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Marc Ferro

Le film, une contre-analyse de la société ?


In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 28e année, N. 1, 1973. pp. 109-124.

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Ferro Marc. Le film, une contre-analyse de la société ?. In: Annales. Économies, Sociétés, Civilisations. 28e année, N. 1, 1973.
pp. 109-124.

doi : 10.3406/ahess.1973.293333

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ahess_0395-2649_1973_num_28_1_293333
Le film, une contre-analyse

de la société?

I. Les historiens et le cinéma

Le film serait-il un document indésirable pour l'historien ? Bientôt cente


naire, mais ignoré, il n'est même pas rangé parmi les sources laissées pour
compte. Il n'entre pas dans l'univers mental de l'historien.
En vérité, le cinéma n'était pas né quand l'histoire a pris ses habitudes,
perfectionné sa méthode, cessé de narrer pour expliquer. Le « langage » du
cinéma s'avère inintelligible ; comme celui des rêves, il est d'interprétation
incertaine. Mais cette explication ne saurait satisfaire qui connaît l'infatigable
ardeur des historiens acharnés à découvrir de nouveaux domaines, leur capacité
à faire parler troncs d'arbre, vieux squelettes, et leur aptitude à considérer
comme essentiel ce qu'ils jugeaient jusque-là inintéressant.
En ce qui concerne le film, d'autres sources non écrites également, nous
croyons qu'il n'y a ni incapacité ni retard, mais un aveuglement, un refus
inconscient qui procèdent de causes plus complexes. Examiner quels « monu
ments du passé » l'historien a transformés en documents, puis de nos jours
« quels documents l'histoire transforme en monuments », serait une première
façon de comprendre et de voir pourquoi le film ne figure pas 1.
L'a-t-on suffisamment écrit : à force de s'interroger sur son métier, de se
demander comment il écrit l'Histoire, l'historien a fini par oublier d'analyser
sa propre fonction. Or, à lire les historiens de l'Histoire, on s'aperçoit que si
l'idéologie de l'historien a varié, si plusieurs races d'historiens cohabitent et
constituent des milieux qui, entre eux, ne se reconnaissent guère, mais que les
non-historiens identifient néanmoins grâce aux signes spécifiques de leur
discours, on s'aperçoit aussi que la fonction n'a guère changé. Il est peu d'histo
riens,d'Otto de Freising à Voltaire, de Polybe à Ernest Lavisse, de Tacite à
Th. Mommsen, qui, au nom de la connaissance ou de la science, n'aient été au
service du Prince, de l'État, d'une Classe, de la Nation, bref, d'un Ordre ou

i. Pour reprendre l'expression de Michel Foucault, L'archéologie du savoir, Paris,


pp. 14-15.

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HISTOIRE NON ÉCRITE

d'un Système, existant, non-existant. Il n'est guère d'historiens qui, consciem


ment ou non, n'aient été prêtres, combattants 2.
Éduquer le Prince et les milieux dirigeants à bien gouverner, enseigner au
peuple à obéir ; rechercher, avec ou sans lui, le sens et les lois de l'Histoire pour
mieux la comprendre, le souci de l'efficacité apparaît en tous les cas. Dès l'oii-
gine, les historiens travaillent pour le compte de l'État qui les emploie ; à Flo
rence, Leonardo Bruni, à Paris, Etienne Pasquier, recommandent à l'historien
d'abandonner la langue latine pour la langue vulgaire : « ils seront ainsi plus
efficaces ». A l'aube du xxe siècle, lorsque, toujours pour le compte de l'État,
l'historien glorifie la nation, les instructions ministérielles font bien savoir que
si l'enseignement de l'Histoire n'a pas atteint un résultat, « le maître aura
perdu son temps » 3.
Un autre fait se vérifie dans les Histoires de l'Histoire. Selon la nature de
sa mission, selon l'époque, l'historien a choisi tel ensemble de sources, adopté
telle méthode ; il en a changé comme un combattant change d'arme et de tac
tique quand celles qu'on utilisait jusque-là avaient perdu leur efficacité... Cette
constatation trouve une ultime confirmation dans l'aventure de l'historiogra
phie polonaise contemporaine, qui, faute de sources écrites, anéanties, disparues
ou sciemment détruites par l'occupation étrangère, a découvert dans les pro
duits de la civilisation matérielle une matière documentaire inédite. Elle
permettait de prouver l'identité de la nation polonaise, son enracinement
entre les frontières qu'elle revendique.
Certes, on savait que nul n'écrivait l'Histoire innocemment mais ce juge
ment semble plus que jamais vérifié à l'orée du xxe siècle, quand le cinémato
graphecommence à apparaître. A la veille de la Première Guerre mondiale,
pareil à ses camarades, avocats, fonctionnaires, philosophes, médecins,
l'historien est déjà botté, casqué, prêt à se battre. A cette époque, le même
historien écrivait pour les adultes et pour les enfants. Il est intéressant de
rappeler ces instructions d'un historien français, Ernest Lavisse : « A l'ense
ignement historique incombe le devoir glorieux de faire aimer et de faire com
prendre la patrie [...] tous nos héros du passé, même enveloppés de légende [...].
Si l'écolier n'emporte pas avec lui le vivant souvenir de nos gloires nationales,
s'il ne sait pas que nos ancêtres ont combattu sur mille champs de bataille
pour de nobles causes, s'il n'a point appris ce qu'il a coûté de sang et d'effort
pour faire l'unité de la patrie [...] et dégager ensuite du chaos de nos institutions
vieillies les lois sacrées qui nous font libres, s'il ne devient pas un citoyen pénétré
de ses devoirs et un soldat qui aime son drapeau, l'instituteur aura perdu son
temps » 4. Devoir glorieux, héros niême enveloppés de légende, nobles causes,
unité de la patrie, lois sacrées qui nous font libres, soldat, ces termes, ces prin
cipes se retrouvent, à quelques nuances près, dans toute l'Europe, chez Kova-

2. Voir par exemple G. Lefebvre, La naissance de V historiographie moderne, Paris,


Flammarion, 1971 ; J. Ehrard et G. Palmade, L'Histoire, Paris, A. Colin, 1965 ;
A. G. Widgery, Les grandes doctrines de l'Histoire, Paris, Gallimard, 1965. Sur les discours
de l'historien, voir Roland Barthes, « Le discours de l'Histoire », dans Social Science.
Information sur les sciences sociales, août 1967» pp. 65-77.
■3. Pour les origines de l'historiographie et Etienne Pasquier, se reporter à G. Huppert,
« Naissance de l'Histoire en France : les ' Recherches ' d'Etienne Pasquier », dans Annales
E.S.C., n° 1, 1968, pp. 69-106.
4. Cité dans Pierre Nora, « Ernest Lavisse, son rôle dans la formation du sentiment
national », Revue Historique, 1962, pp. 73-102.

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M. FERRO LE FILM, UNE CONTRE-ANALYSE DE LA SOCIÉTÉ?

levski, chez Treitshke ou Seeley : il n'y a pas que la France qui « entre dans un
âge tricolore ». Les sources qu'utilise l'historien consacré forment, à cette date,
un corpus qui est aussi soigneusement hiérarchisé que la société à qui il destine
son ouvrage. Comme cette société, les documents sont divisés en catégories,
où l'on distingue sans effort des privilégiés, des déclassés, des roturiers, un
Lumpen. Benedetto Croce Га écrit : « l'Histoire est toujours contemporaine ».
Or, au début du xxe siècle, la hiérarchie de ses sources reflète des rapports de
pouvoir : en tête du cortège, prestigieuses, voici les Archives d'État, manuscrites
ou imprimées, documents uniques, émanant de sa puissance, de celle des
Maisons, Parlements, Chambres des comptes. Suit la cohorte des imprimés
qui ne sont plus secrets : textes juridiques et législatifs d'abord, expression du
pouvoir ; journaux et publications ensuite, qui n'émanent pas seulement de
lui, mais de la société cultivée tout entière. Les biographies, les sources d'histoire
locale, les récits de voyageurs, forment la queue du cortège ; vêtues de noir,
elles en sont le Tiers État. Donne-t-on foi à ces témoignages, ils occupent une
position qui est plus modeste dans l'élaboration de la thèse. L'Histoire est
comprise du point de vue de ceux qui ont pris en charge la société : hommes
d'État, diplomates, magistrats, entrepreneurs et administrateurs. Ils ont
précisément contribué à l'unité de la patrie, à la rédaction des lois sacrées^ qui
nous font libres, etc. A une date où la centralisation renforce le pouvoir de l'État,
des dirigeants de la capitale, où l'emprise du capitalisme gagne, où d'un côté
du Rhin, il s'agit de persuader au peuple que Berlin a la grandeur de Rome,
de l'autre côté du fleuve que Paris est une nouvelle Athènes, à cette date où
le conflit européen pointe, où la frénésie guerrière ou pacifiste gagne l'idéologie,
où le philosophe, le juriste, l'historien sont déjà mobilisés, de quelle utilité
à l'Histoire pourrait être le folklore, dont la survivance atteste précisément
que l'unification culturelle du pays n'est pas totalement achevée ; de quelle
utilité à l'Histoire pourrait être ce premier petit bout de film qui représente
Un train entrant en gare de La Ciotat ?

Au reste, au début du xxe siècle, qu'est-ce que le cinématographe pour les


bons esprits, pour les gens cultivés ? « Une machine d'abêtissement et de disso
lution, un passe-temps d'illettrés, de créatures misérables abusées par leur
besogne. » L'évêque, le député, le général, le notaire, le professeur, le magistrat
partagent ce jugement de Georges Duhamel. Ils ne se commettent pas à « ce
spectacle d'hilotes ». Les premières décisions de la jurisprudence montrent bien
comment le film est reçu par les classes dirigeantes. Le film est considéré
comme une sorte d'attraction foraine, le Droit ne lui connaît même pas d'auteur.
Ces images qui bougent sont dues à « la machine spéciale au moyen de laquelle
elles sont obtenues ». Pendant longtemps le Droit considère que l'auteur du
film est celui qui a écrit le scénario 5. Par habitude, on ne reconnut pas le droit
d'auteur de celui qui filmait. Il n'avait pas le statut d'un homme cultivé. On le
qualifia de « chasseur » d'images. Aujourd'hui encore, dans les bandes d'actual
ité, l'homme à la caméra demeure anonyme ; les images sont signées du nom

5. B. Edelman, « De la nature des œuvres d'art d'après la jurisprudence », Recueil


Dalloz, Sirey, 1969, pp. 61-70.

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HISTOIRE NON ÉCRITE

de la firme qui les produit : Pathé, Fox, etc. 6. Ainsi, pour les juristes, pour les
gens instruits, pour la société dirigeante, pour l'État, ce qui n'est pas écrit,
l'image, n'a pas d'identité : comment les historiens pourraient-ils s'y référer,
même la citer ? Sans foi ni loi, orpheline, se prostituant au peuple, l'image
ne saurait être une compagne pour ces grands personnages que constituent la
Société de l'historien : articles de lois, traités de commerce, déclarations
ministérielles, ordres opérationnels, discours. En outre, comment se fier même
aux « Actualités » quand chacun sait que ces images, cette soi-disant représen
tationde la réalité, sont choisies, transformables, puisqu'on les assemble par
un montage non-contrôlable, un truc, un truquage. L'historien ne saurait
s'appuyer sur des documents de ce type-là. Chacun sait qu'il travaille dans
une cage de verre : « Voici mes références, voici mes preuves. » II ne viendrait
à l'idée de personne que le choix de ses documents, leur assemblage, la mise en
place de ses arguments est également un montage, un truc, un truquage. Avec
la possibilité de consulter les mêmes sources, les historiens ont-ils tous écrit
la même histoire de la Révolution ?

Cinquante ans ont passé. L'Histoire s'est transformée et le film est toujours
à la porte du laboratoire. Certes, en 1970, les « élites », les gens « cultivés » vont
au cinéma ; l'historien aussi, mais est-ce inconsciemment, il y va comme tout
le monde, seulement en spectateur. Entre-temps, la révolution du marxisme
est passée qui a métamorphosé les conceptions de l'Histoire. Avec lui une autre
méthode l'emporte, un autre système et une autre hiérarchie de sources égale
ment. Au-delà du pouvoir politique, l'historien marxiste cherche le fondement
du processus historique dans l'analyse des modes de production et de la lutte
des classes. Parallèlement les sciences sociales sont nées, fières de leurs méthodes.
Pourtant chez les marxistes comme chez les non-marcxistes, du vieux métier
d'historien quelques habitudes demeurent : l'adoption d'un mode privilégié
de mise en perspective, un principe de sélectivité des sources historiques.
Pourtant le métier change. En 1968, F. Furet écrit : « L'historien d'aujourd'hui
a cessé d'être l'homme-orchestre qui parle de tout à propos de tout, du haut
de l'indétermination et de l'universalité de son savoir : l'Histoire. Il a cessé
de raconter ce qui s'est passé, c'est-à-dire de choisir, dans ce qui s'est passé
ce qui lui paraît approprié à son récit, ou à son goût, ou à son interprétation.
Comme ses collègues des autres sciences humaines, il doit dire ce qu'il cherche,
constituer les matériaux pertinents à sa question, étaler ses hypothèses, ses
résultats, ses preuves, ses incertitudes » 7. Analysant les structures plus que les
événements, il s'intéresse aux permanences et mutations invisibles, à la longue
durée, celle-ci finissant par éclipser quelque peu les autres. Dès lors, les maté
riaux qui permettent de constituer les courbes longues, qu'il s'agisse de prix,
de séries démographiques, etc. constituent la proie préférée de l'historien. Il a ses

6. Seules deux contre-sociétés, les Nazis et les Soviets, indiquent au générique des
actualités le nom des opérateurs de prises de vues.
7. F. Furet, « Sur quelques problèmes posés par le développement de l'Histoire
quantitative », dans Social Science. Information sur les sciences sociales, 1968, pp. 71-83 ;
et du même, « Histoire quantitative et fait historique », dans Annales E.S.C., 1971,
n° 1, pp. 63-76.

112
Dura Lex ►
1. Avant le drame
2. La garde
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M. FERRO LE FILM, UNE CONTRE-ANALYSE DE LA SOCIÉTÉ?

fiches perforées, il a son code : dans ce monde où la calculatrice est reine, où


l'ordinateur trône, que viendrait faire une petite photo, où viendrait s'égarer
Chariot ?
D'ailleurs qu'est-ce qu'un film, sinon un événement, une anecdote, une
fiction, des informations censurées, une actualité qui place au même niveau la
mode de cet hiver, les morts de cet été ; que pourrait en faire la nouvelle
Histoire ? La Droite a peur, la Gauche se méfie : l'idéologie dominante n'a-t-elle
pas fait du cinéma une « usine à rêves »? Un cinéaste, J.-L. Godard, ne s'est-il
pas demandé lui-même si « le cinéma n'avait pas été inventé pour déguiser le réel
aux masses » 8 ? Quelle soi-disant image de la réalité offre, à l'Ouest, cette indust
rie gigantesque, à l'Est, cet État qui contrôle tout ? De quelle réalité le cinéma
est-il vraiment l'image ?
Ces doutes, ces questions sont légitimes, mais ne servent-ils pas d'alibi
à l'historien ? Car, la censure est toujours là, vigilante, qui s'est déplacée de
l'écrit au film et, dans le film, du texte à l'image. Il ne suffit pas de constater que
le cinéma fascine, qu'il inquiète : les pouvoirs publics, la puissance privée pres
sentent qu'il peut avoir un effet corrosif ; ils s'aperçoivent que, même surveillé,
un film témoigne. Actualité ou fiction, la réalité dont le cinéma offre l'image
apparaît terriblement vraie ; on s'aperçoit qu'elle ne correspond pas nécessai
rementaux affirmations des dirigeants, aux schémas des théoriciens, à l'analyse
des opposants. Au lieu d'illustrer leurs discours, il lui advient d'en accuser la
dérision. On comprend que les Églises veillent, que les prêtres de chaque
confession, les enseignants de toute profession soient d'une exigence sourcilleuse
et maniaque devant ces images qui bougent, qu'ils n'ont pas appris à analyser,
à contrôler, à récupérer dans leur discours. Le film a cet effet de déstructurer
ce que plusieurs générations d'hommes d'État, de penseurs, avaient réussi
à ordonner en un beau système. Il détruit « l'image du double que chaque insti
tution, chaque individu, s'était constituée devant la société » 9. La caméra révèle
le fonctionnement réel de ceux-là, elle dit plus sur chacun qu'il n'en voudrait
montrer. Elle dévoile le secret, elle montre l'envers d'une société, ses lapsus.
Elle en atteint les structures. C'est plus qu'il n'en faut pour qu'après l'heure
du mépris vienne celle de la suspicion, de la crainte. L'image, les images sonores,
ce produit de la nature, ne sauraient avoir, comme le Sauvage, ni langue ni
langage. L'idée qu'un geste pourrait être une phrase, ce regard, un long discours,
c'est tout à fait insupportable : cela signifierait-il que l'image, les images
sonores, le cri de cette fillette, cette foule apeurée, constituent la matière d'une
autre Histoire que l'Histoire, une contre-analyse de la société.
Partir de l'image, des images. Ne pas chercher seulement en elles illustra
tion, confirmation, ou démenti à un autre savoir, celui de la tradition écrite.
Considérer les images telles quelles, quitte à faire appel à d'autres savoirs pour
les mieux saisir. Déjà, les historiens ont remis à leur place légitime les sources
d'origine populaire, écrites d'abord, puis non-écrites : folklore, arts et traditions
populaires, etc. Il reste à étudier le film, à l'associer au monde qui le produit.
L'hypothèse ? Que le film, image ou non de la réalité, document ou fiction,

8. Sur ces problèmes, voir en dernier lieu, J.-P. Lebel, Cinéma et idéologie, Éd. de la
Nouvelle Critique, Éditions Sociales, 1971, 230 p.
9. Rappelons les analyses d'Edgar Morin, Le cinéma et l'homme imaginaire, Éd. de
Minuit, Paris, 1956, 250 p., repris en édition de poche chez Gonthier, collection Médiations.

113
Dura Lex
3. Le rêve
4. L'exécution
HISTOIRE NON ÉCRITE j

intrigue authentique ou pure invention, est Histoire. Le postulat ? (|)ue ce qui


n'a pas eu lieu (et aussi pourquoi pas, ce qui a eu lieu), les croyances/ les inten
tions, l'imaginaire de l'homme, c'est autant l'Histoire que l'Histoire.
/
//. Le visible et /e non-visible*

Le film, ici, n'est pas considéré d'un point de vue sémiologique. Il ne s'agit
pas non plus d'esthétique ou d'histoire du cinéma. Le film est observé, non
comme une œuvre d'art, mais comme un produit, une image-objet, dont les
significations ne sont pas seulement cinématographiques. Il ne vaut pas seu
lement par ce dont il témoigne mais par l'approche socio-historique qu'il autor
ise. Aussi l'analyse ne porte pas nécessairement sur l'œuvre en sa totalité ;
elle peut s'appuyer sur des extraits, rechercher des « séries », composer des
ensembles. La critique ne se limite pas non plus au film, elle l'intègre au monde
qui l'entoure et avec lequel il communique nécessairement.
Dans ces conditions, entreprendre l'analyse de films, de bouts de films, de
plans, de thèmes, en tenant compte, selon le besoin, du savoir et du mode
d'approche des différentes sciences humaines ne saurait suffire. Il faut appliquer
ces méthodes à chaque substance du film (images, images sonores, images
sonorisées) , aux relations entre les composants de ces substances ; analyser dans
le film aussi bien le récit, le décor, l'écriture, les relations du film avec ce qui
n'est pas le film : l'auteur, la production, le public, la critique, le régime. On
peut espérer ainsi comprendre non seulement l'œuvre mais aussi la réalité
qu'elle figure.
Au reste, cette réalité ne se communique pas directement. Les écrivains
eux-mêmes sont-ils pleinement maîtres des mots, de la langue ? Pourquoi en
serait-il autrement de l'homme à la caméra, qui, en outre, filme involonta
irement bien des aspects de la réalité. Ce trait est évident pour les images
d'actualité : la caméra doit filmer l'arrivée du roi Alexandre ; les assassins se
trouvent au milieu du public et la caméra enregistre, outre leurs gestes, le
comportement de la police, celui du public ; le document a aussi une richesse
et des significations qui, sur le moment, ne sont pas perçues. Ce qui est évident
pour les « documents », les actualités, n'est pas moins vrai pour la fiction. La
part d'inattendu, d'involontaire peut y être grande. Dans ce film de 1925, la
Vie dans un sous-sol, un couple consulte un calendrier mural pour calculer
la date à laquelle naîtra l'enfant attendu. Le calendrier, de type très courant,
porte la date de 1924 ; or il est déjà orné d'un grand portrait de Staline... Ces
lapsus d'un créateur, d'une idéologie, d'une société constituent des révélateurs
privilégiés. Ils peuvent se produire à tous les niveaux du film, comme dans sa
relation avec la société. Leur repérage, celui des concordances et discordances
avec l'idéologie, aident à découvrir le latent derrière l'apparent, le non-visible
au travers du visible. Il y a là matière à une autre histoire, qui ne prétend,
certes pas, constituer un bel ensemble ordonné et rationnel, comme l'Histoire ;
elle contribuerait plutôt à l'affiner, ou à le détruire.

* Nous remercions A. Akoun, M. F. Briselance, A. Goldman, A. Margarido,


H. Grigoriadou-Cabagnols, B. Rolland, G. Fiman et Cl. Eyzyckman qui ont bien
voulu relire ce texte et nous aider à l'améliorer.

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M. FERRO LE FILM, UNE CONTRE-ANALYSE DE LA SOCIÉTÉ?

Les notations qui suivent portent sur des échantillons que, sans doute
arbitrairement, la tradition classe dans des genres différents : films de fiction,
actualités et documents, films politiques ou de propagande. Par commodité,
ils ont tous été choisis à l'intérieur d'un corpus relativement homogène, contem
porain de la naissance de l'U.R.S.S. (1917-1926) 10. Cette première approche
était nécessaire pour aborder le problème de la spécificité des genres cinéma
tographiques. On comprend que, tenu compte de cet objectif, elle ne couvre pas
un champ très large de l'histoire du cinéma ; au reste, dans cet article, l'étude
se limite à l'étude de films muets.
L'analyse d'un film de fiction, supposé éloigné du réel, Dura Lex, de Kule-
chov, permettra de proposer l'esquisse d'une méthode n.

1. Un film « sans objectifs idéologiques » : Dura Lex (1925).


Œuvres d'imagination et de création, les grands films d'Eisenstein et de
Pudovkine, le Mister West de Kulechov, abordent des thèmes étroitement
associés à la naissance de l'U.R.S.S., au régime bolchevik. A leur façon ils le
légitiment. Il en va différemment de Po Zákonu (Dura Lex) de ce même
Kulechov dont les objectifs déclarés furent « de faire un film qui soit une
œuvre d'art avec un montage exemplaire [...] un sujet fort et expressif ; de faire
un film à sujet avec un coût minimum, question d'importance exceptionnelle
pour le cinéma soviétique ». Comme le rapporte Lebedev et comme en attestent
ses propos, le maître respecté du cinéma soviétique ne « s'inquiétait pas de
révéler la réalité sur un mode véridique et ne se proposait pas de faire l'éducation
idéologique des spectateurs ». Les journaux rapportent qu'à un épisode près,
le scénario tirait sa substance d'un récit de Jack London dont l'action se déroule
au Canada, l'Imprévu.

Un petit groupe de chercheurs d'or trouve à Klondyke un riche gisement.


L'exploitation de la mine dure tout l'hiver. Les affaires vont bien. Il y a beaucoup
d'or. Le vin aide à raccourcir les longues soirées. Mais soudainement, le cours bien
réglé de la vie des chercheurs d'or est troublé par un événement effrayant : un des
chasseurs d'or, un Irlandais, Michael Deinin, tue à bout portant deux membres
de la compagnie. Saisi par l'avidité il veut devenir le seul possesseur de la mine
découverte. Les époux Nielsen ont le temps de se jeter sur l'assassin et de le ligoter.
Alors, pendant de longs jours, la femme et le mari gardent à tour de rôle l'homme
ligoté. Arrive le printemps. La bicoque des chercheurs d'or se trouve isolée du
monde extérieur par la fonte des neiges. La tension des longues nuits sans sommeil,
la vie côte à côte avec l'assassin, amènent les Nielsen à des crises d'hystérie. Mais
leur respect de la loi ne leur permet pas de tuer Michael. Et les Nielsen organisent
un jugement officiel de Deinin, où les rôles de juges, jurés et témoins sont tenus
par eux-mêmes. Michael est condamné à la pendaison. Le verdict est exécuté par
Nielsen qui, cette fois, joue le rôle du bourreau. Mais quand, harassés par la fatigue,
au bord de la folie, ils rentrent chez eux, ils trouvent Michael vivant, sur le pas de

10. Sur le cinéma soviétique, se reporter à l'ouvrage et à la bibliographie de Jay


Le yd a, Kino, a history of the russian and soviet film, Londres, i960, 490 p. Nous avons
utilisé également les travaux de J. Sadoul, M. Bardèche, J. Mitry et retenu ici, de
Christian Metz, « Les propositions méthodologiques pour l'analyse du film », Social
Science. Information sur les sciences sociales, août 1968, pp. 107-121.
11. Sur Kulechov et Po Zákonu, voir, en dernier lieu, « Russies années vingt », dans
les Cahiers du Cinéma, mai-juin 1970.

115
HISTOIRE NON ÉCRITE

la porte, avec à son cou, la corde déchirée. Effrayés, les Nielsen suiverit des yeux
Michael Deinin qui s'en va au loin, dans la pluie et le vent ".

j
j
Une comparaison entre la nouvelle de Jack London et l'œuvre de Kulechov
fait apparaître une première différence : dans l'Imprévu l'assassin est avide,
instable, alors que dans Dura Lex il est violent, certes, mais sympathique,
pitoyable. Alors que ses compagnons obsédés par l'or, vivent dans la fièvre,
il est seul à goûter aux joies de la nature, à y gambader avec son chien ; il se
baigne dans les torrents, joue de la flûte à ses moments perdus 13. Surtout, le
film montre qu'il est tenu dans une position inférieure par ses compagnons
d'origine sociale plus élevée ; il sert à table, fait la vaisselle, accomplit les tâches
domestiques, que, manifestement, les autres jugent indignes d'eux. De plus,
dans le film, il se trouve que c'est lui qui découvre le filon : son statut ne change
pas pour autant. Michael Deinin ne reçoit ni remerciements, ni marque d'estime.
Dans l'Imprévu, la cupidité le conduisait au crime ; elle n'intervient guère dans
Dura Lex où s'imprime la révolte d'un homme constamment bafoué, humilié.
Meurtrier par dignité, Deinin demeure prostré une fois son crime accompli. Son
visage s'illumine seulement le jour où ses gardiens l'invitent à leur table « pour
fêter un anniversaire ». Alors, comme dans un rêve, il raconte ce qu'avait été
son rêve : une fois devenu riche, revoir sa mère, lui montrer qu'il était digne
de son amour. Ce drame de la reconnaissance est aussi, dans Dura Lex, celui
d'un citoyen de statut inférieur. Pour le condamner, ses juges s'abritent derrière
la triple protection de la loi anglaise (il est irlandais), de la Bible protestante
(il est catholique) , de la menace du fusil (il est ligoté) . Le soi-disant respect des
formes de la Loi n'est ainsi que parodie de justice ; le même souci du confo
rmisme retarde l'exécution (on n'exécute pas le dimanche) et révèle l'hypocrisie
d'un milieu, d'une morale, d'une société. Toutes ces notations ne figurent pas
dans la nouvelle de Jack London où le respect des formes de la Loi est mis au
crédit des Nielsen ; inversement dans Dura Lex les réactions des Nielsen appa
raissent plus humaines lorsque, voulant venger leurs amis ou saisis par la peur,
ils envisagent de supprimer Deinin, que lorsque, s'en retenant, ils s'avisent de
jouer les justiciers. Désormais, ils ne sont plus eux-mêmes ; ils imitent les juges
récitent mécaniquement le code, appliquent aveuglément la Loi et les voilà,
transfigurés, dénaturés, déshumanisés, réduits à l'état de silhouette 14. La Loi
a légitimé un crime. D'autres différences entre le livre et le film aident à com
prendre la démarche de Kulechov. Dans l'Imprévu, le crime de Deinin est
bientôt connu de la communauté indienne voisine. Par hasard, Negook, un de
ses membres, est entré dans la cabane ; il a vu les cadavres et le sang. Les
apparences sont contre les Nielsen puisque Deinin est ligoté. Pour qu'il n'y ait
pas d'équivoque, que Deinin apparaisse bien avoir été jugé en équité, son
procès a lieu en public : des Indiens y assistent et même s'ils ne comprennent
pas la procédure, la cause est claire car Deinin raconte et reconstitue son crime.
Rien de tout cela dans Dura Lex. Le procès a lieu à huis clos et Deinin peut
à peine se défendre. Ainsi, alors que Jack London glorifiait Edith Nielsen qui

.12. Texte du synopsis repris, comme les suivants, de Lebedě v, traduction publiée
dans Le film muet soviétique, Catalogue de la Cinémathèque de Bruxelles, Cinémathèque
de Bruxelles, s.d.
13. Observation de M. F. Briselance.
14. Dans des plans tournés à contre-jour (observation de L. Grigoriadou-Caba-
gnols).

116
M. FERRO LE FILM, UNE CONTRE-ANALYSE DE LA SOCIÉTÉ?

veut juger Deinin, respecter la Loi, Kulechov montre que le soi-disant respect
de la Loi, purement parodique, est pire que la violence. Certaines procédures
sont tellement révoltantes que les juges eux-mêmes sont saisis par le délire :
après l'exécution, comme dans un cauchemar, les Nielsen revoient Deinin en vie,
scène qui n'est pas dans Jack London.
Ajouts, suppressions, modifications, inversions peuvent-ils être seulement
attribués au « génie » de l'artiste, n'ont-ils aucune autre signification ? Celle-ci
est révélée par un lapsus du réalisateur. Attentif dans les moindres détails
à situer son action en terre britannique, il ordonne le grand repas d'annivers
aire à la russe 15. Dès lors, il est clair que le complet retournement de sens
auquel a procédé Kulechov n'est pas fortuit et que l'ensemble de modifications
apportées au texte de Jack London forme un tout cohérent, même si l'artiste
n'en a pas conscience : sous le masque du Canada, se cache la Russie, l'U.R.S.S.
des premiers procès 16.
Ainsi, on comprend pourquoi le film reçut un accueil si peu enthousiaste de
la « critique ». Bien que la Pravda ait déclaré avoir vu dans Po Zákonu une
attaque contre la justice bourgeoise, la presse demeure réservée, jugeant la
démonstration « peu convaincante ». Elle n'avança pourtant aucune raison
explicite sinon que « l'œuvre obéissait trop à des motifs psychologiques ». Cette
raison a un sens si elle porte sur le récit de Jack London qui a pour, héroïne
Edith et pour objet d'analyser le comportement d'une jeune bourgeoise devant
les aléas et les imprévus de la vie ; mais l'explication porte à faux si elle concerne
le film. La Pravda estimait également que Dura Lex était « un projectile lancé
dans une voie inutile ». S'agissant, selon ce critique, d'un « procès de la justice
bourgeoise et de la pratique religieuse », son jugement peut surprendre : 1926 se
situe précisément à l'apogée de la campagne antireligieuse. Il s'interprète mieux
si l'on voit dans ce film une attaque contre n'importe quelle loi, contre n'importe
quelle procédure, contre n'importe quelle justice, même populaire, même sovié
tique. Le code et la Loi que les Nielsen répètent, les gestes qui se veulent ceux
des juges, constituent apparemment une parodie de la justice anglaise ; les
autorités soviétiques y ont senti la critique de leur propre pratique judiciaire
que cette œuvre dénonce au travers d'une « aventure au Canada ».
L'auteur en avait-il entièrement conscience, pouvait-il en faire état ? La
critique officielle pouvait-elle, voulait-elle voir clair et reconnaître ce qu'elle
avait vu au travers de ce qui lui était montré ? Double censure qui transcrit
une réalité demeurée non-visible au niveau du film, des textes écrits, des
témoignages. Zone de réalité historique, néanmoins, que les images aident
à découvrir, à définir, à délimiter.
Ainsi, parti d'un contenu apparent, ce western, l'analyse des images, la
critique des sources ont permis de repérer le contenu latent du film : derrière
le Canada se cache la Russie, derrière le procès de Deinin, celui des victimes de
la répression. L'analyse a permis également de découvrir une zone de réalité

15. Cf. Jay Leyda, op. cit., p. 213.


16. Les mesures prises contre les Blancs et leurs partisans mises à part, le procès
des socialistes-révolutionnaires eut lieu en mai 1922 ; celui des SR de gauche, artisans
d'Octobre, en 192 1, comme celui des menchéviks. Le premier procès avec confession
écrite date de la fin de 1924. Jusque-là, il y avait encore une vraie procédure. Toutefois
elle était volontiers violée par le tribunal. La plus fréquente de ces violations était le refus
donné à la défense de produire des témoins. Cf. Léonard Schapiro, Les bolcheviks et l'oppos
ition, Paris, 1957, PP- I5< I9> I37< Х68 e^ 32^-

117
HISTOIRE NON ÉCRITE

Société + Idéologie
Recherche des
-4-4- révélateurs
-и i
fiction
Zone de
Contenu Contenu réalité (sociale)
apparent latent non visible
?
image de
la réalité
It
Société +4-4-1-4
Idéologie î-

Procédure

Méthodes des
différentes
sciences humaines

non-visible. Dans cette société soviétique, le critique se cache les raisons véri
tables de son attitude (accord /désaccord) vis-à-vis du film. Le réalisateur
transpose (consciemment /inconsciemment) un récit dont il retourne entièr
ement(sans le dire, sans qu'on le dise, sans que nul veuille le voir). La signature
de Jack London sert d'assurance ultime, de « couverture », à Kulechov : l'année
précédente, les bolcheviks avaient largement diffusé la traduction d'un de ses
ouvrages de 1906 : Pourquoi je suis un socialiste 17.

2. Une comparaison : les premiers films de propagande soviétique et anti-soviétique.


Successivement on présentera chaque film (1, 2) : scénario (a), traits de la
mise en scène (b) ; puis on les comparera (3).
1. a. Se serrer 18 (Uplotnenie) , un des premiers films du régime soviétique,
réalisé en 19 18 par Panteleev, avait pour auteur le ministre de la Culture lui-
même, Anatole Lunačarskij . Selon ses intentions et selon la critique de l'époque,
ce film « traduisait la nécessité de la fusion du prolétariat et de la classe intel
lectuelle ». En voici le synopsis.
Une année après l'accomplissement de la grande révolution d'Octobre, à Petro-
grad, un professeur émérite donne des cours de chimie. Comme beaucoup d'intel
lectuels aux idées avancées, il s'est mis du côté de la révolution dès le premier jour,
mais il s'en faut de beaucoup que tous les professeurs aient adhéré à ses vues, de
même qu'un de ses élèves qui affirme que « la science doit rester en dehors de la
politique ». En fait, il mène l'agitation contre les bolcheviks. Le fils aîné du profes
seurest lui aussi un ennemi de la révolution. Le plus jeune fils, un lycéen, reste

17. Pocema joi socialistom ?, Leningrad, 1925, 32 p.


18. Appelé quelquefois Cohabitation.

118
M. FERRO LE FILM, UNE CONTRE-ANALYSE DE LA SOCIÉTÉ?

à la croisée des chemins. On fait habiter un ouvrier et sa fille dans l'appartement


du professeur à cause de l'humidité du sous-sol où ils logeaient. Les membres de
la famille du professeur se comportent différemment vis-à-vis des nouveaux
locataires. Mais bientôt, chez la femme du professeur et son jeune fils, l'animosité
disparaît. Les ouvriers de l'usine commencent à fréquenter l'appartement du
professeur qui se met à donner des cours populaires dans un club ouvrier. Le fils
du professeur tombe amoureux de la fille de l'ouvrier et ils unissent leur sort.

1. b. D'autres traits du film n'ont pas été retenus à l'époque :


Le délégué de quartier est venu annoncer à l'ouvrier la bonne nouvelle : il a dans
sa poche un mandat de réquisition pour l'appartement du professeur, au premier
étage. L'ouvrier se sent gêné. Il n'ose pas souiller la luxueuse moquette du vestibule.
Le délégué le pousse : « Tu y as droit » ". Parvenu sur le perron, l'ouvrier hésite
à nouveau. Le délégué sonne à sa place, le rudoie, crache ostensiblement dans la
cage de l'escalier. Le mandat de réquisition à la main, l'ouvrier ne se résout pas
à pénétrer dans l'appartement ; le délégué le rudoie, parle en maître. « Tu n'as
pas à faire de manières, tu y as droit. » Tandis qu'à la vue de la réquisition, son
épouse tombe en syncope, le professeur accueille les locataires avec toute sa gentil
lesse. Il leur propose une forme de cohabitation. « Pas cohabitation, partage »,
exige le délégué. Néanmoins, l'ouvrier et sa fille sont peu à peu traités comme des
pensionnaires. Mais alors que la jeune fille, réservée, demeure dans sa chambre,
son père ne se cantonne plus dans la pièce qui lui a été attribuée et où, le premier
jour, il mangeait maladroitement son casse-croûte. Il prend ses repas à la table
commune, et sa fille finit par le rejoindre. Tous deux assistent aux violentes
querelles qui opposent les deux fils sur la révolution et le bolchévisme. Manifeste
ment, ni l'ouvrier ni la fille ne semblent rien y comprendre. A la suite d'une bagarre,
un policier vient arrêter le fils aîné, hostile aux bolcheviks, et que les inspecteurs
identifient à son uniforme de jeune officier ; ils ne l'interrogent même pas. Le fils
cadet tombe amoureux de la jeune fille, le vieil ouvrier présente le professeur à son
club, le club Karl Liebknecht. Il y est reçu en ami, donne des leçons de chimie qui
sont pour ces travailleurs incultes de véritables séances de magie. Les ouvriers
ne savent comment exprimer leur gratitude au professeur qui devient leur conseiller,
leur frère. Mais la guerre civile continue; il faut combattre. Le professeur et son
jeune fils sont avec les Rouges ; l'aîné, libéré depuis peu, est passé du côté des
Blancs ; il meurt tué dans un combat.

2. Le premier film anti-soviétique, Jours de terreur à Kiev, est d'auteur


inconnu 20. Il a été réalisé en 1918 à Kiev sous l'égide des autorités allemandes
qui protègent Skoropaski. Les cartons sont bilingues : en allemand et en fran
çais ; dans la lutte anti-bolchévik, l'ennemi national est un allié, alors que la
guerre continue sur le front occidental ; les Français ont débarqué des troupes
pas loin de là, à Odessa ; ce film leur est également destiné.
a) Les Rouges ont pris le pouvoir à Kiev. La violence et le crime font la loi.
Les honorables citoyens sont dévalisés. Leurs demeures occupées. Die Bolschewiste
Greuel retrace la tragédie d'une de ces familles de la petite bourgeoisie. Le père
a perdu son emploi, sa femme et lui sont expulsés de leur appartement par leur
ancien valet « qui occupe d'importantes fonctions chez les bolcheviks ». Leur fille,
« qui travaille avec eux », veut les aider, les protéger. Mais les parents refusent « cet

19. Les guillemets correspondent aux textes des cartons.


20. Film de propagande allemand, tourné à Kiev en 1919 avec des acteurs russes.
Le film est précédé par un montage de documents intitulé Atrocités bolcheviques. Durée
10 minutes. National Film Archive Catalogue (London), s.d., part II, n° 163.

119
HISTOIRE NON ÉCRITE

argent gagné dans l'indignité ». Bientôt, le père est envoyé « aux travaux forcés ».
Avec l'aide d'un camarade rallié lui aussi aux bolcheviks, sa fille essaie d'organiser
sa fuite à l'étranger. Mais le père, la mère, l'ami sont victimes de la provocation
montée par l'ancien valet ; ils sont découverts, arrêtés, fusillés.
b) Les détails du scénario, la mise en scène accentuent les traits de ce synopsis.
Chez les bolcheviks, régnent la promiscuité, la turpitude : « et ce sont ces gens-là
qui gouvernent ». Ils jettent à terre un chauffeur de maître, le rouent de coups,
prennent ses effets, le dévalisent, s'emparent de son automobile. Au commissariat,
qui est une vraie tabagie, l'alcool coule à flots ; les inspecteurs sont arrogants avec
les citoyens, veules avec leurs supérieurs ; la peur sue de toute part. Au camp de
travail, le responsable est un bourgeois rallié, il est d'autant plus intraitable avec
les victimes ; ce sadique « n'a aucun respect pour les cheveux blancs ni pour les
patriotes ». L'autre jeune bourgeois rallié est un félon ; il informe les bolcheviks
de ce que ses amis préparent. Au contact des bolcheviks on le voit se détériorer.
Chez les bourgeois, au contraire, ordre, honnêteté, droiture. Quand les jeunes
voyous s'installent chez lui, s'assoient à sa table, finissent son repas, le vieil homme
reste digne. Ce drame éprouve son épouse, qui s'évanouit. Après avoir maudit sa
fille, elle l'étreint quand celle-ci veut aider ses parents : jusqu'au bout, elle montrera
qu'elle est une bonne mère.

3. Si l'on compare ces deux films politiques réalisés, à quelques mois de


distance, l'un chez les Blancs, l'autre chez les Rouges, on constate que, bien
qu'ayant des objectifs opposés, ils ont presque la même thématique.
— Ils posent le problème des relations entre les vainqueurs d'Octobre et
la petite bourgeoisie :
— Leur objectif est de montrer que la cohabitation ou la fusion des classes
est impossible /possible.
— Le morceau traumatique dans le thème principal est l'expulsion ou le
partage d'un appartement bourgeois. La mère y est plus sensible que le reste
de la famille. Dans les deux films, elle se trouve mal. Allégoriquement, les
victimes habitent sous terre : les unes avant Octobre (dans le film bolchevik),
les autres après Octobre (dans le film anti-bol chévik) .
— Avec le fait révolutionnaire, la vie politique fait irruption à l'intérieur
de la cellule familiale, elle la dissout.
— La séquence finale est tragique, mais, pour deux omissions inverses et
significatives, on ne voit pas mourir le fils aîné (hostile aux bolcheviks) dans
Se serrer, on ne voit pas non plus la jeune fille de Jours de terreur s'adapter
au nouveau régime.
D'autres équivalences, d'autres similitudes dépassent le vouloir conscient
ou inconscient des scénaristes :
— Dans les deux films une idylle est à l'origine du rapprochement des
classes. Toutefois, il y a une différence : dans Jours de terreur, l'initiative vient
de la jeune fille, « partie » de chez elle, ce qui n'est pas «convenable». Dans Se
serrer, c'est le fils cadet « qui tombe amoureux » ; l'ouvrière a gardé une attitude
très réservée, manifestant sa bonne éducation. Ainsi, deux films dont la finalité
est inverse, mais qui tous deux définissent le bien ou le mal à partir du même
signe, le comportement de la jeune fille. Ce qui n'a rien de surprenant dans un
film qui défend les principes de la morale traditionnelle, l'est plus quand on sait
les propos tenus par Lunačarskij sur l'émancipation de la femme. Pour lui,
ces thèses libératrices ne vaudraient-elles que pour les femmes de l'intelli-

120
M. FERRO LE FILM, UNE CONTRE-ANALYSE DE LA SOCIÉTÉ?

gentsia, le comportement traditionnel demeurant la « bonne morale » pour le


peuple ?
— Dans aucun des deux films, les activistes ne sont des ouvriers. Dans
Uplotnenie, le délégué de quartier qui porte la veste de cuir prend toutes les
décisions ; l'ouvrier obéit ; dans Jours de terreur, les bolcheviks sont des soldats,
des marins, un valet, des petits bourgeois, pas des ouvriers. Lorsque l'auteur
veut stigmatiser le « régime », il montre les méfaits de la « racaille », place le
carton : « et ils le gouvernent », qu'il fait suivre d'un plan d'actualités : or celui-ci
ne montre pas des ouvriers mais un rassemblement de soldats.
On voit que sont complètement absentes de ces films les grandes mesures
que traditionnellement on attribue au régime bolchevik : décret sur la paix, etc.
Il en va de même de bien d'autres films de ces années-là, sinon les films des
réalisateurs « blancs », car ils émigrèrent, au moins les soviétiques ; ce n'est pas
avant plusieurs années que la glorification des grandes mesures d'Octobre
occupera les écrans.
L'explication tient d'abord à la portée réelle de ces décrets en 1918. Le
décret sur la paix ? A la guerre « impérialiste » a succédé la guerre civile, plus
la lutte contre l'intervention étrangère. Le décret sur la terre ? En 19 17, on
n'avait pas encore oublié que la plupart des paysans s'étaient attribué la terre
tout seuls, avant qu'Octobre ne légitime et n'étende les mesures d'expropriation.
Les Rouges ne pouvaient non plus évoquer le problème de l'autogestion des
usines, puisque ce qu'ils baptisaient contrôle ouvrier sonnait le glas des comités
d'usine. On comprend que toutes ces censures limitaient singulièrement le
champ du film politique 21. Dans le marasme général, il est clair que le parti
bolchevik a besoin de la bourgeoisie s'il veut régénérer l'économie. Il le sait, les
Blancs le savent également. Aussi, les protagonistes axent leur propagande sur
les problèmes qui ont réellement traumatisé la masse flottante des petits
bourgeois : la perte du foyer, l'appropriation des biens de consommation, le
métissage social. A cette date, la partie n'étant pas jouée, les Blancs veulent,
pour l'en détourner, affoler cette petite bourgeoisie. De leur côté, les Rouges,
pour la gagner, cherchent à la séduire.
Par ailleurs, les deux films font apparaître l'irruption des classes populaires
à la direction des affaires. Ouvriers ou non, les hommes et femmes qui prennent
des décisions n'appartiennent pas aux anciennes couches dirigeantes : le cos
tume, la façon de manger et de se comporter marquent la différence. Écart
visible, mesurable. Cette situation se modifiera ; dès les années 1920, on voit
au travers des documents et des films que les membres de l'ancienne intell
igentsia ont pris le relais et se sont métamorphosés en bureaucrates.

3. Une série : Analyse de documents d'actualités : Février-octobre igiy ; Petr o gr ad;


Cortèges de manifestants dans les rues.
Recherchant l'événement plus que le quotidien, le chasseur d'images filme
seulement la réalité non reconstituée. Il ne saurait pour autant atteindre le
fond des problèmes car les ressorts d'une société ne s'offrent pas nécessairement
tous au regard. En outre, sa dépendance vis-à-vis des impératifs de la firme qui
l'emploie, les usages, limitent le champ de ses activités.

21. Voir Jay Leyda, op. cit., chap. vu.

121
HISTOIRE NON ÉCRITE

II reste que, même délimitée, la richesse du document d'actualité, choisi,


réduit, coupé, monté, demeure irremplaçable. On la mesurera avec un exemple
très banal, une manifestation de rues dans Petrograd en 1917 22.
La documentation est relativement abondante ; en outre, comme le mou
vement révolutionnaire a duré plusieurs mois et que l'itinéraire des cortèges
fut souvent le même, par les Liteinij et Nevskij Prospekt ou en direction du
Palais de Tauride, les cameramen russes, anglais, français ont pu repérer les
bons angles de prises de vue 23. Cette circonstance rend compte de l'existence
d'une véritable « série » de documents sur les manifestations de rues. Ces plans
sont aisément réparables du point de vue chronologique grâce aux inscriptions
portées sur les banderoles, souvent filmées de face ou de trois quarts. Ainsi,
on lit « à bas l'ancien régime », « vive la république démocratique », « vive
l'assemblée constituante », « sans droits égaux pour les femmes, pas de démoc
ratie », « suffrage égal et direct pour tous ». Lorsque ces mots d'ordre se
retrouvent associés, la manifestation a eu lieu clairement au tout début de la
révolution. D'autres vues de manifestations datent sans conteste de la crise
d'avril ; on lit en effet sur les banderoles : « paix sans annexions ni contribu
tions », « à bas la politique d'agression », et, chez leurs adversaires, « guerre
jusqu'à la victoire ». Le cortège du 18 juin fut bien filmé : « à bas les six ministres
capitalistes », « vive la paix des peuples », « vive le contrôle ouvrier sur la pro
duction », « terre et liberté », « à bas la Douma ». Ultérieurement on retrouve
les. manifestants portant les mêmes slogans ; les plus fréquents sont : « guerre
jusqu'à la victoire », « paix générale », « paix sans annexions ni contributions ».
Au regard de ces images, on peut faire diverses constatations. En février-
mars, lorsque la tête du cortège s'avance, les boutiquiers et les badauds des
quartiers petit-bourgeois au centre de la ville applaudissent et bientôt on ne les
distingue plus des manifestants, ils se sont agglomérés au cortège. Les femmes
y sont nombreuses. En avril et en mai, les cortèges s'avancent plus disciplinés,
avec drapeaux et banderoles. Badauds, boutiquiers, passants regardent ou
accompagnent les manifestants mais en ne quittant pas le trottoir ; ils ne se
joignent pas à eux. En juin et durant l'été, la masse des manifestants est moins
compacte, le public vaque à ses affaires, il prête peu d'attention aux défilés
pacifistes ; un double service d'ordre, avec cordon de troupes, assure la sécurité
de la manifestation.
Ainsi, les images fournissent une sorte de périodisation des rapports entre
les manifestants et les petits-bourgeois du centre de la capitale : unité d'abord,
puis sympathie ou indifférence, enfin crainte ou hostilité. Rien de bien neuf,
on le voit, par rapport au savoir traditionnel sinon la communication directe
du mouvement de la révolution, depuis l'extraordinaire tumulte des journées
de février jusqu'aux manifestations allègres, puis successivement sereines,
tendues, désabusées, des mois suivants.
Une deuxième lecture fait pourtant ressortir un fait nouveau : on ne voit
guère d'ouvriers parmi tous ces manifestants. L'écrasante majorité est consti
tuéepar des soldats ; parmi les civils, les femmes l'emportent, et parmi elles,

22. Un inventaire des plans est en préparation. Un catalogue des plans se trouvant
en U.R.S.S. est accessible : Kino i Foto dokumenty po istorii velikovo oktjabrja, 191J-1920,
Moscou, 1958, 354 p. Les conditions de production sont exposées dans Jay Leyda, op. cit.
23. Le Premier Mai mis à part. Au reste, ce jour-là les manifestations n'eurent pas
lieu sur les Liteinij et Nevskij Prospekt mais sur la Place du Champ-de-Mars.

122
M. FERRO LE FILM, UNE CONTRE-ANALYSE DE LA SOCIÉTÉ?

plus les cortèges féministes que les délégations des femmes ouvrières : nomb
reuses sont aussi les délégations des nationalités (Bund, Dashnaks, etc.). La
fiction confirme : dans Octobre, d'Eisenstein (1926), le manifestant qui, en
février, hisse le drapeau sur la statue est une femme ; la masse qui suit brandit
des faux, des fusils, pas des marteaux. Par deux fois on voit ces faux, ces fusils.
Pour leur part les ouvriers n'apparaissent pas avant les manifestations de juillet
et pour la préparation de l'insurrection d'octobre. De fait, l'iconographie confirme
qu'entre février et octobre, la fête du travail du Ier mai et le 3 juillet mis à part,
la participation ouvrière aux manifestations et cortèges fut très minoritaire.
Voilà qui remet en cause une tradition solidement enracinée, qui ne connaiss
ait que les « manifestations de masses, ouvriers et soldats ». Les images incitant
à une vérification, on peut s'apercevoir qu'entre février et octobre, les activistes
qui firent irruption au siège du parti bolchevik pour l'obliger à prendre en
charge les manifestations d'avril, juin, juillet n'étaient jamais des ouvriers mais
bien des soldats. Au vrai, si les ouvriers ne manifestent pas dans le centre de
la ville, c'est simplement qu'ils accomplissent la révolution autrement. Pour la
plupart, ils occupent et gèrent les usines. Un film de fiction de Pudovkine
montre cet envers du problème : la Fin de Saint-Pétersbourg. On y voit qu'avant
février les ouvriers se réunissent à leur domicile ; l'usine est une forteresse
hostile où l'on va travailler, on en revient le soir ; aux autres heures de la
journée ou de la nuit ses alentours sont vides ; entre février et octobre, ce sont
les domiciles qui sont vides, car la vie s'est transportée à l'usine, devenue, avec
les rues avoisinantes, la cité bourdonnante et la demeure des travailleurs.
Le silence de la tradition sur cet aspect du mouvement révolutionnaire
s'explique. Pour l'historiographie bolchevik, noter la rareté des ouvriers dans
les manifestations de rues, l'expliquer par les occupations d'usine reviendrait
à admettre que les mesures prises ultérieurement pour mettre fin à la gestion
ouvrière allaient contre le sentiment général. En outre, la tradition marxiste
ne pouvait attribuer le succès des grandes manifestations de rues, en avril,
juin, etc. à ces soldats que le Dogme et la Loi définissaient comme des « paysans
en uniforme » u. Reconnaître le rôle d'avant-garde, même partiel, non des
ouvriers, mais des « paysans-soldats » serait revenu, cette fois, non plus à dis
qualifier les actes ultérieurs des bolcheviks, mais à mettre en cause le dogme
sur lequel ils fondaient leur légitimité.
Ces documents révèlent aussi l'extraordinaire popularité du soulèvement
commencé en février, la prise de conscience qui l'accompagne, la joie sans équi
voque d'être débarrassé de l'aristocratie. Comparés à des documents
d'avant 1917, les plans portant sur des manifestations font apparaître, concrè
tement, comment, peu à peu, la ville change de mains, signe de bouleversement
social qui sous-tend ses manifestations politiques. Les classes populaires ont
pris le pouvoir et ainsi Octobre apparaît comme une légitimation, non comme
un coup d'État ou un accident de l'histoire.

Ces trois exemples, choisis en Russie, montrent qu'un film quel qu'il soit
est toujours débordé par son contenu. Au-delà de la réalité représentée ils ont

24. A tort, comme il a été montré dans « Le soldat russe en 1917 », Annales E.S.C.,
1971, n° 1, pp. 14-39-

123
HISTOIRE NON ÉCRITE

permis d'atteindre, chaque fois, une zone d'histoire jusque-là demeurée cachée,
insaisissable, non-visible. Avec Selon la Loi, on repère les actes manques des
artistes, de la critique officielle : ils révèlent les interdits non-explicites des
débuts de la Terreur. Les actualités ont révélé à la fois la popularité d'Octobre
et mis à nu les aspects falsificateurs de la tradition historique alors que ces
actualités elles-mêmes, par la compréhension de l'événement qu'elles supposent,
masquent une partie de la réalité politique et sociale. La comparaison entre
les deux films de propagande a montré l'écart qui peut exister entre la réalité
historique saisie au niveau du vécu et sa mise en perspective. Elle montre aussi
comment une classe dirigeante a été chassée de l'Histoire.
Réunis, ces exemples, ces films, ont quelque peu démonté la mécanique de
l'histoire rationnelle. Leur analyse a aidé à mieux saisir la relation entre les
dirigeants et la société. Ce n'est pas dire que la vision rationnalle de l'Histoire
ne soit pas opératoire ; mais seulement rappeler que, pour ne rien laisser
échapper, l'analyse ne saurait, par le privilège accordé â une seule approche,
être totalitaire.
Marc Ferro,
École Pratique
VIe des
Section.
Hautes Études,

124

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