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hors limite

Arthur Bodolec
“Etonne moi !” Ne vous as a-t-on jamais lancé
cette expression de manière provocante en vous rendant
mal à l’aise face à un tel défi ?

Un contre sens. L’étonnement, à la fois intriguant


et terrifiant, est si personnel qu’il est provoqué
différemment en fonction de chacun. Une telle expression
sous-entendrait finalement la demande suivante :
“Prouve moi que tu me connais en faisant quelque chose
dont je n’ai jamais fait l’expérience.” En jetant sur autrui
cette demande d’étonnement, ne faisons-nous pas
que repousser le problème pour pouvoir accuser notre
interlocuteur en cas d’échec ? Celui qui veut s’étonner
doit mettre les mains dans le cambouis.

Susciter l’étonnement. L’étonnement est une


démarche personnelle pour laquelle l’individu en est
le cœur. Aussi, je vais expliquer en quoi je pense que
l’étonnement demande la participation de l’individu. Pour
cela, je vais, tout d’abord, explorer ce qu’est l’étonnement
pour, ensuite, observer si tout un chacun s’étonne au
quotidien. Enfin, je centrerai mon intérêt sur les capacités
d’étonnement de l’individu. Ainsi, j’évoquerai la possibilité,
au sein de la démarche design, de prendre en compte les
capacités d’étonnement de l’utilisateur dans le processus
de conception.
Ce mémoire est un recueil de découvertes, de réflexions
et de prises de position autour du sujet de l'étonnement.
Il ne s'agit ici, en aucun cas, de donner des vérités sur le
sujet abordé, simplement de partager des points de vue
existants et d'en apporter le mien.
6 Qu’est ce que l’étonnement ?
8 Notre rapport avec le monde est structuré par des acquis ...
10 Nos sens nous donnent des informations sur ce qui nous entoure…

ommair
12 ... pour être représenté par notre cerveau …
17 afin d’être comparé et classé avec nos acquis.
19 un système trop bien rodé facteur d'ennui

21 ... qui sont complétés par des expériences nouvelles.


21 un état nécessaire pour accepter la nouveauté
24 L’étonnement face à la nouveauté ...
28 ... est renforcé par d’autres émotions.

33 passerelle de la nouveauté vers l’aquis : l’étonnement


33 Les sources de la nouveauté ...
37 ... nous exposent des questions ...
41 ... dont les réponses forgent notre connaissance.

44 l’étonnement au quotidien
46 Pourquoi s’étonner ?
46 la découverte
52 la création

60 Une attitude ...


60 l’imperméable
62 l’entrepreneur
65 l’attentiste

69 ... responsable d’un mode de vie.


69 la société de consommation
71 un renforcement sociétal
76 un cercle vicieux

78 la solution est en vous


81 l’utilisateur, un acteur participatif
81 l’importance de l’individu

86 l’utilisateur a besoin d’un cadre


86 Quels types d’outils pour la création ?
91 faire du design c’est prendre position
93 la notion de système
94 générer la créativité en respectant des valeurs
Qu’est ce que
l’étonnement ?
Notre rapport
avec le monde est
structuré par des
acquis ...

Boris Cyrulnik | Neurologue français


“ Que voyez-vous sur la table ?
– Un livre.

“L’ennui, avec
– Oui, naturellement, c’est un livre, mais que voyez-vous en
réalité ?
– Que voulez-vous dire par là ? Je viens de vous dire que je

les humains,
vois un livre, un petit livre rouge avec une couverture rouge. ”
Le psychologue insiste :
“ Quelle est votre perception réellement ? Je vous demande
de la décrire avec la plus grande précision possible.

c’est qu’ils voient


– Vous voulez dire que ce n’est pas un livre ? De quoi s’agit-il ?
D’un piège ? (La personne commence à s’impatienter).
– Oui, c’est un livre, il n’y a pas de piège. Ce que je veux, c’est

l’univers avec
que vous me décriviez ce que vous observez exactement, ni
plus, ni moins. ”
Le visiteur devient très méfiant.

leurs idées plus


“ Eh bien, dit-il, de l’endroit où je me trouve, la couverture du
livre ressemble à un parallélogramme rouge foncé. ”
Cette scène à été imaginée par George Millern, l’un des

qu’avec leurs
pères de la psychologie cognitive. Cette histoire est destinée
à nous montrer comment fonctionne l’acte de perception. On
comprend ici que rien que le fait de comprendre qu’un livre

yeux.”
est réellement un livre semble se décomposer en plusieurs
étapes. La citation de Boris Cyrulnik, citée ci-dessous, nous
laisse entendre que le mécanisme mis en place doit être
relativement complexe. Regardons cela de plus près.

8
Nos sens nous donnent des
informations sur ce qui nous entoure…

La perception ou récolter des informations grâce à nos


sens. La perception est ce qui nous permet de repérer les
caractéristiques du monde extérieur. Nous utilisons nos cinq
sens qui sont l’ouïe, le toucher, l’odorat, la vue et le goût via
des interfaces comme la peau, les oreilles, la bouche. Lors
de cette étape, nous récoltons donc tout un tas d’informations
brutes comme des couleurs, des formes, des odeurs, des
textures etc... sans que cela nous évoque quoi que ce soit.
Prenons un exemple : je regarde le ciel par un soir d’été.
Je vois plein de points scintiller au milieu d’un fond noir.
Certains des rayons lumineux envoyés par ces points vont
finir leur course dans mes yeux. Le fond de l'oeil est tapissé
de cellules réceptrices qui recueillent les photons de lumière.
Chacun de ces récepteurs est relié par l’intermédiaire des
nerfs optiques à des neurones spécialisés dans la vision.
Certains sont spécialisés pour l’analyse de la luminosité,
d’autres pour les couleurs, d’autres encore pour les
mouvements.
George Millern,
1962, Psychology, Je détache donc simplement du fond noir des points blancs
the Science
of Mental Life,
placés de façon aléatoire les uns à côté des autres et dont la
cité par Manuel luminosité est plus ou moins importante.
Jimenez, La
Psychologie de Ce processus est exactement le même en ce qui concerne la
la perception,
Flammarion, 1997
perception d’objets, de phénomènes. l’homme intéragit avec le monde

les cinq sens


10
Nos sens nous donnent des informations sur ce qui nous
entoure…
... pour être représenté par notre
cerveau...

La représentation ou mettre en forme des données


sensorielles. Les informations récoltées par nos sens sont
utilisées pour créer une représentation de ce qui nous entoure.
Nous cherchons inconsciemment à regrouper les données
que nous voyons et à les associer de façon logique.
Reprenons l’exemple de notre nuit à la belle étoile.
Bien que ces points brillants soient dispersés dans le ciel,
sans ordre apparent, le cerveau a tendance à regrouper
spontanément ceux qui sont proches les uns des autres.
Apparaissent ainsi des configurations globales que nous
appelons les constellations. Dans toutes les civilisations,
les hommes ont représenté dans le ciel ces constellations.
Elles ne sont rien d’autre que des configurations visuelles
organisées par un cerveau à la recherche de formes globales.
Ce traitement représentatif consiste à dépasser les strictes
données sensorielles pour les mettre en forme.
En général, les étoiles sont regroupées entre elles selon
une loi de proximité, qui tend à rassembler en un même
groupement les étoiles proches les unes des autres. Une
autre loi de la perception veut que l’on repère les formes
géométriques simples : lignes, cercles, carrés, rectangles.
Si de telles figures apparaissent, elles seront immédiatement
détectées. Quand je m’allonge dans mon jardin pour regarder
les étoiles, des formes simples se dégagent tout de suite dans
le ciel, simple fruit de la rencontre entre mon imagination et la
réalité !
En ce qui concerne le processus de la représentation, deux
grandes théories ont été développées : la théorie de Marr et
Nishihara et celle de Biederman.
Théorie de Marr : analyse fonctionnelle
Cette théorie propose d’expliquer la façon dont nous
représentons le monde par une analyse fonctionnelle de ce
pourquoi qui nous entoure.
En effet d’après cette explication nous interprétons les objets
en nous demandant tout d’abord “pourquoi”, c’est le niveau
computationnel. Cela correspond à analyser la fonction
accomplie par le processus étudié ou l’objet observé.
Ensuite s’en suit le niveau algorithmique qui correspond à la
comment recherche de la réponse à la question “comment”. On va, en
effet, analyser la suite du processus par laquelle la fonction est
réalisée. Autrement dit, on veut savoir comment cela marche.
Théorie de Marr : la reconnaissance des formes
Marr a développé une autre théorie en ce qui concerne plus
spécifiquement la reconnaissance des formes. Pour arriver
au niveau de représentation, on passerait, d’après lui, en
Two Micron All Sky Survey | 2MASS Atlas Image Mosaic
12
plusieurs étapes. représentation pour avoir un point de vue critique.
La première correspond à l’esquisse primitive ; c’est ici Le deuxième effet de la représentation de nos expériences est
que nous allons identifier l’objet et le détacher de son de pouvoir les comparer avec ce que nous avons déjà vécu.
environnement. Ensuite, l’esquisse intermédiaire correspond C’est l’étape de comparaison.
Marr, 1982, au fait de détecter les indices de profondeur de l’objet et
cité par Patrick l’orientation de ses surfaces. C’est alors que nous sommes à
Lemaire,
Psychologie même de nous représenter les faces non visibles de l’objet à
cognitive, De la manière d’une représentation 3D.
Boek, 2005, p.62
Théorie de Biederman ou théorie des géons
Cette théorie repose sur plusieurs postulats.
- Postulat 1, nous reconnaissons les objets par leur
décomposition en éléments de base,
décomposition - Postulat 2, les objets qui nous entourent sont constitués
de l’objet d’éléments de base appelés géons (par Biederman), alphabet
en éléments de 36 formes 3D,
constituant - Postulat 3, le modèle des géons est un modèle de traitement
: les étapes de traitement permettant la reconnaissance
d’objets.
En voici la description des différentes étapes de représentation
:
- Etape 1 : segmentation du champ visuel : extraction
du contour des objets et décomposition des éléments le
identification constituant,
des géons - Etape 2 : reconnaissance des géons grâce aux critères
suivants : courbes, parallèles, co-terminations (coins où
convergent deux lignes), symétries, co-linéaires (point sur une
ligne droite).
Biederman,
cité par Patrick Chaque théorie, bien que différente, amène à la représentation
Lemaire,
Psychologie du monde qui nous entoure. C’est la représentation des
cognitive, De choses qui nous permet de les remettre en cause et de les
Boek, 2005, p.66
comparer entre elles.
La représentation comme remise en cause du monde.
Tout d’abord, la représentation du monde nous permet de
modifier notre conception de celui-ci. Pour être concret,
nous pouvons prendre l’exemple de la perspective. Cette
méthode a été inventée par l’homme pour lui permettre de
représenter ce qui l’entoure, le maîtriser et le réfléchir. Avant
cette invention, l’homme ne maîtrisait pas l’infini, seul Dieu
était l’infini. La perspective permet de mettre sur une toile WALL.E | WALL.E tente de comprendre l'objet qu'il a entre les mains
cette notion grâce à l’invention du point de fuite. Ce modèle
a complètement remis en cause la place de l’homme dans le
Marie monde. Hubert Damirsch pense en effet que cette technique
Frontana-Viala,
extraits de ses
de représentation ne montre pas seulement ce qui nous
cours et de notre entoure, elle pense. Une représentation peut, en effet, être
discussion, 2009
modifiée et changée.
Je pense qu’une analogie sensible peut être faite entre
cette histoire et, l’homme et son rapport au monde. Le fait
de se représenter un objet ou même une situation permet
de mieux le/la comprendre et de prendre position sur cette

14 15
Nos sens nous donnent des informations sur ce qui nous
entoure …
... pour être représenté par notre cerveau ...
... afin d’être comparé et classé avec
nos acquis.
Le cerveau, diagramme de connaissance. Le cerveau est
ordonné de la même façon qu’un grand diagramme avec des
parties et des sous-parties. Il est évident que l’esprit s’amuse
à comparer et observer les ressemblances avec tout ce qu’il
intègre. C’est grâce à de telles observations qu’il arrange ses
idées, qu’il y met de la méthode pour ranger chaque chose
vue et vécue dans des classes. Là où il va voir une qualité
unique commune à un grand nombre d’objets, le cerveau va
Adam Smith,
les ranger sous la même classe. C’est de cette façon que tous 2006, Essais
les êtres doués d’un mouvement spontané, les quadrupèdes, Phylosophiques,
Histoire de
organisation du cerveau les oiseaux, les poissons, les insectes, sont rangés sous la l'astronomie,
dénomination “animaux”. Section II, Coda

17
Comparaison de ce qui est vécu et de ce qui a déjà été un système trop bien rodé facteur
vécu. Les représentations créées par notre cerveau vont
donc être envoyées devant ce grand diagramme des choses d’ennui
connues. La tâche à accomplir est alors de comparer ce que
nous avons identifié, avec le contenu de ce diagramme. Pour Nous n’avons évidemment pas conscience de ce processus
cela, nous commençons par les grandes déterminations, de reconnaissance des objets, et heureusement ! Si nous
autrement dit le haut du diagramme, pour ensuite en parcourir avions à réfléchir à chaque fois que quelque chose se
tous les niveaux et finalement trouver les objets frères de présente devant nous, la vie serait beaucoup plus fatigante
Adam Smith,
2006, Essais
l’objet se situant face à nous. C’est de cette manière que, qu’elle ne l’est ! C'est par exemple le cas lorsque nous
Phylosophiques, lorsque nous nous trouvons face à une table que nous n’avons discutons dans une langue étrangère que l'on maîtrise mal.
Histoire de
l'astronomie,
jamais vu, nous pouvons dire que c’est une table.
Section II, Coda
En même temps, il faut se rendre compte que nous ne voyons
pas tous la même chose et ce pour différentes raisons. Voyons
les plus importantes.
L’attention. Il faut savoir que nous ne pouvons nous intéresser
qu’à un nombre limité de choses à la fois. En effet, si je suis
en train de conduire, je regarde bien la route. Or, je ne verrai
pas forcément le lapin gambader en bord de chaussée. En
réalité je le verrai avec mes yeux mais je n’y ferai pas attention.
L’information qui me restera sera alors : il n’y a pas de lapin au
bord de la route.
Centres d’intérêts. Je suis passionné par le chiffre 7. Je suis
encore une fois sur l’autoroute et perçois les bornes rouges et
blanches sur lesquelles sont inscrits les kilomètres séparant
le début de l’autoroute de l’endroit où ils se situent. A chaque
kilomètre je vois quelque chose de rouge défiler dans le coin
de mon oeil gauche, rien de plus. En revanche, lorsque je
croise la borne représentant le kilomètre 7, mon attention est
attirée par cet objet. L’information correspondant à “c’est le
chiffre 7” est alors intelligibiliser.
L’anticipation. L’anticipation met en avant le rapport
extrêmement fort entre l’individu et ses expériences. Chacun
accumule des informations grâce à ses expériences vécues.
Notre mémoire nous permet de mémoriser ces informations
à long terme ce qui fait que pour beaucoup de choses nous
savons à l’avance de quoi il s’agit ou ce qu’il va se passer :
nous anticipons. Par exemple un verre qui glisse de la table...
va se casser !
Ce qui nous facilite la vie nous la rend également
ennuyante. C’est précisément ces caractéristiques d’attention,
l’individu et son rapport au monde de centre d’intérêts et d’anticipation qui provoquent l’inaction
cérébrale. Nous ne faisons attention qu’à ce qui nous intéresse
Théorie de Biederman ou la comparaison à des patrons et, ce qui nous intéresse nous est déjà connu. Et le plus
Pour reprendre la théorie de Biederman, elle avance que, souvent, nous avons une forte capacité d’anticipation sur ce
Biederman,
après avoir reconnu les géons composant l’objet que l’on tente que nous connaissons. Les informations entrent donc dans
cité par Patrick
Lemaire, d’identifier, nous les réassemblons pour comparer le tout à notre cerveau et sont traitées sans encombre. Quand toutes
Psychologie
des patrons stockés en mémoire. Dès qu’un patron stocké nos expériences s’enchaînent de cette manière si fluide, nous
cognitive, De
Boek, 2005, p.66 ressemble à la forme identifiée, l’objet est reconnu. ressentons un sentiment de lassitude, une impression plus ou
moins profonde de vide voire même de fatigue. C’est ce que
provoque l’inaction ou le manque total d’intérêt pour quelque
chose. On parle même “d’ennui mortel”, ce qui montre à quel
point ce sentiment peut être péjoratif et fort. L’ennui peut être

18 19
Notre rapport avec le monde est structuré par des
acquis ...

... qui sont


complétés par
des expériences
nouvelles.

un état nécessaire pour accepter la


nouveauté

L’indifférence. La nouveauté, avant d’être intégrée et traitée,


doit être acceptée. En effet, l’indifférence est la barrière ultime
contre le monde extérieur et donc la nouveauté. L’indifférence
est l’état de celui qui n’est pas concerné, qui n’est pas plus
concerné par une chose que par une autre. C’est celui qui
est insensible au monde extérieur. Nous venons de voir que Jean Dubois,
Henri Mitterand,
ce sont les sens qui sont le connecteur entre l’individu et le Albert Dauzat,
monde. Le fait d’être indifférent, ou autrement dit, de couper Etymologique
et historique
ses sens, nous isole totalement de ce qui se passe autour de du français,
nous. Larousse, 2007

L’ouverture. Nous comprenons donc tout de suite en quoi


l’ouverture est le premier pas vers la nouveauté, c’est en effet
l’opposé de l’indifférence. L’ouverture est une position, une
attitude d’acceptation. Elle n’implique pas forcément que
l’individu soit en action vers la nouveauté. Cette posture est
une prédisposition à l’écoute du monde extérieur. Etre ouvert
c’est être prêt à entendre le pire comme le meilleur, à voir le
coutumier comme l’inattendu ou à vivre le banal comme la
nouveauté.
L’identification de la nouveauté. Enfin la nouveauté doit
être identifiée comme telle pour être traitée de la façon qu’il
tellement insurmontable et pénible qu’il peut nous mettre dans convienne. Dans “Voyage en grande Garabagne” de Henri
un état insoupçonné. Michaux, la plupart des mots sont créés par l’auteur lui même
! Henri Michaux utilise des sonorités se rapportant à des
Bien que nous connaissions à l’avance un grand nombre
mots connus. Ce qui nous donne l’impression de connaître
d’expériences que nous vivons chaque jour, certaines sont
ces mots ou, tout du moins, ce qui nous évoque des idées
nouvelles. Quelles sont nos réactions face à cette nouveauté
se rapportant parfaitement au reste du récit. Qui, s’est en
? Qu’est ce que cela implique dans le processus de cognition
effet arrêté sur le mot “Garabagne” dans le titre ? Pourtant, il
? Quelles conséquences pour le cerveau et, de façon plus
n’existe pas !
générale pour l’individu, ont ces nouveautés ?

21
Isaac Asimov | Les cavernes d’acier | écrivain américain

Nous piétinerons éternellement aux


frontières de l’ Inconnu, cherchant
à comprendre ce qui restera toujours
incompréhensible. Et c’est précisément cela
qui fait de nous des hommes.
L’étonnement face à la nouveauté ... Nommer ce que l’on ne comprend pas. En même temps,
comme nous l’avons vu auparavant, l’homme ne peut
s’empêcher de catégoriser et classer les choses, même pour
D’après Adam Smith, l’étonnement est provoqué par la l’inconnu ou la nouveauté. C’est pour cette raison que les
nouveauté, quelque chose que nous n’avons jamais vu ou éléments nouveaux et incompris se retrouvent souvent dans
vécu. Une question tout à fait légitime nous vient alors à des cases dites “poubelles”. En effet, nous les nommons
l’esprit : nouveau, oui, mais par rapport à quoi ? En effet la souvent “d’étrange” ou de “bizarre”. L’enfant a exactement la
nouveauté est toujours nouvelle par rapport à quelque chose même réaction. Le fait qu’il ait acquis moins de connaissance
et peut être connue par rapport à autre chose, il y a donc ici renforce même cet effet. S’il ne trouve pas de nom à ce
une idée de contexte. qu’il voit, autrement dit, s’il n’arrive pas à le catégoriser dans
En effet, pour un individu quelconque, le caractère nouveau son cerveau, il va trouver deux possibilités pour nommer
Adam Smith,
d’une expérience dépend du vécu de cette personne. C’est ces phénomènes. S’il ne trouve pas de nom pour un objet,
2006, Essais
Phylosophiques, la raison pour laquelle je peux être étonné par quelque chose une réalité ou une substance il l’appelle “chose” et si cette
Histoire de
qui ne vous étonnera pas du tout, car ce phénomène ne sera nouveauté fait partie du domaine des apparences alors il
l'astronomie,
Section II, Coda pas nouveau pour vous alors qu’il le sera pour moi. l’appelle “rien”.
La nouveauté est incomparable. Plus concrètement, L’étonnement et sa gestuelle. Tout ce mécanisme interne
comment cette nouveauté est-elle traitée dans notre explique nos réactions corporelles et faciales. Nous sommes,
processus cognitif ? Les étapes de perception et de en effet, souvent bouche bée lors de l’étonnement. Une autre
représentation de la nouveauté se font de manière tout à fait réaction est que, ayant notre corps totalement bloqué par
égale à celles d’un objet que nous aurions déjà vu. Nous ne cette chose qui nous dépasse, nous tournons les yeux et
pouvons, en effet, pas savoir, à ces étapes, que le nouveau cherchons nos mots. Cela correspond à la difficulté qu’a le
est nouveau ! La grande différence a lieu au moment où nous cerveau à catégoriser le phénomène face à nous.
cherchons à classer cette représentation nouvelle parmi notre
grand diagramme du connu. En effet, cette schématisation
de la nouveauté est comparée aux éléments connus pour
être classée parmi ceux-ci. Le problème est que, dans le cas
de la nouveauté, la mémoire ne peut pas, en fouillant dans
tous ses magasins, découvrir aucune image qui ressemble à
cette étrange apparence. Si par quelques paramètres cette
étrange chose vient à ressembler à une espèce qui nous est
bien connue, à d’autres égards elle en est totalement
différente et détachée. Par conséquent, cet
élément nouveau va rester flottant dans notre
esprit cherchant une famille mais ce, sans
grand espoir d’en trouver une.

Itinéraire d'un enfant gâté

24 25
Étonnement vif ou plat. Le sentiment d’étonnement connait
différentes échelles correspondant à notre difficulté à classer
facilement ou non la nouveauté. Concrètement, cela dépend
de l’endroit où le cerveau bloque pour la classer. Si nous
voyons quelque chose et dont nous savons qu’il est de la
catégorie des végétaux, puis des arbres, puis des buissons
mais que nous n’arrivons pas à dire de quel type de buisson
il s’agit, alors notre étonnement est minime. Cependant si
nous n’arrivons même pas à classer cette nouveauté dans
une grande classe comme les végétaux, les animaux, la
mécanique ou autre, alors notre étonnement est d’autant plus
grand.
De même, l’étonnement ressenti dépend du champ des
possibles de la nouveauté. Par exemple, l’autre jour j’ai vu un
skater avancer sans patiner. Je me doute qu’il y a un moteur
en dessous. En effet, je l’ai remarqué quelques secondes plus
tard. Cet objet me paraissant tellement probable, je n’ai pas
ressenti d’étonnement.
Une nouveauté trop éloignée de ce que nous connaissons
n’est pas étonnante. L’humoriste français, Yoann Guillouzouic,
m’a fait prendre conscience de cela en me parlant de ses
expériences de spectacle. S’il veut étonner les gens en leur
parlant de quelque chose que le public ne connait pas, il
doit tout de même lier cette information avec des éléments
que chaque personne dans le public connait. Pour cela il y a
deux solutions. Soit s’assurer que le sujet abordé est maitrisé
par le public. Soit créer la connaissance, en racontant une
histoire par exemple, et faire une blague en s’y référant.
Pour prendre un autre exemple, un scientifique qui
vous montre sa toute dernière découverte ne vous
transmettra pas son étonnement suscité par cette
découverte si vous ne maîtrisez pas le sujet
concerné. Vous serez indifférent.
L’étonnement est donc subtil. D’un
côté, il doit être en rapport

nu
avec quelque chose qui est
près de ce que l’on connait n
pour pouvoir y mettre quelques co
comparaisons et éviter l’indifférence. ble
Adam Smith,
Et de l’autre côté, il doit être en rapport avec
oba
pr
2006, Essais
Phylosophiques, quelque chose qui n’est pas trop proche de ce que
Histoire de
l'astronomie,
l’on connait pour ne pas tomber dans l’évidence et la
Section II, Coda banalité !

ant
onn
ét
ble
ssa
isi
nsa
i
L’étonnement est provoqué par la nouveauté. La surprise,
quant à elle, est suscitée par l’inattendu et l’admiration par ce
qui est grand ou beau.
La surprise est inattendue. Pour être plus précis, nous
pouvons être surpris par la présence de certaines choses que
nous avons souvent vues mais que nous ne nous attendons
pas à voir. Cela occasionne presque toujours une éclipse
momentanée de la raison. Nous ne comprenons pas pourquoi
cette chose se passe à ce moment et à cet endroit précis.
L’inattendu joue donc sur deux paramètres : le lieu et le
moment. Nous pouvons être surpris par quelque chose qui se
passe dans un lieu dans lequel nous ne nous attendions pas
à le voir ou à un moment lors duquel nous ne pensions pas
que cela allait se produire. Pour prendre un exemple concret,
imaginons que je croise mon meilleur ami alors que je suis
en voyage en Malaisie. Je connais parfaitement cet ami et
je me doute de la façon par laquelle il est parvenu jusqu’ici :
en voiture. Il n’y a donc pas d’étonnement. Cependant je ne
m’attendais ni à le voir à ce moment, ni en ce lieu. Je suis
donc surpris !
Pour augmenter le sentiment de surprise il faut que deux
extrêmes se succèdent ou les placer l’un à côté de l’autre. Si
par exemple je suis extrêmement triste et qu’un événement
inattendu me rend soudainement très heureux alors,
l’immensité de la différence émotionnelle exprimera une
surprise d’autant plus grande.
... est renforcé par d’autres émotions. L’admiration face à la beauté et à la grandeur. Par ailleurs,
nous admirons la beauté d’une plaine ou la grandeur d’une
montagne, quoi que nous ayons déjà vu l’une ou l’autre, et
Recherche personnelle d’une distinction. Lorsque j’ai quoi que l’une et l’autre nous offrent ce que nous attendions
effectué mes recherches et tout particulièrement quand avec certitude de voir.
j’échangeais avec d’autres sur l’étonnement, je me rendais Trois émotions pour une sensation d’autant plus vive.
compte que souvent on ne me parlait pas d’étonnement En revanche, si ces trois émotions sont différentes leur
mais d’autre chose. Je sentais au fond de moi même que les combinaison renforce l’émotion globale resenti. Et inversement,
exemples qui m’étaient cités étaient hors-sujet ou en bordure si l’une de ces émotions n’est pas accompagnée des autres,
de sujet. Le problème est qu’il m’était difficile de trouver les alors l’émotion totale resenti en est amoindrie. Prenons encore
critères qui expliquaient ce qui relevait de l’étonnement et une fois un exemple. Si je vous dis que dans une minute
ce qui relevait d’autre chose. Et la question était : de quoi ? exactement vous allez voir tel objet, à tel endroit et que par
J’ai donc réfléchi aux différentes émotions qui ressemblent la même occasion je vous le décris, alors vous ne serez pas
à l’étonnement mais qui ne le sont pas. L’économiste Adam surpris par ce que vous allez voir. Simplement étonné. En effet,
Smith a également suivi cette réflexion. Je tiens donc à l’effet de surprise est complètement effacé par la révélation
préciser certaines choses qui permettront de déterminer les que je viens de vous faire. En revanche, le caractère nouveau Adam Smith,
2006, Essais
limites de cette étude. de l’objet observé mettra tout de même en route le mécanisme Phylosophiques,
Histoire de
L’étonnement, la surprise et l’admiration. Ces trois émotions de comparaison avec le connu orchestré par le cerveau. l'astronomie,
sont différenciées par ce qui les suscite. Nous l’avons vu, L’émotion globale que vous ressentirez sera donc diminuée, Coda

28 29
ne contenant pas la surprise. Cependant vous serez tout de
même étonné. Cette distinction d’émotion est d’autant plus
difficile à discerner que lorsque nous ressentons des émotions
nous ne les catégorisons pas pour se dire : “ha, je suis étonné
et surpris !” Nous ressentons simplement une grande émotion
que nous, à mon avis, qualifions avec le premier mot qui nous
viens à l’esprit.
L’exemple des machines de François Delarozière.
J’aimerai finir cette distinction d’émotion par un exemple sur
la combinaison des trois en même temps. Prenons l’exemple
des géants de François Delarozière animés par la companie
Royal de Luxe. Ces géants sont d’énormes pantins de dix
mètres de haut circulant dans les rues grâce à la manipulation
d’une machinerie actionnée par la troupe Royale de luxe.
Prenons le cas de quelqu’un qui n’a jamais vu ces géants.
Cette personne achète du pain en bas de chez lui comme
chaque matin. Il sort de la boulangerie, va au bout de la rue,
tourne dans l’avenue le menant chez lui lorsque soudainement
il se trouve né à né face à La Petite Géante ! Une émotion
immense le traverse alors ! Il est totalement surpris par ce
phénomène qui le bouleverse de toute routine et qu’il ne
s’attendait certainement pas à croiser sur sa route. Il est
également étonné de voir ce géant de dix mètres marcher
devant lui : mais qu’est donc cette étrange chose, une
machine, un pantin ? Pourquoi est-elle ici ? Qui est à l’origine
de tout cela ? Tout un tas de questions s’imposent à lui. Et
pour couronner le tout, il est en même temps admiratif par la
grandeur et la beauté de cet objet si on peut le nommer ainsi !

François Delarozière | La petite géante


passerelle de
la nouveauté
vers l’aquis :
l’étonnement
Eugène Ionesco | dramaturge français

Les sources de la nouveauté ...

Si la nouveauté provoque l’étonnement, nous pouvons


nous demander d’où elle vient. Dans quelles circonstances

“Plonge dans
faisons-nous face à quelque chose qui nous dépasse
totalement à tel point que nous ne savons pas à quoi cela
ressemble ? Il y a deux grands cas. Celui de la découverte et

l’étonnement et la
celui de la création.
La découverte, nouveauté venant vers l’homme. Lors de
la découverte, la nouveauté est la source de l’étonnement.

stupéfaction sans
En décortiquant le verbe “découvrir”, nous voyons tout de
suite qu’il vient du mot “couvrir”. Ce mot signifie cacher en
mettant quelque chose dessus. En faisant le parallèle avec

limites, ainsi tu peux


nos expériences, cela veut dire que chaque chose constituant
ce monde est couverte par un voile. Chaque découverte
correspond au fait de soulever le voile sur l’une de ces choses
qui nous a été depuis toujours dissimulé. La découverte

être sans limites, est la révélation de ce qui existe déjà que nous n’avons pas
eu l’occasion de voir ou de vivre. Nous pouvons prendre
pour exemple un voyageur allant pour la première fois à la

ainsi tu peux être


Jean Dubois,
rencontre d’un peuple péruvien. Il y découvrira des savoir-faire Henri Mitterand,
Albert Dauzat,
(à vérifier.. si ya pas de ‘s’ à savoir ou à faire) insoupconnés Etymologique
et des outils dont il pourra penser à première vue que ce sont et historique

infiniment.”
du français,
des œuvres d’art. Larousse, 2007

La redécouverte nous montre une nouvelle facette du


connu. La redécouverte qui peut paraître à part, est tout
aussi étonnante que la découverte, voir plus impactante car,
souvent accompagnée de surprise. Prenons l’exemple de
ma meilleure amie que je côtoie depuis dix ans. Je pense la
connaître parfaitement, je n’ignore rien de ses comportements,
de ses motivations, de son histoire etc... Une sorte de
platitude de la connaissance s’est installée entre nous,
nous nous connaissons parfaitement. C’est alors que nous
passons du temps ensemble et que des circonstances non
33
habituelles lui font ressortir un trait de caractère que je n’avais
jamais vu chez elle. Je serai alors d’autant plus au comble
de mon étonnement que je pensais tout savoir sur elle ! La
redécouverte est quelque chose de très développé(e) en
philosophie. La philosophe, Jeanne Hersch, explique, en effet,
qu’être philosophe c’est arriver à se poser des questions sur
ce qui paraît évident. Autrement dit, cela correspond à deux
choses. D’une part, croire qu’une autre vérité soit possible,
ou que la vérité n’est pas simplement ce que l’on connaît
Jeanne Hersch,
L’étonnement
mais qu’elle est complétée par d’autres éléments que nous
philosophique : ne connaissons pas encore et que nous sommes prêts à
une histoire de
la philosophie,
entendre. Et que d’autre part nous nous donnons les moyens
Gallimard, 2003 de chercher ces nouveautés enfouies dans ce que nous
pensons connaître.
Association de choses connues a pour résultat la
nouveauté. Le caractère nouveau de quelque chose peut
également provenir d’une association de choses connues
que nous n’avons jamais vues auparavant. Le chef Stéphane
Gaborieau m’expliquait que pour étonner ses clients il associe
des aliments que tout le monde connait, mais mélangés
ensemble, le goût résultant est tout à fait nouveau. Une de ses
astuces pour assurer cet effet, est d’ailleurs de mettre dans
le même plat des aliments de la fin de saison, celle qui se
termine, et d’autres de début de saison, celle qui arrive !
La création ou la nouveauté qui sort de l’homme. La
création a pour résultat la nouveauté. Créer vient du latin
“creare” qui signifie mettre au monde, donner naissance à.
On peut se demander alors, d’où cette chose à été mise au
monde. Je pense que la maxime “Rien ne se perd, rien ne
se crée, tout se transforme” du chimiste Antoine Larivoisier a
toute sa place dans ce contexte. La nouveauté provenant de
la création ne vient pas de nulle part et n’apparait pas comme
par magie. La création est un processus pour lequel l’individu
est la raison et l’énergie nécessaire à la mise au monde de
nouveauté.

L'étonnement par Stéphane Gaborieau


34
... nous exposent des questions ...
Le questionnement est l’élément de base de l’étonnement.
Nous l’avons vu plus tôt, l’étonnement correspond à l’émotion
suscitée par notre rapport avec la nouveauté. Dans un cas la
nouveauté suscite l’étonnement, dans l’autre elle en est le fruit.
Quel est le point commun de tout ceci ?
Bruno Kesseli | Bulletin des médecins suisses

Dans le cas de la découverte tout un tas de questions se


posent à nous de façon innée. Ces questions sont dues au fait
que nous ne pouvons classer ce que nous voyons parmi ce
que l’on connait. Libre à chacun d’y répondre ou pas.
Dans le cas de la redécouverte, soit nous forçons le
questionnement, soit nous nous mettons en position d’attente
vers ce questionnement.
Enfin dans le cas de la création, c’est le questionnement
interne qui va donner naissance à notre création.

En fin de compte, la science ne peut progresser


qu’en regardant de telles questions en face.
C’est dans ces zones limites qui sont source
d’étonnement, là où la théorie ne permet plus
d’expliquer de manière satisfaisante la réalité perçue,
que résident les grands
défis scientifiques.
37
Le dépassement de soi. De façon plus générale et sûrement
plus exacte je devrais parler de dépassement de soi. Qu’est
ce que le dépassement de soi ? C’est le moment où nous
allons plus loin que ce que nous avons toujours fait, vécu
ou vu. En réalité je devrais dire que l’étonnement invite au
dépassement de soi. Alors s’il n’est pas le dépassement de
soi, ou s’il ne l’est pas toujours, qu’est-il ?
L’étonnement est le face-à-face avec la limite de
nos connaissances. Nous avons vu plus haut que nos
expériences forgent notre connaissance. Ces connaissances
façonnent le sol sur lequel chacun de nous se sent bien, vit et
évolue. Nous avons vu que c’est cela qui est la conséquence
de l’ennui. L’étonnement est le moment où nous nous trouvons
à la bordure de cette plateforme de connaissance forgée
par nos expériences. C’est le moment où nous prenons
conscience que oui, il y a des choses que nous savons et
surtout qu’il y a des choses que nous ignorons. Nous prenons
conscience que notre belle terre de connaissance n’est
pas ronde et infinie comme celle sur laquelle nous vivons,
mais bien plate et limitée. Nous comprenons donc en quoi
l’étonnement peut être extrêmement enthousiasmant et
également terrifiant ! Il est le chemin vers l’inconnu.
Ce face-à-face avec la limite de nos connaissances nous
expose donc à des questions auxquelles nous sommes libres
de répondre. Qu’est ce qu’il se passe si nous jouons le jeu et
tâchons de trouver des réponses à ces questions ?

connaissance

38
... dont les réponses forgent notre
connaissance.

Si, comme le dit Voltaire, “Il n’y a point de connaissance


innée”, alors comment l’acquiert-on ? Comment passe-t-on
de la vision de quelque chose de nouveau à son classement
parmi les tiroirs du connu ?
Des réponses pour une aide au classement. L’étonnement
est un processus qui commence par une émotion et qui s’en
suit d’une confrontation avec des questions. Ces questions
correspondent à la recherche de réponses permettant de
comprendre comment se situe la nouveauté parmi tout ce
que l’on connait. A mon avis, toute la phase intéressante de
l’étonnement est celle par laquelle chacun de nous tente de
répondre à ces questions. C’est à ce moment précis que nous
faisons tout notre possible pour nous dépasser et trouver
des explications. Nous avons en effet un raisonnement très
scientifique. Un fait inconnu donne naissance à une question
dont la réponse permet de le comprendre et de le classer.

connaissance
nouveauté

41
La nouveauté classée est nommée. La compréhension de
certains phénomènes nous amène quelques fois à les classer
parmi d’autres phénomènes connus. Cependant certaines
choses ne trouvent pas de frère parmi ce qui existe. Dans ce
cas, nous nous sentons obligés de leur créer un nom, soit
nouveau en lui même soit en mélangeant des noms connus.
Cet effet est extrêmement présent dans l’art. L’art donne
naissance à des nouvelles catégories de choses tout le
temps, or il nous faut les nommer. C’est pourquoi les artistes
créent des noms spécifiques à leurs oeuvres, voire leur
courant ! Par exemple certains groupes, se disant en marge
de ce qu’il se fait, s’inventent des genres comme le “métal
brutal” ou le “rock symphonique” etc...
Un étonnement infini. Enfin, on peut se demander :
finalement, combien de temps peut durer l’étonnement lui

Voltaire | écrivain et philosophe français


même ? Question Intéressante. La première chose importante
à dire est que l’étonnement, qui n’est pas une simple émotion,
n’en est pas plus fugace. Dans tous les cas l’étonnement dure
au minimum le temps de prendre conscience de la nouveauté
et d’essayer de la classer dans notre tête. Si on va plus loin,
étant donner qu’il a pour objectif de raccrocher la nouveauté
au connu, il dure le temps nécessaire pour que cela se
produise. C’est pour cette raison que l’étonnement créé lors
d’une expérience peut durer toute une vie.

Il n’y a point de
L’étonnement est le moment où l’on fait face à la limite de
connaissance innée, par
la raison qu’il n’y a point
nos connaissances et donc à notre ignorance. Il est le
dépassement de l’homme vers ce qu’il n’a jamais été. Ce

d’arbre qui porte des


face-à-face est en relation directe avec notre rapport à la
nouveauté. L’étonnement est, par ailleurs, ce qui nous permet
d’intégrer ce qui est parmi nos connaissances. L’étonnement
feuilles et des fruits en
sortant de la terre.
est, donc, facteur d’élargissement de notre connaissance. On
peut alors se demander ce qu’est la connaissance ! Qu’est-ce
que la connaissance ? A quoi sert-elle ? Et si elle sert à
quelque chose, est ce que nous nous étonnons dans notre
quotidien ? Ces quelques questions sont celles auxquelles
nous allons tenter dans répondre dans la suite de cette étude.

connaissance aquise
42
l’étonnement au
quotidien
Pourquoi
s’étonner ?

la découverte

Nous avons vu précédemment que découvrir, c'est s'étonner.


La découverte est ce qui va nous permettre d’acquérir la
connaissance de l’environnement dans lequel nous sommes.
En quoi cela consiste-t-il ?
L’individu. En anthropologie, la première connaissance est
celle que l’homme a de lui même. On parle de connaissance
individuelle. Connaître qui je suis, d’où je viens, pourquoi je
suis là, etc. Cette question de la connaissance personnelle est
nécessaire pour se positionner soi même et se stabiliser.
L’environnement. Viens ensuite la connaissance de
l’environnement dans lequel on se place, en l’occurrence
le monde. Due à l’immensité de celui-ci et à sa faculté à
générer de la connaissance, nous savons bien qu’il n’est pas
possible de le connaître entièrement. Il est donc préférable
de commencer à se connaitre soi même, puis, d’étendre son
champ de découverte, et donc des connaissances, de plus
en plus loin de soi. Je me connais, je connais ma famille, je
connais ma culture, je connais d’autres cultures, etc.
La connaissance. On peut alors se demander ce que
regroupe le terme ‘connaissance’ ? Ce mot est, en effet,
très vaste. Regardons donc les principaux points qui la
composent.
La science est une des principales formes de connaissance.
La science en général est un ensemble de méthodes
systémiques pour acquérir des connaissances. On utilise en
effet des principes, méthodes et technologies pour découvrir
la nature, ses limites et ses possibilités.
Le savoir-faire, qui est une pratique aisée d’un art, d’une
discipline, d’une profession, d’une activité suivie, une habileté
manuelle et/ou intellectuelle acquise par l’expérience, par

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l’apprentissage, dans un domaine déterminé. Comme par ça extrêmement désagréable.
exemple l’artisanat, savoir nager, etc. L’échelle du groupe. C’est la connaissance partagée du
La langue est la faculté que les hommes possèdent d’exprimer groupe qui forme sa structure et assure sa survie. Cet effet est
leur pensée et de communiquer entre eux au moyen d’un très marquant dans les sociétés primitives où la connaissance
système de signes conventionnels vocaux et/ou graphiques partagée par tous permettait non seulement la survie du
constituant une langue. Par ailleurs les langues, quelle que groupe et également son évolution. Cette connaissance
soit leur forme d’expression, sont rarement neutre. Une langue commune se constitue comme un ensemble de pratiques,
contient souvent, de manière intrinsèque, une manière de de comportements et de règles admises par la communauté.
penser. C’est pourquoi par exemple, quand nous apprenons Par exemple la pratique de la chasse collective suppose à
une autre langue il est toujours utile d’aller dans le pays dans la fois la connaissance de ses congénères, celle du gibier,
lequel elle est utilisée, cela nous permet de comprendre la celle du terrain et celle d’un savoir-faire partagé. Il en va de
culture et la signification qui y est rattachée. même aujourd’hui avec une société qui est de plus en plus
Les traditions sont des actions, façon de transmettre un savoir, complexe.
abstrait ou concret, de génération en génération par la parole, En même temps, le fait de partager des connaissances et
par l’écrit ou par l’exemple. de découvrir les autres et leur environnement permettent de
Les légendes correspondent à des écrits à caractère comprendre les différences et d’effacer les préjugés pouvant
merveilleux, ayant parfois pour thème des faits et des exister entre chacun. C’est en comprenant les autres et leur
événements plus ou moins historiques mais dont la réalité environnement que l’on peut communiquer avec eux et
a été déformée et amplifiée par l’imagination populaire ou avancer. Par ailleurs, partager des connaissances c’est aussi
littéraire. Un grand nombre de cultures, si ce n’est toutes sont
basées sur ces légendes ou en font au moins référence.
Les coutumes qui sont des droits, non-écrits ou codifiés
tardivement, propre à un peuple puis à un groupe social et
formé par un ensemble de règles.
Les idées qui correspondent à ce que chaque esprit
conçoit ou peut concevoir. Avoir des idées est une grande
caractéristique de l’homme.
Les connaissances d’une société ou de l’humanité qui
correspondent à ce que nous avons découvert auparavant,
comme savoir à quoi sert un manteau ou que l’eau éteint le
feu.
Comprendre l’environnement. La transmission et
l’acquisition de ces connaissances permet de comprendre
l’environnement dans lequel nous sommes. Ce qui est
impératif pour se sentir bien et être en harmonie avec ce qui
nous entoure. Permettez moi de prendre pour exemple une
expérience personnelle. Lorsque j’ai vécu à Singapour, tout
m’était étranger, depuis la culture locale jusqu’aux gens que
je côtoyais en passant par le lieu dans lequel je vivais. Ce
sont dans ces moments, où je n’avais aucun repère, où je me
sentais déstabilise. Je prenais conscience de l’importance
de comprendre et de connaître l’environnement dans lequel
on vit. Cette idée s’est confirmée avec le temps passé dans
ce pays asiatique. En effet, plus je rencontrais des gens,
plus j’échangeais avec eux, plus j’essayais de nouvelles
choses et plus je comprenais la culture et le lieu dans lequel
je me trouvais. Je m’y sentais alors de mieux en mieux. Il en
va souvent de même, quand on arrive dans un groupe de
personnes dans lequel chacun se connait bien alors que l’on
ne connait personne. Nous ne trouvons plus nos repères.
plat Asiatique
Certains aiment ça, d’autres trouvent
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les valoriser. Les valoriser en leur permettant de rester en vie,
et les valoriser en les utilisant comme base pour évoluer.
Découvrir ne veut pas dire devenir. Il est, je pense,
important de poser des nuances en ce qui concerne la
découverte. Car, si celle-ci permet la stabilité et l’évolution,
il ne faut pas confondre découvrir et devenir. Je m’explique.
Aujourd’hui, la mondialisation fait que nous connaissons
beaucoup de choses sur les autres. Si l’on prend l’exemple
de l’Europe et de l’Amérique du Nord, nous pouvons voir que
nous sommes de plus en plus proches et que nous nous
connaissons de plus en plus. L’effet qui me semble néfaste
correspond au fait que nous tendons à être tous pareil. On
peut prendre pour exemple les styles vestimentaires des
jeunes en France et de ces mêmes jeunes américains. Le
style Singapourien n’est pas non plus bien loin si ce n’est
exactement le même ! D’ailleurs, il en va de plus en plus de
même pour quelques pays d’Asie dans lesquels certaines
jeunes filles se font agrandir les yeux pour ressembler aux
Occidentaux. Nous avons la chance d’avoir une planète
couverte par de nombreuses cultures différentes qui en font
toute la richesse. Je suis convaincu qu’il est extrêmement
important de garder ce trésor. C’est en ce sens que je pense
qu’il faut découvrir l’autre sans le devenir.
Partager et découvrir n’importe quoi ? L’autre point qui
me parait important d’avancer pour nuancer ce qui a été
dit auparavant concerne la qualité de l’information. En effet,
aujourd’hui et, notamment depuis la création et la montée
en puissance des TIC (Technologies de l’Information et de
la Communication), nous avons tendance à communiquer
pour communiquer. C’est ce que l’on peut appeler “société
de l’information”. Charles Leadbeater nous fait prendre
conscience qu’aujourd’hui nous n’existons plus par ce que
nous possédons mais par ce que nous partageons. Ce
qui explique pourquoi certains partagent pour partager.
Nous pouvons prendre l’exemple du dictionnaire participatif
Wikipedia au sein duquel la validité des informations peut être
remis en cause. Sommes-nous prêts à découvrir n’importe
quoi, y compris ce qui est faux ? Quelles sont les limites de la
découverte ? Est-ce que quelqu’un doit les fixer ? A quel point
doit-on favoriser la diffusion ? Et la diffusion de quoi ? Pour
qui ? Je laisse ces questions en suspend, pour le moment.
Nous y reviendrons dans la dernière partie de ce mémoire.

51
la création

Nous avons vu que s’étonner c’est également créer. Alors


qu’est-ce que l’on entend par créer et, a-t-on besoin de
créer ?
La créativité comme découverte. Parlons de créativité,
qui est la capacité qu’a un individu de créer. C’est en fait la
faculté qu’a un individu ou un groupe à imaginer ou construire
et mettre en oeuvre un concept neuf, un objet nouveau. L’idée
intéressante, qui est en rupture avec la découverte, est que
le nouveau est généré par l’individu grâce à son imagination.
La nouveauté, dans le cadre de la créativité, vient donc de
l’individu lui-même. Ce qui s’oppose à une nouveauté qui
vient vers l’individu. Cependant en socio-psychologie on parle
de capacité à “découvrir” une solution nouvelle, originale. On
en revient donc à la découverte ! La question est, où est cette
chose enfouie et couverte ? Ne serait-elle pas au fond de
nous ?
Si la créativité est venue de l’anglais “créativity” et a
commencé à être définie simplement de mise en œuvre du
nouveau, aujourd’hui un grand nombre de définitions plus ou
Hans Joas, La
créativité de l'agir,
moins subjectives existent. L’étude de celles-ci dégage trois
Cerf, 1999, p.306 grands sens que je souhaite partager ici.
Créer quelque chose de nouveau. Cette première approche
nous amène vers la création dépourvue de raison : créer
pour la nouveauté en elle même. La créativité est alors
définie comme un processus cognitif, lié à un environnement
et à une personnalité. C’est la rencontre des trois qui va
forger la nouveauté. Certains parlent de réorganisation des
informations de la mémoire de manière nouvelle, poussée
par l’imagination. En effet si le travail de copie peut exiger
la rigueur et le soin, le travail de créativité fait appel à des
circuits neuronaux originaux. Cela revient à un schéma
heuristique : le tout est plus que la somme des parties. On
peut donc dire que la personnalité est l’élément essentiel pour
arriver à ses fins. Ce sont mes connaissances mélangées à
mon imagination et à mon rapport à un environnement qui
vont donner naissance à une nouveauté spécifique. Voilà
pourquoi nous créons tous des choses différentes : nous
n’avons ni le même vécu ni la même imagination ! Je tiens à
profiter de l’évocation de l’imagination pour la différencier de
la créativité. Il y a créativité lorsqu’il y a réalisation de l’œuvre.
L’imagination reste dans l’esprit. Le sociologue Allemand
Hans Joas parle cependant de la “créativité de l’agir”. Est-ce
de la créativité ? Agir renvoie à l’expérience. Or faire une
expérience c’est concrétiser une action qui va engendrer des
conséquences. On peut donc dire qu’une expérience est une
réalisation en soi. Afin de se dégager de cette dualité, des
concepts tels que celui de l’expression ou de la création
sont bien utiles. En effet, ils recouvrent à la fois l’action
et le résultat de celle-ci, sans distinction.

52
Capacité à trouver des solutions orginiales. Une autre
approche plus pragmatique de la créativité peut être
considérée comme la capacité d’apporter ou de faire trouver
des solutions originales aux problèmes d’adaptation auxquels
chaque être humain est confronté. Selon la vision classique
de la créativité fondée par Guilford (1956) sur le principe
dichotomique, la démarche créative commence par la
reconnaissance d’un problème. Pour être plus descriptif, le
processus créatif commence par l’identification d’un problème
précis, puis utilisant celui-ci comme point de départ, puis
par la phase de divergence et enfin celle de convergence
aboutissant à la solution nouvelle.

54
“Peindre, composer, écrire
: me parcourir. Là est
l’aventure d’être en vie.”
Henry Michaux | Passage | 1950 | écrivain
Volonté de transformer ou de modifier le monde. Une
analyse des définitions de la créativité fait apparaître un L’étonnement est une machinerie actionnée lors de la
facteur général de créativité : la volonté ou l’intention de découverte et de la création. Ces deux manières de s’étonner
modifier ou de transformer son environnement, le monde, la sont, dans certaines limites, bénéfiques pour le groupe
perception que les autres en ont, son propre monde intérieur, et avant tout pour l’homme. On peut donc se demander,
etc. Cette analyse est confirmée empiriquement par la chacun s’étonne-t-il ? Y a-t-il une recette pour s’étonner ? Pour
primauté donnée à la motivation dans la plupart des études comprendre cela, observons quelques attitudes et leurs effets.
faites sur le processus créatif en particulier celles de Teresa
Amabile. D’après elle, la créativité n’est alors pas alors du
ressort des sciences cognitives mais des sciences conatives.
C’est à dire ce qui a rapport à un effort, une tendance, une
volonté, une impulsion dirigée vers un passage à l’action.
La création comme dépassement de soi. La création
n’est pas du ressort de la survie de l’individu mais du défi
de soi, de la recherche d’un idéal et d’une volonté de voir
jusqu’où il est capable d’aller. La création peut également
être une volonté de développer son imagination comme être
le résultat d’une insatisfaction et d’une volonté avouée ou non
de modifier l’environnement dans lequel nous sommes. Henry
Michaux disait que l’écriture lui permet de se parcourir pour
se dépasser. Il faut se connaître pour évoluer et aller plus
loin. Par ailleurs la création multipliée par différents individus
entraine une attitude très humaine qui est la comparaison.
Ce qui est, je pense, un facteur clé d’évolution positive qui
nous pousse à aller chercher le meilleur de nous même pour
toujours aller plus loin et se dépasser. On en vient donc à
vouloir creuser l’intérêt de la création à l’échelle du groupe.
Evoluer avec son monde. La création pour le groupe permet
de mettre à disposition de nouveaux choix et solutions dans
un monde qui change, ce qui est nécessaire à notre survie et
notre confort. L’homme doit s’adapter à son environnement qui
est en perpétuelle évolution. La nouveauté est également ce
qui enrichit nos cultures. L’homme évolue, ses cultures avec,
c’est ce qui fait la beauté de notre espèce.
La créativité a des limites. Ce qui va suivre n’est pas, encore
une fois, une vérité absolue, seulement un point de vue que
je trouve important de partager pour comprendre la suite
de cette étude. J’ai parlé des intérêts de la création pour
l’individu et le groupe. Que se passe-t-il si tout le monde se
met à créer ? Créer n’importe quoi. Nous voyons aujourd’hui
que la société de consommation incite à la naissance d’objets
dont l’intérêt et la qualité son critiquables. Je pense qu’il est
important de nuancer deux choses. D’une part il y a le fait de
créer, utile ou non, de qualité ou non, etc. Cela est subjectif.
D’une autre part il y a la notion de partage. Je pense que
l’on peut créer n’importe quoi, tant que nous sommes dans
un cadre qui est adapté à cela et qui ne nuit pas à autrui.
Cependant je ne pense pas que l’on puisse partager n’importe
quoi avec n’importe qui. Il faut faire, je pense, très attention
au cadre dans lequel nous créons et partageons pour ne pas
faire aller nos intentions à l’encontre de nos volontés et pire
encore, de nos valeurs.

58
Une attitude...

Maintenant que nous comprenons mieux ce qu'est


l'étonnement, nous pouvons tenter de comprendre si chacun
s'étonne dans son quotidien. Nous verrons içi que nous
n'avons pas le même rapport à l'étonnement en fonction de
notre attitude. Nous pouvons en effet catégoriser les attitudes
des hommes en trois grandes catégories.

l’imperméable

L’imperméable est l’attitude de celui qui n’interagit


pas avec son environnement. On peut assimiler cela à
quelqu’un qui est dans une boîte hermétique, celle de ses
connaissances, et qui ne laisse rien entrer. Autrement dit
cette personne refuse, de façon consciente ou
non, de faire face au changement. Les Hommes Manuel Balbo tient alors un écrou placé autour d’une vis.
d’expérience sont les plus enclins à avoir cette Après avoir fini de visser le tout, il propose à nos deux
attitude. En effet l’accumulation de connaissance camarades la chose suivante. “Je donne à chacun de
grâce à la succession d’expériences répétées vous un ensemble vis-écrou, le premier de vous deux qui
renforce deux choses. Tout d’abord nous nous arrive a séparer l’un de l’autre a gagné.” Exercice simple !
sentons à l’aise dans ce que nous connaissons. Etonnamment, l’ensemble vis-écrou semble étrange, les
Nous pouvons anticiper ce qu’il se passe deux étudiants n’arrivent pas à les dévisser l’un de l’autre en
dans les domaines que nous maîtrisons. Ce maintenant l’écrou d’une main et en faisant tourner la vis de
qui nous amène au deuxième point. Plus nous l’autre. Finalement, au bout de deux minutes l’étudiant le plus
connaissons un phénomène plus il devient jeune arrive à séparer les deux. Cinq minutes plus tard, après
difficile de concevoir d’autres possibilités que avoir peiné, l’autre étudiant parvient au même résultat.
celles que nous connaissons. Qu’est ce qu’il s’est passé ? Le système vis-écrou n’était pas
comme d’habitude. Pour séparer les deux éléments, il fallait
L’exemple vis-écrou de Manuel Balbo. Je
maintenir l’écrou et faire tourner la vis par le bas ! L’étudiant
tiens à vous décrire un exercice, nous ayant
le plus jeune, après avoir tenté de dévisser la vis grâce à la
été proposé en cours par Manuel Balbo, qui
méthode qu’il connait, a rapidement réussi à se dire qu’une
expose très bien ce phénomène. Il demande à
autre solution était possible et a commencé à tenter des
deux étudiants de venir près de lui. L’un a une
expériences improbables avec le système qu’il avait entre
vingtaine d’année et l’autre une quarantaine.
60 61
les mains. L’étudiant plus âgé, quant à lui, ne pouvait pas jamais d’une seule possibilité mais continue toujours à
concevoir d’autres solutions que celles qu’il connaissait. Ses rechercher de nouvelles fonctions aux objets. Par exemple une
expériences précédentes ont rendu beaucoup plus difficile passoire pourrait, si on doit trouver des noms, être un casque,
l’acceptation d’une possibilité qu’il existe une autre solution un chapeau, un siège, une armure, un filtre de vision et j’en
pour résoudre le problème. passe et des meilleurs ! Le plus fascinant est que l’enfant peut
Par ailleurs d’autres raisons peuvent être la cause de passer à côté de la fonction pour laquelle a été conçue l’objet
l’imperméabilité d’une personne face à des expériences !
nouvelles. La question n’est pas tellement de savoir si L’attitude cérébrale est typique de l’entrepreneur extrême
une personne est bornée ou indifférentes, mais plutôt de qui pense que même le connu peut l’étonner. Cette attitude
comprendre pourquoi elle est comme cela. Il y a en fait deux positive vit grâce à l’espoir profond que tout peut-être source
grandes raisons. d’étonnement. On parle de redécouverte. C’est comme une
La peur. La peur. Découvrir quelque chose de nouveau c’est intime conviction que chaque chose contient une multitude de
faire face à ce que l’on ne connait pas, c’est à dire prendre facettes et que nous ne découvrirons jamais toutes celles-ci.
conscience que nous ignorons des choses. Ce qui peut Cette attitude va même souvent plus loin que ça. Car on peut
paraître affreux c’est de se retrouver dépourvu de repères. Se être étonné par quelque chose et également par sa raison
retrouver au milieu de l’inconnu, sans rien de comparable à ce d’être. Une fois que nous avons compris l’objet, c’est à dire
que l’on connaît. le “quoi”, on peut ne jamais comprendre le “pourquoi” ! On
peut donc continuellement être étonné par la raison d’être
Changer pour moins bien. L’autre raison est la crainte du d’une chose tout en étant presque ennuyé de cette même
changement pour quelque chose de moins bien qu’avant. chose. Il peut également y avoir un sentiment d’insatisfaction
Ce qu’il y a de rassurant avec le connu c’est que l’on sait des explications que l’on a, voire même de scepticisme
comment il est, fonctionne et réagit. Le problème de la
nouveauté est que par définition, on n’en sait rien ! Le
conservateur est totalement dans cette démarche de crainte
de découvrir quelque chose de moins satisfaisant que ce
qu’il connait déjà. Et comme le dit l’écrivain Wayne Dyer le
rejet de ce que l’on ne connait pas est la plus grande forme
d’ignorance.

l’entrepreneur

L’entrepreneur est celui qui agit vers la nouveauté. Cette


attitude, par rapport à l’étonnement, peut être vue sous deux
aspects.
L’attitude physique. L’attitude physique. Certaines personnes
considèrent que le lieu dans lequel ils se trouvent est facteur
d’ennui, et surtout, que les lieux qu’ils ne connaissent pas ont
beaucoup plus de chance de contenir de nouvelles choses.
Ils cherchent donc l’étonnement ailleurs. On peut prendre
l'entrepreneur
l’exemple des grands voyageurs qui cherchent l’étonnement
via la découverte de mondes nouveaux. Dès qu’un
environnement les lasse, ils bougent pour se placer dans un
environnement vecteur d’étonnement. Les enfants ont le même
type d’attitude, qui est en fait encore plus caricaturale. Quand
on observe un enfant en bas âge, on voit qu’il est tout le temps
en mouvement. Il marche partout, à la recherche inconsciente
de nouvelles expériences. Dès qu’il trouve un objet, il essaye
de découvrir (ou d’inventer) ce qu’il peut faire avec. Ce qui
est extrêmement intéressant c’est que l’enfant ne se contente

62 63
sur la véracité de ces explications. Ce qui va inciter les l’attentiste
entrepreneurs de l’étonnement à aller chercher plus loin et
à provoquer cet étonnement. Cette attitude est typiquement
exploitée par les philosophes. L’attentiste est l’état de celui qui attend que la nouveauté
Se laisser surprendre par la nouveauté. On peut vienne à lui. L’attentiste peut avoir un avis positif vis à vis de
simplement aimer la surprise. J’entends par là que l’étonnement. Sa principale caractéristique est qu’il ne fait
l’entrepreneur de l’étonnement est prédisposé à accepter rien pour aller à la rencontre de la nouveauté. Il est souvent
la nouveauté. Il la cherche même quelques fois et tente de qualifié de fainéant ou de passif. En fait, il va même parfois
deviner où elle peut être et sous quelle forme. L’étonnement jusqu’à repousser l’expérience étonnante. L’attentiste est
est d’autant plus grand quand la nouveauté n’a pas la forme souvent celui qui “aime bien l’idée de”. Prenons l’exemple de
que l’on avait prévue ! On en revient à la combinaison celui qui aime l’idée d’aller faire du saut à l’élastique depuis
étonnement - surprise. un pont. Rien que l’idée le fascine ! Et c’est bien le problème !
Il reste en général fasciné par l’idée sans aller beaucoup
Prendre conscience de ses lacunes est également un plus loin. Ensuite, il faut tout faire pour lui : réserver la journée
facteur moteur vers l’étonnement. Certaines personnes aiment pour faire l’activité, préparer les affaires, le conduire
voir la limite de leurs connaissances pour tâcher de les jusqu’au spot, voire même le pousser
combler. Cela se rapporte à une sorte de quête de la vérité. du pont !
Chaque nouveauté est une opportunité. L’opportunité de Evidemment il y a différents types
découvrir dans leur environnement ou en eux autre chose, d’attentistes et différents degrés. Certains
quelque chose de nouveau. Contrairement à l’imperméable, seront attentistes envers toutes les étapes
l’entrepreneur voit également les “mauvaises” découvertes qui pourraient les mener à l’étonnement
comme des opportunités. Soit comme une chance de d’autres seulement les premières ou les
découvrir un peu plus de possibilités permises par le monde, dernières et d’autres encore pourraient
soit comme un tremplin vers autre chose ! prendre des initiatives dans quelques étapes
qui correspondent à leurs affinités mais pas
Dans tous les cas la raison consciente ou inconsciente de la les autres !
recherche de l’étonnement est la connaissance : combler son
vide en accumulant de la connaissance.

“Ce qui suscita tout leur étonnement,


ce fut le spectacle du changement.
Nous vivons dans un monde où tout
ne cesse de changer.” Thalès | école de Milet

64 65
Ne pas savoir comment faire. Il y a déjà celui qui ne sait pas Le taux d’étonnement d’un attentiste dépend donc de
comment s’y prendre. Il a des idées ou des envies, que l’on l’environnement dans lequel il se situe. Si l’environnement est
peut appeler “objectifs”, mais il ne sait pas quels outils utiliser sujet d’étonnement alors il est plutôt facilement étonné. Dans le
et comment les utiliser pour atteindre ses objectifs. cas contraire, il ne fait rien pour aller chercher cet étonnement.
Ne pas savoir quoi faire. Pour un autre, le problème est Qu’en est-il aujourd’hui du monde dans lequel nous vivons ?
avant cela, il ne sait pas ce qu’il veut, autrement dit, il ne Est-il sujet à l’étonnement ? A quel point est-il facile de
connait pas son objectif et ne sait donc pas quel chemin s’étonner ?
prendre.
Etre fainéant. Il y a également ceux qui sont simplement
fainéants, ils savent ce qu’ils veulent et comment s’y prendre
mais ne veulent simplement pas le faire.
L’équilibre peur et envie. Et enfin il y a ceux qui sont tiraillés
par la volonté de rencontrer la nouveauté et par la peur de ce
qu’elle peut leur apporter de néfaste. C’est ce tiraillement d’un
côté et de l’autre qui va les stabiliser dans un état d’attente.
Encore une fois, tout est question de proportion.

66
... responsable d’un
mode de vie.

Pour comprendre la société dans laquelle nous vivons


aujourd’hui, il est utile de faire quelques pas dans l’histoire. Je
propose donc de revenir à la fin du XVIIIeme siècle pour tenter
de comprendre ce qu’il s’est passé depuis.

la société de consommation

Sans rentrer dans tous les détails de la révolution industrielle,


je pense qu’il est important d’en comprendre les mécanismes
et ses conséquences sur la société d’aujourd’hui.
L’âge de la survie. De la fin du Moyen Âge, au xviiieme
siècle, l’heure est plutôt à la survie. Même si l’Europe connaît
plusieurs phases de croissance démographique et de
prospérité économique, cette expansion est toujours rattrapée
par des crises profondes : les épidémies, les guerres et
les disettes. La mortalité infantile est très élevée, l’hygiène
reste généralement désastreuse, ce qui est attesté par les
déformations et autres marqueurs d’innombrables maladies
relevées sur les squelettes de l’époque.
Une machine alimentée par le financement. Cependant
plusieurs facteurs vont venir changer la donne. En effet
le XIXeme siècle est marqué par un certain nombre de
changements qui, accumulés, ont fait éclater une révolution.
D’un côté, la naissance de l’entreprise permet la concentration
de capitaux qui donnent la possibilité aux investisseurs de
placer des financements de plus en plus importants. On
peut prendre pour exemple les chemins de fer construits
au XIXeme siècle. Ajouté à cela le libéralisme, devenant un
mode de fonctionnement de plus en plus répandu, devient le
carburant qui fait avancer la machine. Les flux financiers sont
encouragés par ce système favorisant l’innovation.

69
Innovation facteur de révolution industrielle. En effet le met en place le travail à la chaine. La mise en place de
progrès technologique donne lieu à la révolution industrielle. convoyeurs déplaçant automatiquement les produits impose la
Ces avancées technologiques donnent lieu à un rendement cadance et la parcellisation des activités. La dernière grande
agricole de plus en plus important et efficace. En même idée de Henri Ford est la standardisation. La Ford T sera en
temps les mouvements d’enclosure, mise en clôture des effet produite en une seule version, noire avec un équipement
terres agricoles par les landlords, entamés au XVe, marquent unique, ce qui permet d’éviter les imprévus et d’augmenter
une rupture avec le système traditionnel de l’openfield, d’autant plus la productivité.
synonyme de profits collectifs. Les enclosures, permettent Cet exemple absolument significatif du XIXeme siècle
le remembrement agricole, l’application de nouvelles nous montre comment nous sommes arrivés extrêmement
techniques et l’accroissement de la production de manière rapidement à une standardisation de l’offre. Nous comprenons
significative. Pour Karl Marx le mouvement d’enclosure est facilement que cette standardisation est cause d’ennui. En
à l’origine du départ des paysans sans terre vers les villes effet nous avons vu un peu plus tôt que le fait de voir ce que
dans lesquelles ils deviendront les premiers ouvriers de la nous avons déjà vu est facteur d’ennui. Hors la standardisation
révolution industrielle. En effet, les enclosures privent nombre va tout à fait dans cette direction.
de ces petits paysans de leur moyen de subsistance, à
savoir la culture des biens communaux. C’est le “ triomphe
de l’individualisme agraire ”, d’après l’expression de l’historien
Marc Bloch.
Un accroissement démographique. Le progrès est
un renforcement sociétal
également mis clairement à profit au niveau médical. Un
grand nombre de solutions médicales sont développées et La publicité accentue l’ennui. Son objectif est, implicitement,
donnent lieu à une croissance démographique significative. de nous dicter ce que nous voulons. En voyant à la télévision
La transition démographique correspond à une période de ou sur des affiches les produits disponibles nous n’avons
déséquilibre entre les taux de natalité et les taux de mortalité. plus la curiosité de chercher et d’aller découvrir. Aujourd’hui
Avant que ne débute la transition démographique, le régime nous avons simplement envie de ce que nos voisin ont.
démographique traditionnel est celui d’une natalité et d’une Cet engrenage a des effets directs sur la société et son
mortalité fortes qui se compensent. comportement.
Ce changement démographique implique une conséquence La société à bout de souffle. Un des premiers effets de
simple : la demande est plus forte. Certains protagonistes de cette société de consommation est que nous n’avons plus
l’époque vont alors savoir prendre les devants et s’adapter aux d’envies. Ou, autrement dit, que nos envies nous sont dictées
nouvelles conditions. par ce que nous voyons soit chez les autres, soit au travers
Taylorsime et fordisme comme réponse à une demande de la publicité. Tous les prétextes sont bons pour nous faire
grandissante. Frederick Winslow Taylor et Henri Ford, vont acheter. D’un côté, certains achètent aveuglément, dictés par
trouver le moyen d’adapter leur méthodes de production pour des besoins qu’ils ne maîtrisent pas. D’un autre côté, Charlotte
améliorer le rendement dans l’industrie automobile. et Peter Field parlent du “stacking stuffer syndrom” qui
Taylor permet aux ateliers d’être organisés de façon à diminuer correspond à l’achat compulsif de choses inutiles. Ces objets
la fatigue de l’ouvrier. Il met en place une division horizontale ne sont d’ailleurs, précisent-ils, ni voulus ni ressentis comme
et verticale du travail, supprime l’organisation sociale du travail manque par ces acheteurs. Les consommateurs semblent
en l’ordonnant par métier, et en fragmentant les tâches. Cela donc perdus, chacun fait un peu n’importe quoi pour essayer
a pour effet d’augmenter les cadences de production tout en de survivre et prouver qu’il existe. Situation bien triste à mon
augmentant la productivité homme machine. avis. Charlotte et Peter
Field, Design
Pour accentuer cette marche vers l’efficacité, Henri Ford Now, Taschen,
2007
met en place le travail à la chaine. La mise en place de
convoyeurs déplaçant automatiquement les produits impose la
cadence et la parcellisation des activités. La dernière grande
idée de Henri Ford est la standardisation. La Ford T sera en
effet produite en une seule version, noire avec un équipement
unique, ce qui permet d’éviter les imprévus et d’augmenter
d’autant plus la productivité.

Pour accentuer cette marche vers l’efficacité, Henri Ford

70 71
tat
| c o ns
e m o nd e
trop d

Une expression étrange.


N’avez-vous jamais été devant quelqu’un
qui vous regarde droit dans les yeux et qui vous lâche
de façon provocante : “Etonnez-moi !” ?! Je propose de
m’arrêter un instant sur cette expression qui est à mon sens
un paradoxe ! Reprenons dès le début. L’étonnement c’est
quoi ? L’étonnement est le fait de se confronter à la limite de
ses connaissances en faisant l’expérience de la nouveauté.
Je tiens à rappeler que la nouveauté est quelque chose de
très personnelle. Ce qui est nouveau pour moi ne l’est peut
être pas pour vous. Par conséquent, pour répondre à cette
affirmation il faut connaître la personne pour savoir ce qu’elle
sait et alors lui faire vivre une expérience qu’elle n’a pas vécue Elle met en exergue la monotonie de la vie de chacun. Nous
auparavant. Autrement dit cette affirmation voudrait dire : sommes tous tellement ennuyés que nous cherchons, par tous
“Prouvez moi que vous me connaissez en faisant quelque les moyens, à être étonnés. Nous avons soif de nouveauté !
chose que je ne connais pas !” Est-ce vraiment raisonnable En même temps nous ne sommes finalement pas prêts tant
? L’étonnement est une démarche personnelle pour laquelle que ça à nous investir pour nous étonner car nous rejetons
l’individu étonné en est au cœur. Quand nous demandons à la faute de cette lassitude sur autrui. Finalement en me
quelqu’un de nous étonner, assumons-nous que nous avons provoquant de la sorte, mon interlocuteur rejette les raisons de
tous vécu les mêmes choses ? Ou cherchons-nous à voir son non étonnement sur moi. C’est ce que j’appelle la “patate
si notre interlocuteur a suffisamment de chance pour nous chaude” : on la reçoit dans notre main mais vu qu’elle est
montrer quelque chose de nouveau ? Je pense en tous cas trop chaude on la lance à notre voisin. Ici on est ennuyé mais
que cette expression qui est extrêmement repandue est au lieu de s’investir vers l’étonnement, on préfère lâcher un :
révélatrice de plusieurs choses. “étonnez moi !”
72 73
Une forme d’ignorance dévalorisée par la société. Dans
certains domaines, l’étonnement en tant que découverte est
mal vu. Revenons là encore sur la définition de l’étonnement.
L’étonnement est un face-à-face avec l’inconnu. Autrement
dit, montrer son étonnement c’est montrer que nous ne
connaissons pas certaines choses et tout spécialement ce
que nous venons de découvrir. Le mot “étonnement” vient
de “tonner” qui signifie un choc violent et dont la première
lettre “é” exprime “ce qui sort de nous”. Si l’on réunit le tout,
être étonné signifie être mis de façon violente devant son
ignorance et extérioriser cette situation. Cela explique donc
que dans certaines conditions, comme dans le milieu des
affaires, montrer son étonnement n’est pas toujours bien
vu. Car en affaire montrer son ignorance c’est montrer sa
faiblesse, c’est dévoiler ce que l’on ne maîtrise pas. Dans le
film “Itinéraire d’un enfant gâté” de Claude Lelouch, Belmondo
dit à Antonica “tu as souvent l’air étonné, c’est ton défaut !”
Ce qui montre bien le problème que l’étonnement peut poser
dans un contexte d’affaire. Il enchaine même avec “Le moyen
de faire croire que tu connais tout, c’est de ne jamais avoir
l’air étonné.” Ce qui exprime la façon dont on peut en tirer
partie. Faire penser aux autres que l’on connait simplement en
maîtrisant ses réactions physiques.

Claude Lelouch | Itinéraire d’un enfant gâté

75
un cercle vicieux

Nous n’avons pas le temps de nous étonner. Un autre


phénomène consiste à ce que certaines personnes ont
décidé d’une manière ou d’un autre qu’elles n’ont pas le temps
de s’étonner. En fait ce n’est pas tellement qu’elles n’ont pas le
temps de s’étonner mais plutôt qu’elles ne veulent pas prendre
le temps de participer à ce cheminement qu’est l’étonnement.
C’est à dire se poser des questions et trouver le chemin des
réponses. Une des caractéristiques de cette société est de
suivre le client dans certaines de ses voies. Si le client à
une envie ou un besoin, j’accentue cette direction pour faire
fonctionner mon entreprise. Le résultat est que, si je considère,
en tant qu’individu, que je n’ai pas le temps de m’étonner alors
la société va me confectionner des choses qui vont m’écarter
de l’étonnement. Ce phénomène correspond tout à fait à ce
que m’a transmis Stéphane Gaborieau, Chef du réstaurant Le
Pergolèse. Ses clients n’ont souvent pas trop de temps pour
lire la carte lorsqu’ils viennent dans son restaurant. Le Chef
a donc pris la décision de nommer les plats par des images
comme “arc-en-ciel de légume” au lieu de décrire ce qu’il y a
dans le plat. Cette dénomination de plat amène les clients à
penser qu’ils savent ce qu’ils vont avoir, ils ne vont donc pas
se poser de question et “ranger” instinctivement le plat dans
la catégorie des plats à légume. L’objet est donc de ne pas
susciter de question ! L’ironie de la chose est que ses clients
sont étonnés du goût de cet arc-en-ciel et en viennent à se
demander ce qu’il peut bien y avoir dans leur assiette !

Nous avons compris l'importance de l'environnement,


dans le quotidien de certains individus, pour qu'ils aient un
rapport à l'étonnement fréquent. Si ce point peut maintenant
paraître évident, nous pouvons comprendre notre rapport à
l'étonnement par un autre chemin, qui peut paraître moins
naturel, et non moins intéressant. L'étonnement étant un
processus personnel, nous allons introduire la possibilité que
l'individu soit acteur de son propre étonnement.

76
la solution est
en vous
l’utilisateur, un
Nous avons vu précédemment le rôle essentiel de l’environnement
dans le processus d’étonnement. Si certaines personnes sont
actifs vers l’étonnement, d’autres ont besoin d’un cadre qui leur
donne accès facilement à cet état. Y a-t-il donc des exemples
dans lesquels l’étonnement est suscité, ou tout du moins, facilité acteur participant
?

La consommation passive. Le système dans lequel nous


sommes est composé d’entreprises, imposant à leurs
employés de créer des produits dont les fonctions sont bien
déterminées. Les utilisateurs, eux, achètent ces produits et
s’en servent de façon mécanique jusqu’à ce que ces objets
soient obsolètes. De plus les produits sont souvent conçus
dans une optique de “vendre plus pour vendre plus”. Les
équipes de conception ont pour principal objectif de faire
des produits plus attractifs et plus “marketable”. Le système
est toujours incrémental. Le résultat de cela est la mise sur
le marché d’objets dont l’utilité et l’intérêt sont réduits. N’y
Charles
aurait-il pas une autre façon de consommer ? Y aurait-il une Leadbeater, the
manière de créer un rapport différent entre les utilisateurs et rise of the amateur
professional, TED,
les produits ? Intéressons nous donc à l’individu lui même ! 2005

l’importance de l’individu

L’Homme est créatif. Par définition chaque individu possède


de la connaissance, sa connaissance. Comme le dit Ken
Robinson, chacun a des idées, des envies et possède une
capacité créative. Elles sont certes plus ou moins exprimées,
il n’empêche qu’elles sont là, en chacun de nous. J’aimerai Ken Robinson,
Do schools kill
tout spécialement m’arrêter sur l’extraordinaire capacité creativity ?, TED,
d’étonnement créatif humain. 2006

L’enfant est maître en créativité. Prenons l’exemple de


Tim Brown | How might we design a participatory system? l’Homme pur, j’entends par là l’enfant. L’enfant est l’Homme
qui n’a pas intégré toutes les contraintes de l’éducation et de
la société. C’est un être qui connaît peu de limites et qui est
extrêmement libre. C’est quelqu’un qui est direct et qui fait ce
qu’il veut. Placez un enfant dans une pièce et vous verrez à
quelle vitesse il va détourner des objets pour en faire ce que
vous n’avez jamais soupçonné !
80 81
Un homme, une grande innovation. Comme nous l’avons
vu plus haut, les règles de la société et nos expériences nous
font tendre à restreindre notre capacité créative. Cependant
je crois profondément qu’en chacun de nous reste une
flamme créative. Il ne faut pas se méprendre à penser que
toutes les dernières innovations de ce monde on été créées
par des industries lourdes payant des équipes de centaines
d’Hommes à travailler jour et nuit. Chacun de nous a le
pouvoir de création. Laissez moi citer quelques exemples.
Le vélo de montagne est né d’une frustration des utilisateurs.
Au Nord de la Californie, un groupe de passionnés adapte
alors des vélos de type cruiser, proches des vélos de plage
pour les utiliser dans les montagnes du comté de Marin en
Californie.
Le Skateboard est inventé en 1963. C’est un jour sans vague
que deux surfeurs de Malibu, Phil Edwards et Mickey Muñoz,
décident de passer le temps en fixant des roues de chariot
sur une planche en bois. Cet ancêtre du skate est appelé
Surf Roll. Ils utilisent alors leur création pour retrouver les
sensations du surf sur la terre ferme.
Le Rap. Qui, dans l’industrie de la musique, il y a 30 ans,
aurait dit : “inventons une forme de musique qui est centrée
sur les noirs et les ghetto exprimant leurs frustrations dans une
forme de musique qu’un grand nombre de personnes trouvent
initialement difficile à entendre ? Ca a l’air d’être bon ! Allons-y
!” Personne évidemment ! Ce qui s’est passé avec le rap,
c’est qu’il a été créé par les utilisateurs. Ils le font avec leurs
Charles
propres discs, leur propre équipement d’enregistrement et le
Leadbeater, the vendent d’eux même. Aujourd’hui, le rap est la forme musicale
rise of the amateur
professional, TED,
dominante dans la culture populaire.
2005
L’individu a de l’importance. De simples hommes peuvent être
à la tête de grandes inventions. Avoir une grande industrie
n’est pas une condition nécessaire. J’aimerai finir sur ce point
avec un exemple qui montre que certaines industries l’ont bien
compris, et depuis longtemps.
Le Toyotisme. Le Toyotisme est une technique intervenant
dans la production de masse mise en avant par Taiichi
Ohno en 1962. Plusieurs objectifs sont mis en avant dans sa
théorie dont la réduction des coûts, le maintien d’une qualité
optimale, l’amélioration du système de production, etc. Ce qui
est intéressant ici c’est de voir quels moyens sont utilisés par
Taiichi Ohno pour arriver à ses objectifs. Sa démarche tourne
principalement autour de l’individu : l’ouvrier. Il instaure en effet
notamment deux choses.
Le kaizen est le principe d’autonomisation des équipes en
charge de définir les temps standard de production et de se
répartir les diverses opérations de fabrication d’un produit
afin de travailler plus efficacement et plus rapidement. Le
kaizen décrit parfaitement le principe d’amélioration continu du
système par l’implication active de l’ouvrier.
Le cercle de qualité est un groupe de travail, composé les premiers skates

82
d’opérateurs et de cadres regroupés autour des activités de comment y aller, d’autres ont plus de mal à le savoir. Et enfin
kaizen, qui couvre les questions de qualité, de maintenance, certains ont des points de vues extrêmement critiques que l’on
de sécurité, de prix de revient, etc. On voit donc que cette pourrait qualifier d’autosuffisant, alors que d’autres ont besoin
technique est le résultat de la prise de conscience de la de suivre ces prêcheurs d’idées.
valeur de chacun. Chaque individu a des connaissances et Participation active. Si hier la consommation passive
des points de vues sur certaines questions. L’objectif de ces nous plongeait dans une routine ennuyante, l’heure est au
cercles est de mettre à profit les capacités de chacun pour changement. Nous devons prendre conscience, comme avait
le bien de l’entreprise. L’individu se sent donc valorisé, est commencé à le faire Taiichi Ohno, des capacités de l’homme
plus motivé et participe à l’amélioration de son poste ce qui et les intégrer dans les processus de conception de produit.
lui donne envie de rester dans l’entreprise et lui procure un L'étonnement, si il est vu sous l'angle de la créativité, peut être
certain plaisir. un formidable outil pour créer ce que nous n'avons pas ! Si
Des hommes pas comme les autres. Il est évident que certains sont prêts à participer activement au processus de
certains hommes se démarquent des autres. Je propose de conception en s'étonnant, profitons-en !
prendre le cas de trois d’entre eux.
Nicolas Copernic (1473 - 1543) était un chanoine, médecin
et astronome polonais. Il est l’auteur célèbre de la théorie
selon laquelle le Soleil se trouve au centre de l’Univers
(héliocentrisme) et la Terre, que l’on croyait auparavant
centrale, tourne autour de lui. Les conséquences de cette
théorie, dans le changement profond des points de vue
scientifique, philosophique et social qu’elle imposa, sont
parfois baptisées révolution copernicienne.
Leonardo Da Vinci (1452 - 1519) est un peintre florentin et
un homme d’esprit universel, à la fois artiste, scientifique,
ingénieur, inventeur, anatomiste, peintre, sculpteur, architecte,
urbaniste, botaniste, musicien, poète, philosophe et écrivain.
Je tiens simplement à prendre pour exemple et rappeler que
comme ingénieur et inventeur, Léonardo développe des idées
très en avance sur son temps, depuis l’hélicoptère, le char de
combat, le sous-marin jusqu’à l’automobile.
Steve Jobs (né en 1955) est cofondateur d’Apple. Considéré
comme l’un des pionniers de la micro-informatique pour
avoir introduit l’ordinateur dans les foyers. Cette idée mènera
à la commercialisation par la société Apple Computer du
Macintosh, le premier ordinateur grand public profitant de ces
innovations.
Une vision. Quel est le point commun de tous ces
Hommes ? Qu’est ce qui les a démarqué du lot ? Avant d’être
persévérant, d’avoir une intelligence dépassant la moyenne
ou d’avoir un talent inné, ils ont surtout une vision. Le point
commun de tous ces hommes tourne autour d’un point de
vue engagé sur les domaines qui les intéressent. Ces points
de vus vont souvent jusqu’à remettre en cause l’opinion
générale comme par exemple Nicolas Copernic qui défend
l’héliocentrisme contre le géocentrisme ou Steve Jobs qui
défend que l’ordinateur peut trouver son utilité dans chaque Lisa | Apple
famille et non pas se cantonner à quelques trente entreprises
dans le monde.
Si chacun a des idées et des connaissances, et si chacun
est créatif, il n’empêche que l’on peut distinguer différents
caractères. Certains savent où ils vont, d’autres ont beaucoup
plus de mal à le déterminer. De même si certains savent
84 85
l’utilisateur a besoin
d’un cadre

Barry Schwartz | Psychologue


Nous prenons donc conscience du potentiel d'étonnement
créatif qui peut être contenu en chaque individu. Nous
pouvons donc nous demander si le designer peut avoir un
rôle pour aider ceux qui souhaite s'étonner pour mettre à jour
de nouvelles choses en s'étonnant.

Quels types d’outils pour la création ?

Comme nous l’avons dit plus tôt, il y a création si il y a la


réalisation de l’œuvre. Or on sait que l’outil est un facilitateur
pour mettre au monde n’importe quelle œuvre. Nous avons
également besoin d’outils pour concevoir, tout du moins il
Tim Brown, Tim est souvent d’une grande aide. Que ce soit par le dessin, la
Brown urges
designers to think
modélisation, le maquettage ou autre, il est souvent plus facile
big, TED, 2009 de “construire pour penser.”
Si nous souhaitons nous placer dans une dynamique de
participation active de l’utilisateur, il est facile de concevoir
l’utilité de mettre à sa disposition un certain type d’outil lui
permettant de concevoir et de créer. Quel type d’outil mettre
à disposition ? Ces outils doivent-ils avoir des limites ? Est-il
intéressant de proposer aux utilisateur un champ infini des
possibles ?
En posant ces questions, on en revient au problème du choix.
Qu’il s’agisse de consommation passive ou de participation
active, est-il intéressant de donner un maximum de possibilités
Barry Schwartz, à un utilisateur ? Je propose ici d’exposer la théorie du
The paradoxe
of choice, TED,
psychologue Barry Schwartz avancée lors de la conférence
2006 de TED 2006 sur le paradoxe du choix.
Plus de choix pour plus de liberté. Ce dernier avance que
la société industrielle occidentale a pour objectif d’augmenter
le bien-être des citoyens. C’est pour cette raison que nous

86
faisons en sorte de maximiser les libertés individuelles. En
effet la liberté est bonne pour soi car elle permet à chacun
de faire les choix qu’il estime bon pour son bien-être.
Personne ne décide à ma place. Il faut donc pour suivre
cette logique mettre à disposition un maximum de choix.
Nous pouvons prendre pour exemple les supermarchés, les
magasins d’électronique ou encore les téléphones portables.
Notre identité est donc devenue un problème de choix : on
décide de ce que nous voulons être. Nos journées sont une
succession de prise de décision : “devrai-je faire telle chose
ou telle autre chose, devrai-je répondre au téléphone, etc.”
L’abondance de choix a des effets néfastes. Barry Schwart
nous propose de prendre la question des choix dans l’autre
sens. Quelles sont les effets de cette abondance de choix ?
La paralysie.
J’ai travaillé pour une entreprise dans son département
design. Il se trouve que nous recevions énormément de
portfolios tous les jours. La réaction de chaque designer était
toujours la même : “Ho ! Ca fait beaucoup de portfolios, je ne
sais pas par lequel commencer ! On verra ça demain !” En
effet l’abondance de choix provoque d’une part la paralysie,
on ne sait pas quoi faire ou par quoi commencer. D’autre part
cette paralysie se transfert en une prise de décision qui est
toujours la même : on repousse à demain. Or chacun sait que
demain, on repoussera à demain et qu’au final, demain ne
vient jamais !
Insatisfaction.
Le fait de choisir parmi plein d’options nous rend moins
satisfait que s’il y en avait eues peu. Prenons un exemple. Je
veux acheter un jean. Je me rends donc dans un magasin
qui, en l’occurrence, en propose une cinquantaine. Je choisis
celui qui, je pense, me correspond. Si après quelques jours je
prends conscience que mon article ne me va pas si bien que
cela, il est facile d’imaginer qu’un des quarante neuf autres
jeans m’aurait convenu beaucoup mieux ! En plus de cela je
ne vais faire que penser aux quarante neuf autres choix que je
n’ai pas fait au lieu de prendre plaisir au choix que j’ai fait !
Escalade des attentes.
Reprenons l’exemple du jean, qui, je l’avoue, fonctionne
d’autant mieux sur les hommes. Admettons que je rentre dans
le magasin avec comme seule attente de trouver un jean.
A chaque fois que j’essaye un nouveau jean, mes attentes
montent. J’aime la coupe de celui-ci, avec les poches de
celui-là et la couleur de celui-ci, etc. A coup sûr je ne serai
pas content de mon choix final qui ne pourra pas satisfaire
toutes les attentes que je me suis construites au fur et à
mesure de mes essais.
On se blâme.
Si dans un cas A j’ai trois choix. Un ne me plaît pas, le
deuxième ne me va pas, je prends le troisième. Admettons
que je ne sois pas totalement satisfait de mon choix. Qui

89
vais-je blâmer ? Et bien le monde, la terre entière, le magasin, faire du design c'est prendre position
etc. Maintenant je prends le cas B dans lequel j’ai un grand
nombre de choix. Si je ne suis pas satisfait de ma décision la
seule chose que je peux blâmer c’est moi même ! “Qui m’a Qu'est ce que le design ? Vaste question à laquelle
forcé à faire CE choix alors qu’il y en avait tant d’autres ? Je beaucoup ont tendance à ne pas savoir répondre ! Je pense
suis vraiment trop nul !” Je pense que le fait de se rabaisser que ce qui n'aide pas c'est le fait que la définition varie en
est l’une des pires chose que l’on peut se faire. fonction de la façon dont on pratique notre discipline. Je vais
Il est rare que nous soyons tout le temps content. Certains donc décrire ma vision du design, qui n'est aucunement une
arrivent à relativiser, d’autres comparent tout. Il est en tous les règle générale.
cas très difficile d’évoluer dans un monde dans lequel nous Le design est avant tout une approche. Le design est
avons tant de choix. Nous avons donc besoin d’un cadre de un processus dans lequel l'Homme en est le cœur. C'est
choix. cet Homme qui constitue les grands arguments dans les
Revenons plus spécifiquement sur la création. Je souhaite décisions de design. C'est pour ces raisons que le design
aborder un point qui va dans le sens de ce qui a été dit utilise l'étude de scénarios d'usage dans son processus. Le
précédemment. Certaines personnes aiment créer, certaines design propose comme finalité des usages rendus possibles
personnes veulent faire partie du processus de création. grâce à la création de produits ou de services.
Nous avons vu qu’il est satisfaisant, en voyant le résultat de la En tant que designer, il faut donc prendre en compte
création, de se dire que nous sommes en partie responsable l'implication que peut avoir ce que l'on crée sur le quotidien
de cette œuvre. Cependant, un point est important à des utilisateurs. Car si le processus de design commence par
introduire. La majorité des gens aime l’idée de faire partie l'étude d'usages, il faut s'assurer que les usages générés par
de la création et en même temps ne veut pas trop en faire ni les produits ou services mis en place sont en accord avec ce
y mettre trop d’énergie. Si on laisse trop de champ pour la qui a été je crois. Et pour aller plus loin il faut s'assurer qu'ils
prise de décision, la personne concernée va être perdue et ne créent pas des effets secondaires non attendus.
s’épuiser. En design, nous le ressentons complètement, les
contraintes sont toujours génératrices d’idées. Un sujet trop Une méthode bien maîtrisée. Le principe de consommation
vaste est toujours déstabilisant et demande, pour pouvoir y passive rend la chose plutôt simple. Un bon designer
répondre sans grande difficulté, beaucoup de culture et un conçoit un objet que son entreprise met sur le marché. Le
point de vue marqués. consommateur achète cet objet et l'utilise dans le cadre de
ce que cet objet lui permet de faire. Plaçons nous maintenant
dans le cadre d'une participation active d'un utilisateur. Les
objets ne sont plus entièrement conçus par les designers de
l'entreprise mais également par les utilisateurs. Cela implique
une marge de manœuvre plus grande. Faut-il, en tant que
designer, contrôler ce que font les utilisateurs ? Si oui dans

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quelles limites ? la notion de système
Plus que jamais, faire du design c'est faire des choix.
En tant que designer je sais que je ne peux pas plaire à tout
le monde et je sais également que ce que je vais créer ne Un système est un ensemble d'éléments interagissant entre
plaira pas à tout le monde. Un autre point tout aussi important eux selon un certain nombre de principes et de règles. Un
est ce que je suis en tant qu'individu. Depuis plus de deux système est donc borné par des limites qui le séparent de
décennies je vis tout un tas d'expériences, j'apprends son environnement. Pour mieux comprendre le système il faut
beaucoup de choses. Depuis que j'étudie ce qu'est le design connaître ses trois concepts fondamentaux.
j'ai acquis des valeurs qui tournent notamment autour des L'interaction est une causalité non linéaire, une forme
objets et de leur signification. Il est pour moi important que d’intéracation est la rétroaction (feed-back) dont l’étude est au
les valeurs que j'ai accumulées se retrouvent dans mes objets centre des travaux de la cybernétique.
pour deux raisons. La première raison est que je pense que
vivre dans un univers dans lequel chaque objet est porteur de La totalité d'un système est d’abord un ensemble d’éléments,
sens et de valeurs permet de développer ses propres sens et mais il ne s’y réduit pas : le tout est plus que la somme des
ses propres valeurs. La deuxième raison est que je ne conçois parties.
pas de créer des objets qui ne sont pas en accord avec moi L'organisation est l'agencement de la totalité, sur la base
même. Pour la raison que je viens d'évoquer et parce que je d’une répartition hiérarchique. Les propriétés d’une totalité
me sentirai mal. dépendent moins de la nature et du nombre d’éléments qu’ils
En tant que designer je dois donc prendre position. Quitte contiennent que des relations qui s’instaurent entre eux.
à ne pas plaire à tout le monde, autant être en accord avec Exemple : les cerveaux humains possèdent tous à peu près
moi même. Ces phrases ont donc un impact important dans le même nombre de neurones, mais ce qui va décider des
un système dans lequel on ne parle plus de consommation différentes aptitudes, c’est la nature et le nombre de relations
passive mais de participation active. En effet si je crée entre eux dans telle ou telle aire. On peut dire que, en
un produit ou un service permettant aux utilisateurs de s’organisant, une totalité se structure (une structure est donc
participer d'une manière ou d'une autre dans une réalisation une totalité organisée).
quelconque, il est important pour moi que ceux-ci n'aillent pas Trois types de systèmes. Si les systèmes fonctionnement
à l'encontre de mes valeurs. tous avec ces mêmes principes, il existe différents types
Le design a des implications. La participation active de système et plus précisément différentes ouvertures de
implique que quelqu'un, ou un groupe de personnes système.
construise un élément A. Cet élément A sera ensuite utilisé Système fermé. La particularité du système fermé est qu'il
pour créer un élément B. Et on peut continuer comme cela. n'interagît pas avec son environnement. Ses limites sont
Un point est alors à mettre en évidence. définies. Aucun élément ne peut ni y entrer ni en sortir. Ces
Si je ne conçois pas de mettre entre les mains d'utilisateurs systèmes jouissent d'une grande autonomie. Cependant il
des produits qui vont à l'encontre de mes valeurs, je conçois est important de comprendre que presqu'aucun système
encore moins de mettre entre les mains d'utilisateurs des n'est fermé comme la théorie le laisse paraître. Presque
produits ou services qui leur permettent de créer des choses tous les systèmes font au moins interagir un élément avec
qui vont à l'encontre de mes valeurs. Le cas est encore plus leur environnement. Par exemple, en thermodynamique, un
extrème si ces dernières création sont partagées. système fermé est celui qui échange uniquement de l'énergie
Il ne s'agit donc pas de tout contrôler ou d'imposer quoi avec son environnement. Il n'est donc pas totalement fermé.
que ce soit. Il s'agit simplement d'avoir un point de vue, de Une autre caractéristique du système fermé est le nombre de
l'appliquer et de le mettre au service du design. Comment possibilité qu'il offre. Un bon exemple de système fermé allant
alors créer quelque chose permettant de générer de dans ce sens est Playmobil. Une fois le jouet acheté, on ne
l'étonnement et de la créativité dans un cadre respectant mes peut rien modifier, on peut simplement ouvrir les portes de la
valeurs ? voiture ou changer les cheveux d'un personnage, rien de plus.
Le reste se passe au niveau de l'imagination.
Système ouvert. Par opposition à un système fermé, celui-ci
permet un maximum d'interaction avec son environnement.
Il peut également avoir un maximum de possibilités en lui.
Prenons l'exemple de la pate à modeler. Celle-ci, étant mole,
propose des possibilités infinies de formes. En même temps,
elle peut interagir grandement avec son environnement en se

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collant sur des vitres par exemple ou en entourant un stylo. l'exemple du système SDK de Apple. Ce système permet
Système semi-ouvert. Enfin il y a des systèmes hybrides. à qui le souhaite de créer des applications pour l'iPhone. Il
Ceux-ci sont des systèmes ouverts comprenant une des contient les trois logiciels qu'utilisent les développeurs de
règles tout en laissant une grande part de possibilités en la marque d'ordinateur. Chacun est donc libre de créer ce
terme d'interaction interne et avec l'environnement. On peut qu'il souhaite. En même temps ces logiciels imposent des
prendre pour exemple Légo. En jouant aux Légos on peut contraintes. Par exemple les possibilités de gestuels liées à
penser que les possibilités sont infinies alors qu'en théorie ce la navigation sont imposées par la marque. En effet Apple
n'est pas le cas. Pour jouer à ce jeu il faut accepter une règle considère que la navigation fait partie de ses valeurs et de son
simple : deux pièces s'emboitent selon une technique précise savoir faire, la réinvention d'une façon de naviguer sur l'iPhone
imposée par le système lui même. Cependant toutes les est donc limitée par le système lui-même.
pièces s'emboitant entre elles et étant tellement nombreuses,
on pense que les possibilités sont infinies. De plus certaines
pièces comme des ventouses permettent au jeu d'interagir
avec son environnement.
Le pirate. Le pirate est quelqu'un de très intéressant car
il repousse les limites du possible d'un système. Pour se
faire il pirate le système en l'ouvrant plus qu'il ne l'est ou en
ajoutant des éléments à un système qui normalement ne
le permet pas. Le principal inconvénient, du point de vue
du système lui-même, est qu'il va permettre au système de
générer des résultats qui peuvent être contraires aux règles
voulues par son concepteur. En même temps l'intérêt est
qu'il peut permettre au système de générer des choses dont
le concepteur n'aurait pas perçu le potentiel et qui peuvent
s'avérer extrêmement intéressantes. Le skate est le résultat
d'un piratage de boîte de bois et d'un chariot. Les roues du
chariot n'ont certainement pas été prévues pour se positionner
sur un morceau de boîte en bois !

générer la créativité en respectant


des valeurs

J'aimerais m'arrêter sur le système semi-ouvert qui est je


pense extrêmement intéressant pour les deux principaux
avantages qu'il génère.
Créativité. Un système semi-ouvert c'est tout d'abord un
système ouvert qui propose un maximum de possibilités, il est
donc générateur de créativité. On contenant des règles il aide
à trouver son chemin vers l'étonnement.
Valeurs. Ce système permet également, grâce à ses
règles, de poser un cadre. Ce cadre permet d'optimiser les
interactions du système pour qu'elles aillent dans le sens des
valeurs de son concepteur.
Système et design. Utiliser un système permet donc de
générer de la nouveauté, de l'inattendu tout en respectant
certaines valeurs. Il est, je pense, une façon extrêmement
efficace de concevoir un produit ou service dans un système
de participation active. Pour illustrer cela je voudrai prendre
94 95
L’étonnement pour soi. L’étonnement est avant
tout une démarche personnelle. Nous avons vu que
nous sommes étonnés lorsque nous dépassons nos
limites. En même temps ce qui ne se réfère en rien à nos
connaissances, autant que ce qui en est trop proche,
nous laisse indifférent.

Un monde ennuyant. Si certaines personnalités


sont de nature à s’étonner, d’autres sont totalement
dépendantes de l’environnement dans lequel elles sont
plongées. Aujourd’hui, la société de consommation nous
prend par la main pour nous éviter de réfléchir et nous
noie dans une monotonie dans laquelle l’esprit dort
sagement laissant place à l’ennui.

L’heure est à la révolution. L’Homme a de


fabuleuses capacités créatives, de remise en cause
et de questionnement. Il est une chose de chercher
l’étonnement chez les autres ou dans des endroits
inconnus mais l’étonnement le plus fort que l’on trouvera
est enfoui en nous. Il s’agit de se rebeller contre notre
statu quo pour le briser et se dépasser.

Designer engagé. Pour ceux qui veulent s'étonner,


qui sont prêts à se révolter, et qui veulent construire un
nouveau monde, le designer doit être présent et actif.
Ce dernier doit aujourd'hui prendre en considération les
capacités d'étonnement de l'homme pour faire évoluer
le monde dans des perspectives jamais atteintes.
Comprenant que l'Homme a besoin d'une structure
sur laquelle s'appuyer, autant pour vivre que pour se
révolter, le designer doit, dans son processus créatif,
prendre position et considérer une place active pour les
utilisateurs. Si le designer est créateur d'outils, il y en a
un qu'il ne créera jamais : l'Homme.

Le design participatif s’intéresse à


créer des systèmes nourris d’une
vision engagée du monde et permettant
aux utilisateurs de donner jour à une
nouvelle réalité.
Différentes personnalités. On peut alors se demander
si chacun a envie de s'étonner et si ceux qui le veulent
s'étonnent. Il y a en fait trois grands types de caractères. Les
imperméables sont ceux qui restent dans leur univers connu
et sont hermétiques autant à l'inconnu qu'à la nouveauté.
A l'opposé ceux que l'on peut qualifier d'entrepreneur se
mettent tant qu'ils peuvent en position de dépassement d'eux
même. Ils cherchent leurs limites pour les dépasser. Enfin, les
attentistes attendent simplement que les choses se passent.
Le fait qu'ils s'étonnent dépend finalement de l'environnement
dans lequel ils se situent.

résumé Un cadre favorable à l'ennui. Le mode de consommation


passive dans lequel nous sommes encrés est source de
monotonie et d'ennui. En effet les produits sont conçus pour
des usages précis et ne laissent aucun espace à l'utilisateur
pour s'exprimer. Le monde dans lequel nous sommes est
producteur de règles ne laissant aucune place à l'expression
de soi.
Ce mémoire est un recueil de découvertes, de réflexions et de
prises de position autour du sujet de l'étonnement. Il ne s'agit La solution est en chacun de nous. Comme nous le fait
ici, en aucun cas, de donner des vérités sur le sujet abordé, remarquer Ken Robinson, nous avons tous des idées, de la
simplement de partager des points de vue existants et d'en curiosité, et une magnifique capacité créative. Ces ingrédients
apporter le mien. Nous verrons également que cette réflexion, sont les éléments nécessaires au dépassement de soi.
sur ce qui s'apparente être un simple sentiment, peut ouvrir de L'Homme a simplement besoin d'être aidé et guidé pour
nouvelles possibilités de conception. dépasser ses limites.
L'étonnement comme dépassement de soi. En étudiant Le design participatif. Le designer doit prendre en compte
les définitions de l'étonnement, notamment d'Adam ses capacité d'étonnement et être actif pour ceux qui veulent
Smith et de Jeanne Hersh, et en y ajoutant des réflexions se dépasser et construire un nouveau monde. Ce dernier
personnelles, j'ai déterminé deux points permettant de définir doit aujourd'hui prendre en considération les capacités
l'étonnement. En premier lieu, et sur un plan théorique, être d'étonnement de l'homme pour faire évoluer le monde dans
étonné c'est être confronté à ses limites et être amené à les des perspectives jamais atteintes. Comprenant que l'Homme
dépasser. Cependant je me suis rendu compte que cette a besoin d'une strucutre sur laquelle s'appuyer, autant
définition, trop théorique, ne suffit pas. L'étonnement est pour vivre que pour se révolter, le designer doit, dans son
en effet ressenti lorsque ce dépassement a suffisament de processus créatif, prendre position et considérer une place
références avec le connu pour être intéressé par l'individu active pour les utilisateurs. Si le designer est créateur d'outils,
tout en y étant suffisament éloigné pour ne pas être identifié il y en a un qu'il ne créera jamais : l'Homme.
comme probable. Enfin il est important de comprendre que Le design participatif vise à créer des systèmes nourris
l'étonnement se différencie de la surprise. Cette dernière d'une vision engagée du monde et permettant aux
émotion est suscitée par l'inattendu alors que l'étonnement est utilisateurs de donner jour à une nouvelle réalité.
en rapport directe avec la nouveauté.
Etonnons-nous. Ce chemin vers l'inconnu a lieu dans
deux cas. Le premier est celui de la découverte ou de la
redécouverte. C'est quand l'Homme est confronté à quelque
chose de nouveau et qu'il est amené à le questionner pour
le comprendre. La découverte est indispensable pour se
sentir bien dans l'environnement dans lequel on évolue. Le
deuxième cas est celui de la création qui est l'association
de ses connaissances avec la volonté de les dépasser.
Le résultat de la création est la nouveauté. La démarche
créative est tant utile pour l'individu, pour qui elle suscite un
plaisir immense, que pour le groupe, auquel elle procure
une richesse de possibilité toujours plus adaptée à chaque
individu.
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can be astonished. They are always looking for their limits,
wanting to overtake those. Finally, waiters simpely wait for
the astonishment to come to them. The fact that they feel
astonished or not depends entirely on the environnement in
which they find themselves.
An environment for bordome. The world of passive
consumption in which we are living is a source of monotony
and boredom. Products are designed for a specific use. Users
have no space to express themselfs. The world, as we know it,
produces rules that don't allow people to break their limits. So,
how are we to feel astonished ?

summary The answer is in you. As Ken Robinson say, we all have


ideas, curiosity and a wonderful creative capacity. Those
ingredients are essential in order to overtake ourselves. Man
simply needs to be helped and guided to break his limits and
go further.
Participative design. Designers must take user's
This is not about saying or spreading the truth, this is a astonishment capacity into account and act for those who wish
collection of discoveries, thoughts and point of views on to overtake there own limits and build a new world. Designers
astonisment. I simply wish to share with you some existing must make the world evolve in ways it has never before.
thoughts and bring mine into this subject. This writing Understanding that Man needs a structure that he can lean
introduce also that, even though astonishment might be on, in order to live as well as to revolte himself, designers must,
perceived as a simple feeling, personal astonishment has the in their creative process, consider and leave an active place
power to give to conception new possibilities. for users. If designers create the tools, there is one tool we can
Astonishment as self overtaking. After studying different never make : Man.
definitions, in particular with Adam Smith and Jeanne Participative design creates systems fed of a vision of
Hersh, and adding my own thoughts to these, I determined the world which gives to users the chance to build a new
two things that would help me define astonishment. First, reality.
from a theoretical point of view, one is astonished when he
confronts himself to his limits of knowledge and when he is
lead to overtake these limits. Secondly, in order to feel the
astonishment, this person must know just enough about the
issue in cause to be interested, and at the same time know
little enough to feel questioned and astounded. Finally it is
important to understand the difference between astonishment
and surprise. Surprise is sparked off by the unexpected and
astonishment by the unknown.
Let's be astonished. This way to the unkown is taken in two
cases. The first one is about discovering or rediscovering. That
is when one is confronted to something new and he is lead
to question it to understand it. Discovering is essential to feel
good in the environnement in which one evolves. The second
one is about creating, which is when you want to overtake
your knowlege. The reasult of creation is novelty. This creative
reasoning is as usefull for the human being, for whom it gives
pleasure, as for the group, which is given new possibilities.
Different personalities. We can question if everyone feels
astonished and, if those who want to, feel astonished. There
are actually three type of people. Waterproof people stay
in their known univers and don't want to face novelty. On
the opposit, entrepreneurs seek to find places where they

100 101
Un grand merci à tout ceux qui m’ont soutenu et aidé de
près ou de loin dans l’aboutissement de ces cinq années
d’études et dans la réalisation de ce mémoire,
merci à l'ensemble de l'équipe de suivi ainsi qu'à
David l'Hôte,
merci à Alexandra, Olivia, Valentin, Quentin,
Hippolyte, Yann, Salim, Baptiste et tous ceux
qui ont passé des heures à brainstormer,
remettre en cause, écouter et partager
sur mon sujet,
merci à Victor et Thomas pour avoir
brainstormé dans un univers qui n'est
pas le leur,
merci à Habib de m'avoir fait

merci partager ses méthodes et pour


être toujours près à réinventer
le monde !
merci à ma famille, de m'avoir
supporté alors que je m'emballais
sur mon sujet lors des repas !
un grand merci à Marie
Frontana-Viala, Stéphane
Gaborieau et Yoann Guillouzouic
pour m'avoir fait partager leurs
points de vue sur l'étonnement dans
leurs spécialités réspectives,
merci à Steve de m'avoir tant inspiré
avec ses présentations visionnaires,
merci à la neige de m'avoir changé
les idées,
merci à ma chambre d'avoir supporté
le bazar,
merci à la 306 d'avoir su être 307,
et enfin, à Valentine et Marine d'être aussi
charmantes et d'avoir posé pour les photos réparties
dans ces pages.
conférences

Philppe Starck, Why design ?, TED, 2007


Tim Brown , Tim Brown urges designers to think big, TED,
2009
Barry Schwartz, The paradox of choice, TED, 2005
Charles Leadbeater, The rise of the amateur professional, TED,
2005
Do schools kill creativity ?, Ken Robinson, TED, 2006
références
sites internet

livres www.crntl.fr
www.thesaurus.reference.com
Apprenez à votre enfant à réfléchir, John Langrehr www.visualthesaurus.com
Bulletin des médecins suisses, Bruno Kesseli http://vpnl.stanford.edu/
La créativité de l'agir, Hans Joas, Cerf, 1999, p.306 www.wikipedia.org
Essais Phylosophiques, Adam Smith, Coda, 2006 http://littexpress.over-blog.net/
L’étonnement philosophique : une histoire de la philosophie, www.dicopsy.com/
Jeanne Hersch, Gallimard, 2003 www.sens-public.org
Etymologique et historique du français, Jean Dubois, Henri www.universalis.fr
Mitterand, Albert Dauzat, Larousse, 2007
developer.apple.com
Design Now, Charlotte et Peter Field, Taschen
Métaphisique, Aristote
Psychologie cognitive, Patrick Lemaire, De Boek, 2005, p.66
La Psychologie de la perception, Manuel Jimenez,
films
Flammarion, 1997
Good Morning England, Richard Curtis, 2009
Itinéraire d’un enfant gâté, Claude Lelouch,1988
rencontres Pirates of Silicon Valley, Martyn Burke, 1999

Marie Frontana-Viala, professeur de culture générale,


Lycée Carnot, Paris
Stéphane Gabeaurio, chef étoilé, Le Pergolèse, Paris
Habib Lesevic, Pirate Strategist, Lesevic Ventures
Yoann Guillouzouic, Comédien
Gérald Piat, Responsable Innovation du Département ICAME,
EDF

104 105
hors limite
Arthur Bodolec, 2009
www.arthurdesign.fr | arthur.bodolec@gmail.com

27, avenue de la division Leclerc, 92310 Sèvres - France


Tél. (33) 01 46 42 88 77 - www.stratecollege.fr

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