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DIALECTIQ’UE TRANSCENDANTALE
Introduc‘îion
I. DE L’APPARENCE TRANSCENDANTALE
A. De la rau'on en général
Toute notre connaissance commence par les
sens, passe de là à l’entendement et finit par la rai—
son. Il n’eS‘t pas en nous de faculté au-dessus de
cette dernière, pour élaborer la matière de l’intui-
tion et pour la ramener sous la plus haute unité
[A 299] de la penséez. Comme il me faut ici don—
ner une définition de cette faculté suprême de
connaître, je me trouve dans un certain embarras.
Il y a d’elle, comme de l’entendement, un usage
purement formel, c’eS‘t—a‘—dire l’usage logique,
quand la raison fait abstraction de tout le contenu
de la connaissance; mais elle a aussi un usage réel,
puisqu’elle contient elle—même la source de cer—
tains concepts et de certains principes qu’elle ne
tire ni des sens, ni de l’entendement". Sans doute
le premier de ces pouvoirs a été défini depuis long—
temps par les logiciens, comme le pouvoir d’infé-
rer médiatement (par opposition a‘ celui d’inférer
immédiatement, comequentz’za' immediatza')‘, mais le
second qui produit lui—même des concepts n’eät
III, 238 pas encore expliqué par là. Puisqu’il se trouve donc
ici que la raison se partage en un pouvoir logique
et un pouvoir [B 3jâj transcendantal, il faut cher—
cher un concept plus élevé de cette source de
connaissances, un concept qui comprenne les deux
autres sous lui; cependant nous pouvons espérer,
d’après l’analogie avec les concepts de l’entende—
ment, que le concept logique nous donnera en
même temps la clef du transcendantal, et que le
tableau des fonêtions des concepts de l’entende‘
ment nous fournira en même temps la table généa-
logique des concepts de la raison.
Dialefiique transcendantale 1017
Dans la première partie de notre « Logique
transcendantale », nous avons défini l’entendement
comme le pouvoir des règlesl; nous distinguons
ici la raison de l’entendement en la nommant le
pouvoir des princzp'es.
[A 300] L’ex ression de princzp'e eS‘t équivoque
et d’ordinaire elie ne signifie qu’une connaissance
qui peut être emplloye’e comme principe sans être
un principe par e e-même et en sa propre origine.
Toute proposition universelle, fût-elle tirée de l’ex—
périence (par induétion), peut servir de majeure
dans un raisonnement; mais elle n’eSÏ pas pour cela
un principe. Les axiomes mathémati ues, par
exemple celui—ci qu’entre deux points il' ne peut
y avoir qu’une ligne droite, sont bien des connais-
sances universelles a priori et reçoivent a‘ juste titre
le nom de principes, relativement aux cas qui
peuvent être subsumés sous eux. Toutefois, je ne
puis pour cela dire que je connais en général,[B jj7]
et en elle—même à partir de principes, cette pro—
priété de la ligne droite; loin de la‘, je ne la connais
que dans l’intuition purez.
Je nommerai donc connaissance provenant de
principes celle où je reconnais le particulier dans
universel par concepts. Ainsi tout raisonnement
eSt une forme de l’aéte de dériver une connaissance
d’un principe. En effet, la majeure donne en tout
cas un concept qui fait que tout ce qui est subsurné
sous la condition de ce concept est connu à partir
de ce concept suivant un principe. Or, comme
toute connaissance universelle peut servir de
majeure dans un raisonnement, et que l’entende-
ment fournit des propositions universelles a priori
de ce genre, ces propositions peuvent aussi rece—
voir le nom de principes en considération de
l’usage qu’on en peut faire.
[A 301] Mais si nous considérons ces rincipes
de l’entendement pur en eux—mêmes, dpans leur
origine, ils ne sont rien moins que des connais-
sances par concepts. En effet, ils ne seraient même
{bras possibles a priori, si nous n’y introduisions
Intuition pure (c’eSÏ le cas de la mathématique),
Ou les conditions d’une expérience possible en
ror 8 Critique de la rau'on pure
111,39 général. Q__ue tout ce qui arrive a une cause, on
ne peut nullement le conclure du concept _de ce
qui arrive en général, c’eS‘t bien plutôt ce principe
ui nous montre comment nous pouvons tout
’abord avoir de ce qui arrive un concept d’expé-
rience détermin'é. _
L’entendement ne peut donc nous fournir de
connaissances synthétiques par concepts, et ces
connaissances sont [B 3j6’] proprement celles que
rappelle, au sens absolu, principes, bien ue toutes
es propositions universelles en géne’ra puissent
être appelées des rincipes par comparaison.
Il y a un vœu ien ancien et qui s’accomplira
peut—être un jour, mais qui sait après quelle
attente! C’est que l’on parvienne à découvrir à la
place de la variété sans fin des lois civiles les
permcipes de ces lois, car c’eS‘t la‘ seulement que gît
e secret pour simplifier, comme on dit, la légis—
lation. Mais les lois ne sont ici que des limitations
de notre liberté qui la restreignent aux conditions
qui lui permettent de s’accorder complètement
avec elle-même; par conséquent, elles concernent
quelque chose qui est tout à fait notre propre
ouvrage et dont nous pouvons être les causes par
le moyen de ces concepts mêmes. Mais demander
que les objets en soi, [A 302] la nature des choses
soient soumis a‘ des prin'cipes et doivent être déter-
min'és d’après de simples concepts, c’est, même s’il
n’y a là rien d’impossible, formuler pour le moins
une exigence très extravagante. (Luoi qu’il en soit
sur ce oint (car c’eéî: encore une recherche a‘ faire),
il' est claair au moins par là que la connaissance par
principes (prise en elle—même) eät quelque chose
de tout à fait différent de la simple connaissance de
l’entendement1 : celle—ci peut sans doute en pré-
céder d’autres dans la forme d’un principe, mais
elle ne repose pas en elle—même (en tant qu’elle eä’c
synthétique) sur la simple pensée, et ne renferme
as quelque chose d’universel par concepts.
B 319] Si l’entendement peut être défini comme
pouvoir de ramener les phénomènes à l’unite’ au
moyen de règles, la raison eâ le pouvoir de ramener
à l’unité les règles de l’entendement sous des prm"
Dia/eiîique tramændanta/e 1019
cipes. Elle ne se rapporte donc jamais immédia—
tement à l’expe’rlence ou a‘ quelque objet que ce
soit, mais à l’entendement, pour donner au divers
des connaissances de celui-ci une unité a priori
grâce à des concepts; cette unité peut être appelée
unité de raison, et diffère essentiellement de celle
qu’on peut tirer de l’entendement.
Tel est le concept général du pouvoir qu’eS‘t la
raison, dans la mesure où il eät possible de le faire
comprendre en l’absence totale des exemples qui
ne doivent être donnés que par la suite.