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Conférence du 6 mai 1998 : DEVELOPPEMENT DES PROCESSUS DE PENSEE-


approche psychanalytique- Catherine JEHAN, psychanalyste, Paris.

STP, Maison des Sciences de l'Homme - Paris

La pensée est un phénomène aussi familier et simple en apparence que complexe et méconnu. Chacun
trouve normal de penser ; bien mieux, la plupart du temps, nous pensons sans y penser !

Plusieurs disciplines ont fait de la pensée leur terrain d'investigation et de recherche : la psychologie
cognitive, la psychophysiologie, les neurosciences, la psychanalyse et la psychologie clinique et
pathologique.

L'activité de penser caractérise l'espèce humaine par son accession à un système évolué, capable de
symbolisations complexes tel que le langage, les mathématiques, la logique, l'expression artistique.

L'être humain naît avec un capital biologique (capacités de perception, de mémorisation, activité
neurologique) ; grâce à ces « outils biologiques » il va entrer constamment en interaction avec son
environnement physique et humain. Environnement qui, s'il est suffisamment bon, permettra un
développement harmonieux des fonctions psychiques et intellectuelles.

L'exposé qui va suivre s'intéressera à la naissance de la pensée primaire, celle qui concerne les
expériences précoces de la vie : nous sommes dans l'archaïque, dans le domaine préverbal et pré-
symbolique.

L'approche est ici psychanalytique, nous reprendrons les conceptions théoriques suivantes :

z Les concepts de pulsion, de représentation, de désir hallucinatoire élaborés par FREUD,


z Le mécanisme de l'identification projective de Mélanie KLEIN,
z La notion d'appareil à penser les pensées de BION avec la relation Contenant/contenu et la capacité
de rêverie maternelle.

Ces conceptions se sont succédées dans le temps, bien qu'initialement opposées (théorie de la pulsion
chez FREUD et théorie de l'objet chez BION), on s'aperçoit avec le recul qu'elles sont en fait
parfaitement complémentaires et permettent une élaboration théorique cohérente et unitaire sur la
construction des processus de pensée chez l'être humain.

Sur l'activité de penser

L'activité de penser est d'une certaine manière à la fois pulsionnelle et défensive.

La première piste de réflexion concerne la fonction de penser.

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On peut se dire que penser fait partie du système de pare-excitation de l'individu, du système de
protection.

Il y a très longtemps déjà que Freud nous a montré que l'appareil psychique ne peut travailler que par des
petites quantités d'énergie, c'est à dire qu'il n'y a pas de rencontre possible avec les objets qui nous
entourent.

Quand on dit les objets, cela signifie les objets au sens large (c'est à dire les situations, les lieux, les
personnes, les choses). Il n'y a pas de rencontre directe avec l'objet parce que probablement (à supposer
que ce soit possible) on serait envahi par trop d'excitations, trop d'affect, ce que peut-être vivent certains
sujets psychotiques qui ont le sentiment d'être engloutis, envahis par l'objet, englobés.

Pour pouvoir penser le monde, il faut ne pas penser les objets en direct mais les représentations de ces
objets que l'enfant va avoir à se forger progressivement au tout début de sa vie.

« L'activité de penser est fondamentalement une activité de représentation dans laquelle la pensée est la
résultante de notre expérience émotionnelle, sexuelle, cognitive, corporelle actuelle et de nos souvenirs
d'expériences passées, individuelles et collectives » (Bernard GIBELLO - La pensée décontenancée
1995)

PULSIONS ET REPRESENTATIONS
La représentation représente la pulsion qui elle n'apparaît jamais. Pour Freud : « une pulsion ne peut
jamais devenir objet de la conscience ». Seule le peut une représentation. On peut pointer d'ores et déjà la
notion de DISTANCE attachée à cette représentation.

Elle donne une dimension concrète, une dimension perceptive d'un élément, d'un contenu.

Cette forme concrète va permettre la constitution d'une situation signifiante aussi bien dans l'évocation
des éléments, des figures que dans l'enchaînements des actions. Autre notion importante quand on évoque
la représentation : LE SENS ou activité sémiotique. Cette fonction peut s'illustrer par la comparaison avec
une pièce de théâtre (ou représentation théâtrale).

Les acteurs ne sont pas les personnages originaires, ils sont à leur place, ils les représentent ; leur texte,
leur jeu théâtral, leur costume nous permettent de comprendre, de mettre du sens sur une situation qui au
départ nous était inconnue. Un autre aspect attaché au concept de représentation, c'est l'aspect
exhibitionniste, qui se donne à voir, alors que la pulsion, elle, on ne la voit jamais.

Voici succinctement exposée la différence entre pulsion et représentation psychique.

Donc la pulsion échappe à la conscience et à l'inconscient. Si la pulsion n'était pas attachée à une
représentation ou n'apparaissait pas sous forme d'affect, nous ne pourrions rien savoir d'elle.

L'analyse agit sur la représentation pas sur la pulsion. La pulsion garde toujours son aspect somatique,
organique (hormone, instinct) bien que celle-ci ne se définisse pas uniquement comme du biologique
mais comme une force énergétique. On est dans le domaine du besoin.

Nos représentations nous différencient de notre semblable. Elles sont individuelles. Mais elles peuvent
également être communes à un groupe, une ethnie, une culture.

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Une représentation peut être présente à notre conscience, on l'a en tête, elle est présente à notre esprit.

Elle peut être latente, inconsciente. Elle n'est pas perçue mais on peut en admettre l'existence à travers
d'autres signes. Cependant, elle a des effets même si elle n'est pas perçue.

Freud dans son article dans la NEGATION (1925) :

« Toutes les représentations sont issues de perceptions, qui elles en sont des répétitions.
L'opposition entre subjectif et objectif n'existe pas dès le début. Elle s'établit par le fait que la pensée
possède la capacité de rendre à nouveau présent ce qui a été une fois perçu, par reproduction dans la
représentation sans que l'objet ait besoin d'être encore présent au dehors. »

Un peu plus loin :

« la reproduction de la perception dans la représentation n'est pas toujours la répétition fidèle ; elle peut
être modifiée par des omissions, altérée par des fusions entre divers éléments »

La pensée est donc cette capacité de rendre présent ce qui a été perçu sans que cela soit encore présent
(principe de réalité)

Pour Freud deux représentations :

1. Les représentations conscientes : représentations de mots + représentations de choses


(investissement d'images mnésiques)
2. les représentations inconscientes : représentations de choses seules.

La représentation de choses : c'est l'investissement sinon des images mnésiques de choses directes, du
moins des traces mnésiques plus éloignées c'est à dire que ces représentations de choses sont désignées
non par les choses elles-mêmes mais par des traces mnésiques de ces choses.

On peut caricaturer :

z pulsion : excitation somatique. On peut distinguer source et poussée de nature organique et but et
objet de nature psychique.
z représentation de choses : représente la chose (tout comme l'image dans le miroir représente son
objet)

Elle a à voir avec le but de la pulsion, elle représente l'objet de satisfaction.

Le refoulement intervient sur la représentation après l'avoir investie, pas sur la pulsion.

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Ce qui introduit le concept de QUANTUM D'AFFECT : cette représentation de choses vient parce qu'elle
a été investie, elle est fortement marquée par un souvenir de satisfaction.

Les fantasmes sont à prendre en compte dans ces représentations d'objet (représentation d'objet : témoin
du rapport à l'autre).

La représentation de chose met en rapport l'inconscient, la chose et la pulsion.

Le refoulement va rendre ces représentations d'objets méconnaissables, il va effacer les signes de


reconnaissance de cette représentation de chose. Il va séparer l'affect de la représentation. Il va agir sur la
représentation de chose inconsciente, la modifier, la combiner.

A force de défigurer la représentation, celle-ci va revenir, ce sont les rejetons, éléments refoulés
traversant la censure grâce aux modifications exercées par le refoulement initial.

Ces rejetons reviennent sous forme de symptômes ou fantasmes.

Donc parmi tous les systèmes de protection dont dispose l'enfant, il y a l'activité de penser parce que
penser l'objet, être en relation avec la représentation de l'objet est quelque chose de moins engloutissant,
de moins submergeant qu'une rencontre directe avec l'objet.

D'ailleurs, si on est tant soit peu kantien, la rencontre avec « la chose en soi » est probablement
impossible.

Autre chose, se sentir penser conforte la sécurité, le confort narcissique de l'individu. Se sentir penser,
c'est quelque chose qui fait du bien et qui va sécuriser le sujet dans l'investissement de lui-même, dans
son narcissisme psychique.

Enfin, l'activité de penser sert de défense vis à vis de la discontinuité de notre relation avec les objets
extérieurs. Dès qu'il naît, le grand problème de l'enfant est d'être confronté à la discontinuité : il n'a pas de
maîtrise sur la présence des adultes qui sont ou ne sont pas là ; il a relativement peu de pouvoir, (pas
absolument aucun pouvoir, car un bébé qui va bien sait engager la relation, il a beaucoup de moyens à sa
disposition pour faire venir l'adulte) mais malgré tout il n'a pas de maîtrise de la présence des objets.

Et pouvoir penser à l'objet qui est absent, c'est évidemment une très grande compensation, c'est toute la
naissance du SYMBOLISME : pouvoir se représenter l'objet en son absence, pouvoir maintenir une
relation intérieure,

continue avec un objet ou une représentation de l'objet alors que la relation extérieure avec cet objet est
forcément en dents de scie, discontinue et peu maîtrisable.

L'activité de représenter, l'activité de penser est au fond une réparation symbolique vis à vis de l'absence
des objets principaux qui nous entourent.

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DESIR HALLUCINATOIRE
Freud fut le premier à s'occuper des troubles de la pensée du point de vue psychanalytique.

Tout au long de son oeuvre, se dégage l'importance qu'il accorde au fantasme inconscient, à la genèse du
désir, à l'évolution et au contenu de la pensée.

Dans un article de 1911, « Formulation sur les deux principes de l'advenir psychique » il établit le rôle de
libérateur de la pensée et indique en outre que cette pensée fournit le moyen adéquat de restreindre la
décharge motrice et de freiner l'augmentation de tension produite par l'ajournement de cette décharge.

Dès 1911, Freud avait souligné que le début de la prédominance du principe de réalité est synchronique
avec le développement d'une capacité de penser qui comble la lacune entre le moment où apparaît la
frustration à la suite d'un besoin non satisfait et celui où une action appropriée satisfait ce besoin.

C'est dans le relationnel que le cognitif va s'élaborer. On conçoit le monde subjectif avant de percevoir
l'aspect objectif de la perception.

A la naissance donc, l'enfant est dépendant de son environnement ;

Lorsqu'un besoin important se fait sentir, la personne secourable, par sa présence satisfaisante va
permettre l'expérience de satisfaction.

Petit à petit, va s'établir un circuit comportemental : besoin, manifestation pour faire venir la personne
secourable, expérience de satisfaction.

La perception de l'expérience de satisfaction va laisser une trace mnésique et lorsque la faim (le besoin)
réapparaît l'enfant va en quelques sortes se repasser le souvenir de l'expérience de satisfaction.

Il y a identité de perception de l'expérience réelle et la reproduction hallucinatoire de l'expérience.

Il y a donc un lien, une association entre cette expérience du besoin et le souvenir de cette expérience de
satisfaction. Expérience revécue hallucinatoirement.

C'est ce mouvement que nous appelons DESIR.

Si l'objet fait défaut, que la personne secourable n'intervient pas, le processus primaire risque de
reproduire encore et encore la reproduction de l'expérience hallucinatoire. L'enfant s'épuise à faire revenir
cette hallucination.

Quand l'objet fait défaut, l'effroi va envahir l'enfant, qui va être noyé dans la détresse.

L'absence de la mère est traumatique pour l'enfant dans la mesure où cette dernière ne vient plus
cautionner l'hallucination.

Il ne suffit pas d'halluciner encore faut-il être protégé par la personne secourable pour qu'il y ait illusion.

Donc quand l'objet fait défaut, quand il y a manque d'objet, la caution que la mère apportait au mirage ne
marche plus. Cette expérience hallucinatoire devient inopérante.

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C'est pénible mais il faut que l'enfant affronte le manque dans des conditions mesurées pour qu'il puisse
se détourner de l'expérience hallucinatoire.

Qu'il puisse recourir à une certaine distance, à la pensée.

C'est à partir de ce détachement, de ce détournement de cette prise de distance que va s'organiser le


principe du refoulement.

L'enfant va en prendre, en quelque sorte, son parti.

Le principe secondaire, le principe de réalité va permettre d'inhiber le déplaisir provoqué par le manque
d'objet.

Illustrons par un exemple : l'enfant a faim. Trois types de séquences possible :

1. Il réclame la chose : - il l'obtient,

à défaut - il l'hallucine

2 Il l'hallucine pendant un temps, puis vit le manque, l'absence. Il peut être inondé par la détresse.

3 L'enfant oscille entre le plaisir illusoire du mirage et l'inondation de l'effroi.


Il va se détourner de la situation, en quelques sortes, « je vais faire comme si je

n'avais pas faim ». Il va inhiber le déplaisir.

Il faut pouvoir utiliser le détournement pour ne pas être submergé si l'objet manque.

Maîtriser la frustration, la maintenir dans des limites raisonnables, c'est la condition indispensable pour
investir cette représentation.

En acceptant de différer, on passe des processus primaires au processus secondaires. Processus primaires,
pensée primaire qui éclate, morcelle, éparpille, ne représente pas, ne signifie pas.

C'est une pensée acte, dont les produits peuvent faire retour sur elle-même, détruisant la capacité d'établir
des liens, l'empêchant donc de penser, une pensée réduite aux éléments que BION nomme bêta
(l'impensante).

Opposition classique que Freud a faite entre les processus primaires et les processus secondaires.

Les processus secondaires sont assimilables à ceux de la pensée logique traditionnelle et obéissent au
principe de réalité.

Les processus primaires obéissent au principe plaisir/déplaisir.

Ils sont porteurs d'une logique implicite. Quelle est cette logique ?

z elle ignore le temps : passé et futur n'existent pas. Notion d'immédiateté.


z elle ne connaît pas la négation : procède exclusivement par affirmation. Il n'y a donc que des désirs
positifs dans l'inconscient. Les manifestations négatives quand il y en a se traduisent par des actes

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affirmatifs. Par extension, il n'y a ni doute, ni degré dans la certitude : elle « prend ses désirs pour
des réalités ».
z elle procède par condensation et déplacement qui sont bien des mécanismes de pensée.

Condensation : une représentation unique représente à elle seule plusieurs chaînes associatives à
l'intersection desquelles elles se trouvent (ex des éléments pouvant se rassembler en une unité disparate -
personnage composite dans le rêve).

Déplacement : la représentation dangereuse originelle est remplacée par une autre représentation plus
anodine, moins intense, reliée à la première par une chaîne associative.

z Enfin, cette logique ne souffre ni attente, ni délai, elle réussit à s'exprimer en tournant les obstacles
qui l'empêcheraient de se manifester ; c'est à dire qu'elle permet à nos désirs de connaître une
certaine forme de réalisation. « C'est arrivé ! » Elle donne donc réalité à l'espoir.

Processus primaires et processus secondaires ne s'opposent pas radicalement. On peut dire que le primaire
est irrationnel et le secondaire rationnel. Ce sont des processus concurrents et complémentaires : le sujet
n'est plus UN mais DEUX. La seule unité qu'on peut admettre c'est celle d'un couple vivant dans une
harmonie toute relative.

L'existence d'un couple de termes conflictuels tend à la création de formation de compromis qui
s'efforcent de jeter un pont entre les deux termes.

Ainsi entre la raison des processus secondaires qui vise, même si elle n'y réussit pas complètement, une
pensée objective et la raison des processus primaires qui cherche à obtenir une satisfaction subjective en
déjouant les effets de la censure, un troisième type de raison s'efforce de concilier les deux précédentes :
c'est la RATIONNALISATION qui satisfait à une logique, aux apparences de la raison objective pour
camoufler la raison subjective qui l'anime et qui doit rester cachée.

Un autre type de compromis est la NEGATION grâce à laquelle un contenu inconscient peut émerger
dans le conscient à la seule condition d'être affecté d'un signe négatif .

Un autre bien connu est la PROJECTION qui accompagne souvent la négation sous la forme « vous allez
penser que... mais ce n'est pas ce que je pense.... »

Ce mécanisme de projection est fondamental puisqu'il permet d'amorcer la différence, la séparation


moi/non moi.

L'IDENTIFICATION PROJECTIVE
Aucune théorie sur la pensée ne peut se dispenser de poser, au préalable, le problème de la limite entre le
dehors et le dedans.

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Ceci est implicite quand on envisage le problème de la projection dans la perspective classique de
FREUD où celle de l'identification projective de Mélanie KLEIN et de son successeur BION .

« L'identification projective est le résultat de la projection des parties du self dans un objet » (Hanna
SEGAL)

Il en résulte que l'objet est perçu de telle façon qu'il a acquis les caractéristiques des parties projetées du
self mais il peut aussi en résulter que le self devient identifié avec l'objet de sa projection.

L'identification projective est une défense mise en œuvre surtout contre l'agressivité primitive et
l'angoisse qu'elle suscite.

Qu'elle soit due à la frustration ou à l'envie, elle témoigne d'une position narcissique omnipotente.

Elle contribue à constituer chez le sujet une séparation absolue entre le monde intérieur et le monde
extérieur.

Par la projection externe sur un objet se constitue la division entre un dedans (le MOI) et un dehors
(l'OBJET) disjoints par les limites de l'espace qui les sépare et ainsi aide à fonder leur distinction.

Nous nous trouvons ici devant deux acceptions du mots « identifie »; : au sens où un objet est identifié
par la projection et où celle-ci entraîne une identification avec lui comme si le vide créé par l'expulsion
devait aussitôt se remplir par le retour de la projection.

Il s'ensuit une lutte entre les objets externes et les objets internes fantasmatiques parasites.

Projection et identification projective sont des mécanismes archaïques à l'origine de la pensée puisqu'ils
visent à protéger le psychisme contre les attaques fantasmatiques primitives du nourrisson.

Dans son fonctionnement normal, l'identification projective constitue un des principaux facteurs de la
formation de symboles et de la communication humaine, de même qu'elle détermine la relation
d'empathie avec l'objet par la possibilité que l'individu acquiert de se situer à la place de l'autre et de
mieux comprendre ses sentiments : relation spécifiquement humaine.

Ce mécanisme (propre à la position schizo-paranoïde) consiste dans l'éjection violente de contenus et


fantasmes violents à l'intérieur de l'objet externe où ils sont très étroitement tenus sous contrôle.

Les parties du Moi du nourrisson et de son objet interne scindées et projetées dans l'objet externe font
qu'il ressent ce dernier comme contrôlé par les fragments projetés : l'objet externe est donc vécu comme
ce qui a été projeté en lui.

Ce mécanisme agit intensément pendant les premières phases de la vie et a pour fonction de soulager le
Moi de certaines parties mauvaises et d'en préserver les bonnes en les protégeant contre un monde interne
mauvais, en même temps il permet d'attaquer et de détruire l'objet externe.

Une des conséquences de ce processus est que, en projetant les parties mauvaises, toute sorte de dérivé
pulsionnel, de contenu psychique, dans un bon sein, le nourrisson pourra à mesure que son
développement le lui permettra, réintrojecter, sous une forme modifiée, donc plus supportable, ce qui
avait été projeté.

BION a vu dans ce mécanisme l'origine de l'activité qui deviendra par la suite la capacité de penser

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L'identification projective se passe activement d'une psyché dans une autre.

Elle fait partie d'un processus circulaire comportant tour à tour : EMISSION, RECEPTION,
TRANSFORMATION, RESTITUTION ET INTEGRATION.

Entre un enfant et sa mère accueillante, un affect, un fantasme originellement plus ou moins brut est
envoyé dans la psyché maternelle où il est transformé en quelques sortes prédigéré et par là même mis à
la portée des mots, du langage et de la communication.

Ce mécanisme ne constitue pas seulement une source de dérangement pour l'objet réceptacle mais est une
condition de développement et de restauration (chez l'enfant perturbé).

L'aspect particulier du mécanisme d'identification projective dégagé par BION, c'est la relation
CONTENANT / CONTENU.

Le nourrisson projette une partie de son psychisme (notamment ses émotions incontrôlables) qui
fonctionnent comme un contenu dans le bon sein contenant pour les recevoir de retour, désintoxiquées, il
peut ainsi les supporter.

Cette relation peut impliquer évolution ou régression. C'est la qualité de l'émotion imprégnant la relation
qui déterminera l'une ou l'autre conséquence.

Le développement de la personnalité psychotique peut se considérer comme une disposition congénitale,


un sentiment d'envie et une tendance destructrice primaire tout comme la relation à une mère qui aurait
été incapable d'accomplir sa fonction de recevoir, contenir, modifier les émotions violentes projetées par
le nourrisson.

BION suppose que les troubles de la pensée (évidents chez les psychotiques) et parfois reconnaissables
aussi chez des personnes apparemment mieux intégrées, se fondent sur l'intolérance à la frustration et sur
la persistance du mécanisme d'identification pathologique : il s'agit d'éviter la frustration (production
d'éléments bêta ) et non de chercher à modifier cette frustration.

Une théorie de la pensée : « l'appareil pour penser les pensées » de


BION
Pendant les étapes initiales de leur développement, les pensées ne sont rien de plus que des impressions
sensorielles et des vivances émotionnelles très primitives.

Pour BION tous les objets nécessaires sont de mauvais objets : si l'on en a besoin c'est qu'on ne les
possède pas.

Ainsi les pensées primitives (ou proto-pensées) sont des objets mauvais dont il faut que le nourrisson se
libère.

L'expérience réelle de la présence du sein procure au nourrisson l'occasion de se débarrasser de ce


mauvais sein. La mère ne dispense pas seulement l'aliment, elle sert aussi de contenant pour tous les
sentiments de déplaisir (mauvais sein) du nourrisson.

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L'élimination du mauvais sein dans la mère constitue l'expulsion d'un élément BETA au moyen de
l'identification projective.

BION considère la tolérance à la frustration comme un facteur inné de la personnalité du nourrisson et


comme un élément de grande importance dans le processus de la formation des pensées et de la capacité
de penser.

Face à la frustration, toute personnalité dispose de deux options. Si l'incapacité de supporter la frustration
est grande, la personnalité tend à s'y soustraire par l'expulsion d'éléments BETA ; inversement une
suffisante capacité de supporter la frustration met en marche des mécanismes qui tendent à la modifier et
qui, dans le cas du nourrisson, aboutissent à la production d'éléments ALPHA et de pensées qui
représentent "la chose en soi ».

La capacité de former des pensées dépendra donc de la capacité que l'enfant a de tolérer la frustration.

Dans ce cas le « non sein » devient une pensée et il se développe un « appareil pour penser ».

Nous rejoignons là la conception de FREUD exposée plus haut en ce qui concerne le principe de réalité
qu'il juge synchronique avec le développement d'une capacité de penser qui comble la lacune entre le
moment où apparaît la frustration à la suite d'un besoin non satisfait et celui où une action appropriée
satisfait ce besoin.

C'est la réalisation hallucinatoire du désir qui permettra dans un premier temps l'attente, le délai . Cette
illusion ne peut pas se maintenir au delà d'un certain temps, après quoi elle se dissipe pour être
remplacée, comme l'a compris Mélanie KLEIN, par une illusion de persécution par l'objet illusoire. C'est
un Moi tout juste capable de former des représentations d'une certaine durée et de jouer avec ces
représentations.

« La partie psychotique de la personnalité place dans le monde réel ce que la personne non psychotique
refoule »

Nous allons aborder maintenant un concept élaboré par BION à la fin de sa vie qui permet d'illustrer cette
transformation, ce filtre, qui s'opère grâce à la réception dans la psyché maternelle des éléments bêta et à
leur restitution en éléments alpha.

LA CAPACITE DE REVERIE
La rêverie est une sorte de compromis entre les processus secondaires et les processus primaires
(fantasme conscient).

On pourrait définir la rêverie comme une activité de l'esprit qui va sans but précis, sans rigueur

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méthodique.

Nous avons vu cette tendance à évacuer les frustrations liées à la présence d'éléments bêta inassimilables
par le sujet.

Cependant et c'est là l'originalité de Bion par rapport à Mélanie KLEIN, en même temps que cela le rend
plus proche de WINNICOTT, c'est que ces éléments projetés sont reçus et transformés par l'activité
mentale de la mère .

Par sa capacité de rêverie, elle les restituerait à l'enfant en opérant la conversion des éléments bêta en
éléments alpha qui forment le tissu fondamental de l'activité psychique.

Bion admet que l'enfant à la naissance est modulée par la prédominance du modèle digestif à partir de
l'expérience du sein. Cependant ce modèle digestif est accouplé à un modèle psychique étayé sur le
modèle digestif.

Autrement dit, même si le sein nourrit bien l'enfant, la conservation du bon sein ne suffit pas à engendrer
la pensée. Elle en est une condition nécessaire mais non suffisante.

La mère digère psychiquement les projections de l'esprit de l'enfant (elle les remâche pour ainsi dire grâce
à sa capacité de rêverie) et le nourrit autrement en lui rendant ce produit pré-assimilé par elle.

L'enfant reçoit donc une nourriture seconde, métaphorique de la première. Il se nourrit non du sein
corporel mais du sein psychique de la mère. La mère a accumulé en elle le vomi de l'enfant et a fait ce
qu'il ne peut lui-même encore faire, elle l'a psychisé et elle a transformé cette nourriture concrète en
nourriture psychique.

L'enfant va pouvoir s'en servir pour construire son objet psychique interne en conservant ce sein
psychique primitif qui lui permettra d'élaborer progressivement à partir de cette pensée inchoative, un
appareil à penser les pensées capable de notation, d'anticipation,

Celui-ci ne subit plus les événements mais va au-devant d'eux. BION ici est très proche de FREUD.

Contrairement à ce qu'avance Mélanie KLEIN, pour laquelle tout semble se passer du côté du nourrisson,
ce qui vient de la mère étant négligeable (sur ce point elle est freudienne), BION, comme WINNICOTT,
part du couple mère-enfant.

Qui plus est, c'est du côté de la mère qu'il situe la genèse de la fonction alpha chez l'enfant.

Autrement dit, une théorie qui se borne à considérer les effets du bon ou du mauvais sein ne peut
répondre à la question de savoir comme se créent les qualités psychiques. La contribution de la mère
dispensatrice non seulement de lait, mais d'amour, de compréhension, de tendresse, de sécurité autant de
qualités proprement psychiques- est la source de la traduction des éléments bêta en éléments alpha grâce
à sa fonction LIANTE.

L'originalité de BION est de considérer la rêverie comme support de l'amour (ou de la haine) de la mère
dans sa relation à l'enfant.

Ici s'instaure chez BION comme chez WINNICOTT une pensée du couple et même du trio. :

« Si la mère nourricière n'est pas capable de dispenser sa rêverie ou si la rêverie dispensée ne se double
pas d'un amour pour l'enfant ou pour le père, ce fait sera communiqué au nourrisson même s'il lui

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demeure incompréhensible »

Aux sources de l'expérience.

Dans le modèle bionien, le problème essentiel est de transformer une impression des sens en expérience
émotionnelle.

A quoi rêve la mère ? A l'enfant ou au père. Cette entrée du père dans la rêverie maternelle paraît
fondamental ; elle est une explication meilleure que toute autre de la triangulation précoce présente dès le
début de la vie.

Qu'est ce que rêver au père ?

C'est rêver au LIEN existant entre les parents et entre le bébé et le père dont la mère est le lien commun.
Rêver au père, c'est donc rêver à la réunion triangulaire de ce que les soins maternels ont tendance à
séparer dans la relation close mère-enfant.

C'est donc déjà rêver l'ouverture de la relation au tiers.

Rêver au père, c'est pour la mère se souvenir, que ce bonheur de la relation mère-enfant n'a qu'un temps,
qu'il doit être vécu pleinement mais que son enfant ne lui appartient pas.

Le bonheur du couple exige périodiquement « l'oubli » de l'enfant. Si l'enfant est aimé et se sent aimé, il
acceptera sans trop de dommage, cette inévitable dépossession de mère. Dans le cas contraire, il restera la
vie entière agrippé à son objet pour liquider le contentieux jamais épongeable.

L'agrippement est le contraire du lien. Car l'agrippement reste désespérément fixé au même objet, tandis
que le lien se déplace et peut devenir lien de lien, autrement dit non seulement relation mais relation de
relation : c'est la pensée.

Le concept bionien est un montage formé avec des éléments kleiniens (le sein, l'identification projective,
les angoisses archaïques...) remodelés par leur combinaison avec des éléments freudiens (la décharge
motrice de soulagement des tensions, l'inconscient et le conscient, la pensée, la réalité..).

Bion constate que le psychisme ne peut s'élaborer à partir de l'expérience physique du sein fût-il bon. Le
psychisme ne peut naître que du psychisme en l'occurrence celui de la mère. Ce qui est une autre manière
de dire que la pensée ne peut naître que de la pensée de l'objet.

http://www.lutecium.org/stp/jehan.html 04/10/2007

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