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Seconde

FRANÇAIS

Rédaction

M. Cournarie
S. D’Espies
E. Ferracci
S. Kauffmann
J. Ledda
S. Ledda
M. Leroux-Baron
M. Thiéry
A. Witt

Coordination

Corinne Bara-Gallais
Rozenn Jarnouën
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le CNED avec l’autorisation du Centre français d’exploitation du droit de copie (20 rue des Grands Augustins, 75006 Paris) © CNED 2016
SOMMAIRE
Général

FRANÇAIS

Conseils généraux ........................................................................................................................................................ 4

Séquence 1 Le roman et la nouvelle réalistes au XIXe siècle .................. 15

Séquence 2 La critique sociale, du XVIIe siècle au XVIIIe siècle ........... 55

Séquence 3 Le Colonel Chabert : les hommes et l’argent ............................... 81

Séquence 4 Tragédie et comédie au XVIIe siècle ......................................................... 119

Séquence 5 L’École des femmes : une comédie classique .............................. 169

Séquence 6 La poésie, du romantisme au surréalisme .................................... 201

CNED Seconde – FRANÇAIS 3


Conseils
généraux

Le programme et l’organisation
de votre travail
Bonjour et bienvenue en classe de seconde
Vous entrez au lycée, en classe de seconde où vous allez découvrir et étudier des
textes qui compléteront votre première expérience de lecteur au collège. De la si-
xième à la troisième vous avez déjà voyagé en Littérature à travers les récits fon-
damentaux d’Homère à Virgile, les romans, les poèmes et les pièces de théâtre du
Moyen Âge à nos jours.

… mais d’abord, qu’est-ce que le français en seconde ?


À partir de votre expérience de lecteur, vous allez maintenant approfondir au lycée
l’analyse des textes pour y saisir ce qui fait la spécificité d’un auteur, d’une œuvre,
d’un texte.
Les deux années de seconde et de première vont vous permettre de progresser
vers les épreuves orale et écrite de l’examen : en effet, l’épreuve anticipée de
français (ÉAF) se prépare dès la seconde !
« En seconde [l]es apprentissages, qui prennent appui sur les acquis du collège, visent
à développer l’autonomie de l’élève, sa capacité d’initiative dans les démarches, son at-
titude réflexive par rapport aux objets étudiés, dans la perspective de ses études à venir.
En première, ils permettent de compléter et d’approfondir les questions abordées en
seconde et de se perfectionner dans la pratique de certains exercices d’écriture, de
lecture et d’expression orale dans la perspective de l’examen final (épreuves anticipées
de français). »

Présentation générale
Dans la continuité de l’enseignement qui a été donné au collège, il s’agit avant tout
d’amener les élèves à dégager les significations des textes et des œuvres. À cet
effet, on privilégie deux perspectives : l’étude de la littérature dans son contexte
historique et culturel et l’analyse des grands genres littéraires.
C’est en se fondant sur l’étude des textes et des œuvres que l’on donne aux élèves des
connaissances d’histoire littéraire. Ainsi se mettent en place peu à peu les repères
nécessaires à la construction d’une culture commune. On veille également à leur appor-
ter des connaissances concernant les grands genres littéraires et leurs principales
caractéristiques de forme, de sens et d’effets, afin de favoriser le développement
d’une conscience esthétique. Enfin, chaque objet d’étude doit permettre de construire
chez l’élève l’ensemble des compétences énumérées plus haut : compétences d’écri-
ture et d’expression aussi bien que de lecture, d’interprétation et d’appréciation.
Le programme fixe quatre objets d’étude qui peuvent être traités dans l’ordre sou-
haité par le professeur au cours de l’année. À l’intérieur de ce cadre, celui-ci organise
librement des séquences d’enseignement cohérentes, fondées sur une problématique
littéraire. »
Extrait du Bulletin officiel spécial n° 9 du 30 septembre 2010

4 CNED Seconde – FRANÇAIS


conseils
généraux

Notez que les objets d’étude de seconde et de première sont complémen-


taires… ce qui signifie que les bases indispensables pour le cours de première
seront posées dès cette année. Ainsi, votre année de seconde peut-elle être
considérée comme une initiation et celle de première comme un approfondis-
sement des différents exercices de lecture ou d’écriture oraux ou écrits.

Qu’allons-nous découvrir ensemble cette année ?


Consultez maintenant le tableau ci-dessous, vous y trouverez notre programme
construit en six séquences, élaboré en conformité avec les instructions officielles.

Œuvres intégrales
Objets Problématique Activités interac-
Séquence GT/lectures cur- Fiches méthode Devoirs
d’étude Objectifs tives
sives

Le roman Séquence ▶ Voircomment romans ▶ Un grou- ▶ Lectures ▶ Histoire du Devoir n° 1


et la 1 et nouvelles s’ins- pement de cursives, roman
crivent dans les mou- textes réa- analytiques Lecture
nouvelle au ▶ La situation
vements littéraires et listes analytique
XIXe siècle : ▶ Entraînement d’énonciation
culturels du réalisme guidée
réalisme et ▶ Un grou- à l’écrit :
et du naturalisme ▶ Le texte nar- d’un texte
naturalisme pement de l’écriture
ratif narratif
▶ Étudier les caractéris- textes natura- d’invention.
tiques des romans et listes ▶ Lalecture
▶ Histoire des
des nouvelles réalistes analytique
▶ Une lecture arts
et naturalistes
cursive : ▶ Lesparoles
▶ Découvrir les spéci- Maupassant, rapportées
ficités de ces genres « Pierrot »,
narratifs Contes de la ▶ Le réalisme
Bécasse dans l’histoire
▶ S’initierà la lecture culturelle du
analytique et à l’écri- XIXe siècle
ture d’invention

Genres et Séquence ▶ Découvrir la variété de ▶ Un grou- ▶ Lectures ▶ Types de Devoir n° 2


forme de 2 l’expression d’argu- pement de cursives, textes et
ments textes du analytiques formes de Écriture
l'argumen- d’invention
tation : du XVIIe siècle au discours
▶ Maîtriserla différence ▶ Entraînement
XVIIe siècle XVIIIe siècle
entre convaincre et à l’écrit : la ▶ Les registres
au persuader ▶ Une lecture dissertation. satirique,
XVIIIe siècle cursive : Vol- polémique et
▶ Maîtriserles procédés ▶ Histoire des
taire, L’affaire oratoire
de persuasion du chevalier de arts
▶ S’approprier les La Barre
registres satirique,
polémique et oratoire
▶ S’entraîner à l’exercice
de la dissertation

Le roman Séquence ▶ Approfondir votre ▶ Une œuvre ▶ Lectures ▶ La nouvelle, Devoir n° 3
et la 3 connaissance du mou- intégrale : cursives, bref histo-
vement littéraire et Balzac, Le Co- analytiques rique de ce Commentaire
nouvelle au littéraire
XIXe siècle : culturel du réalisme lonel Chabert genre litté-
▶ Entraînement
réalisme et raire
▶ Découvrir le roman- ▶ Un grou- à l’écrit : le
naturalisme tisme pement de commentaire ▶ Expliquer un
textes du littéraire texte des-
▶ Apprendre à expliquer XIXe siècle criptif
un texte descriptif ▶ Histoire des
▶ Une lecture arts ▶ Le commen-
cursive : Zola, taire littéraire
La Curée
▶ Le vocabulaire
de l’analyse
littéraire

CNED Seconde – FRANÇAIS 5


conseils
généraux
Œuvres intégrales
Objets Problématique Activités interac-
Séquence GT/lectures cur- Fiches méthode Devoirs
d’étude Objectifs tives
sives

La tragédie Séquence ▶ Découvrir l’esthétique ▶ Un grou- ▶ Appren- ▶ Analyser le Devoir n° 4


et la 4 de la comédie et de la pement de tissage de texte théâtral
tragédie au XVIIe siècle textes extraits la lecture Dissertation
comédie au ▶ Comédie et ou
XVIIe siècle : de comédies analytique
▶ Établir des liens entre du XVIIe siècle tragédie commentaire
le le théâtre classique et ▶ Acquisition de
▶ Le vocabulaire littéraire
classicisme le théâtre antique ▶ Un grou- compétences
pement de d’analyse du du théâtre
▶ Acquérir des notions textes extraits texte théâtral
d’histoire littéraire en de tragédies
resituant la tragédie et du XVIIe siècle ▶ Lecture
la comédie dans leur cursive d’une
évolution ▶ Un grou- œuvre inté-
pement de grale
▶ Apprendre à commen- textes extraits
ter un texte théâtral de comédies ▶ Histoire des
du XVIIIe au arts
▶ Distinguer la notion
de genre de celle de XXe
registre ▶ Un grou-
pement de
textes extraits
de tragédies
du XIXe au XXe
▶ Une lecture
cursive :
Jean Racine,
Britannicus,
1669

La tragédie Séquence ▶ Approfondir votre ▶ Une lecture ▶ Lectures ▶ Le classicisme Devoir n° 5


et la 5 connaissance du intégrale cursives,
▶ Les règles Oral
comédie au théâtre classique Molière, analytiques
du théâtre obligatoire :
XVIIe siècle : ▶ Revoir les règles du L’École des ▶ Synthèses classique
le théâtre classique femmes, lecture
classicisme 1662 ▶ Entraînement analytique ou
▶ Revoir la notion de à l’écrit entretien
registre comique ▶ Une lecture
cursive ▶ Histoire des
▶ Étudier une pièce Molière, Les arts
de Molière dans son Femmes sa-
intégralité vantes, 1672

La poésie au Séquence ▶ Mieux connaître et ▶ Un grou- ▶ Lectures ▶ Identifier Devoir n° 6


XIXe siècle : 6 mieux maîtriser les pement de cursives, le registre
mouvements artis- poèmes du analytiques lyrique Oral
du obligatoire :
romantisme tiques et littéraires des XIXe siècle
XIXe et XXe siècles, en (romantiques, ▶ Synthèses ▶ Éléments de
au versifications lecture
particulier le roman- parnassiens) ▶ Entraînement analytique ou
surréalisme tisme, le Parnasse,
▶ Une œuvre in- à l’écrit : ▶ Formes fixes entretien
le symbolisme et le devoir bilan et formes
surréalisme tégrale : Ver-
laine, Poèmes type bac libres
▶ Comprendre le saturniens ▶ Histoire des
fonctionnement d’un arts
recueil poétique ▶ Un grou-
pement de
▶ Réviser et maîtriser poèmes du
les outils d’analyse du XXe siècle
texte poétique (pro-
sodie et métrique)
▶ Identifier et analyser le
registre lyrique
▶ Préparer l'épreuve
orale du baccalauréat

6 CNED Seconde – FRANÇAIS


conseils
généraux
De quoi se compose une séquence ?
Une séquence est conçue d’abord selon des objectifs, et s’inscrit dans les perspec-
tives et les objets d’étude au programme.
Chaque séquence se composera suivant ce modèle et contiendra :
– une entrée présentant les objectifs de la séquence et replaçant l’œuvre ou les
textes qui va (vont) être étudiée (-és) dans un contexte d’histoire littéraire et
culturelle ;
– divers textes présentés en groupements ou des extraits d’œuvres intégrales
étudiés en lecture analytique par des séries de questions ;
– de nombreuses activités interactives sur les textes proposés en lecture cursive
(activités que vous réaliserez en ligne ou sur papier) ;
– des documents complémentaires (écrits ou images) choisis pour illustrer et
enrichir les lectures ;
– des entraînements méthodologiques aux divers exercices proposés à l’écrit ou
l’oral sous forme de devoirs guidés autocorrectifs.
– des Fiches méthode pour vous permettre de savoir comment réaliser les diffé-
rents types de devoirs et quoi retenir d’une notion, d’un genre ou d’un mouve-
ment littéraire.

Les différentes modalités de lecture au lycée


Notre objectif conformément aux Instructions officielles est de développer en vous
le goût et la capacité de lire. Les programmes de seconde et de première ont les
mêmes finalités, notamment :
« – la constitution et l’enrichissement d’une culture littéraire ouverte sur d’autres
champs du savoir et sur la société ;
– la construction progressive de repères permettant une mise en perspective
– le développement d’une conscience esthétique permettant d’apprécier les œuvres,
d’analyser l’émotion qu’elles procurent et d’en rendre compte à l’écrit comme à
l’oral. »
Extrait du Bulletin officiel spécial n° 9 du 30 septembre 2010

Aussi dans ce but, « l’étude de trois œuvres au moins et de trois groupements au


moins sur une année est obligatoire. »
Ces orientations ont guidé l’élaboration de notre programme. Deux formes de lec-
tures vous seront principalement proposées dans ce cours : des lectures analy-
tiques et des lectures cursives. On peut aussi distinguer la lecture de documents de
ces pratiques propres à votre programme de cette année.

– Ce sont des études détaillées de textes courts ou d’extraits d’œuvres intégrales.


La lecture – Elles sont guidées dans les séquences.
analytique – Vous réalisez « un travail d’observation des éléments constitutifs » des textes
« suivi d’un travail d’interprétation »1.
– Vous découvrez des œuvres dans leur intégralité de manière autonome (lec-
La lecture
ture cursive) puis des extraits sont étudiés dans le cours en lecture analy-
d’œuvres
tique. L’étude d’une œuvre intégrale permet de « faire alterner des temps
intégrales
d’analyse de certains passages et des temps de vision d’ensemble »2.
– Ce sont des œuvres (romans, contes, nouvelles, pièces de théâtre) lues intégra-
La lecture lement en complément d’un groupement de textes ou d’une œuvre intégrale.
cursive – Elles sont autonomes, libres et personnelles… mais tout aussi indispen-
sables !

CNED Seconde – FRANÇAIS 7


conseils
généraux
– Il s’agit de textes appelés documents complémentaires qui apportent un
La lecture de regard complémentaire sur un objet d’étude, à une œuvre intégrale.
documents
– La lecture en est rapide et ne donne pas forcément lieu à un exercice.

1. Citation p. 82, Français, classes de seconde et de première, collection Lycée, Accompagnement des
programmes, Ministère de l’Éducation Nationale, CNDP.
2. Citation p. 83, ibid..

« Les extraits qui constituent les groupements de textes (cf. infra les corpus) ne font
pas obligatoirement l’objet d’une lecture analytique ; certains d’entre eux peuvent être
abordés sous la forme de lectures cursives, selon le projet du professeur. Les textes et
documents qui ouvrent sur l’histoire des arts ou sur les langues et cultures de l’Antiquité
pourront trouver leur place au sein des groupements : ils ne constituent pas nécessai-
rement un ensemble séparé.
Il est par ailleurs vivement recommandé de faire lire aux élèves, dans le cadre des grou-
pements de textes ou dans celui des projets culturels de la classe, des textes apparte-
nant à la littérature contemporaine. »
Extrait du Bulletin officiel spécial n° 9 du 30 septembre 2010

Votre cours comporte trois études d’œuvres intégrales et cinq lectures cursives
d’œuvres intégrales.
N’attendez pas le dernier moment pour vous procurer les œuvres au programme et
lisez-les avant de débuter la séquence où elles seront étudiées.

Les œuvres intégrales au programme

Titre Auteur
Pierrot (lecture cursive) Guy de Maupassant
L’ Affaire du chevalier de La Barre (lecture cursive) Voltaire
Le Colonel Chabert (œuvre intégrale) Honoré de Balzac
La Curée (lecture cursive) Émile Zola
Britannicus (lecture cursive) Jean Racine
L’École des femmes (œuvre intégrale) Molière
Les Femmes savantes (lecture cursive) Molière
Poèmes saturniens (œuvre intégrale) Paul Verlaine

8 CNED Seconde – FRANÇAIS


conseils
généraux
Comment travailler efficacement votre cours ?
1. Spécificités de l’enseignement à distance
Pour une période courte ou étendue, vous ne bénéficiez pas de la communication
orale et des échanges stimulants d’une classe. Nous essayons de créer un lien avec
vous dans ce cours, en imaginant autant que possible votre présence et en essayant
de prévoir vos questions et vos difficultés. Ce cours ne peut toutefois se passer du
dialogue avec vos professeurs correcteurs, tuteurs, et vos conseillers de scolarité.
Donc, ne vous laissez pas arrêter par le découragement que peut faire naître le
travail solitaire. N’hésitez pas à poser des questions par écrit, par téléphone ou
par Internet via cned.fr, à demander de l’aide. Les professeurs du Cned enseignent,
eux aussi, dans des conditions particulières. Ils corrigent des copies, ils suivent le
parcours d’élèves qu’ils ne rencontrent jamais. Ils ne demandent qu’à mieux vous
connaître et qu’à répondre d’une manière efficace à vos besoins.

2. Le cours
Il vous faudra apprendre à vous organiser seul dans la plupart des cas. Pour cela,
pensez d’abord à élaborer un planning en divisant le nombre de semaines dont vous
disposez sur l’année et le nombre de séquences que vous devrez étudier – le temps
et la quantité de travail peuvent être variables selon les cas.

De quels outils disposez-vous ?


▶ Un cours
Vous y trouverez :
– les conseils généraux pour l’ensemble du cours ;
– des points vous permettant de comprendre les passages ou les œuvres intégrales que vous aurez
à étudier : biographies, points d’histoire littéraire, points sur le contexte historique ;
– les extraits d’œuvre à étudier (à l’exception des œuvres intégrales que vous devez vous procurer) ;
– des fiches méthodes ;
– des bilans pour chaque chapitre et chaque séquence.
▶ Des devoirs
6 devoirs sont à réaliser.
▶ Un espace en ligne : www.cned.fr
Vous y retrouverez :
– tous les éléments du cours ;
– les enregistrements des textes du cours, réalisés par des comédiens professionnels ;
– les vidéos d'introduction aux séquences et aux chapitres ;
– les activités en ligne et, parmi elles, des exercices d’autoévaluation ;
– une annexe vous proposant 23 fiches de révision.
▶ Autres ressources
– Un dictionnaire de langue, par exemple le Robert, vous permettra de vérifier le vocabulaire dont
vous n’êtes pas sûr.
– Consultez au besoin des dictionnaires des auteurs, ou de la littérature française, ou des thèmes
littéraires ou encore des encyclopédies que vous trouverez en médiathèque, dans un CDI, ou peut-
être chez vous.
– Pensez à lire les articles de quotidiens ou de revues diverses, ainsi qu’à regarder les émissions
télévisées ou films cinématographiques qui pourraient se rapporter à un des objets d’étude.
– L’Internet comporte aussi beaucoup de sites littéraires : n’hésitez pas à varier vos sources docu-
mentaires pour compléter votre culture personnelle. Prenez dès cette année l’habitude d’effec-
tuer des recherches et de les exploiter personnellement.

CNED Seconde – FRANÇAIS 9


conseils
généraux
3. Comment travailler une séquence ?
Dès réception de vos cours, pour avoir une vue d’ensemble de votre programme de
seconde, vous avez intérêt à feuilleter toutes les séquences et à prendre connais-
sance de la structure de votre cours. Est-ce une séquence comportant un groupe-
ment de textes (ou deux) ? ou étudiant une œuvre intégrale ? Complète-t-elle une
autre séquence du cours sur un même objet d’étude ?

Lisez et travaillez chaque ▶ Puis, rendez-vous sur cned.fr où vous retrouverez le cours
séquence du cours de ma- ainsi que des exercices à effectuer au fur et à mesure de
nière approfondie. votre progression dans la séquence.

▶ Faites une lecture progressive et plus approfondie de la séquence :


– en surlignant ce qui vous paraît essentiel dans l’introduction et la présentation
de l’œuvre ou du groupement de textes ;
– notez ce que vous n’avez pas compris ;
– relevez les lacunes à combler (à rechercher dans l’annexe ou fiches de révision,
les dictionnaires, encyclopédies ou sites internet).

▶ Lisez et relisez les textes à étudier en lecture analytique, allez sur cned.fr consul-
ter les questions posées et écouter la lecture à voix haute de ces textes pour vous
entraîner et retrouver le plaisir de lire !

▶ Réalisez par écrit les activités de lecture analytique de chaque texte. Faites de
même pour les activités portant sur des documents iconographiques, des re-
cherches documentaires sur Internet, ou encore, des textes complémentaires.

▶ Concernant les activités pour lesquelles vous devez fournir une réponse rédigée,
comparez votre texte avec les corrigés proposés en reprenant le texte support.
Observez bien ce que vous avez réussi et ce que vous devez approfondir et/ou
améliorer à l’avenir dans votre technique d’analyse.

Nous ne saurions trop, par ailleurs, vous conseiller de « jouer le jeu »


des exercices autocorrectifs. Ces exercices ne sont pas des devoirs,
mais répondre aux questions posées, vous fera rapidement progresser et,
point essentiel, fera de vous des lecteurs attentifs et critiques de vos propres
réponses. Prendre connaissance des réponses sans avoir réalisé au préalable
les activités demandées serait bien entendu contre-productif !

▶ Puis, pour bien vous approprier le contenu du cours, préparez une fiche person-
nelle qui comprendra pour chaque lecture analytique les points importants à
retenir.
Pour ce faire, utilisez au choix :
– un cahier grand format 21 x 29,7 dans lequel vous matérialiserez les séquences
par des pages-titre et une chemise pour vos devoirs que vous conserverez avec
les corrigés correspondants
Si vous avez déjà effectué une partie de votre année de seconde dans un éta-
blissement scolaire avant de vous inscrire au Cned, vous ne travaillerez que les
objets d’étude que vous n’avez pas vus précédemment.
– des feuilles simples que vous rangerez séquence par séquence dans un classeur
avec six intercalaires (un pour chaque séquence de 1 à 6 et un pour les devoirs)
ou autant de chemises que de besoin.

10 CNED Seconde – FRANÇAIS


conseils
généraux
– un portfolio que vous vous constituerez sur Internet dans lequel vous rangerez
les exercices que vous aurez rédigés ainsi que leurs corrigés. N’adoptez cette
solution que si vous avez l’habitude de travailler en ligne et que vous savez bien
classer et archiver vos documents.
▶ Faites de même pour les autres chapitres de la séquence.

4. Comment réaliser les devoirs


Les devoirs sont conçus pour vous permettre de vérifier les acquis des séquences,
mais aussi pour vous confronter aux exercices écrits et oraux d’argumentation, de
commentaire et d’invention.
L’année de seconde en français a pour but de vous faire acquérir plusieurs compé-
tences :

Compétences visées
Dans la continuité du socle commun de connaissances et de compétences, les compétences visées
répondent directement à ces finalités.
Elles doivent donner lieu à des évaluations régulières par les professeurs, au cours et à la fin de
chaque étape de la formation, ce qui permettra de prévoir l’accompagnement, le soutien ou l’appro-
fondissement adaptés aux besoins des élèves - le but des exercices et des évaluations étant bien de
concevoir la mise en œuvre des programmes en prenant en compte la réalité des besoins de tous les
élèves pour les aider à progresser dans les apprentissages et les mener à la réussite.

Il s’agit de :
▶ Connaître quelques grandes périodes et les mouvements majeurs de l’histoire littéraire et cultu-
relle
– savoir situer les œuvres étudiées dans leur époque et leur contexte.
▶ Connaître les principaux genres auxquels les œuvres se rattachent et leurs caractéristiques
– percevoir les constantes d’un genre et l’originalité d’une œuvre
– être capable de lire, de comprendre et d’analyser des œuvres de genres variés, et de rendre
compte de cette lecture, à l’écrit comme à l’oral.
▶ Avoir des repères esthétiques et se forger des critères d’analyse, d’appréciation et de jugement
– faire des hypothèses de lecture, proposer des interprétations
– formuler une appréciation personnelle et savoir la justifier
– être capable de lire et d’analyser des images en relation avec les textes étudiés.
▶ Connaître les principales figures de style et repérer les effets rhétoriques et poétiques
– savoir utiliser ces connaissances pour dégager des significations et étayer un commentaire.
▶ Approfondir sa connaissance de la langue, principalement en matière de lexique et de syntaxe
– parfaire sa maîtrise de la langue pour s’exprimer, à l’écrit comme à l’oral, de manière claire, rigou-
reuse et convaincante, afin d’argumenter, d’échanger ses idées et de transmettre ses émotions.
▶ Acquérir des connaissances utiles dans le domaine de la grammaire de texte et de la grammaire
d’énonciation
– savoir utiliser ses connaissances grammaticales pour lire et analyser les textes.
▶ Connaître la nature et le fonctionnement des médias numériques, et les règles qui en régissent
l’usage
– être capable de rechercher, de recueillir et de traiter l’information, d’en apprécier la pertinence,
grâce à une pratique réfléchie de ces outils
– être capable de les utiliser pour produire soi-même de l’information, pour communiquer et argu-
menter.
Extrait du Bulletin officiel spécial n° 9 du 30 septembre 2010

CNED Seconde – FRANÇAIS 11


conseils
généraux
Les devoirs suivent la progression du cours et sont donc à réaliser après que vous
avez terminé l’étude d’une séquence et achevé les lectures cursives ou d’œuvres
intégrales la concernant. Vous les expédierez au fur et à mesure de votre avancée
personnelle dans le programme.

Travaillez toujours en utilisant des feuilles de brouillon avant de rédiger la version


définitive de votre devoir.

5. Les devoirs oraux


Parmi les devoirs à envoyer à la correction, figurent deux devoirs oraux obliga-
toires. Ces devoirs (n° 05 et 06) vous offrent l’occasion de vous entraîner en vue de
l’épreuve orale que vous passerez en première.
Vous pouvez réaliser vos devoirs oraux sous forme numérique en vous connectant
au site du Cned, www.espaceinscrit.cned.fr.
Lisez bien toutes les informations et les conseils qui vous sont
donnés avec de procéder à l’enregistrement de vos devoirs.
La clef de la réussite =
La possibilité vous est également offerte d’enregistrer vos de-
une bonne organisation matérielle voirs sur CD audio. Lisez les Conseils généraux précédant les
+ une bonne gestion de votre temps sujets de devoirs.

Entraînement à l’oral
Les textes du cours étudiés en lecture analytique ont été enregistrés par des co-
L’icône placée à médiens professionnels afin de vous aider dans leur compréhension, et pour vous
gauche des textes sensibiliser à la lecture à voix haute.
vous signale qu’ils
ont été enregis- Écoutez attentivement leur lecture puis entraînez-vous à lire ces textes à voix haute,
trés. de manière expressive, en soignant votre diction. Une bonne lecture met en valeur
le sens : les textes enregistrés vous serviront de modèle.

12 CNED Seconde – FRANÇAIS


conseils
généraux
Sommaire des textes enregistrés

Séquence Enr. n° Texte


1 Mérimée, Mateo Falcone

2 Balzac, Le Cousin Pons


Séquence 1 :
Le roman et la nouvelle 3 Musset, Histoire d’un merle blanc
réalistes au XIXe siècle
4 Flaubert, Madame Bovary

5 Flaubert, Un cœur simple

6 La Fontaine, Fables : « Le Singe et le Léopard »

7 Molière, Tartuffe, acte III, scène 3


Séquence 2 :
La critique sociale 8 Montesquieu, Lettres persanes, lettre XXIV
du XVIIe au XVIIIe siècle
9 Voltaire, Candide, ch. VI

10 Voltaire, « Prière à Dieu »

11 Le portrait du colonel Chabert


Séquence 3 :
Le Colonel Chabert : 12 Enterré vivant
les hommes et l’argent
13 La comtesse, une excellente comédienne

14 Molière, Les Précieuses ridicules, scène 9

15 Molière, George Dandin, I, 4


Séquence 4 :
Tragédie et comédie 16 Molière, Le Malade imaginaire, I, 4
au XVIIe siècle
17 Corneille, Le Cid, III, 4

18 Corneille, Polyeucte, IV, 3

19 Acte I, scène 1
Séquence 5 : 20 Acte II, scène 3
L’École des femmes :
une comédie classique 21 Acte III, scène 4

22 Acte V, scène 4

23 Gérard de Nerval, « Fantaisie », Odelettes

24 Victor Hugo, « Fonction du poète », Les Rayons et les Ombres

25 Théophile Gautier, « La Rose-thé », Émaux et Camées

26 Guillaume Apollinaire, « Il y a », Poèmes à Lou


Séquence 6 :
La poésie, du romantisme Jean Cocteau, « Rien ne m’effraye plus que la fausse
27
au surréalisme accalmie », Plain chant
28 Robert Desnos, « Un jour qu’il faisait nuit », Coups et biens

29 Paul Éluard, « Le miroir d’un moment », Capitale de la douleur


Charles Baudelaire, « La Beauté », Les Fleurs du mal
30
(Approfondissement et soutien)

CNED Seconde – FRANÇAIS 13


Sommaire

Séquence 1
Le roman et la nouvelle réalistes
au XIXe siècle

Chapitre 1 Pour débuter votre séquence ................................................................................ 17

Chapitre 2 Les caractéristiques des œuvres réalistes ...................................... 18


A. Comment définir le réalisme ?
B. Les théoriciens du mouvement réaliste
C. Les décors et les thèmes privilégiés du réalisme
D. Récit de vie et effacement du narrateur

Fiche méthode Histoire du roman ...................................................................................................... 23

Fiche méthode La situation d’énonciation ............................................................................. 24

Chapitre 3 Le réalisme de Balzac à Maupassant ......................................................... 25


A. Lectures analytiques
B. Lecture cursive de la nouvelle de Maupassant, Pierrot
C. Entraînement à l’écrit : l’écriture d’invention

Fiche méthode Le texte narratif ........................................................................................................... 39

Fiche méthode La lecture analytique et


sa mise en œuvre à l’oral ............................................................................... 40

Chapitre 4 Du réalisme au naturalisme .................................................................................... 42


A. Définir le naturalisme
B. Approche de deux romans naturalistes
C. À côté du naturalisme

Fiche méthode Les paroles rapportées ..................................................................................... 50

Chapitre 5 Pour clore votre séquence ......................................................................................... 51

Fiche méthode Le réalisme dans l’histoire culturelle


du XIXe siècle .................................................................................................................... 52

CNED SECONDE – FRANÇAIS 15


SÉQUENCE

1 Objectifs

Objet d’étude ▶ Un groupement de textes naturalistes :


– Texte 1 : J. et E. Goncourt, Germinie Lacerteux
Le roman et la nouvelle au XIXe siècle : réalisme – Texte 2 : É. Zola, L’Assommoir
et naturalisme
▶ Un groupement thématique autour de la mort :
– Texte 1 : Victor Hugo, Les Misérables
Objectifs – Texte 2 : Émile Zola, Germinal
– Texte 3 : Villiers de l’Isle-Adam, Contes cruels
▶ Voir comment romans et nouvelles s’inscrivent
dans les mouvements littéraires et culturels – Texte 4 : J. K. Huysmans, Le Drageoir aux épices
du réalisme et du naturalisme ▶ Une lecture cursive : Guy de Maupassant,
▶ Étudier les caractéristiques des romans et des « Pierrot », Contes de la Bécasse
nouvelles réalistes et naturalistes
▶ Découvrir les spécificités de ces genres nar-
ratifs Fiches méthode
▶ S’initier à la lecture analytique et à l’écriture ▶ Histoire du roman
d’invention
▶ La situation d’énonciation

▶ Le texte narratif


Textes et œuvres
▶ La lecture analytique
▶ Un groupement de textes réalistes : ▶ Les paroles rapportées
– Texte 1 : Prosper Mérimée, Mateo Falcone ▶ Le réalisme dans l’histoire culturelle du
– Texte 2 : Honoré de Balzac, Le Cousin Pons XIXe siècle
– Texte 3 : Alfred de Musset, Histoire d’un merle
blanc
– Texte 4 : Gustave Flaubert, Madame Bovary
– Texte 5 : Gustave Flaubert, Un cœur simple

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16 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour débuter votre séquence

Pour vérifier vos connaissances

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pour effectuer l’activité n° 1 : un quiz d’autoévaluation.

Pour vous construire une culture littéraire


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pour effectuer l’activité n° 2 qui vous permettra de compléter
une frise chronologique.

Propositions de lecture

Afin de vous forger une culture littéraire personnelle qui vous permettra
de mieux saisir le phénomène du réalisme dans son ensemble, nous vous
invitons à lire attentivement les extraits qui se trouvent dans la séquence,
mais aussi à étudier les documents iconographiques que nous avons rete-
nus. Nous vous invitons également à flâner dans la liste ci-dessous, et à lire,
pour le plaisir, certaines des œuvres suivantes :
– Stendhal, Le Rouge et le Noir.
– Honoré de Balzac, Le Père Goriot, Eugénie Grandet, Le Cousin Pons, Le Lys
dans la vallée, Illusions perdues, La Femme de trente ans.
– Gustave Flaubert, Madame Bovary, L’Éducation sentimentale, Trois contes.
– Prosper Mérimée, Mateo Falcone, Tamango.
– Émile Zola, Thérèse Raquin, L’Assommoir, Nana, Germinal, Au Bonheur des
Dames.
– Jules et Edmond de Goncourt, Germinie Lacerteux.
– Guy de Maupassant, Boule de suif et autres nouvelles, Bel-Ami, Une vie,
Pierre et Jean.

Et aussi ces romans et nouvelles, romantiques, historiques, fantastiques ou


simplement hors de toute école littéraire :
– Victor Hugo, Les Misérables, L’Homme qui rit.
– Stendhal, La Chartreuse de Parme.
– Honoré de Balzac, La Peau de Chagrin.
– Gustave Flaubert, Salammbô.
– Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse.
– Villiers de L’Isle-Adam, Contes cruels.
– Barbey d’Aurevilly, Les Diaboliques.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 17


SÉQUENCE

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Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Les caractéristiques des œuvres


réalistes

Objectifs d’apprentissage
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chapitre 2.
© CNED

Pour débuter : Histoire des arts


Rendez-vous sur cned.fr pour réaliser l’activité n° 1 qui vous propose
l’étude comparée de deux tableaux du XIXe siècle :
© CNED
Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans, 1849-1850
David, Le Sacre de Napoléon, 1805-1807

Pour apprendre

A Comment définir le réalisme ?


À la fin des années 1820, un grand nombre d’artistes manifestent le désir de re-
présenter la réalité de leur temps. Émerge alors un mouvement littéraire que l’on
nomme le réalisme. Ce terme apparaît en 1826 dans Le Mercure de France pour
désigner « la littérature vraie ». Il souligne chez les écrivains mais aussi chez les
peintres, la volonté de reproduire le réel.
Honoré de Balzac est souvent considéré comme l’inventeur du roman réaliste. Il
lui a donné, le premier, ses lettres de noblesse dans des récits où il met en scène
la vie en province ou à Paris. L’ensemble de son œuvre romanesque qu’il baptise
La Comédie humaine s’attache à décrire les rouages de la société, des lendemains
de la Révolution aux années 1840. Balzac est réaliste dans la mesure où il campe
des situations imitées de la réalité ou qui sont possibles. Contemporain de Balzac,
Stendhal est également considéré comme l’un des créateurs les plus originaux
du roman réaliste moderne. Son réalisme se situe cette fois au niveau de la sa-
tire des mœurs. Mais qu’il s’agisse de Balzac ou de Stendhal, la nouvelle et le
roman réalistes s’ancrent dans l’Histoire et dans un contexte politique et culturel.
La génération des romanciers nés dans les années 1820, au premier rang desquels
Gustave Flaubert, approfondit et renouvelle le récit réaliste. Bien qu’on ne puisse
pas réduire l’œuvre de cet auteur à la seule étiquette de « réaliste », il en est l’un
des principaux représentants. L’on considère parfois que l’éducation de Flaubert
a pu favoriser son sens du réalisme et sa manière efficace de disséquer la nature
humaine. Fils d’un chirurgien, il a pu, dès l’enfance, observer la réalité normande,
dont on trouve la trace dans une nouvelle comme Un cœur simple (1877) ou dans

18 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
certaines pages de Madame Bovary (1857). L’observation des mœurs et leur resti-
tution romanesque font aussi partie de la technique du romancier réaliste. Après
Balzac, Stendhal et Flaubert, le réalisme tend vers le naturalisme avec Zola ou les
frères Goncourt. Maupassant observe, quant à lui, la société de son temps, mais
construit aussi ses récits fantastiques à partir de situations réalistes.

Pourtant, ce serait peut-être une erreur de considérer le réalisme comme une inven-
tion du XIXe siècle : en littérature, le réalisme existe bien avant Balzac et Stendhal.
On en trouve la trace dans les romans du XVIIe et du XVIIIe siècle. L’histoire de la
littérature admet cependant que le réalisme se développe de manière considérable
au XIXe siècle, c’est pourquoi on rattache le mouvement à cette époque. Le réalisme
puise, en effet, ses thèmes et ses centres d’intérêt dans le monde contemporain,
parmi lesquels la ville, la vie aux champs, les conditions de vie dans les différentes
classes sociales. En somme, le contexte social et historique est très prégnant
dans l’univers du récit réaliste. Selon toute évidence, le réalisme s’inspire d’une
réalité que le lecteur connaît et qu’il retrouve dans les romans qu’il lit. La prise en
compte du lecteur est donc importante car le roman réaliste et naturaliste lui tend
un miroir et l’invite à réfléchir aux problèmes de son temps. Quand Balzac décrit les
mœurs de bourgeois et d’aristocrates de province, il part d’éléments qui existent
réellement. Quand Zola décrit la vie du peuple dans L’Assommoir, il s’inspire direc-
tement des conditions sociales de son époque.

Au XIXe siècle, l’esthétique réaliste et naturaliste se développe parallèlement aux


genres du roman et de la nouvelle, notamment dans la peinture, où le réalisme
fit scandale. Le réalisme devient une nouvelle manière de représenter le monde
et la société. C’est pourquoi il est étroitement lié aux romans et aux nouvelles du
XIXe siècle, formes narratives qui rendent compte avec plus de facilité de la réalité
sociale, culturelle et économique. Réalisme et naturalisme marquent durablement
la littérature romanesque, puisqu’au XXe siècle, ces deux courants esthétiques ont
continué d’être explorés par les artistes, mais en connaissant des évolutions :
– réalisme socialiste en Union soviétique dans les années 1930 ;
– réalisme onirique avec le Français Alain-Fournier, le Cubain A. Carpentier, le
Colombien G. Garcia Marquez, le Mexicain J. Rulfo, les Argentins J.-L. Borges et
J. Cortazar ;
– nouveau réalisme, mouvement apparu en peinture en 1960.

Mais le réalisme apparaît également dans le genre de la nouvelle fantastique. Le


fantastique se construit en effet dans un rapport à la réalité que viennent modifier
des événements inhabituels ou par le biais de la perception déformée d’un person-
nage. L’un des chefs-d’œuvre du genre, La Vénus d’Ille de Prosper Mérimée, est an-
cré dans la réalité de pratiques du sud de la France, mais progressivement, le doute
s’installe dans le récit et les frontières de la réalité et du fantastique se brouillent.

B Les théoriciens du mouvement réaliste


Le réalisme est un mouvement artistique qui cherche à imiter la réalité dans les
décors, les personnages, les situations. Les romanciers et nouvellistes introduisent
dans les œuvres la part de vérité que contient le réel. Cela ne veut pas dire pour
autant qu’on tente de reproduire parfaitement la vie, mais on cherche à créer des
effets de vérité. À cet égard, on peut lire dans le mouvement réaliste une réaction
face au romantisme qui recourt souvent au lyrisme, au registre pathétique et donc
aux grands sentiments. Le réalisme s’ancre dans la réalité, part d’elle et tente de
l’imiter.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 19


SÉQUENCE

1
Cependant, romantisme et réalisme ne s’excluent pas, bien au contraire. Stendhal
le premier fournit une définition du roman réaliste : il définit en effet le roman
réaliste comme « un miroir que l’on promène le long d’un chemin » et qui reflète
une partie de la réalité. D’ailleurs, un écrivain comme Stendhal, dans son roman
Le Rouge et le Noir, raconte la vie passionnée de Julien Sorel, tout en instaurant un
cadre réaliste pour son récit : la vie politique sous la Restauration, les détails précis
sur la vie à Paris, sur l’empereur Napoléon, participent du réalisme de l’ensemble.
Le réalisme n’exclut donc pas d’autres registres ou d’autres esthétiques.

De manière générale, le réalisme se caractérise par la recherche de l’objectivité


dans la description, par la vérité des caractères et par la prise en compte de cer-
tains phénomènes socioculturels. Le travail du romancier réaliste est donc spéci-
fique puisqu’il implique une prise en compte du réel : l’exactitude des détails parti-
cipe du caractère vrai des intrigues et des situations.

À partir des années 1850, le romancier Jules Champfleury propose une théorie
du réalisme dans le roman et dans la peinture. Il admire le peintre Gustave Cour-
bet et propose plusieurs études sur son art. Son idée est la suivante : la littérature
romanesque peut s’emparer de tous les sujets. Selon lui, le réalisme désigne sim-
plement la littérature du vrai, la volonté de reproduire le réel. L’on peut tenter de
définir le réalisme selon des critères thématiques, esthétiques, culturels ou même
idéologiques.

C’est donc dans les années 1850 que se développe une école littéraire réaliste dont
les théoriciens sont Champfleury et Duranty. Pour donner une assise théorique à
cette nouvelle école littéraire, on fait du réalisme une notion idéologique plus que
véritablement esthétique. En effet la définition du réalisme est une manière de
revendiquer une liberté littéraire : la prise en compte de la vie quotidienne de-
vient un objet littéraire mais refuse d’être le reflet, la copie ou la transcription
servile du réel. L’école réaliste s’affirme donc comme un véritable mouvement
littéraire, grâce à trois pivots forts :
– des textes théoriques (préfaces, manifestes, articles) ;
– le support médiatique que constitue la revue Le Réalisme ;
– le développement du mouvement littéraire dans son principal vecteur, le
roman.

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pour effectuer l’activité n° 2 qui porte sur l’étude du tableau
d’Edgar Degas, Portrait d’Edmond Duranty, 1879.

C Les décors et les thèmes privilégiés du réalisme


La nouvelle et le roman réalistes partent du principe selon lequel tout peut être
décrit ou raconté dans un roman, et qu’il n’y a pas de bon ou de mauvais sujet. Cet
élément est important et s’oppose par exemple à l’esthétique classique qui pense
que le Bon (la morale) vient du Beau. Or, pour les artistes réalistes, l’art ne doit pas
seulement se contenter de décrire ce qui est beau dans la nature ou chez l’homme,
mais il doit aussi s’intéresser à d’autres aspects de l’existence humaine, moins va-
lorisés ou jugés plus médiocres.
La nouvelle et le roman réalistes privilégient certains décors qui, eux-mêmes, té-
moignent de l’émergence d’une société dont les principes changent et évoluent.
Ainsi, on croisera bien souvent dans les récits réalistes et naturalistes les décors
suivants :
– grandes villes ; – lieux de prostitution ;

20 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
– bas-fonds ; – bals, cafés, cabarets ;
– ateliers d’artisans ; – théâtres, opéras ;
– fermes et lieux agricoles ; – mansardes.
– boutiques des commerçants ;

Si les lieux sont si importants dans les récits réalistes, c’est qu’au tournant des an-
nées 1840-1850, on considère que l’environnement influe sur le comportement
des êtres humains. Ainsi, les décors de l’action romanesque sont soigneusement
décrits parce qu’ils permettent de comprendre les personnages, leur caractère,
leur motivation. Par exemple, l’incipit de La Maison du chat qui pelote de Balzac pro-
cède à la minutieuse description d’un bâtiment.

Ces décors privilégiés du récit réaliste sont étroitement liés à des thématiques
qu’on retrouve d’un roman à l’autre :
– l’ambition d’un(e) jeune provincial(e) qui monte à la capitale ;
– les tractations financières de la bourgeoisie ;
– le monde du prolétariat et des ouvriers ;
– la destinée des femmes ;
– le destin d’un personnage de seconde zone ;
– les conditions de vie dans les villes et dans les campagnes ;
– le monde journalistique et littéraire ;
– les conflits familiaux.

Tous ces thèmes ne sont pas indépendants les uns des autres et peuvent se croiser
dans le même roman ou la même nouvelle. Ainsi, Madame Bovary de Flaubert, ra-
conte non seulement le destin d’une jeune femme romanesque, mais décrit aussi
les mœurs de la Normandie des années 1840. On y rencontre toutes les figures qui
composent une petite ville de province. Les coutumes, les superstitions, les habitu-
des y sont décrites avec une précision minutieuse. On le voit, les principaux motifs
du réalisme (et du naturalisme) sont le plus souvent en lien avec des questions de
société. Ces choix thématiques expliquent aussi la part importante de la descrip-
tion dans les récits.

D Récit de vie et effacement du narrateur

1. Des récits de vie


Dans la nouvelle et le récit réalistes, le personnage est bien souvent au centre de
l’intrigue et du propos. Il est à la fois le héros d’une fiction ancrée dans le réel, et
le relais entre le lecteur et l’auteur qui souhaite faire passer un « message » ou un
« enseignement » sur le monde contemporain. Il crée enfin le lien entre le récit,
la description et le dialogue. Sa destinée est le plus souvent « typique » et doit
montrer un parcours dans la société : famille, éducation, rêves, ambitions, désirs,
conquêtes, réussites, déconvenues, échecs. C’est pourquoi le personnage de récits
réalistes est le plus souvent issu d’un milieu modeste ou moyen.

Le modèle biographique sert donc de cadre à bien des romans et nouvelles réa-
listes. Le lecteur est amené à suivre l’histoire d’un personnage inscrite dans une
certaine durée. Il peut s’agir de romans d’apprentissage : le lecteur découvre le
parcours d’un personnage qui, généralement, tente de s’élever dans la société,
avec plus ou moins de succès.

Les plus célèbres récits qu’on apparente au réalisme (ou au naturalisme) sont donc
des récits de vie qui s’enracinent dans la société du XIXe siècle.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 21


SÉQUENCE

1
2. L’effacement du narrateur
Le récit réaliste et naturaliste limite, du moins en apparence, les interventions de
l’auteur ; les romans sont écrits à la troisième personne. L’objectivité de la nar-
ration prime sur l’implication de l’auteur. Mais, en même temps, l’esthétique ré-
aliste se nourrit d’observations précises et d’une documentation détaillée. Un ro-
mancier réaliste, tel que Balzac ou Stendhal, est aussi un observateur très pointu
des faits de société. Ainsi, quand Balzac met en scène la vie d’un imprimeur dans
Splendeurs et misères des courtisanes, il s’appuie sur sa propre connaissance du
monde journalistique et de la vie parisienne. C’est pourquoi l’effacement de l’au-
teur est étroitement lié au travail du romancier réaliste, qui scrute la réalité de son
temps pour tenter de la restituer fidèlement au lecteur.
L’écriture d’un roman ou d’une nouvelle réaliste oblige l’écrivain à se documenter
précisément sur les histoires qu’il veut raconter. Ainsi, les romanciers réalistes et
naturalistes ont laissé un certain nombre de documents qui montrent leur méthode
de travail, par exemple la prise de renseignements précis sur des lieux ou la consti-
tution de fiches.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d'exercices


pour effectuer l’activité n° 3 qui vous permettra de découvrir les
personnages des récits réalistes.

Pour conclure
À retenir
Le réalisme est un mouvement artistique qui cherche à créer un effet de véri-
té dans les œuvres d’art, romans, nouvelles et peinture.
Le romancier réaliste se veut un observateur objectif de la société de son
temps ; pour témoigner avec exactitude de cette réalité, il s’appuie sur sa
propre expérience et se documente précisément. La vie quotidienne, décor de
ces romans, est minutieusement décrite. Le personnage est très souvent au
centre de l’intrigue ; il est issu – la plupart du temps – d’un milieu modeste, et
sa destinée entraîne le lecteur dans un parcours de la société du XIXe siècle
dont le romancier décrit tous les aspects : ambition et déchéance, pouvoir
de l’argent, prostitution, conditions de travail du peuple. Le roman est, selon
Stendhal, « un miroir que l’on promène le long d’un chemin ».
Le roman réaliste s’affirme dès la première moitié du XIXe siècle avec Stendhal
et Balzac, mais il n’est théorisé qu’à partir des années 1850 : la vie quoti-
dienne devient un objet littéraire, mais l’œuvre d’art, roman ou peinture, re-
fuse d’être la simple copie du réel. La préoccupation esthétique reste bien
présente dans ces œuvres.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d'exercices


pour effectuer l’activité n° 4 : un quiz bilan du chapitre.

22 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Fiche méthode

Histoire du roman

Le roman est un genre complexe à définir car il comporte de nombreuses catégo-


ries qui traversent les siècles. On parlera ainsi de roman d’aventures, de roman
d’apprentissage, de roman psychologique, de roman noir… jusqu’aux romans de
gare !

Roman et nouvelle
Romans et nouvelles se distinguent par leur longueur respective. Bien qu’il existe
des romans brefs (Adolphe de Benjamin Constant, par exemple), en général, la nou-
velle est brève et le roman connaît de plus amples développements. Cette structure
a des implications sur la manière de conduire les événements, de décrire les dé-
cors et de camper les personnages.

Roman et réalisme
Le XIXe est considéré comme l’âge d’or du roman français. Cette époque cor-
respond en effet à un moment unique de l’histoire littéraire où se rencontrent un
genre, un mouvement, et des artistes qui revendiquent une approche singulière
de la société. Alors que le romantisme passionné triomphe au théâtre et dans la
poésie, des artistes peintres et des romanciers proposent un autre regard sur la
réalité. Il s’agit de « décrire la société dans son entier, telle qu’elle est » confie
Honoré de Balzac, l’écrivain phare du mouvement réaliste, dans la Préface de La
Femme supérieure.

À partir de là, on peut dégager trois caractéristiques du roman réaliste :

Représenter la diversité sociale


Désireux de reproduire la globalité de la société, l’écrivain explore tous les milieux
et les rapports complexes qu’entretiennent les individus entre eux. Dans La Comé-
die humaine, par exemple, Balzac dresse un vaste tableau de la réalité sociale de
son temps, il peint la diversité des caractères et des milieux. Il ne s’agit donc pas
d’idéaliser le monde, mais bien de montrer l’humanité telle qu’elle est, sous ses
aspects les plus sombres ou les plus enivrants. Victor Hugo, après avoir éclairé le
romantisme de son génie, participe à l’éclat du réalisme grâce à des textes réquisi-
toires qui dénoncent la misère sociale de son temps, en particulier Les Misérables
(1862). Gustave Courbet et Honoré Daumier, peintres de la vie quotidienne, auront
les mêmes ambitions dans le domaine pictural.

Faire œuvre scientifique


L’observation objective et la recherche documentaire sont essentielles. L’écrivain
a notamment recours à des théories scientifiques en plein essor pour expliquer le
comportement de ses personnages. Balzac s’intéresse de près à la physiognomo-
nie, méthode qui repose sur l’idée que les traits physiques, en particulier ceux du
visage, révèlent les caractères psychologiques des individus. Cette pseudo-science,
très en vogue à l’époque, donnera naissance à la morphopsychologie. Les romans
de l’auteur de La Comédie humaine en fournissent maints exemples. Les lois de
l’hérédité seront également exploitées, et de manière très systématique par les
auteurs du mouvement naturaliste à la fin du siècle.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 23


SÉQUENCE

1
Donner l’illusion du vrai
L’écrivain réaliste a pour ambition de faire de son œuvre le reflet le plus exact du
monde qui l’entoure. « Un roman est un miroir que l’on promène le long d’un che-
min », écrit Stendhal dans Le Rouge et le Noir en 1830. L’écrivain réaliste multiplie
les effets de réel. Dès lors, la description minutieuse tient une large place à côté de
la narration. Le recours à un langage et à un registre adaptés à chaque personnage
concourt à cette illusion du vrai.

Romans et personnages
Longtemps assimilé à la figure du héros, le personnage est caractérisé, jusqu’au
XVIIe, par son caractère noble et valeureux. Dans La Princesse de Clèves de Madame
de Lafayette, les protagonistes sont encore des modèles de beauté et de vertu. Mais
à la fin du XVIIIe siècle, l’émergence du prolétariat avec la Révolution française et le
triomphe de la bourgeoisie après 1789, peuvent expliquer la naissance de nouveaux
héros. Le roman réaliste du XIXe siècle achève de démythifier le personnage en le
dotant d’une véritable épaisseur psychologique qui l’éloigne du « type ». Représen-
tatif de l’ensemble de la société, il favorise l’identification du lecteur confronté aux
mêmes situations et aux mêmes difficultés de l’existence, qu’il s’agisse du paysan,
de l’ouvrier ou du jeune ambitieux pressé de réussir.

Fiche méthode

La situation d’énonciation
Attention Définition
La situation d’énonciation correspond à la situation dans laquelle est produit un
Ne pas
énoncé oral ou écrit. Pour déterminer les conditions de la situation d’énonciation, il
confondre
convient de poser les questions suivantes :
la date de
publication – qui parle ? (l’énonciateur) – de quoi ? (thème de l’énoncé)
du texte – à qui ? (le destinataire) – pour quoi ? (la visée, l’intention)
écrit avec
– quand ? où ?
le moment
de son
énonciation. Caractéristiques de l’énoncé ancré
L’énoncé ancré implique une grande proximité entre le moment de l’énonciation et
les événements rapportés. Le repère temporel est le présent d’énonciation et les
autres temps sont choisis par rapport à ce moment de l’énonciation.

Les éléments suivants sont caractéristiques d’un énoncé ancré :


– emploi des pronoms de première personne qui désignent l’émetteur : « je »,
« moi », « me », etc.
– emploi des pronoms de deuxième personne qui désignent le récepteur : « tu »,
« toi », « te », etc.
– présence de déictiques (du grec deiktikos signifiant « qui désigne ») qui ren-
voient notamment aux conditions spatiotemporelles et ne peuvent être compris
que par rapport à la situation d’énonciation : « cette », « ici », « là » « hier »,
« aujourd’hui », « demain »…
– utilisation du présent, du futur, du passé composé et de l’imparfait.

24 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
On trouve des énoncés ancrés dans les dialogues de théâtre, les lettres, les articles
de presse, les journaux intimes, etc.

Caractéristiques de l’énoncé coupé


L’énoncé coupé implique une distance entre ce qui est raconté et le présent de celui
qui raconte. Le repère temporel se situe dans le passé.

Les éléments suivants sont caractéristiques d’un énoncé coupé :


– emploi des pronoms de troisième personne ;
– emploi de repères spatiotemporels qui ne sont pas des déictiques mais des
adverbes et groupes nominaux ne renvoyant pas au moment de l’énonciation :
« la veille », « l’année précédente », « le lendemain », « deux mois plus tard », « à
cet endroit », « en ce lieu », etc. ;
– utilisation du passé simple, de l’imparfait, du plus-que-parfait, du conditionnel à
valeur de futur dans le passé.

Attention
Le passé simple est le temps de réfé-
Le présent de narration est également utilisé dans le rence.
récit pour mettre en valeur un fait, pour le rendre plus
On trouve des énoncés coupés dans les
« présent » à l’esprit du lecteur.
romans, les textes documentaires, les
Passé antérieur ....... Passé simple ....... (Futur du passé) ....... textes ou revues historiques.

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Le réalisme de Balzac à Maupassant

Objectifs d’apprentissage

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© CNED
chapitre 3.

Pour débuter : Histoire des arts

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pour effectuer l’activité n° 1 qui vous proposera une étude du
© CNED
tableau de Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie, 1877.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 25


SÉQUENCE

Gustave Caillebotte, Rue de Paris, temps de pluie – 1877


© akg-images/Erich Lessing

Pour apprendre
Consignes de travail
Lisez attentivement les cinq textes du corpus ; puis écoutez-les sur cned.fr. Ils
ont été enregistrés par des comédiens professionnels.
Ensuite relisez-les vous-même à voix haute.
Ce chapitre étant aussi l’occasion d’aborder l’apprentissage de la lecture
analytique, nous vous conseillons de vous reporter à la fiche méthode : « la
lecture analytique et sa mise en œuvre à l’oral », pour vous aider dans votre
travail.
Vous pourrez trouver cette fiche à la fin de ce chapitre.

Un intrus – un texte n’appartenant pas au mouvement réaliste s’est


glissé dans ce corpus.

A Lectures analytiques
Enr. 1 Texte 1

Prosper Mérimée, Mateo Falcone (1829)

Mateo Falcone est l’une des nouvelles les plus célèbres de Mérimée. Elle décrit les
mœurs corses, que Mérimée avait étudiées. L’action se situe sous l’Empire, pendant les
guerres napoléoniennes. Nous vous invitons à lire l’incipit de cette nouvelle.

26 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
En sortant de Porto-Vecchio et se dirigeant au nord-ouest, vers l’intérieur de l’île,
on voit le terrain s’élever assez rapidement, et après trois heures de marche par
des sentiers tortueux, obstrués par de gros quartiers de rocs, et quelquefois cou-
pés par des ravins, on se trouve sur le bord d’un maquis très étendu. Le maquis
est la patrie des bergers corses et de quiconque s’est brouillé avec la justice. Il faut
savoir que le laboureur corse, pour s’épargner la peine de fumer son champ, met
le feu à une certaine étendue de bois : tant pis si la flamme se répand plus loin que
besoin n’est ; arrive que pourra ; on est sûr d’avoir une bonne récolte en semant sur
cette terre fertilisée par les cendres des arbres qu’elle portait.

Les épis enlevés, car on laisse la paille, qui donnerait de la peine à recueillir les
racines qui sont, restées en terre sans se consumer poussent au printemps sui-
vant, des cépées très épaisses qui, en peu d’années, parviennent à une hauteur de
sept ou huit pieds. C’est cette manière de taillis fourré que l’on nomme maquis.
Différentes espèces d’arbres et d’arbrisseaux le composent, mêlés et confondus
comme il plaît à Dieu. Ce n’est que la hache à la main que l’homme s’y ouvrirait un
passage, et l’on voit des maquis si épais et si touffus, que les mouflons eux-mêmes
ne peuvent y pénétrer. Si vous avez tué un homme, allez dans le maquis de Por-
to-Vecchio, et vous y vivrez en sûreté, avec un bon fusil, de la poudre et des balles,
n’oubliez pas un manteau bien garni d’un capuchon, qui sert de couverture et de
matelas. Les bergers vous donnent du lait, du fromage et des châtaignes, et vous
n’aurez rien à craindre de la justice ou des parents du mort, si ce n’est quand il vous
faudra descendre à la ville pour y renouveler vos munitions.

Mateo Falcone, quand j’étais en Corse en 18…, avait sa maison à une demi-lieue de
ce maquis. C’était un homme assez riche pour le pays ; vivant noblement, c’est-à-
dire sans rien faire, du produit de ses troupeaux, que des bergers, espèces de no-
mades, menaient paître çà et là sur les montagnes. Lorsque je le vis, deux années
après l’événement que je vais raconter, il me parut âgé de cinquante ans tout au
plus. Figurez-vous un homme petit, mais robuste, avec des cheveux crépus, noirs
comme le jais, un nez aquilin, les lèvres minces, les yeux grands et vifs, et un teint
couleur de revers de botte. Son habileté au tir du fusil passait pour extraordinaire,
même dans son pays, où il y a tant de bons tireurs. Par exemple, Mateo n’aurait
jamais tiré sur un mouflon avec des chevrotines ; mais, à cent vingt pas, il l’abattait
d’une balle dans la tête ou dans l’épaule, à son choix. La nuit, il se servait de ses
armes aussi facilement que le jour, et l’on m’a cité de lui ce trait d’adresse qui pa-
raîtra peut-être incroyable à qui n’a pas voyagé en Corse. À quatre-vingts pas, on
plaçait une chandelle allumée derrière un transparent de papier, large comme une
assiette. Il mettait en joue, puis on éteignait la chandelle, et, au bout d’une minute
dans l’obscurité la plus complète, il tirait et perçait le transparent trois fois sur
quatre.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

Effectuez les activités n° 2 et n° 3. Elles vous permettront de ré-


aliser une lecture analytique du texte. Notez, au fil de votre lec-
ture, les détails qui vous frappent dans la description des décors et des per-
sonnages. Vous serez notamment attentifs aux détails qui ancrent le récit
dans la réalité.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 27


SÉQUENCE

1
Enr. 2 Texte 2

Honoré de Balzac, Le Cousin Pons (1847)


Sylvain Pons est un compositeur de musique dont la gloire s’est éteinte. Mais il a gardé de
son prestige passé le goût des belles choses, et surtout il est resté d’une extrême gour-
mandise. Ayant de petits revenus, il cherche ainsi toutes les possibilités pour manger de
bonnes choses à peu de frais… Mais la société bourgeoise apprécie de moins en moins les
artistes et quand Pons est invité en société, on se moque bien souvent de lui et il subit les
pires humiliations. C’est ce qui lui arrive quand il endure le mépris de parents fortunés.
Dans l’extrait qui suit, il est reçu par ses cousins parvenus1, les Camusot de Marville.

« Madame, voilà votre monsieur Pons, et en spencer encore ! vint dire Madeleine à
la présidente, il devrait bien me dire par quel procédé il le conserve depuis vingt-
cinq ans ! »
En entendant un pas d’homme dans le petit salon, qui se trouvait entre son grand
salon et sa chambre à coucher, madame Camusot regarda sa fille et haussa les
épaules.
« Vous me prévenez toujours avec tant d’intelligence, Madeleine, que je n’ai plus le
temps de prendre un parti, dit la présidente.
— Madame, Jean est sorti, j’étais seule, monsieur Pons a sonné, je lui ai ouvert la
porte, et, comme il est presque de la maison, je ne pouvais pas l’empêcher de me
suivre ; il est là qui se débarrasse de son spencer.
— Ma pauvre Minette, dit la présidente à sa fille, nous sommes prises, nous devons
maintenant dîner ici.
— Voyons, reprit-elle, en voyant à sa chère Minette une figure piteuse, faut-il nous
débarrasser de lui pour toujours ?
— Oh ! pauvre homme ! répondit mademoiselle Camusot, le priver d’un de ses dî-
ners ! »
Le petit salon retentit de la fausse tousserie d’un homme qui voulait dire ainsi : Je
vous entends.
« Eh bien ! qu’il entre ! dit madame Camusot à Madeleine en faisant un geste
d’épaules.
— Vous êtes venu de si bonne heure, mon cousin, dit Cécile Camusot en prenant un
petit air câlin, que vous nous avez surprises au moment où ma mère allait s’habiller. »
Le cousin Pons, à qui le mouvement d’épaules de la présidente n’avait pas échappé,
fut si cruellement atteint, qu’il ne trouva pas un compliment à dire, et il se contenta
de ce mot profond :
« Vous êtes toujours charmante, ma petite cousine ! »
Puis, se tournant vers la mère et la saluant :
« Chère cousine, reprit-il, vous ne sauriez m’en vouloir de venir un peu plus tôt que
de coutume, je vous apporte ce que vous m’avez fait le plaisir de me demander… »
Et le pauvre Pons, qui sciait en deux le président, la présidente et Cécile chaque fois
qu’il les appelait cousin ou cousine, tira de la poche de côté de son habit une ravis-
sante petite boîte oblongue en bois de Sainte-Lucie, divinement sculptée.
« Ah ! je l’avais oublié ! » dit sèchement la présidente.
Cette exclamation n’était-elle pas atroce ? n’ôtait-elle pas tout mérite au soin du
parent, dont le seul tort était d’être un parent pauvre ?
« Mais, reprit-elle, vous êtes bien bon, mon cousin. Vous dois-je beaucoup d’argent
pour cette petite bêtise ? »
Cette demande causa comme un tressaillement intérieur au cousin, il avait la pré-
tention de solder tous ses dîners par l’offrande de ce bijou.

28 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
« J’ai cru que vous me permettiez de vous l’offrir, dit-il d’une voix émue.
— Comment ! comment ! reprit la présidente ; mais, entre nous, pas de cérémo-
nies, nous nous connaissons assez pour laver notre linge ensemble. Je sais que
vous n’êtes pas assez riche pour faire la guerre à vos dépens. N’est-ce pas déjà
beaucoup que vous ayez pris la peine de perdre votre temps à courir chez les mar-
chands ?…
— Vous ne voudriez pas de cet éventail, ma chère cousine, si vous deviez en donner
la valeur, répliqua le pauvre homme offensé, car c’est un chef-d’œuvre de Watteau
qui l’a peint des deux côtés ; mais soyez tranquille, ma cousine, je n’ai pas payé la
centième partie du prix d’art. »

1. Parvenu : qui a atteint rapidement une importante situation sociale, sans en acquérir les manières,
le savoir-vivre.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

Effectuez les activités n° 4 et n° 5. Elles vous permettront de ré-


aliser une lecture analytique du texte.

Enr. 3 Texte 3

Monarchie de juillet Alfred de Musset, Histoire d’un merle blanc (1842)


La « Monarchie de juillet » est un régime Dans ce conte aux teintes autobiographiques, Musset raconte
monarchique constitutionnel qui tire son l’histoire d’un jeune merle incompris qui se révélera être un grand
nom des révoltes parisiennes des « Trois poète. L’action se situe à Paris, sous la monarchie de Juillet*,
Glorieuses », les 26, 27 et 28 juillet 1830. comme le prouvent de nombreux détails du récit.
Ces révoltes eurent pour conséquences
l’abdication du roi Charles X le 28 juillet et
la fin de la Restauration. La Monarchie de Un jour qu’un rayon de soleil et ma fourrure naissante m’avaient
juillet s’étendra sur près de deux décen- mis, malgré moi, le cœur en joie, comme je voltigeais dans une
nies, jusqu’en février 1848. Cette période allée, je me mis, pour mon malheur, à chanter. À la première
de l’histoire de France correspond à une note qu’il entendit, mon père sauta en l’air comme une fusée.
forte expansion économique avec le début — Qu’est-ce que j’entends là ? s’écria-t-il ; est-ce ainsi qu’un
de la révolution industrielle, ainsi qu’à un
merle siffle ? est-ce ainsi que je siffle ? est-ce là siffler ?
renouveau philosophique et artistique.
Et, s’abattant près de ma mère avec la contenance la plus terrible :
— Malheureuse ! dit-il, qui est-ce qui a pondu dans ton nid ?
À ces mots, ma mère indignée s’élança de son écuelle, non sans se faire du mal à
une patte ; elle voulut parler, mais ses sanglots la suffoquaient ; elle tomba à terre
à demi pâmée. Je la vis près d’expirer ; épouvanté et tremblant de peur, je me jetai
aux genoux de mon père.
— Ô mon père ! lui dis-je, si je siffle de travers, et si je suis mal vêtu, que ma mère
n’en soit point punie ! Est-ce sa faute si la nature m’a refusé une voix comme la
vôtre ? Est-ce sa faute si je n’ai pas votre beau bec jaune et votre bel habit noir à la
française, qui vous donnent l’air d’un marguillier en train d’avaler une omelette ? Si
le ciel a fait de moi un monstre, et si quelqu’un doit en porter la peine, que je sois
du moins le seul malheureux !
— Il ne s’agit pas de cela, dit mon père ; que signifie la manière absurde dont tu
viens de te permettre de siffler ? qui t’a appris à siffler ainsi contre tous les usages
et toutes les règles ?
CNED SECONDE – FRANÇAIS 29
SÉQUENCE

1
— Hélas ! monsieur, répondis-je humblement, j’ai sifflé comme je pouvais, me sen-
tant gai parce qu’il fait beau, et ayant peut-être mangé trop de mouches.
— On ne siffle pas ainsi dans ma famille, reprit mon père hors de lui. Il y a des siècles
que nous sifflons de père en fils, et, lorsque je fais entendre ma voix la nuit, apprends
qu’il y a ici, au premier étage, un vieux monsieur, et au grenier une jeune grisette,
qui ouvrent leurs fenêtres pour m’entendre. N’est-ce pas assez que j’aie devant mes
yeux l’affreuse couleur de tes sottes plumes qui te donnent l’air enfariné comme un
paillasse de la foire ? Si je n’étais le plus pacifique des merles, je t’aurais déjà cent
fois mis à nu, ni plus ni moins qu’un poulet de basse-cour prêt à être embroché.
— Eh bien ! m’écriai-je, révolté de l’injustice de mon père, s’il en est ainsi, mon-
sieur, qu’à cela ne tienne ! je me déroberai à votre présence, je délivrerai vos regards
de cette malheureuse queue blanche par laquelle vous me tirez toute la journée.
Je partirai, monsieur, je fuirai ; assez d’autres enfants consoleront votre vieillesse,
puisque ma mère pond trois fois par an ; j’irai loin de vous cacher ma misère, et
peut-être, ajoutai-je en sanglotant, peut-être trouverai-je, dans le potager du voisin
ou sur les gouttières, quelques vers de terre ou quelques araignées pour soutenir
ma triste existence.
— Comme tu voudras, répliqua mon père, loin de s’attendrir à ce discours ; que je
ne te voie plus ! Tu n’es pas mon fils ; tu n’es pas un merle.
— Et que suis-je donc, monsieur, s’il vous plaît ?
— Je n’en sais rien, mais tu n’es pas un merle.
Après ces paroles foudroyantes, mon père s’éloigna à pas lents. Ma mère se rele-
va tristement, et alla, en boitant, achever de pleurer dans son écuelle. Pour moi,
confus et désolé, je pris mon vol du mieux que je pus, et j’allai, comme je l’avais
annoncé, me percher sur la gouttière d’une maison voisine.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

Effectuez les activités n° 6 et n° 7. Elles vous permettront de ré-


aliser une lecture analytique du texte.

Enr. 4 Texte 4

Flaubert, Madame Bovary (1857)


Dans le chapitre 10 de la IIIe partie de Madame Bovary, le narrateur raconte l’enterre-
ment de l’héroïne.

Les femmes suivaient, couvertes de mantes noires à capuchon rabattu ; elles por-
taient à la main un gros cierge qui brûlait, et Charles se sentait défaillir à cette
continuelle répétition de prières et de flambeaux, sous ces odeurs affadissantes de
cire et de soutane. Une brise fraîche soufflait, les seigles et les colzas verdoyaient,
des gouttelettes de rosée tremblaient au bord du chemin, sur les haies d’épine.
Toutes sortes de bruits joyeux emplissaient l’horizon : le claquement d’une char-
rette roulant au loin dans les ornières, le cri d’un coq qui se répétait ou la galopade
d’un poulain que l’on voyait s’enfuir sous les pommiers. Le ciel pur était tacheté
de nuages roses ; des fumignons bleuâtres se rabattaient sur les chaumières cou-
vertes d’iris ; Charles, en passant, reconnaissait les cours. Il se souvenait de matins
comme celui-ci, où, après avoir visité quelque malade, il en sortait, et retournait
vers elle.

30 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Le drap noir, semé de larmes blanches, se levait de temps à autre en découvrant la
bière. Les porteurs fatigués se ralentissaient, et elle avançait par saccades conti-
nues, comme une chaloupe qui tangue à chaque flot.
On arriva.
Les hommes continuèrent jusqu’en bas, à une place dans le gazon où la fosse était
creusée.
On se rangea tout autour ; et tandis que le prêtre parlait, la terre rouge, rejetée sur
les bords, coulait par coins, sans bruit, continuellement.
Puis, quand les quatre cordes furent disposées, on poussa la bière dessus.
Il la regarda descendre. Elle descendait toujours.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

Effectuez les activités n° 8 et n° 9. Elles vous permettront de ré-


aliser une lecture analytique du texte.

Enr. 5 Texte 5

Flaubert, Un cœur simple, Trois Contes (1877)


Un cœur simple, fait partie des Trois contes publiés par Flaubert à la fin de sa vie. Le
récit est à l’image de son personnage, simple et avec peu d’artifice. Flaubert décrit le
destin d’une figure sans importance, Félicité, domestique restée au service de madame
Aubain. L’extrait suivant décrit un des passages clés du récit : on vient d’offrir à madame
Aubain un perroquet…

Il s’appelait Loulou. Son corps était vert, le bout de ses ailes rose, son front bleu et
sa gorge dorée.
Mais il avait la fatigante manie de mordre son bâton, s’arrachait les plumes, épar-
pillait ses ordures, répandait l’eau de sa baignoire ;
Mme Aubain, qu’il ennuyait, le donna pour toujours à Félicité.
Elle entreprit de l’instruire ; bientôt il répéta : « Charmant garçon ! Serviteur, mon-
sieur ! Je vous salue, Marie ! » Il était placé auprès de la porte, et plusieurs s’éton-
naient qu’il ne répondît pas au nom de Jacquot, puisque tous les perroquets s’ap-
pellent Jacquot. On le comparait à une dinde, à une bûche : autant de coups de
poignard pour Félicité ! Étrange obstination de Loulou, ne parlant plus du moment
qu’on le regardait !
Néanmoins il recherchait la compagnie ; car le dimanche, pendant que ces demoi-
selles Rochefeuille, M. de Houppeville et de nouveaux habitués : Onfroy l’apothicaire,
M. Varin et le capitaine Mathieu, faisaient leur partie de cartes, il cognait les vitres
avec ses ailes, et se démenait si furieusement qu’il était impossible de s’entendre.
La figure de Bourais, sans doute, lui paraissait très drôle. Dès qu’il l’apercevait, il
commençait à rire, à rire de toutes ses forces. Les éclats de sa voix bondissaient
dans la cour, l’écho les répétait, les voisins se mettaient à leurs fenêtres, riaient
aussi ; et, pour n’être pas vu du perroquet, M. Bourais se coulait le long du mur,
en dissimulant son profil avec son chapeau, atteignait la rivière puis entrait par la
porte du jardin ; et les regards qu’il envoyait à l’oiseau manquaient de tendresse.
Loulou avait reçu du garçon boucher une chiquenaude, s’étant permis d’enfoncer
la tête dans sa corbeille ; et depuis lors il tâchait toujours de le pincer à travers sa

CNED SECONDE – FRANÇAIS 31


SÉQUENCE

1
chemise. Fabu menaçait de lui tordre le col, bien qu’il ne fût pas cruel, malgré le
tatouage de ses bras, et ses gros favoris. Au contraire ! il avait plutôt du penchant
pour le perroquet, jusqu’à vouloir, par humeur joviale, lui apprendre des jurons.
Félicité, que ces manières effrayaient, le plaça dans la cuisine. Sa chaînette fut
retirée, et il circulait dans la maison.
Quand il descendait l’escalier, il appuyait sur les marches la courbe de son bec,
levait la patte droite, puis la gauche ; et elle avait peur qu’une telle gymnastique ne
lui causât des étourdissements. Il devint malade, ne pouvait plus parler ni manger.
C’était sous sa langue une épaisseur, comme en ont les poules quelquefois. Elle
le guérit, en arrachant cette pellicule avec ses ongles. M. Paul un jour, eut l’im-
prudence de lui souffler aux narines la fumée d’un cigare ; une autre fois que Mme
Lormeau l’agaçait du bout de son ombrelle, il en happa la virole ; enfin, il se perdit.
Elle l’avait posé sur l’herbe pour le rafraîchir, s’absenta une minute ; et, quand elle
revint, plus de perroquet ! D’abord, elle le chercha dans les buissons, au bord de
l’eau et sur les toits, sans écouter sa maîtresse qui lui criait :
— Prenez donc garde ! vous êtes folle !
Ensuite, elle inspecta tous les jardins de Pont-l’Évêque ; et elle arrêtait les pas-
sants.
— Vous n’auriez pas vu, quelquefois, par hasard, mon perroquet ?
À ceux qui ne connaissaient pas le perroquet, elle en faisait la description.
Tout à coup, elle crut distinguer derrière les moulins, au bas de la côte, une chose
verte qui voltigeait. Mais au haut de la côte, rien ! Un porte-balle lui affirma qu’il
l’avait rencontré tout à l’heure à Saint-Melaine, dans la boutique de la mère Simon.
Elle y courut. On ne savait pas ce qu’elle voulait dire. Enfin elle rentra épuisée, les
savates en lambeaux, la mort dans l’âme ; et, assise au milieu du banc, près de
Madame, elle racontait toutes ses démarches, quand un poids léger lui tomba sur
l’épaule, Loulou ! Que diable avait-il fait ? Peut-être qu’il s’était promené aux envi-
rons ? Elle eut du mal à s’en remettre, ou plutôt ne s’en remit jamais.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

Effectuez les activités n° 10 à n° 12. Les activités n° 10 et n° 11


vous permettront de réaliser une lecture analytique du texte.
L’activité n° 12 porte sur l’ensemble des cinq textes étudiés.

B Lecture cursive de la nouvelle de Maupassant,


Pierrot
La nouvelle Pierrot paraît dans le journal Le Gaulois le 9 octobre 1882. Puis, elle est
éditée en recueil, intégrant les Contes de la bécasse, en 1883.

Lisez attentivement cette nouvelle de Maupassant plusieurs fois. Repérez les diffé-
rents personnages, les lieux de l’action et les principales péripéties.

à Henri Roujon
Mme Lefèvre était une dame de campagne, une veuve, une de ces demi-paysannes
à rubans et à chapeaux à falbalas, de ces personnes qui parlent avec des cuirs,
prennent en public des airs grandioses, et cachent une âme de brute prétentieuse

32 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
sous des dehors comiques et chamarrés, comme elles dissimulent leurs grosses
mains rouges sous des gants de soie écrue. Elle avait pour servante une brave
campagnarde toute simple, nommée Rose.
Les deux femmes habitaient une petite maison à volets verts, le long d’une route,
en Normandie, au centre du pays de Caux. Comme elles possédaient, devant l’habi-
tation, un étroit jardin, elles cultivaient quelques légumes.
Or, une nuit, on lui vola une douzaine d’oignons.
Dès que Rose s’aperçut du larcin, elle courut prévenir Madame, qui descendit en
jupe de laine. Ce fut une désolation et une terreur. On avait volé, volé Mme Lefèvre !
Donc, on volait dans le pays, puis on pouvait revenir.
Et les deux femmes effarées contemplaient les traces de pas, bavardaient, suppo-
saient des choses : « Tenez, ils ont passé par là. Ils ont mis leurs pieds sur le mur ;
ils ont sauté dans la plate-bande ».
Et elles s’épouvantaient pour l’avenir. Comment dormir tranquilles maintenant !
Le bruit du vol se répandit. Les voisins arrivèrent, constatèrent, discutèrent à leur
tour ; et les deux femmes expliquaient à chaque nouveau venu leurs observations
et leurs idées.
Un fermier d’à côté leur offrit ce conseil : « Vous devriez avoir un chien ». C’était
vrai, cela ; elles devraient avoir un chien, quand ce ne serait que pour donner l’éveil.
Pas un gros chien, Seigneur ! Que feraient-elles d’un gros chien ! Il les ruinerait en
nourriture. Mais un petit chien (en Normandie, on prononce quin), un petit freluquet
de quin qui jappe.
Dès que tout le monde fut parti, Mme Lefèvre discuta longtemps cette idée de chien.
Elle faisait, après réflexion, mille objections, terrifiée par l’image d’une jatte pleine
de pâtée ; car elle était de cette race parcimonieuse de dames campagnardes qui
portent toujours des centimes dans leur poche pour faire l’aumône ostensiblement
aux pauvres des chemins, et donner aux quêtes du dimanche.
Rose, qui aimait les bêtes, apporta ses raisons et les défendit avec astuce. Donc il
fut décidé qu’on aurait un chien, un tout petit chien.
On se mit à sa recherche, mais on n’en trouvait que des grands, des avaleurs de
soupe à faire frémir. L’épicier de Rolleville en avait bien un, tout petit ; mais il exi-
geait qu’on le lui payât deux francs, pour couvrir ses frais d’élevage. Mme Lefèvre
déclara qu’elle voulait bien nourrir un « quin », mais qu’elle n’en achèterait pas.
Or, le boulanger, qui savait les événements, apporta, un matin, dans sa voiture, un
étrange petit animal tout jaune, presque sans pattes, avec un corps de crocodile,
une tête de renard et une queue en trompette, un vrai panache, grand comme tout
le reste de sa personne. Un client cherchait à s’en défaire. Mme Lefèvre trouva fort
beau ce roquet immonde, qui ne coûtait rien. Rose l’embrassa, puis demanda com-
ment on le nommait. Le boulanger répondit : « Pierrot ».
Il fut installé dans une vieille caisse à savon et on lui offrit d’abord de l’eau à boire.
Il but. On lui présenta ensuite un morceau de pain. Il mangea.
Mme Lefèvre inquiète, eut une idée : « Quand il sera bien accoutumé à la maison, on
le laissera libre. Il trouvera à manger en rôdant par le pays ».
On le laissa libre, en effet, ce qui ne l’empêcha point d’être affamé. Il ne jappait
d’ailleurs que pour réclamer sa pitance ; mais, dans ce cas, il jappait avec achar-
nement.
Tout le monde pouvait entrer dans le jardin. Pierrot allait caresser chaque nouveau
venu, et demeurait absolument muet.
Mme Lefèvre cependant s’était accoutumée à cette bête. Elle en arrivait même à
l’aimer, et à lui donner de sa main, de temps en temps, des bouchées de pain trem-
pées dans la sauce de son fricot. Mais elle n’avait nullement songé à l’impôt, et
quand on lui réclama huit francs, - huit francs, Madame ! - pour ce freluquet de quin
qui ne jappait seulement point, elle faillit s’évanouir de saisissement.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 33


SÉQUENCE

1
Il fut immédiatement décidé qu’on se débarrasserait de Pierrot. Personne n’en
voulut. Tous les habitants le refusèrent à dix lieues aux environs.
Alors on se résolut, faute d’autre moyen, à lui faire « piquer du mas ».
« Piquer du mas », c’est « manger de la marne ». On fait piquer du mas à tous les
chiens dont on veut se débarrasser.
Au milieu d’une vaste plaine, on aperçoit une espèce de hutte, ou plutôt un tout petit
toit de chaume, posé sur le sol. C’est l’entrée de la marnière. Un grand puits tout
droit s’enfonce jusqu’à vingt mètres sous terre, pour aboutir à une série de longues
galeries de mines.
On descend une fois par an dans cette carrière, à l’époque où l’on marne les terres.
Tout le reste du temps elle sert de cimetière aux chiens condamnés ; et souvent,
quand on passe auprès de l’orifice, des hurlements plaintifs, des aboiements fu-
rieux ou désespérés, des appels lamentables montent jusqu’à vous.
Les chiens des chasseurs et des bergers s’enfuient avec épouvante des abords de
ce trou gémissant ; et, quand on se penche au-dessus, il sort une abominable odeur
de pourriture. Des drames affreux s’y accomplissent dans l’ombre.
Quand une bête agonise depuis dix à douze jours dans le fond, nourrie par les restes
immondes de ses devanciers, un nouvel animal, plus gros, plus vigoureux certaine-
ment, est précipité tout à coup. Ils sont là, seuls, affamés, les yeux luisants. Ils se
guettent, se suivent, hésitent, anxieux.
Mais la faim les presse ; ils s’attaquent, luttent longtemps, acharnés ; et le plus fort
mange le plus faible, le dévore vivant.
Quand il fut décidé qu’on ferait « piquer du mas » à Pierrot, on s’enquit d’un exécu-
teur. Le cantonnier qui binait la route demanda dix sous pour la course. Cela parut
follement exagéré à Mme Lefèvre. Le goujat du voisin se contentait de cinq sous ;
c’était trop encore ; et, Rose ayant fait observer qu’il valait mieux qu’elles le por-
tassent elles-mêmes, parce qu’ainsi il ne serait pas brutalisé en route et averti de
son sort, il fut résolu qu’elles iraient toutes les deux à la nuit tombante.
On lui offrit, ce soir-là, une bonne soupe avec un doigt de beurre. Il l’avala jusqu’à la
dernière goutte ; et, comme il remuait la queue de contentement, Rose le prit dans
son tablier. Elles allaient à grands pas, comme des maraudeuses, à travers la plaine.
Bientôt elles aperçurent la marnière et l’atteignirent ; Mme Lefèvre se pencha pour
écouter si aucune bête ne gémissait. - Non - il n’y en avait pas ; Pierrot serait seul.
Alors Rose, qui pleurait, l’embrassa, puis le lança dans le trou ; et elles se pen-
chèrent toutes deux, l’oreille tendue.
Elles entendirent d’abord un bruit sourd ; puis la plainte aiguë, déchirante, d’une
bête blessée, puis une succession de petits cris de douleur, puis des appels déses-
pérés, des supplications de chien qui implorait, la tête levée vers l’ouverture.
Il jappait, oh ! il jappait !
Elles furent saisies de remords, d’épouvante, d’une peur folle et inexplicable ; et
elles se sauvèrent en courant. Et, comme Rose allait plus vite, Mme Lefèvre criait :
« Attendez-moi, Rose, attendez-moi ! ».
Leur nuit fut hantée de cauchemars épouvantables. Mme Lefèvre rêva qu’elle s’as-
seyait à table pour manger la soupe, mais, quand elle découvrait la soupière, Pier-
rot était dedans. Il s’élançait et la mordait au nez.
Elle se réveilla et crut l’entendre japper encore. Elle écouta ; elle s’était trompée.
Elle s’endormit de nouveau et se trouva sur une grande route, une route intermi-
nable, qu’elle suivait ; Tout à coup, au milieu du chemin, elle aperçut un panier, un
grand panier de fermier, abandonné ; et ce panier lui faisait peur.
Elle finissait cependant par l’ouvrir, et Pierrot, blotti dedans, lui saisissait la main,
ne la lâchait plus ; et elle se sauvait éperdue, portant ainsi au bout du bras le chien
suspendu, la gueule serrée.
Au petit jour, elle se leva, presque folle, et courut à la marnière.

34 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Il jappait ; il jappait encore, il avait jappé toute la nuit. Elle se mit à sangloter
et l’appela avec mille petits noms caressants. Il répondit avec toutes les in-
flexions tendres de sa voix de chien. Alors elle voulut le revoir, se promettant de
le rendre heureux jusqu’à sa mort.
Elle courut chez le puisatier chargé de l’extraction de la marne, et elle lui ra-
conta son cas. L’homme écoutait sans rien dire. Quand elle eut fini, il prononça :
« Vous voulez votre quin ? Ce sera quatre francs ».
Elle eut un sursaut ; toute sa douleur s’envola du coup.
« Quatre francs ! vous vous en feriez mourir ! quatre francs ! ».
Il répondit : « Vous croyez que j’vas apporter mes cordes, mes manivelles, et
monter tout ça, et m’en aller là-bas avec mon garçon et m’faire mordre encore
par votre maudit quin, pour l’plaisir de vous le r’donner ? fallait pas l’jeter. »
Elle s’en alla, indignée. - Quatre francs !
Aussitôt rentrée, elle appela Rose et lui dit les prétentions du puisatier. Rose,
toujours résignée, répétait : « Quatre francs ! c’est de l’argent, Madame ».
Puis, elle ajouta : « Si on lui jetait à manger, à ce pauvre quin, pour qu’il ne
meure pas comme ça ? ».
Mme Lefèvre approuva, toute joyeuse ; et les voilà reparties, avec un gros mor-
ceau de pain beurré.
Elles le coupèrent par bouchées qu’elles lançaient l’une après l’autre, parlant
tour à tour à Pierrot. Et sitôt que le chien avait achevé un morceau, il jappait
pour réclamer le suivant.
Elles revinrent le soir, puis le lendemain, tous les jours. Mais elles ne faisaient
plus qu’un voyage.
Or, un matin, au moment de laisser tomber la première bouchée, elles enten-
dirent tout à coup un aboiement formidable dans le puits. Ils étaient deux ! on
avait précipité un autre chien, un gros !
Rose cria : « Pierrot ! » Et Pierrot jappa, jappa. Alors on se mit à jeter la nour-
riture ; mais, chaque fois elles distinguaient parfaitement une bousculade ter-
rible, puis les cris plaintifs de Pierrot mordu par son compagnon, qui mangeait
tout, étant le plus fort.
Elles avaient beau spécifier : « C’est pour toi, Pierrot ! » Pierrot, évidemment,
n’avait rien.
Les deux femmes, interdites, se regardaient ; et Mme Lefèvre prononça d’un
ton aigre : « Je ne peux pourtant pas nourrir tous les chiens qu’on jettera là-de-
dans. Il faut y renoncer ».
Et, suffoquée à l’idée de tous ces chiens vivants à ses dépens, elle s’en alla,
emportant même ce qui restait du pain qu’elle se mit à manger en marchant.
Rose la suivit en s’essuyant les yeux du coin de son tablier bleu.

Effectuez les activités n° 13 et n° 14. Elles vous permettront de


réaliser une lecture cursive de la nouvelle.

C Entraînement à l’écrit : l’écriture d’invention


L’écriture d’invention est un des trois travaux d’écriture proposés à l’écrit du
baccalauréat. Cet exercice y est noté sur 16 points dans les séries générales et
14 points dans les séries technologiques ; Il s’agit d’écrire un texte, en liaison
avec un ou plusieurs autres, en respectant des consignes précises.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 35


SÉQUENCE

1
On peut distinguer deux sortes d’écrits d’invention :

1. ceux qui ont une visée argumentative : dialogue, éloge ou blâme, défense ou
accusation ;

2. les réécritures :

▶ Par imitation
– en reprenant un élément d’un texte étudié (écrire un texte reprenant par exemple
un procédé de style comme la métaphore filée, ou la morale d’une fable) ;
– en reprenant un genre et / ou un registre ;
– en imitant un style, écrire « à la manière de » (pastiches ou parodies).

▶ Par transposition
– du genre (ex : transformer un extrait romanesque en scène de théâtre) ;
– du registre (ex : réécrire une scène tragique dans le registre comique) ;
– du point de vue (ex : la même scène racontée par un autre personnage)…

▶ Par amplification
– en imaginant le début ou la suite d’un texte, en insérant un dialogue, une descrip-
tion, le développement d’une ellipse narrative.
Dans certains cas, la réécriture peut être associée à une visée argumentative.

Observation du texte de référence


Il faut bien comprendre le texte-support. Pour cela, on peut s’attacher :
– à la structure ou composition ;
– au rythme ;
– aux thèmes ;
– et, bien sûr, à la forme, aux techniques stylistiques ;
– enfin, dans certains cas, il existe des codes ou conventions (par exemple, quand
on écrit une lettre, on indique le lieu, la date, on s’adresse au destinataire, d’une
manière souvent convenue, on utilise une formule de clôture, on signe).

Lecture des consignes


L’écriture d’invention n’est jamais libre. Elle comporte des contraintes qu’il faut
bien repérer dans le libellé :
– quel est le genre du texte à produire ?
– qui y parle à qui ?
– où ?
– quand ?
– quel est le registre de ce nouveau texte ?
– quel en est le thème, ou le sujet ?
Si l’écrit d’invention a aussi une visée argumentative, il faut bien discerner la pro-
blématique (ensemble des problèmes posés).

36 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Élaboration du plan
Même dans un sujet narratif ou descriptif, il faut élaborer un plan au brouillon :
– introduction (lieu, moment, personnage, objet du récit, circonstances particu-
lières).
– développement (péripéties).
– conclusion (réflexion ou impression d’ensemble).

Parfois, on omet l’introduction en vue d’un effet de surprise (ou, bien sûr, si l’on
rédige la suite d’un texte).

Rédaction
Dans ce type de sujet, la qualité de l’expression est très importante et fait partie
des critères de notation : orthographe et syntaxe correctes, précision, variété et
richesse du vocabulaire, aisance du style.

Rendez-vous sur
Prenons un exemple précis cned.fr ou dans votre
fascicule d'exercices
Thésée raconte à Ariane sa descente dans le labyrinthe et
pour effectuer l’activité n° 15 qui
sa rencontre avec le Minotaure dans un registre épique.
vous proposera la rédaction d’un
Vous présenterez ce récit sous la forme d’une nouvelle.
sujet d’invention.
a. Lecture des consignes
Il faut extraire du libellé certains éléments :
– Quel est le genre du texte à produire ? Ici : une nouvelle.
– Quelle est la situation d’énonciation ?
– Qui parle à qui ? Thésée s’adresse à Ariane.
– Où ? Soit en Crète, soit sur le bateau sur lequel ils s’enfuient.
– Quand ? Peu de temps après la mort du Minotaure.
– Quel est le registre ? Le registre épique.
– Quel est le thème ? La victoire de Thésée sur le Minotaure, dans le Laby-
rinthe.

b. Où trouver des idées ?


Dans des dictionnaires de mythologie, sur des sites web ou des encyclopédies,
vous trouverez des récits de ce mythe.
Enfin, il y a une part d’invention personnelle.

c. Élaboration du plan
Dans un sujet d’invention, l’élaboration d’un plan au brouillon est indispen-
sable.
Voici comment pourrait s’organiser votre nouvelle.
1. Titre de la nouvelle.
2. Thésée laisse ses compagnons près de l’entrée du Labyrinthe et attache
l’extrémité de la bobine de fil.
3. Il descend dans le labyrinthe ; impressions et description.
4. Sa rencontre avec le Minotaure ; éventuellement dialogue.
5. Le combat avec le Minotaure ; éventuellement dialogue.
6. La remontée vers la sortie.
7. La sortie : la joie des Athéniens, le soulagement de Thésée.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 37


SÉQUENCE

1
Pour conclure
À retenir

Le roman et la nouvelle, récits de fiction, sont des genres qui prennent une
place centrale dans la littérature au XIXe siècle. Les romanciers réalistes ont
la volonté de faire vrai, le roman doit apporter au lecteur une représentation
du réel et lui permettre de mieux le connaître. Il ne s’agit plus seulement de
divertir, mais de proposer des lectures utiles.

Le roman a ainsi un intérêt documentaire : il explique au lecteur le contexte


social et historique de l’histoire qui lui est racontée (pensez aux explications
données par Mérimée sur le maquis corse dans la nouvelle Mateo Falcone).
Pour cette raison, on trouvera très souvent en début de récit des indications
précises permettant de le situer dans le temps et dans l’espace : dates, indi-
cations géographiques et topographiques précises et vérifiables. La présence
d’anecdotes concourt à renforcer cet effet de réel, comme l’importance ac-
cordée dans ces récits à la description des paysages et des décors ; elles sont
ainsi particulièrement nombreuses dans les romans de Balzac.

Le romancier réaliste se propose aussi de décrire la société, par l’importance


accordée à l’itinéraire d’un personnage qui tente de s’y élever, ce qui consti-
tue le sujet des romans d’éducation : Le Rouge et le Noir de Stendhal, Le Père
Goriot de Balzac, L’Éducation sentimentale de Flaubert et Bel-Ami de Maupas-
sant. Le roman est alors l’occasion d’une peinture de caractères : c’est ce
qui est proposé dans le passage du Cousin Pons de Balzac étudié en lecture
analytique.

La volonté de ne pas embellir le réel amène souvent le romancier à écrire des


dénouements sombres (ainsi Madame Bovary se termine par la mort d’Emma
et de Charles), parce que conformes à ce qui se passe dans la vie, et donc à
proposer au lecteur une vue pessimiste de l’existence.

En montrant les défauts de la société, en peignant sans concession les mi-


lieux sociaux contemporains, les romans réalistes ont une intention satirique,
voire pour certains d’entre eux politique. Ainsi, pour Stendhal, un « roman est
un miroir que l’on promène sur une grande route ».

Cependant ces romanciers se veulent aussi des artistes. Comme l’écrit Guy
de Maupassant, dans « Le Roman », publié en préface de son roman Pierre et
Jean : « Le réaliste, s’il est un artiste, cherchera, non pas à nous montrer la
photographie banale de la vie, mais à nous en donner la vision plus complète,
plus saisissante, plus probante que la réalité même. » Ainsi, Flaubert place
l’art avant tout : dans la scène de l’enterrement d’Emma (cf. texte 4), c’est l’es-
thétisme, la recherche de la perfection du détail et du style, qui prime.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d'exercices


pour effectuer l’activité n° 16 : un quiz bilan du chapitre.

38 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Fiche méthode

Le texte narratif

Certaines connaissances sont nécessaires pour aborder un récit, qu’il s’agisse d’un
roman ou d’une nouvelle. Nous vous rappelons ici les principaux éléments pour
expliquer un texte narratif.

Le statut du narrateur

Distinction auteur/narrateur
Dans le cas précis du réalisme, il convient de distinguer l’auteur du narrateur.

L’auteur est celui qui écrit le roman ; on le nomme d’ailleurs volontiers le roman-
cier, ou le nouvelliste. Le narrateur est celui qui raconte l’histoire. Il peut s’agir d’un
personnage (intradiégétique) ou d’un narrateur externe (extradiégétique, narration
à la troisième personne). Dans les œuvres autobiographiques, auteur et narrateur
sont identiques.

Le point de vue narratif ou focalisation


On emploie le terme de focalisation pour désigner le point de vue ou la perspective
selon laquelle les éléments d’une histoire sont perçus. Trois types de focalisation
sont envisagés :
– la focalisation zéro ou point de vue omniscient : un narrateur sait tout des per-
sonnages et révèle aux lecteurs les sentiments et les intentions cachées ;
– la focalisation interne ou point de vue interne : elle s’im-
pose dans un récit à la première personne, lorsque narra-
Remarque teur et personnage se confondent, ou lorsque le narrateur,
extérieur à la fiction, nous livre momentanément le point de
La stratégie d’un romancier peut
vue de l’un des personnages ;
varier au cours d’un même roman ;
sont alors employées diverses fo- – la focalisation externe ou point de externe : un narrateur,
calisations pour produire tel ou tel extérieur à l’histoire, décrit et raconte « de l’extérieur »
effet. sans que le lecteur ait accès aux sentiments, aux intentions
des personnages.

Ordre et rythme du récit

Procédés modifiant l’ordre du récit


On peut choisir de suivre l’ordre linéaire de la narration ou bien de modifier l’ordre
chronologique des faits.
– Le retour en arrière ou analepse narrative marque une rupture dans le récit pour
raconter des événements qui se sont déroulés avant. Il est généralement signalé
par le plus-que-parfait.
– L’anticipation ou prolepse narrative interrompt le récit linéaire pour évoquer des
événements qui auront lieu après. On la rencontre fréquemment dans le récit
autobiographique. Elle est signalée par le conditionnel à valeur de futur du passé.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 39


SÉQUENCE

1
Procédés modifiant le rythme du récit
Pour évaluer le rythme du récit, on compare le temps de l’histoire (temps des évé-
nements dans la fiction) et le temps de la narration (temps mis par le narrateur
pour raconter, mesurable en nombre de lignes, de paragraphes, de pages etc.).
– L’ellipse consiste à passer sous silence un moment de l’histoire. Elle est souvent
suivie d’une expression du type « Dix ans plus tard ». Il s’agit fréquemment de
mettre en valeur l’événement qui succède à l’ellipse.
– Le sommaire accélère le rythme du récit en résumant une partie de l’histoire. Le
temps de la narration est donc plus court que le temps de l’histoire : vingt ans
d’une vie rapportés en quelques lignes, par exemple.
– La scène vise une égalité de durée entre narration et fiction. Elle donne l’impres-
sion que l’histoire se déroule en temps réel. Elle se présente le plus souvent sous
forme d’un dialogue ou de paroles rapportées qui correspondent à un moment
important de l’histoire sur lequel le narrateur s’attarde en révélant les pensées
des personnages, en livrant des détails.
– Le ralenti enfle la narration grâce à des descriptions, des commentaires, des
impressions diverses dans le but de retarder l’information donnée au lecteur.
Fréquemment utilisée dans le récit fantastique, cette vitesse narrative participe
du suspense, lorsqu’un personnage est confronté à un danger imminent par
exemple.
– La pause suspend la narration. Le temps de l’histoire est alors quasi nul, il ne se
passe plus rien du point de vue des événements, mais l’auteur s’attarde sur la
description. On parle de pause descriptive. C’est le cas lorsqu’un auteur dresse
le portrait d’un personnage, par exemple.

Fiche méthode

La lecture analytique et sa mise en


œuvre à l’oral
1. Définition de la lecture analytique
Les instructions officielles définissent ainsi la lecture analytique :
La lecture analytique a pour but la construction détaillée de la signification d’un texte.
Elle constitue donc un travail d’interprétation. Elle vise à développer la capacité d’ana-
lyses critiques autonomes. Elle peut s’appliquer à des textes de longueurs variées :
– appliquée à des textes brefs, elle cherche à faire lire les élèves avec méthode ;
– appliquée à des textes longs, elle permet l’étude de l’œuvre intégrale.
[...] L’objectif de la lecture analytique est la construction et la formulation d’une inter-
prétation fondée : les outils d’analyse sont des moyens d’y parvenir, et non une fin en soi.
La lecture analytique peut être aussi une lecture comparée de deux ou plusieurs textes
ou de textes et de documents iconographiques, dont elle dégage les caractéristiques
communes, les différences ou les oppositions. (B.O. n° 40 du 2 novembre 2006)

Une lecture analytique est donc une manière méthodique de lire des textes, par
une démarche progressive capable de construire un sens.

40 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
À éviter On peut ainsi parler d’une « lecture problématisée », puisqu’il
s’agit de mener à bien, par une série de questions, un projet
Un défaut majeur à éviter : la pa- de lecture capable de parvenir à une interprétation. En effet,
raphrase. le texte est une construction, le résultat d’un travail sur
l’écriture : la lecture analytique a aussi pour but de montrer
La paraphrase consiste à répé- comment s’élaborent cette construction, cette création.
ter dans d’autres termes ce que
dit l’auteur. Pour éviter ce travers, Il s’agira ainsi de :
il faut interroger le texte par les – mettre en valeur les intentions de l’auteur (émouvoir,
questions « Pourquoi ? » et « Com- attrister, bouleverser, faire rire, horrifier, faire réfléchir, passer
ment ? » (la question « Quoi ? » un message, faire prendre conscience), ce qui aboutit à défi-
n’est qu’un point de départ). nir les registres d’un texte, à mettre en valeur ses enjeux
ou sa problématique ;
– mettre en valeur les procédés qu’il utilise pour parvenir à ce but : la structure,
les caractéristiques du discours, l’implication du locuteur, les procédés de style ;
– faire ressortir les effets que ces intentions provoquent chez le lecteur ; déga-
ger les idées et les innovations véhiculées par le texte.
Une lecture analytique aboutit à un exposé pourvu d’une introduction, d’un déve-
loppement, d’une conclusion.

2. Mise en œuvre de la lecture analytique


Le travail préparatoire
Il comprend plusieurs étapes.
▶ Lire et relire le texte à analyser.

▶ Étudier le paratexte
a. Repérer le nom de l’auteur, de l’œuvre, sa date de parution.
b. Bien lire le chapeau introductif donnant souvent les informations nécessaires
pour situer le passage.
▶ Identifier la nature du texte
a. Le genre. Rappel : les quatre grands genres sont la poésie, le roman, le théâtre,
la littérature d’idées. Il existe pour chacun de ces genres des sous-catégories :
nouvelle, conte, fable, chanson, autobiographie, correspondance…
b. Le type de discours : quel que soit son genre, le texte peut présenter, successive-
ment ou simultanément, un récit, une description, une réflexion.
c. La situation d’énonciation. Se pose alors la question suivante, souvent riche d’en-
seignement : le locuteur est-il impliqué dans son discours ?
d. Le registre du texte : un texte peut jouer sur différents registres ; l’analyse permet
souvent d’approfondir, de nuancer ou de corriger une première approche.
Ex : Un texte peut d’abord paraître surtout comique, et se révéler en fait nettement
polémique.
▶ Repérer les thèmes importants en identifiant, entre autres, les champs lexi-
caux. En effet, la présence d’un thème dans un texte est assurée par l’ensemble
des termes et expressions qui s’y rapportent. Plus le champ lexical est abondant,
plus le thème est important pour le propos de l’auteur.
▶ Rechercher le plan, la structure du texte.

L’analyse du texte
Elle se fait au moyen des outils d’analyse suivants :
– l’énonciation ;
– la focalisation ;
– le cadre spatiotemporel ;
– les figures de style (métaphore, antithèse, chiasme, etc.) ;

CNED SECONDE – FRANÇAIS 41


SÉQUENCE

1
– la syntaxe (construction des phrases) et la ponctuation ;
– le rythme et les sonorités ;
– les registres.

La construction d’un plan ordonné autour de la problématique


Lorsque toutes les informations ont été réunies, vient le moment de les organiser
pour répondre à la question posée.

La lecture analytique comporte :


– une introduction ;
– un développement en deux ou trois parties ;
– une conclusion.
▶ L’introduction comporte trois étapes.
– Dans la première partie, il faut indiquer le titre, l’auteur, la date de parution ainsi
que la situation du passage à étudier dans l’œuvre.
– Dans la seconde, il faut exposer le contenu de l’extrait et ce qui en fait l’intérêt,
c’est-à-dire sa problématique.
– Dans la troisième, il faut indiquer le plan de la lecture.
Il faut partir de l’idée que le lecteur n’est censé savoir ni quel est le texte ni com-
ment vous allez procéder pour l’analyser. C’est pourquoi il faut lui fournir tous ces
éléments dans l’introduction.
▶ La conclusion comporte deux parties.
– Une synthèse de la réponse apportée à la question, sans apporter de nouvelles
idées, ni de nouveaux exemples.
– Une ouverture sur une idée plus générale (suite de l’œuvre, mise en perspective
dans l’époque, comparaisons avec d’autres œuvres, etc.). Toutefois, si ce prolon-
gement ne s’impose pas, inutile de vous arracher les cheveux. Un élargissement
artificiel n’a pas d’intérêt.
Dans une conclusion, il est possible de prendre position de manière plus personnelle.

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Du réalisme au naturalisme

Objectifs d’apprentissage
Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du
chapitre 4.
© CNED

Pour débuter : Histoire littéraire


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d'exercices
pour effectuer l’activité n° 1 qui portera sur un document vidéo
© CNED présentant le projet d'écriture de Zola, initié en 1868.

42 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Pour apprendre

A Définir le naturalisme
Lisez ces trois textes d’Émile Zola :

Texte n° 1
Dans Thérèse Raquin, j’ai voulu étudier des tempéraments et non des caractères. Là
est le livre entier. J’ai choisi des personnages souverainement dominés par leurs
nerfs et leur sang, dépourvus de libre arbitre, entraînés à chaque acte de leur vie
par les fatalités de leur chair. […]
Émile Zola (1840-1902), préface de Thérèse Raquin (1867)

Texte n° 2
Je veux expliquer comment une famille, un petit groupe d’êtres, se comporte dans
une société, en s’épanouissant pour donner naissance à dix, à vingt individus qui
paraissent, au premier coup d’œil, profondément dissemblables, mais que l’ana-
lyse montre intimement liés les uns aux autres. L’hérédité a ses lois, comme la
pesanteur.
Je tâcherai de trouver et de suivre, en résolvant la double question des tempéra-
ments et des milieux, le fil qui conduit mathématiquement d’un homme à un autre
homme.
Zola, Préface de La Fortune des Rougon (1871)

Texte n° 3
Eh bien ! en revenant au roman, nous voyons également que le romancier est fait
d’un observateur et d’un expérimentateur. L’observateur chez lui donne les faits
tels qu’il les a observés, pose le point de départ, établit le terrain solide sur lequel
vont marcher les personnages et se développer les phénomènes. Puis, l’expéri-
mentateur paraît et institue l’expérience, je veux dire fait mouvoir les personnages
dans une histoire particulière, pour y montrer que la succession des faits y sera
telle que l’exige le déterminisme des phénomènes mis à l’étude. C’est presque tou-
jours ici une expérience « pour voir » comme l’appelle Claude Bernard. Le roman-
cier part à la recherche d’une vérité.
Zola, Le Roman expérimental (1880)

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d'exercices pour


effectuer l’activité n° 2 qui portera sur l’étude de ces trois textes.

B Approche de deux romans naturalistes


L’évolution du roman réaliste vers le roman naturaliste s’explique, entre autres, par
les progrès dans le domaine de la science et de la médecine. Sous leur influence,
les romanciers vont chercher à observer autrement le monde contemporain dans
lequel ils évoluent. Ils vont plus loin encore que les réalistes dans la description
de la réalité : ils désirent, prenant pour modèles les biologistes ou les médecins,

CNED SECONDE – FRANÇAIS 43


SÉQUENCE

1
en découvrir les ressorts cachés : « posséder le mécanisme des phénomènes chez
l’homme, montrer les rouages des manifestations intellectuelles et sensuelles
telles que la physiologie nous les expliquera, sous les influences de l’hérédité et
des circonstances ambiantes, puis montrer l’homme vivant dans ce milieu social »
(Zola, Le roman expérimental). Ils décrivent les ravages de l’argent, de la misère
sociale, ils montrent la médiocrité de la vie quotidienne…
Les romanciers naturalistes n’hésitent pas à décrire la réalité sans aucune conces-
sion. Certains passages de leurs romans osent peindre une réalité sordide.

1. Jules et Edmond de Goncourt, Germinie Lacerteux


Germinie Lacerteux est considéré comme l’un des premiers récits naturalistes. Écrit à
quatre mains par les frères Goncourt, il relate la vie difficile et douloureuse de Germinie
Lacerteux qui, par amour, sombre dans la prostitution et la misère. Arrivée à Paris après
avoir été abusée sexuellement, Germinie devient domestique. N’ayant pu se marier, elle
s’occupe d’une nièce dont on lui cache la mort pour soutirer des gages. Puis elle s’at-
tache au jeune Jupillon, fils d’un épicier. Mais l’enfant grandit, devient homme, et Ger-
minie éprouve une dévorante passion pour lui. Ces amours la conduiront à la déchéance.
Zola, qui admirait beaucoup ce roman, s’en inspira pour son héroïne Gervaise, dans
L’Assommoir. Dans l’extrait suivant, le narrateur décrit un aspect de la déchéance de
l’héroïne : l’alcoolisme.

D’abord, elle avait eu besoin, pour boire, d’entraînement, de société, du choc des
verres, de l’excitation de la parole, de la chaleur des défis ; puis bientôt, elle était
arrivée à boire seule.
C’est alors qu’elle avait bu dans le verre à demi plein, remonté sous son tablier et
caché dans un recoin de la cuisine ; qu’elle avait bu solitairement et désespérément
ces mélanges de vin blanc et d’eau-de-vie qu’elle avalait coup sur coup jusqu’à
ce qu’elle y eût trouvé ce dont elle avait soif : le sommeil. Car ce qu’elle voulait ce
n’était point la fièvre de tête, le trouble heureux, la folie vivante, le rêve éveillé et
délirant de l’ivresse ; ce qu’il lui fallait, ce qu’elle demandait, c’était le noir bonheur
du sommeil, d’un sommeil sans mémoire et sans rêve, d’un sommeil de plomb
tombant sur elle comme un coup d’assommoir sur la tête d’un bœuf : et elle le
trouvait dans ces liqueurs mêlées qui la foudroyaient et lui couchaient la face sur la
toile cirée de la table de cuisine.
Dormir de ce sommeil écrasant, rouler, le jour, dans cette nuit, cela était devenu
pour elle comme la trêve et la délivrance d’une existence qu’elle n’avait plus le
courage de continuer ni de finir. Un immense besoin de néant, c’était tout ce qu’elle
éprouvait dans l’éveil. Les heures de sa vie qu’elle vivait de sang-froid, en se voyant
elle-même, en regardant dans sa conscience, en assistant à ces hontes, lui sem-
blaient si abominables !
Elle aimait mieux les mourir. Il n’y avait plus que le sommeil au monde pour lui faire
tout oublier, le sommeil congestionné de l’Ivrognerie qui berce avec les bras de la
Mort.
Là, dans ce verre, qu’elle se forçait à boire et qu’elle vidait avec frénésie, ses souf-
frances, ses douleurs, tout son horrible présent allait se noyer, disparaître. Dans
une demi-heure, sa pensée ne penserait plus, sa vie n’existerait plus ; rien d’elle ne
serait plus pour elle, et il n’y aurait plus même de temps à côté d’elle. « Je bois mes
embêtements, » avait-elle répondu à une femme qui lui avait dit qu’elle s’abîmerait
la santé à boire. Et comme dans les réactions qui suivaient ses ivresses, il lui reve-
nait un plus douloureux sentiment d’elle-même, une désolation et une détestation
plus grandes de ses fautes et de ses malheurs, elle cherchait des alcools plus forts,
de l’eau-de-vie plus dure, elle buvait jusqu’à de l’absinthe pure pour tomber dans
une léthargie plus inerte, et faire plus complet son évanouissement à toutes choses.
Elle finit par atteindre ainsi à des moitiés de journée d’anéantissement, dont elle ne

44 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
sortait qu’à demi éveillée avec une intelligence stupéfiée, des perceptions émous-
sées, des mains qui faisaient des choses par habitude, des gestes de somnambule,
un corps et une âme où la pensée, la volonté, le souvenir semblaient avoir encore
la somnolence et le vague des heures confuses du matin.
Jules et Edmond de Goncourt, Germinie Lacerteux, 1865, chapitre XXXIII.

2. Émile Zola, L’Assommoir


Si certaines œuvres de Maupassant sont considérées comme naturalistes, à l’instar de
Pierre et Jean, roman qui traite de l’hérédité (légitime ou bâtarde), de la petite bour-
geoisie, et des problèmes de l’argent, c’est Zola qui est considéré comme le chef de file
et théoricien du naturalisme. Il est l’auteur des Rougon-Macquart. Ce cycle conte en 20
volumes l’histoire, sur cinq générations, d’une famille issue de deux branches : les Rou-
gon, la famille légitime, petits commerçants et petite bourgeoisie de province, et les
Macquart, la branche bâtarde, paysans, braconniers et contrebandiers, qui font face à
un problème général d’alcoolisme. L’Assommoir, septième de la série est, selon Zola,
« le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l’odeur du peuple ». L’écri-
vain y restitue la langue et les mœurs des ouvriers, tout en décrivant les ravages causés
par la misère et l’alcoolisme.
Ce roman raconte la grandeur puis la décadence de Gervaise Macquart, blanchisseuse
dans le quartier de la Goutte-d’Or à Paris. Gervaise et son amant Auguste Lantier viennent
à Paris avec Claude et Étienne, leurs deux fils. Chapelier de métier, Lantier est paresseux
et infidèle. Il quitte Gervaise pour Adèle, la laissant seule avec ses fils. Coupeau, un ou-
vrier zingueur, lui fait alors la cour à l’Assommoir, le cabaret du Père Colombe.

Tous debout, les mains croisées sur le ventre ou rejetées derrière le dos, les bu-
veurs formaient de petits groupes, serrés les uns contre les autres ; il y avait des
sociétés, près des tonneaux, qui devaient attendre un quart d’heure, avant de pou-
voir commander leurs tournées au père Colombe.
« Comment ! c’est cet aristo de Cadet-Cassis ! cria Mes-Bottes, en appliquant une
rude tape sur l’épaule de Coupeau. Un joli monsieur qui fume du papier et qui a du
linge !... On veut donc épater sa connaissance, on lui paye des douceurs !
– Hein ! ne m’embête pas ! » répondit Coupeau, très contrarié.
Mais l’autre ricanait.
« Suffit ! on est à la hauteur, mon bonhomme… Les mufes sont des mufes, voilà ! »
Il tourna le dos, après avoir louché terriblement, en regardant Gervaise. Celle-ci se
reculait, un peu effrayée. La fumée des pipes, l’odeur forte de tous ces hommes,
montaient dans l’air chargé d’alcool ; et elle étouffait, prise d’une petite toux
« Oh ! c’est vilain de boire ! » dit-elle à demi-voix.
Et elle raconta qu’autrefois, avec sa mère, elle buvait de l’anisette, à Plassans. Mais
elle avait failli en mourir un jour, et ça l’avait dégoûtée ; elle ne pouvait plus voir les
liqueurs.
« Tenez, ajouta-t-elle en montrant son verre, j’ai mangé ma prune ; seulement, je
laisserai la sauce, parce que ça me ferait du mal. »
Coupeau, lui aussi, ne comprenait pas qu’on pût avaler de pleins verres d’eau-de-
vie. Une prune par-ci par-là, ça n’était pas mauvais. Quant au vitriol, à l’absinthe et
aux autres cochonneries, bonsoir ! Il n’en fallait pas. Les camarades avaient beau le
blaguer, il restait à la porte, lorsque ces cheulards1-là entraient à la mine à poivre2.
Le papa Coupeau, qui était zingueur comme lui, s’était écrabouillé la tête sur le
pavé de la rue Coquenard, en tombant, un jour de ribotte3, de la gouttière du n° 25 ;
et ce souvenir, dans la famille, les rendait tous sages. Lui, lorsqu’il passait rue Co-
quenard et qu’il voyait la place, il aurait plutôt bu l’eau du ruisseau que d’avaler un
canon gratis chez le marchand de vin. Il conclut par cette phrase :
« Dans notre métier, il faut des jambes solides. »

CNED SECONDE – FRANÇAIS 45


SÉQUENCE

1
Gervaise avait repris son panier. Elle ne se levait pourtant pas, le tenait sur ses ge-
noux, les regards perdus, rêvant, comme si les paroles du jeune ouvrier éveillaient
en elle des pensées lointaines d’existence.

1. cheulard (argot) : buveur, ivrogne.


2. mine à poivre (argot) : débitant d’eau de vie, cabaret.
3. ribotte (argot) : fête, débauche, excès de table et de boisson.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d'exercices pour


effectuer l’activité n° 3 qui portera sur les caractéristiques du texte
naturaliste, et l’activité n° 4 qui vous permettra de revoir le discours rapporté.
Avant de réaliser l’activité n° 4, lisez la fiche méthode consacrée aux paroles
rapportées qui se trouve à la fin de ce chapitre.

C À côté du naturalisme
À travers ce groupement de textes du XIXe siècle, nous verrons que selon leurs sen-
sibilités littéraires les auteurs peuvent mettre en avant différentes dimensions
(épique, symbolique, fantastique, poétique), pour traiter d’un même thème : la mort.

Groupement de textes
▶ La mort de Gavroche, dans Les Misérables, de Victor Hugo
▶ La mort du Voreux, dans Germinal, d’Émile Zola
▶ La mort de la chambre, dans « Véra », de Villiers de l’Isle-Adam
▶ « La Ballade chlorotique », in Le Drageoir aux épices de Huysman

1. Victor Hugo, Les Misérables (1862)


Gavroche est un gamin qui vit dans la rue. Lors des émeutes à Paris, en 1832, qui oppose
le peuple au gouvernement royaliste, Gavroche monte sur les barricades, et sous les
balles de l’armée au service du pouvoir en place, il cherche à récupérer des munitions,
en fouillant les sacoches des soldats tués, afin d’aider les insurgés. Pour se moquer de
ceux qui lui tirent dessus, il chante une chanson révolutionnaire.

Le spectacle était épouvantable et charmant. Gavroche, fusillé, taquinait la fusil-


lade. Il avait l’air de s’amuser beaucoup. C’était le moineau becquetant les chas-
seurs. Il répondait à chaque décharge par un couplet. On le visait sans cesse, on
le manquait toujours. Les gardes nationaux et les soldats riaient en l’ajustant. Il
se couchait, puis se redressait, s’effaçait dans un coin de porte, puis bondissait,
disparaissait, reparaissait, se sauvait, revenait, ripostait à la mitraille par des pieds
de nez, et cependant pillait les cartouches, vidait les gibernes et remplissait son
panier. Les insurgés, haletants d’anxiété, le suivaient des yeux. La barricade trem-
blait ; lui, il chantait. Ce n’était pas un enfant, ce n’était pas un homme ; c’était un
étrange gamin fée. On eût dit le nain invulnérable de la mêlée. Les balles couraient
après lui, il était plus leste qu’elles. Il jouait on ne sait quel effrayant jeu de cache-
cache avec la mort ; chaque fois que la face camarde1 du spectre s’approchait, le
gamin lui donnait une pichenette2.
Une balle pourtant, mieux ajustée ou plus traître que les autres, finit par atteindre
l’enfant feu follet. On vit Gavroche chanceler, puis il s’affaissa. Toute la barricade

46 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
poussa un cri ; mais il y avait de l’Antée3
dans ce pygmée4 ;
pour le gamin toucher le
pavé, c’est comme pour le géant toucher la terre ; Gavroche n’était tombé que pour se
redresser ; il resta assis sur son séant, un long filet de sang rayait son visage, il éleva
ses deux bras en l’air, regarda du côté d’où était venu le coup, et se mit à chanter :
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à...
Il n’acheva point. Une seconde balle du même tireur l’arrêta court. Cette fois il s’abattit
la face contre le pavé, et ne remua plus. Cette petite grande âme venait de s’envoler.

1. camard : qui a le nez plat et écrasé (la Camarde = la Mort).


2. pichenette : un petit coup que l’on porte avec la main sur quelque chose comme pour s’en débar-
rasser.
3. Antée : le géant Antée était fils de la Terre. Il reprenait force dès qu’il touchait le sol.
4. pygmée : homme très petit.

2. Émile Zola, Germinal (1885)


Ce roman de Zola décrit la vie des mineurs du Nord de la France ; le passage qui suit se
situe dans la dernière partie du roman : une explosion souterraine a détruit la mine ; les
familles venues attendre des nouvelles des mineurs descendus au fond assistent à la
destruction du puits de mine, nommé le Voreux.

Et, brusquement, comme les ingénieurs s’avançaient avec prudence, une su-
prême convulsion du sol les mit en fuite. Des détonations souterraines éclataient,
toute une artillerie monstrueuse canonnant le gouffre. À la surface, les dernières
constructions se culbutaient, s’écrasaient. D’abord, une sorte de tourbillon empor-
ta les débris du criblage et de la salle de recette. Le bâtiment des chaudières creva
ensuite, disparut. Puis, ce fut la tourelle carrée où râlait la pompe d’épuisement,
qui tomba sur la face, ainsi qu’un homme fauché par un boulet. Et l’on vit alors
une effrayante chose, on vit la machine, disloquée sur son massif, les membres
écartelés, lutter contre la mort : elle marcha, elle détendit sa bielle, son genou de
géante, comme pour se lever ; mais elle expirait, broyée, engloutie. Seule, la haute
cheminée de trente mètres restait debout, secouée, pareille à un mât dans l’oura-
gan. On croyait qu’elle allait s’émietter et voler en poudre, lorsque, tout d’un coup,
elle s’enfonça d’un bloc, bue par la terre, fondue ainsi qu’un cierge colossal ; et rien
ne dépassait, pas même la pointe du paratonnerre. C’était fini, la bête mauvaise,
accroupie dans ce creux, gorgée de chair humaine, ne soufflait plus de son haleine
grosse et longue. Tout entier, le Voreux venait de couler à l’abîme.

3. Villiers de l’Isle-Adam, Contes cruels, « Véra » (1893)


La nouvelle « Véra » raconte l’histoire du comte d’Athol, qui amoureux fou de sa femme
Véra, refuse sa mort, s’enferme dans sa demeure et vit pendant un an dans l’illusion de
sa survie, jusqu’au moment où il pénètre dans sa chambre et tente de l’embrasser…

Tout à coup, le comte d’Athol tressaillit, comme frappé d’une réminiscence1 fatale.
— Ah ! maintenant, je me rappelle !... dit-il. Qu’ai-je donc ? - Mais tu es morte !
À l’instant même, à cette parole, la mystique veilleuse de l’iconostase2 s’éteignit.
Le pâle petit jour du matin, - d’un matin banal, grisâtre et pluvieux, - filtra dans
la chambre par les interstices des rideaux. Les bougies blêmirent et s’éteignirent,
laissant fumer âcrement leurs mèches rouges ; le feu disparut sous une couche de
cendres tièdes ; les fleurs se fanèrent et se desséchèrent en quelques moments ; le
balancier de la pendule reprit graduellement son immobilité. La certitude de tous
les objets s’envola subitement. L’opale3, morte, ne brillait plus ; les taches de sang

CNED SECONDE – FRANÇAIS 47


SÉQUENCE

1
s’étaient fanées aussi, sur la batiste4, auprès d’elle ; et s’effaçant entre les bras dé-
sespérés qui voulaient en vain l’étreindre encore, l’ardente et blanche vision rentra
dans l’air et s’y perdit. Un faible soupir d’adieu, distinct, lointain, parvint jusqu’à
l’âme de Roger. Le comte se dressa ; il venait de s’apercevoir qu’il était seul. Son
rêve venait de se dissoudre d’un seul coup ; il avait brisé le magnétique fil de sa
trame radieuse avec une seule parole. L’atmosphère était, maintenant, celle des
défunts.
Comme ces larmes de verre, agrégées illogiquement, et cependant si solides qu’un
coup de maillet sur leur partie épaisse ne les briserait pas, mais qui tombent en une
subite et impalpable poussière si l’on en casse l’extrémité plus fine que la pointe
d’une aiguille, tout s’était évanoui.

1. réminiscence : souvenir.
2. iconostase : cloison décorée qui, dans les églises byzantines, sépare le chœur du reste de l’église ;
ici, il s’agit d’un reliquaire ancien qui décore la chambre de Véra.
3. opale : pierre précieuse d’un blanc laiteux aux reflets irisés chatoyants.
4. batiste : étoffe très fine, employée pour la lingerie.

4. J.K. Huysmans, Le Drageoir aux épices (1874)


Ballade chlorotique
La chlorose, anémie mortelle qui donne une teinte verdâtre à la peau, et la phtisie, ou
tuberculose, sont deux maladies qui ont causé des ravages à la fin du XIXe. Huysmans
les évoque dans ce très court récit.

Mollement drapé d’un camail1 de nuées grises, le crépuscule déroulait ses bru-
meuses tentures sur la pourpre fondante d’un soleil couchant.
Elle s’avançait lentement, souriant d’un sourire vague, balançant sa taille mince
dans une robe blanche piquée de pois rouges. Ses joues se tachaient par instants
de plaques purpurines2 et ses longs cheveux ondoyaient sur ses épaules, roulant
dans leurs flots sombres des roses blanches et des mauves.
Un peuple de jeunes gens et de jeunes filles la regardaient venir, fascinés par son
œil creux, par son rire maladif. Elle marchait sur eux, les étreignait de ses petits
bras et collait furieusement ses lèvres contre leur bouche. Ils haletaient et fris-
sonnaient de tout leur corps ; hors d’haleine, éperdus, hurlant de douleur, ils se
tordaient sous le vent de son baiser comme des herbes sous le souffle d’un orage.
Des mères désolées embrassaient ses genoux, serraient ses mains, pleuraient de
longs sanglots, et elle, impassible, pâle, l’œil fixe, plein de lueurs mouillées, les
mains moites, les seins dardant leurs pointes, les repoussait doucement et conti-
nuait sa route.
Une jeune fille se traînait à ses pieds, tenant sa poitrine à deux mains, râlant, cra-
chant le sang. Grâce ! criait-elle, grâce ! ô phtisie ! aie pitié de ma mère, aie pitié de
ma jeunesse ! Mais la goule3 implacable la serrait dans ses bras et picorait sur ses
lèvres de longs baisers.
La victime palpitait faiblement encore ; elle l’étreignit plus étroitement et choqua
ses dents contre les siennes ; le corps se convulsa faiblement, puis demeura froid,
inerte, et les joues se couvrirent de teintes glauques4, de vapeurs livides.
Alors la déesse voleta lourdement, de pâles rayons jaillirent de ses prunelles et
baignèrent de glacis bleuâtres les joues blanches de la morte.
Mollement drapé d’un camail de nuées grises, le crépuscule déroulait ses bru-
meuses tentures sur la pourpre fondante d’un soleil couchant.

1. camail : large vêtement de soie que portent les membres du clergé lors des cérémonies.
2. purpurines : de couleur pourpre.
3. goule : vampire femelle.
4. glauques : d’un vert blanchâtre ou bleuâtre.

48 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d'exercices
pour effectuer les activités n° 5 à 11, qui porteront sur le grou-
pement de textes ci-dessus.

Pour conclure
À retenir
Le naturalisme, qui se développe en France de 1870 à 1890, est le nom qu’adoptent
pour caractériser leur conception du roman réaliste Zola, les frères Goncourt et
les écrivains du Groupe de Médan, qui compte un temps Maupassant.
Il s’agit, dans le roman et dans les arts, d’imiter la nature et de rendre compte
du réel avec une exactitude scientifique, à travers des sujets nouveaux qu’ils
se proposent de traiter.
Pour les naturalistes, une place importante doit en effet être accordée au
peuple, jusqu’alors souvent relégué au second plan dans les romans, et qui
devient pour eux le personnage central ; ce sera le cas dans Germinie Lacer-
teux (1865) des frères Goncourt, L’Assommoir (1876) ou Germinal (1885) de Zola,
œuvres qui reflètent les préoccupations sociales de ces écrivains.
Afin de rendre compte de la réalité, les naturalistes ont recours à une docu-
mentation exemplaire ; le narrateur veut adopter une démarche scientifique
et rester objectif ; leurs personnages sont soumis aux déterminismes sociaux
et à l’hérédité. Zola montre les problèmes liés à l’alcoolisme dans une même
famille, les Rougon-Macquart ; cet ensemble de romans, sous-titré : « Histoire
naturelle et sociale d’une famille sous le Second Empire », constitue une vaste
fresque sociale présentant tous les milieux.
Afin de restituer avec exactitude le langage des ouvriers, l’écrivain naturaliste
a très souvent recours au discours indirect libre, ce qui lui permet de mêler
récit et langage vrai, et de faire une œuvre littéraire.
Le courant naturaliste, présent non seulement dans le roman, mais aussi
dans le théâtre et dans la peinture, se retrouve dans toute l’Europe de la fin
du XIXe siècle et du début du XXe siècle. La peinture du français Caillebotte
influencera tout particulièrement l’école réaliste américaine et Hopper.
L’école naturaliste française se disloque très vite, dès 1884, après la publica-
tion de À rebours de Huysmans.
Le XIXe siècle ne se réduit pas aux écoles réalistes et naturalistes ; d’autres
écritures romanesques traversent la seconde moitié du siècle : épique et philo-
sophique chez Victor Hugo avec Les Misérables et L’Homme qui rit, fantastique
et symbolique chez Villiers de l’Isle-Adam, Barbey d’Aurevilly et Huysmans. Zola
lui-même écrit des pages très éloignées des intentions naturalistes qu’il affiche.
Cependant le courant réaliste s’illustrera jusqu’au milieu du XXe siècle avec le
succès populaire de cycles romanesques tels que Les Thibault, de Martin du
Gard, et Le Monde réel d’Aragon.

Pour vous évaluer


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d'exercices
pour effectuer l’activité n° 12 : un quiz bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 49


SÉQUENCE

1
Fiche méthode

Les paroles rapportées

Discours direct Discours indirect Discours indirect libre

Soudain troublée, elle Soudain troublée, elle Elle devint soudain


annonça : « Je suis trop annonça qu’elle était troublée.
émotive, je ne puis rester trop émotive, qu’elle ne Elle était trop émotive, elle
Exemple avec toi ! ». pouvait rester avec lui. ne pouvait rester avec lui !
– Je suis trop émotive, je ne
puis rester avec toi ! dit-
elle soudain troublée.
Discours fidèlement restitué Discours inséré dans le Discours inséré dans le
récit récit, mais comportant les
Définition
marques de l’oralité du
discours direct
Proposition introduite par un Proposition principale Présence possible d’un
verbe de parole (annoncer, avec verbe de parole verbe de parole
Encadrement
dire, s’exclamer, etc.) + deux
des paroles
points ou une proposition
incise
Paroles transcrites entre Proposition subordonnée Paroles dans le fil
guillemets et/ou après un complétive : imparfait/ du récit : imparfait/
Transcription
tiret de démarcation passé simple + pronom passé simple + pronom
des paroles
personnel de 3e personnel de 3e personne
personne
Expressive : point Non expressive : simple Expressive : le narrateur
d’exclamation, point imite l’oralité des
Ponctuation
d’interrogation, de personnages
suspension…

Attention Il existe aussi le discours narrativisé qui consiste à résumer


les paroles des personnages.
Quand on transpose un discours Ex : Soudain, troublée, elle annonça son désir de partir.
direct en discours indirect, et in-
versement, on transforme les Enfin, la citation peut être employée pour rapporter directe-
temps verbaux afin de respecter ment des propos tenus à l’oral. Elle peut porter sur un mot
la concordance des temps, et on ou un groupe de mots qui sont alors mis entre guillemets ou
modifie les adverbes de lieu et de en italiques. Elle attire l’attention sur l’exactitude des propos
temps. reproduits.
(cf. Fiche méthode : La situation d’énonciation, énoncé ancré/
énoncé coupé).

50 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour clore votre séquence

À retenir
Le terme « roman » qui désigne de nos jours une œuvre narrative de fiction,
caractérisait au Moyen Âge ce qui n’était pas écrit en latin mais en langue
romane. En raison de cette origine populaire il a longtemps été considéré
comme un genre mineur condamné à se forger ses propres règles, jusqu’à ce
que le XIXe siècle en fasse un mode de transposition privilégié de la réalité et
de l’analyse de la société.
Parallèlement, c’est au XIXe siècle que le genre de la « nouvelle » (en ancien
français, novele signifie un événement que l’on raconte) connaît son âge d’or, la
nouvelle réaliste puisant son inspiration dans la multiplicité des faits divers.
Néanmoins ce n’est pas le XIXe siècle qui invente le réalisme, en effet, depuis
l’Antiquité il existe une tradition d’imitation de la réalité. Mais avec les boulever-
sements nés de la Révolution française et de l’Empire, l’observation de la société
et son analyse deviennent des sujets de roman. Ainsi des mouvements comme
le réalisme puis le naturalisme traduisent le souci des artistes de représenter
le réel et la nature humaine avec une précision presque scientifique.
En effet, la naissance du réalisme en littérature, courant porté en peinture
par Courbet, correspond au désir d’exprimer la réalité plus que de la copier.
Stendhal cherche avant tout à atteindre l’ « âpre vérité » à travers des romans
proches du modèle historique de la chronique. Quant à Balzac, il veut « concur-
rencer l’état civil » et observe le réel de façon méthodique pour créer un person-
nage non plus extraordinaire mais représentatif de son époque ou de sa classe
sociale. Le roman réaliste tel que le définit le journaliste Champfleury se fonde
donc sur une intrigue vraisemblable et sur l’expérience banale d’un personnage
populaire. L’ « illusion réaliste » vise ainsi à superposer presque exactement
le réel transposé dans le roman et la réalité visible par les lecteurs dans leur
vie quotidienne. Cependant, les romans réalistes ne veulent pas être la simple
copie du réel, et la dimension esthétique demeure au centre de ces œuvres.
Le naturalisme dont le mouvement est amorcé vers 1860 par les frères Gon-
court va se développer à l’initiative de Zola et dominer toute la fin du siècle. Il
s’agit de considérer le roman comme un laboratoire où le romancier expé-
rimente, documents à l‘appui, la double influence du milieu et de l’hérédité
sur un personnage donné. Le mouvement naturaliste bien qu’il ait influencé
de nombreux écrivains du XXe siècle ne survivra pas à Zola.

Approfondissement et soutien

Si vous avez rencontré des difficultés, rendez-vous sur cned.fr pour ef-
fectuer l’activité interactive n° 1 qui vous permettra de consolider vos
connaissances.

Si vous voulez aller plus loin, rendez-vous sur cned.fr pour effectuer
l’activité interactive n° 2.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 51


SÉQUENCE

1
Fiche méthode

Le réalisme dans l’histoire culturelle


du XIXe siècle

1. L’insertion du réalisme dans le contexte socioculturel du


XIXe siècle
Face au romantisme
L’expérience romantique a vécu. On en garde une grande défiance à l’égard des
« idéalistes » ainsi que des « rêveurs » attardés : « allez vous replonger dans les
forêts enchantées d’où vous tirèrent des fées ennemies, moutons attaqués du ver-
tigo1 romantique » (Baudelaire, Pierre Dupont, 1851).

La contre-attaque
L’art pour l’art est une doctrine esthétique du XIXe siècle qui fait de la perfection
formelle le but ultime de l’art ; ses principaux représentants sont Théophile Gau-
tier, Banville, Leconte de Lisle, Heredia. Beaucoup d’artistes s’élèvent contre cette
conception ; citons par exemple Duranty2 : « Dans le vrai utile, (le réalisme) cherche
une émotion qui soit un enseignement. »

Face à la vie contemporaine


En partie à l’exemple de la photographie dont l’utilisation se répand, on veut peindre
sincèrement la réalité immédiate et surtout on doit refuser l’imaginaire. Car on
pense que le lecteur a besoin de modernité et de vérité.
« Le réalisme conclut à la reproduction exacte, complète, sincère, du milieu social,
de l’époque où on vit, parce qu’une telle direction d’études est justifiée par la raison,
les besoins de l’intelligence et l’intérêt du public, et qu’elle est exempte du men-
songe, de toute tricherie... » (revue Le Réalisme)

Face aux classes populaires


Par souci d’authenticité, les écrivains réalistes s’attachent à décrire « la vie du plus
grand nombre » (Duranty, revue Le Réalisme, 1857). Dans la Préface de Germinie
Lacerteux (1865), Edmond et Jules de Goncourt avertissent le public que : « ce livre
vient de la rue », et expliquent leur choix ainsi : « Vivant au dix-neuvième siècle,
dans un temps de suffrage universel, de démocratie […] nous nous sommes de-
mandé si ce qu’on appelle « les basses classes » n’avait pas droit au Roman […] ».

2. La bataille du réalisme
L’offensive
D’abord le peintre Courbet3, devenu célèbre par le scandale avec l’Enterrement à
Ornans (1851) et ses Baigneuses (1853), a donné du prestige au réalisme, en parti-
culier grâce à l’Exposition Courbet de 1855.

1. vertigo (Fig. et vx) : caprice, fantaisie.


2. Duranty (1833-1880) : écrivain et critique d’art, il défendit les impressionnistes, il publia des romans réalistes.
3. Courbet (1819-1877) : peintre français qui devint le chef de l’école réaliste.

52 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

1
En 1857, Champfleury publie Le Réalisme.
En 1856-1857, Duranty publie une revue qui dure six mois, Le Réalisme. C’est une
revue de combat qui attaque de manière virulente les Romantiques (Lamartine,
Musset, Hugo) ainsi que Théophile Gautier.
Signalons quelques publications réalistes secondaires de cette époque comme les
romans de Duranty qui s’attache aux caractères types d’Erckmann- Chatrian qui
écrit de façon très variée, mais toujours sur l’Alsace.

La contre-attaque
Il y a d’abord une réaction du pouvoir au nom de la morale : condamnation de Ma-
dame Bovary en 1857.
Il y a ensuite des écrivains qui considèrent que l’œuvre d’art est inséparable de
l’esthétique et du choix : Théodore de Banville dénonce le culte de la laideur de
certains réalistes.
D’autres, tel Daudet, posent la question de la copie servile du réel, affirmant que
là n’est pas l’art : « Champfleury aura beau faire des romans, il restera toujours un
auteur de pantomime : ses personnages n’ont que des gestes. » (Notes sur la Vie)

L’effritement
Le mouvement réaliste proprement dit se dissout en formes multiples. Seuls les
Goncourt qui sont de grands artistes se maintiennent dans cette voie et annoncent
le naturalisme, prolongement du réalisme autour d’un homme, Zola, et d’un em-
bryon d’école, le Groupe de Médan ; le naturalisme va durcir et systématiser le
réalisme.

Bilan du réalisme
Ouvrages théoriques
1856-1857 : revue Le Réalisme de Duranty
1857 : Le Réalisme de Champfleury

Écrivains représentatifs
Balzac, La Comédie humaine (1829-1848)
Stendhal, Le Rouge et le Noir (1830), La Chartreuse de Parme (1839)
Flaubert, Madame Bovary (1857), L’éducation sentimentale (1869)
→ On note l’échec relatif du réalisme : on a qualifié après coup Balzac,
Stendhal et Flaubert de réalistes.

Genres et thèmes dominants


Le genre littéraire dominant est le roman et le thème le plus traité est l’échec
(échec de l’amour, de l’ambition, etc.).

Lieu symbolique
La propriété de Flaubert, en Normandie, Le Croisset.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 53


Sommaire

Séquence 2
La critique sociale, du XVIIe siècle
au XVIIIe siècle

Chapitre 1 Pour débuter votre séquence ................................................................................ 57

Chapitre 2 À la découverte des genres de l’éloquence ..................................... 58


A. Définir l’éloquence et la rhétorique
B. Quelques procédés de rhétorique

Chapitre 3 La critique sociale et politique au XVIIe siècle ............................. 62


A. Le contexte historique
B. L’art du récit au service de la critique sociale
C. La satire au théâtre : Molière, Tartuffe

Fiche méthode Types de textes et formes de discours ..................................... 68

Chapitre 4 La satire du pouvoir à l’époque des Lumières ............................. 69


A. Un point d’histoire littéraire : les Lumières
B. La critique religieuse et politique
C. Entraînement à l’écrit : la dissertation (1)

Chapitre 5 Le combat contre l’obscurantisme ................................................................ 73


A. Une arme : la littérature polémique
B. La persuasion par le registre oratoire
C. Lecture cursive :
Voltaire et l’affaire du chevalier de La Barre
D. Entraînement à l’écrit : la dissertation (2) et (3)

Fiche méthode Les registres satirique, polémique et oratoire ................ 77

Chapitre 6 Pour clore votre séquence ......................................................................................... 78

CNED SECONDE – FRANÇAIS 55


SÉQUENCE

2 Objectifs

Objet d’étude – La Fontaine, Fables, « Le Singe et le Léopard »


– Molière, Tartuffe, Acte III, scène 3
Genres et formes de l’argumentation, du
XVIIe siècle au XVIIIe siècle – Montesquieu, Lettres persanes, lettre XXIV
– La Bruyère, Caractères, « De la société et de la
conversation »
Objectifs – Voltaire, Candide, chapitre VI
▶ Découvrir la variété de l’expression d’argu- – Voltaire, « Prière à Dieu »
ments ▶ Une lecture cursive : Voltaire, L’affaire du che-
▶ Maîtriser la différence entre convaincre et per- valier de La Barre
suader
▶ Maîtriser les procédés de persuasion

▶ S’approprier les registres satirique, polé-


Fiches méthode
mique et oratoire
▶ Types de textes et formes de discours
▶ S’entraîner à l’exercice de la dissertation
▶ Les registres satirique, polémique et oratoire

Textes et œuvres
▶ Un groupement de textes du XVIIe siècle au
XVIIIe siècle

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56 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour débuter votre séquence

Pour vérifier vos connaissances


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 1 : un quiz d’autoévaluation.

Pour vous construire une culture littéraire

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 2 qui vous permettra de compléter
une frise chronologique.

Propositions de lecture

Afin de vous forger une culture personnelle qui vous permettra de mieux sai-
sir l’évolution de la critique sociale du XVIIe siècle au XVIIIe siècle dans son
ensemble, nous vous invitons à lire attentivement les extraits qui se trouvent
dans la séquence, mais aussi à étudier les documents iconographiques que
nous avons retenus. Nous vous invitons également à flâner dans la liste
ci-dessous, et à lire, pour le plaisir, certaines des œuvres suivantes :

▶ XVIIe siècle

– La Fontaine, Fables
– La Bruyère, Les Caractères
– Pascal, Pensées
– Molière, Les Précieuses ridicules, L’École des femmes, Tartuffe, Dom Juan,
Le Misanthrope…

▶ XVIIIe siècle

– Diderot et alii, L’Encyclopédie


– Voltaire, Candide, L’Ingénu, Zadig, Micromégas, Le monde comme il va…
– Montesquieu, Lettres persanes
– Swift, Les voyages de Gulliver

CNED SECONDE – FRANÇAIS 57


SÉQUENCE

2
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

À la découverte des genres


de l’éloquence

Objectifs d’apprentissage

Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du


chapitre 2.
© CNED

Pour débuter : Histoire des arts


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 1 qui vous proposera l’analyse de la
© CNED
statue d’un orateur romain : Cicéron.

Pour apprendre

A Définir l’éloquence et la rhétorique


1. L’éloquence
L’éloquence est l’art de bien parler : c’est elle qui rend un discours ou un orateur
persuasif. Cette capacité de persuader et de convaincre, qui pousse l’auditeur ou
le lecteur à adhérer aux propos de l’auteur ou de l’orateur, peut être mise au service
de causes ou d’engagements dont les enjeux varient selon les époques. Bien sou-
vent, les écrivains réagissent à des faits de société ou à un état général de la socié-
té qui les choquent, les révoltent, et les incitent à les dénoncer.

Voici la définition qu’en donne Aristote, philosophe grec de l’An- 2. La rhétorique


tiquité qui a écrit un traité sur cet art oratoire au IVe siècle avant
J.-C. : La rhétorique est, quant à elle, l’art de
dire quelque chose à quelqu’un, l’art
La rhétorique est la faculté de considérer, pour chaque question, d’agir par la parole sur les opinions,
ce qui peut être propre à persuader. Ceci n’est le fait d’aucun autre les émotions, les décisions de l’interlo-
art, car chacun des autres arts instruit et impose la croyance en
cuteur. Venant du grec ancien rhêtorikê
ce qui concerne son objet : par exemple, la médecine, en ce qui
concerne la santé et la maladie ; la géométrie, en ce qui concerne
(technique, art oratoire), elle est aussi
les conditions diverses des grandeurs ; l’arithmétique, en ce qui la discipline qui prépare à l’exercice de
touche aux nombres, et ainsi de tous les autres arts et de toutes cet art, en apprenant à composer des
les autres sciences. La rhétorique semble, sur la question donnée, discours appropriés à leurs fins. Elle
pouvoir considérer, en quelque sorte, ce qui est propre à persua- constitue donc l’outil de l’éloquence. Il
der. arrive que les deux termes soient em-
Aristote, Rhétorique, chapitre II. ployés l’un pour l’autre.

58 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
De nombreux auteurs et philosophes se sont penchés depuis l’Antiquité sur la rhé-
torique et ses procédés, dans le but d’acquérir cette puissance du verbe – une arme
parfois redoutable –, n’oubliez pas qu’une argumentation bien menée et convain-
cante peut avoir une influence décisive ! Parmi ces auteurs, on retrouve les noms
d’auteurs grecs comme Démosthène (384-322 avant J.-C.), Isocrate (436-322 avant
J.-C.) et Aristote (384-322 avant J.-C.), ou romains comme Cicéron (106-43 avant J.
-C.) ou Quintilien (35-95 après J.-C.). Cicéron que vous avez découvert en début de
séquence a ainsi rédigé un traité de rhétorique intitulé De Oratore, sur l’art oratoire,
et le Brutus, brève histoire de l’art oratoire romain.

a. Trois « facultés » à mettre en œuvre


▶ L’invention (inventio), c’est-à-dire la capacité d’invention, celle-là même qu’on
vous demande dans l’écriture d’invention : il s’agit de trouver quoi dire, un sujet,
et des arguments pour soutenir son propos.
▶ La disposition (dispositio), c’est-à-dire l’art d’organiser son texte : il s’agit de
savoir comment disposer dans un ordre adapté la thèse, les arguments… Bref,
d’agencer les idées précédemment trouvées. Nos dissertations en trois parties
(thèse, antithèse, synthèse) sont les héritières de cette « disposition ».
▶ L’élocution (elocutio), c’est-à-dire la capacité à arranger le style pour rendre le
texte agréable à lire, ou à entendre dans le cas d’un discours.
Dans le cadre d’un discours, donc d’un texte oral, on rajoutera :
▶ La mémoire (memoria), c’est-à-dire la capacité à apprendre par cœur un dis-
cours.
▶ L’action (actio), c’est-à-dire l’art de bien réciter le discours.

b. Trois finalités
Un texte peut avoir trois finalités :
▶ docere, c’est-à-dire convaincre, par la raison (grâce à l’emploi d’arguments lo-
giques, d’une construction rigoureuse du raisonnement…)
▶ placere (ou delectare), c’est-à-dire plaire : il faut que le destinataire ait du plaisir
à entendre ou à lire le texte, afin que son attention soit maintenue de l’introduc-
tion à la conclusion.
▶ movere, émouvoir : le recours à la raison du docere doit être complété par l’appel
aux émotions, aux sentiments… Il s’agit par ce moyen de persuader.
On constate donc que la rhétorique fait appel à la raison et à la logique, par l’usage
d’arguments, afin de convaincre. Cependant, il existe aussi une relation émotion-
nelle entre l’auteur et le destinataire : on doit aussi être séduit ou charmé par le
texte que l’on lit, c’est la persuasion. Raison et sentiments doivent donc être mobi-
lisés ensemble si l’on veut avoir toutes les chances d’emporter l’adhésion.

c. Trois genres
En ce qui concerne les discours, on en distingue trois genres :
▶ le genre judiciaire, lorsque le discours est prononcé dans le cadre d’un procès,
pour accuser (il s’agit alors du réquisitoire) ou défendre (il s’agit alors du plai-
doyer). C’est un discours orienté vers l’établissement de la vérité, du juste et de
l’injuste ;
▶ le genre délibératif, que l’on emploie dans les assemblées politiques ; il s’agit
le plus souvent de répondre à la question « que faire ? » : l’orateur conseille ou
déconseille sur les questions portant sur la vie de la cité ou de l’État. Ce type de
discours a donc pour but de décider des décisions à prendre et on y discute de
leur côté utile ou nuisible. C’est un discours orienté vers l’action ;

CNED SECONDE – FRANÇAIS 59


SÉQUENCE

2
▶ le genre épidictique, qui est celui de l’éloge et du blâme. Il s’agit souvent de
discours d’apparat, comme les oraisons funèbres.
Selon les contextes, et selon ce dont on veut convaincre le destinataire, on n’aura
donc pas recours au même genre de discours.

Voici la présentation que fait Aristote dans sa Rhétorique des trois genres de discours,
et de leurs objectifs :
III. Il y a donc, nécessairement aussi, trois genres de discours oratoires : le délibératif, le
judiciaire et le démonstratif [c’est-à-dire l’épidictique]. La délibération comprend l’exhor-
tation et la dissuasion. En effet, soit que l’on délibère en particulier, ou que l’on harangue en
public, on emploie l’un ou l’autre de ces moyens. La cause judiciaire comprend l’accusation
et la défense : ceux qui sont en contestation pratiquent, nécessairement, l’un ou l’autre.
Quant au démonstratif, il comprend l’éloge ou le blâme. (…) V. Chacun de ces genres a un
but final différent ; il y en a trois, comme il y a trois genres. Pour celui qui délibère, c’est
l’intérêt et le dommage ; car celui qui soutient une proposition la présente comme plus
avantageuse, et celui qui la combat en montre les inconvénients. Mais on emploie aussi,
accessoirement, des arguments propres aux autres genres pour discourir dans celui-ci,
tel que le juste ou l’injuste, le beau ou le laid moral. Pour les questions judiciaires, c’est
le juste ou l’injuste ; et ici encore, on emploie accessoirement des arguments propres aux
autres genres. Pour l’éloge ou le blâme, c’est le beau et le laid moral, auxquels on ajoute,
par surcroît, des considérations plus particulièrement propres aux autres genres.
Aristote, Rhétorique, chapitres III et V.

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pour effectuer l’activité n° 2. Elle porte sur les trois genres de
discours et leurs visées.

B Quelques procédés de rhétorique


Les principaux procédés rhétoriques utilisés pour toucher l’auditoire sont nom-
breux. On peut les organiser en quatre catégories.

Voici une première liste de définitions


▶ Les procédés grammaticaux :
Accumulation ternaire : énumération de trois éléments – L’énonciation : les marques d’impli-
souvent selon une gradation. cation du locuteur et du destinataire.
Anaphore : répétition d’un même mot ou groupe de mots – Les modalités de phrase : assertive,
en début de vers ou de phrases. interrogative (avec des précisions sur
Apostrophe : figure de rhétorique par laquelle un ora- la valeur des questions rhétoriques),
teur interpelle une personne ou un objet personnifié. exclamative et jussive (impérative).
Exclamation : parole ou cri brusque qui exprime un sen- ▶ Les procédés lexicaux : les champs
timent, une émotion. lexicaux et le choix d’un vocabulaire
Gradation : figure de rhétorique qui consiste à ordonner mélioratif ou péjoratif, superlatif et
selon une progression croissante ou décroissante les comparatif.
termes d’un énoncé pour créer une dramatisation.
▶ Les procédés de style : apostrophe,
Question rhétorique (ou question oratoire) : procédé
métaphore, synecdoque, répétitions,
qui consiste à poser une question qui n’attend géné-
rythme ternaire, parallélismes de
ralement pas de réponse, celle-ci étant évidente. Ex :
construction.
« Quoi ? tu veux qu’on se lie à demeurer au premier ob-
jet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et ▶ Les registres : polémique, pathé-
qu’on n’ait d’yeux pour personne ? » (Dom Juan, Molière). tique et satirique.

60 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Vous allez découvrir d’autres figures dans la suite de la séquence mais
aussi dans votre Annexe, à la rubrique Ressources du cours et des de-
voirs, sur cned.fr.

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pour effectuer l’activité n° 3. Vous aurez à repérer des procédés
de rhétorique.

Pour conclure
À retenir
À travers ce chapitre, vous avez découvert les genres de l’éloquence et de la
rhétorique. Il s’agit en effet des fondamentaux nécessaires à l’étude des textes
argumentatifs. Éloquence et rhétorique sont indissociables pour construire un
discours capable d’emporter l’adhésion de son destinataire. Il faut pour cela
mettre en œuvre trois « facultés » essentielles : invention (choix des argu-
ments pour soutenir une thèse), disposition (organisation du texte) et élocu-
tion (style utilisé pour rendre le texte plaisant).
Afin de parvenir à son but, l’orateur choisira de faire appel soit à la raison
(docere) en présentant des preuves irréfutables, logiques développées dans
des arguments et illustrées par des exemples concrets pour convaincre, soit
à l’émotion, aux sentiments (movere) en utilisant les modalités injonctives
(impérative), interrogative ou exclamative ou des images fortes pour per-
suader, soit aux deux en même temps. Quoi qu’il en soit, il devra plaire (pla-
cere) à son auditoire s’il veut qu’il l’écoute.
Il adaptera aussi son discours en fonction du thème qu’il développera : judi-
ciaire dans le cadre du réquisitoire ou du plaidoyer, délibératif quand il s’agit
de débattre d’une question politique ou épidictique s’il veut faire l’éloge ou le
blâme d’un personnage, d’une institution…
Gardez ces éléments à l’esprit quand on vous demandera de rédiger une écri-
ture d’invention à visée argumentative ou une dissertation.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 4 : un exercice bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 61


SÉQUENCE

2
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

La critique sociale et politique


au XVIIe siècle

Objectifs d’apprentissage
Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du
chapitre 3.
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Pour débuter : Histoire des arts


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 1 qui vous proposera l’analyse d’une
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caricature de Daumier intitulée « La cour d’appel ».

Pour apprendre
A Le contexte historique
Le classicisme est un mouvement littéraire qui se développe en France dans la
seconde moitié du XVIIe siècle entre 1661 et 1685, sous le règne de Louis XIV – vous
approfondirez la connaissance de ce mouvement dans la séquence 5.
De 1661 à 1685, la monarchie absolue se consolide. Le roi œuvre à concentrer entre
ses mains tous les pouvoirs afin d’assurer l’unité et la force de son royaume. Pour
y parvenir, il veille à ce qu’aucun ministre ne prenne trop d’importance. Le sort de
Fouquet, son puissant Ministre des Finances, va servir d’exemple. Fouquet a amas-
sé une immense fortune et a rassemblé autour de lui une véritable petite cour et,
rival du roi, il prend sous sa protection Molière et La Fontaine. Il s’est fait bâtir un
somptueux château près de Paris, Vaux-Le-Vicomte. En 1661, il donne des fêtes
magnifiques pour son inauguration en présence du roi, ce que ce dernier ne lui par-
donnera pas. Arrêté peu de temps après, il est accusé de dilapider l’argent de l’État
et est condamné, en 1664, à la prison à perpétuité.
Exercer un pouvoir fort, cela suppose de régner sur un pays uni et l’unité nationale
est directement liée à l’unité religieuse. Conscient de cet état de fait, Louis XIV es-
saie de diminuer l’emprise du pape sur le clergé français et de donner à l’Église une
orientation plus nationale. La puissance d’un pays est également liée à sa pros-
périté économique et Louis XIV charge son ministre Colbert de prendre les me-
sures nécessaires au développement de la France. Colbert encourage l’industrie,
le commerce, l’agriculture ; il fait construire des routes et des canaux. Il réorganise
les finances et fonde de nombreuses manufactures d’État, comme les manufac-
tures de meubles et de tapis des Gobelins. Par ailleurs, une grande puissance doit
aussi affirmer sa présence à l’extérieur. Louis XIV poursuit donc l’agrandissement
du territoire en annexant la Flandre (1668) et la Franche-Comté (1678). Enfin, le
rayonnement culturel fait partie de cette politique de grandeur. Le roi encourage,
par sa protection ou par l’octroi de pensions, les artistes qui lui conviennent, comme

62 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Molière et Racine. Il poursuit sa politique de création d’académies destinées à sur-
veiller tous les domaines de l’activité intellectuelle et artistique.
Si le règne de Louis XIV séduit à ses débuts par les changements qu’il met en
œuvre, le nouveau régime se sclérose au fil des années. La Cour et son étiquette1
deviennent le symbole de ces rigidités. En voulant unifier la France, le pouvoir royal
a sombré dans des outrances : la répression contre les Protestants avec la révo-
cation de l’Édit de Nantes en 1685 en est un bon exemple. Autre exemple, la vie
sociale est de plus en plus normalisée, de plus en plus soumise à des règles. Toute
marginalité est refusée : ainsi la folie, jusque-là considérée avec indulgence, est de
plus en plus regardée comme une anormalité monstrueuse qui exclut de la com-
munauté humaine.
La génération d’écrivains qui apparaît à cette époque est associée à la gloire de
Louis XIV. Attachés à des règles d’écriture, attirés par l’absolu, ces écrivains s’aper-
çoivent avec quelque désenchantement des excès de l’absolutisme, excès sur le-
quel certains ont un regard très critique.

B L’art du récit au service de la critique sociale


1. Une fable de La Fontaine
Jean de La Fontaine, originaire de Champagne, s’installe à Paris après des études
d’avocat. Ses écrits brillants vont séduire le surintendant Fouquet, qui devient son
protecteur. La Fontaine restera fidèle à son mécène après son arrestation, et ira
même jusqu’à prendre sa défense contre le roi Louis XIV, qui ne le lui pardonnera
jamais. Après une retraite prudente en Limousin, il revient à Paris, où ses Contes et
ses Fables (publiées de 1668 à 1693) lui valent un immense succès.

Voici la troisième fable du livre IX :

Enr. 6 « Le Singe et le Léopard »

Le Singe avec le Léopard


Gagnaient de l’argent à la foire :
Ils affichaient chacun à part.
L’un d’eux disait : Messieurs, mon mérite et ma gloire
5 Sont connus en bon lieu ; le Roi m’a voulu voir ;
Et, si je meurs, il veut avoir
Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée1,
Et vergetée2, et mouchetée.
10 La bigarrure plaît ; partant chacun le vit.
Mais ce fut bientôt fait, bientôt chacun sortit.
Le Singe de sa part disait : Venez de grâce,
Venez, Messieurs. Je fais cent tours de passe-passe.
Cette diversité dont on vous parle tant,
15 Mon voisin Léopard l’a sur soi seulement ;
Moi, je l’ai dans l’esprit : votre serviteur Gille3,
Cousin et gendre de Bertrand,
Singe du Pape en son vivant,
Tout fraîchement en cette ville

1. étiquette : cérémonial en usage dans une Cour, auprès d’un chef d’État.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 63


SÉQUENCE

2
20 Arrive en trois bateaux4 exprès pour vous parler ;
Car il parle, on l’entend ; il sait danser, baller5,
Faire des tours de toute sorte,
Passer en des cerceaux ; et le tout pour six blancs6 !
Non, Messieurs, pour un sou ; si vous n’êtes contents
25 Nous rendrons à chacun son argent à la porte.
Le Singe avait raison : ce n’est pas sur l’habit
Que la diversité me plaît, c’est dans l’esprit :
L’une fournit toujours des choses agréables ;
L’autre en moins d’un moment lasse les regardants.
30 Oh ! que de grands seigneurs, au Léopard semblables,
N’ont que l’habit pour tous talents !
La Fontaine, Fables, Livre IX

1. marquetée : rayée.
2. vergetée : qui est marquée de fines petites raies rougeâtres ou violacées.
3. Gille : nom d’un personnage populaire des théâtres de foire.
4. bateaux : c’est dire l’importance de la suite...
5. baller : exécuter un ballet.
6. blancs : pièces de monnaie (six blancs valent deux sous et demi).

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer les activités n° 2 à 4. Les activités n° 2 et n° 3
vous permettront de réaliser une lecture analytique de la fable.
L’activité n° 4 vous propose l’analyse de deux gravures qui ont illustré « Le
Singe et le Léopard ».

2. Un portrait en action de la Bruyère


La Fontaine n’est pas le seul auteur du XVIIe siècle à critiquer les comportements
des grands : La Bruyère (1645-1696) s’est aussi livré à une critique acerbe, par le
biais de portraits, d’attitudes en société qui confinent au ridicule dans ses Carac-
tères, parus en 1688.

Voici le portrait critique d’un convive insupportable, extrait du chapitre V intitulé « De la


société et de la conversation » :
« Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; c’est un homme universel, et il se
donne pour tel : il aime mieux mentir que de se taire ou de paraître ignorer quelque chose.
On parle, à la table d’un grand, d’une cour du Nord : il prend la parole, et l’ôte à ceux qui
allaient dire ce qu’ils en savent ; il s’oriente dans cette région lointaine comme s’il en était
originaire ; il discourt des mœurs de cette cour, des femmes du pays, de ses lois et de ses
coutumes : il récite des historiettes qui y sont arrivées ; il les trouve plaisantes, et il en rit
le premier jusqu’à éclater. Quelqu’un se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement
qu’il dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire
contre l’interrupteur. « Je n’avance rien, lui dit-il, je ne raconte rien que je ne sache d’ori-
ginal : je l’ai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu à Paris
depuis quelques jours, que je connais familièrement, que j’ai fort interrogé, et qui ne m’a
caché aucune circonstance ». Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance qu’il
ne l’avait commencée, lorsque l’un des conviés lui dit : « C’est Sethon à qui vous parlez,
lui-même, et qui arrive de son ambassade ».
La Bruyère, Les Caractères, chapitre V (1688).

64 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
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pour effectuer les activités n° 5 et n° 6 vous qui vous permet-
tront de réaliser une lecture analytique de cet extrait.

C La satire au théâtre : Molière, Tartuffe


En 1643, Molière, fonde l’Illustre Théâtre, sous la direction de Madeleine Béjart, et
se lance dans la carrière théâtrale. En 1644, la troupe joue en province. En juillet ils
sont de retour à Paris et Jean-Baptiste est devenu « Molière » et directeur de la
troupe. Les pièces et les succès vont s’enchaîner : Les Précieuses ridicules, L’École
des femmes, Dom Juan… Mais Molière se heurta parfois à la censure. Ainsi, il écrivit
trois versions et mit cinq ans pour avoir enfin le droit, en 1669, de jouer durablement
sa pièce Tartuffe. Les dévots en effet, regroupés dans la Compagnie du Saint-Sacre-
ment*, avaient fait pression sur le pouvoir royal et avaient réussi à la faire interdire.
Molière soutenait cependant que sa pièce ne ridiculisait pas la
La Compagnie du Saint-Sacrement vraie dévotion, mais dénonçait seulement les « faux dévots »
et l’hypocrisie religieuse à travers le principal personnage de
La Compagnie du Saint-Sacrement était
Tartuffe qui profite, sous couvert de la fausse vertu religieuse,
une société catholique fondée en 1627,
également appelée « parti des dévots ». La
de la faiblesse des esprits et prend la direction des consciences.
Compagnie du Saint-Sacrement est sur- Le riche Orgon a en effet introduit chez lui un dévot comme
tout connue par ses attaques du Tartuffe directeur de conscience et voudrait que toute sa maisonnée
de Molière. Outre la pratique de la chari- suive les recommandations de ce « saint homme ». Il voudrait
té et l’activité missionnaire, elle enten- même lui donner sa fille en mariage. La femme d’Orgon, El-
dait par la voix de ses fidèles réprimer les mire, tente de détourner Tartuffe d’une telle union. Mais c’est
mauvaises mœurs. d’une autre union que rêve Tartuffe…

Enr. 7 Acte III, scène 3

ELMIRE
« Pour moi, je crois qu’au Ciel tendent tous vos soupirs,
Et que rien ici-bas n’arrête vos désirs.
5 TARTUFFE
L’amour qui nous attache aux beautés éternelles
N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles ;
Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés.
10 Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles ;
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles ;
Il a sur votre face épanché des beautés
Dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés,
Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature,
15 Sans admirer en vous l’auteur de la nature,
Et d’une ardente amour sentir mon cœur atteint,
Au plus beau des portraits où lui-même il s’est peint.
D’abord j’appréhendai que cette ardeur secrète
Ne fût du noir esprit1 une surprise adroite ;
20 Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut,
Vous croyant un obstacle à faire mon salut.
Mais enfin je connus, ô beauté toute aimable,
Que cette passion peut n’être point coupable,
Que je puis l’ajuster avecque2 la pudeur,

CNED SECONDE – FRANÇAIS 65


SÉQUENCE

2
25 Et c’est ce qui m’y fait abandonner mon cœur.
Ce m’est, je le confesse, une audace bien grande
Que d’oser de ce cœur vous adresser l’offrande ;
Mais j’attends en mes vœux tout de votre bonté,
Et rien des vains efforts de mon infirmité ;
30 En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude,
De vous dépend ma peine ou ma béatitude,
Et je vais être enfin, par votre seul arrêt3,
Heureux si vous voulez, malheureux s’il vous plaît.
35 ELMIRE
La déclaration est tout à fait galante,
Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.
Vous deviez, ce me semble, armer mieux votre sein,
Et raisonner un peu sur un pareil dessein.
Un dévot comme vous, et que partout on nomme…
40 TARTUFFE
Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ;
Et lorsqu’on vient à voir vos célestes appas,
Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.
Je sais qu’un tel discours de moi paraît étrange ;
45 Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange ;
Et si vous condamnez l’aveu que je vous fais,
Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits.
Dès que j’en vis briller la splendeur plus qu’humaine,
De mon intérieur vous fûtes souveraine ;
50 De vos regards divins l’ineffable douceur
Força la résistance où s’obstinait mon cœur ;
Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes,
Et tourna tous mes vœux du côté de vos charmes.
Mes yeux et mes soupirs vous l’ont dit mille fois,
55 Et pour mieux m’expliquer j’emploie ici la voix.
Que si vous contemplez d’une âme un peu bénigne4
Les tribulations5 de votre esclave indigne,
S’il faut que vos bontés veuillent me consoler
Et jusqu’à mon néant daignent se ravaler,
60 J’aurai toujours pour vous, ô suave merveille,
Une dévotion à nulle autre pareille.
Votre honneur avec moi ne court point de hasard,
Et n’a nulle disgrâce à craindre de ma part.
Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles,
65 Sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles,
De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer ;
Ils n’ont point de faveurs qu’ils n’aillent divulguer,
Et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie,
Déshonore l’autel où leur cœur sacrifie.
70 Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret,
Avec qui pour toujours on est sûr du secret :
1. du noir esprit : du diable. Le soin que nous prenons de notre renommée
2. avecque : avec. Répond de toute chose à la personne aimée,
3. par votre seul arrêt : par votre décision.
4. bénigne : douce, humaine. Et c’est en nous qu’on trouve, acceptant notre cœur,
5. tribulations : afflictions morales ici. 75 De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur.

66 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à
voix haute.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer les activités n° 7 et n° 8 qui vous permettront de
réaliser une lecture analytique de l’extrait du Tartuffe.

Pour conclure
À retenir
Dans la caricature et les trois textes que vous venez d’étudier, les auteurs se
livrent à des dénonciations de vices (ou travers) qu’ils jugent condamnables.
Daumier dénonce la désinvolture des magistrats ; La Fontaine critique les
courtisans vaniteux et obsédés par leur apparence ; La Bruyère blâme le com-
portement inadapté d’Arrias en faisant de lui l’antithèse de l’honnête homme
et Molière s’attaque aux faux dévots. Dans tous les cas, il s’agit de critique
sociale – de catégories sociales, les magistrats, les nobles de la cour, ou de
dérives plus proprement religieuses – les faux dévots –, mais qui représentent
un danger pour la société, danger incarné par le désordre semé par Tartuffe
dans la famille d’Orgon.
Pour présenter sa critique, Daumier fait la caricature d’une cour de justice. La
Fontaine a recours à une fable en vers, donc à un récit plaisant qui présente
une morale. La Bruyère dresse un portrait sans concession d’Arrias, dans
lequel il ridiculise tous les pédants grossiers et vaniteux. Molière présente un
Tartuffe parfois ridicule, mais le plus souvent inquiétant dans sa pièce épo-
nyme. C’est par une voie indirecte que les différents auteurs du XVIIe siècle
(n’oubliez pas que Daumier est un graveur du XIXe siècle, il utilise par ail-
leurs une argumentation directe à travers la caricature : les caricatures au
XVIIe siècle étaient anonymes parce que censurées) dénoncent les défauts de
leurs contemporains bien que la voix de La Fontaine se fasse entendre plus
directement dans la moralité. La Bruyère, à travers son portrait en action, ex-
pose véritablement un comportement inadéquat en société : Arrias est érigé
en type même du pédant qui croit tout savoir sur tout et qui ne respecte pas
les règles de la conversation en monopolisant la parole. De même, Molière
fait de Tartuffe le type du dévot hypocrite, qui révèle par ses tirades ses pen-
chants plus charnels que spirituels. C’est donc par la bouche d’un des per-
sonnages que la critique s’exerce, car une attaque directe de l’auteur n’aurait
pas été supportée au XVIIe siècle, époque où la monarchie absolue de Louis
XIV contrôle toutes les productions artistiques et littéraires.
Dans la caricature et les trois textes, la critique vise des personnages – ma-
gistrats, courtisans, pédants, faux dévots – dont les défauts sont ridiculisés ;
les juges, le léopard, Arrias et Tartuffe par leur excès amusent, prêtent à rire
– ils sont ridicules, mais aussi dans le cas de Tartuffe un peu inquiétant –. On
appelle satire ces textes ou ces tableaux dont le rôle est d’amuser tout en sou-
lignant les faiblesses de la condition humaine et les misères de la vie sociale
(voir fiche méthode sur la satire).

CNED SECONDE – FRANÇAIS 67


SÉQUENCE

2
Fiche méthode

Types de textes et formes de discours

On appelle discours toute production écrite ou orale, toute « mise en pratique


du langage » ; le texte est la trace de cet acte d’énonciation qu’est le discours.
Un discours correspond à une visée particulière : on s’exprime pour raconter, pour
décrire, pour exposer/expliquer, pour argumenter, dans une situation d’énonciation
particulière et pour un ou des destinataire(s) précis. À chaque forme de discours
correspondent des procédés spécifiques que l’on peut identifier.

1. Le discours narratif
– Il rapporte des faits, des événements, situés dans le temps.
– L’accent est mis sur les faits racontés, souvent au passé, parfois au présent. Un
narrateur organise le déroulement de l’histoire (le schéma narratif), un lieu et
une époque (ou plusieurs) la situent, des personnages la font progresser.
– Les marques principales du discours narratif sont les verbes d’action, les
adverbes, les indicateurs de temps...

2. Le discours descriptif
– Il donne à voir un lieu, un objet, un personnage : il situe les événements dans
l’espace.
– L’accent est mis sur la caractérisation des paysages, des êtres, des choses, sou-
vent à l’imparfait ou au présent.
– Les marques principales du discours descriptif sont les verbes d’état ou de per-
ception, un point de vue particulier à partir duquel on observe, des indicateurs de
lieu, toutes les tournures pouvant désigner ou qualifier.

3. Le discours explicatif
– Il vise à faire comprendre un phénomène ou une idée ; il impose la neutralité du
locuteur .
– L’accent est mis sur la cohérence et la compréhension de l’énoncé, souvent au
présent de l’indicatif. Des formes proches et associées sont le discours informa-
tif, qui donne des renseignements, et le discours injonctif, qui donne ordres et
conseils sans forcément les expliquer.
– Les marques principales en sont les mots de liaison logiques ou chronologiques,
les indicateurs de cause et de conséquence, tout ce qui peut aider à la clarté de
l’information.

4. Le discours argumentatif
– Il vise à convaincre ou à persuader un ou des destinataire(s) ; il situe les éléments
dans le domaine de la pensée.
– L’accent est mis sur la progression logique du raisonnement. La réflexion s’orga-
nise à partir de thèses, d’arguments et d’exemples.
– Les marques principales en sont l’emploi des 1re et 2e personnes, les indices
d’une prise de position du locuteur, les mots de liaisons logiques, tous les procé-
dés rhétoriques pour convaincre, émouvoir ou séduire l’interlocuteur ou le des-
tinataire.

68 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Ces différentes formes de discours peuvent se mêler et se succéder dans un
même texte, qui peut par exemple d’abord présenter une visée explicative, puis
argumentative. Un discours narratif ou descriptif peut avoir également une visée
argumentative, comme c’est le cas par exemple pour les Fables de La Fontaine.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 9 : un exercice bilan du chapitre.

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

La satire du pouvoir à l’époque


des Lumières

Objectifs d’apprentissage

Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du


© CNED chapitre 4.

Pour débuter : Histoire des arts

Rendez-vous sur cned.fr pour réaliser l’activité interactive n° 1 qui


© CNED vous proposera l’étude du portrait de Louis XIV peint par Hyacinthe
Rigaud.

Pour apprendre

A Un point d’histoire littéraire : les Lumières


On désigne, sous l’appellation de Lumières, un vaste mouvement philosophique et
scientifique qui domina le monde des idées dans l’Europe de la seconde moitié du
XVIIIe siècle. Le mouvement des Lumières tire son nom de la volonté des philo-
sophes du XVIIIe siècle européen de combattre les ténèbres de l’ignorance par la

CNED SECONDE – FRANÇAIS 69


SÉQUENCE

2
diffusion du savoir. L’Encyclopédie, dirigée par Diderot et d’Alembert, est le meil-
leur symbole de cette volonté de rassembler toutes les connaissances disponibles
et de les répandre auprès du public éclairé.
Certains philosophes interviennent dans des affaires judiciaires (l’affaire Calas
présentée plus loin dans la séquence) et militent pour l’abolition des peines infa-
mantes, de la torture et de l’esclavage. Diffusées dans les salons, les cafés et les
loges maçonniques, les idées des Lumières sont consacrées par les œuvres des
philosophes, des écrivains et des savants. Les principaux représentants des Lu-
mières sont, en France, Montesquieu, Voltaire, Diderot, Jean-Jacques Rousseau,
les Encyclopédistes, Condillac, et Buffon.
Les philosophes dénoncent dans les religions et les pouvoirs tyranniques (cf.
texte de Candide pour la religion, de Montesquieu pour la religion et le pouvoir)
des forces obscurantistes responsables de l’apparition du mal dans un monde où
l’homme aurait dû être heureux : il s’agit donc de rechercher ici-bas le bonheur
individuel. Ces positions conduisent par exemple Voltaire à promouvoir une religion
déiste.
En matière politique, les Lumières font la critique de l’absolutisme et lui préfèrent
le despotisme éclairé en modèle de gouvernement. Il s’agit, au sein d’une société
aux fondements renouvelés, de favoriser le progrès économique et la diffusion de
l’enseignement, de combattre tous les préjugés pour faire triompher la raison.
Cette nouvelle vision de l’homme et du monde, qui témoigne d’un optimisme fon-
dé sur la croyance dans le progrès de l’humanité, les philosophes la défendent en
écrivains militants. Leur combat s’incarne dans la pratique de formes brèves, fa-
ciles à lire et susceptibles d’une vaste diffusion : lettres, contes, pamphlets… Les
registres employés sont souvent ceux qui vous ont été présentés dans cette sé-
quence : satirique, polémique et oratoire, tous trois adaptés à l’argumentation, à la
critique de l’ordre établi et à la littérature de combat.

B La critique religieuse et politique


Charles-Louis de Secondat, baron de Montesquieu (1689-1755), appartient à la no-
blesse ; sa famille est originaire de la région de Bordeaux, mais il est élevé en région
parisienne, et devient avocat. En plus de sa fonction de magistrat, il écrit des dis-
sertations et des mémoires, sur des sujets très variés (entre autres scientifiques)
qui témoignent de sa curiosité et de son ouverture d’esprit. Il fréquente les salons
parisiens, qui réservent un très bon accueil aux Lettres persanes (1721). Montes-
quieu participe à l’effervescence intellectuelle et sociale de la Régence*. Il publie
en 1748 De l’esprit des lois, qui fut un immense succès, et témoigne de sa réflexion
sur la société, sa constitution, son histoire… Il meurt en 1755 à Paris.
Dans les Lettres persanes, deux grands seigneurs persans, Usbek et Rica, quittent
Ispahan pour un voyage qui les conduit jusqu’en France. Ils échangent une corres-
pondance avec leurs proches restés en Perse : les Lettres persanes sont constituées
de ces lettres, et sont donc un roman épistolaire, qui permet à
La Régence (1715-1723), dans l’histoire l’auteur de faire découvrir au lecteur la vie sociale et politique
du Royaume de France, fait référence à de l’époque à travers le regard distancié, parfois naïf, souvent
la période de régence instaurée à la mort ironique, d’étrangers fictifs à la provenance exotique.
de Louis XIV (1715) à cause du trop jeune
âge de son héritier désigné : Louis XV, qui
n’a que cinq ans. Cette période est remar-
quable par son progressisme, mais la cré-
dibilité de l’État est affaiblie. C’est le début
de l’époque des Lumières.

70 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Enr. 8 Rica à Ibben, à Smyrne1.

« (…) Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et
des coutumes européennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu
à peine que le temps de m’étonner2. Le roi de France3 est le plus puissant prince
de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne, son voisin ; mais il
a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus iné-
puisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres,
n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre4 ; et, par un prodige de
l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses places munies, et ses flottes
équipées. D’ailleurs, ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit
même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus
dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à les persuader qu’un écu
en vaut deux5 ; et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait
point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de
l’argent6 ; et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu’à leur faire croire
qu’il les guérit de toutes sortes de maux, en les touchant, tant est grande la force et
la puissance qu’il a sur les esprits.
Ce que je dis de ce prince ne doit pas t’étonner : il y a un autre magicien plus fort que
lui, qui n’est pas moins maître de son esprit qu’il l’est lui-même de celui des autres.
Ce magicien s’appelle le pape : tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu’un7 ; que
le pain qu’on mange n’est pas du pain, ou que le vin qu’on boit n’est pas du vin8, et
mille autres choses de cette espèce.
Et, pour le tenir toujours en haleine et ne point lui laisser perdre l’habitude de croire,
il lui donne de temps en temps, pour l’exercer, de certains articles de croyance. Il y a
deux ans qu’il lui envoya un grand écrit qu’il appela Constitution9, et voulut obliger,
sous de grandes peines, ce prince et ses sujets de croire tout ce qui y était contenu.
Il réussit à l’égard du prince, qui se soumit aussitôt, et donna l’exemple à ses su-
jets ; mais quelques-uns d’entre eux se révoltèrent, et dirent qu’ils ne voulaient rien
croire de tout ce qui était dans cet écrit. Ce sont les femmes qui ont été les motrices
de toute cette révolte qui divise toute la cour, tout le royaume et toutes les familles.
Cette constitution leur défend de lire un livre que tous les chrétiens disent avoir été
apporté du ciel : c’est proprement leur Alcoran10 (…) ».
De Paris, le 4 de la lune de Rebiab, 2, 1712 (Juin).

1. Smyrne : actuelle Izmir, en Turquie.


2. m’étonner : sens fort aux XVIIe et XVIIIe siècles : « frapper de stupeur »
3. Le roi de France : il s’agit de Louis XIV.
4. des titres d’honneur à vendre : allusion à la pratique de la vénalité des charges, qui permet d’ache-
ter un titre.
5. les persuader qu’un écu en vaut deux : le roi avait le pouvoir de dévaluer la monnaie.
6. un morceau de papier est de l’argent : le premier papier monnaie fut crée en 1701.
7. trois ne sont qu’un : allusion au dogme de la Sainte Trinité.
8. le vin qu’on boit n’est pas du vin : allusion au dogme de l’Eucharistie.
9. Constitution : la bulle Unigenitus qui en 1713 condamnait le jansénisme. Une bulle est une lettre
patente du pape avec le sceau de plomb, désignée par les premiers mots du texte et contenant ordi-
nairement une constitution générale.
10. alcoran : c’est-à-dire, dans la langue des XVIIe et XVIIIe siècles, le Coran.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

Effectuez les activités n° 2 et n° 3 qui vous permettront de réali-


ser une lecture analytique de l'extrait des Lettres persanes.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 71


SÉQUENCE

2
C Entraînement à l’écrit : la dissertation (1)
Voici un sujet de dissertation :
Quel est, selon vous, l’intérêt d’argumenter de façon indirecte, par exemple à l’aide
de récits imagés ?
Pour répondre à cette question, vous prendrez appui sur les textes de la séquence
et sur les textes argumentatifs que vous avez lus ou étudiés.

Pour composer une dissertation, il faut travailler en plusieurs étapes :


– il s’agit dans un premier temps de comprendre le sujet, de l’analyser, de cher-
cher des idées pour en envisager les implications ;
– dans un second temps, d’élaborer un plan en organisant ses idées ;
– puis enfin, de rédiger le devoir intégralement.

Vous aurez reconnu les trois étapes de la rédaction d’un discours que nous avons
vues dans le Chapitre 1 de cette séquence : l’inventio, la dispositio, et l’elocutio !
▶ Nous allons suivre ces trois étapes, pour élaborer progressivement une dis-
sertation rédigée.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 4. Cette activité va vous permettre de
réaliser la première étape de la dissertation, à savoir la recherche préalable
sur le sujet (l’inventio).

Pour conclure
À retenir
Comme vous avez pu le voir au cours de ce chapitre, les philosophes des Lu-
mières ont eu recours à la satire pour critiquer le pouvoir. Si le Portrait en pied
de Louis XIV âgé de 63 ans en grand costume royal, par Hyacinthe Rigaud, fait
l’éloge du roi en montrant sa puissance, la lettre XXIV des Lettres persanes de
Montesquieu critique ouvertement les excès du pouvoir royal et du pouvoir
papal. L’utilisation du regard de l’étranger présente un double avantage : il
contourne la censure et rend compte avec une naïveté pleine d’humour des
différents dysfonctionnements des lieux et des sociétés qu’il découvre. L’ob-
jectif est de permettre au lecteur de réfléchir sur le monde qui l’entoure et de
développer son esprit critique.
La satire est une arme très efficace pour mettre en lumière les ridicules, les
défauts des hommes et les excès du politique et du religieux. Dans le cadre de
l’argumentation indirecte, elle provoque l’intérêt du lecteur en le faisant sou-
rire, c’est-à-dire en lui plaisant. Il est alors placé dans une position favorable
pour accepter la critique et réfléchir aux problèmes soulevés.

Pour vous évaluer


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 5 : un quiz bilan du chapitre.

72 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Le combat contre l’obscurantisme

Objectifs d’apprentissage

Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du


chapitre 5.

Pour débuter : Histoire des arts

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 1 qui vous proposera l’étude d’une
gravure de Francisco de Goya.

Pour apprendre
A Une arme : la littérature polémique
Né à Paris en 1694 dans une famille de commerçants récemment enrichis, Fran-
çois-Marie Arouet fréquente tôt les salons parisiens. Son insolence et son indépen-
dance d’esprit lui valent d’être emprisonné deux fois à la Bastille. Dès sa sortie de
prison, il adopte le pseudonyme de Voltaire. Sous cette nouvelle identité, il va s’at-
tacher à dénoncer et à combattre l’intolérance et l’obscurantisme sous toutes ses
formes, entre autres par les Lettres philosophiques (1734), puis Zadig ou la Destinée
(1748) et Micromégas (1752), qui sont deux de ses contes philosophiques. La tragique
nouvelle d’un tremblement de terre à Lisbonne (1755), qui a fait vingt-cinq mille
l’optimisme morts, émeut profondément Voltaire ; elle le pousse à attaquer
les tenants de l’optimisme* dans son Poème sur le désastre de
L’optimisme est une philosophie appréciée
par certains philosophes des Lumières, et
Lisbonne (1756) et dans Candide (1759). Voltaire meurt en 1778.
qui fut élaborée par Leibniz en 1710 dans Le texte ci-dessous est extrait du conte philosophique Candide
ses Essais de théodicée. Leibniz part du (chapitre VI, texte intégral).
principe de la perfection et de la bonté Le jeune Candide, dont le nom reflète l’âme crédule et naïve, vit
divine. D’après lui, rien ne peut être aussi dans le « meilleur des mondes possibles » chez son oncle, le
parfait que Dieu, donc le monde n’est pas baron de Thunderten-Tronckh. Notre héros mène une existence
parfait, or, comme Dieu est bon, le monde heureuse dans cet univers idyllique. Tout bascule le jour des
qu’il a créé est forcément le meilleur pos- premiers ébats de Candide et de Cunégonde, la fille du baron
sible. Cette théorie a ensuite été simpli- dont est amoureux Candide. La réaction du baron est brutale :
fiée et critiquée par Voltaire dans Candide Candide est banni et chassé de cet Éden. Il se retrouve dans
(dont le titre complet est d’ailleurs Candide
« le vaste monde », le monde réel, et connaît de nombreuses
ou l’Optimisme).
aventures, accompagné de Pangloss. Au large de Lisbonne,
leur navire subit une horrible tempête, dont Candide et Pan-
gloss réchappent par miracle. Dès leur arrivée à Lisbonne se produit un épouvantable
tremblement de terre. Candide et Pangloss participent aux opérations de sauvetage,
mais nos deux héros sont arrêtés pour propos subversifs2 et déférés à l’Inquisition.

2. subversifs : signifie « qui renverse, détruit l’ordre établi, qui est susceptible de menacer les valeurs reçues ». Les critiques faites
par les écrivains des Lumières à l’encontre du régime politique ou de l’Église seront très souvent perçues comme subversives.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 73


SÉQUENCE

2
« Comment on fit un bel auto-da-fé pour empêcher les tremblements de
Enr. 9
terre, et comment Candide fut fessé »
Après le tremblement de terre qui avait détruit les trois quarts de Lisbonne, les
sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine
totale que de donner au peuple un bel auto-da-fé1 ; il était décidé par l’université
de Coïmbre2 que le spectacle de quelques personnes brûlées à petit feu, en grande
cérémonie, est un secret infaillible pour empêcher la terre de trembler. On avait
en conséquence saisi un Biscayen convaincu d’avoir épousé sa commère3, et deux
Portugais qui en mangeant un poulet en avaient arraché le lard4 : on vint lier après
le dîner le docteur Pangloss et son disciple Candide, l’un pour avoir parlé5, et l’autre
pour avoir écouté avec un air d’approbation : tous deux furent menés séparément
dans des appartements d’une extrême fraîcheur, dans lesquels on n’était jamais in-
commodé du soleil ; huit jours après ils furent tous deux revêtus d’un san-benito, et
on orna leurs têtes de mitres de papier : la mitre et le san-benito6 de Candide étaient
peints de flammes renversées et de diables qui n’avaient ni queues ni griffes ; mais
les diables de Pangloss portaient griffes et queues, et les flammes étaient droites.
Ils marchèrent en procession ainsi vêtus, et entendirent un sermon très pathétique,
suivi d’une belle musique en faux-bourdon. Candide fut fessé en cadence, pendant
qu’on chantait ; le Biscayen et les deux hommes qui n’avaient point voulu manger
de lard furent brûlés, et Pangloss fut pendu, quoique ce ne soit pas la coutume.
Le même jour la terre trembla de nouveau avec un fracas épouvantable. Candide,
épouvanté, interdit, éperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait à lui-même : « Si
c’est ici le meilleur des mondes possibles, que sont donc les autres ? Passe encore
si je n’étais que fessé, je l’ai été chez les Bulgares. Mais, ô mon cher Pangloss ! le
plus grand des philosophes, faut-il vous avoir vu pendre sans que je sache pour-
quoi ! Ô mon cher anabaptiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez été
noyé dans le port ! Ô Mlle Cunégonde ! la perle des filles, faut-il qu’on vous ait fendu
le ventre ! ». Il s’en retournait, se soutenant à peine, prêché, fessé, absous et béni,
lorsqu’une vieille l’aborda et lui dit : « Mon fils, prenez courage, suivez-moi ».
Voltaire, Candide ou l’Optimisme, chapitre VI

1. auto-da-fé : le terme « auto-da-fé » (littéralement « acte de foi ») désignait à la fois la proclamation d’un
jugement prononcé par l’Inquisition et le châtiment qui lui faisait suite, le plus souvent la mort par le feu.
2. Coïmbre : ville du Portugal ; l’Université avait été fondée en 1307.
3. commère : l’Église catholique interdisait le mariage entre le parrain et la marraine (la commère) du
même enfant baptisé.
4. lard : la religion juive prescrit qu’on s’abstienne de manger du porc.
5. parlé : l’optimisme de Pangloss l’avait rendu suspect aux yeux de l’Inquisition, parce qu’il semblait
nier le dogme du péché originel.
6. san-benito : casaque jaune qui faisait partie des signes infâmants dont on affublait les condamnés.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

Effectuez les activités n° 2 et n° 3 qui vous permettront de réali-


ser une lecture analytique de cet extrait de Candide.

B La persuasion par le registre oratoire


La « Prière à Dieu » est extraite du Traité sur la tolérance (1763), texte écrit par Voltaire
pour réparer l’erreur judiciaire à l’origine de l’affaire Calas. En 1761, un riche négo-
ciant toulousain de religion protestante, Jean Calas, découvre à son domicile son fils de
29 ans, mort étranglé. Pensant que le malheureux s’était tué, il tente de dissimuler le

74 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
suicide afin de préserver l’honneur familial. Mais la rumeur publique l’accuse d’avoir
assassiné son fils parce que ce dernier voulait se convertir au catholicisme. Jean Calas
et sa famille sont jetés en prison. Le Parlement de Toulouse condamne Jean Calas à
subir la question3 ordinaire et extraordinaire, à être rompu vif et jeté dans un bûcher.
Le malheureux est exécuté le 10 mars 1762. Convaincu de l’erreur judiciaire, Vol-
taire dénonce les travers de l’organisation judiciaire, et publie son célèbre Traité sur
la tolérance à l’occasion de la mort de Jean Calas (décembre 1763). Le 4 juin 1764, le
Conseil du Roi casse les jugements prononcés contre les Calas. Le 9 mars 1765, le
Parlement de Paris réhabilite Jean Calas et restitue ses biens à sa famille.

Enr. 10 « Prière à Dieu »

Ce n’est donc plus aux hommes que je m’adresse ; c’est à toi, Dieu de tous les êtres,
de tous les mondes et de tous les temps : s’il est permis à de faibles créatures per-
dues dans l’immensité, et imperceptibles au reste de l’univers, d’oser te demander
quelque chose, à toi qui as tout donné, à toi dont les décrets sont immuables comme
éternels, daigne regarder en pitié les erreurs attachées à notre nature ; que ces er-
reurs ne fassent point nos calamités. Tu ne nous as point donné un cœur pour nous
haïr, et des mains pour nous égorger ; fais que nous nous aidions mutuellement
à supporter le fardeau d’une vie pénible et passagère ; que les petites différences
entre les vêtements qui couvrent nos débiles1 corps, entre tous nos langages in-
suffisants, entre tous nos usages ridicules, entre toutes nos lois imparfaites, entre
toutes nos opinions insensées, entre toutes nos conditions si disproportionnées à
nos yeux, et si égales devant toi ; que toutes ces petites nuances qui distinguent les
atomes appelés hommes ne soient pas des signaux de haine et de persécution ; que
ceux qui allument des cierges en plein midi pour te célébrer supportent ceux qui se
contentent de la lumière de ton soleil ; que ceux qui couvrent leur robe d’une toile
blanche pour dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose
sous un manteau de laine noire ; qu’il soit égal de t’adorer dans un jargon formé
d’une ancienne langue2, ou dans un jargon plus nouveau ; que ceux dont l’habit est
teint en rouge ou en violet3, qui dominent sur une petite parcelle d’un petit tas de
la boue de ce monde, et qui possèdent quelques fragments arrondis d’un certain
métal4, jouissent sans orgueil de ce qu’ils appellent grandeur et richesse, et que les
autres les voient sans envie : car tu sais qu’il n’y a dans ces vanités ni de quoi envier,
ni de quoi s’enorgueillir.
Puissent tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! Qu’ils aient en horreur la
tyrannie exercée sur les âmes, comme ils ont en exécration5 le brigandage qui ravit
par la force le fruit du travail et de l’industrie paisible ! Si les fléaux de la guerre
sont inévitables, ne nous haïssons pas les uns les autres dans le sein de la paix, et
employons l’instant de notre existence à bénir également en mille langages divers,
depuis Siam6 jusqu’à la Californie, ta bonté qui nous a donné cet instant.
Voltaire, « Prière à Dieu », Traité sur la tolérance, chapitre XXIII (texte intégral)

1. débiles : faibles.
2. ancienne langue : le latin, langue du catholicisme, par opposition aux langues nationales utilisées
dans d’autres religions.
3. violet : le rouge est la couleur des cardinaux ; le violet, celle des évêques.
4. métal : il s’agit des pièces d’or.
5. exécration : haine.
6. Siam : actuelle Thaïlande.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même à


voix haute.

3. la question : la question était un supplice légal pratiqué avant la Révolution pour obtenir des aveux ou des informations.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 75


SÉQUENCE

2
Effectuez les activités n° 4 et n° 5 qui vous permettront de réali-
ser une lecture analytique de ce texte de Voltaire.
Pour la réaliser, il vous faudra vous appuyer sur la Fiche méthode : Les registres
satirique, polémique et oratoire.

C Lecture cursive :
Voltaire et l’affaire du chevalier de La Barre
En 1763, Voltaire, convaincu de l’innocence de Jean Calas (exécuté en mars 1762),
publie le Traité sur la tolérance, contre l’intolérance religieuse. Son combat aboutit à
la révision du procès et à la réhabilitation de Jean Calas. Il mobilise de nouveau son
énergie dans d’autres affaires (affaire Lally, affaire Sirven) pour dénoncer l’injus-
tice, notamment celle dont fut victime, à Abbeville, en 1765, le jeune chevalier de La
Barre, accusé sans preuves d’avoir profané un crucifix sur un pont et, au terme d’un
procès qui fut l’occasion d’un règlement de comptes, fut torturé, décapité et brûlé.
Comme on avait découvert parmi les livres dont il disposait chez lui le Dictionnaire
philosophique de Voltaire, ce qui le mettait en cause, il prit fait et cause pour le cheva-
lier de La Barre. C’est l’une des causes célèbres où s’illustra Voltaire comme d’autres
philosophes des Lumières pour lutter contre l’arbitraire de la justice à son époque.

Après avoir lu l’ensemble des textes de Voltaire recueillis dans


L’affaire du chevalier de la Barre, rendez-vous sur cned.fr ou
dans votre fascicule d’exercices pour effectuer l’activité n° 6 qui vous propo-
sera un questionnaire de lecture.

D Entraînement à l’écrit : la dissertation (2) et (3)


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 7. Cette activité va vous permettre de
réaliser la deuxième étape de la dissertation, à savoir l’élaboration d’un plan
détaillé (la dispositio).
Puis effectuez l’activité n° 8 qui va vous permettre de réaliser la troisième
étape de la dissertation : la rédaction guidée (l’elocutio).

Pour conclure
À retenir
Comme vous avez pu le voir au cours de ce chapitre, les philosophes des Lumières ont utilisé la
littérature comme une arme pour lutter contre l’obscurantisme. Dans le chapitre VI de Candide,
Voltaire dénonce le dogmatisme de l’Église en ridiculisant un auto-da-fé cruel et absurde. Il pour-
suit sa lutte contre le fanatisme dans son Traité sur la tolérance qu’il publie à l’occasion de la mort
de Jean Calas afin de réparer l’erreur judiciaire dont il a fait l’objet. Ce texte est aussi l’occasion
pour Voltaire de définir sa propre religion qu’est le déisme : religion non dogmatique, non méta-
physique, fondé sur des valeurs morales. Voltaire n’hésite pas à s’impliquer dans une autre affaire
tristement célèbre, marquée par l’injustice, la cruauté et le fanatisme : l’affaire du chevalier de La
Barre. Chacun des textes vus utilise un ou plusieurs des registres suivants : satirique, polémique
ou oratoire, dans une argumentation indirecte (Candide) ou directe (Traité sur la tolérance, lettres
concernant l’affaire du chevalier de La Barre) efficace pour persuader son destinataire.

76 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Fiche méthode

Les registres satirique, polémique


et oratoire
1. Le registre satirique
Histoire littéraire La satire est un genre littéraire qui se moque dans le but de critiquer
On attribue généralement la pa- ou de dénoncer, mais aussi un registre : plusieurs genres peuvent être
ternité du genre littéraire de la de registre satirique, comme une fable ou une tirade théâtrale. La ca-
satire dont le nom vient du latin ricature, la parodie, font partie des procédés de la satire, qui joue sou-
satura, c’est-à-dire « pot-pour- vent sur l’exagération, et qui n’est pas toujours dénuée d’agressivité.
ri », au poète archaïque latin Lu-
cilius (IIe siècle av. J.-C.). C’est
autrement dit un genre qui se
Exemple
caractérise par sa souplesse : « Le flot humain devant moi m’empêche de me hâter. La grande
de sujet, de ton, de longueur. La
masse du peuple qui me suit me pousse dans le dos. Un me
satire fut un genre très en vogue
frappe du coude, l’autre me frappe avec une lourde poutre, un
à Rome, par exemple chez des
poètes comme Martial, Juvé- troisième me cogne la tête d’une solive, un autre encore avec
nal, Ovide, ou Horace, dont voi- une jarre. Mes jambes sont grasses de boues. De partout je suis
ci quelques vers traduits où les écrasé par de grands pieds et un clou de soldat se fixe dans mon
nuisances de la ville de Rome orteil. »
sont dénoncées par Juvénal. Juvénal, Satires, III, v. 243-248

2. Le registre polémique
Le registre polémique renvoie à l’af-
Exemple
frontement des idées à travers un
« Je hais les sots qui font les dédaigneux, les impuissants débat plus ou moins violent : de fait,
qui crient que notre art et notre littérature meurent de l’étymologie grecque du mot est « la
leur belle mort. Ce sont les cerveaux les plus vides, les guerre », polemos. Il s’agit dans ce re-
cœurs les plus secs, les gens enterrés dans le passé, qui gistre d’attaquer un comportement so-
feuillettent avec mépris les œuvres vivantes et tout enfié- cial, un mode de vie, les mœurs de ses
vrées de notre âge, et les déclarent nulles et étroites. » contemporains, les défauts et ridicules
Zola, Mes haines. d’une époque, d’une institution, d’une
œuvre, d’une personne… Il est donc
étroitement lié au discours argumenta-
tif, et cherche plus à persuader qu’à convaincre. La notion de ton est essentielle
dans ce registre : une argumentation calme et mesurée ne sera jamais assimilable
à une polémique, qui suppose donc un ton passionné ou véhément. Souvent utilisé
par les philosophes des Lumières, elle est aussi fréquemment employée dans la
littérature engagée. C’est le registre du pamphlet, des essais, des lettres ouvertes.

Exemple 3. Le registre oratoire


« O Dieu ! Encore une fois, qu’est-ce que de nous ? Si je Ce registre est étymologiquement as-
jette la vue devant moi, quel espace infini où je ne suis socié à la prière (« oratoire » vient du
pas ! Si je la retourne, quelle suite effroyable où je ne latin orare qui signifie « prier »). Il reste
suis plus, et que j’occupe peu de place dans cet abîme de cette origine une vocation du registre
immense du temps ! oratoire, souvent employé dans les dis-
Bossuet, Sermon sur la mort cours, pour les textes capables de mobi-
liser leurs destinataires. Il peut y parve-

CNED SECONDE – FRANÇAIS 77


SÉQUENCE

2
nir par le souci de persuader plus que de convaincre, sûr de faire partager l’émotion
– colère, indignation, pitié – par certaines ressources rhétoriques : les invocations,
les rythmes ternaires, les images saisissantes, l’ampleur de la phrase, le choix
d’images évocatrices, la prise à partie de l’auditoire (apostrophes, exclamations,
questions rhétoriques…). C’est le registre du plaidoyer, du réquisitoire, ou de l’oraison.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 9 : un exercice bilan du chapitre.

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour clore votre séquence

À retenir
Cette séquence sur l’évolution de la critique sociale du XVIIe siècle au
XVIIIe siècle vous a permis de voir que les différents auteurs optent plus pour
une attaque indirecte pour susciter l’adhésion de leur lecteur. En effet, il
s’agit avant tout d’être éloquent, de retenir l’attention du lecteur en lui plai-
sant (chapitre 2). C’est ce que font les Fables de La Fontaine en mettant en
scène des personnages atypiques dans des récits brefs en vers qui illustrent
une morale. Tout comme lui, La Bruyère critique les vices et les défauts de
ses contemporains en mêlant plaisir et leçon morale dans une forme brève :
le portrait satirique. L’argumentation évite ainsi l’ennui d’un long traité et est
plus frappante à l’esprit du lecteur (chapitre 3). Ainsi la satire présente dans
les Fables de La Fontaine, dans les portraits de La Bruyère, dans Le Tartuffe de
Molière, à travers le regard naïf de l’étranger Rica dans Les Lettres persanes de
Montesquieu (chapitre 3 et 4) ou dans un conte philosophique comme Candide
de Voltaire (chapitre 5) permet de dénoncer efficacement un vice, les défauts
d’une société ou d’une institution par l’humour.
Vous avez vu aussi que les philosophes des Lumières ont mené différents
combats à l’aide de la littérature (arme efficace s’il en est, puisque leurs textes
ont conduit à un réveil des esprits et à la Révolution Française) contre les
excès du pouvoir royal et papal (Montesquieu, Les Lettres persanes), contre
l’obscurantisme, le dogmatisme religieux, le fanatisme et l’intolérance (Vol-
taire, Candide, Traité sur la tolérance, Dictionnaire Philosophique) et contre les
injustices flagrantes dont ont été victimes Jean Calas et le chevalier de La
Barre notamment au nom de la religion (chapitre 4).
Vous avez surtout vu qu’un texte argumentatif efficace se doit d’être éloquent,
que son auteur doit prendre le temps de bien le préparer pour intéresser son
destinataire tout en lui plaisant par un choix judicieux de la forme, du plan et
des mots qui composeront son texte. À vous de faire de même dans vos dis-
sertations !

78 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

2
Approfondissement et soutien

Si vous avez rencontré des difficultés dans l'étude de cette séquence,


rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité n° 1.

Si vous voulez aller plus loin, rendez-vous sur cned.fr les activités
n° 2 et n° 3. Elles vont vous permettre d’approfondir votre connais-
sance de Montesquieu et de Voltaire.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 79


Sommaire

Séquence 3
Le Colonel Chabert :
les hommes et l’argent
Chapitre 1 Pour débuter votre séquence ................................................................................ 83

Chapitre 2 Texte et contextes ................................................................................................................... 85


A. Biographie de Balzac
B. Contexte historique et culturel de la vie de Balzac
C. Deux mouvements littéraires importants au XIXe siècle

Chapitre 3 Genèse, structure, temps et narration .................................................... 92


A. Étude du titre
B. Structure et progression romanesques, étude du cadre temporel
C. Le Colonel Chabert : genre et registre

Fiche méthode La nouvelle, bref historique de ce genre littéraire ............... 95

Chapitre 4 Les lieux dans Le Colonel Chabert ................................................................... 96


A. Le colonel Chabert : un homme venu d’ailleurs
B. Le retour vers Paris : la déchéance
C. Les lieux de l’échec

Chapitre 5 Un héros à l’existence problématique ..................................................... 100


A. Le colonel Chabert : de la quête de soi à la perte de soi
B. Lecture analytique d’un portrait du colonel
C. Le colonel Chabert : « enterré vivant »
D. Le colonel Chabert : l’homme d’un passé révolu

Fiche méthode Expliquer un texte descriptif .................................................................... 104

Chapitre 6 La peinture d’une société : étude de personnages ................ 105


A. Le comte Ferraud : l’importance d’un personnage in absentia
B. La comtesse : une figure cupide et manipulatrice
C. Derville, un homme de loi intègre

Fiche méthode Le commentaire littéraire ............................................................................ 111

Chapitre 7 Le rapport des hommes à l’argent au XIXe siècle .................. 113


A. Étude d’un corpus
B. Lecture cursive : Zola, La Curée

Chapitre 8 Pour clore votre séquence ......................................................................................... 115

Fiche méthode Le vocabulaire de l’analyse littéraire ......................................... 116

CNED SECONDE – FRANÇAIS 81


SÉQUENCE

3 Objectifs

Objet d’étude ▶ Un groupement de textes du XIXe siècle :


– Mérimée, Mateo Falcone
Le roman et la nouvelle au XIXe siècle : réalisme
– Balzac, Eugénie Grandet
et naturalisme
– Hugo, Les Misérables
– Maupassant, La Parure
Objectifs ▶ Une lecture cursive : Zola, La Curée

▶ Approfondir votre connaissance du mouve-


ment littéraire et culturel du réalisme
▶ Découvrir le romantisme
Fiches méthode
▶ Apprendre à expliquer un texte descriptif ▶ La nouvelle, bref historique de ce genre litté-
raire

▶ Expliquer un texte descriptif


Textes et œuvres
▶ Le commentaire littéraire
▶ Une œuvre intégrale : Balzac, Le Colonel Cha-
bert ▶ Le vocabulaire de l’analyse littéraire

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82 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour débuter votre séquence

Pour vérifier vos connaissances


Conseils de méthode
Nous vous conseillons de lire Le Colonel Chabert dans l’édition Garnier-Flam-
marion (édition avec dossier). Les références des citations données dans le
cours renvoient à cette édition qui comporte, en outre, des notes sur le texte
fort éclairantes.
Commencez par lire le roman, crayon en main. Soyez, dès la première lecture,
particulièrement attentifs aux thèmes suivants :
▶ la construction du roman et le traitement du temps ;

▶ la façon dont le roman s’inscrit dans un contexte réaliste : la description


des lieux et leur lien avec les personnages, la vision balzacienne de la jus-
tice et des lieux où elle est rendue, l’espace parcouru par Chabert, la socié-
té parisienne de la Restauration, divisée en deux catégories (les gagnants
et les perdants) ;
▶ le système des personnages et notamment les relations entre les trois
personnages principaux.

Nous nous intéresserons, évidemment, particulièrement au colonel Chabert


et à ses différentes facettes : le revenant, l’exclu, l’enterré, l’anonyme, l’ina-
dapté, le pur.
Repérez les moments charnière du récit et relevez-les. D’une façon générale,
notez toujours les pages du roman pour vos références.
Les lectures analytiques qui vous seront proposées vous préparent à la fois
à l’oral et à l’écrit de la classe de Première : lectures analytiques à l’oral et
commentaires littéraires à l’écrit.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 1 qui vous proposera un question-
naire de lecture portant sur Le Colonel Chabert.

Pour vous construire une culture littéraire

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 2 qui vous permettra de compléter
une frise chronologique.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 83


SÉQUENCE

3
Propositions de lecture

Afin de mieux connaître l’œuvre de Balzac, voici une liste d’ouvrages qui font
partie de La Comédie humaine.

▶ Quelques romans brefs

Le Chef-d’œuvre inconnu : Un peintre, Frenhofer, tourmenté et diabolique, ne


veut pas dévoiler le chef-d’œuvre de sa vie…
La Recherche de l’absolu : Balthazar Claes est dévoré par une obsession,
découvrir l’absolu, la substance commune à toute la matière. Cet alchimiste
passionné en oubliera même sa famille…
La Peau de chagrin : Raphaël de Valentin, désespéré et prêt à se suicider, dé-
couvre un objet étrange, « une peau de chagrin » qui peut réaliser tous ses
vœux, mais qui rétrécit à chaque souhait réalisé.

▶ Quelques romans plus longs :

Le Père Goriot : Un homme, Goriot, se sacrifie pour le bonheur et la réussite


de ses filles tandis qu’un jeune ambitieux, Rastignac, fait son entrée dans
le monde, recherche un bon parti et conclut un marché diabolique avec un
ex-bagnard.
Eugénie Grandet : Un terrible avare manipule sa vertueuse fille, Eugénie,
quitte à la priver de tout bonheur.
Le Lys dans la vallée : Félix de Vandenesse, un jeune homme, s’éprend
d’une vertueuse comtesse, mariée à un homme, beaucoup plus âgé qu’elle,
sombre et violent.
La Femme de trente ans : Une jeune fille pleine d’illusions, se marie « à la
légère » et s’engage dans une vie de malheurs que même la maternité ne
sauvera pas.
Les Chouans : Roman historique sur la chouannerie – insurrection contre la
République – mêlant espionnage, amour et aventure.

▶ Un roman majeur, assez long, mais organisé en trois parties :

Illusions perdues : Lucien de Rubempré, jeune poète de province, rejoint la


capitale avec l’ambition de devenir un grand auteur, admiré et reconnu. Dé-
couvrant la vie parisienne, ses délices, ses plaisirs, ses illusions, ses souf-
frances et ses pièges, il sera amené à trahir ses idéaux.

84 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Texte et contextes

Objectifs d’apprentissage

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chapitre 2.
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Pour débuter : Histoire


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 1 qui va vous permettre de découvrir
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la période historique allant du Directoire (1795-1799) à la Res-
tauration (1814-1830).

Pour apprendre
Dans cette biographie, nous allons mettre en valeur les liens entre la vie de l’écri-
vain et ce roman, ainsi que la place du Colonel Chabert dans son œuvre.

A Biographie de Balzac
1. Une enfance triste et une jeunesse ennuyeuse
Honoré de Balzac est né le 20 mai 1799, à Tours. Son père était beau-
coup plus âgé que sa mère, qui n’avait que vingt ans et qui s’est peu
occupée de lui. Il passe ses premières années à Saint-Cyr-sur-Loire,
chez une nourrice. À l’âge de huit ans, il est pensionnaire à Vendôme.
Il vit très mal cette période ayant l’impression d’être abandonné par sa
mère et, pour se consoler, il lit jour et nuit. À quinze ans, il déménage
pour Paris avec toute sa famille.
Après son bac, poussé par ses parents, il suit des études de droit qui
l’ennuient. C’est en travaillant comme clerc dans deux études pa-
risiennes (Guillonnet-Merville) qu’il découvre l’univers de la « chi-
cane »1. Il ne se trouvait pas à l’aise dans ce monde, mais ce milieu
a été un excellent terrain d’observation et son expérience transparaît
dans plusieurs de ses romans, dont Le Colonel Chabert, qui débute dans
une étude d’avoué. Le nom de Merville fait, d’ailleurs, fortement pen-
ser à celui de Derville. En connaisseur, il utilise le jargon des études
© akg-images parisiennes et en recrée l’atmosphère.

1. chicane : difficulté que l’on soulève dans un procès sur un point mineur de droit, pour embrouiller l’affaire.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 85


SÉQUENCE

3
2. Des débuts littéraires difficiles
Désireux depuis longtemps de se consacrer à la littérature, il obtient finalement
de ses parents l’autorisation de quitter le monde de la justice. En 1819, il loue une
mansarde, dans le quatrième arrondissement de Paris et suit des cours de philoso-
phie à la Sorbonne. Sa tragédie en vers, Cromwell, parue en 1820, est un échec et il
décide alors de s’essayer au genre romanesque. Il utilise des pseudonymes jusqu’à
la parution du roman Les Chouans, en 1829. En 1822, il devient l’amant de madame
de Berny qui est beaucoup plus âgée que lui. Son aide financière lui permet d’ache-
ter une petite imprimerie : il exerce ainsi les métiers d’éditeur, d’imprimeur et de
fondeur de caractères entre 1825 et 1827. Toutefois, il n’a pas le sens des affaires
et fait rapidement faillite. C’est à ce moment-là qu’il commence à se tuer au tra-
vail pour rembourser ses dettes, qui le poursuivront toute sa vie. Sa maison de
la rue Raynouard, à Paris, avait une porte de sortie à l’arrière, pour lui permettre
d’échapper à ses créanciers, dit-on. Le manque d’argent l’a préoccupé toute sa
vie et il a été d’autant plus sensible à la place prépondérante qu’il occupait dans la
société où il vivait. Attiré par le luxe, il mène une existence de dandy2, qui lui fait
dépenser plus qu’il ne gagne. Devenu peu à peu un auteur à la mode, il fréquente
la haute société parisienne, aussi bien les aristocrates que les grands bourgeois
des affaires. Il y rencontre aussi des anciens officiers de Napoléon, qui lui ra-
content des anecdotes qu’il exploite dans ses romans. Il possède un petit carnet
dans lequel il prend sans cesse des notes.

3. La Comédie humaine
La Physiologie du mariage, œuvre parue en 1830, est son premier succès ; il est enfin
accueilli non seulement par les éditeurs, journalistes et artistes de son temps mais
encore par la haute société. Il se consacre alors entièrement à ses romans, qu’il pu-
blie en feuilletons pour la plupart. La Peau de chagrin (1831) confirme son succès. Ce
roman fantastique et philosophique plaît. C’est à cette même époque qu’il entreprend
une longue correspondance avec une admiratrice polonaise, madame Hanska.
Ses nombreux romans sont le reflet de ses grandes préoccupations, qu’elles
soient historiques : Les Chouans (1829), philosophiques : La Peau de chagrin (1831),
sociales : Le médecin de campagne en (1833), scientifiques : La recherche de l’absolu
(1834), ou mystiques : Séraphita (1832). Il se consacre aussi à l’étude réaliste de
« scènes de la vie privée » où il peint des types humains et les mœurs de son temps
avec ses œuvres les plus célèbres comme Eugénie Grandet et Le Père Goriot (1835),
Le lys dans la vallée (1836), Les illusions perdues (1837) ou Le curé de village (1841).
En 1842, il pense réunir tous ses romans sous le titre de Comédie humaine, en
référence à l’œuvre de Dante Alighieri, La Divine Comédie, qui raconte le voyage
spirituel de l’auteur en Enfer, au Ciel et au Purgatoire, guidé par le poète latin, Vir-
gile. Mais ici, il ne s’agit pas de l’au-delà mais de la réalité de la société du début du
siècle. Balzac veut étudier la nature humaine et ses mœurs, dans son ensemble ;
toutes les catégories humaines et sociales y figurent : hommes et femmes, pro-
vinciaux et parisiens, paysans, bourgeois et aristocrates, hommes de justice et mi-
litaires, médecins et banquiers, repris de justice et prostituées. En 1842, il érige en
principe l’idée suivante : « il existera de tout temps des espèces sociales comme il
existe des espèces zoologiques ». Cette œuvre immense qu’il intitule La Comédie
humaine a pour but d’être une grande fresque réaliste de son temps. Il se flatte de
« faire (ainsi) concurrence à l’État Civil ». Cette œuvre est divisée en trois parties :
Études philosophiques, Études analytiques, Études de mœurs. Celles-ci sont elles-
mêmes divisées en six parties : Scènes de la vie privée, Scènes de la vie parisienne,
scènes de la vie de province, Scènes de la vie politique, Scènes de la vie militaire, Scènes
de la vie de campagne.

2. dandy : homme qui se pique d’une suprême élégance dans sa mise et ses manières (Définition du Robert).

86 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Balzac veut comprendre et décrire tous les rouages de la société qui se révèle
fondée sur l’argent, l’énergie vitale, la volonté, les passions.
Avant ce grand rassemblement qui voulait « faire concurrence à l’état civil », Balzac
avait déjà eu l’idée de faire resurgir ses personnages d’un roman à l’autre. C’est
ainsi que l’on peut rencontrer Eugène de Rastignac, Vautrin ou les filles du père
Goriot dans Le Père Goriot, Illusions perdues, Splendeurs et misères des courtisanes.
Le personnage de Derville apparaît dans Gobseck (1830), César Birotteau (1837), Une
ténébreuse affaire (1841), Le Père Goriot (1935), Splendeurs et misères des courti-
sanes (1838-1844).

Rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité interactive n° 2 qui va


vous proposer un questionnaire portant sur des extraits de l’Avant-pro-
pos à la Comédie humaine.

4. Genèse du Colonel Chabert


Le Colonel Chabert a paru pour la première fois en 1832, d’abord sous forme de
feuilleton, dans la revue hebdomadaire L’Artiste sous le titre de La Transaction. Bal-
zac n’a donc pas encore songé à rassembler ses œuvres sous le titre de Comédie
humaine. Cette première version est composée de cinq parties : « Scène d’étude »,
« La résurrection », « Les deux visites », « L’Hospice de la vieillesse », « Conclu-
sion ».
Le roman est ensuite publié une première fois dans un recueil sous le titre Le Comte
Chabert, mais sans l’accord de Balzac. Après un procès, Balzac récupère ses droits,
remanie son œuvre et la divise en trois parties ; elle est publiée sous forme de
volume, sous un autre titre, en 1835, La Comtesse à deux maris. Elle fait partie des
Scènes de la vie parisienne dans Les Études de mœurs au XIXe siècle (qui sera la troi-
sième partie de La Comédie humaine).
La version définitive paraît en 1844 sous son titre définitif : Le Colonel Chabert. Elle
ne fait plus partie des Scènes de la vie parisienne mais des Scènes de la vie privée.
Pour créer le colonel Chabert, Balzac s’est inspiré de plusieurs personnages :
▶ Un colonel Chabert a vraiment existé. Né en 1770, il a, comme le héros du ro-
man, servi dans les armées napoléoniennes et participé à la bataille d’Eylau. À la
différence du personnage de Balzac, Pierre Chabert a continué sa carrière sous
Louis XVIII.
▶ Autour des années 1830, Balzac fréquente d’anciens officiers et des membres
de l’aristocratie impériale comme Madame Récamier et la duchesse d’Abrantès,
sa maîtresse. On lui a sans doute raconté des anecdotes. De plus, la duchesse
d’Abrantès est la veuve d’un aide de camp de Bonaparte, devenu général et am-
bassadeur. Balzac l’a aidée à rédiger Ses Souvenirs historiques sur Napoléon.

5. Une vie écourtée


Balzac s’est attaqué à une œuvre gigantesque ; il s’épuise au travail et, après
avoir enfin épousé la femme qu’il aimait depuis de nombreuses années, Madame
Hanska, il meurt à l’âge de 51 ans, le 18 août 1850, à Paris. Confondant fiction et
réalité et totalement imprégné de son œuvre, il aurait réclamé lors de son agonie
Horace Bianchon, le médecin de La Comédie humaine. Son enterrement au Père-
Lachaise est modeste, mais de grands écrivains comme Dumas, Sainte-Beuve et
Hugo y assistent et lui rendent ainsi hommage.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 87


SÉQUENCE

3
B Contexte historique et culturel de la vie de Balzac

Dates Histoire Vie de Balzac Littérature

Coup d’état de Bonaparte Naissance.


1799 Premières années à Saint-Cyr-sur-
Loire, chez une nourrice.
Naissance de Victor Hugo
1802
et d’Alexandre Dumas.
1804 Napoléon Ier
1807 Eylau Collège de Vendôme
Début de la Restauration La famille Balzac déménage à Paris.
1814-
Waterloo : juin 1815. Études de droit.
1815
Napoléon à Sainte-Hélène
S’installe seul à Paris et suit des cours Parution d’Ivanhoé de
1819 de philosophie à la Sorbonne. Walter Scott
1820 Écrit une première tragédie en vers,
Cromwell : c’est un échec.
1821 Mort de Napoléon Liaison avec Mme de Berny. Naissance de Baudelaire
1822
Exerce les métiers d’éditeur, Préface de Cromwell de
1825- d’imprimeur et de fondeur de Victor Hugo
1827 caractères. Publie son premier roman
1829 sous son vrai nom, Le Dernier Chouan
ou La Bretagne.
Les Trois Glorieuses Bataille d’Hernani
1830 Abdication de Charles X Le Rouge et le Noir de
Stendhal
La Peau de chagrin
1831 Le Colonel Chabert
1832 Début de sa correspondance avec Mme
Hanska
1835 Le Père Goriot
La Confession d’un enfant
1836
du siècle de Musset
La Chartreuse de Parme de
1839
Stendhal
1840 Naissance d’Émile Zola
1842 Intitule son œuvre La Comédie humaine
Les Trois Mousquetaires
1844 Naissance d’Alexandre
Dumas de Verlaine
Révolution
1848
Début de la IIe République
1849 Mort de Chateaubriand
Mariage avec Mme Hanska
1850
Mort de Balzac
1851 Début du Second Empire

88 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
C Deux mouvements littéraires importants au
XIXe siècle
Comme nous le voyons dans le tableau chronologique du point précédent, Balzac a
vécu et écrit en même temps que les grands auteurs romantiques français, comme
Victor Hugo, Alfred de Vigny ou Alfred de Musset. De plus, l’étude du Colonel Chabert
montre à quel point la nostalgie de l’épopée napoléonienne imprègne son œuvre. Le
colonel Chabert a une vision romantique du monde, qui ne correspond plus à son
époque. Or, nous l’avons vu dans la première séquence, Balzac est pourtant consi-
Stendhal déré, avec Stendhal*, comme un des premiers auteurs réalistes.
(1783-1842)
est un écrivain
français, auteur 1. Balzac et les romantiques
entre autres de
Lucien Leuwen, Au XIXe siècle, la France connaît un très grand nombre de changements de ré-
Le Rouge et gimes, souvent précédés d’un coup d’état ou d’une révolution. C’est une période
le Noir, La particulièrement troublée sur le plan politique (neuf régimes politiques différents
Chartreuse de entre 1789 et 1890). Ce trouble se manifeste dans la littérature et les autres arts. La
Parme. Dans ces littérature, comme tous les arts, suit en effet le cours de l’Histoire et son évolution
romans, l’auteur est influencée par le contexte historique et social dans lequel elle est née.
analyse avec
un grand souci Balzac, comme tous les grands artistes de la première moitié du XIXe siècle, est
de réel et de atteint du « mal du siècle » romantique dont l’une des grandes caractéristiques
vraisemblance la est la nostalgie d’un temps révolu, marqué par l’épopée napoléonienne. L’un des
psychologie des écrivains qui a sans doute le mieux montré ce qu’a ressenti toute une génération
personnages. Ils est Musset dans son roman autobiographique, La Confession d’un enfant du siècle,
sont aussi une paru en 1836. On y trouve le portrait de la première génération romantique, jeunes
critique de la gens fascinés par le souvenir de l’épopée napoléonienne. Celle-ci a bercé leur en-
société matéria-
fance de rêves exaltants de gloire.
liste et libérale
du début du Balzac a seize ans l’année de la bataille de Waterloo (1815) et cette défaite retentis-
XIXe siècle. sante est pour lui un désastre personnel. Il fait partie de ces jeunes gens, pleins
d’ardeur et d’idéaux, qui, pendant la période de la Restauration, ne se recon-
naissent pas dans ce monde nouveau. Ils jugent étriquées ces valeurs de l’autre
siècle. Ils ont l’impression d’être nés trop tôt ou trop tard et se sentent désœuvrés
et inutiles. Le présent les ennuie et les dégoûte.
La Restauration qui correspond à une période de transition est marquée par le re-
tour d’un ancien régime usé et moribond et par l’avènement d’une nouvelle so-
ciété ; celle-ci est caractérisée par la montée de la bourgeoisie qui a pris le pou-
voir économique. La recherche du profit et l’argent sont devenus les nouvelles
valeurs. C’est ce monde dominé par la cupidité que décrit Balzac dans La Comé-
die humaine, et Zola, plus tard, dans Les Rougon-Macquart. La génération des au-
teurs réalistes et naturalistes naît ainsi dans un monde où toutes les convictions se
trouvent ébranlées. Les pouvoirs traditionnels se sont effondrés, la religion, remise
en cause lors de la Révolution, n’est plus universellement reconnue comme une vé-
rité. Le statut de l’écrivain, lui aussi, a changé depuis l’époque classique, puisque la
littérature est devenue un gagne-pain soumis comme un autre aux lois du mar-
ché ; d’où ces romans qui paraissent en feuilletons pour permettre à leurs auteurs
de gagner leur vie.

2. Balzac, auteur réaliste


Le roman, miroir du monde
Balzac a, en effet, malgré son admiration pour les romantiques, dont il partage les
idées et les déceptions, décidé de peindre et de dénoncer toute la société française

CNED SECONDE – FRANÇAIS 89


SÉQUENCE

3
telle qu’elle est. Il y a, dans cette nouvelle conception de la littérature, le début d’un
refus de l’idéalisme romantique.
Les écrivains ne sont plus des rêveurs, mais des observateurs. Cette attention
particulière au réel, ce souci de la description minutieuse d’une société et d’une
époque font de Balzac le précurseur du mouvement réaliste, qui sera développé
dans la deuxième partie du XIXe siècle et donnera naissance à un autre mouvement
qui en est le prolongement : le naturalisme.
Le roman réaliste et naturaliste cherche à épouser le plus possible la réali-
té. Maupassant écrit dans sa Préface de Pierre et Jean (1887) : « Le romancier
[...] qui prétend nous donner une image exacte de la vie, doit éviter avec soin tout
enchaînement d’événements qui paraîtrait exceptionnel. Son but n’est point de nous
raconter une histoire, de nous amuser ou de nous attendrir, mais de nous forcer à
penser, à comprendre le sens profond et caché des événements ».

La description romanesque
Dans le roman réaliste, les descriptions ont une fonction précise et ne sont jamais
de l’ordre du « décoratif ». Elles ancrent l’histoire dans une réalité précise : « Créer
l’atmosphère d’un roman, faire sentir le milieu où s’agitèrent les êtres, c’est rendre
possible la vie du livre » (Maupassant, Chroniques, « Romans », article paru dans Gil
Blas du 26 avril 1882). Les lieux décrits sont réels et décrits avec une telle préci-
sion que le lecteur contemporain peut aisément les reconnaître. Dans Le Colonel
Chabert, les descriptions de l’étude, du quartier et du logis du colonel obéissent à
cette volonté de vraisemblance romanesque.

La vraisemblance et la peinture d’une société


Ce désir de vraisemblance se manifeste aussi dans l’évocation du quotidien. Celui
des clercs de l’étude est précisément décrit. Les paroles qu’ils échangent font pen-
ser à des dialogues réels par le jargon et le vocabulaire juridique, qui y abondent.
Balzac s’est servi de son expérience pour rendre vivants ses dialogues et le monde
de la justice. Les auteurs réalistes choisissent comme protagonistes, non plus des
héros exceptionnels, mais des hommes ordinaires dont la difficulté de vivre fait
partie de l’intrigue. Balzac nous dresse un tableau pertinent de l’époque de la Res-
tauration.

L’écrivain réaliste, un témoin


Dans sa description de l’antichambre du greffe et le discours final de Derville,
porte-parole de l’auteur, Balzac montre clairement quel est le rôle de l’écrivain
réaliste (cf. chapitre sur Derville). La fiction lui permet de peindre la réalité de son
siècle. Mêlant déception romantique et lucidité, tout en se rapprochant parfois du
fantastique, Le Colonel Chabert fait revivre la société parisienne de la Restaura-
tion et en dénonce les travers. Cependant, comme tous les grands romanciers,
Balzac va plus loin et dépasse ce projet pour livrer sa conception de l’homme, du
monde et de la vie.

90 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Pour conclure
À retenir
Honoré de Balzac est né en 1799 et mort en 1850. Après des études de droit, il
se consacre à la littérature mais investit parallèlement dans une imprimerie,
découvrant ainsi le métier d’éditeur. Il fait faillite et connaît de grosses diffi-
cultés financières que seule l’écriture de romans-feuilletons (publiés dans les
journaux) permettra de contenir : il écrit donc énormément et s’épuise à cette
tâche, tout en menant une existence de dandy et en fréquentant la grande
bourgeoisie et l’aristocratie parisiennes. Petit à petit, il élabore un immense
projet, celui de réunir tous ses textes dans un ensemble, La Comédie humaine,
dont l’objectif serait d’embrasser tous les aspects de la société contempo-
raine. Ainsi, les personnages balzaciens prétendent « faire concurrence à
l’État civil » et doivent représenter les principaux types humains et sociaux,
tout comme on dresse la liste des espèces zoologiques. À terme, Balzac es-
père comprendre et décrire tous les rouages de la société, fondée sur l’éner-
gie vitale, l’argent, la volonté et les passions.
Le Colonel Chabert est la forme définitive d’un texte d’abord publié en 1832 puis
remanié et inséré dans la partie « Scènes de la vie privée » : ce roman s’inspire
des anciens officiers de Napoléon oubliés par la Restauration, après avoir été
des héros sur les champs de bataille.
Balzac ne se revendique d’aucun mouvement littéraire, mais se nourrit du
romantisme autant qu’il annonce ce que sera le réalisme. Il cherche à rendre
dans ses textes une réalité « plus vraie que nature » : c’est toute la société
de son époque qui revit. Il attache une grande importance aux descriptions, au
langage de ses personnages (révélateur d’une catégorie sociale propre) et se
nourrit de ses expériences autant que de ses observations.

Pour vous évaluer


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 3 : un quiz bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 91


SÉQUENCE

3
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Genèse, structure, temps et narration

Objectifs d’apprentissage

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chapitre 3.
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Pour débuter : Histoire


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pour effectuer l’activité n° 1 qui va vous permettre d’étudier la
© CNED
couverture d’une édition du Colonel Chabert chez Garnier-Flam-
marion.

Pour apprendre

A Étude du titre
Comme nous l’avons vu dans la genèse de l’œuvre, Balzac a proposé deux autres
titres avant celui du Colonel Chabert. Une telle hésitation montre une progression
dans la conception de l’œuvre, le choix de ces titres révélant l’importance accordée
à tel ou tel aspect de l’œuvre. Le Premier, La Transaction, met l’accent sur l’intrigue
judiciaire, le second, La Comtesse à deux maris, sur le personnage de la comtesse,
le troisième fait du colonel le personnage central, et de sa triste vie le drame es-
sentiel du roman.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 2.

B Structure et progression romanesques,


étude du cadre temporel
Bien que Le Colonel Chabert soit à mi-chemin entre le court roman et la nouvelle,
l’histoire du personnage éponyme, telle qu’elle est narrée, s’étend sur une longue
durée. Une telle durée est en effet nécessaire à la construction et la compréhension
de ce personnage qui vit en quelque sorte, dans ce roman, sa seconde mort symbo-
lique. De plus, comme tous les romans de Balzac, Le Colonel Chabert s’inscrit dans
un contexte historique et socioculturel réel, sans lesquels cette histoire n’aurait pas
de sens. Nous allons donc étudier en premier lieu le contexte historique de cette
œuvre et en deuxième et troisième lieux l’intrigue principale et les analepses.

92 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
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pour effectuer les activités n° 3 et n° 4.

C Le Colonel Chabert : genre et registre


1. Roman ou nouvelle ?
Il est difficile de savoir si Le Colonel Chabert est un court roman ou une longue nou-
velle. Et la question est d’autant plus difficile à trancher que la différence entre ces
deux genres littéraires n’est pas clairement délimitée. La différence de longueur
entre ces deux genres littéraires n’est pas un critère suffisant et le roman est un
genre protéiforme où les auteurs disposent d’une immense liberté.
Le terme de « roman » désigne au Moyen Âge un récit fictif écrit en langue ro-
mane (langue vulgaire, c’est-à-dire parlée par tous). C’est Chrétien de Troyes qui,
au XIIe siècle, a écrit, le premier, ses romans (Yvain ou le Chevalier au lion, Perceval
ou le chevalier de la charrette, Lancelot ou le comte du Graal…) dans cette langue, au
lieu de les écrire en latin (langue savante) comme c’était l’usage. Par extension,
le mot roman a désigné un texte écrit dans cette langue. Il va, avec Chrétien de
Troyes, prendre déjà son sens moderne : ses romans sont des récits où se mêlent
prouesses et amour et qui retracent l’histoire d’un individu.
Celui-ci parcourt le monde pour s’éprouver, se trouver lui-même et comprendre sa
place dans l’univers. Par opposition à la nouvelle qui, le plus souvent, est beau-
coup plus courte (certaines peuvent ne comprendre que quelques pages) le roman
s’étend sur une certaine durée et met en scène de nombreux personnages vivant
dans un contexte historique et socioculturel précis. Le Colonel Chabert entre par-
faitement dans cette définition.
Le genre de la nouvelle apparaît en Italie au XIVe siècle, puis en France au XVe siècle,
avec la traduction française, en 1414, du Decameron de Boccace, paru en Italie en
1353. Dans ce recueil de nouvelles, dix personnes, retenues dans un même lieu,
se racontent des histoires ; après chacune d’entre elles, les personnages discutent
entre eux et en commentent le sens.
Au XIXe siècle, ce genre littéraire se développe et garde souvent de son origine cette
conception de la narration sous forme de conversation, comme le fait Maupassant,
grand spécialiste de la nouvelle, dans Boule de Suif, paru dans la revue Les soirées
de Médan, en 1880. Ce développement est lié à celui du journalisme qui faisait pa-
raître en feuilleton des romans (c’est en effet le cas du Colonel Chabert). Ce type de
parution a favorisé le récit court qu’est la nouvelle.
Mais ce bref historique ne résout pas la question : Le Colonel Chabert, roman ou nou-
velle ? En effet, Balzac qualifie Eugénie Grandet (1833) de « bonne petite nouvelle »
alors que cette œuvre, plus longue que Le Colonel Chabert, compte plus de 200
pages. Et Stendhal introduit son long roman La Chartreuse de Parme ainsi : « c’est
dans l’hiver de 1830 et à trois cents lieues de Paris que cette nouvelle fut écrite ». Il
est vrai que Stendhal aime les anglicismes et que, de façon troublante, roman se dit
« novel » en Français. Certes, l’on peut penser que la nouvelle va plus à l’essentiel
que le roman, et tourne autour d’une seule intrigue principale : il y a moins de des-
criptions, moins de digressions. Les personnages sont souvent moins complexes,
leur psychologie étant plus sommaire comme le souligne Barbey d’Aurevilly qui
écrit que la nouvelle, par rapport au roman, évite les développements psycholo-
giques. À ce titre, l’on peut comparer Le Colonel Chabert à Colomba de Mérimée
(1860) qui renvoie en effet aux mêmes questions : longue nouvelle ou court roman ?
Dans les deux cas, le récit est concentré sur une seule intrigue centrale autour d’un
protagoniste éponyme. Colomba est l’histoire d’une vengeance qui se déroule en

CNED SECONDE – FRANÇAIS 93


SÉQUENCE

3
Corse. Mais Colomba reste aux yeux du lecteur mystérieuse et fascinante. Le Colo-
nel Chabert, sans s’éparpiller dans des intrigues secondaires, dresse un tableau de
la société parisienne de la Restauration, décrit longuement certains lieux, comme
celui où vit le colonel ou l’étude de Derville.
Ainsi, la question n’est pas résolue. Mais, malgré toutes ces difficultés et ces ambi-
guïtés, nous avons choisi d’utiliser le terme de « roman » pour analyser Le colonel
Chabert.

2. Un roman théâtralisé, des registres variés


Cette œuvre emprunte également au genre théâtral : en effet, il y a beaucoup de
dialogues, et un assez grand nombre de scènes sont théâtralisées. Comme nous
l’avons vu dans l’étude de la structure, nous pouvons diviser l’œuvre en plusieurs
scènes. Chez Derville, l’apparition de Chabert est un coup de théâtre et à Groslay,
le colonel entend un dialogue qui ne lui est pas destiné, ce qui est typique d’une
scène de théâtre.
La narration joue sur différents registres : le comique de caricature, dans l’incipit,
et le fantastique, avec le portrait effrayant du colonel, au début. Le personnage du
colonel Chabert installe le roman dans un registre pathétique voire tragique. La
variété des registres rend le roman plus riche et plus proche de la réalité.

Pour conclure
À retenir
Le Colonel Chabert a d’abord été intitulé « La transaction » ; l’accent était ain-
si mis sur l’aspect juridique de l’affaire, forçant Chabert à accepter un com-
promis. Or, comme le colonel finit par abandonner toutes ses revendications,
la transaction n’a plus lieu d’être. Balzac intitule alors l’œuvre « La comtesse
à deux maris », mettant en avant l’impasse juridique dans laquelle se trouve
la veuve Chabert en contractant ce second mariage. Le titre définitif retenu
par Balzac, Le Colonel Chabert, met ce personnage et sa quête au centre du
récit : paradoxalement, le titre évoque ce à quoi le héros finit par renoncer, son
identité.
Court roman ou nouvelle, ce livre s’étend sur la période de 1780 à 1840, mais
comporte une longue ellipse : une vingtaine d’années sont passées sous si-
lence avant la mort de Chabert. L’essentiel du récit se passe sous la Restaura-
tion et oppose cette société nouvelle à l’ancienne société de l’Empire à laquelle
le colonel appartient. L’auteur utilise le récit enchâssé (sorte de récit dans le
récit) et les analepses (retours en arrière) : par exemple, il donne la parole à
Chabert qui raconte lui-même son histoire.
Le narrateur joue avec les registres pathétique, tragique, fantastique et co-
mique, tout en théâtralisant certaines scènes : Balzac considère en effet que
le roman est un genre propre à englober toute la littérature.

Pour vous évaluer


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 5 : un quiz bilan du chapitre.

94 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Fiche méthode

La nouvelle, bref historique de ce genre


littéraire
Goethe Goethe* pose la question : « qu’est-ce qu’une nouvelle sinon un événement sin-
(1749-1832) gulier et tout à fait nouveau ? » Il se réfère d’abord à l’étymologie ; le mot doit donc
est un écri- être pris au sens propre (écouter les nouvelles à la radio, c’est s’informer sur les
vain allemand, événements récents).
chef de file du
Sturm und Drang
(Tempête et Élan)
Le genre
mouvement Ce genre narratif se caractérise par sa brièveté ainsi que par son inscription dans
littéraire créé en la réalité.
Allemagne vers
1770, en réaction La nouvelle se différencie du roman en ce qu’elle s’attache à un épisode ; elle ne
contre le natio- s’inscrit pas dans la durée.
nalisme et le
classicisme. La nouvelle se différencie du conte, autre genre narratif bref, en ce qu’elle se pré-
sente comme le récit d’une histoire réellement arrivée, quel que soit le caractère
fictif ou même fantastique de cette histoire.

Origine du genre
La nouvelle est un genre ancien, pratiqué en Chine dès le IXe siècle. En Europe, sa
vogue semble avoir commencé aux XIIe et XIIIe siècles. Le premier recueil français,
Les Cent Nouvelles (entre 1456 et 1467) s’inspire du Décaméron (1350-1355) de l’Ita-
lien Boccace. Les faits sont présentés comme réels et récents ; les anecdotes sont
amusantes, grivoises, et la nouvelle est contée par un narrateur, d’où un style oral.
Par la suite, au modèle italien se substitue un modèle Français : Les Nouvelles
exemplaires (1613) de Cervantès. Les nouvelles deviennent plus longues, le do-
maine psychologique est approfondi et le récit revêt des significations multiples
avec plusieurs niveaux de lecture possibles.

Évolution du genre
La nouvelle moderne est née avec la grande presse au XIXe siècle. Le journal a
imposé une longueur au texte : par exemple Kipling (1865-1936) disposait d’une
colonne un quart dans la Civil and Military Gazette. Le journal a aussi influé sur le
contenu même des nouvelles : l’écrivain a souvent été soucieux de ne pas déplaire
aux lecteurs du journal, il a suivi des modes.

Au XIXe siècle
Au XIXe siècle, on distingue deux grandes orientations :
▶ la nouvelle réaliste,
▶ la nouvelle fantastique qui arrive en France sous l’influence de la littérature
russe (Pouchkine, Gogol, Tourgueniev) et des Histoires extraordinaires de Poe
traduites en 1840 par Baudelaire.
Il n’est pas rare qu’un même écrivain pratique les deux genres, comme par exemple
Mérimée ou Maupassant. De plus, beaucoup de nouvelles sont difficiles à classer
car elles sont aux limites du vraisemblable, par exemple Les Diaboliques de Barbey
d’Aurevilly (1808-1889). Il s’ensuit qu’au XIXe siècle, il n’existe pas une distinction
nette entre « conte » et « nouvelle », d’autant qu’il y a toujours un narrateur : Mau-

CNED SECONDE – FRANÇAIS 95


SÉQUENCE

3
passant parle indifféremment de « conte » ou « nouvelle » (Contes de la Bécasse,
1883). Au XXe siècle, ce sont les écrivains anglo-saxons qui ont dominé la nouvelle
(John Steinbeck, Ernest Hemingway, William Faulkner, etc.). Signalons aussi, plus
proches de nous, l’Italien Dino Buzzati et l’Argentin Jorge Luis Borges (1899-1986).

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Les lieux dans Le Colonel Chabert

Objectifs d’apprentissage

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© CNED chapitre 4.

Pour débuter : Histoire

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© CNED pour effectuer l’activité n° 1 qui va vous permettre de comparer
deux tableaux représentant la bataille d’Eylau.

Antoine-Jean Gros,
Napoléon 1er sur le
champ de bataille d’Eylau
© RMN/Daniel Arnaudet.

96 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

Charles Meynier,
Napoléon 1er visitant
le champ de bataille au
lendemain de la bataille
d’Eylau, le 9 février 1807.
Châteaux de versailles
et de Trianon.
© RMN-Grand Palais/
Gérard Blot/
Jean Schorman.

Pour apprendre

A Le colonel Chabert : un homme venu d’ailleurs


Dans cette partie, nous allons étudier la vie du colonel Chabert depuis sa naissance
jusqu’à son retour à Paris, vers 1818-1819. Cette étude va nous permettre de dé-
couvrir le destin d’un soldat de Napoléon à travers son itinéraire géographique.

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pour effectuer les activités n° 2 et n° 3. L’activité n° 2 va vous
permettre de répondre à des questions de lecture cursive, l’acti-
vité n° 3, de compléter une carte retraçant le parcours du colo-
nel Chabert en Europe.

B Le retour vers Paris : la déchéance


Dans cette partie, nous allons poursuivre notre étude du parcours du colonel à par-
tir du moment où il se retrouve à Paris, défiguré et privé d’identité. Cette étude
va être l’occasion de voir comment les lieux sont le reflet des personnages qui y
habitent.

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pour effectuer les activités n° 4 et n° 5. L’activité n° 4 va vous
permettre de répondre à des questions de lecture cursive, l’acti-
vité interactive n° 5 de situer les différents quartiers de Paris
mis en scène dans le roman.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 97


SÉQUENCE

3
C Les lieux de l’échec

1. Groslay, un magnifique piège sous forme de décor de théâtre


Groslay est, contrairement à l’étude et, paradoxalement, décrit comme un lieu
agréable et paisible. C’est pourtant là qu’a lieu « l’assassinat » du colonel. Cet en-
droit est à l’image de la comtesse et de la comédie qu’elle y joue. Beau à l’extérieur,
c’est un véritable décor de théâtre, il est le lieu du crime, où se dissimulent vices
et cruauté. La comtesse a tout prévu : « le colonel vit, en arrivant, tous les apprêts
que nécessitaient son séjour et celui de sa femme » (p. 113). Elle a choisi cette
« délicieuse maison » pour la transformer en piège dans lequel le colonel doit tom-
ber. Tout est calculé : le banc sur lequel elle s’assoit de façon à recréer une entrevue
entre amoureux : elle « alla s’asseoir sur un banc où elle était assez en vue pour
que le colonel vînt l’y trouver aussitôt qu’il le voudrait » (p. 115). Jusqu’au coucher
du soleil : le lieu et l’atmosphère qui y règnent sont paradisiaques : « la soirée était
une de ces soirées magnifiques et calmes dont les secrètes harmonies répandent,
au mois de juin, tant de suavité dans les couchers du soleil » ; « L’air était pur et le
silence profond… on pouvait entendre dans le lointain du parc les voix de quelques
enfants qui ajoutaient une sorte de mélodie aux sublimités du paysage » (p. 115).
La vue est magnifique : « il monta dans le cabinet aérien dont les rosaces de verre
offraient la vue de chacune des ravissantes perspectives de la vallée » (p. 120). Cela
permet à la comtesse de créer « un tableau » touchant : « le soldat fut séduit par
les touchantes grâces d’un tableau de famille, à la campagne, dans l’ombre et le
silence » (p. 118). C’est l’ultime piège, le coup de grâce : « il prit la résolution de
rester mort » (ibidem). Et ceci, jusqu’au moment où le décor s’écroule. Tel un pa-
ravent dans une scène de comédie ou de drame, derrière lequel se cache un per-
sonnage, le kiosque fait office de cachette, permettant d’entendre et de voir sans
être vu. C’est là que le colonel va tout découvrir (p. 119). Jusqu’à la fin, la comtesse
tente de maintenir le décor et son rôle de comédienne. Elle se place là où la vue est
la plus belle : « la comtesse examinait le paysage et gardait une contenance pleine
de calme » (p. 120).

2. Les derniers lieux


L’antichambre du Greffe est l’avant-dernière étape de l’itinéraire du colonel, devenu
mendiant et condamné pour vagabondage. Le lieu est peu décrit mais il prend aus-
sitôt une dimension symbolique. Faisant écho à l’étude d’avoué, il est, lui aussi,
comparé à un égout « ce terrible égout par lequel passent tant d’infortunes ». Moins
décrit que l’étude, il en est le prolongement et offre l’occasion d’une réflexion plus
générale sur la misère et la justice. Deux techniques balzaciennes apparaissent
dans ces évocations de lieux liés à la justice. Le premier lieu, l’étude, a été assez
longuement et précisément décrit pour que le lecteur puisse à la fois l’imaginer et
en saisir la dimension métaphorique. L’antichambre du Greffe est beaucoup moins
décrite, et évoquée de façon plus abstraite et métaphorique. Il s’agit pour le lecteur
de lire avec l’écrivain le message que lui-même a su décrypter en ce lieu. Dans ce
lieu de perdition, le colonel garde toute sa fierté et sa noblesse : « Le vieux soldat
était calme, immobile, presque distrait. Malgré ses haillons, malgré la misère em-
preinte sur sa physionomie, elle déposait d’une noble fierté » (p. 122).

L’Hospice de la Vieillesse est la dernière étape de la triste vie du colonel Chabert.


L’endroit où se trouvent « deux mille malheureux » n’est pas décrit. C’est Derville
qui s’étonne de la forme circulaire qu’a pris la destinée du colonel Chabert. Parti de
rien, il retourne au néant :
« sorti de l’hospice des Enfants trouvés, il revient mourir à l’Hospice de la Vieillesse »
(p. 128).

98 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Pour conclure

À retenir
Dans les romans balzaciens, les lieux ne sont pas un simple décor : l’espace
décrit et reflète ce que sont et ce que vivent les personnages. Les lieux sont
donc en correspondance avec les personnages.

▶ Avant Eylau : Chabert et le rêve de gloire

Le colonel Chabert, dès sa naissance, se présente comme un homme de nulle


part : son identité ne tient pas à un lieu de naissance, car il se dit « enfant
d’hôpital ». Il construit donc son identité grâce à son métier de soldat. Or, les
guerres napoléoniennes lui font parcourir le monde entier et ne l’ancrent pas
en un lieu fixe. Tous ces lieux sont évoqués avec nostalgie et tiennent davan-
tage du mythe napoléonien que d’une réalité durable. Les lieux parcourus
avant Eylau correspondent donc pour Chabert à ses rêves, à un passé glo-
rieux et regretté.

▶ Après Eylau : Chabert et la déchéance

C’est d’abord l’errance qui marque la vie du colonel après la bataille d’Eylau :
chaque lieu traversé est marqué par la souffrance, entre hôpitaux et paille
d’une auberge. Il ne parcourt plus le monde pour le conquérir, mais pour se
reconquérir et cette fois, il échoue.
Les lieux parisiens contribuent à exclure Chabert : il ne reconnaît plus une
ville qui a changé. Les grands travaux de la Restauration ont supprimé des
rues, modifié des noms et ajouté des chaussées. Les modifications urbaines
sont le reflet des transformations sociales qui ont eu lieu en l’absence de
Chabert : il n’a donc plus sa place dans ce nouveau Paris. Le faubourg Saint
Marceau, traditionnellement appelé « terre des morts », est à l’image du colo-
nel qui s’y installe. Ce quartier s’oppose au faubourg Saint Germain, symbole
de réussite sociale où réside la comtesse Ferraud. L’étude de l’avoué Derville
est présentée comme un lieu de vie, d’observation et de justice. Mais, la saleté
qui domine cet espace annonce déjà la souillure morale que subira Chabert.
L’échec sera consommé à Groslay : c’est un véritable théâtre, fascinant et ar-
tificiel où Chabert réalise, derrière le décor et les masques, qu’il est au centre
d’une vaste farce.
Les derniers lieux sont à l’image de la déchéance du héros : l’antichambre
du greffe est comparée à un égout, comme un prolongement de l’étude de
l’avoué. Enfin, l’Hospice de la Vieillesse qui accueille les derniers jours de Cha-
bert fait écho à l’hôpital de sa naissance : parti de rien, il retourne au néant.

Pour vous évaluer

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pour effectuer l’activité n° 6 : un exercice bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 99


SÉQUENCE

3
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Un héros à l’existence problématique

Objectifs d’apprentissage

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© CNED chapitre 5.

Pour débuter : Histoire

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© CNED pour effectuer l’activité n° 1 qui va vous permettre d’étudier un
tableau de Rembrandt.

Rembrandt, La leçon d’anatomie du docteur Nicolaes Tulp, 1632 © akg-images

100 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Pour apprendre

A Le colonel Chabert : de la quête de soi à la perte


de soi
Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer les activités n° 2 et n° 3. L’activité n° 2 va vous
permettre de répondre à des questions de lecture cursive, l’acti-
vité n° 3 d’étudier une gravure de notre héros.

B Lecture analytique d’un portrait du colonel


Vous allez maintenant réaliser une lecture analytique du portrait du colonel Cha-
bert qui se trouve aux pages 60-61, de « Le jeune avoué demeura pendant un moment
stupéfait » à « qu’aucune parole humaine ne pourrait exprimer ».

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le en-


Enr. 11
suite vous-même à voix haute.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer les activités n° 4 à n° 9. Elles vont vous permettre
de réaliser cette lecture analytique, étape par étape, afin que
vous compreniez la méthode pour ce type d’exercice.

C Le colonel Chabert : « enterré vivant »


Vous allez réaliser une lecture analytique du récit de l’expérience hors du commun
qu’a vécu le colonel lors de la bataille d’Eylau (de « Lorsque je revins à moi » à « le
jour, mais à travers la neige, monsieur ! », pp. 66-67). Ce texte, à la différence du texte
précédent, proposé en lecture analytique, n’est pas un portrait mais un récit à la
première personne. Il doit donc être étudié un peu différemment du texte descrip-
tif.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le en-


Enr. 12
suite vous-même à voix haute.

Effectuez l’activité n° 10.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 101


SÉQUENCE

3
D Le colonel Chabert : l’homme d’un passé révolu
Le Colonel Chabert est l’étrange histoire du retour d’un homme qu’on a cru mort et
dont le nom figure sur la liste des morts de la bataille d’Eylau. Ce qui peut paraître
étonnant et peut troubler d’emblée le lecteur est l’ambiguïté dans laquelle s’ins-
crit aussitôt le personnage : d’un côté, il a l’aspect d’un revenant, d’un mort vivant,
d’un autre côté, les gens qui l’entourent, ne croyant pas aux fantômes, se moquent
de lui quand il dit être Chabert, « le colonel mort à Eylau ». Son but est d’obtenir
l’annulation de son acte de décès, de revenir parmi les vivants, de se faire accepter
par eux. Mais le colonel, héros des guerres napoléoniennes, appartient désormais
réellement au monde des morts ; et son épouse, à l’image de la nouvelle société
cupide et corrompue qu’elle incarne, va tout entreprendre pour le faire retourner
dans ce tombeau duquel il a miraculeusement réchappé.

1. La nostalgie d’un passé révolu

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 11. Elle va vous proposer des ques-
tions de lecture cursive.

2. Histoire d’un déterré qui retourne sous terre

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pour effectuer l’activité n° 12. Elle va vous proposer des ques-
tions de lecture cursive.

3. Un homme passionné trop pur pour un monde impur

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pour effectuer l’activité n° 13. Elle va vous proposer des ques-
tions de lecture cursive.

102 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Pour conclure
À retenir
La quête qui occupe Chabert est celle de son identité : donné pour mort à Ey-
lau, il doit reconquérir son existence et se réapproprier son nom.
À l’origine, Chabert n’a ni nom, ni famille : enfant trouvé, il se donne pour père
symbolique Napoléon Ier, se nomme « Chabert, comte d’Empire » et reven-
dique le grade de général. Son rôle dans les armées napoléoniennes lui donne
identité et fierté. Or, le lecteur voit d’abord Chabert par les yeux des clercs, qui
le croient fou et qui doutent de son identité, voire de son existence. Passé pour
mort, Chabert ne semble plus avoir droit de cité. La folie dont on le soupçonne
le rend étranger aux autres et à lui-même : il finit par douter de sa propre
identité. La fosse d’Eylau devient sa mère symbolique et l’exclut du monde
des vivants. En outre, sa femme, comme sa propre mère, l’abandonne et veut
le voir disparaître.
Par deux fois, l’existence lui est refusée : à Eylau, puis à Paris, par la bureau-
cratie judiciaire. Il n’a plus les moyens de justifier de son identité et affirme
« je voudrais n’être pas moi ». Chabert prend conscience qu’il est exclu de
cette société et dépossédé de lui-même. Malgré tout, il tente de renaître : son
espérance et son désir de retrouver son identité le font vivre. Il s’appuie sur
son passé de militaire et d’époux, mais la société a changé et ses arguments
appartiennent à une époque révolue. Il se heurte à une société qui veut le voir
mort et à une justice qu’il ne comprend pas. Pour prouver son passé, il dé-
nonce les origines de la comtesse, qui, blessée, mettra tout en œuvre pour se
venger. C’est elle qui va le déposséder de lui-même, jusqu’à l’anéantir totale-
ment : Chabert donnerait sa vie pour la sauver. Mais lorsqu’il comprend qu’il a
été trahi, désespéré, il renonce définitivement à sa quête par dégoût et ne se
reconnaît plus dans son passé héroïque. Son désir de mourir et de revenir au
néant prend la place de son être. La quête se solde donc par un terrible échec
du héros.
L’énergie qui meut Chabert et lui a donné la force de survivre finit par le tuer :
son honnêteté, son intégrité, sa volonté se sont heurtées à l’hypocrisie sour-
noise de la comtesse. Le spleen qui l’emporte prend ses racines dans son
émotivité et sa naïveté, qualités devenues faiblesses : Chabert est un homme
trop pur pour survivre dans ce monde corrompu.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 14 : un exercice bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 103


SÉQUENCE

3
Fiche méthode

Expliquer un texte descriptif

Dans votre parcours, vous aurez à analyser des extraits de romans que vous ne
connaissez pas, ou bien des extraits de romans lus en œuvre complète. Dans le pre-
mier cas, vous devrez vous appuyer sur les informations données par le paratexte,
c’est-à-dire toutes les informations qui se trouvent autour du texte (chapeau intro-
ductif, nom de l’auteur, titre de l’œuvre, date de sa publication). Dans le second cas,
vous pouvez vous aider du contexte et faire des parallèles entre cet extrait et ce que
vous avez déjà lu et vous interroger sur la fonction du passage à analyser dans le
roman ? Ainsi, Balzac est un écrivain du XIXe siècle et un écrivain réaliste. Il va donc
soigner la précision, le détail et vouloir créer un effet de réel. Demandez-vous si
c’est le cas dans le texte que vous avez à étudier. Mais il est aussi influencé par le
romantisme : vous devez vous poser la même question.

Les différentes étapes de l’analyse d’un texte


descriptif

1. La lecture
Lisez le texte une première fois, sans vous poser de questions, juste pour le plaisir
de découvrir un texte. Puis lisez-le une seconde fois, en essayant d’en comprendre
le sens, et ainsi, plusieurs fois, en vous posant des questions, jusqu’à ce que se
dégagent de grandes lignes, puis peu à peu des détails. À la fin du travail, on a lu le
texte tellement de fois, qu’on doit quasiment le connaître par cœur, l’avoir en tête ;
cela vous prépare à la classe de première, et notamment à l’oral.

2. Quelles questions se poser ?


Attention, il n’y a pas de « recette » pour analyser un texte, mais certaines ques-
tions s’imposent. Elles sont fonction du type de texte : narratif, descriptif, explicatif
ou argumentatif. Sachez vous étonner devant un texte. Qu’a-t-il de particulier et/ou
d’original ? Voici les questions qui se posent lors de la lecture analytique d’un texte
descriptif. Nous prenons en exemple le portrait.

a. Quel est le point de vue adopté ?


Nous l’avons vu dans la première séquence, il existe trois points de vue : point de
vue omniscient, interne, externe. Si le point de vue est interne, le lecteur prendra
la place du personnage qui regarde et éprouvera les mêmes sentiments que lui.

b. Quels éléments constituent la description ? Comment les interpréter ?


– Par quelles expressions le personnage est-il désigné ?
– Le portrait est-il uniquement physique ou est-il aussi moral ?
– Le personnage est-il immobile ou en mouvement ? Quelle est la progression du
portrait ? Du haut vers le bas ?
– A-t-on d’abord une vue d’ensemble puis des détails, ou l’accent est-il uniquement
mis sur quelques éléments jugés significatifs, révélateurs par le narrateur ?

104 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
c. Quels sont les champs lexicaux dominants ?

d. Quels sens sont sollicités ?


Les différents sens sont :
– la vue : quelles couleurs apparaissent ? quels mouvements ou gestes sont notés,
etc. ?
– l’ouïe : des notations sur le timbre de la voix sont-elles faites, par exemple ?
– le goût
– le toucher : aspect de la peau, des tissus
– l’odorat : notations sur des parfums

3. En conclusion, quelles sont les fonctions de l’extrait ?


▶ Pour un portrait :
– Comment peut-on interpréter ce portrait ?
– Que sait-on du personnage, désormais ?
▶ Pour une description :
– Quelle atmosphère est créée ?
– La description a-t-elle une fonction symbolique (refléter les personnages, les
événements) ?
– La description a-t-elle une fonction narrative (annoncer les événements à venir) ?

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

La peinture d’une société :


étude de personnages

Objectifs d’apprentissage

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© CNED chapitre 6.

Pour débuter : Histoire des arts

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© CNED pour effectuer l’activité n° 1 qui va vous proposer l’étude d’une
caricature de « gens de justice ».

CNED SECONDE – FRANÇAIS 105


SÉQUENCE

3
Pour apprendre

A Le comte Ferraud : l’importance d’un personnage


in absentia

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pour effectuer l’activité n° 2. Elle va vous proposer des ques-
tions de lecture cursive.

B La comtesse : une figure cupide et


manipulatrice
La comtesse est un personnage clé de l’œuvre et le seul personnage féminin. C’est
elle qui « tue » Chabert. Sous des dehors enjôleurs et séduisants, elle est froide et
calculatrice, et fait preuve d’une habileté et d’une cruauté étonnantes. Elle est la
femme « sans cœur ». Pour Balzac, elle est un symbole, à l’image de la société qu’il
peint et critique dans cette œuvre.

1. Une progression sociale parfaitement réussie

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pour effectuer l’activité n° 3. Elle va vous proposer des ques-
tions de lecture cursive.

2. Un type humain : « la soif d’or des Parisiennes »


a. La comtesse aux deux maris
La comtesse est effectivement dans une situation difficile, puisqu’elle est « entre
deux maris ». Dans l’analyse que Derville fait de sa situation, le lecteur apprend
que le comte Ferraud regrette son mariage avec elle (« le comte Ferraud avait
conçu quelques regrets de son mariage », p. 98) et qu’elle le sait. Celui-ci l’a
épousée pour sa fortune. Il est clairement dit aussi que l’acquisition de richesses
est le seul moyen de garder son époux avec la métaphore filée de la chaîne : « elle
conçut d’attacher le comte à elle par le plus fort des liens, par la chaîne d’or,
et voulut être si riche que sa fortune rendît son second mariage indissoluble, si
par hasard le comte Chabert reparaissait encore » (p. 98). Or, son seul moyen
d’écarter Chabert est de lui restituer une partie de sa fortune ; il faut donc qu’elle
parvienne à l’écarter sans diminuer sa fortune, pour garder Ferraud. Son pro-
jet est d’obtenir de Chabert qu’il renonce en le séduisant. Elle y parviendra à
Groslay comme nous l’avons déjà étudié. Le narrateur analyse sa peur de perdre
le comte Ferraud ; cette peur est analysée comme une blessure, une maladie :
« Mais quelle plaie ne devait pas faire ce mot dans le cœur de la comtesse, si l’on
vient à supposer qu’elle craignait de voir revenir son premier mari » (p. 98). Son
désir d’anéantir Chabert s’est réalisé par étapes comme Derville l’a bien deviné.
Avant de se rendre chez la comtesse, il réfléchit : « Il se mit à étudier la position
de la comtesse, et tomba dans une de ces méditations auxquelles se livrent les

106 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
grands politiques en concevant leurs plans, en tâchant de deviner le secret des
cabinets ennemis. » Le narrateur omniscient fait entrer avec une extrême habi-
leté le lecteur en même temps dans la pensée de l’avoué et dans les desseins de
la comtesse : « Un coup d’œil jeté sur la situation de M. le comte Ferraud et de
sa femme est ici nécessaire pour faire comprendre le génie de l’avoué » (p. 94). Il
retrace, étape par étape, son parcours :

▶ étape 1 : elle l’avait su vivant, elle l’avait repoussé.

▶ étape 2 : « puis elle s’était plu à le croire mort à Waterloo ». Le verbe « plaire »
introduit une progression.

▶ étape 3 : elle a le projet de « s’attacher son deuxième mari », « si par hasard le


comte Chabert reparaissait encore ». Il est clair que depuis qu’un doute est ap-
paru sur la survivance de Chabert, elle craint son retour, espère sa mort, calcule
au cas où il reviendrait.

▶ étape 4 : réapparition de Chabert.

▶ étape 5 : la comtesse est certaine qu’il est vivant, mais elle l’espère malade ou
fou : « les souffrances, la maladie l’avaient peut-être délivrée de cet homme.
Peut-être était-il à moitié fou ». Grâce au discours indirect libre (répétition de
« peut-être »), le lecteur lit dans ses pensées, ses espérances. L’asile de Cha-
renton se profile alors, annonçant la triste fin du comte et du roman : « Charen-
ton pouvait encore lui en faire raison » (p. 99).

Tout cela, Derville le comprend très bien : « elle serait capable de vous faire tomber
dans quelque piège et de vous enfermer à Charenton », dit-il (p. 109). Rappelons
ce passage déjà cité : « Je veux, je ne veux pas de procès, je veux… » dit la com-
tesse. Derville lui coupe la parole et met en lumière ses vrais désirs : « Qu’il reste
mort » (p. 108). Pour réussir, elle possède plusieurs atouts : elle est belle, rusée,
sans scrupule ni pitié, excellente comédienne. Tout en elle est calculé : elle dispose
d’une beauté naturelle qu’elle sait mettre en valeur pour séduire ; mais cette sé-
duction est mise au service du vice.

b. Une jolie femme, rusée et comédienne


Sa beauté est incontestable. Lorsque Chabert demande à Derville s’il connaît son
épouse et comment elle est, il s’attend à sa réponse : « Toujours ravissante. »
(p. 72). Cette remarque le fait souffrir, lui rappelant un passé perdu. Elle est à
nouveau présentée ainsi par le narrateur lui-même, comme étant « encore jeune
et belle » (p. 97). Cette beauté, comme nous l’avons déjà vu, l’aide à éprouver une
certaine aisance en société : elle « joua le rôle d’une femme à la mode » (p. 97),
c’est « une jolie femme » (p. 100) ; elle sait l’utiliser. La comtesse est attirante,
et elle sait aussi comment se mettre en valeur : c’est ainsi qu’elle apparaît pour
la première fois lorsque Derville lui rend visite : « les boucles de ses cheveux, né-
gligemment rattachés s’échappaient d’un bonnet qui lui donnait un air mutin » ;
elle apparaît « fraîche et rieuse » (p. 100). Plus tard, lorsqu’elle arrive à l’étude,
elle a su, une nouvelle fois, se mettre en valeur : en portant « une toilette simple,
mais habilement calculée pour montrer la jeunesse de sa taille » (p. 105) ; elle
porte « une jolie capote doublée de rose qui encadrait parfaitement sa figure, en
dissimulait les contours, et la ravivait. » (p. 105). Elle est aussi présentée comme
une femme qui vit dans le luxe, « riche des dépouilles » de son premier époux.
Dans une phrase à structure binaire, le narrateur oppose la situation des deux
époux : d’un côté l’une vit « au sein du luxe, au faîte de la société », et l’autre
« chez un pauvre nourrisseur au milieu des bestiaux ». Le lien entre le lieu où elle
vit et elle-même est souligné dans ce passage, sous le regard de Derville : tout
est beau et luxueux : ce n’est qu’« argent, vermeil, nacre », tout est « étincelant » ;

CNED SECONDE – FRANÇAIS 107


SÉQUENCE

3
« des fleurs curieuses (sont) plantées dans de magnifiques vases en porcelaine »
(p. 100). Elle-même est « enveloppée dans un élégant peignoir » (p. 100).
Le narrateur la décrit aussi comme une femme rusée, possédant « tact et finesse
dont sont plus ou moins douées toutes les femmes » (p. 96). Elle utilise cette ha-
bileté auprès de Delbecq : « elle avait su persuader à Delbecq… » (p. 96). Il devient
alors : « l’âme damnée de la comtesse » (p. 97). C’est là qu’on trouve utilisé le verbe
« manier » dans la phrase : « elle savait si bien le manier » (p. 96). Nous avons déjà
vu précédemment comment elle s’est enrichie. Le narrateur emploie à plusieurs
reprises le verbe « savoir » : il s’agit d’un savoir-faire : « savait si bien » « elle avait
su ». Elle a appris aussi à dissimuler : « avait enseveli les secrets de sa conduite
au fond de son cœur » (p. 97). Dans ce même passage, le narrateur parle de son
« avarice » (p. 97).
De plus, c’est une excellente comédienne. Elle joue la comédie auprès de Derville :
« parlez, dit-elle gracieusement » (p. 103). S’engage alors un véritable duel entre
eux. Mais c’est dans l’entrevue entre les deux époux que le caractère de la com-
tesse se manifeste le mieux. Et c’est là que se joue un véritable drame, aboutissant
à la destruction du colonel. Tout est calculé, mis en scène : la moindre parole, le ton,
les gestes, jusqu’au lieu où elle l’emmène, l’apparition finale de ses enfants. Elle
parvient aussitôt, dès le début, à apaiser le colonel qui est très troublé lorsqu’« il
descend lentement » l’escalier qui est « noir » comme ses pensées : « Perdu dans
des sombres pensées, accablé » (p. 110). Elle sait aussitôt comment l’attendrir
en le faisant revenir vers un passé heureux qu’il regrette. C’est pourquoi « elle lui
prend le bras comme autrefois », calcule son ton de voix « redevenue gracieuse ».
L’effet est immédiat, il est bouleversé : « L’action de la comtesse, l’accent de sa voix
(…) suffirent pour calmer la colère du colonel, qui se laissa mener » (p. 110). À par-
tir de ce moment, elle joue constamment la comédie. Lorsqu’ils s’installent dans le
coupé, le narrateur indique avec ironie qu’il « se trouva, comme par enchantement,
assis près de sa femme » (p. 110). Tout ce qui va se passer est calculé : les mots
qu’elle prononce comme « monsieur » de façon à troubler le colonel : « il fallait être
comédienne pour jeter tant d’éloquence, tant de sentiments dans un mot » (p. 111).
Les commentaires du narrateur mettent en valeur, avec lyrisme, le trouble du co-
lonel : « une de ces émotions rares dans la vie, et par lesquelles tout en nous est
agité… » (p. 110). Dans tout le passage, on trouve la métaphore filée de la comédie.
À plusieurs reprises, le narrateur omniscient se montre partial. S’il lit dans la pen-
sée de son personnage et juge la comtesse, c’est aussi pour montrer ses vices qui
sont, à ses yeux, les vices d’autres femmes « de son espèce ».

c. Un type humain : une Parisienne, sans cœur et assoiffée d’or


La comtesse représente dans ce roman un type humain où se mêlent la « femme
sans cœur » et la Parisienne assoiffée d’or. « Elle n’a pas de cœur », dit Chabert
(p. 109), « Votre femme ne s’est pas fait scrupule de tromper les pauvres », dit Der-
ville (p. 88). Lorsque Chabert lui rappelle son passé, le regard « venimeux » qu’elle
lui lance est significatif : dans la théorie de Balzac sur les tempéraments, elle est
du côté du serpent, et donc du diable. Les phrases qui l’évoquent sont souvent au
présent de vérité générale, ou la placent dans une catégorie. La comtesse n’est
alors plus un individu : ces phrases présentent avec misogynie ce type de femme
comme un être pervers et dangereux. Nous avons déjà cité la phrase évoquant son
« tact et (sa) finesse dont sont plus ou moins douées toutes les femmes » (p. 96).
On trouve beaucoup d’autres phrases du même type : « Cette soif d’or dont sont
atteintes la plupart des Parisiennes » (p. 97), « une jolie femme ne voudra jamais
reconnaître son mari… » (p. 100), « malgré les mensonges sous lesquels la plupart
des femmes parisiennes cachent leur existence » (p. 100), « avec toute la violence
d’une petite maîtresse » (p. 101), « Elle reprit avec le sang-froid naturel à ces sortes
de femmes » (p. 102). Dans certaines phrases, elle parvient à vivre tout en étant
dévorée par un mal profond : le narrateur utilise l’image du cancer (p. 98 et 99) ou

108 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
d’autres images : « Il existe à Paris beaucoup de femmes qui, semblables à la com-
tesse Ferraud, vivent avec un monstre moral inconnu, ou côtoient un abîme ; elles
se font un calus à l’endroit de leur mal, et peuvent encore rire et s’amuser » (p. 99).

3. Commentaire littéraire : « La comtesse, une excellente


comédienne »
Vous allez aborder l’exercice écrit du commentaire littéraire à partir de l’étude du
passage allant de « L’air de vérité qu’elle sut mettre » à « une image d’elle-même
à laquelle elle ne ressemble plus » (p. 114). Commencez par lire la Fiche méthode
expliquant comment faire un commentaire.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le en-


Enr. 13
suite vous-même à voix haute.

Effectuez les activités n° 4 à n° 7.

C Derville, un homme de loi intègre


Balzac se veut le « secrétaire » de la société dont il entend décrire les mécanismes.
Le colonel Chabert présente ainsi la confrontation d’un héros avec la société, celle
de la Restauration, au travers du monde judiciaire. En effet, le roman est construit
autour d’une procédure où intervient le jeune avoué Derville, en tant que repré-
sentant de Chabert. Ce personnage va permettre au lecteur de découvrir le monde
judiciaire où est rendue une justice inique3. Y échouent les misérables, broyés par
l’appareil judiciaire, et s’y accumulent les secrets honteux des puissants impu-
nis. Pour bien comprendre la place et la signification de ce personnage au sein de
l’œuvre, nous vous proposons un questionnaire de lecture cursive.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 8. Elle va vous proposer des ques-
tions de lecture cursive.

3. inique : injuste.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 109


SÉQUENCE

3
Pour conclure
À retenir
Chaque personnage balzacien représente un « type » humain caractéristique.
Le comte Ferraud est un aristocrate habité par une ambition dévorante : il est
prêt à répudier sa femme pour s’assurer une position sociale meilleure. Il re-
présente donc le type social de l’opportuniste sous la Restauration.
La comtesse Ferraud, seul personnage féminin, est à l’origine de la « se-
conde » mort de Chabert : sans cœur, cupide et avare, elle n’a aucune pitié
pour Chabert. Elle est pourtant une ancienne prostituée qui a acquis sa for-
tune et sa place dans la société par son mariage avec Chabert sous l’Empire.
Lors de la Restauration, par son second mariage, elle intègre l’aristocratie et
s’adapte parfaitement à cette nouvelle société. Elle refuse donc catégorique-
ment de prendre le moindre risque avec le retour du colonel : consciente de
ses charmes, elle le manipule et le séduit pour obtenir ce qu’elle souhaite.
Excellente comédienne, rusée, elle n’est mue que par la soif de l’or. Elle sym-
bolise la femme ambitieuse et sans scrupule.
Derville, l’avoué, est un personnage central du roman. Intelligent, travailleur
acharné, respectueux et poli, généreux et clairvoyant, il sait s’adapter aux si-
tuations. Combatif et ambitieux, il fréquente, par son métier, la haute société
et se montre fin politique. Il sait lire au fond des âmes. Double du romancier,
il exprime ses analyses dans de longs monologues intérieurs. Parfois même,
il devient porte-parole de l’écrivain et plaide pour la vraisemblance roma-
nesque. Son objectif est de faire régner la justice, de protéger les faibles et les
bons. Mais, lucide, il sait que la justice ne permet à personne de se racheter.
Contrairement à Delbecq, il incarne le type de l’homme honnête et intègre.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 9 : un quiz bilan du chapitre.

110 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Fiche méthode

Le commentaire littéraire
Attention, commenter n'est pas : L’épreuve porte sur un texte relevant des divers genres litté-
raires (poésie, théâtre, récit, littérature et idées…) Ce texte
▶ faire des considérations vagues à est accompagné de toutes les références et indications indis-
propos de l’auteur, avec, de temps pensables.
en temps, une référence au texte ;
Le commentaire est toujours organisé, composé : il faut donc
▶ paraphraser le texte, c’est-à-
dégager du texte deux ou trois points essentiels autour des-
dire en répéter le contenu en
quels s’ordonneront les remarques.
termes légèrement différents.
Le commentaire, dans les séries Il convient d’étudier simultanément le fond et la forme. Les
d’enseignement général, ne fait remarques relatives au style ou à la versification soulignent
pas l’objet d’un libellé particulier. toujours l’effet produit et sont indissociables de l’idée ou du
sentiment exposé.
Que faut-il entendre par « forme » ?
– l’étude du vocabulaire ;
– les procédés rhétoriques (ou procédés de style) ;
– la versification s’il s’agit d’un poème ;
– la syntaxe, surtout le jeu des personnes et des temps.

1. Travail préparatoire
Il vaut mieux commencer par regarder à quel genre littéraire et à quel type de texte
on a affaire (voir tableau page suivante).
→ Ce travail préparatoire permet d’éviter les omissions importantes.

Type de genre littéraire Questions préparatoires


▶ Si le texte à expliquer est extrait De quoi s’agit-il ?
d’une nouvelle, ou d’un roman, Qui voit ? Qui parle ? À qui ?
on se pose les questions tradi- Où ? Quand ? Comment ?
tionnelles.
▶ Si le texte est un poème, on se De quoi s’agit-il ?
posera les mêmes questions Qui voit ? Qui parle ? À qui ?
mais en accordant une grande Où ? Quand ? Comment ?
importance à la versification. Quel usage des règles de la versification, de
la prosodie observez-vous ?
▶ Si le texte est tiré d’une pièce Y a-t-il des didascalies ?
de théâtre, d’autres questions Qui entre en scène le premier (et pourquoi) ?
spécifiques à ce genre viennent Qui parle le plus (et pourquoi) ?
s’ajouter. Y a-t-il des personnages muets ?
Quelle est leur utilité ?

2. Élaboration du plan
Votre commentaire doit s’articuler autour de deux ou trois axes qui correspondent
à une problématique qui sera indiquée très clairement dans l’introduction : « Nous
voulons montrer que l’auteur ou que le texte… », par exemple : « nous voulons mon-
trer que l’auteur transfigure la réalité », « nous montrerons que, sous ses appa-
rences réalistes, ce texte est fantastique»... Il ne suffit pas de trouver deux ou trois
grandes parties ; à l’intérieur de chacune, des sous-parties sont indispensables.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 111


SÉQUENCE

3
Ceci dit, le commentaire comporte toujours : ▶ une introduction,
▶ un développement,
▶ une conclusion.
3. L’introduction
Elle comporte trois parties :
▶ La présentation du texte
Quand on présente un texte, on indique :
– le nom de l’auteur, – la date de parution,
– le titre de l’œuvre, – le genre littéraire.
→ Ceci est toujours indiqué dans l’énoncé du sujet.
▶ Le contenu du texte
Le contenu du texte sera énoncé très brièvement, en une ou deux phrases ; on pré-
cisera le type du texte et, si nécessaire, le registre.
▶ L’annonce du plan
L’annonce du plan se fait en même temps que l’exposé de la problématique : « Nous
montrerons dans un premier temps que… puis que… ».
Elle est isolée du développement par deux lignes blanches.

4. La conclusion
Elle comporte deux parties :
▶ La récapitulation
Dans la récapitulation, on tente de préciser les qualités propres au texte en résu-
mant très brièvement le développement.
▶ L’ « ouverture » sur d’autres textes
Pour ce qui est de l’ouverture, on établira des rapports d’opposition ou de ressemblance
avec d’autres textes, d’autres auteurs ou d’autres mouvements littéraires. Quand il
s’agit d’un sujet de type bac, on fait une ouverture sur les autres textes du corpus.
Comme l’introduction, elle est isolée du développement par deux lignes blanches.

5. La rédaction du développement
▶ Les citations
Vous devez impérativement vous appuyer sur le texte ; aussi les citations se-
ront-elles nombreuses. Elles seront relativement courtes et exactes (toujours
entre guillemets). Elles doivent être bien intégrées à votre devoir. Amenées par
une phrase, elles doivent aussi être parfaitement compréhensibles. Enfin chaque
citation sera commentée, tant pour le fond que pour la forme (si possible).
▶ La rédaction proprement dite
– Sautez deux lignes entre l’introduction et le développement entre le développement
et la conclusion. Sautez une ligne entre chaque grande partie du développement.
– Quand vous abordez une grande partie du développement, annoncez-en ou rappe-
lez-en le contenu ; et à la fin de chacune, procédez à une récapitulation en une phrase.
– En passant d’une partie à l’autre, ménagez des transitions qui, en rappelant l’idée
directrice de la partie précédente dans un premier temps, annoncent ensuite
celle de la partie suivante.
– Chaque partie est subdivisée en sous-parties, qui se présentent sous la forme
de paragraphes. Chaque paragraphe comporte une phrase d’introduction et une
phrase de conclusion qui le relie au reste du développement. Pensez à utiliser
des connecteurs logiques qui mettront en valeur la structure de votre devoir.
Ainsi, votre devoir donnera l’impression de former un tout.

112 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Le rapport des hommes à l’argent au


XIXe siècle

Objectifs d’apprentissage
Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du
chapitre 7.
© CNED

Pour débuter : Histoire des arts


Rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité interactive n° 1
qui va vous proposer l’étude de Quentin Metsys intitulé « Le prê-
© CNED
teur et sa femme ».

Pour apprendre

A Étude d’un corpus

Rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité interactive n° 2. Elle


porte sur un corpus de 4 textes où l’argent et les biens matériels oc-
cupent une place clé :
▶ Mérimée, Mateo Falcone ; ▶ Hugo, Les Misérables ;
▶ Balzac, Eugénie Grandet ; ▶ Maupassant, La Parure.

B Lecture cursive : Zola, La Curée


Vous venez de lire et étudier des extraits d’œuvres traitant du rapport des hommes
à l’argent, problématique qui a fait et fait toujours couler beaucoup d’encre. Vous
allez maintenant lire un roman naturaliste de Zola, intitulé La Curée. Le thème de
l’argent y est central : le personnage principal, Saccard, se lance dans la spécu-
lation immobilière lors des grands travaux du baron Haussmann à Paris. Vous y
verrez qu’argent, pouvoir et séduction ont fortement partie liée.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 3.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 113


SÉQUENCE

3
Pour conclure
À retenir
Dans les romans du XIXe siècle, l’argent est un thème récurrent. Dans cette
société en mutation, la bourgeoisie prend son essor et tire sa puissance so-
ciale des finances qu’elle détient. Cette évolution sociale amène les roman-
ciers à s’interroger sur la place de l’argent dans la vie de leurs personnages.
Dans Les Misérables, Hugo peint Thénardier, un homme sans scrupule, prêt à
détrousser les morts, jusque sur le champ de bataille. Le père Grandet, héros
balzacien représente le type de l’avare, enfermé dans sa soif d’or, possédé
par cette passion destructrice, insensible à la bonté de sa fille Eugénie. Thé-
nardier comme Grandet donne à l’argent une dimension sacrée : tous deux
semblent avoir vendu leur âme au diable. Dans Mateo Falcone de Mérimée,
Fortunato est un enfant qui cède à la tentation de l’argent, manipulé par un
adjudant sans scrupule. L’enfant voit la montre qu’on lui fait miroiter comme
un trésor : placé face à un dilemme, Fornutato hésite entre l’honneur et la
convoitise, mais se laisse emporter par la deuxième et trahit ainsi le soldat
qu’il cachait. Mathilde, l’héroïne de la nouvelle La Parure de Maupassant, ne
peut supporter l’inadéquation entre sa réalité et ses rêves : attirée par la ri-
chesse, fascinée par le luxe et l’apparence, elle ne parvient pas à apprécier
sa vie réelle, modeste et sans artifices, et ne peut être heureuse. La Curée de
Zola présente le parcours d’Aristide Rougon, devenu Saccard, qui s’enrichit par
son mariage puis par la spéculation et se retrouve pris au piège de sa passion
dévorante pour l’argent. Il n’éprouve même plus de jalousie face à sa femme
adultère, dès lors qu’elle participe à ses spéculations immobilières. Renée,
l’épouse délaissée, comprend qu’elle n’est plus qu’une « valeur dans le por-
tefeuille de son mari » et s’enfonce dans le remord et l’amertume nés de sa
relation incestueuse avec Maxime, son beau-fils.
Chacun de ces auteurs cherche ainsi à montrer comment l’argent corrompt
le rapport des personnages à la réalité : le goût des biens matériels finit par
primer sur ce qui devrait être l’essentiel, l’amour.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 4 : un quiz bilan du chapitre.

114 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour clore votre séquence

À retenir
Dans cette séquence, l’étude du court roman Le Colonel Chabert vous a permis
de découvrir Honoré de Balzac dont le projet était de peindre une immense
fresque de la société de son temps dans la Comédie Humaine, un ensemble
de romans dont les personnages seraient récurrents. Son projet pharaonique
était ainsi de « faire concurrence à l’État civil » : il voulait créer par la littéra-
ture une société plus vraie que nature. Convaincu que l’espace de vie du per-
sonnage révèle son identité, Balzac s’attache à la description minutieuse des
lieux, des personnages, des métiers, des habitudes de chacun. Le personnage
balzacien représente un type social caractéristique du début du XIXe siècle.
Ainsi Chabert est-il le modèle du soldat napoléonien, intègre, honnête, mais
inadapté à la société post-napoléonienne où l’argent a pris la place de l’hon-
neur. Le récit confronte ainsi Derville et Chabert, des personnages mus par
leur foi en des valeurs d’un autre temps (honneur, travail, volonté, intégrité)
à la comtesse Ferraud et son mari, représentatifs d’une société où l’ambition
et l’opportunisme permettent toutes les trahisons. Le roman mêle différentes
modalités narratives (récit enchâssé, analepse, récit théâtralisé, association
de registres variés) pour mieux rendre compte de la mutation profonde de la
société du XIXe siècle. L’argent pour Balzac est l’énergie vitale qui meut la
société de son temps et les personnages qui l’habitent. Face à cette force, les
valeurs morales et les sentiments qui leur sont liés, n’ont plus aucun pouvoir
et excluent les êtres qui en sont imprégnés : Chabert ne pourra plus reprendre
sa place dans une société qu’il ne comprend plus et qui refuse de l’accueillir,
tandis que la comtesse, guidée par sa cupidité et son arrivisme, conservera sa
position sociale.

Approfondissement

Si vous voulez aller plus loin rendez-vous en ligne pour effectuer les
activités interactives n° 1 et n° 2. Elles vous permettront de lire des
extraits d’œuvres du XXe siècle, traitant de la problématique du rapport
des hommes à l’argent.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 115


SÉQUENCE

3
Fiche méthode

Le vocabulaire de l’analyse littéraire

Analepse retour en arrière. Le récit, au lieu d’être linéaire ou chronologique, retourne dans le
passé, pour expliquer des événements ou affiner la psychologie d’un personnage.
Au cinéma, l’analepse s’appelle un « flashback ».

Asyndète absence volontaire de liaisons entre les phrases ou les propositions d’une même
phrase.
Ex : Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu.

Double au théâtre, la double énonciation existe lorsque les personnages, surtout dans les
énonciation scènes d’exposition, annoncent à leurs protagonistes, tel événement, passé ou fu-
tur. Cette annonce sert d’information à la fois aux autres personnages et aux spec-
tateurs. C’est ce que l’on appelle la double énonciation.

Ellipse dans une ellipse dans le temps est une absence de narration. Le temps de la narration
le temps est en général très court alors que le temps du récit couvre souvent plusieurs mois
voire plusieurs années. On peut trouver, par exemple : quelques années plus tard,
quelques mois après.

Éponyme un personnage est dit « éponyme » lorsque son nom constitue le titre de l’ouvrage
ou inversement. Outre Le Colonel Chabert, nous pouvons donner comme exemple
Phèdre et Andromaque de Racine.

Fantastique le fantastique se distingue du merveilleux des contes de fées, par l’apparition sou-
daine d’un événement étrange et inquiétant, dans un monde réel.

Focalisation en littérature, le narrateur peut adopter différents points de vue. Si le narrateur


(ou point de vue) décrit en donnant l’impression de tout voir et de tout savoir, il s’agit d’un point de
vue omniscient. Si un personnage ou un lieu est vu par un personnage du récit, on
appelle ce point de vue, le point de vue interne. Si le narrateur décrit juste ce qu’il
voit, comme une caméra, il s’agit d’un point de vue externe.

Hyperbole figure qui consiste à amplifier le sens d’un énoncé en présentant les choses bien
au-dessus ou bien au-dessous de ce qu’elles sont. Ex : Il est mort de fatigue.

Litote figure qui consiste à atténuer le contenu des propos pour, en fait, exprimer plus. Ex :
Ce n’est pas mauvais pour signifier C’est excellent.

Mise en abyme expression utilisée en peinture. Dans certains tableaux, le peintre introduit un mi-
roir qui reflète une partie du tableau. Le tableau apparaît donc en miniature à l’in-
térieur du tableau lui-même. Ce procédé se retrouve en littérature : l’écrivain insère
dans son récit un élément qui est le reflet du récit lui-même. L’exemple habituel est
la boîte de « vache qui rit », où le procédé est appliqué à l’infini : s’y trouve représen-
tée une vache qui a pour boucle d’oreille une boîte de « vache qui rit », dans laquelle
une vache a pour boucle d’oreille, etc.

Prétérition figure de style où l’on commence par indiquer qu’on ne veut pas exprimer ce qui est
néanmoins exposé dans la suite de la phrase ou du discours. Ex : Inutile de vous rap-
peler toute l’importance que j’accorde à ce projet ; je n’ai pas l’intention de vous raconter
que j’ai rencontré Pierre sortant du bar tôt ce matin.

116 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

3
Prolepse contrairement à l’analepse, la prolepse est un procédé narratif qui consiste, pour le
narrateur, à laisser entrevoir l’avenir, que ce soit un événement ou le dénouement
de l’intrigue.

Récit enchâssé un récit est dit « enchâssé » lorsqu’il fait partie d’un autre récit. Par exemple, un
personnage raconte une histoire à l’intérieur de laquelle un autre personnage ra-
conte une histoire. Les Mille et une nuits constitue l’un des plus célèbres des récits
enchâssés.

Récit rétrospectif cette sorte de récit, comme son nom l’indique, est un récit du passé. Le personnage
se retourne vers son passé pour le raconter.

Scène dans un roman, comme au théâtre, quand le temps du récit est égal au temps de la
narration, on parle de scène. Une scène est l’exact contraire de l’ellipse. Monolo-
gues ou dialogues y sont en général présents.

Théâtralisation il s’agit, dans un roman, de traiter une scène comme s’il s’agissait d’une représen-
tation théâtrale. Les indications du narrateur ressemblent à des didascalies et la
scène est en général très vivante.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 117


Sommaire

Séquence 4
Tragédie et comédie au XVIIe siècle

Chapitre 1 Pour débuter votre séquence ................................................................................ 121

Chapitre 2 La comédie au XVIIe siècle .......................................................................................... 123


A. Les sources de la comédie classique
B. Les différents genres de comédies
C. Les personnages de comédie
D. Les différents ressorts de la comédie

Chapitre 3 Visages de la comédie, de Molière à nos jours ............................ 132


A. Châtier les mœurs par le rire
B. La comédie du mariage
C. L’utilisation comique du quiproquo
D. Pour aller plus loin…
E. Évolution de la comédie, du XVIIIe au XXe siècle

Fiche méthode ..................................................................................................................................................................... 141

Chapitre 4 La tragédie au XVIIe siècle .......................................................................................... 143


A. La tragédie grecque, source de la tragédie française
B. La tragédie classique et ses règles
C. Héros et héroïnes de tragédie

Chapitre 5 Autour de la tragédie classique .......................................................................... 150


A. Cruels dilemmes
B. Un dénouement inhabituel
C. Le devenir de la tragédie aux XIXe et XXe siècles
D. Lecture cursive : Britannicus, Jean Racine

Chapitre 6 Pour clore votre séquence ......................................................................................... 164

Fiche méthode Comédie et tragédie ............................................................................................... 165

Fiche méthode Le vocabulaire du théâtre ............................................................................. 166

CNED SECONDE – FRANÇAIS 119


SÉQUENCE

4 Objectifs

Objet d’étude – Texte 2 : Corneille, Polyeucte, 1643


– Texte 3 : Jean Racine, Bérénice, 1671
La tragédie et la comédie au XVIIe siècle : le clas-
sicisme ▶ Un groupement de textes extraits de comédies
du XVIIIe au XXe :
– Texte 1 : Marivaux, Les Fausses confidences,
Objectifs 1737
– Texte 2 : Beaumarchais, Le Barbier de Séville,
▶ Découvrir l’esthétique de la comédie et de la
1775
tragédie au XVIIe siècle
– Texte 3 : Musset, On ne badine pas avec l’amour,
▶ Établir des liens entre le théâtre classique et 1834
le théâtre antique – Texte 4 : Feydeau, Feu la mère de Madame, 1908
▶ Acquérir des notions d’histoire littéraire en
▶ Un groupement de textes extraits de tragédies
resituant la tragédie et la comédie dans leur du XIXe au XXe :
évolution
– Texte 1 : Victor Hugo, Hernani, 1830
▶ Apprendre à commenter un texte théâtral
– Texte 2 : Victor Hugo, Lucrèce Borgia, 1833
▶ Distinguer la notion de genre de celle de re- – Texte 3 : Jean Cocteau, La Machine infernale
gistre 1934
– Texte 4 : Jean Anouilh, Antigone, 1944
Textes et œuvres ▶ Une lecture cursive :
Jean Racine, Britannicus, 1669
▶ Un groupement de textes extraits de comédies
du XVIIe siècle :
– Texte 1 : Molière, Les Précieuses ridicules Fiches méthode
– Texte 2 : Molière, George Dandin
▶ Analyser le texte théâtral
– Texte 3 : Molière, Le Malade imaginaire
▶ Comédie et tragédie
▶ Un groupement de textes extraits de tragédies
du XVIIe siècle : ▶ Le vocabulaire du théâtre
– Texte 1 : Corneille, Le Cid, 1637

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120 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour débuter votre séquence

Pour vérifier vos connaissances

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices pour ef-


fectuer l’activité n° 1 : un quiz d’autoévaluation.

Pour vous construire une culture littéraire


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 2 qui vous permettra de compléter
une frise chronologique.

Propositions de lecture

Afin de vous forger une culture littéraire personnelle qui vous permettra de
mieux saisir le phénomène du classicisme dans son ensemble, nous vous
invitons à lire attentivement les extraits qui se trouvent dans la séquence,
mais aussi à étudier les documents iconographiques que nous avons rete-
nus. Nous vous invitons également à flâner dans la liste ci-dessous, et à lire,
pour le plaisir, certaines des œuvres qui suivent.

▶ Tragédies

Racine, Andromaque
Andromaque, reine troyenne veuve d’Hector, est captive du roi grec Pyrrhus,
fils du grand Achille qui a vaincu le héros troyen. Astyanax, son fils, ne pour-
ra rester en vie que si sa mère épouse le roi Grec. Comment sortir de ce
dilemme ?
Racine, Phèdre
Phèdre, épouse de Thésée, tombe éperdument amoureuse d’Hippolyte, son
beau-fils. Comment sortir de cette passion dévorante et incestueuse ?
Corneille, Médée
Médée, la magicienne, répudiée par Jason, décide de se venger : elle pro-
voque la mort de sa rivale, mais n’est pas satisfaite. L’infanticide achèvera
sa vengeance…
Corneille, Le Cid
Rodrigue et Chimène s’aiment, mais leur union est contrariée : le père de
Rodrigue a été provoqué en duel par celui de Chimène. Rodrigue doit laver
l’affront de son père. Acceptera-t-il ce devoir ou choisira-t-il de préserver
son amour pour Chimène ?

CNED SECONDE – FRANÇAIS 121


SÉQUENCE

4
▶ Comédies

L’œuvre de Molière vous est ouverte : faites votre choix !

Quelques pièces d’accès aisé :


L’Avare
Harpagon, vieil avare maladif, souhaite épouser une jeune fille, tout en ma-
riant sa fille à un vieil homme et son fils à une veuve. Ses enfants ne sont pas
prêts à céder à l’autorité paternelle.
Le Malade imaginaire
Hypocondriaque, Argan veut marier sa fille à un jeune médecin, pour s’as-
surer ainsi des soins médicaux à domicile. Toinette, la domestique, fera tout
pour que sa maîtresse puisse épouser celui qu’elle aime.
Les Précieuses ridicules
Deux jeunes femmes séduites par la mode de la préciosité sont piégées par
leurs prétendants.
Le Bourgeois gentilhomme
Monsieur Jourdain, bourgeois de son état, prétend devenir aristocrate en
imitant naïvement le mode de vie des nobles.
George Dandin
Dandin accède à l’aristocratie par son mariage, mais se voit détesté et ridi-
culisé par son épouse et sa famille.

Quelques pièces demandant une lecture plus rigoureuse (et vous prépa-
rant à la classe de première) :
Le Misanthrope
Alceste déteste ses congénères et la société dans laquelle il vit mais tombe
amoureux de Célimène. Quels compromis est-il prêt à faire pour séduire
cette jeune femme ?
Tartuffe
Tartuffe, faux dévot hypocrite, manipule Orgon, devient son directeur de
conscience et tente de séduire la femme de celui-ci.
Dom Juan
Don Juan, noble libertin, accumule les conquêtes amoureuses et délaisse
chaque femme aimée. Hypocrite, infidèle, blasphémateur, rien ne semble
l’arrêter.

122 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

La comédie au XVIIe siècle

Objectifs d’apprentissage

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chapitre 2.
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Pour débuter : Histoire des arts


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pour effectuer l’activité n° 1 qui vous propose l’étude de la com-
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position d’une troupe de comédie des masques, Histoire du
théâtre dessinée, A. Degaine, 1992.

Pour apprendre

A Les sources de la comédie classique


Les genres comiques au théâtre existent depuis l’Antiquité et de nombreuses pièces
sont adaptées à partir de ces chefs-d’œuvre anciens.
Mais la comédie se nourrit aussi de la farce, venue tout droit du Moyen Âge. C’est
un genre varié, qui s’inspire aussi du théâtre italien et de la commedia dell’arte. On
peut donc partir de l’idée selon laquelle la comédie est un creuset où se trouvent
des influences anciennes et des préoccupations nouvelles.
L’on peut retenir trois sources principales pour la comédie classique, et qui conti-
nueront d’influencer la pratique de la comédie aux XVIIIe et XIXe siècles :
– la comédie antique (grecque et latine) ;
– la farce médiévale ;
– la commedia dell’arte (comédie qui apparaît au XVIe siècle en Italie).

1. Un genre apprécié depuis l’Antiquité


Dès l’Antiquité, la comédie est un genre important et reconnu. La célèbre Poétique
d’Aristote qui pose les règles de la tragédie aurait dû être composée d’un second
volet consacré à la comédie, mais le texte en a été perdu. La comédie antique,
comme la tragédie, aurait une origine religieuse (fêtes en l’honneur de Dionysos).
Le principal représentant de la comédie classique grecque est Aristophane, dont
on a conservé onze comédies, même s’il en a probablement écrit plus de quarante.
La comédie antique repose sur quelques principes que réemploiera la comédie
classique. Les intrigues des comédies athéniennes des Ve et IVe siècles avant J.-C.,

CNED SECONDE – FRANÇAIS 123


SÉQUENCE

4
en particulier celles d’Aristophane, mettent en scène des événements de la vie de
la Cité. Les pièces ont alors une fonction satirique et obéissent à une composition
précise dont on retrouve la trace dans la comédie classique de la seconde moitié du
XVIIe siècle. Les comédies grecques n’hésitent pas à recourir à des plaisanteries
scabreuses ou scatologiques.

La comédie grecque évolue à partir du IVe siècle : ses décors et ses personnages
changent. Ainsi le lieu de l’action devient le plus souvent l’intérieur d’une maison
et l’intrigue suit une ligne plus cohérente que par le passé. Apparaissent aussi des
types et des situations qui sont ceux de la comédie classique :
– de jeunes héros veulent se marier mais leurs projets sont contrecarrés ;
– l’esclave (ancêtre du valet) est rusé et déjoue les pièges ;
– des personnages de fanfaron viennent égayer la pièce (soldat, cuisinier…).

Ménandre, principal représentant de cette comédie, influencera Corneille et Molière


dans leurs propres comédies. La Fontaine le cite à plusieurs reprises dans ses Fables.

À Rome, Plaute et Térence poursuivent la veine de Ménandre. Les pièces traduites


et mises en scène de ces deux auteurs de comédies remportent un très vif succès
auprès des lettrés du XVIIe siècle et Molière imitera La Marmite de Plaute dans
L’Avare. La comédie latine est un genre très vivant et très varié. On retiendra ses
principales orientations :
▶ les courtes farces : elles sont jouées par des acteurs masqués et comportent
une grande part d’improvisation. Ce sont les ancêtres de la commedia dell’arte.
▶ les spectacles de mime : ce ne sont pas des spectacles muets mais des situa-
tions prosaïques représentées grâce à la parole et à la danse.
▶ les pantomimes : spectacles dansés, ils figurent des sujets mythologiques.
▶ les fabulae : ce terme désigne des pièces de genres différents, notamment des
comédies imitées des comédies grecques.
La comédie à Rome développe le jeu des acteurs masqués, mais aussi le goût des
décors et des costumes. Au XVIIe siècle, les comédies latines n’ont pas cessé d’être
représentées. Molière, quand il se produit en province avec sa troupe, « L’Illustre
théâtre », donne des comédies de Plaute et de Térence.

Découvrir l’origine antique du comique de farce

Document 1
Plaute, La Marmite (acte I, scène I)
La Marmite (Aulularia) est l’une des pièces les plus célèbres de Plaute.
Euclion possède une marmite pleine d’or et craint qu’on ne la lui dérobe. Toute l’intrigue
est construite autour de cet objet. Il cherche un endroit pour la cacher, jusqu’à ce qu’on
la lui dérobe et qu’il entre dans une folie furieuse. La pièce comporte de nombreuses
scènes bouffonnes et utilise un comique souvent farcesque.

EUCLION. Allons, sors ; sors donc. Sortiras-tu, espion, avec tes yeux fureteurs ?
STAPHYLA. Pourquoi me bats-tu, pauvre malheureuse que je suis ?
EUCLION. Je ne veux pas te faire mentir. Il faut qu’une misérable de ton espèce ait
ce qu’elle mérite, un sort misérable.
STAPHYLA. Pourquoi me chasser de la maison ?
EUCLION. Vraiment, j’ai des comptes à te rendre, grenier à coups de fouet. Éloigne-
toi de la porte. Allons, par là (lui montrant le côté opposé à la maison). Voyez comme

124 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
elle marche. Sais-tu bien ce qui l’attend ? Si je prends tout à l’heure un bâton, ou un
nerf de bœuf, je te ferai allonger ce pas de tortue.
STAPHYLA, à part. Mieux vaudrait que les dieux m’eussent fait pendre, que de me
donner un maître tel que toi.
EUCLION. Cette drôlesse marmotte tout bas. Certes, je t’arracherai les yeux pour
t’empêcher de m’épier continuellement, scélérate ! Éloigne-toi. Encore. Encore.
Encore. Holà ! Reste-là. Si tu t’écartes de cette place d’un travers de doigt ou de
la largeur de mon ongle, si tu regardes en arrière, avant que je te le permette, je
te fais mettre en croix pour t’apprendre à vivre. (À part) Je n’ai jamais vu de plus
méchante bête que cette vieille. Je crains bien qu’elle ne me joue quelque mauvais
tour au moment où je m’y attendrai le moins. Si elle flairait mon or, et découvrait la
cachette ? C’est qu’elle a des yeux jusque derrière la tête, la coquine. Maintenant,
je vais voir si mon or est bien comme je l’ai mis. Ah ! Qu’il me cause d’inquiétudes
et de peines.
(Il sort.)
STAPHYLA, seule. Par Castor ! je ne peux deviner quel sort on a jeté sur mon maître,
ou quel vertige l’a pris. Qu’est-ce qu’il a donc à me chasser dix fois par jour de la
maison ? On ne sait, vraiment, quelle fièvre le travaille. Toute la nuit il fait le guet ;
tout le jour il reste chez lui sans remuer, comme un cul-de-jatte de cordonnier.
Mais moi, que devenir ? Comment cacher le déshonneur de ma jeune maîtresse ?
Elle approche de son terme. Je n’ai pas d’autre parti à prendre, que de faire de mon
corps un grand I, en me mettant une corde au cou.
Plaute, La Marmite.

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pour effectuer l’activité n° 2 qui vous permettra de répondre à
des questions de lecture cursive portant sur ce document.

2. L’influence de la farce médiévale


Une seconde forme de pièces comiques a influencé la comédie, héritée du Moyen
Âge. Il s’agit de la farce. Directement issue du théâtre gréco-romain, la farce est
un genre comique qui persiste jusqu’au temps de Molière. Si l’on observe les si-
tuations et les thèmes de la farce, on peut remarquer qu’ils sont aussi ceux de la
comédie classique :
– ruses ;
– déguisements ;
– mensonges ;
– personnages issus du peuple ;
– aristocrates ridicules.

La plus célèbre des farces médiévales, La Farce de Maître Pathelin (vers 1465),
présente ces caractéristiques thématiques. La pratique de la farce dure jusqu’au
XVIIe siècle, mais le genre est systématiquement associé au peuple, tandis que la
comédie en vers correspond aux classes moyennes (bourgeoisie) et la tragédie aux
élites. Molière bouscule cette hiérarchie en combinant dans son théâtre la triple
influence de la farce, de la comédie antique et de la commedia dell’arte :
– lazzi, (gestes et mimiques burlesques) ;
– plaisanteries grivoises ou scatologiques ;
– quiproquos ;
– bouffonneries.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 125


SÉQUENCE

4
Découvrir un exemple de farce médiévale

Document 2
La Farce de Maître Pathelin, anonyme
La Farce de Maître Pathelin, écrite vers 1460, constitue le plus célèbre exemple de
farce médiévale.
Dans l’extrait suivant, on découvre certains ressorts de la farce dont Molière et les au-
teurs de comédie au XVII e siècle feront profit. En effet, dans cette farce, les plus malins
ne sont pas ceux qu’on croit. Pathelin est un avocat sans cause, mais poussé par sa
femme Guillemette, il va voir un drapier pour refaire sa garde-robe. Il choisit des étoffes
et dit au drapier de venir se faire payer chez lui : le drapier vient au rendez-vous, mais
Pathelin et sa femme jouent aux mourants, ce qui fait fuir le drapier. Intervient alors
le personnage de l’Agnelet qui demande à Pathelin de le défendre car on a égorgé ses
moutons. Pour gagner le procès, Pathelin invente une ruse : le berger devra jouer au
simple d’esprit. Le stratagème fonctionne, et ils gagnent. Mais au moment de réclamer
son dû, Pathelin est dupé : au lieu de lui répondre, Agnelet se met à bêler !

Scène 10
PATHELIN, LE BERGER THIBAUD
Devant le tribunal.

Pathelin, au berger – Dis, l’Agnelet.


Le Berger – Bée !
Pathelin – Viens ici, viens. Ton affaire est-elle bien réglée ? 5
Le Berger – Bée !
Pathelin – La partie adverse s’est retirée. Ne dis plus « Bée ! » ce n’est plus la
peine ! Ne l’ai-je pas bien embobiné ? Ne t’ai-je pas conseillé comme il fallait ?
Le Berger – Bée !
Pathelin – Eh, diable ! On ne t’entendra pas : parle sans crainte ! N’aie pas peur !
Le Berger – Bée !
Pathelin – Il est temps que je parte. Paie-moi !
Le Berger – Bée !
Pathelin – À dire vrai, tu as très bien joué ton rôle, tu t’es montré à la hauteur.
Ce qui lui a donné le change, c’est que tu t’es retenu de rire.
Le berger – Bée !
Pathelin – Quoi « Bée » ? Tu n’as plus besoin de le dire. Paie-moi généreusement.
Le Berger – Bée !
Pathelin – Quoi « Bée » ? Parle correctement ! Paie-moi, et je m’en irai.
Le Berger – Bée !
Pathelin – Tu sais quoi ? Je suis en train de te dire – et je t’en prie, cesse de bêler
après moi – de songer à me payer. J’en ai assez de tes bêlements ! Paie-moi en
vitesse !
Le Berger – Bée !
Pathelin – Te moques-tu de moi ? Ne feras-tu rien d’autre ? Je te jure que tu vas me
payer, tu entends, à moins que tu ne t’envoles ! Allons ! Mon argent !
Le Berger – Bée !
Pathelin – Tu plaisantes ! Comment ça ? N’obtiendrai-je rien d’autre ?

126 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Le Berger – Bée !
Pathelin – Tu fais le malin ! Et à qui donc penses-tu faire avaler tes salades ? Sais-tu
ce qu’il en est ? Désormais ne me rebats plus les oreilles de ton « bée », et paie-
moi !
Le Berger – Bée !
Pathelin – Ne serai-je pas payé d’une autre monnaie ? De qui crois-tu te jouer ? Moi
qui devais être si content de toi ! Eh bien, fais en sorte que je le sois !
Le Berger – Bée !
Pathelin – Me fais-tu manger de l’oie ? À part. Sacrebleu ! N’ai-je tant vécu que pour
qu’un berger, un mouton en habit, un ignoble rustre se paie ma tête ?
Le Berger – Bée !
Pathelin – N’entendrai-je rien d’autre ? Si tu fais cela pour t’amuser, dis-le, et ne
me force pas à discuter davantage ! Viens donc souper chez moi !
Le Berger – Bée !
Pathelin – Par saint Jean, tu as raison, les oisons mènent paître les oies. À part. Moi
qui me prenais pour le maître de tous les trompeurs d’ici et d’ailleurs, des escrocs,
des faiseurs de belles promesses à tenir au jour du jugement dernier, et voilà qu’un
berger des champs me surpasse ! Au berger. Par saint Jacques, si je trouvais un
sergent, je te ferais arrêter !
Le Berger – Bée !
Pathelin – Ah, oui ! Bée ? Que je sois pendu si je ne vais appeler un bon sergent !
Malheur à lui s’il ne te met pas en prison !
Le Berger, s’enfuyant – S’il me trouve, je lui pardonne !
La Farce de Maître Pathelin, anonyme.

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pour effectuer l’activité n° 3 qui vous permettra de répondre à
des questions de lecture cursive portant sur ce document.

B Les différents genres de comédies


Au XVIIe siècle, la comédie évolue de façon importante, notamment grâce à l’apport
de Molière. En partant de sa propre production (33 pièces), on peut distinguer diffé-
rents types de comédies qui n’ont pas les mêmes structures ni les mêmes objectifs.

▶ La farce : elle provoque le rire par des gestes et des situations triviales,
parfois grossières.
▶ La comédie de caractère : elle peint un type humain qui a un défaut particu-
lier qu’il fait subir à son entourage. Elle montre les travers et les ridicules.
▶ La comédie de mœurs : elle dénonce les travers d’une époque, d’une classe
sociale, d’une profession. Elle s’attaque aux valeurs figées et aux idées
toutes faites.

Par conséquent, si la première fonction de la comédie est de faire rire, ou du moins


de faire sourire les spectateurs, ses pouvoirs dépassent le simple divertissement.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 127


SÉQUENCE

4
Ainsi, au XVIIe siècle, la comédie devient une arme pour dénoncer les travers et
les abus. Molière peint ainsi les ridicules dans des comédies satiriques pour criti-
quer certains éléments inhérents à la société de son temps, et qui sont encore d’ac-
tualité : les mariages forcés, les abus d’autorité, l’avarice, l’hypocrisie, etc. C’est
pourquoi l’un des buts avoués de la comédie consiste à « châtier les mœurs par le
rire » (« castigat ridendo mores »), c’est-à-dire faire prendre conscience au public
de certains comportements humains et sociaux en les distrayant. Telle est l’une des
stratégies de la comédie au XVIIe siècle.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 4 qui vous permettra de reconnaître
les types de comédies.

C Les personnages de comédie


La comédie classique présente bien souvent des types de personnages aisément
identifiables. Le succès des pièces classiques, et notamment de Molière, fait qu’au-
jourd’hui un nom de personnage est devenu un « type humain ».

La comédie au XVIIe siècle s’appuie sur des types de personnages : chaque type
correspond à un rôle précis, avec ses particularités psychologiques et dramatur-
giques. Voici un tableau récapitulatif qui vous permettra de reconnaître les princi-
pales caractéristiques et les fonctions de chaque type.

Types Caractéristiques/Apparences Pièces

Ruse, malice, mensonge, déguisement. Toinette dans Le Malade


Le valet Aide souvent les jeunes premiers dans leur projet imaginaire,
La soubrette de mariage. Scapin dans Les Fourberies de
Apparence : tenue de domestique. Scapin.

Souvent irascible et autoritaire. Harpagon dans L’Avare,


Veut imposer sa loi matrimoniale. Il pense à la dot. Gorgibus dans Les Précieuses
Le barbon
Apparence : habit sobre. Parfois air cacochyme ridicules.
(maladif) au dos voûté.

Ils dépendent matériellement de l’autorité Cléante dans L’Avare


Jeunes paternelle. Ils sont prisonniers d’une situation. Marianne dans Tartuffe
premiers, Toutefois, ils sont capables de tromperie pour
Jeunes premières parvenir à leurs fins.
Apparence : beauté et jeunesse. Vêtements élégants.

La plupart de ces personnages sont issus de la comédie italienne (cf. le document


extrait de Histoire du Théâtre dessinée, « Composition d’une troupe de comédie des
masques » étudié précédemment dans la rubrique : Histoire des arts).

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 5 qui vous permettra de travailler sur
les personnages de la comédie.

128 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
D Les différents ressorts de la comédie

1. Les types de comique


Outre les différents types de pièces et de personnages, on distingue différents types
de comique. Chaque comédie comporte en général plusieurs formes de comique.
Dans les pièces de Molière en particulier, le comique de gestes et de mots s’accom-
pagne bien souvent d’un comique de situation, l’un n’excluant pas l’autre.

Voici une classification traditionnelle qui vous permettra d’identifier les différents
types de comiques.

▶ Le comique de gestes : le comique provient des mimiques, des mouvements, des
attitudes physiques d’un personnage. Exemple : les bastonnades des Fourberies
de Scapin font partie du comique de gestes, influencé par la farce.

▶ Le comique de mots (ou de langage) : le comique provient d’une expression, d’un
jeu de mots, d’une façon de parler incongrue. Par exemple, dans Les Précieuses
ridicules, Cathos dit de son oncle : « Mon Dieu, ma chère, que ton père a la forme
enfoncée dans la matière », pour suggérer que Gorgibus est matérialiste.

▶ Le comique de répétition : le comique est dû à la répétition d’un geste, d’un


mot ou d’une phrase. Exemple : « Bée ! » dans La Farce de Maître Pathelin ; « Que
diable allait-il donc faire dans cette galère ? » dans Les Fourberies de Scapin.

▶ Le comique de caractère : le comique provient des manies d’un personnage, de


ses obsessions. Par exemple, dans L’Avare, Harpagon répète « dix mille écus »,
quand il explique à sa fille pourquoi il veut la marier à un homme riche.

▶ Le comique de situation : l’effet comique est engendré par une situation cocasse
ou inattendue. Par exemple, dans Tartuffe, Orgon est caché sous la table pendant
que son épouse Elmire est séduite par Tartuffe.

2. Le quiproquo
Le quiproquo est le principal ressort dramaturgique de la comédie. Le terme si-
gnifie en latin « quelqu’un pour/à la place de quelqu’un » (qui pro quo), c’est-à-dire
un « élément à la place d’un autre ». Par son étymologie, le mot quiproquo suggère
un désordre et fait intervenir un malentendu, source de comique.

Les différentes manifestations du comique dépendent du jeu de l’acteur et de la


mise en scène. Mais les formes du comique sont également inscrites dans la com-
position des pièces. La principale est le quiproquo qui désigne une situation où des
personnages ne parlent pas du même sujet, ce qui entraîne un comique de situa-
tion (voir dans le premier groupement de textes, la scène du Malade imaginaire).

Le quiproquo est donc un des principaux ressorts de la comédie car il intègre la


complicité du public qui comprend que deux personnages se méprennent et se
trompent. L’École des femmes de Molière offre un exemple de quiproquo tout à fait
savoureux : Horace est amoureux d’Agnès qu’il a aperçue dans la rue et avec qui il a
échangé quelques mots. Il prend Arnolphe comme confident car il sait que la jeune
fille est sous l’autorité d’un tuteur. Horace explique à Arnolphe le stratagème qu’il
a mis en place pour déjouer l’attention du tuteur, mais ignore son identité. Or ce
tuteur est Arnolphe lui-même.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 129


SÉQUENCE

4
Exemples et analyse d'un quiproquo
Molière, L’Avare (Acte II, sc. 3)
La Flèche bas, à Cléante, reconnaissant maître Simon. Que veut dire ceci ? Notre
maître Simon qui parle à votre père !
Cléante bas, à La Flèche. Lui aurait-on appris qui je suis ? et serais-tu pour nous
trahir ?
Maître Simon à Cléante et à La Flèche. Ah ! ah ! vous êtes bien pressés ! Qui vous
a dit que c’était céans ? (À Harpagon.) Ce n’est pas moi, Monsieur, au moins, qui
leur ai découvert votre nom et votre logis ; mais, à mon avis, il n’y a pas grand
mal à cela : ce sont des personnes discrètes, et vous pouvez ici vous expliquer
ensemble.
Harpagon. Comment ?
Maître Simon montrant Cléante. Monsieur est la personne qui veut vous emprun-
ter les quinze mille livres dont je vous ai parlé.
Harpagon. Comment, pendard ! c’est toi qui t’abandonnes à ces coupables ex-
trémités !
Cléante. Comment ! mon père, c’est vous qui vous portez à ces honteuses ac-
tions !
Maître Simon s’enfuit, et La Flèche va se cacher.

Commentaire
Cet extrait de L’Avare dévoile le fonctionnement du quiproquo dans la comédie.
Il s’agit ici d’un double quiproquo. Cléante, fils d’Harpagon, se trouve chez
maître Simon, un notaire, en compagnie de La Flèche. Cléante est venu dans
ces lieux pour emprunter de l’argent à un usurier dont il ignore l’identité. De
son côté, Harpagon est venu chez maître Simon pour prêter de l’argent à un
inconnu, mais en exigeant des taux exorbitants. Le quiproquo repose sur le
fait que le père et le fils ignorent qu’ils sont prêteurs et emprunteurs. Et le
comique repose sur les reproches qu’ils s’adressent l’un à l’autre quand ils
découvrent le pot aux roses. Rappelons qu’au XVIIe siècle, exercer l’usure est
très mal perçu moralement ; d’autre part, il ne convient pas à un fils de bour-
geois d’emprunter de l’argent, c’est également très mal jugé par la société.
Père et fils se prennent mutuellement en faute : derrière le comique de la
surprise, se cache donc une véritable réflexion sur le fonctionnement d’une
société, sur les plans matériel et moral.

Rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité interactive n° 6 qui


vous permettra de réfléchir au rôle de la comédie au XVIIe siècle.

130 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Pour conclure
À retenir
La comédie du XVIIe siècle est l’héritière d’une longue tradition : elle puise ses
thèmes et ses procédés aussi bien dans les comédies latines et grecques de
l’antiquité (d’Aristophane à Plaute ou Térence), que dans les farces médié-
vales. Comme ses aînées, elle a donc une fonction satirique. Destinée à faire
rire le spectateur, elle cherche aussi à dénoncer nos travers et excès : il s’agit
de « corriger les mœurs par le rire » en montrant les défauts humains et les
abus de la société.
L’action se situe le plus souvent dans le cadre domestique (une maison), met
en scène des bourgeois ou des aristocrates secondés par leurs domestiques.
Les personnages s’inspirent souvent des types de la Commedia dell’arte  ita-
lienne : un valet (ou une soubrette) rusé, malicieux et prêt à se déguiser ; un
barbon irascible, autoritaire et cupide ; un jeune premier (ou une jeune pre-
mière) prisonnier de l’autorité paternelle, beau et amoureux, prêt à suivre son
valet pour parvenir à ses fins.
La comédie utilise les principaux types de comique : de gestes (attitude phy-
sique et jeux de scène), de langage (jeux de mots et expressions inattendues),
de répétition (d’une expression, d’un geste, d’une situation), de caractère (ob-
sessions d’un personnage, manies) ou de situation (scène cocasse ou insolite).
Le quiproquo est un ressort fréquemment utilisé : le public, complice du dra-
maturge, sait quelque chose qu’un personnage ignore. De ce malentendu
naissent des situations inédites où méprise et tromperie sont sources de fous
rires.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 7 : un quiz bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 131


SÉQUENCE

4
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Visages de la comédie, de Molière à


nos jours

Objectifs d’apprentissage

Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du


chapitre 3.
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Pour débuter : Histoire des arts


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour réaliser l’activité n° 1 qui vous propose l’étude de la gra-
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vure de la représentation de La Princesse d’Élide.

Pour apprendre

A Châtier les mœurs par le rire


Enr. 14 Extrait n° 1 : Les Précieuses ridicules, scène 9
Les Précieuses ridicules est l’une des premières comédies qui a valu à Molière un
succès à la cour, à Paris. La pièce offre une satire de la préciosité, mouvement littéraire
et artistique qui se développe dans les années 1650. La préciosité littéraire se caracté-
rise par la recherche langagière et par une attention marquée aux convenances et aux
situations romanesques.
Deux jeunes provinciales, Cathos et Magdelon, passent leurs journées à lire des romans
de style précieux. Elles rêvent de rencontrer des amoureux qui ressembleraient aux hé-
ros de leurs fictions. Mais leur père, Gorgibus, leur propose un bon mariage bourgeois
qu’elles refusent. Pour se venger d’avoir été éconduits, La Grange et Du Croisy, leurs
prétendants éconduits, envoient un faux précieux, leur valet Mascarille, pour les sé-
duire. Elles tombent sous le charme… Molière signe ici une de ses comédies satiriques
les plus drôles et les plus cruelles.

Mascarille. Il est vrai qu’il est honteux de n’avoir pas des premiers tout ce qui se
fait ; mais ne vous mettez pas en peine ; je veux établir chez vous une académie de
beaux esprits, et je vous promets qu’il ne se fera pas un bout de vers dans Paris que
vous ne sachiez par cœur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez,
je m’en escrime un peu quand je veux ; et vous verrez courir de ma façon, dans les
belles ruelles de Paris, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents épi-
grammes, et plus de mille madrigaux1, sans compter les énigmes et les portraits.

132 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Magdelon. Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits : je ne vois rien
de si galant que cela.
Mascarille. Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond : vous en
verrez de ma manière qui ne vous déplairont pas.
Cathos. Pour moi, j’aime terriblement les énigmes.
Mascarille. Cela exerce l’esprit, et j’en ai fait quatre encore ce matin, que je vous
donnerai à deviner.
Magdelon. Les madrigaux sont agréables, quand ils sont bien tournés.
Mascarille. C’est mon talent particulier ; et je travaille à mettre en madrigaux toute
l’Histoire romaine.
Magdelon. Ah ! certes, cela sera du dernier beau ; j’en retiens un exemplaire au
moins, si vous le faites imprimer.
Mascarille. Je vous en promets à chacune un, et des mieux reliés. Cela est au-des-
sous de ma condition, mais je le fais seulement pour donner à gagner aux libraires,
qui me persécutent.
Magdelon. Je m’imagine que le plaisir est grand de se voir imprimé.
Mascarille. Sans doute. Mais à propos, il faut que je vous dise un impromptu que je
fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter ; car je suis diablement
fort sur les impromptus.
Cathos. L’impromptu est justement la pierre de touche de l’esprit.
Mascarille. Écoutez donc.
Magdelon. Nous y sommes de toutes nos oreilles.
Mascarille. Oh ! oh ! je n’y prenais pas garde :
Tandis que, sans songer à mal, je vous regarde,
Votre œil en tapinois me dérobe mon cœur,
Au voleur ! au voleur ! au voleur ! au voleur !
Cathos. Ah ! mon Dieu ! voilà qui est poussé dans le dernier galant.
Mascarille. Tout ce que je fais a l’air cavalier, cela ne sent point le pédant.
Magdelon. Il en est éloigné de plus de deux mille lieues.
Les Précieuses ridicules, scène 9 (1659)

1. sonnets, épigrammes, madrigaux : sont des formes poétiques brèves. Le sonnet comporte deux
quatrains et deux tercets. L’épigramme est un petit poème satirique, alors que le madrigal exprime
une pensée ingénieuse et galante.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-même


à voix haute.

Effectuez l’activité n° 2. Elle vous permettra de réaliser une lec-


ture analytique du texte.

B La comédie du mariage
Enr. 15 Extrait n° 2 : Molière, George Dandin (Acte I, sc.4)
George Dandin (1668) est l’une des comédies les plus noires de Molière.
Dandin, un paysan enrichi, a épousé Angélique de Sotenville, une jeune aristocrate rui-
née. Ce mariage a permis à Dandin d’acquérir la noblesse, il est devenu Monsieur de
la Dandinière. De leur côté, Angélique et ses parents, ont pu renflouer leur situation

CNED SECONDE – FRANÇAIS 133


SÉQUENCE

4
grâce à l’argent de Dandin. Ce mariage n’est pas heureux, Angélique se refuse à faire
un enfant à son mari et a un amant, Clitandre. Or, Dandin s’en est aperçu. Il s’en plaint
à ses beaux-parents qui refusent de le croire. Malgré le caractère dramatique de cette
situation, les dialogues comportent un certain nombre d’éléments comiques.

Monsieur de Sotenville. Que veut dire cela, mon gendre ?


George Dandin. Cela veut dire que votre fille ne vit pas comme il faut qu’une femme
vive, et qu’elle fait des choses qui sont contre l’honneur.
Madame de Sotenville. Tout beau ! prenez garde à ce que vous dites. Ma fille est
d’une race trop pleine de vertu, pour se porter jamais à faire aucune chose dont
l’honnêteté soit blessée ; et de la maison de la Prudoterie il y a plus de trois cents
ans qu’on n’a point remarqué qu’il y ait eu une femme, Dieu merci, qui ait fait parler
d’elle.
Monsieur de Sotenville. Corbleu ! dans la maison de Sotenville on n’a jamais vu de
coquette, et la bravoure n’y est pas plus héréditaire aux mâles, que la chasteté aux
femelles.
Madame de Sotenville. Nous avons eu une Jacqueline de la Prudoterie qui ne vou-
lut jamais être la maîtresse d’un duc et pair, gouverneur de notre province.
Monsieur de Sotenville. Il y a eu une Mathurine de Sotenville qui refusa vingt mille
écus d’un favori du roi, qui ne lui demandait seulement que la faveur de lui parler.
George Dandin. Ho bien ! votre fille n’est pas si difficile que cela, et elle s’est appri-
voisée depuis qu’elle est chez moi.
Monsieur de Sotenville. Expliquez-vous, mon gendre. Nous ne sommes point gens
à la supporter dans de mauvaises actions, et nous serons les premiers, sa mère et
moi, à vous en faire la justice.
Madame de Sotenville. Nous n’entendons point raillerie sur les matières de l’hon-
neur, et nous l’avons élevée dans toute la sévérité possible.
George Dandin. Tout ce que je vous puis dire, c’est qu’il y a ici un certain courtisan
que vous avez vu, qui est amoureux d’elle à ma barbe, et qui lui a fait faire des pro-
testations d’amour qu’elle a très humainement écoutées.
George Dandin, Acte I, scène 4 (1669)

Rendez-vous sur cned.fr pour écouter le texte lu par un comé-


dien ; puis lisez-le vous-même à voix haute.

Effectuez l’activité n° 3. Elle vous permettra de réaliser une lec-


ture analytique du texte.

C L’utilisation comique du quiproquo


Enr. 16 Extrait n° 3 : Le Malade imaginaire (Acte I, sc.5)
Dernière pièce de Molière, Le Malade imaginaire est une comédie-ballet en trois actes
(musique de Marc-Antoine Charpentier), représentée en 1673. Contrairement à la lé-
gende, Molière qui interprète le rôle d’Argan n’est pas mort en scène, mais quelques
heures après la représentation.
Argan est atteint d’hypocondrie, c’est-à-dire qu’il craint les maladies et recourt
constamment aux médecins. Son obsession de la médecine est telle qu’il a décidé de
marier sa fille Angélique avec Thomas Diafoirus, un futur médecin. Mais Angélique aime

134 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Cléante et le conflit éclate. Toinette, domestique de la famille, incarne le bon sens et
intervient dans le conflit entre le père et la fille. Argan vient d’annoncer à sa fille qu’il l’a
promise, il lui dépeint son futur, alors que celle-ci croit l’avoir déjà rencontré.

Scène V
ARGAN - ANGÉLIQUE - TOINETTE
(…)

Argan. Fort honnête.


Angélique. Le plus honnête du monde.
Argan. Qui parle bien latin et grec.
Angélique. C’est ce que je ne sais pas.
Argan. Et qui sera reçu médecin dans trois jours.
Angélique. Lui, mon père ?
Argan. Oui. Est-ce qu’il ne te l’a pas dit ?
Angélique. Non, vraiment. Qui vous l’a dit, à vous ?
Argan. Monsieur Purgon.
Angélique. Est-ce que monsieur Purgon le connaît ?
Argan. La belle demande ! Il faut bien qu’il le connaisse puisque c’est son neveu.
Angélique. Cléante, neveu de monsieur Purgon ?
Argan. Quel Cléante ? Nous parlons de celui pour qui l’on t’a demandée en mariage.
Angélique. Eh ! oui.
Argan. Eh bien, c’est le neveu de monsieur Purgon, qui est le fils de son beau-frère
le médecin, monsieur Diafoirus ; et ce fils s’appelle Thomas Diafoirus, et non pas
Cléante ; et nous avons conclu ce mariage-là ce matin, monsieur Purgon, monsieur
Fleurant et moi ; et demain ce gendre prétendu doit m’être amené par son père.
Qu’est-ce ? Vous voilà tout ébaubie !
Angélique. C’est, mon père, que je connais que vous avez parlé d’une personne, et
que j’ai entendu une autre.
Toinette. Quoi ! monsieur, vous auriez fait ce dessein burlesque ? Et, avec tout le
bien que vous avez, vous voudriez marier votre fille avec un médecin ?
Argan. Oui. De quoi te mêles-tu, coquine, impudente que tu es ?
Toinette. Mon Dieu ! tout doux. Vous allez d’abord aux invectives. Est-ce que nous
ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter. Là, parlons de sang-froid.
Quelle est votre raison, s’il vous plaît, pour un tel mariage ?
Argan. Ma raison est que, me voyant infirme et malade comme je le suis, je veux me
faire un gendre et des alliés médecins, afin de m’appuyer de bons secours contre
ma maladie, d’avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont néces-
saires, et d’être à même des consultations et des ordonnances.
Toinette. Eh bien, voilà dire une raison, et il y a du plaisir à se répondre doucement
les uns aux autres. Mais, monsieur, mettez la main à la conscience ; est-ce que vous
êtes malade ?
Le Malade imaginaire, Acte I, scène 5 (1673)

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-


même à voix haute.
Effectuez l’activité n° 4. Elle vous permettra de réaliser une lec-
ture analytique du texte.
Relisez les trois textes du corpus, puis effectuez l’activité n° 5
qui vous permettra de faire un bilan sur la comédie au XVIIe siècle.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 135


SÉQUENCE

4
D Pour aller plus loin…
1. Le théâtre, un texte destiné à être représenté

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pour effectuer l’activité n° 6 : l’analyse d’une photographie du
Malade imaginaire, représenté à la Comédie-Française en 2007,
avec Michel Bouquet dans le rôle-titre.

2. Le théâtre, un texte destiné à être édité

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pour effectuer l’activité n° 7 qui vous proposera un entraîne-
ment à l’écriture d’invention.

E Évolution de la comédie, du XVIIIe au XXe siècle


La comédie est un genre bien vivant qui continue de se développer après le
XVIIe siècle, accentuant parfois la portée satirique de son contenu.
Ainsi, on considère souvent la comédie de Beaumarchais, Le Mariage de Figaro
(1784), comme la préfiguration théâtrale de la Révolution française.
Nous vous proposons de poursuivre la réflexion avec quelques extraits centrés au-
tour des rapports du couple dans la comédie. Nous vous proposons de lire ces ex-
traits en lecture cursive, et de répondre aux questions de synthèse qui figurent à la
fin du corpus.

Corpus
▶ Marivaux, Les Fausses confidences (1737), Acte I, sc.2
▶ Beaumarchais, Le Barbier de Séville (1775), Acte I, sc.1
▶ Musset, On ne badine pas avec l’amour (1834), Acte I, sc.3
▶ Feydeau, Feu la mère de Madame (1908), Acte I, sc.2 (extrait)

Extrait n° 1 : Marivaux, Les Fausses confidences (Acte I, sc.2)


DORANTE, DUBOIS (valet de Dorante)
Dorante, jeune homme d’une famille honorable mais ruinée est épris d’Araminte, une
jeune et riche veuve. Son ancien valet, Dubois, à présent au service d’Araminte, décide
de l’aider à la séduire.
Dubois, entrant avec un air de mystère.

Dorante. Ah ! te voilà ?
Dubois. Oui, je vous guettais.
Dorante. J’ai cru que je ne pourrais me débarrasser d’un domestique qui m’a in-
troduit ici, et qui voulait absolument me désennuyer en restant. Dis-moi, Monsieur
Rémy n’est donc pas encore venu ?

136 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Dubois. Non, mais voici l’heure à peu près qu’il vous a dit qu’il arriverait. (Il cherche
et regarde.) N’y a-t-il là personne qui nous voie ensemble ? Il est essentiel que les
domestiques ici ne sachent pas que je vous connaisse.
Dorante. Je ne vois personne.
Dubois. Vous n’avez rien dit de notre projet à Monsieur Rémy, votre parent ?
Dorante. Pas le moindre mot. Il me présente de la meilleure foi du monde, en quali-
té d’intendant, à cette dame-ci dont je lui ai parlé, et dont il se trouve le procureur ;
il ne sait point du tout que c’est toi qui m’as adressé à lui, il la prévint hier ; il m’a
dit que je me rendisse ce matin ici, qu’il me présenterait à elle, qu’il y serait avant
moi, ou que s’il n’y était pas encore, je demandasse une Mademoiselle Marton. Voilà
tout, et je n’aurais garde de lui confier notre projet, non plus qu’à personne, il me
paraît extravagant, à moi qui m’y prête. Je n’en suis pourtant pas moins sensible
à ta bonne volonté, Dubois, tu m’as servi, je n’ai pu te garder, je n’ai pu même te
bien récompenser de ton zèle ; malgré cela, il t’est venu dans l’esprit de faire ma
fortune : en vérité, il n’est point de reconnaissance que je ne te doive !
Dubois. Laissons cela, Monsieur ; tenez, en un mot, je suis content de vous, vous
m’avez toujours plu ; vous êtes un excellent homme, un homme que j’aime ; et si
j’avais bien de l’argent, il serait encore à votre service.
Dorante. Quand pourrai-je reconnaître tes sentiments pour moi ? Ma fortune serait
la tienne ; mais je n’attends rien de notre entreprise, que la honte d’être renvoyé
demain.
Dubois. Eh bien, vous vous en retournerez.
Dorante. Cette femme-ci a un rang dans le monde ; elle est liée avec tout ce qu’il
y a de mieux, veuve d’un mari qui avait une grande charge dans les finances ; et tu
crois qu’elle fera quelque attention à moi, que je l’épouserai, moi qui ne suis rien,
moi qui n’ai point de bien ?
Dubois. Point de bien ! Votre bonne mine est un Pérou ! Tournez-vous un peu, que
je vous considère encore ; allons, Monsieur, vous vous moquez, il n’y a point de
plus grand seigneur que vous à Paris : voilà une taille qui vaut toutes les dignités
possibles, et notre affaire est infaillible, absolument infaillible ; il me semble que je
vous vois déjà en déshabillé dans l’appartement de Madame.
Dorante. Quelle chimère !
Dubois. Oui, je le soutiens. Vous êtes actuellement dans votre salle et vos équi-
pages sont sous la remise.
Dorante. Elle a plus de cinquante mille livres de rente, Dubois.
Dubois. Ah ! vous en avez bien soixante pour le moins.
Dorante. Et tu me dis qu’elle est extrêmement raisonnable ?
Dubois. Tant mieux pour vous, et tant pis pour elle. Si vous lui plaisez, elle en sera si
honteuse, elle se débattra tant, elle deviendra si faible, qu’elle ne pourra se soute-
nir qu’en épousant ; vous m’en direz des nouvelles. Vous l’avez vue et vous l’aimez ?
Dorante. Je l’aime avec passion, et c’est ce qui fait que je tremble !
Dubois. Oh ! vous m’impatientez avec vos terreurs : eh que diantre ! un peu de
confiance ; vous réussirez, vous dis-je. Je m’en charge, je le veux, je l’ai mis là ;
nous sommes convenus de toutes nos actions, toutes nos mesures sont prises ;
je connais l’humeur de ma maîtresse, je sais votre mérite, je sais mes talents, je
vous conduis, et on vous aimera, toute raisonnable qu’on est ; on vous épousera,
toute fière qu’on est, et on vous enrichira, tout ruiné que vous êtes, entendez-vous ?
Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est
le maître, et il parlera : adieu ; je vous quitte ; j’entends quelqu’un, c’est peut-être
Monsieur Rémy ; nous voilà embarqués, poursuivons. (Il fait quelques pas, et revient.)
À propos, tâchez que Marton prenne un peu de goût pour vous. L’Amour et moi nous
ferons le reste.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 137


SÉQUENCE

4
Extrait n° 2 : Beaumarchais, Le Barbier de Séville (Acte I, sc.2)
La pièce s’ouvre sur les retrouvailles fortuites du Comte Almaviva et de son ancien valet,
Figaro.
Le Comte, à part. Cet homme ne m’est pas inconnu.
Figaro. Eh non, ce n’est pas un abbé ! Cet air altier et noble…
Le Comte. Cette tournure grotesque…
Figaro. Je ne me trompe point ; c’est le comte Almaviva.
Le Comte. Je crois que c’est ce coquin de Figaro.
Figaro. C’est lui-même, Monseigneur.
Le Comte. Maraud ! si tu dis un mot…
Figaro. Oui, je vous reconnais ; voilà les bontés familières dont vous m’avez toujours
honoré.
Le Comte. Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilà si gros et si gras…
Figaro. Que voulez-vous, Monseigneur, c’est la misère.
Le Comte. Pauvre petit ! Mais que fais-tu à Séville ? Je t’avais autrefois recomman-
dé dans les bureaux pour un emploi.
Figaro. Je l’ai obtenu, Monseigneur ; et ma reconnaissance…
Le Comte. Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, à mon déguisement, que je veux être
inconnu ?
Figaro. Je me retire.
Le Comte. Au contraire. J’attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont
moins suspects qu’un seul qui se promène. Ayons l’air de jaser. Eh bien, cet emploi ?
Figaro. Le ministre, ayant égard à la recommandation de Votre Excellence, me fit
nommer sur-le-champ garçon apothicaire.
Le Comte. Dans les hôpitaux de l’armée ?
Figaro. Non ; dans les haras d’Andalousie.
Le Comte. riant. Beau début !
Figaro. Le poste n’était pas mauvais, parce qu’ayant le district des pansements et
des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes médecines de cheval…
Le Comte. Qui tuaient les sujets du roi !
Figaro. Ah ! ah ! il n’y a point de remède universel ; mais qui n’ont pas laissé de gué-
rir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats.
LE Comte. Pourquoi donc l’as-tu quitté ?
Figaro. Quitté ? C’est bien lui-même ; on m’a desservi auprès des puissances.
L’envie aux doigts crochus, au teint pâle et livide…
Le Comte. Oh ! grâce ! grâce, ami ! Est-ce que tu fais aussi des vers ? Je t’ai vu là
griffonnant sur ton genou, et chantant dès le matin.
Figaro. Voilà précisément la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rap-
porté au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets à Chloris,
que j’envoyais des énigmes aux journaux, qu’il courait des madrigaux de ma façon ;
en un mot, quand il a su que j’étais imprimé tout vif, il a pris la chose au tragique
et m’a fait ôter mon emploi, sous prétexte que l’amour des lettres est incompatible
avec l’esprit des affaires.
Le Comte. Puissamment raisonné ! Et tu ne lui fis pas représenter…
Figaro. Je me crus trop heureux d’en être oublié, persuadé qu’un grand nous fait
assez de bien quand il ne nous fait pas de mal.
Le Comte. Tu ne dis pas tout. Je me souviens qu’à mon service tu étais un assez
mauvais sujet.
Figaro. Eh ! mon Dieu, monseigneur, c’est qu’on veut que le pauvre soit sans défaut.
Le Comte. Paresseux, dérangé…
Figaro. Aux vertus qu’on exige dans un domestique, Votre Excellence connaît-elle
beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ?

138 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Extrait n° 3 : Musset, On ne badine pas avec l’amour (Acte I, sc.3)
Camille et Perdican doivent être présentés l’un à l’autre pour être mariés. Le baron,
père de Perdican, a tout prévu et tout réglé. Mais ses plans sont réduits à néant car les
jeunes gens ont chacun leur propre conception du mariage. Camille, dont Dame Pluche
est la gouvernante, sort du couvent et rêve d’un amour idéal. Dans la scène suivante,
Dame Pluche et le Baron viennent d’assister à un échange assez désagréable entre Ca-
mille et Perdican : le mariage semble mal engagé. Dame Pluche dévoile son caractère
face au baron.
Le Baron. rentrant avec dame Pluche. Vous le voyez, et vous l’entendez, excellente
Pluche ; je m’attendais à la plus suave harmonie ; et il me semble assister à un
concert où le violon joue Mon cœur soupire, pendant que la flûte, joue Vive Henri
IV. Songez à la discordance affreuse qu’une pareille combinaison produirait. Voilà
pourtant ce qui se passe dans mon cœur.
Dame Pluche. Je l’avoue ; il m’est impossible de blâmer Camille, et rien n’est de
plus mauvais ton, à mon sens, que les parties de bateau.
Le Baron. Parlez-vous sérieusement ?
Dame Pluche. Seigneur, une jeune fille qui se respecte ne se hasarde pas sur les
pièces d’eau.
Le Baron. Mais observez donc, dame Pluche, que son cousin doit l’épouser, et que
dès lors…
Dame Pluche. Les convenances défendent de tenir un gouvernail, et il est malséant
de quitter la terre ferme seule avec un jeune homme.
Le Baron. Mais je répète… je vous dis…
Dame Pluche. C’est là mon opinion.
Le Baron. Êtes-vous folle ? En vérité, vous me feriez dire… Il y a certaines expressions
que je ne veux pas… qui me répugnent… Vous me donnez envie… En vérité, si je ne
me retenais… Vous êtes une pécore, Pluche ! je ne sais que penser de vous. (Il sort).

Extrait n° 4 : Feydeau, Feu la mère de Madame (Acte I, sc.2)


Feu la mère de madame « décortique » une situation de couple. La pièce s’ouvre sur
une scène de ménage. Annette, la domestique au fort accent alsacien, est prise à té-
moin dans l’échange qui suit.
Yvonne, sautant à bas du lit à l’entrée d’Annette et courant à elle. - Oui, venez un peu !
Vous ne savez pas ce que dit monsieur ?
Annette, dans un bâillement. - Non, mâtâme.
Yvonne. - Il dit que j’ai les seins en portemanteau.
Annette, indifférente et endormie. – Ah ?.. pien, mâtâme !
Lucien, ironique. - C’est pour lui raconter ça que tu fais lever la bonne ?
Yvonne. - Parfaitement, monsieur ! Je veux qu’elle te dise elle-même ce qu’elle en
pense, de ma poitrine, pour te prouver que tout le monde n’est pas de ton avis ! (À An-
nette.) Qu’est-ce que vous me disiez, l’autre matin, justement à propos de ma poitrine ?
Annette, ouvrant péniblement les yeux. - Ché sais pas, mâtâme.
Yvonne, appuyant chacun de ses membres de phrase d’une petite tape sur le bras ou
la poitrine d’Annette. - Mais si, voyons ! j’étais en train de faire ma toilette ; je vous ai
dit : « C’est égal, il n’y en a pas beaucoup qui pourraient en montrer d’aussi fermes
que ça ! » Qu’est-ce que vous m’avez répondu ?
Annette, faisant effort sur soi-même. – Ah ! oui, ch’ai tit : « Ça c’est vrai, mâtâme !
quand che vois les miens, à gôté, on dirait teux pésaces ! »
Yvonne. – Là ! tu l’entends ?
Lucien, saisissant brusquement Annette par le bras droit et la faisant passer.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 139


SÉQUENCE

4
– Eh bien ! Quoi ? Quoi ? Qu’est-ce que ça prouve ? Je n’ai jamais contesté que tu
eusses une gorge rare ; mais entre le rare et l’unique il y a encore une marge.
Yvonne, tandis qu’Annette, en attendant la fin de leur discussion, est allée s’asseoir et
somnoler sur le siège près de la cheminée. – Ah ! Vraiment ? Eh ! bien ! désormais, tu
pourras en faire ton deuil de ma gorge !

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 8 : des questions de lecture cursive
portant sur ce corpus.

Pour conclure
À retenir
Molière donne à la comédie ses lettres de noblesse : il utilise toutes les formes
de comique de l’onomastique à la situation cocasse et décalée, manie le qui-
proquo avec aisance, associe comédie de mœurs et comédie de caractère, et
mêle satire et franche gaieté. Ses personnages explorent les types issus de la
Commedia dell’arte et s’enrichissent : le valet (ou la soubrette) se révèle tour
à tour par sa ruse, son bon sens, sa capacité d’adaptation ; la jeune première
n’est pas toujours victime innocente, mais se montre parfois ridicule elle aus-
si (Cf. Les Précieuses ridicules) ; le barbon ridicule et obsessionnel se dévoile
parfois, touchant et pathétique (Cf. Georges Dandin). Par cette richesse et ces
innovations, il touche un public très large qui s’étend de la haute aristocratie
au peuple.
Ses successeurs reprennent ce goût pour la satire sociale. Au XVIIIe siècle,
Marivaux reprend le schéma traditionnel des amours contrariées, mais son
comique est plus implicite. En revanche, Beaumarchais retrouve la verve
satirique et la « franche gaieté » de Molière : les relations maître/valet re-
prennent une place centrale et permettent de rendre compte de l’évolution
d’une société qui chemine vers l’abolition des privilèges. Les thèmes du mari
trompé et de « l’arroseur arrosé » imprègnent les comédies des XIXe et XXe
siècles (comédie de boulevard par exemple) et le domestique reste un type
théâtral révélateur du ridicule de ses patrons.
Au fil des siècles, tout en évoluant dans ses thématiques, la comédie reste fon-
dée sur l’adage de Molière, « castigare ridendo mores » (corriger les mœurs
par le rire) : reflet d’une société, elle ne cesse d’en révéler les travers et les
excès.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 9 : un quiz bilan du chapitre.

140 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Fiche méthode

Analyser le texte théâtral


L’analyse du texte de théâtre implique de prendre en compte un certain nombre
d’éléments spécifiques. Grâce aux deux fiches ci-dessous, vous pourrez vous repé-
rer et circuler à l’intérieur des scènes, pour mieux en dégager le fonctionnement.

1. Comment analyser des répliques de théâtre ?


C’est généralement un conflit (agôn, en grec) qui est au centre de l’action théâ-
trale. Ce conflit se manifeste par des affrontements verbaux et des crises psy-
chologiques intérieures. L’observation et l’analyse de l’organisation, comme de la
répartition des paroles entre les personnages, permettent de comprendre quel est
le personnage le plus important, quel est celui qui exerce un pouvoir sur un autre…
ou qui réussit, par l’utilisation du langage, à inverser un rapport de forces lié à des
conditions sociales prédéterminées.

Types de Utilisation dans Effets


Caractéristiques Exemples
paroles la comédie comiques

Il est composé de répliques plus C’est le type La première scène du Le dialogue


ou moins longues entre deux d’échange le plus Médecin malgré lui. peut
personnages au minimum. souvent employé. entraîner un
Dialogue
Il permet les quiproquo
explications mais amusant.
aussi les conflits.
C’est un dialogue composé de Conflit entre deux Comique de
répliques extrêmement brèves personnages. mots et de
Stichomythie Urgence d’une rythme.
(parfois une monosyllabe) qui
s’enchaînent très rapidement. situation.

Il s’agit d’une réplique longue Un personnage


et développée, prononcée sans s’explique ou raconte
Tirade interruption. un événement. Il
peut aussi se confier.
Un personnage parle seul en Cette forme de Première et dernière Le monologue
scène. Il s’agit d’une convention réplique permet scène de George peut dévoiler
théâtrale. d’accéder à Dandin. les ambitions
l’intériorité d’un Seul en scène, le grotesques
Monologue personnage, de d’un
personnage exprime
comprendre ses son mécontentement personnage.
émotions intimes, et ses désillusions.
ses idées.
Réplique brève prononcée « à Permet de La Flèche dans la Effet comique
part », c’est-à-dire hors du comprendre les scène de L’Avare, dû à la
Aparté dialogue et entendue seulement vraies pensées quand Harpagon lui rupture dans
par le public. C’est également d’un personnage à fait vider ses poches le dialogue.
une convention théâtrale. l’intérieur du dialogue et le fouille.
Ce terme désigne le principe Constante à Dans tout dialogue, Le décalage
de double communication, prendre en compte tout monologue ou entre la
notamment au théâtre. Sur dans l’analyse du aparté. perception des
Double scène, un personnage s’adresse dialogue théâtral, paroles par le
énonciation à un autre, mais les propos sont elle est encore plus public et les
implicitement tenus par l’auteur perceptible dans personnages
(émetteur 2) et adressés aux le monologue et crée le
spectateurs (destinataire 2). l’aparté. comique.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 141


SÉQUENCE

4
2. La structure et la progression dramaturgiques
Une pièce de théâtre répond à une organisation précise et élaborée. On appelle la
structure dramaturgique la manière dont un auteur construit sa pièce et ses per-
sonnages, la manière dont il fait évoluer l’intrigue. Le tableau suivant vous rappelle
les grandes étapes dans la constitution d’une pièce classique.

Caractéristiques Fonctions

Une comédie se compose d’actes et Selon le nombre d’actes et de scènes, on


de scènes. La comédie classique peut peut identifier le type de comédie.
Structure et type comporter 3 ou 5 actes, parfois elle n’en
de comédie Les grandes comédies de caractère sont
comporte qu’un. en 5 actes, tandis que les pièces proches
de la farce n’en comportent qu’un seul.

Un acte correspond à un épisode de Traditionnellement, dans une pièce


l’action. classique, le premier acte est dévolu
Acte
à l’exposition et le dernier acte au
dénouement.

Chaque acte est découpé en scènes.


Scène Un changement de scène a lieu quand un
personnage entre ou sort de scène.

Elle se situe au début de la pièce, occupe Elle présente le temps et le lieu de


les premières scènes, voire le premier l’action, les enjeux de l’intrigue,
L’exposition
acte. l’identité et la condition des principaux
personnages ainsi que leurs relations.

Le nœud de l’action (ou partie centrale) Dans la comédie, les péripéties peuvent
comporte les obstacles que les être nombreuses, et sont souvent
personnages doivent surmonter. l’occasion de coups de théâtre ou de
Le nœud et quiproquos.
les péripéties Ce sont les événements qui se
produisent entre le début et la fin
d’une pièce, modifient son cours et font
intervenir des éléments extérieurs.

Aboutissement de l’action, il a lieu dans C’est le moment où les conflits sont


les dernières scènes de la pièce. réglés et où le sort des personnages
Le dénouement
est fixé. Le plus souvent la comédie
classique se referme sur un mariage.

Récapitulons
Voici une série de questions que vous pouvez vous poser en abordant une
scène de théâtre :
– Où se trouve l’extrait étudié ? Se situe-t-il au début, au milieu ou à la fin de
la pièce ?
– Quels sont les personnages présents dans la scène ? Quel rapport les relie ?
(maîtres/valets, père/fils ou fille, etc.)
– Dans quel décor la scène se déroule-t-elle ?
– À quelle forme de réplique théâtrale a-t-on affaire ?
– Quel est l’objet de l’échange ?

142 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

La tragédie au XVIIe siècle

Objectifs d’apprentissage

Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du


chapitre 4.
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Pour débuter : Histoire littéraire

Rendez-vous sur cned.fr pour réaliser l’activité interactive n° 1 : une


recherche sur le théâtre grec, à l’aide du site :
© CNED
http://www.clioetcalliope.com

Pour apprendre
A La tragédie grecque, source de la tragédie
française
C’est en Grèce, au VIe siècle avant J.-C., que naît le théâtre, à l’occasion de cérémo-
nies religieuses en l’honneur de Dionysos.
« Le théâtre grec, fête à laquelle participe la cité entière, est un spectacle complet
dans lequel le chant, la musique, et la danse occupent une part aussi large que la dé-
clamation. Les représentations théâtrales ont lieu dans la Grèce antique, deux fois par
an, pour les fêtes de Dionysos. Les spectacles se déroulent pendant trois jours, sous
la forme d’un concours où rivalisent trois auteurs dramatiques qui présentent cha-
cun dans une même journée, trois pièces suivies d’un drame satirique. Les citoyens
rassemblés viennent chercher au théâtre l’écho des questions politiques ou méta-
physiques qu’ils se posent. Elles sont abordées tantôt par le biais des malheurs qui
arrivent à des personnages mythiques, comme les tragédies d’Eschyle, de Sophocle
ou d’Euripide, tantôt directement comme le fait Aristophane dans ses comédies. »
M.-C. Hubert, Le Théâtre.

Les dramaturges du XVIIe siècle n’ont pas oublié le rôle prépondérant que tient la
tragédie dans la vie de la Cité. La tragédie grecque, selon Aristote dans son traité
La Poétique, est « l’imitation d’une action de caractère élevé… qui suscite terreur et
pitié et opère la purgation des passions (catharsis) propres à de telles émotions. »
Au Ve siècle avant Jésus-Christ, trois grands tragiques, Eschyle, Sophocle, Euri-
pide, ont chacun à leur manière fait évoluer le genre de la tragédie.
Ils ont dans leurs pièces fait intervenir de plus en plus de personnages : d’abord, un
seul acteur sur scène (le protagoniste), puis Sophocle introduisit un deuxième (le
deutéragoniste), puis Euripide un troisième (le tritagoniste). En alternance avec les
parties dialoguées, les parties dansées et chantées du chœur et les interventions
du coryphée, le chef de chœur, dans les épisodes (actes) font du théâtre grec un
spectacle complet, entre notre opéra et notre théâtre.
CNED SECONDE – FRANÇAIS 143
SÉQUENCE

4
Plus précisément, après un prologue servant d’exposition, a lieu l’entrée du chœur
(parodos) ; puis les spectateurs assistent à une alternance de d’épisodes dialogués
et de chants du chœur ; la tragédie se termine par la sortie du chœur (exodos).
Le théâtre grec, que ce soit dans ses textes comiques ou tragiques, a aussi fait
entrer en résonance le propos de l’intrigue et les préoccupations de la Cité. Dès
l’origine, la tragédie s’est dotée d’une fonction morale et didactique : en montrant
au public des destins de héros hors du commun, confrontés à la dureté du destin
ou à leurs propres démons, les tragédies grecques ont été les premières à utiliser
le théâtre comme un « miroir du monde ». Racine et Corneille, ainsi que d’autres
dramaturges moins connus, se sont inspirés de leurs pièces.
Les auteurs classiques ont souvent imité les pièces antiques. Voici deux versions du
mythe de Médée. La première est d’Euripide, la seconde de Corneille.

Extrait n° 1 : Euripide, Médée (dernière scène)


Jason. Pourquoi les as-tu tués ?
Médée. Pour faire ton malheur.
Jason. Hélas ! Je veux embrasser les lèvres chéries de mes fils, malheureux que
je suis ! 5
Médée. Maintenant tu leur parles, maintenant tu les chéris ; tout à l’heure tu les
repoussais.
Jason. Laisse-moi, au nom des dieux, toucher la douce peau de mes enfants.
Médée. Impossible. C’est jeter en vain tes paroles au vent. (Le char disparaît.)
Jason. Zeus, tu entends comme on me repousse, comme me traite cette femme
abominable qui a tué ses enfants, cette lionne. Ah ! puisque c’est tout ce qui m’est
permis et possible, je pleure mes fils et j’en appelle aux dieux, les prenant à témoin
qu’après avoir tué mes enfants, tu m’empêches de toucher et d’ensevelir leurs
corps de mes mains. Plût aux dieux que je ne les eusse pas engendrés pour les voir
égorgés par toi !
(Il sort.)
Le Coryphée. De maints événements Zeus est le dispensateur dans l’Olympe.
Maintes choses contre notre espérance sont accomplies par les dieux. Celles que
nous attendions ne se réalisent pas ; celles que nous n’attendions pas, un dieu leur
fraye la voie. Tel a été le dénouement de ce drame.
Euripide, Médée (Trad. Henri Berguin)

Extrait n° 2 : Corneille, Médée (1635)


Ce passage est issu de la scène 6 de l’acte V, avant-dernière scène de la pièce.
Médée
Va, bienheureux amant, cajoler ta maîtresse :
À cet objet si cher tu dois tous tes discours ;
Parler encore à moi, c’est trahir tes amours.
Va lui, va lui conter tes rares aventures,
Et contre mes effets ne combats point d’injures.
Jason
Quoi ! tu m’oses braver, et ta brutalité
Pense encore échapper à mon bras irrité ?
Tu redoubles ta peine avec cette insolence.
Médée
Et que peut contre moi ta débile vaillance ?
Mon art faisait ta force, et tes exploits guerriers
Tiennent de mon secours ce qu’ils ont de lauriers.

144 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Jason
Ah ! c’est trop en souffrir ; il faut qu’un prompt supplice
De tant de cruautés à la fin te punisse.
Sus, sus, brisons la porte, enfonçons la maison ;
Que des bourreaux soudain m’en fassent la raison.
Ta tête répondra de tant de barbaries.
Médée, en l’air
dans un char tiré par deux dragons.
Que sert de t’emporter à ces vaines furies ?
Épargne, cher époux, des efforts que tu perds ;
Vois les chemins de l’air qui me sont tous ouverts1 ;
C’est par là que je fuis, et que je t’abandonne
Pour courir à l’exil que ton change m’ordonne.
Suis-moi, Jason, et trouve en ces lieux désolés
Des postillons pareils à mes dragons ailés.
Enfin je n’ai pas mal employé la journée
Que la bonté du roi, de grâce, m’a donnée ;
Mes désirs sont contents. Mon père et mon pays,
Je ne me repens plus de vous avoir trahis ;
Avec cette douceur j’en accepte le blâme.
Adieu, parjure : apprends à connaître ta femme,
Souviens-toi de sa fuite, et songe, une autre fois,
Lequel est plus à craindre ou d’elle ou de deux rois.
(À l’issue de cette tirade, Jason prononce un monologue désespéré et se tue.)

1. Médée s’enfuit pour toujours dans un char emporté par des dragons ailés.

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tant sur l’inspiration antique et le choix du sujet tragique.

B La tragédie classique et ses règles


On évoque souvent les règles de la tragédie classique, mais comment ont-elles
été instaurées ? La première réponse qu’on peut apporter est la suivante : les dra-
maturges et les théoriciens, dès le XVIe siècle, ont relu la Poétique d’Aristote, texte
théorique écrit au IVe siècle avant Jésus- Christ. Ce texte analyse les règles de
composition de la tragédie grecque.
Les intellectuels de l’époque moderne ont relu et interprété ce texte fondateur, en
l’adaptant aux nécessités de l’époque. Ainsi, au fil des décennies, les préceptes
d’Aristote ont-ils été prolongés et repensés par les écrivains et les penseurs occi-
dentaux.
Des principes d’Aristote, la tragédie française retient principalement trois élé-
ments :
▶ l’unité d’action ;
▶ la supériorité de l’intrigue sur les événements spectaculaires ;
▶ la purgation des passions par l’exemple d’une grande douleur.
La tragédie classique française repose sur trois règles dramaturgiques qui dé-
pendent les unes des autres, théorisées par les dramaturges français à partir des
années 1630. Elles sont les suivantes :
▶ la règle des trois unités ;
▶ la règle des bienséances ;
▶ la règle de vraisemblance.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 145


SÉQUENCE

4
1. La règle des trois unités
La règle des trois unités a pour but de créer une cohérence au niveau de l’action
et des personnages. Elle obéit donc à des règles précises. L’action doit se dérou-
ler dans un lieu unique (l’antichambre d’un palais dans la tragédie, une maison
bourgeoise dans la comédie, par exemple). L’unité de temps implique que l’action
s’inscrive dans une durée qui n’excède pas vingt-quatre heures. Plus la durée de
l’action se rapproche du temps de la représentation, plus on estime que la règle
est parfaite car la proximité entre le temps de la représentation et le temps de la
fiction augmente l’effet de vraisemblance.
Comment les dramaturges parviennent-ils à faire entrer l’intrigue dans l’unité spa-
tio-temporelle ?
▶ Les personnages se croisent dans un lieu unique mais ouvert (antichambre d’un
palais, lieu « neutre »).
▶ Tout n’est pas représenté : le dramaturge recourt aux récits, c’est-à-dire à des
tirades qui racontent ce qui s’est passé.
▶ Le dramaturge recourt à des ellipses : certains événements sont brièvement
évoqués, mais permettent de faire avancer l’intrigue.
▶ Les dramaturges adaptent les événements historiques aux nécessités de la fic-
tion.
Les dramaturges classiques se fixent pour règle de ne développer qu’une seule
action, c’est-à-dire une intrigue unique qui est le moins possible parasitée par des
éléments secondaires. L’intrigue est donc construite autour d’une action principale
et, quand des éléments interviennent au cours de l’histoire, ils doivent être ratta-
chés à l’intrigue principale. On a reproché à Corneille, par exemple, d’avoir multi-
plié les actions secondaires dans Le Cid, notamment dans les intrigues amoureuses
(histoire d’amour non réciproque entre l’Infante et Rodrigue, entre Chimène et Don
Sanche). À l’inverse, Bérénice de Racine présente une simplicité d’action extrême et
très peu d’éléments secondaires interviennent : Titus, empereur de Rome, épouse-
ra-t-il Bérénice, reine de Palestine ? Telle est l’intrigue de cette tragédie.

2. La règle des bienséances


Parallèlement aux règles qui régissent l’action, la dramaturgie classique fait inter-
venir d’autres restrictions qui concernent l’esthétique de la représentation théâ-
trale et la morale par la règle des bienséances.

Les bienséances désignent tout ce que le dramaturge et le spectateur doivent juger


convenable sur la scène : on ne doit pas choquer le public.

Les principales conséquences du respect des bienséances portent sur les éléments
suivants :

Visuellement Moralement

– Pas de violence en scène – Pas de blasphème ni de sacrilège


– Pas de sang répandu – Pas d’atteinte directe à la personne du
– Le corps ne doit pas être dénudé, même partiellement Roi
– Pas de représentation « érotique » du corps (baisers, – Pas d’allusions politiques directes
sexualité, etc.)
– Pas d’allusion aux choses matérielles (nourriture,
argent, etc.)

146 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Ce souci d’ordre moral correspond à l’évolution de la société. Sous le règne de
Louis XIII, le cardinal de Richelieu impose une autorité politique forte : celle-ci doit
aussi s’exercer dans le monde des lettres (cf. la création de l’Académie française
en 1635). Par ailleurs, les bienséances correspondent aussi à la recherche du raf-
finement dans les spectacles, dans la langue employée et dans les pratiques artis-
tiques. Ce principe caractérise le classicisme, l’élégance s’accordant à son sens de
la mesure et de la sobriété.

3. La règle de vraisemblance
Les règles d’unité, de bienséance et de vraisemblance ont des conséquences im-
médiates sur la composition des pièces, sur le langage et sur la représentation.
La notion de vraisemblance dans ce système est centrale, c’est-à-dire qu’elle re-
quiert des actions qui peuvent être admises comme vraies sans être nécessaire-
ment réalistes. Il ne s’agit pas d’imiter la réalité (historique ou culturelle) mais de
créer toutes les conditions pour que les actions et le comportement des person-
nages soient crédibles pour le public. C’est pourquoi de nombreux éléments de la
dramaturgie classique sont des conventions, c’est-à-dire des éléments admis par
le public. Parmi elles, retenons les plus importantes :
– le récit ;
– le monologue ;
– la parole en vers.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 3 qui portera sur l’intrigue du Cid de
Corneille.

C Héros et héroïnes de tragédie


Contrairement à la comédie qui met en scène des personnages proches du public
(bourgeois, paysans, petite noblesse, corps de métiers, domesticité), la tragédie ne
met en scène que des héros de haute lignée, qui parfois appartiennent à la mytho-
logie gréco-latine. On retiendra deux types de héros et d’héroïnes :
– les héros inspirés de l’histoire grecque ou romaine (rois, reines, princes et prin-
cesses) ;
– les héros inspirés de la mythologie gréco-latine (personnages légendaires).
Ces héros sont conduits à leur perte par les dramaturges pour les besoins de la
tragédie. Ils sont écrasés par la fatalité et ne peuvent échapper à leur destin. Ra-
cine définit ainsi le héros tragique : « Il faut que ce soit un homme qui par sa faute
devienne malheureux, et tombe d’une félicité et d’un rang très considérable dans
une grande misère. » (Œuvres complètes).
Ces personnages se caractérisent donc par leur grandeur, ce qui les oblige, dans
n’importe quelle circonstance, à conserver un langage soutenu et ils se doivent
de rester dignes face à l’adversité. Ils sont animés par de grandes passions qui
souvent opposent leurs désirs personnels (passion amoureuse) à des éléments ex-
térieurs (contrainte politique, fatalité divine, hérédité monstrueuse).
Face à ces exigences contradictoires, les héros tragiques se trouvent placés devant
ce qu’on appelle un « dilemme » : ils doivent faire un choix entre deux solutions,
souvent extrêmes.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 147


SÉQUENCE

4
Exemples de dilemme « cornélien »
▶ Dans Cinna de Corneille (1642), Auguste est tiraillé entre sa volonté de
vengeance et la clémence, qualité d’un grand souverain. Il apprend que
tout son entourage, à l’exception de sa femme Livie, souhaite sa perte. Cin-
na a été poussé par Émilie qui souhaite tuer Auguste, ce dernier ayant fait
exécuter son père. Mais Euphorbe révèle tous ces projets criminels à Au-
guste qui se trouve alors face à un dilemme : tuera-t-il ses ennemis ou leur
pardonnera-t-il, comme l’y encourage Livie ? Au moment où l’on pense que
l’empereur va faire tuer tous les ennemis qui en veulent à sa vie, il accorde
un pardon général et redonne à chacun ses anciennes prérogatives.
▶ Dans Andromaque de Racine (1667), Pyrrhus hésite entre sa fidélité aux
Grecs qui réclament la mort d’Astyanax, fils d’Andromaque, sa captive, et
son amour pour cette dernière, qui l’incite à la pitié.
L’action est donc centrée sur un conflit, généralement entre intérêt général
et bonheur personnel. Les personnages de tragédie, par leurs excès ou par
leur affrontement à des forces supérieures, sont ainsi les relais de la terreur
et de la pitié. À travers les épreuves qu’ils subissent, ils peuvent engendrer la
catharsis, c’est-à-dire la purgation des passions.
Dans l’idéal classique, la tragédie doit donc servir d’exemple au public pour le
rendre meilleur.

▶ Le récit de tragédie et les formules d’atténuation

Le théâtre classique doit respecter le goût du spectateur, ne pas heurter sa sensi-


bilté, ni les codes de bonnes manières ; on considère que la tragédie est donc des-
tinée à un public civilisé. Les actions les plus violentes doivent être réservées aux
coulisses ou rapportées par un personnage. C’est pourquoi le récit fait partie des
conventions les plus essentielles de la tragédie classique : un personnage relate
un événement qu’on ne peut montrer sur scène.
La proscription de toute forme de violences spectaculaires a des conséquences sur
le style d’écriture des tragédies. Pour ne pas choquer la morale, les dramaturges
recourent souvent à des euphémismes (qui atténuent la force des propos), à la li-
tote (qui exprime beaucoup en disant peu), à la périphrase (qui ne désigne pas un
élément directement, mais à travers une expression), à la métaphore (une image
permet d’exprimer un sentiment violent irreprésentable).

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pour effectuer l’activité n° 4 qui portera sur l’identification des
formules d’atténuation.

148 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Pour conclure
À retenir
La tragédie est d’origine grecque : ce spectacle était donné dans le cadre de
fêtes religieuses en l’honneur du dieu Dionysos et avait déjà une fonction mo-
rale et didactique. Les citoyens venaient voir représentées sur scène leurs
préoccupations politiques ou métaphysiques.
Comme dans l’antiquité, au XVIIe siècle, la tragédie doit provoquer chez le
spectateur « terreur et pitié » et l’aider à « purger ses passions » (catharsis)
devant l’exemple qui lui est donné à voir : le spectacle montre des héros, de
haute naissance (personnages mythologiques ou historiques), aux prises avec
leur destin, luttant contre leurs propres passions, placés devant un dilemme
(choix impossible, en général entre bonheur personnel et devoir social). Tout
l’enjeu pour le dramaturge est donc de créer une pièce vraisemblable (dont les
actions soient cohérentes et crédibles), suivant des conventions obligatoires :
règle des trois unités (temps, action, lieu), respect des bienséances (absence
de violence, de sang, d’amour sur scène) et utilisation d’un langage raffiné et
versifié. L’action unique doit donc se dérouler sur vingt-quatre heures, en un
seul lieu (en général un palais ouvert aux allées et venues des personnages)
et tenir en cinq actes. Le récit est très présent et permet de rendre compte de
tout ce qui sort de ces conventions imposées (événement extérieur, mort d’un
personnage, acte violent, etc.). Le monologue est l’occasion pour le public de
partager les pensées intimes du héros. Enfin, le dénouement de la tragédie
est toujours malheureux : le destin est inéluctable, malgré les espoirs du hé-
ros.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 5 : un quiz bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 149


SÉQUENCE

4
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Autour de la tragédie classique

Objectifs d’apprentissage

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chapitre 5.
© CNED

Pour débuter : Histoire des arts

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pour effectuer l’activité n° 1 qui vous proposera l’étude d’une
© CNED
photographie extraite de la représentation d’Andromaque à la
Comédie Française en 2010.

Andromaque de Ra-
cine, mise en scène
Muriel Mayette
(avec Cécile Brune et
Eric Ruff), 2010.
© Christophe Ray-
naud de Lage :
Comédie-Française.

150 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Pour apprendre

A Cruels dilemmes
Enr. 17 Extrait n° 1 : Un dilemme moral - Corneille, Le Cid
Le Cid (1637) constitue un événement littéraire dans l’histoire du théâtre.
Corneille a osé un nouveau genre de tragédie, même s’il a déjà plusieurs pièces à son
actif.
Rodrigue aime Chimène et cet amour est réciproque. Mais une altercation oppose Don
Diègue, le père de Rodrigue, et Don Gomès, le père de Chimène, qui oblige le fils à pro-
voquer en duel le père de celle qu’il aime. Rodrigue lui obéit et tue Don Gomès. Chimène
peut-elle décemment aimer le meurtrier de son père ? Telle est l’expression du fameux
dilemme « cornélien » qui place le personnage dans une situation où il doit faire un
choix douloureux.
Dans cette scène, c’est la première fois que Rodrigue et Chimène se trouvent en pré-
sence devant le public. Pire, Rodrigue se présente l’épée à la main, arme qui a servi à
tuer Don Gomès.

Acte III, scène 4


Chimène, Don Rodrigue
Chimène
Cruel ! à quel propos sur ce point t’obstiner ?
Tu t’es vengé sans aide, et tu m’en veux donner !
Je suivrai ton exemple, et j’ai trop de courage
Pour souffrir1 qu’avec toi ma gloire se partage.
Mon père et mon honneur ne veulent rien devoir
Aux traits de ton amour, ni de ton désespoir.
Don Rodrigue
Rigoureux point d’honneur ! hélas ! quoi que je fasse,
Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grâce ?
Au nom d’un père mort, ou de notre amitié,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié.
Ton malheureux amant2 aura bien moins de peine
À mourir par ta main qu’à vivre avec ta haine.
Chimène
Va, je ne te hais point.
Don Rodrigue
Tu le dois.
Chimène
Je ne puis.
Don Rodrigue
Crains-tu si peu le blâme, et si peu les faux bruits ?
Quand on saura mon crime, et que ta flamme3 dure,
Que ne publieront point l’envie et l’imposture !
Force-les au silence, et, sans plus discourir,
Sauve ta renommée en me faisant mourir.
Chimène
Elle éclate bien mieux en te laissant la vie ;
Et je veux que la voix de la plus noire envie

CNED SECONDE – FRANÇAIS 151


SÉQUENCE

4
Élève au Ciel ma gloire et plaigne mes ennuis,
Sachant que je t’adore et que je te poursuis4.
Va-t’en, ne montre plus à ma douleur extrême
Ce qu’il faut que je perde, encore que5 je l’aime.
Dans l’ombre de la nuit cache bien ton départ ;
Si l’on te voit sortir, mon honneur court hasard6.
La seule occasion qu’aura la médisance,
C’est de savoir qu’ici j’ai souffert ta présence :
Ne lui donne point lieu d’attaquer ma vertu.
Don Rodrigue
Que je meure !
Chimène
Va-t’en.
Don Rodrigue
À quoi te résous-tu ?
Chimène
Malgré des feux si beaux qui troublent ma colère,
Je ferai mon possible à bien venger mon père ;
Mais, malgré la rigueur d’un si cruel devoir,
Mon unique souhait est de ne rien pouvoir.
Don Rodrigue
Ô miracle d’amour !
Chimène
Mais comble de misères.

1. souffrir : permettre.
2. amant : amoureux
3. ta flamme : métaphore pour « ton amour ».
4. poursuivre : chercher à faire condamner en justice.
5. encore que : bien que.
6. hasard : danger.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-


même à voix haute.
Effectuez les activités n° 2 et n° 3. Elles vous permettront de ré-
aliser une lecture analytique du texte.

Enr. 18 Texte n° 2 : Un dilemme religieux - Corneille, Polyeucte


Polyeucte (1643) est la première tragédie religieuse écrite par Corneille.
Elle relate un épisode inspiré de l’histoire romaine, au moment des persécutions des
premiers chrétiens. Polyeucte, grand seigneur arménien, que Pauline, fille de Félix, un
sénateur romain et gouverneur d’Arménie, a dû épouser au lieu de Sévère, un Romain
trop obscur au goût de son père, a été peu à peu aimé de celle-ci. Polyeucte s’est ré-
cemment converti au christianisme naissant. Mais Pauline est polythéiste. Il tente de lui
faire embrasser sa religion, mais elle s’y refuse, appuyée par son père. Félix fait exécu-
ter Néarque, un chrétien, et espère faire abjurer Polyeucte qui est allé au temple briser
les idoles. Pauline est persuadée qu’il court à sa mort, et lui a réaffirmé son amour.
Dans la scène suivante, Corneille montre le conflit qui oppose les deux époux : face à
Pauline, il réaffirme sa foi, celle-ci lui reproche de l’abandonner.

152 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
À la fin de la pièce, après que Polyeucte aura choisi le martyre plutôt que la vie, Pauline
et Félix seront touchés par la grâce divine et se convertiront.
Acte IV, scène 3
Pauline, Polyeucte
Pauline
Que dis-tu, malheureux ? Qu’oses-tu souhaiter ?
Polyeucte
Ce que de tout mon sang je voudrais acheter.
Pauline
Que plutôt…
Polyeucte
C’est en vain qu’on se met en défense :
Ce Dieu touche les cœurs lorsque moins on y pense.
Ce bienheureux moment n’est pas encore venu.
Il viendra, mais le temps ne m’en est pas connu.
Pauline
Quittez cette chimère, et m’aimez.
Polyeucte
Je vous aime,
Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même.
Pauline
Au nom de cet amour, ne m’abandonnez pas.
Polyeucte
Au nom de cet amour, daignez suivre mes pas.
Pauline
C’est peu de me quitter, tu veux donc me séduire ?
Polyeucte
C’est peu d’aller au ciel, je vous y veux conduire.
Pauline
Imaginations !
Polyeucte
Célestes vérités !
Pauline
Étrange aveuglement !
Polyeucte
Éternelles clartés !
Pauline
Tu préfères la mort à l’amour de Pauline !
Polyeucte
Vous préférez le monde à la bonté divine !
Pauline
Va, cruel, va mourir ; tu ne m’aimas jamais.
Polyeucte
Vivez heureuse au monde, et me laissez en paix.

Écoutez le texte lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-


même à voix haute.
Effectuez les activités n° 4 et n° 5. Elles vous permettront de ré-
aliser une lecture analytique du texte.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 153


SÉQUENCE

4
B Un dénouement inhabituel
Texte n° 3 : Jean Racine, Bérénice
L’intrigue de Bérénice (1671) est simple. Reine de Palestine, Bérénice aime Titus, em-
pereur de Rome et est aimée de lui ; le bruit court de leur mariage prochain. Mais les
lois romaines interdisent à un empereur romain d’épouser une reine étrangère : le sujet
tragique est tout entier dans le conflit entre le devoir politique et les sentiments per-
sonnels des protagonistes. Titus, prêt à renoncer à l’Empire et au pouvoir politique, se
laisse finalement fléchir par Bérénice qui prend la décision de le quitter, bien qu’elle
l’aime également passionnément. Chacun menace tour à tour de se suicider – Bérénice
si elle n’épouse pas Titus, Titus si Bérénice n’accepte pas de consentir à leur sépara-
tion –, mais la pièce se termine sans mort, choix esthétique audacieux pour une tragé-
die.
Dans cette dernière scène de l’acte V, Antiochus, roi de Commagène et ami du nouvel
empereur, amoureux secret de la reine, vient de prendre le risque d’avouer à Titus qu’il
était son rival silencieux tout en réaffirmant son désir de partir. Bérénice trouve dans
son amour pour Titus la force de renoncer à son bonheur et d’accepter la séparation,
elle retournera seule en Palestine, loin de Titus et sans Antiochus.

BÉRÉNICE, TITUS, ANTIOCHUS

Bérénice, se levant.
Arrêtez, arrêtez1. Princes trop généreux,
En quelle extrémité me jetez-vous tous deux !
Soit que je vous regarde, ou que je l’envisage2,
Partout du désespoir je rencontre l’image,
Je ne vois que des pleurs, et je n’entends parler
Que de trouble, d’horreurs, de sang prêt à couler.
(À Titus.)
Mon cœur vous est connu, Seigneur, et je puis dire
Qu’on ne l’a jamais vu soupirer pour l’empire :
La grandeur des Romains, la pourpre des Césars,
N’a point, vous le savez, attiré mes regards.
J’aimais, Seigneur, j’aimais, je voulais être aimée.
Ce jour, je l’avouerai, je me suis alarmée :
J’ai cru que votre amour allait finir son cours.
Je connais3 mon erreur, et vous m’aimez toujours.
Votre cœur s’est troublé, j’ai vu couler vos larmes.
Bérénice, Seigneur, ne vaut point tant d’alarmes,
Ni que par votre amour l’univers malheureux,
Dans le temps que Titus attire tous ses vœux,
Et que de vos vertus il goûte les prémices4,
Se voie en un moment enlever ses délices.
Je crois, depuis cinq ans jusqu’à ce dernier jour,
Vous avoir assuré d’un véritable amour.
Ce n’est pas tout : je veux, en ce moment funeste,
Par un dernier effort couronner tout le reste :
Je vivrai, je suivrai vos ordres absolus.
Adieu, Seigneur, régnez ; je ne vous verrai plus.
(À Antiochus.)
Prince, après cet adieu, vous jugez bien vous-même
Que je ne consens pas de quitter ce que j’aime
Pour aller loin de Rome écouter d’autres vœux5.
Vivez, et faites-vous6 un effort généreux.
Sur Titus et sur moi réglez votre conduite :

154 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Je l’aime, je le fuis ; Titus m’aime, il me quitte.
Portez loin de mes yeux vos soupirs et vos fers7.
Adieu. Servons tous trois d’exemple à l’univers
De l’amour8 la plus tendre et la plus malheureuse
Dont il puisse garder l’histoire douloureuse.
Tout est prêt. On m’attend. Ne suivez point mes pas.
(À Titus.)
Pour la dernière fois, adieu, Seigneur.
Antiochus
Hélas !

1. Elle s’adresse à Antiochus qui est sur le point de sortir.


2. envisager : regarder le visage de quelqu’un.
3. Je connais, au sens de « je reconnais ».
4. prémices : premiers effets.
5. vœux : prières d’amour.
6. faites sur vous-même.
7. les fers désignent, dans le vocabulaire galant, les chaînes de l’esclavage amoureux.
8. amour est au féminin, selon l’usage assez fréquent du XVIIe siècle.

Effectuez les activités n° 6 et n° 7. Elles vous permettront de ré-


aliser une lecture analytique du texte.

C Le devenir de la tragédie aux XIXe et XXe siècles

1. Histoire littéraire
La tragédie ne disparaît pas du paysage théâtral français après Racine et Corneille.
Bien au contraire, on continue d’écrire des pièces sur le modèle racinien. Ainsi,
Voltaire, auteur de Candide, est l’auteur de nombreuses tragédies néoclassiques
qui puisent leurs thèmes dans l’histoire antique. Toutefois, le genre s’épuise à force
d’être imité. À l’aube du XIXe siècle, le public commence à se lasser des tragédies
néoclassiques qui semblent fades à côté des modèles de Racine et de Corneille.

▶ Le romantisme et la tragédie


Le Romantisme naît - comme tout mouvement littéraire et culturel – d’une rupture,
d’une réaction à d’autres mouvements qui l’ont précédé. De ce point de vue, il est en
réaction contre le classicisme et contre le rationalisme des Lumières (XVIIIe siècle).
Cette réaction se traduit par la remise en cause de règles formelles établies. Dans
les années 1820-1840, le romantisme part en guerre contre les tragédies clas-
siques en vers, estimant que la société issue de la Révolution française a désor-
mais besoin d’autres spectacles, et d’un théâtre nouveau. Le drame romantique
se construit donc en révolte contre la tragédie, tout en conservant certains de
ses aspects. Il est en fait hérité du drame bourgeois, qui s’est développé à la fin du
XVIIIe siècle, et prend pour modèle Shakespeare (1564-1616) alors que Racine re-
présente, pour les romantiques, un modèle qui a fait son temps. C’est ce que traduit
Stendhal dans un pamphlet demeuré célèbre, Racine et Shakespeare (1823-1825),
dans lequel il milite pour un théâtre en prose, idée appliquée par Musset quelques
années plus tard dans Lorenzaccio (1834).
Victor Hugo, qui apparaît comme le chef de file de l’école romantique, écrit en 1827
une pièce de théâtre, Cromwell, dont la préface fera figure de manifeste. Dans la

CNED SECONDE – FRANÇAIS 155


SÉQUENCE

4
« Préface » de Cromwell, Victor Hugo explique que le drame est un genre hybride,
qui mêle la comédie et la tragédie. Sans exclure la tragédie, les dramaturges ro-
mantiques renouvellent en profondeur ses structures : certaines pièces aban-
donnent l’alexandrin ; les règles d’unité de lieu et de temps ne sont plus respec-
tées, la règle de bienséance non plus. Ainsi, dans son drame Lucrèce Borgia (voir
groupement de textes ci-après) qui est une réécriture du mythe des Atrides, Hugo
fait voyager les spectateurs de Venise à Ferrare dans une pièce en prose, et montre
un matricide sur scène. Bien qu’il ne respecte pas les règles de la tragédie clas-
sique, Victor Hugo donne à sa pièce un souffle tragique, puisqu’il montre comment
l’ironie du sort devient une fatalité sur le destin des personnages. Ce ne sont plus
les Dieux qui gouvernent le sort des hommes, mais leurs propres erreurs ou leur
aveuglement.
Victor Hugo défend la rime et le vers qu’il veut aptes à incarner le mélange des
genres et des registres par lequel se caractérise le drame romantique.

Documents – Victor Hugo, extrait de la Préface de Cromwell

Document 1
La société, en effet, commence par chanter ce qu’elle rêve, puis raconte ce qu’elle
fait, et enfin se met à peindre ce qu’elle pense. C’est, disons-le en passant, pour
cette dernière raison que le drame, unissant les qualités les plus opposées, peut
être tout à la fois plein de profondeur et plein de relief, philosophique et pittoresque.
Du jour où le christianisme a dit à l’homme : « Tu es double, tu es composé de deux
êtres, l’un périssable, l’autre immortel, l’un charnel, l’autre éthéré, l’un enchaîné
par les appétits, les besoins et les passions, l’autre emporté sur les ailes de l’en-
thousiasme et de la rêverie, celui-ci enfin toujours courbé vers la terre, sa mère,
celui-là sans cesse élancé vers le ciel, sa patrie » ; de ce jour le drame a été créé.
Est-ce autre chose en effet que ce contraste de tous les jours, que cette lutte de
tous les instants entre deux principes opposés qui sont toujours en présence dans
la vie, et qui se disputent l’homme depuis le berceau jusqu’à la tombe ?
La poésie née du christianisme, la poésie de notre temps est donc le drame ; le
caractère du drame est le réel ; le réel résulte de la combinaison toute naturelle de
deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame comme ils se
croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la poésie complète, est
dans l’harmonie des contraires.
Victor Hugo, préface de Cromwell, 1827.

Document 2
Si nous avions le droit de dire quel pourrait être, à notre gré, le style du drame, nous
voudrions un vers libre, franc, loyal, osant tout dire sans pruderie, tout exprimer
sans recherche ; passant d’une naturelle allure de la comédie à la tragédie, du su-
blime au grotesque : tour à tour positif et poétique, tout ensemble artiste et inspiré,
profond et soudain, large et vrai ; sachant briser à propos et déplacer la césure pour
déguiser sa monotonie d’alexandrin ; plus ami de l’enjambement qui l’allonge que
de l’inversion qui l’embrouille : fidèle de la rime, cette esclave reine, cette suprême
grâce de notre poésie, ce générateur de notre mètre ; inépuisable dans la varié-
té de ses tours, insaisissable dans ses secrets d’élégance et de facture ; prenant,
comme Protée1, mille formes sans changer de type et de caractère, fuyant la ti-
rade ; se jouant dans le dialogue ; se cachant toujours derrière le personnage ; s’oc-
cupant avant tout d’être à sa place, et lorsqu’il lui adviendrait d’être beau, n’étant
beau en quelque sorte que par hasard, malgré lui et sans le savoir ; lyrique, épique,
dramatique, selon le besoin ; pouvant parcourir toute la gamme poétique, aller de
haut en bas, des idées les plus élevées aux plus vulgaires, des plus bouffonnes aux

156 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
plus graves, des plus extérieures aux plus abstraites, sans jamais sortir des limites
d’une scène parlée ; en un mot, tel que le ferait l’homme qu’une fée aurait doué de
l’âme de Corneille et de la tête de Molière. Il nous semble que ce vers-là serait bien
aussi beau que de la prose.
Victor Hugo, préface de Cromwell (1827).

1. Protée : dieu grec capable de prendre mille formes insaisissables

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pour effectuer l’activité n° 8 qui portera sur l’apport du drame
romantique.

▶ La tragédie au XXe siècle


Après les revendications du théâtre romantique de mêler genres et registres, au
XXe siècle, les codes sont plus encore mis en cause ou pervertis. Au lendemain de
la première Guerre mondiale, la société est bouleversée. On cherche des moyens
artistiques pour exprimer les enjeux de la condition humaine. Une véritable re-
naissance de la tragédie antique se produit alors, qui dure au-delà de la seconde
Guerre mondiale. Les dramaturges comme Jean Cocteau (Orphée, La Machine in-
fernale) Jean Giraudoux (La Guerre de Troie n’aura pas lieu), Jean-Paul Sartre (Les
Mouches) ou encore Camus (Caligula) adaptent les mythes gréco-latins pour mieux
représenter le monde contemporain.
En réactualisant les mythes antiques, les dramaturges questionnent les grands
problèmes du monde contemporain : quelle est la place de l’Homme dans la so-
ciété ? Quelle est sa part de libre-arbitre ? Avons-nous le choix de nos actes ?
Antigone d’Anouilh, écrite sous l’Occupation allemande, est souvent considérée
comme un symbole de la Résistance, son héroïne refusant de se plier aux règles
qu’on lui impose. Mais les repères ne sont plus aussi simples pour le spectateur ;
ainsi, le théâtre d’Anouilh est classé en « pièces noires », « pièces brillantes »
« grinçantes », ou encore « costumées ».
À partir des années 1950, le théâtre de l’absurde propose lui aussi une nouvelle
forme de tragique. Le destin de l’homme ne se manifeste pas sous forme d’événe-
ments menaçants, mais sous celle d’une impuissance absolue à modifier le cours
de sa vie et à lui trouver un sens. Cette absence d’espoir fonde un théâtre très
pessimiste, déroutant, qui utilise aussi bien la farce, la dérision voire l’humour
noir tout en renouvelant aussi le genre tragique.
Pour le théâtre de Samuel Beckett, écrivain irlandais dont les œuvres ont été ré-
digées en français, on parle de « farce tragique » ; on mesure l’évolution depuis
l’époque classique où ces deux termes étaient incompatibles !

CNED SECONDE – FRANÇAIS 157


SÉQUENCE

4
Document – Samuel Beckett, En attendant Godot (1953)

Samuel Beckett, En attendant Godot, © 1952, Les Éditions de Minuit.

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pour effectuer l’activité n° 9 portant sur le théâtre de l’absurde.

2. Corpus : l’évolution de la tragédie (du XIXe au XXe siècle)

Corpus
Voici un dernier corpus que vous allez découvrir en lecture cursive :
▶ Victor Hugo, Hernani (1830)

▶ Victor Hugo, Lucrèce Borgia (1833)

▶ Jean Cocteau, La Machine infernale (1934)

▶ Jean Anouilh, Antigone (1944).

158 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
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pour effectuer l’activité n° 10 portant sur ces quatre textes.

Texte n° 1 : Victor Hugo, Hernani (1830)


Hernani est une pièce importante dans l’histoire du théâtre. On l’associe en général à
la victoire du romantisme sur les planches. Le projet de Victor Hugo consiste à rivaliser
avec la tragédie en vers, et pour ce faire, il compose un drame en alexandrins. Mais
contrairement à la tragédie classique, Hugo ne respecte ni les unités ni les bienséances.
L’intrigue d’Hernani repose sur une triple rivalité amoureuse. Doña Sol aime Hernani, et
cet amour est réciproque. Mais elle doit épouser Don Ruy Gomez. Le roi Don Carlos la
courtise également et menace ses rivaux. Les personnages sont animés de sentiments
violents, à l’image d’Hernani qui se révolte contre lui-même et contre le monde entier.
On constate donc que les questions qui traversent la tragédie classique ne disparaissent
pas des pièces ultérieures. Certes, les dramaturges abandonnent progressivement
l’écriture en vers et les règles. Mais la tragédie ne meurt pas pour autant, elle prend de
nouveaux visages.

Acte III, scène 2


HERNANI.
Monts d’Aragon ! Galice ! Estramadoure !
Oh ! je porte malheur à tout ce qui m’entoure !
J’ai pris vos meilleurs fils ; pour mes droits, sans remords,
Je les ai fait combattre, et voilà qu’ils sont morts !
C’étaient les plus vaillants de la vaillante Espagne !
Ils sont morts ! ils sont tous tombés dans la montagne,
Tous sur le dos couchés, en justes, devant Dieu,
Et s’ils ouvraient les yeux, ils verraient le ciel bleu !
Voilà ce que je fais de tout ce qui m’épouse !
Est-ce une destinée à te rendre jalouse ?
Dona Sol, prends le duc, prends l’enfer, prends le roi !
C’est bien. Tout ce qui n’est pas moi vaut mieux que moi !
Je n’ai plus un ami qui de moi se souvienne,
Tout me quitte, il est temps qu’à la fin ton tour vienne,
Car je dois être seul. Fuis ma contagion.
Ne te fais pas d’aimer une religion
Oh ! par pitié pour toi, fuis ! Tu me crois peut-être
Un homme comme sont tous les autres, un être
Intelligent, qui court droit au but qu’il rêva.
Détrompe-toi ! je suis une force qui va !
Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !
Une âme de malheur faite avec des ténèbres !
Où vais-je ? je ne sais. Mais je me sens poussé
D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.
Je descends, je descends, et jamais ne m’arrête.
Si parfois, haletant, j’ose tourner la tête,
Une voix me dit : Marche ! et l’abîme et profond,
Et de flamme et de sang je le vois rouge au fond !
Cependant, à l’entour de ma course farouche,
Tout se brise, tout meurt. Malheur à qui me touche !
Oh ! Fuis ! détourne-toi de mon chemin fatal.
Hélas ! sans le vouloir, je te ferais du mal !

CNED SECONDE – FRANÇAIS 159


SÉQUENCE

4
Texte n° 2 : Victor Hugo, Lucrèce Borgia (1833)
Lucrèce Borgia est un des plus gros succès de la scène romantique. Dans ce drame,
Hugo raconte l’histoire d’un jeune homme qui cherche désespérément sa mère. Or
le public comprend très vite que cette femme est Lucrèce Borgia, dont la réputation
sanglante fait frémir l’Italie. Lucrèce a retrouvé ce fils qu’elle cherchait, mais n’ose lui
avouer qu’elle est sa mère, de crainte de susciter sa haine. Après bien des péripéties et
des renversements, la mère et le fils se retrouvent enfin seuls, dans la dernière scène
du drame.

Acte III, scène 3


Gennaro. Vous êtes ma tante. Vous êtes la sœur de mon père. Qu’avez-vous fait de
ma mère, Madame Lucrèce Borgia ?
Dona Lucrezia. Attends, attends ! Mon dieu, je ne puis tout dire. Et puis, si je te di-
sais tout, je ne ferais peut-être que redoubler ton horreur et ton mépris pour moi !
écoute-moi encore un instant. Oh ! Que je voudrais bien que tu me reçusses repen-
tante à tes pieds ! Tu me feras grâce de la vie, n’est-ce pas ? Eh bien, veux-tu que
je prenne le voile ? Veux-tu que je m’enferme dans un cloître, dis ? Voyons, si l’on te
disait : cette malheureuse femme s’est fait raser la tête, elle couche dans la cendre,
elle creuse sa fosse de ses mains, elle prie Dieu nuit et jour, non pour elle, qui en
aurait besoin cependant, mais pour toi, qui peux t’en passer ; elle fait tout cela, cette
femme, pour que tu abaisses un jour sur sa tête un regard de miséricorde, pour que
tu laisses tomber une larme sur toutes les plaies vives de son cœur et de son âme,
pour que tu ne lui dises plus comme tu viens de le faire avec cette voix plus sévère
que celle du jugement dernier : vous êtes Lucrèce Borgia ! Si l’on te disait cela, Gen-
naro, est-ce que tu aurais le cœur de la repousser ! Oh ! Grâce ! Ne me tue pas, mon
Gennaro ! Vivons tous les deux, toi pour me pardonner, moi, pour me repentir ! Aie
quelque compassion de moi ! Enfin cela ne sert à rien de traiter sans miséricorde
une pauvre misérable femme qui ne demande qu’un peu de pitié ! - un peu de pitié !
Grâce de la vie ! - et puis, vois-tu bien, mon Gennaro, je te le dis pour toi, ce serait
vraiment lâche ce que tu ferais là, ce serait un crime affreux, un assassinat ! Un
homme tuer une femme ! Un homme qui est le plus fort ! Oh ! Tu ne voudras pas ! Tu
ne voudras pas !
Gennaro, ébranlé. Madame…
Dona Lucrezia. Oh ! Je le vois bien, j’ai ma grâce. Cela se lit dans tes yeux. Oh !
Laisse-moi pleurer à tes pieds !
Une voix au-dehors. Gennaro !
Gennaro. Qui m’appelle ?
La Voix. Mon frère Gennaro !
Gennaro. C’est Maffio !
La Voix. Gennaro ! Je meurs ! Venge-moi !
Gennaro, relevant le couteau. C’est dit. Je n’écoute plus rien. Vous l’entendez, ma-
dame, il faut mourir !
Dona Lucrezia, se débattant et lui retenant le bras. Grâce ! Grâce ! Encore un mot !
Gennaro. Non !
Dona Lucrezia. Pardon ! écoute-moi !
Gennaro. Non !
Dona Lucrezia. Au nom du ciel !
Gennaro. Non !
Il la frappe.
Dona Lucrezia. Ah !.. tu m’as tuée ! - Gennaro ! Je suis ta mère !

160 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Texte n° 3 : Jean Cocteau, La Machine infernale (1934)
La Machine infernale, créée en 1934 est une adaptation moderne du mythe d’Œdipe,
et de la pièce de Sophocle, Œdipe roi. Le jeune homme arrive à Thèbes, dévastée par
le Sphinx qui, chaque soir, pose une énigme que personne ne parvient à résoudre. Celui
qui sortira vainqueur de l’épreuve épousera la Reine Jocaste et deviendra roi. Un soir,
Œdipe croise le Sphinx qui pose sa question… Œdipe répond… la machine infernale est
enclenchée ! Dans l’extrait suivant, le Sphinx décrit sa puissance sur les Hommes grâce
à un langage poétique et imagé qu’on retrouve dans les films de Jean Cocteau.

LE SPHINX. Inutile de fermer les yeux, de détourner la tête. Car ce n’est ni par le
chant, ni par le regard que j’opère. Mais, plus adroit qu’un aveugle, plus rapide que
le filet des gladiateurs, plus subtil que la foudre, plus raide qu’un cocher, plus lourd
qu’une vache, plus sage qu’un élève tirant la langue sur des chiffres, plus gréé, plus
voilé, plus ancré, plus bercé qu’un navire, plus incorruptible qu’un juge, plus vorace
que les insectes, plus sanguinaire que les oiseaux, plus nocturne qu’un œuf, plus
ingénieux que les bourreaux d’Asie, plus fourbe que le cœur, plus désinvolte qu’une
main qui triche, plus fatal que les astres, plus attentif que le serpent qui humecte
sa proie de salive ; je sécrète, je tire de moi, je lâche, je dévide, je déroule, j’enroule
de telle sorte qu’il me suffira de vouloir ces nœuds pour les faire et d’y penser pour
les tendre ou pour les détendre ; si mince qu’il t’échappe, si souple que tu t’imagi-
neras être victime de quelque poison, si dur qu’une maladresse de ma part t’am-
puterait, si tendu qu’un archet obtiendrait entre nous une plainte céleste ; bouclé
comme la mer, la colonne, la rose, musclé comme la pieuvre, machiné comme les
décors du rêve, invisible surtout, invisible et majestueux comme la circulation du
sang des statues, un fil qui te ligote avec la volubilité des arabesques folles du miel
qui tombe sur du miel.
La Machine infernale, Jean Cocteau,© Éditions Grasset & Fasquelle, 1934.

Texte n° 4 : Jean Anouilh, Antigone (1944)


Dans l’extrait suivant, Antigone vient d’être arrêtée car elle a osé braver les ordres de
Créon, son oncle et le roi de Thèbes : elle a rendu un hommage funèbre à son frère Poly-
nice en couvrant son corps de terre. Créon veut d’abord étouffer l’affaire, mais Antigone
se révolte et réclame la mort. Créon se sent obligé de faire appliquer la loi, et Antigone
est condamnée à mort. Bien qu’elle exprime sa douleur dans ce passage, Antigone est
face à elle-même et le garde n’a aucune compassion pour elle.

Antigone, lui dit soudain.


Écoute…
Le Garde
Oui.
Antigone
Je vais mourir tout à l’heure.
Le garde ne répond pas. Un silence. Il fait les cent pas. Au bout d’un moment, il reprend.
Le Garde
D’un autre côté, on a plus de considération pour le garde que pour le sergent de
l’active. Le garde, c’est un soldat, mais c’est presque un fonctionnaire.
Antigone
Tu crois qu’on a mal pour mourir ?
Le Garde
Je ne peux pas vous dire. Pendant la guerre, ceux qui étaient touchés au ventre, ils
avaient mal. Moi, je n’ai jamais été blessé. Et, d’un sens, ça m’a nui pour l’avance-
ment.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 161


SÉQUENCE

4
Antigone
Comment vont-ils me faire mourir ?
Le Garde
Je ne sais pas. Je crois que j’ai entendu dire que pour ne pas souiller la ville de votre
sang, ils allaient vous murer dans un trou.
Antigone
Vivante ?
Le Garde
Oui, d’abord.
Un silence. Le garde se fait une chique.
Antigone
Ô tombeau ! Ô lit nuptial ! Ô ma demeure souterraine !.. (Elle est toute petite au milieu
de la grande pièce nue. On dirait qu’elle a un peu froid. Elle s’entoure de ses bras. Elle
murmure.) Toute seule.
Antigone, Jean Anouilh, © Éditions de La Table ronde, 1946.

D Lecture cursive : Britannicus, Jean Racine


Britannicus est une tragédie politique écrite en 1669 par Racine, au faîte de sa no-
toriété et de sa reconnaissance à la cour. Admiré par Louis XIV qui apprécie ses
tragédies, Racine est un auteur en vue quand il fait jouer sa pièce. Il faut ainsi tenir
compte du contexte pour mieux saisir la signification de cette tragédie qui mêle
intrigue politique et amoureuse. Britannicus est inspiré d’un épisode de l’histoire
romaine que Racine cite en préambule de sa tragédie. Il s’agit du moment où le
jeune empereur Néron s’affranchit du joug maternel de sa mère Agrippine et de-
vient progressivement le tyran qui a laissé un souvenir sanglant dans l’Histoire.

Conseils de méthode pour la lecture cursive


Lire une tragédie en vers exige une certaine concentration et une attention
lors de la lecture car on est plus facilement habitué à lire de la prose.
Contrairement à certaines idées préconçues, lire une tragédie en vers n’est
pas difficile. Les termes de lexique vous sont expliqués par des notes, et l’ap-
pareil critique qui figure dans votre édition de la pièce vous fournit tous les
renseignements qui peuvent vous manquer.
Je vous conseille un travail en trois temps :
▶ Une première lecture pour découvrir l’œuvre, l’apprécier pour son origina-
lité et sa force.
▶ Une seconde lecture, crayon à la main, pour prendre des notes relatives aux
éléments suivants : personnages, péripéties, passages importants.
▶ Une troisième étape, pour découvrir des mises en scène de l’œuvre, en vous
connectant sur certains sites qui montrent des extraits de la pièce (vous
pouvez saisir « Britannicus, mise en scène » dans la barre de votre moteur
de recherche).

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 11, une lecture cursive de la pièce.

162 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Pour conclure
À retenir
Si les règles de la tragédie classique ont marqué l’identité du genre, elles ne
sont pas restées immuables. Corneille comme Racine les ont parfois contour-
nées pour renouveler le genre, mais ce sont surtout les Romantiques, menés
par Hugo, qui remettront en cause le carcan qu’elles imposent en créant le
drame romantique. La règle des trois unités notamment vole en éclats et
les dramaturges du XIXe s’attachent à conserver le registre tragique, sans la
forme de tragédie dans laquelle il était, selon eux, étouffé. Au XXe siècle, la
tragédie est renouvelée par la réécriture des mythes tragiques, mais une
grande liberté de ton et de texte permet aux pièces de rencontrer le succès
auprès du public contemporain. Peu à peu les frontières s’estompent et la
comédie peut devenir grinçante ou tragique, notamment avec le théâtre de
l’absurde, qui, sous des dehors rieurs et grotesques, met en avant la situation
tragique de l’être humain.
Le registre tragique conserve donc de la tragédie la réflexion sur la lutte dé-
sespérée de l’être humain contre un destin inéluctable ainsi que la conscience
aiguë d’une mort inévitable. Il s’insère maintenant dans différentes formes de
pièces, que nulle règle ne dirige : le dramaturge a ainsi une complète liberté.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 12 : un quiz bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 163


SÉQUENCE

4
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour clore votre séquence

À retenir
Le théâtre, par son étymologie désigne un spectacle à voir. Vous garderez donc
en tête cette dimension essentielle lorsque vous étudierez un texte théâtral.
Au XVIIe siècle, peu de gens peuvent lire les pièces, mais la société tout en-
tière peut se rendre au théâtre. Les dramaturges écrivent donc leurs pièces en
pensant immédiatement à leur mise en scène.
Comédie et tragédie au XVIIe ont toutes deux une dimension didactique : s’il
doit plaire et émouvoir (placere et movere), le théâtre a aussi pour mission
d’éduquer (docere). Les règles instituées ont donc pour but de faciliter ce pro-
jet. La tragédie espère purger les passions humaines en en montrant sur
scène des exemples extrêmes. La comédie veut quant à elle amener le spec-
tateur à réfléchir sur ses agissements : en riant des excès d’un personnage,
il doit « châtier » (castigare) ses propres mœurs.

Approfondissement et soutien

Si vous avez rencontré des difficultés, rendez-vous sur cned.fr pour ef-
fectuer l’activité interactive n° 1 qui vous permettra de consolider vos
connaissances.
Si vous voulez aller plus loin, rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité
interactive n° 2.

164 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Fiche méthode

Comédie et tragédie

Le dramaturge classique doit plaire et toucher (placere et movere) surtout par la


tragédie, et aussi plaire et instruire (placere et docere), surtout par la comédie.
Dans la tragédie, l’expression magnifiée des sentiments ne suffit pas pour entraî-
ner l’adhésion du lecteur ou du spectateur ; pour que la catharsis opère encore
faut-il que ces sentiments soient vraisemblables et touchent au cœur.
De même dans la comédie, il ne sert à rien de plaire si l’on n’instruit pas, si l’on ne
dégage pas un enseignement raisonné et raisonnable du texte et de la représen-
tation.

À travers le tableau suivant, nous vous proposons un rappel de ce qui différencie


comédie et tragédie :

Comédie Tragédie

Ce sont souvent des bourgeois, ou bien Rois, reines, empereurs et impératrices.


des personnages de basse extraction Uniquement des personnages issus des
sociale. Leurs préoccupations sont plus hautes castes. Parfois présence de
Personnages matérielles. dieux ou de demi-dieux.
Il est question de dot, d’héritage, de
mariage.

Dans une maison, en ville. Parfois à la Lieu unique. L’antichambre d’un palais,
campagne. le plus souvent. Un lieu « neutre » où
Lieux de l’action On observe plusieurs lieux dans une peuvent se croiser tous les personnages.
même pièce. L’unité de lieu n’est pas
nécessairement respectée.

Plusieurs niveaux de langue : soutenu, Langage soutenu. Pièces en alexandrins.


courant, familier. Le plus souvent, c’est
le langage courant qui domine dans
Niveau de langue l’échange, sauf quand le dramaturge
recourt à des jurons farcesques. Dans
la comédie en vers, le langage est
également soutenu.

Faire rire, divertir le public. Mais aussi, Susciter la terreur et la pitié pour obtenir
selon la formule « castigat ridendo la purgation des passions. Moraliser le
mores », faire prendre conscience au public en lui montrant l’exemple d’une
Visée
public de la satire morale. Finalement, la grande souffrance.
comédie fait évoluer l’esprit critique du
spectateur.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 165


SÉQUENCE

4
Fiche méthode

Le vocabulaire du théâtre

Action au théâtre, ce qui se passe sur scène.

Aparté réplique dite « à part » par un personnage, censée être entendue seulement par
les spectateurs, les autres personnages présents sur scène étant censés ne pas
l’entendre.

Commedia comédie italienne apparue au XVe siècle. Les acteurs y portent des masques
dell’arte pour incarner des personnages types (tel Arlequin). Ils improvisent des lazzis et
des saynètes sur des canevas bien connus.

Catharsis c’est-à-dire la purgation des passions (selon l’étymologie grecque « pureté »),
fonction théâtrale par laquelle le spectateur se retrouve « purgé » de ses vices
ou défauts en assistant au spectacle du malheur des héros mis en scène. Dans
l’idéal classique, la tragédie doit servir d’exemple au public pour le rendre meil-
leur.

Classicisme mouvement culturel et littéraire du XVIIe siècle, qui considère comme beau ce
qui est fondé sur l’alliance de la raison et du sentiment, le respect de la vraisem-
blance et des bienséances. Les thèmes sont souvent inspiré de l’Antiquité. En
art, la ligne droite et la symétrie sont privilégiées.

Coryphée chef du chœur dans la tragédie grecque. Il dialogue avec les acteurs.

Dénouement résolution finale de l’intrigue qui met fin à la crise.

Didascalie indication scénique donnée par l’auteur aux acteurs, fixant les noms des per-
sonnages, l’intonation des répliques, les gestes, les déplacements, ou encore
les décors.

Dilemme conflit intérieur vécu par un personnage lui imposant de choisir entre deux inté-
rêts opposés, l’amour et l’idéal politique ou la gloire, la famille ou la cité.

Double nature de l’énonciation au théâtre qui prend en compte deux destinataires, le(s)
énonciation personnage(s) et les spectateurs.

Drame (étymologiquement « action »). Genre théâtral du XIXe siècle, mêlant les re-
gistres comique et tragique.

Euphémisme figure de style visant à atténuer l’effet abrupt d’une réalité ou d’une idée.
Exemple : « il nous a quitté » pour « il est mort ».

Farce genre théâtral reposant sur un comique trivial, des effets grotesques ou bouf-
fons.

Hyperbole figure d’amplification ou d’exagération qui souligne ou met en relief une idée.
Exemple : « c’est à mourir de rire » plutôt que « c’est vraiment très drôle »

Lazzi(s) jeux de scènes, jeux de masque ou de mots improvisés pour faire rire dans la
commedia dell’arte.

166 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

4
Litote expression retenue qui dit le moins pour suggérer le plus. Ex : « Va, je ne hais
point ». (Corneille, Le Cid)

Pathétique registre littéraire qui vise à émouvoir le lecteur ou le spectateur au spectacle de


la douleur physique ou morale.

Scène unité de base des pièces du théâtre classique. Elle se définit par l’entrée ou la
sortie d’un personnage.

Tirade longue réplique dans un dialogue de théâtre.

Tragique registre qualifiant un texte où l’enchaînement des faits voue le héros au malheur
et à la mort, sans autre issue possible.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 167


Sommaire

Séquence 5
L’École des femmes :
une comédie classique

Chapitre 1 Pour débuter votre séquence ................................................................................ 171

Chapitre 2 Autour de Molière .................................................................................................................... 173


A. Biographie de Molière
B. Contexte historique
C. L’esthétique classique en peinture et dans l’art des jardins

Fiche méthode Le classicisme ................................................................................................................. 179

Chapitre 3 Une pièce classique : vue d’ensemble ....................................................... 184


A. Un tournant dans le genre de la comédie : « la grande comédie »
B. La règle des trois unités en question
C. La structure de la pièce

Fiche méthode Les règles du théâtre classique .......................................................... 190

Chapitre 4 Une pièce classique : à l’épreuve du texte ......................................... 193


A. Étude de l’exposition
B. Une édifiante satire du jaloux
C. De l’utilité du récit dans la comédie
D. Montrer aux hommes leurs ridicules
E. Lecture cursive : Les Femmes savantes, Molière

Chapitre 5 Pour clore votre séquence ......................................................................................... 198

CNED SECONDE – FRANÇAIS 169


SÉQUENCE

5 Objectifs

Objet d’étude Textes et œuvres


La tragédie et la comédie au XVIIe siècle : le clas- ▶ Une lecture intégrale
sicisme Molière, L’École des femmes, 1662
▶ Une lecture cursive
Objectifs Molière, Les Femmes savantes, 1672

▶ Approfondir votre connaissance du théâtre


classique ; Fiches méthode
▶ Revoir les règles du théâtre classique ; ▶ Le classicisme
▶ Revoir la notion de registre comique ; ▶ Les règles du théâtre classique
▶ Étudier une pièce de Molière dans son intégra-
lité

Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation de la séquence.

170 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour débuter votre séquence

Pour vérifier vos connaissances

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 1 : un quiz d’autoévaluation.

Pour vous construire une culture littéraire

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 2 qui vous permettra de compléter
une frise chronologique.

Propositions de lecture

Afin de vous forger une culture littéraire personnelle qui vous permettra
d’approfondir votre connaissance du théâtre et de la comédie au XVIIe siècle,
nous vous invitons à lire attentivement les deux pièces étudiées dans la sé-
quence, mais aussi à analyser les documents iconographiques que nous
avons retenus. Nous vous invitons également à flâner dans la liste ci-des-
sous, et à lire, pour le plaisir, certaines des œuvres suivantes.

▶ Une biographie de Molière :


Mikhaïl Boulgakov, Le Roman de monsieur de Molière

▶ Autour de L’École des femmes :


Pour compléter votre étude de L’École des femmes, nous vous conseillons
de lire les deux autres pièces dans lesquelles Molière évoque les critiques
qui lui ont été faites et y répond :
– La Critique de L’École des femmes
– L’Impromptu de Versailles

▶ Sur le thème de la jeune fille naïve que l’amour rend avisée, voici
quelques suggestions de lectures :
– Le conte de La Fontaine, « Comment l’esprit vient aux filles ».
– Le Barbier de Séville, ou La précaution inutile, de Beaumarchais : un siècle
plus tard, une reprise au théâtre du motif de la jeune fille prisonnière d’un
barbon.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 171


SÉQUENCE

5
– Sur l’éducation des filles, dans Artamène ou le Grand Cyrus, Madeleine de
Scudéry présente ses positions sur l’accès des jeunes filles à l’éducation.
Vous pouvez lire ce texte dans certaines éditions de L’École des femmes
(voir le dossier) ou ici :
http://www.artamene.org (livre 10, chapitre 2, page 6970, puis déplier
pour lire la page en contexte)

▶ Lisez quelques-unes de ces grandes comédies de Molière :

– Le Tartuffe
– Le Misanthrope
– Les Femmes savantes
– Le Malade imaginaire

Filmographie
– Roberto Rossellini, La Prise du pouvoir par Louis XIV
– Ariane Mnouchkine, Molière
– Gérard Corbiau, Le Roi danse

La préciosité et le classicisme
Pour mieux connaître la préciosité, vous pouvez lire quelques-unes des poé-
sies d’Isaac de Benserade, contemporain de Molière, et poète très célèbre
à cette époque :
http://www.bmlisieux.com/curiosa/benserad.htm

172 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Autour de Molière

Objectifs d’apprentissage
Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du
chapitre 2.
© CNED

Pour débuter : Histoire des arts

Rendez-vous sur cned.fr pour réaliser l’activité n° 1 qui vous propose


l’étude d’un tableau de Jean Hégesippe Vetter, Molière reçu par Louis XIV
© CNED
(XIXe siècle).

Pour apprendre

A Biographie de Molière
Molière est un très grand dramaturge français, et vous avez certainement déjà lu
plusieurs de ses comédies. C’est pourquoi il est important que vous ayez quelques
connaissances essentielles sur sa vie, qui vous permettront de mieux comprendre
ses œuvres et de les replacer dans leur contexte historique.
Pour cela, je vous invite à faire des recherches sur la bio-
graphie du dramaturge sur Internet, en consultant plusieurs
sites – et pas seulement Wikipedia ! –, et à prendre des notes
sur ce qui vous semble important à retenir, avant de réaliser
l’activité suivante.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre


fascicule d’exercices pour effectuer l’acti-
vité n° 2 qui vous permettra de compléter
la biographie de Molière.

Nicolas Habert, Jean-Baptiste Poquelin dit Molière.


Écrivain et dramaturge, représenté tenant le Tartuffe.
Gravure. 25,2 x 18 cm. Châteaux de Versailles et Trianon, Paris.
© RMN / Gérard Blot

CNED SECONDE – FRANÇAIS 173


SÉQUENCE

5
B Contexte historique
baroque Molière a vécu sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV, au
Mouvement culturel marqué par la liberté cours desquels se sont épanouis les mouvements culturels
totale d’inspiration et de composition du baroque*, puis, du classicisme.
menant parfois à l’outrance ; au théâtre, Molière est lui-même un représentant du classicisme. Vous
c’est la tragi-comédie qui domine. trouverez une présentation détaillée de ce courant dans la
fiche méthode en fin de chapitre.
La vie culturelle est étroitement liée au contexte historique. Nous vous présentons
dans le tableau ci-après les aspects marquants du XVIIe siècle sur le plan politique,
religieux, économique, social et culturel.

1610 /17-1643 1644-1661 1661-1685 1685-1715


Règne de Louis XIII Régence d’Anne « Le siècle de Louis le Période moins
avec le cardinal Richelieu : d’Autriche avec le Grand », phase prospère brillante du règne
période de trouble cardinal Mazarin du règne de Louis XIV de Louis XIV

Hostilités d’une bonne partie de Révoltes paysannes, Marqué par la Fronde, Guerres
la famille royale et de la grande puis émeutes et Louis XIV écarte incessantes :
aristocratie française, d’où Fronde des Princes l’aristocratie du pouvoir guerre de la ligue
de nombreuses manœuvres en 1663, s’entoure de d’Augsbourg (1688-
politiques pour affaiblir les (1650-1652), révolte bourgeois, comme 1697) et guerre
Politique aristocrates au profit du des derniers féodaux Colbert, et instaure un de succession
pouvoir royal. Longues guerres contre le pouvoir pouvoir personnel et d’Espagne (1701-
contre l’Espagne. centralisateur qui une monarchie absolue. 1714).
émerge et réduit leur Multiples réformes.
influence. Nombreux succès
militaires.

Lutte contre les protestants Développement du Dissolution de la Révocation de l’Édit


dans le sud de la France. courant janséniste. Compagnie du Saint- de Nantes (signé
Création de la Compagnie du Sacrement (1665). en 1598 par Henri
Religieux Saint-Sacrement (1629) pour Persécutions des IV), interdiction du
lutter dans l’ombre contre jansénistes manifestant protestantisme
l’impiété, l’immoralité et le une certaine opposition à et paroxysme des
protestantisme. l’absolutisme (1653-1669). persécutions.

Économie dynamisée mais Lourds impôts Développement du Ruine économique


lourds impôts. qui étranglent la commerce et des de la France
Économique
population ; mauvaises manufactures avec Colbert. provoquée par les
récoltes et épidémies. guerres.

Affaiblissement de la noblesse, Misère paysanne, Noblesse évincée et Noblesse,


misère paysanne. affaiblissement de la divisée, essor de la bourgeoisie et
Social Certaine émancipation noblesse. bourgeoisie sur laquelle paysans également
féminine tout au long du s’appuie le roi, misère mécontents.
XVIIe siècle. paysanne.

1634 : création de l’Académie Essor du classicisme. Le roi favorise Incompréhension


française. Mécénat royal pour l’épanouissement des arts des intellectuels qui
Épanouissement du mettre l’art au et des sciences, ce qui étaient auparavant
mouvement baroque ; service du pouvoir donne lieu à l’apogée du dévoués au roi.
émergence d’autres exigences royal et création classicisme. Cet art est au Querelle des
Culturel artistiques fondées sur la d’académies de service du pouvoir royal Anciens et des
raison. peinture, de sculpture, (cf. les divertissements Modernes et fin du
d’architecture. royaux dans les jardins classicisme.
Naissance du courant de la du château de Versailles) ;
préciosité autour de Mme de construction du château de
Rambouillet et Mlle de Scudéry. Versailles.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 3 qui vous permettra de bien com-
prendre le contexte historique du XVIIe siècle.

174 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
C L’esthétique classique en peinture et dans l’art
des jardins

Le classicisme Caractéristiques du classicisme* en peinture


Le classicisme est un mouvement litté-
– Sujets nobles tirés de la mythologie, de la Bible, de la vie
raire qui se développe en France, et plus
largement en Europe, dans la deuxième des saints, de la poésie bucolique latine.
moitié du XVIIe siècle, de 1660 à 1680. Il – Importance du dessin, avec des contours nets, une lumière
s’impose donc dans la littérature, mais vive, des couleurs clairement définies et une absence totale
aussi la philosophie, la musique, les de contrastes violents qui permet de distinguer aisément
arts plastiques et l’architecture, tendant
tous les éléments du tableau.
vers une perfection formelle définie
d’après l’héritage gréco-romain, mais il – Perspective en plans successifs, construits sur des lignes
correspond aussi à la consolidation des verticales ou horizontales, évitant les diagonales et les
États nations soucieux de contribuer au spirales réclamées par le baroque.
développement d’un art qui magnifie leur
puissance. – Composition claire et ordonnée, souvent fermée (la scène
est contenue dans le cadre), où les figures ne se recoupent
pas ou peu.
– Personnages idéalisés, selon le modèle des sculptures de l’Antiquité classique,
souvent vêtus à l’antique et dans une attitude statique, sobre et discrète.
– Principaux représentants : Nicolas Poussin (1594-1665), François Perrier (1590-
1650), Laurent de la Hyre (1606-1656), Philippe de Champaigne (1602-1674),
Pierre Mignard (1612-1695) et Charles le Brun (1619-1690).

Caractéristiques de l’architecture classique


– L’architecture classique se caractérise par des lignes droites, la recherche de
la symétrie et de la rigueur géométrique, ainsi que par l’importance de l’or-
thogonalité. La sobriété des surfaces et des plans oppose les constructions
classiques aux baroques, soucieuses d’effet décoratif, tout en courbes et contre-
courbes, et pourvues de surcharges ornementales.
– Parfaite fonctionnalité : adéquation entre l’architecture et la fonction de l’édifice.
– Imitation de l’Antiquité : présence de colonnes et statues
selon les modèles antiques, et le respect des proportions
tenues pour « parfaites » par les philosophes grecs et
romains.
– Principaux représentants : Pierre Lescot (1515-1578),
Philibert Delorme (1510-1570), Salomon de Brosse (1565-
1628), François Mansart (1598-1661), Jules Hardoin-Man-
sart (1646-1708), Louis Le Vau (1612-1670).
– Œuvre-phare de l’architecture classique : la colonnade du
Louvre.

Vue en enfilade de la colonnade Perrault.


Musée du Louvre, Paris.
© RMN/Caroline Rose.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 175


SÉQUENCE

5
Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 4 qui vous permettra de travailler sur
le classicisme dans les jardins du château de Versailles.
La lecture préalable de la Fiche méthode sur le classicisme à la fin de ce
chapitre peut vous aider à répondre aux questions.

Caractéristiques de l’art des jardins classiques


C’est le « jardin à la française », qui se caractérise par :
– un plan géométrique et symétrique qui crée des effets de perspective très cal-
culés ;
– une composition de parterres, d’allées, de bassins, de fontaines, d’arbres et
d’arbustes taillés suivant des formes régulières ;
– la présence de sculptures illustrant des scènes tirées de la mythologie gré-
co-romaine et de l’histoire antique.

Le château de Vaux-le-Vicomte

Vue aérienne du
château de Vaux-le-Vicomte.
© Roger-Viollet

Le château de Versailles

Bassin, statue et jeux d’eau


du Parterre d’Eau
dans le parc
du château de Versailles.
Photo : Sylvain Sonnet.
© HEMIS.FR/AFP

176 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
Sitographie
Pour approfondir votre connaissance des liens qu’entretient Louis XIV avec les
arts, et en particulier avec le théâtre, vous pouvez consulter les sites suivants :

▶ Psyché de Lully, Corneille et Molière


Site internet : http://www.opera-montpellier.com
L’opéra et orchestre national de Montpellier propose l’étude de Psyché de
Lully, Corneille et Molière, créé au XVIIe siècle afin de célébrer la puissance
du Roi Soleil et ainsi éblouir sa cour. Ce dossier présente le sujet mytholo-
gique de la pièce, qui fonctionne comme un miroir.

▶ Molière joué à la Cour


Site internet : http://www.comedie-francaise.fr

▶ La représentation des comédies-ballets de Molière à la Comédie-Fran-


çaise « avec tous leurs ornements »
Site internet : http://www.comedie-francaise.fr
Cet article de Jacqueline Razgonnikoff analyse l’évolution de la forme de
représentation que les héritiers officiels de Molière, les Comédiens Fran-
çais, ont donné à la comédie-ballet au cours de leur histoire ou lui donnent
encore sur la scène.

▶ Lully - Marche pour la cérémonie des Turcs


Site internet : http://mediatheque.cite-musique.fr
Créée en 1670, la « Marche pour la cérémonie des Turcs » de Jean-Baptiste
Lully est extraite de la comédie-ballet, Le Bourgeois gentilhomme, pour la-
quelle il collabore avec Molière.

▶ Versailles et les fêtes de cour sous le règne de Louis XIV


Site internet : http://www.chateauversailles.fr
Grâce à ce dossier, particulièrement destiné aux élèves du collège, décou-
vrez le faste des fêtes organisées à la cour de Louis XIV à Versailles.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 177


SÉQUENCE

5
Pour conclure
À retenir
Le XVIIe siècle est marqué par la mise en place de l’absolutisme royal par
la dynastie des Bourbons ; après Henri IV, Louis XIII et son ministre Richelieu
cherchent à affaiblir les aristocrates au profit du pouvoir royal. Sous la régence
d’Anne d’Autriche éclatent les troubles de La Fronde, qui laisseront le jeune Louis
XIV très hostile à la noblesse. Après la mort de Mazarin, qui reste son premier
ministre jusqu’à sa mort en 1661, Louis XIV décide d’assumer seul le pouvoir.
Pour domestiquer la noblesse, le roi va la faire vivre à sa cour, qui se doit
d’être la plus brillante. Les nobles se ruineront pour y vivre et dépendront
des pensions et des faveurs du roi. Il fait choix de la construction d’un palais
superbe, à Versailles, destiné à éblouir l’Europe ; ce château et ses jardins
seront la marque de la magnificence royale. Il prend pour emblème le soleil,
autour de qui tout doit tourner, et pour devise, Nec pluribus impar, qui signifie
que, comme le soleil, il se trouve au-dessus de tout.
La mise en espace des jardins, à la fois écrins du château et lieux de la prome-
nade royale, reflète la toute-puissance de Louis XIV, comme en témoignent les
statues d’Apollon et de sa mère Latone qui ornent les fontaines, les bassins et
le grand canal de Versailles.
À partir de 1630, le théâtre devient, comme le dit Corneille dans L’Illusion
comique, « Le divertissement le plus doux de nos princes, / Les délices du
peuple, et le plaisir des grands / ; il tient le premier rang parmi leurs passe-
temps ». La « Querelle du Cid » (1637-1640) aura pour résultat la codification
des règles du théâtre classique. Inspirées des auteurs de l’antiquité, notam-
ment d’Aristote et d’Horace, elles proscrivent le mélange des genres co-
mique et tragique tel qu’on le trouvait dans le théâtre baroque, et établissent
une hiérarchie qui place au sommet la tragédie classique. Comédie et tra-
gédie doivent se plier à des règles d’écriture, les règles de bienséance, de
vraisemblance et celles des trois unités (de temps, de lieu et d’action).
La création de l’Académie française par Richelieu, le puissant ministre du roi
Louis XIII, encourage les arts et le théâtre. Mazarin est un mécène et Louis XIV à
son tour favorisera et protègera les artistes qui le célèbrent ; il imposera aussi les
règles du classicisme dans les arts ; les jardins de Versailles en sont un exemple.
Ce siècle est aussi marqué par la préciosité, un mouvement né dans les sa-
lons de l’aristocratie au début du XVIIe siècle et qui continue tout au long du
siècle. Les précieuses veulent imposer la bienséance, le goût pour la litté-
rature et les arts, et un raffinement qui n’existait pas à la cour d’Henri IV.
Idéalistes en amour, elles préfèrent l’amour platonique au mariage, souvent
forcé à cette époque, et réfléchiront à l’éducation des jeunes filles. Pratiquant
l’art de la conversation, elles auront une grande influence sur la langue fran-
çaise qu’elles contribueront tout à la fois à normaliser et à enrichir. Les salons
précieux, fréquentés par tous les auteurs, sont les lieux où se fait, se lit et se
discute la littérature du XVIIe siècle.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 5 : un quiz bilan du chapitre.

178 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
Fiche méthode

Le classicisme
Définition
L’esthétique classique du XVIIe siècle se Naissance d’une notion
place dans la continuité de celle de la
Renaissance dont elle hérite des valeurs : laLe terme est tiré du latin classicus ; l’adjectif « classique »
recherche de l’harmonie, l’imitation de l’An-qualifiait dans la Rome antique la langue parlée par l’élite
tiquité, l’observation de la nature, et, dansintellectuelle et sociale, par opposition à la langue vulgaire,
les arts plastiques, le rendu de la perspec- la langue du peuple. Le terme « classique » apparaît à la Re-
tive, du modelé et de l’anatomie. Son idéal
naissance pour désigner, par opposition à l’art gothique, une
de beauté, par opposition au baroque, réside
esthétique définie d’après le modèle antique gréco-romain. À
dans l’ordre, la clarté et la symétrie.
la fin du XIXe siècle, ce sont les historiens de l’art qui donnent
son sens actuel à la notion de « classicisme » pour définir,
par opposition au « baroque », le courant qui s’est développé à partir de la fin du
XVIe siècle dans les arts plastiques, l’architecture, la littérature et la philosophie.

Chronologie et contexte historique


Née en France sous les ministères de Richelieu (1624-1642) et de Mazarin (1642-
1661), l’esthétique classique atteint son apogée dans la première partie du règne de
Louis XIV (1661-1687) dont elle servira l’image de puissance et d’autorité. « La que-
relle des Anciens et des Modernes », à partir de 1687, annonce la fin de ce courant.

On peut donc distinguer trois phases dans le classicisme.

1620-1661 ▶  Détournement de l’esthétique baroque et élaboration du goût classique


À partir de 1620, l’aristocratie et plus encore la bourgeoisie commencent à
se lasser des excès baroques tandis que le pouvoir royal tente de contrôler la
création littéraire : l’Académie française est fondée en 1635. L’idéal de l’hon-
nête homme (cf. infra) voit le jour.
1621-1687 ▶ Apogée du classicisme
Cette phase correspond à une période de stabilité au moment où, à la mort de
Mazarin, Louis XIV commence à exercer le pouvoir par lui-même.
Le Roi Soleil exerce un pouvoir absolu fondé sur la religion. Cet absolutisme
est apprécié de la bourgeoisie et de l’aristocratie, l’une profitant de la paix,
l’autre de l’aide royale. Dans ce contexte, Louis XIV crée une vie mondaine
brillante et patronne les arts.
1687-1715 ▶ Déclin du classicisme
Alors que Louis XIV multiplie les guerres qui affament le peuple et mettent à
mal la bourgeoisie, des protestations s’élèvent et l’esprit critique se répand.
Dans le domaine littéraire, les « Modernes » en viennent à rejeter le fonde-
ment du classicisme : l’imitation des Anciens.

Contexte culturel
Le classicisme se diffuse au sein de la bourgeoisie et des aristocrates de moindre
rang – la haute aristocratie ayant été écartée par Louis XIV – pétris par la même
culture gréco-latine. Laissées sans instruction, mis à part quelques personnalités
d’exception – comme Mlle de Scudéry –, les femmes, créeront le courant précieux.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 179


SÉQUENCE

5
Les grands principes de l’esthétique classique

1. L’imitation des Anciens


Comme les écrivains de la Renaissance, les classiques se donnent pour modèles,
les auteurs grecs et latins et comme références théoriques, les Poétique d’Aristote
(IVe s. av. J.-C.) et d’Horace (Ier siècle après J.-C.), qui ont explicité dans leur œuvre
les principes de l’art antique. Précisons cependant que cette imitation n’est pas un
plagiat : il s’agit de s’inspirer d’un auteur antique connu pour rivaliser avec lui.
Quantité de fables de La Fontaine sont ainsi empruntées aux fabulistes grec Ésope
(Ve siècle av. J.-C.) et latin Phèdre (Ier siècle après J.-C.).
Phèdre, tragédie de Racine, est la troisième version d’un mythe déjà mis en scène
par Euripide (dramaturge grec du Ve siècle av. J.-C.) puis Sénèque (auteur latin du
Ier siècle après J.-C.). Racine s’inspire aussi d’Euripide pour sa tragédie Androma-
que. Pour Les fourberies de Scapin, la source de Molière est le Phormion de Térence
(auteur comique latin du IIe s. av. J.-C.) ; pour L’avare, il reprend La marmite de
Plaute (auteur comique latin du IIIe s. av. J.-C.).

La Fontaine, « Le Chêne et le Roseau », Fables, I, 22

Le chêne un jour dit au roseau :


Ésope, « Le roseau et l’olivier »* « Vous avez bien sujet d’accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le roseau et l’olivier disputaient de leur endu- Le moindre vent qui d’aventure
rance, de leur force, de leur fermeté. L’olivier Fait rider la face de l’eau,
reprochait au roseau son impuissance et sa fa- Vous oblige à baisser la tête.
cilité à céder à tous les vents. Le roseau garda Cependant que mon front, au Caucase pareil,
le silence et ne répondit mot. Or le vent ne tarda Non content d’arrêter les rayons du soleil,
pas à souffler avec violence. Le roseau, secoué Brave l’effort de la tempête.
et courbé par les vents, s’en tira facilement ; Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
mais l’olivier, résistant aux vents, fut cassé par Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
leur violence. Dont je couvre le voisinage,
Cette fable montre que ceux qui cèdent aux cir- Vous n’auriez pas tant à souffrir :
constances et à la force ont l’avantage sur ceux Je vous défendrais de l’orage ;
qui rivalisent avec de plus puissants. Mais vous naissez le plus souvent
* Traduction d’Émile Chambry.
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien in-
juste.
– Votre compassion, lui répondit l’arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. » Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L’arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l’empire desmorts.

180 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
La querelle des Anciens et des Modernes est révélatrice d’une évolution qui mar-
quera la fin du classicisme et annoncera le siècle des Lumières. Les « Modernes »
(Perrault, Fontenelle) contestent cette toute-puissance des modèles antiques : s’ils
sont dignes d’admiration, disent-ils, le progrès de l’art et de la société oblige les
artistes à innover et à rechercher d’autres sources d’inspiration et de nouvelles
formes artistiques en accord avec leur temps. Le parti des Anciens (Boileau, La
Bruyère) ou parti des classiques rétorque que l’Antiquité gréco-latine est la seule
référence possible car elle a atteint la perfection et l’universel. La preuve en est la
durée de la renommée des auteurs de l’Antiquité.

2. La raison
L’art classique prétend se fonder sur la raison, dans un souci constant de lucidité et
d’analyse. S’il s’intéresse bien souvent aux passions et à l’irrationnel, il cherche à
les rendre intelligibles. On refuse donc le droit de juger à ceux chez qui la raison et
le jugement ne sont pas développés par l’habitude de la réflexion et par la culture
intellectuelle : les productions classiques s’adressent à un public cultivé. De cette
valeur accordée à la raison découlent plusieurs traits caractéristiques de l’esthé-
tique classique.

a. La codification
Sous l’autorité de la raison, s’érige un système très strict de règles dans chaque
genre. Les règles classiques sont les œuvres des doctes qui définissent les théories
du goût classique, à travers des lettres, des traités, des arts poétiques. Vaugelas et
Guez de Balzac légifèrent ainsi sur la bonne utilisation de la langue. Jean Chape-
lain et l’abbé d’Aubignac définissent les règles du théâtre classique. En musique et
dans les arts plastiques, les principes formels sont très contraignants et rigoureu-
sement défendus par les académies, créées pendant cette période. L’autorité des
Anciens repose donc désormais sur les théoriciens et les académiciens.

b. Vraisemblance et bienséance
Afin de montrer la réalité dans ce qu’elle a de rationnel et d’universel, l’art clas-
sique s’efforce d’être naturel, autrement dit de donner l’impression de la réalité
tout en évitant de choquer le public sur un plan moral ou esthétique.

c. Souci de clarté
De la même façon que la raison éclaire le jugement, l’art se doit d’éclairer l’enten-
dement. Ce souci de clarté se traduit en littérature, par le recours à un langage
simple et précis. Retenez les vers de Boileau qui synthétisent si bien cette idée :
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement / Et les mots pour le dire viennent
aisément. » (Art poétique)

3. Placere et docere : plaire et instruire


Les productions classiques se donnent une finalité morale, celle d’élever les
hommes, en particulier en les purifiant de leurs passions et de leurs vices. Pour
y parvenir, « le secret est d’abord de plaire et de toucher » (Boileau, Art poétique).
Autrement dit, seul un homme intéressé et ému par l’œuvre peut recevoir l’ensei-
gnement qu’elle contient.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 181


SÉQUENCE

5
Lisez cet extrait de Phèdre de Racine où l’héroïne éponyme de la pièce ouvre tout
entier son cœur à son beau-fils Hippolyte à qui elle vient d’avouer son amour. Ce
passage est une remarquable illustration de la doctrine classique « plaire, tou-
cher et instruire ». À la lecture de ce texte, vous éprouverez sans doute en effet à
la fois un plaisir esthétique, un sentiment de pitié pour l’héroïne tragique et de
l’aversion pour sa monstrueuse passion.

PHÈDRE

Ah, cruel ! tu m’as trop entendue !


Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur.
Eh bien ! connais donc Phèdre et toute sa fureur :
J’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même ;
Ni que du fol amour qui trouble ma raison
Ma lâche complaisance ait nourri le poison ;
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang ;
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d’une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé :
C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé ;
J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine ;
Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.
De quoi m’ont profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins ;
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes :
Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder…
Que dis-je ? cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
Tremblante pour un fils que je n’osais trahir,
Je te venais prier de ne le point haïr :
Faibles projets d’un cœur trop plein de ce qu’il aime !
Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même !
Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour :
Digne fils du héros qui t’a donné le jour,
Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.
La veuve de Thésée ose aimer Hippolyte !
Crois-moi, ce monstre affreux ne doit point t’échapper ;
Voilà mon cœur : c’est là que ta main doit frapper.
Impatient déjà d’expier son offense,
Au-devant de ton bras je le sens qui s’avance.
Frappe : ou si tu le crois indigne de tes coups,
Si ta haine m’envie un supplice si doux,
Ou si d’un sang trop vil ta main serait trempée,
Au défaut de ton bras prête-moi ton épée ;
Donne.
Racine, Phèdre, 1677, acte II, scène 5.

182 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
L’idéal classique ou la morale du « Grand
Siècle » : l’honnête homme
L’honnête homme (pluriel les « honnêtes gens ») est marqué par le sens de la
mesure et de l’élégance. Maître de soi et plein de finesse, cultivé et toujours dé-
sireux d’apprendre avec un esprit critique, il est ouvert, curieux, savant sans être
pédant, agréable et s’adapte sans hypocrisie à la société mondaine, puisque son
sens de la mesure lui fait connaître et accepter les faiblesses humaines.

Lisez ce portrait tiré des Caractères, œuvre dans laquelle le moraliste Jean de La
Bruyère stigmatise des défauts inconciliables avec l’honnêteté. Par inversion, vous
aurez un portrait de l’honnête homme !

Giton a le teint frais, le visage plein et les joues pendantes, l’œil fixe et assuré,
les épaules larges, l’estomac haut, la démarche ferme et délibérée. Il parle avec
confiance ; il fait répéter celui qui l’entretient, et il ne goûte que médiocrement tout
ce qu’il lui dit. Il déploie un ample mouchoir, et se mouche avec grand bruit ; il
crache fort loin, et il éternue fort haut. Il dort le jour, il dort la nuit et profondément ;
il ronfle en compagnie. Il occupe à la table et à la promenade plus de place qu’un
autre. Il tient le milieu en se promenant avec ses égaux ; il s’arrête, et l’on s’arrête ;
il continue de marcher, et l’on marche : tous se règlent sur lui. Il interrompt, il re-
dresse ceux qui ont la parole : on ne l’interrompt pas, on l’écoute aussi longtemps
qu’il veut parler ; on est de son avis, on croit les nouvelles qu’il débite. S’il s’assied,
vous le voyez s’enfoncer dans un fauteuil, croiser ses jambes l’une sur l’autre, fron-
cer le sourcil, abaisser son chapeau sur ses yeux pour ne voir personne, ou le rele-
ver ensuite, et découvrir son front par fierté et par audace. Il est enjoué, grand rieur,
impatient, présomptueux, colère, libertin, politique, mystérieux sur les affaires du
temps ; il se croit des talents et de l’esprit. Il est riche.
Jean de La Bruyère, « Des biens de fortune », Les Caractères, 1688.

Principaux représentants du classicisme en littérature


▶ Théâtre : l’œuvre de Pierre Corneille dans la seconde moitié du XVIIe siècle
et surtout Jean Racine pour la tragédie, Molière pour la comédie
▶ Fable : Jean de La Fontaine (Fables choisies, mises en vers par M. de La Fon-
taine)
▶ Œuvres morales : Jean de La Bruyère (Les Caractères), La Rochefoucauld
(Maximes)
Mme de La Fayette (La Princesse de Clèves)
▶ Poésie : Nicolas Boileau (Art poétique, Satires, Épîtres)

Mémorisez cette phrase pour retenir le nom des grands auteurs classiques :
« Sur la racine de la bruyère, la corneille boit l’eau de la fontaine Molière ».

CNED SECONDE – FRANÇAIS 183


SÉQUENCE

5
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Une pièce classique : vue d’ensemble

Objectifs d’apprentissage
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chapitre 3.
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Pour débuter : Histoire des arts

Rendez-vous sur cned.fr pour réaliser l’activité interactive n° 1 qui


vous propose une étude du tableau de Nicolas Poussin, L’Inspiration du
© CNED
poète, XVIIe siècle.

Pour apprendre

A Un tournant dans le genre de la comédie : « la


grande comédie »

1. La comédie en France avant L’École des femmes


Au moment où Molière donne L’École des femmes, la scène comique est dominée
par la farce et la commedia dell’arte, déjà évoquées dans la séquence précédente.
La farce, née dans l’Antiquité avec Aristophane et Plaute, et devenue très populaire
au Moyen Âge, est une pièce bouffonne visant à provoquer le rire par les moyens
les plus simples, voire les plus grossiers, sans aucun souci de la morale. Son
comique repose sur la déformation de situations ou de personnages tirés de la
trivialité quotidienne. Tromperies et ruses sont le lot de couples conventionnels :
maris et femmes, vendeurs et clients, maîtres et serviteurs. Certains types même,
tels que la femme acariâtre, le soldat fanfaron, le vieillard amoureux ou le philo-
sophe pédant, traversent les siècles. L’intrigue, on ne peut plus simple, repose sur
des retournements, sur le schéma de « l’arroseur arrosé » très souvent. Si ces re-
bondissements provoquent le rire, les jeux de masque, de scène et les plaisanteries
volontiers grossières l’entretiennent tout au long de la pièce.
La commedia dell’arte, représentée en France à l’époque de Molière par la troupe
des Comédiens Italiens, en particulier par le célèbre Scaramouche, est une forme
de théâtre semi-improvisé où la gestuelle, parfois même l’acrobatie, et la fantai-
sie verbale des acteurs sont les principaux moteurs du comique. Les acteurs sont
des professionnels (d’où le nom « dell’arte ») spécialisés dans un type de person-
nage stéréotypé, qu’ils interprètent au gré de leur envie, en suivant seulement le
canevas établi au début de la représentation.

184 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
Autour des années 1630, certains dramaturges, en particulier Pierre Corneille,
veulent éloigner la comédie de la farce et de la commedia dell’arte et en faire une
véritable œuvre littéraire, au rebours de l’improvisation que supposent les deux
formes de comédie dominantes. Cette comédie des années 1630 est un genre
« moyen » qui associe un certain réalisme social et la stylisation (« beau » lan-
gage, « noble » conception de l’amour...).
À la date de L’École des femmes, Molière s’est illustré dans la farce avec La Jalousie
du Barbouillé (1646) et Le Médecin volant (1647). Il a composé des comédies de struc-
ture variable d’un, trois, ou cinq actes, en prose ou en vers, dans lesquelles il em-
Lazzi prunte aux lazzi* de la commedia dell’arte. L’Étourdi ou les contretemps et Le Dépit
(mot italien) amoureux comportent cinq actes et sont écrites en vers, comme le genre majeur de
plaisanteries la tragédie.
burlesques en Si L’École des femmes est considérée comme la première des « grandes comédies »
paroles ou en de Molière, ce n’est donc pas parce qu’elle est composée en alexandrins et se dé-
actions, jeux de
ploie sur cinq actes. Frustré de ne pouvoir briller dans le grand genre de la tragé-
mots, grimaces,
die, Molière s’est employé à donner à la comédie une dignité et une fonction sociale
gestes gro-
tesques. qui l’élèvent à un niveau proche de cette dernière, et ce souci l’a conduit dans les
faits à adopter les principes de l’esthétique et du théâtre classiques. Par la suite,
ses détracteurs – dont maints dramaturges jaloux de son succès – lui ont reproché
de transgresser ces règles, critique que personne n’aurait songé à adresser au su-
jet d’une farce, d’une commedia dell’arte ou d’une comédie privilégiant une intrigue
farcesque et la gestuelle comique. La querelle soulevée par L’École des femmes
s’explique donc paradoxalement par la rigueur, l’originalité et la qualité du travail
littéraire qui caractérisent cette œuvre, qui fait rire et édifie tout à la fois.
Pour mieux mesurer la richesse de la pièce, recensons d’abord les critiques qu’elle
a suscitées.

2. Les critiques adressées à L’École des femmes


Les adversaires de Molière sont nombreux : acteurs et auteurs jaloux, moralistes
dévots, théoriciens de la littérature, mais aussi « précieuses » et « petits marquis ».
Même Corneille se montre envieux du succès de Molière, ainsi que les comédiens
de l’Hôtel de Bourgogne qui redoutent que ses comédies concurrencent, voire dé-
trônent la noble tragédie.
Évoquons rapidement les protestations formulées par les dévots et les moralistes.
Les premiers dénoncent le caractère impie et libertin de la pièce, voyant dans les
Maximes sur le mariage d’Arnolphe une parodie des Dix commandements et, plus
généralement, dans l’utilisation dévoyée que ce personnage fait de la religion un
outrage sacrilège à la dignité de celle-ci. Sont en outre considérées comme des
atteintes à la morale l’ambiguïté sur l’article « le » en suspens dans la réplique
d’Agnès (Acte II, scène 5, v. 572 sq.), et certaines expressions jugées excessive-
ment triviales, voire outrancières, comme la savoureuse métaphore faisant de
« la femme » « le potage de l’homme » (v. 437). Certains lisent même la comédie
comme une satire antiféministe.
Les arguments esthétiques nous retiendront davantage. Il s’agit tout d’abord d’en-
torses à la vraisemblance :
– le quiproquo avec le notaire ;
– le grès qu’Agnès est censée avoir soulevé : ce « pavé » est trop lourd pour une
jeune fille ;
– les va-et-vient d’Horace : un amoureux ne saurait aller et venir en si peu de temps
auprès de sa bien-aimée en suscitant à chaque fois des incidents.
On reproche également à Molière la transgression de la règle du bon ton, qui in-
terdit le mélange des genres. La présentation d’une pièce comique sous la forme
d’un poème dramatique en cinq actes est ainsi fustigée, en ce que cette forme est

CNED SECONDE – FRANÇAIS 185


SÉQUENCE

5
une prérogative de la tragédie. En outre, certaines répliques, d’Arnolphe surtout,
sont jugées tragiques et donc inadéquates dans une comédie. Ainsi en va-t-il,
pour Robinet, dans Le Panégyrique de l’École des femmes, de la proposition de se
tuer qu’Arnolphe fait à Agnès. Aux yeux de Boursault, la réplique d’Agnès – « le petit
chat est mort » – « ensanglante la scène », comme dans une tragédie. Enfin, c’est
le caractère « dramatique » de l’œuvre qui est tout simplement contesté, dans
la mesure où « il ne se passe point d’actions » et que « tout consiste en des récits
que viennent faire ou Agnès ou Horace » (propos tenus par le poète Lysidas dans La
critique de l’École des femmes, scène 6).

3. La riposte de Molière et la définition de la « comédie


classique »
Le débat qui s’établit dans La Critique de L’École des femmes entre d’une part, Cé-
limène « la précieuse », le marquis et le poète Lysidas, pourfendeurs de la pièce,
et, d’autre part, Uranie et Dorante, ses apologues, nous renseigne à la fois sur les
arguments des détracteurs de la pièce et sur les conceptions théâtrales de Molière.
De fait, celui-ci s’exprime à travers la voix de Dorante, homme sage et raisonnable,
conscient des travers des uns et des autres, mais toujours respectueux : le modèle
de l’honnête homme. À l’inverse du marquis – parangon du « petit marquis », qui
suit aveuglement les modes et en tire un sentiment infondé de supériorité – Do-
rante peut avancer et développer les raisons de son enthousiasme, lui-même mo-
tivé par une réflexion plus générale sur la comédie.

Dans la scène 6, Dorante soutient que la comédie est un genre plus difficile que
la tragédie car la seconde met en scène des héros légendaires, pour lesquels le
poète n’a « qu’à suivre les traits de [son] imagination », tandis que la première doit
« entrer comme il faut dans le ridicule des hommes » et pour cela les « peindre
d’après nature ». « On veut que ces portraits ressemblent ; et vous n’avez rien fait
si vous n’y faites reconnaître les gens de votre siècle. » À cela s’ajoute la nécessité
de « plaisanter » à partir de portraits ressemblants, autre difficulté, qui conduit
Dorante à cette conclusion : « c’est une étrange entreprise que celle de faire rire
les honnêtes gens ». Par l’intermédiaire de Dorante, Molière se montre également
sans équivoque sur la question du respect des règles :
« Vous êtes de plaisantes gens avec vos règles, dont vous embarrassez les igno-
rants et nous étourdissez tous les jours. Il semble, à vous ouïr parler, que ces règles
de l’art soient les plus grands mystères du monde ; et cependant ce ne sont que
quelques observations aisées, que le bon sens a faites sur ce qui peut ôter le plaisir
que l’on prend à ces sortes de poèmes [comiques] ; et le même bon sens qui a fait
autrefois ces observations les fait aisément tous les jours sans le secours d’Horace
et d’Aristote. »
Il va plus loin, donnant comme « la grande règle de toutes les règles », celle de
« plaire », et ajoutant : « si les pièces, qui sont selon les règles ne plaisent pas et
que celles qui plaisent ne soient pas selon les règles, il faudrait de nécessité que les
règles eussent été mal faites. » C’est dire combien la pratique prime sur la théorie
pour Molière !

Mais si Dorante condamne l’obsession de certains pour les règles, il n’en défend
pas moins la conformité de la pièce aux préceptes classiques, déclarant avec
aplomb : « et peut-être n’avons-nous point de pièce au théâtre plus régulière que
celle-là. » Voilà ainsi justifiée cette séquence et les analyses qui vont suivre sur le
respect des règles du théâtre et de l’esthétique classiques dans la pièce !
Sans anticiper sur votre étude, rapportons la réponse de Dorante concernant la
prévalence des récits sur l’action : « Premièrement, il n’est pas vrai de dire que
toute la pièce n’est qu’en récits. On y voit beaucoup d’actions qui se passent sur la
scène, et les récits eux-mêmes y sont des actions », d’autant qu’ils sont faits « in-

186 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
nocemment » à la « personne intéressée ». En assistant à la réaction d’Arnolphe,
le spectateur prend à la fois connaissance des actions qui ont eu lieu hors-scène
et voit en actes la joie ou le désespoir du protagoniste. Dorante justifie également
le comportement inconstant d’Arnolphe au nom du réalisme psychologique. Un
homme jaloux peut bien éprouver un « transport amoureux » tout autant qu’une
désillusion tragique. Ceci n’est pas en désaccord avec son caractère ridicule et la
forme de la comédie.
La façon dont le public doit recevoir la pièce est énoncée par Uranie, qui sert éga-
lement – quoique plus épisodiquement – de porte-parole au dramaturge. Ainsi
explique-t-elle admirablement que la comédie vise à une satire des vices et des
mœurs humains, et non à une caricature mordante d’un individu en particulier :
« Pour moi, je me garderai de m’en offenser et de prendre rien sur mon compte
de tout ce qui s’y dit. Ces sortes de satires tombent directement sur les mœurs, et
ne frappent les personnes que par réflexion. N’allons point nous appliquer nous-
mêmes les traits d’une censure générale […] Toutes les peintures ridicules qu’on
expose sur les théâtres doivent être regardées sans chagrin de tout le monde. Ce
sont miroirs publics, où il ne faut jamais témoigner qu’on se voie ; et c’est se taxer
hautement d’un défaut, que se scandaliser qu’on le reprenne. » Elle perçoit même
l’intérêt didactique de cette satire, invitant chacun à « profit[er] de la leçon ».
(scène 6)

En résumé, qu’est-ce qui fait de L’École des femmes une illustration de « la grande
comédie » ou de « la comédie classique » ?
▶ l’organisation de l’intrigue centrée sur le personnage d’Arnolphe, qui garantit
l’unité de l’action ;
▶ la complexité de caractère d’Arnolphe, qui évolue au cours de la pièce, à l’égal
d’Agnès d’ailleurs, tandis que, dans la farce, les personnages sont immuables ;
▶ la présence des récits qui créent l’action et assurent le respect de la bienséance
en tenant à distance les gestes et actions qui auraient pu choquer (scènes ga-
lantes entre Agnès et Horace, Horace assommé « à mort » par Georgette et
Alain) ;
▶ le fait que le comique naisse surtout du ridicule des caractères et plus rare-
ment d’une gestuelle et de plaisanteries gratuites, « faites pour rire ». Le co-
mique naît ainsi de la peinture « d’après nature » des caractères ;
▶ le souci de plaire, mais aussi d’instruire : Molière livre aux spectateurs, avec le
personnage d’Arnolphe, une leçon sur les effets délétères de la passion amou-
reuse et de la jalousie, et propose une réflexion sur la condition féminine.

De plus, le personnage de Chrysalde, au début et à la fin de la pièce, permet d’ins-


taurer des échanges dominés par la raison, et on peut dire que L’École des femmes
est l’illustration de ce qui deviendra la clef de voûte du système théâtral de Molière :
c’est par le rire que le spectateur est édifié, c’est le comique qui fait passer la le-
çon. La célèbre formule Castigat ridendo mores, (« [la comédie] corrige les mœurs
par le rire ») d’origine incertaine et reprise par Molière, exprime – si l’on veut – la
catharsis propre à la comédie. Elle résume une idée développée par Horace dans
sa Poétique selon laquelle le rire est vecteur de l’instruction. Boileau, qui réprouvait
le mélange des genres, au nom de la règle du bon ton, marqua d’ailleurs – tout
comme Louis XIV – son soutien à Molière lors de « la Querelle ». Au témoignage de
Monchesnay en 1742, « M. Despréaux [nom de Boileau] ne se lassait point d’admi-
rer Molière, qu’il appelait toujours le Contemplateur. Il disait que la nature semblait
lui avoir révélé tous ses secrets, du moins pour ce qui regarde les mœurs et les
caractères des hommes. » Dans son Art poétique, en 1674, Boileau se montra plus
sévère, reprochant à son ami de s’être écarté de ce comique subtil en faisant « en
ses doctes peintures » souvent « grimacer ses figures » et en alliant « sans honte
à Térence Tabarin [nom donné à celui qui fait le farceur sur les places publiques] ».

CNED SECONDE – FRANÇAIS 187


SÉQUENCE

5
On pourrait ajouter à cet inventaire la composition en cinq actes et en alexandrins
et le respect de la règle des trois unités, mais ces deux aspects sont beaucoup
plus accessoires : ils ne suffisent pas à créer la comédie classique.

B La règle des trois unités en question


Une des règles que nous n’avons pas évoquée dans l’exposé sur la polémique sou-
levée par L’École des femmes est celle des trois unités. Reportez-vous à la fiche
méthode sur les règles de théâtre classique, qui se trouve à la fin de ce chapitre,
puis réalisez les activités suivantes.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer les activités n° 2 et n° 3. Elles vous permettront
de réfléchir sur le respect de la règle des trois unités dans cette
pièce et de réaliser les schémas actantiels des différents actes.

C La structure de la pièce
Afin de mettre en évidence la structure de la pièce, nous vous proposons de complé-
ter le tableau suivant, il vous servira de support pour effectuer l’activité proposée.

Acte I Acte II Acte III Acte IV Acte V

1 2 3 4 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5 1 2 3 4 5 6 7 8 9 1 2 3 4 5 6 7 8 9

Chrysalde

Arnolphe

Alain

Georgette

Agnès

Horace

Un notaire

Enrique

Oronte

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 4. Elle vous permettra de commenter
la fréquence d’apparition des personnages.

188 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
Pour conclure

À retenir
L’École des femmes est une comédie, puisque son sujet en est léger et plai-
sant : le cocuage et les amours contrariées de deux jeunes gens. De nom-
breuses scènes amènent le spectateur à rire, et cet effet fut atteint, comme
l’atteste la gazette de Loret :
« On joua l’École des Femmes,
Qui fit rire Leurs Majestés
Jusqu’à s’en tenir les côtés. »

Cependant, écrite en cinq actes et en alexandrins, comme une tragédie clas-


sique, elle inaugure, par sa composition et le respect des règles du théâtre
classique, un nouveau genre de comédie en rupture avec les farces et les pièces
inspirées par la commedia dell’arte qu’avait jusque-là présentées Molière.
C’est la naissance de la grande comédie, genre auquel appartiennent le Tar-
tuffe, Les Femmes savantes et Le Misanthrope.

L’École des femmes respecte la règle des trois unités, d’action, de lieu et de
temps :
▶ Unité d’action : l’intrigue est resserrée sur la rivalité entre Horace et
Arnolphe : lequel des deux obtiendra d’épouser Agnès ? Cette rivalité est
connue du spectateur et d’Arnolphe, mais ignorée d’Horace, qui se mé-
prend sur l’identité du tuteur d’Agnès.
▶ Unité de lieu : tout se joue devant la maison où Arnolphe tient Agnès en-
fermée. Des récits, ceux d’Horace et d’Agnès, permettent au spectateur de
savoir ce qui s’est déroulé hors scène, avant le début de la pièce, ou entre
les actes.
▶ Unité de temps : tout se passe en vingt-quatre heures, depuis le matin où
Arnolphe, rentrant chez lui, annonce à Chrysalde son projet de mariage,
jusqu’au matin suivant où les deux jeunes amoureux seront réunis.

En ce qui concerne les personnages de la pièce, Arnolphe est présent dans


presque toutes les scènes, à l’exception d’un seul moment, la scène 3 de
l’acte II, et encore, dans cette scène, Alain et Georgette, ses deux serviteurs,
ne parlent que de lui !
Arnolphe se présente comme un tyran, qui prétend disposer à sa guise d’une
jeune orpheline. Il l’a privée d’éducation et veut l’épouser contre sa volonté.
C’est un personnage essentiellement antipathique au spectateur, qui prend
contre lui le parti des jeunes amoureux.
Sa monomanie (il craint plus que tout d’être cocu, mais veut à toutes fins se
marier) fait de lui un personnage ridicule dont les plans sont toujours déjoués,
et ce malgré toutes les précautions qu’il peut prendre.
Cependant Arnolphe se découvre réellement amoureux d’Agnès ; le person-
nage peut paraître un moment pathétique, mais son extravagance même fait
que ses discours (monologues et soliloques) ne sont qu’une parodie de ceux
des héros tragiques.
Agnès apparaît au début de la pièce comme un personnage sans défense :
orpheline, recluse, élevée dans la plus grande ignorance, elle semble livrée
à la tyrannie d’Arnolphe. Mais l’amour se révèle un grand maître qui va lui
permettre de ruser à son tour et de se libérer. Le titre – L’École des femmes –
renvoie aussi à la question de l’éducation des jeunes filles.
Le couple servante-valet, représenté par Alain et Georgette, introduit plu-
sieurs moments comiques dans les premiers actes ; mais, à la différence des

CNED SECONDE – FRANÇAIS 189


SÉQUENCE

5
autres comédies de Molière, il ne joue pas le rôle d’aide aux jeunes amoureux,
bien au contraire. Leur rôle s’efface dans les deux derniers actes, où ils ne
sont plus que les gardiens d’Agnès.
Les amoureux, Agnès et Horace, ne sont jamais ensemble en scène, sauf bien
sûr dans la scène finale, qui voit leur réunion, et à l’acte IV, lorsqu’ils sont en
présence d’Arnolphe. Si Agnès est presque privée de parole dans les deux pre-
miers actes, ce n’est plus le cas dans le dernier acte. Horace et Agnès luttent
pour obtenir le droit de s’aimer, et leur présence devient très importante au
dernier acte.
Molière a choisi de ne pas montrer sur scène les rencontres des amoureux,
bien qu’elles soient essentielles à l’intrigue. Ce choix l’a amené à en faire les
récits. Pris en charge pour la plupart par Horace, ils répondent à un double
objectif : ils mettent le spectateur au courant du développement de l’intrigue,
mais surtout, comme ces récits sont faits à Arnolphe, ils ont une fonction co-
mique : le jaloux apprend ainsi, par son rival, que ses plans ont échoué.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 5 : un quiz bilan du chapitre.

Fiche méthode

Les règles du théâtre classique

Boileau, le théoricien du classicisme

la Poétique Inspiré de la Poétique d’Aristote*, l’ouvrage de l’abbé d’Aubignac, Pratique du


d’Aristote théâtre (1657), pose les bases du théâtre classique. Les règles ainsi édictées se
Œuvre théorique répandent dans les salons mondains et sont complétées, dans cette seconde
sur la création moitié du Grand Siècle, par doctes et dramaturges, en particulier Corneille
littéraire du philo- dans Les Trois discours sur l’art dramatique (1660). Précisons cependant que
sophe grec du IVe les dramaturges plaident le plus souvent pour une adaptation des règles. Les
siècle av. J-C. tragédies de Racine constituent l’une des formes les plus achevées de l’es-
thétique du théâtre classique. Il est important de noter aussi que les règles
qui suivent ont été formulées en premier lieu pour la tragédie, car les théo-
riciens s’intéressent peu à la comédie, tenue pour un genre mineur et que le
texte connu de la Poétique d’Aristote ne fait qu’évoquer. Mais certains auteurs
comiques, tels Corneille ou Molière, soucieux de l’élever au rang de genre
littéraire ont suivi en partie ces canons artistiques. Les œuvres produites dans
cet esprit se voient attribuer le nom de « grandes comédies ».

190 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
Parnasse En 1674, au chant III de son Art poétique, Nicolas Boileau, dit « le législateur du
dans la mytholo- Parnasse* », va reprendre et résumer en des vers mémorables des règles déjà en
gie grecque, ce vigueur.
terme désigne le
lieu de résidence
d’Apollon et des Lisez ce passage concernant la tragédie : nous y avons surligné cer-
neuf Muses. Par taines de ces règles.
métonymie, il dé-
signe une assem-
blée de poètes.

Le secret est d’abord de plaire et de toucher ;


Inventez des ressorts1 qui puissent m’attacher,
Que dès les premiers vers l’action préparée
Sans peine du sujet aplanisse l’entrée.
[…]
Le sujet n’est jamais assez tôt expliqué.
Que le lieu de la scène y soit fixe et marqué2.
Un rimeur sans péril, delà3 les Pyrénées,
Sur la scène en un jour renferme des années :
Là souvent le héros d’un spectacle grossier,
Enfant au premier acte, est barbon4 au dernier.
Mais nous, que la raison à ses règles engage,
Nous voulons qu’avec art l’action se ménage5 ;
Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli
Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli6.
Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable :
Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable.
Une merveille absurde est pour moi sans appas
L’esprit n’est point ému de ce qu’il ne croit pas.
Ce qu’on ne doit point voir qu’un récit nous l’expose :
Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ;
Mais il est des objets que l’art judicieux
Doit offrir à l’oreille, et reculer7 des yeux.
Que le trouble8 toujours croissant de scène en scène,
À son comble arrivé se débrouille sans peine :
L’esprit ne se sent pas plus vivement frappé,
Que lorsqu’en un sujet d’intrigue enveloppé,
D’un secret tout à coup la vérité connue,
Change tout, donne à tout une face inconnue.
Boileau, Art poétique, Chant III, v. 1-60

1. ressorts : incidents qui nouent l’action.


2. marqué : déterminé.
3. delà : par-delà. Allusion à un auteur Français. Notez le ton méprisant.
4. barbon : vieillard, vieux beau.
5. se ménage : soit ménagée.
6. Au cours d’un acte, la scène ne doit jamais rester vide.
7. reculer : écarter
8. trouble : complexité de l’intrigue.

La règle des trois unités

« Qu’en un lieu, qu’en un jour, un seul fait accompli


Tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli »

CNED SECONDE – FRANÇAIS 191


SÉQUENCE

5
Tirée des commentaires italiens de la Poétique d’Aristote et formulée à la Renais-
sance, puis éclipsée pendant la période baroque, cette règle s’est imposée dans le
théâtre classique après la fameuse « querelle du Cid » en 1636.

Édictées au nom de la vraisemblance, les unités de lieu et de temps visaient à ré-


duire au maximum l’écart entre le lieu et le temps de l’action dramatique et le cadre
et la durée de l’action représentée sur scène.
L’unité de temps fut fixée à vingt-quatre heures, ce qui souleva maintes contes-
tations (certains faisant justement valoir que le déroulement de l’intrigue, avec ses
multiples péripéties, en une journée unique était peu crédible). Conçue initialement
comme une unité géographique – une seule ville ou deux villes voisines –, l’unité
de lieu s’imposa très vite comme une unité de décor. On opta alors pour des lieux
propices aux rencontres : une place ou un intérieur bourgeois dans la comédie,
l’antichambre d’un palais dans la tragédie. Les événements survenus ailleurs de-
vaient alors être relatés. L’unité d’action devait, quant à elle, permettre au specta-
teur de concentrer son attention sur le point essentiel de la tragédie ou « nœud »
de la pièce. Cette règle n’interdisait pas les actions secondaires – les théoriciens
divergeaient sur ce point – mais impliquait que celles-ci fussent subordonnées à
l’intrigue principale.

Une autre règle existe qui est celle de l’unité de ton : cette règle interdit qu’on
mêle les registres comique et tragique dans une même pièce.

La règle des bienséances

« Ce qu’on ne doit point voir, qu’un récit nous l’expose :


Les yeux en le voyant saisiraient mieux la chose ;
Mais il est des objets que l’art judicieux
Doit offrir à l’oreille, et reculer des yeux. »

Le souci de plaire de l’esthétique classique est à l’origine de la règle des bien-


séances. Désireux de plaire, l’auteur se veut en harmonie avec la morale et les
goûts de son public de manière à rencontrer son adhésion. La personne royale est,
bien entendu, l’arbitre suprême du bon goût. On distingue deux sortes de bien-
séance :

▶ Selon la bienséance dite « interne » ou « convenance », le comportement des


personnages doit être conforme à leur âge, à leur condition sociale, aux mœurs
et aux coutumes de leur pays. C’est à la fois une question de logique et de vrai-
semblance. C’est sans doute dans cet esprit que Racine choisit de ne pas « sa-
lir » Phèdre en la rendant directement responsable de la calomnie d’Hippolyte :
c’est Oenone qui en est coupable.

▶ La bienséance dite « externe » vise, quant à elle, à ne pas choquer la sensibilité
ni les principes moraux du spectateur. Se trouvent ainsi bannis de la scène la
représentation d’actes violents (meurtres, suicides…), les allusions marquées
à la sexualité, à la nourriture, à la vie du corps en général, ainsi que les mots
grossiers, qui n’ont leur place que dans les farces. Les scènes trop violentes
font l’objet d’un récit : dans Phèdre, la mort d’Hippolyte sera racontée. Les récits
de ces scènes constituent de véritables morceaux de bravoure puisqu’ils doivent
toucher autant et même davantage que l’action représentée. Vous imaginez la
difficulté qu’ont rencontrée les dramaturges dans la composition des aveux
amoureux de Phèdre, de Bérénice ou tout simplement d’une jeune ingénue.
C’est, d’ailleurs, par souci des bienséances que Pierre Corneille révisa toutes
ses pièces après 1660 à l’occasion d’une réédition complète de son théâtre.

192 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
La vraisemblance
Suivant la même doctrine du placere (plaire), du docere (enseigner) et du movere
(toucher), il est nécessaire que le public tienne pour vraies les actions représentées
sur scène. Celles-ci doivent donc être vraisemblables, faute de quoi les spectateurs
ne prendront pas goût à la pièce et ne ressentiront pas les émotions escomptées et,
partant, n’en retireront pas non plus la portée didactique. Il est important de noter
que « vraisemblable » ne signifie pas « vrai », comme le précisent l’abbé d’Aubi-
gnac, puis Boileau :

« Il n’y a donc que le Vraisemblable qui puisse raisonnablement fonder, soutenir et


terminer un poème dramatique : ce n’est pas que les choses véritables et possibles
soient bannies du Théâtre ; mais elles n’y sont reçues qu’en tant qu’elles ont de la
vraisemblance ; de sorte que pour les y faire entrer, il faut ôter ou changer toutes
les circonstances qui n’ont point ce caractère, et l’imprimer à tout ce qu’on y veut
représenter. »
Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, 1657.

La catharsis

« Que dans tous vos discours la passion émue


Aille chercher le cœur, l’échauffe et le remue. »

Reprenant un terme utilisé par Aristote au livre VI de sa Poétique, les théoriciens


classiques ont assigné à la tragédie – et pas à la comédie – une fonction morale,
la catharsis ou « purgation des passions ». En montrant les conséquences ultimes
et catastrophiques des passions, la tragédie purgerait l’âme du spectateur de ces
mêmes passions et l’inciterait à ne pas imiter les héros tragiques. Le théâtre ren-
drait ainsi les hommes meilleurs. À noter que le passage de la Poétique aristo-
télicienne est trop imprécis et mutilé pour affirmer que cette théorie est reprise
d’Aristote.

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Une pièce classique : à l’épreuve du texte

Objectifs d’apprentissage

Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du


© CNED chapitre 4.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 193


SÉQUENCE

5
Pour débuter : Histoire des arts

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices pour ef-


fectuer l’activité n° 1, qui portera sur une Carte de Tendre.
© CNED

La carte de Tendre, gravure, XVIIe siècle - Paris, B.N.F. © RMN/Agence Bulloz.

Pour apprendre

A Étude de l’exposition
1. Lecture analytique (acte I, scène 1)
Nous allons découvrir les caractéristiques de la scène d’exposition, à travers l’étude
de la première scène de L’École de femmes.

Écoutez la scène 1 de l’acte I (vers 123 à 174), lue


Enr. 19
par des comédiens, puis relisez la scène vous-
même à voix haute avant d’aborder les activités.

Effectuez l’activité interactive n° 2. Elle vous permettra de réa-


liser une première approche du texte. Puis l’activité n° 3 qui
vous permettra d’en effectuer une lecture analytique.

194 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
2. Chrysalde, le « raisonneur »
Dans L’École des femmes, Chrysalde incarne la morale du juste milieu, de « l’hon-
nête homme », homme de bonne compagnie qui s’efforce de faciliter les relations
sociales. Il essaie de prévenir et raisonner Arnolphe en ami pour lui éviter des in-
fortunes et des déconvenues. Sur le plan dramatique, il représente la norme qui
permet de mesurer la folie d’Arnolphe qu’il juge d’ailleurs « malade ». Il a aussi un
rôle dramaturgique important car il apporte la contradiction, la contestation et
permet la relance des arguments développés par le personnage d’Arnolphe. Le
dialogue progresse alors et le spectateur peut pénétrer plus avant dans les obses-
sions du barbon.

Relisez les trois passages où ce personnage prend la parole, Acte I,


scène 1, v. 46-72 ; Acte IV, scène 8 v. 1240-1267 et Acte V, scène 9, v.
1760-1779, pour vous en rendre compte par vous-même.

B Une édifiante satire du jaloux


Nous allons à présent étudier la scène 3 de l’acte II, dans laquelle Arnolphe tente
de savoir quels résultats Horace a déjà obtenus auprès d’Agnès.
Relisez les scènes 1, 2 et 3 de l’acte II avant d’aborder l’étude de cette scène.

Écoutez la scène 3 de l’acte II, lue par des comé-


Enr. 20
diens, puis relisez la scène vous-même à voix
haute.
Effectuez l’activité interactive n° 4, elle vous permettra de réa-
liser une première approche du texte. Puis l’activité n° 5 qui
vous permettra d’en effectuer une lecture analytique.

C De l’utilité du récit dans la comédie


Relisez les scènes 1 à 4 de l’acte III avant d’aborder l’étude des vers 892 à 939 de
la scène 4 : Horace y fait un récit à Arnolphe sur la manière dont Agnès l’a dupé.

Écoutez la scène 4 de l’acte III, lue par des comé-


Enr. 21
diens, puis relisez la scène vous-même à voix
haute.
Effectuez l’activité interactive n° 6, elle vous permettra de réa-
liser une première approche du texte. Puis l’activité n° 7 qui
vous permettra d’en effectuer une lecture analytique.

D Montrer aux hommes leurs ridicules


Nous allons à présent étudier la scène 4 de l’acte V, scène où Arnolphe apparaît ridi-
culement pathétique et où Agnès prend le dessus grâce à sa conquête de la parole.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 195


SÉQUENCE

5
Écoutez la scène 4 de l’acte V (vers 1566 à 1611)
Enr. 22
lue par des comédiens, puis relisez la scène vous-
même à voix haute.
Effectuez l’activité interactive n° 8, elle vous permettra de réa-
liser une première approche du texte. Puis l’activité n° 9 qui
vous permettra d’en effectuer une lecture analytique.

E Lecture cursive : Les Femmes savantes, Molière


Les Femmes savantes est une pièce de théâtre en cinq actes et en alexandrins, c’est
une comédie de mœurs, portant notamment sur l’éducation des filles. Elle est créée
pour la première fois au Théâtre du Palais-Royal le 11 mars 1672.
Cette pièce est l’occasion pour Molière de dénoncer le comportement et le lan-
gage apprêté et artificiel des femmes qui se croient savantes. Pour cette activité
de lecture cursive, vous aurez besoin de lire plusieurs passages de la pièce. Pour
ce faire, téléchargez le texte au format PDF en vous rendant à l’adresse suivante :
http://www.toutmoliere.net. Vous pourrez y effectuer le téléchargement du texte.

Conseils de méthode pour la lecture cursive


Lire un texte de théâtre en vers exige une certaine concentration et une at-
tention lors de la lecture car on est plus facilement habitué à lire de la prose.
Contrairement à certaines idées préconçues, lire une pièce de théâtre du
XVIIe siècle n’est pas difficile. Les termes de lexique vous sont expliqués par
des notes.
Je vous conseille cependant un travail en trois temps :
▶ Une première lecture pour découvrir l’œuvre, l’apprécier pour son origina-
lité et sa force.
▶ Une seconde lecture, crayon à la main, pour prendre des notes relatives aux
éléments suivants : personnages, péripéties, passages importants.
▶ Une troisième étape pour découvrir des mises en scène de cette œuvre, en
vous connectant sur certains sites qui montrent des extraits de la pièce.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 10, des questions de lecture cursive
sur la pièce.

196 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
Pour conclure
À retenir
L’École des femmes repose sur deux ressorts dramatiques :
Le premier, pose la question de savoir s’il est possible de se marier et de
n’être pas trompé. Cette question est un très ancien ressort comique, que
l’on rencontre chez Rabelais, avec le personnage de Panurge, ainsi que dans
les farces et la commedia dell’arte. Arnolphe est le premier des « extrava-
gants », des « fous » que représenteront les grandes comédies de Molière ;
sa folie est de vouloir à toutes fins se marier, alors même qu’il craint d’être
trompé. Arnolphe, dont le nom est celui du saint patron des cocus, décide donc
d’épouser une très jeune fille élevée en recluse dans l’ignorance la plus totale :
il veut « épouser une sotte pour n’être point sot ».
Le second ressort dramatique de la pièce est le quiproquo : Horace ignore
que M. de la Souche, le tuteur d’Agnès et Arnolphe, l’ami de son père, ne sont
qu’une seule et même personne. Il se confie donc à Arnolphe et lui demande
conseil. Le jaloux doit supporter le récit des amours d’Agnès et d’Horace ; et
bien qu’il pense pouvoir déjouer les plans des amoureux, puisque Horace les
lui confie, il est toujours mis en échec, à la plus grande joie du spectateur.

Le sujet de la pièce et son dénouement sont traditionnels dans le genre de la


comédie : les jeunes amoureux triomphent des obstacles créés par le barbon
jaloux et se marient à la fin de la pièce. Alors que leur situation semble déses-
pérée, un coup de théâtre vient tout arranger.
Mais si la pièce présente cet aspect traditionnel, ainsi que quelques aspects de
la farce et quelques allusions grivoises (par exemple les enfants que l’on fait
par l’oreille, le potage, le ruban et les puces qui ont été reprochées à Molière
par certains de ses contemporains), elle est surtout fondée sur un comique de
situation, créé par le quiproquo qui fait que jusqu’au dénouement Horace se
méprend sur la véritable identité d’Arnolphe.
Les récits sont donc très importants : non seulement ils mettent le spectateur
au courant du développement de l’intrigue, mais surtout, comme ces récits
sont faits en confidence au rival, ils ont une fonction comique. Ils font évo-
luer le genre de la comédie : en accordant moins d’importance au comique
de gestes qui caractérise la farce, et davantage au comique de situation et de
mœurs, Molière crée la « grande comédie »
La comédie devient ainsi – « castigat ridendo mores » – un moyen de corriger
les mœurs par le rire ; elle gagne ainsi en dignité et se hisse à un niveau
proche de la tragédie, qui propose au spectateur la catharsis, la purgation des
passions par le théâtre.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 11 : un quiz bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 197


SÉQUENCE

5
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour clore votre séquence

À retenir
En 1662, Mazarin est mort depuis un an et Louis XIV accède au pouvoir ab-
solu ; il écarte la noblesse du pouvoir, s’entoure de bourgeois et instaure un
pouvoir personnel et une monarchie absolue.
Le XVIIe siècle est marqué par le triomphe du théâtre à partir des années
1630 ; après la création en 1634 par Richelieu de l’Académie française s’ins-
taure un mécénat de la part des ministres Richelieu et Mazarin, puis du roi
Louis XIV. Le roi favorise les arts et les sciences, ce qui donne lieu à l’apo-
gée du classicisme. La construction du château et des jardins de Versailles
va créer un cadre pour les divertissements royaux, regroupant auprès du roi,
architectes, sculpteurs, peintres, musiciens, et surtout auteurs dramatiques.
Les salons précieux sont un lieu privilégié du raffinement des mœurs, de la
réflexion sur l’éducation des femmes, des arts et de la littérature. C’est là
que la langue française trouvera sa forme classique.
Entre théâtre et salons s’élaborent les règles du classicisme, qui reposent sur
la symétrie et l’harmonie et que l’on retrouve dans tous les arts français de la
seconde moitié du XVIIe siècle, peinture, architecture et musique.

Lorsque Molière crée L’École des femmes, en décembre 1662, il n’a jusqu’alors
écrit que des farces ou de courtes comédies inspirées de la commedia dell’arte.
Cette pièce sera la première de ses grandes comédies, écrites en cinq actes
et en alexandrins.
Le sujet (deux amoureux contrariés par un barbon jaloux) est traditionnel. Le
thème – le cocuage - est certes l’occasion de quelques grivoiseries, mais Mo-
lière en fait une pièce qui amène à une réflexion sur le mariage et l’éducation
des filles. Le personnage d’Arnolphe est obsédé par sa « folie » du mariage
et du cocuage, devenu amoureux ridicule, il devient un miroir où l’on peut ob-
server les défauts du genre humain ; ceci fait de cette pièce une comédie de
mœurs. En outre, sa composition en cinq actes, son écriture en alexandrins et
le respect des règles du théâtre classique en font une pièce d’un genre nou-
veau, que l’on appellera « la grande comédie ».
Arnolphe – joué par Molière – est le premier d’une série d’ « extravagants »
des grandes comédies ; après lui viendront Orgon entiché de son Tartuffe, le
misanthrope Alceste amoureux d’une coquette, le Bourgeois qui veut être
gentilhomme, jusqu’à Argan, le malade imaginaire. Jouet de sa manie, Ar-
nolphe veut à toutes fins se marier alors qu’il ne craint rien tant que d’être
cocu. Agnès, la naïve ingénue, sotte car élevée dans l’ignorance, devient avisée
grâce à l’amour. Horace, son amoureux, prend pour confident son rival et crée
ainsi une situation dramatique pleine de rebondissements. Enfin Chrysalde,
l’ami d’Arnolphe, représente la voix de la raison.
Si L’École des femmes présente quelques traits de la farce, grâce au couple
de serviteurs et aux allusions grivoises des deux premiers actes, elle repose
surtout sur le comique de situation créé par le ressort dramatique du qui-
proquo. Enfin, par le portrait du ridicule Arnolphe, elle est une comédie de
mœurs, qui a pour but de corriger par le rire les défauts humains.

198 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

5
La pièce connaît dès sa première représentation un grand succès, d’autant
plus qu’elle est jouée trois semaines plus tard devant le roi et la famille royale.
Les critiques qui lui sont adressées sont habilement reprises par Molière dans
deux courtes pièces, La Critique de l’École des femmes et L’Impromptu de Ver-
sailles, qui seront aussi jouées devant le roi et la cour, assurant définitivement
son succès et sa faveur auprès du roi.
Cette comédie inaugure la série des grandes comédies de Molière (telles
que Le Tartuffe, Le Misanthrope, Les Femmes savantes, Le Malade imaginaire) et
fonde la comédie classique.

Approfondissement et soutien

Si vous avez rencontré des difficultés, rendez-vous sur cned.fr pour


effectuer l’activité interactive n° 1 qui vous permettra de consolider
vos connaissances.
Si vous voulez aller plus loin, rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité
interactive n° 2.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 199


Sommaire

Séquence 6
La poésie, du romantisme au surréalisme

Chapitre 1 Pour débuter votre séquence ................................................................................ 203

Chapitre 2 Romantisme et fonctions de la poésie ...................................................... 204


A. La poésie romantique : le Moi et le monde
B. Lyrisme et liberté de la poésie romantique

Fiche méthode Identifier le registre lyrique ..................................................................... 211

Fiche méthode Éléments de versification .............................................................................. 214

Chapitre 3 Le mouvement parnassien ......................................................................................... 217


A. Le Parnasse ou « l’Art pour l’Art »
B. Un poète parnassien : Théophile Gautier

Chapitre 4 Le symbolisme : Paul Verlaine ............................................................................ 219


A. Découvrir le mouvement culturel du symbolisme
B. Paul Verlaine, l’homme et l’œuvre
C. Lecture cursive : Poèmes saturniens, Verlaine
D. Paysages intérieurs de Verlaine

Chapitre 5 Avant-garde et surréalisme : révolutions poétiques ......... 227


A. La poésie moderne : esprit nouveau, formes nouvelles
B. Un parcours poétique : Guillaume Apollinaire
C. Le surréalisme
D. Entraînement à l’écrit

Sujet de devoir bilan .................................................................................................................................................. 235

Proposition de corrigé du devoir bilan type bac ............................................................. 240

Fiche méthode Formes fixes et formes libres ................................................................ 254

Chapitre 6 Pour clore votre séquence ......................................................................................... 257

CNED SECONDE – FRANÇAIS 201


SÉQUENCE

6 Objectifs

Objet d’étude – Alfred de Musset, Poésies, « Tristesse »


– Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, « Un
La poésie, du romantisme au surréalisme rêve »
– Théophile Gautier, Émaux et camés, « La Rose-
thé »
Objectifs
▶ Un groupement de poèmes du XXe siècle :
▶ Mieux connaître et mieux maîtriser les mou- – Guillaume Apollinaire, Poèmes à Lou, « Il y a »
vements artistiques et littéraires des XIXe
et – Jean Cocteau, Plain-chant, « Rien ne m’effraye
XXe siècles, en particulier, le romantisme, le plus… »
Parnasse, le symbolisme et le surréalisme – Robert Desnos, Corps et biens, « Un jour qu’il
▶ Comprendre le fonctionnement d’un recueil faisait nuit »
poétique – Paul Éluard, Capitale de la douleur, « Le miroir
▶ Réviser et maîtriser les outils d’analyse du d’un moment »
texte poétique (prosodie et métrique) ▶ Une œuvre intégrale : Paul Verlaine, Poèmes
▶ Identifier et analyser le registre lyrique saturniens
▶ Préparer l’épreuve orale du baccalauréat

Fiches méthode
Textes et œuvres ▶ Identifier le registre lyrique

▶ Un groupement de poèmes du XIXe siècle (ro- ▶ Éléments de versifications


mantiques, parnassiens) : ▶ Formes fixes et formes libres
– Gérard de Nerval, Odelettes, « Fantaisie »
– Victor Hugo, Les Rayons et les Ombres, « Fonc-
tion du poète »

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202 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour débuter votre séquence

Pour vérifier vos connaissances

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 1 : un quiz d’autoévaluation.

Pour vous construire une culture littéraire

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 2 qui vous permettra de compléter
une frise chronologique.

Propositions de lecture

Afin de vous forger une culture personnelle qui vous permettra de mieux
saisir l’évolution de la poésie du XIXe siècle au XXe siècle, nous vous invitons
à lire attentivement les textes qui se trouvent dans la séquence. Nous vous
invitons également à flâner dans la liste ci-dessous, et à lire, pour le plaisir,
l’une des œuvres suivantes :

▶ Poésie du XIXe siècle


– Hugo, Les Contemplations, Les Orientales, Les feuilles d’automne
– Nerval, Odelettes
– Lamartine, Méditations poétiques
– Musset, Les Nuits
– Banville, Les Exilés
– Gautier, Émaux et camées
– Leconte de Lisle, Poèmes barbares
– Baudelaire, Les Fleurs du Mal, le Spleen de Paris
– Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit
– Rimbaud, Poésies
– Verlaine, Jadis et naguère, Romances sans paroles

▶ Poésie du XXe siècle


– Apollinaire, Poème à Yvonne, Alcools
– Éluard, Les Dessous d’une vie, Capitale de la douleur
– Cendrars, La Prose du Transsibérien et de la petite Jehanne de France
– Breton, L’Air de l’eau, L’Union libre
– Desnos, Corps et biens
– Aragon, Le Fou d’Elsa

CNED SECONDE – FRANÇAIS 203


SÉQUENCE

6
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Romantisme et fonctions de la poésie

Objectifs d’apprentissage

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chapitre 2.
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Pour débuter : Histoire des arts

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vous proposera l’étude d’un tableau de Caspar David Friedrich.

Pour apprendre

A La poésie romantique : le Moi et le monde


Dans les années 1820, la poésie connaît une petite révolution. Les romantiques
imposent de plus en plus leurs idées dans les domaines de l’art et le recueil d’Al-
phonse de Lamartine, Premières Méditations (1820), suivi des premiers recueils de
Victor Hugo et d’Alfred de Vigny vont bouleverser l’image du poète et son rôle face
à la collectivité.
Le poète se voit en effet assigner une mission qui consiste à guider les Peuples vers
un idéal de liberté. Les voix des trois grands poètes que nous venons de citer sont
assimilées à celles de nouveaux prophètes, de mages qui détiennent un pouvoir
sur le monde grâce aux mots.

1. L’expérience intime et la voix lyrique


La poésie romantique va d’abord se caractériser par l’omniprésence du « je » du
poète. Le poète se raconte à la première personne, fait part de ses sentiments in-
times et relate son expérience subjective. La poésie devient le lieu par excellence de
l’expression du moi. Les vers reçoivent les confidences du poète qui se livre à son
lecteur et noue avec lui une relation nouvelle. Cette omniprésence du « je » favorise
l’émergence du registre lyrique dans la poésie romantique. Les poètes font part de
leurs sentiments, de leurs déceptions amoureuses et de leur expérience du deuil.
Le ton de la confession intime devient élégiaque1 dans les poèmes qui évoquent le
passé. Le motif de la nostalgie envahit, par exemple, les poèmes d’Alfred de Vigny.

1. élégiaque : qui se rapporte à un ton, un thème ou un poème plaintifs ou mélancoliques.

204 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
On regrette un temps passé qui a fui. Les poètes romantiques revisitent certains
lieux communs, déjà présents dans la poésie du XVIe siècle :
– la jeunesse qui a fui ;
– le regret ;
– la perte de la femme aimée ;
– l’appel du lointain.

2. Le regard sur son siècle : le poète prophète


Le poète romantique se caractérise ensuite par son engagement dans la vie de la
Cité. Il porte un regard sur les événements historiques de son temps. Victor Hugo
dans ses Odes et ballades commente ainsi l’histoire qui se déroule sous ses yeux :
l’épopée napoléonienne, le retour des Bourbons (La Restauration voit en effet le
retour des frères de Louis XVI à la tête du royaume, Louis XVIII et Charles X).
La Révolution de Juillet 1830 confirme l’implication des poètes dans la vie politique,
et de manière générale celle des écrivains de la génération née après la Révolution
française. Désormais le poète est aussi un juge : il regarde son siècle et en tire des en-
seignements sur le présent et le futur. Le concept de poésie engagée naît donc dans
la première moitié du XIXe siècle et atteint son apogée avec la publication des Châ-
timents de Victor Hugo (1852), recueil qui fustige la politique de Napoléon III. Dans ce
recueil qui intervient après la révolution romantique, on retrouve cette idée fondamen-
tale selon laquelle le poète a pour rôle de dénoncer les abus de pouvoir, la tyrannie et
l’injustice. Il faut donc retenir un des aspects de la poésie romantique : son idéalisme.

3. L’appel du Lointain
Cet idéalisme des poètes de la première moitié du XIXe siècle va également se ma-
nifester dans le thème du voyage et de l’exotisme. On cherche alors à restituer
une atmosphère orientale ou orientalisante. L’étranger attire les poètes roman-
tiques parce qu’il permet d’explorer de nouveaux paysages intérieurs. Victor Hugo,
dans l’un de ses plus fameux recueils, Les Orientales, s’ingénie à associer la forme
des vers à celles des minarets orientaux. Ainsi, les « Djinns » sont des poèmes en
forme de tours, comportant des vers très courts qui imitent cette forme architec-
turale propre à l’Orient. Ce travail formel s’accompagne d’une véritable curiosité
pour les mœurs exotiques. La poésie décrit des coutumes et des habitudes de vie
qui dépaysent le lecteur. L’appel du lointain correspond donc à un besoin d’éva-
sion dont s’empare la poésie romantique. Mais cette intrusion de l’exotisme dans la
poésie correspond aussi à un idéal politique. Ainsi, dans son recueil Les Orientales,
Hugo rend hommage à la Grèce et exprime son philhellénisme2. Il témoigne aussi
de sa ferveur pour un grand poète que les romantiques français admirèrent : Lord
Byron. Sous un registre légèrement différent, Musset publie Les Contes d’Espagne
et d’Italie en 1830. Comme le titre l’indique, le poète situe sa poésie dans le cadre
chatoyant de deux pays méditerranéens. Ce choix lui permet d’exploiter certains
clichés esthétiques, c’est-à-dire des images connues des lecteurs et qui renvoient
aux mœurs italiennes ou Françaises.

4. Poésie et fantaisie
La poésie romantique ne se limite pas à la voix prophétique du poète ni à l’expres-
sion lyrique. Une autre tendance de la poésie romantique est plus fantaisiste et plus
ironique. Les écrivains qu’on appelle les « petits romantiques » par comparaison
aux « grands » (Hugo, Lamartine, Vigny) s’amusent avec les thèmes de prédilection
du romantisme et parfois les tournent en dérision.

2. philhellénisme : amour de la Grèce et de sa culture

CNED SECONDE – FRANÇAIS 205


SÉQUENCE

6
Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer les activités 2 à 4. Pour réaliser l’activité n° 4,
vous devez prendre connaissance de la Fiche méthode « Identi-
fier le registre lyrique ». La maîtrise de cette fiche méthode est indispensable
pour lire et comprendre les poèmes que vous allez étudier dans cette séquence.

B Lyrisme et liberté de la poésie romantique


Le corpus suivant vous propose quatre poèmes issus du mouvement romantique :
▶ Gérard de Nerval, Odelettes « Fantaisie » ;
▶ Victor Hugo, Les Rayons et les Ombres, « Fonction du poète » ;
▶ Alfred de Musset, Poésies, « Tristesse » ;
▶ Aloysius Bertrand, Gaspard de la nuit, « Un rêve ».

Chacun de ces poèmes va vous permettre de découvrir un aspect de la poésie ro-


mantique. La lecture silencieuse des poèmes est importante, mais elle ne suffit
pas. Nous vous conseillons d’écouter le poème lu par des comédiens sur cned.fr et
de le lire à votre tour à voix haute. Cette méthode présente un double intérêt. D’une
part, elle vous permet d’entendre le travail des sonorités et des rimes, d’autre part,
elle vous invite à prendre en compte la structure des vers, la manière dont le poète
élabore sa prosodie.

1. Gérard de Nerval ou la vie envahie par le rêve


Gérard de Nerval est né en 1808 et se signale très tôt par sa traduction de Faust
de Goethe. Il est immédiatement célèbre parmi les romantiques. Gérard de Nerval
est le poète de la nostalgie et du passé. Il aime à décrire des images des temps
jadis. Gérard de Nerval, dans son recueil Odelettes3 (1832-1853), rend hommage au
genre de l’ode, connu depuis l’Antiquité. Il s’y exprime à la première personne, et se
montre d’une grande inventivité au niveau des rimes. « Fantaisie », daté de 1831,
est l’un des plus célèbres poèmes de Nerval.
On y retrouve ses thèmes de prédilection : le surgissement du passé dans le pré-
sent, le goût des légendes, l’image d’une femme idéale…

Enr. 23 Fantaisie

Il est un air pour qui je donnerais


Tout Rossini, tout Mozart et tout Weber1,
Un air très vieux, languissant et funèbre,
Qui pour moi seul a des charmes secrets.
5 Or, chaque fois que je viens à l’entendre,
De deux cents ans mon âme rajeunit :
C’est sous Louis treize ; et je crois voir s’étendre
Un coteau vert, que le couchant jaunit,
Puis un château de brique à coins de pierre,
10 Aux vitraux teints de rougeâtres couleurs,
Ceint de grands parcs, avec une rivière
Baignant ses pieds, qui coule entre des fleurs ;
Puis une dame, à sa haute fenêtre,
Blonde aux yeux noirs, en ses habits anciens,

3. odelette : petite ode traitant d’un sujet léger et gracieux.

206 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
15 Que dans une autre existence peut-être2,
J’ai déjà vue… et dont je me souviens3 !

1. Prononcer Wèbre, à l’allemande, pour la rime avec « funèbre ».


2. Nerval croyait à la métempsychose (réincarnation des âmes) au point que cette croyance, orphique
et pythagoricienne, devint obsessionnelle chez lui.
3. L’âme conserve des souvenirs, des réminiscences de vies antérieures, ou encore des rêves. Comme
dans le poème « La Vie antérieure » de Baudelaire, l’âme garde la nostalgie d’un autre monde.

Écoutez le poème lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-


même à voix haute.

Effectuez l’activité interactive n° 5, elle vous permettra de réa-


liser une première approche du poème. Puis l’activité n° 6 qui
vous permettra d’en réaliser une lecture analytique.

2. Victor Hugo et la fonction du poète


L’œuvre poétique de Victor Hugo (1802-1885) est d’une grande variété, tant au ni-
veau des genres qu’au niveau des thèmes qu’elle aborde. « Fonction du poète »
est l’un de ses poèmes les plus célèbres, extrait de son recueil Les Rayons et les
Ombres (1840). Hugo y développe sa conception du rôle qu’un poète a face à la so-
ciété. Le ton du poème est à la fois solennel et lyrique. Hugo cherche à interpeller
son lecteur sur l’importance du poète dans la société.

Enr. 24 Fonction du poète

(…)
71 Dieu le veut, dans les temps contraires,
Chacun travaille et chacun sert.
Malheur à qui dit à ses frères :
Je retourne dans le désert !
Malheur à qui prend ses sandales
Quand les haines et les scandales
Tourmentent le peuple agité !
Honte au penseur qui se mutile
Et s’en va, chanteur inutile,
Par la porte de la cité !
Le poète en des jours impies
Vient préparer des jours meilleurs.
ll est l’homme des utopies ;
Les pieds ici, les yeux ailleurs.
C’est lui qui sur toutes les têtes,
En tout temps, pareil aux prophètes,
Dans sa main, où tout peut tenir,
Doit, qu’on l’insulte ou qu’on le loue,
Comme une torche qu’il secoue,
Faire flamboyer l’avenir !

Il voit, quand les peuples végètent !


Ses rêves, toujours pleins d’amour,
Sont faits des ombres que lui jettent
Les choses qui seront un jour.
On le raille. Qu’importe ! il pense.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 207


SÉQUENCE

6
91 Plus d’une âme inscrit en silence
Ce que la foule n’entend pas.
Il plaint ses contempteurs frivoles ;
Et maint faux sage à ses paroles
Rit tout haut et songe tout bas !
(…)
277 Peuples ! écoutez le poète !
Écoutez le rêveur sacré !
Dans votre nuit, sans lui complète,
280 Lui seul a le front éclairé.
Des temps futurs perçant les ombres,
Lui seul distingue en leurs flancs sombres
Le germe qui n’est pas éclos.
Homme, il est doux comme une femme.
Dieu parle à voix basse à son âme
Comme aux forêts et comme aux flots.

C’est lui qui, malgré les épines,


L’envie et la dérision,
Marche, courbé dans vos ruines,
Ramassant la tradition.
De la tradition féconde
Sort tout ce qui couvre le monde,
Tout ce que le ciel peut bénir.
Toute idée, humaine ou divine,
Qui prend le passé pour racine
A pour feuillage l’avenir.

Il rayonne ! il jette sa flamme


Sur l’éternelle vérité !
Il la fait resplendir pour l’âme
D’une merveilleuse clarté.
Il inonde de sa lumière
Ville et désert, Louvre et chaumière,
Et les plaines et les hauteurs ;
A tous d’en haut il la dévoile ;
305 Car la poésie est l’étoile
Qui mène à Dieu rois et pasteurs !

Victor Hugo, Les Rayons et les Ombres,1840.


« Fonction du poète », parties I et II, vers 70 à 99 et 277 à la fin.

Rendez-vous sur cned.fr pour écouter le poème lu par un comé-


dien ; puis lisez-le vous-même à voix haute.

Effectuez l’activité interactive n° 7, elle vous permettra de réa-


liser une première approche du poème. Puis l’activité n° 8 qui
vous permettra d’en réaliser une lecture analytique.

208 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
3. Musset ou le lyrisme du cœur au cœur
Rolla est un long poème de 784 vers qui À 22 ans, Musset écrivait « Je suis venu trop tard dans un
obtint un succès considérable et où Mus- monde trop vieux » (Rolla*). Alfred de Musset est né en 1810,
set conte l’histoire de Jacques Rolla, le il est issu d’une génération d’artistes née pendant l’épopée
plus grand débauché de Paris. L’écrivain napoléonienne, il éprouve donc le sentiment d’être arrivé trop
y règle ses comptes avec les philosophes tard pour être un héros. C’est ce que le poète rappelle aussi
du siècle précédent, accusés d’avoir hâté
dans les premières pages de son roman La Confession d’un
la disparition de la foi et l’avènement de
enfant du siècle (1836), expliquant que les jeunes de sa géné-
la volupté sans amour, et d’être ainsi les
responsables du désespoir sans fond qui ration sont voués à souffrir du « mal du siècle » qui consiste
explique l’époque et ses infamies. À tra- en une sorte de spleen4 et de mal-être dont ils ne peuvent
vers ce poème, Musset tente de réaliser, s’extraire. Au retour d’une fête chez des amis, Musset écrit
non sans une certaine grandiloquence, le ce poème : il n’a que trente ans et dresse un bilan pathétique
portrait d’une génération empêtrée dans de sa vie.
ses contradictions et qui finit par croire
que, le bonheur étant devenu impossible,
il ne reste que l’ivresse ou le suicide. Tristesse

J’ai perdu ma force et ma vie,


Et mes amis et ma gaîté ;
J’ai perdu jusqu’à la fierté
Qui faisait croire à mon génie.
Quand j’ai connu la Vérité,
J’ai cru que c’était une amie ;
Quand je l’ai comprise et sentie,
J’en étais déjà dégoûté.
Et pourtant elle est éternelle,
Et ceux qui se sont passés d’elle
Ici-bas ont tout ignoré.
Dieu parle, il faut qu’on lui réponde.
— Le seul bien qui me reste au monde
Est d’avoir quelquefois pleuré.
Musset, Poésies (1840)

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 9.

4. La naissance du poème en prose


Aloysius Bertrand (1807-1841) fait partie de ces poètes maudits dont la brève exis-
tence est traversée de soucis et de contretemps. Découvert par les cénacles pa-
risiens en 1829, Louis Bertrand est originaire de Dijon. Son recueil, Gaspard de la
Nuit, est d’abord accepté par un éditeur qui abandonne le projet. Les poèmes qu’il
propose présentent une forme nouvelle : ce sont des poèmes en prose, d’inspira-
tion fantastique et historique. Le génie de Bertrand ne sera pas reconnu de son
vivant. C’est le grand critique et homme de lettres Sainte-Beuve qui fera publier
son recueil à titre posthume, en 1842, un an après la mort du poète. Gaspard de la
nuit marque les débuts de la poésie en prose, avant Le Spleen de Paris de Charles
Baudelaire. L’imaginaire d’Aloysius Bertrand regorge d’évocations gothiques, de
portraits mystérieux et étranges, ou encore de scènes de rues…

4. spleen : état affectif, plus ou moins durable, de mélancolie sans cause apparente et pouvant aller de l'ennui, la tristesse vague
au dégoût de l'existence.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 209


SÉQUENCE

6
Un rêve
J’ai rêvé tant et plus, mais je n’y entends note. Pantagruel, livre III.
Il était nuit. Ce furent d’abord, — ainsi j’ai vu, ainsi je raconte, — une
abbaye aux murailles lézardées par la lune, — une forêt percée de sentiers
tortueux, — et le Morimont1 grouillant de capes et de chapeaux.
Ce furent ensuite, — ainsi j’ai entendu, ainsi je raconte, — le glas funèbre
d’une cloche auquel répondaient les sanglots funèbres d’une cellule, —
des cris plaintifs et des rires féroces dont frissonnait chaque fleur le long
d’une ramée, — et les prières bourdonnantes des pénitents noirs qui
accompagnent un criminel au supplice.
Ce furent enfin, — ainsi s’acheva le rêve, ainsi je raconte, — un moine
qui expirait couché dans la cendre des agonisants, — une jeune fille qui
se débattait pendue aux branches d’un chêne, — et moi que le bourreau
liait échevelé sur les rayons de la roue.
Dom Augustin, le prieur défunt, aura, en habit de cordelier2, les honneurs
de la chapelle ardente ; et Marguerite, que son amant a tuée, sera ensevelie
dans sa blanche robe d’innocence, entre quatre cierges de cire.
Mais moi, la barre du bourreau s’était, au premier coup, brisée comme
un verre, les torches des pénitents noirs s’étaient éteintes sous des torrents
de pluie, la foule s’était écoulée avec les ruisseaux débordés et
rapides, — et je poursuivais d’autres songes vers le réveil.
Aloysius Bertrand, « Un Rêve », Gaspard de la Nuit.
Fantaisies à la manière de Callot et de Rembrandt (1842, posthume)

1. Lieu des exécutions à Dijon.


2. Religieux de l’ordre de saint François.

«Angers, Bib, mun.,


Rés. BL 1443 bis/
© Ville d’Angers».
Dessin
d’Aloysius Bertrand
pour Gaspard de la
Nuit

210 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
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pour effectuer l’activité n° 10 qui portera sur le poème et le des-
sin d’Aloysius Bertrand.

Pour conclure
À retenir
Les textes et les tableaux qui composent ce chapitre vous auront permis de
découvrir les multiples facettes du romantisme. D’abord, les romantiques
sont tournés vers leur « moi » intérieur dont ils sondent les profondeurs et
dont ils écoutent les états d’âme (Friedrich peint la contemplation d’un ab-
solu, Nerval écrit un texte plein de nostalgie, Lamartine exprime de manière
élégiaque la douleur qui s’attache à une perte, Musset compose un poème-
bilan pathétique). Ainsi, pour les poètes romantiques l’important est de rendre
compte de son expérience intime par le biais du registre lyrique, mais ils se
sentent aussi investis d’une mission sacrée : poètes prophètes, ils doivent
« préparer des jours meilleurs » et « faire flamboyer l’avenir » (Hugo, « Fonc-
tions du poète »). Ils portent donc un regard sur leur siècle et n’hésitent pas à
s’engager dans de véritables combats (Byron combat auprès des grecs contre
l’envahisseur turc). Mais il ne faut pas oublier que les romantiques, à l’instar
de Byron, sorte de modèle incontournable, rêvent d’exotisme et de dépayse-
ment. Enfin, les poètes romantiques sont à l’origine d’une véritable révolution
littéraire en renouvelant des formes désuètes comme l’ode, ou le sonnet et
en créant de nouvelles formes poétiques comme le poème en prose (Aloysius
Bertrand).

Pour vous évaluer

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Fiche méthode

Identifier le registre lyrique


Comment identifier le registre lyrique ?
Le registre lyrique désigne l’expression personnelle des sentiments. La poésie
romantique est souvent associée au registre lyrique, parce que les poètes se sont
impliqués dans leur poésie. En exprimant leurs regrets et leurs espoirs, les poètes ro-
mantiques ont renouvelé les modalités d’expression lyrique qu’on rencontre déjà dans
d’autres mouvements culturels et artistiques, notamment au XVIe siècle.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 211


SÉQUENCE

6
Ce qu’il faut repérer :

▶ Les marques de la subjectivité (« je », « moi », et toutes les formes qui ren-


voient à la première personne)
Le poète romantique parle à la première personne et donne une vision subjective
de ce qui l’entoure et de ce qu’il vit. Il instaure parfois un dialogue, en convoquant
une altérité réelle ou fictive.

Exemple
Du temps que j’étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s’asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Alfred de Musset,
Nuit de décembre (1835), première strophe

Commentaire :
Le début du poème de Musset évoque une expérience vécue ou rêvée par
le poète. L’omniprésence des marques de la première personne traduit la
subjectivité de la pensée et du souvenir.

▶ L’expressivité de la ponctuation : le registre lyrique recourt souvent aux mo-


dalités exclamatives et interrogatives

Exemple
Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !
Suspendez votre cours :
Laissez-nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours !
Alphonse de Lamartine,
Méditations poétiques (1820)

Commentaire :
Dans cette strophe, les exclamations expriment à la fois l’exaltation du
poète et son sentiment d’impuissance face au temps qui passe.

▶ La musicalité du vers


Le lyrisme désigne originellement l’art du chant accompagné du luth. Aussi les
poètes romantiques sont-ils très soucieux de la musicalité de leurs poèmes.
D’une part, ils accordent une grande attention aux assonances et aux allitéra-
tions. D’autre part, ils s’adonnent à un travail très élaboré du rythme.

▶ Le motif de la nature en harmonie avec les pensées du poète


La poésie romantique recherche dans le spectacle de la nature un miroir à ses
propres interrogations. Le poète projette dans les paysages qu’il décrit son état
d’esprit, et tente de trouver l’harmonie entre sa vie intime et l’environnement.

212 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Exemple
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. – Ni le bois, ni la plaine
Ne poussaient un soupir dans les airs ; seulement
La girouette en deuil criait au firmament.
Car le vent, élevé bien au-dessus des terres,
N’effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d’en bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Alfred de Vigny, « La Mort du loup »,
Les Destinées (1864)

Commentaire :
Dans ce poème, la nature entoure les protagonistes désignés par le pronom
« nous ». Le réseau lexical dévoile en effet sa très forte présence dans le
poème. Le caractère agité du paysage traduit l’inquiétude des deux prome-
neurs et leur isolement aussi. La nature est personnifiée, semble respirer
autour des personnages.

▶ L’expression de la plainte, du regret


Cette thématique n’est pas propre aux poètes romantiques, mais ces derniers
explorent la nostalgie, dont ils tentent d’exprimer le lien entre l’expérience indi-
viduelle et la réflexion sur la place de l’homme dans la société. L’un des poèmes
les plus célèbres de Victor Hugo, « Demain dès l’aube », publié dans son recueil
Les Contemplations, exprime avec une simplicité poignante la permanence de
la présence du souvenir de sa fille Léopoldine, morte en 1843 par-delà l’exil et
la tombe. Auteur de premier rang, Marceline Desbordes-Valmore, dans sa poé-
sie intimiste, explore des thèmes comme la passion, le désespoir, le souvenir.
Nombre de ses poèmes relèvent donc de l’élégie.

Exemple
Le temps ne viendra pas pour guérir ma souffrance,
Je n’ai plus d’espérance ;
Mais je ne voudrais pas, pour tout mon avenir,
Perdre le souvenir !
Marceline Desbordes-Valmore, « Le Souvenir »,
Élégies et romances (1819)

Commentaire :
Dans ce poème, la poétesse semble plongée dans son passé amoureux,
comme le suggère l’entrelacement des réseaux lexicaux de l’amour et du
regret. L’exclamation qui referme la strophe sur le mot « souvenir » indique
bien toute l’importance des regrets dans l’univers de la femme et de la poé-
tesse.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 213


SÉQUENCE

6
Fiche méthode

Éléments de versification
La poésie crée un langage original tout en s’appuyant parfois sur certaines règles.
On distingue ainsi la poésie régulière de la poésie libre. Jusqu’à la fin du XIXe siècle,
la poésie est le plus souvent de forme régulière. Avec le XXe siècle, les formes libres
se développent. Les éléments suivants vous permettront de réviser les principaux
éléments relatifs à la versification française.

A Le vers
À l’origine, le vers est destiné à être chanté et suit la mesure. L’unité de mesure
du vers français est la syllabe. On retiendra trois manières de rythmer le vers :
▶ les rimes indiquées par le même son à la fin du vers ;
▶ les accents : ce sont des marques qui accentuent certains mots plutôt que
d’autres, selon la place qu’ils occupent dans le vers ;
▶ les pauses : ce sont des coupes dans le vers qui isolent des groupes de syllabes.

1. Comment décompter les syllabes ?


Certaines règles doivent être respectées pour bien lire un vers. Pour savoir si votre
décompte des syllabes est bon, je vous conseille de lire à haute voix, en comptant
simplement les syllabes sur vos doigts !

Notions à retenir Soient les vers suivants à lire ainsi (ce sont
des heptasyllabes) :
▶ Les syllabes terminées par un e muet s’élident de-
Le Vierge, le vivac(e) et le bel aujourd’hui
vant un mot commençant par une voyelle ou un [h]
Va-t-il nous déchirer avec un coup d’ail(e) ivre
muet. Cela signifie qu’il ne faut pas prononcer le e.
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
▶ Les syllabes terminées par un e sont vocaliques Le transparent glacier des vols qui n’ont
devant un mot qui commence par une consonne ou pas fui.
par un [h] aspiré. Contrairement à la langue orale Stéphane Mallarmé, Poésies
et quotidienne où le plus souvent les e sont élidés.
Seuls les e finaux, de Vierge (v.1), de que
▶ Le e muet ne compte jamais à la fin d’un vers. Il ne
hante (v.3) sont vocaliques. Tous les autres
compte pas à l’intérieur d’un mot s’il est précédé sont muets, soit parce qu’ils sont suivis d’une
d’une voyelle : le dénuement, le dévouement, etc. voyelle, soit parce qu’ils sont situés à la rime.

La diphtongue : diérèse et synérèse


▶ La diphtongue désigne deux sons qu’on peut entendre distinctement dans
un même mot, mais produits en une seule émission de voix. Il est donc
indispensable pour mesurer le mètre de savoir quand deux ou plusieurs
voyelles successives forment une ou plusieurs syllabes.
▶ La synérèse : émission de deux voyelles en une seule syllabe.
Exemple : Le mot lion peut être prononcé en une seule syllabe.
▶ La diérèse : émission de deux voyelles en deux syllabes.
Exemple : Vous êtes mon lion superbe et généreux. (Victor Hugo)
Dans le vers suivant, on doit séparer le mot lion en deux syllabes pour ob-
tenir douze syllabes dans l’alexandrin : il faut prononcer li-on.

214 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
2. Comment mesurer un vers ?
En fonction de son nombre de syllabes, un vers sera d’un mètre différent. Un vers
est terminé par le retour à la ligne suivante. Il est également terminé par la rime.
Le vers suivant commence par une majuscule. Il existe des mètres pairs et impairs.
Selon leur nombre de syllabes, les vers portent des noms différents :
– monosyllabe (un vers d’une syllabe) ;
– dissyllabe (un vers de deux syllabes) ;
– trisyllabe (un vers de trois syllabes) ;
– quadrisyllabe (un vers de quatre syllabes) ;
– pentasyllabe (un vers de cinq syllabes) ;
– hexasyllabe (un vers de six syllabes).
La poésie classique admet très rarement des vers de moins de sept syllabes (hep-
tasyllabes), préférant plutôt les vers de huit (octosyllabes), dix (décasyllabes) ou
douze syllabes (alexandrins).

3. Enjambement et rejets
Ces termes désignent les différences qui peuvent exister entre la longueur d’un
vers et la phrase. En effet, un vers ne correspond pas nécessairement à une phrase.

▶ L’enjambement
Il y a enjambement lorsque la phrase ne s’arrête pas à la fin du vers, mais dé-
borde jusqu’à la césure ou à la fin du vers suivant. Il marque un mouvement qui
se développe, un sentiment qui s’amplifie, l’expression d’un sentiment qui dure.
La construction syntaxique (structure de la phrase) a des incidences poétiques
(effet produit sur le lecteur).
Exemple : Nous avons aperçu les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Alfred de Vigny, Les Destinées, « La mort du loup »

▶ Le rejet
Quand un ou deux mots de la phrase sont placés au début du vers suivant.
Les poètes ne s’autorisaient l’expansion sur le vers suivant qu’exceptionnelle-
ment à des fins expressives.
Exemple : Et dès lors, je me suis baigné dans le poème
De la mer, infusé d’astres et lactescent
Rimbaud, Poésies, « Le bateau ivre »
Lorsqu’il est situé à la fin du vers précédent, c’est un contre-rejet.

B Le rythme
▶ La coupe dans un vers est représentée par le signe /, la césure est matérialisée
par // car c’est une coupe majeure dans un vers de plus de huit syllabes. La cé-
sure divise le vers en deux hémistiches.

▶ Le rythme binaire scinde le vers en deux.


Exemple : Ô rage ! Ô désespoir ! // Ô vieillesse ennemie ! 3/ 3 // 3/ 3
N’ai-je donc / tant vécu // que pour cet / te infamie ? 3/ 3// 3/ 3
Pierre Corneille, Le Cid

CNED SECONDE – FRANÇAIS 215


SÉQUENCE

6
Le rythme binaire a souvent une valeur affective, il traduit des émotions qui n’ar-
rivent pas à se poser, qui sont extériorisées par jets.

▶ Le rythme ternaire découpe le vers en trois mesures égales. Il exprime l’ordre,
l’équilibre. Il est très employé en poésie car il exprime une certaine harmonie,
une régularité.
Exemple : Je marcherai / les yeux fixés / sur mes pensées. 4/ 4/ 4
Victor Hugo, Les Contemplations, « Demain, dès l’aube »

Toujours aimer, / toujours souffrir, / toujours mourir » 4/ 4/ 4


Pierre Corneille, Suréna
Dans le premier extrait, le découpage en trois groupes égaux évoque peut-être
le balancement régulier de la marche, mais surtout l’absorption du père meur-
tri dans ses pensées lancinantes (poème sur la mort de Léopoldine, fille de V.
Hugo) ; dans le second, il souligne la force contraignante du destin et l’accable-
ment qui en résulte. Le passage d’un rythme à un autre est souvent significatif
d’un changement dans les faits ou les sentiments.

▶ L’enjambement et le rejet créent des ruptures rythmiques à des fins expressives.


Le rythme peut être croissant quand les groupes sont de plus en plus longs. Il
traduit alors une amplification.
Exemple : Ainsi, / de peu à peu / crût / l’empire romain. 2/ 4/ 1/ 5
Joachim du Bellay, Les Antiquités de Rome

Ô ra/ge ! Ô désespoir ! / Ô vieillesse ennemie ! » 2/ 4/ 6


Pierre Corneille, Le Cid

▶ Un vers a un rythme décroissant quand les segments se font de plus en plus
courts. Ce rythme marque le déclin, la chute, l’idée d’un abaissement ou d’une
fin.

C La rime
La rime – répétition d’un son identique en fin de vers – peut être définie selon sa
nature et sa disposition.

La versification française connaît principalement trois types de rimes :


– Les rimes suivies (schéma : AABBCCDD, etc.)
– Les rimes croisées (Schéma : ABAB)
– Les rimes embrassées (ABBA).

Les rimes peuvent être de nature :


– féminines (elles se terminent par un e muet) ou masculines (consonne finale).
– riches (3 phonèmes en commun), par exemple : remords/ morts
– suffisantes (2 phonèmes en commun), par exemple : suffocant/ quand
– pauvres (1 phonème en commun), par exemple : aimer/chanter

La strophe constitue un groupe de vers décidé selon l’agencement des rimes : dis-
tique (deux vers), tercet, (trois vers), quatrain (4), quintil (5), sizain (6), huitain (8),
dizain (10).

216 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Le mouvement parnassien

Objectifs d’apprentissage
Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du
chapitre 3.
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Pour débuter : Mythologie


Rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité interactive n° 1 qui
vous proposera une recherche sur le mont Parnasse.
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Pour apprendre

A Le Parnasse ou « l’Art pour l’Art »


Les mouvements du Parnasse et du symbolisme vont réagir face à la poésie roman-
tique, en appliquant à leurs œuvres le culte du Beau et les théories de « l’Art pour
l’Art » que Théophile Gautier expose dans la préface du roman, Mademoiselle de Mau-
pin (1835). On voit donc que dès l’époque romantique, un courant poétique cherche à
extraire la poésie de sa fonction civilisatrice, telle que Victor Hugo la présente dans
Fonction du poète. La poésie qui suit la voie de l’Art pour l’Art cherche à se dégager
des contingences matérielles de la société, et à se plonger dans l’admiration du Beau
et dans la recherche de la Beauté. Cette quête passe par une recherche formelle.

1. Le Parnasse : origines et principes


Le mouvement du Parnasse doit son nom au Mont Parnasse, en Grèce, où selon la
mythologie se trouvaient les neuf Muses et Apollon, le Dieu de la Poésie. C’est en
souvenir de ce mythe que les poètes du Parnasse ont choisi ce nom, en référence
aux sources antiques qu’ils admiraient. Les poètes parnassiens se situent dans
le prolongement du romantisme tout en récusant son recours systématique au ly-
risme subjectif et à l’engagement. Les Parnassiens s’en prendront en particulier à
Lamartine et à Musset, considérés comme les chantres de la douleur.
Face à la vague romantique, les parnassiens proposent le culte du Beau, de l’œuvre
d’art. Le père spirituel du Parnasse est Théophile Gautier (1811-1872), partisan de
l’Art pour l’Art. Cette doctrine cherche une poésie qui n’a pour but qu’elle-même.
On écrit de la poésie sans se soucier du message, en renonçant à l’épanchement
lyrique. Les parnassiens s’attachent au culte de la beauté et de la forme. C’est dans
cette perspective qu’ils ont fondé la revue Le Parnasse contemporain à partir de
1866, publiant la plupart de leurs œuvres chez l’éditeur Lemerre, à Paris.
Parmi les poètes qui collaborèrent au Parnasse contemporain, on peut citer : Théophile
Gautier, Charles Baudelaire, Leconte de Lisle, Théodore de Banville. Le mouvement
s’étend sur toute la seconde moitié du siècle, mais le groupe se dissout après 1876,
laissant place à des carrières originales comme celles de Verlaine ou de Mallarmé.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 217


SÉQUENCE

6
2. La recherche formelle, ou le culte du Beau
Les parnassiens accordent un soin particulier à la création des poèmes : technique et
exigence esthétique sont deux principes fondamentaux. Le travail, le labeur patient du
poète, sont valorisés en opposition à l’inspiration qui jaillirait soudain (« Ah ! frappe-toi
le cœur, c’est là qu’est le génie », écrit Musset dans l’un de ses poèmes). C’est pourquoi
le processus de la poésie est souvent comparé à celui de l’orfèvre ou du sculpteur qui
prend le temps de façonner son œuvre. Les poètes parnassiens sont très soucieux des
contraintes de la poésie, de la rime à de la versification. Ils respectent les formes fixes
et les règles de la poésie classique (voir fiche méthode « Éléments de versification »).
La poésie parnassienne recherche l’impassibilité, et donc rejette le lyrisme subjec-
tif, les élans enthousiastes et déraisonnables des romantiques. Le « je » n’a donc
plus la même signification pour les parnassiens que pour les romantiques. La poé-
sie ne doit pas laisser s’exprimer des sentiments ni les états d’âme du poète. C’est
pourquoi les parnassiens tentent de mettre à distance tout excès de sensibilité en
choisissant des thèmes « impassibles » : l’exotisme, le monde antique, les objets
d’art, etc. Tout ce travail formel a pour but d’accéder à un idéal de beauté et de per-
fection. La poésie parnassienne possède donc un caractère élitiste, elle ne s’adresse
qu’à un cercle d’initiés qui savent en apprécier la beauté et les mystères. Leconte de
Lisle écrit à propos de la poésie parnassienne : « L’art, dont la Poésie est l’expression
éclatante, intense et complète, est un luxe intellectuel, accessible à de très rares
esprits. » Ainsi, bien que le Parnasse refuse à la poésie un quelconque message
politique, la posture des poètes parnassiens suggère un mépris de la bourgeoisie,
des valeurs matérielles. C’est donc une manière de s’engager en se désengageant.

B Un poète parnassien : Théophile Gautier


Émaux et Camées (1852) est considéré comme le premier recueil parnassien.
Théophile Gautier, d’abord romantique, oriente sa création poétique en s’appuyant
sur les doctrines de « l’Art pour l’Art », système selon lequel la poésie (et la littéra-
ture en général) ne doit pas avoir d’autre but qu’elle-même. Dans Émaux et Camées,
Gautier s’ingénie à décrire des objets d’art et tout ce qui lui inspire le sentiment du
« Beau ». Parmi ces objets de contemplation figurent les roses, reines des fleurs.
Reprenant une tradition poétique héritée du poète Ronsard (XVIe siècle), Gautier fait
le portrait de la fleur qui a sa préférence.

Enr. 25 La Rose-thé

La plus délicate des roses


Est, à coup sûr, la rose-thé.
Son bouton aux feuilles mi-closes
De carmin à peine est teinté.
5 On dirait une rose blanche
Qu’aurait fait rougir de pudeur,
En la lutinant sur la branche,
Un papillon trop plein d’ardeur.
Son tissu rose et diaphane
10 De la chair a le velouté ;
Auprès, tout incarnat se fane
Ou prend de la vulgarité.
Comme un teint aristocratique
Noircit les fronts bruns de soleil,
15 De ses sœurs elle rend rustique
Le coloris chaud et vermeil.
Mais, si votre main qui s’en joue,
À quelque bal, pour son parfum,
La rapproche de votre joue,

218 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
20 Son frais éclat devient commun.
Il n’est pas de rose assez tendre
Sur la palette du printemps,
Madame, pour oser prétendre
Lutter contre vos dix-sept ans.

Écoutez le poème lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-


même à voix haute.
Effectuez l’activité interactive n° 2, elle vous permettra de réa-
liser une première approche du poème. Puis l’activité n° 3 qui
vous permettra d’en réaliser une lecture analytique.

Pour conclure
À retenir
Dans ce chapitre, vous avez appris ce qui oppose fondamentalement les par-
nassiens aux romantiques. En effet, les poètes du Parnasse Contemporain re-
fusent tout épanchement lyrique, s’attachent au culte de la beauté et de la
forme tout en prônant la doctrine de l’art pour l’art selon laquelle la poésie,
et plus largement la littérature, n’ont pour but qu’elles-mêmes. Le texte de
Gautier en est un exemple puisqu’il y renouvelle les motifs pétrarquistes tout
en appliquant les règles du Parnasse : il y dresse le portrait de deux beautés
(la Rose et la femme sont au centre du texte), sans jamais s’impliquer de façon
lyrique, dans un poème de forme régulière.

Pour vous évaluer


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 4 : un quiz bilan du chapitre.

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Le symbolisme : Paul Verlaine


Objectifs d’apprentissage
Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du
chapitre 4.
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Pour débuter : Histoire des arts


Rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité interactive n° 1 qui vous
proposera l’étude d’un tableau du peintre symboliste, Gustave Moreau.
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CNED SECONDE – FRANÇAIS 219


SÉQUENCE

6
Pour apprendre

A Découvrir le mouvement culturel du symbolisme


1. Un point d’histoire littéraire
Les liens entre le Parnasse et le symbolisme sont nombreux, même si l’on consi-
dère que d’un point de vue chronologique, le symbolisme intervient après le Par-
nasse, à partir des années 1870. Comme le mot l’indique, la poésie symboliste puise
dans l’imaginaire des symboles pour construire ses œuvres. Le mouvement sym-
boliste ne concerne pas seulement la poésie, mais aussi la peinture et le théâtre.
C’est un autre mode de réaction au romantisme. Le poème de Verlaine, « Art poé-
tique », publié en 1882, est considéré comme le texte de référence de la poésie
symbolique, dont il développe les principaux enjeux et les principaux thèmes. Le
symbolisme cherche à instaurer une nouvelle harmonie entre les images et les
sons, et accorde à la musique une importance de premier ordre. Les sensations et
les impressions sont favorisées plutôt que les descriptions trop concrètes ou trop
réalistes. Jean Moréas (1856-1910) déclare dans son Manifeste sur le symbolisme
(1886) qu’ «  Ennemie de l’enseignement, la déclamation, la fausse sensibilité, la
description objective, la poésie symbolique cherche à vêtir l’Idée d’une forme sen-
sible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à
exprimer l’Idée, demeurerait sujette ». C’est pourquoi la poésie symboliste se plaît
à déchiffrer les mystères du monde grâce à des symboles qui restent inaccessibles
au non initié. Grâce aux symboles, le poète cherche à atteindre une sensibilité et
une vérité supérieures. Le travail poétique de la langue se ressent de cet objectif
idéaliste et ambitieux. On relève ainsi dans la poésie symboliste l’emploi de mots
rares, de métaphores raffinées et de vers impairs. Comme les Parnassiens, les
poètes symbolistes sont des esthètes qui accordent un soin particulier au travail
formel. Ils privilégient la beauté et la musique du vers, refusant une quelconque
visée didactique ou politique à la poésie. La poésie symboliste aime également à
s’inspirer des mythes antiques et bibliques qui lui fournissent des situations pro-
pices à l’expression d’une lecture symbolique du monde. Parce qu’ils permettent
de déchiffrer le monde, les mythes peuvent être relus à la lumière de la poésie et
fournir de nouveaux espaces pour l’imaginaire des poètes. L’épisode d’Hérodias
dans L’Ancien Testament est ainsi revisité par les peintres (Gustave Moreau) et les
poètes symbolistes (Stéphane Mallarmé).

2. Un « Art poétique » symboliste


Un art poétique est un traité Paul Verlaine (1844-1896) dont nous allons étudier un recueil fait par-
ou texte énonçant un ensemble tie de la constellation symboliste. Ce poète est le premier à marquer
de principes de composition et une préférence pour le vers impair qui relève de l’esprit « libertaire »5
d’écriture d’ouvrages littéraires de la génération symboliste. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, en effet, les
et avant tout de poèmes. On vers répondent aux exigences de la versification classique. On écrit
appelle également, par méto-
en vers pairs : octosyllabes, décasyllabes, alexandrins. S’inspirant des
nymie, les ouvrages formulant
de tels ensembles de règles,
chansons, Verlaine privilégie les vers impairs, plus mélodieux à son
des arts poétiques. La Poétique goût : cinq, sept et neuf syllabes ; ces mètres s’égrènent régulièrement
d’Aristote, L’Art poétique d’Horace mais librement, sur des cadences naturelles et des tempos boitillants.
et L’Art poétique de Boileau, sont Dans son « Art poétique* » (Jadis et Naguère, 1884), qui a été salué
de célèbres exemples d’arts à l’époque comme l’un des manifestes du symbolisme, il explique ce
poétiques. choix par la recherche de la légèreté et de la fantaisie. Mais il ne s’en
tient pas là. Le rythme n’est pas tout, il faut aussi que le poète accorde
un soin attentif au choix de mots, aux climats et aux atmosphères qu’il

5. libertaire : qui se réclame d’une doctrine ou d’un idéal de liberté absolue.

220 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
souhaite créer. Il oppose ainsi la « Nuance » à la « Couleur », privilégiant la pre-
mière, au nom des demi-teintes et des ambiances. À cet égard, on a parfois qualifié
la poésie de Verlaine d’impressionniste. Son but consiste à évacuer les obligations
liées à la rime, et à se contenter d’une rime suffisante, pourvu qu’elle chante bien.
Enfin, Verlaine rejette l’idée d’une poésie engagée ou à message.

Art poétique

De la musique avant toute chose,


Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose.

5 Il faut aussi que tu n’ailles point


Choisir tes mots sans quelque méprise :
Rien de plus cher que la chanson grise
Où l’Indécis au Précis se joint.

C’est des beaux yeux derrière des voiles,


10 C’est le grand jour tremblant de midi,
C’est, par un ciel d’automne attiédi,
Le bleu fouillis des claires étoiles !

Car nous voulons la Nuance encor,


Pas la Couleur, rien que la nuance !
15 Oh ! la nuance seule fiance
Le rêve au rêve et la flûte au cor !

Fuis du plus loin la Pointe assassine,


L’Esprit cruel et le Rire impur,
Qui font pleurer les yeux de l’Azur,
20 Et tout cet ail de basse cuisine !

Prends l’éloquence et tords-lui son cou !


Tu feras bien, en train d’énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l’on n’y veille, elle ira jusqu’où ?
25 Ô qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d’un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?
De la musique encore et toujours !
30 Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours.
Que ton vers soit la bonne aventure
Éparse au vent crispé du matin
35 Qui va fleurant la menthe et le thym…
Et tout le reste est littérature.
Paul Verlaine, Jadis et naguère (1884)

Rendez-vous sur cned.fr pour effectuez l’activité interactive n° 2,


elle vous permettra de réaliser une première approche du poème.
Puis l’activité n° 3 qui vous permettra d’en réaliser une lecture analytique.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 221


SÉQUENCE

6
3. Le symbolisme, courant culturel
Le symbolisme est un mouvement artistique qui a donné lieu à des créations pictu-
rales de première importance. Comme nous l’avons vu, le progrès de la science, le
développement de l’industrie et de la technicité, la fièvre du commerce et la nais-
sance du socialisme ont entraîné la formation du naturalisme littéraire et du réa-
lisme artistique qui aboutira à l’obsession de la lumière vraie de l’impressionnisme.
Mais ces progrès et ces mutations ont suscité aussi une angoisse profonde sur le
sens de la vie et le destin de l’homme, un besoin spirituel, renforcé par la déchris-
tianisation. Un symbole peut être une forme plastique, un mot ou une phrase mélo-
dique, mais il signifie toujours un contenu qu’il transcende. Jailli spontanément de
l’inconscient, il éclaire soudain l’intelligence et lui manifeste la réalité invisible. La
vérité qui se cache derrière les apparences est donc pour les symbolistes un thème
fréquemment traité, comme l’antagonisme qui prévaut entre le vice et la vertu. La
solitude et la mort, ou le fantastique et l’imaginaire sont avec la femme des sujets
régulièrement abordés dans leur peinture. Le bien et le mal sont symbolisés par des
fleurs, et les paysages composés par leur esprit imaginatif entraînent l’observateur
dans des contrées surnaturelles, où les animaux subissent des métamorphoses
étonnantes. Ces idées vont influencer des peintres français : Gustave Moreau, Pierre
Puvis de Chavannes, Odilon Redon, Paul Gauguin, etc., mais aussi européens.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 4. Elle vous permettra d’étudier un
tableau du peintre suisse, Arnold Böcklin.

B Paul Verlaine, l’homme et l’œuvre


Dans l’histoire de la poésie française, Paul Verlaine occupe une
place de première importance. Né en 1844, il subit dans ses
débuts l’influence du romantisme, et en particulier de Victor
Hugo. Il se détache progressivement de cet héritage littéraire
et trouve sa propre voie dans l’expression intime, délicate et
recherchée de sa sensibilité suraiguë. On l’a rapproché de la
poésie symboliste et du Parnasse dont il subit aussi les in-
fluences, mais Verlaine reste difficilement classable. Verlaine
est surtout l’inventeur d’un vers extrêmement musical. Les
Poèmes saturniens témoignent ainsi de tout un travail sur la
prosodie, sur le rythme et la rime. Nous vous proposons donc
de traverser ces poèmes, chef-d’œuvre de la poésie française.
Paul Verlaine (1844-1896) manifeste dès l’enfance beaucoup
d’intérêt pour le dessin. Il commence à écrire des poèmes à
partir de la classe de troisième. En 1870, il épouse la sœur
d’un ami, Mathilde, qui a dix-sept ans : en 1871, naîtra leur fils
Georges. La même année, Arthur Rimbaud est accueilli chez
les Verlaine, les deux poètes vivent alors ouvertement une
relation homosexuelle qui suscite le scandale. En 1872, ils
Rimbaud et Verlaine, in « Un coin de table » partent ensemble en Belgique, puis en Angleterre ; pourtant
par Henri Fantin-Latour, 1872. Verlaine ne se résigne pas à une séparation définitive avec
© akg-images/Electa. sa femme. En 1873, à Bruxelles, Verlaine tire deux coups de
revolver sur Rimbaud qui est légèrement blessé. Condamné
à deux ans de prison, Verlaine en effectue dix-huit mois à Bruxelles, puis à Mons.
En prison, il retrouve la foi. À la sortie, il enseigne le français en Angleterre, puis
en France. Ensuite il se lance dans l’exploitation agricole avec un ami, Lucien Leti-
nois ; la faillite et la mort de Lucien le font tomber dans l’alcoolisme et la misère :
il partage sa vie entre les hôpitaux et deux prostituées rivales. Pourtant sa gloire

222 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
littéraire grandit, et il est élu « Prince des poètes » en 1893. En 1896, plusieurs
milliers de personnes assistent à ses obsèques. Ses principales œuvres sont des
recueils poétiques : Poèmes saturniens (1866), Fêtes galantes (1869), La Bonne chan-
son (1870), Romances sans paroles (1874), Sagesse (1881), Jadis et Naguère (1884),
Amour (1888), Parallèlement (1889), Bonheur (1891). D’autres recueils, publiés du
vivant de Verlaine ou après sa mort, sont d’une importance moindre.

C Lecture cursive : Poèmes saturniens, Verlaine


1. Verlaine en 1866
En 1864, Verlaine est un jeune poète de vingt-deux ans qui cherche dans sa vie sen-
timentale et familiale un équilibre qu’il aura peine à maintenir. À quatorze ans, il se
sent déjà une vocation poétique et envoie à Victor Hugo, alors en exil, son poème
« La Mort ». Après sa réussite au baccalauréat, Verlaine devient employé des bu-
reaux de la mairie de Paris, activité qui ne l’enchante guère, lui qui préfère se consa-
crer à l’art, et en particulier à la poésie. Ses premières publications s’effectuent
dans des revues littéraires, comme c’est le cas pour beaucoup de poètes parnas-
siens. À vingt et un ans, on le charge de la critique littéraire dans la revue L’Art où il
fait l’éloge de Victor Hugo et de Charles Baudelaire. Il fréquente alors la génération
des poètes née entre 1830 et 1840, Banville, José-Maria de Hérédia, Leconte de Lisle
et François Coppée. Il s’initie aux techniques d’écriture du Parnasse. Chez le libraire
Lemerre, les parnassiens vouent un culte à Théophile Gautier qui le premier dans
la « Préface » de Mademoiselle de Maupin (1836) avait posé les principes de « l’Art
pour l’Art ». Sa fréquentation des milieux littéraires parisiens le conduit à publier
les Poèmes saturniens en 1866, à compte d’auteur (c’est-à-dire qu’il finance la pu-
blication). Les Poèmes saturniens, l’un des recueils les plus importants de la poésie
française, passèrent presque inaperçus du vivant de Verlaine…

2. Lire un recueil poétique : conseils de méthode


Le terme recueil désigne un ensemble de textes regroupés sous un même titre,
autour d’une cohérence thématique et esthétique. Les différentes éditions se pro-
posent généralement de vous faciliter la lecture, selon un double principe. Elles
sont souvent dotées d’une préface qui éclaire les principaux enjeux de l’œuvre, son
originalité. Elle vous informe non seulement sur le contexte de création du recueil,
mais aussi sur son devenir, c’est-à-dire sa postérité littéraire. La présentation de
l’œuvre formule également certaines pistes d’interprétation qui vont vous aider à
mieux comprendre la démarche du poète. Réalisées par des spécialistes de la poé-
sie de Verlaine, les préfaces constituent une précieuse aide à la lecture, et nous
vous conseillons vivement de les lire.
Les éditions sont également pourvue de notes : celles-ci permettent d’expliquer les
termes complexes ou d’un emploi original. L’annotation fournit aussi des éléments
relatifs à la versification et à l’inventivité poétique de Verlaine. Enfin, elle fait par-
fois le lien avec certains éléments biographiques. Vous pouvez disposer également
d’une chronologie qui vous aide à mieux connaître Verlaine, ainsi que d’une biblio-
graphie qui vous invite à approfondir votre lecture du recueil.
On ne lit pas un recueil de poésie comme on lit une pièce de
L’apprentissage par cœur théâtre ou un roman. Dans le cas des Poèmes saturniens, vous
de plusieurs poèmes du avez affaire à un recueil scindé en sections qui elles-mêmes
recueil est vivement comportent un certain nombre de poèmes. Pour bien maîtri-
conseillé. Mémoriser un poème ser votre recueil, il faut lire plusieurs fois chaque poème,
vous permettra de mieux vous im- et de préférence à haute voix. Pourquoi ? La lecture à haute
prégner de sa musique. voix permet d’entendre concrètement la musique de Ver-
laine, si particulière. Elle vous permettra aussi de vérifier vos
CNED SECONDE – FRANÇAIS 223
SÉQUENCE

6
compétences en termes de versification. Le découpage en sections peut faciliter
votre appropriation du recueil. En effet, vous pouvez retenir les poèmes de chaque
section, concentrée autour d’une thématique spécifiée dans le titre. Conçu comme
un vaste ensemble constitué de sous-ensembles, le recueil obéit à sa logique
propre. Pour comprendre cette « logique » et entrer dans l’univers de Verlaine, rien
ne remplace plusieurs lectures.

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 5 : un questionnaire de lecture.

3. Titre et composition du recueil


Le titre du recueil fait explicitement référence à un genre (la poésie) et à une pla-
nète (Saturne). Cette dernière indication est déjà une manière d’entrer dans le re-
cueil. Dans l’Antiquité gréco-romaine, Saturne est la planète de la vieillesse, mais
aussi de la mélancolie. En astrologie, selon Ptolémée, Saturne porterait malheur
à celui qui subirait son influence. Un tempérament saturnien désigne une per-
sonnalité taciturne, ombrageuse et solitaire. Ces premiers éléments orientent le
contenu du recueil. Il y est en effet souvent question de la douleur du poète, de
son inadaptation au monde et de sa solitude. Mais Saturne n’est pas seulement
négatif. Il est l’équivalent du dieu Chronos chez les Grecs, il est donc le maître du
temps. C’est pourquoi Saturne incarne aussi la sagesse qu’on atteint en avançant
dans la vie. La lecture du recueil penche néanmoins pour l’interprétation négative
de Saturne. Verlaine évoque dans son poème liminaire cette planète « chère aux
nécromanciens », c’est-à-dire aux sorciers qui communiquent avec le royaume des
morts. Enfin, le titre laisse percevoir l’influence de Charles Baudelaire sur Verlaine.
L’auteur des Fleurs du mal avait en effet qualifié son propre recueil de « livre satur-
nien », pour justifier de la noirceur mélancolique de certains poèmes.

La composition du recueil en différentes sections confirme l’imprégnation du


spleen. Les sections se déclinent de la manière suivante :

Poèmes saturniens
▶ Prologue ▶ Caprices (jusqu’à « Monsieur Prud-
homme »)
▶ Mélancholia
▶ Autres poèmes (de « Initium à « La mort
▶ Eaux-fortes de Philippe II »)
▶ Paysages tristes ▶ Épilogue

On le voit, la structure en sections obéit à une architecture précise : on note cinq


sections d’égale longueur, encadrées par un épilogue qui répond à un prologue. À
l’intérieur des sections, le thème de la peinture et du dessin domine, révélant l’in-
fluence des arts plastiques sur l’inspiration de Verlaine. À plusieurs reprises, Ver-
laine se réfère au monde de la peinture. Ainsi, les « Paysages tristes » suggèrent
un certain type de tableau, tandis que « les Caprices » font penser aux dessins du
peintre Français Francisco de Goya (1746-1828) qui a réalisé une série de Caprices,
dessins inquiétants, d’inspiration fantastique et grotesque. Los Caprichos (Les Ca-
prices) forment un recueil de gravures à l’eau-forte et à l’aquatinte publié en 1799.
On les a reproduits durant tout le XIXe siècle. L’artiste y représente des images si-
nistres et mystérieuses qui mêlent un style populaire à des images fantastiques.
On retrouve cette bipolarité dans le recueil de Verlaine : des éléments prosaïques et
populaires et certaines touches fantastiques.

224 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Le registre du recueil est dans son ensemble lyrique et même élégiaque, avec des
pointes d’humour nostalgique, notamment dans les derniers poèmes du recueil.
Les plus célèbres poèmes, qu’on rencontre souvent dans les manuels scolaires,
ont cette teinte mélancolique propre à Verlaine. C’est sa signature poétique. Ainsi
« Nevermore », « Après trois ans », « Chanson d’automne » portent la marque d’une
indicible nostalgie et d’une musique qui font l’originalité poétique de Verlaine.

4. Pour aller plus loin : Verlaine mis en musique


La poésie de Verlaine, et en particulier les Poèmes saturniens, a été mise en mu-
sique par plusieurs compositeurs. Faites des recherches sur ces compositeurs.
Pour vous faire une idée précise des poésies mises en musique, vous pouvez les
retrouver à partir de votre moteur de recherche habituel : certaines peuvent être
écoutées en ligne.
▶ « Ariette oubliée », « Colloque sentimental », « Green », « Mandoline », « Chan-
son d’automne » : musique de Claude Debussy ;
▶ « La bonne chanson » (8 mélodies) : « Spleen », « Mandoline », « En sourdine »,
« À Clymène », « C’est l’extase » : musique de Gabriel Fauré ;
▶ « D’une prison », « Chanson grise », « Fêtes galantes », « L’heure exquise » :
musique de Reynaldo Hahn ;
▶ « Un grand sommeil noir », « Sur l’herbe » musique de Maurice Ravel.

D Paysages intérieurs de Verlaine


1. Le lyrisme verlainien
« Mon rêve familier » est l’un des poèmes les plus célèbres de Verlaine. Le poète
utilise la forme traditionnelle du sonnet, tout en lui apportant sa touche person-
nelle. La présence et l’implication du poète dans ses vers sont fortes. C’est la rai-
son pour laquelle « Mon rêve familier » se présente comme le poème de l’intimité
dévoilée. Mais en même temps, ce poème de jeunesse dévoile déjà « l’écriture
impressionniste » de Verlaine, qui s’ingénie à créer un flou autour du « rêve ». Les
éléments relatifs à la perception sont troublés, et Verlaine introduit un climat d’in-
certitude au point de semer le doute sur l’existence de la femme décrite…

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant


D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.
5 Car elle me comprend, et mon cœur, transparent
Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.
Est-elle brune, blonde ou rousse ? — Je l’ignore.
10 Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la Vie exila.
Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.
CNED SECONDE – FRANÇAIS 225
SÉQUENCE

6
Rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité interactive
n° 6, elle vous permettra de réaliser une première approche du
poème. Puis l’activité n° 7 qui vous permettra d’en réaliser une
lecture analytique.

2. L’inspiration picturale
Dédiée au poète François Coppée, la section « Eaux-Fortes » compte cinq poèmes
parmi lesquels « Effet de nuit ». Le titre nous renvoie d’emblée à l’inspiration pic-
turale de Verlaine, puisqu’on emploie volontiers cette expression pour évoquer la
peinture flamande du XVIIe siècle, en particulier celle de Rembrandt. Mais Verlaine
se situe également dans le sillage de Baudelaire pour qui l’eau-forte est la tech-
nique picturale la plus proche de la poésie. Ici Verlaine crée un paysage inquiétant,
plongeant son lecteur dans les ténèbres du Moyen Âge. Par ce biais, Verlaine rend
hommage à Saturne, planète de la mélancolie et de la douleur. À bien des égards,
« Effet de nuit » dévoile la part la plus sombre de l’imagination de Verlaine, mais
montre aussi qu’il se situe dans le sillage des écrivains romantiques qui puisèrent
dans les thèmes médiévaux leur inspiration poétique.

Effet de nuit

La nuit. La pluie. Un ciel blafard que déchiquette


De flèches et de tours à jour la silhouette
D’une ville gothique éteinte au lointain gris.
La plaine. Un gibet plein de pendus rabougris
5 Secoués par le bec avide des corneilles
Et dansant dans l’air noir des gigues nonpareilles,
Tandis que leurs pieds sont la pâture des loups.
Quelques buissons d’épine épars, et quelque houx
Dressant l’horreur de leur feuillage à droite, à gauche,
10 Sur le fuligineux fouillis d’un fond d’ébauche.
Et puis, autour de trois livides prisonniers
Qui vont pieds nus, un gros de hauts pertuisaniers
En marche, et leurs fers droits, comme des fers de herse,
Luisent à contre-sens des lances de l’averse.

Rendez-vous sur cned.fr pour effectuer l’activité interactive


n° 8, elle vous permettra de réaliser une première approche du
poème. Puis l’activité n° 9 qui vous permettra d’en réaliser une
lecture analytique.

3. Pour aller plus loin

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 10 qui consistera en des questions de
lecture cursive portant sur le recueil.

226 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Pour conclure
À retenir
À l’issue du parcours consacré aux Poèmes saturniens, on retiendra plusieurs
éléments concernant le recueil de Verlaine. Tout d’abord, il se caractérise par
son inspiration musicale et picturale. Ensuite, si Verlaine recourt aux formes
classiques, tel le sonnet, il introduit également des formes personnelles, mé-
langeant diverses formes poétiques et il travaille à une nouvelle versification,
fondée sur un riche travail sur les sonorités. Par ailleurs, on peut remarquer la
présence du poète dans son œuvre avec des nombreux poèmes écrits à la pre-
mière personne. Chaque section possède son identité, marquée par la peinture
ou par l’expérience autobiographique. Pour compléter votre lecture, nous vous
conseillons de feuilleter les recueils ultérieurs de Verlaine, pour voir notamment
comment le poète approfondit son travail sur la versification et sur le rythme :
parcourez Fêtes galantes ou La Bonne Chanson. On se souviendra enfin que les
Poèmes saturniens ont été tirés à moins de 500 exemplaires. Ils n’ont pas été per-
çus par les critiques littéraires de l’époque comme un « événement littéraire »,
mais comme un recueil parmi d’autres. Au XXe siècle au contraire, ce recueil
est considéré comme l’une des œuvres majeures de la littérature française,
Verlaine ayant su créer un langage neuf avec des moyens poétiques nouveaux.

Pour vous évaluer


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 11 : un quiz bilan du chapitre.

Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Avant-garde et surréalisme :
révolutions poétiques

Objectifs d’apprentissage
Rendez-vous sur cned.fr pour regarder la vidéo de présentation du
chapitre 5.
© CNED

Pour débuter : Histoire des arts


Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices
pour effectuer l’activité n° 1 qui vous proposera l’étude d’un ta-
© CNED bleau de Marc Chagall.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 227


SÉQUENCE

Marc Chagall, Les


mariés de la Tour
Eiffel, 1938. Huile
sur toile. 148 x 145
cm. Centre Georges
Pompidou, MNAM,
Paris.
© ADAGP, Banque
d’Images,
Paris 2011.
© Adagp, Paris 2011.

Pour apprendre

A La poésie moderne : esprit nouveau, formes


nouvelles
La coupure entre la poésie du XIXe siècle et du XXe siècle n’est pas nette. Des
poètes comme Gérard de Nerval, Aloysius Bertrand ou Lautréamont ont exploré
les confins du rêve et de la folie dans leurs œuvres poétiques. Les avant-gardes
poétiques du début du XXe siècle vont se souvenir de ces poètes hallucinés et suivre
la voie de l’onirisme et du « surréel ». Les découvertes de la psychanalyse, sous
l’impulsion de Sigmund Freud, vont également libérer les facultés poétiques et
permettre d’explorer d’autres territoires. Les avancées de la poésie au début du XXe
siècle sont à la fois liées à un climat socioculturel (veille du premier conflit mon-
dial), mais aussi aux transformations matérielles du monde moderne ainsi qu’aux
innovations dans les arts graphiques. C’est en effet la peinture qui donne l’élan
de renouvellement des formes. Le cubisme, qui se développe dans les premières
années du XXe siècle, sous l’impulsion des peintres Georges Braque et Pablo Pi-
casso, propose de représenter autrement le monde. Les principes du cubisme vont

228 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
largement influer ceux de la modernité poétique. Apollinaire, ami des peintres et
des artistes, va en effet promouvoir cette nouvelle esthétique qui s’appuie sur les
théories de Paul Cézanne. Or sa défense du cubisme repose sur une idée très neuve
qui va influer sur la notion même d’inspiration poétique. Pour Apollinaire en effet, il
faut détruire la notion de « Dieu » et cesser de vouer un culte à la Nature (il s’op-
pose en cela aux principes du romantisme). Il faut être de son temps et admettre la
modernité dans la poésie. La formule de Baudelaire qui définit les poètes comme
« peintres de la vie moderne » traduit bien ce goût de la modernité et l’influence
des arts picturaux. Ces idées neuves ont des implications immédiates dans la poé-
sie dont les motifs et les thèmes évoluent :
– présence des découvertes techniques dans la poésie ;
– hommage rendu à la photographie, au cinéma (arts qui incarnent un monde nou-
veau) ;
– négation de Dieu et des grands principes idéalistes ;
– la nature est déconstruite et représentée par fragments.

B Un parcours poétique : Guillaume Apollinaire

1. Biographie d’Apollinaire
Guillaume Apollinaire (1880-1918) est le fils d’un officier italien et d’une Fran-
çaise. Cette dernière s’installe à Paris en 1889. Apollinaire travaille pour subvenir
aux besoins de la famille et, en 1902, il est précepteur en Allemagne où il s’éprend
d’une jeune gouvernante, Annie Playden, qui le laissera finalement « mal-ai-
mé ». De retour à Paris, il travaille comme employé de banque, tout en publiant
des contes et des articles dans des revues. 1907 marque un tournant : installé à
Montmartre, le poète noue une liaison avec le peintre Marie Laurencin, quitte la
banque pour se consacrer à l’écriture et anime la vie culturelle comme poète et
critique d’avant-garde, proche des peintres cubistes (Braque, Derain et Picasso).
En 1913, il connaît la consécration avec la publication d’Alcools. Ce recueil consti-
tue une véritable révolution poétique. Malgré la diversité de ses sources d’inspira-
tion, ce recueil trouve sa cohérence dans sa tonalité nostalgique et dans le réseau
de ses images : le motif lyrique traditionnel de l’amour perdu est renouvelé par
l’esthétique de la surprise et par les innovations formelles. En effet, Apollinaire
y propose une poésie libre et libérée des carcans de la rime et de la prosodie. Il
élimine la ponctuation, choisit des mètres variables et explore des thématiques
modernes : la ville, la guerre. Mais il s’inscrit aussi dans la tradition lyrique qui
célèbre l’amour et la femme aimée. En novembre 1914, Apollinaire s’engage dans
la Grande Guerre sans cesser d’écrire, en particulier des Calligrammes et des
poèmes inspirés par de nouvelles amours, Lou et Madeleine. Réformé à la suite
d’une blessure, il s’emploie activement à Paris à promouvoir un « esprit nouveau »
dans l’art. En 1917, Apollinaire assiste au ballet Parade composé par son ami Érik
Satie, sur un livret de Jean Cocteau, dans des décors de Picasso. Il est frappé par
ce spectacle qui pour lui incarne l’esprit nouveau. À la suite de ce spectacle, il
écrira : « Cette tâche surréaliste que Picasso a accomplie en peinture, [...] je m’ef-
force de l’accomplir dans les lettres et dans les âmes ». À bien des égards, on peut
donc considérer Apollinaire comme l’un des précurseurs du surréalisme, et plus
généralement le père de la poésie moderne. Son œuvre, souvent lyrique, s’inspire
aussi bien d’éléments prosaïques (la vie à la ville, les épisodes de la guerre) que
de souvenirs intimes, souvent liés à une douleur amoureuse. Il meurt en 1918,
emporté par la grippe Française.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 229


SÉQUENCE

6
2. Innovations prosodiques d’Apollinaire
Les Poèmes à Lou ont été écrits pendant la première Guerre mondiale, entre octobre
1914 et la fin de septembre 1915, et publiés à titre posthume en 1956. Apollinaire
y choisit des formes poétiques variées, et alterne l’emploi rigoureux des mètres
traditionnels et des vers libres jusqu’aux calligrammes (poèmes qui forment un
dessin). Les Poèmes à Lou sont adressés à la femme aimée, ils décrivent la guerre
et constituent parfois des lettres-poèmes. Avec « Il y a », Apollinaire procède à une
énumération descriptive, originale et inventive.

Enr. 26 Il y a

Il y a un vaisseau qui a emporté ma bien-aimée


Il y a dans le ciel six saucisses et la nuit venant on dirait des asticots dont naîtraient
les étoiles
Il y a un sous-marin ennemi qui en voulait à mon amour
5 Il y a mille petits sapins brisés par les éclats d’obus autour de moi
Il y a un fantassin qui passe aveuglé par les gaz asphyxiants
Il y a que nous avons tout haché dans les boyaux de Nietzsche de Goethe et de Co-
logne
Il y a que je languis après une lettre qui tarde
10 Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète
Il y a une batterie dont les servants s’agitent autour des pièces
Il y a le vaguemestre qui arrive au trot par le chemin de l’Arbre isolé
Il y a dit-on un espion qui rôde par ici invisible comme l’horizon dont il s’est
15 indignement revêtu et avec quoi il se confond
Il y a dressé comme un lys le buste de mon amour
Il y a un capitaine qui attend avec anxiété les communications de la T.S.F sur
l’Atlantique
Il y a à minuit des soldats qui scient des planches pour les cercueils
20 Il y a des femmes qui demandent du maïs à grands cris devant un Christ sanglant
à Mexico
Il y a le Gulf Stream qui est si tiède et si bienfaisant
Il y a un cimetière plein de croix à 5 kilomètres
Il y a des croix partout de-ci de-là
25 Il y a des figues de Barbarie sur ces cactus en Algérie
Il y a les longues mains souples de mon amour
Il y a un encrier que j’avais fait dans une fusée de 15 centimètres et qu’on n’a pas
laissé partir
Il y a ma selle exposée à la pluie
30 Il y a les fleuves qui ne remontent pas leur cours
Il y a l’amour qui m’entraîne avec douceur
Il y avait un prisonnier boche qui portait sa mitrailleuse sur son dos
Il y a des hommes dans le monde qui n’ont jamais été à la guerre
Il y a des Hindous qui regardent avec étonnement les campagnes occidentales
35 Ils pensent avec mélancolie à ceux dont ils se demandent s’ils les reverront
Car on a poussé très loin durant cette guerre l’art de l’invisibilité

Guillaume Apollinaire, « Il y a » in Poèmes à Lou.© Éditions GALLIMARD.


« Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés. Sauf autorisation, toute utilisation de ce-
lui-ci autre que la consultation individuelle et privée est interdite ».
www.gallimard.fr

230 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Écoutez le poème lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-
même à voix haute.
Effectuez l’activité interactive n° 2, elle vous permettra de réa-
liser une première approche du poème. Puis l’activité n° 3 qui
vous permettra d’en réaliser une lecture analytique.

C Le surréalisme
1. Principes du surréalisme
Le mot « surréalisme » apparaît pour la première fois sous la plume de Guillaume
Apollinaire. Le mouvement surréaliste se développe au lendemain de la première
Guerre mondiale. Il va durablement influencer la poésie et les arts, au-delà de la
seconde Guerre mondiale et jusqu’à nous. Inspiré par les découvertes de la psycha-
nalyse par Freud, le surréalisme explore les zones de l’inconscient, tentant de faire
émerger dans la poésie des images insolites. Pour cela, il recourt à l’écriture auto-
matique, technique qui consiste à écrire le plus vite possible, sans qu’intervienne la
logique ou la raison, toutes les images qui affleurent à la conscience du poète. Pour
réaliser cet acte poétique, le poète doit se mettre en état hypnotique. C’est pourquoi
les surréalistes auront souvent recours à l’hypnose, mais aussi aux drogues pour
accéder à un nouveau niveau de conscience et à de nouvelles facultés poétiques.
L’une des applications de l’écriture automatique se manifeste dans les « cadavres
exquis » : il s’agit de jeux poétiques qui consistent à écrire des phrases composées
par plusieurs personnes, sans que chacun sache ce que l’autre a écrit précédem-
ment. Le recueil Champs magnétiques (1919) de Philippe Soupault et André Bre-
ton s’inspire directement de cette technique ludique d’écriture poétique. L’écriture
automatique et les « cadavres exquis » produisent une impression de nouveauté
absolue et de jamais vu. Ces techniques libèrent l’imagination et renouvellent les
images poétiques.
Exemple de « cadavre exquis » : « Le cadavre – exquis – boira – le vin – nouveau ».

André Breton est considéré comme le chef de file du surréalisme et son principal
théoricien. Il pose les bases de l’esthétique surréaliste dans le premier Manifeste
du Surréalisme, publié en 1921 :

« Automatisme psychique pur, par lequel on se propose d’exprimer, soit verbale-


ment, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pen-
sée. Dictée de la pensée, en l’absence de tout contrôle exercé par la raison, en de-
hors de toute préoccupation esthétique ou morale [...] Le surréalisme repose sur la
croyance à la réalité supérieure de certaines formes d’associations négligées
jusqu’à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à
ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à
eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie. »
André Breton, Premier manifeste du surréalisme

Sur le plan formel, les principes surréalistes ont les conséquences suivantes :
– déstructuration du vers ;
– absence de rimes ;
– recours au vers libre ;
– images sans apparente logique ;
– thèmes du rêve et de l’inconscient ;
– éclatement des formes fixes ;

CNED SECONDE – FRANÇAIS 231


SÉQUENCE

6
– écriture à quatre mains (voire davantage) ;
– esthétique de la cruauté et de la violence.
Les surréalistes les plus célèbres (Louis Aragon, Paul Éluard, Philippe Soupault,
Antonin Artaud, Pierre Reverdy), après avoir souscrit aux idées de Breton, s’en
éloigneront progressivement pour suivre une voie plus personnelle, qui renoue
parfois avec l’engagement et le lyrisme de la poésie romantique. Les apports de la
poésie surréaliste sont considérables. En libérant le vers et l’inspiration de siècles
de contraintes formelles et morales, les poètes surréalistes ont révolutionné l’écri-
ture poétique. Leurs idées influent sur les grands poètes de la seconde moitié du
XXe siècle : Yves Bonnefoy, André du Bouchet ou Eugène Guillevic.

2. Expériences du surréel
Voici le dernier groupement de textes de la séquence : il est constitué de trois
poèmes surréalistes pour lesquels vous aurez à répondre à un jeu de questions
puis à une question sur corpus.

a. Jean Cocteau, « Rien ne m’effraie plus… », Plain-chant (1923)


Jean Cocteau a fréquenté le groupe des surréalistes dès qu’il s’est formé, après la
première Guerre mondiale. Mais dès le début du siècle, il a participé au renouveau
de la poésie en s’impliquant dans toutes les avant-gardes de son siècle. Le génie de
Cocteau s’exerce dans toutes les formes d’art : célèbre pour ses dessins d’inspira-
tion antique, il est également le réalisateur de chefs-d’œuvre cinématographiques,
au premier rang desquels, La Belle et la Bête et L’Éternel retour, inspirés du mythe
d’Orphée. Toute l’œuvre de Cocteau est habitée par le monde du rêve et du som-
meil. Dans son recueil Plain-chant (1923), plusieurs poèmes évoquent cet état in-
termédiaire où la conscience s’enfonce dans les songes, des plus beaux rêves aux
pires cauchemars…

Enr. 27 Rien ne m’effraye plus que la fausse accalmie


D’un visage qui dort
Ton rêve est une Égypte et toi c’est la momie
Avec son masque d’or
Où ton regard va-t-il sous cette riche empreinte
D’une reine qui meurt,
Lorsque la nuit d’amour t’a défaite et repeinte
Comme un noir embaumeur ?
Abandonne ô ma reine, ô mon canard sauvage,
Les siècles et les mers ;
Reviens flotter dessus, regagne ton visage
Qui s’enfonce à l’envers.
Jean Cocteau, « Rien ne m’effraye plus… » in Plain-chant.
© Éditions GALLIMARD.
Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés.
Sauf autorisation, toute utilisation de celui-ci autre que la consultation
individuelle et privée est interdite ». www.gallimard.fr

Écoutez le poème lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-


même à voix haute.

Effectuez l’activité n° 4.

232 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
b. Robert Desnos, « Un jour qu’il faisait nuit », Corps et biens
Robert Desnos (1900-1945) rejoint le mouvement surréaliste au début des années
vingt. Son inspiration est à la fois fantaisiste et grave. S’il participe d’abord aux ex-
périmentations des surréalistes, il s’en détache rapidement et rompt notamment
avec André Breton qui veut le « convertir » au communisme. Desnos s’adonne alors
à la poésie, mais aussi à la chanson où il excelle. Son recueil Corps et Biens, qui
regroupe des poèmes écrits dans les années 20 et 30, dévoile la puissance d’ima-
gination du poète, qui se souvient ici des jeux surréalistes, et en particulier des as-
sociations incongrues de mots que permettent les « cadavres exquis ». Déporté par
les nazis pour fait de résistance, Robert Desnos meurt du typhus (comme beaucoup
de déportés) à la libération des camps, en 1945.

Enr. 28 Un jour qu’il faisait nuit

Il s’envola au fond de la rivière.


Les pierres en bois d’ébène les fils de fer en or et la croix sans branche.
Tout rien.
Je la hais d’amour comme tout un chacun.
5 Le mort respirait de grandes bouffées de vide.
Le compas traçait des carrés
et des triangles à cinq côtés.
Après cela il descendit au grenier.
Les étoiles de midi resplendissaient.
10 Le chasseur revenait carnassière pleine de poissons
Sur la rive au milieu de la Seine.
Un ver de terre marque le centre du cercle sur la circonférence.
En silence mes yeux prononcèrent un bruyant discours.
Alors nous avancions dans une allée déserte où se pressait la foule.
15 Quand la marche nous eut bien reposé
nous eûmes le courage de nous asseoir
puis au réveil nos yeux se fermèrent
et l’aube versa sur nous les réservoirs de la nuit.
La pluie nous sécha.
Robert Desnos, « Un jour qu’il faisait nuit » recueilli dans « Langage cuit », in Corps et biens.
© Éditions GALLIMARD.
« Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés. Sauf autorisation, toute utilisation de
celui-ci autre que la consultation individuelle et privée est interdite ». www.gallimard.fr

Écoutez le poème lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-


même à voix haute.

Effectuez l’activité n° 5.

c. Paul Éluard, « Le Miroir d’un moment », Capitale de la douleur (1926)


Paul Éluard est considéré comme l’un des plus grands poètes de la langue française.
Né en 1895, il est l’un des fers de lance du surréalisme. Il choisit le nom d’Éluard en
1917, en souvenir de sa grand-mère (il se nomme Paul Grindel). Après le dadaïsme,
il adhère au surréalisme, dont il est l’un des théoriciens, avant de suivre une voie
plus personnelle, et souvent plus lyrique. Il voyage à travers le monde, et promeut à
la fois les idées communistes et surréalistes. Résistant pendant la seconde Guerre
mondiale, il est célébré avec Louis Aragon à la libération. La vie d’Éluard et son
inspiration poétique sont étroitement liées à ses amours. Après Gala, qui sera en-

CNED SECONDE – FRANÇAIS 233


SÉQUENCE

6
suite la compagne de Salvador Dali, il vit avec Nusch qui meurt brutalement en
1946. Ses dernières années, il les passe avec Dominique, avant de mourir en 1952,
terrassé par une crise cardiaque. Ses recueils poétiques sont imprégnés de sa vie
amoureuse, à l’image de Capitale de la douleur, l’un de ses plus célèbres recueils,
d’inspiration surréaliste.

Enr. 29 Le Miroir d’un moment


Il dissipe le jour,
Il montre aux hommes les images déliées
de l’apparence,
Il enlève aux hommes la possibilité de se distraire.
5 Il est dur comme la pierre,
La pierre informe,
La pierre du mouvement et de la vue,
Et son éclat est tel que toutes les armures,
tous les masques en sont faussés.
10 Ce que la main a pris dédaigne même de prendre
la forme de la main,
Ce qui a été compris n’existe plus,
L’oiseau s’est confondu avec le vent,
Le ciel avec sa vérité,
15 L’homme avec sa réalité.
Paul Éluard, « Le miroir d’un moment » in Capitale de la douleur.
© Éditions GALLIMARD.
« Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés.
Sauf autorisation, toute utilisation de celui-ci
autre que la consultation individuelle et privée est interdite ».
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Écoutez le poème lu par un comédien, lisez-le ensuite vous-


même à voix haute.
Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices pour
effectuer l’activité n° 6. Elle consistera en des questions de lecture
cursive sur le poème d’Éluard ; l’activité interactive n° 7 consistera
en une question d’ensemble portant sur le corpus de trois poèmes.

D Entraînement à l’écrit
Pour terminer cette séquence, nous vous proposons une évaluation finale sous
forme de devoir bilan autocorrectif comprenant trois exercices écrits dont vous
avez fait l’apprentissage méthodologique au long de l’année scolaire.

Conseils méthodologiques
Nous vous conseillons de revoir au préalable les fiches méthode suivantes :
« Répondre aux questions sur corpus », « Le commentaire », « La disserta-
tion » et « L’écriture d’invention » selon vos besoins et difficultés.
Relisez également les appréciations générales en en-tête de copie et les an-
notations portées par votre professeur correcteur sur les devoirs que vous
avez rendus afin d’en tirer profit pour ce dernier exercice.
Imposez-vous de travailler en quatre heures pour réaliser ce devoir autocorrectif.
Confrontez enfin votre travail avec le corrigé proposé à la suite du sujet.

234 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Sujet de devoir bilan

Corpus
Texte A ▶ Alphonse de Lamartine, « Chant d’amour I », Nouvelles méditations
poétiques (1823)
Texte B ▶ Arthur Rimbaud, « Roman », Poésies (1870)
Texte C ▶ André Breton, « L’Union libre », Clair de terre (1931)
Texte D ▶ Paul Éluard, « Ses yeux sont des tours de lumière… », L’Amour la
poésie (1929)

Texte A Alphonse de Lamartine, « Chant d’amour I », Nouvelles méditations


poétiques (1823)

Chant d’amour I
Naples, 1822.
Si tu pouvais jamais égaler, ô ma lyre,
Le doux frémissement des ailes du zéphyr
À travers les rameaux,
Ou l’onde qui murmure en caressant ces rives,
5 Ou le roucoulement des colombes plaintives,
Jouant aux bords des eaux ;
Si, comme ce roseau qu’un souffle heureux anime,
Tes cordes exhalaient ce langage sublime,
Divin secret des cieux,
10 Que, dans le pur séjour où l’esprit seul s’envole,
Les anges amoureux se parlent sans parole,
Comme les yeux aux yeux ;
Si de ta douce voix la flexible harmonie,
Caressant doucement une âme épanouie
15 Au souffle de l’amour,
La berçait mollement sur de vagues images,
Comme le vent du ciel fait flotter les nuages
Dans la pourpre du jour :
Tandis que sur les fleurs mon amante sommeille,
20 Ma voix murmurerait tout bas à son oreille
Des soupirs, des accords,
Aussi purs que l’extase où son regard me plonge,
Aussi doux que le son que nous apporte un songe
Des ineffables bords !
25 Ouvre les yeux, dirais-je, ô ma seule lumière !
Laisse-moi, laisse-moi lire dans ta paupière
Ma vie et ton amour !
Ton regard languissant est plus cher à mon âme
Que le premier rayon de la céleste flamme
30 Aux yeux privés du jour.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 235


SÉQUENCE

6
Texte B Arthur Rimbaud, « Roman », Poésies (1870)

Roman
I
On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans.
– Un beau soir, foin des bocks et de la limonade,
Des cafés tapageurs aux lustres éclatants !
5 – On va sous les tilleuls verts de la promenade.
Les tilleuls sentent bon dans les bons soirs de juin !
L’air est parfois si doux, qu’on ferme la paupière ;
Le vent chargé de bruits - la ville n’est pas loin -
A des parfums de vigne et des parfums de bière…
10 II
– Voilà qu’on aperçoit un tout petit chiffon
D’azur sombre, encadré d’une petite branche,
Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche…
Nuit de juin ! Dix-sept ans ! - On se laisse griser.
15 La sève est du champagne et vous monte à la tête…
On divague ; on se sent aux lèvres un baiser
Qui palpite là, comme une petite bête…
III
Le cœur fou Robinsonne à travers les romans,
20 Lorsque, dans la clarté d’un pâle réverbère,
Passe une demoiselle aux petits airs charmants,
Sous l’ombre du faux col effrayant de son père…
Et, comme elle vous trouve immensément naïf,
Tout en faisant trotter ses petites bottines,
25 Elle se tourne, alerte et d’un mouvement vif…
– Sur vos lèvres alors meurent les cavatines…
IV
Vous êtes amoureux. Loué jusqu’au mois d’août.
Vous êtes amoureux. - Vos sonnets La font rire.
30 Tous vos amis s’en vont, vous êtes mauvais goût.
– Puis l’adorée, un soir, a daigné vous écrire… !
– Ce soir-là, ... - vous rentrez aux cafés éclatants,
Vous demandez des bocks ou de la limonade…
– On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans
35 Et qu’on a des tilleuls verts sur la promenade.
29 septembre 1870.

Texte C André Breton, « L’Union libre », Clair de terre (1931)

L’Union libre
Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d’éclairs de chaleur
À la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
5 Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d’étoiles de dernière grandeur
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche
À la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
À la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux

236 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
10 À la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
15 Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d’allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de cœur
Aux doigts de foin coupé
20 Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
25 Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d’initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
30 Ma femme au cou d’orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d’or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
35 Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical
40 Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
À la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
45 Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d’amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
50 Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque
Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
55 Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
60 Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu
André Breton, « L’Union libre » (extrait), recueilli dans Clair de Terre.
© Éditions GALLIMARD.
« Tous les droits d’auteur de ce texte sont réservés. Sauf autorisation, toute uti-
lisation de celui-ci autre que la consultation individuelle et privée est interdite ».
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CNED SECONDE – FRANÇAIS 237


SÉQUENCE

6
Texte D Paul Éluard, « Ses yeux sont des tours de lumière… »,
L’Amour la poésie (1929)

À Gala, ce livre sans fin


[…]
II
Ses yeux sont des tours de lumière
Sous le front de sa nudité.
5 À fleur de transparence
Les retours de pensées
Annulent les mots qui sont sourds.
Elle efface toutes les images
Elle éblouit l’amour et ses ombres rétives
10 Elle aime – elle aime à oublier.
III
Les représentants tout-puissants du désir
Des yeux graves nouveau-nés
Pour supprimer la lumière
15 L’arc de tes seins tendu par un aveugle
Qui se souvient de tes mains
Ta faible chevelure
Est dans le fleuve ignorant de ta tête
Caresses au fil de la peau
20 Et ta bouche qui se tait
Peut prouver l’impossible
[…]
VI
Toi la seule et j’entends les herbes de ton rire
25 Toi c’est ta tête qui t’enlève
Et du haut des dangers de mort
Sur les globes brouillés de la pluie des vallées
Sous la lumière lourde sous le ciel de terre
Tu enfantes la chute.
30 Les oiseaux ne sont plus un abri suffisant
Ni la paresse ni la fatigue
Le souvenir des bois et des ruisseaux fragiles
Au matin des caprices
Au matin des caresses visibles
35 Au grand matin de l’absence la chute.
Les barques de tes yeux s’égarent
Dans la dentelle des disparitions
Le gouffre est dévoilé aux autres de l’éteindre
Les ombres que tu crées n’ont pas droit à la nuit.
40 VII
La terre est bleue comme une orange
Jamais une erreur les mots ne mentent pas
Ils ne vous donnent plus à chanter
Au tour des baisers de s’entendre
45 Les fous et les amours
Elle sa bouche d’alliance
Tous les secrets tous les sourires
Et quels vêtements d’indulgence
À la croire toute nue.
50 Les guêpes fleurissent vert
L’aube se passe autour du cou
Un collier de fenêtres
Des ailes couvrent les feuilles
Tu as toutes les joies solaires

238 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
55 Tout le soleil sur la terre
Sur les chemins de ta beauté
[…]
XXIX
Il fallait bien qu’un visage
60 Réponde à tous les noms du monde.
Paul Éluard, « Premièrement » in L’Amour la poésie.
© Éditions GALLIMARD. « Tous les droits d’auteur de ce texte sont
réservés. Sauf autorisation, toute utilisation de celui-ci
autre que la consultation individuelle et privée est interdite ».
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Questions (8 points)
Lisez attentivement les poésies suivantes et répondez aux questions.
1. Quelle est la thématique commune aux quatre poèmes ? Voyez-vous des simili-
tudes dans la manière de la traiter ? (2 points)
2. En quoi la forme des vers influe-t-elle sur la représentation des sentiments ?
(3 points)
3. Quelle est la place du poète dans ces textes ? (3 points)

Travail d’écriture (12 points)


Vous traiterez l’un des deux sujets au choix :

1. Dissertation
Dans « La Nuit de mai » (1835), Alfred de Musset écrit :
« Les chants désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’éternels qui sont de purs sanglots. »

De nombreux poètes, tels que Baudelaire, Musset, Rimbaud ou Apollinaire ont ex-
primé la douleur dans leurs œuvres. Pensez-vous comme Musset que seule la poé-
sie née de la douleur soit belle ? La fonction de la poésie revient-elle à exprimer les
sentiments déchirants de l’être humain ? Pour répondre à cette question, vous vous
appuierez sur les textes du cours, sur ceux du corpus, ainsi que sur vos connais-
sances personnelles dans le domaine de la poésie.

2. Écriture d’invention
Dans une lettre que vous adressez à un(e) ami(e), vous lui expliquez en quoi la
poésie est un support privilégié pour exprimer le sentiment amoureux. Pour écrire
cette lettre, vous utiliserez à la fois les textes du corpus et vos lectures person-
nelles. Vous veillerez à respecter la forme épistolaire et à vous impliquer person-
nellement dans les appréciations et les commentaires que vous proposez à votre
interlocuteur (-trice). Des conseils de méthode vous sont fournis entre crochets au
fil du devoir corrigé.

3. Commentaire
Vous ferez le commentaire du poème « Roman » d’Arthur Rimbaud.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 239


SÉQUENCE

6
Correction

Proposition de corrigé du devoir bilan


type bac
Questions sur corpus (8 points)

Proposition de réponses
1. La thématique commune aux quatre poèmes est l’amour, décliné de manière
très différente de Lamartine à Éluard. C’est un lieu commun de la poésie, et
cependant chacun des poètes lui donne un contour original. On peut néan-
moins observer des traits communs dans la manière d’exprimer ce senti-
ment universel, commun à tous les hommes. Le premier concerne la place
du lyrisme que chaque poète accorde à son texte. En s’impliquant dans leurs
vers, les poètes fournissent une vision subjective de l’amour. Ainsi, Lamar-
tine exprime le désir de ne faire qu’un avec son aimée, comme en témoigne
l’image de la symbiose :
« Tandis que sur les fleurs mon amante sommeille,
Ma voix murmurerait tout bas à son oreille
Des soupirs, des accords […] »

Cette prégnance du lyrisme se trouve dans certaines images des poèmes de


Paul Éluard et d’André Breton. Des expressions telles que « Ma femme à la
chevelure de feu de bois » (texte B) ou « Elle éblouit l’amour et ses ombres
rétives » (texte D) renforcent le lyrisme amoureux.
Rimbaud, qui ajoute une sorte d’humour (ou de bonne humeur) à l’amour,
cède aussi à cette parole lyrique en reprenant de manière anaphorique, par
exemple, « vous êtes amoureux », transformant son expérience singulière en
vérité universelle. Un autre trait commun aux poèmes s’articule autour de
l’idée d’élan et d’enthousiasme. Chaque poème en effet suggère l’idée d’un
envol, d’un dépassement de soi grâce à l’amour, ce que confirment les ex-
pressions d’abandon et de liberté qui parcourent les trois poèmes. L’expres-
sion néologique qu’invente Rimbaud, « le cœur fou Robinsonne » (v.17), ré-
sume bien la manière dont l’amour dynamise le poète, image d’enthousiasme
qu’on retrouve dans les modalités exclamatives du poème de Lamartine ou
dans la formule « Tu as toutes les joies solaires » (v.45) du poème de Paul
Éluard. Les quatre poèmes, en faisant le portrait d’une femme aimée ou d’une
amoureuse, témoignent ainsi d’un élan vital et poétique.

2. La forme des vers a des implications sur la manière dont les poètes repré-
sentent et mettent en scène les sentiments. Le corpus, qui suit une chronolo-
gie qui va du XIXe siècle romantique au début du XXe siècle marqué par le sur-
réalisme, trahit un affranchissement progressif à l’égard de la versification.
Si Lamartine et Rimbaud utilisent encore l’alexandrin, Breton l’abandonne
tout à fait, privilégiant le vers libre. Éluard présente son poème en plusieurs
temps et recourt, lui aussi au vers libre. On peut donc établir, a priori, une
certaine différence entre les deux poètes du XIXe siècle et les poètes surréa-
listes dans la manière de représenter les sentiments grâce à la versification.
Lamartine et Rimbaud restent dans un certain « réalisme » du cœur ; les
images qu’ils inventent sont compréhensibles et suivent un vers régulier ;
ce n’est plus le cas des surréalistes qui, dans leurs vers libres, inventent des
images étonnantes, à l’instar de l’énumération leitmotiv à laquelle se livre

240 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Breton tout au long du poème : « Ma femme à…/ Ma femme au…/ Ma femme
aux… ». Celui-ci fait le portrait de la femme qu’il aime, recourant tantôt à des
images de douceur, tantôt à des images de violence, alternance et antago-
nisme qui décrivent, peut-être, les ambiguïtés de la passion. Dans les quatre
poèmes cependant, les vers, fussent-ils libres ou réguliers, sont adressés à
une femme aimée, même si dans le cas de Rimbaud, l’adresse est plus impli-
cite et moins perceptible.

3. Dans les quatre poèmes, la place du poète est centrale. Il est au cœur de son
univers et des situations qu’il dépeint. On le note tout d’abord par la présence
de pronoms personnels ou d’éléments qui renvoient au « je » poétique.
Alphonse de Lamartine et André Breton emploient la première personne du
singulier, inscrivant explicitement leur présence dans leurs vers : « Laisse-
moi, laisse-moi lire dans ta paupière, Ma vie et ton amour ! » écrit Lamartine,
dévoilant de manière ostensible et éloquente sa présence lyrique. On peut
parler d’omniprésence du « je » dans le poème d’André Breton qui rappelle sa
présence de manière récurrente grâce à l’anaphore « Ma femme ». On perçoit
également la présence de Rimbaud et d’Éluard dans leurs poèmes, même
si le « je » du scripteur n’apparaît pas. C’est que leur poésie est tournée
vers l’extérieur, vers l’épisode raconté par Rimbaud, vers l’amour décrit par
Éluard. Même s’ils s’effacent derrière leur poème, Rimbaud et Éluard restent
très présents comme le signalent les marques de la subjectivité qui jalonnent
leurs poèmes. Dans le cas de Rimbaud, on peut même dire que l’emploi du
« vous » équivaut à un « je » travesti. Quant au poème d’Éluard, l’emploi
du « vous » dans le vers 34 « Ils (= les mots) ne vous donnent plus à chan-
ter » procède d’une appréciation subjective donc exprimée personnellement.
Les quatre poèmes, quatre éloges de l’amour, ne cessent de rappeler, grâce
à des procédés différents, l’implication du poète dans l’univers qu’il décrit.
Cette présence subjective ne donne que plus de force au discours lyrique et
aux images qu’il crée.

Travail d’écriture (12 points)

1. Dissertation

Conseils méthodologiques
Quand vous vous trouvez face à une question qui implique une réponse telle
que « oui » ou « non », il faut être vigilant : la question est trop tranchée pour
y répondre sans nuance. Une telle question invite à un plan plutôt dialectique
qui suivrait la logique suivante :
I. Certes la souffrance est une source d’inspiration féconde.
II. Mais la poésie ne se nourrit pas seulement de douleurs.
III. Finalement, le poète ne doit-il pas dépasser ses émotions pour les trans-
cender grâce à un nouveau langage ?

Comme vous le constatez, il s’agit d’abord d’aller dans le sens de la question


posée, pour ensuite la nuancer, voire la contredire, pour enfin la dépasser en
proposant une troisième partie plus ouverte.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 241


SÉQUENCE

6
Proposition de rédaction
Le plan du devoir est indiqué dans la marge pour vous aider à suivre la progression
logique.

Introduction Depuis son origine, la poésie a souvent été associée à la douleur ou à l’expression de
la peine. Orphée, figure mythologique qui incarne le premier poète, pleure la mort
d’Eurydice, sa bien-aimée, en chantant sur sa lyre. Une telle représentation de la
poésie perdure encore aujourd’hui, nourrie du souvenir de la poésie romantique.
On est même tenté de s’interroger sur la nature de l’inspiration poétique : faut-il
que le poète soit nécessairement dans la souffrance pour écrire de manière
remarquable, pour puiser en lui les images les plus fortes et les plus belles ?
C’est ce que suggère Musset quand il écrit, dans la « Nuit de mai » : « Les chants
désespérés sont les chants les plus beaux, /Et j’en sais d’éternels qui sont de
purs sanglots. » Faut-il s’en tenir à cette vision de la poésie ? D’autres émotions,
d’autres événements ne peuvent-ils pas nourrir l’imaginaire des poètes ? Pour
répondre à ces questions, il s’agira dans un premier temps de constater qu’en
effet la souffrance et la douleur figurent parmi les sources privilégiées de
l’inspiration poétique. Mais il conviendra ensuite de nuancer ces analyses, en
montrant que la poésie obéit à d’autres émotions et répond à d’autres fonctions
que celle d’exprimer le pathos (mot grec signifiant souffrance, passion). Ainsi,
une troisième et dernière partie cherchera à montrer que l’essentiel du travail
poétique s’élabore autour du langage, fût-il celui de la souffrance.

I. La poésie, Musset a raison de considérer que la douleur crée des vers inoubliables. Depuis
expression l’Antiquité en effet, la poésie est intrinsèquement associée à la perte d’un être
d’une douleur (ou d’une entité abstraite), ainsi qu’au malheur. Prométhée, Orphée, en défiant
les dieux ont été frappés d’un destin funeste.
1. Origines Cette origine de la poésie, entourée de larmes et de souffrances, s’est pérennisée
mythiques à travers les siècles. C’est pourquoi les poètes, y compris ceux du XXe siècle, se
sont intéressés au mythe d’Orphée, le premier des « poètes maudits ». Ainsi,
Jean Cocteau a souvent évoqué cette figure mythique dans sa poésie, et lui a
même rendu hommage au cinéma dans Le Testament d’Orphée. On retrouve ce
souffle de l’inspiration antique dans le poème de Lamartine (texte A) qui prend la
forme d’un hymne à la nature et à la vie. On voit ainsi que l’origine antique de la
poésie inspirée perdure à travers les siècles.
2. Des thèmes Si la souffrance fait bon ménage avec la poésie, c’est qu’elle explore des
universels thématiques qui traversent les siècles et les mouvements culturels. La rupture
qui inspirent amoureuse, par exemple, a inspiré aussi bien Pierre de Ronsard que Guillaume
les poètes Apollinaire ou Paul Éluard. Parce qu’elle concerne tous les hommes, la souffrance
de la perte de l’être aimé invite à un langage universel. Source de lyrisme, la
thématique de l’amour déçu, et même de l’amour perdu, trouve un espace
privilégié dans les vers de la poésie. À certaines époques de l’histoire littéraire,
les poètes en ont même fait leur principale inspiration. C’est le cas des poètes
de la période romantique qui, en exaltant les sentiments intimes, ont tenté de
creuser leur plaie pour mieux en faire ressortir le lyrisme. Ainsi, les Méditations
de Lamartine, Les Rayons et les Ombres ou Les Contemplations de Victor Hugo
sont des recueils construits autour de l’idée d’une perte, d’une grande douleur.
Mais l’expression de la douleur n’est pas le propre de la poésie romantique. Le
poète surréaliste Paul Éluard, lorsqu’il perd brutalement sa compagne Nusch
lors d’un accident de voiture, écrit un bref recueil intitulé Le Temps déborde : il se
plonge dans sa douleur pour en tirer des images d’une grande beauté, telles que
« Le temps déborde », « Voici le jour en trop » ; ou encore « Notre amour si léger
prend le poids d’un supplice ». Grâce à ces exemples, on ne peut qu’adhérer
à la formule de Musset qui considère comme les plus beaux les vers les plus
désenchantés.

242 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
3. La souffrance Si la désespérance crée les plus beaux chants, c’est qu’elle résulte de la
stimule nécessité d’une expression personnelle de la douleur. Le poète dispose en effet
l’écriture d’un langage à part pour exprimer ses émotions. Il leur confère une dimension
poétique, universelle en quoi chacun peut se reconnaître. Les plus célèbres poèmes de
le travail du langue française évoquent un événement douloureux, voire tragique. Le poème
langage de Victor Hugo, « Demain, dès l’aube », exprime ainsi la douleur d’un père qui
se rend sur la tombe de sa fille. Ce poème fait en effet allusion à un événement
tragique de la biographie du poète, la mort par noyade de sa fille Léopoldine.
C’est pourquoi Musset a raison de constater que les plus belles images poétiques
naissent d’un grand chagrin. Lui-même en a fait l’expérience après sa rupture
avec George Sand, quand il écrit « Les Nuits », cycle de quatre grands poèmes
lyriques où le poète exprime sur le mode élégiaque ses inquiétudes intimes et
ses regrets passés. Dans le poème d’André Breton, « L’union libre » (texte C),
on peut lire certaines images de douleur et d’inquiétude cristallisées autour de
la femme dépeinte dans les vers. Force est donc de constater que l’expérience
personnelle de la douleur est un thème poétique qui inspire tous les poètes et
toutes les époques, permettant ainsi un renouvellement de l’expression lyrique.

II. La poésie Ce serait une erreur de croire que la poésie n’est engendrée que par la douleur
n’a pas pour et ne produit que des textes à la teneur élégiaque ou tragique. La poésie obéit
seule fonction à d’autres souffles et à d’autres nécessités. Elle peut exprimer un engagement,
d’exprimer ou bien, à l’inverse se suffire à elle-même. Musset réduit donc un peu la poésie
la souffrance quand il considère que seule la poésie désespérée crée de beaux vers.
1. La révolte et De fait, la poésie peut également exprimer une révolte ou un engagement. Il
l’engagement n’est pas nécessaire de souffrir pour écrire des vers, mais parfois de réagir face
à une situation révoltante ou injuste. Dans Les Châtiments, par exemple, Victor
Hugo attaque Napoléon III qu’il surnomme « Napoléon le petit » et stigmatise ses
agissements politiques. Tout le recueil est construit de manière à faire la satire
et la critique du second Empire. À d’autres périodes de l’histoire, la poésie entre
en jeu et dénonce la barbarie de la guerre ou son iniquité. Pendant la première
Guerre mondiale, Guillaume Apollinaire écrit une partie des Poèmes à Lou alors
qu’il est au front. Il dénonce les atrocités de la guerre, tout en exprimant à
celle qu’il aime ses sentiments personnels. On voit à travers cet exemple que
la poésie lyrique n’exclut pas un regard critique que le poète peut porter sur le
monde qui l’entoure. Enfin, l’engagement des poètes de la Résistance contre
l’ennemi dévoile ainsi un rapport non plus douloureux ou lyrique à la poésie,
mais l’utilisation du vers comme arme contre l’injustice.
2. L’humour, Par ailleurs, la poésie peut aussi exprimer le contraire de la douleur : le rire,
la chanson l’humour. Contrairement à ce qu’écrit Musset, les vers amusants ou burlesques
ne signifient pas que le poète a écrit avec facilité. La poésie peut en effet
exprimer les choses et les situations amusantes de la vie, sans pour autant être
destinée aux enfants. La poésie des poètes baroques, tels que Vincent Voiture ou
Mathurin Régnier, comporte de nombreux jeux de mots qui distraient le lecteur
et l’amusent. Plus proche de nous, la poésie de Jacques Prévert est connue
pour ses vers cocasses. Et dans une certaine mesure, les inventions langagières
de Robert Desnos, par exemple, peuvent faire sourire par leur incongruité. On
ne peut donc pas totalement adhérer à la proposition de Musset, puisque les
poètes peuvent aussi exercer leur talent dans le domaine de l’humour ou du
divertissement. Ainsi, l’une des formes de la poésie, la chanson, nuance aussi
l’idée selon laquelle la poésie n’est belle que lorsqu’elle est triste. L’abondance
de sa production le prouve : il n’est besoin que de citer des auteurs compositeurs
comme Serge Gainsbourg, Nino Ferrer ou Georges Brassens qui ne se sont pas
limités à une veine lyrique.
3. Pas de Pour d’autres poètes enfin, la poésie ne doit ni laisser s’exprimer des sentiments
fonction : douloureux, ni même professer un quelconque engagement politique ou
l’art pour l’art idéologique. C’est le cas en particulier des partisans de « L’Art pour l’Art »,
tels que Gautier ou Verlaine, pour qui la poésie doit respecter une certaine

CNED SECONDE – FRANÇAIS 243


SÉQUENCE

6
impassibilité. Les poètes du Parnasse, Leconte de Lisle ou José-Maria de Hérédia,
choisissent des thèmes où ils n’ont pas à impliquer de sentiments personnels,
créant une distance entre leurs émotions intimes et leur travail poétique. Il est
donc possible de créer des vers d’une rare perfection, sans que la douleur ou
la souffrance n’intervienne. On peut le constater dans les sonnets de Stéphane
Mallarmé, ou dans « Le Rêve du jaguar » de Leconte de Lisle, poème qui décrit
un jaguar endormi. Le choix de certains sujets poétiques a pour but de limiter les
effusions de sentiments personnels.

III. La poésie Le poète est avant tout l’inventeur d’un langage nouveau qui n’appartient qu’à
exerce lui. Au-delà des souffrances ou des douleurs qu’exprime la poésie, il s’agit pour
un charme en l’artiste de créer un monde qui « charme », c’est-à-dire qui séduise ou envoûte
inventant un par son rythme, sa musicalité.
langage nouveau
1. Les charmes Si la poésie exerce une sorte de charme sur celui qui la lit, qu’elle soit élégiaque
rythmiques ou humoristique, c’est qu’elle est d’essence magique, voire mystérieuse. C’est
de l’écriture pourquoi on utilise souvent l’expression « chant poétique » ou « voix du poète »,
poétique l’enchantement et la voix renvoyant au sortilège, à l’incantation. Ce don que
possède la poésie repose principalement sur un travail du rythme et sur le
choix de mots évocateurs. Comme dans le domaine de la magie, l’enchantement
poétique repose en effet sur le rythme. De la même manière, la beauté d’un
poème se fonde sur un rythme qui a des effets sur le lecteur et l’auditeur – on
se souviendra ici que la poésie était d’abord chantée, dans le cadre de rites
religieux. L’alexandrin, par exemple, permet un savant travail sur le rythme,
selon qu’on découpe le vers en deux, trois, quatre et même six moments, créant
ainsi une modulation de rythme. L’emploi du vers, au théâtre, chez Racine par
exemple, participe de la musique de la tragédie : on entend la musique des vers ;
dans certains cas, la musique crée le sens, non les mots qui composent le vers.
Certains poètes, tels que Verlaine et Apollinaire, sont particulièrement appréciés
pour leur sens musical aigu. Tel vers d’Apollinaire envoûte le lecteur parce
qu’il crée des sonorités qui charment par leur pouvoir : le poème « Clotilde »,
par exemple, repose sur un travail musical extrêmement élaboré, comme en
attestent les deux premières strophes du poème :
« L’anémone et l’ancolie
ont poussé dans le jardin
où dort la mélancolie
entre l’amour et le dédain »
Cet exemple trahit une recherche musicale autour de la rime et du rythme.
L’absence de ponctuation, les sonorités qui se répondent à l’intérieur des vers
créent un effet d’enchantement. Dans ce cas, le travail poétique transcende
souffrances et douleurs, tout en se fondant sur une symbolique florale, grâce
aux termes choisis.
2. Le pouvoir En outre, le choix des mots, à l’image du travail du rythme, donne son identité
des mots à la poésie et la définit peut-être davantage que la douleur ou la souffrance.
Les mots ont en effet leur secret, dès lors qu’ils entrent dans le vers, leur
signification première est bouleversée, et le sens connoté peut prendre le pas sur
le sens dénoté. La poésie revivifie le sens des mots en leur ouvrant de nouveaux
horizons : un tel travail du lexique est propre à exprimer douleurs et peines,
joies et bonheurs, sous une forme nouvelle. Par exemple, dans « Le Bateau
ivre », Rimbaud utilise des mots connus de tous, mais leur rencontre crée un
sens nouveau qui parfois nous échappe. La recherche des mots rares fait aussi
partie du travail du poète qui utilise toutes les potentialités de la poésie. C’est
pourquoi Stéphane Mallarmé est considéré comme un poète « difficile » car il
fait entrer dans son vers des mots peu employés ou tombés en obsolescence.
Dans le sonnet en « X », le poète joue avec les sonorités des mots rares, créant
un univers enchanteur et inconnu :

244 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
« Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx,
L’Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore,
Maint rêve vespéral brûlé par le Phénix
Que ne recueille pas de cinéraire amphore. »

Les mots rares se succèdent et un langage nouveau se déploie aux yeux du


lecteur ou de l’auditeur.
3. Accéder à Finalement, la poésie permet au poète non seulement d’exprimer ses sentiments,
l’invisible de retranscrire une expérience douloureuse, comme l’écrivait Musset, mais aussi
de donner accès à un sens nouveau pour comprendre le monde et le déchiffrer.
Comme le rappelle le mythe de Prométhée, la poésie appartient d’abord aux
dieux et non aux hommes. Avoir la capacité d’accéder à la poésie, c’est posséder
le pouvoir de s’exprimer avec un langage original qui n’est pas la langue banale.
Le poète Raymond Queneau définit avec humour l’instant de l’inspiration, ce que
Musset en son temps appelait « l’inspiration des Muses », et il le désigne par
« l’instant fatal » : c’est le moment unique où le poète, heureux ou malheureux,
trouve en lui une voix qui lui dicte des mots qui ne ressemblent pas aux autres et
forment, grâce à un travail de composition, une œuvre poétique. Le poème de Paul
Éluard « L’Amour, la poésie » offre une synthèse de ce lien entre l’expression
de sentiments intimes et l’expression d’une voix musicale unique en son genre.
La beauté des vers et l’originalité des images inventent un nouveau langage et
créent l’enchantement de celui qui les lit et les déchiffre. Quel sens donner, par
exemple, à ce vers : « La terre est bleue comme une orange » ? À travers ce vers,
cette image singulière, Éluard nous rappelle que la poésie est un langage à part
et que parfois son sens n’est pas littéral, mais dépend de la subjectivité qu’on y
projette.

Conclusion Ce serait finalement une erreur de croire que « seuls les chants désespérés sont
les chants les plus beaux ». La poésie est un domaine très riche qui dépasse la
seule expression de sentiments intimes et douloureux. En fait, la poésie est un
langage universel qui permet d’exprimer toutes sortes d’émotion et même de
jouer avec le langage sans chercher à retranscrire des sentiments ou des états
d’âme. Cependant, quand Musset écrit cette formule dans « La Nuit de mai »,
il fait écho à la poésie de son temps, la poésie romantique. Chaque période de
l’histoire littéraire a en effet défini la poésie en fonction de ses propres critères
et de ses propres aspirations. La poésie du XXe siècle, en remettant en cause la
notion « d’inspiration poétique », a cherché à réinventer le lyrisme, quitte à le
briser, sans vraiment parvenir à revenir sur ce qui fait l’essence d’une poésie : le
rapport d’un artiste à l’écriture.

2. Écriture d’invention

Ma chère Ophélie,
Tu sais que je poursuis toujours les lectures que tu m’as conseillées il y a un mois,
et j’avoue que je savoure de plus en plus la poésie, notamment parce qu’elle ex-
prime, de manière singulière, les sentiments les plus intimes de l’être humain. Je
lis les poètes des XIXe et XXe siècles, et je m’aperçois que, malgré des différences,
on trouve certaines thématiques communes entre leurs œuvres. Tu me demandais,
dans ta dernière lettre, quelle était pour moi l’originalité de la poésie par rapport
à d’autres formes d’expression littéraires ; je crois que je peux aujourd’hui te ré-
pondre. En effet, la poésie me paraît un vecteur privilégié pour exprimer ses senti-
ments, notamment les émotions amoureuses. J’ai lu récemment que l’origine de la
poésie remonte à Orphée, personnage mythique qui aurait charmé les dieux pour
ramener sa bien-aimée, Eurydice, des Enfers.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 245


SÉQUENCE

6
[Ce premier paragraphe situe précisément l’échange épistolaire et l’objet de la lettre. Il
reprend les termes du sujet, tout en signalant le rapport de complicité qui existe entre
les interlocuteurs. Cette complicité permettra ensuite de respecter une des consignes
du sujet qui vous invite à vous impliquer personnellement dans le contenu du propos.
En outre, des éléments de ce paragraphe indiquent que les deux interlocuteurs se
connaissent et ont déjà parlé de poésie. Cet élément permet de rendre plus plausibles
les allusions qui seront faites aux exemples poétiques.]

Cette légende associe d’emblée l’amour à la poésie, même si dans le cas d’Orphée
et d’Eurydice, l’issue de leur passion est tragique. Je crois néanmoins que la poésie
est souvent associée au chant d’amour, même si c’est pour exprimer la douleur
d’avoir perdu un être cher. On pourrait d’ailleurs rapprocher le mythe d’Orphée de
l’expérience que le poète Paul Éluard a fait de l’amour et de la mort. Dans un de ses
poèmes, « Le Temps déborde », il décrit la douleur d’avoir perdu celle qu’il aimait.
On voit bien dans ses vers que seule la poésie parvient à exprimer l’inexprimable.
On pourrait d’ailleurs établir une lignée de poètes qui, depuis la Renaissance, se
sont situés dans le sillage d’Orphée en chantant l’amour et en déplorant la perte
de l’être aimé. Ronsard, Du Bellay, les poètes romantiques, Verlaine, Apollinaire et
de nombreux poètes du XXe siècle ont exploré ces territoires de l’amour meurtri. Je
pourrais te citer plusieurs exemples, mais j’en retiendrai deux qui m’ont beaucoup
frappé. Le premier est celui du poète romantique italien Giacomo Leopardi (1798-
1837) ; il s’agit d’un poème qui s’intitule Amour et Mort (Amor e Morte). La poétesse
que tu apprécies beaucoup, Marceline Desbordes-Valmore a même consacré des
vers au poète italien, et je ne résiste pas à l’envie de te recopier le premier quatrain :
« Il est de longs soupirs qui traversent les âges
Pour apprendre l’amour aux âmes les plus sages.
Ô sages ! De si loin que ces soupirs viendront,
Leurs brûlantes douceurs un jour vous troubleront »
C’est intéressant de voir comment la poétesse française reprend le thème de
l’amour, tout en rendant hommage au poète italien ; j’ai lu sur un site consacré à la
poésie romantique que les poètes de la génération de Musset et de Desbordes-Val-
more ont beaucoup admiré Leopardi… Mais je suis bavard, et je reviens à l’objet de
cette lettre : la poésie comme moyen privilégié d’exprimer le sentiment amoureux.

[Méthode. Dans ce premier paragraphe, il s’agit de développer une thématique en rap-


port avec le sujet, mais traitée d’un point de vue subjectif. Celui qui écrit la lettre ex-
plique d’abord à sa destinataire l’origine de la poésie amoureuse, de la poésie lyrique
en évoquant le mythe d’Orphée. Il établit ensuite des liens avec des textes qu’il connaît,
s’appuyant sur un exemple précis qu’il cite en le détachant du texte. En évoquant en-
suite la poésie de Leopardi, il témoigne de sa culture littéraire et montre implicitement
que la poésie est un langage universel quand il s’agit d’exprimer le sentiment amou-
reux. La phrase de transition, dans laquelle l’auteur de la lettre explique qu’il a déve-
loppé en digressant quelque peu, permet de recentrer sur la problématique du sujet et
d’annoncer le second mouvement de sa réflexion.]

Je remarque, dans les poésies que j’ai lues, que chaque poète cherche un langage
pour exprimer les sentiments. C’est la raison pour laquelle la poésie amoureuse
est riche sur le plan de l’invention des métaphores, des comparaisons et des analo-
gies. J’ai été surpris (et charmé) par le poème d’Apollinaire « Il y a » ; pour exprimer
ses sentiments, le poète semble témoigner de tout ce qu’il voit autour de lui. Le
spectacle de la guerre rencontre ses préoccupations personnelles, et l’on ressent,
à la lecture du poème, comment il parvient à exprimer à la fois son désarroi et
son attachement pour sa destinataire. L’effet de répétition en début de vers donne
l’impression que le poète veut partager son expérience avec celle qu’il aime. Les
images qu’il énumère sont étonnantes, parce qu’elles se succèdent, comme les
images d’un rêve :

246 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
« Il y a dans mon porte-cartes plusieurs photos de mon amour
Il y a les prisonniers qui passent la mine inquiète »

Je trouve qu’Apollinaire, grâce à ces juxtapositions, parvient à raconter le sentiment


amoureux et à dire la place qu’occupe la femme qu’il aime dans ses pensées. J’au-
rais d’ailleurs envie de rapprocher ce poème de celui d’André Breton, « Ma femme
à la chevelure de feu de bois » qui utilise aussi une énumération pour exprimer
ses sentiments envers l’élue de son cœur. Toutes ces répétitions, que ce soit chez
Apollinaire ou chez Breton, traduisent comme une obsession. C’est un signe de la
passion. La poésie, parce qu’elle invente un langage nouveau qui n’appartient qu’à
celui qui le crée, est vraiment l’espace privilégié de l’expression amoureuse. Sur ce
point, je trouve que les surréalistes sont allés très loin dans la créativité.
Ainsi, dans le poème qu’il dédie à Gala (texte D), Éluard trouve des comparaisons
inattendues pour décrire ses sentiments et ses émotions :
« Ses yeux sont des tours de lumière
Sous le front de sa nudité. »

Je trouve que ces deux vers sont très beaux parce que l’image de la lumière éclaire,
en quelque sorte, le visage qui est décrit. Éluard semble redistribuer les éléments
d’un blason (tu sais, les petits portraits que tu m’as faits lire) pour lui donner une
forme nouvelle. Cette fois, ce n’est pas l’amour tragique qui est décrit, mais un
amour qui inspire l’idée d’apaisement et de profondeur. C’est un peu ce qu’on
ressent aussi à la lecture du poème de Lamartine écrit à Naples en 1822. Le ly-
risme, commun aux deux auteurs, dévoile la singularité de chaque amour à tra-
vers des métaphores originales. La métaphore filée qu’emploie Lamartine entre
l’amour et la voix, suggère un climat d’élévation et de bonheur :
« Si de ta douce voix la flexible harmonie,
Caressant doucement une âme épanouie
Au souffle de l’amour,
La berçait mollement sur de vagues images,
Comme le vent du ciel fait flotter les nuages
Dans la pourpre du jour »

Ces deux poètes, Lamartine et Éluard, prouvent que l’expression amoureuse re-
pose souvent sur un lyrisme très personnel qui fait entendre la voix du poète.

[Le deuxième mouvement de la lettre s’intéresse davantage au langage poétique ; il


tente de démontrer que le travail sur les images et les métaphores permet d’expri-
mer le sentiment amoureux. La réflexion aboutit sur un des éléments constitutifs de la
poésie amoureuse : le lyrisme. Ce point permet à l’auteur de la lettre de réinvestir des
éléments du cours.]

Au fond, ce qui est paradoxal avec la poésie amoureuse, c’est que le poète confie au
monde un sentiment intime, que lui seul peut comprendre parce que chaque his-
toire d’amour est unique. C’est donc un mélange d’intimité et d’universalité qui fait
que la poésie est vraiment le moyen privilégié pour exprimer ses sentiments. Tu as
remarqué en effet que la poésie amoureuse implique souvent la présence du « je »
dans les poèmes. Le ton de confidence et parfois même d’autobiographie permet
aux poètes, du moins je le crois, d’exprimer plus intensément leur « état » face aux
sentiments amoureux. Il y a un poème de Musset que j’aime bien, qui se trouve dans
les Poésies complètes que tu m’as prêtées. Il exprime de manière simple l’implica-
tion du poète dans son expérience amoureuse, soit-elle heureuse ou malheureuse.
« J’ai dit à mon cœur, à mon faible cœur :
N’est-ce point assez d’aimer sa maîtresse ?
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
C’est perdre en désirs le temps du bonheur ?»
CNED SECONDE – FRANÇAIS 247
SÉQUENCE

6
Je trouve que le questionnement, associé à la présence du « je » du poète donne plus
de vérité à l’expression des sentiments. On a l’impression que le poète se parle à lui-
même, mais qu’il s’adresse aussi à tous ceux qui le liront, créant une connivence avec
le lecteur inconnu. Tu ne trouves pas que la poésie est la seule (avec la correspon-
dance, peut-être), à pouvoir créer ce rapport d’intimité entre le lecteur et le poète.
J’ai un autre exemple, celui d’Apollinaire. Dans son poème « Le Pont Mirabeau », il
décrit un amour qui est parti, en rapprochant ce départ de la Seine qui coule sous les
ponts de Paris. Il me semble que le récit de l’expérience amoureuse, quand le poète
décide de s’y impliquer, rend encore plus vrais et plus touchants ses vers :
« L’amour s’en va comme cette eau courante
L’amour s’en va
Comme la vie est lente
Et comme l’Espérance est violente
Vienne la nuit sonne l’heure
Les jours s’en vont je demeure »
J’adore ces vers parce qu’ils mêlent un sentiment très intime et une grande musi-
calité ! Au fond, tu me demandais ma définition du lyrisme, eh bien je crois que le
lyrisme, c’est la rencontre entre l’expression du sentiment amoureux, l’expérience
du poète et le pouvoir envoûtant de la musique des vers. Qu’en penses-tu ? Tous les
vers que j’ai cités dans cette lettre mettent en avant la part autobiographique. Je
me demande jusqu’à quel point la poésie amoureuse n’a pas une fonction cathar-
tique pour l’artiste. En exprimant leurs sentiments, les poètes s’en délivrent tout
en les livrant aux lecteurs. C’est une manière de partager et de dire l’inexprimable
d’un sentiment que chacun rencontre dans sa vie.
[Dans ce troisième volet de la lettre, l’épistolier explique en quoi la poésie est le lieu
d’une expression intime, extrêmement personnelle. Mais en même temps, il aboutit à
l’une des fonctions de la poésie, qui consiste à exprimer par la voix d’un seul, ce que
chaque lecteur peut ressentir. Après cette démonstration, le correspondant écrit une
formule de clôture et de politesse, en citant un dernier exemple…]

Voilà, ma chère amie, ce que je peux répondre à ta question sur la poésie amou-
reuse. Je te remercie encore pour les livres que tu m’as prêtés. J’aimerais bien que
tu me donnes ton avis sur les Poèmes saturniens de Verlaine. Lui aussi est un maître
dans l’expression des sentiments intimes. Mais, contrairement aux romantiques, il
décrit l’amour par petites touches pleines de délicatesse. C’est sur cette note ver-
lainienne que je referme ma lettre. J’espère que tu trouves un peu de temps pour te
balader et rêver, un recueil poétique à la main, naturellement !
Amicales pensées,
Guillaume

3. Commentaire de texte

Conseils méthodologiques
▶ « Roman » est l’un des plus célèbres poèmes de Rimbaud. On y découvre
le jeune poète, le poète adolescent tel qu’il est entré dans la légende, avec
sa chevelure en bataille et ses semelles de vent. Même s’il est important
de connaître ces images de Rimbaud, il convient de ne pas faire une lecture
uniquement autobiographique du poème.
▶ Le commentaire vous invite à proposer une lecture personnelle et cohé-
rente, en vous appuyant sur un repérage précis.
▶ Vous serez notamment attentif au jeu des pronoms, en observant le « point
de vue adopté ». Étant donné qu’il s’agit d’un poème, vous serez également
sensible aux jeux des sonorités et à la manière dont les rimes, les strophes
créent une atmosphère singulière.

248 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Plan Introduction
I. La révélation d’un adolescent
1. La jeunesse
2. La nature
3. L’ivresse des sens
II. La rencontre amoureuse
1. Le jeune homme et les jeunes filles
2. L’aventure amoureuse
III. Humour, lucidité et ironie
1. Humour et autodérision
2. La portée satirique
3. Le retour au réel
Conclusion

Introduction « Roman », écrit en 1870 par le jeune Arthur Rimbaud, propose d’emblée au
lecteur un titre provocateur : le poète écrit le « roman » de son adolescence, et
il faut comprendre le mot « roman » au sens propre comme au figuré. Le genre
du roman raconte des histoires, peint des personnages, décrit leurs mœurs et
campe une intrigue avec des actions principales et secondaires. Mais un roman,
c’est aussi une histoire qu’on s’invente, et parfois un mensonge. Le poème décrit
des scènes tirées de la vie d’un adolescent ; construit en chiasme, il s’ouvre et se
referme sur un vers presque identique. Ce vers nous renseigne sur le contenu du
poème – l’épisode de la vie d’un jeune homme de dix-sept ans – répété comme une
formule cyclique qui évoque la construction d’un roman, avec son début et sa fin.
Le cadre, les personnages, Rimbaud fait défiler sous les yeux de son lecteur une
véritable scène, composée et cohérente. Mais dans ce poème, Rimbaud se dévoile
aussi à travers l’histoire qu’il raconte. Il s’agira donc dans un premier temps de
découvrir le portrait d’un adolescent, avant d’étudier l’enthousiasme et l’appel à la
vie qu’exprime le poème, pour terminer par l’étude de la lucidité et de l’ironie de
ce célèbre poème.

I. La révélation Le premier vers renseigne d’emblée le lecteur sur l’âge du protagoniste, le cadre,
d’un adolescent l’atmosphère. Le pronom personnel sujet « on » de la formule « On n’est pas
sérieux… », bien qu’il ait une valeur générale, renvoie immanquablement au poète
et peut être lu comme un jeu. Rimbaud fait découvrir à son lecteur le portrait d’un
adolescent, et, plus généralement de l’adolescence.
1. La jeunesse Le poème est traversé par le motif de la jeunesse et de l’alacrité. La répétition
de « dix-sept ans » dans le premier vers et dans l’avant-dernier insiste sur l’âge
du jeune homme, âge qui sert de cadre « moral » à la description. Dix-sept ans,
c’est le moment de la découverte de la vie, de la curiosité, des désirs. Ainsi, les
couleurs du poème évoquent la naissance et le printemps : « les tilleuls verts »
(v.4), dont les feuilles sont même d’un vert tendre, suggèrent cette montée de la
sève, associée traditionnellement à la jeunesse. D’ailleurs la référence aux arbres
est explicitement reprise par la métaphore de la « sève » au vers 14, qui exprime
l’irrésistible besoin de liberté de cette jeunesse insouciante.
L’insouciance, en effet, fait partie de la jeunesse, et elle est présente durant tout le
poème, comme en témoigne la ponctuation qui crée un effet de mouvement et de
liberté (vers 12 à 16), comme le suggère également les saisons du printemps et de
l’été. L’exclamation « Nuit de juin ! » connote cette idée de liberté et de douceur, ce
que confirme d’ailleurs l’expression appuyée « l’air est parfois si doux », la mise en
relief de l’adjectif « doux » suggérant un attrait irrésistible, une liberté à laquelle
on ne peut que céder. C’est encore le qualificatif « doux » qui est employé pour
décrire le « frisson » ; antéposé au substantif « frisson », il est mis en relief et fait
écho à la précédente occurrence du même qualificatif. C’est donc une atmosphère
de liberté qui plane sur ce roman d’un printemps, une ambiance insouciante où

CNED SECONDE – FRANÇAIS 249


SÉQUENCE

6
tout semble permis aux adolescents. Cette impression de liberté est confirmée par
le cadre de l’action, et par la présence concrète et symbolique de la nature. Celle-ci
accompagne en effet les mésaventures du poète, mais elle est également présente
de manière plus métaphorique.
2. La nature Cette impression de liberté est confirmée par le cadre de l’action, et par la présence
concrète et symbolique de la nature. Celle-ci accompagne en effet les mésaventures
du poète, mais elle est également présente de manière plus métaphorique. Bien
que la « promenade » (v.32) et les « pâles réverbères » (v.18) décrivent un cadre
urbain (une promenade est une rue assez large plantée d’arbres), le lecteur a
l’impression que la nature est omniprésente. Elle l’est d’abord par la présence
heureuse des tilleuls, dont le parfum agréable embaume les marcheurs. La
répétition de l’adjectif « bon » dans le vers 5 « Les tilleuls sentent bon dans les
bons soirs de juin ! » associe la présence végétale au moment de la journée : c’est
« le soir » en effet que les arbres et les plantes en général libèrent leur parfum,
lorsque la chaleur tombe et qu’une légère humidité se fait sentir. La répétition
suggère donc un ravissement des sens. La présence des arbres suggère également
un climat agréable et protecteur, une nature bienfaisante. La répétition du mot
« tilleul » insiste d’ailleurs sur le périmètre assez réduit de l’action : « on va sous
les tilleuls » comme on va vers un rituel auquel la nature participe. La nature qui
s’enracine comme les arbres s’élève aussi vers le ciel, comme le donne à penser la
métaphore du baiser qui « palpite comme une petite bête ».
3. L’ivresse Dans « Roman », tous les sens sont en émoi, ce qui provoque un double état
des sens d’enthousiasme et d’ivresse. Tous les sens sont en effet convoqués et stimulés.
La vue est « accrochée » par des couleurs contrastées et des éclats : « lustres
éclatants » (v.3), « vert » (v.4), « azur » (v.10), « blanche » (v.12). Ces couleurs
indiquent à la fois une scène nocturne, mais aussi l’acuité visuelle du principal
protagoniste, capable d’apercevoir de loin « un tout petit chiffon » (v.9). L’odorat
est également très présent comme si l’adolescent humait toutes les fragrances
de cette nuit de juin. La répétition du terme « parfum » exprime clairement que
ce sont des odeurs agréables et plaisantes, ce que confirme l’odeur des tilleuls.
Or ces parfums ont des effets enivrants, issus de « la vigne » et de « la bière »
(v.8). La présence explicite de l’alcool suggère un parfum délicat de distillation.
À ces parfums s’ajoutent des notations auditives. Celles-ci sont particulièrement
suggestives car elles isolent en quelque sorte le poète qui perçoit de loin, comme
l’indique « le vent chargé de bruits », et la précision entre tirets – « la ville n’est
pas loin ». Les bruits précisent donc le cadre. Sans être dans une zone rurale, le
« on » du poème n’est pas non plus vraiment dans un monde urbain. Il est à part,
s’est éloigné, comme le suggèrent les perceptions auditives. On pourrait même
entendre la voix du poète, bien qu’elle soit évoquée au discours indirect dans la
dernière strophe : « vos sonnets La font rire » (v.26) laisse imaginer le poète en
train de lire ; « vous rentrez aux cafés éclatants,/ Vous demandez des bocks ou de la
limonade… », précisent les derniers vers (v.29-30), montrant à la fois le personnage
et suggérant la commande qu’il passe à voix haute. Toutes les notations auditives
confèrent un certain réalisme au poème, tout en l’ancrant dans une forme de vérité
subjective : le lecteur « entend » à travers l’oreille du protagoniste de dix-sept
ans. Enfin, le dernier sens convoqué est le toucher, suggéré le « vent » (v.7) et
le « frisson » (v.12) qui semblent glisser sur la peau des personnages comme un
onguent bienfaisant. La présence de tous ces éléments sensoriels crée une sorte
d’ivresse qu’indique la divagation du poète : « on divague ; on se sent sur les lèvres
un baiser » (v.15). Cet abandon des sens est plaisant, heureux et accompagne la
découverte de l’amour.

II. La rencontre Le poème de Rimbaud est un roman d’amour. Le poète met en scène des jeunes
amoureuse filles, des jeux de séduction, et les épisodes romanesques qui s’ensuivent. Cette
présence de l’amour dans le poème correspond bien à la découverte de la vie d’un
adolescent.

250 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
1. Le jeune Rimbaud dresse le portrait des jeunes filles, portrait plus physique que moral. L’on
homme comprend en effet que si le personnage masculin se décide à quitter « les bocks
et les jeunes et la limonade » (v.30), c’est pour se livrer au jeu de l’amour et du hasard, et se
filles rendre dans un lieu privilégié, dédié à la rencontre amoureuse (sous les tilleuls).
La « promenade » est en effet un espace de balades, d’échanges furtifs et donc un
territoire d’observation privilégié. Implicitement, Rimbaud décrit le déplacement du
poète dans les deux premiers quatrains : il a quitté l’estaminet pour la promenade,
comme s’il avait pris la décision de passer à l’acte, et de se lancer dans les galanteries.
Sa posture est donc d’abord celle d’un observateur en quête d’une bonne fortune.
C’est ce qu’indique la formule présentative du vers 9 « Voilà qu’on aperçoit un tout
petit chiffon », comme si le personnage avait repéré de loin la présence féminine
s’approcher. Sans être précisément décrite, la jeune fille existe aux yeux du poète
grâce à des éléments de son vêtement, décrit par la métaphore filée du second
quatrain : chaque élément qui la compose, « un tout petit chiffon d’azur sombre »,
« piqué d’une mauvaise étoile », « doux frissons » peut suggérer successivement
un foulard bleu foncé attaché avec une broche clinquante, et une robe dont les
froissements (le mot est proche phonétiquement de « frissons ») mettent en éveil
les sens du poète.
2. L’aventure Cette première vision a pour effet de décupler le désir de séduire et de plaire.
amoureuse L’image du « baiser qui palpite comme une petite bête » (v.16) suggère tout
ensemble le cœur qui bat la chamade, et un chatouillis, une envie qui démange
et contre laquelle on ne peut pas lutter. C’est pourquoi la seconde apparition
féminine coïncide avec la révélation de l’amour. Le champ lexical du sentiment
amoureux (« Vous êtes amoureux » (v.25), « charmants » (v.19), « lèvres », « un
baiser » (v.15), « l’adorée » (v.28)) confirme la présence d’un jeu de séduction qui
s’accomplit dans cette « nuit de juin ». Ce jeu avec le sexe opposé repose sur des
mouvements rapides et fugaces. Le poète se prend aux filets des « petits airs
charmants » : un regard ou un sourire transporte le poète extrêmement réceptif
à toute sollicitude extérieure. Aussi brève que rapide, la rencontre met le poète
en émoi, comme le suggère le superbe néologisme « le cœur fou Robinsonne »,
le verbe « robinsonner » étant créé à partir du nom Robinson (Crusoé), héros
de Daniel Defoe parti en mer à l’aventure. La découverte que décrit Rimbaud
est en effet une aventure, une véritable traversée, avec ses péripéties et ses
moments forts. Cette impression d’aventure est confirmée par la construction
des strophes ; Rimbaud recourt aux enjambements et aux rejets pour suggérer
un mouvement.
Ainsi, dans la troisième strophe, l’enjambement des vers 11-12 :
« Piqué d’une mauvaise étoile, qui se fond
Avec de doux frissons, petite et toute blanche… »
crée l’impression de suivre le regard du poète. Rimbaud montre un adolescent
qui s’affranchit et utilise un alexandrin libéré des règles habituelles (hémistiche à
la césure) et déplace les accents. Le titre « Roman » se justifie alors pleinement.
Comme dans un roman, le héros vit une scène de « première rencontre », s’oppose
à la volonté d’un père (« sous l’ombre du faux-col effrayant de son père », v.20).
Mais comme dans un vrai roman, les péripéties se succèdent ; ainsi Rimbaud
suggère tout un jeu de séduction de la part de la jeune fille qui fait « trotter ses
petites bottines » (v.22) : son pas est suggéré ici par l’allitération en [t] qui imite
le bruit des talons. Or la jeune fille, sans doute plus expérimentée, se moque de
son soupirant : « vos sonnets La font rire » (v.26). Amoureux « naïf », le poète
n’en est pas moins exalté, comme l’indique la répétition anaphorique aux v.25-
26 « Vous êtes amoureux », renforcée par l’image triviale mais amusante « loué
jusqu’au mois d’août » (v.26), qui indique que tout le temps du protagoniste sera
désormais occupé par l’amour. L’on comprend enfin dans l’avant-dernière strophe
la dimension autobiographique de ce roman, puisque le jeune « héros » écrit des
« sonnets », ce que fit aussi Rimbaud à ses débuts. Tous ces éléments confèrent au
poème une dynamique heureuse et plaisante qui fait de la rencontre amoureuse un
moment délectable, et de la jeunesse une époque insouciante.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 251


SÉQUENCE

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III. Humour, Mais peut-on se prendre et se laisser prendre au jeu de la séduction ? Le poème
lucidité de Rimbaud, loin de se limiter à la description d’un adolescent en vacances qui
et ironie découvre l’amour, ne manque ni d’humour, ni d’ironie, ni même d’une certaine
lucidité face au devenir amoureux. Si le détour d’un regard devient bouleversement
pour celui qui le reçoit, la distance humoristique permet de relativiser l’histoire,
car comme le rappelle le poète à la fin de ce roman miniature : « On n’est pas
sérieux quand on a dix-sept ans ».
1. Humour et Le personnage masculin, le héros du « Roman » qu’invente Rimbaud n’est pas
autodérision vraiment un héros. Si l’on admet l’idée selon laquelle le poète s’est mis en scène
dans ses vers, on constate un sens de l’autodérision très marqué. D’abord cet
auteur de sonnets manque totalement d’expérience : Rimbaud semble décrire
« une première fois » et une décision dans l’expression « Foin des bocks et de la
limonade » (v.2) ; la jeunesse du personnage, qui semble avoir trouvé le courage
d’aller à la promenade dans les bocks de bière, en fait une figure à la fois attachante
et gauche. Cette maladresse s’exprime dans le regard que la jeune fille porte sur lui.
L’emploi du qualificatif « naïf » attribut du pronom « vous », confirme la maladresse
inexpérimentée du jeune homme, et implicitement sa virginité. La naïveté est en
outre une caractéristique qu’on applique habituellement aux enfants, mais pas aux
hommes. L’adolescent veut jouer au grand mais ne connaît pas tous les codes de la
séduction. Rimbaud ne manque donc pas d’humour dans l’autoportrait qu’il peint
en filigrane à travers son poème.
2. La portée La crainte d’être maladroit plonge l’adolescent dans le royaume des chimères.
satirique Ainsi le vers « Le cœur fou Robinsonne à travers les romans » montre le poète
lecteur qui cherche dans la fiction romanesque un miroir à sa propre aventure : ce
décalage peut faire sourire et trahit à nouveau le sens de l’humour de Rimbaud.
Cet humour est également perceptible jusque dans la composition des strophes.
On remarque ainsi dans l’avant-dernière strophe, outre une répétition, la présence
de propositions brèves construites sur un schéma syntaxique identique : « Tous vos
amis s’en vont, vous êtes mauvais goût » (v.27). La régularité de ce vers, dont la
césure se fait à l’hémistiche, indique les conséquences immédiates de cet amour
naïf, illustrant l’adage populaire selon lequel « l’amour rend bête ». C’est finalement
un personnage attachant mais décalé que peint Rimbaud, moqué par la jeune fille,
mais aussi raillé par ses amis qui jugent son attitude grotesque : « vous êtes mauvais
goût ». Le changement de pronom (le poème passe de « on » à « vous ») correspond
au changement d’état du poète. Cette modification dans le système pronominal
participe à l’ironie sous-jacente du poème. On peut donc déceler une visée satirique
dans « Roman » qui, tout en décrivant avec enthousiasme la rencontre amoureuse,
dénonce certains comportements d’amoureux éplorés et de chevaliers servants.
Rimbaud ne se moque-t-il pas d’une façon d’aimer « romantique » où l’amant écrit
des poèmes et ne se consacre qu’à l’élue de son cœur ?
3. Le retour au Si le désir amoureux répond à un besoin de découverte, il aboutit implicitement à
réel un échec, traité dans « Roman » sur le mode burlesque et cocasse, sans tragédie
et sans larme. On peut en effet interpréter le retour de la même situation à la fin
du poème comme le retour du personnage à ses premières activités, signalant
implicitement l’échec de la relation amoureuse. Rimbaud recourt en effet à une
ellipse narrative (comme dans un vrai roman) entre l’avant-dernière et la dernière
strophe. Le personnage revient à ses fréquentations masculines habituelles des
cafés : le temps des nuits folles a passé et le dernier vers n’a plus le même accent
que lors de sa première occurrence : il ressemble davantage à un regard sur le
passé et se colore dès lors d’une certaine nostalgie. « On n’est pas sérieux quand
on a dix-sept ans » porte en soi les échecs amoureux. La diérèse sur « sérieux »
traduit l’insistance sur cet âge incertain et naïf, fait d’illusions, d’erreurs et de
maladresses. Cette fois, dans le dernier vers, après l’expérience racontée, le pronom
« on » prend une valeur et une signification plus universelle, dans lesquelles tout
lecteur peut se reconnaître. Comme dans la vie, les amours d’été de l’adolescent
sont sans lendemain, chacun retourne à sa vie. Chaque adolescent est un Robinson

252 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

6
Crusoé en puissance, pendant les mois d’inactivité scolaire de l’été : à l’époque de
Rimbaud, les élèves étaient en vacances en juin et reprenaient les cours en août. La
présence de ces deux mois dans le poème ouvre et ferme la parenthèse des mois
de liberté. « Roman » est finalement l’histoire simple d’un adolescent en vacances
qui sait que ce temps ne durera pas et profite pleinement de la vie. C’est en ce sens
qu’on peut interpréter les nombreux points de suspension du poème : Rimbaud
peint un moment « en suspens », entre l’enfance et la vie adulte, entre la fin des
cours et la reprise du travail après les semaines dédiées au sentiment amoureux.

Conclusion Dans ce poème, Rimbaud évoque avec grâce et juvénilité les premiers émois
d’un adolescent qui découvre l’amour. Le choix d’appeler son poème « Roman »
se justifie dès lors par la succession des aventures qui ramènent le poète à son
point initial. S’agit-il d’un poème autobiographique ? Selon toute évidence, il est
issu de l’expérience de Rimbaud, une expérience poétique qui rappelle l’un de ses
principes : « le dérèglement des sens ». Ce n’est donc pas un poème de la rencontre
unique, mais une sorte d’expérimentation humaine et poétique. Ici tout est simple
et agréable ; l’amour se résume à un baiser. Point de descriptions longues comme
dans un roman, mais des visions fugitives, des points de suspension qui laissent au
lecteur la possibilité d’imaginer une suite à ces robinsonnades adolescentes.

Pour conclure
À retenir
Dans ce chapitre, vous avez vu que la poésie se renouvelle profondément au
XXe siècle. En effet, il ne s’agit plus du lieu de l’épanchement lyrique ou du
culte du Beau mais du lieu de l’exploration du langage poétique. Ainsi, des
poètes tels qu’Apollinaire, Cocteau, Desnos ou Éluard inventent de nouvelles
formes poétiques. Apollinaire n’hésite pas à supprimer tout signe de ponc-
tuation de ses textes. Cocteau dévoile le caractère merveilleux du sommeil,
moment où se forment les histoires les plus extraordinaires mais aussi mo-
ment d’abandon total, proche de la mort. Desnos compose des textes surpre-
nants, proches de « cadavres exquis ». Comme Éluard, il emploie le vers libre
dans des poèmes de forme libre. Ainsi les vers n’obéissent à aucune règle ap-
parente : très souvent pas de rimes (mais des assonances et allitérations), pas
de nombre de syllabes fixe. La spatialité du poème, c’est-à-dire son organi-
sation sur la page, la disposition des mots (du matériau linguistique), participe
à la construction du sens. En conclusion, ce qui fait l’essence de la poésie n’est
plus une forme rigide, soumise aux règles de versification, mais la création
d’un langage nouveau, doté d’une musique et d’un rythme particuliers.

Pour vous évaluer

Rendez-vous sur cned.fr ou dans votre fascicule d’exercices


pour effectuer l’activité n° 8 : un quiz bilan du chapitre.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 253


SÉQUENCE

6
Fiche méthode

Formes fixes et formes libres

La poésie suit tantôt des règles, tantôt se montre totalement libre dans sa versifica-
tion. On appelle formes fixes les poèmes qui obéissent à des règles de versification
précises, tandis que les formes libres suivent l’inspiration et l’imagination du poète,
sans se soucier de contraintes formelles.

A Les formes fixes


On retiendra principalement trois formes fixes : le sonnet, la ballade, le rondeau.

1. Le sonnet
Inventé par le poète Italien Pétrarque, le sonnet est composé de deux quatrains et
de deux tercets.
Les poètes du XVIe siècle l’ont souvent employé, tels Ronsard et du Bellay. C’est
l’une des formes poétiques les plus employées, y compris au XXe siècle.
Le sonnet présente des rimes embrassées dans les deux premiers quatrains, mais
dans les deux tercets, les rimes deviennent suivies ou croisées. Le sonnet est com-
posé de vers en alexandrins, décasyllabes ou octosyllabes.

Exemple
Jusqu’à présent, lecteur, suivant l’antique usage,
Je te disais bonjour à la première page.
Mon livre, cette fois, se ferme moins gaiement ;
En vérité, ce siècle est un mauvais moment.
Tout s’en va, les plaisirs et les mœurs d’un autre âge,
Les rois, les dieux vaincus, le hasard triomphant,
Rosalinde et Suzon qui me trouvent trop sage,
Lamartine vieilli qui me traite en enfant.
La politique, hélas ! voilà notre misère.
Mes meilleurs ennemis me conseillent d’en faire.
Être rouge ce soir, blanc demain, ma foi non.
Je veux, quand on m’a lu, qu’on puisse me relire.
Si deux noms, par hasard, s’embrouillent sur ma lyre,
Ce ne sera jamais que Ninette et Ninon.
Alfred de Musset, « Sonnet au lecteur » (1850)

Les poètes du XXe siècle parodieront ou feront exploser cette forme fixe de la poé-
sie, comme Apollinaire dans « Les Colchiques ».

2. La ballade
La ballade est née au Moyen Âge. Elle comporte trois strophes en octosyllabes ou
décasyllabes puis la moitié d’une strophe (un quatrain) qu’on appelle envoi. L’envoi
désigne le destinataire de la ballade. Chaque strophe s’achève par un même vers,
qui constitue un refrain. La ballade obéit à la règle rimique suivante : ABABBCBC.

254 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

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3. Le rondeau
Le rondeau est également issu de la poésie du Moyen Âge. Il compte quinze, treize
ou douze vers. Il ne comporte que deux rimes, réparties en strophes fixes : un qua-
train, un tercet, un quintil (5 vers). Le premier vers réapparaît sous la forme d’un
refrain à la fin de la deuxième et de la troisième strophe. Le schéma de la rime
peut suivre deux directions : ABBA+ABA+ABBAA ou bien CDCD+DCC+DCDCC. Le
rondeau est écrit en octosyllabes.

Exemple
Le temps a laissé son manteau
De vent, de froidure et de pluie,
Et s’est vêtu de broderie,
Du soleil luisant, clair et beau.
Il n’y a ni bête ni oiseau
Qu’en son jargon ne chante ou crie :
Le temps a laissé son manteau
Rivière, fontaine ou ruisseau
Portent en livrée jolie
Goutte d’argent, d’orfèvrerie ;
Chacun s’habille de nouveau :
Le temps a laissé son manteau.
Charles d’Orléans (orthographe modernisée),
Œuvres poétiques.

Dans ce poème de Charles d’Orléans, la rime obéit à la construction suivante : AB-


BA+ABA+ABBAA.

B Les formes libres


À partir de la fin du XIXe siècle, les poètes explorent de nouvelles formes poé-
tiques et inventent des formes personnelles qui n’obéissent plus à de strictes lois
formelles. L’émergence du poème en prose, au cours du XIXe siècle, fait partie des
inventions les plus originales de la poésie.

Le travail des formes libres porte principalement sur une recherche de la disposi-
tion des vers sur la page :
– calligrammes (vers qui forment un dessin) ;
– vers uniques sur la page ;
– déconstruction du vers (vers de mètres irréguliers, retraits importants) ;
– travail de la métaphore, jeux avec les figures de style ;
– recherche de la disposition originale.

Exemple
J’ai joué sur la pierre
De mes regards et de mes doigts
Et mêlées à la mer,
S’en allant sur la mer,
Revenant par la mer,
J’ai cru à des réponses de la pierre.
Eugène Guillevic, Carnac (1961)

CNED SECONDE – FRANÇAIS 255


SÉQUENCE

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Le poème en prose
Le poème en prose emprunte ses caractéristiques esthétiques à la poésie comme
à la prose. Il ne se présente pas sous une forme versifiée, ne présente pas de re-
tour à la ligne, mais comporte de nombreux procédés qui appartiennent à la poésie
en vers : anaphores, jeux avec les sonorités, travail du rythme. Le poème en prose
obéit souvent à une logique interne, centrée sur une thématique, un élément des-
criptif ou narratif.

Exemple
Aloysius Bertrand, « Ondine », Gaspard de la Nuit

«… Je croyais entendre
Une vague harmonie enchanter mon sommeil
Et près de moi s’épandre un murmure pareil
Aux chants entrecoupés d’une voix triste et tendre. »
(Ch. Brugnot, Les Deux Génies)

« Écoute ! - Écoute ! - C’est moi, c’est Ondine qui frôle de ces gouttes d’eau les
losanges sonores de ta fenêtre illuminée par les mornes rayons de la lune ; et
voici, en robe de moire, la dame châtelaine qui contemple à son balcon la belle
nuit étoilée et le beau lac endormi.
« Chaque flot est un ondin qui nage dans le courant, chaque courant est un
sentier qui serpente vers mon palais, et mon palais est bâti fluide, au fond du
lac, dans le triangle du feu, de la terre et de l’air.
« Écoute ! - Écoute ! - Mon père bat l’eau coassante d’une branche d’aulne
verte, et mes sœurs caressent de leurs bras d’écume les fraîches îles d’herbes,
de nénuphars et de glaïeuls, ou se moquent du saule caduc et barbu qui pêche
à la ligne ! »
Sa chanson murmurée, elle me supplie de recevoir son anneau à mon doigt
pour être l’époux d’une Ondine, et de visiter avec elle son palais pour être le
roi des lacs.
Et comme je lui répondais que j’aimais une mortelle, boudeuse et dépitée, elle
pleura quelques larmes, poussa un éclat de rire, et s’évanouit en giboulées qui
ruisselèrent blanches le long de mes vitraux bleus.

256 CNED SECONDE – FRANÇAIS


SÉQUENCE

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Chapitre 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Pour clore votre séquence

À retenir
Dans cette séquence, vous avez vu que l’écriture poétique évolue considé-
rablement entre le XIXe et le XXe siècle. Cette évolution commence avec le
romantisme qui se vit comme une rupture poétique et se manifeste par un
affranchissement des règles. Le poète romantique partage ses sentiments
les plus profonds avec son lecteur, il rêve d’idéal et, tel un prophète, semble
communiquer avec Dieu. Le Parnasse est créé en réaction contre les excès
lyriques du romantisme : la poésie devient alors objective et non plus per-
sonnelle, impassible et non plus passionnée. Puisque la poésie ne doit plus
être lyrique, elle devient essentiellement descriptive et refuse un art engagé.
Les parnassiens prônent le culte de la forme, plus rigoureuse qu’auparavant.
Vient ensuite le symbolisme qui refuse la logique matérialiste et la croyance
au progrès au profit d’un désir de vie intérieure ou de solitude qui seules per-
mettent l’accès au mystère de l’être, à l’au-delà du rêve et aux universelles cor-
respondances. Le symbolisme s’affirme comme traduction, déchiffrement
des signes, des idées d’un autre monde indéfini fondant une esthétique de la
suggestion et de l’ambiguïté, voire d’une nécessaire et angoissante obscuri-
té. Dernière étape d’une véritable révolution poétique, le surréalisme s’avère
pluriel dans ses manifestations artistiques, la poésie en est bien le centre de
gravité, qui se reflète et se diffracte en diverses formes d’expression : porte
ouverte à l’imprévu, lieu d’éclosion du « stupéfiant image » et mode d’être au
monde. Les jeux surréalistes où « les mots font l’amour » (Breton) et dont le
plus célèbre demeure le cadavre exquis, deviennent le réservoir d’expérimen-
tations de nouvelles formes de langage. Les poètes se libèrent donc de toutes
les contraintes de la métrique traditionnelle en créant des textes où le langage
se renouvelle et devient l’essence même de la poésie.

Approfondissement et soutien

Si vous voulez aller plus loin rendez-vous en ligne pour effectuer les
activités interactives n° 1 et n° 2.

CNED SECONDE – FRANÇAIS 257

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