You are on page 1of 15

29

Réflexions sur l’analyse du syndicalisme révolutionnaire


(L’importance des communautés locales)

E syndicalisme révolutionnaire* a fait l’objet, en tant


L que phénomène historique, d’innombrables publica-
tions. En général, quand elles ne relèvent pas du genre des
révolutionnaire. Il est courant de se référer aux théories de la
modernisation dont on sait qu’elles peuvent contenir toutes
sortes de présupposés idéologiques [1]. En général, celles-ci
faits et gestes – un genre fort répandu dans l’historiographie réduisent le syndicalisme révolutionnaire à une attitude
du mouvement ouvrier –, ces études cherchent précisément à contestataire bornée ou irrationnelle. En tant que membres de
en rendre compte. Or, selon le paradigme qui domine impli- la grande famille socialiste, les syndicalistes révolutionnaires
citement toute l’historiographie du mouvement ouvrier, les auraient dû être tout bonnement des sociaux-démocrates !
travailleurs sont contraints de mener des luttes qui, en toute D’après cette conception, au fond, le jugement que Lénine
logique, doivent s’orienter vers le socialisme, ou plus exac- rendait jadis à l’égard des anarchistes vaut également pour
tement vers la social-démocratie. La naissance d’un mouve- les syndicalistes révolutionnaires : « L’anarchisme, c’est un
ment social-démocrate apparaît, alors, non pas comme un cas individualisme bourgeois à l’envers [….]. L’anarchisme est
particulier mais comme la normalité. Au fond, en suivant ce la conséquence du désespoir. Mentalité de l’intellectuel à la
schéma, est anormal tout mouvement ouvrier qui n’est pas dérive ou du va-nu-pieds, mais non du prolétaire. [2] » Et
social-démocrate : les syndicats « jaunes », les unions pro- l’on entend presque le même son de cloche chez Eric Hobs-
fessionnelles chrétiennes, le syndicalisme révolutionnaire. Si bawm quand celui-ci définit le syndicalisme ouvrier comme
on observe maintenant le degré d’organisation des ouvriers à « pratique et théorie syndicales quasi révolutionnaires » [3].
travers le monde, on obtient des différences considérables Dans la recherche scientifique, on avance plusieurs types
d’un pays à l’autre. Ainsi, dans certains pays, seule une d’explication du phénomène historique que constitue le
minorité de travailleurs était organisée dans un syndicat. De syndicalisme révolutionnaire. Aujourd’hui, il n’est plus
ce point de vue, par contre, toute organisation de lutte des question de faire intervenir les caractères nationaux, comme
travailleurs est une anomalie qui mérite explication. Cet par exemple le soi-disant « tempérament latin » auquel F. F.
article partira donc du principe qu’il n’est pas établi, Ridley faisait encore référence dans ses travaux [4]. Quand
d’emblée, que le syndicalisme ouvrier soit quelque chose de on prétend expliquer le syndicalisme ouvrier par des problè-
particulier et qu’il faille le considérer comme une déviation. mes d’adaptation à la modernisation sociale et économique,
D’ailleurs, on pourrait tout aussi bien dire de la social- on insiste surtout sur les changements qui touchent la pro-
démocratie qu’elle est une exception qu’il convient duction, et sur la taille croissante des entreprises. Depuis les
d’expliquer. années 1970, les chercheurs de ce courant privilégient
Dans la littérature scientifique, on a recours à plusieurs l’étude de certains groupes professionnels, en particulier les
approches théoriques pour rendre compte du syndicalisme travailleurs du bâtiment et de la chaussure. Je reviendrai dans
un instant, de façon plus détaillée, sur cette interprétation.
*
Bert Altena, « Zur Analyse des revolutionären Syndikalismus », Mit- Des historiens, comme Melvyn Dubofsky ou Erhard Lucas,
teilungsblatt des Instituts zur Erforschung der europäischen Arbeiter- soulignent, quant à eux, les effets des migrations sur le syn-
bewegung, n° 22 (1999), pp. 5-35. Dans ce texte, on utilisera indistinc- dicalisme révolutionnaire. Pour eux, le militant syndicaliste
tement les expressions de « syndicalisme révolutionnaire », de typique, c’est l’« ouvrier déraciné » qui, arraché à son milieu
« syndicalisme ouvrier » et de « syndicalisme d’action directe » pour traditionnel, se radicalise d’autant plus facilement qu’il est
éviter les répétitions ; et par « social-démocratie » on entendra un parti
ouvrier (de masse) qui se réclame du socialisme marxiste, sur le modèle sans attaches [5]. Un autre groupe de chercheurs met l’accent
du SPD allemand. sur le contexte politique. Leurs explications du syndicalisme
30

révolutionnaire vont de la faillite des partis socialistes [6] au société communiste et libertaire. [13] » Cornelissen expri-
rôle de la répression politique, en passant par l’opposition mait ainsi des convictions qu’il n’avait cessé de défendre
aux syndicats réformistes [7]. depuis sa première intervention publique, dans le mouvement
La théorie qu’ont développée Marcel van der Linden et socialiste, en 1888. Elles l’avaient conduit, au cours des
Wayne Thorpe est sans doute la plus élaborée à l’heure ac- années 1890, à occuper une position intermédiaire entre les
tuelle. Ils examinent non seulement les origines du syndica- anarchistes orthodoxes et les sociaux-démocrates marxistes.
lisme ouvrier, mais aussi les causes de la disparition des Désormais, il cherchait sa place entre le point de vue stricte-
mouvements syndicalistes révolutionnaires [8]. Je reviendrai ment syndicaliste et l’anarchisme individualiste [14]. La
plus tard sur cette analyse ; je voudrais commencer par évo- position particulière de Cornelissen apparaît, d’ailleurs, plus
quer les rapports entre syndicalisme et anarchisme. À la suite clairement à la lumière des critiques que Malatesta adressait
de ces quelques réflexions, j’essaierai de donner une des- aux jeunes syndicalistes français.
cription correcte du syndicalisme révolutionnaire. Je ne suis Malatesta leur opposa, en effet, que le syndicalisme ré-
pas d’accord avec Marcel van der Linden quand il affirme volutionnaire constituait un véritable danger pour
que « comme dans les questions de goût, il est vain de se l’anarchisme. Pour lui, les syndicats devaient rester neutres
chicaner sur des définitions » [9]. En partant de ma propre afin d’éviter que les militants chrétiens et sociaux-
définition du syndicalisme révolutionnaire (I), et après avoir démocrates puissent exiger la création de leurs propres syn-
fait le bilan critique des diverses interprétations de celui-ci dicats – ce qui ne pouvait entraîner que la division de la
(II), je présenterai mes orientations de recherche (III). classe ouvrière. Il affirma que le mouvement ouvrier n’était
qu’un moyen pour atteindre un but supérieur, la société
anarchiste. Une société qui, du reste, serait davantage desti-
née à des hommes qu’à des travailleurs. « La révolution
anarchiste que nous voulons dépasse de beaucoup les intérêts
d’une classe : elle se propose la libération complète de
l’humanité actuellement asservie, au triple point de vue
I.– SYNDICALISME ET ANARCHISME économique, politique et moral. Gardons-nous donc de tout
moyen unilatéral et simpliste. » Ce dernier élément visait,
C’est en août 1907, au congrès anarchiste international entre autres, l’idée syndicaliste suivant laquelle la grève
d’Amsterdam, que le syndicalisme révolutionnaire s’est générale suffisait pour établir la nouvelle société. Pour Ma-
présenté pour la première fois aux yeux du monde. Un an latesta, cela était impensable sans un soulèvement armé [15].
auparavant, en son congrès d’Amiens, la CGT française avait
exposé ses principes dans cette célèbre Charte d’Amiens qui Dans cette discussion, Jean Maitron voit, quant à lui,
constitue, depuis lors, la formulation classique du pro- l’« acte de divorce » des deux mouvements [16]. Je n’irai pas
gramme syndicaliste révolutionnaire. Amédée Dunois, dont aussi loin, en ce qui me concerne. Il est vrai que la CGT
l’attitude à l’égard du syndicalisme ouvrier avait évolué de s’appuya, à partir de 1912, sur une interprétation plus étroite
l’hostilité prudente à l’adhésion enthousiaste en l’espace de du syndicalisme ouvrier et qu’elle se limita de plus en plus à
quinze mois [10], défendit à Amsterdam le nouveau mouve- des activités strictement syndicales – notons, à ce propos,
ment qu’il considérait comme une forme plus élevée que, aux Pays-Bas, les militants syndicalistes s’opposèrent à
d’anarchisme. Il déclara que l’anarchisme allait passer de la une évolution identique du Nationaal Arbeids-Sekretariaat
théorie à la pratique par le biais du syndicalisme ouvrier et (NAS). Pourtant, en 1912, la CGT lutta encore énergique-
de l’antimilitarisme. Pour lui, l’anarchisme trouvait dans le ment, et de manière typiquement antiparlementaire, contre la
syndicalisme révolutionnaire un programme concret de trans- législation sur la sécurité sociale, dont elle organisa le
formation sociale. « Il nous suffit de voir en lui l’expression boycottage avec succès [17]. La diversité des images que le
théorique la plus parfaite des tendances du mouvement pro- mouvement syndicaliste avait de lui-même apparaît à travers
létarien. [11] » l’ordre du jour du congrès syndicaliste international de Lon-
dres (27 septembre - 2 octobre 1913) et les différentes
Dunois abondait dans le sens de Pierre Monatte, son ami contributions qui lui furent envoyées. L’ordre du jour com-
du même âge, qui déclara, quant à lui, que le syndicalisme portait, au point n° 3, « Antimilitarisme » et, aux points n° 8
ouvrier voulait des syndicats politiquement neutres et que la et n° 9, « Langue internationale » et « Religions et morales
première tâche des syndicalistes consisterait à fonder un du prolétariat ». Pour le dernier point de discussion, la Polska
syndicat pour chaque métier et dans chaque ville. D’après Grupa Syndykalisci Rewolucyjne, de Cracovie, avait proposé
Monatte, le moyen pour atteindre l’émancipation des tra- un curieux document où, à la manière des darwinistes so-
vailleurs se résumait à ces deux mots : action directe. Ainsi, ciaux, le syndicalisme révolutionnaire était replacé dans
de tous les mouvements ouvriers socialistes, c’est le syndi- « l’évolution naturelle de l’humanité » [18].
calisme révolutionnaire qui se rattachait le plus fidèlement à
cette Première Internationale qui avait proclamé que Bien que les mouvements syndicalistes aient assimilé, à
l’émancipation de la classe ouvrière serait l’œuvre des tra- leur manière propre, des traditions et des influences diffé-
vailleurs eux-mêmes. « Le syndicalisme révolutionnaire, à la rentes, on ne saurait analyser adéquatement le syndicalisme
différence du socialisme et de l’anarchisme qui l’ont précédé révolutionnaire si on ne le conçoit pas comme un courant du
dans la carrière, s’est affirmé moins par des théories que par mouvement anarchiste au sens large. Dans la recherche
des actes, et c’est dans l’action plus que dans les livres qu’on scientifique, cette idée se heurte à une vive résistance. Ainsi,
doit l’aller chercher. [12] » Monatte soulignait par là que le Peter Schöttler ne veut pas reconnaître l’influence de
syndicalisme ouvrier aspirait à dépasser la pure critique l’anarchisme dans l’attitude apolitique des Bourses du Tra-
anarchiste. Le militant syndicaliste hollandais, Christiaan vail [19] ; Gerald Friedman estime, quant à lui, que les fai-
Cornelissen, qui résidait alors à Paris, ajouta que le syndica- bles cotisations et les maigres caisses syndicales corres-
lisme ouvrier et l’action directe poursuivaient nécessairement pondaient aux vues des seuls chefs syndicalistes [20]. Marcel
des objectifs révolutionnaires : « C’est qu’ils ne cessent pas van der Linden développe – peut-être sous l’influence de
de viser à la transformation de la société actuelle en une F. F. Ridley – une approche qui privilégie la pratique du
31

syndicalisme révolutionnaire, au détriment de l’idéologie : seulement donner un sens qui aille au-delà de la réaction
« Ce qui compte, c’est ce que le mouvement fait en pratique, pavlovienne aux actions des militants qui s’en réclamaient,
et non pas la manière dont il justifie ce qu’il fait. [21] » Ce mais y voir aussi une situation de tension permanente par
choix me semble pour le moins précipité. Il trahit la volonté suite de ce double caractère de mouvement ouvrier et de
de ranger les mouvements syndicalistes dans une typologie mouvement anarchiste.
de mouvements ouvriers ; et, par commodité de classement, Le syndicalisme révolutionnaire ne tendait pas – pour re-
il vaut mieux des actions isolées de leur contexte humain, qui prendre une expression de J. Julliard – « à la dissolution de
appellent des réponses par « oui » ou par « non », que des l’individu dans le groupe, mais au contraire à l’extraction de
actions dont on prendrait en compte les intentions subjecti- l’individu du groupe anonyme » [27]. C’est même l’essence
ves. du syndicalisme ouvrier, pourrait-on dire. Ce qui est caracté-
Or, c’est précisément en faisant abstraction des convic- ristique de l’idéologie des militants syndicalistes, c’est la
tions idéologiques qu’il est possible de considérer le syndi- conviction que, pour la victoire du socialisme, la lutte éco-
calisme révolutionnaire comme une sorte de réaction pavlo- nomique des travailleurs eux-mêmes était bien plus impor-
vienne des plus primitive à des changements macro- tante que la lutte politique des hommes de tribune mandatés,
économiques et/ou à des problèmes mineurs dans l’atelier. cette dernière pouvant même y faire obstacle. Les premiers
Le syndicalisme ouvrier n’est plus, alors, cette source théoriciens du NAS néerlandais, Ferdinand Domela-
d’orientation dans laquelle va puiser le militant. Celui-ci, Nieuwenhuis et surtout Christiaan Cornelissen, avaient ap-
privé d’attaches à cause des migrations ou de l’instabilité de pris de Marx, en effet, que les rapports politiques étaient
l’emploi, est tout simplement poussé en avant par la moder- conditionnés par les rapports économiques [28]. Instrument
nisation économique [22]. On voit ici réapparaître, de ma- approprié pour la lutte de classes, le syndicat était destiné,
nière plus discrète, cette interprétation négative et politique- après la révolution, à organiser la production. « L’atelier sera
ment déterminée du syndicalisme révolutionnaire que j’ai le gouvernement », annonçait le cégétiste Léon Jouhaux [29].
déjà évoquée en introduction. Il ressort de ce genre Friedhelm Boll a souligné, à juste titre, qu’il s’agissait,
d’analyses une vision de l’ouvrier syndicaliste comme « bête selon cette conception, moins d’une « étatisation de la pro-
de troupeau ». Van der Linden et Thorpe, par exemple, ne duction […] que d’une syndicalisation » [30]. En général, les
traitent jamais de la question de savoir ce qui se passait dans syndicalistes révolutionnaires ne s’aventuraient pas plus loin
la tête des militants de base. On est pourtant en droit de dans la description de la forme que prendrait la société après
penser que les membres des organisations syndicalistes la révolution. Il faut dire qu’il n’est pas dans les habitudes de
étaient amenés à exposer leurs convictions et, le cas échéant, la pensée anarchiste de tracer les plans de la société future.
à les défendre chez eux, dans la rue, au café ou sur le lieu de On peut s’en faire une idée en lisant par exemple les fameu-
travail. L’ouvrier syndicaliste a été trop souvent réduit à ses News from Nowhere de William Morris ; mais les grands
l’état d’un homme qui ne ferait que travailler et qui ne réagi- théoriciens anarchistes n’étaient pas assurés eux-mêmes de
rait qu’en fonction de son travail, de sorte qu’on a nié le fait ce qui devait arriver après la « conquête du pain » [31].
qu’il pouvait avoir des intérêts sociaux et existentiels plus L’idéal de société des syndicalistes révolutionnaires restait
étendus [23]. D’ailleurs, les études qui prennent au sérieux la donc assez vague.
parole de la base montrent que les syndicalistes révolution-
naires étaient tout à fait capables, en règle générale, Les syndicats étant destinés à réorganiser la vie écono-
d’exprimer les raisons qui les faisaient se prononcer pour le mique, les travailleurs devaient être préparés dès à présent,
syndicalisme, et non pas pour l’anarchisme individualiste ou dans le combat syndical, à la mission qui leur reviendrait
bien la social-démocratie. « Les débats Monatte-Malatesta après la révolution. Le mouvement syndicaliste était caracté-
faisaient rage », lit-on par exemple dans les procès-verbaux risé par une étroite liaison entre les buts et les moyens. Il n’y
de la Bourse du Travail du Havre [24]. L’historien de a jamais été question de quantité, mais uniquement de quali-
l’anarchisme Max Nettlau a parlé du « fait incontestable – té, si bien que l’organisation était souvent censée s’effacer
aussi désagréable que cela puisse résonner à certaines oreil- devant le mouvement social réel. Il faut dire aussi que, en
les – qu’une fois libéré de ses entraves artificielles (État, raison de sa faiblesse numérique, elle entrait rarement en
politique) et du tribut qu’il doit payer aux parasites (Capital), contradiction avec cette vision des choses. « Pour nous, il
le Travail aura la faculté naturelle de s’organiser librement, s’agit de faire venir des travailleurs qui, sachant voler de
selon les principes de l’entraide et de la solidarité, et autant leurs propres ailes, évolueront dans notre mouvement par
que l’exigeront ses besoins propres : tout ceci constitue pré- conviction », déclarait la direction du NAS en 1904. On
cisément le but final du syndicalisme révolutionnaire, mais estimait d’ailleurs que c’était la seule manière de lutter pour
du même coup c’est aussi l’anarchie, car l’anarchie est jus- l’émancipation réelle des travailleurs [32]. Les syndicalistes
tement cette vie naturelle qui résulte, pour les hommes rai- ne cherchaient pas plus à créer des grosses caisses de résis-
sonnables, de la disparition des entraves qui les enser- tance : « Par expérience, nous insistons toujours sur la vi-
rent » [25]. Sans doute est-ce là une formulation trop rigide ; gueur de l’organisation. Aucune lutte n’a été remportée par
il n’empêche que le syndicalisme révolutionnaire était un des caisses de résistance, mais en revanche par la fermeté des
phénomène beaucoup plus logique que ne le pensent la plu- convictions et la vigueur de l’organisation », écrivait le NAS
part des chercheurs. J’adhère à la thèse de Maitron suivant en 1901 [33]. Pour eux, la détermination et le sens des res-
laquelle le syndicalisme ouvrier était intimement lié au ponsabilités des membres limitaient les tendances centralis-
monde vécu des militants [26]. Et il est impossible, selon tes [34] ; et le respect du plus petit groupement empêchait la
moi, de comprendre la vie culturelle des syndicalistes – sur prédominance des grandes organisations. Ainsi, dans le
laquelle je reviendrai ci-après – si on se refuse à voir dans le NAS, les organisations ne disposaient chacune que de trois
mouvement syndicaliste une tentative d’associer l’existence voix au maximum [35]. En France, l’esprit anarchiste
et l’action de l’individu à la transformation morale de la s’exprimait dans le mépris de la CGT à l’égard des petites
société tout entière. grèves – qui ne faisaient qu’épuiser le mouvement syndica-
liste – et du « petit travail quotidien » d’organisation [36]. Il
C’est alors – lorsqu’on considère le syndicalisme révolu- n’est pas impossible que le caractère assez modéré des re-
tionnaire comme une forme d’anarchisme – qu’on peut non
32

vendications des syndicalistes français – ce dont s’étonne qu’à condition que le monde des travailleurs soit protégé et
Stearns – s’explique, en partie, par cet état de choses [37]. encore intact. Elles étaient capables, alors, de lutter contre
Le syndicalisme révolutionnaire était, en réalité, une l’influence de la bourgeoisie ; mais dès que l’État a com-
forme libertaire de socialisme ouvrier. Celui-ci ne se récla- mencé à se soucier de la vie des travailleurs et des conditions
mait pas en premier lieu – pas même de façon critique – de de travail, ces organisations se sont retrouvées dans une
l’action de la bourgeoisie libérale, comme le socialisme situation difficile. Du jour au lendemain, les dirigeants du
bourgeois ; il insistait fortement, en revanche, sur le rôle des mouvement syndicaliste ont dû apprendre une langue autre
travailleurs dans la société socialiste future. Ce qui importait que celle que parlaient les ouvriers, et ils ont eu besoin d’une
avant tout, c’était leur place dans la production, et plus géné- stratégie pour gérer, tout en préservant leurs idéaux libertai-
ralement dans la société tout entière [38]. Cet élément est res, les questions politiques, les interventions de l’État et le
d’importance pour notre propos : le syndicalisme révolution- pouvoir qui leur était délégué.
naire est l’expression d’un mouvement qui avait conscience
d’être un mouvement ouvrier et qui ne voulait rien avoir
affaire avec des bourgeois, fussent-ils socialistes. À moins,
évidemment, qu’ils acceptent le rôle dirigeant des travail-
leurs dans le mouvement. C’était, en même temps, un mou-
vement qui n’avait pas pour référence le monde des bour- II.– LA RECHERCHE
geois – dont a fait longtemps partie la politique parlemen- SUR LE SYNDICALISME RÉVOLUTIONNAIRE
taire –, mais le monde des ouvriers [39]. Cette position ou-
vriériste a souvent pris la forme d’une attitude anti- Je viens d’effleurer la question du déclin du mouvement
intellectualiste, ce qui a pu renforcer, du même coup, syndicaliste révolutionnaire ; avant d’aller plus avant, il
l’influence de l’antimarxisme bakouninien dans le mouve- convient de déterminer la période historique sur laquelle on
ment syndicaliste [40]. Jean Maitron a souligné, à juste titre, doit se concentrer quand on veut étudier le syndicalisme
que les intellectuels – quand ils ne se considéraient pas ouvrier.
comme supérieurs aux travailleurs – se montraient craintifs
et hésitants devant l’assurance dont faisaient preuve les En règle générale, on estime que les années 1900-1920
ouvriers syndicalistes. Il est évident en tout cas, poursuit constituent la grande époque du syndicalisme révolution-
Maitron, que les préjugés respectifs ont nui aux rapports naire. L’Allemagne fait exception, la FAUD ayant encore
entre militants ouvriers et intellectuels [41]. disposé de forces importantes plusieurs années après, et
évidemment l’Espagne où la CNT comptait 700 000 mem-
C’est surtout la figure du social-démocrate comme héraut bres en 1919 et plus d’un million en 1932 [49]. Il est à consi-
du parlementarisme, quand il incarnait la politique et le dérer que, même à son apogée, le mouvement syndicaliste
monde de la bourgeoisie, qui suscitait la méfiance des syndi- n’a jamais encadré la majorité de la population active. Jul-
calistes révolutionnaires. Leur anti-intellectualisme se mani- liard a calculé que, en 1906, environ 2,19 % de la population
festait alors davantage. Ainsi, pour se démarquer du Parti active, dans les secteurs secondaire et tertiaire, appartenait à
ouvrier social-démocrate des Pays-Bas (SDAP), avec « ces la CGT. La Confédération représentait alors 23 % de tous les
messieurs les avocats » [42], le NAS se vantait d’être com- travailleurs syndiqués ; en 1911, la proportion passait à
posé de travailleurs qui, malgré leur manque d’éducation, 31 % [50]. En 1932, la CNT espagnole avait dans ses rangs
avaient eux-mêmes créé toute une organisation. On disait environ 20 % de la population active [51]. En comparaison,
alors qu’on ne pouvait absolument pas faire confiance les effectifs des autres organisations semblent négligeables :
(« gansch niet vertrouwen ») aux sociaux-démocrates [43]. la FAUD comptait à son apogée 150 000 adhérents [52] ; en
En France, la méfiance de la CGT à l’égard du mouvement 1917, les effectifs des wobblies américains sont estimés à
politique socialiste remonte aux années 1880, voire à une 150 000 membres [53] ; le maximum atteint par le NAS
époque plus reculée encore [44]. « Le parti socialiste n’a rien néerlandais, avant la Première Guerre mondiale, s’élevait à
à faire dans les assises ouvrières », écrit Jouhaux en 12 446 adhérents (1900) et, après la guerre, à 51 570
1909 [45]. De plus, la présence de « politiciens » menaçait (1920) [54].
de diviser des travailleurs qui, laissés à eux-mêmes, for-
maient toujours une unité. C’est entre autres pour cette raison La période d’essor du syndicalisme ouvrier que fait res-
que les mouvements politiques devaient être tenus à l’écart. sortir la périodisation historique de celui-ci a donné
Ce qui a peut-être renforcé cette attitude anti-sociale- l’impression qu’il n’aurait réellement existé qu’entre 1900 et
démocrate, c’est que beaucoup de syndicalistes révolution- 1940 [55]. Ceci est renforcé par le fait que l’expression
naires avaient d’abord été membres d’organisations sociales- « syndicalisme révolutionnaire » ne s’est diffusée qu’après le
démocrates. En tout cas, le fait de garder ses distances par congrès d’Amiens de la CGT, en 1906. Elle s’est ensuite
rapport à ceux qui s’adonnaient à la politique était une néces- imposée progressivement dans les autres pays, comme aux
sité vitale pour un mouvement syndical basé sur la solidarité. Pays-Bas par exemple, à partir de 1907 [56].
C’est ainsi qu’un mouvement syndicaliste révolutionnaire L’origine française de la notion de syndicalisme révolu-
uni pouvait être, sinon l’incarnation, du moins le représentant tionnaire a parfois laissé penser qu’il aurait été importé de
légitime du prolétariat. « Nous discutons des questions éco- France dans les autres pays [57]. C’est le cas pour la Russie,
nomiques et non politiques. [46] » selon Paul Avrich [58] ; mais dans de nombreux pays, du
Ainsi, les syndicalistes révolutionnaires voulaient moins en Europe, le syndicalisme révolutionnaire apparaît
conserver une organisation strictement ouvrière, avec une comme un mouvement largement autochtone. À l’inverse,
direction aussi réduite que possible [47], composée avant aux États-Unis, les wobblies ont toujours énergiquement
tout de travailleurs, et qui devait contredire toutes les lois refusé d’être qualifiés de « syndicalistes révolutionnaires » ;
que Robert Michels – lui-même sympathisant de la cause mais cela n’a pas empêché Dubofsky de les ranger, de bon
syndicaliste [48] – avait établies sur les organisations. D’une cœur et à juste titre, dans la tendance syndicaliste ! [59] Il
manière générale, ce type d’organisations ne pouvait exister affirme, par ailleurs, que le syndicalisme révolutionnaire
s’était enraciné dans la classe ouvrière américaine avant
33

même que les IWW n’adoptent leur déclaration de principes ce que je viens d’exposer que le syndicalisme révolutionnaire
en 1905 [60]. De même, dans divers pays européens, on est un mouvement ouvrier doté d’une vraie tradition. Ce
trouve des mouvements plus anciens qui peuvent être éti- mouvement ouvrier a souvent été menacé d’être marginalisé
quetés comme « syndicalistes révolutionnaires ». Dans les par le mouvement politique dominant qui s’est toujours
pays latins, on peut repérer, dès les années 1860, des élé- considéré comme plus important que le mouvement syndi-
ments du syndicalisme révolutionnaire dans les groupes cal : la social-démocratie. Ayant pris conscience au cours des
proches de Bakounine [61]. Mais on en trouve aussi des deux dernières décennies du XIXe siècle que les stratégies de
traces plus au nord, dans le dernier quart du XIXe siècle : en l’insurrection et du terrorisme n’étaient pas nécessaires à leur
premier lieu, évidemment, dans le Jura, qui était, dans les cause, les anarchistes ont alors introduit leurs propres consi-
années 1870, un bastion de Bakounine et de la Fédération dérations théoriques dans le mouvement ouvrier (grève géné-
jurassienne [62]. En 1887, la Ligue sociale-démocrate néer- rale, action directe, auto-organisation, démocratie directe), ce
landaise décide, quant à elle, de n’accepter que des syndicats qui, du même coup, a ouvert aux travailleurs des perspecti-
comme organisations locales de base. Derrière cette réorga- ves nouvelles sur le plan culturel. En transmettant leurs
nisation, il y avait les leçons que F. Domela Nieuwenhuis expériences au mouvement ouvrier syndicaliste, les anar-
avait tirées de la lecture du Manifeste du Parti communiste et chistes ont aidé les travailleurs à formuler une critique des
du Capital [63]. Ces deux livres ont été également une conceptions de la social-démocratie. En réalité, cependant,
source, sur le plan théorique, pour le syndicalisme révolu- les syndicalistes anarchistes n’ont fait qu’enseigner ce que
tionnaire de Christiaan Cornelissen [64]. En Allemagne, au les travailleurs savaient déjà par eux-mêmes depuis long-
tournant du siècle, le mouvement des « localistes » présente temps [75].
également des caractéristiques du syndicalisme révolution- La recherche des racines historiques du mouvement syn-
naire ; mais Dirk H. Müller a montré que le mouvement dicaliste a mis certains historiens sur la piste des traditions de
syndical allemand les présentait dès les années 1870 [65]. En métiers. De ce point de vue, le syndicalisme révolutionnaire
France, des organisations ouvrières ont adopté, dans les rentre dans la théorie des étapes du socialisme telle que l’a
années 1880, des résolutions antipolitiques – à côté de réso- développée Geoff Eley [76]. Dirk Müller a établi un rapport
lutions, soit dit en passant, qui témoignent d’une influence concret entre l’ancienne organisation de métier et les activi-
plutôt marxiste [66]. Plus tard, certains membres des syndi- tés corporatives des artisans berlinois du bâtiment, d’une
cats anglais sont passés de positions typiques du « new unio- part, et leurs orientations et pratiques « localistes » (ou syn-
nism » des années 1890 à des positions syndicalistes [67]. En dicalistes révolutionnaires) dans les années 1890, d’autre
Bohême, les anarchistes ont accepté, dès 1896, de considérer part [77]. Si on suit les travaux de Rudolf Boch, à Solingen
les syndicats comme les seules organisations légitimes pour les plus anciennes couches de travailleurs étaient favorables
les luttes sociales [68]. Seule la Belgique, qui avait une lon- à l’idée d’« association libre des producteurs », alors que les
gue tradition de mouvement ouvrier socialiste, se montre ouvriers et les ouvrières qui arrivaient de la campagne étaient
curieusement rétive, dans un premier temps, au syndicalisme victimes d’un processus de déqualification et rejoignaient le
révolutionnaire, et même après la fondation de la CGT belge, mouvement syndical social-démocrate. Celui-ci non seule-
en 1905, le mouvement syndicaliste n’y a jamais atteint une ment disciplinait ses membres, mais leur apprenait aussi à
réelle importance [69]. attendre de l’aide de la part de l’État [78]. Barbara Mitchell a
Dans le monde, les migrants européens ont répandu les soutenu, quant à elle, que la tradition syndicaliste en France
idées du syndicalisme révolutionnaire. C’est le cas des États- plonge ses racines dans les compagnonnages [79]. Peut-être
Unis [70], mais aussi de pays d’Amérique latine, comme le existe-t-il, en effet, dans les pays où il y a eu une transition
Chili [71] ou le Pérou [72]. harmonieuse entre les corporations et les syndicats de métier,
Ainsi, on peut repérer dans de nombreux pays, dès le un lien entre le syndicalisme révolutionnaire et les pratiques
dernier quart du XIXe siècle, des éléments spécifiques du corporatives. On doit cependant tenir compte de ce que cer-
syndicalisme révolutionnaire. Il n’est pas étonnant, alors, taines formes d’action peuvent être tout simplement les plus
qu’un mouvement tendanciellement syndicaliste se soit aussi logiques qui soient dans un contexte donné et que leur ori-
manifesté au sein de la Deuxième Internationale. Réduit au gine ne remonte pas forcément à des pratiques corporatives
silence après le congrès socialiste international de Londres plus anciennes. À l’époque, ces pratiques avaient, de toute
(1896), il a eu, par la suite, de grandes difficultés pour bâtir façon, disparu depuis longtemps [80]. Dans un pays comme
une véritable organisation. Il a déjà été question, plus haut, les Pays-Bas, par exemple, il est peu probable qu’il y ait eu
de la forte opposition que ce genre de projets a rencontrée un rapport entre les guildes et les organisations syndicales,
chez les anarchistes lors du congrès d’Amsterdam (1907). Et car les guildes y ont été très tôt supprimées, tandis que le
les décisions prises en 1913, au congrès de Londres, sont mouvement ouvrier s’y est développé assez tardivement [81].
restées sans suite à cause de la guerre et de la scission qui en Un autre cas qui s’oppose à l’existence d’un lien entre corpo-
a résulté parmi les anarchistes et les syndicalistes, de sorte rations et syndicalisme révolutionnaire est celui de la Suisse
qu’il a fallu attendre 1923 pour qu’une Internationale syndi- où, comme l’a montré Rolf Bigler, c’est précisément
caliste voie enfin le jour [73]. Il est évident, en tout cas, que l’organisation corporative qui a empêché le développement
l’opposition qui s’est formée contre l’hégémonie marxiste du socialisme libertaire parmi les horlogers de Genève [82].
lors du congrès socialiste international de Paris (1889), s’est On peut d’ailleurs tout aussi bien dire que l’ordre – reconnu
engagée de plus en plus distinctement, au cours des congrès par l’État – que formaient les corporations se retrouve dans
suivants, dans une troisième voie entre la social-démocratie le besoin d’une réglementation étatique de la vie économi-
marxiste et l’anarchisme individualiste [74]. que. De ce point de vue, l’organisation corporative a fait
naître des convictions plutôt sociales-démocrates.
En général, lorsqu’ils étudient un phénomène historique,
les historiens ont l’habitude d’en chercher les racines ; et, à Si l’appartenance du syndicalisme ouvrier au mouvement
ce titre, on pourrait tout à fait négliger ces éléments anarchiste ne le rend évidemment pas plus singulier que le
d’histoire (ou de préhistoire) du syndicalisme révolution- mouvement socialiste « traditionnel », il n’empêche qu’on ne
naire. Ce n’est évidemment pas mon intention. Il ressort de saurait l’analyser comme un mouvement syndical
« traditionnel » qui lutte pour de meilleurs salaires et une
34

réduction du temps de travail – ce que l’historien néerlandais que ce courant de la recherche scientifique se concentre sur
Theo van Tijn appelle un « monopole de la vente de la force deux grands thèmes : l’analyse de certains métiers qui étaient
de travail » (Verkaufskartell von Arbeitskraft) [83]. Comme sur-représentés dans les organisations syndicalistes, et la
cela a été précédemment évoqué, les travaux actuels de modernisation de la production.
sciences sociales sur le syndicalisme révolutionnaire négli- Quand on examine les secteurs professionnels dans les-
gent plus ou moins cette dimension anarchiste. Seule la quels les syndicalistes révolutionnaires se recrutaient, on
situation dans les entreprises semble attirer l’attention. Il est découvre, cependant, une grande variété de métiers.
pourtant loin d’être établi que c’est précisément là que réside
l’explication du syndicalisme révolutionnaire. Toujours est-il

Recrutement des membres des organisations syndicalistes par profession (1870-1940)

Pays 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17
France x x x x x
Espagne x x x x x x x x
Italie x x x
Portugal x x x x x x
Suède x x x x x
Norvège x x x
Angleterre x x x x x
Pays-Bas x x x x x x x x x x
Allemagne x x x x x x x
Bohême/Tchéco. x x
Suisse x
États-Unis x x x x
Argentine x x x x x x
Chili x x x x x x x x x x x x x x
Mexique x x x x
Pérou x

1.–Travailleurs du bâtiment ; 2.– Boulangers ; 3.– Cordonniers ; 4.– Tailleurs ; 5.– Travailleurs du textile ;
6.– Métallos ; 7.– Mineurs ; 8.– Cheminots et travailleurs des transports ; 9.– Ébénistes ; 10.– Typogra-
phes ; 11.– Travailleurs des tabacs ; 12.– Marins ; 13.– Horlogers ; 14.– Bûcherons ; 15.– Travailleurs
agricoles ; 16.– Électriciens ; 17.– Dockers.

Bien que ce tableau [84] ne soit pas complet et ne rale, ces « project workers » étaient favorables au syndica-
contienne aucune donnée quantitative concernant les forces lisme révolutionnaire ou, tout du moins, qu’ils apparaissent
syndicalistes dans les différents groupes professionnels, il assez souvent comme militants syndicalistes [89]. Howard
n’en permet pas moins de faire une série d’observations Kimeldorf a pourtant montré que la courte durée du contrat
importantes. Il en ressort tout d’abord que les métiers artisa- de travail n’a pas été un élément décisif pour le syndicalisme
naux sont fortement représentés dans le syndicalisme révo- révolutionnaire. Si ces contrats peuvent en partie expliquer la
lutionnaire. Pour chacun d’eux, on a avancé une explication position dominante des syndicalistes dans les ports de la côte
de cet état de choses. Ainsi, en ce qui concerne les garçons Ouest des États-Unis, ils n’ont pas empêché, pour autant, que
boulangers argentins, on dit qu’ils changeaient fréquemment se développent, parmi les dockers de New York, des syndi-
d’employeurs [85]. On a beaucoup écrit au sujet des cordon- cats très conservateurs [90]. Kimeldorf insiste particulière-
niers, lesquels exerçaient, selon Maitron, un métier qui leur ment sur les groupes professionnels dans lesquels se recru-
laissait du temps pour la réflexion. Il est possible que taient les travailleurs des ports : marins et bûcherons à
l’habitude de confier à un compagnon le soin de faire la l’ouest, immigrés de pays catholiques et agraires (comme
lecture pendant le travail ait eu ici des effets stimulants [86]. l’Irlande, la Pologne ou l’Italie) à l’est des États-Unis [91].
Bigler a d’ailleurs repris l’argumentation de Maitron pour le Max Nettlau avance, quant à lui, une explication qui corres-
cas des ouvriers horlogers suisses [87]. D’après Maitron, les pond à la théorie plus récente de Kerr et Siegel [92] et qui
anarchistes français recrutaient leurs partisans dans des mé- rencontre encore un certain succès [93]. Selon lui, les ou-
tiers artisanaux ou similaires ; mais cette hypothèse ne per- vriers terrassiers parisiens et ceux du bâtiment, qui formaient
met pas d’expliquer, par exemple, l’adhésion des travailleurs un des bastions du syndicalisme révolutionnaire en France,
du textile au mouvement syndicaliste révolutionnaire. étaient « souvent des hommes robustes de la province qui
On a beaucoup étudié, en particulier, les travailleurs du auraient bien aimé se battre entre eux s’ils avaient pu et qui –
bâtiment dont le tableau semble d’ailleurs confirmer la ten- comme ils en avaient rarement l’occasion – se distinguaient
dance au syndicalisme révolutionnaire. J’ai déjà évoqué les fréquemment par leur brutalité dans les chasses au renard (la
remarques de Müller concernant les traditions corporatives lutte contre les jaunes) » [94].
des artisans berlinois du bâtiment. Pour Marcel van der Lin- Cependant, on remarque, à côté de ces ouvriers qualifiés,
den, il est plus important de constater que les travailleurs du la présence d’ouvriers de grandes entreprises : travailleurs du
bâtiment s’engageaient, en général, dans des contrats de textile, mineurs, métallos (et ouvriers de chantier naval). Il
travail de courte durée – ce que souligne aussi Müller [88] – paraît difficile de continuer à dire que l’artisanat était un
pour ensuite reprendre la route. Il estime que, en règle géné- terrain favorable au syndicalisme révolutionnaire, mais pas la
35

grande entreprise. Si on veut à tout prix conserver la thèse d’organisation a toujours été inférieur à 50 %. Cela signifie
des origines artisanales du syndicalisme ouvrier, il faut, que les facteurs que les différents auteurs (moi y compris)
alors, prouver qu’il régnait dans ces grandes entreprises des ont identifiés en rapport avec les conditions de travail n’ont
rapports artisanaux de travail. C’est peut-être le cas de pas eu les effets attendus sur la majorité des travailleurs, ce
l’industrie minière (Hobsbawm a écrit que « les mineurs sont qui remet en cause l’ensemble de l’argumentation. En effet,
un groupe particulièrement archaïque de travailleurs » [95]) ; si ces facteurs avaient été aussi importants qu’on le prétend,
et cela est tout à fait possible pour la construction na- on aurait eu, alors, des mouvements syndicalistes dominants,
vale [96]. Ce que les travailleurs des chantiers navals et du avec des taux d’organisation de loin supérieurs à 50 %. La
bâtiment ont en commun, c’est que leur travail leur laissait sur-représentation de certaines professions dans le syndica-
beaucoup d’autonomie, qu’ils étaient encore hautement lisme révolutionnaire ne dit pas grand-chose sur les condi-
qualifiés, qu’ils travaillaient souvent à la tâche (ils devaient tions de travail et doit être expliquée autrement. Une pre-
donc être en mesure d’estimer le temps qu’il leur faudrait mière explication tient à la faiblesse numérique de certains
pour faire le travail) et qu’ils fabriquaient toujours un produit mouvements syndicalistes nationaux, ce qui enlève de facto
unique auquel ils pouvaient facilement s’identifier. Quand on toute signification, sur le plan statistique, aux différences
peut construire un navire, on peut transformer la société. observées dans la taille des groupes professionnels. Ainsi, en
Le cas des travailleurs du textile fait cependant problème. 1924, dans la fédération syndicaliste des Pays-Bas, la plus
À Saint-Étienne, ils travaillaient dans de petites et moyennes grande organisation était la Fédération des métallos, qui
entreprises [97] ; leurs collègues syndicalistes de la rive comptait 2 170 membres, et la plus petite celle des mineurs
gauche du Rhin se recrutaient surtout parmi les passemen- avec 50 membres [101]. Par ailleurs, on peut expliquer la
tiers qui constituaient le groupe professionnel le plus privilé- position prééminente, par exemple, des ouvriers du bâtiment
gié de toute la branche du textile [98]. Mais ce n’est pas le par le seul fait de leur présence dans chaque ville ; cela pour-
cas, par exemple, des ouvriers de la Twente (Pays-Bas), où le rait même suffire à expliquer l’importance des fédérations du
processus de production n’était déjà plus organisé sur le bâtiment dans plusieurs mouvements syndicalistes nationaux.
mode de l’artisanat. Le deuxième problème a été formulé par Friedhelm Boll,
On pourrait dire alors – sauf en ce qui concerne les tra- en conclusion de son étude sur les travailleurs du bâtiment de
vailleurs du textile – que l’élément décisif ne réside pas dans Londres, de Paris et de Hambourg, comme suit : « Malgré de
la condition de « project workers », mais dans l’autonomie grandes similitudes au niveau de la structure de l’industrie et
que tous ces groupes professionnels avaient dans leur travail. des conditions de travail dans les pays étudiés, les ouvriers
Les ouvriers portuaires avaient besoin, eux aussi, d’une qualifiés du bâtiment, en particulier, ont adopté des concep-
certaine indépendance pour obtenir des commandes, en tions syndicales et des orientations politiques foncièrement
déterminer le prix et organiser le travail au mieux. Ils pou- différentes, voire tout à fait opposées. [102] » Ainsi, il sem-
vaient imposer plus facilement leur autonomie quand le ble que les facteurs liés au lieu de travail ne suffisent pas à
marché du travail leur était favorable. Kimeldorf a montré rendre compte d’une forme particulière de mouvement ou-
toute la faiblesse de la situation des dockers – ethniquement vrier. Cela ne veut évidemment pas dire qu’ils sont tout à fait
hétérogènes – de New York sur un marché du travail saturé négligeables : il est évident qu’il existe des groupes profes-
qui attisait d’autant plus la concurrence et la discorde entre sionnels que l’action directe collective n’attire pas du tout.
eux qu’il était organisé selon un système d’intermédiaires On peut tout au plus considérer l’autonomie de l’ouvrier
(padrone system). Ici, la position de départ des syndicats qualifié comme une condition nécessaire, mais non suffi-
était donc des plus mauvaise. A l’ouest des États-Unis, par sante, pour l’apparition du syndicalisme révolutionnaire.
contre, les travailleurs, plus homogènes sur le plan ethnique, Le troisième problème est d’une autre nature ; il est lié au
se retrouvaient sur un marché du travail non saturé. La diffé- fait que, en insistant sur les conditions de travail et la situa-
rence tenait en ceci que, dans les ports de la côte Ouest, il y tion dans l’entreprise, on est amené, presque automatique-
avait toujours du travail, ce qui n’était pas le cas à New York ment, à faire du syndicalisme révolutionnaire un mouvement
où les bateaux étaient, en général, affrétés à la demande d’hommes, sans pour autant en tenir compte sur le plan de la
(tramps) [99]. problématique. Si un premier pas a été fait dans l’analyse des
Tous ces travailleurs éprouvaient une certaine aversion organisations syndicalistes en tant que mouvements
pour les organisations où il fallait obéir. De plus, ils ne d’hommes [103], il y a toujours le risque que le mouvement
voyaient souvent dans le mouvement syndical qu’un moyen soit directement associé à l’antiféminisme et au culte de la
parmi d’autres pour défendre leurs intérêts. Cela explique, virilité [104]. C’est bien possible en ce qui concerne la CGT,
peut-être, le paradoxe suivant, à savoir que, en général, le qui était peut-être ici influencée par la pensée de Proud-
taux de syndicalisation était faible dans les branches où le hon [105]. La délégation française au congrès de
syndicalisme révolutionnaire comptait, de toute évidence, l’Internationale de 1866 déclarait déjà que : « Sans famille,
des partisans. Et c’est ainsi qu’on pourrait expliquer, plus la femme n’a sur la terre aucune raison d’être. » Et, bien que
généralement, la relative force de la CGT en France malgré des femmes aient défendu la Commune au péril de leur vie
un faible taux d’adhésion. Contrairement à Ridley qui expli- ou travaillé en usine et en atelier, ce n’est qu’en 1935 que la
que l’essor du syndicalisme révolutionnaire par la faiblesse CGT adoptera une position qui leur soit favorable [106]. On
du mouvement syndical [100], c’est plutôt dans la plus ou ne doit pas, cependant, généraliser les conclusions tirées du
moins grande autonomie des ouvriers dans leur travail qu’on cas français ou suédois à l’ensemble du mouvement syndica-
doit chercher la cause de ces deux phénomènes historiques. liste. Temma Kaplan insiste, par exemple, sur les
« neighbourhood women » (« femmes du voisinage ») quand
Ce type d’explications concernant l’essor du syndica- elle évoque les forces du syndicalisme révolutionnaire à
lisme révolutionnaire se heurte cependant à trois grands Barcelone. La pratique de la grève générale, qui y a eu lieu
problèmes. Le premier est lié au fait que le syndicalisme plusieurs fois, montre clairement la contribution que ces
ouvrier – à l’exception de l’Espagne et des pays d’Amérique femmes pouvaient apporter aux luttes sociales. Cela ne veut
latine – a toujours été un courant minoritaire dans le mouve- évidemment pas dire que la CNT et la FAI étaient des orga-
ment syndical, d’autant plus que le taux général nisations féministes ; mais, sur ce point, en tout cas, les
36

anarchistes espagnols faisaient preuve d’une plus grande la seule méthode qui soit à même, selon moi, de déterminer –
compréhension que leurs camarades de la CGT [107]. par exemple – pourquoi les travailleurs du textile du nord de
la France étaient d’orientation guesdiste et ceux de Saint-
Étienne d’ardents syndicalistes. Ou pourquoi, à Berlin, les
ouvriers du bâtiment étaient profondément localistes alors
que ceux de Hambourg l’étaient beaucoup moins. En outre,
ce parti pris pour l’histoire locale se justifie pleinement par
l’importance des communautés locales. À la fin du XIXe
III.– UN MODÈLE ALTERNATIF
siècle, les États européens étaient centralisés à des degrés
fort différents. De même, l’autonomie dont jouissaient en-
Tout cela conduit à adopter une autre stratégie de recher-
core les communes variait beaucoup selon les pays. Et c’est
che reposant sur l’idée que les mouvements ouvriers
peut-être ici, précisément, qu’on peut trouver des éléments
s’expliquent moins, en dernière analyse, par la situation dans
de réponse à la question de savoir pourquoi le syndicalisme a
l’entreprise que par des facteurs liés à la société dans laquelle
pu se manifester plus énergiquement dans tel pays plutôt que
ils évoluent. À ce propos, Eric Hobsbawm a écrit ce qui suit :
dans tel autre. Ce qui veut dire aussi que les « situations »
« Rien ne permet de dire que si on a une position sociale
dont parle E. Hobsbawm ont varié d’un lieu à l’autre aussi
particulière, Dieu ou le destin a décidé qu’on finirait dans les
longtemps que les communautés locales ont pu gérer plus ou
rangs de la gauche révolutionnaire ou de l’extrême droite.
moins elles-mêmes leurs affaires.
Cela dépend des situations, et cela dépend de ce qu’on fait
pour mobiliser les gens et les organiser. [108] » Pour tous Soit un exemple [109]. Flessingue et Middelbourg sont
ceux qui attachent de l’importance aux explications structu- deux villes à l’extrême sud-ouest des Pays-Bas. En 1899,
relles et à la précision théorique, cela semble sonner comme elles étaient, avec 20 000 habitants, de taille à peu près égale.
une condamnation sans appel. Flessingue est une ville portuaire tandis que, six kilomètres
plus loin, la ville de Middelbourg est un centre administratif
Et pourtant, cette citation ouvre la perspective de péné-
et commerçant au niveau régional. La vie économique de
trer plus avant dans les structures, précisément par l’analyse
Flessingue était dominée par une entreprise, le chantier naval
des « situations » et de « ce qu’on fait ». Les mouvements
« de Schelde ». Le port, les services de transport vers
syndicalistes qui, en général, étaient faibles sur le plan finan-
l’Angleterre et l’industrie du bâtiment fournissaient aussi des
cier et dont l’appareil était souvent réduit à sa plus simple
emplois. À Middelbourg, il y avait surtout des petits ateliers
expression, étaient moins en mesure, en effet, de mobiliser
artisanaux spécialisés dans le bâtiment et le travail du métal.
les travailleurs que les syndicats et les partis plus riches et
La structure sociale de Flessingue se caractérisait, du fait de
mieux organisés. Ainsi, ce qui explique – entre autres, la
l’économie de la ville, par la prédominance des travailleurs,
forte régression que le syndicalisme révolutionnaire a connue
la relative faiblesse des groupes intermédiaires (petits pa-
aux Pays-Bas, c’est que les syndicalistes n’ont plus été capa-
trons, enseignants, fonctionnaires) et de petites élites. Celle
bles, à partir d’un certain moment, de rivaliser avec les syn-
de Middelbourg était, par contre, plus équilibrée et mieux
dicats sociaux-démocrates et chrétiens en ce qui concerne les
dessinée. La ville avait un petit et moyen patronat et, en
fonds de soutien aux chômeurs. D’un autre côté, les
raison de la présence de services administratifs et
« situations » ne relevaient évidemment pas du pur arbitraire.
d’institutions scolaires, une puissante bourgeoisie de savoir.
Et on peut se demander quelles étaient les situations qui
À Middelbourg, on trouvait enfin des élites relativement
favorisaient le syndicalisme révolutionnaire et quelles étaient
importantes, composées de hauts fonctionnaires, de nobles et
celles qui tournaient à son détriment.
de quelques entrepreneurs.
On a souvent analysé le syndicalisme ouvrier en tant que
La base économique a eu un rôle plus déterminant que la
mouvement national. Il est vrai qu’on ne saurait nier que le
seule structure sociale des deux villes. Flessingue n’étant pas
mouvement syndicaliste dans un pays comme l’Allemagne
un centre commerçant régional, les classes moyennes labo-
était sensiblement plus faible qu’en France ou en Espagne.
rieuses y étaient faibles du point de vue financier parce
Aussi certaines spécificités nationales ont-elles dû jouer un
qu’elles en étaient réduites à dépendre de la population ou-
rôle. Dans le cas de l’Allemagne, ce furent sans doute
vrière. Le système scolaire a connu un développement lent
l’octroi précoce du droit de vote aux travailleurs, la forte
en raison de la forte proportion d’ouvriers parmi les habitants
présence de l’État dans les Länder allemands et l’ancienneté
de la ville. Les enfants des couches supérieures pouvaient
de l’État social. Un autre facteur réside dans l’autonomie des
d’ailleurs facilement aller au collège à Middelbourg. Les
communes par rapport à l’État, laquelle varie considérable-
élites de Flessingue étaient, on l’a dit, assez réduites. Elles
ment d’un pays à l’autre. Il s’agit essentiellement ici de
comprenaient un petit groupe de dirigeants de grandes entre-
savoir dans quelle mesure la politique sociale et les rapports
prises, un avocat, le notaire, quelques médecins de famille,
de travail étaient réglés au niveau local. Cependant, dans
un pasteur et le maire. Cette structure sociale est de grande
l’analyse des facteurs nationaux, on doit aussi tenir compte
importance pour deux raisons. Tout d’abord, la ville était
du fait que le syndicalisme révolutionnaire n’a jamais pu
trop pauvre pour venir en aide financièrement aux travail-
attirer dans ses rangs la majorité des travailleurs, ni même,
leurs tombés dans la misère, en cas de chômage par exemple.
en général, celle des « organisés ». J’ai d’ailleurs cité, plus
Les ouvriers ne pouvaient compter, en général, que sur eux-
haut, quelques chiffres à ce sujet. C’est pourquoi, à mon
mêmes. Ensuite, du fait de la faiblesse des groupes intermé-
sens, les facteurs nationaux ne sont pas d’un grand secours
diaires, ce n’était pas chose facile d’établir une relation entre
pour rendre compte du phénomène historique que constitue
les élites et les travailleurs. Le code de bonne conduite de la
le syndicalisme ouvrier. En fait, c’est un mouvement qu’on
société de caste interdisait aux membres de l’élite tout rap-
doit examiner, et expliquer, plutôt du point de vue de
port direct avec les travailleurs. Cela n’était possible que par
l’histoire locale. L’élément « localiste » dans le syndicalisme
le truchement des couches intermédiaires. Ainsi donc, à
révolutionnaire montre déjà clairement que la dimension
Flessingue, il était difficile de créer des organisations dépas-
locale, l’ancrage local revêtaient une grande importance pour
sant les frontières de caste.
les militants. La recherche en histoire locale est, par ailleurs,
37

Les choses en allaient autrement à Middelbourg. Les petites pour créer l’infrastructure nécessaire. Ainsi, la culture
classes moyennes laborieuses y étaient plus riches et plus ouvrière a pu se développer d’autant plus librement. Comme
diversifiées qu’à Flessingue, non seulement parce que la ville les travailleurs étaient finalement les seuls à Flessingue à
avait une bourgeoisie élargie et bien établie, mais aussi parce louer des salles, il n’était pas difficile pour eux de louer
qu’elle était le centre commerçant de la région. En général, la même le théâtre municipal pour y faire jouer leurs pièces. La
situation de ces classes moyennes dépendait de consomma- servilité et l’humilité ne sont pas précisément ce qui caracté-
teurs riches, et non pas des travailleurs. Étant donné qu’il y risait le mieux le travailleur de Flessingue !
avait à Middelbourg des tribunaux et des écoles supérieures La situation des travailleurs de Middelbourg était plus
et que la ville était le centre administratif de la région, il y difficile. Ils étaient conscients que leur place sur l’échelle
vivait une plus vaste intelligentsia. En période de crise, les sociale de la ville était tout en bas et qu’ils devaient le res-
élites et les classes moyennes étaient parfaitement en mesure pect aux couches supérieures. Le lundi, sur le chantier naval
de venir en aide aux travailleurs. De plus, il y a eu diverses « de Schelde », les travailleurs de Flessingue se moquaient
initiatives qui ont favorisé l’intégration des travailleurs dans de leurs collègues de Middelbourg : « Tu l’as vu, lui avec ses
la société bourgeoise. Ainsi, à partir de 1890, l’association manchettes ? » Ils voulaient dire par là que les travailleurs de
« Toynbee » [110] est intervenue, avec un grand succès, dans Middelbourg qui ne gagnaient pas plus d’argent que les
la vie de Middelbourg. C’est dans ce cadre que certains autres s’achetaient pourtant des manchettes qu’ils passaient
membres des élites, comme le marchand de bois et futur autour du bras le dimanche, pour que tout le monde puisse
social-démocrate F. M. Wibaut, sont entrés en relation avec voir, par la fenêtre, qu’ils étaient bien comme il faut. La
des travailleurs. Celui-ci est même parvenu, grâce à la mé- bourgeoisie de Middelbourg s’y entendait pour développer
diation de Christiaan Cornelissen, à établir des contacts avec une intense vie culturelle : des troupes de théâtre extérieures
des travailleurs socialistes. À Flessingue, il y a eu aussi des venaient faire des représentations, des musiciens profession-
tentatives pour fonder une association « Toynbee » mais nels donnaient des concerts, des lectures publiques avaient
elles ont toutes échoué lamentablement. La cause de ces lieu dans la ville. La culture ouvrière était bien inférieure à la
échecs résidait dans la fierté des travailleurs et dans culture bourgeoise. Il était presque impossible pour les ou-
l’absence de personnes à la hauteur de la tâche au sein des vriers de Middelbourg de louer l’une des grandes salles de la
élites et des classes moyennes. La structure sociale de Mid- ville, car les propriétaires ne voulaient pas « s’encanailler ».
delbourg était plus complexe que celle de Flessingue ; elle se Ce qui montre, par ailleurs, l’étroitesse de la vie culturelle
prêtait difficilement à ces conceptions spontanées d’une des socialistes de Middelbourg, c’est qu’ils étaient parfois
société centrée sur les travailleurs, et permettait aux élites et contraints d’inviter le groupe de théâtre syndicaliste de Fles-
aux groupes intermédiaires de se présenter sous leur meilleur singue à venir jouer chez eux.
jour. Ce n’était pas le cas à Flessingue. À Middelbourg, les
tentatives d’intégration sociale avaient, donc, plus de chan- Ce n’est pas seulement par sa structure sociale plus
ces de réussir qu’à Flessingue. On retrouve, d’ailleurs, les contrastée que Middelbourg entravait l’action des travail-
membres de l’association « Toynbee » de Middelbourg – leurs. Les rapports qu’avaient les ouvriers avec les profes-
pour autant qu’ils ne soient pas restés sociaux libéraux – sions libérales et la bourgeoisie de savoir y étaient aussi
dans l’organisation sociale-démocrate locale, fondée en différents. Ainsi, à Middelbourg, les petits patrons du bâti-
1895. Celle-ci était d’emblée de nature hétérogène, mais cela ment avaient une clientèle hétérogène de propriétaires lo-
a surtout été le cas après que Wibaut et sa femme y eurent caux. À Flessingue, les commandes venaient surtout
adhéré en 1897. À partir de cette date, la section locale repo- d’institutions, comme la direction du chantier naval ou les
sait principalement sur des enseignants, sur des patrons de services de transport maritime vers l’Angleterre. Là, on a dû
l’artisanat et sur un juriste. construire des logements ouvriers en grand nombre parce que
la ville s’est rapidement développée grâce au chantier naval.
À Flessingue, en revanche, les travailleurs disposaient de La ville de Middelbourg, en revanche, stagnait du point de
l’espace nécessaire pour créer leur « propre monde ». Il y eut vue économique, de sorte que les artisans du bâtiment dé-
dans la ville, très tôt, des théâtres ouvriers, des caisses ou- pendaient principalement de commandes privées. Cela pous-
vrières d’assurance maladie et des projets pour fonder une sait à prendre une attitude servile pour empêcher leurs clients
coopérative de consommation. Le socialisme y a été introduit d’aller voir la concurrence. Attitude que les patrons impo-
plus tôt qu’à Middelbourg, et par les travailleurs eux-mêmes saient, à leur tour, aux ouvriers, surtout à ceux qui devaient
(1879). Il a pris une orientation libertaire, de sorte qu’on peut travailler dans les maisons des particuliers. On voit, par
dire que, à Flessingue, le syndicalisme révolutionnaire a exemple, percer une pointe de servilité dans les vœux de fin
dominé pendant quarante ans. La social-démocratie a eu fort d’année et dans les avis qui annonçaient le rachat d’une
à faire dans cette ville ouvrière : la section locale n’a été entreprise de construction. L’ancien patron y remerciait ses
fondée qu’en 1906. Le mouvement syndicaliste a connu, lui clients de manière obséquieuse, et son successeur ne faisait
aussi, une vie culturelle très riche : un groupe de libres- pas moins preuve de servilité. De plus, autre différence, le
penseurs ayant sa propre bibliothèque, des chorales, des marché du travail féminin y était beaucoup plus grand. Le
associations d’éducation musicale et un groupe de théâtre travail des femmes était tout à fait normal à Middelbourg.
renommé qui n’avait pas peur de s’aventurer dans le grand
répertoire et qui jouait du Herman Heijermans et du Gerhart La situation était tout autre à Flessingue. Ici, les travail-
Hauptmann [111]. Ulrich Klan et Dieter Nelles ont souligné leurs du bâtiment avaient à faire avec de plus grosses entre-
que, pour les syndicalistes révolutionnaires, il était plus prises et de plus fortes commandes pour les constructions. Le
facile de faire prévaloir leurs principes dans des organisa- savoir-faire était nécessaire, mais pas l’esprit de soumission.
tions culturelles que dans les entreprises [112]. Cela montre Le marché du travail féminin était sensiblement plus petit. Si
toute l’importance de la vie culturelle des syndicalistes, dont le fait de nourrir sa famille avec son salaire était une des
l’essor rencontrait très peu d’obstacles à Flessingue. En effet, règles du code d’honneur du travailleur de Flessingue, les
dans cette ville, il n’y avait pas, à proprement parler, de chances, minimes, qu’avait sa femme d’accéder au marché
culture bourgeoise, même partiellement développée. Les du travail l’obligeaient à adopter une telle position. Para-
élites n’en avaient pas les capacités, et elles étaient trop doxalement, les femmes ont joué un rôle plus important dans
38

le mouvement syndicaliste de Flessingue que dans le mou- essentiel : est-ce que le travail présuppose un long apprentis-
vement ouvrier de Middelbourg. Les femmes pouvaient sage ? Est-ce que l’ouvrier exerce un certain contrôle sur son
s’imposer évidemment dans les organisations culturelles ; travail ? La structure du marché du travail a aussi une grande
mais on remarque aussi qu’elles étaient fortement représen- importance car elle détermine quels travailleurs peuvent faire
tées dans les réunions de certains syndicats. Cela était sans pression sur les patrons et de quelle manière ils le font [116].
doute lié à la manière dont les syndicats recouvraient les Le marché du produit, quant à lui, a des effets propres.
cotisations, à savoir quand ils envoyaient un coursier dans les L’exemple de l’ouvrier qualifié du bâtiment montre que le
maisons au lieu d’encaisser l’argent dans les tavernes. Ainsi, fait d’avoir un grand réservoir de clients privés peut égale-
ces cotisations venaient directement de la caisse familiale ment jouer un rôle. Kimeldorf souligne les effets du tram-
tandis que celles des autres syndicats étaient prélevées sur ping sur la conduite des employeurs du port de New York
l’argent de poche du travailleur. Au cours des grèves – qui étaient contraints, à cause des variations imprévisibles de
comme la grande grève au chantier naval « de Schelde » en l’offre d’emploi, d’entretenir une assez grande armée de
1928 [113] –, les femmes ont également occupé un rôle de réserve. Le nombre élevé de patrons renforçait la disposition
premier plan. de chacun d’eux à rester en relation avec les travailleurs. Sur
Flessingue et Middelbourg présentent certaines ressem- la côte Ouest où il était plus facile d’évaluer le nombre de
blances avec les villes allemandes de Hamborn et de Rems- bateaux, les employeurs pouvaient s’opposer plus radicale-
cheid dont Erhard Lucas a fait une étude très convain- ment aux travailleurs. Là où ils ne le faisaient pas, comme
cante [114]. Mais l’explication que Lucas donne de l’origine dans le port de Tacoma par exemple, les syndicats étaient
du syndicalisme révolutionnaire à Hamborn – le déracine- plus modérés et la paix régnait sur le front du travail [117].
ment des travailleurs en serait le facteur principal – ne va Ainsi, la situation sur le lieu de travail peut favoriser le syn-
pas pour Flessingue. En effet, cette thèse ne permet pas de dicalisme révolutionnaire, mais le développement d’un puis-
justifier la domination qu’a exercée à Flessingue, pendant sant mouvement syndicaliste dépend de facteurs qui se trou-
quarante ans, le mouvement syndicaliste qui s’appuyait vent en dehors de la sphère de la production. Là où les tra-
principalement sur les ouvriers autochtones. Ce qui me paraît vailleurs ont la possibilité de créer leur « propre monde », le
plus important, c’est qu’un certain état d’esprit issu du choix du syndicalisme révolutionnaire est une décision logi-
monde du travail a pu continuer à se développer dans la ville. que. De cette façon, on peut sans doute expliquer pourquoi il
La construction de navires et la construction de bâtiments ont y a souvent des mouvements syndicalistes dans les villes
ceci en commun que les producteurs ont un rapport particu- mono-industrielles (company towns), ce que Larry Peterson a
lier avec leur produit, lequel est d’ailleurs souvent une chose mis en évidence [118]. Le cas de Flessingue montre que le
unique. Tout le monde pouvait voir les bateaux dominer la syndicalisme révolutionnaire est aussi lié à une riche culture
ville pendant les neuf mois que durait leur construction. ouvrière. Et on peut dire avec certitude que ce phénomène ne
Chaque navire était unique, comme le sont d’ailleurs les se réduit pas au seul cas de Flessingue. Neville Kirk a montré
maisons et les complexes immobiliers. Et, en raison de que la « culture ouvrière traditionnelle a favorisé l’essor du
l’unicité de chaque produit, il fallait sans cesse fabriquer de mouvement ouvrier » [119]. Rolf Bigler ayant parlé de la
nouvelles pièces dans le travail, ce qui supposait, de la part richesse de la vie associative des ouvriers horlogers du Ju-
des travailleurs, non seulement de la créativité mais aussi un ra [120], et après ce qui a été dit de la situation à Flessingue,
grand savoir-faire technique. La construction de bateaux a l’intense vie associative des travailleurs de Hamborn n’est
aussi en commun un haut degré de « job control » avec la plus aussi étrange qu’elle paraissait aux yeux de Erhard
construction de maisons. La prise de conscience par les Lucas [121]. J’estime, pour ma part, que cette vie associative
travailleurs de leur propre valeur n’a rencontré ici aucun a une plus grande force explicative que la thèse du déracine-
obstacle. L’ouvrier de Flessingue n’avait pas besoin, comme ment à laquelle adhère Lucas. Là où se développe un puis-
celui de Middelbourg, de faire bonne figure vis-à-vis des sant mouvement syndicaliste, la probabilité est plus élevée
bourgeois, mais seulement vis-à-vis de ses collègues de de rencontrer de bons orateurs qui, à leur tour, renforcent le
travail. Il avait donc la possibilité de se créer une vie cultu- mouvement. « Ce qu’on fait » s’inscrit, alors, dans la
relle en prenant le meilleur de ce que la ville avait à offrir. « situation ».
En résumé, les travailleurs de Flessingue avaient l’habitude L’histoire locale permet, par conséquent, de se rappro-
de s’organiser eux-mêmes et de mener une vie riche et inté- cher d’une explication du syndicalisme ouvrier fondée sur le
ressante. Ce type de travailleurs n’adhère pas facilement aux concept de isolated mass – forgé par Clark Kerr et Abraham
organisations autoritaires et ne se laisse pas commander par Siegel [122] –, comprise non pas comme une masse de gens
des hommes issus d’une autre classe, quand bien même ils qui serait victime d’une ségrégation spatiale, mais comme un
seraient sociaux-démocrates – ou à plus forte raison quand ce groupe social qui ne serait pas assez intégré au reste de la
sont des sociaux-démocrates. Pour eux, en effet, les socia- société et qui, de ce fait, pourrait développer sa propre vie
listes issus de la bourgeoisie n’avaient rien à voir avec le culturelle. De ce point de vue, la social-démocratie, de même
mouvement ouvrier. que les mouvements ouvriers chrétiens apparaissent comme
Pour parvenir à expliquer l’origine du syndicalisme ou- des mécanismes d’intégration sociale. En effet, sur le plan
vrier, il faut commencer par déterminer, sur le plan local, si social, et quelles qu’aient pu être ses déclarations officielles,
les ouvriers d’une ville devaient compter sur eux-mêmes et la social-démocratie a amélioré les relations entre les tra-
s’ils étaient capables, ou même contraints, d’organiser leur vailleurs et les membres des autres couches en faisant en
vie eux-mêmes. Souvent, comme à Hamborn ou Saint- sorte que, dans ses organisations, certains membres de la
Étienne, la situation ressemble à celle de Flessingue, mais il bourgeoisie puissent rencontrer des ouvriers. Elle rattachait
arrive aussi que les travailleurs soient repliés sur eux-mêmes socialement et politiquement ses adhérents de condition
parce que les élites les tiennent à distance ou les oppriment ouvrière à la société dans laquelle ils vivaient.
même. Barcelone est un bon exemple de ce cas de fi- L’étude du syndicalisme révolutionnaire du point de vue
gure [115]. Le degré de liberté dont jouissent les travailleurs de l’histoire locale ne va pas produire des modèles faciles à
ne dépend pas seulement de « ce qu’on fait » mais aussi de la construire du type « telle situation sur le lieu de travail
« situation », dont le lieu de travail constitue un élément conduit à tel mouvement ouvrier ». Le nombre de facteurs
39

qui doivent être pris en compte pour ce genre d’études est moins qualifiés et les caisses moins remplies étaient encore
bien trop élevé. La comparabilité en pâtit, et cela rend la plus nettement désavantagés vis-à-vis des autres organisa-
construction de modèles encore plus difficile. L’approche tions syndicales. Les syndicalistes ont perdu, alors, du terrain
comparatiste du syndicalisme révolutionnaire devrait garder sur le « marché syndical », pourrait-on dire.
cependant son intérêt heuristique, car elle met en évidence L’extension continue de la politique sociale n’a pas seu-
des particularités et des directions de recherche. lement vidé de sa substance l’autonomie communale, elle a
eu aussi pour conséquence d’intéresser les travailleurs au
processus de décision politique. Dans certains pays, comme
en France ou aux Pays-Bas, cela a renforcé incontestable-
ment la force d’attraction de la social-démocratie, et certains
militants syndicalistes, à l’image de Léon Jouhaux, en sont
IV.– LE DÉCLIN DU SYNDICALISME RÉVOLUTIONNAIRE venus à reconsidérer leur position à l’égard de la politi-
que [124]. Ainsi, le syndicalisme ouvrier a dû céder du ter-
La plupart des analyses du syndicalisme ne considèrent rain devant les sociaux-démocrates partisans du parlementa-
pas que sa disparition soit un véritable problème, puisque ces risme. Il a dû aussi, et du même coup, se montrer plus mo-
auteurs estiment qu’il n’aurait simplement pas dû exister deste concernant la réalisation de ses objectifs, à savoir une
étant donné sa nature anormale. Il n’y a jusqu’à ce jour que société libre, anarchiste, autogérée. Par le biais de la politi-
Marcel van der Linden qui ait donné une explication structu- que sociale (les retraites, les allocations familiales, les bour-
relle du déclin du mouvement syndicaliste [123]. Il insiste ses scolaires, les aides au logement, de meilleures aides
sur le rôle de l’État, ce qui est assez surprenant dans la me- sociales, les allocations chômage), l’État intervenait dans la
sure où, dans sa théorie, l’État ne joue absolument aucun rôle vie de chaque citoyen. Dans les villes où auparavant les
dans la naissance du syndicalisme révolutionnaire. Van der travailleurs ne pouvaient compter que sur eux-mêmes, la
Linden se focalise sur la politique sociale de l’État, laquelle politique sociale leur offrait désormais un filet de sécurité.
aurait privé le syndicalisme d’action directe de son sol nour- Le développement du rôle social de l’État a été un moyen
ricier en assurant aux travailleurs une plus grande sécurité efficace pour intégrer dans la société bourgeoise les travail-
d’existence. Selon lui, dans sa confrontation avec l’État, le leurs qui sympathisaient avec le syndicalisme révolution-
mouvement syndicaliste n’aurait eu le choix qu’entre trois naire. Et il a fallu, alors, que les travailleurs fassent preuve
possibilités toutes aussi mortelles les unes que les autres : de plus en plus de créativité pour que le syndicalisme révo-
soit sacrifier ses principes, soit devenir marginal, soit se lutionnaire continue d’apparaître comme une alternative
dépasser lui-même. réaliste et réalisable. Cela n’est pas seulement lié au fait que
Il n’est pas évident que la plus grande sécurité l’idéal d’une société fondée avant tout sur des solidarités
d’existence soit le facteur d’explication décisif. Il ressort de locales devenait toujours plus utopique, mais aussi au fait
mon approche que la disparition progressive du syndicalisme que, dans le monde des travailleurs, de nombreuses structu-
ouvrier est due à des évolutions sociales de grande ampleur. res et instances qui n’en faisaient pas originellement partie
On entend par-là deux grands processus, à savoir : l’érosion ont fait leur apparition : organismes d’assistance, adminis-
de l’autonomie locale en raison de la centralisation croissante trations, etc. Le socialisme ouvrier parvenait de moins en
des États et l’effondrement du monde localement indépen- moins à gérer intellectuellement la nouvelle situation. On
dant des travailleurs. Ces deux processus sont liés à la mon- peut dire que le syndicalisme révolutionnaire a subi le sort
tée de l’intervention des États sur le plan politique et à qu’a subi le chartisme selon Gareth Stedman Jones : dans
l’extension de leurs compétences, le premier étant cependant une société en voie de transformation, les conceptions idéo-
lié à d’autres tendances centralisatrices, comme par exemple logiques perdent leur pouvoir d’interpréter le monde [125].
l’introduction de conventions collectives centralisées. La Le syndicalisme révolutionnaire ne pouvait s’adapter aux
conséquence en a été que le règlement local de certaines nouvelles conditions sans perdre son caractère propre et sa
questions a été de plus en plus concurrencé par des décisions dignité.
prises centralement : les communes ont dû ainsi se plier aux Dans le domaine culturel, les syndicalistes devaient faire
exigences de la politique sociale naissante ; les syndicats face à de nouveaux concurrents : le mouvement sportif,
locaux ont été, quant à eux, confrontés à des conventions qu’ils n’appréciaient pas beaucoup parce qu’il détournait de
collectives négociées au niveau national. Ainsi, d’un côté, la véritable lutte des travailleurs [126] ; les nouvelles formes
cette autonomie locale à laquelle se cramponnaient les syndi- « capitalistes » de divertissement comme le cinéma ou les
calistes révolutionnaires appartenait de plus en plus au pas- cafés dansants ; la radio, qui faisait apparaître la musique et
sé ; de l’autre, les organisations syndicalistes structurées le théâtre des syndicalistes d’autant plus misérables qu’elle
localement étaient de plus en plus désavantagées par rapport leur opposait la « vraie » culture. La culture syndicaliste était
aux syndicats organisés sur une base centralisée. Pour imprégnée d’une morale particulière ; elle pouvait être portée
conclure des conventions à l’échelle nationale, il fallait, c’est par des organisations ouvrières indépendantes vis-à-vis des
une évidence, que les organisations aient une structure natio- syndicalistes, mais elle restait tout de même liée au grand
nale et centralisée. Cela allait à l’encontre d’un principe idéal qui les inspirait. Les pièces de théâtre et les chansons
fondamental du syndicalisme révolutionnaire, et c’est ainsi n’intéressaient les militants syndicalistes que dans la mesure
que les organisations syndicalistes qui, en général, ne recon- où elles portaient un message.
naissaient pas les conventions collectives, ont fini par deve- On doit chercher la raison du déclin du syndicalisme ré-
nir des mouvements marginaux à l’esprit borné au point de volutionnaire plutôt dans ces évolutions structurelles que
vue des principes. Le développement de la politique sociale a dans les événements du début des années 1920, comme les
fait que, dans divers pays, les syndicats n’étaient plus seule- violents débats sur l’entrée dans l’Internationale syndicale
ment chargés d’améliorer les salaires et les horaires de tra- rouge. Le fait que cette question ait pu diviser – et finalement
vail, mais avaient désormais d’autres tâches – la gestion de briser le mouvement – montre que les idées syndicalistes
l’assurance chômage pouvait, par exemple, leur être confiée étaient déjà, à cette époque, en train de perdre leur force
–, de sorte que les syndicalistes dont les permanents étaient
40

d’attraction sur les travailleurs. Les syndicalistes ont fait, d’élaborer un modèle explicatif. Là encore, les syndicalistes
alors, la triste découverte qu’ils vivaient dans un monde qui apparaissent comme des anarchistes, lesquels, on le sait, ne
s’éloignait toujours davantage de leurs idéaux. Et, quand ils se prêtent que très difficilement aux grandes classifications
ne voulaient pas renier leurs principes – plus l’organisation des sciences sociales [128].
était importante, et plus la tentation était grande de s’y ré-
soudre –, ils devaient accepter d’être marginalisés. Mais les Bert Altena
mouvements marginaux ont aussi leur intérêt. [Traduit de l’allemand par Gaël Cheptou.]
Le syndicalisme révolutionnaire est un mouvement ou- À contretemps, n° 37, mai 2010
vrier qui a de profondes racines historiques et qui a connu ––––––––
son apogée au cours de la période marquée par le passage Notes
des formes préindustrielles de société aux formes industriel-
les. Les syndicalistes n’étaient pas poussés par la nostalgie [1] Pour une critique générale des théories de la modernisation, voir
d’un temps perdu, mais par les problèmes que soulevait cette Martin Henkel, Zunftmiβbräuche. « Arbeiterbewegung » im Merkanti-
lismus, Francfort/New York, 1989.
époque de transition, à savoir : l’organisation de la produc- [2] W. I. Lénine, « Anarchismus und Sozialismus », in : Werke, t. 5,
tion ; les relations entre les différents groupes profession- Berlin, 1976, pp. 334-337 [trad. fr. : Œuvres choisies, 1990, vol. I,
nels ; le rapport entre la politique et l’économie ; la place du pp. 461-462].
travailleur dans la société ; la place de la commune dans [3] E. J. Hobsbawm, « I enhver arbejder er der en syndikalist, der
l’État, celle de l’État dans la société, celle du travailleur dans forsøger at kæmpe sig ud », Årbog for arbejderbevægelsens historie,
Copenhague, 1979, pp. 207-215.
l’État. Leurs idées étaient tournées vers le futur et leur mou-
[4] F. F. Ridley, Revolutionary Syndicalism in France, Cambridge,
vement entendait préparer les travailleurs à devenir les fiers 1970, en particulier pp. 17-18.
porteurs de la future société idéale. Ils voulaient que les [5] Melvyn Dubofsky, We Shall Be All. A History of the Industrial
travailleurs soient capables, en se libérant eux-mêmes, de Workers of the World, Chicago, 1969 ; Erhard Lucas, Zwei Formen von
libérer leur classe de toute forme de servitude. Et c’est pour Radikalismus in der deutschen Arbeiterbewegung, Francfort/Main,
cette raison que le mouvement syndicaliste attachait de 1976.
[6] Toute une série d’auteurs ont repris cette interprétation – que
l’importance à la création d’une culture ouvrière autonome et Hubert Lagardelle avait donnée de la situation en France – comme, par
imprégnée d’un idéal de société future. Une culture qui, à exemple, Jean Maitron, Histoire du mouvement anarchiste en France
travers des manifestations culturelles, pouvait transmettre cet (1880-1914), Paris, 1951 ; pour le cas de l’Espagne, voir George Ri-
idéal aux membres et même à un public plus large. En tant chard Esenwein, Anarchist Ideology and the Working-Class Movement
que socialisme ouvrier, le syndicalisme révolutionnaire pré- in Spain (1868-1898), Berkeley/Los Angeles, 1989.
[7] Bob Holton, British Syndicalism (1900-1915), Londres, 1975 ;
sentait tout de même certaines limites conceptuelles : d’un Dirk H. Müller, Gewerkschaftliche Versammlungsdemokratie und
côté, parce qu’il ne prenait pas assez en compte la société, en Arbeiterdelegierte vor 1918. Ein Beitrag zur Geschichte des Lokalismus,
dehors du monde ouvrier ; de l’autre, parce que les travail- des Syndikalismus und der entstehenden Rätebewegung, Berlin, 1985.
leurs, à la différence des intellectuels socialistes, ne pou- [8] Marcel van der Linden et Wayne Thorpe (éd.), Revolutionary
vaient pas même s’accorder une journée pour développer, Syndicalism. An international Perspective, Aldershot, 1990
(l’introduction de ce volume a été publiée en français sous le titre
adapter et discuter des théories sociales complexes. Il leur
« Essor et déclin du syndicalisme révolutionnaire » dans la revue Le
manquait du temps et des connaissances. Mouvement Social, n°159, avril-juin 1992, pp. 3-36) ; M. van der Lin-
Il faut analyser le syndicalisme révolutionnaire d’abord den, « Vorläufiges zur vergleichenden Sozialgeschichte des Syndikalis-
du point de vue de l’histoire locale, même si sa disparition mus », in : Heribert Baumann et al. (éd.), Anarchismus in Kunst und
Politik. Zum 85. Geburtstag von Arthur Lehning, Oldenburg, 1985 ;
est due, on l’a dit, à des évolutions plus générales. D’autres M. van der Linden, « Second Thoughts on Revolutionary Syndicalism »,
études d’histoire locale pourraient mettre en évidence toute Labour History Review, n° 63 (1998), pp. 182-197.
la richesse du syndicalisme ouvrier et montrer à quel point il [9] M. van der Linden, « Second Thougts », op. cit., p. 182.
est réducteur d’y voir un mouvement syndical comme les [10] J. Maitron, Histoire du mouvement anarchiste, op. cit., pp. 300-
autres. Le syndicalisme révolutionnaire ne connaissait pas la 301.
[11] Congrès anarchiste tenu à Amsterdam. Août 1907. Compte
division des tâches entre organisation économique (syndicat) rendu analytique des séances et résumé des rapports sur l’état du mou-
et organisation politique (parti) telle que la connaissaient les vement dans le monde entier, Paris, 1908 [ci-après abrégé en : Congrès
sociaux-démocrates, et les syndicalistes n’auraient accepté Amsterdam], pp. 36-37.
sous aucun prétexte la domination du parti sur leur organisa- [12] Congrès Amsterdam, pp. 62 et 67-68.
tion. Il est tout à fait pertinent d’étudier le syndicalisme [13] Ibid, p. 77.
[14] Sur les conceptions de Cornelissen, voir C. Cornelissen, Op
ouvrier dans des perspectives autres que celle du lieu du
weg naar een nieuwe maatschappij. Beginselen en taktiek van de
travail, justement parce que c’était un mouvement syndical klassenstrijd, Amsterdam, 1902 ; Idem, Directe Actie ! Zelf doen !,
qui n’était pas uniquement orienté vers la lutte économique Amsterdam, 1904. En ce qui concerne l’évolution de son engagement
(malgré toute l’importance que celle-ci revêtait pour la stra- syndicaliste, voir le recueil de Bert Altena et Homme Wedman (éd.),
tégie syndicale). Pour les travailleurs, le syndicalisme révo- Tussen anarchisme en sociaal-democratie, « Het revolutionaire kommu-
lutionnaire donnait du sens à la société, ce qui veut dire que nisme » van Christiaan Cornelissen (1864-1943), Bergen (NL), 1985.
B. Altena et H. Wedman, « Sociaal-democratie, ouderwetse vakbonden
l’interprétation qu’il en donnait allait au-delà des murs de en nieuw anarchisme : de Internationale Brieven van Christiaan Corne-
l’usine et embrassait tous les domaines de la vie sociale. Il lissen », Kritiek, Jaarboek voor socialistische discussie en analyse 2010
serait assez étrange de croire, en effet, que les ouvriers ne (Amsterdam 2010). En français : H. Wedman, « Christian Cornelissen »,
faisaient que travailler et parler du travail après le tra- Les Temps maudits (revue de la CNT), n° 5, mai 1999, pp. 79-92 ;
vail [127]. Anthony Lorry, « Marxistes contre libertaires, une lettre inédite de
Fernand Pelloutier à propos du congrès de Londres (1896) », Ibid, n° 11,
L’histoire locale du syndicalisme révolutionnaire doit octobre 2001, pp. 81-97.
étudier la structure de la communauté locale pour déterminer [15] Congrès Amsterdam, pp. 80-85. Voir aussi ce que dit F. Do-
si les travailleurs avaient la possibilité d’y créer un espace mela Nieuwenhuis dans le Vrije Socialist du 3 juin 1911 : « Pour nous,
le socialisme est une vision de la vie et du monde qui doit imprégner
propre, ce qui dépend en fait de toute une série de facteurs. Il
toute la vie sociale – Kolthek [un militant syndicaliste, B. A.] serait
me paraît, donc, assez peu judicieux, du moins pour le mo- satisfait si la classe ouvrière, bien organisée, avait le pouvoir, à la place
ment, de chercher à définir des critères exacts dans le but de la classe capitaliste […]. Pour nous, la question ouvrière est une
41

partie de la grande question sociale ; celle-ci est beaucoup plus large, car lisme ouvrier] ne prétend pas absorber l’individu ; mais tout au contraire
elle implique le bouleversement total de la société, de la base au sommet l’exalter. »
[…]. Mais nous craignons tout autant la tyrannie de la classe ouvrière [28] B. Altena, « Kritik wegen der Praxis. F. Domela Nieuwenhuis
que celle de la classe capitaliste. » Il formulait les mêmes critiques à und der Marxismus », in : M. van der Linden (éd.), Die Rezeption der
l’égard du syndicalisme révolutionnaire dans sa correspondance avec Marxschen Theorie in den Niederlanden, Trêves, 1992, pp. 47-84,
Fritz Brupbacher (1907) : cf. Die Aktion, août 1928. surtout p. 67. Pour le cas de C. Cornelissen, voir B. Altena et H. Wed-
[16] J. Maitron, Histoire du mouvement anarchiste, op. cit., p. 305. man, Tussen anarchisme en sociaal-democratie, op. cit., p. 47.
[17] En ce qui concerne la législation sur les « retraites ouvrières » [29] Bernard Georges (et al.), Léon Jouhaux. Cinquante ans de syn-
en France et les résistances contre celle-ci, voir Irène Bourquin, « Vie dicalisme, Paris, 1962, p. 44.
ouvrière » und Sozialpolitik : Die Einführung der « Retraites ouvrières » [30] Friedhelm Boll, Arbeitskämpfe und Gewerkschaften in Deuts-
in Frankreich um 1910. Ein Beitrag zur Geschichte der Sozialversiche- chland, England und Frankreich. Ihre Entwicklung vom 19. zum 20.
rung, Berne, 1977 ; Karin Schniedewind, « Life-Long Work or Well- Jahrhundert, Bonn, 1992, p. 469.
Deserved Leisure in Old Age ? Conceptions of Old Age Within the [31] En 1909, Ferdinand Domela Nieuwenhuis pose la question sui-
French and German Labour Movements in the Late Ninteenth and Early vante à Pierre Kropotkine : « Que devons-nous faire, nous les anarchis-
Twentieth Centuries », International Review of Social History, n° 42 tes, quand l’ancien pouvoir aura disparu, comme lors de la Commune de
(1997), pp. 397-419 ; B. Altena, « The State – Revolutionary Syndica- Paris en 1871, et que le nouvel ordre ne sera pas encore établi ? » Kro-
lism – Mediators from Below », in : Nico Randeraad (éd), Mediators potkine répond que c’est une importante question qui n’a pas encore
Between State and Society, Hilversum, 1998, pp. 131-151. Dans cet reçu l’attention qu’elle méritait dans le mouvement anarchiste. Cf.
article, j’ai étudié l’évolution des conceptions quant au rôle du mouve- B. Altena, « Kritik wegen der Praxis », op. cit., p. 83.
ment syndicaliste en France et aux Pays-Bas. [32] Correspondentieblad NAS, 1er décembre 1904. La conception
[18] Wayne Westergard-Thorpe, « The Provisional Agenda of the que le NAS avait de la force numérique de l’organisation l’a même
International Syndicalist Congress, London 1913 », International Re- conduit à faire corriger certaines données exagérées concernant ses
view of Social History, n° 26 (1981), pp. 92-104. Voir également, du effectifs dans les statistiques officielles. La direction entendait lutter
même auteur : « Towards a Syndicalist International : the 1913 London avec des moyens honnêtes. Voir le procès-verbal de la séance de la
Congress », Ibid, n° 23 (1978), pp. 33-78 et « The Workers Themsel- direction du 2 juillet 1908 in : IISG (Amsterdam), archief-NAS 4.
ves ». Revolutionary Syndicalism and International Labour, 1913-1923, [33] Propos de Gerrit van Erkel (secrétaire du NAS) lors d’une ré-
Dordrecht, 1989, pp. 66-87. En français, on lira : W. Thorpe, « Une union des délégués du NAS, le 20 janvier 1901, in : IISG, archief-NAS
famille agitée. Le syndicalisme révolutionnaire en Europe de la charte 21.
d’Amiens à la Première Guerre mondiale », Mil neuf cent, n° 24 (2006), [34] Voir, par exemple, l’avis qu’exprime Christiaan Teders lors
pp. 123-152. Notons en passant que, dans ses œuvres postérieures, d’une séance de la direction du NAS, le 10 décembre 1908, in : IISG,
C. Cornelissen continue à écrire sur des thèmes comme la morale ou archief-NAS 4.
l’éthique, du point de vue du syndicalisme révolutionnaire : cf., par [35] NAS congresverslag 1903, p. 32. Quoique tout à fait différente
exemple, C. Cornelissen, Les générations nouvelles. Essai d’une éthique de celle du NAS, l’organisation interne de la CGT était fondée sur les
moderne (Paris 1935). mêmes principes. Dans les deux structures fédératives de la CGT – du
[19] Peter Schöttler, « Politique sociale ou lutte de classes : notes moins aussi longtemps que Victor Griffuelhes en fut le secrétaire général
sur le syndicalisme “apolitique” des Bourses du Travail », Le Mouve- (1902-1909) – dominaient et les individus et les petites organisations.
ment Social, n° 116 (1981), pp. 3-21, 16. Voir B. Georges, op. cit., p. 20 sq. et, plus récemment, J. Julliard, « La
[20] Gerald Friedman, « Strike Success and Union Ideology : the Charte d’Amiens, cent ans après. Texte, contexte et interprétations »,
United States and France, 1880-1914 », The Journal of Economic Histo- Mil neuf cent, n° 24 (2006), pp. 5-40, surtout p. 13.
ry, n° 48 (1988), pp. 1-26, 10. [36] J. Maitron, Histoire du mouvement anarchiste, op. cit., pp. 281-
[21] M. Van der Linden, « Second Thoughts », op. cit., p. 183 ; 282.
F. F. Ridley, op. cit., p. 18. [37] Peter Stearns, Revolutionary Syndicalism and French Labor : a
[22] Ibid., p. 16 : « La propriété, l’indépendance et le travail bien Cause Without Rebels, New Brunswick N. J., 1971.
fait (craftmanship) étaient leurs idéaux. Ils restaient profondément [38] Sur la question des différences entre socialisme ouvrier et so-
individualistes dans leurs perspectives et, en ce sens, petit-bourgeois. Ils cialisme bourgeois, voir B. Altena, « Bürger in der Sozialdemokratie.
ne s’occupaient pas seulement du problème de l’exploitation salariale, Ihre Bedeutung für die Entwicklung der Sozialdemokratischen Arbeiter-
comme le prolétariat industriel, mais aussi du problème de la liberté partei (SDAP) in den Niederlanden 1894-1914 », Geschichte und Ge-
économique et de l’égalité sociale. » sellschaft, n° 20 (1994), pp. 533-48. Robert Michels, qui fait aussi une
[23] Voir, à ce propos, le livre – hélas trop peu lu – de Richard distinction entre le socialisme des « ex-bourgeois » et celui des
Evans (éd.), Kneipengespräche im Kaiserreich. Stimmungsberichte der « prolétaires », porte un regard plus psychologique sur cette question.
Hamburger Politischen Polizei (1892-1914), Hambourg, 1989. Selon lui, le socialisme des bourgeois est l’expression d’un idéalisme
[24] Cf. Histoire méconnue et oubliée du syndicalisme havrais, passionné ; les prolétaires, par contre, seraient plus pragmatiques. La
1907-1939, Le Libertaire numéro hors série (automne 1996), p. 13. On psychologie du bourgeois au sein du mouvement socialiste est, certes,
retrouve des discussions semblables au sein de la Freie Arbeiter-Union des plus intéressante (Michels en est, d’ailleurs, un très bon exemple),
Deutschlands (FAUD) allemande : Dieter Nelles, Zur Soziologie und mais je pense que la différence réside moins dans le degré d’idéalisme
Geschichte des Anarcho-Syndikalismus im rheinisch-bergischen Raum que dans le système de références de ces deux socialismes. R. Michels,
unter besonderer Berücksichtigung des Wuppertals von 1918-1945, Political Parties. A Sociological Study of the Oligarchical Tendencies of
Wuppertal, 1989, pp. 124-134. Modern Democracy, New York/Londres, 1962, pp. 238-239 (trad. fr. :
[25] Max Nettlau, « Fernand Pelloutier Platz in der Entwicklung des R. Michels, Les Partis politiques. Essai sur les tendances oligarchiques
Syndikalismus », Die Internationale. Zeitschrift für die revolutionäre des démocrates, Paris, Flammarion, 1971, pp. 179-180).
Arbeiterbewegung, Gesellschaftskritik und sozialistische Neuaufbau 1 [39] Pour le syndicalisme révolutionnaire allemand, voir D. Nelles,
(1927), 5 livraisons, n° 5, p. 21. op. cit., p. 243.
[26] « C’est que le syndicalisme révolutionnaire n’est pas, pour les [40] C’est en tout cas la position de Paul Avrich, qui relève que les
militants qu’il rassemble, une doctrine étrangère que l’on adopte ou que syndicalistes révolutionnaires russes faisaient souvent preuve d’anti-
l’on rejette. Il émane d’eux-mêmes. Ils l’ont créé par leur action quoti- intellectualisme. P. Avrich, The Russian Anarchists, Princeton, 1967,
dienne. » Maitron, Histoire du mouvement anarchiste, op. cit., p. 298. Et p. 91 sq. (ce qui s’explique aussi, sans doute, par l’influence des idées de
si Maitron poursuit en disant que le syndicalisme révolutionnaire était Jan W. Makhaïski sur le mouvement social-révolutionnaire russe : Le
davantage une pratique qu’une théorie, ceci est loin de vouloir dire que Socialisme des intellectuels, choix de textes traduits, annotés et présen-
la théorie n’avait aucune importance. Voir aussi Wilfried Röhrich, tés par Alexandre Skirda, Paris, 1979). Pour un avis similaire : John M.
Revolutionärer Syndikalismus. Ein Beitrag zur Sozialgeschichte der Hart, Anarchism and the Mexican Working Class, 1860-1931, Austin,
Arbeiterbewegung, Darmstadt, 1977, p. 3 : « Dans sa tentative de déve- 1978, pp. 9-10.
lopper une conscience prolétarienne “authentique”, essentiellement par [41] J. Maitron, « La personnalité du militant ouvrier français dans
l’action économique, le syndicalisme révolutionnaire cherchait à asso- la seconde moitié du XIXe siècle », Le Mouvement Social, n° 33-34
cier les besoins concrets des ouvriers à des perspectives concernant la (1960-61), pp. 67-87, ici p. 84.
société tout entière. » [42] Selon une déclaration de Gerrit van Erkel lors d’une réunion
[27] Jacques Julliard, Fernand Pelloutier et les origines du syndica- des délégués du NAS, le 21 octobre 1900, in : IISG, archief-NAS 21.
lisme d’action directe, Paris, 1985 (2e éd.), p. 13 ; voir aussi, dans le [43] Correspondentieblad NAS, 1er septembre 1903.
même sens, Maxime Leroy, La Coutume ouvrière, Paris, 1913 [réédité [44] B. Georges, op. cit., pp. 14-16. On trouve déjà chez Proudhon
par les Éditions CNT-RP, Paris, 2007], tome 1, p. 198 : « Il [le syndica- cette méfiance à l’égard des femmes.
42

[45] Ibid., p. 35, note 1. [71] Peter DeShazo, Urban Workers and Labor Unions in Chile
[46] Ibid. 1902-1927, Madison, 1983, p. 90.
[47] Congresverslag-NAS 1903, p. 51 sq. [72] Peter Blanchard, The Origins of the Peruvian Labor Movement
[48] Voir R. Michels, « Eine syndikalistisch gerichtete Unterströ- 1883-1919, Pittsburgh, 1982, pp. 47 et 54.
mung im deutschen Sozialismus (1903-1907) », in : Festschrift für Carl [73] Dans son ouvrage The Workers Themselves, W. Thorpe a étu-
Grünberg zum 70. Geburtstag, Leipzig, 1932, pp. 343-365. dié la laborieuse fondation de l’Internationale syndicaliste entre 1913 et
[49] Cf. G. Esenwein, op. cit., p. 205 ; Temma Kaplan, Red City, 1923.
Blue Period. Social Movements in Picasso’s Barcelona, Berkeley, 1992, [74] Il nous manque une étude sur l’évolution des anarchistes et des
p. 167. révolutionnaires dans la Deuxième Internationale et autour de celle-ci.
[50] J. Julliard, Autonomie ouvrière. Études sur le syndicalisme On trouvera des éléments dans les ouvrages suivants : B. Altena et H.
d’action directe, Paris, 1988, p. 208. Wedman, Tussen anarchisme en sociaal-democratie, op. cit. ; Markus
[51] Les données sur la population active sont ici tirées de : B. R. Bürgi, Die Anfänge der zweiten Internationale. Positionen und Ausei-
Mitchell, International Historical Statistics. Europe 1750-1988, New nandersetzungen 1889-1893, Francfort/Main, 1996, pp. 547-602.
York, 1993, p. 153. [75] Hanneke Willemse a brillamment montré que le syndicalisme
[52] D. Nelles, op. cit., p. 5. Les effectifs de la FAUD ont, par la révolutionnaire était en parfaite harmonie avec la vie et les idées des
suite, fortement diminué pour atteindre 7 000 membres en 1932. Voir travailleurs de gauche du village espagnol d’Albalate de Cinca. Voir
aussi Ulrich Klan et Dieter Nelles, « Es lebt noch eine Flamme ». Rhei- H. Willemse, Gedeeld verleden. Herinneringen van anarcho-
nische Anarcho-Syndikalisten/-innen in der Weimarer Republik und im syndicalisten aan Albalate de Cinca, 1928-1938, Amsterdam, 1996.
Faschismus, Grafenau-Döffingen, 1986, p. 46. [76] Geoff Eley, « Reviewing the Socialist Tradition », in : Chris-
[53] M. Dubofsky, « The Rise and Fall of Revolutionary Syndica- tiane Lemke et Gary Marks (éd), The Crisis of Socialism in Europe,
lism in the United States », in : M. Van der Linden et W. Thorpe (éd.), Durham/Londres, 1992, pp. 21-61, ici pp. 43-45.
Revolutionary Syndicalism, op. cit., pp. 203-221, ici p. 215. [77] D. Müller, Versammlungsdemokratie, op. cit., p. 331 ; Idem,
[54] J.M. Peet c.s. (éd.), Honderd jaar sociaal. 1891-1991. Teksten « Syndikalismus », op. cit., pp. 58-59, 63 ; D. Nelles, op. cit., p. 57. Voir
uit honderd jaar sociale beweging en sociaal denken in Nederland, La aussi : Marina Cattaruzza, « Gewerkschaftliche Organisationsprozesse
Haye, 1998, pp. 784-785. En 1920, le taux d’organisation de l’ensemble der Werftarbeiter im Kaiserreich : eine komparative Skizze », in : Ger-
du mouvement syndical néerlandais était de seulement 25% ! hard A. Ritter et Elisabeth Müller-Luckner (éd.), Der Aufstieg der
[55] Voir, par exemple, M. van der Linden et W. Thorpe, Revolu- deutschen Arbeiterbewegung. Sozialdemokratie und Freie Gewerk-
tionary Syndicalism, op. cit. schaften im Parteiensystem und Sozialmilieu des Kaiserreichs, Munich,
[56] C. Cornelissen, « Internationale brief », Het Volksdagblad, 16 1990, pp. 415-438, ici pp. 421-422.
juin 1907. L’expression ne s’est imposée aux Pays-Bas qu’à partir des [78] R. Boch, op. cit., pp. 289-292.
années 1909-1912. [79] Barbara Mitchell, The Practical Revolutionaries. A New Inter-
[57] Käthe Leichter, « Vom revolutionären Syndikalismus zur pretation of the French Anarchosyndicalists, New York, 1987, p. 12 ;
Verstaatlichung der Gewerkschaften », in : Festschrift für Carl Grün- Idem, « French Syndicalism : an Experiment in Practical Anarchism »,
berg zum 70. Geburtstag, Leipzig, 1932, pp. 243-282, ici p. 243. in : M. Van der Linden et W. Thorpe, Revolutionary Syndicalism, op.
[58] P. Avrich, op. cit., pp. 76-78. cit., pp. 25-45, ici p. 26.
[59] M. Dubofsky, We shall Be All, op. cit., pp. 76-84, 170. [80] Rudolf Dekker, « Labour Conflicts and Working-Class Culture
[60] Ibid., p. 82. in Early Modern Holland », International Review of Social History,
[61] Nunzio Pernicone, Italian Anarchism, 1864-1892, Princeton, n° 35 (1990), pp. 377-420. L’auteur montre comment la pratique médié-
1993, pp. 48-49, 53, 57-81 ; G. Esenwein, op. cit., pp. 208-209 ; Temma vale du « uutgang », suivant laquelle les artisans quittaient la ville, a
Kaplan, Anarchists of Andalusia, 1868-1903, Princeton, 1977, p. 207. disparu et a été remplacée plus tard par le « uutscheyding », c’est-à-dire
[62] Rolf Bigler, Der libertäre Sozialismus in der Westschweiz. Ein la grève. Le fait que, dans la seconde moitié du XIXe siècle, les travail-
Beitrag zur Entwicklungsgeschichte und Deutung des Anarchismus, leurs berlinois du bâtiment quittaient eux aussi la ville (D. Müller,
Cologne, 1963. « Syndikalismus », op. cit., p. 63) peut être rapproché de vieilles prati-
[63] B. Altena, « Zu den Wirkungsbedingungen des niederländis- ques corporatives ; mais il est tout autant possible qu’il se soit agi ici,
chen Sozialismus », in : Horst Lademacher und Walter Mühlhausen tout simplement, d’une méthode de lutte rationnelle et efficace. Dans les
(éd.), Freiheitsstreben – Demokratie – Emancipation. Aufsätze zur années 1920, les travailleurs néerlandais du bâtiment ont développé leur
politischen Kultur in Deutschland und den Niederlanden, Münster, propre variante : en cas de grève, ils créaient leurs propres coopératives
1993, pp. 245-283, ici pp. 268-271 ; Idem, « Kritik wegen der Praxis », de production. Voir Frans Becker et Johan Frieswijk, Bedrijven in eigen
op. cit., p. 67. beheer. Kolonies en produktieve associaties n Nederland tussen 1901 en
[64] B. Altena et H. Wedman, Tussen anarchisme en sociaal- 1958, Nimègue, 1976, pp. 195-212 ; B. Altena, « Een broeinest der
democratie, op. cit., pp. 13-20. anarchie ». Arbeiders, arbeidersbeweging en maatschappelijke ontwik-
[65] Dirk H. Müller, Versammlungsdemokratie, op. cit. ; Idem, keling. Vlissingen 1875-1929 (1940), Amsterdam, 1989, pp. 430-435.
« Der Syndikalismus in der deutschen Gewerkschaftsbewegung vor [81] B. Altena, « Continuïteit of een nieuw begin ? Gilden en vak-
1914 », in : Erich Matthias et Klaus Schonhöven (éd.), Solidarität und beweging in Dordrecht, 1798-1872 », in : M. Bruggeman et al. (éd.),
Menschenwürde, Etappen der deutschen Gewerkschaftsgeschichte von Mensen van de nieuwe tijd. Een liber amicorum voor A. Th. van Deur-
den Anfängen bis zur Gegenwart, Bonn, 1984, pp. 57-69 ; voir égale- sen, Amsterdam, 1996, pp. 462-483. Jan Lucassen a défendu, quant à
ment Rudolf Boch, Handwerker-Sozialisten gegen Fabrikgesellschaft. lui, la thèse de la continuité entre les corporations et les syndicats aux
Lokale Fachvereine, Massengewerkschaft und industrielle Rationalisie- Pays-Bas : Jan Lucassen, Jan Salie en diens kinderen. Vergelijkend
rung in Solingen 1870-1914, Göttingen, 1985. onderzoek naar continuïteit en discontinuïteit in de ontwikkeling van
[66] J. Maitron, Histoire du mouvement anarchiste, op. cit., pp. 264- arbeidsverhoudingen, Amsterdam, 1991.
269. [82] R. Bigler, op. cit., pp. 255-256.
[67] B. Holton, op. cit., pp. 30-31, 50 ; E. J. Hobsbawm, « The [83] Theo van Tijn, « Geschiedenis van de Amsterdamse diaman-
“New Unionism” in Perspective », in : Idem, Worker : Worlds of Labor, thandel en nijverheid, 1845-1897 (II) », Tijdschrift voor Geschiedenis,
New York, 1984, pp. 152-175, ici p. 154 (voir aussi, en français : n° 87 (1974), pp. 160-202.
« Considérations sur le “nouveau syndicalisme” », Le Mouvement [84] Sources : Kathryn E. Amdur, Syndicalist Legacy : Trade
Social, n° 65, octobre-décembre 1968, pp. 71-80). Unions and Politics in Two French Cities in the Era of World War I,
[68] Václav Tomek, « Tschechischer Anarchismus um die Jahrhun- Urbana, 1986 ; P. Avrich, Russian Anarchists, op. cit. ; Samuel L. Baily,
dertwende », Archiv für die Geschichte des Widerstandes und der Ar- Labor, Nationalism and Politics in Argentina, New Brunswick, 1967,
beit, n° 12 (1992), pp. 97-131, ici p. 112. pp. 31-32 ; R. Bigler, Sozialismus, op. cit. ; Walter Bittner, Gewerk-
[69] Jan Moulaert, Rood en Zwart. De anarchistische beweging in schaften in Argentinien. Vom Anarchismus zum Peronismus, Berlin,
België, 1880-1914, Louvain, 1994, p. 210, pp. 301-340. Liège semble 1982 ; P. Blanchard, Peru, op. cit. ; Edvard Bull, « Die Entwicklung der
avoir été une exception juste après la Première Guerre mondiale : Pieter Arbeiterbewegung in den drei skandinavischen Ländern, 1914-1920 »,
Ballon, « Le mouvement syndical révolutionnaire à Liège pendant Archiv für die Geschichte des Socialismus und der Arbeiterbewegung,
l’entre-deux-guerres », Belgisch Tijdschrift voor Nieuwste Geschiede- n° 10 (1922), pp. 329-361 ; Volkert Bultsma et Evert van der Tuin, Het
nis/Revue belge d’histoire contemporaine, n° 28 (1998), pp. 339-362. Nederlandsch Syndicalistisch Vakverbond, 1923-1940, Amsterdam,
[70] Salvatore Salerno, Red November, Black November : Culture 1980 ; Willy Buschak, « Schwalben der Arbeit – ein Beitrag zur Ges-
and Community in the Industrial Workers of the World, Albany, 1989, chichte der Bäckereiarbeiter und des Anarchismus in Argentinien »,
p. 51. Archiv für die Geschichte des Widerstandes und der Arbeit, n° 10
(1989), pp. 83-109 ; P. DeShazo, Urban Workers, op. cit. ; M. Dubofs-
43

ky, We Shall Be All, op. cit. ; J. M. Hart, Mexican Anarchism, op. cit. ; and the French Labour Movement : the Problem of Proudhon’s Promi-
B. Holton, British Syndicalism, op. cit. ; T. Kaplan, Barcelona, op. cit. ; nence », European History Quarterly, n° 15 (1985), pp. 407-430.
Idem, Andalusia, op. cit. ; J. Maitron, Histoire du mouvement anar- [106] J. Maitron, « La personnalité du militant ouvrier », op. cit.,
chiste, op. cit. ; V. Tomek, « Tschechischer Anarchismus um die Jahr- p. 84. Voir aussi : Jean-Louis Robert, « La CGT et la famille ouvrière,
hundertwende », op. cit. ; Idem, « Anarchismus als eigenständige poli- 1914-1918. Première approche », Le Mouvement Social, n° 116 (1981),
tische Partei oder als breite Gefühls- und Ideenströmung ? Dokumente pp. 46-66. Robert rapporte ces propos que tient, en 1916, Péricat au
zu einer Diskussion über die Zukunft des tschechischen Anarchismus im congrès du Syndicat des terrassiers : « Les femmes, mises au monde
Jahre 1914 », Archiv für die Geschichte des Widerstandes und der pour procréer, sont obligées pour gagner leur vie de tourner des obus
Arbeit, n° 13 (1994), pp. 63-91 ; M. Van der Linden/W. Thorpe, Revo- pour tuer des hommes. Si l’élément féminin n’était pas si égoïste, il y a
lutionary Syndicalism, op. cit. longtemps que la guerre serait terminée, mais les femmes ne pensent
[85] W. Buschak, op. cit. qu’à gagner de l’argent pour se payer des bijoux et des toilettes. »
[86] J. Maitron, Histoire du mouvement anarchiste, op. cit., pp. 118, [107] T. Kaplan, Barcelona, op. cit., pp. 24, 61 ; H. Willemse, op.
446. Voir en particulier E. J. Hobsbawm et Joan W. Scott, « Political cit., pp. 206-217.
Shoemakers », in : E. J. Hobsbawm, Workers, op. cit., pp. 103-131 (trad. [108] E. J. Hobsbawm in : Socialist Review, n° 66 (1982), p. 123.
fr. quasi intégrale : « Des cordonniers très politiques », Revue d’histoire [109] Pour ce qui suit, voir B. Altena, « Een broeinest der anar-
moderne et contemporaine, n° 53, 2006, pp. 29-50). chie. » Arbeiders, arbeidersbeweging en maatschappelijke ontwikkeling.
[87] R. Bigler, op. cit., p. 236 sq. Vlissingen 1875-1929 (1940), op. cit.
[88] D. Müller, Gewerkschaftliche Versammlungsdemokratie, op. [110] Œuvre caritative, Toynbee Hall fut fondée, en 1884, par le
cit., pp. 34, 101 ; Th. Van Tijn, « Verkenningen inzake ideologie in de clergyman Samuel Barnett qui, soucieux du sort des classes pauvres,
arbeidersbeweging », in : C.A. Admiraal et al., Historicus in het span- ouvrit un « centre social » à Whitechapel (Londres).– [N.d.É.]
ningsveld van theorie en praktijk. Opstellen aangeboden aan dr H. [111] Herman Heijermans (1864-1924), auteur dramatique néerlan-
Klompmaker, Leiderdorp, 1985, pp. 5-21. dais, fonda un théâtre engagé dirigé contre les esthètes et les formalistes.
[89] M. van der Linden, « Second Thoughts », op. cit., p. 184. Gerhart Hauptmann (1862-1946), écrivain allemand, puisa l’essentiel de
[90] Howard Kimeldorf, Reds or Rackets? The Making of Radical son inspiration dans les problèmes sociaux et dans la critique des bour-
and Conservative Unions on the Waterfront, Berkeley, 1988, pp. 40-41. geois de province. – [N.d.É.]
Je remercie Dieter Nelles d’avoir attiré mon attention sur ce livre. [112] U. Klan et D. Nelles, op. cit., p. 44. En ce qui concerne la
[91] Ibid, pp. 21-23, 43 sq. culture syndicaliste, voir Alan B. Spitzer, « Anarchy and Culture :
[92] Ils comparent la situation du « taureau des bois », c’est-à-dire Fernand Pelloutier and the Dilemma of Revolutionary Syndicalism »,
du bûcheron, à celle du « petit employé de banque » et estiment qu’un International Review of Social History, n° 8 (1963), pp. 379-389.
travail physique pénible, ou un travail désagréable qui demande peu de [113] Om niet te vergeten. De staking bij De Schelde in 1928
qualifications, produit des « esprits indépendants », des travailleurs qui [1982].
entrent facilement en grève : Clark Kerr et Abraham Siegel, « The [114] E. Lucas, op. cit.
Interindustry Propensity to Strike – an International Comparison », in : [115] Voir les ouvrages de T. Kaplan et de G. R. Esenwein.
Arthur Kornhauser et al. (éd.), Industrial Conflict, New York, 1954, [116] Ad Knotter a montré que, dans les années 1880, sur le marché
pp. 189-212, ici p. 195 sq. du travail d’Amsterdam, les travailleurs immigrés étaient favorables aux
[93] M. van der Linden, « Second Thoughts », op. cit., p. 187. associations professionnelles de tendance socialiste révolutionnaire,
[94] Max Nettlau, Geschichte der Anarchie. V. Anarchisten und tandis que les ouvriers autochtones se retrouvaient dans les syndicats
Syndikalisten. Teil I. Der Französische Syndikalismus bis 1909 – Der plus conservateurs. Ad Knotter, « Van “defensieve standsreflex” tot
Anarchismus in Deutschland und Russland bis 1914 – Die kleineren “verkoopkartel van arbeidskracht”. Twee fasen in de ontwikkeling van
Bewegungen in Europa und Asien, Vaduz, 1984, p. 85. de Amsterdamse arbeidersvakbeweging (ca. 1870-ca. 1895) », in :
[95] E. J. Hobsbawm, Primitive Rebels. Studies in Archaic Forms of Tijdschrift voor Sociale Geschiedenis, n° 19 (1993), pp. 68-94.
Social Movement in the 19th and 20th Centuries, Manchester, 1978, [117] Howard Kimeldorf, Reds or Rackets, op. cit., pp. 75-77.
p. 5. [118] Larry Peterson, « The One Big Union in International Pers-
[96] Voir B. Altena, « Een broeinest der anarchie », op. cit., pective : Revolutionary Industrial Unionism, 1900-1925 », in : James E.
pp. 469-497. Cronin and Carmen Sirianni (éd.), Work, Community and Power: the
[97] K. E. Amdur, op. cit., pp. 15-32. Experience of Labor in Europe and America, 1900-1925, Philadelphie,
[98] D. Nelles, Wuppertal, op. cit., p. 245. 1983, pp. 49-87.
[99] H. Kimeldorf, Reds or Rackets, op. cit., pp. 40-42. [119] Neville Kirk, « “Traditional” Working-Class Culture and “the
[100] F. F. Ridley, op. cit., p. 17. Rise of Labour” : Some Preliminary Questions and Observations »,
[101] V. Bultsma et E. van der Tuin, op. cit., p. 53 sq. En outre, le Social History, n° 16 (1991), pp. 203-217.
laisser-aller dont faisaient preuve les syndicalistes à l’égard des organi- [120] R. Bigler, op. cit.
sations complique le travail de l’historien. Souvent, les organes diri- [121] E. Lucas, op. cit., pp. 94-98.
geants du mouvement ignoraient l’importance exacte de la base. Les [122] Voir C. Kerr et A. Siegel, « The Inter-Industry Propensity to
trésoriers et les secrétaires locaux ne faisaient pas toujours leur travail Strike », op. cit.
administratif avec sérieux. La taille réelle des organisations locales était [123] M. Van der Linden, « Vorläufiges », op. cit., pp. 58-60.
rarement communiquée aux instances centrales ; et celles-ci, à leur tour, [124] B. Altena, « The state – revolutionary syndicalism – media-
ne donnaient pas toujours les bons chiffres aux bureaux officiels de tors from below », op. cit.
statistique. L’anarchisme des militants syndicalistes les conduisait à se [125] Gareth Stedman Jones, « Rethinking Chartism », in : Idem,
méfier de l’État. D’un autre côté, ils ne se sentaient pas obligés de Languages of Class. Studies in English Working Class History, 1832-
corriger les chiffres officiels qui rendaient leur mouvement plus puissant 1982, Cambridge, 1983, pp. 90-179 (trad. fr. : « Repenser le chartisme »,
que ce qu’il était en réalité. C’est un véritable problème quand on veut Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2007/1, Vol. 54, pp. 7-68).
faire des études quantitatives. [126] U. Klan et D. Nelles, op. cit., p. 46.
[102] F. Boll, op. cit., p. 495. [127] Ce genre de travailleurs apparaît dans l’article – au demeurant
[103] Francis Shor, « Masculine Power and Virile Syndicalism : a très fouillé – de Klaus Weinhauer, « Labour Market, Work Mentality
Gendered Analysis of the IWW in Australia », Labour History, n° 63 and Syndicalism : Dock Labour in the United States and Hamburg,
(1992), pp. 83-99 ; Idem, « “Virile” Syndicalism in Comparative Pers- 1900-1950’s », International Review of Social History, n° 42 (1997),
pective : a Gender Analysis of the IWW in the United States and Aus- pp. 219-253.
tralia », International Labor and Working-Class History, n° 56 (1999), [128] J. Maitron, Histoire du mouvement anarchiste, op. cit., p. 111:
pp. 65-77. « Qu’est-ce donc qu’un groupe anarchiste ? C’est un organisme très
[104] Voir par exemple M. van der Linden, « Second Thoughts », particulier et qui ne ressemble en rien aux sections ou groupes des autres
op. cit., p. 187. partis. Il n’y a ni bureau ni cotisation fixe et aucun compagnon n’est
[105] Maria Fitzpatrick manifeste des doutes quant à l’importance obligé d’annoncer d’où il vient, ce qu’il fait et où il va. La salle du
de Proudhon dans le mouvement ouvrier français : Idem, « Proudhon groupe est un lieu de passage où chacun discourt à sa guise, lieu
d’éducation et non d’action ».

You might also like