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w w w . m e d i a c i o n e s .

n e t

Sciences de la communication :
champ universitaire, projet
intellectuel, éthique

Jesús Martín-Barbero

(In: HERMÈS 38, CNRS Editions,


Paris, 2004. pp 163-169)

« Face à la crise de la conscience publique et à la perte


de poids social de certaines figures traditionnelles de
l'intellectuel, il faut que les spécialistes en
communication relèvent le défi et prennent conscience
que c'est à travers la communication que se joue de
manière décisive la survie de ce qui est public, de la
société civile et de la démocratie. Sinon, nous devrions
nous demander sérieusement dans quelle mesure
l'enseignement de la communication dans nos universités
ne contribue pas à former un nouveau type de monopole
de l'information, aussi néfaste que celui qui concentre la
propriété des médias dans quelques mains : la
concentration du droit à la parole publique entre les
mains d'experts en communication, c'est-àdire la
transformation de ce qui appartient à tous en profession
de quelques-uns.»
2

Pendant toute une période, dans le processus de construc-


tion et d'appropriation théoriques du champ de la commu-
nication en Amérique latine, la politisation a conduit à faire
tourner le champ tout entier autour de la question de l'idéo-
logie, en transformant celle-ci en dispositif totalisant des
discours légitimes. Ces dernières années, les études de
communication font l'expérience d'une tentative du même
type, qui consiste à transformer la relation culture/commu-
nication en une autre forme de totalisation. Les inerties
idéologiques et les pesanteurs académiques jouent un rôle
décisif dans la mise en oeuvre de cette tendance. Il nous est
devenu si difficile de vivre sans la sécurité intellectuelle
qu'offraient les grands paradigmes globalisateurs que la
tentation reste forte de résoudre les tensions présentes dans
les concepts en transformant des pistes de recherche conflic-
tuelles et des efforts de connexion avec les contradictions
sociales en un pur concept, neutre et aseptisé.
Travaillant à la double frontière de la communication
avec la culture et de la recherche avec l'enseignement, nous
sommes désormais exposés à une somme de malentendus,
dont deux sont particulièrement graves. D'un côté, il sem-
blerait qu'il n'y ait pas moyen de prendre au sérieux la
culture sans tomber dans un culturalisme qui déshistoricise
et dépolitise les processus et les pratiques culturelles. De l'a-
utre, on ne pourrait penser la culture depuis la communica-
tion sans sortir du terrain propre à la communication et de
son domaine spécifique.
La réponse au premier malentendu tient dans l'explicita-
tion des médiations, qui articulent les processus de com-

Sciences de la communication : champ universitaire…


3

munication aux différentes dynamiques qui structurent la


société : dynamiques économiques, politiques et dynamique
culturelle, qui structure le champ dans lequel s'insère la
communication. Pour le comprendre, il faut déconstruire le
concept de culture pour mettre au jour deux phénomènes.
Le premier tient aux croisements et changements de sens
propres à ce concept : tout en s'opposant, secrètement et
paradoxalement, des conceptions actuelles et des concep-
tions dépassées (mais qui survivent en s'accrochant mor-
dicus aux idées avancées) n'en cohabitent pas moins. Le
second provient des mouvements dans les positions et pro-
jets politiques. D'ailleurs «on sait que la lutte au travers des
médiations culturelles ne donne pas des résultats immédiats
ou spectaculaires, mais elle est la seule garantie qu'on ne
passera pas du simulacre de l'hégémonie au simulacre de la
démocratie. D'éviter qu'une domination qu'on avait vaincue
ne resurgisse dans des habitudes complices installées par
l'hégémonie dans notre manière de penser et d'entrer en
relation»1.
Sur le second malentendu, je reprendrai ce que j'ai écrit il
y a peu de temps. Penser la communication depuis la cultu-
re, c'est s'opposer à la pensée instrumentale qui a dominé le
champ de la communication depuis sa naissance, et qui, au-
jourd'hui, s'auto-légitime avec l'appui de l'optimisme tech-
nologique, associé à l'expansion du concept d'information.
Ce qui se produit maintenant, ce n'est donc pas un abandon
du champ de la communication, mais sa déterritorialisation,
un déplacement des sentiers qui le traversaient, de ses fron-
tières, de ses voisinages et de sa topographie. Ce dépla-
cement dessine une nouvelle carte des problèmes dans la-
quelle prennent place la question des sujets et les tempo-
ralités sociales (la trame de la modernité), comme les dis-
continuités, les transformations du monde sensible liées aux

1
CANCLINI, N. G., Cultura y poder: ¿ dónde está la investigación ?, Mexi-
co, ENAH, 1985, p. 16.
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4

processus de construction des discours et des genres qui


permettent la communication collective.
Si nous mettons en avant ces malentendus, ce n'est pas
pour les résoudre de manière académique, mais pour pou-
voir passer de la question de la légitimité théorique du champ
de la communication à une autre question, celle de sa légi-
timité intellectuelle. Il s'agit de faire que la communication
soit un lieu stratégique depuis lequel on va penser la société,
ce qui implique que le spécialiste en communication assume
un rôle intellectuel (...). Faute de cet effort, le développe-
ment voire l'augmentation des recherches et leur niveau
théorique peuvent se convertir aujourd'hui en un véritable
alibi : ils nous permettent de masquer, derrière l'épaisseur et
la densité de nos discours, notre impuissance à accompa-
gner les processus en cours et notre démission morale.
L'idée que le spécialiste en communication s'érige en in-
tellectuel en scandalisera plus d'un. (...) Il y a une demande
sociale de plus en plus nette de spécialistes en communica-
tion qui soient capables de faire face à ce que leur travail
met en jeu, dans toute son importance, et aux contradic-
tions qui traversent leurs pratiques. Car tel est bien le travail
de base de l'intellectuel : lutter contre la pression de l'immé-
diat et le fétichisme de l'actualité en restituant l'actualité
dans un contexte historique et en instaurant une distance
critique qui permette aux autres de comprendre le sens et la
valeur des changements que nous vivons.
Face à la crise de la conscience publique et à la perte de
poids social de certaines figures traditionnelles de l'intellec-
tuel, il faut que les spécialistes en communication relèvent
le défi et prennent conscience que c'est à travers la commu-
nication que se joue de manière décisive la survie de ce qui
est public, de la société civile et de la démocratie. Sinon,
nous devrions nous demander sérieusement dans quelle
mesure l'enseignement de la communication dans nos uni-
versités ne contribue pas à former un nouveau type de
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monopole de l'information, aussi néfaste que celui qui


concentre la propriété des médias dans quelques mains : la
concentration du droit à la parole publique entre les mains
d'experts en communication, c'est-àdire la transformation
de ce qui appartient à tous en profession de quelques-uns.

Une nouvelle configuration du champ

Le champ des études de communication en Amérique la-


tine s'est constitué à la rencontre de l'hégémonie du para-
digme informationnel/instrumental (issu de la recherche
nord américaine) et de celle de la critique idéologique de
dénonciation (venue des sciences sociales latino-américai-
nes). Le structuralisme sémiotique français va s'insérer entre
ces deux hégémonies. Jusqu'à la fin des années 1960, le
développement modernisateur2 propage un modèle de socié-
té qui transforme la communication en avant garde de la «
diffusion des innovations »3 et en moteur de la transforma-
tion sociale : une communication identifiée aux médias de
masse, à leurs dispositifs technologiques, à leurs langages et
à leurs savoirs propres. Du côté latino-américain, la Théorie
de la Dépendance et la critique de l'impérialisme culturel
vont souffrir d'un autre réductionnisme : celui qui, en de-
hors de la reproduction idéologique, dénie à la communica-
tion toute spécificité en termes d'espaces de processus et de
pratiques de production symbolique.
«En Amérique latine, la littérature sur les médias de masse
se consacre à la démonstration de leur caractère indéniable
d'instruments oligarchiques et impérialistes de pénétration
idéologique, mais ne s'occupe quasiment pas d'observer

2
SUNKEL, O., PAZ, P., El Subdesarrollo latinoamericano y la teoría del
desarrollo, Mexico, Siglo XXI, 1970.
3
SANCHEZ Ruiz, Ε., «La crisis del modelo comunicativo de la mo-
dernización» in Requien por la modernización, Universidad
de Guadalajara, 1986.
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6

comment leurs messages sont reçus, et quels en sont les ef-


fets concrets (...) »4.

Dans les années 1970, la combinaison de ces deux réduc-


tionnismes a produit une séparation dangereuse entre sa-
voirs techniques et critique sociale, et une vraie schizophré-
nie entre les positions théoriques et les pratiques profession-
nelles. L'insertion des études de communication dans le
champ des sciences sociales a permis, pendant ces années,
de mettre en lumière la complicité des médias avec les pro-
cessus de domination. Mais elle a aussi réduit l'étude des
processus de communication à des généralités sur la repro-
duction sociale, en reléguant les technologies et leurs langa-
ges dans une irréductible extériorité, celle des machines et
des instruments.
Ni les apports de l'Ecole de Francfort ni la sémiotique
n'ont permis de sortir de cet amalgame. En effet on n'a lu,
surtout dans les textes d'Adorno, que des arguments dénon-
çant la complicité intrinsèque alliant le développement tech-
nologique avec la raison marchande. Et en identifiant les
formes du processus industriel aux logiques d'accumulation
du capital, cette critique a légitimé une position de fuite :
dans la mesure où la rationalité de la production était cen-
sée trouver sa fin dans celle du système, il n'y avait pas
d'autre moyen d'échapper à la reproduction du système que
d'être improductif. Interprétation qui se trouve justifiée dans
le plus important de ses textes posthumes où il affirme que :
« à l'ère de la communication de masses, l'art demeure hon-
nête quand il ne participe pas à la communication»5.
Les apports de la sémiotique n'ont pas permis davantage
de dépasser cette séparation. En passant de la théorie géné-
rale des discours aux pratiques d'analyse, les outils sémio-

4
NUN, J., «El otro reduccionismo» in América Latina: ideología y cultura,
Costa Rica, Flacso, 1982.
5
ADORNO, T., Teoria estética, Madrid, Taurus, 1980, p. 416.
Sciences de la communication : champ universitaire…
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tiques ont presque toujours servi à renforcer le paradigme


idéologique:
«la toute-puissance qu'on attribuait, dans la version fonc-
tionnaliste, aux médias, on en est venu à la trouver dans
l'idéologie, qui est devenue un dispositif totalisateur/inté-
grateur des discours. Le dispositif de l'effet (dans la version
psychologico-mécaniste), comme le message ou le texte (dans
la sémiotique structuraliste) finissaient par renvoyer le sens
des processus de communication à une immanence vide du
social sur laquelle il n'y a pas prise : soit la manipulation
inévitable, soit la récupération fatale par le système»6.

La recherche en communication, pendant ces années, n'a


pas pu dépasser sa dépendance envers les «modèles instru-
mentaux» et ce que Mabel Piccini7 a nommé «le renvoi
systématique aux totalités», qui empêchait d'aborder la co-
mmunication comme dimension constitutive de la culture
et, par là même, de la production du social.
Au milieu des années 1980, des changements radicaux
reconfigurent les études de communication. Ils ne viennent
pas seulement, ni principalement, de tensions internes au
champ, mais d'un mouvement général qui marque les scien-
ces sociales. La remise en question de la «raison instrumen-
tale» ne va pas seulement concerner le modèle information-
nel. Elle va aussi démontrer que son hégémonie constitue
aussi l'horizon politique de l'idéologie marxiste. D'un autre
côté, la globalisation et la «question transnationale» vont
dépasser les possibilités théoriques de la théorie de l'impé-
rialisme, et nous obliger à penser une nouvelle trame de
territoires et d'acteurs, de contradictions et de conflits. Les
déplacements mis en oeuvre pour tenter de reconstruire, du

6
MARTÍN-BARBERO, J., De los medios a las mediaciones. Comunicación,
cultura y hegemonía, Barcelona, G. Gili, 1987, p. 122.
Traduction, Des médias aux médiations, Paris, CNRS Editions, 2002.
7
PICCINI, M., La Imagen del tejedor: lenguajes y políticas de comunicación,
Mexico, G. Gili, 1987, p. 16.
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8

point de vue de la méthode et des concepts, le champ de la


communication viendront de l'expérience des mouvements
sociaux, et aussi de la réflexion que mettent en forme les
études culturelles (Cultural Studies). À cette époque, on com-
mence à déplacer les sentiers qui traçaient la carte du
champ de la communication : les frontières, les voisinages
et les topographies ne sont ni les mêmes ni aussi clairs qu'à
peine dix ans plus tôt. Le concept d'information, associé à
l'innovation technologique, gagne en légitimité et en opéra-
tionnalité pendant que celui de communication se déplace
et va gagner des champs voisins : la philosophie et l'hermé-
neutique. La brèche entre l'optimisme technologique et le
scepticisme politique s'élargit, en caricaturant le sens de la
critique.
En Amérique latine, ce déplacement des sentiers du
champ se traduit par un nouveau mode de relation avec les
sciences sociales8 qui n'est exempt ni de rivalités ni de ma-
lentendus, mais se définit plus par des appropriations que par
des récurrences de thèmes ou des emprunts méthodologi-
ques : on analyse, à partir de la communication, des proce-
ssus et des dimensions qui incorporent des savoirs histori-
ques, anthropologiques, esthétiques. En même temps, la
sociologie, l'anthropologie et les sciences politiques com-
mencent à s'occuper, et de manière non marginale, des mé-
dias et des manières d'opérer des industries culturelles (...).
Dans cette nouvelle perspective, industrie culturelle et
communication de masse sont les noms de nouveaux pro-
cessus de production et de circulation de la culture, qui
correspondent non seulement à des innovations technologi-
ques, mais aussi à de nouvelles formes de sensibilité. (...) La
transdisciplinarité dans les études de communication ne
signifie pas que l'on dissout leurs objets dans les disciplines
8
MARTIN-BARBERO, J., «Euforia tecnológica y malestar en la teo-
ría», Día-Logos de la Comunicación, n° 20, 1988; « Identidad, comunica-
ción y modernidad», Contratexto, n° 4, Lima, 1989.
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sociales, mais que l'on construit des articulations (média-


tions et intertextualités) qui construisent leur spécificité9. Ce
que ni la théorie de l'information, ni la sémiotique ne peu-
vent plus construire seules, bien qu'elles soient des disci-
plines fondatrices. Les recherches de pointe, en Amérique
latine comme en Europe et aux États-Unis, présentent une
convergence de plus en plus grande avec les études culturelles
et leur capacité d'analyse des industries de la commu-
nication comme matrices de désorganisation et de réorgani-
sation de l'expérience sociale, au carrefour des déterri-
torialisations qui marquent la globalisation, et des migra-
tions, marquées par la fragmentation et la relocalisation de
la vie en ville. Cette expérience abolit la séparation bien
établie et légitimée qui identifiait massification des biens
culturels et dégradation culturelle, et permettait à l'élite
d'adhérer avec fascination à la modernité, tout en mainte-
nant son refus de la démocratisation des publics et de la
socialisation de la créativité (...).

La communication : centrale et contradictoire

Ce nouveau point de vue implique plusieurs ruptures. La


première doit se faire avec le « communicationnalisme », en
entendant par là la tendance, encore forte, à définir la co-
mmunication comme le lieu où l'humanité révélerait son
essence la plus secrète. Ou bien, en termes sociologiques,
avec l'idée que la communication constituerait le moteur et
le contenu ultimes de l'interaction sociale. (...)
Une seconde rupture doit se faire d'avec le médiacentrisme,
posture qui résulte de la confusion entre communication et
médias, que ce soit du point de vue du culturalisme maclu-

9
FUENTES, R., «La investigación de la comunicación: hacia la post-
displiniriedad en las ciencias sociales», Medios y mediaciones, Mexico,
Iteso, 1994.
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hanien (pour lequel les médias font l'histoire), ou du point


de vue de son contraire, l'idéologisme à la Althusser, qui fait
des médias un simple appareil d'État. Pour l'un comme
pour l'autre, comprendre la communication consiste à étu-
dier comment les technologies ou les appareils fonctionnent,
puisque ce sont eux qui font la communication, qui la dé-
terminent et lui donnent sa forme. (...)
Un troisième mouvement vient des mouvements alterna-
tifs qui sortent de leur marginalité, et veulent croire en une
communication « authentique », hors de la contamination
technologico-mercantile des grands médias. La métaphysi-
que de l'authenticité (ou de la pureté) croise le soupçon
venu de l'École de Francfort, qui voit dans l'industrie un
instrument grossier de déshumanisation et dans la techno-
logie un allié obscur du capitalisme. Elle rencontre aussi un
populisme nostalgique d'une communication, sous une
forme essentielle, originaire, horizontale et participative, qui
se conserverait bien cachée dans le peuple.

Les enjeux actuels des sciences de la communication

Dans la sphère politique, ce que nous sommes en train de


vivre n'est pas, comme le croient les plus pessimistes des
prophètes millénaristes, la dissolution de la politique. C'est
la reconfiguration des médiations selon lesquelles se consti-
tuent de nouveaux modes d'interpellation des sujets et de
représentation des liens qui donnent sa cohésion à la socié-
té. Penser la politique depuis la communication signifie qu'on
place au premier plan les ingrédients symboliques et imagi-
naires présents dans les processus de formation du pouvoir.
(...) Dès lors, la communication et la culture deviennent
bien plus que l'objet de politiques. Elles sont reconnues co-
mme des champs fondamentaux de la bataille politique.
Elles forment la scène stratégique qui exige que la politique
récupère sa dimension symbolique (sa capacité à représenter
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le lien entre les citoyens, le sentiment d'appartenance à une


communauté) pour affronter l'érosion de l'ordre collectif.
Dans la sphère économique, la communication revêt
deux figures. Selon la première, traditionnelle, elle véhicule
l'information pour le marché. Le processus de circulation du
capital nécessite une information permanente sur tous les
phénomènes de la vie sociale qui peuvent influer sur ses flux
et ses rythmes. Selon la seconde, post-industrielle, l'informa-
tion est la matière première de la production, non seulement
des marchandises, mais aussi de la vie sociale. En d'autres
termes, l'économie devient in-formée, constituée par le mo-
uvement de la nouvelle richesse que l'accumulation et l'or-
ganisation de l'information font circuler. Cela implique au
moins trois nouveaux modes d'insertion et d'opération :
- l'information et la communication deviennent des
champs prioritaires de l'accumulation ;
- les télécommunications, qui impulsent la reconversion
industrielle et organisent la convergence entre supports et
contenus, se transforment en espace d'intérêts préférentiels
pour le capital ;
- l'internationalisation des réseaux d'information lance un
défi aux savoirs configurés par les nouvelles formes de ges-
tion privées et publiques.
Dans la sphère culturelle, ce qui apparaît comme explici-
tement référé à la communication, ce sont les pratiques de
diffusion, la communication comme véhicule, propagation
et rapprochement des publics et des oeuvres. Et si on réduit
le processus au véhicule, on légitime de la même manière la
réduction des récepteurs à des consommateurs qui admirent
la créativité développée dans l'oeuvre. On commence à pei-
ne à considérer la communication comme l'espace stratégi-
que de création et d'appropriation culturelle, d'activation de
la compétence et de l'expérience créatrice des gens, l'espace
qui permet la reconnaissance des différences : différences entre
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les peuples, les classes, les ethnies, les générations, qui sont
constitutives de ce que sont les « Autres ».
Bien que les Anciens aient intégré explicitement à la
culture un aspect ludique, nous sommes plutôt les héritiers
d'une tradition ascétique, qui a condamné l'otium comme le
moment du vice, et d'une critique idéologique qui confond
divertissement et évasion aliénante, surtout à partir de l'épo-
que de ses massification et marchandisation par les indus-
tries culturelles. Il n'est pas facile aujourd'hui de distinguer,
dans le soupçon qui marque le spectacle et le divertisse-
ment, ce qui relève de ce refus ascétique et ce qu'a introduit
l'opposition idéaliste entre formes culturelles et formats
industriels. Mais, à coup sûr, il n'est possible de réinscrire
les pratiques de loisir dans la culture qu'à la double condi-
tion de critiquer leurs perversions, mais aussi de
comprendre la double articulation qui relie dans nos socié-
tés les demandes et les dynamiques culturelles à la logique
du marché, et qui, en même temps, imbrique l'attachement
à certains formats, la fidélité à une mémoire et la survivance
de genres, à partir desquels fonctionnent de nouvelles maniè-
res de percevoir, de raconter, de faire de la musique, de
jouer avec les images.
Nous touchons ainsi le fondement de cette scène de fin de
la modernité, fondement du mouvement qui déterritorialise
les identités et refonde le sens des temporalités. L'inscription
de la communication dans la culture n'est plus un simple
événement culturel, puisque l'économie comme la politique
sont directement concernées par ce qui se passe. C'est ce
que disent, de manière ambiguë mais certaine, des expres-
sions comme «société de l'information» ou «culture politi-
que». C'est ce que, d'une manière encore plus obscure, mais
tout aussi réelle, racontent les expériences quotidiennes des
populations déracinées de nos villes.
Tout cela pourrait se traduire par deux questions déterri-
torialisantes et déconcertantes. Comment avons-nous pu pa-
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sser tant de temps à chercher à comprendre le sens des


changements dans la communication, y compris ceux qui se
produisent dans les médias, sans les raccrocher aux trans-
formations du tissu collectif, à la réorganisation des formes
de l'habitat, du travail et du loisir? Est-il possible de trans-
former le « système de communication » sans prendre en
compte sa dimension culturelle, et sans que les politiques ne
cherchent à activer la compétence communicative et l'expé-
rience créative des gens, c'està- dire les reconnaissent com-
me des sujets sociaux ?

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