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La topographie archéologique d’Osor

de l’Antiquité au haut Moyen Âge


(Histria Antiqua, 16, Pula, 2008, p. 253-270.)

Morana Čaušević-Bully et Jasminka Ćus-Rukonić1

Introduction

Cet article présente les résultats préliminaires d’une étude de longue haleine qui, à
terme, ambitionne de collationner toutes les découvertes archéologiques depuis le XIXe s.
dans l’emprise de la cité antique d’Apsorus. L’objectif est d’en dresser une cartographie
historique afin de mieux saisir les modifications de l’urbanisme de cette cité, de ses origines
protohistoriques jusqu’à la fin du Moyen Âge. Le projet en lui-même est ambitieux et l’on ne
prétendra pas finaliser la recherche sur le sujet avec cet article, mais donner un aperçu de sa
complexité et présenter le potentiel des sites archéologiques. Nous avons choisi de présenter
les sites en fonction de critères chronologiques – dans la mesure du possible – et
topographiques. Nous avons également privilégié les sites bien documentés par rapport aux
sites connus uniquement par des brèves notices.

Rappel historique

La cité d’Apsorus, située sur l’île de Cres dans l’archipel du Kvarner2 (fig. 1), est une de
ces cités protohistoriques qui, grâce à leurs positions géographiques favorables, ont prospéré
durant toute l’Antiquité et le Moyen Âge. La cité occupe une petite péninsule en replat de
forme presque circulaire, à la jonction des îles de Cres et de Lošinj (fig. 2). Au niveau d’Osor,
l’île de Cres était reliée à celle de Lošinj par un isthme étroit, percé par un chenal dès
l’époque protohistorique3. Cela a permis un lien plus direct et sécurisé pour les bateaux
naviguant entre l’Istrie et la Dalmatie, et plus globalement entre l’Italie et l’Orient, entraînant
par conséquent un développement précoce de la cité. Le mobilier archéologique découvert
dans l’emprise de l’actuel village d’Osor atteste d’échanges soutenus dès l’époque
protohistorique. Les sources antiques, grecques et latines mentionnent à plusieurs reprises la
cité d’Apsorus et l’île de Cres. Les îles « Apsyrtides » figurent dans les sources écrites pour la
première fois chez Théopompe de Chios au IVe s. av. J.-C., cité par le Pseudo-Scymnos à la
fin du IIe s. av. J.-C., et dans le texte du Pseudo-Scylax datant également du IVe siècle avant
J.-C. Pline l’Ancien rappelle les noms grecs des îles : « près du territoire des Histriens, Cissa
Pullaria et les Apsyrtides, que les Grecs ont appelé ainsi du nom du frère de Médée qui y fut
tué. »4. On trouve chez ce même auteur la mention d’Absortium, identifié comme un oppidum
liburne.
Dès le début de la domination romaine sur l’Adriatique orientale, l’île de Cres appartient
assurément au conventus de Scardona (Skradin)5, lui-même partie intégrante de la province de
Dalmatie. Cette circonscription juridique a été créée vers 9 ap. J.-C., à l’issue de
l’organisation définitive de la province dalmate 6. Son centre est resté à Scardona jusqu’au
début du IIIe siècle avant d’être « transféré » à la colonie de Iader (Zadar)7. Pline l’Ancien
désigne les communautés Liburnes et Iapodes comme ressortissants de ce conventus8. On note
de manière générale que de nombreuses cités, sur l’ensemble de la Liburnia, région
correspondant à la susdite circonscription, ont obtenu précocement le statut de municipia
civium romanorum9. Ainsi, Apsorus a obtenu le statut de municipium de plein droit civil sous
le règne de Tibère, ou peut-être même sous Auguste10. On ne possède pas d’autres sources
écrites sur l’île de Cres pour la période correspondant aux prémices de l’Antiquité tardive
(seconde moitié du IIIe siècle). Cependant, à la lecture des itinéraires, et notamment de
l’itinéraire d’Antonin11, il apparaît que la cité d’Apsorus, en raison de sa position privilégiée
sur la route maritime, semble bénéficier pleinement d’un riche échange entre le Nord de
l’Italie et les cités de Iader et de Salona.
D’après les sources traitant des réorganisations successives de l’Empire entre Dioclétien
et Théodose – comme la liste de Vérone datée de 312-313 et la Notitia dignitatum de 428-
43012 –, la Dalmatie, et par conséquent la Liburnie et la cité d’Apsorus, appartint tout d’abord
au diocèse de Pannonie (Lat. veronensis, VI, 4). Après la réorganisation finale de Théodose,
la Dalmatie, dépourvue de son extrémité méridionale, fut incorporée au diocèse d’Illyricum,
et placée sous l’autorité du préfet de prétoire d’Italie (Notitia, Oc. II, 5-7 et 28-34).
L’indigence des sources intéressant la région du Kvarner ne nous permet pas d’apprécier
les conséquences des grands événements du Ve siècle sur la cité d’Apsorus. On peut présumer,
d’après l’activité édilitaire perceptible à travers les différentes fouilles archéologiques, que la
vie « antique » se poursuit sans changements majeurs. En revanche, on sait qu’à l’arrivée des
Ostrogoths au pouvoir, les îles de Cres et de Krk ont été gouvernées par un comes. Ce dernier
a exercé un pouvoir purement civil, et notamment judiciaire, probablement sur le peuple
ostrogothique habitant les îles13. Durant les guerres gothiques, la Liburnia (avec les îles de
Kvarner comprises) apparaît dans les sources comme une région à part14. Selon Procope, elle
est conquise par Byzance au même moment que la Dalmatie en 538 (B. G. I, 7, 30-37). On
peut supposer cependant que le pouvoir du proconsul dépendant des offices palatins ne fut pas
vraiment concret dans un premier temps pour toute une partie de la région. Ainsi, les îles du
nord ont pu rester sous le contrôle réel des Ostrogoths, peut-être même jusqu’à la reconquête
finale de l’Italie. La mention de la Liburnia Tarsaticensis chez l’Anonyme de Ravenne15
permet de suggérer que durant une très brève période, la cité de Tarsatica (Rijeka) succède à
Iader au rang de capitale du territoire restreint de la Liburnie16.
Les questions concernant le développement du christianisme sur l’île de Cres restent
ouvertes. Un évêque est assurément présent à Apsorus en 579 lorsque l’évêché est refondé,
simultanément à celui de Curicum (« … constituit et de novo erexit... »)17. Ce texte du concile
de Grado induit donc que l’évêché était plus ancien, mais on ignore toujours sa date de
création18. À partir du XIe s., et durant tout le Moyen Âge, l’abbé du monastère Saint-Pierre et
l’évêque – souvent la même personne – sont les représentants du pouvoir comme l’atteste une
activité édilitaire perceptible essentiellement à travers les fragments sculptés de mobilier
liturgique. L'évêché est resté à Osor jusqu'à XIXe siècle avant son transfert à Krk.
Les premiers croates arrivent sur la côte au cours du VIIe s. par le truchement des
anciennes communications antiques – aboutissant à Tarsatica et Senia notamment. Les îles de
Kvarner furent peuplées petit à petit en occupant d’abord le pagus, puis les cités. Ainsi, la cité
d’Apsorus resta « latine » pendant plusieurs siècles, avant que la culture et la langue croate ne
prévalent. Durant les premiers siècles du Moyen Âge, Osor a changé de maître plusieurs fois,
tout en restant cependant byzantine la plupart du temps. Au début du IX e s., elle se trouva
même brièvement sous le pouvoir des Francs (de 806 au 812). L’empereur byzantin, Basile
Ier, accorda le droit de prélever des taxes sur l’ensemble des cités Dalmates – Osor incluse –
aux ducs croates. Durant cette même période, la cité a été incendiée par les Sarrasins en 841.
Une redevance au duc croate est versée de manière constante à partir de 882, même si Osor
reste nominalement sous le pouvoir byzantin19. C’est au XIe siècle, sous le règne du roi Petar
Krešimir IV (1058-1074), après une brève domination vénitienne (1000-1024), que l’île de
Cres, avec le reste de la côte orientale, revient au royaume Croate : les laudes de
l’évangéliaire d’Osor en l’honneur du roi Petar Krešimir IV en témoignent.
C’est donc au XIe siècle que la cité d’Osor connue le sommet de son essor « médiéval ».
Elle se présente toujours comme une importante cité portuaire organisée autour de quatre
pôles de pouvoir : le premier relève de l’évêque occupant toujours le groupe épiscopal
paléochrétien à l’emplacement de Sainte-Marie du cimetière ; le deuxième est représenté par
le monastère Saint-Pierre ; le troisième pôle du pouvoir est laïc, autour de l’emplacement de
l’ancien forum ; le quatrième – le Castel de Kavuada - est militaire et contrôlait le chenal.
L’abbaye de Saint-Pierre d’Osor, qui a rayonné par son activité sur toute la côte Adriatique
orientale, aurait été fondée autour de 1018 par saint Gaudentius (†1044), évêque d’Osor et
disciple de Romuald, d’après la tradition rapportée par les Annales camaldules du XVIIIe
siècle 20. En raison de cette filiation, l’établissement placé sous la règle de saint Benoît
accueille précocement les réformes initiées par Romuald. Il s’agirait d’une fondation urbaine
si l’on en croit le témoignage de Constantin Porphyrogénète selon lequel l’antique cité d’Osor
conservait encore au Xe siècle ses structures municipales21. Le monastère est à son apogée aux
XIe et XIIe siècle, période durant laquelle il figure comme le véritable centre de la réforme
ecclésiastique grégorienne sur la côte Adriatique orientale22. C’est notamment un bénédictin
du monastère Saint-Pierre et évêque d’Osor du nom de Lovro qui deviendra archevêque de
Split à la fin du XIe siècle. Un autre monastère, Saint-Nicolas, situé sur le mont d’Osoršćica à
l’ouest de la cité, dépendait de l’abbaye Saint-Pierre.
Après la disparition du royaume croate indépendant, à la fin du XIe siècle, Osor relève
de l’autorité du roi croato-hongrois qui accorde cependant une certaine indépendance à la cité.
L’organisation du pouvoir resta inchangée jusqu’à la première grande expansion vénitienne
sur les îles de l’Adriatique orientale entre les années 1145 et 1358. Osor y perdit sa relative
indépendance et fut gouverné par les familles vénitiennes jusqu’en 1409, date à laquelle la
cité repassa sous l’autorité du roi croato-hongrois avant de revenir sous la domination
vénitienne jusqu’en 179723.

Historique des recherches archéologiques

L’un des pionniers de la « recherche d’antiquités » sur le village actuel d’Osor était
l’archiprêtre Ivan Kvirin Bolmarčić (1836-1918). Durant sa prêtrise, il a fouillé une partie de
la nécropole à incinération liburno-romaine située à Kavuada, du côté de Lošinj. Il a
également travaillé sur la muraille antique et l’étendue de la cité à cette époque. Dans le
même temps, la publication de ses travaux a attiré l’attention de plusieurs chercheurs comme
R. F. Burton, O. Benndorf et A. Klodić, qui ont relayé plus largement ses découvertes24. La
collection d’I. K. Bolmarčić est à l’origine d’un petit musée appelé « Collection
archéologique d’Osor (AZO – Arheološka zbirka Osor), fondé en 1889 dans l’ancienne
maison communale. Le XIXe siècle est encore marqué par l’importante activité de Stefano
Petris et surtout de l’architecte anglais Thomas Graham Jackson. Ce dernier était
particulièrement intéressé par le groupe paléochrétien de Sainte-Marie du cimetière, dont il en
a dessiné le plan25. On lui doit encore un croquis de la cité en 1884, avant que la route
moderne ne soit construite. Osor et ses environs ont fait également l’objet de l’attention de
Carlo Marchesetti, essentiellement à travers la question des oppida protohistoriques des îles
de Cres et de Lošinj26. Francesco Salata, originaire d’Osor, a quant à lui publié la découverte
fortuite de dénaires romains en argent de l’époque de la République 27, malheureusement non
localisée. Il fallut attendre 1910 pour que débutent des fouilles sur la place principale actuelle,
menées par Pietro Sticotti. Les recherches permirent la découverte d’une partie du pavement
du forum de la ville antique ainsi que des marches qui menaient à un temple présumé 28. En
1941, Mario Botter, conservateur des monuments historiques affecté à Osor pour son service
militaire, fut rapidement attiré par les vestiges de Sainte-Marie du cimetière. Il y effectua des
fouilles révélant l’absidiole sud du complexe ; les résultats furent publiés après la guerre29.
Pour la période postérieure à la deuxième guerre mondiale, l’un des acteurs les plus
importants de la recherche sur Osor est sans doute l’académicien Andrija Mohorovičić. Il a
effectué de nombreuses fouilles, notamment sur les sites de Sainte-Catherine, de Saint-Pierre
et de Sainte-Marie du cimetière. Ses découvertes ont permis de proposer une première
synthèse sur l’urbanisme de l’antique Apsorus30. Durant ces mêmes années, le directeur du
Musée archéologique de Pula, Boris Baćić, a également travaillé sur Cres et notamment sur le
développement de la collection AZO, qui a été, grâce à lui, de nouveau ouverte au public en
1953. Dans le cadre des recherches archéologiques menées à Osor par le musée de Pula,
Branko Marušić a découvert des tombes de l’Antiquité tardive dans une des ruelles près de la
place principale, et Josip Mladin a fouillé un tumulus protohistorique sous le cimetière de
Sainte-Marie31.
Il fallut attendre ensuite les travaux d’Aleksandra Faber, architecte de l’Institut
d’archéologie, entre 1970 et 1973, pour reprendre les études sur l’urbanisme et la topographie
d’Apsorus. Elle a principalement déterminé l’emplacement et le mode de construction de
certaines portions de la muraille protohistorique et antique. Elle a découvert également le
cloaca maxima qui débouchait sur Kavuada (le chenal), les portes de la cité et le port antique
dans la baie de Bijar32. Entre les années 1976 et 1980, c’est à nouveau le groupe épiscopal de
Sainte-Marie du cimetière qui est fouillé par Andrija Mohorovičić, Ana Deanović, Mladen
Filjak et Branko Fučić. Les travaux ont porté essentiellement sur l’intérieur de l’église
actuelle, sur la memoria et sur le baptistère33.
Les riches recherches des années 1970 ont finalement abouti à une rencontre
scientifique en 1979 qui permit de présenter et de publier l’ensemble des résultats tout en
exposant les interrogations suscitées par ces résultats34. Depuis 1978, Jasminka Ćus Rukonić,
directrice de la collection archéologique AZO, a effectué de nombreux sondages dans le
périmètre de la cité antique et son attention s’est portée sur toutes les périodes. Ses travaux les
plus importantes ont porté sur un bâtiment de l’Antiquité tardive situé à proximité du site de
Saint-Pierre et sur le forum antique. Elle fut à l’origine, dans les années 1980, de la
rénovation de l’ancienne maison communale qui accueille toujours la collection AZO. Bien
que moins nombreuses, on notera toutefois parmi les recherches « hors les murs » la fouille de
Sainte-Marie de Bijar au début des années 1990 à laquelle Jasminka Ćus Rukonić participa
également, sous la direction de Maja Šmalcelj.
Ces dernières années, plusieurs archéologues ont travaillé à Osor, majoritairement dans
le cadre de l’archéologie préventive ; il s’agit essentiellement de Ranko Starac et de Nino
Novak, archéologue au centre de préservation des monuments historiques de Rijeka. Ce
dernier a travaillé sur Kavuada et a réalisé des diagnostics archéologiques dans le périmètre
de la cité antique. Il est également à l’origine des plus récents travaux de conservation sur le
site de Sainte-Marie du cimetière et, dans une moindre mesure, de Saint-Pierre. Ces travaux
n’ont pas été publiés et leurs résultats sont accessibles uniquement à travers les rapports
conservés à la bibliothèque de l’AZO. Morana Čaušević-Bully a travaillé depuis 2001 sur
plusieurs sites d’Osor, notamment sur Sainte-Marie de cimetière et sur des entrepôts antiques
dans la partie occidentale de la cité. Elle co-dirige avec Miljenko Jurković, Sébastien Bully et
Iva Marić, des recherches pluriannuelles débutées en 2006 sur le site monastique de Saint-
Pierre dans le cadre d’une collaboration établie entre le centre de recherches IRCLAMA de
l’université de Zagreb et l’UMR ARTeHIS 5594 du CNRS35.

La topographie archéologique de la cité d’Apsorus (Osor)

Comme nous l’avons déjà souligné, la présentation des sites archéologiques d’Osor suit
une logique purement topographique et approximativement chronologique. Un autre critère de
choix dans l’ordre et surtout dans le développement de la présentation des sites est lié à
l’accessibilité et à l’abondance de la documentation.
On présentera tout d’abord l’étendue de la cité à son apogée, circonscrite par sa
muraille, avec les sites extra muros. Dans un second temps, nous aborderons les sites intra
muros depuis le secteur de la place principale, siège de l’ancien forum, afin d’essayer de
définir la trame urbaine antique. On passera ensuite à la présentation d’un site d’entrepôt de la
fin de l’époque protohistorique, puis de sites majeurs comme ceux de Sainte-Marie de Bijar,
Sainte-Marie du cimetière et Saint-Pierre, ainsi que d’autres, de moindre importance.

Extra muros
L’enceinte de l’époque protohistorique, reprise dans sa totalité durant l’Antiquité et le
Moyen Âge, est aujourd’hui seulement en partie préservée36. À l’origine, elle renfermait toute
la péninsule circulaire d’Osor (fig. 2 et 3). Du côté occidental, la muraille se redressait au
bord du chenal artificiel, et vers l’est, elle était construite à la limite d’une importante
dépression. Celle-ci pourrait être également artificielle et relierait alors les deux ports de la
cité : “Bijar” au nord et “Jaz” au sud. Aujourd’hui, des portions antiques sont encore
conservées en élévation du côté du port de Bijar, au chevet de l’église de Sainte-Marie du
cimetière et surtout dans la moitié occidentale de la ville, intégrée dans une nouvelle muraille
de l’époque vénitienne. Hormis donc dans la moitié ouest, le mur d’enceinte du XVe siècle a
coupé la péninsule en deux, excluant ainsi toute la partie nord-est de la cité et l’ancien groupe
épiscopal paléochrétien, vraisemblablement abandonné à cette époque (cf. carte
topographique – fig. 3). Les portes principales de la ville, que l’on évoquera plus loin, sont
attestées au sud-est, à l’est, et pour l’une vers le monastère de Sainte-Marie de Bijar. Une tour
carrée, accueillant peut-être une citerne, a été identifiée à l’angle sud-est de la muraille. Les
chercheurs ont proposé que ce dispositif soit lié à l’adduction d’eau d’un complexe thermal
présumé. On suggérera également que la tour identifiée par Aleksandra Faber était identique
et contemporaine des tours du début de l’Antiquité tardive de Krk-Curicum37. Cette tour,
aujourd’hui disparue, avait été réutilisée par la muraille vénitienne (cf. fig. 3).
Comme nous venons de l’évoquer, deux ports ont été aménagés de part et d’autre du
chenal38, au nord et au sud de la cité. Des sondages archéologiques réalisés en 197639
montrent que le chenal était assurément en fonction dès le début de notre ère ; il en était
vraisemblablement de même pour les deux ports. Le port nord (dans la baie de Bijar) aurait
été le port principal tandis que le port sud (aujourd’hui dans la partie marécageuse appelée
« Jaz »40) aurait assuré une fonction auxiliaire. Toutefois, l’utilisation de l’un ou de l’autre en
fonction du temps et des saisons, ou de spécificités propres à chacun, nous échappe. Dans le
port de Bijar, on peut encore aujourd’hui reconnaître des bittes d’amarrage taillées dans le
rocher et datant de l’Antiquité d’après Aleksandra Faber (fig. 5).
Deux nécropoles antiques à incinération sont attestées aux alentours de l’antique
Apsorus. L’une d’elles se situe au nord-est, à proximité du site de Sainte-Marie du cimetière,
autour d’un tumulus protohistorique, alors que l’autre est attestée sur la rive de l’île voisine de
Lošinj41, au nord de l'axe présumé du decumanus.

Intra muros
Plusieurs fouilles préventives à Osor démontrent que l’habitat actuel suit encore la trame
urbaine de la ville antique dans ses grandes lignes, même si les axes modernes varient par
rapport au tracé orthonormé des principales rues antiques. L’axe présumé du decumanus
maximus est peut-être le mieux préservé. La route qui menait à Apsorus depuis le village
actuel de Nerezine est reconnue sur plusieurs mètres sur la rive de l’île de Lošinj et aboutissait
directement à la porte occidentale de la cité. Le cloaca maxima suit l’axe du decumanus et sa
sortie a été découverte à proximité de la porte ouest42. La route principale qui menait vers
l’ouest traversait la nécropole de l’Antiquité classique. Parallèlement à la route est attestée la
présence d’un aqueduc souterrain datant du début du Bas-Empire43. Le decumanus mènerait
jusqu’à la limite sud du forum que l’on situe généralement sous la place principale du village
actuel. D’ici, on peut encore suivre aujourd’hui, selon un axe grosso modo rectiligne, la voie
se dirigeant en direction du complexe épiscopal de Sainte-Marie du cimetière, puis d’une
hypothétique porte. Le cardo principal, aujourd’hui perdu sous les ruelles du village, débutait
par la porte attestée au Sud (cf. fig. 3). Cette porte fut murée durant l’Antiquité tardive pour
des raisons qui nous échappent. Si on traçait depuis la porte une ligne imaginaire
perpendiculaire au decumanus, on rejoindrait alors l’église monastique Saint-Pierre. Cette
situation tend à démontrer que le cardo aurait été encore bien perceptible au moment de la
construction de l’église, que l’on date désormais dans une large fourchette chronologique
comprise entre la période paléochrétienne et le XIe siècle44.
D’une manière générale, on remarque un rehaussement du niveau de circulation dans la
cité dès la fin de l’Antiquité tardive, due probablement au rehaussement du niveau marin.

À ce jour, on connaît encore peu de chose sur l’emplacement des espaces et des édifices
publics antiques, des thermes et éventuellement du théâtre, où encore sur l’organisation du
forum45. À l’instar de certaines villes côtières classiques46, le forum d’Osor se situait à
proximité de la mer, donc du passage maritime et de l’une des principales portes de la ville
avec celle du port de Bijar. Les fouilles effectuées par P. Sticotti sur la place principale
actuelle avaient bien révélé des vestiges du forum à cet emplacement47. Il s’agissait
notamment des vestiges d’un pavement et de quelques marches dont on a supposé qu’elles
menaient à un temple. Ce dispositif se trouverait, d’après les maigres informations publiées,
sous le plateau surélevé de la place, dans sa partie nord-ouest.
Les fouilles suivantes, menées par Jasminka Ćus-Rukonić, ont été réalisées lors des
travaux de restauration de la loggia où est présentée la collection archéologique d’Osor
(AZO). Ici, dans les multiples phases de construction – dont la plupart des fonctions ont
échappé à l’auteur des fouilles –, on a pu identifier cependant une partie d’une curia ou d’une
basilique urbaine du IIe siècle après J.-C., flanquée d’un portique et dotée d’un accès au forum
par quelques marches en pierres48. On peut apprécier sur le relevé axonométrique (fig. 6) les
différentes phases de construction allant de l’époque hellénistique – protohistorique pour la
cité d’Osor – pour la plus ancienne (en rouge) au Moyen Âge pour la plus récente (en orange,
et bleu pour la construction de la loggia au XVIe siècle). La multiplicité des phases témoigne
d’une continuité d’aménagements urbains à Osor, ainsi que de la volonté de préserver une
place principale sur le forum, les nouvelles constructions, toujours denses, se concentrant sur
ses marges.
Un site, fouillé dans un premier temps par Jasminka Ćus-Rukonić en 1992 – à
l’emplacement de la maison Oštarić, secteur 1 –, et dans un second temps par M. Čaušević-
Bully en 2007 (parcelle cadastrale 34/1, secteur 2) – diffère des autres sites intra muros. Il
s’agit d’un secteur de la ville qui fut peu loti à toutes les périodes. Cependant, on a pu
reconnaître des entrepôts datant probablement de la fin du premier siècle avant J.-C. et
identifié grâce à un grand nombre de fosses circulaires destinées à accueillir des dolia (ou des
pythoi) (fig. 7). Plusieurs dolia, de différents types, ont été trouvés en place. La fondation du
mur dans le deuxième secteur de fouilles, construit en pierre et en mortier de chaux,
supportait une élévation en clayonnage. Une autre construction de ce type a été trouvée dans
le premier secteur. Il reste à déterminer si ces deux murs pouvaient appartenir à un seul grand
bâtiment de stockage ou à deux structures distinctes mais contemporaines. Outre ce grand site
de stockage dans le secteur fouillé en 1992, on a également détecté une construction de plan
carrée, probablement adossée à l’enceinte, avec des murs d’une épaisseur d’environ un mètre.
Ce bâtiment pourrait être lié à la surveillance du passage dans le chenal, et par conséquent lié
à la fonction de la muraille. Le secteur occidental de la cité n’avait donc vraisemblablement
pas une fonction résidentielle et l’espace au contact de la muraille à peu accueillit de
constructions.
« Pjaceta Gotovac » est une autre zone fouillée par Jasminka Ćus-Rukonić, à proximité
du chenal Kavuada, dans la partie orientale de la cité. Ici, un tout autre type de vestiges a été
détecté : il s’agit d’une portion de mur incurvé, orné de lésènes sur le parement extérieur
(fig. 8). D’après l’auteur des fouilles, on serait en présence d’un segment d’une grande abside
d’église paléochrétienne, interprétée comme étant l’église Saint-Nicolas, qui aurait encore
existé au XVIe siècle49. Il faut tout de même souligner que la dimension de l’abside, si c’en est
une, est très importante, ce qui signifierait que l’église à laquelle elle appartient le serait
également. Par conséquent, l’édifice s’étendrait loin vers la mer – la nef se trouvant hors les
murs et le chevet à l’intérieur – ce qui est difficile à imaginer pour l’Antiquité tardive et
encore moins pour le XVIe siècle, période à laquelle la grande cathédrale fut érigée au
« chevet » de l’église. Aussi, en l’absence d’une réelle documentation archéologique –
comme des relevés stratigraphiques ou encore un plan des vestiges –, on ne peut déterminer
avec assurance le type et la datation de la construction.

Sainte-Marie de Bijar
Les vestiges de l’église Sainte-Marie et d’un monastère franciscain fondé dans la
deuxième moitié du XVe siècle sont encore bien conservés dans la baie de Bijar (Vijer) (fig.
4). Le complexe monastique s’est développé jusqu’au XVIIIe siècle, après quoi il tomba
progressivement en ruine. Des fouilles archéologiques d’une certaine envergure y ont été
menées au début des années 1990 par Marija Šmalcelj, professeur à la Faculté des Lettres de
l’Université de Zagreb50. Il en a résulté que le monastère et l’église réutilisaient en partie les
ruines d’une villa suburbana des IIe-IIIe siècles. Celle-ci se trouvait entre la cité et le port.
D’après le mobilier archéologique découvert lors la fouille, sa première fonction était d’ordre
économique avec la production de teinture – on a trouvé un grand nombre de coquillages
murex et un pressoir pour les écraser. D’après les chercheurs, on commença à inhumer dans
cette villa à partir du IVe siècle (fig. 9 et 10). Plusieurs tombes de différents types ont été
identifiées, notamment des inhumations en amphores. On peut supposer que la villa s’est
transformée selon un schéma classique durant l’Antiquité tardive en complexe privé, avec un
cimetière familial, peut-être organisé autour d’un petit oratoire paléochrétien51. Cela nous
conduit à nous interroger sur l’emplacement de l’église funéraire de la cité tardo-antique, pour
laquelle jusqu’à présent aucune trace n’a été reconnue. Un travail de prospection
archéologique méthodique le long des anciennes voies reste à faire.

Sainte-Marie du cimetière (fig. 11 et 12)


Le groupe épiscopal était excentré par rapport au centre administratif municipal, tout en
fixant un nouveau pôle de pouvoir dans la partie orientale de la cité. Situé près de l’une des
portes principales d’Apsorus, au bord du decumanus majeur (?) et excentré par rapport au
forum, il n’occupait cependant pas une position marginale. Il s’agissait d’un complexe
important composé d’une église double et de plusieurs annexes. Aujourd’hui, seule une église
réduite à une seule nef est encore en fonction. Entourée du cimetière, elle est située à
l’extérieur du village. Elle est souvent citée comme l’un des exemples de basilicae geminae52
sur la côte Adriatique, mais la littérature scientifique publiée jusqu’en 2002 prenait en compte
d’anciennes conclusions, qui ignoraient, comme nous allons le voir, la véritable église nord du
complexe.
Au sud de l’église actuelle, on a tout d’abord reconnu une partie d’un édifice antérieur à
travers une absidiole construite sur un sol de mosaïque. Au-devant de l’abside fut mis au jour
un dallage interprété par Andrija Mohorovičić et Branko Fučić comme le sol d’une église sud
à nef unique, formant un groupe de basilicae geminae avec l’église actuelle Sainte-Marie. Au
nord de Sainte-Marie, on a découvert plusieurs éléments du complexe, dont une nef latérale
étroite réutilisant le mur d’un édifice antique et un baptistère quadrangulaire doté d’une
piscine polygonale creusée dans le sol et bordé à l’est par une abside rajoutée
postérieurement. Entre l’abside préservée en élévation et le baptistère, une petite annexe,
interprétée comme étant la première memoria du complexe autour de laquelle se serait
développé le groupe épiscopal, a été mise au jour. Lors des fouilles de 2001 dans le secteur de
la « memoria », nous avons démontré qu’il ne s’agissait pas d’une construction précoce,
comme l’avait déjà remarqué B. Fučić53, mais plutôt d’une chapelle médiévale. En outre,
l’obturation du passage sud du baptistère en direction de l’église sud plaide en faveur de la
postériorité de la chapelle.
Pour résumer, le phasage établi par les chercheurs précédents54 pour l’unique église
alors connue était le suivant : un bâtiment rectangulaire de l’époque tardo-antique aurait servi
de première domus ecclesiae. Dans une seconde phase, on aurait rehaussé le niveau de sol du
chœur en créant une barrière de chancel alors que la nef aurait reçu un nouveau pavement en
mosaïque. Dans une troisième phase, l’espace unique aurait été divisé en trois nefs et doté
d’une abside datée du VIe siècle. Dans cette même phase, on aurait construit l’église « sud ».
Il est cependant très difficile d’accepter un tel phasage sans une importante révision. On
ne peut pas être sûr de l’interprétation d’une domus précoce insérée dans un bâtiment
antérieur, ou encore d’une datation aussi basse pour le rajout de l’abside à la nef centrale.
L’interprétation de l’espace méridional est même à rejeter entièrement, car les nouvelles
fouilles ont bien démontré que l’église nord représente en réalité l’église sud du complexe.
Les fouilles les plus récentes ont été étendues à un secteur plus large que les précédents : avec
l’espace de ladite « memoria », elles ont pris en compte également le secteur au nord du
baptistère. Ainsi, une nouvelle église a été reconnue, modifiant profondément le plan du site
de Sainte-Marie du cimetière. La nouvelle église, fouillée uniquement dans sa partie orientale,
présente un plan assez simple, avec une abside outrepassée et légèrement débordante par
rapport à la largeur de la nef centrale, et dotée d’un synthronon. En raison du mauvais état de
son parement externe – qui a presque entièrement disparu – deux types de plans peuvent être
envisagés pour le chevet : l’abside pouvait être inscrite dans un chevet plat flanqué de deux
annexes, mais il nous semble cependant plus probable qu’elle ait été épaulée par trois
contreforts et dotée ultérieurement d’une annexe latérale au sud.
La division au niveau du chœur entre le vaisseau central et les nefs latérales se faisait
par deux pilastres de rappel maçonnés, dont un seul a été reconnu en fouille dans la partie sud.
Ce pilastre a été accolé contre la tête de l’arc de l’abside et était destiné à recevoir la
colonnade de la division des nefs.
En conclusion, et pour une phase grossièrement datée du Ve siècle, on proposera que le
complexe était formé de deux églises parallèles, toutes deux déjà dotées d’absides centrales
légèrement débordantes par rapport à la nef centrale. L’espace oriental entre les églises était
occupé par un baptistère auquel on accédait par la porte occidentale depuis les pièces d’un
éventuel catechumeneum. Entre le baptistère et les annexes occidentales présumées de celui-
ci, ainsi que les deux églises, on pourrait envisager l’existence d’un atrium doté d’un passage,
par exemple un vestibule commun, qui aurait desservi l’ensemble des bâtiments du complexe.

Quartier de Saint-Pierre
L’église Saint-Pierre se situe dans la zone septentrionale d’Osor. Aujourd’hui, une
église réduite datant du XVIIe siècle remplace l’édifice primitif (fig. 13). Il s’agissait d’une
église à trois nefs avec un chevet à triple abside. Sa construction est traditionnellement datée
du début du XIe siècle, au moment de la fondation du monastère bénédictin. Les différentes
fouilles archéologiques permettent de suggérer que ce secteur de la cité a acquis une certaine
importance, d’un point de vue monumental, dès l’Antiquité tardive, avec l’édification d’un
complexe important mais dont la fonction reste à ce jour indéterminée. Il semblerait que le
déclin de ce secteur de la ville soit concomitant de l’abandon du monastère au XVe siècle.
Jasminka Ćus-Rukonić a révélé l’existence de constructions de l’Antiquité tardive
encore préservées en élévation dans la maison dite « Zorko », située à l’ouest de l’église55
(fig. 14). C’est notamment la présence d’une porte à linteau débordant qui a permis à l’auteur
des fouilles de proposer cette datation. D’après elle, il s’agirait d’un bâtiment de l’Antiquité
tardive dont la fonction était peut-être militaire. Rappelons en effet que cette partie de la ville
est également le point le plus haut et par conséquent le plus propice à la surveillance des
alentours et surtout du passage maritime sur le chenal et du port de Bijar. Comme on le verra
plus loin, ce complexe pourrait être lié également aux bâtiments précédant la phase du
monastère de Saint-Pierre.
C’est toujours dans ce secteur qu’Andrija Mohorovičić a mis au jour des constructions
antiques transformées selon lui entre l’Antiquité tardive et le haut Moyen Âge56. Il s’agirait
notamment d’un bâtiment au Sud de l’église, reconnu sur 12 m de longueur et dans lequel est
insérée une exèdre large de 5,50 m, Il a également constaté la présence au nord de Saint-
Pierre d’un pavement en mosaïque polychrome à décor géométrique tardo-antique.
Partant des conclusions avancées par Andrija Mohorovičić, de nouvelles recherches ont
débuté en 2006, associant le centre IRCLAMA de la Faculté des Lettres de Zagreb et l’UMR
ARTetHIS 5594 du CNRS de Dijon57. Les deux premières campagnes ont essentiellement
cherché à compléter le plan de l’église primitive à travers une série de sondages ; un large
secteur de fouilles a également été ouvert à l’est du chevet depuis 200758 (fig. 15). Les
nouvelles données permettent de restituer pour l'église un plan basilical à trois nefs formées
de cinq travées, précédées par un vestibule et achevées par un chevet composé d’une abside
centrale pentagonale encadrée de deux absidioles semi-circulaires. Rappelons que la fouille
du chevet a révélé une abside centrale de plan pentagonal, alors que jusqu’à présent on
considérait, sur la base des fouilles anciennes, qu’il s’agissait d’une simple abside semi-
circulaire. Et le phasage du chevet s’avère complexe avec vraisemblablement plusieurs états
au niveau de l’absidiole sud. C’est seulement à la fin du Moyen Âge qu’un cimetière dans
lequel on inhume des religieux et des laïcs se développe au pied du chevet. Certaines
inhumations sont dotées de mobilier, notamment de boucles de vêtements datées entre le XIVe
et le XVIe siècle. Le cimetière occupe en grande partie des constructions préexistantes, dont
un bassin datant probablement de l’Antiquité tardive. Une synthèse des résultats sera possible
à l’issue des recherches dans ce secteur en 2009.
Sur ce chantier a été mise en œuvre, de manière novatrice, la méthode de l’archéologie
du bâti. Les relevés et les analyses ont porté plus particulièrement sur les parements nord et
sud du mur nord, ainsi que sur la memoria (fig. 16). En effet, il était généralement admis que
la chapelle baroque avait intégré le mur nord de l’église primitive, mais aucune étude n’en
avait été encore faite. Le piquetage des enduits a révélé une porte à arc de décharge
outrepassé – ou à linteau débordant –, qui pourrait correspondre à la phase mentionnée plus
haut dans la maison dite « Zorko ». Une des trois fenêtres du mur nord conserve encore une
transenne de marbre dissimulée par l’obturation de la baie. L’analyse des élévations démontre
également que le mur nord de l’église enchâsse une maçonnerie plus ancienne dont on ignore
le développement – en plan – et la fonction. Dans l’état actuel de nos recherches, on n’exclura
pas que l’église Saint-Pierre puisse être une construction paléochrétienne ou haut médiévale
autour de laquelle se serait développé le monastère au XIe siècle, avec son lot de
transformations. Mais on ne peut pas non plus écarter totalement la datation dans le premier
tiers du XIe siècle d’une construction faisant explicitement référence à des modèles du passé.

Sainte-Catherine…
Située entre les monastères de Sainte-Marie de Bijar et de Saint-Pierre, la petite chapelle
Sainte-Catherine présente un plan à nef unique bordée par une abside semi-circulaire (fig. 17).
Sa fouille par Andrija Mohorovičić remonte aux années 1950. La chapelle, datée du XIIe
siècle, repose sur un cimetière plus ancien. Il s’agirait essentiellement de sépultures réduites,
identiques à celle découverte dans la memoria du complexe de Sainte-Marie du cimetière59.
Aujourd’hui perdue au milieu des champs, Sainte-Catherine aurait pu constituer une chapelle
satellite du complexe monastique de Saint-Pierre.

… et d’autres sites…
Intéressant la ville antique, on mentionnera encore la fouille de deux habitats : le
premier, situé sur la parcelle cadastrale 80/1, a été étudié par Ranko Starac ; le second, appelé
maison « Marussi », a été fouillé par Morana Čaušević-Bully. On ne pourra intégrer ces deux
sites – et d’autres encore – dans le plan cadastral actuel qu’après un relevé topographique
précis, qui seul permettra de proposer un plan de la trame urbaine antique.

Conclusion

L’objectif de cet article était d’esquisser une carte archéologique d’Osor à l’aune des
découvertes anciennes et surtout des plus récentes. Dans l’état actuel de nos connaissances, on
constate que de larges secteurs de la ville demeurent encore inexplorés et que les sites les
mieux connus appartiennent pour la plupart à l’Antiquité tardive et au Moyen Âge. Aussi,
concernant la topographie de la cité de l’Antiquité classique, seules quelques grandes lignes
peuvent être esquissées. On connaît l’emplacement du forum sous la place principale actuelle,
organisé selon un schéma classique avec la présence d’au moins un temple et d’une basilique
urbaine ou d’une curia. L’axe de la rue principale, qui correspondrait grosso modo à un
decumanus, passe au sud du forum et se poursuit jusqu’au complexe épiscopal paléochrétien
de Sainte-Marie. Une porte située au sud de la muraille indique l’emplacement de l’axe
principal est-ouest de la ville antique qui correspondrait au cardo. Le mobilier archéologique
issu des différentes fouilles et conservé dans la collection « AZO » offre le reflet d’une cité
prospère durant l’Antiquité classique. Et les fouilles – même partielles – des insulae révèlent
une architecture propre au reste de l’empire avec des sols souvent exécutés en mosaïques. Il
est fort probable que le secteur le plus résidentiel occupait la partie sud de la ville, tandis que
la partie haute – au moins au nord-ouest – était réservée aux fonctions défensives et de
stockages.
Durant l’Antiquité tardive sont introduites des inhumations en ville comme le démontre
la découverte de tombes à proximité du forum et dans la maison antique « Marussi ». Les
inhumations intra muros ne sont bien évidemment pas le signe d’un déclin, mais plutôt le
reflet d’un changement d’attitude envers la mort60. De multiples exemples témoignent de la
fréquence des inhumations dans la cité à partir du IVe siècle et surtout du Ve siècle61.
L’Apsorus de l’Antiquité tardive s’inscrit dans le schéma d’une lente évolution que l’on suit
dans d’autres villes provinciales de l’Empire – au moins dans celles éloignées des événements
liés aux intrusions des peuples germaniques. L’un des facteurs cruciaux de cette
transformation matérielle progressive des cités est la modification fondamentale de
l’administration des municipes, ce qui fut certainement le cas d’Apsorus62.
L’exemple le plus manifeste de ces changements de la fin de l’Antiquité est sans doute
la mise en oeuvre de spoliae dans les nouveaux bâtiments publics, même si aucun témoignage
de cette pratique n’a été encore reconnu à Osor. En revanche, on peut tout de même conclure
que la cité était suffisamment développée à cette époque pour accueillir le siège d’un évêché.
La première mention d’un évêque à Apsorus date en effet de 579. Ce texte du concile de
Grado induit que l’évêché est plus ancien, mais sans que l’on en sache d’avantage sur sa date
de création63. Une étude archéologique renouvelée et détaillée du complexe de Sainte-Marie
du cimetière permettrait sans nul doute de répondre à ces interrogations. En revanche, il paraît
bien établi que la cathédrale paléochrétienne subsistera jusqu’à la fin du XV e siècle, avant son
transfert sur la place principale actuelle. L’Antiquité tardive est encore représentée par les
structures de la maison « Zorko » et celles découvertes au chevet de Saint-Pierre, bien que
l’on en ignore le développement et la fonction.
Le haut Moyen Âge est surtout marqué par des modifications apportées à Sainte-Marie
du cimetière avec l’installation d’un nouveau mobilier liturgique. Et les recherches en cours
sur le site de Saint-Pierre permettront de préciser la datation d’une église présentant des
caractères constructifs qui pourraient s’accorder à une large fourchette chronologique
comprise entre le VIe et le XIe siècle.
La ville d’Osor est encore riche d’un patrimoine bâti datant du Moyen Âge classique et
de la fin du Moyen Âge, qui a été peu abordé dans cet article – monastère de Sainte-Marie de
Bijar, loggia communale, église Sainte-Marie-des-Anges, enceinte, etc. –, mais qui mériterait
cependant une présentation détaillée dans le cadre d’une étude de topographie monumentale.
1
Morana Čaušević-Bully, archéologue, doctorante à l'université de Zagreb et à Paris XII (EA 2350, Centre Jean-Charles
Picard - Créteil) ; Jasminka Ćus-Rukonić, archéologue-historienne, conseillère aux musées de Cres, Lošinj et Osor.
2
Les îles du nord de l’Adriatique, aujourd’hui en Croatie.
3
FABER, 1982, p. 62.
4
Géographes grecs, tome I. Ps.-SCYMNOS, Circuit de la Terre, texte établi et traduit par Didier Marcotte, Les Belles
Lettres, Paris, 2000. ; PLINE L’ANCIEN, Histoire Naturelle - livre III, éd., trad. et notes ZEHNACKER (H.), Paris, Les
Belles Lettres, CUF, 1998, 2e éd. 2004. Les études des textes : KATIČIĆ, 1974. p. 35-45 ; SUIĆ 1955, p. 167-186 (121-
186).
5
L’inscription CIL III, 2808 mentionne les civitates Liburniae à Scardona.
6
JACQUES, SCHEID, 1990, p. 215-216 ; sur le statut de la province cf. MARTINO, 1965, p. 716 ; WHITTAKER, 1994 ;
WILKES, 1998, p. 238-239 ; ZANINOVIĆ, 1999, p. 213-224.
7
On l’apprend de manière explicite chez Végète : Flavii Vegeti Renati Epitoma rei Militaris, IV, 32, (...) Liburnia namque
Dalmatiae pars est, Iadertinae subiacens civitati. Publii Flavii Vegetii Renati Epitoma rei militaris – Abriss des
Militärwesens, traduction de F. L. MÜLLER, Stuttgart, 1997 ; traduction croate par T. SHEK-DUBROVEČKI, Zagreb,
2001.
8
PLINE L’ANCIEN, Histoire Naturelle - livre III (passage III, 25 (21), 139), trad. et ann. H. ZEHNACKER, Paris, 1998.
La cité d’Apsorus est sans doute Liburne.
9
ALFÖLDY, 1962, p. 69-70 ; JACQUES, 1990, p. 33 ; MARGETIĆ, 1977, p. 401-409 ; MEDINI, 1973-1974, p. 27-56 ;
STARAC, 2000, p. 30-31 ; SUIĆ, 2003, p. 52 ; TARPIN, 1998, note 2, p. 8 ; WILKES, 1969, p. 193-203.
10
ALFÖLDY, 1961, p. 64 ; ALFÖLDY, 1962, p. 74 ; WILKES, 1969, p. 194 ; MEDINI, 1974, p. 27-56 ; IMAMOVIĆ,
1982, p. 79-82.
11
CUNTZ, Itineraria romana I. Itineraria Antonini Augusti et Burdigalense, Leipzig, 1929. Sa première partie date du
début du IIIe siècle, mais dans son intégralité, il s’agit d’une source de la fin du IIIe siècle.
12
SEECK, Notitia Dignitatum et Latercula provinciarum, Francfort sur le Main, 1962.
13
CASSIODORE, Variae, VII, 16, Cf. Magni Aurelii Cassiodori senatoris, viri patricii, consularis et vivariensis abbatis
Opera omnia, Patrologia cursus completus (Patrologia latina) Saeculum VI, 69, 1848 : Curritanae – il s’agit ici clairement
de l’île de Krk (Curricta) et Celsinae – et probablement de Cres (Crexa), p. 719. Sur le rôle des comes cf. TABATA, 2002,
p. 68. D’après K. Tabata, les Romains auraient gardé leurs gouverneurs, et les Goths auraient conquis le pouvoir en
parallèle.
14
PROCOPE, B. G. I, 7, 30-37 et I, 15, 15 cf. Procopii Caesariensis opera omnia I : De bellis libri I – IV, éd. et trad.
J. Havry et G. Virth, Leipzig, 1963 ; J. SCHNETZ (éd.), Itineraria Romana, volumen alterum, Ravennatis anonymi
Cosmographia et guidonis geographica, Leipzig, 1940.
15
Il s’agit d’une source tardive, du VIIe siècle, mais qui puise ses informations dans les sources contemporaines de la guerre
gothique.
16
Idée déjà avancée par SUIĆ, 1970, p. 705-716 ; SUIĆ, 1955, p. 273-296 ; SUIĆ, 1996, p. 457-458 ; SUIĆ, 1960-1961,
p. 82-94. Reprise plus tard par MEDINI, 1980, p. 363-441.
17
MONTICOLO, 1890, p. 43 ; texte différent chez RAČKI, 1877, p. 235.
18
Sur les origines du christianisme à Cres et la date de la création de l’évêché en 532, cf. CUSCITO, 1999-2000, p. 19-46.
19
KLAIĆ, 1971 ; IMAMOVIĆ, 1979.
20
OSTOJIĆ, 1964, p. 149.
21
C. PORHYROGENITUS, De administrando imperio, cap. 29, Vizantinski izvori za historiju naroda Jugoslavije,
vol. CCCXXIII, SANU, Vizantološki institut, vol. 7-II, Belgrade, 1959, p. 13.
22
JURKOVIĆ, 2000, p. 84 ; JURKOVIĆ, 1992, p. 191.
23
KLAIĆ, 1976 ; MACAN, 1992.
24
BOLMARČIĆ, 1874 ; BENDORF, 1880 ; BURTON, 1877/78 ; KLODIĆ, 1885.
25
Pour plus sur les recherches de Jackson cf. infra. (JACKSON, 1887).
26
MARCHESETTI, 1924.
27
SALATA, 1899.
28
STICOTTI, 1914.
29
BOTTER, 1947 ; BOTTER, 1961.
30
MOHOROVIČIĆ, 1953, p. 10-14 ; MOHOROVIČIĆ, 1956, p. 4-11.
31
BAČIĆ, 1968 ; MARUŠIĆ, 1980 ; B. MARUŠIĆ ; MARUŠIĆ, 1955; MARUŠIĆ, 1973 ; MARUŠIĆ, 1956 ; MLADIN,
1959 -1960.
32
FABER, 1974 ; FABER, 1982.
33
Cf. rapport de fouilles de MOHOROVIČIĆ, DEANOVIĆ, FILJAK, 1977 ; DEANOVIĆ, 1976 ; FUČIĆ, 1981.
34
Arheološka istraživanja na otocima Cresu i Lošinju, Znanstveni skup, Mali Lošinj, 11-13. listopada 1979, Izdanja
Hrvatskog arheološkog društva, svezak 7, Zagreb, 1982.
35
International Research Center for Late Antiquity and Middle Ages (Zagreb, Croatie), Centre National de la Recherche
Scientifique (UMR 5594, Dijon, France) et l’Association pour la Promotion de l’archéologie dans le Haut-Jura (Saint-
Claude, France). Les résultats sont publiés dans Hortus Artium Medievalium (BULLY, JURKOVIĆ, ČAUŠEVIĆ-BULLY,
MARIĆ, 2007 et JURKOVIĆ, ČAUŠEVIĆ-BULLY, MARIĆ, BULLY, 2008) et dans le Bulletin du Centre d’Études
Médiévales d’Auxerre (JURKOVIĆ, BULLY, MARIĆ, ČAUŠEVIĆ-BULLY, 2007 et BULLY, MARIĆ, ČAUŠEVIĆ-
BULLY, JURKOVIĆ, 2008).
36
D’un type de soi-disant mégalithique, daté entre le IIe s. avant et le Ier s. après J.-C. Lié dans la littérature à la population
autochtone.
37
ČAUŠEVIĆ, 2006.
38
Appelé Cavata, Kavuada ou encore Cavanella.
39
FABER, 1982, p. 62.
40
Le niveau marin est environ 50 cm plus haut aujourd’hui que dans l’Antiquité.
41
J. ĆUS-RUKONIĆ, 1982, p. 14.
42
FABER, 1982, p. 62.
43
FABER, 1982, p. 67.
44
Pour plus d’informations sur les résultats des fouilles actuelles sur le site de Saint-Pierre cf. infra.
45
On peut entrevoir l’existence d’édifices publics à travers les inscriptions : E. IMAMOVIĆ, 1982, p. 80.
46
M. SUIĆ, 1976.
47
Cf. supra ; STICOTTI, 1914.
48
Les conclusions sur la fonction du bâtiment antique sont proposées par J. Ćus-Rukonić. Le rapport des fouilles se trouve à
la bibliothèque de l’AZO.
49
Le rapport de fouilles se trouve dans la bibliothèque de l’AZO.
50
Le rapport de l’auteur des fouilles, M. Šmalcelj, est conservé à la bibliothèque du département d’archéologie à la Faculté
des Lettres de l’Université de Zagreb. Il ne nous a pas été possible de consulter ce rapport. Toutes les informations sur les
résultats ont été recueillies oralement auprès de J. Ćus Rukonić, qui a participé aux fouilles.
51
Les exemples sont nombreux : on en trouve sur l’île de Krk, à Punat ou à Njivice par exemple.
52
Par exemple chez P. CHEVALIER, Les églises doubles de Dalmatie et de Bosnie-Herzégovine, in AnTard 4, Brepols-
Turnhout, 1996, p. 152.
53
Br. FUČIĆ, L’antica cattedrale di santa Maria di Ossero, in De cultu mariano saeculo XVI. Acta Congressus Mariologici
Mariani Internationalis Caesaraugustae anno 1979 celebrati, vol. VI, Romae 1986 ; ID., Stara katedrala u Osoru, in
Advocata Croatiae, in Teološki radovi, 12, 1981, Zagreb.
54
Phasage établi par Br. Fučić (cf. note 97), repris ensuite par P. CHEVALIER, op. cit. (note 43), t. 1, p. 58-59 ;
G. CUSCITO, op. cit. (note 22), p. 22-23.
55
Découverte publiée dans ĆUS-RUKONIĆ, 1982.
56
MOHOROVIČIĆ, 1953, p. 10-14.
57
Les responsables de l’opération sont Miljenko Jurković et Iva Marić pour le côté Croate, Sébastien Bully et Morana
Čaušević-Bully pour le côté Français.
58
Les résultats des fouilles des années 2006 et 2007 sont publiés chez : BULLY, JURKOVIĆ, ČAUŠEVIĆ-BULLY,
MARIĆ, 2007 ; JURKOVIĆ, ČAUŠEVIĆ-BULLY, MARIĆ, BULLY, 2008 ; JURKOVIĆ, BULLY, MARIĆ,
ČAUŠEVIĆ-BULLY, 2007 et BULLY, MARIĆ, ČAUŠEVIĆ-BULLY, JURKOVIĆ, 2008.
La campagne de fouilles 2008 étant en cours lors la rédaction de cet article, les nouveaux résultats seront publiés
ultérieurement.
59
MOHOROVIČIĆ, cf. supra. Sur la découverte de la tombe à Sainte-Marie du cimetière cf. ČAUŠEVIĆ, 2003.
60
IVISON, 1996, p. 99 (et dans l’introduction de la publication, p. 2).
61
À Krk, il s’agit de tombes directement construites sur le sol d’un bâtiment antique. Parallèle datant du V e siècle, cf. CECI
et CANCELLIERI, 2003, p. 243-254. Sur la coexistence des tombes et des habitats des vivants dans l’Antiquité tardive, cf.
GRIESBACH, 2003, p. 255-262.
62
Sur les mutations de la cité antique dans l'Antiquité tardive, cf. par exemple CALLU, 1992, p. 39-68 ; WARD-PERKINS,
1984, p. 7 ; MARAZZI, 1998, p. 119-159 (p. 142).
63
MONTICOLO, 1890, p. 43 ; RAČKI, 1877, p. 235. Sur les origines du christianisme à Cres et la date la création possible
de l’évêché en 532, cf. G. CUSCITO, 1999-2000, p. 19-46.

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