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FABLES

DE

LA FONTAINE
IMPRIMERIE GÉNÉRALE DE A. LAHURE
Rue de Fleurus, 9, à Paris.
FABLES

DE

LA FONTAINE

AVEC

LES DESSINS DE GUSTAVE DORÉ

PARIS

LIBRAIRIE DE L. HACHETTE ET G"


BOULEVARD SAINT-GERMAIN, N° 77

1868
# NOTICE

SUR

JEAN DE LA FONTAINE

A
NOTICE

SUR

JEAN DE LA FONTAINE

Il a des écrivains sur on n'a tout dit, le


y lesquels jamais parce que sujet
est et avec on ne craint les tout
inépuisable, lesquels pas redites, parce que,
connus sont, ne se d'en entendre La Fontaine
qu'ils personne fatigue parler.
est de cette famille : aucun poëte n'a été loué plus souvent et par autant

d'habiles et d'autres et d'autres vien-


critiques; cependant critiques biographes
dront, nous, ne d'avoir été devancés.
qui, pas plus que s'inquiéteront Pourquoi,
en effet, se refuser à soi-même et interdire aux autres le de d'un
plaisir parler
vieil ami d'enfance dont le souvenir est nouveau et charmant?
toujours
Celui devait illustrer le nom de bonhomme le 8 1621,
qui naquit, juillet
dans une ville de la Cham où son Charles
petite pagne, Château-Thierry, père,
IV NOTICE

de La les fonctions de maître des eaux et forêts. Sa


Fontaine, exerçait mère,

Françoise Pidoux, était fille d'un bailli de Coulommiers. Enfant aimable et

nonchalant, il étudia avec mollesse, et le cours de ses études ne révéla aucun


des de son A avoir lu livres de
germes génie. vingt ans, après quelques piété,
il se crut la vocation de la vie et il entra au séminaire de Saint-
ecclésiastique,

Magloire, où il ne demeura qu'un an. Son exemple avait entraîné son frère
y
Claude, qui persévéra. Au sortir du séminaire, La Fontaine mena, dans la

maison cette vie de désœuvrement et de surtout


paternelle, plaisirs qui énerve,
en les de famille. Pour le au devoir, on le
province, jeunes gens ranger maria,
et son lui donna la survivance de sa Il avait alors et
père charge. vingt-six ans,
le démon de la n'était encore venu. La Fontaine ne se
poésie pas pressa jamais.
Une ode de Malherbe, récitée hasard devant lui, éveilla le de la
par goût
dans son le et la s'étaient seuls
poésie âme, que plaisir paresse partagée jus-
Il lut avec Malherbe tout entier, et tâcha de mais
qu'alors. transport l'imiter;

Malherbe, Malherbe lui-même aurait La Fontaine, si deux amis, Pintrel et


gâté

Maucroix, ne l'eussent conduit à la lecture des vrais modèles. La Fontaine a fait

lui-même l'aveu de ces tâtonnements de sa muse. Platon. et Plutarque, parmi les

furent ses auteurs de il les lisait dans les car


anciens, prédilection; traductions,
il n'a su le Horace, Virgile et Térence qu'il aborder directement
jamais grec; put
le charmèrent : entre les modernes, il s'attacha de à à
préférence Rabelais, Marot,
à Des Periers, à Mathurin Regnier et à d'Urfé dont l'Astrée faisait ses délices.
Le ne fixa l'inconstance de ses Marie Héricart, lui
mariage pas goûts. qu'on
fit en de la beauté et de niais elle de ces
épouser 1647, avait l'esprit, manquait
solides, amour de l'ordre et du travail, fermeté de caractère, auraient
qualités qui
et son mari. Pendant lisait des romans, La Fontaine
subjugué discipliné qu'elle
cherchait des distractions au dehors, ou rêvait, soit à ses vers, soit à ceux de ses

favoris. La fortune du ne tarda à s'obérer. Plus tard,


poëtes jeune ménage pas
le de La Fontaine laissa, de son côté, une succession embarrassée : des
père

emprunts contractés pour acquitter ses dettes et conserver le bien intact, de-
SUR JEAN DE LA FONTAINE. v

vinrent de nouvelles causes d'embarras, de sorte qu'on s'explique facilement

notre poëte, inhabile aux soins d'intérêt, d'ailleurs de


que incapable s'imposer
aucune et ne trouvant de lui ni secours ni direction, ait
privation, auprès mangé,
comme il le dit son fonds avec son de manière à n'avoir
gaîment, revenu, plus,

après quelques années, ni revenu ni fonds.

L'exercice de la de maître des eaux et forêts se borna vraisemblable-


charge
ment pour lui à de promenades sous les vieux arbres des bois soumis
longues
à sa et à de non au
juridiction, moins longs sommeils sur les de verdure
tapis
bord des ruisseaux murmurants. Nous avons bien le droit de le
supposer, puis-

qu'il est avéré de soixante ans, il encore ce les forestiers


qu'à plus ignorait que
entendent bois en bois marmenteau et bois de touche. La le
par grume, poésie
ses essais se bornèrent à des vers de circonstance
charmait; premiers qu'on pri-
sait fort à il s'enhardit enfin tenter une comédie;
Château-Thierry : jusqu'à
mais comme l'invention lui il une de Térence, dont il con-
manquait, prit pièce
serva se contentant de les noms des et suivant
l'intrigue, changer personnages,
le texte avec une certaine liberté d'imitation. La avait choisie ne con-
pièce qu'il
venait à notre il de la faire mais il la
guère théâtre; n'essaya pas représenter,

publia, et ce fut cette œuvre médiocre, quoique assez bien versifiée, que
par
son nom à se Il entrait dans sa trente-troisième année.
commença produire.
Ce fut vers cette de ses J. Jannart, conseiller du roi,
époque qu'un parents,
le à dont il était le substitut du de Paris.
présenta Fouquet, auprès parlement
Le surintendant les de lettres ; il les accueillait avec
aimait gens grâce et les pen-
sionnait dans le luxe de sa maison ou de sa
généreusement. C'était, royal plutôt
cour, non un accessoire, mais un des ornements préférés, et c'est de ce côté
pas
lui les seules consolations de sa La Fontaine
que vinrent, plus tard, disgrâce.
devint le ordinaire de et une de mille à
poëte Fouquet, reçut pension livres,

charge d'acquitter chaque quartier par une pièce de vers. Dès lors il fut de

toutes les fêtes; ses étaient éblouis, son cœur ému, son éveillé. Les
yeux esprit
au milieu des de cette vie furent
années qu'il passa magnificences voluptueuse
vj NOTICE

un véritable enchantement : il en a laissé des traces dans les fragments du

Songe de Vaux, premiers indices d'un talent devait s'élever jusqu'au génie;
qui
la reconnaissance fut sa mais la douleur bien heu-
première muse, l'inspira plus

reusement, car de Vaux, sur la du


l'Élégie aux nymphes disgrâce surintendant,
le à la hauteur des maîtres. ce moment, La Fontaine n'avait
plaça Jusqu'à guère
été versificateur cette fois, il fut et ses
qu'un aimable, facile, ingénieux ; poëte,

plaintes touchantes sont demeurées un des chefs-d'œuvre de la langue. La

Fontaine ne seulement dans la de ses et de


pleurait pas Fouquet perte, plaisirs
ses mais le malheur d'un homme aimait sincèrement recon-
espérances, qu'il par
naissance, et dont les brillantes l'avaient séduit. Ce ne fut une
qualités pas
émotion années en à Amboise, l'ami fidèle
passagère : quelques après, passant
voulut visiter la chambre du château où avait commencé sa
Fouquet captivité ;
il ne mais il s'arrêta sur le seuil, ses coulèrent avec amer-
put y pénétrer, pleurs

tume, et « sans la nuit, on n'aurait pu, dit-il, l'arracher de cet endroit. »

Les succès de notre poëte, parmi cette élite de beaux esprits et de femmes
se autour de ne s'ex si
distinguées qui pressaient Fouquet, pliqueraient guère
l'on une foi à cette légende de distractions bizarres et
ajoutait pleine et entière
de naïvetés nous est en se ssant On
surprenantes qui parvenue grossi toujours.
ne saurait nier ne fût volontiers rêveur, distrait et mais l'accueil
qu'il crédule ;
lui lui en si bons doit nous
qu'on fait, l'empressement qu'on témoigne lieux,

faire croire savait aussi être aimable quand il le voulait. Par la distraction
qu'il
il dérobait son au contact d'un il ne se donnait
esprit entourage importun, qu'à
ceux lui mais alors il se donnait tout entier, avec son
qui plaisaient; enjoue-

ment, sa fine raillerie, sa délicatesse et sa bonhomie. Sa nature non-


spirituelle
chalante lui interdisait tout effort : il fallait se de lui, si on ne savait
passer
le et on conservait de son mais
pas prendre l'animer; bien la présence corps,
son esprit se ou s'envolait; on même la rêverie était
repliait peut ajouter que
en lui une manière de dissimuler son ennui. Sans doute alors il
politesse pour
allait retrouver ses mais il ne le disait La distraction étant La
bêtes; pas. pour
SUR JEAN DE LA FONTAINE. VII

Fontaine un il a à s'étonner la suite il


moyen d'indépendance, n'y pas que par
ait laissé croître démesurément un défaut lui et dont il se trouvait
qu'on passait,
bien.

La de ramenait La Fontaine vers la vie de famille, moins


disgrâce Fouquet

propre que jamais à se soumettre aux devoirs Un fils lui était


qu'elle impose.

né, aurait dû mais les enfants notre a tant amusés


qui l'y rattacher, que poëte

depuis, étaient ses ennemis et son aversion eux n'a


naturels, pour jamais manqué
l'occasion d'éclater. comme il les lui fut
Ce petit peuple, appelle, toujours insup-

portable : il est certain qu'ils sont bruyants, avides de


exigeants, importuns,

petits soins, et au dernier les indifférents; d'ailleurs ils


tyranniques point pour
lui faisaient concurrence : La Fontaine a voulu être et il a été l'enfant
partout
de la enfant dont on les dont on caressait les
maison, gâté choyait caprices,
penchants. Sa vie est une enfance de tous les il a grisonné et
âges; grandi,
vieilli sans cesser d'être enfant : il ne faut le autrement. C'est la clef
pas juger
et un de cet abandon des devoirs de l'homme fau-
peu l'excuse sérieux qu'il
drait sévèrement blâmer en lui, si on les d'une morale
y appliquait règles

rigoureuse.
De l'humeur dont il était, La Fontaine devait saisir avec l'oc-
empressement
casion de de sa famille et de n'était
s'éloigner Château-Thierry, qui plus pour
lui Pour se distraire de sa tout en rattachant exté-
qu'un tombeau. douleur, s'y
rieurement, il suivit à son exilé lettre de cachet
Limoges parent Jannart, par
de Mme dont il administrait la fortune. Notre a fait le
auprès Fouquet, poëte
récit de ce dans une suite de lettres à sa semées de vers et
voyage femme, jolis
Son à fut de courte et nous le
pleines d'enjouement; séjour Limoges durée,
retrouvons bientôt son entre Paris et tantôt
partageant temps Château-Thierry,
en tantôt avec Mme de La Fontaine, d'abord le suivit assez souvent
garçon, qui
dans ses excursions. Ces et ce double train de maison durent
déplacements pré-
le de ses affaires, mais il s'en d'ailleurs son
cipiter dérangement inquiétait peu :
bien seul y passait, car il avait communauté entre lui et sa femme, qui
n'y pas
VIII NOTICE

tard dans à l'abri du besoin. Disons en


plus put vivre, l'isolement, aussi, pas-

sant, n'oublia tout d'abord ce fils, lui tard un charmant


qu'il pas qui parut plus
dans cette courte et entrevue dont on a tant et
garçon, singulière parlé, qu'il
s'en moment où il fut de ce soin la du
occupa jusqu'au déchargé par générosité

procureur général de Harlay.


De cette datent ses avec Racine, autre son
époque rapports Champenois,
confrère en Leur liaison dut se faire l'entremise de Molière La
poésie. par que
Fontaine avait et aimé et chez Racine
connu, par conséquent admiré, Fouquet.
amena Boileau, et Molière Chapelle, cet incurable provocateur d'orgies, Ana-

créon aviné, en contre la raison de nos surtout


toujours guerre quatre poëtes,
vers la fin de leurs Le sévère Boileau les convives
soupers. gourmandait parfois
sans de succès, et l'on sait beau l'enivra le
trop qu'un jour Chapelle pendant
cours d'un sermon sur la Nos bons amis menaient une
improvisé tempérance.

joyeuse vie, toutefois faillit avoir une issue tragique, puisqu'à la suite de ce
qui
dîner d'Auteuil, où l'ivresse les avait conduits à
philosopher mélancoliquement,
la les vers la Seine leurs si Molière
philosophie poussait pour y noyer chagrins,
n'eût bonheur fait ce dénouement remis au lendemain serait
par remarquer que
Cette confrérie se divisa bientôt, Un mauvais de
plus héroïque. joyeuse procédé
Racine éloigna Molière. La faveur royale rendit Boileau et Racine circons-
plus
se débaucha outre et La Fontaine, tout en ses
pects; Chapelle mesure, gardant

amis, allait rêver et se divertir ailleurs.

Pendant que cette intimité durait, La Fontaine emmenait souvent Racine et

Boileau à où il allait de à autre vendre bout


Château-Thierry, temps quelque
de terre établir une de balance entre ses recettes et ses
pour espèce dépenses.
L'aimable Maucroix, autre arrivait de son côté la
épicurien, pour compléter fête,

qui se continuait à Reims, où il attirait volontiers son cher La Fontaine, lequel


ne demandait pas mieux de suivre ; car, nous dit-il,
que l'y

Il n'est cité à Reims :


que je préfère
C'est l'ornement et l'honneur de la France.
SUR JEAN DE LA FONTAINE.

Cette vie de Mme de La Fontaine, cessa bientôt de


dissipation éloigna qui
suivre son à Paris : la s'était sinon sans
volage époux séparation opérée, orages,
au moins sans Racine souvent son ami à et c'est
procès. engagea renouer,

pour obéir à ces conseils fit ce à dont il revint,


qu'il voyage Château-Thierry,

après deux sans avoir vu Mme de La Fontaine. L'anecdote est


jours, partout :
« Eh bien ! êtes-vous réconciliés ? avez-vous vu votre femme ? — suis allé;
J'y
mais elle était au salut. » Admirable naïveté! s'écrient les trait char-
biographes,
mant de bonhomie et de distraction! Hélas! non. La Fontaine savait ce
qu'il

faisait; il était à condescendance ses amis; sa


parti contre-cœur, par pour pro-
messe le la de son mais, trouvé il
pousse jusqu'à porte logis; n'ayant personne,
reviendra heureux est d'avoir sa et évité une
n'y pas, trop qu'il dégagé parole
entrevue à son retour, il ses conseillers d'une excuse
qu'il redoutait; puis, paye

d'enfant, dont il ne sera le dernier à rire de bon cœur. Rien de naturel


pas plus
que ce : il a cédé faiblesse; mais sa sous une
manège par volonté, qui persistait
docilité se retrouve et à la fin.
apparente, triomphe
La Fontaine a de ans, et à sa froide comédie imitée
déjà plus quarante part
de et l'admirable sur ce n'est encore bel
Térence, élégie Fouquet, qu'un esprit
aimable et un poëte de société. Remarquons cependant qu'il obtint alors la

charge de servant de la duchesse douairière d'Orléans, veuve de


gentilhomme

Gaston, frère de Louis XIII. La cour du à défaut de celle


petite Luxembourg,
du accueillait La Fontaine, vivait dans une douce intimité : sa
grand roi, qui y
n'était et elle servait à des libéra-
charge pas simplement honorifique, justifier
lités venaient à La duchesse de Bouillon ne
qui toujours propos. négligeait pas
non notre il l'avait vue à et cette de
plus poëte ; Château-Thierry, princesse,
mœurs faciles et à son talent
d'esprit voluptueux, l'avait engagé appliquer pour
les vers à l'imitation de ces contes badins et et Boccace avaient
galants qu'Arioste
à nos trouvères. Ce conseil, suivi avec fit rencontrer
empruntés empressement,
à La Fontaine une des veines de son génie et le mit sur la voie de
l'apologue.
Joconde fut son début dans le conte. Ce récit, librement imité de l'Arioste, fut
x NOTICE

l'occasion d'un débat littéraire dans Boileau une lance en faveur


lequel rompit
de son ami contre un autre imitateur lui alors, et a oublié
qu'on opposait qu'on

depuis ; quelque chose comme Pradon mis en avec Racine. Le succès


parallèle
le mit successivement au d'autres nouvelles non
encouragea conteur, qui jour
moins ingénieuses et tout aussi libres. Ce côté de la de La Fontaine doit
gloire
être voilé; car, bien du bonhomme n'ait em-
que l'ingénuité corrompue pas
brassé l'immoralité de et se soit étonné ou
propos délibéré, qu'il que pour cinq
six contes bleus on l'ait accusé de l'accusation n'en est
pervertir l'innocence,
moins fondée.
pas
Le talent désormais reconnu et de La Fontaine l'aurait désigné aux
apprécié
bienfaits de Louis XIV, allait au-devant du mérite, et souvent même de la
qui
médiocrité littéraire, si son de vie et le caractère de ses
genre peu régulier
dernières n'eussent la du et du
poésies éloigné sympathie monarque rigide

Colbert, de ses libéralités. Le souvenir de ne suffit à


dispensateur Fouquet pas

expliquer cette défenseur du surintendant, Pé-


négligence, puisque l'éloquent

lisson, était en ce même comblé de faveurs. La chute de était


temps Fouquet
assez et l'amnistie couvrît tous ses amis. N'attri-
profonde désespérée pour que
buons non cet abandon à ce
pas plus qu'on appellerait aujourd'hui l'opposition
de La Fontaine : le bonhomme n'était si il ne demandait
pas courageux ; pas
mieux d'être poëte de cour, et, dans l'occasion, sa voix se mêlait au concert
que
universel célébrer les merveilles du de Louis le Grand. La vérité
pour Règne
est lui tenait les licences de ses vers et de sa con-
qu'on rigueur pour poétiques
duite : aura d'être on le croira sur il aura
lorsqu'il promis sage, parole, part
aux faveurs et on lui ouvrira les de l'Académie.
royales, portes
La Fontaine n'avait la conscience nette, et il de
pas parfaitement essaya

compenser ses torts par des ouvrages irréprochables. Sans y être invité, il

voulut travailler, de son côté, à l'instruction morale et à l'amusement du Dau-

phin, dont l'éducation commençait alors. C'était un moyen honorable de faire

sa cour et de se de Phèdre, la l'avaient


purifier. L'élégance simplicité d'Esope
SUR JEAN DE LA FONTAINE. XI

séduit, et l'ambition lui vint de les imiter : quoique passé maître dans l'art de

conter et de il ne se doutait allait ses modèles. 11 se


peindre, pas qu'il éclipser
mettait naïvement au-dessous de et Fontenelle a dit
Phèdre, plaisamment que
c'était bêtise. Traduisons ce mot admiration sincère et
par piquant par exagérée
des noms et nous aurons la vérité. Le sentiment et le de
consacrés, simple goût
la sont d'ailleurs des de modération dans
perfection principes l'amour-propre.
La veine et délicate de La outre la natu-
facile, ingénieuse Fontaine, simplicité
relle de son le des illusions de la vanité et l'ex même
caractère, préservait posait
à méconnaître la valeur réelle de son 11 fallut d'abord que sa vocation lui
génie.
fût révélée, et la seule dut l'avertir son talent l'élevait au premier
gloire que

rang.
Le premier recue i l de f.-tl) l coiii os é de six ivres,
i x livres, ii 1668,
en uss le
soti
es, composé
p parut
I)artit
Le premier recueil de fables,
modeste titre de Fables mises en vers M. de La Fontaine ; il était
dEsope, par
dédié au Cette dédicace nous révèle la secrète intention du poëte :
Dauphin.

plus tard, nous le verrons coopérer directement encore à l'éducation du


plus
petit-fils de Louis XIV, l'entremise de Fénelon. Avant d'arriver, après tant
par
d'autres, au de ces inimitables com avec
jugement positions, remarquons quelle
lenteur le talent de La Fontaine s'est arriver à cette maturité
développé pour
féconde. Si notre insouciant du côté de la fortune, a laissé son
poëte, patrimoine
dépérir, voyez comme il a donné du temps, de l'air pur et du soleil à la
pai-
sible culture, à la croissance continue de son génie. L'arbre s'est couvert de

branches, les feuilles sont venues les orner dans la saison, et les fruits les
plus
savoureux ne demandent qu'à s'en détacher. Illustre nonchalant, vous aviez

bien le droit de des soins de comme vous l'avez


négliger vulgaires, manger,
dit, votre fonds avec votre revenu matériel, puisque vous cultiviez un autre

fonds donnera d'immortelles richesses!


qui
L'im de La Fontaine devait tenir un à sa confiance dans le
prévoyance peu
dévouement de ses du reste, ne lui la mort
amis, qui, manqua jamais. Lorsque
vint lui enlever la de la duchesse d'Orléans, il fut aussitôt recueilli
protection
XII NOTICE

Mme de La dont la à tous ses besoins, et dont


par Sablière, générosité pourvut
la délicatesse tous ses désirs. C'est sans doute la reconnaissance qu'elle
prévint
lui arracha du cœur de La Fontaine ces vers tant d'autres ont
inspirait qui que

pu depuis répéter avec amertume :

Qu'un ami véritable est une douce chose! etc.

Voilà encore un de ces noms devant on aime à s'arrêter. Mme de La


lesquels
un véritable sur les savants et les de sa
Sablière exerça patronage gens lettres;

maison leur était ouverte; et sa fortune encorageait leurs travaux. Sauveur,

Bernier sa discrète se se
Roberval, éprouvèrent libéralité, qui déguisait pour
Elle aimait la science, et la sans
répandre plus largement. possédait l'afficher;
elle faisait le bien avec tout en le dissimulant des ruses délicates.
passion, par
Le dévouement dans un amour ne fut cette femme, d'ailleurs
illégitime pour
transition aux élans de la la
irréprochable, qu'une piété plus sincère, qui remplit
les dernières années de sa vie. La Fontaine fut, jusqu'à soixante-douze ans, le

familier de l'hôtel de Mme de La il de


génie Sablière; y passa plus vingt années,
dans une sécurité, d'abord dans le commerce d'une société choisie de
complète
beaux et de savants, et tard en hôte faisant lui-même
esprits plus indépendant,
les honneurs du à des visiteurs un mêlés attirait les
logis peu qu'il pendant

longues retraites de la maîtresse de la maison, désormais tout entière


religieuses
au salut de son âme.

La Fontaine n'a à chercher de nouveaux protecteurs; sa destinée est


plus
assurée : comme le rat de la fable, il a

Le vivre et le couvert : faut-il


que davantage ?

Nous sommes donc sur son comme lui-même : il


tranquilles compte, profitera
de cette sécurité se livrer avec abandon au démon de la ne le
pour poésie qui
Ses fables ont été accueillies avec il en
quitte plus. premières faveur, composera
SUR JEAN DE LA FONTAINE. xm

de un bonheur de ont rencontré, ses recueils,


nouvelles, et, par que peu poëtes
en se soutiendront sa renommée. ce ne
succédant, Cependant genre préféré
l'avait absorbé le roman de et de
pas complètement; Psyché quelques pièces
théâtre l'occupèrent intervalles. Psyché, qui pourrait nous amuser encore,
par
l'amusait beaucoup; il revenait volontiers pour se délasser d'autres travaux, et
y
il à l'achever. Le de Vaux fut moins mais comment
parvint Songe heureux;
les enchantements et la féerie de ce château, usait
rappeler quand Fouquet
obscurément les restes de sa vie dans une douloureuse captivité? Versailles avait

ces et le talent de La Fontaine se vers


surpassé magnificences, descriptif dirigea
la du dont les merveilles naissantes tous les et
peinture palais frappaient yeux,
il les rattacha incidemment à la trame de sa fable allégorique, déjà compliquée
d'interlocuteurs laissent facilement reconnaître, sous des noms empruntés,
qui
Molière, Boileau, Racine et La Fontaine. La de ce roman dont la
publication
est et renferme une foule de vers excellents, suivit de
prose élégante qui près
les fables. On l'accueillit avec faveur, et Molière, aidé de Corneille
premières
et de en tira un dont la fut
Quinault, opéra musique composée par Lulli.
Les tentatives dramatiques de La Fontaine furent rarement heureuses, on

doit l'avouer; mais Furet ière exagère certainement lorsqu'il nous dit les
que
comédiens n'osaient jamais donner une seconde représentation de ses de
pièces
d'être en soit, le théâtre le séduisait et encore la
peur lapidés. Quoi qu'il plus
société des acteurs : le salon de Mme de La Sablière lui
quand paraissait trop
il allait se distraire chez la Cham et Racine for-
sérieux, pmeslé, pendant que
mait le talent de cette grande actrice, La Fontaine aidait le mari dans la com-

position de comédies médiocres où son talent a laissé peu de traces. C'est ainsi

lui a fait la de Ragotin, imitation du Roman


qu'on partager responsabilité plate
Il a rien à rien non plus à retenir de Je vous sans
comique. n'y dire, prends

vert, lui attribue, et peut laisser


qu'on qu'on à Champmeslé, qui n'y gagnera
La Fontaine Entre toutes les au
pas grand'chose : y perdrait. pièces présentées
théâtre il a voudrait à
par Champmeslé, n'y en qu'une qu'on pouvoir assigner
XIV NOTICE

La Fontaine en sûreté de c'est le comédie amu-


conscience, Florentin, petite
sante contient une scène de Molière. La de La Fontaine dans ces
qui digne part
lui ont été attribuées ou est difficile à déterminer. Ce
pièces, qui imputées, qui
est hors de doute, c'est a eu un moment la de faire une
qu'il pensée tragédie,
à de ne se refusait une malice, entre
peut-être l'instigation Racine, qui guère
amis surtout. Achille fut le héros de notre mais il s'arrêta prudemment
poëte;

après un commencement d'exécution.

Ceci nous amène à dire un mot de la unique et courte colère de La


grande,
Fontaine. à céder aux conseils de ses il
Toujours prompt amis, prêta impru-
demment l'oreille au Lulli lui demandait à bref délai les d'un
perfide qui paroles
La devait être la cour aux nues le
opéra. musique merveilleuse, porterait composi-
teur et le aurait son entrée au théâtre et force droits d'auteur.
poëte, qui Quelle
séduction ! La Fontaine se mit à la sous la surveillance
besogne courageusement
de Lulli, le vivement et lui de nouvelles correc-
qui pressait imposait chaque jour

tions ; le se avec docilité au travail accéléré et même aux ratures. Il


poëte pressait
avait fini, son avait avec tout son
lorsqu'il apprit que déloyal instigateur passé
de notes à la de de sa fureur !
bagage Proserpine Quinault. Qu'on juge Quatre
mois d'efforts en la l'abandon la
pure perte : captation, imprévu, fourberie,
aussi des nuits sans com bien de contre le traître ! La
peut-être sommeil, griefs
Fontaine n'y tint et il fit une satire de fiel et de bile, dans
pas, pleine laquelle
il se d'avoir été Ce violent ne dura Mme de
plaint enquinaudé. transport pas.
entre le et l'offensé une réconciliation
Thianges pratiqua coupable qui présenta

d'obstacles; car, après tout, Lulli était bon convive, et La Fontaine n'était
peu
de force à la colère. Un ressentiment l'aurait aussi
pas loger longtemps gêné :
toute sa vie il ne d'inimitiés; ses amis se refroi-
pendant garda jamais pouvaient
dir ou se brouiller entre eux, il les conservait tous et les On
voyait séparément.
croirait qu'il avait pris pour devise le vers du vieux poëte Garnier :

Je m'unis à l'amour et non


pas
à la haine.
SUR JEAN DE LA FONTAINE. xv

Les excursions poétiques de La Fontaine hors de sa vocation n'enlèvent rien

à sa renommée comme entre les de sa


; elles demeurent inaperçues rayons gloire
de fabuliste : c'est là son titre devant la aussi bien la fable, telle
postérité; que
l'a faite La Fontaine, est-elle une des heureuses créations de hu-
plus l'esprit
main. C'est un comme il le dit, car toutes les ressources de
proprement charme,
la trouvent dans un cadre étroit. de La Fon-
poésie s'y employées L'apologue
taine tient à le au les au drame
l'épopée par récit, genre descriptif par tableaux,
le des et la des caractères, à la
par jeu personnages peinture poésie gnomique
les ce n'est car le intervient souvent en
par préceptes : pas tout, poëte personne.
Le charme de ces c'est la vie. L'illusion est ;
suprême compositions, complète
elle va du a été le au entraîne.
poëte, qui premier séduit, spectateur qu'il
Homère est le seul cette vertu au La Fontaine
poëte qui possède même degré.
a réellement sous les ce raconte, et son récit est une son
yeux qu'il peinture;
doucement émue du dont elle seule le
âme, spectacle jouit d'abord, reproduit
en sensibles. Là se trouve le secret du de La
images principal style Fontaine ;
tout est en tableaux et en Cette dont on le loue n'est
y figures. simplicité que
dans le naturel des choisit ou trouve sa
images qu'il qu'il pour représenter pen-
sée ou son émotion. A on ne lit les fables de La
plutôt proprement parler, pas
Fontaine, on les on ne les sait on les voit. Ne
regarde; pas, prenons qu'un

exemple, la Mort et le Bûcheron, puisque deux grands ont misérable-


poëtes
ment lutté contre le bonhomme : ce tue Boileau et J.-B. Rousseau dans
qui
cette risible rivalité, c'est l'abstraction : ce fait La c'est
qui triompher Fontaine,
luit aux et le cœur. Si l'on à cet attrait continu
l'image qui yeux pénètre ajoute
de la réalité vivante le cause de l'humanité visible sous ces
plaisir que l'image

symboles animés, on aura les deux principes de l'intérêt universel qu'excitent


les fables de La Fontaine, veux dire l'illusion éveille et
je qui l'imagination,
l'allusion qui fait double dans l'esprit.
coup
Il ne faut croire La Fontaine n'ait eu de en France
pas que pas précurseurs
dans la fable. Les trouvères étaient exercés, et l'un des mo-
s'y plus singuliers
xvi NOTICE

numents de la littérature au le Roman du Renard, est une véritable


moyen âge,
histoire de la société le animal. L'assimilation
féodale, représentée par règne
des hommes et des bêtes est et cette étrange tire son intérêt
y complète, épopée
de la allusion nous venons de dans La Fontaine. Mais
perpétuelle que signaler
notre n'a à cette source
poëte pas puisé féconde; il ignorait également que Marie
de France, an treizième siècle, avait dans l'imitation d'Ésope, la naïveté
porté,
a retrouvée et et d'autres du même3 avaient
qu'il surpassée, que poëtes temps

développé les mêmes en lui dérobant avance quelques vers qu'il a


sujets, par

repris sans le savoir. La Fontaine a remonté directement aux sources grecque,


latine ou orientale : Phèdre sont habituellement ses
Ésope, et Bidpaï modèles;
mais les il a rencontré auraient le
parmi Français quelques guides qui pu diriger
vers la seul il a atteindre. P. Blanchet, dans l'Avocat Pate-
perfection que pu
lin, a introduit la fable du Corbeau et du Renard, auquel il a donné le nom

de maître, La Clément Marot a fait un drame de


adopté par Fontaine ; petit plein
et de la fable du Rat et du et le de le
grâce d'enjouement Lion, génie Regnier

satirique avait pris les devants, sous d'autres noms, celle du et du


pour Loup
Cheval. La Fontaine n'a pas connu d'autres aïeux que ces trois poëtes parmi
les modernes, et l'on n'a à les imiter :
peut ajouter qu'il guère songé malgré

quelques analogies fugitives qu'il est bon de noter comme curiosité littéraire et

comme linéaments prophétiques, La Fontaine demeure complètement original


dans sa manière.

L'originalité de La Fontaine n'est pas uniquement dans le tour particulier


de son et de son mais encore dans la
imagination esprit, langue qu'il emploie.
Il se rattache sans doute à son siècle et la du
par l'élégance pureté langage, et
ce ne est le trait commun des écrivains de
par je sais quoi d'achevé qui grands
non mais son idiome est et naturel. Il a une
temps; plus riche, plus souple plus
veine seul il a lui donne l'archaïsme un air
gauloise que conservée, et qui par
de des vieux mots et des tours est
nouveauté. L'emploi antiques qu'il rajeunit
une véritable conquête sur le et un d'introduire avec aisance des
passé, moyen
SUR JEAN DE LA FONTAINE, XVII

idées la noblesse soutenue du aurait dénaturées.


que trop langage classique

Marot, Rabelais, Bonaventure Des Periers apportent leur tribut pour former la
la écrivain ait Les larcins de La
langue plus personnelle que jamais parlée.
Fontaine ne seulement ils s'unissent à la trame du discours
paraissent pas, pour

l'orner, et l'écrivain n'est naturel dans ses ou


jamais plus que emprunts, plutôt
dans ses réminiscences. C'est ainsi dérobé les sans
qu'il a également anciens,
se trahir; Virgile, Platon même, lui ont fourni les traits les
qu'Horace, plus
heureux avaient résisté aux efforts des traits
qui traducteurs, qu'il s'approprie
en son les saisit au selon les besoins de la
n'y songeant pas : esprit passage

pensée, et ils coulent comme de source avec le reste. Virgile retrouve son

frigus dans goûter l'ombre et le ; Horace son o imita.


captabis opacum frais
tores, servum pecus, dans quelques imitateurs, sot bétail, et encore
je l'avoue;
at etc., dans nos aïeux, bonnes etc. Mais ni ni
, nostriproavi, gens, Virgile
Horace ne crieront au voleur ou au traître; ils salueront, à la un
rencontre,
frère en
poésie.
La Fontaine fut admis à son second recueil de fables à Louis XIV,
présenter
et il obtint la un fort honorable, une
pour publication privilège puisque, par

exception presque unique, l'éloge du livre était mêlé à l'autorisation de le

faire Notre avait l'air de se et sans doute


paraître. poëte ranger, par égard
sa il évitait le scandale. Une autre considération
pour bienfaitrice, le dirigeait

encore ; car il nourrissait la secrète ambition d'arriver à l'Académie. Dans cette

espérance, il fit effort sur lui-même jusqu'à louer Colbert, qui avait été l'in-

strument de la de 11 est vrai l'illustre compagnie


passionné perte Fouquet. que
lui faisait des avances, et le de telle sorte le choix
qu'elle priait d'agir que
être La bonne volonté de l'Académie était si
qu'elle préparait pû agréé. pro-

la mort de Colbert, suivit de les de La Fontaine,


noncée, qu'à qui près éloges
elle le fabuliste à Boileau la faveur royale. Mais il fallut
préféra qu'appuyait
attendre. Ce choix ne fut ni annulé ni confirmé; on ce
temporisa jusqu'à que,
la mort d'un autre immortel ouvert une vacance nouvelle, Boileau et
ayant

H
XVII] NOTICE

La Fontaine entrer de front à l'Académie, Boileau de et La


purent plain-pied,
Fontaine une année de Il avait fait, comme on dit, son
après consigne. pur-
et Louis XIV avait bien voulu croire à sa d'être Nous
gatoire, promesse sage.
verrons La Fontaine n'eut la force de et vérifia le
que que promettre, qu'il
refrain d'une de ses jolies ballades :
plus

Promettre est un, et tenir est un autre.

L'Académie fut une des de La Fontaine. L'amitié de ses confrères


passions
et son les lettres attiraient : il se fit son exacti-
goût pour l'y remarquer par
tude aux séances, où il arrivait à toucher ses de
toujours temps pour jetons
Une fois, il fut en retard sans doute ce où il le
présence. (c'était jour prit plus
: le était formel ; les membres savaient
long) règlement toutefois, présents qui
cette recette hebdomadaire seule la de leur
que petite garnissait presque poche

confrère, de laisser dormir la mais La Fontaine


proposaient règle académique,
fut inflexible. Ce beau trait d'héroïsme n'empêcha pas Furetière, dans ses

démêlés avec de lui lancer à la tête de On


l'Académie, l'épithète jetonnier.
sait cet abbé bilieux comme tous les
pourquoi lexicographe, grammairiens
entra en contre ses confrères, et comment son
réformateurs, campagne opiniâ-
treté et ses mauvais procédés, quoiqu'il n'eût pas tort au fond, le firent exclure

de l'Académie. La Fontaine, soit distraction, ou de ce est


esprit corps, qui
avait mis, comme un autre, la fatale boule noire
plus probable, pour l'expul-
sion d'un vieil ami récalcitrant; aussi Furetière le avec un achar-
poursuivit-il
nement et dans ses factums, encore
implacable, piquants plus injurieux que
le bonhomme a un sa d'outrages. Ce fut la seule
plaisants, peu plus que part
de ce eut à mais elle fut rude. Il ne tient à ce
épreuve genre qu'il subir, pas
rancuneux abbé de Chalivoix le inoffensif des hommes ne soit un
que plus
monstre de Dieu nous tous des ressentiments d'une défunte
perfidie. garde
amitié! il a rien de le venin et la calomnie.
n'y pareil pour
La Fontaine se trouva mêlé à un autre débat académique non moins vif,
SUR JEAN DE LA FONTAINE. XIX

mais dans ses adversaires ne d'urbanité : veux


lequel manquèrent pas je parler
du entre les et les modernes, réveillé en Académie
procès anciens pleine par
Ch. Perrault. Boileau en fut aussi bien Racine. La Fontaine se
exaspéré que
de leur avec de mais autant de décision. Ainsi les
rangea parti plus sang-froid,
trois meilleurs le des modernes aurait pu employer
arguments que panégyriste
à de sa thèse se levèrent contre lui. Le tour cette est
l'appui que prit querelle
vraiment les rivaux sérieux de en sa faveur,
singulier : l'antiquité se déclarèrent
des écrivains médiocres, dans la
pendant que plus désintéressés question qu'ils
ne le avec la des modernes. Saint-
supposaient, proclamaient passion supériorité
Sorlin avait commencé, Perrault fit une nouvelle levée de et Lamotte-
boucliers,
Houdart continua la du dans les
guerre. Étranges champions progrès lettres,
ce a seul sauvés de l'oubli! Au la seule
que paradoxe presque reste, pièce qui
intéresse encore dans le volumineux dossier de cette affaire, est l'admirable

épître de notre poëte au savant Huet, alors évêque de Soissons.


Aussi Mme de La Sablière eut l'œil sur La Fontaine, on ne
longtemps que put
lui des mais dès eut fermé son
guère reprocher que peccadilles; qu'elle salon,
abandonné le de La Fare, et se fut livrée aux
par marquis qu'elle pratiques
d'une dévotion austère, le vieil enfant laissait sans de son
qu'elle guide profita
comme un écolier Les de la maison de Ven-
indépendance émancipé. princes
se divertissaient au en véritables l'attiraient à
dôme, qui Temple templiers,
leurs festins, et l'entraînaient par leurs exemples. De nouvelles séductions

entretinrent au delà du terme convenable son les d'un autre


goût pour plaisirs
On souffre de ces faiblesses, mais on les ont
âge. peut rappeler, puisqu'elles
été un sincère.
expiées par repentir
Une maladie sérieuse vint avertir La le était venu de se
Fontaine que temps
retirer des et à bien mourir. Jamais, même
plaisirs, qu'il fallait songer au plus
fort de ses de à la il la
dissipations, il n'avait manqué respect religion ; négligeait
et ne La facile morale des du monde au siècle
l'outrageait pas. gens dix-septième
n'était une révolte contre les on savait
pas systématique principes religieux;
xx NOTICE

vivait contre la mais on le en vertu; les


qu'on règle, n'érigeait pas dérèglement

désordonnés se réservaient de faire un le ne


plus jour pénitence : libertinage
de nom force Avec de disposi-
changeait pas pour s'appeler d'esprit. pareilles

tions rien n'est On dire La avait tardé


désespéré. peut que Fontaine beaucoup
à revenir ; mais il revint complètement et avec toute la ferveur de cette piété

qu'il avait prise au sortir de l'adolescence pour une vocation religieuse. Racine,

avait les courtes erreurs de sa assistait


qui réparé depuis longtemps jeunesse,
son ami cette maladie et sa réconciliation avec l'Eglise. Ce fut
pendant ménagea
lui amena au chevet du malade ce vieux confesseur La
qui auquel Fontaine pro-

naïvement de en aumônes le des libraire


posait répartir prix exemplaires qu'un

devait lui abandonner sur une nouvelle édition de ces Contes. Cependant le

mal Un vicaire de l'abbé fut de


s'aggravait. jeune Saint-Roch, Poujet, chargé

mener à bonne fin la de La Fontaine : il le trouva dans les meilleures


pénitence
le malade consentit à avouer et à devant une
dispositions; déplorer députa-
tion de l'Académie ses littéraires; il en outre, s'il survivait,
péchés s'engagea,
à ne traiter des de morale et de et, enfin, il sacrifia aux
plus que sujets piété
de son directeur et de la une comédie en vers le
scrupules Sorbonne, que
théâtre attendait et le aimait comme un enfant de sa vieillesse :
que poëte
dernier sacrifice bien méritoire ! car il ne sans Aucun
s'accomplit pas regret.

doute ne s'éleva sur la sincérité de cette conversion; La Fontaine reçut les

derniers sacrements, et le bruit vint à se avait cessé de


lorsque répandre qu'il

vivre, on dit qu'il était mort comme un saint. Ce bruit n'était pas fondé ; la

santé lui revint avec la de et il eut le de une


paix l'âme, temps prouver, par

rigoureuse des devoirs du chrétien, sa bonne foi et son repentir. En


pratique
suivant toutes les de cette solennelle à la mort, une chose
phases préparation
m'étonne et m'attriste : autour de ce lit d'un mourant, vois l'Académie, le
je
clergé, des amis en foule ; mais cherche une femme et un fils : la distrac-
je
tion de La Fontaine avait-elle donc gagné tout le monde ?

Au moment où l'hôte illustre et désormais chrétien de Mme de La Sablière


SUR JEAN DE LA FONTAINE. XXI

entrait en convalescence, celle-ci mourait aux Incurables où elle s'était retirée.


A La Fontaine dut l'hôtel lui avait servi d'asile
peine rétabli, quitter qui pen-
dant ans; il en sortait, rencontra M. d'Hervart, venait
vingt-deux lorsqu'il qui
lui de le conduire à son hôtel de la rue Plâtrière. On connaît la
proposer

réponse de La Fontaine : il allait :


y

Qui d'eux aimait le mieux?

Ce fut dans cette demeure décorée par le que


magnifique pinceau de Mignard
La Fontaine les deux années lui restaient à vivre : il
passa paisiblement qui
allait encore à l' Académie, mais souvent à il rimait
plus l'église; quelques

psaumes, paraphrasait poétiquement le Dies irœ, et retrouvait instants la


par
verve de son mur pour écrire de nouvelles fables. Fénelon l'associait ainsi
âge
à l'éducation du duc de fournir les
jeune Bourgogne, qui paraissait sujets que
le bonhomme mettait en vers avec une reconnaissance le
enfantine ; pré-
et son élève rivalisaient de soins et d'attentions délicates
cepteur royal pour
charmer le vieillard aimable n'avait laissé périr dans sa conversion ni la
qui
bonhomie de son les de son Grâce à cette
caractère, ni agréments esprit. pro-

tection, à la de l'amitié et aux consolat ions de la il sera


vigilance religion,
vrai de dire, fermera les
lorsqu'il yeux :
Rien ne trouble sa fin, c'est le soir d'un beau
jour.

La Fontaine s'éteignit doucement, après mois de faiblesse extrême,


quelques
le i3 février dans la année de son Racine le vit
1695, soixante-quatorzième âge.
mourir avec de sincères et Fénelon, dans sa douleur se fit, en termes
regrets,
de l'admiration de ses Citons les derniers
exquis, l'interprète contemporains.
traits de cette courte oraison funèbre : « et dites si Anacréon a su
Lisez-le,
badiner avec de si Horace a la et la morale d'or-
plus grâce ; paré philosophie
nements variés et si Térence a les mœurs des
plus plus attrayants; peint
hommes avec de naturel et de vérité ; si a été touchant
plus Virgile, enfin, plus
et harmonieux. » Nous ne chercherons d'autre hommage à son génie :
plus pas
XXJJ NOTICE SUR JEAN DE LA FONTAINE.

à son voici une confidence


quant caractère, précieuse qui s'était dérobée jusqu'à
aux la mort de son vieil Maucroix écri-
présent biographes. En apprenant ami,
vait ces touchantes : « Mon très-cher et très-fidèle ami, M. de La Fon-
lignes
taine est mort. Nous avons été amis ans, et remercie Dieu
plus de cinquante je
d'avoir conduit l'amitié extrême lui une assez
que je portais jusqu'à grande
vieillesse sans aucune ni aucun refroidissement, dire
interruption pouvant que
l'ai tendrement autant le dernier le Dieu,
je toujours aimé, jour que premier.

par sa miséricorde, le veuille mettre dans son saint C'était l'âme la plus
repos!
sincère et la candide de
plus que j'aie jamais connue; jamais déguisement..le

ne sais s'il a menti en sa vie. » Le vœu Maucroix dans sa solli-


qu'exprime
citude pour l'âme de son ami est sans doute exaucé; car, pour apporter ici

un dernier et d'entre nous n'a sa


naïf témoignage, qui pas répété après garde-
malade : « Dieu n'aura le le diiiiiier. »
pas courage de

GEKUZKZ.
DÉDICACE
A MONSEIGNEUR

LE DAUPHIN

MONSEIGNEUR,

S'il a chose dans la des lettres,


y quelque d'ingénieux république

dire c'est la manière dont a débité sa morale. Il


on peut que Ésope

seroit véritablement à d'autres mains les miennes


souhaiter que que

ornements de la le des
y eussent ajouté les poésie, puisque plus sage
XXVI ÉPITRE DÉDICATOIRE.

anciens a inutiles.J'ose, MONSEIGNEUR,


jugé qu'ils n'y étoient pas

vous en essais. C'est un entretien convenable à


présenter quelques

vos années. Vous êtes en un où î amusemen t et les


premières âge
A
jeux sont permis aux princes ; mais en même temps vous devez don-

< ner quelques-unes de vos pensées a des réflexions sérieuses. Tout

cela se rencontre aux nous devons à


fables que Esope. L'apparence

en est le mais ces servent


puérile, je confesse ; puérilités d'enveloppe

à des vérités importantes.

Je ne doute point, MONSEIGNEUR, vous ne regardiez favora-


que

blement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables : car

que points ? Ce sont eux


que peut-on souhaiter davantage ces deux

ont introduit les sciences les hommes. Esope a trouvé un


qui parmi

art les avec l'autre: la lecture de son


singulier de joindre l'un ouvrage

insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui


répand

à se connoître sans de cette etude, et tan-


apprend qu'elle s'aperçoive

dis croit faire toute autre chose. Cest une adresse dont s'est
qu'elle

servi très-heureusement celui sur Sa Majesté a jeté les


lequel yeux

vous donner des instructions. Il fait en sorte vous aplJrenez


pour que

sans avec tout ce qu'il est né-


peine, ou, pour mieux parler, plaisir,

cessaire sache. Nous beaucoup de cette con-


quun prince espérons

duite. Mais, à dire la vérité, il a des choses dont nous espérons


y

davantage : ce sont, MONSEIGNEUR, les qualités que notre


infiniment

invincible vous adonnées avec la naissance; c'est l'exemple


Monarque
ÉPITRE DEDICATOIRE. XXVH

les il vous donne. vous le si


que tous jours Quand voyez former de

vous le considérez qui regarde sans s'étonner


grands deheins ; quand

de ï Eu rope et les machines qu'elle remue pour le détourner,


l'agitation

de son il dès sa
entreprise; quand pénètre première démarche jusque

dans le cœur d'une où l' on trouve à


province chaque pas des barrières

et une autre en huit jours, pendant


insurmontables, qu'il en subjugue

la saison la ennemie de la le et les plaisirs


plus guerre, lorsque repos

dans les cours des autres non content de


régnent princes; quand,

les des et
dompter hommes, il veut triompher aussi éléments; quand,

au retour de cette où il a vaincu comme un Alexandre,


expédition

vous le ses comme un avouez le


voyez gouverner peuples Auguste :

vous la bien que lui,


vrai, MONSEIGNEUR, soupirez pour gloire aussi

de vos années: vous attendez avec impatience


malgré l'impuissance

le où vous vous déclarer son rival dans l'amour de


temps pourrez

cette divine maîtresse. Vous ne l'attendez MONSEIGNEUR


: vous le
pas,

prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes,

cette cette d'esprit, de courage et de


vivacité, ardeur, ces marques

vous a tous les moments. Certai-


grandeur dame, que faites paroitre

nement c'est une bien sensible à notre mais c'est un


joie Monarque;

ainsi croître une


spectacle bien agréable pour l'Univers, que de voir

couvrira un de son ombre tant de et de


jeune plante qui jour peuples

nations.

Je devrois m étendre sur ce mais, comme le dessein que j ai


sujet;
XXVIII ÉPITRE DÉDICATOIRE.

de vous divertir est à mes celui de vous


plus proportionné forces que

me hâte de venir aux et aux vérités


louer, je fables, n'ajouterai que

vous ai dites celle-ci : c'est, suis, avec


je que MONSEIGNEUR, que je

un zèle respectueux,

Votre très-humble, très-obéissant,

et serv
très-fidèle iteur,

DE LA FONTAINE.
PRÉFACE
PRÉFACE

l'on a eue de mes


L'indulgence que pour quelques-unes

fables me donne lieu la même ce re-


d'espérer grâce pour

cueil. Ce n'est des maîtres de notre


pas qu'un éloquence

n'est le dessein de les mettre en vers : il a cru


désapprouvé

leur ornement est de n'en avoir aucun;


que principal que

d'ailleurs la contrainte de la à la sévérité de


poésie, jointe

notre m'embarrasseroient en beaucoup d'endroits, et


langue,

banniroient de la de ces récits la brièveté,


plupart qu'on peut

fort bien l'âme du sans elle il faut néces-


conte, puisque
appeler

sairement Cette ne sauroit partir que


qu'il languisse. opinion
XXXII PRÉFACE

d'un homme d'excellent demanderois seulement


goût; je qu'il

en relâchât et crût que les grâces lacédémo-


quelque peu, qu'il

niennes ne sont tellement ennemies des muses françoises,


pas

l'on ne souvent les faire marcher de


que puisse compagnie.

tout, n'ai la chose que sur


Après je entrepris l'exemple,

ne veux dire des anciens, ne tire à consé-


je pas qui point

moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout


quence pour

et chez tous les font de


temps, peuples qui profession poésie,

Parnasse a ceci de son A les fables


le jugé apanage. peine
que

attribue à virent le Socrate trouva à


qu'on Ésope jour, que

de les habiller des livrées des Muses. Ce Platon en


propos que

est si ne d'en faire


rapporte agréable, que je puis m'empêcher

un des ornements de cette Il dit Socrate étant


préface. que

condamné au dernier l'on remit l'exécution de l'arrêt,


supplice,

à cause de certaines fêtes. Cébès l'alla voir le de sa mort.


jour

Socrate lui dit les Dieux l'avoient averti fois,


que plusieurs

devoit à la
son sommeil, s'appliquer musique
pendant qu'il

avant mourût. Il n'avoit entendu d'abord ce ce


qu'il pas que

comme la ne rend l'homme


songe signifioit ; car, musique pas

à bon attacher? Il falloit eût du


meilleur, quoi s'y qu'il y

d'autant les Dieux ne se lassoient


mystère là-dessous, plus que

de lui la même Elle lui étoit encore


point envoyer inspiration.

venue une de ces fêtes. Si bien aux choses


qu'en songeant que
PRÉFACE. XXXIII

le Ciel de il s'étoit avisé la et


pouvoit exiger lui, que musique

la ont tant de étoit-ce de la der-


poésie rapport, que possible

nière Il de bonne sans har-


qu'il s'agissoit. n'y a point poésie

monie : mais il a non sans fiction; et So-


n'y en point plus

crate ne savoit dire la vérité. Enfin il avoit trouvé un


que

: c'étoit de choisir des fables continssent


tempérament qui

quelque chose de véritable, telles sont celles Il em-


que d'Ésope.

donc à les mettre en vers les derniers moment de sa vie.


ploya

Socrate n'est le seul ait considéré comme sœurs


pas qui

la et nos fables. Phèdre a étoit de ce


poésie témoigné qu'il

sentiment; et, l'excellence de son nous


par ouvrage, pouvons

de celui du des Aviénus


juger prince philosophes. Après Phèdre,

a traité le même Enfin les modernes les ont suivis : nous


sujet.

en avons des non-seulement chez les mais


exemples étrangers,

chez nous. Il est vrai nos ont travaillé,


que, lorsque gens y
la étoit si différente de ce ne les doit
langue qu'elle est, qu'on

considérer comme Cela ne m'a point détourné


que étrangers.

de mon au me suis flatté de


entreprise; contraire, je l'espérance

que si ne courois dans cette carrière avec succès, on me


je

donneroit au moins la de l'avoir ouverte.


gloire

Il mon travail fera naître à d'autres


arrivera possible que

l'envie de la chose loin. Tant s'en faut


personnes porter plus

cette matière soit reste encore de fables


que épuisée, qu'il plus

c
XXXIV PRÉFACE.

à mettre en vers n'en ai mis. J'ai choisi véritablement


que je

les meilleures, c'est-à-dire celles semblé telles : mais,


qui m'ont

outre mon choix, il ne sera


que je puis m être trompé clans

bien difficile de donner un autre tour à celles-là même


pas

et si ce tour est moins il sera sans doute


que j'ai choisies; long,

en arrive, on m'aura obli-


plus approuvé. Quoi qu'il toujours

soit ma témérité ait été heureuse, et ne me


gation, que que je

sois écarté du chemin falloit tenir, soit


point trop qu'il que j'aie

seulement excité les autres à mieux faire.

Je suffisamment mon dessein : à


pense avoir justifié quant

le en sera On ne trouvera ici


l'exécution, public juge. pas

brèveté rendent Phèdre recomman-


l'élégance ni l'extrême qui

dable : ce sont au-dessus de ma Comme il


qualités portée.

m'étoit de l'imiter en cela, cru falloit en


impossible j'ai qu'il

n'a fait. Non le


récompense égayer l'ouvrage plus qu'il que je

blâme d'en être demeuré dans ces termes : la langue


latine

n'en demandoit et, si l'on veut


pas davantage; y prendre

on reconnoîtra dans cet auteur le vrai caractère et le


garde,

Térence. La est chez ces


vrai génie de simplicité magnifique

hommes : n'ai les


grands moi, qui pas perfections du langage

comme ils les ont ne la élever à un si haut


eues, je puis point.

Il a donc fallu se d'ailleurs : c'est ce fait


récompenser que j'ai

avec d'autant de dit ne


plus hardiesse, que Quintilien qu'on
PRÉFACE. xxxv

sauroit les narrations. Il ne s'agit pas ici d'en ap-


trop égayer

une raison : c'est assez Quintilien l'ai dit. J'ai


porter que pour-

tant considéré ces fables étant sues de tout le ne


que monde, je

ferois rien si ne les rendois nouvelles traits


je par quelques qui

en relevassent le C'est ce demande : on


goût. qu'on aujourd'hui

veut de la nouveauté et de la Je ce
gaieté. n'appelle pas gaieté

excite le mais un certain un air


qui rire; charme, agréable qu'on

donner à toutes sortes de même les sérieux.


peut sujets, plus

Mais ce n'est tant la forme donnée à cet


pas par que j'ai

en doit mesurer le son utilité


ouvrage qu'on prix, que par

et sa a-t-il de recommandable dans les


par matière : car qu'y

ne se rencontre dans l'apologue ?


productions de l'esprit qui

C'est chose de si de
quelque divin, que plusieurs personnages

ont attribué la de ces fables à


l'antiquité plus grande partie

Socrate, choisissant, leur servir celui des mor-


pour de père,

tels avoit le de communication avec les Dieux. Je ne


qui plus

sais comme ils n'ont fait descendre du ciel ces mêmes


point

et comme ils ne leur ont un dieu en


fables, point assigné qui

eut la ainsi la et à Ce
direction, qu'à poésie l'éloquence. que

dis n'est tout à fait sans fondement, s'il m'est


je pas puisque,

de mêler ce nous avons de sacré les


permis que plus parmi

erreurs du nous la vérité a aux


paganisme, voyons que parlé

hommes et la est-elle autre chose que


par paraboles; parabole
XXXVI PRÉFACE.

c'est-à-dire un fabuleux, et s'insinue


l'apologue, exemple qui

avec d'autant de facilité et d'effet est commun


plus qu'il plus

et familier? Qui ne nous à imiter les


plus proposeroit que

maîtres de la nous fourniroit un d'excuse : il


sagesse, sujet n'y

en a des abeilles et des fourmis sont de


point quand capables

cela nous demande.


même qu'on

C'est ces raisons Platon, banni Homère de


pour que ayant

sa a donné à une très-honorable.


république, y Ésope place

Il souhaite les enfants sucent ces fables avec le lait; il


que

recommande aux nourrices de les leur car on ne


apprendre :

sauroit s'accoutumer de bonne heure à la et à la


trop sagesse

vertu. Plutôt d'être réduits à nos il


que corriger habitudes,

faut travailler à les rendre bonnes sont encore


pendant qu'elles

indifférentes au bien ou au mal. Or, méthode peut


quelle y

contribuer utilement ces fables ? Dites à un enfant


plus que que

allant contre les dans leur


Crassus, Parthes, s'engagea pays

sans considérer comment il en sortiroit; cela le fit


que périr

lui et son effort fit se retirer. Dites


armée, quelque qu'il pour

au même enfant le Renard et le Bouc descendirent au fond


que

d'un éteindre leur le Renard en sortit


puits pour soif; que
y
s'étant servi des et des cornes de son camarade comme
épaules

d'une au le Bouc demeura n'avoir


échelle; contraire, pour pas
y

eu tant de et il faut considérer


prévoyance; par conséquent
PRÉFACE. XXXVII

en toutes chose la fin. Je demande


lequel de ces deux
exemples
fera le sur
plus d'impression cet enfant. Ne s'arrètera-t-il
pas
au comme
dernier, plus conforme et moins
disproportionné que
l'autre à la de son Il ne faut
petitesse esprit? pas m'alléguer
les de l'enfance
que pensées sont d'elles-mêmes assez enfantines,

sans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries

ne sont telles dans le elles


qu'en apparence ; car, fond, por-
tent un sens très-solide. Et la définition du
comme, par point,
de la de la et
ligne, surface, d'autres très-fami-
par principes

liers, nous à des connoissances mesurent enfin


parvenons qui
le ciel et la de même
terre, aussi, les raisonnements et les
par

conséquences que l'on tirer de ces fables, on se forme le


peut
et les
jugement mœurs, on se rend des choses.
capables grandes
Elles ne sont seulement elles donnent encore
pas morales,

d'autres connoissances : les des animaux et leurs


propriétés
divers sont les nôtres
caractères y exprimés; par conséquent

aussi, nous sommes de ce a de bon et


puisque l'abrégé qu'il y
de mauvais dans les créatures irraisonnables. Quand Prométhée

voulut former il la de
l'homme, prit qualité dominante chaque
bète : de ces si différentes il notre il
pièces composa espèce;
fit cet le Petit-Monde.
ouvrage qu'on appelle Ainsi ces fables

sont un tableau où chacun de nous se trouve Ce


dépeint.
nous confirme les avancé
qu'elles représentent personnes d'âge
XXXVIII PRÉFACE.

leur a données, et
dans les connoissances que l'usage apprend

sachent. Comme ces derniers


aux enfants ce qu'il faut qu'ils

sont nouveau-venus dans le monde, ils n'en connoissent pas

encore les habitants; ils ne se connoissent pas eux-mêmes;

le
on ne les doit laisser dans cette que moins qu'on
ignorance

il leur faut ce c'est lion, un renard,


peut; apprendre que qu'un

ainsi du et un homme
reste, pourquoi l'on compare quelquefois

renard ou à ce lion. C'est à les fables travaillent :


à ce quoi

notions de ces choses d'elles.


les proviennent
premières

J'ai la des cependant


déjà passé longueur ordinaire préfaces;

n'ai encore rendu raison de la conduite de mon ouvrage.


je pas

est de deux dont on


L'apologue composé parties, peut ap-

l'âme. Le est la
l'une le l'autre corps fable; l'âme,
peler corps,

la moralité. Aristote n'admet dans la fable les animaux; il


que

en exclut les hommes et les Cette est moins de


plantes. règle

nécessité de ni ni Phèdre, ni
que bienséance, puisque Ésope,

aucun des fabulistes ne l'a tout au contraire de la


gardée,

dont aucun ne se s'il m'est arrivé de


moralité dispense. Que

le ce n'a été dans les endroits où elle n'a entrer


faire, que pu

avec et où il est aisé au lecteur de la On ne


grâce, suppléer.

considère en France ce c'est la


que qui plaît : grande règle,

ainsi la seule. Je n'ai donc cru ce fût


et, pour dire, pas que

un crime de les anciennes cotumes, lorsque


passer par-dessus
PRÉFACE. XXXIX

ne les mettre en sans leur faire tort. Du


je pouvois usage temps

d'Esope, la fable étoit contée la moralité


simplement, séparée,

et ensuite. Phèdre est ne s'est


toujours venu, qui pas assujetti
à cet ordre : il embellit et
la narration, transporte quelquefois

la moralité de la fin au commencement. il seroit néces-


Quand

saire de lui trouver ne à ce


place, je manque précepte que

en observer un n'est moins c'est


pour qui pas important :
Horace nous le donne. Cet auteur ne veut écri-
qui pas qu'un

vain contre de son ni contre celle


s'opiniàtre l'incapacité esprit,

de sa matière. Jamais, à ce un homme veut


qu'il prétend, qui

réussir n'en vient il abandonne les choses dont il


jusque-là ;

voit bien ne sauroit rien faire de bon.


qu'il

Et quœ

tractata nitescere posse reluiquit.


Desperat

C'est ce fait à de moralités du succès


que j'ai l'égard quelques

bien
desquelles je n'ai pas espéré.

Il ne reste de la Je ne vois
plus qu'à parler vie d'Ésope.

ne tienne fabuleuse celle Planude


presque personne qui pour que

nous a laissée. On cet auteur a voulu donner à


s'imagine que

son héros un caractère et des aventures à ses


qui répondissent

fa b les. Cela m'a d'a bord trouve à la


paru spécieux; mais j'ai

de en cette Elle est en fondée


fin certitude critique. partie
peu
XL PRÉFACE.

sur ce se entre Xantus et trouve


qui passe Ésope : on y trop

de naiseries. Et est le à de choses n'ar-


qui sage qui pareilles

rivent Toute la vie de Socrate n'a été sérieuse. Ce


point? pas

me confirme en mon sentiment, c'est le caractère que


qui que

Planude donne à est semblable à celui


Ésope que Plutarque

lui a donné dans son des c'est-à-dire d'un


Banquet sept Sages,

homme et ne laisse rien On me dira le


subtil, qui passer. que

des est aussi une invention. Il est aisé de


Banquet sept Sages

douter de tout : à ne vois bien pourquoi


quant moi, je pas

auroit voulu à la dans ce traité-là,


Plutarque imposer postérité

lui fait ailleurs, et de con-


qui profession d'être véritable partout

server à chacun son caractère. cela seroit, ne saurois


Quand je

mentir sur la foi d'autrui : me croira-t-on moins si


que que je

m'arrête à la mienne ? Car ce est de un


que je puis composer
r
tissu de mes lequel j'intitulerai : Vie d'Ésope.
conjectures,

vraisemblable le on ne assurera
Quelque que je rende, s'y pas;

et fable le lecteur celle de Planude


pour fable, préférera toujours

à la mienne.
LA VIE D'ÉSOPE

LE PHRYGIEN
LA VIE D'ÉSOPE

LE PHRYGIEN

Nous n'avons rien d'assuré touchant la naissance d' Homère et à


d'Ésope :
même leur est de C'est de il
peine sait-on ce qui arrivé plus remarquable. quoi
a lieu de s'étonner, vu l'histoire ne des choses moins
y que rejette pas agréables

et moins nécessaires celles-là. Tant de destructeurs de nations, tant de


que
sans ont trouvé des nous ont moindres
princes mérite, gens qui appris jusqu'aux
et nous de celle
particularités de leur vie ; ignorons les plus importantes d'Ésope
et c'est-à-dire des deux ont le mieux mérité des
d'Homère, personnages qui
siècles suivants. Car Homère n'est seulement le des Dieux, c'est aussi
pas père
celui des bons à il me semble le devoit mettre
poètes. Quant Ésope, qu'on
au nombre des la Grèce s'est tant vantée, lui la vé-
sages dont qui enseignoit
xljv LA VIE D'ÉSOPE.

ritable et avec bien d'art ceux en donnent


sagesse, qui l'enseignoit plus que qui
des définitions et des On a véritablement recueilli les vies de ces deux
règles.

grands hommes; mais la des savants les tiennent toutes deux fabu-
plupart
leuses, particulièrement celle Planude a écrite. Pour n'ai voulu
que moi, je pas
m'engager dans cette critique. Comme Planude vivoit dans un siècle où la
mémoire des choses arrivées à ne devoit être encore
Ésope pas éteinte, j'ai
cru savoit ce a laissé. Dans cette l'ai suivi
qu'il partradition qu'il croyance, je
sans retrancher de ce a dit ce m'a semblé
qu'il d'Ésope que qui trop puéril,
ou s'écartoit en de la bienséance.
qui quelque façon
étoit d'un Amorium. Il vers la cin-
Ésope Phrygien, bourg appelé naquit

quante-septième olympiade, quelque deux cents ans la fondation de Rome.


après
On ne sauroit dire s'il eut de remercier la nature, ou bien de se
sujet plaindre
d'elle; car, en le douant d'un très-bel elle le fit naître difforme et laid
esprit,
de à lui refuser entière-
visage, ayant peine figure d'homme, jusqu'à presque
ment de la Avec ces il n'auroit été de
l'usage parole. défauts, quand pas
condition à être il ne de le devenir. Au son
esclave, pouvoit manquer reste,
âme se et de la fortune.
maintint toujours libre, indépendante
Le premier maître eut aux labourer la terre, soit
qu'il l'envoya champs qu'il
le de toute autre soit s'ôter de devant les yeux un
jugeât incapable chose, pour
objet si désagréable. Or il arriva ce maître étant allé voir sa maison des
que
un lui donna des il les trouva et les fit serrer
champs, paysan figues : belles,
fort soigneusement, donnant ordre à son sommelier, Agathopus, de les
appelé
lui au sortir du bain. Le hasard voulut eut affaire dans le
apporter qu'Ésope
Aussitôt fut entré, se servit de l'occasion, et mangea les
logis. qu'il y Agathopus
avec ils cette
figues quelques-uns de ses camarades : puis rejetèrent friponnerie
sur ne se tant il étoit et
Ésope, croyant pas qu'il pût jamais justifier, bègue

paroissoit idiot. Les châtiments dont les anciens usoient envers leurs esclaves

étoient fort cruels, et cette faute Le pauvre se aux


très-punissable. Esope jeta

pieds de son maître ; se faisant entendre du mieux qu'il put, il témoigna


et,
LA VIE D'ÉSOPE. XLV

demandoit toute sursît de moment sa


qu'il pour grâce qu'on quelques punition.
Cette lui été accordée, il alla de l'eau tiède, la but en
grâce ayant quérir pré-
sence de son se mit les dans la et ce sans
seigneur, doigts bouche, qui s'ensuit,
rendre autre chose cette eau seule. s'être ainsi il fit
que Après justifié, signe

qu'on obligeât les autres d'en faire autant. Chacun demeura surpris : on n'au-

roit cru telle invention d'Ésope. Agathopus et ses cama-


pas qu'une pût partir
rades ne étonnés. Ils burent de l'eau comme le avoit
parurent point Phrygien

fait, et se mirent les dans la bouche; mais ils se bien de les


doigts gardèrent
enfoncer avant. L'eau ne laissa et de mettre en évidence les
trop pas d'agir, figues
toutes crues et encore toutes vermeilles. Par ce se ses
moyen Ésope garantit :
accusateurs furent doublement, leur et leur mé-
punis pour gourmandise pour
chanceté. Le lendemain, leur maître fut et le à son
après que parti, Phrygien
travail ordinaire, disent c'étoient des
quel ques voyageurs égarés (aucuns que

prêtres de le au nom de leur


Diane) prièrent, Jupiter Hospitalier, qu'il enseignât
le chemin conduisoit à la ville. les de se
qui Ésope obligea premièrement repo-
ser à leur une il voulut être leur
l'ombre ; puis, ayant présenté légère collation,

guide, et ne les qu'après qu'il les eut remis dans leur chemin. Les bonnes
quitta
levèrent les mains au et de ne laisser cette action
gens ciel, prièrent Jupiter pas
A les eut le chaud et la
charitable sans récompense. peine Ésope quittés, que
lassitude le de s'endormir. Pendant son il
contraignirent sommeil, s'imagina
la Fortune étoit debout devant lui, lui délioit la et même
que qui langue, par
lui de cet art dont on dire est l'auteur.
moyen faisoit présent peut qu'il Réjoui
de cette aventure, il se réveilla en sursaut; et en s'éveillant : « ceci?
Qu'est
dit-il ; ma voix est devenue libre : bien un râteau, une
je prononce charrue,
tout ce veux. » Cette merveille fut cause de maître.
que je qu'il changea Car,
comme un certain étoit là en d'économe et avoit l'œil
Zénas, qui qualité qui
sur les en eut battu un une faute ne le
esclaves, outrageusement pour qui
méritoit ne de le et le ses
pas, Ésope put s'empêcher reprendre, menaça que
mauvais traitements seroient sus. Zénas, le et se de
pour prévenir pour venger
XLVI LA VIE D'ÉSOPE.

alla dire au maître qu'il étoit arrivé un prodige dans sa maison; le


lui, que
a voit recouvré la mais le méchant ne s'en servoit
Phrygien parole ; que qu'à

blasphémer et à médire de leur seigneur. Le maître le crut, et passa bien plus


avant; car il lui donna Esope, avec liberté d'en faire ce qu'il voudroit. Zénas

de retour aux champs, un marchand l'alla trouver, et lui demanda si de


pour
il le vouloit accommoder de bête de somme. « Non
l'argent quelque pas cela,
ai
dit Zénas :
je
n'en pas le pouvoir; mais
je
te vendrai, si tu veux, un de nos es-

claves. » Là-dessus, fait venir le marchand dit : « Est-ce afin de te


ayant Esope,
tu me l'achat de ce On le
moquer que proposes personnage? prendroit pour
une outre. » Des le marchand eut ainsi il
que parlé, prit congé d'eux, partie

murmurant, riant de ce bel le et lui dit : « Achète-


partie objet. Ésope rappela
moi hardiment; ne te serai pas inutile. Si tu as des enfants qui crient et
je
soient méchants, ma mine les fera taire : on les menacera de moi comme
qui
de la bête. » Cette raillerie plut au marchand. Il acheta notre Phrygien trois

oboles, et dit en riant : « Les Dieux soit loués ! je n'ai pas fait grande acqui-

sition, à la vérité ; aussi n'ai-je déboursé grand argent. »


pas
Entre autre denrées, ce marchand trafiquoit d'esclaves : si bien qu'allant à

pour se défaire de ceux qu'il avoit, ce chacun d'eux devoit porter


Éphèse que
la commodité du voyage fut départi selon leur emploi et selon leurs
pour
forces. eût égard à sa taille ; qu'il étoit nouveau venu, et
Ésope pria qu'on
devoit être traité doucement. « Tu ne rien, si tu veux, » lui
porteras repartirent
mes camarades. se d'honneur, et voulut avoir sa charge comme
Ésope piqua
autres. On le laissa donc choisir. Il prit le au pain : |c'étoit le far-
les panier
deau le Chacun crut qu'il l'avoit fait par bêtise ; mais dès la dînée
plus pesant.
le fut et le Phrygien d'autant; ainsi le soir, et de
panier entamé, déchargé
même le lendemain : de façon qu'au bout de deux il marchoit à vide.
jours
Le bon sens et le raisonnement du furent admirét.
personnage
au marchand, il se défit de tous ses esclaves, à la réserve d'un
Quant gram-
d'un chantre et d'Ésope, il alla en vente à Samos.
mairien, lesquels exposer
LA VIE D'ÉSOPE. XLVII

de les mener sur la il f11 habiller les deux le


Avant que place, premiers plus

proprement qu'il comme chacun farde sa marchandise : Ésope, au contraire,


put,
ne fut vêtu d'un sac, et entre ses deux de leur
que placé compagnons, afin
donner lustre. acheteurs se entre autre un
Quelques présentèrent, philosophe
Il demanda au et au chantre ce savoient
appelé Xantus. grammairien qu'ils
faire : « Tout, » Cela fit rire le : on de
reprirent-ils. Phrygien peut s'imaginer
air. Planude s'en fallut ne la fuite, tant il fit
quel rapporte qu'il peu qu'on prît
une Le marchand fit son chantre mille oboles, son
effroyable grimace. gram-
mairien trois l'un des il devoit donner
mille; et, en cas que
l'on achetât deux,

le marché. La cherté du et du chantre


Ésope par-dessus grammairien dégoûta
Xantus. ne retourner chez soi sans avoir fait
Mais, pour pas quelque emplette,
ses lui conseillèrent d'acheter ce petit bout d'homme avoit ri de si
disciples qui
bonne : on en feroit un il divertiroit les sa mine.
grâce épouvantail; gens par
Xantus se laissa et fit à soixante oboles. Il lui demanda,
persuader, prix d'Ésope
devant de l'acheter, à il lui seroit comme ill'avôit demandé à
que quoi propre,
ses « A » les deux autres avoient
camarades, Ésope répondit : rien, puisque
tout retenu pour eux. Les commis de la douane remirent généreusement à

Xantus le sou pour livre, et lui en donnèrent quittance sans rien payer.
Xantus avoit une femme de assez délicat, et à toutes sortes de
goût qui
si bien de lui aller sérieusement son nouvel
gens ne plaisoient pas: que présenter

esclave, il avoit à moins ne la voulût mettre en


n'y pas d'apparence, qu'il
colère et se faire de à d'en faire un de
moquer lui. Il jugea plus propos sujet
et alla dire au venoit d'acheter un esclave le
plaisanterie, logis qu'il jeune plus
beau du monde et le mieux fait. Sur cette nouvelle, les filles qui servoient sa

femme se battre à auroit son mais elles furent


pensèrent qu'il pour serviteur ;
bien le L'une se mit la main devant les
étonnées quand personnage parut.

yeux; l'autre s'enfuit; l'autre fit un cri. La maîtresse du logis dit c'étoit
que
la chasser lui amenoit un tel monstre ; avoit que
pour qu'on qu'il y longtemps
le se lassoit d'elle. De en le différend s'échauffa
philosophe parole parole,
X1. VII 1 LA YJE D'ÉSOPE.

à tel la femme demanda son bien, et voulut se retirer chez


jusques point que
les parents. Xantus fit tant sa patience, et Ésope son les
par par esprit, que
choses s'accommodèrent. On ne parla plus de s'en aller; et peut-être que
l'accoutumance effaça à la fin une partie de la laideur du nouvel esclave.

Je laisserai beaucoup de petites choses oii il fit la vivacité de son


paroître
car, quoiqu'on là de son caractère, elles sont de trop
esprit ; puisse juger par peu
de conséquence en informer la Voici seulement un échantillon
pour postérité.
de son bon sens et de de son maître. Celui-ci alla chez un
l'ignorance jardinier
se choisir lui-même une salade. Les herbes cueilllies, le le de lui
jardinier pria
satisfaire sur une difficulté la aussi bien
l'esprit qui regardoit philosophie que
le c'est les herbes et cultivoit avec un
jardinage : que qu'il plantoit qu'il grand
soin ne profitoient point, tout au contraire de celles que la terre produisoit
d'elle-même sans culture ni amendement. Xantus le tout à la Pro-
rapporta
vidence, comme on a coutume de faire on est court. se mit à
quand Ésope
et, tiré son maître à il lui conseilla de dire à ce
rire ; ayant part, jardinier qu'il
lui avoit fait une ainsi la n'étoit
réponse générale, parce que question pas digne
de lui : il le laissoit donc avec son assurément le satisferoit. Xantus
garçon, qui
s'étant allé d'un autre côté du la terre à une
promener jardin, Esope compara
femme des enfants d'un mari, en un second
qui, ayant premier épouseroit
auroit aussi des enfants d'une autre femme : sa nouvelle épouse ne man-
qui
queroit de concevoir de l'aversion pour ceux-ci, et leur ôteroit la nourriture
pas
afin les siens en Il en étoit ainsi de la terre,
que profitassent. qui n'adoptoit
les productions du travail et de la culture, et qui réservoit toute
qu'avec peine
sa tendresse et tous ses bienfaits pour les siennes seules : elle étoit marâtre des

unes, et mère des autres. Le jardinier parut si content de cette


passionnée

raison, qu'il offrit à Esope tout ce étoit dans son jardin.


qui
Il arriva un grand différend entre le et sa
quelque temps après philosophe
femme. Le étant de festin, mit à et dit à
philosophe, part quelques friandises,
« Va ceci à ma bonne amie. » l'alla donner à une
Ésope : porter Ésope petite
LA VIE D'ÉSOPE. XLIX

chienne étoit les délices de son maître. Xantus, de retour, ne


qui manqua pas
de demander des nouvelles de son et si on l'avoit trouvé bon. Sa femme
présent,
ne rien à ce on fit venir l'éclaircir. Xantus,
comprenoit langage ; Esope pour
ne cherchoit qu'un prétexte pour le faire battre, lui demanda s'il ne lui avoit
qui
dit « de ma ces friandises à ma bonne
pas expressément : Va-t'en porter part
amie. » là-dessus la bonne amie n'étoit la femme, qui,
Ésope répondit que pas

pour la moindre de faire un divorce ; c'étoit la chienne, qui


parole, menaçoit
enduroit et revenoit faire caresses l'avoit battue. Le
tout, qui après qu'on philo-

sophe demeura court ; mais sa femme entra dans une telle colère qu'elle se retira

d'avec lui. Il eut ni ami Xantus ne lui fît sans les


n'y parent par qui parler, que
raisons ni les rien. s'avisa d'un Il acheta
prières y gagnassent Ésope stratagème.
force gibier, comme une noce considérable, et fit tant qu'il fut rencontré
pour
un des de sa maîtresse. Celui-ci lui demanda tant
par domestiques pourquoi
lui dit son ne sa femme de revenir,
d'apprêts. Ésope que maître, pouvant obliger
en alloit une autre. Aussitôt la dame sut cette nouvelle, elle re-
épouser que
tourna chez son de contradiction ou Ce ne fut
mari, par esprit par jalousie. pas
sans la bonne à tous les faisoit de nouvelles à son
garder Ésope, qui jours pièces

maître, et tous les se sauvoit du châtiment trait de subtilité.


jours par quelque
Il n'étoit au de le confondre.
pas possible philosophe
Un certain jour de marché, Xantus, avoit dessein de
qui régaler quelques-
uns de ses amis, lui commanda d'acheter ce auroit de meilleur, et rien
qu'il y
autre chose. « Je dit en à ce tu
t'apprendrai, soi-même le Phrygien, spécifier que
souhaites, sans t'en remettre à la discrétion d'un esclave. » Il n'acheta donc
que
des il fit accommoder à toutes les sauces ; le second,
langues, lesquelles l'entrée,

l'entremets, tout ne fut Les conviés louèrent d'abord le choix de ce


que langues.
à la fin ils s'en « Ne dit Xantus, d'a-
mets; dégoûtèrent. t'ai-je pas commandé,
cheter ce auroit de meilleur? — Eh! a-t-il de meilleur la langue?
qu'il y qu'y que
C'est le lien de la vie civile, la clef des de la vérité
reprit Ésope. sciences, l'organe
et de la raison : elle on bâtit les villes et on les on instruit, on
par peuple; per-

j-,
l LA VIE D'ÉSOPE.

on dans les assemblées, on s'acquitte du de tous les devoirs,


suade, règne premier
est de louer les Dieux. — Eh bien ! dit Xantus
qui qui prétendoit l'attraper
achète-moi demain ce est de ces mêmes viendront chez
qui pire : personnes
et diversifier. »
moi; je veux
Le lendemain ne fit servir le même mets, disant la langue est
Ésope que que
la chose soit au monde : « C'est la mère de tous débats, la nourrice
pire qui
des la source des divisions et des Si on dit qu'elle
est l'organe
procès, guerres.
de la vérité, c'est aussi celui de l'erreur, et, qui de la calomnie. Par elle
pis est,
on détruit les villes, on de méchantes choses. Si d'un côté elle loue
persuade
les Dieux, de l'autre elle des contre leur v Quel-
profère blasphèmes puissance.
de la dit à Xantus véritablement ce valet lui étoit fort
qu'un compagnie que
nécessaire ; car il savoit le mieux du monde exercer la d'un
patience philo-
« De vous mettez-vous en — Eh!
sophe. quoi peine? reprit Ésope. trouvez-moi,
dit Xantus, un homme ne se mette en peine de rien. »
qui
alla le lendemain sur la et, un
Ésope place; voyant paysan qui regardoit
toutes choses avec la froideur et l'indifférence d'une statue, il amena ce
paysan
au « dit-il à Xantus, l'homme sans souci vous demandez. »
logis. Voilà, que
Xantus commanda à sa femme de faire chauffer de l'eau, de la mettre dans un

bassin, de laver elle-même les de son nouvel hôte. Le la laissa


puis pieds paysan
faire, quoiqu'il sût fort bien qu'il ne méritoit cet honneur; mais il disoit en
pas
lui-même : « C'est la coutume d'en user ainsi. » On le fit asseoir au haut
peut-être
bout: il sa sans cérémonie. Pendant le Xantus ne fit autre chose
prit place repas,
blâmer son cuisinier, rien ne lui ce étoit doux, il le trouvoit
que plaisoit : qui

trop salé; et ce étoit trop salé, il le trouvoit doux. L'homme sans souci le
qui
laissoit dire, et de toutes ses dents. Au dessert on mit sur la table un
mangeoit
la femme du avoit fait : Xantus le trouva
gâteau que philosophe mauvais, quoi-
fût très bon. « Voilà, dit-il, la la méchante
qu'il pâtisserie plus que j'aie jamais
il faut brûler l'ouvrière, car elle ne fera de sa vie
mangée ; rien qui vaille : qu'on
des Attendez, dit le m'en vais femme ;
apporte fagots. - paysan ; je quvrir ma
LA VIE D'ESOPE. u

on ne fera bûcher toutes les deux. » Ce dernier trait le


qu'un pour désarçonna
et lui ôta de le
philosophe l'espérance jamais attraper Phrygien.
Or, ce n'étoit seulement avec son maître qu'Ésope trouvoit occasion de
pas
rire et de dire de bons mots. Xantus l'avoit envoyé en certain endroit : il ren-

contra en chemin le lui demanda où il alloit. Soit fût


magistrat, qui qu'Esope

distrait, ou une autre il n'en savoit rien. Le


pour raison, répondit qu'il magis-

trat, tenant à cette le fit mener en


mépris et irrévérence réponse, prison.
Comme les huissiers le conduisoient : « Ne très-
voyez-vous pas, dit-il, que j'ai
bien me feroit aller où vas? » Le le fit
répondu ? Savois-je qu'on je magistrat

relâcher, et trouva Xantus heureux d'avoir un esclave si


plein d'esprit.
de sa là de il lui étoit de ne
Xantus, part, voyoit par quelle importance
affranchir et combien la d'un tel esclave lui faisoit
point Ésope, possession
d'honneur. Même un faisant la débauche avec ses les
jour, disciples, Ésope, qui
servoit, vit les fumées leur échauffoient la cervelle, aussi bien au maître
que déjà
qu'aux écoliers. « La débauche de vin, leur dit-il, a le
trois degrés : premier,
de le second, le troisième, de fureur. » On se de
volupté ; d'ivrognerie ; moqua
son et on de vider les Xantus s'en donna
observation, continua pots. jusqu'à
la raison, et à se vanter boiroit la mer. Cela fit rire la
perdre qu'il compagnie.
Xantus soutint ce avoit dit, sa maison boiroit la mer tout
qu'il gagea qu'il
entière ; et, assurance de la il l'anneau avoit au
pour gageure, déposa qu'il

doigt.
Le les de Bacchus furent Xantus fut ex-
jour suivant, que vapeurs dissipées,
trêmement surpris de ne retrouver son anneau, lequel il tenoit fort cher.
plus
Ésope lui dit étoit et sa maison l'étoit aussi la
qu'il perdu, que par gageure qu'il
avoit faite. Voilà le bien alarmé : il de lui une
philosophe pria Ésope enseigner
défaite. Ésope s'avisa de celle-ci.

Quand le l'on avoit l'exécution de la fut arrivé,


jour que pris pour gageure
tout le de Samos accourut au de la mer être témoin de la
peuple rivage pour
honte du Celui de ses avoit contre lui
philosophe. disciples qui gagé triomphoit
mi LA VIE D'ÉSOPE.

« Messieurs,
déjà. Xantus dit à l'assemblée :
j'ai gagé
véritablement que je boi-
rois toute la mer, mais non les fleuves entrent dedans; c'est
pas qui pourquoi,
celui a gagé contre moi détourne leurs et ferai ce
que qui cours, puis je que je
me suis vanté de faire. » Chacun admira Xantus avoit trouvé
l'expédient que
sortir à son honneur d'un si mauvais Le confessa étoit
pour pas. disciple qu'il
vaincu, et demanda à son maître. Xantus fut reconduit son
pardon jusqu'en
avec acclamations.
logis
Pour lui demanda la liberté. Xantus la lui refusa, et dit
récompense, Ésope

que le de l'affranchir n'étoit encore venu; si toutefois les Dieux l'or-


temps pas
donnoient ainsi, il y consentoit : qu'il prît garde au premier
partant, présage
auroit étant sorti du s'il étoit heureux, et deux
qu'il logis ; que, par exemple,
corneilles se présentassent à sa vue, la liberté lui seroit donnée ; s'il n'en voyoit

qu'une, qu'il ne se lassât d'être esclave. Esope sortit aussitôt. Son maître
point
étoit à l'écart, et vers un lieu couvert de arbres. A
logé apparemment grands
notre fut deux corneilles s'abattirent sur
peine Phrygien hors, qu'il aperçut qui
le haut ; il en alla avertir son maître, voulut voir lui-même s'il disoit
plus qui
Tandis Xantus venoit, l'une des corneilles s'envola. » Me
vrai. que tromperas-tu
dit-il à lui donne les étrivières. » L'ordre fut exécuté.
toujours? Ésope. Qu'on
Pendant le du on vint inviter Xantus à un il
supplice pauvre Ésope, repas : pro-
mit » Hélas ! les sont bien
qu'il s'y trouveroit. s'écria Ésope, présages menteurs!
mon a vu
Moi, qui ai vu deux corneilles, je suis battu ; maître, qui
n'en qu'une,
est de noces. » Ce mot tellement à Xantus commanda qu'on ces-
prié plut qu'il
sât de fouetter mais, à la liberté, il ne se résoudre à la lui
Ésope; quant pouvoit
donner, encore qu'il la lui en diverses occasions.
promît
Un ils se tous deux de vieux considé-
jour promenoient parmi monuments,
rant avec de les avoit mises. Xantus en
beaucoup plaisir inscriptions qu'on y
une ne demeurât à en chercher
aperçut qu'il put entendre, quoiqu'il longtemps
Elle étoit des lettres de certains mots. Le
l'explication. composée premières phi-
avoua cela son « Si vous fais trouver
losophe ingénument que passoit esprit. je
LA VIE D'ÉSOPE. un

un trésor le de ces lui dit


par moyen lettres, Ésope, quelle récompense aurai-je?»
Xantus lui la liberté et la moitié du trésor. « Elles
promit signifient, poursuivit
Esope, qu'à quatre pas de cette colonne nous en rencontrerons un. » En
effet,
ils le trouvèrent avoir creusé dans la terre. Le fut
après quelque peu philosophe
sommé de tenir parole ; mais il reculoit toujours. » Les Dieux me de t'af-
gardent
dit-il à tu ne m'aies donné avant cela
franchir, Ésope, que l'intelligence de ces
lettres! ce me sera un autre trésor celui nous avons
plus précieux que lequel
trouvé. — On les a ici comme étant les
gravées, poursuivit Ésope, premières
lettres de ces mots 'Auoêàç j~pxT:<x, etc. ; c'est-à-dire : Si vous reculez quatre

pas, et vous creusiez, vous trouverez un tresor. - tu es si subtil,


que Puisque

repartit Xantus, j'aurois tort de me défaire de toi : n'espère donc pas que je
— Et
t'affranchisse. moi, répliqua Ésope, vous dénoncerai au roi car
je Denys,
c'est à lui le trésor appartient, et ces mêmes lettres commencent d'autres
que
mots le » Le intimidé dit au sa
qui signifient. philosophe Phrygien qu'il prît
de et n'en dît mot. De déclara ne lui avoir aucune
part l'argent, qu'il quoi Ésope

obligation, ces lettres ayant été choisies de telle manière qu'elles enfermoient un
et encore : « En vous en allant, vous le trésor
triple sens, signifioient partagerez
vous aurez rencontré. » Dès furent de retour. Xantus commanda
que qu'ils
enfermât le et l'on lui mît les fers aux de crainte
qu'on Phrygien, que pieds,

qu'il n'allât publier cette aventure. « Hélas ! s'écria Ésope, est-ce ainsi que les

philosophes s'acquittent de leurs promesses ? Mais faites ce vous voudrez, il


que
faudra vous m'affranchissiez malgré vous. »
que
Sa se trouva vraie. Il arriva un mit fort en les
prédiction prodige qui peine
Samiens. Un enleva l'anneau public (c'étoit apparemment quelque sceau
aigle

que l'on apposoit aux délibérations du conseil), et le fit tomber au sein d'un

esclave. Le fut consulté là-dessus, et comme étant et


philosophe philosophe,
comme étant un des de la Il demanda et eut recours
premiers république. temps,
à son oracle ordinaire : c'étoit Celui-ci lui conseilla de le en
Ésope. produire

public, parce que, s'il rencontroit bien, l'honneur en seroit toujours à son
uv LA VIE D'ÉSOPE.

il n'y auroit la chose,


maître ; sinon, que l'esclave de blâmé. Xantus approuva
et le fit monter à la tribune aux harangues. Dès le vit, chacun s'éclata de
qu'on
rire : ne rien de raisonnable d'un homme
personne s'imagina qu'il pût partir
fait de cette manière. leur ne considérer la forme du vase,
Ésope dit qu'il falloit pas
mais la étoit enfermée. Les Samiens lui crièrent qu'il dît donc sans
liqueur qui y
crainte ce ce s'en excusa sur ce n'osoit le faire.
qu'il jugeoitde prodige. Ésope qu'il
« La Fortune, avoit mis un débat de entre le maître et l'esclave:
disoit-il, gloire
si l'esclave disoit mal, il seroit battu; s'il disoit mieux le maître, il seroit
que
battu encore. » Aussitôt on Xantus de l'affranchir. Le résista
pressa philosophe
A la fin le de ville le menaça de le faire de son office, et en
longtemps. prévôt
vertu du en avoit comme de façon le
pouvoir qu'il magistrat ; que philosophe
fut obligé de donner les mains. Cela fait, dit les Samiens étoient me-
Esope que
nacés de servitude ce prodige; et enlevant leur sceau ne signifioit
par que l'aigle
autre chose roi vouloit les assujettir.
qu'un puissant qui
Peu de Crésus, roi des à ceux de Samos
temps après, Lydiens, fit dénoncer
eussent à se rendre ses les
qu'ils tributaires ; sinon, qu'il y forceroit par les

armes. La étoient d'avis lui obéît. leur dit la Fortune


plupart qu'on Esope que
deux chemins aux hommes : l'un, de liberté, rude et au
présentoit épineux

commencement, mais dans la suite ; l'autre, d'esclavage, dont les


très-agréable
commencements étoient plus aisés, mais la suite laborieuse. C'étoit conseiller

assez aux Samiens de défendre leur liberté. Ils


intelligiblement renvoyèrent
l'ambassadeur de Crésus avec
peu de satisfaction.
Crésus se mit en état de les L'ambassadeur lui dit tant qu'ils
attaquer. que,
auroient Ésope avec eux, il auroit peine à les réduire à ses volontés, vu la con-

fiance avoient au bon sens du personnage. Crésus le leur deman-


qu'ils envoya
avec la promesse de leur laisser la liberté s'ils le lui livroient. Les
der, principaux
de la ville trouvèrent ces conditions avantageuses, et ne crurent pas que leur

leur coûtât cher ils l'achèteroient aux Le


repos trop quand dépens d'Ésope.
leur fit de sentiment en leur contant les et les
Phrygien changer que, loups
LA VIE D'ÉSOPE. LV

brebis fait un traité de celles-ci donnèrent leurs chiens


ayant paix, pour otages.
elles n'eurent de défenseurs, les les avec moins
Quand plus loups étranglèrent
de ne faisoient. Cet fit son effet : les Samiens une
peine qu'ils apologue prirent
délibération toute contraire à celle qu'ils avoient prise. Ésope voulut toutefois

aller vers Crésus, et dit les utilement étant du


qu'il serviroit plus près roi, que
s'il demeuroit à Samos.

Quand Crésus le vit, il s'étonna qu'une si chétive créature lui eût été un si

obstacle. « voilà celui fait à mes volontés! »


grand Quoi? qui qu'on s'oppose
s'écria-t-il. se à ses « Un homme des
Ésope prosterna pieds. prenoit sauterelles,

dit-il; une lui tomba aussi sous la main. Il s'en alloit la tuer comme il avoit
cigale
fait les sauterelles. « vous fait? dit-elle à cet homme : ne
Que ai-je je ronge point
« vos ne vous aucun vous ne trouverez en moi
blés, je procure dommage; que
« la voix dont me sers fort innocemment. » Grand roi, ressemble à cette
je je
n'ai la voix, et ne m'en suis servi vous offenser. »
cigale ; je que point pour

Crésus, touché d'admiration et de non-seulement lui mais il


pitié, pardonna,
laissa en les Samiens à sa considération.
repos
En ce le ses il laissa au roi de
temps-là Phrygien composa fables, lesquelles
et fut lui vers les décernèrent à de
Lydie, envoyé par Samiens, qui Ésope grands
honneurs. Il lui aussi envie de et d'aller le monde, s'entrete-
prit voyager par
nant de diverses choses avec ceux l'on appeloit philosophes. Enfin il se mit
que
en crédit de roi de Les rois d'alors
grand près Lycérus, Babylone. s'envoyoient
les uns aux autres des à résoudre sur toutes sortes de matières, à con-
problèmes
dition de se une de tribut ou d'amende, selon
payer espèce qu'ils répondroient
bien ou mal aux en assisté avoit
questions proposées; quoi Lycérus, d'Ésope,

toujours et se rendoit illustre les autres, soit à résoudre, soit à


l'avantage, parmi

proposer.

Cependant notre se maria ; et, ne avoir d'enfants, il


Phrygien pouvant adopta
un homme d'extraction noble, Ennus. Celui-ci le
jeune appelé paya d'ingrati-

tude, et fut si méchant d'oser souiller le lit de son bienfaiteur. Cela étant
que
LVI LA VIE D'ÉSOPE.

venu à la connoissance d'Ésope, il le chassa. L'autre, afin de s'en venger, contre-

fit des lettres il sembloit eût intelligence avec les rois


par lesquelles qu'Ésope
étoient émules de Lycérus.
Lycérus, persuadé le cachet et par la signa-
qui par
ture de ces lettres, commanda à un de ses officiers nommé Hermippus que, sans
chercher de grandes il fît mourir promptement le traître Ésope.
plus preuves,
Cet étant ami lui sauva la vie;
Hermippus, du Phrygien, et, à l'insu de tout le

le nourrit dans un ce Necténabo, roi


monde, longtemps sépulcre, jusqu'à que

d'Égypte, sur le bruit de la mort d'Ésope, crut à l'avenir rendre Lycérus son

tributaire. Il osa le et le défia de lui des architectes


provoquer, envoyer qui
sussent bâtir une tour en l'air, et, par même un homme à
moyen, prêt répondre
à toutes sortes de lu les lettres et les communi-
questions. Lycérus ayant ayant
aux plus habiles de son État, chacun d'eux demeura court; ce fit
quées qui que
le roi regretta quand lui dit qu'il n'étoit pas mort, et le fit
Ésope, Hermippus
venir. Le fut très-bien se et pardonna à Ennus. à
Phrygien reçu, justifia Quant
la lettre du roi il n'en fit et manda enverroit au
d'Egypte, que rire, qu'il prin-
les architectes et le à toutes sortes de questions. remit
temps répondant Lycérus
en de tous ses biens, et lui fit livrer Ennus en faire ce
Ésope possession pour qu'il
voudroit. le reçut comme son enfant; et, toute lui recom-
Ésope pour punition,
manda d'honorer les Dieux et son se rendre terrible à ses ennemis, fa-
prince ;
cile et commode aux bien traiter sa femme, sans lui confier son
autres; pourtant

secret; parler peu, et chasser de chez soi les babillards; ne se laisser abat-
point
tre aux malheurs; avoir soin du lendemain, car il vaut mieux enrichir ses

ennemis par sa mort que d'être importun à ses amis pendant son vivant;
surtout n'être point envieux du bonheur ni de la vertu d'autrui, d'autant que
c'est se faire du mal à soi-même. Ennus, touché de ces avertissements et de la

bonté comme d'un trait lui auroit le cœur, mourut de


d'Ésope, qui pénétré peu
tem a
ps près.
Pour revenir au défi de Ésope choisit des aiglons, et les fit in-
Necténabo,
struire difficile à il les fit, instruire à en l'air chacun
(chose croire), dis-je, porter
LA VIE D'ÉSOPE. LVU

un dans étoit un enfant. Le venu, il s'en alla en


panier, lequel jeune printemps
tout cet non sans tenir en admiration et en attente
Égypte avec équipage; grande
de son dessein les chez il Necténabo, sur le bruit de sa
peuples qui passoit. qui,

mort, avoit envoyé l'énigme, fut extrêmement surpris de son arrivée. Il ne


s'y
attendoit et ne se fût dans un tel défi contre Lycérus, s'il-
pas, jamais engagé
eût cru vivant. Il lui demanda s'il avoit amené les architectes et le
Ésope répon-
dant. dit le étoit et feroit voir les archi-
Ésope que répondant lui-même, qu'il
tectes il seroit sur le lieu. On sortit en où les
quand pleine campagne, aigles

enlevèrent les avec les cri oient leur donnât du


paniers petits enfants, qui qu'on

mortier, des et du bois. « Vous dit à Necténabo, vous a


pierres voyez, Ésope je
trouvé les fournissez-leur des matériaux. » Necténabo avoua Ly-
ouvriers; que
cérus étoit le Il toutefois ceci à « J'ai des cavales en
vainqueur. proposa Ésope :

Égypte qui conçoivent au hennissement des chevaux sont devers Babylone.


qui
Qu'avez-vous à là-dessus?» Le remit sa au lende-
répondre Phrygien réponse
main, et, retourné fut au il commanda à des enfants de un
qu'il logis, prendre

chat, et de le mener fouettant les rues. Les adorent cet ani-


par Égyptiens, qui
mal, se trouvèrent extrêmement scandalisés du traitement qu'on lui faisoit. Ils

l'arrachèrent des mains des enfants, et allèrent se au roi. On fitvenir en


plaindre
sa le «Ne savez-vous lui dit le roi, cet animal est un
présence Phrygien. pas, que
de nos dieux? donc le faites-vous traiter la sorte? — C'est
Pourquoi de pour
l'offense qu'il a commise envers Lycérus, reprit Ésope; car, la nuit dernière, il

lui a un extrêmement et chantoit à toutes les heures.


étranglé coq courageux, qui
— Vous
êtes un menteur, repartit le roi : comment seroit-il possible ce chat
que
eût fait en si de un si — Et comment est-il
peu temps long voyage? possible,

reprit vos entendent de si loin nos chevaux hennir, et con-


Ésope, que juments

çoi vent les entendre? »


pour
En suite de le roi fit venir certains
cela, d'Héliopolis personnages d'esprit

subtil, et savants en Il leur fit un où le Phry-


questions énigmatiques. grand régal,
fut invité. Pendant le ils à diverses choses, celle-ci
gien repas, proposèrent Ésope
LVIII LA VIE D'ÉSOPE.

entre autres : «Il a un est appuyé sur une colonne entourée


y grand temple qui
de douze villes, chacune desquelles a trente arcboutants; et autour de ces arc-

boutants se l'une deux femmes, l'une blanche, l'autre


promènent, après l'autre,
— Il faut dit cette
noire. renvoyer, Esope, question aux enfants de notre
petits
Le temple est le monde ; la colonne, l'an; les villes, ce sont les mois, et
pays.
les arcboutants, les jours, autour se promènent alternativement le
desquels jour
et la nu i t. » «

Le lendemain Necténabo assembla tous ses amis. « Souffrirez-vous, leur dit-il,

qu'une moitié d'homme, qu'un avorton soit la cause que Lycérus remporte le

et que la confusion mon » Un d'eux s'avisa de deman-


prix, j'aie pour partage?
der à leur fit des questions de choses dont ils n'eussent en-
Ésope qu'il jamais
tendu parler. écrivit une cédule, par laquelle Necténabo confessoit devoir
Ésope
deux mille talents à La cédule fut mise entre les mains de Necténabo
Lycérus.
toute cachetée. Avant qu'on l'ouvrît, les amis du soutinrent la chose
prince que
contenue dans cet écrit étoit de leur connoissance. Quand on l'eut ouverte, Nec-

ténabo s'écria ; « Voilà la fausseté du monde; vous en à


plus grande je prends
témoin tous tant vous êtes. — Il est nous n'en avons
que vrai, repartirent-ils, que
entendu — J'ai donc satisfait à votre »
jamais parler. demande, reprit Ésope.
Necténabo le comblé de tant lui son
renvoya présents, pour que pour
maître.
Le fit en est cause ont écrit
séjour qu'il Égypte peut-être que quelques-uns

qu'il fut esclave avec Rhodopé, celle-là qui, des libéralités de ses amants, fit éle-

ver une des trois subsistent encore, et qu'on voit avec admira-
pyramides qui
tion : c'est la mais celle
plus petite, qui est bâtie avec le
plus
d'art.

à son retour dans fut reçu de avec de grandes dé-


Ésope, Babylone, Lycérus
monstrations de et de bienveillance : ce roi lui fit une statue. L'envie
joie ériger
de voir et le fit renoncer à tous ces honneurs. Il la cour de
d'apprendre quitta
où il avoit tous les et de ce
Lycérus, avantages qu'on peut souhaiter, prit congé

prince pour voir la Grèce encore une fois. Lycérus ne le laissa partir sans
point
LA VIE D'ÉSOPE. ux

embrassements et sans larmes, et sans le faire promettre sur les autels qu'il
reviendroit achever ses de lui.
jours auprès
Entre les villes où il s'arrêta, fut une des Les
Delphes principales. Delphiens
l'écoutèrent fort volontiers; mais ils ne lui rendirent point d'honneurs. Ésope,
de ce les aux bâtons flottent sur l'onde : on s'ima-
piqué mépris, compara qui
de loin c'est chose de de on trouve ce
gine que quelque considérable ; près, que
n'est rien. La lui coûta cher. Les en une telle
comparaison Delphiens conçurent
haine et un si violent désir de d'être décriés
vengeance (outre qu'ils craignoient

par lui), qu'ils résolurent de l'ôter du monde. Pour y parvenir, ils cachèrent

ses hardes un de leurs vases ce ils con-


parmi sacrés, prétendant que par moyen
vaincroient de vol et de et le condamneroient à la mort.
Esope sacrilège, qu'ils
Comme il fut sorti de et eut le chemin de la Phocide, les
Delphes, qu'il pris
accoururent comme étoient en Ils l'accusèrent d'avoir
Delphiens gens qui peine.
dérobé leur le nia avec des serments : on chercha dans son
vase; Ésope équipage,
et il fut trouvé. Tout ce dire ne le traitât
qu'Ésope put n'empêcha point qu'on
comme un criminel infâme. Il fut ramené à de fers, mis dans les
Delphes chargé

cachots, condamné à être Rien ne lui servit de se défendre avec


puis précipité.
ses armes et de raconter des les s'en
ordinaires, apologues : Delphiens moquèrent.
« La leur avoit invité le rat à la venir voir. Afin de lui
grenouille, dit-il,
faire traverser l'onde, elle l'attacha à son Dès fut sur elle vou-
pied. qu'il l'eau,
lut le tirer au fond, dans le dessein de le et d'en faire ensuite un
noyer, repas.
Le malheureux rat résista de Pendant se débattoit sur
quelque peu temps. qu'il
un oiseau de fondit sur lui; et enlevé avec la
l'eau, proie l'aperçut, l'ayant gre-

nouille, ne se se détacher, il se de l'un et de l'autre. C'est ainsi, Del-


qui put reput
nous me mais
phiens abominables, qu'un plus puissant que vengera : je périrai;
vous périrez aussi. »

Comme on le conduisoit au il trouva de et entra


supplice, moyen s'échapper,
dans une dédiée à Les l'en arrachèrent. « Vous
petite chapelle Apollon. Delphiens

violez cet asile, leur dit-il, que ce n'est qu'une petite chapelle; mais un
parce
LX LA VIE D'ÉSOPE.

jour viendra votre méchanceté ne trouvera point de retraite sûre, non


que pas
même dans les Il vous arrivera la même chose
temples. qu'à l'aigle, laquelle,

nonobstant les de l'escarbot, enleva un lièvre s'étoit chez lui :


prières qui réfugié
la de en fut dans le giron de Jupiter. » Les
génération l'aigle punie jusque
touchés de tous ces le
Delphiens, peu exemples, précipitèrent.
Peu de temps après sa mort, une peste très violente exerça sur eux ses ra-

vages. Ils demandèrent à l'oracle ils le


par quels moyens pourroient apaiser
courroux des Dieux. L'oracle leur avoit d'autre
répondit qu'il n'y en point que
leur et satisfai re aux mânes Aussitôt une fut
d'expier forfait, d'Ésope. pyramide
élevée. Les Dieux ne seuls combien ce crime
témoignèrent pas leur déplaisoit; les
hommes vengèrent aussi la mort de leur La Grèce des commissaires
sage. envoya
en informer, et enfit une
pour punition rigoureuse.
A

MONSEIGNEUR LE DAUPHIN.

e est le
Esop père;
Je chante les héros dont
Troupe de qui l'histoire, eue or que mensongère,

Contient des vérités servent de


qui leçons.

Tout en mon et même les :


parle ouvrage, poissons

Ce qu'ils disent s'adresse a tous tant que nous SOllllnes,

Je me sers instruire les hOlll/nes.


d'aniinaux poui-

1
2 DÉDICACE.

Illustre rejeton et llll Prince aime des deux,

Sur le monde entier a maintenant les


qui yeux,

Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes,

désormais ses ses


Comptera jours par conquêtes,

Quelque autre te dira d'une plus forte voix

Les faits de tes aieux et les vertus des rois :

Je vais tentretenir de moindres aventures,

Te tracer en ces vers de légères peintures ;

Et si le
de t'agréer je n'emporte prix,

J'aurai du moins l'honneur de t'avoir entrepris.


LIVRE PREMIER
LIVRE PREMIER. 5

FABLE PREMIÈRE.

LA CIGALE ET LA FOURMI

La ayant chanté
Cigale,
Tout l'été,

Se trouva fort dépourvue

Quand la bise fut venue:

Pas un seul petit morceau

De mouche ou de vermisseau.

Elle alla crier famine


6 FABLES DE LA FONTAINE.

Chez la fourmi sa voisine,


La priant de lui prêter

Quelque grain pour subsister

la saison nouvelle.
Jusqu'à
« Je vous lui dit-elle,
paierai,
Avant l'oût, foi d'animal,
Intérêt et »
principal.
La Fourmi n'est pas prêteuse ;
C'est là son moindre défaut.

Que faisiez-vous au temps chaud ?

Dit-elle à cette emprunteuse.


- Nuit et à tout venant
jour
Je chantois, ne vous déplaise.
- Vous chantiez? suis fort aise:
j'en
Eh bien! dansez maintenant. »
LA CIGALEET I*A ÎOURMI
LIVRE PREMIER. 9

FABLE II.

LE CORBEAU ET LE RENARD.

Maître sur un arbre


Corbeau, perché,
Tenoit en son bec un fromage.
Maître Renard, par l'odeur alléché,

Lui tint à ce
peu près langage:
« Hé! monsieur du Corbeau.
bonjour,

Que vous êtes vous me semblez beau!


joli ! que
Sans mentir, si votre ramage
10 FABLES DE LA FONTAINE.

Se à votre
rapporte plumage,
Vous êtes le des hôtes de ces bois. »
phénix
A ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie;

Et pour montrer sa belle voix,

Il ouvre un bec, laisse tomber sa proie.


large.
Le Renard s'en et dit : « Mon bon monsieur,
saisit,

Apprenez que tout flatteur

Vit aux dépens de celui qui l'écoute :

Cette vaut bien un sans doute. »


leçon fromage,
Le Corbeau, honteux et confus,

Jura, mais un peu tard, ne l'y prendroit plus.


qu'on
LIVRE PREMIER. H

FABLE III.

LA GRENOUILLE SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE


QUI

QUE LE BOEUF.

Une Grenouille vit un Bœuf

Qui lui sembla de belle taille.

Elle, qui n'étoit pas en tout comme un œuf,


grosse

Envieuse, s'étend, et s'enfle, et se travaille,


Pour l'animal en grosseur;
égaler
Disant : « ma
Regardez bien, sœur;
12 FABLES DE LA FONTAINE.

Est-ce assez? dites-moi; n'y suis-je point encore?


— — — —
Nenni. M'y voici donc? Point du tout. M'y voilà?
— Vous n'en » La chétive
approchez point. pécore
S'enfla si bien qu'elle creva.

Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages :


Tout bourgeois veut bâtir comme les grands seigneurs,
Tout petit prince a des ambassadeurs,

Tout marquis veut avoir des pages.


LIVRE PREMIER. 13

FABLE IV.

LES DEUX MULETS.

Deux Mulets cheminoient, l'un d'avoine chargé,


L'autre portant de la
l'argent gabelle.

Celui-ci, d'une si belle,


glorieux charge
N'eût voulu pour beaucoup en être
soulagé.

Il marchoit d'un relevé,


pas
Et faisoit sonner sa sonnette;

Quand l'ennemi se
présentant,
14 FABLES DE LA FONTAINE.

Comme il en vouloit à
l'argent,
Sur le Mulet du fisc une se
troupe jette,
Le saisit au frein, et l'arrête.

Le Mulet, en se défendant,
Se sent de il il
percer coups; gémit, soupire.
« Est-donc ce m'avoit
là, dit-il, qu'on promis?
Ce mulet me suit du se retire;
qui danger
Et moi j'y tombe, et je péris!
- lui dit son
Ami, camarade,
Il n'est toujours bon d'avoir un haut
pas emploi:
Si tu n'avois servi qu'un meunier, comme moi,
Tu ne serois si malade. »
pas
LES DEUXMULETS.
LIVRE PREMIER. {7

FABLE V.

LE LOUP ET LE CHIEN.

Un Loup n'avoit que les os et la peau,


Tant les chiens faisoient bonne
garde.
Ce rencontre un aussi beau,
Loup Dogue puissant que

Gras, qui s'étoit fourvoyé par


poli, mégarde.

L'attaquer, le mettre en quartiers,


Sire l'eût fait volontiers;
Loup
Mais il falloit livrer bataille;

2
18; FABLES DE LA FONTAINE.

Et le mâtin étoit de taille

A se défendre hardiment.

Le donc l'aborde humblement,


Loup
Entre en propos, et lui fait compliment
Sur son embonpoint, qu'il admire.
« Il ne tiendra beau
qu'à vous, sire,
D'être aussi moi, lui repartit le Chien.
gras que

Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils sont misérables,


y
Cancres, hères, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car, quoi? rien d'assuré : point de franche lippée;


Tout à la pointe de l'épée.

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. «

Le « me faudra-t-il faire?
Loup reprit : Que
- dit le Chien : donner la chasse aux
Presque rien, gens
Portant bâtons, et mendiants;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire :

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons,


Os de os de
poulets, pigeons;
Sans de mainte caresse. «
parler
Le Loup déjà se forge une félicité

Qui le fait de tendresse.


pleurer
Chemin faisant, il vit le cou du Chien pelé.
« là? lui rien? — Peu
Qu'est-ce dit-il. — Rien.— Quoi! de chose.
— Mais encor? — Le collier dont suis attaché
je
De ce vous est peut-être la cause.
que voyez
LIVRE PREMIER. 19-

Attaché? dit le vous ne courez donc


Loup : pas
Où vous voulez? — Pas mais
toujours : qu'importe?
— Il si
importe bien, que de tous vos repas
Je ne veux en aucune sorte,
Et ne voudrois même à ce un trésor. »
pas prix
Cela dit, maître et court encor.
Loup s'enfuit,
20 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VI.

LA GÉNISSE, LA CHÈVRE ET LA BREBIS EN SOCIÉTÉ

AVEC LE LION.

La la Chèvre, et leur sœur la Brebis,


Génisse,
Avec un fier Lion, seigneur du voisinage,
Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le et le
gain dommage.

Dans les lacs de la Chèvre un cerf se trouva pris.

Vers ses associés aussitôt elle envoie.


;
LIVRE PREMIER 1 21

Eux venus, le Lion par ses compta,


ongles
Et dit: « Nous sommes à la )
quatre partager proie.
Puis en autant de parts le cerf il dépeça;
Prit pour lui la première en qualité de sire.

« Elle doit être à et la


moi, dit-il; raison,

C'est que je m'appelle Lion :

A cela l'on n'a rien à dire.

La seconde, droit, me doit échoir encor :


par
Ce droit, vous le savez, c'est le droit du plus fort.

Comme le plus vaillant, je prétends la troisième.

Si de vous touche à la
quelqu'une quatrième,
Je tout d'abord. »
l'étranglerai
22. FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VII.

LA BESACE

dit un « tout ce
Jupiter jour : Que qui respire
S'en vienne comparoître aux de ma grandeur :
pieds
Si dans son trouve à
composé quelqu'un redire,
Il peut le déclarer sans peur;
Je mettrai remède à la chose.

Venez, Singe; parlez le premier, et pour cause- :

Voyez ces animaux ; faites comparaison


LIVRE PREMIER. 1 23

De leurs beautés avec les vôtres.

Etes-vous satisfait? — Moi? non?


dit-il; pourquoi

N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?

Mon portrait ne m'a rien


jusqu'ici reproché :
Mais pour mon frère l'Ours, on ne l'a
qu'ébauché;
Jamais, s'il me veut il ne se fera »
croire, peindre.
L'Ours venant là-dessus, on crut s'alloit
qu'il plaindre.
Tant s'en faut : de sa forme il se loua très-fort;
Glosa sur dit encor
l'Eléphant, qu'on pourroit

Ajouter à sa queue, ôter ses oreilles; ~.I


à
Que c'étoit une masse informe et sans beauté.

L'éléphant étant écouté,


Tout étoit, dit des choses
sage qu'il pareilles :
Il son
jugea qu'à appétit
Dame Baleine étoit trop grosse.
Dame Fourmi trouva le Ciron
trop petit,
Se elle, un colosse.
croyant, pour

Jupin les s'étant censurés


renvoya tous ;
Du reste, contents d'eux. Mais les fous
parmi plus
Notre espèce excella; car tout ce nous sommes,
que

Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous,


Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hommes :

On se voit d'un autre œil ne voit son


qu'on prochain.
Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,


Tant ceux du du
temps passé que temps d'aujourd'hui :
Il fit pour nos défauts la de
poche derrière,
Et celle du devant les défauts d'autrui.
pour
24 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

L'HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX.

Une Hirondelle en ses voyages


Avoit a vu
beaucoup appris. Quiconque beaucoup
Peut avoir retenu.
beaucoup

Celle-ci moindres orages,


prévoyoit jusqu'aux

Et, devant qu'ils fussent éclos,

Les annoncoit aux matelots.

Il arriva le chanvre se sème,


qu'au temps que
LIVRE PREMIER. 25

Elle vit un manant en couvrir maints sillons.

« Ceci ne me dit-elle aux oisillons:


plaît pas,
Je vous car, moi, dans ce extrême,
plains; pour péril
Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin.

Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?

Un jour viendra, qui n'est pas loin,

Que ce qu'elle répand sera votre ruine.

De là naîtront à
engins vous envelopper,
Et lacets pour vous attrapper,
Enfin mainte et mainte machine

Qui causera dans la saison

Votre mort ou votre prison:


Gare la cage ou le chaudron !

C'est pourquoi, leur dit l'Hirondelle,


ce et »
Mangez grain; croyez-moi.
Les oiseaux se moquèrent d'elle :

Ils trouvoient aux champs trop de quoi.

Quand la chènevière fut verte,

L'Hirondelle leur dit : « Arrachez brin à brin

Ce produit ce maudit
qu'a grain,
Ou sûrs de votre
soyez perte.
- de
Prophète malheur, babillarde, dit-on,

Le bel tu nous donnes!


emploi que
Il nous faudroit mille
personnes

Pour tout ce canton. «


éplucher
La chanvre étant tout à fait crûe,

L'Hirondelle « Ceci ne va bien;


ajouta : pas
Mauvaise graine est tôt venue.
? FABLES DE LA FONTAINE.

Mais, puisque, jusqu'ici l'on ne m'a crue en rien,

Dès vous verrez la terre


que que ',.1
Sera couverte, et qu'à leurs blés
y
Les gens n'étant plus occupés
Feront aux oisillons la
O
guerre; .,

Quand reginglettes et réseaux

Attraperont petits oiseaux,


Ne volez de en
plus place place,
Demeurez au ou de climat:
logis, changez
Imitez le Canard, la Grue, et Bécasse.
la

Mais vous n'êtes pas en état


De comme nous, les déserts et les ondes,
passer,
Ni d'aller chercher d'autres mondes :

C'est vous n'avez qu'un parti soit sûr;


pourquoi qui
C'est de vous renfermer aux trous de mur. »
quelque
Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à confusément
jaser aussi
faisoient les la Cassandre
Que Troyens quand pauvre
Ouvroit la bouche seulement.

Il en aux uns comme aux autres:


prit
Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n'écoutons d'instinct ceux sont les nôtres,


que qui
Et ne le mal il est venu.
croyons que quand
L'HIRONDELLEET LES PETITS OISEAUX.
LIVRE PREMIER. 29

FABLE IX.

LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.

Autrefois le Rat de ville

Invita le Rat des champs,


D'une facon fort civile,

A des reliefs d'ortolans.

Sur un de
tapis Turquie
Le couvert se trouva mis.
,¡jf.
30 FABLES DE LA FONTAINE.

laisse à la vie
Je penser

Que firent ces deux amis.

Le fort honnête ;
régal fut
Rien ne manquoit au festin:

Mais troubla la fête


quelqu'un
Pendant qu'ils étoient en train.

, A la porte de la sa lle

Ils entendirent du bruit:

Le Rat de ville détale;

Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire:

Rats en
campagne aussitôt,
Et le citadin de dire :
« Achevons tout notre rôt.

- C'est dit le
assez, rustique;
Demain vous viendrez chez moi.

Ce n'est pas que je me pique


De tous vos festins de roi;

Mais rien ne vient m'interrompre :

Je tout à loisir.
mange
Adieu donc : fi du
plaisir
la crainte »
Que peut corrompre!
LE RAT DE VILLE ET LE RAT DES CHAMPS.
LIVRE PREMIER. 33

FABLE X.

LE LOUP ET L'AGNEAU.

La raison du fort est la meilleure :


plus toujours
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un se désaltéroit
Agneau
Dans le courant d'une onde pure;
Un survient à
Loup jeun, qui cherchoit aventure,

Et la faim en ces lieux attiroit.


que

3
34 FABLES DE LA FONTAINE.

« te rend si hardi de troubler mon


Qui breuvage ?

Dit cet animal plein de rage :


Tu seras châtié de ta témérité.

Votre Majesté
— Sire, répond l'Agneau, que
Ne se mette pas en colère;

Mais plutôt qu'elle considère

Que je me vas désaltérant

Dans le courant,

Plus de au-dessous d'elle;


vingt pas
Et en aucune façon,
que par conséquent,
Je ne troubler sa boisson.
puis
- Tu la cette bête cruelle;
troubles, reprit
Et sais de moi tu médis l'an passé.
je que
- Comment fait si n'étois né?
l'aurois-je je pas
tette encor ma mère.
Reprit l'Agneau, je
— Si ce n'est c'est donc ton frère.
toi,
- Je n'en ai C'est donc des tiens;
point. - quelqu'un
Car vous ne
m'épargnez guère,
vos et vos chiens.
Vous, bergers
On me l'a dit : il faut me «
que je venge.

Là-dessus, au fond des forêts

et le
Le Loup l'emporte, puis mange,

Sans autre forme de procès.


TE LOUP
ET L'AGNEAU
LIVRE PREMIER. 37

FABLE XI.

L'HOMME ET SON IMAGE.

POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD.

Un homme s'aimoit sans avoir de rivaux


qui
Passoit dans son le beau du monde :
esprit pour plus
Il accusoit toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
38 FABLES DE LA FONTAINE.

Afin de le le sort officieux


guérir,
Présentoit à ses yeux
partout

Les conseillers muets dont se servent nos dames:

Miroirs dans les miroirs chez les marchands,


logis,
Miroirs aux des galands,
poches
Miroirs aux ceintures des femmes.

fait notre Narcisse? Il se va confiner


Que
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,

N'osant des miroirs l'aventure.


plus éprouver
Mais un formé une source pure,
canal, par
Se trouve en ces lieux écartés:

Il il se fâche; et ses irrités


s'y voit, yeux
Pensent une chimère vaine.
apercevoir
Il fait tout ce éviter cette eau.
qu'il peut pour
Mais le canal est si beau
quoi ?

Qu'il ne le qu'avec peine.


quitte

On voit bien où je veux venir.

Je à tous; et cette erreur extrême


parle
Est un mal chacun se d'entretenir.
que plaît
Notre c'est cet Homme amoureux de lui-même :
âme,
Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,

Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes;

Et au canal, c'est celui


quant
chacun sait, le livre des Maximes.
Que
LIVRE PREMIER. 39

FABLE XII.

LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES ET LE DRAGON


A PLUSIEURS QUEUES.

Un du Grand
envoyé Seigneur

Préféroit, dit l'histoire, un jour, chez


l'Empereur,
Les forces de son maître à celles de
l'Empire.
Un Allemand se mit à dire :
« Notre a des
prince dépendants

Qui, de leur chef, sont si


puissants
40 FABLES DE LA FONTAINE.

d'eux une armée. «


Que chacun pourroit soudoyer

Le chiaoux, homme de sens,

Lui dit : « Je sais, par renommée

Ce Électeur de monde fournir;


que chaque peut

Et cela me fait souvenir

aventure est vraie.


D'une étrange, et qui pourtant

J'étois en un lieu je vis passer


sûr, lorsque
d'une au travers d'une haie.
Les cent têtes Hydre
Mon commence à se glacer;
sang
Et crois on s'effraie.
je qu'à moins

n'en eus toutefois la sans le mal:


Je que peur

Jamais le de l'animal
corps

Ne venir vers moi, ni trouver d'ouverture.


put
Je rêvois à cette aventure,

un autre seul chef,


Quand Dragon, qui n'avoit qu'un
à se
Et bien plus d'une queue, passer présente.

Me voilà saisi derechef

D'étonnement et d'épouvante.

et le et aussi:
Ce chef passe, corps, chaque queue

Rien ne les l'un fit chemin à l'autre.


empêcha;
Je soutiens en est ainsi
qu'il
De votre et du notre. »
Empereur
LIVRE PREMIER. 41

FABLE XIII.

LES VOLEURS ET L'ANE.

Pour un Ane enlevé deux voleurs se battoient :

L'un vouloit le l'autre le vouloit vendre.


garder,
Tandis de trottoient,
que coups poings
Et nos champions à se défendre,
que songeoient
Arrive un troisième larron

Qui saisit maître Aliboron.

L'Ane, c'est une


quelquefois pauvre province :
42 FABLES DE LA FONTAINE.

-
Les voleurs sont tel et tel prince,
Comme le le et le
Transilvain, Turc, Hongrois.
Au lieu de deux, ai rencontré trois :
j'en
Il est assez de cette marchandise.
De nul d'eux n'est souvent la
province conquise :
Un voleur les accorde net
quart survient, qui
En se saisissant du Baudet.
LIVRE PREMIER. 43

FABLE XIV.

SIMONIDE PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX.

On ne louer trois sortes de


peut trop personnes :
Les Dieux, sa maîtresse et son roi.

Malherbe le disoit : à
j'y souscris, quant moi;
Ce sont maximes bonnes.
toujours
La les
louange chatouille et gagne esprits :
Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix.

Voyons comme les Dieux l'ont


quelquefois payée.
44 FABLES DE LA FONTAINE.

Simonide avoit entrepris

d'un Athlète, et, la chose essayée,


L'éloge
Il trouva son de récits tout nus.
sujet plein
Les de l'Athlète étoient gens inconnus;
parents
Son un bon lui, sans autre mérite :
père, bourgeois;
Matière infertile et petite.
Le Poëte d'abord de son héros.
parla
en avoir dit ce en pouvoit dire,
Après qu'il
Il se à se met sur le
jette coté, propos
De Castor et ne d'écrire
Pollux; manque pas

Que leur étoit aux lutteurs glorieux :


exemple
Élève leurs combats, les lieux
spécifiant
Où ces frères s'étoient signalés davantage :
Enfin de ces dieux
l'éloge
Faisoit les deux tiers de l'ouvrage.

L'Athlète avoit d'en un talent :


promis payer

Mais, il le vit, le galand


quand
N'en donna le tiers; et dit, fort franchement,
que
Castor et Pollux le reste.
Que acquittassent
« Faites-vous contenter ce couple céleste.
par
Je veux vous traiter cependant :

Venez chez nous ferons bonne vie.


souper moi;
, Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis;

donc de la «
Soyez compagnie.

Simonide Peut-être qu'il eut peur


promit.
le de sa
De perdre, outre son dû, gré louange.

Il vient : l'on festine, l'on mange.


LIVRE PREMIER. 45

Chacun étant en belle humeur,


Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandoient à le voir promptement.
Il sort de table ; et la cohorte

N'en perd pas un de dent.


coup
Ces deux hommes étoient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent et de ses vers,
grâce; pour prix
Ils l'avertissent qu'il déloge,
Et cette maison va tomber à l'envers.
que
La prédiction en fut vraie.

Un pilier et le plafonds,
manque;
Ne trouvant rien l'étaie,
plus qui
Tombe sur le festin, brise plats et flacons,

N'en fait moins aux échansons.


pas
Ce ne fut pas le pis : car, pour rendre complète
La due au Poëte,
vengeance
Une cassa les à
poutre jambes l'Athlète,

Et renvoya les conviés



Pour la plupart estropiés.
La Renommée eut soin de l'affaire :
publier
Chacun cria, Miracle! On doubla le salaire

Que méritoient les vers d'un homme aimé des Dieux.

Il n'étoit fils de bonne mère

les à mieux
Qui, payant qui mieux,

Pour ses ancêtres n'en fît faire.

Je reviens à mon texte : et dis


premièrement

Qu'on ne sauroit de louer


manquer largement
46 FABLES DE LA FONTAINE.

Les Dieux et leurs de


pareils; plus, que Melpomène
Souvent, sans de sa
déroger, trafique peine :
Enfin, qu'on doit tenir notre art en
quelque prix.
Les se font honneur dès
grands lors nous font
qu'ils grâce :
Jadis et le Parnasse
l'Olympe
Etoient frères et bons amis.
LIVRE
PREMIER. 47

FABLE XV.

LA MORT ET LE MALHEUREUX.

Un Malheureux tous les


appeloit jours
La Mort à son secours.
« O Mort! lui
disoit-il, que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune »
cruelle.
La Mort en
crut, venant, l'obliger en effet.
Elle à sa elle
frappe porte, entre, elle se montre.
«
Que vois-je? cria-t-il : ôtez-moi cet objet;
48 FABLES DE LA FONTAINE..

est hideux ! sa rencontre


Qu'il que
Me cause d'horreur et d'effroi!

ô Mort! ô retire-toi! »
N'approche pas, Mort,

Mécénas fut un galand homme;


« me rende
Il a dit quelque part : Qu'on impotent,

manchot, pourvu qu'en somme


Cul-de-jatte, goutteux,
c'est suis content. »
Je vive, assez, je plus que

Ne viens ô Mort! on t'en dit tout autant.


jamais,
LIVRE PREMIER 49

FABLE XVI.

LA MORT ET LE BUCHERON

Un Bûcheron, tout couvert de


pauvre ramée,
Sous le faix du aussi bien des ans
fagot que
Gémissant et marchoit à
courbé, pas pesants,
Et sa chaumine enfumée.
tachoit de gagner

Enfin, n'en pouvant d'effort et de


plus douleur,
Il met bas son il à son malheur.
fagot, songe

Quel plaisir a-t-il eu est au monde?


depuis qu'il

4
50 FABLES DE LA FONTAINE.

En est-il un plus pauvre en la machine ronde?

Point de pain et jamais de repos :


quelquefois,
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier, et la corvée,
Lui font d'un malheureux la achevée.
peinture
Il la Mort; elle vient sans tarder,
appelle
Lui demande ce faut faire.
qu'il
«
C'est, dit-il, afin de m'aider
A ce tu ne tarderas »
recharger bois; guère.

Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes :

Plutôt mourir,
souffrir que
C'est la devise des hommes.
A XOnT ET LE nUCHER0S
LIVRE PREMIER 53

FABLE XVII

L'HOMME ENTRE DEUX AGES ET SES DEUX MAITRESSES.

Un Homme de moyen âge,


Et tirant sur le grison,

étoit saison
Jugea qu'il
De au
songer mariage.
Il avoit du comptant,

Et partant
I)e toutes vonloient lui
quoi choisir; plaire :
54 FABLES DE LA FONTAINE.

En quoi notre amoureux ne se pressoit pas tant;


Bien adresser n'est affaire.
pas petite
Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part :
L'une encor verte; et l'autre un peu bien mûre,

par son art


Mais qui réparoit
Ce détruit la nature.
qu'avoit
Ces deux en
veuves, badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'alloient quelquefois testonnant,

C'est-à-dire ajustant sa tête.

La à tous de sa
vieille, moments, part emportoit
Un peu du poil noir restoit,
qui
Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageoit les poils blancs à son tour.

Toutes deux firent tant, que notre tête grise


Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
« Je vous leur dit-il, mille les
rends, grâces, Belles,

Qui m'avez si bien tondu :

J'ai plus gagné que perdu;


Car d'hymen, point de nouvelles.

Celle que je prendrois voudroit qu'à sa façon


Je vécusse, et non à la mienne.

Il n'est tête chauve tienne :


qui
Je vous suis obligé, Belles, de la leçon. »
LIVRE PREMIER. 55

FABLE XVIII.

LE RENARD ET LA CIGOGNE.

Compère le Renard se mit un jour en frais,

Et retint à dîner commère la Cigogne.


Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galand, toute
pour besogne,
Avoit un brouet clair; il vivoit chichement.

Ce brouet fut lui servi sur une assiette :


par
La Cigogne au bec n'en put attraper miette;
long
56 FABLES DE LA FONTAINE.

Et le drôle eut lapé le tout en un moment.


Pour se de cette
venger tromperie,
A de la le
quelque temps là, Cigogne prie.

« Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis

Je ne fais cérémonie. «
point
A l' heure il courut au loois
dite, o
De la son
Cigogne hôtesse;
Loua très-fort sa politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout; renards n'en
manquent point :
Il se réjouissoit à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et friande.


qu'il croyoit
On servit, l'embarrasser,
pour
En un vase à col et d'étroite embouchure :
long
Le bec de la bien
Cigogne y pouvoit passer;
Mais le museau du sire étoit d'autre mesure.

Il lui fallut à retourner au


jeun logis,
Honteux comme un renard auroit
qu'une poule pris,
Serrant la et bas l'oreille.
queue, portant

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :

Attendez-vous à la pareille.
LIVRE PREMIER. 5T

FABLE - XIX.

L'ENFANT ET LE MAITRE D'ÉCOLE.

Dans ce récit faire voir


je prétends
D'un certain sot la remontrance vaine.

Un jeune Enfant dans l'eau se laissa choir,


-
En badinant sur les bords de la Seine.

Le - ciel
permit qu'un saule se trouva,
Dont le le sauva.
branchage, après Dieu,
58 FABLES DE LA FONTAINE.

S'étant dis-je, aux branches de ce saule,


pris,
Par cet endroit passe un Maître d'école;

L'Enfant lui crie : « Au secours ! »


je péris !
Le Magister, se tournant à ses cris,

D'un ton fort à s'avise


grave contre-temps
De le tancer : « Ah! le babouin !
petit

Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!

Et puis, prenez de tels fripons le soin!

Que les parents sont malheureux, qu'il faille

Toujours veiller à semblable canaille!

Qu'ils ont de maux! et je plains leur sort! »


que

Ayant tout dit, il mit l'Enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.


Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connoître au discours j'avance.
que
Chacun des trois fait un peuple fort grand :
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire, ils ne font songer
que
Au moyen d'exercer leur langue.
Eh! mon ami, tire-moi de danger,
Tu feras ta
après harangue.
LIVRE
PREMIER. 59

FABLE XX.

LE COQ ET LA PERLE,

Un un détourna
jour Coq
Une donna
perle, qu'il
Au beau
premier lapidaire.
« Je la crois fine, dit-il;
Mais le moindre de mil
grain
Seroit bien mieux mon affaire. »
60 FABLES DE LA FONTAINE.

Un ignorant hérita

D'un manuscrit qu'il porta


Chez son voisin le libraire.

« Je est bon;
crois, dit-il, qu'il
Mais le moindre ducaton

Seroit bien mieux mon affaire. «


LIVRE PREMIER. 61

FABLE XXI.

LES FRELONS ET LES MOUCHES A MIEL.

A l'œuvre on connoît l'artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :

Des Frelons les réclamèrent;

Des Abeilles s'opposant,


Devant certaine on traduisit la cause.
Guêpe
Il étoit malaisé de décider la chose :
62 FABLES DE LA FONTAINE.

Les témoins de ces rayons


déposoient qu'autour
Des animaux ailés, un
bourdonnants, peu longs,
De couleur fort tannée, et tels les
que Abeilles,
Avoient longtemps paru. Mais dans les Frelons
quoi!
Ces étoient
enseignes pareilles.
La Guêpe, ne sachant dire à ces
que raisons,
Fit enquête nouvelle, et, de
pour plus lumière,
Entendit une fourmilière.

Le point n'en être éclairci.


put
« De à bon tout ceci?
grâce, quoi
Dit une Abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,


Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se o
gâte.
Il est temps désormais le se hâte :
que juge
N'a-t-il point assez léché l'ours?

Sans tant de et
contredits, d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,

Travaillons, les Frelons et nous :

On verra sait faire, avec un suc si doux,


qui
Des cellules si bien bâties. »

Le refus des Frelons fit voir

Que cet art leur savoir;


passoit
Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu tous les


qu'on réglât ainsi procès!

Que des Turcs en cela l'on suivit la méthode!

Le simple sens commun nous tiendroit lieu de code :


LIVRE PREMIER. 63

Il ne faudroit point tant de frais;


Au lieu nous on nous
qu'on mange, gruge,
On nous mine des
par longueurs :
On fait tant, à la fin, l'huître est le
que pour juge,
Les écailles pour les
plaideurs.
M FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XXII.

LE CHÊNE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au Roseau :

« Vous avez bien d'accuser la Nature;


sujet
Un roitelet vous est un pesant fardeau;
pour
Le moindre vent d'aventure
qui
Fait rider la face de l'eau,

Vous à baisser la tête;


oblige
mon front au Caucase pareil,
Cependant que
LE CHÊNEII LE ROSEAU. 5
LIVRE PREMIER. 67

Non content d'arrêter les du


rayons soleil,
Brave l'effort de la
tempête.
Tout vous est tout me semble
aquilon, zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du
feuillage
Dont je couvre le
voisinage,
Vous n'auriez tant à
pas souffrir;
Je vous défendrois de
l'orage
Mais vous naissez le souvent
plus
Sur les humides bords des du vent.
royaumes
La Nature envers vous me semble bien
injuste.
— Votre
compassion, lui répondit l'Arbuste,
Part d'un bon mais ce souci :
naturel; quittez
Les vents me sont moins vous
qu'à redoutables;
Je et ne Vous avez
plie, romps pas. jusqu'ici
Contre leurs
coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;
Mais attendons la fin. » Comme il disoit ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le terrible des enfants


plus

Que le nord eût dans ses


portés jusque-là flancs.

L'Arbre tient bon; le Roseau


plie.
Le vent redouble ses
efforts,
Et fait si
bien qu'il déracine
Celui de la tête au ciel étoit
qui voisine,
Et dont les touchoient à
des
pieds l'empire morts.

FIN DU LIVRE PREMIER.


LIVRE SECOND
LIVRE SECOND. 71

FABLE PREMIÈRE.

CONTRE CEUX QUI ONT LE GOUT DIFFICILE

Quand j'aurois en naissant reçu de


Caliope
Les dons ses amants cette muse a
qu'à promis,
Je les consacrerois aux
mensonges d'Esope :
Le et les vers de tout sont amis.
mensonge temps
Mais je ne me crois si chéri du Parnasse
pas

Que de savoir orner toutes ces fictions.

On peut donner du lustre à leurs inventions :


72 FABLES DE LA FONTAINE.

On le peut, je l'essaie; un plus savant le fasse.

Cependant d'un nouveau


jusqu'ici langage
J'ai fait le et
parler Loup répondre l'Agneau :
J'ai avant; les arbres et les
passé plus plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.

Qui ne ceci un enchantement?


prendroit pour
« me diront nos
Vraiment, critiques,
Vous parlez magnifiquement
De à six contes d'enfant.
cinq
— en voulez-vous soient
Censeurs, qui plus authentiques
Et d'un haut? En voici : « Les
style plus Troyens,
«
Après dix ans de autour de leurs murailles,
guerre
«« Avoient lassé les mille
Grecs, qui, par moyens,
« Par mille cent
assauts, par batailles,
N'avoient pu mettre à bout cette fière cité ;
« un de
Quand cheval bois, par Minerve inventé,
« D'un rare et nouvel artifice,
< Dans ses énormes flancs le
reçut sage Ulysse,
II Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux,
« ce colosse monstrueux
Que
« Avec leurs escadrons devoit dans
porter Troie,
< Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie :
« des fabricateurs
Stratagème inouï, qui
« »
Paya la constance et la peine.
- C'est me dira de nos auteurs ;
assez, quelqu'un
La il faut haleine;
période est longue, reprendre
Et puis votre cheval de bois,
Vos héros avec leurs phalanges,
LIVRE SECOND. 73

Ce sont des contes plus étranges


Qu'un renard qui cajole un corbeau sur sa voix :

De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style.


- Eh bien! baissons d'un ton. « La jalouse Amarylle
à son et de ses soins
« Songeoit Alcippe, croyoit
« N'avoir ses
que moutons et son chien témoins.
pour
(c
Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules;
« Il entend la
bergère adressant ces paroles
« Au doux et le
zéphir, priant
« De les à son »
porter amant.
- Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à
l'instant ;
Je ne la tiens pas légitime,
Ni d'une assez vertu :
grande

Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonle,


- Maudit censeur! te tairas-tu?

Ne saurois-je achever mon conte?

C'est un dessein
très-dangereux
Que d'entreprendre de te plaire. »

Les délicats sont malheureux :

Rien ne sauroit les satisfaire.


74 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE II.

CONSEIL TENU PAR LES RATS.

Un Chat, nommé Rodilardus

Faisoit de rats telle déconfiture

Que l'on n'en voyoit plus,


presque
Tant il en avoit mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restoit, n'osant quitter son trou,
Ne trouvoit à le de son
manger que quart soûl;
Et Rodilard chez la
passoit, gent misérable,
(JONSEJX,TI,"ili PARJ.J,s RATS,
LIVRE SECOND. 77

Non pour un chat, mais un diable.


pour
Or un jour qu'au haut et au loin

Le alla chercher sa
galand femme,
Pendant tout le sabbat fit avec sa
qu'il dame,
Le demeurant des rats tint en un coin
chapitre
Sur la nécessité présente.
Dès l'abord, leur fort
doyen, personne prudente,

Opina qu'il falloit, et plus tôt tard,


que plus
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il iroit en guerre,


De sa marche avertis, ils s'enfuiroient sous terre;

Qu'il savoit ce
n'y que moyen.
Chacun fut de l'avis de monsieur le Doyen :
Chose ne leur à tous salutaire.
parut plus
La difficulté fut d'attacher le grelot.
L'un dit : « Je vas ne suis si »
n'y point, je pas sot;
L'autre : « Je ne saurois. » Si bien sans
que rien fai re

On se J'ai maints
quitta. chapitres vus,

Qui pour néant se sont ainsi tenus;

Chapitres, non de rats, mais de


chapitres moines,
Voire de chanoines.
chapitres

Ne faut-il délibérer?
que
La cour en conseillers foisonne :.

Est-il besoin d'exécuter?

L'on ne rencontre plus personne.


78 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE III.

LE LOUP PLAIDANT CONTRE LE RENARD

PAR-DEVANT LE SINGE

disoit l'avoit volé :


Un Loup que l'on
Un Renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,

Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.


Devant le Singe il fut plaidé,

Non point par avocats, mais par chaque partie.


Thémis n'avoit point travaillé,
LIVRE SECOND. 79

De mémoire de à fait embrouillé.


singe, plus
Le magistrat suoit en son lit de justice.

Après qu'on eut bien contesté,

Répliqué, crié, tempêté,


Le juge, instruit de leur malice,
Leur dit : « Je vous connois de mes
longtemps, amis,
Et tous deux vous l'amende :
paierez
Car toi, Loup, tu te ne t'ait rien
plains, quoiqu'on pris;
Et toi, Renard, as ce l'on te demande. »
pris que

Le tort et à travers
juge prétendoit qu'à
On ne sauroit condamnant un
manquer, pervers.
80 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IV.

LES DEUX TAUREAUX ET UNE GRENOUILLE.

Deux taureaux combattoient à


qui posséderoit
Une Génisse avec l'empire.
Une Grenouille en soupiroit.
«
Qu'avez-vous ? se mit à lui dire

Quelqu'un du peuple coassant.


- Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle,

Que la fin de cette querelle


LIVRE SECOND. 81

Sera l'exil de le chassant.


l'un; que l'autre,
Le fera renoncer aux fleuries ?
campagnes
Il ne sur l'herbe des
régnera plus prairies,
Viendra dans nos marais sur les
régner roseaux;

Et, nous foulant aux au fond des


pieds jusques eaux,
Tantôt l'une, et il faudra
puis l'autre, qu'on pâtisse
Du combat madame la Génisse. »
qu'a causé
Cette crainte étoit de bon sens.

L'un des Taureaux en leur demeure

S'alla cacher à leurs dépens :


Il en écrasoit heure.
vingt par

Hélas! on voit de tout


que temps
Les ont des sottises des
petits pâti grands.

6
82 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE V.

LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES.

Une Chauve-Souris donna tête baissée

Dans un nid de Belette; et sitôt qu'elle y fut,

envers les Souris de


L'autre, lontemps courroucée,

Pour la dévorer accourut.


« vous à mes vous
Quoi! osez, dit-elle, yeux produire,
votre race a tâché de me nuire !
Après que
N'êtes-vous souris ? Parlez sans fiction.
pas
LIVRE SECOND. 83

Oui, vous l'êtes; ou bien ne suis belette.


je pas
- dit la
Pardonnez-moi, pauvrette,
Ce n'est ma
pas profession.
Moi souris ! des méchants vous ont dit ces nouvelles.

Grâce à l'auteur de l'U nivers,


Je suis oiseau; mes ailes :
voyez
Vive la fend les airs ! »
gent qui
Sa raison et sembla
plut, bonne,
Elle fait si bien lui donne
qu'on
Liberté de se retirer.

Deux notre étourdie


jours après,

Aveuglément va se fourrer

Chez une autre Belette aux oiseaux ennemie.

La voilà derechef en de sa vie.


danger
La dame du avec son museau
logis long
S'en alloit la en
croquer qualité d'oiseau,

Quand elle protesta lui faisoit


qu'on outrage :
« Moi telle Vous
pour passer! n'y regardez pas.
fait l'oiseau ? c'est le
Qui plumage.
Je suis souris : vivent les Rats !

Jupiter confonde les Chats ! »

Par cette adroite repartie


Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont
trouvés qui, d'écharpe changeants,
Aux ainsi ont souvent fait la
dangers, qu'elle, figue.
Le dit, selon les
sage gens :
Vive le roi ! vive la
ligue!
84 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VI.

L'OISEAU BLESSÉ D'UNE FLÈCHE.

Mortellement atteint d'une flèche empennée,

Un oiseau déploroit sa triste destinée,

Et en souffrant un surcroît de douleur :


disoit,
« Faut-il contribuer à son malheur !
propre
Cruels humains ! vous tirez de nos ailes

De voler ces machines mortelles.


quoi faire
Mais ne vous point, engeance sans pitié :
moquez
LIVRE SECOND. 85

Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre.

Des enfants de Japet toujours une moitié

Fournira des armes à l'autre. «


86 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VII.

LA LICE ET SA COMPAGNE.

Une Lice étant sur son terme,

Et ne sachant où mettre un fardeau si


pressant,
Fait si bien la fin sa consent
qu'à compagne
De lui sa hutte, où la Lice s'enferme.
prêter
Au bout de sa revient.
quelque temps compagne
La Lice lui demande encore une quinzaine :
Ses petits ne marchoient, disoit-elle, qu'à peine.
LIVRE SECOND. 87

Pour faire court, elle l'obtient.

Ce terme l'autre lui redemande


second échu,
Sa maison, sa son lit.
chambre,
La Lice cette fois montre les et dit :
dents,
« Je suis à
prête sortir avec toute ma bande,
Si vous nous mettre hors. »
pouvez
Ses enfants étoient forts.
déjà

Ce qu'on donne aux on le


méchants, toujours regrette :
Pour tirer d'eux ce leur
qu'on prête
Il faut l'on en vienne aux
que coups;
Il faut il faut combattre.
plaider;
Laissez-leur prendre un chez
pied vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.
88 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

L'AIGLE ET L'ESCARBOT,

donnoit la chasse à
L'Aigle maître Jean Lapin,

Qui droit à son terrier au plus vite.


s'enfuyoit
Le trou de l'Escarbot se rencontre en chemin.

Je laisse à penser si ce gîte


Étoit sûr : mais où mieux? Jean Lapin s'y blottit.

fondant sur lui nonobstant cet asile,


L'Aigle
L'Escarbot intercède, et dit :
LIVRE SECOND. 89

« Princesse des il vous est fort facile


oiseaux,
D'enlever moi ce malheureux :
malgré pauvre
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie ;
Et Jean Lapin vous demande la vie,
puisque

Donnez-la-lui, de ou l'ôtez à tous deux :


grâce,
C'est mon voisin, c'est mon «
compère.
L'oiseau de Jupiter, sans un seul mot,
répondre
de l'aile l'Escarbot,
Choque

L'étourdit, l'oblige à se taire,

Enlève Jean Lapin. L'Escarbot indigné


Vole au nid de l'oiseau, fracasse, en son absence,
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance :
Pas un seul ne fut
épargné.

L'Aigle étant de retour, et voyant ce


ménage,

Remplit le ciel de cris; et, pour comble de rage,


Ne sait sur venger le tort a souffert.
qui qu'elle
Elle gémit en vain ; sa plainte au vent se perd.
Il fallut cet an vivre en mère
pour affligée.
L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.

L'Escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut :

La mort de Jean derechef est


Lapin vengée.
Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces bois

N'en dormit de plus de six mois.

L'oiseau porte Ganymède


qui
Du monarque des Dieux enfin implore l'aide,

Dépose en son giron ses œufs, et croit paix


qu'en
Ils seront dans ce lieu; pour ses intérêts,
que,
se verra contraint de les défendre :
Jupiter
90 FABLES DE LA FONTAINE.

Hardi les iroit là


qui prendre.
Aussi ne les y prit-on pas.
Leur ennemi changea de note,

Sur la robe du dieu fit tomber une crotte :

Le dieu la secouant jeta les œufs à bas.

Quand l'Aigle sut l'inadvertance,

Elle menaça Jupiter


D'abandonner sa cour, d'aller vivre au désert ;

De quitter toute dépendance :


Avec mainte autre extravagance.
Le pauvre Jupiter se tut.

Devant son tribunal l'Escarbot comparut,


Fit sa plainte, et conta l'affaire.

On fit entendre à avoit tort.


l'Aigle, enfin, qu'elle

Mais, les deux ennemis ne voulant point d'accord,

Le des Dieux s'avisa, pour bien faire,


monarque
De le temps où l'Aigle fait l'amour,
transporter
En une autre saison, la race escarbote
quand
Est en comme la
quartier d'hiver, et, marmotte,
Se cache et ne voit point le jour.
LIVRE SECOND. 91

FABLE IX.

LE LION ET LE MOUCHERON.

«
Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre ! »

C'est en ces mots le Lion


que
Parloit un jour au Moucheron.

L'autre lui déclara la


guerre :
cc lui
Penses-tu, dit-il, que ton titre de roi

Me fasse ni me soucie?
peur
Un bœuf est puissant toi;
plus que
92 FABLES DE LA FONTAINE.

Je le mène à ma fantaisie. »

A il achevoit ces
peine mots,

Que lui-même il sonna la charge,


Fut le trompette et le héros.

Dans l'abord il se met au large ;


Puis prend son temps, fond sur le cou

Du Lion, qu'il rend presque fou.

Le écume, et son œil étincelle;


quadrupède
Il On se on tremble à l'environ;
rugit. cache,
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un Moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle;

Tantôt et tantôt le museau,


pique l'échine,
Tantôt entre au fond du naseau.

La alors se trouve à son faîte montée.


rage
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir

Qu'il n'est ni dent en la bête irritée


griffe

Qui de la mettre en ne fasse son devoir.


sang
Le malheureux Lion se déchire lui-même,

Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,

Bat l'air n'en et sa fureur extrême


qui peut mais;

Le l'abat : le voilà sur les dents.


fatigue,
L'insecte du combat se retire avec gloire :

Comme il sonna la il sonne la victoire,


charge,
Va l'annoncer, et rencontre en chemin
partout
L'embuscade d'une Araignée;
Il v rencontre aussi sa fin.
.;
LE 1,1ON ET LE MOUCHERON
LIVRE SECOND. 95

Quelle chose là nous être


par peut enseignée?
J'en vois deux, dont l'une est nos ennemis
qu'entre
Les à craindre sont souvent les
plus plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se
soustraire,

Qui périt pour la moindre affaire.


96 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE X.

L'ANE CHARGÉ D'ÉPONGÉS ET L'ANE CHARGÉ DE SEL.

Un Anier, son sceptre à la main,


en
Menoit, empereur romain,

Deux coursiers à oreilles.


longues
marchoit comme un courrier;
L'un, d'épongés chargé,

Et, l'autre se faisant prier,


comme on dit, les bouteilles :
Portoit,

Sa étoit de sel. Nos gaillards pèlerins,


charge
LIVRE SECOND. 97

Par monts, par vaux, et par chemins,


Au d'une rivière à la fin
gué arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.

L'Anier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,


Sur l'Ane à
l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,

Qui, voulant en faire à sa tète,


Dans un trou se
précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa :

Car, au bout de
quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien

Que le Baudet ne sentit rien

Sur ses épaules soulagées.


Camarade épongier prit sur lui,
exemple
Comme un mouton va dessus la foi d'autrui.
qui
Voilà mon Ane à col il se
l'eati; jitscliiat-i plonge,

Lui, le conducteur et
l'éponge.
l'ous trois burent d'autant : l'Anier et le Grison

Firent à raison.
l'éponge
Celle-ci devint si
pesante,
Et de tant d'eau d'abord,
s'emplit

Que l'Ane succombant ne le bord.


put gagner
L'Anier l'embrassoit, dans l'attente
D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours : ce fut, il


qui n'importe :
C'est assez vu là ne faut
qu'on ait par qu'il point

Agir chacun de même sorte.

J'en voulois venir à ce


point.

7
98 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XI.

LE LION ET LE RAT.

Il faut, autant tout le monde :


qu'on peut, obliger
On a souvent besoin d'un petit que soi.
plus
De cette vérité deux fables feront foi;

Tant la chose en abonde.


preuves

Entre les d'un Lion


pattes
Un Rat sortit de terre assez à l'étourdie.
LE LIONET J.E RAT
LIVRE SECOND. HO

Le roi des en cette


animaux, occasion,
Montra ce étoit, et lui donna la vie.
qu'il
Ce bienfait ne fut pas perdu.

Quelqu'un auroit-il jamais cru

Qu'un lion d'un rat eût affaire?

Cependant il avint qu'au sortir des forêts

Ce Lion fut dans des rets,


pris
Dont ses rugissements ne le purent défaire.

Sire Rat accourut, et fit tant ses dents


par

Qu'une maille tout


rongée emporta l'ouvrage.

Patience et longueur de temps


Font plus que force ni que rage.
102 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XII.

LA COLOMBE ET LA FOURMI.

L'autre est tiré d'animaux plus petits.


exemple

Le d'un clair ruisseau buvoit une Colomhe,


long
sur l'eau se une Fourmis
Quand penchant y tombe;
Et dans cet océan l'on eût vu la Fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.

La Colombe aussitôt usa de charité :


LIVRE SECOND. 103

Un brin d'herbe dans l'eau elle étant


par jeté,
Ce fut un où la Fourmis arrive.
promontoire
Elle se sauve; et là-dessus

Passe un certain croquant qui marchoit les nus.


pieds
Ce -hasard, avoit une arbalète :
croquant, par
Dès voit l'oiseau de Vénus,
qu'il
Il le croit en son et lui fait fête.
pot, déjà
Tandis le tuer mon
qu'à villageois s'apprête,
La Fourmis le au talon.
pique
Le vilain retourne la tête :

La Colombe l'entend, et tire de


part, long.
Le du avec elle s'envole :
souper croquant
Point de une obole.
pigeon pour
104 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIII.

L'ASTROLOGUE QUI SE LAISSE TOMBER DANS UN PUITS.

Un un se laissa choir
Astrologue jour
Au fond d'un On lui dit : « Pauvre
puits. bête,
Tandis à tes tu peux voir,
qu'à peine pieds
Penses-tu lire au-dessus de ta tête? »

Cette aventure en soi, sans aller plus avant,


Peut servir de à la des hommes.
leçon plupart
LIVRE SECOND. 10:>

Parmi ce de sur la terre nous


que gens sommes,
Il en est fort souvent
peu qui
Ne se plaisent d'entendre dire

Qu'au livre du Destin les mortels lire.


peuvent
Mais ce livre, et les siens ont
qu'Homère chanté,

Qu'est-ce, le Hasard
que parmi l'antiquité,
Et nous, la Providence?
parmi

Or, du hasard il n'est de science :


point
S'il en étoit, on auroit tort

De hasard, ni ni
l'appeler fortune, sort;
Toutes choses très-incertaines.

Quant aux volontés souveraines

De Celui fait tout, et rien


qui qu'avec dessein,

Qui les sait, lui seul ? Comment lire en son sein ?


que
Auroit-il sur le front des étoiles
imprimé
Ce la nuit des enferme dans ses voiles ?
que temps
A utilité? Pour
quelle exercer
l'esprit
De ceux de la et du ont écrit?
qui sphère globe
Pour nous faire éviter des maux inévitables?

Nous rendre, dans les biens, de


plaisirs incapables?

Et, causant du ces biens


dégoût pour prévenus,
Les convertir en maux devant soient venus?
qu'ils
C'est erreur, ou c'est crime de le croire.
plutôt
Le firmament se meut, les autres font leur cours,
Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les sa clarté succède à l'ombre
jours noire,
Sans nous en autre chose
que puissions inférer,

Que la nécessité de luire et d'éclairer


106 FABLES DE LA FONT AUNE.

D'amener les saisons, de mûrir les semences,

De verser sur les certaines influences.


corps
Du en au sort divers
reste, quoi répond toujours
Ce train
i, ,,,ii n to-ui
toujours e
égal dont marche l'U nivers?

Charlatans, faiseurs d'horoscope,

Quittez les cours des de l'Europe :


princes
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un
temps;
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.

Je un revenons à l'histoire
m'emporte peu trop :
De ce fut contraint de boire.
spéculateur qui
Outre la vanité de son art mensonger,
C'est de ceux bâillent aux chimères,
l'image qui
sont en danger,
Cependant qu'ils
Soit eux. soit pour leurs affaires.
pour
LIVRE SECOND. 107

FABLE XIV.

LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES.

Un Lièvre en son gîte :


songeoit

(Car que faire en un à moins l'on ne


gîte, que songe? )
Dans un ennui ce Lièvre se :
profond plongeoit,
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
« Les de naturel
gens peureux

Sont, disoit-il, bien malheureux!

Ils ne sauroient morceau leur


manger qui profite :
108 FABLES DE LA FONTAINE.

Jamais un toujours assauts divers.


plaisir pur;
Voilà comme vis : cette crainte maudite
je
de dormir sinon les yeux ouverts.
M'empêche
- dira cervelle.
Corrigez-vous, quelque sage
— Eh! la se
peur corrige-t-elle?
Je crois bonne foi
même qu'en
Les hommes ont comme moi. »
peur
Ainsi résonnait notre Lièvre,

Et faisoit le guet.
cependant
Il étoit douteux, inquiet :
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnoit la fièvre.

Le
mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un bruit : ce lui fut un signal


léger
Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla sur le bord d'un étang :


passer
Grenouilles aussitôt; de sauter dans les ondes;

Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.


« ()h! fais faire autant
dit-il, j'en

Qu'on m'en fait faire! Ma présence


aussi les mets l'alarme au camp!
Effraye gens! je
Et d'olt me vient cette vaillance ?

Comment! des tremblent devant moi!


animaux qui
Je suis donc un foudre de guerre!
Il n'est, je le vois bien, si sur la terre
poltron

Qui ne trouver un soi. »


puisse plus poltron que
I.E T,I ÈVRE ET LES GKKSOUI
T.T.ES
LIVRE SECOND. 111

FABLE XV.

LE COQ ET LE RENARD.

Sur la branche d'un arbre étoit en sentinelle


Un vieux adroit et matois.
Coq
«
Frère, dit un Renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes en
plus querelle :
Paix cette fois.
générale
Je viens te
l'annoncer; descends, que je t'embrasse :
Ne me de
retarde point, grâce;
112 FABLES DE LA FONTAINE.

Je dois faire postes sans


aujourd'hui vingt manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires;
Nous vous servirons en frères.
y
Faites-en les feux dès ce soir.

Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.

— Ami, reprit le je ne jamais


Coq, pouvois
A une douce et meilleure nouvelle
pprendre plus

Que celle

De cette paix;
Et ce m'est une double joie
De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,

Qui, je m'assure, sont courriers

Que pour ce sujet en envoie :

Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.

Je descends : nous pourrons nous entre-baiser tous.

— Adieu, dit le Renard; ma traite est à faire :


longue
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire

Une autre fois. » Le .aussitôt


galand
Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème;
Et notre vieux en soi-même
coq
Se mit à rire de sa peur;
Car c'est double de le trompeur.
plaisir tromper
LIVRE SECOND. 113

FABLE XVI.

LE CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE.

L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,

Un corbeau, témoin de l'affaire,


Et plus foible de reins, mais non moins
pas glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du
troupeau,

Marque entre cent moutons le le beau,


plus gras, plus
Un vrai mouton de sacrifice :

8
114 FABLES DE LA FONTAINE.

On l'avoit réservé la bouclie des Dieux.


pour
Gaillard Corbeau disoit, en le couvant des yeux :
« Je ne sais fut ta nourrice;
qui
Mais ton corps me paroît en merveilleux état :

Tu me serviras de «
pâture.
Sur l'animal bêlant à ces mots il s'abat.

La moutonnière créature

Pesoit plus outre que sa toison


qu'un fromage ;
Étoit d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à de la même
peu près façon
la barbe de
Que Polyphème.
Elle empêtra si bien les serres du Corbeau,

Que le pauvre animal ne put faire retraite :

Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau,

Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.

Il faut se mesurer; la conséquence est nette :

Mal aux volereaux de faire les voleurs.


prend
est un leurre :
L'exemple dangereux
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs;
Où la a le moucheron demeure.
guêpe passé,
LIVRE SECOND. 115

FABLE XVIJ.

LE PAON SE PLAIGNANT A JUNON.

Le Paon se à Junon.
plaignoit
«
Déesse, disoit-il, ce n'est pas sans raison

Que je me plains, je murmure :


que
Le chant dont vous m'avez fait don

à toute la nature ;
Déplaît
Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,
110 FABLES DE LA FONTAINE.

Est lui seul l'honneur du «


printemps.
Junon répondit en colère :
« Oiseau et devrois te taire,
jaloux, qui
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
Toi l'on voit à l'entour de ton col
que porter
Un arc-en-ciel nue de cent sortes de soies;

Qui te panades, qui déploies


Une si riche et semble à nos yeux
queue qui
La d'un lapidaire?
boutique
Est-il quelque oiseau sous les cieux

Plus que toi capable de plaire?


Tout animal n'a pas toutes
propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités :
Les uns ont la et la force en partage;
grandeur
Le faucon est léger, l'aigle plein de courage;
Le corbeau sert pour le présage ;
La corneille avertit des malheurs à venir;
Tous sont contents de leur ramage.
Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir,
Je t'ôterai ton »
plumage.
r Kp\01V SE ri. UliNANT
A.7 T'AON.
LIVRE SECOND. 119

FABLE XVIII.

LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME.

Un homme chérissoit sa Chatte;


éperdument
11 la trouvoit et belle, et délicate,
mignonne,

Qui miauloit d'un ton fort doux :

Il étoit plus fou les fous.


que
Cet homme donc, par prières, larmes,
par
Par et
sortiléges par charmes,
Fait tant obtient du Destin,
qu'il
120 FABLES DE LA FONTAINE.

Que sa Chatte, en un beau matin,


Devient femme; et, le matin même,
Maître sot en fait sa moitié.

Le voilà fou d'amour extrême,


De fou qu'il étoit d'amitié.

Jamais la dame la plus belle

Ne charma tant son favori

Que fait cette épouse nouvelle

Son hypocondre de mari.

Il l'amadoue, elle le flatte;


Il trouve plus rien de chatte,
n'y

Et, poussant l'erreur jusqu'au bout,


La croit femme en tout et partout;

quelques souris qui rougeoient de la natte


Lorsque
Troublèrent le des nouveaux mariés.
plaisir
Aussitôt la femme est sur pieds.
Elle manqua son aventure.

Souris de revenir, femme d'être en posture :


Pour cette fois elle accourut à
point;

Car, ayant changé de figure,


Les souris ne la point.
craignoient
Ce lui fut toujours une amorce :

Tant le naturel a de force!

Il se moque de tout, certain âge accompli.


Le vase est imbibé : l'étoffe a son pli,
pris
En vain de son train ordinaire

On le veut désaccoutumer :

Quelque chose qu'on puisse faire,


LIVRE SECOND. 121

On ne sauroit le réformer.

Coups de fourche ni d'étrivières

Ne lui font de
changer manières-
Et fussiez-vous embàtonnés,
Jamais vous n'en serez les maîtres.

Qu'on lui ferme la au


porte nez,
Il reviendra les fenêtres.
par
122 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIX.

LE LION ET L'ANE CHASSANTS.

Le Roi des animaux se mit un jour en tête

De : il célébroit sa fête.
giboyer
Le du Lion, ce ne sont pas moineaux,
gibier
Mais beaux et bons daims et cerfs bons et beaux.
sangliers,
Pour réussir dans cette affaire,

Il se servit du ministère

De l'Ane à la voix de Stentor.


LIVRE SECOND. 123

L'Ane à messer Lion fit office de cor.

Le Lion le le couvrit de
posta, ramée,
Lui commanda de braire, ce son
assuré qu'à
Les moins intimidés fuiroient de leur maison.

Leur troupe n'étoit pas encore accoutumée

A la tempête de sa voix;
L'air en retentissoit d'un bruit épouvantable :
La frayeur saisissoit les hôtes de ces bois;
Tous fuyoient, tous tomboient au inévitable
piège
Où les attendoit le Lion.
cc
N'ai-je pas bien servi dans cette occasion ?

Dit l'Ane, en se donnant tout l'honneur de la chasse.


— le c'est bravement crié :
Oui, reprit Lion,
Si ne connoissois ta personne et ta race,
je
J'en serois moi-même »
effrayé.

L'Ane, s'il eût osé, se fût mis en colère,


Encor le raillât avec juste raison;
qu'on
Car qui pourroit souffrir un âne fanfaron?

Ce n'est pas là leur caractère.


124 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XX.

TESTAMENT EXPLIQUÉ PAR ÉSOPE.

Si ce qu'on dit d'Esope est vrai,

C'étoit l'oracle de la Grèce :

Lui seul avoit plus de sagesse


tout En voici pour essai
Que l'Aréopage.
Une histoire des plus gentilles,
Et plaire au lecteur.
qui pourra
LIVRE SECOND. 125

Un certain homme avoit trois filles,


Toutes trois de contraire humeur :

Une buveuse, une coquette,


La troisième, avare parfaite.
Cet homme, par son testament,
Selon les lois municipales,
Leur laissa tout son bien par portions égales,
En donnant à leur mère tant,

Payable quand chacune d'elles

Ne posséderoit sa
plus contingente part.
Le père mort, les trois femelles

Courent au testament, sans attendre tard.


plus
On le lit, on tâche d'entendre

La volonté du testateur;
Mais en vain : car comment comprendre

Qu'aussitôt que chacune sœur

Ne sa
possédera plus part héréditaire,
Il lui faudra sa mère?
payer
Ce n'est pas un fort bon moyen
Pour payer, d'être sans bien.
que

Que vouloit donc dire le père?


L'affaire est consultée; et tous les avocats,

Après avoir tourné le cas

En cent et cent mille manières,


Y leur se
jettent bonnet, confessent vaincus,
Et conseillent aux héritières

De partager le bien sans au


songer surplus.
« la
Quant à la somme de veuve,
126 FABLES DE LA F ONT AUNE.

Voici, leur dirent-ils, ce le conseil treuve :


que
Il taut sœur se traité
que chaque charge par
Du tiers à
payable volonté;
Si mieux n'aime la mère en créer une rente,
Dès le décès du mort courante. «

La chose ainsi on trois lots :


réglée, composa
En l'un les maisons de bouteille,
Les buffets dressés sous la treille,
La vaisselle les cuvettes, les brocs,
d'argent,
Les magasins de Malvoisie,
Les esclaves de bouche, et, dire en deux
pour mots,
L'attirail de la goinfrerie;
Dans un autre; celui de la
coquetterie,
La maison de la ville, et les meubles exquis,
Les et les coiffeuses,
eunuclues
Et les brodeuses,
Les joyaux, les robes de prix;
Dans le troisième les le
lot, fermes, ménage,
Les et le
troupeaux pâturage,
Valets et bêtes de labeur.

Ces lots faits, on jugea le sort pourroit faire


que

Que peut-être pas une sœur

N'auroit ce lui plaire.


qui pourroit
Ainsi chacune prit son inclination,
Le tout à l'estimation.

Ce fut dans la ville d'Athènes

Que cette rencontre arriva.

Petits et grands, tout approuva


LIVRE SECOND. 127

Le partage et le choix : seul trouva


Ésope

Qu'après bien du temps et des peines


Les gens avoient pris justement
Le du testament.
contre-pied
« Si le défunt vivoit, disoit-il, que l'Attique
Auroit de de lui !
reproches
Comment! ce peuple, se
qui pique
D'être le subtil des
plus peuples d'aujourd'hui,
A si mal entendu la volonté suprême
D'un testateur ! »
Ayant ainsi parlé,
Il fait le
partage lui-même,
Et donne à sœur un lot contre son
chaque gré;
Rien qui put être convenable,
Partant rien aux sœurs d'agréable :
A la coquette, l'attirail

Qui suit les buveuses;


personnes
La biberonne eut le bétail;
La eut les coiffeuses.
ménagère
Tel fut
l'avis du Phrygien,

Alléguant qu'il n'étoit moyen


Plus sûr pour obliger ces filles

A se défaire de leur bien ;

Qu'elles se marieroient dans les Bonnes familles

Quand on leur verroit de l'argent;


Paieroient leur mère tout comptant;
Ne posséderoient les effets de leur
plus père :
Ce que disoit le testament.
Le s'étonna comme il se faire
peuple pouvoit
128 FABLES DE LA FONTAINE.

Qu'un homme seul eût plus de sens

Qu'une multitude de gens.

FIN DU LIVRE SECOND


LIVRE TROISIÈME

9
LIVRE TROISIÈME. 131

,
FABLE PREMIÈRE.

LE MEUNIER, SON FILS ET L'ANE.

A M. DE MAUCROIX.

L'invention des arts étant un droit d'aînesse,


Nous devons à l'ancienne Grèce :
l'apologue
Mais ce ne se tellement moissonner
champ peut
les derniers venus trouvent à
Que n'y glaner.
132 FABLES DE LA FONTAINE.

La feinte est un pays plein de terres désertes ;


Tous les jours nos auteurs font des découvertes.
y
Je t'en veux dire un trait assez bien inventé :

Autrefois à Racan Malherbe l'a conté.

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,

d'Apollon, nos maîtres, mieux dire,


Disciples pour
Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins

(Comme ils se confioient leurs pensers et leurs soins),


commence ainsi : «
Racan Dites-moi, je vous prie,
Vous qui devez savoir les choses de la vie,

Qui par tous ses degrés avez déjà passé,


Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé,
A me Il est
quoi résoudrai-je? temps que j'y pense.
Vous connoissez mon bien, mon talent, ma naissance :

Dois-je dans la province établir mon séjour,


Prendre emploi dans l'armée, ou bien à la cour?
charge
Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes :

La a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes.


guerre
Si suivois mon je saurois où buter,
je goût,
Mais les miens, la cour, le à contenter. »
j'ai peuple
Malherbe là-dessus : « Contenter tout le monde !

Ecoutez ce récit avant que je réponde.

J'ai lu dans quelque endroit Meunier et son Fils,


qu'un
L'un vieillard, l'autre non des
enfant, pas plus petits,
Mais de si bonne
garçon quinze ans, j'ai mémoire,
Alloient vendre leur Ane un certain jour de foire.

Afin fût plus frais et de meilleur débit,


qu'il
î,E MEUNIER, SON FILS ET (/ANE.
LIVRE TROISIÈME. 135

On lui lia les on vous le


pieds, suspendit ;
Puis cet homme et son fils le comme un lustre.
portent
Pauvres idiots ! et rustre!
gens ! couple ignorant
Le les vit de rire s'éclata :
premier qui
«
Quelle farce, dit-il, vont jouer ces
gens-là?
Le âne des trois n'est celui »
plus pas qu'on pense.
Le Meunier, à ces mots, connoit son ignorance;
Il met sur sa et la fait détaler.
pied bête,

L'Ane, qui fort l'autre façon d'aller,


goûtoit
Se dans son Le Meunier n'en a
plaint patois. cure;
Il fait monter son il suit :
fils, et, d'aventure,

Passent trois bons marchands. Cet leur


objet déplut.
Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put :
« Oh là ! oh ! l'on ne vous le
descendez, que dise,

Jeune homme, menez à barbe


qui laquais grise !

C'étoit à vous de suivre, au vieillard de monter.

— dit le il vous faut contenter. »


Messieurs, Meunier,

L'enfant met à terre, et le vieillard monte;


pied puis

Quand trois filles l'une dit : * C'est


passant, grand'honte

Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils,

Tandis ce comme un assis,


que nigaud, évêque
Fait le veau sur son Ane, et pense être bien
sage.
- Il dit le de veaux à mon
n'est, Meunier, plus âge :

Passez votre la fille, et m'en »


chemin, croyez.

maints sur
Après quolibets coup coup renvoyés,

L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe.

Au bout de trente une troisième troupe


pas,
Trouve encore à L'un dit : « Ces sont fous!
gloser. gens
136 FABLES DE LA FONTAINE.

Le Baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups.


Eh charger ainsi cette pauvre bourrique !
quoi !
N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ?
Sans doute la foire ils vont vendre sa peau.
qu'à
— Parbleu ! dit le est bien fou du cerveau
Meunier,

Qui prétend contenter tout le monde et son père.


toutefois si manière
Essayons par quelque
Nous en viendrons à bout. » Ils descendent tous deux.

L'Ane se marche seul devant eux.


prélassant
Un les rencontre, et dit : (c Est-ce la mode
quidam

Que Baudet aille à l'aise, et Meunier s'incommode ?

Qui de l'Ane ou du Maître est fait pour se lasser?

Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.

Ils usent leurs souliers, et conservent leur Ane!

Nicolas, au rebours : car, il va voir Jeanne,


quand
Il monte sur sa bête ; et la chanson le dit.

Beau trio de baudets! » Le Meunier repartit :


« Je suis il
âne, est vrai, j'en conviens, je l'avoue;
Mais dorénavant on me blâme, on me loue,
que

Qu'on dise chose ou ne dise rien.


quelque qu'on
J'en veux faire à ma tête. ) Il le fit, et fit bien.

Quant à vous, suivez ou ou le


Mars, l'Amour, Prince;

Allez, venez, courez; demeurez en province;


Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement :
Les en parleront, n'en doutez nullement. »
gens
LIVRE TROISIÈME. 137

FABLE II.

LES MEMBRES ET L'ESTOMAC.

Je devois la royauté
par

Avoir commencé mon


ouvrage :
A la voir d'un certain côté,

Messer Gaster en est l'image;


S'il a besoin, tout le s'en ressent.
quelque corps

De travailler lui les membres se lassant,


pour
138 FABLES DE LA FONTAINE.

Chacun d'eux résolut de vivre en


gentilhomme,
Sans rien faire, l'exemple de Gaster.
alléguant
« Il sans nous vécût d'air.
faudroit, disoient-ils, qu'il
Nous suons, nous peinons comme bêtes de somme ;

Et pour pour lui seul : nous n'en profitons pas ;


qui ?
Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas.

Chômons, c'est un métier veut nous faire »


qu'il apprendre.
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras les jambes de marcher :
d'agir,
Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher.

Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent :


Bientôt les tombèrent en
pauvres gens langueur;
Il ne se forma plus de nouveau au cœur;
sang
membre en les forces se
Chaque souffrit ; perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent

oisif et
Que celui qu'ils croyoient paresseux,
A l'intérêt commun contribuoit plus qu'eux.

Ceci peut s'appliquer à la grandeur royale.


Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille et
pour elle, réciproquement
Tout tire d'elle l'aliment.

Elle fait subsister l'artisan de ses peines,


Enrichit le le
marchand, gage magistrat,
Maintient le donne au
laboureur, paie soldat,
Distribue en cent lieux ses souveraines,
grâces
Entretient seule tout l'État.

Ménénius le sut bien dire.


LIVRE TROISIÈME. 139

La commune s'alloit séparer du sénat.

Les mécontents disoient qu'il a voit tout l'empire,


Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la
dignité;
Au lieu que tout le mal étoit de leur côté,
Les tributs, les les de
impôts, fatigues guerre.
Le peuple hors des murs étoit déjà posté,
La s'en alloient chercher une autre terre,
plupart

Quand Ménénius leur fit voir

Qu'ils étoient aux membres semblables,


Et par cet apologue, entre les fables,
insigne
Les ramena dans leur devoir.
J40 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE III.

LE LOUP DEVENU BERGER.

Un d'avoir
Loup, qui commencoit petite part
Aux brebis de son voisinage,
Crut qu'il falloit s'aider de la du
peau renard,
Et faire un nouveau personnage.
Il s'habille en endosse un
berger, hoqueton,
Fait sa houlette d'un bâton,
Sans oublier la cornemuse.
LE LOUP lJEVEl'\U UEllGEll.
LIVRE TROISIÈME. 143

Pour pousser jusqu'au bout la ruse,

Il auroit volontiers écrit sur son chapeau :


« C'est moi suis de ce »
qui Guillot, berger troupeau.

Sa personne étant ainsi faite,

Et ses pieds de devant posés sur sa houlette ,

Guillot le doucement.
sycophante approche

Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,

Dormoit alors profondément :


Son chien dormoit comme aussi sa musette ;
aussi,
La des brebis dormoient
plupart pareillement.

L'hypocrite les laissa faire ;

Et pour pouvoir mener vers son fort les brebis,

Il voulut la aux habits,


ajouter parole
Chose croyoit nécessaire.
qu'il
Mais cela son affaire :
gâta
Il ne du contrefaire la voix.
put pasteur
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,

Les le le
brebis, chien, garçon.
Le dans cet esclandre,
pauvre Loup,

son hoqueton,
Empêché par

Ne ni fuir ni se défendre.
put

endroit fourbes se laissent


Toujours par quelque prendre.

Quiconque est loup agisse en loup;


certain de
C'est le plus beaucoup.
144 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IV.

LES GRENOUILLES DEMANDENT UN ROI.


QUI

Les Grenouilles, se lassant

De l'état démocratique ,
Par leurs clameurs firent tant

les soumit au
Que Jupin pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un Roi tout
pacifique :
Ce Roi fit toutefois un tel bruit en tombant,
la
Que gent marécageuse,
LES GRt NOUi LI. KS QUI 1)EM.IKUESIUNR OI.
10
LIVRE TROISIÈME. 147

Gent fort sotte et fort peureuse,


S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,
Dans les trous du
marécage,
Sans oser de longtem ps regarder au visage
Celui qu'elles croyoient être un nouveau.
géant
Or c'étoit un soliveau,
De la fit à la
qui gravité peur première

Qui, de le voir s'aventurant,


Osa bien quitter sa tanière.

Elle approcha, mais en tremblant :

Une autre la suivit, une autre en fit autant :

Il en vint une fourmilière;


Et leur troupe à la fin se rendit familière

Jusqu'à sauter sur l'épaule du Roi.

Le bon Sire le souffre, et se tient toujours coi.

Jupin en a bientôt la cervelle rompue :


« »
Donnez-nous, dit ce peuple, un Roi qui se remue !
Le des Dieux leur envoie une
Monarque Grue,

Qui les croque, qui les tue,

Qui les gobe à son plaisir;


Et Grenouilles de se
plaindre,
Et de leur dire : « Eh votre désir
Jupin quoi!
A ses lois croit-il nous astreindre ?

Vous auriez dû
premièrement
Garder votre gouvernement;

Mais, ne l'ayant fait, il vous devoit suffire


pas

Que votre Roi fût débonnaire et doux :


premier
148 FABLES DE LA FONTAINE.

De celui-ci contentez-vous,

De d'en rencontrer un «
peur pire.
LIVRE TROISIÈME. 149

FABLE Y.

LE RENARD ET LE BOUC.

Renard alloit de
Capitaine compagnie
Avec son ami Bouc des plus haut encornés :

Celui-ci ne voyoit pas loin son nez;


plus que
L'autre étoit maître en fait de
passé tromperie.
La soif les descendre en un
obligea de puits :
Là chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,


150 FABLES DE LA FONTAINE.

Le Renard dit au Bouc : «


Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.

Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi;


Mets-les contre le mur : le long de ton échine

Je
grimperai premièrement;
Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,

De ce lieu-ci je sortirai,

Après je t'en tirerai.


quoi
- Par ma dit il est et loue
barbe, l'autre, bon; je
Les bien sensés comme toi.
gens
Je n'aurois à moi,
jamais, quant
Trouvé ce secret, l'avoue. »
je
Le Renard sort du puits, laisse son
compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon

Pour l'exhorter à
patience.
« Si le ciel t'eût, donné excellence
dit-il, par
Autant de de barbe au
jugement que menton,
Tu n'aurois pas, à la légère,
Descendu dans ce puits. Or, adieu; j'en suis hors :

Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;

Car, pour moi, j'ai certaine affaire

Qui ne me d'arrêter en chemin. «


permet pas

En toute chose il faut considérer la fin.


LIVRE TROISIEME. 151

FABLE VI.

L'AIGLE, LA LAIE ET LA CHATTE.

L'Aigle avoit ses petits au haut d'un arbre creux,


La Laie au pied, la Chatte entre les deux,
Et sans ce
s'incommoder, moyennant partage,
Mères et nourrissons faisoient leur tripotage.
La Chatte détruisit par sa fourbe l'accord ;
Elle chez et lui dit : « Notre mort
grimpa l'Aigle,

(Au moins de nos enfants, car c'est tout un aux mères)


152 FABLES DE LA FONTAINE.

Ne tardera possible guères.

Voyez-vous à nos pieds fouir incessamment

Cette maudite Laie, et creuser une mine?

C'est pour déraciner le chêne assurément,


Et de nos nourrissons attirer la ruine :

L'arbre tombant, ils seront dévorés;

Qu'ils s'en tiennent pour assurés.

S'il m'en restoit un seul, ma »


j'adoucirois plainte.
Au de ce lieu, remplit de crainte,
partir qu'elle
La perfide descend tout droit

A l'endroit

Où la Laie étoit en gésine.


« Ma bonne amie et ma voi sine,

Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis :

si vous sortez , fondra sur vos petits.


L'Aigle,
de n'en rien dire;
Obligez-moi
Son courroux tomberoit sur moi. »

Dans cette autre famille ayant semé l'effroi,

La Chatte en son trou se retire.

n'ose ni aux besoins


L'Aigle sortir, pourvoir
De ses la Laie encore moins :
petits;
Sottes de ne voir que le plus grand des soins
pas
Ce doit être celui d'éviter la famine.

A demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine,

Pour secourir les siens dedans l'occasion :

L'oiseau royal, en cas de mine;

La Laie, en cas d'irruption.

La faim détruisit tout; il ne resta personne


LIVRE TROISIÈME. 153

De la marcassine et de la
gent gent aiglonne

Qui n'allât de vie à trépas :


Grand renfort pour messieurs les Chats.

Que ne sait point ourdir une traîtresse


langue
Par sa adresse!
pernicieuse
Des malheurs sont sortis
qui
De la boite de Pandore,
Celui meilleur droit tout l'Univers abhorre,
qu'à
C'est la fourbe, à mon avis.
154 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE V II.

L'IVROGNE ET SA FEMME.

Chacun a son défaut, où toujours il revient :

Honte ni peur remédie.


n'y
Sur ce d'un conte il me souvient :
propos,
Je ne dis rien que je n'appuie
De Un de Bacchus
quelque exemple. suppôt
Altéroit sa santé, son esprit et sa bourse :

Telles n'ont pas fait la moitié de leur course


gens
LIVRE TROISIÈME. 155

Qu'ils sont au bout de leurs écus.

Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,


Avoit laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.

Là, les vapeurs du vin nouveau

Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve

L'attirail de la mort à l'en tour de son corps,


Un luminaire, un drap des morts.
« Oh! ceci? Ma femme est-elle veuve? »
dit-il, qu'est

Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton,

Masquée, et de sa voix contrefaisant le ton,


Vient au prétendu mort, de sa bière,
approche
Lui présente un chaudeau Lucifer.
propre pour

L'époux alors ne doute en aucune manière

Qu'il ne soit citoyen d'enfer.


«
es-tu? dit-il à ce fantôme.
Quelle personne
- La cellerière du
royaume
De et à
Satan, reprit-elle; je porte manger
A ceux la tombe noire. »
qu'enclôt
Le mari sans
repart, songer :
« Tu ne leur à boire? »
portes point
156 LIVHE TROISIÈME.

FABLE VIII.

LA GOUTTE ET L'ARAIGNÉE.

Quand l'Enfer eut produit la Goutte et


l'Araignée,
« Mes leur vous vous vanter
filles, dit-il, pouvez
D'être pour l'humaine lignée
à redouter.
Egalement

Or, avisons aux lieux vous faut habiter.


qu'il

Voyez-vous ces cases étrètes,


Et ces si si si bien dorés?
palais grands, beaux,
FABLES DE LA FONTAINE. 157

Je me suis proposé d'en faire vos retraites.

Tenez donc, voici deux bûchettes;

Accommodez-vous, ou tirez.
• -
Il n'est rien, dit l'Aragne, aux cases qui me plaise. »

L'autre, tout au rebours, voyant les palais pleins


De ces nommés médecins,
gens
Ne crut pas y pouvoir demeurer à son aise.

Elle l'autre le
prend lot, y plante piquet,
S'étend à son plaisir sur l'orteil d'un pauvre homme,
Disant : « Je ne crois ce
pas qu'en poste je chomme,
Ni d'en et faire mon
que déloger paquet
Jamais me somme. »
Hippocrate
se en un
L'Aragne cependant campe lambris,
Comme si de ces lieux elle eût fait bail à vie,

Travaille à demeurer : voilà sa toile ourdie,


Voilà des moucherons de pris.
Une servante vient balayer tout l'ouvrage.
Autre toile tissue, autre coup de balai.

Le bestion tous les


pauvre jours déménage.

Enfin, après un vain essai,


Il va trouver la Goutte. Elle étoit en
campagne,
Plus malheureuse mille fois

la malheureuse
Que plus Aragne.
Son hôte la menoit tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer : Goutte bien tracassée

Est, dit-on, à demi pansée.


« Oh! ne saurois dit-elle, résister.
je plus, y
ma sœur » Et l'autre d'écouter :
Changeons, l'Aragne.
158 FABLES DE LA
FONTAINE.

Elle la prend au mot, se en la cabane :


glisse
Point de de balai à
coup qui l'oblige changer.
La Goutte, d'autre va tout droit se loger
part,
Chez un prélat qu'elle condamne
A du lit ne
jamais bouger.

Cataplasmes, Dieu sait! Les gens n'ont point de honte

De faire aller le mal toujours de pis en pis.


L'une et l'autre trouva de la sorte son compte,
Et fit très-sagement de de logis.
changer
LIVRE TROISIÈME. 159

FABLE IX.

LE LOUP ET LA CIGOGNE.

Les
loups mangent gloutonnement.
Un donc étant de frairie
Loup
Se tellement
pressa, dit-on,

Qu'il en pensa perdre la vie :

Un os lui demeura bien avant au gosier.


De bonheur pour ce ne crier,
Loup, qui pouvoit
Près de là une
passe Cigogne.
160 FABLES DE LA FONTAINE.

Il lui fait elle accourt.


signe;
Voilà l'opératrice aussitôt en besogne.
Elle retira l'os; puis, pour. un si bon tour,

Elle demanda son salaire.

« Votre salaire ! dit le Loup :


Vous riez, ma bonne commère!

Quoi ! ce n'est pas encor beaucoup

D'avoir de mon retiré votre cou!


gosier

Allez, vous êtes une ingrate :


Ne tombez sous ma »
jamais patte.
LIVRE TROISIÈME. 161

FABLE X.

LE LION ABATTU PAR L'HOMME.

On une
exposoit peinture
Où l'artisan avoit tracé
Un lion d'immense stature

Par un seul homme terrassé.


Les en tiroient
regardants gloire.
Un Lion en rabattit leur
passant caquet :
« Je vois bien, dit-il, qu'en effet

11
162 FABLES DE LA FONTAINE.

On vous donne ici la victoire :

Mais l'ouvrier vous a déçus ;


Il avoit liberté de feindre.

Avec plus de raison nous aurions le dessus,

Si mes confrères sa voient »


peindre.
LE RENARDET LES RAISINS
LIVRE TROISIÈME. 16-5

FABLE XI.

LE RENARD ET LES RAISINS.

Certain Renard gascon, d'autres disent normand,


Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille

Des raisins mûrs apparemment,


Et couverts d'une peau vermeille.

Le galand en eût fait volontiers un


repas ;
Mais comme il n'y pouvoit atteindre :
« Ils sont et bons des »
trop verts, dit-il, pour goujats.

Fit-il pas mieux que de se plaindre ?


1'66 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XII.

LE CYGNE ET LE CUISINIER.

Dans une ménagerie


De volatiles remplie
Vivoient le et l'Oison :
Cygne
Celui-là destiné pour les regards du maître ;

Celui-ci, pour son goût : l'un qui se piquoit d'être

Commensal du l'autre, de la maison.


jardin ;

Des fossés du château faisant leurs galeries,

Tantôt on les eût vus cote à cote


nager,
LIVRE TROISIÈME. i67

Tantôt courir sur et tantôt se


l'onde, plonger,
Sans satisfaire à leurs vaines envies.
pouvoir
Un jour le Cuisinier, ayant trop bu d'un coup,
Prit pour oison le Cygne ; et le tenant au cou,
Il alloit le mettre en
l'égorger, puis potage.
à se en son
L'oiseau, prêt mourir, plaint ramage.
Le Cuisinier fut fort surpris,
Et vit bien s'étoit mépris.
qu'il
« un tel chanteur en
Quoi ! je mettrois, dit-il, soupe !

Non, non, ne plaise aux Dieux ma main


que jamais coupe
La à s'en sert si bien ! «
gorge qui

Ainsi dans les nous suivent en


dangers qui croupe
Le doux parler ne nuit de rien.
1()S FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIII.

LES LOUPS ET LES BREBIS.

Après mille ans et plus de déclarée,


guerre
Les firent la les Brebis.
Loups paix avecque
C'étoit apparemment le bien des deux partis :

Car, si les mangeoient mainte bête égarée,


Loups
Les de leur peau se faisoient maints habits
bergers
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,
Ni d'autre part pour les
carnages :
LES LOUPSET LES BREBIS.
LIVRE TROISIÈME. 171

Ils ne pouvoient jouir qu'en tremblant de leurs biens.

La paix se conclut donc : on donne des otages ;


Les Loups, leurs louveteaux; et les Brebis, leurs chiens.

en étant fait aux formes ordinaires,


L'échange
Et des
réglé par commissaires,
Au bout de quelque temps que messieurs les louvats

Se virent Loups parfaits et friands de tuerie,


Ils vous le dans la
prennent temps que bergerie
Messieurs les bergers n'étoient pas,

Etranglent la moitié des agneaux les plus gras,


Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.

Ils avoient averti leurs secrètement.


gens
Les chiens, qui, sur leur foi, reposoient sûrement,
Furent étranglés en dormant :

Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent.

Tout fut mis en morceaux ; un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchants continuelle.


guerre
La paix est fort bonne de soi,
J'en conviens : mais de quoi sert-elle

Avec des ennemis sans foi ?


172 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIV.

LE LION DEVENU VIEUX.

Le Lion, terreur des forêts,

d'ans et pleurant son antique prouesse,


Chargé
Fut par ses propres sujets,
enfin attaqué
Devenus forts par sa foiblesse.

Le Cheval lui donne un de


s'approchant coup pied ;

Le un de dent ; le Bœuf, un de corne.


Loup, coup coup

Le malheureux Lion, languissant, triste, et morne,


LIVRE TROISIÈME. 173

Peut à
peine rugir, par l'âge estropié.
Il attend son destin, sans faire aucunes plaintes ;

Quand l'Ane même à son antre accourir :


voyant
« Ah1 c'est lui voulois bien
trop, dit-il; je mourir;

Mais c'est mourir deux fois souffrir tes atteintes. »


que
174 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XV.

PHILOMÈLE ET PROGNÉ.

Autrefois Progné l'hirondelle


De sa demeure s'écarta,
Et loin des villes s'emporta
Dans un bois où chantoit la Philomèle.
pauvre
« Ma lui dit comment vous ?
sœur, Progné, portez-vous
Voici tantôt mille ans l'on ne vous a vue :
que
Je ne me souviens point vous venue,
que soyez
ET FROGNÉ.
PIîXLOMÈLE
LIVRE TROISIÈME 177

le de habiter nous.
Depuis temps Thrace, parmi

Dites-moi, que pensez-vous faire?

Ne ce solitaire?
quitterez-vous point séjour
— Ah! »
reprit Philomèle, en est-il de plus doux ?

lui « Eh cette
Progné repartit : quoi ! musique,
Pour ne chanter
qu'aux animaux,
Tout au à
plus quelque rustique !
Le désert est-il fait des talents si beaux ?
pour
Venez faire aux cités éclater leurs merveilles.

Aussi bien, en les bois,


voyant
Sans cesse il vous souvient Térée autrefois,
que
Parmi des demeures pareilles,

Exerça sa fureur sur vos divins appas.


— Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage

Qui fait, reprit sa sœur, je ne vous suis pas :


que
En voyant les hommes, hélas!

Il m'en souvient bien »


davantage.

12
178 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVI.

LA FEMME \OY ÉK.

Je ne suis pas de ceux disent : Ce n'est rien,


qui
C'est une femme se noie.
qui
Je dis c'est et ce sexe vaut bien
que beaucoup;

Que nous le regrettions, fait notre joie.


puisqu'il
Ce que j'avance ici n'est hors de
point propos,
en cette fable,
Puisqu'il s'agit,
D'une femme dans les flots
qui
LIVRE TROISIÈME. 170

Avoit fini ses jours un sort


par déplorable.
Son époux en cherchoit le corps
Pour lui rendre, en cette aventure,
Les honneurs de la sépulture.
Il arriva que, sur les bords

Du auteur de sa
fleuve disgrâce,
Des se
gens promenoient ignorant l'accident.

Ce mari donc leur demandant

S'ils n'avoient de sa femme nulle trace :


aperçu
«
Nulle, reprit l'un d'eux ; mais cherchez-la bas :
plus
Suivez le fil de la rivière. »

Un autre « ne
repartit : Non, le suivez pas;
Rebroussez plutôt en arrière :

Quelle que soit la pente et l'inclination

Dont l'eau sa course


par l'emporte,

L'esprit de contradiction

L'aura fait flotter d'autre sorte. »

Cet homme se railloit assez hors de saison.

Quant à l'humeur contredisante,


Je ne sais s'il avoit raison;
Mais cette humeur soit ou non
que
Le défaut du sexe et sa
pente,

Quiconque avec elle naîtra

Sans faute avec elle mourra,


Et bout
jusqu'au contredira,

Et, s'il peut, encor par-delà.


180 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVII.

LA BELETTE ENTRÉE DANS UN RENIER.

Damoiselle Belette, au corps long et flouet,


Entra dans un un trou fort étroit :
grenier par
Elle sortoit de maladie.

vivant à
Là, discrétion,
La galande fit chère lie,

Mangea, rongea : Dieu sait la vie,


Et le lard qui périt en cette occasion !
LIVRE TROISIÈME. 181

La voilà, pour conclusion,

Grasse, maflue, et rebondie.


Au bout de la semaine, dîné son
ayant sou,
Elle entend bruit, veut sortir le
quelque par trou,
Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise.

Après avoir fait quelques tours,


«
C'est, dit-elle, l'endroit : me voilà bien surprise;
J'ai passé par ici »
depuis cinq ou six jours.
Un rat, la en
qui voyoit peine,
Lui dit : « Vous aviez lors la un moins
panse peu pleine.
Vous êtes entrée, il faut sortir.
maigre maigre
Ce je vous dis là, l'on le dit à bien
que d'autres ;
Mais ne confondons point, par trop approfondir,
Leurs affaires avec les vôtres. »
182 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVIII.

LE CHAT ET LE VIEUX RAT.

J'ai lu chez un conteur de fables,

second Rodilard, l'Alexandre des Chats,


Qu'un

L'Attila, le fléau des Rats,

Rendoit ces derniers misérables;

J'ai lu, dis-je, en certain auteur,

Que ce Chat exterminateur,

Vrai Cerbère, étoit craint une lieue à la ronde :


LF. CHAT ET J.E VIT.I X. RAT.
LIVRE TROISIÈME. 185

Il vouloit de souris dépeupler tout le monde.

Les suspend sur un appui,


planches qu'on léger
La mort-aux-rats, les souricières,

N'étoient jeux auprès de lui.


que
Comme il voit que dans leurs tanières

Les souris étoient prisonnières,

Qu'elles n'osoient sortir, qu'il avoit beau chercher,


Le galand fait le mort, et du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas : la bête scélérate

A de certains cordons se tenoit par la patte.


Le peuple des souris croit que c'est châtiment,
a fait un larcin de rôt ou de
Qu'il fromage,

Egratigné quelqu'un, causé quelque dommage,


a le mauvais
Enfin, qu'on pendu garnement.

Toutes, dis-je, unanimement,


Se de rire à son
promettent enterrement,
Mettent le nez en l'air, montrent un peu la tête,
Puis rentrent dans leurs nids à rats,
Puis ressortant font quatre pas,
Puis enfin se mettent en
quête.
Mais voici bien une autre fête :

Le pendu ressuscite ; et, sur ses pieds tombant,

Attrape les plus paresseuses.


« Nous en savons dit-il en les
plus d'un, gobant :
C'est tour de vieille et vos cavernes creuses
guerre,
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :

Vous viendrez toutes au »


logis.
Il prophétisoit vrai : notre maître Mitis,
186 FABLES DE LA FONTAINE.

Pour la seconde fois, les et les


trompe affine,
Blanchit sa robe et s'enfarine;

Et, de la sorte déguisé,


Se niche et se blottit dans une huche ouverte.
Ce fut à lui bien avisé :

La gent trotte-menu s'en vient chercher sa


perte.
Un Rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour :

C'étoit un vieux routier, il savoit d'un


plus tour;
Même il avoit sa à la bataille.
perdu queue
« Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au des chats :
général
Je soupçonne dessous encor machine :
quelque
Rien ne te sert d'être farine;

Car, quand tu serois sac, je »


n'approcherois pas.
C'étoit bien dit à sa
lui; j'approuve prudence :
Il étoit expérimenté,
Et savoit que la méfiance

Est mère de la sûreté.

FITV nu LIVRETROISIÈME.
LIVRE
QUATRIÈME.
LIVRE QUATRIÈME. 189

FABLE PREMIÈRE.

LE LION AMOUREUX.

A MADEMOISELLE DE SÉVIGNÉ.

Sévigné, de les attraits


qui
Servent aux Grâces de
modèle,
Et toute belle,
qui naquîtes
A votre indifférence près,
Pourriez-vous être favorable

Aux innocents d'une fable,


jeux
190 FABLES DE LA
FONTAINE

Et voir, sans vous épouvanter,


Un Lion qu'Amour sut dompter ?
Amour est un maître !
étrange
Heureux qui peut ne le connoître

Que par récit, lui ni ses coups !

Quand on en parle devant vous,


Si la vérité vous offense,
La fable au moins se peut souffrir :

Celle-ci prend bien l'assurance

De venir à vos s'offrir,


pieds
Par zèle et reconnoissance.
par

Du temps les bêtes parloient,


que
Les lions entre autres vouloient

Etre admis dans notre alliance.

Pourquoi non ? puisque leur engeance


Valoit la notre en ce temps-là,

Ayant courage, intelligence,


Et belle hure outre cela.

Voici comment il en alla :

Un Lion de haut parentage,


En passant dans un certain pré,
Rencontra bergère à son gré :
Il la demande en
mariage.
Le père auroit fort souhaité

Quelque gendre un peu moins terrible.

La donner lui sembloit bien dur :

La refuser n'étoit sûr ;


pas
LE LION AMOUREUX.
LIVRE 193
QUATRIÈME.

Même un refus eût fait, possible,

Qu'on eût vu beau matin


quelque
Un clandestin :
mariage

Car, outre qu'en toute manière

La belle étoit les fiers,


pour gens
Fille se coiffe volontiers

D'amoureux à crinière.
longue
Le père donc ouvertement

N'osant renvoyer notre amant,


Lui dit : « Ma fille est délicate;
Vos la blesser
griffes pourront

Quand vous voudrez la caresser.

Permettez donc patte


qu'à chaque
On vous les et pour les dents,
rogne ;

Qu'on vous les lime en même temps :


Vos baisers en seront moins rudes,
Et pour vous délicieux;
plus
Car ma fille y répondra mieux,
Étant sans ces »
inquiétudes.
Le Lion consent à cela,
Tant son âme étoit aveuglée!
Sans dents ni le voilà,
griffes
Comme place démantelée.

On lâcha sur lui quelques chiens :

Il fit fort peu de résistance.

Amour! Amour! tu nous tiens,


quand
On peut bien dire : Adieu prudence!

13
194 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE II.

LE BERGER ET LA MER.

Du d'un dont il vivoit sans soins,


rapport troupeau,
Se contenta un voisin d'Amphitrite :
longtemps
Si sa fortune étoit petite,
Elle étoit sûre tout au moins.

A la fin, les trésors sur la


déchargés plage
Le tentèrent si bien vendit son
qu'il troupeau,
de l'argent, le mit entier sur l'eau.
Trafiqua
LE BERGERET LA MER.
LIVRE QUATRIÈME. 197

Cet argent périt par naufrage.


Son maître fut réduit à les
garder brebis,
Non plus en chef comme il étoit jadis,
berger

Quand ses moutons paissoient sur le


propres rivage :
Celui s'étoit vu Corydon ou Tircis
qui
Fut Pierrot, et rien davantage.
Au bout de quelques il fit profits,
temps quelques
Racheta des bêtes à laine;
Et comme un jour les vents, retenant leur haleine

Laissoient paisiblement aborder les vaisseaux :

« Vous voulez de ô mesdames les Eaux!


l'argent,
vous à autre :
Dit-il ; adressez-vous, je prie, quelque
Ma foi! vous n'aurez le nôtre. »
pas

Ceci n'est un conte à inventé.


pas plaisir
Je me sers de la vérité

Pour montrer, par expérience,

sou, il est assuré,


Qu'un quand
Vaut mieux en
que cinq espérance;

Qu'il se faut contenter de sa condition;


conseils de la mer et de l'ambition
Qu'aux
Nous devons fermer les oreilles.

Pour un s'en louera, dix mille s'en


qui plaindront.
La mer monts et merveilles :
promet
les vents et les voleurs viendront.
Fiez-vous-y;
198 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE III.

LA MOUCHE ET LA FOURMI.

La Mouche et la Fourmi contestoient de leur prix.


« O dit la
Jupiter ! première,
Faut-il l'amour-propre les
que aveugle esprits
D'une si terrible manière

vil et animal
Qu'un rampant
A la fille de l'air ose se dire égal !
Je hante les palais, je m'assieds à ta table :
LIVRE QUATRIÈME. 199

Si l'on t'immole un bœuf, devant


j'en goûte toi;
Pendant chétive et
que celle-ci, misérable,
Vit trois jours d'un fétu a traîné chez soi.
qu'elle
ma
Mais, mignonne, dites-moi,
Vous campez-vous jamais sur la tête d'un roi,
D'un empereur, ou d'une belle?

Je le fais ; et je baise un beau sein quand je veux;


Je me joue entre des cheveux ;
Je rehausse d'un teint la blancheur naturelle ;
Et la dernière main que met à sa beauté

Une femme allant en


conquête,
C'est un ajustement des mouches emprunté.
Puis allez-moi rompre la tête

De vos — Avez-vous dit ?


greniers !
la
Lui répliqua ménagère.
Vous hantez les palais ; mais on vous maudit.
y
Et à la
quant goûter première
De ce qu'on sert devant les Dieux,

Croyez-vous qu'il en vaille mieux?

Si vous entrez aussi font les


partout, profanes.
Sur la tête des rois et sur celle des ânes

Vous allez vous planter, n'en disconviens pas,


je
Et je sais que d'un prompt trépas,
Cette importunité bien souvent est punie.
Certain ajustement, dites-vous, rend jolie;
J'en conviens : il est noir ainsi vous et moi.
que
Je veux qu'il ait nom mouche : est-ce un sujet pourquoi
Vous 1
DE
fassiez I VILLE
spnpPT'PARIS
;'tsI mérites?
200 FABLES DE LA FONTAINE.

Nomme-t-on pas aussi mouches les parasites ?


Cessez donc de tenir un si vain :
langage

N'ayez plus ces hautes pensées.


Les mouches de cour sont chassées;
Les mouchards sont pendus : et vous mourrez de faim,
De froid, de langueur, de misère,

Quand Phébus régnera sur un autre


hémisphère.
Alors je jouirai du fruit de mes travaux :

Je n'irai, par monts ni par vaux,

M'exposer au vent, à la pluie;


Je vi vrai sans mélancolie :

Le soin j'aurais de soin


que pris m'exemptera.
Je vous là
enseignerai par
Ce que c'est qu'une fausse ou véritable
gloire.

Adieu; je perds le temps : laissez-moi travailler;


Ni mon grenier, ni mon armoire,
Ne se à babiller. »
remplit
LIVRE QUATRIÈME. 201

FABLE IV.

LE JARDINIER ET SON SEIGNEUR.

Un amateur du jardinage,

Demi-bourgeois, demi-manant,

Possédoit en certain village


Un jardin assez et le clos attenant.
propre,
IL avoit de vif fermé cette étendue :
plant
Là croissoit à plaisir l'oseille et la laitue,
De faire à sa fête un
quoi Margot pour bouquet,
202 FABLES DE LA FONTAINE.

Peu de et force
jasmin d'Espagne, serpolet.
Cette félicité par un lièvre troublée

Fit du notre homme se plaignit.


qu'au Seigneur bourg
« Ce maudit animal vient sa
prendre goulée,
Soir et matin, dit-il, et des piéges se rit ;
Les pierres, les bâtons y perdent leur crédit :

Il est crois. — Sorcier? l'en


sorcier, je je défie,
le : fût-il diable, Miraut,
Repartit Seigneur
En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt.

Je vous en déferai, bonhomme, sur ma vie.


— — »
Et quand? Et dès demain, sans tarder plus longtemps.
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.

Çà, déjeunons, dit-il : vos poulets sont-ils tendres?

La fille du logis, qu'on vous voie, approchez :

Quand la marierons-nous? quand aurons-nous des


gendres?

Bonhomme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez?

Qu'il faut fouiller à l'escarcelle. »

Disant ces mots, il fait connoissance avec elle,


de lui la fait asseoir,
Auprès
Prend une main, un bras, lève un coin du mouchoir;
Toutes sottises dont la belle

Se défend avec grand respect :


Tant à la fin cela devient
qu'au père suspect.

Cependant on fricasse, on se rue en cuisine.


« De sont vos ils ont fort bonne mine.
quand jambons?

- ils sont à vous. dit le
Monsieur, Vraiment, Seigneur,
Je les reçois, et de bon cœur. »

Il déjeune très-bien; aussi fait sa famille,


LIVRE QUATRIÈME. 203

Chiens, chevaux, et valets, tous gens bien endentés :

Il commande chez des libertés,


l'hôte, y prend
Boit son vin, caresse sa fille.

L'embarras des chasseurs succède au déjeuné.


Chacun s'anime et se
prépare :
Les et les cors font un tel tintamarre
troupes

Que le bonhomme est étonné.

Le fut l'on mit en


pis que piteux équipage
Le pauvre adieu planches, carreaux;
potager :
Adieu chicorée et
porreaux;
Adieu de quoi mettre au potage.
Le lièvre étoit dessous un maître chou.
gîté
On le on le lance : il s'enfuit un trou,
quête; par
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie

Que l'on fit à la pauvre haie

Par ordre du car il eût été mal


Seigneur ;
Qu'on n'eût du sortir tout à cheval.
pu jardin
Le bonhomme disoit : « Ce sont là de »
jeux prince.
Mais on le laissoit dire : et les chiens et les gens
Firent de en une heure de
plus dégât temps

Que n'auroient fait en cent ans

Tous les lièvres de la


province.

Petits princes, videz vos débats entre vous :

De recourir aux rois vous seriez de grand fous.

Il ne les faut dans vos


jamais engager guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.
204 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE V.

L'ANE ET LE PETIT CHIEN.

Ne forçons point notre talent;

Nous ne ferions rien avec grâce :

Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,

Ne sauroit passer pour galant.

Peu de que le ciel chérit et gratifie,


gens,
Ont le don infus avec la vie.
d'agréer
C'est un leur faut laisser,
point qu'il
LIVRE QUATRIÈME. 205

Et ne pas ressembler à l'Ane de la fable,

Qui, pour se rendre plus aimable

Et plus cher à son maître, alla le caresser.


« Comment! disoit-il en son âme,
Ce Chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de à
pair compagnon
Avec monsieur, avec madame;
Et j'aurai des de bâton!
coups

Que fait-il? il donne la patte;


Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin l'on me flatte,


que
Cela n'est bien malaisé. »
pas
Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en il s'en vient lourdement,


joie,
Lève une corne tout usée,
La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans pour plus ornement,
accompagner, grand
De son chant cette action hardie.
gracieux
« Oh! oh! caresse ! et mélodie !
quelle quelle
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton! »

Martin-bâton accourt : l'Ane change de ton.

Ainsi finit la comédie.


206 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VI.

LE COMBAT DES RATS ET DES BELETTES.

La nation des Belettes,

Non plus que celle des Chats,

Ne veut aucun bien aux Rats,

Et, sans les étrètes


portes
De leurs habitations,
L'animal à échine
longue
En feroit, je m'imagine,
LIVRE 207
QUATRIÈME.

De destructions.
grandes

Or, une certaine année

en étoit à foison,
Qu'il
Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.

Les Belettes, de leur part,

Déployèrent l'étendard.
Si l'on croit la renommée,
La victoire balança Ô :

Plus d'un
guéret s'engraissa
Du sang de plus d'une bande.

Mais la perte la plus grande


Tomba en tous endroits
presque
Sur le
peuple souriquois.
Sa déroute fut entière,

Quoi que pût faire Artarpax,

Psicarpax, Méridarpax,

Qui, tout couverts de


poussière,
Soutinrent assez longtemps
Les efforts des combattants.

Leur résistance fut vaine;


Il fallut céder au sort :

Chacun s'enfuit au plus fort,

Tant soldat capitaine.


que
Les princes tous.
périrent
La racaille, dans des trous

Trouvant sa retraite prête,


Se sauva sans travail;
grand
208 FABLES DE LA FONTAINE.

Mais les seigneurs sur leur tête

Ayant chacun un plumail,


Des cornes ou des aigrettes,
Soit comme marques d'honneur,

Soit afin que les Belettes

En conçussent plus de peur,


Cela causa leur malheur.

Trou, ni fente, ni crevasse,

Ne fut assez pour eux ;


large
Au lieu la
que populace
Entroit dans les moindres creux.

La
principale jonchée
Fut donc des principaux Rats.

Une tête empanachée


N'est embarras.
pas petit
Le trop superbe équipage

Peut souvent en un passage

Causer du retardement.

Les en toute affaire,


petits,
fort aisément :
Esquivent
Les ne le faire.
grands peuvent
LIVRE QUATRIÈME. 209

FABLE VII.

LE SINGE ET LE DAUPHIN.

C'étoit chez les Grecs un


usage
Que sur la mer tous voyageurs
Menoient avec eux en
voyage

Singes et chiens de bateleurs.

Un navire en cet équipage


Non loin d'Athènes fit
naufrage.
Sans les tout eût
dauphins péri.
Cet anima l est fort ami

14
210 FABLES DE LA FONTAINE.

De notre en son histoire


espèce :
Pline le dit; il le faut croire.

Il sauva donc tout ce qu'il put.


Même un en cette occurrence,
Singe,
Profitant de la
ressemblance,
Lui devoir son salut :
pensa
Un le un
Dauphin prit pour homme,
Et sur son dos le fit asseoir
Si eût cru voir
gravement qu'on
Ce chanteur tant on renomme.
que
Le l'alloit mettre à bord,
Dauphin

Quand, par hasard, il lui demande :

« Êtes-vous d'Athènes la grande ?


- dit on connoit fort :
Oui, l'autre; m'y
S'il vous survient quelque affaire,
y

Employez-moi ; car mes parents


Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien cousin est »
juge-maire.
Le dit : « Bien merci,
Dauphin grand
Et le Pirée a aussi
part
A l'honneur de votre présence?
Vous le voyez souvent, je pense ?
- Tous les il est mon
jours : ami ;
C'est une vieille connoissance. «

Notre magot prit, ce coup,


pour
Le nom d'un un nom d'homme.
port pour

De telles il est
gens beaucoup,
LE StNttE ET LE PAUPHIN.
LIVRE QUATRIÈME. 213

Qui prendroient Vaugirard pour Rome,


Et au plus dru,
qui, caquetants
Parlent de tout, et n'ont rien vu.

Le Dauphin rit, tourne la tête,


le
Et, magot considéré,
Il n'a tiré
s'aperçoit qu'il
Du fond des eaux rien bête.
qu'une
Il l'y et va trouver
replonge,

Quelque homme afin de le sauver.


214 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

L'HOMME ET L'IDOLE DE BOIS.

Certain chez lui un Dieu de bois,


païen gardoit
De ces dieux sont sourds, bien qu'ayant des oreilles :
qui
Le s'en merveilles.
païen cependant promettoit
Il lui coûtoit autant que trois :

Ce n'étoient vœux et qu'offrandes ;


que
Sacrifices de bœufs couronnés de
guirlandes.
Jamais Idole, quel qu'il fût,
LIVRE QUATRIÈME. 215

N'avoit eu cuisine si grasse ;


Sans tout ce culte, à son hôte il échût
que, pour

Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.


Bien si un sou en endroit
plus, pour d'orage quelque
S'amassoit d'une ou d'autre sorte,
L'Homme en avoit sa part ; et sa bourse en souffroit :

La du Dieu n'en étoit moins forte.


pitance pas
A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,
Il vous un levier, met en
prend pièces l'Idole,
Le trouve d'or. » t'ai
rempli Quand je fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole ?

Va, sors de mon cherche d'autres autels.


logis,
Tu ressembles aux naturels

Malheureux, grobsiers et stupides :


On n'en rien tirer le bâton.
peut qu'avec
Plus te mes mains étoient vides :
je remplissois, plus
J'ai bien fait de de ton. »
changer
216 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IX.

LE GEAI PARÉ DES PLUMES DU PAON.

Un Paon muoit : un Geai prit son plumage ;


Puis se l'accommoda ;
après
d'autres Paons tout fier se
Puis parmi panada,

Croyant être un beau personnage.


le reconnut : il se vit bafoué,
Quelqu'un
Berné, sifflé, moqué, joué,

Et messieurs les Paons plumé d'étrange sorte ;


par
LIVRE QUATRIÈME. 217

Même vers ses pareils s'étant réfugié,


Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux comme lui,


pieds
se souvent des
Qui parent dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme
plagiaires.
Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont là mes affaires.
pas
218 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE X.

LE CHAMEAU ET LES BATONS FLOTTANTS.

Le vit un Chameau
premier qui
S'enfuit à cet objet nouveau ;

Le second le troisième osa faire


approcha ;
Un licou pour le Dromadaire.

L'accoutumance ainsi nous rend tout familier :

Ce nous terrible et singulier


qui paroissoit
avec notre vue
S'apprivoise
LIVRE QUATRIÈME. 219

Quand ce vient à la continu.

Et nous voici tombés sur ce


puisque sujet :
On avoit mis des gens au guet,
Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet,
Ne purent s'empêcher de dire

Que c'étoit un puissant navire.

Quelques moments après, l'objet devint brûlot,


1
Et nacelle, et ballot,
puis puis
Enfin bâtons flottants sur l'onde.

J'en sais de le monde,


beaucoup, par
A ceci conviendroit bien :
qui
De loin, c'est chose; et de ce n'est rien.
quelque près,
1
2-20 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XI.

LA GRENOUILLE ET LE RAT.

comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,


Tel,

Qui souvent soi-même.


s'engeigne
J'ai ce mot soit trop vieux aujourd'hui ;
regret que

Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.

Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris :

Un Rat gras, et des mieux nourris,


plein d'embonpoint,
ne connoissoit l'avent ni le
Et qui carême,
LIVRE QUATRIÈME. 221

Sur le bord d'un marais ses


égayoit esprits.
Une Grenouille et lui dit en sa
approche, langue :
t Venez me voir chez vous ferai festin. «
moi ; je
Messire Rat promit soudain :

Il n'étoit besoin de
pas plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité , le du
plaisir voyage,
Cent raretés à voir le du
long marécage :
Un jour il conteroit à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants,
Et le de la chose
gouvernement publique

Aquatique.
Un sans tenoit le
point plus galand empêché :
Il mais il falloit de l'aide.
nageoit quelque peu,
La Grenouille à cela trouve un très-bon remède :

Le Rat fut à son la attaché ;


pied par patte
Un brin de jonc en fit l'affaire.

Dans le marais entrés, notre bonne commère

S'efforce de tirer son hôte au fond de r eau,

Contre le droit des contre la foi jurée ;


gens,
Prétend qu'elle en fera gorge chaude et curée ;

C'étoit, à son avis, un excellent morceau.

dans son la le
Déjà esprit galande croque.
Il atteste les Dieux ; la perfide s'en
moque :
Il elle tire. En ce combat
résiste ; nouveau,
Un Milan, dans l'air planoit, faisoit la ronde,
qui
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.

Il fond dessus, l'enlève, et, même


par moyen,
222 FABLES DE LA FONTAINE.

La Grenouille et le lien.

Tout en fut ; tant et si bien,

Que de cette double proie


L'oiseau se donne au cœur joie,

Ayant, de cette façon,


A chair et
souper poisson.

La ruse la mieux ourdie

Peut nuire à son inventeur ;


Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.
LIVRE QUATRIÈME. 223

FABLE XII.

TRIBUT ENVOYÉ PAR LES ANIMAUX A ALEXANDRE

Une fable avoit cours parmi l'antiquité,


Et la raison ne m'en est pas connue.

Que le lecteur en tire une moralité ;


Voici la fable toute nue :

La Renommée dit en cent lieux


ayant

Qu'un fils de un certain Alexandre,


Jupiter,
224 FABLES DE LA FONTAINE.

Ne voulant rien laisser de libre sous les cieux,

Commandoit sans plus attendre,


que,
Tout à ses pieds s'allât rendre,
peuple

Quadrupèdes, humains, éléphants, vermisseaux ,

Les républiques des oiseaux;


La Déesse aux cent bouches, dis-je,

Ayant mis la terreur


partout
En publiant l'édit du nouvel empereur,
Les animaux, et toute espèce lige
De son crurent cette fois
seul appétit, que
Il falloit subir d'autres lois.

On s'assemble au désert : tous leur tanière.


quittent

Après divers avis, on résout, on conclut

D'envoyer hommage et tribut.

Pour et la manière,
l'hommage pour
Le en fut l'on lui mit écrit
Singe chargé : par
Ce que l'on vouloit qui fût dit.

Le seul tribut les tint en peine :


Car que donner? il falloit de
l'argent.
On en prit d'un prince obligeant,

Qui, possédant dans son domaine

Des mines d'or, fournit ce voulut.


qu'on
Comme il fut question de ce tribut,
porter
Le Mulet et l'Ane s'offrirent,
Assistés du Cheval ainsi du Chameau.
que
Tous en chemin ils se mirent
quatre
Avec le ambassadeur nouveau.
Singe,
La caravane enfin rencontre en un
passage
LIVRE 225
QUATRIÈME.

Monseigneur le Lion : cela ne leur plut point.


« Nous nous rencontrons tout à
point,
et nous voici de
Dit-il ; compagnons voyage.
J'allois offrir mon fait à part ;

Mais, bien qu'il soit léger, tout fardeau m'embarrasse.

Obligez-moi de me faire la grâce

Que d'en porter chacun un quart :


Ce ne vous sera une
pas charge trop grande,
Et j'en serai libre et bien en état,
plus plus
En cas les voleurs notre bande,
que attaquent
Et l'on en vienne au combat. »
que
Éconduire un lion rarement se
pratique.
Le voilà donc admis, bien reçu,
soulagé,
Et, malgré le héros de Jupiter issu,
Faisant chère et vivant sur la bourse publique.
Ils arrivèrent dans un pré
Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré,
Où maint mouton cherchoit sa vie ;

Séjour du frais, véritable patrie


Des zéphyrs. Le Lion n'y fut pas, qu'à ces gens
Il se d'être malade.
plaignit
« Continuez votre ambassade,

Dit-il ; je sens un feu me brûle au dedans,


qui
Et veux chercher ici herbe salutaire.
quelque
Pour vous, ne perdez point de temps :
Rendez-moi mon avoir affaire. «
argent ; j'en puis
On déballe ; et d'abord le Lion s'écria :

D'un ton témoignoit sa joie :


qui

15
226 FABLES DE LA FONTAINE

cr de 6 de mon noie
Que filles, Dieux, mes pièces
Ont ! la sont
produites Voyez : plupart déjà
Aussi grandes que leurs mères.

Le croit m'en » Il tout


appartient. prit là-dessus ;

Ou bien, s'il ne prit tout, il n'en demeura guères.


Le Singe et les sommiers confus,
Sans oser en chemin se remirent.
répliquer,
Au fils de on dit se
Jupiter qu'ils plaignirent,
Et n'en eurent de raison.
point

Qu'eût-il fait ? C'eût été lion contre lion ;

Et le dit : Corsaires à
proverbe corsaires,

L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires.


LIVRE QUATRIEME. 227

FABLE XIII.

LE CHEVAL S'ÉTANT VOULU VENGER DU CERF.

De tout les chevaux ne sont nés les hommes.


temps pour
le humain de se
Lorsque genre gland contentoit,

Ane, cheval, et mule, aux forêts habitoit :

Et l'on ne comme au siècle où nous sommes,


voyoit point,
Tant de selles et tant de bâts,
Tant de harnois les combats,
pour
Tant de chaises, tant de carrosses ;
228 FABLES DE LA FONTAINE.

Comme aussi ne voyoit-on pas


Tant de festins et tant de noces.

Or, un Cheval eut alors différend

Avec un Cerf plein de vitesse ;

Et, ne pouvant l'attaquer en courant,


IL eut recours à son adresse.
l'homme, implora
L'homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,
Ne lui donna de repos
point

Que le Cerf ne fût et n'y laissât la vie.


pris,
Et cela fait, le Cheval remercie

L'homme son disant : « Je suis à vous :


bienfaiteur,

Adieu ; je m'en retourne en mon séjour sauvage.


- Non dit il fait meilleur chez
pas cela, l'homme ; nous,
Je vois trop quel est votre usage.
Demeurez donc ; vous serez bien traité,

Et ventre en la litière. «
jusqu'au
Hélas ! que sert la bonne chère,

Quand on n'a pas la liberté ?

Le Cheval s'aperçut qu'il avoit fait folie ;


Mais il n'étoit plus temps ; déjà son écurie

Etoit prête et toute bâtie.

Il y mourut en traînant son lien :

Sage, s'il eût remis une offense.


légère

soit le cause la
Quel que plaisir que vengeance,
C'est l'acheter trop cher l'acheter d'un bien
que
Sans qui les autres ne sont rien.
LIVRE QUATRIÈME. 229

FABLE XIV.

LE RENARD ET LE BUSTE.

Les la sont de
grands, pour plupart, masques théâtre;
Leur apparence au vulgaire idolâtre.
impose
L'Ane n'en sait par ce qu'il en voit :
juger que
Le Renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout il
sens; et, quand s'aperçoit

Que leur fait n'est que bonne mine,


Il leur un mot buste de héros
applique qu'un
230 FABLES DE LA FONTAINE.

Lui fit dire fort à propos.


C'étoit un buste creux, et plus que nature.
grand
Le Renard, en louant l'effort de la sculpture :
« Belle mais de cervelle «
tête, dit-il, point.

Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point !


LIVRE QUATRIÈME. 231

FABLE XV.

LE LOUP, LA CHÈVRE ET LE CHEVREAU.

La allant sa traînante mamelle,


Bique, remplir
Et paître l'herbe nouvelle,

Ferma sa au loquet,
porte
Non sans dire à son Biquet :
« sur votre
Gardez-vous, vie,

D'ouvrir l'on ne vous die,


que
Pour et mot du guet :
enseigne
232 FABLES DE LA FONTAINE.

Foin du Loup et de sa race !

Comme elle disoit ces mots ,

Le Loup, de fortune, passe ;


Il les recueille à
propos,
Et les en sa mémoire.
garde
La Bique, comme on peut croire,
N'avoit vu le
pas glouton.
Dès la voit partie, il contrefait son ton,
qu'il

Et, d'une voix papelarde,


Il demande en disant : « Foin du »
qu'on ouvre, Loup !
Et croyant entrer tout d'un coup.
Le Biquet soupçonneux par la fente regarde :
« Montrez-moi ou n'ouvrirai »
patte blanche, je point,
S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point
Chez les loups, comme on sait, rarement en
usage.
fort d'entendre ce
Celui-ci, surpris langage,
Comme il étoit venu s'en retourna chez soi.

Où seroit le Biquet s'il eût ajouté foi

Au mot du de fortune,
guet que,
Notre Loup avoit entendu ?

Deux sûretés valent mieux qu'une.


Et le trop en cela ne fut jamais perdu.
LIVRE QUATRIÈME. 233

FABLE XVI.

LE LOUP, LA MÈRE ET L'ENFANT.

Ce me remet en mémoire
Loup
Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris :
Il y périt. Voici l'histoire :

Un avoit à l'écart son


villageois logis.
Messer attendoit chape-chute à la porte ;
Loup
Il avoit vu sortir de toute sorte,
gibier
Veaux de lait, agneaux et brebis,
234 FABLES DE LA FONTAINE.

Régiments de dindons, enfin bonne provende.


Le larron à
commençoit pourtant s'ennuyer.
Il entend un enfant crier :

La mère aussitôt le
gourmande,
Le menace, s'il ne se tait,

De le donner au loup. L'animal se tient prêt,


Remerciant les Dieux d'une telle aventure,

Quand la mère, apaisant sa chère géniture,


Lui dit : « Ne criez s'il nous le tuerons.
point; vient,

— Qu'est ceci ? s'écria le de moutons :


mangeur
Dire d'un, puis d'un autre ! Est-ce ainsi que l'on traite

Les faits comme moi ? me prend-on pour un sot ?


gens

Que jour ce beau marmot


quelque
Vienne au bois cueillir la noisette!. »

Comme il disoit ces mots, on sort de la maison :

Un chien de cour l'arrête ; épieux et fourches-fières

L'ajustent de toutes manières.


« veniez-vous chercher en ce lieux? » lui
Que dit-on.

Aussitôt il conta l'affaire.

« Merci de moi! lui dit la mère ;


Tu mon fils! L'ai-je fait à dessein
mangeras

Qu'il assouvisse un jour ta faim ? «

On assomma la bête.
pauvre
Un manant lui coupa le pied droit et la tête :

Le seigneur du village à sa les mit;


porte
Et ce dicton picard à l'entour fut écrit :

« Biaux chires n'écoutez mie


leups,
« Mère tenchent chen fieux crie. »
qui
LE LOUP, LA MÈREET L'ENFANT
LIVRE QUATRIÈME. 237

FABLE XVII.

PAROLE DE SOCRATE.

Socrate un faisant bâtir,


jour
Chacun censuroit son ouvrage :
L'un trouvoit les ne lui
dedans, pour point mentir,

Indignes d'un tel personnages;


L'autre blâmoit la face, et tous étoient d'avis

Que les appartements en étoient


trop petits.
Quelle maison pour lui ! l'on tournoit à
y peine.
238 FABLES DE LA FONTAINE.

(r Plût au ciel de vrais


que amis,

Telle elle être «


qu'elle est, dit-il, pût pleine!

Le bon Socrate avoit raison

De trouver ceux-là sa maison.


pour trop grande
Chacun se dit ami ; mais fou qui s'y repose :

Rien n'est commun ce nom,


plus que

Rien n'est rare la chose.


plus que
LIVRE QUATRIÈME. 239

FABLE XVIII.

LE VIEILLARD ET SES ENFANTS.

Toute puissance est foible, à moins que d'être unie :

Écoutez là-dessus l'esclave de Phrygie.


Si du mien à son
j'ajoute invention,
C'est pour nos mœurs, et non envie;
peindre point par
Je suis au-dessous de cette ambition.
trop

Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire;


Pour moi, de tels me seroient mal séants.
pensers
240 FABLES DE LA FONTAINE.

Mais venons à la fable, ou plutôt à l'histoire

De celui tâcha d'unir tous ses enfants.


qui

Un Vieillard d'aller où la mort :


prêt l'appeloit
« Mes chers dit-il ses fils il
enfants, (à parloit),
si vous ces dards liés ensemble;
Voyez romprez
Je vous le nœud les assemble. «
expliquerai qui
L'aîné les a et fait tous ses efforts,
yant pris,
Les en disant : « Je le donne aux forts. »
rendit, plus
Un second lui succède, et se met en posture,
Mais en vain. Un cadet tente aussi l'aventure.

Tous perdirent leur temps; le faisceau résista :

De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata.

« Foibles dit le il faut vous montre


gens ! père, que je
Ce ma force en semblable rencontre. »
que peut
On crut qu'il se moquoit ; on sourit, mais à tort :

Il sépare les dards, et les rompt sans effort.

« Vous l'effet de la concorde :


voyez, reprit-il,
mes enfants, l'amour vous accorde. »
Soyez joints, que
Tant dura son mal il n'eut autre discours.
que
Enfin se sentant prêt de terminer ses jours,
« Mes chers vais où sont nos
enfants, dit-il, je pères ;
Adieu : promettez-moi de vivre comme frères :

Que j'obtienne de vous cette en mourant. »


grâce
Chacun de ces trois fils l'en assure en pleurant ;
Il prend à tous les mains ; il meurt ; et les trois frères

Trouvent un bien fort mais fort mêlé d'affaires.


grand,
Un créancier saisit, un voisin fait procès :
LIVRE QUATRIÈME. 241

D'abord notre trio s'en tire avec succès.

Leur amitié fut courte autant qu'elle étoit rare.

Le sang les avoit joints; l'intérêt les sépare :

L'ambition, l'envie, avec les consultants,


Dans la succession entrent en même temps.
On en vient au partage, on conteste, on chicane :

Le juge sur cent points tour à tour les condamne.

Créanciers et voisins reviennent aussitôt,


Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut,
Les frères désunis sont tous d'avis contraire :

L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.

Tous leur bien, et voulurent trop tard


perdirent
Profiter de ces dards unis et à
pris part.

16
242 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIX.

L'ORACLE ET L'IMPIE.

Vouloir tromper le ciel, c'est folie à la terre.

Le dédale des cœurs en ses détours n'enserre

Rien qui ne soit d'abord éclairé par les Dieux :

Tout ce l'homme le fait à leurs


que fait, il yeux,
Même les actions dans l'ombre il croit faire.
que

Un païen, qui sentoit quelque peu, le fagot,


LIVRE QUATRIÈME. 243

Et croyoit en Dieu, pour user de ce mot,


qui
Par bénéfice d'inventaire,

Alla consulter Apollon.


Dès qu'il fut en son sanctuaire :

« Ce est-il en vie ou non ? »


que je tiens, dit-il,
Il tenoit un moineau, dit-on,
Prêt d'étouffer la pauvre bête,

Ou de la lâcher aussitôt,
Pour mettre Apollon en défaut.

Apollon reconnut ce qu'il avoit en tête :


« Mort ou lui montre-moi ton
vif, dit-il, moineau,
Et ne me tends plus de panneau :
Tu te trouverois mal d'un pareil stratagème.
Je vois de loin, de même. »
j'atteins
244 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XX.

L'AVARE QUI A PERDU SON TRÉSOR.

seulement fait la
L'usage possession.
Je demande à ces de la
gens qui passion
Est d'entasser toujours, mettre somme sur somme,

Quel avantage ils ont n'ait pas un autre homme.


que

Diogène là-bas est aussi riche qu'eux,


Et l'avare ici-haut comme lui vit en
gueux.
L'homme au trésor caché, nous
qu'Esope propose,
"v..u UTRÉSOR,
L'AVARE~'W~~P~TM!
'¿¡ J (J i~
LIVRE QUATRIÈME. 247

Servira à la chose.
d'exemple

Ce
malheureux attendoit,
Pour jouir de son une seconde
bien, vie ;
Ne mais l'or le
possédoit pas l'or, possédoit.
Il avoit dans la terre une somme enfouie,
Son cœur avec, autre déduit
n'ayant

Que d'y ruminer jour et nuit,


Et rendre sa chevance à lui-même sacrée.

Qu'il allât ou bût ou


qu'il vint, qu'il qu'il mangeât,
On l'eût de bien à moins ne
pris court, qu'il songeât
A l'endroit où cette somme enterrée.
gisoit
Il y fit tant de tours le
qu'un fossoyeur vit,
Se douta du l'enleva sans rien dire.
dépôt,
Notre Avare un beau ne trouva le nid.
jour que
Voilà mon homme aux il il
pleurs : gémit, soupire,
Il se il se déchire.
tourmente,
Un lui demande à ses cris :
passant quel sujet
« C'est mon Trésor l'on m'a
que pris.
- Votre trésor ? où — Tout
pris ? joignant cette pierre.
- Eh ! sommes-nous en de
temps guerre,
Pour si loin ? N'eussiez-vous mieux fait
l'apporter pas
De le laisser chez vous en votre cabinet,
de le de demeure ?
Que changer
Vous auriez sans y puiser à toute heure.
pu peine
- A toute bons dieux ! ne tient-il cela ?
heure, qu'à
comme il s'en va ?
L'argent vient-il
Je touchois — Dites-moi de
n'y jamais. donc, grâce,
248 FABLES DE LA FONTAINE.

Reprit l'autre, vous vous affligez tant,


pourquoi
vous ne touchiez jamais à cet argent :
Puisque
Mettez une pierre à la place,
Elle vous vaudra tout autant. «
LIVRE QUATRIÈME. 249

FABLE XXI.

L'OEIL DU MAITRE.

Un Cerf, s'étant sauvé dans une étable à bœufs,

Fut d'abord averti par eux

Qu'il cherchât un meilleur asile.


« Mes leur ne me décelez
frères, dit-il, pas :
Je vous les les plus
enseignerai pâtis gras ;
Ce service vous jour être utile,
peut quelque
Et vous n'en aurez »
point regret.
250 FABLES DE LA FONTAINE.

Les Bœufs, à toutes le secret.


fins, promirent
Il se cache en un et
coin, respire prend courage.
Sur le soir on herbe fraîche et
apporte fourrage,
Comme l'on faisoit tous les jours :
L'on va, l'on vient, les valets font cent tours,
L'intendant même ; et pas un, d'aventure,

N'aperçut ni ni ramure,
cors,
Ni cerf enfin. L'habitant des forêts

Rend aux Bœufs, attend dans cette étable


déjà grâce

Que, chacun retournant au travail de Cérès,


Il trouve sortir un moment favorable.
pour
L'un des Bœufs ruminant lui dit : « Cela va bien ;
Mais l'homme aux cent n'a fait sa revue.
quoi! yeux pas
Je crains fort pour toi sa venue ;

Cerf, ne te vante de rien. »


Jusque-là, pauvre
Là-dessus le maître entre, et vient faire sa ronde.
« ceci ? à son
Qu'est dit-il monde ;
Je trouve bien peu d'herbe en tous ces râteliers.

Cette litière est vieille ; allez vite aux greniers :


Je veux voir désormais vos bêtes mieux soignées.

Que coûte-t-il d'ôter toutes ces araignées ?


Ne sauroit-on ces et ces colliers J'
ranger jougs
En à tout, il voit une autre tête
regardant

Que celles qu'il voyoit d'ordinaire en ce lieu.

Le Cerf est reconnu : chacun prend un épieu;


Chacun donne un coup à la bête :

Ses larmes ne sauroient la sauver du trépas.


On on la sale, on en fait maint
l'emporte, repas,
tVL.f. il U.11.11
11Ll"
LIVRE QUATRIÈME. 253

Dont maint voisin s'éjouit d'être.

Phèdre sur ce sujet dit fort


élégamment :
« Il l'œil du maître. »
n'est, pour voir, que

Quant à moi, mettrois encor l'œil de l'amant.


j'y
FABLES DE LA FONTAINE.
-254

FABLE XXII.

L'ALOUETTE ET SES PETITS AVEC LE MAITRE

D'UN CHAMP.

Ne t'attends qu'à toi seul ; c'est un commun proverbe.


Voici comme le mit
Ésope
En crédit :

Les alouettes font leur nid

Dans les blés quand ils sont en herbe,


LIVRE QUATRIÈME. 255

C'est-à-dire environ le temps


tout aime et tout dans le
Que que pullule monde,
Monstres marins au fond de l'onde,

Tigres dans les forêts, alouettes aux champs.


Une pourtant de ces dernières

Avoit laissé passer la moitié d'un printemps


Sans le des amours
goûter plaisir printanières.
A toute force enfin elle se résolut

D'imiter la nature, et d'être mère encore.

Elle bâtit un nid, pond, couve, et fait éclore,


A la hâte : le tout alla du mieux
qu'il put.
Les blés d'alentour mûrs avant la nitée
que
Se trouvât assez forte encor

Pour voler et prendre l'essor,


De mille soins di vers l'Alouette agitée
S'en va chercher pâture, avertit ses enfants

D'être toujours au guet et faire sentinelle.


« Si le
possesseur de ces champs
Vient son comme il
avecque fils, viendra, dit-elle,
Ecoutez bien : selon ce qu'il dira,

Chacun de nous »
décampera.
Sitôt l'Alouette eut quitté sa famille,
que
Le possesseur du champ vient avecque son fils.
« Ces blés sont dit-il : allez chez nos amis
mûrs,
Les a sa
prier que chacun, pportant faucille,
Nous vienne aider demain dès la du «
pointe jour.
Notre Alouette de retour

Trouve en alarme sa couvée.


256 FABLES DE LA FONTAINE.

L'un commence : « Il a dit l'aurore


que, levée,
L'on fît venir demain ses amis pour l'aider.
— S'il n'a dit
que cela, repartit l'Alouette,

Rien ne nous presse encor de de retraite :


changer
Mais c'est demain qu'il faut tout de bon écouter.

soyez voilà de »
Cependant gais; manger.
Eux repus, tout s'endort, les petits et la mère.

L'aube du jour arrive, et d'amis point du tout.

L'Alouette à l'essor, le maître s'en vient faire

Sa ronde ainsi l'ordinaire.


qu'à
* Ces blés ne devroient être debout.
pas, dit-il,
Nos et tort se
amis ont grand tort, qui repose
Sur de tels paresseux, à servir ainsi lents.

Mon fils, allez chez nos parents


Les de la même chose. »
prier
est au nid plus forte jamais.
L'épouvante que
« Il a dit ses mère! c'est à cette heure.
parents,

— Non, mes enfants ; dormez en


paix :
Ne de notre demeure. »
bougeons
L'Alouette eut raison; car personne ne vint.

Pour la troisième fois, le maître se souvint

De visiter ses blés. » Notre erreur est extrême,

Dit-il, de nous attendre à d'autres nous.


gens que
Il n'est meilleur ami ni soi-même.
parent que
Retenez bien cela, mon fils. Et savez-vous

Ce faut faire ? Il faut notre famille


qu'il qu'avec
Nous prenions dès demain chacun une faucille ?

C'est là notre plus court ; et nous achèverons.


X.E MAÎTRED'UN CHAMP
L'ALOUETTEET SES PETITS.VVSt-
17
LIVRE QUATRIÈME. 259

Notre moisson nous »


quand pourrons.
Dès lors ce dessein fut su de l'alouette :
que
« C'est ce est bon de mes »
coup qu'il partir, enfants !

Et les petits, en même temps,


se
Voletants, culebutants,

Délogèrent tous sans trompette.


9

FIN DU LIVRE QUATRIÈME.


LIVRE CINQUIÈME
LIVRE CINQUIÈME. 263

FABLE PREMIÈRE.

LE BUCHERON ET MERCURE.

M. LE C. D. B.

Votre a servi de à mon ouvrage :


goût règle
J'ai tenté les son
moyens d'acquérir suffrage.
Vous voulez évite un soin trop curieux
qu'on
Et des vains ornements l'effort ambitieux;
Je le veux comme vous : cet effort ne peut plaire.
Un auteur tout il veut bien faire.
gâte quand trop
264 FABLES DE LA FONTAINE.

Non faille bannir certains traits délicats :


qu'il
Vous les ces et ne les hais pas.
aimez, traits; je
but se
Quand au principal qu'Ésope propose,

tombe au moins mal que je puis.


J'y
si dans ces vers, je ne plais et n'instruis,
Enfin,
Il ne tient à c'est chose.
pas moi; toujours quelque

Comme la force est un point

Dont je ne me pique point,

Je tourner le vice en ridicule,


tâche d'y
Ne avec des bras d'Hercule.
pouvant l'attaquer
C'est là tout mon ne sais s'il suffit.
talent; je

Tantôt en un récit
je peins
La sotte vanité jointe avecque l'envie,

Deux sur roule notre vie :


pivots qui aujourd'hui

Tel est ce chétif animal

voulut en au bœuf se rendre égal.


Qui grosseur
une double image,
J'oppose quelquefois, par

Le vice à la la sottise au bon sens,


vertu,

Les aux loups ravissants,


agneaux
La mouche à la fourmi; faisant de cet ouvrage

Une comédie à cent actes divers,


ample
Et dont la scène est l'Univers.

tout fait rôle


Hommes, dieux, animaux, y quelque

comme un autre. Introduisons celui


Jupiter
de sa aux belles la parole :
Qui porte part

Ce n'est de cela s'agit aujourd'hui.


pas qu'il

Un bûcheron son gagne-pain,


perdit
DU 11"
A1 BUCH
ïfcàrf <
BT ÏIRCURE
LIVRE CINQUIÈME. 267

C'est sa et la cherchant en vain


cognée;
Ce fut pitié là-dessus de l'entendre.

Il n'avoit des outils à revendre :


pas
Sur celui-ci rouloit tout son avoir.

Ne sachant donc où mettre son espoir,


Sa face étoit de toute
pleurs baignée :
« O ma ô ma
cognée ! pauvre cognée !
S'écrioit-il : rends-la
Jupiter, moi;
Je tiendrai l'être encore un de toi. »
coup
Sa fut de entendue.
plainte l'Olympe
Mercure vient. « Elle n'est pas perdue,
Lui dit ce dieu; la connoîtras-tu bien ?

Je crois l'avoir d'ici rencontrée. »


près
Lors une d'or à l'homme étant montrée,
Il « Je demande rien. »
répondit : n'y

Une d'argent succède à la première,


Il la refuse. Enfin une de bois.
«
Voilà, dit-il, la mienne cette fois :

Je suis content si cette dernière.


j'ai
- Tu les dit le toutes trois :
auras, dieu,
Ta bonne foi sera récompensée.
— En » dit-il.
ce cas-là je les prendrai,

L'histoire en est aussitôt dispersée;


Et boquillons de leur outil,
perdre
Et de crier se le faire rendre.
pour
Le roi des Dieux, ne sait entendre.
auquel
Son fils Mercure aux criards vient encor ;
A chacun d'eux il en montre une d'or.
268 FABLES DE LA FONTAINE.

Chacun eût cru une bête


passer pour
dire aussitôt : « La voilà ! »
De ne pas

Mercure, au lieu de donner celle-là,

Leur en un sur la tête.


décharge grand coup

Ne mentir, être content du sien,


point
C'est le sûr : on s'occupe
plus cependant

A dire faux du bien.


pour attraper
sert cela? n'est pas dupe.
Que Jupiter
,
LIVRE CINQUIÈME. 269

FABLE II.

LE POT DE TERRE ET LE POT DE FER.

Le Pot de fer proposa


Au Pot de terre un
voyage.
Celui-ci s'en excusa,

Disant feroit que sage


qu'il
De le coin du feu :
garder
Car il lui falloit si peu,
Si la moindre chose
peu, que
270 FABLES DE LA FONTAINE.

De son débris seroit cause :

Il n'en reviendront morceau.

« Pour vous, dit-il, dont la peau


Est dure la
plus que mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
— mettrons à
Nous vous couvert,
le Pot de fer :
Repartit
Si matière dure
quelque
Vous menace, d'aventure,

Entre deux je passerai,


Et du vous sauverai. »
coup
Cette offre le
persuade,
Pot de fer son camarade

Se met droit à ses côtés.

Mes gens s'en vont à trois pieds,


comme ils peuvent,
Clopin clopant,
L'un contre l'autre jetés
Au moindre hoquet qu'ils treuvent.

Le Pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas,

Que son compagnon il fut mis en éclats,


par
Sans eût lieu de se plaindre.
qu'il

Ne nous associons nos égaux ;


qu'avecque
Ou bien il nous faudra craindre

Le destin d'un de ces pots.


LIVRE CINQUIÈME. 274

FABLE III.

LE PETIT POISSON ET LE PÊCHEUR.

Petit poisson deviendra grand,


Pourvu Dieu lui prête vie ;
que
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens moi c'est folie :


pour que
Car de le il n'est pas trop certain.
rattraper

Un n'étoit encore fretin,


Carpeau, qui que
Fut pris un Pêcheur au bord d'une rivière.
par
272 FABLES DE LA FONTAINE.

« Tout fait dit l'homme en voyant son butin ;


nombre,

Voilà commencement de chère et de festin :

Mettons-le en notre »
gibecière.

Le lui dit en sa manière :


pauvre Carpillon
a ferez-vous de moi? ne saurois fournir
Que je
Au demi-bouchée.
plus qu'une
Laissez-moi carpe devenir :

Je serai par vous repêchée;


m'achètera bien cher :
Quelque gros partisan
Au lieu vous en faut chercher
qu'il
Peut-être encor cent de ma taille

faire un rien qui vaille.


Pour plat : quel plat? croyez-moi,
- Rien vaille? eh bien! soit, le Pêcheur :
qui repartit
faites le
mon bel ami, qui prêcheur,
Poisson,
Vous irez dans la et, vous avez beau dire,
poêle,
Dès ce soir on vous fera frire. »

ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras :


Un Tiens vaut,

L'un est sûr; l'autre ne l'est pas.


LE PETIT^blfJWT^TÏ^ÈCHEUR.
18
LIVRE CINQUIÈME. 275

FABLE IV.

LES OREILLES DU LIÈVRE.

Un animal cornu blessa de


quelques coups
Le de
Lion, qui, plein courroux,
Pour ne tomber en la
plus peine,
Bannit des lieux de son domaine

Toute bête des cornes à son front.


portant

Chèvres, béliers, taureaux, aussitôt


délogèrent;
Daims et cerfs de climat
changèrent :
276 FABLES DE LA FONTAINE.

Chacun à s'en aller fut prompt.


Un Lièvre, l'ombre de ses oreilles,
apercevant

Craignit que quelque inquisiteur

N'allât interpréter à cornes


leur longueur,
Ne les soutînt en tout à des cornes pareilles.
a Adieu, voisin Grillon, dit-il; d'ici :
je pars
Mes oreilles enfin seroient cornes aussi,
Et quand je les aurois plus courtes qu'une autruche,
Je craindrois même encore. » Le Grillon :
repartit
« Cornes cela ? Vous me prenez pour cruche ;
Ce sont oreilles Dieu fit.
que
— On les fera passer pour cornes,
Dit l'animal craintif, et cornes de licornes.
J'aurai beau mon dire et mes raisons
protester;
Iront aux Petites-Maisons. «
LIVRE CINQUIÈME. 277

FABLE v.

LE RENARD AYANT LA QUEUE COUPÉE.

Un vieux Renard, mais des plus fins,


Grand de grand preneur de lapins,
croqueur poulets,
Sentant son renard d'une lieue,
Fut enfin au attrapé.
piége
Par hasard en étant échappé,
grand
Non pas franc, car il y laissa sa
pour gage queue ;

S'étant, dis-je, sauvé sans queue, et tout honteux,


278 FABLES DE LA FONTAINE.

Pour avoir des pareils il étoit


(comme habile),
Un jour qne les Renards tenoient conseil entre eux :
«
Que faisons-nous, dit-il, de ce inutile,
poids
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?

Que nous sert cette queue? Il faut se la


qu'on coupe :
Si l'on me croit, chacun s' résoudra
y
- Votre avis est fort dit de la
bon, quelqu'un troupe :
Mais tournez-vous, de et l'on vous »
grâce, répondra.
A ces mots il se fit une telle huée,
le écourté ne être entendu.
Que pauvre put
Prétendre ôter la eût été temps perdu :
queue
La mode en fut continuée.
LIVRE CINQUIÈME. 279

FABLE VI.

LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES.

Il étoit une Vieille deux chambrières :


ayant
Elles filoient si bien les sœurs filandières
que
Ne faisoient brouiller au prix de celles-ci.
que
La Vieille n'avoit de plus pressant souci
point
Que de distribuer aux Servantes leur tâche.

Dès que chassoit Phébus aux crins dorés,


Téthys
Tourets entroient en fuseaux étoient tirés;
jeu,
280 FABLES DE LA FONTAINE.

Deçà, delà, vous en aurez :

Point de cesse, de relâche.


point
Dès l'Aurore, en son char
que dis-je, remontoit,
Un misérable à nommé
Coq point chantoit;
Aussitôt notre Vieille, encor plus misérable,
S'affubloit d'un jupon crasseux et détestable,
Allumoit une lampe, et couroit droit au lit

Où, de tout leur pouvoir, de tout leur


appétit,
Dormoient les deux Servantes.

L'une entr'ouvroit un œil, l'autre étendoit un bras,


Et toutes deux, très mal contentes,
Disoient entre leurs dents : « Maudit tu mourras ! »
Coq !
Comme elles l'avoient dit, la bête fut grippée :
Le réveille-matin eut la
gorge coupée.
Ce meurtre n'amenda nullement leur marché :

Notre au à étoit
couple, contraire, peine couché,
la de laisser l'
Que Vieille, craignant passer heure,

Couroit comme un lutin par toute sa demeure.

C'est ainsi que, le plus souvent,

Quand on pense sortir d'une mauvaise affaire,


On s'enfonce encore plus avant :

Témoin ce couple et son salaire,


La Vieille, au lieu du les fit tomber la
Coq, par
De Charybde en Scylla.
I UU11»AKROND'
I
LA V I £ I ER VANTES.
LIVRE CINQUIÈME. 283

FABLE VII.

LE SATYRE ET LE PASSANT.

Au fond d'un antre


sauvage
Un et ses enfants
Satyre
Alloient manger leur potage,
Et prendre l'écuelle aux dents.

On les eût vus sur la


mousse,

Lui, sa femme, et maint petit :


284 FABLES DE LA FONTAINE.

Ils n'avoient ni housse,


tapis
Mais tous fort bon appétit.

Pour se sauver de la pluie,


Entre un Passant morfondu.

Au brouet on le convie :

Il n'étoit pas attendu.

Son hôte n'eut pas la peine

De le semondre deux fois.

D'abord avec son haleine

Il se réchauffe les
doigts

Puis sur le mets lui donne,


qu'on

Délicat, il souffle aussi.

Le Satyre s'en étonne :

« Notre hôte, à bon ceci ?


quoi

- L'un refroidit mon


potage ;
L'autre réchauffe ma main.
- Vous dit le
pouvez, Sauvage,

Reprendre votre chemin.

Ne plaise aux Dieux que couche


je
Avec vous sous même toit !

Arrière ceux dont la bouche

Souffle le chaud et le froid? »


LIVRE CINQUIEME. 285

FABLE VIII.

LE CHEVAL ET LE LOUP.

Un certain Loup, dans la saison

Que les tièdes ont l'herbe rajeunie,


zéphyrs
Et les animaux tous la maison
que quittent
Pour s'en aller chercher leur vie;
Un au sortir des de l'
Loup, dis-je, rigueurs hiver,

Aperçut un Cheval avoit mis au vert.


qu'on
Je laisse à
penser quelle joie.
« Bonne chasse, l'auroit à son croc.
dit-il, qui
286 FABLES DE LA FONTAINE.

Eh ! n'es-tu mouton ! car tu me serois hoc ;


que
Au lieu faut ruser avoir cette proie.
qu'il pour

donc. » Ainsi il vient à


Rusons dit, pas comptés;

Se dit écolier d'Hippocrate;

connoit les vertus et les propriétés


Qu'il
De tous les de ces prés;
simples
sait sans se flatte,
Qu'il guérir, qu'il

Toutes sortes de maux. Si dom Coursier vouloit

Ne celer sa maladie,
point
Lui le guériroit;
Loup, gratis,

Car le voir en cette prairie

Paître ainsi, sans être lié,

selon la médecine.
Témoignoit quelque mal,
« dit la bête chevaline,
J'ai,

Une sous le pied.


apostume
- dit le il n'est de partie
Mon fils, docteur, point

de tant de maux.
Susceptible
l' honneur de servir nos les Chevaux,
J'ai seigneurs

fais aussi la »
Et chirurgie.

ne bien prendre son temps,


Mon galand songeoit qu'à

Afin de son malade.


happer
s'en lui lâche une ruade
L'autre, qui doutoit,

vous lui met en marmelade


Qui

Les mandibules et les dents.

« C'est bien dit le en soi-même fort triste;


fait, Loup

Chacun à son métier doit toujours s'attacher.

Tu veux faire ici l'arboriste,

Et ne fus boucher. »
jamais que
LE CHEVALET LE LOUP.
LIVRE CINQUIÈME. 289

FABLE IX.

LE LABOUREUR ET SES ENFANTS.

Travaillez, prenez de la peine :


C'est le fonds manque le moins.
qui

Un riche sentant sa fin


Laboureur, prochaine,
Fit venir ses enfants, leur sans témoins.
parla
«
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre
l'héritage
Que nous ont laissé nos parents :

19
290 FABLES DE LA FONTAINE.

Un trésor est cache dedans.

Je ne sais mais un de courage


pas l'endroit; peu

Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.

votre dès aura fait l'oût :


Remuez champ qu'on

bêchez; 11e laissez nulle place


Creusez, fouillez,

Où la main ne et »
passe repasse.

vous retournent le
Le mort, les fils champ,
père
si bien bout de l'an
Deçà, delà, partout; qu'au

Il en rapporta davantage.
de caché. Mais le fut sage
D'argent, point père

De leur montrer, avant sa mort,

le travail est un trésor.


Que
LIVRE CINQUIÈME. 291

FABLE X.

LA MONTAGNE ACCOUCHE.
QUI

Une en mal d'enfant


montagne
Jetoit une clameur si haute

Que chacun, au bruit accourant,


Crut qu'elle accoucheroit sans faute

D'une cité plus grosse que Paris :


Elle accoucha d'une souris.
FABLES DE LA FONTAINE.
292

Quand je à cette fable,


songe
Dont le récit est menteur

Et le sens est véritable,

Je me un auteur
figure
dit : « Je chanterai la
Qui guerre
les Titans au Maître du tonnerre. »
Que firent

C'est sort-il souvent?


promettre beaucoup : mais qu'en
Du vent.
LIVRE CINQUIEME. 293

FABLE XI.

LA FORTUNE ET LE JEUNE ENFANT.

Sur le bord d'un puits très-profond

Dormoit, étendu de son long,


Un Enfant alors dans ses classes.

Tout est aux écoliers couchette et matelas.

Un honnête homme, en pareil cas,

Auroit fait un saut de vingt brasses.

Près de là tout heureusement


294 FABLES DE LA FONTAINE.

La Fortune passa, l'éveilla doucement,

Lui disant : « Mon vous sauve la vie ;


mignon, je

Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.


Si vous fussiez tombé, l'on s'en fût pris à moi,
c'étoit votre faute.
Cependant,
Je vous demande, en bonne foi,

Si cette si haute
imprudence

Provient de mon » Elle à ces mots.


caprice. part

Pour moi, son propos.


j'approuve
Il n'arrive rien dans le monde

Qu'il ne faille qu'elle en réponde :


Nous la faisons de tous écots ;

Elle est à de toutes aventures.


prise garant
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures ;

On en être en accusant son sort :


pense quitte
la Fortune a tort.
Bref, toujours
I.A ]• OTPW^TTTL
1JLA1' I !VT
LIVRE CJ\Ol11 KM E 297

FABLE XII.

LES MÉDECINS.

Le médecin Tant-Pis alloit voir un malade

Que visitoit aussi son confrère Tant-Mieux.

Ce dernier son camarade


espéroit, quoique
Soutînt le iroit voir ses aïeux.
que gisant
Tous deux s'étant trouvés différents la
pour cure,
Leur malade le tribut à
paya nature,

Après qu'en ses conseils Tant-Pis eut été cru.


298 FABLES DE LA FONTAINE.

Ils encor sur cette maladie.


triomphoient
L'un disoit : < Il est l'avois bien
mort; je prévu.

S'il m'eût disoit il seroit de vie. »


cru, l'autre, plein
T'ESMKDECINS
LIVRE CINQUIÈME. 301

FABLE XIII.

LA POULE AUX OEUFS D'OR.

L'avarice tout en voulant tout gagner.


perd
Je ne le
veux, pour témoigner,

Que celui dont la à ce que dit la fable,


poule,
Pondoit tous les un œuf d'or.
jours
Il crut dans son elle avoit un trésor :
que corps
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable

A celles dont les œufs ne lui rien,


rapportoient
302 FABLES DE LA FONTAINE.

S'étant lui-même ôté le beau de son bien.


plus

Belle leçon pour les gens chiches !

Pendant ces derniers combien en a-t-on vus


temps,

Qui du soir au matin sont pauvres devenus,


Pour vouloir trop tôt être riches !
LA POULE
AUX OEUFSD'OR
LIVRE CINQUIÈME 305

FABLE XIV.

L'ANE PORTANT DES RELIQUES

Un Baudet chargé de reliques


l'adoroit :
S'imagina qu'on
Dans ce il se carroit,
penser
Recevant comme siens l'encens et les cantiques.
vit l'erreur, et lui dit :
Quelqu'un
« Maître de
Baudet, ôtez-vous l'esprit
Une vanité si folle.

20
306 FABLES DE LA FONTAINE.

Ce n'est vous, c'est l'Idole


pas
A cet honneur se rend,
qui
Et la en est due. »
que gloire

D'un magister ignorant


C'est la robe salue.
qu'on
LIVRE CINQUIÈME. 307

FABLE XV.

LE CERF ET LA VIGNE.

Un Cerf, à la faveur d'une fort


vigne haute,
Et telle en voit en de certains
qu'on climats,
S'étant mis à couvert et sauvé du trépas,
Les veneurs, ce croyoient leurs chiens en
pour coup, faute;
Ils les donc. Le Cerf, hors de
rappellent danger,
Broute sa bienfaitrice : extrême !
ingratitude
On l'entend, on on le fait
retourne, déloger :
FABLES OF LA FONTAINE.
308

Il vient mourir en ce lieu même.

« J'ai ce châtiment :
mérité, dit-il, juste
» Il tombe en ce moment.
Profitez-en, ingrats.
La meute en fait curée : il lui fut inutile

De aux veneurs à sa mort arrivés.


pleurer

Vraie ceux l'asile


image de qui profanent

Qui les a conservés.


J.t: CKÏiFETLAVIGNE.
LIVRE CINQUIÈME. 311

FABLE XVII

LE SERPENT ET LA LIME.

On conte voisin d'un


qu'un Serpent, horloger

(C'étoit pour un mauvais


l'horloger voisinage),
Entra dans sa cherchant à
boutique, et, manger,

N'y rencontra pour tout potage


Lime d'acier se mit à
Qu'une qu'il ronger.
Cette Lime lui dit, sans se mettre en colère :
« Pauvre eh! faire?
ignorant! que prétends-tu
312 FABLES DE LA FONTAINE.

Tu te prends à plus dur que toi,

Petit à tête folle :


serpent
Plutôt d'emporter de moi
que
Seulement le quart d'une obole,

Tu te toutes les dents.


romprois
Je ne celles du »
crains que temps.

Ceci s'adresse à du dernier


vous, esprits ordre,

bons à cherchez sur tout à mordre.


Qui, n'étant rien,

Vous vous tourmentez vainement.

vos dents im leurs


Croyez-vous que priment outrages

Sur tant de beaux ouvrages ?

Ils sont vous d'airain, d'acier, de diamant.


pour
LIVRE PREMIER. 313

FABLE XVII.

LE LIEVRE ET LA PERDRIX.

Il ne se faut des misérables :


jamais moquer
Car s'assurer d'être toujours heureux?
qui peut
Le ses fables
sage Ésope dans
Nous en donne un exemple ou deux.

Celui ces vers je propose,


qu'en
Et les siens, ce sont même chose.
o 14 FABLES DE LA FONTAINE.

Le Lièvre et la d'un
Perdrix, concitoyens champ,
Vivoient dans un état, ce semble, assez tranquille,

Quand une meute s'approchant


le à chercher un asile :
Oblige premier
Il s'enfuit dans son fort, met les chiens en défaut,
Sans même en excepter Brifaut.

Enfin il se trahit lui-même

Par les esprits sortants de son corps échauffé.

Miraut, sur leur odeur ayant philosophé,


Conclut que c'est son Lièvre, et d'une ardeur extrême

Il le pousse; et Rustaut, qui n'a jamais menti,

Dit que le Lièvre est reparti.


Le pauvre malheureux vient mourir en son gîte.
La Perdrix le raille et lui dit :

« Tu te vantois d'être si vite!

fait de tes » Au moment


Qu'as-tu pieds? qu'elle rit,
Son tour vient; on la trouve. Elle croit ses ailes
que
La sauront garantir à toute extrémité;
Mais la avoit
pauvrette compté
1
Sans l'autour aux serres cruelles.
LIVRE CINQUIEME. 315

FABLE XVIII.

L'AIGLE ET LE HIBOU.

et le Chat-Huant leurs cessèrent,


L'Aigle querelles
Et firent tant qu'ils s'embrassèrent.

L' un foi de l'autre foi de hibou,


jura roi,
ne se leurs ni
Qu'ils goberoient petits peu prou.
« Connoissez-vous les miens? dit l'oiseau de Minerve.

dit — Tant le triste oiseau :


— Non, l'Aigle. pis, reprit
Je crains en ce cas pour leur
peau;
316 FABLES DE LA FONTAINE.

C'est hasard si les conserve.


je
Comme vous êtes roi, vous ne considérez

Qui ni : rois et dieux mettent, qu'on leur die,


quoi quoi
Tout en même catégorie.

Adieu mes nourrissons, si vous les rencontrez.

— dit ou bien me les montrez;


Peignez-les-moi, l'Aigle,
Je toucherai de ma vie. »
n'y
Le hibou Mes petits sont mignons,
repartit : «

Beaux, bien faits, et sur tous leurs :


jolis compagnons

Vous les reconnoîtrez sans à cette


peine marque.

N'allez l'oublier; retenez-la si bien


pas

Que chez moi la maudite Parque


votre »
N'entre point par moyen.

Il Hibou Dieu donna géniture;


avint qu'au
De beau soir il étoit en pâture,
façon qu'un
Notre Aigle aperçut, d'aventure,

Dans les coins d'une roche dure,

Ou dans les trous d'une masure

ne sais des deux),


(Je pas lequel
De monstres fort hideux,
petits

Rechio'nés un ail'
r triste une voix de Méo'ère
hignes, triste, une voix de Mégère.
« Ces enfants ne sont pas, dit à notre ami.
l'Aigle,
» Le n'en fit pas à demi :
Croquons-les. galand
Ses ne sont point repas à la légère.
repas
Le Hibou, de retour, ne trouve que les
pieds

De ses chers nourrissons, hélas! pour toute chose.

Il se et les Dieux sont par lui


plaint; suppliés
De de son deuil est cause.
punir le brigand qui
I.'AIGLE
ET LEHIBOU.
LIVRE CINQUIEME. 319

lui dit alors : « N'en accuse


Quelqu'un que toi,
Ou plutôt la commune loi

Qui veut trouve son semblable


qu'on

Beau, bien fait, et sur tous aimable.

Tu fis de tes enfants à ce


l'Aigle portrait :
En avoient-ils le moindre trait? «
320 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIX.

A
LE LION S'EN ALLANT EN GUERRE

Le Lion dans sa tête avoit une entreprise :

Il tint conseil de ses prévôts,


guerre, envoya
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise :


devoit sur son dos
L'Éléphant
Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire;


LIVRE CINQUIÈME. 321

L'Ours, s'apprêter pour les assauts;


Le Renard, de secrètes
ménager pratiques;
Et le Singe, amuser l'ennemi ses tours.
par
«
Renvoyez, dit quelqu'un, les Anes sont lourds,
qui
Et les Lièvres, sujets à des terreurs
paniques.
- Point du dit le les veux
tout, roi; je employer :
Notre troupe sans eux ne seroit pas complète.
L'Ane effraiera les nous servant de
gens, trompette;
Et le Lièvre nous servir de courrier. »
pourra

Le et
monarque prudent sage
De ses moindres sujets sait tirer quelque usage
Et connoît les divers talents.

Il n'est rien d'inutile aux de sens.


personnes

21
322 FABLES DE LA FONTAINE

FABLE XX

L'OURS ET DEUX COMPAGNONS.


LES

Deux compagnons, pressés d'argent,


A leur voisin fourreur vendirent

La peau d'un Ours encor vivant,

Mais tueroient bientôt; du moins à ce dirent.


qu'ils qu'ils
C'étoit le roi des Ours au compte de ces gens.
marchand à sa devoit faire
Le peau fortune;
Elle des froids les plus cuisants;
garantiroit
I, 0IiTI
S E'f' M;S DI;I;\ COMPAGNONS.
LIVRE CINQUIÈME. 325

On en pourroit fourrer deux robes


plutôt qu'une.
Dindenaut prisoit moins ses moutons qu'eux leur ours :

Leur, à leur et non à celui de la bête.


compte,
S'offrant de la livrer au tard dans deux jours,
plus
Ils conviennent de prix, et se mettent en quête,
Trouvent l'Ours s'avance et vient vers eux au trot.
qui
Voilà mes comme d'un coup de foudre.
gens frappés
Le marché ne tint pas; il fallut le résoudre :

D'intérêts contre l'Ours, on n'en dit pas un mot.

L'un des deux au faîte d'un arbre;


compagnons grimpe

L'autre, froid n'est un marbre,


plus que
Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent,

part ouï dire


Ayant quelque

Que l'ours s'acharne peu souvent

Sur un ne vit, ne meut, ni ne respire.


corps qui
comme un sot, donna dans ce panneau :
Seigneur Ours,
Il voit ce le croit de vie,
corps gisant, privé

Et, de peur de supercherie,


Le le son museau,
tourne, retourne, approche
Flaire aux de l'haleine.
passages
« car il sent. «
C'est, dit-il, un cadavre, ôtons-nous,

A ces l'Ours s'en va dans la forêt prochaine.


mots,
L'un de nos deux marchands de son arbre descend,

Court à son lui dit c'est merveille


compagnon, que
n'ait eu seulement la tout mal.
Qu'il que peur pour
« Eh bien! la de l'animal?
ajouta-t-il, peau
Mais t'a-t-il dit à l'oreille?
que
Car il de bien près,
s'approchoit
326 FABLES DE LA FONTAINE.

Te retournant avec sa serre.

- Il m'a dit ne faut


qu'il jamais

Vendre la de l'ours ne l'ait mis terre. »


peau qu'on par
LIVRE CINQUIEME. 327

FABLE XXI.

L'ANE VÊTU DE LA PEAU DU LION.

De la peau du Lion l'Ane s'étant vêtu,

Étoit craint à la ronde ;


partout

Et, bien sans vertu,


qu'animal
Il faisoit trembler tout le monde.

Un bout d'oreille échappé par malheur


petit
Découvrit la fourbe et l'erreur :

Martin fit alors son office.


328 FABLES DE LA FONTAINE.

Ceux ne savoient la ruse et la malice


qui pas
S'étonnoient de voir Martin
que
Chassât les lions au moulin.

Force gens font du bruit en France

Par qui cet apologue est rendu familier.

Un cavalier
équipage
Fait les trois de leur vaillance.
quarts

FIN DU LIVRE CINQUIÈME.


LIVRE SIXIEME
LIVRE SIXIEME. 331

FABLE PREMIÈRE.

LE PATRE ET LE LION.

Les fables ne sont ce qu'elles semblent être;


pas
Le animal nous y tient lieu de maître.
plus simple
Une morale nue de l'ennui :
apporte
Le conte fait le avec lui.
passer précepte
En ces sortes de feinte il faut instruire et plaire;
Et conter conter me semble peu d'affaire.
pour
C'est cette raison leur esprit,
par qu'égarant
332 FABLES DE LA FONTAINE.

Nombre de gens fameux en ce ont écrit.


genre
Tous ont fui l'ornement et le d'étendue;
trop
On ne voit chez eux de
point parole perdue.
Phèdre étoit si succinct qu'aucuns l'en ont blâmé;

Ésope en moins de mots s'est encore exprimé.


Mais sur tous certain Grec renchérit, et se pique
D'une
élégance laconique;
Il renferme toujours son conte en
quatre vers ;
Bien ou le laisse à aux
mal, je juger experts.

Voyons-le avec en un sujet semblable.


Ésope
L'un amène un chasseur, l'autre un pâtre, en sa fable.

J'ai suivi leur à l'événement,


projet quant
Y cousant en chemin trait seulement.
quelque
Voici comme, à peu près, Esope le raconte :

Un à ses brebis trouvant mécompte,


pâtre, quelque
Voulut à toute force attraper le larron.

Il s'en va d'un antre, et tend à l'environ


près
Des lacs à cette
prendre loups, soupçonnant engeance.
« Avant de ces lieux,
que partir
Si tu fais, disoit-il, ô des Dieux,
monarque
le drôle à ces lacs se en ma
Que prenne présence,
Et que je goûte ce plaisir,
Parmi vingt Veaux je veux choisir

Le plus et t'en faire offrande. »


gras,
A ces mots sort de l'antre un Lion grand et fort;
Le Pâtre se tapit, et dit à demi mort :
« l'homme ne sait hélas! ce demande!
Que guère, qu'il
LIVRE SIXIÈME. 333

Pour trouver le larron détruit mon


qui troupeau,
Et le voir en ces lacs avant
pris que je parte,
0 des t'ai un veau :
monarque Dieux, je promis
Je te un bœuf si tu fais »
promets qu'il s'écarte.

C'est ainsi que l'a dit le auteur :


principal
Passons à son imitateur.
334 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE II.

LE LION ET LE CHASSEUR.

Un fanfaron, amateur de la chasse,

Venant de perdre un chien de bonne race

Qu'il soupçonnoit dans le corps d'un Lion,


«
Vit un berger : de
Enseigne-moi, grâce,
De mon voleur, lui dit-il, la maison,

Que de ce je me fasse raison. »


pas

Le dit : « C'est vers cette


berger montagne.
LIVRE SIXIEME. 335

En lui payant de tribut un mouton

Par dans la
chaque mois, j'erre campagne
Comme il me et je suis en repos. )
plaît;
Dans le moment qu'ils tenoient ces propos
Le Lion sort, et vient d'un pas agile.
Le fanfaron aussitôt d'esquiver :
« O
Jupiter, montre-moi quelque asile,

S'écria-t-il, me sauver! »
qui puisse

La vraie épreuve de courage


N'est dans le danger que l'on touche du doigt :
que
Tel le cherchoit, dit-il, de
qui, changeant langage,
S'enfuit aussitôt qu'il le voit.
336 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE III.

PHÉBUS ET BORÉE.

Borée et le Soleil virent un voyageur

Qui s'étoit muni par bonheur

Contre le mauvais On entroit dans


temps. l'automne,
la aux est bonne :
Quand précaution voyageurs
Il pleut; le soleil luit; et d'Iris
l'écharpe
Rend ceux sortent avertis
qui

Qu'en ces mois le manteau leur est fort nécessaire :


LIVRE SIXIÈME 337

Les Latins les nommoient douteux, cette affaire.


pour
Notre homme s'étoit donc à la attendu :
pluie
Bon manteau bien doublé, bonne étoffe bien forte.
« le
Celui-ci, dit Vent, prétend avoir pourvu
A tous les mais il n'a
accidents ; pas prévu
Que je saurai souffler de sorte

Qu'il n'est bouton il si


qui tienne : faudra, je veux,

Que le manteau s'en aille au diable.


L'ébattement pourroit nous en être agréable :
Vous de l'avoir? — Eh bien! nous
plaît-il gageons deux,
Dit tant de
Phébus, sans paroles,
A tôt
qui plus aura dégarni les épaules
Du cavalier nous
que voyons.
Commencez : je vous laisse obscurcir mes Il
rayons.
Il n'en fallut Notre souffleur à
pas plus. gage
Se de comme un ballon,
gorge vapeurs, s'enfle
Fait un vacarme de
démon,

Siffle, souffle, tempête, et brise en son


passage
Maint toit n'en mais, fait maint bateau :
qui peut périr
Le tout au sujet d'un manteau.

Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage


Ne se dedans.
pût engouffrer
Cela le Le Vent son
préserva. perdit temps;
Plus il se tourmentoit, l'autre tenoit ferme :
plus
Il eut beau faire le collet et les
agir plis.
Sitôt qu'il fut au bout du terme

Qu'à la gageure on avait mis,


Le Soleil la nue,
dissipe

22
338 FABLES DE LA FONTAINE.

Recrée et le cavalier,
puis pénètre enfui
Sous son balandras fait qu'il sue,

Le contraint de s'en dépouiller :

Encor n'usa-t-il de toute sa


pas puissance.

Plus fait douceur violence.


que
LIVRE SIXIÈME. 339

FABLE IV.

JUPITER ET LE MÉTAYER.

Jupiter eut jadis une ferme à donner.

Mercure en fit et se
l'annonce, gens présentèrent,
Firent des offres, écoutèrent :

Ce ne fut sans bien


pas tourner;
L'un
alléguoit que l'héritage
Etoit et et l'autre un autre si.
frayant rude,
Pendant marchandoient ainsi,
qu'ils
340 FABLES DE LA FONTAINE.

Un le mais non le plus sage,


d'eux, plus hardi, pas

Promit d'en rendre tant, pourvu que Jupiter

Le laissât disposer de l'air,

Lui donnât saison à sa guise,

eût du du du beau de la bise,


Qu'il chaud, froid, temps,

Enfin du sec et du mouillé,

Aussitôt auroit bâillé.


qu'il
consent. Contrat notre homme
Jupiter y passé,
Tranche du roi des vente, et fait en somme
airs, pleut,
Un climat lui seul : ses voisins
pour plus proches

Ne s'en sentoient non les Américains.


plus que

Ce fut leur ils eurent bonne année,


avantage :
Pleine moisson, vinée.
pleine

Monsieur le receveur fut très-mal partagé.

L'an suivant, voilà tout changé :

Il d'une autre sorte


ajuste
* ..,.
La des cieux.
température
Son ne s'en trouve pas mieux;
champ
Celui de ses voisins fructifie et rapporte.

fait-il? Il recourt au des Dieux.


Que monarque

Il confesse son imprudence.

en usa comme un maître fort doux.


Jupiter

Concluons la Providence
que

Sait ce nous faut mieux nous.


qu'il que
LIVRE SIXIÈME. 341

FABLE V.

LE LE CHAT ET LE
COCHET, SOURICEAU.

Un Souriceau tout et n'avoit rien


jeune, qui vu,
Fut au
presque pris dépourvu.
Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
« J'avois franchi les monts bornent cet
qui État,
Et trottois comme un jeune Rat

Qui cherche à se donner carrière,

Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :


342 FABLES DE LA FONTAINE.

L'un doux, bénin, et gracieux,


Et l'autre turbulent, et plein d'inquiétude;
Il a la voix perçante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,

Une sorte de bras dont il s'élève en l'air

Comme prendre sa volée,


pour
La en étalée. »
queue panache

Or, c'étoit un Cochet, dont notre Souriceau

Fit à sa mère le tableau,

Comme d'un animal venu de l'Amérique.


« Il se battoit, dit-il, les flancs avec ses bras,

Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, aux Dieux de courage me


qui grâce pique,
En ai pris la fuite de peur,
Le maudissant de très-bon cœur.

Sans lui j'aurois fait connoissance

Avec cet animal m'a semblé si doux :


qui
Il est velouté comme nous,

longue queue, une humble contenance,


Marqueté,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.

Je le crois fort sympatisant


Avec messieurs les Rats; car il a des oreilles

En figure aux nôtres pareilles.


Je l'allois a bord er, d'un son d'éclat
quand plein
L'autre m'a fait la fuite.
prendre
- Mon dit la ce doucet est un
fils, Souris, Chat,

Qui, sous son minois hypocrite,


Contre toute ta parenté
LIVRE SIXIÈME. 343

D'un malin vouloir est porté.


L'autre animal, tout au contraire,
Bien de nous mal faire,
éloigné
Servira jour peut-être à nos
quelque repas.

Quant au Chat, c'est sur nous fonde sa cuisine.


qu'il

Garde-toi, tant que tu vivras,


De les sur la mine. »
juger gens
344 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VI.

LE RENARD, LE SINGE ET LES ANIMAUX.

Les Animaux, au décès d'un Lion,

En son vivant prince de la contrée,


Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on.

De son étui la couronne est tirée :

Dans une chartre un la


dragon gardoit.
Il se trouva sur tous
que, essayée,
A un d'eux elle ne convenoit :
pas
LIVRE SIXIEME. 345

Plusieurs avoient la tête trop menue,


Aucuns trop aucuns même cornue.
grosse,
Le aussi fit en
Singe l'épreuve riant;

Et, par plaisir la tiare essayant,


Il fit autour force
grimaceries,
Tours de et mille
souplesse, singeries,
Passa dedans ainsi un cerceau.
qu'en
Aux animaux cela sembla si beau,

Qu'il fut élu : chacun lui fit


hommage.
Le Renard seul son
regretta suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.

Quand il eut fait son petit compliment,


Il dit au roi : « Je sais, une
Sire, cache,
Et ne crois moi la sache.
pas qu'autre que
Or tout droit de
trésor, par royauté,

Appartient, Sire, à Votre Majesté.


Le nouveau roi bâille la
après finance;
Lui-même y court n'être pas trompé.
pour
C'étoit un il fut
piège : y attrapé.
Le Renard dit, au nom de l'assistance :
cc Prétendrois-tu nous gouverner encor,
Ne sachant te conduire toi-même?
pas
Il fut démis ; et l'on tomba d'accord

Qu'à peu de convient le diadème.


gens
3/;6 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VII.

LE MULET SE VANTANT DE SA GÉNÉALOGIE.

Le Mulet d'un se de noblesse,


prélat piquoit
Et ne parloit incessamment

Que de sa mère la Jument,

Dont il contoit mainte prouesse.


Elle avoit fait ceci, puis avoit été là.

Son fils cela


pretendoit pour

Qu'on le dÚt. mettre dans l'histoire.


LIVRE SIXIÈME. 347

Il eût cru s'abaisser servant un médecin.

Étant devenu vieux, on le mit au moulin :

Son l'Ane alors lui revint en mémoire.


père

Quand le malheur ne seroit bon

Qu'à mettre un sot à la raison,

seroit-ce à cause
Toujours juste
le dit bon à chose.
Qu'on quelque
348 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

LE VIEILLARD ET L'ANE.

Un Vieillard sur son Ane aperçut en passant


Un pré plein d'herbe et fleurissant :

Il y lâche sa bête, 7 et le se rue


grison
o
Au travers de l'herbe menue,
Se vautrant, grattant, et frottant,

Gambadant, chantant, et broutant,


Et faisant mainte nette.
place
LIVRE SIXIÈME. 349

L'ennemi vient sur l'entrefaite.


«
Fuyons, dit alors le Vieillard.
- le
Pourquoi? répondit paillard;
Me fera-t-on porter double bât, double charge?
- Non dit le d'abord le
pas, Vieillard, qui prit large.
- Et dit l' à sois?
que m'importe donc, Ane, qui je

Sauvez-vous, et me laissez paître.


Notre ennemi, c'est notre maître :

Je vous le dis en bon »


francois.
ii
> LA
350 FABLES DE FONTAINE.

FABLE IX.

LE CERF SE VOYANT DANS L'EAU.

Dans le cristal d'une fontaine

Un Cerf se mirant autrefois


Louoit la beauté de son bois,

Et ne peine
pouvoit qu'avecque
Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyoit l'objet se dans les eaux. -.
perdre
« de mes à ma tête !
Quelle proportion pieds
r.E c; F.nFSEVO YAnt daNSI-'F.aV
LIVRE SIXIÈME. 353

Disoit-il en voyant leur ombre avec douleur :

Des taillis les hauts mon front atteint le faîte;


plus
Mes ne me font d'honneur. »
pieds point
Tout en de la sorte,
parlant
Un limier le fait partir.
Il tâche à se
garantir;
Dans les forêts il s'emporte :
Son bois, ornement, T
dommageable
L'arrêtant à
chaque moment,
Nuit à l'office lui rendent
que
Ses de ses
pieds, qui jours dépendent.
Il se dédit alors, et maudit les présents

Que le ciel lui fait tous les ans.

Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile;

Et le beau souvent nous détruit.

Ce Cerf blâme ses le rendent


pieds qui agile;
Il estime un bois lui nuit.
qui

23
354, FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE X.

LE LIÈVRE ET LA TORTUE.

Rien ne sert de courir; il faut partir à


point :
Le Lièvre et la Tortue en sont un
témoignage.

«
Gageons, dit celle-ci, vous n'atteindrez
que point
Sitôt moi ce but. - Sitôt! êtes-vous
que sage?
Repartit l'animal léger :
Ma commère, il vous faut
purger
Avec d'ellébore.
quatre grains
LIVRE SIXIÈME. 355

- ou encore. «
Sage non, je parie
Ainsi fut fait; et de tous deux

On mit près du but les enjeux ;


Savoir quoi, ce n'est pas l'affaire,
Ni de quel juge l'on convint.

Notre Lièvre n'avoit que quatre pas à faire;


J'entends de ceux qu'il fait lorsque, prêt d'être atteint,
Il des chiens, les renvoie aux calendes,
s'éloigne
Et leur fait arpenter les landes.
,
Ayant, dis-je, du temps de reste pour brouter,
Pour dormir, et pour écouter

D'où vient le vent, il laisse la Tortue

Aller son train de sénateur. j


Elle part, elle s'évertue,

Elle se hâte avec lenteur.

Lui cependant méprise une telle victoire,


Tient la à de
gageure peu gloire,
Croit qu'il va de son honneur
y
De tard. Il il se
partir broute, repose;
Il s'amuse à toute autre chose

Qu'à la A la fin, quand il vit


gageure.

Que l'autre touchoit au bout de la carrière,


presque
Il comme un trait; mais les élans fit
partit qu'il
Furent vains : la Tortue arriva la
première.
« Eh bien ! lui raison ?
cria-t-elle, avois-je pas

De vous sert votre vitesse?


quoi
Moi et seroi t-ce,
l'emporter! que
Si vous une maison? »
portiez
356 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE Xl.

L'ANE ET SES MAITRES.

L'Ane d'un se au Destin


jardinier plaignoit
De ce qu'on le faisoit lever devant l'aurore.

« Les lui disoit-il, ont beau chanter matin,


coqs,
Je suis plus matineux encore.

Et pour des herbes au marché.


pourquoi? porter
Belle nécessité mon somme ! »
d'interrompre
Le Sort, de sa
plainte touché,
LIVRE SIXIÈME. 357

Lui donne un autre maître; et l'animal de somme

Passe du jardinier aux mains d'un corroyeur.


La des et leur mauvaise
pesanteur peaux odeur

Eurent bientôt choqué l'impertinente bête.

« J'ai disoit-il, à mon


regret, premier seigneur.

Encor, quand il tournoit la tête,

J'attrapois, s'il m'en souvient bien,

Quelque morceau de chou qui ne me coûtoit rien :

Mais ici si ai
point d'aubaine, ou, j'en quelqu'une,
C'est de » Il obtint de
coups. changement fortune;
Et sur l'état d'un charbonnier

Il fut couché tout le dernier.

Autre « donc! dit le Sort


plainte. Quoi en colère,
Ce baudet-ci m'occupe autant

Que cent monarques pourroient faire !

Croit-il être le seul qui ne soit pas content ?

N'ai-je en son affaire? »


l'esprit que

Le Sort avoit raison. Tous sont ainsi faits :


gens
Notre condition jamais ne nous contente;

La est la
pire toujours présente.
Nous le ciel force de placets.
fatiguons à
Qu'à chacun Jupiter accorde sa requête,
Nous lui romprons encor la tête.
358 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XII.

LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES.

Aux noces d'un tyran tout le peuple en liesse

Noyoit son souci dans les pots.


seul trouvoi t les étoient sots
Ésope que gens
De témoigner tant d'allégresse.

Le Soleil, disoit-il, eut dessein autrefois

De à
songer l'hyménée.
LIVRE SIXIÈME. 359

Aussitôt on ouït, d'une commune voix,


Se plaindre de leur destinée

Les citoyennes des étangs.


« s'il
Que ferons-nous, lui vient des enfants ?

Dirent-elles au Sort : un seul Soleil à


peine
Se une demi-douzaine
peut souffrir;
Mettra la mer à sec et tous ses habitants.

Adieu joncs et marais : notre race est détruite;


Bientôt on la verra réduite

A l'eau » Pour un
du Styx. pauvre animal,

Grenouilles, à mon sens, ne résonnoient pas mal.


360 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIII.

LE VILLAGEOIS ET LE SERPENT.

Esope conte qu'un manant,

Charitable autant que peu sage,


Un d'hiver se
jour promenant
A l'entour de son héritage,
un Serpent sur la étendu,
Aperçut neige

Transi, gelé, perclus, immobile rendu,


à vivre un d'heure.
N'ayant pas quart
LE VILLAGEOIS
ET LE SERPENT.
LIVRE SIXIÈME. 363

Le le en sa
villageois prend, l'emporte demeure,

Et, sans considérer sera le loyer


quel

D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du
foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.

L'animal sent à le
engourdi peine chaud,

Que l'âme lui revient la colère.


avecque
IL lève un la et siffle aussitôt;
peu tête, puis
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut

Contre son bienfaiteur, son sauveur, et son père.


« le
dit manant, voilà donc mon salaire?
Ingrat,
Tu mourras. » A ces d'un
mots, plein juste courroux,
Il vous sa il vous tranche la bête;
prend cognée,
Il fait trois serpents de deux coups,
Un tronçon, la et la tête.
queue,

L'insecte, sautillant, cherche à se réunir;

Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable :

Mais envers c'est là le point.


qui?

Quant aux il n'en est point


ingrats,

Qui ne meure enfin misérable.


364 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIV.

LE LION MALADE ET LE RENARD.

De par le Roi des animaux,

Qui dans son antre étoit malade,


Fut fait savoir à ses vassaux

Que chaque en ambassade


espèce

Envoyât gens le visiter ;

Sous promesse de - bien traiter

Les eux et leur


députés, suite,
LE LION MALADEET LE RENARD
LIVRE SIXIÈME. 367

Foi de Lion, très-bien écrite :

Bon passe-port contre la dent,


Contre la griffe tout autant.

L'édit du prince s'exécute :

De chaque espèce on lui


députe.
Les Renards la
gardant maison,
Un d'eux en dit cette raison :
« Les sur la
pas empreints poussière
Par ceux s'en vont faire au malade leur
qui cour,

Tous, sans sa
exception, regardent tanière;
Pas un ne de retour :
marque
Cela nous met en méfiance.

Que Sa Majesté nous dispense :


Grand merci de son passe-port.
Je le crois bon : mais dans cet antre

Je vois fort bien comme l'on entre,


Et ne vois pas comme on en sort. «
368 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XV.

L'OISELEUR, L'AUTOUR ET L'ALOUETTE

Les injustices des pervers


Servent souvent d'excuse aux nôtres.

Telle est la loi de l'Univers :

Si tu veux qu'on t'épargne, aussi les autres.


épargne

Un manant au miroir prenoit des oisillons.

Le fantôme brillant attire une Alouette :


LIVRE SIXIÈME. 369

Aussitôt un Autour, sur les sillons,


planant
Descend des airs, fond et se jette
Sur celle chantoit, du tombeau.
qui quoique près
Elle avoit évité la fatale machine,

Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau,


Elle sent son maline.
ongle
Pendant la l'Autour est
qu'à plumer occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé :
«
Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage;
Je ne t'ai fait de mal. »
jamais
L'Oiseleur « Ce animal
repartit : petit
T'en avait-il fait »
davantage ?

24
370 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVI.

LE CHEVAL ET L'ANE.

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir :

Si ton voisin vient à


mourir,
C'est sur toi le fardeau tombe.
que

Un Ane accompagnoit un Cheval peu courtois,


Celui-ci ne portant son
que simple harnois,
Et le baudet si
pauvre chargé qu'il succombe.
LIVRE SIXIÈME. 371

Il le Cheval de l'aider
pria quelque peu;
Autrement il mourroit devant à la ville.
qu'être
« La n'en est incivile :
prière, dit-il, pas
Moitié de ce fardeau ne vous sera »
que jeu.
Le Cheval refusa, fit une pétarade;
Tant vit sous le faix mourir son
qu'il camarade,
Et reconnut avoit tort.
qu'il
Du baudet en cette aventure

On lui fit la voiture,


porter
Et la encor.
peau par-dessus
372 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVII.

LE CHIEN LÂCHE SA PROIE POUR L'OMBRE.


QUI

Chacun se trompe ici-bas :

On voit courir l'ombre


après
Tant de fous n'en sait pas,
qu'on
La du le nombre.
plupart temps,
Au Chien dont parle il faut les
Ésope renvoyer.

Ce Chien, voyant sa en l'eau


proie représentée,
LIVRE SIXIÈME. 373

La quitta et pensa se noyer.


pour l'image,
La rivière devint tout d'un coup agitée;
A toute il les
peine regagna bords,

Et n'eut ni l'ombre ni le corps.


374 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVIII.

LE CHARTIER EMBOURBÉ.

Le Phaéton d'une voiture à foin

Vit son char embourbe. Le pauvre homme étoit loin

tout humain secours : c'étoit à la


De campagne,
Près d'un certain canton de la
Basse-Bretagone,

Appelé Quimper-Corentin.
On sait assez le Destin
que
Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage.
LE CHARTIEREMBOURBÉ.
LIVRE SIXIÈME. 377

Dieu nous préserve du


voyage!
Pour venir au Chartier embourbé dans ces lieux,
Le voilà déteste et de son mieux,
qui jure

Pestant, en sa fureur extrême,


Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.

Il à la fin le dieu dont les travaux


invoque
Sont si célèbres dans le monde :
«
Hercule, lui dit-il, aide-moi ; si ton dos
A la machine
porté ronde,
Ton bras peut me tirer d'ici. »

Sa étant il entend dans la nue


prière faite,
Une voix qui lui parle ainsi :
« Hercule veut se
qu'on remue,
Puis il aide les d'où
gens. Regarde provient

L'achoppement qui te retient ;


Ote d'autour de roue
chaque
Ce malheureux cette maudite boue
mortier,

Qui jusqu'à l'essieu les enduit;


Prends ton et me ce caillou te
pic, romps qui nuit;

Comble-moi cette ornière. As-tu fait ? dit
Oui, l'homme.
- Or bien vas
je t'aider, dit la voix; ton fouet.
prends
- Je l'ai
pris. Qu'est ceci? mon char marche à souhait.
Hercule en soit loué ! » Lors la voix : « Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

Aide-toi, le ciel t'aidera. »


378 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIX.

LE CHARLATAN.

Le Monde n'a jamais manqué de charlatans :

Cette science, de tout temps,


Fut en professeurs très-fertile.

Tantôt l'un en théâtre affronte l'Achéron,

Et l'autre affiche la ville


par

Qu'il est un
passe-Cicéron.
LIVRE SIXIEME. 379

Un des derniers se vantoit d'être

En si
éloquence grand maître,

Qu'il rendroit disert un badaud,

Un manant, un rustre, un lourdaud;

« Oui, messieurs, un lourdaud, un animal, un âne :

Que l'on m'amène un âne, un âne renforcé,

Je le rendrai maître passé,


Et veux la soutane. »
qu'il porte
Le sut la chose; il manda le rhéteur.
prince
« en mon écurie
J'ai, dit-il,

Un fort beau roussin d'Arcadie ;


J'en voudrois faire un orateur.

- »
Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre liomme.

On lui donna certaine somme.

Il devoit, au bout de dix ans,

Mettre son âne sur les bancs;

Sinon, il consentoit d'être en place publique


Guindé la hart au col, étranglé court et net,

au dos sa
Ayant rhétorique,
Et les oreilles d'un baudet.

des courtisans lui dit qu'à la potence


Quelqu'un
Il vouloit l'aller voir, et que, pour pendu,
un
Il auroit bonne et beaucoup de prestance :
grâce
Surtout se souvînt de faire à l'assistance
qu'il
Un discours où son art fût au
long étendu ;
Un discours et dont le formulaire
pathétique,
Servît à certains Cicérons

Vulgairement nommés larrons.


380 FABLES DE LA FONTAINE.

L'autre «
reprit : Avant l'affaire,

Le ou nous mourrons. »>


roi, l'âne, moi,

Il avoit raison. C'est folie

De sur dix ans de vie.


compter
bien buvants, bien mangeants,
Soyons

Nous devons à la mort de trois l'un en dix ans.


LIVRE SIXIÈME. 381

FABLE XX.

LA DISCORDE.

La déesse Discorde brouillé les Dieux,


ayant
Et fait un là-haut une
grand procès pour pomme,
On la fit des cieux.
déloger
Chez l'animal appelle homme
qu'on
On la à bras ouverts,
reçut
Elle et son frère,
Que-si-que-non,

Avecque Tien-et-mien, son père.


382 FABLES DE LA FONTAINE.

Elle nous fit l'honneur en ce bas univers

De préférer notre hémisphère


A celui des mortels nous sont
qui opposés,
Gens grossiers, peu civilisés,

Et sans prêtre et sans notaire,


qui, se mariant
De la Discorde n'ont que faire.

Pour la faire trouver aux lieux où le besoin

Demandoit qu'elle fût présente,


La Renommée avoit le soin

De l'avertir; et l'autre, diligente,


Couroit vite aux débats, et la Paix;
prévenoit
Faisoit d'une étincelle un feu long à s'éteindre.

La Renommée enfin de se
commença plaindre

Que l'on ne lui trouvoit jamais


De demeure fixe et certaine;

Bien souvent l'on à la chercher, sa peine :


perdoit,
Il falloit donc eût un séjour affecté,
qu'elle
Un d'où l'on en toutes les
séjour pût familles
à arrêté.
L'envoyer jour

Comme il n'étoit alors aucun couvent de filles,


On trouva difficulté.
y
enfin de
L'auberge l'hyménée
Lui fut pour maison assignée.
LIVRE SIXIÈME. 383

FABLE XXI.

LA JEUNE VEUVE,

La perte d'un ne va sans


époux point soupirs :
On fait de bruit, et on se console.
beaucoup puis
Sur les ailes du la tristesse s'envole :
Temps
Le ramène les
Temps plaisirs.
Entre la Veuve d'une année

Et la Veuve d'une journée


La différence est on ne croiroit
grande : jamais
384 FABLES DE LA FONTAINE.

Que ce fût la même personne ;


L'une fait fuir les et l'autre a mille attraits :
gens,
Aux vrais ou faux celle-là s'abandonne;
soupirs
C'est toujours même note et pareil entretien.

On dit qu'on est inconsolable :

On le dit; il n'en est rien,

Comme on verra par cette fable,

Ou la vérité.
plutôt par

d'une jeune beauté


L'époux
Partoit l'autre monde. A ses côtés sa femme
pour
Lui crioit : « te et mon
Attends-moi, je suis; âme,

Aussi bien la est à s'envoler. »


que tienne, prête
Le mari fait seul le
voyage.
La belle avoit un homme et
père, prudent sage ;
Il laissa le torrent couler.

A la fin, la consoler :
pour
« Ma lui dit-il, c'est verser de larmes :
fille, trop

Qu'a besoin le défunt vous noyiez vos charmes ?


que
est des vivants, ne songez plus aux morts.
Puisqu'il
Je ne dis tout à l'heure
pas que
Une condition meilleure

en des noces ces transports ;


Change
Mais après certain souffrez qu'on vous propose
temps
Un époux beau, bien fait, jeune, et tout autre chose

le défunt. — Ah! dit-elle


Que aussitôt,
Un cloître est me faut. »
l'époux qu'il
Le lui laissa digérer sa disgrâce.
père
LA JEUNE VEUVE 25
LIVRE SIXIÈME.
387

Un mois de la sorte se
passe;
L'autre on à
mois, l'emploie changer tous les jours
Quelque chose à l'habit, au à la
linge, coiffure :
Le deuil enfin sert de parure,
En attendant d'autres atours.
Toute la bande des Amours
Revient au les les
colombier; jeux, ris, la danse
Ont aussi leur tour à la fin :
On se soir et matin
plonge
Dans la fontaine de Jouvence.
Le père ne ce défunt
craint plus tant chéri;
Mais comme il ne de rien à
parloit notre belle :
« Où donc le
est jeune mari

Que vous m'avez » dit-elle.


promis?
FABLES DE LA FONTAINE.
388

ÉPILOGUE.

Bornons ici cette carrière :

Les me font peur.


longs ouvrages
Loin une matière,
d'épuiser
On n'en doit la fleur.
prendre que

Il s'en va temps que je reprenne

Un de forces et d'haleine
peu
Pour fournir à d'autres projets.

ce de ma vie,
Amour, tyran
Veut de sujets :
que je change
Il faut contenter son envie.

à Damon, vous m'exhortez


Retournons Psyché.
A ses malheurs et ses félicités :
peindre
ma veine
J'y consens; peut-être
En sa faveur s'échauffera.

Heureux si ce travail est la dernière peine

son me causera!
Que époux

FIN DU LIVRE SIXlinUE.


LIVRE SEPTIEME
LIVRE SEPTIEME. 391

MADAME DE MONTESPAN.

L'apologue est un don vient des Immortels;


qui
Ou si c'est un des hommes,
présent
nous l'a fait mérite des autels : j
Quiconque

Nous devons tous tant que nous sommes

Ériger en divinité
J
Le sage par fut ce bel art inventé.
qui
un charme : il rend l'âme attentive,
C'est proprement
J
i
392 FABLES DE LA FONTAINE.

Ou plutôt il la tient captive,


Nous attachant à des récits

Qui mènent à son gré les cœurs et les esprits.


0 vous l'imitez, Olympe, si ma muse
qui
A à la table des
quelquefois pris place Dieux ,

Sur ses dons aujourd'hui porter les yeux ;


daignez
Favorisez les jeux où mon esprit s'amuse.

Le détruit tout, respectant votre appui,


temps, qui
Me laissera franchir les ans dans cet ouvrage :
Tout auteur voudra vivre encore après lui
qui
Doit s'acquérir votre suffrage.
C'est de vous mes vers attendent tout leur prix :
que
Il n'est beauté dans nos écrits

Dont vous ne aux moindres traces.


connoissiez jusques
Eh! connoît vous les beautés et les grâces?
qui que
Paroles et tout est charme dans vous.
regards,
Ma muse, en un sujet si doux,

Voudroit s'étendre davantage;

Mais il faut réserver à d'autres cet emploi;

Et d'un maître moi


plus grand que
Votre est le partage.
louange
c'est assez mon dernier
Olympe, qu'à ouvrage
Votre nom serve un de et d'abri;
jour rempart
le livre favori
Protégez désormais
Par qui j'ose espérer une seconde vie;

Sous vos seuls ces vers


auspices
Seront jugés, malgré l'envie,

Dignes des yeux de l'Univers.


LIVRE SEPTIÈME. 393

Je ne mérite une faveur si


pas grande;
La fable en son nom la demande ;

Vous savez a sur nous.


quel crédit ce mensonge
S'il procure à mes vers le bonheur de vous plaire,
Je croirai lui devoir un salaire :
temple pour
Mais je ne veux bâtir des vous.
temples que pour
394 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE PREMIÈRE.

LES ANIMAUX MALADES DE LA PESTE.

Un mal répand la terreur,


qui
Mal que le ciel en sa fureur

Inventa pour punir les crimes de la terre,


La Peste (puisqu'il faut par son
l'appeler nom),

Capable d'enrichir en un jour l'Achéron,


Laisoit aux Animaux la
guerre.
LESANlMAUXM
ALA
j)ES ))K LA PASTE.
LIVRE SEPTIÈME. 397

Ils ne mouroient tous, mais tous étoient


pas frappés :
On n'en voyoit point d'occupés
A chercher le soutien d'une mourante vie;

Nul mets n'excitoient leur envie;

Ni Loups ni Renards n'épioient


La douce et l'innocente proie;
Les Tourterelles se fuyoient :

Plus d'amour, plus de joie.


partant
Le Lion tint et dit : « Mes chers amis,
conseil,
Je crois le ciel a
que permis
Pour nos cette infortune.
péchés
le de nous
Que plus coupable
Se sacrifie aux traits du céleste courroux;

Peut-être il obtiendra la commune.


guérison
L'histoire nous de tels accidents
apprend qu'en
On fait de dévouements.
pareils
Ne nous flattons donc sans indulgence
point; voyons
L'état de notre conscience.

Pour moi, satisfaisant mes appétits gloutons,


J'ai dévoré force moutons.

Que m'avoient-ils fait? nulle offense;

Même il m'est arrivé de manger


quelquefois
Le berger.
Je me dévouerai donc, s'il le faut : mais je pense

Qu'il est bon chacun s'accuse ainsi que moi;


que
Car on doit souhaiter, selon toute justice,

Que le plus coupable périsse.

Sire, dit le Renard, vous êtes trop bon roi;


398 FABLES DE LA FONTAINE.

Vos font voir trop de délicatesse.


scrupules
Eh bien! manger moutons, canaille, sotte espèce,
Est-ce un péché? Non, non. Vous leur fîtes, Seigneur,
En les beaucoup d'honneur;
croquant,
Et au berger, l'on peut dire
quant

Qu'il étoit de tous maux,


digne
Étant de ces gens-là sur les animaux
qui
Se font un »
chimérique empire.
Ainsi dit le Renard; et flatteurs d'applaudir.
On n'osa trop approfondir
Du Tigre, ni de l'Ours, ni des autres puissances,
Les moins pardonnables offenses.

Tous les Matins,


gens querelleurs, jusqu'aux simples
Au dire de chacun, étoient de saints.
petits
L'Ane vint à son tour, et dit : « J'ai souvenance

Qu'en un pré de moines passant,


La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,

Quelque diable aussi me poussant,


Je tondis de ce la de ma
pré largeur langue;
Je n'en avois nul droit, faut net. »
puisqu'il parler
A ces on cria haro sur le baudet.
mots,
Un sa
Loup, quelque peu clerc, prouva par harangue
Qu'il falloit dévouer ce maudit animal,
Ce pelé, ce venoit tout leur mal.
galeux, d'où
Sa peccadille fut un cas
jugée pendable.

Manger l'herbe d'autrui! crime abominable!


quel
Rien la mort n'étoit
que capable

D'expier son forfait. On le lui fit bien voir.


LIVRE SEPTIEME. 399

Selon vous serez ou misérable,


que puissant
Les de cour vous rendront blanc ou noir.
jugements
400 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE LI.

LK MAL MARIÉ.

le bon soit camarade du beau,


Que toujours

Dès demain je chercherai femme;

Mais comme le divorce entre eux n'est pas nouveau,

Et de beaux hôtes d'une belle âme,


que peu corps,
Assemblent l'un et l'autre point,

Ne trouvez mauvais ne cherche point.


pas que je

J'ai vu aucuns d'eux ne me tentent :


beaucoup d'hymens;
LIVRE SEPTIÈME. 401

des humains presque les


Cependant quatre parts

S'exposent hardiment au plus grand des hasards;


Les aussi des humains se
quatre parts repentent.
J'en vais un s'étant
alléguer qui, repenti,
Ne put trouver d'autre parti

Que de renvoyer son

avare, et
Querelleuse, jalouse.
épouse,
Rien ne la contentoit, rien n'étoit comme il faut :

On se levoit trop tard, on se couchoit tôt;


trop
Puis du blanc, puis du noir, puis encore autre chose.

Les valets enrageoient; l'époux étoit à bout :

Monsieur ne à monsieur
songe rien, dépense tout,
Monsieur court, monsieur se repose.
Elle en dit tant, monsieur, à la fin,
que
Lassé d'entendre un tel lutin,

Vous la renvoie à la
campagne
Chez ses parents. La voilà donc compagne
De certaines Philis qui gardent les dindons

Avec les gardeurs de cochons.

Au bout de temps la crut adoucie ,


quelque qu'on
« bien ! fait?
Le mari la reprend. Eh qu'avez-vous
Comment votre vie?
passiez-vous
L'innocence des est-elle votre fait?
champs
— dit-elle : mais ma
Assez, peine

Étoit de voir les gens plus paresseux qu'ici;


Ils n'ont des nul souci.
troupeaux
Je leur savois bien dire, et m'attirois la haine

De tous ces si
gens peu soigneux.

26
402 FABLES DE LA FONTAINE.

- Eh! son tout à


madame, reprit époux l'heure,
Si votre est si
esprit hargneux

Que le monde qui ne demeure

Qu'un moment avec vous, et ne revient qu'au soir,


Est déjà lassé de vous voir,

feront des valets toute la


Que qui, journée,
Vous verront contre eux déchaînée?

Et que pourra faire un époux

Que vous voulez qui soit jour et nuit avec vous ?

Retournez au adieu. Si de ma vie


village :
Je vous rappelle, et qu'il m'en prenne envie,

Puissé-je chez les morts avoir, pour mes péchés,


Deux femmes comme vous sans cesse à mes côtés! »
LIVRE SEPTIÈME. 403

FABLE 111.

LE RAT QUI S'EST RETIRÉ DU MONDE.

Les Levantins en leur légende


Disent qu'un certain Rat, las des soins d'ici-bas,
Dans un de Hollande
fromage
Se retira loin du tracas.

La solitude étoit profonde,


S'étendant à la ronde.
partout
Notre ermite nouveau subsistoit là dedans.

Il fit tant, de et de dents,


pieds
404 FABLES DE LA FONTAINE.

Qu'en peu de jours il eut au fond de


l'ermitage
Le vivre et le couvert : faut-il davantage?
que
Il devint et Dieu ses biens
gros gras : prodigue
A ceux font vœu d'être siens.
qui
Un jour, au dévot personnage
Des députés du peuple rat

S'en vinrent demander aumône légère :


quelque
Ils alloient en terre étrangère
Chercher quelques secours contre le peuple chat;

Ratopolis étoit bloquée :


On les avoit contraints de partir sans argent,
Attendu l'état indigent
De la
république attaquée.
Ils demandoient fort peu, certains que le secours

Seroit prêt dans quatre ou jours.


cinq
« Mes amis, dit le solitaire,

Les choses d'ici-bas ne me regardent plus :


En quoi peut un pauvre reclus

Vous assister? que peut-il faire,

Que de prier le ciel qu'il vous aide en ceci ?

aura de vous souci. »


J'espère qu'il quelque

Ayant parlé de cette sorte,


Le nouveau saint ferma sa porte.

Qui à votre avis,


désigné-je,
Par ce rat si secourable ?
peu
Un moine? Non, mais un dervis :

Je suppose qu'un moine est toujours charitable.


LIVRE SEPTIÈME. 405

FABLE IV.

LE HÉRON.

Un sur ses je ne sais où,


jour, longs pieds, alloit,
Le Héron au bec emmanché d'un long cou :
long

b une r i v i ère.
Il côtoyoit une rivière.
L'onde étoit ainsi qu'aux plus beaux jours;
transparente
Ma commère la faisoit mille tours
Carpe y
Avec le Brochet son compère.
Le Héron en eût fait aisément son profit :
406 , FABLES DE LA FONTAINE.

Tous approchoient du bord; l'oiseau n'avoit


qu'à prendre.
Mais il crut mieux faire d'attendre

Qu'il eût un peu plus d'appétit :


Il vivoit de et à ses heures.
régime, mangeoit

Après quelques moments l'appétit vint : l'oiseau,

S'approchant du bord, vit sur l'eau

Des tanches sortoient du fond de ces demeures.


qui
Le mets ne lui il s'attendoit à
plut pas ; mieux,

Et montroit un dédaigneux,
goût
Comme le rat du bon Horace.
« des tanches!
Moi, dit-il; moi, Héron, que je fasse

Une si chère ! me »
pauvre Et pour qui prend-on?
La tanche rebutée, il trouva du goujon.
« Du c'est bien là le dîner d'un Héron!
goujon!
J'ouvrirois si le bec ! aux Dieux ne »
pour peu plaise !
Il l'ouvrit pour bien moins : tout alla de façon

Qu'il ne vit plus aucun poisson.


La faim le prit : il fut tout heureux et tout aise

De rencontrer un limaçon.

Ne soyons pas si difficiles :

Les plus accommodants, ce sont les habiles ;


plus
On hasarde de en voulant
perdre trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,
Surtout vous avez à votre
quand peu près compte.
Bien des sont Ce n'est aux hérons
gens y pris. pas

Que je parle : écoutez, humains, un autre conte ;


Vous verrez que chez vous ces
j'ai puisé leçons.
LIVRE SEPTIÈME. 407

FABLE V.

LA FILLE.

Certaine fille, un peu trop fière,

Prétendoit trouver un mari

Jeune, bien fait, et beau, d'agréable manière,

Point froid et notez ces deux points-ci.


point jaloux :
Cette fille vouloit aussi

eût du bien, de la naissance,


Qu'il
De enfin tout. Mais peut tout avoir?
l'esprit, qui
408 FABLES DE LA FONTAINE.

Le Destin se montra de la
soigneux pourvoir :
Il vint des partis d'importance.
La belle les trouva chétifs de moitfé :
trop
« moi?
Quoi! quoi! ces radote, je pense.
gens-là? l'on
A moi les hélas ! ils font
proposer ! pitié :

Voyez un peu la belle espèce! »


L'un n'avoit en nulle délicatesse;
l'esprit
L'autre avoit le nez fait de cette. :
facon-là
o

C'étoit ceci, c'étoit cela;


C'étoit tout, car les précieuses
Font dessus tout les
dédaigneuses.

Après les bons partis, les médiocres gens


Vinrent se mettre sur les rangs.D
Elle de se « Ah! vraiment suis bonne
moquer. je
De leur ouvrir la Ils suis
porte! pensent que je
Fort en peine de ma personne :
Grâce à Dieu, je passe les nuits

Sans en solitude. »
chagrin, quoique
La belle se sut de tous ces sentiments.
gré

L'âge la fit déchoir : adieu tous les amants.

Un an se passe, et deux, avec inquiétude :


Le vint ensuite; elle sent
chagrin chaque jour

Déloger quelques Ris, quelques Jeux, puis l'Amour;


Puis ses traits et
choquer déplaire;
Puis cent sortes de fards. Ses soins ne faire
purent
Qu'elle échappât au cet larron.
Temps, insigne
Les ruines d'une maison

Se peuvent réparer : n'est cet


que avantage
LA FILLE.
LIVRE SEPTIÈME. 411

Pour les ruines du visage!


Sa lors de
préciosité changea langage.
Son miroir lui disoit : Prenez vite un mari. »

Je ne sais désir le lui disoit aussi :


quel
Le désir peut loger chez une précieuse.
Celle-ci fit un choix qu'on n'aurait jamais cru,

Se trouvant à la fin tout aise et tout heureuse

De rencontrer un malotru.
412 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VI.

LES SOUHAITS.

Il est au des follets


Mogol

Qui font office de valets,


Tiennent la maison ont soin de
propre, l'équipage,
Et du
quelquefois jardinage.
Si vous touchez à leur
ouvrage,
Vous gâtez tout. Un d'eux du autrefois
près Gange
Cultivoit le d'un
jardin assez bon
bourgeois.
LIVRE SEPTIÈME. 413

Il travailloit sans avec


bruit, beaucoup d'adresse,
Aimoit le maître et la
maîtresse,
Et le surtout. Dieu sait si les
jardin Zéphyrs,

Peuple ami du démon, l'assistoient dans sa tâche!

Le de sa travaillant sans
follet, part, relâche,

Combloit ses hôtes de plaisirs.


Pour plus de marques de son zèle,
Chez ces il se fût arrêté,
gens pour toujours
Nonobstant la légèreté
A ses pareils si naturelle ;
Mais ses confrères les es ts
pri
Firent tant le chef de cette république,
que
Par caprice ou par politique,
Le bientôt de
changea logis.
Ordre lui vient d'aller au fond de la
Norvége
Prendre le soin d'une maison
En tout couverte de
temps neige;
Et d'Indou étoit on vous le fait Lapon.
qu'il
Avant de l'esprit dit à ses hôtes :
que partir,
« On de vous
m'oblige quitter ;
Je ne sais quelles fautes :
pas pour
Mais enfin il le faut. Je ne puis arrêter

Qu'un fort court, un mois, peut-être une semaine :


temps
formez trois souhaits : car je puis
Employez-la ;
Rendre trois souhaits accomplis;
sans » Souhaiter, ce n'est une
Trois, plus. pas peine
et nouvelle aux humains.
Étrange

Ceux-ci, pour premier vœu, demandent l'abondance;


414 FABLES DE LA FONTAINE.

Et l'Abondance à mains
pleines
Verse en leurs coffres la finance,

En leurs le blé, dans leurs caves les vins :


greniers
Tout en crève. Comment ranger cette chevance?

Quels soins, il leur fallut!


registres, quels quel temps
Tous deux sont empêchés si jamais on le fut.

Les voleurs contre eux complotèrent;


Les leur empruntèrènt;
grands seigneurs
Le prince les taxa. Voilà les pauvres gens
Malheureux par trop de fortune.

« Otez-nous de ces biens l'affluence importune,


Dirent-ils l'un et l'autre : heureux les
-' indigents!

La pauvreté vaut mieux qu'une telle richesse.

Retirez-vous, trésors ; fuyez : et toi, déesse,

Mère du bon esprit, du repos,


compagne
0 Médiocrité, reviens vite !, » A ces mots

La Médiocrité revient; on lui fait place :


Avec elle ils rentrent en grâce,
Au bout de deux souhaits étant aussi chanceux

Qu'ils étoient, et que sont tous ceux

Qui souhaitent toujours et perdent en chimères


Le feroient mieux de mettre à leurs affaires.
temps qu'ils
Le follet en rit avec eux.

Pour profiter de sa largesse,

Quand il voulut partir et fut sur le


qu'il point,
Il demandèrent la
Sagesse,
C'est un trésor n'embarrasse
qui point.
LIVRE SEPTIÈME. 415

FABLE VII.

LA COUR DU LION.

Sa lionne un voulut connoître


Majesté jour
De quelles nations le ciel l'a voit fait maître.

Il manda donc députés


par
Ses vassaux de toute nature,

de tous les côtés


Envoyant
Une circulaire écriture
,
Avec son sceau. L'écrit portoit
416 FABLES DE LA FONTAINE.

Qu'un mois durant le Roi tiendroit

Cour plénière, dont l'ouverture


Devoit être un fort grand festin,

Suivi des tours de


Fagotin.
Par ce trait de
magnificence
Le à ses étaloit sa
prince sujets puissance.
En son Louvre il les invita.

Quel Louvre! un vrai charnier, dont l'odeur se porta

D'abord au nez des L'Ours boucha sa narine :


gens.
Il se fût bien passé de faire cette mine ;

Sa déplut : le monarque irrité


grimace
chez Pluton faire le
L'envoya dégoûté.
Le approuva fort cette sévérité;
Singe

Et, flatteur excessif, il loua la colère

Et la du prince, et l'antre, et cette odeur :


griffe
Il n'étoit ambre, il n'étoit fleur

Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie

Eut un mauvais succès, et fut encor punie :


Ce du Lion-là
monseigneur
Fut parent de Caligula.
Le Renard étant « Or çà, lui dit le
proche : sire,

Que sens-tu? dis-le-moi : sans »


parle déguiser.
L'autre aussitôt de s'excuser,
un grand rhume : il ne dire
Alléguant pouvoit que
Sans odorat. Bref, il s'en tire.

Ceci vous sert d'enseignement :


Ne soyez à la cour, si vous voulez
y plaire
LIVRE SEPTIÈME 417

Ni fade adulateur, ni sincère.


parleur trop
Et tâchez de en Normand.
quelquefois repondre

27
418 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

LES VAUTOURS ET LES PIGEONS.

Mars autrefois mit tout l'air en émute.

Certain sujet fit naître la dispute


Chez les non ceux le
oiseaux, que Printemps
Mène à sa cour, et sous la feuillée,
qui,
Par leur exemple et leurs sons éclatants,

Font que Vénus est en nous réveillée;


Ni ceux encor la mère d'Amour
que
1
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LES VALTOU
LIVRE SEPTIÈME. 421

Met à son mais le


char; peuple vautour,
Au bec retors, à la tranchante serre,
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang : je n'exagère point.
Si je voulois conter de point en point
Tout le détail, je d'haleine.
manquerois
Maint chef périt, maint héros expira;
Et sur son roc Prométhée espéra
De voir bientôt une fin à sa peine.
C'étoit plaisir d'observer leurs efforts;
C'étoit pitié de voir tomber les morts.

Valeur, adresse, et ruses, et surprises,


Tout s'employa. Les deux troupes, éprises
D'ardent courroux, n'épargnoient nuls moyens

De l'air les ombres :


peupler que respirent
Tout élément remplit de citoyens
Le vaste enclos les royaumes sombres.
qu'ont
Cette fureur mit la
compassion
Dans les d'une autre nation
esprits
Au col au cœur tendre et fidèle.
changeant,
Elle sa médiation
employa
Pour accorder une telle querelle :
Ambassadeurs le
par peuple pigeon

Furent choisis, et si bien travaillèrent,

les Vautours ne se chamaillèrent.


Que plus
Ils firent trêve, et la paix s'ensuivit.

Hélas! ce fut aux de la race


dépens
A la leur auroit dû rendre grâce.
qui
422 FABLES DE LA FONTAINE.

La gent maudite aussitôt poursuivit


Tous les en fit
Pigeons, ample carnage,
En les les
dépeupla bourgades, champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens
D'accommoder un si
peuple sauvage.

Tenez toujours divisés les méchants :

La sûreté du reste de la terre

de là. Semez entre eux la


Dépend guerre,
Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.
Ceci soit dit en passant : je me tais.
LIVRE SEPTIÈME. 423

FABLE IX.

LE COCHE ET LA MOUCHE.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé,


Et de tous les côtés au soleil exposé,
Six forts chevaux tiroient un coche.

Femmes, moine, vieillards, tout étoit descendu :

L'attelage suoit, souffloit, étoit rendu.

Une Mouche survient, et des chevaux s'approche.


Prétend les animer son bourdonnement,
par
/r24 FABLES DE LA FONTAINE.

l'un, l'autre, et à tout moment


Pique pique pense
fait aller la
Qu'elle machine,
S assied sur le timon, sur le nez du cocher.

Aussitôt le char chemine,


que
Et voit les marcher,
qu'elle gens
Elle s'en la
attribue uniquement gloire,

Va, vient, fait l'empressée : il semble ce soit


que
Un sergent de bataille allant en endroit
chaque
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La Mouche, en ce commun besoin,


Se plaint qu'elle agit seule, et a tout le soin ;
qu'elle

Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.

Le moine disoit son bréviaire :

Il prenoit bien son une femme chantoit :


temps !
C'étoit bien de chansons il
qu'alors s'agissoit!
Dame Mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut :


«
Respirons maintenant, dit la Mouche aussitôt :

J'ai tant fait nos sont enfin dans la


que gens plaine.
Çà, messieurs les chevaux, de ma )
payez-moi peine.

Ainsi certaines faisant les


gens, empressés,

S'introduisent dans les affaires :

Il font les nécessaires,


partout

Et, partout importuns, devroient être chassés.


LIVRE SEPTIEME. 425

FABLE X.

LA ET LE POT AU LAIT.
LAITIERE

Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait

Bien posé sur un coussinet,

Prétendoit arriver sans encombre à la ville.

court elle alloit à


Légère et vêtue, grands pas,

Ayant mis ce jour-là, être plus


pour agile,
Cotillon et souliers plats.
simple
Notre laitière ainsi troussée
426 FABLES DE LA FONTAINE.

Comptoit déjà dans sa pensée


Tout le prix de son lait; en employoit l'argent;

Achetoit un cent d'œufs, faisoit couvée :


triple
La chose alloit à bien par son soin diligent.
le Il disoit-elle, facile
m'est,
D'élever des poulets autour de ma maison ;

Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.

Le à coûtera peu de son ;


porc s'engraisser
Il étoit, je l'eus, de raisonnable :
quand grosseur

J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.

Et m'empêchera de mettre en notre étable,


qui
Vu le dont il est, une vache et son veau,
prix
verrai sauter au milieu du »
Que je troupeau ?
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :
Le lait tombe ; adieu veau, vache, cochon, couvée.

La dame de ces biens, d'un œil marri


quittant
Sa fortune ainsi répandue,
Va s'excuser à son mari,
En grand d'être battue.
danger
Le récit en farce en fut fait;

On l'appela le Pot au lait.

ne bat la
Quel esprit campagne?
ne fait châteaux en
Qui Espagne?

Picrochole, la laitière, enfin tous,


Pyrrhus,
Autant les les fous.
sages que

Chacun en veillant; il n'est rien de doux :


songe plus
LA LAITIÈREET LE POT AU LAIT.
LIVRE SEPTIEME. 429

Une flatteuse erreur alors nos âmes ;


emporte
Tout le bien du monde est à nous,

Tous les honneurs, toutes les femmes.

suis seul, fais au brave un défi;


Quand je je plus

Je m'écarte, je vais détrôner le sophi;


On m'élit roi, mon peuple m'aime;

Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant :


accident fait-il rentre en moi-même,
Quelque que je
Je suis Gros-Jean comme devant.
430 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XI.

LE CURÉ ET LE MORT.

Un Mort s'en alloit tristement

S'emparer de son dernier gîte;


Un Curé s'en alloit D
gaiement
Enterrer ce mort au vite.
plus
Notre défunt étoit en carosse porté,
Bien et dûment empaqueté;
Et vêtu d'une robe, hélas! nomme
qu'on bière,
LIVRE SEPTIÈME. 431

Robe d'hiver, robe d'été,

Que les morts ne dépouillent guère.


Le pasteur étoit à côté;

Et à
récitoit, l'ordinaire,
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes et des leçons,
Et des versets et des répons :
Monsieur le Mort, laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons;
Il ne du salaire.
s'agit que
Messire Jean Chouart couvoit des yeux son mort,
Comme si l'on eût dû lui ravir ce trésor;
Et des regards sembloit lui dire :

Monsieur le Mort, j'aurai de vous

Tant en argent, et tant en cire,


Et tant en autres menus coûts.

Il fondoit là-dessus l'achat d'une feuillette

Du meilleur vin des environs :

Certaine nièce assez propette


Et sa
chambrière Pàquette
Devoient avoir des cotillons.

Sur cette agréable pensée


Un heurt survient : adieu le char.

Voilà messire Jean Chouart

Qui du choc de son mort a la tète cassée.

Le paroissien en entraîne son pasteur ;


plomb
Notre Curé suit son seigneur;
vont de
Tous deux s'en compagnie.
432 FABLES DE LA FONTAINE.

Proprement toute notre vie

Est le curé Chouart sur son mort comptoit,


qui
Et la fable du Pot au lait.
LIVRE SEPTIÈME. 433

FABLE XII.

L'HOMME COURT APRÈS LA FORTUNE, ET L'HOMME


QUI

QUI L'ATTEND DANS SON LIT.

ne court la Fortune?
Qui après
Je voudrois être en lieu d'où je pusse aisément

Contempler la foule importune


De ceux cherchent vainement
qui
Cette fille du Sort de en
royaume royaume,
Fidèles courtisans .d'un volage fantôme.

28
434 FABLES DE LA FONTAINE.

Quand ils sont près du bon moment,

L'inconstante aussitôt à leurs désirs échappe.


Pauvres gens! Je les car on a pour les fous
plains;
Plus de de courroux.
pitié que
Cet homme, disent-ils, étoit planteur de choux ;

Et le voilà devenu pape !


Ne le valons-nous — Vous valez cent fois mieux :
pas ?
vous sert votre mérite ?
Mais que
La Fortune a-t-elle des yeux ?
Et puis la papauté vaut-elle ce qu'on quitte.
Le le trésor si
repos? repos, précieux
en faisoit le des Dieux.
Qu'on jadis partage
Rarement la Fortune à ses hôtes le laisse.

Ne cherchez point cette déesse,


Elle vous cherchera : son sexe en use ainsi.

Certain en un établi,
couple d'amis, bourg
Possédoit bien. L'un soupiroit sans cesse
quelque
Pour la Fortune ; il dit à l'autre un jour :
« Si nous notre
quittions séjour?
Vous savez nul n'est prophète
que
En son cherchons notre aventure ailleurs.
pays :
- dit l'autre ami : ne souhaite
Cherchez, pour moi, je
Ni climats ni destins meilleurs.

Contentez-vous, suivez votre humeur


inquiète :
Vous reviendrez bientôt. Je fais vœu cependant
De dormir en vous attendant. »

L'ambitieux, ou, si l'on veut, l'avare,


LIVRE SEPTIÈME. 435

S'en va par voie et par chemin.

Il arriva le lendemain

En un lieu devoit la Déesse bizarre


que

Fréquenter sur tout autre ; et ce lieu, c'est la cour.

Là donc il fixe son séjour,


pour quelque temps
Se trouvant au coucher, au lever, à ces heures

Que l'on sait être les meilleures;

Bref, se trouvant à tout, et n'arrivant à rien.


« du bien.
Qu'est ceci ? se dit-il, cherchons ailleurs

La Fortune pourtant habite ces demeures;


Je la vois tous les entrer chez celui-ci,
jours
Chez celui-là : d'où vient qu'aussi
Je ne cette
puis héherger capricieuse?
On me l'avoit bien dit, des de ce lieu
que gens
L'on n'aime pas toujours l'humeur ambitieuse.

Adieu, messieurs de cour; messieurs de cour, adieu :

Suivez au bout une ombre qui vous flatte.


jusques
La Fortune a, dit-on, des à Surate :
temples
Allons là. » Ce fut un de dire et
s'embarquer.
Ames de bronze, humains, celui-là fut sans doute

Armé de diamant, tenta cette route,


qui
Et le osa l'abîme défier!
premier

Celui-ci, son voyage,


pendant
Tourna les vers son village
yeux
Plus d'une fois, les
essuyant dangers
Des pirates, des vents, du calme et des rochers,
Ministres de la Mort : avec beaucoup de peines
On s'en va la chercher en des rives lointaines,
- 436 FABLES DE LA FONTAINE.

La trouvant assez tôt sans la maison.


quitter
L'Homme arrive au : on lui dit
Mogol qu'au Japon
La Fortune pour lors distribuoit ses grâces.
Il court. Les mers étoient lasses
y
De le et tout le fruit
porter;

Qu'il tira de ses longs voyages,

Ce fut cette leçon que donnent les sauvages :


« Demeure en ton la nature instruit. »
pays, par
Le ne fut heureux à cet homme
Japon pas plus

Que le Mogol l'avoit été :

Ce lui fit conclure en somme


qui
avoit à tort son
Qu'il grand village quitté.

Il renonce aux courses ingrates,

Revient en son voit de loin ses pénates,


pays,
Pleure de et dit : « Heureux vit chez soi,
joie, qui
De ses désirs faisant tout son emploi !
régler
Il ne sait par ouï-dire
que
Ce c'est que la cour, la mer et ton empire,
que

Fortune, nous fais passer devant les yeux


qui
Des des biens bout du monde
dignités, que jusqu'au
On suit, sans l'effet aux promesses réponde.
que
Désormais ne et ferai cent fois mieux. »
je bouge,
En raisonnant de cette sorte,

Et contre la Fortune pris ce conseil,


ayant
Il la trouve assise à la porte
De son ami dans un profond sommeil.
plongé
LIVRE SEPTIÈME. 437

FABLE XIII.

LES DEUX COQS.

Deux vivoient en une Poule survint,


Coqs paix :
Et voilà la allumée.
guerre
tu Troie; et c'est de toi vint
Amour, perdis que
Cette envenimée
querelle
Où du des Dieux même on vit le Xanthe teint !
sang
entre nos le combat se maintint;
Longtemps Coqs
Le bruit s'en tout le voisinage :
répandit par
438 FABLES DE LA FONTAINE.

La gent qui porte crête au spectacle accourut.

Plus d'une Hélène au beau plumage


Fut le du Le vaincu disparut :
prix vainqueur.
Il alla se cacher au fond de sa retraite,

Pleura sa et ses amours,


gloire
Ses amours rival, tout fier de sa défaite,
qu'un
Possédoit à ses yeux. Il tous les jours
voyoit
Cet objet rallumer sa haine et son courage ;
Il son bec, battoit l'air et ses flancs,
aiguisoit

Et, s'exerçant contre les vents,

S'armoit d'une jalouse rage.


Il n'en eut besoin. Son sur les toits
pas vainqueur
S'alla et chanter sa victoire.
percher,
Un Vautour entendit sa voix :

Adieu les amours et la gloire ;


Tout cet périt sous l'ongle du Vautour.
orgueil

Enfin, par un fatal retour,

Son rival autour de la Poule

S'en revint faire le


coquet.
Je laisse à
penser quel caquet ;
Car il eut des femmes en foule.

La Fortune se plaît à faire de ces coups :


Tout vainqueur insolent à sa perte travaille.

Défions-nous du Sort, et prenons garde à nous

Après le gain d'une bataille.


LES DEUX COQS.
LIVRE SEPTIÈME. 441

FABLE XIV.

L'INGRATITUDE ET L'INJUSTICE DES HOMMES

ENVERS LA FORTUNE.

Un sur mer, par bonheur, s'enrichit.


trafiquant
Il d'un
triompha des vents pendant plus voyage :

Gouffre, banc, ni rocher, n'exigea de péage


D'aucun de ses ballots ; le Sort l'en affranchit.

Sur tous ses et


compagnons Atropos Neptune
Recueillirent leur droit, tandis que la Fortune
442 FABLES DE LA FONTAINE.

Prenoit soin d'amener son marchand à bon port.

Facteurs, associés, chacun lui fut fidèle.

Il vendit son son sa


tabac, sucre, cannelle,
Ce qu'il voulut, sa porcelaine encor :

Le luxe et la folie enflèrent son trésor;


il dans son escarcelle.
Bref, plut
On ne parloit chez lui doubles
que par ducats;
Et mon homme d'avoir chiens, chevaux, et carrosses :

Ses jours de des noces.


jeûne étoient
Un sien ami, voyant ces
somptueux repas,
Lui dit : « Et d'où vient donc un si bon ordinaire ?
— Et d'où me viendroit-il de mon
que savoir-faire ?

Je n'en dois rien moi, mes soins, talent


qu'à qu'à qu'au
De à et bien »
risquer propos, placer l'argent.
Le profit lui semblant une fort douce chose,
Il risqua de nouveau le avoit
gain qu'il fait;
Mais rien, cette fois, ne lui vint à souhait.
pour
Son imprudence en fut la cause :

Un vaisseau mal frété au


périt premier vent;
Un autre, mal des armes
pourvu nécessaires,
Fut enlevé les corsaires ;
par
Un troisième au arrivant,
port
Rien n'eut cours ni débit : le luxe et la folie

N'étoient plus tels


qu'auparavant.
Enfin ses facteurs le
trompant,
Et lui-même ayant fait fracas, chère
grand lie,
Mis beaucoup en plaisirs, en bâtiments
beaucoup,
Il devint pauvre tout d'un
coup.
LIVRE SEPTIÈME. 443

Son le en mauvais
ami, voyant équipage,
« D'où —
Lui dit : vient cela? De la Fortune, hélas!
- dit et s'il ne lui
Consolez-vous, l'autre, plaît pas

Que vous soyez heureux, tout au moins »


soyez sage.

Je ne sais s'il crut ce conseil;


Mais je sais chacun en cas
que impute, pareil,
Son bonheur à son industrie;

Et, si de échec notre faute est suivie,


quelque
Nous disons injures au Sort.

Chose n'est ici plus commune.

Le bien, nous le faisons; le mal, c'est la Fortune :

On a
toujours raison, le Destin toujours tort.
444 FABLES DE LA FONTAINE..

FABLE XV.

LES DEVINERESSES.

C'est souvent du hasard naît l'opinion,


que
Et c'est fait la
l'opinion qui toujours vogue.
Je fonder ce
pourrois prologue
Sur gens de tous états : tout est prévention,

Cabale, entêtement; point ou peu de justice :


C'est un torrent; faire? Il faut ait son cours :
qu'y qu'il
Cela fut et sera toujours.
LIVRE SEPTIÈME. 445

Une femme, à Paris, faisoit la pythonisse :


On l'alloit consulter sur chaque événement ;
Perdoit-on un chiffon, avoit-on un amant,
Un mari vivant trop au gré de son
épouse,
Une mère fâcheuse, une femme jalouse;
Chez la Devineresse on couroit

Pour se faire annoncer ce l'on désiroit.


que
Son fait consistoit en adresse :

Quelques termes de l'art, beaucoup de hardiesse,


Du hasard tout cela concouroit,
quelquefois,
Tout cela bien souvent faisoit crier miracle.

à et trois
Enfin, quoique ignorante vingt carats,

Elle passoit pour un oracle.

L'oracle étoit dedans un


logé galetas :

Là, cette femme emplit sa bourse,

Et, sans avoir d'autre ressource,

Gagne de donner un à son mari;


quoi rang
Elle achète un office, une maison aussi.

Voilà le rempli
galetas
D'une nouvelle hôtesse, à toute la ville,
qui

Femmes, filles, valets, messieurs, tout enfin


gros

Alloit, comme autrefois, demander son destin ;


Le galetas devint l'antre de la Sybille.
L'autre femelle avoit achalandé ce lieu.

Cette femme eut beau faire, eut beau dire :


« Moi Devine! on se eh! lire?
moque : messieurs, sais-je
Je n'ai ma croix de Dieu. «
jamais appris que par
Point de raison : fallut deviner et prédire,
446 FABLES DE LA FONTAINE.

Mettre à bons
part force ducats,
Et gagner soi deux avocats.
malgré plus que
Le meuble et aidoient fort à la chose :
l'équipage

Quatre siéges boiteux, un manche de balai,


Tout sentoit son sabbat et sa
métamorphose.

Quand cette femme auroit dit vrai

Dans une chambre tapissée,


On s'en seroit : la étoit
moqué vogue passée
Au il avoit le crédit.
galetas;
L'autre femme se morfondit.

L'enseigne fait la chalandise.

J'ai vu dans le une robe mal mise


palais

Gagner gros : les l'avoient prise


gens
Pour maître tel, traînoit soi
qui après
Force écoutants. Demandez-moi pourquoi.
LIVRE SEPTIÈME. 447

FABLE XVI.

LE LA BELETTE ET LE PETIT LAPIN.


CHAT,

Du palais d'un jeune Lapin


Dame Belette, un beau matin,

: c'est une
S'empara rusée.
Le maître étant absent, ce lui fut chose aisée.

Elle chez lui ses un jour


porta pénates,

Qu'il étoit allé faire à l'Aurore sa cour

Parmi le et la rosée.
thym
448 FABLES DE LA FONTAINE.

Après qu'il eut brouté, trotté, fait tous ses tours,


Jeannot Lapin retourne aux souterrains séjours.
La Belette avoit mis le nez à la fenêtre.

« O Dieux ici
hospitaliers! que vois-je paroître?
Dit l'animal chassé du paternel logis.
Holà! madame la Belette,

Que l'on sans


déloge trompette,
Ou je vais avertir tous les rats du »
pays.
La dame au nez la terre
pointu répondit que
Étoit au premier occupant.
C'étoit un beau sujet de guerre,

Qu'un logis où lui-même il n'entroit qu'en rampant !


« Et ce seroit un
quand royaume,
Je voudrois bien savoir, dit-elle, loi
quelle
En a fait l'octroi
pour toujours
A fils ou neveu de Pierre ou de
Jean, Guillaume,
Plutôt Paul, moi. »
qu'à plutôt qu'à
Jean Lapin la coutume et
allégua l'usage.
« Ce leurs lois m'ont de ce
sont, dit-il , qui logis
Rendu maître et seigneur, et de père en fils,
qui,
L'ont de Pierre à à moi transmis.
Simon, puis Jean,
Le premier est-ce une loi
occupant, plus sage?
- Or sans crier
bien, davantage,
à »
Rapportons-nous, dit-elle, Rominagrobis.
C'étoit un Chat vivant comme un dévot ermite,
Un Chat faisant la chattemite,
Un saint homme de bien et
chat, fourré, gros gras,
Arbitre expert sur tous les cas.
LIVRE SEPTIÈME. 449

Jean
Lapin pour juge l'agrée.
Les voilà tous deux arrivés

Devant Sa Majesté fourrée.

leur dit : « Mes


Grippeminaud enfants, approchez,

Approchez, je suis sourd, les ans en sont la cause. »

L'un et l'autre ne nulle chose.


approcha, craignant
Aussitôt qu'à portée il vit les contestants,

Grippeminaud, le bon apôtre,


Jetant des deux côtés la en même
griffe temps,
Mit les d'accord en l'un et l'autre.
plaideurs croquant

Ceci ressemble fort aux débats qu'ont parfois


Les petits souverains se aux rois.
rapportant

29
450 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVII.

LA TÊTE ET LA DU SERPENT.
QUEUE

Le a deux
Serpent parties
Du genre humain ennemies,
Tête et Queue; et toutes deux

Ont un nom fameux


acquis

Auprès des cruelles :


Parques
Si bien entre elles
qu'autrefois
Il survint de débats
grands
LIVRE SEPTIÈME. 451

Pour le pas.
La Tête avoit marché devant la
toujours Queue.
La Queue au Ciel se
plaignit,
Et lui dit :
« Je fais mainte et mainte lieue,
Comme il à celle-ci :
plaît
Croit-elle veuille user ainsi?
que toujours j'en
Je suis son. humble servante.

On m'a faite, Dieu merci,


Sa sœur et non sa suivante.

Toutes deux de même sang,


Traitez-nous de même sorte :

Aussi bien qu'elle je porte


Un poison prompt et puissant.

Enfin, voilà ma requête :


C'est à vous de commander

Qu'on me laisse précéder


A mon tour ma sœur la Tête.

Je la conduirai si bien,

Qu'on ne se »
plaindra de rien.
Le Ciel eut ses vœux une bonté cruelle.
pour
Souvent sa a de méchants effets.
complaisance
Il devroit être sourd aux souhaits.
aveugles
Il ne le fut et la
pas lors; guide nouvelle,

Qui ne voyoit, au grand jour,


Pas plus dans un four,
clair que
Donnoit tantôt contre un marbre,
Contre un passant, contre un arbre :
452 FABLES DE LA FONTAINE.

Droit aux oncles du Styx


xJ elle mena sa sœur.

Malheureux les États tombés dans son erreur!


LIVRE SEPTIEME. 453

FABLE XVIII.

UN ANIMAL DANS LA LUNE.

Pendant philosophe assure


qu'un

Que leurs sens les hommes sont


toujours par dupés.
Un autre philosophe jure

Qu'ils ne nous ont jamais trompés.


Tous les deux ont et la
raison; philosophie
Dit vrai, elle dit les sens
quand que tromperont,
Tant sur leur rapport les hommes jugeront ;
que
454 FABLES DE LA FONTAINE.

Mais aussi, si l'on rectifie

L'image de l'objet sur son éloignement,


Sur le milieu qui l'environne,
Sur l'organe et sur l'instrument,
Les sens ne tromperont personne.
La nature ordonna ces choses :
sagement
J'en dirai jour les raisons
quelque amplement.

J'aperçois le soleil : en est la


quelle figure ?
Ici-bas ce grand n'a trois de tour :
corps que pieds
Mais si le voyois là-haut dans son
je séjour,

Que seroit-ce à mes l'œil de la nature?


yeux que
Sa distance me fait de sa
juger grandeur;
Sur et les côtés ma main la détermine.
l'angle

L'ignorant le croit plat; sa rondeur :


j'épaissis
Je le rends immobile; et la terre chemine.

Bref, je démens mes yeux en toute sa machine :

Ce sens ne me nuit point son illusion.


par
Mon âme, en toute occasion,

Développe le vrai caché sous


l'apparence ;
Je ne
suis point d'intelligence

Avecque mes un
regards, peut-être peu trop prompts,
Ni mon lente à les
oreille, m'apporter sons.

Quand l'eau courbe un bâton, ma raison le redresse :

La raison décide en maîtresse.

Mes yeux, ce secours,


moyennant
Ne me trompent jamais en me mentant
toujours.
Si crois leur rapport, erreur assez
je commune,
Une tête de femme est au corps de la lune.
UN ANIMALDANSLÀ LUNE.
LIVRE SEPTIEME. 457

Y être? Non. D'où vient


peut-elle donc cet objet?

Quelques lieux inégaux font de loin cet effet.


La lune nulle part n'a sa surface unie :

Montueuse en des lieux, en d'autres aplanie,


L'ombre avec la lumière peut tracer souvent
y
Un homme, un bœuf, un éléphant.

Naguère l'Angleterre vit chose pareille.


y
La acée, un animal nouveau
lunette pl
Parut dans cet astre si beau;
Et chacun de crier merveille.

Il étoit arrive là-haut un


changement

Qui présageoit sans doute un grand événement.

Savoit-on si la entre tant de


guerre puissances
N'en étoit point l'effet? Le accourut :
Monarque
Il favorise en roi ces hautes connoissances.

Le monstre dans la lune à son tour lui parut.


C'étoit une souris cachée entre les verres ;
Dans la lunette étoit la source de ces o
guerres.
On en rit. Peuple heureux! pourront les
quand François
Se donner, comme vous, entiers à ces emplois?
Mars nous fait recueillir d'amples moissons de gloire :
C'est à nos ennemis de craindre les combats,
A nous de les chercher, certains la
que Victoire,
Amante de Louis, suivra ses pas.
partout
Ses lauriers nous rendront célèbres dans l'histoire.

Même les Filles de Mémoire

Ne nous ont nous des


point quittés; goûtons plaisirs :
La fait nos souhaits, et non point nos soupirs.
paix
458 FABLES DE LA FONTAINE.

Charles en sait il sauroit dans la guerre


jouir :
sa et mener
Signaler valeur, l'Angleterre

A ces elle voit aujourd'hui.


jeux qu'en repos
s'il la
Cependant pouvoit apaiser querelle,
d'encens! est-il rien de plus digne de lui?
Que
La carrière a-t-elle été moins belle
d'Auguste
les fameux du des Césars?
Que exploits premier

0 heureux ! la paix viendra-t-elle


peuple trop quand
Nous rendre, comme vous, tout entiers aux beaux-arts?

FIN DU LIVRE SEPTIÈME.


LIVRE HUITIÈME
LIVRE HUITIEME. 461

FABLE PREMIÈRE.

LA MORT ET LE MOURANT.

La mort ne surprend point le


sage :
Il est prêt à partir,
toujours
S'étant su lui-même avertir

Du temps où l'on se doit résoudre à ce passage.


Ce temps hélas, embrasse tous les tem :
ps
le en en en
Qu'on partage jours, heures, moments,
Il n'en est ne
point qu'il comprenne
462 FABLES DE LA FONTAINE.

Dans le fatal tribut; tous sont de son domaine;


Et le instant où les enfants des rois
premier
Ouvrent les yeux à la lumière

Est celui
qui vient quelquefois
Fermer pour toujours leur paupière.
Défendez-vous la
par grandeur;
la la la
Alléguez beauté, vertu, jeunesse;
La mort ravit tout sans pudeur :
Un jour le monde entier accroîtra sa richesse.

Il n'est rien de moins ignoré;


o

Et, puisqu'il faut que je le die,


Rien où l'on soit moins préparé.

Un Mourant, de cent ans de vie,


qui comptoit plus
Se à la Mort
plaignoit que précipitamment
Elle le de tout à l'heure,
contraignoit partir
Sans qu'il eût fait son testament,
Sans l'avertir au moins. « Est-il meure
juste qu'on
Au levé? dit-il : attendez
pied quelque peu;
Ma femme ne veut sans elle;
pas que je parte
Il me reste à un
pourvoir arrière-neveu;
Souffrez mon encore une aile.
qu'à logis j'ajoute

Que vous êtes pressante, ô déesse cruelle!


— lui dit la ne t'ai
Vieillard, Mort, je point surpris;
Tu te de mon
plains sans raison impatience :
Eh! n'as-tu pas cent ans? Trouve-moi dans Paris

Deux mortels aussi vieux; trouve-m'en dix en France.

Je devois, ce dis-tu, te donner avis


quelque
LIVRE HUITIÈME. 463

Qui te disposât à la chose :

J'aurois trouvé ton testament tout fait,


Ton petit-fils ton bâtiment
pourvu, parfait.
Ne te donna-t-on des avis, la cause
pas quand
Du marcher et du
mouvement,

Quand les le
esprits, sentiment,

Quand tout faillit en toi? Plus de d'ouïe;


goût, plus
Toute chose toi semble être
pour évanouie;
Pour toi l'astre du des soins
jour prend superflus :
Tu des biens ne te touchent
regrettes qui plus.
Je t'ai fait voir tes camarades

Ou morts, ou mourants, ou malades ;

Qu'est-ce que tout cela, qu'un avertissement?

Allons, vieillard, et sans


réplique.
Il à la
n'importe république

Que tu fasses ton testament. «

La Mort avoit raison : voudrois cet


je qu'à âge
On sortît de la vie d'un
ainsi que banquet,
Remerciant son hôte; et qu'on fit son
paquet :
Car de combien retarder le
peut-on voyage?
Tu vois ces
murmures, vieillard; jeunes mourir,
Vois-les marcher, vois-les courir

A des morts, il est vrai, et


glorieuses belles,
Mais sûres et cruelles.
cependant, quelquefois
J'ai beau te le mon zèle est indiscret :
crier;
Le semblable aux morts meurt le à
plus plus regret.
•464 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE II.

LE SAVETIER ET LE FINANCIER.

Un Savetier chantoit du matin jusqu'au soir :

C'étoit merveilles de le voir,

Merveilles de l'ouïr; il faisoit des


passages,
Plus content qu'aucun des Sept Sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantoit peu, dormoit moins encor :

C'étoit un homme de finance.


LE SAVETIERET LE FINANCIER.
30
LIVRE HUITIÈME. 467

Si sur le du il
point jour parfois sommeilloit,
Le Savetier alors en chantant l'éveilloit;
Et le Financier se
plaignoit

Que les soins de la Providence

N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,


Comme le et le boire.
manger
En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit : « Or sire


çà, Grégoire,
an? — Par an? ma
Que gagnez-vous par foi, monsieur,
Dit avec un ton de rieur

Le gaillard Savetier, ce n'est ma manière


point
De de la sorte; et n'entasse
compter je guère
Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin

J'attrape le bout de l'année,

Chaque jour amène son pain.


- Eh bien! que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
- Tantôt tantôt moins : le mal est
plus, que toujours

(Et sans cela nos gains seroient assez honnêtes),


Le mal est dans l'an s'entremêlent des jours
que

Qu'il faut chômer ; on nous ruine en fêtes :

L'une fait tort à et monsieur le curé


l'autre ;
De nouveau saint charge toujours son prône. w
quelque
Le Financier, riant de sa naïveté,

Lui dit : « Je vous veux mettre sur le trône.


aujourd'hui
Prenez ces cent écus ; avec soin,
gardez-les
Pour vous en servir au besoin. )

Le Savetier crut voir tout l'argent que la terre

Avoit, de cent ans.


depuis plus
408 FABLES DE LA FONTAINE.

Produit des gens.


pour l'usage
Il retourne chez lui : dans sa cave il enserre

et sa joie à la fois.
L'argent,
Plus de chant : il la voix
perdit

Du moment ce cause nos peines.


qu'il gagna qui
Le sommeil son logis :
quitta
Il eut hôtes les soucis,
pour
Les les alarmes vaines.
soupçons,
Tout le il avoit l'œil au guet; et la nuit,
jour
Si chat faisoit du bruit,
quelque
A la fin le homme
Le chat prenoit l'argent. pauvre

S'en courut chez ne réveilloit plus :


celui qu'il
« lui mes chansons et mon
Rendez-moi, dit-il, somme,

Et vos cent écus. «


reprenez
LIVRE HUIT JE lVl E. 469

FABLE III.

LE LION, LE LOUP ET LE RENARD.

Un Lion, n'en pouvant


décrépit, goutteux, plus,
Vouloit l'on trouvât remède à la vieillesse.
que
aux rois, c'est un abus.
Alléguer l'impossible
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des médecins : il en est de tous arts.

Médecins au Lion viennent de toutes parts;


470» I- ,ES
FABLES DE LA FONTAINE.

De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.

Dans les visites sont faites,


qui
Le Renard se dispense, et se tient clos et coi.

Le Loup en fait sa cour, daube, au coucher du Roi,


Son camarade absent. Le prince tout à l'heure

Veut aille enfumer Renard dans sa demeure,


qu'on

Qu'on le fasse venir. Il vient, est présenté;


Et sachant le Loup lui faisoit cette affaire :
que
« Je crains, Sire, sincère
dit-il, qu'un rapport peu
Ne m'ait à
mépris imputé
D'avoir différé cet
hOllllnage; o
Mais j'étois en
pèlerinage,
Et d'un vœu fait votre santé.
m'acquittois pour
Même j'ai vu dans mon
voyage
Gens et leur ai dit la
experts savants; langueur
Dont votre Majesté craint à bon droit la suite.

Vous ne manquez de chaleur;


que
Le long âge en vous l'a détruite :

D'un loup écorché vif la


appliquez-vous peau
Toute chaude et toute fumante :

Le secret sans doute en est beau

Pour la nature défaillante.

Messire Loup vous servira,

S'il vous plaît, de robe de chambre. »

Le Roi goûte cet avis-là.

On on on démembre
écorche, taille,

Messire Loup. Le Monarque en


soupa,
Et de sa
peau s'enveloppa.
LE LION, LE LOUP ET LE HENAUD.
LIVRE HUITIEME.
173

Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire;


Faites, si vous votre cour sans vous
pouvez, nuire :
Le mal se rend chez vous au du bien.
quadruple
Les daubeurs ont leur tour d'une ou d'autre manière :
Vous êtes dans une carrière

Où l'on ne se
pardonne rien.
474 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE B.

LE POUVOIR DES FABLES.

A M. DE BARILLOUN.

La d'ambassadeur
qualité
Peut-elle s'abaisser à des contes vulgaires?
Vous offrir mes vers et leurs
puis-je grâces légères?
S'ils osent un air de
quelquefois prendre grandeur,

Seront-ils traités vous de téméraires?


point par
LIVRE HUITIEME. 475

Vous avez bien d'autres affaires


A démêler les débats
que
Du et de la Belette.
Lapin

Lisez-les; ne les lisez pas :


Mais ne nous mette
empêchez qu'on
Tout sur les bras.
l'Europe

Que de mille endroits de la terre


11 nous vienne des ennemis,

J'y consens ; mais


que l'Angleterre
Veuille nos deux rois se lassent d'être
que amis,
J'ai à la chose.
peine digérer
N'est-il encor Louis se
point temps que repose ?
Quel autre Hercule enfin ne se trouveroit las
De combattre cette et faut-il
hydre? qu'elle oppose
Une nouvelle tête aux efforts de son bras?
Si votre de
esprit plein souplesse,
Par et
éloquence par adresse,
Peut adoucir les cœurs et détourner ce coup,
Je vous sacrifierai cent moutons : c'est
beaucoup
Pour un habitant du Parnasse.

Cependant faites-moi la o
grÙce
De en don ce d'encens.
prendre peu
Prenez en mes vœux
gré ardents,
Et le récit en vers vous dédie.
qu'ici je
Son sujet vous n'en dirai
convient, je pas plus :
Sur les
éloges que l'envie
Doit avouer vous sont dus
qui
Vous ne voulez pas qu'on appuie.
476 FABLES DE LA FONTAINE.

Dans Athène autrefois, vain et léger,


peuple
Un sa en danger,
orateur, voyant patrie

Courut à la tribune; et, d'un art tyrannique,

Voulant forcer les cœurs dans une république,

Il fortement sur le commun salut.


parla
On ne l'écoutoit recourut
pas. L'orateur
A ces violentes
figures

Qui savent exciter les âmes les plus lentes :

Il fit les morts, tonna, dit ce put :


parler qu'il
Le vent tout, personne ne s'émut.
emporta
L'animal aux têtes frivoles,

Étant fait à ces traits, ne daignoit l'écouter;


Tous ailleurs : il en vit s'arrêter
regardoient
A des combats d'enfants, et à ses
point paroles.

Que fit le iharangueur? Il prit un autre tour.

« faisoit un
Cérès, commença-t-il, voyage jour

Avec et l'Hirondelle :
l'Anguille
Un fleuve les arrête, et l'Anguille en nageant,

Comme l'Hirondelle en volant,

Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant

Cria tout d'une voix : « Et Cérès, fit-elle ?


que
- Ce fit? un courroux
qu'elle prompt
L'anima d'abord contre vous.

Quoi! de contes d'enfants son peuple s'embarrasse;


Et du péril le menace
qui
Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet !

Que ne demandez-vous ce Philippe fait? »


que
A ce
reproche l'assemblée,
LIVRE HUITIEME. 477

Par l'apologue réveillée,


Se donne entière à l'orateur.

Un trait de fable en eut l'honneur.

Nous sommes tous d'Athène en ce point, et moi-même

Au moment que je fais cette moralité,


Si Peau-d'âne m'étoit conté,

J'y un extrême.
prendrois plaisir
Le monde est vieux, dit-on : je le crois; cependant
11 le faut amuser encor comme un enfant.
478 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE V.

L'HOMME ET LA PUCE.

Par des vœux importuns nous les Dieux,


fatiguons
Souvent pour des sujets même indignes des hommes :

Il semble le ciel sur tous tant nous sommes


que que
Soit d'avoir incessamment les
obligé yeux,
Et le plus petit de la race mortelle,
que
A à
chaque pas qu'il fait, chaque bagatelle,
Doive intriguer et tous ses
l'Olympe citoyens,
LIVRE HUITIEME. 479

Comme s'il des Grecs et des Troyens.


s'agissoit

Un sot une Puce eut l'épaule mordue.


par
Dans les de ses elle alla se loger.
plis draps
« se tu devois bien
Hercule, dit-il, purger
La terre de cette au revenue!
hydre printemps

Que fais-tu, du haut de la nue


Jupiter, que
Tu n'en la race afin de me »
perdes venger?

Pour tuer une Puce, il vouloit obliger


Ces Dieux à lui leur foudre et leur massue.
prêter
480 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VI.

LES FEMMES ET LE SECRET.

Rien ne tant un
pèse qu' secret;
Le porter loin est difficile aux clames;
Et je sais même sur ce fait

Bon nombre d'hommes sont femmes.


qui

Pour éprouver la sienne un mari s'écria :

La nuit, étant près d'elle : « 0 cela?


Dieux! qu'est-ce
LIVRE HUITIÈME. 481

Je n'en plus ; on me
puis déchire ;
d'un œuf! — D'un œuf? —
Quoi! j'accouche Oui, le voilà,
Frais et nouveau pondu : bien de le
gardez dire ;
On m'appelleroit poule. Enfin n'en «
parlez pas.
La Femme, neuve sur ce cas,
Ainsi sur mainte autre affaire,
que
Crut la chose, et ses dieux de se taire;
promit grands
Mais ce serment s'évanoui t
*
Avec les ombres de la nuit.

L'épouse, indiscrète et peu fine,


Sort du lit le fut à
quand jour peine levé ;
Et de courir chez sa voisine :
« Ma un cas est
commère, dit-elle, arrivé ;
N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre :

Mon mari vient de un œuf comme


pondre gros quatre.
Au nom de Dieu, bien
gardez-vous
D'aller ce
publier mystère.
- Vous dit l'autre : ah ! vous ne
moquez-vous? savez guère

Quelle suis. Allez, ne rien. »


je craignez
La femme du s'en retourne chez elle.
pondeur
L'autre de conter la nouvelle :
grille déjà
Elle va la en de dix endroits :
répandre plus
Au lieu d'un œuf elle en dit trois.

Ce n'est encor tout ; car une autre commère


pas
En dit et raconte à l'oreille le fait :
quatre,
Précaution peu nécessaire ;

Car ce n'étoit un secret.


plus
Comme le nombre la
d'œufs , gràce il Renommée,

7J1
482 FABLES DE LA FONTAINE.

De bouche en bouche alloit croissant,

Avant la fin de la
journée
Ils se montoient à plus d'un cent.
LIVRE HUITIÈME. 483

FABLE VII.

LE CHIEN PORTE A SON COU LE DINER DE SON MAITRE.


QUI

Nous n'avons les à des


pas yeux l'épreuve belles,

Ni les mains à celle de l'or :

Peu de un trésor
gens gardent
Avec des soins assez fidèles.

Certain Chien, la pitance au


qui portoit logis,
S'étoit fait un collier du dîné de son maître.
481 FABLES DE LA FONTAINE.

Il étoit n'eût voulu l'être


tempérant, plus qu'il

Quand il voyoit un mets exquis ;


Mais enfin il l'étoit : et, tous tant nous sommes,
que
Nous nous laissons tenter à des biens.
l'approche
Chose on la aux
étrange! apprend tempérance chiens,
Et l'on ne peut l'apprendre aux hommes !

Ce chien-ci donc étant de la sorte atourné,


Un Mâtin passe, et veut lui prendre le dîné.

Il n'en eut pas toute la joie

Qu'il espéroit d'abord : le Chien mit bas la proie


Pour la défendre mieux, n'en étant plus chargé.
Grand combat. D'autres chiens arrivent :

Ils étoient de ceux-là vivent


qui
Sur le public, et craignent peu les coups.
Notre se foible contre eux
Chien, voyant trop tous,
Et la chair couroit un manifeste,
que danger
Voulut avoir sa part; et, lui sage, il leur dit :

« Point de mon me suffit :


courroux, messieurs ; lopin
Faites votre du reste. »
profit
A ces le il vous un
mots, premier, happe morceau;
Et chacun de tirer, le Mâtin, la canaille,
A qui mieux mieux : ils firent tous ripaille ;
Chacun d'eux eut part au gâteau.

Je crois voir en ceci d'une ville


l'image
Où l'on met les deniers à la merci des o
gens.
Echevins, prévôt des marchands,
Tout fait sa main : le plus habile
J.t; CHIEN QITI PORTE A SON COU LE HINt; I)E SON MAITRE
LIVRE HUITIÈME. 487

Donne aux autres l'exemple, et c'est un


passe-temps
De leur voir nettoyer un monceau de pistoles.
Si des raisons
quelque scrupuleux, par frivoles,
Veut défendre l'argent et dit le moindre mot,
On lui fait voir est un sot.
qu'il
Il n'a pas de peine à se rendre :

C'est bientôt le à
premier prendre.
488 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

LE RIEUR ET LES POISSONS.

On cherche les rieurs ; et moi je les évite.

Cet art veut, sur tout autre, un suprême mérite :


Dieu ne créa les sots
que pour
Les méchants diseurs de bons mots.

J'en vais peut-être en une fable

Introduire un ; aussi
peut-être

Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi.


LIVRE HUITIÈME. 489

Un Rieur étoit à la table

D'un financier, et n'avoit en son coin

Que de petits poissons : tous les gros étoient loin.

Il prend donc les menus, leur à l'oreille,


puis parle
Et il feint, à la
puis pareille,
D'écouter leur réponse. On demeura surpris :
Cela suspendit les esprits.
Le Rieur alors, d'un ton sage,
Dit qu'il craignoit qu'un sien ami,
Pour les Indes parti,
grandes
N'eût un an fait
depuis naufrage.
Il s'en informoit donc à ce menu fretin :

Mais tous lui n'étoient pas d'un


répondoient qu'ils âge
A savoir au vrai son destin ;
Les gros en sauroient davantage.
« N'en un «
puis-je donc, messieurs, gros interroger?
De dire si la
compagnie
Prit à sa plaisanterie,
goût
J'en doute; mais enfin il les sut engager
A lui servir d'un monstre assez vieux pour lui dire

Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus

Qui n'en étoient pas revenus,

Et cent ans sous l'abîme avoient vus


que depuis
Les Anciens du vaste Empire.
490 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IX.

LE RAT ET L'HUITRE.

Un Rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle,


Des lares paternels un jour se trouva sou.

Il laisse là le champ, le et la javelle,


grain,
Va courir le abandonne son trou.
pays,
Sitôt fut hors de la case :
qu'il
« le est et
Que monde, dit-il, grand spacieux !
Voilà les et voici le Caucase. »
Apennins,
LIVRE HUITIÈME. 491

La moindre étoit mont à ses


taupinée yeux.
Au bout de le arrive
quelques jours, voyageur
En un certain canton où Téthys sur la rive

Avoit laissé mainte huître ; et notre Rat d'abord

Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord.


« mon étoit un
Certes, dit-il, père pauvre sire :

Il n'osoit voyager, craintif au dernier point.


Pour moi, j'ai déjà vu le maritime empire :
J'ai passé les déserts ; mais nous n'y bûmes »
point.
D'un certain le Rat tenoit ces choses,
magister
Et les disoit à travers champs,
N'étant pas de ces rats qui, les livres rongeants,
Se font savants jusques aux dents.

Parmi tant d'huîtres toutes closes

Une s'étoit ouverte; et, bâillant au soleil,

Par un doux zéphyr réjouie,


Humoit l'a i res iro i
r, p it, étoit épanou e,
et d'un à la nom
Blanche, grasse, goût, voir, pareil.
D'aussi loin que le Rat voit cette Huître qui bâille :
« c'est
Qu'aperçois-je ? dit-il, quelque victuaille ;

Et, si ne me trompe à la couleur du mets,


je
Je dois faire bonne chère, ou »
aujourd'hui jamais.

Là-dessus, maître Rat, de belle


plein espérance,
de l'écaillé, un peu le cou,
Approche allonge
Se sent comme aux lacs; car l'huître tout d'un
pris coup
Se referme. Et voilà ce fait
que l'ignorance.

Cette fable contient plus d'un enseignement :


492 FABLES DE LA FONTAINE.

Nous y voyons premièrement

Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience

Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement;

Et puis nous y pouvons apprendre

Que tel est pris qui croyoit prendre.


LIVRE HUITIÈME. 493

FABLE X.

L'OURS ET L'AMATEUR DES JARDINS.

Certain Ours ours à demi léché,


montagnard,
Confiné le Sort dans un bois solitaire,
par
Nouveau vivoit seul et caché.
Bellérophon,
Il fût devenu fou : la raison d'ordinaire

N'habite pas chez les gens


longtemps séquestrés.
Il est bon de parler, et meilleur de se taire;
Mais tous deux sont mauvais alors qu'ils sont outrés.
494 FABLES DE LA FONTAINE.

Nul animal n'avoit affaire

Dans les lieux l'Ours habitoit ;


que
Si bien tout ours étoit,
que, qu'il
Il vint à de cette triste vie.
s'ennuyer
Pendant qu'il se livroit à la mélancolie,
Non loin de là certain Vieillard

S'ennuyoit aussi de sa part.


Il aimoit les jardins, étoit de Flore,
prêtre
Il l'étoit de Pomone encore.

Ces deux emplois sont beaux ; mais je voudrois parmi

Quelque doux et discret ami.

Les jardins parlent peu, si ce n'est dans mon livre :

De façon lassé de vivre


que,
Avec des muets, notre homme, un beau matin,
gens
Va chercher et se met en
compagnie, campagne.

L'Ours, porté d'un même dessein,


Venoit de sa
quitter montagne.
Tous deux, par un cas surprenant,
Se rencontrent en un tournant.

L'Homme eut peur : mais comment et faire?


esquiver? que
Se tirer en Gascon d'une semblable affaire

Est le mieux : il sut donc dissimuler sa peur.

L'Ours, très-mauvais complimenteur,


Lui dit : (c Viens-t'en me voir. » L'autre «
reprit : Seigneur,
Vous voyez mon logis ; si vous me vouliez faire

Tant d'honneur que d'y prendre un champêtre repas,


J'ai des fruits, j'ai du lait : ce n'est peut-être pas
De nos seigneurs les Ours le ordinaire ;
manger
L'OURS Eof L'AMATEURDES JARDINS.
LIVRE HUITIÈME. 497

Mais ce » L'Ours et d'aller.


j'offre que j'ai. l'accepte,
Les voilà bons amis avant que d'arriver;

Arrivés, les voilà se trouvant bien ensemble :

Et bien soit, à ce semble,


qu'on qu'il

Beaucoup mieux seul qu'avec des sots,


Comme l'Ours en un jour ne disoit deux mots,
pas
L'Homme sans bruit à son
pouvoit vaquer ouvrage.
L'Ours allait à la chasse, du
apportoit gibier;
Faisoit son principal métier

D'être bon émoucheur; écartoit du visage


De son ami dormant ce parasi te ailé

Que nous avons mouche appelé.


Un le Vieillard dormoit d'un profond somme,
jour que
Sur le bout de son nez une allant se placer
Mit l'Ours au il eut beau la chasser.
désespoir;
« Je et voici comme. »
t'attraperai bien, dit-il;

Aussitôt fait dit : le fidèle émoucheur


que
Vous un le lance avec roideur,
empoigne pavé,
Casse la tête à l'Homme en écrasant la
mouche;

Et non moins bon archer mauvais raisonneur,


que
Roide mort étendu sur la place il le couche.

Rien n'est si
dangereux qu'un ignorant ami;

Mieux vaudroit un sage ennemi.

32
498 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XI.

LES DEUX AMIS.

Deux vrais Amis vivoient au


Monomotapa ;
L'un ne rien à l'autre.
possédoit qui n'appartînt
Les amis de ce
pays-là
Valent bien, dit-on, ceux du nôtre.

Une nuit chacun du sommeil,


que s'occupoit
Et mettoit à l'absence du
profit soleil,

Un de nos deux Amis sort du lit en alarme;


LIVRE HUITIÈME. 499

Il court chez son les valets :


intime, éveille

Morphée avoit touché le seuil de ce palais.


L'Ami couché s'étonne; il sa il
prend bourse, s'arme,
Vient trouver l'autre, et dit : « Il vous arrive peu
De courir on vous me homme
quand dort; paroissiez
A mieux user du destiné le somme :
temps pour
N'auriez-vous point perdu tout votre au
argent jeu ?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon allons. Vous
épée; ennuyez-vous point
De coucher seul ? une esclave assez belle
toujours
Étoit à mes voulez-vous
côtés; qu'on l'appelle?
- dit
Non, l'ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point :
Je vous rends de ce zèle.
grâce
Vous m'êtes, en dormant, un triste
peu apparu;
J'ai craint ne fût suis vite accouru.
qu'il vrai; je
Ce maudit en est la cause. »
songe

Qui d'eux aimoit le mieux? Que t'en semble, lecteur?

Cette difficulté vaut bien la


qu'on propose.
Qu'un ami véritable est une douce chose !

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur;


Il vous la d eur
épargne pu
De les lui vous-même :
découvrir
Un un rien, tout lui fait
songe, peur

Quand il de ce qu'il aime.


s'agit
500 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XII.

LE COCHON, LA CHÈVRE ET LE MOUTON.

Une Chèvre, un Mouton, avec un Cochon gras,


Montés sur même char, s'en alloient à la foire.

Leur divertissement ne les y portoit pas;


On s'en alloit les vendre, à ce dit :
que l'histoire
Le charton n'avoit dessein
pas
De les mener voir Tabarin.
Dom Pourceau crioit en chemin
LIVRE HUITIÈME. 501

Comme s'il avoit eu cent bouchers à ses trousses :

C'étoit une clameur à rendre les gens sourds.

Les autres animaux, créatures plus douces,

Bonnes gens, s'étonnoient qu'il criât au secours;


Ils ne voyoient nul mal à craindre.

Le au «
charton dit Porc : Qu'as-tu tant à te plaindre?
Tu nous étourdis tous : ne te tiens-tu coi?
que
Ces deux personnes-ci, plus honnêtes que toi,
Devroient à vivre, ou du moins à te taire :
t'apprendre

Regarde ce Mouton; a-t-il dit un seul mot?

Il est — IL est un
sage. sot,

Repartit le Cochon : s'il savoit son affaire,


Il crieroit, comme moi, du haut de son gosier;
Et cette autre personne honnête

Crieroit tout du haut de sa tête.

Ils pensent qu'on les veut seulement décharger,


La Chèvre de son lait, le Mouton de sa laine :

Je ne sais pas s'ils ont raison;

Mais à moi, qui ne suis bon


quant

Qu'à manger, ma mort est certaine.

Adieu mon toit et ma mai son. »

Dom Pourceau raisonnoit en subtil


personnage :
Mais lui servoit-il? Quand le mal est certain,
que
La ni la ne changent le destin;
plainte peur
Et Je moins est toujours le
prévoyant plus sage.
502 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIII.

TIRCIS ET AMARANTE.

POUR MADEMOISELLE DE SILLERY.

J'avois Esope quitté


Pour être tout à Boccace;
Mais une divinité

Veut revoir sur le Parnasse

Des fables de ma façon.


a
TIRCIS ET AMARANTE.
LIVRE HUITIÈME. 505

Or, d'aller lui dire : Non,


Sans quelque valable excuse,

Ce n'est comme on en use


pas
Avec des Divinités ,

Surtout quand ce sont de celles

Que la de belles
qualité
Fait reines des volontés.

afin l'on le
Car, que sache,

C'est Sillery qui s'attache

A vouloir de
que, nouveau,

Sire Loup, sire Corbeau,


Chez moi se parlent en rime.

Qui dit Sillery dit tout :

Peu de en leur estime


gens
Lui refusent le haut bout;

Comment le faire ?
pourroit-on

Pour venir à notre affaire,

Mes contes, à son avis,

Sont obscurs : les beaux esprits


N'entendent pas toute chose.

Faisons donc récits


quelques

Qu'elle déchiffre sans glose :


Amenons des et puis nous rimerons
bergers,
Ce disent entre eux les loups et les moutons.
que

Tircis disoit un à la Amarante :


jour jeune
« Ah! si vous connoissiez comme moi certain mal
506 FABLES DE LA FONTAINE.

Qui nous plaît et nous enchante,


qui
Il n'est bien sous le ciel vous
qui parût égal!
Souffrez vous le
qu'on communique ;

Croyez-moi , n'ayez point de peur :

Voudrois-je vous tromper, vous, pour je me


qui pique
Des plus doux sentiments que avoir un cœur? »
puisse
Amarante aussitôt réplique :
« ce mal?
Comment l'appelez-vous, quel est son nom?
- L'amour. —
Ce mot est beau : dites-moi
quelques marques
A le connoître : sent-on ?
quoi je pourrai que
— Des de le
peines près qui plaisir des monarques
Est ennuyeux et fade : on s'oublie, on se plaît
Toute seule en une forêt.

Se mire-t-on près d'un rivage,


Ce n'est pas soi voit ; on ne voit
qu'on qu'une image

Qui sans cesse revient, et suit en tous lieux :


qui
Pour tout le reste on est sans yeux.
Il est un du
berger village
Dont l'abord, dont la voix, dont le nom fait
rougir :
On à son souvenir;
soupire
On ne sait pas on
pourquoi, cependant soupire,
On a peur de le voir, encor le désire. »
qu'on
Amarante dit à l'instant :

« Oh! oh! c'est là ce mal vous me tant?


que prêchez
Il ne m'est pas nouveau : je pense le connoître. »

Tircis à son but croyoit être,


la belle « Voilà tout
Quand ajouta : justement
Ce que je sens pour Clidamant. »
LIVRE HUITIÈME. 507

L'autre pensa mourir de et de honte.


dépit

Il est force gens comme lui,

Qui prétendent n'agir que pour leur propre compte,


Et qui font le marché d'autrui.
508 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIV.

LES OBSÈQUES DE LA LIONNE.

La femme du Lion mourut;


Aussitôt chacun accourut

Pour envers le Prince


s'acquitter
De certains compliments de consolation,

Qui sont surcroît d'affliction.

Il fit avertir sa
province

Que les obsèques se feroient


HUITIÈME. 509

Un tel en tel lieu; ses prévôts seroient


jour, y
Pour la cérémonie,
régler
Et la
pour placer compagnie.
si chacun s'y trouva.
Jugez
Le Prince aux cris s'abandonna ,
,
Et tout son antre en résonna :

Les lions n'ont point d'autre temple.


On entendit, à son exemple,

Rugir en leur patois messieurs les Courtisans.

Je définis la cour un pays où les gens,


à tout indifférents,
Tristes, gais, prêts tout, à
Sont ce au ou, s'ils ne peuvent l'être,
qu'il plait prince,
Tâchent au moins de le paroitre.

caméléon, du maître;
Peuple peuple singe
On diroit anime mille corps :
qu'un esprit
C'est bien là les sont de simples ressorts.
que gens

Pour revenir à notre affaire,


Le Cerf ne pleura point. Comment eût-il pu faire?

Cette mort le vengeoit : la reine avoit jadis


sa femme et son fils.
Étranglé

Bref, il ne Un flatteur l'alla dire,


pleura point.
Et soutint l'avoit vu rire.
qu'il
La colère du Roi, comme dit Salomon,

Est terrible, et surtout celle du Roi Lion ;


Mais ce Cerf n'avoit pas accoutumé de lire.

Le lui dit : « Chétif hôte des


Monarque bois,
510 FABLES DE LA FONTAINE.

Tu ris, tu ne suis ces voix.


pas gémissantes
Nous sur tes membres
n'appliquerons point profanes
Nos sacrés venez, Loups,
ongles ;
la immolez tous
Vengez Reine;
Ce traître à ses mânes. »
augustes
Le Cerf alors : « le de
reprit Sire, temps pleurs
Est passé ; la douleur est ici superflue.
Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,

Tout près d'ici m'est apparue;


Et je l'ai d'abord reconnue.
cc ce
Ami, m'a-t-elle dit, garde que convoi,
« à des larmes.
Quand je vais chez les Dieux, ne t'oblige
Aux Élysiens j'ai mille charmes,
« Champs goûté
« Conversant avec ceux sont saints comme moi.
qui
« Laisse le du Roi :
agir quelque temps désespoir
« » A
J'y prends plaisir. peine on eut ouï la chose,

Qu'on se mit à crier : Miracle! Apothéose!


Le Cerf eut un présent, bien loin d'être puni.

Amusez les rois par des songes,

Flattez-les, payez-les d'agréables mensonges :


dont leur cœur soit rempli,
Quelque indignation
Ils l'appât; vous serez leur ami.
goberont
LIVRE HUITIÈME. 511

FABLE XV.

LE RAT ET L'ÉLÉPHANT.

Se croire un est fort commun en France :


personnage
On fait l'homme d'importance,
y
Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois.
C'est le mal françois :
proprement
La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d'une autre manière :

Leur me semble, en un mot,


orgueil
512 FABLES DE LA FONTAINE.

Beaucoup plus fou, mais pas si sot.

Donnons du notre,
quelque image

Qui sans doute en vaut bien un autre.

Un Rat des plus petits voyoit un Éléphant


Des et railloit le marcher un peu lent
plus gros,
De la bête de haut parage,
marchoit à
Qui gros équipage.
Sur l'animal à
triple étage
Une sultane de
renom,
Son son Chat et sa
Chien, Guenon,

Son sa Vieille, et toute sa maison,


Perroquet,
S'en alloit en pèlerinage.
Le Rat s'étonnoi t les
que gens
Fussent touchés de voir cette pesante masse :

« Comme si ou ou moins de place


d'occuper plus
Nous rendoit, disoit-il, ou moins importants!
plus
Mais tant en lui, vous autres hommes ?
qu'admirez-vous
Seroit-ce ce fait peur aux enfants?
grand corps qui
Nous ne nous tout petits que nous sommes,
prisons pas,
D'un moins les »
grain que éléphants.

Il en auroit dit davantage;


Mais le Chat, sortant de sa cage,

Lui fit voir en moins d'un instant

rat n'est un éléphant.


Qu'un pas
LE RATET L'ÉLÉPHANT
53
LIVRE HUITIÈME. 515

FABLE XVI.

L'HOROSCOPE.

On rencontre sa destinée

Souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter.

Un eut toute
père pour lignée
Un fils aima à consulter
qu'il trop, jusques
Sur le sort de sa
géniture
Les diseurs de bonne aventure.
516 FABLES DE LA FONTAINE.

Un de ces lui dit des lions surtout


gens que
Il l'enfant à
éloignât jusques certain âge;

Jusqu'à vingt ans, point davantage.

Le venir à bout
père, pour
D'une sur rouloit la vie
précaution qui
De celui aimoit, défendit que jamais
qu'il
On lui laissât le seuil de son palais.
passer
Il sans sortir, contenter son envie,
pouvoit,
Avec ses tout le badiner,
compagnons jour
se
Sauter, courir, promener.
-----
il fut en où la chasse
Quand l'âge
Plaît le plus aux jeunes esprits,
Cet exercice avec mépris
Lui fut dépeint; mais, quoi qu'on fasse,

Propos, conseil, enseignement,

Rien ne un tempérament.
change
Le homme, ardent, plein de courage,
jeune inquiet,
A se sentit des bouillons d'un tel
peine âge,

Qu'il soupira pour ce plaisir.

Plus l'obstacle étoit fort fut le désir.


grand, plus
Il savoit le sujet des fatales défenses,

Et comme ce de
logis, plein magnificences,
Abondoit partout en tableaux,

Et la laine et les pinceaux


que
de tous côtés chasses et
Traçoient paysages,
En cet endroit des :
animaux,

En cet autre des personnages,


Le homme voyant peint un lion :
jeune s'émut,
LIVRE HUITIÈME. 517

« Ah! c'est toi me fais vivre


monstre, cria-t-il ; qui
Dans l'ombre et dans les fers ! » A ces mots il se livre

Aux transports violents de


l'indignation,
Porte le poing sur l'innocente bête.

Sous la ta un clou se rencontra :


pisserie
Ce clou le il
blesse, pénétra
ressorts de l'âme; et cette chère tête,
Jusqu'aux
Pour l'art en vain fit ce qu'il put,
qui d'Esculape
Dut sa à ces soins son salut.
perte qu'on prit pour

Même précaution nuisit au poëte Eschyle.


devin le dit-on,
Quelque menaça,
De la chute d'une maison.

Aussitôt il la ville,
quitta
Mit son lit en plein champ, loin des toits, sous les cieux.

Un en l'air une tortue,


aigle, qui portoit
Passa par là, vit l'homme, et sur sa tête nue,

Qui parut un morceau de rocher à ses yeux, J

Étant de cheveux dépourvue,


Laissa tomber sa proie, afin de la casser :

Le ainsi sut ses avancer.


pauvre Eschyle jours

De ces exemples il résulte

Que cet art, s'il est vrai, fait tomber dans les maux

Que craint celui le consulte;


qui
Mais je l'en justifie, et maintiens qu'il est faux.

Je ne crois la Nature
point que
Se soit lié les mains, et nous les lie encor
518 FABLES DE LA FONTAINE.

Jusqu'au point de marquer dans les cieux notre sort :


IL d'une
dépend conjoncture
De lieux, de personnes, de temps ;

Non des conjonctions de tous ces charlatans.

Ce berger et ce roi sont sous même planète ;


L'un d'eux porte le sceptre, et l'autre la houlette.

le vouloit ainsi.
Jupiter

Qu'est-ce que Jupiter? un corps sans connoissance.

D'où vient donc son influence


que

Agit différemment sur ces deux hommes-ci?

Puis comment pénétrer jusques à notre monde ?

Comment des airs la


percer campagne profonde?
Percer Mars, le Soleil, et des vides sans fin ?

Un atome la peut détourner en chemin :

Où l'iront retrouver les faiseurs d'horoscope ?


L'état où nous voyons l'Europe
Mérite que du moins quelqu'un d'eux l'ait prévu :

Que ne l'a-t-il donc dit? Mais nul d'eux ne l'a su.

L'immense éloignement, le point et sa vitesse,


Celle aussi de nos passions,
Permettent-ils à leur faiblesse

De suivre à toutes nos actions ?


pas pas
Notre sort en sa course entresuivie
dépend :
Ne va, non plus que nous, jamais d'un même pas,
Et ces veulent au
gens compas
Tracer le cours de notre vie !

Il ne se faut point arrêter


LIVRE HUITIÈME. 519

Aux deux faits viens de


ambigus que je conter.
Ce fils ni le bonhomme
par trop chéri, Eschyle,
N'y font rien : tout et menteur cet
aveugle qu'est art,
Il peut au but une fois entre
frapper mille;
Ce sont des effets du hasard.
520 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVII.

L'ANE ET LE CHIEN.

Il se faut entr'aider; c'est la loi de nature.

L'Ane un jour s'en


pourtant moqua :
Et ne sais comme il y manqua :
Car il est bonne créature.

Il alloit pays, du Chien ,


par accompagné

Gravement, sans songer à rien;

Tous deux suivis d'un commun maître.


LIVRE HUITIÈME.

Ce maître s'endormit. L'Ane se mit à --:'.-


paître :
Il étoit alors dans un pré
Dont l'herbe étoit fort à son gré.
Point de chardon il s'en
pourtant; passa pour l'heure :
Il ne faut pas être si
toujours délicat;

Et, faute de servir ce plat,


Rarement un festin demeure.

Notre baudet s'en sut enfin

Passer pour cette fois. Le mourant de


Chien, faim,
Lui dit : « Cher te
compagnon, baisse-toi, je prie :
Je prendrai mon dîné dans le au «
panier pain.
Point de réponse, mot; le roussin d'Arcadie

Craignit qu'en perdant un moment

Il ne perdît un coup de dent.

Il fit la sourde oreille :


longtemps
Enfin il « te
répondit : Ami, je conseille

D'attendre que ton maître ait fini son sommeil;


Car il te donnera sans faute, à son réveil,
Ta portion accoutumée :

Il ne sauroit tarder »
beaucoup.
Sur ces entrefaites un Loup
Sort du bois, et s'en vient : autre bête affamée.

L'Ane aussitôt le Chien à son secours.


appelle
Le Chien ne et dit : « te
bouge, Ami, je conseille

De fuir en attendant ton maître s'éveille ;


que
Il ne sauroit tarder : détale vite, et cours.

Que si ce Loup t'atteint, casse-lui la mâchoire :

On t'a ferré de neuf; et, si tu veux m'en croire,


522 FABLES DE LA FONTAINE.

Tu l'étendras tout » Pendant ce beau discours,


plat.

le Baudet sans remède.


Seigneur Loup étrangla

1
Je conclus qu'il faut qu'on s'entr aide.
LIVRE HUITIÈME. 523

FABLE XVIII.

LE BASSA ET LE MARCHAND.

Un marchand grec en certaine contrée

Faisoit trafic. Un Bassa l'appuyoit;


De le Grec en bassa le payoit,
quoi
Non en marchand : tant c'est chère denrée

Qu'un protecteur! Celui-ci coûtoit tant,

Que notre Grec s'alloit partout plaignant.


Trois autres Turcs, d'un rang moindre en puissance,
524 FABLES DE LA FONTAINE.

--
Lui vont offrir leur support en commun.

Eux trois vouloierit moins de reconnoissance

Qu'à ce Marchand il n'en coûtoit pour un.


Le Grec écoute; avec eux il s'engage,
Et le Bassa du tout est averti :

Même on lui dit qu'il jouera, s'il est sage,


A ces méchant parti,
gens-là quelque
Les les d'un
prévenant, chargeant message
Pour Mahomet, droit en son paradis,

Et sans tarder; sinon, ces unis


gens
Le bien certains qu'à la ronde
préviendront,
Il a des tout pour le venger :
gens prêts

poison l'enverra protéger


Quelque
Les sont en l'autre monde.
trafiquants qui
Sur cet avis le Turc se
comporta

Comme de
Alexandre; et, plein confiance,

Chez le marchand tout droit il s'en alla,

Se mit à table. On vit tant d'assurance

En ses discours et dans tout son maintien,

ne crut qu'il se doutât de rien.


Qu'on point
« sais tu me
Ami, dit-il, je que quittes;

Même l'on veut j'en craigne les suites;


que
te crois un hommè de
Mais je trop bien;

l'air d'un donneur de


Tu n'as point breuvage.

Je n'en dis pas là-dessus davantage.

Quant à ces gens qui pensent t'appuyer,

Écoute-moi : sans tant de


dialogue

Et de raisons qui pourroient t'ennuyer,


El lTir
LE BASSA~* ^UMlAl.^ii\(W'
"-IIC:II.&.
LIVRE HUITIÈME. 527

Je ne te veux conter apologue.


qu'un

Il étoit un son chien, et son troupeau.


Berger,

Quelqu'un lui demanda ce qu'il prétendoit faire


D'un de qui l'ordinaire
dogue
Etoit un entier. Il falloit bien et beau
pain
Donner cet animal au du village.
seigneur

Lui, plus de ménage,


berger, pour
Auroit deux ou trois mâtineaux;

Qui, lui moins, veilleroient aux troupeaux


dépensant

Bien mieux cette bête seule.


que
Il trois ; mais on ne disoit pas
mangeoit plus que

Qu'il avait aussi triple gueule

Quand les loups livroient des combats.

Le s'en défait; il trois chiens de taille


Berger prend
A lui moins, mais à fuir la bataille.
dépenser
Le troupeau s'en sentit; et tu te sentiras

Du choix de semblable canaille.

Si tu fais bien tu reviendras à moi. »

Le Grec le crut.

Ceci montre aux provinces

Que, tout compté, mieux vaut en bonne foi.

S'abandonner à
quelque puissant roi,

Que s'appuyer de plusieurs petits princes.


528. FABLES DE LA FONTAINE,

-
FABLE XIX.

L'AVANTAGE DE LA SCIENCE.

Entre deux bourgeois d'une ville

S'émut jadis un différend :

L'un étoit pauvre, mais habile;

L'autre, riche, mais ignorant.


Celui-ci sur son concurrent

Vouloit emporter l'avantage;


Prétendoit que tout homme sage
LIVRE HUITIÈME. 529

Etoit tenu de l'honorer.


C'étoit tout homme sot : car révérer
pourquoi
Des biens de mérite?
dépourvus
La raison m'en semble petite.
« Mon ami, disoit-il souvent

Au savant,
Vous vous
croyez considérable;
Mais, dites-moi, tenez-vous table?

Que sert à vos de lire incessamment ?


pareils
Ils sont à la troisième
toujours logés chambre,
Vêtus au mois de comme au mois de
juin décembre,
Ayant pour tout leur ombre seulement.
laquais
La a bien affaire
République
De gens ne rien !
qui dépensent
Je ne sais d' homme nécessaire

Que celui dont le luxe de bien.


épand beaucoup
Nous en usons, Dieu sait ! notre plaisir occupe
L'artisan, le vendeur, celui fait la
qui jupe,
Et celle la et dédiez
qui porte, vous, qui
A messieurs les de finance
gens
De méchants livres bien »
payés.
Ces mots remplis d'impertinence
Eurent le sort qu'ils méritoient.

L'homme lettré se tut, il avoit à dire.


trop
La le bien
guerre vengea mieux qu'une satire.
Mars détruisit le lieu nos habitoient :
que gens
L'un et l'autre sa ville.
quitta

L'ignorant resta sans asile ;

7J-i
530 FABLE DE LA FONTAINE.

Il reçut partout des mépris :


L'autre reçut faveur nouvelle.
partout quelque
Cela décida leur querelle.

Laissez dire les sots : le savoir a son prix.


LIVRE HUITIÈME. 531

FABLE XX.

JUPITER ET LES TONNERRES.

voyant nos fautes,


Jupiter,
Dit un du haut des airs :
jour,
«
de nouveaux hôtes
Remplissons
Les cantons de l'Univers

Habités cette race


par

Qui et me lasse.
m'importune
532 • FABLES DE LA FONTAINE.

Va-t'en , Mercure, aux Enfers ,

Amène-moi la Furie

La plus cruelle des trois.

Race que j'ai trop chérie,


Tu cette fois ! »
périras

Jupiter ne tarda guère


A modérer son transport.
0 vous, rois, voulut faire
qu'il
Arbitres de notre sort,

Laissez, entre la colère

Et l'orage qui la suit,

L'intervalle d'une nuit.

Le Dieu dont l'aile est légère,


Et la langue a des douceurs,

Alla voir les noires sœurs.


A et
Tisiphone Mégère
Il préféra, ce dit-on,

L'impitoyable Alecton.

Ce choix la rendit si fière,

Qu'elle jura par Pluton

Que toute humaine


l'engeance
Seroit bientôt du domaine

Des Déités de là-bas.

Jupiter n'approuva pas


Le serment de l'Euménide.

Il la renvoie ; et pourtant
Il lance un foudre à l'instant
LIVRE HUITIÈME..533

Sur certain peuple perfide.


Le tonnerre, ayant pour guide
Le père même de ceux

Qu'il menaçoit de ses feux,


Se contenta de leur crainte;
Il n'embrasa l'enceinte
que
D'un désert inhabité :

Tout père frappe à côté.

Qu'arriva-t-il ? Notre engeance


Prit pied sur cette indulgence.
Tout l'Olympe s'en
plaignit ;
Et l'assembleur de
nuages
Jura le Styx, et promit
De former d'autres
orages :
Ils seroient sûrs. On sourit;
On lui dit qu'il étoit père,
Et laissât, le mieux,
qu'il pour
A des autres Dieux
quelqu'un
D'autres tonnerres à faire.

Vulcan entreprit l'affaire.

Ce Dieu ses fourneaux


remplit
De deux sortes de carreaux :

L'un jamais ne se fourvoie ;


Et c'est celui que toujours

L'Olympe en corps nous envoie :

L'autre s'écarte en son cours ;


Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte;
Bien souvent même il se perd;
534 FABLES DE LA FONTAINE.

Et ce dernier en sa route

Nous vient du seul Jupiter.


LIVRE HUITIÈME. 535

FABLE XXI.

LE FAUCON ET LE CHAPON.

Une traîtresse voix bien souvent vous appelle ;


Ne vous donc nullement :
pressez
Ce n'étoit un et
pas sot, non, non, croyez-m'en,

Que le Chien de Jean de Nivelle.

Un citoyen du Mans, chapon de son métier,


Étoit sommé de
comparaître
:>3f> FABLES DE LA FONTAINE.

Par-devant les lares du maître,


Au pied d'un tribunal nous nommons foyer.
que
Tous les lui crioient, la chose :
gens pour déguiser
« »
Petit, petit, petit! Mais, loin de s' fier,
y
Le Normand et demi laissoit les crier.
gens
« votre
Serviteur, disoit-il; appât est grossier :
On ne tient et cause. »
m'y pas, pour
un Faucon sur sa
Cependant perche voyoit
Notre Manceau qui s'enfuyoit.
Les ont en nous fort de
chapons peu confiance,
Soit instinct, soit expérience.

Celui-ci, qui ne fut peine attrapé,


qu'avec

Devoit, le lendemain, être d'un grand soupé,


Fort à l'aise en un honneur dont la volaille
plat,
Se seroit passée aisément.

L'oiseau chasseur lui dit : « Ton d'entendement


peu
Me rend tout étonné. Vous n'êtes que racaille,
Gens sans à l'on rien.
grossiers, esprit, qui n'apprend
Pour moi, je sais chasser, et revenir au maître.

Le vpis-tu pas à la fenêtre ?

Il t'attend : es-tu sourd ? — Je n'entends que trop bien,

Repartit le chapon ; mais que me veut-il dire ?

Et ce beau cuisinier armé d'un couteau ?


grand
Reviendrois-tu pour cet appeau ?
Laisse-moi fuir; cesse de rire

De l'indocilité qui me fait envoler,


d'un ton si doux on s'en vient
Lorsque m'appeler.
Si tu voyois mettre à la broche
LIVRE HUITIÈME. 537

Tous les jours autant de faucons

vois mettre de
Que j'y chapons,
Tu ne me ferois pas un semblable »
reproche.
*38 FABLES DE FONTAINE.
LA

FABLE XXII.

LE CHAT ET LE RAT.

Quatre animaux divers, le Chat grippe-fromage,


Triste-oiseau le Hibou, le Rat,
ronge-maille
Dame Belette au
long corsage,
Toutes gens d'esprit scélérat,

Hantoient le tronc d'un vieux et


pourri pin sauvage.
Tant y furent, qu'un soir à l'entour de ce pin
L'homme tendit ses rets. Le Chat, de grand matin,
LIVRE HUITIÈME. 539

Sort pour aller chercher sa proie.


Les derniers traits de l'ombre empêchent qu'il ne voie

Le filet : il tombe, en de mourir;


y danger
Et mon Chat de crier, et le Rat d'accourir,
L'un plein de désespoir, et l'autre plein de joie :
Il voyoit dans les lacs son mortel ennemi.

Le Chat dit : « Cher


pauvre ami,
Les marques de ta bienveillance

Sont communes en mon endroit ;


Viens m'aider à sortir du où
piége l'ignorance
M'a fait tomber. C'est à bon droit

Que seul entre les tiens, par amour singulière,


Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux.
Je n'en ai point regret, et j'en rends aux Dieux.
grâce
J'allois leur faire ma prière,

Comme tout dévot chat en use les matins.

Ce réseau me retient : ma vie est en tes mains ;



Viens dissoudre ces nœuds. Et quelle récompense
En aurai-je? reprit le Rat.

— Je éternelle alliance
jure
Avec toi, repartit le Chat.

Dispose de ma griffe, et sois en assurance :

Envers et contre tous je te protégerai ;


,
Et la Belette mangerai
Avec l'époux de la Chouette :

Ils t'en veulent tous deux. » Le Rat dit : « Idiot !

Moi ton libérateur? ne suis si sot. »


je pas
Puis il s'en va vers sa retraite.
540 FABLES DE LA FONTAINE.

La Belette étoit près du trou.

Le Rat plus haut; il y voit le Hibou.


grimpe
de toutes le
Dangers parts : plus pressant l'emporte.

Ronge-maille retourne au Chat, et fait en sorte

Qu'il détache un chaînon, puis un autre, et puis tant,

Qu'il enfin l'hypocrite.


dégage
L'homme paroît en cet instant;

Les nouveaux alliés prennent tous deux la fuite.


A de notre Chat vit de loin
quelque temps là,

Son Rat se tenoit alerte et sur ses


qui gardes :
« Ah! mon frère, dit-il, viens m'embrasser ; ton soin

Me fait injure ; tu regardes


Comme ennemi ton allié.

Penses-tu que j'aie oublié

Qu'après Dieu je te dois la vie ?

- Et moi, le Rat,
reprit penses-tu que j'oublie
Ton naturel? Aucun traité

Peut-il forcer un chat à la reconnoissance ?

S'assure-t-on sur l'alliance

Qu'a faite la nécessité ?


LIVRE HUITIÈME. 541

FABLE XXIII.

LE TORRENT ET LA RIVIÈRE.

bruit et grand fracas


Avec grand
Un Torrent tomboit des
montagnes :
Tout fuyoit devant lui; l'horreur suivoit ses pas;
Il faisoit trembler les
campagnes.
Nul n'osoit passer
voyageur
Une barrière si puissante ;
Un seul vit des voleurs; et se sentant presser,
aG2 FABLES DE LA FONTAINE.

Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.


Ce n'étoit menace et bruit sans
que profondeur :
Notre homme enfin n'eut que la peur.
Ce succès lui donnant courage,
Et les mêmes voleurs le
poursuivant toujours,
Il rencontra sur son
passage
Une Rivière dont le cours,
d'un sommeil doux, paisible, et
Image tranquille,
Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile :

Point de bords escarpés, un sable pur et net.

Il entre ; et son cheval le met

A couvert des voleurs, mais non de l'onde noire :

Tous deux au Styx allèrent boire;

Tous à
deux, nager malheureux,

Allèrent traverser, au séjour ténébreux,


Bien d'autres fleuves que les nôtres.

Les gens sans bruit sont


dangereux :
Il n'en est pas ainsi des autres.
LE TORRENTET LA RIVIÈRE.
LIVRE HUITIÈM.E. 545

FABLE XXIV.

L'ÉDUCATION.

Laridon et César, frères dont l'origine


Venoit de chiens fameux, beaux, bien faits, et hardis,
A deux maîtres divers échus au temps jadis,

Hantoient, l'un les forêts, et l'autre la cuisine.

Ils avoient eu d'abord chacun un autre nom ;


Mais la diverse nourriture

Fortifiant en l'un cette heureuse nature,

35
546 FABLES DE LA FONTAINE.

En l'autre l'altérant, un certain marmiton

Nomma celui-ci Laridon.

Son frère, couru mainte haute aventure,


ayant
Mis maint cerf aux abois, maint abattu,
sanglier
Fut le premier César que la gent chienne ait eu.

On eut soin d'empêcher qu'une indigne maîtresse

Ne fit en ses enfants dégénérer son sang.


Laridon négligé sa tendresse
témoignoit
A le
l'objet premier passant.
Il tout de son
peupla engeance :
Tourne-broches par lui rendus communs en France

Y font un à les
corps part, gens fuyants hasards,

Peuple antipode des Césars.

On ne suit ses aïeux ni son


pas toujours père :
Le peu de soin, le temps, tout fait qu'on dégénère.
Faute de cultiver la nature et ses dons,
Oh! combien de Césars deviendront Laridons!
LIVRE HUITIÈME. 547

FABLE XXV.

LES DEUX CHIENS ET L'ANE MORT.

Les vertus devroient être sœurs,


Ainsi que les vices sont frères.

Dès l'un de ceux-ci s'empare de nos


que cœurs,
Tous viennent à la file; il ne s'en :
manque guères
J'entends de ceux qui, n'étant pas contraires,
Peuvent loger sous même toit.
A des rarement on les voit
l'égard vertus,
548 FABLES DE LA FONTAINE.

Toutes en un sujet éminemment placées


Se tenir la main sans être
par dispersées.
L'un est mais l'autre est mais froid.
vaillant, prompt; prudent,
Parmi les le Chien se d'être
animaux, pique

Soigneux, et fidèle à son maître;


Mais il est sot, il est gourmand :
Témoin ces deux mâtins qui, dans léloignement,
Virent un Ane mort flottoit sur les ondes.
qui
Le vent de en de nos Chiens.
plus plus l'éloignoit
« dit tes sont meilleurs les miens :
Ami, l'un, yeux que
Porte un peu tes sur ces plaines profondes;
regards

J'y crois voir chose. Est-ce un bœuf, un cheval?


quelque
- Eh! animal?
qu'importe quel
Dit l'un de ces mâtins ; voilà toujours curée.
Le point est de l'avoir : car le trajet est grand;
Et de plus, il nous faut contre le vent.
nager
Buvons toute cette eau; notre gorge altérée

En viendra bien à bout : ce demeurera


corps
Bientôt à sec, et ce sera

Provision la semaine. »
pour
Voilà mes Chiens à boire : ils perdirent l'haleine,
Et puis la vie; ils firent tant

Qu'on les vit crever à l'instant.

L'homme est ainsi bâti : un sujet l'ennamme,


quand

L'impossibilité disparoît à son âme.

Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas,


S'outrant pour acquérir des biens ou de la
gloire!
J.ES DEUX CHIENSKT J. AN¡, MORT.
LIVRE HUITIÈME. 551

Si mes États!
l'arrondissois
Si mes coffres de ducats!
je pouvois remplir
Si les l'histoire!
j'apprenois l'hébreu, sciences,

Tout c'est la mer à


cela, boire;

Mais rien à l'homme ne suffit.

Pour fournir aux projets que forme un seul


esprit,
Il faudroit corps; encor, loin d'y suffire,
quatre
A mi-chemin je crois que tous demeureroient :

Quatre Mathusalems bout à bout ne pourroient


Mettre à fin ce qu'un seul désire.
552 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XXVI.

DÉMOCRITE ET LES ABDÉRITAINS.

Que j'ai toujours haï les pensers du vulgaire !

Qu'il me semble profane, injuste, et téméraire ?


Mettant de faux milieux entre la chose et lui ,
Et mesurant par soi ce voit en autrui!
qu'il

Le maître en fit
d'Épicure l'apprentissage.
Son pays le crut fou. Petits esprits! Mais quoi!
LIVRE HUITIÈME. 553

Aucun n'est prophète chez soi.

Ces gens étoient les fous, Démocrite, le sage.


L'erreur alla si loin qu'Abdère députa
Vers Hippocrate, et l'invita,
Par lettres et par ambassade,

A venir rétablir la raison du malade.


« Notre disoient-ils en
concitoyen, pleurant,
Perd la lecture a Démocrite.
l'esprit : gâté
Nous l'estimerions plus s'il étoit ignorant.
« Aucun les mondes ne limite :
nombre, dit-il,
« Peut-être même ils sont remplis
« De Démocrites infinis. »

Non content de ce songe, il joint les atomes,


y
Enfants d'un cerveau creux, invisibles fantômes;

Et, mesurant les cieux sans bouger d'ici-bas,

Il connoît l'Univers, et ne se connoît pas.


Un temps fut qu'il savoit accorder les débats :

Maintenant il à lui-même.
parle

Venez, divin mortel; sa folie est extrême. »

n'eut pas trop de foi pour ces


Hippocrate gens ;
il Et voyez, je vous en prie,
Cependant partit.

Quelles rencontres dans la vie

Le sort cause! arriva dans le


Hippocrate temps

Que celui disoit n'avoir raison ni sens


qu'on
Cherchoit dans l'homme et dans la bête

Quel a la raison, soit le cœur, soit la tête.


siége
Sous un assis près d'un
ombrage épais, ruisseau,
Les labyrinthes d'un cerveau
554 FABLES DE LA FONTAINE.

L'occupoient. Il avoit à ses maint volume,


pieds
Et ne vit son ami s'avancer,
presque pas
Attaché selon sa coutume.

Leur compliment fut court, ainsi qu'on peut penser :


Le sage est ménager du temps et des paroles.
donc mis à les entretiens
Ayant part frivoles,
Et beaucoup raisonné sur l'homme et sur l'esprit ,
Ils tombèrent sur la morale.

Il n'est pas besoin que j'étale


Tout ce que l'un et l'autre dit.

Le récit précédent suffit

Pour montrer le est récusable.


que peuple juge
En sens est donc véritable
quel
Ce que j'ai lu dans certain lieu,

Que sa voix est la voix de Dieu?


LIVRE HUITIEME. 555

FABLE XXVII.

LE LOUP ET LE CHASSEUR.

Fureur d'accumuler, monstre de qui les yeux


comme un tous les bienfaits des
Regardent point Dieux,
Te en vain sans cesse en cet
combattrai-je ouvrage?

Quel demandes-tu pour suivre mes leçons?


temps

L'homme, sourd à ma voix comme à celle du sage,


Ne dira-t-il « C'est assez,
jamais : jouissons?

Hâte-toi, mon ami, tu n'as pas tant à vivre.


556 FABLES DE LA FONTAINE.

Je te rebats ce mot; car il vaut tout un livre :

Jouis. — Je le ferai. — Mais donc? — Dès


quand demain.
— Eh! mon la mort te en chemin :
ami, peut prendre
Jouis dès aujourd'hui ; redoute un sort semblable.

A celui du Chasseur et du de ma fable. »


Loup

Le de son arc avoit mis bas un daim.


premier
Un faon de biche passe, et le voilà soudain

du défunt : tous deux sur l'herbe.


Compagnon gisent
La proie étoit honnête, un daim avec un fan;

Tout modeste chasseur en eût été content :

Cependant un sanglier, monstre énorme et superbe,


Tente encor notre archer, friand de tels morceaux.

Autre habitant du Styx : la et ses ciseaux


Parque
Avec peine y mordoient; la Déesse infernale
à fois l'heure au monstre fatale.
Reprit plusieurs
De la force du coup pourtant il s'abattit.

C'étoit assez de biens. Mais quoi! rien ne remplit


Les vastes d'un faiseur de
appétits conquêtes.
Dans le le revient à l'Archer
temps que porc soi,
Voit le d'un sillon une
long perdrix marcher;
Surcroît chétif aux autres têtes :

De son arc toutefois il bande les ressorts.

Le sanglier, rappelant les restes de sa vie,


Vient à le meurt sur son
lui, découd, vengé corps,
Et la le remercie.
perdrix

Cette du récit s'adresse au


part Convoiteux;
lE IOOP ET I.E C;TA'TSTIIK
,
LIVRE HUITIÈME. 559

L'Avare aura lui le reste de l'exemple.


pour
Un vit en ce spectacle piteux :
Loup passant
« O Fortune! te un
dit-il, je promets temple.

Quatre corps étendus! que de biens! mais pourtant


Il faut les ces rencontres sont rares.
ménager,

(Ainsi s'excusent les avares.)


J'en aurai, dit le un mois, autant :
Loup, pour pour

Un, deux, trois, quatre corps; ce sont quatre semaines,

Si sais compter, toutes pleines.


je
dans deux et
Commençons jours; mangeons cependant
La corde de cet arc : il faut l'on l'ait faite
que
De vrai l'odeur me le assez. J)
boyau ; témoigne
En disant ces mots, il se jette
Sur l'arc se détend, et fait de la
qui sagette
Un nouveau mort : mon a les
Loup boyaux percés.
Je reviens à mon texte. Il faut l'on
que jouisse;
Témoin ces deux gloutons punis d'un sort commun :

La convoitise perdit l'un ;


L'autre périt par l'avarice.

FIN DU LIVRE HUITIÈME.


LIVRE NEUVIÈME

36
LIVRE NEUVIÈME. 563

FABLE PREMIÈRE

LE DÉPOSITAIRE INFIDÈLE.

Grâce aux Filles de


Mémoire,

J'ai chanté des animaux;

Peut-être d'autres héros

M'auroient moins de
acquis gloire.
Le en des Dieux,
Loup, langue
Parle au Chien dans mes
ouvrages :
5Ç>4 FABLES DE LA FONTAINE.

Les à mieux mieux,


- bêtes, qui
Y font divers personnages;
Les uns fous, les autres sages;
De telle sorte pourtant

Que les fous vont l'emportant :


La mesure en est plus pleine.
Je mets aussi sur la scène

Des trompeurs, des scélérats,


Des tyrans, et des ingrats,
Mainte imprudente pécore,
Force sots, force flatteurs;
Je encore
pourrois y joindre
Des de menteurs :
légions
Tout homme ment, dit le sage.
S'il n'y mettoit seulement

Que les gens du bas étage,


On pourroit aucunement

Souffrir ce défaut aux hommes;


Mais que tous tant que nous sommes

Nous mentions, grand et petit,


Si autre l'avoit
quelque dit,
Je soutiendrois le contraire.

Et même qui mentiroit

Comme Esope et comme Homère,


Un vrai menteur ne seroit :

Le doux charme de maint songe


Par leur bel art inventé,
Sous les habits du
mensonge
LIVRE NEUVIÈME 565

Nous offre la vérité.

L'un et l'autre a fait un livre

Que je tiens de vivre


digne
Sans fin, et plus, s'il se peut.
Comme eux ne ment pas qui veut.

Mais mentir comme sut faire

Un certain dépositaire,

Payé par son propre mot,

Est d'un méchant et d'un sot.

Voici le fait :

Un trafiquant de Perse,
Chez son s'en allant en
voisin, commerce,
Mit en dépôt un cent de fer un jour.
« Mon fer? dit-il, il fut de retour.
quand
- Votre fer? il n'est de vous dire
plus : j'ai regret

Qu'un rat l'a mangé tout entier.

J'en ai grondé mes gens; mais qu'y faire? un grenier.


A trou. » Le admire
toujours quelque trafiquant
Un tel prodige, et feint de le croire
pourtant.
Au bout de il détourne l'enfant
quelques jours
Du à
perfide voisin; puis souper convie

Le s'excuse, et lui dit en


père, qui pleurant :
« vous
Dispensez-moi, je supplie;
Tous moi sont
plaisirs pour perdus.
J'aimois un fils plus que ma vie :

Je n'ai lui ; dis-je ? hélas ! je ne l'ai


que que plus.
On me l'a dérobé : mon infortune. »
plaignez
5(1)6 FABLES DE LA FONTAINE.

Le marchand repartit : Hier au soir, sur la brune,


Un chat-huant s'en vint votre fils enlever;
Vers un vieux bâtiment le lui vis »
je porter.
Le dit : « Comment voulez-vous croie
père que je

Qu'un hibou pût jamais emporter cette proie?


Mon fils en un besoin eût pris le chat-huant.
— Je ne vous dirai l'autre comment :
point, reprit
Mais enfin je l'ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je;
Et ne vois rien qui vous oblige
D'en douter un moment après ce je dis.
que
Faut-il que vous trouviez étrange

Que les chats-huants d'un pays


Où le de fer un seul rat se
quintal par mange,
Enlèvent un garçon pesant un demi-cent?

L'autre vit où tendoit cette feinte aventure :

Il rendit le fer au marchand,

lui rendit sa
Qui géniture.

Même dispute avint entre deux voyageurs.


L'un d'eux étoit de ces conteurs

Qui n'ont jamais rien vu un


qu'avec microscope ;
Tout est géant chez eux : écoutez-les, l'Europe,
Comme aura des monstres à foison.
l'Afrique,
Celui-ci se
croyoit l'hyperbole permise.
« un chou
J'ai vu, dit-il, plus grand qu'une maison.
— Et dit un aussi
moi, l'autre, pot grand qu'une église. »
Le se l'autre
premier moquant, reprit : Tout doux;
On le fit pour cuire vos choux. »
LIVRE NEUVIÈME. 567

L'homme au fut l'homme au fer fut habile.


pot plaisant :

Quand l'absurde est outré, l'on lui fait trop d'honneur

De vouloir raison combattre son erreur :


par
Enchérir est plus court, sans s'échauffer la bile.
,:- f l' t"':
568 FABLES DE LA FONTAINE.

i
! FABLE IL 1

LES DEUX PIGEONS.

Deux s'aimoient d'amour tendre :


Pigeons
L'un deux, au logis,
s'ennuyant
Fut assez fou pour entreprendre
Un en lointain pays.
voyage
L'autre lui dit : « faire?
Qu'allez-vous

Voulez-vous votre frère?


quitter
L'absence est le des maux :
plus grand
LIVRE NEUVIÈME. 569

Non pas vous, cruel! Au moins, les


pour que travaux,
Les dangers, les soins du
voyage,

Changent un peu votre courage.

Encor, si la saison s'avançoit davantage!


Attendez les zéphyrs : qui vous presse? un corbeau

Tout à l' heure t malheur à oiseau.


annonçoi quelque
Je ne songerai plus que rencontre funeste,

Que faucons, que réseaux. Hélas! dirai-je, il


pleut :
Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,

Bon soupé, bon gite, et le reste ?»

Ce discours ébranla le cœur

De notre imprudent voyageur :


Mais le désir de voir et l'humeur
inquiète
enfin. Il dit : « Ne
L'emportèrent pleurez point ;
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite :

Je reviendrai dans peu conter de point en point


Mes aventures à mon frère;
Je le désennuirai. Quiconque ne voit guère
.:'
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai : J'étois là; telle chose m'avint :


(
Vous croirez être vous-même. »
y
A ces mots, en ils se dirent adieiï."
pleurant,
Le et voilà qu'un
voyageur s'éloigne : nuage
de chercher retraite en lieu.
L'oblige queque
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le en dépit du
Pigeon feuillage.
L'air devenu il tout
serein, part morfondu,
570 FABLES DE LA FONTAINE.

Sèche du mieux son corps chargé de pluie;


qu'il peut
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un auprès : cela lui donne envie;
pigeon
Il y vole, il est pris : ce blé couvroit d'un las

Les menteurs et traîtres appas.


Le lacs étoit usé; si bien que, de son aile,

De ses pieds, de son bec, l'oiseau se rompt enfin :

et le du destin
Quelque plume y périt, pis
Fut certain vautour, à la serre cruelle,
qu'un
Vit notre malheureux, qui, traînant la ficelle

Et les morceaux du lacs qui l'avoit attrapé,


Sembloit un forçat échappé.
Le vautour s'en alloit le lier, quand des nues

Fond à son tour un aigle aux ailes étendues.

Le Pigeon profita du conflit des voleurs,

S'envola, s'abattit auprès d'une masure,

Crut ce ses malheurs


pour coup que
Finiroient par cette aventure;

Mais un fripon d'enfant (cet âge est sans pitié)


Prit sa fronde, et du coup tua plus d'à moitié

La volatile malheureuse,
maudissant sa
Qui, curiosité,
Traînant l'aile et tirant le pied,

Demi-morte, et demi-boiteuse ,
Droit au logis s'en retourna :

Que bien, que mal, elle arriva,


Sans autre aventure fâcheuse.

Voilà nos et laisse à


gens rejoints; je juger
T.ES DEUX PIGEONS.
LIVRE NEUVIÈME. 573

De combien de plaisirs ils payèrent leurs peines.

Amants, heureux amants, voulez-vous voyager?

Que ce soit aux rives prochaines.

Soyez-vous l'un à l'autre un monde toujours beau,

Toujours divers, toujours nouveau;

Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.

J'ai quelquefois aimé : je n'aurois pas alors,


Contre le Louvre et ses trésors,
Contre le firmament et sa voûte céleste,

les bois, les lieux


Changé changé
Honorés par les pas, éclairés par les yeux
De l'aimable et
jeune bergère
Pour qui, sous le fils de Cythère,
Je servis, par mes premiers serments.
engagé
Hélas! quand reviendront de semblables moments?

Faut-il tant si doux et si charmants


que d'objets
Me laissent vivre au de mon âme
gré inquiète?
Ah! si mon cœur osoit encore se renflammer.

Ne sentirai-je de charme qui m'arrête?


plus
le d'aimer?
Ai-je passé temps
fâm FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE III.

LE SINGE ET LE LÉOPARD.

Le avec le
Singe Léopard

Gagnaient de à la foire.
l'argent
Ils affichoient chacun à part.
L'un d'eux disoit : «
Messieurs, mon mérite et ma gloire
Sont connus en bon lieu. Le Roi m'a voulu voir;
Et si meurs, il veut avoir
je
Un manchon de ma tant elle est
peau : bigarrée,
LIVRE NEUVIÈME. 575

Pleine de taches, marquetée,


Et et mouchetée! )
vergetée,
La bigarrure plaît : partant chacun le vit.

Mais ce fut bientôt fait; bientôt chacun sortit.

Le de sa disoit : «
Singe part Venez de grâce,
fais cent tours de
Venez, messieurs, je passe-passe,
Cette diversité dont on vous parle tant,
Mon voisin Léopard l'a sur soi seulement :

Moi je l'ai dans l'esprit. Votre serviteur Gille,


Cousin et gendre de
Bertrand,

Singe du Pape en son vivant,


Tout fraîchement en cette ville
*
Arrive en trois bateaux, exprès pour vous parler;
Car il parle, on l'entend : il sait danser, baller,

Faire des tours de toute sorte,


Passer en des cerceaux; et le tout pour six blancs;

Non, messieurs, un sou; si vous n'êtes pas contents,


pour
Nous rendrons à chacun son à la »
argent porte.

Le avait raison : ce n'est pas sur l'habit


singe

Que la diversité me plaît; c'est dans l'esprit :


L'une fournit toujours des choses agréables;

L'autre, en moins d'un moment, lasse les regardants.


Oh! de au Léopard semblables,
que grands seigneurs,
N'ont l'habit pour tous talents L
que
576 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IV.

LE GLAND ET LA CITROUILLE.

Dieu fait bien ce fait. Sans en chercher la


qu'il preuve
En tout cet Univers, et l'aller parcourant,
Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est et sa tige menue :


gros
« A
quoi songeoit, dit-il, l'auteur de tout cela?
LIVRE NEUVIÈME. 577

Il a bien mal cette citrouille-là.


placé
Eh parbleu! je l'aurois pendue
A l'un des chênes voilà;
que
C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, bien faire.


pour
C'est Garo, tu n'es entré
dommage, que point
Au conseil de Celui ton
que prêche curé;
Tout en eût été mieux : car
pourquoi, par exemple,
Le n'est comme mon
gland, qui pas gros petit doigt,
Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris : plus je contemple


Ces fruits ainsi il semble à Garo
placés, plus

Que l'on a fait un qui proquo. »

Cette réflexion embarrassant notre homme :


« On ne dort on a tant »
point, dit-il, quand d'esprit.
Sous un chêne aussitôt il va son somme.
prendre
Un tombe : le nez du dormeur en
gland pâtit.
Il s'éveille; et, portant la main sur son
visage,
Il trouve encor le pris au du menton.
gland poil
Son nez meurtri le force à de
changer langage.
« Oh! oh! et seroit-ce
dit-il, je saigne! que donc

S'il fût tombé de l'arbre une masse


plus lourde,
Et ce gland eût été gourde ?
que
Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il eut raison;
J'en vois bien à la «
présent cause.

En louant Dieu de toute chose

Garo retourne à la maison.

37
578 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE V.

L'ÉCOLIER, LE PÉDANT ET LE MAITRE D'UN JARDIN.

Certain Enfant sentoit son collège,


qui
Doublement sot et doublement fripon
Par le et le
jeune âge par privilége
les de la
Qu'ont pédants gâter raison,
Chez un voisin déroboit, ce dit-on,
Et fleurs et fruits. Ce en
voisin, automne,
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
LIVRE NEUVIÈME. 579

Avoit la fleur, les autres le rebut.

saison apportoit son tribut :


Chaque
Car au il encore
printemps jouissoit
Des beaux dons nous présente Flore.
plus que
Un jour dans son jardin il vit notre écolier,

Qui, grimpant sans égard sur un arbre fruitier,


Gâtoit jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance :

Même il ébranchoit l'arbre, et fit tant à la fin

le du
Que possesseur jardin

Envoya faire plainte au Maître de la classe.

Celui-ci vint suivi d'un d'enfants :


cortége
Voilà le verger plein de gens
• le sa
Pires Le Pédant, de grâce,
que premier.
Accrut le mal en amenant

Cette jeunesse mal instruite :

Le tout, à ce dit, pour faire un châtiment


qu'il

Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite

Se souvînt à comme d'une


jamais leçon.
Là-dessus il cita et Cicéron,
Virgile
Avec force traits de science.

Son discours dura tant, la maudite


que engeance
Eut le de en cent lieux le jardin.
temps gâter

Je hais les pièces d'éloquence


Hors de leur et qui n'ont de fin;
place, point
Et ne sais bête au monde pire

Que l'Écolier, si ce n'est le Pédant.


580 FABLES DE FABLES
LA DE LA
FONTArNE. FONTAINE.
580

Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,


Ne me aucunement.
plairoit
LIVRE NEUVIÈME. 581

FABLE VI.

LE STATUAIRE ET LA STATUE DE JUPITER.

Un bloc de marbre étoit si beau

statuaire en fit l'emplette.


Qu'un
« dit-il, mon ciseau?
Qu'en fera,

Sera-t-il dieu, table, ou cuvette?

Il sera dieu; même je veux

ait en sa main un tonnerre.


Qu'il
582 FABLES DE LA FONTAINE.

Tremblez, humains ! faites des vœux :

Voilà le Maître de la terre. »

L'artisan exprima si bien

Le caractère de l'idole,

Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien


A la
Jupiter que parole :

Même l'on dit l'ouvrier


que
Eut à achevé
peine l'image,
le vit frémir le
Qu'on premier,
Et redouter son propre ouvrage.

A la foiblesse du sculpteur
Le poëte autrefois n'en dut guère,
Des Dieux dont il fut l'inventeur

la haine et la colère.
Craignant

Il étoit enfant en ceci;


Les enfants n'ont l'âme occupée

Que du continuel souci

Qu'on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l'esprit :


De cette source est descendue

L'erreur païenne, se vit


qui
Chez tant de
peuples répandue.
LIVRE NEUVIÈME. 583

Ils embrassoient violemment

Les intérêts de leur chimère :

devint amant
Pygmalion
De la V énus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,


Autant qu'il peut, ses propres songes :
L'homme est de glace aux vérités;
Il est de feu les
pour mensonges.
584 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VII.

LA SOURIS MÉTAMORPHOSÉE EN FILLE.

Une Souris tomba du bec d'un Chat-huant :

Je ne l'eusse ramassée;
pas
Mais un Bramin le fit : le crois
je aisément;

Chaque pays a sa pensée.


La Souris étoit fort froissée.

De cette sorte de
prochain
Nous nous soucions mais le bramin
peu; peuple
LIVRE NEUVIÈME. 585

Le traite en frère. Ils ont en tête

Que notre âme, au sortir d'un roi,

Entre dans un ciron, ou, dans telle autre bête

Qu'il plaît au Sort : c'est là l'un des points de leur loi.

chez eux a ce
Pythagore puisé mystère.
Sur un tel fondement, le Bramin crut bien faire

De prier un Sorcier la Souris


qu'il logeât
Dans un corps qu'elle eût pour hôte au jadis.
temps
Le sorcier en fit une fille

De de ans, et telle et si
l'âge quinze gentille ,

Que le fils de Priam pour elle auroit tenté

Plus encor ne fit la beauté.


qu'il pour grecque
Le Bramin fut de chose si nouvelle.
surpris
Il dit à cet objet si doux :

« Vous n'avez choisir; car chacun est


qu'à jaloux
De l'honneur d'être votre époux.
- En ce cas je donne, dit-elle,
Ma voix au plus puissant de tous.

- s'écria lors le Bramin à


Soleil, genoux,
C'est toi qui seras notre gendre.
— dit-il, ce
Non, nuage épais
Est que moi, puisqu'il cache mes
plus puissant traits;
Je vous conseille de le
prendre.
- Hé bien! dit le Bramin au nuage volant,
Es-tu né ma fille? — Hélas ! car le vent
pour non ;

Me chasse à son plaisir de contrée en contrée :

Je sur les droits de Borée. »


n'entreprendrai point
Le Bramin fâché s'écria :
586 FABLES DE LA FONTAINE.

cc 0 vent donc, vent a,


puisque y
Viens dans les bras de notre belle. »

Il un mont en chemin l'arrêta.


accouroit;
L'éteuf à celui-là,
passant
Il le et dit : « J'aurois une
renvoie, querelle
Avec le Rat; et l'offenser

Ce seroit être lui me


fou, qui peut percer.
Au mot de rat, la damoiselle

Ouvrit l'oreille : il fut l'époux.


Un rat? — Un rat : c'est de ces coups

Qu' Amour fait; témoin telle et telle.

Mais ceci soit dit entre nous.

On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable

Prouve assez bien ce point; mais, à la voir de près,

peu de sophisme entre parmi ses traits :


Quelque
Car quel époux n'est point au Soleil préférable,
En s'y prenant ainsi? Dirai-je qu'un géant
Est moins fort qu'une puce? Elle le mord pourtant.
Le Rat devoit aussi renvoyer, pour bien faire,
La belle au Chat, le Chat au Chien,
Le Chien au Par le
Loup. moyen
De cet argument circulaire,

Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté;


Le Soleil eût de la beauté.
joui jeune
s'il se à la
Revenons, peut, métempsycose :
Le sorcier du Bramin fit sans doute une chose

Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté.


LIVRE NEUVIÈME 587

Je droit là-dessus contre le Bramin


prends même;
Car il selon son
faut, système,
la le enfin chacun
Que l'Homme, Souris, Ver,

Aille puiser son âme en un trésor commun :

Toutes sont donc de même trempe;

Mais, agissant diversement

Selon l'organe seulement,


L'une s'élève et l'autre rampe.
D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse

De s'unir au Soleil ? Un rat eut sa tendresse!

Tout débattu, tout bien pesé,


Les âmes des souris et les âmes des belles

Sont très-différentes entre elles ;


Il en faut revenir toujours à son destin,

C'est-à-dire, à la loi par le ciel établie :

Parlez au la
diable, employez magie,
Vous ne détournerez nul être de sa fin.
588 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

LE VEND LA SAGESSE.
FOU QUI

Jamais des fous ne te mets à


auprès portée :
Je te donner un plus conseil.
ne puis sage
Il n'est pareil
enseignement
A celui-là de fuir une tête éventée.

On en voit souvent dans les cours :

Le y prend plaisir; car ils donnent


prince toujours

Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules.


LE FOU QUI VENDLA SAGESSE.
1
LIVRE NEUVIÈME. 591

Un Fol alloit criant tous les carrefours


par

Qu'il vendoit la sagesse et les mortels crédules

De courir à chacun fut


l'achat; diligent.
On essuyoit forces grimaces ;
Puis on avoit son
pour argent,
Avec un bon soufflet, un fil de deux brasses.
long
La s'en fâchoient; mais leur servoit-il?
plupart que
C'étoient les plus le mieux étoit de rire,
moqués :
Ou de s'en aller sans rien dire

Avec son soufflet et son fil.

De chercher du sens à la chose

On se fût fait siffler ainsi qu'un ignorant.


La raison est-elle garant
De ce fait un fou? le hasard est la cause
que
De tout ce se en un cerveau blessé.
qui passe
Du fil et du soufflet embarrassé,
pourtant
Un des un jour alla trouver un
dupes sage,

Qui, sans hésiter davantage,


Lui dit : « Ce sont ici tout
hiéroglyphes purs.
Les bien conseillés, et voudront bien faire,
gens qui
Entre eux et les gens fous mettront, pour l'ordinaire,
La de ce fil; sinon je les tiens sûrs
longueur
De semblable caresse.
quelque
Vous n'êtes ce Fou vend la «
point trompé; sagesse.
592 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IX.

L'HUITRE ET LES PLAIDEURS.

Un deux sur le sable rencontrent


jour pèlerins
Une Huître, que le flot venoit d'apporter :
y
Ils l'avalent des du ils se la montrent;
yeux, doigt
A de la dent il fallut contester.
l'égard
L'un se baissoit déjà pour amasser la proie ;
L'autre le et dit : « Il est bon de savoir
pousse,

Qui de nous en aura la joie.


L'HUÎTRE ET LES PLAIDEURS. 08
LIVRE NEUVIEME. 595

Celui le a
qui premier pu l'apercevoir
En sera le l'autre le verra faire.
gobeur;
- Si là l'on l'affaire,
par juge

son l'œil bon, Dieu merci.


Reprit compagnon, j'ai
— Je ne l'ai mauvais aussi,
pas
Dit l'autre; et l'ai vue avant vous, sur ma vie.
je
- Hé bien! vous l'avez et moi l'ai sentie. »
vue; je
Pendant tout ce bel incident,

Perrin Dandin arrive : ils le


prennent pour juge.
fort ouvre l'Huître, et la
Perrin, gravement, gruge,
Nos deux messieurs le
regardant.
Ce fait, il dit d'un ton de président :
repas
« la cour vous donne à chacun une écaille
Tenez,
Sans et chacun chez soi s'en aille. »
dépens; qu'en paix

Mettez ce en coûte à plaider aujourd'hui;


qu'il
ce en reste à de familles :
Comptez qu'il beaucoup
Vous verrez Perrin tire à lui,
que l'argent
Et ne laisse aux plaideurs que le sac et les quilles.
596 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE X.

LE LOUP ET LE CHIEN MAIGRE.

Autrefois fretin
Carpillon
Eut beau prêcher, il eut beau dire,
On le mit dans la poêle à frire.
Je fis lâcher ce a dans la
voir que qu'on main,
Sous espoir de aventure,
grosse
Est imprudence toute pure.
Le pêcheur eut n'eut tort :
raison ; Carpillon pas
LIVRE NEUVIÈME. 597

Chacun dit ce défendre sa vie.


qu'il peut pour
Maintenant il faut que j'appuie
Ce que j'avançai lors, de trait encor.
quelque

Certain aussi sot le fut


Loup, que pécheur sage,
Trouvant un Chien hors du
villago e,*
S'en alloit l'emporter. Le Chien représenta
Sa « Jà ne à Votre
maigreur : plaise Seigneurie
De me en cet
prendre état-là;
Attendez : mon maître marie

Sa fille et vous
unique, jugez
de noce il »
Qu'étant faut, malgré moi, que j'engraisse.
Le Loup le croit, le le laisse.
Loup
Le Loup, jours écoulés,
quelques
Revient voir si son Chien n'est meilleur à
pas prendre;
Mais le drôle étoit au
logis.
Il dit au Loup par un treillis :
« vais si
Ami, je sortir; et, tu veux attendre,
Le portier du et moi
logis
Nous serons tout à l'heure à toi. «

Ce portier du logis étoit un chien énorme,

Expédiant les loups en forme.

Celui-ci s'en douta. « Serviteur au »


portier,

Dit-il ; et de courir. Il étoit fort


agile;
Mais il n'étoit pas fort habile :

Ce loup ne savoit encor bien son métier.


pas
598 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XI.

RIEN DE TROP.

Je ne vois point de créature

Se modérément.
comporter
Il est certain tempérament

Que le Maître de la nature

Veut que l'on garde en tout. Le fait-on ? nullement :

Soit en bien, soit en mal, cela n'arrive guère.


Le blé, riche présent de la blonde Cérès,
LIVRE NEUVIÈME. 599

Trop touffu bien souvent épuise les guérets :


En superfluités s'épandant d'ordinaire,
Et abondamment,
poussant trop
Il ôte à son fruit l'aliment.

L'arbre n'en fait moins ; tant le luxe sait plaire !


pas
Pour le Dieu aux moutons
corriger blé, permit

De retrancher l'excès des prodigues moissons :

Tout au travers ils se jetèrent,


Gâtèrent tout, et tout broutèrent;

Tant le ciel permit aux loups


que
D'en ils les croquèrent tous;
crocluer quelques-uns :
S'ils ne le firent du moins ils tâchèrent.
pas, y
Puis le ciel permit aux humains

De ces derniers : les humains abusèrent


punir
A leur tour des ordres divins.

De tous les animaux l'homme a le plus de pente


A se dedans l'excès.
porter
Il faudroit faire le
procès
Aux comme aux Il n'est âme vivante
petits grands.

Qui ne en ceci. Rien de trop est un point


pèche
Dont on sans cesse, et qu'on n'observe point.
parle
600 FABLES DE LA FONTAINE

FABLE XII.

LE CIERGE.

C'est du séjour des Dieux les abeilles viennent.


que
Les premières, dit-on, s'en allèrent loger
Au mont et se
Hymette, gorger
Des trésors qu'en ces lieux les zéphyrs entretiennent.

Quand on eut des palais de ces filles du ciel

Enlevé l'ambroisie en leurs chambres enclose,

Ou, pour dire en françois la chose,


LIVRE NEUVIÈME 601

les ruches sans miel


Après que
N'eurent que la cire, on fit mainte bougie,
plus
Maint cierge aussi fut façonné.

Un d'eux voyant la terre en brique au feu durcie

Vaincre l'effort des ans, il eut la même envie;

Et, nouvel Empédocle aux flammes condamné

Par sa propre et pure folie,

Il se dedans. Ce fut mal raisonné :


lanca
Ce ne savoit de
Cierge grain philosophie.

Tout en tout est divers : ôtez-vous de l'esprit

Qu'aucun être ait été le votre.


composé sur
de cire au brasier se fondit :
L'Empédocle
Il n'étoit pas plus fou que l'autre.
602 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIII.

JUPITER ET LE PASSAGER.

Oh! combien le enrichiroit les


péril Dieux,
Si nous nous souvenions des vœux nous fait faire !
qu'il
Mais, le péril passé, l'on ne se souvient guère
De ce a aux
qu'on promis cieux;
On compte seulement ce doit à la terre.
qu'on

Jupiter, dit l'impie, est un bon créancier;


Il ne se sert jamais d'huissier.
JUPITER ET LE PASSAGER.
LIVRE NEUVIÈME. 605

— Eh! donc le
qu'est-ce que tonnerre ?

Comment appelez-vous ces avertissements ? »

Un Passager, pendant l'orage,


Avoit voué cent bœufs au des Titans.
vainqueur
Il n'en avoi t un : vouer
pas cent éléphants
N'auroit pas coûté davantage.
Il brûla os il fut au
quelques quand rivage :
Au nez de la fumée en monta.
Jupiter
« Sire mon le voilà :
Jupin, dit-il, prends vœu;
C'est un de bœuf Ta Grandeur
parfum que respire.
La fumée est ta ne te dois rien. »
part : je plus

Jupiter fit semblant de rire;

Mais, après quelques jours, le dieu l'attrapa bien,

Envoyant un lui dire


songe
Qu'un tel trésor étoit en tel lieu. L'homme au vœu

Courut au trésor comme au feu.

Il trouva des voleurs ; et, dans sa bourse


n'ayant

Qu'un écu pour toute ressource,


Il leur promit cent talents d'or,
Bien comptés, et d'un tel trésor :

On l'avoit enterré dedans telle


bourgade.
L'endroit parut suspect aux voleurs; de façon

Qu'à notre l'un dit : « Mon


prometteur camarade,
Tu te de nous ; meurs, et vas chez Pluton
moques
Porter tes cent talents en don. »
606 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIV.

LE CHAT ET LE RENARD.

Le Chat et le Renard, comme beaux petits saints,

S'en alloient en
pèlerinage.
C'étoient deux' vrais Tartufs, deux Archipatelins,

Deux francs des frais du voyage,


Patte-pelus, qui
mainte volaille, escroquant maint fromage,
Croquant
S'indemnisaient à mieux mieux.
qui
LE CHATET Lis UENAUiJ.
-
LIVRE NEUVIÈME. 609

Le chemin étant et
long, partant ennuyeux,
Pour l'accourcir ils disputèrent.
La dispute est d'un grand secours :

Sans elle on dormiroit toujours.

Nos pèlerins s'égosillèrent.

Ayant bien l'on du


disputé, parla prochain.
Le Renard au Chat dit enfin :
« Tu être fort
prétends habile;
En sais-tu tant moi? J'ai cent ruses au sac.
que

Non, dit l'autre : je n'ai tour dans mon
qu'un bissac,
Mais je en vaut mille. »
soutiens qu'il
Eux de recommencer la à l'envi.
dispute
Sur le que si, non, tous deux étant ainsi,
que
Une meute la noise.
apaisa
Le Chat dit au Renard : « Fouille en ton sac, ami;
Cherche en ta cervelle matoise

sûr : voici le mien. »


Un stratagème pour moi,
A ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.

L'autre fit cent tours inutiles,


Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut

Tous les confrères de Brifaut.

Partout il tenta des asiles

Et ce fut partout sans succès;


La fumée pourvut, ainsi que les bassets.
y
Au sortir d'un terrier deux chiens aux pieds agiles
du premier bond.
L'étranglèrent

Le trop d'expédients peut gâter une affaire :

39
610 FABLES DE LA FONTAINE.

On perd du au choix, on tente, on veut tout faire.


temps
N'en ayons mais qu'il soit bon.
qu'un,
LIVRE NEUVIÈME. 611

FABLE XV.

LE MARI, LA FEMME ET LE VOLEUR.

Un mari fort amoureux,

Fort amoureux de sa
femme,
Bien fllt se malheureux.
qu'il jouissant croyait
Jamais œillade de la dame,

Propos flatteur et gracieux,


Mot d'amitié, ni doux sourire

Déifiant le
pauvre sire,
612 FABLES DE LA FONTAINE.

N'avoient fait fût vraiment chéri.


soupçonner qu'il
Je le crois ; c'étoit un mari.

Il ne tint à
point l'hyménée

Que, content de sa destinée,


Il n'en remerciât les Dieux.

Mais si l'amour n'assaisonne


quoi ?
Les plaisirs l'hymen nous donne,
que
Je ne vois pas en soit mieux.
qu'on
Notre épouse étant donc de la sorte bâtie,
Et n'ayant caressé son mari de sa vie,
Il en faisoit sa une nuit. Un Voleur
plainte

Interrompit la doléance.

La Femme eut si
pauvre grand'peur

Qu'elle chercha quelque assurance

Entre les bras de son époux.


« Ami sans toi ce bien si doux
voleur, dit-il,
Me seroit inconnu. Prends donc en
récompense
Tout ce qui peut chez nous être à ta bienséance;
Prends le aussi. » Les voleurs ne sont
logis pas
Gents honteux, ni fort délicats :

Celui-ci fit sa main.

J'infère de ce conte

Que la plus forte passion


C'est la peur; elle fait vaincre l'aversion,
Et l'amour il la
quelquefois ; quelquefois dompte :
J'en ai pour preuve cet amant

brûla sa maison embrasser sa


Qui pour dame,
LIVRE NEUVIÈME. 613

L'emportant à travers la flamme.

J'aime assez cet emportement ;


Le conte m'en a infiniment :
plu toujours
Il est bien d'une âme
Espagnole,
Et plus grande encore folle.
que
614 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVI.

LE TRÉSOR ET LES DEUX HOMMES.

Un Homme ni crédit ni ressource,


n'ayant plus
Et le diable en sa bourse,
logeant
C'est-à-dire n'y rien,
logeant

S'imagina qu'il feroit bien

De se et finir lui-même sa
pendre, misère,
bien sans lui la faim le viendroit faire :
Puisqu'aussi
Genre de mort qui ne duit pas
LIVRE NEUVIÈME. 615

A curieux de le
gens peu goûter trépas.

Dans cette intention, une vieille masure

Fut la scène où devoit se l'aventure.


passer

Il une corde, et veut avec un clou


y porte
Au haut d'un certain mur attacher le licou.

La muraille, vieille et peu forte,

S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor.

Notre le ramasse, et l'emporte,


désespéré
Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or,

Sans ronde ou non, la somme au sire.


compter : plut

Tandis le galand à grands pas se retire,


que
L'Homme au trésor arrive, et trouve son argent
Absent.

« sans mourir cette somme !


Quoi ! dit-il, je perdrai

Je ne me pas ! Et vraiment si ferai,


pendrai
Ou de corde »
je manquerai.
il
Le lacs étoit tout prêt ; n'y manquoit qu'un homme :

Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.

Ce le consola peut-être
qui

Fut autre eut, pour lui, fait les frais du cordeau.


qu'un
Aussi bien le licou trouva maître.
que l'argent

L'avare rarement finit ses jours sans pleurs;

Il a le moins de au trésor qu'il enserre,


part
Thésaurisant les voleurs,
pour
Pour ses ou pour la terre.
parents,
Mais dire du troc la fortune fit?
que que
Ce sont là de ses traits ; elle s'en divertit :
616 FABLES DE LA FONTAINE.

Plus le tour est et elle est contente.


bizarre, plus
Cette déesse inconstante

Se mit alors en l'esprit


De voir un homme se pendre ;
Et celui se
qui pendit

S'y devoit le moins attendre.


LIVRE NEUVIEME. 617

FABLE XVII.

LE SINGE ET LE CHAT.

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,


Commensaux d'un logis, avoient un commun maître.
D'animaux malfaisants c'étoit un très-bon plat :
Ils n'y tous deux aucun, être.
craignoient quel qu'il pût
Trouvoit-on chose au logis de
quelque gâté ?
L'on ne s'en prenoit aux du
point gens voisinage :
Bertrand déroboit tout; Raton, de son côté,
618 FABLES DE LA FONTAINE.

Étoit moins attentif aux souris qu'au fromage.


Un au coin du feu, nos deux maîtres fripons
jour,

Regardoient
o rôtir des marrons.

Les étoit une très-bonne affaire :


escroquer
double à faire;
Nos y voyoient profit
galands
et le mal d'autrui.
Leur bien premièrement, puis

à Raton : « Frère, il faut aujourd'hui


Bertrand dit

tu fasses un de maître;
Que coup

ces marrons. Si Dieu m'avoit fait naître


Tire-moi

à tirer marrons du feu,


Propre
verroient beau »
Certes marrons jeu.

fait dit : Raton, avec sa patte,


Aussitôt que
D'une manière délicate,

Écarte un la et retire les doigts,


peu cendre,

Puis les à fois,


reporte plusieurs
et trois en escroque,
Tire un marron, puis deux, puis

Et Bertrand les croque,


cependant
servante vient : adieu mes Raton
Une gens.

N'étoit content, ce dit-on.


pas

Ainsi ne le sont la de ces princes


pas plupart

Qui, flattés d'un pareil emploi,

Vont s'échauder en des provinces

Pour le de roi.
profit quelque
LK SINGE ET LE CHaJ&m
LIVRE NEUVIÈME. 621

FABLE XVIII.

0
LE MILAN ET LE ROSSIGNOL

le manifeste
Après que Milan, voleur,
Eut l'alarme en tout le
répandu voisinage,
Et fait crier sur lui les enfants du
village,
Un Rossignol dans ses mains tomba par malheur.

Le héraut du lui demande la vie.


printemps
« Aussi en n'a le son?
bien, que manger qui que
Écoutez ma chanson :
plutôt
622 FABLES DE LA FONTAINE.

Je vous raconterai Térée et son envie.

— Qui, Térée? est-ce un mets les milans?


propre pour
— Non
pas ; c'étoit un roi dont les feux violents

Me firent ressentir leur ardeur criminelle.

Je m'en vais vous en dire une chanson si belle

Qu'elle vous ravira : mon chant à chacun. «


plaît
Le Milan alors lui
réplique :
« nous voici suis à
Vraiment; bien! lorsque je jeun,
Tu me viens de
parler musique.
- — te
J'en bien aux rois. Quand un roi prendra,
parle
Tu peux lui conter ces merveilles :

Pour un milan, il s'en rira.

Ventre affamé n'a d'oreilles. »


point
LIVRE NEUVIEME. 623

FABLE XIX.

LE BERGER ET SON TROUPEAU.

Quoi ! toujours il me manq uera

de ce peuple imbécile !
Quelqu'un

Toujours le loup m'en gobera !


J'aurai beau les Ils étoient de
compter. plus mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin ;
Robin mouton, qui par la ville

Me suivoit un peu de
pour pain,
624 FABLES DE LA FONTAINE.

Et m'auroit au bout du monde.


qui suivi jusques
Hélas ! de ma musette il entendoit le son ;

Il me sentoit venir de cent pas à la ronde.

Ah! le Robin mouton ! «


pauvre

Quand Guillot eut fini cette oraison funèbre,

Et rendu de Robin la mémoire célèbre,


Il tout le
harangua troupeau,
Les la et moindre
chefs, multitude, jusqu'au agneau,

Les conjurant de tenir ferme :

Cela seul suffiroit écarter les loups.


pour
Foi de d'honneur, ils lui promirent tous
peuple
De ne non qu'un terme.
bouger plus
« Nous étouffer le
voulons, dirent-ils, glouton

nous a Robin mouton. »


Qui pris
Chacun en sur sa tête.
répond
Guillot les crut et leur fit fête.

devant fût nuit,


Cependant, qu'il
Il arriva nouvel encombre :

Un tout le s'enfuit.
loup parut; troupeau
Ce n'étoit un ce n'en étoit l'ombre.
pas loup, que

Haranguez de méchants soldats,

Ils de faire rage :


promettront
au moindre adieu tout leur courage!
Mais, danger,
Votre et vos cris ne les retiendront pas.
exemple

FIN DU LIVRE NEUVIÈME.


LIVRE DIXIÈME

40
LIVRE DIXIÈME. 627

FABLE PREMIÈRE.

LES DEUX RATS, LE RENARD ET L'OEUF.

DISCOURS A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Iris, vous louerois; il n'est que trop aisé :


je
Mais vous avez cent fois notre encens refusé;

En cela semblable au reste des mortelles,


peu
veulent tous les des louanges nouvelles.
Qui jours
628 FABLES DE LA FONTAINE.

Pas une ne s'endort à ce bruit si flatteur.

Je ne les blâme souffre cette humeur :


point; je
Elle est commune aux Dieux, aux aux belles.
monarques,
Ce vanté le
breuvage par peuple rimeur,
Le nectar l'on sert au Maître du tonnerre,
que
Et dont nous enivrons tous les dieux de la terre,
C'est la louange, Iris. Vous ne la goûtez point;
D'autres propos chez vous ce point :
récompensent

Propos, agréables commerces,


Où le hasard fournit cent matières diverses ;

Jusque-là votre entretien


qu'en
La bagatelle a le monde n'en croit rien :
part :
Laissons le monde et sa
croyance.
La bagatelle, la science,
Les chimères, le rien, tout est bon; soutiens
je

Qu'il faut de tout aux entretiens :

C'est un parterre où Flore épand ses biens ;


Sur différentes fleurs l'abeille s'y repose,
Et fait du miel de toute chose.

Ce fondement ne trouvez mauvais


posé, pas

Qu'en ces fables aussi j'entremêle des traits

De certaine philosophie,

Subtile, engageante, et hardie.

On l'appelle nouvelle : en avez-vous ou non

Ouï parler? Ils disent donc

Que la bête est une machine ;

Qu'en elle tout se fait sans choix et par ressorts :

Nul sentiment, point d'âme; en elle tout est corps.


LIVRE DIXIÈME. 629

Telle est la montre qui chemine

A et sans dessein.
pas toujours égaux, aveugle

Ouvrez-là, lisez dans son sein :

Mainte roue y tient lieu de tout l'esprit du monde,


La meut la
première y seconde;

Une troisième suit : elle sonne à la fin.

Au dire de ces la bête est toute telle.


gens,
la en un endroit;
L'objet frappe
Ce lieu frappé s'en va tout droit,

Selon nous, au voisin en porter la nouvelle;

Le sens de en proche aussitôt la reçoit ;


proche
se fait : mais comment se fait-elle?
L'impression
Selon eux, par nécessité,

Sans passion, sans volonté :

L'animal se sent agité

mouvements le
De que vulgaire appelle

Tristesse, amour, plaisir, douleur cruelle,


joie,
Ou autre de ces états.
quelque

Mais ce n'est cela : ne vous y trompez pas.


point
donc ? Une montre. Et nous ? c'est autre chose.
Qu'est-ce

Voici de la façon Descartes l'expose;


que
ce mortel dont on eût fait un dieu
Descartes,

Chez les et tient le milieu


païens, qui

Entre l'homme et l'esprit; comme entre l'huître et l'homme

Le tient tel de nos franche bête de


gens, somme;

Voici, comment raisonne cet auteur :


dis-je,
Sur tous les animaux, enfants du Créateur,

J'ai le don de et je sais


penser; que je pense.
630 FABLES DE LA FONTAINE.

Or, vous savez, Iris, de certaine science,

Que, quand la bête penseroit,


La bête ne réflêchiroit

Sur ni sur sa
l'objet pensée.
Descartes va plus loin, et soutient nettement

ne nullement.
Qu'elle pense
Vous n'êtes point embarrassée

De le croire; ni moi. aux bois


Cependant, quand
Le bruit des cors, celui des voix,
N'a donné nul relâche à la fuyante proie,

Qu'en vain elle a mis ses efforts

A confondre et brouiller la voie,


L'animal d'ans, vieux cerf, et de dix cors,
chargé
En suppose un plus jeune, et l'oblige, par force,
A aux chiens une nouvelle amorce.
présenter
Que de raisonnements pour conserver ses jours !
Le retour sur ses pas, les malices, les tours,
Et le et cent
change, stratagèmes

Dignes des plus grands chefs, dignes d'un meilleur sort.

On le déchire après sa mort :

Ce sont tous ses honneurs suprêmes.

Quand la perdrix
Voit ses petits
En danger, et n'ayant qu'une plume nouvelle

Qui ne peut fuir encor par les airs le


trépas,
Elle fait la blessée, et va traînant de l'aile,
Attirant le chasseur et le chien sur ses pas,
LIVRE DIXIÈME. 631

Détourne le danger, sauve ainsi sa famille;


Et le chasseur croit son chien la
puis, quand que pille,
Elle lui dit adieu, prend sa volée, et rit

De l'homme confus, des yeux en vain la suit.


qui,

Non loin du Nord il est un monde

Où l'on sait que les habitants

Vivent, ainsi qu'aux premiers temps,


Dans une ignorance profonde :
Je des humains; car, quant aux animaux,
parle
Ils construisent des travaux
y
Qui des torrents grossis arrêtent le ravage,
Et font l'un et l'autre
communiquer rivage.

L'édifice résiste, et dure en son entier :

un lit de bois est un lit de mortier.


Après
castor agit : commune en est la tâche;
Chaque
Le vieux fait marcher le sans
y jeune relâche;

Maint maître d'œuvre y court, et tient haut le bâton.

La de Platon
République
Ne seroit rien que l'apprentie
De cette famille amphibie.

Ils savent en hiver élever des maisons,

Passent les étangs sur des ponts,


Fruit de leur art, savant ouvrage;

Et nos ont beau le voir,


pareils
tout leur savoir
Jusqu'à présent
Est de l'onde à la
passer nage.

Que ces castors ne soient qu'un corps vide d'esprit,


632 FABLES DE LA FONTAINE.

Jamais on ne pourra à le croire :


m'obliger
Mais voici écoutez ce récit,
beaucoup plus;

Que je tiens d'un roi plein de gloire.


Le défenseur du Nord vous sera mon garant :
Je vais citer un aimé de la
prince Victoire;
Son nom est un mur à ottoman :
seul l'Empire
C'est le roi polonois; jamais un roi ne ment.

Il dit donc sur sa


que, frontière,
Des animaux eux ont de tout
entre guerre temps :
Le sang se transmet des aux enfants
qui pères
En renouvelle la matière.

Ces animaux, sont du renard.


dit-il, germains
Jamais la guerre avec tant d'art

Ne faite les
s'est parmi hommes,
Non même au siècle où nous sommes.
pas

Corps de garde avancé, vedettes, espions,

Embuscades, partis, et mille inventions

D'une pernicieuse et maudite science,


Fille du Styx, et mère des héros,
Exercent de ces animaux

Le bon sens et l'expérience.


Pour chanter leurs combats, l'Achéron nous devroit

Rendre Homère. Ah! s'il le


rendoit,
Et aussi Je
qu'il rendît rival d'Épicure,
Que diroit ce dernier sur ces exemples-ci?
Ce que j'ai déjà dit : bêtes la nature
qu'aux
Peut par les seuls ressorts tout
opérer ceci;

Que la mémoire est corporelle;


LIVRE DIXIÈME. 633

Et pour en venir aux exemples divers


que,

Que j'ai mis en jour dans ces vers,


L'animal n'a besoin que d'elle.

revient, va dans son


L'objet, lorsqu'il magasin

Chercher, le même
par chemin,

L'image auparavent tracée,

Qui sur les mêmes pas revient pareillement,


Sans le secours de la
pensée,
Causer un même événement.

Nous agissons tout autrement :

La volonté nous détermine,

Non l'objet, ni l'instinct. Je parle, je chemine :

Je sens en moi certain agent;


Tout obéit dans ma machine

A ce principe intelligent.
Il est distinct du se
corps, conçoit nettement,
Se conçoit mieux que le corps même :

De tous nos mouvements c'est l'arbitre


suprême.
Mais comment le corps l'entend-il?

C'est là le point. Je vois l'outil

Obéir à la main : mais la main, la


qui guide?
Eh ! les cieux et leur course
qui guide rapide !
est attaché peut-être à ces
Quelque ange grands corps.
Un vit en nous, et meut tous nos
esprit ressorts ;
se fait : le moyen, je
L'impression l'ignore;
On ne de la Divinité ;
l'apprend qu'au sein

Et, s'il faut en avec sincérité,


parler
Descartes encore.
l'ignoroit
631 FABLES DE LA FONTAINE.

Nous et lui là-dessus nous sommes tous égaux :


Ce que je sais, Iris, c'est ces animaux
qu'en
Dont je viens de citer l'exemple,
Cet esprit n'agit pas : l'homme seul est son temple.
Aussi faut-il donner à l'animal un point

Que la plante après tout n'a point :

Cependant la plante respire.


Mais que répondra-t-on à ce que je vais dire ?

Deux Rats cherchoient leur vie; ils trouvèrent un œuf.


Le diné suffisoit à de cette
gens espèce :
Il n'étoit pas besoin qu'ils trouvassent un bœuf.

Pleins d'appétit et d'allégresse,


Ils alloient de leur œuf chacun sa
manger part,

Quand un quidam parut : c'étoit maître Renard,


Rencontre incommode et fâcheuse :

Car comment sauver l'œuf? Le bien


empaqueter,
Puis des pieds de devant ensemble le porter,
Ou le rouler, ou le traîner,
C'étoit chose impossible autant que hasardeuse.

Nécessité l'ingénieuse
Leur fournit une invention.

Comme ils pouvoient gagner leur habitation,


L'écornifleur étant à de
demi-quart lieue,
L'un se mit sur le dos, l'œuf entre ses
prit bras;

Puis, heurts et mauvais


malgré quelques quelques pas,
L'autre le traîna la
par queue.

Qu'on m'aille soutenir, après un tel récit,


LES DEUX RATS, LE RENARDET L'OEUF.
LIVRE DIXIÈME. 637

Que les bêtes n'ont point d'esprit !

Pour si
moi, j'en étois le maître,
Je leur en donnerois aussi bien enfants.
qu'aux
Ceux-ci pensent-ils dès leurs jeunes ans?
pas plus
donc ne se connaître.
Quelqu'un peut penser pouvant
Par un exemple tout égal,
J'attribuerois à
l'animal,
Non point une raison selon notre manière,

Mais beaucoup aussi aveugle ressort ;


plus qu'un
Je subtiliserois un morceau de matière,

Que l'on ne pourroit concevoir sans effort,


plus

Quintescence d'atome, extrait de la lumière,


Je ne sais vif et mobile encor
quoi plus plus
le car si le bois fait la
Que feu ; enfin, flamme,
La flamme, en s'épurant, peut-elle pas de l'âme

Nous donner quelque idée ? et sort-il pas de l'or

Des entrailles du Je rendrois mon


plomb ? ouvrage

Capable de sentir, juger, rien davantage,


Et
juger imparfaitement;
Sans qu'un jamais fît le moindre argument.
singe
A de nous autres
l'égard hommes,

Je ferois notre lot infiniment plus fort;

Nous aurions un double trésor :

L'un, cette âme pareille en tous tant que nous sommes,

Sages, fous, enfants, idiots,


Hôtes de l'Univers sous le nom d'animaux;

L'autre, encore une autre âme, entre nous et les anges


638 FABLES DE LA FONTAINE.

Commune en un certain degré ;


Et ce trésor à part créé

Suivroit parmi les airs les célestes phalanges,


Entreroit dans un point sans en être pressé,
Ne finiroit jamais, quoique ayant commencé :

Choses réelles, quoique étranges.


Tant que l'enfance dureroit,
Cette fille du ciel en nous ne paroîtroit

Qu'une tendre et foible lumière :

étant fort, la raison perceroit


L'organe plus
Les ténèbres de la matière,

Qui toujours envelopperoit


L'autre âme et grossière.
imparfaite
LIVRE DIXIÈME. 639

FABLE II.

L'HOMME ET LA COULEUVRE.

Un Homme vit une Couleuvre :

« Ah! m'en vais faire une œuvre


méchante, dit-il, je
à tout l'Univers. »
Agréable
A ces mots l'animal pervers

(C'est le que je veux dire,


Serpent
Et non l'Homme : on pourroit aisément s'y tromper),
A ces mots le se laissant
Serpent attraper,
640 FABLES DE LA FONTAINE.

Est pris, mis en un sac ; et, ce fut le pire,


qui
On résolut sa mort, fût-il ou non,
coupable
Afin de le payer toutefois de raison,
L'autre lui fit cette harangue :
« des être bon aux
Symbole ingrats, méchants,
C'est être sot ; meurs donc : ta colère et tes dents

Ne me nuiront « Le en sa
jamais. Serpent, langue,
du mieux « S'il falloit condamner
Reprit qu'il put : ,
Tous les ingrats qui sont au monde,
A
qui pourroit-on pardonner ?
Toi-même tu te fais ton procès : je me fonde

Sur tes propres leçons; jette les sur toi.


yeux
, Mes sont en tes ta
jours mains, tranche-les; justice,
C'est ton utilité, ton plaisir, ton caprice :
Selon ces lois', condamne-moi :

Mais trouve bon qu'avec franchise

En mourant au moins je te dise


le des
Que symbole ingrats
Ce n'est le c'est l'homme. » Ces
point serpent, paroles
Firent arrêter l'autre ; il recula d'un pas.
Enfin il Tes raisons sont frivoles.
repartit :
Je pourrois décider, car ce droit m'appartient;
Mais — Soit « dit le
rapportons-nous-en. fait, reptile.
Une Vache étoit là : on l'appelle ; elle vient :

Le cas est « C'étoit chose facile :


proposé.
Falloit-il pour cela, dit-elle, m'appeler ?
La Couleuvre a raison : dissimuler ?
pourquoi
Je nourris celui-ci années ;
depuis longues
LIVRE DIXIÈME. f4f

Il n'a sans mes bienfaits passé nulles journées;


Tout n'est pour lui seul; mon lait et mes enfants
que
Le font à la maison revenir les mains pleines :
Même j'ai rétabli sa santé, que les ans

Avoient altérée; et mes peines


Ont but son plaisir ainsi que son besoin
pour
Enfin me voilà vieille; il me laisse en un coin

Sans herbe : s'il vouloit encor me laisser paître!


Mais suis attachée : si eu maître
je et, j'eusse pour
Un eût-il su jamais pousser si loin
serpent,
dit ce »
L'ingratitude? Adieu : j'ai que je pense.

L'Homme, tout étonné d'une telle sentence,

Dit au « Faut-il croire ce dit?


Serpent : qu'elle
C'est une elle a
radoteuse; perdu l'esprit.
ce Bœuf. - « dit la bête.
Croyons Croyons, rampante
Ainsi ainsi fait. Le Bœuf vient à lents.
dit, pas

Quand il eut ruminé tout le cas en sa tète.


« labeur
Il dit que du des ans

Pour nous seuls il portoit les soins les plus pesants,


Parcourant sans cesser ce long cercle de peines

Qui, revenant sur soi, ramenoit dans nos plaines


Ce Cérès nous et vend aux
que donne, animaux;

Que cette suite de travaux

Pour avoit, de tous tant que nous


récompense sommes,
Force de puis, il étoit
coups, peu gré : quand vieux,
On l'honorer fois les hommes
croyoit chaque que
Achetoient de son l'indulgence des Dieux. »
sang
Ainsi le Bœuf. L'Homme dit : Faisons taire
parla

41
612 FABLES DE LA FONTAINE.

Cet ennuyeux déclamateur :

Il cherche de grands mots, et vient ici se faire,


Au lieu accusateur. i
d'arbitre,
»
Je le récuse aussi. L'Arbre étant pris pour juge,
Ce fut bien encore. « Il servoit de
pis refuge
Contre le chaud, la pluie, et la fureur des vents;

Pour nous seuls il ornoit les jardins et les champs :

L'ombrage n'étoit pas le seul bien qu'il sut faire;


Il courboit sous les fruits. Cependant pour salaire

Un rustre l'abattoit : c'étoit là son ,,;


loyer ;

Quoique; pendant tout l'an, libéral il nous donne

Ou des fleurs au printemps, ou du fruit en automne,


L'ombre l'hiver les
rété, plaisirs du foyer.
ne sans la -
Que l'émondoit-on, prendre cognée ?
De son il eût encor vécu. a !
tempérament,

L'Homme, trouvant mauvais que l'on «l'eût convaincu,


,
Voulut à toute force avoir cause gagnée. -

»
« Je suis bien bon, dit-il, d'écoiiter ces gens-là !
- "«
«
Du sacJe et du suis
Serpent bien
aussitôt il bon
donna -1 e u
Contré les murs, tua la bête.
tant qu'il
'; .(¡. l.
r
;
On en use ainsi chez les grands :
La raison les offense; ils se mettent en tête
1
1 -
Que tout est né et gens,
pour eux, quadrupèdes
',.
Et serpents.
_c' ,
Si desserre les
quelqu'un dents,

C'est un sôt. J'en conviens : mais faut-il donc faire?


que
Parler de loin ou bien se taire.
LIVRE DIXIÈME. 643

FABLE III.

LA TORTUE ET LES DEUX CANARDS

Une Tortue étoit, à la tête légère,

Qui, lasse de son trou, voulut voir le


pays.
Volontiers on fait cas d'une terre
étrangère;
Volontiers boiteux haïssent le
gens logis.
Deux à la commère
Canards, qui
ce beau dessein,
Communiqua
Lui dirent qu'ils avoient de quoi la satisfaire.
644 FABLES DE LA FONTAINE.

« ce chemin?
Voyez-vous large
Nous vous voiturerons, l'air, en Amérique :
par
Vous verrez mainte république,
Maint maint peuple : et vous profiterez
royaume,
Des différentes mœurs que vous remarquerez.
en fit autant. » On ne s'attendoit
Ulysse guère
De voir Ulysse en cette affaire.

La Tortue écouta la
proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine

Pour transporter la pèlerine.


Dans la en travers, on lui passe un bâton.
gueule,
« Serrez-bien, de lâcher »
dirent-ils, gardez prise.
Puis chaque Canard prend ce bâton par un bout.

La Tortue enlevée, on s'étonne partout


De voir aller en cette guise
L'anima l lent et sa maison,

Justement au milieu de l'un et l'autre oison.

« Miracle! crioit-on : venez voir dans les nues

Passer la reine des tortues.

- La reine! vraiment oui : la suis en


je effet;

Ne vous en » Elle eut mieux fait


moquez point. beaucoup
De passer son chemin sans dire aucune chose;

Car, lâchant le bâton en desserrant les dents,


Elle tombe, elle crève aux des
pieds regardants.
Son indiscrétion de sa fut cause.
perte

Imprudence, babil, et sotte vanité,


Et vaine curiosité,
LIVRE DIXIÈME. 645

Ont ensemble étroit parentage.


Ce sont enfants tous d'un lignage.
G46 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IV.

LES POISSONS ET LE CORMORAN.

Il n'étoit dans tout le


point d'étang voisinage

Qu'un Cormoran n'eût mis à contribution :

Viviers et réservoirs lui pension.


payoient
Sa cuisine alloit bien : mais, lorsque le
long- âge
Eut le animal,
glacé pauvre
La même cuisine alla mal.

Tout cormoran se sert de lui-même.


pourvoyeur
LES POISSONSET LE CORMORAN
LIVRE DIXIÈME. 649

Le nôtre, un vieux voir au fond des


peu trop pour eaux,

N'ayant ni filets ni réseaux,


Souffroit une disette extrême.

Que fit-il? Le besoin, docteur en stratagème,


Lui fournit celui-ci. Sur le bord d'un
étang
Cormoran vit une écrevisse.
« Ma allez tout à l'instant
commère, dit-il,
Porter un avis important
A ce peuple : il faut qu'il périsse;
Le maître de ce lieu dans huit jours péchera.
L'Écrevisse en hâte s'en va

Conter le cas. Grande est l'émeute.

On court, on s'assemble, on députe


A «
l'oiseau : Seigneur Cormoran,
D'où vous vient cet avis? Quel est votre garant?
Ètes-vous sûr de cette affaire?

N'y savez-vous remède? Et bon de faire?


qu'est-il
- de dit-il. — Comment le ferons-nous?
Changer lieu,
- N'en en soin : vous
soyez point je porterai tous,
L'un l'autre, en ma retraite.
après
Nul Dieu seul et moi n'en connoît les chemins :
que
Il n'est demeure plus secrète.

Un vivier Nature creusa de ses mains,


que y
Inconnu des traîtres humains,

Sauvera votre »
république.
On le crut. Le
peuple aquatique
L'un l'autre fut porté
après
Sous ce rocher peu fréquenté.
650 FABLES DE LA FONTAINE.

Là, Cormoran le bon apôtre,


Les ayant mit en un endroit

Transparent, peu creux, fort étroit,


Vous les prenoit sans peine, un jour l'un un jour l'autre;
Il leur à leurs
apprit dépens

Que l'on ne doit jamais avoir de confiance

En ceux qui sont mangeurs de gens.


Ils l'humaine
y perdirent peu, puisque engeance
En auroit aussi bien croqué sa bonne part.

vous homme ou loup? toute panse


Qu'importe qui mange,
Me paroît une à cet égard :
Un jour plus tôt, un jour plus tard,

Ce n'est pas grande différence.


LIVRE DIXIÈME. 651

FABLE V.

L'ENFOUISSEUR ET SON COMPÈRE.

Un pince-maille avoit tant amassé

Qu'il ne sa voit où sa finance.


loger
et sœur de
L'avarice, compagne l'ignorance,
Le rendoi t fort embarrassé

Dans le choix d'un dépositaire;


Car il en vouloit un, et voici sa raison :
« il faudra ce monceau
L'objet tente; que s'altère,
Si je le laisse à la maison :
652 FABLES DE LA FONTAINE.

Moi-même de mon bien serai le larron.


je
— Le larron? c'est se voler soi-même?
Quoi? jouir,
Mon ami, j'ai de ton erreur extrême.
pitié

Apprends de moi cette leçon :


Le bien n'est bien tant l'on s'en défaire;
qu'en que peut
Sans cela c'est un mal. Veux-tu le réserver

Pour un âge et des temps qui n'en ont plus que faire ?

La le soin de conserver,
peine d'acquérir,
Otent le à l'or, croit si nécessaire. »
prix qu'on
Pour se d'un tel
décharger soin,
Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin.

Il aima mieux la terre; et, prenant son compère,


Celui-ci l'aide. Ils vont enfouir le trésor.

Au bout de l'homme va voir son or;


quelque temps
Il ne retrouva que le gîte.
à bon droit le compère, il va vite
Soupçonnant
Lui dire : « car il me reste encor
Apprêtez-vous ;
deniers : veux les à l'autre masse. »
Quelques je joindre
Le aussitôt va remettre en sa
compère place

L'argent volé, prétendant bien

Tout à la fois, sans qu'il y manquât rien.


reprendre

Mais, pour ce coup, l'autre fut sage :


Il retint tout chez lui, résolu de jouir,
Plus n'entasser, plus n'enfouir;
Et le ne trouvant son
pauvre voleur, plus gage,
Pensa tomber de sa hauteur.

Il n'est malaisé de un
pas tromper trompeur.
LIVRE DIXIÈME. 653

FABLE VI.

LE LOUP ET LES BERGERS.

Un d'humanité
Loup rempli
en est de tels dans le
(S'il monde)
Fit un sur sa
jour cruauté,

ne l'exerçât que par nécessité,


Quoiqu'il
Une réflexion profonde.
« Je suis haï, dit-il; et de qui? de chacun.

Le loup est l'ennemi commun :


654 FABLES DE LA FONTAINE.

Chiens, chasseurs, villageois, s'assemblent pour sa perte;


-
Jupiter est là-haut étourdi de leurs cris :

C'est par là que de loups l'Angleterre est déserte :

On mit notre tête à


y prix.
Il n'est hobereau qui ne fasse

Contre nous tels bans publier;


Il n'est marmot osant crier

Que du aussitôt sa mère ne menace.


Loup
Le tout pour un âne rogneux,
Pour un mouton pourri, pour quelque chien
hargneux,
Dont j'aurai passé mon envie.

Eh bien! ne mangeons plus de chose ayant eu vie :

Paissons l'herbe, broutons, mourrons de faim plutôt.


Est-ce une chose si cruelle?

Vaut-il mieux s'attirer la haine universelle?

Disant ces mots, il vit des Bergers, pour leur rôt,


un agneau cuit en broche.
Mangeants
« Oh! oh! me
dit-il, je reproche
Le sang de cette gent : voilà ses gardiens
S'en repaissants eux et leurs chiens;
Et moi, Loup, j'en ferai scrupule?

Non; par tous les Dieux ! non ; je serois ridicule :

Thibaut l'agnelet passera,


Sans qu'à la broche je le mette,
Et non-seulement lui, mais la mère qu'il tette,
Et le »
père qui l'engendra.

Ce Loup avait raison. Est-il dit qu'on nous voie


LIVRE DIXIÈME. 655

Faire festin de toute proie,


les animaux; et nous les réduirons
Manger
Aux mets de d'or autant nous
l'âge que pourrons?
Ils n'auront ni croc ni marmite?

Bergers, Bergers, le n'a tort


Loup
Que quand il n'est pas le plus fort :
i
Voulez-vous en ermite?
qu'il vive
656 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VII.

L'ARAIGNÉE ET L'HIRONDELLE

« O sus de ton
Jupiter, qui cerveau,

Par un secret d'accouchement nouveau,

Tirer Pallas, jadis mon ennemie,

Entends ma une fois en ta vie.


plainte

Progné me vient enlever les morceaux;

Caracolant, frisant l'air et les eaux,


Elle me prend mes mouches à ma
porte :
LIVRE DIXIEME. 657

Miennes je puis les dire; et mon réseau


En seroit sans ce maudit oiseau :
plein
Je l'ai tissu de matière assez forte. JI

Ainsi, d'un discours insolent,


Se plaignoit l'araignée, autrefois tapissière,
Et lors étant filandière
qui
Prétendoit enlacer tout insecte volant.

La sœur de Philomèle, attentive à sa proie,

Malgré le bestion, mouches dans


happoit l'air,
Pour ses petits, elle,
pour impitoyable joie,
Que ses d'un bec
enfants gloutons, toujours ouvert,
D'un ton
demi-formé, bégayante couvée,
Demandoicnt par des cris encor mal entendus.
La
pauvre Aragne, n'ayant plus]
Que la tête et les pieds, artisans
superflus,
Se vit elle-même enlevée :

L'Hirondelle, en passant, et
emportant toile, tout,
Et l'animal pendant au bout.

Jupin pour chaque état mit deux tables au monde :

L'adroit, le vigilant, et le fort, sont assis


A la et les
première; petits
leur reste à la seconde.
Mangent

42
658 FAISLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

LA PERDRIX ET LES COQS.

Parmi de certains Coqs, incivils, peu galants,

en noise, et turbulents,
Toujours

Une Perdrix étoit nourrie.

Son sexe, et l'hospitalité,

De la de ces à l'amour porté,


part Coqs, peuple

Lui faisoient beaucoup d'honnêteté :


espérer

Ils feroient les honneurs de la


ménagerie.
LIVRE DIXIEME. 659

Ce peuple fort souvent en furie,


cependant,
Pour la dame de
étrangère ayant peu respec,
Lui donnoit fort souvent d'horribles coups de bec.

D'abord elle en fut affligée ;

Mais, sitôt qu'elle eut vu cette troupe enragée


S'entre-battre elle-même et se les
percer flancs,
Elle se consola. « Ce sont leurs mœurs, dit-elle;
Ne les accusons ces :
point, plaignons plutôt gens

Jupiter sur un seul modèle

N'a pas formé tous les esprits ;


Il est des naturels de et de
coqs perdrix.
S'il dépendoit de moi, ma vie
je passerois
En plus honnête compagnie.
Le maître de ces lieux en ordonne autrement ;
Il nous prend avec des tonnelles,
Nous loge avec des coqs, et nous les ailes :
coupe
C'est de l'homme faut se seulement. »
qu'il plaindre
(>00 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IX.

LE CHIEN A ON A COUPÉ LES OREILLES.


QUI

« me voir ainsi
Qu'ai-je fait, pour

mon re maître?
pro p
Mutilé par
Le bel état ou me voici!

Devant les autres chiens oserai-je paroitre?


0 rois des animaux, ou leurs
plutôt tyrans,

Qui vous feroit choses »


pareilles?
Ainsi crioit Mouflar jeune dogue; et les
gens,
LIVRE DIXIEME. 661

Peu touchés de ses cris douloureux et


perçants,
Venoient de lui couper sans pitié les oreilles.

Mouflar Il vit avec le


y croyoit perdre. temps

Qu'il y gagnoit beaucoup; car, étant de nature


A ses mainte mésaventure
piller pareils,

L'auroit fait retourner chez lui

Avec cette partie en cent lieux altérée :

Chien a l'oreille déchirée.


hargneux toujours

Le moins qu'on peut laisser de prise aux dents d'autrui,


C'est le mieux. Quand on n'a endroit à
qu'un défendre,
On le munit, de peur d'esclandre.

Témoin maître Mouflar armé d'un


gorgerin,
Du reste d'oreille autant sur ma
ayant que main,
Un n'eût, su où le
loup par prendre.
nn2 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE X.

LE BERGER ET LE ROL

Deux démons à leur gré partagent notre vie,

Et de son ont chassé la raison ;


patrimoine
Je ne vois de cœur ne leur sacrifie :
point qui

Si vous me demandez leur état et leur nom,

J'appelle l'un, Amour, et l'autre, Ambition.

Cette dernière étend le loin son


plus empire;
Car même elle entre dans l'amour.
TJ
K berger ET LE ROI.
LIVRE DIXIEME. 665

Je le ferois bien voir ; mais mon but est de dire

Comme un Roi fit venir un Berger à sa cour.

Le conte est du bon non du siècle où nous


temps, sommes.

Ce Roi vit un troupeau qui couvroit tous les champs,


Bien broutant, en bon corps, rapportant tous les ans,
Grâce aux soins du Berger, de très notables sommes.

Le Berger plut au Roi par ces soins


diligents.
cc Tu mérites, dit-il, d'être de
pasteur gens :
Laisse là tes moutons, viens conduire des hommes ;
Je te fais souverain. »
juge
Voilà notre Berger la balance à la main.

guère vu d'autres gens ermite,


Quoiqu'il n'eût qu'un
Son ses mâtins, le et c'est
troupeau, loup, puis tout,
Il avoit du bon sens ; le reste vient ensuite :

Bref, il en vint fort bien à bout.

L'ermite son voisin accourut pour lui dire :


« et n'est-ce un vois ?
Veillé-je ? point songe que je

Vous, favori! vous, grand! Défiez-vous des rois;


Leur faveur est glissante : on s'y et le
trompe; pire
C'est en coûte cher : de pareilles erreurs
qu'il
Ne jamais que d'illustres malheurs.
produisent
Vous ne connoissez pas l'attrait
qui vous engage :
Je vous en tout. » L'autre
parle ami, craignez rit,
Et notre ermite poursuivit :
« combien la cour vous rend
Voyez déjà peu sage.
voir cet à dans un
Je crois aveugle qui, voyage,
Un engourdi de froid
serpent
666 FABLES DE LA FONTAINE.

Vint s'offrir sous la main : il le un fouet;


prit pour

Le sien s'était tombant de sa ceinture.


perdu,
Il rendoit au ciel de l'heureuse aventure,
grâce
un cria : « tenez-vous? ô Dieux!
Quand passant Que

•' Jetez cet animal traître et pernicieux,


« Ce un fouet.—C'est un vous
serpent.—C'est serpent, dis-je.
« A me tant tourmenter quel intérêt m'oblige?
« Prétendez-vous ce trésor?— non?
garder Pourquoi

a Mon fouet étoit retrouve un fort bon :


usé; j'en
« Vous par envie. «
n'en parlez que
enfin ne le crut
L'aveugle pas,

Il en bientôt la vie :
perdit

L'animal son homme au bras.


dégourdi piqua
à vous, vous
Quant j'ose prédire

vous arrivera chose de pire.


Qu'il quelque
- Eh! me sauroit-il arriver la mort?
que que

- Mille » dit le ermite.


dégoûts viendront, prophète

Il en vint en l'ermite n'eut tort.


effet; pas

Mainte de cour fit tant, par maint ressort,


peste
la candeur du son mérite,
Que juge, ainsi que

Furent sus ects au ince.


Prince. On cabale, l e, on suscite i te
suspects
p
On caba
Furent et ses arrêts.
Accusateurs, gens grevés par

« il s'est fait un »
De nos biens, dirent-ils, palais.

Prince voulut voir ces richesses immenses.


Le

Il ne trouva partout que médiocrité,

du désert et de la pauvreté;
Louanges
C'étoient là ses magnificences.

« Son en des de prix :


fait, dit-on, consiste pierres
LIVRE DIXIEME. 667

Un grand coffre en est plein, fermé de dix serrures. »

Lui-même ouvrit ce coffre, et rendit bien


surpris
Tous les machineurs d'impostures.
Le coffre étant ouvert, on vit des lambeaux,
y
L'habit d'un de
gardeur troupeaux,
Petit chapeau, jupon, panetière, houlette,
Et aussi sa musette.
je pense
« Doux ce dit-il, chers
trésor, gages, qui jamais
N'attirâtes sur vous l'envie et le
mensonge,
Je vous sortons de ces riches
reprends : palais
Comme l'on sortiroit d'un songe.

Sire, cette exclamation :


pardonnez-moi
J'avois ma chute en montant sur le faîte.
prévu
Je suis trop complu : mais n'a dans la tête
m'y qui
Un d'ambition ? «
petit grain
668 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XI.

LES POISSONS ET LE BERGER JOUE DE LA FLUTE.


QUI

Tircis, qui pour la seule Annette

Faisoit résonner les accords

D'une voix et d'une musette

Capables de toucher les morts,

Chantoit un jour le long des bords

D'une onde arrosant des prairies


Dont habitoit les fleuries.
Zéphyre campagnes
Annette à la
cependant ligne pêchoit ;
LES POISSONSET LE BERGERQUI JOUE DE LA FLUTE
LIVRE DIXIÈME. 671

Mais nul poisson ne s'approchoit :

La bergère perdoit ses peines.


Le Berger, qui, par ses chansons,
Eût attiré des inhumaines,

Crut, et crut mal, attirer des poissons.


«
Il leur chanta ceci : Citoyens de cette onde,
Laissez votre Naïade en sa
grotte profonde,
Venez voir un objet mille fois plus charmant.

Ne craignez point d'entrer aux prisons de la Belle;

Ce n'est nous est cruelle.


qu'à qu'elle
Vous serez traités doucement;
On n'en veut point à votre vie :

Un vivier vous attend, plus clair que fin cristal;


à seroit
Et, quand quelques-uns l'appât fatal,

Mourir des mains d' Annette est un sort «


que j'envie.

Ce discours ne fit pas grand effet ;


éloquent
L'auditoire étoit sourd aussi bien muet :
que
Tircis eut beau prêcher. Ses paroles miellées

S'en étant au vent envo l


ées,

Il tendit un long rets. Voilà les poissons pris;


Voilà les poissons mis aux pieds de la bergère.

0 d'humains et non de brebis,


vous, pasteurs pas
raisons les esprits
Rois, qui croyez gagner par
D'une multitude étrangère,

Ce n'est là l'on en vient à bout;


jamais par que
Il faut une autre manière :
y
Servez-vous de vos rets, la puissance fait tout.
672 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XII.

LES DEUX LE ROI ET SON FILS.


PERROQUETS,

Deux l'un et l'autre fils,


perroquets, père
Du rôt d'un Roi faisoient leur ordinaire ;
Deux l'un fils et l'autre
demi-Dieux, père,
De ces oiseaux faisoient leurs favoris.

lioit une amitié sincère


L'âge
Entre ces gens : les deux s'aimoienl;
pères
LIVRE DIXIÈME. 673

Les deux enfants, malgré leur cœur frivole,


L'un avec l'autre aussi s'accoutumoient,
Nourris et d'école.
ensemble, compagnons
C'étoit beaucoup d'honneur au jeune Perroquet ;
Car l'enfant étoit prince, et son
père monarque.
Par le tempérament lui donna la
que Parque,
Il aimoit les oiseaux. Un moineau fort
coquet,
Et le amoureux de toute la
plus province,
Faisoit aussi sa part des délices du Prince.

Ces deux rivaux un ensemble se


jour jouanls,
Comme il arrive aux jeunes gens,
Le jeu devint une querelle.
Le passereau, peu circonspec,
S'attira de tels coups de bec,

Que demi-mort et traînant l'aile,


On crut qu'il n'en pourroit guérir.
Le Prince indigné fit mourir

Son Perroquet. Le bruit en vint au père.


L'infortuné vieillard crie et se
désespère,
Le tout en vain, ses cris sont
superflus ;
L'oiseau parleur est déjà dans la
barque :
Pour dire mieux, l'oiseau ne parlant plus
Fait fureur sur le Fils du
qu'en Monarque
Son père s'en va fondre, et lui crève les yeux.
Il se sauve aussitôt, et choisit pour asile

Le haut d'un pin : là, dans le sein des Dieux,


Il sa vengeance en lieu sûr et
goûte tranquille.
Le Roi lui-même y court, et dit l'attirer :
pour

43
674 FABLES DE LA FONTAINE.

«
Ami, reviens chez nous sert de
moi ; que pleurer ?

Haine, et deuil, laissons tout à la


vengeance, porte.
Je suis contraint de déclarer,

Encor ma douleur soit forte,


que

Que le tort vient de mon fils fut


nous; l'agresseur;
Mon fils ! non; c'est le Sort du est l'auteur.
qui coup
La avoit écrit de tout en son
Parque temps livre,

Que l'un de nos enfants devoit cesser de vivre,

L'autre de voir, ce malheur.


par
Consolons-nous tous et reviens dans ta Il
deux, cage.
Le dit : « Sire
Perroquet Roi,

Crois-tu qu'après un pareil outrage


Je me doive fier à toi ?

Tu le Sort : ta
m'allègues prétends-tu, par foi,
Me leurrer de d'un
l'appât profane langage?
Mais la Providence, ou bien le
que que Destin,

les affaires du monde,


Règle
Il est écrit là-haut faîte de ce
qu'au pin,
Ou dans forêt
quelque profonde,
J'achèverai mes loin du fatal
jours objet

Qui doit t'être un juste sujet


De haine et de fureur. Je sais la
que vengeance
Est un morceau de car vous vivez en dieux.
roi;

Tu veux oublier cette offense;


Je le crois : il me le
cependant faut, pour mieux,
Eviter ta main et tes yeux.

Sire Roi, mon ami; tu ta


va-t'en, perds peine :
Ne me parle de retour;
point
LIVRE DIXIÈME. 675

L'absence est aussi bien un remède à la haine

contre l'amour. »
Qu'un appareil
676 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIII.

LA LIONNE ET L'OURSE.

Mère Lionne avoit son fan :


perdu
Un chasseur l'avoit La infortunée
pris. pauvre
Poussoit un tel
rugissement

Que toute la forêt étoit


importunée.
La nuit ni son obscurité,

Son silence, et ses autres charmes,


De la reine des bois n'arrêtoient les vacarmes :
LIVRE DIXIEME. 677

Nul animal n'étoit du sommeil visité.

L'Ourse enfin lui dit : « Ma commère,

Un mot sans plus : tous les enfants

Qui sont passés entre vos dents

N'avoient-ils ni père ni mère ?

— Ils en avoient. — S'il est ainsi,

Et de leur mort n'ait nos têtes rompues,


qu'aucun
Si tant de mères se sont tues,

Que ne vous taisez-vous aussi?

— me taire ? moi malheureuse !


Moi,

Ah! mon fils ? il me faudra traîner


j'ai perdu
Une vieillesse douloureuse.

— vous force à vous condamner?


Dites-moi, qui y
— Hélas ! c'est le Destin me hait. — Ces
qui paroles
Ont été de tout en la bouche de tous. »
temps

Misérables humains, ceci s'adresse à vous.

Je n'entends résonner que des plaintes frivoles.

en cas, se croit haï des cieux,


Quiconque, pareil
considère Hécube, il rendra aux Dieux.
Qu'il grâce
678 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XIV.

LES DEUX AVENTURIERS ET LE TALISMAN.

Aucun chemin de fleurs ne conduit à la


gloire.
Je n'en veux témoin et ses travaux :
pour qu'Hercule
Ce dieu n'a guère de rivaux;

J'en vois peu dans la fable, encor moins dans l'histoire.

En voici un, de vieux talismans


pourtant que
Firent chercher fortune au des romans.
pays

Il voyageoit de compagnie;
ET LE TAJ, 1SM
LES PEUX AVENTURIERS AN,
LIVRE DIXIEME. 681

Son camarade et lui trouvèrent un poteau

Ayant au haut cet écriteau :


CI s'il te
Seigneur Aventurier, prend quelque envie
« De voir ce n'a vu nul chevalier
que errant,
« Tu n'as ce
qu'à passer torrent ;
« dans tes bras un de
Puis, prenant éléphant pierre
« tu verras
Que couché par terre,
« Le d'une au sommet de ce mont
porter, haleine,
« menace les cieux de son «
Qui superbe front.

L'un des deux chevaliers du nez. cc Si l'onde


saigna
Est rapide autant que profonde,

Dit-il, et supposé la puisse passer,


qu'on
de l'éléphant s'aller embarrasser.
Pourquoi

Quelle ridicule entreprise !


Le l'aura fait par tel art et de
sage guise

Qu'on le pourra porter peut-être quatre pas :


Mais haut du mont, d'une il n'est
jusqu'au haleine, pas
Au d'un mortel; à moins la
pouvoir que figure
Ne soit d'un éléphant nain, pygmée, avorton,

Propre à mettre au bout d'un bâton :

cas, où l'honneur d'une telle aventure?


Auquel
On nous veut attraper dedans cette écriture ;
Ce sera quelque énigme à tromper un enfant :

C'est pourquoi je vous laisse avec votre éléphant. »


Le raisonneur parti, l'aventureux se lance,
Les clos, à travers cette eau.
yeux
Ni ni violence
profondeur
Ne purent l'arrêter; et selon l'écriteau,
FABLES DE LA FONTAINE.
682

Il vit son couché sur l'autre rive.


éléphant

Il le il au haut du mont arrive,


prend, l'emporte,

Rencontre une et une cité.


esplanade, puis

Un cri est aussitôt jeté :


par l'éléphant

Le aussitôt sort en armes.


peuple

Tout autre aventurier, au bruit de ces alarmes,

Auroit fui : loin de tourner le dos,


celui-ci,

Veut vendre au moins sa et mourir en héros.


vie,

Il fut tout étonné d'ouïr cette cohorte

Le au lieu de son roi mort.


proclamer monarque

Il ne se fit de la bonne sorte;


prier que

Encor le fardeau un fort.


que fût, dit-il, peu

Sixte en disoit autant on le fit Saint-Père :


quand
bien une misère
(Seroit-ce

Que d'être pape ou d'être roi ?)

On reconnut bientôt son de bonne foi.


peu

Fortune suit hardiesse.


aveugle aveugle

Le fait bien d'exécuter


sage quelquefois

Avant de donner le à la sagesse


que temps

le fait, et sans la consulter.


D'envisager
LIVRE DIXIEME. 683

FABLE XV.

LES LAPINS.

DISCOURS A M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD.

Je me suis souvent dit, voyant de sorte


quelle
L'homme et se
agit, qu'il comporte

En mille occasions comme les animaux :

« Le roi de ces n'a pas moins de défauts


gens-là
684 FABLES DE LA FONTAINE.

Que ses sujets; et la Nature

A mis dans chaque créature

d'une masse où les


Quelque grain puisent esprits :

J'entends les esprits corps, et pétris de matière.

Je vais ce dis. »
prouver que je

A l'heure de l'affût, soit la lumière


lorsque
ses traits dans l'humide
Précipite séjour,
Soit le soleil rentre dans sa carrière,
lorsque
Et n'étant nuit, il n'est encor
que, plus pas jour,
Au bord de bois sur un arbre
quelque je grimpe,

Et, nouveau Jupiter, du haut de cet


olympe,
Je foudroie à discrétion

Un lapin qui n'y pensoit guère.


Je vois fuir aussitôt toute la nation

Des sur la
lapins, qui, bruyère,

L'œil éveillé, l'oreille au


guet,
et de leur
S'égayoient, thym parfumoient banquet.
Le bruit du fait la bande
coup que
S'en va chercher sa sûreté

Dans la souterraine cité :

Mais le s'oublie, et cette peur si


danger grande
S'évanouit bientôt, je revois les lapins,

Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains.

Ne reconnoît-on pas en cela les humains?

Dispersés par quelque orage,


A ils touchent le
peine port,
LES LAPINS.
LIVRE DIXIEME. 687

Qu'ils vont hasarder encor

Même vent, même naufrage ;


Vrais lapins, on les revoit

Sous les mains de la Fortune.

Joignons à cet exemple une chose commune.

Quand des chiens étrangers passent par endroit


quelque

Qui n'est pas de leur détroit,

Je laisse à
penser quelle fête!
Les chiens du lieu, 1 n'ayant en tête

intérêt de à à de dents
Qu'un gueule, cris, coups
Vous accompagnent ces passants
confins du territoire.
Jusqu'aux

Un intérêt de biens, de grandeur, et de gloire,


Aux d'Etats, à certains courtisans,
gouverneurs
A de tous métiers, en fait tout autant faire.
gens
On nous voit tous, pour l'ordinaire,

Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.


La et l'auteur sont de ce caractère :
coquette
Malheur à l'écrivain nouveau !

Le moins de peut à l'entour du


gens qu'on gâteau,
C'est le droit du jeu, c'est l'affaire.

Cent exemples pourroient appuyer mon discours;


Mais les ouvrages les plus courts

Sont les meilleurs. En cela


toujours j'ai pour guides
Tous les maîtres de l'art, et tiens faut laisser
qu'il
Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser :
688 FABLES DE LA FONTAINE.

Ainsi ce discours doit cesser.

Vous m'avez donné ce a de


qui qu'il solide,
Et dont la modestie la
égale grandeur,

Qui ne pûtes jamais écouter sans


pudeur
La louange la plus permise,
La et la mieux
plus juste acquise;
Vous enfin, dont à encore obtenu
peine ai-je

Que votre nom ici


reçût quelques hommages,
Du et des censeurs défendant mes
temps ouvrages,
Comme un nom des ans et des
qui, peuples connu,
Fait honneur à la en noms féconde
France, grands plus

Qu'aucun climat de l'Univers,


Permettez-moi du moins à tout le monde
d'apprendre

Que vous m'avez donné le de ces vers.


sujet
LIVRE DIXIÈME. 689

FABLE XVI.

LE MARCHAND, LE GENTILHOMME, LE PATRE

ET LE FILS DE ROI.

Quatre chercheurs de nouveaux mondes,

nus à la fureur des ondes,


Presque échappés
Un un Noble, un Pâtre, un Fils de Roi,
Trafiquant,
Réduits au sort de Bélisaire,

Demandoient aux passants de quoi


Pouvoir leur misère.
soulagero

u
690 FABLES DE LA FONTAINE.

De raconter sort les avoit assemblés,


quel
sous divers tous ils fussent nés,
Quoique points quatre
C'est un récit de longue haleine.

Ils s'assirent enfin au bord d'une fontaine :

Là le conseil se tint entre les pauvres gens.


Le Prince s'étendit sur le malheur des grands.
Le Pâtre fut d'avis la pensée
qu'éloignant
De leur aventure
passée,
Chacun fit de son mieux, et au soin
s'appliquât
De pourvoir au commun besoin.

cc La son homme?
plainte, ajouta-t-il, guérit-elle
Travaillons : c'est de nous mener Rome. «
quoi jusqu'à
Un Pâtre ainsi — Ainsi croit-on
parler! parler;

Que le ciel n'ait donné têtes couronnées


qu'aux
De l'esprit et de la raison ;

Et que de tout berger, comme de tout mouton,

Les connoissances soient bornées ?

L'avis de celui-ci fut d'abord trouvé bon

Par les trois échoués aux bords de l'Amérique.


c'étoit le savoit
L'un, Marchand, l'arithmétique :
« A tant mois, donnerai
par dit-il, j'en leçon.
- la »
J'enseignerai politique,

Reprit le Fils de Roi. Le Noble poursuivit :


« «
Moi, je sais le blason; j'en veux tenir école :

Comme si, devers l'Inde, on eût eu dans l'esprit.


La sotte vanité de ce jargon frivole !

Le Pâtre dit : « vous


Amis, parlez bien ; mais quoi
Le mois a trente jours : jusqu'à cette échéance
LIVRE DIXIÈME. 691

Jeûnerons-nous, par votre foi?

Vous me donnez une espérance

Belle, mais éloignée; et cependant j'ai faim.

Qui pourvoira de nous au dîner de demain?

Ou plutôt sur quelle assurance


le
Fondez-vous, dites-moi, souper d'aujourd'hui?
Avant tout autre, c'est celui

Dont il science
s'agit. Votre
Est courte là-dessus : : ma maini n y su l éera. »
supp
pléera.
p
Est courte là-dessus
A ces mots, le Pâtre s'en va

Dans un bois : il y fit des dont la


fagots, vente,
Pendant cette et la
journée pendant suivante,

Empêcha qu'un long jeûne à la fin ne fit tant

Qu'ils allassent là-bas exercer leur talent.

Je conclus de cette aventure.

Qu'il ne faut tant d'art pour conserver ses


pas jours,

Et, grâce aux dons de la Nature,


La main est le sûr et le
plus plus prompt secours.

FIN DU LIVRE DIXIÈME.


LIVRE ONZIÈME
LIVRE ONZIÈME. 695

FABLE PREMIÈRE.

LE LION.

,
Sultan Léopard autrefois

Eut, ce dit-on, par mainte aubaine,

Force bœufs dans ses prés, force cerfs dans ses bois,
Force moutons parmi la plaine.
Il un Lion dans la forêt
naquit prochaine.
les compliments et d'une et d'autre
Après part,
Comme entre il se
grands pratique,
(;f)(; FABLES DE LA FONTAINE.

Le Sultan fit venir son visir le Renard ,


Vieux routier, et bon
politique.
« Tu ce lui
crains, dit-il, Lionceau mon voisin ;
Son est mort ; faire ?
père que peut-il
Plains le
plutôt pauvre orphelin.
Il a chez lui d'une
plus affaire,
Et devra au Destin,
beaucoup
S'il ce sans tenter de »
garde qu'il a, conquête.
Le Renard dit, branlant la tête :
cc Tels ne me font
orphelins, Seigneur, point pitié ;
Il faut de celui-ci conserver l'amitié,

Ou s'efforcer de le détruire

Avant que la griffe et la dent

Lui soit crue, et qu'il soit en état de nous nuire.

N'y perdez pas un seul moment.

vai fait son il croîtra la


horoscope : par guerre ;
Ce sera le meilleur lion

Pour ses amis, soit sur terre :


qui
Tâchez donc d'en être; sinon

Tâchez de l'affoiblir. » La fut vaine.


harangue

Le Sultan dormoit lors ; et dedans son domaine

Chacun dormoit aussi, bêtes, tant


gens : qu'enfin
Le Lionceau devient vrai Lion. Le tocsin

Sonne aussitôt sur l'alarme se


lui ; promène

De toutes parts; et le visir,

Consulté là-dessus, dit avec un soupir :


« l'irritez-vous ? La chose est sans remède.
Pourquoi

En vain nous appelons mille gens à notre aide :


LE hnRTT
LIVRE ONZIÈME. 699

Plus ils sont, il coûte ; et je ne les tiens bons


plus

Qu'à manger leur part des moutons.

le Lion : seul il en
Apaisez passe puissance
Ce monde d'alliés vivants sur notre bien.

Le Lion en a trois ne lui coûtent rien,


qui
Son sa avec sa
courage, force, vigilance.
Jetez-lui promptement sous la griffe un mouton ;
S'il n'en est pas content, jetez-en davantage :

Joignez-y quelque bœuf; choisissez, pour ce don,


Tout le du
plus gras pâturage.
Sauvez le reste ainsi. « Ce conseil ne
plut pas ;
Il en prit mal ; et force États

Voisins du Sultan en pâtirent :


Nul n'y tous y
gagna, perdirent.

Quoi que fit ce monde ennemi,


Celui qu'ils fut le maître.
craignoient

d'avoir le Lion pour ami,


Proposez-vous
Si vous voulez le laisser craître.
700 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE II;

LES DIEUX VOULANT INSTRUIRE UN FILS DE JUPITER.

POUR MONSEIGNEUR LE DUC DU MAINE.

Jupiter eut un fils, qui, se sentant du lieu

Dont il tiroit son origine,


Avoit l'âme toute divine.

L'enfance n'aime rien : celle du jeune Dieu


LIVRE ONZIÈME. 701

Faisoit sa affaire
principale
Des doux soins d'aimer et de plaire.
En lui l'amour et la raison

Devancèrent le dont les ailes


temps, légères
N'amènent hélas ! saison.
que trop tôt, chaque
Flore aux regards riants, aux charmantes manières,
Toucha d'abord le cœur du
jeune Olympien.
Ce la
que passion peut inspirer d'adresse,
Sentiments délicats et rem de
plis tendresse,

Pleurs, soupirs, tout en fut : bref, il n'oublia rien.

Le fils de devoit, sa naissance,


Jupiter par
Avoir un autre esprit et d'autres dons des cieux,

Que les enfants des autres Dieux :

Il sembloit qu'il n'agît que par réminiscence,

Et eût autrefois fait le métier d'amant,


qu'il
Tant il le fit parfaitement !
cependant voulut le faire instruire.
Jupiter
Il assembla les Dieux, et dit : * J'ai su conduire,
Seul et sans compagnon, jusqu'ici l'Univers :

Mais il est des emplois divers

Qu'aux nouveaux Dieux je distribue.

Sur cet enfant chéri j'ai donc jeté la vue :

C'est mon tout est plein déjà de ses autels.


sang ;
Afin de mériter le des
rang immortels,
Il faut sache tout. « Le maître du
qu'il tonnerre

Eut à chacun
peine achevé, que applaudit.
Pour savoir tout, l'enfant n'avoit
que trop d'esprit.
cc Je
veux, 1 dit le Dieu de la
guerre,
o
702 FABLES DE LA FONTAINE.

Lui montrer moi-même cet art

Par qui maints héros ont eu part


Aux honneurs de et cet
l'Olympe, grossi empire.
- Je serai son maître de lyre,
Dit le blond et docte Apollon.
- Et Hercule à la de
moi, reprit peau lion,
Son maître à surmonter les vices,
A les monstres
dompter transports, empoisonneurs,
Comme hydres renaissants sans cesse dans les cœurs :

Ennemi des molles délices,


Il de moi les sentiers battus
apprendra peu

Qui mènent aux honneurs sur les des vertus. »


pas
ce vint au Dieu de
Quand Cythère,
Il dit qu'il lui montreroit tout.

L'Amour avoit raison : de ne vient à bout


quoi

joint au désir de plaire ?


L'esprit
LIVRE ONZIÈME. 703

FABLE 111.

LE FERMIER, LE CHIEN ET LE RENARD.

Le et le Renard sont voisins :


Loup d'étranges
Je ne bâtirai point autour de leur demeure.

Ce dernier à toute heure


guettoit
Les d'un Fermier ; et, des
poules quoique plus fins,
Il n'avoit pu donner d'atteinte à la volaille.

D'une part l'appétit, de l'autre le danger,


N'étoient pas au un embarras
compère léger.
704 FABLES DE LA FONTAINE.

(c Hé cette canaille
quoi ! dit-il,
Se de moi ?
moque impunément
Je vais, je viens, je me travaille,

J'imagine cent tours : le rustre, en paix chez soi,


Vous fait de tout, convertit en monnoie
argent
Ses chapons, sa il en a même au croc ;
poulaille ;
Et moi, maître passé, un vieux
quand j'attrape coq,
Je suis au comble de la joie !

Pourquoi sire Jupin m'a-t-il donc appelé


Au métier de renard ? Je les
jure puissances
De et du Styx, il en sera «
l'Olympe parlé.
Roulant en son cœur ces
vengeances,
Il choisit une nuit libérale en pavots :
Chacun étoit plongé dans un profond repos ;
Le maître du les valets, le Chien même,
logis,

Poules, poulets, chapons, tout dormoi t. Le Fermier,


Laissant ouvert son poulailler,
Commit une sottise extrême.

Le voleur tourne tant entre au lieu


qu'il guetté,
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité.

Les marques de sa cruauté

Parurent avec l'aube : on vit un


étalage
De et de
corps sanglants carnage.
Peu s'en fallut que le Soleil

Ne rebroussât d'horreur vers le manoir liquide.


Tel, et d'un spectacle pareil,
irrité contre le fier Atride
Apollon
Joncha son camp de morts : on vit détruit
presque
LIVRE ONZIÈME. 705

L'ost des Grecs , et ce fut l'ouvrage d'une nuit.

Tel encore, autour de sa tente,

Ajax, à l'âme impatiente,


De moutons et de boucs fit un vaste débris,

Croyant tuer en eux son concurrent Ulysse,


Et les auteurs de l'injustice
Par qui l'autre emporta le prix.
Le Renard, autre Ajax aux volailles funeste,
ce laisse étendu le reste.
Emporte qu'il peut,
Le maître ne trouva de recours qu'à crier

Contre ses son Chien : c'est l'ordinaire


gens, usage.
« Ah! maudit n'es bon
animal, qui qu'à noyer,

Que n'avertissois-tu dès l'abord du carnage?


— ne c'eût été tôt fait :
Que l'évitiez-vous ? plus
Si maître et à touche le
vous, fermier, qui fait,

Dormez sans avoir soin que la porte soit close,

Voulez-vous que moi, Chien, qui n'ai rien à la chose,


Sans aucun intérêt le »
je perde repos ?
Ce Chien très à
parloit propos :
Son raisonnement pouvoit être

Fort bon dans la bouche d'un maître ;

Mais, n'étant d'un chien,


que simple
On trouva qu'il ne valoit rien :

On vous le drille.
sangla pauvre

Toi tu 6 de famille
donc, qui que sois, père
ne t'ai envié cet
(Et je jamais honneur),
T'attendre aux yeux d'autrui, quand tu dors, c'est erreur.

45
706 FABLES DE LA FONTAINE.

Couche-toi le dernier, et vois fermer ta porte.


si affaire
Que quelque t'importe,
Ne la fais point par procureur.
LIVRE ONZIÈME. 707

FABLE IV.

LE SONGE D'UN HABITANT DU MOGOL.

Jadis certain Mogol vit en songe un visir

Aux Champs Elysiens possesseur d'un


plaisir
Aussi pur qu'infini, tant en prix qu'en durée :

Le même songeur vit en une autre contrée

Un ermite entouré de feux,


touchoit de même les malheureux.
Qui pitié
Le cas parut étrange, et contre l'ordinaire :
708 FABLES DE LA FONTAINE.

Minos en ces deux morts sembloit s'être


mépris.
Le dormeur tant il en fut
s'éveilla, surpris.
Dans ce songe pourtant soupçonnant du
mystère,
Il se fit l'affaire.
expliquer
lui dit : « Ne vous étonnez
L'interprète point ;
Votre songe a du sens; et, si j'ai sur ce point
tant soit d'habitude,
Acquis peu
C'est un avis des Dieux. Pendant l'humain séjour,
Ce visir quelquefois cherchoi t la solitude ;
Cet ermite aux visirs alloit faire sa cour. »

Si au mot de
j'osois ajouter l'interprète,

J'inspirerois ici l'amour de la retraite :

Elle offre à ses amants des biens sans embarras,


Biens présents du ciel, qui naissent sous les
purs, pas.

Solitude, où je trouve une douceur secrète,

Lieux j'aimai toujours, ne pourrai-je jamais,


que
Loin du monde et du bruit, l'ombre et le frais?
goûter
m'arrêtera sous vos sombres asiles ?
Oh ! qui

Quand les neuf Sœurs, loin des cours et des villes,


pourront

M'occuper tout entier, et m'apprendre des cieux

Les divers mouvements inconnus à nos yeux,


Les noms et les vertus de ces clartés errantes

Par qui sont nos destins et nos mœurs différentes ?

si ne suis né de si
Que je pour grands projets,
Du moins les ruisseaux m'offrent de doux
que objets !

Que je peigne en mes vers rive fleurie !


quelque
La à filets d'or n'ourdira ma vie!
Parque point
LIVRE ONZIEME. 709

Je ne dormirai sous de riches lambris :


point
Mais voit-on le somme en perde de son prix ?
que
En est-il moins et moins plein de délices?
profond,
Je lui voue au désert de nouveaux sacrifices.

le moment viendra d'aller trouver les morts,


Quand
J'aurai vécu sans soins, et mourrai sans remords.
710 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE V.

LE LION, LE SINGE ET LES DEUX ANES.

Le Lion, pour bien gouverner,

Voulant apprendre la morale,

Se fit, un beau jour, amener

Le chez la animale.
Singe, maître-ès-arts gent
La première leçon que donna le régent
Fut celle-ci : « Grand Roi, pour régner sagement,
Il faut que tout prince préfère
LIVRE ONZfÈME. 711

Le zèle de l'État à certain mouvement

Qu'on appelle communément

Amour-propre; car c'est le père,


C'est l'auteur de tous les défauts

Que l'on remarque aux animaux.

Vouloir de tout point ce sentiment vous


que quitte,
Ce n'est pas chose si petite

Qu'on en vienne à bout en un jour :


C'est de modérer cet amour.
beaucoup pouvoir

Par là votre personne auguste


N'admettra jamais rien en soi

De ridicule ni d'injuste.
— le
Donne-moi, repartit Roi,
Des exemples de l'un et l'autre.
— Toute dit le
espèce, docteur,
Et commence par la notre,
je
Toute s'estime dans son cœur,
profession
Traite les autres d'ignorantes,
Les qualifie impertinentes;

Et semblables discours qui ne nous coûtent rien.

au rebours, fait
L'amour-propre, qu'au degré suprême
On ses pareils; car c'est un bon moyen
porte
De s'élever aussi. soi-même

De tout ce dessus très-bien


que j'argumente

Qu'ici-bas maint talent n'est que pure grimace,

Cabale, et certain art de se faire valoir,


Mieux su des ignorants que des gens de savoir.

L'autre jour, suivant à la trace


712 FABLES DE LA FONTAINE.

Deux Anes qui, prenant tour à tour l'encensoir,

Se louoient tour à comme c'est la manière,


tour,

J'ouïs que l'un des deux disoit à son confrère :


« et bien sot
Seigneur, trouvez-vous pas bien injuste
« cet animal si Il
L'homme, parfait? profane
« Notre traitant d'âne
auguste nom,
« est idiot.
Quiconque ignorant, d'esprit lourd,
« Il abuse encore d'un mot,
« Et traite notre rire et nos discours de braire.

« Les humains sont de exceller


plaisants prétendre
« Par-dessus c'est à vous de
nous ; non, non ; parler,
« A leurs orateurs de se taire :

« Voilà les vrais braillards. Mais laissons là ces gens :


« Vous vous
m'entendez, je entends;
u Il suffit. Et aux merveilles
quant
« Dont votre divin chant vient les oreilles,
frapper
« Philomèle est, au novice dans cet art :
prix,
« Lambert. » L'autre baudet
Vous surpassez repart :
« en vous des »
Seigneur, j'admire qualités pareilles.
Ces Anes, non contents de s'être ainsi
grattés,
S'en allèrent dans les cités

L'un l'autre se prôner : chacun d'eux croyoit faire,

En prisant ses pareils, une fort bonne affaire,

Prétendant l'honneur en reviendroit sur lui.


que
J'en connois aujourd'hui,
beaucoup
Non les baudets, mais les
parmi parmi puissances,

Que le ciel voulut mettre en de hauts


plus degrés,

Qui entre eux les simples excellences,


changeroient
LIVRE ONZIÈME. 713

S'ils osoient, en des majestés.


J'en dis ne et
peut-être plus qu'il faut, suppose

Que Votre Majesté le secret.


gardera
Elle avoit souhaité d'apprendre quelque trait

Qui lui lit voir, entre autre chose,

L'amour-propre donnant du ridicule aux


gens.
aura son tour : il faut de »
L'injuste y plus temps.
Ainsi ce Singe. On ne m'a pas su dire
parla
S'il traita l'autre car il est délicat;
point,
Et notre maître-ès-arts, qui n'étoit pas un fat,
ce Lion comme un terrible Sire.
Regardoit
IJ4 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VI.

LE LOUP ET LE RENARD.

Mais d'où vient Renard accorde un


qu'au Ésope point,
C'est d'exceller en tours pleins de matoiserie ?

J'en cherche la raison, et ne la trouve


point.

Quand le a besoin de défendre sa vie,


Loup
Ou celle d'autrui,
d'attaquer
N'en sait-il pas autant que lui !

Je crois en sait et j'oserois


qu'il plus ; peut-être
LIVRE ONZIÈME. 715

Avec raison contredire mon maitre.


quelque
Voici un cas où tout l'honneur échut
pourtant
A l'hôte des terriers. soir il
Un aperçut
La lune au fond d'un puits : l'orbiculaire
image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement

Puisoient le liquide
1 élément :

Notre Renard, pressé par une faim canine,


S'accommode en celui qu'au haut de la machine

L'autre seau tenoit suspendu.


Voilà l'animal descendu,

Tiré d'erreur, mais fort en peine,


Et sa
voyant perte prochaine :
comment si autre
Car remonter, quelque affamé,
De la même image charmé,
Et succédant à sa misère,

Par le même chemin ne le tiroit d'affaire ?

Deux jours s'étoient passés sans qu'aucun vînt au puits.


Le temps, qui toujours marche, avoit pendant deux nuits

Échancré, selon l'ordinaire,


l'astre au front d'argent la face circulaire.
De
Sire Renard étoit désespéré.

Compère Loup, le gosier altéré,


là. L'autre dit : «
Passe par Camarade,
Je vous veux régaler : voyez-vous cet objet?
C'est un fromage exquis. Le dieu Faune l'a fait :

La vache Io donna le lait.

Jupiter, s'il étoit malade,


716 FABLES DE LA FONTAINE.

Reprendroit l'appétit en tâtant d'un tel mets.

J'en ai cette
mangé échancrure;
Le reste vous sera suffisante pâture.
Descendez dans un seau là mis »
que j'ai exprès.
Bien qu'au moins mal il
qu'il pût ajustât l'histoire,
Le fut un sot de le croire :
Loup
Il descend; et son l'autre
poids, emportant part,

Reguinde en haut maître Renard.

Ne nous en nous nous laissons séduire


moquons point :
Sur aussi peu de fondement ;
Et chacun croit fort aisément

Ce qu'il craint et ce désire.


qu'il
LIVRE ONZIÈME. 717

FABLE VII.

LE PAYSAN DU DANUBE.

IL ne faut point juger des gens sur l'apparence.

Le conseil en est bon; mais il n'est nouveau.


pas
Jadis l'erreur du Souriceau

Me servit à le discours
prouver que j'avance :
le fonder à
J'ai, pour présent,
Le bon Socrate, Esope, et certain
Paysan
Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle
718 FABLES DE LA FONTAINE.

Nous fait un portrait fort fidèle.

On connoît les à l'autre, voici


premiers : quant
Le en raccourci.
personnage
Son menton nourrissoi t une barbe touffue ;

Toute sa personne velue

Représentoit un ours, mais un ours mal léché :

Sous un sourcil épais il avoit l'œil caché,

Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,

Portoit sayon de poil de chèvre,

Et ceinture de marins.
joncs

Cet homme ainsi bâti fut député des villes

Que lave le Danube. Il n'étoit point d'asiles

Où l'avarice des Romains

Ne alors, et ne portât les mains.


pénétrât
Le donc, et fit cette
député vint harangue :
« et vous Sénat assis
Romains, pour m'écouter,

Je avant tout les Dieux de m'assister :


supplie
Veuillent les Immortels, conducteurs de ma langue,

Que je ne dise rien qui doive être repris !


Sans leur aide, il ne peut entrer dans les esprits

Que tout mal et toute injustice :


Faute d'y recourir, on viole leurs lois.

Témoin nous punit la romaine avarice :


que
Rome est, par nos forfaits, plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.

Romains, le ciel
Craignez, craignez que quelque jour
Ne chez vous les et la
transporte pleurs misère,

Et mettant en nos mains, un retour,


par juste
LE PWSAX DU DANUBE,
LIVRE ONZIÈME. 721

Les armes dont se sert sa


vengeance sévère,

Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et sommes-nous les vôtres ? Qu'on me die


pourquoi
En vous valez mieux que cent peuples divers.
quoi

Quel droit vous a rendus maîtres de l'Univers ?

venir troubler une innocente vie ?


Pourquoi
Nous cultivions en paix d'heureux champs; et nos mains

Etoient propres arts, ainsi qu'au


aux labourage.

Qu'avez-vous appris aux Germains ?

Ils ont l'adresse et le


courage :
S'ils avoient eu l'avidité,
Comme et la
vous, violence,
Peut-être en votre ils auroient la
place puissance,
Et sauroient en user sans inhumanité.

Celle vos préteurs ont sur nous exercée


que
N'entre en la
qu'à peine pensée.
La majesté de vos autels

Elle-même en est offensée ;

Car sachez les Immortels


que
Ont les regards sur nous. Grâces à vos
exemples,
Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,
D'avarice va à la fureur.
qui jusques
Rien ne suffit aux qui nous viennent de Rome
gens
La terre et le travail de l'homme

Font pour les assouvir des efforts


superflus.
Retirez-les : on ne veut plus

46
722 FABLES DE LA FONTAINE.

Cultiver eux les campagnes.


pour
Nous les cités, nous aux montagnes ;
quittons fuyons
Nous laissons nos chères compagnes ;
Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,

de mettre au jour des malheureux,


Découragés
Et de peupler pour Rome un pays qu'elle opprime.

Quant à nos enfants déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés :

Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.

Retirez-les : ils ne nous apprendront

Que la mollesse et que le vice ;

Les Germains comme eux deviendront

Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce j'ai vu dans Rome à mon abord.


que
N'a-t-on point de présent à faire,

Point de pourpre à donner? c'est en vain qu'on espère


aux lois : encor leur ministère
Quelque refuge
A-t-il mille longueurs. Ce discours, un peu fort,

Doit commencer à vous déplaire.


Je finis. Punissez de mort

Une un sincère. »
plainte peu trop
A ces mots, il se et chacun étonné
couche ;
Admire le cœur, le bon sens,
grand l'éloquence
Du ainsi
sauvage prosterné.
On le créa patrice ; et ce fut la vengeance

Qu'on crut qu'un tel discours méritoit. On choisit

D'autres et écrit
préteurs ; par
Le Sénat demanda ce dit cet homme,
qu'avoit
LIVRE ONZIÈME. 723

Pour servir de modèle aux à venir.


parleurs
On ne sut pas à Rome
longtemps
Cette éloquence entretenir.
724 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES.

Un octogénaire plantoit.
Passe encor de mais à cet
bâtir ; planter âge !

Disoient trois enfants du :


Jouvenceaux, voisinage
Assurément il radotoit.
« vous
Car, au nom des Dieux, je prie,

Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?


LE VIEILLARDET LESTROISJ U tWW"H
OMMES.
LIVRE ONZIÈME. 727

Autant il vous faudroit vieillir.


qu'un patriarche
A bon votre vie
quoi charger
Des soins d'un avenir qui n'est pas fait pour vous?

Ne désormais qu'à vos erreurs


songez passées ;

Quittez le long espoir et les vastes pensées;


Tout cela ne convient qu'à nous.
- Il ne convient à
pas vous-mêmes,

Repartit le Vieillard. Tout établissement

Vient tard, et dure peu. La main des blêmes


Parques
De vos et des miens se
jours joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.

de nous des clartés de la voûte azurée


Qui
Doit jouir le dernier? Est-il aucun moment

Qui vous puisse assurer d'un second seulement ?

Mes arrière-neveux me devront cet ombrage :


Eh bien ! défendez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d'autrui ?

Cela même est un fruit que je goûte aujourd'hui :


J'en jouir demain, et
puis quelques jours encore;
Je enfin l'aurore
puis compter
Plus d'une fois sur vos tombeaux. »

Le Vieillard eut raison : l'un des trois Jouvenceaux

dès le allant à
Se noya port, l'Amérique;

L'autre, afin de monter aux grandes dignités,


les de Mars servant la
Dans emplois République
Par un coup imprévu vit ses jours emportés ;
Le troisième tomba d'un arbre

Que lui-même il voulut


enter;
728 FABLES DE LA FONTAINE.

Et, pleurés du Vieillard, il sur leur marbre


grava
Ce que je viens de raconter.
LIVRE ONZIÈME. 72D

FABLE IX.

LES SOURIS ET LE CHAT-HUANT.

Il ne faut dire aux gens :


jamais

Ecoutez un bon mot, oyez une merveille.

Savez-vous si les écoutants

En feront une estime à la vôtre pareille ?

Voici un cas peut être


pourtant qui excepté :
Je le maintiens et tel que d'une fable
prodige,
Il a l'air et les traits, encor que véritable.
730 FABLES DE LA FONTAINE.

On abattit un pin pour son


antiquité,
Vieux palais d'un Hibou, triste et sombre retraite

De l'oiseau son
qu'Atropos prend pour interprète.
Dans son tronc caverneux, et miné le
par temps,

Logeoient, entre autres habitants,


Force Souris sans toutes rondes de
pieds, graisse.
L'oiseau les nourrissoit des tas de blé.
parmi
Et de son bec avoit leur mutilé.
troupeau
Cet oiseau résonnoit : il faut qu'on le confesse.

En son aux Souris le chassa :


temps, compagnon
Les prit du échappées,
premières qu'il logis
Pour remédier, le drôle
y estropia
Tout ce prit ensuite; et leurs jambes
qu'il coupées
Firent les à sa
qu'il mangeoit commodité,

l'une, et demain l'autre.


Aujourd'hui
Tout à la fois, l'impossibilité
manger

trouvoit, aussi le soin de sa santé.


S'y joint
Sa prévoyance alloit aussi loin que la nôtre :

Elle alloit leur


jusqu'à porter
Vivres et subsister.
grains pour

Puis, Cartésien s'obstine


qu'un
A traiter ce Hibou de montre et de machine !

Quel ressort lui donner


pouvoit
Le conseil de un mis en mue?
tronquer peuple
Si ce n'est pas là raisonner,

La raison m'est chose inconnue.

Voyez que d'arguments il fit :


« ce est il
Quand peuple pris, s'enfuit;
LES SOURISET LE CHAT-HUANT.
LIVRE ONZIÈME. 733

Donc il faut le aussitôt le


croquer qu'on happe.
Tout ? il est impossible. Et puis, pour le besoin

N'en dois-je pas Donc il faut avoir soin


garder ?
De le nourrir sans qu'il échappe.
comment? les » trouvez-moi
Mais Otons-lui pieds. Or,
Chose par les humains à sa fin mieux conduite.

Quel autre art de penser Aristote et sa suite

par votre foi ?


Enseignent-ils,
734 FABLES DE LA FONTAINE.

EPILOGUE:

C'est ainsi ma Muse, aux bords d'une onde pure,


que
Traduisoit en des Dieux
langue
Tout ce disent sous les cieux
que
Tant d'êtres empruntants la voix de la nature.

Truchement de peuples divers,

Je les faisois servir d'acteurs en mon


ouvrage :
Car tout parle dans l'Univers :

Il n'est rien n'ait son


qui langage.
Plus chez eux ne sont dans mes vers.
éloquents qu'ils
Si ceux j'introduis me trouvent fidèle,
que peu
Si mon œuvre n'est pas un assez bon modèle.

J'ai du moins ouvert le chemin :

D'autres mettre une dernière main.


pourront y
Favoris des neuf Sœurs, achevez l'entreprise :
Donnez mainte leçon que j'ai sans doute omise ;

Sous ces inventions il faut l'envelopper.


Mais vous n'avez de vous
que trop quoi occuper :
Pendant le doux de ma Muse innocente,
emploi
Louis et, d'une main
dompte l'Europe; puissante,

Il conduit à leur fin les plus nobles projets


LIVRE ONZIÈME. 735

formés un
Qu'ait jamais monarque.
Favoris des neufs Sœurs, ce sont là des sujets
du et de la
Vainqueurs temps Parque.

FIN DU LIVRE ONZIÈME.


LIVRE DOUXIÈME.

47
LIVRE DOUZIÈME. 739

FABLE PREMIÈRE.

LES COMPAGNONS D'ULYSSE.

A MONSEIGNEUR LE DUC DE BOURGOGNE.

Prince, l'unique objet du soin des Immortels,


Souffrez que mon encens parfume vos autels.

Je vous offre un peu tard ces présents de ma Muse;


Les ans et les travaux me serviront d'excuse.
740 FABLES DE LA FONTAINE.

Mon au lieu instant


esprit diminue, qu'à chaque
On le votre aller en
aperçoit augmentant :
Il ne va il il semble avoir des ailes.
pas; court,
Le héros dont il tient des qualités si belles

Dans le métier de Mars brûle d'en faire autant :

Il ne tient à lui la victoire,


pas que, forçant

Il ne marche à de
pas géant
Dans la carrière de la gloire.

Quelque dieu le retient : c'est notre Souverain,

Lui mois a rendu maître et du Rhin.


qu'un vainqueur
Cette fut alors nécessaire;
rapidité
Peut-être elle seroit téméraire.
aujourd'hui
Je m'en tais : aussi bien les Ris et les Amours

Ne sont d'aimer les discours.


pas soupçonnés longs
De ces sortes de dieux votre cour se compose :
Ils ne vous Ce n'est tout
quittent point. pas qu'après
D'autres divinités tiennent le haut bout :
n'y
Le Sens et la Raison y toute chose.
règlent
Consultez ces derniers sur un fait où les Grecs,

et
Imprudents peu circonspects,
S'abandonnèrent à des charmes

Qui métamorphosoient en bêtes les humains.

Les d'Ulysse, après dix ans d'alarmes,


Compagnons
Erroient au du vent, de leur sort incertains.
gré
Ils abordèrent un rivage
Où la fille du Dieu du
jour,

Circé, tenoit alors sa cour.


D'ULYSSE
LES COMPAGNONS
LIVRE DOUZIÈME. 743

Elle leur fit un


prendre breuvage

Délicieux, mais plein d'un funeste poison.


D'abord ils la
perdent raison;

moments après leur corps et leur


Quelques visage
Prennent l'air et les traits d'animaux différents :

Les voilà devenus ours, lions, éléphants;


Les uns sous une masse énorme,

Les autres sous une autre forme :

Il s'en vit de petits; exemplum, ut talpa.


Le seul en
Ulysse échappa;

Il sut se défier de la liqueur traîtresse.

Comme il joignoit à la
sagesse
La mine d'un héros et le doux entretien,

Il fit tant que l'enchanteresse

Prit un autre poison peu différent du sien.

Une déesse dit tout ce a dans l'âme :


qu'elle
Celle-ci déclara sa flamme.

étoit trop fin pour ne pas


Ulysse profiter

D'une pareille conjoncture :

Il obtint rendroit à ces Grecs leur


qu'on figure.
« Mais la voudront-ils dit la
bien; nymphe, accepter?
Allez le de ce pas à la »
proposer troupe.
dit :
Ulysse y court, et L'empoisonneuse coupe
A son remède encore; et je viens vous l'offrir :

Chers amis, voulez-vous hommes redevenir?

On vous rend déjà la parole. »

Le Lion dit, pensant rugir :


« Je n'ai la tête si
pas folle;
744 FABLES DE LA FONTAINE.

Moi renoncer aux dons viens


que je d'acquérir?
J'ai griffe et dent, et mets en pièces qui m'attaque.

Je suis roi : un citadin


deviendrai-je d'Ithaque ?
Tu me rendras encor simple soldat :
peut-être
,
Je ne veux d'état. »
point changer
du Lion court à l'Ours : « Eh! mon
Ulysse frère,

Comme te voilà fait! t'ai vu si joli!


je
— Ah! vraiment nous voici!
y

Reprit l'Ours à sa manière :

Comme me voilà fait! comme doit être un ours.

Qui t'a dit qu'une forme est plus belle qu'une autre?

Est-ce à la tienne à de la notre?


juger
Je me aux d'une Ourse mes amours.
rapporte yeux
Te déplais-je? va-t'en, suis ta route, et me laisse.

Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse;


Et te dis tout net et tout plat :

Je ne veux point d'état. »


changer
Le prince grec au Loup va proposer l'affaire;
Il lui dit, au hasard d'un semblable refus :

« suis confus.
Camarade, je

Qu'une et belle
jeune bergère
Conte aux échos les appétits gloutons

Qui t'ont fait ses moutons.


manger
Autrefois on t'eût vu sauver sa bergerie :
Tu menois une honnête vie.

Quitte ces bois, et redevien,


Au lieu de homme de bien.
loup,
- En est-il? dit le n'en vois
Loup : pour moi; je guère.
LIVRE DOUZIÈME. 745

Tu t'en viens me traiter de bête carnassière;


Toi qui parles, qu'es-tu ? N'auriez-vous pas, sans moi,
ces animaux que plaint tout le village?
Mangé
Si homme, ta
j'étois par foi,
moins le
Aimerois-je carnage?
Pour un mot vous vous tous :
quelquefois étranglez
Ne vous êtes-vous l'un à l'autre des
pas loups?
Tout bien te soutiens en somme
considéré, je

Que, scélérat pour scélérat,


Il vaut mieux être un loup homme :
qu'un
Je ne veux point d'état. »
changer
fit à tous une même semonce :
Ulysse
Chacun d'eux fit même
réponse,
Autant le grand que le petit.
La liberté, les bois, suivre leur appétit,
C'étoit leurs délices suprêmes;
Tous renoncoient au lôs des belles actions.

Ils s'affranchir suivant leurs


croyoient passions :
Ils étoient esclaves d'eux-mêmes.

Prince, j'aurois voulu vous choisir un sujet


Où mêler le plaisant à l'utile :
je pusse
C'étoit sans doute un beau projet,
Si ce choix eût été facile.

Les d'Ulysse enfin se sont


Compagnons offerts;
Ils ont force pareils en ce bas univers,
Gens à
qui j'impose pour peine
Votre censure et votre haine.
746 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE II.

LE CHAT ET LES DEUX MOINEAUX.

A MONSEIGNEUR LE DUG DE BOURGOGNE.

Un Chat, d'un fort jeune Moineau,


contemporain
Fut de lui dès l'âge du berceau :
logé près
La et le avoient mêmes
cage panier pénates.
Le Chat étoit souvent agacé par l'oiseau :
LIVRE DOUZIÈME. 747

L'un s'escrimoit du bec, l'autre jouoit des pattes.


Ce dernier toutefois épargnoit son ami,
Ne le demi :
corrigeant qu'à
Il se fût fait un grand scrupule
D'armer de pointes sa férule.
Le Passereau, moins
circonspect,
Lui donnoit force coups de bec.

En sage et discrète personne,


Maître Chat excusoit ces jeux :
Entre amis, il ne faut jamais s'abandonne
qu'on
Aux traits d'un courroux sérieux.

Comme ils se connoissoient tous deux dès leur bas «Ve


Une habitude en les
longue paix maintenoit;
Jamais en vrai combat le jeu ne se tournoit :

Quand un Moineau du
voisinage
S'en vint les visiter, et se fit
compagnon
Du Pierrot et du Raton.
pétulant sage
Entre les deux oiseaux il arriva querelle;
Et Raton de
prendre parti.
« Cet inconnu, dit-il, nous la vient donner belle,
D'insulter ainsi notre ami!

Le Moineau du voisin viendra le notre ?


manger
de tous les chats! » Entrant lors au
Non, par combat,
Il l' «
croque étranger. Vraiment, dit maître Chat,
Les Moineaux ont un exquis et délicat. »
goût
Cette réflexion fit aussi l'autre.
croquer

.~,~
Quelle morale puis-je inférer de ce fait?
748 FABLES DE LA FONTAINE.

Sans cela, toute fable est un œuvre


imparfait.
J'en crois voir traits ; mais leur ombre m'abuse.
quelques

Prince, vous les aurez incontinent trouvés :

Ce sont des jeux vous, et non point pour ma Muse :


pour
Elle et ses sœurs n'ont pas l'esprit que vous avez.
LIVRE DOUZIÈME. 749

FABLE III.

LE THÉSAURISEUR ET LE SINGE.

Un Homme accumuloit. On sait que cette erreur

Va souvent jusqu'à la fureur.

Celui-ci ne ducats et
songeoit que pistoles.

Quand ces biens sont oisifs, je tiens sont frivoles.


qu'ils
Pour sûreté de son trésor,
Notre avare habitoit un lieu dont Amphitrite
Défendoit aux voleurs de toutes l'abord.
parts
750 FABLES DE LA FONTAINE.

Là, d'une volupté selon moi fort petite,


Et selon lui fort il entassoit toujours :
grande,
Il passoit les nuits et les jours
A calculer sans
compter, supputer relâche,

Calculant, comme à la tâche ;


supputant, comptant
Car il trouvoit du à son fait.
toujours mécompte
Un gros Singe, plus sage, à mon sens, que son maître,
Jetoit doublon toujours la fenêtre,
quelque par
Et rendoit le
compte imparfait :

La chambre, bien cadenassée,

Permettoit de laisser sur le


l'argent comptoir.
Un beau jour dom Bertrand se mit dans la pensée
D'en faire un sacrifice au manoir.
liquide
à
Quant moi, lorsque je compare
Les plaisirs de ce Singe à ceux de cet avare,

Je ne sais bonnement auquel donner le prix :

Dom Bertrand t de certains


gagneroi près esprits;
Les raisons en seroient à déduire.
trop longues
Un jour donc l'animal, qui ne songeoit qu'à nuire,

Détachoit du monceau, tantôt quelque doublon,

Un jacobus, un ducaton;
Et noble à la rose
puis quelque
son adresse et sa force à
Éprouvait jeter

Ces morceaux de métal, qui se font souhaiter

Par les humains sur toute chose.

S'il n'avait entendu son à la fin


compteur
Mettre la clef dans la serrure,

Les ducats auroient tous pris le même chemin,


LIVRE DOUZIÈME. 751

Et couru la même aventure;


Il les auroit fait tous voler dernier
jusqu'au
Dans le enrichi maint et maint
gouffre par naufrage.
Dieu veuille préserver maint et maint financier

Qui n'en fait pas meilleur usage!


752 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE IV.

LES DEUX CHÈVRES.

Dès les chèvres ont brouté,


que
Certain esprit de liberté

Leur fait chercher fortune : elles vont en


voyage
Vers les endroits du
pâturage
Les moins des humains :
fréquentés

Là, s'il est quelque lieu sans route et sans chemins,


Un rocher, mont en
quelque pendant précipices,
I.ES DEUX CHÈVRES.
48
LIVRE DOUZIÈME. 755

C'est où ces dames vont promener leurs caprices.


Rien ne peut arrêter cet animal grimpant.
Deux Chèvres donc
s'émancipant,
Toutes deux ayant patte blanche,

Quittèrent les bas prés, chacune de sa part :


L'une vers l'autre alloit pour quelque bon hasard.

Un ruisseau se rencontre, et une


pour pont planche.
Deux belettes à auroient de front
peine passé
Sur ce pont :

D'ailleurs, l'onde et le ruisseau


rapide profond
Devoient faire trembler de ces
peur amazones.

tant de dangers, l'une de ces


Malgré personnes
Pose un pied sur la planche, et l'autre en fait autant.
Je avec Louis le
m'imagine voir, Grand,

Philippe Quatre qui s'avance

Dans l'île de la Conférence.

Ainsi s'avançoient pas à pas,


Nez à nos
nez, aventurières,

Qui, toutes deux étant fort fières,


Vers le milieu du ne se voulurent
pont pas
L'une à l'autre céder. Elles avoient la
o
gloire
De dans leur race, à ce dit
compter que l'histoire,

L'une, certaine Chèvre, au mérite sans pair,


Dont Polyphème fit présent à Galatée,
Et l'autre la Chèvre Amalthée ,
Par qui fut nourri Jupiter.
Faute de reculer, leur chute fut commune :

Toutes deux tombèrent dans l'eau.


756 FABLES DE LA FONTAINE.

Cet accident n'est pas nouveau

Dans le chemin de la fortune.


LIVRE DOUZIÈME. 757

MONSEIGNEUR LE DUC DE
BOURGOGNE,
«

AVOIT DEMANDÉ A M. DE LA FONTAINE


QUI

UNE FABLE QUI FÛT NOMMÉE LE CHAT ET LA SOURIS.

au à la Renommée
Pour plaire jeune prince qui

Destine un temple en mes écrits,

Comment composerai-je une fable nommée

Le Chat et la Souris?
758 FABLES DE LA FONTAINE.

dans ces vers une belle


Dois-je représenter

Qui, douce en et toutefois cruelle,


apparence,
Va se des cœurs que ses charmes ont pris,
jouant
Comme le Chat de la Souris?

les jeux de la Fortune?


Prendrai-je pour sujet

Rien ne lui convient mieux : et c'est chose commune

Que de lui voir traiter ceux qu'on croit ses amis,

Comme le Chat fait la Souris.

Introduirai-je un roi ses favoris


qu'entre
Elle seul, roi fixe sa roue,
respecte qui

Qui n'est point empêché d'un monde d'ennemis,

Et des il lui se
qui plus puissants, quand plaît, joue,
Comme le Chat de la Souris?

Mais insensiblement, dans le tour j'ai


que pris,
Mon dessein se rencontre; et, si ne m'abuse,
je
Je tout de plus récits :
pourrois gâter par longs
Le jeune prince alors se joueroit de ma Muse,

Comme le Chat de la Souris.


LIVRE DOUZIÈME.

FABLE V.

LE VIEUX CHAT ET LA JEUNE SOURIS.

Une de
jeune Souris, peu d'expérience,
Crut fléchir un vieux Chat, sa
implorant clémence,
Et de raisons le :
payant Raminagrobis
« Laissez-moi vivre : une souris

De ma taille et de ma dépense
en ce logis?
Est-elle à charge

Affamerois-je, à votre avis,


1(;() FABLES DE LA FONTAINE.

L'hôte et l'hôtesse, et tout leur monde?

D'un de blé me nourris :


grain je
Une noix me rend toute ronde.

A présent je suis maigre; attendez quelque temps :


Réservez ce à messieurs vos enfants. »
repas
Ainsi au Chat la Souris attrapée.
parloit
L'autre lui dit : « Tu t'es
trompée :
Est-ce à moi que l'on tient de semblables discours?

Tu autant de à des sourds.


gagnerois parler

Chat, et vieux, pardonner? cela n'arrive guères.


Selon ces lois, descends là-bas,

Meurs, et va-t'en, tout de ce


pas,
les sœurs filandières :
Haranguer
Mes enfants trouveront assez d'autres »
repas.
Il tint parole. Et pour ma fable

Voici le sens moral qui peut y convenir :

La jeunesse se flatte, et croit tout obtenir :

La vieillesse est impitoyable.


LIVRE DOUZIÈME. 761

FABLE VI.

LE CERF MALADE.

En de cerfs, un Cerf tomba malade,


pays plein
Incontinent maint camarade

Accourt à son grabat le voir, le secourir,

Le consoler du moins : multitude importune.


« Eh! messieurs, laissez-moi mourir :

Permettez forme commune


qu'en
La et finissez vos «
Parque m'expédie, pleurs.
762. FABLES DE LA FONTAINE.

Point du tout : les consolateurs

De ce triste devoir tout au


long s'acquittèrent,

Quand il à Dieu s'en allèrent :


plut
Ce ne fut sans boire un
pas coup,

C'est-à-dire, sans un droit de


prendre pâturage.
Tout se mit à brouter les bois du
voisinage.
La du Cerf en déchut de
pitance beaucoup.

Il ne trouva plus rien à frire :

D'un mal il tomba dans une pire,


Et se vit réduit à la fin

A et mourir de faim.
jeûner

Il en coûte à vous
qui réclame,

Médecins du et de l'âme.
corps
0 ô mœurs! j'ai beau crier,
temps!
Tout le monde se fait payer.
I.K CERF MALADE.
LIVRE DOUZIÈME. 765

FABLE VII.

LA CHAUVE-SOURIS, LE BUISSON ET LE CANARD.

Le le et la
Buisson, Canard, Chauve-souris,

Voyant tous trois leur


qu'en pays
Ils faisoient fortune,
petite
Vont au loin, et font bourse commune.
trafiquer
Ils a voient des des des
comptoirs, facteurs, agents
Non moins soigneux qu'intelligents,
Des exacts de mise et de recette.
registres
';()() FABLES DE LA FONTAINE.

Tout alloit bien; leur


quand amplette,
En passant certains endroits
par

Remplis d'écueils et fort étroits,

Et de trajet très-difficile,
Alla tout emballée au fond des magasins

Qui du Tartare sont voisins.

Notre trio poussa maint inutile;


regret
Ou il n'en
plutôt poussa point :
Le plus petit marchand est savant sur ce point :
Pour sauver son crédit, il faut cacher sa perte.
Celle nos avoient soufferte
que, par malheur, gens
Ne put se le cas fut découvert.
réparer :
Les voilà sans crédit, sans sans ressource
argent,
Prêts à le bonnet vert.
porter
Aucun ne leur ouvrit sa bourse.

Et le sort et les intérêts ;


principal, gros
Et les et les
sergents, procès,
Et le créancier à la porte
Dès devant la pointe du jour

N'occupaient le trio chercher maint détour


qu'à
Pour contenter cette cohorte.

Le Buisson accrochoit les passants à tous coups.


« leur
Messieurs, disoit-il, de grâce, apprenez-vous
En lieu sont les marchandises
quel

Que certains nous ont »


gouffres prises.
Le Plongeon sous les eaux s'en alloit les chercher.

L'oiseau Chauve-souris n'osoit plus approcher


Pendant le jour nulle demeure :
LIVRE DOUZIÈME. 767

Suivi de sergents à toute heure,

En des trous il s'alloit cacher.

Je connois maint detteur n'est ni


qui souris-chauve,
Ni buisson, ni canard, ni dans tel cas tombé,
Mais simple grand seigneur, qui tous les jours se sauve

Par un escalier dérobé.


768 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE VIII.

LA DES CHIENS ET DES CHATS


QUERELLE

ET CELLE DES CHATS ET DES SOURIS.

La Discorde a dans l'Univers,


toujours régné

Notre monde en fournit mille divers :


exemples

Chez nous cette déesse a plus d'un tributaire.

les éléments :
Commençons par

Vous serez étonnés de voir tous moments


qu'à
Ils seront appointés contraire.
LIVRE DOUZIÈME. 769

Outre ces quatre potentats,


Combien d'êtres de tous états

Se font une guerre éternelle !

Autrefois un logis plein de Chiens et de Chats,


Par cent arrêts rendus en forme solennelle,
Vit terminer tous leurs débats.

Le maître ayant réglé leurs emplois, leurs


repas,
Et menacé du fouet auroit
quiconque querelle,
Ces animaux vivoient entre eux comme cousins.

Cette union si douce, et


presque fraternelle,
Edifioit tous les voisins.

Enfin elle cessa. Quelque plat de


potage,
à
Quelque os, par préférence, quelqu'un d'eux donné,
Fit que l'autre parti s'en vint tout forcené

Représenter un tel
outrage.
J'ai vu des chroniqueurs attribuer le cas

Aux passe-droits qu'avoit une chienne en


gésine.
Quoi qu'il en soit, cet altercas

Mit en combustion la salle et la cuisine;


Chacun se déclara pour son chat, son chien.
pour
On fit un dont les Chats se
règlement plaignirent,
Et tout le étourdirent.
quartier
Leur avocat disoit falloit bel et bien
qu'il
Recourir aux arrêts. En vain ils les cherchèrent
Dans un coin où d'abord leurs les cachèrent :
agents
Les Souris enfin les
mangèrent.
o
Autre nouveau. Le
procès peuple souriquois

49
770 FABLES DE LA FONTAINE.

En : maint vieux Chat, fin subtil, et


pâtit narquois,
Et d'ailleurs en voulant à toute cette race,
Les les fit main basse.
guetta, prit,
Le maître du logis ne s'en trouva que mieux.

J'en reviens à mon dire. On ne voit sous les cieux

Nul animal, nul être, aucune créature,

Qui n'ait son c'est la loi de nature.


opposé :
D'en chercher la raison, ce sont soins superflus.
Dieu fit bien ce fit, et n'en sais
qu'il je pas plus.
Ce que je sais, c'est qu'aux grosses paroles
On en vient, sur un rien, des trois du
plus quarts temps.
il vous faudroit encore à soixante ans
Humains,

Renvoyer chez les barbacoles.


LIVRE DOUZIÈME. 771

FABLE IX.

LE LOUP ET LE RENARD.

D'où vient personne en la vie


que

N'est satisfait de son état?

Tel voudroit bien être soldat

A le soldat envie.
qui porte

Certain Renard voulut, dit-on,

Se faire loup. Eh! qui peut dire


m FABLES DE LA FONTAINE.

Que pour le métier de mouton

Jamais aucun ne soupire?


loup

Ce m'étonne est huit ans


qui qu'à
Un en fable ait mis la chose,
prince
Pendant sous mes cheveux blancs
que
Je à force de
fabrique temps
Des vers moins sensés sa
que prose

Les traits dans sa fable semés

Ne sont en du
l'ouvrage poëte
Ni tous ni si bien exprimés :

Sa en est plus complète.


louange

De la chanter sur la musette,

C'est mon talent; mais je m'attends

Que mon héros, dans peu de temps,

Me fera la trompette.
prendre

Je ne suis un
pas grand prophète :

je lis dans les cieux


Cependant

Que bientôt ses faits


glorieux
Demanderont plusieurs Homères ;

Et ce temps-ci n'en produit guères.

Laissant à tous ces


part mystères,
de conter la fable avec succès.
Essayons

Le Renard dit au « Notre cher, tout mets


Loup : pour
LIVRE DOUZIÈME. 773

J'ai souvent un vieux coq, ou de poulets :


maigres
C'est une viande qui me lasse.

Tu fais meilleure chère avec moins de hasard :

des maisons; tu te tiens à l'écart.


J'approche
ton métier, camarade, de grâce;
Apprends-moi
Rends-moi le premier de ma race

Qui fournisse son croc de quelque mouton gras :


Tu ne me mettras point au nombre des
ingrats.
- Je le dit le il m'est mort un mien
veux, Loup : frère,
Allons sa tu t'en revêtiras. »
prendre peau,
Il et le dit : « Voici comme il faut
vint; Loup faire,

Si tu veux écarter les mâtins du troupeau. »

Le mis la
Renard, ayant peau,
les leçons que lui donnoit son maître.
Répétoit
D'abord il s'y prit mal, puis un peu mieux, bien ;
puis
Puis enfin il n' manq ua rien.
y
A il fut instruit autant qu'il pouvoit l'être,
peine

Qu'un troupeau Le nouveau court


s'approcha. Loup y
Et la terreur dans les lieux d'alentour.
répand

Tel, vêtu des armes d'Achille ,

Patrocle mit l'alarme au camp et dans la ville :

brus, et vieillards, au couroient tous.


Mères, temple
L'ost au bêlant crut voir
peuple cinquante loups :
et tout fuit vers le
Chien, berger, troupeau, village,
Et laisse seulement une brebis pour gage.
Le larron s'en saisit. A de là
quelques pas
Il entendit chanter un coq du voisinage.
Le disciple aussitôt droit au coq s'en alla,
774 FABLES DE LA FONTAINE.

Jetant bas sa robe de classe,


Oubliant les brebis, les le
leçons, régent,
Et courant d'un
pas diligent.

Que sert-il se contrefasse ?


qu'on
Prétendre ainsi est une illusion :
changer
L'on reprend sa première trace

A la occasion.
première

De votre nul autre


esprit, que n'égale,

Prince, ma Muse tient tout entier ce projet :


Vous m'avez donné le
sujet,
Le dialogue, et la morale.
LIVRE DOUZIÈME• 775

FABLE X.

L'ÉCREVISSE ET SA FILLE.

Les Sages quelquefois, ainsi que l'Écrevisse,


Marchent à tournent le dos
reculons, au port.
C'est l'art des matelots : c'est aussi l'artifice

De ceux qui, pour couvrir quelque puissant effort,

Envisagent un point directement contraire,


Et font vers ce lieu-là courir leur adversaire.

Mon sujet est petit, cet accessoire est


grand :
776 FABLES DE LA FONTAINE.

Je pourrois à certain
l'appliquer conquérant

Qui tout seul déconcerte une à cent têtes.


ligue
Ce et ce
qu'il n'entreprend pas, qu'il entreprend,
N'est d'abord secret, devient des
qu'un puis conquêtes.
En vain l'on a les yeux sur ce veut cacher,
qu'il
Ce sont arrêts du Sort ne :
qu'on peut empêcher
Le torrent à la fin devient insurmontable.

Cent dieux sont contre un seul


impuissants Jupiter.
Louis et le Destin me semblent de concert

Entraîner l'Univers. Venons à notre fable.

Mère Écrevisse un jour à sa fille disoit :

cc Comme tu vas, bon dieu! ne marcher droit?


peux-tu
- Et comme vous allez vous-même ! dit la fille :

autrement marcher ne fait ma famille?


Puis-je que
Veut-on que j'aille droit quand on y va tortu?

Elle avoit raison : la vertu

De tout exemple domestique


Est universelle, et
s'applique
En bien, en mal , en tout; fait des des sots;
sages,

Beaucoup plus de ceux-ci. Quant à tourner le dos

A son but, reviens; la méthode en est bonne,


j'y
Surtout au métier de Bellone :

Mais il faut le faire à


propos.
LIVRE DOUZIEME. 777

FABLE XI.

L'AIGLE ET LA PIE.

L'aigle, reine des airs, avec Margot la pie,


Différentes d'humeur, de langage, et
d'esprit,
Et d'habit,
Traversoient un bout de prairie.
Le hasard les assemble en un coin détourné.

L'Agasse eut peur, mais l'Aigle, ayant fort bien dîné,


La et lui dit : « de
rassure, compagnie :
Allons
778 FABLES DE LA FONTAINE.

Si le maître des Dieux assez souvent s'ennuie,

Lui qui gouverne l'Univers,

J'en bien faire autant, sait le sers.


puis moi qu'on qui

Entretenez-moi donc, et sans cérémonie. »

alors de jaser au plus dru,


Caquet-bon-bec
Sur ceci, sur cela, sur tout. L'homme d'Horace,

Disant le bien, le mal, à travers champs, n'eût su

Ce fait de babil savoit notre Agasse.


qu'en y
Elle offre d'avertir de tout ce qui se passe,

allant de en
Sautant, place place,

Bon espion, Dieu sait. Son offre


ayant déplu

L'Aigle lui dit tout en colère :


« Ne votre
quittez point séjour,
ma mie : n'ai faire
Caquet-bon-bec, adieu ; je que
D'une babillarde à ma cour :

C'est un fort méchant caractère. »

ne demandoit pas mieux.


Margot

Ce n'est pas ce croit d'entrer chez les Dieux :


qu'on que
Cet honneur a souvent de mortelles angoisses.

Rediseurs, espions, à l'air gracieux,


gens
Au cœur tout différent, rendent odieux,
s'y

Quoiqu'ainsi la Pie il faille dans ces lieux


que
Porter habit de deux
paroisses.
L'AIGLEET LA PIE.
LIVRE DOUZIÈME. 781

FABLE XII.

LE MILAN, LE ROI ET LE CHASSEUR.

A SON ALTESSE SÉRÉNlSSIME MONSEIGNEUR LE PRINCE DE CONTI.

Comme les Dieux sont bons, il veulent les Rois


que
Le soient aussi : c'est l'indulgence

Qui fait le plus beau de leurs droits,


Non les douceurs de la
vengeance :
782 FABLES DE LA FONTAINE.

Prince, c'est votre avis. On sait le courroux


que
S'éteint en votre cœur sitôt voit naître.
qu'on l'y

Achille, du sien ne se rendre maître,


qui put
Fut là moins héros vous.
par que
Ce titre n'appartient qu'à ceux d'entre les hommes

Qui, comme en d'or, font cent biens ici-bas.


l'âge
Peu de grands sont nés tels en cet âge où nous sommes :

L'Univers leur sait gré du mal ne font pas.


qu'ils
Loin vous suiviez ces
que exemples,
Mille actes généreux vous promettent des temples.

citoyen de ces lieux,


Apollon, augustes
Prétend y célébrer votre nom sur sa lyre.
Je sais vous attend dans le palais des Dieux :
qu'on
Un siècle de séjour doit ici vous suffire.

veut séjourner tout un siècle chez vous.


Hymen
Puissent ses plaisirs les doux
plus
Vous com des destinées
poser
Par ce à bornées !
temps peine

Et la Princesse et vous n'en méritez moins.


pas
J'en prends ses charmes pour témoins;

Pour témoins j'en les merveilles


prends
Par qui le ciel, pour vous prodigue en ses présents,
De n'ont qu'en vous seul leurs
qualités qui pareilles
Voulut orner vos ans.
jeunes

Bourbon de son esprit ces grâces assaisonne :

Le ciel en sa
joignit personne
Ce sait se faire estimer
qui

A ce qui sait se faire aimer :


LIVRE DOUZIÈME. 783

Il ne d'étaler votre
m'appartient pas joie;
Je me tais donc, et vais rimer,

Ce que fit un oiseau de proie.

Un Milan, de son nid antique possesseur,


Étant pris vif par un Chasseur,
D'en faire au Prince un don cet homme se ose.
pro
La rareté du fait donnoit prix à la çhose.

L'oiseau, le Chasseur humblement


par présenté,
Si ce conte n'est apocryphe,
Va tout droit imprimer sa griffe
Sur le nez de Sa
Majesté.
- sur le nez du Roi? — Du Roi même en
Quoi! personne.
- Il n'avoit donc alors ni ni couronne?
sceptre
- il en auroit été tout un
Quand eu, ç'auroit :
Le nez royal fut pris comme un nez du commun.
Dire des courtisans les clameurs et la
peine
Seroit se consumer en efforts impuissants.
Le Roi n'éclata point : les cris sont indécents
A la souveraine.
Majesté
L'oiseau garda son poste : on ne put seulement

Hâter son départ d'un moment.

Son maître le et et se
rappelle, crie, tourmente,
Lui le leurre, et le mais en vain.
présente poing;
On crut que jusqu'au lendemain

Le maudit animal à la serre insolente

Nicheroit là malgré le bruit,


Et sur le nez sacré voudroit la nuit.
passer
784 FABLES DE LA FONTAINE.

Tâcher de l'en tirer irritoit son


caprice.
Il enfin le dit : » Laissez aller
quitte Roi, qui
Ce Milan, et celui m'a cru
qui régaler.
Ils se sont tous deux de leur office,
acquittés
L'un en milan, et l'autre en citoyen des bois :

Pour moi, sais comment doivent les Rois,


qui agir
Je les affranchis du »
supplice.

Et la cour d'admirer. Les courtisans ravis

Élèvent de tels faits, eux si mal suivis :


par
Bien même des Rois, un tel modèle;
peu, prendroient
Et le veneur belle,
l'échappa

seulement, tant lui l'animal,


Coupables que
le du maître.
D'ignorer danger d'approcher trop
Ils n'avoient à connoître
appris

Que les hôtes des bois : étoit-ce un si mal?


grand

Pilpay fait près du Gange arriver l'aventure.

Là, nulle humaine créature

Ne touche aux animaux pour leur sang épancher :


Le Roi même feroit toucher.
scrupule d'y
« si cet oiseau de
Savons-nous, disent-ils, proie
N'était point au siége de Troie?

Peut-être tint-il lieu d'un ou d'un héros


y prince
Des plus huppés et des plus hauts :

Ce fut autrefois il l'être encore.


qu'il pourra
Nous croyons, après Pythagore,

Qu'avec les animaux de forme nous


changeons :

Tantôt milans, tantôt pigeons,


LIVRE DOUZIÈME. 785

Tantôt humains, puis volatiles

dans les airs leurs familles. »


Ayant

Comme l'on conte en deux facons


L'accident du Chasseur, voici l'autre manière.

Un certain fauconnier, ayant ce


pris, dit-on,
A la chasse un Milan n'arrive
(ce qui guère),
En voulut au Roi faire un don,
Comme de chose
singulière :
Ce cas n'arrive pas en cent
quelquefois ans ;
C'est le non ultra de la fauconnerie.
plus
Ce Chasseur donc un de
perce gros courtisans,
Plein de zèle, échauffé, s'il le fut de sa vie.
1 Par ce
parangon des présents
Il croyoit sa fortune faite :

Quand l'animal porte-sonnette,

Sauvage encore et tout


grossier,
Avec ses ongles tout d'acier,
Prend le nez du Chasseur, le sire.
happe pauvre
Lui de crier; chacun de rire,
et courtisans. Qui n'eût ri? à
Monarque Quant moi,
Je n'en eusse quitté ma part pour un
empire.
Qu'un pape rie, en bonne foi

Je ne l'ose assurer; mais je tiendrois un roi

Bien malheureux, s'il n'osoit rire :

C'est le des Dieux. son


plaisir Malgré noir souci
et le immortel rit aussi.
Jupiter peuple

50
786 FABLES DE LA FONTAINE.

Il en fit des éclats, à ce dit l'histoire,


que

Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire.

Que le immortel se montrât ou non,


peuple sage,
J'ai mon sujet avec raison ;
changé juste

Car, puisqu'il s'agit de morale,

Que nous eût du Chasseur l'aventure fatale

de nouveau ? L'on a vu de tout temps


Enseigné
Plus de sots de rois indulgents.
fauconniers que
LIVRE DOUZIÈME. 787

FABLE XIII.

LE RENARD, LES MOUCHES ET LE HÉRISSON.

Aux traces de son sang un vieux hôte des bois,


Renard fin, subtil, et matois,

Blessé des chasseurs et tombé dans la


par fange,
Autrefois attira ce parasite ailé

Que nous avons mouche


appelé.
Il accusoit les Dieux, et trouvoit fort
étrange

Que le sort à tel point le voulût affliger,


788 FABLES DE LA FONTAINE.

Et le fît aux mouches


manger.
«
Quoi ! se jeter sur moi, sur moi le habile
plus
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets ?

Et que me sert ma est-ce un inutile ?


queue ? poids
le ciel te animal
Va, confonde, importun !

Que ne vis-tu sur le commun ? »

Un Hérisson du ?
voisinage, o
Dans mes vers nouveau
personnage,
Voulut le délivrer de
l'importunité
Du peuple plein d'avidité.
« Je les vais de mes dards enfiler par centaines,
Voisin Renard, dit-il, et terminer tes peines.
— Garde-t'en dit ne le fais
bien, l'autre, ami, pas :

Laisse-les, je te achever leur


prie, repas.
Ces animaux sont soûls ; une nouvelle
troupe
Viendroit fondre sur moi, et cruelle. »
plus âpre plus

Nous ne trouvons trop de ici-bas :


que mangeurs
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont
magistrats.
Aristote cette aux hommes,
appliquoit apologue
Les en sont communs,
exemples
Surtout au où nous sommes.
pays
Plus telles sont moins ils sont
gens pleins, importuns.
LIVRE DOUZIÈME. 789

FABLE XIV.

L'AMOUR ET LA FOLIE.

Tout est mystère dans l'Amour,


Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance :
Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour

Que d'épuiser cette science.

Je ne prétends donc point tout ici :


expliquer
Mon but est seulement de dire, à ma manière,
Comment l'aveugle que voici
790 FABLES DE LA FONTAINE.

un il la
(C'est dieu), comment, dis-je, perdit lumière;

Quelle suite eut ce mal, est un bien;


qui peut-être
J'en fais un amant, et ne décide rien.
juge

La Folie et l'Amour jouaient un jour ensemble :

Celui-ci n'étoit pas encor privé des yeux.

Une dispute vint : l'Amour veut assemble


qu'on
Là-dessus le conseil des Dieux ;

L'autre n'eut pas la patience ;


Elle lui donne un coup si furieux,

Qu'il en perd la clarté des cieux.

Vénus en demande
vengeance.
Femme et mère, il suffit de ses cris :
pour juger
Les Dieux en furent étourdis,

Et Jupiter, et Némésis,

Et les Juges d'Enfer; enfin toute la bande.

Elle du cas;
représenta l'énormité
Son fils, sans un bâton, ne faire un
pouvoit pas :
Nulle peine n'étoit pour ce crime assez grande :
Le de voit être aussi réparé.
dommage

Quand on eut bien considéré

L'intérêt du public, celui de la patrie,


Le résultat enfin de la suprême cour

Fut de condamner la Folie

A servir de à l'Amour.
guide
I/AHOCUET T.
A rOLII.
LIVRE DOUZIÈME. 793

FABLE XV.

LE CORBEAU, LA GAZELLE, LA TORTUE ET LE RAT.

A MADAME DE LA SABLIÈRE.

Je vous gardois un temple dans mes vers :

Il n'eût fini qu'avecque l'Univers.

Déjà ma main en fondoit la durée

Sur ce bel art qu'ont les Dieux inventé,


794 FABLES DE LA FONTAINE.

Et sur le nom de la Divinité

Que dans ce on auroit adorée.


temple
Sur le portail j'aurois ces mots écrits :

Palais sacré de la déesse Iris;


Non celle-là qu'a Junon à ses
gages ;
Car Junon même et le maître des Dieux

Serviroient l'autre, et seroient


glorieux
Du seul honneur de ses
porter messages.

L'apothéose à la voûte eût


paru;
Là,
'apothéo
tout
se à la
l'Olympe voûte
en eût
pompe parueût ; été vu

Placant Iris sous un dais de lumière.

Les murs auroient contenu


amplement
Toute sa vie; agréable matière,
Mais féconde en ces événements
peu

Qui des États font les renversements.

Au fond du eût été son


temple image;
Avec ses traits, son souris, ses appas,
Son art de plaire et de n'y penser pas,
Ses à tout rend
agréments qui hommage.
J'aurois fait voir à ses des mortels
pieds
Et des héros, des demi-dieux encore,
Même des dieux : ce le monde adore
que
Vient ses autels.
quelquefois parfumer
J'eusse en ses yeux fait briller de son âme

Tous les trésors, quoique imparfaitement :


Car ce cœur vif et tendre infiniment,
Pour ses amis, et non
point autrement ;
Car cet esprit, né du firmament,
qui,
LIVRE DOUZIÈME. 795

A beauté d'homme avec de


grâces femme,
Ne se comme on
peut pas, veut, exprimer.
0 vous, Iris, savez tout charmer,
qui
savez en un
Qui plaire degré suprême,
Vous aime à de soi-même
que l'on l'égal

(Ceci soit dit sans nul soupçon d'amour,


Car c'est un mot banni de votre cour,
• Laissons-le ma Muse
donc), agréez que
Achève un jour cette ébauche confuse.

J'en ai placé l'idée et le projet,


Pour plus de grâce, au devant d'un
sujet
Où l'amitié donne de telles
marques,
Et d'un tel prix, que leur récit
simple
Peut quelque temps amuser votre esprit.
Non se entre
que ceci passe monarques :
Ce chez vous nous
que voyons estimer
N'est pas un roi qui ne sait aimer :
point
C'est un mortel qui sait mettre sa vie

Pour son ami. J'en vois de si bons.


peu
vivants de
Quatre animaux, compagnie,
Vont aux humains en donner des leçons.
o

La le le la
Gazelle, Rat, Corbeau, Tortue,

Vivoient ensemble unis : douce société.

Le choix d'une demeure aux humains inconnue

Assuroit leur félicité.

Mais l'homme découvre enfin toutes retraites.


quoi !

Soyez au milieu des déserts,


796 FABLES DE LA FONTAINE.

Au fond des eaux, au haut des airs,


Vous n'éviterez point ses embûches secrètes.

La Gazelle s'alloit ébattre innocemment,

Quand un chien, maudit instrument

Du plaisir barbare des hommes,


Vint sur l'herbe éventer la trace de ses pas.
Elle fuit. Et le Rat, à l'heure du
repas,
Dit aux amis restants : « D'où vient nous ne sommes
que

Aujourd'hui trois conviés?


que
La Gazelle déjà nous a-t-elle oubliés ?

A ces paroles, la Tortue

et dit : « Ah! si
S'écrie, j'étois
Comme un corbeau d'ailes pourvue,
Tout de ce m'en irois
pas je

Apprendre au moins
quelle contrée,

Quel accident tient arrêtée

Notre compagne au
pied léger;

Car, à du cœur, il en faut mieux »


l'égard juger.
Le Corbeau à tire-d'aile :
part
Il de loin Gazelle
aperçoit l'imprudente
Prise au et se tourmentant.
piège,
Il retourne avertir les autres à l'instant ;

Car, de lui demander ni comment


quand, pourquoi,
Ce malheur est tombé sur elle,
Et en vains discours cet utile
perdre moment,
Comme eût
fait un maître d'école,
Il avoit de
trop jugement.
Le Corbeau donc vole et revole.
LIVRE DOUZIÈME. 797

Sur son rapport les trois amis

Tiennent conseil. Deux sont d'avis

De se sans remise
transporter
Aux lieux où la Gazelle est prise.
« dit le
L'autre, Corbeau, gardera le logis :
Avec son marcher lent, arriveroit-elle ?
quand

Après la mort de la Gazelle. »

Ces mots à ils s'en vont


peine dits, secourir
Leur chère et fidèle
compagne,
Pauvre chevrette de
montagne.
La Tortue voulut courir :
y
La voilà comme eux en
campagne,
Maudissant ses pieds courts avec juste raison,
Et la nécessité de porter sa maison.

(le Rat eut à bon droit ce


Rongemaille nom)
les nœuds du lacs : on la
Coupe peut penser joie.
Le chasseur et dit : a m'a
vient, Qui ravi ma »
proie ?
à ces mots, se retire en un
Rongemaille, trou,
Le Corbeau sur un arbre, en un bois la Gazelle :
Et le chasseur à demi fou

De n'en avoir nulle nouvelle,

Aperçoit la Tortue, et retient son courroux.


« D'où vient, dit-il, que je m'effraie ?
Je veux qu'à mon souper celle-ci me défraie. »

Il la mit dans son sac. Elle eût payé pour tous,


Si le Corbeau n'en eût averti la Chevrette.

Celle-ci, quittant sa retraite,


Contrefait la boiteuse, et vient se
présenter.
798 FABLES DE LA FONTAINE.

L'homme de suivre, et de jeter


Tout ce lui pesoit : si bien Rongemaille
qui que
Autour des nœuds du sac tant et travaille,
opère

Qu'il délivre encor l'autre sœur,


Sur s'étoit fondé le du chasseur.
qui souper

Pilpay conte qu'ainsi la chose s'est passée.


Pour voulusse Apollon,
peu que je invoquer
J'en ferois, pour vous plaire, un ouvrage aussi long

Que l'Iliade ou l'Odyssée.

feroit le principal héros,


Rongemaille
à vrai dire ici chacun soit nécessaire.
Quoique

Porte-maison l'Infante y tient de tels propos,

Que monsieur du Corbeau va faire

Office d'espion, et puis de messager,


La Gazelle a d'ailleurs l'adresse d'engager
Le chasseur à donner du à
temps Rongemaille.

Ainsi chacun en son endroit

S'entremet, agite, et travaille.

A donner le Au cœur, si l'on m'en croit.


qui prix ?

Que n'ose et ne peut l'amitié violente !


que
Cet autre sentiment l'on amour
que appelle
Mérite moins d'honneurs; cependant chaclue jour
Je le célèbre et je le chante.

Hélas ! il n'en rend mon âme contente.


pas plus

Vous sa sœur, il suffit; et mes vers


protégez
Vont s'engager pour elle à des tons tout divers.

Mon maître étoit l'Amour : vais servir un autre,


j'en
LIVRE DOUZIÈME. 799

Et porter par tout l'Univers

Sa gloire aussi
bien que la vôtre.
800 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVI.

LA FORÊT ET LE BUCHERON.

Un Bûcheron venoit de ou
rompre d'égarer
Le bois dont il avoit emmanché sa
cognée.
Cette perte ne pût sitôt se réparer

Que la forêt n'en fût


quelque temps épargnée.
L'homme enfin la humblement
prie
De lui laisser tout doucement

Emporter une branche,


unique
J.A FOR
ÈT ET 1.E BUCHEROS.
51
LIVRE DOUZIÈME. 803

Afin de faire un autre manche :

11 iroit employer ailleurs son gagne-pain;


Il laisseroit debout maint chêne et maint sapin
Dont chacun respectoit la vieillesse et les charmes.

L'innocente forêt lui fournit d'autres armes.

Elle en eut du Il emmanche son fer :


regret.
Le misérable ne s'en sert

Qu'à sa bienfaitrice
dépouiller
De ses ornements.
principaux
Elle gémit à tous moments :

Son don fait son


propre supplice.

Voilà le train du monde et de ses sectateurs :

On sert du bienfait contre les bienfaiteurs.


s'y
Je suis las d'en parler. Mais que de doux
ombrages
Soient exposés à ces
outrages,
ne se là-dessus?
Qui plaindroit
Hélas! beau crier et me rendre
j'ai incommode,

L'ingratitude et les abus

N'en seront pas moins à la mode.


804 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XVII.

LE LE LOUP ET LE CHEVAL.
RENARD,

Un Renard, jeune encor, des plus madrés,


quoique
Vit le cheval eût vu de sa vie.
premier qu'il
Il dit à certain franc novice : «
Loup, Accourez,

Un animal dans nos


paît prés,

Beau, grand; j'en ai la vue encor toute ravie.

- Est-il fort nous? dit le en riant :


plus que Loup
Fais-moi son te
portrait, je prie.
LIVRE DOUZIÈME. *05

- -- Si
j'étois quelque peintre ou quelque étudiant,
le Renard, j'avancerois la
Repartit joie
vous aurez en le
Que voyant.
Mais venez, que sait-on? peut-être est-ce une proie
Que la Fortune nous envoie. »

Ils vont; et le Cheval, l'herbe on avoit


qu'à mis,
Assez peu curieux de semblables amis,
Fut sur le d'enfiler la venelle.
presque point
« dit le vos humbles
Seigneur, Renard, serviteurs
volontiers comment on vous »
Apprendroient appelle.
Le Cheval, qui n'étoit dépourvu de cervelle,
Leur dit : «• Lisez mon nom, vous le
pouvez, messieurs :

Mon cordonnier l'a mis autour de ma semelle. »

Le Renard s'excusa sur son de savoir.


peu
« Mes ne m'ont fait
parents, reprit-il, point instruire;
Ils sont et n'ont qu'un trou tout
pauvres; pour avoir;
Ceux du Loup, gros messieurs, l'ont fait à lire. »
apprendre
Le Loup, par ce discours flatté,

S'approcha. Mais sa vanité

Lui coûta dents : le Cheval lui desserre


quatre
Un et haut le Voilà mon
coup; pied. Loup par terre,
Mal en point, sanglant, et gâté.
« dit le ceci nous
Frère, Renard, justifie
Ce que m'ont dit des gens d'esprit :
Cet animal vous a sur la mâchoire écrit

de tout inconnu le se méfie. »


Que Sage
806 FABLES DE LA FONTAINE

FABLE XVIII.

LE RENARD ET LES POULETS D'INDE.

Contre les assauts d'un Renard

Un arbre à des Dindons servoit de citadelle.


Le perfide fait tout le tour du
ayant rempart,
Et vu chacun en sentinelle,
S'écria : Quoi! ces se de moi!
gens moqueront
Eux seuls seront de la commune loi!
exempts

Non, tous les Dieux! non. » Il son dire.


par accomplit
LE RENARDET LES POULETSD'INDE,
LIVRE DOUZIÈME. soi)

La lune, alors luisant, sembloit contre le Sire

Vouloir favoriser la dindonnière gent.

Lui, n'étoit novice au


qui métier d'assiégeant,
Eut recours à son sac de ruses scélérates,
vouloir se sur ses
Feignit gravir, guinda pattes,
Puis contrefit le mort, puis le ressuscité.

Arlequin n'eût exécuté

Tant de différents
personnages.
Il élevoit sa queue, il la faisoit briller,
Et cent mille autres
badinages,o
Pendant quoi nul dindon n'eût osé sommeiller.

L'ennemi les lassoit en leur tenant la vue

Sur même objet toujours tendue.

Les gens étant à la


pauvres longue éblouis,

Toujours il en tomboit quelqu'un : autant de pris,


Autant de : de moitié succombe.
mis à part près
Le les en son
compagnon porte garde-manger.

Le d'attention a le
trop qu'on pour danger
Fait le souvent tombe.
plus qu'on y
810 FABLES DE LA
FONTAINE.

FABLE XIX.

LE SINGE.

Il est un dans Paris


Singe
A l'on avoit
qui donné femme :

en effet d'aucuns maris ,


Singe
Il la battoit. La dame
pauvre
En a tant soupiré, elle n'est
qu'enfin plus.
Leur fils se plaint d'étrange sorte,
Il éclate en cris
superflus :
LIVRE DOUZIÈME. 811

Le en rit, sa femme est morte;


père
Il a d'autres amours,
déjà
Que l'on croit qu'il battra toujours;
Il hante la taverne, et souvent il s'enivre.

N'attendez rien de bon du peuple imitateur,

Qu'il soit singe ou qu'il fasse un livre :

La pire espèce, c'est l'auteur.


812 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XX.

LE PHILOSOPHE SCYTHE.

Un austère, et né dans la
Philosophe Scythie,
Se proposant de suivre une douce vie,
plus
chez les Grecs, et vit en certains lieux
Voyagea
Un assez semblable au vieillard de
Sage Virgile,
Homme égalant les Rois, homme des Dieux,
approchant

Et, comme ces derniers, satisfait et


tranquille.
Son bonheur consistoit aux beautés d'un jardin.
LIVRE DOUZIÈME. 813

Le l'y trouva qui, la serpe à la main,


Scythe
De ses arbres à fruit retranchoit l'inutile,

Ébranchoit, émondoit, ôtoit ceci, cela,


la Nature,
Corrigeant partout
Excessive à ses soins avec usure.
payer
Le alors lui demanda
Scythe

Pourquoi cette ruine : étoit-il d'homme


sage
De mutiler ainsi ces habitants?
pauvres
« votre instrument de
Quittez-moi serpe, dommage;
Laissez agir la faux du Temps :
Ils iront assez tôt border le noir rivage.
- J'ôte le dit et
superflu, l'autre; l'abattant,
Le reste en profite d'autant. «

Le retourné dans sa triste


Scythe, demeure,
Prend la serpe à son tour, coupe et taille à toute heure;
Conseille à ses voisins, prescrit à ses amis

Un universel abatis

Il ôte de chez lui les branches les


plus belles,
Il son toute
tronque verger contre raison,
Sans observer temps ni saison,
Lunes ni vieilles ni nouvelles.

Tout languit et tout meurt.

Ce bien
Scythe exprime
Un indiscret stoïcien :

Celui-ci retranche de l'âme

Désirs et le bon et le mauvais,


passions,

Jusqu'aux plus innocents souhaits.


814 FABLES DE LA FONTAINE.

Contre de telles à réclame.


gens, quant moi, je
Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort;
Ils font cesser de vivre avant l'on soit mort.
que
LIVRE DOUZIÈME. 815

FABLE XXI.

L'ÉLÉPHANT ET LE SINGE DE JUPITER.

Autrefois et le
l'Éléphant Rhinocéros,
En dispute du pas et des droits de l'Empire,
Voulurent terminer la querelle en clos.
champ
Le jour en étoit vint leur dire
pris, quand quelqu'un
Que le de
Singe Jupiter,
Portant un caducée, avoit dans l'air.
paru
Ce Singe avoit nom Gille, à ce dit l'histoire.
que
816 FABLES DE LA FONTAINE.

Aussitôt de croire
l'Éléphant

Qu'en qualité d'ambassadeur

Il venoit trouver Sa Grandeur.

Tout fier de ce sujet de gloire,


Il attend maître Gille, et le trouve un lent
peu
A lui sa créance.
présenter
Maître Gille enfin, en passant,

Va saluer Son Excellence.

L'autre étoit sur la


préparé légation :
Mais pas un mot. L'attention

Qu'il croyoit que les Dieux eussent à sa querelle

N'agitoit pas encor chez eux cette nouvelle.

à ceux du firmament
Qu'importe

Qu'on soit mouche ou bien


éléphant?
Il se vit donc réduit à commencer lui-même.

« Mon cousin verra dans


Jupiter, dit-il, peu
Un assez beau combat, de son trône
suprême;
Toute sa cour verra beau jeu.
- combat ? t) dit le avec un front sévère.
Quel Singe
« vous ne savez
L'Éléphant repartit : Quoi! pas

Que le Rhinocéros me le
dispute pas;
a Rhinocère?
Qu'Eléphantide guerre avecque
Vous connoissez ces lieux, ils ont quelque renom.
— Vraiment suis ravi d'en le
je apprendre nom,

maître Gille : on ne s'entretient


Repartit guère
De semblables dans nos vastes lambris. »
sujets

L'Eléphant., honteux et surpris,


Lui dit : « Et nous venez-vous donc faire?
parmi que
LIVRE DOUZIÈME. 817


un brin d'herbe entre fourmis :
Partager quelques
Nous avons soin de tout. Et à votre
quant affaire,

On n'en dit rien encor dans le conseil des Dieux :

Les et les grands sont à leurs »


petits égaux yeux.

52
818 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XXII.

UN FOU ET UN SAGE.

Certain Fou à de un
poursuivoit coups pierres Sage.
Le se et lui dit : «
Sage retourne, Mon ami,
C'est fort bien fait à cet écu-ci.
toi, reçois
Tu fatigues assez pour gagner davantage ;
Toute peine, dit-on, est digne de loyer :
Vois cet homme qui passe, il a de quoi payer ;
Adresse-lui tes dons, ils auront leur salaire. »
LIVRE DOUZIÈME. 819

Amorcé le gain, notre Fou s'en va faire


par
Même insulte à l'autre
bourgeois.
On ne le paya pas en cette fois.
argent
Maint estafier accourt : on vous notre
happe homme,
On vous l'échine, on vous l'assomme.

Auprès des Rois il est de fous :


pareils
A vos dépens ils font rire le maître.

Pour réprimer leur babil, irez-vous

Les maltraiter ? Vous n'êtes pas peut-être


Assez puissant. Il faut les
engager
A s'a d resser à se
qui peut venger.
820 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XXIII.

LE RENARD ANGLOIS.

A MADAME HARVEY.

Le bon cœur est chez vous du bon sens,


compagnon
Avec cent à
qualités trop longues déduire,
Une noblesse d'âme, un talent conduire
pour
Et les affaires et les gens,
LIVRE DOUZIÈME. 821

Une humeur franche et libre, et le don d'être amie

Malgré Jupiter même et les temps orageux.


Tout cela méritoit un éloge pompeux :
Il en eût été moins selon votre génie;
o
La vous vous ennuie.
pompe déplaît, l'éloge
J'ai donc fait celui-ci court et Je veux
simple.
Y coudre encore un mot ou deux

En faveur de votre patrie :


Vous l'aimez. Les
Anglois pensent profondément ;
Leur en cela, suit leur
esprit, tempérament :
Creusant dans les sujets, et forts
d'expériences,
Ils étendent partout l'empire des sciences.

Je ne dis point ceci pour vous faire ma cour :

Vos à sur les


gens pénétrer l'emportent autres;
Même les chiens de leur
séjour
Ont meilleur nez que n'ont les nôtres.

Vos renards sont plus fins; je m'en vais le prouver


Par un d'eux, qui, pour se sauver.
Mit en usage un
stratagème
Non encor pratiqué, des mieux
imaginés.

Le scélérat, réduit en un péril extrême,

Et mis à bout par ces chiens au bon


presque nez,
Passa d'un
près patibulaire :

Là, des animaux ravissants,

Blaireaux, renards, hiboux, race encline à mal faire.


Pour instruisoient les
l'exemple pendus, passants.
Leur confrère, aux abois, entre ces morts
s'arrange.
822 FABLES DE LA
FONTAINE.

Je crois voir Annibal, des Romains,


qui, pressé
Met leurs chefs en défaut, ou leur donne le change,
Et sait, en vieux renard, s'échapper de leurs mains.

Les clefs de meute, parvenues


A l'endroit où pour mort le traître se pendit,

Remplirent l'air de cris : leur maître les rompit,


Bien de leurs abois ils perçassent les nues.
que
Il ne put soupçonner ce tour assez plaisant.
« a sauvé mon
Quelque terrier, dit-il, galant;
Mes chiens n'appellent point au delà des polonnes
Où sont tant d'honnêtes personnes.
Il viendra, le drôle! » Il vint, à son dam.
y y
Voilà maint basset clabaudant;
Voilà notre Renard au charnier se guindant.
Maître en iroit de même
pendu croyoit qu'il
le tendit de semblables
Que jour qu'il panneaux;
Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux :

Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème !


Le chasseur, trouver sa
pour propre sûreté,
N'auroit un tel tour inventé,
pas cependant
Non point par peu d'esprit : est-il qui nie
quelqu'un

Que tout n'en ait bonne provision ?


Anglois
Mais le peu d'amour pour la vie

Leur nuit en mainte occasion.

Je reviens à non dire


vous, pour
D'autres traits sur votre sujet ;
Tout long éloge est un projet
LE
S - -Il ""tOND1
RI MI <1 IT R f np
LIVRE DOUZIÈME. 825

Peu favorable ma lyre.


pour
Peu de nos chants, peu de nos vers,

Par un encens flatteur amusent l'U


nivers,

Et se font écouter des nations étranges.


Votre Prince vous dit un
jour

Qu'il aimoit mieux un trait d'amour

Que quatre pages de louanges.


seulement le don je vous fais
Agréez que
Des derniers efforts de ma Muse.

C'est de chose ; elle est confuse


peu
De ces ouvrages imparfaits.
ne faire
Cependant pourriez-vous

Que le même hommage pût plaire

A celle remplit vos climats d'habitants


qui
Tirés de l'île de Cythère?

Vous par là j'entends


voyez que
des Amours Déesse tutélaire.
Mazarin,
826 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XXIV.

LE SOLEIL ET LES GRENOUILLES.

Les filles du limon tiroient du Roi des astres

Assistance et protection :
Guerre semblables désastres
ni pauvreté, ni
Ne pou voient approcher de cette nation ;
Elle faisoit valoir en cent lieux son empire.
Les reines des e
étangs, grenouilles, veux-j dire,

(Car que coûte-t-il d'appeler


LIVRE DOUZIÈME. 827

Les choses par noms


honorables ?)
Contre leur bienfaiteur osèrent cabaler,
Et devinrent insupportables.

l'orgueil, et l'oubli des


L'imprudence, bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,

Firent bientôt crier cette troupe importune :


On ne pouvoit dormir en paix.
Si l'on eût cru leur
murmure,
Elles auroient, par leurs cris,
Soulevé grands et
petits
Contre l'œil de la nature.

Le à leur dire, alloit tout consumer :


Soleil,

Il falloit promptement s'armer,


Et lever des troupes puissantes.
Aussitôt faisoit un
qu'il pas,
Ambassades coassantes

Alloient dans tous les États :

A les tout le
ouïr, Monde,
Toute la machine ronde

Rouloit sur les intérêts

De méchants marets.
quatre

Cette plainte téméraire

Dure toujours; et pourtant


Grenouilles doivent se taire,
Et ne murmurer pas tant :

Car si le Soleil se
pique,
Il le leur fera
sentir;
828 FABLES DE LA FONTAINE.

La
République aquatique
Pourroit bien s'en repentir.
LIVRE DOUZIÈME. - 829

FABLE XXV.

LA LIGUE DES RATS.

Une Souris un Chat


craignoit

Qui dès longtemps la au


guettoit passage.
Que faire en cet état? et
Elle, prudente sage,
Consulte son voisin : c'étoit un maître Rat,
Dont la rateuse seigneurie
S'étoit logée en bonne
hôtellerie,
Et qui cent fois s'étoit vanté, dit-on,
830 FABLES DE LA FONTAINE.

De ne craindre ni chat, ni chatte,

Ni coup de dent, ni coup de patte.


« Dame lui dit ce
Souris, fanfaron,

Ma foi! quoi que je fasse,

Seul, je ne chasser le Chat qui vous menace :


puis
Mais assemblons tous les Rats d'alentour,

Je lui d'un mauvais tour. »


pourrai jouer
La Souris fait une humble révérence ;

Et le Rat court en diligence


A nomme autrement la
l'office, qu'on dépense,
Où maints rats assemblés

Faisoient, aux frais de l'hôte, une entière bombance.

Il arrive, les sens troublés,

Et tous les essoufflés.


poumons
« donc ? lui dit un de ces
Qu'avez-vous rats ; parlez.
— ce fait mon
En deux mots, répondit-il, qui voyage

C'est faut secourir la Souris ;


qu'il promptement
Car Raminagrobis
Fait en tous lieux un étrange carnage.

Ce chat, le diable des chats,


plus
S'il de voudra des rats. »
manque souris, manger
Chacun dit : « Il est vrai. Sus ! sus! courons aux armes! »

rates, dit-on, des larmes.


Quelques répandirent

N'importe, rien n'arrête un si noble projet :


Chacun se met en
équipage;
Chacun met dans son sac un morceau de fromage;
Chacun promet enfin de risquer le paquet,
Ils alloient tous comme à la fête,
LA LIGUE DES RATS.
LIVRE DOUZIÈME. 833

content, le cœur joyeux.


L'esprit
le Chat, plus fin qu'eux,
Cependant

Tenoit déjà la Souris par la tête.

Ils s'avancèrent à
grands pas

Pour secourir leur bonne amie :

Mais le Chat, qui n'en démord pas,

et marche au-devant de la ennemie.


Gronde, troupe

A ce nos très-
bruit, prudents Rats,

mauvaise destinée,
Craignant

Font, sans plus loin leur prétendu fracas,


pousser
Une retraite fortunée.

Chaque Rat rentre dans son trou;

Et si quelqu'un en sort ? gare encor le matou!

53
834 FABLES DE LA FONTAINE

FABLE XXVI.

DAPHNIS ET ALCIMADURE.

IMITATION DE T Htoc R] TE.

A MADAME DE LA MÉSANGÈRE

Aimable fille d'une mère

A seule mille cœurs font la


qui aujourd'hui cour,
Sans ceux que l'amitié rend soigneux de vous plaire,
Et encor que vous garde l'amour;
quelques-uns
LIVRE DOUZIÈME. 835

Je ne cette
puis qu'en préface
Je ne partage entre elle et vous

Un peu de cet encens qu'on recueille au Parnasse,

Et j'ai le secret de rendre et doux.


que exquis
Je vous dirai donc. Mais tout dire,

Ce seroit il faut choisir,


trop;
ma voix et ma
Ménageant lyre,

Qui bientôt vont de force et de loisir.


manquer
Je louerai seulement un cœur de
plein tendresse,

Ces nobles sentiments, ces cet esprit ;


grâces,
Vous n'auriez en cela ni maître ni maîtresse,

Sans celle dont sur vous l'éloge rejaillit.

Gardez d'environner ces roses

De si
trop d'épines, jamais,

L'Amour vous dit les mêmes choses :

Il les dit mieux que je ne fais;

Aussi sait-il ceux ferment l'oreille


punir qui

A ses conseils. Vous l'allez voir.

Jadis une jeune merveille

de ce dieu le souverain pouvoir :


Méprisoit
On Alcimadure :
l'appeloit
Fier et farouche objet, toujours courant aux bois,

sautant aux dansant sur la


Toujours prés, verdure,

Et ne connoissant autres lois

Que son les belles,


caprice ; au reste, égalant plus
Et surpassant les plus cruelles ;

trait ne même en ses


N'ayant qui plût, pas rigueurs :
836 FABLES DE LA FONTAINE.

Quelle l'eût-on trouvée au fort de ses faveurs !

Le et beau de noble race,


jeune Daphnis, berger

L'aima son malheur : la moindre


pour jamais grâce

Ni le moindre le moindre mot enfin,


regard,
Ne lui fut accordé par ce cœur inhumain.

Las de continuer une poursuite vaine,

Il ne plus qu'à mourir.


songea
Le désespoir le fit courir

A la porte de l'inhumaine.

Hélas! ce fut aux vents raconta sa peine;


qu'il
On ne daigna lui faire ouvrir

Cette maison ses


fatale, où, parmi compagnes,

L'ingrate, pour le jour de sa nativité,

aux fleurs de sa beauté


Joignoit
Les trésors des jardins et des vertes campagnes.
« à vos
J'espérois, cria-t-il, expirer yeux;
Mais je vous suis trop odieux,

Et ne m'étonne pas qu'ainsi que tout le reste

Vous me refusiez même un plaisir si funeste.

Mon après ma mort (et je l'en ai chargé),


père,
Doit mettre à vos pieds l'héritage
votre cœur a
Que négligé.
Je veux que l'on y joigne aussi le pâturage ,
Tous mes troupeaux, avec mon chien ;
Et du reste de mon bien
que
Mes fondent un
compagnons temple
Où votre se
image contemple,
Renouvelant de fleurs l'autel à tout moment.
I UU 1
PAPHNIS ET ALCIM
AUTTBTT*"
LIVRE DOUZIÈME. 839

J'aurai près de ce temple un simple monument :

On sur la bordure :
gravera
«
mourut d'amour. Passant, arrête-toi,
Daphnis
« et dis : Celui-ci succomba sous la loi
Pleure,
« De la cruelle Alcimadure. »

A ces mots, la il se sentit atteint :


par Parque
Il auroit la douleur le
poursuivi ; prévint.
Son sortit et
ingrate triomphante parée.
On voulut, mais en vain, l'arrêter un moment

Pour donner au sort de son amant :


quelques pleurs
Elle insulta toujours au fils de Cythérée,

Menant dès ce soir même, au mépris de ses lois,


Ses danser autour de sa statue.
compagnes
Le Dieu tomba sur elle, et l'accabla du
poids :
Une voix sortit de la nue,

Écho redis ces mots dans les airs épandus :


«
Que tout aime à l'insensible n'est
présent : plus. »

Cependant dè Daphnis l'ombre au descendue


Styx
Frémit et s'étonna la voyant accourir.

Tout l'Érèbe entendit cette belle homicide

S'excuser au qui ne
berger, daigna l'ouïr,
Non et Didon son
plus qu'Ajax -Ulysse, perfide.
840 FABLES DE LA FONTAINE.

FABLE XX VI].

LE JUGE ARBITRE, L'HOSPITALIER ET SOLITAIRE.


LE

Trois Saints, jaloux de leur salut,


également
Portés d'un même esprit, tendoient à même but.

Ils s' tous trois des routes di verses :


y prirent par
Tous chemins vont à Rome; ainsi nos concurrents

Crurent pouvoir choisir des sentiers différents.

L'un, touché des soucis, des des traverses


longueurs,
,
Qu'en apanage on voit aux procès attachés,
ET LE SOLJT^IEE.
LE JUGE ARBITRE, I.' 1»OLXli R
LIVRE DOUZIÈME. 843

S'offrit de les sans aucune,


juger récompense

Peu d'établir ici-bas sa fortune.


soigneux
est des lois, l'homme, pour ses
Depuis qu'il péchés,

Se condamne à la moitié de sa vie :


plaider
La moitié? les trois et bien souvent le tout.
quarts,
Le conciliateur crut qu'il viendroit à bout

De cette folle et détestable envie.


guérir
Le second de nos Saints choisit les
hôpitaux.
Je le loue ; et le soin de soulager ces maux

Est une charité je préfère aux autres.


que
Les malades d'alors, étant tels les
que nôtres,

Donnoient de l'exercice au pauvre hospitalier;


et se sans cesse :
Chagrins, impatients, plaignant
te Il a tels et tels un soin
pour particulier;
Ce sont ses amis; il nous laisse. »

Ces plaintes n'étoient rien au prix de l'embarras

Où se trouva réduit l'appointeur de débats :

Aucun n'étoit content; la sentence arbitrale

A nul des deux ne convenoit :

Jamais le juge ne tenoit

A leur gré la balance


égale.
De semblables discours rebutoient :
l'appointeur
Il court aux hôpitaux, va voir leur directeur.

Tous deux ne recueillant et


que plainte que murmure,
et contraints de ces
Affligés quitter emplois,
Vont confier leur peine au silence des bois.

Là, sous d'âpres rochers, près d'une source


pure,
Lieu des vents, du
respecté ignoré soleil,
844 FABLES DE LA FONTAINE.

Ils trouvent l'autre Saint, lui demandent conseil.

« Il dit leur le de soi-même.


faut, ami, prendre

Qui, mieux vous, sait vos besoins?


que
à se connoître est le des soins
Apprendre premier
à tout mortel la
Qu'impose Majesté suprême.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité?

L'on ne le lieux de
peut qu'aux pleins tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrême.

Troublez l'eau : vous voyez-vous?


y
— nous verrions-nous?
Agitez celle-ci. Comment

La vase est un épais nuage

Qu'aux effets du cristal nous venons d'opposer.


- Mes dit le laissez-la
frères, Saint, reposer,
Vous verrez alors votre image.
Pour vous mieux demeurez au désert. »
contempler
Ainsi le Solitaire.
parla
Il fut cru; l'on suivit ce conseil salutaire.

Ce n'est emploi ne doive être souffert.


pas qu'un

Puisqu'on plaide et meurt, et malade,


qu'on qu'on devient
Il faut des médecins, il faut des avocats;
Ces à ne nous
secours, gràce Dieu, manqueront pas :
Les honneurs et le gain , tout me persuade.

Cependant on s'oublie en ces communs besoins.

0 vous, dont le tous les


public emporte soins,

Magistrats, princes et ministres,


Vous doivent troubler mille accidents
que sinistres,

Que le malheur abat, le bonheur


que corrompt,
LIVRE DOUZIÈME. 845

Vous ne vous vous ne


voyez point, voyez personne.
Si bon moment à ces pensers vous donne,
quelque
flatteur vous interrompt.
Quelque

Cette sera la fin de ces


leçon ouvrages :

Puisse-t-elle être utile aux siècles à venir !

Je la aux Rois, je la aux :


présente propose Sages

Par où saurois-je mieux finir?


1
TABLES
TABLE
ALPHABÉTIQUE

DES

GRANDES
GRAVURES

et le PiG£,
Aigle (P) ilibou. •
-- 317
Aigle
° (1') et la Pie
et ses Petits avec le Maître T7V
Alouette (1') d'un
Amour (1') et la champ
Folie 791
Animal (un) dans la
Animaux Lutie
(les) malades de la peste K K
Avare a son If 55
(1') qui perdu trésor
395
Aventuriers (les deux) et Je Talisman.
Bassa 679
Bassa (te) et (les deux)
(le) et le et leMarchand.
Talisman..
Berger (le) et la Mer
525
Berger (le) et le
Bûcheron Roi
et Mercure 195
(le)
Cerf 661
(le) malade
Cerf se 265
(le) voyant dans
l'eati 763
Cerf (le) et la
Vigne
Chartier (le) embourbé.
309
Chat (le) et le
vieux Rat.
Chat
Chat (le) et Je R (lee)nard et le Renard ., 183
609
Chêne et le Roseau
(le) 65
Cheval (le) et le
Loup 287
Chèvres (les
deux). ,
Chien (le) qui porte à son cou le dîné de son
maître. 485

54
850 TABLE

PAGES
549
Chiens (les deux) et l'Ane mort.

Cigale (la) et la Fourmi 7

Compagnons (les) d'Ulysse. 7ft. 1


Conseil tenu les Rats. ,. 75
par
4-39
Coqs (les deux)
837
Daplinis et Alcimadure
Fille 409
(la)
Forêt et le Bûcheron * 801
(la)
295
Fortune (la) et le jeune Enfant.
Fou vend la 589
(le) qui Sagesse.
Grenouilles demandent un Roi 1 A-5
(les) qui
Hirondelle et les Oiseaux. ,. 27
(1') petits
Huître et les Plaideurs • 593
(l)
et le Solitaire 841
Juge (le) arbitre, l'Hospitalier
et le 603
Jupiter Passager
Laitière et le Pot au lait. 427
(la)
685
Lapins (les)
Lièvre et les Grenouilles. 109
(le)
des Rats 831
Ligue (la)
Lion 697
(le)
Lion amoureux 191
(le)
Lion et le Renard - - - 365
(le) malade
Lion (le), le Loup et le Renard 471
Lion et le Moucheron 93
(le)
Lion (le) et le Rat 99
35
Loup (le) et l'Agneau
devenu
Loup (le) Berger 14-1
Loup et le Chasseur 557
(le) *
235
Loup (le), la Mère et l'Enfant
169
Loups (les) et les Brebis
Médecins 299
(les)
133
Meunier (le), son Fils et l'Ane.
Mort et le Bûcheron 51
(la)
Mulets (les deux) 15
du Maître 251
OEil (1')
Ours et l'Amateur des 495
(1') jardins
Ours et les deux 323
(F) Compagnons
Paon se 117
(le) plaignant à Junon.
Paysan du Danube. ~9
(le)
DES GRANDES GRAVURES.
851

PAGES
Philomele
- et Progrné. *
„ .1 75
Pigeons (lesle
et deux~ ).**' 571
Poisson (le petit) Pêcheur. 2-13
73
°
Poissons et le
(les) 0, ,
Berger qui joue de la flûte 0 6(L 647
Poissons
Poule (les) (la) et le Cormoran.
atix oeufs d'or. 303
Rat (le) et l'Éléphant
Rat '0 '0 ., 0 ., 5'13
Rats (le) de ville et le Rat des champ
(les deux), le Renard et
i'OEuf. 1
f. 63o
Renard d (le) et les anglois • >
Renard et les Poulets d'Inde * 823
(le) Raisins.
Savetier et le 807
(le) Financier
164
Singe (le) et le Chat ,
465
Singe (le) et le
Souris et le Dauphin °
(les) Chat-huant
Tircis et - 2 H
Amarante. -131
Torrent (le) et la
Vautours Rivière.
et les 503
(les) Pigeons °. ° //<n
Veuve (la 543
Vieillard jeune) 419
(le) les trois jeunes Hommes
et 385
Vieille et(la)le et les deux Servantes • - ~81
llageois(la) (le)
Vieille et les deux pent x - 1
Serpeiit • 361 361

FIN DE LA TABLE DES


GRANDES GRAVURES.
TABLE
ALPHABÉTIQUE

DES FABLES

PAGES
NOTICE SUR JEAN DE LA FONTAINE..,
1
A MONSEIGNEURLE DAupriiN
- - XXIII

PRÉFACE • • • • XXIX
LA VIE D'ÉSOPE LE PHRYGIEN
XLI
xu
A MONSEIGNEURLE DAUPHIN.
1
Abdéritains et livre VIII, fable xxvi
(les) Démocrite,
et le 552
Agneau (F) Loup, 1, x
et l'Escarbot, 33
Aigle (1') II, vin
et le Hibou, V, -33
Aigle (1')
xviii. 88 315
Aigle (F), (1'),la Laie et ta
la
Chatte, etIII, lavj. Chatte,
Laie 111, vi.
3^5
Aigle (F) et la Pie, XII, xi
-17-4
Alcimadure et
Daphiiis, XII, xxvi
Alouette et ses Petits avec le Maître d'un
(1') champ, IV, xxii. 254
Alouette l'Autour et
(F), l'Oiseleur, VI, xv
Amarante et Tircis, VIII,
xiii • • 502
Q2
Amateur des et l'Ours,
(F) jardins
VIII, x
Amis
(les deuxJ, VIII, xi
498
Amour (F) et la Folie, XII, xiv. * * * • • 7c*y
789
Ane et le
(1') VI, xvi 370
Cheval,
Ane
(1')
et le Lion chassants, II, xix 122
Ane le Meunier et son Fils, III, 1
(F), 131
Ane et le Vieillard, VI, vin,
(1') 348
854 TABLE DES FABLES.

PAGES
Ane et les Voleurs, I, xiii 41
(1')
Ane chargé d'éponges et l'Ane
chargé de sel, IJ, x 96
(F)
Ane (F) et le Chien, VIII, xvil. 520
Ane (1') et le
petit Chien, IV, v. 204
Ane et ses Maîtres, VI, xi 356
(F)
Ane des
(1') portant reliques, V, xiv 305
Ane vêtu de la duLion, V, xxi 327
(1') peau
Animal dans la xviii 453
(un) Lune, VII,
Animaux malades de la 394
(les) peste, VII, i
le
Animaux (les), Singe et le Renard, VI, vi ., 344
Animaux (Tribut envoyé à Alexandre, IV, xii 223
par les)
Araignée et la Goi^tfe, III, vjii 156
(1')
Araignée (F)et l'Hirondelle, X, vir 656
Astrologue (F) qui se laisse tomber dans un puits, II, xiii 105
Autour l'Alouette et l'Oiseleur, VI, xv 368
(F),
Avantage de la Science, VIII, xix 528
(F)
Avare (F) qui a perdu son trésor, IV, xx. 244
Aventuriers (les deux) et le Talisman, X, xiv 678
Bassa et le Marchand, VIII, xvni. 523
(le)
Belette entrée dans un grenier, III, xvii. 180
(la)
Belette (la), le Chat et le Vil, xvi 447
petit Lapin,
Belettes et la Chauve-Souris, II, v 82
(les deux)
et
Belettes (Combat des Rats des), IV, vi. 206
Berger (le) et la Mer, IV, II 194
Berger (le) et le Roi, X, x 662
et son IX, xix 623
Berger (le) troupeau,
(le) qui joue de la flûte et les 668
Berger Poissons, X, xi
et le
Bergers (les) Loup, X, vi 653
Besace (la), I, vu 22
Borée et Phébus, VI, ni 336
Bouc et le TII, v 149
(le) Renard,
Brebis (la), la Chèvre et la Génisse en société avec le Lion, I, vr. 20
Brebis (les) et les III, xm 168
Loups,
Bûcheron et Mercure, V, i. 263
(le)
Bûcheron et la Mort, I, xvi 49
(le)
Buisson la Chauve-Souris et le Canard, XII, vri 765
(le),
Buste (le) et le Renard, IV, xiv. 229
Canard le Buisson et la
(le), Chauve-Souris, XII, vii 765
Canards et la Tortue, X, ni 643
(les deux)
TABLE DES FABLES. 855

PAGES
Cerf XII, vi.
(le) malade, ,.. 0 761
Cerf se dans
(le) voyant l'eau, VI, ix 350
Cerf et la V, xv
(le) Vigne, 307
Chameau et les Bâtons flottants, IV, x
(le) 218
et le Faucon, VIII, xxi
Chapon (le) 535
Charlatan (le), VI, xix. 378
Chartier (le) embourbé, VI,
XVIII 374
Chasseur et le Lion, VI, n.
(le) ~,
334,
Chasseur et le
(le) Loup, VIII, 555
xxvn
Chasseur (le), le Roi et le Milan, XII, xir -ygj
Chat (le) et le Singe, IX,
xvn 617
Chat (le), le Cochet et le Souriceau, VI, y 341
Chat (le), la Belette et le petit Lapin, VII, xvi
447
Chat et les deux Moineaux, XII, n
(le) 746
Chat et le vieux Rat, III,
(le) XVIII 182
Chat (le) et le Rat, VIII,
XXII 538
Chat (le) et le Renard, IX, xiv - 606
bOb
Chat (le) et la Souris, XII, vi 757
~j7
Chat (le vieux) et la jeune Souris, XII, v ..y-g
Chat-huant et les
(le) Souris, XI, ix >-29
Chats (la Querelle et des et celle des Chats et des
des) Chiens, Souris,
XII, Viti. ,. 768
Chatte (la) métamorphosée en
femme, II, xviii 119
et
Chatte (la), la Laie l'Aigle, III, vi ., 151
Chauve-Souris (la) et les deux Belettes, II, v 82
Chauve-Souris (la), le Buisson et le
Canard, XII, vir 765
Chêne et le
(le) Roseau, I, xxn*" * * •• •• , , 64
Cheval s'étant voulu venger du
(le) Cerf, IV, xru. 227
Cheval et FAne, VI,
(le)
et le xvi
Cheval (le) Loup, V,
vin
Cheval (le), le Renard et le
Loup, XII, xvn onA
Chèvre le Mouton et le
(la), Cochon, VIII, xll. 500
Chèvre (la), la Génisse et la Brebis en société avec le
Lion, I, vi. 20
Chèvre le Chevreau et le
(la), Loup, IV, xv 231
Chèvres (les deux), XII, iv 752
Chien à on a les oreilles,
(le) qui coupé X, ix 660
Chien (le) qui lâche sa
proie pour l'ombre, VI, xvii 372
Chien (le) qui porte à son cou le dîné de son maître, VUI, VII 4.33
Chien le Renard et le
(le), Fermier, XI, 111 703
856 TABLE DES FABLES.

Chien
l el
PAGES
(le) l'Ane, VIII, xvn , ., 520
Chien (le petit) et l'Ane, IV, v. 204
Chien (le) et le v 17
Loup, I,
Chien (le) maigre et le 596
Loup, IX, x
Chiens (la Querelle et des vin 768
des) Chats, XII,
Chiens (les deux) et l'Ane mort, xxv , 547
VIII,
Cierge (le), IX, xii. 600
et la
Cigale (la) Fourmi, I, i. 5
Cigogne (la) et le Renard, 1, xviii 55
Cigogne et le III, ix 159
(la) Loup,
Citrouille et le IX, iv ,. 576
(la) Gland,
Coche (le) et la Mouche, VII, ix 423
Cochet le Chat et le Souriceau, 341
(le), VI, v
Cochon la Chèvre et le Mouton, VIII, XII 500
(le),
Colombe (la) et la Fourmi, II, xii 102
Combat des Rats et des IV, vi 206
(le) Belettes,
Compagnons (les) d'Ulysse, XII, 1 739
Compagnons (les deux) et l'Ours, V, xx 322
Conseil tenu par les Rats, II, ir 74
Coq (le) et la Perle, I, xx 59
et le
Coq (le) Renard, II, xv. 111
Coqs (les deux), VII, XIII 437
et la
Coqs (les) Perdrix, X, vin 658
Corbeau (le), la Gazelle, la Tortue et le Rat, xv. 793
XII,
Corbeau (le) voulant imiter l'Aigle, II, xvi 113
Corbeau et le
(le) Renard, I, 11 9
et les
Cormoran (le) Poissons, X, IV 646
Couleuvre (la) et l'Homme, X, 11 639
Cour (la) du 415
Lion, VII, VII
Cuisinier et le
(le) Cygne, nf, XII 166
Curé et le Mort, VII, XI. 430
(le)
et le
Cygne (le) Cuisinier, III, xn '.," 166
et XII, xxvi 834
Daphnis Alcimadure,
et le
Dauphin (le) Singe, IV, vu 209
Démocrite et les Abdéritains, xxvi 552
VIII,
Dépositaire (le) infidèle, IX, 1 563
Devineresses (les), VII, xv 444
Dieux voulant instruire un fils de XI, ii. 700
(les) Jupiter,
Discorde (la), VI, xx. 381
TABLE DES. FABLES. 857

PAGES
à et le
Dragon (le) plusieurs têtes Dragon à plusieurs queues, I, xn 39
Ecolier le Pédant et le Maître d'un
(1'), jardin, IX, v 578
Ecrevisse (1') et sa Fille, XII, x 715
Éducation (F), VIII, xxiv
w' - - - - £K>4o
et le de
Éléphant (1') Singe Jupiter, XII, xx, 815
et le Rat, VIII,
Éléphant (F) xv
Enfant et le Maître d'école, I, xix.
(F) 57
Enfant (F), la Mère et le IV, xvi
Loup, 233
Enfants Vieillard et
(le ses), IV, xvui 239
Enfants Laboureur et
(Je ses), V, ix 289
Enfouisseur et son
(F) Compère, 7 X, v. 651
Épilogue du livre VI
388
rEpilogue du livre XI
***•••••• OOO 734
Escarbot et
(1') l'Aigle, II, vin. gg
Estomac et les
(1') Membres, III, n 137
Fables (le pouvoir des), , VIII, iv '--. 474
Faucon et le
(le) Chapon, VIII, xxi -' 535
ojo
Femme (la) noyée, III, xvi
Femme le Mari et le Voleur, IX, xv
(la), 611
Femme et
(l'Ivrogne sa), III, vu - - - 154
Femmes et le
(les) Secret, VII, vi 480
Fermier le Chien et le
(le), Renard, XI, 111 703
Fille (la), VII, v. ;; 407
Fille Souris métamorphosée en), IX, vu
(la 584
Fils de Roi, le Gentilhomme, le Pâtre et le Marchand,
(le) X, XVI 689
Financier et le Savetier, VIII, II
(le) 464
Folie (la) et l'Amour, XII,
xiv 789
Forêt (la) et le Bûcheron, XII, xvi 800
Fortune et le
(la) jeune Enfant, V,
xi 293
Fortune (l'Homme court après), et l'Homme
qui qui l'attend dans son lit'
VII,
XII. 433
Fortune et des Hommes envers la), VII, x1v.
(1 ingratitude l'injustice 441
Fou vend la
(le) qui Sagesse, IX, ^gg
Fou et un vin
(un) Sage, XII, xxn 818
Fourmi (la) et la Cigale, I, 1 5
Fourmi et la Colombe, II, xn
(la) 102
Fourmi et la Mouche, IV, m
(la) 198
Frelons et les Mouches à miel, I,
(les) xxi 61
Gazelle (la), la Tortue, le Rat et le Corbeau, XII, xv 793
858 TABLE DES FABLES.

PAGES
Geai des du Paon, ix
IV, 216
(le) paré plumes
Génisse (la), la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion, I, vi. , 20
le le Fils de Roi et le
Gentilhomme (le), Pâtre, Marchand, X, XVI. 689
Gland et la Citrouille, IX, iv 576
(le)
Goût difficile (Contre ceux qui ont le), II, i 71
Goutte et 111, vin 156
(la) l'Araignée,
veut se faire aussi grosse le
Grenouille (la) qui que Bœuf, I, 111 11
Grenouille et le Rat, IV, xi 220
(la)
Grenouille et les deux Taureaux, II, iv 80
(la)
xn. 358
1
Grenouilles
.11 (1) (les) et le S l '1
j 'r XXIY
Soleil, (VI,XII, 826
Grenouilles demandent un Roi, III, iv. 144
(les) qui
Hérisson (le), le Renard et les Mouches, XII, xnr 787
Héron (le), VII, iv 405
Hibou (le) et l'Aigle, V, xvm 315
Hirondelle et X, vu. 656
(1') l'Araignée,
Hirondelle et les I, vin 0 ., 24
(1') petits Oiseaux,
Homme et la Couleuvre, X, ti 639
(1')
Homme et la Puce, VIII, v. , , 478
(1')
Homme et son Image, I, XI. 37
(1')
Homme (1')
entre deux
âges
et ses deux Maîtresses, I, xvn 53
Homme et l'Idole de bois, IV, VIII. 214
(1')
Homme court la et l'Homme l'attend dans son
(1') qui après Fortune, qui
lit, VII, xii 433
Hommes (les deux) et le Trésor, IX, xvi 614
Hommes trois et le Vieillard, XI, vni 724
(les jeunes)
Horoscope (1'), VIII, xvj 515
Hospitalier (1), le Juge arbitre et le Solitaire; XII, xxvn 840
Huître et le Rat, VIII, ix. 490
(1')
Huître (1') et les Plaideurs, IX, ix 592

Impie (1') et l'Oracle, IV, xix 242


et des Hommes envers la Fortune, xiv. 441
Ingratitude (1') l'injustice VII,
et sa III, vii 154
Ivrogne (1) Femme,
Jardinier et son IV, iv.. 201
(le) Seigneur,
arbitre (le), l'Hospitalier et le Solitaire, XII, xxvn 840
Juge
et le VI, iv 339
Jupiter Métayer,
et le IX, xm 602
Jupiter Passager,
et les Tonnerres, VIII, xx ,. 531
Jupiter
Laboureur et ses Enfants, V, ix 289
(le)
TABLE DES FABLES. 859

PAGE
Laie et
(la), la Chatte l'Aigle, III, vi 151
l aitière (la) et le Pot au lait, VII, x.
V25
Lapin (le petit), le Chat et la Belette, VII, xvi 41,,7
Lapins (les), X, xv 683
et le
Léopard (le) Singe, IX, ni 574
Lice (la) et sa II, vu
Compagne, 86
Lièvre (les Oreilles du), V,
iv 275
Lièvre (le) et les Grenouilles, II, xiv 107
Lièvre (le) et la Perdrix, V.
xvn
Lièvre (le) et la Tortue, VI,
x
des Rats, XII, xxv
Ligue (la) 829
Lime (la) et le Serpent, V, xvi 311
Lion
(le), XI, i < # t 695
Lion et le Pâtre, VI, 1
(le) 331
Lion en société avec la Génisse, la Chèvre et la
(le) Brebis, I, vi. 20
Lion abattu par l'Homme, III, x
(le)
Lion (le) amoureux, IV, i 189
Lion devenu vieux, III, xiv.
(le) 172
Lion malade et le Renard, VI, xiv
(le) 364
Lion s'en allant en guerre, V, xix
(le) 320
Lion et l'Ane chassants, II, xix
(le) 122
Lion et le Chasseur, VI, n
(le) 334
le le
Lion (le) Loup et Renard, VIII, m 469
Lion et le Moucheron, II, ix
(le) 911
Lion (le)et le Rat, II,
xi 98
Lion (la cour du), VII, vu
415
Lion (le), le Singe et les deux Anes, XI, 710
V.
Lionne et l'Ourse, X,
(la) XIII 676
et I, x
Loup (le) l'Agneau, 33
Loup (le) devenu Berger, III, ni A-0
et les Bergers, X,
Loup (le) g
vi
et le Chasseur, VIII, XXVII
Loup (le) 555
et le Chien, I, v
Loup (le) 1 7
Loup (le) et le Chien maigre, IX, x ; 596
Loup et la Cigogne, III, ix
(le) 159
et le Chevreau, IV, xv
Loup (le), la Chèvre 231
et le Cheval, V,
Loup (le) vin 285
Loup (le), le Lion et le Renard, VIII, 111 469
et le Cheval,
Loup (le), le Renard XII, xvn 804
860 TABLE DES FABLES.

PAGES
la Mère et
Loup (le), l'Enfant, IV, xvi 233
Loup (le) plaidant contre le Renard par-devant le II, III 78
Singe,
) et le XI, VI 714
Loup (le)(1 1 R Renard,d
1 VII, IX
XI, VI - 771
et les
Loups (les) Brebis, III, xiii 168
Maître d'école et I, xix 57
(le) l'Enfant,
Maître (le) d'un champ, l'Alouette et ses
Petits, IV, xxii 254
Maître d'un l'Écolier et le
(le) jardin, Pédant, IX, v 578
Malheureux (le) et la Mort, I, xv 47
Marchand et le
(le) Bassa, VIII, xvm 523
Marchand le le Pâtre et le fils de Roi, X, xvi
(le), Gentilhomme, 689
Mari la Femme et le Voleur, IX, xv 611
(le),
Marié (le mal), VII, ij 400
Médecins (les), V, xn 297
Membres (les) et l'Estomac, III, n 137
Mer et le
(la) Berger, IV, 11 194
Mercure et le
Bûcheron, V, 1 263
Mère l'Enfant et le
(la), Loup, IV, XVI. 233
et
Métayer (le) Jupiter, VI, iv 339
Meunier (le), son Fils et l'Ane, III, 1 131
Milan (le) et le Rossignol, IX, xviii 621
Milan (le), le Roi et le
Chasseur, XII, XII. 781
Moineaux (les deux) et le Chat, XII, n 746
Montagne (la) qui accouche, V, x 291
Montespan (A madame de) 391
Mort (la) et le Bûcheron, I, xvr. 49
Mort (la) et le Malheureux, I, xv ., 47
Mort (la) et le Mourant, VIII, 1 461
Mouche (la) et le Coche, VII, ix , 423
Mouche (la) et la Fourmi, IV, III , 198
Mouches à miel et les
(les) Frelons, 1, xxr ., ., 61
Mouches (les), le Hérisson et le XIII. 787
Renard, XII,
Moucheron (le) et le Lion, II, ix 91
Mourant (le) et la Mort, VIII, 1. , • 461
Mouton (le), la Chèvre et le XII. 500
Cochon, VIII,
Mulet se vantant de sa
(le) généalogie, VI, vu 346
Mulets (les deux), I, iv „ , 13
de la xiv 508
Obsèques (les) Lionne, VIII,
OEil du IV, xxi , , 249
(1') Maître,
TABLE DES FABLES. 861

PAGES
OEuf
(1'), les deux Rats et Je Renard, X, 1. 627
Oiseau blessé d'une flèche, II, vi. 84
(1')
Oiseaux et I, vin.
(les petits) l'Hirondelle, 24
et
Oiseleur
(1'),
l'Autour l'Alouette, VI, xv 368
Oracle (F) et l'Impie, IV, xix 242
Oreilles (les) du Lièvre, V, iv 275
Ours et l'Amateur des
(1') jardins, VIII, x 493
Ours et les deux
(F) Compagnons, V, xx 322
Ours et la Lionne, X,
(1') XIII. 676
Paon (le) se plaignant à Junon, II, xvir 115
Parole de Socrate, IV, xvii 237
et IX, xm
Passager (le) Jupiter, 602
Passant (le) et le Satyre, V, vui 0gg
Pâtre (le), le Marchand, le Gentilhomme et le Fils de Roi, X, xvi 689
Pâtre (le) et le Lion, VI, 1
331
Paysan (le) du Danube, XI, vu 717
Pêcheur et le
(le) petit Poisson, V, m 271
Pédant (le), l'Écolier et le Maître d'un jardin, IX, v 578
Perdrix (la) et le Lièvre, V, xvii 313
Perdrix (la) et les Coqs, X, viii 658
Perroquets (les deux), le Roi et son X, xn 672
Fils,
Phébus et Borée, VI, in 336
Philomèle et Prognée, III, xv :. 174
Philosophe (le) scythe, XII, xx. g 12
Pie xi. - -
(la) et l'Aigle, XII, 777
et les Vautours, VII, viif
Pigeons (les) 418
Pigeons (les deux), IX, n 568
Plaideurs (les) et l'Huître, IX, ix 592
Poisson (le petit) et le Pêcheur, V, ni 271
Poissons et le Berger qui joue de la flûte, X, xi
(les) 668
Poissons et le Cormoran, X, iv
(les) 646
Poissons et le Rieur, VIII, vm
(les) 488
Pot (le) de terre et le Pot de fer, V, 11 , 269
Poule (la) aux œufs d'or, V, xm 301
Poulets d'Inde et le Renard, XII, xviii 806
(les)
Pouvoir des Fables, VIII, iv 474
(le)
Prognée et Philomèle, III, xv 174
Querelle (la) des Chiens et des Chats, et celle des Chats et des Souris,
XII, vin 768
862 TABLE DES FABLES.

PAGES
Rat s'est retiré du monde, VII, ni. 403
(le) qui
Rat et 511
(le) l'Éléphant, VIII, xv
Rat (le), le la Gazelle et la Tortue, XII, xv. 793
Corbeau,
Rat et la Grenouille, IV, XI. 220
(le)
Rat (le) et l'Huître, vnr, ix 490
Rat de ville et le Rat des I, ix 29
(le) champs,
Rat et le Chat, VIII, XXII. 538
(le)
Rat
(le vieux) et le Chat, 111, XVIII. 182
Rats des Belettes et des), IV, VI. 206
(Combat
Rats (Conseil tenupar les), II, Il 74
Rats le Renard et l'OEuf, X, i 627
(les deux),
Renard la V, v. 277
(le) ayant queue coupée,
Renard (le) anglois, XII, xxiii 820
Renard et le
(le) Bouc, III, v. 149
Renard et le
(le) Buste, IV, xiv. 229
Renard et la xviii 55
(le) Cigogne, I,
Renard le et le Cheval, xvn 804
(le), Loup XII,
Renard les Mouches et le Hérisson, XII, xiii. 787
(le),
Renard et les Poulets
(le) d'Inde, XII, xviii. 806
Renard (le) et les Raisins, III, xi 165
le vi
Renard (le), Singe et les Animaux, VI, 344
Renard et le I, II 9
(le) Corbeau,
Renard (le), le Chien et le Fermier, XI, in 703
Renard et le Lion malade, VI, xiv 364
(le)
Renard (le) plaidant contre le le II, III 78
Loup par-devant Singe,
XIi VI 714
Renard (le)
XII, et le IX Loup, 771
14
Renard (le), le Lion et le VIII, ni 469
Loup,
Renard (le) et le IX, xiv. 606
Chat,
Renard et le xv 111
(le) Coq, II,
de
Rien trop, IX, xi 598
Rieur (le) et les Poissons, VIII, vin 488
Rivière et le xxiii 541
(la) Torrent, VIII,
Roi son Fils et les deux xu 672
(le), Perroquets, X,
Roi le Milan et le xu 781
(le), Chasseur, XII,
Roi et le
(le) Berger, X, x ., 662
Roseau et le
(le) Chêne, 1, XXII. 64
et le Milan,
Rossignol (le) IX, xviii 621
et un xxii 818
Sage (un) Fou, XII,
TABLE DES FABLES.
863

Satyre ( le ) PAGES
le
Savetier
Satyre (le) et (le) Financier, et le Passant, VIII, V, vii. n 283
11.6/
Serpent et la Lime, V, xvr
(le) 3'11
et Je Villageois, VI, xiii
Serpent (le) 360
Tête et la Queue
Serpent (la du), VII, xvil. 450
Servantes (les deux) et la Vieille, V, VI ..**••••••••
Z i y
Simonide préservé par les Dieux,
I, xiv
Singe (le), XII,
xi. 810
et
Singe (le) de Jupiter l'Éléphant, XII, xx, 8,15
Singe (le) et le Chat, IX, XVII.
g
Singe (le) et le Dauphin, IV, vu 209
et les Animaux,
Singe (le), le Renard VI, vi 344
Singe (le Loup plaidant contre le Renard par-devant fIl
le), II, 78
Singe (le), le Lion et les deux Anes, XI, v 710
Singe (le) et le Léopard, IX, m 574
Singe (le) et le Thésauriseur, XII, in 74.9
Socrate (Parole de), IV, xvn. 237
Soleil 358
(le) et les Grenoui lles, xxiv XII
VIY XIl, ., 826
Solitaire (le), le Juge arbitre et
l'Hospitalier, XII, xxvn 349
Songe (le) d'un habitant du Mogol, XI, iv 707
Souhaits (les), VII, VI
412
Souriceau (le), le Cochet et le Chat, VI, v 34'1
Souris (la) et le Chat, XII,
v. 757
Souris (la jeune) et le vieux Chat, XII,
v 759
Souris (métamorphosée en fille, IX, vu
584
Souris (la Querelle des) et des Chats, XII, viii 768
Souris (les) et le Chat-huant, XI,
Statuaire de Jupiter,ix IX, vi
(le) et la Statue 581
Testament expliqué par Ésope, II, xx 1124
la Grenouille,
Taureaux (les deux) et II, IV. 80
Tête (la) et la Queue du Serpent, VII, XVII. 450
Thésauriseur (le) et le Singe, XII, 111 749
Tircis et Amarante, VIII, xiii 502
Torrent (le) et la Rivière, VIII, xxm 541
Tortue (la) et les deux Canards, X, m 643
Tortue (la), le Rat, le Corbeau et la xv..
Gazelle, XII, 793
Tortue (la) et le Lièvre, VI, x 354
Trésor
(le) et les deux Hommes, IX, xvi 614
864 TABLE DES FABLES.

PAGES
Tribut les Animaux à Alexandre, IV, xn , 223
envoyé par
XII, 1. 739
Ulysse (les Compagnons d'),
Vautours et les VII, viii. A-1 8
(les) Pigeons,
Veuve xxi - 383
(la jeune), VI,
et l'Ane, - -- 348
Vieillard (le) VI, viii.
et ses 239
Vieillard (le) Enfants, IV, XVIJI
Vieillard et les trois Hommes, XI, vin 724
(le) jeunes
Vieille et les deux Servantes, 279
(la) V, vi
et le xm - -360
Villageois (le) Serpent, VI,
la Femme, IX, xv. 611
Voleur (le), le Mari et
et l'Ane, 1, XIII 41
Voleurs (les)

FIN DE LA TABLE DES FABLES.

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