous la diviserons en deux parties
principales, dont la première traitera des eoneept:
transcendant: de la raison pure, et la monde des mi-
sormement: transcendants et dia/eflique: de la raison
pure.

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